Principes de Colonisation - Par (... ) Lanessan Jean-Louis Bpt6k1127920
Principes de Colonisation - Par (... ) Lanessan Jean-Louis Bpt6k1127920
Principes de Colonisation - Par (... ) Lanessan Jean-Louis Bpt6k1127920
LXXXIV
cartes
LIBRAIRIE FLIX ALCAN
AUTRES OUVRAGES DE M. J.-L. DE LANESSAN
L'Exl'ANSION COLONIALE DE LA FRANCE. tude conomique, politique et go-
graphique sur les tablissements franais d'outre-mer. 1 fort vol. in-8,
avec 12 fr.
L'Indo-Chine franaise. tude conomique, politique et administrative sur
la Cochinchine, le Cambodge, l'Annam et le Tonkin. (Ouvrage couronn
par la Socit de gographie commerciale de Paris, mdaille Dupleix.)
1 vol. in-8, avec 5 cartes en couleurs hors texte 15 fr.
LA colonisation franaise EN Indo-Chine. Expos de la politique suivie et
des progrs raliss pendant trois annes de gouvernement gnral.
1 vol. in-12, avec une carte de lIndo-Chine. 1895 3 fr. 50
contemporaine
LA morale DES philosophes chinois. Extraits des livres classiques de la
Chine et de l'Annam. 1 vol. in-12 de la Bibliothque de philosophie
Introduction A l'Etude DE LA BOTANIQUE (le Sapin). 1 vol. in-8 de la
2 fr. 50
Bibl,olhqzte scientifique internationale, 2e dit., avec 143 figures dans
le texte. Cart. l'anglaise 6 fr.
( v'cV la page 284 la liste des ouvrages scientifiques dit mme auteur. )
BIBLIOTHQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIE SOUS LA DIRECTION
DE M. M. ALGLAVE
vie
Volumes in-8, relis en toile
En
anglaise.
demi-reliure d'amateur, fr. 10
Prix 6'fr.
figures
84 VOLUMES PUBLIES
carte.
DERNIERS PARUS:
Le Dantec. Thorie NOUVELLE DE LA
Stanislas Meunier. LA gologie compare, avec 36 figures. 6 fr.
6 fr.
Jaccard. LE ptrole, L'ASPHALTE ET LE BITUME au point de
A.
avec
Angot. Les aurons polaires, avec figure* 6 fr.
gologique,
vue
6 fr.
fr.
P. Brunache. LE CENTRE DE L'AFRIQUE (Autour du Tchad), avec 41. figures
et 1
Hamy. 2 vol 6 fr.
De Quatrefages. LES mules DE Darwin, avec prfaces de MM. E. Prier et
Darwin ET SES prcurseurs franais. 2" dition, augmente
12 6 fr.
figures
Andr Lefvre. LES RACES ET LES LANGUES
primitive
A. Binet. LES ALTRATIONS de la personnalit, avec figures
Topinard. L'homme DANS LA NATURE, avec 101 figures
ligures.
S. Arloing. LES VIRUS, avec 47
Starcke. LA FAMILLE
Sir J. Lubbock. LES SENS ET L'INSTINCT CHEZ LES animaux, et principalement
6 fr.
6 fr.
6 fr.
6 fr.
fr.
internes
figures
chez les Insectes, avec 117 6 fr.
figures. dit.
Berthelot. LA RVOLUTION CHIMIQUE, Lavoisier, avec 6 fr.
Gartailhac. LA France prhistorique, avec 162 figures. 2 6 fr.
Beaunis. LES SENSATIONS 6 fr.
avec 105
figures
A. Faisan. LA PRtODE glaciaire, principalement en France et en Suisse,
6 fr.
j,
Richet (Ch.). LA CHALEUR ANIMALE, avec 6 fr.
Sir John Lubbock. L'homme PRHISTORIQUE tudi d'aprs les monuments
volaugmente
et les costumes retrouvs dans les diffrents pays de l'Europe, suivi d'une
turle sur les moeurs et les coutumes des sauvages modernes, avec 228 gra-
vures, 4e dition. 2
Daubre Les RGIONS INVISIBLES DU GLOBE ET DES ESPACES clestes, avec
78 figures, 2* dition, revue et
12 fr.
6 fr.
PRINCIPES
DE
COLONISATION
J'AB
J.L. DE LANESSAN
^rjDjjSSft^ragrg d'Histoire naturelle la Facult
1 ->f"
de mdecine de Paris
Ancien*Gouverneur gnral de l'Indo-Chine.
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIRE ET Cic
FLIX ALCAN, DITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1897
Tous droits rserv.
PRFACE
CHAPITRE PREMIER
CONSIDRATIONS GNRALES SUR L'HISTOIRE
DES MIGRATIONS HUMAINES ET DE LA COLONISATION
1. VOLUTION DE LA guerre
Diverses phases marquent l'volution des ides et des pra-
tiques humaines dans cet ordre de faits. Les premires guerres,
celles qui clatent entre les populations encore barbares des
poques les plus recules de l'histoire, sont par-dessus tout des
luttes passionnelles, comme celles dont les animaux nous don-
nent le spectacle. Les mles se battent pour la conqute des
femelles; le plus fort supprime le plus faible, afin de s'assurer la
tranquille jouissance de l'objet de ses convoitises. A ce premier
mobile, s'ajoute souvent le dsir instinctif, hrit des animaux,
de s'emparer des aliments ou objets de diverses sortes qu'un
autre possde. De mme qu'un chien se bat pour ravir l'os
trouv par un congnre, l'homme attaque l'homme pour lui
enlever les produits de sa chasse, de sa pehe, de la culture du
sol, et le plus fort tue le plus faible s'il ne consent pas se
laisser dpouiller du fruit de son travail.
Par une volution morale d'une nature particulire et que je
considrerais volontiers comme rgressive dans une partie de sa
marche, il se cre bientt, dans les socits humaines primi-
tives, deux catgories d'individus diffremment dous au point
de vue intellectuel, moral et physique les uns, d'humeur paci-
tique, laborieux, s'adonnant tous les travaux qu'exige la
recherche ou la production des aliments, vtements et loge-
ments plus ou moins rudimentaires que la faim, le froid, la
pluie, etc., ncessitent; les autres, violents et paresseux, plus
occups des exercices corporels et des sports dont ils trouvent
l'exemple chez les animaux, tels que la course, la natation, la
lutte corps corps, la chasse aux btes froces, etc., que du
travail assidu et pnible par lequel l'homme assure la satisfac-
tion de ses besoins journaliers; ceux-ci acquirent une vigueur
corporelle suprieure celle des paisibles agriculteurs ou
pcheurs.
De ces deux catgories d'individus, l'une travaille et produit;
l'autre commande, boit, mange, se livre tous les plaisirs, mais
se bat pour dfendre le travailleur qui la nourrit. Afin d'assurer
son triomphe sur ses ennemis et sa domination sur ses cong-
nres, elle est oblige d'inventer des ruses de combat, des moyens
d'attaque et de dfense; ses facults intellectuelles se dveloppent
dans une direction spciale que j'appellerai militaire, tandis que
celle des travailleurs volue dans la voie des connaissances pra-
tiques, de l'agriculture d'abord, puis du ngoce, de la navigation,
de l'industrie, et, enfin, de la science, celle-ci n'tant compose,
au dbut, que des notions indispensables l'exercice des diverses
professions. La premire classe d'individus n'est domine que
par des proccupations purement matrielles s'enrichir par les
dpouilles de l'ennemi et par l'exploitation des travailleurs,
puis recruter des travailleurs nouveaux qui augmenteront
encore son bien-tre, enfin jouir de tous les avantages que pro-
cure le triomphe. La guerre a dsormais un double but le
vol et l'esclavage. Elle conserve ce caractre jusque dans les
poques historiques, et mme jusqu'au temps o nous vivons,
en ce qui concerne certains peuples.
Aa dbut, la guerre se borne aux luttes d'homme homme
puis elle a lieu de famille famille, de village village, de
tribu tribu, jusqu' ce qu'enfin, les nations s'tant formes,
elle ne se produise plus qu'entre peuples distincts.
La guerre alors nous apparat avec un triple but la gloire,
la dispersion des races sur des territoires dont la richesse attire
leurs convoitises, c'est--dire la colonisation, et la recherche des
esclaves qui sont les seules machines industrielles et agricoles
connues et employes jusqu'aux temps les plus modernes.
2. VOLUTION DE L'ESCLAVAGE
L'esclavage passe naturellement par les mmes phases que
la guerre. C'est d'abord un homme quelconque qui, tant plus
fort qu'un autre, le condamne travailler pour nourrir sa propre
indolence. Puis, les hommes d'un mme village, d'une mme
tribu, recrutent leurs esclaves par le rapt et la guerre, dans un
autre village ou une autre tribu enfin les individus d'une mme
nation ne rduisent l'esclavage que des gens d'une nation
diffrente. Cette volution marche, d'ailleurs, trs ingalement
sur les divers points du globe et l'on peut constater, la mme
poque historique, toutes les formes d'esclavage chez des peuples
diffrents. Dans son livre de la Rpublique, quatre cents ans
avant l're chrtienne, Platon met dj dans la bouche de
Socrate cette question Glaucon Comment nos guerriers
se conduisent-ils envers l'ennemi Premirement, en ce qui
concerne l'esclavage te semble-t-il juste que des gens asser-
vissent des cits grecques au lieu de le dfendre aux autres
autant que possible et de faire passer dans les murs le devoir
de mnager la nation grecque, dans la crainte de tomber dans
l'esclavage des barbares? Et Glaucon de rpondre En tout
et pour tout, il est du plus grand intrt pour les Grecs de mnager
les Grecs. Socrate Et par consquent de n'avoir eux-mmes
aucun esclave grec et de conseiller aux autres de suivre cet
exemple. Dans le mme dialogue, Platon donne une ide assez
exacte de la faon dont la guerre tait gnralement comprise
son poque, lorsqu'il dit qu'elle ne mrite ce nom que quand
elle clate entre les Grecs et les trangers, les barbares
que si elle a lieu entre Grecs, c'est seulement une discorde dans
laquelle les partis adverses doivent se mnager. On ne doit ni
dvaster, ni incendier, mais seulement enlever la rcolte de
l'anne. D'oit il rsulte naturellement que dans la guerre vri-
table, c'est--dire dans les diffrends arms qui surviennent
entre les Grecs et les barbares, toutes les dvastations sont
autorises, ainsi que la capture des individus et leur rduction
l'tat d'esclavage.
Dans la Grce et Rome, en effet, c'est--dire dans les deux
civilisations europennes les plus anciennes, les esclaves sont en
grande majorit recruts parmi les barbares et reprsents par
des prisonniers faits la guerre ou par leur progniture. Leur
nombre s'accrot, en Grce et surtout Rome, mesure que le
peuple devient plus puissant et plus riche. L'apoge du rgime
de l'esclavage commence Rome au moment o la rpublique
porte ses armes au dehors de l'Italie, c'est--dire lorsque la civi-
lisation romaine et la puissance de Home atteignent leur plus
grande hauteur. La guerre faite tous les peuples qui entourent
la Mditerrane fournit aux riches romains des milliers et des
milliers d'esclaves, et les gnraux ralisent de grosses for-
tunes par la vente des prisonniers de guerre. Paul Emile
vend ses concitoyens 150.000 esclaves enlevs de l'Epire
Sempronius Gracchus vend plus de 100.000 sardes Marius
capture plus de 150.000 Gaulois et Germains qui sont vendus
sur les marchs de Rome; Pompe et Csar passent pour avoir
fait plusieurs millions d'esclaves dont ils tirrent des sommes
normes. Ce n'est pas seulement pour la gloire que ces hros de
l'antiquit se battent avec tant d'ardeur, c'est aussi pour le profit
matriel qu'ils tirent de leurs victoires.
Malgr ces razzia formidables, la guerre ne suffisant pas
fournir tous les esclaves exigs par la culture des champs, l'iu-
dustrie, les services domestiques, etc., des leveurs et des mar-
chands d'esclaves exeraient sur tous les confins de l'empire
une vritable piraterie, dont le but principal tait de voler des
hommes, des femmes et des enfants que l'on vendait sur les
marchs. La Crte ne fut pendant longtemps qu'un nid de pirates
qui allaient vendre Dlos les hommes, femmes et enfants
enlevs sur les ctes de l'Asie Mineure.
La justice se joint la guerre et la piraterie pour fournir
des esclaves l'agriculture, au commerce, l'industrie, aux
services domestiques et la dbauche. Chez presque tous les
peuples de l'antiquit et, aujourd'hui encore, dans un grand
nombre de pays, l'individu qui, ayant contract une dette, est
reconnu incapable de la payer, est transform en esclave, au
profit de son crancier. Ne pouvant le payer en monnaie, il le
payera en travail et en services obligatoires. Parmi les colonies
franaises, le Cambodge jouit encore d'une lgislation de cette
sorte si rgulirement applique, depuis des sicles, qu'une por-
tion importante de la population est rduite l'tat d'esclavage
il est vrai que celui-ci est beaucoup moins rude que le salariat
de notre Europe.
Dans l'antiquit et chez tous les peuples primitifs, les
machines n'existant pas, tous les travaux doivent tre faits
bras d'homme. C'est par 5, 10, lo, '20.000 ttes et au del que
l'on comptait les esclaves des riches Romains, pendant la belle
priode de l'empire. Grce ces machines humaines, un petit
nombre de citoyens accaparaient l'agriculture, l'industrie et
le commerce, comme le font aujourd'hui les grandes socits
industrielles. Dans les campagnes, presque tous les travailleurs
des champs taient des esclaves. Dans les villes, des esclaves
exeraient les divers mtiers pour le compte d'un petit nombre
d'individus. Un mme propritaire runissait souvent entre
ses mains tous les ouvriers d'une industrie dtermine et pou-
vait, en consquence, rgler les prix sa guise. Esclavage et
accaparement de l'industrie marchaient de pair. Celui qui pos-
sdait le plus grand nombre d'esclaves tait le plus riche capi-
taliste et le plus grand industriel de la Cit, car le capital et le
travail taient runis dans les bras des esclaves.
