Tour 1863
Tour 1863
Tour 1863
TOL )I:
NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES
PUBLIE SOUS LA DIRECTION
DE M. EDOUARD CHARTON
11863
PREMIER SEMESTRE
18.63
Droits de propriet6 et de traduction reserves
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LE TOUR DU MONDE
NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES.
Description. du serail.
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
details les plus intimes sur ce qui s'y passait sons le
regne d'Amurat IV. Se trouvant h. Calcutta, it rencontra
un vieil esclave noir qui avait passe trente arts dans le
serail et joui de la plus haute faveur. Disgracie et depouille de toutes ses richesses h la suite d'une de ces
revolutions de palais, si frequentes autour des souverains
absolus , it avait chappe par miracle h la mort, et s'etait enfui jusqu'h Calcutta, on it subsistait h grand'peine
d'un petit commerce de parfums et de cosmetiques.
Jusque vers le milieu du seizieme siecle, les empereurs ottomans habiterent le vieux serail de Mahomet II,
espece de forteresse situee presque au centre de Constantinople oft le gouvernement actuel a etabli le seraskierat
(ministere de la guerre).
Soliman II, arriere-petit-fils du conquerant, abandonna ce sejour, qu'il ne pouvait embellir, et transfera
ses femmes et ses tresors h l'extremite de sa capitale,
dans les Hem charmants abandonnes par les moines grecs
qui desservaient Sainte-Sophie. Cette enceinte etait dj
couverte de beaux arbres , et des aqueducs byzantins y
amenaient l'eau en abondance. Il fit construire sur les
hauteurs sa derneure imperiale et planter ces jardins
fameux oti mille bastandgis (jardiniers) cultivaient les
plus beaux legumes et les fleurs les plus rares de l'univers. La mer battait le pied du mur d'enceinte, et la lottille qui servait aux promenades du sultan etait amarree
au has de ce petit cap, qu'on appela des lors la Pointe
du serail (voy. p. 17).
Soliman transporta dans le nouveau serail le luxe
barbare de ses predecesseurs et quelques-uns des raffinements de la civilisation plus avancee des pays occidentaux. La chambre ou it dormait etait eclaire par un
procde des plus primitifs; it y avait de grander lampes
d'or massif qu'on remplissait de suif et qui britlaient
comme nos lampions. Son lit n'atait qu'une planche sous
une couverture de drap d'or lourdement brodee; mais
avait aussi des porcelaines de Chine, des miroirs de Venise, et it buvait dans des gobelets de verre de Boheme.
Comme le roi Francois Ter, son contemporain, it aimait
le Paste et les belles choses ; s'il y avait en des artistes
dans son empire it les aurait proteges; mais it regnait
sur un pays ennemi des arts plastiques et it n'eut a recompenser que des pates.
L'etiquette de la cour ottomane date de son regne;
regla les attributions des hauts fonctionnaires, c'est-hdire des esclaves qu'il elevait aux positions les plus eminentes, en les attachant a sa personne pour lui rendre
tons les services de la domesticite. Il augmenta considerablement le nombre des femmes enfermees dans le
harem, et rendit leur existence plus splendide et plus
austere. En mme temps, it doubla la cohorte des ennuques noirs qui gardaient les sultanes.
Le serail renfermait environ cinq mine antes , en
comptant la soldatesque casernee dans la premiere cour.
Les eunuques noirs et blancs, les nains, les musts, les
femmes et les jeunes gens serviteurs du sultan vivaient
dans les appartements interieurs ; ils etaient environ
trois mille. Ce peuple d'esclaves n'appartenait pas h la
LE TOUR DU MONDE.
partenients interieurs. Ordinairement ils remplissaient
le role de bouffons ; les plus difformes, les plus hideux
etaient les plus apprecies.
Histoire de Roxelane.
La porte des salutations (voy. p. 2). Dessin de Karl Girardet d'aprs al. Adalbert de Beaumont.
classiques de la race d'Agamemnon, et ses levres souriantes prononcerent plus d'un arret de'mort. Elle avait
donne au sultan quatre fils et plusieurs filles. Souveraine
absolue dans le serail, elle ne craignait aucune rivale.
Pourtant l'ambition de Roxelane n'etait pas satisfaite ;
elle voulait devenir la femme legitime de l'empereur
son maitre.
47: :..---
7W/V.V11. 47000151M
La fontaine du serail (voy. la note i au verso). Dessin de Karl Girardet d'apres M. Adalbert de Beaumont.
