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Le slogan publicitaire, dynamique linguistique et vitalit

e
sociale : la construction dune esth
etique sociale `
a
travers la communication publicitaire
Chang-Hoon Lee

To cite this version:


Chang-Hoon Lee. Le slogan publicitaire, dynamique linguistique et vitalite sociale : la construc-
tion dune esthetique sociale `a travers la communication publicitaire. Sociologie. Universite
Paul Valery - Montpellier III, 2014. Francais. <NNT : 2014MON30002>. <tel-01089816>

HAL Id: tel-01089816


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abroad, or from public or private research centers. publics ou prives.
Dlivr par lUNIVERSIT PAUL-VALRY MONTPELLIER III
Prpare au sein de lcole doctorale 60 :
Territoires, Temps, Socits et Dveloppement
Et de lunit de recherche :
Laboratoire dtudes et de Recherches en Sociologie et Ethnologie de
Montpellier
Spcialit : Sociologie
Prsente par M. Chang-Hoon LEE

lextrieur cest une pub, lintrieur cest plus grand

LE SLOGAN PUBLICITAIRE, DYNAMIQUE


LINGUISTIQUE ET VITALIT SOCIALE
La construction dune esthtique sociale travers la
communication publicitaire

Soutenue le 17 fvrier 2014 devant le jury compos de :

- M. Philippe JORON, Professeur des Universits en sociologie, Universit


Paul-Valry Montpellier 3, Directeur de thse ;
- M. Fabio LA ROCCA, Matre de confrences en sociologie, Universit Paul-
Valry Montpellier 3 ;
- M. Michel MAFFESOLI, Professeur des Universits en sociologie,
Universit Paris Descartes Sorbonne ;
- M. Alain MONS, Professeur des Universits en communication, Universit
Michel Montaigne Bordeaux 3 rapporteur ;
- M. Jean-Martin RABOT, Professeur de sociologie, Universit Du Minho,
Braga, Portugal rapporteur ;
- M. Patrick TACUSSEL, Professeur des Universits en sociologie, Universit
Paul-Valry Montpellier 3
LE SLOGAN PUBLICITAIRE, DYNAMIQUE LINGUISTIQUE
ET VITALIT SOCIALE
La construction dune esthtique sociale
travers la communication publicitaire

Prsente par M. Chang-Hoon LEE

Sous la direction de Monsieur Philippe JORON

Soutenue le 17 fvrier 2014 devant le jury compos de

- M. Philippe JORON, Professeur des Universits en sociologie, Universit Paul -Valry


Montpellier 3, Directeur de thse ;
- M. Fabio LA ROCCA, Matre de confrences en sociologie, Universit Paul-Valry
Montpellier 3 ;
- M. Michel MAFFESOLI, Professeur des Universits en sociologie, Universit Paris
Descartes Sorbonne ;
- M. Alain MONS, Professeur des Universits en communication, Universit Michel
Montaigne Bordeaux 3 rapporteur ;
- M. Jean-Martin RABOT, Professeur de sociologie, Universit Du Minho, Braga, Portugal
rapporteur ;
- M. Patrick TACUSSEL, Professeur des Universits en sociologie, Universit Paul-Valry
Montpellier 3
1

Rsum

Franais
Titre : Le slogan publicitaire, dynamique linguistique et vitalit sociale
Thse : ternel objet de polmique, la publicit franaise, comme miroir social, consolide
aussi notre lien social. Lexamen de son lment langagier, le slogan, peut apporter beaucoup
la sociologie. Dans la perspective dune socialit langagire et sous la forme du jeu de
langage, sa dynamique linguistique se rvle comme une nouvelle manifestation semi-
consciente dun dsir de transgresser les rgles et dtre ensemble. Son style et son climat
refltent finalement baroquisme et hdonisme comme air du temps. Il semble urgent que la
sociologie ne ddaigne plus la publicit : peu de phnomnes sociaux sont aussi rvlateurs
pour dire lesprit du temps.
Mots cls : publicit, slogan, socialit langagire, jeu de langage, baroque, barbarisme,
archasme.

English
Title : The advertising slogan, linguistic dynamics and social vitality
Thesis : An eternal object of debate, French advertising, as a social mirror, also strengthens
our social cohesion. An examination of its linguistic element, the slogan, can bring to
sociology a lot. Within the prospect of a linguistic sociality and under the shape of a
language play, its linguistic dynamics shows itself as a new semi-conscious demonstration of
a desire to break rules and to be together. Its style and climate reflect finally baroquism and
hedonism as the age atmosphere. It seems urgent for sociology not to disdain any more
advertising : few social phenomena are so revealing to tell the spirit of the time.
Keywords: advertising, slogan, linguistic sociality, language play, baroque, barbarism,
archaism.
2

Merci qui ? M*

Michel Maffesoli, videmment ! Mon minent Directeur de


recherche qui a dirig ma recherche avec beaucoup dattention. Je ne
lui dois pas seulement mes connaissances en sociologie mais un
vritable chemin daccs au monde du savoir.

Monsieur Philippe Joron, professeur en sociologie, qui a


bien voulu reprendre gnreusement la direction de mon travail pour
que celui-ci puisse atteindre jusqu son ultime tape et exister
officiellement.

Madame Henriette Walter, linguiste lcole Pratique des


Hautes tudes la Sorbonne qui ma fait dcouvrir lintrt du
discours mdiatique et Madame Blanche-Nolle Grunig, professeur
mrite Paris 8 qui ma veill au got des mots de la publicit.

Mes matres corens et de pays francophones, lUniversit


Hankuk des tudes trangres que je ne peux pas ne pas remercier,
puisque sans eux, je naurais pu apprendre la langue ni dcouvrir la
littrature franaise, qui mont donn le dsir de venir en France.

Mes amis du CeaQ (Centre de Recherche sur lActuel et le


Quotidien) qui mont aid pendant tant dannes. Je tiens remercier
notamment Stphane Hugon et Fabio La Rocca pour leurs chaleureux
conseils.

Ma famille ! Comment pourrais-je exprimer toute ma


gratitude Jin-Hee, Jina, Enzo et Adam, qui tous ont si longtemps
patient le temps que parvienne enfin terme le travail doctoral
marital ou parental ?

*
Nous avons remplac par jeu la formule conventionnelle de Remerciements par un fameux
slogan publicitaire conu en 1984 par Philippe Michel (1940-1993), pour la marque Mamie Nova.
Le slogan original est : Merci qui ? Mamie Nova
3

mes parents
qui mont offert un paradis denfance
et qui mont appris la sagesse de la vie : tout.
4

Table des matires

Prologue
La socit publicitaire ......................................................8

I. Mon premier. De la socit au message .......................................................................................13


1. La publicit, un objet familier mais qui sidentifie mal ...............................13
1.1. Long pass, courte histoire ......................................................................14
1.2. De la rclame la publicit .........................................................18
1.3. Les liaisons dangereuses qui entretiennent la publicit ...........................21
2. Les avatars de la publicit franaise ..............................................................25
2.1. Un secteur qui veut tre une science autonome .......................................25
2.2. De ltude du psychisme celle de la participation ................................27
2.3. Les dfis de la publicit franaise ............................................................29
II. Mon second. Du message la socit ........................................................................................34
1. La dfiance de la socit franaise lgard de la publicit ........................34
1.1. L esprit franais , une hostilit traditionnelle la publicit ...............35
1.2. Lvolution de limage de la publicit .....................................................37
2. La publicit, casus belli ternel ......................................................................41
2.1. Les vagues anti-publicitaires .................................................................41
2.2. Des frmissements pro-publicitaires ........................................................44
III. Mon tout. Du message au Message .....................................................................................47
1. Nous sommes les enfants de la pub ................................................................47
2. La socit publicitaire , une nouvelle perspective ...................................52

Introduction : Trouver les mots dans le langage publicitaire ...........................................59


Mthode .............................................................................................................69

Premire partie
Slagh-gairm (slogan), cri de guerre .....................................73

Chapitre I. la recherche du slogan publicitaire ........................................................................74


1. Une chose trop souvent voque pour tre bien connue ..............................74
5

1.1. Au-del dune dfinition ..........................................................................81


1.2. Les problmes de perception au niveau textuel .......................................84
1.2.1. Lopacit des lments smiologiques ..........................................85
1.2.2. Les limites des termes journalistiques et de brivet ....................89
1.3. Essai de dtermination du slogan publicitaire .........................................91
2. Les coulisses de la production du slogan publicitaire ..................................95
2.1. Deux contraintes fondamentales ..............................................................96
2.1.1. La communication mdiatique ......................................................97
2.1.2. La communication de masse ..........................................................98
2.2. Sous les slogans, la stratgie ..................................................................101
2.2.1. La crativit, vertu cardinale de la publicit ................................102
2.2.2. La crativit, stratgie du message publicitaire ...........................104
2.3. Les alas du slogan publicitaire .............................................................106
3. Le mystre de la rception du slogan publicitaire ......................................107
3.1. Du message commercial la langue de la publicit ..............................107
3.2. Remous autour de la langue de la publicit ...........................................110
3.2.1. Pourriture de la langue ? ........................................................111
3.2.2. Posie pour ? ..........................................................................113
3.3. Le slogan ne serait-il pas un vilain petit canard ? ...............................115

Seconde partie
De la formule la forme ..................................................116

Chapitre II. Lpiphanie du langage ........................................................................................... 121


1. Repenser le langage naturel ..........................................................................122
1.1. Langue-trsor vs langue-trash .....................................................123
1.2. Le langage serait complexe et mystrieux .............................................126
2. Les limites de la sociologie du langage en mcanique ................................129
3. Librer le langage de la violence ..................................................................136
3.1. Sur les rapports entre les mots et les choses ..........................................136
3.2. Sur les rapports entre le langage et limage ...........................................141
6

Chapitre III. La construction dune socialit langagire ......................................................... 146


1. Que le langage soit socit .......................................................................147
2. La socialit contre le social ...........................................................................152
3. La langaginalit , une nouvelle perspective sur le langage ...................158
3.1. Du signe au symbole ..............................................................................162
3.2. Du texte au contexte ..............................................................................169
3.3. Du locuteur au rle ................................................................................174
4. Le langage, air du temps ...............................................................................182
4.1. Une connexion figurative entre mots et monde .....................................182
4.2. Le discours , un appareil formel de pilotage mots-monde ..........188
4.2.1. Le pige du genre de discours ...............................................188
4.2.2. De l unit l unicit ........................................................195

Troisime partie
Baroquisation du verbe, verbalisation du baroque ...........................203

Chapitre IV. Le jeu de langage publicitaire ................................................................................. 208


1. Le retour de lhomo ludens ...........................................................................208
2. Du consommateur au joueur ........................................................................212
3. Le flneur citadin ..........................................................................................217

Chapitre V. Barbarie verbale, rythme de la vie ........................................................................ 227


1. La dviance .....................................................................................................227
2. Le trembl des canons langagiers ................................................................233
2.1. La vivacit lexicale ................................................................................234
2.1.1. Les expressions nologiques .......................................................235
2.1.2. Les emprunts au registre familier ................................................245
2.2. Les jeux double sens ...........................................................................248
2.2.1. Les jeux de mots auto-suffisants .................................................249
2.2.2. Les jeux de mots soutenus par limage ........................................252
2.2.3. Duo-cratif : le mot et limage ..............................................257
7

2.3. Le son, ternel trsor ludique .................................................................260


2.3.1. Les slogans prosodiques ..............................................................261
2.3.2. Les slogans phontiques ..............................................................268
2.4. La vigueur stylistique ............................................................................272
2.4.1. Le contraste des contraires ..........................................................272
2.4.2. La rptition, rptition, rptition ..............................................278
2.5. Le code de la langue mis au service du ludique ....................................283
2.5.1. Des facteurs grammaticaux mis jeu ......................................284
2.5.2. La structure linguistique comme forme .................................296
3. Un jaillissement de llan vital ......................................................................298

Chapitre VI. Archaque juvnile, back to the future ................................................................. 309


1. Verwindung .....................................................................................................309
2. Des traces archtypales ranimes .................................................................311
2.1. Le retour aux origines ............................................................................311
2.1.1. Un rensauvagement des mots ..............................................312
2.1.2. Baby inside : lenfant ternel .......................................................316
2.2. Le bon sens remis mal .........................................................................325
2.2.1. Le fonds culturel classique ....................................................329
2.2.2. Les formules vagabondes ......................................................336
2.2.3. Les expressions idiomatiques ......................................................341
2.2.4. Quand la publicit devient archpub .....................................343
2.3. Le simulacre dillogisme .......................................................................346
2.3.1. La logique classique ....................................................................346
2.3.2. La logique naturelle .....................................................................351
3. Un enracinement dynamique ........................................................................361

Conclusion : Une mise jeu de la vie quotidienne ....................................................373


Bibliographie ............................................................................................................ 386
Annexe : Liste des slogans .......................................................................................... 400
Index nominum .......................................................................................................... 407
Index rerum .......................................................................................................... 411-414
8

Prologue

La socit publicitaire
9

Lair que nous respirons est un compos dazote, doxygne et de publicit 1,

crivait un certain Robert Gurin, il y a un demi-sicle. Quelle splendide formule concise

qui voulait reprsenter lpoque, mais qui incarnerait encore bien davantage la ralit que

lon vit actuellement ! La nature de notre air aura donc t modifie, sans aucun doute, sa

proportion de publicit2 ayant depuis lors sans cesse grandi. Cest, en effet, devenu un

poncif de dire quavec ses myriades de messages commerciaux, la publicit a envahi la

socit moderne. Alors que son aspect exubrant en lui-mme peut tre considr comme

moins significatif, ce qui semble incontournable nanmoins, cest le fait que nul ne

saurait plus tre totalement libr de son emprise. Il nous semble que, tout en se

capillarisant dune manire ubiquitaire, tant dans la sphre professionnelle que prive de

la vie de lhomme moderne, elle tend revtir maintenant une nouvelle forme de

signification.

Mais qui aurait pu imaginer que cette activit quotidienne, dont les premiers pas ne

furent en effet que de petites pratiques dinformation, politique ou commerciale, avait

pour destine de se mtamorphoser en un lment absolument indispensable pour la

socit moderne ? Aujourdhui, nous constatons que, type de communication

reprsentant cette socit de consommation qui est la ntre, la publicit crot encore sans

cesse, sadaptant chaque fois au rythme changeant de lvolution sociale et de lessor

des technologies de linformation et de la communication, tant mass-mdiatique

qulectronique.

En outre, aprs en avoir t le prototype, la publicit est devenue larchtype dun

mode de communication vou la persuasion et la sduction et elle peut dsormais

offrir un savoir-faire tout domaine social soumis au principe defficacit : politique,

administration, culture, art, ducation, etc. Ne se limitant presque plus jamais au seul

champ de la communication au sens strict, elle a d finalement constituer une sorte de

1
Robert Gurin, Les Franais naiment pas la publicit, Paris, Olivier Perrin, 1957, p. 9.
2
Pour viter lventuelle application du terme la publicit politique , prcisons que nous limitons ici
lacception de publicit , rservant le terme la publicit commerciale , voire la publicit pour
des produits .
10

modus vivendi qui ctoie la vie quotidienne de lhomme moderne, et qui influence non

seulement sa sphre consciente mais aussi sa sphre inconsciente. En ce sens, il ne serait

peut-tre pas exagr de dire que la publicit constitue en elle-mme un nouveau genre

de culture.

Toutefois, la publicit reste loin dtre reconnue dune manire favorable. Son

succs, son mode dexpression, son charisme, ses abus font quelle est caractrise par

certains de veau dor , de fleur du capitalisme ; par dautres de loup-garou , de

bote de Pandore ; par dautres encore, de bouc missaire . Cest ainsi quelle

constitue, tant dans le bon sens que dans le mauvais sens, un vrai leitmotiv de la vie

contemporaine.

Dans une telle situation, nous pouvons nous demander si nous savons vraiment ce

quest la publicit. Est-il possible de la saisir vritablement ? Mais, face de telles

interrogations, il nous faut reconnatre que nous ne pouvons envisager que les aspects

actuels de la perception de la publicit dont nous disposons. Or ceux-ci ne reprsentent

que la part merge de liceberg. Cette remise en question de questionnement lui-mme

se lgitime, dautant plus quil semble bien que la publicit soit capable de crer,

chaque instant, un nouveau type de rapport avec la socit, au fur et mesure que sa

nature volue et prend inlassablement de nouvelles figures, alors que les moyens

adquats de la cerner manquent toujours. En tant que linguiste et apprenti sociologue

proccup par la nature des rapports entre publicit et socit, nous nous sommes

invitablement trouvs confronts cette problmatique.

Peut-tre, en un contexte si douteux, aurions-nous besoin, dans notre recherche, en

amont, de lesprit de Que sais-je ? 3 qui est celui de Montaigne, en ce quil rvoque

3
Le scepticisme de Montaigne est illustr par Les Essais (Notamment livre II, chapitre XII). Son
scepticisme se dploie, ngativement, comme une pense critique qui semploie mettre en doute les
prtendues performances desprits trop tmraires en matire de vrit et de vertu et, positivement, comme
une pense prudente et modeste , davantage en qute de jugements justes ou ajusts (appropris) que de
Justice, de Vrit ou de Vertu en soi. [Sylvia Giocanti, Les Essais ou itinraire dun sceptique , in
Magazine littraire, n 394, janvier 2001, p. 37-39.] Montaigne met particulirement laccent sur le
caractre arbitraire des limites traces entre les choses, montrant que lon ne peut prtendre pouvoir
dterminer de diffrence spcifique entre lhomme et la bte, ni mme opposer comme on le souhaiterait le
11

toute certitude quant au savoir humain, et en aval, dune attitude inspire par la modestie

extrme-orientale dun Confucius, selon lequel le vrai savoir, cest de reconnatre

quon sait ce quon sait, et quon ne sait pas ce quon ne sait pas 4.

Dans un tel tat desprit, si lon tente un essai de mieux savoir , il sagit, dune

part, de chercher faire admettre qu il y a encore telles choses parmi les choses

inconnues , en largissant le champ des choses connatre. Dautre part,

paradoxalement mais surtout crucialement nous semble-t-il, il faut montrer inversement

qu il ny a pas seulement ces choses parmi les choses dj connues , tout en

approfondissant la comprhension des choses dj considres. Lemprise de cet essai

dpendra donc du rapport interactif entre ces deux aspects.

Cette voie du savoir nous rappelle, dans la perspective sociologique en particulier,

linspiration simmelienne de Patrick Watier, selon laquelle le sociologue dit ce que tout

le monde sait ; parfois il sait ce que tout le monde dit 5. Cest--dire que le sociologue

doit chercher dterminer un sens scientifique nouveau partir de linterprtation ou de

la rinterprtation dune apprhension de choses que lon connat empiriquement.

Finalement, cela ne signifie pas autre chose quemprunter, pour parvenir au creux des

apparences 6, le chemin que prconise Michel Maffesoli. Pour lui, la voie de vrit

normal lanormal, le beau au monstrueux, le croyable lincroyable, le possible limpossible. Il sagit


dassouplir ces rigides dmarcations, afin dlargir et de multiplier les points de vue que lon peut adopter
en matire de jugements scientifiques, esthtiques et moraux.
4
Confucius, Entretiens, II-17, traduit par Pierre Ryckmans, Paris, Gallimard, 1987, p. 18. (La phrase
originelle est , , )
5
Patrick Watier a ici dtourn la formule de Georg Simmel visant le philosophe. Loriginal est : Le
philosophe doit tre celui qui dit ce que tous savent ; parfois cependant il est celui qui sait ce que tous
disent seulement. (Der Philosoph soll derjenige sein, der sagt, was alle wissen ; manchmal aber ist er
der, der weiss, was alles nur sagen.) [G. Simmel, Aus dem nachgelassenen Tagebuche, in G. Simmel,
Gesamtausgabe 20, p. 262 hrsg von O. Rammstedt, Suhrkamp 2004 Frankfurt am Main.]
6
Cest le titre de louvrage de Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de
lesthtique (1990), Paris, La Table Ronde, 2007. Quant la question de la modestie scientifique, on peut
se rfrer, par ailleurs, lexpression Lhomme en clair-obscur , la fois de et pour Michel
Maffesoli qui constituait le thme du Rendez-vous de limaginaire [sance du 22 octobre 2007, Espace
Paul Ricard, Galerie Royale2, 9 rue Royale 75008 Paris], qui a donn lieu un change entre Michel
Maffesoli, Pierre Le Quau, professeur de sociologie et Charles Pepin, philosophe et journaliste. Le point
de dpart de cet change sappuie sur le constat suivant : la philosophie des Lumires au XVIIIe sicle et
les grands systmes sociaux du XIXe sicle ont gnr une pense purement rationnelle. Aujourdhui, avec
12

consiste nclairer ni au-del, ni en de mais au travers des choses 7.

Inspir par cette ligne philosophique, nous commencerons notre propos en

abordant ces apparences de la publicit que tout le monde connat. Parce que, loin

dtre accessoire, lexamen prliminaire de ces apparences tissera la toile de fond sur

laquelle se dploiera notre rflexion. Mais, ayant reconnu demble que la publicit

constitue un phnomne archi-complexe, peut-on, et dans quelle mesure y accder

rellement ? Confronts cette question, notre intuition primordiale est de la considrer

comme message dans le sens fort du terme. Ce faisant, nous obtenons diffrentes

modalits de rflexion, dans la mesure o le message ne constitue pas seulement dun

ct un point de dpart, et de lautre, un point darrive, mais aussi une sphre globale

dans laquelle tout se tient finalement. Nous pouvons ainsi envisager trois modes, qui

sentre-dterminent, mais la manire dune charade8, les uns les autres : De la socit

au message, Du message la socit et Du message au Message .

* *

le retour des motions sur la place publique, la naissance de passions collectives et dhystries de divers
ordres (sportives, musicales et religieuses), on assiste une manifestation de plus de prudence, voire de
plus de modestie intellectuelle. Cest ce quentend souligner Michel Maffesoli au travers de lexpression
Lhomme en clair-obscur : ni ombre, ni lumire mais un combin des deux.
7
Cela constitue en effet la premire des leons quil nous donne, nous ses lves et ses lecteurs, dans ses
sminaires comme dans ses ouvrages.
8
La charade est une nigme ludique o l'on doit deviner un mot de plusieurs syllabes qui a t
pralablement dcompos en des parties correspondant elles aussi un mot dfini. Voici un exemple :
Mon premier est un mtal prcieux [or] ; Mon second est un habitant des cieux [ange] ; Mon tout est un
fruit dlicieux [orange] . Du point de vue logique, ce fameux type de devinette enfantine comporte
cependant une signification qui va au-del dun simple jeu gratuit en ce quelle nous invite voir les
choses de manire non purement logique, au sens o la signification ultime, si elle demande la
comprhension des deux premires tapes, nen est pas seulement laddition mais fait passer un autre
niveau, par une sorte de rupture de plan.
13

I. Mon premier. De la socit au message


Toute publicit est un fruit de la socit o elle opre, quelles que soient ses

formes : conomique, politique, culturelle ou juridique. Toute publicit doit se

concrtiser en un message qui est destin au public de cette socit, quel que soit le

statut, consommateur ou citoyen. Nous pensons donc, par analogie, que toute production

de publicit peut tre considre comme une procdure qui part de la socit et aboutit

ce message publicitaire . Nous pourrions finalement alors intgrer dans cette

procdure tous les moyens qui concernent la publicit et qui vont de son origine ses

styles, en passant par ses domaines, technique, industriel, stratgique en un mot,

intgrer tous les lments qui constituent sa raison dtre .

1. La publicit, un objet familier mais qui sidentifie mal


Nous sommes comptents pour pouvoir dterminer ce quest la publicit, tant

donn quelle est constamment ct de nous. Pourtant, plus srieusement, lorsque lon

est confront une demande de caractriser cet objet familier, on est souvent rduits

une posture hsitante. Cest peut-tre quelle est trop prs de nous. En fait, la publicit se

prte mal des dfinitions lapidaires du type une fois pour toutes 9. Ceci est d, sans

doute, ses vastes dimensions et la diversit des formes quelle prsente. Dailleurs,

nous ne sommes pas mme de parcourir sa rapide volution, tant donn que cest une

activit dont la nature mme est dtre en perptuelle mutation.

9
cet gard, suivant gnralement une mthode logique, les dfinitions des dictionnaires ne sont gure
clairantes. Le Petit Robert prsente la publicit comme le fait dexercer une action sur le public des
fins commerciales; le fait de faire connatre (un produit, un type de produits) et dinciter lacqurir;
ensemble des moyens qui concourent cette action. [Le Petit Robert, dition 2008.] Cette dfinition est
en effet la fois trop large, car elle stend toute laction commerciale, et trop troite puisque les fins de
la publicit peuvent ne pas tre commerciales. Le Petit Larousse donne pour ce mme terme la dfinition
suivante : Activit ayant pour objet de faire connatre une marque, dinciter le public acheter un
produit, utiliser un service, etc. ; ensemble des moyens et des techniques employs cet effet. [Petit
Larousse, dition 2008.] Cette dfinition ne diffrencie pas la publicit des autres moyens utiliss par
lentreprise pour faire connatre lentreprise et vanter ses produits. Ces dfinitions trouves dans les deux
dictionnaires les plus rpandus ne sont gure satisfaisantes.
14

1.1. Long pass, courte histoire


Afin de mieux clairer la nature de cet objet de tous les jours dont lidentification

savre pourtant peu vidente, nous nous proposons, en premier lieu, de faire un petit

survol de son origine. tymologiquement, le terme publicit est attest pour la premire

fois en 1689, avec le sens juridique d action de porter la connaissance du public ,

puis de notorit publique en 169410.

Sur le plan historique, on peut dire que se croisent deux faons de dsigner la

publicit. Dabord, dans une vision anthropologique, certains exigent que la publicit ait

la mme histoire que lHumanit. Grard Blanchard, par exemple, souligne que des

marques de proprit ont t les premires publicits ; elles sont vieilles comme le monde

habit, car lhomme a besoin de laisser des traces de son passage et de marquer son

territoire ou ses objets. Lempreinte dune main ou lusage de dessins symboliques

disent : Ceci est moi ! 11 Dans cette vision maximale, chaque poque a vu

apparatre ses propres formes de publicit, la publicit ayant toujours ctoy les

civilisations humaines 12 . Ainsi, dans lAntiquit romaine, il existait des annonces

murales graves sous forme de tablettes qui annonaient des ventes ou des manifestations

thtrales13. Au Moyen ge, la publicit se caractrise notamment par son mode oral. Il y

avait des crieurs14 qui jouaient le rle de rendre publics tant des annonces commerciales

que des avis des autorits. Dailleurs, le systme fodal a vu apparatre diffrents signes

10
Dictionnaire historique de la langue franaise (1992), Le Robert, 1998, p. 3002.
11
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , in La Publicit de A Z, Paris, C.E.P.L., 1975, p. 148.
12
La premire publicit de lhistoire du monde date plus de trois mille ans avant Jsus-Christ, sagissant
dun papyrus thbain offrant une rcompense qui retrouve un esclave enfui.
13
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit. : Ensevelie par lruption du Vsuve, Pompi
prserve pendant des sicles les tmoignages daffichage de lAntiquit. Les albums de Pompi sont
des murs blanchis la chaux, emplacements rservs sur des places publiques et aux principaux carrefours
pour les annonces. On y trouve cte cte lannonce dun combat de cirque (un homme contre des btes
fauves), une offre de location de taverne, une vente desclave, la louange des talents de certaines
prostitues ou dhommes politiques prsents par leurs supporters .
14
Ibid., p. 150-151 : Limagerie populaire constitue une sorte denregistrement des cris de Paris dans
la rue. Les proclamations aux carrefours rendent publics son trompe les divers dits. On appelait les
crieurs de papier les papelards , les crieurs de journaux les canardiers , les crieurs de savon les
baveux , les crieurs de vieux objets les chineurs .
15

qui prolifrrent sur les armes, les boucliers, les fanions, etc. Au XIVe sicle, les

enseignes taient nombreuses Paris. Au XVe sicle, les premires affiches imprimes

font dj leur apparition15. Aprs linvention de limprimerie et de la typographie, ces

nouveaux mdias16, se diffrenciant peu peu de lusage du manuscrit, voient, aux

XVIe et XVIIe sicles, leur excution parfois confie des artistes.

En revanche, en mettant au tout premier rang le caractre mass-mdiatique de ce

type de support, dautres soulignent quon ne saurait identifier la publicit toutes les

formes dannonces qui ne sont produites qu un seul exemplaire, ou mme un petit

nombre seulement dexemplaires. Marc Martin dclare, par exemple, que lannonce

grave des Romains, lenseigne dune auberge, laffiche appose dans lantichambre du

notaire et cinq ou six autres endroits, ne sont pas des publicits, pas plus que le

boniment du marchand de quatre saisons ou lavis lu par le crieur public 17. En dautres

termes, si des annonces peuvent devenir de la publicit, pourtant, comme telles, toutes les

annonces ne constituent pas de la publicit, lintermdiaire dun moyen de

communication de masse y est indispensable. Dans une telle vision, la publicit

napparat donc quavec les dbuts de la presse : la premire gazette est publie en

France en 1631 (La Gazette de Thophraste Renaudot), et la publicit apparat presque

simultanment en 1633 18.

Nous nous rendons compte en effet que la vision maximaliste ignore ou nglige la

notion de mass mdia. Pourtant, il est htif de dire que la publicit de ces gazettes du

XVIIe sicle peut vraiment bon droit tre caractrise comme telle, puisque, considre

seulement ce niveau mass-mdiatique, elle manque encore, elle aussi, dun certain

niveau suffisant de spcificit, notamment au sens commercial.

Il savre que la publicit franaise, par exemple, ne manifeste sa vraie nature

15
Le 17 octobre 1482, Jean Duprs, imprimeur Paris, ralise la premire affiche imprime pour le Grand
Pardon de Notre-Dame de Reims.
16
Tout au long de cette recherche, nous utilisons les expressions un mdia , des mdias et non
medium , media selon le singulier ou le pluriel.
17
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 15.
18
Ibid.
16

quentre la Rvolution et le milieu du XIXe sicle, poque o saffirme en elle la

conjonction entre caractre commercial et caractre mass-mdiatique. Selon Grard

Blanchard, avant 1789, la publicit concerne ce qui tait publi son de trompe ,

sagissant de tous genres (lois, dits, ordonnances, jugements, etc.). Le rle de cette

publicit tait alors dannoncer dans les gazettes les livres nouveaux, les dcouvertes ou

les numros gagnants de la loterie. Cest seulement avec la Rvolution qua surgi la

publicit politique, administrative et commerciale19. La presse cherche alors se librer

de la tutelle du gouvernement et diminuer son prix de vente grce aux recettes

publicitaires20.

Un peu avant le milieu du XIXe sicle, un roman dHonor de Balzac, Csar

Birotteau, publi en 1837, montre bien que le terme publicit commence signifier

prsentation logieuse dun produit pour sduire lacheteur. Dans luvre, le jeune

Popinot lance son Huile Cphalique grce une vive publicit21. Autour de 1840, par

une extension de son sens, lusage du mot pntre donc dans le domaine conomique et

commercial. Cest cette poque-l que la publicit franaise a pris son orientation

moderne , en concordance avec lessor des moyens de communication de masse et de la

socit de consommation.

Enfin, la publicit dans le sens moderne apparat au XXe sicle. Cest le

machinisme, la fabrication en srie et llvation de la productivit qui ont donn

naissance la publicit moderne. Depuis, la publicit a connu un essor fulgurant, dune

19
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 147.
20
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 13 : Pendant la
Rvolution, en effet, cette forme particulire de publication quest la publicit sest lie troitement aux
premiers moyens de diffusion de masse, laffiche et surtout le journal et le priodique. Les mdias sont
donc devenus les supports de la publicit avant mme que celle-ci ait dsign une activit lie au
commerce .
21
Honor de Balzac, Csar Birotteau (1837), Paris, Gallimard, 1975, p. 192-194. Csar Birotteau est un
prcurseur car la tourmente rvolutionnaire a fait sauter une partie des freins qui entravaient lessor de
laffiche. Vers 1840, il a beaucoup dmules puisque apparaissent alors les premires socits daffiches,
en dpit de la lgislation qui limite encore leur usage. Finalement, Balzac qui savait tout, comprenait tout,
devinait tout, avait pressenti un sicle lavance, le rle de la publicit. Nous sommes en 1837, cest
lpoque des premires manufactures, la naissance de lindustrie. Une civilisation nouvelle commence, o
le travail et largent tiendront la premire place.
17

part avec lapparition des nouveaux mdias de masse tels que la radio et la tlvision22 et,

dautre part, avec la mise en uvre des acquis scientifiques des sciences humaines,

notamment la psychologie.

Nous venons dessayer de reprer lorigine de la publicit au travers dun bref

recours lhistoire. vitant pourtant de trop nous engager dans les aspects historiques de

la publicit franaise 23 , revenons notre propos immdiat. Enfin, lorsquon parle,

aujourdhui, de publicit , cette publicit est entendre bien videmment dans le sens

rcent du terme. Pour caractriser cette publicit , nous suivrons, parmi dautres

possibles, celle de Marc Martin :

Publicit dsigne dsormais soit des messages fins commerciales, destins faire
connatre, sous le jour favorable, un bien, un produit ou un service un public
gnralement anonyme, par un moyen de communication de masse, pour en favoriser la
vente, soit lactivit qui consiste les concevoir et les produire.24

Cette dfinition, qui recourt une dichotomie entre message et activit , nous

semble pertinente. De plus, elle caractrise bien la nature de la publicit, tant donn que

les messages commerciaux sont en effet, comme elle le prcise, destins un public

gnralement anonyme , et ne visent pas les seuls consommateurs. Dailleurs, se

fondant sur cette caractrisation de moyen de communication de masse , on peut la

rpartir en deux catgories : grands mdias et hors mdias . Les premiers sont les

messages qui fonctionnent via les grands mdias : presse, tlvision, affiche, radio,

cinma et Internet25. Ils ont la fois le caractre de mdiatique et le caractre de

22
Par rapport aux annonces et affiches, qui taient alors les principaux supports de la publicit,
lapparition de la radio et de la tlvision fut rvolutionnaire. Le lancement de la radio en France eut lieu
en 1922. Il est accompagn presque immdiatement par celui de la publicit radiophonique et il est noter
que linvention de la radio soit lie la publicit ds lorigine. Par contre, la premire publicit tlvisuelle
na t diffuse quen 1968.
23
Ce serait l une tche pour les sciences historiques. Relevons pourtant que la publicit ne constitue pas
un centre dintrt majeur pour les historiens qui, en France, lont peu tudie.
24
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, op. cit., p. 14.
25
Nous pensons que lInternet est un mdia de masse. On peut pourtant sinterroger sur les rapports entre
Internet et mdias. Sur ce point, Francis Balle (Journal du Net, septembre 2005) note que Internet nest
18

communication de masse ; les derniers sont les autres types de communication

commerciale, tels que marketing direct, promotion, relations publiques (RP), etc26.

Ils ont le caractre de communication de masse , sans avoir celui de mdiatique .

Par ailleurs, contrairement une mthode discutable employe par certains qui

cantonne la publicit aux grands mdias , nous distinguons la publicit au sens limit

( grands mdias ) et la publicit au sens large ( grands mdias et hors mdias ).

Sil est vrai que publicit est entendue, dune manire gnrale, en son sens limit, il

ne faut pas pour autant oublier que ce mme vocable est employ indiffremment pour

les deux sens selon les contextes.

1.2. De la rclame la publicit


En ce qui concerne lvolution de la publicit franaise, il faut tenir compte dune

diffrenciation, surtout lorsquil sagit de la qualit, entre ltape rclame et ltape

publicit . Il est largement admis que la modernisation de la publicit contemporaine

est lie ce passage de la rclame la publicit, sagissant aussi bien du message

que de lactivit.

Apparu au milieu du XIXe sicle, ce terme rclame continue tre employ, en tant

que synonyme de publicit, jusque dans la premire moiti du XXe sicle. En fait, les

diffrences entre ces deux tapes ont t amplement marques par plusieurs auteurs, mais

quun rseau. Le mdia, cest le World Wide Web. Il faut rserver le terme mdia aux outils de
communication qui apportent autre chose que le simple fait de communiquer. Sinon, il faut considrer le
tlphone et le fax comme des mdias.. Selon Jean Gabszewicz et Nathalie Sonnac [LIndustrie des
mdias, Paris, La Dcouverte, 2006, p. 7.], Internet est la fois un moyen de communication pluri-
mdia, offrant laccs une multitude de services dinformation, de loisirs, de jeux, de transaction, de
commerce ou de communication interpersonnelle et collective. Il est aussi un moyen de communication
hyper-mdia qui invite lusager adopter une posture de communication interactive diffrente de celle de
rception des mdias de masse . Il nous semble que le monde de la publicit franais hsite laccepter
comme mdia. Il classe, du moins jusqu maintenant, les dpenses de la publicit faites sur Internet dans
la rubrique hors mdias.
26
Dabord, sous la rubrique du marketing direct, on range le tlphonage, le prospectus, le-mailing, etc.
Sous le nom de promotion, on classe toutes les techniques commerciales, telles que le couponnage, les
chantillons gratuits, etc. Puis, il y a dautres procds destins favoriser lcoulement du produit, comme
lexposition et la foire. Enfin, il y a lensemble des dmarches et techniques que lon englobe sous le nom
de relations publiques (RP).
19

avec des nuances. Cest par une rcapitulation des diffrences releves entre ces deux

tapes que nous aurons lopportunit de mieux cerner la publicit contemporaine.

En premier lieu, le but de la rclame est de faire connatre un produit et den

suggrer lachat 27 . Elle indispose tout dabord par son caractre obsdant et

indiscret ; dautre part, elle donne confusment limpression de grever le cot de

production et dalourdir les prix . La rclame est la fois un cri du cur de

lannonceur (dans la continuit de lancien franais reclaim (appel, invocation) et une

dmarche improvise et intuitive, trangre aux lois du march 28. Enfin, le langage de

la rclame se limitait quelques adjectifs comme : superbe, magnifique, stupfiant,

luxueux, sensationnel, imbattable, incomparable, inou, etc. 29. titre dexemple, voici

laffiche pour une campagne publicitaire du type rclame :

Fig 1. Ancienne affiche de type rclame 30

27
Roger Mauduit, La Rclame, Paris, Librairie Flix Alcan, 1933, p. 153.
28
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, Paris, Nathan, 1997, p. 17.
29
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 160.
30
Franois Bernheim, Guide de la publicit et de la communication, Paris, Larousse, 2004, p. 303.
20

Alors que la rclame se voit associ un sens pjoratif, la publicit apparat

plus noble, plus prestigieuse 31. Selon Marie-Emmanuelle Chessel, la publicit est

organise et mthodique ; elle se considre, par rapport la rclame, comme

symptomatique de la nouvelle pratique scientifique, rgle et contrle 32.

Il est intressant, par ailleurs, de constater quune distinction semblable est faite

dans certains pays, tant en Occident quen Orient. titre dexemple, en allemand, il y a

la distinction Reklame / Werbung, et en coren celle entre sunjeon / kwangko. En

revanche, en anglais et en italien, il nexiste pas une telle distinction, seuls les termes

advertising et pubblicit expriment la notion de publicit33.

Nous constatons que, en France, les mdias et le langage quotidien utilisent pour

dsigner la publicit les termes annonce, rclame et publicit de faon indistincte, dans la

plupart des contextes. Au stade actuel de la publicit franaise, il nest pas sans

signification de constater deux volutions dorientation apparemment contradictoires.

Dune part, la publicit actuelle est dsigne de plus en plus par le terme familier de pub,

notamment dans les mdias et chez les jeunes. On ne peut savoir, pour linstant, si ce

pub est une simple dnomination diminutive pour publicit, ou bien si, au-del de la

dimension expressive, cela prfigure une prochaine tape dans lvolution de la publicit.

Dautre part, en insistant sur tout ce qui apparat tre du type rclame , certains croient

remarquer un retour de la rclame, sous la forme de no-rclame 34 comme un

nouveau type de publicit.

31
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. 23.
32
Marie-Emmanuelle Chessel, La Publicit, naissance dune profession 1900-1940, Paris, CNRS
ditions, 1998, p. 11-12.
33
cet gard, ce que nous ne devons pas oublier, cest que, dune part, mme sil na pas exist dans
nombre de langues un terme spcifique comme rclame , le mot publicit devait alors avoir une
signification qui corresponde celle que dsignait ce terme, et que, dautre part, mme quant cette distinction
a exist, lpoque du passage de la rclame vers la publicit a pu varier dun pays lautre. Par
exemple, en Core du Sud, le passage de rclame publicit a eu lieu aprs les annes 1980.
34
Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication mdiatique, Paris, Seuil, 1998, p. 37-38.
21

1.3. Les liaisons dangereuses qui entretiennent la publicit


Pour identifier la notion de publicit par rapport aux autres notions voisines , il

conviendrait de sinterroger sur deux aspects concernant le message et lactivit. Tout

dabord, Publicitor, manuel phare dans le secteur de la publicit en France, souligne

que la publicit est une communication partisane 35, qui se distingue de linformation

la fois quant au fond et autan la forme. Quant au fond, elle est plus proche de la

dmarche de lavocat que de celle du journaliste. Ne visant pas lobjectivit, elle est

unilatrale et subjective et cherche influencer des attitudes ou des comportements, pas

seulement transmettre des faits. Les informations que la publicit vhicule sont des

moyens ou des arguments. Ils ne sont pas une fin en soi. Quant la forme, les messages

sont brefs, denses et slectifs. La publicit cherche dabord tre attrayante et sduisante,

en mlant des doses variables, le rationnel et laffectif. On ne peut donc pas la

confondre avec une fiche descriptive, un mode demploi ou un tiquetage informatif. La

publicit est une communication partisane voue la persuasion des consommateurs.

Or, un problme surgit ds lors que les moyens et les arguments employs ne se

limitent pas la seule vise commerciale. Car dans une telle optique la notion de

publicit avoisine avec celle de propagande 36. En effet, en utilisant les diffrents

mdias pour provoquer un certain type de comportement politique, la propagande

procde dune conception unilatrale de la communication, du centre vers le priphrique

ou du haut vers le bas. Elle essaie de convaincre le rcepteur en contrlant dun bout

lautre la production et la diffusion du message. Sous un rgime autoritaire, le

propagandiste ne contrle pas seulement les mdias, mais aussi le systme scolaire. Selon

35
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, avec la participation de Nicolas Riou,
Paris, Dalloz, 2004, p. 67-82.
36
Dune manire gnrale, la propagande servira dcrire laction qui consiste tenter de convaincre
lopinion de certaines ides, en utilisant tous les moyens de persuasion disponibles, afin de la faire soutenir
une religion, un parti politique, un gouvernement, etc. Le terme propagande, lorsquil apparat pour la
premire fois en France, na pas de connotation pjorative. Il est ainsi utilis au XVIIe sicle par le pape
Grgoire XV qui runit une congrgation pour la propagation de la foi (de propagana fidei) : le mot
dsigne alors laction de propager une doctrine religieuse et il englobera ultrieurement, au moment de la
Rvolution franaise, la diffusion dides politiques. Ce nest quau XX e sicle quil prendra une acception
plus ngative
22

Guy Durandin, la propagande a pour but dexercer une influence sur les personnes, soit

pour les faire agir dans un sens donn, soit au contraire pour les rendre passifs et les

dissuader de sopposer certaines actions, menes par le pouvoir ou par un groupe

antagoniste 37. De mme, Philippe Breton et Serge Proulx soulignent que le but de la

propagande est bien de rpandre une information de telle manire que son rcepteur

soit la fois en accord avec elle et dans lincapacit de faire un autre choix son sujet 38.

Dans la mesure o son ambition nest pas foncirement idologique, la publicit ne

sintresse pas aux options politiques ou philosophiques. Elle risque cependant dtre

mise au service de telles causes, se pervertissant pour tomber ltat de propagande.

Mais dans ce cas, par rapport la vraie propagande, la publicit est comparable une

propagande attnue . Ainsi, Ignacio Ramonet considre la publicit comme la

premire reprsentation dune propagande silencieuse 39, qui se prsente visage

couvert, cachant sa nature et ses intentions.

Par ailleurs, si la propagande politique et idologique la plus efficace, celle

recourant des techniques de manipulation extrmement sophistiques, appartient la

persuasion dite dure , la publicit est souvent considre, en tant que sorte de

propagande sociologique, comme une persuasion dite douce 40, moins visible quoique

tout aussi influente.

En troisime lieu, nous avons vu plus haut le rapport troit qui unit publicit et

mdias, en tant que les mdias sont le support de la publicit. Ainsi, la publicit ne doit

pas se confondre avec les mdias eux-mmes. Mais, dans la mesure o la publicit est

la fois tous les modes, toutes les aspirations et toutes les contradictions dun moment,

cet gard-l, elle ne se distingue gure des mdias de grande diffusion (magazines,

tlvision, radio) qui sont pareillement condamns au conformisme, sils veulent plaire

au plus grand nombre afin de pouvoir maintenir des taux levs de lecture ou dcoute.

37
Guy Durandin, LInformation, la dsinformation et la ralit, Paris, PUF, 1993, p. 138.
38
Philippe Breton et Serge Proulx, LExplosion de la communication, Paris, La Dcouverte, 1999, p. 241.
39
Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses (2000), Paris, ditions Galile, 2004, p. 37-91.
40
Rmy Rieffel, Sociologie des mdias, Paris, Ellipes, 2001, p. 39.
23

Il est bien connu que la publicit fait feu de tout bois. En dautres termes, elle est

polygame par nature et ne sattache vraiment aucun support . Pour elle, tous les

mdias, au fur et mesure quils apparaissent (et quils lui sont accessibles), sont les

bienvenus et elle leur fait (ou reoit volontiers) toutes offres de service. Au besoin, elle

en invente. Presse, radio, tlvision, affichage, cinma : des degrs divers, tous sont des

vecteurs de publicit. la fois concurrents et complmentaires. Tous tirent de la

publicit une partie importante, parfois la totalit, de leurs ressources, ce qui leur permet

de dvelopper leurs contenus et dlargir leur audience, au moindre cot pour leurs

usagers.

On a dit de la publicit quelle tait le parasite des mdias ; mais elle en est pourtant

au contraire devenue la mre nourricire. Pour mieux diffuser ses messages, la publicit

combine et associe tous supports et tous mdias, sans le moindre prjug idologique,

sans la plus petite exclusive partisane. Ses choix sont justifis, dune faon on ne peut

plus objective, par les seules considrations de cots, de couvertures relatives, ou

dadquation aux objectifs, que ce soit de contenu ou de public. Elle na en effet

dobligation envers aucun de ses vhicules, ou candidats-vhicules. Les titres et les

emplacements quelle nglige nauront qu en prendre leur parti, ou sen prendre

eux-mmes. Il faut savoir mriter ses faveurs, en sachant sadapter pour se conformer

ce rle de support . Sil ne tenait qu elle, la publicit aurait plutt tendance

prfrer lorchestre linstrument unique.

Selon Grard Blanchard, ds le dbut de lhistoire des grands mdias (la presse) se

noue cette liaison entre publicit et mdia. La premire fois que se trouvent runis dans

un mme journal le rdactionnel et la publicit, cest dans la Presse dmile Girardin,

premier journal politique bon march grce la publicit et aux annonces. La quantit

des nouvelles saccrot. Pour quaugmente le nombre des lecteurs, il faut pouvoir vendre

le journal moins cher. Pour pouvoir abaisser son prix de vente et assurer son financement,

le journal rserve donc pour les louer des espaces au commerce : cest la vritable

naissance de la publicit-presse. Il sera certes de bon ton pour les hommes de lettres de
24

mpriser ces journalistes dont la plume dpend de la rclame. Dailleurs, un magnat de la

presse anglaise contemporaine (Thomson of Fleet) pourra mme dclarer cyniquement :

Les nouvelles ne servent qu combler les vides entre les annonces. 41

La dpendance des mdias la publicit devient aujourdhui de plus en plus forte.

De nombreux mdias ne sont mme conus que pour accueillir de la publicit. Ainsi nous

connaissons des quotidiens gratuits nationaux financs 100% par les recettes

publicitaires, tels que 20 minutes , Metro , A nous Paris

Enfin, une dclaration de lancien P.-D.G. de TF1, dclenchant Laffaire Le

Lay 42, a reconnu sans fard la place centrale de la publicit dans les mtamorphoses

mdiatiques :

Il y a beaucoup de faons de parler de la tlvision. Mais dans une perspective


business, soyons ralistes : la base, le mtier de TF1, cest aider Coca-Cola, par
exemple, vendre son produit. Or, pour quun message publicitaire soit peru, il faut
que le cerveau du tlspectateur soit disponible. Nos missions ont pour vocation de le
rendre disponible : cest--dire de le divertir, de le dtendre pour le prparer entre deux
messages. Ce que nous vendons Coca-Cola, cest du temps de cerveau humain
disponible.43

Il faut noter dailleurs que les caractristiques de la publicit que nous venons

dvoquer nont jamais prsent une valeur permanente. Cependant, mme sils font

partie des choses qui semblent les plus connues, certains aspects de la publicit restent

pourtant susceptibles dtre interprts de manire largement divergente, voire

contradictoire. En un mot, pour reprendre son sens tymologique, porter la

connaissance du public , lessence de la publicit contemporaine reste connatre, et ces

ides quon sen fait sont remettre en cause. Cet tat de choses laisse entendre que,

41
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 153.
42
Patrick Le Lay, ancien P.-D.G. de TF1, a bris un tabou et fait scandale. Linterview de Patrick Le Lay
figure dans Les dirigeants face au changement-Baromtre, publi en mai 2004.
43
Nous empruntons cet extrait Valrie Patrin-Leclre, Mdias et publicit, limpossible dbat ? , in
Communication & langages, n 143, 2005, p. 7.
25

puisque la publicit est un produit historique et changeant, si on veut tenter de mieux la

cerner, lon devra invitablement limiter ses dimensions et privilgier certains aspects.

2. Les avatars de la publicit franaise


La publicit moderne est ne avec la rvolution industrielle, la production en srie,

lurbanisation, les grands magasins, les transports en commun et llvation du niveau de

vie. En particulier, elle suppose llargissement des marchs. Le progrs technique a

entran une multiplication, une diversification et une disponibilit des produits et des

services dans des proportions considrables. Il y a, de ce fait, une convergence et une

cohrence certaine entre production, communication et consommation de masse. En

outre, au-del de ces phnomnes, en tant quelle est, la fois, institution sociale et corps

de techniques, la publicit franaise sadapte sans cesse au rythme de lvolution de la

socit franaise.

2.1. Un secteur qui se veut une science autonome


Du point de vue professionnel, la premire agence de publicit au sens moderne a

t fonde en 1927, il sagissait de Publicis 44. Dun point de vue historique, cest

lExposition internationale des Arts et Techniques de Paris, en 1937, que la publicit, en

France, saffirme comme une activit distincte des mthodes dimpression, des mdias

et du commerce, auxquels elle tait, jusque-l, rattache 45. Depuis lors et jusqu

maintenant la publicit est devenue un secteur industriel indispensable lconomie

nationale de la France46.

44
En 1832, Charles Havas avait cr lagence qui porte son nom. Il sagissait de la premire agence de
presse au monde.
45
Marie-Emmanuelle Chessel, La Publicit, naissance dune profession 1900-1940, Paris, CNRS ditions,
1998, p. 11.
46
En effet, aujourdhui, la quasi-totalit de la production publicitaire est assure par la profession. En fait, entre
1990 et 2005, la publicit en France fait progresser de 40% les dpenses de communication des annonceurs. En
2011, la publicit reprsente un peu plus de 2% du PIB, avec 31,4 milliards de chiffre daffaires. En termes de
march international publicitaire, la France se positionne au 4e rang mondial, derrire les tats-Unis (106 Mrs
Euros, 3,5%), lAngleterre (78 Mrs Euros, 2,7%), le Japon (75 Mrs Euros, 2,5%).
26

Le marketing, dessence anglo-saxonne, qui fait suite lindustrialisation et la

standardisation de la production conomique, apporta une mutation aux pratiques de la

publicit. En tant que profession et que secteur industriel, la publicit franaise en a

adopt les mthodes scientifiques defficacit et de prcision, et elle les a

constamment perfectionnes, les faisant toujours bnficier des derniers progrs

accomplis par ltude du march, tant du point de vue conomique et sociologique que

psychologique. En ce qui concerne la modernisation de la publicit franaise ralise

selon ces critres scientifiques, il faut souligner quelle a subi une forte influence

amricaine. Dans les annes 60, les multinationales anglo-saxonnes apparaissent au

milieu dune socit de consommation o rgne labondance. Elles avaient adopt les

approches marketing et publicitaire 47, testes par des millions de consommateurs.

Cest sous cette influence anglo-saxonne que la publicit franaise est devenue trs

rapidement scientifique48.

La publicit sait ainsi exploite avec habilet les aspirations lgitimes du

consommateur, grce notamment ltude de son comportement et de son

environnement. Poursuivant une mthode qui se veut de plus en plus scientifique, elle

aspire enfin devenir, en elle-mme, une vritable science autonome . Nous pouvons

en ce sens constater que la publicit constitue une des matires dtudes prfres des

jeunes. La publicit tant classe traditionnellement comme une discipline pratique et

technique , son enseignement se fait au sein des coles de commerce ou des grandes

coles de gestion, telles que HEC49. Pourtant, smancipant de la gestion, de lconomie

47
Le marketing est n la suite de 1929 aux tats-Unis. Les fabricants, qui, jusqualors, produisaient sans
se soucier de la demande, ont soudain pris conscience quil fallait mettre sur le march uniquement des
produits ayant de fortes chances dtre achets. La vritablement mis en application aprs la Seconde
Guerre mondiale
48
Cet apport scientifique venu dOutre-Atlantique a t une tape importante dans lvolution de la
publicit franaise. Cela est notamment li au fait que Paul Flix Lazarsfeld a dvelopp des mthodes
quantitativistes et mis au point la technique du panel , qui consiste rpter une enqute sur un mme
groupe dindividus afin de suivre une volution dans le temps. Cette mthode a port ses fruits. Entre
autres dcouvertes, le monde de la publicit lui doit une meilleure connaissance des mcanismes de
diffusion dun message publicitaire dans lopinion.
49
Hautes tudes commerciales. Cest la grande cole de gestion qui a accept, la premire en France, ds
27

et de la science de la communication, la publicit tend toujours plus sintroduire dans le

cadre universitaire50.

2.2. De ltude du psychisme celle de la participation


Au fur et mesure que loffre augmente par rapport la demande et que la

standardisation des produits progresse, la persuasion commerciale devient une activit de

plus en plus rflchie et calcule, et ce faisant indirecte. On avance ainsi diverses thories

pour stimuler la consommation. La publicit veut mettre en uvre tous les acquis des

sciences humaines et sociales. La publicit est donc la fille dune utilisation

particulirement labore de ce quon pourrait appeler une psychosociologie, dveloppe

tout au long du XXe sicle mais qui peut se rsumer daprs Andr Akoun trois stades

et types successifs51. Tout dabord, la publicit mcaniste est celle qui, partir des

thories sur le rflexe conditionn, a pratiqu le matraquage intensif du rcepteur laide

des mdias. La rptition des messages devait frapper lattention afin de favoriser leur

mmorisation. Selon cette optique, le consommateur tait passif et mallable. On sait

aujourdhui quune telle conception du schma de la communication est simpliste et

rductrice.

Dans un deuxime temps, la prise en considration des motivations, conscientes ou

inconscientes, des individus a conduit lmergence de la publicit suggestive .

Dinspiration freudienne, elle considrait que lacte dachat ntait pas uniquement un

acte conomique, mais aussi symbolique : lachat a trait nos dsirs, nos fantasmes,

nos affects. Cest pourquoi, afin de tenter de vendre une voiture avec quelques chances

les annes 60, les thories du marketing anglo-saxonnes.


50
En effet, plusieurs universits assurent un enseignement de la publicit dans le cadre dIUT (par
exemple lUniversit Paris 5. Paris 2 donne un enseignement de la publicit au niveau du DESS. Enfin, le
CELSA, grande cole de la communication ressortissant administrativement Paris 4, dlivre des diplmes
universitaires en publicit.
51
Andr Akoun, Sociologie des communications de masse, Paris, Hachette, 1997, p. 130-134. Par ailleurs,
Armand Mattelart classifie, partir de laspect de communication, plusieurs types de publicit, modle
linaire , motivation , et style de vie , en les considrant comme les tapes dune science du
consommateur . [Armand Mattelart, La Publicit, Paris, La Dcouverte, 1994, p. 58-64.]
28

de succs, on imaginera une affiche reprsentant certes le nouveau modle de voiture,

mais avec ses cts une belle femme, afin de dclencher chez le consommateur les

motivations inconscientes qui lui inspireront un dsir dachat.

Ce modle a cependant lui aussi montr ses limites et il a t supplant, plus

rcemment, par la publicit sociologique . Celle-ci porte son attention sur le fait que

lindividu est toujours insr dans un groupe social, dans un certain environnement

social : derrire les demandes du consommateur se dessinent des valeurs, des gots et des

attitudes, qui varient en fonction de son milieu dappartenance. Des enqutes de styles

de vie 52 seront donc systmatiquement exploites, fondes sur lobservation de

lvolution des murs et des loisirs, afin de pouvoir dresser des portraits psychologiques

prtendant cerner lindividu dans sa totalit.

Sous nos yeux, une publicit participative est ainsi en train de prolifrer, forme

tendue de cette publicit sociologique. lantipode des publicits mcanistes et allant

bien au-del de la simple tude des styles de vie, la publicit contemporaine a une

propension tenter dattirer davantage de participation du public sur la base dune

communication interactive aide par le dveloppement des technologies de la

communication, et notamment lInternet. Et ceci en ayant recours, plus que jamais,

lexploitation du monde virtuel et de limaginaire du public. Voici une campagne

publicitaire pour HSBC, titre dexemple 53 :

52
Concept notamment utilis par le CCA (Centre de communication avance) depuis 1972 avec la mthode
Socio-Styles-Systme . Sa scientificit est loin dtre prouve, mais il a indniablement connu un gros
succs durant ces dernires dcennies. Cette mthodologie des Socio-Styles est dsormais rpandue aux
tats-Unis, en Europe dans dautres rgions. Pour en savoir plus, consulter Bernard Cathelat, Publicit et
socit (1968), Paris, Payot, 1992 (notamment le chapitre Styles de publicitStyles de vie ) et Cercle
Ssame, 2012-2017 ce que veulent les Franais, Paris, Eyrolles, 2011.
53
Cette publicit, lance en t 2006 et invitant le public une diversit de points de vue sur une mme
chose connue de tout le monde, invte le public participer, dabord, un jugement instantanment in
situ, ensuite, une expression plus rflchie en entrant dans un site Web. En effet, plus de 40 000
personnes ont particip cette action. Bien entendu, ce qui compte pour lefficacit publicitaire, cest
moins la nature des avis recueillis que le fait quil y ait participation du public une consultation.
29

Fig 2. Une publicit participative

2.3. Les dfis de la publicit franaise


Aprs avoir longtemps considr la publicit comme une technique accessoire du

commerce, comme une partie priphrique de leur activit, les entreprises franaises ont

pris conscience quelle nest pas simplement le luxe des priodes prospres, mais plutt

un cot dexploitation aussi ncessaire et aussi vident que les dpenses dnergie ou de

matire premire. Malgr un dveloppement fulgurant conscutif ce changement

dapprciation de la part des entreprises, la publicit demeure frileuse pour autant quelle

se sent invitablement tributaire, ou se rend tributaire, dune manire qui est trs

perceptible, du climat politique et conomique, des alas conjoncturels, des mutations

technologiques, du contexte socioculturel, enfin de tous les moindres mouvements de la

socit54. Loptimisme ou le pessimisme des entreprises se traduisent aussi tt dans son

volume et dans son volution.

54
La publicit varie aussi beaucoup selon les secteurs et les types dconomie. Son importance, mesure
par rapport au chiffre daffaires, est trs diffrente dun secteur lautre, et pour un mme secteur,
dentreprise entreprise, voire mme au sein de la mme firme, de produit produit, de marque marque.
Ces variations illustrent des options stratgiques diffrentes et doivent tre considres la lumire de la
30

En France, il est gnralement admis que les annes 80 ont vu lapoge de la

publicit. Et il est vrai que beaucoup prdisent dj la mort de la publicit . En fait, la

publicit franaise a toujours rencontr des dfis. Le premier concernait la lgitimit de

son activit. Les effets macro-conomiques de la publicit sont remis en cause. Sil est

certain que la publicit, en tant que secteur industriel, occupe une part importante de

lconomie nationale, par contre il y a toujours des points de suspension concernant

lapprciation de son rle conomique rel. On sait en fait peu de choses quant limpact

rel de la publicit sur la croissance et le dveloppement conomiques. En effet, peu

dconomistes se sont penchs sur la question. Le monde de la publicit prconise que le

rapport de la publicit lentreprise et ses marchs doit tre le plus clair et vident

possible puisque lobjet premier de la publicit est prcisment dagir sur les

consommateurs. Mais ce rapport est difficile apprcier. Quant aux effets macro-

conomiques, les auteurs de Publicitor notent qu ils sont aussi trs controverss [] Ils

sont en fin de compte assez faibles et les critiques les plus svres faites la publicit

dans ce domaine sont aussi celles qui sont les plus mal fondes 55 . Bien quune

dfinition de la fonction conomique de la publicit figure dans le prambule du

Mmorandum explicatif 56 de la philosophie des Communauts europennes, qui date

de 1978, et bien quexiste une tude universitaire57 traitant du rle conomique de la

publicit, celui-ci est loin dtre clarifi.

nature des articles, de leur cycle de vie, de leur image, de leur importance relative pour la socit, de leur
mode de distribution, de la politique tarifaire et commerciale pratique avec les revendeurs, etc. Si le
volume de la publicit varie dune saison et dun march lautre, sa forme, ses arguments changent aussi
beaucoup dune poque lautre et dune culture lautre.
55
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 407.
56
La publicit fait partie intgrante du systme de production et de distributions de masse au service du
grand public. Les fabricants de biens et les fournisseurs de services ont besoin dinformer et de rappeler au
public ce quils ont offrir. Un tel systme dinformation est utile pour lconomie de production. Il est
ncessaire aux consommateurs pour quils puissent oprer un choix entre plusieurs options. En outre, la
publicit est le fondement de la concurrence sur le march, elle stimule le dveloppement et linnovation,
rend possible lapprovisionnement en biens et services de faible cot, auparavant trop chers pour le
march. Enfin, la publicit apporte sa contribution essentielle au financement des mdias. [Cit par
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, La Dcouverte, 1994, p. 66.]
57
Il sagit dune thse de Doctorat, intitule Impact de la rgulation de la publicit sur la croissance
31

De surcrot, on peut sinterroger sur leffet micro-conomique de la publicit, cest-

-dire sur celui dune campagne publicitaire. Les lois qui gouvernent la rentabilit de

linvestissement publicitaire restent trouver. Quil porte sur lentreprise et ses marchs

ou sur lconomie dans son ensemble, limpact gnral de la publicit reste, au bout du

compte, difficile isoler. Dautant plus que, par rapport limportance des sommes

dpenses pour ces tudes daudience des supports, celles qui ont t consacres tenter

dvaluer leffet (impact, notorit, image) de linvestissement auprs des

consommateurs sont relativement faibles. Il est en effet trs compliqu, voire parfois

impossible, de mesurer avec prcision lefficacit relle dune publicit sur les ventes ou

mme sur lvolution de limage dune marque Vu cette difficult, il y a effectivement

imprvisibilit dans la publicit. Imprvisibilit quant aux rsultats dune campagne, vu

la volatilit des consommateurs et le dcalage entre lavis du spcialiste et le got du

grand public est un fait qui simpose58. La plupart des manuels ou des traits sur lactivit

publicitaire ne nient dailleurs pas ce point particulier. Publicitor reconnat : Il est en

effet compliqu, parfois, impossible, de mesurer avec prcision lefficacit relle de la

conomique , soutenue en 2004, Paris IX Dauphine, par Maximilien Nayaradou. LUDA (Union des
annonceurs) a financ ses recherches avec le soutien du Ministre de la Recherche, de la FMA (Fdration
mondiale des annonceurs) et de lIREP (Institut dtudes et de Recherches publicitaires). Cette thse
analyse pour, les vingt dernires annes, linfluence des investissements publicitaires mdias et hors-
mdias sur la croissance conomique au Japon, aux tats-Unis et en Europe. Elle montre quil existe quatre
mcanismes par lesquels la publicit agit sur la croissance conomique : la consommation, linnovation, la
concurrence et le dynamisme des secteurs conomiques lis la publicit. Ltude soutient quil y a une
corrlation entre les investissements publicitaires et la croissance conomique : le taux dinvestissement
publicitaire total et le taux moyen de croissance du PIB sont lis.
Prsente aussi dans un document de synthse de quarante pages, cette recherche constitue videmment un
prcieux outil de lobbying pour la profession. Elle circule dj auprs des publicitaires et des annonceurs,
mais aussi et surtout auprs des personnalits influentes de la haute administration, des lus et de la
recherche. Pour lUDA, elle doit permettre une prise de consciences des pouvoirs publics, qui devront alors
bien videmment encourager linvestissement publicitaire puisquil est avr quamliore lefficacit
productive dune conomie.
58
Lorsqua commenc la campagne pour le service vocal 118 218, la plupart des spcialistes en
communication publicitaire lont critique, sceptiques quant au bnfice du bruit mdiatique caus par les
deux zozos qui polluaient les oreilles du public avec leur tou-tou-you-tou dbile. Mais le public, au
contraire, ne la pas du tout dteste. Elle a finalement t considre comme lune des meilleures et des
plus efficaces campagnes de 2006.
32

publicit sur les ventes ou mme sur lvolution de limage des marques () 59. Du

coup, on peut dire que la publicit, qui souhaiterait une certaine prennit,

contrebalanant lactuelle gadgtisation de la pub , se trouve perturbe par cette

ternelle volatilit des consommateurs.

Dans cette situation floue, larrive dune nouvelle technique a chang de fond en

comble la cartographie de lensemble du monde de la publicit. Le monde de la publicit

a reconnu, comme presque tous les autres domaines, limportance de larrive de

lInternet. On a dit que la troisime rvolution serait celle de llectronique60, qui a

chemin trs progressivement avant denvahir lensemble des systmes techniques, puis

de dboucher sur linformatique, la robotique et des rseaux tels quInternet. Dans le

monde de la publicit, lInternet a gnr des bouleversements dans la pratique des

modes de communication, entranant des mutations sociales61. LInternet apporte au

moins trois changements dans le monde de la publicit, mme si cette vague de

changements est encore en plein dveloppement.

Il sagit, en premier lieu, de la publicit sur lInternet, qui met en uvre lespace du

web, devenu support de publicit. En effet, ce nouveau type de campagne publicitaire

change toute la physionomie de lindustrie publicitaire (taux de rpartition entre les

mdias), au fur et mesure de sa rapide croissance depuis son arrive. Ce nouveau type

de publicit se dveloppe en effet une grande vitesse, affichant 42% de taux de

croissance, avec 540 millions deuros, en 200662. En fait, la monte en puissance de

lInternet fait voluer le systme de calcul de linvestissement publicitaire. Alors que le

monde de la publicit avait dabord class lInternet dans la rubrique hors-mdias, il a

commenc, ds 2007, considrer la publicit sur lInternet comme devant tre range

59
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 407.
60
Si lune des vertus des sociologues tait de pouvoir prdire lavenir, Edgar Morin en serait
singulirement dot, car il avait bien prdit, dans LEsprit du temps (1962), que la troisime rvolution
serait lectronique et nuclaire .
61
Sur lun des aspects des mutations sociales quentrane lutilisation de lInternet, voir Stphane Hugon,
Circumnavigations. L'imaginaire du voyage dans l'exprience Internet, Paris, CNRS ditions, 2010.
62
Daprs France pub 2008, les taux de rpartition des mdias pour lanne 2007 sont les suivants : presse
38%, TV 35%, affichage 12%, radio 9%, Internet 5%, cinma 1%.
33

dans une publicit plurimdias regroupant divers supports sans distinguer entre mdias et

hors-mdias. Sa part du march des mdias tait alors de 5%.

En deuxime lieu, en apportant une nouvelle modalit de communication,

lInternet cause un changement dans la nature mme dune campagne. Cela veut dire que,

comme la formule dentre sur le WEB (www.) est dsormais insre quasi

systmatiquement dans la plupart des supports, il peut ainsi y avoir une campagne qui

comporte une tape de contact intermdiaire, au lieu de ne consister quen une unique

tape auprs du public : la campagne prsente le moyen dune prolongation de la

communication. Ainsi, en positionnant la publicit dans un passage allant dun

marketing de la conqute un marketing de la relation , lInternet affecte

lensemble de la structure de communication de lentreprise. On ne peut pas pour

linstant mesurer les effets que produira lirruption de lInternet, savoir plus prcisment

sil sera un nouvel eldorado, et pas seulement pour la publicit sur lInternet lui-mme

mais pour lensemble de la publicit, ou bien un terrible dfi relever pour la publicit.

Certains auteurs, ainsi Al et Laura Ries dans leur livre intitul La Pub est morte63,

expriment bien le souci que lon peut avoir pour lensemble de la publicit actuelle, qui

sest faite jusque-l par medias traditionnels. Dans le mme sillon, un doute surgit, de

manire vague et globale, au sein du monde de la publicit : La notion de campagne a-

t-elle encore une signification aujourdhui ? . Question absurde, mais qui exprime bien

les proccupations actuelles en la matire. De surcrot, pour certains, il y a des uvres

dart qui se traduisent comme un coup publicitaire particulirement brillant et cratif,

ou bien un dispositif global de communication autour de la marque.

63
Al et Laura Ries, La Pub est morte, vive les RP!, traduit de lamricain par Emily Borgeaud, Paris,
Pearson Education France, 2003.
34

II. Mon second. Du message la socit


Un tout autre ordre de choses simpose si lon aborde la publicit dans le sens qui

part du message pour aboutir la socit. Alors, domine par le principe defficacit

conomique et de rationalit stratgique, la publicit se soumet inluctablement un

autre ordre, propre la socit : la rception . En effet, on observe toujours un

cart entre la socit partir de laquelle est form le message et l autre -et- mme

socit laquelle il parvient. Cet cart relve, avant tout, du fait que le message

publicitaire ne peut chapper, de par sa nature mdiatique mme, au caractre

danonymat du public de la socit. Notre second mode dinvestigation, correspondant

la deuxime tape dune charade, consistera donc examiner les aspects relevant de la

manire dtre du message dans la socit, lautre grand versant de lactivit

publicitaire.

1. La dfiance de la socit franaise lgard de la publicit


Lun des premiers critres pour juger de la rception de la publicit par la socit

peut tre traduit par une courte question : la socit franaise a-t-elle besoin de la

publicit ? Cette question se prolonge tout naturellement en celle de lvaluation des

effets de la publicit sur les individus. Il sagit alors de savoir si ceux-ci sont bnfiques

ou nfastes. Face cette remise en question, brutale mais qui mrite dtre pose, on peut

en appeler au constat de deux positions bien tranches.

Pour certains, la publicit est ncessaire au fonctionnement de la socit moderne,

car elle favorise la consommation donc le dynamisme conomique du pays. Ils

proclament en outre quelle offre lacheteur une information pour tablir ses choix, tout

en jouant sur lhumour et le plaisir : le consommateur reste totalement libre de se

comporter comme il lentend. Pour dautres, ce sont les maux de la publicit qui se

placent au tout premier rang. Selon eux, la publicit cre des besoins artificiels, elle

promeut une forme de conformisme social, elle favorise un gaspillage des nergies et,

grce laide de techniques de persuasion sophistiques, donne aux consommateurs


35

lillusion dagir en toute libert. Or, nous pouvons, considrer ces deux logiques, nous

rendre compte que la logique du bnfique met laccent plutt sur les ultimes effets

supposs ou souhaits de la publicit, savoir ses apports pour lconomie et pour

lindustrie, tandis que la logique du nfaste se plaint exclusivement de dgts

socioculturels quelle croit dj constater et qui proviennent du processus mme de la

communication.

Finalement avec cette opposition des deux logiques, la question des effets de la

publicit semble devoir demeurer dans lincertitude, dautant plus que, faute de moyens

srs de vrification, la possibilit dapprciation juste est loin dtre assure. Ce qui

cependant nous parat hors de tout doute possible, cest que la publicit nest pas une

chose bien accueillie par la socit franaise.

1.1. L esprit franais , une hostilit traditionnelle la publicit


La France est lun des pays europens les plus hostiles la publicit. Cette hostilit

ntant pas un phnomne qui date daujourdhui, ni mme dhier, il est important de

considrer lhistoire de cette relation. cet gard, Marc Martin nous montre quil y a bel

et bien une tradition dun dnigrement de la publicit, qui fait ds ses dbuts lunanimit

contre elle en France :

Au 19e sicle, il existait, en France, pour rejeter la publicit, une complicit entre
lopinion publique et la majeure partie des intellectuels. On peut faire remonter le
dnigrement de la publicit par les hommes de lettres Balzac qui dcrit, dans Csar
Birotteau, comment un parfumeur parvient vendre ses Ptes des Sultanes aux gogos
en usant du seul mirage de lOrient. Puis, Paul Reboux, intellectuel brillant devenu
rdacteur dans un grand journal populaire, et qui se trouvait au contact des deux sphres,
le souligne dans Paris-Soir : ce seul mot de publicit, les crivains se drapent dans
leur dignit et le public se cabre . Le relais a t ensuite assur par toute une partie des
journalistes de la petite presse, particulirement ceux de la presse satirique, dont les
motivations ntaient pas toujours pures, mais qui trouvrent, dans les exagrations de
64
la rclame, une veine de plaisanteries inpuisable.

64
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 152-153
36

Cette tendance initiative se prolonge, en saggravant mme, prcise Marc Martin :

Mais lagressivit des intellectuels est devenue particulirement virulente aprs la


Premire Guerre mondiale. Georges Duhamel est sans doute le plus connu des crivains
de cette gnration contempteurs de la publicit, comme il le montre dans ses Scnes de
la vie future. Mais, il nest pas le seul. En 1924, Charles Mr met en scne dans une
pice succs, La tentation, un avocat dchu, pourri de vices et cribl de dettes, qui
finit courtier en publicit ; un film muet, en 1930, puis un autre parlant, en 1936, en
seront ensuite tirs. Un autre auteur dramatique, Armand Salacrou, dont le pre, pourtant,
utilise abondamment les annonces pour vendre ses spcialits pharmaceutiques, et qui est
devenu lui-mme agent de publicit depuis plusieurs annes, fait dire au personnage
principal de sa pice Poof, crite en 1932, quelles rgles le guident dans son mtier de
publicitaire : ne jamais faire appel lintelligence du client (...) Le public naime pas
penser () Substituons notre pense la sienne. Tous les hommes ont une nette tendance
la paresse crbrale, cultivons la paresse crbrale.65

Ces deux textes de lhistorien nous font imaginer quel point a pu tre virulente

lhostilit du peuple franais la publicit. Quand les publicitaires cherchent

lexpliquer, ils invoquent souvent un certain esprit franais 66, la France serait une

nation o chaque membre pense par lui-mme, o lon se montre rtif devant les

injonctions, avec de fortes sympathies et antipathies individuelles, et lhabitude enracine

de juger par soi-mme , crit Marc Martin.

Mais, pour aller plus loin que l dune simple constatation de cet esprit particulier,

quelles sont les origines du phnomne? La question reste environne dombre. Toutefois,

nous pouvons, au moins, prendre en compte deux paramtres. En premier lieu, quelques-

uns avancent le discrdit caus par lusage que les charlatans firent de la rclame et par

les escroqueries auxquelles servent encore parfois les annonces. Mais, l encore,

lexplication est un peu courte, puisque les rclames de batteurs destrade ne manquent

pas dans les journaux amricains. Cest dailleurs, quand la littrature professionnelle

65
Ibid.
66
Ibid., p. 154.
37

donne certains conseils sur la manire de conduire une campagne publicitaire, quand elle

dnombre et analyse les obstacles quil faut surmonter, quelle fait apparatre, en

filigrane et a contrario, tout ce quun ensemble de micro-milieux dans la socit

franaise a pu scrter, et qui a t constamment raliment de la fin du XIXe sicle

lentre-deux-guerres, pour entretenir ce fond dhostilit la publicit.

Une autre grande cause de ce dnigrement de la publicit peut tre trouve dans le fait

que, en France, la publicit na pas produit lexprience dune contribution sociale visible

et emblmatique au cours de lhistoire. En effet, la publicit na pas t, en France, un

facteur de cohsion nationale comme elle a pu ltre aux tats-Unis, o il fallait insrer

toute une population htrogne dimmigrants au mode de vie nord-amricain et au

systme conomique dominant. Son succs sexpliquerait ainsi aux tats-Unis, selon

Stuart Ewen67, davantage par des facteurs socioconomiques que des facteurs purement

psychologiques. La publicit conditionnerait culturellement et idologiquement les

individus pour que ces derniers adhrent aux valeurs prnes par la socit capitaliste

moderne. Par contraste, labsence de ce genre de fonction sociale resterait, jusqu

maintenant, le talon dAchille de la publicit franaise.

Ces dispositions de lesprit franais nous conduisent supposer que, pour lessentiel,

lattitude dune socit lgard de la publicit est dtermine fondamentalement par son

rle psychosocial, sa fonction conomique sestompant singulirement concernant

laccueil qui lui est fait.

1.2. Lvolution de limage de la publicit (1983-2007)


Prolongeant ce survol historique, il est intressant de jeter un coup dil sur les

volutions de limage de la publicit lapproche de notre poque. Cela nous permettra

67
Stuart Ewen, Conscience sous influence, Paris, Aubier, 1983. Selon ce sociologue amricain, la publicit
a contribu, dune part, couler le surplus de la production, de lautre, adapter le comportement de la
population un nouveau mode de vie aux tats-Unis. Il considre en effet que les dbuts de la publicit
aux tats-Unis se rattachent un vaste programme visant inculquer un certain type dattitude, rorienter
la culture des immigrants vers la nouvelle culture, programme se droulant sur le modle de la
communication publicitaire.
38

de mieux comprendre ltat de limage qua la publicit contemporaine, objet de notre

travail.

Une tude effectue en 2007 par TNS Sofres et UDA (Union des annonceurs) rvle

une perception de la publicit favorable 38%, dfavorable 37%. Ces chiffres

indiquent que la situation de limage de la publicit auprs du public se serait amliore

par rapport la prcdente enqute effectue deux ans plus tt, o 43% des Franais

interrogs - un score historique - se dclaraient trs ou plutt opposs la publicit et

37% seulement favorables . Mais lorsque lon observe lvolution de la perception de

la publicit au cours des deux dernires dcennies, on constate que son image gnrale

na pas beaucoup chang. Cest--dire que lon ne trouve pas de grand changement dans

le rapport entre opinion favorable et voix oppos face la publicit.

En revanche, pour les critres trs favorable et trs oppos la publicit, les

taux reprsentent respectivement 3% et 13% en 2007. Ces chiffres se sont aussi

amliors par rapport 2005, o ils taient respectivement 2% et 15%. Pourtant, sur plus

de vingt ans, nous nous apercevons que, de toute vidence, limage de la publicit sest

dgrade68. Il nous semble que le point le plus significatif est l. Cest--dire que nous

pouvons noter que la population des mania de la pub est en train de diminuer, alors

que la population allergique la publicit augmente par contre au fil des annes. On

constate en effet quen 2007 les allergiques sont quatre fois plus nombreux que les mania
68
Lvolution de limage de la publicit en France (1983-2007). Voici le tableau complt par nous-mme
au moyen des rsultats donns par TNS Sofres.

(Unit : %)
1983(Le Parisien 2002(TNS 2005(TNS 2007(TNS
/TNS Sofres) Sofres/Stratgies) Sofres/Stratgies) Sofres/UDA)
Trs favorable 5 5 2 3
Plutt favorable 36 38 35 35
Total favorable 41 43 37 38
Plutt oppos 23 23 28 24
Trs oppos 10 13 15 13
Total oppos 33 36 43 37
Indiffrent 25 20 19 24
Sans opinion 1 1 1 1
39

(13% contre 3%), alors quil y a une vingtaine dannes, les allergiques ne formaient que

le double de ceux-ci (10% contre 5%).

Dans les rsultats de ltude de 2007, on observe un vritable choc des gnrations

sue ce mme sujet, parmi dautres dichotomies 69. Les jeunes sont de plus en plus

favorables la publicit. Les partisans de la publicit se recrutent essentiellement parmi

les 18-34 ans. La publicit fait partie de leur univers, un peu comme si ces enfants

gavs la pub depuis leur plus tendre enfance ne se posaient mme plus la question.

linverse, les plus gs auraient plutt tendance se radicaliser contre elle. Concernant

ce dcalage des gnrations, Nicolas Bordas (TBWA) note : Pour les jeunes

gnrations, la publicit, ce nest pas si grave. Elle fait partie du spectacle. Ils aiment la

publicit en gnral, mais savent tre trs critiques lgard de telle ou telle campagne.

Pour eux, cest gnial ou cest nul. Ils dcryptent beaucoup mieux les messages

publicitaires. Surtout ils dramatisent moins la publicit que leurs ans, qui pourtant,

aimaient bien les campagnes dcoiffantes de leur jeunesse dans lesprit 68. Mais, les

ans ont manifestement vieilli. 70

Or, ct de laspect des rsultats, ce qui retient particulirement notre attention,

cest le fait mme que de telles tudes aient t entreprises trois fois pendant une dernire

dizaine dannes aprs un long intervalle de 20 ans. Cela laisse entendre que la publicit

franaise, inquite, est en train de douter delle-mme. En fait, les notes obtenues sont si

peu favorables quelles ont conduit certains publicitaires poser eux-mmes des

diagnostics o ils plaident coupables. Citons, par exemple, cette confession de Bertrand

Suchet (DDB Paris) :

69
Par exemple, on pouvait se demander si les publiphobes taient plutt de gauche. quelques jours du
premier tour de la prsidentielle de 2007, TNS Sofres sest pos la question. Rsultats (Stratgies, n1451,
avril 2007) : les Franais qui votent droite (UMP, UDF et divers droites) se montrent les plus favorables
la publicit (44% dopinions favorables, contre 32% de dfavorables). Au contraire, les lecteurs de gauche
(PS, PC, Verts et divers gauches) sont 42% dfavorables la publicit, contre 35% dopinions favorables.
Les deux extrmes continuent dtre rsolument publiphobes, avec une nette longueur davance pour les
partis dextrme gauche (42% dopposants) par rapport au Front national et au Mouvement national
rpublicain (36% dopposants). Quant lindiffrence la publicit, cest un phnomne galement
partag entre la gauche et la droite, avec respectivement 22 et 24%.
70
Stratgies, n 1255, novembre 2002.
40

Les gens naiment pas ce qui nest pas conu pour eux. La publicit est trop souvent
coupe du monde rel. Elle est faite par des publicitaires qui travaillent dans leur bulle
et conoivent des messages ou des stratgies de salle de runion . Ils sadressent
des clients avant de sadresser des personnes, sans aller chercher les gens l o ils se
trouvent, dans leur vie quotidienne. [] Or le rle premier de la publicit, cest de
plaire, afin de susciter ventuellement une adhsion qui elle-mme, dans le meilleur des
cas, provoquera un achat. Et ce quel que soit le support utilis.71

Il nous semble que ce mea culpa traduit bien la gravit du dfi ressenti au sein

du monde de la publicit, qui a fini par admettre quil y a avait l un rel signal dalarme

pour les marques et les entreprises.

Sur un autre registre, une tude intitule Publicit & Socit 72, mene en 2004,

nous donne quelques repres significatifs concernant plus prcisment lapprciation

faite de la publicit, ct des simples rsultats mesurant sa cote damour . Selon

ltude, 97% des publiphobes pensent quil y a trop de pub contre 48% des

publiphiles, tandis que 78% de lensemble pensent quil y a trop de publicits. Il y a un

point sur lequel toute la population se rassemble, cest le caractre envahissant de la

publicit : 73% trouvent que la publicit est envahissante. Quant lutilit de la publicit,

85% des publiphiles pensent que la publicit est utile , alors que seuls 25% des

publiphobes y croient. Mais, 46% des publiphiles pensent que la publicit est

dangereuse , alors que 53% des publiphobes le croient. Cela veut dire que mme des

publiphiles qui pensent que la publicit est utile admettant aussi quelle peut tre

dangereuse.

Pour conclure notre bref examen de limage de la publicit auprs de son public,

nous soulignerons dans cette tude deux constats. Dune part, si 63% des Franais

dclarent que la publicit ninfluence pas leurs achats, pourtant 73% admettent que cela

71
Stratgies, n 1390, novembre 2005.
72
Cette tude a t excute par Ipsos et Presse+ la demande de lagence Australie. Les rsultats sont
prsents dans CB News, n 811, novembre 2004.
41

doit influencer les achats des autres ; dautre part, 91% avouent que la publicit influence

leur vie quotidienne.

En fait, une mise en relation de ces trois chiffres dgage des points significatifs.

Tout dabord, au travers du gros dcalage - ce nest pas seulement de 10%73 - entre les

deux premiers chiffres, nous retrouvons confirmation du fait que, sagissant du rapport

entre publicit et achat, les gens pensent que ce sont les autres qui sont concerns,

influenables, alors queux-mmes le sont peu, se jugeant, simaginant, plus malins que

les autres. Ce phnomne nous fait raliser quil existe bel et bien un climat de mfiance

non identifi, qui va au-del dun simple sentiment dantipathie contre la publicit.

Ensuite, par rapport aux deux premiers chiffres, le dernier nous laisse supposer quel

niveau la publicit pourrait bien jouer un rle dans la vie quotidienne du public.

2. La publicit, casus belli ternel


Les chiffres parlent deux-mmes ? Ce ne sont pourtant que des chiffres. Souvent,

une observation soigneuse des faits concrets nous livrera des renseignements plus vivants

et pertinents que les donnes statistiques les mieux tablies. Il sera donc utile dexaminer

divers phnomnes dcelables dans la socit franaise concernant la publicit.

2.1. Les vagues anti-publicitaires


Cest la monte en puissance de la publicit puis son dferlement sans frein sur la

socit franaise qui ont fait, en contrepartie, apparatre des ractions de rejet de la

publicit. Une srie dactions et doprations, se mobilisant au nom dun mouvement

antipub, sest dclenche pour ragir contre soi-disant mfaits de la publicit et ses

uvres. Ce mouvement ne date en fait pas daujourdhui. On peut mme dire que ses

racines remontent jusquaux Trente Glorieuses, lpoque o la socit de consommation

73
Qui slverait pas moins de 36%, si lon sautorise penser que nier tre influenc (63%) revient
dclarer ne pas tre influenc (37%).
42

sest panouie dans sa premire ferveur 74 . On a vu surgir, lors de Mai 68, des

contestations de la socit de consommation et de sa publicit. La Socit du spectacle75

de Guy Debord et La Socit de consommation 76 de Jean Baudrillard ont attaqu,

directement comme indirectement, la publicit et la socit de consommation. Aprs

avoir t des repres par leur poque, leurs penses auront une grande influence sur le

mouvement antipub contemporain. Cest partir des annes 90 que des militants tentent

de vulgariser leurs ides contre la socit de consommation77.

Finalement, aujourdhui, on peut voir laction antipub se dployer dune faon

toujours plus organise et toujours plus violente. observer ses dernires tendances,

nous constatons notamment lapparition de plusieurs livres qui se consacrent dcrire les

maux quengendre la publicit. Cest tout dabord, en 2000, Frdric Beigbeder qui

publie 99 francs78. Romancier, animateur la TV mais notamment aussi ex-publicitaire,

lauteur stigmatise la publicit comme la propagande dune dictature qui rduit

lhumanit en esclavage. Il dvoile, de manire cynique, les coulisses du monde de la

publicit, en rvlant les attitudes hypocrites et arrogantes des publicitaires, pleins de

mpris pour les consommateurs et les annonceurs. Puis, un an aprs, nous voyons une

journaliste au Monde, Florence Amalou, lancer comme un signal dalarme un livre

intitul Le Livre noir de la pub79. Elle y rappelle toutes les noirceurs de la publicit, de

lextravagance de son expression la sournoiserie de son chantage, en passant par

labsence dabri laiss par son invasion. Elle prtend que la publicit doit tomber le

masque pour que le statut de citoyen puisse enfin prendre le pas sur celui de

74
Les Trente Glorieuses (1945-1973), caractrises par une priode de forte croissance conomico-
industrielle et dimportante expansion dmographique (baby boom), ont notamment marqu le passage vers
la socit de consommation.
75
Guy Debord, La Socit du spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1996.
76
Jean Baudrillard, La Socit de consommation, Paris, ditions Denol, 1970.
77
On peut se rfrer ici divers auteurs, notamment Franois Brune, Le Bonheur conforme (1981), Paris,
Gallimard, 1985 et Les Mdias pensent comme moi, Paris, LHarmattan; 1997 ; Paul Aris, Les Fils de
McDo : la McDonaldisation du monde, Paris, LHarmattan, 1997 ; Dominique Quessada, La Socit de
consommation de soi, Paris, Verticales, 1999 et Naomi Klein, No logo, Arles, Actes Sud, 2001.
78
Publi chez Grasset, ce roman a connu un grand succs avec une vente de plus de 500 000 exemplaires.
79
Florence Amalou, Le Livre noir de la pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001.
43

consommateur. En outre, en 2005, nous pouvons lire dun autre journaliste, Le Temps de

lantipub80. Dans ce livre, Sbastien Darsy raconte au public le mouvement antipub,

lhistoire de ses militants qui combattent sans relche la publicit. Il y dnonce

notamment le despotisme des marques et la marchandisation de la culture et il propose un

devoir-tre pour la publicit. Enfin, lautomne 2007, le cinaste, Jan Kounen met en

scne le livre 99 francs, sous le mme titre81.

Si la publication et le tournage prsentent des aspects doux de la publiphobie, le

public parisien est souvent confront dautres modes, plus corrosifs. Ces dernires

annes, on voit de plus en plus daffiches tagues dans le mtro parisien. Les tagueurs

sont souvent des militants dassociations anti-publicitaires telles que Rsistance


82
lagression publicitaire (RAP) et Casseurs de pub 83. Rsistants ou insoumis la

publicit, ils se mobilisent pour distribuer des pamphlets antipub et coller sur les affiches

des encarts Marre de la pub , expression directe dun ras-le-bol face

lenvahissement publicitaire. Souvent ils dtournent aussi par des graffiti les messages

destins aux usagers des transports en commun84.

80
Sbastien Darsy, Le Temps de lantipub, Arles, Actes Sud, 2005.
81
Le film 99 francs est sorti en septembre 2007. Le film est coproduit par Arte, Canal+ et CinCinma,
aucune autre chane de tlvision n'ayant pris le risque de mcontenter ses annonceurs publicitaires. Selon
Allo Cin, le film a totalis 517 322 spectateurs lors de sa premire semaine de sortie (du 26 septembre au
2 octobre). 99 francs a t galement adapt au thtre Le Trvise Paris en 2002 par Gilbert Pont, seul
comdien sur scne.
82
La Rsistance lagression publicitaire (RAP) a t fonde en 1992 par Yvan Gradis, Franois Brune et
Ren Macaire.
83
Casseurs de pub a t cr Lyon en 1999, par Vincent Cheynet associ Bruno Clmentin. Le modle
en tait Adbusters au Canada. Lorganisation publie un priodique sur papier et gre un site Internet.
Casseurs de pub organise une manifestation annuelle contre la consommation, la Journe sans achats
(version franaise de Buy Nothing Day , lanc en 1992 au Canada). Diffuse internationalement par
Adbusters, cette manifestation de boycott des achats a lieu le dernier vendredi (Amrique du Nord) ou
samedi (Europe) de novembre. C'est en effet la journe o, aux tats-Unis, les chiffres de ventes sont les
plus levs de l'anne. Ce projet, ambitieux, choue chaque anne, en France comme aux tats-Unis. Il
reste pourtant au cur de la campagne des Adbusters.
84
Par exemple, un certain Antoine a ralis un autocollant Attention ! Ne mets pas tes yeux sur les pubs :
tu risques de te faire manipuler trs fort , en dtournant la clbre affichette du mtro Ne mets pas tes
doigts sur les portes, tu risques de te faire pincer trs fort . Cet autocollant a t tlcharg par des
milliers dinternautes sur le site de la Brigade antipub (http: //bap-propagande.org) et pouvait tre aperu
sur les lignes du mtro 5,11 en 2007.
44

LE RVE PEUT-IL TRE SANS PUB ?

Fig 3. Graffiti antipub, mtro parisien 2008

Il faut dailleurs noter que ce sont des journalistes et danciens publicitaires85 qui au

premier rang se dressent contre la publicit. Les antipub sattaquent bien sr la

publicit, mais leur ultime cible nest pas la publicit elle-mme. travers la publicit,

leur rvolte vise la logique du capitalisme et le pouvoir exorbitant des marques dans une

socit sacrifie la consommation : marchandisation, mercantilisme, manipulation,

alination, abrutissement des masses, etc. En ce sens, on pourrait comparer la publicit

aux meurtrires dune forteresse ennemie. Sans parvenir la saper, on lance des flches

enflammes au travers de celles-ci, ses points faibles, pour mettre le feu lintrieur de

ldifice.

2.2. Des frmissements pro-publicitaires


Il semble que lantipathie gnralise de la socit franaise lgard de la publicit

soit si forte que tout membre isol du public franais pourrait prouver de la gne, voire

de la honte, exprimer la moindre admiration pour la publicit. Mais elle a ses partisans

et ses admirateurs et cest pourquoi il existe diverses manifestations qui se chargent de

85
En effet, une bonne partie des leaders du mouvement antipub sont danciens publicitaires. Frdric
Beigbeider tait concepteur-rdacteur chez Young & Rubicam et Vincent Cheynet, le directeur de
publication de Casseurs de pub, tait graphiste chez Publicis. Dominique Quessada, auteur de La Socit
de consommation de soi, a t concepteur-rdacteur pour plusieurs agences publicitaires.
45

mettre en valeur les bons cts de la publicit. Qualifiant ce phnomne de propub,

nous pouvons en relever quelques aspects.

En premier lieu, le mouvement se prsente sous la forme de festivits. On dcouvre

ainsi quil y a divers festivals de la publicit, en France comme ltranger. Parmi

dautres, on peut citer le Festival international de la publicit de Cannes 86, la plus

prestigieuse manifestation en la matire. Baromtre de la crativit publicitaire, cet

vnement permet aux professionnels de la publicit du monde entier de se promouvoir,

en prsentant les ralisations quils estiment tre les meilleures ou les plus originales.

Ainsi la publicit se considre ici comme uvre , alors que dans le mouvement

antipub elle fait lobjet dun rejet quasi allergique.

Si le Festival de Cannes sadresse principalement aux professionnels, nous pouvons

entendre clater les hurlements extravagants de purs amateurs de la publicit lors de La

Nuit des Publivores 87. Cette fois-ci, cest la publicit elle-mme qui se transforme en

vrai spectacle. Les participants apprcient, toute la nuit pendant 6 heures daffile, des

films publicitaires du monde entier, et de toutes poques. Le public danse, reprend les

chansons, les expressions et les slogans en chur, tape dans ses mains pour un rien et

confectionne des avions en papier. Laffection publiphile y est telle que lon pourrait y

dvorer de la publicit comme lindique justement le titre. Ce public exprime ainsi

pleinement sa passion envers la publicit.

86
Lors de ce Festival, qui date de 1954, on flicite la crativit publicitaire et on rcompense les meilleures
ralisations, par secteurs. Celui de lanne 2007, 54 e Festival de Cannes, a reu 27 500 uvres de plus de
80 pays du globe pour ses Prix internationaux. Des sminaires, des ateliers et des projections
accompagnent la manifestation. Par ailleurs, quelque 10 000 publicitaires originaires du monde entier
profitent de loccasion pour se rencontrer.
87
Il sagit dun spectacle de publicits conu par Jean-Marie Boursicot en 1981. Vivant, interactif et
renouvel chaque anne, ce spectacle est prsent dans plus de 40 pays et rassemble la production dune
soixantaine de nationalits. Lors de la Nuit, dans la salle, sifflets, crcelles, cornes de brume retentissent au
rythme des ractions dun public survolt, tandis que les ballons, assembls par dizaines, rebondissent de
range en range, entre deux Hol ! On crie son opinion. Sur scne, sont donns des spectacles en
ouverture du programme et durant 3 entractes . Troupes de danse, artistes ou groupes musicaux sont
invits. Ce sont des images typiques de cette fte consumante. Pour en savoir plus, consulter Claude
Maubon, Publivore!, Paris, Le Manuscrit, 2011.
46

Fig 4. La Nuit des Publivores, Paris Grand Rex 2008

De plus, ce phnomne propub peut aussi se prsenter sous la forme de vritables

programmes dans les mdias. On se souvient du magazine tlvisuel Culture pub, qui sarrte

en 2005, aprs pas moins de 18 ans de diffusion. Ce magazine dcryptait la socit sous divers

angles au travers du prisme de la publicit. Il avait un succs indniable, captant chaque

dimanche soir quelque deux millions de tlspectateurs. Dailleurs, deux ans aprs sa

disparition de la grille des programmes de tlvision, la marque Culture Pub tait relance sur

lInternet en novembre 2007, sous lenseigne de culturepub.fr , avant que lmission ne

rapparaisse sur NT188. Dailleurs, la publicit offre souvent des motifs dinspiration aux

programmes tlvisuels. On a pu ainsi voir, par exemple, Cauet dtourne la pub89. Dans une

ambiance conviviale, les tlspectateurs ont loccasion dapprcier des parodies des images

publicitaires qui avaient t remarques par le public.

Enfin, il faut noter quil existe beaucoup de bloggeurs amateurs. Sloignant des logiques

de la production comme des arguments des antipub, ils ne demandent rien personne. Tout en

affichant sur leurs sites les campagnes qui ont t extraordinaires, ils parlent essentiellement de

crativit publicitaire.

88
Culture pub a donc t de 1987 2005 un magazine tlvisuel diffus sur M6, anim par Christian Blachas
et des co-animateurs et consacr la publicit, chose assez unique en France. Aprs sa disparition, elle ne
tarde pas renatre : ds le 24 fvrier 2008, les tlspectateurs de NT1, chane de la TNT peuvent retrouver
Culture pub, en une mission de 26 minutes qui est rediffuse trois fois par semaine.
89
Diffus sur TF1, le 25 mars 2007.
47

III. Mon tout. Du message au Message


Face ce message commercial qui fait lobjet dune telle polmique, est-on

donc oblig de prendre position? Mais cette interrogation peut nous conduire un

questionnement plus profond. Do nous est venu notre troisime mode de rflexion sur

la publicit. Dans la charade, en fonction mme des rgles du jeu, un pige se rvle dans

la dernire tape, o se jouent ensemble en une rponse synthtique les rponses

partielles des tapes prcdentes. Cette image du jeu enfantin a dailleurs quelque chose

voir avec une vieille sagesse populaire extrme-orientale qui dit que le coup

authentique tombe toujours sur un troisime 90. En effet, runissant et la fois dpassant

la raison dtre et la manire dtre du message publicitaire, cette tape

consisterait envisager une perspective globale et transcendante par laquelle on pourrait

accder au creux de la publicit, sa face cache .

