2014 Lee Arch
2014 Lee Arch
2014 Lee Arch
e
sociale : la construction dune esth
etique sociale `
a
travers la communication publicitaire
Chang-Hoon Lee
Rsum
Franais
Titre : Le slogan publicitaire, dynamique linguistique et vitalit sociale
Thse : ternel objet de polmique, la publicit franaise, comme miroir social, consolide
aussi notre lien social. Lexamen de son lment langagier, le slogan, peut apporter beaucoup
la sociologie. Dans la perspective dune socialit langagire et sous la forme du jeu de
langage, sa dynamique linguistique se rvle comme une nouvelle manifestation semi-
consciente dun dsir de transgresser les rgles et dtre ensemble. Son style et son climat
refltent finalement baroquisme et hdonisme comme air du temps. Il semble urgent que la
sociologie ne ddaigne plus la publicit : peu de phnomnes sociaux sont aussi rvlateurs
pour dire lesprit du temps.
Mots cls : publicit, slogan, socialit langagire, jeu de langage, baroque, barbarisme,
archasme.
English
Title : The advertising slogan, linguistic dynamics and social vitality
Thesis : An eternal object of debate, French advertising, as a social mirror, also strengthens
our social cohesion. An examination of its linguistic element, the slogan, can bring to
sociology a lot. Within the prospect of a linguistic sociality and under the shape of a
language play, its linguistic dynamics shows itself as a new semi-conscious demonstration of
a desire to break rules and to be together. Its style and climate reflect finally baroquism and
hedonism as the age atmosphere. It seems urgent for sociology not to disdain any more
advertising : few social phenomena are so revealing to tell the spirit of the time.
Keywords: advertising, slogan, linguistic sociality, language play, baroque, barbarism,
archaism.
2
Merci qui ? M*
*
Nous avons remplac par jeu la formule conventionnelle de Remerciements par un fameux
slogan publicitaire conu en 1984 par Philippe Michel (1940-1993), pour la marque Mamie Nova.
Le slogan original est : Merci qui ? Mamie Nova
3
mes parents
qui mont offert un paradis denfance
et qui mont appris la sagesse de la vie : tout.
4
Prologue
La socit publicitaire ......................................................8
Premire partie
Slagh-gairm (slogan), cri de guerre .....................................73
Seconde partie
De la formule la forme ..................................................116
Troisime partie
Baroquisation du verbe, verbalisation du baroque ...........................203
Prologue
La socit publicitaire
9
qui voulait reprsenter lpoque, mais qui incarnerait encore bien davantage la ralit que
lon vit actuellement ! La nature de notre air aura donc t modifie, sans aucun doute, sa
proportion de publicit2 ayant depuis lors sans cesse grandi. Cest, en effet, devenu un
socit moderne. Alors que son aspect exubrant en lui-mme peut tre considr comme
moins significatif, ce qui semble incontournable nanmoins, cest le fait que nul ne
saurait plus tre totalement libr de son emprise. Il nous semble que, tout en se
capillarisant dune manire ubiquitaire, tant dans la sphre professionnelle que prive de
la vie de lhomme moderne, elle tend revtir maintenant une nouvelle forme de
signification.
Mais qui aurait pu imaginer que cette activit quotidienne, dont les premiers pas ne
reprsentant cette socit de consommation qui est la ntre, la publicit crot encore sans
qulectronique.
administration, culture, art, ducation, etc. Ne se limitant presque plus jamais au seul
1
Robert Gurin, Les Franais naiment pas la publicit, Paris, Olivier Perrin, 1957, p. 9.
2
Pour viter lventuelle application du terme la publicit politique , prcisons que nous limitons ici
lacception de publicit , rservant le terme la publicit commerciale , voire la publicit pour
des produits .
10
modus vivendi qui ctoie la vie quotidienne de lhomme moderne, et qui influence non
peut-tre pas exagr de dire que la publicit constitue en elle-mme un nouveau genre
de culture.
Toutefois, la publicit reste loin dtre reconnue dune manire favorable. Son
succs, son mode dexpression, son charisme, ses abus font quelle est caractrise par
bote de Pandore ; par dautres encore, de bouc missaire . Cest ainsi quelle
constitue, tant dans le bon sens que dans le mauvais sens, un vrai leitmotiv de la vie
contemporaine.
Dans une telle situation, nous pouvons nous demander si nous savons vraiment ce
interrogations, il nous faut reconnatre que nous ne pouvons envisager que les aspects
se lgitime, dautant plus quil semble bien que la publicit soit capable de crer,
chaque instant, un nouveau type de rapport avec la socit, au fur et mesure que sa
nature volue et prend inlassablement de nouvelles figures, alors que les moyens
proccup par la nature des rapports entre publicit et socit, nous nous sommes
amont, de lesprit de Que sais-je ? 3 qui est celui de Montaigne, en ce quil rvoque
3
Le scepticisme de Montaigne est illustr par Les Essais (Notamment livre II, chapitre XII). Son
scepticisme se dploie, ngativement, comme une pense critique qui semploie mettre en doute les
prtendues performances desprits trop tmraires en matire de vrit et de vertu et, positivement, comme
une pense prudente et modeste , davantage en qute de jugements justes ou ajusts (appropris) que de
Justice, de Vrit ou de Vertu en soi. [Sylvia Giocanti, Les Essais ou itinraire dun sceptique , in
Magazine littraire, n 394, janvier 2001, p. 37-39.] Montaigne met particulirement laccent sur le
caractre arbitraire des limites traces entre les choses, montrant que lon ne peut prtendre pouvoir
dterminer de diffrence spcifique entre lhomme et la bte, ni mme opposer comme on le souhaiterait le
11
toute certitude quant au savoir humain, et en aval, dune attitude inspire par la modestie
quon sait ce quon sait, et quon ne sait pas ce quon ne sait pas 4.
Dans un tel tat desprit, si lon tente un essai de mieux savoir , il sagit, dune
part, de chercher faire admettre qu il y a encore telles choses parmi les choses
linspiration simmelienne de Patrick Watier, selon laquelle le sociologue dit ce que tout
le monde sait ; parfois il sait ce que tout le monde dit 5. Cest--dire que le sociologue
Finalement, cela ne signifie pas autre chose quemprunter, pour parvenir au creux des
apparences 6, le chemin que prconise Michel Maffesoli. Pour lui, la voie de vrit
abordant ces apparences de la publicit que tout le monde connat. Parce que, loin
dtre accessoire, lexamen prliminaire de ces apparences tissera la toile de fond sur
laquelle se dploiera notre rflexion. Mais, ayant reconnu demble que la publicit
comme message dans le sens fort du terme. Ce faisant, nous obtenons diffrentes
ct un point de dpart, et de lautre, un point darrive, mais aussi une sphre globale
dans laquelle tout se tient finalement. Nous pouvons ainsi envisager trois modes, qui
sentre-dterminent, mais la manire dune charade8, les uns les autres : De la socit
* *
le retour des motions sur la place publique, la naissance de passions collectives et dhystries de divers
ordres (sportives, musicales et religieuses), on assiste une manifestation de plus de prudence, voire de
plus de modestie intellectuelle. Cest ce quentend souligner Michel Maffesoli au travers de lexpression
Lhomme en clair-obscur : ni ombre, ni lumire mais un combin des deux.
7
Cela constitue en effet la premire des leons quil nous donne, nous ses lves et ses lecteurs, dans ses
sminaires comme dans ses ouvrages.
8
La charade est une nigme ludique o l'on doit deviner un mot de plusieurs syllabes qui a t
pralablement dcompos en des parties correspondant elles aussi un mot dfini. Voici un exemple :
Mon premier est un mtal prcieux [or] ; Mon second est un habitant des cieux [ange] ; Mon tout est un
fruit dlicieux [orange] . Du point de vue logique, ce fameux type de devinette enfantine comporte
cependant une signification qui va au-del dun simple jeu gratuit en ce quelle nous invite voir les
choses de manire non purement logique, au sens o la signification ultime, si elle demande la
comprhension des deux premires tapes, nen est pas seulement laddition mais fait passer un autre
niveau, par une sorte de rupture de plan.
13
concrtiser en un message qui est destin au public de cette socit, quel que soit le
statut, consommateur ou citoyen. Nous pensons donc, par analogie, que toute production
de publicit peut tre considre comme une procdure qui part de la socit et aboutit
procdure tous les moyens qui concernent la publicit et qui vont de son origine ses
donn quelle est constamment ct de nous. Pourtant, plus srieusement, lorsque lon
est confront une demande de caractriser cet objet familier, on est souvent rduits
une posture hsitante. Cest peut-tre quelle est trop prs de nous. En fait, la publicit se
prte mal des dfinitions lapidaires du type une fois pour toutes 9. Ceci est d, sans
doute, ses vastes dimensions et la diversit des formes quelle prsente. Dailleurs,
nous ne sommes pas mme de parcourir sa rapide volution, tant donn que cest une
9
cet gard, suivant gnralement une mthode logique, les dfinitions des dictionnaires ne sont gure
clairantes. Le Petit Robert prsente la publicit comme le fait dexercer une action sur le public des
fins commerciales; le fait de faire connatre (un produit, un type de produits) et dinciter lacqurir;
ensemble des moyens qui concourent cette action. [Le Petit Robert, dition 2008.] Cette dfinition est
en effet la fois trop large, car elle stend toute laction commerciale, et trop troite puisque les fins de
la publicit peuvent ne pas tre commerciales. Le Petit Larousse donne pour ce mme terme la dfinition
suivante : Activit ayant pour objet de faire connatre une marque, dinciter le public acheter un
produit, utiliser un service, etc. ; ensemble des moyens et des techniques employs cet effet. [Petit
Larousse, dition 2008.] Cette dfinition ne diffrencie pas la publicit des autres moyens utiliss par
lentreprise pour faire connatre lentreprise et vanter ses produits. Ces dfinitions trouves dans les deux
dictionnaires les plus rpandus ne sont gure satisfaisantes.
14
savre pourtant peu vidente, nous nous proposons, en premier lieu, de faire un petit
survol de son origine. tymologiquement, le terme publicit est attest pour la premire
Sur le plan historique, on peut dire que se croisent deux faons de dsigner la
publicit. Dabord, dans une vision anthropologique, certains exigent que la publicit ait
la mme histoire que lHumanit. Grard Blanchard, par exemple, souligne que des
marques de proprit ont t les premires publicits ; elles sont vieilles comme le monde
habit, car lhomme a besoin de laisser des traces de son passage et de marquer son
disent : Ceci est moi ! 11 Dans cette vision maximale, chaque poque a vu
apparatre ses propres formes de publicit, la publicit ayant toujours ctoy les
murales graves sous forme de tablettes qui annonaient des ventes ou des manifestations
thtrales13. Au Moyen ge, la publicit se caractrise notamment par son mode oral. Il y
avait des crieurs14 qui jouaient le rle de rendre publics tant des annonces commerciales
que des avis des autorits. Dailleurs, le systme fodal a vu apparatre diffrents signes
10
Dictionnaire historique de la langue franaise (1992), Le Robert, 1998, p. 3002.
11
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , in La Publicit de A Z, Paris, C.E.P.L., 1975, p. 148.
12
La premire publicit de lhistoire du monde date plus de trois mille ans avant Jsus-Christ, sagissant
dun papyrus thbain offrant une rcompense qui retrouve un esclave enfui.
13
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit. : Ensevelie par lruption du Vsuve, Pompi
prserve pendant des sicles les tmoignages daffichage de lAntiquit. Les albums de Pompi sont
des murs blanchis la chaux, emplacements rservs sur des places publiques et aux principaux carrefours
pour les annonces. On y trouve cte cte lannonce dun combat de cirque (un homme contre des btes
fauves), une offre de location de taverne, une vente desclave, la louange des talents de certaines
prostitues ou dhommes politiques prsents par leurs supporters .
14
Ibid., p. 150-151 : Limagerie populaire constitue une sorte denregistrement des cris de Paris dans
la rue. Les proclamations aux carrefours rendent publics son trompe les divers dits. On appelait les
crieurs de papier les papelards , les crieurs de journaux les canardiers , les crieurs de savon les
baveux , les crieurs de vieux objets les chineurs .
15
qui prolifrrent sur les armes, les boucliers, les fanions, etc. Au XIVe sicle, les
enseignes taient nombreuses Paris. Au XVe sicle, les premires affiches imprimes
type de support, dautres soulignent quon ne saurait identifier la publicit toutes les
nombre seulement dexemplaires. Marc Martin dclare, par exemple, que lannonce
grave des Romains, lenseigne dune auberge, laffiche appose dans lantichambre du
notaire et cinq ou six autres endroits, ne sont pas des publicits, pas plus que le
boniment du marchand de quatre saisons ou lavis lu par le crieur public 17. En dautres
termes, si des annonces peuvent devenir de la publicit, pourtant, comme telles, toutes les
napparat donc quavec les dbuts de la presse : la premire gazette est publie en
Nous nous rendons compte en effet que la vision maximaliste ignore ou nglige la
notion de mass mdia. Pourtant, il est htif de dire que la publicit de ces gazettes du
XVIIe sicle peut vraiment bon droit tre caractrise comme telle, puisque, considre
seulement ce niveau mass-mdiatique, elle manque encore, elle aussi, dun certain
15
Le 17 octobre 1482, Jean Duprs, imprimeur Paris, ralise la premire affiche imprime pour le Grand
Pardon de Notre-Dame de Reims.
16
Tout au long de cette recherche, nous utilisons les expressions un mdia , des mdias et non
medium , media selon le singulier ou le pluriel.
17
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 15.
18
Ibid.
16
Blanchard, avant 1789, la publicit concerne ce qui tait publi son de trompe ,
sagissant de tous genres (lois, dits, ordonnances, jugements, etc.). Le rle de cette
publicit tait alors dannoncer dans les gazettes les livres nouveaux, les dcouvertes ou
les numros gagnants de la loterie. Cest seulement avec la Rvolution qua surgi la
publicitaires20.
Birotteau, publi en 1837, montre bien que le terme publicit commence signifier
prsentation logieuse dun produit pour sduire lacheteur. Dans luvre, le jeune
Popinot lance son Huile Cphalique grce une vive publicit21. Autour de 1840, par
une extension de son sens, lusage du mot pntre donc dans le domaine conomique et
commercial. Cest cette poque-l que la publicit franaise a pris son orientation
socit de consommation.
19
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 147.
20
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 13 : Pendant la
Rvolution, en effet, cette forme particulire de publication quest la publicit sest lie troitement aux
premiers moyens de diffusion de masse, laffiche et surtout le journal et le priodique. Les mdias sont
donc devenus les supports de la publicit avant mme que celle-ci ait dsign une activit lie au
commerce .
21
Honor de Balzac, Csar Birotteau (1837), Paris, Gallimard, 1975, p. 192-194. Csar Birotteau est un
prcurseur car la tourmente rvolutionnaire a fait sauter une partie des freins qui entravaient lessor de
laffiche. Vers 1840, il a beaucoup dmules puisque apparaissent alors les premires socits daffiches,
en dpit de la lgislation qui limite encore leur usage. Finalement, Balzac qui savait tout, comprenait tout,
devinait tout, avait pressenti un sicle lavance, le rle de la publicit. Nous sommes en 1837, cest
lpoque des premires manufactures, la naissance de lindustrie. Une civilisation nouvelle commence, o
le travail et largent tiendront la premire place.
17
part avec lapparition des nouveaux mdias de masse tels que la radio et la tlvision22 et,
dautre part, avec la mise en uvre des acquis scientifiques des sciences humaines,
notamment la psychologie.
recours lhistoire. vitant pourtant de trop nous engager dans les aspects historiques de
aujourdhui, de publicit , cette publicit est entendre bien videmment dans le sens
rcent du terme. Pour caractriser cette publicit , nous suivrons, parmi dautres
Publicit dsigne dsormais soit des messages fins commerciales, destins faire
connatre, sous le jour favorable, un bien, un produit ou un service un public
gnralement anonyme, par un moyen de communication de masse, pour en favoriser la
vente, soit lactivit qui consiste les concevoir et les produire.24
Cette dfinition, qui recourt une dichotomie entre message et activit , nous
semble pertinente. De plus, elle caractrise bien la nature de la publicit, tant donn que
les messages commerciaux sont en effet, comme elle le prcise, destins un public
rpartir en deux catgories : grands mdias et hors mdias . Les premiers sont les
messages qui fonctionnent via les grands mdias : presse, tlvision, affiche, radio,
22
Par rapport aux annonces et affiches, qui taient alors les principaux supports de la publicit,
lapparition de la radio et de la tlvision fut rvolutionnaire. Le lancement de la radio en France eut lieu
en 1922. Il est accompagn presque immdiatement par celui de la publicit radiophonique et il est noter
que linvention de la radio soit lie la publicit ds lorigine. Par contre, la premire publicit tlvisuelle
na t diffuse quen 1968.
23
Ce serait l une tche pour les sciences historiques. Relevons pourtant que la publicit ne constitue pas
un centre dintrt majeur pour les historiens qui, en France, lont peu tudie.
24
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, op. cit., p. 14.
25
Nous pensons que lInternet est un mdia de masse. On peut pourtant sinterroger sur les rapports entre
Internet et mdias. Sur ce point, Francis Balle (Journal du Net, septembre 2005) note que Internet nest
18
commerciale, tels que marketing direct, promotion, relations publiques (RP), etc26.
Par ailleurs, contrairement une mthode discutable employe par certains qui
cantonne la publicit aux grands mdias , nous distinguons la publicit au sens limit
Sil est vrai que publicit est entendue, dune manire gnrale, en son sens limit, il
ne faut pas pour autant oublier que ce mme vocable est employ indiffremment pour
que de lactivit.
Apparu au milieu du XIXe sicle, ce terme rclame continue tre employ, en tant
que synonyme de publicit, jusque dans la premire moiti du XXe sicle. En fait, les
diffrences entre ces deux tapes ont t amplement marques par plusieurs auteurs, mais
quun rseau. Le mdia, cest le World Wide Web. Il faut rserver le terme mdia aux outils de
communication qui apportent autre chose que le simple fait de communiquer. Sinon, il faut considrer le
tlphone et le fax comme des mdias.. Selon Jean Gabszewicz et Nathalie Sonnac [LIndustrie des
mdias, Paris, La Dcouverte, 2006, p. 7.], Internet est la fois un moyen de communication pluri-
mdia, offrant laccs une multitude de services dinformation, de loisirs, de jeux, de transaction, de
commerce ou de communication interpersonnelle et collective. Il est aussi un moyen de communication
hyper-mdia qui invite lusager adopter une posture de communication interactive diffrente de celle de
rception des mdias de masse . Il nous semble que le monde de la publicit franais hsite laccepter
comme mdia. Il classe, du moins jusqu maintenant, les dpenses de la publicit faites sur Internet dans
la rubrique hors mdias.
26
Dabord, sous la rubrique du marketing direct, on range le tlphonage, le prospectus, le-mailing, etc.
Sous le nom de promotion, on classe toutes les techniques commerciales, telles que le couponnage, les
chantillons gratuits, etc. Puis, il y a dautres procds destins favoriser lcoulement du produit, comme
lexposition et la foire. Enfin, il y a lensemble des dmarches et techniques que lon englobe sous le nom
de relations publiques (RP).
19
avec des nuances. Cest par une rcapitulation des diffrences releves entre ces deux
suggrer lachat 27 . Elle indispose tout dabord par son caractre obsdant et
dmarche improvise et intuitive, trangre aux lois du march 28. Enfin, le langage de
luxueux, sensationnel, imbattable, incomparable, inou, etc. 29. titre dexemple, voici
27
Roger Mauduit, La Rclame, Paris, Librairie Flix Alcan, 1933, p. 153.
28
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, Paris, Nathan, 1997, p. 17.
29
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 160.
30
Franois Bernheim, Guide de la publicit et de la communication, Paris, Larousse, 2004, p. 303.
20
plus noble, plus prestigieuse 31. Selon Marie-Emmanuelle Chessel, la publicit est
Il est intressant, par ailleurs, de constater quune distinction semblable est faite
dans certains pays, tant en Occident quen Orient. titre dexemple, en allemand, il y a
revanche, en anglais et en italien, il nexiste pas une telle distinction, seuls les termes
Nous constatons que, en France, les mdias et le langage quotidien utilisent pour
dsigner la publicit les termes annonce, rclame et publicit de faon indistincte, dans la
plupart des contextes. Au stade actuel de la publicit franaise, il nest pas sans
Dune part, la publicit actuelle est dsigne de plus en plus par le terme familier de pub,
notamment dans les mdias et chez les jeunes. On ne peut savoir, pour linstant, si ce
pub est une simple dnomination diminutive pour publicit, ou bien si, au-del de la
dimension expressive, cela prfigure une prochaine tape dans lvolution de la publicit.
Dautre part, en insistant sur tout ce qui apparat tre du type rclame , certains croient
31
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. 23.
32
Marie-Emmanuelle Chessel, La Publicit, naissance dune profession 1900-1940, Paris, CNRS
ditions, 1998, p. 11-12.
33
cet gard, ce que nous ne devons pas oublier, cest que, dune part, mme sil na pas exist dans
nombre de langues un terme spcifique comme rclame , le mot publicit devait alors avoir une
signification qui corresponde celle que dsignait ce terme, et que, dautre part, mme quant cette distinction
a exist, lpoque du passage de la rclame vers la publicit a pu varier dun pays lautre. Par
exemple, en Core du Sud, le passage de rclame publicit a eu lieu aprs les annes 1980.
34
Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication mdiatique, Paris, Seuil, 1998, p. 37-38.
21
que la publicit est une communication partisane 35, qui se distingue de linformation
la fois quant au fond et autan la forme. Quant au fond, elle est plus proche de la
dmarche de lavocat que de celle du journaliste. Ne visant pas lobjectivit, elle est
seulement transmettre des faits. Les informations que la publicit vhicule sont des
moyens ou des arguments. Ils ne sont pas une fin en soi. Quant la forme, les messages
sont brefs, denses et slectifs. La publicit cherche dabord tre attrayante et sduisante,
Or, un problme surgit ds lors que les moyens et les arguments employs ne se
limitent pas la seule vise commerciale. Car dans une telle optique la notion de
publicit avoisine avec celle de propagande 36. En effet, en utilisant les diffrents
ou du haut vers le bas. Elle essaie de convaincre le rcepteur en contrlant dun bout
propagandiste ne contrle pas seulement les mdias, mais aussi le systme scolaire. Selon
35
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, avec la participation de Nicolas Riou,
Paris, Dalloz, 2004, p. 67-82.
36
Dune manire gnrale, la propagande servira dcrire laction qui consiste tenter de convaincre
lopinion de certaines ides, en utilisant tous les moyens de persuasion disponibles, afin de la faire soutenir
une religion, un parti politique, un gouvernement, etc. Le terme propagande, lorsquil apparat pour la
premire fois en France, na pas de connotation pjorative. Il est ainsi utilis au XVIIe sicle par le pape
Grgoire XV qui runit une congrgation pour la propagation de la foi (de propagana fidei) : le mot
dsigne alors laction de propager une doctrine religieuse et il englobera ultrieurement, au moment de la
Rvolution franaise, la diffusion dides politiques. Ce nest quau XX e sicle quil prendra une acception
plus ngative
22
Guy Durandin, la propagande a pour but dexercer une influence sur les personnes, soit
pour les faire agir dans un sens donn, soit au contraire pour les rendre passifs et les
antagoniste 37. De mme, Philippe Breton et Serge Proulx soulignent que le but de la
propagande est bien de rpandre une information de telle manire que son rcepteur
soit la fois en accord avec elle et dans lincapacit de faire un autre choix son sujet 38.
sintresse pas aux options politiques ou philosophiques. Elle risque cependant dtre
Mais dans ce cas, par rapport la vraie propagande, la publicit est comparable une
persuasion dite dure , la publicit est souvent considre, en tant que sorte de
propagande sociologique, comme une persuasion dite douce 40, moins visible quoique
En troisime lieu, nous avons vu plus haut le rapport troit qui unit publicit et
mdias, en tant que les mdias sont le support de la publicit. Ainsi, la publicit ne doit
pas se confondre avec les mdias eux-mmes. Mais, dans la mesure o la publicit est
la fois tous les modes, toutes les aspirations et toutes les contradictions dun moment,
cet gard-l, elle ne se distingue gure des mdias de grande diffusion (magazines,
tlvision, radio) qui sont pareillement condamns au conformisme, sils veulent plaire
au plus grand nombre afin de pouvoir maintenir des taux levs de lecture ou dcoute.
37
Guy Durandin, LInformation, la dsinformation et la ralit, Paris, PUF, 1993, p. 138.
38
Philippe Breton et Serge Proulx, LExplosion de la communication, Paris, La Dcouverte, 1999, p. 241.
39
Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses (2000), Paris, ditions Galile, 2004, p. 37-91.
40
Rmy Rieffel, Sociologie des mdias, Paris, Ellipes, 2001, p. 39.
23
Il est bien connu que la publicit fait feu de tout bois. En dautres termes, elle est
polygame par nature et ne sattache vraiment aucun support . Pour elle, tous les
mdias, au fur et mesure quils apparaissent (et quils lui sont accessibles), sont les
bienvenus et elle leur fait (ou reoit volontiers) toutes offres de service. Au besoin, elle
en invente. Presse, radio, tlvision, affichage, cinma : des degrs divers, tous sont des
publicit une partie importante, parfois la totalit, de leurs ressources, ce qui leur permet
de dvelopper leurs contenus et dlargir leur audience, au moindre cot pour leurs
usagers.
On a dit de la publicit quelle tait le parasite des mdias ; mais elle en est pourtant
au contraire devenue la mre nourricire. Pour mieux diffuser ses messages, la publicit
combine et associe tous supports et tous mdias, sans le moindre prjug idologique,
sans la plus petite exclusive partisane. Ses choix sont justifis, dune faon on ne peut
eux-mmes. Il faut savoir mriter ses faveurs, en sachant sadapter pour se conformer
Selon Grard Blanchard, ds le dbut de lhistoire des grands mdias (la presse) se
noue cette liaison entre publicit et mdia. La premire fois que se trouvent runis dans
premier journal politique bon march grce la publicit et aux annonces. La quantit
des nouvelles saccrot. Pour quaugmente le nombre des lecteurs, il faut pouvoir vendre
le journal moins cher. Pour pouvoir abaisser son prix de vente et assurer son financement,
le journal rserve donc pour les louer des espaces au commerce : cest la vritable
naissance de la publicit-presse. Il sera certes de bon ton pour les hommes de lettres de
24
De nombreux mdias ne sont mme conus que pour accueillir de la publicit. Ainsi nous
connaissons des quotidiens gratuits nationaux financs 100% par les recettes
Lay 42, a reconnu sans fard la place centrale de la publicit dans les mtamorphoses
mdiatiques :
Il faut noter dailleurs que les caractristiques de la publicit que nous venons
dvoquer nont jamais prsent une valeur permanente. Cependant, mme sils font
partie des choses qui semblent les plus connues, certains aspects de la publicit restent
ides quon sen fait sont remettre en cause. Cet tat de choses laisse entendre que,
41
Grard Blanchard, Histoire de la publicit , op. cit., p. 153.
42
Patrick Le Lay, ancien P.-D.G. de TF1, a bris un tabou et fait scandale. Linterview de Patrick Le Lay
figure dans Les dirigeants face au changement-Baromtre, publi en mai 2004.
43
Nous empruntons cet extrait Valrie Patrin-Leclre, Mdias et publicit, limpossible dbat ? , in
Communication & langages, n 143, 2005, p. 7.
25
cerner, lon devra invitablement limiter ses dimensions et privilgier certains aspects.
entran une multiplication, une diversification et une disponibilit des produits et des
outre, au-del de ces phnomnes, en tant quelle est, la fois, institution sociale et corps
socit franaise.
t fonde en 1927, il sagissait de Publicis 44. Dun point de vue historique, cest
France, saffirme comme une activit distincte des mthodes dimpression, des mdias
et du commerce, auxquels elle tait, jusque-l, rattache 45. Depuis lors et jusqu
nationale de la France46.
44
En 1832, Charles Havas avait cr lagence qui porte son nom. Il sagissait de la premire agence de
presse au monde.
45
Marie-Emmanuelle Chessel, La Publicit, naissance dune profession 1900-1940, Paris, CNRS ditions,
1998, p. 11.
46
En effet, aujourdhui, la quasi-totalit de la production publicitaire est assure par la profession. En fait, entre
1990 et 2005, la publicit en France fait progresser de 40% les dpenses de communication des annonceurs. En
2011, la publicit reprsente un peu plus de 2% du PIB, avec 31,4 milliards de chiffre daffaires. En termes de
march international publicitaire, la France se positionne au 4e rang mondial, derrire les tats-Unis (106 Mrs
Euros, 3,5%), lAngleterre (78 Mrs Euros, 2,7%), le Japon (75 Mrs Euros, 2,5%).
26
accomplis par ltude du march, tant du point de vue conomique et sociologique que
selon ces critres scientifiques, il faut souligner quelle a subi une forte influence
milieu dune socit de consommation o rgne labondance. Elles avaient adopt les
Cest sous cette influence anglo-saxonne que la publicit franaise est devenue trs
rapidement scientifique48.
environnement. Poursuivant une mthode qui se veut de plus en plus scientifique, elle
aspire enfin devenir, en elle-mme, une vritable science autonome . Nous pouvons
en ce sens constater que la publicit constitue une des matires dtudes prfres des
technique , son enseignement se fait au sein des coles de commerce ou des grandes
47
Le marketing est n la suite de 1929 aux tats-Unis. Les fabricants, qui, jusqualors, produisaient sans
se soucier de la demande, ont soudain pris conscience quil fallait mettre sur le march uniquement des
produits ayant de fortes chances dtre achets. La vritablement mis en application aprs la Seconde
Guerre mondiale
48
Cet apport scientifique venu dOutre-Atlantique a t une tape importante dans lvolution de la
publicit franaise. Cela est notamment li au fait que Paul Flix Lazarsfeld a dvelopp des mthodes
quantitativistes et mis au point la technique du panel , qui consiste rpter une enqute sur un mme
groupe dindividus afin de suivre une volution dans le temps. Cette mthode a port ses fruits. Entre
autres dcouvertes, le monde de la publicit lui doit une meilleure connaissance des mcanismes de
diffusion dun message publicitaire dans lopinion.
49
Hautes tudes commerciales. Cest la grande cole de gestion qui a accept, la premire en France, ds
27
cadre universitaire50.
plus en plus rflchie et calcule, et ce faisant indirecte. On avance ainsi diverses thories
pour stimuler la consommation. La publicit veut mettre en uvre tous les acquis des
tout au long du XXe sicle mais qui peut se rsumer daprs Andr Akoun trois stades
et types successifs51. Tout dabord, la publicit mcaniste est celle qui, partir des
des mdias. La rptition des messages devait frapper lattention afin de favoriser leur
rductrice.
Dinspiration freudienne, elle considrait que lacte dachat ntait pas uniquement un
acte conomique, mais aussi symbolique : lachat a trait nos dsirs, nos fantasmes,
nos affects. Cest pourquoi, afin de tenter de vendre une voiture avec quelques chances
mais avec ses cts une belle femme, afin de dclencher chez le consommateur les
rcemment, par la publicit sociologique . Celle-ci porte son attention sur le fait que
lindividu est toujours insr dans un groupe social, dans un certain environnement
social : derrire les demandes du consommateur se dessinent des valeurs, des gots et des
attitudes, qui varient en fonction de son milieu dappartenance. Des enqutes de styles
lvolution des murs et des loisirs, afin de pouvoir dresser des portraits psychologiques
Sous nos yeux, une publicit participative est ainsi en train de prolifrer, forme
bien au-del de la simple tude des styles de vie, la publicit contemporaine a une
52
Concept notamment utilis par le CCA (Centre de communication avance) depuis 1972 avec la mthode
Socio-Styles-Systme . Sa scientificit est loin dtre prouve, mais il a indniablement connu un gros
succs durant ces dernires dcennies. Cette mthodologie des Socio-Styles est dsormais rpandue aux
tats-Unis, en Europe dans dautres rgions. Pour en savoir plus, consulter Bernard Cathelat, Publicit et
socit (1968), Paris, Payot, 1992 (notamment le chapitre Styles de publicitStyles de vie ) et Cercle
Ssame, 2012-2017 ce que veulent les Franais, Paris, Eyrolles, 2011.
53
Cette publicit, lance en t 2006 et invitant le public une diversit de points de vue sur une mme
chose connue de tout le monde, invte le public participer, dabord, un jugement instantanment in
situ, ensuite, une expression plus rflchie en entrant dans un site Web. En effet, plus de 40 000
personnes ont particip cette action. Bien entendu, ce qui compte pour lefficacit publicitaire, cest
moins la nature des avis recueillis que le fait quil y ait participation du public une consultation.
29
commerce, comme une partie priphrique de leur activit, les entreprises franaises ont
pris conscience quelle nest pas simplement le luxe des priodes prospres, mais plutt
un cot dexploitation aussi ncessaire et aussi vident que les dpenses dnergie ou de
dapprciation de la part des entreprises, la publicit demeure frileuse pour autant quelle
se sent invitablement tributaire, ou se rend tributaire, dune manire qui est trs
54
La publicit varie aussi beaucoup selon les secteurs et les types dconomie. Son importance, mesure
par rapport au chiffre daffaires, est trs diffrente dun secteur lautre, et pour un mme secteur,
dentreprise entreprise, voire mme au sein de la mme firme, de produit produit, de marque marque.
Ces variations illustrent des options stratgiques diffrentes et doivent tre considres la lumire de la
30
son activit. Les effets macro-conomiques de la publicit sont remis en cause. Sil est
certain que la publicit, en tant que secteur industriel, occupe une part importante de
lapprciation de son rle conomique rel. On sait en fait peu de choses quant limpact
rapport de la publicit lentreprise et ses marchs doit tre le plus clair et vident
possible puisque lobjet premier de la publicit est prcisment dagir sur les
consommateurs. Mais ce rapport est difficile apprcier. Quant aux effets macro-
conomiques, les auteurs de Publicitor notent qu ils sont aussi trs controverss [] Ils
sont en fin de compte assez faibles et les critiques les plus svres faites la publicit
dans ce domaine sont aussi celles qui sont les plus mal fondes 55 . Bien quune
nature des articles, de leur cycle de vie, de leur image, de leur importance relative pour la socit, de leur
mode de distribution, de la politique tarifaire et commerciale pratique avec les revendeurs, etc. Si le
volume de la publicit varie dune saison et dun march lautre, sa forme, ses arguments changent aussi
beaucoup dune poque lautre et dune culture lautre.
55
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 407.
56
La publicit fait partie intgrante du systme de production et de distributions de masse au service du
grand public. Les fabricants de biens et les fournisseurs de services ont besoin dinformer et de rappeler au
public ce quils ont offrir. Un tel systme dinformation est utile pour lconomie de production. Il est
ncessaire aux consommateurs pour quils puissent oprer un choix entre plusieurs options. En outre, la
publicit est le fondement de la concurrence sur le march, elle stimule le dveloppement et linnovation,
rend possible lapprovisionnement en biens et services de faible cot, auparavant trop chers pour le
march. Enfin, la publicit apporte sa contribution essentielle au financement des mdias. [Cit par
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, La Dcouverte, 1994, p. 66.]
57
Il sagit dune thse de Doctorat, intitule Impact de la rgulation de la publicit sur la croissance
31
-dire sur celui dune campagne publicitaire. Les lois qui gouvernent la rentabilit de
linvestissement publicitaire restent trouver. Quil porte sur lentreprise et ses marchs
ou sur lconomie dans son ensemble, limpact gnral de la publicit reste, au bout du
compte, difficile isoler. Dautant plus que, par rapport limportance des sommes
dpenses pour ces tudes daudience des supports, celles qui ont t consacres tenter
consommateurs sont relativement faibles. Il est en effet trs compliqu, voire parfois
impossible, de mesurer avec prcision lefficacit relle dune publicit sur les ventes ou
grand public est un fait qui simpose58. La plupart des manuels ou des traits sur lactivit
conomique , soutenue en 2004, Paris IX Dauphine, par Maximilien Nayaradou. LUDA (Union des
annonceurs) a financ ses recherches avec le soutien du Ministre de la Recherche, de la FMA (Fdration
mondiale des annonceurs) et de lIREP (Institut dtudes et de Recherches publicitaires). Cette thse
analyse pour, les vingt dernires annes, linfluence des investissements publicitaires mdias et hors-
mdias sur la croissance conomique au Japon, aux tats-Unis et en Europe. Elle montre quil existe quatre
mcanismes par lesquels la publicit agit sur la croissance conomique : la consommation, linnovation, la
concurrence et le dynamisme des secteurs conomiques lis la publicit. Ltude soutient quil y a une
corrlation entre les investissements publicitaires et la croissance conomique : le taux dinvestissement
publicitaire total et le taux moyen de croissance du PIB sont lis.
Prsente aussi dans un document de synthse de quarante pages, cette recherche constitue videmment un
prcieux outil de lobbying pour la profession. Elle circule dj auprs des publicitaires et des annonceurs,
mais aussi et surtout auprs des personnalits influentes de la haute administration, des lus et de la
recherche. Pour lUDA, elle doit permettre une prise de consciences des pouvoirs publics, qui devront alors
bien videmment encourager linvestissement publicitaire puisquil est avr quamliore lefficacit
productive dune conomie.
58
Lorsqua commenc la campagne pour le service vocal 118 218, la plupart des spcialistes en
communication publicitaire lont critique, sceptiques quant au bnfice du bruit mdiatique caus par les
deux zozos qui polluaient les oreilles du public avec leur tou-tou-you-tou dbile. Mais le public, au
contraire, ne la pas du tout dteste. Elle a finalement t considre comme lune des meilleures et des
plus efficaces campagnes de 2006.
32
publicit sur les ventes ou mme sur lvolution de limage des marques () 59. Du
coup, on peut dire que la publicit, qui souhaiterait une certaine prennit,
Dans cette situation floue, larrive dune nouvelle technique a chang de fond en
chemin trs progressivement avant denvahir lensemble des systmes techniques, puis
Il sagit, en premier lieu, de la publicit sur lInternet, qui met en uvre lespace du
mdias), au fur et mesure de sa rapide croissance depuis son arrive. Ce nouveau type
commenc, ds 2007, considrer la publicit sur lInternet comme devant tre range
59
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 407.
60
Si lune des vertus des sociologues tait de pouvoir prdire lavenir, Edgar Morin en serait
singulirement dot, car il avait bien prdit, dans LEsprit du temps (1962), que la troisime rvolution
serait lectronique et nuclaire .
61
Sur lun des aspects des mutations sociales quentrane lutilisation de lInternet, voir Stphane Hugon,
Circumnavigations. L'imaginaire du voyage dans l'exprience Internet, Paris, CNRS ditions, 2010.
62
Daprs France pub 2008, les taux de rpartition des mdias pour lanne 2007 sont les suivants : presse
38%, TV 35%, affichage 12%, radio 9%, Internet 5%, cinma 1%.
33
dans une publicit plurimdias regroupant divers supports sans distinguer entre mdias et
lInternet cause un changement dans la nature mme dune campagne. Cela veut dire que,
comme la formule dentre sur le WEB (www.) est dsormais insre quasi
systmatiquement dans la plupart des supports, il peut ainsi y avoir une campagne qui
comporte une tape de contact intermdiaire, au lieu de ne consister quen une unique
linstant mesurer les effets que produira lirruption de lInternet, savoir plus prcisment
sil sera un nouvel eldorado, et pas seulement pour la publicit sur lInternet lui-mme
mais pour lensemble de la publicit, ou bien un terrible dfi relever pour la publicit.
Certains auteurs, ainsi Al et Laura Ries dans leur livre intitul La Pub est morte63,
expriment bien le souci que lon peut avoir pour lensemble de la publicit actuelle, qui
sest faite jusque-l par medias traditionnels. Dans le mme sillon, un doute surgit, de
t-elle encore une signification aujourdhui ? . Question absurde, mais qui exprime bien
63
Al et Laura Ries, La Pub est morte, vive les RP!, traduit de lamricain par Emily Borgeaud, Paris,
Pearson Education France, 2003.
34
part du message pour aboutir la socit. Alors, domine par le principe defficacit
cart entre la socit partir de laquelle est form le message et l autre -et- mme
socit laquelle il parvient. Cet cart relve, avant tout, du fait que le message
la deuxime tape dune charade, consistera donc examiner les aspects relevant de la
publicitaire.
peut tre traduit par une courte question : la socit franaise a-t-elle besoin de la
effets de la publicit sur les individus. Il sagit alors de savoir si ceux-ci sont bnfiques
ou nfastes. Face cette remise en question, brutale mais qui mrite dtre pose, on peut
proclament en outre quelle offre lacheteur une information pour tablir ses choix, tout
comporter comme il lentend. Pour dautres, ce sont les maux de la publicit qui se
placent au tout premier rang. Selon eux, la publicit cre des besoins artificiels, elle
promeut une forme de conformisme social, elle favorise un gaspillage des nergies et,
lillusion dagir en toute libert. Or, nous pouvons, considrer ces deux logiques, nous
rendre compte que la logique du bnfique met laccent plutt sur les ultimes effets
communication.
Finalement avec cette opposition des deux logiques, la question des effets de la
publicit semble devoir demeurer dans lincertitude, dautant plus que, faute de moyens
srs de vrification, la possibilit dapprciation juste est loin dtre assure. Ce qui
cependant nous parat hors de tout doute possible, cest que la publicit nest pas une
ntant pas un phnomne qui date daujourdhui, ni mme dhier, il est important de
considrer lhistoire de cette relation. cet gard, Marc Martin nous montre quil y a bel
et bien une tradition dun dnigrement de la publicit, qui fait ds ses dbuts lunanimit
Au 19e sicle, il existait, en France, pour rejeter la publicit, une complicit entre
lopinion publique et la majeure partie des intellectuels. On peut faire remonter le
dnigrement de la publicit par les hommes de lettres Balzac qui dcrit, dans Csar
Birotteau, comment un parfumeur parvient vendre ses Ptes des Sultanes aux gogos
en usant du seul mirage de lOrient. Puis, Paul Reboux, intellectuel brillant devenu
rdacteur dans un grand journal populaire, et qui se trouvait au contact des deux sphres,
le souligne dans Paris-Soir : ce seul mot de publicit, les crivains se drapent dans
leur dignit et le public se cabre . Le relais a t ensuite assur par toute une partie des
journalistes de la petite presse, particulirement ceux de la presse satirique, dont les
motivations ntaient pas toujours pures, mais qui trouvrent, dans les exagrations de
64
la rclame, une veine de plaisanteries inpuisable.
64
Marc Martin, Trois sicles de publicit en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 152-153
36
Ces deux textes de lhistorien nous font imaginer quel point a pu tre virulente
lexpliquer, ils invoquent souvent un certain esprit franais 66, la France serait une
nation o chaque membre pense par lui-mme, o lon se montre rtif devant les
Mais, pour aller plus loin que l dune simple constatation de cet esprit particulier,
quelles sont les origines du phnomne? La question reste environne dombre. Toutefois,
nous pouvons, au moins, prendre en compte deux paramtres. En premier lieu, quelques-
uns avancent le discrdit caus par lusage que les charlatans firent de la rclame et par
les escroqueries auxquelles servent encore parfois les annonces. Mais, l encore,
lexplication est un peu courte, puisque les rclames de batteurs destrade ne manquent
pas dans les journaux amricains. Cest dailleurs, quand la littrature professionnelle
65
Ibid.
66
Ibid., p. 154.
37
donne certains conseils sur la manire de conduire une campagne publicitaire, quand elle
dnombre et analyse les obstacles quil faut surmonter, quelle fait apparatre, en
Une autre grande cause de ce dnigrement de la publicit peut tre trouve dans le fait
que, en France, la publicit na pas produit lexprience dune contribution sociale visible
facteur de cohsion nationale comme elle a pu ltre aux tats-Unis, o il fallait insrer
systme conomique dominant. Son succs sexpliquerait ainsi aux tats-Unis, selon
Stuart Ewen67, davantage par des facteurs socioconomiques que des facteurs purement
individus pour que ces derniers adhrent aux valeurs prnes par la socit capitaliste
Ces dispositions de lesprit franais nous conduisent supposer que, pour lessentiel,
lattitude dune socit lgard de la publicit est dtermine fondamentalement par son
67
Stuart Ewen, Conscience sous influence, Paris, Aubier, 1983. Selon ce sociologue amricain, la publicit
a contribu, dune part, couler le surplus de la production, de lautre, adapter le comportement de la
population un nouveau mode de vie aux tats-Unis. Il considre en effet que les dbuts de la publicit
aux tats-Unis se rattachent un vaste programme visant inculquer un certain type dattitude, rorienter
la culture des immigrants vers la nouvelle culture, programme se droulant sur le modle de la
communication publicitaire.
38
travail.
Une tude effectue en 2007 par TNS Sofres et UDA (Union des annonceurs) rvle
par rapport la prcdente enqute effectue deux ans plus tt, o 43% des Franais
la publicit au cours des deux dernires dcennies, on constate que son image gnrale
na pas beaucoup chang. Cest--dire que lon ne trouve pas de grand changement dans
En revanche, pour les critres trs favorable et trs oppos la publicit, les
amliors par rapport 2005, o ils taient respectivement 2% et 15%. Pourtant, sur plus
de vingt ans, nous nous apercevons que, de toute vidence, limage de la publicit sest
dgrade68. Il nous semble que le point le plus significatif est l. Cest--dire que nous
pouvons noter que la population des mania de la pub est en train de diminuer, alors
que la population allergique la publicit augmente par contre au fil des annes. On
constate en effet quen 2007 les allergiques sont quatre fois plus nombreux que les mania
68
Lvolution de limage de la publicit en France (1983-2007). Voici le tableau complt par nous-mme
au moyen des rsultats donns par TNS Sofres.
(Unit : %)
1983(Le Parisien 2002(TNS 2005(TNS 2007(TNS
/TNS Sofres) Sofres/Stratgies) Sofres/Stratgies) Sofres/UDA)
Trs favorable 5 5 2 3
Plutt favorable 36 38 35 35
Total favorable 41 43 37 38
Plutt oppos 23 23 28 24
Trs oppos 10 13 15 13
Total oppos 33 36 43 37
Indiffrent 25 20 19 24
Sans opinion 1 1 1 1
39
(13% contre 3%), alors quil y a une vingtaine dannes, les allergiques ne formaient que
Dans les rsultats de ltude de 2007, on observe un vritable choc des gnrations
sue ce mme sujet, parmi dautres dichotomies 69. Les jeunes sont de plus en plus
les 18-34 ans. La publicit fait partie de leur univers, un peu comme si ces enfants
gavs la pub depuis leur plus tendre enfance ne se posaient mme plus la question.
linverse, les plus gs auraient plutt tendance se radicaliser contre elle. Concernant
ce dcalage des gnrations, Nicolas Bordas (TBWA) note : Pour les jeunes
gnrations, la publicit, ce nest pas si grave. Elle fait partie du spectacle. Ils aiment la
publicit en gnral, mais savent tre trs critiques lgard de telle ou telle campagne.
Pour eux, cest gnial ou cest nul. Ils dcryptent beaucoup mieux les messages
publicitaires. Surtout ils dramatisent moins la publicit que leurs ans, qui pourtant,
aimaient bien les campagnes dcoiffantes de leur jeunesse dans lesprit 68. Mais, les
cest le fait mme que de telles tudes aient t entreprises trois fois pendant une dernire
dizaine dannes aprs un long intervalle de 20 ans. Cela laisse entendre que la publicit
franaise, inquite, est en train de douter delle-mme. En fait, les notes obtenues sont si
peu favorables quelles ont conduit certains publicitaires poser eux-mmes des
diagnostics o ils plaident coupables. Citons, par exemple, cette confession de Bertrand
69
Par exemple, on pouvait se demander si les publiphobes taient plutt de gauche. quelques jours du
premier tour de la prsidentielle de 2007, TNS Sofres sest pos la question. Rsultats (Stratgies, n1451,
avril 2007) : les Franais qui votent droite (UMP, UDF et divers droites) se montrent les plus favorables
la publicit (44% dopinions favorables, contre 32% de dfavorables). Au contraire, les lecteurs de gauche
(PS, PC, Verts et divers gauches) sont 42% dfavorables la publicit, contre 35% dopinions favorables.
Les deux extrmes continuent dtre rsolument publiphobes, avec une nette longueur davance pour les
partis dextrme gauche (42% dopposants) par rapport au Front national et au Mouvement national
rpublicain (36% dopposants). Quant lindiffrence la publicit, cest un phnomne galement
partag entre la gauche et la droite, avec respectivement 22 et 24%.
70
Stratgies, n 1255, novembre 2002.
40
Les gens naiment pas ce qui nest pas conu pour eux. La publicit est trop souvent
coupe du monde rel. Elle est faite par des publicitaires qui travaillent dans leur bulle
et conoivent des messages ou des stratgies de salle de runion . Ils sadressent
des clients avant de sadresser des personnes, sans aller chercher les gens l o ils se
trouvent, dans leur vie quotidienne. [] Or le rle premier de la publicit, cest de
plaire, afin de susciter ventuellement une adhsion qui elle-mme, dans le meilleur des
cas, provoquera un achat. Et ce quel que soit le support utilis.71
Il nous semble que ce mea culpa traduit bien la gravit du dfi ressenti au sein
du monde de la publicit, qui a fini par admettre quil y a avait l un rel signal dalarme
Sur un autre registre, une tude intitule Publicit & Socit 72, mene en 2004,
ltude, 97% des publiphobes pensent quil y a trop de pub contre 48% des
publicit : 73% trouvent que la publicit est envahissante. Quant lutilit de la publicit,
85% des publiphiles pensent que la publicit est utile , alors que seuls 25% des
publiphobes y croient. Mais, 46% des publiphiles pensent que la publicit est
dangereuse , alors que 53% des publiphobes le croient. Cela veut dire que mme des
publiphiles qui pensent que la publicit est utile admettant aussi quelle peut tre
dangereuse.
Pour conclure notre bref examen de limage de la publicit auprs de son public,
nous soulignerons dans cette tude deux constats. Dune part, si 63% des Franais
dclarent que la publicit ninfluence pas leurs achats, pourtant 73% admettent que cela
71
Stratgies, n 1390, novembre 2005.
72
Cette tude a t excute par Ipsos et Presse+ la demande de lagence Australie. Les rsultats sont
prsents dans CB News, n 811, novembre 2004.
41
doit influencer les achats des autres ; dautre part, 91% avouent que la publicit influence
En fait, une mise en relation de ces trois chiffres dgage des points significatifs.
Tout dabord, au travers du gros dcalage - ce nest pas seulement de 10%73 - entre les
deux premiers chiffres, nous retrouvons confirmation du fait que, sagissant du rapport
entre publicit et achat, les gens pensent que ce sont les autres qui sont concerns,
influenables, alors queux-mmes le sont peu, se jugeant, simaginant, plus malins que
les autres. Ce phnomne nous fait raliser quil existe bel et bien un climat de mfiance
non identifi, qui va au-del dun simple sentiment dantipathie contre la publicit.
Ensuite, par rapport aux deux premiers chiffres, le dernier nous laisse supposer quel
niveau la publicit pourrait bien jouer un rle dans la vie quotidienne du public.
une observation soigneuse des faits concrets nous livrera des renseignements plus vivants
et pertinents que les donnes statistiques les mieux tablies. Il sera donc utile dexaminer
socit franaise qui ont fait, en contrepartie, apparatre des ractions de rejet de la
antipub, sest dclenche pour ragir contre soi-disant mfaits de la publicit et ses
uvres. Ce mouvement ne date en fait pas daujourdhui. On peut mme dire que ses
73
Qui slverait pas moins de 36%, si lon sautorise penser que nier tre influenc (63%) revient
dclarer ne pas tre influenc (37%).
42
sest panouie dans sa premire ferveur 74 . On a vu surgir, lors de Mai 68, des
avoir t des repres par leur poque, leurs penses auront une grande influence sur le
mouvement antipub contemporain. Cest partir des annes 90 que des militants tentent
toujours plus organise et toujours plus violente. observer ses dernires tendances,
nous constatons notamment lapparition de plusieurs livres qui se consacrent dcrire les
maux quengendre la publicit. Cest tout dabord, en 2000, Frdric Beigbeder qui
mpris pour les consommateurs et les annonceurs. Puis, un an aprs, nous voyons une
intitul Le Livre noir de la pub79. Elle y rappelle toutes les noirceurs de la publicit, de
labsence dabri laiss par son invasion. Elle prtend que la publicit doit tomber le
masque pour que le statut de citoyen puisse enfin prendre le pas sur celui de
74
Les Trente Glorieuses (1945-1973), caractrises par une priode de forte croissance conomico-
industrielle et dimportante expansion dmographique (baby boom), ont notamment marqu le passage vers
la socit de consommation.
75
Guy Debord, La Socit du spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1996.
76
Jean Baudrillard, La Socit de consommation, Paris, ditions Denol, 1970.
77
On peut se rfrer ici divers auteurs, notamment Franois Brune, Le Bonheur conforme (1981), Paris,
Gallimard, 1985 et Les Mdias pensent comme moi, Paris, LHarmattan; 1997 ; Paul Aris, Les Fils de
McDo : la McDonaldisation du monde, Paris, LHarmattan, 1997 ; Dominique Quessada, La Socit de
consommation de soi, Paris, Verticales, 1999 et Naomi Klein, No logo, Arles, Actes Sud, 2001.
78
Publi chez Grasset, ce roman a connu un grand succs avec une vente de plus de 500 000 exemplaires.
79
Florence Amalou, Le Livre noir de la pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001.
43
consommateur. En outre, en 2005, nous pouvons lire dun autre journaliste, Le Temps de
devoir-tre pour la publicit. Enfin, lautomne 2007, le cinaste, Jan Kounen met en
public parisien est souvent confront dautres modes, plus corrosifs. Ces dernires
annes, on voit de plus en plus daffiches tagues dans le mtro parisien. Les tagueurs
publicit, ils se mobilisent pour distribuer des pamphlets antipub et coller sur les affiches
lenvahissement publicitaire. Souvent ils dtournent aussi par des graffiti les messages
80
Sbastien Darsy, Le Temps de lantipub, Arles, Actes Sud, 2005.
81
Le film 99 francs est sorti en septembre 2007. Le film est coproduit par Arte, Canal+ et CinCinma,
aucune autre chane de tlvision n'ayant pris le risque de mcontenter ses annonceurs publicitaires. Selon
Allo Cin, le film a totalis 517 322 spectateurs lors de sa premire semaine de sortie (du 26 septembre au
2 octobre). 99 francs a t galement adapt au thtre Le Trvise Paris en 2002 par Gilbert Pont, seul
comdien sur scne.
82
La Rsistance lagression publicitaire (RAP) a t fonde en 1992 par Yvan Gradis, Franois Brune et
Ren Macaire.
83
Casseurs de pub a t cr Lyon en 1999, par Vincent Cheynet associ Bruno Clmentin. Le modle
en tait Adbusters au Canada. Lorganisation publie un priodique sur papier et gre un site Internet.
Casseurs de pub organise une manifestation annuelle contre la consommation, la Journe sans achats
(version franaise de Buy Nothing Day , lanc en 1992 au Canada). Diffuse internationalement par
Adbusters, cette manifestation de boycott des achats a lieu le dernier vendredi (Amrique du Nord) ou
samedi (Europe) de novembre. C'est en effet la journe o, aux tats-Unis, les chiffres de ventes sont les
plus levs de l'anne. Ce projet, ambitieux, choue chaque anne, en France comme aux tats-Unis. Il
reste pourtant au cur de la campagne des Adbusters.
84
Par exemple, un certain Antoine a ralis un autocollant Attention ! Ne mets pas tes yeux sur les pubs :
tu risques de te faire manipuler trs fort , en dtournant la clbre affichette du mtro Ne mets pas tes
doigts sur les portes, tu risques de te faire pincer trs fort . Cet autocollant a t tlcharg par des
milliers dinternautes sur le site de la Brigade antipub (http: //bap-propagande.org) et pouvait tre aperu
sur les lignes du mtro 5,11 en 2007.
44
Il faut dailleurs noter que ce sont des journalistes et danciens publicitaires85 qui au
publicit, mais leur ultime cible nest pas la publicit elle-mme. travers la publicit,
leur rvolte vise la logique du capitalisme et le pouvoir exorbitant des marques dans une
aux meurtrires dune forteresse ennemie. Sans parvenir la saper, on lance des flches
enflammes au travers de celles-ci, ses points faibles, pour mettre le feu lintrieur de
ldifice.
soit si forte que tout membre isol du public franais pourrait prouver de la gne, voire
de la honte, exprimer la moindre admiration pour la publicit. Mais elle a ses partisans
85
En effet, une bonne partie des leaders du mouvement antipub sont danciens publicitaires. Frdric
Beigbeider tait concepteur-rdacteur chez Young & Rubicam et Vincent Cheynet, le directeur de
publication de Casseurs de pub, tait graphiste chez Publicis. Dominique Quessada, auteur de La Socit
de consommation de soi, a t concepteur-rdacteur pour plusieurs agences publicitaires.
45
en prsentant les ralisations quils estiment tre les meilleures ou les plus originales.
Ainsi la publicit se considre ici comme uvre , alors que dans le mouvement
Nuit des Publivores 87. Cette fois-ci, cest la publicit elle-mme qui se transforme en
vrai spectacle. Les participants apprcient, toute la nuit pendant 6 heures daffile, des
films publicitaires du monde entier, et de toutes poques. Le public danse, reprend les
chansons, les expressions et les slogans en chur, tape dans ses mains pour un rien et
confectionne des avions en papier. Laffection publiphile y est telle que lon pourrait y
86
Lors de ce Festival, qui date de 1954, on flicite la crativit publicitaire et on rcompense les meilleures
ralisations, par secteurs. Celui de lanne 2007, 54 e Festival de Cannes, a reu 27 500 uvres de plus de
80 pays du globe pour ses Prix internationaux. Des sminaires, des ateliers et des projections
accompagnent la manifestation. Par ailleurs, quelque 10 000 publicitaires originaires du monde entier
profitent de loccasion pour se rencontrer.
87
Il sagit dun spectacle de publicits conu par Jean-Marie Boursicot en 1981. Vivant, interactif et
renouvel chaque anne, ce spectacle est prsent dans plus de 40 pays et rassemble la production dune
soixantaine de nationalits. Lors de la Nuit, dans la salle, sifflets, crcelles, cornes de brume retentissent au
rythme des ractions dun public survolt, tandis que les ballons, assembls par dizaines, rebondissent de
range en range, entre deux Hol ! On crie son opinion. Sur scne, sont donns des spectacles en
ouverture du programme et durant 3 entractes . Troupes de danse, artistes ou groupes musicaux sont
invits. Ce sont des images typiques de cette fte consumante. Pour en savoir plus, consulter Claude
Maubon, Publivore!, Paris, Le Manuscrit, 2011.
46
programmes dans les mdias. On se souvient du magazine tlvisuel Culture pub, qui sarrte
en 2005, aprs pas moins de 18 ans de diffusion. Ce magazine dcryptait la socit sous divers
dimanche soir quelque deux millions de tlspectateurs. Dailleurs, deux ans aprs sa
disparition de la grille des programmes de tlvision, la marque Culture Pub tait relance sur
rapparaisse sur NT188. Dailleurs, la publicit offre souvent des motifs dinspiration aux
programmes tlvisuels. On a pu ainsi voir, par exemple, Cauet dtourne la pub89. Dans une
ambiance conviviale, les tlspectateurs ont loccasion dapprcier des parodies des images
Enfin, il faut noter quil existe beaucoup de bloggeurs amateurs. Sloignant des logiques
de la production comme des arguments des antipub, ils ne demandent rien personne. Tout en
affichant sur leurs sites les campagnes qui ont t extraordinaires, ils parlent essentiellement de
crativit publicitaire.
88
Culture pub a donc t de 1987 2005 un magazine tlvisuel diffus sur M6, anim par Christian Blachas
et des co-animateurs et consacr la publicit, chose assez unique en France. Aprs sa disparition, elle ne
tarde pas renatre : ds le 24 fvrier 2008, les tlspectateurs de NT1, chane de la TNT peuvent retrouver
Culture pub, en une mission de 26 minutes qui est rediffuse trois fois par semaine.
89
Diffus sur TF1, le 25 mars 2007.
47
donc oblig de prendre position? Mais cette interrogation peut nous conduire un
questionnement plus profond. Do nous est venu notre troisime mode de rflexion sur
la publicit. Dans la charade, en fonction mme des rgles du jeu, un pige se rvle dans
partielles des tapes prcdentes. Cette image du jeu enfantin a dailleurs quelque chose
voir avec une vieille sagesse populaire extrme-orientale qui dit que le coup
authentique tombe toujours sur un troisime 90. En effet, runissant et la fois dpassant
dnonce les vieilles pratiques commerciales de casse des prix au moyen dune image
lancement Culture pub sur Internet. partir du message originel, Culture pub revient
antipub en insrant des messages drivs tagus, tels que La sous-culture revient sur le
net , ou encore Culture pub produit le net . Ces deux images nous montrent bien
lantagonisme actuel qui entre les dtracteurs, critiques de la publicit et les plaideurs,
critiques des critiques qui dnoncent la publicit. Ou alors faudrait-il considrer les
clairs qui dfendraient la citoyennet, alors que les participants La Nuit des
90
Cette expression peut tre galement interprte, dans le sens qu il faut au moins trois essais, pour
quune affaire parvienne au succs .
48
les derniers sont sots, les premiers ne le sont pas moins. Il nous semble en effet que ces
sortes dopposition nont pas de sens, car dnonciateurs comme admirateurs ne font par-
l que montrer leur vision du monde. La publicit est demeure ainsi lternel objet dune
Pourtant, ce que lon ne devrait pas manquer de faire, cest se demander si ces
ractions de la socit, mme si elles deviennent de plus en plus vives, ne sont pas que
saillants trop souvent mis en relief pour des coups mdiatiques, ils restent fort loin de sa
Cette remise en cause nous amne envisager une nouvelle manire de penser la
dvelopperons notre propos en nous fondant avant tout sur une observation scrupuleuse
haut, le premier trait de la publicit rside sans aucun doute dans lnorme frquence de
ses contacts avec le public. Selon Publicitor, un individu en France est expos, en
moyenne, un nombre compris entre 300 et 600 de messages publicitaires par jour91. Il
nen peroit effectivement que de 30 80. Stratgies montre qu en 2006, pas moins de
3 879 000 spots ont t diffuss sur les 89 chanes de France, dont 564 000 sur les six
chanes hertziennes 92. Mais, quelles que soient ces donnes statistiques93, on constate
91
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e dition, op. cit., p. 57.
92
Stratgies, n 1468, septembre 2007. En effet, ce genre dvaluation nest pas rare. Daprs CB News,
aux tats-Unis un des pays o la publicit a connu le plus grand essor, le consommateur moyen est
expos aujourdhui 3 500 messages publicitaires par jour, contre 560 il y a 30 ans (CB News, n 797,
juillet 2004). Par ailleurs, Al et Laura Ries notent que lindividu moyen contemporain est expos 237
spots tlviss chaque jour, soit 86 500 spots par an [La Pub est morte, vive les RP, traduit de lamricain
par Emily Borgeaud, Paris, Pearson Education France, 2003, p. 29.]
93
Confronts ces valuations bien nettes, on peut se demander pourtant quelle signification concrte
peuvent avoir ces chiffres statistiquement bien tablis et si la faon de les calculer en se rfrant en
49
que la publicit domine tout le primtre de la vie quotidienne dun homme moderne.
Dans la petite table ronde vitre du caf, dans lascenseur, la surface des ufs, sur la
publicit sest installe partout, elle est tapie dans tous les espaces de notre vie
quotidienne, du matin au soir, du soir au matin. Nul ne dmentira que nous, citadins
modernes ne pouvons vivre quaccompagns par ces messages commerciaux, ils sont l
certaines choses. En effet, il est tonnant que des enfants gs de deux ou trois ans
publicitaire. cet gard, la campagne pour les renseignements tlphoniques 118 218 94
est exemplaire. Il nous semble par ailleurs que bon nombre denfants commencent
rapporter une anecdote gnralisable concernant les enfants na pas pour intention de
mme si cest forcment pour cela que le font les antipub. Mais ne doit-on pas se
demander si lon nest pas dj entr dans un certain tat qui va au-del des simples
constater combien les slogans de Mai 68 puisaient dans le mme stock syntaxique et
potique que la rhtorique publicitaire quils condamnaient sans rmission 95. En retour
larchasme des publiphobes, elle a su reprendre son compte ces thmes dun Mai
68 qui parlait dj le mme langage quelle, pour sen nourrir de nouveau et renouveler
son style. Et il ny a donc aucun hasard dans le fait que nombre des jeunes agitateurs
rvolutionnaires dalors sont, depuis, entrs dans les rangs de la nouvelle classe
forg les mots dordre anti-publicitaires les plus radicaux sont parfois devenus les
Quatre dcennies plus tard, les choses ne sont pas si diffrentes. Les protagonistes
les dtourner, ainsi La pub nuit votre sant et celle de votre entourage , La pub
nuit gravement votre sant Quant ces pratiques de dtournement, on peut certes
faire lhypothse quelles visent un effet ironique. Cest justement ce que soutient
les Casseurs de pub utilisent volontiers le langage publicitaire. Mais le but nest pas, bien
lautonomie de pense.