A partir de l'ouverture de notre re, mesure que la puis-
sance de l'empire romain s'affaiblit, les conditions de l'esclavage
s'adoucissent et se transforment. La fortune des particuliers
est diminue par les rvolutions et les guerres les propri-
taires sont obligs de vendre vil prix une partie de leurs
esclaves, comme un industriel vend son usine lorsque ses
affaires vont mal. Mais le propritaire d'esclaves jouit d'une
machine susceptible de se racheter elle-mme il transforme ses
machines humaines en monnaie, en leur vendant la libert.
Les esclaves profitent encore du dsordre de l'empire pour
tenter de s'affranchir par la force et l'histoire enregistre alors les
plus formidables rvolutions d'hommes qui aient jamais exist.
C'est par 100.000 que Spartacus peut compter les esclaves sou-.
levs, son appel, contre Rome.
Quelques sicles aprs l'ouverture de notre re, il n'existe
plus dans les villes que les esclaves attachs aux personnes, les
domestiques, c'est--dire ceux dont le sort tait le moins pnible
et qui, d'autre part, ne connaissant aucun mtier, ne pouvaient
pas trouver dans leur travail les moyens de se racheter.
Dans les campagnes, o le travail agricole est galement trs
peu rmunrateur et o la rvolte est moins facile, l'esclavage
subsiste encore longtemps aprs sa disparition des villes. Ce
sont les esclaves qui ont mis la Gaule en valeur. Toutefois, les
esclaves des champs voient aussi, petit petit, leur condition
s'amliorer. Attachs la terre, subissant son sort dans les
hritages et les ventes, ils deviennent aussi indispensables au
propritaire qu' la terre elle-mme. Leur indpendance nat
de l'impossibilit o l'on est de les remplacer; elle s'accrot par
tous les malheurs qui surviennent aux propritaires, l'poque
o la constitution des fiefs gaulois et germains, en dehors des
villes o les riches gallo-romains restent confins, amne des
querelles et des troubles incessants, puis toutes ces guerres fo-
dales qui emplissent l'histoire du moyen ge. Tandis que les
esclaves s'mancipent et mettent plus ou moins la main sur le
sol, les anciens cultivateurs libres, les lites germains et les colons
romains appauvris par les guerres, tiraills entre les seigneurs
qui se battent sur leurs dos et dans leurs champs, tombent dans
un tat tout fait analogue celui des anciens esclaves et tous
se transforment en serfs.
Cette rencontre dans le servage des anciens esclaves ruraux
avec les petits propritaires gaulois, germains et gallo-romains
marque le point culminant de la colonisation de notre pays,
sous l'influence successive des Romains venus du sud et des
Germains venus du nord, se rencontrant, se pntrant et fina-
lement se fusionnant sur le sol du pays tempr le plus riche
peut-tre qui existe dans le monde et qui, ce titre, devait
devenir et restera, si nous savons favoriser la fusion des races
que son climat et sa richesse n'ont point cess d'attirer, la
source la plus fconde de la civilisation et du progrs moral de
l'humanit.
L'glise intervient puissamment dans la mise en culture du sol
et dans la suppression de l'esclavage. Sur les terres qui leur
sont concdes par les rois franks, les prtres et les moines
attirent les populations rurales non seulement par l'attrait de la
religion, mais aussi par divers avantages matriels d'une part,
l'exemption de certaines charges fiscales et de certaines obliga-
tions l'gardjdu pouvoir sculier; d'autre part, pour les esclaves,
la promesse de l'affranchissement. Les voques achetaient les
esclaves et leur rendaient la libert la condition qu'ils s'atta-
cheraient l'glise et travailleraient pour elle. C'est d'ailleurs
parmi les petites gens et les esclaves que le catholicisme, reli-
gion essentiellement dmocratique et mme socialiste d'un bout
l'autre de son histoire, avait recrut ses premiers adeptes. On
trouve encore des esclaves en France jusque vers le xn" sicle
plus tard il n'en est plus question si les Establissements de
saint Louis ne songent pas rgler leur condition, c'est qu'
cette poque ils n'existent plus ou n'existentqu'en si petit nombre
que le lgislateur ne juge pas propos de s'en occuper.
Chass de l'Europe par la civilisation moderne, l'esclavage
subsiste dans toute l'Asie et l'Afrique jusqu' notre poque. Les
nations europennes le trouvent en pleine activit dans ces pays
au xv sicle, lorsque se produit leur actif mouvement d'expan-
sion coloniale. Bien loin de tenter de le dtruire, elles en tirent
profit. C'est avec des esclaves achets en Afrique par les Euro-
pens que toutes les colonies intertropicales amricaines ont
t mises en valeur. Dans tous les pays o la main d'oeuvre indi-
gne faisait dfaut ou dont le climat rendait le travail trop dur
pour les Europens, on employa des noirs que l'on allait voler
ou acheter sur les ctes de l'Afrique. Lorsque les progrs de
la civilisation europenne ont dtermin l'abolition lgale de
l'esclave, on a vu les colonies o il rgnait s'effondrer dans la
misre, et employer maints subterfuges pour se procurer des
travailleurs soi-disant libres dans les mmes lieux o jadis
elles achetaient des esclaves.
L'esclavage, d'ailleurs, existe encore sur un trs grand nombre
de points du globe et mme dans ceux occaps par les Euro-
pens. Dans toute l'Afrique, ce sont des esclaves qui transportent
les marchandises vers les ports o le commerce europen les
achte beaucoup d'esclaves sont encore exports chaque jour
de ce continent vers l'Europe orientale, l'Asie et l'Amrique.
Dans le sultanat de Zanzibar, qui est soumis au protectorat de
l'Angleterre, l'esclavage est en pleine vigueur et c'est en partie
pour n'avoir pas le rprimer que les Anglais ne veulent pas
transformer leur protectorat en prise de possession. Un voyageur
anglais, M. Donald Mackensie, dlgu Zanzibar par la Socit
antiesclavagiste de Londres pour tudier sur place la question,
racontait rcemmentdans une confrence publique que le chiffre
des esclaves exports de cette partie de l'Afrique est d'environ
17.000 par an, atteignant une valeur de 8 millions de francs et
reprsentant plus de 60.000 individus enlevs par les marchands
d'esclaves de l'intrieur de l'Afrique la majeure partie de ces
malheureux meurt en route de fatigue ou de maladies, avant
d'atteindre la cte (Journal des Dbats, 22 dcembre 1895).
Un ancien fonctionnaire du Congo Belge a racont rcemment
(Temps, 10 septembre 1896) comment les officiers de cet tat
encouragent la traite des esclaves en se faisant allouer une
prime pour chaque tte de noirs envoys aux amateurs de main-
d'uvre bon march et que l'on nomme sur les lieux, par
une singulire ironie, des librs .
Sur presque tous les points importants des ctes orientales et
occidentales de l'Afrique des faits analogues se produisent plus
ou moins ouvertement l'esclavage est une institution tellement
enracine dans les murs des populations africaines qu'il ne
disparatra probablement qu'avec ces populations; mais il faut
reconnatre qu'il est loin d'tre contrari, en fait, par les Euro-
pens. Il n'y a pas de colonie europenne d'Afrique o il ne soit
au moins tolr. En Asie, l'esclavage n'existe sur une grande
chelle que parmi les populations musulmanes, surtout en Tur-
quie, en Perse, et chez les peuples d'origine malaise tels que les
Siamois, les Laotiens, les Cambodgiens, etc., mais chez ces
derniers le sort des eselaves est trs doux. A Madagascar,dont les
populations sont en partie issues de souche malaise, les esclaves
reprsentent la meilleure partie de la fortune des habitants
riches. Les propritaires d'esclaves ne les emploient pas seule-
ment leurs propres services, il les louent comme ouvriers, por-
teurs, etc. Beaucoup mme tirent profit de la prostitution de
leurs esclaves fminins. En Europe, on ne trouve plus d'esclaves
que chez les Turcs.
Sauf chez les Malais et les Malgaches, o les esclaves sont sou-
vent de la mme race que les matres, car il suffit de ne pouvoir
pas payer une dette pour tre condamn l'esclavage jusqu'
ce qu'elle soit solde, presque partout, l'esclavage est li
l'exploitation d'une race humaine par une autre plus dveloppe.
En Afrique, les grands ravisseurs et marchands d'esclaves appar-
tiennent soit au type rouge africain, soit la race Smite qui
sont anthropologiquement trs suprieuresaux Cafres, aux Nigri-
tiens, etc. Dans les pays habits par les Turcs, les Smites, les
Iraniens, les esclaves appartiennent ordinairement la race
noire et viennent de l'Afrique. Les Malais ont aussi, en divers
points, des esclaves appartenant aux races infrieures de l'Oca-
nie. Les esclaves des colonies europennes taient presque
exclusivement des noirs africains.
gardes.
En rsum, pendant ces vingt premires annes, notre protec-
torat sur le Cambodge avait t aussi nuisible nous-mmes
qu' nos protgs. M. Le Myre de Vilers obtint quelques am-
liorations, et en particulier le prlvement, sur le budget du
royaume, d'une somme de cent mille piastres pour le paiement
de nos dpenses de protectorat; mais, deux ans plus tard,
en 1884, la situation gnrale n'tait pas meilleure.
L'imprilie avec laquelle nous avions conduit nos affaires
depuis 1863 devait inspirer au roi la conviction que nous n'at-
tachions aucun intrt notre protectorat et que nous subirions
toutes ses fanta.isies. C'est ainsi seulement que peut s'expliquer,
pour ceux qui le connaissent, la rsistancequ'il opposa, en 1884,
la signature d'une convention trs anodine, relative aux
douanes, que le gouvernement mtropolitain lui-mme voulait
lui faire accepter. De ce refus sortit la Conventiondu 17 juin .1884
que M. Thomson lui imposa par la force, en le plaant, sous
le feu de nos canonnires, dans l'alternative de la signer ou
d'abdiquer.
Des extrmes de la faiblesse, nous passions aux extrmes de
la force. La convention de 1884 instituait une vritable prise de
possession l'esclavage tait aboli la proprit individuelle
tait proclame contrairement aux traditions du royaume qui
fait le roi propritaire de toutes les terres et ses sujets simples
locataires, l'impt reprsentant la valeur de la location
l'tablissement et la perception des impts, des droits de
douane, des contributions indirectes taient rservs aux agents
franais, ainsi que les travaux publics et, en gnral, tous les
services qui exigent une direction unique ou l'emploi d'ing-
nieursou d'agents europens des rsidentsdevaient tre placs
dans toutes les provinces et prposs au maintien de l'ordre
public et au contrle des autorits locales toutes les d-
penses de l'administration du royaumes et celles du Protectorat
taient la charge du Cambodge dont nous confisquions les
finances puisque nous nous rservions l'tablissement et la per-
ception de tous les impts la liste civile du roi tait elle-
mme fixe par nous, ainsi que les soldes des ministres et des
princes, et nous imposions au roi l'acceptation de toutes les
rformes administratives, judiciaires, financires et commer-
ciales , que nous jugerions ncessaires. Celles-ci comportaient
une nouvelle division du pays, l'organisation de communes
sur le modle de celles de la Cochinchine, la cration d'une jus-
tice l'instar de celle de la France, etc. En un mot, c'tait le
renversement total de toutes les institutions traditionnelles du
Cambodge et leur remplacement par des organismes politiques
et administratifs entirement neufs.
Ceux qui avaient imagin ce rgime fondaient sur lui les plus
belles esprances le conseil colonial de la Cochinehine, dans la
sance du 15 fvrier 1884, dclare que la convention du 17 juin
est appele renouer les liens d'amiti qui unissent le Cam-
bodge la France, assurera la paix intrieure et la prosprit
du royaume protg, ainsi que le dveloppement des intrts
franais en Indo-Chine . Le rapporteur de la Chambre des d-
puts, en invitant ses collgues voter cette convention, ne
manifestait pas moins de confiance dans l'excellence des rsul-
tats qu'elle devait produire.
La ralit fut peu conforme ces illusions. Ds la fin de 1884,
l'insurrection clatait sur tous les points du pays. Si-Votha
reprenait la campagne, nous tions obligs d'envoyer des
troupes pour rtablir l'ordre et nous y parvenions si peu que
prs de deux ans plus tard, nous avions au Cambodge plus de
six mille hommes et cinquante-deux postes militaires, sans que
la moindre scurit rgnt sur aucun point.
Aucun pays, en effet, ne se prte moins que le Cambodge la*
politique de conqute, d'annexion et d'administration directe.
Le nombre des habitants est tout fait infime par rapport la
surface du sol, et il n'existe en dehors de Pnom-penh aucune agglo-
mration importante de population. Celle-ci est parse sur les
vives des quatre grands cours d'eau qui traversent le pays elle
ne cultive que les berges des fleuves et les bords de quelques
De L.\SESSAS,
lJr 1
arroyos intrieurs qui sont navigables seulement pendant six
mois de l'anne. Tout le reste (h*-1frrt>ke est couvert de forts
et de broussailles, inondes p/l^ht Urfe^ti de l'anne, totale-
ment dpourvues de voies ae^ommunicatians terrestres. Ayant
Lanessan. Colonisation.
,1 1
1
~? ]
7
sa disposition de trs vastes tendues de terres inoccupes, la
1 population se dplace avec d'autant plus de facilit qu'elle est
fort misrable. Ds le dbut de l'insurrection de 1885, la plupart
des lieux cultivs furent abandonns les paysans, avec leurs
femmes, leurs enfants et leurs buffles, allaient se rfugier dans
les forts. Ils fuyaient la fois les chefs rebelles qui voulaient
les enrler, et les colonnes franaises qui rquisionnaient leurs
buffles, leurs charrettes et leurs barques, et qui ne distinguaient
pas toujours suffisamment les gens tranquilles des insurgs.
En 1886, le pays n'tait plus qu'un dsert o colonnes mili-
taires et pirates souffraient galement de la misre et du climat.
Nous avions perdu un grand nombre d'hommes, dpens plu-
sieurs millions et notre situation tait plus mauvaise encore
qu'avant le trait de 1884.