1. Nous sommes les enfants de la pub


Citons deux images contrastes. La premire est la couverture du livre 14,99 qui

dnonce les vieilles pratiques commerciales de casse des prix au moyen dune image

o on voit une croix barrer lex-titre, 99 francs. La deuxime concerne la campagne du

lancement Culture pub sur Internet. partir du message originel, Culture pub revient

sur le net , on a pratiqu lautodrision, en se rfrant ou en rpondant aux mouvements

antipub en insrant des messages drivs tagus, tels que La sous-culture revient sur le

net , ou encore Culture pub produit le net . Ces deux images nous montrent bien

lantagonisme actuel qui entre les dtracteurs, critiques de la publicit et les plaideurs,

critiques des critiques qui dnoncent la publicit. Ou alors faudrait-il considrer les

militants qui se mobilisent en des Rendez-vous anti-publicitaires comme des esprits

clairs qui dfendraient la citoyennet, alors que les participants La Nuit des

Publivores ne seraient considrer que comme des ttes en lair inconscientes de la

90
Cette expression peut tre galement interprte, dans le sens qu il faut au moins trois essais, pour
quune affaire parvienne au succs .
48

nature foncirement perverse du capitalisme comme de sa servante, la publicit ? Mais si

les derniers sont sots, les premiers ne le sont pas moins. Il nous semble en effet que ces

sortes dopposition nont pas de sens, car dnonciateurs comme admirateurs ne font par-

l que montrer leur vision du monde. La publicit est demeure ainsi lternel objet dune

polmique laquelle aucune rponse nette ne pourra jamais t fournie.

Pourtant, ce que lon ne devrait pas manquer de faire, cest se demander si ces

ractions de la socit, mme si elles deviennent de plus en plus vives, ne sont pas que

des chos , si elles constituent vraiment ce qui est au cur du phnomne de la

rception par la publicit dans la socit franaise. Il se pourrait que, phnomnes

saillants trop souvent mis en relief pour des coups mdiatiques, ils restent fort loin de sa

quintessence, du fil rouge qui court tout au long de la rception de la publicit.

Cette remise en cause nous amne envisager une nouvelle manire de penser la

publicit, en nous extrayant du carcan des dichotomies lemporte-pice bnfique /

nfaste , pour / contre , qui dominent la rception de la publicit. Nous

dvelopperons notre propos en nous fondant avant tout sur une observation scrupuleuse

de la ralit qui en permettra une interprtation naturelle. Comme on la soulign plus

haut, le premier trait de la publicit rside sans aucun doute dans lnorme frquence de

ses contacts avec le public. Selon Publicitor, un individu en France est expos, en

moyenne, un nombre compris entre 300 et 600 de messages publicitaires par jour91. Il

nen peroit effectivement que de 30 80. Stratgies montre qu en 2006, pas moins de

3 879 000 spots ont t diffuss sur les 89 chanes de France, dont 564 000 sur les six

chanes hertziennes 92. Mais, quelles que soient ces donnes statistiques93, on constate

91
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 57.
92
Stratgies, n 1468, septembre 2007. En effet, ce genre dvaluation nest pas rare. Daprs CB News,
aux tats-Unis un des pays o la publicit a connu le plus grand essor, le consommateur moyen est
expos aujourdhui 3 500 messages publicitaires par jour, contre 560 il y a 30 ans (CB News, n 797,
juillet 2004). Par ailleurs, Al et Laura Ries notent que lindividu moyen contemporain est expos 237
spots tlviss chaque jour, soit 86 500 spots par an [La Pub est morte, vive les RP, traduit de lamricain
par Emily Borgeaud, Paris, Pearson Education France, 2003, p. 29.]
93
Confronts ces valuations bien nettes, on peut se demander pourtant quelle signification concrte
peuvent avoir ces chiffres statistiquement bien tablis et si la faon de les calculer en se rfrant en
49

que la publicit domine tout le primtre de la vie quotidienne dun homme moderne.

Dans la petite table ronde vitre du caf, dans lascenseur, la surface des ufs, sur la

carlingue de lavion, sur le chariot de laroport, dans le hall du golf lui-mme, la

publicit sest installe partout, elle est tapie dans tous les espaces de notre vie

quotidienne, du matin au soir, du soir au matin. Nul ne dmentira que nous, citadins

modernes ne pouvons vivre quaccompagns par ces messages commerciaux, ils sont l

chaque pas, chaque coup dil, dans nos oreilles.

Papa, pourquoi cest comme a ?

Fig 5. Paris 2013

Parfois, le comportement des enfants nous fait mieux prendre conscience de

certaines choses. En effet, il est tonnant que des enfants gs de deux ou trois ans

ragissent si vivement la publicit tlvisuelle, en imitant la mlodie du film

publicitaire. cet gard, la campagne pour les renseignements tlphoniques 118 218 94

moyenne a une valeur pratique.


94
Depuis la privatisation du march des renseignements tlphoniques (novembre 2005), le public peut
observer une forte comptition entre les campagnes des oprateurs tels que 118 218 (Le Numro),
50

est exemplaire. Il nous semble par ailleurs que bon nombre denfants commencent

apprendre la lettre alphabtique M par lintermdiaire du logo arrondi de McDonalds.

Cest, que lon le veuille ou non, une facette de la ralit actuelle.

Or, rappeler lextrme frquence de loccurrence de contacts avec la publicit, et

rapporter une anecdote gnralisable concernant les enfants na pas pour intention de

stigmatiser les effets supposs gravement nfastes de lenvahissement de la publicit,

mme si cest forcment pour cela que le font les antipub. Mais ne doit-on pas se

demander si lon nest pas dj entr dans un certain tat qui va au-del des simples

aspects physiques du contact ?

Quelques exemples nous aideront mettre en lumire la complexit de ltat des

choses. Dabord, il est utile, comme Andr Akoun la si lucidement remarqu, de

constater combien les slogans de Mai 68 puisaient dans le mme stock syntaxique et

potique que la rhtorique publicitaire quils condamnaient sans rmission 95. En retour

et pour se dfendre, la publicit ne sest pas contente de dnoncer ce quelle a appel

larchasme des publiphobes, elle a su reprendre son compte ces thmes dun Mai

68 qui parlait dj le mme langage quelle, pour sen nourrir de nouveau et renouveler

son style. Et il ny a donc aucun hasard dans le fait que nombre des jeunes agitateurs

rvolutionnaires dalors sont, depuis, entrs dans les rangs de la nouvelle classe

mdiatique et de la nouvelle gnration des concepteurs publicitaires. Ceux qui avaient

forg les mots dordre anti-publicitaires les plus radicaux sont parfois devenus les

nouveaux prtres ou les nouveaux potes de la publicit.

Quatre dcennies plus tard, les choses ne sont pas si diffrentes. Les protagonistes

du mouvement anti-publicitaire ont toujours recours aux procds publicitaires eux-

mmes pour contrer la publicit, reconnaissant et faisant reconnatre ainsi lefficacit,

lomnipotence de ce langage. Ils reprennent notamment les messages publicitaires pour

les dtourner, ainsi La pub nuit votre sant et celle de votre entourage , La pub

nuit gravement votre sant Quant ces pratiques de dtournement, on peut certes

118 712 (France Tlcom), 118 008 (Pages jaunes), etc.


95
Andr Akoun, La Communication dmocratique et son destin, Paris, PUF, 1994, p. 115.
51

faire lhypothse quelles visent un effet ironique. Cest justement ce que soutient

lauteur du Temps de lantipub. Il souligne que paradoxalement, dans la revue Antipub,

les Casseurs de pub utilisent volontiers le langage publicitaire. Mais le but nest pas, bien

entendu, de faire du marketing 96, en sappuyant lui-mme sur la dclaration de Vincent

Cheynet, le directeur de publication de Casseurs de pub : Au lieu damener une pulsion

dachat, nous souhaitons enclencher une rflexion, dvelopper lesprit critique,

lautonomie de pense.

Certes un tel effet nest pas inimaginable et ils ont peut-tre raison en pensant que

ce soit la raison de cet emprunt. Mais si nous considrons maintenant une petite anecdote

concernant 99 francs, certaines choses deviennent incontestablement videntes. Lors de

son lancement initial, en 2000, le livre 99 francs avait t propos au prix de 99 francs,

formule astucieuse qui devait jouer un rle. Mais, au moment du passage lEuro,

lditeur transforma le titre du roman en 14.99, sa nouvelle valeur. Les deux livres ont

alors cohabit en librairies. Mais, 14.99 ne se vendant pas, on en est revenu 99 francs.

Cest--dire que ce retour au titre 99 francs a respect parfaitement la loi du march et du

produit, conformment au principe defficacit pour un profit maximal, quil sagisse

dargent ou dides. Cela est all de soi pour le titre du film 99 francs. O peut-on

trouver une diffrence entre ce noble lancement dun livre et dun film antipub et

publicit banale ?

Si lauteur du livre peut dgager sa responsabilit et la laisse lditeur et au

ralisateur du film, il laisse son me en proie la logique du capital. En crivant 99

francs, lauteur disait quil crivait la confession dun enfant du millnaire, en employant

le terme confession au sens catholique du terme97. Peut-tre, devrait-il reconnatre,

sil voulait vraiment se conformer cette acception religieuse, quil avait par-l

lintention de gagner encore plus, que ce soit conomiquement, ou symboliquement. Au

fond de ce choix du titre 99 francs, il y a donc une vraie contradiction98.

96
Sbastien Darsy, Le Temps de lantipub, Arles, Actes Sud, 2005, p. 128.
97
Frdric Beigbeder, 99 francs, Paris, Grasset, 2000, p. 31.
98
Ce mot franais vient, au XIIIe sicle, du latin contradictio qui signifie contredire . Un commentaire de
52

ct de cette assimilation plus ou moins inconsciente la logique du marketing,

voire celle de la publicit, nous ne devrons pas manquer de noter que cest le symbole

qui est mis en uvre et qui joue dans cette affaire. En choisissant, puis en reprenant le

chiffre 99, les auteurs du livre et du film ont su montrer quils matrisaient bien les lois

du marketing, qui valorise la potentialit symbolique des chiffres, bien ancre dans

lesprit de tous consommateurs99. Les publicitaires ne font pas autre chose. Mais cest

exactement cette mme pratique dloyale que les antipub dnoncent sous le nom,

appropri, de manipulation .

Du coup, cette conjoncture nous fait raliser quel point nous sommes tous

concerns par la publicit, aussi bien des points de vue mercantile, commercial et

conomique, que des points de vue psychologique, culturel, anthropologique, etc. Cest

en ce sens que nous pouvons dire que nous sommes tous enfants de la pub , et que

nous sommes au fond limage de nos propres enfants qui ragissent - inutile de savoir si

cest consciemment ou inconsciemment - la publicit. Cest analogue au fait que les

gens modernes sont tous devenus, leur insu, enfants de la tl .

2. La socit publicitaire , une nouvelle perspective


On nat, on vieillit et on meurt dans un ocan de publicit. Sauf si lon est un

Robinson Cruso, qui peut nier que nous sommes tous concerns par ce nouvel ADN, qui

sappelle publicit ? Ce qui est sr, cest que nous ne vivons pas la mme re que

celle o a vcu Arnold Toynbee 100 , la publicit tant devenue quelque chose

ltymologie orientale de lhomologue du terme contradiction nous donne une image bien instructive : Il
tait une fois, au pays Tcho, un marchand de lances et de boucliers. Portant un bouclier, il dit que cest un
bouclier qui rsiste contre tout, et tenant une lance, il dit que cest une lance qui transperce tout. Un spectateur
lui demande de percer ce bouclier avec cette lance. Alors le marchand ne peut que se taire. .
99
Il sagit prcisment de la connotation qui concerne 9, 99, 999, qui est normment utilise dans
lunivers du marketing. Ces chiffres qui ne vont pas jusquau bout dune somme ronde provoquent
limpression quils ont t calculs justement, ou bien quils ne dpassent par un seuil fatidique et donnent
lillusion que les produits concerns valent plus que les prix marqus.
100
Considr comme le premier critique de la publicit, il a vu dans la publicit la raison principale des
mfaits qua entrans le passage de la socit agricole la socit industrielle au XVIII e sicle.
53

dirrpressible mme dans le sens spatio-temporel101. Ainsi il faut reconnatre que, belles

mes ou vulgaires, jeunes ou vieillards, tous nous baignons dans la nbuleuse de la

publicit.

En ce sens, nous croyons que la question de la publicit est assimilable la logique

de lenvironnement. En dautres termes, comme lillustre la campagne EDF, on peut la

dtruire ou la prserver, mais on ne peut pas la quitter 102. Cela dit, on peut certes en

slectionner certains aspects mais on ne pourra pas nier son existence. Nous pensons

ainsi que la publicit constitue cet environnement de tous les jours au sein duquel tout le

monde respire et agit, mais un environnement culturel. Si la publicit constitue un

creuset culturel 103 , dire si ce creuset est fcond, comme un vrai bouillon de

culture 104, au sens culturel de culture , ou bien sil est infest de germes pathognes,

vrai dchet culturel 105, la rponse nappartient qu nous.

Ainsi, ce qui compte pour nous dans une telle situation, ce nest plus de savoir si la

publicit est une chose incontournable - elle ne lest pas -, mais cest lvolution de la

mentalit humaine et les mutations de la socit quelle peut entraner. Si nous acceptons

101
Si, par exemple, on tombait daccord pour faire disparatre la publicit, on serait confront, demble,
deux questions conscutives : Pour combien de temps ? et Vers o ? .
102
Sagissant de la notion denvironnement, voici le message de la campagne publicitaire EDF : Lle de
Pques tait un paradis. Ses habitants construisaient de grandes statues pour honorer leurs anctres. Ils les
sculptaient dans la pierre et les transportaient sur des rondins de bois. On raconte quils couprent tant
darbres que leur petite le devint un dsert. Notre plante est comme lle de Pques au milieu de locan :
on peut la dtruire ou la prserver, mais on ne peut pas la quitter. Pour les gnrations futures, EDF
consacre un million deuros par jour la recherche. EDF, Leader europen des nergies de demain.
103
Cette ide nous impose ncessairement une interrogation : la publicit constitue-t-elle alors une sorte de
culture ? Il nest pas facile dy rpondre. Car la dfinition du terme culture est dj peu aise. Ici, nous
nous contenterons de lentendre dans le sens le plus gnral du terme. Face cette question, certaines
personnalits du monde de la publicit, comme Christian Blachas, notent que la publicit nest pas une
vraie culture en soi, mais un acclrateur de connaissance et un vulgarisateur de la culture et de lart en
particulier. Il est incontestable que la publicit sinspire de lart en permanence et surfe , comme on dit,
sur les courants culturels. Il nous semble pourtant que cette ide est courte, moins que ce ne soit quune
expression de modestie, justement pour donner une meilleure rponse pour faire face aux attitudes hostiles
la publicit. Linconvnient, cest que culture y est rduit au seul sens litiste et artistique. Nous
reviendrons sur la question de la culture dans la troisime partie de cette recherche.
104
mission de Bernard Pivot diffuse entre 1991 et 2001 sur France 2. Voue l'origine toutes les
formes de culture, elle se concentra principalement sur la littrature.
105
Expression emprunte louvrage de Claude Cossette, La Publicit, dchet culturel, Qubec, Les
Presses de lUniversit Laval, 2001.
54

ainsi comme valide la mtaphore des enfants de la pub , la publicit ne peut plus tre

apprhende comme auparavant. Il nous faut aborder le rapport entre publicit et socit

dune nouvelle faon.

Nous savons quil y a eu nombre dinterprtations faites par penseurs sur la

publicit dans son ensemble. Ce sont des visions tendant chercher la signification

globale de la publicit, en sefforant de passer les critiques rabattues de la publicit la

dnonant en termes de conditionnement des individus pour la cration de besoin

artificiels par la manipulation. Ainsi, dune part Roland Barthes dsigne, dans

Mythologies, ouvrage reconnu comme la premire critique sociologique de la publicit en

France, la publicit comme lun des mythes contemporains partir des produits

industriels de la vie urbaine dans une socit de consommation. Il soutient que cest

lidologie dominante, donc celle du capitalisme, qui se cache au fond dune structure

qui a t construite par un systme de signes au sens linguistique 106. Dautre part, dans

Socit de consommation, ouvrage classique de la critique de la consommation, Jean

Baudrillard souligne que, dans et par lacte de consommation, les individus doivent se

diffrencier les uns des autres en exhibant des signes porteurs de diffrence. La publicit

par les mdias provoque ce phnomne dans lequel les signes spuisent dans leur

fonction dostentation107. Malgr la pertinence et linfluence de ces interprtations, on

peut dire que la thse de Roland Barthes se cantonne trop dans une logique idologique

dont lessentiel consiste critiquer le capitalisme, logique qui a perdu beaucoup de sa

pertinence lheure actuelle, et que la publicit telle que la voit Jean Baudrillard est un

phnomne qui ne concerne que la logique de la consommation108.

106
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957. La structure smiologique du mythe est explique
dans la partie Mythe daujourdhui de ce livre.
107
Jean Baudrillard, La Socit de consommation, op. cit.
108
David Riesman, de son ct, crit que la destine de tout homme moderne est dsormais prdictible de
faon vidente : De nos jours, le futur mtier de chaque enfant est celui de consommateur accompli.
[David Reisman, La Foule solitaire (1956), Paris, Arthaud, 1966, p. 289.] Selon lui, lessence des moyens
de divertissement de masse rside dans lducation des consommateurs qui commence ds lenfance. La
culture dintgration, diffuse massivement, obligeant son public discuter des produits de consommation
le soumet donc la douce contrainte dun perptuel entranement consommer.
55

On peut dailleurs se demander si ces ides refltaient dj vraiment ce que

ressentait le public dalors, sans parler de savoir si elles refltent ce que ressent le public

daujourdhui. Autrement dit, mme si leurs ides peuvent ne pas tre errones, en ce

sens quelles valent bien pour certains, il se peut quil existe une rupture, quant la

perception, entre ce que des intellectuels peuvent penser par concepts et ce que le public

peut ressentir avec ses tripes . Pourtant, ce qui compte le plus, nest-ce pas le vcu du

public, confront la publicit dans sa vie quotidienne? En fin de compte, ce qui reste

dterminant pour notre propos, cest de savoir effectivement si le public reste aussi naf

que llite voudrait le croire. Ne serait-ce pas les lites elles-mmes qui voudraient

greffer leurs ides sur un public considr a priori comme plus ou moins stupide ?

Tant que cette question ne sera pas considre, il y aura un doute perptuel dans la prise

en considration des enjeux sociaux authentiques de la publicit.

En dfinitive, aussi bien dans les ides plus intellectuelles que dans les ractions

virulentes primaires constatables dans laccueil rserv la publicit par la socit

franaise, nous trouvons, dans le fond, cette mme forme dobsession de devoir protger

un public naf et ignare contre linvasion diabolique de la publicit et lclairer en

dvoilant ses mfaits. Il semble donc que la proccupation majeure de la socit franaise

face la publicit soit anime par la conviction monomaniaque que la socit pourrait et

devrait la contrler. Dans un tel climat, la perspective qui se prsente nous peut tre

illustre par le paradigme publicit et socit , comme paradigme dominant pour la

comprhension du rapport entre publicit et socit, publicit et socit tant

considrs comme spars. Comme Michel Maffesoli le souligne bien du point de vue

philosophique, sparation et domination sont les deux caractristiques du mythe du

progrs, les racines du paradigme moderne 109, paradigme qui repose, dans le fond, sur

le mpris de ce monde-ci , mpris, qui est refus de ce qui est 110. Cest l en effet la

logique selon laquelle opre le paradigme publicit et socit .

109
Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010, p. 25.
110
Ibid., p. 20-21.
56

Pourtant, si ce paradigme a, bel et bien, tenu jusqu maintenant, il na plus gure de

vigueur, ou, tout le moins, on peut dire quil saffaiblit. Dans cette conjoncture, partant

de la mtaphore enfants de la pub dj voque, nous proposons un paradigme

carrment oppos. Tenant compte de lextension sans limite et du changement profond

que connat la publicit dans la socit, il nous parat justifi de lappeler socit

publicitaire . Nouveau, ce paradigme reste explorer. Et, notamment comme

perspective problmatique, il nous amne, en priorit, repenser la manire selon

laquelle la publicit se vit vritablement dans la socit en tant quenvironnement

particulier, et aussi la faon dont elle joue sur le plan social.

ce propos, quelques spcialistes proposent certaines orientations qui nous

semblent judicieuses en ce quelles nous permettent davancer dans une direction qui

nous semble fconde. En premier lieu, Andr Akoun note que, dans la capacit de la

publicit mettre son service ce qui semblait la nier le plus radicalement, il faut voir

quelque chose de plus profond quun machiavlisme des publicitaires ou lodysse de

jeunes gens construisant leur carrire. Il faut y voir un signe de ce quil appelle la

socit publicitaire 111, en nous invitant par-l essayer de comprendre comment le

monde se publicise non par leffet mcanique de la publicit, mais parce que la publicit

est lcho image et son de ce monde quelle contribue installer 112.

En outre, si nous comprenons la publicit dans le sens de culture de masse, cela

renforcerait la signification de lide dEdgar Morin. Posant un problme de fond, qui va

au-del de celui de sa valeur artistique, de sa valeur humaine et de lalination quelle

engendrerait, la publicit, selon lui, se prsente comme le problme du cours que prend

la vie113 dans laire technique-industrielle-consommatrice la plus avance du globe, et

quelle que soit lidologie officielle. Il y voit notamment une participation au Zeitgeist,

lEsprit du temps la fois superficiel, futile, pique, exaltant. Enfin, pour lui la publicit

111
Si Andr Akoun propose cette expression plutt en tant que caractrisation dun phnomne qui
nous permet de mieux percevoir la dimension fondamentale de la socit moderne, nous la prenons plutt
comme paradigme thorique pour la problmatisation de la publicit.
112
Andr Akoun, La Communication dmocratique et son destin, Paris, PUF, 1994, p. 116
113
Edgar Morin, LEsprit du temps. Essai sur la culture de masse, Paris, Grasset, 1962, p. 229-230.
57

en tant que culture de masse ne se tiendrait pas sur lpaule du Zeitgeist, elle est

accroch ses basques 114.

Enfin, selon Michel Maffesoli, la publicit peut tre caractrise en faisant appel

la notion de mythe. Lanant la thmatique Publicit : mythologie de lpoque ? , il

insiste sur le fait que, la communication participant du processus par lequel la socit

tient ensemble, on ne communique pas forcment pour dire quelque chose, mais pour

se dire quelque chose 115. Si lon prend en compte cette dimension essentielle de la

communication, on entrevoit comment la publicit pourrait, en un autre sens, plus

profond, tre lie cet esprit du temps dans lequel nous baignons. Car tout comme un

impratif atmosphrique que lon ne peut viter, nous y sommes bien immergs.

***

Dune telle perspective, la publicit nest plus ou plus seulement, et peut-tre pas

dabord une simple technique de sduction consumriste, de marketing pour la vente, ou

cet objet de polmique ternelle entre ses admirateurs et ses dtracteurs. Cela veut dire

que, pour bien comprendre ce quest la publicit daujourdhui, il faut pouvoir surmonter

une interprtation purement instrumentaliste ou manichenne. Finalement, si la publicit

est bien un message , cest moins au sens dune dfinition positiviste de la

communication, qui prend en considration le schma metteur - message - rcepteur

et sa mise en rapport de codage et dcodage , quau sens o, formant au fond un

langage universellement partag, elle est capable de gnrer un Message qui soit

lmanation de lEsprit du temps.

Toutefois, il ne faudrait pas ici nous contenter denvisager la publicit seulement

dans son rapport un certain Zeitgeist. Il nous faut, partant de la publicit conue

dabord comme un fameux outil de communication finalit conomique, mettre en

lumire par quels processus elle peut devenir un symbole du temps. Nest-ce pas l, en

114
Ibid., p. 248.
115
Michel Maffesoli, Publicit : Mythologie de lpoque? , Rendez-vous de limaginaire, sance du 20
janvier 2005, Espace Paul Ricard, Galerie Royale 2, 9 rue Royale 75008 Paris.
58

effet, la tche dun chercheur proccup par la porte sociale que peut avoir la publicit

daujourdhui et nest-ce pas l le prix quimpose la volont de mieux savoir

concernant le rapport si complexe entre publicit et socit ? Il nous reste donc la

difficile question du commodo .

* *

*
59

Introduction

Trouver les mots dans le langage publicitaire

Savoir, avec lucidit, regarder les choses et garder


les mots, afin que les unes et les autres deviennent
paroles. De ces paroles qui fondent la reconnaissance
de lAutre et, donc, la connaissance de cette
relation. -Michel Maffesoli, loge de la raison
sensible (1996), 2005.
60

Nous sommes tout fait daccord avec cette ide de Marshall McLuhan selon

laquelle les historiens et les archologues dcouvriront un jour que les annonces de

notre poque constituent le reflet quotidien le plus riche et le plus fidle quune socit

ait jamais donn de toute la gamme de ses activits 116. De son ct, Edgar Morin crit

que par une dialectique de serviteur-matre dont est coutumire la vie sociale, on a pu

voir que la publicit est devenue le support de certains de ses supports. [] Plus

largement, la publicit, mdiatrice universelle de la consommation, tend son champ

tous les horizons et baigne littralement toute la vie sociale 117. Au fur et mesure que,

icne de lre des mdias de masse, la publicit affecte, autant au niveau de son

expression que sa production industrielle, tout le quotidien et toute la vie sociale dune

socit, elle apparat, pour emprunter lexpression de Marcel Mauss, comme fait social

total 118 dune socit, phnomne qui doit enfin en faire lobjet essentiel des sciences

humaines et sociales.

Nous constatons pourtant que la publicit a rarement vraiment attir lattention des

chercheurs, bien que lon ait pressenti limportance de son tude scientifique. Pendant

longtemps, ltude de la publicit a surtout pris la forme dun dcryptage de sa rhtorique,

mis en cause notamment par des linguistes ou des smiologues. De fait, ce nest quen

2002 que lon a vu historiens, historiens de lart, sociologues, smiologues et

professionnels se rassembler, loccasion dun premier colloque denvergure consacr

la publicit et intitul Publicit, une histoire 119, afin de chercher mieux clairer les

grands enjeux de ce phnomne contemporain : conomiques, historiques, socioculturels


116
Marshall McLuhan, Pour comprendre les media. Les prolongements technologiques de lhomme
(1964), traduit de langlais par Jean Par, Paris, Seuil, 1968, p. 256.
117
Prface dEdgar Morin, De linstrument conomique linstitution sociale , Bernard Cathelat, La
Publicit de 1968, Paris, Payot, p. 10.
118
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie (1950), Paris, Quadrige / PUF, 1991, p. 145-279. C'est dans
Essai sur le don que Marcel Mauss a introduit la notion de fait social total . Les faits sont dfinis
comme des faits sociaux qui mettent en branle, dans certains cas, la totalit de la socit et de ses
institutions . Un tel fait livre selon Marcel Mauss une signification globale de la ralit dans l'espace, dans
le temps chez un individu d'une certaine socit, mais pas une accumulation arbitraire de dtails.
119
Ce colloque a eu lieu la Bibliothque nationale de France, les 5, 6 et 7 juin 2002. Il tait organis par
le Centre dhistoire culturelle des socits contemporaines de lUniversit de Versailles Saint-Quentin-
en-Yvelines, le Muse du Cinma, [...] en partenariat avec le Muse de la Publicit et le journal Mdias.
61

ou artistiques Il nous semble toutefois que ce fait social total reste encore, dans

lensemble, objet dabandon fatal de la plupart des sciences pourtant humaines.

Ainsi, en ce qui concerne la sociologie, discipline que lon pourrait considrer

comme la plus apte tudier la publicit, cest cette situation qui prvaut, peu

dapproches ayant t tentes. En effet, sil est vrai que des sociologues ont crit un

certain nombre darticles et mme de livres sur la publicit, peu de recherches

scientifiques portant sur son rle et ses effets sociaux ont t ralises. En ce sens, on

pourrait dire que ltude sociologique de la publicit demeure en friche . Cest

justement en relevant cette absence de recherche en la matire que Michel Maffesoli

insistait sur limportance de la publicit comme dun norme chantier dtude souvrant

la sociologie contemporaine120.

Pour tenter de rendre compte de ce curieux tat de pnurie, nous pouvons invoquer

au moins trois facteurs. Il sagit, en premier lieu, du poids des prjugs sociaux. Le

mpris discret et ddaigneux qui entoure la publicit relve bel et bien dun conformisme

qui semble quasi obligatoire chez les intellectuels ou ceux qui veulent paratre tels, mais

tout spcialement chez les chercheurs dans le monde universitaire121.

Ainsi carte et mme rejete a priori par ce climat singulier, la publicit ne peut

pas, ne doit pas , pourrait-on dire, tre tudie par de vrais sociologues. Ce pch

originel qui condamne la publicit tre ignore peut tre illustr, pour reprendre une

120
loccasion du CeaQ 25 ans, qui sest droul le 20 dcembre 2007 (salle des Conseils, 12 rue de
lcole de Mdecine 75006 Paris), Michel Maffesoli a attir lattention, en particulier, sur le fait que
depuis 20 ans il ny avait pas paru de recherche sur la publicit depuis celle dAnne Sauvageot, Figures de
la publicit figures du monde, Paris, PUF, 1987.
121
Un psychologue reconnat cette situation : Il parat donc logique, voire vident, que la publicit soit
un terrain de choix pour la psychologie sociale, qui a pour objet dtude lhomme considr comme un tre
situ larticulation de lindividuel et du collectif. Pourtant la psychologie sociale ne sest que rarement
intresse la publicit, si ce nest pour y montrer les classiques processus dinfluence luvre. La raison
en est sans doute idologique, les chercheurs vitant peut-tre de contribuer la marchandisation des
processus humains [Julien Vidal, La publicit comme expression de la pense sociale in Nathalie
Blanc et Julien Vidal (sous la direction de), Publicit et psychologie, Paris, In Press ditions, 2009, p. 33.]
62

mtaphore de Marie-Thrse Basse et Grard Lagneau, par le comportement de cracher

dans la soupe avant de la manger 122.

Le second facteur concerne la question de la perception du fonctionnement rel de

la publicit. On constate quaussitt que la publicit devient objet dtude, un surprenant

comportement se dclenche. Cest--dire que lon est comme machinalement habitu

ne considrer la publicit que dans son rapport avec son utilit conomique dans sa

dimension seulement mercantile donc persuasive et sductrice, ngligeant totalement

toutes les autres dimensions en jeu dans ce qui est pourtant une relle situation de

communication. Quant ce phnomne trange, on peut dire que la raison dtre de

la publicit, ou mme plus gravement, la seule appellation de PUB-LI-CI-T

prdterminait en tout sa manire dtre . Cette situation absurde nous rappelle

vraiment la mtaphore qua dveloppe Michel Maffesoli sous le nom de pense

procustenne : Il faut que la ralit entre, ft-ce de force, dans le cadre que lon a

pralablement trac. 123 Comme la ralit de la communication publicitaire est le plus

souvent aborde de cette faon si errone, les approches sociologiques finissent par

tomber dans labstraction.

Enfin, troisime facteur, lorsque lintrt du sociologue se porte malgr tout sur la

nature du rapport quil peut y avoir entre la publicit et la socit qui lentoure, cest ce

qui gouverne tant sans devoir mriter plus de considration : La publicit est un miroir

social. Pour noncer cela, il nest pas ncessaire que nous soyons de grands sociologues.

Toutefois, aussitt que lon veut le montrer de faon un peu prcise sous un certain angle,

122
Marie-Thrse Basse et Grard Lagneau, Deux ans de rflexion ou chronique de la mal-aime , in
Communications, n 17, 1971, p. 132.
123
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 40.
Procuste est un brigand lgendaire de lAttique, qui torturait les voyageurs. Il les tendait sur un lit (il en
avait deux, un court et un long) et raccourcissait ou tirait leurs membres la mesure exacte du lit. Prenant
limage de ce lit de Procuste mythologique, Michel Maffesoli critique svrement, sous le nom de
sociologie procustenne , une attitude intellectuelle qui pure, rduit, coupe et trononne la ralit pour
pouvoir la faire entrer dans un modle tabli a priori. Il sagit l dune consquence de cette procdure
rationaliste qui, selon ladage bien connu, entend passer du concret labstrait, du singulier au gnral,
sans que soit prise en compte la vie en sa complexit, la vie toujours polysmique et plurielle, et qui ne se
prte pas, ou si peu, aux ides gnrales et autres abstractions aux contours bien mal dfinis.
63

on se rend compte que cela nest pas simple. Parce quil semble que ce miroir soit

convexe ou concave plutt que plat. Alors, quelle peut bien tre la nature de ces

dphasages spectraux qui existeraient entre ce qui est et ce qui est reflt ? Par

quoi se mesureront-ils ? Se mtamorphosant ainsi en une nigme, la fois ostentatoire et

pige, ce pont aux nes de la publicit-miroir apparat finalement comme un vrai

dfi pour le chercheur.

Entoure de pareils cueils, la publicit ne se laisse pas facilement aborder par la

recherche sociologique. Mais si lon ne saisit pas comme autant de dfis ces trois facteurs,

ils deviennent, en eux-mmes, des lments qui ne permettent quune approche

superficielle et maladroite. Il nous semble, dailleurs, quune telle logique sapplique

bon nombre dautres domaines de recherches des sciences humaines et sociales. Il faudra

donc surmonter ces trois cueils pour que ce fait social total quest la publicit puisse

enfin faire lobjet dune approche sociologique rigoureuse. Il faut bien videmment tenir

compte du problme que constituent ces prjugs gravitant autour de la publicit. Quils

soient des prjugs ne signifie pas quil faille les ngliger, car lexistence de prjugs

sociaux environnant la publicit contribue la construction de la nature mme de son

contexte social dont la prise en compte importe pour une comprhension de la publicit.

Mais, on peut exiger au moins que son approche ne soit pas rejete initialement cause

de ces prjugs et que la nature de la recherche ny obisse pas aveuglment. Quant la

question de la possibilit dune perception de la nature relle de la publicit, il serait

opportun pour nous de tenir attentivement compte de la remarque de Michel Maffesoli,

selon laquelle ne se reconnaissant plus dans la logique rationnelle de devoir-tre, la

ralit sociale se venge, et prend en tout et pour tout le contre-pied de ce qui, depuis

la philosophie des Lumires, stait difficilement constitu 124. Pour que la ralit

publicitaire soit enfin considre telle quelle apparat , et ce le plus fidlement

possible, il est important pour nous de garder cette rsolution d piphaniser le rel 125.

124
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible (1996), Paris, La Table Ronde, 2005, p. 39.
125
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 10. Cette
prise de conscience ou cette attitude est dautant plus importante quil est impossible de voir compltement
64

Enfin, le problme de la publicit-miroir nous amne chercher un maillon

opratoire grce auquel pourrait tre assure une perception tangible sur la corrlation

entre publicit et socit. Sagissant, ici, de llaboration dune vraie mthodologie, il y

faut des moyens tant pistmologiques que techniques.

Dans cette perspective, il nous faut donc constituer un mode dapprhension

rigoureux, si notre approche qui sentreprend sous ce nouveau paradigme dune socit

publicitaire doit atteindre une formulation en termes scientifiques. Puisque cette

vision, la publicit comme symbole du temps se situe, en tant que telle, dans un ordre

pr-sociologique en quelque sorte, il nous faut pouvoir la relier ltat du savoir o

se trouve actuellement la recherche sur la publicit en sociologie. cet gard, les dfis

que nous venons de relever constituent pour une part importante cet tat du savoir. Mais,

tant donn que, vu lhypothse de son lien avec l esprit du temps , la publicit se voit

rattache un horizon macrocosmique, on se trouve invitablement confronts cette

question : comment lenvisager partir dun lment concret microcosmique ?

Sans doute, dans cette situation si peu vidente o nous sommes, nous faudrait-il la

lucidit des prcurseurs. Confronts une telle complexit, peut-tre trouverons-nous la

subtilit dapproche ncessaire notre entreprise dans une pense radicale

maffesolienne, qui, diamtralement oppose la pense procustenne , nous

conseille : Quand il y a changement de paradigme il faut savoir, paradoxalement,

creuser profond et sattacher la surface des choses. 126 Tout en rpondant la question

du commodo , cette manire de penser constitue, finalement, le premier principe sur

lequel reposera lensemble de notre recherche.

les choses telles quelles sont , car notre corps et nos yeux sont dj partie prenante de ce monde o a
lieu cette perception. En ce sens, il est utile de souligner que, mme pour la phnomnologie, la fameuse
rduction phnomnologique nest jamais compltement ralisable. Maurice Merleau-Ponty reconnat
que le plus grand enseignement de la rduction est limpossibilit dune rduction complte. [Maurice
Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 14.]
126
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. XXI.
65

Inspire par cette philosophie enthousiaste , une observation minutieuse des

pratiques des campagnes publicitaires crites (magazines et affiches) peut nous fournir

loccasion rve de repenser la publicit contemporaine.

Puisque notre poque est celle de limage, lexplosion actuelle de la publicit

saccompagne ncessairement dune monte en puissance de limage. Le poids de

limage salourdit sans cesse, occupant une position de plus en plus essentielle dans les

campagnes. En revanche, il semble que le langage ait tendance perdre de son

importance. Lexplication en est simple. Cest que le langage est rput comme moins

efficace que limage dans ce genre de communication, o simpose la sduction pour

capter lattention du public.

Nanmoins, il serait trop htif de parler dune dictature totale de limage dans le

monde de la publicit car, mme sil est vrai que le langage y perd de son poids, il ne

peut jamais disparatre compltement du champ publicitaire. Offrant des moyens

irremplaables la communication publicitaire, il en restera toujours aussi un lment

crucial. En effet, la publicit nest-elle pas un type de communication qui, depuis son

origine, a toujours uvr avec et sur le langage ? En un sens, lhistoire de la publicit,

crite notamment, est celle des rapports entre limage et le langage, telle poque pouvant

privilgier limage, telle autre le langage127. Nous pouvons dire que dans cet amalgame

serr que forment limage et le langage, ce qui volue, ce sont les proportions de ces

deux composants, sans que ni lun ni lautre narrivent tre exclusifs128.

127
Selon la thorie de Claude Cossette, depuis lorigine de limage de masse, vers 1890, jusque vers 1940,
lessence du message publicitaire est de passer surtout par limage. Suivant le postulat esthtico-
perceptif , les visualistes ont eu lhgmonie, plus particulirement en Europe o sest dveloppe la
tradition de laffiche. En revanche, en suivant le postulat argumentationnel , limage ne sert le plus
souvent qu illustrer ce que les lments langagiers noncent. Cette tendance lemporte dans la publicit
amricaine vers 1940. Cest lpoque o les rdacteurs ont la mainmise sur le monde de la publicit. Le
texte prend donc le pas sur limage et les visualistes sont relgus au rle de second violon. [Claude
Cossette, La Publicit, dchet culturel, Qubec, Les Presses de lUniversit Laval, 2001, p. 78-79.]
128
On constate, bien entendu, des campagnes sans langage ou au contraire des campagnes sans image. Ne
constituant pourtant pas lessentiel de la publicit actuelle de presse et daffichage, ces types de campagnes
sont exclus de notre rflexion.
66

Pour cerner ce point prcis, il nest pas inutile de prter loreille cette affirmation

de Roland Barthes : Aujourdhui, au niveau des communications de masse, il semble

bien que le message linguistique soit prsent dans toutes les images : comme titre,

comme lgende, comme article de presse, comme dialogue de film, comme fumetto; on

voit par l quil nest pas trs juste de parler dune civilisation de limage : nous sommes

encore et plus que jamais une civilisation de lcriture. 129 Cette remarque, qui est dj

ancienne et qui dfend la du message linguistique, semble fonde et dautant plus

convaincante maintenant que se gnralisent les pratiques rcentes de le-mail sur

Internet et du SMS sur le tlphone portable. Contrairement ce que lon aurait pu

attendre, on aurait aussi raison de parler dun retour en force de la Galaxie Gutenberg130

en pleine re du numrique.

Pourtant, ce qui compte, au fond, ce nest pas tant le fait que le langage survive ou

mme refleurisse physiquement , mais que sa nature soit susceptible de mutations.

Cest ce que Roland Barthes ne pouvait deviner, tout en ayant raison dinsister sur le fait

que notre civilisation reste une civilisation de lcriture. On peut dire que, quelle que soit

sa place, ce qui est important, ce nest plus le fait que le langage soit, mais que le langage

en soit, mais plus crucial encore, comment il se donne lire .

ce point de vue, nous devons envisager un phnomne qui est socialement trs

significatif dans le paysage actuel de la communication publicitaire. Cela veut dire quau

fur et mesure que la part du langage diminue au sein des campagnes publicitaires, se

produit, comme en contrepartie, une sorte de condensation smantique de ce langage. On

peut postuler que, comme une consquence ce mcanisme interne spcifique de la

communication publicitaire, le caractre social de son fonctionnement en augmentera.

Nous appellerons cela le paradoxe du langage publicitaire .

Aux esprits clairs, chercheurs ou non, intresss par les questions que pose la

socit, Michel Maffesoli a constamment conseill de trouver les mots pour dire notre

129
Roland Barthes, Rhtorique de limage , in Communications, n 4, 1964, p. 43.
130
Cf. Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg (1967), Paris, Gallimard, 1977.
67

temps 131. Motivs par ce paradoxe, nous essayerons, pour notre part, de trouver ces

mots dans le langage publicitaire, pour dire le sens sociologique qua la publicit notre

poque. Mais, toujours sous son gide, plutt que desprer pouvoir trouver les mots

exacts, nous nous efforcerons du moins de chercher les moins faux possible 132.

Parmi les divers lments linguistiques qui constituent le langage publicitaire notre

intrt portera sur le slogan publicitaire. La raison pour laquelle nous lavons finalement

adopt comme objet dinvestigation pour notre recherche est que cest en lui que

semblent se concrtiser avec le plus dintensit les enjeux sociaux que reprsente le

langage publicitaire. De faon non alatoire, trois raisons au moins militent en faveur de

ce choix. La premire est mythique en quelque sorte. Nous sommes attirs par le fait

que cette formule qui sappelle slogan est inhrente au commerce comme la

politique, les deux activits les plus anciennes de lhistoire de lHumanit. Ce fait nous

amne penser que cest le slogan qui reprsente le plus fidlement la nature du langage

publicitaire. En outre, le slogan semble tre le lieu o se marque le plus une particularit

de la langue de la publicit qui le diffrencie tellement des autres usages de la langue que,

souvent mal comprise par le public elle donne lieu de violentes polmiques. Enfin,

compte tenu de la modalit de la rception de la publicit, qui devient de plus en plus

instantane et fugitive, le slogan pourrait constituer un rel langage de communication

avec le public. Cest--dire que, par rapport aux autres lments linguistiques constitutifs

du langage publicitaire, le slogan est celui qui peut rester et avoir ainsi le plus de

possibilit dentretenir un contact rel avec le public.

Alors, quel est le but que veut poursuivre notre travail au travers dune tude du

slogan publicitaire ? Nous faisons lhypothse que la publicit contemporaine joue bel et

bien un rle social spcifique qui a t peu envisag et encore moins examin par la

recherche jusqu maintenant. Il sagirait dun rle qui se jouerait au-del du

fonctionnement du marketing, celui que les institutions, conomiques, politiques,

131
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. III.
132
Ibid., p. XXI.
68

sociales et culturelles en place et les organismes mmes de la publicit ne parviennent

pas toujours raliser.

Quant la nature de ce rle social, nous faisons encore trois hypothses. En premier

lieu, il sopre dune faon mystique , tant la fois conscient et inconscient, puisque,

dune part, dans leur violent dnigrement de la publicit, les publiphobes ne peuvent pas

ne pas ladmettre, mais que, dautre part, dans leur chaleureux engouement pour la

publicit, les publiphiles ne pourraient mme pas sen apercevoir. Il opre donc au-del

de la bivalente logique bloquante de la socit franaise : bnfique / nfaste et

pour / contre . Comme il est inapprciable, il se peut que les publicitaires eux-mmes

narrivent pas lenvisager clairement. En second lieu, ce rle serait assum par un

sentiment prouv dune manire spontane par le public, lors de son contact avec la

publicit dans sa vie quotidienne triviale, et ce, sporadiquement en termes de temps et par

parpillement en termes despace. En dernier lieu, comme ce rle repose en quelque sorte

sur une force souterraine , il ne serait accessible par aucune approche canonique,

seulement quipe dappareils statistiques et considrant le rcepteur de la publicit

comme un consommateur tout court, par nature ou occasionnel.

Du coup, nous croyons que ce rle social serait assum souvent sous la forme dun

merveilleux quotidien , merveilleux quotidien dont lexistence a t voque par

Michel Maffesoli, pour qui aujourdhui, il sest capillaris dans lensemble du corps

social 133.

Selon Karl Marx, la technique transforme le monde . Les annonceurs proclament

sans cesse que les produits changent la vie . Daprs nous, toujours assujettie cette

technique et ces produits, la publicit transfigure la vie . Nous avons recueilli

quelque deux cents slogans publicitaires pour quil soit possible dassister lclosion de

ce phnomne dune nouvelle forme de lien social par la mtamorphose de mots

commerciaux en paroles de commerce .

133
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit., p. 144-145.
69

Mthode
Quant la question de la mthode, on est bien conscient du fait qumile Durkheim

a ouvert le champ dtude de la sociologie par un ouvrage de mthode134, et que de mme

Edgar Morin na pas jug superflu de consacrer tout un ouvrage La Mthode135. Tout

rcemment encore, La dernire leon en ( la) Sorbonne de Michel Maffesoli, qua-t-elle

t sinon un discours la fois rflexif et prospectif sur sa propre mthode ? 136

Considre ainsi comme tant et la cause et leffet mme de la discipline, la mthode est

cet ensemble des connaissances qui nous aident parvenir un sens sociologique

partir dun donn social.

Voici lensemble des dispositifs, tant pratiques que thoriques, qui nous ont aids

dgager le sens sociologique de notre recueil de slogans. Tous ces slogans ont ts

collects dans deux types de support, magazines et affiches entre 2004 et 2012. Pour

les slogans de magazines, nous les avons puiss notamment dans LExpress et dans

Le Nouvel observateur ; pour les slogans affichs, leurs supports sont les affiches du

mtro parisien et celles des panneaux publicitaires de la rue. Nanmoins, la

composition de ce corpus sest faite de manire irrgulire dans lespace sans lieu

prcis et dans le temps, avec des intervalles plus ou moins longs.

Quant aux critres de leur choix, on na pas pris en compte leur ventuelle

valeur , que celle-ci soit dfinie en termes defficacit mesure par le monde du

marketing ou quelle rsulte dun succs positif, manifeste lors de tel ou tel festival

de publicit, ou dun succs ngatif auprs de tel mouvement anti-publicitaire. Ce ne

sont pas non plus des prfrences dordre personnel qui ont prsid ce choix : nous
134
mile Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique (1894), Paris, Payot, coll. Petite
Bibliothque Payot , 2009.
135
Dans ce vaste ouvrage de six tomes en deux volumes, lauteur explique bien le rapport entre mthode et
mthodologie : Les mthodologies sont des guides a priori qui programment les recherches, alors que la
mthode sera une aide la stratgie (laquelle comprendra utilement, certes, des segments programms,
cest--dire mthodologiques, mais comportera ncessairement de la dcouverte et de linnovation). Le but
de la mthode, ici, cest daider penser par soi-mme pour rpondre au dfi de la complexit des
problmes. [Edgar Morin, La Mthode, Paris, Seuil, coll. Opus , 2008, p. 1198.]
136
Le 21 juin 2013, Salle du Conseil, Universit Paris Descartes, 12 rue de lcole de Mdecine, 75006
Paris.
70

navons pas retenu les slogans que nous estimons les plus drles ou les plus astucieux,

etc. Notre critre de choix, alors mme que nos catgories danalyse ntaient pas

constitues, a t la raison qui tait lorigine de ce travail : montrer le lien social

ralis par le slogan au travers de sa dynamique linguistique. partir de l, ces

slogans pouvaient tout simplement tre retenus par le chercheur de manire spontane,

au gr de leur rencontre quotidienne. Ds lors notre recueil devait tre suffisamment

vaste pour bien illustrer les divers types de crativit assumant cette fonction sociale,

mais ne comptait aucun autre critre quantitatif, ds lors que les exemples taient un

nombre suffisant pour bien faire saisir notre propos.

Sagissant de la modalit de notre approche, il fallait tenir compte dune

particularit qui relve de la nature-mme de la communication publicitaire. Cest--

dire que si le slogan est un lment en soi purement langagier, il est pourtant toujours

insr dans un champ visuel plus vaste. Cette situation nous impose une disposition

un peu spciale qui doit nous faire carter une approche purement linguistique ou

purement visuelle. Ainsi, le fait quil sagisse dun phnomne linguistique lu, et au

sein dune image, donc apprhend visuellement, constitue la singularit de notre

approche. De ce fait, les slogans que nous tudions relvent dune nouvelle mthode

de sociologie, tente notamment par Fabio La Rocca et base sur la centralit sur

limage 137 : comme instrument de recherche, source informative, matriel danalyse

et comme objet dtude. Puisque le slogan que nous avons retenu est toujours contenu

dans un champ visuel, il est toujours li, mme partiellement, cette centralit et

notre recherche relve donc dune approche visuelle. Nos entretiens se sont drouls

sur la base dune slection de publicits montres au public. Ainsi, dans la mesure o

ce sont des images qui ont t utilises comme instrument de recherche, on peut dire

que notre recherche a t une sociologie avec limage . De plus, si lon considre

que le slogan est insr au sein de cette image quest la page de magazine ou laffiche,

notre approche peut aussi tre comprise comme une sociologie sur limage . Ainsi,
137
Fabio La Rocca, Introduction la sociologie visuelle , in Socits, n 95, Bruxelles, De Boeck,
2007/1, p. 38.
71

dfinie, sur un micro plan, comme tant recherche sur le langage-objet mene au

moyen dune image-outil , elle se transforme, sur un plan plus vaste, en une

recherche sur l image-objet . Par ailleurs, vu que ce que nous tentons dclairer est

le rle social du slogan crit via sa crativit linguistique, mais que celle-ci sopre

presque toujours en interaction avec des lments iconiques, ce type de slogan ne

peut aucun moment tre considr part du champ visuel.

Dans cette situation, deux modes dentretien ont t pratiqus. Dun ct, nous

avons procd des entretiens bien organiss auprs de huit personnes : trois

publiphiles, trois publiphobes franais et deux trangers. Nous avons effectu

lentretien, au moyen du micro dun magntophone MP3, sur la base de lensemble de

notre corpus. La dure en tait entre une heure trente minutes et deux heures. De

lautre, nous avons procd un entretien individuel auprs dune vingtaine de

personnes. Dans le deuxime cas, comme nous visions vrifier une intuition ou

nous clairer sur un point prcis, mais dans un environnement public similaire

lespace publicitaire, nous avons interrog au hasard des personnes dans le Jardin du

Luxembourg et au Quartier Latin, sur la base de parties du corpus, pendant dix

minutes ou un quart dheure.

La faon dont pouvait se dgager le sens sociologique de notre recherche ne

dpendait pas, selon nous, dune approche statistique. Il fallait effectivement

pratiquer des entretiens pour recueillir lopinion publique, sans recourir lopinion

publie. Tandis que lopinion publique est bien une opinion, comme nous en met en

garde Michel Maffesoli, lopinion publie continue de rabcher quelques ides

convenues, lieux communs et autres bavardages base de bons sentiments 138. En

effet, lopinion publique peut ne pas correspondre lopinion prive ou bien celle -ci

peut changer. Lopinion publie ne recueille jamais quune opinion passe, rpte et

morte. Par consquent, cette opinion publie nest pas forcment lopinion publi que.

Pour illustrer les mfaits de cette approche, il suffit de nous rappeler lexemple
138
Michel Maffesoli, Opinion publique / opinion publie , in Socits, n 100, Bruxelles, De Boeck,
2008/2, p. 7.
72

clairant que lon en a vu lors de llection prsidentielle de 2002. Au premier tour, la

quasi-totalit des indices publis par les divers instituts de sondage pronostiquaient

que Jacques Chirac, le candidat du RPR et Lionel Jospin, le candidat socialiste, se

confronteraient au second tour. Mais en ralit, le candidat qui avait pris la deuxime

position tait le candidat du Front National.

En revanche, notre dmarche est plus proche de la dmarche comprhensive au

sens wbrien. Ainsi, son point de dpart sappuie sur la conviction que les hommes

ne sont pas de simples instances porteuses de structures mais quils sont les

producteurs actifs du social. On doit chercher expliquer ce social. Et nous adoptons,

avec dautres, comme attitude de recherche, celle de lartisan intellectuel selon

Wright Mills telle quelle est prsente par Jean-Claude Kauffmann : le chercheur

construit lui-mme sa thorie et sa mthode en les fondant sur le terrain 139.

Dans cette perspective, notre mthode est forme de lensemble des moyens,

pistmologiques, mthodologiques et thoriques que nous nous sommes efforcs de

constituer au fil des ncessits et des dcouvertes de la recherche - notamment dans la

seconde partie du travail -, partir de la spcificit de notre objet dtude et du sens

sociologique que nous lui avions dcouvert . Nous avons tent notamment une approche

interdisciplinaire et heuristique.

Par ailleurs, si lon peut dterminer notre travail en termes de tendances

actuelles dans ltude de la publicit, il relve de la tendance qui sinterroge sur son

sens symptomatique et symbolique, lcart de tout questionnement sur son

efficacit commerciale ou sur son aspect idologique140.

139
Jean-Claude Kaufmann, LEntretien comprhensif. Lenqute et ses mthodes (1996), Paris Armand
Colin, 2006, p. 9-10.
140
Pour lvolution des paradigmes de la sociologie sur la publicit, voir Valrie Sacritste, Sociologie de
la communication publicitaire , in LAnne sociologique, 2001, 51, n 2, p. 487-498.
73

Premire partie

Sluagh-gairm (slogan), cri de guerre

Objet anodin, sil en est, petites choses de


la vie courante, mais qui nen contient pas
moins le monde en son entier . -Michel
Maffesoli, Au Creux des apparences, 1990.
74

Chapitre I. la recherche du slogan publicitaire


Investigation sur lobjet qui a motiv notre recherche, cet unique chapitre de notre

premire partie consistera dcortiquer ce que peut bien tre le slogan publicitaire et

envisager quels enjeux sociaux il implique. Pourtant, loin de chercher tablir une

quelconque stabilit structurale qui permettrait de linsrer dans un schma mcanique

des activits publicitaires, ce travail consistera plutt en un reprage sceptique inspir

encore par la pense radicale maffesolienne qui vise essentiellement reprer les

racines pour mieux apprcier la croissance quelles permettent 141.

Ce processus de reprage enracin revt une double importance vu la dmarche

de notre travail, qui est ax plutt sur le plaisir dagir que sur celui de voir. On peut dire

que, dune part, se prsentant comme un lment autonome, le slogan constitue, par lui-

mme, le corps dun thme, au lieu de soffrir comme le lieu de vrification de telles ou

telles thories dj tablies, linguistiques, psychologiques, communicationnelles... ou

bien de se laisser mobiliser comme une simple composante de telles ou telles

constructions mcaniques de la publicit. Dautre part, le slogan, en tant quobjet de

recherche, napparat jamais a priori, devant nos yeux, en un tat auquel nous pourrions,

demble, accder. Puisque notre entreprise tend dcouvrir son sens social in situ, la

prise en considration de son mode propre dexistence est cruciale.

1. Une chose trop souvent voque pour tre bien connue


Le terme slogan provient, tymologiquement, de langlais slogan, lui-mme issu du

galique sluagh-gairm, cri de guerre dun clan , compos de sluagh, troupe , et de

gairm, cri, appel 142. Le slogan, cri de guerre ou de bataille (1513) des montagnards

dcosse la rgion o le slogan se pratiquait stendait jusqu lIrlande143 , a galement

pour sens celui de devise (1704), quil sagisse de celle dune personne ou dun

141
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. XXI.
142
Dictionnaire historique de la langue franaise (1992), Le Robert, 1998, tome 2, p. 1956.
143
Le Trsor de la langue franaise, tome 15, Gallimard, 1992, p. 562.
75

groupe. En franais, le slogan apparat pour la premire fois en 1842 dans le Dictionnaire

de lAcadmie franaise sous cette dfinition originelle de cri de guerre des

montagnards dcosse .

Au cours de lhistoire, le slogan prend sa signification moderne compter du


e
XX sicle. Ds 1916, le slogan dsigne, aux tats-Unis, la formule de ralliement dun

parti ; il faut attendre 1928 pour quil soit utilis dans le sens de formule publicitaire

par un Amricain 144. En France, ce mot nacquiert qu partir de 1930 le sens de

formule frappante et concise utilise par la publicit145. En 1931, on parle de slogan

publicitaire , la signification politique datant, elle, de 1932, dfinie comme formule de

propagande politique , valeur quil a conserve, ce qui est normal selon Marcel Galliot,

une poque o les mots dordre politiques sinspirent de plus en plus, dans leur forme

comme dans leur emploi, des procds de la rclame146.

Le premier contact avec ce que dsigne ce terme est quelque chose que lon peut

vivre effectivement dans ces deux domaines depuis toujours. Dune part, beaucoup de

Franais se souviennent de ces formules politiques qui ont marqu leur poque, telles

que : Sous les pavs la plage , Les murs ont la parole , Il est interdit dinterdire

(Mai 68) ; La force tranquille (Franois Mitterrand, lection prsidentielle, 1981) ;

Quand cest vert, on avance (Les Verts, lections europennes, 1999) ; La France

en grand, la France ensemble (Jacques Chirac, lection prsidentielle, 2002).

Dautre part, dans la mmoire des Franais rsonnent encore maintes formules

commerciales, telles que : DuboDubonDubonnet ! (Dubonnet) ; Du pain, du

vinet du Boursin (Boursin) ; Bb Cadum (Cadum) ; Buvez, liminez !

(Vittel) ; Des ptes des ptes, oui mais des Panzani (Panzani) ; Omo lave plus

blanc (Omo).

144
The Oxford English Dictionary (second edition, tome XV, 1998, p. 729) prsente cette phrase trouve
dans le magazine Publishers Weekly (n 2386): Mr. Calkins believes the slogan a cent copy to sell the
art of reading, a great and revolutionary one.
145
Le Grand Robert de la langue franaise, nouvelle dition augmente, 2001, tome 6, p. 489.
146
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. 521.
76

Sagissant de ces produits langagiers qui vivent au sein de lespace publicitaire,

lune des premires choses qui se remarque, cest leur caractre phmre. Il nous

semble ainsi que la plupart des noncs du discours publicitaire senvolent

immdiatement pour disparatre de notre mmoire, sauf quelques lments invariables,

tels que le nom du produit et le nom de sa marque. Cest, tout dabord, quils scartent

instantanment du champ optique du public, aprs avoir achev leur sorte de

fonctionnement par contact avec ce public. Et puis, cest quau bout dun espace de

temps dtermin, ils disparaissent jamais du champ publicitaire . Singuliers parmi

les divers lments langagiers qui ne sont pas seulement lis aux circonstances de la vie

courante, les slogans publicitaires ne durent pourtant, dune manire gnrale, que

quelques semaines ou quelques mois. Pourtant, certains peuvent durer pendant des

annes ou des dcennies, mais cest rare. Enfin, avec le temps, ils seffacent du champ

mmoriel des contemporains.

Pourtant, ces paroles phmres peuvent sintgrer dans le parler quotidien,

lorsquelles connaissent un norme succs 147 . Citons en quelques-unes : Cadeau

Bonux (Bonux) ; Monsieur Propre (Monsieur Propre) ; Cest facile, cest pas cher,
148
et a peut rapporter gros (Loto) ; Avec Carrefour je positive (Carrefour) , etc.

Nous pouvons constater que ces expressions se sont intgres subrepticement, soit

sous forme intgrale, soit sous leur forme dadaptation partielle, dans lusage quotidien

de la langue. Cest le public qui adopte la langue de la publicit, soit lorsquil lui manque

une expression dans son rpertoire de la langue, soit lorsquil veut obtenir un effet

spcifique dans diverses situations du parler. Il va de soi, dailleurs, que la publicit, de

son ct, fait des emprunts massifs la langue de la rue, suivant les ncessits

stratgiques de la communication. Partant de ces slogans qui ont fait fortune, Karine
147
Il faut souligner quun tel succs ne signifie pas forcment un succs du point de vue du marketing.
Ainsi, nombreux sont les cas o lexpression (image ou mot) dune campagne a fait sensation
mdiatiquement , alors que la vente mme du produit concern est reste mitige.
148
Loriginal vient du slogan pour lhypermarch Carrefour : le message lui-mme ne fut pas toujours trs
bien accueilli par la presse et le public, en raison de lcho ngatif de ce nologisme qui renvoyait la
notion de sropositivit. Cependant, le verbe positiver est pass dans lusage familier avec le sens de voir
les bons cts des choses .
77

Berthelot-Guiet, lune des rares universitaires sintresser la publicit, montre

combien les rapports entre la langue de la publicit et la langue quotidienne sont

intenses149. Pourtant, en contraste avec ces cas exceptionnels, on peut dire que la quasi-

totalit des noncs publicitaires ont disparu et disparaissent comme autant de futilits

sans parvenir jamais ce couronnement qui est de sintgrer dans la parole

quotidienne.

Force est de convenir que notre vie de tous les jours est ptrie dinnombrables

formules politiques et commerciales, qui surviennent aussi soudainement quelles

sloignent discrtement de nos oreilles ou de notre champ visuel. la tlvision, on

rencontre les formules politiques surtout au journal tlvis, tandis que les formules

publicitaires jaillissent aussi bien avant qu aprs chaque mission, et de plus en

plus souvent au milieu des programmes. Dans les journaux, celles-l tombent souvent

sous une photographie insre, alors que celles-ci seront plutt dans un coin pas trs loin,

la mme page. Par ailleurs, dans la rue, le public parisien aura amples occasions

dentendre, lors de diverses manifestations, des mots de ralliement amplifis par le

porte-voix et repris en chur.

Ainsi, au printemps de 2006, nous avons pu entendre ou lire dans des graffitis de

vives protestations des tudiants et des lycens, contre le CPE (Contrat premire

embauche) sous forme de nouvelles dfinitions telles que : Carotte Pour lEmploy ,

Contrat Premire Emmerde , ou de description : Jeunes consommer avant 26 ans ,

etc. Retentissent encore en nous galement, les slogans, concurrents mais tous pleins

despoir ou de certitude, de candidats llection prsidentielle de 2007 : La France

Prsidente (Sgolne Royal) ; Ensemble tout devient possible (Nicolas Sarkozy) ;

La France de toutes nos forces (Franois Bayrou) ; Nos vies valent plus que leurs

149
Karine Berthelot-Guiet a men une enqute sur un chantillon reprsentatif de la population de Paris et
de la Rgion parisienne, selon une dmarche rigoureuse, pour savoir quelles expressions inventes par et
pour la publicit taient passes dans la langue courante, avec quelles connotations, pour quelle dure, et,
parfois, avec quels dtournements. Il sagit notamment de sa thse doctorale, Apport de la publicit la
langue quotidienne des locuteurs de Paris et de la rgion parisienne , EPHE, 1996 et de son article,
Publicit : une parole quotidienne ? , in Communication et langages, n 117, 1998.
78

profits (Olivier Besancenot), etc. Par ailleurs, dans tous les coins de la Capitale, le Club

Med nous a gnreusement propos : Tous les bonheurs du monde et McDonalds :

des hamburgers tout ptit prix , tandis que Nike nous conseille constamment : Just

do it .

Olivier Reboul, tente une dfinition pour ces formules qui sappellent slogan :

Formule concise et frappante, facilement reprable, polmique et le plus souvent


anonyme, destine faire agir les masses tant par son style que par llment
dautojustification, passionnelle ou rationnelle quelle comporte ; comme le pouvoir
dincitation du slogan excde toujours son sens explicite, le terme est plus ou moins
pjoratif.150

En effet, ces formules sentremlent aux circonstances de la vie des Franais, se

mlent de leur vie, publique comme prive, de toutes sortes de faons. Tantt, elles se

veulent outil de domination de lopinion populaire, en tant que propagande dun parti

politique ou dun rgime151. Tantt elles seront par contre moyen de rsistance de ce

peuple152. Elles se prsentent, sinvitent partout, sans zones interdites , sans gne, sans

tabou sur les crans de tlvision, sur les ondes, dans les pages, sur les murs, sur les

banderoles, sur les rseaux dInternet, sur le portable, sur les voitures de course, sur les

transports publics, dans les tunnels du mtro, dans le ciel sur une banderole tire par un

avion, sur les vtements de particuliers, etc. O ne sont-elles pas ? Elles sont toutes

150
Olivier Reboul, Le Slogan, Paris, PUF, 1975, p. 42.
151
La mise en place dun Ministre de la Propagande par le parti nazi tmoigne bien de limportance de la
propagande. Ce dsir de contrler le peuple par la persuasion ntait videmment pas nouveau. Au XV e
sicle, Machiavel exposait dans Le Prince (1513) une thorie du gouvernement qui fait largement appel au
cynisme. Il crivait : La foule est toujours impressionne par lapparence et les rsultats . Plus de 450
ans plus tard, avec son livre Psychologie des foules (1895), le psychologue franais Gustave Le Bon se voit
reconnu comme le savant en matire de propagande et de publicit politique. Le livre fut traduit en
allemand ds 1908. Des chercheurs mettent dailleurs lhypothse quHitler aurait t fortement influenc
par les ides de Le Bon, ce qui aurait amen le Fhrer, une fois au pouvoir, crer ce Ministre de la
Propagande.
152
videmment, il sagit dinnombrables rclamations mises lors de Mai 68. Par ailleurs, on a entendu,
dans le mme sens, un grand nombre de cris de ralliement rsonner, lors du Mouvement de la
dmocratisation dans les annes 80, en Core du Sud.
79

indiffremment perues, consciemment ou inconsciemment, quelles soient srieuses,

badines ou anodines.

Tantt, ces slogans peuvent livrer de prcieuses donnes historiques153; tantt, ils

serviront, recycls, des fins de marketing sous forme de base de donnes 154. Enfin, non

seulement on les commente comme un thme de conversation dans les changes

familiers, mais on les examine pour en tirer des arguments dans les discours acadmiques.

Dailleurs, mme si cest rare, le slogan peut aussi fournir le titre dun film ou dune

pice de thtre155. Le slogan apparat ainsi comme une formule familire et courante qui

existe en tout lieu et tout moment o peuvent se rclamer les cris de guerre

dun individu ou dun groupe. Bref, le slogan est devenu quelque chose dintime, qui

aura ctoy tous les vnements historiques de toute socit contemporaine et qui nous

aura accompagns dans tous les instants de notre quotidien.

Selon cette vision, si ouverte, lusage du terme slogan ne devrait pas tre limit au

champ politique ou au commerce, contrairement lide canonique dominante et la

dfinition catgorique des dictionnaires gnralistes156. Olivier Reboul est ainsi davis

qu on a tort de le limiter la publicit commerciale et la propagande ; le slogan a

exist avant elles et il existe hors delles. Si le terme est, en franais, dorigine rcente, ce

153
loccasion du 40e anniversaire de Mai 68, nous avons justement vu sortir plusieurs recueils de
slogans. Voici quelques titres : Les Murs ont la parole, Paris, Tchou, 2007. Jean-Philippe Legois, Les
Slogans 68, Paris, First, 2008. Denis Langlois, Slogans pour les prochaines rvolutions, Paris, Seuil, 2008.
154
Yves Schaud, Le Dico des mots de la pub, Paris, De Vencchi, 2007.
155
La pice de thtre Slogans, qui a t reprsente du 6 au 22 fvrier 2008, au Thtre de la Commune
dAubervilliers en est un exemple. Adapte et mise en scne partir de louvrage Slogans (ditions de
lOlivier, 2004) de Maria Soudaeva, elle prsente la vie tragique de cet auteur, prostitue russe qui sest
suicide en 2005, aprs avoir laiss une unique uvre sous la forme de slogan.
156
La plupart des dictionnaires dfinissent le slogan comme une formule utilise catgoriquement en
politique et en publicit. Voici quelques exemples. Le Petit Robert dfinit ainsi le slogan : Formule
concise et frappante utilise par la publicit et la propagande politique [Le Petit Robert, 2008]. Le Petit
Larousse fournit du slogan publicitaire la dfinition suivante : Phrase publicitaire concise et originale,
conue en vue de bien inscrire dans lesprit du public le nom dun produit, dune firme [Le Petit
Larousse, 2008], alors quil dfinit le slogan politique comme une formule brve et frappante lance pour
propager une opinion, soutenir une action. Selon le Trsor de la langue franaise, le slogan est une
formule concise et expressive, facile retenir, utilise dans les campagnes de publicit, de propagande
pour lancer un produit, une marque ou pour gagner lopinion certaines ides politiques ou sociales .
[Trsor de la langue franaise, tome 15, Paris, Gallimard, 1992, p. 561-562.]
80

quil dsigne est bien plus ancien, aussi vieux que le langage peut-tre 157 . Nous

pouvons donc lgitimement nous demander sil ny aurait pas dans le slogan une

dimension vraiment anthropologique, qui concernerait, en quelque sorte, toutes les

formes de la communication humaine verbale.

Sous cet angle, nous estimons quil pourrait tre pertinent, au moins dun point de

vue sociologique, dy faire des distinctions en fonction de la nature de son

fonctionnement social . Nous pouvons, en particulier, remettre en question les ides

reues sur le slogan politique. Alors que le slogan politique est compris comme

propagande , en ce sens quil serait loutil tentant l injection de telle opinion ou

idologie dun rgime ou dun parti dans la cervelle par voie verbale, il peut y avoir,

quand mme, beaucoup dautres types de formules politiques, qui ne comportent pas

forcment ce caractre de propagande. De bons exemples en seraient les slogans de Mai

68. En ce sens, la dichotomie politique / publicitaire na plus de valeur. Si lon retient le

domaine dactivit o il apparat comme critre, on peut envisager, par exemple, la triade

slogan politique (propagande) , slogan social , slogan publicitaire . On peut

aussi, sans considrer ces diffrents domaines, envisager une nouvelle division, faite en

fonction de la qualit de la force qui fonctionne dans le corps social : slogan en haut

vs slogan en bas , par exemple.

Admettant nanmoins, quil y a une diffrence apparente entre le slogan politique et

le slogan publicitaire, nous allons concentrer ltude de notre objet, le slogan publicitaire,

en le considrant comme un mariage entre le slogan et la publicit dans son

acception la plus moderne158. N lpoque o la publicit sappelait encore rclame ,

le slogan publicitaire aura donc, depuis ce temps dj lointain, connu les mme mutations

que la publicit.

157
Olivier Reboul, Le Slogan, op. cit. p. 11.
158
Compte tenu de lavis de Marie-Emmanuelle Chessel (cf. la note 45), nous lentendrons dans le sens
retenu depuis les annes 1930 environ, poque o la publicit sous lacception actuelle aurait constitu un
domaine autonome en France.
81

1.1. Au-del dune dfinition


On rencontre, dans sa vie quotidienne, au moins plusieurs dizaines de slogans

publicitaires par jour159. La premire impression qui se dgage propos du slogan

publicitaire est que, si tout un chacun le connat par exprience immdiate et rpte,

cette connaissance ne livre pas une claire conscience de la nature de cette

emblmatique formule omniprsente quest la communication publicitaire. Il nous

semble que peut-tre le fait mme que le slogan publicitaire soit une chose si quotidienne

si proche engendre une absence de recul, recle des piges, au lieu de nous garantir une

facilit pour un accs scientifique. Avant toute chose, le slogan publicitaire nous pose un

problme didentification. Cela semble li une obscurit rfrentielle due la

complexit de la campagne publicitaire contemporaine et son volution constante, en

rsonance avec la socit. Reconnaissant quil est quasi impossible de dfinir ce quest le

slogan publicitaire, tentons pourtant de le cerner.

On peut en proposer une acception plutt logique ou bien encore de type

ostentatoire. Commenons par aborder quelques acceptions de type logique donnes par

des dictionnaires spcialiss. Le Dictionnaire multimdia prsente le slogan publicitaire

comme une formule concise et percutante, argumentaire texte dun message

publicitaire 160. Pour le Dictionnaire bilingue de la publicit et de la communication, le

slogan publicitaire est une phrase brve et originale lie un produit, une marque ou

une socit, rsumant souvent largumentation de vente principale . Il poursuit :

Groupe de mots soigneusement tudi, le slogan est destin tre rpt, mmoris par

les consommateurs et associ chez eux une raction favorable 161 Le Dictionnaire

159
Parmi les 300 600 messages publicitaires que lon rencontrerait par jour, 30 80 sont effectivement
perus par le public (cf. la note 92). Le nombre de slogans lus par le public doit cependant tre grandement
minor, car, en situation de communication, la perception du message publicitaire ne garantit pas celle du
slogan. Lestimation de ce nombre demeure donc incertaine.
160
Christine Leteinturier, Dictionnaire multimdia : presse, radio, tlvision, publicit, Paris, Eyrolles,
1990, p. 85.
161
Fabienne Duvillier, Dictionnaire bilingue de la publicit et de la communication, Paris, Bordas,
1990, p. 401.
82

analogique de la publicit et des mdias dfinit le slogan comme une courte phrase

publicitaire vantant les mrites dun produit 162.

Par ailleurs, certains thoriciens donnent une dfinition qui comporte dj une

interprtation du slogan publicitaire. Roger Mucchielli fournit ainsi, du point de vue

psychologique, cette dfinition succincte : (formule) brve, concise, facile

mmoriser 163. Par contre, Henri Joannis, adoptant la mme approche, dfinit, lui, le

slogan comme une phrase rptitive associant, dans une formule courte, le nom de la

marque et son principal avantage 164. De son ct, lauteur de Slogan mon amour,

Marie-Jos Jaubert, dfinit le slogan publicitaire comme une formule courte, facile

retenir, si possible pourvue dun rythme interne, de rimes et dallitrations 165. Ainsi,

dun dictionnaire lautre, dun chercheur lautre, le slogan publicitaire est caractris

diffremment, selon des intrts qui vont ses diffrents aspects spcifiques : rythmique,

rptitif, argumentaire, psychologique, mmoriel, etc.

Cest sagissant de lacception de type ostentatoire que les divergences quant la

dtermination du slogan semblent atteindre leur comble, du fait que lusage de la

terminologie sy rattache ncessairement un rapport rfrentiel des pratiques. En

premier lieu, slogan y est considr sous la forme dun hyperonyme avec des

termes publicitaires. Cela dit, fonctionnant comme une sorte de classificateur, le

slogan englobe deux termes publicitaires utiliss en la matire. Ainsi, Jean-Michel

Adam et Marc Bonhomme veulent runir sous le nom de slogan ces deux sous-

ensembles : accroche (ou head-line) et phrase dassise (ou base-line)166. De son ct,

Blanche-Nolle Grunig considre le slogan publicitaire, comme constitu dune accroche

(ou, plus souvent, head-line) et dune signature (ou plus souvent base-line)167.

162
Rmi-Pierre Heude, Dictionnaire analogique de la publicit et des mdias, Paris, Eyrolles, 1993, p. 342.
163
Roger Mucchielli, Psychologie de la publicit et de la propagande, Paris, Librairies techniques,
Entreprise moderne ddition et les Editions ESF, 1972, p. 50.
164
Henri Joannis, De la stratgie marketing la cration publicitaire, Paris, Dunod, 1995, p. 428.
165
Marie-Jos Jaubert, Slogan mon amour, Paris, Bernard Barrault, 1985, p.10.
166
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, Paris, Nathan, 1997, p. 59-62.
167
Blanche-Nolle Grunig, La langue de la publicit , in Grald Antoine et Bernard Cerquiglini (sous
la direction de), Histoire de la langue franaise 1945-2000, Paris, CNRS ditions, 2000, p. 211.
83

Mais, en deuxime lieu, certains dictionnaires et auteurs entendent slogan

comme un synonyme de lun exclusivement de ces deux termes publicitaires. Tout

dabord, le Dictionnaire analogique de la langue de la publicit et des mdias considre

slogan comme un synonyme d accroche (head-line), dfinissant laccroche

comme un mot ou groupe de mots qui a pour objectif de retenir lattention du lecteur et

de lui faire mmoriser la promesse publicitaire 168. De mme, dans le Dictionnaire

encyclopdique des sciences de linformation et de la communication, le slogan est aussi

considr sous langle de laccroche, comprise comme terme publicitaire dsignant le

slogan, qui dans un processus dargumentation commerciale doit rsumer lessentiel du


169
message de la campagne, et tre persuasive pour le consommateur . Ce dictionnaire

encyclopdique ajoute en outre que laccroche a souvent recours des techniques

rhtoriques quelle tend dailleurs ractualiser. Un des atouts de laccroche est quelle

puisse se dcliner en musique. Les plus efficaces ont une longue dure de vie 170. En

revanche, Jean-Michel Utard laisse entendre que le slogan est la base-line, en dfinissant

celle-ci comme une formule concise et crative de la promesse faite au consommateur,

ou du positionnement dune marque, qui sert de signature un message publicitaire 171.

Enfin, pour sa part, Marie-Jos Jaubert pense que le slogan nest rien dautre que la

signature172.

Par ailleurs, pour certains auteurs, le terme slogan constitue en lui-mme une entit

terminologique autonome et une unit indcomposable. Cest--dire que, ni hyperonyme

ni synonyme de termes publicitaires, cest slogan en tant que tel qui est employer

comme terme spcifique de base, renvoyant une partie constitutive du texte publicitaire.

Le comparant ltape de la dispositio de la rhtorique traditionnelle, Jacques Lendrevie

et Arnaud de Baynast considrent le slogan comme une formule indpendante, qui figure

168
Rmi-Pierre Heude, Dictionnaire analogique de la publicit et des mdias, Paris, Eyrolles, 1993, p. 3.
169
Bernard Lamizet et Ahmed Silem (sous la direction de), Dictionnaire encyclopdique des sciences de
linformation et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 6.
170
Ibid.
171
Jean-Michel Utard, Lexique de publicit et communication dentreprise, Paris, Hachette, 1992.
172
Marie-Jos Jaubert, Slogan mon amour, op. cit., p. 18.
84

aprs laccroche, les titres, le texte de lannonce et la base-line 173 . Jean-Marc

Dcaudin, pour sa part, souligne que le slogan, parce quil facilite la mmorisation de la

publicit, est un des lments crits qui constituent le message publicitaire, avec le

rdactionnel et la base-line (signature)174. Quant Hubert A. Greven, il envisage la

campagne publicitaire comme un ensemble de rdactions, appelant placards les

rdactions se prsentant sous forme darticles de longueur variable et slogans les

rdactions ayant la forme de messages trs courts, quils soient insrs dans ces articles

ou utiliss seuls 175. Par ailleurs, les auteurs du Dictionnaire des noms de marques

courants, Robert Galisson et Jean-Claude Andr, distinguent le slogan du texte

dancrage, texte daccompagnement un peu long, rendant ainsi tnue la frontire qui

spare les deux acceptions176.

1.2. Les problmes de perception au niveau textuel


Comme on a pu le constater bien quil en existe toutes sortes de dfinitions,

logiques et ostentatoires, le slogan publicitaire reste bien loin dtre bien cern. Or, si

lidentification de ce qui doit finalement tre entendu par et comme slogan sera, au fond

et la longue, une affaire de perception partir dune vraie campagne, laspect actuel,

concret des annonces publicitaires nous pose deux sortes de questions.

173
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Le Publicitor, 6e dition, avec la collaboration de Nicolas
Riou, Paris, Dalloz, 2004, p. 17.
174
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , in ric Vernette (sous la direction
de), La Publicit, thories, acteurs et mthodes, Paris, La Documentation franaise, 2000, p. 121.
175
Hubert A. Greven, La Langue des slogans publicitaires en anglais contemporain, Paris, PUF, 1982, p.
16. Par ailleurs, face aux avis de certains auteurs, qui veulent dfinir slogan comme un hyperonyme ou
comme un synonyme d accroche , Hubert A. Greven soutient qu accroche recouvre un sens beaucoup
plus large que celui de slogan . [Ibid., p. 18]
176
Robert Galisson et Jean-Claude Andr, Dictionnaire de noms de marques courants, Paris, Didier
rudition, 1998, p. 36-50. Ils caractrisent le slogan par sa brivet, sa rptition et son martlement,
visant linscrire dans la dure, linstaller dans les mmoires, le faire trotter dans les ttes comme un
leitmotiv. Pour le texte dancrage, ils sinterrogent sur le fait de savoir sil sagit vritablement dun autre
type de texte ou bien dune volution du slogan. Ils soulignent pourtant une floraison des slogans. Pour sa
part, Robert Galisson utilise galement lexpression texte dappel la place de texte dancrage .
85

1.2.1. Lopacit des lments smiologiques


Il faut pourtant retenir de lexamen men ci-dessus que tous ces avis divergents

sappuient sur un consensus selon lequel le slogan est comprendre a priori comme un

langage, entit double articulation 177 selon les termes dAndr Martinet ou comme

un signifiant linguistique en termes de smiologie178. Cependant, prendre en compte

les mutations que connat, au niveau smiologique, lannonce publicitaire contemporaine,

il semble bien que le slogan ne soit cependant pas automatiquement peru comme tel.

Dune manire gnrale, on peut considrer, quune annonce est compose de divers

constituants, smiologiquement distingus : iconique, linguistique et composite.

Chronologiquement second dans lhistoire de lannonce, le signifiant iconique est

gntiquement premier dun point de vue smiologique, du fait quil repose sur une

troite proximit et sur un continuum avec son rfrent. Dans la perspective des

chercheurs de Palo Alto179, licne participe la communication analogique , qui met

en uvre des quivalences et des similarits non verbales. Le signifiant iconique intgre

donc des images publicitaires de tout genre : bande dessine, photographie, peinture,

animation, etc. Avec le signifiant linguistique, on entre dans le domaine de labstraction

ou de la communication digitale , fondes sur le conventionnalisme, le binarisme

oppositionnel et la linarit. Se distanciant de son rfrent, le signifiant de type

linguistique recouvre le langage publicitaire : la marque, le nom du produit, le slogan,

le rdactionnel 180, etc. Sagissant enfin du signifiant composite , on peut dire que

le logotype constitue un signifiant quivoque, ou encore une image-mot, fluctuant entre

177
On appelle double articulation lorganisation spcifique du langage humain selon laquelle tout
nonc sarticule en deux plans : la premire articulation est celle dunits dotes de sens (monme) et la
deuxime celle dunits dpourvues de sens (phonmes). Pour Andr Martinet, cest l une caractristique
qui diffrencie fondamentalement le langage humain des autres productions vocales non linguistiques et
des autres systmes de communication, tels que codes et langage gestuel, langage musical, langage des
animaux, etc. [Andr Martinet, lments de linguistique gnrale (1970), Paris, Armand Colin, 1991.]
178
Ici, le terme smiologie est entendre au sens le plus gnral. Il renvoie la science tudiant les
systme de signes , et non un courant spcifique dans les sciences qui tudient les signes.
179
Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une Logique de la communication (1967),
Paris, ditions du Seuil, 1972, p. 57-65.
180
Ce terme sappuie sur Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, op. cit., p. 62.
86

le langage et le dessin. Il faut dire ici, dailleurs, quil existe dans la publicit des

lments que lon narrive pas toujours dterminer comme iconique ou bien

linguistique.

Ces divers constituants publicitaires forment comme une broussaille

smiologique , ce qui fait que le discours publicitaire se prsente au dpart comme une

structure smiologiquement mixte, comme un hybride flou et instable en raison de la

latitude de dosage quil permet entre ses diverses composantes. La physionomie de

lannonce puise ses origines dans deux grandes traditions : la tradition du livre,

lcriture dense et calibre, et celle de lillustration, esthtique et artisanale. Il est certain

que lannonce contemporaine repose encore sur ces deux matrices qui valent pour les

principaux moyens de communication. Toutefois, elle sloigne de plus en plus de ses

deux lignes traditionnelles, pour ce qui est dune criture dense et dune esthtique

artisanale. Du fait du dveloppement des techniques de la typographie et du traitement du

texte, ses aspects textuels sont devenus bien plus sophistiqus.

En ce sens, nous constatons quil existe comme des contaminations 181, mesure

que les lments smiologiques sentrelacent et sembrouillent. Nous pouvons ainsi

observer, dans une page ou sur une affiche publicitaire, deux phnomnes apparemment

contrasts : une iconisation du verbal et une verbalisation de liconique . Au fur et

mesure que la forme du texte devenait lun des enjeux essentiels dans les milieux de la

communication, le traitement graphique du texte, qui soccupe de lalliance de la lettre et

de limage, jouait un rle plus important. Larticulation de ces deux modes dexpression

forme aujourdhui un des thmes larges et gnriques en matire de communication

crite et de publicit182.

Voyons les deux sens dans lesquels le processus se produit. Dans lun, les

constituants linguistiques qui subissent linfluence du domaine iconique : le langage

devient limage . linstar dune figuration dordre iconique, le langage abandonne la

181
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, op. cit., p. 64.
182
Voir ce sujet La Danse des signes, Paris, Hatier, 1999. Il sagit dun travail coordonn par Euro
RSCG et la Sorbonne, dans le cadre dun DESS en Intelligence de la communication crite.
87

progression rectiligne de lnonc, et les lettres tendent imiter le rfrent dsign, dans

un processus calligrammique. Tous les lments linguistiques du texte publicitaire

rsisteraient en effet mal la pression de licne et aux configurations motives qui en

dcoulent. Cette orientation iconique peut notamment se faire plus complexe au moyen

de lutilisation de la couleur et de diverses procdures calligraphiques183.

Fig 6. Iconisation du verbal et verbalisation de liconique

Dans lautre sens, licne imite le systme verbal. En une vise syncrtique, limage

se modle parfois sur le graphme. Un lment iconique se convertit en lettre ou licne

se transforme en un lexme entier.

Il nous faut, en outre, songer au cas des chiffres. Nous constatons que lusage des

chiffres est trs important dans la publicit par rapport aux autres types de discours, et

que limage comme le langage se transforment loccasion en chiffres, et vice versa. Il

est gnralement admis que les chiffres sont considrer comme des signifiants

linguistiques. Pourtant, dans le texte publicitaire, ils semblent manifester une particularit

183
titre dexemple, nous pouvons citer les procdures suivantes : lettres dcales en hauteur, dsaxes
par rapport la verticale, bouscules au lieu dtre classiquement alignes, mots spars par des points. De
surcrot, le graffiti libre la campagne de la calligraphie livresque.
88

tant sur le plan formel que sur le plan fonctionnel. Dans les cas o lon apprhende les

chiffres comme un type de signifiant smiologique, lordre textuel de la publicit semble

beaucoup plus sophistiqu, car, un embrouillage smiologique se produit apparemment

entre trois signifiants : linguistique, iconique et numrique 184.

Fig 7. Numrisation de liconique

Dans ce cas, lon devrait alors dsormais prendre en compte la numrisation de

licne, liconisation du chiffre et la numrisation du verbal, et ainsi de suite. Quoi quil

en soit, il nous semble que la pertinence dune telle piste de rflexion demande encore

tre vrifie plutt que seulement suggre, tant donn que le statut des chiffres dans la

publicit demande encore tre lucid.

Ces phnomnes d embrouillage sont susceptibles de neutraliser les identits

smiologiques entre les composants du discours publicitaire. Cest la raison pour laquelle

nous ne pouvons pas considrer le slogan comme un signifiant linguistique tout court,

sans plus. Quel que soit lenjeu dans la dimension communicationnelle, lessentiel est li

la question de la perception. En ce qui concerne notre propos, cette interrogation

184
Sur cette dimension des chiffres (ou des nombres), consulter Andr Martinet, De la varit des units
significatives in La Linguistique synchronique, Paris, PUF, 1968, p. 168-179 et Christian Metz,
Remarque sur le mot et sur le chiffre , in La Linguistique, 1967, 2 Paris, PUF, p. 41-56. Pour laspect
rhtorique du nombre, voir Jacques Durand, Rhtorique du nombre , in Communications, n 16, Paris,
Seuil, 1970.
89

simpose : si le slogan est un signifiant linguistique, dans quelle mesure peut-on le

distinguer de cet embrouillage smiologique ? Reste la question des modalits.

Une autre chose significative que nous pouvons observer dans ce phnomne, cest

que limage y domine, quels que soient les aspects. Contrairement ce que lon pourrait

croire, pour le cas de la verbalisation de liconique cest au fond limage qui serait

mise en relief, malgr lorientation verbale apparente. Il en va de mme pour une

numrisation de liconique apparente, et ce qui sy rattache. Ces divers phnomnes

ne sont donc pas contradictoires, car ils suivent une logique commune : pour quun

message soit lu, il doit tre vu . Cette logique simpose dans la plupart des domaines de

la communication publicitaire, car elle vise favoriser une meilleure prgnance du

message et susciter une plus grande empathie chez le rcepteur. Cela nous laisse

entendre que lannonce contemporaine compterait davantage sur le monde iconique,

centr sur limmdiatet et largumentation concrte, que sur le monde verbal, caractris

par son aspect secondaire et son abstraction. Marie-Hlne Milano met ainsi laccent sur

le fait que le langage dsormais soumis un rgime essentiellement visuel, perd, en

quelque sorte, son identit, son autonomie, un peu de son me aussi 185. Mme si cette

ide peut ne pas susciter une adhsion totale, elle nous conduit certainement rflchir

sur le type de rapport institu entre limage et le langage dans la communication

publicitaire actuelle.

1.2.2. Les limites des termes journalistiques et de brivet


Paralllement au problme smiologique, il nous semble que lexamen que nous

avons fait antrieurement des dfinitions des slogans montre que leur terminologie

repose implicitement sur une stabilit topologique du texte. Plus prcisment, la

dtermination de ce que sont les constituants linguistiques du texte publicitaire reste plus

ou moins ancre dans une terminologie qui drive originellement de termes anglo-saxons.

185
Marie-Hlne Milano, Iconisation du verbal , in La Danse des signes, op. cit. p. 79-104.
90

Cest--dire que les qualifications communment admises de head-line et de base-

line sont entendues respectivement comme en tte et au pied de lannonce186.

Ici, une comparaison entre lannonce et larticle de journal semble utile. Dans

larticle de journal, les lments linguistiques sorganisent dune manire trs

hirarchise, ne se mlant pas les uns aux autres. Ainsi, les rapports de situation et de

taille entre le titre, le sous-titre et le texte sont stables. En revanche, lobservation nous

montre que les rapports entre les lments linguistiques de lannonce sont trs fluctuants,

au fur et mesure que les notions qui gouvernaient la situation spatiale voient leur valeur

originelle samoindrir. Le rapport haut-bas dans le texte publicitaire perd ainsi de sa

clart. Par exemple, llment que lon devrait appeler head-line se trouve parfois

dans un coin de la page, tandis que llment que lon devrait appeler base-line se

trouve en plein milieu du texte.

Paralllement, la notion de brivet doit tre remise en cause. Tout au long de notre

investigation, nous avons vu que le slogan tait dfini comme une formule dont le

premier trait serait dtre concise et brve . Cette caractrisation reste cependant

dans le vague, tant donn quil nest pas certain que cette concision renvoie une

expression raccourcie sur le plan formel plutt qu un sentiment de simplicit sur le plan

psychologique. Il nous semble quelle concerne ces deux aspects, malgr la difficult

quil y a pour le moment bien cerner le rapport entre les deux. Si lon envisage pourtant

ce caractre de concis ou de bref du point de vue formel, il peut tre reprsent

par une formule courte. Mais, quand le slogan est, par exemple, une phrase courte , il

lest par rapport quoi ?

Dune part, avant de parler de sa brivet formelle relative nous devons dabord

voquer la brivet absolue. Dune manire gnrale, la campagne publicitaire crite

rencontre des limites spatiales, entre quelques centaines de cm2 pour les magazines et une

dizaine de m2 pour les panneaux dans le mtro, par exemple. Pour cette raison, cette

brivet sexprimera le plus souvent sous forme dune phrase ou de deux (ou dun groupe

186
Mathieu Guidre, Publicit et traduction, Paris, LHarmattan, 2000, p. 104.
91

de mots). Si lon calcule cette brivet en nombre de mots, une tude montre que ce

nombre dpasse rarement huit 187 . Il sagit, l, de la question de lagencement des

constituants linguistiques et iconiques du texte. Ce qui compte, cest la proportion

observable entre les lments verbaux et les lments iconiques en situation de

communication188. Dautre part, nous pouvons envisager sa brivet relative, par rapport

aux autres lments linguistiques du texte.

Cela revient dire que, dans les deux cas, subsiste un problme de seuil dans la

notion de brivet, mme si lvolution actuelle nous montre quil existe de nombreuses

campagnes dont les formules verbales se trouvent allonges, problme de seuil tant en

termes de brivet absolue quen termes de brivet relative. Cest dans une telle

perspective que cette instabilit pourrait certainement affecter la faon dont le slogan

peut tre identifi.

1.3. Essai de dtermination du slogan publicitaire


Face de telles difficults dans lapproche ordinaire du texte de lannonce, vouloir

encore prdterminer ce que doit tre le slogan publicitaire en esprant pouvoir mieux le

retrouver ainsi ultrieurement dans la ralit na pas de sens. Conscience prise du fait que

la publicit est une activit toujours changeante, volutive, intensment vivante, une

dfinition stricto sensu et a priori serait contre nature et en contradiction avec lesprit

dinnovation qui linspire toujours. Il nous faut donc adopter un autre moyen doprer.

Selon notre ide premire, lidentification du slogan publicitaire est une affaire de

rception et, ds lors, le caractre mdiatique du support joue un rle dterminant.

187
Michle Jouve, Communication et publicit, Paris, Bral, 1994, p. 131.
188
Selon Stratgies (n 1264, janvier 2003), la marque de lingerie Triumph a lanc une campagne
proximit du pont de lEurope, passage routier privilgi entre la France et lAllemagne, la jonction
Strasbourg-Kehl, avec une gigantesque affiche de 1 536 m2 (la plus grande affiche dEurope, 32m de large,
48 m de haut) installe sur la faade dun immeuble dhabitation et de bureaux. Cette mga-affiche devait
tre vue par environ 100 000 personnes par jour. On remarque que le seul mot qui figure sur cette affiche
est le nom de la marque.
92

On pourrait supposer que lannonce imprime, mdia le plus ancien, est plus facile

comprendre que la publicit audiovisuelle. En ralit, cest le contraire, du moins pour ce

qui est de la perception. Ceci parce que la comprhension de lannonce, dans les

magazines et sur laffiche, est beaucoup plus sophistique que lon ne le croit

habituellement. Par exemple, un spot tlvisuel se droule selon un enchanement bien

organis qui sadapte un schma optimal labor189. Autrement dit, la perception du

spot tlvisuel bnficie dune sorte de systme de guidage conu de faon ce que

lintrigue et le message de la campagne soient aisment reconnus et reus par les

tlspectateurs. La perception des constituants du discours publicitaire y est donc

relativement duque et stable, car toutes les tapes du droulement du spot ont t

soigneusement ordonnes et hirarchises tout au long de son axe spatio-temporel qui

dure de 15 30 secondes. La perception se fait dune manire linaire , le temporel

comme le spatial tant arrangs dans un ordre impos. La rception du message par le

rcepteur est donc contrainte et passive. En revanche, pour lannonce publicitaire

imprime, la perception se fait de manire intgrante , au fur et mesure que le

temporel et le spatial se superposent de faon discontinue par instants successifs. Du fait

dun mode de lecture en Z , et bien quil vise totaliser, la perception des constituants

du discours publicitaire imprime est foncirement parpille. La rception de lannonce

ncessite donc davantage defforts du public.

Ainsi la perception dun message relverait de la nature mdiatique de son support.

cet gard, il nous parat utile de nous rfrer Marshall McLuhan. Considrant le

support comme un prolongement du sens humain, il a divis les mdias, selon leur

quantit dinformations, en chauds et en froids 190. Les mdias chauds , munis

de beaucoup dinformations, laissent leur public peu de blancs remplir ou complter.

Par consquent, ils ne stimulent pas une participation pour leur achvement chez leur

189
En un sens, le dveloppement de la thorie de linformation et de la communication entrane celui de la
technique pour faciliter la perception du message.
190
Marshall McLuhan, Pour comprendre les mdia, op. cit., p. 39-50. Voir aussi Marcel Fitoussi,
LAffichage, Paris, PUF, 1995, p. 10.
93

public. En revanche, les mdias froids dlivrent peu dinformations et requirent

beaucoup defforts de la part du destinataire. Cette thse veut montrer que la tlvision se

classe parmi les mdias froids comme le tlphone, la parole, alors que le papier et

lcriture figurent parmi les mdias chauds ainsi que la radio, le cinma, la

photographie, etc. Toutefois, publicitairement parlant, cette division nest plus

convaincante. Cest--dire, pour ne sen tenir quau spot tlvisuel et lannonce

imprime, que le premier requiert une faible participation du tlspectateur, alors que la

seconde demande une haute participation du lecteur. Finalement, on se rend compte que

le degr de participation du rcepteur dpend du support et de sa nature mdiatique et

que, pour comprendre lannonce, simpose une haute participation.

En fin de compte, le slogan doit tre considr comme un lment autonome, ouvert

et flexible. Pourtant, si lon est, cote que cote, contraint dexprimer ce quil est en

usant dune terminologie publicitaire, nous pouvons dire quil est semblable

l accroche . Mais en affirmant cela, nous devons faire une distinction indite et

pourtant ncessaire pour la comprhension de lactivit publicitaire, une distinction entre

le slogan publicitaire et la signature. Bien entendu, par-l, nous ne voulons pas faire cho

la cacophonie terminologique voque plus haut sagissant des dfinitions de slogan.

Le plus souvent, le slogan est li aux produits et aux services dune entreprise. Au

niveau de la communication, il se caractrise par son aspect frappant, ponctuel, ludique,

interactionnel, et par son instantanit. Ce que nous devons souligner ici, cest que le

slogan est un lment qui appartient essentiellement la notion de campagne et

celle de communication mdiatique , conformment la dfinition de publicit

faite plus haut. Par contraste, sous une formule verbale encore plus brve, la signature se

rattache lcusson iconique caractristique de la marque ou son logotype. Elle nonce,

dune manire gnrale, la vocation de la marque, sa devise et sa promesse permanente.

On peut dire que, en ce sens, elle relve de la notion dentreprise. Dailleurs, elle se

caractrise par son aspect durable. Cest--dire que, tandis que le slogan est un outil de la

publicit, de la publicit en tant que communication mdiatique de lentreprise, la


94

signature est un outil de la communication de lentreprise , directe ou indirecte. La

signature est un lment qui sutilise non seulement dans la publicit mais aussi dans les

modes de communication hors mdias de lentreprise.

Lorsque ces deux lments distincts se prsentent dans lespace de lannonce, on

peut plutt dire que le slogan existe pour la signature, dans la mesure o, mettant en

relief lappartenance du produit, il est vou faire mmoriser la marque. Il y a donc un

rapport dassujettissement du slogan la signature. titre dexemple, Renault utilise,

depuis des annes, une formule Renault, crateur dautomobiles . Le constructeur

linsre dans toutes ses campagnes publicitaires (tlvision, radio, presse, affiche, etc.)

mais il linsre ainsi dans les divers documents utiliss pour dautres modes de

communication, tels que le publipostage, le parrainage, le salon, etc. Marque par la

notion dentreprise, cette formule est donc plutt une devise de la marque quun slogan

publicitaire proprement parler.