Certes un tel effet nest pas inimaginable et ils ont peut-tre raison en pensant que
ce soit la raison de cet emprunt. Mais si nous considrons maintenant une petite anecdote
son lancement initial, en 2000, le livre 99 francs avait t propos au prix de 99 francs,
formule astucieuse qui devait jouer un rle. Mais, au moment du passage lEuro,
lditeur transforma le titre du roman en 14.99, sa nouvelle valeur. Les deux livres ont
alors cohabit en librairies. Mais, 14.99 ne se vendant pas, on en est revenu 99 francs.
dargent ou dides. Cela est all de soi pour le titre du film 99 francs. O peut-on
trouver une diffrence entre ce noble lancement dun livre et dun film antipub et
publicit banale ?
francs, lauteur disait quil crivait la confession dun enfant du millnaire, en employant
sil voulait vraiment se conformer cette acception religieuse, quil avait par-l
96
Sbastien Darsy, Le Temps de lantipub, Arles, Actes Sud, 2005, p. 128.
97
Frdric Beigbeder, 99 francs, Paris, Grasset, 2000, p. 31.
98
Ce mot franais vient, au XIIIe sicle, du latin contradictio qui signifie contredire . Un commentaire de
52
voire celle de la publicit, nous ne devrons pas manquer de noter que cest le symbole
qui est mis en uvre et qui joue dans cette affaire. En choisissant, puis en reprenant le
chiffre 99, les auteurs du livre et du film ont su montrer quils matrisaient bien les lois
du marketing, qui valorise la potentialit symbolique des chiffres, bien ancre dans
lesprit de tous consommateurs99. Les publicitaires ne font pas autre chose. Mais cest
exactement cette mme pratique dloyale que les antipub dnoncent sous le nom,
appropri, de manipulation .
Du coup, cette conjoncture nous fait raliser quel point nous sommes tous
concerns par la publicit, aussi bien des points de vue mercantile, commercial et
conomique, que des points de vue psychologique, culturel, anthropologique, etc. Cest
en ce sens que nous pouvons dire que nous sommes tous enfants de la pub , et que
nous sommes au fond limage de nos propres enfants qui ragissent - inutile de savoir si
Robinson Cruso, qui peut nier que nous sommes tous concerns par ce nouvel ADN, qui
sappelle publicit ? Ce qui est sr, cest que nous ne vivons pas la mme re que
celle o a vcu Arnold Toynbee 100 , la publicit tant devenue quelque chose
ltymologie orientale de lhomologue du terme contradiction nous donne une image bien instructive : Il
tait une fois, au pays Tcho, un marchand de lances et de boucliers. Portant un bouclier, il dit que cest un
bouclier qui rsiste contre tout, et tenant une lance, il dit que cest une lance qui transperce tout. Un spectateur
lui demande de percer ce bouclier avec cette lance. Alors le marchand ne peut que se taire. .
99
Il sagit prcisment de la connotation qui concerne 9, 99, 999, qui est normment utilise dans
lunivers du marketing. Ces chiffres qui ne vont pas jusquau bout dune somme ronde provoquent
limpression quils ont t calculs justement, ou bien quils ne dpassent par un seuil fatidique et donnent
lillusion que les produits concerns valent plus que les prix marqus.
100
Considr comme le premier critique de la publicit, il a vu dans la publicit la raison principale des
mfaits qua entrans le passage de la socit agricole la socit industrielle au XVIII e sicle.
53
dirrpressible mme dans le sens spatio-temporel101. Ainsi il faut reconnatre que, belles
publicit.
dtruire ou la prserver, mais on ne peut pas la quitter 102. Cela dit, on peut certes en
slectionner certains aspects mais on ne pourra pas nier son existence. Nous pensons
ainsi que la publicit constitue cet environnement de tous les jours au sein duquel tout le
creuset culturel 103 , dire si ce creuset est fcond, comme un vrai bouillon de
culture 104, au sens culturel de culture , ou bien sil est infest de germes pathognes,
Ainsi, ce qui compte pour nous dans une telle situation, ce nest plus de savoir si la
publicit est une chose incontournable - elle ne lest pas -, mais cest lvolution de la
mentalit humaine et les mutations de la socit quelle peut entraner. Si nous acceptons
101
Si, par exemple, on tombait daccord pour faire disparatre la publicit, on serait confront, demble,
deux questions conscutives : Pour combien de temps ? et Vers o ? .
102
Sagissant de la notion denvironnement, voici le message de la campagne publicitaire EDF : Lle de
Pques tait un paradis. Ses habitants construisaient de grandes statues pour honorer leurs anctres. Ils les
sculptaient dans la pierre et les transportaient sur des rondins de bois. On raconte quils couprent tant
darbres que leur petite le devint un dsert. Notre plante est comme lle de Pques au milieu de locan :
on peut la dtruire ou la prserver, mais on ne peut pas la quitter. Pour les gnrations futures, EDF
consacre un million deuros par jour la recherche. EDF, Leader europen des nergies de demain.
103
Cette ide nous impose ncessairement une interrogation : la publicit constitue-t-elle alors une sorte de
culture ? Il nest pas facile dy rpondre. Car la dfinition du terme culture est dj peu aise. Ici, nous
nous contenterons de lentendre dans le sens le plus gnral du terme. Face cette question, certaines
personnalits du monde de la publicit, comme Christian Blachas, notent que la publicit nest pas une
vraie culture en soi, mais un acclrateur de connaissance et un vulgarisateur de la culture et de lart en
particulier. Il est incontestable que la publicit sinspire de lart en permanence et surfe , comme on dit,
sur les courants culturels. Il nous semble pourtant que cette ide est courte, moins que ce ne soit quune
expression de modestie, justement pour donner une meilleure rponse pour faire face aux attitudes hostiles
la publicit. Linconvnient, cest que culture y est rduit au seul sens litiste et artistique. Nous
reviendrons sur la question de la culture dans la troisime partie de cette recherche.
104
mission de Bernard Pivot diffuse entre 1991 et 2001 sur France 2. Voue l'origine toutes les
formes de culture, elle se concentra principalement sur la littrature.
105
Expression emprunte louvrage de Claude Cossette, La Publicit, dchet culturel, Qubec, Les
Presses de lUniversit Laval, 2001.
54
ainsi comme valide la mtaphore des enfants de la pub , la publicit ne peut plus tre
apprhende comme auparavant. Il nous faut aborder le rapport entre publicit et socit
publicit dans son ensemble. Ce sont des visions tendant chercher la signification
artificiels par la manipulation. Ainsi, dune part Roland Barthes dsigne, dans
France, la publicit comme lun des mythes contemporains partir des produits
industriels de la vie urbaine dans une socit de consommation. Il soutient que cest
lidologie dominante, donc celle du capitalisme, qui se cache au fond dune structure
qui a t construite par un systme de signes au sens linguistique 106. Dautre part, dans
Baudrillard souligne que, dans et par lacte de consommation, les individus doivent se
diffrencier les uns des autres en exhibant des signes porteurs de diffrence. La publicit
par les mdias provoque ce phnomne dans lequel les signes spuisent dans leur
peut dire que la thse de Roland Barthes se cantonne trop dans une logique idologique
pertinence lheure actuelle, et que la publicit telle que la voit Jean Baudrillard est un
106
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957. La structure smiologique du mythe est explique
dans la partie Mythe daujourdhui de ce livre.
107
Jean Baudrillard, La Socit de consommation, op. cit.
108
David Riesman, de son ct, crit que la destine de tout homme moderne est dsormais prdictible de
faon vidente : De nos jours, le futur mtier de chaque enfant est celui de consommateur accompli.
[David Reisman, La Foule solitaire (1956), Paris, Arthaud, 1966, p. 289.] Selon lui, lessence des moyens
de divertissement de masse rside dans lducation des consommateurs qui commence ds lenfance. La
culture dintgration, diffuse massivement, obligeant son public discuter des produits de consommation
le soumet donc la douce contrainte dun perptuel entranement consommer.
55
ressentait le public dalors, sans parler de savoir si elles refltent ce que ressent le public
daujourdhui. Autrement dit, mme si leurs ides peuvent ne pas tre errones, en ce
sens quelles valent bien pour certains, il se peut quil existe une rupture, quant la
perception, entre ce que des intellectuels peuvent penser par concepts et ce que le public
peut ressentir avec ses tripes . Pourtant, ce qui compte le plus, nest-ce pas le vcu du
public, confront la publicit dans sa vie quotidienne? En fin de compte, ce qui reste
dterminant pour notre propos, cest de savoir effectivement si le public reste aussi naf
que llite voudrait le croire. Ne serait-ce pas les lites elles-mmes qui voudraient
greffer leurs ides sur un public considr a priori comme plus ou moins stupide ?
Tant que cette question ne sera pas considre, il y aura un doute perptuel dans la prise
En dfinitive, aussi bien dans les ides plus intellectuelles que dans les ractions
franaise, nous trouvons, dans le fond, cette mme forme dobsession de devoir protger
dvoilant ses mfaits. Il semble donc que la proccupation majeure de la socit franaise
face la publicit soit anime par la conviction monomaniaque que la socit pourrait et
devrait la contrler. Dans un tel climat, la perspective qui se prsente nous peut tre
considrs comme spars. Comme Michel Maffesoli le souligne bien du point de vue
progrs, les racines du paradigme moderne 109, paradigme qui repose, dans le fond, sur
le mpris de ce monde-ci , mpris, qui est refus de ce qui est 110. Cest l en effet la
109
Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010, p. 25.
110
Ibid., p. 20-21.
56
vigueur, ou, tout le moins, on peut dire quil saffaiblit. Dans cette conjoncture, partant
que connat la publicit dans la socit, il nous parat justifi de lappeler socit
semblent judicieuses en ce quelles nous permettent davancer dans une direction qui
nous semble fconde. En premier lieu, Andr Akoun note que, dans la capacit de la
publicit mettre son service ce qui semblait la nier le plus radicalement, il faut voir
jeunes gens construisant leur carrire. Il faut y voir un signe de ce quil appelle la
monde se publicise non par leffet mcanique de la publicit, mais parce que la publicit
engendrerait, la publicit, selon lui, se prsente comme le problme du cours que prend
quelle que soit lidologie officielle. Il y voit notamment une participation au Zeitgeist,
lEsprit du temps la fois superficiel, futile, pique, exaltant. Enfin, pour lui la publicit
111
Si Andr Akoun propose cette expression plutt en tant que caractrisation dun phnomne qui
nous permet de mieux percevoir la dimension fondamentale de la socit moderne, nous la prenons plutt
comme paradigme thorique pour la problmatisation de la publicit.
112
Andr Akoun, La Communication dmocratique et son destin, Paris, PUF, 1994, p. 116
113
Edgar Morin, LEsprit du temps. Essai sur la culture de masse, Paris, Grasset, 1962, p. 229-230.
57
en tant que culture de masse ne se tiendrait pas sur lpaule du Zeitgeist, elle est
Enfin, selon Michel Maffesoli, la publicit peut tre caractrise en faisant appel
insiste sur le fait que, la communication participant du processus par lequel la socit
tient ensemble, on ne communique pas forcment pour dire quelque chose, mais pour
se dire quelque chose 115. Si lon prend en compte cette dimension essentielle de la
profond, tre lie cet esprit du temps dans lequel nous baignons. Car tout comme un
impratif atmosphrique que lon ne peut viter, nous y sommes bien immergs.
***
Dune telle perspective, la publicit nest plus ou plus seulement, et peut-tre pas
cet objet de polmique ternelle entre ses admirateurs et ses dtracteurs. Cela veut dire
que, pour bien comprendre ce quest la publicit daujourdhui, il faut pouvoir surmonter
langage universellement partag, elle est capable de gnrer un Message qui soit
dans son rapport un certain Zeitgeist. Il nous faut, partant de la publicit conue
lumire par quels processus elle peut devenir un symbole du temps. Nest-ce pas l, en
114
Ibid., p. 248.
115
Michel Maffesoli, Publicit : Mythologie de lpoque? , Rendez-vous de limaginaire, sance du 20
janvier 2005, Espace Paul Ricard, Galerie Royale 2, 9 rue Royale 75008 Paris.
58
effet, la tche dun chercheur proccup par la porte sociale que peut avoir la publicit
* *
*
59
Introduction
Nous sommes tout fait daccord avec cette ide de Marshall McLuhan selon
laquelle les historiens et les archologues dcouvriront un jour que les annonces de
notre poque constituent le reflet quotidien le plus riche et le plus fidle quune socit
ait jamais donn de toute la gamme de ses activits 116. De son ct, Edgar Morin crit
que par une dialectique de serviteur-matre dont est coutumire la vie sociale, on a pu
voir que la publicit est devenue le support de certains de ses supports. [] Plus
tous les horizons et baigne littralement toute la vie sociale 117. Au fur et mesure que,
icne de lre des mdias de masse, la publicit affecte, autant au niveau de son
expression que sa production industrielle, tout le quotidien et toute la vie sociale dune
socit, elle apparat, pour emprunter lexpression de Marcel Mauss, comme fait social
total 118 dune socit, phnomne qui doit enfin en faire lobjet essentiel des sciences
humaines et sociales.
Nous constatons pourtant que la publicit a rarement vraiment attir lattention des
chercheurs, bien que lon ait pressenti limportance de son tude scientifique. Pendant
mis en cause notamment par des linguistes ou des smiologues. De fait, ce nest quen
la publicit et intitul Publicit, une histoire 119, afin de chercher mieux clairer les
ou artistiques Il nous semble toutefois que ce fait social total reste encore, dans
comme la plus apte tudier la publicit, cest cette situation qui prvaut, peu
dapproches ayant t tentes. En effet, sil est vrai que des sociologues ont crit un
scientifiques portant sur son rle et ses effets sociaux ont t ralises. En ce sens, on
insistait sur limportance de la publicit comme dun norme chantier dtude souvrant
la sociologie contemporaine120.
Pour tenter de rendre compte de ce curieux tat de pnurie, nous pouvons invoquer
au moins trois facteurs. Il sagit, en premier lieu, du poids des prjugs sociaux. Le
mpris discret et ddaigneux qui entoure la publicit relve bel et bien dun conformisme
qui semble quasi obligatoire chez les intellectuels ou ceux qui veulent paratre tels, mais
Ainsi carte et mme rejete a priori par ce climat singulier, la publicit ne peut
pas, ne doit pas , pourrait-on dire, tre tudie par de vrais sociologues. Ce pch
originel qui condamne la publicit tre ignore peut tre illustr, pour reprendre une
120
loccasion du CeaQ 25 ans, qui sest droul le 20 dcembre 2007 (salle des Conseils, 12 rue de
lcole de Mdecine 75006 Paris), Michel Maffesoli a attir lattention, en particulier, sur le fait que
depuis 20 ans il ny avait pas paru de recherche sur la publicit depuis celle dAnne Sauvageot, Figures de
la publicit figures du monde, Paris, PUF, 1987.
121
Un psychologue reconnat cette situation : Il parat donc logique, voire vident, que la publicit soit
un terrain de choix pour la psychologie sociale, qui a pour objet dtude lhomme considr comme un tre
situ larticulation de lindividuel et du collectif. Pourtant la psychologie sociale ne sest que rarement
intresse la publicit, si ce nest pour y montrer les classiques processus dinfluence luvre. La raison
en est sans doute idologique, les chercheurs vitant peut-tre de contribuer la marchandisation des
processus humains [Julien Vidal, La publicit comme expression de la pense sociale in Nathalie
Blanc et Julien Vidal (sous la direction de), Publicit et psychologie, Paris, In Press ditions, 2009, p. 33.]
62
ne considrer la publicit que dans son rapport avec son utilit conomique dans sa
toutes les autres dimensions en jeu dans ce qui est pourtant une relle situation de
procustenne : Il faut que la ralit entre, ft-ce de force, dans le cadre que lon a
souvent aborde de cette faon si errone, les approches sociologiques finissent par
Enfin, troisime facteur, lorsque lintrt du sociologue se porte malgr tout sur la
nature du rapport quil peut y avoir entre la publicit et la socit qui lentoure, cest ce
qui gouverne tant sans devoir mriter plus de considration : La publicit est un miroir
social. Pour noncer cela, il nest pas ncessaire que nous soyons de grands sociologues.
Toutefois, aussitt que lon veut le montrer de faon un peu prcise sous un certain angle,
122
Marie-Thrse Basse et Grard Lagneau, Deux ans de rflexion ou chronique de la mal-aime , in
Communications, n 17, 1971, p. 132.
123
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 40.
Procuste est un brigand lgendaire de lAttique, qui torturait les voyageurs. Il les tendait sur un lit (il en
avait deux, un court et un long) et raccourcissait ou tirait leurs membres la mesure exacte du lit. Prenant
limage de ce lit de Procuste mythologique, Michel Maffesoli critique svrement, sous le nom de
sociologie procustenne , une attitude intellectuelle qui pure, rduit, coupe et trononne la ralit pour
pouvoir la faire entrer dans un modle tabli a priori. Il sagit l dune consquence de cette procdure
rationaliste qui, selon ladage bien connu, entend passer du concret labstrait, du singulier au gnral,
sans que soit prise en compte la vie en sa complexit, la vie toujours polysmique et plurielle, et qui ne se
prte pas, ou si peu, aux ides gnrales et autres abstractions aux contours bien mal dfinis.
63
on se rend compte que cela nest pas simple. Parce quil semble que ce miroir soit
convexe ou concave plutt que plat. Alors, quelle peut bien tre la nature de ces
dphasages spectraux qui existeraient entre ce qui est et ce qui est reflt ? Par
recherche sociologique. Mais si lon ne saisit pas comme autant de dfis ces trois facteurs,
bon nombre dautres domaines de recherches des sciences humaines et sociales. Il faudra
donc surmonter ces trois cueils pour que ce fait social total quest la publicit puisse
enfin faire lobjet dune approche sociologique rigoureuse. Il faut bien videmment tenir
compte du problme que constituent ces prjugs gravitant autour de la publicit. Quils
soient des prjugs ne signifie pas quil faille les ngliger, car lexistence de prjugs
contexte social dont la prise en compte importe pour une comprhension de la publicit.
Mais, on peut exiger au moins que son approche ne soit pas rejete initialement cause
ralit sociale se venge, et prend en tout et pour tout le contre-pied de ce qui, depuis
la philosophie des Lumires, stait difficilement constitu 124. Pour que la ralit
possible, il est important pour nous de garder cette rsolution d piphaniser le rel 125.
124
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible (1996), Paris, La Table Ronde, 2005, p. 39.
125
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 10. Cette
prise de conscience ou cette attitude est dautant plus importante quil est impossible de voir compltement
64
opratoire grce auquel pourrait tre assure une perception tangible sur la corrlation
rigoureux, si notre approche qui sentreprend sous ce nouveau paradigme dune socit
vision, la publicit comme symbole du temps se situe, en tant que telle, dans un ordre
se trouve actuellement la recherche sur la publicit en sociologie. cet gard, les dfis
que nous venons de relever constituent pour une part importante cet tat du savoir. Mais,
tant donn que, vu lhypothse de son lien avec l esprit du temps , la publicit se voit
Sans doute, dans cette situation si peu vidente o nous sommes, nous faudrait-il la
creuser profond et sattacher la surface des choses. 126 Tout en rpondant la question
les choses telles quelles sont , car notre corps et nos yeux sont dj partie prenante de ce monde o a
lieu cette perception. En ce sens, il est utile de souligner que, mme pour la phnomnologie, la fameuse
rduction phnomnologique nest jamais compltement ralisable. Maurice Merleau-Ponty reconnat
que le plus grand enseignement de la rduction est limpossibilit dune rduction complte. [Maurice
Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 14.]
126
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. XXI.
65
pratiques des campagnes publicitaires crites (magazines et affiches) peut nous fournir
limage salourdit sans cesse, occupant une position de plus en plus essentielle dans les
importance. Lexplication en est simple. Cest que le langage est rput comme moins
Nanmoins, il serait trop htif de parler dune dictature totale de limage dans le
monde de la publicit car, mme sil est vrai que le langage y perd de son poids, il ne
crucial. En effet, la publicit nest-elle pas un type de communication qui, depuis son
crite notamment, est celle des rapports entre limage et le langage, telle poque pouvant
privilgier limage, telle autre le langage127. Nous pouvons dire que dans cet amalgame
serr que forment limage et le langage, ce qui volue, ce sont les proportions de ces
127
Selon la thorie de Claude Cossette, depuis lorigine de limage de masse, vers 1890, jusque vers 1940,
lessence du message publicitaire est de passer surtout par limage. Suivant le postulat esthtico-
perceptif , les visualistes ont eu lhgmonie, plus particulirement en Europe o sest dveloppe la
tradition de laffiche. En revanche, en suivant le postulat argumentationnel , limage ne sert le plus
souvent qu illustrer ce que les lments langagiers noncent. Cette tendance lemporte dans la publicit
amricaine vers 1940. Cest lpoque o les rdacteurs ont la mainmise sur le monde de la publicit. Le
texte prend donc le pas sur limage et les visualistes sont relgus au rle de second violon. [Claude
Cossette, La Publicit, dchet culturel, Qubec, Les Presses de lUniversit Laval, 2001, p. 78-79.]
128
On constate, bien entendu, des campagnes sans langage ou au contraire des campagnes sans image. Ne
constituant pourtant pas lessentiel de la publicit actuelle de presse et daffichage, ces types de campagnes
sont exclus de notre rflexion.
66
Pour cerner ce point prcis, il nest pas inutile de prter loreille cette affirmation
bien que le message linguistique soit prsent dans toutes les images : comme titre,
comme lgende, comme article de presse, comme dialogue de film, comme fumetto; on
voit par l quil nest pas trs juste de parler dune civilisation de limage : nous sommes
encore et plus que jamais une civilisation de lcriture. 129 Cette remarque, qui est dj
attendre, on aurait aussi raison de parler dun retour en force de la Galaxie Gutenberg130
en pleine re du numrique.
Pourtant, ce qui compte, au fond, ce nest pas tant le fait que le langage survive ou
Cest ce que Roland Barthes ne pouvait deviner, tout en ayant raison dinsister sur le fait
que notre civilisation reste une civilisation de lcriture. On peut dire que, quelle que soit
sa place, ce qui est important, ce nest plus le fait que le langage soit, mais que le langage
ce point de vue, nous devons envisager un phnomne qui est socialement trs
significatif dans le paysage actuel de la communication publicitaire. Cela veut dire quau
fur et mesure que la part du langage diminue au sein des campagnes publicitaires, se
Aux esprits clairs, chercheurs ou non, intresss par les questions que pose la
socit, Michel Maffesoli a constamment conseill de trouver les mots pour dire notre
129
Roland Barthes, Rhtorique de limage , in Communications, n 4, 1964, p. 43.
130
Cf. Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg (1967), Paris, Gallimard, 1977.
67
temps 131. Motivs par ce paradoxe, nous essayerons, pour notre part, de trouver ces
mots dans le langage publicitaire, pour dire le sens sociologique qua la publicit notre
poque. Mais, toujours sous son gide, plutt que desprer pouvoir trouver les mots
exacts, nous nous efforcerons du moins de chercher les moins faux possible 132.
Parmi les divers lments linguistiques qui constituent le langage publicitaire notre
intrt portera sur le slogan publicitaire. La raison pour laquelle nous lavons finalement
adopt comme objet dinvestigation pour notre recherche est que cest en lui que
semblent se concrtiser avec le plus dintensit les enjeux sociaux que reprsente le
langage publicitaire. De faon non alatoire, trois raisons au moins militent en faveur de
ce choix. La premire est mythique en quelque sorte. Nous sommes attirs par le fait
que cette formule qui sappelle slogan est inhrente au commerce comme la
politique, les deux activits les plus anciennes de lhistoire de lHumanit. Ce fait nous
amne penser que cest le slogan qui reprsente le plus fidlement la nature du langage
publicitaire. En outre, le slogan semble tre le lieu o se marque le plus une particularit
de la langue de la publicit qui le diffrencie tellement des autres usages de la langue que,
souvent mal comprise par le public elle donne lieu de violentes polmiques. Enfin,
avec le public. Cest--dire que, par rapport aux autres lments linguistiques constitutifs
du langage publicitaire, le slogan est celui qui peut rester et avoir ainsi le plus de
Alors, quel est le but que veut poursuivre notre travail au travers dune tude du
slogan publicitaire ? Nous faisons lhypothse que la publicit contemporaine joue bel et
bien un rle social spcifique qui a t peu envisag et encore moins examin par la
131
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. III.
132
Ibid., p. XXI.
68
Quant la nature de ce rle social, nous faisons encore trois hypothses. En premier
lieu, il sopre dune faon mystique , tant la fois conscient et inconscient, puisque,
dune part, dans leur violent dnigrement de la publicit, les publiphobes ne peuvent pas
ne pas ladmettre, mais que, dautre part, dans leur chaleureux engouement pour la
publicit, les publiphiles ne pourraient mme pas sen apercevoir. Il opre donc au-del
pour / contre . Comme il est inapprciable, il se peut que les publicitaires eux-mmes
narrivent pas lenvisager clairement. En second lieu, ce rle serait assum par un
sentiment prouv dune manire spontane par le public, lors de son contact avec la
publicit dans sa vie quotidienne triviale, et ce, sporadiquement en termes de temps et par
parpillement en termes despace. En dernier lieu, comme ce rle repose en quelque sorte
sur une force souterraine , il ne serait accessible par aucune approche canonique,
Du coup, nous croyons que ce rle social serait assum souvent sous la forme dun
Michel Maffesoli, pour qui aujourdhui, il sest capillaris dans lensemble du corps
social 133.
sans cesse que les produits changent la vie . Daprs nous, toujours assujettie cette
quelque deux cents slogans publicitaires pour quil soit possible dassister lclosion de
133
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit., p. 144-145.
69
Mthode
Quant la question de la mthode, on est bien conscient du fait qumile Durkheim
Edgar Morin na pas jug superflu de consacrer tout un ouvrage La Mthode135. Tout
Considre ainsi comme tant et la cause et leffet mme de la discipline, la mthode est
cet ensemble des connaissances qui nous aident parvenir un sens sociologique
Voici lensemble des dispositifs, tant pratiques que thoriques, qui nous ont aids
dgager le sens sociologique de notre recueil de slogans. Tous ces slogans ont ts
collects dans deux types de support, magazines et affiches entre 2004 et 2012. Pour
les slogans de magazines, nous les avons puiss notamment dans LExpress et dans
Le Nouvel observateur ; pour les slogans affichs, leurs supports sont les affiches du
composition de ce corpus sest faite de manire irrgulire dans lespace sans lieu
Quant aux critres de leur choix, on na pas pris en compte leur ventuelle
valeur , que celle-ci soit dfinie en termes defficacit mesure par le monde du
marketing ou quelle rsulte dun succs positif, manifeste lors de tel ou tel festival
sont pas non plus des prfrences dordre personnel qui ont prsid ce choix : nous
134
mile Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique (1894), Paris, Payot, coll. Petite
Bibliothque Payot , 2009.
135
Dans ce vaste ouvrage de six tomes en deux volumes, lauteur explique bien le rapport entre mthode et
mthodologie : Les mthodologies sont des guides a priori qui programment les recherches, alors que la
mthode sera une aide la stratgie (laquelle comprendra utilement, certes, des segments programms,
cest--dire mthodologiques, mais comportera ncessairement de la dcouverte et de linnovation). Le but
de la mthode, ici, cest daider penser par soi-mme pour rpondre au dfi de la complexit des
problmes. [Edgar Morin, La Mthode, Paris, Seuil, coll. Opus , 2008, p. 1198.]
136
Le 21 juin 2013, Salle du Conseil, Universit Paris Descartes, 12 rue de lcole de Mdecine, 75006
Paris.
70
navons pas retenu les slogans que nous estimons les plus drles ou les plus astucieux,
etc. Notre critre de choix, alors mme que nos catgories danalyse ntaient pas
slogans pouvaient tout simplement tre retenus par le chercheur de manire spontane,
vaste pour bien illustrer les divers types de crativit assumant cette fonction sociale,
mais ne comptait aucun autre critre quantitatif, ds lors que les exemples taient un
dire que si le slogan est un lment en soi purement langagier, il est pourtant toujours
insr dans un champ visuel plus vaste. Cette situation nous impose une disposition
un peu spciale qui doit nous faire carter une approche purement linguistique ou
purement visuelle. Ainsi, le fait quil sagisse dun phnomne linguistique lu, et au
approche. De ce fait, les slogans que nous tudions relvent dune nouvelle mthode
de sociologie, tente notamment par Fabio La Rocca et base sur la centralit sur
et comme objet dtude. Puisque le slogan que nous avons retenu est toujours contenu
dans un champ visuel, il est toujours li, mme partiellement, cette centralit et
notre recherche relve donc dune approche visuelle. Nos entretiens se sont drouls
sur la base dune slection de publicits montres au public. Ainsi, dans la mesure o
ce sont des images qui ont t utilises comme instrument de recherche, on peut dire
que notre recherche a t une sociologie avec limage . De plus, si lon considre
que le slogan est insr au sein de cette image quest la page de magazine ou laffiche,
notre approche peut aussi tre comprise comme une sociologie sur limage . Ainsi,
137
Fabio La Rocca, Introduction la sociologie visuelle , in Socits, n 95, Bruxelles, De Boeck,
2007/1, p. 38.
71
dfinie, sur un micro plan, comme tant recherche sur le langage-objet mene au
moyen dune image-outil , elle se transforme, sur un plan plus vaste, en une
recherche sur l image-objet . Par ailleurs, vu que ce que nous tentons dclairer est
le rle social du slogan crit via sa crativit linguistique, mais que celle-ci sopre
Dans cette situation, deux modes dentretien ont t pratiqus. Dun ct, nous
avons procd des entretiens bien organiss auprs de huit personnes : trois
notre corpus. La dure en tait entre une heure trente minutes et deux heures. De
personnes. Dans le deuxime cas, comme nous visions vrifier une intuition ou
nous clairer sur un point prcis, mais dans un environnement public similaire
lespace publicitaire, nous avons interrog au hasard des personnes dans le Jardin du
pratiquer des entretiens pour recueillir lopinion publique, sans recourir lopinion
publie. Tandis que lopinion publique est bien une opinion, comme nous en met en
effet, lopinion publique peut ne pas correspondre lopinion prive ou bien celle -ci
peut changer. Lopinion publie ne recueille jamais quune opinion passe, rpte et
morte. Par consquent, cette opinion publie nest pas forcment lopinion publi que.
Pour illustrer les mfaits de cette approche, il suffit de nous rappeler lexemple
138
Michel Maffesoli, Opinion publique / opinion publie , in Socits, n 100, Bruxelles, De Boeck,
2008/2, p. 7.
72
quasi-totalit des indices publis par les divers instituts de sondage pronostiquaient
confronteraient au second tour. Mais en ralit, le candidat qui avait pris la deuxime
sens wbrien. Ainsi, son point de dpart sappuie sur la conviction que les hommes
ne sont pas de simples instances porteuses de structures mais quils sont les
Wright Mills telle quelle est prsente par Jean-Claude Kauffmann : le chercheur
Dans cette perspective, notre mthode est forme de lensemble des moyens,
sociologique que nous lui avions dcouvert . Nous avons tent notamment une approche
interdisciplinaire et heuristique.
actuelles dans ltude de la publicit, il relve de la tendance qui sinterroge sur son
139
Jean-Claude Kaufmann, LEntretien comprhensif. Lenqute et ses mthodes (1996), Paris Armand
Colin, 2006, p. 9-10.
140
Pour lvolution des paradigmes de la sociologie sur la publicit, voir Valrie Sacritste, Sociologie de
la communication publicitaire , in LAnne sociologique, 2001, 51, n 2, p. 487-498.
73
Premire partie
premire partie consistera dcortiquer ce que peut bien tre le slogan publicitaire et
envisager quels enjeux sociaux il implique. Pourtant, loin de chercher tablir une
encore par la pense radicale maffesolienne qui vise essentiellement reprer les
de notre travail, qui est ax plutt sur le plaisir dagir que sur celui de voir. On peut dire
que, dune part, se prsentant comme un lment autonome, le slogan constitue, par lui-
mme, le corps dun thme, au lieu de soffrir comme le lieu de vrification de telles ou
recherche, napparat jamais a priori, devant nos yeux, en un tat auquel nous pourrions,
demble, accder. Puisque notre entreprise tend dcouvrir son sens social in situ, la
gairm, cri, appel 142. Le slogan, cri de guerre ou de bataille (1513) des montagnards
pour sens celui de devise (1704), quil sagisse de celle dune personne ou dun
141
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. XXI.
142
Dictionnaire historique de la langue franaise (1992), Le Robert, 1998, tome 2, p. 1956.
143
Le Trsor de la langue franaise, tome 15, Gallimard, 1992, p. 562.
75
groupe. En franais, le slogan apparat pour la premire fois en 1842 dans le Dictionnaire
montagnards dcosse .
parti ; il faut attendre 1928 pour quil soit utilis dans le sens de formule publicitaire
propagande politique , valeur quil a conserve, ce qui est normal selon Marcel Galliot,
une poque o les mots dordre politiques sinspirent de plus en plus, dans leur forme
Le premier contact avec ce que dsigne ce terme est quelque chose que lon peut
vivre effectivement dans ces deux domaines depuis toujours. Dune part, beaucoup de
Franais se souviennent de ces formules politiques qui ont marqu leur poque, telles
que : Sous les pavs la plage , Les murs ont la parole , Il est interdit dinterdire
Quand cest vert, on avance (Les Verts, lections europennes, 1999) ; La France
Dautre part, dans la mmoire des Franais rsonnent encore maintes formules
(Vittel) ; Des ptes des ptes, oui mais des Panzani (Panzani) ; Omo lave plus
blanc (Omo).
144
The Oxford English Dictionary (second edition, tome XV, 1998, p. 729) prsente cette phrase trouve
dans le magazine Publishers Weekly (n 2386): Mr. Calkins believes the slogan a cent copy to sell the
art of reading, a great and revolutionary one.
145
Le Grand Robert de la langue franaise, nouvelle dition augmente, 2001, tome 6, p. 489.
146
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. 521.
76
lune des premires choses qui se remarque, cest leur caractre phmre. Il nous
tels que le nom du produit et le nom de sa marque. Cest, tout dabord, quils scartent
fonctionnement par contact avec ce public. Et puis, cest quau bout dun espace de
les divers lments langagiers qui ne sont pas seulement lis aux circonstances de la vie
courante, les slogans publicitaires ne durent pourtant, dune manire gnrale, que
quelques semaines ou quelques mois. Pourtant, certains peuvent durer pendant des
annes ou des dcennies, mais cest rare. Enfin, avec le temps, ils seffacent du champ
Bonux (Bonux) ; Monsieur Propre (Monsieur Propre) ; Cest facile, cest pas cher,
148
et a peut rapporter gros (Loto) ; Avec Carrefour je positive (Carrefour) , etc.
Nous pouvons constater que ces expressions se sont intgres subrepticement, soit
sous forme intgrale, soit sous leur forme dadaptation partielle, dans lusage quotidien
de la langue. Cest le public qui adopte la langue de la publicit, soit lorsquil lui manque
une expression dans son rpertoire de la langue, soit lorsquil veut obtenir un effet
son ct, fait des emprunts massifs la langue de la rue, suivant les ncessits
stratgiques de la communication. Partant de ces slogans qui ont fait fortune, Karine
147
Il faut souligner quun tel succs ne signifie pas forcment un succs du point de vue du marketing.
Ainsi, nombreux sont les cas o lexpression (image ou mot) dune campagne a fait sensation
mdiatiquement , alors que la vente mme du produit concern est reste mitige.
148
Loriginal vient du slogan pour lhypermarch Carrefour : le message lui-mme ne fut pas toujours trs
bien accueilli par la presse et le public, en raison de lcho ngatif de ce nologisme qui renvoyait la
notion de sropositivit. Cependant, le verbe positiver est pass dans lusage familier avec le sens de voir
les bons cts des choses .
77
intenses149. Pourtant, en contraste avec ces cas exceptionnels, on peut dire que la quasi-
totalit des noncs publicitaires ont disparu et disparaissent comme autant de futilits
quotidienne.
Force est de convenir que notre vie de tous les jours est ptrie dinnombrables
rencontre les formules politiques surtout au journal tlvis, tandis que les formules
plus souvent au milieu des programmes. Dans les journaux, celles-l tombent souvent
sous une photographie insre, alors que celles-ci seront plutt dans un coin pas trs loin,
la mme page. Par ailleurs, dans la rue, le public parisien aura amples occasions
Ainsi, au printemps de 2006, nous avons pu entendre ou lire dans des graffitis de
vives protestations des tudiants et des lycens, contre le CPE (Contrat premire
embauche) sous forme de nouvelles dfinitions telles que : Carotte Pour lEmploy ,
etc. Retentissent encore en nous galement, les slogans, concurrents mais tous pleins
La France de toutes nos forces (Franois Bayrou) ; Nos vies valent plus que leurs
149
Karine Berthelot-Guiet a men une enqute sur un chantillon reprsentatif de la population de Paris et
de la Rgion parisienne, selon une dmarche rigoureuse, pour savoir quelles expressions inventes par et
pour la publicit taient passes dans la langue courante, avec quelles connotations, pour quelle dure, et,
parfois, avec quels dtournements. Il sagit notamment de sa thse doctorale, Apport de la publicit la
langue quotidienne des locuteurs de Paris et de la rgion parisienne , EPHE, 1996 et de son article,
Publicit : une parole quotidienne ? , in Communication et langages, n 117, 1998.
78
profits (Olivier Besancenot), etc. Par ailleurs, dans tous les coins de la Capitale, le Club
des hamburgers tout ptit prix , tandis que Nike nous conseille constamment : Just
do it .
Olivier Reboul, tente une dfinition pour ces formules qui sappellent slogan :
mlent de leur vie, publique comme prive, de toutes sortes de faons. Tantt, elles se
veulent outil de domination de lopinion populaire, en tant que propagande dun parti
politique ou dun rgime151. Tantt elles seront par contre moyen de rsistance de ce
peuple152. Elles se prsentent, sinvitent partout, sans zones interdites , sans gne, sans
tabou sur les crans de tlvision, sur les ondes, dans les pages, sur les murs, sur les
banderoles, sur les rseaux dInternet, sur le portable, sur les voitures de course, sur les
transports publics, dans les tunnels du mtro, dans le ciel sur une banderole tire par un
avion, sur les vtements de particuliers, etc. O ne sont-elles pas ? Elles sont toutes
150
Olivier Reboul, Le Slogan, Paris, PUF, 1975, p. 42.
151
La mise en place dun Ministre de la Propagande par le parti nazi tmoigne bien de limportance de la
propagande. Ce dsir de contrler le peuple par la persuasion ntait videmment pas nouveau. Au XV e
sicle, Machiavel exposait dans Le Prince (1513) une thorie du gouvernement qui fait largement appel au
cynisme. Il crivait : La foule est toujours impressionne par lapparence et les rsultats . Plus de 450
ans plus tard, avec son livre Psychologie des foules (1895), le psychologue franais Gustave Le Bon se voit
reconnu comme le savant en matire de propagande et de publicit politique. Le livre fut traduit en
allemand ds 1908. Des chercheurs mettent dailleurs lhypothse quHitler aurait t fortement influenc
par les ides de Le Bon, ce qui aurait amen le Fhrer, une fois au pouvoir, crer ce Ministre de la
Propagande.
152
videmment, il sagit dinnombrables rclamations mises lors de Mai 68. Par ailleurs, on a entendu,
dans le mme sens, un grand nombre de cris de ralliement rsonner, lors du Mouvement de la
dmocratisation dans les annes 80, en Core du Sud.
79
badines ou anodines.
Tantt, ces slogans peuvent livrer de prcieuses donnes historiques153; tantt, ils
serviront, recycls, des fins de marketing sous forme de base de donnes 154. Enfin, non
familiers, mais on les examine pour en tirer des arguments dans les discours acadmiques.
Dailleurs, mme si cest rare, le slogan peut aussi fournir le titre dun film ou dune
pice de thtre155. Le slogan apparat ainsi comme une formule familire et courante qui
existe en tout lieu et tout moment o peuvent se rclamer les cris de guerre
dun individu ou dun groupe. Bref, le slogan est devenu quelque chose dintime, qui
aura ctoy tous les vnements historiques de toute socit contemporaine et qui nous
Selon cette vision, si ouverte, lusage du terme slogan ne devrait pas tre limit au
dfinition catgorique des dictionnaires gnralistes156. Olivier Reboul est ainsi davis
exist avant elles et il existe hors delles. Si le terme est, en franais, dorigine rcente, ce
153
loccasion du 40e anniversaire de Mai 68, nous avons justement vu sortir plusieurs recueils de
slogans. Voici quelques titres : Les Murs ont la parole, Paris, Tchou, 2007. Jean-Philippe Legois, Les
Slogans 68, Paris, First, 2008. Denis Langlois, Slogans pour les prochaines rvolutions, Paris, Seuil, 2008.
154
Yves Schaud, Le Dico des mots de la pub, Paris, De Vencchi, 2007.
155
La pice de thtre Slogans, qui a t reprsente du 6 au 22 fvrier 2008, au Thtre de la Commune
dAubervilliers en est un exemple. Adapte et mise en scne partir de louvrage Slogans (ditions de
lOlivier, 2004) de Maria Soudaeva, elle prsente la vie tragique de cet auteur, prostitue russe qui sest
suicide en 2005, aprs avoir laiss une unique uvre sous la forme de slogan.
156
La plupart des dictionnaires dfinissent le slogan comme une formule utilise catgoriquement en
politique et en publicit. Voici quelques exemples. Le Petit Robert dfinit ainsi le slogan : Formule
concise et frappante utilise par la publicit et la propagande politique [Le Petit Robert, 2008]. Le Petit
Larousse fournit du slogan publicitaire la dfinition suivante : Phrase publicitaire concise et originale,
conue en vue de bien inscrire dans lesprit du public le nom dun produit, dune firme [Le Petit
Larousse, 2008], alors quil dfinit le slogan politique comme une formule brve et frappante lance pour
propager une opinion, soutenir une action. Selon le Trsor de la langue franaise, le slogan est une
formule concise et expressive, facile retenir, utilise dans les campagnes de publicit, de propagande
pour lancer un produit, une marque ou pour gagner lopinion certaines ides politiques ou sociales .
[Trsor de la langue franaise, tome 15, Paris, Gallimard, 1992, p. 561-562.]
80
quil dsigne est bien plus ancien, aussi vieux que le langage peut-tre 157 . Nous
pouvons donc lgitimement nous demander sil ny aurait pas dans le slogan une
Sous cet angle, nous estimons quil pourrait tre pertinent, au moins dun point de
reues sur le slogan politique. Alors que le slogan politique est compris comme
idologie dun rgime ou dun parti dans la cervelle par voie verbale, il peut y avoir,
quand mme, beaucoup dautres types de formules politiques, qui ne comportent pas
domaine dactivit o il apparat comme critre, on peut envisager, par exemple, la triade
aussi, sans considrer ces diffrents domaines, envisager une nouvelle division, faite en
fonction de la qualit de la force qui fonctionne dans le corps social : slogan en haut
le slogan publicitaire, nous allons concentrer ltude de notre objet, le slogan publicitaire,
le slogan publicitaire aura donc, depuis ce temps dj lointain, connu les mme mutations
que la publicit.
157
Olivier Reboul, Le Slogan, op. cit. p. 11.
158
Compte tenu de lavis de Marie-Emmanuelle Chessel (cf. la note 45), nous lentendrons dans le sens
retenu depuis les annes 1930 environ, poque o la publicit sous lacception actuelle aurait constitu un
domaine autonome en France.
81
publicitaire est que, si tout un chacun le connat par exprience immdiate et rpte,
semble que peut-tre le fait mme que le slogan publicitaire soit une chose si quotidienne
si proche engendre une absence de recul, recle des piges, au lieu de nous garantir une
facilit pour un accs scientifique. Avant toute chose, le slogan publicitaire nous pose un
rsonance avec la socit. Reconnaissant quil est quasi impossible de dfinir ce quest le
ostentatoire. Commenons par aborder quelques acceptions de type logique donnes par
slogan publicitaire est une phrase brve et originale lie un produit, une marque ou
Groupe de mots soigneusement tudi, le slogan est destin tre rpt, mmoris par
les consommateurs et associ chez eux une raction favorable 161 Le Dictionnaire
159
Parmi les 300 600 messages publicitaires que lon rencontrerait par jour, 30 80 sont effectivement
perus par le public (cf. la note 92). Le nombre de slogans lus par le public doit cependant tre grandement
minor, car, en situation de communication, la perception du message publicitaire ne garantit pas celle du
slogan. Lestimation de ce nombre demeure donc incertaine.
160
Christine Leteinturier, Dictionnaire multimdia : presse, radio, tlvision, publicit, Paris, Eyrolles,
1990, p. 85.
161
Fabienne Duvillier, Dictionnaire bilingue de la publicit et de la communication, Paris, Bordas,
1990, p. 401.
82
analogique de la publicit et des mdias dfinit le slogan comme une courte phrase
Par ailleurs, certains thoriciens donnent une dfinition qui comporte dj une
mmoriser 163. Par contre, Henri Joannis, adoptant la mme approche, dfinit, lui, le
slogan comme une phrase rptitive associant, dans une formule courte, le nom de la
marque et son principal avantage 164. De son ct, lauteur de Slogan mon amour,
Marie-Jos Jaubert, dfinit le slogan publicitaire comme une formule courte, facile
retenir, si possible pourvue dun rythme interne, de rimes et dallitrations 165. Ainsi,
dun dictionnaire lautre, dun chercheur lautre, le slogan publicitaire est caractris
diffremment, selon des intrts qui vont ses diffrents aspects spcifiques : rythmique,
premier lieu, slogan y est considr sous la forme dun hyperonyme avec des
Adam et Marc Bonhomme veulent runir sous le nom de slogan ces deux sous-
ensembles : accroche (ou head-line) et phrase dassise (ou base-line)166. De son ct,
(ou, plus souvent, head-line) et dune signature (ou plus souvent base-line)167.
162
Rmi-Pierre Heude, Dictionnaire analogique de la publicit et des mdias, Paris, Eyrolles, 1993, p. 342.
163
Roger Mucchielli, Psychologie de la publicit et de la propagande, Paris, Librairies techniques,
Entreprise moderne ddition et les Editions ESF, 1972, p. 50.
164
Henri Joannis, De la stratgie marketing la cration publicitaire, Paris, Dunod, 1995, p. 428.
165
Marie-Jos Jaubert, Slogan mon amour, Paris, Bernard Barrault, 1985, p.10.
166
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, Paris, Nathan, 1997, p. 59-62.
167
Blanche-Nolle Grunig, La langue de la publicit , in Grald Antoine et Bernard Cerquiglini (sous
la direction de), Histoire de la langue franaise 1945-2000, Paris, CNRS ditions, 2000, p. 211.
83
comme un mot ou groupe de mots qui a pour objectif de retenir lattention du lecteur et
rhtoriques quelle tend dailleurs ractualiser. Un des atouts de laccroche est quelle
puisse se dcliner en musique. Les plus efficaces ont une longue dure de vie 170. En
revanche, Jean-Michel Utard laisse entendre que le slogan est la base-line, en dfinissant
Enfin, pour sa part, Marie-Jos Jaubert pense que le slogan nest rien dautre que la
signature172.
Par ailleurs, pour certains auteurs, le terme slogan constitue en lui-mme une entit
ni synonyme de termes publicitaires, cest slogan en tant que tel qui est employer
comme terme spcifique de base, renvoyant une partie constitutive du texte publicitaire.
et Arnaud de Baynast considrent le slogan comme une formule indpendante, qui figure
168
Rmi-Pierre Heude, Dictionnaire analogique de la publicit et des mdias, Paris, Eyrolles, 1993, p. 3.
169
Bernard Lamizet et Ahmed Silem (sous la direction de), Dictionnaire encyclopdique des sciences de
linformation et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 6.
170
Ibid.
171
Jean-Michel Utard, Lexique de publicit et communication dentreprise, Paris, Hachette, 1992.
172
Marie-Jos Jaubert, Slogan mon amour, op. cit., p. 18.
84
Dcaudin, pour sa part, souligne que le slogan, parce quil facilite la mmorisation de la
publicit, est un des lments crits qui constituent le message publicitaire, avec le
rdactions ayant la forme de messages trs courts, quils soient insrs dans ces articles
ou utiliss seuls 175. Par ailleurs, les auteurs du Dictionnaire des noms de marques
dancrage, texte daccompagnement un peu long, rendant ainsi tnue la frontire qui
logiques et ostentatoires, le slogan publicitaire reste bien loin dtre bien cern. Or, si
lidentification de ce qui doit finalement tre entendu par et comme slogan sera, au fond
et la longue, une affaire de perception partir dune vraie campagne, laspect actuel,
173
Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Le Publicitor, 6e dition, avec la collaboration de Nicolas
Riou, Paris, Dalloz, 2004, p. 17.
174
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , in ric Vernette (sous la direction
de), La Publicit, thories, acteurs et mthodes, Paris, La Documentation franaise, 2000, p. 121.
175
Hubert A. Greven, La Langue des slogans publicitaires en anglais contemporain, Paris, PUF, 1982, p.
16. Par ailleurs, face aux avis de certains auteurs, qui veulent dfinir slogan comme un hyperonyme ou
comme un synonyme d accroche , Hubert A. Greven soutient qu accroche recouvre un sens beaucoup
plus large que celui de slogan . [Ibid., p. 18]
176
Robert Galisson et Jean-Claude Andr, Dictionnaire de noms de marques courants, Paris, Didier
rudition, 1998, p. 36-50. Ils caractrisent le slogan par sa brivet, sa rptition et son martlement,
visant linscrire dans la dure, linstaller dans les mmoires, le faire trotter dans les ttes comme un
leitmotiv. Pour le texte dancrage, ils sinterrogent sur le fait de savoir sil sagit vritablement dun autre
type de texte ou bien dune volution du slogan. Ils soulignent pourtant une floraison des slogans. Pour sa
part, Robert Galisson utilise galement lexpression texte dappel la place de texte dancrage .
85
sappuient sur un consensus selon lequel le slogan est comprendre a priori comme un
langage, entit double articulation 177 selon les termes dAndr Martinet ou comme
il semble bien que le slogan ne soit cependant pas automatiquement peru comme tel.
Dune manire gnrale, on peut considrer, quune annonce est compose de divers
gntiquement premier dun point de vue smiologique, du fait quil repose sur une
troite proximit et sur un continuum avec son rfrent. Dans la perspective des
en uvre des quivalences et des similarits non verbales. Le signifiant iconique intgre
donc des images publicitaires de tout genre : bande dessine, photographie, peinture,
le rdactionnel 180, etc. Sagissant enfin du signifiant composite , on peut dire que
177
On appelle double articulation lorganisation spcifique du langage humain selon laquelle tout
nonc sarticule en deux plans : la premire articulation est celle dunits dotes de sens (monme) et la
deuxime celle dunits dpourvues de sens (phonmes). Pour Andr Martinet, cest l une caractristique
qui diffrencie fondamentalement le langage humain des autres productions vocales non linguistiques et
des autres systmes de communication, tels que codes et langage gestuel, langage musical, langage des
animaux, etc. [Andr Martinet, lments de linguistique gnrale (1970), Paris, Armand Colin, 1991.]
178
Ici, le terme smiologie est entendre au sens le plus gnral. Il renvoie la science tudiant les
systme de signes , et non un courant spcifique dans les sciences qui tudient les signes.
179
Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une Logique de la communication (1967),
Paris, ditions du Seuil, 1972, p. 57-65.
180
Ce terme sappuie sur Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, op. cit., p. 62.
86
le langage et le dessin. Il faut dire ici, dailleurs, quil existe dans la publicit des
lments que lon narrive pas toujours dterminer comme iconique ou bien
linguistique.
smiologique , ce qui fait que le discours publicitaire se prsente au dpart comme une
lannonce puise ses origines dans deux grandes traditions : la tradition du livre,
que lannonce contemporaine repose encore sur ces deux matrices qui valent pour les
deux lignes traditionnelles, pour ce qui est dune criture dense et dune esthtique
En ce sens, nous constatons quil existe comme des contaminations 181, mesure
observer, dans une page ou sur une affiche publicitaire, deux phnomnes apparemment
mesure que la forme du texte devenait lun des enjeux essentiels dans les milieux de la
de limage, jouait un rle plus important. Larticulation de ces deux modes dexpression
crite et de publicit182.
Voyons les deux sens dans lesquels le processus se produit. Dans lun, les
181
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, op. cit., p. 64.
182
Voir ce sujet La Danse des signes, Paris, Hatier, 1999. Il sagit dun travail coordonn par Euro
RSCG et la Sorbonne, dans le cadre dun DESS en Intelligence de la communication crite.
87
progression rectiligne de lnonc, et les lettres tendent imiter le rfrent dsign, dans
dcoulent. Cette orientation iconique peut notamment se faire plus complexe au moyen
Dans lautre sens, licne imite le systme verbal. En une vise syncrtique, limage
Il nous faut, en outre, songer au cas des chiffres. Nous constatons que lusage des
chiffres est trs important dans la publicit par rapport aux autres types de discours, et
est gnralement admis que les chiffres sont considrer comme des signifiants
linguistiques. Pourtant, dans le texte publicitaire, ils semblent manifester une particularit
183
titre dexemple, nous pouvons citer les procdures suivantes : lettres dcales en hauteur, dsaxes
par rapport la verticale, bouscules au lieu dtre classiquement alignes, mots spars par des points. De
surcrot, le graffiti libre la campagne de la calligraphie livresque.
88
tant sur le plan formel que sur le plan fonctionnel. Dans les cas o lon apprhende les
en soit, il nous semble que la pertinence dune telle piste de rflexion demande encore
tre vrifie plutt que seulement suggre, tant donn que le statut des chiffres dans la
smiologiques entre les composants du discours publicitaire. Cest la raison pour laquelle
nous ne pouvons pas considrer le slogan comme un signifiant linguistique tout court,
sans plus. Quel que soit lenjeu dans la dimension communicationnelle, lessentiel est li
184
Sur cette dimension des chiffres (ou des nombres), consulter Andr Martinet, De la varit des units
significatives in La Linguistique synchronique, Paris, PUF, 1968, p. 168-179 et Christian Metz,
Remarque sur le mot et sur le chiffre , in La Linguistique, 1967, 2 Paris, PUF, p. 41-56. Pour laspect
rhtorique du nombre, voir Jacques Durand, Rhtorique du nombre , in Communications, n 16, Paris,
Seuil, 1970.
89
Une autre chose significative que nous pouvons observer dans ce phnomne, cest
que limage y domine, quels que soient les aspects. Contrairement ce que lon pourrait
croire, pour le cas de la verbalisation de liconique cest au fond limage qui serait
ne sont donc pas contradictoires, car ils suivent une logique commune : pour quun
message soit lu, il doit tre vu . Cette logique simpose dans la plupart des domaines de
message et susciter une plus grande empathie chez le rcepteur. Cela nous laisse
centr sur limmdiatet et largumentation concrte, que sur le monde verbal, caractris
par son aspect secondaire et son abstraction. Marie-Hlne Milano met ainsi laccent sur
quelque sorte, son identit, son autonomie, un peu de son me aussi 185. Mme si cette
ide peut ne pas susciter une adhsion totale, elle nous conduit certainement rflchir
publicitaire actuelle.
avons fait antrieurement des dfinitions des slogans montre que leur terminologie
dtermination de ce que sont les constituants linguistiques du texte publicitaire reste plus
ou moins ancre dans une terminologie qui drive originellement de termes anglo-saxons.
185
Marie-Hlne Milano, Iconisation du verbal , in La Danse des signes, op. cit. p. 79-104.
90
Ici, une comparaison entre lannonce et larticle de journal semble utile. Dans
hirarchise, ne se mlant pas les uns aux autres. Ainsi, les rapports de situation et de
taille entre le titre, le sous-titre et le texte sont stables. En revanche, lobservation nous
montre que les rapports entre les lments linguistiques de lannonce sont trs fluctuants,
au fur et mesure que les notions qui gouvernaient la situation spatiale voient leur valeur
clart. Par exemple, llment que lon devrait appeler head-line se trouve parfois
dans un coin de la page, tandis que llment que lon devrait appeler base-line se
Paralllement, la notion de brivet doit tre remise en cause. Tout au long de notre
investigation, nous avons vu que le slogan tait dfini comme une formule dont le
premier trait serait dtre concise et brve . Cette caractrisation reste cependant
dans le vague, tant donn quil nest pas certain que cette concision renvoie une
expression raccourcie sur le plan formel plutt qu un sentiment de simplicit sur le plan
psychologique. Il nous semble quelle concerne ces deux aspects, malgr la difficult
quil y a pour le moment bien cerner le rapport entre les deux. Si lon envisage pourtant
par une formule courte. Mais, quand le slogan est, par exemple, une phrase courte , il
Dune part, avant de parler de sa brivet formelle relative nous devons dabord
rencontre des limites spatiales, entre quelques centaines de cm2 pour les magazines et une
dizaine de m2 pour les panneaux dans le mtro, par exemple. Pour cette raison, cette
brivet sexprimera le plus souvent sous forme dune phrase ou de deux (ou dun groupe
186
Mathieu Guidre, Publicit et traduction, Paris, LHarmattan, 2000, p. 104.
91
de mots). Si lon calcule cette brivet en nombre de mots, une tude montre que ce
communication188. Dautre part, nous pouvons envisager sa brivet relative, par rapport
Cela revient dire que, dans les deux cas, subsiste un problme de seuil dans la
notion de brivet, mme si lvolution actuelle nous montre quil existe de nombreuses
campagnes dont les formules verbales se trouvent allonges, problme de seuil tant en
termes de brivet absolue quen termes de brivet relative. Cest dans une telle
perspective que cette instabilit pourrait certainement affecter la faon dont le slogan
encore prdterminer ce que doit tre le slogan publicitaire en esprant pouvoir mieux le
retrouver ainsi ultrieurement dans la ralit na pas de sens. Conscience prise du fait que
la publicit est une activit toujours changeante, volutive, intensment vivante, une
dfinition stricto sensu et a priori serait contre nature et en contradiction avec lesprit
dinnovation qui linspire toujours. Il nous faut donc adopter un autre moyen doprer.
Selon notre ide premire, lidentification du slogan publicitaire est une affaire de
187
Michle Jouve, Communication et publicit, Paris, Bral, 1994, p. 131.
188
Selon Stratgies (n 1264, janvier 2003), la marque de lingerie Triumph a lanc une campagne
proximit du pont de lEurope, passage routier privilgi entre la France et lAllemagne, la jonction
Strasbourg-Kehl, avec une gigantesque affiche de 1 536 m2 (la plus grande affiche dEurope, 32m de large,
48 m de haut) installe sur la faade dun immeuble dhabitation et de bureaux. Cette mga-affiche devait
tre vue par environ 100 000 personnes par jour. On remarque que le seul mot qui figure sur cette affiche
est le nom de la marque.
92
On pourrait supposer que lannonce imprime, mdia le plus ancien, est plus facile
qui est de la perception. Ceci parce que la comprhension de lannonce, dans les
magazines et sur laffiche, est beaucoup plus sophistique que lon ne le croit
spot tlvisuel bnficie dune sorte de systme de guidage conu de faon ce que
relativement duque et stable, car toutes les tapes du droulement du spot ont t
comme le spatial tant arrangs dans un ordre impos. La rception du message par le
dun mode de lecture en Z , et bien quil vise totaliser, la perception des constituants
cet gard, il nous parat utile de nous rfrer Marshall McLuhan. Considrant le
support comme un prolongement du sens humain, il a divis les mdias, selon leur
Par consquent, ils ne stimulent pas une participation pour leur achvement chez leur
189
En un sens, le dveloppement de la thorie de linformation et de la communication entrane celui de la
technique pour faciliter la perception du message.
190
Marshall McLuhan, Pour comprendre les mdia, op. cit., p. 39-50. Voir aussi Marcel Fitoussi,
LAffichage, Paris, PUF, 1995, p. 10.
93
beaucoup defforts de la part du destinataire. Cette thse veut montrer que la tlvision se
classe parmi les mdias froids comme le tlphone, la parole, alors que le papier et
lcriture figurent parmi les mdias chauds ainsi que la radio, le cinma, la
imprime, que le premier requiert une faible participation du tlspectateur, alors que la
seconde demande une haute participation du lecteur. Finalement, on se rend compte que
En fin de compte, le slogan doit tre considr comme un lment autonome, ouvert
et flexible. Pourtant, si lon est, cote que cote, contraint dexprimer ce quil est en
usant dune terminologie publicitaire, nous pouvons dire quil est semblable
l accroche . Mais en affirmant cela, nous devons faire une distinction indite et
le slogan publicitaire et la signature. Bien entendu, par-l, nous ne voulons pas faire cho
Le plus souvent, le slogan est li aux produits et aux services dune entreprise. Au
interactionnel, et par son instantanit. Ce que nous devons souligner ici, cest que le
faite plus haut. Par contraste, sous une formule verbale encore plus brve, la signature se
On peut dire que, en ce sens, elle relve de la notion dentreprise. Dailleurs, elle se
caractrise par son aspect durable. Cest--dire que, tandis que le slogan est un outil de la
signature est un lment qui sutilise non seulement dans la publicit mais aussi dans les
peut plutt dire que le slogan existe pour la signature, dans la mesure o, mettant en
linsre dans toutes ses campagnes publicitaires (tlvision, radio, presse, affiche, etc.)
mais il linsre ainsi dans les divers documents utiliss pour dautres modes de
notion dentreprise, cette formule est donc plutt une devise de la marque quun slogan
Tout de mme, une tendance actuelle de lannonce nous dmontre que le seuil
accroche ou vice-versa. Si, dans lannonce imprime, on peut aussi saisir cette formule
dj cite, Tous les bonheurs du monde (Club Med) comme un slogan, cest parce
Finalement, compte tenu du fait que le paysage publicitaire actuel tend devenir de
lannonce comme une formule vide . Ainsi, cette caractrisation du slogan y reconnat
comme une formule verbale qui sert identifier, laide dune intuition, au cours du
95
Nous croyons que cette manire de dterminer le slogan est finalement la meilleure
rgnants. Dailleurs, nest-ce pas de cette manire que, par un dbrouillage opr en
slogan publicitaire ?
191
Selon Jean-Nol Kapferer [Les Chemins de la persuasion, Paris, Dunod, 1990, p. 121], la perception est
comprendre essentiellement comme un processus constructif. Mme si nous avons limpression que nous
voyons immdiatement tel objet, la perception de cet objet est le rsultat dun traitement dexcitations
rtiniennes. Ce traitement est trs bref, cest la raison pour laquelle notre exprience subjective nous rend
inaptes saisir ce processus. Contrairement un absolutisme phnomnologique selon lequel, simple
miroir de lobjet, la perception ne ferait que reproduire les caractristiques de lobjet, une perception est, en
ralit, le rsultat de lanalyse et de la synthse dinformations provenant de deux sources : la stimulation
sensorielle externe et la mmoire.
192
Blanche-Nolle Grunig, Slogan publicitaire et recherches cognitives , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions universitaires du
Sud, 2000, p. 75.
96
son apparition concrte, peut constituer, enfin, la bonne voie pour pouvoir nous
approcher de lessentiel de la problmatique de notre recherche.
ce mme titre, il nous sera indispensable de prendre en considration le contexte
de la production de cet enchanement verbal . Si lon saccorde reconnatre que la
publicit, type de communication dentreprise, pouse un prototype de communication
efficace dont le schma peut sexprimer succinctement de la manire suivante : Un
metteur (annonceur) bien identifi conoit un message adapt qui dclenche une
rponse chez un rcepteur (consommateur) individualis , alors les publicitaires sont
bien les auteurs du message193. En dautres termes, entre ce vouloir communiquer des
annonceurs et la consommation du message par les consommateurs, les publicitaires se
consacrent la mise en forme de ce vouloir. Soumis au mcanisme de production des
messages et vou la sduction et la persuasion de ses consommateurs des fins
conomiques, le slogan ne peut exister de nimporte quelle manire, et surtout, jamais de
manire gratuite194.