LE TOUR DU MONDE.
validell (mere du sultan) et aux princesses du sang imperial. L'aine de la famille otlomane , Pheritier direct,
s'apoelait simplement le chazadell (fils du roi). Soliman nesita avant d'elever si haut son esclave; mais les
seductions de Roxelane l'emporterent; it Pepousa solennellement devant le cadi et lui donna pour douaire les
revenus d'une province. Un sort si glorieux ne combla
-pas les desirs do Roxeiane; son ambition avait encore
beaucoup d'autres choses a obtenir du sultan. C'etait Mustapha, Paine des enfants de Soliman, le fils de la Georgienne qui, depuis sa naissance, etait considers comme
Pheritier de l'empire. Bien que la loi qui l'appelait au
trene eat t parfois eludee, le sultan perseverait h considerer ce fils comme son successeur. .11 lui avait donne
le gouvernement de la province d'Amasie, et malgre les
secretes obsessions de la sultane, it lui temoignait tonjoins les memes bontes. Roxelane se lassa de cette sourde
lutte, et pour (rapper son ennemi d'un coup plus stir,
elle lui envoya pour les fetes du Bairam une corbeille
de fruits confits avec un art merveilleux. Mustapha, dont
la defiance etait eveillee , ne toucha pas au present de
la sultane et en fit les honneurs a son messager, qui,
comble d'une telle faveur, mangea une poire et mourut
un quart d'heure apres. A cette nouvelle, la sultane, furieuse et consternee, se prepara a une lutte ouverte ;
mais soit insouciance, soit grandeur d'ame, Mustapha
garda le silence sur cette tentative.
Tandis que ceci se passait it Amasie, le s'Srail etait en
fete. Mohammed, le fils aIne de Roxelane, entrait dans sa
seizieme annee, et deja le sultan l'avait choisi pour gouverner une des grandeS provinces de l'empire : c'etait
comme une royaute lui donnait. La sultane ordonna
pour son depart des preparatifs d'une magnificence extraordinaire; son harem et sa tour se disposaient a le
' suivre ; mais it etait ecrit qu'il ne sortirait pas du serail :
atteint d'une fievre maligne, it mourut presque subitement. Ses deux freres, Seim et Bayezid, heriterent de
ses grandeurs, et Dgiangir, le plus jeune des fils de Soliman et de Roxelane, resta seul dans le serail. Dgiangir
etait un pauvre petit etre difforme, dont la tete charmante
disparaissait entre deux epaules monstrueusement inega
les. Lorsqu'il eut atteint Page d'homme, on continua a le
traiter comme un enfant, et il ne quitta pas les appartements interieurs; ses saillies egayaient le sultan qui, accoutum a le voir pres de lui, l'aimait avec tendresse, et
1. La fontaine representee page 5, toute en faiences de Perse
et en marbres de diverses couleurs, est le plus beau type des fontaines de Constantinople. Elle porte la date du regne d'Achmed III.
Ir cki la legende arabe &rite sur une de ses faces, en lettres d'email
et d'or Buvez avec devotion l'eau de Khan Ahme'die et prie% pour
lui. Ce petit monument, de forme quadrangulaire, surmonte de
coupoles leg,antes, est entierement revetu d'arahesques et d'ernaux aux couleurs les plus vives , de grilles dorees d'un dessin
charmant et de pendentifs sculptes en forme de stalactites.
a Aux quatre angles de l'edifice ouverts par des fenetres grillees, se trouvent les fontaihes cach6es afin de conserver la fraicheur de l'eau. Des gardiens sont charges de passer a
travers la grille, a tous ceux qui le demandent, des vases etaine
remplis de cette eau qui, sous ce soleil ardent, semble glacee. En
Orient, l'eau fraiche est une jouissance plus grande que le yin
le meilleur dans nos climats. Aussi ces fontaines sont-elles touAdalbert DE BEAUMONT.
jours des fondations pieuses.
LE TOUR DU MONDE.
pas importune par les bruits de cette grande reunion
d'hommes , et tout etait aussi tranquille autour de lui
que s'il n'eirt pas quitte son serail de Constantinople.
Moins d'une heure apres son arrivee, Soliman envoya
a son fils l'ordre de se presenter sur-le-champ devant lui.