Tout de mme, une tendance actuelle de lannonce nous dmontre que le seuil

sparant laccroche de la signature tend devenir flou, au fur et mesure que se

prsentent des occurrences o une formule, signature lorigine, se transforme en

accroche ou vice-versa. Si, dans lannonce imprime, on peut aussi saisir cette formule

dj cite, Tous les bonheurs du monde (Club Med) comme un slogan, cest parce

que se dtachant de lcusson, la devise de lentreprise, qui tait sa signature, fonctionne

dsormais comme une accroche. Cest--dire que sefface la frontire entre la

communication pour le produit et la communication pour lentreprise.

Finalement, compte tenu du fait que le paysage publicitaire actuel tend devenir de

plus en plus confus, il conviendrait peut-tre de caractriser le slogan publicitaire de

lannonce comme une formule vide . Ainsi, cette caractrisation du slogan y reconnat

quil requiert des efforts, conformment au caractre mdiatique de support lu de

lannonce imprime et affiche. Selon nous, le slogan est finalement caractrisable

comme une formule verbale qui sert identifier, laide dune intuition, au cours du
95

processus de la perception191. En ce sens, nous pouvons adopter cette description du

slogan propose par Blanche-Nolle Grunig :

Le slogan est actuellement, et provisoirement sans doute, un enchanement verbal, de


longueur trs souvent rduite une ou deux phrases ou interventions, qui occupe une
position perceptivement remarquable dans laffiche ou la page (grce la taille et la
qualit de ses caractres et la rpartition dans lespace des diffrentes manifestations
iconiques ou verbales). Cest notre avis ce caractre relatif, rsultant dune
comparaison perceptive, qui dsigne le slogan.192

Nous croyons que cette manire de dterminer le slogan est finalement la meilleure

faon de pouvoir lidentifier, vu limbroglio smiologique et lembarras terminologique

rgnants. Dailleurs, nest-ce pas de cette manire que, par un dbrouillage opr en

situation de communication, le public reconnat quotidiennement et spontanment le

slogan publicitaire ?

2. Les coulisses de la production du slogan publicitaire


Peut-tre se demandera-t-on : pourquoi avoir procd un examen si minutieux -
sans doute un peu trop dtaill - pour tenter de savoir ce quest le slogan publicitaire, lui
qui nest quune petite pice dans lactivit globale de la publicit ? Tout simplement
parce que - et cest pour cela quen lui se concentre tout lintrt qui a port notre tude -
le slogan nest jamais facile saisir en situation relle de communication o il est
rencontr. Nous avons la conviction que cette manire de lapprhender, enracine dans

191
Selon Jean-Nol Kapferer [Les Chemins de la persuasion, Paris, Dunod, 1990, p. 121], la perception est
comprendre essentiellement comme un processus constructif. Mme si nous avons limpression que nous
voyons immdiatement tel objet, la perception de cet objet est le rsultat dun traitement dexcitations
rtiniennes. Ce traitement est trs bref, cest la raison pour laquelle notre exprience subjective nous rend
inaptes saisir ce processus. Contrairement un absolutisme phnomnologique selon lequel, simple
miroir de lobjet, la perception ne ferait que reproduire les caractristiques de lobjet, une perception est, en
ralit, le rsultat de lanalyse et de la synthse dinformations provenant de deux sources : la stimulation
sensorielle externe et la mmoire.
192
Blanche-Nolle Grunig, Slogan publicitaire et recherches cognitives , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions universitaires du
Sud, 2000, p. 75.
96

son apparition concrte, peut constituer, enfin, la bonne voie pour pouvoir nous
approcher de lessentiel de la problmatique de notre recherche.
ce mme titre, il nous sera indispensable de prendre en considration le contexte
de la production de cet enchanement verbal . Si lon saccorde reconnatre que la
publicit, type de communication dentreprise, pouse un prototype de communication
efficace dont le schma peut sexprimer succinctement de la manire suivante : Un
metteur (annonceur) bien identifi conoit un message adapt qui dclenche une
rponse chez un rcepteur (consommateur) individualis , alors les publicitaires sont
bien les auteurs du message193. En dautres termes, entre ce vouloir communiquer des
annonceurs et la consommation du message par les consommateurs, les publicitaires se
consacrent la mise en forme de ce vouloir. Soumis au mcanisme de production des
messages et vou la sduction et la persuasion de ses consommateurs des fins
conomiques, le slogan ne peut exister de nimporte quelle manire, et surtout, jamais de
manire gratuite194.

2.1. Deux contraintes fondamentales


Ce que nous observons, en premier chef, dans ces formules verbales, cest la
prsence de diverses manifestations, comme celle de mots nouveaux , de mots
trangers , de parties nigmatiques , de formulations tranges , de distorsions
phrastiques et d emprunts au lexique des jeunes, etc. Nous pouvons regrouper ces
caractristiques pour les qualifier sous le nom d expressivit . Fruit de lexploitation
publicitaire, cette expressivit vise charmer ou choquer le consommateur. Le choc se
produit le plus souvent dans le bon sens, mais le contraire nest jamais exclu.
Surtout, porteuse de cration dune ralit qui doit toujours tre synonyme de
flicit, la publicit invite les consommateurs, peut-tre, clbrer un monde fantastique.
193
Michle Jouve, Communication et publicit, thories et pratiques, Paris, Bral, 1994, p. 101.
194
La production des messages demande de gros moyens. Daprs Le Publicitor le cot de production des
films publicitaires de tlvision est souvent lev. Un film grand spectacle peut coter 1,5 2 millions
deuros. Pour lannonce de presse, le budget est en moyenne de lordre de 10 000 euros, mais il peut aller
jusqu 25 000 euros. La fabrication dune affiche de 4m x 3m en quatre couleurs revient 8 euros environ.
[Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Le Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 216-221.]
97

Dans une telle perspective, il se peut que le champ de cette expressivit soit illimit, de
telle sorte que nimporte quelle manifestation, tant au niveau de la forme quau niveau du
contenu, y est concevable. ce point de vue, le slogan pourrait bien tre un langage
totalement libr .
Et pourtant, lessentiel de cette expressivit se diffrencie radicalement de celle qui
sobserve dans des usages verbaux extravagants, les graffiti sur les murs ou les
balbutiements des petits enfants. Sous des apparences euphoriques, sa vraie mission est
de sduire les consommateurs et de leur faire mmoriser le produit et la marque. Vu de
ce point de vue mercantile, le slogan se caractrise, loppos, comme un langage
dsesprment conditionn . Comme, de manire gnrale, le libr et le
conditionn sont contradictoires, comment expliquer le caractre double de ce
message publicitaire quest le slogan? Nous pensons que ce phnomne relve,
fondamentalement, du caractre mass-mdiatique de la publicit.

2.1.1. La communication mdiatique : ncessit dune expressivit


Selon la thorie de la communication mdiatique de Guy Lochard et dHenri
Boyer195, la communication humaine peut tre subdivise en deux grandes formes : la
communication directe et la communication mdiatise. De la seconde relve la
communication publicitaire, qui prend appui sur un support technique donnant accs un
destinataire, quil soit individuel ou collectif. Se dployant dans les grands mdias de
masse traditionnels et gnralistes, la publicit consiste galement en communication
mdiatique, composante essentielle de la communication mdiatise.
Or, ce caractre mdiatique est ce qui entretient un double jeu dans la
communication publicitaire. Par rapport lobjectif de la publicit, qui est de persuader
des consommateurs, le caractre indirect de sa communication nest pas aussi performant
que la communication directe196. Cest en ce sens que son caractre mdiatique lui pose
des limites irrductibles, du fait de contraintes spatio-temporelles. Toutefois, ce caractre
195
Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication mdiatique, Paris, Seuil, 1998, p. 4.
196
Cela sappuie sur une hypothse selon laquelle, en termes defficacit de persuasion, la communication
directe est suprieure la communication indirecte.
98

mdiatique permet la publicit un moindre cot du point de vue budgtaire, car il


sassortit de la possibilit de grandes performances quant la diffusion de linformation.
Il est donc normal que le marketing insiste sur ce type de communication indirecte quest
la publicit. En effet, si la communication directe apportait plus davantages
conomiques que la communication indirecte, alors les annonceurs choisiraient dautres
moyens de communication que la publicit, ceux qui constituent les hors mdias, comme
les relations publiques, la promotion des ventes, la foire, le lobbying, etc.
Par consquent, aussi longtemps que la publicit sera communication mdiatique, ce
handicap suppos de persuasion persistera. Cest afin de compenser ce handicap que la
publicit recourt, dune manire parfois dsespre, lexpressivit du message.

2.1.2. La communication de masse : seuil de lexpressivit


Dun point de vue historique, les concepts et les technologies des mdias ont connu
un grand essor aprs la rvolution industrielle. Communication sappuyant sur les
pratiques des mdias, la publicit revt ainsi une dimension stratgique dans le
197
dveloppement conomique des socits occidentales et des marchs .
Simultanment, comme communication de masse auprs du grand public, la publicit
comprend galement une logique politique. Moyen de transformation des mentalits face
un nouvel environnement, elle rpond initialement une exigence dorganisation sur la
place des discussions dintrt gnral et dintrt priv.
En fait, cette vocation idale, tant conomique que politique, oriente vers le

principe du plus grand bonheur du plus grand nombre dindividus selon la formule de

Jeremy Bentham, se heurte trs tt un obstacle de taille, au fur et mesure que la

publicit emprunte les chemins de la vnalit dans sa poursuite du profit 198 . En

197
Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication mdiatique, op. cit., p. 7.
198
Selon Jrgen Habermas, il y a eu un principe de critique dans le dveloppement de la publicit des
pays occidentaux. La Publicit (die Publizitat) signifiait autrefois dmystifier la domination politique
devant le tribunal dun usage public de la raison ; la publicit daujourdhui se contente daccumuler les
comportements-rponses dicts par un assentiment passif. La Publicit, au dpart principe de la critique
exerce par le public, a t subvertie, partir du XVIII e sicle, en principe dune intgration par la
transformation des structures de lespace public en tant que sphre, due lvolution des mdias et la
99

consquence, on constate que la publicit est devient, contrairement ce quon aurait pu

attendre, lobjet dun contrle par les pouvoirs publics en vue de protger les intrts de

tous les membres dune socit contre ses aspects nfastes.

Cest ainsi que, en France comme dans nombre dautres pays du monde, la publicit

est actuellement rgie par un ensemble de mesures institutionnelles. De manire gnrale,

le cadre juridique concerne surtout certains produits nuisibles, certaines catgories du

public telles que les enfants et les femmes199 et certaines formes de promotion telles que

la publicit mensongre200 et la publicit comparative201.

Quant au message publicitaire, la loi rglemente aussi bien son contenu que son

expression. Il sagit, principalement, de deux sortes de protection : celle de la langue

franaise et celle des consommateurs. En premier lieu, pour protger la langue franaise

de linvasion didiomes trangers, la loi fait une obligation de lutilisation de la langue

franaise202 pour toute publicit crite, parle ou audiovisuelle.

Pour la protection des consommateurs, la loi interdit les messages discriminatoires,

racistes ou incitants la violence. Notamment, pour certains produits, elle prvoit une

obligation dinsertion de certaines formules dans la campagne ou sur le packaging. On

commercialisation. Finalement, la sphre publique devient une cour devant le public de laquelle un prestige
est mis en scne au lieu de dvelopper une critique au sein de ce public. [Jrgen Habermas, LEspace
public. Archologie de la publicit comme dimension constitutive de la socit bourgeoise (1962), traduit
de lallemand par Marc B. De Launay, Paris, Payot, 1993. Surtout Chapitre VI. volution des fonctions
politiques de la sphre publique, p. 189-245.]
199
La protection de ces deux catgories ne se situe pourtant pas au mme niveau. Alors que les enfants
sont concerns en tant que public, les femmes le sont en tant que faire-valoir.
200
La publicit mensongre est considre comme contraire la morale sociale, elle est juge inadmissible. Selon
Jean-Marc Dcaudin, la publicit mensongre est interdite par la loi du 2 juillet 1963, revue et modifie par celle du
27 dcembre 1973. [Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 122.]
201
Le Code de la Consommation dfinit la publicit comparative comme suit : Toute publicit qui met
en comparaison des biens ou des services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou
des biens ou des services offerts par un concurrent . La publicit comparative est acceptable condition
que la comparaison obisse certaines rgles prcises, une dontologie. Les comparaisons doivent ainsi
tre loyales, vridiques et ne pas induire en erreur.
202
http://www. aacc.fr/juridique/toubon.htm. La loi du 4 aot 1994 (loi Toubon) concerne lemploi de la
langue franaise. Cette obligation dpasse la seule mission des messages publicitaires, elle stend aux
modes demploi ainsi qu la prsentation et la dnomination des produits.
100

rencontre ce cas par exemple pour lalcool et le tabac 203 : Labus dalcool est

dangereux pour la sant. consommer avec modration ; Fumer nuit gravement la

sant et Fumer tue . Et, rcemment, nous avons, bel et bien, pu assister

lapplication dune obligation de faire figurer des messages de prvention sur les

publicits pour certains produits alimentaires204, tels que Pour votre sant, mangez au

moins 5 lgumes et fruits par jour ; Pour votre sant, vitez de grignoter entre les

repas ; Pour votre sant, vitez de manger trop gras, trop sucr, trop sal , etc.

En ce qui concerne plus particulirement lexpression du message, il faut noter

quau-del des mesures fixes par la loi, la publicit franaise est soumise

lautorgulation205. Cela signifie que la publicit se gouverne elle-mme grce des

rgles labores librement par les professionnels, sous lgide de lARPP, association

interprofessionnelle206.

203
La loi vin rglemente les dispositions relatives au tabac et lalcool. Elle interdit la publicit pour le
tabac et lalcool la tlvision franaise.
204
Suite un dcret et un arrt, publis le 28 fvrier 2007, les marques des industries agroalimentaires
sont obliges d'ajouter sur tous les supports publicitaires (spot tlvisuel, radio, presse, affiche) un message
sanitaire visant lutter contre l'obsit. Les diffrents messages suivant les catgories daliments sont :
Pour votre sant, faites une activit physique rgulirement ; Apprenez votre enfant ne pas
grignoter entre les repas ; Bouger, jouer est indispensable au dveloppement de votre enfant ; En
plus du lait, l'eau est la seule boisson indispensable . Ces messages doivent tre complts par la mention
du site Internet : MangerBouger.fr.
205
La dfinition de lautorgulation dans lAccord institutionnel europen de dcembre 2003 est la
suivante : on entend par autorgulation la possibilit pour les oprateurs conomiques, les partenaires
sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations, dadopter entre eux et pour eux
mmes des lignes directrices communes .
206
Ex-BVP (Bureau de vrification de la publicit), lARPP (Autorit de rgulation professionnelle de la
publicit) est l'organisme d'autodiscipline de la publicit en France. Elle a pour mission de mener une
action en faveur d'une publicit loyale, vridique et saine dans l'intrt des professionnels de la publicit,
des consommateurs et du public. . En d'autres termes, sa mission est de parvenir concilier libert
d'expression publicitaire et respect des consommateurs. Portant sur le seul contenu du message publicitaire
(en aucun cas elle nest juge en matire de questions relatives aux produits ou services dont la publicit fait
la promotion), elle est notamment charge dlaborer les codes de bonnes pratiques avec tous les acteurs de
la publicit (agences, annonceurs, supports de publicit, syndicats professionnels) et de veiller
lapplication de ces rgles, trois niveaux principaux (conseil, avis, autosaisie).
101

Les modalits dexistence des messages publicitaires sont donc clairement

dlimites par ces cadres normatifs207, juridiques ou autodisciplinaires, qui sont lis au

caractre de communication de masse qua la publicit.

2.2. Sous les slogans, la stratgie


Pour le message publicitaire, communication mdiatique indirecte, lexpressivit est

donc toujours sollicite. Mais en mme temps, cela suppose un seuil. Nous nous rendons

bien compte que le slogan qui constitue le message, sera le rsultat dun compromis,

parfois aprs un conflit entre la ncessit de sduire et les contraintes de respecter

qui canalisent la communication publicitaire. Mais, produit de la concertation, la

stratgie208 nest pas autre chose que le processus destin permettre de rechercher les

effets optimaux de la communication.

On peut dire, ce propos, que la publicit elle-mme est au fond un ensemble de

stratgies hirarchises. Dans une certaine mesure, lhistoire de la publicit est en effet

celle de stratgies, et toute thorie de la publicit nest que thorie de stratgies. Puisque

la cl de la publicit consiste, terme, comprendre puis deviner le comportement du

207
Alors que les mesures juridiques constituent llment qui prsente le plus gran d degr de rigueur,
voire de coercition, de sorte quen cas dinfraction aux rglements des sanctions judiciaires
sensuivent, les mesures autodisciplinaires ont moins de pouvoir coercitif. Il va de soi, dailleurs, que
ces cadres, souvent tributaires du rgime et de la situation politiques, diffrent selon les pays. Par
exemple, aux tats-Unis et au Canada, la publicit pour le tabac dans la presse est autorise, tandis
quen France elle est interdite.
208
Daprs Michel de Certeau, la stratgie est le calcul des rapports de forces qui devient possible
partir du moment o un sujet de vouloir et de pouvoir (une entreprise, une arme, une cit, une institution
scientifique) est isolable . Elle postule un lieu susceptible dtre circonscrit comme un propre et dtre
une base do peuvent tre gres les relations avec une extriorit de cibles ou de menaces (les clients ou
les concurrents, les ennemis, la campagne autour de la ville, les objectifs et objets de la recherche, etc.).
Comme dans le management, toute rationalisation stratgique sattache dabord distinguer dun
environnement un propre , cest--dire le lieu dun pouvoir et dun vouloir propres. Geste cartsien,
si lon veut, commente Michel de Certeau : circonscrire un propre dans un monde ensorcel par les
pouvoirs invisibles de lAutre. Geste de la modernit scientifique, politique, ou militaire. [LInvention du
quotidien. 1. Arts de faire (1980), Paris, Gallimard, 1990, p. 59.]
102

consommateur, ses thories, dans leur ensemble, ont toutes essay de rechercher ces

moyens qui parviendraient changer le mind, la faon de penser, du consommateur209.

Il est certain que les aspects stratgiques se diffrencient dun modle lautre.

Toutefois, quels que soient les modles, du moins pour ce qui concerne prcisment le

slogan, nous pouvons dgager un lment qui nous parat fondamental : attirer

lattention du consommateur. Sans doute est-ce par ce modle AIDA210, o lattention

joue un rle prpondrant, que ce point a t le plus exploit. Mais dans tous les autres

modles publicitaires, le slogan a aussi comme mission premire dattirer lattention du

consommateur. Cest en ce sens que, sans obligatoirement lier tout ce qui sous-tend le

slogan tel ou tel modle spcifique, nous devons envisager celui-ci la lumire dune

notion plus gnrale, dans la mesure o le slogan, mme en tant quoutil formalis, est

tout entier soumis ce cur de la publicit : la crativit . Nous allons envisager cette

question deux niveaux.

2.2.1. La crativit, vertu cardinale de la publicit


Le premier plan auquel nous devons envisager la question est celui de la crativit
comme esprit qui doit rgir toute action publicitaire. En dautres termes, toute poque,

209
Devant traiter avec ce mind du consommateur, la publicit devra, peut-tre pour toujours, tre
affaire de psychologie. Cest pourquoi divers courants ont merg, ds le dbut du dveloppement de la
publicit moderne, qui sentant cette dpendance vis--vis du psychisme du consommateur voulaient
sinspirer des apports de la psychologie. De la fin du XIXe sicle aux annes 1920, cest ltape
prfreudienne instinctiviste, selon laquelle la conduite du consommateur sexplique en termes dinstincts.
Puis les annes 1920 et le fordisme gnrent le behaviorisme. Ce sont les premiers pas de la psychologie
du comportement. La thorie du stimulus-rponse envisage le consommateur comme un tre susceptible
dtre conditionn par lapprentissage et cherche tablir des relations systmatiques de cause effet.
Enfin, la recherche motivationniste postule que lacte dachat et de consommation est le produit dune
combinaison dinformations la fois rationnelles et irrationnelles. Le behaviorisme (ou psychologie du
comportement) et les modles motivationnistes sont les plus marquants. Puis les modles du style de
vie sont apparus, au fur et mesure que le motif a t conu comme dpendant du socio-style , qui
tait suppos se fonder sur les variations sociales et culturelles du consommateur. Rcemment, les courants
traditionnels, tendance psychologique ou sociologique, senrichissent des approches cognitives et
smiologiques, le motif tant conu comme reposant sur, respectivement, sur la perception, notamment
visuelle, ou sur les rapports des signes.
210
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, ditions La Dcouverte, 1994, p. 59. AIDA est le nom dun modle
fameux de type mcaniste bas sur la hirarchie de lapprentissage : Attention - Intrt - Dsir - Achat.
103

la publicit a d tre crative. La publicit du pass, mme si elle peut nous sembler

mdiocre, nave ou gauche, par rapport aux critres actuels, a t crative ; celle

daujourdhui lest et celle de demain devra ltre encore davantage.

Ainsi, la crativit est cette qualit que les publicitaires recherchent dune manire

dsespre. Elle est extrmement difficile dfinir. Cest une notion relative, pourtant

elle absolument recherche, universellement recherche, souvent, dailleurs, dune

manire trop re-cherche . Dune faon gnrale, ce doit tre le dnominateur

commun tous les moyens dexpression. Cratif ne signifie pas obligatoirement nouveau.

Cela peut renvoyer un lment qui est fait rapparatre, aprs avoir t longuement

oubli. Le plus souvent, il sagit de quelque chose dinattendu. Nous pensons que la

crativit, en particulier dans la publicit, a trait quelque chose qui joue le contre-

pied ou bien prend les devants face aux rcepteurs. On sloigne videmment l de

lordre scientifique ou logique. En revanche, on se rapproche de ce qui est de lordre de

lintuition, du peru, du senti, du ressenti. Cest donc une notion trs difficile thoriser,

encore plus formaliser. Sans doute est-ce mme impossible.

Mais il est trs certain que la crativit est actuellement, ou plutt comme toujours

et pour toujours, la premire vertu de lactivit publicitaire. Comme elle est toujours

perue comme lessentiel, beaucoup de spcialistes ont tent de la cerner, de la

dterminer pour pouvoir la matriser, en prtendant fournir, chacun sa manire, la

recette pour y arriver. ce sujet, nous voudrions nous appuyer sur les deux spcialistes

qui nous paraissent les plus intressants cet gard. Tout dabord, Jacques Sgula, qui

compare la crativit au Yti, en soulignant qu elle est difficile dfinir et pourtant

perceptible. Personne ne la jamais vu, mais il suffirait quil entre dans une pice pour

que chacun reconnaisse lHomme des neiges. 211 En positionnant la cration comme le

cur de la publicit et comme son me, il souligne ceci : Crer est oser redevenir

enfant. En dautres termes, la crativit sexprime par lenfance retrouve volont. 212

Comme elle est course linvention, elle est une perptuelle dstabilisation, un pacte
211
Jacques Sgula, La Publicit, Toulouse, ditions Milan, 1995, p. 6.
212
Ibid., p. 7.
104

pass avec lillogisme. Crer, en tant quil sagit dun accouchement dans la douleur,

revient dtruire les tabous, les rgles, les ides reues. Finalement, crer, cest brler

lextraordinaire 213.

En revanche, ce don si admir et recherch est exprim par Philippe Michel, par un

simple mot : ides . Alors que la notion de crativit chez Jacques Sgula prend des

allures spectaculaires, chez Philippe Michel elle est dordre plus conceptuel. Elle est

exprime limpidement dans ce passage :

Les ides naissent dune minuscule collision, dun frottement entre des fragments de
concepts qui navaient pas lhabitude de se frquenter et cest ainsi que des concepts
froids auparavant se mettent dgager de la chaleur et que des objets obscurs jusque-l
commencent dmettre de la lumire. Petite chaleur, petite lumire qui menacent de
steindre si lon ny prend garde. De ces fragiles lucioles dpendent les incendies qui
embrasant les reprsentations font les grandes marques, celles qui sont suffisamment
chaudes pour laisser leur empreinte sur les consciences et leur trace dans les mmoires.
Les ides sont au cur du chaos qui constitue les univers, ceux des marques comme les
autres. Ce sont elles qui les donnent voir sous un jour organis : sans elles, tout est
confus, avec elles, tout devient clair.214

2.2.2. La crativit, stratgie du message publicitaire


distance de la vision qui considre la crativit comme la vertu cardinale de toute

activit publicitaire, une autre dimension de celle-ci que nous tenons aborder concerne

la stratgie concrte du champ. Lie concrtement ltape de ce que lon appelle

cration en publicit 215 , la production du slogan sintgre dans le processus

dlaboration du message publicitaire. Ce processus est soumis un ensemble de

dcisions majeures et interdpendantes sur les objectifs atteindre et les moyens


213
Ibid.
214
Philippe Michel, Cest quoi lide?, Ouvrage posthume prsent par Anne Thvenet-Abitbol, Paris,
ditions Michalon, 2005, p. 38-39.
215
Une bonne cration permet de diminuer la quantit despace achete dans les mdias tout en
conservant une bonne efficacit, grce, entre autres, la mmorisation quelle engendre ; linverse, une
mauvaise cration remet en cause la performance de la publicit et peut dgrader limage de la marque ou
du produit concern, alors quun mauvais plan mdia correspond simplement un gaspillage conomique
du budget publicitaire.
105

principaux mettre en uvre pour les raliser216. Le message publicitaire repose sur la

base dune plate-forme de cration dfinie par le marketing, et que le cratif utilisera

pour imaginer le message publicitaire. Sagissant du contexte de la production du

slogan217, nous pouvons envisager la crativit selon deux axes stratgiques.

Dune part, on peut envisager la crativit au sein dune copy strategy. Tout en

conservant une plate-forme de cration rigoureuse du point de vue marketing, les

publicitaires tentent alors de remdier la rigidit de la mthode dorigine en confrant

plus de libert, plus de souplesse la cration. Mais base sur le produit, la copy strategy

est souvent critique, tant par les publicitaires que par les spcialistes du marketing, qui

considrent quelle ne favoriserait pas assez lexpression dans la publicit, du fait de sa

dmarche trop mcaniste et directive.

Dautre part, certains cratifs sefforcent de dvelopper des stratgies

cratives , recherchant un style publicitaire nouveau et original. Lessentiel de cette

approche consiste privilgier le rle jou par la marque dans la dcision dachat du

consommateur218. Il est donc alors naturel de demander la publicit de contribuer

amliorer limage de la marque et de chercher en transmettre un meilleur

positionnement, plutt que de saxer sur les points forts du produit. Approche trs

publicitaire et typique des grands cratifs des annes 1970 et 1980, la recherche dun

style original sest concrtise par des campagnes fortes et apprcies des

consommateurs. Face lide selon laquelle la crativit ne jouerait quaccessoirement,

216
Bernard Brochand et Jacques Landrevie, Le Publicitor, 4e dition, Paris, Dalloz, 1993, p. 45.
217
Une des caractristiques de la production du slogan est rgie par lide quil nexiste pas de cration
collective et quil ny a de vraie cration que personnelle, mme si le crateur travaille en trs troite
collaboration, sous forme de duo-cratif , avec le directeur artistique sur la conception et la rdaction
des annonces. De ce fait, le processus de la production du slogan est fortement dpendant des capacits du
concepteur-rdacteur engag.
218
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 116 : Lide gnrale
des plates-formes de cration de ce type est de comparer limage idale que devrait avoir la marque et les
perceptions de cette marque par les cibles de consommateurs et dacheteurs ; le rle de la publicit est
alors de faire tendre la marque perue vers la marque idale. Jacques Sgula avec la star stratgie et
Jean-Nol Kapferer avec le prisme didentit de marque sont reprsentatifs de cette dmarche.
106

Philippe Michel proclame au contraire que la stratgie elle-mme doit tre crative219. La

disruption 220 et le saut cratif 221 sont des concepts qui traduisent une telle

volont de privilgier la crativit du message. Lobjection qui pourrait ici tre faite est

que, compte tenu du fait que, soumise un but mercantile, la crativit du message

publicitaire ne constitue pas un but en soi, une dmarche de ce type peut risquer de

manquer defficacit commerciale, car, la diffrence des plates-formes de cration

fondes sur le produit, elle ne possde pas de garde-fou autre que la conscience

marketing des cratifs qui la mettent en uvre.

2.3. Les alas du slogan publicitaire


Si lon pense dabord linverse, il est noter que le slogan est une crature dont le

sort dpend de lefficacit de la communication. Bien quil ait t le fruit defforts

stratgiques dsesprs et dautotests 222 durant ltape dlaboration, le rel de la

communication constitue un autre terrain. ce propos, Armand Dayan affirme que les

cratifs eux-mmes seraient souvent bien surpris des sous-entendus et des connotations

quon peut prter aux messages quils ont crs. 223

219
Mme sil na pu thoriser ses conceptions, ses ides, qui ont dj beaucoup t reprises ne sont
toujours pas puises. Jean-Marie Dru souligne que Philippe Michel a t le premier avoir imagin que
la stratgie elle-mme pouvait tre crative. Avant lui, ctait aux cratifs de faire tout le boulot, un brief
tait jug pertinent sil prenait en compte les attentes des consommateurs et le contexte concurrentiel. Lui
ne se satisfaisait jamais dun brief qui ne soit pas cratif : il fallait une ide dans la stratgie et, en ce sens,
il tait parfaitement novateur. [Stratgies, n 1286, juin 2003.]
220
Cest le terme quemploie Jean-Marie Dru dans son ouvrage, Disruption live, Paris, Pearson Education
France, 2003. Lauteur y dfend lide que la disruption implique la destruction des choses acquises et
leur remplacement par quelque chose de nouveau et dos.
221
Le saut cratif reprsente la capacit que devraient avoir les cratifs dune agence publicitaire de
traduire un objectif marketing en une situation originale, sduisante et attractive pour la cible de
communication.
222
Bernard Brochand et Jacques Landrevie, Le Publicitor, 4e dition, op. cit., p. 358-362 : Le slogan est
contrl, tout propos, tous les stades de sa ralisation et par tout le monde, par les publicitaires et le
public bien sr, mais aussi par bien dautres. Il est le produit de juges rigoureux de la part de la production.
Il doit tre adquat la stratgie de la communication, aux critres de la communication et aux critres de
ralisation.
223
Armand Dayan, La Publicit (1985), Paris, PUF, 1995, p. 49.
107

Dans une situation o nul ne peut bien videmment garantir leffet rel dun slogan

publicitaire, son statut fera toujours lobjet de polmiques dans le secteur de la publicit.

Pour certains auteurs, le slogan est larme la plus sre et la plus populaire de la publicit,

sil parvient tre un instrument de persuasion et un aide-mmoire bien conu donc trs

frappant. De ce point de vue, son efficacit tant dcisive, le slogan est l un des

passages obligs de la communication publicitaire 224. Il est considr comme llment

qui dtermine le genre du discours tenu et facilite la mmorisation de la publicit 225.

En revanche, son insuffisance ou les risques dun affaiblissement de son rle sont

souvent voqus, notamment avec la monte du pouvoir de limage. Cest ainsi que

Culturepub a consacr une mission ce sujet, sous le titre : Le slogan est-il mort ?

226 Et paralllement, dans une revue spcialise, le mme thme a t trait, sous le titre

de Les maux des mots 227. De son ct, Bernard Cathelat minore nettement le rle du

slogan, le sous-estimant sans doute, en dclarant que les slogans savrent impuissants

tablir une authentique communication, susciter un attachement durable de la

clientle. Ils engendrent une communication au deuxime degr, dsimplique au-del de

limpact 228.

3. Le mystre de la rception du slogan publicitaire


Il nest pas exagr, moins que jamais, de comparer lactuelle situation du march

une guerre, mais cest une guerre des marques . La tactique privilgie par la publicit

pour conqurir ce march hyper concurrent, semble toujours devoir tre, en quelque sorte,

une tactique de gurilla 229 : sapprocher candidement pour ensuite frapper vite et fort.

Il nous semble que, dans une telle conjoncture, le slogan publicitaire smet encore

comme un cri de guerre , comme sil revenait pour incarner mieux que jamais son

224
Jean-Paul Truxillo et Philippe Corso, Dictionnaire de la communication, Paris, Armand Colin, 1991.
225
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 121.
226
Diffus le 26 avril 1998, sur M6.
227
CB News, n 704, mai 2002.
228
Bernard Cathelat, Publicit et socit, Paris, Payot, 1992, p. 115.
229
Claude Cossette, La Publicit, dchet culturel, op. cit., p. 114.
108

tymologie. La seule diffrence est que le combat se droule sur un terrain apparemment

beaucoup plus raffin, qui sappelle commerce et dont la devise pourrait tre : Pour

les marques ! . Toutefois, avec le processus de la rception du slogan par le public, il se

trouve que ce cri entre dans une toute autre logique.

3.1. Du message commercial la langue de la publicit


Sagissant de la rception de la publicit, pouvoir trancher entre son caractre

bnfique / nfaste , semble en tre venu reprsenter un dbat crucial, enjeu dun

combat acharn, pour la socit franaise. Lessentiel dans ce combat autour de la

rception du slogan publicitaire, cest que, tant la fois message commercial et langage

publicitaire, le slogan est apprhend, dabord, sagissant de sa rception par le public, en

tant que langue de la publicit . Cela veut dire que le message commercial est

converti en langue , langue sentendant dans le sens le plus gnral, ou mme comme

systme de communication conventionnel de la socit. Or, dans lhypothse o les

causes et les effets dun tel dplacement de point de vue pourraient avoir un rapport

direct avec la question des enjeux sociaux du slogan publicitaire, il semble ncessaire de

mettre en lumire le statut de la langue de la publicit .

Une des premires interrogations cet gard est de savoir de quelle langue elle

relve. Cette interrogation est, sans doute, lie la supposition que la publicit doit tre

considre comme une activit spcialise au sein du corps social. Il sagit donc de

savoir si les constituants langagiers utiliss lors dune campagne constituent une langue

spcialise . Pour cela, il suffit de nous demander si elle prsente les critres dune

langue spcialise.

Sachant que, du ct de la linguistique, la notion mme de langue spcialise

reste problmatique, nous partirons de lide de Pierre Lerat selon laquelle la langue

spcialise se dfinit comme la langue naturelle considre en tant que vecteur de

connaissances spcifiques 230. Dans cette dfinition, ce que nous remarquons, cest que

230
Pierre Lerat, Les Langues spcialises, Paris, PUF, 1995, p. 20.
109

la langue spcialise est, dabord et avant tout, langue naturelle. Cela signifie que cette

langue repose sur le mme systme linguistique de la communaut. Ce nest quafin de

pouvoir rendre compte techniquement de connaissances spcialises que la langue

spcialise utilise des dnominations spcialises dans des noncs qui mobilisent par

ailleurs les ressources ordinaires dune langue donne. Toujours selon Pierre Lerat, la

langue spcialise combine les trois critres suivants 231 : son emploi est avant tout

professionnel ; la technicit dans la formulation est variable selon les besoins de la

communication ; les connaissances spcialises sont dnommes linguistiquement par

des termes qui sont principalement des mots et des groupes de mots sujets des

dfinitions conventionnelles. Malgr ce dernier critre, la langue spcialise ne se rduit

pas pour autant une terminologie reposant sur la seule convention232.

En fait, la langue qui, sagissant de la publicit, satisfait ces critres est la langue

publicitaire , entendue comme la langue et le lexique propres aux mtiers de la publicit.

Rserve au secteur de la publicit, elle est usuellement employe par les publicitaires et

les professionnels des mdias et du marketing. Pour pouvoir communiquer brivement

des connaissances techniques, ils ont forg et usent de termes tels que mdia-planning,

cible, roughman, maquette, teasing, etc233.

En revanche, en tant que langue qui cherche toujours tre mieux comprise de tous,

et surtout du plus grand public possible, la langue de la publicit ne veut surtout pas

constituer un vecteur de connaissances spcifiques. Au contraire, cette langue doit tre la

plus ordinaire possible, tre dusage quotidien et voluer au mme rythme que son temps,
231
Ibid., p. 21.
232
Ibid., p. 20.
233
Selon Louis Guilbert, il y a, selon les locuteurs, deux types de langue spcialise. La langue spcialise
technique relve dune catgorie de locuteurs non homognes qui comprend aussi bien des ingnieurs
que des techniciens et des ouvriers. En consquence, des niveaux de langue y existent et des termes
dargot professionnel y apparaissent. Par contre, la langue spcialise scientifique est utilise par une
catgorie de locuteurs homognes, de mme culture et surtout de mme formation. Elle est le plus souvent
crite, et les niveaux de langue y sont pratiquement inexistants. Finalement, la langue publicitaire
appartient une langue spcialise du type technique plutt qu une langue spcialise du type
scientifique . Pour avoir un chantillon plus long des termes de cette langue publicitaire on consultera
des ouvrages de formation la publicit. [Louis Guilbert, La spcificit du terme scientifique et
technique , in Langue franaise, n 17, 1973, p. 15.]
110

voire mme coller lactualit la plus actuelle. Cest--dire que la langue de la publicit

est en fait un franais ordinaire 234 ainsi que le qualifie Franoise Gadet du point de

vue sociolinguistique. Sur ce point, il est curieux de remarquer une chose. Mme si la

langue de la publicit existe depuis longtemps comme partie prenante des lments

langagiers de tous les jours, lhistoire de la langue franaise na pas reconnu ce type de

langue utilis par la publicit comme un usage du franais. Alors quune langue de la

mode , une langue du cinma , une langue de la posie existent depuis longtemps,

il a fallu attendre 2000 pour que la langue de la publicit soit qualifie comme telle

dans lhistoire du franais235.

3.2. Remous autour de la langue de la publicit


Les hsitations des historiens de la langue franaise quant cet hypothtique

nouveau franais peuvent se rclamer dun long pass. Elles sexpliqueraient avant

tout par le fait quil sagit de la langue quand elle se voue ces activits publicitaires

souvent rprouves et objet dune vive contestation de la bonne socit franaise,

comme nous lavons vu plus haut. En effet, cette langue est caractrise comme langue

vendre , langue mensongre , langue de la rue , langue phmre , etc. Cela

veut dire quelle prsente exactement tous les caractres qui la doivent faire tenir

distance par llite et la bonne socit.

Mais, si, mme se gardant des prjugs, on a encore tendance admettre que la

langue de la publicit est une sorte de langue spciale , en dpit du fait vident

quil sagit, bel et bien, dun franais ordinaire, dune langue banale de tous les jours,

cest parce que lon constate dans son usage un phnomne particulier, qui la distancie

des autres usages de la langue. Ce phnomne peut sanalyser en un ensemble de

caractristiques singulires divers niveaux, formel, smantique, logique, psychologique


234
Franoise Gadet, Le Franais ordinaire, Paris, Armand Colin, 1997, p. V.
235
La langue de la publicit a t, pour la premire fois, enregistre comme un des genres du franais dans
lhistoire de la langue franaise par Blanche-Nolle Grunig, La langue de la publicit , in Grald
Antoine et Bernard Cerquiglini (sous la direction de), Histoire de la langue franaise 1945-2000, Paris,
CNRS ditions, 2000, p. 211-222.
111

et communicatif, qui donnent lieu des qualificatifs du genre nologique , bizarre ,

erron , dstructur , dysfonctionnant , dviant , etc. Cest en effet propos

de ce phnomne que slvent des voix particulirement contrastes.

3.2.1. Pourriture de la langue ?


Dans un premier temps, on constate une vision selon laquelle la langue de la
publicit serait un barbarisme par rapport aux usages canoniques de la langue. Ce qui
gouverne cette vision est que la langue de la publicit, tant publique, et dlibrment
telle, devrait relever de LA langue franaise, de la bonne langue au lieu de ntre
que de la langue franaise , une faon de parler ne se souciant aucunement de
normativit en tant que message publicitaire. Pour ceux qui partagent cette ide, la
langue franaise, en tant que langue nationale est un patrimoine protger236, a fortiori
quand elle est publique. Ils jugent donc que lactivit publicitaire, qui utilise une langue
qui nest admissible quen priv, et qui le fait srement, est vicieuse et destructrice de la
socit. Ce point de vue protectionniste se traduit par de nombreuses critiques, faites
dans cet esprit de croisade, de guerre sainte .
Tout dabord, nous voyons bien quAnge gardien de la Langue franaise et devant
veiller la puret de son sang, lAcadmie franaise ne saurait se placer quaux
antipodes de la publicit. Son dictionnaire, le Dictionnaire de lAcadmie franaise et
son priodique La Dfense de la langue franaise sont les armes qui doivent imposer au
public au moins moralement le bon usage de la langue franaise. Il ne faut cependant
pas oublier que lAcadmie est une institution politique. On se rend compte que, quoique
la devise de ce priodique soit Ni purisme, ni laxisme 237, elle pratique (et prescrit)
indniablement le purisme. Il y a un demi-sicle, Ren tiemble soulignait combien la
publicit pourrissait la langue franaise, en dmontrant que tous les principes de la
syntaxe franaise sont viols exprs par les publicitaires 238. De leur ct, dans une

236
Dans le cadre protectionniste de la langue, on peut se rfrer encore la loi Toubon, dont le 1er article
dispose que la langue franaise est un lment fondamental de la personnalit et du patrimoine de la France .
237
Cette formule ressemble dailleurs un slogan politique, dans la mesure o celui-ci dissimule souvent la vrit.
238
Ren tiemble prcise : Articles et prpositions disparaissent, le verbe nest plus quune sorte de
copule, et la phrase se rduit au substantif et ladjectif. Jadis apte dcomposer et analyser le rel, la
112

mission spciale intitule Je manie les mots 239, un certain nombre de spcialistes de
la langue franaise ont soulev cette question dune manipulation de la langue par la
publicit et les mdias.
Enfin, la question des mots occupe aussi une des premires places dans les
arguments du mouvement antipub. Ainsi, les Casseurs de pub voient dans la publicit
une machine casser le verbe mais aussi le symbolique, chose plus grave quoique
moins perceptible :

Nous expliquons grce des mots, mais ces mots demeurent toujours des
reprsentations de nos penses. Les mots ne pourront jamais expliquer parfaitement nos
valeurs. Ils tenteront simplement de sen approcher le mieux possible. Les mots sont
donc fragiles. Trs fragiles. Les mots, tous les mots, sont des symboles. Les symboles
sont comme les mots. Nous les utilisons pour dcrire et communiquer nos sentiments et
nos valeurs. Ainsi Marianne symbolise-t-elle la Rpublique. Une balance symbolise la
justice. Les mots (ce que les anciens appelaient le Verbe) et les symboles sont donc
essentiels notre humanit. Sen prendre aux mots et aux symboles, cest sen prendre
lHomme lui-mme. Cest pourtant exactement ce que font les publicitaires. Ils
dforment les mots. Ils pitinent le langage pour amener les gens consommer toujours
davantage. Ils dtournent le sens originel des mots pour manipuler nos cerveaux.240

Ce point de vue, puriste, normatif et protectionniste qui traite la langue et les mots
comme un patrimoine national , laisse pourtant en suspens des interrogations. Une telle
position conduit en effet indniablement se demander sil peut bien exister vraiment
quelque chose de tel que la belle langue , voire LE bon franais. Pour y rpondre,
voici une anecdote, prsente il y a longtemps par Robert Gurin :

Aujourdhui, ce sont les professeurs de franais ltranger, groups en association, qui


dplorent la dcadence du langage dans la mre-patrie. Faudrait-il, quand on voudra

langue franaise devient son tour une langue synthtique, qui cherche en suggrer la sensation
immdiate. La phrase se rduit au mot et le mot lobjet. [Ren tiemble, La publicit pourrit la langue
franaise , in Cahiers de la publicit, n 7, 1963, p. 16.]
239
Diffuse sur France 2, le 12 novembre 1997. Les invits sont Alain Rey, Henriette Walter, P. Meyer,
C. Gegnire et M. Alain.
240
http://www.casseursdepub.org
113

entendre du bon franais, aller en Turquie, au Prou ou ailleurs, partout dans le monde o il
y a encore des lites qui pratiquent notre langue mieux que nous ? Le langage est attaqu sur
deux fronts ; par les ignorants et par les pdants. Le mal que lui font les ignorants nest pas
bien grand ; au contraire, ce sont eux qui tablissent lusage. Cest lusage qui abrge les
mots trop longs, polit les mots rugueux, lubrifie les mots grinants et donne la langue la
fluidit voulue. Les pdants, eux sont beaucoup plus nfastes. Ils nutilisent pas le langage
pour se faire comprendre, mais pour en imposer, selon cet axiome qui veut que nous
admirions dautant plus que nous comprenons moins. Avec les ignorants, le langage tait
abtardi, mais vivifi, avec les pdants, il meurt lentement de ncrose. Ce sont eux les
responsables de laffreux jargon scientifique, administratif, judiciaire, commercial, dont
nous sommes affligs.241

En fin de compte, ce qui est essentiel la langue, la vie de la langue, cest lusage mme,
pas forcment le bon usage . Cest dans et par lusage que la langue volue. Nest-ce pas,
dailleurs lusage qui a fait du bas-latin la langue de Racine ? Cest que lusage est celui de
toutes les couches de la socit, pas seulement de l lite , faonn par tous les facteurs de la
socit, intellectuels, socioculturels, techniques, vnementiels... Or, ce qui est prendre en
compte, ici, cest que, tout en correspondant aux mutations sociales de tout genre, la publicit
constitue, bel et bien, un milieu langagier spcifique et que les phnomnes linguistiques qui
sy rattachent ne sont quun aspect particulier de lusage du franais ordinaire. Loin de devoir
tre considrs comme un objet de rejet par ladoption dun point de vue normatif, ces
phnomnes devraient tre compris et considrs dans le rapport qui sinstaure entre la
publicit et la socit.

3.2.2. Posie pour ?


On constate parfois, en revanche, que la particularit de la langue de la publicit suscite
une raction dun tout autre genre. Cest--dire que, moins protectionnistes, certains auteurs
considrent que la langue de la publicit peut constituer en elle-mme une sphre susceptible
de productions artistiques, sans que publicit et langue doivent entrer en un rapport antagoniste.
Dans cette perspective, la langue de la publicit est surtout compare de la posie . Or,
bien que plusieurs auteurs aient fait ce rapprochement, cest sur des bases diffrentes. Ainsi, si

241
Robert Gurin, Les Franais naiment pas la publicit, Paris, Olivier Perrin, 1957, p. 164-165.
114

Roland Barthes 242 considre le message publicitaire comme une sorte de posie, cest
notamment en corrlation avec le concept de connotation. Pour Hubert A. Greven, la publicit
sexprime comme une uvre crite dont le style est plein dimagination qui donne une
analogie la posie par son utilisation de la langue 243. De son ct, mettant laccent sur son
caractre populaire, Blanche-Nolle Grunig est davis que la langue de la publicit est la
grande posie populaire 244 laisse en libert, qui sexprime sur les murs de nos villes ou
dans les pages colores des magazines. Par ailleurs, Olivier Reboul245 et Mathieu Guidre246
qualifient la langue de la publicit - et notamment le slogan -, comme posie pour , oppose
la posie pure . Ils estiment que la publicit parvient associer lart au commerce, un
mode dexpression un produit dtermin, en soulignant que, pour y aboutir, lexpression du
message est soumise un processus de potisation complexe et protiforme.
Avant tout, il nous semble que cette ide de considrer la langue de la publicit comme de
la posie ou une sorte de posie, compte tenu des caractristiques formelles de la langue, est
trop audacieuse, voire risque. Si lon se met parler de posie du seul fait quune phrase ou
une formule langagire est courte et frappante, faudra-t-il considrer comme de la posie ces
formules mmes quand elles vantent des produits nuisibles, ainsi que la drogue, lalcool, le
tabac, etc. ? On se demande donc si la valeur de la langue de la publicit nest pas lie
cause quelle dfend. En outre, si un texte doit tre accept comme posie du seul fait de sa
mise en uvre dune fonction potique du langage, nul ne pourra nier que la propagande
politique le fait. Mais peut-on dire que la propagande soit de la posie, mme rate ? De
surcrot, sagissant de la distinction et du lien entre posie pour et posie pure , nous
pensons que cest peut-tre un peu insuffisant mme avec ce jeu de mots phontique sur
pour et pure , mme si ce pour dcrit bien le ct mercenaire de la publicit et
renvoie la situation actuelle o la publicit est lobjet dun dbat polmique pour / contre .
Mais, il ny a plus qui pourra distinguer une posie pure et une posie pour ? Cette
mthode risque enfin de dshonorer la notion mme de posie . Nous pensons que la langue
242
Roland Barthes, Le message publicitaire, rve et posie , in Cahiers de la publicit, n 7, Paris, Dauer, 1963.
243
Hubert A. Greven, La Langue des slogans publicitaires en anglais contemporain, op. cit., p. 13.
244
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 7.
245
Olivier Reboul, Slogan et posie , in Art & pub 1890-1990, Tours, ditions du Centre Georges-
Pompidou, 1990, p. 88-97.
246
Mathieu Guidre, Publicit et traduction, op. cit. p. 114.
115

de la publicit pourra parfois produire de la posie respectable. Toutefois celle-ci naura pas
les caractres de la posie littraire , et ne mrite pas souvent laccueil inconditionnellement
admiratif de ses aficionados pour lesquels la publicit est tout simplement un art , voire lArt
mme.

3.3. Le slogan ne serait-il pas un vilain petit canard ?


Pour notre part, nous sommes persuads que le slogan constitue le fil rouge dans
lapprciation de la rception du langage publicitaire, phnomne complexe et nigmatique
et qui reste voil. Il semble en effet que se joue un rle social invisible au niveau de cette
rception, quelque chose qui va bien au-del de cette pourriture de la langue que
craignent les idoltres de lillusion de la belle langue , au-del dune simple posie ,
objet dun loge ambigu, bas sur une simple approximation formelle des usages de la
langue. Au demeurant, lensemble des phnomnes langagiers du slogan publicitaire pourrait
tre li, prenant une nouvelle forme de signification sociale, ce que Georg Simmel nomme
roi clandestin dune poque247 (ou au roi secret de la pense chez Hannah Arendt) et
auquel Michel Maffesoli nous a rendu attentif comme au Courant qui conduit lpoque.
Dans ces conditions, nous comparerons volontiers le slogan publicitaire au vilain petit
canard 248, qui se transforme, comme tout le monde sait, en un merveilleux grand cygne ,
cygne qui, enfin, peut tre un Signe de lair du temps.
Mais du coup, il faudrait ici, pour parvenir distinguer la figure cache du cygne dans
lapparence manifeste du canard, un regard particulirement perspicace. Cela ncessiterait,
selon les termes de Michel Maffesoli, un regard lucide sur des faits bruts. Un regard
gnreux aussi qui respecte les choses pour ce quelles sont, et qui tente de saisir quelle peut
tre leur logique interne. 249

247
Georg Simmel, Sociologie et pistmologie (1917), traduction et prsentation par Julien Freund, Paris,
PUF, 1981, p. 42.
248
L'histoire du Vilain Petit Canard fut crite par Hans Christian Andersen en juillet 1842. Dans ce conte,
Andersen a voulu illustrer les principales priodes de sa vie. Le thme du gnie incompris est un thme
romantique qui revient assez souvent dans la posie du XIX e sicle, notamment chez Charles Baudelaire
qui montre l'incomprhension entre le pote des cimes impuissant l-bas et le vulgaire dans L'Albatros,
chez Stphane Mallarm, dans Le Vierge, le vivace et le bel aujourdhui...
249
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 10.
116

Seconde partie

De la formule la forme

certains moments, le vrai savoir est dans le


boug, dans laspect tremblant et frmissant de
ce qui vit. -Michel Maffesoli, Le Temps des
tribus (1988), 2000.
117

Quand on dsigne un objet dtude comme une le inconnue, la mthodologie propre

laborder pourrait tre compare un pont jeter entre cette le et le monde

scientifique partir duquel on entreprend cette recherche. Cependant, lorsque le domaine

explorer se situe tout prs de notre quotidien et mme au cur de celui-ci, on a

paradoxalement davantage de mal construire ce pont. Parce quil semble si bien connu

quune sorte de presbytie due sa familiarit nous empche de le remettre en question.

Ce pont apparat comme lappareil pistmologique, thorique et technique grce

auquel on pourra traduire et importer en termes scientifiques ce quon a observ et

dcouvert sur le terrain. Sans cet appareil, cet import ne peut tre assur, mme si lon a

t capable de faire sur cette le des dcouvertes inopines. Ce pont est virtuel et il varie

mesure quil se singularise, soit que lobjet soit nouveau, soit quil sagisse dun nouveau

point de vue sur lobjet. Ainsi, lorsquune mthodologie ne peut se rduire une

procdure qui applique telles connaissances dj labores tel domaine dj circonscrit,

il faut en laborer une qui se conforme lobjet et lobjectif de la recherche.

Nous pensons dailleurs quune thorie est une vision qui doit aider lire le rel

sans le tyranniser et btir une mthodologie pour une recherche scientifique ; les

rsultats et les consquences de cette recherche peuvent, en retour, enrichir cette vision.

Cest dans ce rapport interactif que se dterminent les connaissances scientifiques. Bien

videmment, la sociologie se dfinit comme lensemble des connaissances spcifiques

sur les phnomnes sociaux, et en ce sens il est significatif que Georg Simmel ait

considr cette science dans son ensemble comme un auxiliaire 250 qui permettrait

daborder ces phnomnes par une voie nouvelle, son poque, par rapport lapproche

des autres sciences. Par ailleurs, cette science doit se caractriser par son pluralisme.

Gilbert Durand souligne :

La sociologie vivante, cest celle qui tente de dessiner une socit sous le
pluralisme foisonnant des socialits. Ce nest pas celle qui se contente dappliquer le

250
Georg Simmel, Sociologie, tude sur les formes de la socialisation (1908), traduit de lallemand par
Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, PUF, coll. Sociologies , 1999, p. 41.
118

carcan mutilant dun modle sociologique. (...) Tout langage dhomme est matire de
socialit. Lon na pas le droit de choisir la goutte deau qui fait dborder le vase. Et
dans le trsor des savoirs toute science bien uvre a sa place.251

Dans les mmes eaux, Philippe Joron, dans le cadre de ses recherches sur les formes

de la vie sociale, souligne quau lieu de rduire la comprhension de celles-ci aux seules

catgories de lentendement, il faut encore tenter de saisir leurs principes daction,

lesquels leur donnent une contenance, un maintien, une architectonique, un style

existentiel. 252 Et, la notion d thique nergtique 253, comme lun de ces principes

daction, peut tre un exemple de ce pluralisme de la sociologie vivante.

Nous appuyant sur ce statut dauxiliaire permettant de comprendre des phnomnes

sociaux sous une lumire nouvelle, et ouvert un tel pluralisme, nous allons ici tenter de

dgager une perspective partir de laquelle nous pourrions tirer des donnes du rel

social un sens sociologique jusque-l inaperu, en le rendant traitable sociologiquement

conformment la dmarche comprhensive dont nous avons parl plus haut. Il sagit, en

particulier, denvisager quelles sont les modalits du connatre 254 permettant de

comprendre comment, au cours de lvolution de la publicit, des mots vendre , faits

pour accumuler du profit, peuvent se transfigurer en parole sociale .

Sagissant du slogan publicitaire, nous pensons quil doit tre compris prcisment

dans un antagonisme entre logique de marketing et logique de langage . Sachant

que ces deux logiques ne peuvent cependant sy exclure lune lautre et doivent

forcment y coexister, nous devons choisir sur le plan mthodologique quel angle il

convient daborder le slogan dabord, si nous voulons faire ressortir plus clairement notre

propos. cet gard, nous percevons et voudrions faire percevoir le slogan avant tout en
251
Gilbert Durand, La culture ou le revolver , in Socits, n 6, Paris, Masson, 1985, p. 39.
252
Phlippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 17.
253
Ibid., p. 17-32.
254
Lauteur met laccent sur le fait que la sociologie comprhensive puis la phnomnologie ont tent de
caractriser quelles taient les modalits du connatre propres aux sciences sociales et aux sciences
humaines. [Patrick Watier, La comprhension revisite , in Socits, n 114, Bruxelles, De Boeck,
2011/4, p. 13]
119

tant quil est une entit langagire oprant videmment dans le milieu de la

communication publicitaire. Cest certes inverser lordre le plus manifeste, mais dans le

cas contraire, en adoptant la perspective usuelle, en en restant considrer constamment

le slogan dbord comme un outil de persuasion ou de sduction du consommateur, on

aura plus de difficults se dfaire de cette approche qui, en y voyant surtout et mme

seulement la logique imprative du marketing, cest--dire, une rhtorique

unidimensionnelle, masque toute autre perspective possible. En dautres termes, en

prenant le slogan comme ce quil est dabord, savoir un nonc en langue naturelle,

nous aurons davantage la possibilit de parvenir notre objectif.

Or cette prise de position nous conduit une situation assez particulire. En effet,

lorsquune recherche sociologique cherche prendre forme en se concrtisant en des

mots qui en viennent constituer alors eux-mmes un discours spcifique, nous

sommes confronts ce cas singulier o des mots deviennent, la fois, le moyen et

lobjet de la recherche. Sagissant des mots en tant que moyen de la sociologie, Michel

Maffesoli nous conseille de savoir accepter avec modestie de vivre ce paradoxe :

Indiquer une direction assure avec des mots nayant, en rien, lassurance du

concept. 255 Cest que les mots pris en tant quobjet de la sociologie posent

invitablement des questions pineuses. Parce que le langage, de manire indniable,

relve dun double statut : il est la fois signe linguistique et pratique sociale . Ces

deux dimensions ne se heurtent pas de front mais elles ne saccordent pas pour autant

pleinement lune avec lautre.

255
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. IV. Sagissant de cette spcificit langagire en tant quelle
est linstrument de la sociologie, lauteur note : Les mots font galement partie de notre
instrumentation, et celle-ci a ses coups de main et ses savoir faire(ou savoir dire), mais sans
prtendre que le problme puisse trouver une solution univoque, il faut semployer ce que nos
recherches, nos livres, nos exposs sachent, sans rien perdre de leur rigueur scientifique, intresser les
divers protagonistes sociaux. [Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire. Prcis de sociololgie
comprhensive (1985), Paris, Klincksieck, 2007, p. 31.]
120

Pris dune telle situation, notre travail mthodologique suivra la voie que prconise

Michel Maffesoli : le formisme 256. Selon lui, au demeurant, la forme se contente de

poser des problmes et donner des conditions de possibilit pour y rpondre au cas par

cas , alors que la formule a, sur tous et sur toutes les choses, des rponses toutes prtes

257. En restant bien conscient de cette modalit, nous allons, dabord, examiner les dfis

mthodologiques que soulve le slogan publicitaire en tant que langage. Ensuite, nous

proposerons une nouvelle perspective, non pas comme formule sociologique mais

comme forme sociologique par laquelle pourra plus nettement se dgager cette forme

nouvelle de valeur sociale qua peu peu prise la publicit, au travers de cette

formule publicitaire du slogan qui en est le cur.

256
Pour comprendre succintement ce quest le formisme, consulter son article, Le formisme in
Socits, n 25-26, Paris, Dunod, 1989 et pour en prendre connaissance plus en dtail, lire son ouvrage La
Connaissance ordinaire. Prcis de sociololgie comprhensive, op. cit., notamment lIntroduction et le
Chapitre IV.
257
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible (1996), Paris, La Table Ronde, 2005, p. 113.
121

Chapitre II. Lpiphanie du langage


Pour entrer dans le vif du sujet, nonons rapidement quelques slogans publicitaires

rencontrs dans les pages de magazines et sur laffichage parisien :

a dcouf ; Les chicissimes ; Spacte ; Quand je serai grand, je serai


informagicien ; Auto-satisfaction ; Vos photos ne perdront plus la tte ;
Lintelligence appelle lintelligence ; Moi aussi, cheveux un menu Hippy Toast ;
Un cerveau gigantesque dans un corps minuscule ; trangement proche ;
Nhsitez plus entre le soin et le soin ; Libert, galit, festivits! ; Parents
bord ; Un bonheur narrive jamais seul ; Il tait une fois. Pas deux ; Six
appeal ; Sous la TV la plage ; Rapprochez-vous, il ny a rien voir ;
Noubliez pas de laisser la lumire allume en sortant .

Nous navons exprs pas mentionn les noms des marques des produits en question,

afin que soit remis en relief le caractre foncirement langagier du slogan. Ce faisant, on

sent, en un premier temps, chaque fois un certain dphasage, une certaine dviance par

rapport aux formes canoniques ou aux clichs reus dans la pratique ordinaire de la

langue. Dans cette liste, on pourra vite trouver lanomalie sagissant des slogans qui

transgressent des rgles dorthographe ou de grammaire de la langue franaise. Par

ailleurs, si certains slogans ne dlivrent littralement aucun sens, dautres nont pas un

sens exact, suscitant un problme smantique258. Parfois encore, on ressentira un malaise

vis--vis dexpressions qui, grammaticalement correctes, comportent pourtant une

violation du bon sens ou des rfrences socioculturelles. Sans doute, est-ce cause de ces

apparences langagires quelque peu transgressives des normes langagires, mutantes,

insenses ou pour le moins tranges, que se sont leves les rprobations bruyantes que

nous venons de mentionner dans la partie prcdente.

De fait, nous rencontrons souvent des gens qui exigent, ds lors que des produits

langagiers sont bizarres , tant sur le niveau formel que smantique, que lon ne leur

258
Se limitant au champ significatif des mots et des phrases, le terme smantique est utilis, ici, dans le
sens quil a dans la linguistique.
122

accorde aucun intrt. Comme si lon tait dans la situation denseignants donnant une

leon de franais des lves trangers. Or nous croyons que cette manire de considrer

le langage comme devant tre un code strict procde dun simplisme, devant la

pluralit, lhtrognit et la complexit relle que manifeste le langage.

Nous pensons, bien au contraire, que de telles manifestations constituent un

phnomne langagier spcifique qui se rvle comme un trait majeur de lexpression

propre au discours publicitaire. Ce qui apparat le plus immdiatement, cest que

lensemble de ces phnomnes plus ou moins extravagants - peu srieux ordinairement en

situation de communication - doivent tre considrs comme une vritable dynamique

linguistique . lantipode des esprits frileux, qui se lamentent sur la dgradation subi ici

par la langue et sur le dgt social qui en dcoulera, nous postulons que le fonctionnement

social du langage publicitaire que nous voulons montrer et dfendre repose foncirement

sur une telle dynamique. Cest en ce sens que nous ne pouvons tre daccord avec cette

caractrisation de Jean Baudrillard de la publicit comme mode dexpression : Forme la

plus basse de lnergie du signe 259. Notre travail mthodologique consistera donc nous

doter des dispositifs par lesquels nous pourrons montrer comment ces phnomnes comme

dynamique linguistique affectent le lien social.

1. Repenser le langage naturel


Pour faire un premier pas dans la direction qui nous rapprochera de cet objectif, il

conviendrait de juger dabord les slogans comme des enchanements verbaux relevant

de la langue ordinaire , en dpit de leur apparence volontairement peu normale. Une

telle position nous amne nous pencher ncessairement sur lidentit qui est celle de la

langue et du langage.

259
Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galile, 1981, p. 131. Sagissant du mode
dexpression signe est entendre dans le sens large du terme.
123

1.1. Langue-trsor vs langue-trash


Commenons donc par reconnatre que les slogans relvent, quoi quil en cote

certains, des faits de langue . Mais alors dans ce cas, cette question se pose demble :

De quelle langue relvent-ils ? Question fort nave aux yeux de ceux qui pensent que

le slogan ne saurait jamais tre autre chose que de la langue, mais cette navet nous

apporte un enseignement qui comporte une signification importante. Car, une telle

question peut nous conduire une autre manire de dchiffrer la langue.

lencontre dun monothisme linguistique simposant tous les domaines de la

socit, nous proposons, dans un premier temps, une dichotomie - mais pas manichenne

- de la langue. Nous appellerons langue-trsor le mode de la langue qui correspond

lapprhension normative qui reste la plus rpandue. Il sagit, le plus souvent, de

lensemble des mots bien immatriculs dans les vnrables rpertoires alphabtiques

qui sappellent dictionnaires . Il sagit donc des pratiques langagires dont lemploi

est recommand, voire simpose, dabord, lcole puis dans les autres secteurs publics

tels que ladministration, la politique, lconomie, le social, etc. En ce sens, on peut dire

que cest la, soi-disant, langue officielle ou langue standard . Des lettres prives

la communication officielle, en passant par lexpression en public, tous les aspects de

cette langue doivent se conformer aux normes grammaticales et socioculturelles en

vigueur, voire un bon usage 260. En un mot, cette langue-trsor est une langue qui

est soumise la fameuse logique du devoir-tre . Ici, le terme de trsor est

entendre de manire quasi identique au concept de langue saussurienne, qui se dfinit

comme le trsor 261 dpos (par la pratique de la parole) dans les sujets appartenant

260
Nous utilisons ici cette expression au sens large du terme. Elle a donn lieu au titre dun ouvrage Le
Bon Usage, grammaire prescriptive du franais, publi pour la premire fois en 1936 par Maurice Grevisse,
et priodiquement mis jour depuis. Il traite de lusage correct de la langue franaise et comprend de
nombreux exemples et contre-exemples tirs de la littrature francophone de toutes les poques, ainsi que
de la presse. Il fait office de rfrence pour tous ceux qui font un usage professionnel du franais, en
particulier les crivains et les correcteurs.
261
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale (1916), Paris, Payot, 1972, p. 30.
124

une mme communaut. Dun autre ct, ce terme a aussi la valeur de biens publics

ou de patrimoine 262.

Ds lors, par contraste, on se rend bien compte quil existe en revanche des types de

langue qui salissent la puret de LA langue. En ce sens, comme contre-image de

trsor , nous pourrions dterminer ces usages comme langue-trash 263. Il sagit de

termes qui sont souvent fictifs, invents, modifis, cods... Lusage en est prohib et

condamn par les normes sociales et ltablissement. Pourtant, cest une langue qui est

pratique quotidiennement, mme si elle nest pas admise officiellement comme langue.

Comme langue non standard ou langue officieuse , cette langue savre mondaine,

mauvais genre, vulgaire, mais elle est aussi souterraine, chtonienne. Au demeurant, le

processus de la dngation, lun des principes sous-tendant la modernit, rendrait

parfaitement compte de notre distinction et de notre pratique en matire de langue. Cela

veut dire que quand la Morale est dun ct, du bon ct, le reste ne peut, ne doit surtout

pas se dire.

Toutefois, on peut dire que le parler dun individu est invitablement une

conjonction de ces deux sortes de langue. Il ny a personne qui ne parle que la langue-

trsor, personne qui ne parle que la langue-trash. Les plus grands savants peuvent

sortir des mots en langue-trash ; les voyous de quartier peuvent, linverse, pratiquer

la langue-trsor. En fait, le parler dun individu change selon les mille et une situations

de communication. Ainsi, le parler dune socit doit tre galement considr comme

lensemble de ces langues, de ce trs large ventail de la langue, qui va de celle dans

laquelle sexprime le discours du prsident de la Rpublique jusquaux produits

langagiers insenss dun schizophrne, en passant par les balbutiements du petit enfant.

Ce qui est remarquable, cest que la langue-trash est celle qui est vraiment

vivante dans diverses sphres de la socit et quelle saffiche parfois publiquement. Par

262
Rappelons-nous que lArticle 2 de la Constitution de la Rpublique franaise stipule : La langue de la
Rpublique est le franais .
263
Le terme trash vient du mot amricain qui signifie dchet ou ordures . Il rfre aussi ce qui
flatte les bas instincts de l'homme.
125

exemple, ct du discours publicitaire, elle sobserve frquemment dans les titres de

journaux, dans les titres de films, pas seulement sur les graffitis des murs de la cit. On

pourrait dailleurs confirmer que cest bien elle qui vit lors des changes sur les rseaux

sociaux dans le cyberespace et sur le tlphone portable (SMS) 264 . Cette pratique

prospre surtout dans le parler des jeunes. Noublions pas que les tchatches anodins

et le papotage quotidien ny chappent jamais. Ainsi, bien loin dtre marginale, cette

langue (chtonienne) faonne tout un ensemble de faons de parler qui sont des produits

linguistiques part entire, correspondant chacun des moments particuliers de la vie

quotidienne. Intressant relativement rarement lanalyse linguistique et peu traits par les

autres disciplines, ces produits marginaux, ajouts les uns aux autres, comme le souligne

Louis-Jean Calvet, finissent par faire une majorit 265 . Par ailleurs, il est aussi

important de souligner que ce qui passe au travers de cette langue-trash concerne un

domaine intrieur, implicite ou latent en lhomme. Cest parce que la manifestation de ce

domaine se fait souvent dune manire inconsciente que personne ne peut y chapper.

En un mot, la langue-trash pourrait se dfinir comme une langue qui reste une sorte

dOVNI mais qui est pourtant communment partage par tout le monde. Il se peut que

cette langue soit cependant un objet prcieux, en tant que ce serait par lui que pourrait

sexprimer une poque. Cest ainsi que du trash serait susceptible de devenir

paradoxalement un trsor. Puisque le terme de trash dsigne aussi une poubelle ,

peut-tre pouvons-nous justement trouver un soutien prcieux dans cette intuition de

Michel Maffesoli :

Ce nest pas une poubelle quil convient de vider, ou une part dmoniaque quil faut
radiquer. Bien au contraire ce peut tre un fond (fonds) o va se nicher un trsor
primitif de solidarit, de gnrosit aussi. Encore faut-il accepter une telle primitivit et

264
On rencontre souvent des cas o certaines lettres sont utilises pour remplacer des expressions courtes
telles que C (Cest), T (Tes), Pcq (parce que), Bcp (Beaucoup), Bsr (Bonsoir), etc. Pour
en rencontrer de nombreux exemples, il suffit de se connecter Internet et dobserver comment
sexpriment les internautes dans tel blog ou tel espace de chat .
265
Louis-Jean Calvet, La Production rvolutionnaire. Slogans, affiches, chansons, Paris, Payot, 1976, p. 68.
126

ne pas prendre une mine dgote devant ce qui ne se rpte pas, et donc ne peut tre
thsauris pour lavenir.266

De ce qui prcde, on peut en effet tirer lhypothse que, senracinant

profondment dans le terrain langagier actuel, la langue-trash forme lautre versant de

lusage du langage. Nous pensons que cette langue est celle qui peut assumer une

fonction sociale comme nulle autre, ressentant tout sous un nouveau jour, comme elle

lest doue de sensibilits sociales diverses.

1.2. Le langage serait complexe et mystrieux


Il faut dailleurs reconnaitre que cette distinction en deux langues est artificielle,

quelle nest faite que pour la commodit de lexplication. En ralit, il ny a pas de

frontire nette entre langue-trsor et langue-trash. Leur usage dpend de la situation de

communication, mais elles font toutes deux partie dun corps insparable, cest--dire du

langage, lune des pratiques les plus complexes de ltre humain. ce titre, faisant partie

de lensemble plus vaste des pratiques langagires de ltre humain, ce sous-ensemble

que forment les manifestations spcifiques du slogan publicitaire peut tre galement

envisag sous plusieurs angles, selon les diffrentes optiques des sciences humaines et

sociales.

Ainsi, les divers aspects linguistiques anormaux du slogan pourraient tout dabord

tre considrs comme ce reste 267 dont parle Jean-Jacques Lecercle. Il sagit de

lautre face du langage, celle qui chappe aux thories linguistiques orthodoxes. Cest,

en effet, tout ce que la construction correcte de la langue, avec son systme de rgles,

exclut. Ce linguiste souligne que ce reste est vaste et que ce qui compte, cest que, le

domaine de ce reste prolifre dans notre exprience quotidienne de la parole, sous divers

266
Michel Maffesoli, Le Renchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 141.
267
Jean-Jacques Lecercle, La Violence du langage, Paris, PUF, 1996, p. 9-61. Cest dailleurs lensemble
de louvrage qui traite de cette notion.
127

aspects tels que figures de rhtorique, jeux de mots, dformations, lapsus, dlire, etc. 268

Cependant, cette approche ne cherchant pas se donner une vision spcifique de ces

phnomnes pour eux-mmes, ils y sont seulement catgoriss par rapport aux grilles

thoriques de la linguistique.

De son ct, Gilles Deleuze critique de front la conception du langage prsente par la

linguistique structuraliste. Il estime que celle-ci a fait beaucoup de mal avec ses postulats

absolument idaliss269. Pour lui, une langue est un systme qui par nature est loin de tout

quilibre et bien plutt en perptuel dsquilibre fait de toutes sortes de courants htrognes

interagissant. Dans les termes de sa pense, cette dimension extravagante du slogan pourrait

selon nous tre bien interprte au travers de sa notion de style , en ce sens que le slogan est

nonc dans cette sorte de langue trangre 270 dont relve le style. Ce style, qui en arrive

bgayer dans sa propre langue, fait du slogan le produit de ce bgaiement , qui relve de

linteraction entre agencement de dsir et agencement dnonciation. Ainsi, se contorsionnant

sous la pression de la syntaxe originale que lui impose cet agencement, et pouss aux limites

de la langue, le slogan pourrait constituer lune de ces autres formes de la langue dans la

langue quil voque quand il dit que toute langue est bilingue en elle-mme et multilingue en

elle-mme 271.

Nous pouvons galement nous rfrer linterprtation psychanalytique. La

psychanalyse, en particulier celle de Jacques Lacan et de ses disciples, dit que les

niveaux de la langue ne sont pas a priori distincts pour le sujet. Cela veut dire que, pour

le sujet qui rve ou qui commet un lapsus, le langage est structur comme un tout unique,

o les diffrences maintenues par le sujet vigilant ne sont plus pertinentes : cette

structure la fois singulire chaque sujet et du mme ordre que la langue saussurienne,

Jacques Lacan la dsigne comme lalangue 272. Un de ses disciples, Jean-Claude

268
Ibid.
269
Gilles Deleuze et Flix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrnie 2, Paris, Minuit, coll.
Critique , 1980, surtout Ch. 4. 20 novembre 1923-Postulats de la linguistique, p. 95-139.
270
Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996, p. 11.
271
Ibid., p. 138-139.
272
Jacques Lacan, crits, Paris, Seuil, 1966.
128

Milner273 dit quune langue nest pas un fait de nature, mais quelle se construit dans les

rapports contradictoires quentretiennent entre eux le point de vue systmatique et la

catgorisation sociale des pratiques. Le sujet est pris dans sa lalangue , qui comporte

un extrieur (limpossible) que lon ne peut ni atteindre ni reprsenter. Le sujet parlant

est le sige dune tension entre un fonctionnement prconstruit, o il assume ces

catgorisations, et un fonctionnement inconscient qui les ignorent. Ainsi, la lalangue se

vit au quotidien, mais ne peut ni se matriser, ni se thoriser.

Finalement, lorsque nous considrons lactivit langagire en termes de norme

sociale, cette dynamique linguistique qui caractrise le langage publicitaire peut tre

apprhende la lumire de la notion d action non-logique 274 au sens o lentend

Vilfredo Pareto. Selon sa thorie, il y a deux catgories dactions humaines : les actions

logiques et les actions non-logiques. Les actions non-logiques, objets de la sociologie,

sont formes dune partie variable, appele drivation, qui apparat comme un travail

accompli pour justifier ou expliquer laction, et dune partie constante, appele rsidu275,

qui correspond aux instincts, sentiments, besoins, gots, etc. Les drivations et les

rsidus constituent les molcules du systme social, qui lui confrent des proprits

spcifiques. Si les drivations sont bien connues, les rsidus sont cachs, do la

difficult de lanalyse sociologique. En ce sens, le langage peut tre la consquence du

rapport entre rsidu et drivation.

273
Jean-Claude Milner, LAmour de la langue, Paris, Seuil, 1978.
274
Vilfredo Pareto, Trait de sociologie gnrale (1916), Genve, Droz, 1968. Tout phnomne social
peut tre envisag sous deux aspects, objectif comme il est en ralit, subjectif tel quil se prsente
lesprit. Il y a deux classes dactions : les actions logiques et les actions non-logiques. Dans les premires,
les moyens sont appropris au but et unis logiquement ce but (par exemple, naviguer au moyen de rames).
Dans les secondes, cette relation fait dfaut (par exemple, invoquer le dieu Posidon pour naviguer). En
introduisant le premier critre on voit que dans les actions logiques, le but objectif est identique au but
subjectif ; cest le cas des actions scientifiques, artistiques, conomiques, etc. au contraire, dans les actions
non-logiques, le but objectif diffre du but subjectif.
275
Les rsidus eux-mmes sont subdiviss par Pareto en six classes, dont les deux premires, instinct des
combinaisons et persistance des agrgats correspondent grosso modo aux principes dinnovation et de
conservation. Une socit nest pas entirement rationalisable. Lquilibre social dun pays dpend de la
proportion des rsidus de la premire et de la deuxime classe (innovation et conservation) au sein des
populations en gnral, des classes sociales, des lites.
129

Ainsi, le langage naturel peut tre apprhend selon divers points de vue, de faon

illimite. ce stade de la rflexion sur le langage, la chose que nous ne devons jamais

oublier, cest que ce langage qui fait lobjet de notre discussion en ce moment, nest pas

diffrent de celui dont parlent les linguistes, les philosophes, les sociologues et les

psychanalystes, etc. Quelle conclusion se dgage de lvocation de ces divers points de

vue ? La premire rponse, celle qui apparat comme la moins errone, cest que, pour le

moment, il faut reconnatre que nul ne peut se faire une ide claire de ce quest le

langage, malgr tous les efforts dploys dans divers domaines. Le langage apparat

comme une donne bien plus complexe et inextricable que nous ne le pensions. Ou bien,

au contraire, il se peut quil soit dune essence dont la limpidit confond lentendement.

Cest tel point que le langage semble demeurer pour nous un inconnu 276, pour

emprunter lexpression de Julia Kristeva.

2. Les limites de la sociologie du langage en mcanique


En vue daccder, au sein de cette vision qui admet la complexit et le mystre de

lessence du langage, une comprhension du fonctionnement social de ce phnomne

langagier quest le slogan, commenons par examiner la situation de la sociologie du

langage.

De faon gnrale, lorsque le langage fait lobjet dune recherche sociologique, on

pense aussitt la sociologie du langage 277. Quand on considre cette sous-discipline

comme un domaine-frontire , on nenvisage quun espace commun aux sciences

quvoque ce terme : la linguistique et la sociologie. Mais, si lon considre le problme

de plus prs, on constate, comme Walter Benjamin la bien remarqu 278 , que la

sociologie du langage fait intervenir toute une srie dautres disciplines pour lesquelles le

276
Cf. Julia Kristeva, Le Langage, cet inconnu, Paris, Seuil, 1981.
277
En France, ce domaine ne semble pas bien accept comme sous-discipline de la sociologie compar
des disciplines bien tablies telles que la sociologie du travail, la sociologie des organisations, la
sociologie de lducation, la sociologie de la sant, etc.
278
Walter Benjamin, Problmes de sociologie du langage ( 1935), in uvres III, traduit par Maurice de
Condillac, revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio essais , 2000, p. 7-43.
130

langage constitue un fondement important, telles que la psychologie, la philosophie,

lhistoire, lanthropologie, la communication, etc. Parce que le langage, mme quand il

est envisag comme activit sociale , ce qui est langle de la sociologie, ne relve pas

exclusivement de la sociologie proprement dite, et que le langage apprhend comme

systme linguistique , bien quil soit aussi alors, selon lexpression de Pierre Achard,

le pain quotidien 279 du linguiste, ne se rduit pas non plus de ce fait la linguistique.

Lusage effectif du langage constitue un horizon ouvert et indtermin. Cela nous

impose invitablement une approche spcifique. Mais tout en restant bien conscient de

ce dlicat problme, afin de pouvoir, le moment venu, envisager quelles sont les

possibilits mthodologiques, il ne sera nanmoins pas inutile de voir, dans un premier

temps, comment la problmatique du slogan publicitaire peut tre rattache aux savoirs

de la linguistique et de la sociologie, les deux disciplines qui savrent les plus

concernes.

Dune manire gnrale, lobjet de la linguistique est dtudier, quant aux pratiques

langagires, tout ce qui fait quelles ne peuvent tre signifiantes que dans la mesure o

elles font systme. Sen tenant la distinction fameuse langue / parole 280, au sens o

la langue est la partie sociale et essentielle du langage, tandis que la parole se dfinit

comme sa partie individuelle et accessoire , Ferdinand de Saussure a dclar que la

linguistique devait prendre la seule langue comme objet de recherche. On dit que cest

partir de cette distinction que la linguistique moderne a pu devenir une science

autonome en elle-mme, et peut-tre pour elle-mme par suite. Elle a dailleurs

influenc lpanouissement dun certain structuralisme au milieu du sicle dernier.

Toutefois, cette distinction a oblig la linguistique moderne exclure de son

chantier dinvestigation une grande partie des produits langagiers qui constituent pourtant

llment rel de lusage du langage. Le langage publicitaire constitue bel et bien un

domaine qui se trouve dans ce cas, du fait mme quil prsente nombre de manifestations

qui sont aptes branler sa vote disciplinaire. Comme nous venons de le constater plus
279
Pierre Achard, La Sociologie du langage (1993), Paris, PUF, 1998, p. 36.
280
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit., p. 23-39.
131

haut, il arrive que certaines pratiques langagires de la publicit chappent la

dichotomie langue / parole, nassumant pas mme le statut de parole.

Il semble que confronte des phnomnes peu enclins se soumettre sa grille

thorique, la linguistique structuraliste ait tendance les exclure carrment ou les traiter

dune faon accessoire et priphrique, sans rel intrt ni effort de comprhension un

niveau scientifique.

Compte tenu de tout ceci, ce qui nous parat essentiel, cest que le langage et la

langue soient librs du joug du systme structuraliste. Il est indniable que lusage du

concept de systme sest excessivement gnralis dans notre comprhension du langage.

Mais, ce qui est crucial nest pas de ne pas le considrer comme systme, mais cest de

savoir comment ce systme sinterprte. La situation la plus regrettable est celle dans

laquelle lon tente de gouverner les phnomnes, en les faisant rentrer de force dans un

systme clos.

Ainsi le concept saussurien de langage est un peu analogique la forme sonate par

sa distinction entre langue / parole, comme si la reprsentation musicale doit se

conformer la partition. On se rend vite compte que quel point une telle perception du

langage tait abstraite et restreinte. Par ailleurs, quand on parle des fonctions du langage,

on voque dhabitude les six fonctions du langage distingues par Roman Jakobson :

rfrentielle, phatique, conative, motive, mtalinguistique et potique 281 . Dans ce

281
Roman Jakobson, Essai de linguistique gnrale, Paris, Minuit, 1963, p. 214-221. Les fonctions
gnrales du langage seraient au nombre de six en fonction des ples du schma de la communication. La
fonction motive, centre sur lmotion de lmetteur du message, se manifeste par des exclamations, des
interjections, des valuations, etc. La fonction conative, centre sur le destinataire, se manifeste par
limpratif, les interrogations, etc. La fonction rfrentielle, centre sur le contexte, vise reprsenter le
monde (narration, exposition). La fonction phatique, centre sur le canal, et le contact avec le
destinataire, se manifeste dans des formules telles que all , vous mentendez ? , etc. La fonction
mtalinguistique, centre sur le code linguistique, permet de parler de ce code ( par le mot X,
jentends ). Quant la fonction potique, centre sur le message, elle est la base de la posie, des
slogans, des proverbes dans la mesure o elle emploie les signes pour leur signifiant autant que pour leur
signifi. En fait, cette distinction des fonctions du langage nest pas si tranche, dans la mesure o les
diffrentes sortes de communication ne sont que plus ou moins rgies par une fonction dominante :
rfrentielle pour un journal, phatique pour les conversations quotidiennes, etc. Il y a, bien sr, une
hirarchie entre ces fonctions : si toutes sont ncessaires, ou reprsentes dans les phnomnes, la fonction
132

schma bien connu, qui est gnralement admis dans le secteur de la communication et

mais qui na quune valeur pdagogique pour le systme scolaire, on se rend compte que

la distinction de ces fonctions est base foncirement sur une conception positiviste et

fonctionnaliste du langage. C'est--dire que le langage y est dabord conu comme un

moyen de communication, comme un instrument la totale disposition du locuteur : le

sujet contrle sa langue, ce qui veut dire quil la fait fonctionner comme il lentend. On

dit par elle, cest--dire au moyen delle, ce quon veut dire. Cest ainsi que tout

phnomne langagier qui ne peut se ramener cette instrumentalit ou cet

intentionnalisme sera nglig comme bruit , au sens technique du terme, cest--dire

comme une gne contingente.

Une telle conception se constate dailleurs galement dans les autres modles

dvelopps par la linguistique, notamment dans ceux qui tendent prendre en

considration les lments sociaux du langage. Parce quils demeurent toujours sous

lemprise dun carcan thorique282.

On va maintenant aborder le lien entre la problmatique du slogan publicitaire et la

sociologie. Mais, on pourrait faire cette objection : Quel rapport peut-il y avoir entre

cette formule commerciale triviale et la science qui traite des connaissances sociales ?

Confronts cette interrogation soudaine, on rpond que tout dpend de la

problmatisation et du dispositif mthodologique, puisque lobjet de la sociologie, quel

quil soit, ne se donne pas de lui-mme, comme existant en soi. Cela dit, le slogan

pourrait tre susceptible de faire lobjet dune recherche en sciences sociales, selon

divers angles : idologique, psychologique, culturel, visuel, communicationnel,

anthropologique, etc.

de transmission dinformation, ou fonction rfrentielle, est prsente comme essentielle, ou premire.


282
Parmi diffrents courants, il faut tenir compte, entre autres, de la pragmatique et de lanalyse du
discours. Quoique traitant de lusage du langage, la pragmatique reste abstraite, sans considrer la
ralit en tant que telle. Sous le nom danalyse du discours, on constate souvent des cas absurdes o la
raison dtre des noncs, donne par leur genre discursif, dtermine le niveau dapproche de
ltude, si bien que les rsultats obtenus de cette manire soutiennent naturellement, en retour, la
raison dtre du point de dpart.
133

Parmi une telle diversit doptiques de perspectives, notre proccupation sera de

nous demander dans quelle mesure le slogan publicitaire peut faire lobjet dune

sociologie du langage. En effet, dune manire gnrale, les pratiques langagires, en tant

quelles sont socialement catgorises 283 , sont lobjet de cette discipline. Et

lessentiel de cette sociologie qui traite du langage peut se rsumer grosso modo cette

question : Quel rle tient le langage dans les processus sociaux au sein dune

socit ? Toutefois, un questionnement nest jamais facile entreprendre. Tout dabord,

comme mile Durkheim la bien soulign, une socit nest pas simplement constitue

par la masse des individus qui la composent, par le sol quils occupent, par les choses

dont ils se servent, par les mouvements quils accomplissent, mais avant tout, par lide

quelle se fait delle-mme 284. En outre, on doit se demander si lon peut traiter le

langage de la mme manire que dautres pratiques sociales. Enfin, si certains processus

sociaux se poursuivent dans lensemble de ces activits, cest la plupart de celles-ci,

sinon toutes, qui mettent en uvre le langage. Ce qui fait que, pour nous, il est de la

premire importance de considrer le langage en tant quil existe en une corrlation

indissociable avec lensemble de la vie sociale.

Il est vrai, en fait, que dans la tradition sociologique, les faits qui relvent du

langage ont toujours t inclus dans les activits sociales . Dj, Auguste Comte

considre que, puisque le langage est un problme pour la sociologie, la vraie thorie

gnrale du langage est essentiellement sociologique 285. Toutefois, il nous semble que,

malgr lintention de son fondateur, la sociologie contemporaine na pas suffisamment


283
La sociologie du langage et la linguistique ont un point commun : leur objet et leur moyen sont les
mots. En effet, pour se donner les moyens dune description, la linguistique moderne a dvelopp une
norme mtalangue. La sociologie doit-elle aussi sinventer un tel appareil conceptuel des fins
mthodologiques ? Cela aussi dpendra de la position que lon prendra. Si on accorde au langage un
caractre autonome qui le distingue des autres activits de socit, il faudra peut-tre adopter de nouvelles
mesures. Mais, dans le cas contraire, on nen aura pas besoin. Quoi quil en soit, pour notre propos, nous
ne voulons certes pas remettre en cause lusage universel du langage comme moyen de description. En
effet, aucune des sciences humaines et sociales ne saurait chapper cette ncessit de lutilisation du
langage. Ceci ne serait pas autre chose que remettre en cause, selon lexpression de Claude Hagge,
l Homme de paroles , voire lhumanit mme.
284
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912), Paris, PUF, 2005, p. 604.
285
Auguste Comte, Systme de politique positive (1854), Paris, PUF, 1969, p. 38.
134

manifest dintrt pour le problme du langage. Lune des raisons, nen serait-elle pas,

paradoxalement, que le langage est trop au fondement de la vie sociale ?

Ainsi, par exemple, lindividualisme mthodologique286nattribue aucune place au

langage. Cela semble vouloir dire que, pour cette approche, le monde est intelligible

directement, sans passer par le langage. On peut donc trouver dans une telle approche, un

comble de lusage du langage comme outil , dans la mesure o le poids du langage ne

sy fait sentir nulle part.

En revanche, le langage prend une place majeure dans lethnomthodologie et

linteractionnisme symbolique, en particulier. Introduisant le langage comme lieu

dintelligibilit, ces courants se refusent interprter les phnomnes sociaux de

lextrieur , et ils cherchent tablir quelles sont les catgories sociologiques qui ont

une ralit pour les acteurs en examinant les interactions entre les membres de la

socit : la conversation, les prises de parole, les interruptions, les actes de langage tels

que la requte, le compliment, etc. Ainsi, mettant en uvre le langage comme degr

dintelligibilit du monde social pour ses acteurs, ces approches ont dvelopp la notion

de comptence communicative sur le modle de la comptence linguistique :

lexercice de la parole ne suppose pas seulement une matrise de la langue, mais aussi

des rgles de politesse, des hirarchies tablies et de leurs marques, etc. Elles insistent

sur des notions telles que la clbre notion de face 287. Par ailleurs, le langage est

essentiel pour la sociologie phnomnologique. Ce courant, dont Alfred Schtz est le

286
Dvelopp notamment autour de Raymond Boudon, lindividualisme mthodologique stigmatise
lexplication des conduites individuelles par les structures sociales, par les systmes sociaux, en un mot,
par les faits sociaux. Ce courant sociologique propose des paradigmes alternatifs ceux que la sociologie
utilise en gnral pour expliquer les comportements individuels, les choix, mais aussi les faits sociaux eux-
mmes. Ces paradigmes empruntent largement lconomie noclassique et rigent en dogme la libert
daction que dtient lindividu, capable doprer le meilleur choix pour accrotre sa satisfaction. Lindividu
libre est donc au cur de ce courant.
287
Erving Goffman, Perdre la face ou faire bonne figure ? in Les Rites dinteraction, Paris, Minuit,
1974, p. 9-42.
135

tenant, considre la ralit sociale elle-mme comme socialement construite par les

activits langagires288.

Ces dernires coles ont donc tabli que le langage nest pas un objet social parmi

dautres, mais que la sociologie doit le placer au cur de ses proccupations. Il nous

semble toutefois que, malgr cette prise de conscience, ces courants nont pas une

optique spcifique susceptible de prendre en compte la spcificit discursive du

discours . Ainsi, si Henri Lefevbre et Michel de Certeau se sont proccups de lusage

de la langue dans les processus sociaux, cependant leur intrt semble ne pas tre all

jusqu prendre en considration la spcificit de la forme linguistique et ni celle du

matriau du langage alors en jeu.

Or, selon nous, en ce qui concerne le slogan publicitaire, cest justement ce

caractre formel et matriel qui semble bien constituer son importance primordiale, en

produisant un enjeu social particulier lors de la communication. Mais nous nous rendons

compte en mme temps que les phnomnes langagiers des slogans publicitaires ne

seront aucunement accessibles par la sociologie du langage sous sa forme de domaine-

frontire entre linguistique et sociologie289. Nest-ce pas par ses aberrations volontaires

que le slogan publicitaire peut constituer un matriel rflexif, une matire rflexion,

susceptibles de retenir lattention des sciences? En effet, loin de mriter lenfer de la


288
Alfred Schtz, Le Chercheur et le quotidien. Phnomnologie des sciences sociales (traduction
darticles slectionns partir des Collected Papers), prface de Michel Maffesoli, Paris, Klincksieck,
1987 et lments de sociologie phnomnologique (traduction darticles slectionns partir des Collected
Papers), prface de Michel Maffesoli, Paris, LHarmattan, 1998.
289
Bien au contraire, restant comme un dfi, ces phnomnes nous font savoir quel niveau chacune de
ces deux disciplines rencontre des limites. Dune part, il y a un bon nombre de productions linguistiques
dont la science linguistique ne semble pas pouvoir (ou pas vouloir) rendre compte ou mme que la science
refuse de classer dans la catgorie dobjet normal . Cest--dire que la linguistique slectionne certaines
productions et en rejette dautres. Il est normal, avec un tel rductionnisme, que la linguistique soit mal
positionne pour la comprhension du langage. En consquence, la relation entre fait langagier et
linguistique demeure toujours faible. Par exemple, si les grammairiens et les rhtoriciens ont, tout au
long de lhistoire, us de leur finesse pour produire un savoir normatif sur le langage et sur la langue, en un
sens, les linguistes modernes ne sont que des descriptivistes plus radicaux et plus systmatiques.
Dautre part, la sociologie orthodoxe na pas de paradigmes propos du mode de signification des mots,
des particularits de la langue. Cela veut dire que, face aux produits langagiers, elle ne sest pas dote dun
appareil qui puisse prendre en considration des manifestations linguistiques microscopiques, comme
celles qui sobservent dans le discours publicitaire.
136

poubelle, les slogans publicitaires offrent, prcisment grce leurs transgressions

linguistiques infernales, une divine occasion pour la recherche, aussi bien pour la

linguistique que pour la sociologie du langage. Ainsi, vu le cadre actuel de la sociologie

du langage, le slogan et lensemble des phnomnes qui sy dploient restent ltat d

amas langagier alin , soit par exclusion, soit par manque de moyen.

3. Librer le langage de la violence


Cest pourquoi, afin de nous rendre capables denvisager leur dimension sociale, il

nous faut une nouvelle approche. Dans une vision largie, la premire tape consisterait

pouvoir voir les produits langagiers tels quils sont. Mais, pour y parvenir, on doit

dabord librer le langage de la violence. De quelle violence sagit-il ? Ce nest pas une

violence qui sexerce par le langage, voire la violence du langage. Laspect de cette

violence ne relve pas non plus du concept de violence tel quil a t gnralis en

sociologie jusqu maintenant. Si, par exemple, Pierre Bourdieu a soulign le langage

comme pouvoir symbolique des classes dominantes et a notamment mis laccent sur les

mcanismes par lesquels ce pouvoir se reproduit, il na pas relev la violence faite au

langage lui-mme. Il sagit plutt dune violence sur le langage, comme violence

originelle et fondatrice. En dautres termes, cest une violence inflige au langage, et au

locuteur, au moyen de contraintes. Il nous semble que le langage, trangl par ce genre

de violence pistmologique, touffe, son tour, la socit moderne, et ce son insu.

3.1. Sur les rapports entre les mots et les choses


Un premier aspect de cette violence relve du rapport entre les mots et les choses.

Depuis de longs sicles, surtout depuis la Modernit, le langage a t apprhend comme

synonyme de logos, moyen de la rationalit, de lobjectivit, de la scientificit, et de la

vracit mme. Pourtant, cest bien l que se dissimule cette violence dont nous voulons

parler. Afin dexaminer comment sest instaure cette violence, appuyons-nous sur
137

lide darchologie du savoir chez Michel Foucault, propos de laquelle il exploite

justement ces rapports entre les mots et les choses.

Daprs Les Mots et les choses, sous sa forme premire, quand le langage fut donn

aux hommes par Dieu lui-mme, le mot tait un signe des choses absolument certain et

transparent, parce quil leur ressemblait. Mais cette transparence fut dtruite Babel pour

la punition des hommes. Les langues ne furent spares les unes des autres et ne

devinrent naturellement incompatibles que dans la mesure o tait efface dabord cette

ressemblance des mots aux choses qui avait t la premire raison dtre du langage.

Toutes les langues que nous connaissons, nous ne les parlons plus maintenant que sur

fond de cette similitude perdue, et dans lespace quelle a laiss vide 290.

Au cours de lhistoire, cette interprtation biblique, sacre et lumineuse, est devenue

mondaine et obscure. Il nous semble, cet gard, que les situations du XVIe sicle et

celles des XVIIe et XVIIIe diffrent profondment. Jusqu la fin du XVIe sicle, la

croyance en une ressemblance a en effet jou un rle fondateur pour le savoir dans la

culture occidentale. Michel Foucault crit ainsi :

Cest elle qui a conduit pour une grande part lexgse et linterprtation des textes :
cest elle qui a organis le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles
et invisibles, guid lart de les reprsenter. Le monde senroulait sur lui-mme: la terre
rptant le ciel, les visages se mirant dans les toiles, et lherbe enveloppant dans ses
tiges les secrets qui servaient lhomme. La peinture imitait lespace. Et la
reprsentation - quelle ft fte ou savoir - se donnait comme rptition : thtre de la
vie ou miroir du monde, ctait l le titre de tout langage, sa manire de sannoncer et
de formuler son droit parler.291

Ainsi, chercher un sens, ctait mettre jour des ressemblances. Chercher la loi des

signes, ctait dcouvrir les choses semblables. Selon cette optique, qui doit tre

entendue non pas comme un pisode dans lhistoire de la langue, mais comme une

290
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
1966, p. 51.
291
Ibid., p. 32.
138

exprience culturelle globale 292, le langage existe dabord, en son tre brut et primitif,

sous la forme simple, matrielle, dune criture, dun stigmate sur les choses, dune

marque rpandue par le monde et qui fait partie de ses plus ineffaables figures. En un

sens, cette couche du langage est unique et absolue. Mais elle fait natre aussitt deux

autres formes de discours qui la bornent : au-dessus delle, le commentaire, qui reprend

les signes donns dans un nouveau propos, et au-dessous, le texte dont le commentaire

suppose la primaut cache au-dessous des marques visibles tous. De l, trois niveaux

de langage, partir de ltre unique de lcriture. Les trois lments distinctifs se

rsolvent en une figure unique. Cest ce jeu complexe qui va disparatre avec la fin de la

Renaissance.

Au XVIIe sicle, cette profonde appartenance du langage et du monde se trouve

dfaite. Cette couche uniforme o sentrecroisaient indfiniment le vu et le lu, le visible

et lnonable disparaissant, les choses et les mots vont se sparer. 293 Alors quau

XVIe sicle, la ressemblance tait le rapport fondamental de ltre lui-mme, et la

pliure du monde, elle est lge classique la forme la plus simple sous laquelle apparat

ce qui est connatre, mais qui est le plus loign de la connaissance elle-mme. Le

langage nest plus une des figures du monde, ni la signature impose aux choses depuis

le fond des temps. Le langage se retire du milieu des tres pour entrer dans son ge de

transparence et de neutralit. Cest l un phnomne gnral dans la culture du XVIIe

sicle, daprs Michel Foucault, et qui est plus gnral que la fortune singulire du

cartsianisme 294. Au XVIIe et au XVIIIe sicle, avec lexistence devenue autonome du

langage, sa vieille solidit de chose inscrite dans le monde est dissoute dans le

fonctionnement de la reprsentation. Le signe, cest donc la reprsentativit de la

reprsentation en tant quelle est reprsentable 295.