Dans une telle perspective, il se peut que le champ de cette expressivit soit illimit, de
telle sorte que nimporte quelle manifestation, tant au niveau de la forme quau niveau du
contenu, y est concevable. ce point de vue, le slogan pourrait bien tre un langage
totalement libr .
Et pourtant, lessentiel de cette expressivit se diffrencie radicalement de celle qui
sobserve dans des usages verbaux extravagants, les graffiti sur les murs ou les
balbutiements des petits enfants. Sous des apparences euphoriques, sa vraie mission est
de sduire les consommateurs et de leur faire mmoriser le produit et la marque. Vu de
ce point de vue mercantile, le slogan se caractrise, loppos, comme un langage
dsesprment conditionn . Comme, de manire gnrale, le libr et le
conditionn sont contradictoires, comment expliquer le caractre double de ce
message publicitaire quest le slogan? Nous pensons que ce phnomne relve,
fondamentalement, du caractre mass-mdiatique de la publicit.
principe du plus grand bonheur du plus grand nombre dindividus selon la formule de
197
Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication mdiatique, op. cit., p. 7.
198
Selon Jrgen Habermas, il y a eu un principe de critique dans le dveloppement de la publicit des
pays occidentaux. La Publicit (die Publizitat) signifiait autrefois dmystifier la domination politique
devant le tribunal dun usage public de la raison ; la publicit daujourdhui se contente daccumuler les
comportements-rponses dicts par un assentiment passif. La Publicit, au dpart principe de la critique
exerce par le public, a t subvertie, partir du XVIII e sicle, en principe dune intgration par la
transformation des structures de lespace public en tant que sphre, due lvolution des mdias et la
99
attendre, lobjet dun contrle par les pouvoirs publics en vue de protger les intrts de
Cest ainsi que, en France comme dans nombre dautres pays du monde, la publicit
public telles que les enfants et les femmes199 et certaines formes de promotion telles que
Quant au message publicitaire, la loi rglemente aussi bien son contenu que son
franaise et celle des consommateurs. En premier lieu, pour protger la langue franaise
racistes ou incitants la violence. Notamment, pour certains produits, elle prvoit une
commercialisation. Finalement, la sphre publique devient une cour devant le public de laquelle un prestige
est mis en scne au lieu de dvelopper une critique au sein de ce public. [Jrgen Habermas, LEspace
public. Archologie de la publicit comme dimension constitutive de la socit bourgeoise (1962), traduit
de lallemand par Marc B. De Launay, Paris, Payot, 1993. Surtout Chapitre VI. volution des fonctions
politiques de la sphre publique, p. 189-245.]
199
La protection de ces deux catgories ne se situe pourtant pas au mme niveau. Alors que les enfants
sont concerns en tant que public, les femmes le sont en tant que faire-valoir.
200
La publicit mensongre est considre comme contraire la morale sociale, elle est juge inadmissible. Selon
Jean-Marc Dcaudin, la publicit mensongre est interdite par la loi du 2 juillet 1963, revue et modifie par celle du
27 dcembre 1973. [Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 122.]
201
Le Code de la Consommation dfinit la publicit comparative comme suit : Toute publicit qui met
en comparaison des biens ou des services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou
des biens ou des services offerts par un concurrent . La publicit comparative est acceptable condition
que la comparaison obisse certaines rgles prcises, une dontologie. Les comparaisons doivent ainsi
tre loyales, vridiques et ne pas induire en erreur.
202
http://www. aacc.fr/juridique/toubon.htm. La loi du 4 aot 1994 (loi Toubon) concerne lemploi de la
langue franaise. Cette obligation dpasse la seule mission des messages publicitaires, elle stend aux
modes demploi ainsi qu la prsentation et la dnomination des produits.
100
rencontre ce cas par exemple pour lalcool et le tabac 203 : Labus dalcool est
sant et Fumer tue . Et, rcemment, nous avons, bel et bien, pu assister
lapplication dune obligation de faire figurer des messages de prvention sur les
publicits pour certains produits alimentaires204, tels que Pour votre sant, mangez au
moins 5 lgumes et fruits par jour ; Pour votre sant, vitez de grignoter entre les
repas ; Pour votre sant, vitez de manger trop gras, trop sucr, trop sal , etc.
quau-del des mesures fixes par la loi, la publicit franaise est soumise
rgles labores librement par les professionnels, sous lgide de lARPP, association
interprofessionnelle206.
203
La loi vin rglemente les dispositions relatives au tabac et lalcool. Elle interdit la publicit pour le
tabac et lalcool la tlvision franaise.
204
Suite un dcret et un arrt, publis le 28 fvrier 2007, les marques des industries agroalimentaires
sont obliges d'ajouter sur tous les supports publicitaires (spot tlvisuel, radio, presse, affiche) un message
sanitaire visant lutter contre l'obsit. Les diffrents messages suivant les catgories daliments sont :
Pour votre sant, faites une activit physique rgulirement ; Apprenez votre enfant ne pas
grignoter entre les repas ; Bouger, jouer est indispensable au dveloppement de votre enfant ; En
plus du lait, l'eau est la seule boisson indispensable . Ces messages doivent tre complts par la mention
du site Internet : MangerBouger.fr.
205
La dfinition de lautorgulation dans lAccord institutionnel europen de dcembre 2003 est la
suivante : on entend par autorgulation la possibilit pour les oprateurs conomiques, les partenaires
sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations, dadopter entre eux et pour eux
mmes des lignes directrices communes .
206
Ex-BVP (Bureau de vrification de la publicit), lARPP (Autorit de rgulation professionnelle de la
publicit) est l'organisme d'autodiscipline de la publicit en France. Elle a pour mission de mener une
action en faveur d'une publicit loyale, vridique et saine dans l'intrt des professionnels de la publicit,
des consommateurs et du public. . En d'autres termes, sa mission est de parvenir concilier libert
d'expression publicitaire et respect des consommateurs. Portant sur le seul contenu du message publicitaire
(en aucun cas elle nest juge en matire de questions relatives aux produits ou services dont la publicit fait
la promotion), elle est notamment charge dlaborer les codes de bonnes pratiques avec tous les acteurs de
la publicit (agences, annonceurs, supports de publicit, syndicats professionnels) et de veiller
lapplication de ces rgles, trois niveaux principaux (conseil, avis, autosaisie).
101
dlimites par ces cadres normatifs207, juridiques ou autodisciplinaires, qui sont lis au
donc toujours sollicite. Mais en mme temps, cela suppose un seuil. Nous nous rendons
bien compte que le slogan qui constitue le message, sera le rsultat dun compromis,
stratgie208 nest pas autre chose que le processus destin permettre de rechercher les
stratgies hirarchises. Dans une certaine mesure, lhistoire de la publicit est en effet
celle de stratgies, et toute thorie de la publicit nest que thorie de stratgies. Puisque
207
Alors que les mesures juridiques constituent llment qui prsente le plus gran d degr de rigueur,
voire de coercition, de sorte quen cas dinfraction aux rglements des sanctions judiciaires
sensuivent, les mesures autodisciplinaires ont moins de pouvoir coercitif. Il va de soi, dailleurs, que
ces cadres, souvent tributaires du rgime et de la situation politiques, diffrent selon les pays. Par
exemple, aux tats-Unis et au Canada, la publicit pour le tabac dans la presse est autorise, tandis
quen France elle est interdite.
208
Daprs Michel de Certeau, la stratgie est le calcul des rapports de forces qui devient possible
partir du moment o un sujet de vouloir et de pouvoir (une entreprise, une arme, une cit, une institution
scientifique) est isolable . Elle postule un lieu susceptible dtre circonscrit comme un propre et dtre
une base do peuvent tre gres les relations avec une extriorit de cibles ou de menaces (les clients ou
les concurrents, les ennemis, la campagne autour de la ville, les objectifs et objets de la recherche, etc.).
Comme dans le management, toute rationalisation stratgique sattache dabord distinguer dun
environnement un propre , cest--dire le lieu dun pouvoir et dun vouloir propres. Geste cartsien,
si lon veut, commente Michel de Certeau : circonscrire un propre dans un monde ensorcel par les
pouvoirs invisibles de lAutre. Geste de la modernit scientifique, politique, ou militaire. [LInvention du
quotidien. 1. Arts de faire (1980), Paris, Gallimard, 1990, p. 59.]
102
consommateur, ses thories, dans leur ensemble, ont toutes essay de rechercher ces
Il est certain que les aspects stratgiques se diffrencient dun modle lautre.
Toutefois, quels que soient les modles, du moins pour ce qui concerne prcisment le
slogan, nous pouvons dgager un lment qui nous parat fondamental : attirer
joue un rle prpondrant, que ce point a t le plus exploit. Mais dans tous les autres
consommateur. Cest en ce sens que, sans obligatoirement lier tout ce qui sous-tend le
slogan tel ou tel modle spcifique, nous devons envisager celui-ci la lumire dune
notion plus gnrale, dans la mesure o le slogan, mme en tant quoutil formalis, est
tout entier soumis ce cur de la publicit : la crativit . Nous allons envisager cette
209
Devant traiter avec ce mind du consommateur, la publicit devra, peut-tre pour toujours, tre
affaire de psychologie. Cest pourquoi divers courants ont merg, ds le dbut du dveloppement de la
publicit moderne, qui sentant cette dpendance vis--vis du psychisme du consommateur voulaient
sinspirer des apports de la psychologie. De la fin du XIXe sicle aux annes 1920, cest ltape
prfreudienne instinctiviste, selon laquelle la conduite du consommateur sexplique en termes dinstincts.
Puis les annes 1920 et le fordisme gnrent le behaviorisme. Ce sont les premiers pas de la psychologie
du comportement. La thorie du stimulus-rponse envisage le consommateur comme un tre susceptible
dtre conditionn par lapprentissage et cherche tablir des relations systmatiques de cause effet.
Enfin, la recherche motivationniste postule que lacte dachat et de consommation est le produit dune
combinaison dinformations la fois rationnelles et irrationnelles. Le behaviorisme (ou psychologie du
comportement) et les modles motivationnistes sont les plus marquants. Puis les modles du style de
vie sont apparus, au fur et mesure que le motif a t conu comme dpendant du socio-style , qui
tait suppos se fonder sur les variations sociales et culturelles du consommateur. Rcemment, les courants
traditionnels, tendance psychologique ou sociologique, senrichissent des approches cognitives et
smiologiques, le motif tant conu comme reposant sur, respectivement, sur la perception, notamment
visuelle, ou sur les rapports des signes.
210
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, ditions La Dcouverte, 1994, p. 59. AIDA est le nom dun modle
fameux de type mcaniste bas sur la hirarchie de lapprentissage : Attention - Intrt - Dsir - Achat.
103
la publicit a d tre crative. La publicit du pass, mme si elle peut nous sembler
mdiocre, nave ou gauche, par rapport aux critres actuels, a t crative ; celle
Ainsi, la crativit est cette qualit que les publicitaires recherchent dune manire
dsespre. Elle est extrmement difficile dfinir. Cest une notion relative, pourtant
commun tous les moyens dexpression. Cratif ne signifie pas obligatoirement nouveau.
Cela peut renvoyer un lment qui est fait rapparatre, aprs avoir t longuement
oubli. Le plus souvent, il sagit de quelque chose dinattendu. Nous pensons que la
crativit, en particulier dans la publicit, a trait quelque chose qui joue le contre-
pied ou bien prend les devants face aux rcepteurs. On sloigne videmment l de
lintuition, du peru, du senti, du ressenti. Cest donc une notion trs difficile thoriser,
Mais il est trs certain que la crativit est actuellement, ou plutt comme toujours
et pour toujours, la premire vertu de lactivit publicitaire. Comme elle est toujours
recette pour y arriver. ce sujet, nous voudrions nous appuyer sur les deux spcialistes
qui nous paraissent les plus intressants cet gard. Tout dabord, Jacques Sgula, qui
perceptible. Personne ne la jamais vu, mais il suffirait quil entre dans une pice pour
que chacun reconnaisse lHomme des neiges. 211 En positionnant la cration comme le
cur de la publicit et comme son me, il souligne ceci : Crer est oser redevenir
enfant. En dautres termes, la crativit sexprime par lenfance retrouve volont. 212
Comme elle est course linvention, elle est une perptuelle dstabilisation, un pacte
211
Jacques Sgula, La Publicit, Toulouse, ditions Milan, 1995, p. 6.
212
Ibid., p. 7.
104
pass avec lillogisme. Crer, en tant quil sagit dun accouchement dans la douleur,
revient dtruire les tabous, les rgles, les ides reues. Finalement, crer, cest brler
lextraordinaire 213.
En revanche, ce don si admir et recherch est exprim par Philippe Michel, par un
simple mot : ides . Alors que la notion de crativit chez Jacques Sgula prend des
allures spectaculaires, chez Philippe Michel elle est dordre plus conceptuel. Elle est
Les ides naissent dune minuscule collision, dun frottement entre des fragments de
concepts qui navaient pas lhabitude de se frquenter et cest ainsi que des concepts
froids auparavant se mettent dgager de la chaleur et que des objets obscurs jusque-l
commencent dmettre de la lumire. Petite chaleur, petite lumire qui menacent de
steindre si lon ny prend garde. De ces fragiles lucioles dpendent les incendies qui
embrasant les reprsentations font les grandes marques, celles qui sont suffisamment
chaudes pour laisser leur empreinte sur les consciences et leur trace dans les mmoires.
Les ides sont au cur du chaos qui constitue les univers, ceux des marques comme les
autres. Ce sont elles qui les donnent voir sous un jour organis : sans elles, tout est
confus, avec elles, tout devient clair.214
activit publicitaire, une autre dimension de celle-ci que nous tenons aborder concerne
principaux mettre en uvre pour les raliser216. Le message publicitaire repose sur la
base dune plate-forme de cration dfinie par le marketing, et que le cratif utilisera
Dune part, on peut envisager la crativit au sein dune copy strategy. Tout en
plus de libert, plus de souplesse la cration. Mais base sur le produit, la copy strategy
est souvent critique, tant par les publicitaires que par les spcialistes du marketing, qui
approche consiste privilgier le rle jou par la marque dans la dcision dachat du
positionnement, plutt que de saxer sur les points forts du produit. Approche trs
publicitaire et typique des grands cratifs des annes 1970 et 1980, la recherche dun
style original sest concrtise par des campagnes fortes et apprcies des
216
Bernard Brochand et Jacques Landrevie, Le Publicitor, 4e dition, Paris, Dalloz, 1993, p. 45.
217
Une des caractristiques de la production du slogan est rgie par lide quil nexiste pas de cration
collective et quil ny a de vraie cration que personnelle, mme si le crateur travaille en trs troite
collaboration, sous forme de duo-cratif , avec le directeur artistique sur la conception et la rdaction
des annonces. De ce fait, le processus de la production du slogan est fortement dpendant des capacits du
concepteur-rdacteur engag.
218
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 116 : Lide gnrale
des plates-formes de cration de ce type est de comparer limage idale que devrait avoir la marque et les
perceptions de cette marque par les cibles de consommateurs et dacheteurs ; le rle de la publicit est
alors de faire tendre la marque perue vers la marque idale. Jacques Sgula avec la star stratgie et
Jean-Nol Kapferer avec le prisme didentit de marque sont reprsentatifs de cette dmarche.
106
Philippe Michel proclame au contraire que la stratgie elle-mme doit tre crative219. La
disruption 220 et le saut cratif 221 sont des concepts qui traduisent une telle
volont de privilgier la crativit du message. Lobjection qui pourrait ici tre faite est
que, compte tenu du fait que, soumise un but mercantile, la crativit du message
publicitaire ne constitue pas un but en soi, une dmarche de ce type peut risquer de
fondes sur le produit, elle ne possde pas de garde-fou autre que la conscience
communication constitue un autre terrain. ce propos, Armand Dayan affirme que les
cratifs eux-mmes seraient souvent bien surpris des sous-entendus et des connotations
219
Mme sil na pu thoriser ses conceptions, ses ides, qui ont dj beaucoup t reprises ne sont
toujours pas puises. Jean-Marie Dru souligne que Philippe Michel a t le premier avoir imagin que
la stratgie elle-mme pouvait tre crative. Avant lui, ctait aux cratifs de faire tout le boulot, un brief
tait jug pertinent sil prenait en compte les attentes des consommateurs et le contexte concurrentiel. Lui
ne se satisfaisait jamais dun brief qui ne soit pas cratif : il fallait une ide dans la stratgie et, en ce sens,
il tait parfaitement novateur. [Stratgies, n 1286, juin 2003.]
220
Cest le terme quemploie Jean-Marie Dru dans son ouvrage, Disruption live, Paris, Pearson Education
France, 2003. Lauteur y dfend lide que la disruption implique la destruction des choses acquises et
leur remplacement par quelque chose de nouveau et dos.
221
Le saut cratif reprsente la capacit que devraient avoir les cratifs dune agence publicitaire de
traduire un objectif marketing en une situation originale, sduisante et attractive pour la cible de
communication.
222
Bernard Brochand et Jacques Landrevie, Le Publicitor, 4e dition, op. cit., p. 358-362 : Le slogan est
contrl, tout propos, tous les stades de sa ralisation et par tout le monde, par les publicitaires et le
public bien sr, mais aussi par bien dautres. Il est le produit de juges rigoureux de la part de la production.
Il doit tre adquat la stratgie de la communication, aux critres de la communication et aux critres de
ralisation.
223
Armand Dayan, La Publicit (1985), Paris, PUF, 1995, p. 49.
107
Dans une situation o nul ne peut bien videmment garantir leffet rel dun slogan
publicitaire, son statut fera toujours lobjet de polmiques dans le secteur de la publicit.
Pour certains auteurs, le slogan est larme la plus sre et la plus populaire de la publicit,
sil parvient tre un instrument de persuasion et un aide-mmoire bien conu donc trs
frappant. De ce point de vue, son efficacit tant dcisive, le slogan est l un des
En revanche, son insuffisance ou les risques dun affaiblissement de son rle sont
souvent voqus, notamment avec la monte du pouvoir de limage. Cest ainsi que
Culturepub a consacr une mission ce sujet, sous le titre : Le slogan est-il mort ?
226 Et paralllement, dans une revue spcialise, le mme thme a t trait, sous le titre
de Les maux des mots 227. De son ct, Bernard Cathelat minore nettement le rle du
slogan, le sous-estimant sans doute, en dclarant que les slogans savrent impuissants
limpact 228.
une guerre, mais cest une guerre des marques . La tactique privilgie par la publicit
pour conqurir ce march hyper concurrent, semble toujours devoir tre, en quelque sorte,
une tactique de gurilla 229 : sapprocher candidement pour ensuite frapper vite et fort.
Il nous semble que, dans une telle conjoncture, le slogan publicitaire smet encore
comme un cri de guerre , comme sil revenait pour incarner mieux que jamais son
224
Jean-Paul Truxillo et Philippe Corso, Dictionnaire de la communication, Paris, Armand Colin, 1991.
225
Jean-Marc Dcaudin, Conception dune campagne publicitaire , op. cit., p. 121.
226
Diffus le 26 avril 1998, sur M6.
227
CB News, n 704, mai 2002.
228
Bernard Cathelat, Publicit et socit, Paris, Payot, 1992, p. 115.
229
Claude Cossette, La Publicit, dchet culturel, op. cit., p. 114.
108
tymologie. La seule diffrence est que le combat se droule sur un terrain apparemment
beaucoup plus raffin, qui sappelle commerce et dont la devise pourrait tre : Pour
bnfique / nfaste , semble en tre venu reprsenter un dbat crucial, enjeu dun
rception du slogan publicitaire, cest que, tant la fois message commercial et langage
tant que langue de la publicit . Cela veut dire que le message commercial est
converti en langue , langue sentendant dans le sens le plus gnral, ou mme comme
causes et les effets dun tel dplacement de point de vue pourraient avoir un rapport
direct avec la question des enjeux sociaux du slogan publicitaire, il semble ncessaire de
Une des premires interrogations cet gard est de savoir de quelle langue elle
relve. Cette interrogation est, sans doute, lie la supposition que la publicit doit tre
considre comme une activit spcialise au sein du corps social. Il sagit donc de
savoir si les constituants langagiers utiliss lors dune campagne constituent une langue
spcialise . Pour cela, il suffit de nous demander si elle prsente les critres dune
langue spcialise.
reste problmatique, nous partirons de lide de Pierre Lerat selon laquelle la langue
connaissances spcifiques 230. Dans cette dfinition, ce que nous remarquons, cest que
230
Pierre Lerat, Les Langues spcialises, Paris, PUF, 1995, p. 20.
109
la langue spcialise est, dabord et avant tout, langue naturelle. Cela signifie que cette
spcialise utilise des dnominations spcialises dans des noncs qui mobilisent par
ailleurs les ressources ordinaires dune langue donne. Toujours selon Pierre Lerat, la
langue spcialise combine les trois critres suivants 231 : son emploi est avant tout
des termes qui sont principalement des mots et des groupes de mots sujets des
En fait, la langue qui, sagissant de la publicit, satisfait ces critres est la langue
Rserve au secteur de la publicit, elle est usuellement employe par les publicitaires et
des connaissances techniques, ils ont forg et usent de termes tels que mdia-planning,
En revanche, en tant que langue qui cherche toujours tre mieux comprise de tous,
et surtout du plus grand public possible, la langue de la publicit ne veut surtout pas
plus ordinaire possible, tre dusage quotidien et voluer au mme rythme que son temps,
231
Ibid., p. 21.
232
Ibid., p. 20.
233
Selon Louis Guilbert, il y a, selon les locuteurs, deux types de langue spcialise. La langue spcialise
technique relve dune catgorie de locuteurs non homognes qui comprend aussi bien des ingnieurs
que des techniciens et des ouvriers. En consquence, des niveaux de langue y existent et des termes
dargot professionnel y apparaissent. Par contre, la langue spcialise scientifique est utilise par une
catgorie de locuteurs homognes, de mme culture et surtout de mme formation. Elle est le plus souvent
crite, et les niveaux de langue y sont pratiquement inexistants. Finalement, la langue publicitaire
appartient une langue spcialise du type technique plutt qu une langue spcialise du type
scientifique . Pour avoir un chantillon plus long des termes de cette langue publicitaire on consultera
des ouvrages de formation la publicit. [Louis Guilbert, La spcificit du terme scientifique et
technique , in Langue franaise, n 17, 1973, p. 15.]
110
voire mme coller lactualit la plus actuelle. Cest--dire que la langue de la publicit
est en fait un franais ordinaire 234 ainsi que le qualifie Franoise Gadet du point de
vue sociolinguistique. Sur ce point, il est curieux de remarquer une chose. Mme si la
langue de la publicit existe depuis longtemps comme partie prenante des lments
langagiers de tous les jours, lhistoire de la langue franaise na pas reconnu ce type de
langue utilis par la publicit comme un usage du franais. Alors quune langue de la
mode , une langue du cinma , une langue de la posie existent depuis longtemps,
il a fallu attendre 2000 pour que la langue de la publicit soit qualifie comme telle
nouveau franais peuvent se rclamer dun long pass. Elles sexpliqueraient avant
tout par le fait quil sagit de la langue quand elle se voue ces activits publicitaires
comme nous lavons vu plus haut. En effet, cette langue est caractrise comme langue
veut dire quelle prsente exactement tous les caractres qui la doivent faire tenir
Mais, si, mme se gardant des prjugs, on a encore tendance admettre que la
langue de la publicit est une sorte de langue spciale , en dpit du fait vident
quil sagit, bel et bien, dun franais ordinaire, dune langue banale de tous les jours,
cest parce que lon constate dans son usage un phnomne particulier, qui la distancie
236
Dans le cadre protectionniste de la langue, on peut se rfrer encore la loi Toubon, dont le 1er article
dispose que la langue franaise est un lment fondamental de la personnalit et du patrimoine de la France .
237
Cette formule ressemble dailleurs un slogan politique, dans la mesure o celui-ci dissimule souvent la vrit.
238
Ren tiemble prcise : Articles et prpositions disparaissent, le verbe nest plus quune sorte de
copule, et la phrase se rduit au substantif et ladjectif. Jadis apte dcomposer et analyser le rel, la
112
mission spciale intitule Je manie les mots 239, un certain nombre de spcialistes de
la langue franaise ont soulev cette question dune manipulation de la langue par la
publicit et les mdias.
Enfin, la question des mots occupe aussi une des premires places dans les
arguments du mouvement antipub. Ainsi, les Casseurs de pub voient dans la publicit
une machine casser le verbe mais aussi le symbolique, chose plus grave quoique
moins perceptible :
Nous expliquons grce des mots, mais ces mots demeurent toujours des
reprsentations de nos penses. Les mots ne pourront jamais expliquer parfaitement nos
valeurs. Ils tenteront simplement de sen approcher le mieux possible. Les mots sont
donc fragiles. Trs fragiles. Les mots, tous les mots, sont des symboles. Les symboles
sont comme les mots. Nous les utilisons pour dcrire et communiquer nos sentiments et
nos valeurs. Ainsi Marianne symbolise-t-elle la Rpublique. Une balance symbolise la
justice. Les mots (ce que les anciens appelaient le Verbe) et les symboles sont donc
essentiels notre humanit. Sen prendre aux mots et aux symboles, cest sen prendre
lHomme lui-mme. Cest pourtant exactement ce que font les publicitaires. Ils
dforment les mots. Ils pitinent le langage pour amener les gens consommer toujours
davantage. Ils dtournent le sens originel des mots pour manipuler nos cerveaux.240
Ce point de vue, puriste, normatif et protectionniste qui traite la langue et les mots
comme un patrimoine national , laisse pourtant en suspens des interrogations. Une telle
position conduit en effet indniablement se demander sil peut bien exister vraiment
quelque chose de tel que la belle langue , voire LE bon franais. Pour y rpondre,
voici une anecdote, prsente il y a longtemps par Robert Gurin :
langue franaise devient son tour une langue synthtique, qui cherche en suggrer la sensation
immdiate. La phrase se rduit au mot et le mot lobjet. [Ren tiemble, La publicit pourrit la langue
franaise , in Cahiers de la publicit, n 7, 1963, p. 16.]
239
Diffuse sur France 2, le 12 novembre 1997. Les invits sont Alain Rey, Henriette Walter, P. Meyer,
C. Gegnire et M. Alain.
240
http://www.casseursdepub.org
113
entendre du bon franais, aller en Turquie, au Prou ou ailleurs, partout dans le monde o il
y a encore des lites qui pratiquent notre langue mieux que nous ? Le langage est attaqu sur
deux fronts ; par les ignorants et par les pdants. Le mal que lui font les ignorants nest pas
bien grand ; au contraire, ce sont eux qui tablissent lusage. Cest lusage qui abrge les
mots trop longs, polit les mots rugueux, lubrifie les mots grinants et donne la langue la
fluidit voulue. Les pdants, eux sont beaucoup plus nfastes. Ils nutilisent pas le langage
pour se faire comprendre, mais pour en imposer, selon cet axiome qui veut que nous
admirions dautant plus que nous comprenons moins. Avec les ignorants, le langage tait
abtardi, mais vivifi, avec les pdants, il meurt lentement de ncrose. Ce sont eux les
responsables de laffreux jargon scientifique, administratif, judiciaire, commercial, dont
nous sommes affligs.241
En fin de compte, ce qui est essentiel la langue, la vie de la langue, cest lusage mme,
pas forcment le bon usage . Cest dans et par lusage que la langue volue. Nest-ce pas,
dailleurs lusage qui a fait du bas-latin la langue de Racine ? Cest que lusage est celui de
toutes les couches de la socit, pas seulement de l lite , faonn par tous les facteurs de la
socit, intellectuels, socioculturels, techniques, vnementiels... Or, ce qui est prendre en
compte, ici, cest que, tout en correspondant aux mutations sociales de tout genre, la publicit
constitue, bel et bien, un milieu langagier spcifique et que les phnomnes linguistiques qui
sy rattachent ne sont quun aspect particulier de lusage du franais ordinaire. Loin de devoir
tre considrs comme un objet de rejet par ladoption dun point de vue normatif, ces
phnomnes devraient tre compris et considrs dans le rapport qui sinstaure entre la
publicit et la socit.
241
Robert Gurin, Les Franais naiment pas la publicit, Paris, Olivier Perrin, 1957, p. 164-165.
114
Roland Barthes 242 considre le message publicitaire comme une sorte de posie, cest
notamment en corrlation avec le concept de connotation. Pour Hubert A. Greven, la publicit
sexprime comme une uvre crite dont le style est plein dimagination qui donne une
analogie la posie par son utilisation de la langue 243. De son ct, mettant laccent sur son
caractre populaire, Blanche-Nolle Grunig est davis que la langue de la publicit est la
grande posie populaire 244 laisse en libert, qui sexprime sur les murs de nos villes ou
dans les pages colores des magazines. Par ailleurs, Olivier Reboul245 et Mathieu Guidre246
qualifient la langue de la publicit - et notamment le slogan -, comme posie pour , oppose
la posie pure . Ils estiment que la publicit parvient associer lart au commerce, un
mode dexpression un produit dtermin, en soulignant que, pour y aboutir, lexpression du
message est soumise un processus de potisation complexe et protiforme.
Avant tout, il nous semble que cette ide de considrer la langue de la publicit comme de
la posie ou une sorte de posie, compte tenu des caractristiques formelles de la langue, est
trop audacieuse, voire risque. Si lon se met parler de posie du seul fait quune phrase ou
une formule langagire est courte et frappante, faudra-t-il considrer comme de la posie ces
formules mmes quand elles vantent des produits nuisibles, ainsi que la drogue, lalcool, le
tabac, etc. ? On se demande donc si la valeur de la langue de la publicit nest pas lie
cause quelle dfend. En outre, si un texte doit tre accept comme posie du seul fait de sa
mise en uvre dune fonction potique du langage, nul ne pourra nier que la propagande
politique le fait. Mais peut-on dire que la propagande soit de la posie, mme rate ? De
surcrot, sagissant de la distinction et du lien entre posie pour et posie pure , nous
pensons que cest peut-tre un peu insuffisant mme avec ce jeu de mots phontique sur
pour et pure , mme si ce pour dcrit bien le ct mercenaire de la publicit et
renvoie la situation actuelle o la publicit est lobjet dun dbat polmique pour / contre .
Mais, il ny a plus qui pourra distinguer une posie pure et une posie pour ? Cette
mthode risque enfin de dshonorer la notion mme de posie . Nous pensons que la langue
242
Roland Barthes, Le message publicitaire, rve et posie , in Cahiers de la publicit, n 7, Paris, Dauer, 1963.
243
Hubert A. Greven, La Langue des slogans publicitaires en anglais contemporain, op. cit., p. 13.
244
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 7.
245
Olivier Reboul, Slogan et posie , in Art & pub 1890-1990, Tours, ditions du Centre Georges-
Pompidou, 1990, p. 88-97.
246
Mathieu Guidre, Publicit et traduction, op. cit. p. 114.
115
de la publicit pourra parfois produire de la posie respectable. Toutefois celle-ci naura pas
les caractres de la posie littraire , et ne mrite pas souvent laccueil inconditionnellement
admiratif de ses aficionados pour lesquels la publicit est tout simplement un art , voire lArt
mme.
247
Georg Simmel, Sociologie et pistmologie (1917), traduction et prsentation par Julien Freund, Paris,
PUF, 1981, p. 42.
248
L'histoire du Vilain Petit Canard fut crite par Hans Christian Andersen en juillet 1842. Dans ce conte,
Andersen a voulu illustrer les principales priodes de sa vie. Le thme du gnie incompris est un thme
romantique qui revient assez souvent dans la posie du XIX e sicle, notamment chez Charles Baudelaire
qui montre l'incomprhension entre le pote des cimes impuissant l-bas et le vulgaire dans L'Albatros,
chez Stphane Mallarm, dans Le Vierge, le vivace et le bel aujourdhui...
249
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 10.
116
Seconde partie
De la formule la forme
paradoxalement davantage de mal construire ce pont. Parce quil semble si bien connu
dcouvert sur le terrain. Sans cet appareil, cet import ne peut tre assur, mme si lon a
t capable de faire sur cette le des dcouvertes inopines. Ce pont est virtuel et il varie
mesure quil se singularise, soit que lobjet soit nouveau, soit quil sagisse dun nouveau
point de vue sur lobjet. Ainsi, lorsquune mthodologie ne peut se rduire une
Nous pensons dailleurs quune thorie est une vision qui doit aider lire le rel
sans le tyranniser et btir une mthodologie pour une recherche scientifique ; les
rsultats et les consquences de cette recherche peuvent, en retour, enrichir cette vision.
Cest dans ce rapport interactif que se dterminent les connaissances scientifiques. Bien
sur les phnomnes sociaux, et en ce sens il est significatif que Georg Simmel ait
considr cette science dans son ensemble comme un auxiliaire 250 qui permettrait
daborder ces phnomnes par une voie nouvelle, son poque, par rapport lapproche
des autres sciences. Par ailleurs, cette science doit se caractriser par son pluralisme.
La sociologie vivante, cest celle qui tente de dessiner une socit sous le
pluralisme foisonnant des socialits. Ce nest pas celle qui se contente dappliquer le
250
Georg Simmel, Sociologie, tude sur les formes de la socialisation (1908), traduit de lallemand par
Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, PUF, coll. Sociologies , 1999, p. 41.
118
carcan mutilant dun modle sociologique. (...) Tout langage dhomme est matire de
socialit. Lon na pas le droit de choisir la goutte deau qui fait dborder le vase. Et
dans le trsor des savoirs toute science bien uvre a sa place.251
Dans les mmes eaux, Philippe Joron, dans le cadre de ses recherches sur les formes
de la vie sociale, souligne quau lieu de rduire la comprhension de celles-ci aux seules
existentiel. 252 Et, la notion d thique nergtique 253, comme lun de ces principes
sociaux sous une lumire nouvelle, et ouvert un tel pluralisme, nous allons ici tenter de
dgager une perspective partir de laquelle nous pourrions tirer des donnes du rel
conformment la dmarche comprhensive dont nous avons parl plus haut. Il sagit, en
Sagissant du slogan publicitaire, nous pensons quil doit tre compris prcisment
que ces deux logiques ne peuvent cependant sy exclure lune lautre et doivent
forcment y coexister, nous devons choisir sur le plan mthodologique quel angle il
convient daborder le slogan dabord, si nous voulons faire ressortir plus clairement notre
propos. cet gard, nous percevons et voudrions faire percevoir le slogan avant tout en
251
Gilbert Durand, La culture ou le revolver , in Socits, n 6, Paris, Masson, 1985, p. 39.
252
Phlippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 17.
253
Ibid., p. 17-32.
254
Lauteur met laccent sur le fait que la sociologie comprhensive puis la phnomnologie ont tent de
caractriser quelles taient les modalits du connatre propres aux sciences sociales et aux sciences
humaines. [Patrick Watier, La comprhension revisite , in Socits, n 114, Bruxelles, De Boeck,
2011/4, p. 13]
119
tant quil est une entit langagire oprant videmment dans le milieu de la
communication publicitaire. Cest certes inverser lordre le plus manifeste, mais dans le
aura plus de difficults se dfaire de cette approche qui, en y voyant surtout et mme
prenant le slogan comme ce quil est dabord, savoir un nonc en langue naturelle,
Or cette prise de position nous conduit une situation assez particulire. En effet,
lobjet de la recherche. Sagissant des mots en tant que moyen de la sociologie, Michel
Indiquer une direction assure avec des mots nayant, en rien, lassurance du
concept. 255 Cest que les mots pris en tant quobjet de la sociologie posent
relve dun double statut : il est la fois signe linguistique et pratique sociale . Ces
deux dimensions ne se heurtent pas de front mais elles ne saccordent pas pour autant
255
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. IV. Sagissant de cette spcificit langagire en tant quelle
est linstrument de la sociologie, lauteur note : Les mots font galement partie de notre
instrumentation, et celle-ci a ses coups de main et ses savoir faire(ou savoir dire), mais sans
prtendre que le problme puisse trouver une solution univoque, il faut semployer ce que nos
recherches, nos livres, nos exposs sachent, sans rien perdre de leur rigueur scientifique, intresser les
divers protagonistes sociaux. [Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire. Prcis de sociololgie
comprhensive (1985), Paris, Klincksieck, 2007, p. 31.]
120
Pris dune telle situation, notre travail mthodologique suivra la voie que prconise
poser des problmes et donner des conditions de possibilit pour y rpondre au cas par
cas , alors que la formule a, sur tous et sur toutes les choses, des rponses toutes prtes
257. En restant bien conscient de cette modalit, nous allons, dabord, examiner les dfis
mthodologiques que soulve le slogan publicitaire en tant que langage. Ensuite, nous
proposerons une nouvelle perspective, non pas comme formule sociologique mais
comme forme sociologique par laquelle pourra plus nettement se dgager cette forme
nouvelle de valeur sociale qua peu peu prise la publicit, au travers de cette
256
Pour comprendre succintement ce quest le formisme, consulter son article, Le formisme in
Socits, n 25-26, Paris, Dunod, 1989 et pour en prendre connaissance plus en dtail, lire son ouvrage La
Connaissance ordinaire. Prcis de sociololgie comprhensive, op. cit., notamment lIntroduction et le
Chapitre IV.
257
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible (1996), Paris, La Table Ronde, 2005, p. 113.
121
Nous navons exprs pas mentionn les noms des marques des produits en question,
afin que soit remis en relief le caractre foncirement langagier du slogan. Ce faisant, on
sent, en un premier temps, chaque fois un certain dphasage, une certaine dviance par
rapport aux formes canoniques ou aux clichs reus dans la pratique ordinaire de la
langue. Dans cette liste, on pourra vite trouver lanomalie sagissant des slogans qui
ailleurs, si certains slogans ne dlivrent littralement aucun sens, dautres nont pas un
violation du bon sens ou des rfrences socioculturelles. Sans doute, est-ce cause de ces
insenses ou pour le moins tranges, que se sont leves les rprobations bruyantes que
De fait, nous rencontrons souvent des gens qui exigent, ds lors que des produits
langagiers sont bizarres , tant sur le niveau formel que smantique, que lon ne leur
258
Se limitant au champ significatif des mots et des phrases, le terme smantique est utilis, ici, dans le
sens quil a dans la linguistique.
122
accorde aucun intrt. Comme si lon tait dans la situation denseignants donnant une
leon de franais des lves trangers. Or nous croyons que cette manire de considrer
le langage comme devant tre un code strict procde dun simplisme, devant la
linguistique . lantipode des esprits frileux, qui se lamentent sur la dgradation subi ici
par la langue et sur le dgt social qui en dcoulera, nous postulons que le fonctionnement
social du langage publicitaire que nous voulons montrer et dfendre repose foncirement
sur une telle dynamique. Cest en ce sens que nous ne pouvons tre daccord avec cette
plus basse de lnergie du signe 259. Notre travail mthodologique consistera donc nous
doter des dispositifs par lesquels nous pourrons montrer comment ces phnomnes comme
conviendrait de juger dabord les slogans comme des enchanements verbaux relevant
telle position nous amne nous pencher ncessairement sur lidentit qui est celle de la
langue et du langage.
259
Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galile, 1981, p. 131. Sagissant du mode
dexpression signe est entendre dans le sens large du terme.
123
certains, des faits de langue . Mais alors dans ce cas, cette question se pose demble :
De quelle langue relvent-ils ? Question fort nave aux yeux de ceux qui pensent que
le slogan ne saurait jamais tre autre chose que de la langue, mais cette navet nous
apporte un enseignement qui comporte une signification importante. Car, une telle
socit, nous proposons, dans un premier temps, une dichotomie - mais pas manichenne
lensemble des mots bien immatriculs dans les vnrables rpertoires alphabtiques
qui sappellent dictionnaires . Il sagit donc des pratiques langagires dont lemploi
est recommand, voire simpose, dabord, lcole puis dans les autres secteurs publics
tels que ladministration, la politique, lconomie, le social, etc. En ce sens, on peut dire
que cest la, soi-disant, langue officielle ou langue standard . Des lettres prives
vigueur, voire un bon usage 260. En un mot, cette langue-trsor est une langue qui
comme le trsor 261 dpos (par la pratique de la parole) dans les sujets appartenant
260
Nous utilisons ici cette expression au sens large du terme. Elle a donn lieu au titre dun ouvrage Le
Bon Usage, grammaire prescriptive du franais, publi pour la premire fois en 1936 par Maurice Grevisse,
et priodiquement mis jour depuis. Il traite de lusage correct de la langue franaise et comprend de
nombreux exemples et contre-exemples tirs de la littrature francophone de toutes les poques, ainsi que
de la presse. Il fait office de rfrence pour tous ceux qui font un usage professionnel du franais, en
particulier les crivains et les correcteurs.
261
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale (1916), Paris, Payot, 1972, p. 30.
124
une mme communaut. Dun autre ct, ce terme a aussi la valeur de biens publics
ou de patrimoine 262.
Ds lors, par contraste, on se rend bien compte quil existe en revanche des types de
trsor , nous pourrions dterminer ces usages comme langue-trash 263. Il sagit de
termes qui sont souvent fictifs, invents, modifis, cods... Lusage en est prohib et
condamn par les normes sociales et ltablissement. Pourtant, cest une langue qui est
pratique quotidiennement, mme si elle nest pas admise officiellement comme langue.
Comme langue non standard ou langue officieuse , cette langue savre mondaine,
mauvais genre, vulgaire, mais elle est aussi souterraine, chtonienne. Au demeurant, le
veut dire que quand la Morale est dun ct, du bon ct, le reste ne peut, ne doit surtout
pas se dire.
Toutefois, on peut dire que le parler dun individu est invitablement une
conjonction de ces deux sortes de langue. Il ny a personne qui ne parle que la langue-
trsor, personne qui ne parle que la langue-trash. Les plus grands savants peuvent
sortir des mots en langue-trash ; les voyous de quartier peuvent, linverse, pratiquer
la langue-trsor. En fait, le parler dun individu change selon les mille et une situations
de communication. Ainsi, le parler dune socit doit tre galement considr comme
lensemble de ces langues, de ce trs large ventail de la langue, qui va de celle dans
langagiers insenss dun schizophrne, en passant par les balbutiements du petit enfant.
Ce qui est remarquable, cest que la langue-trash est celle qui est vraiment
vivante dans diverses sphres de la socit et quelle saffiche parfois publiquement. Par
262
Rappelons-nous que lArticle 2 de la Constitution de la Rpublique franaise stipule : La langue de la
Rpublique est le franais .
263
Le terme trash vient du mot amricain qui signifie dchet ou ordures . Il rfre aussi ce qui
flatte les bas instincts de l'homme.
125
journaux, dans les titres de films, pas seulement sur les graffitis des murs de la cit. On
pourrait dailleurs confirmer que cest bien elle qui vit lors des changes sur les rseaux
sociaux dans le cyberespace et sur le tlphone portable (SMS) 264 . Cette pratique
prospre surtout dans le parler des jeunes. Noublions pas que les tchatches anodins
et le papotage quotidien ny chappent jamais. Ainsi, bien loin dtre marginale, cette
langue (chtonienne) faonne tout un ensemble de faons de parler qui sont des produits
quotidienne. Intressant relativement rarement lanalyse linguistique et peu traits par les
autres disciplines, ces produits marginaux, ajouts les uns aux autres, comme le souligne
Louis-Jean Calvet, finissent par faire une majorit 265 . Par ailleurs, il est aussi
domaine se fait souvent dune manire inconsciente que personne ne peut y chapper.
En un mot, la langue-trash pourrait se dfinir comme une langue qui reste une sorte
dOVNI mais qui est pourtant communment partage par tout le monde. Il se peut que
cette langue soit cependant un objet prcieux, en tant que ce serait par lui que pourrait
sexprimer une poque. Cest ainsi que du trash serait susceptible de devenir
Michel Maffesoli :
Ce nest pas une poubelle quil convient de vider, ou une part dmoniaque quil faut
radiquer. Bien au contraire ce peut tre un fond (fonds) o va se nicher un trsor
primitif de solidarit, de gnrosit aussi. Encore faut-il accepter une telle primitivit et
264
On rencontre souvent des cas o certaines lettres sont utilises pour remplacer des expressions courtes
telles que C (Cest), T (Tes), Pcq (parce que), Bcp (Beaucoup), Bsr (Bonsoir), etc. Pour
en rencontrer de nombreux exemples, il suffit de se connecter Internet et dobserver comment
sexpriment les internautes dans tel blog ou tel espace de chat .
265
Louis-Jean Calvet, La Production rvolutionnaire. Slogans, affiches, chansons, Paris, Payot, 1976, p. 68.
126
ne pas prendre une mine dgote devant ce qui ne se rpte pas, et donc ne peut tre
thsauris pour lavenir.266
lusage du langage. Nous pensons que cette langue est celle qui peut assumer une
fonction sociale comme nulle autre, ressentant tout sous un nouveau jour, comme elle
communication, mais elles font toutes deux partie dun corps insparable, cest--dire du
langage, lune des pratiques les plus complexes de ltre humain. ce titre, faisant partie
que forment les manifestations spcifiques du slogan publicitaire peut tre galement
envisag sous plusieurs angles, selon les diffrentes optiques des sciences humaines et
sociales.
Ainsi, les divers aspects linguistiques anormaux du slogan pourraient tout dabord
tre considrs comme ce reste 267 dont parle Jean-Jacques Lecercle. Il sagit de
lautre face du langage, celle qui chappe aux thories linguistiques orthodoxes. Cest,
en effet, tout ce que la construction correcte de la langue, avec son systme de rgles,
exclut. Ce linguiste souligne que ce reste est vaste et que ce qui compte, cest que, le
domaine de ce reste prolifre dans notre exprience quotidienne de la parole, sous divers
266
Michel Maffesoli, Le Renchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 141.
267
Jean-Jacques Lecercle, La Violence du langage, Paris, PUF, 1996, p. 9-61. Cest dailleurs lensemble
de louvrage qui traite de cette notion.
127
aspects tels que figures de rhtorique, jeux de mots, dformations, lapsus, dlire, etc. 268
Cependant, cette approche ne cherchant pas se donner une vision spcifique de ces
phnomnes pour eux-mmes, ils y sont seulement catgoriss par rapport aux grilles
thoriques de la linguistique.
De son ct, Gilles Deleuze critique de front la conception du langage prsente par la
linguistique structuraliste. Il estime que celle-ci a fait beaucoup de mal avec ses postulats
absolument idaliss269. Pour lui, une langue est un systme qui par nature est loin de tout
quilibre et bien plutt en perptuel dsquilibre fait de toutes sortes de courants htrognes
interagissant. Dans les termes de sa pense, cette dimension extravagante du slogan pourrait
selon nous tre bien interprte au travers de sa notion de style , en ce sens que le slogan est
nonc dans cette sorte de langue trangre 270 dont relve le style. Ce style, qui en arrive
bgayer dans sa propre langue, fait du slogan le produit de ce bgaiement , qui relve de
sous la pression de la syntaxe originale que lui impose cet agencement, et pouss aux limites
de la langue, le slogan pourrait constituer lune de ces autres formes de la langue dans la
langue quil voque quand il dit que toute langue est bilingue en elle-mme et multilingue en
elle-mme 271.
psychanalyse, en particulier celle de Jacques Lacan et de ses disciples, dit que les
niveaux de la langue ne sont pas a priori distincts pour le sujet. Cela veut dire que, pour
le sujet qui rve ou qui commet un lapsus, le langage est structur comme un tout unique,
o les diffrences maintenues par le sujet vigilant ne sont plus pertinentes : cette
structure la fois singulire chaque sujet et du mme ordre que la langue saussurienne,
268
Ibid.
269
Gilles Deleuze et Flix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrnie 2, Paris, Minuit, coll.
Critique , 1980, surtout Ch. 4. 20 novembre 1923-Postulats de la linguistique, p. 95-139.
270
Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996, p. 11.
271
Ibid., p. 138-139.
272
Jacques Lacan, crits, Paris, Seuil, 1966.
128
Milner273 dit quune langue nest pas un fait de nature, mais quelle se construit dans les
catgorisation sociale des pratiques. Le sujet est pris dans sa lalangue , qui comporte
sociale, cette dynamique linguistique qui caractrise le langage publicitaire peut tre
Vilfredo Pareto. Selon sa thorie, il y a deux catgories dactions humaines : les actions
sont formes dune partie variable, appele drivation, qui apparat comme un travail
accompli pour justifier ou expliquer laction, et dune partie constante, appele rsidu275,
qui correspond aux instincts, sentiments, besoins, gots, etc. Les drivations et les
rsidus constituent les molcules du systme social, qui lui confrent des proprits
spcifiques. Si les drivations sont bien connues, les rsidus sont cachs, do la
273
Jean-Claude Milner, LAmour de la langue, Paris, Seuil, 1978.
274
Vilfredo Pareto, Trait de sociologie gnrale (1916), Genve, Droz, 1968. Tout phnomne social
peut tre envisag sous deux aspects, objectif comme il est en ralit, subjectif tel quil se prsente
lesprit. Il y a deux classes dactions : les actions logiques et les actions non-logiques. Dans les premires,
les moyens sont appropris au but et unis logiquement ce but (par exemple, naviguer au moyen de rames).
Dans les secondes, cette relation fait dfaut (par exemple, invoquer le dieu Posidon pour naviguer). En
introduisant le premier critre on voit que dans les actions logiques, le but objectif est identique au but
subjectif ; cest le cas des actions scientifiques, artistiques, conomiques, etc. au contraire, dans les actions
non-logiques, le but objectif diffre du but subjectif.
275
Les rsidus eux-mmes sont subdiviss par Pareto en six classes, dont les deux premires, instinct des
combinaisons et persistance des agrgats correspondent grosso modo aux principes dinnovation et de
conservation. Une socit nest pas entirement rationalisable. Lquilibre social dun pays dpend de la
proportion des rsidus de la premire et de la deuxime classe (innovation et conservation) au sein des
populations en gnral, des classes sociales, des lites.
129
Ainsi, le langage naturel peut tre apprhend selon divers points de vue, de faon
illimite. ce stade de la rflexion sur le langage, la chose que nous ne devons jamais
oublier, cest que ce langage qui fait lobjet de notre discussion en ce moment, nest pas
diffrent de celui dont parlent les linguistes, les philosophes, les sociologues et les
vue ? La premire rponse, celle qui apparat comme la moins errone, cest que, pour le
moment, il faut reconnatre que nul ne peut se faire une ide claire de ce quest le
langage, malgr tous les efforts dploys dans divers domaines. Le langage apparat
comme une donne bien plus complexe et inextricable que nous ne le pensions. Ou bien,
au contraire, il se peut quil soit dune essence dont la limpidit confond lentendement.
Cest tel point que le langage semble demeurer pour nous un inconnu 276, pour
langage.
de plus prs, on constate, comme Walter Benjamin la bien remarqu 278 , que la
sociologie du langage fait intervenir toute une srie dautres disciplines pour lesquelles le
276
Cf. Julia Kristeva, Le Langage, cet inconnu, Paris, Seuil, 1981.
277
En France, ce domaine ne semble pas bien accept comme sous-discipline de la sociologie compar
des disciplines bien tablies telles que la sociologie du travail, la sociologie des organisations, la
sociologie de lducation, la sociologie de la sant, etc.
278
Walter Benjamin, Problmes de sociologie du langage ( 1935), in uvres III, traduit par Maurice de
Condillac, revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio essais , 2000, p. 7-43.
130
est envisag comme activit sociale , ce qui est langle de la sociologie, ne relve pas
systme linguistique , bien quil soit aussi alors, selon lexpression de Pierre Achard,
le pain quotidien 279 du linguiste, ne se rduit pas non plus de ce fait la linguistique.
impose invitablement une approche spcifique. Mais tout en restant bien conscient de
ce dlicat problme, afin de pouvoir, le moment venu, envisager quelles sont les
temps, comment la problmatique du slogan publicitaire peut tre rattache aux savoirs
concernes.
Dune manire gnrale, lobjet de la linguistique est dtudier, quant aux pratiques
langagires, tout ce qui fait quelles ne peuvent tre signifiantes que dans la mesure o
elles font systme. Sen tenant la distinction fameuse langue / parole 280, au sens o
la langue est la partie sociale et essentielle du langage, tandis que la parole se dfinit
linguistique devait prendre la seule langue comme objet de recherche. On dit que cest
chantier dinvestigation une grande partie des produits langagiers qui constituent pourtant
domaine qui se trouve dans ce cas, du fait mme quil prsente nombre de manifestations
qui sont aptes branler sa vote disciplinaire. Comme nous venons de le constater plus
279
Pierre Achard, La Sociologie du langage (1993), Paris, PUF, 1998, p. 36.
280
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit., p. 23-39.
131
thorique, la linguistique structuraliste ait tendance les exclure carrment ou les traiter
niveau scientifique.
Compte tenu de tout ceci, ce qui nous parat essentiel, cest que le langage et la
langue soient librs du joug du systme structuraliste. Il est indniable que lusage du
Mais, ce qui est crucial nest pas de ne pas le considrer comme systme, mais cest de
savoir comment ce systme sinterprte. La situation la plus regrettable est celle dans
laquelle lon tente de gouverner les phnomnes, en les faisant rentrer de force dans un
systme clos.
Ainsi le concept saussurien de langage est un peu analogique la forme sonate par
conformer la partition. On se rend vite compte que quel point une telle perception du
langage tait abstraite et restreinte. Par ailleurs, quand on parle des fonctions du langage,
on voque dhabitude les six fonctions du langage distingues par Roman Jakobson :
281
Roman Jakobson, Essai de linguistique gnrale, Paris, Minuit, 1963, p. 214-221. Les fonctions
gnrales du langage seraient au nombre de six en fonction des ples du schma de la communication. La
fonction motive, centre sur lmotion de lmetteur du message, se manifeste par des exclamations, des
interjections, des valuations, etc. La fonction conative, centre sur le destinataire, se manifeste par
limpratif, les interrogations, etc. La fonction rfrentielle, centre sur le contexte, vise reprsenter le
monde (narration, exposition). La fonction phatique, centre sur le canal, et le contact avec le
destinataire, se manifeste dans des formules telles que all , vous mentendez ? , etc. La fonction
mtalinguistique, centre sur le code linguistique, permet de parler de ce code ( par le mot X,
jentends ). Quant la fonction potique, centre sur le message, elle est la base de la posie, des
slogans, des proverbes dans la mesure o elle emploie les signes pour leur signifiant autant que pour leur
signifi. En fait, cette distinction des fonctions du langage nest pas si tranche, dans la mesure o les
diffrentes sortes de communication ne sont que plus ou moins rgies par une fonction dominante :
rfrentielle pour un journal, phatique pour les conversations quotidiennes, etc. Il y a, bien sr, une
hirarchie entre ces fonctions : si toutes sont ncessaires, ou reprsentes dans les phnomnes, la fonction
132
schma bien connu, qui est gnralement admis dans le secteur de la communication et
mais qui na quune valeur pdagogique pour le systme scolaire, on se rend compte que
la distinction de ces fonctions est base foncirement sur une conception positiviste et
sujet contrle sa langue, ce qui veut dire quil la fait fonctionner comme il lentend. On
dit par elle, cest--dire au moyen delle, ce quon veut dire. Cest ainsi que tout
Une telle conception se constate dailleurs galement dans les autres modles
considration les lments sociaux du langage. Parce quils demeurent toujours sous
sociologie. Mais, on pourrait faire cette objection : Quel rapport peut-il y avoir entre
cette formule commerciale triviale et la science qui traite des connaissances sociales ?
quil soit, ne se donne pas de lui-mme, comme existant en soi. Cela dit, le slogan
pourrait tre susceptible de faire lobjet dune recherche en sciences sociales, selon
anthropologique, etc.
nous demander dans quelle mesure le slogan publicitaire peut faire lobjet dune
sociologie du langage. En effet, dune manire gnrale, les pratiques langagires, en tant
lessentiel de cette sociologie qui traite du langage peut se rsumer grosso modo cette
question : Quel rle tient le langage dans les processus sociaux au sein dune
comme mile Durkheim la bien soulign, une socit nest pas simplement constitue
par la masse des individus qui la composent, par le sol quils occupent, par les choses
dont ils se servent, par les mouvements quils accomplissent, mais avant tout, par lide
quelle se fait delle-mme 284. En outre, on doit se demander si lon peut traiter le
langage de la mme manire que dautres pratiques sociales. Enfin, si certains processus
sinon toutes, qui mettent en uvre le langage. Ce qui fait que, pour nous, il est de la
Il est vrai, en fait, que dans la tradition sociologique, les faits qui relvent du
langage ont toujours t inclus dans les activits sociales . Dj, Auguste Comte
considre que, puisque le langage est un problme pour la sociologie, la vraie thorie
gnrale du langage est essentiellement sociologique 285. Toutefois, il nous semble que,
manifest dintrt pour le problme du langage. Lune des raisons, nen serait-elle pas,
langage. Cela semble vouloir dire que, pour cette approche, le monde est intelligible
directement, sans passer par le langage. On peut donc trouver dans une telle approche, un
lextrieur , et ils cherchent tablir quelles sont les catgories sociologiques qui ont
une ralit pour les acteurs en examinant les interactions entre les membres de la
socit : la conversation, les prises de parole, les interruptions, les actes de langage tels
que la requte, le compliment, etc. Ainsi, mettant en uvre le langage comme degr
dintelligibilit du monde social pour ses acteurs, ces approches ont dvelopp la notion
lexercice de la parole ne suppose pas seulement une matrise de la langue, mais aussi
des rgles de politesse, des hirarchies tablies et de leurs marques, etc. Elles insistent
sur des notions telles que la clbre notion de face 287. Par ailleurs, le langage est
286
Dvelopp notamment autour de Raymond Boudon, lindividualisme mthodologique stigmatise
lexplication des conduites individuelles par les structures sociales, par les systmes sociaux, en un mot,
par les faits sociaux. Ce courant sociologique propose des paradigmes alternatifs ceux que la sociologie
utilise en gnral pour expliquer les comportements individuels, les choix, mais aussi les faits sociaux eux-
mmes. Ces paradigmes empruntent largement lconomie noclassique et rigent en dogme la libert
daction que dtient lindividu, capable doprer le meilleur choix pour accrotre sa satisfaction. Lindividu
libre est donc au cur de ce courant.
287
Erving Goffman, Perdre la face ou faire bonne figure ? in Les Rites dinteraction, Paris, Minuit,
1974, p. 9-42.
135
tenant, considre la ralit sociale elle-mme comme socialement construite par les
activits langagires288.
Ces dernires coles ont donc tabli que le langage nest pas un objet social parmi
dautres, mais que la sociologie doit le placer au cur de ses proccupations. Il nous
semble toutefois que, malgr cette prise de conscience, ces courants nont pas une
de la langue dans les processus sociaux, cependant leur intrt semble ne pas tre all
caractre formel et matriel qui semble bien constituer son importance primordiale, en
produisant un enjeu social particulier lors de la communication. Mais nous nous rendons
compte en mme temps que les phnomnes langagiers des slogans publicitaires ne
frontire entre linguistique et sociologie289. Nest-ce pas par ses aberrations volontaires
que le slogan publicitaire peut constituer un matriel rflexif, une matire rflexion,
linguistiques infernales, une divine occasion pour la recherche, aussi bien pour la
amas langagier alin , soit par exclusion, soit par manque de moyen.
nous faut une nouvelle approche. Dans une vision largie, la premire tape consisterait
pouvoir voir les produits langagiers tels quils sont. Mais, pour y parvenir, on doit
dabord librer le langage de la violence. De quelle violence sagit-il ? Ce nest pas une
violence qui sexerce par le langage, voire la violence du langage. Laspect de cette
violence ne relve pas non plus du concept de violence tel quil a t gnralis en
sociologie jusqu maintenant. Si, par exemple, Pierre Bourdieu a soulign le langage
comme pouvoir symbolique des classes dominantes et a notamment mis laccent sur les
langage lui-mme. Il sagit plutt dune violence sur le langage, comme violence
locuteur, au moyen de contraintes. Il nous semble que le langage, trangl par ce genre
vracit mme. Pourtant, cest bien l que se dissimule cette violence dont nous voulons
parler. Afin dexaminer comment sest instaure cette violence, appuyons-nous sur
137
Daprs Les Mots et les choses, sous sa forme premire, quand le langage fut donn
aux hommes par Dieu lui-mme, le mot tait un signe des choses absolument certain et
transparent, parce quil leur ressemblait. Mais cette transparence fut dtruite Babel pour
la punition des hommes. Les langues ne furent spares les unes des autres et ne
devinrent naturellement incompatibles que dans la mesure o tait efface dabord cette
ressemblance des mots aux choses qui avait t la premire raison dtre du langage.
Toutes les langues que nous connaissons, nous ne les parlons plus maintenant que sur
fond de cette similitude perdue, et dans lespace quelle a laiss vide 290.
mondaine et obscure. Il nous semble, cet gard, que les situations du XVIe sicle et
celles des XVIIe et XVIIIe diffrent profondment. Jusqu la fin du XVIe sicle, la
croyance en une ressemblance a en effet jou un rle fondateur pour le savoir dans la
Cest elle qui a conduit pour une grande part lexgse et linterprtation des textes :
cest elle qui a organis le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles
et invisibles, guid lart de les reprsenter. Le monde senroulait sur lui-mme: la terre
rptant le ciel, les visages se mirant dans les toiles, et lherbe enveloppant dans ses
tiges les secrets qui servaient lhomme. La peinture imitait lespace. Et la
reprsentation - quelle ft fte ou savoir - se donnait comme rptition : thtre de la
vie ou miroir du monde, ctait l le titre de tout langage, sa manire de sannoncer et
de formuler son droit parler.291
Ainsi, chercher un sens, ctait mettre jour des ressemblances. Chercher la loi des
signes, ctait dcouvrir les choses semblables. Selon cette optique, qui doit tre
entendue non pas comme un pisode dans lhistoire de la langue, mais comme une
290
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
1966, p. 51.
291
Ibid., p. 32.
138
exprience culturelle globale 292, le langage existe dabord, en son tre brut et primitif,
sous la forme simple, matrielle, dune criture, dun stigmate sur les choses, dune
marque rpandue par le monde et qui fait partie de ses plus ineffaables figures. En un
sens, cette couche du langage est unique et absolue. Mais elle fait natre aussitt deux
autres formes de discours qui la bornent : au-dessus delle, le commentaire, qui reprend
les signes donns dans un nouveau propos, et au-dessous, le texte dont le commentaire
suppose la primaut cache au-dessous des marques visibles tous. De l, trois niveaux
rsolvent en une figure unique. Cest ce jeu complexe qui va disparatre avec la fin de la
Renaissance.
et lnonable disparaissant, les choses et les mots vont se sparer. 293 Alors quau
pliure du monde, elle est lge classique la forme la plus simple sous laquelle apparat
ce qui est connatre, mais qui est le plus loign de la connaissance elle-mme. Le
langage nest plus une des figures du monde, ni la signature impose aux choses depuis
le fond des temps. Le langage se retire du milieu des tres pour entrer dans son ge de
sicle, daprs Michel Foucault, et qui est plus gnral que la fortune singulire du
langage, sa vieille solidit de chose inscrite dans le monde est dissoute dans le
292
Ibid., p. 56.
293
Ibid., p. 58.
294
Ibid., p. 70.
295
Ibid., p. 79.
139
Toujours selon Michel Foucault, au dbut du XIXe sicle, les mots ont pourtant
reprsentation, le langage nexiste plus dsormais, et jusqu nous encore, que sur un
mode dispers 296. Se repliant sur soi, acqurant une paisseur propre et dployant une
histoire, le langage devient un objet de la connaissance parmi tant dautres. Puis, la fin
du XIXe sicle, il entre directement et pour lui-mme dans le champ de la pense. Dans
cette question, Mallarm rpond en disant que ce qui parle cest, en sa solitude, en sa
vibration fragile, en son nant, le mot lui-mme non pas le sens du mot, mais son tre
nigmatique et prcaire297.
Enfin, il nous semble que, mme si la situation qui a succd celle du XIX e sicle
laisse un espace assez vaste permettant une perception convenable du langage, le levier
En premier lieu, le langage est avant tout considr comme un ensemble de signes
indpendants. Depuis le stocisme, dans le monde occidental, le systme des signes avait
partir du XVIIe sicle, en revanche, la disposition des signes deviendra binaire, puisquon
la dfinira par la liaison dun signifiant et dun signifi. Cette nouvelle disposition
entrane lapparition dun nouveau problme, jusque-l inconnu : en effet, alors que lon
stait demand auparavant comment reconnatre quun signe dsignait bien ce quil
296
Ibid., p. 315.