Le gouvernement mtropolitain prit alors la rsolution de
renoncer exiger l'excution de ce trait. Le rsident gnra
fut autoris informer le roi Norodom que, sans le dchirer,
nous le considrerions dsormais comme lettre morte. En mme
temps, il priait le roi de nous donner l'assistance de son autorit
personnelle pour mettre fin l'insurrection.
Il n'en fallait pas davantage pour ramener la paix dans le
pays. Le roi lui-mme se mit en campagne; devant lui, les
rebelles se rendaient merci, les cultivateurs rintgraient leurs
habitations et se remettaient la culture de leurs champs. Nos
troupes purent alors vacuer les postes malsains o la fivre,
l'ennui et les fatigues striles les dcimaient mais l'autorit
militaire manifestait un vif mcontentement. Il fallut au rsident
gnral, M. Piquet, une grande force de caractre pour vaincre
ses rsistances et l'on vit ce spectacle singulier des officiers
franais, un soir de rception officielle, sifflant, sous les fentres
de la rsidence, le reprsentant de la France, tandis que le roi,
les princes et les ministres le remerciaient d'avoir rendu la
paix leur pays.
En avril 1887, quand je visitai le Cambodge, la tranquillit la
puis absolue rgnait dans toutes les parties du territoire, les
relations de la cour et de la rsidence taient empreintes de la
plus grande cordialit, la paix avait ramen une certaine pros-
prit Si-Votha, abandonn par ses partisans, avait du cher-
cher un refuge dans les forts, sur les frontires du Siam; toute
crainte d'insurrection avait disparu et des six mille hommes de
troupe" que nous avions entretenus grands frais et sans rsul-
f tat pendant deux ans, il ne restait plus qu'un peloton de
vingt-cinq soldats europens pour la garde d'honneur du dra-
peau franais.
L'administration et la presse de Cochinchine, qui n'avaient
pas renonc la conqute du Cambodge, ni son annexion la
vieille colonie, parlaient encore, de temps autre, de Si-Votha,
et essayaient de faire croire sa rentre en scne, mais le rsi-
dent gnral faisait la sourde oreille et le roi lui renouvelait sans
cesse l'assurance qu'aucun mouvement insurrectionnel n'tait
redouter, tant que l'on serait fidle au nouvel ordre de choses.
Je fus, pendant mon sjour Pnom-penh, en avril 1887, tmoin
d'un dialogue fort cui.'sux entre M. Piquet qui venait de rece-
voir du gouverneur de la Cochinchine l'ordre de prparer une
expdition contre Si-Votha et le roi Norodom. Les paroles de
ce dernier valent d'tre cites, car elles rsument, dans la
bouche d'un oriental, la politique suivre et les fautes viter
dans la colonisation de ces pays lointains Votha, disait-il,
est maintenant abandonn de tout le monde il grelotte de
fivre et maigrit de faim dans la fort; si nous levons des
hommes pour le poursuivre, on croira que la guerre va recom.
mencer, beaucoup de gens dserteront les villages pour viter les
corves, la misre reparatra, et Votha pourra de nouveau
recruter des partisans, il dtruira les rcoltes et le pays sera
lanc dans la guerre. Si, au, contraire nous laissons Votha tran-
quille, il finira par mourir misrable dans le coin de broussailles
o il s'est rfugi. Nous trouvmes ces paroles trs senses et
M. Piquet rpondit au gouverneur de la Cochinchine qu'il ne
voyait aucune raison d'attaquer Si-Votha, qu'il y en avait au
contraire beaucoup et d'excellentes pour ne point le faire. L'ad-
ministration de la Cochinchine n'osa pas insister et la paix ne
fut pas trouble.
Toutefois, la situation du Protectorat et celle du pays laissaient
beaucoup dsirer. L'organisation prpare en 1884 avait t
bauche la douane et les contributions indirectes de la
Cochinchine avaient t, au cours de la rbellion, introduites
dans le Cambodge. Conformment au principe qui avai* inspir
notre politique en 1884 et qui consistait prparer l'absorption
du Cambodge par la Cochinchine, le service des douanes ins-
tall dans le royaume de Norodom n'tait qu'une simple annexe
de celui de la Cochinchine. Les employs taient nomms par
le directeur des douanes de cette colonie, ils correspondaient
directement avec lui, n'obissaientqu' ses ordres, ddaignaient
l'autorit du rsident gnral et traitaient le royaume en pays
conquis.
Installs en travers de toutes les voies fluviales et terrestres
et isols dans les villages Cambodgiens o ils reprsentaient
seuls la France, car il n'y avait nulle part d'administrateurs
europens, appartenant presque tous cetts catgorie d'em-
ploys qui, tant peu pays, sont recruts fo "cment dans de
mauvaises conditions, ils avaient une grande propension com-
mettre des abus de pouvoir et beaucoup profitaient de l'absence
de tout contrle pour exploiter les indignes. Les plaintes que
je recueillis de la bouche des personnes les plus estimes et les
plus honorables, taient si vives que je me crus oblig d'en
faire part au gouvernement. Un seul fait donnera une ide
du sans-gne avec lequei les agents de la douane se condui-
saient. Peu de temps avant mon arrive Pnom-penh un offi-
cier s'tait plaint au rsident gnral d'avoir reu des coups
de fusil, tant en barque, dans un des bras du grand fleuve.
L'agent de la douane avait hl ses rameurs qui, pour un motif
quelconque, ne rpondirent pas et ne s'arrtrent pas tout de
suite; l'agent avait tir sur eux et la balle tait passe tout prs
de l'officier qui, assis sous le dme de la barque, n'avait pu rien
voir ni entendre. Ces procds n'taient que la menue monnaie
des brutalits dont la population et les Europens se plaignaient.
D'autre part, le rsident gnral tant fort mal vu du gouver-'
nement de la Cochinchine parce qu'il s'opposait ses ambitions,
aucune attention n'tait donne aux plaintes qu'il faisait entendre
et les employs se sentaient encourags ne tenir aucun compte
de son autorit.
Il n'tait gure moins impuissant vis--vis de la cour de
Pnom-penh. Fidles notre habitude de passer toujours d'un
extrme l'autre, nous avions, aussitt aprs la fin de l'insur-
rection, laiss tomber notre protectorat dans l'inertie et l'iso-
lement o il tait avant 1884. L'administration franaise
et l'administration indigne n'taient que juxtaposes, sans
influence l'une sur l'autre, sans autre contact que celui rsultant
du choc des intrts et des passions contraires que les incidents
dont j'ai parl plus haut provoquaient peu prs quotidien-
nement. Aussi le roi tait-il retomb sans ses habitudes de
paresse et de gaspillage, tandis que les mandarins, abandonns
tous leurs vices, se rattrapaient sur les populations de la
misre subie pendant les deux annes de la rbellion. Les
finances du roi ne pouvaient que subir le contre-coup fcheux
de ces dsordres; les ntres n'taient, pour les mmes motifs,
gure meilleures.
Dans une note que j'adressais, en avril 1887, un membre
du gouvernement, et qui avait t rdige sous les yeux et avec
les documents officiels du rsident gnral, j'exposais de la
faon suivante la situation dans laquelle se trouvait alors le
Protectorat et les moyens que je considrais comme les plus
propres la faire cesser. Ecrite il y a neuf ans, elle a l'intrt
particulier d'un document dont l'avenir devait justifier l'exacti-
tude. En ce moment, disais-je, le Protectorat est expos, par la
nature mme de son organisation, mille dangers; le main-
tenir dans cet tat serait le condamner toutes les aventures
sur lesquelles comptent les partisans de la politique d'annexion.
Actuellement il existe, en ralit, sous le nom de Protectorat,
presque en dehors du rsident gnral, deux administrations
trangres l'une 'autre et, par suite, exposes devenir, tt ou
tard, ennemies l'une franaise, l'autre cambodgienne, chacune
jouissant d'un budget spcial dont les recettes sont colliges
par des agents distincts. D'une part, l'administration cambod-
gienne ayant sa tte le roi et son conseil des ministres, peroitt
des impts spciaux (la capitation et la dme) l'aide de man-
darins que nous connaissons peine et par des procds qui
nous sont absolument inconnus. D'autre part, l'administration
franaise des contributions indirectes, ayant sa tte un chef
de service qui obit peu prs exclusivement au gouvernement
de Sagon, fait des recettes (douanes, rgie de l'opium, ferme
des alcools) qui suffisent peine l'entretien de son personnel
et des troupes charges de le protger. Entre les deux adminis-
trations, dont l'use dpend du roi et l'autre du gouvernement de
la Cochinchine, le rsident gnral et son personnel restreint
de quatre rsidents rgionaux, se trouvent condamns une
impuissance d'autant plus grande que le budget du Protectorat
est trs maigre. Par suite du nombre trs restreint des rsi-
dents et des postes militaires, les agents des douanes et de la
rgie d'opium ont une autorit beaucoup plus grand que ne le
comportent leur caractre, leur ducation et .leurs fonctions.
Isols dans des postes dont la plupart n'ont que des relations
trs difficiles et trs rares avec la capitale, entours d'agents
indignes auxquels on a trop lgrement confr des grades de
caporaux et de sergents, et de miliciens qu'on a t oblig de
placer auprs d'eux pour les protger, les agents de la douane
se considrent gnralement comme des personnages politiques;
ils sont, en ralit, dans beaucoup de lieux, les seuls Franais
avec lesquels la population indigne ait des relations officielles.
Or, sans parler des fautes graves et des abus de pouvoir commis
par un certain nombre d'entre eux, mais dont il serait injuste
de rendre tout le corps responsable, les agents des douanes et
de ka rgie de l'opium ne sont point recruts en vue de repr-
senter i autorit du gouvernement franais; aussi, la prsence
de ces agents dans les provinces, loin de contribuer l'affermis-
se ment de notre influence est plutt de nature la compromettre.
Si j'ajoute que lesservicesds la douane et de la rgie de l'opium,
tels qu'ils sont organiss, cotent extrmement cher (environ
30 p. 100 de la recette brute), j'aurai suffisamment tabli la
ncessit d'une prompte rforme de notre systme financier et
de notre protectorat au Cambodge. Aprs avoir dit que le
rsident gnral partageait ma manire de voir sur les dangers
de la situation, et sur la ncessit d'une rforme immdiate du
rgime financier, j'ajoutais 11 pense avec moi qu'il serait plus
avantageux de n'avoir qu'un budget, comme en Tunisie (budget
du Protectorat), dont les recettes et les dpenses seraient con-
trles par un petit nombre d'agents franais, intelligents et ins-
truits, dvous la politique de protectorat et placs sous l'au-
torit exclusive du rsident gnral. J'ajoutais que M. Piquet
n'avait pas os prendre l'initiative de cette rforme, cause des
rsistanees qu'il craignait de rencontrer de la part du roi et
surtout de la part de la Cochinchine qui y aurait vu la ruine de
sa prpondrance. Je m'assurai rapidement, dans mes conversa-
tions avec le roi, qu'il avait en M. Piquet une grande confiance.
Il lui en avait donn la preuve en rendant le 14 fvrier 1887, une
ordonnance lui attribuant la prsidence d'honneur de son grand
conseil de gouvernement.
Aprs avoir, rappel ces faits, j'ajoutais M'appuyant sur les
sentiments du roi, j'ai profit de l'amabilit avec laquelle il
m'avait moi-mme trait pour lui demander de faire un pas de
plus dans la voie o il est entr, et de confier M. Piquet la
charge d'organiser et de diriger les finances du royaume. J'ai
pleinement russi dans mes dmarches dont j'avais eu soin
d'indiquer au roi le caractre tout fait priv.
Le 6 avril 1887, en effet, le roi prenait une ordonnance par
laquelle le rsident gnral, prsident d'honneur de notre con-
seil des ministres, est charg de rorganiser et de diriger, d'accord
avec nous et ledit conseil, les finances de notre royaume .
M. Piquet prparait aussitt un projet de budget unique du
royaume, sur les bases indiques plus haut. J'avais prvu les
obstacles qui seraient mis l'excution de ces projets et je les
exposais de la faon suivante, dans la mme note Cette
ordonnance consacre dfinitivementune politique de protection
pacifique mais efficace. Pour que cette politique puisse tre
suivie sans encombres et au mieux des intrts combins de la
France et du Cambodge, il est indispensable que l'autorit du
rsident gnral soit consolide et qu'il soit assur de ne pas tre
gn dans ses mouvements par les annexionnistes de la Cochin-
chine. Quant moi, je crains fort que ces derniers ne forment
l'obstacle le plus difficle vaincre. Ils ne verront certainement
qu'avec peine disparatre la dualit de budgets et d'administra-
tions financires dont j'ai expos plus haut les inconvnients,
parce que, grce cette dualit, Sagon peut intervenir chaque
instant dans les moindres dtails des affaires du Cambodge et
exercer une influence prpondrante sur le personnel du Pro-
tectorat, parce que, en un mot, cette dualit d'administrations
et de budgets constitue un premier pas fait dans la voie d'une
annexion laquelle on n'a pas renonc.
Ce que j'avais prvu se produisit. Les avantages que le roi du
Cambodge nous concdait librement, les moyens qu'il nous
donnait de faire sortir notre protectorat de la situation pnible
o il se trouvait et de substituer une juxtaposition strile des
deux gouvernements et des deux administrations, une pntra-
tion fconde, furent entirement perdus par la mauvaise volont
et la rsistance du gouvernement de la Cochinchine. Le rsident
gnral reut l'ordre de ne pas appliquer les deux ordonnances
du roi et de maintenir le statu quo. Les administrations franaise
et cambodgienne restrent aussi trangres qu'elles l'taient
avant les ordonnances. Le mauvais tat de leurs affaires ne fit
qu'empirer.
Au moment de mon arrive en Indo-Chine comme gouver-
neur gnral, en 1891 le rsident suprieur et le roi me firent
entendre, chacun de son ct, les dolances que j'avais reues
dj en 1887. Le roi se lamentait sur l'insuffisance de ses
ressources, sur.les vexations dont il tait l'objet de la part du
reprsentant de la France qui, sans cesse, parlait de sa mort et
de sa succession ses familiers et qui tait all jusqu' nouer des
relations avec son ennemi traditionnel, Si-Votha. Le rsident
suprieur, de son ct, se plaignait de ne pouvoir rien faire. Il
avait eu pour unique consigne de ne crer aucun embarras au
gouvernement et il assistait impuissant au spectacle d'un dsordre
qui allait en augmentant sur tous les points du royaume. Il avait
conscience de l'hostilit latente du roi son gard; il redoutait
quelque trahison et c'tait pour se mettre l'abri de cette ven-
tualit qu'il tait entr en relations avec Si-Votha.