292
Ibid., p. 56.
293
Ibid., p. 58.
294
Ibid., p. 70.
295
Ibid., p. 79.
139

Toujours selon Michel Foucault, au dbut du XIXe sicle, les mots ont pourtant

retrouv, mais diffremment, leur vieille, leur nigmatique paisseur. Dtach de la

reprsentation, le langage nexiste plus dsormais, et jusqu nous encore, que sur un

mode dispers 296. Se repliant sur soi, acqurant une paisseur propre et dployant une

histoire, le langage devient un objet de la connaissance parmi tant dautres. Puis, la fin

du XIXe sicle, il entre directement et pour lui-mme dans le champ de la pense. Dans

lespace philosophique-philologique, Nietzsche lance la question : Qui parle ? .

cette question, Mallarm rpond en disant que ce qui parle cest, en sa solitude, en sa

vibration fragile, en son nant, le mot lui-mme non pas le sens du mot, mais son tre

nigmatique et prcaire297.

Enfin, il nous semble que, mme si la situation qui a succd celle du XIX e sicle

laisse un espace assez vaste permettant une perception convenable du langage, le levier

actuel dans la comprhension du langage se caractrise au moins par trois propensions.

En premier lieu, le langage est avant tout considr comme un ensemble de signes

indpendants. Depuis le stocisme, dans le monde occidental, le systme des signes avait

t ternaire, puisquon y reconnaissait le signifiant, le signifi et la conjoncture .

partir du XVIIe sicle, en revanche, la disposition des signes deviendra binaire, puisquon

la dfinira par la liaison dun signifiant et dun signifi. Cette nouvelle disposition

entrane lapparition dun nouveau problme, jusque-l inconnu : en effet, alors que lon

stait demand auparavant comment reconnatre quun signe dsignait bien ce quil

signifiait ; partir du XVIIe sicle, on se demandera comment un signe peut tre li

ce quil signifie . Question laquelle lge classique rpondra par lanalyse de la

296
Ibid., p. 315.
297
Selon Michel Foucault, il se pourrait bien que toutes les questions qui traversent actuellement notre curiosit
se posent aujourdhui dans la distance jamais comble entre la question de Nietzsche (Gnalogie de la morale, I.
5) et la rponse que lui fit Mallarm: Quest-ce que le langage ? Quest-ce quun signe ? Ce qui est muet dans
le monde, dans nos gestes, dans tout le blason nigmatique de nos conduites, dans nos rves et nos maladies
tout cela parle-t-il, et quel langage tient-il, selon quelle grammaire? Tout est-il signifiant, ou quoi, et pour qui et
selon quelles rgles? Quel rapport y a-t-il entre le langage et ltre, et est-ce bien ltre que toujours sadresse le
langage, celui, du moins, qui parle vraiment? Quest-ce donc que ce langage, qui ne dit rien, ne se tait jamais, qui
sappelle littrature ? [Ibid., p. 317.]
140

reprsentation ; et laquelle la pense moderne rpondra par lanalyse du sens et de la

signification. Mais de ce fait mme, le langage ne sera rien de plus quun cas particulier

de la reprsentation (pour les classiques) ou de la signification (pour nous ).

En second lieu, on se rend compte que, pour la tradition occidentale298, le langage

est le moyen suprme de communication de lhomme. Ce qui frappe, cest que nul ne

puisse le dnier. Cela veut dire quil est vident que lon parle avec autrui en vue

dchanger des informations. Par exemple, Vous avez du feu, sil vous plat ? est un

nonc canonique. Les missions langagires vont de la bouche loreille, puis cet aller

est suivi dun retour. En fait, ce schma de communication positiviste est devenu une

matrice pour toutes les thories dominantes du langage et de la communication. Mais, du

fait que le langage nest pas toujours un noble instrument la disposition du locuteur,

cette idologie ne correspond pas toujours lexprience quotidienne. La ralit nous fait

savoir chaque jour que lon vit des moments o le langage nopre pas comme outil

dinformation.

En dernier lieu, le langage est actuellement toujours compris dans le droit fil de

certaines valeurs idologiques de cette Modernit qui rgne depuis XVIIe sicle. Mme si

nous ne pouvons pas toujours en dcrypter les rapports exacts, il faut noter quil existe

une certaine coalition entre rationalisme, objectivisme, instrumentalisme et scientisme.

En tant que premier moyen pour la domination de telles valeurs, le langage aura t le

compagnon de la Modernit. Cette ide est trop gnrale pour tre rfutable. Toutefois,

alors que lon veut voir le langage comme autonome et souverain, il naura dans ce cas

t que le serviteur de ce courant de penses. Sans que son existence au mode ne

puisse tre piphanise, le langage naura servi que doutil pour la reprsentation du

monde. En ce sens, on peut dire que la Modernit serait seulement synonyme

dinstrumentalisation du langage.

298
En tout cas, il nest pas ncessaire de limiter cela lOccident. En Asie, il existe galement une pense
instrumentaliste du langage. Par exemple, en Core, il existe un proverbe qui dit : Quelques fragments de
mots rglent la dette de milliers dcus .
141

Enfin, il nous semble que, dans la plupart des domaines, la perception actuelle du

langage est perturbe par trois sortes de joug pistmologique : smiologique,

communicationnel et idologique. Si cette situation persistait, il faudrait oser dire que,

mme sil FONCTIONNE, le langage nEXISTE toujours pas, comme le dit Michel Foucault

du langage lge classique299. Ou bien, si le langage existe, ce sera tout au plus, pour

reprendre lexpression de Michel Maffesoli, comme des mots sclross, dissocis et

abstraits, ceux de la parole perdue 300.

3.2. Sur les rapports entre le langage et limage


Une deuxime violence concerne le rapport entre le langage et limage. Cest une

violence galement lie la Modernit et aussi ancienne que celle qui se joue dans le

rapport entre les mots et les choses.

Dans la culture occidentale o le langage et la raison prvalent, limage a connu un

pass pre. Gilbert Durand a prcisment montr quil existe une antique et

fondamentale mfiance dans la tradition judo-chrtienne, et plus largement smite, vis-

-vis de limage. On peut souligner que le monde des images ny est jamais envisag que

spar de Dieu. Noublions pas quil est issu du pch originel et se meut, de ce fait,

dans limpit la plus totale. Michel Maffesoli note que la diffrence qui existe entre la

perfection (Dieu) et limperfection (le monde) se retrouve entre la sainte raison, sige de

la perfection, germe de Dieu dans lhumaine nature, et limagination, vite assimile

la draison, qui reprsente tout ce qui chez lhomme renvoie lanimalit, linfra-

299
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, op. cit., p. 93 :
partir du XVIIe sicle, cest cette existence massive et intrigante du langage qui se trouve lide. la
limite, on pourrait dire que le langage classique nexiste pas. Mais quil fonctionne: toute son existence
prend place dans son rle reprsentatif, sy limite avec exactitude et finit par sy puiser. Le langage na
plus dautre lieu que la reprsentation, ni dautre valeur quen elle : en ce creux quelle a pouvoir
damnager.
300
Michel Maffesoli, Le Renchantement du monde, op. cit., p. 23-24.
142

humain, en un mot au monde souterrain et dmoniaque vis--vis duquel il faut prendre

ses distances ou quil faut essayer de racheter301.

Par contraste, aujourdhui nous constatons clairement que limage na pas

seulement survcu mais a prospr et rgne en matre dans la plupart des secteurs de la

socit. En gros, on peut dire que limage, limaginaire, limagination occupent le devant

de la scne et semblent de plus en plus amens jouer un rle de premier plan, non

seulement sur le plan culturel et artistique, mais aussi sur le plan scientifique et

conomique. Michel Maffesoli a propos dappeler cet ensemble le monde imaginal ,

en reprenant et en en modifiant un peu le sens, lexpression dHenri Corbin puis de

Gilbert Durand. Le sociologue essaie ainsi de faire prendre conscience ses

contemporains de la profusion, de limportance, du rle, de la prgnance sans prcdent

de limage dans la vie sociale.

Dans une telle conjoncture, nous pouvons tre repris par cet automatisme de pense

selon lequel le langage, comme rationnel , sopposerait limage, comme sensible .

Cest bien l une autre doxa. Empcher de penser autrement, cest ce quoi tend la

violence pistmologique. Mme si lon narrive pas cerner clairement le rapport entre

le langage et limage, on aura tort de penser que le mode de communication digital et le

mode de communication analogique sopposeraient par nature, tant au niveau de la

forme quau niveau du fonctionnement. Pour la question de la forme, souvenons-nous de

l iconisation du verbal et de la verbalisation de licne .

Quant leur fonctionnement, il peut y avoir une similitude entre les deux modes de

communication. Pour envisager cela, on peut l encore suivre Michel Maffesoli. Il

estime que, parmi les moyens de communication humains, le langage occupe le niveau le

plus bas ; limage se trouve au-dessus ; le sentiment occupe le niveau suprme. On a

peut-tre l un motif douter, car il y a apparemment quelque chose de contradictoire

entre laccent mis sur cette similitude et cette hirarchie. Mais, cette hirarchie ntant

que relative, il ny a pas de contradiction relle. Il est crucial de la comprendre dans une

301
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p. 80.
143

vision relativiste. Cest dans une telle relativit ou labilit que lon peut supposer cette

possibilit pour le langage de jouer un rle semblable celui de limage et du sentiment

selon les situations de communication. Mme sil donne la priorit limage et au

sentiment, Michel Maffesoli ne sous-estime pas les potentialits du langage. Cest ainsi

quil ne manque pas de compter lactivit langagire parmi diverses manifestations,

sportives, musicales, vestimentaires, corporelles... activits qui reprsentent bien le

caractre de notre temps. Finalement, on se rend compte que, dans les faits, langage et

image ne sont jamais strictement dissocis. La raison sensible du langage comme

affect par le langage a t marginalise. Elle a t reconnue seulement dans quelques

domaines tels que la littrature, la potique et la rhtorique. Nanmoins, nous pensons

que, loin dtre accessoire, cette raison sensible joue un rle important dans la plupart

des activits langagires. Et cest en ce sens-l que de nos jours, - aussi paradoxal que

cela puisse paratre - avec la floraison mme de limage, le langage est en train de

prendre de plus en plus de vitalit.

Face un langage libr de ces violences pistmologiques subies, nous pouvons

enfin envisager ceci. Dsormais plus outil de la reprsentation, ni gage des valeurs de la

Modernit en tant que rationnel , le langage tend exister plutt comme manifestation

de sa dimension sensible et ce, moins par son contenu que par son contenant.

Sur un plan quasi exprimental, une illustration de ce phnomne nous a t donne

Roland Garros en juin 2010. Juste aprs avoir remport, pour la premire fois de sa

carrire, un titre du Grand Chelem, la joueuse italienne Francesca Schiavone, toute

souriante, a commenc faire un discours de remerciements en anglais. Mais, pour

remercier sa famille et ses amis, elle sest mise parler en italien et a clat tout coup

en larmes. Malgr sous une scne dextase, dmotion, aurait-elle pu pleurer alors, si elle

navait pas parl en italien ? Nous parions quelle se sentait mue, plus cause de la

forme du message (italien) qu cause du contenu du message quelle voulait transmettre

(gratitude).
144

En fait, cette anecdote est trs significative. Avant tout, on peut dire que cest un cas

trs rare, compte tenu de la nature de situation. Si, par exemple, ceci avait t le moment

de son dixime titre du Grand Chelem, la situation aurait chang. Mais, au-del dune

question de circonstance, ceci peut tre symbolique, en termes dutilisation des langues.

Cest parce que cest un cas particulier o un locuteur se perd dans sa langue maternelle,

du seul fait quil retrouve sa propre langue, aprs lavoir momentanment quitte par

certaines contraintes dans un contexte littralement dpays. En dautres termes, cest un

cas extrme o la pratique de sa langue maternelle en elle-mme sest transforme, en

tant que forme du message , en un lieu o le sujet parlant se perd dans laffinit avec

les autres.

L, on peut raliser que, pour le langage, il y a quelque chose qui va avec, ct ou

au-del du contenu du message et qu certains moments, il devient un lieu dans

lequel ce quelque chose passe et se passe. Mais, ce qui est essentiel, cest quun tel

langage comme lieu vit aussi dans lusage habituel de la langue en public. En

dautres termes, on prouve le sentiment de cet espace cr par les mots en diverses

occasions de la vie quotidienne, sous diffrentes formes et souvent de faon semi-

consciente302. On peut ainsi constater que le langage nest pas seulement un instrument

dinformation, mais quil constitue bien un lieu o une nouvelle forme de

socialisation prend place.

Kurt Goldstein souligne ainsi que ds que lhomme use du langage pour tablir

une relation vivante avec lui-mme ou avec ses semblables, le langage nest plus un

instrument, nest plus un moyen; il est une manifestation, une rvlation de notre essence

la plus intime et du lien psychologique qui nous lie nous-mmes et nos

semblables 303. Michel Maffesoli montre galement que le langage, le mot fait entrer

302
Sur le processus dune telle spatialisation du langage, on peut se rfrer Chang-Hoon Lee, Le
langage est un lieude communication , in Socits, n 121, Bruxelles, De Boeck, 2013/3, p. 83-91.
303
Kurt Goldstein, Lanalyse de laphasie et ltude de lessence du langage , in Henri Delacroix et al.,
Psychologie du langage, Paris Alcan, 1933, p. 495. Cit par Walter Benjamin, Problmes de sociologie
du langage , op. cit., p. 43.
145

en communication de sentiment avec autrui 304, ce quil rsume souvent ainsi : On ne

parle pas mais on se parle. En ralisant cela, loin de ntre quun simple instrument

de communication, le langage, du fait mme de son existence et de sa manifestation

comme porteur daffect, constitue en lui-mme cette place sur laquelle se droule la

vie sociale. Dans le mme registre, on peut rsumer notre propos par ce passage de

Walter Benjamin :

Le langage [ Lallemand dans le texte originel] nest aucunement lexpression de


ce que par lui nous croyons exprimer, mais bien lexpression immdiate de ce qui en lui
se communique. Ce se est une essence spirituelle. Il est donc vident ds labord que
lessence spirituelle qui se communique dans le langage nest pas le langage mme,
mais quelque chose quil convient den distinguer. [] Que communique le langage ?
Il communique lessence spirituelle qui lui correspond. Il est fondamental de savoir que
305
cette essence spirituelle se communique dans le langage et non par lui.

Par consquent, on peut dire, sur le plan sociologique que, non plus comme outil

dinformation, contenu rationnel, mais comme manifestation, contenant motionnel, le

langage constitue en lui-mme un lieu o se droule la vie sociale. Cest bien dans

cette perspective que nos slogans publicitaires numrs, avec leur dynamique

linguistique, formeront un langage spcifique dans lequel aura lieu une nouvelle

forme de socialisation.

304
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit. p. 197.
305
Walter Benjamin, Sur le langage en gnral et sur le langage humain (1916), in uvres I, traduit par
Maurice de Condillac, revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio essais , 2000, p. 143-144.
146

Chapitre III. La construction dune socialit langagire


Gilles Deleuze et Flix Guattari affirment que, sagissant des limites , elles doivent

tre recommences et que, sagissant des seuils , ils devraient tre changs 306.

Pourtant, une fois quun systme de reprsentation sest rigidifi sur le plan sociologique,

il y a toujours du mal sadapter une ralit nouvelle. cet gard, Michel Maffesoli

estime qu il y a une constante d-simultanit entre la rflexion thorique et

lvolution (ou linvolution) sociale. Il sagit l dune loi scientifique qui fait que pour

quune vidence empirique devienne intellectuellement vidente, tout lappareillage

pistmologique doit tre chang, ou se dliter de lui-mme. 307 Quand on reconnat un

changement dans la perception du rel, la faon pour accder sa comprhension devrait

galement changer.

En ce qui concerne notre recherche, nous sommes convaincus que le slogan

publicitaire sengage justement dans cette volution de ralit. Or, cette d-simultanit

sy imposant, les choses ne sont jamais aises. Ainsi, nous sommes bien confronts un

problme de formulation scientifique. Quant notre propos, cela consiste se demander

quelle thorie sociologique pourra recouvrir notre nouvelle vision. Il sagit,

effectivement, denvisager un cadre dans lequel le langage, comme contenant motionnel,

devient un lieu o se tisse le lien social. Mais, tout cela partir dune perception

positiviste du langage : langue comme systme alphabtique double articulation et

locuteur qui parle cette langue comme moyen de communication.

Face une telle remise en cause, nous suivrons essentiellement le formisme

sociologique 308, esquiss par Georg Simmel et introduit dans la sociologie franaise

306
Gilles Deleuze et Flix Guattari. Mille plateaux. Capitalisme et chizophrnie2, op. cit., Paris, Minuit,
1980, p. 546.
307
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, op. cit., p. 244.
308
Selon Emmanuel Kant, la connaissance des phnomnes naturels nest possible que parce que lesprit y
projette des formes (ex. lespace et le temps). Selon lui, lexprience du rel se rduirait une rhapsodie
de sensations , si elle ntait pas organise par les formes de la connaissance . De faon analogique, la
notion centrale de la pense de Max Weber, lidal-type est llaboration dune forme mentale qui
permet dinterroger et dinterprter la ralit sociale. Il est bien dcrit dans son passage suivant : On
obtient un idal-type en accentuant unilatralement un ou plusieurs points de vue et en enchanant une
147

par Michel Maffesoli, dont lessentiel peut tre rsum en disant que la sociologie tudie

les formes de la vie sociale en tant que des contenants opposs leurs contenus 309.

Le dfi mthodologique qui nous attend se rsume donc ainsi : Comment envisager les

formes de la vie sociale partir des pratiques langagires ? Il dagit pour nous de tenter

dlaborer une mise en forme sociale du langage , suivant la philosophie du formisme,

cest--dire en nous contentant de dresser des grandes configurations qui englobent

sans les rduire les valeurs plurielles et parfois antagonistes de la vie courante. 310

1. Que le langage soit socit


Nous commencerons par souligner lattitude que doit adopter notre entreprise en

tant que nouvelle approche sociologique du langage. cet gard, on peut citer cette

remarque profonde de Michel Maffesoli : Que le langage soit socit est une chose

admise.311 partir de cette formule lapidaire, nous pouvons considrer au moins deux

lments, qui vont nous servir de clef de vote pour lensemble de notre approche

mthodologique.

Le premier lment concerne justement le rapport entre le langage et la socit.

Cette quation maffesolienne ne veut pas dire que le langage serait une simple

crature de la socit ou un simple reflet de la socit. Au contraire, elle est lexpression

de la prise de conscience que lon peut comprendre toute une socit travers son

langage. Mais, au fond, on doit sinterroger sur le contexte de cette mtaphore, car celle-

ci mme nous laisse entendre quil existe un biais dans le rapport entre le langage et la

vie sociale.

multitude de phnomnes isols, diffus et discrets, que l'on trouve tantt en grand nombre, tantt en
petit nombre, par endroits pas du tout, qu'on ordonne selon les prcdents points de vue choisis
unilatralement pour former un tableau de pense homogne .[Max Weber, Essai sur la thorie de la
science, 1904-1917, traduction partielle par Julien Freund, Plon, 1965, p. 181.]
309
Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire, op. cit., p. 20.
310
Ibid., p. 105.
311
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit., p. 197.
148

Dans les temps anciens, une certaine vie sociale allait de pair avec un certain usage

du langage. Traditionnellement, la rhtorique et la logique taient alles de pair.

Moyennant lart profane de lavocat, chacune des deux parties devait sefforcer de

convaincre, sans souci de la vrit, qui devait tre dgage par le juge. Or, dans lEurope

du XVIIIe sicle, la rhtorique cde le pas la logique, et on met laccent sur lobjectivit

du langage dans son fonctionnement312. La logique cherche un langage permettant une

dduction qui pourra simposer toute interprtation, sous linfluence du rationalisme, de

lobjectivisme et du scientisme qui se dployaient pleinement avec le sicle des

Lumires313. On se rend compte que cest la consquence de la sparation entre les mots

et les choses que lon a voque plus haut. Ici, il ne faut pas oublier le fait que, mme si

les mots et les choses devraient tre spars, cette sparation ne se droulait quau sein de

la socit, sans que ni les mots, ni les choses, ne disparaissent jamais. On ne doit pas

confondre cette sparation et celle dentre le langage et la socit. En effet, le langage et

la vie sociale nouent en effet un rapport de trajectoires associes, dans la mesure o leurs

enjeux peuvent se heurter souvent, se superposer tels autres moments ou encore

sentrecroiser dautres, mais o toujours, quel que soit laspect du rapport institu entre

les mots et les choses, le langage nest jamais dissoci de la vie sociale. Il est donc

impossible de sparer le langage et le monde au sein duquel il apparat et vit, car il en est

partie prenante. Cest--dire que, dans le contexte mondain, il ny a aucune vritable

sparation entre le langage, le corps et lesprit des locuteurs, les coutumes et les

institutions. Finalement, le langage est essentiellement du monde et dans le monde. Il

faut dailleurs souligner que ce rapport dindissociabilit entre le langage et la socit

312
Depuis Aristote et Cicron, lart de convaincre ou rhtorique avait t un pilier de tout
enseignement. Mais le sicle des Lumires, la tradition savante, privilgient une conception rationaliste :
sparation de laction et de la parole, dsir de dcrire le monde objectif et dopter pour laction en fonction
dune reprsentation matrise, primat des savoirs sur les savoir-faire. Depuis lors, la rhtorique produit des
figures en tant quoprations supplmentaires.
313
En termes leibniziens, le langage et la ralit sont des monades sans rapport effectif, mais qui, grce
une harmonie prtablie, se dveloppent paralllement.
149

avait dj t reconnu par certains linguistes, comme Charles Bally et mile

Benveniste314.

Li au prcdent, lautre lment saisir a quelque chose voir avec le statut du

langage dans les rflexions sociologiques. Concernant le langage, lintrt premier de la

sociologie est all videmment son fonctionnement social. Or celui-ci tant alors

entendu ncessairement comme pouvoir des mots , toutes les interrogations ont

converg vers lorigine dun tel pouvoir. Sur cette question, on constate deux positions

diamtralement opposes.

Dun ct, on pourrait invoquer lintriorit, un intrinscisme selon lequel le

pouvoir des mots leur viendrait deux-mmes, rsiderait dans les mots eux-mmes.

Oswald Ducrot va dans ce sens, par exemple, quand il dclare que laction des

interlocuteurs les uns sur les autres nest pas un effet accidentel de la parole, mais elle est

prvue dans lorganisation mme de la langue. Celle-ci est donc bien plus quun

instrument pour communiquer des informations : elle comporte, inscrit dans la syntaxe et

le lexique, tout un code de rapports humains. 315 partir dune thse Quand dire,

cest faire , John Langshaw Austin estime que certaines pratiques langagires elles-

mmes se dterminent comme acte . Aux confins de lanthropologie, lhypothse de

Sapir-Whorf316 confre un grand pouvoir aux mots quand elle suppose que la langue

314
Charles Bailly, Le Langage et la vie, Genve, Droz, 1965, p. 20-22; mile Benveniste, Lhomme dans
la langue in Problmes de la linguistique gnrale, I. Paris, Gallimard, 1966, p. 223-285.
315
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1980, p. 97.
316
Philippe Blanchet, La Pragmatique. DAustin Goffman, Paris, Bertrand-Lacoste, 1995, p. 68 :
Travaillant sur les langues et cultures amrindiennes, lethnolinguiste amricain E. Sapir dcouvrit vers
1950 que la vision du monde, le dcoupage analytique de lunivers par lindividu et par le groupe, sont en
relation troite avec sa langue. Cela dcoule aisment des thories modernes du signe interprtant .
Pour les linguistes, les langues ne sont ni des nomenclatures, ni des calques de la ralit. chaque
langue correspond une organisation particulire des donnes de lexprience . [Andr Martinet, lments
de linguistique gnrale, op. cit. p. 12.] Sapir alla plus loin en mettant lhypothse que le lexique impose
une certaine exprience du monde au locuteur, et fonctionne ainsi comme un puissant instrument de
socialisation lintrieur dune communaut culturelle.
Son disciple B. Whorf radicalisa cette hypothse vers 1970 en ltendant la logique grammaticale.
Pour lui, la langue modle la pense. On aboutit un relativisme total : lanalyse du monde est contrainte
par la langue. Des drives ethnocentristes choquantes du type les langues structure complexe
150

contient une vision propre du monde, qui organise et conditionne la pense et en est, de

ce fait, insparable. La dpendance de la pense lgard du vocabulaire rend manifeste

le fait quon pense seulement la suite et dans le cadre dune tradition de pense.

De lautre ct, on pourrait voir lextriorit lorigine du pouvoir des mots, en un

extrinscisme. Pour Pierre Bourdieu, le sens comme effet pragmatique viendrait aux

mots de lextrieur et lacteur ne prononcerait alors jamais que des paroles rituelles

accompagnant un faire extrieur317. Dans une telle option, le sociologue doit montrer

les pratiques, le discours ne jouant aucun rle.

Ntant dfendues leur tat pur par personne, ces deux positions extrmes sont

formules pour tre prtes ladversaire de manire polmique. On peut dire que le

pouvoir des mots ne rside ni totalement dans leur intrieur ni exclusivement leur

extrieur . De manire la moins errone possible, on peut dire que le pouvoir des mots

leur vient dune manire dont rendent compte ces deux thories prises la fois. Or, ce

problme de lorigine du pouvoir des mots soulve la question du statut de la sociologie

du langage.

Pour une vision privilgiant lextriorit, tant donn que ce sont les conditions

concrtes non langagires de la vie humaine qui dterminent la pense, la question du

pouvoir des mots risque dtre nave. La sociologie classique dans son ensemble a

tendance croire que le sens social des mots doit exister, dune manire indpendante,

impliquent des civilisations plus avances en ont t tires, le qualificatif complexe tant trs subjectif.
Cela provoqua un certain rejet de lhypothse, y compris de la thorie plus modre de Sapir.
Pourtant, les travaux ethnolinguistiques rcents, par exemple sur la vision des couleurs, ont dmontr que
si la perception oculaire est identique chez tous les humains, linterprtation mentale, et donc
lidentification des couleurs, est bel et bien organise par le vocabulaire de chaque langue. Ainsi Aristote,
croyant dgager une logique universelle, ne faisait que dgager celle que sa langue construisait en
interprtant le monde.
317
Selon Pierre Bourdieu, un acte nest performatif, les mots nont de pouvoir, quen tant quils
reprsentent le pouvoir de celui qui les produit. Un juge qui condamne ne condamne que parce quil est
juge, il ne parle pas en son nom personnel mais au nom de linstitution. Bourdieu prtend que ce pouvoir
na de valeur que dans les rapports sociaux, les mots tant des moyens symboliques de reprsentation. Le
rle social du langage serait alors limit lordre idologique. En dautres termes, le langage ne serait
quun reflet. Il suppose quentre la ralit et les discours, stablit une stabilit fonctionnelle travers
des usages rptitifs, et appelle habitus les comportements aptes reproduire la structure. Cest ce que
Ce que parler veut dire voulait dire.
151

lextrieur des mots, le langage et la socit tant considrs comme deux substances

spares. Par exemple, nattribuant aucune autonomie au langage, lindividualisme

mthodologique considre le langage comme un simple outil de reprsentation du

monde , le fonctionnement du langage se limitant reflter un monde dj construit

avant et ailleurs 318 . Pourtant, pour des courants qui ont davantage insist sur

limportance du langage, tels que lethnomthodologie, linteractionnisme symbolique et

la phnomnologie, le langage est un moyen dintelligibilit privilgie qui sert

donner un sens social. Malgr tout, la sociologie est habitue considrer le langage

comme langage tout court (dordre catgorique ). Tous ces courants considrent

foncirement le langage comme un outil en fonction de leurs besoins. Avec la vision

privilgiant lextriorit, il ny a donc aucune possibilit de traiter le langage comme un

objet autonome en sociologie. Cela veut dire quune vritable sociologie du langage ne

peut pas tre envisage.

En revanche, peut-on envisager le langage comme pouvant constituer un objet de

recherche en soi avec lintriorit? la limite, cette hypothse ne serait pas

compltement fallacieuse, puisque nul ne saurait dire que le sens social du langage na

aucune corrlation avec le lexique, lorganisation de la langue et lacte de langage.

Pourtant, ceci ne veut pas dire que les mots deviennent par-l automatiquement lobjet

dune sociologie du langage. Effectivement, on risque une constitution aveugle de lobjet.

Dans une situation si imprcise, il apparat capital de considrer les produits

langagiers non plus comme des mots mais comme un discours 319. Car, comme le

remarque Pierre Achard, les discours sont des pratiques, et ne sont dtermins en

dernire instance ni par les pratiques non langagires, ni par la langue 320 . Plus

important, on doit alors considrer le discours non comme quelque chose de passif

mais comme pratique active. Ainsi, selon cette notion active du discours , le langage

318
On peut dire que la position dfendue par Pierre Bourdieu est dans ce sens un double
rductionnisme du langage.
319
Dans un premier temps, nous nous contenterons de dire que discours est entendre ici au sens
largi de mots en situation de communication. Nous y reviendrons.
320
Pierre Achard, La Sociologie du langage, op. cit., p. 17.
152

ne constitue plus un lieu o passent des enjeux sociaux, mais plutt comme le lieu o

se passent des enjeux sociaux. Cest bien de cette faon que le langage lui-mme

pourra devenir le foyer dun questionnement sociologique, plutt que de ntre considr

que comme linstrument de la reprsentation. Et, dans une telle perspective, les mots,

tout en tant loutil de description de toute sociologie, pourront en mme temps devenir

objet de recherche pour les sciences sociales.

Ces deux lments, lindissociabilit de la relation entre langage et socit et la

dimension active du langage dans la vie sociale, oublis ou ngligs par la sociologie

classique, doivent servir de point de dpart pour toute sociologie du langage. En effet,

cest cette hauteur seulement quune sociologie du langage authentique devient enfin

possible.

2. La socialit contre le social


En conformit justement avec cette attention la continuit entre langage et socit,

il convient de se donner, dabord, une perspective sociologique sur les changements

sociaux qui sont en train de soprer dans lensemble de la socit. Pour cela, nous nous

rfrerons aux ides de Michel Maffesoli. Ce sociologue atypique met laccent sur le fait

que les socits occidentales, domines depuis le sicle des Lumires par le rationalisme,

sont actuellement en cours de mutation et se voient peu peu insres dans un nouvel

ordre social. Pour pouvoir lire et dire ce changement social, il propose un nouveau

paradigme sociologique, le socital, distinguer du social , paradigme orthodoxe.

Il crit :

En ce qui concerne la terminologie, le mot social est maintenant dun usage


courant, je lemploie ici soit pour dsigner le rapport rationnel mcanique des individus
entre eux, social a alors un sens idologique, soit, dune manire neutre tout social ,
ensemble social , etc., il sagit dune commodit de langage. Lorsque jentends
souligner une caractristique essentielle de ltre ensemble, caractristique qui dpasse
la simple association rationnelle, jemploie le terme socitale . Cette expression est
153

un peu barbare, mais elle semble ncessaire dans limmdiat pour se dmarquer dun
social galvaud et (peut-tre) finissant.321

Ce paragraphe nous permet dj de saisir les traits majeurs de ce nouveau

paradigme. Il nous semble que, au travers de celui-ci, les ides de Michel Maffesoli

offrent dans leur ensemble de nouveaux horizons prenant en compte la fois les sphres,

sociale, philosophique, culturelle, artistique, etc. En formant de nouveaux termes ou en

en adaptant dexistant dj, il propose divers concepts la recherche. Nous en

rencontrerons certains plus tard. Pourtant, nos yeux, le dnominateur commun toutes

ses ides vient de la distinction quil reprend entre individu et personne . Un

examen minutieux de cette distinction est dautant plus ncessaire quelle concerne,

justement, la question du sujet social et de ses avatars, un centre de toute sociologie.

Tout en reconnaissant que la distinction entre individu et personne est classique

depuis Marcel Mauss322, Michel Maffesoli affirme que la suprmatie du sujet individuel,

ou celle de son support thorique : lidentit, a t particulirement type certains

moments de la pense occidentale. Il met aussi laccent sur le fait quelle nest pas une

valeur universelle et atemporelle, et que de plus elle a t parfois fort fragilise. Pour

caractriser cette notion de fragilit de lidentit , il a recours trois approches :

littraire, empirique et philosophique.

Tout dabord, Michel Maffesoli indique que dans la littrature cette fragilisation

du moi est de tout temps perceptible. Ainsi, le roman, la posie, les mmoires ou les

essais biographiques font tat dune telle incertitude. Selon lui, la faon dont sexprime

par exemple Marguerite Yourcenar lors de sa rception lAcadmie franaise rend cela

vident : Ce moi incertain et flottant, entit dont jai moi-mme contest lexistence. Je

ne le sens vraiment dlimit que par les quelques ouvrages quil mest arriv dcrire 323.

Il ajoute par ailleurs que le thtre de Samuel Beckett rend manifeste bien lillusion

321
Michel Maffesoli, LOmbre de Dionysos. Contribution une sociologie de lorgie (1982), Paris,
Librairie des Mridiens, 1985, p. 16.
322
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie (1950), Paris, Quadrige/PUF, 1991.
323
Cit par Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 247.
154

dun individu matre de lui et de son histoire 324. En parallle, nous pouvons citer cette

phrase dAndr Gide : Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis, et cela varie

sans cesse, de sorte que souvent, si je ntais l pour les accointer, mon tre du matin ne

reconnatrait pas celui du soir. Rien ne saurait tre plus diffrent de moi que moi-

mme. 325

Au niveau empirique, cette fragilit du moi est montrable partir de lobservation

de la vie quotidienne de chacun. Pour lillustrer, citons un peu longuement ses propos :

Dune part, tout au long dune mme existence chacun mue de multiples fois.
Variations, modifications, conversions, rvolutions, nombreux sont les termes qui
traduisent ces changements. Et ceux-ci affectent son apparence physique dabord, mais
galement ses reprsentations, ses relations amicales ou amoureuses, sans parler de sa
vie professionnelle. Lorsque nous employons une expression commune du type un tel
nest plus ce quil tait , quen est-il du concept didentit ? Dautre part, en un temps
t de son existence, ce mme individu est rarement homogne lui-mme. Pour lun,
ce sera dune manire affiche quil jouera une multiplicit de personnages suivant les
lieux, les occupations, lentourage qui seront les siens. Pour lautre, ce sera de manire
secrte ou sournoise quil effectuera le mme changement de peau. Pour ce dernier
enfin, ce sera pathologiquement quil va vivre le clivage du moi ; la schizophrnie sera
alors son lot quotidien. De quelque manire que cela soit vcu, Doctor Jekyll et Mister
Hyde est bien une ralit incontournable dans la structure du moi empirique.326

Il souligne ainsi que le moi nest quune fragile construction, qui, sans substance
propre, apparat au travers des situations et des expriences qui le faonnent en un
perptuel jeu de cache-cache, par recoupements des multiples changements qui
constituent un mme individu.
Enfin, une approche philosophique327 galement cruciale le montre aussi. Il existe
deux traditions philosophiques sur ce sujet. Dun ct, dans la ligne de Parmnide, le

324
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit. p. 24-25.
325
Andr Gide, Les Faux-monnayeurs, in La Nouvelle Revue Franaise, 1925, p. 75.
326
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 248.
327
Ibid., p. 249.
155

sujet se dfinit en fonction de son homognit, se conoit partir dune ipsit


enferme dans le cercle du Mme. Lidentit est en quelque sorte gele dans la
subjectivit et la permanence individuelle. De lautre, inspire par la labilit chre
Hraclite, il existe un autre mode dapproche qui va penser le sujet partir de lautre, ou
de laltrit.
Cette prise en compte du sentiment de la fragilit de lidentit a une grande
consquence sur la manire de voir la socit. Michel Maffesoli note tout dabord que,
aux yeux de la socit, il y a longtemps eu une vidence parmnidienne de lidentit.
Celle-ci sest en particulier conforte durant la Modernit, et elle a culmin dans la
carte du mme nom, qui fait de chaque individu une entit ayant un nom, un sexe,
une adresse et une profession. Qui plus est, il est citoyen dun pays, marquant ainsi son
enclosure dfinitive. Mais on a pu montrer quil sagit l dune civilisation des
murs dorigine somme toute rcente, du moins sous la forme bien type que nous
pouvons observer de nos jours. Cest en tout cas lune des caractristiques de la tradition
occidentale. Suivons lauteur :

Cest une telle assignation rsidence qui a t la cause-effet de lindividualisme,


trouvant son expression acheve dans le contrat social partir duquel lon continue
penser nos socits. En effet, toute la pense sociale sest fonde sur cette vision
juridique et psychologique dun individu matre de lui, et sassociant contractuellement
avec dautres individus pour construire la vie sociale. Ainsi que jai eu loccasion de le
montrer ailleurs (La Connaissance ordinaire, 1985), les concepts sociologiques
essentiels tels ceux de classe, de catgorie socioprofessionnelle, dindividu, de fonction,
sont directement issus du postulat identitaire.328

Pourtant, comme il ne manque pas de le signaler :

Et quoique ce soit un autre dbat, on peut se demander si lvidente difficult qua la


sociologie suivre les multiples manifestations des identifications contemporaines,
publicitaires, tlvisuelles, groupales, motionnelles, etc., ne tient pas justement ce
quelle reste farouchement attache ce corps de doctrines identitaires. Cest pour

328
Ibid., p. 250.
156

comprendre ces identifications que lon peut analyser la vie sociale partir de ce que
jai appel la labilit hraclitenne. En effet, ct de la dynamique de lOccident
(N. Elias) ont exist ou existent, en dautres temps ou en dautres lieux, des ensembles
sociaux qui ne se comprennent pas partir du pivot de lidentit.329

Michel Maffesoli renchrit en disant que cette perception de la relativit de lidentit va


conditionner lessentielle reliance de tous les lments de lensemble les uns avec les
autres. () On peut reconnatre que dune part lindiffrence identitaire engendre une
solidarit spcifique qui a une force indniable, et que dautre part lhtronomie (chacun ne
vaut que par lautre) que cela engendre montre que peut exister une autre forme du lien social
qui ne manque pas dactualit. 330
Cest bien en effet sur une telle logique que se fonde la socialit, nouvelle cl
sociologique, alors que le social se retire, ayant fait la preuve de ses incontournables limites
pour apprhender la socit contemporaine. Si le social repose sur la logique du sujet
individuel, la socialit prend comme sujet social la personne. Dans un cadre parmnidien, le
sujet individuel doit correspondre un concept pralablement tabli. En dautres termes, cest
parce que le monde doit tre ceci ou cela que lindividu doit avoir une identit. En
revanche, dans une perspective hraclitenne, la personne, en tant que sujet socital, part du
primum relationis, de ces faits dexpriences qui constatent que le je est fait par lautre
dans toutes les modulations que lon peut donner cette altrit. Cet autre pourra tre Dieu, la
famille, la tribu, les amis, et, bien sr, ces autres qui pullulent en moi.
Du point de vue de loptique du social, lindividu pouvait avoir une fonction dans la
socit, et fonctionner dans un parti, une association, un groupe stable. 331 En revanche, pour
la socialit, la personne joue des rles, tant lintrieur de son activit professionnelle quau
sein des diverses tribus laquelle elle participe. Son costume de scne changeant, elle va,
suivant ses gots (sexuels, culturels, religieux, amicaux) prendre sa place, chaque jour, dans les
divers jeux du theatrum mundi. 332

329
Ibid.
330
Ibid., p. 251.
331
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op. cit., p. 138.
332
Ibid., p. 138-139.
157

Il est dailleurs significatif de noter que ltymologie de personne vient de persona qui
signifiait justement lorigine un masque de thtre , tandis que celle dindividu est in-
dividu , donc indivisible, atomique. Concernant toujours la notion de masque, une ralit que
lon ne doit pas ngliger est que ce masque nous invite, par nature, entrer dans un ensemble
plus vaste333. Sociologiquement, le masque peut constituer en une chevelure extravagante ou
colore, en un tatouage original, en la rutilisation de vtements rtro ou encore dans le
conformisme dun style bon chic bon genre . Dans tous les cas, selon Michel Maffesoli, il
subordonne la personne cette socit secrte quest le groupe affinitaire que lon choisit. Il y
a bien l dsindividualisation, participation, dans le sens mystique du terme, un ensemble
plus vaste. 334 Sappuyant enfin sur cette dimension holistique , la socialit est un
paradigme dans lequel on peut tirer partir des choses, quelles quelles soient, un sens
sociologique qui rattache un ensemble social plus vaste. Finalement, Michel Maffesoli nous
prsente un tableau pour schmatiser le glissement qui selon lui est en train de soprer335 :

SOCIAL SOCIALIT

Structure mcanique Structure complexe ou organique


(Modernit) (Post-Modernit)
Organisation conomico-Pol. Masses

( ver sus)
Individu Personne
(fonction) (rle)

Groupements contractuels Tribus affectuelles

( domaines culturel, productif, cultuel, sexuel, idologique )

333
Georg Simmel, Secret et socits secrtes (1908), traduit de l'allemand par Sibylle Muller, postface de
Patrick Watier, Strasbourg, Circ, 1991. Lauteur insiste justement sur le rle du masque, dont on sait quil
a, entre autres fonctions, celle dintgrer la persona dans une architectonique densemble.
334
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 165-166.
335
Ibid., p. 19.
158

3. La langaginalit , une nouvelle perspective sur le langage


Partant de ce point de dpart, nous proposerons un nouveau paradigme pour une

sociologie du langage reposant notamment sur la complexit de la vie sociale et la

sensibilit de lusage du langage. Cest ce que nous allons essayer de rendre tangible

dans les pages qui suivent.

Comme on peut le relever en bas du tableau ci-dessus, ces deux paradigmes

sappuient sur divers domaines. Il semble que le domaine langagier puisse bel et bien y

figurer. Pourtant, puisquil savre que le langage lui-mme constitue un ordre tout fait

spcial, dans lindissociabilit et ltroitesse du lien quil a avec la vie sociale, nous

sommes dans la ncessit de le repenser par rapport ces paradigmes sociaux. Il sagit

de savoir comment les paradigmes sociologiques sarticulent avec les activits

langagires.

cet gard, on peut formuler lhypothse quil y a deux manires de penser. Dune

part, si lon considre que le social est le seul et unique paradigme dominant tout, on

naura gure de raison de mener une nouvelle rflexion sur les domaines sociaux, car ils

ne constitueraient, dans ce cas, que des ralits sociales qui peuvent tre conues de

manire mcanique et fonctionnelle. Cette optique ne dtermine les divers domaines

politique, conomique, culturel, etc. qu la faon dont nous les avons apprhends

jusqu il y a peu. En revanche, dans loptique de la socialit comme paradigme nouveau,

il faudra une nouvelle vision pour chaque sphre concerne. Parce quil faut alors

considrer que prdomine dans la socit un nouvel ordre duquel un sens socital peut se

dgager, moins que cette socialit devienne, son tour, le seul et unique paradigme

dominant tout.

Dautre part, supposons, quel que soit le paradigme, que le langage ne soit

considr que comme un matriau neutre et quil ny ait aucun ordre propre qui le

rgisse du point de vue social. Dans ce cas, son objet ne pouvant tre constitu comme
159

spcifique, une sociologie du langage narrivera mme pas se dfinir, comme nous

lavons vu plus haut336.

Ainsi, si nous considrons le langagier comme le paradigme qui a domin et

domine toujours notre comprhension du langage, celui-ci se caractrise, comme on la

vu, par la grammaticalit, la normativit et par une vision positiviste de la

communication, dans laquelle les individus locuteurs sont supposs avoir des rapports

essentiellement intentionnels, fonctionnels et contractuels. Contrastant avec ce

paradigme et lencontre de lopinion monothiste selon laquelle il nexisterait pas

dautres optiques sur le langage, nous proposons le nouveau paradigme de

langaginal , pour souligner ces dimensions essentielles du langage que sont laffectif

et lmotionnel. Selon un tel paradigme les pratiques langagires effectives peuvent

dpassent les cadres de la grammaticalit de la langue et de la positivit de la situation de

communication verbale. Ce nologisme paratra certainement brutal, mais sa formation

nous semble pertinente pour le distinguer du langagier337, dvitalis. Cest au travers de

cette nouvelle perspective sur le langage comme tre vivant que lon peut rendre compte

du glissement qui est en train de soprer.

Le questionnement sociologique sur le langage porte, dune manire gnrale, sur

la sphre des effets de mots qui se produisent effectivement dans la communication. Ds

lors, sagissant de la force du langage, on entre plus concrtement dans le champ de la

pragmatique. Quel peut donc tre le rapport entre cette force pragmatique et ces

paradigmes ? Ici, empruntons Michel Maffesoli, comme ide-clef, la distinction quil

fait entre pouvoir et puissance : Le pouvoir est institu sous ses diverses formes:

culturelle, religieuse, sociale, conomique, alors que la puissance est instituante. 338

336
Lextrapolation de cette logique la sociologie gnrale est significative. Si les diffrents domaines
sociaux do un sens sociologique se dgage nont pas leur ordre propre et sils ne constituent que des
matriaux physiques inertes vous se mouler dans certains concepts prtablis par la sociologie, la
sociologie demeurera une mta -science abstraite qui naura ni objets dtude ni sous-disciplines.
337
Le mot langagier sera utilis dornavant, soit pour dsigner ce paradigme idologique, soit, de manire
neutre pour parler, par exemple, dun fait langagier , de pratiques langagires , etc.
338
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. I.
160

Cette distinction nous semble trs opportune aussi pour mieux mettre en vidence

en quoi consiste la nature de la force des mots. Tout dabord, nous pensons en effet que

le langagier peut tre mis en corrlation avec le pouvoir des mots. En ce sens, ce que la

sociologie classique a pu traiter du langage, et peine, ce sont, en en faisant ses thmes

favoris, des fonctions telles que celle d outil du maintien du pouvoir , de moyen de

domination , d injection de lidologie , etc. Comme si, part ceux-ci, il ny avait

rien mditer quant la force des mots. En ce sens, par rapport au champ dexprience

possible de la sociologie, ce ne sont que divers aspects du pouvoir des mots qui ont t

relevs par certains auteurs. Il est gnralement admis que Pierre Bourdieu a tent

dintroduire la pragmatique au sein de la sociologie. Pourtant, ne peut-on penser que sa

proccupation sest limite un cadre trop restreint dans la mesure o, lieu des changes

sociaux, le langage tout entier na t ainsi considr que comme champ de

performativit. De plus, lorsque Roland Barthes note : La langue, comme performance

de tout langage, nest ni ractionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement :

fasciste ; car le fascisme, ce nest pas dempcher de dire, cest dobliger dire. Ds

quelle est profre, ft-ce dans lintimit la plus profonde du sujet, la langue entre au

service dun pouvoir 339, nest-ce pas, l encore, une vue un peu restreinte du langage ?

De son ct, quand Umberto Eco dclare : Le langage est, par dfinition, la machine

mentir : la fabrique des illusions o slabore le discours, lieu de matrise, de pouvoir

et de toutes les manipulations fallacieuses 340, on peut penser une hyper-gnralisation.

On rencontre souvent de semblables cas, o le pouvoir des mots agit en tant que

mots du pouvoir . Ainsi, lorsque lon parle du sens social des mots, il sagit du pouvoir

des mots, mais compris comme si son origine demeurait en dehors des mots, quelle que

soit la force relle de ces mots.

En revanche, le langaginal, en tant que paradigme domin, concernerait la

puissance des mots. Ce paradigme considre les mots avant tout comme des tres actifs

et dynamiques, au lieu de les limiter des entits passives et inertes, de simples


339
Roland Barthes, Leon, Paris, Seuil, 1978, p. 803.
340
Cit par Hlne Marlin-Kajman, La Langue est-elle fasciste ?, Paris, Seuil, 2003, p. 281.
161

moyens de reprsentation des rapports sociaux. En termes de thmatique, ce paradigme

aborderait les mots plutt comme foyer de latmosphre que comme moyens de

lidologie . Quand ils sont cependant utiliss comme moyen, ils doivent alors dabord

tre vus non comme moyen de domination , au sens dinstruments de maintien dun

certain rgime politique ou social en place, mais plutt comme moyen de maintien ,

li la perdurance de la socit elle-mme. Quant ce nouveau paradigme, tout reste

donc explorer. Pour le moment, nous pouvons seulement en esquisser une

configuration thorique par comparaison-contraste avec le langagier.

Ainsi, en ce qui concerne, par exemple, lorientation des tudes pragmatiques,

sagissant du langagier, le courant prdominant sefforce dexpliquer ou danalyser

comment la langue, dans un contexte extralinguistique donn, ou dans certains types

dnoncs fortement rgls, devient un instrument de pouvoir, une invitation faire

faire, sans pass, sans mmoire, sans attaches idologiques, simple piphanie

apparaissant en son lieu propre. 341 Par contre, pour le langaginal, il sagira de

sefforcer de montrer ou dcrire : comment la langue, dans un contexte donn pas

seulement extralinguistique mais aussi linguistique , dans certains types dnoncs

fortement rgls aussi bien que dans les changes anodins, spontans et non rgls

dans toute situation de la vie quotidienne , devient une manifestation de puissance ,

une invitation faire sentir , avec pass, avec mmoire, avec attaches

idologiques, au-del dun simple ancrage situationnel hic et nunc .

Lorsque ces paradigmes sont considrs dun point de vue thorique, la socialit

langagire peut alors tre conue comme le mariage de deux formes, sociale et

langagire. Cest au travers de cette conjonction que peuvent tre compris,

rciproquement, ce qui appartient la socialit et ce qui concerne le langaginal, sans

quune vision sociale doive recouper mcaniquement et contractuellement une vision sur

le langage sous le prtexte de ce fait simple et indniable que le langage ferait partie de

341
Jean-Jacques Thomas, La Langue vole. Histoire intellectuelle de la formation de la langue franaise,
Berne, Pater Lang, 1989, p. 7.
162

la socit 342 . Cette conjonction est en effet la fois interactive et trajective ,

dynamiquement lie un trajet, dans la mesure o ce sont tantt les lments purement

sociaux (en tout cas envisageables comme tels thoriquement) qui passent au premier

plan, le langage restant alors en retrait derrire les autres activits de la socit ; tantt,

les lments purement linguistiques (envisageables aussi thoriquement comme tels)

qui jouent le rle essentiel sur le devant de la scne, spcificit du langage dominant.

Dans cette relation trajective o les lments composants restent mutuellement relatifs,

ni lordre social ni lordre langagier ne peut exclure lautre ordre.

Ainsi, il se peut que la socialit langagire soit finalement cette perspective o le

langage trouve enfin son autonomie comme objet dtude de la sociologie, sa vie et sa

dynamique tant alors toutes deux reconnues. Une telle perspective se fonde sur les trois

processus lmentaires de la langaginalit que nous voudrions examiner dans ce qui suit.

3.1. Du signe au symbole


Notre rflexion part dabord de ce constat que les mots peuvent devenir comme tels

symbole, cest--dire sans perdre leur statut linguistique, smiologiquement parlant. Mais

comment est-ce possible, puisque la nature du symbole est essentiellement sociale ? Pour

aborder cette question, commenons par examiner ltat des connaissances actuelles sur

les signes linguistiques.

On comprend gnralement les mots comme tant des signes , soit dans le sens

du signe linguistique saussurien, soit dans celui du symbole peircien343. Puisque

342
En effet, tant que, le langage ne sera considr que comme un fragment issu mcaniquement du jeu des
forces sociales, tant sur le plan matriel que sur le plan idologique, lexpression social langagier naura
aucun sens. Parce que le social seul suffira, le langage sy subordonnant. Avec le langagier, on ne
parviendra jamais une vraie sociologie du langage. On aura beau dsigner le langage comme le domaine
dune recherche sociologique, les mots, ainsi apprhends, ne pourront sy constituer en vritable objet.
343
Charles Sanders Peirce distingue entre indice, icne et symbole selon le lien des signes avec leur
rfrent. Lindice est un signe qui renvoie lobjet dnot, parce quil est rellement affect par cet objet,
tels le symptme dune maladie, la baisse du baromtre, la girouette qui montre la direction du vent, etc.
Une icne est un signe qui renvoie lobjet quil dnote simplement en vertu des caractres quil possde.
Nimporte quoi, qualit, individu existant ou loi est licne de quelque chose, pourvu quil ressemble
cette chose et soit utilis comme signe de cette chose. Cest le cas, par exemple, des chantillons, des
163

ces signes constituent communment un systme de communication bas sur la

convention sociale , nous ny voyons aucun inconvnient. Nanmoins, ce qui nous

embarrasse, cest que, dans ce cas, on fait abstraction de la dimension concrte des

choses. En fait, le problme apparat lorsque cette abstraction met trop en avant, ou bien

au contraire tend dissimuler, un certain nombre dinterprtations des activits

langagires.

Cest, en effet, que la vote de la linguistique, mais aussi de la sociologie et de la

communication, telles quelles sont ordinairement conues, ont pour clef quelques

postulats extrmement idaliss. Il nous parat utile den relever ici les limites. En

premier lieu, il est admis que la langue est un systme abstrait, actualis dans la parole,

ou une comptence biologique, actualise dans des performances. Mme si cette

comptence est matriellement inscrite dans le corps, dans les gnes et les circuits

neuronaux, elle est, vis--vis des actes concrets de parole, dans la mme position que,

pour reprendre une expression servant la critique de cette conception par Jean-Jacques

Lecercle, la sonate vis--vis de ses interprtations 344. Cest en cela quune existence

ainsi conue nest quidale et immanente. Pourtant, loin dtre une entit immanente, le

langage nest pas sparable de son actualisation.

En second lieu, il sagit du postulat que le langage est un code fixe, quune langue

est un ensemble de rgles, que ce qui est pertinent pour ltude du langage, ce nest pas la

parole, indfiniment variable et chaotique, mais la langue, en tant quelle est

systmatique 345 . Toutefois, une langue nest pas un systme homogne, mais un

ensemble de sous-systmes ou de systmes partiels, en constante variation. En effet, si la

langue nest pas entirement chaotique, elle nest pas entirement systmatique non plus.

onomatopes, des images, etc. Enfin, le symbole renvoie lobjet quil dnote par la force dune loi qui
dtermine linterprtation du symbole par rfrence lobjet en question. Cest le cas, par exemple, des
mots de la langue.
344
Jean-Jacques Lecercle, Une Philosophie marxiste du langage, Paris, PUF, 2004, p. 68.
345
On distinguera divers systmes de rgles, divers niveaux hirarchiques du systme : rgles
phonologiques, morphologiques, syntaxiques, smantiques la langue est un empilement de niveaux.
164

Dailleurs, elle nest jamais stable. Il est donc quasi impossible de la figer un moment

prcis, sans rater son caractre essentiel : la vie.

Il sagit, en troisime lieu, du postulat de transparence. partir du moment o le

langage est vu seulement ou dabord comme un instrument de communication, il sensuit

que tout dans le langage devrait tre adapt la transmission optimale et efficace de

linformation. Mais, en ralit, cette transparence du langage nest quune illusion. Dune

part, on constate que, lors dune interlocution, il y a un norme dcalage entre ce qui est

mis par lmetteur et ce qui est reu par le destinataire du message. Il est quasi

impossible denvisager une situation de communication o un locuteur pourrait

transmettre son intention par le langage cent pour cent un interlocuteur. Dautre

part, on ne devrait pas oublier que le locuteur lui-mme ngocie son expression avec sa

langue. On ne dit que ce que notre langue nous permet de dire, on parle avec , mais

aussi contre notre langue, et le sens des noncs est toujours un compromis entre ce

que nous voudrions avoir dit et ce que nous dcouvrons, parfois avec horreur, que nous

avons effectivement dit. Ainsi, le langage est-il mme doublement opaque.

Il sagit, enfin, du postulat da-temporalit. On fabrique un couple de concepts, la

synchronie, moment abstrait idal de lanalyse du systme, et la diachronie, passage dun

moment synchronique un autre. Bien entendu, comme toujours avec ces dichotomies

philosophiques (esprit / corps, etc.), un des termes est hirarchiquement suprieur

lautre. La diachronie est ravale par la linguistique contemporaine ses marges. Il faut

admettre que, dans le langage, il y a un changement. Pourtant, on peut se demander ce

quest, pour une langue donne, ce moment atemporel synchronique. La langue,

partiellement systmatique, est aussi partiellement chaotique, non parce quelle est par

nature dsorganise ou partiellement organise, mais parce quelle est la trace dun

processus de sdimentation historique de rgles, de conventions, de maximes et de sens.

La langue est un produit de lhistoire.

Ainsi, on se rend compte que le langage (les mots) en tant que signe linguistique

doit tre galement pris en considration dans sa matrialit, sa systmaticit partielle,


165

son opacit et son historicit. Cest partir de ces fondements pistmologiques que nous

allons envisager la symbolisation des signes linguistiques. Toutefois, cette symbolisation

des mots na pas de lien immdiat avec ces caractristiques. ct de limage, du son,

de lodeur, du geste, etc., lun des systmes de la communication humaine, le langage

lui-mme, en tant que systme des signes et activit sociale, peut tre trait comme un

symbole. Mais lon ne considre pas automatiquement les mots comme symboles de la

mme faon que, par exemple, la balance symbolise la justice . Notre ide est que, la

diffrence des cas o ce sont des objets qui fonctionnent comme symboles, la

symbolisation des mots suivrait un processus spcifique, tant donn quil sagit dune

symbolisation opre sur un systme symbolique, la mise en symbole dun systme

symbolique qui, lui-mme, se rfre dj quelque chose. Ce serait un cas o le moyen

de la symbolisation deviendrait lui-mme objet symbole. Ici, nous croyons que cette

symbolisation des mots, telle que nous lentendons, se raliserait au travers dune

chosification des signes linguistiques. Elle est envisageable lorsque les signes

linguistiques se transforment eux-mmes en une chose , au lieu de demeurer cette

ternelle entit smiologique voue renvoyer la chose .

Il nous semble que lun des cas les plus manifestes dune telle symbolisation est le

ftichisme . Cest--dire que cest justement le cas o lordre de priorit entre le signe

et ce quil signifie sinverse, de sorte que le signe usurpe la place de ce quil signifie.

mile Durkheim, cet gard, explique bien ce quest le ftichisme, en nous rappelant

que le soldat qui meurt pour son drapeau, meurt pour sa patrie; mais en fait, dans sa

conscience, cest lide du drapeau qui est au premier plan. Il arrive mme quelle

dtermine directement laction. 346

346
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse, op. cit., p. 315 : Si donc la chose
mme ne remplit pas cette condition, elle ne peut pas servir de point dattache aux impressions ressenties,
bien que ce soit elle qui les ait souleves. Cest le signe alors qui prend la place ; cest sur lui quon reporte
les motions quelle suscite. Cest lui qui est aim, craint, respect ; cest lui quon est reconnaissant ;
cest lui quon se sacrifie. Le soldat qui meurt pour son drapeau, meurt pour sa patrie; mais en fait, dans
sa conscience, cest lide du drapeau qui est au premier plan. Il arrive mme quelle dtermine
directement laction. Quun tendard isol reste ou non aux mains de lennemi, la patrie ne sera pas perdue
pour cela, et pourtant le soldat se fait tuer pour le reprendre. On perd de vue que le drapeau nest quun
166

Ce qui compte pour nous, cest que dans ce rapport soldat - drapeau - patrie , le

drapeau, la fois chose, matrielle et image , qui reprsente la patrie, pourrait tre

remplac par des produits du langage . Par exemple, si ce drapeau est tricolore, on

peut imaginer quil puisse tre remplac, titre dexemple, par la devise de la

Rpublique franaise : LIBERT - GALIT - FRATERNIT . Cela signifie que,

dans certaines situations, il est possible pour cette formule verbale de jouer le mme rle

que le drapeau qui pour un soldat voque sa patrie. ce moment, on perd de vue que

cette devise nest quun ensemble de signes linguistiques qui nont pas de valeur en eux-

mmes par leur sens, quils ne sont pas ce quils signifient, et lon prend la devise comme

totalit que lon traite comme si elle tait elle-mme la ralit dont elle est issue : la

Rpublique franaise.

Remarquons en particulier que de tels phnomnes de ftichisme sobservent

davantage dans les mdias, qui produisent une vulgarisation des mots. Pour indiquer

laspect incantatoire que prennent les mots dans les mdias, qui par leur rptition leur

font perdre toute valeur, toute fracheur, tout got, Jean Baudrillard a dit, dans les annes

90 : La guerre du Golf na pas eu lieu . De son ct, Michel Maffesoli donne cet

exemple semblable : La crise nexiste pas 347, afin de souligner ce qui se passe dans

lactualit. Des termes, tels que rupture , crise didentit, globalisation, no, co, bio,

hybride, cyber, naturel, etc. sont de plus en plus repris dans les diverses sphres de la vie

sociale, et parasitent tous les rseaux de communication, tant mdiatiques

qulectroniques, sans oublier bien entendu le bouche oreille. Ainsi, on se rend compte

bien que, pour quil y ait ftichisme avec des mots, il faut quil y ait chosification des

signes linguistiques.

Pour rendre plus claire notre propos, nous allons comparer la symbolisation des

mots la connotation. La smiologie dfinit la connotation comme un signifi fig .

signe, quil na pas de valeur en lui-mme, mais ne fait que rappeler la ralit quil reprsente; on le traite
comme sil tait lui-mme cette ralit.
347
Rendez-vous de limaginaire, La dpense et la crise conomique , sance du 19 dcembre 2008,
Fondation dEntreprise Ricard, 12 rue Boissy dAnglas 75008 Paris.
167

La connotation veut dire que chaque signe est compos dune paire SA / S chaque

tape du schma smiologique. Cet aboutissement un sens connot prsuppose quil

ny a aucun accident (ou fuite) smiologique au cours de lensemble des tapes de la

production du sens. Cest la faon dont fonctionne le sens connot. Or, si un certain

ftichisme existe, la possibilit mme de connotation est ruine.

Dans ses Mythologies, Roland Barthes a voqu, au travers dune couverture de

Paris Match sur laquelle on voit un soldat noir rendre hommage au drapeau tricolore, ce

sens connot comme sens smiologique ultime : que la France est un grand Empire,

que tous ses fils, sans distinction de couleur, servent fidlement sous son drapeau 348.

Mais ce sens nest valable que sous condition que tout le processus smiologique se

droule conformment certaines grilles smiologiques pyramidales. En effet, si dans cet

exemple, un ftichisme pour le drapeau avait lieu, ce sens connot ne se produirait. Cela

veut dire quil peut bel et bien y avoir un dphasage entre une certaine vision

smiologique et la ralit telle quelle est.

En revanche, dans le cas du drapeau cit par mile Durkheim, le sens connot

ne serait que le sacrifice du soldat sa patrie. Pourtant, on se rend bien compte quil se

peut que la ralit ne soit pas celle-l. Cest ainsi que le ftichisme et la connotation

sopposent, du fait que le premier est un cas o seul le signifiant merge, alors que le

second est un cas o seul le signifi se fige.

Il nous semble que concevoir le concept de connotation comme signifi fig et

rsultat dun schma smiologique pyramidal revient lapplication mcanique dun sens

abstrait dj existant et donn la situation de communication. Si lon veut toujours

considrer ce sens connot en termes de symbole, ce sera un symbole mort , au sens

o il ne peut plus voluer, vivre. On pourra penser par exemple que le soleil ,

caractris par le jour, a comme connotation dfinitive la puissance, lespoir, la gloire,

un caractre mle, etc. Tenter de gnraliser cela toutes les situations ne serait que la

tentative pour faire croire que la smiologie doit considrer les connotations comme fixes.

348
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 189.
168

Cest finalement une vision mcanique, idalisatrice et abstraite qui vise une

gnralisation fonde sur des ides convenues, sans prendre en compte les choses dans

les situations relles. On peut imaginer que ce soleil glorieux peut recevoir le sens

d un soleil noir . On en arrive ainsi voir quune connotation peut ntre quune

crature idale qui relve dun laboratoire de smiologues, au lieu dtre un certain sens

qui mane dune certaine situation relle. Cette mthode qui considre un symbole

comme en rapport dfinitif avec une connotation est la mme que celle du fameux lit

procusten. Lerreur de la smiologie est de synchroniser le sens interne du texte (sens

smiologique) et le sens externe (sens social), sans aucun intermdiaire entre les deux.

En effet, un lment smantique qui aura pu tre dtermin comme connotation fixe

pourrait ntre, en amont, que le produit dune sdimentation de sens, qui se fera forme

au cours de lvolution dun contexte la fois historique, social, psychologique, mais qui,

en aval, sera lui-mme en mme temps un objet se trouvant pris dans le processus ternel

de cette mme sdimentation smantique.

En fait, cette symbolisation oprant sur les mots aurait ainsi le caractre de limage.

La symbolisation sincarnerait comme une sorte dillusion. Or, nous pensons que ce

phnomne peut tre attribu la nature mme des signes. En dautres termes, les mots

peuvent avoir, travers leur chosification (le ftichisme), le fonctionnement qui est

procur par une icne et un indice. En ce sens, la symbolisation fonctionne comme une

sorte d iconisation . Du point de vue smiologique, une telle symbolisation signifie

que la frontire peircienne entre indice , icne et symbole samincit.

Pour clore notre propos, considrons cette symbolisation des signes linguistiques

comme pouvant constituer un phnomne gnral oprant quotidiennement dans

lensemble de lusage du langage, des discours les plus officiels jusquaux conversations

les plus anodines, et ce, de diverses manires: mdias, publicit, littrature, tlphone,

Internet, dialogues, etc. Pour expliquer ce phnomne qui est finalement devenu

symptomatique de lpoque, Michel Maffesoli dit : Tandis que le signifi est mort, le
169

signifiant survit. 349 Sil en est ainsi, il se peut que tels mots spcifiques - pas pour ce quils

signifient mais en tant que mots eux-mmes dont seul le signifiant compte - parviennent

mme caractriser lpoque.

3.2. Du texte au contexte


Notre deuxime discussion concerne la manire de comprendre la notion de

contexte . Depuis un certain temps, on entend dire que le sens, quel que soit le

domaine concern (politique, conomique, social, artistique, culturel, etc.), se dgage par

lintermdiaire du contexte . Au fur et mesure que le sens tait de plus en plus

considr comme dpendant du contexte dans tous les secteurs de la socit, le

contexte devenait un mot passe-partout . Il est vrai que cette propagation de la

notion de contexte doit beaucoup la pragmatique linguistique, qui sest trs dveloppe

depuis les annes quatre-vingt du sicle dernier. La notion de contexte est si

dterminante dans la pragmatique que celle-ci se dfinit souvent comme science du

contexte 350. Or, vu sous un autre angle, il se peut quun passe-partout risque de ne

rien apporter. Cela signifie que le recours aveugle au contexte , son invocation

mcanique, peut susciter lnorme illusion de croire avoir expliqu quelque chose aussi

bien en sciences sociales que dans la pragmatique linguistique elle-mme, sauf si la

manire dont on fait intervenir ce contexte est pertinente.

Do la ncessit dexaminer cette notion. Le contexte dun lment X quelconque

est en principe tout ce qui entoure cet lment. Lorsque X est une unit verbale,

lentourage de X est la fois de nature linguistique (environnement verbal) et non

linguistique (circonstance situationnelle, sociale, culturelle...)351. Or, si le contexte est

349
Lors de son sminaire, Sociologie du mal II , Amphithtre Durkheim, Sorbonne, anne 2001-02.
350
Marie-Anne Paveau et Georges-Elias Sarfati, Les Grandes thories de la linguistique, Paris, Armand
Colin, 2003, p. 208.
351
Quil soit linguistique ou non linguistique, le contexte peut tre envisag de faon troite (contexte
immdiat) ou large (contexte tendu), cet axe tant bien videmment graduel. En ce qui concerne le
contexte non linguistique, relvent par exemple du contexte troit (ou micro) : le cadre spatio-temporel et
la situation sociale dans lesquels sinscrit lchange communicatif, les participants cet change (nombre,
170

compris comme entourage , on nchappe pas un dilemme, en ce sens que le sens

des noncs nest dtermin exclusivement, que par lune des deux natures du contexte,

linguistique ou bien non linguistique. Dans une telle optique, selon le cas, soit seuls les

mots valent comme pour Oswald Ducrot, soit seuls les rapports sociaux comptent,

comme chez Pierre Bourdieu.

En vue de sortir de ce dilemme, examinons, en premier lieu, deux propositions

pragmatiques. La premire invite comprendre le contexte dun point de vue

dynamique et processuel. Blanche-Nolle Grunig propose ainsi une version

dynamique du contexte dans lequel les oprations de production ou dinterprtation sont

effectues par les locuteurs. Cette suggestion sassortit de trois corollaires : selon le

premier, le contexte nest plus envisager uniquement comme un environnement

linaire : tout ce qui accompagne et contrle la production ou linterprtation du contexte

est en cause. Il sagit non plus dune connexion syntagmatique triviale mais bien plutt

dun rseau, associatif, aux connexions multiples. Le second dit que le contexte diffre

selon quil sagit du producteur ou de linterprtant. Selon le troisime, le contexte est

une donne en transformation permanente, et qui varie avec le temps352.

La seconde proposition sappuie sur lide dHerman Parret selon laquelle le sens de

lobjet pragmatique est dtermin par son positionnement dans un contexte et surtout

par sa force de contextualisation 353. Il faut bien avoir lesprit que lobjet et son

contexte ne sont pas des entits stables et autonomes : ils nexistent que dans une

interdpendance dynamique. Cet auteur dtermine ainsi la notion de contexte : Le

contexte est toujours leffet provisoire dune contextualisation. Cet effet provisoire est

caractristiques, statuts et rles, ainsi que la relation quils entretiennent), le type dactivit dont il sagit, et
les rgles qui le rgissent (contrat de communication). Relve du contexte large lensemble du contexte
institutionnel, le contexte se prsentant alors comme une srie sans fin dembotements : de mme que le
cadre physique ultime, cest lensemble du monde social physique, de mme le cadre institutionnel ultime
est lensemble du monde social (et lon pourrait en dire autant du cotexte, qui par le biais de lintertexte,
recouvre une tendue discursive thoriquement illimite.) [Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau
(sous la direction de), Dictionnaire danalyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 134-135.]
352
Blanche-Nolle Grunig, Conception dynamique du contexte , in La Linguistique, vol. 31, 1995,
p. 5-13.
353
Herman Parret, LEsthtique de la communication, Bruxelles, OUSIA, 1999, p. 7.
171

multiple et extensible : les objets, les tats de faits, les vnements constituent des

contextes, mais les mondes possibles galement, tout comme les mondes fictionnels de

nos rves, de nos fantasmes, de nos dsirs. 354

Dans ces visions dynamiques et processuelles, la relation entre texte et contexte

n'est point unilatrale, mais autant dialogique que trajective. ce niveau-l, nous

devrons rflchir, en particulier, sur les types de contexte que forme le texte lui-mme,

dans leur performativit et leur capacit transformer le monde o il sinsre. Il nous

semble en effet que ce quest le texte (mots, nonces, discours, etc.), habituellement

considr comme entour de facteurs non linguistiques, nest pas suffisamment pris en

compte comme acteur du contexte. Dans le processus de la contextualisation, des

noncs eux-mmes - quils soient un simple lment alphabtique ou un ouvrage de

plusieurs centaines de pages - fonctionnent comme autant de contextes dynamiques qui

peuvent dterminer le sens pragmatique355.

Les contextes relevant dnoncs sont cruciaux, aussi longtemps que ces derniers,

matriau verbal, sont considrs comme des porteurs primitifs de sens . On constate

souvent que ce sens primitif des noncs peut devenir un paramtre dterminant pour

lensemble du sens. Il se peut paradoxalement que le sens pragmatique des noncs

senracine dans ces noncs eux-mmes au fur et mesure quils deviennent un contexte

dterminant. Mme si cela parat peu plausible, nous vivons ces expriences au quotidien.

Nous allons maintenant examiner ce processus de la contextualisation des noncs.

Si les mots existent en dehors de la communication, ils ne seraient plus quun amas de

matriaux verbaux. Dans cet tat, semblables aux mots dans le dictionnaire, ils ne sont

plus que les composants dune substance virtuelle dont le sens nest gure dtermin

a priori. Il sagit, seulement, dune signification phrastique, non dun sens pragmatique

354
Ibid. Par ailleurs, en linguistique, Robert Martin met en vidence le fait que le locuteur vit dans tous
ces mondes possibles dans son quotidien, au travers des divers niveaux de sa pratique langagire :
temps, smantique, conditionnel, subjonctif...[Robert Martin, Pour une logigue du sens, Paris, PUF, 1983,
p. 103-161.]
355
Ainsi, le contexte est en mme temps construit dans et par la faon dont la contextualisation se
droule ; dfinie dentre, la situation est sans cesse redfinie par lensemble des vnements discursifs.
172

rel et social. Par contre, ds que ces mots entrent dans des noncs en situation de

communication, la notion de contexte joue. En effet, le contexte et la

contextualisation sont des notions prsupposes en tant que mta-langage, voues au

dgagement dun sens envisageable des noncs. Et, ce sens nat grce la

contextualisation en situation de communication.

Pour mieux expliquer le processus de la contextualisation partir des types de

contextes qui senracinent dans les noncs eux-mmes, nous allons, pour notre part,

considrer une double mouvance : le contexte scalaire et le contexte vectoriel .

Lorsque lon considre le contexte comme une sorte de force, il est utile demprunter

leurs notions de grandeurs aux sciences physiques et mathmatiques :

Ces grandeurs scalaires, qui sont pour ainsi dire indiffrentes la situation dans
lespace de lobjet mathmatique quelles quantifient, cest--dire indpendantes de
toute notion dorientation ou de direction, sopposent ainsi aux grandeurs vectorielles,
pour lesquelles ces notions interviennent : en physique, une force, une vitesse sont des
grandeurs vectorielles, car elles ne sont pas caractrisables uniquement par leur mesure,
mais aussi par leur direction.356

La linguistique a envisag la notion d actualisation pour parler du processus

dans lequel les mots (dictionnairiques) deviennent des noncs (situationnels). Pourtant,

cette notion rhabilitant les mots nexplique pas toutes les tapes et les vnements qui se

droulent dans la communication. Ce concept valoris en linguistique mettra en lumire

les conditions dans lesquelles des mots peuvent devenir un contexte. Nanmoins, un tel

concept ne suffit pas dterminer la nature des contextes.

Les contextes dont nous parlons sont en effet ceux qui se trouvent au-del de ce

niveau de lactualisation. Dans la notion dactualisation, les mots sont considrs dune

manire neutre. En dautres termes, chaque mot a la possibilit dtre interprt dune

faon qui varie en fonction des situations de la communication. Nous appelons

contextes scalaires les contextes que constituent les noncs qui, thoriquement ,

356
Stella Baruk, Dictionnaire de mathmatiques lmentaires, Paris, Seuil, 1992, p. 1096.
173

nont aucun rapport pralable de direction. Sagissant de tels contextes neutres , les

mots sont ouverts toute interprtation.

En revanche, une observation plus prcise nous fait comprendre quil existe des

noncs dont lorientation interprtative est dj fixe , et ce, dune manire obstine.

Nous appelons les contextes attachs ce genre dnoncs contextes vectoriels . Cela

revient dire que, dans les pratiques langagires, il y a un certain nombre de mots et

dexpressions qui ne peuvent pas tre interprts autrement, au fur et mesure que,

devenant un contexte, ils sont dj orients, motivs, penchs dans une telle direction.

Cest le cas lorsque lenchanement nonc-contexte-sens est coagul. Par consquent,

dans la communication, ce genre dnoncs, par leur existence seule , jouent un rle

dterminant pour la production du sens. En thorie, il ny a pas de rapport prdtermin

entre les contextes, tant donn que tous les mots peuvent tre orients vers tel ou tel

sens par lactualisation. Pourtant, en ralit, il peut y avoir des rapports motivs entre

les noncs et les contextes quils forgent : cest la notion de contexte vectoriel . Les

contextes vectoriels ont donc voir avec ce quHerman Parret appelle la

prsentification de lobjet signifiant 357.

Sachant, dailleurs, quaucun nonc ne peut vritablement exister de manire

neutre ou intacte dans une situation de communication, il est souhaitable de ne

considrer le contexte scalaire que comme un contexte peu ou faiblement vectoris.

Nous pensons que la notion de contexte vectoriel et de vectorisation est

cruciale pour la comprhension de lusage du langage. Au sens large, notre utilisation du

langage sappuie sur ces notions. Ainsi cet usage, de lchange trivial quotidien au

document rigoureux, repose sur les mots qui nont jamais le mme poids smantique et

expressif. Nous pensons quil est important de remarquer que les mots nont pas, un

moment donn, la mme force, quils sont incommensurables.

Il nous semble que si les contextes vectoriels constituent un centre dintrt si

important pour les secteurs de la communication, cest parce que cest dans de tels

357
Herman Parret, LEsthtique de la communication, op. cit., p. 7.
174

contextes que divers enjeux sont engags de manire privilgie. Remarquons quel

point les discours mdiatique, politique et publicitaire sont inspirs par cette spcificit

(en fait par cette potentialit) du langage et sappuient sur elle.

3.3. Du locuteur au rle


Sagissant du troisime processus lmentaire de la langaginalit, la question que

nous soulverons ici porte sur le sujet parlant. Les esprits se focalisent naturellement sur

la question Qui parle ? . Nous avons dj effleur ce sujet plus haut, au plan

philosophique, en voquant la question-rponse entre Nietzsche et Mallarm. Ici,

nous laborderons plus linguistiquement.

Pour des esprits srieux , cette question peut sembler navoir aucun sens, car, en

tant quacteur social libre, un individu est suppos avoir envie de communiquer pour

transmettre ses ides ou une information autrui. Il a donc un vouloir dire originel.

Ce vouloir se concrtise par la langue, instrument de cette communication grce la

comptence linguistique de cet individu. Toute nonciation a lieu dans une situation

donne. Par consquent, cest bien videmment le locuteur qui parle , en tant que

matre du code de la langue et contrleur du message quil produit. Le texte est donc

lexpression de ce sens que le locuteur originel voulait communiquer : ce que je dis, cest

ce que je veux dire. Le sens de lnonc est fonction de lintention de sens du locuteur.

Pourtant, un doute survient vite quant cette matrise du locuteur. En fait, nul ne

peut matriser la langue, ni mme sa propre langue. La langue nest jamais matrisable.

Parce que le contenu affectif passant lexpression nest pas toujours conscient. La

transmission dune information peut ne pas tre un acte aussi dlibr que lon voulait le

supposer. Nous sommes donc loin dune pleine possession de la langue par le locuteur.

De ce point de vue, le texte peut constituer une formulation paradoxale de lindicible ou

de linnommable. La langue nest alors plus un simple instrument, elle semble avoir pris

son indpendance. Cest la langue qui parle : elle suit son propre rythme, sa propre

cohrence, relative, elle prolifre de faon chaotique, et parfois violente.


175

Finalement, on pourra dire que, tantt je parle la langue mais que tantt cest

la langue qui guide mon dire . On fait dailleurs quotidiennement cette exprience. Il

sagit des lapsus, des clichs, des citations, des chos... Ici, il faut dailleurs noter que la

frquence de telles productions nest pas un lment dcisif pour dterminer qui a

lhgmonie entre le je et la langue .

Au vu de tout cela, la question du sujet parlant est dautant plus cruciale que, sur le

plan social, un locuteur ne peut tre quun acteur social. Dans cette mise en cause du

statut du sujet parlant, nous allons nous rfrer une recherche donne dans le cadre des

sciences du langage. Il sagit dun article intitul Plusieurs pragmatiques , dans lequel

lauteur tente de classer toutes les thories pragmatiques existantes en quelques

catgories selon le statut du sujet parlant358. Au travers de cette rflexion linguistique, on

verra comment un locuteur, individu qui parle et qui crit, peut se transformer en

personne, au sens de ce sujet social dont nous venons denvisager le caractre.

Blanche-Nolle Grunig nomme le premier type de thorie pragmatique linguistique

quelle distingue pragmatique indexicale . Cette thorie repose sur la situation de la

prsence face face de deux individus concrets qui se parlent 359. Lossature de cette

thorie est constitue partir de la prise en compte, ncessairement physique, de la

variable suivante : LOCo, t0 l0, RECEPTo . Lexpression indexicale, parce quelle est,

par dfinition, relie au concret dans le schma de communication et permet donc

relativement facilement la mise en uvre dexpriences, constitue un terrain dtude

privilgi. Cest ce schma de communication ou dnonciation qui est devenu une

vidence et un bien commun pour toute linguistique contemporaine et de thorie de la

communication. Il faut remarquer cependant que toutes les rgularits qui ont fait son

attrait ne tiennent que si lon considre, de la faon la plus terre terre du monde, que

tous les participants, locuteur et rcepteur, et les lments situationnels prennent des

valeurs physiques. Tenant compte de cette caractristique, la linguiste estime que le

358
Blanche-Nolle Grunig, Plusieurs pragmatiques , DRLAV (Documentation et recherche en
linguistique allemande contemporaine, Vincennes), n 25, 1981, p. 101-118.
359
Ibid., p. 102.
176

locuteur ne peut pas tre vu autrement que comme un paquet dos et de cordes

vocales 360 mont sur deux pieds fortement ancrs dans la glbe.

Cest que cette thorie peut tre conteste. Dune part, si lon sautorise penser

que le locuteur prend sa valeur dans un ensemble dintentions, alors il ny aura plus cette

rgularit remarquable des variations. Par exemple, Dupont qui dit Je et Durand,

sujet diffrent, qui dit Je peuvent bien tre mus (mis en action) par la mme

intention . Dautre part, si lon considre par exemple que locuteur et rcepteur ne

prennent pas leur valeur dans ce concret osseux de leur corps phonatoire, mais dans des

idologies, alors on pourra constater, dans bien des cas, une disparition de la

confrontation Locuteur / Rcepteur. Tous deux, alors mme que leur point de dpart est

apparemment diffrent, parlent partir du mme lieu idologique .

Cela a pour effet quil peut ne pas y avoir de polarit forte, en dpit de leur

opposition concrte dans la relation Locuteur / Rcepteur. Ils seraient en ce cas comme

rduits tre alternativement bouche et oreille sinstituant pour soutenir un discours qui

les domine lun et lautre. Comme lauteur le fait bien remarquer, ceci ne veut

videmment pas dire que ce qui parle par la bouche concrte quest le locuteur qui

occupe la valeur nest pas dun intrt essentiel. Mais ce qui matrise en pareil cas le

discours ce ne sont pas les locuteurs, mesure que la polarit disparat. Il faut dans une

situation de ce type recourir une autre analyse que celle mise en uvre par la

pragmatique du hic et nunc.

En deuxime lieu, la linguiste prsente la thorie de la pragmatique

psychologique et de l activit de langage . Dans ce type de pragmatique, lindividu

concret se voit comme se livrant une certaine activit. Il soriente dans lespace-temps

et simultanment verbalise son processus dorientation. Mieux : orientation et

verbalisation sont en symbiose. Lapprentissage a permis lindividu concret une

opration (ou un complexe doprations) excuter en situation relle. Cette linguiste

360
Ibid., p. 104.
177

note que, dans cette pragmatique psychologique, le locuteur se dfinit comme

un cerveau ramifications neurophysiologiques 361 (disons LOCN).

Le troisime type de pragmatique est la pragmatique de la performativit et les

actes de langage . Cest bien videmment la pragmatique qui se place sous la houlette

de John Langshaw Austin et de John Rogers Searle. La leon essentielle de ces auteurs

est dinsister sur le fait quune nonciation nest pas ncessairement une assertion (une

constatation, une description). savoir, lnonc mis ne sert pas toujours

ncessairement la fonction rfrentielle. La dmonstration de la justesse de cette thse a

t, par Austin et ses successeurs, recherche avant tout dans un examen, tonnamment

scrupuleux et pointilleux, des ressources offertes par le langage ordinaire pour

lexcution de ces actes qui seraient autres que de simples assertions. Cest ainsi que

sest dgage la caractrisation - assez approximative, il faut bien le dire - dune formule

performative avec laquelle on fait en disant tout en disant simultanment quon

fait 362 . Cette pragmatique de la performativit est bien connue mais encore trs

controverse.

Tout dabord, pourquoi parler d Actes ? Pourquoi se trouve-on dans le monde

des rapports interindividuels tels quils sont dfinis par la juridiction gnrale, et la

juridiction linguistique en particulier ? Les locuteurs sont en quelque sorte envisags

dans cette pragmatique de la performativit comme des partenaires contractuels 363 et

361
Ibid., p. 114 : Les travaux de psycholinguistique ont dj une longue histoire. Mais, ce qui est
remarquable, cest que ce soit le linguiste qui se soit tourn vers le psychologue. Ceci, non pour
laider en lui proposant la grille de ses modles mais au contraire pour attendre de lui un
inflchissement de ses modles. On trouve cette tendance notamment chez Antoine Culioli. (Culioli,
Recherche en linguistique (1976). Thorie des oprations nonciatives.) Ailleurs, Noam Chomsky semble
chercher la justification de ses thories dans un inscrit biologique (inn, en loccurrence). Le
rapprochement avec la psychologie est donc, sans doute, un mouvement gnral et la pragmatique ne serait
pas, sur ce point, isole.
362
Ibid., p. 106. Par exemple : Je te baptise A. Je te plains. Je te promets de X. Je tordonne de X. Je
tadjure de X. etc. Une formule au contraire comme Je marche vite. Je ferme la porte. etc... ne serait plus
performative car il ny est plus question dun faire en disant, et une formule comme Je lui ai promis de
venir ne serait pas non plus performative car la simultanit y est perdue.
363
Ibid.
178

ils doivent ds lors tre caractriss par les proprits dont on admet communment

quelles autorisent passer contrat (Conscience, Responsabilit, Libert...).

Mais outre cette mise en cause de son dguisement juridique , cette pragmatique

prsente un autre problme, problme qui a surgi quand la pragmatique de la

performativit sest vue trahie par ce matriau linguistique auquel elle voulait pourtant -

pour la solidit de sa dmonstration - si troitement adhrer. On voit en effet assez

aisment que lon ne parvient pas tablir une correspondance biunivoque entre un

ensemble dActes et un ensemble de formules verbalises grammaticalement et

caractrises lexicalement364. Dailleurs, cette rsistance du matriau verbal une mise

en correspondance biunivoque ouvre un champ immense de recherches sur ce que lon a

pu appeler les Actes indirects.

Aprs avoir prsent les trois types de thories pragmatiques et indiqu certaines de

leurs limitations, la linguiste propose enfin un nouveau type de pragmatique, une

pragmatique grandes units . Cest enfin cette thorie que nous allons nous

intresser maintenant. En fait, cette thorie concerne un pan entier de la pragmatique, qui

nest pas directement intress par lexamen de catgories grammaticales, de verbes

performatifs ou non, ni mme de propositions. Les formes qui se dgagent dans des

textes entiers ( texte pris au sens large) nont plus comme units constitutives des

mots, ni mme les propositions, mais de grandes units sassemblant en une

combinatoire propre qui ne peut tre mise en bijection avec la combinatoire

grammaticale. Les units grammaticales et lexicales sont tout au plus, dans un tel cadre,

lindice dun certain fonctionnement dune grande unit au sein dun tout. Du

matriau verbal aux grandes units il y a une mdiatisation, et la raison pour dgager une

364
Par exemple, soit Acte dInjonction : (1) Fais cela. (2) Peux-tu faire cela ? (3) La porte, s.t.p. ! (4) Il
fait froid. (5) Est-ce que vous pensez rentrer Paris en voiture ? (6) Jai oubli mon parapluie derrire le
fauteuil bleu prs de la chemine du salon... Acte dInterrogation, dInjonction ou dAvertissement : (5)
Est-ce que vous pensez rentrer Paris en voiture ? Ainsi lActe dInjonction peut correspondre aussi bien
(1), que (2) etc. et la formule (5) peut correspondre aussi bien lActe dInterrogation, que celui
dInjonction ou dAvertissement.
179

forme se trouve ailleurs que dans la loi grammaticale, mme si cette raison tient compte

des expressions indexicales.

Le socle de cette thorie repose sur ses trois proprits. La premire, primordiale,

concerne son ancrage situationnel large 365. Les textes seraient explicitement situs

dans un cadre social dtermin. Cela peut aller de linstitution officielle (tribunal o se

droule un interrogatoire ou une plaidoirie ; hpital o est conduit un entretien soignant /

soign ; cole o matres et lves dialoguent, etc.) jusquaux mille scnes de la vie

quotidienne qui seraient caractrisables comme routine forme fixe. Pour les cas de la

vie quotidienne, on peut imaginer des situations au restaurant (1. Entrer 2. Sasseoir 3.

Consulter la carte 4. Commander, etc.) ou dans une boutique (1. Entre du client A 2.

Salut de A 3. Salut du vendeur B 4. A prcise lobjet 5. Discussion sur lobjet entre A et

B 6. A paye 7. B donne lobjet 8. Salut de A et B 9. Sortie de A). Par ailleurs, on peut

mme songer aux routines affectives des amants (1. A : Tu maimes ? 2. B : Oui, et toi ?

3. A : Bien sr).

L, nous sommes capables denvisager les consquences considrables qua cet

ancrage situationnel large par rapport au schma de communication de la

pragmatique indexicale voque plus haut. Suivons la linguiste :

On voit quici, dans la pragmatique grandes units , le schma de


communication de la pragmatique indexicale est subordonn au cadre social. Cest le
cadre social dans lequel est ancre la squence qui fixe les prises de parole physiques en
assignant chaque Locuteur physique (LOCo) le rle quil a tenir dans la squence.
LOCo est donc subordonn LOCR, dtermin lui par une dfinition des rles propre
la squence socialise.366

La deuxime proprit de cette pragmatique est sa dimension conative. Elle se

caractrise par le fait quelle sattache souvent des textes (publicit, dbat, plaidoirie,

365
Blanche-Nolle Grunig, Plusieurs pragmatiques , op. cit., p. 111.
366
Ibid., p. 113.
180

propagande...) dont la vise est essentiellement la persuasion. sa faon, elle est donc

souvent oriente vers la fonction conative, en croyant en la force des mots.

Enfin, la troisime caractristique est sans doute quelle privilgie lchange verbal

plus de deux voix et quelle fait se succder des prises de parole diffrentes dans une

mme squence. Mme dans le cas dun monologue, il semble que lon cherche, dans

lesprit qui nous semble tre celui de la pragmatique en question, replacer autant que

faire se peut un Rcepteur face un Locuteur et que le cadre social implicite confre ce

Rcepteur, par exemple, le rle de celui quil sagit de convaincre par un enchanement

argumentatif.

Nous voyons ainsi qu chacune de ces quatre pragmatiques correspond un statut

diffrent du locuteur. Dans la pragmatique indexicale le locuteur est considr comme un

paquet dos (LOCO) chaque prise de valeur de la variable ; dans la pragmatique

psychologique, il devient un cerveau ramifications neurophysiologiques (LOCN) ;

dans la pragmatique des actes de langage ou de la performativit, cest un contractuel

(LOCC) contrl par une pseudo juridiction linguistique ; enfin, dans la pragmatique

grandes units , il est un rle (LOCR), mais pour ne pas dire un pion pris dans le

droulement dune squence prprogramme qui lamne ne prendre la parole que

conformment au cadre social dans lequel la squence est ancre.

En fait, la dimension contractuelle de la pragmatique des actes de langage, qui

prsuppose intentions et libert comme cl de vote son difice thorique, ne peut tenir.

Cependant, si lon nadmet plus ce cadre thorique, il faut trouver dautres moyens pour

pouvoir continuer de parler d Acte . On peut sans doute les chercher dans la

quatrime pragmatique voque, o la valeur dune grande unit , dune tape, nest

dfinie que par rapport une squence globale. L Acte , alors dbarrass de ses

connotations intentionnelles, ne serait plus qutape dans une squence et lon pourrait

avoir le cas limite o la squence est rduite une tape367.

367
Blanche-Nolle Grunig, op. cit., p. 115.
181

Une fois la pragmatique des Actes de langage rduite et absorbe dans une autre, il

ne nous reste plus que trois thories pragmatiques. Lune, la pragmatique indexicale,

reste la plus assure et la plus communment admise, dans ses objectifs dailleurs

restreints. Les deux autres sont en effet infiniment plus ambitieuses et croisent

respectivement les proccupations du psychologue et du sociologue.

Pour rsumer, nous dirons que Blanche-Nolle Grunig, en remettant en cause les

pragmatiques existantes, trop positivistes et abstraites, propose bien une nouvelle vision

avec sa pragmatique grandes units . En critiquant la conception du sujet parlant

individu, celle du paquet dos de la pragmatique indexicale caractrise comme la

thorie la plus terre terre voire la plus positiviste, la linguiste met en vidence le

processus par lequel le locuteur physico-chimique se transforme en un rle

confr par le cadre social, et ce, tout en le prservant aussi de ce joug contractuel qui

sappelle Acte .

Cest au travers de ce type de problmatique quant au statut du sujet parlant que

lon peut avoir accs ce qui nous apparat comme la quintessence de ces situations de

communication, de forme trs variable, dans lesquelles cest la langue qui conduit mon

dire et o laffrontement des intentions ou des idologies chez les interlocuteurs

seffondre. Ce faisant, on peut accder la perception dune nouvelle forme du lien

social, qui serait engendre par cet effacement du moi et de l indiffrence

identitaire dans le domaine langagier de la vie sociale.

Finalement, la langaginalit se fonde sur ces trois processus fondamentaux : les

mots deviennent en eux-mmes symbole (symbolisation des mots) ; les noncs

constituent en eux-mmes un contexte (contextualisation du texte) et le locuteur se

transforme en un rle (mise en persona du sujet parlant). Ils sentre-dterminent les uns

les autres et sappuient sur une sorte de glissement sotrique, en ce sens que dans tous

ces cas, la nature du matriau se mtamorphose sans que sa substance originelle

disparaisse physiquement pour autant.


182

4. Le langage, air du temps


Cest au travers de ces trois processus de la langaginalit et de leur interaction que

les mots, de signes linguistiques, peuvent se transformer en un objet vritablement

objectal et que le locuteur, de sujet parlant peut devenir surjet en dpassant son

identit individuelle. En dautres termes, travers ces processus, le rapport rationnel de

sujet-objet peut entrer dans le rapport motionnel d objectal-surjet qui se forme

lors de certaines situations de communication.

En cela rside lessence de ce que nous pouvons qualifier de symbolisation du

langage . Cest finalement au travers de celle-ci que le langage devient vecteur dune

autre forme de la communication, au fur et mesure que les mots se transforment en

chose, objet, objet-imag, image mme, enfin symbole. Il devient en consquence

possible daccder un autre univers o se tissent sous un nouveau jour des rapports

homme-mots, mots-monde et monde-homme. Cest par cette mdiation quassure sa

symbolisation que le langage peut devenir symbole des temps et ce partir de sa nature

basique, linguistique (double articulation monme-phonme ) et smiologique (signe

SA / S). En dautres termes, cest au travers de cette espce de msocosme 368

quest limage, selon Michel Maffesoli. Pourtant, de telles choses ne sont pas aises

comprendre si lon se cantonne au cadre de la conception rgnante du langage. Nous

devons donc approfondir une rflexion qui puisse nous rendre plus intelligible le rapport

entre cette symbolisation du langage et le langage comme symbole dune poque.

4.1. Une connexion figurative entre mots et monde


Occupons-nous, tout dabord, de la modalit qui concerne le rattachement du

langage au monde. Car cette question se pose vite, vu que, en parlant, en lisant et en

crivant, le locuteur, individu, se situe dans une situation de hic et nunc, comme

condition ncessaire spatio-temporelle dun ici, maintenant . Tout en largissant cette

porte jusqu la socit, on pourra penser quune socit mme pratique son langage
368
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 91.
183

sous cette condition ncessaire spatio-temporelle. Ainsi, dune part, des cris et des

balbutiements du petit enfant au discours scientifique rcompens par le Prix Nobel, en

passant par le verbalisme dlirant du schizoparanoaque ; dautre part ; dautre part, sur

le plan crit, des graffiti sur les murs aux romans qui tentent le Prix Concourt,

lensemble de toutes ces pratiques langagires constituent le langage dune socit une

poque donne. Si lon considre cet ensemble en termes du rapport du langage au

monde, ce ne serait quun contact alphabtique au sens fort du terme entre mots et

monde, li cette incontournabilit physique tant sur le plan personnel que social. Dans

ce cas, la notion mme langage comme symbole du temps peut se lire comme une

sorte de lieu commun, aucune signification saccompagnant.

En second lieu, on peut parler dune connexion dmonstrative . Elle repose sur la

relation admise entre le signe linguistique et son rfrent. Il sagit de la tentative de la

comprendre au moyen du rapport de rfrence. Aussi longtemps que le langage nest vu

que comme tant essentiellement un outil sublime au service de linformation et de la

communication, cette connexion mots-monde ne peut reposer que sur la capacit des

mots reprsenter des choses, capacit qui drive de la rfrentialit du signe. Et cest

sur cette reprsentativit que diverses thmatiques concernant le pouvoir des mots ont t

traites. Finalement, vu laspect mcanique dune telle concatnation, on peut concevoir

une corrlation entre une telle perception instrumentaliste du langage et les rapports de

domination rgnant dans les diverses sphres de la socit.

Selon une telle vision, le langage ne sert qu exprimer que les caractristiques

dune poque dtermine. On ne reprsentera alors jamais par description que tel ou

tel tat du monde. En fonction de la reprsentativit, les mots seffacent au bnfice du

locuteur, cest--dire de leur matre. Mais, phnomne aussi dplorable quinluctable,

oblig de se subordonner, son tour, cette logique de fonctionnalit de la socit, le

locuteur lui-mme sera rduit ce paquet dos et de cordes vocales dont parlait plus

haut Blanche-Nolle Grunig. Par consquent, on aura l cette situation tragique o

lhomme et son langage disparaissant par effacement mutuelle, seule demeurera deux
184

une fonction dicte par la socit. Dans de telles conditions, une connexion qui soit

tangible entre mots et monde nest aucunement envisageable.

Nous pouvons, en revanche, parler dune connexion figurative qui serait

instaure finalement par une symbolisation du langage. Cest une connexion qui ne

sopre pas par la rfrentialit du langage. Ou encore, mme si cette rfrentialit opre,

ce qui compte alors nest pas li celle-ci. Il sagit de ces moments o la prise de parole

est dtermine par la nature du cadre social, bien que le locuteur soit prsent, et cela

quelles que soient les situations de communication. Dans cette dynamique, ce sont les

mots qui passent au premier plan en se mtamorphosant en symbole, tandis que le sujet

parlant passe larrire-plan. Lessentiel est que la socit peut alors transparatre dans

un langage ainsi transform en un symbole trs tangible, qui nest plus outil presque

atemporel dexpression des choses. cette connexion, le locuteur et son langage

participent tous deux, en un rapport dialogique, dans la formation dune atmosphre

globale. Cela est possible pour autant que le langage devient lui-mme un objet parmi les

mille autres du monde et quil participe cette complexit des choses du monde.

savoir que cela advient lorsque le langage devient lui-mme ralit sociale, en regagnant

ainsi en paisseur mondaine, historique et culturelle.