297
Selon Michel Foucault, il se pourrait bien que toutes les questions qui traversent actuellement notre curiosit
se posent aujourdhui dans la distance jamais comble entre la question de Nietzsche (Gnalogie de la morale, I.
5) et la rponse que lui fit Mallarm: Quest-ce que le langage ? Quest-ce quun signe ? Ce qui est muet dans
le monde, dans nos gestes, dans tout le blason nigmatique de nos conduites, dans nos rves et nos maladies
tout cela parle-t-il, et quel langage tient-il, selon quelle grammaire? Tout est-il signifiant, ou quoi, et pour qui et
selon quelles rgles? Quel rapport y a-t-il entre le langage et ltre, et est-ce bien ltre que toujours sadresse le
langage, celui, du moins, qui parle vraiment? Quest-ce donc que ce langage, qui ne dit rien, ne se tait jamais, qui
sappelle littrature ? [Ibid., p. 317.]
140
signification. Mais de ce fait mme, le langage ne sera rien de plus quun cas particulier
est le moyen suprme de communication de lhomme. Ce qui frappe, cest que nul ne
puisse le dnier. Cela veut dire quil est vident que lon parle avec autrui en vue
dchanger des informations. Par exemple, Vous avez du feu, sil vous plat ? est un
nonc canonique. Les missions langagires vont de la bouche loreille, puis cet aller
est suivi dun retour. En fait, ce schma de communication positiviste est devenu une
fait que le langage nest pas toujours un noble instrument la disposition du locuteur,
cette idologie ne correspond pas toujours lexprience quotidienne. La ralit nous fait
savoir chaque jour que lon vit des moments o le langage nopre pas comme outil
dinformation.
En dernier lieu, le langage est actuellement toujours compris dans le droit fil de
certaines valeurs idologiques de cette Modernit qui rgne depuis XVIIe sicle. Mme si
nous ne pouvons pas toujours en dcrypter les rapports exacts, il faut noter quil existe
En tant que premier moyen pour la domination de telles valeurs, le langage aura t le
compagnon de la Modernit. Cette ide est trop gnrale pour tre rfutable. Toutefois,
alors que lon veut voir le langage comme autonome et souverain, il naura dans ce cas
puisse tre piphanise, le langage naura servi que doutil pour la reprsentation du
dinstrumentalisation du langage.
298
En tout cas, il nest pas ncessaire de limiter cela lOccident. En Asie, il existe galement une pense
instrumentaliste du langage. Par exemple, en Core, il existe un proverbe qui dit : Quelques fragments de
mots rglent la dette de milliers dcus .
141
Enfin, il nous semble que, dans la plupart des domaines, la perception actuelle du
mme sil FONCTIONNE, le langage nEXISTE toujours pas, comme le dit Michel Foucault
du langage lge classique299. Ou bien, si le langage existe, ce sera tout au plus, pour
violence galement lie la Modernit et aussi ancienne que celle qui se joue dans le
pass pre. Gilbert Durand a prcisment montr quil existe une antique et
-vis de limage. On peut souligner que le monde des images ny est jamais envisag que
spar de Dieu. Noublions pas quil est issu du pch originel et se meut, de ce fait,
dans limpit la plus totale. Michel Maffesoli note que la diffrence qui existe entre la
perfection (Dieu) et limperfection (le monde) se retrouve entre la sainte raison, sige de
la draison, qui reprsente tout ce qui chez lhomme renvoie lanimalit, linfra-
299
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, op. cit., p. 93 :
partir du XVIIe sicle, cest cette existence massive et intrigante du langage qui se trouve lide. la
limite, on pourrait dire que le langage classique nexiste pas. Mais quil fonctionne: toute son existence
prend place dans son rle reprsentatif, sy limite avec exactitude et finit par sy puiser. Le langage na
plus dautre lieu que la reprsentation, ni dautre valeur quen elle : en ce creux quelle a pouvoir
damnager.
300
Michel Maffesoli, Le Renchantement du monde, op. cit., p. 23-24.
142
seulement survcu mais a prospr et rgne en matre dans la plupart des secteurs de la
socit. En gros, on peut dire que limage, limaginaire, limagination occupent le devant
de la scne et semblent de plus en plus amens jouer un rle de premier plan, non
seulement sur le plan culturel et artistique, mais aussi sur le plan scientifique et
Dans une telle conjoncture, nous pouvons tre repris par cet automatisme de pense
Cest bien l une autre doxa. Empcher de penser autrement, cest ce quoi tend la
violence pistmologique. Mme si lon narrive pas cerner clairement le rapport entre
Quant leur fonctionnement, il peut y avoir une similitude entre les deux modes de
estime que, parmi les moyens de communication humains, le langage occupe le niveau le
entre laccent mis sur cette similitude et cette hirarchie. Mais, cette hirarchie ntant
que relative, il ny a pas de contradiction relle. Il est crucial de la comprendre dans une
301
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p. 80.
143
vision relativiste. Cest dans une telle relativit ou labilit que lon peut supposer cette
sentiment, Michel Maffesoli ne sous-estime pas les potentialits du langage. Cest ainsi
caractre de notre temps. Finalement, on se rend compte que, dans les faits, langage et
que, loin dtre accessoire, cette raison sensible joue un rle important dans la plupart
des activits langagires. Et cest en ce sens-l que de nos jours, - aussi paradoxal que
cela puisse paratre - avec la floraison mme de limage, le langage est en train de
enfin envisager ceci. Dsormais plus outil de la reprsentation, ni gage des valeurs de la
Modernit en tant que rationnel , le langage tend exister plutt comme manifestation
de sa dimension sensible et ce, moins par son contenu que par son contenant.
Roland Garros en juin 2010. Juste aprs avoir remport, pour la premire fois de sa
remercier sa famille et ses amis, elle sest mise parler en italien et a clat tout coup
en larmes. Malgr sous une scne dextase, dmotion, aurait-elle pu pleurer alors, si elle
navait pas parl en italien ? Nous parions quelle se sentait mue, plus cause de la
(gratitude).
144
En fait, cette anecdote est trs significative. Avant tout, on peut dire que cest un cas
trs rare, compte tenu de la nature de situation. Si, par exemple, ceci avait t le moment
de son dixime titre du Grand Chelem, la situation aurait chang. Mais, au-del dune
question de circonstance, ceci peut tre symbolique, en termes dutilisation des langues.
Cest parce que cest un cas particulier o un locuteur se perd dans sa langue maternelle,
du seul fait quil retrouve sa propre langue, aprs lavoir momentanment quitte par
tant que forme du message , en un lieu o le sujet parlant se perd dans laffinit avec
les autres.
lequel ce quelque chose passe et se passe. Mais, ce qui est essentiel, cest quun tel
langage comme lieu vit aussi dans lusage habituel de la langue en public. En
dautres termes, on prouve le sentiment de cet espace cr par les mots en diverses
consciente302. On peut ainsi constater que le langage nest pas seulement un instrument
Kurt Goldstein souligne ainsi que ds que lhomme use du langage pour tablir
une relation vivante avec lui-mme ou avec ses semblables, le langage nest plus un
instrument, nest plus un moyen; il est une manifestation, une rvlation de notre essence
semblables 303. Michel Maffesoli montre galement que le langage, le mot fait entrer
302
Sur le processus dune telle spatialisation du langage, on peut se rfrer Chang-Hoon Lee, Le
langage est un lieude communication , in Socits, n 121, Bruxelles, De Boeck, 2013/3, p. 83-91.
303
Kurt Goldstein, Lanalyse de laphasie et ltude de lessence du langage , in Henri Delacroix et al.,
Psychologie du langage, Paris Alcan, 1933, p. 495. Cit par Walter Benjamin, Problmes de sociologie
du langage , op. cit., p. 43.
145
parle pas mais on se parle. En ralisant cela, loin de ntre quun simple instrument
comme porteur daffect, constitue en lui-mme cette place sur laquelle se droule la
vie sociale. Dans le mme registre, on peut rsumer notre propos par ce passage de
Walter Benjamin :
Par consquent, on peut dire, sur le plan sociologique que, non plus comme outil
langage constitue en lui-mme un lieu o se droule la vie sociale. Cest bien dans
cette perspective que nos slogans publicitaires numrs, avec leur dynamique
linguistique, formeront un langage spcifique dans lequel aura lieu une nouvelle
forme de socialisation.
304
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit. p. 197.
305
Walter Benjamin, Sur le langage en gnral et sur le langage humain (1916), in uvres I, traduit par
Maurice de Condillac, revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio essais , 2000, p. 143-144.
146
tre recommences et que, sagissant des seuils , ils devraient tre changs 306.
Pourtant, une fois quun systme de reprsentation sest rigidifi sur le plan sociologique,
il y a toujours du mal sadapter une ralit nouvelle. cet gard, Michel Maffesoli
lvolution (ou linvolution) sociale. Il sagit l dune loi scientifique qui fait que pour
galement changer.
publicitaire sengage justement dans cette volution de ralit. Or, cette d-simultanit
sy imposant, les choses ne sont jamais aises. Ainsi, nous sommes bien confronts un
devient un lieu o se tisse le lien social. Mais, tout cela partir dune perception
sociologique 308, esquiss par Georg Simmel et introduit dans la sociologie franaise
306
Gilles Deleuze et Flix Guattari. Mille plateaux. Capitalisme et chizophrnie2, op. cit., Paris, Minuit,
1980, p. 546.
307
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, op. cit., p. 244.
308
Selon Emmanuel Kant, la connaissance des phnomnes naturels nest possible que parce que lesprit y
projette des formes (ex. lespace et le temps). Selon lui, lexprience du rel se rduirait une rhapsodie
de sensations , si elle ntait pas organise par les formes de la connaissance . De faon analogique, la
notion centrale de la pense de Max Weber, lidal-type est llaboration dune forme mentale qui
permet dinterroger et dinterprter la ralit sociale. Il est bien dcrit dans son passage suivant : On
obtient un idal-type en accentuant unilatralement un ou plusieurs points de vue et en enchanant une
147
par Michel Maffesoli, dont lessentiel peut tre rsum en disant que la sociologie tudie
les formes de la vie sociale en tant que des contenants opposs leurs contenus 309.
Le dfi mthodologique qui nous attend se rsume donc ainsi : Comment envisager les
formes de la vie sociale partir des pratiques langagires ? Il dagit pour nous de tenter
sans les rduire les valeurs plurielles et parfois antagonistes de la vie courante. 310
tant que nouvelle approche sociologique du langage. cet gard, on peut citer cette
remarque profonde de Michel Maffesoli : Que le langage soit socit est une chose
admise.311 partir de cette formule lapidaire, nous pouvons considrer au moins deux
lments, qui vont nous servir de clef de vote pour lensemble de notre approche
mthodologique.
Cette quation maffesolienne ne veut pas dire que le langage serait une simple
de la prise de conscience que lon peut comprendre toute une socit travers son
langage. Mais, au fond, on doit sinterroger sur le contexte de cette mtaphore, car celle-
ci mme nous laisse entendre quil existe un biais dans le rapport entre le langage et la
vie sociale.
multitude de phnomnes isols, diffus et discrets, que l'on trouve tantt en grand nombre, tantt en
petit nombre, par endroits pas du tout, qu'on ordonne selon les prcdents points de vue choisis
unilatralement pour former un tableau de pense homogne .[Max Weber, Essai sur la thorie de la
science, 1904-1917, traduction partielle par Julien Freund, Plon, 1965, p. 181.]
309
Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire, op. cit., p. 20.
310
Ibid., p. 105.
311
Michel Maffesoli, loge de la raison sensible, op. cit., p. 197.
148
Dans les temps anciens, une certaine vie sociale allait de pair avec un certain usage
Moyennant lart profane de lavocat, chacune des deux parties devait sefforcer de
convaincre, sans souci de la vrit, qui devait tre dgage par le juge. Or, dans lEurope
du XVIIIe sicle, la rhtorique cde le pas la logique, et on met laccent sur lobjectivit
Lumires313. On se rend compte que cest la consquence de la sparation entre les mots
et les choses que lon a voque plus haut. Ici, il ne faut pas oublier le fait que, mme si
les mots et les choses devraient tre spars, cette sparation ne se droulait quau sein de
la socit, sans que ni les mots, ni les choses, ne disparaissent jamais. On ne doit pas
la vie sociale nouent en effet un rapport de trajectoires associes, dans la mesure o leurs
sentrecroiser dautres, mais o toujours, quel que soit laspect du rapport institu entre
les mots et les choses, le langage nest jamais dissoci de la vie sociale. Il est donc
impossible de sparer le langage et le monde au sein duquel il apparat et vit, car il en est
sparation entre le langage, le corps et lesprit des locuteurs, les coutumes et les
312
Depuis Aristote et Cicron, lart de convaincre ou rhtorique avait t un pilier de tout
enseignement. Mais le sicle des Lumires, la tradition savante, privilgient une conception rationaliste :
sparation de laction et de la parole, dsir de dcrire le monde objectif et dopter pour laction en fonction
dune reprsentation matrise, primat des savoirs sur les savoir-faire. Depuis lors, la rhtorique produit des
figures en tant quoprations supplmentaires.
313
En termes leibniziens, le langage et la ralit sont des monades sans rapport effectif, mais qui, grce
une harmonie prtablie, se dveloppent paralllement.
149
Benveniste314.
sociologie est all videmment son fonctionnement social. Or celui-ci tant alors
entendu ncessairement comme pouvoir des mots , toutes les interrogations ont
converg vers lorigine dun tel pouvoir. Sur cette question, on constate deux positions
diamtralement opposes.
pouvoir des mots leur viendrait deux-mmes, rsiderait dans les mots eux-mmes.
Oswald Ducrot va dans ce sens, par exemple, quand il dclare que laction des
interlocuteurs les uns sur les autres nest pas un effet accidentel de la parole, mais elle est
prvue dans lorganisation mme de la langue. Celle-ci est donc bien plus quun
instrument pour communiquer des informations : elle comporte, inscrit dans la syntaxe et
le lexique, tout un code de rapports humains. 315 partir dune thse Quand dire,
cest faire , John Langshaw Austin estime que certaines pratiques langagires elles-
Sapir-Whorf316 confre un grand pouvoir aux mots quand elle suppose que la langue
314
Charles Bailly, Le Langage et la vie, Genve, Droz, 1965, p. 20-22; mile Benveniste, Lhomme dans
la langue in Problmes de la linguistique gnrale, I. Paris, Gallimard, 1966, p. 223-285.
315
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1980, p. 97.
316
Philippe Blanchet, La Pragmatique. DAustin Goffman, Paris, Bertrand-Lacoste, 1995, p. 68 :
Travaillant sur les langues et cultures amrindiennes, lethnolinguiste amricain E. Sapir dcouvrit vers
1950 que la vision du monde, le dcoupage analytique de lunivers par lindividu et par le groupe, sont en
relation troite avec sa langue. Cela dcoule aisment des thories modernes du signe interprtant .
Pour les linguistes, les langues ne sont ni des nomenclatures, ni des calques de la ralit. chaque
langue correspond une organisation particulire des donnes de lexprience . [Andr Martinet, lments
de linguistique gnrale, op. cit. p. 12.] Sapir alla plus loin en mettant lhypothse que le lexique impose
une certaine exprience du monde au locuteur, et fonctionne ainsi comme un puissant instrument de
socialisation lintrieur dune communaut culturelle.
Son disciple B. Whorf radicalisa cette hypothse vers 1970 en ltendant la logique grammaticale.
Pour lui, la langue modle la pense. On aboutit un relativisme total : lanalyse du monde est contrainte
par la langue. Des drives ethnocentristes choquantes du type les langues structure complexe
150
contient une vision propre du monde, qui organise et conditionne la pense et en est, de
le fait quon pense seulement la suite et dans le cadre dune tradition de pense.
extrinscisme. Pour Pierre Bourdieu, le sens comme effet pragmatique viendrait aux
mots de lextrieur et lacteur ne prononcerait alors jamais que des paroles rituelles
accompagnant un faire extrieur317. Dans une telle option, le sociologue doit montrer
Ntant dfendues leur tat pur par personne, ces deux positions extrmes sont
formules pour tre prtes ladversaire de manire polmique. On peut dire que le
pouvoir des mots ne rside ni totalement dans leur intrieur ni exclusivement leur
extrieur . De manire la moins errone possible, on peut dire que le pouvoir des mots
leur vient dune manire dont rendent compte ces deux thories prises la fois. Or, ce
du langage.
Pour une vision privilgiant lextriorit, tant donn que ce sont les conditions
pouvoir des mots risque dtre nave. La sociologie classique dans son ensemble a
tendance croire que le sens social des mots doit exister, dune manire indpendante,
impliquent des civilisations plus avances en ont t tires, le qualificatif complexe tant trs subjectif.
Cela provoqua un certain rejet de lhypothse, y compris de la thorie plus modre de Sapir.
Pourtant, les travaux ethnolinguistiques rcents, par exemple sur la vision des couleurs, ont dmontr que
si la perception oculaire est identique chez tous les humains, linterprtation mentale, et donc
lidentification des couleurs, est bel et bien organise par le vocabulaire de chaque langue. Ainsi Aristote,
croyant dgager une logique universelle, ne faisait que dgager celle que sa langue construisait en
interprtant le monde.
317
Selon Pierre Bourdieu, un acte nest performatif, les mots nont de pouvoir, quen tant quils
reprsentent le pouvoir de celui qui les produit. Un juge qui condamne ne condamne que parce quil est
juge, il ne parle pas en son nom personnel mais au nom de linstitution. Bourdieu prtend que ce pouvoir
na de valeur que dans les rapports sociaux, les mots tant des moyens symboliques de reprsentation. Le
rle social du langage serait alors limit lordre idologique. En dautres termes, le langage ne serait
quun reflet. Il suppose quentre la ralit et les discours, stablit une stabilit fonctionnelle travers
des usages rptitifs, et appelle habitus les comportements aptes reproduire la structure. Cest ce que
Ce que parler veut dire voulait dire.
151
lextrieur des mots, le langage et la socit tant considrs comme deux substances
avant et ailleurs 318 . Pourtant, pour des courants qui ont davantage insist sur
donner un sens social. Malgr tout, la sociologie est habitue considrer le langage
comme langage tout court (dordre catgorique ). Tous ces courants considrent
objet autonome en sociologie. Cela veut dire quune vritable sociologie du langage ne
compltement fallacieuse, puisque nul ne saurait dire que le sens social du langage na
Pourtant, ceci ne veut pas dire que les mots deviennent par-l automatiquement lobjet
langagiers non plus comme des mots mais comme un discours 319. Car, comme le
remarque Pierre Achard, les discours sont des pratiques, et ne sont dtermins en
dernire instance ni par les pratiques non langagires, ni par la langue 320 . Plus
important, on doit alors considrer le discours non comme quelque chose de passif
mais comme pratique active. Ainsi, selon cette notion active du discours , le langage
318
On peut dire que la position dfendue par Pierre Bourdieu est dans ce sens un double
rductionnisme du langage.
319
Dans un premier temps, nous nous contenterons de dire que discours est entendre ici au sens
largi de mots en situation de communication. Nous y reviendrons.
320
Pierre Achard, La Sociologie du langage, op. cit., p. 17.
152
ne constitue plus un lieu o passent des enjeux sociaux, mais plutt comme le lieu o
se passent des enjeux sociaux. Cest bien de cette faon que le langage lui-mme
pourra devenir le foyer dun questionnement sociologique, plutt que de ntre considr
que comme linstrument de la reprsentation. Et, dans une telle perspective, les mots,
tout en tant loutil de description de toute sociologie, pourront en mme temps devenir
dimension active du langage dans la vie sociale, oublis ou ngligs par la sociologie
classique, doivent servir de point de dpart pour toute sociologie du langage. En effet,
cest cette hauteur seulement quune sociologie du langage authentique devient enfin
possible.
sociaux qui sont en train de soprer dans lensemble de la socit. Pour cela, nous nous
rfrerons aux ides de Michel Maffesoli. Ce sociologue atypique met laccent sur le fait
que les socits occidentales, domines depuis le sicle des Lumires par le rationalisme,
sont actuellement en cours de mutation et se voient peu peu insres dans un nouvel
ordre social. Pour pouvoir lire et dire ce changement social, il propose un nouveau
Il crit :
un peu barbare, mais elle semble ncessaire dans limmdiat pour se dmarquer dun
social galvaud et (peut-tre) finissant.321
paradigme. Il nous semble que, au travers de celui-ci, les ides de Michel Maffesoli
offrent dans leur ensemble de nouveaux horizons prenant en compte la fois les sphres,
rencontrerons certains plus tard. Pourtant, nos yeux, le dnominateur commun toutes
examen minutieux de cette distinction est dautant plus ncessaire quelle concerne,
depuis Marcel Mauss322, Michel Maffesoli affirme que la suprmatie du sujet individuel,
moments de la pense occidentale. Il met aussi laccent sur le fait quelle nest pas une
valeur universelle et atemporelle, et que de plus elle a t parfois fort fragilise. Pour
Tout dabord, Michel Maffesoli indique que dans la littrature cette fragilisation
du moi est de tout temps perceptible. Ainsi, le roman, la posie, les mmoires ou les
essais biographiques font tat dune telle incertitude. Selon lui, la faon dont sexprime
par exemple Marguerite Yourcenar lors de sa rception lAcadmie franaise rend cela
vident : Ce moi incertain et flottant, entit dont jai moi-mme contest lexistence. Je
ne le sens vraiment dlimit que par les quelques ouvrages quil mest arriv dcrire 323.
Il ajoute par ailleurs que le thtre de Samuel Beckett rend manifeste bien lillusion
321
Michel Maffesoli, LOmbre de Dionysos. Contribution une sociologie de lorgie (1982), Paris,
Librairie des Mridiens, 1985, p. 16.
322
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie (1950), Paris, Quadrige/PUF, 1991.
323
Cit par Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 247.
154
dun individu matre de lui et de son histoire 324. En parallle, nous pouvons citer cette
phrase dAndr Gide : Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis, et cela varie
sans cesse, de sorte que souvent, si je ntais l pour les accointer, mon tre du matin ne
reconnatrait pas celui du soir. Rien ne saurait tre plus diffrent de moi que moi-
mme. 325
de la vie quotidienne de chacun. Pour lillustrer, citons un peu longuement ses propos :
Dune part, tout au long dune mme existence chacun mue de multiples fois.
Variations, modifications, conversions, rvolutions, nombreux sont les termes qui
traduisent ces changements. Et ceux-ci affectent son apparence physique dabord, mais
galement ses reprsentations, ses relations amicales ou amoureuses, sans parler de sa
vie professionnelle. Lorsque nous employons une expression commune du type un tel
nest plus ce quil tait , quen est-il du concept didentit ? Dautre part, en un temps
t de son existence, ce mme individu est rarement homogne lui-mme. Pour lun,
ce sera dune manire affiche quil jouera une multiplicit de personnages suivant les
lieux, les occupations, lentourage qui seront les siens. Pour lautre, ce sera de manire
secrte ou sournoise quil effectuera le mme changement de peau. Pour ce dernier
enfin, ce sera pathologiquement quil va vivre le clivage du moi ; la schizophrnie sera
alors son lot quotidien. De quelque manire que cela soit vcu, Doctor Jekyll et Mister
Hyde est bien une ralit incontournable dans la structure du moi empirique.326
Il souligne ainsi que le moi nest quune fragile construction, qui, sans substance
propre, apparat au travers des situations et des expriences qui le faonnent en un
perptuel jeu de cache-cache, par recoupements des multiples changements qui
constituent un mme individu.
Enfin, une approche philosophique327 galement cruciale le montre aussi. Il existe
deux traditions philosophiques sur ce sujet. Dun ct, dans la ligne de Parmnide, le
324
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit. p. 24-25.
325
Andr Gide, Les Faux-monnayeurs, in La Nouvelle Revue Franaise, 1925, p. 75.
326
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 248.
327
Ibid., p. 249.
155
328
Ibid., p. 250.
156
comprendre ces identifications que lon peut analyser la vie sociale partir de ce que
jai appel la labilit hraclitenne. En effet, ct de la dynamique de lOccident
(N. Elias) ont exist ou existent, en dautres temps ou en dautres lieux, des ensembles
sociaux qui ne se comprennent pas partir du pivot de lidentit.329
329
Ibid.
330
Ibid., p. 251.
331
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op. cit., p. 138.
332
Ibid., p. 138-139.
157
Il est dailleurs significatif de noter que ltymologie de personne vient de persona qui
signifiait justement lorigine un masque de thtre , tandis que celle dindividu est in-
dividu , donc indivisible, atomique. Concernant toujours la notion de masque, une ralit que
lon ne doit pas ngliger est que ce masque nous invite, par nature, entrer dans un ensemble
plus vaste333. Sociologiquement, le masque peut constituer en une chevelure extravagante ou
colore, en un tatouage original, en la rutilisation de vtements rtro ou encore dans le
conformisme dun style bon chic bon genre . Dans tous les cas, selon Michel Maffesoli, il
subordonne la personne cette socit secrte quest le groupe affinitaire que lon choisit. Il y
a bien l dsindividualisation, participation, dans le sens mystique du terme, un ensemble
plus vaste. 334 Sappuyant enfin sur cette dimension holistique , la socialit est un
paradigme dans lequel on peut tirer partir des choses, quelles quelles soient, un sens
sociologique qui rattache un ensemble social plus vaste. Finalement, Michel Maffesoli nous
prsente un tableau pour schmatiser le glissement qui selon lui est en train de soprer335 :
SOCIAL SOCIALIT
333
Georg Simmel, Secret et socits secrtes (1908), traduit de l'allemand par Sibylle Muller, postface de
Patrick Watier, Strasbourg, Circ, 1991. Lauteur insiste justement sur le rle du masque, dont on sait quil
a, entre autres fonctions, celle dintgrer la persona dans une architectonique densemble.
334
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 165-166.
335
Ibid., p. 19.
158
sensibilit de lusage du langage. Cest ce que nous allons essayer de rendre tangible
sappuient sur divers domaines. Il semble que le domaine langagier puisse bel et bien y
figurer. Pourtant, puisquil savre que le langage lui-mme constitue un ordre tout fait
spcial, dans lindissociabilit et ltroitesse du lien quil a avec la vie sociale, nous
sommes dans la ncessit de le repenser par rapport ces paradigmes sociaux. Il sagit
langagires.
cet gard, on peut formuler lhypothse quil y a deux manires de penser. Dune
part, si lon considre que le social est le seul et unique paradigme dominant tout, on
naura gure de raison de mener une nouvelle rflexion sur les domaines sociaux, car ils
ne constitueraient, dans ce cas, que des ralits sociales qui peuvent tre conues de
politique, conomique, culturel, etc. qu la faon dont nous les avons apprhends
il faudra une nouvelle vision pour chaque sphre concerne. Parce quil faut alors
considrer que prdomine dans la socit un nouvel ordre duquel un sens socital peut se
dgager, moins que cette socialit devienne, son tour, le seul et unique paradigme
dominant tout.
Dautre part, supposons, quel que soit le paradigme, que le langage ne soit
considr que comme un matriau neutre et quil ny ait aucun ordre propre qui le
rgisse du point de vue social. Dans ce cas, son objet ne pouvant tre constitu comme
159
spcifique, une sociologie du langage narrivera mme pas se dfinir, comme nous
communication, dans laquelle les individus locuteurs sont supposs avoir des rapports
langaginal , pour souligner ces dimensions essentielles du langage que sont laffectif
cette nouvelle perspective sur le langage comme tre vivant que lon peut rendre compte
pragmatique. Quel peut donc tre le rapport entre cette force pragmatique et ces
fait entre pouvoir et puissance : Le pouvoir est institu sous ses diverses formes:
culturelle, religieuse, sociale, conomique, alors que la puissance est instituante. 338
336
Lextrapolation de cette logique la sociologie gnrale est significative. Si les diffrents domaines
sociaux do un sens sociologique se dgage nont pas leur ordre propre et sils ne constituent que des
matriaux physiques inertes vous se mouler dans certains concepts prtablis par la sociologie, la
sociologie demeurera une mta -science abstraite qui naura ni objets dtude ni sous-disciplines.
337
Le mot langagier sera utilis dornavant, soit pour dsigner ce paradigme idologique, soit, de manire
neutre pour parler, par exemple, dun fait langagier , de pratiques langagires , etc.
338
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. I.
160
Cette distinction nous semble trs opportune aussi pour mieux mettre en vidence
en quoi consiste la nature de la force des mots. Tout dabord, nous pensons en effet que
le langagier peut tre mis en corrlation avec le pouvoir des mots. En ce sens, ce que la
favoris, des fonctions telles que celle d outil du maintien du pouvoir , de moyen de
rien mditer quant la force des mots. En ce sens, par rapport au champ dexprience
possible de la sociologie, ce ne sont que divers aspects du pouvoir des mots qui ont t
relevs par certains auteurs. Il est gnralement admis que Pierre Bourdieu a tent
proccupation sest limite un cadre trop restreint dans la mesure o, lieu des changes
fasciste ; car le fascisme, ce nest pas dempcher de dire, cest dobliger dire. Ds
quelle est profre, ft-ce dans lintimit la plus profonde du sujet, la langue entre au
service dun pouvoir 339, nest-ce pas, l encore, une vue un peu restreinte du langage ?
De son ct, quand Umberto Eco dclare : Le langage est, par dfinition, la machine
On rencontre souvent de semblables cas, o le pouvoir des mots agit en tant que
mots du pouvoir . Ainsi, lorsque lon parle du sens social des mots, il sagit du pouvoir
des mots, mais compris comme si son origine demeurait en dehors des mots, quelle que
puissance des mots. Ce paradigme considre les mots avant tout comme des tres actifs
aborderait les mots plutt comme foyer de latmosphre que comme moyens de
lidologie . Quand ils sont cependant utiliss comme moyen, ils doivent alors dabord
tre vus non comme moyen de domination , au sens dinstruments de maintien dun
certain rgime politique ou social en place, mais plutt comme moyen de maintien ,
faire, sans pass, sans mmoire, sans attaches idologiques, simple piphanie
apparaissant en son lieu propre. 341 Par contre, pour le langaginal, il sagira de
fortement rgls aussi bien que dans les changes anodins, spontans et non rgls
une invitation faire sentir , avec pass, avec mmoire, avec attaches
Lorsque ces paradigmes sont considrs dun point de vue thorique, la socialit
langagire peut alors tre conue comme le mariage de deux formes, sociale et
quune vision sociale doive recouper mcaniquement et contractuellement une vision sur
le langage sous le prtexte de ce fait simple et indniable que le langage ferait partie de
341
Jean-Jacques Thomas, La Langue vole. Histoire intellectuelle de la formation de la langue franaise,
Berne, Pater Lang, 1989, p. 7.
162
dynamiquement lie un trajet, dans la mesure o ce sont tantt les lments purement
sociaux (en tout cas envisageables comme tels thoriquement) qui passent au premier
plan, le langage restant alors en retrait derrire les autres activits de la socit ; tantt,
qui jouent le rle essentiel sur le devant de la scne, spcificit du langage dominant.
Dans cette relation trajective o les lments composants restent mutuellement relatifs,
langage trouve enfin son autonomie comme objet dtude de la sociologie, sa vie et sa
dynamique tant alors toutes deux reconnues. Une telle perspective se fonde sur les trois
processus lmentaires de la langaginalit que nous voudrions examiner dans ce qui suit.
symbole, cest--dire sans perdre leur statut linguistique, smiologiquement parlant. Mais
comment est-ce possible, puisque la nature du symbole est essentiellement sociale ? Pour
aborder cette question, commenons par examiner ltat des connaissances actuelles sur
On comprend gnralement les mots comme tant des signes , soit dans le sens
342
En effet, tant que, le langage ne sera considr que comme un fragment issu mcaniquement du jeu des
forces sociales, tant sur le plan matriel que sur le plan idologique, lexpression social langagier naura
aucun sens. Parce que le social seul suffira, le langage sy subordonnant. Avec le langagier, on ne
parviendra jamais une vraie sociologie du langage. On aura beau dsigner le langage comme le domaine
dune recherche sociologique, les mots, ainsi apprhends, ne pourront sy constituer en vritable objet.
343
Charles Sanders Peirce distingue entre indice, icne et symbole selon le lien des signes avec leur
rfrent. Lindice est un signe qui renvoie lobjet dnot, parce quil est rellement affect par cet objet,
tels le symptme dune maladie, la baisse du baromtre, la girouette qui montre la direction du vent, etc.
Une icne est un signe qui renvoie lobjet quil dnote simplement en vertu des caractres quil possde.
Nimporte quoi, qualit, individu existant ou loi est licne de quelque chose, pourvu quil ressemble
cette chose et soit utilis comme signe de cette chose. Cest le cas, par exemple, des chantillons, des
163
embarrasse, cest que, dans ce cas, on fait abstraction de la dimension concrte des
choses. En fait, le problme apparat lorsque cette abstraction met trop en avant, ou bien
langagires.
communication, telles quelles sont ordinairement conues, ont pour clef quelques
postulats extrmement idaliss. Il nous parat utile den relever ici les limites. En
premier lieu, il est admis que la langue est un systme abstrait, actualis dans la parole,
comptence est matriellement inscrite dans le corps, dans les gnes et les circuits
neuronaux, elle est, vis--vis des actes concrets de parole, dans la mme position que,
pour reprendre une expression servant la critique de cette conception par Jean-Jacques
Lecercle, la sonate vis--vis de ses interprtations 344. Cest en cela quune existence
ainsi conue nest quidale et immanente. Pourtant, loin dtre une entit immanente, le
En second lieu, il sagit du postulat que le langage est un code fixe, quune langue
est un ensemble de rgles, que ce qui est pertinent pour ltude du langage, ce nest pas la
systmatique 345 . Toutefois, une langue nest pas un systme homogne, mais un
langue nest pas entirement chaotique, elle nest pas entirement systmatique non plus.
onomatopes, des images, etc. Enfin, le symbole renvoie lobjet quil dnote par la force dune loi qui
dtermine linterprtation du symbole par rfrence lobjet en question. Cest le cas, par exemple, des
mots de la langue.
344
Jean-Jacques Lecercle, Une Philosophie marxiste du langage, Paris, PUF, 2004, p. 68.
345
On distinguera divers systmes de rgles, divers niveaux hirarchiques du systme : rgles
phonologiques, morphologiques, syntaxiques, smantiques la langue est un empilement de niveaux.
164
Dailleurs, elle nest jamais stable. Il est donc quasi impossible de la figer un moment
que tout dans le langage devrait tre adapt la transmission optimale et efficace de
linformation. Mais, en ralit, cette transparence du langage nest quune illusion. Dune
part, on constate que, lors dune interlocution, il y a un norme dcalage entre ce qui est
mis par lmetteur et ce qui est reu par le destinataire du message. Il est quasi
transmettre son intention par le langage cent pour cent un interlocuteur. Dautre
part, on ne devrait pas oublier que le locuteur lui-mme ngocie son expression avec sa
langue. On ne dit que ce que notre langue nous permet de dire, on parle avec , mais
aussi contre notre langue, et le sens des noncs est toujours un compromis entre ce
que nous voudrions avoir dit et ce que nous dcouvrons, parfois avec horreur, que nous
moment synchronique un autre. Bien entendu, comme toujours avec ces dichotomies
lautre. La diachronie est ravale par la linguistique contemporaine ses marges. Il faut
partiellement systmatique, est aussi partiellement chaotique, non parce quelle est par
nature dsorganise ou partiellement organise, mais parce quelle est la trace dun
Ainsi, on se rend compte que le langage (les mots) en tant que signe linguistique
son opacit et son historicit. Cest partir de ces fondements pistmologiques que nous
des mots na pas de lien immdiat avec ces caractristiques. ct de limage, du son,
lui-mme, en tant que systme des signes et activit sociale, peut tre trait comme un
symbole. Mais lon ne considre pas automatiquement les mots comme symboles de la
mme faon que, par exemple, la balance symbolise la justice . Notre ide est que, la
diffrence des cas o ce sont des objets qui fonctionnent comme symboles, la
symbolisation des mots suivrait un processus spcifique, tant donn quil sagit dune
de la symbolisation deviendrait lui-mme objet symbole. Ici, nous croyons que cette
symbolisation des mots, telle que nous lentendons, se raliserait au travers dune
chosification des signes linguistiques. Elle est envisageable lorsque les signes
Il nous semble que lun des cas les plus manifestes dune telle symbolisation est le
ftichisme . Cest--dire que cest justement le cas o lordre de priorit entre le signe
et ce quil signifie sinverse, de sorte que le signe usurpe la place de ce quil signifie.
mile Durkheim, cet gard, explique bien ce quest le ftichisme, en nous rappelant
que le soldat qui meurt pour son drapeau, meurt pour sa patrie; mais en fait, dans sa
conscience, cest lide du drapeau qui est au premier plan. Il arrive mme quelle
346
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse, op. cit., p. 315 : Si donc la chose
mme ne remplit pas cette condition, elle ne peut pas servir de point dattache aux impressions ressenties,
bien que ce soit elle qui les ait souleves. Cest le signe alors qui prend la place ; cest sur lui quon reporte
les motions quelle suscite. Cest lui qui est aim, craint, respect ; cest lui quon est reconnaissant ;
cest lui quon se sacrifie. Le soldat qui meurt pour son drapeau, meurt pour sa patrie; mais en fait, dans
sa conscience, cest lide du drapeau qui est au premier plan. Il arrive mme quelle dtermine
directement laction. Quun tendard isol reste ou non aux mains de lennemi, la patrie ne sera pas perdue
pour cela, et pourtant le soldat se fait tuer pour le reprendre. On perd de vue que le drapeau nest quun
166
Ce qui compte pour nous, cest que dans ce rapport soldat - drapeau - patrie , le
drapeau, la fois chose, matrielle et image , qui reprsente la patrie, pourrait tre
remplac par des produits du langage . Par exemple, si ce drapeau est tricolore, on
peut imaginer quil puisse tre remplac, titre dexemple, par la devise de la
dans certaines situations, il est possible pour cette formule verbale de jouer le mme rle
que le drapeau qui pour un soldat voque sa patrie. ce moment, on perd de vue que
cette devise nest quun ensemble de signes linguistiques qui nont pas de valeur en eux-
mmes par leur sens, quils ne sont pas ce quils signifient, et lon prend la devise comme
totalit que lon traite comme si elle tait elle-mme la ralit dont elle est issue : la
Rpublique franaise.
davantage dans les mdias, qui produisent une vulgarisation des mots. Pour indiquer
laspect incantatoire que prennent les mots dans les mdias, qui par leur rptition leur
font perdre toute valeur, toute fracheur, tout got, Jean Baudrillard a dit, dans les annes
90 : La guerre du Golf na pas eu lieu . De son ct, Michel Maffesoli donne cet
exemple semblable : La crise nexiste pas 347, afin de souligner ce qui se passe dans
lactualit. Des termes, tels que rupture , crise didentit, globalisation, no, co, bio,
hybride, cyber, naturel, etc. sont de plus en plus repris dans les diverses sphres de la vie
qulectroniques, sans oublier bien entendu le bouche oreille. Ainsi, on se rend compte
bien que, pour quil y ait ftichisme avec des mots, il faut quil y ait chosification des
signes linguistiques.
Pour rendre plus claire notre propos, nous allons comparer la symbolisation des
signe, quil na pas de valeur en lui-mme, mais ne fait que rappeler la ralit quil reprsente; on le traite
comme sil tait lui-mme cette ralit.
347
Rendez-vous de limaginaire, La dpense et la crise conomique , sance du 19 dcembre 2008,
Fondation dEntreprise Ricard, 12 rue Boissy dAnglas 75008 Paris.
167
La connotation veut dire que chaque signe est compos dune paire SA / S chaque
production du sens. Cest la faon dont fonctionne le sens connot. Or, si un certain
Paris Match sur laquelle on voit un soldat noir rendre hommage au drapeau tricolore, ce
sens connot comme sens smiologique ultime : que la France est un grand Empire,
que tous ses fils, sans distinction de couleur, servent fidlement sous son drapeau 348.
Mais ce sens nest valable que sous condition que tout le processus smiologique se
exemple, un ftichisme pour le drapeau avait lieu, ce sens connot ne se produirait. Cela
veut dire quil peut bel et bien y avoir un dphasage entre une certaine vision
En revanche, dans le cas du drapeau cit par mile Durkheim, le sens connot
ne serait que le sacrifice du soldat sa patrie. Pourtant, on se rend bien compte quil se
peut que la ralit ne soit pas celle-l. Cest ainsi que le ftichisme et la connotation
sopposent, du fait que le premier est un cas o seul le signifiant merge, alors que le
rsultat dun schma smiologique pyramidal revient lapplication mcanique dun sens
o il ne peut plus voluer, vivre. On pourra penser par exemple que le soleil ,
un caractre mle, etc. Tenter de gnraliser cela toutes les situations ne serait que la
tentative pour faire croire que la smiologie doit considrer les connotations comme fixes.
348
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 189.
168
Cest finalement une vision mcanique, idalisatrice et abstraite qui vise une
gnralisation fonde sur des ides convenues, sans prendre en compte les choses dans
les situations relles. On peut imaginer que ce soleil glorieux peut recevoir le sens
d un soleil noir . On en arrive ainsi voir quune connotation peut ntre quune
crature idale qui relve dun laboratoire de smiologues, au lieu dtre un certain sens
qui mane dune certaine situation relle. Cette mthode qui considre un symbole
comme en rapport dfinitif avec une connotation est la mme que celle du fameux lit
smiologique) et le sens externe (sens social), sans aucun intermdiaire entre les deux.
En effet, un lment smantique qui aura pu tre dtermin comme connotation fixe
pourrait ntre, en amont, que le produit dune sdimentation de sens, qui se fera forme
au cours de lvolution dun contexte la fois historique, social, psychologique, mais qui,
en aval, sera lui-mme en mme temps un objet se trouvant pris dans le processus ternel
En fait, cette symbolisation oprant sur les mots aurait ainsi le caractre de limage.
La symbolisation sincarnerait comme une sorte dillusion. Or, nous pensons que ce
phnomne peut tre attribu la nature mme des signes. En dautres termes, les mots
peuvent avoir, travers leur chosification (le ftichisme), le fonctionnement qui est
procur par une icne et un indice. En ce sens, la symbolisation fonctionne comme une
Pour clore notre propos, considrons cette symbolisation des signes linguistiques
lensemble de lusage du langage, des discours les plus officiels jusquaux conversations
les plus anodines, et ce, de diverses manires: mdias, publicit, littrature, tlphone,
Internet, dialogues, etc. Pour expliquer ce phnomne qui est finalement devenu
symptomatique de lpoque, Michel Maffesoli dit : Tandis que le signifi est mort, le
169
signifiant survit. 349 Sil en est ainsi, il se peut que tels mots spcifiques - pas pour ce quils
signifient mais en tant que mots eux-mmes dont seul le signifiant compte - parviennent
contexte . Depuis un certain temps, on entend dire que le sens, quel que soit le
domaine concern (politique, conomique, social, artistique, culturel, etc.), se dgage par
notion de contexte doit beaucoup la pragmatique linguistique, qui sest trs dveloppe
contexte 350. Or, vu sous un autre angle, il se peut quun passe-partout risque de ne
rien apporter. Cela signifie que le recours aveugle au contexte , son invocation
mcanique, peut susciter lnorme illusion de croire avoir expliqu quelque chose aussi
est en principe tout ce qui entoure cet lment. Lorsque X est une unit verbale,
349
Lors de son sminaire, Sociologie du mal II , Amphithtre Durkheim, Sorbonne, anne 2001-02.
350
Marie-Anne Paveau et Georges-Elias Sarfati, Les Grandes thories de la linguistique, Paris, Armand
Colin, 2003, p. 208.
351
Quil soit linguistique ou non linguistique, le contexte peut tre envisag de faon troite (contexte
immdiat) ou large (contexte tendu), cet axe tant bien videmment graduel. En ce qui concerne le
contexte non linguistique, relvent par exemple du contexte troit (ou micro) : le cadre spatio-temporel et
la situation sociale dans lesquels sinscrit lchange communicatif, les participants cet change (nombre,
170
des noncs nest dtermin exclusivement, que par lune des deux natures du contexte,
linguistique ou bien non linguistique. Dans une telle optique, selon le cas, soit seuls les
mots valent comme pour Oswald Ducrot, soit seuls les rapports sociaux comptent,
effectues par les locuteurs. Cette suggestion sassortit de trois corollaires : selon le
est en cause. Il sagit non plus dune connexion syntagmatique triviale mais bien plutt
dun rseau, associatif, aux connexions multiples. Le second dit que le contexte diffre
La seconde proposition sappuie sur lide dHerman Parret selon laquelle le sens de
lobjet pragmatique est dtermin par son positionnement dans un contexte et surtout
par sa force de contextualisation 353. Il faut bien avoir lesprit que lobjet et son
contexte ne sont pas des entits stables et autonomes : ils nexistent que dans une
contexte est toujours leffet provisoire dune contextualisation. Cet effet provisoire est
caractristiques, statuts et rles, ainsi que la relation quils entretiennent), le type dactivit dont il sagit, et
les rgles qui le rgissent (contrat de communication). Relve du contexte large lensemble du contexte
institutionnel, le contexte se prsentant alors comme une srie sans fin dembotements : de mme que le
cadre physique ultime, cest lensemble du monde social physique, de mme le cadre institutionnel ultime
est lensemble du monde social (et lon pourrait en dire autant du cotexte, qui par le biais de lintertexte,
recouvre une tendue discursive thoriquement illimite.) [Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau
(sous la direction de), Dictionnaire danalyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 134-135.]
352
Blanche-Nolle Grunig, Conception dynamique du contexte , in La Linguistique, vol. 31, 1995,
p. 5-13.
353
Herman Parret, LEsthtique de la communication, Bruxelles, OUSIA, 1999, p. 7.
171
multiple et extensible : les objets, les tats de faits, les vnements constituent des
contextes, mais les mondes possibles galement, tout comme les mondes fictionnels de
n'est point unilatrale, mais autant dialogique que trajective. ce niveau-l, nous
devrons rflchir, en particulier, sur les types de contexte que forme le texte lui-mme,
semble en effet que ce quest le texte (mots, nonces, discours, etc.), habituellement
considr comme entour de facteurs non linguistiques, nest pas suffisamment pris en
Les contextes relevant dnoncs sont cruciaux, aussi longtemps que ces derniers,
matriau verbal, sont considrs comme des porteurs primitifs de sens . On constate
souvent que ce sens primitif des noncs peut devenir un paramtre dterminant pour
senracine dans ces noncs eux-mmes au fur et mesure quils deviennent un contexte
dterminant. Mme si cela parat peu plausible, nous vivons ces expriences au quotidien.
Si les mots existent en dehors de la communication, ils ne seraient plus quun amas de
matriaux verbaux. Dans cet tat, semblables aux mots dans le dictionnaire, ils ne sont
plus que les composants dune substance virtuelle dont le sens nest gure dtermin
a priori. Il sagit, seulement, dune signification phrastique, non dun sens pragmatique
354
Ibid. Par ailleurs, en linguistique, Robert Martin met en vidence le fait que le locuteur vit dans tous
ces mondes possibles dans son quotidien, au travers des divers niveaux de sa pratique langagire :
temps, smantique, conditionnel, subjonctif...[Robert Martin, Pour une logigue du sens, Paris, PUF, 1983,
p. 103-161.]
355
Ainsi, le contexte est en mme temps construit dans et par la faon dont la contextualisation se
droule ; dfinie dentre, la situation est sans cesse redfinie par lensemble des vnements discursifs.
172
rel et social. Par contre, ds que ces mots entrent dans des noncs en situation de
dgagement dun sens envisageable des noncs. Et, ce sens nat grce la
contextes qui senracinent dans les noncs eux-mmes, nous allons, pour notre part,
Lorsque lon considre le contexte comme une sorte de force, il est utile demprunter
Ces grandeurs scalaires, qui sont pour ainsi dire indiffrentes la situation dans
lespace de lobjet mathmatique quelles quantifient, cest--dire indpendantes de
toute notion dorientation ou de direction, sopposent ainsi aux grandeurs vectorielles,
pour lesquelles ces notions interviennent : en physique, une force, une vitesse sont des
grandeurs vectorielles, car elles ne sont pas caractrisables uniquement par leur mesure,
mais aussi par leur direction.356
dans lequel les mots (dictionnairiques) deviennent des noncs (situationnels). Pourtant,
cette notion rhabilitant les mots nexplique pas toutes les tapes et les vnements qui se
les conditions dans lesquelles des mots peuvent devenir un contexte. Nanmoins, un tel
Les contextes dont nous parlons sont en effet ceux qui se trouvent au-del de ce
niveau de lactualisation. Dans la notion dactualisation, les mots sont considrs dune
manire neutre. En dautres termes, chaque mot a la possibilit dtre interprt dune
contextes scalaires les contextes que constituent les noncs qui, thoriquement ,
356
Stella Baruk, Dictionnaire de mathmatiques lmentaires, Paris, Seuil, 1992, p. 1096.
173
nont aucun rapport pralable de direction. Sagissant de tels contextes neutres , les
En revanche, une observation plus prcise nous fait comprendre quil existe des
noncs dont lorientation interprtative est dj fixe , et ce, dune manire obstine.
Nous appelons les contextes attachs ce genre dnoncs contextes vectoriels . Cela
revient dire que, dans les pratiques langagires, il y a un certain nombre de mots et
dexpressions qui ne peuvent pas tre interprts autrement, au fur et mesure que,
devenant un contexte, ils sont dj orients, motivs, penchs dans une telle direction.
dans la communication, ce genre dnoncs, par leur existence seule , jouent un rle
entre les contextes, tant donn que tous les mots peuvent tre orients vers tel ou tel
sens par lactualisation. Pourtant, en ralit, il peut y avoir des rapports motivs entre
les noncs et les contextes quils forgent : cest la notion de contexte vectoriel . Les
langage sappuie sur ces notions. Ainsi cet usage, de lchange trivial quotidien au
document rigoureux, repose sur les mots qui nont jamais le mme poids smantique et
expressif. Nous pensons quil est important de remarquer que les mots nont pas, un
important pour les secteurs de la communication, cest parce que cest dans de tels
357
Herman Parret, LEsthtique de la communication, op. cit., p. 7.
174
contextes que divers enjeux sont engags de manire privilgie. Remarquons quel
point les discours mdiatique, politique et publicitaire sont inspirs par cette spcificit
nous soulverons ici porte sur le sujet parlant. Les esprits se focalisent naturellement sur
la question Qui parle ? . Nous avons dj effleur ce sujet plus haut, au plan
Pour des esprits srieux , cette question peut sembler navoir aucun sens, car, en
tant quacteur social libre, un individu est suppos avoir envie de communiquer pour
transmettre ses ides ou une information autrui. Il a donc un vouloir dire originel.
comptence linguistique de cet individu. Toute nonciation a lieu dans une situation
donne. Par consquent, cest bien videmment le locuteur qui parle , en tant que
matre du code de la langue et contrleur du message quil produit. Le texte est donc
lexpression de ce sens que le locuteur originel voulait communiquer : ce que je dis, cest
ce que je veux dire. Le sens de lnonc est fonction de lintention de sens du locuteur.
Pourtant, un doute survient vite quant cette matrise du locuteur. En fait, nul ne
peut matriser la langue, ni mme sa propre langue. La langue nest jamais matrisable.
Parce que le contenu affectif passant lexpression nest pas toujours conscient. La
transmission dune information peut ne pas tre un acte aussi dlibr que lon voulait le
supposer. Nous sommes donc loin dune pleine possession de la langue par le locuteur.
de linnommable. La langue nest alors plus un simple instrument, elle semble avoir pris
son indpendance. Cest la langue qui parle : elle suit son propre rythme, sa propre
Finalement, on pourra dire que, tantt je parle la langue mais que tantt cest
la langue qui guide mon dire . On fait dailleurs quotidiennement cette exprience. Il
sagit des lapsus, des clichs, des citations, des chos... Ici, il faut dailleurs noter que la
frquence de telles productions nest pas un lment dcisif pour dterminer qui a
Au vu de tout cela, la question du sujet parlant est dautant plus cruciale que, sur le
plan social, un locuteur ne peut tre quun acteur social. Dans cette mise en cause du
statut du sujet parlant, nous allons nous rfrer une recherche donne dans le cadre des
sciences du langage. Il sagit dun article intitul Plusieurs pragmatiques , dans lequel
verra comment un locuteur, individu qui parle et qui crit, peut se transformer en
prsence face face de deux individus concrets qui se parlent 359. Lossature de cette
variable suivante : LOCo, t0 l0, RECEPTo . Lexpression indexicale, parce quelle est,
communication. Il faut remarquer cependant que toutes les rgularits qui ont fait son
attrait ne tiennent que si lon considre, de la faon la plus terre terre du monde, que
tous les participants, locuteur et rcepteur, et les lments situationnels prennent des
358
Blanche-Nolle Grunig, Plusieurs pragmatiques , DRLAV (Documentation et recherche en
linguistique allemande contemporaine, Vincennes), n 25, 1981, p. 101-118.
359
Ibid., p. 102.
176
locuteur ne peut pas tre vu autrement que comme un paquet dos et de cordes
vocales 360 mont sur deux pieds fortement ancrs dans la glbe.
Cest que cette thorie peut tre conteste. Dune part, si lon sautorise penser
que le locuteur prend sa valeur dans un ensemble dintentions, alors il ny aura plus cette
rgularit remarquable des variations. Par exemple, Dupont qui dit Je et Durand,
sujet diffrent, qui dit Je peuvent bien tre mus (mis en action) par la mme
intention . Dautre part, si lon considre par exemple que locuteur et rcepteur ne
prennent pas leur valeur dans ce concret osseux de leur corps phonatoire, mais dans des
idologies, alors on pourra constater, dans bien des cas, une disparition de la
confrontation Locuteur / Rcepteur. Tous deux, alors mme que leur point de dpart est
Cela a pour effet quil peut ne pas y avoir de polarit forte, en dpit de leur
opposition concrte dans la relation Locuteur / Rcepteur. Ils seraient en ce cas comme
rduits tre alternativement bouche et oreille sinstituant pour soutenir un discours qui
les domine lun et lautre. Comme lauteur le fait bien remarquer, ceci ne veut
videmment pas dire que ce qui parle par la bouche concrte quest le locuteur qui
occupe la valeur nest pas dun intrt essentiel. Mais ce qui matrise en pareil cas le
discours ce ne sont pas les locuteurs, mesure que la polarit disparat. Il faut dans une
situation de ce type recourir une autre analyse que celle mise en uvre par la
concret se voit comme se livrant une certaine activit. Il soriente dans lespace-temps
360
Ibid., p. 104.
177
actes de langage . Cest bien videmment la pragmatique qui se place sous la houlette
de John Langshaw Austin et de John Rogers Searle. La leon essentielle de ces auteurs
est dinsister sur le fait quune nonciation nest pas ncessairement une assertion (une
t, par Austin et ses successeurs, recherche avant tout dans un examen, tonnamment
lexcution de ces actes qui seraient autres que de simples assertions. Cest ainsi que
sest dgage la caractrisation - assez approximative, il faut bien le dire - dune formule
fait 362 . Cette pragmatique de la performativit est bien connue mais encore trs
controverse.
des rapports interindividuels tels quils sont dfinis par la juridiction gnrale, et la
361
Ibid., p. 114 : Les travaux de psycholinguistique ont dj une longue histoire. Mais, ce qui est
remarquable, cest que ce soit le linguiste qui se soit tourn vers le psychologue. Ceci, non pour
laider en lui proposant la grille de ses modles mais au contraire pour attendre de lui un
inflchissement de ses modles. On trouve cette tendance notamment chez Antoine Culioli. (Culioli,
Recherche en linguistique (1976). Thorie des oprations nonciatives.) Ailleurs, Noam Chomsky semble
chercher la justification de ses thories dans un inscrit biologique (inn, en loccurrence). Le
rapprochement avec la psychologie est donc, sans doute, un mouvement gnral et la pragmatique ne serait
pas, sur ce point, isole.
362
Ibid., p. 106. Par exemple : Je te baptise A. Je te plains. Je te promets de X. Je tordonne de X. Je
tadjure de X. etc. Une formule au contraire comme Je marche vite. Je ferme la porte. etc... ne serait plus
performative car il ny est plus question dun faire en disant, et une formule comme Je lui ai promis de
venir ne serait pas non plus performative car la simultanit y est perdue.
363
Ibid.
178
ils doivent ds lors tre caractriss par les proprits dont on admet communment
Mais outre cette mise en cause de son dguisement juridique , cette pragmatique
performativit sest vue trahie par ce matriau linguistique auquel elle voulait pourtant -
aisment que lon ne parvient pas tablir une correspondance biunivoque entre un
Aprs avoir prsent les trois types de thories pragmatiques et indiqu certaines de
pragmatique grandes units . Cest enfin cette thorie que nous allons nous
intresser maintenant. En fait, cette thorie concerne un pan entier de la pragmatique, qui
performatifs ou non, ni mme de propositions. Les formes qui se dgagent dans des
textes entiers ( texte pris au sens large) nont plus comme units constitutives des
grammaticale. Les units grammaticales et lexicales sont tout au plus, dans un tel cadre,
lindice dun certain fonctionnement dune grande unit au sein dun tout. Du
matriau verbal aux grandes units il y a une mdiatisation, et la raison pour dgager une
364
Par exemple, soit Acte dInjonction : (1) Fais cela. (2) Peux-tu faire cela ? (3) La porte, s.t.p. ! (4) Il
fait froid. (5) Est-ce que vous pensez rentrer Paris en voiture ? (6) Jai oubli mon parapluie derrire le
fauteuil bleu prs de la chemine du salon... Acte dInterrogation, dInjonction ou dAvertissement : (5)
Est-ce que vous pensez rentrer Paris en voiture ? Ainsi lActe dInjonction peut correspondre aussi bien
(1), que (2) etc. et la formule (5) peut correspondre aussi bien lActe dInterrogation, que celui
dInjonction ou dAvertissement.
179
forme se trouve ailleurs que dans la loi grammaticale, mme si cette raison tient compte
Le socle de cette thorie repose sur ses trois proprits. La premire, primordiale,
concerne son ancrage situationnel large 365. Les textes seraient explicitement situs
dans un cadre social dtermin. Cela peut aller de linstitution officielle (tribunal o se
soign ; cole o matres et lves dialoguent, etc.) jusquaux mille scnes de la vie
quotidienne qui seraient caractrisables comme routine forme fixe. Pour les cas de la
vie quotidienne, on peut imaginer des situations au restaurant (1. Entrer 2. Sasseoir 3.
Consulter la carte 4. Commander, etc.) ou dans une boutique (1. Entre du client A 2.
mme songer aux routines affectives des amants (1. A : Tu maimes ? 2. B : Oui, et toi ?
3. A : Bien sr).
caractrise par le fait quelle sattache souvent des textes (publicit, dbat, plaidoirie,
365
Blanche-Nolle Grunig, Plusieurs pragmatiques , op. cit., p. 111.
366
Ibid., p. 113.
180
propagande...) dont la vise est essentiellement la persuasion. sa faon, elle est donc
Enfin, la troisime caractristique est sans doute quelle privilgie lchange verbal
plus de deux voix et quelle fait se succder des prises de parole diffrentes dans une
mme squence. Mme dans le cas dun monologue, il semble que lon cherche, dans
lesprit qui nous semble tre celui de la pragmatique en question, replacer autant que
faire se peut un Rcepteur face un Locuteur et que le cadre social implicite confre ce
Rcepteur, par exemple, le rle de celui quil sagit de convaincre par un enchanement
argumentatif.
(LOCC) contrl par une pseudo juridiction linguistique ; enfin, dans la pragmatique
grandes units , il est un rle (LOCR), mais pour ne pas dire un pion pris dans le
prsuppose intentions et libert comme cl de vote son difice thorique, ne peut tenir.
Cependant, si lon nadmet plus ce cadre thorique, il faut trouver dautres moyens pour
pouvoir continuer de parler d Acte . On peut sans doute les chercher dans la
quatrime pragmatique voque, o la valeur dune grande unit , dune tape, nest
dfinie que par rapport une squence globale. L Acte , alors dbarrass de ses
connotations intentionnelles, ne serait plus qutape dans une squence et lon pourrait
367
Blanche-Nolle Grunig, op. cit., p. 115.
181
Une fois la pragmatique des Actes de langage rduite et absorbe dans une autre, il
ne nous reste plus que trois thories pragmatiques. Lune, la pragmatique indexicale,
reste la plus assure et la plus communment admise, dans ses objectifs dailleurs
restreints. Les deux autres sont en effet infiniment plus ambitieuses et croisent
Pour rsumer, nous dirons que Blanche-Nolle Grunig, en remettant en cause les
pragmatiques existantes, trop positivistes et abstraites, propose bien une nouvelle vision
thorie la plus terre terre voire la plus positiviste, la linguiste met en vidence le
confr par le cadre social, et ce, tout en le prservant aussi de ce joug contractuel qui
sappelle Acte .
lon peut avoir accs ce qui nous apparat comme la quintessence de ces situations de
communication, de forme trs variable, dans lesquelles cest la langue qui conduit mon
transforme en un rle (mise en persona du sujet parlant). Ils sentre-dterminent les uns
les autres et sappuient sur une sorte de glissement sotrique, en ce sens que dans tous
objectal et que le locuteur, de sujet parlant peut devenir surjet en dpassant son
langage . Cest finalement au travers de celle-ci que le langage devient vecteur dune
possible daccder un autre univers o se tissent sous un nouveau jour des rapports
symbolisation que le langage peut devenir symbole des temps et ce partir de sa nature
quest limage, selon Michel Maffesoli. Pourtant, de telles choses ne sont pas aises
devons donc approfondir une rflexion qui puisse nous rendre plus intelligible le rapport
langage au monde. Car cette question se pose vite, vu que, en parlant, en lisant et en
crivant, le locuteur, individu, se situe dans une situation de hic et nunc, comme
porte jusqu la socit, on pourra penser quune socit mme pratique son langage
368
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 91.
183
sous cette condition ncessaire spatio-temporelle. Ainsi, dune part, des cris et des
passant par le verbalisme dlirant du schizoparanoaque ; dautre part ; dautre part, sur
le plan crit, des graffiti sur les murs aux romans qui tentent le Prix Concourt,
lensemble de toutes ces pratiques langagires constituent le langage dune socit une
monde, ce ne serait quun contact alphabtique au sens fort du terme entre mots et
monde, li cette incontournabilit physique tant sur le plan personnel que social. Dans
ce cas, la notion mme langage comme symbole du temps peut se lire comme une
En second lieu, on peut parler dune connexion dmonstrative . Elle repose sur la
communication, cette connexion mots-monde ne peut reposer que sur la capacit des
mots reprsenter des choses, capacit qui drive de la rfrentialit du signe. Et cest
sur cette reprsentativit que diverses thmatiques concernant le pouvoir des mots ont t
une corrlation entre une telle perception instrumentaliste du langage et les rapports de
Selon une telle vision, le langage ne sert qu exprimer que les caractristiques
dune poque dtermine. On ne reprsentera alors jamais par description que tel ou
locuteur lui-mme sera rduit ce paquet dos et de cordes vocales dont parlait plus
lhomme et son langage disparaissant par effacement mutuelle, seule demeurera deux
184
une fonction dicte par la socit. Dans de telles conditions, une connexion qui soit
instaure finalement par une symbolisation du langage. Cest une connexion qui ne
sopre pas par la rfrentialit du langage. Ou encore, mme si cette rfrentialit opre,
ce qui compte alors nest pas li celle-ci. Il sagit de ces moments o la prise de parole
est dtermine par la nature du cadre social, bien que le locuteur soit prsent, et cela
quelles que soient les situations de communication. Dans cette dynamique, ce sont les
mots qui passent au premier plan en se mtamorphosant en symbole, tandis que le sujet
parlant passe larrire-plan. Lessentiel est que la socit peut alors transparatre dans
un langage ainsi transform en un symbole trs tangible, qui nest plus outil presque
globale. Cela est possible pour autant que le langage devient lui-mme un objet parmi les
mille autres du monde et quil participe cette complexit des choses du monde.
savoir que cela advient lorsque le langage devient lui-mme ralit sociale, en regagnant
En effet, considrer le langage comme symbole du temps dans loptique dune telle
est une entit autonome, qui est munie de ses propres organes, de ses propres rythmes, et
de son me aussi. Afin de pouvoir aborder la comprhension dun tel tat de choses, il
langage, et notamment celle qui le conoit comme objet inpuisable dune mise en
uvre , objet matriser pour vaincre le monde . En effet, nul jamais ne parviendra
matriser le langage. Au contraire, tous seront bien plutt pris ses piges. Cependant
nous sommes cet gard davis que le langage est, comme la nature, non quelque chose
vaincre mais quelque chose avec quoi vivre, ou encore quil constitue ce milieu culturel
dans lequel nous vivons, comme leau pour le poisson, comme la peinture pour le peintre.