En ralit, la situation du pays tait fort mauvaise Il
suffisait pour s'en rendre compte de prendre connaissance
d'une proclamation lance par le roi Norodom et o il signalait
lui-mme les exactions des mandarins, la vente de la justice, les
progrs de la piraterie, etc.
Sa Majest, disait le document, a t prvenue que, dans le
royaume, les actes de piraterie n'ont cess d'augmenter au dtri-
ment des gens qui cherchent gagner paisiblement leur vie.
Cette recrudescence provient de plusieurs causes 1 les gouver-
neurs, fonctionnaires, mesrocs et envoys de toutes attributions
n'apportent pas la rpression de ces actes de piraterie tout le
zle dsirable; 2 tous les fonctionnaires, gouverneurs, mesrocs,
etc., entrent souvent en compromission avec les malfaiteurs et
partagent le fruit de leurs rapines 3 il arrive frquemment
que les malfaiteurs arrts dans les provinces sont relchs sous
caution ou prix d'argent, avant d'tre envoys Pnora-penh
4 quelquefois aussi les malfaiteurs, une fois arrivs dans la
capitale, sont mis en libert par les gens chargs de les sur-
veiller 5 quelquefois les gardiens des prisons acceptent de l'ar-
gent sans faire passer les malfaiteurs en jugement; 6 les juge-
ments les concernant ne sont pas toujours rendus suivant les lois
du royaume et ne portent que sur les amendes et non sur les
peines corporelles; 7 les envoys de justice chargs d'arrter
les voleurs, pirates, etc., le fontsouvent sans prvenir le gou-
verneur de la province et les remettent en libert sans prvenir
davantage. Aussi les voleurs, pirates, etc., sachant qu'ils peu-
vent tre mis en libert moyennant finance et n'tant retenus
par aucun sentiment de crainte, continuent leurs dprdations,
se runissent en nombre et arrivent constituer un danger
pour la scurit du royaume. Suivaient les mesures prescrites
dans le but de faire cesser une situation fort dangereuse pour
a paix publique.
Le rsident suprieur du Cambodge disait, de son ct, dans
un rapport qu'il me remit le 3 juillet 1891 Le roi, qui par le
fait de l'tablissement d'un budget du Protectorat, avait vu
diminuer ses revenus, avait tout mis en uvre pour se crer de
nouvelles ressources, ne s'inquitant en aucune faon des con-
squences. Courtisans et favorites, mandarins et fonctionnaires
avaient suivi cet exemple ces derniers, laisss sans solde effec-
tive, et, par consquent, sans moyens d'existence, taient jusqu'
un certain point excusables. Un pareil tat de choses est fait
pour amener bref dlai la ruine du pays, occasionner des
troubles dans l'intrieur des provinces, et les faire dgnrer
peut-tre en une insurrection gnrale, compromettre, en un
mot, notre situation au Cambodge. La piratrie est non seule-
ment passe l'tat de mtier au Cambodge, mais exploite par
toute la classe dirigeante et encourage d'autant. Les troubles
qui, depuis plusieurs annes, prenaientpriodiquemontnaissance
dans la province de Kompong-Som, pour s'tendre ensuite dans
les provinces voisines, se produisent brusquement de nouveau
d'autre part les agents provocateurs de Si-Votha se mettent en
campagne dans une autre rgion.
Dans le courant de l'anne 1891 des troubles graves clataient
dans les provinces indiques plus haut un gouverneur tait
assassin par des pirates qui dsolaient tout l'ouest du royaume
les caisses du Protectorat suffisaient peine pour entretenir
notre personnel, si peu nombreux cependant, qu'il nous tait
impossible d'exercer la moindre surveillance dans les provinces.
Et nous avions le protectorat du Cambodge depuis 1867, c'est-
-dire depuis vingt-quatre ans.
Le roi tait sincre, lorsque, en juillet '1891, il m'exposait la
situation lamentable dans laquelle se trouvait son royaume et
me priait de la faire cesser. Il me fut donc facile de le convaincre
"He la ncessit de reprendre les projets que nous avions bau-
chs en 1887 et que mes pouvoirs me permettaient de mettre
excution. Nous nous mmes facilement d'accord il fut entendu
qu'avant le in' janvier 1892, le roi nous remettrait toutes ses
fermes pour tre transformes en impts directs et indirects
que toutes les dpenses et recettes du Protectorat et du roi
seraient runies en un seul budget; qu'il n'y aurait plus qu'un
seul trsor portant le titre de trsor du royaume , gr par
des agents franais, assists de cambodgiens. Les recettes seraient
perues, les unes, par les agents du Protectorat (taxes indirectes,
rgies, douanes) les autres, par des agents royaux, agrs par
l'administration du Protectorat. Toutes les recettes sans excep-
tion seraient encaisses par le trsor du royaume toutes les
dpenses seraient payes par ledit trsor. J'eus soin d'attribuer
la liste civile du roi et des princes et aux traitements des fonc-
tionnaires indignes des chiffres assez levs pour que tous fus-
sent intresss la rforme. Dans l'organisation cambodgienne,
les mandarins n'avaient que des traitements ridicules, souvent
non pays; le roi lui-mme ne percevait que 1res irrgulirement
ses fermages, dont une partie lui tait presque toujours livre en
marchandises sur lesquelles !es fermiers ralisaient de gros
bnfices, son dtriment. Le nouvel tat de choses serait donc
minemment favorable au roi et aux fonctionnaires indignes.
Nous achevmes notre entente Sagon, aprs la fte du
I
14 juillet, laquelle Norodom tait venu assister. Notre dernire
confrence, le juillet au soir, fut marque par une scne trs
curieuse et qui dcelait l'tat d'esprit du roi depuis bien des
annes. Lorsque nous fmes d'accord, je dis S. M. Noro-
dom que, me fiant sa parole royale, je ne lui proposais la
signature d'aucune convention j'tais certain que, ds le ^jan-
vier 1892, la rforme serait mise en application comme il me
l'avait promis et qu'il prendrait lui-mme, avant cette poque,
toutes les ordonnances ncessaires quant moi, j'allais donner
immdiatement l'ordre de procder la construction du trsor
du royaume du Cambodge. Il me rpondit que lui-mme avait
entirement foi dans ma promesse de faire respecter son auto-
rit, qu'il considrait la signature de toute convention comme
inutile il tait bien certain que de notre accord sortirait une
prosprit dont tout le peuple cambodgien nous serait encore
reconnaissant dans mille ans. Puis, aprs s'tre lev et m'avoir
serr les mains avec effusion, il ajouta, en souriant et un clair
de raillerie dans les yeux D'ailleurs, on m'en a tant fait
signer des conventions qui n'ont servi personne, qu'il me parat
inutilede recommencer.
Un mois plus tard, le 22 aot 1891, le roi, tenant sa promesse,
prenait une ordonnance dans kquelle il posait lui-mme les
bases de la rforme dont nous tions convenus. Attendu, y
disait-il, qu' partir du 1er janvier 1892, un trsor unique, dit
trsor du Cambodge, contrl la fois par nos agents et par ceux
du Protectorat, centralisera tous impts, fermages et revenus
divers, encaisss sparment jusqu'ici par le Protectorat et par
notre trsor royal attendu que l'organisation financire qui en
est la consquence et dont le but est de dvelopper la fortune
publique, doit, en diminuant certaines charges qui psent sur
la population, assurer tous nos fonctionnaires une existence
en rapport avec le rang qu'ils occupent; attendu. etc. , sui-
vaient une srie de dispositions par lesquelles le roi remettait
entre les mains de l'administration franaise du Protectorat,
toutes ses fermes, pour les modifier, transformer ou supprimer
comme nous jugerions propos de le faire dans l'intrt du
pays. Toute une srie d'autres ordonnances, rendues pendant
la fin de 1891 permirent d'appliquer la rforme ds le l01' jan-
vier 1892, ainsi qu'il avait t convenu. On avait profit de la
cration du budget unique des recettes et des dpenses pour
apporter de srieuses amliorations dans tous les services du
royaume.
Les rsultats financiers donns par ces rformes, auxquelles le
roi se prtait de si bonne grce, furent encore plus considra-
bles qu'il ne nous avait t permis de l'esprer. Non seulement
il ne se produisit aucune rsistance dans aucune partie du pays,
mais encore toutes les recettes dpassrent de beaucoup les pr-
visions. On en jugera par celle de l'impt direct des riz dont le
taux cependant avait t diminu. Le 1er septembre 1892, le
rsident suprieur m'crivait L'impt rentre plus facilement
que jamais, et au lieu de la somme de 45,000 piastres promis
au roi par le fermier et maintenue sans augmentation aux pr-
visions du budget de l'exercice courant, il a t peru de ce chef
120,000 piastres, sans que la moindre vexation m'ait t signale,
sans, pour ainsi dire, qu'une plainte me soit parvenue sur les
agissements des okhna-luongs ou agents du trsor royal. Et si
l'on considre que la rcolte de cette anne n'a t que m-
diocre, que les anciens fermiers n'avaient jamais vers entre
les mains du roi plus de 2,000 piastres de fermage annuel, on
ne saurait trop se fliciter de cette mesure qui prouve au plus
haut point la richesse actuelle du pays, et surtout le parti qu'on
pourra tirer, dans un avenir prochain, de ses richesses agri-
coles jusqu'ici peu prs ignores de nous. La Revue indo-
chinoise illustre, rsumait dans son numro de septembre
1893, d'aprs des documents officiels, les rsultats du budget
de 1892 Dans les prvisions, le budget de 1892 se balanait
au chiffre total de 1,238,190 piastres, les recettes prvues
devant s'galer aux charges nouvelles. Ds la premire anne,
dont les rcoltes furent cependant beaucoup au-dessous de la
moyenne, les recettes dpassrent de beaucoup les plus opti-
mistes prvisions. Les impts sur rles nouvellement soumis .
notre contrle avaient t valus 247.000 piastres; on
constata qu' la date du 31 dcembre, c'est--dire avant que
.toutes les rentres fussent opres, ils avaient dj rapport
333.793 piastres, soit un tiers en plus des prvisions. Au
total, le budget des recettes, valu dans les prvisions
1.238.190 piastres, atteignit 1.578.130 piastres. Pendant la per-
ception des impts, en 1893, comme en 1892, aucune vexation
ne s'est produite et le contrle de nos rsidents a pu partout
s'exercer; le peuple, voyant que le roi et le Protectorat venaient
de travailler pour son bien, a partout accueilli avec satisfaction
le nouveau systme. C'est qu' l'inverse des anciens fermiers,
constate le rsident suprieur, qui venaient s'enrichir ici et fai-
saient aussitt passer leurs bnfices Hong-kong et Canton, il
nous voit employer l'amlioration et l'assainissement du sol,
aux travaux, en un mot, au bien du pays, tout l'argent qu'il rap-
porte. Il sait que nous sommes les dpositaires fidles du trsor
public et que nous pouvons rendre compte de toutes nos d-
penses, qu'elles ont pour but unique la prosprit du royaume.
En prenant sa charge de nouvelles dpenses, le Protectorat a
fait une bonne affaire, puisque les recettes qu'il s'est en mme
temps assures ont donn d'importantes plus-values. A ct
de cet avantage pcuniaire, il a gagn un avantage mqral, en
rendant Norodom et au peuple cambodgien des services qui
nous assurent leur confiance et leur sympathie. Enfin, par son
ingrence dans les affaires financires du pays, il s'est rserv
les moyens d'apporter dans l'organisme social, administratif et
conomique d Cambodge, avec Ifc sincre appui de S. M. Noro-
dom, toutes les rformes que nous avons indiques, celles dont
nous parlerons, etcelles que nous aurons raliser dans l'avenir.
Le roi a compris que le nouveau systme, en lui assurant, d'un
ct l'apprciable avantage de substituer aux revenus souvent
alatoires et toujours prcaires des fermages, la stabilit d'une
liste civile ponctuellement servie, lui permettrait encore de
rorganiser son pays. Ces rsultats, il convient d'y insister,
ont t amens par un simple accord verbal, sans que M. de
Lanessan ait cru ncessaire de faire signer au roi la moindre
convention. Une politique sage et loyale a fait le reste et
amen le parfait fonctionnement du nouveau mcanisme budg
taire.
ds une
Les plus-values du budget unifi permirent d'entreprendre,
srie de grands travaux qui transformrent
compltement la ville de Pnom-penh, de placer dans chaque
province des rsidents qui, d'accord avec les fonctionnaires
cambodgiens, contrlent la perception des impts et maintiennent
lia scurit.
Ainsi que le faisait remarquer la Revue indo-chinoise, ces
rformes si importantes et d'o rsultait une transformation
complte de notre protectorat et de l'administration indigne,
furent ralises sans convention ni trait, sans qu'aucune pression
morale ou matrielle fut exerce sur la cour de Pnom-penh et
par la seule entente qui s'tablit entre le roi et moi. Ces procds
taient si nouveaux que personne en Indo-Chine ne voulait
croire leur succs et que, pendant plus d'une anne, je fus
assailli d'avis plus ou moins sincres, concluant tous quelque
acte prochain de trahison du roi. Ainsi que je l'avais prvu, rien
de pareil ne se produisit le roi n'avait pas tard s'apercevoir
que son peuple et lui-mme trouvaient dans le nouvel tat de
choses autant d'avantages que le Protectorat.