En effet, considrer le langage comme symbole du temps dans loptique dune telle

connexion, cest--dire au travers de sa symbolisation, revient admettre que le langage

est une entit autonome, qui est munie de ses propres organes, de ses propres rythmes, et

de son me aussi. Afin de pouvoir aborder la comprhension dun tel tat de choses, il

faut dabord carter certaines tendances inhrentes la pense dominante relative au

langage, et notamment celle qui le conoit comme objet inpuisable dune mise en

uvre , objet matriser pour vaincre le monde . En effet, nul jamais ne parviendra

matriser le langage. Au contraire, tous seront bien plutt pris ses piges. Cependant

nous sommes cet gard davis que le langage est, comme la nature, non quelque chose

vaincre mais quelque chose avec quoi vivre, ou encore quil constitue ce milieu culturel

dans lequel nous vivons, comme leau pour le poisson, comme la peinture pour le peintre.
185

Cette ide du langage comme milieu culturel est selon certains atteste par

lhistoire. Selon Michel Foucault, pour le XVIe sicle, le langage est plutt chose

opaque, mystrieuse, referme sur elle-mme, masse fragmente et de point en point

nigmatique, qui se mle ici ou l aux figures du monde, et senchevtre elles 369. Pour

cette poque, le langage nest pas un systme arbitraire ; il est dpos dans le monde et

il en fait partie la fois parce que les choses elles-mmes cachent et manifestent leur

nigme comme un langage, et parce que les mots se proposent aux hommes comme des

choses dchiffrer 370. cette poque, le langage tait vcu comme une exprience

culturelle globale 371.

Mais il faut cependant prendre en considration lvolution qui a suivi. Parce que

mots et choses divorant partir du XVIIe, le langage ne ressemble plus immdiatement

aux choses quil nomme. Pour autant, le langage nest pas spar du monde ; il continue,

mais sous une autre forme, tre le lieu des rvlations et faire partie de lespace o la

vrit, la fois, se manifeste et snonce. Certes, il nest plus la nature elle-mme dans la

visibilit de son origine, mais il nest pas non plus un instrument mystrieux dont

quelques-uns seulement, privilgis, connatraient les pouvoirs. Au XVIIe et au XVIIIe

sicle, par rapport toute connaissance, le langage se trouvait dans une situation

fondamentale : on ne pouvait connatre les choses du monde quen passant par lui. Parce

quil tait la premire bauche dun ordre dans les reprsentations du monde ; parce quil

tait la manire initiale, invitable, de reprsenter les reprsentations. Cest en lui que

toute gnralit se formait. La connaissance classique tait profondment nominaliste.

372 Ainsi, une cohrence a exist, tout au long de lge classique, entre la thorie de la

reprsentation et celles du langage, des ordres naturels, de la richesse et de la valeur.

Mais cette situation change entirement partir du XIXe sicle. La thorie de la

reprsentation disparat comme fondement gnral de tous les ordres possibles. Cette

369
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
1966, p. 49.
370
Ibid., p. 49-50.
371
Ibid., p. 56.
372
Ibid., p. 308-309.
186

optique du langage comme relais indispensable entre la reprsentation et les tres

sefface son tour. Le langage recommence se refermer sur lui-mme, formant un

monde part, en perdant sa transparence et sa fonction majeure dans le domaine du

savoir. Le langage devient une figure de lhistoire cohrente avec lpaisseur de son

pass. 373

Au terme prsent de ces mtamorphoses, comment le langage peut-il vivre lheure

actuelle ? Nous appuyant toujours sur lanalyse foucaldienne des relations entre les mots

et les choses, essayons une rponse notre manire. Au commencement du monde, mots

et choses ne font quun. Jusquau XVI e sicle, ils adhrent les uns aux autres comme les

deux faces dune pice de monnaie. Aux XVIIe et XVIIIe sicles, ils commencent se

sparer les uns des autres. Cette sparation cause une distance , qui finit par produire

un rel espace dans lequel les mots et les choses peuvent commencer se battre,

limage de boxeurs. Ainsi, aux XVIIe et XVIIIe sicles, les choses, donc reprsentation et

signification, dominent encore les mots. Mais, devenant plus complexe partir du XIXe

sicle, ce rapport prend alors une tournure beaucoup plus sophistique et mouvante. Il

nous semble quaujourdhui ce sont les mots qui auraient tendance lemporter sur les

choses.

Ce qui compte, cest que, quel que soit le rapport entre les mots et les choses depuis

leur sparation, le langage nest jamais vraiment spar du monde. nos yeux, ce

rapport pourrait tre compar au fameux ruban de Mbius. Cela veut dire que les mots et

les choses forment comme un ruban circulaire deux surfaces o lextrieur et lintrieur

ne peuvent tre prcisment distingus. Cependant, certains points prcis du circuit, ils

prennent ncessairement lapparence dune pice de monnaie deux faces. Mais ces

points changent sans cesse de place, mesure que le cercle bouge, et son aspect restera

mobile. Cet exemple montre que le rapport entre le langage et le monde sera toujours

instable, mais aussi que ltre de lhomme et ltre du langage sont ternellement

373
Ibid., p. 14.
187

incompatibles 374 . Pour rsumer cette situation, cet avis de Michel Foucault sera

pertinent : La seule chose que nous sachions pour linstant en toute certitude, cest que

jamais dans la culture occidentale ltre de lhomme et ltre du langage nont pu

coexister et sarticuler lun sur lautre. Leur incompatibilit a t un des traits

fondamentaux de notre pense. 375

Ainsi, il nous semble que le langage se lie au monde sous la forme de ce ruban

nigmatique que forment les mots et les choses. Selon ce schma ternel, en tant que

milieu culturel le langage demeure comme exprience culturelle globale accompagne

dune paisseur historique. Selon une telle vision, la symbolisation du langage sengage

bien au-del dun simple rapport dmonstratif entre mots et monde et les mots et le

monde se lient dune manire qualitative. Cela revient dire que le langage ne reflte

jamais le monde comme un miroir plat, cause dun double dphasage : entre mots et

choses, et entre langage et monde. Ce double dphasage est justement la cause et leffet

du fait que le langage est symbole du temps.

En bref, si le langage caractrise une poque, cest au travers de cette symbolisation.

cet gard, cette remarque de Michel Foucault est encore pertinente : Il y a une

fonction symbolique dans le langage : mais depuis le dsastre de Babel il ne faut plus la

chercher dans les mots eux-mmes mais bien dans lexistence mme du langage, dans

son rapport total la totalit du monde, dans lentrecroisement de son espace avec les

lieux et les figures du cosmos. 376

374
Nous croyons quon doit trouver la cause premire de recherche du langage, dans cette sparation entre
les mots et les choses et dans cette incompatibilit entre le langage et lhomme. Si ces deux distances
sont senties comme nexistant pas (ou si elles sont ngliges), on aura chercher plutt la cause dun
contrle quune cause scientifique, car, lhomme ne devient alors quune simple machine langues .
Cest notamment partir de cette sparation et de cette incompatibilit que la linguistique et la sociologie
du langage pourront trouver leurs lots respectifs. Cela signifie que, si les mots et les choses adhrent les
uns aux autres, la sociologie du langage doit disparatre, la sociologie suffisant. Ainsi, conformment au
double schma du ruban de Mbius, on devrait tudier dans quels endroits un angle plat du ruban se
forme, quels points il y a une forte torsion de cet angle ou mme il disparat, enfin quelles poques ce
ruban se meut vivement.
375
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, op. cit., p. 350.
376
Ibid., p. 52.
188

Cest bien dans une telle perspective que les mots pourraient devenir figure du

monde. Une figuration envisage de cette manire est donc concevoir comme rsidant

non dans la fonctionnalit des mots mais dans leur manifestation. Dans lusage gnral

des mots M , en tant quoutil dexpression employ pour indiquer le caractre C

dune poque E , il peut y avoir un cas o, paradoxalement ce C sobserve le plus

au sein de ce M . Cest justement la situation prouve notre poque. En ce sens, si

le langage devient symbole du temps, ce nest pas parce que le langage exprime les

caractristiques de lpoque, mais que cette poque se caractrise par et dans son

usage du langage au travers de la symbolisation : son matriau, sa forme, son contenu, sa

faon doprer... enfin toute son existence elle-mme.

4.2. Le discours , appareil formel du pilotage mots-monde


Nous avons encore dautres questions auxquelles rpondre ici, concernant le rapport

entre symbolisation du langage et langage comme symbole du temps. Dune part, il faut

pouvoir penser la faon dont ce mode de connexion mots-monde est assur par rapport au

systme des catgories existantes concernant les types de discours. Dautre part, se pose

la question de lunit que lon constate quand on considre le sens social des noncs

partir de la situation de communication concrte.

4.2.1. Le pige du genre de discours


En principe, tout mot et toute pratique langagire ont la possibilit de se lier une

figure de lpoque. Pourtant, mme si nimporte quel type dnonc peut constituer un

fait dpoque, tous ne constituent pas ncessairement une figure de lpoque, parce que la

symbolisation du langage dpend de certaines conditions.

Dune manire gnrale, on aura moins de possibilits dobserver cette

symbolisation du langage dans les pratiques langagires dactivits telles que celles de

ladministration, du monde juridique, de lconomie, de la science, de lducation, etc.

Ce sont des domaines o est prioritairement requise la fonction rfrentielle du langage,


189

qui sappuie sur le ct transparent du langage. En revanche, on aura plus de chances de

lprouver dans les pratiques langagires de la littrature, des mdias, de la publicit, de

lInternet, de la chanson, de la BD, dans le bavardage au caf, dans le tchatche

quotidienne, surtout dans les conversations entre jeunes, etc. Tout simplement parce que

cest lopacit du langage qui rgne dans ces usages et que, de ce fait, sy forment

davantage de germes vous provisoirement cette symbolisation du langage.

En fait, rigoureusement parlant, la littrature nest quun des domaines

relativement privilgis pour constater la symbolisation du langage. Ce qui compte,

cest quune telle symbolisation ne dpend pas de ces distinctions artificielles entre

domaines. Cela veut dire que, malgr sous un beau nom de littrature , tous les mots

narrivent pas devenir une matrice de la symbolisation. Au contraire, rien nempche,

au fond, quelle se produise, par exemple, dans le langage de lconomie. Parce que ce

qui dtermine la symbolisation nest pas li aux catgorisations socio-professionnelles,

techniques ou artistico-culturelles. savoir, cette symbolisation opre dans la plupart des

pratiques langagires. Disons quil est possible de dcouvrir des germes symboliques

dans tout le bagage langagier, comportant tous les types linguistiques, y compris des

ralisations qui ne sont ni dfinissables, ni classifiables selon les systmes tablis. Mais il

arrive simplement que certains domaines sont riches en ces germes, alors que dautres en

comportent peu, ou pas du tout.

Cest ainsi que tous les noncs bruts restent, en tant que tels, virtuels relativement

la symbolisation. Tout de mme, ils ne parviennent pas pour autant gratuitement se

transformer en symbole. Ce qui compte, cest de savoir comment des productions

conues munies de germes symboliques peuvent, en situation de communication concrte,

voluer vers un symbole. Nous pouvons penser premire vue quil faudrait que soient

runies certaines conditions, sur divers plans, politique, culturel, conjoncturel,

communicatif, circonstanciel, linguistique, exprimental, etc.

Mais alors il faudra en outre un appareil formel pour que puisse sactualiser cette

potentialit de symbolisation en corrlation avec ces conditions. Cest--dire quil y


190

faudra quelque chose comme une mta-forme, qui pilotera les processus au cours

desquels les noncs en situation de communication pourront se transformer en symbole.

Ici, notre hypothse est que cette mta-forme rside dans ce quon appelle discours .

Afin de cerner ce qui, dans la nature du discours , permet denvisager un tel

pilotage , commenons par examiner son lien avec les mots. Dans la vie quotidienne,

nous constatons une omniprsence de lemploi du terme de discours : discours

politique , discours religieux , discours social , discours tlvisuel , discours

radiophonique , discours littraire , etc. Mais, chaque fois que lon examine ce que

recouvre de ce discours , on trouve les mots , comme matriel constitutif dun texte,

quels que soient les types de communication concerns. En revanche, des types de

communication sans mots sont rarement appels discours . Par exemple, discours

photographique , discours musical , discours architectural ne se constatent pas.

On peut penser que le terme de discours repose, par nature, sur la prsence de mots et de

leur poids.

Cest l un premier point souligner quant la notion de discours . Mais il nous

faut approfondir notre rflexion pour accrotre la rigueur de notre propos. En fait, le

discours est couramment utilis, dans les sciences du langage en particulier, comme un

moyen de comprendre le langage comme organisation au-del de la phrase 377 : forme

daction, oriente, interactive, contextualise, prise en charge par un sujet, rgie par

des normes et prise dans un interdiscours. Mais, dune manire gnrale, ce terme

sutilise dune faon ambige selon les contextes378 : de nimporte quel usage de la

langue aux noncs solennels ou pjoratifs, en passant par un systme qui permet de

produire un ensemble de textes, jusqu cet ensemble lui-mme.

Ne concernant que les types de communication verbale, le concept de discours

renvoie un systme qui permet de produire un ensemble de textes. Mais dans ce cas, il

implique tacitement le concept de genre . On parle ainsi souvent de genre de

377
Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Paris, Dunod, 1998, p. 38-41.
378
Dans notre travail lui-mme, ce terme de discours est employ avec diverses acceptions, selon les
situations.
191

discours . Pourtant, cette expression mriterait une tude particulire. En fait, utiliser la

notion de discours comme notion renvoyant celle de genre consiste regrouper des

produits langagiers, crits ou oraux, mis en situation de communication dans un certain

cadre donn a priori. Pire, lenjeu et le sens de ces produits sont dj dtermins par

la nature de ce cadre elle-mme dj bien dfinie comme telle. Il nous semble que ce

concept de genre ne vise qu un cloisonnement des plus variables des noncs, tris

en fonction des critres les plus divers, relevant du socio-style : moyen de

communication, ge, sexe, domaines art, culture, science, littrature..., etc. Par

consquent, le discours, dans ce sens de genre, nest quun moyen mcanique pour

distinguer des types dnoncs. Ferdinand de Saussure dfinit la langue comme

systme doppositions 379, et on peut dire que discours nest quune application de

cette dfinition la communication relle. Effectivement, le discours nest rien de

plus quun ensemble de faisceaux diffrencis de mots en tant quils sont soumis

certaines normes sociales. Le concept qui sous-tend cette logique est celui de contrat de

communication 380. Lessentiel de ce dernier concept signifie que tout genre de discours

implique chez ceux qui y participent quils acceptent implicitement un certain nombre de

rgles mutuellement connues et des sanctions sils les transgressent. Sappuyant sur une

certaine logique de production des noncs et de catgorisation des noncs, ces notions

de discours comme genre et de contrat serviront utilement expliquer

lorganisation du texte et dgager son sens interne.

Sil en est ainsi, le seul fait que certains noncs soient identifis comme relevant

dune catgorie prtablie, implique que leur sens, interne ou externe, doit tre reu et

379
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit., p. 166-167.
380
Le contrat de communication est employ dans certaines disciplines telles que la smiotique,
lanalyse du discours, la communication, la psychosociologie, etc. Un acte de communication est reconnu
comme valide en application de ce contrat , qui nest pourtant pas forcment explicite. Cest la
condition pour que les partenaires dun acte de langage se comprennent tant soit peu et puissent interagir
en co-construisant du sens. Ce concept est dvelopp notamment par Patrick Charaudeau (linguiste) et
Rodolphe Ghiglione (psychologue). On peut se rfrer en particulier leurs ouvrages : Patrick Charaudeau,
Le Discours dinformation mdiatique. La construction du miroir social, Paris, Nathan, 1997 ; Patrick
Charaudeau et Rodolphe Ghiglione (sous la direction de), La Parole confisque, un genre tlvisuel : le
talk-show, Paris, Dunod, 1997.
192

mme donn passivement, tous les facteurs en jeu renvoyant la logique propre du genre

concern. Toutefois, nos yeux, lemploi de cette notion de discours , au sens

gnrique, naura quune valeur pdagogique, celle de rendre claire la situation

sectorielle de mots correspondant exactement certaines activits sociales, avec la

possibilit laisse dun maximum de critres htrognes, tels que secteur dactivit (ex.

discours politique, discours mdiatique), dispositif de communication (ex. journal

tlvis, ditorial) lieu institutionnel (discours des patients, discours des lycens),

statut des participants (discours des jeunes, discours des femmes), idologie (discours

socialiste, discours dextrme-droite), etc.

Ainsi, le fait de considrer les pratiques langagires comme discours revient

seulement produire une version linguistique du systme social . Bien apprhender

les diffrents modes dorganisation dune socit en la dcoupant selon des catgories

telles quadministrative, conomique, sociale, culturelle et leur fonctionnement, est

considr, dune manire gnrale, comme la condition pour quun individu puisse

mener convenablement une vie sociale. Au mme titre, la comprhension et lapplication

de sa version linguistique pourra ltre galement.

Prcisment, Mikhal Bakhtine souligne que le fait de matriser les genres de

discours est facteur dconomie cognitive, voire mme condition de possibilit de toute

communication verbale :

Nous apprenons mouler notre parole dans les formes du genre et, entendant la
parole dautrui, nous savons demble, aux tout premiers mots, en pressentir le genre,
en deviner le volume, la structure compositionnelle donne, en prvoir la fin, autrement
dit, ds le dbut nous sommes sensibles au tout discursif () Si les genres de discours
nexistaient pas et si nous nen avions pas la matrise, et quil nous faille les crer pour
la premire fois dans le processus de la parole, quil nous faille construire chacun de
nos noncs, lchange verbal serait impossible.381

381
Mikhal Bakhtine, Esthtique de la cration verbale, Paris, Gallimard, 1984, p. 285.
193

En dautres termes, grce aux connaissances qui permettent ce reprage immdiat

des genres de discours, on na pas besoin daccorder une attention constante tous leurs

critres dans labondance des noncs. Sans doute, en livrant limplication sociale des

mots, cette comptence gnrique permet galement dviter dventuels problmes de

communication : lincomprhension, le malentendu, langoisse, la violence, etc.

Il nous semble cependant que ce propos est redondant, du fait que la quasi-totalit

des activits de la socit existent dans une continuit avec leur pass. Pour nous, ce qui

est crucial, malgr cette utilit considrable, cest que lassignation du genre de discours

une parole vivante finit par limiter gravement les potentialits du langage. Cest--dire

que les noncs, sils ne sont apprhends quen tant que dcalque linguistique des

activits sociales382, bien classifies et bien reconnues comme telles, ne servent alors plus

qu lire la socit, mais dune manire mcanique. En dautres termes, pris dans les

grilles des genres, les noncs ne constituent plus quune masse langagire dont la

signification doit tre quelque chose de conforme aux systmes sociaux et leurs

normes. Cest ainsi que le reprage de la nature du genre peut en arriver servir

dterminer et surtout prdterminer la provenance et la valeur sociales des noncs,

tant donn que le rapport entre noncs et genre nchappe pas, par dfinition, au niveau

fonctionnel, socio-professionnel, contractuel, savoir positiviste.

Notamment, ds linstant o certains noncs seront identifis comme

publicitaires , tous les enjeux qui pourraient les concerner, pratiques ou scientifiques,

se rduiront pour sy soumettre la logique du genre. Devant laffiche publicitaire, on

sait dj quel en est lenjeu avant mme davoir prendre connaissance au message

en question. Si bien que le langage publicitaire ne pourra tre apprhend et donc pens

382
Si les recherches en sociolinguistique ou en sociologie du langage, prenaient ce critre du discours
comme fondement de leur recherche, ce serait une erreur. Il se peut que les linguistes se limitent alors
prsenter certaines des contraintes imposes par un type de discours pour parler des enjeux sociaux du
langage. Mais, paradoxalement, ce serait un cas o pistmologiquement le langage en tant que tel
disparatrait du champ, car les noncs ne seraient plus vus que comme un dcalque des activits sociales.
Par consquent, si lon na quune comprhension fonctionnelle et contractuelle du langage, on parviendra
certes lire les activits sociales et la vie sociale, mais dune manire mcanique et positiviste. Ceci nous
amne en revenir aux paradigmes du social et du langagier.
194

autrement que comme un langage de sduction ou de persuasion , voues

videmment un but forcment et purement commercial.

Cest pourquoi, la notion de discours, au sens gnrique de vision dcoupante et

dterministe, ne permettra jamais dexpliquer la symbolisation du langage au sens o

nous lentendons. Afin de pouvoir configurer cette symbolisation, savoir ce

rattachement proprement qualitatif des mots au monde, il nous faut une autre optique sur

les rapports entre noncs et discours.

Supposons ces deux situations de communication. Dans un cas, les circonstances

aidant, on se met communiquer en pouvant reconnatre le type de communication

auquel on participe. Dans un autre cas, on entre en communication sans savoir de quel

type il sagit. Dans ce dernier cas aussi, il savre que lon peut identifier instantanment

le type du discours, grce la comptence gnrique mentionne plus haut. Toutefois,

il semble quune telle distinction cognitive devienne de moins en moins vidente dans

les situations actuelles de la communication.

Or, du moment o lon reconnat le type du discours, que ce discours soit direct ou

non, que la forme de la communication soit conversationnelle, mdiatique ou

lectronique, on doit en considrer les noncs comme une masse

smantique autonome et virtuelle, dont le devenir est indcis (enjeu, effet, sens), et ce,

mme si tout nonc est le produit dune intention. videmment, il faut pour cela

admettre que, loin de ntre simplement que les produits des contraintes dun certain

contrat, les noncs constituent en eux-mmes, et par nature, tout un ensemble

dlments, complexes, htrognes et flexibles. On peut saisir ce que peuvent tre les

genres et les noncs dans cette pense de Hans-Georg Gadamer :

Considrons la manire dont un mot en appelle un autre, dont la conversation prend


ses tours et dtours, trouve son dveloppement et son aboutissement : il se peut fort bien
que tout cela seffectue sous une certaine conduite ; mais, dans cette conduite, les
interlocuteurs ne sont pas tant ceux qui mnent que ceux qui sont mens. Nul ne sait
davance ce qui sortira dune conversation. La russite ou lchec de lexplication
sont comme un vnement qui nous est survenu. Cest ainsi que nous pouvons dire
195

dune conversation, soit quelle a bien tourn, soit quelle ne se droulait pas sous des
auspices favorables. Tout cela atteste que la conversation a son gnie propre et que la
langue quon y emploie porte en elle-mme sa vrit propre, cest--dire dcouvre et
dgage ce qui est dsormais acquis.383

Sagissant du rattachement entre noncs et monde, ce qui pour nous est important,

cest de bien voir quil ne se fait pas seulement sur ce plan mcanique auquel lon est

habitu depuis toujours, mais aussi sur un plan organique. Ds lors, on comprend que les

noncs puissent se relier au monde, au travers de processus complexes et holistiques

outre les processus gnriques et mcaniques. L o le discours intervient, cest pour que

ces noncs, savoir cette masse langagire indtermine, puissent se rapporter

organiquement au monde. Cela veut dire quil sagit dune notion dsignant quelque

chose qui sincarne au moment o lordre organique englobe lordre mcanique et o une

structure complexe implique une structure simple.

4.2.2. De l unit l unicit


Cependant, sur quelles caractristiques du discours ce guidage global peut-il

reposer? Dune part, il doit sagir dune qualit qui puisse effacer ces distinctions

gnriques qui dcalquent pratiquement les organisations sociales. Ce faisant, il sera

possible de percer toutes les cloisons sparant mots et monde, en neutralisant les

frontires entre types de communication trop catgoriss. Dautre part, une fois

considrs ce niveau de discours, tous les noncs (mots, langue, messages

linguistiques, produits langagiers, pratiques langagires...) oprent comme une

unicit , mais pas au sens dune unit ternelle grammaticale qui serait prise en

compte en situation de communication. En dautres termes, lorsque lon dgage ainsi un

sens des noncs, cest quils fonctionnent comme une sorte d unicit , leur statut d

unit grammaticale seffaant. Cela ne veut pas dire que les noncs ne soient pas

383
Hans-Georg Gadamer, Vrit et mthode. Les grandes lignes dune hermneutique philosophique
(1960), traduit de lallemand par tienne Sacre, Paris, Seuil, 1996, p. 405.
196

identifiables comme entit grammaticale en situation de communication, mais que, mme

sils le sont, on doit fondamentalement les considrer comme une sorte dunicit384.

Afin dexpliquer cette ide dconcertante pour des personnes srieuses , portons

notre attention sur le rapport quil y a entre le genre et la caractristique formelle des

noncs. En effet, ce rapport ne fournira pas un objet dintrt pour les types de

communication dans lesquels la forme du langage nest pas remise en cause. Toutefois,

dans le fond, dans tous les cas est impliqu ce mme rapport, celui-ci est simplement

occult par labsence de problme de forme de la plupart des noncs. En effet, en

France, ce rapport a quelque chose voir, tout particulirement, avec le purisme

linguistique voqu plus haut. Dans lusage du langage, on se sent donc invit, ou plutt

contraint respecter strictement les rgles grammaticales (syntaxique, smantique,

lexicologique), orthographiques et conventionnelles (niveaux de langue, politesse,

lgance, etc.). Si on les transgresse, une sanction en dcoule, sous la forme dune

rprobation juge lgitime, parfois plus.

Pourtant, une exception existe. Cest la littrature, et spcialement la posie. En

posie, on trouve souvent une violation de la grammaire ou une dformation des mots.

On accepte, voire admire ces anomalies linguistiques au nom de la libert

potique , appele parfois licence potique . Cette anomalie dtermine parfois la

posit mme.

Par le concept classique de genre, cette anomalie est comprise comme rsultat des

contraintes contractuelles. Or, si lon admet scientifiquement cette logique du genre, on

devra galement reconnatre comme des phnomnes semblables ceux observables dans

la publicit, savoir comme un produit des contraintes du genre. Mais, en ralit, ce

nest pas le cas. Pourtant, si, du point de vue de cette particularit littraire, on admet une

langue de la posie , on devrait galement admettre une langue de la publicit

relevant dune spcificit du discours publicitaire. Confronts aux messages publicitaires,

beaucoup de chercheurs les peroivent bien comme discours publicitaire mais


384
Nous verrons dans le Chapitre V certains cas o des units grammaticales oprent comme
unicit pour un sens.
197

hsitent y voir des noncs relevant dune langue de la publicit . nos yeux, cest

une tranget et mme une position errone. cela sajoute cette circonstance tonnante,

savoir que, aujourdhui, rien ne remplace mieux la posie que la publicit.

Mais, peut-on se demander, doit-on attribuer toujours ces diffrences la corrlation

entre purisme et axiologie gnrique? Il faut aborder, sur le plan scientifique, les choses

telles quelles sont. Si le terme discours publicitaire ne sert pas seulement indiquer

la zone dactivit occupe par la publicit et les produits langagiers de cette zone, il faut

accorder aux phnomnes langagiers mme monstrueux de la publicit une certaine

possibilit, voire un certain droit, qui correspondrait la licence potique .

Dailleurs, on constate que de telles anomalies linguistiques abondent dans le parler

des jeunes, en ville ou en banlieue. Comment les puristes et les adeptes du concept

classique de genre y ragiront-ils ? La dnonceront-ils du seul fait quelle appartient au

discours juvnile ?

Finalement, le concept classique de genre du discours ne parvient pas

expliquer le problme de la forme que prennent les noncs. Nous avons l-dessus

deux points souligner. Dune part, cette anomalie langagire nest pas lapanage

dun certain nombre de domaines, tels que la littrature, la publicit, le parler des

jeunes. Elle concerne maintenant beaucoup dautres sphres de la vie quotidienne et

se constate dans les titres de journaux, de film, dmissions tlvisuelles, denseignes,

de commentaires sur Internet, etc.

Dautre part, il ne faut attribuer ni la nature du genre, ni au degr du purisme

celui de cette anomalie qui sobserve partout dans le milieu langagier. En fait, elle se

rattache quelque chose de global, qui affecte toute la socit. Sagissant dune sorte

dambiance gnrale de lpoque, ce quelque chose ne peut tre atteint par la seule

analyse des rapports grammatico-dmonstratifs entre units linguistiques. En fait,

cest un ordre qui rgne sur tous les aspects de la communication humaine, image,

geste, son, design, couleur, got, etc. Lanomalie langagire est donc la fois la

cause et leffet de cet ordre.


198

Cest pourquoi ce quelque chose ne pourra tre cern que lorsque lon

considrera ces noncs eux-mmes comme une sorte de grande unit du sens de

Blanche-Nolle Grunig, non plus au niveau de lunit grammaticale. Ds le moment

o lon suivra cette logique, les termes danomalie, de transgression ou de violation

nauront plus de sens. Ds lors, il apparat que le meilleur moyen dexpliquer, en

termes unitaire, plutt que de grande unit , cette particularit formelle (et

smantique) est dsormais de comprendre ces noncs comme une unicit .

Finalement, voir les noncs comme discours , cest les considrer comme

unicit .

La consquence dune telle vision est considrable. On se rend compte que, au

lieu de prtendre tre cette unit grammaticale permanente qui ne doit pas

changer, la langue devient ce quelle est : une sorte d unit provisoire flexible

savoir une unicit qui se mtamorphose conformment aux situations de

communication et au vaste contexte de lpoque. Cest--dire que, scartant de son

statut code aseptis , mais elle devient un matriau contaminant et contaminable

, mais en fait fcondant, ces contacts concrets jugs triviaux avec le monde.

En se fondant sur les caractristiques du discours, on peut en effet induire de

certains noncs un sens particulier qui peut ntre pas dtermin par le type de

communication dont ils relvent. Par exemple, les messages publicitaires, censs

ntre que langage de persuasion et de sduction, pourraient se rvler capables de

devenir aussi langage de libert, de rsistance, damour, de fantasme, etc. Ainsi, de

tel type dnonc ne dcoulerait pas seulement tel type de sens.

Finalement, chercher un sens de certaines pratiques langagires en les

considrant comme discours, nest-ce pas comme entrer dans un labyrinthe (ou une

grotte) o la difficult du cheminement rendrait la globalit structurale difficile

saisir ? Lorsque la notion de discours dsigne au moins le champ concern, celui

dans lequel les noncs se produisent, cela ne fait gure que nous signifier tout au

plus que seul lendroit o se trouve lentre de ce labyrinthe (ou cette grotte) nous est
199

signal. Cest dans laction de fondre les concepts de genre et d unit que la

connexion symbolique entre mots et monde peut se raliser, dans le rapport complexe

et organique qui rgne entre le langage et le monde. Ainsi, slevant de situations de

communication mondaines et concrtes, le langage devient, par la mise en vidence

de sa propre existence, figure de lpoque, au fur et mesure que les noncs, univers

microcosme et le monde, univers macrocosme sharmonisent qualitativement.

Il nous semble que le discours est une notion paradoxale, qui oscille entre

force centripte attirant vers les mots, et force centrifuge, poussant loin des mots. En

fait, en plein accord avec le rapport organique et holistique reliant mots et monde,

cette notion de discours peut clairer excellemment la perspective que nous

envisageons, cette socialit langagire. Si notre recherche relve bien dune

sociologie du discours 385, cest en ce sens-l. Nous pensons quune telle position

peut tre un vritable point de dpart pour ltude des noncs, puisquelle est

fondatrice.

Michel Maffesoli souligne que, lon a, dans lutilisation quotidienne du

discours , limage du grouillement des foules urbaines, de leurs afoulements

ponctuels et concurrents, des moments dattractions et de dispersions qui constituent

lanimation de nos villes. 386 L, il peut nous tre utile de nous rappeler lun des

sens de discurrere : courir de divers cts . Conformment limage

tymologique, sagissant dune recherche qui considre les noncs comme discours,

la coopration interdisciplinaire 387 ne devrait pas tre une option, mais une ncessit

sine qua non.

385
Sans une telle comprhension du discours, la recherche sur la publicit se voit limite. Par exemple, les
approches linguistique et smiologique ont suivi implicitement des concepts tels que le genre , le
contrat , au lieu de prter attention cet appareil formel qui pilote la connexion entre le texte et le
monde. Par consquent, ces approches nont dcrit que les lments textuels (image ou langage) sans
construire la relation entre texte et monde. Ou bien, elles nont pu faire quun lien contractuel, le mot tant
considr comme unit permanente . Elles ont constitu, soit une vanit pure, soit un foss avec le rel.
386
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 216.
387
Pour ce travail, nous nous contenterons de souligner limportance dune telle coopration ne pouvant
entrer dans le dtail. En effet, il faudrait une discussion srieuse sur les modalits de cette coopration, car
200

***

Nous venons de proposer une nouvelle manire de comprendre le langage et son

rapport la socit. Sans doute, lire ce qui prcde, se sera-t-on senti bien loin des

connaissances habituelles que nous avons sur le langage et son rapport avec la socit.

Ainsi loin de penser que le locuteur, comme individu, serait le matre de sa langue et que

le langage serait une production individuelle et bio-gnre, nous sommes plus prs de

croire que le sujet parlant nest que le porte-parole dune source collective.

Certains diront mme peut-tre : pourquoi serait-il ncessaire denvisager tant de

processus si sophistiqus, pour dgager un sens social de ces noncs ? Nous

rpondons : Tout simplement, parce que lon ny parviendra pas avec les mthodes

existantes. Face des pratiques langagires du type des slogans publicitaires, il serait

mthodologiquement vain de recourir la grammaire ou au pouvoir des mots, voire

au social et au langagier comme point de dpart pour la recherche dune rponse. En

revanche, ce sont des questions qui concernent bien plutt la puissance des mots. Ce

que nous dsignons par ces termes de socialit et de langaginal est une perception qui

sest inexorablement pose nous. Pareille objection nous semble donc cette fois-ci

digne dtre jete la poubelle.

Au travers de ce nouveau paradigme du langage, nous pensons pouvoir rendre

compte de lvolution qui est en train de soprer dans la plupart des milieux de la

communication, mass-mdiatique, lectronique, commerciale, interpersonnelle...

Cette nouvelle perspective sur le rapport entre langage et socit nous permet

dapprhender une nouvelle forme de socialisation qui est apport par un certain

usage des mots, non plus utiliss pour leur contenu rationnel (signifi mort) mais

comme contenant motionnel (signifiant vivant).

Au demeurant, dans laccs un nouvel ordre social bas sur le sensible, vu la

complexit du langage et celle de ses rapports avec la vie sociale, le matre-processus est

la symbolisation du langage. Peut-tre encore, certains nous feront cette remarque :

se cachent souvent des piges sous le beau nom d inter-disciplinarit ou de pluri-disciplinarit .


Cette question sera traite dans une future tude.
201

pourquoi votre propos en revient-il si souvent, sinon toujours, cette problmatique du

symbole ou du symbolisme ? Certes, le propos de la sociologie abordant le langage ne

peut se rsumer une tude de la question du symbole ou du symbolisme pour eux-

mmes. Toutefois, lorsque lon a reconnu que toutes choses, personnes, activits ou

phnomnes existent et se droulent en une relation organique, complexe et holistique,

on doit aussi admettre quaucun sens dans sa dimension sociale nchappe au

symbolisme. Ds lors, loin dtre un lment accessoire du tableau, le symbole devient

central dans cette recherche sociologique. Dailleurs, pour rappeler limportance du

symbole au sein dune socit, nous pouvons invoquer mile Durkheim, qui soulignait

que la vie sociale nest possible que grce un vaste symbolisme 388. On sait aussi que

Michel Maffesoli a insist sur le fait que la socialit fait fond sur lambigut

fondamentale de la structuration symbolique 389 . Sous lgide de ces grands

prdcesseurs, nous pensons, pour notre part, que la socialit langagire sappuie sur

linstabilit foncire de la symbolisation du langage. Cest--dire quelle se fonde, en

amont, sur la fragilit identitaire des mots dans leur rapport aux choses et limage, et,

en aval, sur certains processus que lon peut qualifier d alchimiques oprant au sein

des rapports entre signe-symbole , texte-contexte et locuteur-rle .

En fait, il ny a videmment aucune balance qui puisse peser objectivement le

poids des mots, quels que soient les efforts faits dans diverses disciplines telles que la

linguistique, la sociologie, la psychologie, la communication, etc. Ne serait -ce pas

que le rel, langagier et social, est beaucoup plus touffu que lon avait pu croire ? On

ne devrait surtout pas voir les choses selon un principe montesquien, qui nous ferait

croire quen pareil cas aussi, les principes se posent et les cas particuliers s'y

plient 390. Vouloir voir de la simplexit 391 ne devrait tre ni un principe, ni une

388
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912), Paris, PUF, Quadrige , 1960,
p. 331.
389
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus (1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. 173-174.
390
Charles de Montesquieu, De lEsprit des lois (1748), Paris, Flammarion, 1979, Prface .
391
Le terme existant simplicit , ne permettant pas, selon nous, de rendre compte de ce qui est
considrer du ct de la dynamique de la perception des choses, nous formons ce nologisme, comme
202

vertu de la recherche. Car, si lon sapproche dun rel complexe au moyen dun

principe simplexe ou de simplexification , on finira par creuser un foss qui

nous en loignera toujours plus. En consquence de quoi, pour le remplir, on sera

tent davoir recours un contrle ou une exclusion. Ou bien, si on suppose tort le

rel comme simple, il sagit dj dune idalisation appauvrissante. Si le rel est

complexe, on devra donc y accder dune manire complexe, autant que possible.

Aussi, Michel Maffesoli nous dit-il, depuis dj longtemps, que plutt que de

trancher, brutalement, ce nud gordien quest la ralit sociale, il vaut mieux savoir

en dmler, patiemment, les multiples entrelacements 392. Cest donc dans cet tat

desprit, comme une entreprise de caractre heuristique consciente de cette

complexit quest la socit, et avec une certaine sensibilit lusage concret du

langage dans la vie sociale contemporaine, que notre mthodologie sest ouverte

naturellement laspiration une sociologie comprhensive, fidle ltymologie de

comprendre, savoir qui prenne en compte tous les lments de lexistence 393.

* *

contraire de complexit , en tant que dcrivant un caractre dune certaine perception dfectueuse du
rel : perception la Procuste , mutilante.
392
Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire, op. cit. p. 5.
393
Michel Maffesoli, Le Temps revient. Formes lmentaires de la postmodernit, Paris, Descle de
Brouwer, 2010, p. 46. En nous rappelant ltymologie comprendre, Michel Maffesoli nous fait raliser la
dimension essentielle de la sociologie comprhensive (mise en place par Max Weber). Aussi, nous
conseille-t-il dentendre comprhensif non pas dans le sens moral que lon accorde, en gnral, ce terme,
mais dans un sens plus proche de son tymologie cum prehendere : prendre ensemble, prendre avec ce
que sont les spcificits du vivre-avec , du vivre-ensemble .
203

Troisime partie

Baroquisation du verbe, verbalisation du baroque

Respecter lhomme, cest notamment considrer


avec respect la complexit et la finesse de ce quil
sait accomplir comme oprations langagires. Cest
au nom de ce respect que je ne suivrai pas
aveuglement ceux qui partout clament que la
publicit nous abrutit. -Blanche-Nolle Grunig,
Les Mots de la publicit, 1990.
204

Revenons-en la problmatique propre au langage publicitaire. Si nous avons choisi

le slogan comme objet de recherche, cest parce que nous avons la conviction que lon

peut lire autrement la publicit travers son langage.

Quant limage de la publicit, nous avons dj voqu une tude exemplaire, celle

dAnne Sauvageot. En saisissant limage au-del de son caractre de systme de signes,

la sociologue nous a montr que les individus parviennent sancrer dans un espace

symbolique par une topologie de limaginaire qui est prsente dans limage de la

publicit394. Rcemment, dans le cadre de limaginaire mtropolitain, Fabio La Rocca a

parl de la publicit, notamment laffichage, comme image de la ville, tout en soulignant

sa prolifration dans lespace urbain et la force communicationnelle quelle suscite395.

Par ailleurs, quant la recherche sur le langage publicitaire, nous pouvons citer tout

particulirement celle de Marcel Galliot, effectue sur les messages publicitaires des

annes 1930-1950. Si son analyse demeure nettement dordre linguistique, ce qui pour

nous est significatif est que ce linguiste a prdit que pourrait lui succder un jour une

recherche qui en tirerait quelque chose comme une esthtique 396.

Un demi-sicle plus tard, comme si la prdiction de cet universitaire savrait juste,

il semble que se dgage en effet du slogan publicitaire, et pas seulement de son

iconographie, quelque chose comme une esthtique . Si lon voulait dterminer

davantage cette sorte d esthtique du slogan , nous dirions quelle a voir avec une

fonction du langage analogue celle de limage que linterprtation de ces deux

sociologues met en vidence.

Notamment, elle senvisage dans le cadre o le slogan devient une donne

sociale porteuse dun sens sociologique profond, dans la socialit langagire, nouvelle

perspective thorique au sens que nous venons dessayer dlaborer. L, notre hypothse

394
Anne Sauvageot, Figures de la publicit figures du monde, Paris, PUF, 1987.
395
Fabio La Rocca, Toucher avec le regard : publicit in La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS
ditions, 2013, p. 226-240.
396
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. XXXII.
205

primordiale est que le slogan publicitaire, pratique langagire triviale, devient un

symbole du temps, et ce en devenant un style dpoque.

En ce sens, nous pouvons considrer que cette esthtique du slogan a voir avec

une esthtique du style . Ce que lon doit pourtant comprendre par lappel qui est alors

fait cette notion, cest que le style ne sert pas seulement dfinir superficiellement

les particularits dun individu ou dun groupe de gens397. Pour mieux clairer cette

notion, nous nous appuierons foncirement sur les ides de Michel Maffesoli, qui insiste

depuis plus de deux dcennies sur limportance de la notion de style pour

lapprhension dune socit et qui prconise donc son usage. Pour ce sociologue, le

style se comprend comme le cadre gnral dans lequel sexprime la vie sociale, en un

moment donn 398. Le style est donc ce par quoi une poque se dfinit, scrit, se

dcrit elle-mme 399. En dautres termes, le style renvoie, en amont, une vritable

conception gnrale de la vie 400, conditionnant lensemble des institutions, religieuses,

politiques, conomiques et culturelles dune priode donne. En aval, cest ce au travers

de quoi chaque individu, chaque lment particulier du donn mondain cristallise

lpoque en son entier 401.

Or nos yeux, la nature du style qui est li au slogan publicitaire est de type

baroque. Mais, quand nous nous rfrons ici au baroque, il ne sagit pour nous ni de

discuter dun point de vue esthtique historique des uvres baroques, ni dexalter lart

baroque : nous prenons cette caractrisation comme une mtaphore de certains caractres

essentiels que lon peut voir un peu partout perptuellement renatre mais qui furent

manifests avec clat par le baroque historique. Cest la faon dont ce style actuel que

397
Ici, nous devons prciser. Ce que nous entendons par style , car nous prenons ce terme en un sens
diffrent de celui dont on se sert habituellement. Nous connaissons, par exemple, lexpression fameuse le
style, cest lhomme , qui dans un contexte familier souligne la singularit dune personne. Ou encore,
nous entendons souvent lexpression style de vie pour souligner les diffrences de modes de vie, et ce,
dans une situation o simpose le respect moral des particularits individuelles des gens.
398
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p. 15.
399
Ibid.
400
Ibid., p. 19.
401
Ibid., p. 34.
206

lon qualifie de baroque peut tre mis en relation avec le style artistique qui a marqu une

phase de lhistoire de lart402.

Eugenio dOrs fait une distinction entre styles historiques et styles de culture .

Pour expliquer cela, lauteur de Du Baroque met en avant cette diffrence entre le style

gothique et le style baroque : Le gothique est un style inscrit dans un temps, un style

fini. Si on le ressuscite, ce sera pour une simple restauration, par plagiat ou pastiche.

En revanche, le style baroque peut renatre, et traduire la mme inspiration par des

formes nouvelles, sans la ncessit de copier littralement. 403 Exactement en ce sens,

Michel Maffesoli souligne que si le baroque est un style de culture, cest dune part,

parce que, au-del de lart proprement dit, on peut le retrouver dans la littrature, dans les

murs, dans lexistence de tous les jours, et dautre part parce que, tel le phnix, il peut

renatre de ses cendres et, sous des formes proches ou semblables, connatre une nouvelle

vitalit 404.

Le baroque comme style typique de lpoque est donc pour nous envisager dans

cette ligne. Il apparat avant tout comme un air du temps que lon voit actuellement se

capillariser dans lensemble du corps social, et auquel rien, ni personne, ne semble

pouvoir chapper. Michel Maffesoli dcrit :

Cet air du temps nest plus lapanage de quelques-uns, ou il nest plus impos, la
grande masse, par laction de quelques-uns. Bien au contraire, il est largement vcu,

402
Forme dart ne en Italie dans la dernire moiti du XVIe sicle, puis dveloppe dans nombres de pays
europens pendant tout le XVIIe sicle et la premire moiti du XVIIIe sicle, atteignant mme lAmrique
espagnole et le Brsil. Le terme baroque, qui vient du mot portugais barroco, fut utilis pjorativement au
cours des XVIIIe et XIXe sicles pour qualifier ce que paraissait bizarre ou trop complique. la suite des
travaux du critique allemand H. Wlfflin, on lattribua un style artistique dfini et reconnu comme tel,
puis lpoque o spanouit ce style et aux diverses productions culturelles (littrature, musicales) de
cette poque. On devait en faire un concept esthtique gnral, opposant baroque classique (E.
dOrs). Il parat cependant ncessaire de limiter lacception du terme, dans le domaine artistique, la forme
esthtique qui se dveloppa sur prs de deux sicles, avant dvoluer vers le foisonnant, lart rocaille et le
rococo au XVIIIe sicle, mais toujours faite du sens du monumental, de la recherche du mouvement, du
dcor et de leffet, attribuant une place primordiale lmotion et au pathtique.[ Le Petit Robert des noms
propres, 2010, p. 214.]
403
Eugenio dOrs, Du Baroque (1935), Paris, Gallimard, 2000, p. 91.
404
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 53.
207

peru par lensemble social, et bien peu reprsent par ceux qui font profession
dobserver, danalyser, ou par ceux qui sont en position de dcider pour cet ensemble
social.405

Cest dans cette perspective que nous allons, enfin, observer ce que nous

appellerons le cristallisme de lesthtique du slogan. Dabord, en trame de notre

recherche, on peut comparer ce cristallisme limage de lapparition du fruit aprs la

fleur, tant donn quil succde au radicalisme (objet) et au formisme

(mthodologie). En outre, on peut le qualifier de cristallisme empirique, dans la mesure

o il se concrtise dans et par lexprience quotidienne du public dans notre socit

publicitaire . Par ailleurs, Stendhal a dcrit le processus dune cristallisation , dont

limage traduit cette la fois trange et banale opration de l'esprit, qui tire de tout ce

qui se prsente la dcouverte que l'objet aim a de nouvelles perfections 406. Par lusage

dun terme voisin, nous voudrions cependant signifier la possibilit dune divine

rvlation , celle quun objet mal-aim pourrait, mieux compris, dvoiler des

valeurs, la fois nouvelles, essentielles et insouponnes, en un processus l aussi

cumulatif et dmultiplicatif, tel le vilain petit canard devenant cygne.

* *

405
Ibid., p. 43.
406
Stendhal, De lAmour (1822), Paris, Gallimard, 1984.
208

Chapitre IV. Le jeu de langage publicitaire


Si le baroque est un style qui se dtermine, la fois, comme ce

travers lequel chaque lment mondain particulier cristallise lpoque en son entier et

comme un air du temps largement vcu et peru par lensemble social, il est tenu par un

ordre communicationnel rgi par des sensibilits de divers niveaux. Lorsque lon prend

en considration le slogan dans la corrlation quil a avec le caractre labyrinthique du

discours et avec la connexion figurative mots-monde que nous avons envisags, ce

baroque opre sous la forme dun jeu de langage . Cette caractrisation peut sembler

premptoire et cela nous conduit donc nous interroger : dans quelle mesure peut-on

envisager lexistence relle dun tel jeu dans la socit franaise.

1. Le retour de lhomo ludens


Disons tout dabord que, dans toute situation de communication, quelle quelle soit,

les pratiques langagires se conforment, dune manire gnrale, un certain ordre

communicationnel. Comme il ne sagit pourtant pas dun assujettissement des

contraintes gnriques et contractuelles, cet ordre sexprime comme une sorte

d humeur sociale . Il apparat manifestement quactuellement le slogan publicitaire a

partie lie avec un certain ludique social . Nous pouvons caractriser

mtaphoriquement ce phnomne comme le retour de lhomo ludens. Examinons

comment cette figure anthropologique a repris place dans la version franaise de la

socit de consommation et chez les acteurs de la communication publicitaire.

Dans un premier temps, mesurons quel point la socit franaise actuelle a t

conquise et se trouve submerge par les jeux. Certes, depuis la nuit des temps, les

hommes jouent, de la marelle la poupe, des checs au football, des ds au loto, des

mots croiss au Scrabble, des carnavals aux jeux vido et ceci, tout ge et en tous

lieux, enfants et adultes, entre amis, en famille, dans des associations, sur les plateaux de

tlvision, sur les stades, en temps de guerre comme en temps de paix. Mais, jamais on

na autant jou dans la socit franaise. Dj, pour souligner lengouement de la socit
209

franaise vis--vis de ces activits ludiques, Michel Maffesoli nous montrait, dans Le

Temps des tribus, combien les intellectuels franais semballaient pour le loto407.

Et pourtant, bien que le jeu soit un phnomne rpandu universellement, il existe

peu de conceptions nettes quant sa nature. Le problme demeure car il est malais de

dfinir le jeu, quel quil soit. En effet, dune manire gnrale, le jeu constitue un fait

extrmement complexe408. Historiquement, le jeu a t un objet de mpris, sinon de

mfiance des philosophes et des hommes de religions durant des sicles. Les socits

occidentales ont longtemps vacu lhomo ludens409. Toutefois, aprs une longue priode

dangoisse, cet homme qui joue est de retour justement comme disait Johan Huizinga

en son temps410. Michel Maffesoli souligne que lon ne peut plus considrer comme de

simples piphnomnes sans consquences 411, les jeux, qui doivent tre enfin reconnus

aujourdhui comme de vritables phnomnes socioculturels savoir lire. Dun ct, le

407
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000.
408
Dailleurs, au-del de leur commune nature, tous les jeux ne font pas appel aux mmes principes. Il y a
effectivement des jeux bass sur la comptition, dautres sur le hasard, dautres sur limitation. cet gard,
Roger Caillois prsente quatre types de jeu: lagn (la comptition), lalea (le hasard), la mimicry (la
simulation), lilinx (le vertige). [Roger Caillois, Les Jeux et les hommes (1958), Paris, Gallimard, 1991,
p. 36-37.] Mais beaucoup combinent plusieurs principes : la plupart des jeux de cartes exigent de lhabilet
qui se conjugue avec une part de hasard. Certains regroupements sont prfrentiels : la simulation et le
vertige vont volontiers ensemble, comme dans les mascarades o lanonymat autorise des plaisirs interdits.
La comptition et le hasard se combinent dans de nombreux jeux de socits : cartes, dominos, Scrabble,
etc Par ailleurs, lhistoire et lanthropologie des jeux stablissent dans une alternative selon laquelle,
dun ct, les jeux ne seraient que des rites dgrads ayant perdu leur signification (tarot, osselets) et,
dun autre ct, les miroirs des valeurs collectives (le football comme mtaphore de la dmocratie).
409
quoi sert le jeu ? in Sciences humaines, n 152, aot-septembre 2004, p. 20-21. Depuis Aristote,
pour lequel le jeu tait conu comme un dlassement, certes indispensable, mais qui ne pouvait pas
apporter le bonheur : une vie vertueuse ne va pas sans effort srieux et ne consiste pas dans un simple
jeu . Cette conception est reprise par les Pres de lglise. Au XVIIIe sicle, la vision ngative du jeu
apparat encore dans lEncyclopdie de Diderot et dAlembert, qui, si elle admet que les hommes ont
invent une infinit de jeux qui tous marquent beaucoup de sagacit , dfinit le verbe jouer comme
suit : Se dit de toutes les occupations frivoles auxquelles on samuse ou on se dlasse, mais qui entranent
quelquefois aussi la perte de la fortune et de lhonneur . Cest partir du XIXe sicle que la notion de jeu
connatra de progressives rvaluations, qui lui permettront de sortir du purgatoire dans lequel elle avait t
tenue pendant des sicles. Cest finalement au XXe sicle que le jeu va tre plus largement explor.
410
Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), traduit du nerlandais par
Ccile Seresia, Paris, Gallimard, 1951.
411
Michel Maffesoli, Le monde comme jeu, le jeu du monde , in Socits, n 107, Bruxelles, De Boeck,
2010/1, p. 12.
210

jeu est un facteur dapprentissage, de ralisation de soi, de sociabilits spcifiques, de

formes culturelles nouvelles ; de lautre, porteur de plaisir et dexcitation, il peut devenir

dangereux et engendrer des addictions ou de la violence. Or, malgr diverses

interprtations, lessence du jeu na jamais t lucide. On peut dire sans faute que, dun

ct, le jeu est porteur dune forte dimension de plaisir, que cest une activit libre,

autonome et relativement futile, et que, de lautre, il est le reflet denjeux plus srieux,

inscrits dans la socit.

Concernant notre propos, il nest que trop vident que le monde de la

communication publicitaire ne pouvait qutre pris dans cette vague que soulve cette

vieille activit enracine dans la vie quotidienne des Franais. Plusieurs auteurs de

diffrents domaines vont en effet en ce sens. Nicole Everaert-Desmedt, smiologue,

remarque que la publicit ne nous demande pas dadmettre ou de rfuter des arguments,

elle nous propose seulement de jouer le jeu Un jeu de socit trs simple 412. Valrie

Sacriste, sociologue, note que la publicit est ludique parce que, peu contraignante,

frivole, dsinvolte, spculaire 413. Dans le secteur de la publicit, Jean-Pierre Teyssier

estime que la publicit est en effet fondamentalement un jeu de langage 414. Or, on

ne devrait pourtant pas se contenter de ces remarques, car il est crucial de pouvoir

prciser en quel sens la publicit a voir avec le jeu, vu lindtermination de la nature de

celui-ci.

Cest dans un tel propos quappelant lensemble des jeux qui oprent dans lespace

publicitaire jeu de la publicit , parce que nous le considrons comme un type

spcifique de jeu entre mille autres, nous allons essayer den cerner la nature et lenjeu.

Comme notre travail prend prioritairement en considration le moment o le public reste

en contact avec le slogan, nous dterminons en premier lieu notre jeu de la publicit

412
Nicole Everaert-Desmedt, La litanie publicitaire : valeurs fiduciaires et persuasion , in
Argumentation et valeurs, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse-le-Mirail, 1984, p. 139.
413
Valrie Sacritste, Sociologie de la communication publicitaire , in LAnne sociologique, 51, n 2,
Paris, PUF, 2001, p. 494.
414
Jean-Pierre Teyssier, Publicit et langue franaise , in Odile Challe et Bernard Logi (sous la
direction de), Marques franaises et Langage, Paris, Economica, 2006, p. 98.
211

comme un jeu de la rception , qui opre, notamment, au niveau psychosocial. Ceci

parce que, nos yeux, la rception du message publicitaire ne pourra tre clarifie qu

ce niveau-l. Cette lucidation veut sappuyer prcisment sur la psychologie sociale, qui

entend communication au sens large415 mais o il sagit surtout de communication

sociale , incluant tous les phnomnes de communication de masse et dinfluence

collective ainsi que les processus linguistiques concerns 416 . Ainsi, il est possible

dinsrer notre jeu dans le paradigme psychosocial . Selon ce paradigme ouvert, le jeu

de la publicit serait interprter comme une interaction entre communicants dont le

statut non dtermin a priori serait fonction des situations et des points de vue. Cest

trs remarquable que, ce faisant, on en vient considrer les participants au jeu de la

publicit autrement que comme consommateurs , leur immuable statut selon les

paradigmes tant conomico-industriel 417 que rhtorico-argumentatif 418.

415
Serge Moscovici (sous la direction de), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984, p. 7. La psychologie
sociale se dfinit comme une science des phnomnes de lidologie (cognition et reprsentations
sociales) et des phnomnes de communication. Et ce aux divers niveaux des rapports humains : rapports
entre individus, entre individus et groupes, et entre groupes .
416
La psychologie sociale sintresse aux signes circulant dans la socit, la smiologie qui, selon
Ferdinand de Saussure, fait partie de la psychologie sociale, et par consquent de la psychologie
gnrale . [Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale (1916), Paris, Payot, 1972, p. 33.]
417
Selon ce paradigme, la communication publicitaire est lire en fonction du schma production -
consommation. La publicit tant un secteur de lconomie, les acteurs de la communication sont les
producteurs (annonceurs) et les consommateurs. Le but de la communication publicitaire est daugmenter
la consommation. Ce qui importe, cest la part que la publicit reprsente dans lconomie nationale et sa
contribution au dveloppement de lindustrie et des services. Cest le paradigme le plus souvent mis en
avant par les organismes de publicit et les annonceurs. Selon ce paradigme, lensemble de la
communication publicitaire nest quun simple moyen de promouvoir les ventes.
418
Pour ce paradigme, il sagit de considrer la publicit comme un processus de persuasion. Les acteurs
de la communication sont dun ct les persuadeurs et de lautre les persuads . Dans le domaine de
la publicit, on cherche des moyens de conduire, par la sduction ou la persuasion, les consommateurs
acheter des produits. Le prototype de ce paradigme se rsumerait en une formule : communication =
attention persuasion. [Bernard Brochand et Jacques Lendrevie, Le Publicitor, 4e dition, Paris, Dalloz,
1993, p. 105.] En fait, la plupart des thories de la communication ou de la publicit appartiennent ce
paradigme. Elles sont prescriptives en ce sens quelles prsentent des recettes de russite de la
communication. Dailleurs, spcialiste de la publicit, Claude Cossette limite la publicit elle-mme ce
paradigme, en affirmant que le but de la publicit nest pas de vendre. Le rle de la publicit, cest
dessayer de changer lattitude du consommateur face un produit ou un service, de faire percevoir ceux-ci
plus positivement, voire de crer une aura autour du produit, dy ajouter une valeur symbolique. [Claude
Cossette, Publicit, dchet culturel, Qubec, Les Presses de lUniversit de Laval, 2001, p. 72.]
212

2. Du consommateur au joueur
Examinons ici cette situation dans laquelle le consommateur, acteur dans la socit

de consommation et destinataire de la publicit, se transforme en joueur au niveau

psychosocial. Les premires conceptualisations du marketing et de la publicit ont

suppos, avec beaucoup doptimisme, des consommateurs actifs et ports la critique.

Pourtant, la lumire de recherches exprimentales, la passivit de leur comportement a

t releve. En ce qui concerne le comportement des consommateurs, la publicit utilise

le concept d implication : plus le consommateur se sentira impliqu, plus il ragira

vite. Ainsi, dans la publicit classique, les incitations portent directement sur lachat, se

basant essentiellement sur la polarit produit - consommateur . Mais, dans la publicit

moderne419, le consommateur est dj engag, avant laction, dans la polarit message -

rcepteur . Des consommateurs considrs comme passifs selon le concept

dimplication peuvent se rvler des rcepteurs actifs. cet gard, Jean-Nol Kapferer

note que les publicitaires et les critiques de la publicit sont tombs dans le mme

excs : Ils mconnaissaient leffet dvastateur de la dsimplication 420 . Aussi

prconise-t-il qu au lieu de poser la question : Que font les messages au public ?, il

faut substituer celle-ci : Que fait le public avec les messages ? 421 De son ct, liseo

Vron affirme que la production des messages publicitaires ncessite un processus

complexe de calage sur une cible dtermine lavance. Or cette vise est loin de se

raliser, si lon observe les conditions de rception de ces messages 422. Cest que le

public-rcepteur ne porte plus un regard naf sur la publicit. Maintenant, cest lui qui va

dcider dcouter ou non les messages publicitaires. Cest lui qui autorise la marque ou

419
Cette distinction entre publicit classique et publicit moderne sappuie sur Nicole
Everaert-Desmedt, La smiotique et le discours publicitaire , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions
universitaires du Sud, 2000, p. 19.
420
Jean-Nol Kapferer, Les chemins de la persuasion , in Sciences humaines, n 38, avril 1994, p. 29.
421
Ibid., p. 31.
422
liseo Vron, La publicit ou les mystres de la rception , in MSCOPE, n 8, Versailles, 1994, p. 120.
213

lenseigne sadresser lui. On pourrait dire que le consommateur est un rcepteur

actif des messages publicitaires.

Il nous semble nanmoins que lopposition schmatique actif / passif ne fournit

plus un critre pertinent pour rendre compte du comportement du consommateur

moderne. Ceci parce que ce comportement est plus complexe et plus subtil quon ne le

croit habituellement. Nous vivons dans un espace multidimensionnel, global / local, o

lincertain, lindtermin et le complexe se conjuguent pour faire du consommateur un

acteur coproducteur de son mode de vie et de sa consommation dans une conomie de

labondance. Son comportement nest plus dict par une logique binaire simpliste. En ce

sens, Rmy Sansaloni estime que la publicit continue faire rver et exercer une

influence certaine aussi bien sur les dcisions dachat que sur le choix des marques.

Pourtant, les consommateurs ne sont pas totalement dupes de ses trucs et astuces ; ils

cdent moins aisment que nagure aux sirnes de la rclame ! 423 Pour comprendre le

consommateur moderne dans sa complexit, il utilise lexpression non-consommateur .

Selon lui, dans non-consommateur , le tiret met laccent sur le lien indissociable entre

les termes. Ce qui veut dire que non-consommateur na rien voir avec non

consommateur . Il sagit bien de prendre appui sur le consommateur, mais le non

signifie que lacte de consommation a chang et que les individus nagissent plus selon le

sens traditionnellement donn au mot consommateur . Ainsi poursuit-il :

Pendant longtemps, les hommes de marketing ont rduit les consommateurs une
variable parmi dautres ; ils ont cru que la communication et la valeur dusage propre du
produit suffiraient les convaincre dacheter. Les faits ont dmenti cette vision
rductrice de lacte dachat. Je crois avoir montr que le comportement du
consommateur tait devenu aussi complexe et charg dambiguts, comme de
contradictions, que la ralit mondaine. () Le non-consommateur ne rejette pas la
consommation en tant que telle ; ce quil conteste dornavant cest bien dtre rduit
un simple rceptacle de messages marketing ou publicitaires.424

423
Rmy Sansaloni, Le Non-consommateur, Paris, Dunod, 2006, p. 61.
424
Ibid., p. 211.
214

Il nous semble que cette expression non-consommateur caractrise bien ltat

desprit du consommateur actuel. Cest--dire quen tant qutre vivant public, on ne peut

chapper ce statut, pourtant outrageusement gnralis, de consommateur , mais on

nest plus pour autant consommateur totalement soumis linfluence des matres en

persuasion.

Cest dans la prise en compte dune telle volution du comportement du public que

notre concept de jeu de la publicit senracine. Il sappuie notamment sur cette marge,

cette distance dont le public-rcepteur moderne parvient finalement disposer. Dune

part, cette marge se traduit comme un cran , suppos quil y ait une corrlation

certaine entre la situation de communication et le mode de perception. La saturation de la

communication publicitaire, avec lexcs et lomniprsence des campagnes, provoque

une banalisation qui produit, son tour, une sorte d effet secondaire par rapport son

intrt, sous la forme de recul, dindiffrence, de dtour... En ce sens, ct de la

formule souvent voque en la matire : trop de messages tuent le message , on peut

dire galement que trop de pubs tuent la pub . Dautre part, on peut comprendre cette

marge, ce retrait intrieur comme synonyme dune sorte d chappe belle pour le

public dune socit envahie par la publicit. Cest comme si lon reprenait une sorte de

libert et donc de disponibilit devant quelque chose devenu banal dont la raison dtre,

trop ostentatoire, nagit plus au premier degr et se laisse percevoir un autre niveau.

Finalement, le public daujourdhui considre la campagne publicitaire comme

quelque chose qui sloigne de plus en plus de la vise originaire et classique de la

publicit. La phrase dArmand Mattelart montre bien lessence de notre propos : Le

tlspectateur postmoderne a le regard de linsouciance ludique, se mouvant comme un

joueur rus dans les espaces publicitaires.425

Puisque notre intrt porte en particulier sur le slogan publicitaire, ce jeu de la

publicit pourrait galement tre qualifi de jeu de langage . Toutefois, en tant que la

publicit ne fait que suivre le mouvement ludique gnral animant la socit franaise, si

425
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, La Dcouverte, 1994, p. 110.
215

la spcificit de son langage nest pas prise en considration on ne peut encore justifier

lexpression jeu de langage . De mme, le seul fait que lon observe certains lments

ludiques au niveau linguistique naurait pas permis lui seul de parler de jeu de la

publicit , non plus. Dans le cas contraire, mme certains slogans nazis usant de certains

effets ludiques, pourraient tre qualifis de jeu de langage. Cest pourquoi, quand nous

parlons de jeu de langage, nous voulons dsigner une opration particulire qui

sengendre dans un rapport dialogique entre un certain caractre de ltat de la socit et

un usage spcifique du langage. Cette manire de caractriser le jeu de langage permet

dailleurs daborder de faon plus prcise un problme dlicat, celui de lappartenance du

jeu de langage : manifestation ludique du langage ou version langagire du ludique426.

Disons que nous ne souscrivons pas un certain mpris envers cet esprit ludique qui

sempare du langage que lon peut observer partout au sein de la socit. Le jeu de

langage nest pas cet tat drisoire o seraient tombs les mots et qui relverait dun

simple haussement dpaules. Tout au contraire, il nous semble quil a toujours

reprsent quelque chose dessentiel de lactivit langagire de lhomme, mme si cette

fonction ludique na pas t reconnue encore comme telle par la linguistique

dominante427. Nous pensons que le langage a toujours t, mme sil lest devenu encore

bien plus, une source inpuisable de jeu de par son essence mme, jeu aux formes

extraordinairement riches et varies pouvant intervenir au sein de situations de

communication diffrentes.

426
En fait, personne na srieusement cherch dcouvrir le lien secret qui runit, dans une mme
expression gnratrice de plaisir, tous les traits caractristiques du langage et du jeu. Ayant tendance
traiter le jeu de langage comme un fait marginal ou un dysfonctionnement, la linguistique, selon Pierre
Guiraud [Pierre Guiraud, Les Jeux de mots, Paris, PUF, Que sais-je ? , 1976], hsite lui reconnatre un
statut de plein droit. Tandis que la psychologie ne semble gure stre intresse la question, la
psychanalyse, de son ct, y trouve son compte, en expliquant par lirruption de linconscient les
infractions du locuteur et le plaisir que celles-ci procurent. On peut se rfrer louvrage de Sigmund
Freud, Le Mot desprit et sa relation linconscient (1905), traduit de lallemand par Denis Messier, Paris,
Gallimard, 1988.
427
Jean Pruvost et Jean-Franois Sablayrolles, de leur ct, soulignent combien la fonction ludique du
langage est importante et la place centrale quy occupent les nologismes cet gard. [Jean Pruvost et
Jean-Franois Sablayrolles, Les Nologismes, Paris, PUF, Que sais-je ? , 2003, p. 85-86.]
216

Ceci tant, comment peut-on dterminer ici plus prcisment notre jeu de langage ?

Nous devons, tout dabord, noter que le fait quil y ait ici jeu relve dun usage

spcifique du langage par la publicit. Plus exactement, en tant que forme spcifique de

la communication, ce jeu de langage est le fruit de la nature mme de la publicit. Ds

lors, notre jeu de langage peut tre considr comme une performance, parfois comme un

exploit dune crativit langagire dploye dans le cadre de la stratgie de la

communication publicitaire. cet gard, on peut renvoyer cette stratgie crative

que nous avons voque dans le contexte de la production du slogan.

Quant au mode de constitution de ce jeu, on peut dire que, puisque tous les lments

fondamentaux du langage qui en sont lorigine ou qui y contribuent, cest tout le

langage qui est en jeu . Toutefois, cela ne veut pas dire que le langage, comme tel, soit

dj un jeu au sens o nous lentendons. En effet, notre jeu de langage est distinguer de

la notion de jeu de langage au sens o lemploie Ludwig Wittgenstein, pour qui cest

tout le langage qui constitue en lui-mme un jeu428. Tandis que sa dfinition a pris un

sens technique en philosophie pour dsigner le mode de fonctionnement du langage qui

nest pas spcialement ludique, notre jeu de langage montre plutt le mode ludique

du fonctionnement du langage. Il se diffrencie, par ailleurs, dun certain nombre

dautres jeux de langage qui ne sont considrs comme des jeux quen se situant un

niveau formel du langage429 et comme des jeux de mots interprter seulement dans

le cadre dune stratgie de marketing430.

Au demeurant, notre jeu de langage est un jeu de circonstance , qui repose,

entirement, sur le contexte (la contextualisation, plus exactement) et qui est li,

fondamentalement, lordre social. Cest ainsi qu la considration de ce caractre

428
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus suivi dInvestigations philosophiques, Paris,
Gallimard, 1961.
429
Par exemple, Laure Hesbois, Les Jeux de langage, Ottawa, Presses de lUniversit dOttawa, 1986.
430
On peut se rfrer Frnoise Graby, Humour et comique en publicit. Parlez-moi dhumour,
Colombelles, ditions EMS, 2001.
217

circonstanciel sagissant du slogan publicitaire, Blanche-Nolle Grunig estime que :

Certes il est jeu, parfois. Il est musique, loccasion. Il claire une image, souvent 431.

3. Le flneur citadin
lire ce qui prcde, on aura compris que notre jeu de langage publicitaire , en

tant quil est la fois jeu de rception et jeu de circonstance , se situe bien dans un

rapport dialogique entre une humeur sociale et un mode dusage spcifique du langage.

Pour mieux clairer le fonctionnement rsonance sociale de ce jeu, notamment du point

de vue esthtique, il nous faut cependant considrer plus profondment son statut de jeu

et celui de ses joueurs. Ceci parce que, si cette esthtique est entendre comme luvre

dun esthte, homo ludens ne veut pourtant pas forcment dire homo aestheticus. Il

semble, en effet, quil sagisse l dune transcendance qui, sociologiquement parlant, la

fois relativise, recouvre et surmonte ltat positif des choses, non dun saut chimrique

dun ordre lautre.

Il nous apparat crucial de bien se rendre compte quun jeu, quel quil soit, constitue,

en lui-mme, une activit sui generis, assimilable nulle autre. Pour pouvoir mieux

amener notre propos, nous pouvons tout de mme lclairer par le rapport de quelques

notions propres dcrire ce qui sopre ici dans la vie sociale.

En premier lieu, il sagit de la parent entre jeu et stratgie. Cela veut dire quune

interaction ludique peut tre caractrise comme ce lieu, ce moment o sont mises

excutions des stratgies. En dautres termes, aucun dterminisme ne peut en rendre

totalement compte. Une interaction ne se rduit pas la simple application systmatique

de rgles ou de contraintes mais suppose quentre la contrainte et lobissance celle-ci

il puisse y avoir du jeu , un espace dans lequel peuvent se glisser des possibilits de

transgression. La stratgie surdtermine ou modifie la rgle, tout comme nimporte

431
Blanche-Nolle Grunig, Slogan publicitaire et recherches cognitives , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions universitaires du
Sud, 2000, p. 75.
218

quelle contrainte. On pourrait dire quune action stratgique, mme si elle est non

collaborative, reste cooprative, tout comme dans nimporte quel contexte de jeu. Il en

dcoule que la stratgie y reste essentiellement ludique. Cest partir du paradigme du

jeu que ce genre de stratgie peut tre le mieux comprise. Le caractre ludique de cette

stratgie se manifeste surtout par ce fait central que la stratgie modifie ou surdtermine

des grammaires ou des systmes de normes, de rgles et de contraintes. En somme, le

prototype du stratge, cest le joueur dchecs.

Par ailleurs, dans le cadre smiotique, Algerdas Julien Greimas432 voque la para-

synonymie de jeu, aisance, libert et dclare que le sujet ludique est, par nature,

laise. Le jeu, dont lenjeu est la victoire finale, comporte nanmoins sa part de

jouissance intermdiaire, lie un savoir-faire jubilatoire. Il souligne galement que

lentre dans le jeu est libre, mais non la sortie, que le jeu se nourrit dun peu de libert,

que la communication ludique est un affrontement de vouloirs et de pouvoirs, et quelle

se soumet au principe de lefficacit. Ce smioticien voque galement la comptence

manipulatrice du stratge, qui dveloppe une reprsentation globale du savoir de son

anti-sujet, et exploite son propre savoir-faire, aboutissant tout naturellement au faire-

croire et au faire-faire. Ce stratge dispose dune vritable comptence cognitive,

pistmique, et la rationalit stratgique prsuppose le fonctionnement de ce quil connat,

de ce quil croit, de ses intentions et de ses dsirs. La stratgie manipulatrice quil

dploie a pour but dagir sur lanti-sujet, sa victime.

Dun ct, la stratgie sinterprte comme calcul ou opration formelle et, de lautre,

comme manipulation / manuvre. Ces deux conceptions de la stratgie sont en fait

drives de deux faons de penser la guerre. Sun Tzu prsente, dans lArt de la guerre433,

une ide toute confucianiste des stratgies de la guerre. Lart de la guerre dveloppe

prcisment une conception de la guerre stratgique, comme opration formelle de calcul.

La guerre nest pas une science ou une politique : elle est un art. Lart consiste dans le

jeu du calcul que la stratgie se permet avec les rgles, les contraintes et les normes. Sun
432
Algerdas Julien Greimas, propos du jeu , in Actes smiotiques, n 13, 1980.
433
Sun Tzu, LArt de la guerre, Paris, Flammarion, 1963.
219

Tzu prsente ainsi un concept ludique de la guerre et, par consquent, une doctrine

formelle de la rationalit stratgique. Lart de la guerre a pour but de prvenir la guerre.

Le stratge habile est capable de soumettre larme ennemie sans combat.

En revanche, Carl von Clausewitz insiste sur le fait que la rationalit stratgique

provient de la continuit entre la politique et la guerre. Sa clbre formule dit que la

guerre est la continuation de la politique par dautres moyens. La guerre elle-mme est la

condition de possibilit de la politique et de la vie sociale. Sans lutte, pas de sociabilit.

Et la politique est la matrice dans laquelle la guerre se dveloppe. Il crit : Nous disons

donc que la guerre nappartient pas au domaine des arts et des sciences, mais celui de

lexistence sociale. Elle est un conflit de grands intrts rgl par le sang [] Il vaudrait

mieux la comparer, plutt qu un art quelconque, au commerce qui est aussi un conflit

dintrts et dactivits humaines ; elle ressemble encore plus la politique, qui peut tre

considre son tour, du moins en partie, comme une sorte de commerce sur une grande

chelle 434. On peut comprendre dans ce cadre les contours du conglomrat form entre

la politique, le commerce et la guerre.

En second lieu, il serait utile de prendre en considration le principe ludique lorsque

le jeu de langage est considr comme une interaction entre expditeur et rcepteur dans

le circuit communicatif, direct ou indirect. Le jeu peut tre compris avant tout comme un

principe de communication susceptible dtre gnralis dans la communication

interpersonnelle. Il est surtout dvelopp dans les thories de la conversation435. Les

conversationnalistes affirment que les rgularits conversationnelles peuvent tre

expliques partir de la prpondrance du principe ludique, principe qui, dans sa

gnralit, engloberait tous les autres principes de la communication. Transgresser, dans

une conversation, nimporte quelle rgle, ce serait avant tout une violation du principe

ludique. Le principe ludique est dordre mta par rapport aux contraintes constitutives

du discours quil surdtermine. Jouer le jeu, cest jouer en faveur du ple positif,

euphorisant, donc en faveur de la concorde.


434
Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Gallimard, 1976, p. 178.
435
Catherine Kerbrat-Orecchiononi, Les Interactions verbales 1, Paris, Armand Colin, 1990.
220

Toute communication vise, par nature, une intentionnalit spcifique. Mais ce but

est pos comme valeur atteindre par la prexistence de systmes de normes, car la

communication semble situe dans un champ o interfrent de multiples forces

normatives. Ces normes sont les conditions de possibilit de linteraction, ce qui entrane

au moins deux sortes de consquences. En apparence, le principe ludique est soutenu

fondamentalement par le principe de coopration, qui repose sur une connivence oblige.

Cette connivence sprouve dabord comme motif mme, comme raison dtre du

processus dinteraction verbale. Autrement dit, parler prsuppose toujours la possibilit

de tomber daccord. En effet, si toute chance dassigner des valeurs communes tait a

priori exclue, le discours, perdant toute fin utile, serait sans objet. La connivence est

aussi un moyen indispensable pour entretenir la communicabilit, ou tout au moins ses

apparences. Sans lexistence de consensus normatifs, sans lhypothse faite par chacun

que lautre est comme moi et suit les mmes normes , les comportements nonciatifs

perdraient leur interprtabilit mme, aucune estimation de sens implicites ntant plus

possible, par absence de prmisses sur lesquelles puisse sexercer un calcul.

Au fond, mme si ce lien entre normes et interprtabilit est reconnu, il demeure fort

mystrieux. Le principe de coopration nest ni un fondement conventionnel de

linterprtation, ni une norme de civilit, ni un tat de grce, ni une technique

doptimisation utilitaire. Au fond, il apparat plutt comme un moyen prsomptif de

calcul du sens. En effet, Erving Goffman soutient que le principe ludique se justifie par le

fait que tout le monde a droit un visage, et que la socit communicative accorde ce

droit ses membres. La prservation des visages serait la rgle ultime du jeu. On jouerait

en fait le jeu dune ncessit impose par les normes sociales. En revanche, si on se

rfre Kant, ce principe de coopration pourrait avoir une motivation tout autre que

celle de la ncessit de la communication ou de la vie en socit. Kant pense que ltat de

nature, cest ltat de guerre et de conflit des gosmes. Au contraire, ltat de paix est un

tat de lgislation. Cest cet tat de lgislation, champ de la raison pratique qui engendre

le principe de coopration. On peut donc considrer le principe de coopration comme un


221

principe de rationalit conomique. Il apparat donc utile de distinguer la coopration de

la collaboration, en ce sens que coopratif ne signifie pas ncessairement

collaboratif .

Le point commun entre les jeux comme stratgies et les jeux inspirs par le principe

ludique porte sur le fait quils constituent toujours tous deux des jeux achevs . Ces

jeux ne peuvent se produire que si et seulement sil existe de bonnes formes dinteraction

et des structures acheves436. En dautres termes, ces jeux sont des jeux de miroir .

Malgr leur performativit idale, lpistmologie de ces jeux achevs voit une faiblesse

dans la thorie de leur fonctionnement si aucune lgitimation extra-calculatoire ne peut

tre mise en vidence. Le principe ludique est trop idalis pour rendre compte des

comportements des deux cts des communicateurs. Bien quil puisse rendre compte du

jeu, son domaine dapplication se limitera un niveau superficiel de celui-ci.

Communiquer rellement, cest toujours rivaliser afin de mettre les normes de son ct.

Une lutte sinstaure entre les communicateurs pour le contrle de positions admises

comme conformes : les deux cts sefforcent contradictoirement de faire concider leurs

intrts, leurs croyances et leurs conduites avec ce qui est rput normal et lgitime, de

les lier troitement avec des valeurs reconnues par chacun, de faire valoir les unes par les

autres. Aux yeux de lun et lautre des communicateurs, les stratgies, alors considres

par eux soit comme des calculs dviants, soit comme des manipulations ou des

manuvres, se proccupent trop de la production, sans suffisamment tenir compte de la

rception, lautre grand versant de la communication. Finalement, lappel aux jeux bass

sur une symtrie communicative a certainement des limites dans lexplication de la

ralit de la communication.

On se rend compte que le type de jeu dominant dans la socit actuelle est expliqu

par des rapports dintrts chez les acteurs sociaux, intrts conomiques, politiques,

sociaux... Ainsi, la comptition dans les activits conomiques est pense par certains

436
Il y a une classe de configurations discursives qui fonctionnent invitablement comme des indices de
clture dun pisode communicatif, telles quune insistance de laccord et lpuisement des contre-
arguments.
222

selon la thorie des jeux ; les relations internationales se dfinissent comme des jeux

stratgiques, etc.

Finalement, pour des penseurs qui vont de Hans Georg Gadamer Edgar Morin en

passant par Erving Goffman, il ny a pas de jeu pur, tout jeu tant un moyen. Pourtant,

nous allons nous demander si le jeu ne pourrait pas devenir moyen un tout autre niveau.

Cest se demander si le jeu ne pourrait pas tre, par exemple, quelque chose qui servirait

tenir ensemble la vie sociale, former lien, donc en sloignant de tout calcul intress

et de toute rationalit instrumentaliste (conomique, politique, commerciale, etc.). Peut-

tre trouverait-on une telle perspective dans la philosophie extrme-orientale du qui

perd gagne , ou bien dans une vision allant encore au-del de celle-ci.

Pour aller plus loin en ce sens, prenons en considration certaines ides sur le jeu,

inities du point de vue philosophique par James P. Carse437. Selon lauteur de Jeux finis,

jeux infinis, il y a deux sortes de jeux : les uns peuvent tre finis, les autres infinis. Le jeu

fini a un commencement prcis et un terme dfini : il a donc des limites de temps,

despace et de nombre. Il sagit des jeux gouverns par lide de contrat, ce qui permet

aux joueurs de saccorder au sujet du gagnant. Le jeu fini est contradictoire : le but de

tout jeu fini tant de terminer le jeu par la victoire de lun des joueurs, chaque jeu fini est

jou pour que le jeu finisse. Par consquent, le jeu fini est un jeu contre le jeu. En

revanche, dans le jeu infini, il nexiste pas de limites de temps ou despace en tant que

contraintes venant du dehors. Lassociation jeu et infini nest pas contradictoire,

mais paradoxale, le but des joueurs tant de continuer jouer. Le paradoxe dun jeu

infini est que les joueurs dsirent continuer le jeu dans les autres.

Le jeu fini peut sinterprter comme un jeu de socit . La socit est tout ce que

lon fait sous le couvert de la ncessit. En revanche, le jeu infini est synonyme de jeu

de culture . Indfinissable par des limites, la culture est dfinie par limage dun horizon

que lon natteint pas, puisque celui-ci nest pas une ligne ni un lieu. Le jeu de socit est

un impratif, tandis que le jeu de culture provient, en quelque sorte, des marges.
437
James P. Carse, Jeux finis, jeux infinis (1986), traduit de langlais par Guy Petitdemange , Paris, Seuil,
1988 ; Le livre source est Finite and infinite games, New York, Macmillan Publishing Company, 1986.
223

De son ct, Herman Parret applique ces notions de jeu dans un cadre pragmatique.

Il suggre quil y a, au-del de la finitude des jeux de socit, une rationalit stratgique

qui est celle du joueur de jeu infini. Les stratgies du joueur infini sont irrcuprables par

un modle conomique qui rduit ltre-ensemble la socit, champ o rgne la loi trs

dure : goste par nature, altruiste par ncessit . Cest ainsi que le joueur de jeu infini

nest pas vraiment un calculateur, ni surtout un lutteur pour la victoire. Herman Parret

prsente donc une conception chorgraphique de la stratgie : le duel des lutteurs serait

alors comme le duo des danseurs 438.

Ces deux thoriciens dgagent tous deux un fondement esthtique au jeu infini. En

fait, si James P. Carse reconnat quune opposition diamtrale entre socit et culture est

excessive, il souligne pourtant que la culture authentique transcende les limites de la

socit 439. Malgr leur explication sur les diffrences entre les deux sortes de jeux, les

thoriciens nont curieusement pas pris en compte les cas o les caractristiques des deux

sortes de jeu se rencontrent et sopposent dans un mme circuit dinteraction. Pour eux,

un jeu se trouve tre, soit exclusivement un jeu fini, soit compltement un jeu infini. En

dautres termes, dans un jeu fini les joueurs seront toujours considrer comme des

joueurs de jeu fini, et dans un jeu infini tous les joueurs sont jamais des joueurs de jeu

infini.

Nous pouvons nanmoins supposer deux situations. Dune part, il peut y avoir un

cas o, dans un jeu pourtant dtermin comme fini, lun des joueurs renonce nanmoins

ce statut de joueur de jeu fini. Cela signifie quil se peut quun joueur dcide, durant le

droulement mme dun jeu dtermin comme fini, de se contenter de jouer pour le

plaisir, gratuitement, pour lamour du jeu, en se dtachant de tout intrt pour les gains

du jeu. Dailleurs, si les deux joueurs dun jeu deux agissent ainsi de mme au cours

dun mme jeu fini, le jeu entam comme fini peut se terminer comme jeu infini. Il se

peut galement que dans certaines occasions de jeux sopposent des joueurs de jeu fini et

des joueurs de jeu infini.


438
Herman Parret, LEsthtique de la communication, op. cit. p. 54.
439
Ibid., p. 53.
224

Nous pensons justement que le jeu de la publicit constitue un de ces jeux dans

lequel saffrontent des joueurs de jeu fini et des joueurs de jeu infini. Dans un tel cas,

sans tre subordonn lune des deux sortes de jeux, ce jeu se droule dune manire

asymtrique et inacheve. Parce que toute exploitation et toute opration de publicit

sont le fruit dune intention vise conomique, on naura certes pas tort de considrer

ce jeu ferm comme un invariable. Pourtant, il est absolument crucial de bien

comprendre quun jeu du type infini - loin de rester seulement une hypothse thorique -

puisse advenir rellement du ct de la rception. Interrogeons-nous, dabord, sur les

raisons pour lesquelles un joueur de jeu fini situ la rception est peu envisageable. Si

le joueur la rception est qualifi comme joueur de jeu fini, il sagit donc thoriquement

dun jeu fini symtrique, dans lequel les joueurs partent dun mme point de dpart, avec

les mmes rgles et les mmes gains, et la victoire tant conue de la mme faon.

En termes de communication publicitaire, ce jeu est traduire comme

laffrontement entre annonceur et consommateur. Avec une stratgie crative, la publicit

tente de promettre la jouissance dun plaisir ses partenaires, de sorte quils entrent dans

le jeu en tant affects. Ici, lenjeu est de sduire et si possible de persuader les

consommateurs dacheter le produit. Selon un tel schma, si le consommateur tait

joueur de jeu fini, il devrait, pour ltre, faire partie de ce public-rcepteur du message

publicitaire qui, aprs avoir assist une campagne pour tel produit, participerait vite

au jeu, en tant sduit, ragissant ainsi instantanment la crativit publicitaire.

Pourtant, la frquence leve de ce type de joueur de jeu fini est pratiquement peu

plausible. videmment, comme la publicit est une communication mdiatique, il y aura

jeu effectif si et seulement si le consommateur a au moins envie du produit. On

remarquera ensuite que, contrairement aux annonceurs, les consommateurs nont ici rien

gagner, ni rien perdre. Ainsi, de par la nature mme de la communication qui sy

droule, la symtrie qui caractrise les joueurs de jeu fini est dans le cas du jeu de la

publicit peu concevable.


225

Qui peut donc devenir joueur de jeu infini dans ce jeu de la publicit dont nous

parlons ? Lexistence dun tel joueur peut tre envisage justement comme rendue

possible par la maturit et la marge dont dispose ce consommateur actuel que nous

venons dvoquer. Cest par exemple ce public-rcepteur qui, ayant vite fait dapercevoir,

lorsquelle est lessentiel dans une publicit contemporaine, lintention intresse cache

derrire lapparence ludique, ne se sent pour autant aucunement concern et ne se dirige

pas vers lachat du produit promu, abordant le slogan avec dtachement, esprit de jeu, au

second degr. Il nen considre que lesprit ludique, il apprcie la qualit de lappt sans

avoir envie de mordre lhameon. Ce sont donc des personnes qui se contentent du

plaisir suscit par le message publicitaire crant un espace ludique, sans prendre en

compte le point de vue de lannonceur concernant son produit ou sa marque. Ce sont

galement des gens qui apprcient la performance ou mme lexploit cratif de telle

publicit, en tant que tel et pour lui-mme, sans se soucier de la rfrence au produit qui

devient extrieure, non pertinente, avec des exclamations telles que Cest gnial, a !

ou Cette pub est vraiment super ! et qui citeront le slogan ou lanecdote de la

campagne publicitaire pour en faire un thme de conversation avec leur entourage,

parfois en oubliant le nom de la marque. Ce sont des gens qui sintressent, finalement,

la crativit publicitaire comme crativit, et secondairement aux contextes

socioculturels sur lesquels elle repose, tant quant limage que quant au langage.

Cest dans cette perspective que nous proposons le flneur citadin comme idal-

type du joueur notre jeu de langage publicitaire, savoir du joueur un jeu qui est

infini en tant que jeu de culture. Cela veut dire que, ce flneur sincarne plutt dans un

citoyen assez cultiv, qui possde certes dhonntes capacits intellectuelles mais qui

nest pas forcment pour autant ce quon appelle un intello 440. Ni abstraction ni

440
Il sagit a minima du niveau qui lui est ncessaire pour quil puisse comprendre le message publicitaire.
Mais en mme temps, cest un niveau au-del duquel, puisquelle vise un maximum de destinataires, la
communication publicitaire ne doit pas aller. En dautres termes, ce type de communication ncessite un
certain travail de lintelligence chez son public, mais il ne vise pas exclusivement les intellectuels .
Cest pourquoi ce maximum indpassable provoque auprs des critiques de la publicit, qui sont le plus
souvent des intellectuels, une accusation prtendant que non seulement la publicit ne relve pas la culture
226

invention, ce promeneur citadin, la fois rel et symbolique, est une personne anodine

qui se rencontre bel et bien, frquemment parmi les gens ordinaires. Enracin

entirement dans cette maturit acquise et cette marge trouve dont nous parlions, ce

flneur est une sorte de pote en ce quil remet en jeu les limites, les frontires tablies,

avec poiesis et imagination, et cela au cur mme dune socit de consommation. Voil,

nest-ce pas l ce processus au cours duquel un joueur (individu) consommateur ou

non-consommateur se transforme finalement en un joueur (persona) a-consommateur ,

bref en un vritable joueur, jouant pour lamour du jeu, sans rien gagner ni perdre ?

populaire mais mme quelle la rend vulgaire. Toutefois, de par sa nature mme, la publicit ne peut tendre
exalter une culture de lexcellence, de lexception, pas mme lever le niveau du peuple .
227

Chapitre V. Barbarie verbale, rythme de la vie


Dans une telle vision qui relie le baroque la notion de jeu, un autre lment demande
tre repens. Cest que cette figure esthtique repose essentiellement sur le rapport entre jeu
et cration. Bien que, dune manire gnrale, jeu et cration soient des notions distinctes,
elles sont souvent en une corrlation si intime que lon ne parvient gure les dissocier, voire
les distinguer. Souvent en effet la cration prend des allures ludiques, tandis que le jeu de
son ct manifeste une uvre dauthentique cration. Il semble que lesthtique du slogan se
situe justement dans une telle situation.
Toutefois, dans notre travail, nous ne prenons cette mise en rapport du jeu et de la
cration quen donnant jeu le sens de jeu infini , tel que nous lavons dtermin.
savoir que cest seulement sous le mode dune sorte de matrimonium441 mystique que la
crativit de la publicit dpassant les niveaux de lutile et de lefficace o elle est
apparue devient cration publicitaire qui nest plus soumise aux lois de la productivit,
voire accde au rang dune authentique cration, anthropologique en quelque sorte. On en
vient ainsi comprendre que notre style baroque soit li, en mme temps, la notion de jeu
et celle de cration. Sagissant, en particulier, du rapport entre style et cration, on trouve
chez Michel Maffesoli un soutien prcieux, quand il estime que dans tous les domaines,
artistiques, mais galement pour ce qui concerne la vie courante, le style trouve son origine
dans la rgion la plus intrieure de la cration, il est principe dordre. 442 Cest finalement
en ce sens que sinstaure le rapport entre le baroque comme style esthtique de lpoque,
le jeu de langage et la cration publicitaire. Dans cette concatnation, nous allons
enfin observer une certaine barbarie verbale , en tant quelle est la premire figure de ce
baroque dans cette dimension de dfinition rciproque entre jeu et cration.

1. La dviance
Cette caractrisation de barbarie employe pour dfinir le style de lpoque,

nous conduit naturellement penser quelle est inspire par la vision du langage comme
441
Cf. Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010.
442
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p.44.
228

de quelque chose qui se doit dtre civilis , en toutes circonstances. En ralit, ceci

est en relation avec la manire de percevoir le langage comme un ensemble de normes

que lon doit comme tel respecter. Cet ensemble concerne effectivement tous les niveaux

de la pratique langagire : orthographique, formel, syntaxique, smantique... Donc, dans

ce terme de civilis, on peut dire que si une lgance est recommande, une correction est

absolument impose.

Par exprience on sait dailleurs bien que, si commettre des fautes dans sa pratique

de la langue est quelque chose dinvitable, cela nen apporte pas moins des

consquences dsagrables ou mme des problmes graves, surtout lorsquelles suscitent

des malentendus. Pour cette raison, les violations des normes par ignorance ou par

ngligence sont interdites tous dans les circonstances ordinaires dutilisation de la

langue.

Or, tout loppos dun tel interdit, la publicit met prcisment en uvre de telles

violations. De fait, une bonne part des slogans publicitaires, ceux que nous avons

mentionns plus haut et ceux que nous allons rencontrer, transgressent les rgles dor de

LA langue franaise et de son bon usage . Si le monde de la publicit valorise un

tel genre dopration, que lon peut qualifier de dviance linguistique intentionnelle,

cest quil produit un certain effet auprs du public, effet qui comme tel est jug bon,

mme, ou plutt parce quil va dans le mauvais sens selon les esprits autoriss .

Mais alors au nom de quelle logique peut-on assurer que ces produits dviants

pourront en venir tre considrs en un sens esthtique , au lieu dtre simplement

taxs de vulgaire barbarisme linguistique , et donc immdiatement rejetables ?

Face une telle remise en cause, on peut dire, en un mot, que cest limaginaire

langagier qui est engag. Or, pour bien se rendre compte de ce quest limaginaire

langagier, il semble quil faille, dans un premier temps, le considrer avec tout ce

quimplique le caractre social de la langue. Dune manire gnrale, pratiquer une

langue saccompagne dune conscience normative, qui la considre la fois comme une

institution, une convention ou un systme de promesse... Lide qui prside une telle
229

manire de la considrer est une conviction morale sociale selon laquelle nul ne peut la

changer son gr. Daprs la linguistique, les mots peuvent tre considrs comme un

produit arbitraire , sagissant de leur naissance. Pourtant, une fois forms et admis, on

ne doit ni les changer, ni les modifier dune manire arbitraire . On peut dire, en un

sens, que cest entre ces deux qualificatifs arbitraires que se confinerait la nature

sociale de la langue comme norme respecter par tous.

Quant cette question du caractre social de la langue, nous pensons que) la cl est

la faon de comprendre la communaut linguistique . Pourtant, cette notion nest a

priori clairement dfinissable ni gographiquement, ni politiquement, ni

socioculturellement. Notion trop vaste et complexe, elle ne peut sexpliquer que

partiellement, selon des critres trop limits. Pour notre part, nous estimons que nous

pouvons penser deux sortes de communauts linguistiques, selon la nature de

lutilisation effective des mots.

Dune part, on peut parler dune communaut de langue . Cest la vision dune

communaut linguistique o cest lemploi de ceux qui ont lautorit linguistique qui

prvaut, en ce sens que toutes les oprations langagires doivent se conformer leur

modle qui vaut comme norme linguistique et sociale. On peut comparer cela au

processus de montage dune armoire. Cest--dire que pour monter correctement

larmoire, lon doit scrupuleusement respecter les consignes de son mode

dassemblage, sinon elle risque dtre de travers, ou non montable. Cest, sans doute, ce

type de mode de fonctionnement fond sur le mode du modle que ressemble la notion

de communaut linguistique o lon prend place par lducation reue lcole et dans la

famille. Ici, on peut penser aussitt la manire saussurienne que la langue est un fait

social en ce que lindividu enregistre passivement 443 et quune fois que quelque

chose a t admis comme produit conventionnel on doit le suivre comme une rgle.

Pour ce genre de fonctionnement de la langue, cest le concept de domaine qui compte,

443
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit. p. 30. Pour souligner cet aspect
normatif de la langue, Ferdinand de Saussure compare la langue au jeu dchecs , en mettant laccent
sur la nature rglementaire des jeux de socit.
230

dans la mesure o la langue doit alors fonctionner conformment la nature dactivits

spcialises socialement, notamment socioprofessionnelles. tant donn que lusage des

mots est considr comme un code , tous les membres doivent le respecter. La

langue-trsor serait lhritage laiss par cette notion de respect de la communaut

linguistique. Pourtant, il semble que, si lon suit une telle conception dune communaut

linguistique, on sera amen invitablement une vision dans laquelle seules vivent les

normes et les rgles, sans que lhomme et les paroles soient pris en compte comme ils

sont, alors que ce sont eux qui vivent effectivement. Si lhomme est matre de la langue

et quil doit suivre les normes de celle-ci, lhomme et la langue constituent un rapport

dassujettissement rciproque. En consquence, une communaut linguistique ne peut

tre que synonyme de rceptacle de rapports contraignants.

En revanche, on peut penser une communaut de parole . Pour celle-ci, cest

lusage le plus vivant et le plus rpandu qui sera prioritaire, au sens o les pratiques

langagires qui se produisent effectivement sont celles qui sont prendre en compte

provenant dune activit qui, en tant quadvenant spontanment, a comme telle autorit,

puisquelle rpond aux mille et une situations relles occasionnes par la communication

concrte. Une telle communaut embrassera donc aussi bien les dialectes rgionaux que

les divers types de parlers utiliss par les jeunes des villes, mais aussi les modestes

tentatives issues des trangers444. Aussi une telle communaut de parole se fondera sur

tous les aspects de la communication dialogique, mdiatique ou lectronique, dans toutes

les situations de communication, des cas les plus officiels jusquaux plus intimes. Une

telle communaut linguistique est un ensemble dlments langagiers divers, complexes

et htrognes.

Dans une telle communaut, ce qui compte est le lieu, lespace o les mots servent :

le locuteur respecte bien sr les normes et les rgles de la langue, mais pas toujours, et il

peut les transgresser inconsciemment mais aussi sciemment, soit en fonction des

444
Dune manire gnrale, ce sera le cas o la langue est manie par un tranger qui forme une phrase
franaise en appliquant ce dont il dispose comme connaissances lexicales et grammaticales en essayant de
se conformer ce quil comprend des normes de la langue franaise.
231

ncessits des situations de communication, soit en fonction de ses besoins personnels.

Ainsi, selon une telle conception de la communaut linguistique, la langue-trash

pourra tre considre comme une pratique langagire spcifique. Dailleurs, du fait que

cette notion de communaut saccorde avec le niveau de la vie relle, prive ou publique,

on sy sent en familiarit. Lhomme et la langue y prdominent indfiniment en

alternance, de telle manire que cest tantt lhomme qui prend un peu champ par

rapport aux aspects normatifs de la langue, et tantt celle-ci qui prend lhgmonie sur

lhomme. En ce sens, une telle communaut linguistique est lespace o lensemble de

ces marges peut se gonfler indfiniment, ou bien, o un rapport inverse entre homme et

langue par rapport celui de la communaut linguistique normative peut sinstaurer.