185
Cette ide du langage comme milieu culturel est selon certains atteste par
lhistoire. Selon Michel Foucault, pour le XVIe sicle, le langage est plutt chose
nigmatique, qui se mle ici ou l aux figures du monde, et senchevtre elles 369. Pour
cette poque, le langage nest pas un systme arbitraire ; il est dpos dans le monde et
il en fait partie la fois parce que les choses elles-mmes cachent et manifestent leur
nigme comme un langage, et parce que les mots se proposent aux hommes comme des
choses dchiffrer 370. cette poque, le langage tait vcu comme une exprience
Mais il faut cependant prendre en considration lvolution qui a suivi. Parce que
aux choses quil nomme. Pour autant, le langage nest pas spar du monde ; il continue,
mais sous une autre forme, tre le lieu des rvlations et faire partie de lespace o la
vrit, la fois, se manifeste et snonce. Certes, il nest plus la nature elle-mme dans la
visibilit de son origine, mais il nest pas non plus un instrument mystrieux dont
sicle, par rapport toute connaissance, le langage se trouvait dans une situation
fondamentale : on ne pouvait connatre les choses du monde quen passant par lui. Parce
quil tait la premire bauche dun ordre dans les reprsentations du monde ; parce quil
tait la manire initiale, invitable, de reprsenter les reprsentations. Cest en lui que
372 Ainsi, une cohrence a exist, tout au long de lge classique, entre la thorie de la
reprsentation disparat comme fondement gnral de tous les ordres possibles. Cette
369
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
1966, p. 49.
370
Ibid., p. 49-50.
371
Ibid., p. 56.
372
Ibid., p. 308-309.
186
savoir. Le langage devient une figure de lhistoire cohrente avec lpaisseur de son
pass. 373
actuelle ? Nous appuyant toujours sur lanalyse foucaldienne des relations entre les mots
et les choses, essayons une rponse notre manire. Au commencement du monde, mots
et choses ne font quun. Jusquau XVI e sicle, ils adhrent les uns aux autres comme les
deux faces dune pice de monnaie. Aux XVIIe et XVIIIe sicles, ils commencent se
sparer les uns des autres. Cette sparation cause une distance , qui finit par produire
un rel espace dans lequel les mots et les choses peuvent commencer se battre,
limage de boxeurs. Ainsi, aux XVIIe et XVIIIe sicles, les choses, donc reprsentation et
signification, dominent encore les mots. Mais, devenant plus complexe partir du XIXe
sicle, ce rapport prend alors une tournure beaucoup plus sophistique et mouvante. Il
nous semble quaujourdhui ce sont les mots qui auraient tendance lemporter sur les
choses.
Ce qui compte, cest que, quel que soit le rapport entre les mots et les choses depuis
leur sparation, le langage nest jamais vraiment spar du monde. nos yeux, ce
rapport pourrait tre compar au fameux ruban de Mbius. Cela veut dire que les mots et
les choses forment comme un ruban circulaire deux surfaces o lextrieur et lintrieur
ne peuvent tre prcisment distingus. Cependant, certains points prcis du circuit, ils
prennent ncessairement lapparence dune pice de monnaie deux faces. Mais ces
points changent sans cesse de place, mesure que le cercle bouge, et son aspect restera
mobile. Cet exemple montre que le rapport entre le langage et le monde sera toujours
instable, mais aussi que ltre de lhomme et ltre du langage sont ternellement
373
Ibid., p. 14.
187
incompatibles 374 . Pour rsumer cette situation, cet avis de Michel Foucault sera
pertinent : La seule chose que nous sachions pour linstant en toute certitude, cest que
Ainsi, il nous semble que le langage se lie au monde sous la forme de ce ruban
nigmatique que forment les mots et les choses. Selon ce schma ternel, en tant que
dune paisseur historique. Selon une telle vision, la symbolisation du langage sengage
bien au-del dun simple rapport dmonstratif entre mots et monde et les mots et le
monde se lient dune manire qualitative. Cela revient dire que le langage ne reflte
jamais le monde comme un miroir plat, cause dun double dphasage : entre mots et
choses, et entre langage et monde. Ce double dphasage est justement la cause et leffet
cet gard, cette remarque de Michel Foucault est encore pertinente : Il y a une
fonction symbolique dans le langage : mais depuis le dsastre de Babel il ne faut plus la
chercher dans les mots eux-mmes mais bien dans lexistence mme du langage, dans
son rapport total la totalit du monde, dans lentrecroisement de son espace avec les
374
Nous croyons quon doit trouver la cause premire de recherche du langage, dans cette sparation entre
les mots et les choses et dans cette incompatibilit entre le langage et lhomme. Si ces deux distances
sont senties comme nexistant pas (ou si elles sont ngliges), on aura chercher plutt la cause dun
contrle quune cause scientifique, car, lhomme ne devient alors quune simple machine langues .
Cest notamment partir de cette sparation et de cette incompatibilit que la linguistique et la sociologie
du langage pourront trouver leurs lots respectifs. Cela signifie que, si les mots et les choses adhrent les
uns aux autres, la sociologie du langage doit disparatre, la sociologie suffisant. Ainsi, conformment au
double schma du ruban de Mbius, on devrait tudier dans quels endroits un angle plat du ruban se
forme, quels points il y a une forte torsion de cet angle ou mme il disparat, enfin quelles poques ce
ruban se meut vivement.
375
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, op. cit., p. 350.
376
Ibid., p. 52.
188
Cest bien dans une telle perspective que les mots pourraient devenir figure du
monde. Une figuration envisage de cette manire est donc concevoir comme rsidant
non dans la fonctionnalit des mots mais dans leur manifestation. Dans lusage gnral
le langage devient symbole du temps, ce nest pas parce que le langage exprime les
caractristiques de lpoque, mais que cette poque se caractrise par et dans son
entre symbolisation du langage et langage comme symbole du temps. Dune part, il faut
pouvoir penser la faon dont ce mode de connexion mots-monde est assur par rapport au
systme des catgories existantes concernant les types de discours. Dautre part, se pose
la question de lunit que lon constate quand on considre le sens social des noncs
figure de lpoque. Pourtant, mme si nimporte quel type dnonc peut constituer un
fait dpoque, tous ne constituent pas ncessairement une figure de lpoque, parce que la
symbolisation du langage dans les pratiques langagires dactivits telles que celles de
quotidienne, surtout dans les conversations entre jeunes, etc. Tout simplement parce que
cest lopacit du langage qui rgne dans ces usages et que, de ce fait, sy forment
cest quune telle symbolisation ne dpend pas de ces distinctions artificielles entre
domaines. Cela veut dire que, malgr sous un beau nom de littrature , tous les mots
au fond, quelle se produise, par exemple, dans le langage de lconomie. Parce que ce
pratiques langagires. Disons quil est possible de dcouvrir des germes symboliques
dans tout le bagage langagier, comportant tous les types linguistiques, y compris des
ralisations qui ne sont ni dfinissables, ni classifiables selon les systmes tablis. Mais il
arrive simplement que certains domaines sont riches en ces germes, alors que dautres en
Cest ainsi que tous les noncs bruts restent, en tant que tels, virtuels relativement
voluer vers un symbole. Nous pouvons penser premire vue quil faudrait que soient
Mais alors il faudra en outre un appareil formel pour que puisse sactualiser cette
faudra quelque chose comme une mta-forme, qui pilotera les processus au cours
Ici, notre hypothse est que cette mta-forme rside dans ce quon appelle discours .
pilotage , commenons par examiner son lien avec les mots. Dans la vie quotidienne,
radiophonique , discours littraire , etc. Mais, chaque fois que lon examine ce que
recouvre de ce discours , on trouve les mots , comme matriel constitutif dun texte,
quels que soient les types de communication concerns. En revanche, des types de
communication sans mots sont rarement appels discours . Par exemple, discours
On peut penser que le terme de discours repose, par nature, sur la prsence de mots et de
leur poids.
faut approfondir notre rflexion pour accrotre la rigueur de notre propos. En fait, le
discours est couramment utilis, dans les sciences du langage en particulier, comme un
daction, oriente, interactive, contextualise, prise en charge par un sujet, rgie par
des normes et prise dans un interdiscours. Mais, dune manire gnrale, ce terme
sutilise dune faon ambige selon les contextes378 : de nimporte quel usage de la
langue aux noncs solennels ou pjoratifs, en passant par un systme qui permet de
renvoie un systme qui permet de produire un ensemble de textes. Mais dans ce cas, il
377
Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Paris, Dunod, 1998, p. 38-41.
378
Dans notre travail lui-mme, ce terme de discours est employ avec diverses acceptions, selon les
situations.
191
discours . Pourtant, cette expression mriterait une tude particulire. En fait, utiliser la
notion de discours comme notion renvoyant celle de genre consiste regrouper des
cadre donn a priori. Pire, lenjeu et le sens de ces produits sont dj dtermins par
la nature de ce cadre elle-mme dj bien dfinie comme telle. Il nous semble que ce
concept de genre ne vise qu un cloisonnement des plus variables des noncs, tris
communication, ge, sexe, domaines art, culture, science, littrature..., etc. Par
consquent, le discours, dans ce sens de genre, nest quun moyen mcanique pour
systme doppositions 379, et on peut dire que discours nest quune application de
plus quun ensemble de faisceaux diffrencis de mots en tant quils sont soumis
certaines normes sociales. Le concept qui sous-tend cette logique est celui de contrat de
communication 380. Lessentiel de ce dernier concept signifie que tout genre de discours
implique chez ceux qui y participent quils acceptent implicitement un certain nombre de
rgles mutuellement connues et des sanctions sils les transgressent. Sappuyant sur une
certaine logique de production des noncs et de catgorisation des noncs, ces notions
Sil en est ainsi, le seul fait que certains noncs soient identifis comme relevant
dune catgorie prtablie, implique que leur sens, interne ou externe, doit tre reu et
379
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit., p. 166-167.
380
Le contrat de communication est employ dans certaines disciplines telles que la smiotique,
lanalyse du discours, la communication, la psychosociologie, etc. Un acte de communication est reconnu
comme valide en application de ce contrat , qui nest pourtant pas forcment explicite. Cest la
condition pour que les partenaires dun acte de langage se comprennent tant soit peu et puissent interagir
en co-construisant du sens. Ce concept est dvelopp notamment par Patrick Charaudeau (linguiste) et
Rodolphe Ghiglione (psychologue). On peut se rfrer en particulier leurs ouvrages : Patrick Charaudeau,
Le Discours dinformation mdiatique. La construction du miroir social, Paris, Nathan, 1997 ; Patrick
Charaudeau et Rodolphe Ghiglione (sous la direction de), La Parole confisque, un genre tlvisuel : le
talk-show, Paris, Dunod, 1997.
192
mme donn passivement, tous les facteurs en jeu renvoyant la logique propre du genre
possibilit laisse dun maximum de critres htrognes, tels que secteur dactivit (ex.
tlvis, ditorial) lieu institutionnel (discours des patients, discours des lycens),
statut des participants (discours des jeunes, discours des femmes), idologie (discours
les diffrents modes dorganisation dune socit en la dcoupant selon des catgories
considr, dune manire gnrale, comme la condition pour quun individu puisse
discours est facteur dconomie cognitive, voire mme condition de possibilit de toute
communication verbale :
Nous apprenons mouler notre parole dans les formes du genre et, entendant la
parole dautrui, nous savons demble, aux tout premiers mots, en pressentir le genre,
en deviner le volume, la structure compositionnelle donne, en prvoir la fin, autrement
dit, ds le dbut nous sommes sensibles au tout discursif () Si les genres de discours
nexistaient pas et si nous nen avions pas la matrise, et quil nous faille les crer pour
la premire fois dans le processus de la parole, quil nous faille construire chacun de
nos noncs, lchange verbal serait impossible.381
381
Mikhal Bakhtine, Esthtique de la cration verbale, Paris, Gallimard, 1984, p. 285.
193
des genres de discours, on na pas besoin daccorder une attention constante tous leurs
critres dans labondance des noncs. Sans doute, en livrant limplication sociale des
Il nous semble cependant que ce propos est redondant, du fait que la quasi-totalit
des activits de la socit existent dans une continuit avec leur pass. Pour nous, ce qui
est crucial, malgr cette utilit considrable, cest que lassignation du genre de discours
une parole vivante finit par limiter gravement les potentialits du langage. Cest--dire
que les noncs, sils ne sont apprhends quen tant que dcalque linguistique des
activits sociales382, bien classifies et bien reconnues comme telles, ne servent alors plus
qu lire la socit, mais dune manire mcanique. En dautres termes, pris dans les
grilles des genres, les noncs ne constituent plus quune masse langagire dont la
signification doit tre quelque chose de conforme aux systmes sociaux et leurs
normes. Cest ainsi que le reprage de la nature du genre peut en arriver servir
tant donn que le rapport entre noncs et genre nchappe pas, par dfinition, au niveau
publicitaires , tous les enjeux qui pourraient les concerner, pratiques ou scientifiques,
sait dj quel en est lenjeu avant mme davoir prendre connaissance au message
en question. Si bien que le langage publicitaire ne pourra tre apprhend et donc pens
382
Si les recherches en sociolinguistique ou en sociologie du langage, prenaient ce critre du discours
comme fondement de leur recherche, ce serait une erreur. Il se peut que les linguistes se limitent alors
prsenter certaines des contraintes imposes par un type de discours pour parler des enjeux sociaux du
langage. Mais, paradoxalement, ce serait un cas o pistmologiquement le langage en tant que tel
disparatrait du champ, car les noncs ne seraient plus vus que comme un dcalque des activits sociales.
Par consquent, si lon na quune comprhension fonctionnelle et contractuelle du langage, on parviendra
certes lire les activits sociales et la vie sociale, mais dune manire mcanique et positiviste. Ceci nous
amne en revenir aux paradigmes du social et du langagier.
194
rattachement proprement qualitatif des mots au monde, il nous faut une autre optique sur
auquel on participe. Dans un autre cas, on entre en communication sans savoir de quel
type il sagit. Dans ce dernier cas aussi, il savre que lon peut identifier instantanment
il semble quune telle distinction cognitive devienne de moins en moins vidente dans
Or, du moment o lon reconnat le type du discours, que ce discours soit direct ou
smantique autonome et virtuelle, dont le devenir est indcis (enjeu, effet, sens), et ce,
mme si tout nonc est le produit dune intention. videmment, il faut pour cela
admettre que, loin de ntre simplement que les produits des contraintes dun certain
dlments, complexes, htrognes et flexibles. On peut saisir ce que peuvent tre les
dune conversation, soit quelle a bien tourn, soit quelle ne se droulait pas sous des
auspices favorables. Tout cela atteste que la conversation a son gnie propre et que la
langue quon y emploie porte en elle-mme sa vrit propre, cest--dire dcouvre et
dgage ce qui est dsormais acquis.383
Sagissant du rattachement entre noncs et monde, ce qui pour nous est important,
cest de bien voir quil ne se fait pas seulement sur ce plan mcanique auquel lon est
habitu depuis toujours, mais aussi sur un plan organique. Ds lors, on comprend que les
outre les processus gnriques et mcaniques. L o le discours intervient, cest pour que
organiquement au monde. Cela veut dire quil sagit dune notion dsignant quelque
chose qui sincarne au moment o lordre organique englobe lordre mcanique et o une
reposer? Dune part, il doit sagir dune qualit qui puisse effacer ces distinctions
possible de percer toutes les cloisons sparant mots et monde, en neutralisant les
frontires entre types de communication trop catgoriss. Dautre part, une fois
unicit , mais pas au sens dune unit ternelle grammaticale qui serait prise en
sens des noncs, cest quils fonctionnent comme une sorte d unicit , leur statut d
unit grammaticale seffaant. Cela ne veut pas dire que les noncs ne soient pas
383
Hans-Georg Gadamer, Vrit et mthode. Les grandes lignes dune hermneutique philosophique
(1960), traduit de lallemand par tienne Sacre, Paris, Seuil, 1996, p. 405.
196
sils le sont, on doit fondamentalement les considrer comme une sorte dunicit384.
Afin dexpliquer cette ide dconcertante pour des personnes srieuses , portons
notre attention sur le rapport quil y a entre le genre et la caractristique formelle des
noncs. En effet, ce rapport ne fournira pas un objet dintrt pour les types de
communication dans lesquels la forme du langage nest pas remise en cause. Toutefois,
dans le fond, dans tous les cas est impliqu ce mme rapport, celui-ci est simplement
linguistique voqu plus haut. Dans lusage du langage, on se sent donc invit, ou plutt
lgance, etc.). Si on les transgresse, une sanction en dcoule, sous la forme dune
posie, on trouve souvent une violation de la grammaire ou une dformation des mots.
posit mme.
Par le concept classique de genre, cette anomalie est comprise comme rsultat des
devra galement reconnatre comme des phnomnes semblables ceux observables dans
nest pas le cas. Pourtant, si, du point de vue de cette particularit littraire, on admet une
hsitent y voir des noncs relevant dune langue de la publicit . nos yeux, cest
une tranget et mme une position errone. cela sajoute cette circonstance tonnante,
entre purisme et axiologie gnrique? Il faut aborder, sur le plan scientifique, les choses
telles quelles sont. Si le terme discours publicitaire ne sert pas seulement indiquer
la zone dactivit occupe par la publicit et les produits langagiers de cette zone, il faut
des jeunes, en ville ou en banlieue. Comment les puristes et les adeptes du concept
discours juvnile ?
expliquer le problme de la forme que prennent les noncs. Nous avons l-dessus
deux points souligner. Dune part, cette anomalie langagire nest pas lapanage
dun certain nombre de domaines, tels que la littrature, la publicit, le parler des
celui de cette anomalie qui sobserve partout dans le milieu langagier. En fait, elle se
rattache quelque chose de global, qui affecte toute la socit. Sagissant dune sorte
dambiance gnrale de lpoque, ce quelque chose ne peut tre atteint par la seule
cest un ordre qui rgne sur tous les aspects de la communication humaine, image,
geste, son, design, couleur, got, etc. Lanomalie langagire est donc la fois la
Cest pourquoi ce quelque chose ne pourra tre cern que lorsque lon
considrera ces noncs eux-mmes comme une sorte de grande unit du sens de
termes unitaire, plutt que de grande unit , cette particularit formelle (et
Finalement, voir les noncs comme discours , cest les considrer comme
unicit .
lieu de prtendre tre cette unit grammaticale permanente qui ne doit pas
changer, la langue devient ce quelle est : une sorte d unit provisoire flexible
, mais en fait fcondant, ces contacts concrets jugs triviaux avec le monde.
certains noncs un sens particulier qui peut ntre pas dtermin par le type de
communication dont ils relvent. Par exemple, les messages publicitaires, censs
considrant comme discours, nest-ce pas comme entrer dans un labyrinthe (ou une
dans lequel les noncs se produisent, cela ne fait gure que nous signifier tout au
plus que seul lendroit o se trouve lentre de ce labyrinthe (ou cette grotte) nous est
199
signal. Cest dans laction de fondre les concepts de genre et d unit que la
connexion symbolique entre mots et monde peut se raliser, dans le rapport complexe
de sa propre existence, figure de lpoque, au fur et mesure que les noncs, univers
Il nous semble que le discours est une notion paradoxale, qui oscille entre
force centripte attirant vers les mots, et force centrifuge, poussant loin des mots. En
fait, en plein accord avec le rapport organique et holistique reliant mots et monde,
sociologie du discours 385, cest en ce sens-l. Nous pensons quune telle position
peut tre un vritable point de dpart pour ltude des noncs, puisquelle est
fondatrice.
lanimation de nos villes. 386 L, il peut nous tre utile de nous rappeler lun des
tymologique, sagissant dune recherche qui considre les noncs comme discours,
la coopration interdisciplinaire 387 ne devrait pas tre une option, mais une ncessit
385
Sans une telle comprhension du discours, la recherche sur la publicit se voit limite. Par exemple, les
approches linguistique et smiologique ont suivi implicitement des concepts tels que le genre , le
contrat , au lieu de prter attention cet appareil formel qui pilote la connexion entre le texte et le
monde. Par consquent, ces approches nont dcrit que les lments textuels (image ou langage) sans
construire la relation entre texte et monde. Ou bien, elles nont pu faire quun lien contractuel, le mot tant
considr comme unit permanente . Elles ont constitu, soit une vanit pure, soit un foss avec le rel.
386
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences. Pour une thique de lesthtique, op. cit., p. 216.
387
Pour ce travail, nous nous contenterons de souligner limportance dune telle coopration ne pouvant
entrer dans le dtail. En effet, il faudrait une discussion srieuse sur les modalits de cette coopration, car
200
***
rapport la socit. Sans doute, lire ce qui prcde, se sera-t-on senti bien loin des
connaissances habituelles que nous avons sur le langage et son rapport avec la socit.
Ainsi loin de penser que le locuteur, comme individu, serait le matre de sa langue et que
le langage serait une production individuelle et bio-gnre, nous sommes plus prs de
croire que le sujet parlant nest que le porte-parole dune source collective.
rpondons : Tout simplement, parce que lon ny parviendra pas avec les mthodes
existantes. Face des pratiques langagires du type des slogans publicitaires, il serait
revanche, ce sont des questions qui concernent bien plutt la puissance des mots. Ce
que nous dsignons par ces termes de socialit et de langaginal est une perception qui
sest inexorablement pose nous. Pareille objection nous semble donc cette fois-ci
compte de lvolution qui est en train de soprer dans la plupart des milieux de la
Cette nouvelle perspective sur le rapport entre langage et socit nous permet
dapprhender une nouvelle forme de socialisation qui est apport par un certain
usage des mots, non plus utiliss pour leur contenu rationnel (signifi mort) mais
complexit du langage et celle de ses rapports avec la vie sociale, le matre-processus est
mmes. Toutefois, lorsque lon a reconnu que toutes choses, personnes, activits ou
symbole au sein dune socit, nous pouvons invoquer mile Durkheim, qui soulignait
que la vie sociale nest possible que grce un vaste symbolisme 388. On sait aussi que
Michel Maffesoli a insist sur le fait que la socialit fait fond sur lambigut
prdcesseurs, nous pensons, pour notre part, que la socialit langagire sappuie sur
amont, sur la fragilit identitaire des mots dans leur rapport aux choses et limage, et,
en aval, sur certains processus que lon peut qualifier d alchimiques oprant au sein
poids des mots, quels que soient les efforts faits dans diverses disciplines telles que la
que le rel, langagier et social, est beaucoup plus touffu que lon avait pu croire ? On
ne devrait surtout pas voir les choses selon un principe montesquien, qui nous ferait
croire quen pareil cas aussi, les principes se posent et les cas particuliers s'y
plient 390. Vouloir voir de la simplexit 391 ne devrait tre ni un principe, ni une
388
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912), Paris, PUF, Quadrige , 1960,
p. 331.
389
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus (1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. 173-174.
390
Charles de Montesquieu, De lEsprit des lois (1748), Paris, Flammarion, 1979, Prface .
391
Le terme existant simplicit , ne permettant pas, selon nous, de rendre compte de ce qui est
considrer du ct de la dynamique de la perception des choses, nous formons ce nologisme, comme
202
vertu de la recherche. Car, si lon sapproche dun rel complexe au moyen dun
complexe, on devra donc y accder dune manire complexe, autant que possible.
Aussi, Michel Maffesoli nous dit-il, depuis dj longtemps, que plutt que de
trancher, brutalement, ce nud gordien quest la ralit sociale, il vaut mieux savoir
en dmler, patiemment, les multiples entrelacements 392. Cest donc dans cet tat
langage dans la vie sociale contemporaine, que notre mthodologie sest ouverte
comprendre, savoir qui prenne en compte tous les lments de lexistence 393.
* *
contraire de complexit , en tant que dcrivant un caractre dune certaine perception dfectueuse du
rel : perception la Procuste , mutilante.
392
Michel Maffesoli, La Connaissance ordinaire, op. cit. p. 5.
393
Michel Maffesoli, Le Temps revient. Formes lmentaires de la postmodernit, Paris, Descle de
Brouwer, 2010, p. 46. En nous rappelant ltymologie comprendre, Michel Maffesoli nous fait raliser la
dimension essentielle de la sociologie comprhensive (mise en place par Max Weber). Aussi, nous
conseille-t-il dentendre comprhensif non pas dans le sens moral que lon accorde, en gnral, ce terme,
mais dans un sens plus proche de son tymologie cum prehendere : prendre ensemble, prendre avec ce
que sont les spcificits du vivre-avec , du vivre-ensemble .
203
Troisime partie
le slogan comme objet de recherche, cest parce que nous avons la conviction que lon
Quant limage de la publicit, nous avons dj voqu une tude exemplaire, celle
la sociologue nous a montr que les individus parviennent sancrer dans un espace
symbolique par une topologie de limaginaire qui est prsente dans limage de la
Par ailleurs, quant la recherche sur le langage publicitaire, nous pouvons citer tout
particulirement celle de Marcel Galliot, effectue sur les messages publicitaires des
annes 1930-1950. Si son analyse demeure nettement dordre linguistique, ce qui pour
nous est significatif est que ce linguiste a prdit que pourrait lui succder un jour une
davantage cette sorte d esthtique du slogan , nous dirions quelle a voir avec une
sociale porteuse dun sens sociologique profond, dans la socialit langagire, nouvelle
perspective thorique au sens que nous venons dessayer dlaborer. L, notre hypothse
394
Anne Sauvageot, Figures de la publicit figures du monde, Paris, PUF, 1987.
395
Fabio La Rocca, Toucher avec le regard : publicit in La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS
ditions, 2013, p. 226-240.
396
Marcel Galliot, Essai sur la langue de la rclame contemporaine, Toulouse, Privat, 1955, p. XXXII.
205
En ce sens, nous pouvons considrer que cette esthtique du slogan a voir avec
une esthtique du style . Ce que lon doit pourtant comprendre par lappel qui est alors
fait cette notion, cest que le style ne sert pas seulement dfinir superficiellement
les particularits dun individu ou dun groupe de gens397. Pour mieux clairer cette
notion, nous nous appuierons foncirement sur les ides de Michel Maffesoli, qui insiste
lapprhension dune socit et qui prconise donc son usage. Pour ce sociologue, le
style se comprend comme le cadre gnral dans lequel sexprime la vie sociale, en un
moment donn 398. Le style est donc ce par quoi une poque se dfinit, scrit, se
dcrit elle-mme 399. En dautres termes, le style renvoie, en amont, une vritable
Or nos yeux, la nature du style qui est li au slogan publicitaire est de type
baroque. Mais, quand nous nous rfrons ici au baroque, il ne sagit pour nous ni de
discuter dun point de vue esthtique historique des uvres baroques, ni dexalter lart
baroque : nous prenons cette caractrisation comme une mtaphore de certains caractres
essentiels que lon peut voir un peu partout perptuellement renatre mais qui furent
manifests avec clat par le baroque historique. Cest la faon dont ce style actuel que
397
Ici, nous devons prciser. Ce que nous entendons par style , car nous prenons ce terme en un sens
diffrent de celui dont on se sert habituellement. Nous connaissons, par exemple, lexpression fameuse le
style, cest lhomme , qui dans un contexte familier souligne la singularit dune personne. Ou encore,
nous entendons souvent lexpression style de vie pour souligner les diffrences de modes de vie, et ce,
dans une situation o simpose le respect moral des particularits individuelles des gens.
398
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p. 15.
399
Ibid.
400
Ibid., p. 19.
401
Ibid., p. 34.
206
lon qualifie de baroque peut tre mis en relation avec le style artistique qui a marqu une
Eugenio dOrs fait une distinction entre styles historiques et styles de culture .
Pour expliquer cela, lauteur de Du Baroque met en avant cette diffrence entre le style
gothique et le style baroque : Le gothique est un style inscrit dans un temps, un style
fini. Si on le ressuscite, ce sera pour une simple restauration, par plagiat ou pastiche.
En revanche, le style baroque peut renatre, et traduire la mme inspiration par des
Michel Maffesoli souligne que si le baroque est un style de culture, cest dune part,
parce que, au-del de lart proprement dit, on peut le retrouver dans la littrature, dans les
murs, dans lexistence de tous les jours, et dautre part parce que, tel le phnix, il peut
renatre de ses cendres et, sous des formes proches ou semblables, connatre une nouvelle
vitalit 404.
Le baroque comme style typique de lpoque est donc pour nous envisager dans
cette ligne. Il apparat avant tout comme un air du temps que lon voit actuellement se
Cet air du temps nest plus lapanage de quelques-uns, ou il nest plus impos, la
grande masse, par laction de quelques-uns. Bien au contraire, il est largement vcu,
402
Forme dart ne en Italie dans la dernire moiti du XVIe sicle, puis dveloppe dans nombres de pays
europens pendant tout le XVIIe sicle et la premire moiti du XVIIIe sicle, atteignant mme lAmrique
espagnole et le Brsil. Le terme baroque, qui vient du mot portugais barroco, fut utilis pjorativement au
cours des XVIIIe et XIXe sicles pour qualifier ce que paraissait bizarre ou trop complique. la suite des
travaux du critique allemand H. Wlfflin, on lattribua un style artistique dfini et reconnu comme tel,
puis lpoque o spanouit ce style et aux diverses productions culturelles (littrature, musicales) de
cette poque. On devait en faire un concept esthtique gnral, opposant baroque classique (E.
dOrs). Il parat cependant ncessaire de limiter lacception du terme, dans le domaine artistique, la forme
esthtique qui se dveloppa sur prs de deux sicles, avant dvoluer vers le foisonnant, lart rocaille et le
rococo au XVIIIe sicle, mais toujours faite du sens du monumental, de la recherche du mouvement, du
dcor et de leffet, attribuant une place primordiale lmotion et au pathtique.[ Le Petit Robert des noms
propres, 2010, p. 214.]
403
Eugenio dOrs, Du Baroque (1935), Paris, Gallimard, 2000, p. 91.
404
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 53.
207
peru par lensemble social, et bien peu reprsent par ceux qui font profession
dobserver, danalyser, ou par ceux qui sont en position de dcider pour cet ensemble
social.405
Cest dans cette perspective que nous allons, enfin, observer ce que nous
limage traduit cette la fois trange et banale opration de l'esprit, qui tire de tout ce
qui se prsente la dcouverte que l'objet aim a de nouvelles perfections 406. Par lusage
dun terme voisin, nous voudrions cependant signifier la possibilit dune divine
rvlation , celle quun objet mal-aim pourrait, mieux compris, dvoiler des
* *
405
Ibid., p. 43.
406
Stendhal, De lAmour (1822), Paris, Gallimard, 1984.
208
travers lequel chaque lment mondain particulier cristallise lpoque en son entier et
comme un air du temps largement vcu et peru par lensemble social, il est tenu par un
ordre communicationnel rgi par des sensibilits de divers niveaux. Lorsque lon prend
baroque opre sous la forme dun jeu de langage . Cette caractrisation peut sembler
premptoire et cela nous conduit donc nous interroger : dans quelle mesure peut-on
conquise et se trouve submerge par les jeux. Certes, depuis la nuit des temps, les
hommes jouent, de la marelle la poupe, des checs au football, des ds au loto, des
mots croiss au Scrabble, des carnavals aux jeux vido et ceci, tout ge et en tous
lieux, enfants et adultes, entre amis, en famille, dans des associations, sur les plateaux de
tlvision, sur les stades, en temps de guerre comme en temps de paix. Mais, jamais on
na autant jou dans la socit franaise. Dj, pour souligner lengouement de la socit
209
franaise vis--vis de ces activits ludiques, Michel Maffesoli nous montrait, dans Le
Temps des tribus, combien les intellectuels franais semballaient pour le loto407.
peu de conceptions nettes quant sa nature. Le problme demeure car il est malais de
dfinir le jeu, quel quil soit. En effet, dune manire gnrale, le jeu constitue un fait
mfiance des philosophes et des hommes de religions durant des sicles. Les socits
occidentales ont longtemps vacu lhomo ludens409. Toutefois, aprs une longue priode
dangoisse, cet homme qui joue est de retour justement comme disait Johan Huizinga
en son temps410. Michel Maffesoli souligne que lon ne peut plus considrer comme de
simples piphnomnes sans consquences 411, les jeux, qui doivent tre enfin reconnus
407
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse
(1988), Paris, La Table Ronde, 2000.
408
Dailleurs, au-del de leur commune nature, tous les jeux ne font pas appel aux mmes principes. Il y a
effectivement des jeux bass sur la comptition, dautres sur le hasard, dautres sur limitation. cet gard,
Roger Caillois prsente quatre types de jeu: lagn (la comptition), lalea (le hasard), la mimicry (la
simulation), lilinx (le vertige). [Roger Caillois, Les Jeux et les hommes (1958), Paris, Gallimard, 1991,
p. 36-37.] Mais beaucoup combinent plusieurs principes : la plupart des jeux de cartes exigent de lhabilet
qui se conjugue avec une part de hasard. Certains regroupements sont prfrentiels : la simulation et le
vertige vont volontiers ensemble, comme dans les mascarades o lanonymat autorise des plaisirs interdits.
La comptition et le hasard se combinent dans de nombreux jeux de socits : cartes, dominos, Scrabble,
etc Par ailleurs, lhistoire et lanthropologie des jeux stablissent dans une alternative selon laquelle,
dun ct, les jeux ne seraient que des rites dgrads ayant perdu leur signification (tarot, osselets) et,
dun autre ct, les miroirs des valeurs collectives (le football comme mtaphore de la dmocratie).
409
quoi sert le jeu ? in Sciences humaines, n 152, aot-septembre 2004, p. 20-21. Depuis Aristote,
pour lequel le jeu tait conu comme un dlassement, certes indispensable, mais qui ne pouvait pas
apporter le bonheur : une vie vertueuse ne va pas sans effort srieux et ne consiste pas dans un simple
jeu . Cette conception est reprise par les Pres de lglise. Au XVIIIe sicle, la vision ngative du jeu
apparat encore dans lEncyclopdie de Diderot et dAlembert, qui, si elle admet que les hommes ont
invent une infinit de jeux qui tous marquent beaucoup de sagacit , dfinit le verbe jouer comme
suit : Se dit de toutes les occupations frivoles auxquelles on samuse ou on se dlasse, mais qui entranent
quelquefois aussi la perte de la fortune et de lhonneur . Cest partir du XIXe sicle que la notion de jeu
connatra de progressives rvaluations, qui lui permettront de sortir du purgatoire dans lequel elle avait t
tenue pendant des sicles. Cest finalement au XXe sicle que le jeu va tre plus largement explor.
410
Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), traduit du nerlandais par
Ccile Seresia, Paris, Gallimard, 1951.
411
Michel Maffesoli, Le monde comme jeu, le jeu du monde , in Socits, n 107, Bruxelles, De Boeck,
2010/1, p. 12.
210
interprtations, lessence du jeu na jamais t lucide. On peut dire sans faute que, dun
ct, le jeu est porteur dune forte dimension de plaisir, que cest une activit libre,
autonome et relativement futile, et que, de lautre, il est le reflet denjeux plus srieux,
communication publicitaire ne pouvait qutre pris dans cette vague que soulve cette
vieille activit enracine dans la vie quotidienne des Franais. Plusieurs auteurs de
remarque que la publicit ne nous demande pas dadmettre ou de rfuter des arguments,
elle nous propose seulement de jouer le jeu Un jeu de socit trs simple 412. Valrie
Sacriste, sociologue, note que la publicit est ludique parce que, peu contraignante,
estime que la publicit est en effet fondamentalement un jeu de langage 414. Or, on
ne devrait pourtant pas se contenter de ces remarques, car il est crucial de pouvoir
celui-ci.
Cest dans un tel propos quappelant lensemble des jeux qui oprent dans lespace
spcifique de jeu entre mille autres, nous allons essayer den cerner la nature et lenjeu.
en contact avec le slogan, nous dterminons en premier lieu notre jeu de la publicit
412
Nicole Everaert-Desmedt, La litanie publicitaire : valeurs fiduciaires et persuasion , in
Argumentation et valeurs, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse-le-Mirail, 1984, p. 139.
413
Valrie Sacritste, Sociologie de la communication publicitaire , in LAnne sociologique, 51, n 2,
Paris, PUF, 2001, p. 494.
414
Jean-Pierre Teyssier, Publicit et langue franaise , in Odile Challe et Bernard Logi (sous la
direction de), Marques franaises et Langage, Paris, Economica, 2006, p. 98.
211
parce que, nos yeux, la rception du message publicitaire ne pourra tre clarifie qu
ce niveau-l. Cette lucidation veut sappuyer prcisment sur la psychologie sociale, qui
collective ainsi que les processus linguistiques concerns 416 . Ainsi, il est possible
dinsrer notre jeu dans le paradigme psychosocial . Selon ce paradigme ouvert, le jeu
statut non dtermin a priori serait fonction des situations et des points de vue. Cest
publicit autrement que comme consommateurs , leur immuable statut selon les
415
Serge Moscovici (sous la direction de), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984, p. 7. La psychologie
sociale se dfinit comme une science des phnomnes de lidologie (cognition et reprsentations
sociales) et des phnomnes de communication. Et ce aux divers niveaux des rapports humains : rapports
entre individus, entre individus et groupes, et entre groupes .
416
La psychologie sociale sintresse aux signes circulant dans la socit, la smiologie qui, selon
Ferdinand de Saussure, fait partie de la psychologie sociale, et par consquent de la psychologie
gnrale . [Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale (1916), Paris, Payot, 1972, p. 33.]
417
Selon ce paradigme, la communication publicitaire est lire en fonction du schma production -
consommation. La publicit tant un secteur de lconomie, les acteurs de la communication sont les
producteurs (annonceurs) et les consommateurs. Le but de la communication publicitaire est daugmenter
la consommation. Ce qui importe, cest la part que la publicit reprsente dans lconomie nationale et sa
contribution au dveloppement de lindustrie et des services. Cest le paradigme le plus souvent mis en
avant par les organismes de publicit et les annonceurs. Selon ce paradigme, lensemble de la
communication publicitaire nest quun simple moyen de promouvoir les ventes.
418
Pour ce paradigme, il sagit de considrer la publicit comme un processus de persuasion. Les acteurs
de la communication sont dun ct les persuadeurs et de lautre les persuads . Dans le domaine de
la publicit, on cherche des moyens de conduire, par la sduction ou la persuasion, les consommateurs
acheter des produits. Le prototype de ce paradigme se rsumerait en une formule : communication =
attention persuasion. [Bernard Brochand et Jacques Lendrevie, Le Publicitor, 4e dition, Paris, Dalloz,
1993, p. 105.] En fait, la plupart des thories de la communication ou de la publicit appartiennent ce
paradigme. Elles sont prescriptives en ce sens quelles prsentent des recettes de russite de la
communication. Dailleurs, spcialiste de la publicit, Claude Cossette limite la publicit elle-mme ce
paradigme, en affirmant que le but de la publicit nest pas de vendre. Le rle de la publicit, cest
dessayer de changer lattitude du consommateur face un produit ou un service, de faire percevoir ceux-ci
plus positivement, voire de crer une aura autour du produit, dy ajouter une valeur symbolique. [Claude
Cossette, Publicit, dchet culturel, Qubec, Les Presses de lUniversit de Laval, 2001, p. 72.]
212
2. Du consommateur au joueur
Examinons ici cette situation dans laquelle le consommateur, acteur dans la socit
vite. Ainsi, dans la publicit classique, les incitations portent directement sur lachat, se
dimplication peuvent se rvler des rcepteurs actifs. cet gard, Jean-Nol Kapferer
note que les publicitaires et les critiques de la publicit sont tombs dans le mme
faut substituer celle-ci : Que fait le public avec les messages ? 421 De son ct, liseo
complexe de calage sur une cible dtermine lavance. Or cette vise est loin de se
raliser, si lon observe les conditions de rception de ces messages 422. Cest que le
public-rcepteur ne porte plus un regard naf sur la publicit. Maintenant, cest lui qui va
dcider dcouter ou non les messages publicitaires. Cest lui qui autorise la marque ou
419
Cette distinction entre publicit classique et publicit moderne sappuie sur Nicole
Everaert-Desmedt, La smiotique et le discours publicitaire , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions
universitaires du Sud, 2000, p. 19.
420
Jean-Nol Kapferer, Les chemins de la persuasion , in Sciences humaines, n 38, avril 1994, p. 29.
421
Ibid., p. 31.
422
liseo Vron, La publicit ou les mystres de la rception , in MSCOPE, n 8, Versailles, 1994, p. 120.
213
moderne. Ceci parce que ce comportement est plus complexe et plus subtil quon ne le
labondance. Son comportement nest plus dict par une logique binaire simpliste. En ce
sens, Rmy Sansaloni estime que la publicit continue faire rver et exercer une
influence certaine aussi bien sur les dcisions dachat que sur le choix des marques.
Pourtant, les consommateurs ne sont pas totalement dupes de ses trucs et astuces ; ils
cdent moins aisment que nagure aux sirnes de la rclame ! 423 Pour comprendre le
Selon lui, dans non-consommateur , le tiret met laccent sur le lien indissociable entre
les termes. Ce qui veut dire que non-consommateur na rien voir avec non
signifie que lacte de consommation a chang et que les individus nagissent plus selon le
Pendant longtemps, les hommes de marketing ont rduit les consommateurs une
variable parmi dautres ; ils ont cru que la communication et la valeur dusage propre du
produit suffiraient les convaincre dacheter. Les faits ont dmenti cette vision
rductrice de lacte dachat. Je crois avoir montr que le comportement du
consommateur tait devenu aussi complexe et charg dambiguts, comme de
contradictions, que la ralit mondaine. () Le non-consommateur ne rejette pas la
consommation en tant que telle ; ce quil conteste dornavant cest bien dtre rduit
un simple rceptacle de messages marketing ou publicitaires.424
423
Rmy Sansaloni, Le Non-consommateur, Paris, Dunod, 2006, p. 61.
424
Ibid., p. 211.
214
desprit du consommateur actuel. Cest--dire quen tant qutre vivant public, on ne peut
nest plus pour autant consommateur totalement soumis linfluence des matres en
persuasion.
Cest dans la prise en compte dune telle volution du comportement du public que
notre concept de jeu de la publicit senracine. Il sappuie notamment sur cette marge,
part, cette marge se traduit comme un cran , suppos quil y ait une corrlation
une banalisation qui produit, son tour, une sorte d effet secondaire par rapport son
dire galement que trop de pubs tuent la pub . Dautre part, on peut comprendre cette
marge, ce retrait intrieur comme synonyme dune sorte d chappe belle pour le
public dune socit envahie par la publicit. Cest comme si lon reprenait une sorte de
libert et donc de disponibilit devant quelque chose devenu banal dont la raison dtre,
trop ostentatoire, nagit plus au premier degr et se laisse percevoir un autre niveau.
publicit pourrait galement tre qualifi de jeu de langage . Toutefois, en tant que la
publicit ne fait que suivre le mouvement ludique gnral animant la socit franaise, si
425
Armand Mattelart, La Publicit, Paris, La Dcouverte, 1994, p. 110.
215
la spcificit de son langage nest pas prise en considration on ne peut encore justifier
lexpression jeu de langage . De mme, le seul fait que lon observe certains lments
ludiques au niveau linguistique naurait pas permis lui seul de parler de jeu de la
publicit , non plus. Dans le cas contraire, mme certains slogans nazis usant de certains
effets ludiques, pourraient tre qualifis de jeu de langage. Cest pourquoi, quand nous
parlons de jeu de langage, nous voulons dsigner une opration particulire qui
Disons que nous ne souscrivons pas un certain mpris envers cet esprit ludique qui
sempare du langage que lon peut observer partout au sein de la socit. Le jeu de
langage nest pas cet tat drisoire o seraient tombs les mots et qui relverait dun
dominante427. Nous pensons que le langage a toujours t, mme sil lest devenu encore
bien plus, une source inpuisable de jeu de par son essence mme, jeu aux formes
communication diffrentes.
426
En fait, personne na srieusement cherch dcouvrir le lien secret qui runit, dans une mme
expression gnratrice de plaisir, tous les traits caractristiques du langage et du jeu. Ayant tendance
traiter le jeu de langage comme un fait marginal ou un dysfonctionnement, la linguistique, selon Pierre
Guiraud [Pierre Guiraud, Les Jeux de mots, Paris, PUF, Que sais-je ? , 1976], hsite lui reconnatre un
statut de plein droit. Tandis que la psychologie ne semble gure stre intresse la question, la
psychanalyse, de son ct, y trouve son compte, en expliquant par lirruption de linconscient les
infractions du locuteur et le plaisir que celles-ci procurent. On peut se rfrer louvrage de Sigmund
Freud, Le Mot desprit et sa relation linconscient (1905), traduit de lallemand par Denis Messier, Paris,
Gallimard, 1988.
427
Jean Pruvost et Jean-Franois Sablayrolles, de leur ct, soulignent combien la fonction ludique du
langage est importante et la place centrale quy occupent les nologismes cet gard. [Jean Pruvost et
Jean-Franois Sablayrolles, Les Nologismes, Paris, PUF, Que sais-je ? , 2003, p. 85-86.]
216
Ceci tant, comment peut-on dterminer ici plus prcisment notre jeu de langage ?
Nous devons, tout dabord, noter que le fait quil y ait ici jeu relve dun usage
spcifique du langage par la publicit. Plus exactement, en tant que forme spcifique de
lors, notre jeu de langage peut tre considr comme une performance, parfois comme un
Quant au mode de constitution de ce jeu, on peut dire que, puisque tous les lments
langage qui est en jeu . Toutefois, cela ne veut pas dire que le langage, comme tel, soit
dj un jeu au sens o nous lentendons. En effet, notre jeu de langage est distinguer de
la notion de jeu de langage au sens o lemploie Ludwig Wittgenstein, pour qui cest
tout le langage qui constitue en lui-mme un jeu428. Tandis que sa dfinition a pris un
nest pas spcialement ludique, notre jeu de langage montre plutt le mode ludique
dautres jeux de langage qui ne sont considrs comme des jeux quen se situant un
niveau formel du langage429 et comme des jeux de mots interprter seulement dans
entirement, sur le contexte (la contextualisation, plus exactement) et qui est li,
428
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus suivi dInvestigations philosophiques, Paris,
Gallimard, 1961.
429
Par exemple, Laure Hesbois, Les Jeux de langage, Ottawa, Presses de lUniversit dOttawa, 1986.
430
On peut se rfrer Frnoise Graby, Humour et comique en publicit. Parlez-moi dhumour,
Colombelles, ditions EMS, 2001.
217
Certes il est jeu, parfois. Il est musique, loccasion. Il claire une image, souvent 431.
3. Le flneur citadin
lire ce qui prcde, on aura compris que notre jeu de langage publicitaire , en
tant quil est la fois jeu de rception et jeu de circonstance , se situe bien dans un
rapport dialogique entre une humeur sociale et un mode dusage spcifique du langage.
de vue esthtique, il nous faut cependant considrer plus profondment son statut de jeu
et celui de ses joueurs. Ceci parce que, si cette esthtique est entendre comme luvre
dun esthte, homo ludens ne veut pourtant pas forcment dire homo aestheticus. Il
fois relativise, recouvre et surmonte ltat positif des choses, non dun saut chimrique
Il nous apparat crucial de bien se rendre compte quun jeu, quel quil soit, constitue,
en lui-mme, une activit sui generis, assimilable nulle autre. Pour pouvoir mieux
amener notre propos, nous pouvons tout de mme lclairer par le rapport de quelques
En premier lieu, il sagit de la parent entre jeu et stratgie. Cela veut dire quune
interaction ludique peut tre caractrise comme ce lieu, ce moment o sont mises
il puisse y avoir du jeu , un espace dans lequel peuvent se glisser des possibilits de
431
Blanche-Nolle Grunig, Slogan publicitaire et recherches cognitives , in Jean-Michel Adam et Marc
Bonhomme (sous la direction de), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, ditions universitaires du
Sud, 2000, p. 75.
218
quelle contrainte. On pourrait dire quune action stratgique, mme si elle est non
collaborative, reste cooprative, tout comme dans nimporte quel contexte de jeu. Il en
jeu que ce genre de stratgie peut tre le mieux comprise. Le caractre ludique de cette
stratgie se manifeste surtout par ce fait central que la stratgie modifie ou surdtermine
Par ailleurs, dans le cadre smiotique, Algerdas Julien Greimas432 voque la para-
synonymie de jeu, aisance, libert et dclare que le sujet ludique est, par nature,
laise. Le jeu, dont lenjeu est la victoire finale, comporte nanmoins sa part de
lentre dans le jeu est libre, mais non la sortie, que le jeu se nourrit dun peu de libert,
Dun ct, la stratgie sinterprte comme calcul ou opration formelle et, de lautre,
drives de deux faons de penser la guerre. Sun Tzu prsente, dans lArt de la guerre433,
une ide toute confucianiste des stratgies de la guerre. Lart de la guerre dveloppe
La guerre nest pas une science ou une politique : elle est un art. Lart consiste dans le
jeu du calcul que la stratgie se permet avec les rgles, les contraintes et les normes. Sun
432
Algerdas Julien Greimas, propos du jeu , in Actes smiotiques, n 13, 1980.
433
Sun Tzu, LArt de la guerre, Paris, Flammarion, 1963.
219
Tzu prsente ainsi un concept ludique de la guerre et, par consquent, une doctrine
En revanche, Carl von Clausewitz insiste sur le fait que la rationalit stratgique
guerre est la continuation de la politique par dautres moyens. La guerre elle-mme est la
Et la politique est la matrice dans laquelle la guerre se dveloppe. Il crit : Nous disons
donc que la guerre nappartient pas au domaine des arts et des sciences, mais celui de
lexistence sociale. Elle est un conflit de grands intrts rgl par le sang [] Il vaudrait
mieux la comparer, plutt qu un art quelconque, au commerce qui est aussi un conflit
dintrts et dactivits humaines ; elle ressemble encore plus la politique, qui peut tre
considre son tour, du moins en partie, comme une sorte de commerce sur une grande
chelle 434. On peut comprendre dans ce cadre les contours du conglomrat form entre
le jeu de langage est considr comme une interaction entre expditeur et rcepteur dans
le circuit communicatif, direct ou indirect. Le jeu peut tre compris avant tout comme un
une conversation, nimporte quelle rgle, ce serait avant tout une violation du principe
ludique. Le principe ludique est dordre mta par rapport aux contraintes constitutives
du discours quil surdtermine. Jouer le jeu, cest jouer en faveur du ple positif,
Toute communication vise, par nature, une intentionnalit spcifique. Mais ce but
est pos comme valeur atteindre par la prexistence de systmes de normes, car la
normatives. Ces normes sont les conditions de possibilit de linteraction, ce qui entrane
fondamentalement par le principe de coopration, qui repose sur une connivence oblige.
Cette connivence sprouve dabord comme motif mme, comme raison dtre du
de tomber daccord. En effet, si toute chance dassigner des valeurs communes tait a
priori exclue, le discours, perdant toute fin utile, serait sans objet. La connivence est
apparences. Sans lexistence de consensus normatifs, sans lhypothse faite par chacun
que lautre est comme moi et suit les mmes normes , les comportements nonciatifs
perdraient leur interprtabilit mme, aucune estimation de sens implicites ntant plus
Au fond, mme si ce lien entre normes et interprtabilit est reconnu, il demeure fort
calcul du sens. En effet, Erving Goffman soutient que le principe ludique se justifie par le
fait que tout le monde a droit un visage, et que la socit communicative accorde ce
droit ses membres. La prservation des visages serait la rgle ultime du jeu. On jouerait
en fait le jeu dune ncessit impose par les normes sociales. En revanche, si on se
rfre Kant, ce principe de coopration pourrait avoir une motivation tout autre que
nature, cest ltat de guerre et de conflit des gosmes. Au contraire, ltat de paix est un
tat de lgislation. Cest cet tat de lgislation, champ de la raison pratique qui engendre
collaboratif .
Le point commun entre les jeux comme stratgies et les jeux inspirs par le principe
ludique porte sur le fait quils constituent toujours tous deux des jeux achevs . Ces
jeux ne peuvent se produire que si et seulement sil existe de bonnes formes dinteraction
et des structures acheves436. En dautres termes, ces jeux sont des jeux de miroir .
Malgr leur performativit idale, lpistmologie de ces jeux achevs voit une faiblesse
tre mise en vidence. Le principe ludique est trop idalis pour rendre compte des
comportements des deux cts des communicateurs. Bien quil puisse rendre compte du
Communiquer rellement, cest toujours rivaliser afin de mettre les normes de son ct.
Une lutte sinstaure entre les communicateurs pour le contrle de positions admises
comme conformes : les deux cts sefforcent contradictoirement de faire concider leurs
intrts, leurs croyances et leurs conduites avec ce qui est rput normal et lgitime, de
les lier troitement avec des valeurs reconnues par chacun, de faire valoir les unes par les
autres. Aux yeux de lun et lautre des communicateurs, les stratgies, alors considres
par eux soit comme des calculs dviants, soit comme des manipulations ou des
rception, lautre grand versant de la communication. Finalement, lappel aux jeux bass
ralit de la communication.
On se rend compte que le type de jeu dominant dans la socit actuelle est expliqu
par des rapports dintrts chez les acteurs sociaux, intrts conomiques, politiques,
sociaux... Ainsi, la comptition dans les activits conomiques est pense par certains
436
Il y a une classe de configurations discursives qui fonctionnent invitablement comme des indices de
clture dun pisode communicatif, telles quune insistance de laccord et lpuisement des contre-
arguments.
222
selon la thorie des jeux ; les relations internationales se dfinissent comme des jeux
stratgiques, etc.
Finalement, pour des penseurs qui vont de Hans Georg Gadamer Edgar Morin en
passant par Erving Goffman, il ny a pas de jeu pur, tout jeu tant un moyen. Pourtant,
nous allons nous demander si le jeu ne pourrait pas devenir moyen un tout autre niveau.
Cest se demander si le jeu ne pourrait pas tre, par exemple, quelque chose qui servirait
tenir ensemble la vie sociale, former lien, donc en sloignant de tout calcul intress
perd gagne , ou bien dans une vision allant encore au-del de celle-ci.
Pour aller plus loin en ce sens, prenons en considration certaines ides sur le jeu,
inities du point de vue philosophique par James P. Carse437. Selon lauteur de Jeux finis,
jeux infinis, il y a deux sortes de jeux : les uns peuvent tre finis, les autres infinis. Le jeu
despace et de nombre. Il sagit des jeux gouverns par lide de contrat, ce qui permet
aux joueurs de saccorder au sujet du gagnant. Le jeu fini est contradictoire : le but de
tout jeu fini tant de terminer le jeu par la victoire de lun des joueurs, chaque jeu fini est
jou pour que le jeu finisse. Par consquent, le jeu fini est un jeu contre le jeu. En
revanche, dans le jeu infini, il nexiste pas de limites de temps ou despace en tant que
mais paradoxale, le but des joueurs tant de continuer jouer. Le paradoxe dun jeu
infini est que les joueurs dsirent continuer le jeu dans les autres.
Le jeu fini peut sinterprter comme un jeu de socit . La socit est tout ce que
lon fait sous le couvert de la ncessit. En revanche, le jeu infini est synonyme de jeu
de culture . Indfinissable par des limites, la culture est dfinie par limage dun horizon
que lon natteint pas, puisque celui-ci nest pas une ligne ni un lieu. Le jeu de socit est
un impratif, tandis que le jeu de culture provient, en quelque sorte, des marges.
437
James P. Carse, Jeux finis, jeux infinis (1986), traduit de langlais par Guy Petitdemange , Paris, Seuil,
1988 ; Le livre source est Finite and infinite games, New York, Macmillan Publishing Company, 1986.
223
De son ct, Herman Parret applique ces notions de jeu dans un cadre pragmatique.
Il suggre quil y a, au-del de la finitude des jeux de socit, une rationalit stratgique
qui est celle du joueur de jeu infini. Les stratgies du joueur infini sont irrcuprables par
un modle conomique qui rduit ltre-ensemble la socit, champ o rgne la loi trs
dure : goste par nature, altruiste par ncessit . Cest ainsi que le joueur de jeu infini
nest pas vraiment un calculateur, ni surtout un lutteur pour la victoire. Herman Parret
prsente donc une conception chorgraphique de la stratgie : le duel des lutteurs serait
Ces deux thoriciens dgagent tous deux un fondement esthtique au jeu infini. En
fait, si James P. Carse reconnat quune opposition diamtrale entre socit et culture est
socit 439. Malgr leur explication sur les diffrences entre les deux sortes de jeux, les
thoriciens nont curieusement pas pris en compte les cas o les caractristiques des deux
sortes de jeu se rencontrent et sopposent dans un mme circuit dinteraction. Pour eux,
un jeu se trouve tre, soit exclusivement un jeu fini, soit compltement un jeu infini. En
dautres termes, dans un jeu fini les joueurs seront toujours considrer comme des
joueurs de jeu fini, et dans un jeu infini tous les joueurs sont jamais des joueurs de jeu
infini.
Nous pouvons nanmoins supposer deux situations. Dune part, il peut y avoir un
cas o, dans un jeu pourtant dtermin comme fini, lun des joueurs renonce nanmoins
ce statut de joueur de jeu fini. Cela signifie quil se peut quun joueur dcide, durant le
droulement mme dun jeu dtermin comme fini, de se contenter de jouer pour le
plaisir, gratuitement, pour lamour du jeu, en se dtachant de tout intrt pour les gains
du jeu. Dailleurs, si les deux joueurs dun jeu deux agissent ainsi de mme au cours
dun mme jeu fini, le jeu entam comme fini peut se terminer comme jeu infini. Il se
peut galement que dans certaines occasions de jeux sopposent des joueurs de jeu fini et
Nous pensons justement que le jeu de la publicit constitue un de ces jeux dans
lequel saffrontent des joueurs de jeu fini et des joueurs de jeu infini. Dans un tel cas,
sans tre subordonn lune des deux sortes de jeux, ce jeu se droule dune manire
sont le fruit dune intention vise conomique, on naura certes pas tort de considrer
comprendre quun jeu du type infini - loin de rester seulement une hypothse thorique -
raisons pour lesquelles un joueur de jeu fini situ la rception est peu envisageable. Si
le joueur la rception est qualifi comme joueur de jeu fini, il sagit donc thoriquement
dun jeu fini symtrique, dans lequel les joueurs partent dun mme point de dpart, avec
les mmes rgles et les mmes gains, et la victoire tant conue de la mme faon.
tente de promettre la jouissance dun plaisir ses partenaires, de sorte quils entrent dans
le jeu en tant affects. Ici, lenjeu est de sduire et si possible de persuader les
joueur de jeu fini, il devrait, pour ltre, faire partie de ce public-rcepteur du message
publicitaire qui, aprs avoir assist une campagne pour tel produit, participerait vite
Pourtant, la frquence leve de ce type de joueur de jeu fini est pratiquement peu
remarquera ensuite que, contrairement aux annonceurs, les consommateurs nont ici rien
droule, la symtrie qui caractrise les joueurs de jeu fini est dans le cas du jeu de la
Qui peut donc devenir joueur de jeu infini dans ce jeu de la publicit dont nous
parlons ? Lexistence dun tel joueur peut tre envisage justement comme rendue
possible par la maturit et la marge dont dispose ce consommateur actuel que nous
venons dvoquer. Cest par exemple ce public-rcepteur qui, ayant vite fait dapercevoir,
lorsquelle est lessentiel dans une publicit contemporaine, lintention intresse cache
pas vers lachat du produit promu, abordant le slogan avec dtachement, esprit de jeu, au
second degr. Il nen considre que lesprit ludique, il apprcie la qualit de lappt sans
avoir envie de mordre lhameon. Ce sont donc des personnes qui se contentent du
plaisir suscit par le message publicitaire crant un espace ludique, sans prendre en
galement des gens qui apprcient la performance ou mme lexploit cratif de telle
publicit, en tant que tel et pour lui-mme, sans se soucier de la rfrence au produit qui
devient extrieure, non pertinente, avec des exclamations telles que Cest gnial, a !
parfois en oubliant le nom de la marque. Ce sont des gens qui sintressent, finalement,
socioculturels sur lesquels elle repose, tant quant limage que quant au langage.
Cest dans cette perspective que nous proposons le flneur citadin comme idal-
type du joueur notre jeu de langage publicitaire, savoir du joueur un jeu qui est
infini en tant que jeu de culture. Cela veut dire que, ce flneur sincarne plutt dans un
citoyen assez cultiv, qui possde certes dhonntes capacits intellectuelles mais qui
nest pas forcment pour autant ce quon appelle un intello 440. Ni abstraction ni
440
Il sagit a minima du niveau qui lui est ncessaire pour quil puisse comprendre le message publicitaire.
Mais en mme temps, cest un niveau au-del duquel, puisquelle vise un maximum de destinataires, la
communication publicitaire ne doit pas aller. En dautres termes, ce type de communication ncessite un
certain travail de lintelligence chez son public, mais il ne vise pas exclusivement les intellectuels .
Cest pourquoi ce maximum indpassable provoque auprs des critiques de la publicit, qui sont le plus
souvent des intellectuels, une accusation prtendant que non seulement la publicit ne relve pas la culture
226
invention, ce promeneur citadin, la fois rel et symbolique, est une personne anodine
qui se rencontre bel et bien, frquemment parmi les gens ordinaires. Enracin
entirement dans cette maturit acquise et cette marge trouve dont nous parlions, ce
flneur est une sorte de pote en ce quil remet en jeu les limites, les frontires tablies,
avec poiesis et imagination, et cela au cur mme dune socit de consommation. Voil,
bref en un vritable joueur, jouant pour lamour du jeu, sans rien gagner ni perdre ?
populaire mais mme quelle la rend vulgaire. Toutefois, de par sa nature mme, la publicit ne peut tendre
exalter une culture de lexcellence, de lexception, pas mme lever le niveau du peuple .
227
1. La dviance
Cette caractrisation de barbarie employe pour dfinir le style de lpoque,
nous conduit naturellement penser quelle est inspire par la vision du langage comme
441
Cf. Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010.
442
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p.44.
228
de quelque chose qui se doit dtre civilis , en toutes circonstances. En ralit, ceci
que lon doit comme tel respecter. Cet ensemble concerne effectivement tous les niveaux
ce terme de civilis, on peut dire que si une lgance est recommande, une correction est
absolument impose.
Par exprience on sait dailleurs bien que, si commettre des fautes dans sa pratique
de la langue est quelque chose dinvitable, cela nen apporte pas moins des
des malentendus. Pour cette raison, les violations des normes par ignorance ou par
langue.
Or, tout loppos dun tel interdit, la publicit met prcisment en uvre de telles
violations. De fait, une bonne part des slogans publicitaires, ceux que nous avons
mentionns plus haut et ceux que nous allons rencontrer, transgressent les rgles dor de
tel genre dopration, que lon peut qualifier de dviance linguistique intentionnelle,
cest quil produit un certain effet auprs du public, effet qui comme tel est jug bon,
mme, ou plutt parce quil va dans le mauvais sens selon les esprits autoriss .
Mais alors au nom de quelle logique peut-on assurer que ces produits dviants
Face une telle remise en cause, on peut dire, en un mot, que cest limaginaire
langagier qui est engag. Or, pour bien se rendre compte de ce quest limaginaire
langagier, il semble quil faille, dans un premier temps, le considrer avec tout ce
langue saccompagne dune conscience normative, qui la considre la fois comme une
institution, une convention ou un systme de promesse... Lide qui prside une telle
229
manire de la considrer est une conviction morale sociale selon laquelle nul ne peut la
changer son gr. Daprs la linguistique, les mots peuvent tre considrs comme un
produit arbitraire , sagissant de leur naissance. Pourtant, une fois forms et admis, on
ne doit ni les changer, ni les modifier dune manire arbitraire . On peut dire, en un
sens, que cest entre ces deux qualificatifs arbitraires que se confinerait la nature
Quant cette question du caractre social de la langue, nous pensons que) la cl est
partiellement, selon des critres trop limits. Pour notre part, nous estimons que nous
Dune part, on peut parler dune communaut de langue . Cest la vision dune
communaut linguistique o cest lemploi de ceux qui ont lautorit linguistique qui
prvaut, en ce sens que toutes les oprations langagires doivent se conformer leur
modle qui vaut comme norme linguistique et sociale. On peut comparer cela au
dassemblage, sinon elle risque dtre de travers, ou non montable. Cest, sans doute, ce
type de mode de fonctionnement fond sur le mode du modle que ressemble la notion
de communaut linguistique o lon prend place par lducation reue lcole et dans la
famille. Ici, on peut penser aussitt la manire saussurienne que la langue est un fait
social en ce que lindividu enregistre passivement 443 et quune fois que quelque
chose a t admis comme produit conventionnel on doit le suivre comme une rgle.