En janvierl893, je profitai d'un nouveau voyage au Cambodge
pour oprer une autre rforme laquelle j'attachais une
grande importance politique et financire. J'en veux dire quel-
ques mots, cette question tant de celles qui ne doivent pas tre
perdues de vue dans t'avenir. Les produits cambodgiens et ceux
ayant transit, du Siam et du Laos travers le Cambodge,
avaient t de tout temps frupps, leur sortie du royaume, de
droits de sortie reprsentant dans leur ensemble, en 1892,
une recette d'environ 400.000 piastres. La Cochinchine avait
souvent fait entendre des plaintes au sujet de la barrire
mise par ces droits entre elle et le Cambodge. Il tait singulier,
en effet, que les produits d'un tablissement franais payassent
des droits leur passage dans un autre tablissement franais
voisin mais il paraissait impossible de supprimer les droits de
sortie perus par le Cambodge, sans imposer au budget, dsor-
mais unifi, du royaume, unsacrilce qu'il n'aurait pu supporter.
On se plaignait, mais on laissait aller les choses, au risque de
voir un jour quelque dput demander au gouvernement mtro-
politain pourquoi il autorisait l'existence de douanes intrieures
entre le Cambodge et la Cochinchine, ce qui, sans aucun doute,
aurait amen, avec l'ordre de supprimer les droits, la suppres-
sion d'un tiers des recettes du Cambodge. D'autre part, le
dcret du 29 novembre 1892 qui exempte de tous droits les pro-
duits de la valle du Mkong transitant travers le Cambodge,
menaait de produire un rsultat analogue. Le rsident sup-
rieur me signalait que les poissons du grand lac pchs en
territoire cambodgien et qui taient soumis au droit de sortie
leur passage en Cochinchine taient expdis d'abord au Siam
d'o ils sortaient avec le privilge de franchise institu pour les
produits de la valle du Mkong . Le Cambodge allait perdre
de ce chef environ 60.000 piastres. Une partie des riz et des
autres produits cambodgiens imiteraient probablement l'exemple
donn par les poissons, et le Cambodge serait priv d'une por-
tion notable de ses ressources. Le rsident suprieur me priait
de rclamer une modification du dcret de 189:2 qui cartt
du Protectorat ce danger dont le roi lui-mme, intress dsor-
mais la prosprit du budget, se montrait fort effray.
Je profitai de ces circonstances pour proposer au roi une
rforme laquelle je songeais dj depuis quelque temps tous
les droits perus au passage du Cambodge en Cochinchine
seraient supprims, les douanes du Cambodge seraient fusion-
nes avec celles de la Cochinchine comme recettes et comme
dpenses; la Cochinchme ddommagerait le Cambodge de la
perte rsultant de la suppression des droits de sortie, en lui
attribuant une part de ses propres revenus douaniers; elle-mme
rentrerait dans ce dbours par les droits qu'elle peroit la sor-
tie de son territoire sur tous les produits qu'elle exporte. La
ncessit de se mettre en garde contre les causes de ruine qui
menaaient le budget cambodgien dcidrent le roi et le rsident
suprieur accepter cette combinaison qui, d'un autre ct,
fut accueillie avec une vive satisfaction par la Cochinchine.
Celle-ci ne se mprenait point sur le rsultat qui en devait
dcouler le Cambodge entrait ainsi dans la sphre de son
influence conomique. La rforme fut mise en application ds
le lor janvier 1893; elle donna des rsultats trs favorables aux
relations commerciales des deux pays et au dveloppement co-
comique du Cambodge. Elle ne souleva qu'une question un peu
dlicate et qu'il appartient au gouvernement gnral de l'Indo-
chine de rsoudre en quit il faut que la part prleve par
la Cochinchine sur ses revenus douaniers, au profit du Cambodge,
soit dtermine, chaque anne, en tenant compte des progrs
raliss par le Cambodge. Il est vident que si celui-ci perce-
vait, comme parle pass, des droits de sortie sur tous les objets
franchissant ses frontires, il verrait la recette issue de ces
droits augmenter avec sa production agricole et industrielle
et proportionnellement ses exportations. 11 ne serait pas qui-
table de maintenir la contribution de la Cochinchine un taux
fixe, tandis que la prosprit du Cambodge augmenterait.
Tenant compte des conditions o se trouvait le pays la fin de
1892, j'avais fix, d'accord avec tous les intresss, le chiffre
de la subvention de la Cochinchine 7 un quart p. 100
des recettes brutes encaisses par les douanes et rgies de cette
colonie. A la fin de 1894, j'levai cette part 8 et demi
p. 100. Je suppose que depuis cette poque les progrs ra-
liss parle Cambodge ont t suffisants pour lgitimer une nou-
velle lvation. D'ailleurs, en raison de l'organisation actuelle
des finances du Cambodge, les intrts du royaume tant iden-
tiques ceux du Protectorat, le roi et le rsident suprieur
sont intresss au mme titre faire valoir leurs droits et se
dfendre contre la Cochinchine, si celle-ci ne proportionnait pas
sa subvention aux bnfices qu'elle retire des marchandises
qui lui sont expdies par le Cambodge et de l'exploitation des
rgies. Dans la pratique, le roi et le rsident suprieur ont mis,
ds le premier jour de la rforme, une trs grande pret dans
la dfense de leurs intrts et ils auraient demand plutt
au del de ce qui leur revenait lgitimement que d'en sacrifier
une part quelconque. Je ne voyais aucun inconvnient cette
attitude et je n'y vois encore que des avantages politiques.
Autant, en effet, je suis d'avis qu'il y a lieu de runir cono-
miquement' les diverses parties de notre domaine indo-chinois,
autant j'estime qu'il est indispensable de conserver chacune
son automonie politique et administrative. Le Cambodge et la
Cochinchine sont habits par des populations que sparent de
faon absolue les caractres ethnologiques, la religion, l'or-
ganisation politique et administrative, et mme une hostilit
instinctive extrmement aigu. Vouloir runir ces deux pays sous
une mme administration et leur imposer une organisation
identique, ainsi que la Cochinchine l'a tent si souvent depuis
trente ans, c'est accumuler contre la France toutes les chances
possibles d'insuccs dans son uvre colonisatrice au Cambodge.
C'est particulirement dans notre conduite l'gard du
royaume du Cambodge qu'il faut appliquer ce principe auquel
j'attache la plus grande importance respecter les lois, l'orga-
nisation, les coutumes, l'individualit politique et sociale de
chaque pays o s'exercent nos entreprises coloniales et, dans un
mme pays, de chacune des races qui le peuplent.
Il est, par contre, indispensable que la Cochinchine et le
Cambodge soient aussi troitement lis que possible dans le
domaine conomique. Par suite de sa situation en amont de la
Cochinchine, sur le cours du Mkong, et de l'absence de port
frquentable par les grands navires sur le golfe du Siam, le
Cambodge dpend conomiquement de la Cochinchine il ne
doit, par suite, en tre spar par aucune barrire d'ordre cono-
mique il faut mme, dans son intrt, l'unir le plus troite-
ment possible notre colonie, au point de vue de la lgislation
douanire, des rgies, telles que celles de l'opium et de l'alcool,
du rgime fluvial, forestier, etc., et il serait de la plus grande
importance de multiplier entre les deux pays les voies de com-
munication. Ils ne sont actuellement relis que par le Mkong
cela est tout fait insuffisant. Ce fleuve ne peut tablir de com-
munications suivies qu'entre la capitale du Cambodge, et deux
ou trois points de la Cochinchine. Il faut que des routes carros-
sables runissent les diverses provinces des deux pays les unes
avec les autres. Il serait mme fort utile qu'un chemin de fer
runit Sagon la partie septentrionale du Cambodge.
On se heurte, pour la ralisation de ces travaux, deux sortes
d'opposition d'une part, la Socit des messageries fluviales
de Cochinchine a toujours fait, par la presse, une trs vive oppo-
sition toute ide de routes et de chemins de fer entre la
Cochinchine et le Cambodge, parce qu'elle y voit un lment
de concurrence son entreprise de navigation. En second lieu,
les rsidents suprieurs du Cambodge, obissant un mobile
que j'ai constat chez presque tous les anciens administrateurs
de la Cochinchine, voient d'un trs mauvais il toute entre-
prise ayant pour objet de relier les deux pays. Il leur
semble que le jour o les relations seront plus faciles entre
Sagon et l'nom-penh, ils auront perdu quelque portion de leur
autorit.
C'est un sentiment de cet ordre, peu avouable mais trs
humain, qui a prsid la construction des routes de la Cochin-
chine. Chacun des chefs-lieux d'arrondissement de notre colonie
est pourvu de routes qui en font le tour, mais il n'existe que
fort peu de voies reliant deux chefs-lieux l'un l'autre et avec
leurs voisins. Chaque adminbt ateur a travaill pour soi-mme
et presque tous ont fait de fort jolies routes, mais chacun a eu
soin de se garer du contact de tous les autres. La Cochinchine
est ainsi divise en petits fiefs n'ayant entre eux que le minimum
possible de relations.
Les deux sortes d'oppositions indiques plus haut m'ont t
rvles par ma propre exprience. Je les ai trouves en travers
de tous mes projets; elles sont cause que je n'ai pu faire avancer
que trs lentement la route que j'avais fait entreprendre entre
Sagon, Kratieh et Stung treng et qui, depuis mon dpart, a t
entirement abandonne. Je les vis aussi se dresser en travers
du projet de chemin de fer que j'avais form, pour relier
Sagon au Mkong moyen, d'une part, et Hu, de l'autre. 11
m'avait fallu une grande tnacit pour vaincre ces oppositions;
depuis mon dpart elles triomphent de la manire la plus com-
plte et la plus fcheuse, car les routes que j'avais fait cotn-
mencer entre la Cochinchine et le Cambodge, ont t compl-
tement abandonnes.
Je tiens rpter qu'autant il est indispensable de runir 'r
conomiquement la Cochinchine et le Cambodge, autant il est
ncessaire de maintenir l'autonomie politique et administrative
que je me suis rttach leur donner. A ce point de vue, ce
n'est pas sans quelque apprhension que j'entends parler, en ce
moment mme, d'un projet qui, en rompant l'union indo-chi-
noise, en sparant la Cochinchine de l'Annam-Tonkin, lui ren-
drait l'autorit sur le Cambodge qu'elle avait en 1887 et qui
avait produit les dplorables rsultats indiqus plus haut.
Pour en finir avec les rformes dont je viens de parler et
par lesquelles je me suis efforc de transformer en politique de
pntration et en protectorat effectif, la politique de simple
juxtaposition et le protectorat nominal appliqus jusqu'en
1891, je citerai ce mot par lequel le roi Norodom terminait un
toast qu'il m'adressait, la fin de 1893 Je vous prie de dire
au gouvernement franais que mon royaume est prospre et
que je suis moi-mme trs heureux, depuis que la France s'est
enfin rsolue exercer ici un protectorat loyal et effectif.
Celle proclamai ion porte le sceau royal Sgu-7'ien-Chi-Iiuv, sceau que
le Roi appose lui-mme, <
pas non-plus sur les rformes financires que je pus introduire
dans- l'Annam centra! grce mon entente parfaite avec la
Cour; on les trouvera dans le mme livre j'en veux indiquer
seulement quelques traits qui n'ont pas pu trouver place dans
cet ouvrage.
J'aurais voulu pouvoir reprendre les projets dont j'avais
obtens la prparation en 188T; mais les conditions n'taient
plus les mmes. Notre conduite envers la Cour depuis cette
poque et les vnements qui s'taient drouts, avaient cr
une situation toute nouvelle. Le roi avec lequel je m'tais mis
d'accord en 1887c, S. M. Dong-Khan, tait mort, il avait t
remplac par un enfant encore mineur, g de onze douze ans
seulement en 1891 et encore entour d'un Conseil de rgence
sur lequel les reines nires avaient une grande influence.
Notre conduite, d'autre part, avait t fort maladroite. Les
tentatives de dtrnement de Than-Tha, auxquelles nos agents
s'taient livrs, avaient inspir la famille royale et aux
mandarins une trs grande dfiance. Avant d'entamer des pour-
parlers relativement aux rformes, il fallait obtenir la pacifi-
cation du Tonkin et inspirer aux diverses classes de la popu-
lation une confiance dans notre loyaut, qui avait entirement
disparu depuis bien des annes. 11 n'tait d'ailleurs pas possible
d'esprer aboutir toutes les rformes projetes en 1887, avant
que le roi et atteint sa majorit. Cependant, ds que les cir-
constances le permirent, je me mis l'uvre, ayant devant
les yeux le but que je m'tais.propos d'atteindre en 1887 et qui
devra l'tre un jour, c'est--dire la constitution d'un protectorat
uniforme pour l'Annam et le Tonkin et la cration d'un budget
unique embrassant toutes les recettes et toutes les dpenses de
ces deux portions de l'Empire.
En 1891, nous tions aussi loigns que possible de ce but.
Nous avions tracass de mille manires la Cour de Hu, nous
avions tent de nous immiscer dans ses affaires, nous l'avions
entoure d'intrigues de toutes sortes et nous avions mcon-
tent la fois le gouvernement et le peuple. Cependant, nous
en tions encore ce protectoat btard ou les autorits pro-
tectrices et protges n'taient que juxtaposes, ne se pn-
trant en aucune manire l'une l'autre, rivalisant, au contraire,
de dfiance, et, il faut bien le dire, de dfiance lgitime, car
chacune, craignant d'tre trompe par l'autre, faisait son pos-
sible pour prendre les devants. Le protectorat de l'Annam tait
pour le budget du Tonkin un chancre rongeur chaque anne
les dpenses de notre administration et de nos troupes, dans
l'Annam central, dpassaient de plus d'un million de francs les
recettes verses dans nos caisses par cette portion de l'Empire.
En 1890, le dficit avait t, pour les seules dpenses d'admi-
nistration, de plus de dix-sept cent mille francs; en y ajoutant
les dpenses militaires, l'Annam central nous avait cot, cette
anne-l, 2,392,000 francs de plus qu'il ne nous avait rapport.
Si notre situation financire tait dtestable, celle du gou-
vernement annamite ne valait gure mieux. Dans l'Annam
comme au Cambodge, nous ar ions mis la main sur les sources
les plus productives du budget; elles taient insuffisantes pour
satisfaire aux besoins de notre occupation, mais, en les absor-
bant, nous avions rduit le gouvernement annamite une vri-
table misre.