L'envoye du sultan trouva le prince sur le chemin d'Amasie ; un avis lui etait dj parvenu : Achmet-pacha, un
de ses partisans, le prevenait que des ordres funestes
avaient te donnes contre lui; mais le chazadeh etait si
certain du devouement de Parmee, qu'il crut que le sultan lui-meme n'oserait rien contre sa personne. Il traversa le camp avec une contenance assuree. Le bruit se
repandait deja qu'il etait accuse de trahison, et Parmee,
saisie de terreur et d'indignation, gardait un silence menacant. A la vue du prince, elle fit entendre des acclamations et des cris de joie qui durent parvenir jusqu'aux
oreilles du sultan.
Mustapha entendait encore le bruit de ces manifestations lorsqu'il entra dans la tente imperiale. Selon
l'usage, it dut quitter ses armes avant d'tre admis en
presence du padischa. Lorsque les eunuques blancs,
qui gardaient la premiere porte, lui eurent lite le sabre recourb qu'il avait au cote, et le poignard pass
dans sa ceinture, it fut conduit par le capou-agasi jusqu'a la salle qui servait d'antichambre au kiosque imperial. II n'alla pas plus loin. Au moment on it entrait,
six muets se precipiterent sur lui, le fatal cordon a la
main, et une lutte terrible commenca. Mustapha, extraordinairement agile et fort, tenta d'echapper a ses hourreaux ; il se defendit avec taut de furie , qu'un instant
ils faiblirent et s'arrterent incertains. Si le prince avait
eu le temps de s'elancer au dehors et de gagner le camp,
it sauvait sa vie et montait sur le trove; mais avant qu'il
pat profiter de l'hesitation et de l'effroi des muets, le
sultan lui-meme souleva la portiere qui cachait Pentree
du kiosque, et avanca la tete avec un geste menacant.
A l'aspect de ce visage terrible, les muets comprirent
qu'il fallait en finir ; ils revinrent vers le prince, et apres
Pavoir terrasse , ils l'tranglerent ; puis ils s'enfuirent
comme s'ils eussent encore craint la colere du sultan.
Pendant cette tragedie, personne n'avait songs au prince
Dgiangir, qui etait sorti pour visiter le camp. Ayant appris que Mustapha etait alle vers le sultan, il rentrait
pour lui donner la main. A la vue de ce corps immobile,
de ce visage livide et tache de plaques bleues, Dgiangir
jeta de grands cris et tomba dans le plus violent Usespoir. Les eunuques, consternes et tremblants, voulurent
l'eloigner, mais il se precipita sur le corps de son &ere,
et Petreignit avec une sorte de frenesie. Ses cris attirerent le sultan, qui lui ordonna, avec une tendresse melee
d'autorite, de le suivre; mais cette pauvre creature, si
faible, si frivole , et qu'on supposait incapable d'aucun
sentiment energique , se tourna vers son pore, et lui dit
avec fu.reur : u Voila done ce que to fais de tes fils!...
Va! je fempecherai Men de me faire mourir par la
main des muets !...
En meme temps, il tira de sa ceinture un petit poignard
lui laissait plutOt comme un jouet que comme
LE TOUR DU MONDE.
quelques semaines plus Lard, le chemin de Constantinople, it paraissait certain qu'il avait resolu d'eloigner
de lui Roxelane et de Penfermer pour le reste de sa vie
dans le vieux serail.
Roxelane l'attendait tranquille, impenetrable. Usant
des privileges qu'il ne lui avait pas encore retires, elle
alla au-devant de lui des qu'elle fut avertie qu'il entrait
dans le serail. Et alors, se prosternant a ses pieds, toute
pale et le visage en pleurs, elle lui dit avec l'accent de la
plus profonde soumission a Des hommes mechants ont
attire ta colere sur moi par leurs mensonges..... J'ai
perdu ta faveur sans laquelle je suis moms qu'un ver
de terre.... Je ne veux plus vivre.... Finis promptement mon supplice.... Appelle les muets.... Je suis
prte, et je benis la mort, puisque c'est ta volonte que je
meure....
Le sultan ne s'attendait pas a ces paroles; la douleur
de Roxelane, son courage, sa resignation le toucherent
et changerent subitement ses dispositions ; it l'emmena
dans le somptueux kiosque qu'il avait fait construire sur le
bord de la mer et passa le reste de la journee avec elle.
L'un et l'autre avaient dj oublie leur deuil. Its mangerent ensemble au son des instruments, servis par de
jeunes esclaves, les plus belles qu'il y eta dans le serail.
A cette occasion, une vieille kadun, gouvernante des
tales, se permit de dire aux odalisques, dont la vie s'ecoulait dans une attente toujours decue : a Allez ! allez!
mes tourterelles, it faut renoncer a l'espoir d'attirer les
regards du Sublime Empereur ; la plus grande faveur
qu'il puise vous faire, c'est de souffrir que vous lui presentiez a boire.