Il est crucial, ici, de bien comprendre la nature de l usage . Lusage est une

notion extrmement importante dans la mesure o elle dsigne quelque chose qui peut

affranchir de toutes les notions poses a priori et mme de la raison dtre originelle

des choses, quels que soient les objets concerns, des plus banals et simples jusquaux

produits des technique de pointe. Cest ainsi que, par lusage, la photographie, invente

dabord pour un simple enregistrement fidle des donnes, est devenue un art, et que le

tlphone portable est en train de devenir un jouet en ce moment. Cest en fonction de la

nature dune certaine conception de lutilisation des mots soutenue par ce que nous

appelons communaut de langue que lemploi prescrit du langage risquerait de le

rapprocher dun mcanisme aseptis, contraint et moribond . Parce que, selon le point

de vue qui rgit une telle utilisation, limportant est de veiller ce que les mots soient

employs conformment aux normes. En revanche, lusage fait spontanment du

langage par ce que nous nommons communaut de parole peut tre considr comme une

opration contamine, spontane et vivante , comme une vritable vie des mots si lon

peut dire. Nest-ce pas au travers dune rflexion sur ce genre dusage que lon peut

comprendre pourquoi la langue est une chose si complexe et si difficile assimiler, ce

que nous prouvons constamment dans la vie quotidienne ? Cest un tel usage qui

peut, dailleurs, nous persuader que la langue est quelque chose de plus flexible que ce
232

que lon croyait, quelque chose susceptible de se plier constamment, pour sadapter aux

circonstances de la communication. En ce sens, on peut dire que la relle communaut

linguistique est celle de la parole, fonde sur lusage spontan des mots. Ainsi, lon se

rend compte que, telle quelle est vcue par la communaut de parole, la notion de

parole nest jamais la parole saussurienne, tandis quaux yeux de la communaut de

langue, la notion de langue est semblable la langue saussurienne. Par consquent,

pour nous, cette communaut de langue nest quun aspect de la communaut de parole.

Cest bien dans lusage du langage tel quil a lieu dans la communaut de parole

que senracine limaginaire langagier dont nous parlons. Pour notre part, parler dun

imaginaire langagier renvoie une optique o le langage est envisag comme

lensemble des schmas dactions qui oprent dans son usage rel et ce dans une relation

complexe et organique entre les choses. Ce qui compte, cest que le langage, la fois, est

affect par les enjeux sociaux, psychologiques, idologiques, culturels, artistiques, etc.

mais en mme temps quil participe bel et bien ces processus, en y jouant mme un rle

considrable.

Par consquent, dans ces processus o le langage se considre dans lusage rel et

vivant des mots, il nexiste pas comme LA langue franaise et sa pratique est loin du

bon usage . De plus, le locuteur, conu matre et possesseur de sa langue, aura une

norme disponibilit pour sa pratique langagire ; mais ce statut du locuteur tant labile,

parfois ce rapport de possession entre homme et langue parviendra mme sinverser.

Cest ainsi que limaginaire langagier devient le point de vue suprme pour comprendre

le langage.

Dans une telle perspective, il se trouve que les systmes et les composantes propres

la langue eux-mmes participent, dans un certain usage, la formation des processus

sociaux. En dautres termes, les particularits linguistiques eux-mmes, lexique,

smantique, syntaxique, phontique peuvent y participer. Nous pouvons considrer ce

champ imaginaire repos sur les lments intrinsques et le fonctionnement du langage


233

comme imaginaire linguistique 445 comme un aspect spcifique de limaginaire

langagier.

Au demeurant, cest cette notion d imaginaire linguistique qui pourrait tre la

logique interne qui expliquera enfin la dviance linguistique des slogans. Cela dit,

dans un tel cadre plus large, les phnomnes jugs dvis des slogans peuvent

renatre comme des faits dynamiques dans leur ensemble, non plus comme une

anormalit pathologique liminer. Pour Howard S. Becker, la dviance nest pas

simplement le fait objectif de ne pas se conformer aux normes, mais tout autant la

consquence dune tiquette 446 qui est colle au dos du dviant par ceux qui le

reprent et le traitent. Dans un mme registre, mais sur le plan linguistique, Blanche-

Nolle Grunig souligne qu il est diffrent de violer les lois dune langue, de les

transgresser parce quon les connat ou reconnat (en quelque sorte de saluer le dieu par

le fait mme quon joue les iconoclastes) ou de servir une bouillie pour les chats dont la

substance essentielle est ramasse dans une poubelle mots. 447

2. Le trembl des canons langagiers


Ainsi dans cette notion dimaginaire linguistique et dans cette notion de dynamique

linguistique, la dviance constitue, non plus une simple dsorbitation, lune des

ressources de linspiration de la cration publicitaire. En ce sens, elle sopre

effectivement comme un principe de la formation de notre jeu de langage publicitaire.

Mais, quant la manire de comprendre limaginaire linguistique, il ne faut pas penser

que la dimension normative de langue sefface. En effet, cet imaginaire linguistique na

rien voir avec cette ide. Mais, contrairement il sagit de reconnatre que la nature

445
Il faut noter quil existe aussi une autre conception dun imaginaire linguistique qui sest rpandue,
dans les sciences du langage, notamment en sociolinguistique. Celle-ci se borne traiter de la dynamique
des systmes linguistiques : phonologiques, morphosyntaxiques, smantiques, etc. Anne-Marie Oudebine a
utilis pour la premire fois en linguistique ce terme d imaginaire en vue dexpliquer la dynamique du
systme phonologique du franais. Il semble pourtant que rcemment ce terme imaginaire semploie
sans pertinence au sein de la linguistique.
446
Howard Becker, Outsiders. tudes de sociologie de la dviance (1963), Paris, Mtaili, 1985.
447
Blanche-Nolle Grunig, Les Mos de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 204.
234

normative intrinsque de la langue fait un fonctionnement spcifique dans la pratique

langagire.

Si on regarde la situation du contact avec des slogans, on se rend compte que lon

ressent un certain effet 448. Ce fait mme montre que les slogans sont sous lemprise

des normes quils bousculent. L, on peut savoir que les normes linguistiques continuent

de fonctionner comme telles. En contrepartie, on va raliser nanmoins quil existe une

sorte d cart qui relve du dphasage entre les normes existantes et leur part

abme . De ce fait, on peut noter que les normes linguistiques, en tant que condition

existante comme telle, sont, la longue, respectes mais dune manire tremblante. Cest

sur cet aspect tremblant et dans lcart que suscite celui-ci que vit notre jeu de langage

publicitaire. Nous allons enfin examiner ce jeu spcifique qui vit dans divers ordres de la

langue et dans lexprience quen fait le public, exprience qui est une version autre de

lusage.

2.1. La vivacit lexicale


En gnral, parmi les composantes de la langue, cest le lexique qui reprsente le plus
les mutations sociales dune socit. Ainsi, lensemble du vocabulaire nouveau peut tre un
critre pour mesurer lvolution dune socit tant sur le plan technique que socioculturel. Ce
qui change le plus vite dans une langue, cest le vocabulaire. Cest ce que lhistoire de la
langue franaise prouve449. Il est donc naturel que cette innovation lexicale occupe une
grande place dans la publicit, miroir de la socit franaise. Il va de soi que la crativit
publicitaire repose dabord sur cette dynamique apporte par la vie du domaine lexical. On
trouve pourtant une particularit propre cette crativit dans le langage publicitaire.

448
Or, dans une perspective qui ne considre que la communaut de langue, ce qui est absurde est que les
phnomnes dviants ne sont pas reconnus, alors que leur effet est pourtant bien senti. Vu que cette langue
est le produit de lobissance des normes, les phnomnes de dviance illustrs par les slogans ne sont
considrs que comme un ensemble de phnomnes dommageables heureusement phmres. Ils ne sont
considrs que comme des fautes commises par ignorance et inconscience dans lemploi de la langue. Au
mieux, ils font lobjet dune correction.
449
Henriette Walter, Le Franais dans tous les sens, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 281-293.
235

2.1.1. Les expressions nologiques


Lun des phnomnes les plus remarqus, sur le plan lexical, est sans doute
lapparition de nouveaux mots ou de nouvelles expressions. De manire gnrale, on
appelle ces mots nouveaux nologismes et ce phnomne nologie 450. On pourrait
penser deux motivations dans ce phnomne spcifique qui sobserve dans presque tous
les domaines de lactivit sociale. Dune part, on peut parler dune motivation objective,
qui est lie une ncessit substantielle. Cest--dire quil sagit dun besoin qui est
purement fonction de larrive de faits nouveaux : vnements, techniques, institutions,
modes de vie, etc. Par exemple, le terme alunir451 tait apparu sous le motif de nommer
cet vnement historique de latterrissage de lhomme sur la Lune ; le terme souris a
gagn un sens supplmentaire du fait de linnovation de la technologie informatique ;
larrive de lInternet a fait natre de nouveaux sens ou de nouvelles formes, tels que
surfer, tlcharger, courriel, chateur... Quant lusage du tlphone portable, des termes,
par exemple, simlocker, dsimlocker sont en train de se vulgariser avec la signification de
bloquer (dbloquer) un tlphone portable au moyen de la carte SIM fournie par
loprateur en tlcommunication . On peut citer pacs (personne engage par le Pacte
civil de solidarit) ou encore vlibataire (utilisateur du libre-service Vlib) comme
drivant de mutations dans les institutions ou le mode de vie.
Dautre part, on peut parler de motivation subjective. Toujours sous la pression de
linspiration sociale, le langage doit satisfaire des modalits dexpression de la

450
Ici, les termes de nologie et nologique sont employs dans leur sens gnral, pour viter de
tomber dans des dbats terminologiques de dtail. En effet, la linguistique fait une distinction. Selon Salah
Mejri et Jean-Franois Sablayrolles, le concept de nologisme est invoqu couramment au travers de
quatre critres didentification: lapparition rcente du mot dans le lexique , labsence du mot dans le
dictionnaire , linstabilit formelle et smantique du mot , la perception du caractre de nouveaut
par les locuteurs . Quant au concept de nologie , il se prsente comme un terme qui dsigne cinq
champs : le processus de cration lexicale , ltude thorique et applique des innovations lexicales ,
lactivit institutionnelle organise et planifie en vue de crer, recenser, consigner, diffuser et implanter
des mots nouveaux , lentreprise didentification des secteurs dactivits spcialiss qui requirent un
apport lexical important en vue de combler des dficits de vocabulaire et lensemble des rapports avec
les dictionnaires . [Salah Mejri et Jean-Franois Sablayrolles, in Langages, n 183, 2011, p. 4.]
451
En 1969, lorsque lHomme est arriv sur la Lune pour la premire fois, les mdias ont invent alunir
par analogie avec atterrir et pleinement utilis ce terme. Ce verbe nest toujours pas admis par l'Acadmie
franaise qui recommande l'emploi datterrir sur la Lune.
236

communication qui dpendent de mutations sociales, idologiques, psychologiques,


situationnelles et mme atmosphriques... On peut dire quil y a constamment
surgissement dune envie de sexprimer, et ce souvent dune nouvelle manire. En effet,
il ny a jamais eu un moment o le langage ait pu satisfaire compltement cette envie de
sexprimer de lhomme, et il ne viendra jamais, car lide, le sentiment et lenvie de
lhomme prcderont toujours son langage et sa plume. Cela revient dire que le
sensible social domine, dune manire inconsciente, lusage de sa langue par une socit.
Il semble que ce soit surtout cette dernire motivation du phnomne nologique qui
opre dans le langage publicitaire. Parce que la publicit nest, pas seulement une place
publique et mdiatique sur laquelle viennent se prsenter de nouveaux produits ou de
nouveaux services, mais quelle est aussi un espace social o se reflte particulirement
bien lenvie dexpression du public. Cest pourquoi lon rencontre si souvent de
nouveaux mots ou de nouvelles expressions dans les slogans publicitaires. Nous
commencerons notre examen des slogans par ceux qui relvent de la catgorie des
formes simples , cest--dire des formes qui se prsentent en un seul terme. En voici
quelques-uns :

Fig 8452

452
En ce qui concerne la transcription des slogans, nous transcrivons tels quils sont donns, mais nous ne
pouvons reproduire dans notre texte les effets typographiques, calligraphiques, graphiques, etc.
237

On va fluncher! (Flunch)
Vous chque djeunez, vous conomisez (Chque djeuner)
a dcouf (Surcouf)
reVittelisez-vous (Vittel)

Quant au slogan de Flunch, le nom de la marque aurait t obtenu par la contraction

des deux mots anglais : fast (vite) et lunch (djeuner). Pour accentuer encore

limage de son enseigne, la chane de restauration rapide a invent un verbe fluncher dont

le sens serait manger la manire de Flunch . Si nous ne prenons en considration que

la campagne publicitaire dans sa version crite453, ce qui nous frappe, cest quun verbe

nologique est ici utilis dune manire arbitraire . Un autre exemple semblable est

verbe compos chque djeuner. Dans cette campagne aussi, on a mis en forme verbale

le nom de la marque. Quant au slogan a dcouf , qui a t cr par Surcouf, magasin

dinformatique situ dans le 12e arrondissement de Paris, il est vident que le magasin a

tent ici de donner de lui une image positive en utilisant lexpression dcouf , calque

sur la conjugaison de dcoiffer la troisime personne du prsent de lindicatif. Ainsi,

a dcoiffe se transforme en a dcouf , en rsonance avec Surcouf, en vue

dexprimer leffet de quelque chose qui produit une forte impression ou qui cause une

surprise. Parmi nos interrogs, personne ne parvient dfinir exactement ce que veut dire

cette expression. Pourtant, le slogan de Vittel se laisse comprendre, sans difficults, grce

au sens de Revitalisez-vous . Le point commun de ces slogans est que le nom de la

marque et le nom du produit y sont mis en uvre, partiellement ou entirement !

Illustrant un autre aspect de cette dimension nologique, nous avons rencontr

plusieurs slogans qui mettent en valeur par lemploi du suffixe -issime , accol un

terme pris comme racine intangible.

453
Sagissant du mme slogan diffus sous la forme audiovisuelle, Flunch a perdu un procs pour
avoir plagi le tube des chanteurs franais Gilbert Montagn et Didier Barbelivien On va s'aimer . La
marque s'est permis de reprendre l'air du refrain avec les paroles On va fluncher . La bataille judiciaire a
dur neuf ans, pour s'achever en dcembre 2006 en faveur des chanteurs qui ont d se pourvoir en
cassation deux reprises. La cour a rendu son verdict en vertu du principe d'ordre public de l'inalinabilit
du droit au respect de l'uvre.
238

Fig 9 Fig 10

Les chicissimes (Lancia Ypsilon)


Partir ailleurs, cest simple. Tlphoner dailleurs, cest simplissime
(Bouygues Tlcom)
Soldissime (Galerie Lafayette)
Les Modissimes - 40% (Optique 2000)
Epsonissime (Epson)

Il semble que, afin de promouvoir la rputation de leur enseigne, les marques

portent au superlatif ce quelles font, ou sont, ou mme cette marques elle -mme, au

deuxime degr grce au suffixe magique -issime 454 qui absolutise absolument.

En principe, ce suffixe peut sajouter tout adjectif ou adverbe. En ce sens, la

comprhension de chicissime et de simplissime ne posent pas de problme.

Au fur et mesure que cette formation de termes au moyen du suffixe -

issime devenait la mode, lAcadmie franaise na pas manqu dintervenir pour

sanctionner les emplois fautifs de ce procd. Elle note ainsi : Si Bellissime,

454
Cest un suffixe emprunt l'italien -issimo ou au latin dont il provient -issimus . Il a une valeur
superlative, mais est parfois utilis avec une nuance ironique ou plaisante. Dire clbrissime peut
consister se moquer de cette prtendue clbrit. Il sagit surtout dun suffixe employ par plaisanterie
qui ne forme pas des mots acadmiques mais des nologismes amusants.
239

Richissime, lgantissime sonnent comme de plaisants italianismes, le procd

marque une inutile emphase lorsqu'on applique ce suffixe des termes dont le sens,

trs fort, nappelle pas de superlatif. Ainsi, Gnialissime, Sublissime (ou

Sublimissime), Urgentissime sonnent tout simplement ridiculissime455. Ctait

vouloir faire semblant de ne pas comprendre que lemphase ne semble jamais inutile

dans ce domaine de la publicit : elle est son me. Alors, que dire ces formes

soldissime , modissime et epsonissime ? Ce sont des formes ultra-

fautives , fautivissimes , puisque ce suffixe y est employ avec des noms

communs et mme avec un nom propre de marque. Or le soldissime de la

Galerie Lafayette est devenu maintenant un mot quasi ordinaire, tel point quon le

rencontre aussi dans les vitrines de petites boutiques de quartier en priode de solde.

De fait, ces emplois fautifs commis par les slogans publicitaires ne posent pas de

problmes si graves au public.

Sagissant de ces formes simples, on se rend compte que les produits ou les

marques visent crer de nouveaux sens et mme de nouveaux univers. cet gard,

nous pourrions caractriser plus particulirement certains types de nologie de

nologie dmiurgique . La caractristique premire de ces formes simples est

quelles se mettent, souvent, en relation directe avec le nom de la marque ou du

produit. Ces types dexpressions nologiques ne sont pas judiciairement

rprhensibles, car on les considre comme une extension des enseignes, munis

du statut de noms propres associs aux noms de produits et de marque. Ainsi,

contrairement ce que lon pourrait croire, ces types dexpressions ne sont pas

problmatiques juridiquement ou autodisciplinairement. Selon Marie-Ccile Dhuin-

Vidal, le BVP (ARPP actuellement) travaille au cas par cas sur chaque message

455
www. academie-francaise. fr. dition du 02 fvrier 2012.
240

publicitaire prsentant une nouvelle cration. Lorsquun mot utilise le nom du

produit et le transforme en verbe ou en adjectif, cela ne pose pas de problme 456.

Dans le cas dautres nologismes, le langage publicitaire pourrait courir le

risque dtre considr comme outrancier, compte tenu du caractre social de la

langue. tant donn que toute action publicitaire est une action grand enjeu, mme

si le langage publicitaire relve dabord de la loi du march, il est galement

subordonn svrement la loi de la langue. Cest pourquoi, plus frileuse et timore

quon pourrait le penser, la crativit langagire de la publicit ne veut pas courir de

risque. Cest la raison pour laquelle on ne rencontre pas de slogans nologiques de

forme simple, sans lien avec le nom dun produit ou dune marque.

Par contre, nous constatons bon nombre dexpressions nologiques sappuyant

sur la conjonction de deux termes existants. Il sagit dun type particulier de mots

que lon appelle mot-valise ou mot-sandwich . On commet alors le crime de

mler deux plans de la formation des objets linguistiques, qui sont rgis par des lois

incomparables. Depuis toujours, depuis lcole, nous avons t contraints dans notre

usage ordinaire de la langue, loral comme lcrit, aligner les mots lun aprs

lautre comme des perles sur un fil. Or le mot-valise se permet quant lui de mler

deux mots qui, au lieu de se succder, imbriquent leurs syllabes. Selon une tude,

lun des premiers mots-valises connus en France est le nom de la fameuse rsidence

collective conue par Charles Fourier, le phalanstre (en 1816) form de

phalange et de monastre 457.

Quant aux slogans nologiques de forme complexe, en voici deux exemples :

Nouvelle cure subliminceur (Accor Thalassa)


Quand je serai grand, je serai informagicien ! (RegionsJob.com)

456
Marie-Ccile Dhuin-Vidal, Lapplication de la loi sur le respect de la langue franaise dans la
publicit , in Odile Challe et Bernard Logi (sous la direction de), Marques franaises et Langage, Paris,
Economica, 2006, p. 102.
457
Alexandre Minda, Mots-valises poignes, Paris, LHarmattan, 2004, p. 10.
241

Fig 11

Quant au premier cas, pour faire comme si minceur ne pouvait pas ne pas

saccompagner de sublime , les deux mots violent linterdit et fusionnent leurs

syllabes en subliminceur . Un mot-valise nest pas nimporte quel mlange de syllabes

venues de deux mots diffrents. Par dfinition, un mot-valise doit faire entrer en lui deux

mots ayant un fragment phonique en commun. Dans ce slogan, ce fragment phonique est

[m]. Pour l informagicien du second slogan aussi llment phonique en commun est

[ma], quand on considre celui-ci comme une alliance entre informaticien et

magicien . Mais on peut aussi penser quil sagit dune simple permutation de la lettre

t en g d informaticien . Ainsi issu de deux possibilits, ce cas peut passer pour

rellement magique concernant le mode de formation dun terme nologique du type

mot-valise . Ceci nous rappelle lexemple qua donn Sigmund Freud pour expliquer
242

la technique du mot desprit : dune manire tout fait famillionnaire ( familire

et millionnaire )458

Prenons dautres formes de mots-valises produits dune manire bien plus

audacieuse. Il sagit de formations partir de deux termes, mais qui nont pas le fragment

commun qui par sa position permettrait de glisser naturellement du premier mot au

second. De cette manire aventureuse, le constructeur automobile Nissan a lanc une

srie de campagnes avec des slogans dcoiffants . Nous nen examinerons que trois

exemples pris parmi dautres :

Fig 12 Fig 13

Innovatique: [i-no-va-tik] (Nissan Micra)


Adj. qui allie une technologie aussi innovante que pratique.
Innovatique ne semploie que pour les Micra.

458
Sigmund Freud, Le Mot desprit et sa relation linconscient (1905), traduit de lallemand par Denis
Messier, Paris, Gallimard, 1988, p. 56. Freud trouve cette expression dans une uvre dHeinrich Heine et
la prsente comme son premier exemple de mot desprit dans ce livre. Il fait ce commentaire : Et cest
sur ce mot mixte - famillionnaire - , incomprhensible en lui-mme, mais instantanment compris et
identifi comme un mot plein de sens ds quil apparat dans son contexte, que repose leffet
irrsistiblement hilarant produit par le mot desprit, effet dont le mcanisme, il est vrai, ne devient
daucune faon plus clair pour nous du fait que nous avons mis en vidence la technique du mot desprit.
[Ibid., p. 63]
243

Spacte: [sp-kt]
Adj. se dit de quelque chose de spacieux et compacte.
Ex. une Micra spacte
Modtro : [md-tro] 459
Adj. qui associe un design moderne des lignes rtro
Syn. rtrerne (qui associe rtro et moderne)

On constate, sagissant de ces adjectifs chimriques, que le processus de leur

fabrication semble stre produit un peu nimporte comment. En effet, le procd

apparat comme doublement non pertinent. Dune part, ces mots-valises enferment deux

mots diffrents qui nont ni parent smantique ni ressemblance phonique en un seul.

Dautre part, cette non pertinence atteint au comble, quand ces mots se prsentent comme

sils taient enregistrs officiellement dans un dictionnaire de langue et donc valides.

Cest dire que la communication publicitaire se moque ici, voire se rebelle contre lordre

existant, par imitation ironique de lautorit du systme tabli.

De ce point de vue, un public srieux et sensible la rigueur de la langue

considrera ces types comme un scandale. Ainsi, passant souvent pour des mots fous ,

les mots-valises constituent le type linguistique le plus insolent dans son irrespect de

lorthodoxie de la langue. Dune part, il se peut que, ne dune dsobissance

fondamentale, une telle fabrication hybride de termes soit une action qui misant sur

459
Les autres expressions nologiques que Nissan a lances sont les suivantes :

Aborsile : [a-bor-sil]
Adj. qui est la fois abordable et facile
Cit. avec loffre de reprise Argus + 800 euros, la Micra est plus quaborcile.
Performique : [per-for-mik]
Adj. qui est la fois performante et conomique
Ex. la nouvelle Nissan Micra dCi 82 ch est de nature performique !
Spre : [spu-r]
Adj. qui est spontan et sre la fois.
Oh ! Comme la Micra est spre !
Simpologique : [simpo-logik]
Adj. qualifiant un quilibre parfait entre simplicit et technologie.
On dit que la trottinette est simple, lavion de ligne technologique et la Micra
simpologique.
244

lessence de lordre tabli. Cela reprsente une envie dissimule, dexprimer ou de

profiter le mal de la socit. Il nous semble que le mot-valise est le type linguistique le

plus dviant du systme et son aspect a pu tre caractris de monstrueux . Cest ainsi

que Almuth Grsillon a dfini, il y a dj longtemps, les mots-valise comme des

monstres 460 et que Alain Finkielkraut parlait, quant lui, de btard 461.

Ici, ne nous contentons pas dune caractrisation seulement linguistique superficiel

des mots-valises, nous pouvons dvelopper au moins deux arguments Le premier est li

cette question : nest-ce pas dans cet aspect monstrueux du terme quun mariage sauvage

entre mots et choses a lieu ? Cela veut dire quen sloignant des normes linguistiques les

mots pourraient mieux sapprocher des choses. mesure quils se dgagent du rapport

de rfrence simple, les mots eux-mmes peuvent mimer les rapports quont entre elles

les choses : le mot-valise ne serait-il pas leffet dun fonctionnement qui serait un

rapprochement sauvage avec les choses ? Cest ainsi que subliminceur fait

concrtement imaginer que, lhtel Accor Thalassa, on peut profiter dune cure telle

quau travers de celle-ci une minceur qui est admire advient, de la manire

extraordinaire et que spacte ( la fois, spacieux et compacte), innovatique ( la

fois, innovante et pratique) ralisent, quant au sens, ce que la voiture en question fait,

quant ltre : cest la mme voiture qui est la fois innovante et pratique, cest le mme

mot qui doit dsigner ce mme fait. Cette ide se justifie galement, si lon tient compte

des nologismes de forme simple o a lieu cette mme conjonction entre mot et nom de

produit ou de marque, tels que Revittelisez-vous et On va fluncher . Dautre part,

lorsque lon extrapole de cet aspect monstrueux relevant du rapport entre mots et choses

aux rapports interpersonnels, on peut formuler un deuxime argument : plus on est

proche, plus le langage nest-il pas monstrueux ?

460
Almuth Grsillon, La Rgle et le monstre : le mot-valise, Tbingen, Niemeyer, 1984.
461
Alain Finkielkraut, Ralentir : mots-valises!, Paris, Seuil, 1979.
245

2.1.2. Les emprunts au registre familier


Nous allons aborder cet autre point de vue digne dintrt et qui a attir notre
attention, surtout partir des publicits crites. Sil est vrai que le langage publicitaire est
monstrueux dune monstruosit comme celle des mots-valises, nous ne devons pas
oublier que le langage est souvent davantage monstrueux hors de la publicit. Dtruisant
nos ides reues, un regard de plus prs nous rvlera que lusage social du langage
adopte des postures de plus en plus extravagantes. Cela veut dire que certains aspects
jugs auparavant grotesques sobservent dsormais quotidiennement sur Internet et au
tlphone portable, surtout dans les conversations entre jeunes. On peut citer, par exemple,
ces termes et ces expressions qui sont devenus usuels ces jours-ci : teuf (fte), trom (mtro),
tof (photo), swag (styl), LOL (Laugh out loud), PTDR (Pt de rire), Ramne ta fraise !
(Viens ici), Tas fum la moquette ou quoi ? (Tes compltement fou?), etc.
En effet, mme si la publicit a bien conscience que lemprunt de formes produit un
effet de proximit avec le public voulant plaire largement et pas seulement intensment, elle
a tendance viter des formes trop paroxystiques, trop marginalises et socialement mal vues.
Cest davantage le cas pour la publicit de presse, car le fait de lcriture de tels termes les
officialise et aggrave sensiblement leur effet. Dans une telle situation, cest le principe
opratoire frapper sans heurter 462 qui explique le mieux la ralit de la communication
publicitaire. Du fait que ce principe est dans lensemble respect, ce que nous pouvons
observer dans les slogans ce sont le plus souvent des emprunts au registre familier, de termes
dj largement rpandus et donc devenus moins monstrueux, savoir peu risqus. En voici
quelques-uns :

Loup ! (Peugeot)
Compltement givr ! (Toshiba)
Givr (Cognac)
0% Moche (Lancia)
Soyez mgalo ! (Sony Vaio)

462
Cf. Jean-Pierre Teyssier, Frapper sans heurter, Paris, Armand Colin, 2004.
246

Attention, vous allez aimer sa gueule de sducteur son profil grande


famille (Hyundai Santa Fe)

Fig 14

De tels slogans prsentent premire vue lavantage de ne pas dpayser le public

par lemploi de mots quotidiens que lon utilise souvent sans mme sapercevoir de leur

niveau. Pour cette raison, face une campagne les employant, personne ne sera surpris

par ce qui relve du contenu dun tel vocabulaire. Mais, l, il nous faut recourir une

autre interprtation pour saisir leur effet. Cest--dire que ce qui compte dans le cas de

ces slogans, ce nest pas le contenu de leur message, mais leur manire de le prsenter. Si

ces slogans suscitent un certain effet, cest parce que les termes quils empruntent sont

normalement rservs loral. Cela veut dire que leur mode de prsence est surtout oral,

dans les conditions demploi qui constituent notre familiarit avec eux. Cela tant, le

public prouvera un sentiment un peu drle, dans la mesure o est stimule la sensibilit

sociale concernant ce qui se dit mais ne scrit pas, normalement.

Il faut noter quen franais simpose fortement cette distinction entre lcrit et loral.

Il est vrai que dans le domaine de la littrature, cela fait longtemps que certains crivains
247

ont commenc adopter le style oral et que cette distinction a tendance tre relativise

ou mme disparatre, notamment chez les jeunes. Pourtant, cette distinction demeure le

plus souvent comme une obsession pour bon nombre de Franais.

En fait, vu cette dimension obsessionnelle, voir ces termes crits et en public

provoque alors un choc, cre une impression de dplac. Contrairement ce que lon

pourrait estimer, ces mots quand ils sont crits - parce quils sont crits - nous dpaysent.

En fin de compte, lattention est attire, leffet souhait est obtenu alors mme que ces

mots sont si banals quils ne devraient pas attirer lattention. Ce qui produit leffet

escompt, est prcisment quils nont pas lair davoir t recherchs, alors quils

auraient d ltre pour avoir le droit lcrit .

Cette sensibilit linguistique est rgie par des rgles non conscientes, dsordonnes

voire contradictoires, qui varient en outre avec lappartenance socioculturelle et les

expriences individuellement traverses. Relevant ainsi finalement dune question

dintuition, elle est, pour les Franais, quelque chose que lon acquit et que lon possde

de faon inconsciente , mais pour les trangers, cest quelque chose quil est difficile

dobtenir, malgr tous les efforts conscients .

Dailleurs, il serait certainement utile de cerner le moment o, pour tel ou tel type de

personne, est franchi le seuil tolrable de familiarit , o lemploi dun mot devient

considr comme exagrment dplac : une gne en rsulte. Ce que lon peut recueillir

de plus authentique en la matire est la manifestation dune aversion, ou au contraire

dun got, pour tel ou tel mot. Il est clair toutefois que les facteurs qui motivent aversion

ou got ne se limitent pas la tolrance pour le passage de loral lcrit. Seules des

exprimentations spcifiques peuvent tester cette tolrance. Ce genre de problme devrait

intresser tous ceux qui doivent concevoir une campagne publicitaire destine oprer

aussi bien par affiche et presse crite, qu la tlvision ou la radio. Ecrit et oral ne

disposent en effet pas des mmes armes. Une telle exprimentation ne devrait pas non

plus tre faite exclusivement sur des mots isols. Le contexte joue un rle considrable.
248

En ce sens, ces slogans publicitaires et les variations de leur rception peuvent

fournir un champ exprimental. Ainsi givr, mgalo, gueule, utiliss peu spontanment

lcrit, peuvent nanmoins, avec lhumour dun iconoclaste, plaire extrmement.

2.2. Les jeux double sens


Nous allons ici traiter des jeux de langage qui reposent sur un rapport smantique

entre mots, sans modification des termes. Dune manire gnrale, nos habitudes dans

lusage du langage peuvent tre considres comme une procdure norme qui est

oriente dabord vers la transmission exacte dinformations. Cest elle qui est enseigne

dans lducation donne lcole comme au foyer. Et nous devons respecter cette

pratique en situation de communication. Dans cette situation, cette orientation vers un

seul sens , cette univocit se fait notamment au moyen du respect des rgles

grammaticales de la langue. Mais outre ces rgles formelles il faut ajouter la prcision de

circonstances pour parvenir cote que cote une communication exacte. En fait, on

peut considrer la plupart de nos pratiques langagires comme un processus cognitif au

cours duquel on peut tre dirig vers le sens global au moyen dun enchanement de

phrases dont chacune a un sens particulier exact.

Ainsi, cette procdure socialement norme et ce processus cognitif de

communication sont des mesures de scurit prises pour viter dventuels malentendus

entre interlocuteurs (acteurs sociaux ou communicateurs). En ce sens, on pourrait dire

que cest une sorte de dsambigusation smantique qui fonctionne quotidiennement

dans la plupart des cas de communication.

Or, lune des particularits majeures du discours publicitaire consiste au contraire

brouiller cette dsambigusation, processus essentiel de la communication verbale.

Sopposant diamtralement lusage ordinaire du langage, le slogan publicitaire

constitue un espace dans lequel cest lambigut, donc une ambigusation du sens qui est

privilgie. Examinons donc comment ce jeu de langage fonctionne comme jeu sur le

double sens partir de ce brouillage smantique . Quand on parle de jeu double sens,
249

cela signifie que la publicit utilise cette ambigut comme matrice de ses jeux. Pour

expliquer le schma de ces jeux smantiques, prenons cette phrase : Pascal regarde la

fille qui est l-bas avec des lunettes . Dans le fonctionnement quotidien du langage, cela

peut renvoyer deux cas : Avec des lunettes Pascal regarde la fille qui est l-bas , ou

bien Pascal regarde la fille qui est l-bas et qui porte des lunettes . Cest--dire quil

ny a pas de problme smantique, car lambigut smantique est leve par des

connaissances pralables ou situationnelles. Mais, la publicit fera en sorte quavec cette

mme phrase, on puisse tre, la fois, dans les deux cas. En dautres termes, prenant le

contrepied de la pratique courante scurisante, cest lmergence simultane de plusieurs

sens des mots qui est favorise. Ainsi, par le maintien de lambigut de la signification

de la phrase et loscillation smantique, on peut entrer dans un univers de jeu.

En fait, ce recours des mots sens multiples, ambigus, constitue lun des actes

majeurs du slogan publicitaire. La mobilisation dune telle ambigut smantique ne doit

pas tre considre comme un phnomne anodin, puisque la publicit nest plus une

activit anodine. Par consquent, les moyens dactiver cette simultanit smantique

deviennent un enjeu crucial pour ce jeu de langage.

2.2.1. Les jeux de mots auto-suffisants


Tout dabord, nous avons affaire quelques slogans dans lesquels certains mots,

eux tout seuls, sans interaction avec une image de la campagne, peuvent tre la source de

cette simultanit :

Lpargne qui attire lintrt (LCL Compte pargne fidlit)


Vous navez jamais regard vos comptes avec autant dintrt...
(Banque prive europenne)
tre autre chose quun numro de compte. a compte (LCL)
Il vaut mieux investir dans le neuf (9 tlcom)
250

Fig 15

Pour les deux premiers slogans, le schma ludique est identique, avec une mise en

jeu simultane smantique de deux significations du terme intrt : somme et

attention . Cette simultanit smantique peut dailleurs ne pas tre seulement double

mais multiple, si lon entend intrt dans un sens plus large, celui d attention

favorable que lon porte quelquun ou tat desprit qui prend part ce quil estime

digne dattention, ce quil juge implorant , qualit de ce qui retient lattention , etc.

premire vue, ces slogans semblent totalement dviants sur le plan

communicationnel, puisquils ne vhiculent pas un seul sens, clair, au public. Ils

transgressent vritablement la pratique normale quotidienne du langage. Mais ce faisant,

par ce fait mme, ils crent un certain effet dans lesprit du public. Aprs un instant

dhsitation, le public parvient saisir de quoi il sagit, ds quil se rend compte que ce

sont des publicits pour des banques. Et comme ce terme dintrt a un rapport trs

intime avec lactivit bancaire, le public prend conscience de lintention mise dans le

message par les annonceurs. Ainsi, cette dviance et cette transgression se neutralisant et

sliminant, le public parvient accder un autre niveau de communication voire au


251

monde du jeu de langage. Sans doute, il faut avoir une grande confiance en sa notorit

pour tre certain que, sans autre explication et en particulier sans image, la mention de la

marque va suffire indiquer de quoi il sagit et, grce cela, faire merger nettement le

second sens. Ainsi, dans ces deux slogans, les mots seuls suffisent susciter

simultanment le double sens du terme intrt.

Sagissant du troisime slogan, pour quil soit reli lordre ludique par le public,

llment essentiel est lusage du terme compte, plus exactement lidentit de son entre

compte comme nom et compte comme verbe. En effet, cest parce quil est bas sur cette

juxtaposition-rptition de ces mots que ce slogan produit ce drle deffet. savoir que,

dans une sorte de contradiction du premier contenu du message, le public est invit

songer limportance dtre considr autrement que comme un numro de compte

bancaire, par la rptition de a compte , qui par cette contradiction attire lintention

sur la dimension humaine.

Pour le dernier slogan, on peut, sans difficults, comprendre la structure de jeu,

partir du terme neuf. Cest--dire que lon peut saisir le rapport dabord seulement sonore

entre le chiffre, ltat de nouveau et le nom de marque. En fait, ici, le dicton Il vaut mieux

investir dans le neuf est clair smantiquement. Pourtant, ds que le public prend

conscience que le nom de la marque est 9 Tlcom, le sens du dicton redevient ambigu.

On constate, nouveau, lune des diffrences fondamentales entre leffet quotidien

gnant de lambigut et son fonctionnement ludique librateur dans les slogans. Dans le

ludique, on na pas exclure lune des deux interprtations. Elles fonctionnent ensemble.

Il faut garder le flottement, le jeu, lespace libre entre les deux. Dans ce dernier cas, on

peut dire que limage joue un rle, mais son rle ici nest pas dterminant, car le nom de

la marque aurait suffi.

Ainsi, comme nous venons de le constater, dans certains slogans, le jeu smantique

peut fonctionner, sans laide de limage. Il sagit donc de cas o les mots, contexte

scalaire en eux-mmes, se vectorisent en une grandeur oriente vers une dimension

ludique. Mais pour que ce type de jeu puisse se dclencher, il faut pouvoir trouver des
252

termes qui aient une relation relle et fonde sur un rapport avec le caractre du produit

ou du service en cause. En ce sens, on pourra imaginer des slogans qui mettent en uvre,

par exemple, des combinaisons telles que poste et nouvelle , restaurant et menu ,

lessive et tache (tche) , imprimante et impression , vin et robe , etc.

2.2.2. Les jeux de mots soutenus par limage


Sans quitter ce domaine du jeu reposant sur le double sens des slogans, nous allons

examiner maintenant les cas o limage devient un lment dcisif pour soulever cette

ambigut smantique. Cest--dire que le jeu de langage ne sy dclenche que

moyennant lintervention de limage. En fait, les jeux de langage de ce type sont plus

faciles et fort plaisants. Le principe est que lon y conjugue deux types de talents

artistiques : on exploite le contexte verbal pour favoriser lun des sens du terme choisi

tandis que lon travaille sur le contexte iconique pour favoriser lautre sens. Malgr cette

rpartition des tches, il faut souligner que lambigut ne fonctionne que si les deux sens

sont potentiellement prsents sans le systme de la langue. Ce qui compte est donc de les

activer par le concours des deux contextes. Voici un exemple :

Fig 16. Auto-satisfaction 463

463
Source de limage : Gallery Speerstra, post graffiti and contemporary art. www. speerstra. net
253

Auto-satisfaction (Darty)

Concernant ce slogan, nous avons du mal, au premier aperu, en dgager la signification


exacte, tant donn que lexpression auto- pose un problme smantique. Dune manire
gnrale, dans auto-satisfaction , auto- sentend comme le prfixe rflexif qui renvoie
soi-mme . Nanmoins, nous est prsente autre situation qui fait penser une autre
interprtation grce la prsence de limage de la camionnette de Darty. Autrement dit, auto-
serait la forme raccourcie usuelle d automobile . Ainsi, ce slogan reste ouvert, en
autorisant aux lecteurs une double interprtation 464 : la satisfaction des acheteurs eux-
mmes quant au produit ou au distributeur et la satisfaction apporte par la fameuse
camionnette dans les services aprs-vente (livraison, reprise de matriel ancien, rparation du
matriel sous garantie ou sous contrat), qui symbolise la satisfaction de soi que peut avoir Darty.
Illustrant ce type de rapport de concours entre langage et image, nous pouvons rencontrer
divers slogans :

Fig 17 Fig 18

464
En faisant allusion, simultanment, cette double satisfaction des consommateurs, ce slogan doit
lgitimer la signature actuelle de lenseigne, Le contrat de confiance .
254

Twingo Cinetic. Largent na jamais aussi bien circul (Renault Twingo)


7-8H. Une heure dactualit aussi serre quun bon caf (BFM)
Une impression Brother sait faire la diffrence (Brother)
Vos photos ne perdront plus la tte (Nikon)

Afin de dclencher le jeu double sens, le premier slogan a utilis les deux sens du terme
argent, lun comme monnaie, lautre comme mtal blanc. Effectivement, comme modle de
voiture, une Renault Cinetic argente figure dans lannonce. Quant au slogan de BFM, ce sont
les deux sens de serr qui sont exploits avec limage dune tasse de caf. Dans les deux
derniers slogans, les deux expressions faire la diffrence et perdre la tte sont mises en uvre.
Ainsi, pour la campagne de Brother, on se rend compte quune simultanit smantique
fonctionne pour faire la diffrence entre le sens de distinguer, entre coup de soleil , gifle
et pudeur , et le sens de lemporter sur les concurrents. Exactement de la mme manire,
perdre conscience et tre dcapt pour perdre la tte sont mis profit dans la publicit de
Nikon. De nouveau, mais plus nettement sans doute que jamais, on peroit ici le rle de
limage quant au jeu de langage base dambigut. Dans ce jeu double sens, cest limage
qui permet de coexister aux deux interprtations, et en mme temps qui quilibre la campagne.
Souvent, limage joue un rle plus srieux, notamment lorsque le message touche un
sujet sensible, comme le slogan suivant de La Poste :

Fig 19
255

Largent cest comme son chien, on aime bien quand il rapporte (La Poste)

Il est vident que ce slogan met en uvre le terme rapporter. Sans doute, le jeu sur
son double sens pourrait marcher sans le soutien de limage, tant donn que cette action
est lie au caractre dun chien. Pourtant, avec le slogan seul, la campagne risquerait
dtre un peu mal vue, tant donn que largent est un thme sensible et que rapporter
serait un verbe trop cru pour cette question assez taboue en France. Dans cette situation,
cest limage dun chien de dessin anim qui apporte une proximit avec le public, en
neutralisant la sensibilit lie largent : rapporter est une gentille action, et ce qui
rapporte de largent est gentil comme un chien. L, le nerf de la publicit est plutt
limage du chien que le slogan lui-mme. Ainsi, on constate que limage joue aussi le
rle de scuriser une campagne.
En outre, concernant le type de jeux double sens, un autre mode est frquent, o le
slogan utilise les deux sens du mot en sappuyant sur la rptition :

Fig 20 Fig 21

le Maurice. Un monde loin du monde (le Maurice)


Le meilleur lit sur terre nest pas sur terre (Iberia)
Lintelligence attire lintelligence (Nissan Primera)
256

Vis--vis des slogans, le public est absolument contraint de trouver deux sens

diffrents pour un mme terme et une mme expression. On peut dire simplement

quil y a deux variantes et le petit saut cratif465 consiste faire merger deux sens,

en refusant explicitement lautre pour chaque occurrence du terme. Cest une chose

trs banale. Dans le slogan, la rptition introduit deux porteurs de sens, deux

apparitions de signifiant et non pas seulement un seul. Mais pourquoi le public dans

ces conditions ne conoit-il pas la pure et simple rptition du mme sens, mais bien

la coprsence de deux sens diffrencis ? Dune part, on peut envisager quil y a l

quelque chose qui a voir avec la mobilisation mmorielle. Par exemple, si lon

demande quelquun brle-pourpoint ce que veut dire monde, il pensera peut-tre

monde comme univers, ou peut-tre plutt monde comme gens, mais il ne pensera

pas ncessairement aux deux, bien quil connaisse les deux. Toutefois, sil est

concrtement confront, comme ici, deux apparitions de monde, il peut tre

matriellement incit chercher deux objets smantiques diffrents. Ce mcanisme

est exactement le mme pour sur terre et lintelligence, quoique le deuxime sens de

ce dernier terme, complicit, soit plus malais deviner.

Dautre part, on peut faire lhypothse que lon a une sorte dhabitude

mentale qui pousse rechercher laltrit. Ceci peut tre renforc par un principe de

rfrence disjointe 466, selon lexpression de Blanche-Nolle Grunig, qui vaut pour

bon nombre de constructions syntaxiques du franais. En dautres termes, dans les

constructions suivantes, Le chef a vu le chef et Le chef sait quon a vu le chef ,

Le chef ne peut, au sein dune mme phrase, dsigner par deux fois la mme personne,

sauf emphase rhtorique ou au contraire navet particulire. Ce terme ne peut pas par

deux fois avoir la mme personne comme rfrent . Dans ces conditions, on est

comme contraint smantiquement chercher un autre rfrent pour la seconde

apparition de chef. Cest ainsi que lors de la rptition de termes dans de tels slogans,

465
Cf. Jean-Marie Dru, Le Saut cratif, Paris, Latts, 1984.
466
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 16.
257

cette habitude et ce principe peuvent nous inciter trouver deux sens simultans

diffrents. Ainsi dans le slogan de Nissan, le premier intelligence est la facult

intellectuelle, alors que le deuxime intelligence pourra sentendre aussi comme

communication ou complicit secrte entre personnes. Dans cette campagne,

limage joue donc encore aussi le rle, la fois de dclencheur et de scurisation du

jeu, comme limage des dauphins, qui escorte si intelligemment la voiture tout au

long de la campagne.

2.2.3. Duo-cratif : le mot et limage


La possibilit du point de dpart de ce jeu double sens rside dans le fait que

de nombreux mots sont polysmiques au sein du systme linguistique tel quil est.

Nanmoins, comme nous venons de le voir, il y a peu de cas o des mots isols

deviennent un motif ludique, et la plupart des jeux double sens sappuient sur un

concours entre mot et image. Dans ces cas, cest limage qui fait natre cette

ambigut smantique qui peut alors tre la matrice de ce jeu double sens et, en

mme temps, cest celle qui sert de boussole pour carter le risque dun rel

malentendu. Ainsi, limage joue un rle prcieux. Or, le crucial ici est que tous les

types de jeux de langage peuvent et vont entrer effectivement dans cette interaction

entre message verbal et image. Pour mieux comprendre cette interaction, il va nous

tre utile dexaminer, en tant que critres, quelles sont les relations de conformit

et de non-conformit quil peut y avoir entre image et texte 467. Examinons, pour

ce qui est de la non-conformit, ces deux slogans :

Ceci nest pas un jambon (Parma)


Ceci nest pas une Fiat (FIAT Croma)

467
Nous empruntons ces termes Martin Joly, Introduction lanalyse de limage, Paris, Armand Colin, 2009.
258

Fig 22

Pour ces campagnes, sont disponibles au moins deux interprtations. Dune part, si

lon considre les choses au niveau le plus ordinaire , le public estime bien-sr dans

un premier temps que ces campagnes sont contradictoires, puisquil y a dsaccord net

entre ce que le message nous dit et ce que limage nous montre. Pourtant, un instant plus

tard, se rappelant que ce sont des campagnes publicitaires, le public parvient

comprendre que Ce jambon Parma nest pas un simple jambon, mais un jambon

suprieur qui na rien de commun avec un jambon standard et que Cette nouvelle voiture

Croma est une Fiat tellement plus Fiat quelle nest presque plus une Fiat468. Ces

slogans peuvent tre perus comme devant tre compris en mode ludique, sans courir de

risque quant lidentit des objets promus. Cest cela que la communication

publicitaire voulait inciter. Dautre part, un autre niveau et pour le public cultiv, le

saut cratif demand pourra relever dun tout autre ordre de la parodie dune uvre dart.

Cest--dire que ces slogans sont conus partir du fameux tableau de Ren Magritte

reprsentant une assortie de la formule : Ceci nest pas une pipe . En ce sens, il sagit

468
Dans cette campagne, nous pouvons dailleurs remarquer leffet minuscule-majuscule dissimil
entre Fiat dans le slogan et FIAT comme nom de marque.
259

dun jeu dallusion une uvre dart, qui traite, justement, de la trahison quil y a, de la

ralit des choses relles leur image. Par contraste, remarquons cette traduction,

tellement concrte dans sa mise en image du texte que leffet en est comique, dans cette

campagne de Grimbergen :

Grimbergen et le silence se fait (Grimbergen)

Fig 23

Cette campagne nous montre carrment ce quest une conformit brutale de limage

au texte. Pour elle, cest leffet mme du littralisme de cette conformit, assorti dun

mdivalisme valorisant lanciennet de la marque qui suscitera le saut ludique. Le

silence se fait depuis 1128, et donc de cette faon lorigine, exactement reconstitue,

quand Grimbergen parat. Ainsi, mme si nous ne pouvons pas la considrer au sens

strict comme jeu de langage, cette campagne est trs clairante pour la comprhension de

la faon dont fonctionne notre jeu de langage. Car cest sur cette conformit que sopre

tout notre jeu de langage. En dautres termes, celui-ci repose fondamentalement sur ce
260

type dinteraction texte-image, mots-image ou message-image. En fait, cette coopration

nest pas seulement essentielle pour ce jeu de langage double sens, elle lest aussi pour

tous les autres types de jeux que nous allons rencontrer.

En ce sens, nous sommes invits nous demander en quoi constitue la fonction de

limage dans une campagne publicitaire. Il nous semble quelle pourrait rsider dans ce

fait mme que, base sur cette conformit, limage forme comme une sorte d ambiance

globale pour faire passer, donner son cadre, sa personnalit, son style une campagne

publicitaire, tout en fournissant le support pour toutes sortes de jeux de langage.

2.3. Le son, ternel trsor ludique


Cest un fait, beaucoup de crations concernant le langage, artistiques ou non,

reposent sur sa matrialit, sur le son. De mme que beaucoup, dans la posie, a t

inspir aux potes par sonorit des mots ; le champ de la publicit a lui aussi t trs

stimule par la dimension phonique du langage. Pour les publicitaires, il serait en effet

lourd de consquence de ne pas tenir compte des sons. Notre jeu de langage ne pourra

pas y faire exception.

Certains ici relveront immdiatement que nous sommes pourtant en train de traiter

de slogans crits. Mais, quand on parle du son, il ne sagit pas non seulement du son

acoustique mais aussi du son intrieur. Comme nous venons den faire lexprience, nous

entendons ce son en lisant les slogans. Sur ce point prcis, Blanche-Nolle Grunig nous

prsente un principe : Un lecteur, dans sa langue maternelle, entend en mme temps

quil lit : la graphie entrane immdiatement voix intrieure si lon veut, entendue

consciemment ou moins clairement la phonie, mme si linverse nest pas

ncessairement vrai. 469

Mais pour pouvoir envisager quel aspect prend cette relation dans notre jeu, il faut

bien videmment prendre en compte ce fait que le son lui aussi possde en lui-mme de

nombreuses ressources ludiques. Pour faciliter ce propos, on na qu imaginer de petits

469
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit., p. 171.
261

enfants qui jouent, comme ils le font souvent, avec des mots dont ils ne connaissent pas

le sens. Quand ils entendent des mots dont la sonorit leur semble particulire, ils

clatent de rire et jouent limiter. Ainsi, imiter et rpter de tels sons, ils prouvent

un certain plaisir bien quils ne sachent pas do il vient. Ce type de ludisme pur -

parce que libr de tout sens et de tout contexte - tend disparatre au fur et mesure que

lon grandit et commence savoir lire. Parmi les adultes, ceux qui savent et veulent jouir

encore de ce jeu, de ce pur jeu de sonorit, sont des potes ce moment-l.

Il est donc important de comprendre, de nous souvenir que le son possde en lui-

mme des traits ludiques, ce que Blanche-Nolle Grunig nomme des trsors

ludiques 470. Dans cette perspective, nous allons envisager notre jeu de langage selon

deux axes : prosodique et phontique.

2.3.1. Les slogans prosodiques


Comme pratiquant un premier type de jeu de langage, nous pouvons considrer les

slogans publicitaires qui reposent sur certains caractres quantitatifs et mlodiques des

sons. Mme si le caractre sonore du langage ne dtermine pas forcment sa poticit,

nanmoins la posie senracine essentiellement dans des lments musicaux, rythme et

rime, qui proviennent doprations entre sons. En ce sens, les slogans publicitaires que

nous allons examiner ici recleront des composantes plus potiques que les slogans

abords sous dautres angles. Mais, compte tenu du fait que la structure de base qui sous-

tend notre jeu de langage est la dviance, considrer ces slogans comme jeu implique

quils doivent en constituer des formes dviantes . Cette logique nous conduit donc

nous demander sil y a une structure majeure qui gouverne le monde de la posie

franaise actuelle. Mais pour envisager quelle pourrait tre cette ventuelle structure

majeure, citons un extrait dune posie plus classique, LAlbatros de Charles

Baudelaire471 :

470
Ibid., p. 173.
471
Ce pome est insr dans la section spleen et idal du recueil, Les Fleurs du mal (1857), 2e dition
262

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'quipage


Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
(...)
Le Pote est semblable au prince des nues
Qui hante la tempte et se rit de l'archer ;
Exil sur le sol au milieu des hues,
Ses ailes de gant l'empchent de marcher.

Une posie se distingue dautres genres littraires par le fait quelle constitue un

rythme au moyen de sons qui souvent se rpondent, notamment les rimes. Et lcriture

finale du pome ne saurait tre que lenregistrement de sa lecture, de son son 472, parce

que la posie tait, originellement, voue tre coute. Dans une posie classique,

comme ici, un certain rythme se rpte, o sinscrivent mots et sens. Ici, il sagit de

lalexandrin, vers de douze syllabes. Ici, on a des rimes croises, par exemple, entre

quipage et voyage avec mers intercal et rimant avec amers . En fait, ce

type de vers constitue la forme la plus traditionnelle et la plus connue de la posie

franaise. Prenons maintenant une autre posie parmi des posies contemporaines. Par

exemple, voici La Soupe de la sorcire de Jacques Charpentrau473 :

Dans son chaudron la sorcire


Avait mis quatre vipres
Quatre crapauds pustuleux
Quatre poils de barbe-bleue
Quatre rats, quatre souris
Quatre cruches deau croupies

publie en 1861.
472
Les publicitaires exploitent les trsors ludiques que la visualisation du son par lcriture peut
ventuellement receler. Indiquons toutefois quil y a une rupture entre les deux registres, phonique et
graphique. La phonie ne se soumet pas aux lois structurelles de la graphie. Insister sur la phonie ne veut
nullement dire cependant que la graphie nassure pas un rle important dans la faon dont nous
apprhendons un slogan.
473
Dans le recueil, La Banane la moutarde, Paris, Nathan, 1986.
263

Pour donner un peu de got


Elle ajouta quatre clous

Sur le feu pendant quatre heures


a chauffait dans la vapeur
Elle tourne sa tambouille
Et touille et touille et ratatouille
Quand on put passer table
Hlas ctait immangeable
La sorcire par malheur
Avait oubli le beurre

Dans cette posie galement, on se rend compte quil y a un nombre constant de

sept syllabes pour chaque vers avec rime servie la fin par groupe de deux vers comme

entre sorcire et vipres . Sans doute, la plus grande partie du public a eu trs peu

doccasion, depuis lcole, danalyser la posie. Au fond, ce qui compte pour nous, au

travers de lexemple de ces deux pomes, cest de nous souvenir que cette forme dart du

langage, pour rester populaire doit garder un minimum des contraintes de la versification,

quelles que soient les formes quelle prend. Le vers libre nest jamais devenu populaire.

Ainsi, cest seulement en mettant laccent sur le maintien de certaines contraintes

linguistiques quon peut tirer de la tradition de la posie franaise une sorte de principe

simplifi et un peu caricatural mais opratoire. Cest ainsi que Blanche-Nolle Grunig

peut rsumer ce quest la posie dans lopinion gnrale : Des segments de longueur

constante ont en position finale un son identique 474. Finalement, cest donc cela la

structure majeure qui sest installe delle-mme au fil du temps comme incarnant la

posie telle quelle est perue dans la vie des Franais. Alors, quand on postule que notre

jeu repose sur une dviance, il devrait sagir ici dune transgression par rapport cette

structure majeure. Observons, partir de celle-ci, certains slogans. Ils se prsentent sous

quatre modalits.

En premier lieu, on peut rencontrer des slogans qui semblent bien respecter ce

474
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit., p. 179.
264

principe. Cest--dire que ces slogans se composent de deux segments de mme longueur

comportant un son identique en dernire syllabe :

Pas de trou que du got (Gruyre)


Vous avez la Cote et a vous rapporte (Cortal Consors)
Jamais le silence na pris autant de place (Renault Vel Satis)
Dans un corps parfait une tte bien faite (Chrysler PT Cruiser Turbo Diesel)
chaque instant et pour longtemps (Gerbl)

Il semble que ces slogans tentent de respecter la versification traditionnelle mais en

prenant un peu de libert. Par exemple, le premier slogan peut tre considr comme un

assemblage de deux vers de trois syllabes, Pas de trou / que du got . Pour le

deuxime slogan, comme deux vers de six syllabes, Vous avez la Cote / et a vous

rapporte . On pourra dire que ces slogans, avec ses longueurs raccourcis librement, sont

comme des pomes en un seul vers 475. Mme si leur forme nest pas tout fait

rglementaire, on y reconnat une intention potique.

En second lieu, il y a des slogans qui pratiquent un cart par rapport la contrainte

de longueur constante. Il sagit donc de cas o des segments de longueur non

constante ont en position finale un son identique. Voici dabord ces slogans :

Dior jadore (Dior)


Agatha cest moi (Agatha)
Piaget jardin secret (Piaget)
Il a Free il a tout compris (Free)

Ce sont des slogans qui avancent le nom de la marque dans leur premier segment.

Le premier segment est dans chaque slogan diffrent du deuxime segment quant sa

longueur : Dior / jadore , Agatha / cest moi , Piaget / jardin secret et Il a

Free / il a tout compris .

475
Il serait utile, cet gard, de noter que, au Japon, il y a le Haku, posie traditionnelle en trois vers de 5 / 7 / 5,
tandis que, en Core, il y a une posie traditionnelle en trois vers Sijo.
265

Fig 24 Fig 25

Pourtant, limportant est que ces slogans permettent de souligner le nom de la

marque par une rime en cho dans le deuxime, mme si leur longueur est diffrente.

Comme dans ces cas, la publicit a une tendance trs gnrale insrer le nom de la

marque ou du produit dans le slogan. Mais, on le voit, il nest pas ais de trouver de

parfaites combinaisons, cest--dire des segments qui aient la mme longueur, car les

noms de marque comportent normalement peu de syllabes. Effectivement, nous pouvons

rencontrer plusieurs slogans qui mettent en uvre deux segments de longueur diffrente

avec une rime sur la dernire syllabe :

Nous cest le got (Quick)


Un bijou emmener partout (Samsung Digimax)
Tout le monde parle dcologie. Renault agit (Renault)
Le haut dbit, cest dj servi (9 tlcom)
Soffrir une maison, cest soffrir un nouvel horizon (Rsidences secondaires)

Nous avons encore dautres types de slogans qui prsentent un son diffrent, dans la

position finale de leurs deux segments, les autres lments de leur structure restant les

mmes ou prsentant des similitudes. En dautres termes, ces slogans possdent des
266

caractristiques qui relvent de la posie, bien quils ne respectent pas la contrainte du

son identique en position finale :

Belle dans mon ge bien dans ma peau (Clarins)


Capter lnergie du soleil pour voir lavenir sous un autre jour (Total)

Finalement, on constate de rares cas o le slogan a un son identique en position

initiale ou presque initiale de leurs deux segments.

Beaux jours Beaujolais (Beaujolais)


Cre sur la Terre Consacre sur la Lune (Omega)

Fig 26

Jusqu maintenant, nous avons examin des slogans qui stylistiquement trouvaient

leur saut ludique dans le son. Pour analyser cela, nous nous sommes rfrs la tradition

de la versification, et nous avons envisag une structure majeure qui devrait dominer

la sonorit dans les pratiques langagires qui lexploitent. Cest par rapport une telle
267

structure considre comme modle que se justifieraient toutes nos analyses dans le cadre

de la dviance . Or il est probable que certains contesteront la pertinence de ce genre

de tentative danalyse comme trop schmatique et artificielle. En un sens, une telle

approche scientifique semble certes une gageure, vu que la publicit constitue un

domaine de cration. Dune part, il se peut que, quant lusage des sons, les publicitaires

naient pas objectiv en toute clart les processus de production de leurs slogans.

savoir que ces types de slogans peuvent avoir t produits sans la moindre ide

prconue. De mme les potes ne composaient pas tous ou tout moment selon des

ides consciemment labores. Dautre part, du ct de la rception, il se peut galement

que le public nait gure non plus une conscience claire des oprations prosodiques que

nous venons de proposer.

Face telle mise en question, nous devons videmment reconnatre quil peut y

avoir des cas o parfois, simplement, des sons chantaient entre eux, en-de de toute

intention ou de toute grille danalyse. Toutefois, il faut tenir compte du fait que les

publicitaires ne sont gure nafs et que le public ne lest pas non plus. Cest--dire que les

publicitaires prennent en considration la trace phonique du slogan, partir du moment

o il est entendu dans sa totalit et que le public peut apprcier un effet sonore

accompagnant lachvement de sa lecture, dautant plus que le slogan est un crit court.

Certes, il peut y avoir une distance entre cette trace envisage et leffet rellement

ressenti.

Ce qui est surtout plus dcisif est que des choses telles quun rythme musical que lon

retient pour le lancer intentionnellement dun ct et que lon ressent motionnellement de

lautre, ne peuvent tre le fruit du hasard. Il faut quelles soient dues des sortes de lois

qui se sont formes naturellement. Car ce ne sont pas seulement les domaines smantique

et idologique mais aussi le domaine phonique qui relvent dun rseau de formes ,

dun univers formel propre la socit. On peut penser, cet gard, que le monde

publicitaire, quant linteraction entre sons, a produit ou est en train de produire des

structures qui lui sont propres. Cette hypothse recevrait par exemple un dbut de
268

confirmation, si la structure phonique du fameux slogan du Loto, Cest facile cest pas

cher et a peut rapporter gros , caractrise par un rythme 3 / 3 / 7 devenait lune des

formes rythmiques majeures du discours publicitaire actuel en France.

cet gard, reprenant lide confucianiste en la dtournant un peu, Le cri dun

oiseau et le cosmos ne font quun , on pourrait dire : La voix de lhomme et le monde

ne font quun . Car ayant pour base certaines structures biologiques, le langage est

acquis au travers dun rseau des formes qui constituent une socit. Ces formes

structurant l air du temps , nous sommes pris dans leur rseau. Ce sont elles qui

simposent nous comme un schma pour nous inspirer des chansons intrieures, la

manire dont beaucoup de Franais gardent dans leur mmoire, par exemple, le rythme

de lalexandrin ou celui des tables de multiplication tant rptes durant leur exprience

scolaire. Une telle structure sest intgre profondment dans la communaut, le public la

vit dsormais sans lapercevoir dune manire consciente.

2.3.2. Les slogans phontiques


Restant encore dans ce cadre phonique, nous allons maintenant examiner certains

slogans du point de vue phontique. Il sagit dun jeu de langage qui joue sur certaines

parents phontiques propres une langue donne. Soit les deux slogans :

Moi aussi, cheveux un menu Hippy Toast (Quick)


a nous ressembleue ; Invraisemblableue (Mutuelle Bleue)

Si lon prend la phrase au pied de la lettre, le premier slogan choquera le public, du

point de vue syntaxique. Pourtant, sa dimension phonique qui fera sens, tant donn que

cheveux est phontiquement proche de lexpression quil remplace, je veux. Les

Franais prononcent dailleurs souvent je veux [v] comme [v], lorsquils parlent vite

notamment aprs est-ce que. Inspire par ce trait phontique, la publicit a mis en

relation cheveux, qui correspond cette prononciation, et hippy, qui a une relation intime

avec les cheveux. Dans cette campagne, un jeune homme la chevelure de hippie prend
269

un sandwich Hippy Toast . Encore une fois, limage joue un rle important dans la

communication. Dailleurs, ce phnomne linguistique nous rappelle le jeu phontique

entre [s] et [] inspirant la formule Un chasseur qui sait chasser sait chasser sans son

chien.

La mutuelle Bleue recourt galement une particularit phontique concernant le

schwa, donc le muet en franais. En gnral, on ne prononce pas la lettre e en

position finale, comme dans juste, ou au milieu dun mot, comme dans samedi. Pourtant

on la prononce parfois selon lhabitude ou la situation. On entend souvent

indistinctement [samdi] pour a me dit ou samedi ou [samdi] pour les deux. Au

contraire, beaucoup ajoutent habituellement la valeur [] la fin de mots sans la lettre

e . Deux cas exemplaires en sont : bonjour et au revoir476. En outre, il arrive souvent

que des gens prononcent un e muet en position finale comme [] pas mme []. Do

lexploitation par la publicit de a nous ressemble et de Invraisemblable

prononc avec la prononciation intresse [bl], qui est celle de bleu, ou mieux, de Bleue,

le nom de la marque. Souvent, la cration publicitaire peut tre considre comme

nayant rien de remarquable. Pourtant, le fait quun nom de marque ou de produit se

termine en [bl] et quil existe un phnomne linguistique qui produit ce [bl], attire son

attention lafft de quelque chose de ludique, et elle rassemble aussitt ces deux

occurrences phoniques. Le domaine du jeu est alors trs vaste parce quen franais,

dinnombrables mots se terminent en -ble , adjectifs ou verbes conjugus, agrable,

incroyable, discutable, aimable, ensemble, accabler, trembler, assembler, etc. Voici

maintenant un autre slogan qui senracine dans une ressemblance phontique entre deux

termes :

Prenons le temps de biscuiter ensemble (Milka)

476
Par ailleurs, il faut signaler que la lettre R dispose en franais dune large ralisation sonore pour sa
prononciation.
270

Dans cette campagne, qui a fut lance, pour la premire fois juste avant llection

prsidentielle de 2012, on peut saisir sans difficult que le ressort est la ressemblance

entre biscuiter et discuter.

Fig 27

Cette ressemblance est videmment celle de la structure phonique des termes

[biskite] et [diskyte]. Sur la base de cette ressemblance, et notamment avec le soutien de

limage, la campagne forge une affinit smantique entre ces deux termes, dont les sens

ne semblent pas si voisins. Ainsi, on est doucement invit penser que discuter pourrait

tout naturellement devenir biscuiter ensemble en en prenant le temps grce Milka

Biscuits : Prenons le temps de discuter ensemble en biscuitant .

cette phase, on pourra sinterroger sur lutilit de la minutie dune pareille analyse.

Mais il faut, au contraire, bien prendre conscience que souvent les ressources du ludique

se rattachent de tels lments trs concrets et anodins de la langue. Nous voulons, en

particulier, faire remarquer que ces types de jeu de langage reposent sur une connivence

ou une tolrance entre les membres dune mme communaut linguistique. En fait, ces

slogans sont bass sur un cart ou une ressemblance entre : [v] et [()v], [bl()] et

[bl], [biskite] et [diskyte]. De manire gnrale, les phnomnes concerns sont des

phnomnes auxquels on ne prte pas habituellement attention et que lon produit sans
271

sen apercevoir. Le monde de la publicit tente dexploiter cette libert laisse aux

locuteurs. Comme les normes canoniques existent toujours et que leur rigueur en souffre,

on peut dire quil sagit dun cart ou dune dviance. Ainsi ce jeu sur les sonorits peut

lui aussi tre considr dans le cadre de la dviance .

Ce qui est donc essentiel pour que le jeu soit assur, cest une connivence entre les

participants de la communication publicitaire. Du ct de la production du slogan, il faut

parvenir convaincre le public quil sagit bien l, avec ces rapprochements absurdes ,

dun certain jeu gratuit, dune offrande la posie que lon veut partager en complices, et

non dune sordide ruse commerciale maladroite. Du ct du public, il serait stupide de

vouloir maintenir une oue fine et exacte en permanence. Il faut parfois aussi savoir tre

gnreux pour les petits lments phoniques qui font indment glisser dans lunivers du

jeu. Il faut donc, dans un tat desprit ludique, accepter de ngliger la diffrence, par

exemple, entre [v] et [()v].

Un autre point souligner quant au jeu des sonorits est quil repose essentiellement
sur un hasard. Plus exactement, il rsulte de lintersection de deux chanes causales
totalement indpendantes lune de lautre, de ce que lon peut appeler les concidences
absolues 477. Seul le hasard a permis que les phonies de je veux , Bleue et
biscuiter concident, totalement ou partiellement moyennant une tolrance phontique,
avec celles de cheveux , ressemble et discuter .
Une telle interprtation peut valoir galement pour tous les jeux de langage que
nous venons dexaminer, ou allons examiner. En ce sens, cette cration publicitaire
pourrait tre dfinie comme laction de chercher les concidences qui existent, par hasard
pur, entre mots et noms de marque , entre mots et mots , entre mots et image et

477
Jacques Monod, Le Hasard et la ncessit, Paris, Seuil, 1970, p. 128-129 : Supposons par exemple
que le Dr. Dupont soit appel durgence visiter un nouveau malade tandis que le plombier Dubois
travaille la rparation urgente de la toiture dun immeuble voisin. Lorsque le Dr. Dupont passe au pied de
limmeuble, le plombier lche par inadvertance son marteau, dont la trajectoire dterministe se trouve
intercepter celle du mdecin, qui en meurt, le crne fracass. Nous disons quil na pas eu de chance. Quel
autre terme employer pour un tel vnement, imprvisible dans sa nature mme? Le hasard ici doit
videmment tre considr comme essentiel, inhrent lindpendance totale des deux sries
dvnements dont la rencontre produit laccident.
272

entre mots et monde , etc. La publicit veut les trouver dsesprment pour en faire
des ncessits. Ainsi, de telles concidences dorigine absolues se transforment, par la
cration publicitaire, en des concidences ncessaires . Prenons un autre exemple. La
socit dassurance Allianz lance cette formule : Avec vous de A Z . On peut dire
quil y a l un jeu sur les lettres de lalphabet. On peut imaginer une scne dans laquelle
des enfants joueraient avec des lettres de bois ou de plastique. Adultes, nous-mmes
jouons aussi, de cette faon, avec les lettres. Mais en donnant une signification
symbolique certaines lettres. Ainsi ce message publicitaire, avec son sens de totalit de
la premire lettre A jusqu la dernire lettre Z , doit comporter un poids
symbolique trs fort 478 . Cest--dire quil laisse penser que lassureur Allianz
accompagne ses clients dans tous leurs projets du dbut jusqu la fin ou quil couvre
toute la gamme des services pour les risques. Mais ce qui a inspir directement le recours
cette expression nest que lorthographe du nom de la marque Allianz . On constate
ainsi que cette concidence nest recherche que pour la corrlation qui peut tre faite
avec la qualit symbolique accorde lalphabet comme totalit en Occident.

2.4. La vigueur stylistique


Maintenant, nous allons orienter notre attention vers la dynamique stylistique.
Souvent, la cration publicitaire trouve sa cause dans lexpression. Quant aux formes
linguistiques des messages du discours publicitaire, on sintressera en particulier aux
pratiques de lantonymie et de la rptition, ses deux formes les plus saillantes.

2.4.1. Le contraste des contraires


Certes, dans toute langue, il existe des contraires. Connatre une langue veut dire, en

sens, que lon possde la matrise des certains contraires. Par exemple, quelquun sait parler

478
Par ailleurs, en reposant sur les lettres, cette expression, qui nest pas forcment un slogan, nous amne
spontanment nous intresser aux divers sens accords aux lettres. La premire chose saisir, cest que
dans les socits occidentales utilisant lalphabet les lettres comportent des significations spcifiques qui se
sont formes au travers de lhistoire. Puis on doit dcouvrir que tout le monde est pris dans leur sens
symbolique, au fur et mesure que lon vit cette exprience au quotidien.
273

franais, cest en particulier avoir emmagasin quelque part dans sa mmoire, parmi des

milliers dautres, les mots suivants courants : bon, paradis, aller, grand, vrai, dur, plus,

premier, intrieur, nuit, tout // dernier, jour, mauvais, faux, extrieur, moins, enfer, rien,

venir, petit, tendre. Parler franais cest de pouvoir tablir entre ces mots des rapports qui

permettent notamment de les concevoir comme des contraires, sopposant deux deux : bon

/ mauvais ; intrieur / extrieur ; aller / venir ; paradis / enfer ; grand / petit ; vrai / faux, etc.

Ces couples sont appels des antonymes . En effet, structurant la langue, cette relation

dantonymie fait partie des rseaux relationnels qui structurent leur tour notre faon de voir

et dorganiser le monde. Mme si, dun individu lautre, comme on le constate

exprimentalement, cette relation se fait de faon diffrente, elle constitue, de manire

gnrale, lune des capacits lmentaires requises pour la vie sociale.

On constate que le monde de la publicit met en uvre, mme outrageusement, certains

des antonymes qui sont les plus profondment ancrs dans le systme linguistique du

franais, et qui sont installs les plus solidement dans la mmoire du public. Concrtement,

nous allons examiner selon quelles modalits ces couples de mots contraires sont mis en

relation dans les slogans publicitaires, en interaction avec certaines composantes majeures de

notre environnement culturel toujours dans cette dimension de ludisme social.

Faire de bons slogans bass sur la relation dantonymie, cest ne pas craindre de faire

coexister dans un mme slogan un couple de contraires. Ce nest pas nous qui proposons cela

comme une recette. Mais, cest plutt exprimer la petite conclusion que nous avons tire de

notre observation dun bon nombre de campagnes. Soit, le slogan : Un cerveau gigantesque

dans un corps minuscule (Ericsson). L, on constate indubitablement qu chaque fois deux

contraires, stocks dans notre mmoire, se trouvent projets, simposant au regard ou

frappant lun aprs lautre loreille, dans la simple linarit du slogan. En voici divers

exemples :

Le projecteur qui en fait beaucoup. Pour si peu. (Sony)


Nouvelle Skoda Octiva enfin une grande au prix dune petite (Skoda Octiva)
On agit comme un grand. On paye comme un petit (IBM)
274

Nol, cest beaucoup donner et bien recevoir (Maison)


Hennessy fine de Cognac. Le temps sarrte. Le voyage commence (Hennessy)
Une tonne et demie et pas un gramme de graisse (Volvo S60 D)
Un seul mot pour accder tout. Open (Orange)
Mini prix pour un max de photos ! (Photo station)
Sans fil, internet est mieux quavec (Packard Bell)
Contribution invisible. Succs visible (Basf)
Coup passion Coup raison (BMW 320Cd)
Un nouvel intrieur pour tous les extrieurs (Suzuki Grand VitraTD)
Ne vaut-il pas mieux prvenir la panne que la gurir ? (Peugeot)
La solidit dun appareil se vrifie souvent avec les annes. Mais parfois,
quelques secondes suffisent (KRUPS)

La liste pourrait tre indfiniment prolonge. On se rend compte que la relation

dantonymie concerne tous les types de mots mais quil y a diverses manires de faire

coexister des contraires dans la linarit. Comme nous le constatons, la production du

slogan exploite utilement les ressources de la position et de lagencement des mots. Lun

des cas de figure le plus intressant est celui o le slogan peut tre divis en deux

fragments, chaque terme antonyme occupant une position extrme dans chacun des

fragments. Ainsi, la faon la plus simple est de mettre des antonymes en fin ou en dbut de

groupement, comme dans Mini prix pour un maxi de photos ! ou Contribution

invisible. Succs visible . Mais la publicit valorise aussi normment les antonymes par

une position structurale comparable, le seuil du groupement tant dsign par la structure

du message. Mais, pour que les slogans bnficient de lclat du contraste entre contraires,

sa structure syntaxique doit soutenir lantonymie venue de lordre lexical.

Lanalyse srieuse dtaille des lments contraires doit tre laisse la linguistique.

Par contre, ce qui nous parat crucial est la structure A --- non-A , selon laquelle

sentrechoquent ces contraires, tout en mergeant comme deux repres attirant notre

attention. Lexistence de cette structure forme par une phrase courte est significative. Elle

constitue en effet lune des structures majeures qui dominent le discours publicitaire de
275

notre poque. Lorsque lun des deux termes apparat dans un slogan, il est potentiellement

de nature appeler son contraire. La relation dantonymie est une configuration

smantique parfaitement stocke dans le systme linguistique et les deux termes de la

relation sont fortement connects. Elle est dailleurs une relation qui structure fortement

nos reprsentations.

Notre attention portera aussi en particulier sur le simulacre dantonymie. Il sagit

dun phnomne qui semble provenir du fait que la structure dantonymie actuelle est

tellement prdominante.

Fig 28

Si petite & pourtant si grande (Bang & Oulfsen)


Volkswagen up! Cest grand dtre petit (Volkswagen)
Confort unique styles multiples (Ibis)
Pour empcher les prix de dcoller, on les a colls (Intermarch)

Le point commun entre ces slogans est quils jouent sur les contraires. Il semble que,

pour les deux premiers slogans, littralement, ces termes contraires constituent la relation
276

dantonymie, ainsi petit - grand et unique - multiples . Lantinomie elle-mme

entre grand et petit, ici, nest plus quune apparence : on joue sur les deux mots qui, sils

sont ailleurs antonymes ici ne le sont plus. Pareil glissement de lantonymie effective

lantonymie perdue permet des simulations. On fait comme si lantonymie navait pas

disparu, on la simule. Quant au dernier slogan, on peut dire que cette relation

dantonymie se limite leur structure morphologique. En ralit, dcoller et coller nont

pas ici un rapport de contraires smantiques. Il y a l un double jeu, lordre smantique se

subordonnant en apparence lordre formel. Pour sortir son lecteur de lordinaire, la

cration publicitaire pousse parfois lextrme les proprits les plus usuelles du langage,

dont nous navons pas toujours spontanment conscience.

Un autre aspect intressant qui ira dans le mme sens, cest que souvent nous avons

affaire des cas o ne sont pas opposs des termes exactement contraires. Voici un

exemple :

Il y a beaucoup plus de neurones dans votre cerveau que de mots dans le

dictionnaire : utilisez-les! (Dicos dor)

Mais mme si les termes ne sont pas exactement contraires, le public pense quils

semblent tre considrs comme des contraires. Dune manire gnrale, neurone et mot

ne sont pas en relation dopposs. Au contraire, ils ont une certaine proximit, puisque

mot est un terme qui a voir avec lactivit neurobiologique de ltre humain. Pourtant,

dans ce slogan ces deux mots sont mis dans une certaine opposition ou comptition dans

la mesure o ils sont pris dans le schma plus --- que . En fonction de certaines

structures spcifiques, la sphre antonymique peut tre largie. Cest ainsi que nous

constatons que le sens des mots, loin dtre dtermin de faon constante, est quelque

chose qui sassouplit selon les situations. Dans ces conditions, on est logiquement

capable de produire une relation dantonymie partir de nimporte quels mots, forts du

caractre dmiurgique qua une telle structure. Cest comme si lon pouvait tout dire
277

aprs des termes tels que imaginer, penser, rver, croire, supposer, etc. Toutefois, dans

la publicit, les termes valoriss doivent rester dans un rapport de gradualit pour tre

admis. Si la publicit dpasse un certain degr, le public prouvera de laversion. La

communication est charge, malgr lapparence dune libert totale dexpression.

Par ailleurs, un autre phnomne que lon peut rencontrer dans ce cadre des

contraires est lapparition de slogans o les termes fonctionnent comme contraires dans

un rapport de dpendance mutuelle immdiate . En voici quelques-uns :

trangement proche (Andorre)


Des siges arrire, visiblement trs escamotables (Toyota Yaris Verso)
Catgoriquement hors-catgories (Nissan Murano)

Fig 29 Fig 30

Cest au travers de tels slogans que nous pouvons apprcier la relation dantonymie

de la manire la plus directe, parce que dans les cas prcdents les contraires restaient

considrs plus ou moins dans le cadre de relations syntaxiques ou situationnelles. Ici,

chacun des opposs prend sens immdiatement de sa dpendance lautre. Ainsi, dans
278

trangement proche , trangement et proche sentre-dfinissent sans nul autre soutien.

Il en va de mme pour visiblement / escamotable et catgoriquement / hors-catgories.

Ce qui est caractristique de tels slogans, cest que, des deux termes antonymes,

conflictuels, lun se soumet lautre. Ainsi, trangement est subordonn proche,

visiblement escamotable et catgoriquement hors-catgorie. En fait, les deux

termes doivent se rconcilier ou du moins coexister dans la tension entre deux forces :

la force de lantonymie et celle de la dpendance . Sans doute, ici, la dpendance est

trop directe, et lun des deux termes est oblig de subordonner grammaticalement

lautre. En revanche, dans les cas prcdents, les deux termes cohabitaient

smantiquement galit, dans une distance et sans dpendance immdiate. Dune

manire gnrale ou dans la rhtorique des figures, on appelle de tels

androgynes smantiques oxymores 479.

2.4.2. La rptition, rptition, rptition


Une autre figure de la dynamique du style caractristique du discours publicitaire est

la rptition. Nous avons dj trait de la question de la rptition de type

Lintelligence attire lintelligence en examinant le jeu double sens. Mais ici il sagit

daspects diffrents de la rptition.

Nhsitez plus entre le soin et le soin (Nivea Men)


Almera Tino, Le Famillyspace. Faites 4 vux pour votre famille. Scurit.
Scurit. Scurit. Scurit. (Nissan)
Pour que lavenir tienne ses promesses, inventons la tlvision qui dpasse
la tlvision (France Tlvision)

479
Varit la plus corse de caractrisation non pertinente, loxymore tablit, dans sa forme la plus
gnrale, une relation de contradiction entre deux termes qui dpendent lun de lautre ou qui sont
coordonns entre eux, soit le vers de Corneille (Le Cid, acte IV, scne 3) : Cette obscure clart qui tombe
des toiles . Il y a bien sr contradiction entre les valeurs smantiques essentielles dobscure et de clart.
Dans un registre historique, on peut rappeler le slogan politique, La force tranquille lors de llection
prsidentielle de 1981. On ne doit pourtant pas confondre loxymore, figure de style, avec le problme de
lvocation dun objet du monde aberrant. Ainsi, cette obscure clart ne signifie pas clart stellaire au
milieu de la nuit .
279

bord de notre nouvelle Business Class, vous avez le choix entre trs
confortable et trs confortable (Lufthansa)
iPAQ Pocket PC. Ceux qui lont se mfient de ceux qui ne lont pas ( Compaq)
Vous ne gagnez pas toujours votre vie en vous amusant. Cest pour a
quon ne samuse pas avec votre pargne (Banque populaire)
Entre cavaler tous les jours... et galoper chaque jour, jai choisi ! (La Mayenne)
Seul un maximum de technologie permet de rduire la consommation au
maximum (Nouvelle smart cdi turbo diesel)
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi
(Alcatel One Touch 302)
Mon client est drle. Mon client est drle. Mon client est ... (Audi)

Ainsi, on constate que la rptition touche le son, la lettre, le mot, un groupe des

mots, une phrase, un paragraphe entier. On peut rpter nimporte quel lment

linguistique. Le point commun toutes ces rptitions est que, quelle que soit la

position de llment rpt, au dbut ou la fin ou en cours de phrase, la rptition

cre une sorte de musicalit, de rythme autant sur le plan phonique que smantique.

Cest sans doute cela, ainsi que la diversit de ses modes qui fait que la rptition

constitue lune des plus puissante figures de rhtorique.

Or, justement, du fait de cette abondance et de cette omniprsence 480, on peut se

demander si, au-del dune simple figure banale, cette rptition constitue une

480
Voici des exemples innombrables : Couleur en plus, succs en prime (Epson) ; Nouvelle fleurs nouvelle
volupt Le nouveau parfum sensuel Este Lauder (Este Lauder) ; Four Intuition : un quipement de plus, ce
serait un quipement de trop (Arthur Martin) ; Grand Scnic. Comme un Scnic, mais en plus grand. Grand
Snic. Renault ; Cest bien davoir le choix. Cest mieux davoir cet homme vos cts pour choisir (EDF
Entreprises) ; Certains crivent lHistoire dans les livres, nous, cest dans lacier (Nouveau Seat Altea) ; 100
magasins de communication partout en France : tre toujours vos cts a commence par tre ct de chez
vous (Videlec) ; Arrtons de consommer plus pour consommer mieux (Carrefour) ; Plus quun diesel, le
meilleur du diesel (Alfa 147) ; Avec nous, vos ides formidables seront encore plus formidables (Infocus) ;
Mme si toutes nos cartes ont la mme taille, il y en a une qui convient plus particulirement la taille de votre
entreprise. MasterCard ; e-commerce : e-cre son entreprise e-prend des risques e-peut compter sur nous
(Gan) ; Cest important de savoir ce qua mang le buf quon va manger. Scurit dans les assiettes : mieux
vaux parer que rparer (Carrefour) ; Souriez, vous tes sur la route. Souriez, vous tes la pompe (Alfa 156) ;
Plus de 206 dans une 206 (Peugeot 206sw) ; Entre une Daewoo et une Daewoo, dcidez-vous : prenez les
deux ! (Daewoo) ; Bordeaux et Bordeaux Suprieur. Ftons deux millnaires de millsimes (Appellation
Bordeaux et Bordeaux Suprieur) ; Tous nos disques dor vont enrichir votre disque dur (Vivendi Universal) ;
280

structure majeure qui dominerait le discours publicitaire. Comme une structure qui

repose sur les contraires. En ce sens, nous allons examiner les slogans suivants :

Je voulais du rpondant, jai trouv la rponse (Alfa 156, Alfa Romeo )


Ce qui peut tre dlicat, avec le sans-fil... cest de travailler sans fil (IBM)

Dans ces slogans, malgr lapparence, les mmes lments ne se rptent pas. La

cration a seulement exploit cette structure de rptition. On peut donc parler dune

fausse rptition. Ces slogans se diffrencient de ceux o lon tente de produire un effet

de diffrence au moyen de la rptition dun mme lment. Ici, nous avons le cas o, au

niveau perceptuel, compte prioritairement lapparence, visuelle ou sonore, dun terme qui

doit sauter aux yeux et frapper lesprit du public. Il se peut donc que se produisent des

rptitions qui relvent de la prdominance de la structure elle-mme.

Comme nous venons de le vrifier, les contraires et les rptitions sont

innombrables dans la pratique publicitaire. En ce qui concerne les contraires, le message

publicitaire na bien sr pas pour mission dapprendre la notion dantonymie nos

enfants. Et vu cette frquence des rptitions, on peut se demander si la publicit est une

activit si banale. Ce harclement par la conjonction de ces deux procds nous amne

nous demander quelle peut bien tre la raison dune frquence si extrme dans le discours

publicitaire.

Tout dabord, nous pensons que ces deux styles ralisent, eux-aussi, une forme de

dviance. Mais alors, par rapport quoi ? Considrons nos pratiques dcriture. Dune

manire gnrale, quand on parle dun bon style, on pense une rdaction dans laquelle

senchanent clairement les ides ou les arguments, exposs notamment au moyen dun

vocabulaire prcis et de synonymes. Par contre, lapparition de la rptition des mmes

termes ou de passages identiques ne donnant aucune nouvelle information est une chose

viter. De mme, la caractrisation par des notions contradictoires est proscrire.

Vous viendrez pour les pyramides...Vous reviendrez pour les fabuleuses croisires sur le Nil (Egypte) ;
Difficile de retrouver lmotion dune SEAT ailleurs que dans une SEAT (SEAT)...
281

Lorsque lon veut raliser une rdaction claire et prcise, on consulte donc souvent le

dictionnaire des synonymes. En somme, tout nous a duqus viter de placer des termes

contradictoires cte cte et de rpter des termes identiques. En un sens, une bonne

partie des lments de la grammaire du franais tels que les pronoms personnels et

dmonstratifs sexplique par cette hantise dviter la rptition du mme mot : me, te,

vous, le, la, les, ceux-ci, celles-l, y, en... Les slogans publicitaires peuvent donc tre

considrs comme une transgression dlibre de ces procds, dans la mesure o ils

juxtaposent les contraires pour produire une contradiction et o ils cherchent la rptition

concentrant les deux dans un court espace. Cest ainsi que ce bombardement par les

contraires et les rptitions apparaissent manifestement comme quelque chose de dviant

par rapport la pratique ordinaire.

Nanmoins, il nous semble que, vu limportance de ces occurrences simultanes de

contraires et de rptitions, une logique plus profonde soit l engage. De quoi peut-il

donc sagir ? On pourra sans doute trouver la rponse dans le caractre mme du discours

publicitaire. En effet, type trs spcifique de pratique langagire, la publicit met tout en

uvre pour produire un effet ludique. La publicit a le droit de le faire. En dautres

termes, cette logique de dviance est subordonne au caractre du discours publicitaire.

Notre hypothse est que de cela sensuivrait une structure qui domine toute la publicit

de notre poque. Tout dabord, concernant les contraires, une telle structure est si forte

que les significations des contraires en sont relativises. savoir quune telle structure

dantonymie devient mme prpondrante sur les contraires utiliss et leurs significations.

Au fur et mesure que cette relation dantonymie sinstalle comme structure

dexpression du discours publicitaire, les mots ne servent plus que comme ses

composantes. De mme, les rptitions obissent la mme logique. On peut penser que

dans le discours publicitaire simpose actuellement une structure majeure qui dirige sa

manifestation vers laspect de rptition. Il semble que ces contraires et ces rptitions

soient leffet dune soumission une structure comportant une disposition double

polarisation, qui apporte une sorte de rythme structural .


282

On voit ainsi sesquisser une forme qui nous apparat foncire. En fait, cest dans

cette notion de forme que les contraires comme les rptitions peuvent apparatre de

manire simultane. Ceci parce quils sont tous pris dans ces structures intgres dans le

discours publicitaire. Cest pour cela encore que les manifestations des slogans peuvent

en effet tant se ressembler sans quil y ait volont de plagiat. Pareille intgration dune

structure peut fort bien ne pas tre consciente chez lauteur dun slogan ni chez le public

ordinaire . Sans doute, ce type de structure se retrouve videmment en dehors de la

publicit et peut aussi tre valable et opratoire dans dautres domaines.

Lorsque, partir dun certain moment, une forme-structure nappartient plus

personne, elle appartient un univers dont elle est partie prenante. Comme nous

lavons dj voqu sagissant des sons, nous habitons ces univers de formes, ces univers

tisss de formes. Il est vident que lon peut parler d univers publicitaire . On peut

cerner les dsirs et aussi rechercher les reprsentations quils installent comme

dominantes. Dans un tel univers, on est comme port par la vague. En ce sens, on peut

considrer que ces contraires et ces rptitions utiliss dans les slogans sont une

verbalisation , non seulement par rapport limage, mais comme ralisation ou

manifestation verbale dun univers publicitaire . Il est important de reconnatre

lexistence dun tel rapport entre verbalisation et formes (structure, univers), parce que le

domaine du langage en a t stigmatis par rapport limage.

Selon cette logique, si la relation dantonymie et la rptition forment une des

structures majeures du discours publicitaire actuel, celui-ci peut galement former une

structure majeure de la socit franaise. Dans cette concatnation, on pourra lier ces

deux styles un ordre plus vaste, une structure plus globale dans laquelle nous sommes

tous pris. Le fait quune forme (ou structure) nappartienne personne veut dire quelle

appartient finalement tout le monde.

En ce qui concerne les contraires, nous avons vu dans une structure de contrarit

deux termes diffrents neurone / mot et cerveau / dictionnaire se transformer en


283

contraires. En dautres termes, cest un cas o deux termes plutt lis smantiquement

peuvent se transformer en termes opposs selon la situation.

On peut penser quune telle inversion peut bien videmment se drouler dans

lensemble des activits de la socit. Mais il sagit bien dun schma par lequel

sexplique une structure complexe et organique des choses. Nest-ce pas l la

quintessence de la structure de limaginaire ? Cest pour cela quune telle structure de

contrarit peut relever dune structure anthropologique en quelque sorte, comme celle

que dcrit Gilbert Durand481. En fin de compte, cette apparition des contraires dans la

publicit peut tre lmergence et leffervescence de cette structure intgre notre vie et

notre socit et la rvlation du plaisir que procure un effet de contraste. Paralllement,

au-del dun simple style qui appelle un rythme, sonore ou smantique, dans le discours

publicitaire, la rptition se prsenterait comme lenvie sociale de retrouver ce plaisir de

rpter, qui est enracin en nous depuis notre enfance.

2.5. Le code de la langue mis au service du ludique


La communication publicitaire exploite pratiquement tout lment langagier dans sa

crativit. Mais, ct de matriaux tels que son, sens et style, elle mobilise jusquaux

lments grammaticaux. Nous examinerons ici certains slogans qui sappuient sur lordre

grammatical. Toutefois, cette ide mme que le code de la langue pourrait tre soumise

des activits ludiques pourra tre considre, demble, comme un comble dimpertinence.

Mais, ne serait-ce pas un vritable joueur de la langue que celui qui pourrait trouver l le saut

cratif ? Pour pouvoir parvenir cette phase ludique partir des lments grammaticaux,

comme le reconnaissent Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, une lecture non logique

481
Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de limaginaire (1960), Paris, Dunod, 1992, p. 67-
215. Sagissant de la classification des images, lauteur prsente, pour rendre compte du rgime diurne ,
qui repose sur lantithse comme figure, des structures schizomorphes avec des rapports pur / souill,
clair / sombre, haut / bas, sparer / mler, etc.
284

est demande linterprtant qui est suppos parvenir se dgager de ses habitudes

grammaticales pour accder un autre idiolecte, un autre tat de la langue 482.

2.5.1. Des facteurs grammaticaux mis jeu


De manire traditionnelle, une grammaire se dfinit comme lensemble des rgles

suivre pour parler et crire correctement une langue . Et, au sens moderne du terme, on met

en elle tout lment linguistique relatif la formation dune langue, phonologique,

morphologique, syntaxique, etc. En ce sens, tous les types de slogans que nous venons de

traiter relveraient conjointement de cette emprise de lensemble des rgles et des

fondements linguistiques. Pourtant, quand nous parlons ici de facteurs grammaticaux , il

sagit plutt de dsigner les lments linguistiques qui ne peuvent tre classs quen faisant

appel la notion de mtalangue , telles que prposition, conjonction, verbe

pronominal, subjonctif, etc. Citons rapidement quelques slogans en ce sens :

Fig 31

482
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, op. cit., p. 60.
285

Ne lui envoyez pas des fleurs, envoyez-lui vos fleurs (Orange)


Choisir Lexus cest facile. Choisir une Lexus, cest une autre histoire (Lexus)
Il ne pense qu a (Ford Ka)
On spargne des soucis. On pargne la banque postale (Banque postale)
On peut acheter une voiture luxueuse sans acheter une voiture de luxe
(Skoda Superb combi TDI)
Quels champagnes tes-vous? (Comit international du Vin de Champagne)
lextrieur cest une voiture, lintrieur cest plus grand (Peugeot 307 SW)

Dans le premier slogan, on a mis en valeur la diffrence smantique entre larticle

indfini des et ladjectif possessif vos , alors que le deuxime slogan trouve son

ressort dans la diffrence entre le caractre abstrait d labsence darticle et le caractre

concret produit par larticle indfini.

Dans le slogan de Ford, la publicit a mis en uvre lexpression ne ... que . Le

principal moteur de la crativit vient ici de laffinit phonique entre la prononciation de

la forme applique avec , qu , [ka] et celle du nom de la voiture Ka [k]. tant

donn que la diffrence entre [a] antrieur et [] postrieur est faible, les deux sons

sentendent pratiquement identiquement. Le slogan repose aussi sur la dimension

smantique du message483.

Puis, dans le quatrime slogan, la publicit trouve son support dans le contraste

comique entre pargner et spargner. Ainsi, On spargne des soucis veut dire on a

des soucis en moins, alors que pour on pargne la banque postale pargner renvoie

avoir de largent en plus, comme synonyme dconomiser. Quant au cinquime slogan,

son moteur repose sur la diffrence entre luxueux et de luxe. Avec lexpression voiture

luxueuse , la publicit veut profiter du caractre indtermin de ladjectif.

Dans le slogan suivant, on peut dire quil y a violation des rgles grammaticales,

parce quun tre humain ne peut pas avoir pour attribut champagnes comme sil sy

rduisait par chosification. Si le public est en dsaccord avec le slogan ce nest pas
483
En fait, on utilise cette phrase normalement dans un sens fort et pjoratif, notamment par une
obsession, surtout sexuelle. Justement, cette campagne fait allusion un certain rapport tabli entre voiture
et femme.
286

seulement la syntaxe qui est en cause, mais bien ce que les sciences du langage ont

appel des restrictions de slection . En dautres termes, la faon qua la charge

smantique de certains termes dexiger ou au contraire dexclure telle ou telle charge

smantique relativement dautres termes avec lesquels ils sont en rapport syntaxique.

Mais, ces restrictions sont en permanence violes, par exemple, par une animalisation

de lhomme ou par une humanisation de lanimal . Mais comme la syntaxe est forte

dans lusage du langage, lorsquil y a violation, le public doit faire un travail, parfois

complexe, de fabrication, de bricolage, pour parvenir linterprtation mise en jeu,

comme quand on entend, par exemple, Le voisin aboie . Il semble que ces divers types

de slogans soient considrs comme ceux que lon tente lorsque lon trouve peu dintrt

une interaction avec limage.

Mais, en ce qui concerne le dernier slogan, la crativit publicitaire repose sur un

trange comparatif, qui cre un effet dirrel, de fantastique et de conte, renforc par

limage. Il sagit dune double tranget. Soit une structure lextrieur cest A,

lintrieur cest B . Si A est un nom, B devrait tre un nom normalement, car on

compare des choses qui sont de mme catgorie. Mme si lon sent bien que ce B est

lautre terme de la comparaison, celle-ci nest pas complte dans le slogan, puisque ce

terme nest pas prcis. La comparaison ouvre mystrieusement sur de lindtermin et

fait douter fantastiquement quil sagisse encore dune voiture... La formule complte,

qui nest pas nonce, prcisant B, aurait t plus platement : cest plus grand quune

voiture normale . Cette publicit veille habilement limagination du public grce au

concours particulirement judicieux entre le message et limage.

Il faut aussi considrer les cas o certains lments grammaticaux doivent tre

traits un autre niveau que les autres lments grammaticaux. En ce sens, on et a

mritent bien une attention particulire. Ces deux pronoms sont tellement habituels et

banals que les Franais ne les remarquent pas. Mais leur usage intensif constitue lune

des caractristiques du franais, et certaines langues ne possdent pas de pareils lments

linguistiques. En fait, dans leur usage, ils vhiculent des significations importantes qui
287

vont bien au-del de lordre grammatical. Examinons, dabord, quelques slogans

comportant on :

On na jamais trop damis (Wanadoo)


Sans dure, on ne construit rien (Dexia)
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi (Alcatel)
Un jour ou lautre, on a tous envie de changer de maison (La Poste)

Fig 32 Fig 33

Dune manire gnrale, on peut classer cet on pronom personnel ct de tu, nous

vous, ils, elles. En termes linguistiques, cela constitue un embrayeur qui sert ici

relier le sujet parlant la situation concrte de communication. Mais cet gard, il faut

immdiatement sinterroger, car, tout dabord, on ne sait videmment pas qui est leur

rfrent lorsquon lit des pronoms personnels dans un slogan. Ainsi on peut se demander

qui est Je et Vous lorsquun personnage dit Je (moi, mon, mes...) parle

Vous (votre, vos, le vtre...), Tu (toi, ton, te, le tien...) dans un slogan. Quand un

personnage dit Je dans un slogan, le public se sent plus concern plutt qu un autre

personnage. Parce que le public est la cible de la publicit et que dans la publicit de

papier, le public est plus intress par un spectacle solo (one man show) que par un vrai
288

spectacle de thtre. Cest comme si le mur du mtro ou la page du magazine nous

interpelait. Il est trs rare de lire un dialogue thtral classique sur un panneau

daffichage ou sur la seule page dune revue.