Je profitai d'un voyage que je fis Hue', en mars 1892, pour
aborder la rforme de cette situation. Je trouvai la Cour bien
dispose. Nous nous mmes d'accord pour supprimer un cer-
tain nombre de fermes dont le gouvernement annamite ne tir-ait
que des profits drisoires, mais qui mcontentaient vivement
les populations parles menes vexatoires auxquelles se livraient
les fermiers, et pour substituer ces fermes des impts indirects
qui seraient perus par des agents europens et annamites. Ces
impts taient institus en vertu d'ordonnances impriales,
afin que le peuple les acceptt facilement; leur produit tait
divis par moiti entre le Protectorat et la Cour. Nous crmes
ainsi des impts de consommation sur les allumettes, le tabac
import de l'tranger et le ptrole dont la consommation com-
mence tre trs considrable dans tout l'Extrme-Orient et
nous institumes un papier timbr annamite pour les actes
entre indignes. Ces taxes entrrent en exercice vers la fin de
l'anne 1892 et produisirent des recettes si notables que le dfi-
cit du protectorat de l'Annam pour l'exercice 1892 fut presque
nul. La Cour, de son ct, avait trouv son compte dans la
rforme; la part qui lui revenait sur ces impts tait sensible-
ment suprieure au produit des fermes dont ils avaient pris la
place.
En septembre 1893, je profitai d'un nouveau sjour Hu
pour faire un pas de plus dans la mme voie nous suppri-
mmes la dernire ferme que la Cour d'Annam avait cre,
celle des alcools, et nous la transformmes en une sorte de rgie
dont les produits furent partags, comme ceux des impts indi-
rects, entre la Cour et le Protectorat.
Cette rforme accomplie, il ne restait plus dans l'Annam cen-
tral qu'un seul impt chappant notre contrle, l'impt fon-
cier annamite, que la Cour peroit pour partie en nature, riz,
bois, etc., et pour partie en argent. Le gouvernement annamite
attache, comme tous ceux de l'Extrme-Orient, une importance
toute particulire cet impt il reprsente, aux yeux des habi-
tants de ces pays, non seulement une charge fiscale, comme en
Occident, mais encore une sorte de reconnaissance par lescon-
tribuables que la proprit du sol appartient thoriquement au
roi ou l'empereur au nom duquel l'impt est peru. C'est pour
cela, que dans la rforme financire opre au Cambodge, j'eus
soin de maintenir la perception de l'impt foncier aux mains
des agents royaux, sauf exercer sur ces derniers le contrle du
Protectorat. Dans l'Annam, en septembre 1893, c'est dans cet
esprit que j'abordai, avec le troisime rgent, la mme question.
Je m'efforai de lui faire comprendre que pour complter les
avantages retirs par le Protectorat et la Cour des rformes
financires dj ralises, nous avions intrt tendre ces
rformes sur la seule source de recettes qui fut reste en dehors
d'elles, c'est--dire sur l'impt foncier. Je n'eus pas de peine
le convaincre que cet impt rendrait davantage, s'il tait peru
entirement en argent; j'ajoutai que l'accroissement assez sen-
sible de richesse ralis par le pays depuis quelques annes,
serait' encore plus grand si, grce un budget bien organis, il
tait possible de faire, dans cette portion de l'Empire, des travaux
publics o la population trouverait une source nouvelle de gains
sous la forme de paiement de sa main-d'uvre. Afin de mnager
l'amour-propre du gouvernement annamite et de ne pas inqui-
ter les populations par une rvolution trop brusque dans les
habitudes administratives et financires du pays, nous laisse-
rions la perception de l'impt foncier aux mains des fonction-
naires annamites et mme nous abandonnerions la Cour la libre
disposition de toute cette partie des recettes publiques, jusqu' ce
qu'il ft possible de fusionner toutes les recettes en un seul bud-
get qui ferait face toutes les dpenses, aussi bien celles duu
Protectorat qu' celles du gouvernement annamite, ainsi que
cela se pratique si utilement dans nos Protectorats du Cam-
bodge et de la Tunisie.
J'avais amen le troisime rgent comprendre les avantages
decette rforme et je me considrais comme certain de la mener
abonne lin, lorsque je fus oblig de quitter Hu, pour me rendre
fut un malheur. Le rsident suprieur esprit
en Cochinchine o j'tais appel par des affaires urgentes. Ce
troit et
caractre brutal, qui je dus confier le rglement dfinitif de
l'affaire, la fit chouer par la maladroite solennit avec laquelle
il voulut la traiter. Cependant, je sauvai du naufrage plus encore
qu'il ne m'tait permis de l'esprer. Grce l'habiiet de deux
autres agents, j'obtins que la Cour tablirait chaque anne,
d'accord avec le Protectorat, le budget particulier de l'Empire,
divis comme celui du Protectorat, en chapitres, sections et
paragraphes, et donnant le dtail de toutes les recettes ol de
toutes les dpenses. Ce budget serait approuv d'abord par le
roi, puis par le gouverneur gnral. La Cour serait charge de
payer toutes les dpenses de l'administration indigne, confor-
mment aux prescriptions budgtaires et l'aide des recettes
inscrites au budget. Celles-ci se composent de deux catgories
de revenus 1 les impts foncier et personnel annamites que
le gouvernement de Hu continue percevoir en nature et en
espces 2 les rgies et impts indirects dont les produits sont
perus par les agents du Protectorat et partags en deux parties
gales, l'une conserve par le Protectorat, l'autre remise par lui
au gouvernement annamite. Il n'tait pas question des recettes
des douanes qui sont rserves exclusivement au Protectorat,
ainsi que celles des postes et tlgraphes.
C'est dans ces conditions que la Cour tablit et soumit mon
approbation le budget de l'Empire pour 1894. Il fut annex
celui du Protectorat. Afin de marquer sa bonne volont, la Cour
avait spontanment ajout ce budget une somme de 250.000
piastres qu'elle mettait notre disposition pour faire des travaux
publics dans l'Annam central. Je la dcidai, en outre, payer
sur son budget propre les frais d'entretien de linh-co organiss
comme ceux du Tonkin et qui seraient chargs de la police des
provinces, sous les ordres directs des mandarins. De mon ct,
afin de marquer les tendances de ma politique, j'eus soin de
runir, dans le budget du Protectorat pour 1894, les dpenses
du Tonkin celles du Protectorat de l'Annam, de manire les
fusionner en un seul budget des dpenses et des recettes, dont
l'ordonnancement tait confi au rsident suprieur du Tonkin.
Je pensais qu'il serait possible de faire pntrer, petit petit,
dans ce budget unique, les recettes et les dpenses de l'Empire,
de manire n'avoir plus, dans un temps dtermin, qu'un seul
budget embrassant toutes les dpenses et toutes les recettes de
l'Annam et du Tonkin, et aussi bien celles du Protectorat que
celles du gouvernement annamite. Ce n'tait plus, dans ma
pense, qu'une question de patience et d'habilet. Il faudrait
faire comprendre la Cour qui si nous lui abandonnons une
moiti des impts indirects, il convient qu'elle paie sa part des
frais de perception; que si nous faisons des travaux utiles au
pays, il convient qu'elle y contribue; que si le maintien de
l'ordre public occasionne de fortes dpenses, il faut qu'elle y par-
ticipe, etc. J'estimais qu'il serait possible de fusionner ainsi peu
peu les intrts des deux gouvernements et des deux adminis-
trations.
Je ne tardai pas me convaincre que les obstacles auxquels
ce plan se heurterait viendraient plutt des administrateurs
franais que du gouvernement annamite. Le budget que j'avais
si soigneusement prpar pour 1894 fut viol,dans ses principales
parties, ds que je quittai l'Indo-Chine pour venir en France
prendre un cong de quelques mois. A peine eus-je tourn le dos,
mon intrimaire rendait au rsident suprieur de l'Annam l'ordon-
nancement des dpenses et violait les engagementsque j'avais pris
vis--vis de la Cour. Plus tard, aprs mon remplacement dans
le gouvernement gnral de l'Indo-Chine, on est entr dans une
voie tout fait diffrente de celle que j'avais suivie. Au lieu de
laisser la Cour grer librement son budget particulier, comme il
avait t convenu entre elle et moi, lorsqu'il fut soumis pour la
premire fois mon approbation, la fin de 1893, on met la
prtention de contrler toutes ses dpenses et toutes ses recettes,
on la tracasse, on l'irrite et l'on loigne ainsi le moment que
j'avais prvu o, par suite d'une confiance rciproque, soigneuse-'
ment maintenue, on serait arriv la fusion de tous les intrts.
On est revenu ce protectorat de juxtaposition double de
dfiance, qui avait si peu servi nos intrts jusqu'en 1891.
Puisse-t-il ne pas sortir de cette conduite, dans l'avenir, les
rsultats si fcheux qu'elle donna dans le pass
Le peuple annamite et son gouvernement sont dous d'une
susceptibilit trs impressionnable et d'un amour-propre qui
6.
Rsum DES PRINCIPES A APPLIQUER DANS LA CONDUITE
indignes
A L'GARD DES
Par ces immenses travaux et par les revenus que les capi-
taux employs leur excution rapportent ses nationaux, le
gouvernement britannique intresse ses colonies le peuple
anglais, tandis que la France reste indiffrente ses tablisse- j
ments d'outre-mer o ne prosprent que les fonctionnaires!
et les tats-majors militaires.
La France ne manque ni d3 grandes socits industrielles, ni
de capitaux. Ses ingnieurs et ses entrepreneurs ont construit des
voies ferres dans toutes les parties du monde, ses capitalistes
ont plus de quinze vingt milliards de francs placs l'tranger
ingnieurs, entrepreneurs, industriels et capitaux franais nel
demanderaient pas mieux que de se diriger vers les colonies.!
franaises; pourquoi donc ne les y trouve-t-on pas? La question
est importante elle est grave mme, car si l'on devait dses-
prer de la rsoudre, il faudrait envisager srieusement l'ven-
tualit de l'abandon de territoires qui, depuis dix ans, ont absorb I
plus d'un milliard de francs puiss dans la poche des contri-
i buables, sans profits susceptibles d'tre mis en balance avec
d'aussi grands sacrifices.
L'un des premiers devoirs des administrations coloniales est
d'attirer dans les colonies non seulement des colons, mais aussi
et par-dessus tout des capitaux. De mme que pour attiicr les
colons il faut leur assurer des avantages assez srieux pour com-
penser les ennuis et les dpenses qu'occasionne l'expatriation, de
mme, pour attirer les capitaux, il faut leur permettre d'esprer
une rmunration suprieure celle qu'ils trouvent dans la m-
tropole. Au moment de l'emprunt des 80 millions pour l'Indo-
Chine, le gouvernementa cru faire preuve d'une grande habilet en
fixant l'intrt 3 p. 100; il a commis, en ralit, une faute. Mieux
et valu, sans aucun doute, ne pas donner la garantie de la France
cet emprunt et autoriser le gouvernement de l'Indo-Chine
le faire sous sa seule garantie, ses risques et prils. Celui-ci
aurait t oblig probablement de fournir un intrt plus lev,
mais il aurait cr, par ce premier appel aux capitaux franais,
le crdit du Tonkin, crdit indpendant de celui de l'Etat et qui
aurait li notre colonie de nombreux capitalistes pour les
emprunts ultrieurs. L'lvation du taux de l'intrt est, ce
point de vue, une chose plutt bonne. Comme le remboursement
du capital et des intrts est opr par les impts locaux, ce
sont les colonies qui font tous les frais de l'emprunt et ce sont
les capitalistes franais qui en bnficient. En fournissant ces
derniers un intrt suprieur celui que procurent les fonds
d'Etat, on les attire vers les colonies et l'on assure ces der-
nires le moyen de faire les travaux dont elles ont besoin.
Ces questions sont si troitement lies celle de notre poli-
tique coloniale, qu'elles ne pourront tre rsolues en dehors de
cette dernire. Si les colonies franaises sont dpourvues de routes
et de chemins de fer, cela tient, en majeure partie, ce que leur
organisation politique et administrative les pousse, avec une
force irrsistible, vers un fonctionnarisme qui absorbe toutes
leurs ressources, attire leurs proccupations d'une manire
incessante et ne leur laisse ni lalibert d'esprit ni les ressources
financires qu'exigent la construction des chemins de fer.
Toutes les fois que la question d'un railway construire dans
une de nos colonies se pose, c'est la mtropole qu'incombe le
soin de faire face la dpense. Or, celle-ci y est d'autant moins
dispose qu'elle n'a gure se louer de ses essais. Les quelques
voies ferres coloniales dont elle supporte la charge, c'est--dire
celles du Sngal et de la Runion, lui ont occasionn des
dpenses tellement lourdes qu'une grande impopularit les
entoure, et que le Parlement et l'opinion publique feraient'un
trs mauvais accueil des tentatives nouvelles.
La mtropole ne voulant pas, pour ces motifs, prendre l'ini-
tiative des chemins de fer dont nos tablissements coloniaux
ont besoin, et les colonies ayant toutes leurs recettes dvores
par les dpenses du personnel, il ne se trouve plus personne
pour faire face aux grosses dpenses que ces travaux ncessitent.
Et il en sera ainsi tant que nous n'aurons pas entirement
transform notre politique coloniale.