Des ce moment Roxelane comprit que son empire etait
inebranlable; elle en profita d'abord pour demander la
mort d'un enfant, le seul heritier qu'eat laisse Mustapha. Quand elle out ainsi detruit tout ce qui ne sortait
pas d'elle dans la fan:tale imperiale, elle tourna sa fureur
contre son propre sang et devint Pennemie implacable
de son fils aine Selim. Deja elle avait inutilement supplie le sultan de changer l'ordre de succession; Soliman
avait resists a toutes ses obsessions et it n'y avait pas apparence que sa volonte dat changer un tour. Le naturel
audacieux de Bajazed lui faisait ombrage; it se souvenait
de l'avoir trouve parfois moms respectueux que son frere,
et it avait une predilection pour Slim, qui avait toujours
paru soumis et tremblant devant lui. Quand Roxelane
eut perdu tout a fait l'esperance de changer la resolution de l'empereur, elle excita secretement son Ills a la
revolte. Profitant de Pinfluence qu'elle avait dans les
affaires de l'Etat, elle crea un parli a Bajazed et mit a sa
disposition I'argent dont it avait bosom pour gagner les
soldats par ses liberalites. Toutes ses intrigues etaient
conduites si habilement, que le padischa ne concut aucun soupcon; it apprit en memo temps que Bajazed etait
a la tete d'une armee et que les pachas d'Asie, toujours
pats tt la revolte, allaient s'unir a lui pour attaquer Seim. Cette fois encore la resolution du vieil empereur fut
piompte; it envoya cent male hommes au secours de
Seim. Avec ces appoint, celui-ci triompha sans peine de
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
d'eunuque noirs. Le vaisseau turc qui la portait du t
ahorder au port de Salonique, parce que le jeune prince
etait tombs dangereusement malade. Peal de jours apres
it mourut. Son corps fut enseveli avec les ceremonies
d'usage, et depose dans un turbo pros de la grande mosquee. Denka envoya un de ses eunuques a Constantinople pour annoncer au sultan cette funeste nouvelle,
et le mme jour, chose strange! elle disparut sans qu'il
!Tit possible de retrouver ses traces. Il parait certain
qu'elle avait concu depuis longtemps ce plan d'evasion,
et qu'elle l'avait accompli par un miracle de ruse, de
perseverance et d'audace. Secondee par un de ses eunuques noirs, elle etait parvenue a tromper tous ceux
qui l'environnaient. C'etait un enfant juif,, mort de la
peste , qui reposait dans le turbo , a la place de son
fils, qu'elle avait soustrait ainsi au triste sort qui l'attendait. On soupconne les claretiens de Salonique d'avoir
favorite sa fuite, parce qu'elle Malt chretienne d'origine
et qu'elle avait toujours manifesto peu de zle pour
la loi du prophete. Quoi qu'il en soit, le sultan manifesta plus d'etonnement que de chagrin en apprenant
sa fuite, mais la perte de son jeune fils le toucha sensiblement.
Vers ce temps-la de sinistres intrigues troublerent le
serail. Depuis longtemps l'hassaki supportait impatiemment l'autorite de la valideh Baffa et travaillait
sourdement a mettre son fils sur le tame. Cette femme
hardie etait parvenue a gagner les chefs des janissaires et la plupart des grands fonctionnaires de la
Sublime Porte. Le complot avait (AO ourdi avec
, tant de
prudence et d'habilete que les espions charges par la
valideh de surveiller son ennemie n'avaient lien decouvert. Deja le chazadeh avait quitte secretement Magnesie , on it residait pour venir recueillir l'heritage de
son pore; mais la veille du jour fixe pour l'execution de
ce grand crime , un eunuque noir revela tout au sultan
et lui . apprit que le chazadeh cache daus un des kislawaga du serail attendait que tout fat fini pour se montrer au peuple.
Lorsque le padischa entendit ces revelations, les
muezzins annoncaient la priere du soir; it n'avait plus
qu'une seule nuit pour prevenir le coup fatal; mais ce
fut asset. Avant que le jour parut les muets allerent
strangler le chazadeh dans le kiosque oh it etait cache ;
quatorze grands personnages , ses adherents, eurent le
memo sort et l'hassaki cousue vivante dans un sac de
cuir fut prcipitee au fond de la mer.