443
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, op. cit. p. 30. Pour souligner cet aspect
normatif de la langue, Ferdinand de Saussure compare la langue au jeu dchecs , en mettant laccent
sur la nature rglementaire des jeux de socit.
230
mots est considr comme un code , tous les membres doivent le respecter. La
linguistique. Pourtant, il semble que, si lon suit une telle conception dune communaut
linguistique, on sera amen invitablement une vision dans laquelle seules vivent les
normes et les rgles, sans que lhomme et les paroles soient pris en compte comme ils
sont, alors que ce sont eux qui vivent effectivement. Si lhomme est matre de la langue
et quil doit suivre les normes de celle-ci, lhomme et la langue constituent un rapport
lusage le plus vivant et le plus rpandu qui sera prioritaire, au sens o les pratiques
langagires qui se produisent effectivement sont celles qui sont prendre en compte
provenant dune activit qui, en tant quadvenant spontanment, a comme telle autorit,
puisquelle rpond aux mille et une situations relles occasionnes par la communication
concrte. Une telle communaut embrassera donc aussi bien les dialectes rgionaux que
les divers types de parlers utiliss par les jeunes des villes, mais aussi les modestes
tentatives issues des trangers444. Aussi une telle communaut de parole se fondera sur
les situations de communication, des cas les plus officiels jusquaux plus intimes. Une
et htrognes.
Dans une telle communaut, ce qui compte est le lieu, lespace o les mots servent :
le locuteur respecte bien sr les normes et les rgles de la langue, mais pas toujours, et il
peut les transgresser inconsciemment mais aussi sciemment, soit en fonction des
444
Dune manire gnrale, ce sera le cas o la langue est manie par un tranger qui forme une phrase
franaise en appliquant ce dont il dispose comme connaissances lexicales et grammaticales en essayant de
se conformer ce quil comprend des normes de la langue franaise.
231
pourra tre considre comme une pratique langagire spcifique. Dailleurs, du fait que
cette notion de communaut saccorde avec le niveau de la vie relle, prive ou publique,
alternance, de telle manire que cest tantt lhomme qui prend un peu champ par
rapport aux aspects normatifs de la langue, et tantt celle-ci qui prend lhgmonie sur
ces marges peut se gonfler indfiniment, ou bien, o un rapport inverse entre homme et
Il est crucial, ici, de bien comprendre la nature de l usage . Lusage est une
notion extrmement importante dans la mesure o elle dsigne quelque chose qui peut
affranchir de toutes les notions poses a priori et mme de la raison dtre originelle
des choses, quels que soient les objets concerns, des plus banals et simples jusquaux
produits des technique de pointe. Cest ainsi que, par lusage, la photographie, invente
dabord pour un simple enregistrement fidle des donnes, est devenue un art, et que le
nature dune certaine conception de lutilisation des mots soutenue par ce que nous
rapprocher dun mcanisme aseptis, contraint et moribond . Parce que, selon le point
de vue qui rgit une telle utilisation, limportant est de veiller ce que les mots soient
langage par ce que nous nommons communaut de parole peut tre considr comme une
opration contamine, spontane et vivante , comme une vritable vie des mots si lon
peut dire. Nest-ce pas au travers dune rflexion sur ce genre dusage que lon peut
que nous prouvons constamment dans la vie quotidienne ? Cest un tel usage qui
peut, dailleurs, nous persuader que la langue est quelque chose de plus flexible que ce
232
que lon croyait, quelque chose susceptible de se plier constamment, pour sadapter aux
linguistique est celle de la parole, fonde sur lusage spontan des mots. Ainsi, lon se
rend compte que, telle quelle est vcue par la communaut de parole, la notion de
pour nous, cette communaut de langue nest quun aspect de la communaut de parole.
Cest bien dans lusage du langage tel quil a lieu dans la communaut de parole
que senracine limaginaire langagier dont nous parlons. Pour notre part, parler dun
lensemble des schmas dactions qui oprent dans son usage rel et ce dans une relation
complexe et organique entre les choses. Ce qui compte, cest que le langage, la fois, est
affect par les enjeux sociaux, psychologiques, idologiques, culturels, artistiques, etc.
mais en mme temps quil participe bel et bien ces processus, en y jouant mme un rle
considrable.
Par consquent, dans ces processus o le langage se considre dans lusage rel et
vivant des mots, il nexiste pas comme LA langue franaise et sa pratique est loin du
bon usage . De plus, le locuteur, conu matre et possesseur de sa langue, aura une
norme disponibilit pour sa pratique langagire ; mais ce statut du locuteur tant labile,
Cest ainsi que limaginaire langagier devient le point de vue suprme pour comprendre
le langage.
Dans une telle perspective, il se trouve que les systmes et les composantes propres
langagier.
logique interne qui expliquera enfin la dviance linguistique des slogans. Cela dit,
dans un tel cadre plus large, les phnomnes jugs dvis des slogans peuvent
renatre comme des faits dynamiques dans leur ensemble, non plus comme une
simplement le fait objectif de ne pas se conformer aux normes, mais tout autant la
consquence dune tiquette 446 qui est colle au dos du dviant par ceux qui le
reprent et le traitent. Dans un mme registre, mais sur le plan linguistique, Blanche-
Nolle Grunig souligne qu il est diffrent de violer les lois dune langue, de les
transgresser parce quon les connat ou reconnat (en quelque sorte de saluer le dieu par
le fait mme quon joue les iconoclastes) ou de servir une bouillie pour les chats dont la
linguistique, la dviance constitue, non plus une simple dsorbitation, lune des
rien voir avec cette ide. Mais, contrairement il sagit de reconnatre que la nature
445
Il faut noter quil existe aussi une autre conception dun imaginaire linguistique qui sest rpandue,
dans les sciences du langage, notamment en sociolinguistique. Celle-ci se borne traiter de la dynamique
des systmes linguistiques : phonologiques, morphosyntaxiques, smantiques, etc. Anne-Marie Oudebine a
utilis pour la premire fois en linguistique ce terme d imaginaire en vue dexpliquer la dynamique du
systme phonologique du franais. Il semble pourtant que rcemment ce terme imaginaire semploie
sans pertinence au sein de la linguistique.
446
Howard Becker, Outsiders. tudes de sociologie de la dviance (1963), Paris, Mtaili, 1985.
447
Blanche-Nolle Grunig, Les Mos de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 204.
234
langagire.
Si on regarde la situation du contact avec des slogans, on se rend compte que lon
ressent un certain effet 448. Ce fait mme montre que les slogans sont sous lemprise
des normes quils bousculent. L, on peut savoir que les normes linguistiques continuent
sorte d cart qui relve du dphasage entre les normes existantes et leur part
abme . De ce fait, on peut noter que les normes linguistiques, en tant que condition
existante comme telle, sont, la longue, respectes mais dune manire tremblante. Cest
sur cet aspect tremblant et dans lcart que suscite celui-ci que vit notre jeu de langage
publicitaire. Nous allons enfin examiner ce jeu spcifique qui vit dans divers ordres de la
langue et dans lexprience quen fait le public, exprience qui est une version autre de
lusage.
448
Or, dans une perspective qui ne considre que la communaut de langue, ce qui est absurde est que les
phnomnes dviants ne sont pas reconnus, alors que leur effet est pourtant bien senti. Vu que cette langue
est le produit de lobissance des normes, les phnomnes de dviance illustrs par les slogans ne sont
considrs que comme un ensemble de phnomnes dommageables heureusement phmres. Ils ne sont
considrs que comme des fautes commises par ignorance et inconscience dans lemploi de la langue. Au
mieux, ils font lobjet dune correction.
449
Henriette Walter, Le Franais dans tous les sens, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 281-293.
235
450
Ici, les termes de nologie et nologique sont employs dans leur sens gnral, pour viter de
tomber dans des dbats terminologiques de dtail. En effet, la linguistique fait une distinction. Selon Salah
Mejri et Jean-Franois Sablayrolles, le concept de nologisme est invoqu couramment au travers de
quatre critres didentification: lapparition rcente du mot dans le lexique , labsence du mot dans le
dictionnaire , linstabilit formelle et smantique du mot , la perception du caractre de nouveaut
par les locuteurs . Quant au concept de nologie , il se prsente comme un terme qui dsigne cinq
champs : le processus de cration lexicale , ltude thorique et applique des innovations lexicales ,
lactivit institutionnelle organise et planifie en vue de crer, recenser, consigner, diffuser et implanter
des mots nouveaux , lentreprise didentification des secteurs dactivits spcialiss qui requirent un
apport lexical important en vue de combler des dficits de vocabulaire et lensemble des rapports avec
les dictionnaires . [Salah Mejri et Jean-Franois Sablayrolles, in Langages, n 183, 2011, p. 4.]
451
En 1969, lorsque lHomme est arriv sur la Lune pour la premire fois, les mdias ont invent alunir
par analogie avec atterrir et pleinement utilis ce terme. Ce verbe nest toujours pas admis par l'Acadmie
franaise qui recommande l'emploi datterrir sur la Lune.
236
Fig 8452
452
En ce qui concerne la transcription des slogans, nous transcrivons tels quils sont donns, mais nous ne
pouvons reproduire dans notre texte les effets typographiques, calligraphiques, graphiques, etc.
237
On va fluncher! (Flunch)
Vous chque djeunez, vous conomisez (Chque djeuner)
a dcouf (Surcouf)
reVittelisez-vous (Vittel)
des deux mots anglais : fast (vite) et lunch (djeuner). Pour accentuer encore
limage de son enseigne, la chane de restauration rapide a invent un verbe fluncher dont
la campagne publicitaire dans sa version crite453, ce qui nous frappe, cest quun verbe
nologique est ici utilis dune manire arbitraire . Un autre exemple semblable est
verbe compos chque djeuner. Dans cette campagne aussi, on a mis en forme verbale
dinformatique situ dans le 12e arrondissement de Paris, il est vident que le magasin a
tent ici de donner de lui une image positive en utilisant lexpression dcouf , calque
dexprimer leffet de quelque chose qui produit une forte impression ou qui cause une
surprise. Parmi nos interrogs, personne ne parvient dfinir exactement ce que veut dire
cette expression. Pourtant, le slogan de Vittel se laisse comprendre, sans difficults, grce
plusieurs slogans qui mettent en valeur par lemploi du suffixe -issime , accol un
453
Sagissant du mme slogan diffus sous la forme audiovisuelle, Flunch a perdu un procs pour
avoir plagi le tube des chanteurs franais Gilbert Montagn et Didier Barbelivien On va s'aimer . La
marque s'est permis de reprendre l'air du refrain avec les paroles On va fluncher . La bataille judiciaire a
dur neuf ans, pour s'achever en dcembre 2006 en faveur des chanteurs qui ont d se pourvoir en
cassation deux reprises. La cour a rendu son verdict en vertu du principe d'ordre public de l'inalinabilit
du droit au respect de l'uvre.
238
Fig 9 Fig 10
portent au superlatif ce quelles font, ou sont, ou mme cette marques elle -mme, au
deuxime degr grce au suffixe magique -issime 454 qui absolutise absolument.
454
Cest un suffixe emprunt l'italien -issimo ou au latin dont il provient -issimus . Il a une valeur
superlative, mais est parfois utilis avec une nuance ironique ou plaisante. Dire clbrissime peut
consister se moquer de cette prtendue clbrit. Il sagit surtout dun suffixe employ par plaisanterie
qui ne forme pas des mots acadmiques mais des nologismes amusants.
239
marque une inutile emphase lorsqu'on applique ce suffixe des termes dont le sens,
vouloir faire semblant de ne pas comprendre que lemphase ne semble jamais inutile
dans ce domaine de la publicit : elle est son me. Alors, que dire ces formes
Galerie Lafayette est devenu maintenant un mot quasi ordinaire, tel point quon le
rencontre aussi dans les vitrines de petites boutiques de quartier en priode de solde.
De fait, ces emplois fautifs commis par les slogans publicitaires ne posent pas de
Sagissant de ces formes simples, on se rend compte que les produits ou les
marques visent crer de nouveaux sens et mme de nouveaux univers. cet gard,
rprhensibles, car on les considre comme une extension des enseignes, munis
contrairement ce que lon pourrait croire, ces types dexpressions ne sont pas
Vidal, le BVP (ARPP actuellement) travaille au cas par cas sur chaque message
455
www. academie-francaise. fr. dition du 02 fvrier 2012.
240
langue. tant donn que toute action publicitaire est une action grand enjeu, mme
forme simple, sans lien avec le nom dun produit ou dune marque.
sur la conjonction de deux termes existants. Il sagit dun type particulier de mots
mler deux plans de la formation des objets linguistiques, qui sont rgis par des lois
incomparables. Depuis toujours, depuis lcole, nous avons t contraints dans notre
usage ordinaire de la langue, loral comme lcrit, aligner les mots lun aprs
lautre comme des perles sur un fil. Or le mot-valise se permet quant lui de mler
deux mots qui, au lieu de se succder, imbriquent leurs syllabes. Selon une tude,
lun des premiers mots-valises connus en France est le nom de la fameuse rsidence
456
Marie-Ccile Dhuin-Vidal, Lapplication de la loi sur le respect de la langue franaise dans la
publicit , in Odile Challe et Bernard Logi (sous la direction de), Marques franaises et Langage, Paris,
Economica, 2006, p. 102.
457
Alexandre Minda, Mots-valises poignes, Paris, LHarmattan, 2004, p. 10.
241
Fig 11
Quant au premier cas, pour faire comme si minceur ne pouvait pas ne pas
venues de deux mots diffrents. Par dfinition, un mot-valise doit faire entrer en lui deux
mots ayant un fragment phonique en commun. Dans ce slogan, ce fragment phonique est
[m]. Pour l informagicien du second slogan aussi llment phonique en commun est
magicien . Mais on peut aussi penser quil sagit dune simple permutation de la lettre
mot-valise . Ceci nous rappelle lexemple qua donn Sigmund Freud pour expliquer
242
et millionnaire )458
audacieuse. Il sagit de formations partir de deux termes, mais qui nont pas le fragment
srie de campagnes avec des slogans dcoiffants . Nous nen examinerons que trois
Fig 12 Fig 13
458
Sigmund Freud, Le Mot desprit et sa relation linconscient (1905), traduit de lallemand par Denis
Messier, Paris, Gallimard, 1988, p. 56. Freud trouve cette expression dans une uvre dHeinrich Heine et
la prsente comme son premier exemple de mot desprit dans ce livre. Il fait ce commentaire : Et cest
sur ce mot mixte - famillionnaire - , incomprhensible en lui-mme, mais instantanment compris et
identifi comme un mot plein de sens ds quil apparat dans son contexte, que repose leffet
irrsistiblement hilarant produit par le mot desprit, effet dont le mcanisme, il est vrai, ne devient
daucune faon plus clair pour nous du fait que nous avons mis en vidence la technique du mot desprit.
[Ibid., p. 63]
243
Spacte: [sp-kt]
Adj. se dit de quelque chose de spacieux et compacte.
Ex. une Micra spacte
Modtro : [md-tro] 459
Adj. qui associe un design moderne des lignes rtro
Syn. rtrerne (qui associe rtro et moderne)
apparat comme doublement non pertinent. Dune part, ces mots-valises enferment deux
Dautre part, cette non pertinence atteint au comble, quand ces mots se prsentent comme
Cest dire que la communication publicitaire se moque ici, voire se rebelle contre lordre
considrera ces types comme un scandale. Ainsi, passant souvent pour des mots fous ,
les mots-valises constituent le type linguistique le plus insolent dans son irrespect de
fondamentale, une telle fabrication hybride de termes soit une action qui misant sur
459
Les autres expressions nologiques que Nissan a lances sont les suivantes :
Aborsile : [a-bor-sil]
Adj. qui est la fois abordable et facile
Cit. avec loffre de reprise Argus + 800 euros, la Micra est plus quaborcile.
Performique : [per-for-mik]
Adj. qui est la fois performante et conomique
Ex. la nouvelle Nissan Micra dCi 82 ch est de nature performique !
Spre : [spu-r]
Adj. qui est spontan et sre la fois.
Oh ! Comme la Micra est spre !
Simpologique : [simpo-logik]
Adj. qualifiant un quilibre parfait entre simplicit et technologie.
On dit que la trottinette est simple, lavion de ligne technologique et la Micra
simpologique.
244
profiter le mal de la socit. Il nous semble que le mot-valise est le type linguistique le
plus dviant du systme et son aspect a pu tre caractris de monstrueux . Cest ainsi
monstres 460 et que Alain Finkielkraut parlait, quant lui, de btard 461.
des mots-valises, nous pouvons dvelopper au moins deux arguments Le premier est li
cette question : nest-ce pas dans cet aspect monstrueux du terme quun mariage sauvage
entre mots et choses a lieu ? Cela veut dire quen sloignant des normes linguistiques les
mots pourraient mieux sapprocher des choses. mesure quils se dgagent du rapport
de rfrence simple, les mots eux-mmes peuvent mimer les rapports quont entre elles
les choses : le mot-valise ne serait-il pas leffet dun fonctionnement qui serait un
rapprochement sauvage avec les choses ? Cest ainsi que subliminceur fait
concrtement imaginer que, lhtel Accor Thalassa, on peut profiter dune cure telle
quau travers de celle-ci une minceur qui est admire advient, de la manire
fois, innovante et pratique) ralisent, quant au sens, ce que la voiture en question fait,
quant ltre : cest la mme voiture qui est la fois innovante et pratique, cest le mme
mot qui doit dsigner ce mme fait. Cette ide se justifie galement, si lon tient compte
des nologismes de forme simple o a lieu cette mme conjonction entre mot et nom de
lorsque lon extrapole de cet aspect monstrueux relevant du rapport entre mots et choses
460
Almuth Grsillon, La Rgle et le monstre : le mot-valise, Tbingen, Niemeyer, 1984.
461
Alain Finkielkraut, Ralentir : mots-valises!, Paris, Seuil, 1979.
245
Loup ! (Peugeot)
Compltement givr ! (Toshiba)
Givr (Cognac)
0% Moche (Lancia)
Soyez mgalo ! (Sony Vaio)
462
Cf. Jean-Pierre Teyssier, Frapper sans heurter, Paris, Armand Colin, 2004.
246
Fig 14
par lemploi de mots quotidiens que lon utilise souvent sans mme sapercevoir de leur
niveau. Pour cette raison, face une campagne les employant, personne ne sera surpris
par ce qui relve du contenu dun tel vocabulaire. Mais, l, il nous faut recourir une
autre interprtation pour saisir leur effet. Cest--dire que ce qui compte dans le cas de
ces slogans, ce nest pas le contenu de leur message, mais leur manire de le prsenter. Si
ces slogans suscitent un certain effet, cest parce que les termes quils empruntent sont
normalement rservs loral. Cela veut dire que leur mode de prsence est surtout oral,
dans les conditions demploi qui constituent notre familiarit avec eux. Cela tant, le
public prouvera un sentiment un peu drle, dans la mesure o est stimule la sensibilit
Il faut noter quen franais simpose fortement cette distinction entre lcrit et loral.
Il est vrai que dans le domaine de la littrature, cela fait longtemps que certains crivains
247
ont commenc adopter le style oral et que cette distinction a tendance tre relativise
ou mme disparatre, notamment chez les jeunes. Pourtant, cette distinction demeure le
provoque alors un choc, cre une impression de dplac. Contrairement ce que lon
pourrait estimer, ces mots quand ils sont crits - parce quils sont crits - nous dpaysent.
En fin de compte, lattention est attire, leffet souhait est obtenu alors mme que ces
mots sont si banals quils ne devraient pas attirer lattention. Ce qui produit leffet
escompt, est prcisment quils nont pas lair davoir t recherchs, alors quils
Cette sensibilit linguistique est rgie par des rgles non conscientes, dsordonnes
dintuition, elle est, pour les Franais, quelque chose que lon acquit et que lon possde
de faon inconsciente , mais pour les trangers, cest quelque chose quil est difficile
Dailleurs, il serait certainement utile de cerner le moment o, pour tel ou tel type de
personne, est franchi le seuil tolrable de familiarit , o lemploi dun mot devient
considr comme exagrment dplac : une gne en rsulte. Ce que lon peut recueillir
dun got, pour tel ou tel mot. Il est clair toutefois que les facteurs qui motivent aversion
ou got ne se limitent pas la tolrance pour le passage de loral lcrit. Seules des
intresser tous ceux qui doivent concevoir une campagne publicitaire destine oprer
aussi bien par affiche et presse crite, qu la tlvision ou la radio. Ecrit et oral ne
disposent en effet pas des mmes armes. Une telle exprimentation ne devrait pas non
plus tre faite exclusivement sur des mots isols. Le contexte joue un rle considrable.
248
fournir un champ exprimental. Ainsi givr, mgalo, gueule, utiliss peu spontanment
entre mots, sans modification des termes. Dune manire gnrale, nos habitudes dans
lusage du langage peuvent tre considres comme une procdure norme qui est
oriente dabord vers la transmission exacte dinformations. Cest elle qui est enseigne
dans lducation donne lcole comme au foyer. Et nous devons respecter cette
seul sens , cette univocit se fait notamment au moyen du respect des rgles
grammaticales de la langue. Mais outre ces rgles formelles il faut ajouter la prcision de
circonstances pour parvenir cote que cote une communication exacte. En fait, on
cours duquel on peut tre dirig vers le sens global au moyen dun enchanement de
communication sont des mesures de scurit prises pour viter dventuels malentendus
constitue un espace dans lequel cest lambigut, donc une ambigusation du sens qui est
privilgie. Examinons donc comment ce jeu de langage fonctionne comme jeu sur le
double sens partir de ce brouillage smantique . Quand on parle de jeu double sens,
249
cela signifie que la publicit utilise cette ambigut comme matrice de ses jeux. Pour
expliquer le schma de ces jeux smantiques, prenons cette phrase : Pascal regarde la
fille qui est l-bas avec des lunettes . Dans le fonctionnement quotidien du langage, cela
peut renvoyer deux cas : Avec des lunettes Pascal regarde la fille qui est l-bas , ou
bien Pascal regarde la fille qui est l-bas et qui porte des lunettes . Cest--dire quil
ny a pas de problme smantique, car lambigut smantique est leve par des
mme phrase, on puisse tre, la fois, dans les deux cas. En dautres termes, prenant le
sens des mots qui est favorise. Ainsi, par le maintien de lambigut de la signification
En fait, ce recours des mots sens multiples, ambigus, constitue lun des actes
pas tre considre comme un phnomne anodin, puisque la publicit nest plus une
activit anodine. Par consquent, les moyens dactiver cette simultanit smantique
eux tout seuls, sans interaction avec une image de la campagne, peuvent tre la source de
cette simultanit :
Fig 15
Pour les deux premiers slogans, le schma ludique est identique, avec une mise en
attention . Cette simultanit smantique peut dailleurs ne pas tre seulement double
mais multiple, si lon entend intrt dans un sens plus large, celui d attention
favorable que lon porte quelquun ou tat desprit qui prend part ce quil estime
digne dattention, ce quil juge implorant , qualit de ce qui retient lattention , etc.
par ce fait mme, ils crent un certain effet dans lesprit du public. Aprs un instant
dhsitation, le public parvient saisir de quoi il sagit, ds quil se rend compte que ce
sont des publicits pour des banques. Et comme ce terme dintrt a un rapport trs
intime avec lactivit bancaire, le public prend conscience de lintention mise dans le
message par les annonceurs. Ainsi, cette dviance et cette transgression se neutralisant et
monde du jeu de langage. Sans doute, il faut avoir une grande confiance en sa notorit
pour tre certain que, sans autre explication et en particulier sans image, la mention de la
marque va suffire indiquer de quoi il sagit et, grce cela, faire merger nettement le
second sens. Ainsi, dans ces deux slogans, les mots seuls suffisent susciter
Sagissant du troisime slogan, pour quil soit reli lordre ludique par le public,
llment essentiel est lusage du terme compte, plus exactement lidentit de son entre
compte comme nom et compte comme verbe. En effet, cest parce quil est bas sur cette
juxtaposition-rptition de ces mots que ce slogan produit ce drle deffet. savoir que,
dans une sorte de contradiction du premier contenu du message, le public est invit
bancaire, par la rptition de a compte , qui par cette contradiction attire lintention
partir du terme neuf. Cest--dire que lon peut saisir le rapport dabord seulement sonore
entre le chiffre, ltat de nouveau et le nom de marque. En fait, ici, le dicton Il vaut mieux
investir dans le neuf est clair smantiquement. Pourtant, ds que le public prend
conscience que le nom de la marque est 9 Tlcom, le sens du dicton redevient ambigu.
gnant de lambigut et son fonctionnement ludique librateur dans les slogans. Dans le
ludique, on na pas exclure lune des deux interprtations. Elles fonctionnent ensemble.
Il faut garder le flottement, le jeu, lespace libre entre les deux. Dans ce dernier cas, on
peut dire que limage joue un rle, mais son rle ici nest pas dterminant, car le nom de
Ainsi, comme nous venons de le constater, dans certains slogans, le jeu smantique
peut fonctionner, sans laide de limage. Il sagit donc de cas o les mots, contexte
ludique. Mais pour que ce type de jeu puisse se dclencher, il faut pouvoir trouver des
252
termes qui aient une relation relle et fonde sur un rapport avec le caractre du produit
ou du service en cause. En ce sens, on pourra imaginer des slogans qui mettent en uvre,
par exemple, des combinaisons telles que poste et nouvelle , restaurant et menu ,
examiner maintenant les cas o limage devient un lment dcisif pour soulever cette
moyennant lintervention de limage. En fait, les jeux de langage de ce type sont plus
faciles et fort plaisants. Le principe est que lon y conjugue deux types de talents
artistiques : on exploite le contexte verbal pour favoriser lun des sens du terme choisi
tandis que lon travaille sur le contexte iconique pour favoriser lautre sens. Malgr cette
rpartition des tches, il faut souligner que lambigut ne fonctionne que si les deux sens
sont potentiellement prsents sans le systme de la langue. Ce qui compte est donc de les
463
Source de limage : Gallery Speerstra, post graffiti and contemporary art. www. speerstra. net
253
Auto-satisfaction (Darty)
Fig 17 Fig 18
464
En faisant allusion, simultanment, cette double satisfaction des consommateurs, ce slogan doit
lgitimer la signature actuelle de lenseigne, Le contrat de confiance .
254
Afin de dclencher le jeu double sens, le premier slogan a utilis les deux sens du terme
argent, lun comme monnaie, lautre comme mtal blanc. Effectivement, comme modle de
voiture, une Renault Cinetic argente figure dans lannonce. Quant au slogan de BFM, ce sont
les deux sens de serr qui sont exploits avec limage dune tasse de caf. Dans les deux
derniers slogans, les deux expressions faire la diffrence et perdre la tte sont mises en uvre.
Ainsi, pour la campagne de Brother, on se rend compte quune simultanit smantique
fonctionne pour faire la diffrence entre le sens de distinguer, entre coup de soleil , gifle
et pudeur , et le sens de lemporter sur les concurrents. Exactement de la mme manire,
perdre conscience et tre dcapt pour perdre la tte sont mis profit dans la publicit de
Nikon. De nouveau, mais plus nettement sans doute que jamais, on peroit ici le rle de
limage quant au jeu de langage base dambigut. Dans ce jeu double sens, cest limage
qui permet de coexister aux deux interprtations, et en mme temps qui quilibre la campagne.
Souvent, limage joue un rle plus srieux, notamment lorsque le message touche un
sujet sensible, comme le slogan suivant de La Poste :
Fig 19
255
Largent cest comme son chien, on aime bien quand il rapporte (La Poste)
Il est vident que ce slogan met en uvre le terme rapporter. Sans doute, le jeu sur
son double sens pourrait marcher sans le soutien de limage, tant donn que cette action
est lie au caractre dun chien. Pourtant, avec le slogan seul, la campagne risquerait
dtre un peu mal vue, tant donn que largent est un thme sensible et que rapporter
serait un verbe trop cru pour cette question assez taboue en France. Dans cette situation,
cest limage dun chien de dessin anim qui apporte une proximit avec le public, en
neutralisant la sensibilit lie largent : rapporter est une gentille action, et ce qui
rapporte de largent est gentil comme un chien. L, le nerf de la publicit est plutt
limage du chien que le slogan lui-mme. Ainsi, on constate que limage joue aussi le
rle de scuriser une campagne.
En outre, concernant le type de jeux double sens, un autre mode est frquent, o le
slogan utilise les deux sens du mot en sappuyant sur la rptition :
Fig 20 Fig 21
Vis--vis des slogans, le public est absolument contraint de trouver deux sens
diffrents pour un mme terme et une mme expression. On peut dire simplement
quil y a deux variantes et le petit saut cratif465 consiste faire merger deux sens,
en refusant explicitement lautre pour chaque occurrence du terme. Cest une chose
trs banale. Dans le slogan, la rptition introduit deux porteurs de sens, deux
apparitions de signifiant et non pas seulement un seul. Mais pourquoi le public dans
ces conditions ne conoit-il pas la pure et simple rptition du mme sens, mais bien
quelque chose qui a voir avec la mobilisation mmorielle. Par exemple, si lon
monde comme univers, ou peut-tre plutt monde comme gens, mais il ne pensera
pas ncessairement aux deux, bien quil connaisse les deux. Toutefois, sil est
est exactement le mme pour sur terre et lintelligence, quoique le deuxime sens de
Dautre part, on peut faire lhypothse que lon a une sorte dhabitude
mentale qui pousse rechercher laltrit. Ceci peut tre renforc par un principe de
rfrence disjointe 466, selon lexpression de Blanche-Nolle Grunig, qui vaut pour
Le chef ne peut, au sein dune mme phrase, dsigner par deux fois la mme personne,
sauf emphase rhtorique ou au contraire navet particulire. Ce terme ne peut pas par
deux fois avoir la mme personne comme rfrent . Dans ces conditions, on est
apparition de chef. Cest ainsi que lors de la rptition de termes dans de tels slogans,
465
Cf. Jean-Marie Dru, Le Saut cratif, Paris, Latts, 1984.
466
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, Paris, Presses du CNRS, 1990, p. 16.
257
cette habitude et ce principe peuvent nous inciter trouver deux sens simultans
jeu, comme limage des dauphins, qui escorte si intelligemment la voiture tout au
long de la campagne.
de nombreux mots sont polysmiques au sein du systme linguistique tel quil est.
Nanmoins, comme nous venons de le voir, il y a peu de cas o des mots isols
deviennent un motif ludique, et la plupart des jeux double sens sappuient sur un
concours entre mot et image. Dans ces cas, cest limage qui fait natre cette
ambigut smantique qui peut alors tre la matrice de ce jeu double sens et, en
mme temps, cest celle qui sert de boussole pour carter le risque dun rel
malentendu. Ainsi, limage joue un rle prcieux. Or, le crucial ici est que tous les
types de jeux de langage peuvent et vont entrer effectivement dans cette interaction
entre message verbal et image. Pour mieux comprendre cette interaction, il va nous
tre utile dexaminer, en tant que critres, quelles sont les relations de conformit
et de non-conformit quil peut y avoir entre image et texte 467. Examinons, pour
467
Nous empruntons ces termes Martin Joly, Introduction lanalyse de limage, Paris, Armand Colin, 2009.
258
Fig 22
Pour ces campagnes, sont disponibles au moins deux interprtations. Dune part, si
lon considre les choses au niveau le plus ordinaire , le public estime bien-sr dans
un premier temps que ces campagnes sont contradictoires, puisquil y a dsaccord net
entre ce que le message nous dit et ce que limage nous montre. Pourtant, un instant plus
comprendre que Ce jambon Parma nest pas un simple jambon, mais un jambon
suprieur qui na rien de commun avec un jambon standard et que Cette nouvelle voiture
Croma est une Fiat tellement plus Fiat quelle nest presque plus une Fiat468. Ces
slogans peuvent tre perus comme devant tre compris en mode ludique, sans courir de
risque quant lidentit des objets promus. Cest cela que la communication
publicitaire voulait inciter. Dautre part, un autre niveau et pour le public cultiv, le
saut cratif demand pourra relever dun tout autre ordre de la parodie dune uvre dart.
Cest--dire que ces slogans sont conus partir du fameux tableau de Ren Magritte
reprsentant une assortie de la formule : Ceci nest pas une pipe . En ce sens, il sagit
468
Dans cette campagne, nous pouvons dailleurs remarquer leffet minuscule-majuscule dissimil
entre Fiat dans le slogan et FIAT comme nom de marque.
259
dun jeu dallusion une uvre dart, qui traite, justement, de la trahison quil y a, de la
ralit des choses relles leur image. Par contraste, remarquons cette traduction,
tellement concrte dans sa mise en image du texte que leffet en est comique, dans cette
campagne de Grimbergen :
Fig 23
Cette campagne nous montre carrment ce quest une conformit brutale de limage
au texte. Pour elle, cest leffet mme du littralisme de cette conformit, assorti dun
silence se fait depuis 1128, et donc de cette faon lorigine, exactement reconstitue,
quand Grimbergen parat. Ainsi, mme si nous ne pouvons pas la considrer au sens
strict comme jeu de langage, cette campagne est trs clairante pour la comprhension de
la faon dont fonctionne notre jeu de langage. Car cest sur cette conformit que sopre
tout notre jeu de langage. En dautres termes, celui-ci repose fondamentalement sur ce
260
nest pas seulement essentielle pour ce jeu de langage double sens, elle lest aussi pour
limage dans une campagne publicitaire. Il nous semble quelle pourrait rsider dans ce
fait mme que, base sur cette conformit, limage forme comme une sorte d ambiance
globale pour faire passer, donner son cadre, sa personnalit, son style une campagne
reposent sur sa matrialit, sur le son. De mme que beaucoup, dans la posie, a t
inspir aux potes par sonorit des mots ; le champ de la publicit a lui aussi t trs
stimule par la dimension phonique du langage. Pour les publicitaires, il serait en effet
lourd de consquence de ne pas tenir compte des sons. Notre jeu de langage ne pourra
Certains ici relveront immdiatement que nous sommes pourtant en train de traiter
de slogans crits. Mais, quand on parle du son, il ne sagit pas non seulement du son
acoustique mais aussi du son intrieur. Comme nous venons den faire lexprience, nous
entendons ce son en lisant les slogans. Sur ce point prcis, Blanche-Nolle Grunig nous
quil lit : la graphie entrane immdiatement voix intrieure si lon veut, entendue
Mais pour pouvoir envisager quel aspect prend cette relation dans notre jeu, il faut
bien videmment prendre en compte ce fait que le son lui aussi possde en lui-mme de
469
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit., p. 171.
261
enfants qui jouent, comme ils le font souvent, avec des mots dont ils ne connaissent pas
le sens. Quand ils entendent des mots dont la sonorit leur semble particulire, ils
clatent de rire et jouent limiter. Ainsi, imiter et rpter de tels sons, ils prouvent
un certain plaisir bien quils ne sachent pas do il vient. Ce type de ludisme pur -
parce que libr de tout sens et de tout contexte - tend disparatre au fur et mesure que
lon grandit et commence savoir lire. Parmi les adultes, ceux qui savent et veulent jouir
Il est donc important de comprendre, de nous souvenir que le son possde en lui-
mme des traits ludiques, ce que Blanche-Nolle Grunig nomme des trsors
ludiques 470. Dans cette perspective, nous allons envisager notre jeu de langage selon
slogans publicitaires qui reposent sur certains caractres quantitatifs et mlodiques des
rime, qui proviennent doprations entre sons. En ce sens, les slogans publicitaires que
nous allons examiner ici recleront des composantes plus potiques que les slogans
abords sous dautres angles. Mais, compte tenu du fait que la structure de base qui sous-
tend notre jeu de langage est la dviance, considrer ces slogans comme jeu implique
quils doivent en constituer des formes dviantes . Cette logique nous conduit donc
nous demander sil y a une structure majeure qui gouverne le monde de la posie
franaise actuelle. Mais pour envisager quelle pourrait tre cette ventuelle structure
Baudelaire471 :
470
Ibid., p. 173.
471
Ce pome est insr dans la section spleen et idal du recueil, Les Fleurs du mal (1857), 2e dition
262
Une posie se distingue dautres genres littraires par le fait quelle constitue un
rythme au moyen de sons qui souvent se rpondent, notamment les rimes. Et lcriture
finale du pome ne saurait tre que lenregistrement de sa lecture, de son son 472, parce
que la posie tait, originellement, voue tre coute. Dans une posie classique,
comme ici, un certain rythme se rpte, o sinscrivent mots et sens. Ici, il sagit de
lalexandrin, vers de douze syllabes. Ici, on a des rimes croises, par exemple, entre
franaise. Prenons maintenant une autre posie parmi des posies contemporaines. Par
publie en 1861.
472
Les publicitaires exploitent les trsors ludiques que la visualisation du son par lcriture peut
ventuellement receler. Indiquons toutefois quil y a une rupture entre les deux registres, phonique et
graphique. La phonie ne se soumet pas aux lois structurelles de la graphie. Insister sur la phonie ne veut
nullement dire cependant que la graphie nassure pas un rle important dans la faon dont nous
apprhendons un slogan.
473
Dans le recueil, La Banane la moutarde, Paris, Nathan, 1986.
263
sept syllabes pour chaque vers avec rime servie la fin par groupe de deux vers comme
entre sorcire et vipres . Sans doute, la plus grande partie du public a eu trs peu
doccasion, depuis lcole, danalyser la posie. Au fond, ce qui compte pour nous, au
travers de lexemple de ces deux pomes, cest de nous souvenir que cette forme dart du
langage, pour rester populaire doit garder un minimum des contraintes de la versification,
quelles que soient les formes quelle prend. Le vers libre nest jamais devenu populaire.
linguistiques quon peut tirer de la tradition de la posie franaise une sorte de principe
simplifi et un peu caricatural mais opratoire. Cest ainsi que Blanche-Nolle Grunig
peut rsumer ce quest la posie dans lopinion gnrale : Des segments de longueur
constante ont en position finale un son identique 474. Finalement, cest donc cela la
structure majeure qui sest installe delle-mme au fil du temps comme incarnant la
posie telle quelle est perue dans la vie des Franais. Alors, quand on postule que notre
jeu repose sur une dviance, il devrait sagir ici dune transgression par rapport cette
structure majeure. Observons, partir de celle-ci, certains slogans. Ils se prsentent sous
quatre modalits.
En premier lieu, on peut rencontrer des slogans qui semblent bien respecter ce
474
Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit., p. 179.
264
principe. Cest--dire que ces slogans se composent de deux segments de mme longueur
prenant un peu de libert. Par exemple, le premier slogan peut tre considr comme un
assemblage de deux vers de trois syllabes, Pas de trou / que du got . Pour le
deuxime slogan, comme deux vers de six syllabes, Vous avez la Cote / et a vous
rapporte . On pourra dire que ces slogans, avec ses longueurs raccourcis librement, sont
comme des pomes en un seul vers 475. Mme si leur forme nest pas tout fait
En second lieu, il y a des slogans qui pratiquent un cart par rapport la contrainte
constante ont en position finale un son identique. Voici dabord ces slogans :
Ce sont des slogans qui avancent le nom de la marque dans leur premier segment.
Le premier segment est dans chaque slogan diffrent du deuxime segment quant sa
475
Il serait utile, cet gard, de noter que, au Japon, il y a le Haku, posie traditionnelle en trois vers de 5 / 7 / 5,
tandis que, en Core, il y a une posie traditionnelle en trois vers Sijo.
265
Fig 24 Fig 25
marque par une rime en cho dans le deuxime, mme si leur longueur est diffrente.
Comme dans ces cas, la publicit a une tendance trs gnrale insrer le nom de la
marque ou du produit dans le slogan. Mais, on le voit, il nest pas ais de trouver de
parfaites combinaisons, cest--dire des segments qui aient la mme longueur, car les
rencontrer plusieurs slogans qui mettent en uvre deux segments de longueur diffrente
Nous avons encore dautres types de slogans qui prsentent un son diffrent, dans la
position finale de leurs deux segments, les autres lments de leur structure restant les
mmes ou prsentant des similitudes. En dautres termes, ces slogans possdent des
266
Fig 26
Jusqu maintenant, nous avons examin des slogans qui stylistiquement trouvaient
leur saut ludique dans le son. Pour analyser cela, nous nous sommes rfrs la tradition
de la versification, et nous avons envisag une structure majeure qui devrait dominer
la sonorit dans les pratiques langagires qui lexploitent. Cest par rapport une telle
267
structure considre comme modle que se justifieraient toutes nos analyses dans le cadre
domaine de cration. Dune part, il se peut que, quant lusage des sons, les publicitaires
naient pas objectiv en toute clart les processus de production de leurs slogans.
savoir que ces types de slogans peuvent avoir t produits sans la moindre ide
prconue. De mme les potes ne composaient pas tous ou tout moment selon des
que le public nait gure non plus une conscience claire des oprations prosodiques que
Face telle mise en question, nous devons videmment reconnatre quil peut y
avoir des cas o parfois, simplement, des sons chantaient entre eux, en-de de toute
intention ou de toute grille danalyse. Toutefois, il faut tenir compte du fait que les
publicitaires ne sont gure nafs et que le public ne lest pas non plus. Cest--dire que les
o il est entendu dans sa totalit et que le public peut apprcier un effet sonore
accompagnant lachvement de sa lecture, dautant plus que le slogan est un crit court.
Certes, il peut y avoir une distance entre cette trace envisage et leffet rellement
ressenti.
Ce qui est surtout plus dcisif est que des choses telles quun rythme musical que lon
lautre, ne peuvent tre le fruit du hasard. Il faut quelles soient dues des sortes de lois
qui se sont formes naturellement. Car ce ne sont pas seulement les domaines smantique
et idologique mais aussi le domaine phonique qui relvent dun rseau de formes ,
dun univers formel propre la socit. On peut penser, cet gard, que le monde
publicitaire, quant linteraction entre sons, a produit ou est en train de produire des
structures qui lui sont propres. Cette hypothse recevrait par exemple un dbut de
268
confirmation, si la structure phonique du fameux slogan du Loto, Cest facile cest pas
cher et a peut rapporter gros , caractrise par un rythme 3 / 3 / 7 devenait lune des
ne font quun . Car ayant pour base certaines structures biologiques, le langage est
acquis au travers dun rseau des formes qui constituent une socit. Ces formes
structurant l air du temps , nous sommes pris dans leur rseau. Ce sont elles qui
simposent nous comme un schma pour nous inspirer des chansons intrieures, la
manire dont beaucoup de Franais gardent dans leur mmoire, par exemple, le rythme
de lalexandrin ou celui des tables de multiplication tant rptes durant leur exprience
scolaire. Une telle structure sest intgre profondment dans la communaut, le public la
slogans du point de vue phontique. Il sagit dun jeu de langage qui joue sur certaines
parents phontiques propres une langue donne. Soit les deux slogans :
point de vue syntaxique. Pourtant, sa dimension phonique qui fera sens, tant donn que
Franais prononcent dailleurs souvent je veux [v] comme [v], lorsquils parlent vite
notamment aprs est-ce que. Inspire par ce trait phontique, la publicit a mis en
relation cheveux, qui correspond cette prononciation, et hippy, qui a une relation intime
avec les cheveux. Dans cette campagne, un jeune homme la chevelure de hippie prend
269
un sandwich Hippy Toast . Encore une fois, limage joue un rle important dans la
entre [s] et [] inspirant la formule Un chasseur qui sait chasser sait chasser sans son
chien.
position finale, comme dans juste, ou au milieu dun mot, comme dans samedi. Pourtant
que des gens prononcent un e muet en position finale comme [] pas mme []. Do
prononc avec la prononciation intresse [bl], qui est celle de bleu, ou mieux, de Bleue,
termine en [bl] et quil existe un phnomne linguistique qui produit ce [bl], attire son
attention lafft de quelque chose de ludique, et elle rassemble aussitt ces deux
occurrences phoniques. Le domaine du jeu est alors trs vaste parce quen franais,
maintenant un autre slogan qui senracine dans une ressemblance phontique entre deux
termes :
476
Par ailleurs, il faut signaler que la lettre R dispose en franais dune large ralisation sonore pour sa
prononciation.
270
Dans cette campagne, qui a fut lance, pour la premire fois juste avant llection
prsidentielle de 2012, on peut saisir sans difficult que le ressort est la ressemblance
Fig 27
limage, la campagne forge une affinit smantique entre ces deux termes, dont les sens
ne semblent pas si voisins. Ainsi, on est doucement invit penser que discuter pourrait
cette phase, on pourra sinterroger sur lutilit de la minutie dune pareille analyse.
Mais il faut, au contraire, bien prendre conscience que souvent les ressources du ludique
particulier, faire remarquer que ces types de jeu de langage reposent sur une connivence
ou une tolrance entre les membres dune mme communaut linguistique. En fait, ces
slogans sont bass sur un cart ou une ressemblance entre : [v] et [()v], [bl()] et
[bl], [biskite] et [diskyte]. De manire gnrale, les phnomnes concerns sont des
phnomnes auxquels on ne prte pas habituellement attention et que lon produit sans
271
sen apercevoir. Le monde de la publicit tente dexploiter cette libert laisse aux
locuteurs. Comme les normes canoniques existent toujours et que leur rigueur en souffre,
on peut dire quil sagit dun cart ou dune dviance. Ainsi ce jeu sur les sonorits peut
Ce qui est donc essentiel pour que le jeu soit assur, cest une connivence entre les
parvenir convaincre le public quil sagit bien l, avec ces rapprochements absurdes ,
dun certain jeu gratuit, dune offrande la posie que lon veut partager en complices, et
vouloir maintenir une oue fine et exacte en permanence. Il faut parfois aussi savoir tre
gnreux pour les petits lments phoniques qui font indment glisser dans lunivers du
jeu. Il faut donc, dans un tat desprit ludique, accepter de ngliger la diffrence, par
Un autre point souligner quant au jeu des sonorits est quil repose essentiellement
sur un hasard. Plus exactement, il rsulte de lintersection de deux chanes causales
totalement indpendantes lune de lautre, de ce que lon peut appeler les concidences
absolues 477. Seul le hasard a permis que les phonies de je veux , Bleue et
biscuiter concident, totalement ou partiellement moyennant une tolrance phontique,
avec celles de cheveux , ressemble et discuter .
Une telle interprtation peut valoir galement pour tous les jeux de langage que
nous venons dexaminer, ou allons examiner. En ce sens, cette cration publicitaire
pourrait tre dfinie comme laction de chercher les concidences qui existent, par hasard
pur, entre mots et noms de marque , entre mots et mots , entre mots et image et
477
Jacques Monod, Le Hasard et la ncessit, Paris, Seuil, 1970, p. 128-129 : Supposons par exemple
que le Dr. Dupont soit appel durgence visiter un nouveau malade tandis que le plombier Dubois
travaille la rparation urgente de la toiture dun immeuble voisin. Lorsque le Dr. Dupont passe au pied de
limmeuble, le plombier lche par inadvertance son marteau, dont la trajectoire dterministe se trouve
intercepter celle du mdecin, qui en meurt, le crne fracass. Nous disons quil na pas eu de chance. Quel
autre terme employer pour un tel vnement, imprvisible dans sa nature mme? Le hasard ici doit
videmment tre considr comme essentiel, inhrent lindpendance totale des deux sries
dvnements dont la rencontre produit laccident.
272
entre mots et monde , etc. La publicit veut les trouver dsesprment pour en faire
des ncessits. Ainsi, de telles concidences dorigine absolues se transforment, par la
cration publicitaire, en des concidences ncessaires . Prenons un autre exemple. La
socit dassurance Allianz lance cette formule : Avec vous de A Z . On peut dire
quil y a l un jeu sur les lettres de lalphabet. On peut imaginer une scne dans laquelle
des enfants joueraient avec des lettres de bois ou de plastique. Adultes, nous-mmes
jouons aussi, de cette faon, avec les lettres. Mais en donnant une signification
symbolique certaines lettres. Ainsi ce message publicitaire, avec son sens de totalit de
la premire lettre A jusqu la dernire lettre Z , doit comporter un poids
symbolique trs fort 478 . Cest--dire quil laisse penser que lassureur Allianz
accompagne ses clients dans tous leurs projets du dbut jusqu la fin ou quil couvre
toute la gamme des services pour les risques. Mais ce qui a inspir directement le recours
cette expression nest que lorthographe du nom de la marque Allianz . On constate
ainsi que cette concidence nest recherche que pour la corrlation qui peut tre faite
avec la qualit symbolique accorde lalphabet comme totalit en Occident.
sens, que lon possde la matrise des certains contraires. Par exemple, quelquun sait parler
478
Par ailleurs, en reposant sur les lettres, cette expression, qui nest pas forcment un slogan, nous amne
spontanment nous intresser aux divers sens accords aux lettres. La premire chose saisir, cest que
dans les socits occidentales utilisant lalphabet les lettres comportent des significations spcifiques qui se
sont formes au travers de lhistoire. Puis on doit dcouvrir que tout le monde est pris dans leur sens
symbolique, au fur et mesure que lon vit cette exprience au quotidien.
273
franais, cest en particulier avoir emmagasin quelque part dans sa mmoire, parmi des
milliers dautres, les mots suivants courants : bon, paradis, aller, grand, vrai, dur, plus,
premier, intrieur, nuit, tout // dernier, jour, mauvais, faux, extrieur, moins, enfer, rien,
venir, petit, tendre. Parler franais cest de pouvoir tablir entre ces mots des rapports qui
permettent notamment de les concevoir comme des contraires, sopposant deux deux : bon
/ mauvais ; intrieur / extrieur ; aller / venir ; paradis / enfer ; grand / petit ; vrai / faux, etc.
Ces couples sont appels des antonymes . En effet, structurant la langue, cette relation
dantonymie fait partie des rseaux relationnels qui structurent leur tour notre faon de voir
des antonymes qui sont les plus profondment ancrs dans le systme linguistique du
franais, et qui sont installs les plus solidement dans la mmoire du public. Concrtement,
nous allons examiner selon quelles modalits ces couples de mots contraires sont mis en
relation dans les slogans publicitaires, en interaction avec certaines composantes majeures de
Faire de bons slogans bass sur la relation dantonymie, cest ne pas craindre de faire
coexister dans un mme slogan un couple de contraires. Ce nest pas nous qui proposons cela
comme une recette. Mais, cest plutt exprimer la petite conclusion que nous avons tire de
notre observation dun bon nombre de campagnes. Soit, le slogan : Un cerveau gigantesque
frappant lun aprs lautre loreille, dans la simple linarit du slogan. En voici divers
exemples :
dantonymie concerne tous les types de mots mais quil y a diverses manires de faire
slogan exploite utilement les ressources de la position et de lagencement des mots. Lun
des cas de figure le plus intressant est celui o le slogan peut tre divis en deux
fragments, chaque terme antonyme occupant une position extrme dans chacun des
fragments. Ainsi, la faon la plus simple est de mettre des antonymes en fin ou en dbut de
invisible. Succs visible . Mais la publicit valorise aussi normment les antonymes par
une position structurale comparable, le seuil du groupement tant dsign par la structure
du message. Mais, pour que les slogans bnficient de lclat du contraste entre contraires,
Lanalyse srieuse dtaille des lments contraires doit tre laisse la linguistique.
Par contre, ce qui nous parat crucial est la structure A --- non-A , selon laquelle
sentrechoquent ces contraires, tout en mergeant comme deux repres attirant notre
attention. Lexistence de cette structure forme par une phrase courte est significative. Elle
constitue en effet lune des structures majeures qui dominent le discours publicitaire de
275
notre poque. Lorsque lun des deux termes apparat dans un slogan, il est potentiellement
relation sont fortement connects. Elle est dailleurs une relation qui structure fortement
nos reprsentations.
dun phnomne qui semble provenir du fait que la structure dantonymie actuelle est
tellement prdominante.
Fig 28
Le point commun entre ces slogans est quils jouent sur les contraires. Il semble que,
pour les deux premiers slogans, littralement, ces termes contraires constituent la relation
276
entre grand et petit, ici, nest plus quune apparence : on joue sur les deux mots qui, sils
sont ailleurs antonymes ici ne le sont plus. Pareil glissement de lantonymie effective
lantonymie perdue permet des simulations. On fait comme si lantonymie navait pas
disparu, on la simule. Quant au dernier slogan, on peut dire que cette relation
cration publicitaire pousse parfois lextrme les proprits les plus usuelles du langage,
Un autre aspect intressant qui ira dans le mme sens, cest que souvent nous avons
affaire des cas o ne sont pas opposs des termes exactement contraires. Voici un
exemple :
Mais mme si les termes ne sont pas exactement contraires, le public pense quils
semblent tre considrs comme des contraires. Dune manire gnrale, neurone et mot
ne sont pas en relation dopposs. Au contraire, ils ont une certaine proximit, puisque
mot est un terme qui a voir avec lactivit neurobiologique de ltre humain. Pourtant,
dans ce slogan ces deux mots sont mis dans une certaine opposition ou comptition dans
la mesure o ils sont pris dans le schma plus --- que . En fonction de certaines
structures spcifiques, la sphre antonymique peut tre largie. Cest ainsi que nous
constatons que le sens des mots, loin dtre dtermin de faon constante, est quelque
chose qui sassouplit selon les situations. Dans ces conditions, on est logiquement
capable de produire une relation dantonymie partir de nimporte quels mots, forts du
caractre dmiurgique qua une telle structure. Cest comme si lon pouvait tout dire
277
aprs des termes tels que imaginer, penser, rver, croire, supposer, etc. Toutefois, dans
la publicit, les termes valoriss doivent rester dans un rapport de gradualit pour tre
Par ailleurs, un autre phnomne que lon peut rencontrer dans ce cadre des
contraires est lapparition de slogans o les termes fonctionnent comme contraires dans
Fig 29 Fig 30
Cest au travers de tels slogans que nous pouvons apprcier la relation dantonymie
de la manire la plus directe, parce que dans les cas prcdents les contraires restaient
chacun des opposs prend sens immdiatement de sa dpendance lautre. Ainsi, dans
278
Ce qui est caractristique de tels slogans, cest que, des deux termes antonymes,
termes doivent se rconcilier ou du moins coexister dans la tension entre deux forces :
trop directe, et lun des deux termes est oblig de subordonner grammaticalement
lautre. En revanche, dans les cas prcdents, les deux termes cohabitaient
Lintelligence attire lintelligence en examinant le jeu double sens. Mais ici il sagit
479
Varit la plus corse de caractrisation non pertinente, loxymore tablit, dans sa forme la plus
gnrale, une relation de contradiction entre deux termes qui dpendent lun de lautre ou qui sont
coordonns entre eux, soit le vers de Corneille (Le Cid, acte IV, scne 3) : Cette obscure clart qui tombe
des toiles . Il y a bien sr contradiction entre les valeurs smantiques essentielles dobscure et de clart.
Dans un registre historique, on peut rappeler le slogan politique, La force tranquille lors de llection
prsidentielle de 1981. On ne doit pourtant pas confondre loxymore, figure de style, avec le problme de
lvocation dun objet du monde aberrant. Ainsi, cette obscure clart ne signifie pas clart stellaire au
milieu de la nuit .
279
bord de notre nouvelle Business Class, vous avez le choix entre trs
confortable et trs confortable (Lufthansa)
iPAQ Pocket PC. Ceux qui lont se mfient de ceux qui ne lont pas ( Compaq)
Vous ne gagnez pas toujours votre vie en vous amusant. Cest pour a
quon ne samuse pas avec votre pargne (Banque populaire)
Entre cavaler tous les jours... et galoper chaque jour, jai choisi ! (La Mayenne)
Seul un maximum de technologie permet de rduire la consommation au
maximum (Nouvelle smart cdi turbo diesel)
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi
(Alcatel One Touch 302)
Mon client est drle. Mon client est drle. Mon client est ... (Audi)
Ainsi, on constate que la rptition touche le son, la lettre, le mot, un groupe des
mots, une phrase, un paragraphe entier. On peut rpter nimporte quel lment
linguistique. Le point commun toutes ces rptitions est que, quelle que soit la
cre une sorte de musicalit, de rythme autant sur le plan phonique que smantique.
Cest sans doute cela, ainsi que la diversit de ses modes qui fait que la rptition
demander si, au-del dune simple figure banale, cette rptition constitue une
480
Voici des exemples innombrables : Couleur en plus, succs en prime (Epson) ; Nouvelle fleurs nouvelle
volupt Le nouveau parfum sensuel Este Lauder (Este Lauder) ; Four Intuition : un quipement de plus, ce
serait un quipement de trop (Arthur Martin) ; Grand Scnic. Comme un Scnic, mais en plus grand. Grand
Snic. Renault ; Cest bien davoir le choix. Cest mieux davoir cet homme vos cts pour choisir (EDF
Entreprises) ; Certains crivent lHistoire dans les livres, nous, cest dans lacier (Nouveau Seat Altea) ; 100
magasins de communication partout en France : tre toujours vos cts a commence par tre ct de chez
vous (Videlec) ; Arrtons de consommer plus pour consommer mieux (Carrefour) ; Plus quun diesel, le
meilleur du diesel (Alfa 147) ; Avec nous, vos ides formidables seront encore plus formidables (Infocus) ;
Mme si toutes nos cartes ont la mme taille, il y en a une qui convient plus particulirement la taille de votre
entreprise. MasterCard ; e-commerce : e-cre son entreprise e-prend des risques e-peut compter sur nous
(Gan) ; Cest important de savoir ce qua mang le buf quon va manger. Scurit dans les assiettes : mieux
vaux parer que rparer (Carrefour) ; Souriez, vous tes sur la route. Souriez, vous tes la pompe (Alfa 156) ;
Plus de 206 dans une 206 (Peugeot 206sw) ; Entre une Daewoo et une Daewoo, dcidez-vous : prenez les
deux ! (Daewoo) ; Bordeaux et Bordeaux Suprieur. Ftons deux millnaires de millsimes (Appellation
Bordeaux et Bordeaux Suprieur) ; Tous nos disques dor vont enrichir votre disque dur (Vivendi Universal) ;
280
structure majeure qui dominerait le discours publicitaire. Comme une structure qui
repose sur les contraires. En ce sens, nous allons examiner les slogans suivants :
Dans ces slogans, malgr lapparence, les mmes lments ne se rptent pas. La
cration a seulement exploit cette structure de rptition. On peut donc parler dune
fausse rptition. Ces slogans se diffrencient de ceux o lon tente de produire un effet
de diffrence au moyen de la rptition dun mme lment. Ici, nous avons le cas o, au
niveau perceptuel, compte prioritairement lapparence, visuelle ou sonore, dun terme qui
doit sauter aux yeux et frapper lesprit du public. Il se peut donc que se produisent des
enfants. Et vu cette frquence des rptitions, on peut se demander si la publicit est une
activit si banale. Ce harclement par la conjonction de ces deux procds nous amne
nous demander quelle peut bien tre la raison dune frquence si extrme dans le discours
publicitaire.
Tout dabord, nous pensons que ces deux styles ralisent, eux-aussi, une forme de
dviance. Mais alors, par rapport quoi ? Considrons nos pratiques dcriture. Dune
manire gnrale, quand on parle dun bon style, on pense une rdaction dans laquelle
senchanent clairement les ides ou les arguments, exposs notamment au moyen dun
termes ou de passages identiques ne donnant aucune nouvelle information est une chose
Vous viendrez pour les pyramides...Vous reviendrez pour les fabuleuses croisires sur le Nil (Egypte) ;
Difficile de retrouver lmotion dune SEAT ailleurs que dans une SEAT (SEAT)...
281
Lorsque lon veut raliser une rdaction claire et prcise, on consulte donc souvent le
dictionnaire des synonymes. En somme, tout nous a duqus viter de placer des termes
contradictoires cte cte et de rpter des termes identiques. En un sens, une bonne
partie des lments de la grammaire du franais tels que les pronoms personnels et
dmonstratifs sexplique par cette hantise dviter la rptition du mme mot : me, te,
vous, le, la, les, ceux-ci, celles-l, y, en... Les slogans publicitaires peuvent donc tre
considrs comme une transgression dlibre de ces procds, dans la mesure o ils
juxtaposent les contraires pour produire une contradiction et o ils cherchent la rptition
concentrant les deux dans un court espace. Cest ainsi que ce bombardement par les
contraires et de rptitions, une logique plus profonde soit l engage. De quoi peut-il
donc sagir ? On pourra sans doute trouver la rponse dans le caractre mme du discours
publicitaire. En effet, type trs spcifique de pratique langagire, la publicit met tout en
Notre hypothse est que de cela sensuivrait une structure qui domine toute la publicit
de notre poque. Tout dabord, concernant les contraires, une telle structure est si forte
que les significations des contraires en sont relativises. savoir quune telle structure
dantonymie devient mme prpondrante sur les contraires utiliss et leurs significations.
dexpression du discours publicitaire, les mots ne servent plus que comme ses
composantes. De mme, les rptitions obissent la mme logique. On peut penser que
dans le discours publicitaire simpose actuellement une structure majeure qui dirige sa
manifestation vers laspect de rptition. Il semble que ces contraires et ces rptitions
soient leffet dune soumission une structure comportant une disposition double
On voit ainsi sesquisser une forme qui nous apparat foncire. En fait, cest dans
cette notion de forme que les contraires comme les rptitions peuvent apparatre de
manire simultane. Ceci parce quils sont tous pris dans ces structures intgres dans le
discours publicitaire. Cest pour cela encore que les manifestations des slogans peuvent
en effet tant se ressembler sans quil y ait volont de plagiat. Pareille intgration dune
structure peut fort bien ne pas tre consciente chez lauteur dun slogan ni chez le public
personne, elle appartient un univers dont elle est partie prenante. Comme nous
lavons dj voqu sagissant des sons, nous habitons ces univers de formes, ces univers
tisss de formes. Il est vident que lon peut parler d univers publicitaire . On peut
cerner les dsirs et aussi rechercher les reprsentations quils installent comme
dominantes. Dans un tel univers, on est comme port par la vague. En ce sens, on peut
considrer que ces contraires et ces rptitions utiliss dans les slogans sont une
lexistence dun tel rapport entre verbalisation et formes (structure, univers), parce que le
structures majeures du discours publicitaire actuel, celui-ci peut galement former une
structure majeure de la socit franaise. Dans cette concatnation, on pourra lier ces
deux styles un ordre plus vaste, une structure plus globale dans laquelle nous sommes
tous pris. Le fait quune forme (ou structure) nappartienne personne veut dire quelle
En ce qui concerne les contraires, nous avons vu dans une structure de contrarit
contraires. En dautres termes, cest un cas o deux termes plutt lis smantiquement
On peut penser quune telle inversion peut bien videmment se drouler dans
lensemble des activits de la socit. Mais il sagit bien dun schma par lequel
contrarit peut relever dune structure anthropologique en quelque sorte, comme celle
que dcrit Gilbert Durand481. En fin de compte, cette apparition des contraires dans la
publicit peut tre lmergence et leffervescence de cette structure intgre notre vie et
au-del dun simple style qui appelle un rythme, sonore ou smantique, dans le discours
crativit. Mais, ct de matriaux tels que son, sens et style, elle mobilise jusquaux
lments grammaticaux. Nous examinerons ici certains slogans qui sappuient sur lordre
grammatical. Toutefois, cette ide mme que le code de la langue pourrait tre soumise
des activits ludiques pourra tre considre, demble, comme un comble dimpertinence.
Mais, ne serait-ce pas un vritable joueur de la langue que celui qui pourrait trouver l le saut
cratif ? Pour pouvoir parvenir cette phase ludique partir des lments grammaticaux,
comme le reconnaissent Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, une lecture non logique
481
Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de limaginaire (1960), Paris, Dunod, 1992, p. 67-
215. Sagissant de la classification des images, lauteur prsente, pour rendre compte du rgime diurne ,
qui repose sur lantithse comme figure, des structures schizomorphes avec des rapports pur / souill,
clair / sombre, haut / bas, sparer / mler, etc.
284
est demande linterprtant qui est suppos parvenir se dgager de ses habitudes
suivre pour parler et crire correctement une langue . Et, au sens moderne du terme, on met
morphologique, syntaxique, etc. En ce sens, tous les types de slogans que nous venons de
sagit plutt de dsigner les lments linguistiques qui ne peuvent tre classs quen faisant
Fig 31
482
Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, LArgumentation publicitaire, op. cit., p. 60.
285
indfini des et ladjectif possessif vos , alors que le deuxime slogan trouve son
donn que la diffrence entre [a] antrieur et [] postrieur est faible, les deux sons
smantique du message483.