Les colonies elles-mmes en arrivent, par suite du dplorable
rgime auquel nous les soumettons, ne pas mme avoir cons-
cience de leurs besoins. J'en eus un exemple trs frappant, en
Cochinchine, au dbut de 1893. Une grande socit industrielle
de Paris avait envyy en Indo-Chine quelques-uns de ses ing-
nieurs pour tudier les travaux de chemins de fer, de ports,
etc., qu'il serait possible d'y faire. Comme je me trouvais
Sagon au moment o ils y dbarqurent, je crus devoir les
engager passer quelque temps en Cochinchine, avant de
monter au Tonkin. J'avais en tte un projet auquel j'attachais
une grande importance politique et conomique et qui consis-
tait relier Sagon au Mkong, par Stung-treng, puis Tou-
rane et Hu, en traversant les plateaux aurifres du Laos
infrieur et la chane annamitique j'entretins les ingnieurs
de ce projet et je leur conseillai d'examiner la possibilit de son
excution. A peine le bruit s'en fut-il rpandu, qu'une trs vive
motion surgit. Colons et fonctionnaires se montraient trs
inquiets s de ce que deviendrait la colonie si je la lanais dans
les entreprises de chemin de fer Il me fut assez facile de faire
comprendre aux colons qu'ils trouveraient de grands avantages
ces entreprises, que si quelque grande socit industrielle
apportait dans le pays des millions, des ingnieurs, des ouvriers,
etc., le commerce local et les indignes en tireraient des pro-
fits d'autant plus considrables que les sommes engages
seraient plus grosses. Se rendant ces raisons, les membres du
conseil colonial dcidrent de consacrer une somme annuelle de
800.000 francs au paiement des intrts et annuits de rem-
boursement qu'exigeraient les capitaux consacrs des tra-
vaux de chemins de fer en Cochinchine, la condition que la
mtropole abandonnt, pour le mme objet, une partie de la
contribution qui lui est paye par la colonie. Quant aux fonc-
tionnaires, ils parurent ne rien comprendre aux bienfaits des
chemins de fer; ils craigaient simplement qu'on ne diminut
leur nombre ou qu'on ne rognt leurs traitements pour faire
face des travaux qui augmenteraient leur besogne. Ils sont
enchants de ce que tous ces projets aient t abandonns aprs
mon dpart, et j'ai des motifs de croire que si jamais il est de
nouveau question de pareils travaux, ce n'est pas l'administra-
tion locale de la Cochinchine qui en aura pris l'initiative. Ce ne
sera pas non plus le conseil colonial tant lu peu prs
exclusivement par les fonctionnaires, il songe avant tout
satisfaire ses lecteurs et il sait fort bien qu'il dispose pour cela
de moyens infaillibles l'augmentation des traitements et des
supplments. et l'allocation de crdits aussi levs que possible
pour des logements confortables. Toutes les ressources de la
colonie passent cet usage, au point qu'aussitt aprs mon
dpart on a interrompu la construction de toutes les routes que
ij'avais fait entreprendre et les travaux de dragage des canaux
qui avaient t mis en adjudication par mes soins. Maintenant,
les fonctionnaires respirent Quant aux colons, ils sont tellement
habitus ne vivre que des fonctionnaires qu'ils ne songent
aucun autre lment de prosprit.
Au Tonkin, l'tat des esprits est un peu diffrent; i! l'tait du
moins il y a quelques annes mais le gouvernement de l'Indo-
Chine y doit compter avec une conception particulire des
intrts de cette colonie qui en compromettrait l'avenir si l'on
ne ragissait pas contre elle. Il s'est rpandu parmi les colons
le prjug que toutes les entreprises de travaux doivent leur
tre rserves et que les industriels habitant la mtropole en
doivent tre carts de la manire la plus absolue. La cons-
quence de ce prjug, dont la source, il faut le reconnatre,
est au fond mme du cur humain, est que l'administration
ne pourrait entreprendre aucun travail important sans le
solder au comptant. Ce ne sont pas, en effet, les colons ton-
kinois qui pourraient lui avancer les centaines de millions
indispensables la cration des voies ferres sans lesquelles le
Tonkin, l'Annam et le Laos sont incapables d'atteindre la pros-
prit laquelle leurs richesses naturelles leur permettent d'as-
pirer.
Si le gouvernement de l'Indo-Chine veut satisfaire les exi-
gences auxquelles je fais allusion, il fauf 1s toute ncessit
qu'il recoure i emprunt. Or, l'emprunt, c'est la mtropole
intervenant dans les affaires de la colonie, fixant le chiffre des
sommes emprunter, la nature des travaux faire, les con-
ditions dans lesquelles ils seront faits, etc. c'est le Parlement
mlant ses passions politiques, ses ambitions personnelles, ses
prjugs, son hostilit instinctive contre les colonies, toutes les
affaires du Tonkin c'est, en fin de compte, la colonie soumise
tous les hasards des batailles parlementaires. On l'a bien vu
lors de la discussion de l'emprunt de 80 millions vot en fvrier
1896. Le gouverneur gnral demandait 100 millions on a
commenc par en rogner 20; puis on l'a mis dans l'obliga-
tion de prlever, sur les 80 millions qu'on voulait bien lui accor-
der, quelques millions pour les dpenses de l'expdition du Siam
qui incombaient entirement l'Etat, d'autres millions pour
l'armement des tirailleurs, d'autres encore, une quarantaine,
pour payer d'avance tous les travaux que j'avais fait excuter et
qui devaient tre pays seulement par annuits, etc. Si bien
que plus de la moiti des 80 millions tait absorbe d'avance
et qu'aprs avoir prlev encore sur l'emprunt les 8 ou
10 millions de dficit que prsentent les budgets focaux de
!895 et 1896, il ne restera pas 30 millions pour les travaux neufs.
Lorsque l'emprunt aura t absorb, le Tonkin se retrouvera
en prsence d'une situation plus difficile, sans contredit, que
celle, si mauvaise cependant, qu'il connut de 1885 1891 son
budget sera grev de 3 millions d'annuits, les travaux seront
interrompus, le dficit n'aura gure diminu, car on augmente
beaucoup le personne), et la mtropole ne sera probablement
pas dispose accorder un nouvel emprunt auquel la colonie ne
pourrait pas faire face. Quant aux colons, je vois par les feuilles
locales qu'ils se montrent dj peu satisfaits ils le seront bien
moins encore quand les 80 millions de l'emprunt auront t
dpenss. Ils s'apercevront, trop tard, qu'en contribuant faire
liminer de l'Indo-Chine, par mon successeur, les grandes
socits financires et industrielles que je m'tais efforc d'y
attirer, ils.sont alls contre leurs propres intrts.
Le Tonkin est tellement surpeupl que ses habitants con-
somment chaque anne la presque totalit des produits du sol
et que l'exportation est peu prs nulle. Pour que celle ci
devienne importante, il faut que la surface cultive soit consi-
drablement augmente or elle ne pourra l'tre que le jour J
Je ue veux pas ici entrer dans des dtails qui seraient dplacs
sur le rgime conomique auquel nos colonies sont soumises
je me borne rappeler que l'ide dominante en France, aussi
bien parmi les commerants, les industriels et le grand public,
que parmi les membres du parlement et du gouvernement, est
que les colonies doivent tre, avant tout, des lieux de consom-
mation pour les produits mtropolitains.
Comme consquence, on admet gnralement que le rgime
douanier des colonies doit tre tabli par la mtropole et rgl
de telle faon que les produits mtropolitains jouissent d'une
faveur absolue, tandis que les produits trangers sont frapps
de droits assez levs pour que leur pntration soit interdite
autant que possible. C'est dans cet esprit qu'a t conu, en 1892,
le rgime douanier auquel nos colonies sont soumises. II n'en
est pas une qui ne proteste contre cette lgislation, faisant valoir
que les produits franais sont presque tous plus chers que les
similaires trangers, que le fret entre la France et ses colonies
est plus coteux qu'entre les colonies et les ports o elles ont
l'habitude de s'approvisionner, que les droits appliqus aux pro-
duits trangers n'empchent pas ces derniers d'tre recherchs
de prfrence par les indignes, que la seule consquence du
rgime protecteur est de les faire payer plus che^ en appauvris-
sant les colonies, etc. Ces plaintes n'ont encore touch personne
et il est probable qu'on n'y prtera pas davantage attention
dans l'avenir.
Les colonies s'en rendent compte; elles demandent qu'au
moins, tous leurs produits soient favoriss l'entre en France
dans la mme mesure que les produits franais Je sont
l'entre dans les colonies. Elles n'ont obtenu satisfaction, sur ce
second point, que dans une mesure tout fait insuffisante.
Certains de leurs produits, tels que le caf, le th, etc., ne
jouissent l'entre en France que d'un dgrvement gal la
moiti du droit qui frappe les similaires trangers; d'autres,
.comme le riz, sont moins favoriss, parce que les agriculteurs
franais en craignent la concurrence les sucres sont soumis
un rgime qui ruine les Antilles, etc. Les colonies se plaignent
de ce traitement, peu conforme celui auquel on les soumet
dans l'intrt des producteurs mtropolitains, mais elles se
heurtent des forces qu'elles sont incapables de vaincre.
Ce n'est pas seulement l'aide des tarifs douaniers que la
mtropole entend s'assurer, sans d'ailleurs y pouvoir aboutir,
le monopole du march colonifl, c'est encore en mettant obs-
tacle au dveloppement des industries et en se rservant les
travaux et les fournitures. Je pourrais dire de quelles attaques
j'ai t l'objet parce qu'une filature de coton s'est tablie
Hano et quoique les capitaux soient d'origine franaise. J'ai
rappel plus haut la dcision du ministre des colonies, rap-
portant, sur la demande des fileurs franais de soies, les primes
que j'avais accordes aux filatures mcaniques tablies par nos
compatriotes au Tonkin; je pourrais encore citer les efforts
que font en ce moment mme les raffineurs mtropolitains
pour empcher que des raffineries puissent tre cres dans nos
colonies sucrires; mais tous ces faits sont assez connus pour
qu'il me paraisse inutile d'y insister.
Je veux me borner montrer jusqu' quel point on est all
dans cette voie. Vers la fin de 1892, une commission administra-
tive amenait le sous-secrtaire d'Etat des Colonies signer une
circulaire tous les gouverneurs, prescrivant d'acheter en France
tous les objets dont tes colonies auraient besoin et indiquant
le port franais dans lequel chacun de ces objets devait tre
achet. Le riz, par exemple, Marseille, les briques Bordeaux,
le lard Nantes, etc. Aux termes comminatoires de cette circu-
lair, le Tonkin et la Cochinchine, qui sont des pays essentiel-
lement producteurs de riz, devaient s'approvisionner en France
de cette denre; ils devaient faire venir de France les briques
ncessaires toutes leurs constructions, alors qu'on en fabrique
d'excellentes et trs bas prix dans le pays, etc. Un toile gn-
ral retentit dans toutes nos colonies, si nergique et si bruyant,
que la circulaire est reste l'tat de lettre morte. Elle avait
succomb partout sous le ridicule, mais elle mritait d'tre
note ici, comme exemple des aberrations auxquelles la mtro-
pole peut tre conduite, lorsque les intrts coloniaux sont
livrs des ignorants, ce qui est le cas habituel dans notre pays.
L'histoire gnrale de la colonisation a t domine, toutes
lwpoques, par deux conceptions opposes l'une envisageant
Mes colonies comme des sortes de fermes exploites exclusive-
ment au profit de la mtropole et sans que cette dernire
tienne aucun compte des intrts des indignes ou des colons
l'autre, considrant les colonies comme des enfants majeurs de
la mtropole, libres de se conduire leur guise et d'aprs leurs
intrts propres, sans oublier toutefois les liens de race et de
famille qui les unissent leurs vieux parents.
C'est la premire de ces conceptions qui conduisit l'Angle-
terre, au sicle dernier, interdire, dans ses colonies du Nou-
veau Monde, la cration de la plus petite industrie, le droit de
fabriquer un fer cheval . C'est d'elle que s'inspirait la
Hollande, obligeant ses colonies lui vendre leurs produits.
C'est elle qui a domin toute l'histoire des colonies espagnoles
de l'Amrique du Sud. Les rsultats qu'elle a produits partout
o elle a t applique sont identiques parfois une prosprit )
passagre, toujours l'arrt du progrs colonial a une heure don-
ne, puis la rvolte des colons et leur sparation d'avec la
mtropole, ds qu'ils se trouvent assez forts pour faire triom-
pher leurs intrts.
Corrige par l'exprience, l'Angleterre a, depuis le commen-
cement de ce sicle, renonc cette conception; elle s'est appli-
que mettre la seconde en pratique dans toutes ses grandes
colonies les rsultats qu'elle a obtenus doivent nous encoura-
ger l'imiter.
Je ne parle en ce moment que des relations conomiques et
je rsume le principe sur lequel j'estime qu'elles doivent tre
tablies, par ce passage, lgrement modifi, du rapport que
j'adressais le 25' aot 893 au sous-secrtaire d'Etat des Colo-
nies, l'occasion de la circulaire dont j'ai parl plus haut
a Sans doute, il est indispensable que nos colonies servent les
intrts des commerants et des industriels de la mtropole,
mais j'estime que nous ne devons pas ngliger non plus ceux
des Franais qui apportent dans nos colonies leur intelli-
gence, leur travail et leurs capitaux. Les commerants et les
industriels mtropolitains y sont eux-mmes intresss, car si
les colonies se dveloppent, ils y trouveront un placement assur
pour une foule de produits que la France seule peut fournir.
En rsum, pour qu'une colonie se dveloppe et soit utile la
mtropole, il faut que les colons y russissent dans leurs entre-
prises et qu'ils y soient aussi nombreux que possible. D'o pour
les administrations coloniales et mtropolitaines le devoir
d'aider les colons par tous les moyens en leur pouvoir, sans
oublier les intrts des commerants, industriels et agriculteurs
de la mtropole qui a fait les premiers sacrifices pour crer la
colonie; l'habilet de l'administration est de savoir quilibrer
justement les intrts contraires qui sont en prsence, de faon
ce que tous profitent galement de l'expansion coloniale.