Or, on constate que le discours publicitaire utilise outrageusement cet on la

place de je, tu, nous, vous, ils... Cette pratique pourrait sexpliquer sans difficult, en

tenant compte de la nature de la publicit, type de communication qui veut et doit garder

lanonymat. Ce faisant, la publicit peut en effet sadresser au plus vaste public. On

pourrait donc admettre ainsi un rapport entre cet on et lanonymat.

Pourtant, il semble quon ne puisse pas se contenter de cette explication, car cet

on semble avoir une autre signification, plus importante mais plus fine et qui ne

saurait tre prise dans la grille grammaticale ou linguistique. Il nous semble que

lutilisation de cet on se diffrencie de la pratique des autres pronoms personnels. En

un mot, on serait la verbalisation dun sujet parlant indtermin plutt quune

simple reprsentation grammaticale du fait que le sujet personnel nest pas dfini . En

dautres termes, dpassant lordre grammatical, cet on montre que les participants de la

communication ont en commun de participer tous dun ensemble qui est le plus large.

Comme on vient de le dire, une forme (structure) qui nappartient personne est tout le

monde, un pronom personnel sujet qui ne rfre personne rfre tous. Ainsi on peut

dire quen passant par cette impersonnalisation, le sujet parlant est finalement personne .

En ce sens, on peut citer ces paroles de Martin Heidegger : Le on qui nest personne

de dtermin et qui est tout le monde, bien quil ne soit pas la somme de tous, prescrit

la ralit quotidienne son mode dtre. 484 La pratique du on nest pas autre chose

quune version grammaticale de ce processus de perte du moi. De ce point de vue, par le

on, la publicit est dans le fond plus une communication commune (et communautaire)

quune simple communication anonyme, ceci en conformit avec sa vise stratgique

dimpliquer le maximum de personnes. Cest dire que, par la publicit, prenant

lanonymat en sortant de soi, on participe quelque chose de commun et de plus grand.


484
Martin Heidegger, Ltre et le temps (1927), traduit et annot par R. Boehm et A. De Waelhens, Paris,
Gallimard, 1964, p. 159.
289

Ainsi, Louis Quesnel note que le monde de la publicit est celui du on heideggrien,

du Moi impersonnel 485.

Passons maintenant la question de a . On peut rencontrer trs souvent ce type

de slogans :

Arriver temps, a change tout ! (La Poste)


Livebox, a change tout chez vous (France tlcom)
Habillez-vous en Gore-Tex, a change la vie ! (Gore-Tex)
Vous leur ferez toujours dire Cheese. a, a ne changera pas (HP)
Commenons par changer les voitures, a changera peut-tre le reste (FIAT)

Fig 34 Fig 35

De fait, on peut comprendre le terme a comme renvoyant un contexte semblable

celui du on. Ainsi, grammaticalement, on peut le classer comme pronom indfini. En

termes linguistiques, cest un certain dsignateur qui permet dans lusage quotidien

de la langue la dsignation de diffrentes sortes dobjets, qui sont chaque fois leur

rfrent. Dans ce sens, a est utilis, dans tous ces slogans en mode anaphorique ,

qui renvoie ce qui prcde. Puis, on peut remarquer quil est curieusement chaque

485
Louis Quesnel, La publicit et sa philosophie , in Communications, n 17, Paris, Seuil, 1971, p. 62.
290

fois reli au verbe changer. Et que ce qui est chang est souvent beaucoup : tout , la

vie , le reste .

Car ce qui est essentiel, cest que, part cette fonction rfrentielle, ce pronom

indfini consiste prendre un tout ou une entiret sur le plan smantique. Dans

le dernier slogan aussi, a est li la notion de tout , tout le reste dans la mesure

o le reste est tout ce qui nest pas dj pris. Alors que le on appartient tout le

monde , ce a prend tout . Ainsi, en prenant le tout partir de nimporte quoi, il

formera, en mme temps, une sorte de cadre universel (lunivers). Ce cadre est indfini et

indtermin. On peut dire que ce a nest dfini exactement ni du point de vue rfrentiel

ni sur le plan smantique. Analogue au cas du on , il sagirait dune verbalisation

du monde des choses. Alors que le on ne couvre pas le a , celui-ci peut bien

couvrir celui-l. En ce sens, ce a manifeste lunivers le plus large. Si lon devait

trouver un seul mot qui puisse dcrire le monde entier, ce serait bien a . Ainsi, a est

un terme qui peut en le reprsentant nous lier au monde entier. Il peut mme dsigner un

univers inexistant. Ce qui est paradoxal est que ce a , qui reprsente dj tout

lunivers, peut tre supprim par un autre a , et ainsi de suite. Ainsi, ce a

constitue une sorte de black hole (trou noir). Il est la foi sujet et objet, et la fois point

de dpart et point darrive de toutes choses.

Au demeurant, le on et le a de ces slogans peuvent tre considrs comme

transgressant les normes, puisque, sur le plan rfrentiel, ils rendent floues personnes et

choses. Toutefois, ils semblent plutt tre une tentative de mise en mots ou de

manifestation verbale du monde, notamment de ses structures holistiques. Ainsi, au

travers de ces deux mots, on peut exprimer le monde entier, ce monde o il y a constante

interaction entre le on parle de a et le a nous parle . On pourrait appeler a un

certain a-onisme dans lesprit du jeu de mots. Et nous terminerons notre propos par

ce slogan dallure mtaphysique qui pourrait nous conduire mditer sur le rapport

on et a :
291

Savoir do a vient pour savoir o on va (Auchan)

Fig 36

Lune des caractristiques du discours publicitaire est son recours aux langues
trangres : Think different (Apple) ; Just do it (Nike) ; Nespresso, what else?
(Nespresso) ; Benvenuti a casa (Natuzzi) ; Veramente italiano (Martini), etc.
Dailleurs, tellement de mots trangers sont utiliss dans le discours publicitaire que lon
devrait traiter cette thmatique part. Cest videmment langlais qui apparat trs
majoritairement et fait lobjet dun dbat. On se demande si ce recours aux langues
trangres est une forme de crativit ou plutt la preuve dun manque de ressources.
Sans pouvoir donner une rponse tranche, on peut tre intress par les slogans
suivants :

Espress yourself (Lavazza)


Partagez votre galaxy (Samsung)
Tony Parker est Born for Sports... Et vous? (Born.com)
Happy in the new chic (Morgan)
My Gourmand is bon. Very bon (Mamie Nova)
292

Fig 37 Fig 38

Au lieu de Express yourself , le slogan exploite la ressemblance phonique entre

express anglais et espresso italien. Quant au slogan de Samsung, on sest servi de la

proximit entre le nom du modle du tlphone portable galaxy et le mot fraais galaxie

qui dsigne une nbuleuse en spirale pour voquer une constellation damis relis. Pour

le troisime slogan, on a mis en valeur le nom de la marque Born et born ( n ) le

participe du verbe anglais bear, compris de beaucoup de Franais. Les deux derniers ne

sont que de simples formules mlant le franais et langlais, facilement comprhensibles.

En effet, ce genre de mixage doit rester trs basique mme sil donne une dimension

dauthenticit ou de mondialisation au produit. On ne peut gure aller plus loin, car

utiliser une langue trangre pour le public franais, cest dj courir un certain risque.

Cela fait quil y a certaines limites la crativit dans cette direction.

En termes de systme linguistique, ces mots anglais pourraient tre considrs

comme lintrusion dun autre systme. Dans lesprit puriste et protectionniste, on pourrait

mme parler dune invasion par une langue trangre ; langlais et ses mots trangers

sont parfois ressentis comme des barbares venus de lextrieur. En fait, en France, la

langue a toujours t considre comme une affaire dtat, qui a dailleurs souvent

lgifr pour la protger des influences trangres. Un bon exemple en est le fait que
293

le gnral de Gaulle demanda Ren tiemble dcrire un livre pour lutter contre

linvasion de langlais 486. Or lhistoire nous montre bien que le franais, venu du latin,

sest enrichi au cours de sa longue histoire dapports venus des quatre coins du monde.

cet gard, Henriette Walter souligne combien le lexique franais ne sest pas content

de dvelopper son hritage latin de toutes les faons possibles, mais quil a parfaitement

su tirer parti de ses contacts avec les usages linguistiques de ses voisins en les adaptant et

en les intgrant ses propres structures 487.

Concernant un tel usage de langlais, nous ferons deux remarques. Dune part, on

doit relever que lon tente denseigner langlais ds lcole primaire prsent en France.

Tout le monde veut apprendre langlais pour diverses raisons. Par consquent, une partie

de plus en plus grande du public franais peut lire et comprendre un anglais extrmement

basique. On voit dailleurs que les termes anglais qui sont utiliss ici, happy, new, very, is,

my, yourself... sont dordre lmentaire par rapport aux difficults lexicales ou

syntaxiques que pourrait prsenter langlais en tant que langue trangre. On peut

dailleurs se demander si cet emploi de mots anglais peut tre considr comme parler

anglais. On ne pense pas que des gens parlent anglais du simple fait quils savent placer

au bon moment des mots ou des expressions comme : Yes, Hello, Good-bye, Always, Of

course, Thank you very much, No problem, Oh my God, See you tomorrow, Have a nice

day, etc.

Il est utile de penser la situation o lon prononce de tels mots ou de telles

expressions anglaises. De faon gnrale, le locuteur le fait seulement lorsquil sait que

son interlocuteur est capable de le comprendre. Il semble sagir moins de prouver sa

comptence en anglais que de montrer que lon est dans le coup et prt pour la

mondialisation . Langlais simpose ainsi dans la vie quotidienne du public franais.

Dans ce cas, user de mots anglais est plutt une exhibition quune comptence. Ainsi, on

ne peut pas dire que ces slogans mots et expressions anglais, vu leur niveau, parlent en

anglais un public franais. Ils montrent seulement que le public franais est capable de
486
Il sagit de louvrage, Parlez-vous franglais ?, Paris, Gallimard, 1964.
487
Henriette Walter, LAventure des mots franais venus dailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 11.
294

comprendre un anglais aussi basique et que sexprimer brivement en anglais entre amis

est la mode dans la socit franaise. Ils sont comme un signe de complicit, un signe

de ralliement pour tablir un lien. En ce sens, ces mots ou expressions valent beaucoup

plus comme un symbole que comme un usage fonctionnel dune langue trangre. Il en

va ici comme quand un jeune homme franais de caractre communicatif scrie Ni

hao ! au passage dune Asiatique Paris. cette scne, personne ne pensera quil parle

chinois.

Pourtant, dautre part, on peut aussi plus gravement considrer la prsence de ces

mots et expressions anglais comme une relle invasion de la langue franaise par

langlaise, signe dune invasion de la culture franaise par la culture anglaise. Vis--vis

de cette perspective, la dichotomie entre culture et civilisation laquelle recourt Michel

Maffesoli est clairante. savoir, La culture dans son dynamisme fondateur na

nullement peur de ltranger. Bien au contraire elle sait faire son miel avec tout ce qui lui

vient de lextrieur ; ce qui ne lempche pas de rester elle-mme 488 , tandis que

laffaiblissement de la culture en civilisation tend favoriser le rtrcissement sur


489
lunit, susciter la peur de ltranger . Dailleurs, considrer le franais comme en

culture na pas voir avec le pouvoir ni avec ce qui y est li, la crainte et la peur subies

et infliges. Cest, selon Michel Maffesoli, la faiblesse qui engendre la fois

repliement sur soi et agressivit. 490.

Selon cette logique, le fait quapparaisse massivement langlais dans les slogans

publicitaires franais ne tmoignerait pas contre la bonne sant de la culture franaise.

Comme nous venons de le supposer, le rle de tels mots et expressions anglais

consisterait, notamment, confirmer que tout le monde souhaite partager cette ambiance

488
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 188-189.
489
Ibid., p. 213-214.
490
Ibid., p. 188-189.
295

moderne symbolise par langlais international. Et, cela peut tre un cas o sopre

limportance culturelle de ltranget fondatrice 491.

Pour clore notre propos concernant les facteurs grammaticaux, nous devons relever

que dans certains cas la publicit est parfois la recherche de termes ou dexpressions,

qui restent trs minoriss dans leur usage. Voici, par exemple, ce slogan :

Une vie moins ordinaire (Bang & Oulfsen)

Fig 39

Il est plutt peu ordinaire dentendre lexpression moins ordinaire . Cest une

expression minorise, minoris non pas parce quelle ne serait pas correctement fonde

dans le systme linguistique, ni non plus parce que notre intelligence ny accderait pas

facilement, mais tout simplement parce que lon sen sert peu ou pas. Cet ordinaire

est ici pjoratif : commun et vulgaire. Ainsi, la cration publicitaire a, ici, voulu ne pas se

491
Ibid., p. 193.
296

servir du mot extraordinaire, dun emploi trop ordinaire, trop commun, tout en indiquant

le mme sens, mais de faon moins tapageuse plus noble.

2.5.2. La structure linguistique comme forme


Ce dernier exemple nous invite en fait rflchir sur ce quest une structure

linguistique. Parce que ce qui sappelle structure ressemble alors cette structure forme

par la relation entre ces termes, moins, ordinaire et extra. Cest--dire que extraordinaire

est la forme qui constitue la structure dominante, alors que la combinaison moins et

ordinaire ne constitue gure une structure linguistique. Or, la dtermination de ces

formations dpend toujours dun usage qui suit les mutations permanentes de la socit.

cet gard, on peut dire que les autres facteurs grammaticaux traits ici suivent

cette logique. Ainsi, la pratique du on et du a lillustre. Si leur usage est

actuellement tout fait dominant, il ne ltait pas il y a un demi-sicle. Moins habitus,

certains vieux Franais demandent souvent : Cest qui cet on ? Nul ne sait ce quil

en sera dans un demi-sicle. Ainsi, on peut extrapoler cette logique tous les lments

linguistiques, tels que lexique, sens, son, rapport dantonymie, etc. Dans ce cas, nous

devons forcment en venir nous demander ce que ce sont une structure , un

systme , ce qui sappelle grammaire , et en un mot une langue . Alors, on en

vient se rendre compte que ce qui sappelle structure est une forme qui se forge

par l usage , quune telle structure change tout moment dans lusage, quels que

soient les niveaux concerns : lexique, sens, syntaxe, son, style.... Par exemple, pour la

structure ne --- pas de ngation, ce pas est de mme origine que pied , et ne

est en train de disparatre. Sagissant du son, on a tendance prononcer davantage les

consonnes finales des mots franais que lon prononait moins avant, ainsi dans de plus

en plus, quand, but, yaourt...

Par consquent, quand on parle de structure dominante , elle ne lest que

temporairement. Cest lensemble de ces sortes de structures provisoires qui constitue

le systme linguistique et grammatical du franais, et enfin la langue franaise . Cest


297

ainsi que parler franais, cest vivre cet ensemble de structures, qui se sont formes tout

au long de son histoire et qui continuent de se mouvoir actuellement.

Une pareille optique est loin pourtant de stigmatiser les structures de longue dure,

de milliers dannes. Mais cette antiquit ne permet pas pour autant denfermer

lintrieur dune grille ternellement fixe tous les lments linguistiques qui oprent et

les phnomnes qui se produisent lheure actuelle. Nous pouvons trouver la raison de

cette impossibilit dans lvocation de ces structures sensibles et indescriptibles que fait

Blanche-Nolle Grunig :

Une structure nest pas ncessairement un tableau carr et fig do aucun


lment ne saurait sortir sans immdiatement tre remplac par son quivalent ou son
oppos. Ce nest pas non plus ncessairement une partition stricte dun tout. Dans une
structure il peut y avoir des points isols, des lieux dindiffrence, des connexions
plurielles, des mouvements, des trajectoires dont seule la direction est indique, du
seulement probable ou par exemple encore des ruptures sans lien explicitable avec ce
qui prcde. Dire structure pour nous cest simplement dire forme en tant quon
loppose l informe . Le droul dune vague a une forme et mme le remodlement
ou lparpillement dun tas de sable par un tourbillon. Ces formes sont videmment
parfois telles quon ne peut les dcrire quen schmatisant ou en approximant, ou telles
encore quaucun outil mathmatique existant ne semble adquat pour en rendre
compte.492

Cette notion de structure comme forme nous fait comprendre que, loin dtre

limage du damier du jeu de go, la langue est un produit qui sest form, dune part, de

faon naturelle, et dautre part, de faon hasardeuse. Quant ce dernier aspect, on peut

noter quune petite part dans lorthographe des mots franais est le rsultat derreurs

typographiques. Noublions pas que ce nest pas seulement la langue mais la socit elle-

mme qui est faite de structures de cette sorte de formes . Nous pensons quune telle

structure se situe entre la formule , comme structure bien tablie et l informe ,

comme structure virtuelle et provisoire. Elle peut tre voque par limage des

492
Blanche-Nolle Grunig et Roland Grunig, La Fuite du sens, Paris, Hachette, 1985, p. 7-8.
298

chemins sur la terre que Lu Xun emploie pour dcrire ce quest une esprance : Sur la

terre il ny avait pas de chemins. Ils ont t faits par le grand nombre des passants. 493

Cest leur usage qui a cr leur ralit, et non linverse. Cette ralit changera en fonction

de celui-ci. Doit-elle, peut-elle tre maintenue, sil change ?

3. Un jaillissement de llan vital


Au travers de ces diverses figures des slogans publicitaires considres du point de

vue de leur dviance linguistique, nous avons pu voir combien le jeu de langage

publicitaire puise lessentiel de ses ressources dans ltat actuel du systme linguistique

o se trouve la langue franaise. Ce qui est remarquable en ce sens, cest effectivement

quafin de trouver de meilleurs moyens de communication, la publicit a exploit

quasiment tous les niveaux de la langue, morphologique, phontique, smantique,

stylistique... et ce en recourant jusqu leurs plus infimes caractristiques.

Pourtant, noublions pas que notre objectif nest ni la recherche de telle recettes de

jeu de langage, ni lexamen de leurs techniques. Notre intrt rside ultimement en une

interrogation sur le fonctionnement social quimpliquent toutes ces dmonstrations

dhabilit ludique. Nous pensons que lessentiel de ce fonctionnement est

fondamentalement li aux aspects trembls du systme de la langue mobiliss et

exploits par la cration publicitaire.

En effet, le propre de ce fonctionnement social se trouve dans l effet ludique

produit pratiquement, en situation relle de communication. Nous constatons que cet

effet du slogan se manifeste tout dabord chez le public par un phnomne

d tonnement qui va induire l tat ludique . Il y a deux sortes de parcours. Dune

part, on constate des cas o cet tonnement produit, quasi instantanment, diverses

sensations comiques qui produisent tout naturellement et habituellement le rire ou le

sourire, avec le plaisir qui les accompagne. Mais, dautre part, cet tonnement peut dans

493
Lu Xun, Le Pays natal, in Cris (1923), traduit par Sebastian Veg, Paris, Rue d'Ulm, 2010.
299

certains autres cas crer, aprs une confusion momentane, quelque chose de plus

grave , divers tats tels quun vrai sentiment de choc, une surprise, un sentiment

dtranget, une impression dblouissement, une dsillusion, un engourdissement, un

dpaysement, etc.

Cest bien de ces deux faons que notre jeu de langage publicitaire se diffrencie,

par exemple, du mot desprit ou de lhistoire drle, loccasion desquels le sentiment

ludique est li quasi automatiquement un clatement de rire ou un sourire. Dans ces

cas, le motif du rire rside dans linteraction qui se produit entre les mots eux-mmes et

ce que connat gnralement le public. Par contre, dans notre jeu, ce jugement ludique est

dtermin par une condition spcifique : il sagit dune cration publicitaire fonde sur la

dynamique linguistique et perue comme telle par le public. Cest pourquoi il faut

considrer notre jeu de langage dans son double rapport simultan la nature de la

communication publicitaire et aux particularits de la langue. En ce sens, il faut repenser

la manifestation de ces slogans.

En ralit, le respect minimum d la forme des mots ainsi que le souci dun effet

positif sur les rcepteurs du slogan empchent le monde de la publicit dabuser des

ressources de la langue. On a vu que les slogans examins sont la rsultante de la

conjonction ncessaire dun maximum dexpressivit et dun seuil de rceptivit. Cest-

-dire que les slogans publicitaires sont les fruits dune ngociation. Pourtant, confront

ce caractre malgr tout parfois paroxystique que nous venons de constater, on en vient

se demander jusquo une telle dviance linguistique , souvent subtile mais parfois

aussi trs grossire, peut aller lencontre des normes en vigueur? Pareille interrogation

surgit notamment lorsque les expressions utilises ont une allure monstrueuse, ce qui est

assez frquent, tout en nayant par ailleurs aucune signification, faute de rfrent et

mme de rapport avec limage. Cependant, nous avons rappel par ailleurs que la

pratique langagire extrieure la publicit comportait bien davantage de monstruosit.

Ici, on peut penser que, tandis que le caractre monstrueux extra-publicitaire relve

de raisons srieuses issues des contraintes sociales, le monstrueux du langage


300

publicitaire, non soumis de telles contraintes, sera plus lger, fictionnel, phmre et

insouciant. Par ailleurs, le public reste bien conscient que ces diverses formes aberrantes

ne constituent pas de nouvelles modalits autorises. Cest pourquoi, elles peuvent

demble tre perues comme dlibrment ludiques et non comme inconsciemment

fautives. En un mot, cest dans ces aspects fictionnels, artificiels, thtraux que

transparat et que peut tre apprhende cette notion de jeu au sens o nous lentendons.

Cest grce eux que cette dviance est susceptible dapparatre comme irrelle .

Mais qui peut dnier que lirrel constitue une part non ngligeable du rel de la socit ?

En ce sens, cest au travers des caractres quils revtent que lon pourra mieux

comprendre la fonction de nos jeux. Michel Maffesoli crit :

Le jeu est stricto sensu le domaine de lirrel, du factice, il est important cependant
de remarquer que cet irrel ne constitue pas un obstacle majeur dans les
reprsentations sociales. En effet, si on se rfre aux ethnologues ou aux
anthropologues, lirralit nest pas une objection ou une apprciation pjorante, bien au
contraire, dans la facticit , lhomme archaque se sent trs proche de lessentiel et de
lauthentique. On peut mme dire que le jeu et la thtralit sont certainement les voies
les plus efficaces pour atteindre lordre du monde , au sens fort du terme, le plus
authentique.494

En ce sens, nous pouvons comparer ce rapport du jeu au rel limage du halo

lunaire, car la Lune nest jamais autant la Lune quavec son halo. Cela signifie que lon

pourra peut-tre mieux saisir le rel au travers de la notion de jeu, du jeu qui, comme une

aura, traverse le rel comme lirrel. Cest quand on envisage le jeu dans sa corrlation

avec le srieux que sa notion se prsente en effet comme chemin au monde , en

croire la caractrisation mme du jeu propose par Johan Huizinga : Le jeu est une

notion en soi. Cette notion, comme telle, est dun ordre suprieur celle du srieux. Car

le srieux tend exclure le jeu, tandis que le jeu peut fort bien englober le srieux. 495

Cest bien dans lexercice de cette fonction de jeu que lensemble des phnomnes

494
Michel Maffesoli, La Conqute du prsent, Paris, PUF, 1979, p. 153.
495
Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), op. cit., p. 83.
301

lis au slogan manifestent finalement un jaillissement dlan vital de la socit

franaise, au lieu de ntre que pure suite de jeux de mots sans consquence.

En fait, cest justement par un tel jeu superposant le rel lirrel ou vice-versa que

sexplique au mieux ce rapport entre normes linguistiques et dviance. Ceci revient dire

que le fonctionnement social li leffet ludique se base essentiellement sur les normes

linguistiques remises en jeu sous la forme de jeu. Le public se sent runi dans ce

sentiment primaire partag, car il est produit par un cart vcu semblablement au sein

dun univers linguistique commun. En dautres termes, cest sur lappartenance une

mme communaut linguistique que repose fondamentalement lensemble de ces

phnomnes de jeu, tantt brillants, tantt triviaux. De faon cruciale, il nous faut

reconnatre que le partage de ce jeu de langage se fonde sur la jouissance dune

communaut linguistique, qui constitue, la fois la cause et leffet du jeu et de la

cration publicitaire, en fournissant la fois leur point de dpart et leur point

darrive. Nous sommes persuads que la quintessence sociale de notre jeu de

langage publicitaire se niche dans un tel processus circulaire, en tant quy opre,

dune manire accentue , le sentiment dappartenir une mme communaut

linguistique.

Pourtant ceci nest pas ais tablir, car la subtilit du processus fait que ce jeu,

quoique peru, naccde pas vraiment la conscience et que le sentiment dappartenance

communautaire ne se manifeste jamais dune manire nette. cet gard, examinons les

ractions de nos interviews496, questionns sur ce quils pensent de toutes oprations

langagires que dploie le slogan publicitaire.

Tout dabord, Jean-Christophe, 31ans, adepte de la RAP (Rsistance lagression

publicitaire) et salari de cette association anti-publicitaire. Le livre No logo et Jean

Baudrillard ont t le dclencheur de son activit professionnelle. Pour lui, la publicit

est quelque chose de fait pour vendre . Provocateur de besoins artificiels, la publicit

496
Nous nous contenterons de prsenter ici un rsum des entretiens que nous avons faits auprs des trois
publiphobes et trois publiphiles franais. Nous citons nanmoins leurs expressions les plus caractristiques.
302

nest quune machine de guerre, un mensonge organis, de la propagande. La publicit

nest jamais posie, ni art. Quant aux phnomnes langagiers que manifeste la publicit,

il pense que ce ne sont que tactiques pour crer un choc en vue de sduire les

consommateurs. Pas de diffrence pour lui entre slogan publicitaire et slogan politique :

le langage publicitaire manipule les gens. La publicit par ailleurs abme la langue. Son

avis quant son rapport au langage se rsume ainsi : Je ne suis pas conservateur au

niveau de la langue. Je suis pour les volutions et pour les changements de la langue.

Mais pour vendre une voiture, non.

Claire, 67ans, participante la RAP, est participante fidle des campagnes anti-

publicitaires de lassociation. Cest la publicit ct de lcole qui lui a donn le motif

de cette participation. Pour elle, la publicit est un systme de socit pour vendre, et

une dictature du march . Plus prcisment, elle pense que le message publicitaire est un

conditionnement pour tondre les moutons et que la consommation se traduit par une

consoumission pour reprendre lexpression Franois Brune. Elle naime pas les

expressions nologiques et lemploi de on est traduit, par elle, comme con .

Finalement, la publicit dgrade la langue franaise.

Alain, 59 ans, que nous considrons publiphobe, se dit pourtant publiphage . Il

sait bien que la publicit est un mensonge, mais ceci ne le gne pas du tout. Au contraire,

il reconnat les exploits ingnieux de la publicit et des publicitaires. Comme il aime

bien le langage, il est particulirement intress par les divers jeux de mots dans la

publicit. Pour lui, le langage publicitaire est une manire pour la langue dvoluer .

Le slogan peut tre une forme de posie, mais cela en dehors de la volont des

publicitaires . Le flux des contraires dans la publicit est parce que cest efficace ,

la rptition est sensorielle pour la mmoire . Pour lemploi de on , il navait jamais

pens cela, mais cest plus puissant que nous . Il reconnat que la syntaxe et

lorthographe, la grammaire en franais sont difficiles . Les mots trangers utiliss dans

la publicit ne le choquent pas.


303

Quant aux ractions du public publiphile, voici dabord la raction de Jean-Marie,

56ans, concepteur de La Nuit des Publivores. Cet ancien publicitaire qui veut se faire

appeler conservateur de muse considre les casseurs de pub comme une minorit

qui font beaucoup de bruits coup de mdias. Pour lui, la publicit est avant tout de

linformation, au sens large . Le commerce, qui nest pas ngatif, est un lieu

dchange des produits et entre les gens . La pub doit faire rver les gens et donner

envie de rver . Il pense que le langage publicitaire est une forme de crativit qui

peut devenir une posie, mais ce cas est trs rare . Notamment, il dteste les fautes de

grammaire et dclare quil faut viter sur laffiche. Quant lemploi de on , il estime

que ce nest pas du franais , en interrogeant : on cest qui ? Quant lemploi

des contraires, il pense que cest pour marquer les gens, et a marche, en thorie .

Langue vivante, la publicit utilise selon lui la langue de la rue.

Guillaume, 27ans, publiphile, est ingnieur en informatique qui se dit pas

forcment publiphile . Il a particip une fois la La Nuit des Publivores par

curiosit . Ce jeune travailleur aime bien laspect cratif et surprenant de la publicit,

mme sil naime pas tre gn par de la publicit non dsire, au quotidien. Tous les

phnomnes du slogan sont pour lui des jeux de mots pour attirer lattention des

clients . En particulier, il considre que des contraires et des rptitions relvent du

manque de crativit du monde publicitaire .

Notre dernire interviewe est Nadine, 61ans, publiphile. Elle ne dteste pas du tout

la publicit, malgr des cas o elle [la] gne . Au mot slogan, elle voque dabord

Slogan, titre du film de Gainsbourg. Parmi les slogans publicitaires, elle adore Dior

jadore et trouve l informagicien trs mignon. Elle est choque par certaines

expressions crites telles que loup , givr et trouble par intrt et

Lintelligence attire lintelligence . Lexpression perdre la tte lui voque

quelque chose de vcu . Pourtant, elle ne donne pas le statut de posie certaines

formes potiques, puisquelles appartiennent la publicit . Face aux divers contraires,

elle remarque que la structure antonymique est plus importante que les mots eux-mmes.
304

Elle souligne que le a ne scrit pas et que pour les mots anglais, ils font partie de

la vie courante . Quant lexpression moins ordinaire , elle ne la jamais employe.

Lexamen de ces ractions nous montre que la fonction de lien social lie au

renforcement de lappartenance une mme communaut linguistique nest pas

consciemment perue par le public. Cette fonction sociale reste mme apparemment fort

loin de pouvoir tre reconnue par Jean-Christophe et Claire, combattants antipub qui

manifestent une aversion confuse et mme une irritation pour tout ce que fait la publicit.

Il semble que, chez eux, lidologie sous-tendant leur activit doive a priori recouvrir

celle-ci et les empche de pouvoir ladmettre comme un fait. Cependant, trs

contradictoirement, certaines remarques spontanes de Claire faites pendant lentretien,

o elle comparait, sans en mesurer la porte, des publicits de la posie en en

reconnaissant ainsi la qualit, montrent que la situation est complexe. Alain est quelquun

qui sait ce quest la publicit et qui pourtant reconnat sans en prouver de gne les

exploits langagiers de la publicit. Notons dailleurs que cette fonction nest pas mieux

reconnue chez les publiphiles. Ainsi Jean-Marie saisit bien le rapport entre publicit et

socit. Il est un amateur et mme un spcialiste de la publicit. Mais ce qui est

remarquable dans sa raction est quil affiche quand mme une aversion pour les

dviances grammaticales dans sa langue. Guillaume et Nadine, sans prjugs ni arrire-

pense, ne donnent quun avis assez vague face tels ou tels exploits du slogan.

lissue de ces entretiens, nous aboutissons cette conclusion que ces simples

questions ne permettraient pas de dcider quant un sentiment dappartenance une

communaut linguistique sur lequel jouerait la communication publicitaire. Nous nous

sommes donc rsolus interroger explicitement les interviews sur ce point, leur

demandant sils ne percevaient pas la prsence dun tel phnomne de lien social dans le

fonctionnement du slogan.

Face cette question, Jean-Christophe prtend que ce sont de simples techniques

de la publicit, faites pour attirer lattention des consommateurs . Guillaume nous donne,

lui, ce conseil : Il ne faut pas exagrer , en cartant implicitement un tel


305

fonctionnement. Dautres interviews se montrent peu persuads mais reconnaissent

quils ny avaient jamais pens auparavant . La rponse dAlain montre sans doute

assez bien cette attitude :

Le fait de rflchir la langue ou de jouer avec les mots. a peut faire comprendre un
petit peu mieux les sens des mots. Cest comme quand on cherche une tymologie dun
mot. Je pense que a peut avoir le mme rle. Je ne sais pas si cest vraiment au niveau
social. a, je ne vois pas trs bien.

Ainsi, mme en attirant lattention sur le phnomne, on ne pouvait sassurer de la

possibilit dune perception de son fonctionnement dans lordre social. Ce qui est certain,

cest que, comme les rsultats de lentretien nous le montrent, il na en tout cas rien

voir avec le degr dadmiration ou daversion pour la publicit. Cest--dire quil nest ni

volontiers reconnu et approuv par les publiphiles, ni automatiquement stigmatis et

rejet par les publiphobes. Il semble que la possibilit de sa perception, et mme de sa

reconnaissance, soit comme entrave par un certain nombre de croyances implicites et

trs communes quant lorganisation des systmes sociaux et lessence de la socit de

consommation, ou bien quelle soit occulte par certains allant-de-soi lis la doxa sur la

publicit et le langage.

Toutefois, comme labsence dune preuve manifeste de quelque chose ne vaut pas

pas preuve manifeste de son absence, cette absence ne prouve pas linexistence dun

phnomne que nous avons de bonnes raisons de tenir pour rel. Nous pouvons trouver

dj une cl dans ces paroles de notre interview Alain : Le fait de rflchir la

langue ou de jouer avec les mots. a peut faire comprendre un petit peu mieux les

sens des mots. Cela veut dire que le jeu de langage publicitaire est reconnu comme

pouvant faire accomplir cette action. Or, cest bien dans linduction dun tel

comportement que senracine ce fonctionnement social dont nous parlons. La

difficult vient du fait que ce genre de fonctionnement social ne se produit pas un

niveau conscient, directement perceptible. Alain lui-mme avoue son ignorance ce


306

sujet dans sa rponse. Peut-tre ce jeu de langage a-t-il pour effet, et peut-tre pour but

demi-conscient, de faire parvenir le public cette conscience, mais l encore, mme

chez le publicitaire, il sagit dun besoin demi-conscient seulement. Force nous est

donc dadmettre que le processus de ce fonctionnement social, bien quil puisse tre

dduit par lanalyse, sopre de manire inconsciente en situation de communication.

Nous pensons alors que ce rle social du jeu de langage publicitaire se droule

dune faon en quelque sorte analogue une exprience mystique dans le public. Pour

tenter dapprhender cela, rappelons-nous, en premier lieu, limportance du fait de

lappartenance une mme communaut linguistique. Cest le fait que producteurs de la

publicit comme public ont tous conscience quil sagit dune certaine pratique de la

langue franaise commune tous. Pourtant, cette conscience de partager, au sens o lon

se sert tous du franais en suivant ses codes grammaticaux et lexicaux nest pas explicite

et nassure pas elle seule le fonctionnement dun sentiment social. Celui-ci nadvient

que moyennant la concentration dattention sur le corps de la langue produite par le choc

de ltonnement face au bousculement des rgles. Cette attention saccompagne dune

sorte dnergie suscite par le lger sisme linguistique caus par la cration

publicitaire mme sil nest pas trs fort. Il sagit dune nergie qui est dgage en

raction laction de violer les normes, de ne pas respecter quelque chose de sacr ,

commise par le slogan publicitaire. Cette action de transgresser rveille inconsciemment

dans lesprit du public le sentiment que ce qui est bless est quelque chose de commun

comme fondement de lexistence sociale commune. Lessentiel nest pas ici lidentit du

mme code de communication partag, mais le fait quil soit ressenti comme quelque

chose de commun, dune manire rvocable, loccasion de sa transgression, qui

provoque une concentration dattention conscutive ltonnement quelle cause en

choquant. Cest en ce sens que le sentiment dappartenance une mme communaut

linguistique, une fois ainsi devenue conscient, peut renforcer la cohsion sociale.

Cette nergie rveille comme contrecoup du sisme est comme une puissance

mystrieuse qui provient de la violation de quelque chose de trop basique. Elle nous
307

force nous concentrer, de nouveau, sur ce quelque chose de basique et en prendre

conscience. On ne peut alors ignorer son existence, mme si lon peut la ngliger tant sur

le plan idologique quaxiologique. Il semble sagir dune forme de force mystique

semblable la force des fissures 497 que dfend Alain Mons.

Cest justement partir de ce caractre mystique que lon peut parler conjointement

dun autre aspect qui ressort de lexprience mystique. Mystique au sens o, malgr

lapparence individuelle de son apparition, cette exprience finira par tre

communautaire. Cela veut dire que devant une certaine publicit, le public, fait

dindividus en chair et en os spars spatialement, fait basiquement la mme exprience

parce quelle relve dun fond commun, mais surtout peroit que dautres individus

voient simultanment la mme publicit et ont ce mme sentiment. Sagissant du spot

tlvisuel, cette simultanit est massive et immdiate. Pour la publicit en magazine et

affiche, on se rend compte que lon participe nanmoins la mme communication, en

dpit dun certain dcalage spatio-temporel. propos de cette simultanit mdiatique de

la communication publicitaire, on peut se reconnatre dans ce que dit Fabio La Rocca

lorsquil parle de laffiche publicitaire en ville :

Combien de fois nous retrouvons-nous, en attendant les transports par exemple, tre
l, dans larrt du temps et de lespace, la regarder et donc entrer en communication
avec elle, et par voie de consquence, communiquer avec dautres individus qui
partagent temporellement le mme espace ?498

Cest ainsi que, bien que chacun des membres de ce public puisse penser que son

contact avec la publicit nest quune communication individuelle, il la sent

inconsciemment comme collective et elle finit par tre perue consciemment comme telle.

Dans cette logique, sous lapparence dune communication entre moi et la publicit,

la participation au jeu de langage publicitaire devient finalement une communication qui

fait de moi et eux un nous . Ceci parce que ce jeu ne peut se dclencher que

497
Alain Mons, La force des fissures , in Socits, n120, Bruxelles, De Boeck, 2013/2, p. 91-104.
498
Fabio La Rocca, La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS ditions, 2013, p. 227-228.
308

sur la base du fond commun dun ordre rgi par la relation avec autrui : les normes

linguistiques. tant donn que ce moi se dfinit comme moi entr dans dautrui ,

ce jeu de langage constitue aussi bien leur communication et donc notre

communication en mme temps. Dans les deux cas, ce qui compte est le fait que ce

moi disparat dans un cadre plus vaste.

Selon, Maurice Halbwachs, chaque objet rencontr, et la place quil occupe dans

lensemble nous rappellent une manire dtre commune beaucoup dhommes 499.

Nous terminerons en citant un autre texte de lui, encore plus explicite :

En mme temps quon voit les objets, on se reprsente la faon dont les autres
pourraient les voir : si on sort de soi, ce nest pas pour se confondre avec les objets, mais
pour les envisager du point de vue des autres, ce qui nest possible que parce quon se
souvient des rapports quon a eus avec eux.500

499
Maurice Halbwachs, La Mmoire collective (1950), Paris, Albin Michel, 1997, p. 195.
500
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 274-275.
309

Chapitre VI. Archaque juvnile, back to the future


Tirer du neuf de lancien ()
-Maxime dExtrme Orient.

Nous allons rencontrer maintenant un autre aspect du baroque : larchaque juvnile.

Cette figure repose, cette-fois, sur une tout autre faon de comprendre la dynamique

linguistique. Le point de dpart en consiste dans la considration de la langue et des

pratiques langagires comme dun ensemble de normes sdimentaires , qui

proviennent dun effet de figement bas sur lusage du langage, tant au niveau

linguistique quextra-linguistique. Le langage est alors envisag dans sa corrlation avec

les faits historiques et socioculturels. Une telle vision nous conduit naturellement nous

aventurer sur un autre versant de limaginaire langagier. Nous allons examiner, tout

dabord, en quoi cette vision concerne les slogans sous leur aspect de cration comme jeu

de langage, puis observer comment les slogans ainsi considrs affectent notre lien social.

1. Verwindung
Dans cette perspective, ce qui constitue lessentiel de la cration et du jeu jou par

la publicit sera un processus de reprise ou de distorsion , ce que signifie

Verwindung en allemand 501 . Pour que lemploi de cette notion se justifie, il faut

quexiste quelque chose qui soit dj-l , qui puisse fournir lobjet dune telle action.

Mais quest-ce qui constitue dans le langage un tel dj-l , capable de servir de

modle ou d archtype ? Pour le comprendre, il faut dabord se donner un autre

mode de comprhension formelle du langage. Si ce dj-l est considr comme un

lment dordre linguistique, le langage et son usage peuvent alors tre interprts

comme lensemble des rapports de figement et de non-figement. Sans doute, on ne

parvient pas toujours bien prendre conscience de cela. Cest--dire que ces rapports

501
Heidegger dsignait par Verwindung la reprise, acceptation, distorsion dlments archaques en une
situation contemporaine, en une actualisation au prsent. Cit par Michel Maffsoli, La Contemplation du
monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 105.
310

constituent une structure qui sest installe inconsciemment dans nos habitudes de la

langue. Considrer le langage de cette manire est, dailleurs, dun autre point de vue,

une vision nave et brutale. Mais il est trs important de bien comprendre ces rapports,

puisquils sont significatifs notamment par rapport lenjeu socioculturel du langage.

Il est donc ici ncessaire danalyser soigneusement en quoi consiste ce

figement dans le langage. Cela veut dire que certains lments linguistiques se

coagulent dans lusage, dune part, avec dautres facteurs non linguistiques et, dautre

part, avec dautres lments linguistiques. Il y a peu de cas o lon parle ou crit en

construisant ses paroles seulement par un recours des oprations linguistiques

purement transparentes, mcaniques ou mathmatiques. Peut-tre serait-ce possible

dans les cas o lon apprend une langue trangre, et ce pour un niveau de base. En

ralit, quand on sexprime dans sa langue maternelle, on se trouve le plus souvent

dans une situation o lon se sert, avec une intention rhtorique ou non, des lments

linguistiques dj figs comme tels en structures, quels que soient leurs niveaux :

lexique, prononciation, sens, syntaxe, expression, etc.

Il faut noter que ce sont des formes qui sont hrites telles quelles, et que nous

rencontrons et dont nous sommes donc plutt des utilisateurs. Il sagit des lments

linguistiques qui se prsentent sous une forme linguistique que tout le monde reconnat,

mais dont nul ne connat exactement lorigine. Ce sont des formes que nous avons

reues telles quelles, sans nous poser de questions sur leurs raisons dtre et leurs

origines, et que nous allons transmettre telles quelles, sans remettre en cause leur

devenir, de futures gnrations. Il sagit des expressions idiomatiques, des ides-

reues, strotypes linguistiques, des proverbes, des dictons, des lgendes, de vieilles

chansons, des titres de films, de diverses routines, etc.

Sagissant maintenant de la formation dun tel figement, on peut dire que son

processus a voir avec une vulgarisation de termes ou dexpressions, qui concernent

souvent un vnement ou un phnomne advenus une poque donne. lheure

actuelle, cette vulgarisation a lieu notamment au travers du dveloppement des


311

technologies de linformation et de la communication. Des paroles de personnalits

politiques, de clbrits, des titres de films, des propos lis aux vnements peuvent

ainsi tre rpandues puis se sdimenter, et ce, en un espace trs court, quelques

semaines voire quelques jours. Quel que soit le support de diffusion, verbal, mdiatique

ou lectronique, ce qui compte, cest quun usage innombrable se rptant

dinnombrables fois ait lieu au travers dune circulation du dire . Cette notion de

circulation est essentielle, parce que cest au travers de cette circulation que les

lments dj figs se consolident encore davantage et que de nouveaux lments en

viennent se figer leur tour au fur et mesure. Le propre de ces lments langagiers

figs est quils forment un bloc comme tels. Un bloc sous forme de formule ou

d image qui sont installes communment dans les cerveaux de tous les

contemporains. Ils forment ainsi, en tant que fixs et communs, de vritables normes

socioculturelles qui ont lautorit du dj-l et qui oprent dune manire

inconsciente lors de la communication.

Au demeurant, lessentiel de cette cration publicitaire et de ce jeu de langage, au

sens o nous les entendons, consiste alors reprendre ou dtourner ce bloc.

Cette reprise ou ce dtournement concernent donc non seulement la langue mais aussi

le code socioculturel.

2. Des traces archtypales ranimes


Observons prsent comment les slogans, en puisant dans divers lments

formant un dj-l qui reprsente un lment socioculturel sous forme linguistique,

le transforment en jeu de langage dans le cadre de la cration publicitaire.

2.1. Le retour aux origines


Comme premier aspect de ces phnomnes, nous pouvons constater un retour aux

origines, retour lorigine des mots et l origine de lhomme.


312

2.1.1. Un rensauvagement des mots


Nous allons commencer par considrer des slogans publicitaires dans lesquels ce

sont les origines des mots ou des expressions qui sont utilises comme motif de cration.

Nous avons tout dabord rencontr quelques slogans qui exploitent ltymologie :

Euphorie (Athnes 2004)


Anachronisme le jeu des temps (Jaeger-Le Coultre)
Vouvray Jeunes et clbres et vice-versa (Vins du Val de Loire)
2 camras : la vision recto verso (Nokia 6680)

Fig 40 Fig 41

Le premier slogan se prsente comme une entre dans un dictionnaire

dtymologie. Notamment en donnant la forme originale du mot en grec ancien

qui veut dire bien-tre, la publicit veut nous faire entendre quun grand

nombre de mots franais sont venus du grec. Puisque cette tymologie nest pas

vidente, laffiche ajoute une explication en petites lettres : Mot qui dsigne une

sensation dallgresse et un summum dmotion profonde. Il a t invent en Grce.

Est-ce la raison pour laquelle vous faites le plein de souvenirs intenses dun

environnement de dtente ? Choisissez la Grce pour des vacances paisibles.


313

Le deuxime slogan ne repose pas sur ltymologie, mais renvoie ltymologie,

avec laquelle il joue lui aussi, tant donn qu anachronisme signifie contre

temps : contre ana-( de bas en haut ou en sens contraire ) temps-khronos

( temps ). Dans les deux derniers slogans, on constate un recours des mots

directement emprunts au latin. Le mot vice-versa qui signifie rciproquement ou

inversement vient de lexpression tour (vice) renvers (versa) , alors que recto

verso (au recto et au verso, des deux cts) vient de folio recto et folio verso.

Ltymologie est comme le pays natal des mots . Sagissant de certains mots,

leur tymologie constitue le moyen suprme pour les comprendre. Quand on connat

aussi le contexte de leur formation, sil est dtectable historiquement, on a les

meilleurs lments pour comprendre ces mots. Soit par exemple limoger : quand on

apprend son origine historique lie la guerre de 1914 et la ville de Limoges, on

peut bien mieux comprendre ce que veut dire ce mot 502. On peut dire que dans ce cas

on sent le sens dun mot au lieu de seulement le connatre. Cest comme cela que

les mots et les choses sont perus comme proches 503. Pourtant, le plus souvent, le sens

tymologique des mots est loign de leur sens actuel. Par consquent, pour la

publicit, il nest pas ais de mettre profit ltymologie, surtout pour une page de

magazine ou une affiche. Cest sans doute pour cette raison que nous rencontrons

plus souvent des slogans qui reviennent au sens littral ou au sens brut des

mots ou des expressions, plutt quau sens tymologique.

502
Aprs les premires batailles de 1914, quelques gnraux qui navaient pas fait preuve dune grande
capacit furent relevs de leur commandement et envoys larrire, en partie Limoges, do ce verbe,
dont le sens prit bientt une extension plus grande. [Oscar Bloch et Walther Von Wartburg, Dictionnaire
tymologique de la langue franaise (1932), Paris, PUF, 1989.]
503
Ltymologie prsente un grand intrt. Elle peut tre une cl, non seulement pour dchiffrer les
rapports entres les mots et les choses mais aussi pour approcher du mystre de lorigine du langage de
ltre humain.
314

Protection sur mesure ? (Ford)


Bien entendu (Europe1)
Changez votre faon de voir (Xerox)
En Sarthe, on peut avoir la grosse tte (Sarthe)
Foncirement diffrent sur tous les points (Crdit foncier)
Megane Renault Sport. 225 chevaux et un chien (Renault Megane)

Figure 42

Tout dabord, la campagne de Ford joue avec lexpression sur mesure. Quand on
lemploie, cest normalement au sens figur spcialement adapt une personne ou un
but ou de faon personnalise. Mais le public fait face une image qui le reconduit son
sens littral : se dit dun vtement excut pour une personne en particulier. Puis, quant
bien entendu, on peut de nouveau saisir le contraste et le rapport entre le sens brut
percevoir le son et le sens figur compris comme il faut, qui valent tous les deux en
mme temps de nouveau ici. Et ainsi de suite, car on peut constater que cest quasiment
la mme faon de jouer qui est sollicite dans les autres slogans.
315

Fig 43

On doit noter que ce type de jeu se diffrencie du jeu sur le double sens, qui repose
sur lambigut smantique dun mot. Par exemple, le slogan Foncirement diffrent
sur tous les points ne suscite aucun trouble au niveau smantique. Cest seulement le
sens brut exprim par limage qui nous fait entrer dans le monde ludique. Ici, on peut
constater encore une fois que limage joue un rle dterminant. Les publicits prsentes
ci-dessus constituent, la fois, un jeu de mots et un jeu dimage.

Fig 44
316

En un mot, concernant ces slogans bass sur ltymologie et sur le sens littral ou

brut, lessentiel est que lon constate un rensauvagement des mots . Il nous semble

que lhomme moderne, lass du sens figur, trop connot et finalement abstrait, prend du

plaisir ce retour ltat brut des mots. En particulier, 225 chevaux et un chien nous

invite, par la prsence du chien rel, repenser lorigine de cette unit de puissance

valant pour un moteur : cheval-vapeur .

Ainsi, la nature de cet ensauvagement consisterait nous faire sentir de nouveau que
tous les mots et toutes les expressions que lon utilise ont une histoire et rappeler le
sens quils avaient quand ils taient encore jeunes et pleins de vitalit : leur sens figur
dont on se sert habituellement est comme ragaillardi par ce rveil de leur sens matriciel.

2.1.2. Baby inside : lenfant ternel


Dans cette mme tendance retourner lorigine et la jeunesse, portons
maintenant notre attention sur lhomme. Tandis que ltymologie est le pays natal des
mots, lenfance est ce lieu mythique pour tout homme. Cest tellement limpide
symboliquement que nous pouvons vite considrer deux images de la campagne dEvian
intitule Baby inside :

Fig 45. Baby inside 504

504
Evian a lanc en 2011 cette campagne Live young spirit , positionne sur la jeunesse et dirige par
son agence, BETC EuroRSCG.
317

Ces campagnes nous paraissent trs significatives pour deux points au moins. Dune

part, quant leur contenu, elles nous montrent peut-tre la physionomie globale de

larchaque comme figure du baroque et le leitmotiv de tout le jeu de la publicit. Dautre

part, quant au mode de communication, nous pouvons y percevoir un art suprme dans le

transfert du message par limage.

Cest justement ce que veulent dire les images ci-dessus que nous tiendrons

rechercher dans les slogans qui suivent. Intressons-nous, tout dabord, aux mots ou aux

expressions qui nous invitent retourner, comme tels, notre enfance, mais toujours sous

une forme crative et dans une ambiance ludique. Voici une publicit :

PASSEZ A VERSO (Toyota Verso)

Fig 46

Cette campagne a t prsente sur deux pages de magazine successives par astuce

crative. Quant au message, on peut songer un jeu sonore entre verso et berceau. Puis

nous avons deux slogans de mme type :


318

Fig 47

Parents bord (Grand monospace Citron C8)


Attention Compaq bord (Chrysler Voyager)

En France, ce sont quasiment tous les adultes, et notamment les possesseurs de

voiture qui connaissent cette formule Bb bord. Elle reprsente lesprit de prcaution

dans la pratique routire par le souci de protection des bbs. Sans doute une telle

formule existe-t-elle dans presque tous les pays, puisque cette proccupation de protger

les enfants est universellement partage. Par exemple, dans les pays anglophones,

lexpression homologue est Baby in car . Au niveau de la crativit, ce qui est crucial

est que quasiment tout le monde connat Bb bord comme une expression fige. Cest

ainsi quon peut percevoir dans Parents bord seulement une forme dtourne. Cest

seulement sur la base de ce figement que le dtournement peut apporter au public un

certain effet de choc en mode ludique.

Il y a bien-sr bon nombre de slogans qui nous incitent retrouver notre enfance,

du fait de la seule prsentation de mots et dexpressions. Ainsi :


319

Fig 48

Quand jtais petit, mes parents menfermaient pour me punir (Audi)


Aujourdhui, il suffit de dire maman pour composer son numro. Vous
pouvez aussi le crier (Pioneer)

Sagissant du premier slogan, il se peut que lenfance nait pas t euphorique et ne soit
donc pas objet de nostalgie pour tout le monde. Pour certains, leur enfance aura t plutt triste.
Pourtant, on peut considrer le message de ce slogan comme remmorateur ou vocateur dune
petite exprience pnible assez gnralement vcue sans que cela soit jug comme agressif.
Quant au mot maman, cest le mot le plus primitif de lhomme. Combien de fois un tre
humain a-t-il dit ou cri ce mot dans sa vie ? a ne se compte pas. Bien entendu, les
situations o un enfant crie maman et o un adulte crie maman sont trs diffrentes
dans leur fonction. Pourtant cette campagne pour une marque de tlphone portable sappuie
sur une image ludique, celle o mme un adulte pourrait crier maman sans quil y ait pour
autant du danger, parce quon veut retrouver par jeu la peur de son enfance. Cest en cela
quelle peut tre crative. La situation voque est prcisment celle o crier maman serait
injustifi. Donc drle. Et il ny a donc l aucune objection faire au fait que ce mot nous
rappelle notre enfance, puisque la situation montre est celle-l mme qui manifeste un tel dsir.
320

Venons-en prsent aux slogans qui reposent sur lvocation de lenfance. Cest--dire
quil sagit des ressources culturelles lies la priode de lenfance de forme verbale. Voici
quelques slogans :

Fig 49

ABRACADAbra (Wonderbra)
Il tait une fois le palace de demain (Plaza Athne)
Il tait une fois. Pas deux (Syfy)

Tout le monde connat ces fameuses formules. Tout dabord, la formule

dincantation Abracadabra est exploite par un effet de contraste entre les majuscules et

les minuscules, sans aucune autre image. Ici, labsence dimage nest pas du tout non

significative, car elle concentre toute, faute dautre chose, sur la formule et son cur, le

bra , en caractre gras, de Wonderbra. La magie agissait tout simplement par cette

seule formule en toute situation.

Le Il tait une fois sert de commencement aux contes de fes. Normalement il suffit

comme tel, sans que nous soit livre aucune prcision sur la temporalit, en particulier.

Cest une formule fige. Mais ces deux slogans nous causent un petit choc en revivifiant

cette formule. Pour cela, on lui a ajout malicieusement un complment. Ainsi, dans Il

tait une fois le palace de demain , ce demain nous trouble par son futur
321

contradictoire, joignant pass mythique et futurisme progressiste, veillant un doute qui

marque lesprit.

Fig 50 Fig 51

De mme, dans Il tait une fois. Pas deux , ce Pas deux nous fait comprendre

quun personnage ne passe quune seule fois dans un programme diffus sur Syfy, chane

spcialise dans la science-fiction505. Dans ce dernier slogan, ce Il tant employ

comme un pronom personnel non pas impersonnel, la formule fige, parce quelle est

rserve la temporalit du rcit , est totalement ranime pour une temporalit

relle .

Nous avons aussi deux slogans qui ont puis leur motif dans lvocation des fables.

Il ny a que dans les fables que la tortue arrive devant le livre (Audi)
Matre corbeau, sur un arbre ( ) (Mercedes-Benz)

505
Nous avons pu rencontrer exactement le mme type de slogan dans laffiche parisienne lt 2013 : Il
tait 2 fois Disneyland (Disneyland).
322

Fig 52

Les deux slogans mettent en uvre une connaissance commune des fables de La

Fontaine : Le Livre et la Tortue et Le Corbeau et le Renard. Lun exploite le contenu

global de lhistoire, lautre sappuie sur une phrase prcise. Le deuxime slogan prend la

forme dun jeu de devinette . Bien-sr, la rponse est perch, comme tout Franais le

sait.

En parallle, on pourra prendre en considration diffrentes formes verbales enracines


notamment dans les activits scolaires, tant donn quune bonne part de lenfance passe
lcole. Dabord, on peut faire appel aux comptines. Thoriquement, il sagit l non plus
dune seule phrase dterminante, mais de plusieurs phrases courtes qui sont numres et
souvent accompagnes dun air et mme dune gesticulation. Les cas les plus
caractristiques sont celles entendues dans les cours de rcration, par exemple : Am stram
gram pic et pic et colgram, bour et bour et ratatam, am stram gram. Pic ! ou Un deux trois
ciseaux, pierre feuille ciseaux ! Puis, il y a les routines de lapprentissage grammatical, de la
conjugaison et des tables de multiplication. Par ailleurs, on ne peut pas oublier les jeux de
mots enfantins traditionnels et notamment les charades506. En effet, ces divers types laissent
au publicitaire beaucoup de latitudes pour les valoriser selon les besoins de la marque ou du
produit. Pourtant, il nest pas ais dy recourir en une page ou sur un panneau daffichage.
Nous avons pu trouver ce superbe slogan :

506
Rappelons que le mode de composition de notre Prologue est emprunt cette pratique de la charade.
323

Quest-ce qui a 4 bras, 4 jambes, une tte et qui sent bon? Un papa (Sephora)

Fig 53

Dj sous la forme dun jeu de devinette , le slogan constitue un contexte


vectoriel, suffisant comme tel pour produire une ambiance ludique. Il y a par ailleurs un
autre type de campagne qui nous saute aux yeux, allant toujours dans ce mme sens
mais dune faon trs particulire :

Fig 54
324

Quand je serai grand, je serai constructeur de jolies villes ! (RegioinsJob)

videmment, on est surpris parce quil y a quelque chose qui ne va pas entre

limage et le message. Cest notamment labsence de guillemets, manifestant que ce

nest pas la citation dune parole denfant, qui suscite la non-conformit entre limage

(un adulte) et le message (prsentation dun rve denfant), qui sert de ressort au jeu.

Cette contradiction invite finalement le public adulte retrouver maintenant son

esprit denfance pleine de rves.

Cest ainsi que ces divers jeux avec des mots ou des expressions, au-del dun

simple ludisme, nous invitent revenir notre enfance, si enracine en nous-mmes. Ce

qui compte dans ce retour lenfance, cest quil sagit de quelque chose qui est mettre

en rapport avec un processus de rminiscence quasi platonicien. Parce que ce retour

ne se fait pas partir de souvenirs clairs et exacts, mais par des souvenirs vagues et

imprcis. Pourtant, cest quelque chose duniversel. Cest un point important. En dautres

termes, ce retour veut dire que tout un chacun, quels que soient son ge, sa classe, son

statut, est peu ou prou hant par la figure de l enfant ternel , qui demeure

inluctablement lintrieur de lui-mme. cet gard, lavis de Gilles Deleuze est

significatif :

On ne reproduit pas des souvenirs denfance, on produit, avec des blocs denfance
toujours actuels, les blocs de devenir-enfant. Chacun fabrique ou agence, non pas avec
luf dont il est sorti, ni avec les gniteurs qui ly rattachent, ni avec les images quil en
tire, ni avec la structure germinale, mais avec le morceau de placenta quil a drob, et
qui lui est toujours contemporain, comme matire exprimentation.507

Cest--dire que tous nous avons au fond de nous-mmes ces blocs denfance

toujours actuels. Que les images de la campagne dEvian apparaissent limpides en ce

sens ! Nous, adultes, pratiquer invitablement des purilits, montrons que nous

507
Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996, p. 96.
325

sommes rests un grand bb . En somme, remonter lorigine, cest vouloir par-l

redonner vie ce qui a tendance se sclroser, au travail, au quotidien, enfin la vie. En

ce sens, le retour ce temps de la vie gnr par ces publicits suscite une certaine

pousse de vitalit. Il sagit, selon lexpression de Michel Maffesoli, dune

rminiscence allant de pair avec reviviscence 508.

Pour terminer ce propos, remarquons quil est trs significatif de penser nos

propres enfants. Observer nos enfants, ce nest pas y voir, sur le plan temporel, notre

pass, ni la rptition future de notre vie actuelle, mais y voir, la fois, notre enfance

et l avenir de lhumanit . Dune part, nos enfants sont des tres dpendants puisquils

sont ns par nous ; dautre part, ils sont des tres indpendants de nous-mmes, car ils

sont venus au monde travers nous sans savoir pourquoi. Ils vivent, sous laspect du

prsent, notre pass et notre avenir. Contempler ces petits tres merveilleux ne serait-ce

pas l un back to the future ?

2.2. Le bon sens remis mal


Alors que dans les slogans examins prcdemment, ctait le retour lorigine qui

tait sollicit, les slogans dont on va ici soccuper sont fonds sur les lments qui, bien

quils soient archaques, vivent encore dans notre actualit plus ou moins contemporaine.

Ils reposeraient sur ce que lon appelle le bon sens . En effet, la cration publicitaire le

sollicite normment, car la publicit sappuie, de par nature, sur les connaissances les

plus partages par le public.

Or, si lon considre ce bon sens du point de vue de la sdimentation que nous

avons envisage, il sagit de formules figes . On a dj fait allusion ces formes

linguistiques. Si ces formules figes nexistaient pas dans la langue franaise, comme

dans les autres langues, le slogan publicitaire perdrait lun de ses appuis les plus prcieux.

Objet modeste de la langue, puisquelle ny est que trace de sclrose et sdiment, la

508
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. VIII.
326

formule fige va devenir un instrument de provocation remarquable. Nous allons

examiner dun peu plus prs ce quest une formule fige. Elle constituera en effet la

notion essentielle examiner non seulement dans lanalyse qui va suivre mais aussi pour

clairer toutes les figures archaques traites dans ce chapitre.

Nous avons dj trait plus haut quelques types de formules figes. Reprenons, par

exemple, Il tait une fois. Ceci constitue un tout dont les parties ont perdu compltement

leur autonomie. Les caractristiques de la formule doivent tre respectes dans leur

intgralit. On peut dire que cette immutabilit est la condition mme de son existence.

Du point de vue smantique, cest le tout de la formule fige qui a un sens global, qui ne

sexplique pas totalement par la combinaison des sens de ses parties comme la syntaxe

lautorise. Dans le cas contraire, si lon fait comme si ctait le cas, on obtient le slogan

Il tait une fois. Pas deux (Syfy).

Pour cette formule, le principe fondamental assurant son existence est le figement.

ce titre, Il tait une fois est une formule fige et, la fois, lexicalise comme telle.

Cest dire que cest une forme du lexique de la langue que nous devons apprendre par

cur. La langue a bloqu un sens pour la formule globale et le tout de ce sens nest pas

ramenable ce que livrerait un calcul sur le sens de ses composants. De fait, cette

logique sapplique dautres sortes de formules, telles les proverbes ou les titres de films

une fois devenus clbres et centres de rfrence, donc fixs et immuables. Et cest cela

qui intresse les slogans. Dune manire gnrale, le plus souvent, la formule fige a ses

lettres de noblesse. Elle est reconnue, inscrite dans le grand registre de la langue et de la

culture. On ne peut pas linventer. Elle est dj-l , la t et le sera. Sa longue vie

dans la langue et la culture communes lui ont permis dtre solidement mmorise et

dtre dsormais profondment prsente pour chacun de nous.

Il faut souligner que ce statut de formule fige, version linguistique du bon sens,

nest pas rserve des formes dj-l , transmises de gnration en gnration. Pour

que certains lments linguistiques parviennent cet tat de formule ternise, le

figement a lieu et opre, en ce moment, au cur de notre vie actuelle. Par ailleurs, on ne
327

doit pas oublier que laccs ce rang de formule fige nest jamais un apanage rserv

certains domaines culturels, plus ou moins prestigieux, tels que proverbes, maximes,

chansons, littrature, film, etc. En effet, comme le bon sens concerne tout domaine de la

vie, elle peut apparatre dans toutes les dimensions de notre vie.

En ce sens, nous allons examiner deux cas que nous croyons devenus bien figs, et

cela plus ou moins rcemment. Le titre du film, Il faut sauver le soldat Ryan509, a atteint

ltat de formule fige. Il est si bien devenu une formule fige quil est dj remploy

et dtourn par les mdias, par exemple : Faut-il sauver le soldat Sarkozy ? 510. Cette

nouvelle forme avec modification nest-elle pas la preuve vidente que ce titre de film est

devenu une formule fige ? Le fait que ce soit un titre de film nous amne une autre

question. On pourrait remettre en cause le processus par lequel il a pu devenir une affaire

de langue. Un modeste titre de film, mais ce nest pas l son tout. Pour y voir plus clair,

on va le comparer un autre titre de film, Titanic. Bien que ce film ait eu un grand

succs en France comme dans le monde entier, il a peu de possibilit de devenir une

formule fige linguistique. Cest quil a beaucoup moins de signification et de

disponibilit compositionnelle compar Il faut sauver le soldat Ryan, pour pouvoir

enrichir lusage de la langue en laissant des traces et des semences langagires parmi les

membres dune mme communaut linguistique.

Lautre cas est significatif en ce sens quil relve dun fait divers de la socit. Il

sagit de linscription : Omar ma tuer. Cest un cas o une phrase implique dans une

affaire criminelle511, est devenue une expression fige par mdiatisation. Elle est devenue

509
Film ralis par Steven Spielberg, sorti en 1998. Son titre original est Saving Private Ryan.
510
Dans le cadre de lmission Politiquement Show sur LCI, diffuse le 29 septembre 2012, prsent par Michel
Field. On peut, dailleurs, plaisamment entendre Politiquement Show comme Politiquement Chaud.
511
L'affaire Omar Raddad est une affaire criminelle trs mdiatise portant sur le meurtre de Ghislaine
Marchal en 1991 sur les hauteurs de Mougins, meurtre dont Omar Raddad, jardinier employ cette
poque par la victime, a t reconnu coupable par la justice, bien qu'il n'ait jamais cess de clamer son
innocence. Dfendu par Me Jacques Vergs, Omar Raddad est condamn en 1994 dix-huit ans de
rclusion, mais bnficie d'une rduction de peine la suite d'une grce partielle en 1998. Omar Raddad,
qui rclame une rvision de sa condamnation en 1994 pour le meurtre de Ghislaine Marchal en 1991, a t
reu au ministre. La clbre inscription en lettres de sang : Omar m'a tuer , prsente sur la scne du
328

clbre cause de la faute d'accord de l'inscription Omar m'a tuer au lieu de Omar

ma tue . Cest cette faute qui est souvent rutilise comme telle et notamment avec un

dtournement dans des titres de presse, par exemple, Omar m'a chapper , Chirac

m'a gracier , Internet ma tuer ? , etc.

Ce qui compte dans ces deux cas, cest que leur figement a t assur par la
circulation du dire . ce sujet, nous devons souligner que ce qui les a fait tenir dans
cette circulation, cest plus le mode de leur expression que son contenu. Pour employer Il
faut sauver le soldat Ryan, peu importait de savoir qui tait le cinaste ou si le film
traitait de la Premire Guerre mondiale ou de la Seconde Guerre mondiale. De mme,
pour Omar ma tuer, il tait peu important de savoir si cet homme tait jardinier employ
ou sil tait vraiment coupable.
Certes, on ne doit pas gnraliser concernant un tel processus. Il semble quil
sagisse cependant plutt de choses qui ont t connues dun grand public et vcues par
tous ensemble. Cest pourquoi on pourrait dire que cette grande circulation du dire ntait
pas due seulement la force des expressions mais aussi leur contenu. Nanmoins, avec
le temps, ces contenus tendent seffacer petit petit. Un long espace de temps aprs, les
expressions seules demeureront. Ainsi, on peut dire finalement que la circulation des
mots est un nomadisme du signifiant .
En consquence, ce qui est essentiel dans cette circulation et dans le figement
formulaire quelle cre, cest le fait que lon est mis au courant de ces expressions et
marqu du fait de leur force, de leur pouvoir de suggestion, pas forcment de leur sens
prcis. Ce pouvoir est mme li ce flou qui les rend applicables un peu partout. Cest ce
fait mme qui constitue leur bons sens . Cela peut paratre bien paradoxal des esprits
srieux, mais cest pourtant ce qui se passe en ralit. Il nest pas besoin de connatre
lorigine de tels proverbes ou de tels titres de films, de chanson, de livre... Ce qui compte
est de connatre leur existence.
Cest ainsi que dans la vie quotidienne, il y a beaucoup de formules figes, qui
jouent, bon gr mal gr, comme autant de normes socioculturelles. Divers phnomnes et

crime, reste l'aspect le plus clbre de cette affaire des plus marquantes de la socit franaise des annes
1990. Un film, Omar ma tuer, est sorti en 2011 en France.
329

vnements constituent, du fait de leur large vulgarisation de divers ordres, des


connaissances ordinaires , un fonds commun possder pour tre au courant . Du
fait de cette familiarit profonde, certaines traces linguistiques parmi ces rfrences
communes se figent par nomadisme du signifiant. Ces formes figes, constituant des
bons sens , gouvernent, notre insu, lusage de notre langage, tout fait comme
dautres normes socioculturelles. Cest dans cette perspective que nous allons, enfin,
examiner dans quelle mesure la cration publicitaire puise ses ressources dans les bons
sens et la formule fige.

2.2.1. Le fonds culturel classique


Commenons par examiner des slogans publicitaires dont la matrice crative se
situe dans le domaine culturel au sens classique du terme. Bien videmment nous
pouvons parler des proverbes et des maximes. Parce quils constituent le prototype mme
du dj-l par rapport aux autres lments culturels existants sous forme linguistique.
Issus dune sagesse venue du fond du temps et des gnrations, ils offrent une rserve de
formules figes, qui sont exploitables pour des slogans de plusieurs manires. En voici
quelques-uns :

Fig 55
330

Aprs la pluie, le beau temps (Office national du Tourisme de Thalande)


Ne mettez pas tous vos ufs dans le mme panier (Carrefour)
When in Rome do as the Romans do (Talentvillage)

De manire gnrale, les proverbes et les maximes sont universellement partags

dans le monde entier. Ils sont toujours disponibles dans la vie quotidienne pour une

intervention automatique propos de toutes sortes de situation, nous en livrant un

commentaire prfabriqu. Cest--dire que dtenteurs dune force remarquable, tant au

niveau smantique que mmoriel, ils sont tout prts tre utiliss comme tels. Les

slogans publicitaires profitent de ce caractre, en les citant ou en sinscrivant dans leurs

formes originelles. Ce faisant, ce moment les proverbes et les maximes qui nous

habitent tout faits se transforment purement et simplement en slogans publicitaires.

Pourtant, on y ajoute certains effets. Ainsi, le premier slogan donne un effet la pluie ,

en le traduisant comme tremp par la pluie. Le dernier slogan prsente la maxime,

calque du latin, en version anglaise, au lieu de la traduire en franais : Rome, fais

comme les Romains . Une version anglaise du message dans lespace franais constitue

dj un geste dune certaine crativit. Intressons-nous maintenant dautres slogans,

qui jouent dune autre faon :

Fig 56
331

L( ) confirme la rgle (Mercedes-Benz)


En avril ne te dcouvre pas dun ( ). En mai fais ce quil te ( )
(Mercedes-Benz Millesima)

En effet, il ny a aucun secret dans la production de ces slogans. On peut


immdiatement comprendre quils se prsentent sous la forme dune devinette . Ils
invitent ainsi le public retrouver les formules originelles, les deux fameux
proverbes : Lexception confirme la rgle et En avril, ne te dcouvre pas dun fil. En mai,
fais ce quil te plat. Mais nous pouvons par ailleurs trouver dautres types de slogans qui
sappuient sur un procd plus complexe, comme les suivants :

Un bonheur narrive jamais seul (Wanadoo)


Tout ce qui brille nest pas forcment neuf (Mercedes-Benz Millesima)

Fig 57

La recette publicitaire qui permet ici dexploiter la formule fige est une opration
de substitution. On remplace un morceau dun proverbe par un morceau diffrent, qui
doit tre significatif par rapport au produit ou la marque. Ici, ce sont Un bonheur et
332

neuf . En effet, ce sont ces lments trangers qui constituent une intrusion dans la
formule fige. Vis--vis des tels slogans, des formules figes mutiles, le public, en
position de dcrypteur, doit avant tout retrouver les originaux de ces formules figes dans
un coin de sa mmoire. Ce faisant, il participe utilement au jeu. Ainsi, il sagit ici de Un
malheur narrive jamais seul et de Tout ce qui brille nest pas dor. En fin de compte,
dans chaque cas, deux formules coexistent dans nos esprits. La formule modifie quest
le slogan et la formule originelle qui est la formule fige. Cest sur cette coexistence
momentane dans nos esprits des deux formules qua pari la cration publicitaire pour
que le jeu russisse.
Nous venons de constater que le proverbe et la maxime sont exploits dans le
monde publicitaire au travers de trois procds : prsentation dune formule originelle,
devinette et substitution. Dautres lments appartenant au fonds culturel entrent dans le
monde des slogans en adoptant galement lun de ces trois procds. Tout dabord, cela
nous est confirm pour le domaine littraire.

Le comptoir dun caf est le parlement du peuple -Honor de Balzac


(France Boissons)

Tout en valorisant ce que signifie le passage, ce slogan sappuie compltement sur


la rputation dHonor de Balzac. Ainsi, ce slogan a le mme statut qua un proverbe.
Puis nous rencontrons galement plusieurs slogans devinette :

Fig 58
333

Belle ( ), vos beaux yeux me font mourir damour (Mercedes-Benz)


Nous partmes ( ) ; mais par un prompt renfort, nous nous vmes ( )
en arrivant au port (Mercedes-Benz)
Un seul ( ) vous manque et tout est dpeupl (Mercedes-Benz)

Ces slogans, le public est invit les complter en recherchant leur forme originelle, quil
a apprise pendant son ducation scolaire ou dans sa famille. Les rponses ce jeu de devinette
sont dans lordre : marquise ; cinq cents, trois mille ; tre. Ainsi, la publicit puise dans le
monde de la littrature en recourant des citations de grands auteurs. Mais en pareil cas, il faut
bien sr que les morceaux cits soient trs connus, comme ici : Le Bourgeois Gentilhomme de
Molire, II-4 ; Le Cid de Pierre Corneille, acte IV, scne 3 ; LIsolement de Lamartine.
En ce qui concerne les citations littraires, il faut remarquer que la crativit publicitaire
ne peut solliciter les lments les plus prestigieux et qui sont les plus partags culturellement.
Seulement alors pour le public franais, ces jeux de devinette pourront passer, notamment chez
le public cible de Mercedes-Benz comme ces slogans lesprent. Pourtant, on ne peut
dempcher de penser que ces citations littraires restent ignores dune bonne partie du public
franais et pas seulement du public tranger qui nest pas imprgn de civilisation franaise.
Pour eux, ces jeux ludiques se transforment en de vraies nigmes, ces slogans devenant des
problmes plus difficiles que ceux de mathmatiques, puisquils nen ont pas les donnes.
Bien-sr, dans certains cas, les slogans recourent des titres duvres qui ne peuvent tre
ignors, comme ici :

Vivez un conte de 2 jours et 1 nuit (Disneyland Resort)

En effet, le public peroit sans difficult que ce slogan vient des Mille et une nuits, ce recueil
anonyme de contes populaires dorigine persane et indienne qui est devenu un monument de
lhistoire culturelle mondiale. Si la substitution est possible, cest que 2 jours et 1 nuit qui est
banalement utilis dans le domaine du tourisme et de lhtellerie et qui pourrait masquer
lallusion nest pas seulement relev par le terme conte qui le prcde mais aussi par limage
merveilleuse de laffiche.
334

Fig 59

Les chansons ne peuvent pas ne pas participer cette pratique des jeux sur des formules
figes, tant donn que ce sont elles qui sy prtent le mieux. On noubliera pas que les paroles
des chansons mmorises dans nos cerveaux constituent, par elles-mmes mais aussi grce la
mlodie qui les accompagne, des formules figes verbales idales. Voici quelques slogans :

Fig 60
335

Vive le vent... vive le ( ), vive le ( ) dhiver... (Mercedes-Benz)


Ah, je ris de me voir si ( ) en ce miroir ! (Mercedes-Benz)
Toi toi mon toit (Citron)

Deux slogans de Mercedes-Benz nous invitent presto deviner sans grande difficult
les lments manquants des formules figes. Ainsi, vent pour le chant populaire de Nol et
belle pour la chanson de lopra Faust de Gounod. Le dernier slogan rutilise la chanson Toi
mon toit (1986) dElli Medeiros.
Soulignons, en particulier, la disponibilit norme que reprsente le support des
chansons. En recourant aux chansons enfantines, on pourrait improviser plaisir, par
exemple, la manire de Mercedes-Benz : Sur le pont dAvignon, on y ( danse ), on y
( danse ) ou Ton moulin ton moulin va trop ( vite ) ton moulin ton moulin va trop
( fort ) . Ou bien, avec les paroles de vieilles chansons trs populaires, on peut samuser ce
jeu de devinette sans difficult : Avec le temps, va, tout (sen va) (Leo Ferr). Plus
difficilement, mais pourquoi pas, avec des chansons succs plus rcentes, par exemple :
Un ( SMS ) vient darriver jai 18 ans (Michael Miro). L, on retrouve lalternative entre
grandes valeurs sres du pass et clats phmres mais suffisamment vifs de lactualit. Par
ailleurs, on trouve un slogan qui a dtourn le titre du film Le Diable shabille en Prada.

Fig 61
336

Le diable shabille en Panda (FIAT Panda)

Bien-sr, le public na pas besoin davoir vu le film, ni den connatre le sujet, mais
pour que le jeu passe, il doit tre au courant au moins du titre. Sinon, ce slogan ne lui dira
rien et deviendra pur charabia.
Intressons-nous encore deux slogans qui font appel la lgende dans le recours
au fonds culturel classique, pour tirer parti du Mystre et de lAncien.

Fig 62

Le Yti existe. Il a mme le permis (Toyota)


Dorele. Ainsi se construit une Lgende (Dorele)

Lun recourt humoristiquement la lgende du Yti, labominable homme des Neiges


et lautre tente de sinscrire dans laura du lgendaire, du sans ge, soutenu par limage.

2.2.2. Les formules vagabondes


Les bons sens et les formules figes ne se limitent pas au domaine du fonds

culturel, nous allons maintenant nous occuper dautres matriaux. En effet, il y a


337

beaucoup dautres lments linguistiques qui parviennent au statut de formule fige. Il

sagit de diverses sortes de suites de mots toutes faites, qui nous habitent dans notre vie

quotidienne et relationnelle. Le monde publicitaire noublie pas de les prendre en compte

pour son compte. Ce sont des squences de mots qui sont comme des paroles rituelles,

accompagnant un droulement prtabli, norm, conventionnellement fig. Cest en effet

ce genre de paroles qui nous est le plus familier dans la vie quotidienne. Ce type de

slogans se prsente sous les divers aspects que nous avons distingus plus haut, mais sans

que lon puisse y distinguer un genre modle. Abordons notre propos avec deux petits

slogans :

Dites cheese (Siemens mobile)


Un mouton... deux moutons... ce nest pas un rve, cest lIrlande
(Ireland)

Comme on le constate ici, la cration publicitaire se contente de rexhiber certaines

formules sans y adopter aucune modification ni aucun supplment. Cest que lon est

convaincu que ces formules seules suffisent, quelles agissent elles toutes seules pour

influencer, dune manire universelle, tout public, comme les proverbes ou les lgendes

vus plus haut. Cest--dire que la formule Dites cheese et la pratique de compter les

moutons pour dormir sont jugs comme ncessairement plaisantes pour le public.

En ce qui concerne le type devinette , Mercedes-Benz nous offre encore une

fois une srie de bons exemples :

( ) appeal (Mercedes-Benz)
Son ( ) Srnissime (Mercedes-Benz)
Trop ( ) pour tre vrai (Mercedes-Benz)
Veni, vidi, ( ) (Mercedes-Benz)
( ) sweet ( ) (Mercedes-Benz)
Qui maime me ( ) (Mercedes-Benz)
338

Fig 63

Il nous semble que devant de telles publicits, le public se trouvera comme tout
naturellement, sans sen apercevoir, en train de se rjouir de compter les formules originelles.
Toutes ces expressions sont tellement inscrites dans nos mmoires que lon parvient les
rcuprer sans effort : Sex appeal ; Son altesse srnissime ; Trop beau pour tre vrai ; Veni
vidi vici ; Home sweet home ; Qui maime me suive. .
On se rend compte que ce fonds populaire auquel se rfrent les jeux de devinettes
ci-dessus est moins difficile mobiliser que le fonds de littrature classique exploit par la
mme marque. Cest que les formules figes du type ci-dessus sont bien plus universellement
rpandues, dusage bien plus frquent dans lensemble de la vie, que les citations littraires,
mmes trs clbres. Quant aux formes qui pratiquent la substitution, nous en avons plusieurs
manifestations venues de diverses origines :

Libert dexpresso (Delongghi)


Six appeal (FIAT Multipla)
Very Important Product (Habitat)
Je sais donc je suis (CNN)
Numriquement vtre (LG)
Athnes vos marques (Le Figaro)
Libert, galit, festivits! Votez Vico, le roi de l'apro (Vico)
Un petit pas pour lhomme, un bond pour sa femme (LG)
339

Fig 64 Fig 65

Leur inscription mmorielle les rend facilement rcuprables et utilement sensibles

toute altration. Les formules originelles exploites sont bien videmment : Libert

dexpression ; Sex appeal ; Very Important Person ; Je pense donc je suis ; Cordialement

vtre 512 ; Attention vos marques ; Libert, galit, fraternit ; Un petit pas pour

lhomme, un bond pour lhumanit. Faisons remarquer que Six appeal est bas en

outre sur le jeu phontique de la ressemblance entre sex et six.

Par ailleurs, la campagne de Vico a t lance juste avant llection prsidentielle

de 2012. Vico part en campagne avec un message de convivialit et de festivit adoptant

la forme dun slogan politique, pour mettre l'honneur sa mascotte en la prsentant

comme devant prsider tout apritif. Mais, au fond, cest que face la lassitude des

Franais devant le dbat prsidentiel, la marque des chips a pris le parti d'imposer

ironiquement aussi sa mascotte comme candidat une lection. Cest ainsi que la

publicit ragit, souvent et mme toujours, aux circonstances513.

512
En fait, il ny a pas dexpression unique rpondant cette formule et Amicalement vtre est aussi
possible. Par contre, pour les anglophones, le slogan quivalent est Digitally yours qui, lui, tire son
origine de la formule Sincerely yours.
513
cet gard, la campagne de Virgin mobile nous donne un exemple clairant. Cet oprateur de
340

Fig 66. Libert, galit, festivits !

Or, dans ces jeux de dtournement de formules de diverses origines, lessentiel est

que lon prouve le mme sentiment de violation ou derreur. Ceci parce que, dune

manire gnrale, ces formules originelles sont ressenties, de par leur profonde

inscription dans la mmoire, comme devant tre scrupuleusement respectes dans leur

lettre mme. Ainsi, elles sont comme de vritables normes, comme des conventions

inviolables. Cest pourquoi leur moindre altration choque le public. Dailleurs, elles

peuvent encore mieux tre perues comme des formules figes dans le contraste que

crent ces slogans scandaleusement dtourns du genre : Un petit pas pour lhomme,

un bond pour sa femme . En dautres termes, la publicit devance le public par la

manipulation. Le public est surpris, dans un premier temps, par linattendu, et il cherche

se rassurer, instantanment ou quelques secondes plus tard, en retrouvant dans sa

mmoire la formule originelle et en la rtablissant.

tlphone mobile a lanc, en janvier 2013, une campagne avec ce slogan cynique : ce prix-l, je
reviens en France . Dans limage, un gros chien fait allusion Grard Depardieu. La campagne se
moquait indniablement de cet acteur national, qui avait suscit une norme polmique par son exile fiscal
en Belgique.
341

2.2.3. Les expressions idiomatiques


La force de la vision du rapport qui existe entre bons sens et formule fige est de

permettre de recouvrir jusquaux lments figs au sein mme de la langue. Il ne faudra donc

pas omettre les formules figes qui ne se caractrisent pas de faon grammaticale : les

expressions idiomatiques . En fait, celles-ci existent dans toutes les langues, franais,

anglais, italien, coren, chinois, etc., car ce sont des lments linguistiques absolument

ncessaires au fonctionnement du langage. Comme ce sont des expressions qui fonctionnent

souvent grce une image, on parle aussi d expression image . Lexpression image est

souvent propre un certain langage. Par exemple, en franais, tomber dans les pommes veut

dire svanouir. Il n'y a qu'en franais qu'on dit cela, et la quasi-totalit des Franais qui le

disent ne sauraient expliquer pourquoi des pommes plutt que des fraises. Quand on a de

linfluence ou bien que lon peut compter sur celle damis ou de relations haut places, en

franais on parle davoir le bras long, alors que dans le mme cas, en coren, on dit avoir le

pied large ; en franais, quand on ne voit personne, on dit il ny a pas un chat, mais, en

coren, il ny a pas un rat.

Le franais dispose beaucoup d'expressions telles que : tout feu tout flamme ; ni queue

ni tte ; mi-figue mi-raisin ; entre chien et loup ; poser un lapin ; casser sa pipe ; parler

btons rompus ; jolie comme un cur, etc. Souvent de telles expressions sont un casse-tte

pour les trangers apprenant le franais. Les Franais les utilisent mme sans pouvoir les

expliquer, sans se poser de questions, comme des proverbes. Ce sont des formes

linguistiques qui se sont figes autrefois, particulirement selon le registre dimages propre

la langue franaise et qui fonctionnent, actuellement par tradition, comme des normes dans

lusage du langage dans la vie courante. Le monde de la publicit trouve un intrt ces

proprits. Voici quelques exemples que nous avons pu rencontrer :

La bourse tout petit prix (Socit gnrale)


tre dans les airs comme un poisson dans leau (Lufthansa)
Belle comme au premier jour (Mercedes-Benz Millesima)
Un confort votre image, cest simple comme DolceVita (Gaz de France)
342

Fig 67

Voir ces slogans produire un effet bien trange. Ces expressions pourront mme

tonner une partie du public. Peut-tre ces genres de formules sont-ils mme plus

difficiles recevoir que des formes nologiques comme innovatique , spacte ou

modtro . Le premier slogan joue sur la parent phontique entre tout petit prix et

tout prix pour crer un effet de confusion. tout prix veut en effet dire nimporte

quel prix, mme lev ce qui est le contraire dun tout petit prix . Sont donc fait entrer

en collision les simplifications de valeur maximale et de prix minimal. De plus, comme

tout prix est une expression fige, elle doit tre respecte tout prix, cest le cas de le

dire, dans toute situation. Mais on y a insr un petit morceau petit . Le bloc tant

cass, le public est surpris. Ce grain de sable tout petit bloque lhorloge mcanique de

lhabitude.

Les trois slogans sappuient respectivement sur les expressions, tre comme un poisson
dans leau, belle comme le jour et simple comme bonjour. Le point commun est quils
exploitent des expressions en sappuyant sur leur comme, introduisant une comparaison
destine caractriser un tat, un comportement ou une action. Mais elles sont toutes donnes,
fixes donc figes comme telles par un usage souvent fort ancien de la langue. Ainsi, comme
343

faons de parler propres la langue franaise, les expressions idiomatiques relvent de


diffrents niveaux de langue, jusqu des formes littraires ou rhtoriques. Mais, entre la
mtaphore et la mtonymie, cest celle-ci qui est la plus adquate pour le jeu de dtournement
auquel se livrent les slogans comme ici, tandis que la mtaphore reste de nature plus ouverte
par rapport au figement.

2.2.4. Quand la publicit devient archpub


Comme derniers types de slogans relevant des bons sens, il se trouve des cas o la
publicit exerce sa crativit en puisant dans le sdiment linguistique accumul par sa propre
activit. Cest--dire que certains messages publicitaires qui ont obtenu un gros succs ont pu
accder eux-mmes au statut de formule fige, et la publicit va alors revaloriser de tels
messages autorfrentiellement. Ainsi, dans ces cas trs particuliers, on peut dire quun auto-
approvisionnement a lieu, pour autant quun slogan de la publicit est devenu archtype ,
donc archpub .

Avec Vittel, je rcupre ! (Vittel)


Mieux consommer, je positive (Carrefour)

Face ces deux slogans, on ralise en effet quils sont la r-exploitation dune
formule fige, quant leur structure ou leur vocabulaire, du fameux slogan publicitaire
Avec Carrefour, je positive. Le slogan de Vittel a repris la structure Avec X, je Y en
remplaant tous ses termes sauf avec et je. Pourtant, ces substitutions nempchent pas
que surgisse la forme originelle, tellement celle-ci a laiss une trace forte dans la
mmoire du public514.

514
En fait, lorigine de ce slogan serait en rapport avec le sida. Dans les annes 1990, o lon parlait
souvent du VIH, ladjectif positif, en renvoyant la sropositivit, voquait un risque mortel. Utilisant le
vocable positiver dans un contexte o chacun voulait bien plutt tre ngatif , ce slogan cre un violent
contraste entre le sida et Carrefour. Utilis avec un pronom personnel, ce verbe prend un sens nouveau :
tmoigner de sa confiance, montrer son optimisme. Avec ladoption du verbe la place de ladjectif,
Carrefour a voulu sadresser aux deux sexes et leur rendre lenseigne attractive.
344

Fig 68

Puis, pour le deuxime slogan, Carrefour a tent de rcidiver positivement en

ractivant son propre pass de russite. Sagissant de tels cas, o la publicit parodie

dautres publicits ou dautres slogans publicitaires, Franoise Graby estime que la

publicit se joue delle-mme 515. Louis-Jean Calvet explique bien ce phnomne :

Un slogan, lorsquil atteint une certaine efficacit rvolutionnaire ou une certaine


notorit, en bref lorsquil sort de la masse et simpose, na plus de lieu, non plus de
fonction unique : il circule ou encore sert de matrice la formation de nouveaux
516
slogans.

Les deux slogans ci-dessous suivent exactement le mme procd, mais ils

proviennent du domaine politique.

515
Frnoise Graby, Humour et comique en publicit. Parlez-moi dhumour, Colombelles, ditions EMS,
2001, p. 41.
516
Louis-Jean Calvet, La Production rvolutionnaire. Slogans, affiches, chansons, Paris, Payot, 1976, p. 74.
345

Fig 69

Sous la TV, la plage. (Liberty TV)


Sous ltiquette, le plaisir (Le Reblochon de Savoie)

Ces slogans exploitent lintrt commun trouv au fameux slogan politique de Mai
517.
68 : Sous les pavs la plage Ils en reprennent structure et vocabulaire, en sappuyant

sur la phontique, pavs et TV , ou bien la structure et limage Sous X, Y afin de

bnficier du capital de sympathie investi dans le slogan rvolutionnaire potique.

Finalement, ces manifestations bases sur des anciens slogans publicitaires et

politiques, nous paraissent trs significatives pour la comprhension de lunivers

publicitaire. Car elles sont la preuve que le langage publicitaire est devenu son tour

capable de gnrer des formules figes. Cest--dire quil est devenu le lieu dun change

qui est un commerce qui nest pas que commercial. Il contribue au patrimoine

linguistique : la publicit constitue une culture part entire de notre poque.

517
Cette formule est devenue tellement archpub que nous avons pu encore voir un slogan sortir de son
moule lt 2013 : Sous les ppins la plage (Oasis).
346

2.3. Le simulacre de lillogisme


Comme dernire dimension de la crativit de la publicit dans ses jeux de langage,
nous allons prendre en considration le domaine de la logique. De faon gnrale, la
logique est considre comme soccupant de la manire de raisonner ou de modes de
raisonnements, et elle est soumise essentiellement au principe de cohrence. Pourtant,
nous allons considrer cette activit intellectuelle de lhomme, en premier chef, en tant
quelle est un fruit du langage, social et historique. Ce faisant nous sommes en situation
de pouvoir de considrer la logique comme un bloc dj form et fig, qui est enracin
dans nos penses et nos habitudes de penser.
Pour mieux aborder notre sujet, prenons en compte des situations trs souvent
rencontres dans la vie quotidienne. Il sagit des cas o, devant une publicit, le public se
sent gn, embarrass voire perdu face au message, alors que celui-ci est pourtant bien
form syntaxiquement. Une telle raction est normale, et mme elle a t
intentionnellement recherche par la publicit. La publicit veut nous tonner voire
nous dranger , mme si cest agrablement, et elle le fait au moyen de certaines
manipulations de lenchanement de raisonnements. Ainsi, il est normal que nos ractions
dtonnement ou de gne concident avec un certain sentiment de transgression des lois
logiques. prouver un tel tonnement ou un tel sentiment de gne ne veut pas dire quon
est idiot face la publicit, au contraire. Parce que cest la publicit qui a programm
cette situation. Celui qui, devant la publicit, embarrass et perdu, fait des efforts pour
chercher ce qui ne va pas, est dj, comme tel, son insu, en train de participer ce jeu
de logique auquel la cration publicitaire la invit.
Le monde de la publicit exploite principalement deux types de logique que nous
allons pouvoir voir allgrement violes : lune classique , que nous connaissons bien,
lautre naturelle , qui est toujours peu connue.

2.3.1. La logique classique


Commenons tout dabord par aborder les slogans qui violent ou semblent violer les
lois du raisonnement quune logique dite classique a dgages et dont elle a affines
347

la formulation au cours des sicles. Soit, deux formules, A et non-A et A ou non-


A . Quel que soit A, quelle que soit la personne qui les dit, quels que soient le lieu o
elle les dit et toutes autres circonstances dmission, la premire de ces deux formules
reste contradictoire et la seconde tautologique. Cest--dire que la transgression ou le
respect de la logique classique nont rien voir avec les conditions dnonciation de ces
formules. Ce ne sont pas ces conditions qui les rendront logiques ou illogiques. On na
pas en tenir compte.
Ainsi, les premiers types de jeu sur la logique reposent sur la contradiction , ou
plus exactement sur un simulacre de contradiction . Voici quelques slogans
illogiques (appelons-les ainsi pour le moment) :

Lhomme est imprvisible. Cest prvu (La Mondiale)


Tout prvoir, mme limprvisible (Oregon)
Prvoyez daller plus loin que prvu (BMW)
Avec le nouveau mail Yahoo ! Attendez-vous ne plus attendre (Yahoo)
Exactement ce que vous attendiez : de linattendu (Smart)
Finepix S 5000-Zoom optique x 10 Mme de loin vous tes prs (Fujifilm)
Vous navez jamais entendu parler de nous. Cest prcisment pour cela
que nous sommes connus (Brother)

Fig 70 Fig 71
348

Tous ces slogans sont lis la transgression du principe de non-contradiction ,


fondement de la logique classique, ou plus exactement une simulation de cette
transgression. Il sagit du principe selon lequel A ne peut pas tre en mme temps non-
A . Cest bien en vertu de ce principe que ces slogans qui se prsent tous sous la forme
A et non-A sont considrer comme apparemment contradictoires, savoir
illogiques.
Cest ainsi que ces slogans, dans un premier temps, dans une situation de
communication comme celle-ci, peuvent choquer le public par leur structure
contradictoire qui semble les priver de sens. Par exemple, pour Lhomme est
imprvisible. Cest prvu , imprvisible et prvu sont en relation A et non-A . Ainsi
le public se sentira instantanment embarrass par lapparition associe de ces deux
termes contradictoires. Mais, puisquen mme temps ou quelques secondes aprs, il
pourra raliser que ce slogan nest finalement pas contradictoire. Il se rend compte que le
contenu du message fait sens et est dautant plus plausible quil sagit dune publicit
pour une socit dassurance. Ainsi, lillogisme senti svanouit.
Si lon suit le mme processus mental pour les autres slogans, nous pouvons alors
savoir que : on peut prvoir mme limprvisible ; on peut prvoir daller plus loin que
prvu ; on peut sattendre ne plus attendre avec le nouveau mail Yahoo ; on peut
attendre mme de linattendu ; on peut tre prs mme de loin avec Finepix S 5000-
Zoom optique x 10 ; limprimante de Brother peut tre connue puisque lon na jamais
entendu parler delle pour ses dfauts.
Autrement dit, au premier degr , le public est tonn par la perception dune
contradiction logique. Puis, au second degr , il ralise quil ny a pas de contradiction
relle. Cest ainsi que ces slogans, caractriss d illogiques , ne sont jamais en fait
illogiques. Si lon y regarde dun peu plus prs, on constate quils relvent dun
simulacre dillogisme.
Si ces slogans ne sont pas illogiques, ce nest pas en tant simplement quils relvent
dun langage comme le langage publicitaire, pour lequel on aurait tendance croire que
tout est pardonnable . Car la publicit nest pas un espace o tout est permis, tant sen
349

faut. Certes, il y a des cas o lillogisme sefface grce un lment li au produit ou la


marque. Cest le cas du slogan Fujifilm. En gnral, on ne peut pas tre prs et
loin en mme temps. Cest tout fait illogique. Mais cet illogisme est lev grce la
fonction de zoom qua lappareil photo. Pourtant, ce simulacre dillogisme repose le plus
souvent sur le fait que la logique est prise dabord seulement comme logique formelle .
En dautres termes, il sappuie sur la prise en compte de rapports smantiques qui ont t
tisss par lusage effectif du langage. Par exemple, on peut prvoir mme limprvisible
ou on peut prvoir daller plus loin que prvu ne constituent pas dillogismes. Au
contraire, ce ne sont que des simulacres, illogismes si lon ny lit pas entre les lignes des
modalits.
Ainsi, ce jeu avec la logique est bas fondamentalement sur les subtilits de lopration
langagire. Mais lensemble des activits langagires quotidiennes est dtermin effectivement
par une srie infinie de comprhensions relevant de cette subtilit. Chaque Franais,
quotidiennement, du matin au soir, dcode un sens partir dune situation complexe et confuse.
On sait dj ce quest une dsambigusation . Par exemple, pour la phrase Suzanne et
Patrick se sont maris , il nest gure difficile de choisir entre comprendre quils se sont
maris lun avec lautre, ou bien quils se sont maris chacun de leur ct. Ou encore, lorsque
quelquun dit : Ils sont journalistes mais trs honntes , on est oblig de se demander,
cause du mais , si le locuteur a un prjug : en gnral les journalistes ne sont pas honntes.
En somme, nous faisons en permanence intrieurement des calculs interprtatifs.
Maintenant, occupons-nous de ceux des slogans illogiques qui sont fonds sur la
tautologie. Quand on dit Une femme est une femme ou Je suis le fils de mon pre , on
pense quil y a quelque chose de plus vrai l-dedans que la simple connotation dune identit.
Car il y a l lexpression dune certitude, ou de la redcouverte dune vidence ternellement
vraie quelles que soient les circonstances du monde extrieur. Pourtant, daprs la logique
classique, il y a quelque chose dillogique. Parce que la tautologie est dfinie formellement
comme ayant la forme A ou non-A et non la forme comme A ou B . Examinons
quelques manifestations :
350

Fig 72

Ne vous dplacez plus. Voyagez (Chrysler)


Entre nous, vous nen avez absolument pas besoin. Vous en avez juste
trs envie (Lancia Ypsilon)
Je voulais du rpondant, jai trouv la rponse (Alfa Romeo)
Le moche est laid (Lancia Ypsilon)

Il en va de mme que, pour la pseudo-contradiction, le public sera surpris la


premire lecture mais il parvient presque instantanment saisir ce qui est en jeu. En
fait, se dplacer et voyager ne sont pas identiques, mme si tous deux concernent un
changement de lieu. Le cas est le mme pour besoin et envie avec une petite
diffrence de qualit qui est la fois nie et affirme pour la souligner. De mme,
rpondant et rponse font deux, malgr leur ressemblance morphologique. On
sattendrait structurellement un antonyme mais on a un quasi synonyme. Do la
surprise qui attire lattention. Pour le dernier slogan, moche et laid sont des adjectifs
synonymes. Mais moche tant employ comme nom, il y a cette fois lapparence quil
ne sagit pas dune tautologie, ce qui a pour effet dinsister davantage, ou bien en
mode pseudo-instructif, cette vrit. Le laid est laid , il sagit dune dformation
351

de la tautologie qui en opre comme une parodie, une dformation dconstruction


critique et comique, la fois. Cest ainsi que lon se rend compte que, malgr leur
apparence illogique relevant dune caricature de tautologie, ces slogans sont
nouveau des simulacres. En somme, une certaine affinit, smantique ou formelle,
permet de faire surgir dans lesprit du public une impression de tautologie, en mme
temps quelle en opre la dconstruction.
Ainsi, nous venons de constater que les slogans illogiques, base dimitation de
contradiction et de tautologie sont loin dtre illogiques, absurdes, et quils jouent
seulement les singer en un simulacre, dune part. Mais on se rend aussi compte,
dautre part, que lappel des rgles dordre ou de logique est essentiel pour quil
puisse y avoir effet de transgression, pour quune illusion dillogisme se produise, qui
sera dtruite immdiatement.
Mais pourquoi cela doit ne doit-il tre quun simulacre dillogisme ? Cest que le
message publicitaire ne peut pas se permettre dtre vraiment illogique. Si de
vritables contradictions taient prsentes dans une publicit, le public serait
finalement mcontent : le pacte implicite de communication serait rompu. Or, il ne
peut ltre, mme dans lespace publicitaire, trs tolrant o lon sait quil sagit de
jeu, non de vrit. Dans ce cas, la campagne finirait par provoquer une dsaffection.
Toujours maligne, la publicit respecte tout le temps le principe : Frapper sans
heurter . En ce sens, le simulacre dillogisme est idal.