Puis, dans le quatrime slogan, la publicit trouve son support dans le contraste
comique entre pargner et spargner. Ainsi, On spargne des soucis veut dire on a
des soucis en moins, alors que pour on pargne la banque postale pargner renvoie
son moteur repose sur la diffrence entre luxueux et de luxe. Avec lexpression voiture
Dans le slogan suivant, on peut dire quil y a violation des rgles grammaticales,
parce quun tre humain ne peut pas avoir pour attribut champagnes comme sil sy
rduisait par chosification. Si le public est en dsaccord avec le slogan ce nest pas
483
En fait, on utilise cette phrase normalement dans un sens fort et pjoratif, notamment par une
obsession, surtout sexuelle. Justement, cette campagne fait allusion un certain rapport tabli entre voiture
et femme.
286
seulement la syntaxe qui est en cause, mais bien ce que les sciences du langage ont
smantique relativement dautres termes avec lesquels ils sont en rapport syntaxique.
Mais, ces restrictions sont en permanence violes, par exemple, par une animalisation
de lhomme ou par une humanisation de lanimal . Mais comme la syntaxe est forte
dans lusage du langage, lorsquil y a violation, le public doit faire un travail, parfois
comme quand on entend, par exemple, Le voisin aboie . Il semble que ces divers types
de slogans soient considrs comme ceux que lon tente lorsque lon trouve peu dintrt
trange comparatif, qui cre un effet dirrel, de fantastique et de conte, renforc par
limage. Il sagit dune double tranget. Soit une structure lextrieur cest A,
compare des choses qui sont de mme catgorie. Mme si lon sent bien que ce B est
lautre terme de la comparaison, celle-ci nest pas complte dans le slogan, puisque ce
fait douter fantastiquement quil sagisse encore dune voiture... La formule complte,
qui nest pas nonce, prcisant B, aurait t plus platement : cest plus grand quune
Il faut aussi considrer les cas o certains lments grammaticaux doivent tre
mritent bien une attention particulire. Ces deux pronoms sont tellement habituels et
banals que les Franais ne les remarquent pas. Mais leur usage intensif constitue lune
linguistiques. En fait, dans leur usage, ils vhiculent des significations importantes qui
287
comportant on :
Fig 32 Fig 33
Dune manire gnrale, on peut classer cet on pronom personnel ct de tu, nous
vous, ils, elles. En termes linguistiques, cela constitue un embrayeur qui sert ici
relier le sujet parlant la situation concrte de communication. Mais cet gard, il faut
immdiatement sinterroger, car, tout dabord, on ne sait videmment pas qui est leur
rfrent lorsquon lit des pronoms personnels dans un slogan. Ainsi on peut se demander
qui est Je et Vous lorsquun personnage dit Je (moi, mon, mes...) parle
Vous (votre, vos, le vtre...), Tu (toi, ton, te, le tien...) dans un slogan. Quand un
personnage dit Je dans un slogan, le public se sent plus concern plutt qu un autre
personnage. Parce que le public est la cible de la publicit et que dans la publicit de
papier, le public est plus intress par un spectacle solo (one man show) que par un vrai
288
interpelait. Il est trs rare de lire un dialogue thtral classique sur un panneau
place de je, tu, nous, vous, ils... Cette pratique pourrait sexpliquer sans difficult, en
tenant compte de la nature de la publicit, type de communication qui veut et doit garder
Pourtant, il semble quon ne puisse pas se contenter de cette explication, car cet
on semble avoir une autre signification, plus importante mais plus fine et qui ne
saurait tre prise dans la grille grammaticale ou linguistique. Il nous semble que
simple reprsentation grammaticale du fait que le sujet personnel nest pas dfini . En
dautres termes, dpassant lordre grammatical, cet on montre que les participants de la
communication ont en commun de participer tous dun ensemble qui est le plus large.
Comme on vient de le dire, une forme (structure) qui nappartient personne est tout le
monde, un pronom personnel sujet qui ne rfre personne rfre tous. Ainsi on peut
dire quen passant par cette impersonnalisation, le sujet parlant est finalement personne .
En ce sens, on peut citer ces paroles de Martin Heidegger : Le on qui nest personne
de dtermin et qui est tout le monde, bien quil ne soit pas la somme de tous, prescrit
la ralit quotidienne son mode dtre. 484 La pratique du on nest pas autre chose
on, la publicit est dans le fond plus une communication commune (et communautaire)
Ainsi, Louis Quesnel note que le monde de la publicit est celui du on heideggrien,
de slogans :
Fig 34 Fig 35
termes linguistiques, cest un certain dsignateur qui permet dans lusage quotidien
de la langue la dsignation de diffrentes sortes dobjets, qui sont chaque fois leur
rfrent. Dans ce sens, a est utilis, dans tous ces slogans en mode anaphorique ,
qui renvoie ce qui prcde. Puis, on peut remarquer quil est curieusement chaque
485
Louis Quesnel, La publicit et sa philosophie , in Communications, n 17, Paris, Seuil, 1971, p. 62.
290
fois reli au verbe changer. Et que ce qui est chang est souvent beaucoup : tout , la
vie , le reste .
Car ce qui est essentiel, cest que, part cette fonction rfrentielle, ce pronom
indfini consiste prendre un tout ou une entiret sur le plan smantique. Dans
le dernier slogan aussi, a est li la notion de tout , tout le reste dans la mesure
o le reste est tout ce qui nest pas dj pris. Alors que le on appartient tout le
formera, en mme temps, une sorte de cadre universel (lunivers). Ce cadre est indfini et
indtermin. On peut dire que ce a nest dfini exactement ni du point de vue rfrentiel
du monde des choses. Alors que le on ne couvre pas le a , celui-ci peut bien
trouver un seul mot qui puisse dcrire le monde entier, ce serait bien a . Ainsi, a est
un terme qui peut en le reprsentant nous lier au monde entier. Il peut mme dsigner un
univers inexistant. Ce qui est paradoxal est que ce a , qui reprsente dj tout
constitue une sorte de black hole (trou noir). Il est la foi sujet et objet, et la fois point
transgressant les normes, puisque, sur le plan rfrentiel, ils rendent floues personnes et
choses. Toutefois, ils semblent plutt tre une tentative de mise en mots ou de
travers de ces deux mots, on peut exprimer le monde entier, ce monde o il y a constante
certain a-onisme dans lesprit du jeu de mots. Et nous terminerons notre propos par
ce slogan dallure mtaphysique qui pourrait nous conduire mditer sur le rapport
on et a :
291
Fig 36
Lune des caractristiques du discours publicitaire est son recours aux langues
trangres : Think different (Apple) ; Just do it (Nike) ; Nespresso, what else?
(Nespresso) ; Benvenuti a casa (Natuzzi) ; Veramente italiano (Martini), etc.
Dailleurs, tellement de mots trangers sont utiliss dans le discours publicitaire que lon
devrait traiter cette thmatique part. Cest videmment langlais qui apparat trs
majoritairement et fait lobjet dun dbat. On se demande si ce recours aux langues
trangres est une forme de crativit ou plutt la preuve dun manque de ressources.
Sans pouvoir donner une rponse tranche, on peut tre intress par les slogans
suivants :
Fig 37 Fig 38
proximit entre le nom du modle du tlphone portable galaxy et le mot fraais galaxie
qui dsigne une nbuleuse en spirale pour voquer une constellation damis relis. Pour
participe du verbe anglais bear, compris de beaucoup de Franais. Les deux derniers ne
En effet, ce genre de mixage doit rester trs basique mme sil donne une dimension
utiliser une langue trangre pour le public franais, cest dj courir un certain risque.
comme lintrusion dun autre systme. Dans lesprit puriste et protectionniste, on pourrait
mme parler dune invasion par une langue trangre ; langlais et ses mots trangers
sont parfois ressentis comme des barbares venus de lextrieur. En fait, en France, la
langue a toujours t considre comme une affaire dtat, qui a dailleurs souvent
lgifr pour la protger des influences trangres. Un bon exemple en est le fait que
293
le gnral de Gaulle demanda Ren tiemble dcrire un livre pour lutter contre
linvasion de langlais 486. Or lhistoire nous montre bien que le franais, venu du latin,
sest enrichi au cours de sa longue histoire dapports venus des quatre coins du monde.
cet gard, Henriette Walter souligne combien le lexique franais ne sest pas content
de dvelopper son hritage latin de toutes les faons possibles, mais quil a parfaitement
su tirer parti de ses contacts avec les usages linguistiques de ses voisins en les adaptant et
Concernant un tel usage de langlais, nous ferons deux remarques. Dune part, on
doit relever que lon tente denseigner langlais ds lcole primaire prsent en France.
Tout le monde veut apprendre langlais pour diverses raisons. Par consquent, une partie
de plus en plus grande du public franais peut lire et comprendre un anglais extrmement
basique. On voit dailleurs que les termes anglais qui sont utiliss ici, happy, new, very, is,
my, yourself... sont dordre lmentaire par rapport aux difficults lexicales ou
syntaxiques que pourrait prsenter langlais en tant que langue trangre. On peut
dailleurs se demander si cet emploi de mots anglais peut tre considr comme parler
anglais. On ne pense pas que des gens parlent anglais du simple fait quils savent placer
au bon moment des mots ou des expressions comme : Yes, Hello, Good-bye, Always, Of
course, Thank you very much, No problem, Oh my God, See you tomorrow, Have a nice
day, etc.
expressions anglaises. De faon gnrale, le locuteur le fait seulement lorsquil sait que
comptence en anglais que de montrer que lon est dans le coup et prt pour la
Dans ce cas, user de mots anglais est plutt une exhibition quune comptence. Ainsi, on
ne peut pas dire que ces slogans mots et expressions anglais, vu leur niveau, parlent en
anglais un public franais. Ils montrent seulement que le public franais est capable de
486
Il sagit de louvrage, Parlez-vous franglais ?, Paris, Gallimard, 1964.
487
Henriette Walter, LAventure des mots franais venus dailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 11.
294
comprendre un anglais aussi basique et que sexprimer brivement en anglais entre amis
est la mode dans la socit franaise. Ils sont comme un signe de complicit, un signe
de ralliement pour tablir un lien. En ce sens, ces mots ou expressions valent beaucoup
plus comme un symbole que comme un usage fonctionnel dune langue trangre. Il en
hao ! au passage dune Asiatique Paris. cette scne, personne ne pensera quil parle
chinois.
Pourtant, dautre part, on peut aussi plus gravement considrer la prsence de ces
mots et expressions anglais comme une relle invasion de la langue franaise par
langlaise, signe dune invasion de la culture franaise par la culture anglaise. Vis--vis
nullement peur de ltranger. Bien au contraire elle sait faire son miel avec tout ce qui lui
vient de lextrieur ; ce qui ne lempche pas de rester elle-mme 488 , tandis que
culture na pas voir avec le pouvoir ni avec ce qui y est li, la crainte et la peur subies
Selon cette logique, le fait quapparaisse massivement langlais dans les slogans
consisterait, notamment, confirmer que tout le monde souhaite partager cette ambiance
488
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 188-189.
489
Ibid., p. 213-214.
490
Ibid., p. 188-189.
295
moderne symbolise par langlais international. Et, cela peut tre un cas o sopre
Pour clore notre propos concernant les facteurs grammaticaux, nous devons relever
que dans certains cas la publicit est parfois la recherche de termes ou dexpressions,
qui restent trs minoriss dans leur usage. Voici, par exemple, ce slogan :
Fig 39
Il est plutt peu ordinaire dentendre lexpression moins ordinaire . Cest une
expression minorise, minoris non pas parce quelle ne serait pas correctement fonde
dans le systme linguistique, ni non plus parce que notre intelligence ny accderait pas
facilement, mais tout simplement parce que lon sen sert peu ou pas. Cet ordinaire
est ici pjoratif : commun et vulgaire. Ainsi, la cration publicitaire a, ici, voulu ne pas se
491
Ibid., p. 193.
296
servir du mot extraordinaire, dun emploi trop ordinaire, trop commun, tout en indiquant
linguistique. Parce que ce qui sappelle structure ressemble alors cette structure forme
par la relation entre ces termes, moins, ordinaire et extra. Cest--dire que extraordinaire
est la forme qui constitue la structure dominante, alors que la combinaison moins et
formations dpend toujours dun usage qui suit les mutations permanentes de la socit.
cet gard, on peut dire que les autres facteurs grammaticaux traits ici suivent
certains vieux Franais demandent souvent : Cest qui cet on ? Nul ne sait ce quil
en sera dans un demi-sicle. Ainsi, on peut extrapoler cette logique tous les lments
linguistiques, tels que lexique, sens, son, rapport dantonymie, etc. Dans ce cas, nous
vient se rendre compte que ce qui sappelle structure est une forme qui se forge
par l usage , quune telle structure change tout moment dans lusage, quels que
soient les niveaux concerns : lexique, sens, syntaxe, son, style.... Par exemple, pour la
structure ne --- pas de ngation, ce pas est de mme origine que pied , et ne
consonnes finales des mots franais que lon prononait moins avant, ainsi dans de plus
ainsi que parler franais, cest vivre cet ensemble de structures, qui se sont formes tout
Une pareille optique est loin pourtant de stigmatiser les structures de longue dure,
de milliers dannes. Mais cette antiquit ne permet pas pour autant denfermer
lintrieur dune grille ternellement fixe tous les lments linguistiques qui oprent et
les phnomnes qui se produisent lheure actuelle. Nous pouvons trouver la raison de
cette impossibilit dans lvocation de ces structures sensibles et indescriptibles que fait
Blanche-Nolle Grunig :
Cette notion de structure comme forme nous fait comprendre que, loin dtre
limage du damier du jeu de go, la langue est un produit qui sest form, dune part, de
faon naturelle, et dautre part, de faon hasardeuse. Quant ce dernier aspect, on peut
noter quune petite part dans lorthographe des mots franais est le rsultat derreurs
typographiques. Noublions pas que ce nest pas seulement la langue mais la socit elle-
mme qui est faite de structures de cette sorte de formes . Nous pensons quune telle
comme structure virtuelle et provisoire. Elle peut tre voque par limage des
492
Blanche-Nolle Grunig et Roland Grunig, La Fuite du sens, Paris, Hachette, 1985, p. 7-8.
298
chemins sur la terre que Lu Xun emploie pour dcrire ce quest une esprance : Sur la
terre il ny avait pas de chemins. Ils ont t faits par le grand nombre des passants. 493
Cest leur usage qui a cr leur ralit, et non linverse. Cette ralit changera en fonction
vue de leur dviance linguistique, nous avons pu voir combien le jeu de langage
publicitaire puise lessentiel de ses ressources dans ltat actuel du systme linguistique
Pourtant, noublions pas que notre objectif nest ni la recherche de telle recettes de
jeu de langage, ni lexamen de leurs techniques. Notre intrt rside ultimement en une
part, on constate des cas o cet tonnement produit, quasi instantanment, diverses
sourire, avec le plaisir qui les accompagne. Mais, dautre part, cet tonnement peut dans
493
Lu Xun, Le Pays natal, in Cris (1923), traduit par Sebastian Veg, Paris, Rue d'Ulm, 2010.
299
certains autres cas crer, aprs une confusion momentane, quelque chose de plus
grave , divers tats tels quun vrai sentiment de choc, une surprise, un sentiment
dpaysement, etc.
Cest bien de ces deux faons que notre jeu de langage publicitaire se diffrencie,
cas, le motif du rire rside dans linteraction qui se produit entre les mots eux-mmes et
ce que connat gnralement le public. Par contre, dans notre jeu, ce jugement ludique est
dtermin par une condition spcifique : il sagit dune cration publicitaire fonde sur la
dynamique linguistique et perue comme telle par le public. Cest pourquoi il faut
considrer notre jeu de langage dans son double rapport simultan la nature de la
En ralit, le respect minimum d la forme des mots ainsi que le souci dun effet
positif sur les rcepteurs du slogan empchent le monde de la publicit dabuser des
-dire que les slogans publicitaires sont les fruits dune ngociation. Pourtant, confront
ce caractre malgr tout parfois paroxystique que nous venons de constater, on en vient
se demander jusquo une telle dviance linguistique , souvent subtile mais parfois
aussi trs grossire, peut aller lencontre des normes en vigueur? Pareille interrogation
surgit notamment lorsque les expressions utilises ont une allure monstrueuse, ce qui est
assez frquent, tout en nayant par ailleurs aucune signification, faute de rfrent et
mme de rapport avec limage. Cependant, nous avons rappel par ailleurs que la
Ici, on peut penser que, tandis que le caractre monstrueux extra-publicitaire relve
publicitaire, non soumis de telles contraintes, sera plus lger, fictionnel, phmre et
insouciant. Par ailleurs, le public reste bien conscient que ces diverses formes aberrantes
fautives. En un mot, cest dans ces aspects fictionnels, artificiels, thtraux que
transparat et que peut tre apprhende cette notion de jeu au sens o nous lentendons.
Cest grce eux que cette dviance est susceptible dapparatre comme irrelle .
Mais qui peut dnier que lirrel constitue une part non ngligeable du rel de la socit ?
En ce sens, cest au travers des caractres quils revtent que lon pourra mieux
Le jeu est stricto sensu le domaine de lirrel, du factice, il est important cependant
de remarquer que cet irrel ne constitue pas un obstacle majeur dans les
reprsentations sociales. En effet, si on se rfre aux ethnologues ou aux
anthropologues, lirralit nest pas une objection ou une apprciation pjorante, bien au
contraire, dans la facticit , lhomme archaque se sent trs proche de lessentiel et de
lauthentique. On peut mme dire que le jeu et la thtralit sont certainement les voies
les plus efficaces pour atteindre lordre du monde , au sens fort du terme, le plus
authentique.494
lunaire, car la Lune nest jamais autant la Lune quavec son halo. Cela signifie que lon
pourra peut-tre mieux saisir le rel au travers de la notion de jeu, du jeu qui, comme une
aura, traverse le rel comme lirrel. Cest quand on envisage le jeu dans sa corrlation
croire la caractrisation mme du jeu propose par Johan Huizinga : Le jeu est une
notion en soi. Cette notion, comme telle, est dun ordre suprieur celle du srieux. Car
le srieux tend exclure le jeu, tandis que le jeu peut fort bien englober le srieux. 495
Cest bien dans lexercice de cette fonction de jeu que lensemble des phnomnes
494
Michel Maffesoli, La Conqute du prsent, Paris, PUF, 1979, p. 153.
495
Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), op. cit., p. 83.
301
franaise, au lieu de ntre que pure suite de jeux de mots sans consquence.
En fait, cest justement par un tel jeu superposant le rel lirrel ou vice-versa que
sexplique au mieux ce rapport entre normes linguistiques et dviance. Ceci revient dire
que le fonctionnement social li leffet ludique se base essentiellement sur les normes
linguistiques remises en jeu sous la forme de jeu. Le public se sent runi dans ce
sentiment primaire partag, car il est produit par un cart vcu semblablement au sein
dun univers linguistique commun. En dautres termes, cest sur lappartenance une
phnomnes de jeu, tantt brillants, tantt triviaux. De faon cruciale, il nous faut
langage publicitaire se niche dans un tel processus circulaire, en tant quy opre,
linguistique.
Pourtant ceci nest pas ais tablir, car la subtilit du processus fait que ce jeu,
communautaire ne se manifeste jamais dune manire nette. cet gard, examinons les
est quelque chose de fait pour vendre . Provocateur de besoins artificiels, la publicit
496
Nous nous contenterons de prsenter ici un rsum des entretiens que nous avons faits auprs des trois
publiphobes et trois publiphiles franais. Nous citons nanmoins leurs expressions les plus caractristiques.
302
nest jamais posie, ni art. Quant aux phnomnes langagiers que manifeste la publicit,
il pense que ce ne sont que tactiques pour crer un choc en vue de sduire les
consommateurs. Pas de diffrence pour lui entre slogan publicitaire et slogan politique :
le langage publicitaire manipule les gens. La publicit par ailleurs abme la langue. Son
avis quant son rapport au langage se rsume ainsi : Je ne suis pas conservateur au
niveau de la langue. Je suis pour les volutions et pour les changements de la langue.
Claire, 67ans, participante la RAP, est participante fidle des campagnes anti-
de cette participation. Pour elle, la publicit est un systme de socit pour vendre, et
une dictature du march . Plus prcisment, elle pense que le message publicitaire est un
conditionnement pour tondre les moutons et que la consommation se traduit par une
consoumission pour reprendre lexpression Franois Brune. Elle naime pas les
sait bien que la publicit est un mensonge, mais ceci ne le gne pas du tout. Au contraire,
bien le langage, il est particulirement intress par les divers jeux de mots dans la
publicit. Pour lui, le langage publicitaire est une manire pour la langue dvoluer .
Le slogan peut tre une forme de posie, mais cela en dehors de la volont des
publicitaires . Le flux des contraires dans la publicit est parce que cest efficace ,
pens cela, mais cest plus puissant que nous . Il reconnat que la syntaxe et
lorthographe, la grammaire en franais sont difficiles . Les mots trangers utiliss dans
56ans, concepteur de La Nuit des Publivores. Cet ancien publicitaire qui veut se faire
appeler conservateur de muse considre les casseurs de pub comme une minorit
qui font beaucoup de bruits coup de mdias. Pour lui, la publicit est avant tout de
linformation, au sens large . Le commerce, qui nest pas ngatif, est un lieu
dchange des produits et entre les gens . La pub doit faire rver les gens et donner
envie de rver . Il pense que le langage publicitaire est une forme de crativit qui
peut devenir une posie, mais ce cas est trs rare . Notamment, il dteste les fautes de
grammaire et dclare quil faut viter sur laffiche. Quant lemploi de on , il estime
des contraires, il pense que cest pour marquer les gens, et a marche, en thorie .
mme sil naime pas tre gn par de la publicit non dsire, au quotidien. Tous les
phnomnes du slogan sont pour lui des jeux de mots pour attirer lattention des
Notre dernire interviewe est Nadine, 61ans, publiphile. Elle ne dteste pas du tout
la publicit, malgr des cas o elle [la] gne . Au mot slogan, elle voque dabord
Slogan, titre du film de Gainsbourg. Parmi les slogans publicitaires, elle adore Dior
jadore et trouve l informagicien trs mignon. Elle est choque par certaines
quelque chose de vcu . Pourtant, elle ne donne pas le statut de posie certaines
elle remarque que la structure antonymique est plus importante que les mots eux-mmes.
304
Elle souligne que le a ne scrit pas et que pour les mots anglais, ils font partie de
Lexamen de ces ractions nous montre que la fonction de lien social lie au
consciemment perue par le public. Cette fonction sociale reste mme apparemment fort
loin de pouvoir tre reconnue par Jean-Christophe et Claire, combattants antipub qui
manifestent une aversion confuse et mme une irritation pour tout ce que fait la publicit.
Il semble que, chez eux, lidologie sous-tendant leur activit doive a priori recouvrir
reconnaissant ainsi la qualit, montrent que la situation est complexe. Alain est quelquun
qui sait ce quest la publicit et qui pourtant reconnat sans en prouver de gne les
exploits langagiers de la publicit. Notons dailleurs que cette fonction nest pas mieux
reconnue chez les publiphiles. Ainsi Jean-Marie saisit bien le rapport entre publicit et
remarquable dans sa raction est quil affiche quand mme une aversion pour les
pense, ne donnent quun avis assez vague face tels ou tels exploits du slogan.
lissue de ces entretiens, nous aboutissons cette conclusion que ces simples
sommes donc rsolus interroger explicitement les interviews sur ce point, leur
demandant sils ne percevaient pas la prsence dun tel phnomne de lien social dans le
fonctionnement du slogan.
de la publicit, faites pour attirer lattention des consommateurs . Guillaume nous donne,
quils ny avaient jamais pens auparavant . La rponse dAlain montre sans doute
Le fait de rflchir la langue ou de jouer avec les mots. a peut faire comprendre un
petit peu mieux les sens des mots. Cest comme quand on cherche une tymologie dun
mot. Je pense que a peut avoir le mme rle. Je ne sais pas si cest vraiment au niveau
social. a, je ne vois pas trs bien.
possibilit dune perception de son fonctionnement dans lordre social. Ce qui est certain,
cest que, comme les rsultats de lentretien nous le montrent, il na en tout cas rien
voir avec le degr dadmiration ou daversion pour la publicit. Cest--dire quil nest ni
consommation, ou bien quelle soit occulte par certains allant-de-soi lis la doxa sur la
publicit et le langage.
Toutefois, comme labsence dune preuve manifeste de quelque chose ne vaut pas
pas preuve manifeste de son absence, cette absence ne prouve pas linexistence dun
phnomne que nous avons de bonnes raisons de tenir pour rel. Nous pouvons trouver
langue ou de jouer avec les mots. a peut faire comprendre un petit peu mieux les
sens des mots. Cela veut dire que le jeu de langage publicitaire est reconnu comme
pouvant faire accomplir cette action. Or, cest bien dans linduction dun tel
sujet dans sa rponse. Peut-tre ce jeu de langage a-t-il pour effet, et peut-tre pour but
chez le publicitaire, il sagit dun besoin demi-conscient seulement. Force nous est
donc dadmettre que le processus de ce fonctionnement social, bien quil puisse tre
Nous pensons alors que ce rle social du jeu de langage publicitaire se droule
dune faon en quelque sorte analogue une exprience mystique dans le public. Pour
publicit comme public ont tous conscience quil sagit dune certaine pratique de la
langue franaise commune tous. Pourtant, cette conscience de partager, au sens o lon
se sert tous du franais en suivant ses codes grammaticaux et lexicaux nest pas explicite
et nassure pas elle seule le fonctionnement dun sentiment social. Celui-ci nadvient
que moyennant la concentration dattention sur le corps de la langue produite par le choc
sorte dnergie suscite par le lger sisme linguistique caus par la cration
publicitaire mme sil nest pas trs fort. Il sagit dune nergie qui est dgage en
raction laction de violer les normes, de ne pas respecter quelque chose de sacr ,
dans lesprit du public le sentiment que ce qui est bless est quelque chose de commun
comme fondement de lexistence sociale commune. Lessentiel nest pas ici lidentit du
mme code de communication partag, mais le fait quil soit ressenti comme quelque
linguistique, une fois ainsi devenue conscient, peut renforcer la cohsion sociale.
Cette nergie rveille comme contrecoup du sisme est comme une puissance
mystrieuse qui provient de la violation de quelque chose de trop basique. Elle nous
307
conscience. On ne peut alors ignorer son existence, mme si lon peut la ngliger tant sur
Cest justement partir de ce caractre mystique que lon peut parler conjointement
dun autre aspect qui ressort de lexprience mystique. Mystique au sens o, malgr
communautaire. Cela veut dire que devant une certaine publicit, le public, fait
parce quelle relve dun fond commun, mais surtout peroit que dautres individus
Combien de fois nous retrouvons-nous, en attendant les transports par exemple, tre
l, dans larrt du temps et de lespace, la regarder et donc entrer en communication
avec elle, et par voie de consquence, communiquer avec dautres individus qui
partagent temporellement le mme espace ?498
Cest ainsi que, bien que chacun des membres de ce public puisse penser que son
inconsciemment comme collective et elle finit par tre perue consciemment comme telle.
Dans cette logique, sous lapparence dune communication entre moi et la publicit,
fait de moi et eux un nous . Ceci parce que ce jeu ne peut se dclencher que
497
Alain Mons, La force des fissures , in Socits, n120, Bruxelles, De Boeck, 2013/2, p. 91-104.
498
Fabio La Rocca, La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS ditions, 2013, p. 227-228.
308
sur la base du fond commun dun ordre rgi par la relation avec autrui : les normes
linguistiques. tant donn que ce moi se dfinit comme moi entr dans dautrui ,
communication en mme temps. Dans les deux cas, ce qui compte est le fait que ce
Selon, Maurice Halbwachs, chaque objet rencontr, et la place quil occupe dans
lensemble nous rappellent une manire dtre commune beaucoup dhommes 499.
En mme temps quon voit les objets, on se reprsente la faon dont les autres
pourraient les voir : si on sort de soi, ce nest pas pour se confondre avec les objets, mais
pour les envisager du point de vue des autres, ce qui nest possible que parce quon se
souvient des rapports quon a eus avec eux.500
499
Maurice Halbwachs, La Mmoire collective (1950), Paris, Albin Michel, 1997, p. 195.
500
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 274-275.
309
Cette figure repose, cette-fois, sur une tout autre faon de comprendre la dynamique
proviennent dun effet de figement bas sur lusage du langage, tant au niveau
les faits historiques et socioculturels. Une telle vision nous conduit naturellement nous
aventurer sur un autre versant de limaginaire langagier. Nous allons examiner, tout
dabord, en quoi cette vision concerne les slogans sous leur aspect de cration comme jeu
de langage, puis observer comment les slogans ainsi considrs affectent notre lien social.
1. Verwindung
Dans cette perspective, ce qui constitue lessentiel de la cration et du jeu jou par
Verwindung en allemand 501 . Pour que lemploi de cette notion se justifie, il faut
quexiste quelque chose qui soit dj-l , qui puisse fournir lobjet dune telle action.
Mais quest-ce qui constitue dans le langage un tel dj-l , capable de servir de
lment dordre linguistique, le langage et son usage peuvent alors tre interprts
parvient pas toujours bien prendre conscience de cela. Cest--dire que ces rapports
501
Heidegger dsignait par Verwindung la reprise, acceptation, distorsion dlments archaques en une
situation contemporaine, en une actualisation au prsent. Cit par Michel Maffsoli, La Contemplation du
monde. Figures du style communautaire, op. cit., p. 105.
310
constituent une structure qui sest installe inconsciemment dans nos habitudes de la
langue. Considrer le langage de cette manire est, dailleurs, dun autre point de vue,
une vision nave et brutale. Mais il est trs important de bien comprendre ces rapports,
figement dans le langage. Cela veut dire que certains lments linguistiques se
coagulent dans lusage, dune part, avec dautres facteurs non linguistiques et, dautre
part, avec dautres lments linguistiques. Il y a peu de cas o lon parle ou crit en
dans les cas o lon apprend une langue trangre, et ce pour un niveau de base. En
dans une situation o lon se sert, avec une intention rhtorique ou non, des lments
linguistiques dj figs comme tels en structures, quels que soient leurs niveaux :
Il faut noter que ce sont des formes qui sont hrites telles quelles, et que nous
rencontrons et dont nous sommes donc plutt des utilisateurs. Il sagit des lments
linguistiques qui se prsentent sous une forme linguistique que tout le monde reconnat,
mais dont nul ne connat exactement lorigine. Ce sont des formes que nous avons
reues telles quelles, sans nous poser de questions sur leurs raisons dtre et leurs
origines, et que nous allons transmettre telles quelles, sans remettre en cause leur
reues, strotypes linguistiques, des proverbes, des dictons, des lgendes, de vieilles
Sagissant maintenant de la formation dun tel figement, on peut dire que son
politiques, de clbrits, des titres de films, des propos lis aux vnements peuvent
ainsi tre rpandues puis se sdimenter, et ce, en un espace trs court, quelques
semaines voire quelques jours. Quel que soit le support de diffusion, verbal, mdiatique
dinnombrables fois ait lieu au travers dune circulation du dire . Cette notion de
circulation est essentielle, parce que cest au travers de cette circulation que les
viennent se figer leur tour au fur et mesure. Le propre de ces lments langagiers
figs est quils forment un bloc comme tels. Un bloc sous forme de formule ou
d image qui sont installes communment dans les cerveaux de tous les
contemporains. Ils forment ainsi, en tant que fixs et communs, de vritables normes
Cette reprise ou ce dtournement concernent donc non seulement la langue mais aussi
le code socioculturel.
sont les origines des mots ou des expressions qui sont utilises comme motif de cration.
Nous avons tout dabord rencontr quelques slogans qui exploitent ltymologie :
Fig 40 Fig 41
qui veut dire bien-tre, la publicit veut nous faire entendre quun grand
nombre de mots franais sont venus du grec. Puisque cette tymologie nest pas
vidente, laffiche ajoute une explication en petites lettres : Mot qui dsigne une
Est-ce la raison pour laquelle vous faites le plein de souvenirs intenses dun
avec laquelle il joue lui aussi, tant donn qu anachronisme signifie contre
( temps ). Dans les deux derniers slogans, on constate un recours des mots
inversement vient de lexpression tour (vice) renvers (versa) , alors que recto
verso (au recto et au verso, des deux cts) vient de folio recto et folio verso.
Ltymologie est comme le pays natal des mots . Sagissant de certains mots,
leur tymologie constitue le moyen suprme pour les comprendre. Quand on connat
meilleurs lments pour comprendre ces mots. Soit par exemple limoger : quand on
peut bien mieux comprendre ce que veut dire ce mot 502. On peut dire que dans ce cas
on sent le sens dun mot au lieu de seulement le connatre. Cest comme cela que
les mots et les choses sont perus comme proches 503. Pourtant, le plus souvent, le sens
tymologique des mots est loign de leur sens actuel. Par consquent, pour la
publicit, il nest pas ais de mettre profit ltymologie, surtout pour une page de
magazine ou une affiche. Cest sans doute pour cette raison que nous rencontrons
plus souvent des slogans qui reviennent au sens littral ou au sens brut des
502
Aprs les premires batailles de 1914, quelques gnraux qui navaient pas fait preuve dune grande
capacit furent relevs de leur commandement et envoys larrire, en partie Limoges, do ce verbe,
dont le sens prit bientt une extension plus grande. [Oscar Bloch et Walther Von Wartburg, Dictionnaire
tymologique de la langue franaise (1932), Paris, PUF, 1989.]
503
Ltymologie prsente un grand intrt. Elle peut tre une cl, non seulement pour dchiffrer les
rapports entres les mots et les choses mais aussi pour approcher du mystre de lorigine du langage de
ltre humain.
314
Figure 42
Tout dabord, la campagne de Ford joue avec lexpression sur mesure. Quand on
lemploie, cest normalement au sens figur spcialement adapt une personne ou un
but ou de faon personnalise. Mais le public fait face une image qui le reconduit son
sens littral : se dit dun vtement excut pour une personne en particulier. Puis, quant
bien entendu, on peut de nouveau saisir le contraste et le rapport entre le sens brut
percevoir le son et le sens figur compris comme il faut, qui valent tous les deux en
mme temps de nouveau ici. Et ainsi de suite, car on peut constater que cest quasiment
la mme faon de jouer qui est sollicite dans les autres slogans.
315
Fig 43
On doit noter que ce type de jeu se diffrencie du jeu sur le double sens, qui repose
sur lambigut smantique dun mot. Par exemple, le slogan Foncirement diffrent
sur tous les points ne suscite aucun trouble au niveau smantique. Cest seulement le
sens brut exprim par limage qui nous fait entrer dans le monde ludique. Ici, on peut
constater encore une fois que limage joue un rle dterminant. Les publicits prsentes
ci-dessus constituent, la fois, un jeu de mots et un jeu dimage.
Fig 44
316
En un mot, concernant ces slogans bass sur ltymologie et sur le sens littral ou
brut, lessentiel est que lon constate un rensauvagement des mots . Il nous semble
que lhomme moderne, lass du sens figur, trop connot et finalement abstrait, prend du
plaisir ce retour ltat brut des mots. En particulier, 225 chevaux et un chien nous
invite, par la prsence du chien rel, repenser lorigine de cette unit de puissance
Ainsi, la nature de cet ensauvagement consisterait nous faire sentir de nouveau que
tous les mots et toutes les expressions que lon utilise ont une histoire et rappeler le
sens quils avaient quand ils taient encore jeunes et pleins de vitalit : leur sens figur
dont on se sert habituellement est comme ragaillardi par ce rveil de leur sens matriciel.
504
Evian a lanc en 2011 cette campagne Live young spirit , positionne sur la jeunesse et dirige par
son agence, BETC EuroRSCG.
317
Ces campagnes nous paraissent trs significatives pour deux points au moins. Dune
part, quant leur contenu, elles nous montrent peut-tre la physionomie globale de
part, quant au mode de communication, nous pouvons y percevoir un art suprme dans le
Cest justement ce que veulent dire les images ci-dessus que nous tiendrons
rechercher dans les slogans qui suivent. Intressons-nous, tout dabord, aux mots ou aux
expressions qui nous invitent retourner, comme tels, notre enfance, mais toujours sous
une forme crative et dans une ambiance ludique. Voici une publicit :
Fig 46
Cette campagne a t prsente sur deux pages de magazine successives par astuce
crative. Quant au message, on peut songer un jeu sonore entre verso et berceau. Puis
Fig 47
voiture qui connaissent cette formule Bb bord. Elle reprsente lesprit de prcaution
dans la pratique routire par le souci de protection des bbs. Sans doute une telle
formule existe-t-elle dans presque tous les pays, puisque cette proccupation de protger
les enfants est universellement partage. Par exemple, dans les pays anglophones,
lexpression homologue est Baby in car . Au niveau de la crativit, ce qui est crucial
est que quasiment tout le monde connat Bb bord comme une expression fige. Cest
ainsi quon peut percevoir dans Parents bord seulement une forme dtourne. Cest
Il y a bien-sr bon nombre de slogans qui nous incitent retrouver notre enfance,
Fig 48
Sagissant du premier slogan, il se peut que lenfance nait pas t euphorique et ne soit
donc pas objet de nostalgie pour tout le monde. Pour certains, leur enfance aura t plutt triste.
Pourtant, on peut considrer le message de ce slogan comme remmorateur ou vocateur dune
petite exprience pnible assez gnralement vcue sans que cela soit jug comme agressif.
Quant au mot maman, cest le mot le plus primitif de lhomme. Combien de fois un tre
humain a-t-il dit ou cri ce mot dans sa vie ? a ne se compte pas. Bien entendu, les
situations o un enfant crie maman et o un adulte crie maman sont trs diffrentes
dans leur fonction. Pourtant cette campagne pour une marque de tlphone portable sappuie
sur une image ludique, celle o mme un adulte pourrait crier maman sans quil y ait pour
autant du danger, parce quon veut retrouver par jeu la peur de son enfance. Cest en cela
quelle peut tre crative. La situation voque est prcisment celle o crier maman serait
injustifi. Donc drle. Et il ny a donc l aucune objection faire au fait que ce mot nous
rappelle notre enfance, puisque la situation montre est celle-l mme qui manifeste un tel dsir.
320
Venons-en prsent aux slogans qui reposent sur lvocation de lenfance. Cest--dire
quil sagit des ressources culturelles lies la priode de lenfance de forme verbale. Voici
quelques slogans :
Fig 49
ABRACADAbra (Wonderbra)
Il tait une fois le palace de demain (Plaza Athne)
Il tait une fois. Pas deux (Syfy)
dincantation Abracadabra est exploite par un effet de contraste entre les majuscules et
les minuscules, sans aucune autre image. Ici, labsence dimage nest pas du tout non
significative, car elle concentre toute, faute dautre chose, sur la formule et son cur, le
bra , en caractre gras, de Wonderbra. La magie agissait tout simplement par cette
Le Il tait une fois sert de commencement aux contes de fes. Normalement il suffit
comme tel, sans que nous soit livre aucune prcision sur la temporalit, en particulier.
Cest une formule fige. Mais ces deux slogans nous causent un petit choc en revivifiant
cette formule. Pour cela, on lui a ajout malicieusement un complment. Ainsi, dans Il
tait une fois le palace de demain , ce demain nous trouble par son futur
321
marque lesprit.
Fig 50 Fig 51
De mme, dans Il tait une fois. Pas deux , ce Pas deux nous fait comprendre
quun personnage ne passe quune seule fois dans un programme diffus sur Syfy, chane
comme un pronom personnel non pas impersonnel, la formule fige, parce quelle est
relle .
Nous avons aussi deux slogans qui ont puis leur motif dans lvocation des fables.
Il ny a que dans les fables que la tortue arrive devant le livre (Audi)
Matre corbeau, sur un arbre ( ) (Mercedes-Benz)
505
Nous avons pu rencontrer exactement le mme type de slogan dans laffiche parisienne lt 2013 : Il
tait 2 fois Disneyland (Disneyland).
322
Fig 52
Les deux slogans mettent en uvre une connaissance commune des fables de La
global de lhistoire, lautre sappuie sur une phrase prcise. Le deuxime slogan prend la
forme dun jeu de devinette . Bien-sr, la rponse est perch, comme tout Franais le
sait.
506
Rappelons que le mode de composition de notre Prologue est emprunt cette pratique de la charade.
323
Quest-ce qui a 4 bras, 4 jambes, une tte et qui sent bon? Un papa (Sephora)
Fig 53
Fig 54
324
videmment, on est surpris parce quil y a quelque chose qui ne va pas entre
nest pas la citation dune parole denfant, qui suscite la non-conformit entre limage
(un adulte) et le message (prsentation dun rve denfant), qui sert de ressort au jeu.
Cest ainsi que ces divers jeux avec des mots ou des expressions, au-del dun
qui compte dans ce retour lenfance, cest quil sagit de quelque chose qui est mettre
ne se fait pas partir de souvenirs clairs et exacts, mais par des souvenirs vagues et
imprcis. Pourtant, cest quelque chose duniversel. Cest un point important. En dautres
termes, ce retour veut dire que tout un chacun, quels que soient son ge, sa classe, son
statut, est peu ou prou hant par la figure de l enfant ternel , qui demeure
significatif :
On ne reproduit pas des souvenirs denfance, on produit, avec des blocs denfance
toujours actuels, les blocs de devenir-enfant. Chacun fabrique ou agence, non pas avec
luf dont il est sorti, ni avec les gniteurs qui ly rattachent, ni avec les images quil en
tire, ni avec la structure germinale, mais avec le morceau de placenta quil a drob, et
qui lui est toujours contemporain, comme matire exprimentation.507
Cest--dire que tous nous avons au fond de nous-mmes ces blocs denfance
sens ! Nous, adultes, pratiquer invitablement des purilits, montrons que nous
507
Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996, p. 96.
325
ce sens, le retour ce temps de la vie gnr par ces publicits suscite une certaine
Pour terminer ce propos, remarquons quil est trs significatif de penser nos
propres enfants. Observer nos enfants, ce nest pas y voir, sur le plan temporel, notre
pass, ni la rptition future de notre vie actuelle, mais y voir, la fois, notre enfance
et l avenir de lhumanit . Dune part, nos enfants sont des tres dpendants puisquils
sont ns par nous ; dautre part, ils sont des tres indpendants de nous-mmes, car ils
sont venus au monde travers nous sans savoir pourquoi. Ils vivent, sous laspect du
prsent, notre pass et notre avenir. Contempler ces petits tres merveilleux ne serait-ce
tait sollicit, les slogans dont on va ici soccuper sont fonds sur les lments qui, bien
quils soient archaques, vivent encore dans notre actualit plus ou moins contemporaine.
Ils reposeraient sur ce que lon appelle le bon sens . En effet, la cration publicitaire le
sollicite normment, car la publicit sappuie, de par nature, sur les connaissances les
Or, si lon considre ce bon sens du point de vue de la sdimentation que nous
linguistiques. Si ces formules figes nexistaient pas dans la langue franaise, comme
dans les autres langues, le slogan publicitaire perdrait lun de ses appuis les plus prcieux.
508
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. VIII.
326
examiner dun peu plus prs ce quest une formule fige. Elle constituera en effet la
notion essentielle examiner non seulement dans lanalyse qui va suivre mais aussi pour
Nous avons dj trait plus haut quelques types de formules figes. Reprenons, par
exemple, Il tait une fois. Ceci constitue un tout dont les parties ont perdu compltement
leur autonomie. Les caractristiques de la formule doivent tre respectes dans leur
intgralit. On peut dire que cette immutabilit est la condition mme de son existence.
Du point de vue smantique, cest le tout de la formule fige qui a un sens global, qui ne
sexplique pas totalement par la combinaison des sens de ses parties comme la syntaxe
lautorise. Dans le cas contraire, si lon fait comme si ctait le cas, on obtient le slogan
Pour cette formule, le principe fondamental assurant son existence est le figement.
ce titre, Il tait une fois est une formule fige et, la fois, lexicalise comme telle.
Cest dire que cest une forme du lexique de la langue que nous devons apprendre par
cur. La langue a bloqu un sens pour la formule globale et le tout de ce sens nest pas
ramenable ce que livrerait un calcul sur le sens de ses composants. De fait, cette
logique sapplique dautres sortes de formules, telles les proverbes ou les titres de films
une fois devenus clbres et centres de rfrence, donc fixs et immuables. Et cest cela
qui intresse les slogans. Dune manire gnrale, le plus souvent, la formule fige a ses
lettres de noblesse. Elle est reconnue, inscrite dans le grand registre de la langue et de la
culture. On ne peut pas linventer. Elle est dj-l , la t et le sera. Sa longue vie
dans la langue et la culture communes lui ont permis dtre solidement mmorise et
Il faut souligner que ce statut de formule fige, version linguistique du bon sens,
nest pas rserve des formes dj-l , transmises de gnration en gnration. Pour
figement a lieu et opre, en ce moment, au cur de notre vie actuelle. Par ailleurs, on ne
327
doit pas oublier que laccs ce rang de formule fige nest jamais un apanage rserv
certains domaines culturels, plus ou moins prestigieux, tels que proverbes, maximes,
chansons, littrature, film, etc. En effet, comme le bon sens concerne tout domaine de la
vie, elle peut apparatre dans toutes les dimensions de notre vie.
En ce sens, nous allons examiner deux cas que nous croyons devenus bien figs, et
cela plus ou moins rcemment. Le titre du film, Il faut sauver le soldat Ryan509, a atteint
ltat de formule fige. Il est si bien devenu une formule fige quil est dj remploy
et dtourn par les mdias, par exemple : Faut-il sauver le soldat Sarkozy ? 510. Cette
nouvelle forme avec modification nest-elle pas la preuve vidente que ce titre de film est
devenu une formule fige ? Le fait que ce soit un titre de film nous amne une autre
question. On pourrait remettre en cause le processus par lequel il a pu devenir une affaire
de langue. Un modeste titre de film, mais ce nest pas l son tout. Pour y voir plus clair,
on va le comparer un autre titre de film, Titanic. Bien que ce film ait eu un grand
succs en France comme dans le monde entier, il a peu de possibilit de devenir une
enrichir lusage de la langue en laissant des traces et des semences langagires parmi les
Lautre cas est significatif en ce sens quil relve dun fait divers de la socit. Il
sagit de linscription : Omar ma tuer. Cest un cas o une phrase implique dans une
affaire criminelle511, est devenue une expression fige par mdiatisation. Elle est devenue
509
Film ralis par Steven Spielberg, sorti en 1998. Son titre original est Saving Private Ryan.
510
Dans le cadre de lmission Politiquement Show sur LCI, diffuse le 29 septembre 2012, prsent par Michel
Field. On peut, dailleurs, plaisamment entendre Politiquement Show comme Politiquement Chaud.
511
L'affaire Omar Raddad est une affaire criminelle trs mdiatise portant sur le meurtre de Ghislaine
Marchal en 1991 sur les hauteurs de Mougins, meurtre dont Omar Raddad, jardinier employ cette
poque par la victime, a t reconnu coupable par la justice, bien qu'il n'ait jamais cess de clamer son
innocence. Dfendu par Me Jacques Vergs, Omar Raddad est condamn en 1994 dix-huit ans de
rclusion, mais bnficie d'une rduction de peine la suite d'une grce partielle en 1998. Omar Raddad,
qui rclame une rvision de sa condamnation en 1994 pour le meurtre de Ghislaine Marchal en 1991, a t
reu au ministre. La clbre inscription en lettres de sang : Omar m'a tuer , prsente sur la scne du
328
clbre cause de la faute d'accord de l'inscription Omar m'a tuer au lieu de Omar
ma tue . Cest cette faute qui est souvent rutilise comme telle et notamment avec un
dtournement dans des titres de presse, par exemple, Omar m'a chapper , Chirac
Ce qui compte dans ces deux cas, cest que leur figement a t assur par la
circulation du dire . ce sujet, nous devons souligner que ce qui les a fait tenir dans
cette circulation, cest plus le mode de leur expression que son contenu. Pour employer Il
faut sauver le soldat Ryan, peu importait de savoir qui tait le cinaste ou si le film
traitait de la Premire Guerre mondiale ou de la Seconde Guerre mondiale. De mme,
pour Omar ma tuer, il tait peu important de savoir si cet homme tait jardinier employ
ou sil tait vraiment coupable.
Certes, on ne doit pas gnraliser concernant un tel processus. Il semble quil
sagisse cependant plutt de choses qui ont t connues dun grand public et vcues par
tous ensemble. Cest pourquoi on pourrait dire que cette grande circulation du dire ntait
pas due seulement la force des expressions mais aussi leur contenu. Nanmoins, avec
le temps, ces contenus tendent seffacer petit petit. Un long espace de temps aprs, les
expressions seules demeureront. Ainsi, on peut dire finalement que la circulation des
mots est un nomadisme du signifiant .
En consquence, ce qui est essentiel dans cette circulation et dans le figement
formulaire quelle cre, cest le fait que lon est mis au courant de ces expressions et
marqu du fait de leur force, de leur pouvoir de suggestion, pas forcment de leur sens
prcis. Ce pouvoir est mme li ce flou qui les rend applicables un peu partout. Cest ce
fait mme qui constitue leur bons sens . Cela peut paratre bien paradoxal des esprits
srieux, mais cest pourtant ce qui se passe en ralit. Il nest pas besoin de connatre
lorigine de tels proverbes ou de tels titres de films, de chanson, de livre... Ce qui compte
est de connatre leur existence.
Cest ainsi que dans la vie quotidienne, il y a beaucoup de formules figes, qui
jouent, bon gr mal gr, comme autant de normes socioculturelles. Divers phnomnes et
crime, reste l'aspect le plus clbre de cette affaire des plus marquantes de la socit franaise des annes
1990. Un film, Omar ma tuer, est sorti en 2011 en France.
329
Fig 55
330
dans le monde entier. Ils sont toujours disponibles dans la vie quotidienne pour une
niveau smantique que mmoriel, ils sont tout prts tre utiliss comme tels. Les
formes originelles. Ce faisant, ce moment les proverbes et les maximes qui nous
Pourtant, on y ajoute certains effets. Ainsi, le premier slogan donne un effet la pluie ,
comme les Romains . Une version anglaise du message dans lespace franais constitue
Fig 56
331
Fig 57
La recette publicitaire qui permet ici dexploiter la formule fige est une opration
de substitution. On remplace un morceau dun proverbe par un morceau diffrent, qui
doit tre significatif par rapport au produit ou la marque. Ici, ce sont Un bonheur et
332
neuf . En effet, ce sont ces lments trangers qui constituent une intrusion dans la
formule fige. Vis--vis des tels slogans, des formules figes mutiles, le public, en
position de dcrypteur, doit avant tout retrouver les originaux de ces formules figes dans
un coin de sa mmoire. Ce faisant, il participe utilement au jeu. Ainsi, il sagit ici de Un
malheur narrive jamais seul et de Tout ce qui brille nest pas dor. En fin de compte,
dans chaque cas, deux formules coexistent dans nos esprits. La formule modifie quest
le slogan et la formule originelle qui est la formule fige. Cest sur cette coexistence
momentane dans nos esprits des deux formules qua pari la cration publicitaire pour
que le jeu russisse.
Nous venons de constater que le proverbe et la maxime sont exploits dans le
monde publicitaire au travers de trois procds : prsentation dune formule originelle,
devinette et substitution. Dautres lments appartenant au fonds culturel entrent dans le
monde des slogans en adoptant galement lun de ces trois procds. Tout dabord, cela
nous est confirm pour le domaine littraire.
Fig 58
333
Ces slogans, le public est invit les complter en recherchant leur forme originelle, quil
a apprise pendant son ducation scolaire ou dans sa famille. Les rponses ce jeu de devinette
sont dans lordre : marquise ; cinq cents, trois mille ; tre. Ainsi, la publicit puise dans le
monde de la littrature en recourant des citations de grands auteurs. Mais en pareil cas, il faut
bien sr que les morceaux cits soient trs connus, comme ici : Le Bourgeois Gentilhomme de
Molire, II-4 ; Le Cid de Pierre Corneille, acte IV, scne 3 ; LIsolement de Lamartine.
En ce qui concerne les citations littraires, il faut remarquer que la crativit publicitaire
ne peut solliciter les lments les plus prestigieux et qui sont les plus partags culturellement.
Seulement alors pour le public franais, ces jeux de devinette pourront passer, notamment chez
le public cible de Mercedes-Benz comme ces slogans lesprent. Pourtant, on ne peut
dempcher de penser que ces citations littraires restent ignores dune bonne partie du public
franais et pas seulement du public tranger qui nest pas imprgn de civilisation franaise.
Pour eux, ces jeux ludiques se transforment en de vraies nigmes, ces slogans devenant des
problmes plus difficiles que ceux de mathmatiques, puisquils nen ont pas les donnes.
Bien-sr, dans certains cas, les slogans recourent des titres duvres qui ne peuvent tre
ignors, comme ici :
En effet, le public peroit sans difficult que ce slogan vient des Mille et une nuits, ce recueil
anonyme de contes populaires dorigine persane et indienne qui est devenu un monument de
lhistoire culturelle mondiale. Si la substitution est possible, cest que 2 jours et 1 nuit qui est
banalement utilis dans le domaine du tourisme et de lhtellerie et qui pourrait masquer
lallusion nest pas seulement relev par le terme conte qui le prcde mais aussi par limage
merveilleuse de laffiche.
334
Fig 59
Les chansons ne peuvent pas ne pas participer cette pratique des jeux sur des formules
figes, tant donn que ce sont elles qui sy prtent le mieux. On noubliera pas que les paroles
des chansons mmorises dans nos cerveaux constituent, par elles-mmes mais aussi grce la
mlodie qui les accompagne, des formules figes verbales idales. Voici quelques slogans :
Fig 60
335
Deux slogans de Mercedes-Benz nous invitent presto deviner sans grande difficult
les lments manquants des formules figes. Ainsi, vent pour le chant populaire de Nol et
belle pour la chanson de lopra Faust de Gounod. Le dernier slogan rutilise la chanson Toi
mon toit (1986) dElli Medeiros.
Soulignons, en particulier, la disponibilit norme que reprsente le support des
chansons. En recourant aux chansons enfantines, on pourrait improviser plaisir, par
exemple, la manire de Mercedes-Benz : Sur le pont dAvignon, on y ( danse ), on y
( danse ) ou Ton moulin ton moulin va trop ( vite ) ton moulin ton moulin va trop
( fort ) . Ou bien, avec les paroles de vieilles chansons trs populaires, on peut samuser ce
jeu de devinette sans difficult : Avec le temps, va, tout (sen va) (Leo Ferr). Plus
difficilement, mais pourquoi pas, avec des chansons succs plus rcentes, par exemple :
Un ( SMS ) vient darriver jai 18 ans (Michael Miro). L, on retrouve lalternative entre
grandes valeurs sres du pass et clats phmres mais suffisamment vifs de lactualit. Par
ailleurs, on trouve un slogan qui a dtourn le titre du film Le Diable shabille en Prada.
Fig 61
336
Bien-sr, le public na pas besoin davoir vu le film, ni den connatre le sujet, mais
pour que le jeu passe, il doit tre au courant au moins du titre. Sinon, ce slogan ne lui dira
rien et deviendra pur charabia.
Intressons-nous encore deux slogans qui font appel la lgende dans le recours
au fonds culturel classique, pour tirer parti du Mystre et de lAncien.
Fig 62
sagit de diverses sortes de suites de mots toutes faites, qui nous habitent dans notre vie
pour son compte. Ce sont des squences de mots qui sont comme des paroles rituelles,
ce genre de paroles qui nous est le plus familier dans la vie quotidienne. Ce type de
slogans se prsente sous les divers aspects que nous avons distingus plus haut, mais sans
que lon puisse y distinguer un genre modle. Abordons notre propos avec deux petits
slogans :
formules sans y adopter aucune modification ni aucun supplment. Cest que lon est
convaincu que ces formules seules suffisent, quelles agissent elles toutes seules pour
influencer, dune manire universelle, tout public, comme les proverbes ou les lgendes
vus plus haut. Cest--dire que la formule Dites cheese et la pratique de compter les
moutons pour dormir sont jugs comme ncessairement plaisantes pour le public.
( ) appeal (Mercedes-Benz)
Son ( ) Srnissime (Mercedes-Benz)
Trop ( ) pour tre vrai (Mercedes-Benz)
Veni, vidi, ( ) (Mercedes-Benz)
( ) sweet ( ) (Mercedes-Benz)
Qui maime me ( ) (Mercedes-Benz)
338
Fig 63
Il nous semble que devant de telles publicits, le public se trouvera comme tout
naturellement, sans sen apercevoir, en train de se rjouir de compter les formules originelles.
Toutes ces expressions sont tellement inscrites dans nos mmoires que lon parvient les
rcuprer sans effort : Sex appeal ; Son altesse srnissime ; Trop beau pour tre vrai ; Veni
vidi vici ; Home sweet home ; Qui maime me suive. .
On se rend compte que ce fonds populaire auquel se rfrent les jeux de devinettes
ci-dessus est moins difficile mobiliser que le fonds de littrature classique exploit par la
mme marque. Cest que les formules figes du type ci-dessus sont bien plus universellement
rpandues, dusage bien plus frquent dans lensemble de la vie, que les citations littraires,
mmes trs clbres. Quant aux formes qui pratiquent la substitution, nous en avons plusieurs
manifestations venues de diverses origines :
Fig 64 Fig 65
toute altration. Les formules originelles exploites sont bien videmment : Libert
dexpression ; Sex appeal ; Very Important Person ; Je pense donc je suis ; Cordialement
vtre 512 ; Attention vos marques ; Libert, galit, fraternit ; Un petit pas pour
lhomme, un bond pour lhumanit. Faisons remarquer que Six appeal est bas en
comme devant prsider tout apritif. Mais, au fond, cest que face la lassitude des
Franais devant le dbat prsidentiel, la marque des chips a pris le parti d'imposer
ironiquement aussi sa mascotte comme candidat une lection. Cest ainsi que la
512
En fait, il ny a pas dexpression unique rpondant cette formule et Amicalement vtre est aussi
possible. Par contre, pour les anglophones, le slogan quivalent est Digitally yours qui, lui, tire son
origine de la formule Sincerely yours.
513
cet gard, la campagne de Virgin mobile nous donne un exemple clairant. Cet oprateur de
340
Or, dans ces jeux de dtournement de formules de diverses origines, lessentiel est
que lon prouve le mme sentiment de violation ou derreur. Ceci parce que, dune
manire gnrale, ces formules originelles sont ressenties, de par leur profonde
inscription dans la mmoire, comme devant tre scrupuleusement respectes dans leur
lettre mme. Ainsi, elles sont comme de vritables normes, comme des conventions
inviolables. Cest pourquoi leur moindre altration choque le public. Dailleurs, elles
peuvent encore mieux tre perues comme des formules figes dans le contraste que
crent ces slogans scandaleusement dtourns du genre : Un petit pas pour lhomme,
manipulation. Le public est surpris, dans un premier temps, par linattendu, et il cherche
tlphone mobile a lanc, en janvier 2013, une campagne avec ce slogan cynique : ce prix-l, je
reviens en France . Dans limage, un gros chien fait allusion Grard Depardieu. La campagne se
moquait indniablement de cet acteur national, qui avait suscit une norme polmique par son exile fiscal
en Belgique.
341
permettre de recouvrir jusquaux lments figs au sein mme de la langue. Il ne faudra donc
pas omettre les formules figes qui ne se caractrisent pas de faon grammaticale : les
expressions idiomatiques . En fait, celles-ci existent dans toutes les langues, franais,
anglais, italien, coren, chinois, etc., car ce sont des lments linguistiques absolument
souvent grce une image, on parle aussi d expression image . Lexpression image est
souvent propre un certain langage. Par exemple, en franais, tomber dans les pommes veut
dire svanouir. Il n'y a qu'en franais qu'on dit cela, et la quasi-totalit des Franais qui le
disent ne sauraient expliquer pourquoi des pommes plutt que des fraises. Quand on a de
linfluence ou bien que lon peut compter sur celle damis ou de relations haut places, en
franais on parle davoir le bras long, alors que dans le mme cas, en coren, on dit avoir le
pied large ; en franais, quand on ne voit personne, on dit il ny a pas un chat, mais, en
Le franais dispose beaucoup d'expressions telles que : tout feu tout flamme ; ni queue
ni tte ; mi-figue mi-raisin ; entre chien et loup ; poser un lapin ; casser sa pipe ; parler
btons rompus ; jolie comme un cur, etc. Souvent de telles expressions sont un casse-tte
pour les trangers apprenant le franais. Les Franais les utilisent mme sans pouvoir les
expliquer, sans se poser de questions, comme des proverbes. Ce sont des formes
linguistiques qui se sont figes autrefois, particulirement selon le registre dimages propre
la langue franaise et qui fonctionnent, actuellement par tradition, comme des normes dans
lusage du langage dans la vie courante. Le monde de la publicit trouve un intrt ces
Fig 67
Voir ces slogans produire un effet bien trange. Ces expressions pourront mme
tonner une partie du public. Peut-tre ces genres de formules sont-ils mme plus
modtro . Le premier slogan joue sur la parent phontique entre tout petit prix et
tout prix pour crer un effet de confusion. tout prix veut en effet dire nimporte
quel prix, mme lev ce qui est le contraire dun tout petit prix . Sont donc fait entrer
tout prix est une expression fige, elle doit tre respecte tout prix, cest le cas de le
dire, dans toute situation. Mais on y a insr un petit morceau petit . Le bloc tant
cass, le public est surpris. Ce grain de sable tout petit bloque lhorloge mcanique de
lhabitude.
Les trois slogans sappuient respectivement sur les expressions, tre comme un poisson
dans leau, belle comme le jour et simple comme bonjour. Le point commun est quils
exploitent des expressions en sappuyant sur leur comme, introduisant une comparaison
destine caractriser un tat, un comportement ou une action. Mais elles sont toutes donnes,
fixes donc figes comme telles par un usage souvent fort ancien de la langue. Ainsi, comme
343
Face ces deux slogans, on ralise en effet quils sont la r-exploitation dune
formule fige, quant leur structure ou leur vocabulaire, du fameux slogan publicitaire
Avec Carrefour, je positive. Le slogan de Vittel a repris la structure Avec X, je Y en
remplaant tous ses termes sauf avec et je. Pourtant, ces substitutions nempchent pas
que surgisse la forme originelle, tellement celle-ci a laiss une trace forte dans la
mmoire du public514.
514
En fait, lorigine de ce slogan serait en rapport avec le sida. Dans les annes 1990, o lon parlait
souvent du VIH, ladjectif positif, en renvoyant la sropositivit, voquait un risque mortel. Utilisant le
vocable positiver dans un contexte o chacun voulait bien plutt tre ngatif , ce slogan cre un violent
contraste entre le sida et Carrefour. Utilis avec un pronom personnel, ce verbe prend un sens nouveau :
tmoigner de sa confiance, montrer son optimisme. Avec ladoption du verbe la place de ladjectif,
Carrefour a voulu sadresser aux deux sexes et leur rendre lenseigne attractive.
344
Fig 68
ractivant son propre pass de russite. Sagissant de tels cas, o la publicit parodie
Les deux slogans ci-dessous suivent exactement le mme procd, mais ils
515
Frnoise Graby, Humour et comique en publicit. Parlez-moi dhumour, Colombelles, ditions EMS,
2001, p. 41.
516
Louis-Jean Calvet, La Production rvolutionnaire. Slogans, affiches, chansons, Paris, Payot, 1976, p. 74.
345
Fig 69
Ces slogans exploitent lintrt commun trouv au fameux slogan politique de Mai
517.
68 : Sous les pavs la plage Ils en reprennent structure et vocabulaire, en sappuyant
publicitaire. Car elles sont la preuve que le langage publicitaire est devenu son tour
capable de gnrer des formules figes. Cest--dire quil est devenu le lieu dun change
qui est un commerce qui nest pas que commercial. Il contribue au patrimoine
517
Cette formule est devenue tellement archpub que nous avons pu encore voir un slogan sortir de son
moule lt 2013 : Sous les ppins la plage (Oasis).
346
Fig 70 Fig 71
348
Fig 72
Dans cette logique naturelle, il y a en particulier des schmas daction qui nomment
notre conception du monde. Quand on les viole, il se produit un effet qui est comparable,
certains gards, celui caus par la violation dune loi de la logique classique . En
ce sens, observons ce slogan qui sappuie parfaitement sur un schma de cette logique
naturelle :
Fig 73
Ce slogan est une transgression et mme une subversion. Ce qui est remarquable nos
yeux, cest quil ne sagit pas dune contradiction des lois formelles de la logique classique.
formul de faon standard dans les activits quotidiennes. Ici, le praxogramme viol est :
518
Nous empruntons ce terme Blanche-Nolle Grunig, Les Mots de la publicit, op. cit.