CHAPITRE VII
o. L'ORGANISATION
RGLES SUIVRE DANS LE RECRUTEMENT
A
ET DES TROUPES INDIGNES
Quant aux soldats indignes, je considre, ainsi que je l'ai dit
plus haut, comme un rgle inviolable, moins de circons-
tances exceptionnelles, de les recruter dans la colonie o 1
ils doivent faire leur service et de ne jamais les transporter
d'une colonie dans une autre j'en ai dit plus haut les
motifs, je n'y reviendrai pas ici. J'ajoute qu'on doit se
montrer fidle, dans le recrutement de ces troupes, aux habi-j
tudes des populations qui sont appeles les fournir. Il
pourra se faire que ces habitudes soient en contradiction avec
la conception qu'a notre cerveau des devoirs militaires il ne
faudra pas y voir un motif de substituer nos coutumes celles
des populations indignes. Il en est de nos ides sur le devoir
militaire, l'impt du sang et le service d la patrie, comme de
toutes les conceptions humaines Ce qui est, ce point de vue f
spcial, vrit en de des Pyrnes, est fort souvent, selon le
mot de Pascal, erreur au del. Avec l'intention fort louable de
mieux faire, d'appliquer des principes d'quit qui nous
paraissent excellents, nous risquons de blesser les sentiments
intimes des populations et de transformer en ennemis les
soldats indignes sur lesquels nous devrions pouvoir compter
comme sur des amis et des allis fidles jusqu' la mort,
Il m'est impossible d'entrer ici dans le dtail des modes divers
de recrutement qui conviennent nos diffrentes colonies
dans les unes, c'est l'engagement volontaire qu'on devra
recourir de prfrence dans d'autres, il faudra faire recruter
les soldats par les autorits locales; ailleurs ce sont les villages
qui donnent les hommes, etc. Dans chacune, en un mot, il
(faudra suivre les habitudes locales. Au Tonkin, o la coutume
annamite exige que les soldats soient fournis par les villages qui
s'en dclarent responsables, le recrutement volontaire, essay
il y a quelques annes, ne donna que des rsultats dplorables.
Les volontaires accouraient en grand nombre, touchaient la
prime d'engagement, puis s'enfuyaient avec les armes et muni-
tions qui leur avaient t dlivres, et allaient grossir les bandes
des pirates. On dut renoncer un procd de recrutement auquel
on avait eu recours par un sentiment d'humanit, et revenir aux
habitudes annamites. Au Sngal, au contraire, les engagements
volontaires donnent de trs bons rsultats. II en sera peut-tre
de mme Madagascar.
Il faudra parfois, dans une mme colonie, s'il existe plusieurs
I races distinctes, entretenir des troupes indignes de chacune de
ces races. Je crois qu'il serait mauvais de faire garder et sur-
veiller par des compagnies annamites certaines rgions du Laos
o les Annamites sont dtests. D'un autre ct, il faut tenir
compte de l'hostilit qu'ont certaines races pour le mtier mili-
taire. Le Cambodgien, par exemple, se bat courageusement
quand c'est ncessaire, mais il se refuse de la manire la plus
absolue tout service rgulier. Non seulement il a t impos-
sible, jusqu' ce jour, de constituer au Cambodge des compagnies
militaires, mais encore les quelques centaines de miliciens que
l'on a pu runir ne se prtent que trs difficilement la disci-
pline la plus rudimentaire. En 1893, pendant nos oprations
contre le Siam, j'envoyai au Cambodge quelques inspecteurs
europens des milices tonkinoises, avec mission d'y organiser et
instruire des compagnies de milice. Les Cambodgiens recruts
cet effet dsertrent ds qu'on voulut leur faire faire l'exercice;
l'on dut viter de punir leur indiscipline, par crainte de provo-
quer une dsertion gnrale et un mouvement insurrectionnel.
Il est possible que petit petit nous parvenions ragir contre
ces moeurs, mais il faudra y mettre une grande prudence et beau-
coup d'habilet.
Les rgles suivre dans l'organisation des troupes indignes
doivent galement varier, dans les diverses colonies, avec les
races auxquelles appartiennent ces troupes. D'une manire i
gnrale, on est convenu de traiter les soldats indignes d'une |
tout autre faon que les soldats europens. Tandis que ceux-ci
sont astreints, dans les colonies, peu prs au mme genre de
vie qu'en France, on y accorde aux indignes des commodits
beaucoup plus grandes. Leurs familles, par exemple, sont '
jonche de cadavres.
Alors mme qu'ils sont bien traits, les Annamites qui l'on
impose le mtier de coolie ne s'y rsignent que trs difficile-
ment. Pour tout Annamite qui n'en fait pas mtier, c'est d'abord
une sorte de dshonneur. Il n'y a pas d'injure plus grave en
Annam que l'pilHt^de coolie D'un autre ct, l'Annamite
n.
se nourrit gnralement trs mal et n'a que trs peu de force
physique. Lorsqu'il a port pendant toute une journe un colis
de 15 20 kilogrammes, il est puis si la mme corve doit
se prolonger pendant des semaines ou des mois, il succombe0
avant d'en voir la fin. Or, avec le systme des leves forces,
des razzias pour parler plus exactement, qui fut pratiqu jus-
qu'en 1891, il n'y avait pas d indigne qui ne fut expos servir
de coolie dans un poste ou une colonne. C'tait une source
incessante de terreur parmi cette population d'agriculteurs rivs
leurs champs, insparables de leur famille et des tombeaux de
leurs anctres, et que la seule ide de quitter leurs rizires pour
aller dans la montagne o c la nuit est froide et l'eau mortelle
fait frissonner.
Ces faits m'taient trop bien connus pour que, ds mon arrive
au Tonkin, je ne me proccupasse pas de les faire cesser. L'une
des premires mesures que je pris eut pour objet d'interdire la
leve force des coolies. L'autorit militaire se plaignit, dclara
que je rendrais ses oprations impossibles, que j'entraverais son
uvre de pacification, etc.; je tins bon et j'eus lieu de m'en
fliciter, car les colonnes que je jugeais indispensables n'en
eurent pas moins lieu et la population annamite me fut profon-
dment reconnaissante de l'avoir soustraite une charge qui
lui pesait plus que toutes les autres. Elle m'en donna tmoi-
gnage, en construisant, pendant l'hiver 1891-92, par corves
non payes, quatre cents kilomtres de routes travers le Delta.
Un journal technique, la Politique coloniale, racontait rcem-
ment (1er octobre 1.896) qu'au Congo franais la rquisition des
coolies dtermine la fuite des habitants et commence provo-
quer la rbellion. Ds le mois d'aot dernier, on annonait
qu'une tentative de rbellion s'tait produite dans la rgion de
Loango et qu'une colonne expditionnaire avait d tre forme.
Le dernier courrier officiel parvenu du Congo a confirm les
nouvelles prcdentes. Le service des transports doit tre inter-
rompu, plusieurs tribus ne laissant plus passer, sans les atta-
quer, les convois administratifs. Les porteurs Loangos dsertent
en masse leurs villages.
Quelque besoin de manuvres et de coolies qu'aient les auto-
rits militaires ou civiles d'une colonie quelconque, j'estime
qu'elles doivent s'imposer la rgle inviolable de ne jamais pro-
cder que par recrutement volontaire et en se conformant aux
cojitumes du pays. Agir d'autre faon, c'est s'exposer la rbel-
lion ou l'hostilit permanente des populations. J'attache telle-
ment de prix cette rgle que je voudrais la voir figurer dans
un dcret ou une loi d'organisation coloniale.
CHAPITRE VIII1
DFENSE MARITIME DES COLONIES
L'arme doit tre, partout, confine dans son rle naturel qui est
de protger la colonie contre les ennemis du dehors et de faire au
dedans ce que j'appellerai la grande police , c'est--dire com-
battre les grandes rbellions, donner la chasse aux bandes
armes de malfaiteurs, s'il en existe, et protger contre elles les
populations paisibles. Sa place naturelle se trouve, par cons-
quent, au voisinage des frontires et dans tous les lieux o de
grands mouvements de malfaiteurs sont susceptibles de se pro-
duire. En aucun cas, elle ne doit tre charge de la police int-
rieure et extrieure des agglomrations indignes; mais partout
o cela est ncessaire, elle peut tre complte par des forces,
de police spciales, places sous ses ordres.
A ct de l'arme, il devrait toujours exister une force de
police ayant pour base la gendarmerie coloniale et charge du
service des renseignements et de la surveillance prventive des
malfaiteurs, sous les ordres directs du gouverneur.
Les administrateurs ou rsidents civils ne doivent pas tre
dtourns de leurs fonctions politiques et administratives parle
rle trop militaire qu'on leur a vu jouer en Indo-Chine et la
rations.
cte occidentale d'Afrique. Si des milices paraissent ncessaires
au maintien de l'ordre dans leurs circonscriptions, il ne faut pas
qu'ils en soient les chefs directs, ni qu'ils dirigent leurs op-
&
Les milices doivent tre places sous les ordres de chefs sp-
ciaux qui, eux-mmes, devront dpendre du commandant de
la gendarmerie, afin que dans les territoires civils, comme
dans les territoires militaires, la police soit dirige par des
hommes ayant reu l'ducation spciale qu'elle exige. La police
est une uvre d'une nature particulire et qui exige des hommes
spciaux mais il faut, bien entendu, qu'elle soit toujours la
disposition des autorits politiques et administratives, comme
celle des autorits militaires, ainsi que le prescrivent les rgle-
ments organiques de la gendarmerie.
Pour la police intime des villages et la protection par les auto-
rits indignes, il sera indispensable de tenir le plus grand
compte des habitudes locales. Dans les pays de protectorat et
mme dans les colonies de domination o les Europens sont
peu nombreux et o il existe des administrations locales suffi-
samment organises, il faut rendre ces dernires respon-
sables du maintien de la tranquillit, en mettant leur disposi-
tion les forces de police dont elles avaient coutume de se
servir avant notre occupation et en nous bornant surveiller et
contrler l'organisation et l'emploi de ces forces.
Toute la police doit tre entre les mains du gouverneur de la
colonie, par l'intermdiaire du commandant de la gendarmerie,
de mme qu'en France toute la police aboutit au gouvernement.
C'est entre ses mains aussi que doit rsider l'autorit suprme
sur l'arme et sur tous les services administratifs, puisqu'il
reprsente personnellement tous les ministres du gouvernement
mtropolitain et qu'il est responsable vis--vis de ce dernier
de tout ce qui se passe dans la colonie. Pour qu'il puisse faire
face des responsabilits aussi tendues, il faut qu'il jouisse
d'une autorit gale ses responsabilits.
CHAPITRE X
CHAPITRE II
LA COLONISATION ET LES LUTTES DE RACES
;>"La guerre et l'esclavage sont les deux faits qui caractriser!- l'ex-
pansion des hommes sur la terre. Evolution de la guerre. Evolu-
tion de l'esclavage. Colonisation et destruction des indignes.
Substitution des races par le mtissage. Emigration, colonisation
et croisements des races au point de vue social 17-30
CHAPITRE III
PHNOMNES GNRAUX DE LA COLONISATION MODKRNE
mtropole 31-48
Colonisation provoque par la misre. Influence du climat sur le
dveloppement des colonies. Sparation des colonies d'avec leur
CHAPITRE IV
DE LA CONDUITE A TENIR ENVERS LES INDIGNES
AU POINT DE VUE DU RESPECT DES PERSONNES,
DES PROPRITS, DE LA RELIGION, DES MURS
ET DES COUTUMES SOCIALES
Les brutalits et les violences des colonisateurs.
tiques.
indignes
leurs procds de propagande et d'action.
49-91
Respect d
la religion, aux murs, aux habitudes et la proprit des indignes.
De la propagande religieuse dans les colonies et de ses effets poli-
Les missions protestante? et les missions catholiques
Principes appliquer
dans la conduite de l'administration l'gard des missions et des
CHAPITRE V
DE LA POLITIQUE
SUIVRE DANS LES COLONIES
A
ET DES RELATIONS
DU POUVOIR COLONIAL AVEC LES AUTORITS INDIGNES
CHAPITRE VI
DE LA CONDUITE A TENIR A L'GARD DES COLONS
t
du rattachement des troupes coloniales la guerre et de leur dta-
chement aux colonies. Rgles suivre dans le recrutement etl'or-
coloniales
ganisation des troupes indignes.
mdicaux des troupes coloniales.
troupes
Des services administratifs et
Les auxiliaires indignes des
190-216
CHAPITRE VIII
DFENSE MARITIME DES COLONIES
Insuffisance de la dfense maritime des colonies. Protection
contre l'extrieur divisions navales.
Surveillance des fleuves et canaux
Protection des ctes.
217-222
CHAPITRE IX
DE LA POLICE DES COLONIES
colonies.
miiices et leur rle. La police des villages et les autorits indi-
gnes. Plan d'organisation d'une police coloniale. La gendar-
merie coloniale et la police. Principes gnraux qui doivent pr-
sider l'organisation de la dfense et de la surveillance intrieure
des 223-240
CHAPITRE X
DES POUVOIRS COLONIAUX ET DE L'TENDUE
DE LEUR AUTORIT
4
M. J.-L. DE LANESSAN
La
(DOIN, diteur.)
Le Transformisme, expos des thories de lin (Ton, Lamarck, Darwin, Hc-
kel, etc., et de l'auteur, relatives l'volution de la matire et des tres
vivants et la transformation des espces. 1 vol. in-18 de 395 pages.
50
La Botanique. 1 v(al. in-18 de 550 pages, avec 182 figures, de la Biblio-
thque des sciences contemporaines.(ISeiswald, diteur.} 5 fr.
Du Protoplasma vgtal. 1 vol. in-S de 150 pages. (Thse pour l'agr-
gation.) (Doin, diteur.) 4 fr.
Manuel d'histoire naturelle mdicale (botanique et Zoologie); 2e dit.
2 vol. in-18 de 2300 pages, avec plus de 2000 figures. (Itoix, dit.) 20 fr.
(Uoin, diteur.)
Trait de Zoologie (Protozoaires). 1 vol. gr. in-8" de 350 pages, avec
300 figures.
par J.-L. de Lanessan. 1 vol. in-18 de 550 pages. (Doin, diteur.). 8 fr.
Histoire des drogues d'origine vgtale, par MM. Fluckiger et Hashukg,
traduction franaise, augmente de nombreuses notes et de 291 figures,
diteur.)
parJ.-L.DE Lanessan. 2 vol. in-8d'environ700pages. (Dois, dit.). 25 fr.
Manuel de Zootomie, par Mogsisqvics Ei.den vox Mojsvah, traduction fran-
aise annote par J.-L. DE Lnessan. 1 vol. in-8 de 400 pnges, avec
128 figures. (Doin, fr.
uvres compltes de Buffon. Nouvelle dition comprenant la correspon-
dance annote et augmente d'une notice biographique et d'une intro-
duction de 400 pages, parJ.-L. DE Lanessan. 14 vol. granrf'Tifjr'jNiyec
160 pi. graves et colories et 10 portraits. (LE VASSEiu/<iift'>V''0O/rR,