2.3.2. Logique naturelle


Jusqu maintenant, nous avons trait de slogans qui semblaient violer certains
principes de la logique classique . Dornavant, nous allons examiner des slogans qui
sappuient sur une autre logique, la logique naturelle . Cest relativement cette
logique que vaut notre ide fondamentale quune logique est considrer comme un fruit
historique et social. Cette logique est galement norme et rgle, et elle nous contraint.
Il sagit de relations et de modes denchanement qui orientent quotidiennement notre
pense quand elle est mise en mots dans la vie relle.
352

Dans cette logique naturelle, il y a en particulier des schmas daction qui nomment
notre conception du monde. Quand on les viole, il se produit un effet qui est comparable,
certains gards, celui caus par la violation dune loi de la logique classique . En
ce sens, observons ce slogan qui sappuie parfaitement sur un schma de cette logique
naturelle :

Fig 73

Rapprochez-vous, il ny a rien voir (Garnier)

Ce slogan est une transgression et mme une subversion. Ce qui est remarquable nos

yeux, cest quil ne sagit pas dune contradiction des lois formelles de la logique classique.

Ce quil viole est un praxogramme 518, le droulement dun comportement norm et

formul de faon standard dans les activits quotidiennes. Ici, le praxogramme viol est :

normalement on se rapproche lorsquil y a quelque chose voir. Examinons comment un

praxogramme peut se former dans la relation entre un vnement et laction humaine. Il

518
Nous empruntons ce terme Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit.
353

semble y avoir une correspondance entre la succession temporelle de lclatement puis de

la rsolution dun incident et laspect rptitif du rapprochement puis de lloignement des

gens. Cest--dire que lorsquun incident clate, des gens sattroupent, puis quand cet

incident est rsolu, ils se dispersent.

En fait, au fur et mesure quincidents et rassemblements se rptent tout au long de

leur vie, un comportement sinstalle chez les gens, comme une habitude incorpore qui

devient principe daction et qui finit par gouverner non seulement leur manire de penser

mais aussi leur faon de parler.

clatement Rsolution
Incident : ---------------------------------------------------------->

Rapprochement loignement
Public : ----------------------------------------------------------->

Cest ce rapport install, ce comportement acquis qui est viol par ce slogan. Bien-sr,

cest cette violation qui amne le public ce jeu logique. Ainsi, comme dans les cas

prcdents, le public est tonn, dans un premier temps, par cette apparence de violation

mais quelques instants aprs, parvient sortir de ce petit moment de confusion quil vient

dprouver. Au travers de ce processus, le public ralise que ce slogan nest pas bizarre

logiquement mais nest quune imitation dillogisme.

Ainsi, le schma du jeu avec la logique naturelle est semblable celui du jeu avec la

logique classique. Pourtant, quant au processus, il y a une grande diffrence. Alors que le jeu

avec la logique classique repose surtout sur les oprations mmes du langage (smantiques et

logiques), dans le jeu avec la logique naturelle cest limage qui joue un rle dterminant.

Quant cette publicit, le public se met jouer, ds quil saperoit par limage que la

publicit parle dun produit antipelliculaire.

Sur le mme paradigme, on trouve ce dialogue peu habituel dans le slogan suivant :
354

Fig 74

Papa, on est bientt arriv ? - Oui, malheureusement. (Chrysler)

Dans ce message, le public reoit un petit choc du malheureusement inattendu,

puis comprend aussitt aprs ce que veut dire la publicit. En effet, de manire gnrale,

la rponse attendue serait soit oui, heureusement, soit non, malheureusement. Afin de

savoir pourquoi cela peut bien tre Oui, malheureusement , coutons leur

conversation prsente dans le texte publicitaire :

Papa, pourquoi tu dis malheureusement alors quavant tu disais seulement oui ?


Tu sais, avant javais une voiture moins confortable, plus petite et la route des vacances
semblait beaucoup plus longue. Confortable, a veut dire quoi, papa ? Et bien, le
Voyageur SE Luxe a en srie lair conditionn, la radiocassette RDS et le rgulateur de
vitesse. Il est accueillant et surtout spacieux. On finit par en oublier la route grce ses
excellentes motorisations, et ses qualits routires exceptionnelles. En plus, on se sent
en scurit avec lABS en srie et les deux Airbags. Tu as compris ? Oui papa ! Mais
alors, on est bientt arriv ?
355

Maintenant, demandons-nous pourquoi ce Oui, malheureusement choque, dans

un premier temps, le public sur le plan logique. Celui-ci est dj habitu cette sorte de

situation par lexprience, directe ou indirecte et il est donc pris dans une tendance

parler conforme cette situation ritre. Cest cela un praxogramme. Or celui-ci est

viol, cass, dans cette campagne. Lidentit du praxogramme se rvle justement dans

cette remarque du fils dans le dialogue : avant tu disais seulement oui.

Mais, point ne pas manquer, lusage dun tel praxogramme doit conserver son

caractre gnral qui fait que nos activits quotidiennes en gnral sont saisies

conceptuellement par ce droulement quasi automatis , qui nest pourtant pas une

obligation thorique. Sagissant de cette campagne, le fait que le pre et lenfant soient

sur une route dpartementale sinueuse est crucial pour que soit assure une telle

gnralit. Encore une fois, on doit souligner limportance de limage pour que ce type

de jeu puisse fonctionner. Voyons encore un slogan du mme type :

Enfin tout seul avec ses amis (Mitsubishi Pajero)

Maintenant, nous pouvons saisir, mme sans image, quel praxogramme est engag

dans ce slogan. Ce sont videmment : tre seul sans amis ou ne plus tre seul avec des

amis. cela sajoute lexploitation du terme seul, qui a ici les deux sens diffrents :

solitaire et unique. Dans la campagne, une grande voiture Mitsubishi est bien gare,

ct dune poigne de copains qui jouent au foot. Comme cela, le simulacre est parfait.

Cest un cas o le simulacre dillogisme sappuie la fois sur le praxogramme et sur

lopration du langage.

Parmi les diverses ressources possibles pour le simulacre de violation de la logique

naturelle, il y a ce slogan bas sur la relation temporelle :

Le haut dbit, a arrive au moment o a part (9 tlcom)


356

Fig 75

Le schma prtabli malmen ici est videmment : on part puis on arrive ou bien a

part et a arrive. Par ailleurs, nous avons rencontr un slogan dont le caractre est trs

particulier par rapport aux cas prcdents. Le voici :

Noubliez pas de laisser la lumire allume en sortant (TBS)

La phrase prtablie est sans aucun doute : ne pas oublier dteindre la lumire en

sortant. Jusqu maintenant, le simulacre concernait plutt lhabitude verbale dans sa

dimension logique. L, il repose plutt sur le figement automatis mme du langage. Au

contraire, il sagirait dune situation o il faut briser la dimension logique.

En ce sens, ce slogan joue donc sur une ridiculisation dune rgle de comportement
rationnel mais dont nous avons souffert tant enfant. Il sagit dune revanche. Combien
de fois, na-t-on pas entendu nos parents nous prendre en faute et nous rpter cette
rgle ? Dans une telle formule, ce dont nous sommes librs jubilatoirement cest du
mauvais souvenir li cette contrainte : nous devions y obir parce quelle tait vidente.
357

L, elle ne lest plus et y obir serait mme dangereux. Revanche de lenfant en nous
contre lautorit qui a toujours raison.

Fig 76

En ce qui concerne cette logique naturelle, nous avons deux points souligner.
Dune part, nous voulons signaler quun schma ou une structure de raisonnement
voluent au mme rythme que les mutations sociales. En ce sens, cette volution de la
logique naturelle confirme la vision que nous donnions plus haut selon laquelle mme la
logique est un fruit historique et social. En effet, elle change au fur et mesure que la
manire de raisonner change, conformment aux reprsentations mentales et sociales. Il
est vrai que, dans les schmas daction, les praxogrammes, il y a aussi un caractre de
vrit gnrale, du mme type que celui qui dit quau restaurant, on commande avant de
manger et qu lhpital, le mdecin donne une ordonnance aprs avoir examin le
patient. Quelle que soit la personne qui les nonce, quelles que soient les conditions de la
communication, ces formules conservent formellement leur statut de principe de
comportement logique dans le monde. Or, fond sur des comportements, un principe ne
peut tre ternel. Par exemple, pour le slogan de 9 tlcom, Le haut dbit, a arrive au
358

moment o a part , le principe viol est donc a arrive puis a part ou bien a part et
a arrive. Entre deux actions dun mme processus il y a une distance temporelle, et cest
sur cela que le slogan sappuie. Mais si cette distance samincit infiniment, les deux
actions pourront se passer au mme moment ou en mme temps . Or, une telle
rduction, une quasi-disparition du dlai temporel est quelque chose dont le public post-
moderne fait lexprience quotidiennement avec le dveloppement de la technologie de
linformation et de la communication. Il se peut alors que le principe a arrive puis a
part perde son statut de principe logique. la limite, le slogan ne serait alors plus un
apparent illogisme porteur dun effet ludique par transgression de la logique naturelle.
Dautre part, il semble que cette logique naturelle soit porteuse dhumanit. On a
relev que la tautologie, catgorie de la logique classique, pouvait dj prendre une
dimension humaine. Par exemple, des formulations tautologiques telles que Une
femme et une femme ou Une promesse est une promesse ne sont pas perues
comme illogiques dans la ralit. Parce que laction de rpter nest pas un automatisme
mcanique mais est accomplie et perue comme charge dun poids smantique
reconnaissable.
Or la logique naturelle est beaucoup plus humaine. Mais en quel sens plus
humaine ? En un mot, il sagit dune logique enracine un niveau plus concret de la vie
des gens, un niveau lmentaire. Comme elle opre un tel niveau, celui du
quotidien , o se droule un ensemble complexe des activits prives ou sociales, on
peut lappeler logique du quotidien . Il sagit, avant tout, dune logique qui peut
couvrir le principe de non-contradiction , cher la logique classique. Bien que la
contradiction soit considre comme une transgression dans cette logique formelle, elle
est possibilit bien ancre dans la logique relle. Cette situation est souvent exprime par
une formule trs fameuse dite dorigine normande : Peut-tre bien que oui, peut-tre
bien que non ; ou par une expression rhtorique : Oui certes, et pourtant... ; ou bien
par une phrase de faon douteuse, Je dis oui mais je nexclus pas non . La logique
naturelle garde le principe de non-contradiction (A ne peut pas tre en mme temps non-
A) mais aussi admet une position moins tranche ( certains gards A, mais dautres
359

non-A en mme temps). En ce sens, elle peut tre une sorte de logique intgrale , de
logique humaine .
Pour approfondir notre propos, examinons, tout dabord, certaines formes
linguistiques o la gnralisation non fonde montre que la logique nest pas respecte,
mais qui sont nanmoins trs rpandues dans lusage ordinaire du langage. Ce sont des
ides reues ou des strotypes qui ne se justifient pas mais qui se disent comme tels : les
cossais sont avares ; les Bretons sont ttus, etc. On peut se demander combien de
propositions universelles sont ainsi admises comme vhiculant des connaissances ,
sans rapport cause-effet.
Mais, parmi dautres, nous pouvons remarquer certains usages du langage au sein
desquels des contradictions formelles peuvent tre releves. Par exemple, Tu peux sortir
en fermant la porte, sil te plat ou En sortant tu peux fermer la porte, sil te plat sont
dits quasi automatiquement tels quels. Il est trs rare de dire ou dentendre Tu peux
sortir, puis fermer la porte, sil te plat , sauf dans un contexte dducation lcole
maternelle. Puis, pour Si tu bouges, tu es mort ou Sil vient, je suis mort, il est rare
dentendre tu mourras ou je mourrai . Ce sont des formulations dont lusage est
ordinaire et passe pour normal. Bien quelles comportent des contradictions videntes du
point de vue spatio-temporel, on ne peut pas dire quelles soient illogiques . Elles sont
plutt non-logiques en ce sens quelles transcendent lordre logique. Elles sont
tellement figes que la tentative de les rectifier peut, paradoxalement, susciter un
sentiment trange de lgalisme dplac. Cest ainsi que lusage du langage se soumet, les
rgles grammaticales saffaiblissant, une sorte de logique forte, relle et usuelle. L, on
peut constater quune sorte de connivence joue dans lusage du langage. Cest cela la
logique naturelle applique au langage.
Or ce qui attire notre attention, cest que ce caractre de la logique naturelle se
constate aussi fort bien dans dautres sphres de la vie sociale. Prenons un exemple banal
de la vie familiale. Si Celui qui casse une assiette sera puni est un principe, lorsquun
enfant casse une assiette, il est certainement puni par sa mre. Mais si cest la mre qui
360

casse une assiette, elle nest jamais punie. Parce que fonctionnent ici une sorte de loi
dexemption et une loi du silence qui relve de lordre hirarchique parent-enfant .
Pour expliquer certains cas semblables qui se produisent dans le domaine social,
empruntons un exemple fourni par Michel Maffesoli : Le boutiquier doctrinalement
raciste protgera larabe du coin, tel petit bourgeois scuritaire ne dnoncera pas le
petit truand du quartier, et tout lavenant 519. Concernant ce cas aussi, si lon suivait
rationnellement la logique en matire de vie sociale, le boutiquier
devrait dnoncer larabe du quartier. Mais, en ralit, il ne le fait pas, parce que
dautres logiques y sont lies. Ici aussi, une sorte de loi du silence joue parfaitement son
rle. Et, dailleurs, comme le souligne Michel Maffesoli, les policiers franais
enqutant dans tel village ou dans tel quartier en savent quelque chose 520. Cela veut
dire que, se subordonnant lexprience proche, la justice abstraite et ternelle est
relativise par le sentiment vcu concrtement en un territoire donn. Ainsi, on se rend
compte que ce type de loi du silence nest pas quune spcialit maffieuse. Finalement,
certaines logiques relles et humaines, fondes sur une loi du silence sous forme de
connivence servent maintenir les cadres de la vie familiale et de la vie sociale.
Par ailleurs, on constate lexistence de diverses activits bnvoles en vue daider
certaines couches sociales. Ce sont, par exemple, le resto du cur , la prise en charge
des SDF par des associations, le tlthon pour les enfants malades, des ONG comme
Mdecins sans Frontires et divers spectacles ou manifestations caritatifs. Pour de telles
activits, on recourt souvent au concours mdiatique, lenvers de la loi du silence. Dans
une perspective seulement rationnelle, politique, sociale et conomique, ces activits
peuvent sembler quelque peu anormales et anachroniques, puisque lon ne vit plus au
Moyen ge. Pourtant, elles font partie de ces actions sociales aussi ncessaires que
sollicites pour quune socit puisse fonctionner convenablement. Or le dnominateur
commun de ces activits est bien la solidarit issue dun sentiment partag.

519
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 39.
520
Ibid.
361

Aucune des actions numres ne peut tre explique clairement au moyen des seuls
paradigmes dominants fonds sur lefficacit, lutilit, la productivit, voire la rationalit.
Elles se situent plutt du ct des schmas quotidiens, contradictoires et officieux.
Nanmoins, elles sont soutenues par du non-rationnel pas de lirrationnel, par du
non-logique pas de lillogique521. Voil quoi ressemble une logique naturelle et
globale. Cest du rle dune telle logique sociale que nous faisons lhypothse.
Combien, y a-t-il dactivits, dvnements, de rites, de crmonies qui ne peuvent
tre expliqus par la seule rationalit dans la vie sociale ? Tout cela devient cependant
comprhensible par une logique sociale ainsi envisage, en tant que vision globale,
humanitaire et communautaire. Elle donne finalement une place, dans une vision
englobante non linaire, toutes sortes de phnomnes sociaux : politiques, conomiques,
linguistiques, religieux, sportifs, culturels... tantt montrant leur aspect rationnel, tantt
leur aspect non-rationnel et non-logique. Il nous semble que si la socit se maintient,
cest grce une telle logique holistique .

3. Un enracinement dynamique
lissue de ce qui prcde, la premire chose souligner est que, contrairement ce

que lon pourrait supposer, la cration publicitaire est loin dtre une cration ex nihilo.

Elle doit bien plutt tre situe du ct de la notion d invention en son sens

tymologique venant du latin invenire : faire venir jour. Nous venons prcisment de

constater que la publicit a recours, de diverses manires, des dj-l en tant

quarchtypes. ce point de vue, mettant surtout laccent sur le fait que ce retour des

rfrences ancestrales correspond une nouvelle pistm, Michel Maffesoli donne ce

521
Ibid., p. 255 : Le non-rationnel nest pas irrationnel, il ne se situe pas par rapport au rationnel ; il met
en uvre une autre logique que celle qui a prvalu depuis les Lumires. Il est maintenant de plus en plus
admis que la rationalit du XVIIIe sicle et du XIXe sicle nest plus quun des modles possibles de la
raison luvre dans la vie sociale. Des paramtres tels que laffectuel ou le symbolique peuvent avoir
leur rationalit propre. De mme que le non-logique nest pas illogique, on peut saccorder sur le fait que la
recherche dexpriences partages, le rassemblement autour de hros ponymes, la communication non
verbale, le gestuel corporel reposent sur une rationalit qui ne laisse pas dtre efficace, et qui par bien des
aspects est plus large et, dans le sens simple du terme, plus gnreuse.
362

conseil au monde de la publicit : La foi en lavenir nest plus la plus belle des choses.

La pub, si elle a le nez creux, va tre attentive ces lments et sen faire le relais 522.

Dailleurs, dans le monde de la publicit, Philippe Michel ne sexprime-t-il pas sur un ton

identique, quand il dit au sujet de la cration publicitaire : Directeur de cration ?

Mme Dieu noserait sappeler ainsi... ?523

Sagissant de ces diffrents jeux observables, qui vont du rensauvagement des mots

la logique naturelle, notre proccupation se porte galement sur le processus qui peut

gnrer une telle vitalit sociale. Il semble quil sassure sous la forme dun

enracinement dynamique pour reprendre lexpression maffesolienne. Si la barbarie

verbale examine plus haut jouait sur le sentiment dune communaut linguistique ,

ici, il sagit davantage de communaut socioculturelle . La cration publicitaire

recourt aux lments qui sont les plus partags, directement ou indirectement, et aux

savoirs qui sont communs, parce que co-vcus et co-mmoriss par les membres dune

mme communaut. L, souvenir et mmoire en viennent prendre une importance

prpondrante. Sagissant du souvenir, Michel Maffesoli parle de souvenance 524 et il

souligne son aspect dexprience sdimente, accepte en tant que telle. Quant la

mmoire, rappelons-nous que Maurice Halbwachs insistait sur le fait que si les

souvenirs reparaissent, cest que la socit, chaque instant, dispose des moyens

ncessaires pour les reproduire 525. Or la publicit, prcisment, fait bel et bien partie de

ces moyens.

L, ce qui compte selon nous est que ces lments et ces savoirs qui senracinent

dans lexprience et la mmoire peuvent constituer, en tant quils sont devenus des sortes

darchtypes, des cadres et des principes dordres sociaux dans de vastes domaines : des

murs et attitudes traditionnelles jusquaux sphres de la pense abstraite et de la

logique, en passant par la culture littraire et artistique. Rgis de lintrieur, ils sont

522
Entretien avec CB News, mars 2005.
523
Philippe Michel, Cest quoi lide?, Ouvrage posthume prsent par Anne Thvenet-Abitbol, Paris,
ditions Michalon, 2005.
524
Michel Maffesoli, Homo eroticus. Des communions motionnelles, Paris, CNRS ditions, 2012, p. 54.
525
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 290.
363

devenus tellement familiers que lon ne parvient dsormais prendre conscience de leur

existence que lorsque ce allant de soi est tordu et viol. Cela signifie que seule cette

impression dun viol permet de raliser aprs-coup quil y avait bien l une sorte de

principe que lon suivait son insu.

Lessentiel dans ces jeux de langage est de nous faire faire cette exprience. Ils

transgressent tous ces ordres tablis par des procds de reprise, de dtournement et de

viol simul. La perversion de la logique naturelle est un exemple clairant : cest elle qui

nous fait raliser que lon vit dans telle logique particulire, quand elle est bafoue. Le

rensauvagement des mots et le retour leur origine nous font prouver la mme chose.

En effet, lorigine des mots et lenfance ne sont-elles pas, comme donn commun, le plus

fondamental pour une communaut ? Le fait dy tre ramen est puissamment vocateur,

surtout dans une socit o le devoir consiste ne parler que de lavenir et de ce qui peut

tre fait. En ce sens, cela est la fois profondment transgressif et partageable par tous.

Ainsi, le fondement de la communication publicitaire consiste, en jouant sur la

semi-conscience qua le public de son commun enracinement, social et culturel, en un

mme terreau, stimuler cette conscience au moyen dune crativit qui lui est

spcifique. Dans le monde de la publicit, la pratique consistant dtourner des uvres

existantes se dit rcupration . Ce faisant, ce que lon rcupre dans la

communication publicitaire nest pas seulement les ressources servant de matriau la

cration, mais aussi quelque chose de social qui renforce le sentiment de ltre-ensemble,

mme si tout cela se droule de manire inconsciente.

Toutefois, malgr le caractre bien premptoire de notre propos, les ractions de nos

interviews, quand ils sont confronts des slogans comportant une forte dimension

socioculturelle, restent bien distantes ou mitiges. Par exemple, Jean-Christophe estime

que tout a, ce nest quune tactique pour donner des chocs en vue de sduire les

consommateurs . Il compare mme cela au procd o lon met une barrire sur la

route des gens et les gens doivent sauter . Pour lui, ce sont des phnomnes

phmres donc des dchets industriels . Sur un ton semblable, Claire fait remarquer :
364

La publicit est un grand spcialiste du dtournement de la culture , mais mon

dernier mot est : a me dsole ! . En outre, Jean-Marie dclare que comme cest

fait pour les Franais moyens, cela baisse le niveau culturel du public, et lagence

publicitaire a dailleurs du mal faire des choses cratives, cause de tout un tas de

limites . Tandis que pour Guillaume ce ne sont jamais que de simples jeux de mots ,

Alain sexprime un peu diffremment, en disant : La publicit dtourne un bon nombre

de choses pour vendre un produit pour convaincre, bien que ce soit tout fait

intressant . De son ct, Nadine donne un avis concret :

Moi, je pense que tout est permis avec la pub. Pour moi, la pub cest quelque chose
part, quand mme. Moi, je mempresserais trs bien de pub. Allez, l, je laccepte. Pour
attirer lattention du public, il faut que la marque se distingue des autres, sinon cest
pas la peine. Quand jai quelque chose acheter, jai mes propres critres. Enfin, je
suis sre que je me fais manipuler, mais je crois que, mon avis, il y a quand mme
dautres choses pour minfluencer. Moi, jai limpression que non, mais je pense que
oui, parce je ne suis pas plus maline que les publicitaires, et puis je suis mfiante.

Ainsi, on voit que chacun a son avis. Mais toujours est-il que dans ces ractions le

quelque chose de social quon suppose nest gure peru ni reconnu. Nous nous

retrouvons ici dans la mme situation rencontre propos de la barbarie verbale si

nous voulons expliquer ce processus producteur de vitalit sociale.

Toutefois, quant au mode de la communication, cet enracinement dynamique dont

nous parlons manifeste une grande diffrence lorsque lon prend en considration des

manifestations du jeu qui sappuient de faon notable sur le fonds culturel franais. Sans

doute, est-ce l la cl de la dynamique sociale qui gte sous la figure de l archaque

juvnile , du point de vue communautaire. Alors que les slogans fonds sur une base

linguistique nexcluent pas de leur comprhension les trangers qui ont des notions de

franais, les slogans fonds sur lexploitation du fonds culturel franais excluent souvent

les trangers qui nont pas cette culture mais seulement la connaissance de la langue,
365

notamment une grande partie des travailleurs trangers. Le Bourgeois Gentilhomme ne

peut veiller la moindre nostalgie souriante chez ceux dont les Gaulois nont pas t les

anctres. Dans leur trop petit nombre, on peut penser que les trangers ne reprsentent

pas un march suffisamment important. Nanmoins, au-del des enjeux du march de la

publicit, la singularit de leur situation est riche dune signification considrable pour

comprendre la publicit.

coutons deux tudiantes corennes en France. Tout dabord, Hana, 29 ans,

publiphile, nous parle de son exprience :

Le proverbe davril, ou Belle marquise.... je nai aucune ide. Si javais vu celles-l


en passant dans la rue, je me serais dit de faon Ah ! Cest juste une pub de voiture,
cest une pub pour un autre produit... Son altesse srnissime aussi, tout a me fait me
rappeler que je suis trangre. Je passe dans la rue, en me rappelant que je suis
trangre, parce que je ne comprends pas bien. La chanson de Nol, je connais, mais
ses paroles franaises je ne les connais pas mme si je vis depuis longtemps en France.
Abracadabra, a je connais cest pour la magie. Pour Yti, je ne sais pas. Pour la pub
utilisant lancien slogan publicitaire non plus. (...) De telles publicits bases sur la
culture, cest difficile de bien les comprendre, mme pour quelquun qui habite l
depuis plusieurs dizaines dannes. Yti, a me plat pas du tout. Laffichage ou le spot
tlvisuel, il y a beaucoup de codes que je narrive pas saisir. Cela dit, il y a des
secteurs que lautochtone connat et que ltranger ne connat pas. Cest cause de la
diffrence culturelle. Moi, mme si je vis avec un Franais, je ne connais pas tellement
tous ces sens cods, parce que jutilise toujours les mmes mots.

Puis coutons Seowon, 28 ans, publiphile, qui nous raconte, avec un ton plus

violent :

Quant la publicit en srie de Benz, il ny a pas de rapport entre les parenthses et


la voiture. Certaines expressions rpandues universellement, je connais un peu. Voir de
telles publicits, cest quelque chose qui me met en rage. a memmerde dtre
trangre. Avec a, les tudiants trangers se sentent alins, ils se disent On ne sera
jamais quun tranger. Mme si je gagnais beaucoup lavenir, je nachterais jamais
Benz, car jai limpression que ces pubs se moquent de moi. Ce qui compte, nest-ce pas
366

de pouvoir sentir ensemble ? Dans le cas contraire, nest-ce pas une pub rate ? mon
avis, ces proverbes, maximes, petits morceaux de phrase, ils nexistent pas tout seuls, ils
ont une base pr-tablie, comme une sorte dintertextualit526. Sans a, on narrive pas
saisir mme le cadre de la publicit. Mme si a fait un objet de rire pour les Franais,
pour ma part je suis incapable dy accder. mon avis, ces formes qui supposent des
bases culturelles ont un effet ngatif, puisque cest difficile alors de faire ressentir
quelque chose en commun.

On pourra comparer ces propos ce que dit de l aphasie Maurice Halbwachs,

donc un trouble intellectuel qui sexplique par une altration profonde des rapports

entre lindividu et le groupe, mais pas par une lsion crbrale. Il considre le patient

aphasique comme un homme ltranger :

Il est comme un homme qui, dans un pays tranger, ne parle pas la langue, mais connat
lhistoire de ce pays, et na pas oubli sa propre histoire. Mais un grand nombre de notions
courantes lui manquent. Plus prcisment, il y a un certain nombre de conventions dont il
ne comprend plus le sens, bien quil sache quelles existent, et quil sefforce en vain de
sy conformer. Un mot entendu ou lu ne saccompagne pas, chez lui, du sentiment quil en
saisit le sens ; des images dobjets dfilent devant ses yeux sans quil mette un nom sur eux,
cest--dire sans quil en reconnaisse la nature et le rle. Il ne peut plus, dans certaines
circonstances, identifier sa pense avec celle des autres, et slever cette forme de
reprsentation sociale quest une notion, un schme ou un symbole dun geste ou dune
chose. Sur un certain nombre de points de dtail, le contact est interrompu entre sa pense
527
et la mmoire collective.

Les ractions de ces tudiantes trangres correspondraient bien cet tat aphasique,

alors quelles sont toutes les deux doctorantes et nont pas de problmes pour

communiquer en franais : Hana est marie un Franais et Seowon tudie la littrature

franaise. Ainsi, sans la moindre intention xnophobe, la cration publicitaire suscite de

526
De temps en temps, on peut ainsi trouver des ides intressantes dans les paroles des interviews
comme ici, par exemple, cette rfrence l intertextualit . Sur ce thme justement il existe
ltude dun universitaire, Gilles Lugrin, Gnricit et intertextualit dans le discours publicitaire de
presse crite, Berne, ditions Peter Lang, 2006.
527
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 80.
367

telles consquences. Il est probable quun tel tat aphasique fait partie du quotidien des

trangers en France.

Ce que lon doit retirer de ces propos est ceci. Le mcontentement d la perception

de leurs limites identitaires que prsentent leurs ractions nest-il pas la preuve parfaite

(contre-exemple) que ce type de publicit (tel une private joke,) fait jouer quelque chose

dexclusif, rserv aux Franais et qui correspond, au mme degr mais en positif cette

fois, ces ractions ? En dautres termes, dans cette sorte de slogans publicitaires, la

publicit devient une communication cryptique. Pour y participer quand on est tranger,

il faut donc avoir le mot de passe , sinon, pas moyen. Ce faisant, ce genre de publicit

se comporte comme un argot . On peut considrer le fonctionnement de ce genre de

publicit comme similaire la pratique argotologique des banlieues, dont on connat bien

la fonction : protger le groupe contre les forces extrieures et conforter lidentit et

ltre-ensemble spcifique du groupe.

ce propos, coutons nos interviews. Jean-Christophe reconnat, pour une fois,

une telle fonction dans la publicit ce point de vue. Claire galement, qui reconnat :

Je navais jamais pens a, que la publicit franaise joue un rle vis--vis des

trangers. Un rle protecteur, je nen avais pas conscience. Tout en admettant ce type

de fonctionnement vis--vis des trangers, Alain, lui, diagnostique que ces types de

publicit disparatront sous linfluence de la mondialisation de la culture . coutons

encore les paroles de Nadine :

Mais cest quen France quon voit des publicits comme a. Mais il y a des
publicits pour les trangers aussi. De temps en temps, on a des missions la
tlvision qui passent justement des publicits trangres pour des mmes produits que
des produits franais. Mais les slogans ne sont pas les mmes, il faut des sous-titres.
(Concernant lexclusion des trangers) Ah oui !, ah oui ! Mais, ils nen ont pas
conscience. Les Franais ne sont pas conscients de a. Je nai jamais pens a avant,
ben non ! Au quotidien, on ne fait pas attention a.
368

Cest ainsi quil apparat que le public ne prend effectivement pas conscience dun

tel fonctionnement de la publicit. En gnral, il ne peroit, ni mme ne reconnat son

existence. Portant celle-ci peut tre dduite de la raction qui suit, a contrario quand il

est interrog de faon plus pressante, comme ici. Mais, de cela la plupart des Franais ne

sont pas ordinairement conscients, alors mme que leffet joue bel et bien. Parce quils se

trouvent dans une sorte de bulle argotologique dont eux-mmes ne parviennent pas

toujours percevoir lexistence. En ce sens, cet argot spcifique se diffrencie de celui

des banlieues, dusage conscient, slectif et circonstanciel. Finalement nous pouvons dire

que sous le nom de la cration publicitaire, cet enracinement dynamique se droule

de manire inconsciente intrieurement et de manire excluante extrieurement.

***

Les phnomnes langagiers particuliers lis au slogan publicitaire que nous venons

dexaminer sobservent la tlvision, dans la rue, dans les revues, dsormais sur lcran

de lordinateur et du tlphone portable, etc. Ce sont des choses triviales que lon

rencontre partout dans notre quotidien. Mais, y regarder avec attention, ce sont comme

des pierres prcieuses brutes, qui pourraient tre vues comme des perles. Mme si elles

peuvent bien tre irrgulires , ce ne sont pas des fictions des perles de pluie venues

de pays o il ne pleut pas 528. Un proverbe coren ne dit-il pas : Mme trois malles de

billes peuvent devenir un trsor, si seulement elles sont enfiles. Il fallait seulement un

fil rouge rsistant ; pour nous, cela a t le jeu de langage publicitaire.

Le langage nest pas seulement un ensemble de normes grammaticales, cest aussi

un trsor dlments historiques, sociaux et culturels. Parler sa langue maternelle, cest

dabord acqurir, ds la naissance, dinnombrables mots et les employer conformment

aux normes ; puis cest se conformer une masse de dj fait , transmise de

gnration en gnration. Tout au long de sa vie, on vit et on prouve le devenir de ces

normes, et le devenir de ce rapport de figement-dfigement . Si le langage peut

528
Paroles de la chanson Ne me quitte pas (1959) de Jacques Brel.
369

devenir un jeu, cest que sa vie ressemble celle de lhumain. En fait, notre jeu de

langage publicitaire est fond essentiellement sur une telle similitude, qui dote le langage

de vie. On peut clairer utilement cela par une rfrence lintuition de Bergson sur la

parent entre le langage et la vie, qui permet selon lui dexpliquer le comique. Le

philosophe crit :

Le langage naboutit des effets risibles que parce quil est une uvre humaine,
modele aussi exactement que possible sur les formes de lesprit humain. Nous sentons
en lui quelque chose qui vit de notre vie ; et si cette vie du langage tait complte et
parfaite, sil ny avait rien en elle de fig, si le langage enfin tait un organisme tout
fait unifi, incapable de scinder en organismes indpendants, il chapperait au comique,
comme y chapperait dailleurs aussi une me la vie harmonieusement fondue, unie,
semblable une nappe deau bien tranquille. Mais il ny a pas dtang qui ne laisse
flotter des feuilles mortes sa surface, pas dme humaine sur laquelle ne se posent des
habitudes qui la raidissent contre elle-mme en la raidissant contre les autres, pas de
langue enfin assez souple, assez vivante, assez prsente tout entire chacune de ses
parties pour liminer le tout fait et pour rsister aussi aux oprations mcaniques
dinversion, de transposition, etc., quon voudrait excuter sur elle comme sur une
simple chose529.

Ainsi, la vie du langage, comme celle de lhumain, loin dtre parfaitement vivante,

se fige parfois. Mais tel quel, ce langage constitue une structure spcifique, particulire et

propre la socit o il vit et o lon vit. Notre jeu de langage publicitaire est fond, la

fois, sur cette structure et sur la transgression de ce que celle-ci a de fig, de mcanique.

En fait, cette pratique de la transgression sopre essentiellement sous la forme de la

dviation et du dtournement. La transgression, dans la mesure o elle ramne au

sentiment de la source, de larchtype de la socit, a pour effet invitable, en plus de sa

dimension de jeu, de jouer aussi, mme si cest invisible, la fonction de conforter la

cohsion sociale. Elle rappelle la norme mais le fait sur un mode plaisant de partage.

529
Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique (1900), Paris, Payot & Rivages,
2011, p. 131-132.
370

Ici, cette transgression nest donc pas le simple acte de contrevenir la loi,

linterdit, au rite, etc. Loin dtre quelque chose qui tend au chaos, elle est plutt une

forme historique, sociale, exprimente, donc anthropologique en quelque sorte, de

renfort du lien social. En un sens quasi-psychanalytique, cest quelque chose de

primitif qui devient condition culturelle dhominisation. Ce sens de facteur unificateur

que peut prendre la transgression cest celui quindique Philippe Joron :

Transgresser ne signifie pas seulement se dresser individuellement contre le [ce]


pouvoir de coercion, ce peut tre aussi intgrer collectivement ce mme pouvoir, le
porter avec dautres jusqu sa plus haute expression, la plus violente, la plus extrme,
la plus condamnable aussi, une fois le calme revenu dans les esprits et la raison
retranche dans ses plus chers principes.530

Dans le mme sens, coutons encore les auteurs des Paradoxes de la transgression :

travers la transgression, une socit revisite, en en ractualisant les stocks, le


magasin des choses intouchables, indiscutables, inalinables. Ces choses dont Maurice
Godelier (Maurice Godelier, Au fondement des socits humaines. Ce que nous apprend
lanthropologie, Paris, Albin Michel, 2007) disait que lon ne pouvait ni les vendre ni les
donner, mais seulement garder pour les transmettre. La transgression interroge donc
lopacit qui prside la production et la reproduction des socits, elle parle dun lieu
primordial o se ngocie en permanence lordre social. Il est donc permis denvisager la
transgression comme un rvlateur, un analyseur des rgles du jeu social travers
lesquelles une socit se donne voir elle-mme, dans la ritration de ses liens de
loyaut.531

Au demeurant, la publicit nest quune des formes dactivits majeures o vit cette

transgression. Concernant notre jeu, ces choses, intouchables et indiscutables, donc ni

vendables, ni donnables ce sont la langue et la culture franaises. Et cest bien au

baroque, comme style de lpoque que nous a fait parvenir cette transgression comme
530
Philippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 130-131.
531
Hastings Michel, Nicolas Loc et Passard Cdric (sous la direction de), Paradoxes de la transgression,
Paris, CNRS ditions, 2012, p. 9-10.
371

rvlateur de la contestation des rgles du jeu social travers lequel la socit franaise

se donne voir elle-mme. Barbarie verbale et archaque juvnile, vitalit du baroque

et rythmes sociaux, manifestent finalement le dynamisme de la socit franaise actuelle.

Dans cette perspective de dynamique sociale, cest lensemble des manifestations

linguistiques transgressives de ces slogans que nous pouvons considrer comme une

forme de barbarie-barbarisme qui vit au sein mme de la socit. Comme le souligne

Michel Maffesoli, cest dans nos socits, socits rationalises outrance, socits

aseptises, socits semployant bannir tout risque quel quil soit, cest dans ces

socits-l que le barbare revient532. Dans cette perspective, cette barbarie-barbarisme

apparat dautant plus rebelle et subversive quelle sen prend lune des composantes

les plus fondamentales de la socit : son langage que respectent tous les progressismes

dominants et rgulateurs actuels, ces paradigmes que sont modernisme, rationalisme,

scientisme. Mais, cest bien l le rle paradoxal que joue cette barbarie de nous faire

prendre conscience par contraste de ces lments intrieurs qui sous-tendent la

communaut : la langue, la culture, la logique, la rgle, enfin les us et coutumes.

Finalement, pourtant, avec son visage de joueur , notre barbarie-barbarisme est

plutt une barbarie symbolique . Il sagit plutt dune figure et de la posture que prend

lirruption dans nos vies de la furie dionysiaque 533, selon lexpression de Jean-Martin

Rabot, que dune relle rgression la brutalit de notre civilisation moderne. Dautre

part, la barbarie dont nous parlons sopre sous la forme du vice , au sens que lui

donne Patrick Tacussel :

Plus lenvers de la vertu, un attentat aux murs normales, mais une vision du monde
qui ne spare plus la souffrance des uns et la jouissance des autres et tend au contraire
534
les proportionner dans une cohsion plus sociale.

532
Michel Maffesoli, Renchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 129.
533
Jean-Martin Rabot, loge des barbaries postmodernes , in Les Cahiers europens de limaginaire, n
1, Paris, CNRS ditions, 2009, p. 91. cet gard, le fait que ce premier numro ait t consacr au thme
de la barbarie nest pas un hasard.
534
Patrick Tacussel, La barbarie cultive , in Les Cahiers europens de limaginaire, n 1, Paris, CNRS
ditions, 2009, p. 60.
372

Dans cette perspective, il ne sera pas exagr de dire que notre barbarie joue comme

une sorte de rgulateur, de compensateur, qui assure lquilibre dynamique de la socit.

* *

*
373

Conclusion

Une mise jeu de la vie quotidienne

La publicit est le seul discours qui ne mente


pas parce quil dit demble quil nessaie pas
de vous dire ce qui est. -Philippe Michel,
Cest quoi lide ?, 2005.
374

Dans le film 99 francs, un publicitaire voyage dans le monde entier pour trouver des

mots fantastiques et magiques. Tous les slogans seraient au moins dans de telles conditions

des mots bien choisis par les publicitaires. Dailleurs, il nest pas exagr de dire que

lon fait bien la guerre pour trouver des mots dans tous les domaines sociaux. Pour notre

part, dans lespoir de pouvoir trouver les mots justes partir de cet ensemble de mots bien

trouvs quest dj le slogan publicitaire, il nous a fallu parcourir un long trajet. Si lon

pouvait le comparer un voyage, cen serait la manire de Marcel Proust. Il sagit, au

lieu daller vers de nouveaux paysages, d avoir dautres yeux, de voir lunivers avec les

yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun deux voit 535. Avec

laide dun tel esprit de dcouverte, nous esprons avoir pu sortir de lornire positiviste

qui dirige et aiguille continuellement sur les mmes vieux rails tous les discours sur la

publicit. Maintenant que nous devons mettre un terme ce vritable petit voyage, nous le

faisons en essayant de rpondre brivement aux questions initialement poses, grce

lacquis du parcours que nous venons daccomplir.

Au demeurant, le slogan publicitaire, mots commerciaux , sest rvl tre tout

aussi bien paroles de commerce , qui mettent en relation et nous font sentir et conforter

notre tre-ensemble. Ce commerce sassure par la dtention dune puissance socitale qui

peut tre paraphrase par dautres termes tels que force communicationnelle 536 (Fabio

La Rocca), dpense improductive 537(Philippe Joron), attraction sociale 538 (Patrick

Tacussel). En mme temps, cest une force qui opre bien dans lordre symbolique.

Ltymologie, qui nous offre toujours un savoir la fois originel et vivant, nous transmet

pour symbole cette signification dune suprme importance :

535
Marcel Proust, la recherche du temps perdu (1913-27) : La Prisonnire (1923), Paris, Gallimard,
Pliade , Tome 3-II, 1987-1989, p. 258.
536
Fabio La Rocca, La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS ditions, 2013, p. 227.
537
Philippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 120-126.
538
Patrick Tacussel, LAttraction sociale. Le dynamisme de limaginaire dans la socit monocphale,
Paris, Klincksieck, 2002.
375

Le symbolon des Grecs tait, lorigine, un bton, que lhte et son visiteur
rompaient et dont ils conservaient chacun une moiti. Plus tard, eux-mmes ou leurs
descendants se reconnaissaient grce ce symbole dhospitalit. Le symbole est donc bien,
539
ds lorigine, un signe concret, de valeur abstraite.

Conformment cette acception authentique, le symbole est un tmoin de

reconnaissance et de comprhension rciproques authentiques. L, rompre pour

partager reste lesprit comme une image hallucinante. Signe concret, le slogan

publicitaire, en devenant bton symbolique , sest transform en ce sens, en une

nouvelle manifestation de notre tre-ensemble.

Sur un plan gnral, notre tude du slogan publicitaire nous donne loccasion de nous

rappeler cette ide dmile Durkheim pour lequel la langue semble tre un lment

marquant dans la manire dont une communaut peut s'imaginer et prendre conscience

d'elle-mme 540 . Mais sur un plan concret, il nous fallait oprer un changement

pistmologique et constituer un nouvel appareil mthodologique pour que cette langue

puisse renatre en apparaissant comme porteur de ce vitalisme social que nous avons voulu

mettre en vidence. On notera, tout dabord, que le slogan en tant quobjet dtude de la

sociologie restait invraisemblablement comme un presque rien , souvent dtermin

purement axiologiquement comme langue-trash . Pourtant nous avons pu vrifier en lui

lexistence de multum in parvo, limage de Stphane Hugon qui souligne quun microfait

de la vie quotidienne peut avoir un grand destin541. Puis, dans le cadre thorique dune

socialit langagire, nous avons montr que son vitalisme repose sur la puissance du

langage notamment par sa symbolisation. Cest dire quil repose sur la fragilit identitaire

des mots dans leur rapport aux choses et limage, et sur les processus qui oprent au sein

de ces rapports sotriques entre signe-symbole, texte-contexte et locuteur-rle. En fait,

cest travers pareille symbolisation que le langage peut, non plus comme simple outil

539
Henri Morier, Dictionnaire de potique et de rhtorique (1961), Paris, PUF, 1998, p. 1171.
540
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912), Paris, Quadrige / PUF, 2005, p. 603.
541
Stphane Hugon, Circumnavigations. L'imaginaire du voyage dans l'exprience Internet, Paris, CNRS
ditions, 2010, p. 19-27.
376

dchange dinformation mais plutt comme lieu dune communication, jouer le rle

actif daffecter et mme danimer notre lien social.

Maintenant, il nous semble possible et utile de repenser la nature de ce type dnonc

que nous appelons slogan . Tout dabord, du point de vue anthropologique, soulignons

que cest une forme verbale qui nexiste que dans les domaines de la politique et du

commerce, les deux activits humaines les plus anciennes, et les plus violentes la fois.

Par nature, ce sont ces formes qui constituent lusage du langage qui sollicite du public le

plus dattention et le plus de participation dans sa pratique. Do le caractre de ce type

dnonc qui sert de signal de ralliement dans son droit fil de ltymologie ( cri de

guerre ). Autrement dit, ce quest le slogan se rattacherait fondamentalement lesprit

collectif, quon explique celui-ci par une conscience collective durkheimienne ou par un

inconscient collectif jungien.

Mais, de manire plus tangible, on peut le cerner en corrlation avec la conception du

langage propose par Michel Maffesoli dans son rcent ouvrage Homo eroticus. Dun ct,

le mot est ce qui dsigne le sens lointain et pointe le but atteindre542. Cette vision du mot

vient dune conception du langage sur laquelle la Modernit a mis laccent, en y indiquant

une finalit rationnelle sous ses modulations : politique, social, thorie. Cest, dailleurs,

une conception du langage qui a vacu ou marginalis les affects qui sont de lordre de

limmdiat, du prsent. Dun autre ct, le mot se contente de montrer et mme de

monstrer ce qui peut paratre inquitant. Cest une vision du mot qui rsumerait toute la

phnomnologie : Faire apparatre les choses mmes pour ce quelles sont, au-del ou en

de de toute attitude judicative ou normative 543. Dans cette optique, le mot montre le

proche, et montrer les choses consiste alors mettre laccent sur laspect agrgatif,

motionnel du langage.

La vision du mot qui correspond la premire conception du langage est celle du mot

du slogan politique. Cest un mot dabord ressenti comme plein dun contenu mais qui finit

542
Michel Maffesoli, Homo eroticus, Des communions motionnelles, Paris, CNRS ditions, 2012, p. 38.
543
Ibid.
377

par devenir comme une coquille vide , au fur et mesure que son sens svacue par la

sloganisation544 On peut en donner par exemple libert, dmocratie, globalisation, contrat,

scurit, emploi, croissance, dveloppement, etc. De tels mots sont des mots qui ont

tendance perdre de leur vitalit, mme si leur forme et leur sens restent stables. En

revanche, correspondant justement la seconde conception du langage, le slogan

publicitaire est un peu comme une Ide ou comme un moule variable , qui prserve son

essence au coeur de ses formes, allures, apparences...changeantes, en un mot au cur de

son contenant. Cest un mot qui, malgr - ou grce - cette labilit smantique et formelle,

garde la force de toucher la sensibilit par un caractre que nous appellerons sloganit ,

en tant quil reste capable de montrer, de rappeler, de convoquer quelque chose de vcu par

chacun dans sa vie. Cest que nous prouvons, nous vivons cette puissance socitale que

suscite le slogan publicitaire, en tant plus attentifs la forme de son expression quau

contenu de son message.

Dautre part, quant latmosphre, lesprit du slogan en tant que produit dune

cration, ce qui est certain est quil rpond un besoin de la socit. Il semble quil soit

moins le fruit dune intention collective consciente quun aboutissement invitable,

quelque chose que lon ne puisse pas faire autrement que produire. Du coup, il serait plus

proche dune manifestation de linconscient collectif de la socit.

Mais, comme beaucoup lont dclar, de Charles Baudelaire Jacques Sgula,

lessence de la cration nexige-t-elle pas de redevenir enfant ? Ici, ltymologie

denfant est bien significative : qui ne parle pas . Le secret de la cration publicitaire en

relvera : communiquer comme un enfant, en refusant de parler avec la langue normale

dun adulte, rationnelle et logique . Cest ainsi que le slogan publicitaire en vient parfois

ressembler au cri des enfants, ralisation vocale qui constitue en ce quelle est la fois

forme et sens, rclamant dinstinct lattention de lentourage, motionnelle et affective :

544
Pour lemploi de ce terme, on peut se rfrer Maurice Tournier, Texte propagandiste et
cooccurrences. Hypothses et mthodes pour tude de la sloganisation , in Mots, n 11, 1985, p. 155-187
et Michel Demonet et al. Des tracts en Mai 68. Mesures de vocabulaire et de contenu. Paris, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 1975, p. 287.
378

sensible. Puisque nos propres enfants enchantent toujours irrsistiblement notre monde, de

mme le slogan publicitaire se voudrait une parole qui puisse renchanter notre monde.

Cest en ceci que nous pouvons parler dun dsir de renchantement du monde se

manifestant au travers du slogan publicitaire. En effet, cest bien ce niveau-l que veut

exister ce merveilleux quotidien qui est mis en pub inlassablement et sous tant

daspects divers : tranget, grotesque, navet, cruaut, originel, primitif... enfin toutes les

formes qui rappellent lenfance, voire lanimalit en lhumain, autre dimension de

linnocence. Cela semble bien finalement relever dun ensauvagement de la vie , qui

tiendrait nous rappeler, en profondeur, ce fond qui nous est commun tous, redynamisant

ainsi le corps social, mme si cest dune manire qui, pour une bonne part, nest pas

toujours consciemment perue, comme nous lavons vu.

Ainsi, au terme de notre examen du slogan, nous pouvons dire que, confirmant lide

reue, la publicit est bien un miroir social. Toutefois, ce nest pas un miroir plat qui

reproduirait la socit comme un calque, en mettant en relief lidentit diffrencie de

chacun, individu ou objet. Au contraire, cest un miroir dans et travers lequel il

devient possible de voir les autres et soi-mme mais en tant que mutuellement relis, car il

rfracte . Noublions pas, dailleurs, quun miroir ne peut reflter que parce que sa face

arrire est recouverte dun matriau opaque. Pour nous, ce matriau est le langage.

De surcrot, la publicit fait bien partie de la mythologie daujourdhui. Tantt la

publicit fait un mythe du grand succs de telle ou telle marque ; tantt de vrais mythes

antiques ressurgissent dans la publicit545 ; souvent certaines de ses crations font partie

de ce qui reprsente le mieux lpoque546. Dj, Roland Barthes parlait des mythologies

issues de la publicit. Mais considrant celle-ci comme lemblme du capitalisme, ces

mythologies apparaissaient comme quelque chose dtruire, du point de vue dune

545
ce propos, on peut consulter Michle Jouve, Hros de pub. Quand les marques sinventent un visage,
Prigueux, ditions Chronique-Dargaud, 2009 et Bernadette et Franoise Schnitzler (sous la direction de),
Archopub. La survie de lantiquit dans les objets publicitaires, Strasbourg, Muses de Strasbourg, 2006.
546
Sagissant, en particulier, du discours publicitaire, Georges Vigarello prsente le slogan , Parce
que je le vaux bien (LOral) comme un moyen de rflchir sur notre temps [Garcien Jrme (sous la
direction de), Nouvelles mythologies, Paris, Seuil, 2007.]
379

critique idologique. Cela voulait dire que, comme signe, la publicit tait un objet de

substitution dont il fallait mettre jour les mcanismes sous-jacents malsains. Cette ide,

la publicit comme fausse vidence, pouvait se soutenir du fait que la publicit des annes

50 restait de la rclame. Or il faut souligner combien les conditions de la publicit ont

depuis lors volu, tant du ct de la production que du ct de la rception. Aujourdhui,

si cette publicit est encore mythologie pour Michel Maffesoli, cest comme le conte de

fe dune socit obsde par les objets et comme rvlateur dun air du temps qui a

gliss du rationalisme de la Modernitit au sensualisme de la postmodernit 547 . La

publicit, pour lui, est un matriau rflexif, au sens phnomnologique, travers lequel on

peut contempler le monde tel quil est.

Si, pour nous, la publicit est bien aussi une des mythologies daujourdhui, cest,

entre autres raisons, parce quelle est, de par son caractre, la fois rfracteur et

rflchissant et, cest--dire qui reflte, en le faisant dvier en un sens ludique et avec

drision, une attitude sous-jacente de rvolte contre tous les ordres tablis. Cela veut dire

que dans une socit contraignante o tout est, en surface, unifi, norm, programm,

mesur, contrl..., la publicit, en le transgressant, en le parodiant, nous fait miroiter un

monde libr par la dviance, laudace, la fantaisie... On peut la comparer l enfant

ternel qui se bat contre la loi du pre : elle est lexpression dune vitalit sociale qui

manifeste une fconde rsistance de ce genre contre une socit outrageusement

rationalise. Cette analogie avec lenfant rebelle et railleur, ce vitalisme, nous avons pu les

mettre en vidence dans le slogan publicitaire. Ainsi, cest sa langue elle-mme, avec

toutes ses particularits, notamment sa prfrence pour certaines formes telles que

proverbes, maximes, comptines et petites phrases vagabondes et buissonnires, qui tout

la fois exprime et nourrit cette vitalit sociale. Tout le parcours de ces lments, depuis

leur origine dans le refoul intrieur la communaut jusqu leur rsurgence en miettes

mythologiques, ne manifeste-t-il pas un rcit, mme sil ne constitue pas une pope ?

Rcit dans lequel, et grce auquel, les membres de la communaut tentent une
547
Michel Maffesoli, Pub in Iconologies. Nos idol@tries postmodernes, Paris, Albin Michel, 2008, p.
181-185.
380

communication parallle, dont le sens le plus profond reste souterrain, en partie

inconscient chez ses locuteurs, recouvert par ce propos commercial. Au fond, ce que

communique le slogan, nest-ce pas son dsir de communiquer, de retrouver le sentiment

dun tre-ensemble perdu ? Si ce discours parasite ou se greffe sur un propos commercial,

cest par ncessit de trouver un support. Or quel meilleur support que le commerce, par

lequel tous doivent passer, pour entretenir un autre commerce ? En ce sens, la publicit

daujourdhui ne connat-elle pas le sort des Mille et une nuits, rcits interminables qui

avaient un destinataire prcis et une fonction vitale, survivre, mais qui finalement (ou au

fond) voulaient pouvoir toucher toute la communaut ?

travers la publicit, la fois, phnomne socioculturel et miroir de la socit, on

peut donc dceler o en est une socit. Or avant tout, il nous apparat que cette socit

franaise si rationalise, qui prsente une telle morosit quon a pu parler de

bovarisme 548 (Aurlien Fouillet) ou de civilisation languisante (Michel Maffesoli),

tente ainsi de ragir, de trouver une soupape doxygne en dtournant ses contraintes par

un esprit du jeu . Cet esprit transparat dailleurs dans tant de phnomnes qui

imprgnent actuellement lair du temps : le triomphe du ludique, de la lgret, de la

drision, du got pour le drisoire, pour labsurde, linstantanit, le trash, la peau, enfin

lapparence. Michel Maffesoli souligne quel point la socit entire est devenue jeu. Un

tel niveau atteint, on peut bien parler dune vritable atmosphre sociale. En dautres

termes, sous-jacent cet esprit du jeu, il faut bien quil y ait un air du temps o chacun

est immerg. Cest lenvie de partager un sentiment commun, d entrer dans le plaisir

dtre ensemble, entrer dans la jouissance de ce monde tel quil est 549. On peut appeler

cela un hdonisme social pour reprendre lexpression de Michel Maffesoli.

La faon dont sexprime ce vent qui souffle sur lensemble du corps social nest autre

chose que son style. Ainsi, ce quon a qualifi de baroque nest autre chose que la forme

548
Pour ce sujet, voir la thse dAurlien Fouillet intitule, LEsprit du jeu dans les socits postmodernes.
Anomies et socialits : bovarisme, mmoire et aventure, soutenue, dcembre 2012, Universit Ren
Descartes-Paris 5.
549
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus (1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. VII.
381

prise par cet hdonisme social. Mais, ce baroque, au sens o nous avons envisag son

expression dans la publicit, peut entrer en relation avec dautres styles tout aussi baroques

que secrtent les divers domaines de la socit, puisquil sagit dun climat gnral, dun

air du temps. Ce faisant, linteraction de ces styles aboutit par brassage ce style

global dont parle Michel Maffesoli, qui redonne toutes choses une sorte de tonalit

identique. Il compare cela la sonate de Vinteuil 550 dans luvre de Proust, cette

ligne musicale grce laquelle le devenir et le permanent se conjuguent. Ou bien encore,

on pourrait parler propos de cet ensemble de formes caractristiques de lpoque, de

bassin smantique551, comme le fait Gilbert Durand en anthropologie.

Cest cette perspective que lon peut bien dire que notre poque est celle du baroque.

De fait, empiriquement, on constate cette baroquisation, qui est interprte comme tant un

idal-type culturel 552 par Patrick Tacussel, dans quasiment tous les domaines :

larchitecture, la littrature, la mode, la musique, la ville, le cyberespace, le commerce, le

quotidien, lactivit scientifique...553 Plus concrtement, ce baroque se caractrise par ces

traits : lharmonie contradictoire, le hasard ncessaire, la tendance androgynique,

lembrouillage des genres, la tendance archaque, le retour la nature et lorigine, la trash

attitude... toutes formes enfin qui expriment et permettent lensauvagement de la vie.

Il faut souligner que tous ces phnomnes et ces tendances manifestent un vitalisme

dans leurs aspects dconcertants et mme mystrieux et quils tendent de manire mystique

un hdonisme social. Michel Maffesoli note qu il suffit de voir que les sons, les

couleurs, les odeurs, les formes sont agencs de telle manire quils favorisent un

sensualisme collectif. 554 En ce sens, en prenant la notion de la faon la fois la plus

550
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde, op. cit., p. 33.
551
Gilbert Durand, Introduction la mythodologie. Mythes et socits, Paris, Albin Michel, 1996, p. 80-130.
552
Patrick Tacussel, Le baroque contemporain , in Socits, n 35, Paris, Dunod, 1992, p. 101.
553
En particulier, pour la mode, voir Ana Maria Peanha, Le baroque dans la mode in Socits, n 102,
2008/4, Bruxelles, De Boeck, p. 23-30 ; pour le baroque dans le domaine du cyberespace, Stphane Hugon,
Circumnavigations, op. cit. et Frdric Lebas, Interfaces baroques , in Socits, n 94, 2006/4, Bruxelles,
De Boeck, p. 91-103 ; pour la musique, Stphane Hampartzoumian, Effervescence techno ou la
communaut trans(e)cendantale, Paris, LHarmattan, 2004.
554
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 12.
382

concrte et la plus globale pour caractriser lpoque, le baroque constituerait, daprs

Michel Maffesoli, un style esthtique 555 en train de slaborer sous nos yeux.

Finalement, quand lesprit du temps est dtermin non par un principe conscient

impos den haut, des niveaux bien tablis, mais par un souffle inconscient venant

den-dessous et auquel personne nchappe, ne peut-on considrer que nous vivons

actuellement dun air du temps qui nous fait agir baroque et sentir esthtique ?

En effet, le baroque et lhdonisme sy illustrent dans lordre du quotidien, de faon

spontane, mme si cest impens ou occult par les ordres tablis. Do limportance de

bien voir ce rapport entre publicit et quotidien. Erving Goffman estime que, dans le cadre

dune mise en scne de la vie, la publicit est une hyper-ritualisation du quotidien, qui

reprsente la ralit sociale non en en donnant une image objective mais en en prsentant la

typification de ce que les individus croient quelle est556. Nous pensons que la publicit

peut tre mieux dcrite - bien videmment de faon temporaire - comme une mise en

forme de jeu, une mise jeu du quotidien, o la ralit sociale se prsente elle-mme

par la notion de jeu , l o peuvent se superposer le rel et lirrel. En ce sens, la

publicit actuelle est une hdonisation du quotidien sous forme de baroquisation .

Sur le terrain, dun ct, la publicit tend sans cesse davantage lespace de ses
supports et sen prend au corps humain, tandis que, de lautre, elle fait lobjet dun dbat
plus violent que jamais, o les crivains sont rests les premiers critiques. Constituant un
milieu qui est aussi culturel que mdiatique, au rythme de la technologie et de lhumeur
humaine, la publicit est devenue un lment auquel on nchappe plus. Ds lors, vivant
dj au milieu delle, environn par elle de toutes parts, les discussions sur sa nocivit
ventuelle peuvent sembler bien oiseuses. Il est sans doute plus important de garder
lesprit que nous ne sommes qu un homme qui nest ni le vainqueur ni lesclave de
cette chose qui semble lie la condition humaine, anthropologique en quelque sorte : elle
simpose, tant elle-aussi sans pourquoi, comme la rose est sans pourquoi.

555
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde, op. cit., p. 15.
556
Erving Goffman, La ritualisation de la fminit , in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n 4,
Paris, 1977.
383

La publicit franaise actuelle sloigne de plus en plus dun message du type :


Voici un objet qui a telles qualits. Ces qualits sont remarquables et vous concernent. Si
vous achetez cet objet, alors vous retirerez du plaisir et des avantages de ces qualits. En
fait, elle se caractrise par un manque de rapport logique et rationnel entre lobjet vant et
le message dlivr et par lexpression trs indirecte de celui-ci. Lambigut est totale. Si,
malgr cette tendance, la finalit ultime de la publicit est suppose navoir pas chang, on
peut raliser que prdomine une certaine tape dans lvolution propre de son mode de
communication.
Par consquent, comme un effet driv, on voit des cas o le moyen stratgique
adopt en arrive re-dterminer la communication elle-mme. Ainsi, la publicit, qui tait
discours sur lobjet, devient elle-mme, daprs Jean Baudrillard sa propre
marchandise 557 et semble renoncer son pouvoir. propos de ce phnomne, Al et
Laura Ries remarquent, avec ironie, que quand une technique de communication perd sa
vocation fonctionnelle, elle devient une forme dart 558. Pour notre part, nous avons pu
justement constater la reconnaissance de ce changement travers les paroles de notre
interviewe. Nadine sest reprsente juste aprs lentretien :

Ctait plus difficile que je pensais. Jaime bien les pubs. Je supporte pas les pubs la
radio. Si autrement, les pubs, je vois simple comme un spectacle. Enfin, depuis un moment
mais pas depuis toujours, pas depuis toujours. Pour moi ! Cest pas fait pour me faire un
spectacle. Je sais cest pour me faire acheter quelque chose. Je sais bien que cest fait
pour me manipuler, me faire consommer. Mais, un petit spectacle visuel gentillet .
Cest pour a que jai pas saisi toutes ces astuces de langage. Moins bien quau thtre,
quand mme, mais, une distraction !

En fait, cest bien au travers du constat dune telle volution dans le rapport la

publicit, mais volution bien conforme sa nature de communication, que nous avons d

reconnatre toute la profondeur de son tre social. Communication, sans doute convient-il

557
Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galile, 1981, p. 135.
558
Al et Laura Ries, La Pub est morte, vive les RP !, Paris, Pearson Education France, 2003, p. 31.
384

de prendre ce terme en son sens le plus profond. La communication qui ne communique

rien quelle-mme, cest--dire qui ne communique que son besoin de communiquer, nest-

elle pas la base de tout social ? Or, nous avons pu constater combien la fonction de nos

slogans peut souvent sembler en effet improductive si elle est envisage en termes

exclusivement utilitaires. Il apparat quune fonction de pure communication se greffe sur

ce propos utilitaire, qui devient comme une sorte de prtexte ou doccasion. La publicit

constitue lun de ces objets qui vivent dun tel paradoxe du monde, qui pourrait

sinterprter par l invagination du sens 559 dont parle Michel Maffesoli sur un plan pan-

smantique pour caractriser notre poque.

Dailleurs, en tant quelle doit sadapter au plus prs lidiosyncrasie de ses

destinations, soulignons que la publicit est lun des derniers domaines qui rsistent la

vague uniformisatrice de la globalisation. Foncirement rgionale, elle est aussi datable : la

publicit franaise actuelle se diffrencie non seulement de celle des autres pays mais

encore de celle dautres priodes de son propre territoire. Elle doit demeurer, par nature, un

mode de communication sui generis qui se modle cote que cote la situation du terrain

o elle doit vivre. La publicit est sans cesse en qute de nouveaux moyens, concernant

langage, image, couleur, son, ton, design, etc. Mais, tant que la publicit franaise ne dira

pas Achetez ce produit! dune manire aussi ostensible que nave, sans pour autant,

bien-sr, aller jusqu dire Nachetez pas ce produit! mme implicitement, elle habitera

dans un monde imaginaire, en rendant sa perception sophistique, opaque et nigmatique.

Sagissant de la gense de limaginaire, Gilbert Durand a pris son point de dpart dans

la conscience que tout homme meurt, voire dans la reconnaissance de la finitude de ltre

humain. Pour notre part, en adoptant une mtaphore visuelle, nous pourrions dire que

toutes choses, matrielles comme spirituelles, qui doivent leur ombre la lumire forment

par l un champ imaginaire. Tels sont la montagne, le fleuve, larbre, la ville, la maison...

les ides et les penses de ltre humain. Enfin de la Terre entire sous le Soleil. Il pourrait

y avoir deux faons denlever lombre. Lune serait de faire disparatre la lumire, ce sera

559
Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010, p. 7.
385

la fin du monde. Lautre serait de rendre transparentes les choses, mais ce serait galement,

pour dautres raisons, la fin du monde. Sans doute, la Modernit a t tente par cette

dernire voie. Si notre monde peut encore exister, cest que lon vit rellement avec et dans

ce clair-obscur que tisse linteraction entre lumire et choses.

Cest sous lenseigne de cette non-transparence que la publicit peut tre aborde sous

langle de l imaginaire publicitaire quelle que soit lapproche que lon privilgie :

langage, image, couleur, thmatiques, produits, etc. Cette dimension imaginaire valant

alors comme point de vue sur le social, sans devoir constituer un domaine dfini par un

objet, comme le soulignent les auteurs de Sociologie de limaginaire560.

Faut dtre lobjet dune attention suffisante, le risque pourrait tre que la publicit,

semparant mme de la science, devienne comme le remarquait Louis Quesnel, toute la

philosophie dun monde sans philosophes 561, lhorizon de pense dun monde ne pensant

plus, mais sachant calculer. Les sciences humaines et sociales se doivent de se pencher sur

cet air mystique , qui devient palpablement plus dense dans notre vie quotidienne.

560
Patrick Legros, Frdric Monneyron, Jean-Bruno Renard et Patrick Tacussel, La Sociologie de
limaginaire, Paris, Armand Colin, 2006, Introduction gnrale , p. 1.
561
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Http: // bap-propagande. org : Brigade antipub
400

Annexe
Liste des slogans

A
bord de notre nouvelle Business Class, vous avez le choix entre trs confortable et
trs confortable (Lufthansa) p.279
chaque instant et pour longtemps (Gerbl)p. 264
lextrieur cest une voiture, lintrieur cest plus grand (Peugeot 307 SW) p. 285
ABRACADAbra (Wonderbra) p.320
Agatha cest moi (Agatha) p. 264
Ah, je ris de me voir si ( ) en ce miroir ! (Mercedes-Benz) p. 335
Almera Tino, Le Famillyspace. Faites 4 vux pour votre famille. Scurit. Scurit.
Scurit. Scurit. (Nissan) p. 278
Anachronisme le jeu des temps (Jaeger-Le Coultre) p. 312
Aprs la pluie, le beau temps (Office national du Tourisme de Thalande) p. 330
Arriver temps, a change tout ! (La Poste) p. 289
Athnes vos marques (Le Figaro) p. 338
Attention Compaq bord (Chrysler Voyager) p. 318
Attention, vous allez aimer sa gueule de sducteur son profil grande famille (Hyundai
Santa Fe) p. 246
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi (Alcatel) p. 279
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi (Alcatel One Touch
302) p. 287
Auto-satisfaction (Darty) p. 253
Aujourdhui, il suffit de dire maman pour composer son numro. Vous pouvez aussi le
crier (Pioneer) p. 319
Avec le nouveau mail Yahoo ! Attendez-vous ne plus attendre (Yahoo) p. 347
Avec Vittel, je rcupre ! (Vittel) p. 343
B
Beaux jours Beaujolais (Beaujolais) p. 266
Belle comme au premier jour (Mercedes-Benz Millesima) p. 341
Belle dans mon ge bien dans ma peau (Clarins) p. 266
Belle ( ), vos beaux yeux me font mourir damour (Mercedes-Benz) p. 333
Bien entendu (Europe1) p. 314
C
a dcouf (Surcouf) p. 237
a nous ressembleue ; Invraisemblableue (Mutuelle Bleue) p. 268
Capter lnergie du soleil pour voir lavenir sous un autre jour (Total) p. 266
Catgoriquement hors-catgories (Nissan Murano) p. 277
401

Ce qui peut tre dlicat, avec le sans-fil... cest de travailler sans fil (IBM) p. 280
Ceci nest pas un jambon (Parma) p. 257
Ceci nest pas une Fiat (Fiat) p. 257
Changez votre faon de voir (Xerox) p. 314
Choisir Lexus cest facile. Choisir une Lexus, cest une autre histoire (Lexus) p. 285
Commenons par changer les voitures, a changera peut-tre le reste (Fiat) p. 289
Compltement givr ! (Toshiba) p. 245
Confort unique styles multiples (Ibis) p. 275
Contribution invisible. Succs visible (Basf) p. 274
Coup passion Coup raison (BMW 320Cd) p. 274
Cre sur la Terre Consacre sur la Lune (Omega) p. 266
D
Dans un corps parfait une tte bien faite (Chrysler PT Cruiser Turbo Diesel) p. 264
Des siges arrire, visiblement trs escamotables (Toyota Yaris Verso) p. 277
Dior jadore (Dior) p. 264
Dites cheese (Siemens mobile) p. 337
Dorele. Ainsi se construit une Lgende (Dorele) p. 336
E
En avril ne te dcouvre pas dun ( ). En mai fais ce quil te ( ) (Mercedes-
Benz Millesima) p. 331
En Sarthe, on peut avoir la grosse tte (Sarthe) p. 314
Enfin tout seul avec ses amis (Mitsubishi Pajero) p. 355
Entre cavaler tous les jours... et galoper chaque jour, jai choisi ! (La Mayenne) p. 279
Entre nous, vous nen avez absolument pas besoin. Vous en avez juste trs envie
(Lancia Ypsilon) p. 350
Epsonissime (Epson) p. 238
Espress yourself (Lavazza) p.291
trangement proche (Andorre) p. 277
tre autre chose quun numro de compte. a compte (LCL) p.249
tre dans les airs comme un poisson dans leau (Lufthansa) p. 341
Euphorie (Athnes 2004) p. 312
Exactement ce que vous attendiez : de linattendu (Smart) p. 347
F
Finepix S 5000-Zoom optique x 10 Mme de loin vous tes prs ( Fujifilm) p.347
Foncirement diffrent sur tous les points (Crdit foncier) p. 314
G
Givr (Cognac) p. 245
Grimbergen et le silence se fait (Grimbergen) p.259
402

H
Habillez-vous en Gore-Tex, a change la vie ! (Gore-Tex) p. 289
Happy in the new chic (Morgan) p. 291
Hennessy fine de Cognac. Le temps sarrte. Le voyage commence (Hennessy) p. 274
( ) sweet ( ) (Mercedes-Benz) p. 337
I
Il a Free il a tout compris (Free) p. 264
Il tait une fois le palace de demain (Plaza Athne) p. 320
Il tait une fois. Pas deux (Syfy) p. 320
Il ne pense qu a (Ford K) p. 285
Il ny a que dans les fables que la tortue arrive devant le livre (Audi) p.321
Il y a beaucoup plus de neurones dans votre cerveau que de mots dans le dictionnaire :
utilisez-les! (Dicos dor) p. 276
le Maurice. Un monde loin du monde (le Maurice) p. 255
Innovatique: [i-no-va-tik] (Nissan Micra) p. 242
Adj. qui allie une technologie aussi innovante que pratique.
Innovatique ne semploie que pour les Micra. Nissan
iPAQ Pocket PC. Ceux qui lont se mfient de ceux qui ne lont pas ( Compaq) p. 279
Il vaut mieux investir dans le neuf (9 tlcom) p. 249
J
Jamais le silence na pris autant de place (Renault Vel Satis) p. 264
Je sais donc je suis (CNN) p. 338
Je voulais du rpondant, jai trouv la rponse (Alfa Romeo) p. 280, 350
L
La bourse tout petit prix (Socit gnrale) p. 341
Largent cest comme son chien, on aime bien quand il rapporte (La Poste) p. 255
La solidit dun appareil se vrifie souvent avec les annes. Mais parfois, quelques
secondes suffisent (KRUPS) p. 274
Le comptoir dun caf est le parlement du peuple -Honor de Balzac (France
Boissons) p. 332
Le diable shabille en Panda (Fiat Panda) p. 336
Le haut dbit, a arrive au moment o a part (9 tlcom) p. 355
Le haut dbit, cest dj servi (9 tlcom) p. 265
Le meilleur lit sur terre nest pas sur terre (Iberia) p. 255
Le moche est laid (Lancia Ypsilon) p. 350
Le projecteur qui en fait beaucoup. Pour si peu. (Sony) p. 273
Le Yti existe. Il a mme le permis (Toyota) p. 336
Lpargne qui attire lintrt (LCL Compte pargne fidlit) p. 248
Les chicissimes (Lancia Ypsilon) p. 238
403

Les Modissimes - 40% (Optique 2000) p.238


L( ) confirme la rgle (Mercedes-Benz) p. 331
Lhomme est imprvisible. Cest prvu (La Mondiale) p. 347
Libert dexpresso (Delongghi) p. 338
Libert, galit, festivits! Votez Vico, le roi de l'apro (Vico) p. 338
Lintelligence attire lintelligence (Nissan Primera) p. 255
Livebox, a change tout chez vous (France tlcom) p. 289
Loup ! (Peugeot) p. 245
M
Matre corbeau, sur un arbre ( ) (Mercedes-Benz) p. 321
Megane Renault Sport. 225 chevaux et un chien (Renault Megane) p. 314
Mieux consommer, je positive (Carrefour) p. 343
Mini prix pour un max de photos ! (Photo station) p. 274
Modtro : [md-tro] (Nissan Micra) p. 243
Adj. qui associe un design moderne des lignes rtro
Syn. rtrerne (qui associe rtro et moderne)
Moi aussi, cheveux un menu Hippy Toast (Quick) p. 268
Mon client est drle. Mon client est drle. Mon client est ... (Audi) p. 279
My Gourmand is bon. Very bon (Mamie Nova) p. 291
N
Ne lui envoyez pas des fleurs, envoyez-lui vos fleurs (Orange) p. 285
Ne mettez pas tous vos ufs dans le mme panier (Carrefour) p. 330
Ne vaut-il pas mieux prvenir la panne que la gurir ? (Peugeot) p. 274
Ne vous dplacez plus. Voyagez (Chrysler) p. 350
Nhsitez plus entre le soin et le soin (Nivea Men) p. 278
Nol, cest beaucoup donner et bien recevoir (Maison) p. 274
Noubliez pas de laisser la lumire allume en sortant (TBS) p. 355
Nous cest le got (Quick) p. 265
Nous partmes ( ) ; mais par un prompt renfort, nous nous vmes ( ) en arrivant
au port (Mercedes-Benz) p. 333
Nouvelle cure subliminceur (Accor Thalassa) p. 240
Nouvelle Skoda Octiva enfin une grande au prix dune petite (Skoda Octiva) p. 273
Numriquement vtre (LG) p. 338
O
On agit comme un grand. On paye comme un petit (IBM) p. 273
On na jamais trop damis (Wanadoo) p. 287
On peut acheter une voiture luxueuse sans acheter une voiture de luxe (Skoda Superb
combi TDI) p. 285
On spargne des soucis. On pargne la banque postale (Banque postale) p. 285
404

On va fluncher! (Flunch) p.237


P
Papa, on est bientt arriv ? - Oui, malheureusement. (Chrysler) p. 354
Parents bord (Grand monospace Citron C8) p. 318
Partagez votre galaxy (Samsung) p. 291
Partir ailleurs, cest simple. Tlphoner dailleurs, cest simplissime (Bouygues
Tlcom) p. 238
Pas de trou que du got (Gruyre) p. 264
PASSEZ A VERSO (Toyota Verso) p. 317
Piaget jardin secret (Piaget) p. 264
Pour empcher les prix de dcoller, on les a colls (Intermarch) p. 275
Pour que lavenir tienne ses promesses, inventons la tlvision qui dpasse la
tlvision (France Tlvision) p. 278
Prenons le temps de biscuiter ensemble (Milka) p. 269
Prvoyez daller plus loin que prvu (BMW Srie 5) p.347
Protection sur mesure ? (Ford) p. 314
Q
Quand jtais petit, mes parents menfermaient pour me punir (Audi) p. 319
Quand je serai grand, je serai constructeur de jolies villes ! (RegioinsJob) p. 324
Quand je serai grand, je serai informagicien ! (RegionsJob.com) p. 240
Quest-ce qui a 4 bras, 4 jambes, une tte et qui sent bon? Un papa (Sephora) p. 323
Quels champagnes tes-vous? ( Comit international du Vin de Champagne) p. 285
Qui maime me ( ) (Mercedes-Benz) p. 337
R
Rapprochez-vous, il ny a rien voir (Garnier) p. 352
reVittelisez-vous (Vittel) p. 237
S
Sans dure, on ne construit rien (Dexia) p. 287
Sans fil, internet est mieux quavec (Packard Bell) p. 274
Savoir do a vient pour savoir o on va (Auchan) p. 291
Seul un maximum de technologie permet de rduire la consommation au maximum
(Nouvelle smart cdi turbo diesel) p. 279
( ) appeal (Mercedes-Benz) p. 337
Si petite & pourtant si grande (Bang & Oulfsen) p. 275
Six appeal (Fiat Multipla) p. 338
Soffrir une maison, cest soffrir un nouvel horizon (Rsidences secondaires) p. 265
Soldissime (Galerie Lafayette) p. 238
Son ( ) Srnissime (Mercedes-Benz) p. 337
405

Sous la TV, la plage. (Liberty TV) p. 345


Sous ltiquette, le plaisir (Le Reblochon de Savoie) p. 345
Soyez mgalo ! (Sony Vaio) p. 245
Spacte: [sp-kt] (Nissan Micra) p. 243
Adj. se dit de quelque chose de spacieux et compacte.
Ex. une Micra spacte
T
Toi toi mon toit (Citron) p.335
Tony Parker est Born for Sports... Et vous? (Born.com) p.291
Tout ce qui brille nest pas forcment neuf (Mercedes-Benz Millesima) p. 331
Tout le monde parle dcologie. Renault agit (Renault) p. 265
Tout prvoir, mme limprvisible (Oregon) p. 347
Trop ( ) pour tre vrai (Mercedes-Benz) p. 337
Twingo Cinetic. Largent na jamais aussi bien circul (Renault Twingo) p. 254
U
Un bijou emmener partout (Samsung Digimax) p. 265
Un bonheur narrive jamais seul (Wanadoo) p. 331
Un confort votre image, cest simple comme DolceVita (Gaz de France) p. 341
Un jour ou lautre, on a tous envie de changer de maison (La Poste) p. 287
Un mouton... deux moutons... ce nest pas un rve, cest lIrlande (Ireland) p. 337
Un nouvel intrieur pour tous les extrieurs (Suzuki Grand VitraTD) p. 274
Un petit pas pour lhomme, un bond pour sa femme (LG) p. 338
Un seul ( ) vous manque et tout est dpeupl (Mercedes-Benz) p. 333
Un seul mot pour accder tout. Open (Orange) p. 274
Une impression Brother sait faire la diffrence (Brother) p. 254
Une tonne et demie et pas un gramme de graisse (Volvo S60 D) p. 274
Une vie moins ordinaire (Bang & Oulfsen) p. 295
V
Veni, vidi, ( ) (Mercedes-Benz) p. 337
Very Important Product (Habitat) p. 338
Vive le vent... vive le ( ), vive le ( ) dhiver... (Mercedes-Benz) p. 335
Vivez un conte de 2 jours et 1 nuit (Disneyland Resort) p. 333
Volkswagen up! Cest grand dtre petit (Volkswagen) p. 275
Vos photos ne perdront plus la tte (Nikon) p. 254
Vous avez la Cote et a vous rapporte (Cortal Consors) p. 264
Vous chque djeunez, vous conomisez (Chque djeuner) p. 237
Vous navez jamais entendu parler de nous. Cest prcisment pour cela que nous
sommes connus (Brother) p. 347
Vous navez jamais regard vos comptes avec autant dintrt... (Banque prive
406

europenne) p. 249
Vous ne gagnez pas toujours votre vie en vous amusant. Cest pour a quon ne samuse
pas avec votre pargne (Banque populaire) p. 279
Vous leur ferez toujours dire Cheese. a, a ne changera pas (HP) p. 289
Vouvray Jeunes et clbres et vice-versa (Vins du Val de Loire) p. 312
W
When in Rome do as the Romans do (Talentvillage) p. 330
Chiffre
0% Moche (Lancia) : p. 245
2 camras: la vision recto verso (Nokia 6680) p. 312
7-8H. Une heure dactualit aussi serre quun bon caf (BFM) p. 254
407

Index
I. Index nominum

A Blanchet Ph. 149


Achard P. 132, 151 Bloch O. 312
Adam J.-M. 19, 82, 85, 86, 95, 212, 217, 283, Bonhomme M. 19, 82, 85, 86, 95, 212, 217,
284 283, 284
Akoun A. 27, 50, 56 Bordas N. 39
Alain (interview) 302, 304, 305, 364, 367 Borgeaud E. 33, 48
Amalou F. 42 Boudon R. 134
Andersen H. C. 115 Boyer H. 20, 97, 98
Andr J.-C. 84 Bourdieu P. 136, 150, 151, 160
Antoine, 43 Boursicot J.-M. 45
Antoine G. 110 Brel J. 369
Aris P. 43 Breton Ph. 22
Aristote 148, 150 Brochand B. 105, 106, 211
Austin J. L. 149, 177 Brune F. 42, 43, 302
B C
Bailly C. 149 Calvet L.-J. 125, 344
Bakhtine M. 192 Carse J. P. 222, 223
Balle F. 17 Cathelat B. 28, 60, 107
Balzac H. de 16, 35, 332 Cdric P. 371
Barbelivien D. 237 Cerquiglini B. 82, 110
Barthes R. 54, 66, 114, 160, 167, 378 Certeau M. de. 101
Baruk S. 172 Challe O. 210, 240
Basse M.-T. 62 Chessel M.-E. 20, 25, 80
Baudelaire C. 115, 261, 377 Cheynet V. 43, 44, 51
Baudrillard J. 42, 54, 122, 166, 301, 383 Charaudeau P. 170, 191
Baynast A. De 22, 31, 33, 50, 83, 86, 98 Chirac J. 72, 75, 191, 328
Bauvin J. H. 87 Chomsky N. 177
Becker H. S. 233 Cicron 148
Beckett S. 153 Claire (interviewe) 302, 304, 363, 367
Beigbeider F. 44 Clausewitz C. von. 219
Bentham J. 98 Clmentin B. 43
Benjamin W. 129, 144, 145 Comte A. 133
Benveniste . 151 Confucius. 11
Bergson H. 369 Corbin H. 142
Bernheim F. 19 Corneille P. 278
Berthelot-Guiet K. 77 Corso Ph. 107
Blachas C. 46, 53 Cosette C. 53, 65, 107, 211
Blanc N. 61 Culioli A. 177
Blanchard G. 14, 16, 19, 23, 24, 25
408

D Galisson R. 84
Darsy S. 43, 51 Galliot M. 23, 77, 208
Dayan A. 106 Ghiglione R. 191
Debord G. 42 Giocanti S. 10
Dcaudin J.-M. 84, 99, 105, 107 Goffman E. 134, 149, 220, 222, 382
Delacroix H. 144 Goldstein K. 144
Deleuze G. 127, 146, 324 Graby F. 216, 344
Demonet M. 377 Gradis Y. 43
Dhuin-Vidal M.-C. 239, 240 Greimas A. J. 218
Dru J.-M. 106, 256 Grsillon A. 244
Duhamel G. 36 Greven H. A. 84, 144
Duprs J. 15 Grevisse M. 123
Durand G. 15, 117, 118, 141, 142, 283, 381, Grunig B.-N. 82, 95, 110, 114, 170, 175, 179,
384 180, 181, 183, 198, 203, 217, 233,
Durkheim . 69, 133, 165, 167, 201, 375 256, 260,261, 263, 297
Duvillier F. 81 Grunig R. 297
Duradin G. 22 Guattari F. 127, 146
Ducrot O. 149, 170 Gurin R. 9, 112, 113
Durand J. 88 Guidre M. 90, 109
E Guilbert L. 109
Eco U. 160 Guillaume (interview) 303, 304, 364
Elias N. 156 Guiraud P. 215
tiemble R. 111, 112, 293 H
Everaert-Desmedt N. 210, 212 Habermas J. 98, 99
Ewen S. 37 Hagge C. 133
F Halbwachs M. 308, 362, 366
Ferr L. 335 Hampartzoumian S. 381
Field M. 327 Hana (interviewe) 365, 366
Finkielkraut A. 244 Hastings M. 371
Fitoussi M. 92 Heidegger M. 288, 309
Foucault M. 136, 137, 138, 139, 140, 185, Hesbois L. 216
187 Heude R.-P. 82, 83
Fourier C. 240 Hitler A. 78
Freud S. 27, 215, 242 Hugon S. 32, 375, 381
Freund J. 115, 147 Huizinga J. 209, 300
G I
Gabszewicz J. 18 J
Gadamer H.-G. 194, 195, 222 Jakobson R. 131
Gadet F. 110 Jackson Don D. 85
Gaillois R. 209 Jaubert M.-J. 82, 83
Gainsbourg S. 303 Jean-Christophe (interview) 301, 304, 363,
Garcien J. 378 367
Gide A. 154 Jean-Marie (interview) 303, 304, 364
409

Joannis H. 82 155, 156, 157, 159, 166, 168, 182, 199,


Joly M. 257 201, 202, 205, 206, 209, 227, 294, 300,
Joron Ph. 118, 370, 374, 325, 360, 361, 362, 371, 374, 376, 379,
Jouve M. 91, 96 380, 381, 382, 384
K Magritte R. 258
Kapferer J.-N. 95, 105, 212 Maingueneau D. 170, 190
Kaufmann J.-C. 72 Marlin-Kajman H. 160
Kerbrat-Orrecchioni C. 219 Mallarm S. 115, 139, 174
Kant E. 146, 220 Marchal G. 327
Klein N. 42 Martin M. 15, 16, 17, 35, 36
Kounen Jan 43 Martin R. 170
Kristeva J. 129 Martinet A. 85, 88
L Mattelart A. 30, 102, 214
La Fontaine 322 Maubon C. 45
Lacan J. 127 Mauduit R. 19
Lagneau G. 62 Mauss M. 60, 153
Lamartine 333 McLuhan M. 60, 66, 92
Lamizet B. 83 Medeiros E. 335
La Rocca F. 70, 204, 307, 374 Merleau-Ponty M. 64
Langlois D. 79 Mr C. 36
Lazarsfeld P. F. 26 Messier D. 215, 242
Le Bon G. 78 Mejri S. 235
Le Quau P. 11 Metz C. 88
Lebas F. 381 Michel P. 2, 104, 106, 362, 373
Lecercle J.-J. 125, 126, 163 Milano M.-H. 89
Lee C.-H. 144 Mills Wright 72
Legois J.-Ph. 78 Milner J.-C. 127
Legros P. 385 Minda A. 240
Leibniz 148 Miro M. 335
Lendrevie J. 21, 30, 32, 48, 83, 84, 96, 211 Molire 333
Lerat P. 108 Monod J.371
Leteinturier C. 81 Monneyron F. 385
Lochard G. 20, 97, 98 Mons A. 307
Logi B. 210, 240 Montagn G. 237
Loc N. 371 Montaigne M. de. 10
Lugrin G. 366 Montesquieu. 201
Lu Xun. 298 Morin E. 31, 56, 60, 69, 222
M Morier H. 375
Macaire R. 43 Moscovici S. 211
Machiavel 78 Mucchielli R. 82
Maffesoli M. 11, 12, 55, 57, 59, 61, 62, 66, 68, N
69, 71, 73, 74, 115, 116, 119, 120, 125, Nadine (interviewe) 303, 304, 364, 367, 383
126, 141, 142, 144, 146, 147, 152, 153, Nayaradou M. 31
410

Nicolas L. 370 Sacriste V. 74, 210


Nietzsche F. 139, 174 Sauvageot A. 61, 204
O Schiavone F. 143
Omar R. 327, 328 Schnitzler B. 378
Ors E. de. 216 Schnitzler F. 378
P Schtz A. 134
Pape Grgoire XV 21 Searle J. L 177
Parnet C. 127, 324 Schaud Y. 79
Pareto V. 128 Sgula J. 103, 104, 105, 377
Parret H. 170, 173, 223 Seowon (interviewe) 365, 366
Passard C. 370 Silem A. 83
Patrin-Leclre V. 24 Simmel G. 11, 115, 117, 146
Paveau M.-A. 169 Soudaeva M. 79
Peanha A. M. 381 Stendhal. 207
Pepin C. 11 Suchet B. 39
Peirce C. S. 162 Sun Tzu. 218, 219
Pivot B. 53 T
Pont G. 43 Tacussel P. 371, 374, 381
Proulx S. 22 Teyssier J.-P. 210, 245
Pruvost J. 217 Thvenet-Abitbol A. 104, 362
Q Thomas J.-J. 161
Quesnel L. 289, 385 Tournier M. 377
Quessada D. 42, 44 Toynbee A. 52
R Truxillo J.-P. 107
Rabot J.-M. 371 U
Racine J. 113 Utard J.-M. 83
Ramonet I. 22 V
Reboul O. 78, 79, 114 Vernette . 84
Renard J.-B. 385 Vron . 212
Renaudot T. 15 Vidal J. 61
Ries A.et L. 33, 50 W
Reisman D. 54 Walter H. 112, 234, 293
Reboux Paul 34 Watier P. 11, 118, 157
Renaudot T. 15 Watzlawick P. 85
Riou N. 21, 84 Wartburg W. von 313
Ryckmans P. 11 Weber M. 146, 147, 202
S Whorf B. 149
Sablayrolles J.-F. 215, 235 Wittgeinstein L. 216
Salacrou A. 36 Y
Sansaloni R. 213 Yourcenar M.153
Sapir E. 149
Sarfati G.-E. 169
Saussure F. de. 123, 130, 191, 211, 229
411

II. Index rerum


La slection a t faite en fonction de la pertinence. Les termes techniques ou
dorigine trangre sont en italique. Les personnages et les noms de marque
retenus lont t pour leur importance quant notre propos.

A Cinma 17, 23, 93, 110


Acadmie franaise 75, 111, 153, 235,238 Circulation du dire 311, 328
Accroche 82, 83, 84, 93 Citoyen 13, 42, 225
Advertising 20 Citoyennet 47
Affichage 23, 32, 65, 92, 121, 204, 288 Civilisation 294
AIDA 102 Civilisation des murs 155
Albums de Pompi 14 Club Med 78, 94
Alexandrin 268 Commerce 68, 374, 380
Archaque 300, 309, 317, 364, 371 Communaut linguistique 229, 230, 301, 362
Archtype 9, 309, 343, 361, 369 Communaut socioculturelle 362
ARPP (Autorit de rgulation professionnelle Communication analogique 85, 142
de la publicit) 100, 239 Communication digitale 85
Artisan intellectuel 72 Communication interactive 28
B Communication mdiatique 93, 97
Babel 137, 187 Communication mdiatise 97
Baroque 205, 206, 309, 371 Conformisme social 34
Base-line 82, 83, 84, 90 Conformit (non-conformit) 257, 259
Barbarie 227, 362, 364, 371, 372 Consommateur 212
Bassin smantique 381 Consommation (socit de ) 9, 26, 41, 42, 208,
Behaviorisme 102 212
Bote de Pandore 10 Contenu rationnel 145, 200
Bon usage 123, 228, 232 Contenant motionnel 200
Bonux 76 Contexte scalaire 172, 173, 251
Boursin 75 Contexte vectoriel 172, 173, 323
Brigade antipub 43, 402 Copy stragegy 105
Broussaille smiologique 86 Couponnage 18
BVP (Bureau de vrification de la publicit) CPE(Contrat premire embauche) 77
102, 239 Crativit 102, 103, 104
C Crieur 14, 15
Cadum 75 Culture 297
Carrefour 76, 343 Culture pub 46, 47
Casseur de pub (adbuster) 43, 51, 112, 303 D
Charlatan 36 Dmarche comprhensive 72, 118
Charade 12 Dsambigusation 248, 349
CELSA 27 Dsindividualisation 160
Centralit sur limage 70 Dispositio 83
412

Disruption 106 Internet 17, 28, 32, 33, 78, 189, 197
Doctor Jekyll et Mister Hyde 154 J
Double articulation 85, 146, 182 Journe sans achat (Buy Notion day) 43
Doxa 142, 305 K
Dubonnet 75 Kwangko 20
Duo-cratif 105 L
E LA langue 111, 124, 128, 232
EDF 53 Langue 130, 131, 163, 232
chantillons gratuits 18 Langage-objet 71
E-mailing 18 Langue spcialise 108, 109
Embrayeur 287 Lalangue 127, 128
Enfant ternel 324, 379 Langagier 159, 160, 161, 162, 200
Enracinement dynamique 362, 368 Langaginal 159, 200
Ensauvagement de la vie 378, 381 Langaginalit 158, 162, 181, 182
F Langue-trsor 123, 126, 230
Fait social total 60, 61, 63 Langue-trash 123, 124, 125, 126, 231, 375
Ftichisme 165, 166, 167 La Nuit des Publivores 45, 46, 303
FMA(Fdration mondiale des annonceurs) Le Lay (Laffaire de) 24
31 Lexme 87
Foire 18, 98 Lobbying 31, 98
G Logique du devoir-tre 123
Galaxie de Gutenberg 66 Logique naturelle 351, 352, 361
La Gazette 15 Logos 136
Graffiti 43, 44, 125, 183 Logotype 85
Grands mdias 17, 18, 23, 97 Loi vin 100
H Loi Toubon 99, 110
Habitus 150 M
Haku 264 Magazine 22, 65
Havas 25 McDonalds 50, 78
Head-line 82, 83, 90 Mai 68 42, 50, 75, 79, 80, 345
HEC 26 Mdias chauds 93
Htronomie 156 Mdias froids 93
Hraclite 155 Merveilleux quotidien 68, 378
Homo ludens 208, 209, 217 Mta-langage 172
Hors mdias 17, 18, 94, 98 Mind 102
HSBC 28 Modernit 124, 136, 140, 143, 155, 157, 376,
I 379
Iconisation du verbal 86, 87, 142 Monde imaginal 141
Image-objet 71 Monme 85, 182
Image-outil 71 Monsieur Propre 76
Implication 216 Mouvement antipub 41, 42, 43, 44, 45, 112
IREP (Institut dtudes et de recherche N
Publicitaire) 31 No-rclame 20
413

Nomadisme du signifiant 328 Puissance 159


Non-consommateur 213 R
Non-logique 359 Radio 17, 22, 32, 93, 100
Numrisation de licne 88 RAP(Rsistance lagression publicitaire) 43
O Rclame 18, 19, 20
Objectal 182 Rdactionnel 84
Omo 75 Reklame 20
Opinion publique / opinion publie 71 Relations publiques (RP) 18, 98
OVNI 125 Reliance 156
P Rminiscence 324, 325
Packaging 99 Rsidu 128
Palo Alto 85 Reste 126
Panzani 75 Rvolution franaise 16, 21
Papier 93 Rvolution industrielle 25
Papyrus thbain 15 Robinson Cruso 52
Parmnide 154 Ruban de Mbius 186, 187
Parole 130, 131, 163 S
Parrainage 94 Salon 94
Pense radicale 64, 74 Saut cratif 106, 256
Pense procustenne 62, 64 Signature 82, 83, 84
Personne 153, 156, 157, 175, 288 Signifiant linguistique 85
Persona 157, 181, 226, 288 Signifiant iconique 85
Phalanstre 240 Signifiant composite 85
Phonme 85, 182 Sijo 264
Phrase dassise 82 Slogan 74, 95
Placards 84 Slogan politique 80, 376
Plat-form 105 Slogan publicitaire 80, 377
Popinot 16 SMS 66, 125
Pouvoir 159 Social 152, 153, 156, 157, 158
Postmodernit 157, 202, 379 Socialit 152, 156, 157
Praxogramme 352, 355, 357 Socital 152
Presse 16, 17, 23, 94 Socit publicitaire 52, 56, 64
Procuste 62, 202 Socialit 117, 146, 152, 156, 157, 158
Promotion 18, 98 Sociologie procustenne 62
Propagande 21, 22, 78, 79, 80, 302 Spot tlvisuel 92
Prospectus 18 Style de vie 27, 102, 205
Pubblicit 20 Style (esthtique du ) 205
Publicit-miroir 63, 64 Sunjeon 20
Publicit et socit 55 Surjet 182
Publiphile 40, 45, 68, 71, 301, 303 Symbolisation des mots 165, 181
Publiphobe 40, 50, 68, 71, 302 Symolisation du langage 182, 184, 188
Publipostage 94 T
Publicis 25 Tcho (pays) 52
414

Tlphonage 18 V
Tlvision 17, 21, 22, 24, 94 Verbalisation de liconique 86, 89, 142
Texte dancrage 84 Vittel 75
Texte dappel 84 W
Theatrum mundi 156 Werbung 20
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