353
gens. Cest--dire que lorsquun incident clate, des gens sattroupent, puis quand cet
leur vie, un comportement sinstalle chez les gens, comme une habitude incorpore qui
devient principe daction et qui finit par gouverner non seulement leur manire de penser
clatement Rsolution
Incident : ---------------------------------------------------------->
Rapprochement loignement
Public : ----------------------------------------------------------->
Cest ce rapport install, ce comportement acquis qui est viol par ce slogan. Bien-sr,
cest cette violation qui amne le public ce jeu logique. Ainsi, comme dans les cas
prcdents, le public est tonn, dans un premier temps, par cette apparence de violation
mais quelques instants aprs, parvient sortir de ce petit moment de confusion quil vient
dprouver. Au travers de ce processus, le public ralise que ce slogan nest pas bizarre
Ainsi, le schma du jeu avec la logique naturelle est semblable celui du jeu avec la
logique classique. Pourtant, quant au processus, il y a une grande diffrence. Alors que le jeu
avec la logique classique repose surtout sur les oprations mmes du langage (smantiques et
logiques), dans le jeu avec la logique naturelle cest limage qui joue un rle dterminant.
Quant cette publicit, le public se met jouer, ds quil saperoit par limage que la
Sur le mme paradigme, on trouve ce dialogue peu habituel dans le slogan suivant :
354
Fig 74
puis comprend aussitt aprs ce que veut dire la publicit. En effet, de manire gnrale,
la rponse attendue serait soit oui, heureusement, soit non, malheureusement. Afin de
savoir pourquoi cela peut bien tre Oui, malheureusement , coutons leur
un premier temps, le public sur le plan logique. Celui-ci est dj habitu cette sorte de
situation par lexprience, directe ou indirecte et il est donc pris dans une tendance
parler conforme cette situation ritre. Cest cela un praxogramme. Or celui-ci est
viol, cass, dans cette campagne. Lidentit du praxogramme se rvle justement dans
Mais, point ne pas manquer, lusage dun tel praxogramme doit conserver son
caractre gnral qui fait que nos activits quotidiennes en gnral sont saisies
conceptuellement par ce droulement quasi automatis , qui nest pourtant pas une
obligation thorique. Sagissant de cette campagne, le fait que le pre et lenfant soient
sur une route dpartementale sinueuse est crucial pour que soit assure une telle
gnralit. Encore une fois, on doit souligner limportance de limage pour que ce type
Maintenant, nous pouvons saisir, mme sans image, quel praxogramme est engag
dans ce slogan. Ce sont videmment : tre seul sans amis ou ne plus tre seul avec des
amis. cela sajoute lexploitation du terme seul, qui a ici les deux sens diffrents :
solitaire et unique. Dans la campagne, une grande voiture Mitsubishi est bien gare,
ct dune poigne de copains qui jouent au foot. Comme cela, le simulacre est parfait.
lopration du langage.
Fig 75
Le schma prtabli malmen ici est videmment : on part puis on arrive ou bien a
part et a arrive. Par ailleurs, nous avons rencontr un slogan dont le caractre est trs
La phrase prtablie est sans aucun doute : ne pas oublier dteindre la lumire en
En ce sens, ce slogan joue donc sur une ridiculisation dune rgle de comportement
rationnel mais dont nous avons souffert tant enfant. Il sagit dune revanche. Combien
de fois, na-t-on pas entendu nos parents nous prendre en faute et nous rpter cette
rgle ? Dans une telle formule, ce dont nous sommes librs jubilatoirement cest du
mauvais souvenir li cette contrainte : nous devions y obir parce quelle tait vidente.
357
L, elle ne lest plus et y obir serait mme dangereux. Revanche de lenfant en nous
contre lautorit qui a toujours raison.
Fig 76
En ce qui concerne cette logique naturelle, nous avons deux points souligner.
Dune part, nous voulons signaler quun schma ou une structure de raisonnement
voluent au mme rythme que les mutations sociales. En ce sens, cette volution de la
logique naturelle confirme la vision que nous donnions plus haut selon laquelle mme la
logique est un fruit historique et social. En effet, elle change au fur et mesure que la
manire de raisonner change, conformment aux reprsentations mentales et sociales. Il
est vrai que, dans les schmas daction, les praxogrammes, il y a aussi un caractre de
vrit gnrale, du mme type que celui qui dit quau restaurant, on commande avant de
manger et qu lhpital, le mdecin donne une ordonnance aprs avoir examin le
patient. Quelle que soit la personne qui les nonce, quelles que soient les conditions de la
communication, ces formules conservent formellement leur statut de principe de
comportement logique dans le monde. Or, fond sur des comportements, un principe ne
peut tre ternel. Par exemple, pour le slogan de 9 tlcom, Le haut dbit, a arrive au
358
moment o a part , le principe viol est donc a arrive puis a part ou bien a part et
a arrive. Entre deux actions dun mme processus il y a une distance temporelle, et cest
sur cela que le slogan sappuie. Mais si cette distance samincit infiniment, les deux
actions pourront se passer au mme moment ou en mme temps . Or, une telle
rduction, une quasi-disparition du dlai temporel est quelque chose dont le public post-
moderne fait lexprience quotidiennement avec le dveloppement de la technologie de
linformation et de la communication. Il se peut alors que le principe a arrive puis a
part perde son statut de principe logique. la limite, le slogan ne serait alors plus un
apparent illogisme porteur dun effet ludique par transgression de la logique naturelle.
Dautre part, il semble que cette logique naturelle soit porteuse dhumanit. On a
relev que la tautologie, catgorie de la logique classique, pouvait dj prendre une
dimension humaine. Par exemple, des formulations tautologiques telles que Une
femme et une femme ou Une promesse est une promesse ne sont pas perues
comme illogiques dans la ralit. Parce que laction de rpter nest pas un automatisme
mcanique mais est accomplie et perue comme charge dun poids smantique
reconnaissable.
Or la logique naturelle est beaucoup plus humaine. Mais en quel sens plus
humaine ? En un mot, il sagit dune logique enracine un niveau plus concret de la vie
des gens, un niveau lmentaire. Comme elle opre un tel niveau, celui du
quotidien , o se droule un ensemble complexe des activits prives ou sociales, on
peut lappeler logique du quotidien . Il sagit, avant tout, dune logique qui peut
couvrir le principe de non-contradiction , cher la logique classique. Bien que la
contradiction soit considre comme une transgression dans cette logique formelle, elle
est possibilit bien ancre dans la logique relle. Cette situation est souvent exprime par
une formule trs fameuse dite dorigine normande : Peut-tre bien que oui, peut-tre
bien que non ; ou par une expression rhtorique : Oui certes, et pourtant... ; ou bien
par une phrase de faon douteuse, Je dis oui mais je nexclus pas non . La logique
naturelle garde le principe de non-contradiction (A ne peut pas tre en mme temps non-
A) mais aussi admet une position moins tranche ( certains gards A, mais dautres
359
non-A en mme temps). En ce sens, elle peut tre une sorte de logique intgrale , de
logique humaine .
Pour approfondir notre propos, examinons, tout dabord, certaines formes
linguistiques o la gnralisation non fonde montre que la logique nest pas respecte,
mais qui sont nanmoins trs rpandues dans lusage ordinaire du langage. Ce sont des
ides reues ou des strotypes qui ne se justifient pas mais qui se disent comme tels : les
cossais sont avares ; les Bretons sont ttus, etc. On peut se demander combien de
propositions universelles sont ainsi admises comme vhiculant des connaissances ,
sans rapport cause-effet.
Mais, parmi dautres, nous pouvons remarquer certains usages du langage au sein
desquels des contradictions formelles peuvent tre releves. Par exemple, Tu peux sortir
en fermant la porte, sil te plat ou En sortant tu peux fermer la porte, sil te plat sont
dits quasi automatiquement tels quels. Il est trs rare de dire ou dentendre Tu peux
sortir, puis fermer la porte, sil te plat , sauf dans un contexte dducation lcole
maternelle. Puis, pour Si tu bouges, tu es mort ou Sil vient, je suis mort, il est rare
dentendre tu mourras ou je mourrai . Ce sont des formulations dont lusage est
ordinaire et passe pour normal. Bien quelles comportent des contradictions videntes du
point de vue spatio-temporel, on ne peut pas dire quelles soient illogiques . Elles sont
plutt non-logiques en ce sens quelles transcendent lordre logique. Elles sont
tellement figes que la tentative de les rectifier peut, paradoxalement, susciter un
sentiment trange de lgalisme dplac. Cest ainsi que lusage du langage se soumet, les
rgles grammaticales saffaiblissant, une sorte de logique forte, relle et usuelle. L, on
peut constater quune sorte de connivence joue dans lusage du langage. Cest cela la
logique naturelle applique au langage.
Or ce qui attire notre attention, cest que ce caractre de la logique naturelle se
constate aussi fort bien dans dautres sphres de la vie sociale. Prenons un exemple banal
de la vie familiale. Si Celui qui casse une assiette sera puni est un principe, lorsquun
enfant casse une assiette, il est certainement puni par sa mre. Mais si cest la mre qui
360
casse une assiette, elle nest jamais punie. Parce que fonctionnent ici une sorte de loi
dexemption et une loi du silence qui relve de lordre hirarchique parent-enfant .
Pour expliquer certains cas semblables qui se produisent dans le domaine social,
empruntons un exemple fourni par Michel Maffesoli : Le boutiquier doctrinalement
raciste protgera larabe du coin, tel petit bourgeois scuritaire ne dnoncera pas le
petit truand du quartier, et tout lavenant 519. Concernant ce cas aussi, si lon suivait
rationnellement la logique en matire de vie sociale, le boutiquier
devrait dnoncer larabe du quartier. Mais, en ralit, il ne le fait pas, parce que
dautres logiques y sont lies. Ici aussi, une sorte de loi du silence joue parfaitement son
rle. Et, dailleurs, comme le souligne Michel Maffesoli, les policiers franais
enqutant dans tel village ou dans tel quartier en savent quelque chose 520. Cela veut
dire que, se subordonnant lexprience proche, la justice abstraite et ternelle est
relativise par le sentiment vcu concrtement en un territoire donn. Ainsi, on se rend
compte que ce type de loi du silence nest pas quune spcialit maffieuse. Finalement,
certaines logiques relles et humaines, fondes sur une loi du silence sous forme de
connivence servent maintenir les cadres de la vie familiale et de la vie sociale.
Par ailleurs, on constate lexistence de diverses activits bnvoles en vue daider
certaines couches sociales. Ce sont, par exemple, le resto du cur , la prise en charge
des SDF par des associations, le tlthon pour les enfants malades, des ONG comme
Mdecins sans Frontires et divers spectacles ou manifestations caritatifs. Pour de telles
activits, on recourt souvent au concours mdiatique, lenvers de la loi du silence. Dans
une perspective seulement rationnelle, politique, sociale et conomique, ces activits
peuvent sembler quelque peu anormales et anachroniques, puisque lon ne vit plus au
Moyen ge. Pourtant, elles font partie de ces actions sociales aussi ncessaires que
sollicites pour quune socit puisse fonctionner convenablement. Or le dnominateur
commun de ces activits est bien la solidarit issue dun sentiment partag.
519
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus. Le dclin de lindividualisme dans les socits de masse, op.
cit., p. 39.
520
Ibid.
361
Aucune des actions numres ne peut tre explique clairement au moyen des seuls
paradigmes dominants fonds sur lefficacit, lutilit, la productivit, voire la rationalit.
Elles se situent plutt du ct des schmas quotidiens, contradictoires et officieux.
Nanmoins, elles sont soutenues par du non-rationnel pas de lirrationnel, par du
non-logique pas de lillogique521. Voil quoi ressemble une logique naturelle et
globale. Cest du rle dune telle logique sociale que nous faisons lhypothse.
Combien, y a-t-il dactivits, dvnements, de rites, de crmonies qui ne peuvent
tre expliqus par la seule rationalit dans la vie sociale ? Tout cela devient cependant
comprhensible par une logique sociale ainsi envisage, en tant que vision globale,
humanitaire et communautaire. Elle donne finalement une place, dans une vision
englobante non linaire, toutes sortes de phnomnes sociaux : politiques, conomiques,
linguistiques, religieux, sportifs, culturels... tantt montrant leur aspect rationnel, tantt
leur aspect non-rationnel et non-logique. Il nous semble que si la socit se maintient,
cest grce une telle logique holistique .
3. Un enracinement dynamique
lissue de ce qui prcde, la premire chose souligner est que, contrairement ce
que lon pourrait supposer, la cration publicitaire est loin dtre une cration ex nihilo.
Elle doit bien plutt tre situe du ct de la notion d invention en son sens
tymologique venant du latin invenire : faire venir jour. Nous venons prcisment de
quarchtypes. ce point de vue, mettant surtout laccent sur le fait que ce retour des
521
Ibid., p. 255 : Le non-rationnel nest pas irrationnel, il ne se situe pas par rapport au rationnel ; il met
en uvre une autre logique que celle qui a prvalu depuis les Lumires. Il est maintenant de plus en plus
admis que la rationalit du XVIIIe sicle et du XIXe sicle nest plus quun des modles possibles de la
raison luvre dans la vie sociale. Des paramtres tels que laffectuel ou le symbolique peuvent avoir
leur rationalit propre. De mme que le non-logique nest pas illogique, on peut saccorder sur le fait que la
recherche dexpriences partages, le rassemblement autour de hros ponymes, la communication non
verbale, le gestuel corporel reposent sur une rationalit qui ne laisse pas dtre efficace, et qui par bien des
aspects est plus large et, dans le sens simple du terme, plus gnreuse.
362
conseil au monde de la publicit : La foi en lavenir nest plus la plus belle des choses.
La pub, si elle a le nez creux, va tre attentive ces lments et sen faire le relais 522.
Dailleurs, dans le monde de la publicit, Philippe Michel ne sexprime-t-il pas sur un ton
Sagissant de ces diffrents jeux observables, qui vont du rensauvagement des mots
la logique naturelle, notre proccupation se porte galement sur le processus qui peut
gnrer une telle vitalit sociale. Il semble quil sassure sous la forme dun
verbale examine plus haut jouait sur le sentiment dune communaut linguistique ,
recourt aux lments qui sont les plus partags, directement ou indirectement, et aux
savoirs qui sont communs, parce que co-vcus et co-mmoriss par les membres dune
souligne son aspect dexprience sdimente, accepte en tant que telle. Quant la
mmoire, rappelons-nous que Maurice Halbwachs insistait sur le fait que si les
souvenirs reparaissent, cest que la socit, chaque instant, dispose des moyens
ncessaires pour les reproduire 525. Or la publicit, prcisment, fait bel et bien partie de
ces moyens.
L, ce qui compte selon nous est que ces lments et ces savoirs qui senracinent
dans lexprience et la mmoire peuvent constituer, en tant quils sont devenus des sortes
darchtypes, des cadres et des principes dordres sociaux dans de vastes domaines : des
logique, en passant par la culture littraire et artistique. Rgis de lintrieur, ils sont
522
Entretien avec CB News, mars 2005.
523
Philippe Michel, Cest quoi lide?, Ouvrage posthume prsent par Anne Thvenet-Abitbol, Paris,
ditions Michalon, 2005.
524
Michel Maffesoli, Homo eroticus. Des communions motionnelles, Paris, CNRS ditions, 2012, p. 54.
525
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 290.
363
devenus tellement familiers que lon ne parvient dsormais prendre conscience de leur
existence que lorsque ce allant de soi est tordu et viol. Cela signifie que seule cette
impression dun viol permet de raliser aprs-coup quil y avait bien l une sorte de
Lessentiel dans ces jeux de langage est de nous faire faire cette exprience. Ils
transgressent tous ces ordres tablis par des procds de reprise, de dtournement et de
viol simul. La perversion de la logique naturelle est un exemple clairant : cest elle qui
nous fait raliser que lon vit dans telle logique particulire, quand elle est bafoue. Le
rensauvagement des mots et le retour leur origine nous font prouver la mme chose.
En effet, lorigine des mots et lenfance ne sont-elles pas, comme donn commun, le plus
fondamental pour une communaut ? Le fait dy tre ramen est puissamment vocateur,
surtout dans une socit o le devoir consiste ne parler que de lavenir et de ce qui peut
tre fait. En ce sens, cela est la fois profondment transgressif et partageable par tous.
mme terreau, stimuler cette conscience au moyen dune crativit qui lui est
cration, mais aussi quelque chose de social qui renforce le sentiment de ltre-ensemble,
Toutefois, malgr le caractre bien premptoire de notre propos, les ractions de nos
interviews, quand ils sont confronts des slogans comportant une forte dimension
que tout a, ce nest quune tactique pour donner des chocs en vue de sduire les
consommateurs . Il compare mme cela au procd o lon met une barrire sur la
route des gens et les gens doivent sauter . Pour lui, ce sont des phnomnes
phmres donc des dchets industriels . Sur un ton semblable, Claire fait remarquer :
364
dernier mot est : a me dsole ! . En outre, Jean-Marie dclare que comme cest
fait pour les Franais moyens, cela baisse le niveau culturel du public, et lagence
publicitaire a dailleurs du mal faire des choses cratives, cause de tout un tas de
limites . Tandis que pour Guillaume ce ne sont jamais que de simples jeux de mots ,
de choses pour vendre un produit pour convaincre, bien que ce soit tout fait
Moi, je pense que tout est permis avec la pub. Pour moi, la pub cest quelque chose
part, quand mme. Moi, je mempresserais trs bien de pub. Allez, l, je laccepte. Pour
attirer lattention du public, il faut que la marque se distingue des autres, sinon cest
pas la peine. Quand jai quelque chose acheter, jai mes propres critres. Enfin, je
suis sre que je me fais manipuler, mais je crois que, mon avis, il y a quand mme
dautres choses pour minfluencer. Moi, jai limpression que non, mais je pense que
oui, parce je ne suis pas plus maline que les publicitaires, et puis je suis mfiante.
Ainsi, on voit que chacun a son avis. Mais toujours est-il que dans ces ractions le
quelque chose de social quon suppose nest gure peru ni reconnu. Nous nous
nous parlons manifeste une grande diffrence lorsque lon prend en considration des
manifestations du jeu qui sappuient de faon notable sur le fonds culturel franais. Sans
juvnile , du point de vue communautaire. Alors que les slogans fonds sur une base
linguistique nexcluent pas de leur comprhension les trangers qui ont des notions de
franais, les slogans fonds sur lexploitation du fonds culturel franais excluent souvent
les trangers qui nont pas cette culture mais seulement la connaissance de la langue,
365
peut veiller la moindre nostalgie souriante chez ceux dont les Gaulois nont pas t les
anctres. Dans leur trop petit nombre, on peut penser que les trangers ne reprsentent
publicit, la singularit de leur situation est riche dune signification considrable pour
comprendre la publicit.
Puis coutons Seowon, 28 ans, publiphile, qui nous raconte, avec un ton plus
violent :
de pouvoir sentir ensemble ? Dans le cas contraire, nest-ce pas une pub rate ? mon
avis, ces proverbes, maximes, petits morceaux de phrase, ils nexistent pas tout seuls, ils
ont une base pr-tablie, comme une sorte dintertextualit526. Sans a, on narrive pas
saisir mme le cadre de la publicit. Mme si a fait un objet de rire pour les Franais,
pour ma part je suis incapable dy accder. mon avis, ces formes qui supposent des
bases culturelles ont un effet ngatif, puisque cest difficile alors de faire ressentir
quelque chose en commun.
donc un trouble intellectuel qui sexplique par une altration profonde des rapports
entre lindividu et le groupe, mais pas par une lsion crbrale. Il considre le patient
Il est comme un homme qui, dans un pays tranger, ne parle pas la langue, mais connat
lhistoire de ce pays, et na pas oubli sa propre histoire. Mais un grand nombre de notions
courantes lui manquent. Plus prcisment, il y a un certain nombre de conventions dont il
ne comprend plus le sens, bien quil sache quelles existent, et quil sefforce en vain de
sy conformer. Un mot entendu ou lu ne saccompagne pas, chez lui, du sentiment quil en
saisit le sens ; des images dobjets dfilent devant ses yeux sans quil mette un nom sur eux,
cest--dire sans quil en reconnaisse la nature et le rle. Il ne peut plus, dans certaines
circonstances, identifier sa pense avec celle des autres, et slever cette forme de
reprsentation sociale quest une notion, un schme ou un symbole dun geste ou dune
chose. Sur un certain nombre de points de dtail, le contact est interrompu entre sa pense
527
et la mmoire collective.
Les ractions de ces tudiantes trangres correspondraient bien cet tat aphasique,
alors quelles sont toutes les deux doctorantes et nont pas de problmes pour
526
De temps en temps, on peut ainsi trouver des ides intressantes dans les paroles des interviews
comme ici, par exemple, cette rfrence l intertextualit . Sur ce thme justement il existe
ltude dun universitaire, Gilles Lugrin, Gnricit et intertextualit dans le discours publicitaire de
presse crite, Berne, ditions Peter Lang, 2006.
527
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mmoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994, p. 80.
367
telles consquences. Il est probable quun tel tat aphasique fait partie du quotidien des
trangers en France.
Ce que lon doit retirer de ces propos est ceci. Le mcontentement d la perception
de leurs limites identitaires que prsentent leurs ractions nest-il pas la preuve parfaite
(contre-exemple) que ce type de publicit (tel une private joke,) fait jouer quelque chose
dexclusif, rserv aux Franais et qui correspond, au mme degr mais en positif cette
fois, ces ractions ? En dautres termes, dans cette sorte de slogans publicitaires, la
publicit devient une communication cryptique. Pour y participer quand on est tranger,
il faut donc avoir le mot de passe , sinon, pas moyen. Ce faisant, ce genre de publicit
publicit comme similaire la pratique argotologique des banlieues, dont on connat bien
une telle fonction dans la publicit ce point de vue. Claire galement, qui reconnat :
Je navais jamais pens a, que la publicit franaise joue un rle vis--vis des
trangers. Un rle protecteur, je nen avais pas conscience. Tout en admettant ce type
de fonctionnement vis--vis des trangers, Alain, lui, diagnostique que ces types de
Mais cest quen France quon voit des publicits comme a. Mais il y a des
publicits pour les trangers aussi. De temps en temps, on a des missions la
tlvision qui passent justement des publicits trangres pour des mmes produits que
des produits franais. Mais les slogans ne sont pas les mmes, il faut des sous-titres.
(Concernant lexclusion des trangers) Ah oui !, ah oui ! Mais, ils nen ont pas
conscience. Les Franais ne sont pas conscients de a. Je nai jamais pens a avant,
ben non ! Au quotidien, on ne fait pas attention a.
368
Cest ainsi quil apparat que le public ne prend effectivement pas conscience dun
existence. Portant celle-ci peut tre dduite de la raction qui suit, a contrario quand il
est interrog de faon plus pressante, comme ici. Mais, de cela la plupart des Franais ne
sont pas ordinairement conscients, alors mme que leffet joue bel et bien. Parce quils se
trouvent dans une sorte de bulle argotologique dont eux-mmes ne parviennent pas
des banlieues, dusage conscient, slectif et circonstanciel. Finalement nous pouvons dire
***
Les phnomnes langagiers particuliers lis au slogan publicitaire que nous venons
dexaminer sobservent la tlvision, dans la rue, dans les revues, dsormais sur lcran
de lordinateur et du tlphone portable, etc. Ce sont des choses triviales que lon
rencontre partout dans notre quotidien. Mais, y regarder avec attention, ce sont comme
des pierres prcieuses brutes, qui pourraient tre vues comme des perles. Mme si elles
peuvent bien tre irrgulires , ce ne sont pas des fictions des perles de pluie venues
de pays o il ne pleut pas 528. Un proverbe coren ne dit-il pas : Mme trois malles de
billes peuvent devenir un trsor, si seulement elles sont enfiles. Il fallait seulement un
528
Paroles de la chanson Ne me quitte pas (1959) de Jacques Brel.
369
devenir un jeu, cest que sa vie ressemble celle de lhumain. En fait, notre jeu de
langage publicitaire est fond essentiellement sur une telle similitude, qui dote le langage
de vie. On peut clairer utilement cela par une rfrence lintuition de Bergson sur la
parent entre le langage et la vie, qui permet selon lui dexpliquer le comique. Le
philosophe crit :
Le langage naboutit des effets risibles que parce quil est une uvre humaine,
modele aussi exactement que possible sur les formes de lesprit humain. Nous sentons
en lui quelque chose qui vit de notre vie ; et si cette vie du langage tait complte et
parfaite, sil ny avait rien en elle de fig, si le langage enfin tait un organisme tout
fait unifi, incapable de scinder en organismes indpendants, il chapperait au comique,
comme y chapperait dailleurs aussi une me la vie harmonieusement fondue, unie,
semblable une nappe deau bien tranquille. Mais il ny a pas dtang qui ne laisse
flotter des feuilles mortes sa surface, pas dme humaine sur laquelle ne se posent des
habitudes qui la raidissent contre elle-mme en la raidissant contre les autres, pas de
langue enfin assez souple, assez vivante, assez prsente tout entire chacune de ses
parties pour liminer le tout fait et pour rsister aussi aux oprations mcaniques
dinversion, de transposition, etc., quon voudrait excuter sur elle comme sur une
simple chose529.
Ainsi, la vie du langage, comme celle de lhumain, loin dtre parfaitement vivante,
se fige parfois. Mais tel quel, ce langage constitue une structure spcifique, particulire et
propre la socit o il vit et o lon vit. Notre jeu de langage publicitaire est fond, la
fois, sur cette structure et sur la transgression de ce que celle-ci a de fig, de mcanique.
cohsion sociale. Elle rappelle la norme mais le fait sur un mode plaisant de partage.
529
Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique (1900), Paris, Payot & Rivages,
2011, p. 131-132.
370
Ici, cette transgression nest donc pas le simple acte de contrevenir la loi,
linterdit, au rite, etc. Loin dtre quelque chose qui tend au chaos, elle est plutt une
Dans le mme sens, coutons encore les auteurs des Paradoxes de la transgression :
Au demeurant, la publicit nest quune des formes dactivits majeures o vit cette
baroque, comme style de lpoque que nous a fait parvenir cette transgression comme
530
Philippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 130-131.
531
Hastings Michel, Nicolas Loc et Passard Cdric (sous la direction de), Paradoxes de la transgression,
Paris, CNRS ditions, 2012, p. 9-10.
371
rvlateur de la contestation des rgles du jeu social travers lequel la socit franaise
linguistiques transgressives de ces slogans que nous pouvons considrer comme une
Michel Maffesoli, cest dans nos socits, socits rationalises outrance, socits
aseptises, socits semployant bannir tout risque quel quil soit, cest dans ces
apparat dautant plus rebelle et subversive quelle sen prend lune des composantes
les plus fondamentales de la socit : son langage que respectent tous les progressismes
scientisme. Mais, cest bien l le rle paradoxal que joue cette barbarie de nous faire
plutt une barbarie symbolique . Il sagit plutt dune figure et de la posture que prend
lirruption dans nos vies de la furie dionysiaque 533, selon lexpression de Jean-Martin
Rabot, que dune relle rgression la brutalit de notre civilisation moderne. Dautre
part, la barbarie dont nous parlons sopre sous la forme du vice , au sens que lui
Plus lenvers de la vertu, un attentat aux murs normales, mais une vision du monde
qui ne spare plus la souffrance des uns et la jouissance des autres et tend au contraire
534
les proportionner dans une cohsion plus sociale.
532
Michel Maffesoli, Renchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 129.
533
Jean-Martin Rabot, loge des barbaries postmodernes , in Les Cahiers europens de limaginaire, n
1, Paris, CNRS ditions, 2009, p. 91. cet gard, le fait que ce premier numro ait t consacr au thme
de la barbarie nest pas un hasard.
534
Patrick Tacussel, La barbarie cultive , in Les Cahiers europens de limaginaire, n 1, Paris, CNRS
ditions, 2009, p. 60.
372
Dans cette perspective, il ne sera pas exagr de dire que notre barbarie joue comme
* *
*
373
Conclusion
Dans le film 99 francs, un publicitaire voyage dans le monde entier pour trouver des
mots fantastiques et magiques. Tous les slogans seraient au moins dans de telles conditions
des mots bien choisis par les publicitaires. Dailleurs, il nest pas exagr de dire que
lon fait bien la guerre pour trouver des mots dans tous les domaines sociaux. Pour notre
part, dans lespoir de pouvoir trouver les mots justes partir de cet ensemble de mots bien
trouvs quest dj le slogan publicitaire, il nous a fallu parcourir un long trajet. Si lon
lieu daller vers de nouveaux paysages, d avoir dautres yeux, de voir lunivers avec les
yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun deux voit 535. Avec
laide dun tel esprit de dcouverte, nous esprons avoir pu sortir de lornire positiviste
qui dirige et aiguille continuellement sur les mmes vieux rails tous les discours sur la
publicit. Maintenant que nous devons mettre un terme ce vritable petit voyage, nous le
aussi bien paroles de commerce , qui mettent en relation et nous font sentir et conforter
notre tre-ensemble. Ce commerce sassure par la dtention dune puissance socitale qui
peut tre paraphrase par dautres termes tels que force communicationnelle 536 (Fabio
Tacussel). En mme temps, cest une force qui opre bien dans lordre symbolique.
Ltymologie, qui nous offre toujours un savoir la fois originel et vivant, nous transmet
535
Marcel Proust, la recherche du temps perdu (1913-27) : La Prisonnire (1923), Paris, Gallimard,
Pliade , Tome 3-II, 1987-1989, p. 258.
536
Fabio La Rocca, La Ville dans tous ses tats, Paris, CNRS ditions, 2013, p. 227.
537
Philippe Joron, La Vie improductive. Georges Bataille et lhtrologie sociologique, Montpellier,
Presses universitaires de la Mditerrane, 2009, p. 120-126.
538
Patrick Tacussel, LAttraction sociale. Le dynamisme de limaginaire dans la socit monocphale,
Paris, Klincksieck, 2002.
375
Le symbolon des Grecs tait, lorigine, un bton, que lhte et son visiteur
rompaient et dont ils conservaient chacun une moiti. Plus tard, eux-mmes ou leurs
descendants se reconnaissaient grce ce symbole dhospitalit. Le symbole est donc bien,
539
ds lorigine, un signe concret, de valeur abstraite.
partager reste lesprit comme une image hallucinante. Signe concret, le slogan
Sur un plan gnral, notre tude du slogan publicitaire nous donne loccasion de nous
rappeler cette ide dmile Durkheim pour lequel la langue semble tre un lment
marquant dans la manire dont une communaut peut s'imaginer et prendre conscience
d'elle-mme 540 . Mais sur un plan concret, il nous fallait oprer un changement
puisse renatre en apparaissant comme porteur de ce vitalisme social que nous avons voulu
mettre en vidence. On notera, tout dabord, que le slogan en tant quobjet dtude de la
lexistence de multum in parvo, limage de Stphane Hugon qui souligne quun microfait
de la vie quotidienne peut avoir un grand destin541. Puis, dans le cadre thorique dune
socialit langagire, nous avons montr que son vitalisme repose sur la puissance du
langage notamment par sa symbolisation. Cest dire quil repose sur la fragilit identitaire
des mots dans leur rapport aux choses et limage, et sur les processus qui oprent au sein
cest travers pareille symbolisation que le langage peut, non plus comme simple outil
539
Henri Morier, Dictionnaire de potique et de rhtorique (1961), Paris, PUF, 1998, p. 1171.
540
mile Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912), Paris, Quadrige / PUF, 2005, p. 603.
541
Stphane Hugon, Circumnavigations. L'imaginaire du voyage dans l'exprience Internet, Paris, CNRS
ditions, 2010, p. 19-27.
376
dchange dinformation mais plutt comme lieu dune communication, jouer le rle
que nous appelons slogan . Tout dabord, du point de vue anthropologique, soulignons
que cest une forme verbale qui nexiste que dans les domaines de la politique et du
commerce, les deux activits humaines les plus anciennes, et les plus violentes la fois.
Par nature, ce sont ces formes qui constituent lusage du langage qui sollicite du public le
dnonc qui sert de signal de ralliement dans son droit fil de ltymologie ( cri de
collectif, quon explique celui-ci par une conscience collective durkheimienne ou par un
langage propose par Michel Maffesoli dans son rcent ouvrage Homo eroticus. Dun ct,
le mot est ce qui dsigne le sens lointain et pointe le but atteindre542. Cette vision du mot
vient dune conception du langage sur laquelle la Modernit a mis laccent, en y indiquant
une finalit rationnelle sous ses modulations : politique, social, thorie. Cest, dailleurs,
une conception du langage qui a vacu ou marginalis les affects qui sont de lordre de
monstrer ce qui peut paratre inquitant. Cest une vision du mot qui rsumerait toute la
phnomnologie : Faire apparatre les choses mmes pour ce quelles sont, au-del ou en
de de toute attitude judicative ou normative 543. Dans cette optique, le mot montre le
proche, et montrer les choses consiste alors mettre laccent sur laspect agrgatif,
motionnel du langage.
La vision du mot qui correspond la premire conception du langage est celle du mot
du slogan politique. Cest un mot dabord ressenti comme plein dun contenu mais qui finit
542
Michel Maffesoli, Homo eroticus, Des communions motionnelles, Paris, CNRS ditions, 2012, p. 38.
543
Ibid.
377
par devenir comme une coquille vide , au fur et mesure que son sens svacue par la
scurit, emploi, croissance, dveloppement, etc. De tels mots sont des mots qui ont
tendance perdre de leur vitalit, mme si leur forme et leur sens restent stables. En
publicitaire est un peu comme une Ide ou comme un moule variable , qui prserve son
son contenant. Cest un mot qui, malgr - ou grce - cette labilit smantique et formelle,
garde la force de toucher la sensibilit par un caractre que nous appellerons sloganit ,
en tant quil reste capable de montrer, de rappeler, de convoquer quelque chose de vcu par
chacun dans sa vie. Cest que nous prouvons, nous vivons cette puissance socitale que
suscite le slogan publicitaire, en tant plus attentifs la forme de son expression quau
Dautre part, quant latmosphre, lesprit du slogan en tant que produit dune
cration, ce qui est certain est quil rpond un besoin de la socit. Il semble quil soit
quelque chose que lon ne puisse pas faire autrement que produire. Du coup, il serait plus
denfant est bien significative : qui ne parle pas . Le secret de la cration publicitaire en
dun adulte, rationnelle et logique . Cest ainsi que le slogan publicitaire en vient parfois
ressembler au cri des enfants, ralisation vocale qui constitue en ce quelle est la fois
544
Pour lemploi de ce terme, on peut se rfrer Maurice Tournier, Texte propagandiste et
cooccurrences. Hypothses et mthodes pour tude de la sloganisation , in Mots, n 11, 1985, p. 155-187
et Michel Demonet et al. Des tracts en Mai 68. Mesures de vocabulaire et de contenu. Paris, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 1975, p. 287.
378
sensible. Puisque nos propres enfants enchantent toujours irrsistiblement notre monde, de
mme le slogan publicitaire se voudrait une parole qui puisse renchanter notre monde.
Cest en ceci que nous pouvons parler dun dsir de renchantement du monde se
manifestant au travers du slogan publicitaire. En effet, cest bien ce niveau-l que veut
exister ce merveilleux quotidien qui est mis en pub inlassablement et sous tant
daspects divers : tranget, grotesque, navet, cruaut, originel, primitif... enfin toutes les
linnocence. Cela semble bien finalement relever dun ensauvagement de la vie , qui
tiendrait nous rappeler, en profondeur, ce fond qui nous est commun tous, redynamisant
ainsi le corps social, mme si cest dune manire qui, pour une bonne part, nest pas
Ainsi, au terme de notre examen du slogan, nous pouvons dire que, confirmant lide
reue, la publicit est bien un miroir social. Toutefois, ce nest pas un miroir plat qui
devient possible de voir les autres et soi-mme mais en tant que mutuellement relis, car il
rfracte . Noublions pas, dailleurs, quun miroir ne peut reflter que parce que sa face
arrire est recouverte dun matriau opaque. Pour nous, ce matriau est le langage.
publicit fait un mythe du grand succs de telle ou telle marque ; tantt de vrais mythes
antiques ressurgissent dans la publicit545 ; souvent certaines de ses crations font partie
de ce qui reprsente le mieux lpoque546. Dj, Roland Barthes parlait des mythologies
545
ce propos, on peut consulter Michle Jouve, Hros de pub. Quand les marques sinventent un visage,
Prigueux, ditions Chronique-Dargaud, 2009 et Bernadette et Franoise Schnitzler (sous la direction de),
Archopub. La survie de lantiquit dans les objets publicitaires, Strasbourg, Muses de Strasbourg, 2006.
546
Sagissant, en particulier, du discours publicitaire, Georges Vigarello prsente le slogan , Parce
que je le vaux bien (LOral) comme un moyen de rflchir sur notre temps [Garcien Jrme (sous la
direction de), Nouvelles mythologies, Paris, Seuil, 2007.]
379
critique idologique. Cela voulait dire que, comme signe, la publicit tait un objet de
substitution dont il fallait mettre jour les mcanismes sous-jacents malsains. Cette ide,
la publicit comme fausse vidence, pouvait se soutenir du fait que la publicit des annes
si cette publicit est encore mythologie pour Michel Maffesoli, cest comme le conte de
fe dune socit obsde par les objets et comme rvlateur dun air du temps qui a
publicit, pour lui, est un matriau rflexif, au sens phnomnologique, travers lequel on
Si, pour nous, la publicit est bien aussi une des mythologies daujourdhui, cest,
entre autres raisons, parce quelle est, de par son caractre, la fois rfracteur et
rflchissant et, cest--dire qui reflte, en le faisant dvier en un sens ludique et avec
drision, une attitude sous-jacente de rvolte contre tous les ordres tablis. Cela veut dire
que dans une socit contraignante o tout est, en surface, unifi, norm, programm,
ternel qui se bat contre la loi du pre : elle est lexpression dune vitalit sociale qui
rationalise. Cette analogie avec lenfant rebelle et railleur, ce vitalisme, nous avons pu les
mettre en vidence dans le slogan publicitaire. Ainsi, cest sa langue elle-mme, avec
toutes ses particularits, notamment sa prfrence pour certaines formes telles que
la fois exprime et nourrit cette vitalit sociale. Tout le parcours de ces lments, depuis
leur origine dans le refoul intrieur la communaut jusqu leur rsurgence en miettes
mythologiques, ne manifeste-t-il pas un rcit, mme sil ne constitue pas une pope ?
Rcit dans lequel, et grce auquel, les membres de la communaut tentent une
547
Michel Maffesoli, Pub in Iconologies. Nos idol@tries postmodernes, Paris, Albin Michel, 2008, p.
181-185.
380
inconscient chez ses locuteurs, recouvert par ce propos commercial. Au fond, ce que
cest par ncessit de trouver un support. Or quel meilleur support que le commerce, par
lequel tous doivent passer, pour entretenir un autre commerce ? En ce sens, la publicit
daujourdhui ne connat-elle pas le sort des Mille et une nuits, rcits interminables qui
avaient un destinataire prcis et une fonction vitale, survivre, mais qui finalement (ou au
peut donc dceler o en est une socit. Or avant tout, il nous apparat que cette socit
tente ainsi de ragir, de trouver une soupape doxygne en dtournant ses contraintes par
un esprit du jeu . Cet esprit transparat dailleurs dans tant de phnomnes qui
drision, du got pour le drisoire, pour labsurde, linstantanit, le trash, la peau, enfin
lapparence. Michel Maffesoli souligne quel point la socit entire est devenue jeu. Un
tel niveau atteint, on peut bien parler dune vritable atmosphre sociale. En dautres
termes, sous-jacent cet esprit du jeu, il faut bien quil y ait un air du temps o chacun
est immerg. Cest lenvie de partager un sentiment commun, d entrer dans le plaisir
dtre ensemble, entrer dans la jouissance de ce monde tel quil est 549. On peut appeler
La faon dont sexprime ce vent qui souffle sur lensemble du corps social nest autre
chose que son style. Ainsi, ce quon a qualifi de baroque nest autre chose que la forme
548
Pour ce sujet, voir la thse dAurlien Fouillet intitule, LEsprit du jeu dans les socits postmodernes.
Anomies et socialits : bovarisme, mmoire et aventure, soutenue, dcembre 2012, Universit Ren
Descartes-Paris 5.
549
Michel Maffesoli, Le Temps des tribus (1988), Paris, La Table Ronde, 2000, p. VII.
381
prise par cet hdonisme social. Mais, ce baroque, au sens o nous avons envisag son
expression dans la publicit, peut entrer en relation avec dautres styles tout aussi baroques
que secrtent les divers domaines de la socit, puisquil sagit dun climat gnral, dun
air du temps. Ce faisant, linteraction de ces styles aboutit par brassage ce style
global dont parle Michel Maffesoli, qui redonne toutes choses une sorte de tonalit
identique. Il compare cela la sonate de Vinteuil 550 dans luvre de Proust, cette
Cest cette perspective que lon peut bien dire que notre poque est celle du baroque.
De fait, empiriquement, on constate cette baroquisation, qui est interprte comme tant un
idal-type culturel 552 par Patrick Tacussel, dans quasiment tous les domaines :
Il faut souligner que tous ces phnomnes et ces tendances manifestent un vitalisme
dans leurs aspects dconcertants et mme mystrieux et quils tendent de manire mystique
un hdonisme social. Michel Maffesoli note qu il suffit de voir que les sons, les
couleurs, les odeurs, les formes sont agencs de telle manire quils favorisent un
550
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde, op. cit., p. 33.
551
Gilbert Durand, Introduction la mythodologie. Mythes et socits, Paris, Albin Michel, 1996, p. 80-130.
552
Patrick Tacussel, Le baroque contemporain , in Socits, n 35, Paris, Dunod, 1992, p. 101.
553
En particulier, pour la mode, voir Ana Maria Peanha, Le baroque dans la mode in Socits, n 102,
2008/4, Bruxelles, De Boeck, p. 23-30 ; pour le baroque dans le domaine du cyberespace, Stphane Hugon,
Circumnavigations, op. cit. et Frdric Lebas, Interfaces baroques , in Socits, n 94, 2006/4, Bruxelles,
De Boeck, p. 91-103 ; pour la musique, Stphane Hampartzoumian, Effervescence techno ou la
communaut trans(e)cendantale, Paris, LHarmattan, 2004.
554
Michel Maffesoli, Au Creux des apparences, pour une thique de lesthtique, Paris, Plon, 1990, p. 12.
382
Michel Maffesoli, un style esthtique 555 en train de slaborer sous nos yeux.
Finalement, quand lesprit du temps est dtermin non par un principe conscient
impos den haut, des niveaux bien tablis, mais par un souffle inconscient venant
actuellement dun air du temps qui nous fait agir baroque et sentir esthtique ?
spontane, mme si cest impens ou occult par les ordres tablis. Do limportance de
bien voir ce rapport entre publicit et quotidien. Erving Goffman estime que, dans le cadre
dune mise en scne de la vie, la publicit est une hyper-ritualisation du quotidien, qui
reprsente la ralit sociale non en en donnant une image objective mais en en prsentant la
typification de ce que les individus croient quelle est556. Nous pensons que la publicit
peut tre mieux dcrite - bien videmment de faon temporaire - comme une mise en
forme de jeu, une mise jeu du quotidien, o la ralit sociale se prsente elle-mme
Sur le terrain, dun ct, la publicit tend sans cesse davantage lespace de ses
supports et sen prend au corps humain, tandis que, de lautre, elle fait lobjet dun dbat
plus violent que jamais, o les crivains sont rests les premiers critiques. Constituant un
milieu qui est aussi culturel que mdiatique, au rythme de la technologie et de lhumeur
humaine, la publicit est devenue un lment auquel on nchappe plus. Ds lors, vivant
dj au milieu delle, environn par elle de toutes parts, les discussions sur sa nocivit
ventuelle peuvent sembler bien oiseuses. Il est sans doute plus important de garder
lesprit que nous ne sommes qu un homme qui nest ni le vainqueur ni lesclave de
cette chose qui semble lie la condition humaine, anthropologique en quelque sorte : elle
simpose, tant elle-aussi sans pourquoi, comme la rose est sans pourquoi.
555
Michel Maffesoli, La Contemplation du monde, op. cit., p. 15.
556
Erving Goffman, La ritualisation de la fminit , in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n 4,
Paris, 1977.
383
Ctait plus difficile que je pensais. Jaime bien les pubs. Je supporte pas les pubs la
radio. Si autrement, les pubs, je vois simple comme un spectacle. Enfin, depuis un moment
mais pas depuis toujours, pas depuis toujours. Pour moi ! Cest pas fait pour me faire un
spectacle. Je sais cest pour me faire acheter quelque chose. Je sais bien que cest fait
pour me manipuler, me faire consommer. Mais, un petit spectacle visuel gentillet .
Cest pour a que jai pas saisi toutes ces astuces de langage. Moins bien quau thtre,
quand mme, mais, une distraction !
En fait, cest bien au travers du constat dune telle volution dans le rapport la
publicit, mais volution bien conforme sa nature de communication, que nous avons d
reconnatre toute la profondeur de son tre social. Communication, sans doute convient-il
557
Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galile, 1981, p. 135.
558
Al et Laura Ries, La Pub est morte, vive les RP !, Paris, Pearson Education France, 2003, p. 31.
384
rien quelle-mme, cest--dire qui ne communique que son besoin de communiquer, nest-
elle pas la base de tout social ? Or, nous avons pu constater combien la fonction de nos
slogans peut souvent sembler en effet improductive si elle est envisage en termes
ce propos utilitaire, qui devient comme une sorte de prtexte ou doccasion. La publicit
constitue lun de ces objets qui vivent dun tel paradoxe du monde, qui pourrait
sinterprter par l invagination du sens 559 dont parle Michel Maffesoli sur un plan pan-
destinations, soulignons que la publicit est lun des derniers domaines qui rsistent la
publicit franaise actuelle se diffrencie non seulement de celle des autres pays mais
encore de celle dautres priodes de son propre territoire. Elle doit demeurer, par nature, un
mode de communication sui generis qui se modle cote que cote la situation du terrain
o elle doit vivre. La publicit est sans cesse en qute de nouveaux moyens, concernant
langage, image, couleur, son, ton, design, etc. Mais, tant que la publicit franaise ne dira
pas Achetez ce produit! dune manire aussi ostensible que nave, sans pour autant,
bien-sr, aller jusqu dire Nachetez pas ce produit! mme implicitement, elle habitera
Sagissant de la gense de limaginaire, Gilbert Durand a pris son point de dpart dans
la conscience que tout homme meurt, voire dans la reconnaissance de la finitude de ltre
humain. Pour notre part, en adoptant une mtaphore visuelle, nous pourrions dire que
toutes choses, matrielles comme spirituelles, qui doivent leur ombre la lumire forment
par l un champ imaginaire. Tels sont la montagne, le fleuve, larbre, la ville, la maison...
les ides et les penses de ltre humain. Enfin de la Terre entire sous le Soleil. Il pourrait
y avoir deux faons denlever lombre. Lune serait de faire disparatre la lumire, ce sera
559
Michel Maffesoli, Matrimonium. Petit trait dcosophie, Paris, CNRS ditions, 2010, p. 7.
385
la fin du monde. Lautre serait de rendre transparentes les choses, mais ce serait galement,
pour dautres raisons, la fin du monde. Sans doute, la Modernit a t tente par cette
dernire voie. Si notre monde peut encore exister, cest que lon vit rellement avec et dans
Cest sous lenseigne de cette non-transparence que la publicit peut tre aborde sous
langle de l imaginaire publicitaire quelle que soit lapproche que lon privilgie :
langage, image, couleur, thmatiques, produits, etc. Cette dimension imaginaire valant
alors comme point de vue sur le social, sans devoir constituer un domaine dfini par un
Faut dtre lobjet dune attention suffisante, le risque pourrait tre que la publicit,
philosophie dun monde sans philosophes 561, lhorizon de pense dun monde ne pensant
plus, mais sachant calculer. Les sciences humaines et sociales se doivent de se pencher sur
cet air mystique , qui devient palpablement plus dense dans notre vie quotidienne.
560
Patrick Legros, Frdric Monneyron, Jean-Bruno Renard et Patrick Tacussel, La Sociologie de
limaginaire, Paris, Armand Colin, 2006, Introduction gnrale , p. 1.
561
Louis Quesnel, La publicit et sa philosophie , in Communications, n 17, Paris, Seuil, 1971, p. 56.
386
Bibliographie
387
I. Publicit et mdias
Amalou Florence, Le Livre noir de la pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock,
2001.
Aris Paul, Les Fils de McDo : la McDonaldisation du monde, Paris, lHarmattan, 1997.
Balzac Honor de, Csar Birotteau (1837), Paris, Gallimard, 1975.
Barthes Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Barthes Roland, Le message publicitaire, rve et posie , in Cahiers de la publicit, n
7, Paris, Dauer, 1963, p. 91-96.
Barthes Roland, Rhtorique de limage , in Communications, n 4, Paris, Seuil, 1964, p. 40-51.
Barthes Roland, Leon, Paris, Seuil, 1978.
Basse Marie-Thrse et Lagneau Grard, Deux ans de rflexion ou chronique de la
mal-aime , in Communications, n 17, Paris, Seuil, 1971, p. 131-140.
Beigbeider Frdric, 99 francs, Paris, Grasset, 2000.
Bernheim Franois, Guide de la publicit et de la communication, Paris, Larousse, 2004.
Blanchard Grard, Histoire de la publicit , in La Publicit de A Z, Paris, C.E.P.L., 1975,
p.147-172.
Breton Philippe et Proulx Serge, LExplosion de la communication, Paris, La Dcouverte, 1999.
Brochand Bernard et Lendrevie Jacques, Le Publicitor, 4e dition, Paris, Dalloz, 1993.
Brune Franois, Le Bonheur conforme (1981), Paris, Gallimard, 1985.
Brune Franois, Les Mdias pensent comme moi, Paris, LHarmattan, 1997.
Cathelat Bernard, La Publicit , Paris, Payot, 1968.
Cathelat Bernard, Publicit et socit, Paris, Payot, 1992.
Cercle Ssame, 2012-2017 ce que veulent les Franais, Paris, Eyrolles, 2011.
Chessel Marie-Emmanuelle, La Publicit, naissance dune profession 1900-1940, Paris,
CNRS, 1998.
Charaudeau Patrick, Le Discours dinformation mdiatique, Paris, Nathan, 1997.
Cosette Claude, Publicit, dchet culturel, Qubec, ditions de lIQRC, 2001.
Darsy Sbastien, Le Temps de lantipub, Arles, Actes Sud, 2005
Dayan Armand, La Publicit, Paris, PUF, 7e dition, 1995.
Dcaudin Jean-Marc, Conception dune campagne publicitaire , in La Publicit, thories,
acteurs et mthodes, sous la direction dric Vernette, Paris, La Documentation
franaise, 2000, p. 103-122.
388
sous la direction dOdile Challe et Bernard Logi, Paris, Economica, 2006, p. 95-99.
Thomas Jean-Jacques, La Langue vole, Berne, Pater Lang, 1989.
Tournier Maurice, Texte propagandiste et cooccurrences. Hypothses et mthodes
pour tude de la sloganisation , in Mots, n 11, ENS ditions, 1985, p. 155-187.
Walter Henriette, Le Franais dans tous les sens, Paris, Robert Laffont, 1988.
Walter Henriette, LAventure des mots franais venus dailleurs, Paris, Robert Laffont, 1998.
Dictionnaires de langue
Dictionnaire culturel en langue franaise (sous la direction dAlain Rey), Le Robert, 2005.
Dictionnaire historique de la langue franaise (1992), Le Robert, 1998.
Le Grand Robert de la langue franaise, nouvelle dition augmente, 2001, tome 6.
The Oxford English Dictionary, second edition, tome XV, 1998.
Trsor de la langue franaise, tome 15, Paris, Gallimard, 1992.
Annexe
Liste des slogans
A
bord de notre nouvelle Business Class, vous avez le choix entre trs confortable et
trs confortable (Lufthansa) p.279
chaque instant et pour longtemps (Gerbl)p. 264
lextrieur cest une voiture, lintrieur cest plus grand (Peugeot 307 SW) p. 285
ABRACADAbra (Wonderbra) p.320
Agatha cest moi (Agatha) p. 264
Ah, je ris de me voir si ( ) en ce miroir ! (Mercedes-Benz) p. 335
Almera Tino, Le Famillyspace. Faites 4 vux pour votre famille. Scurit. Scurit.
Scurit. Scurit. (Nissan) p. 278
Anachronisme le jeu des temps (Jaeger-Le Coultre) p. 312
Aprs la pluie, le beau temps (Office national du Tourisme de Thalande) p. 330
Arriver temps, a change tout ! (La Poste) p. 289
Athnes vos marques (Le Figaro) p. 338
Attention Compaq bord (Chrysler Voyager) p. 318
Attention, vous allez aimer sa gueule de sducteur son profil grande famille (Hyundai
Santa Fe) p. 246
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi (Alcatel) p. 279
Au premier coup dil, on est sduit. Au premier coup de fil aussi (Alcatel One Touch
302) p. 287
Auto-satisfaction (Darty) p. 253
Aujourdhui, il suffit de dire maman pour composer son numro. Vous pouvez aussi le
crier (Pioneer) p. 319
Avec le nouveau mail Yahoo ! Attendez-vous ne plus attendre (Yahoo) p. 347
Avec Vittel, je rcupre ! (Vittel) p. 343
B
Beaux jours Beaujolais (Beaujolais) p. 266
Belle comme au premier jour (Mercedes-Benz Millesima) p. 341
Belle dans mon ge bien dans ma peau (Clarins) p. 266
Belle ( ), vos beaux yeux me font mourir damour (Mercedes-Benz) p. 333
Bien entendu (Europe1) p. 314
C
a dcouf (Surcouf) p. 237
a nous ressembleue ; Invraisemblableue (Mutuelle Bleue) p. 268
Capter lnergie du soleil pour voir lavenir sous un autre jour (Total) p. 266
Catgoriquement hors-catgories (Nissan Murano) p. 277
401
Ce qui peut tre dlicat, avec le sans-fil... cest de travailler sans fil (IBM) p. 280
Ceci nest pas un jambon (Parma) p. 257
Ceci nest pas une Fiat (Fiat) p. 257
Changez votre faon de voir (Xerox) p. 314
Choisir Lexus cest facile. Choisir une Lexus, cest une autre histoire (Lexus) p. 285
Commenons par changer les voitures, a changera peut-tre le reste (Fiat) p. 289
Compltement givr ! (Toshiba) p. 245
Confort unique styles multiples (Ibis) p. 275
Contribution invisible. Succs visible (Basf) p. 274
Coup passion Coup raison (BMW 320Cd) p. 274
Cre sur la Terre Consacre sur la Lune (Omega) p. 266
D
Dans un corps parfait une tte bien faite (Chrysler PT Cruiser Turbo Diesel) p. 264
Des siges arrire, visiblement trs escamotables (Toyota Yaris Verso) p. 277
Dior jadore (Dior) p. 264
Dites cheese (Siemens mobile) p. 337
Dorele. Ainsi se construit une Lgende (Dorele) p. 336
E
En avril ne te dcouvre pas dun ( ). En mai fais ce quil te ( ) (Mercedes-
Benz Millesima) p. 331
En Sarthe, on peut avoir la grosse tte (Sarthe) p. 314
Enfin tout seul avec ses amis (Mitsubishi Pajero) p. 355
Entre cavaler tous les jours... et galoper chaque jour, jai choisi ! (La Mayenne) p. 279
Entre nous, vous nen avez absolument pas besoin. Vous en avez juste trs envie
(Lancia Ypsilon) p. 350
Epsonissime (Epson) p. 238
Espress yourself (Lavazza) p.291
trangement proche (Andorre) p. 277
tre autre chose quun numro de compte. a compte (LCL) p.249
tre dans les airs comme un poisson dans leau (Lufthansa) p. 341
Euphorie (Athnes 2004) p. 312
Exactement ce que vous attendiez : de linattendu (Smart) p. 347
F
Finepix S 5000-Zoom optique x 10 Mme de loin vous tes prs ( Fujifilm) p.347
Foncirement diffrent sur tous les points (Crdit foncier) p. 314
G
Givr (Cognac) p. 245
Grimbergen et le silence se fait (Grimbergen) p.259
402
H
Habillez-vous en Gore-Tex, a change la vie ! (Gore-Tex) p. 289
Happy in the new chic (Morgan) p. 291
Hennessy fine de Cognac. Le temps sarrte. Le voyage commence (Hennessy) p. 274
( ) sweet ( ) (Mercedes-Benz) p. 337
I
Il a Free il a tout compris (Free) p. 264
Il tait une fois le palace de demain (Plaza Athne) p. 320
Il tait une fois. Pas deux (Syfy) p. 320
Il ne pense qu a (Ford K) p. 285
Il ny a que dans les fables que la tortue arrive devant le livre (Audi) p.321
Il y a beaucoup plus de neurones dans votre cerveau que de mots dans le dictionnaire :
utilisez-les! (Dicos dor) p. 276
le Maurice. Un monde loin du monde (le Maurice) p. 255
Innovatique: [i-no-va-tik] (Nissan Micra) p. 242
Adj. qui allie une technologie aussi innovante que pratique.
Innovatique ne semploie que pour les Micra. Nissan
iPAQ Pocket PC. Ceux qui lont se mfient de ceux qui ne lont pas ( Compaq) p. 279
Il vaut mieux investir dans le neuf (9 tlcom) p. 249
J
Jamais le silence na pris autant de place (Renault Vel Satis) p. 264
Je sais donc je suis (CNN) p. 338
Je voulais du rpondant, jai trouv la rponse (Alfa Romeo) p. 280, 350
L
La bourse tout petit prix (Socit gnrale) p. 341
Largent cest comme son chien, on aime bien quand il rapporte (La Poste) p. 255
La solidit dun appareil se vrifie souvent avec les annes. Mais parfois, quelques
secondes suffisent (KRUPS) p. 274
Le comptoir dun caf est le parlement du peuple -Honor de Balzac (France
Boissons) p. 332
Le diable shabille en Panda (Fiat Panda) p. 336
Le haut dbit, a arrive au moment o a part (9 tlcom) p. 355
Le haut dbit, cest dj servi (9 tlcom) p. 265
Le meilleur lit sur terre nest pas sur terre (Iberia) p. 255
Le moche est laid (Lancia Ypsilon) p. 350
Le projecteur qui en fait beaucoup. Pour si peu. (Sony) p. 273
Le Yti existe. Il a mme le permis (Toyota) p. 336
Lpargne qui attire lintrt (LCL Compte pargne fidlit) p. 248
Les chicissimes (Lancia Ypsilon) p. 238
403
europenne) p. 249
Vous ne gagnez pas toujours votre vie en vous amusant. Cest pour a quon ne samuse
pas avec votre pargne (Banque populaire) p. 279
Vous leur ferez toujours dire Cheese. a, a ne changera pas (HP) p. 289
Vouvray Jeunes et clbres et vice-versa (Vins du Val de Loire) p. 312
W
When in Rome do as the Romans do (Talentvillage) p. 330
Chiffre
0% Moche (Lancia) : p. 245
2 camras: la vision recto verso (Nokia 6680) p. 312
7-8H. Une heure dactualit aussi serre quun bon caf (BFM) p. 254
407
Index
I. Index nominum
D Galisson R. 84
Darsy S. 43, 51 Galliot M. 23, 77, 208
Dayan A. 106 Ghiglione R. 191
Debord G. 42 Giocanti S. 10
Dcaudin J.-M. 84, 99, 105, 107 Goffman E. 134, 149, 220, 222, 382
Delacroix H. 144 Goldstein K. 144
Deleuze G. 127, 146, 324 Graby F. 216, 344
Demonet M. 377 Gradis Y. 43
Dhuin-Vidal M.-C. 239, 240 Greimas A. J. 218
Dru J.-M. 106, 256 Grsillon A. 244
Duhamel G. 36 Greven H. A. 84, 144
Duprs J. 15 Grevisse M. 123
Durand G. 15, 117, 118, 141, 142, 283, 381, Grunig B.-N. 82, 95, 110, 114, 170, 175, 179,
384 180, 181, 183, 198, 203, 217, 233,
Durkheim . 69, 133, 165, 167, 201, 375 256, 260,261, 263, 297
Duvillier F. 81 Grunig R. 297
Duradin G. 22 Guattari F. 127, 146
Ducrot O. 149, 170 Gurin R. 9, 112, 113
Durand J. 88 Guidre M. 90, 109
E Guilbert L. 109
Eco U. 160 Guillaume (interview) 303, 304, 364
Elias N. 156 Guiraud P. 215
tiemble R. 111, 112, 293 H
Everaert-Desmedt N. 210, 212 Habermas J. 98, 99
Ewen S. 37 Hagge C. 133
F Halbwachs M. 308, 362, 366
Ferr L. 335 Hampartzoumian S. 381
Field M. 327 Hana (interviewe) 365, 366
Finkielkraut A. 244 Hastings M. 371
Fitoussi M. 92 Heidegger M. 288, 309
Foucault M. 136, 137, 138, 139, 140, 185, Hesbois L. 216
187 Heude R.-P. 82, 83
Fourier C. 240 Hitler A. 78
Freud S. 27, 215, 242 Hugon S. 32, 375, 381
Freund J. 115, 147 Huizinga J. 209, 300
G I
Gabszewicz J. 18 J
Gadamer H.-G. 194, 195, 222 Jakobson R. 131
Gadet F. 110 Jackson Don D. 85
Gaillois R. 209 Jaubert M.-J. 82, 83
Gainsbourg S. 303 Jean-Christophe (interview) 301, 304, 363,
Garcien J. 378 367
Gide A. 154 Jean-Marie (interview) 303, 304, 364
409
Disruption 106 Internet 17, 28, 32, 33, 78, 189, 197
Doctor Jekyll et Mister Hyde 154 J
Double articulation 85, 146, 182 Journe sans achat (Buy Notion day) 43
Doxa 142, 305 K
Dubonnet 75 Kwangko 20
Duo-cratif 105 L
E LA langue 111, 124, 128, 232
EDF 53 Langue 130, 131, 163, 232
chantillons gratuits 18 Langage-objet 71
E-mailing 18 Langue spcialise 108, 109
Embrayeur 287 Lalangue 127, 128
Enfant ternel 324, 379 Langagier 159, 160, 161, 162, 200
Enracinement dynamique 362, 368 Langaginal 159, 200
Ensauvagement de la vie 378, 381 Langaginalit 158, 162, 181, 182
F Langue-trsor 123, 126, 230
Fait social total 60, 61, 63 Langue-trash 123, 124, 125, 126, 231, 375
Ftichisme 165, 166, 167 La Nuit des Publivores 45, 46, 303
FMA(Fdration mondiale des annonceurs) Le Lay (Laffaire de) 24
31 Lexme 87
Foire 18, 98 Lobbying 31, 98
G Logique du devoir-tre 123
Galaxie de Gutenberg 66 Logique naturelle 351, 352, 361
La Gazette 15 Logos 136
Graffiti 43, 44, 125, 183 Logotype 85
Grands mdias 17, 18, 23, 97 Loi vin 100
H Loi Toubon 99, 110
Habitus 150 M
Haku 264 Magazine 22, 65
Havas 25 McDonalds 50, 78
Head-line 82, 83, 90 Mai 68 42, 50, 75, 79, 80, 345
HEC 26 Mdias chauds 93
Htronomie 156 Mdias froids 93
Hraclite 155 Merveilleux quotidien 68, 378
Homo ludens 208, 209, 217 Mta-langage 172
Hors mdias 17, 18, 94, 98 Mind 102
HSBC 28 Modernit 124, 136, 140, 143, 155, 157, 376,
I 379
Iconisation du verbal 86, 87, 142 Monde imaginal 141
Image-objet 71 Monme 85, 182
Image-outil 71 Monsieur Propre 76
Implication 216 Mouvement antipub 41, 42, 43, 44, 45, 112
IREP (Institut dtudes et de recherche N
Publicitaire) 31 No-rclame 20
413
Tlphonage 18 V
Tlvision 17, 21, 22, 24, 94 Verbalisation de liconique 86, 89, 142
Texte dancrage 84 Vittel 75
Texte dappel 84 W
Theatrum mundi 156 Werbung 20
Titres de films 125, 311, 326 Y
Titres de journaux 125, 197 Yti 103
U Z
UDA(Union des annonceurs) 31, 38 Zeitgeist 56, 57