A la suite de ces evenements Mahomet III tomba
dans une noire melancolie ; tout ce qui l'environnait lui
etait devenu suspect, hormis la valideh, .a. laquelle il.confia entierement le gouvernement de l'Etat. Cette vieille
princesse n'etait pas fort habile en politique, mais elle
avait l'art de maitriser les factions et de se concilier l'opinion populaire. Les Turcs ayant ete battus en Hongrie
it s'ensuivit de grands desastres ; les provinces se revolterent , le pain manqua h Constantinople et la populace commencait a s'agiter. Pour apaiser ce meconkuntement , la valideh imagina d'ordonner un duhalma
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LE TOUR DU MONDE.
d'tre gouverne par cette vieille juive qu'il avait vue ja- presque autant de contes et d'histoires merveilleuse
dis trainer sa misere aux portes des bazars. Un jour les que sa regrettee Keira, et des lors it ne se soucia plus
janissaires envahirent la premiere cour en proferant des des autres odalisques.
Kiosem n'etait point de sang chretien, et d'origine
eris confus, preludes redoutables de toutes les seditious.
Ils attaquerent bientet les portes de la seconde cour afin noble comme Roxelane et la Baffa. Ne musulmane elle
de penetrer dans l'interieur du serail, mais la troupe unissait aux instincts farouches de sa race des aptitudes
fidele des bastandjis qui defendait le passage parvint a rares. Son esprit Raft vif et sagace, son Arne profondeles repousser. Pendant ces commencements de revolte, ment corrompue; elle avait la douceur perfide, l'astuce,
le sultan etait dans un des kiosques qui ont vue sur la la volonte patiente, la soumission absolue des femmes
mer, ecoutant les histoires de Keira-Kadun ; de cet en- de l'Orient.
Le sultan lui donna bientet des marques extraordidroit it ne pouvait entendre les bruits du dehors et it demeura fort &tonne lorsque le grand vizir vint en toute naires de son amour. Ne pouvant Oter d l'hassaki le titre
hate lui apprendre que les janissaires revoltes assie- dont elle etait en possession, it nomma Kiosem seconde
geaient le serail. a Eh! que veulent-ils ? demanda sans hassaki et voulut qu'elle eat un train pareil a celui de la
s'emouvoir le padischa. Ds veulent la tete de Keira- sultane valideh. Aucune souveraine, pas memo la refine
Kadun, et it faut la leur Bonner, u repondit le grand vizir d'Espagne, ne possedait autant de pierreries et de joyaux
avec decision. La malheureuse femme se refugia aux que cette favorite; elle etait parse des plus belles perles
genoux de son maitre; elle le supplia de - lui sauver la et tics plus beaux diamants qu'il y eat dans le tresor des
vie. Mais les cris menacants des janissaires se firent en- sultans. Un jour Achmet lui donna des pendants d'otendre jusque dans le kiosque; it y avait tout a craindre reilles qu'on estimait trois millions de notre monnaie.
de leur fureur. Le sultan Achmet essaya vainement de Ces pendants etaient en brillants gros comme des noix
defendre sa favorite ; presse par le grand vizir it fut et accompagnes de rubis admirables. Kiosem ne quitta
force de donner l'ordre fatal. Un bastandji se saisit de plus cet ornement superbe, gage de la passion du sulKeira-Kadun et l'emporta a. demi morte deja, d'angoisse tan. Elle aimait a, l'exces la magnificence dans les habits
et d'epouvante. Elle fut conduite dans la seconde cour, et ne paraissait jamais devant le Grand Seigneur tine
etun moment apres satete, lancee par-dessus les creneaux dans la plus somptueuse parure. L'hassaki et les autres
de la porte des Salutations, tombait au milieu des sedft- odalisques etaient rentrees dans le nant; elle aurait pu
tieux. Cette execution apaisa la revolte et tout rentra d'un soul mot les exiler dans le vieux serail; libre dans
dans l'ordre accoutume ; mais le jeune empereur ne se le harem imperial oil le sultan ne venait que pour elle
contenta pas aisement d'avoir perdu sa vieille amie, et it seule, elle marchait l'egale de la valideh. La premiere
ne tarda pas a la venger en faisant strangler le grand hassaki concut taut de jalousie et de douleur du triomphe
vizir qu'il soupconnait d'avoir secretement fomente la de sa rivale qu'elle en mourut.
Achmet II n'alla jamais combattre a la tete de ses arrevolte des janissaires.
mees ; pourtant son regne fut glorieux ; ses generaux
Parmi les belles esclaves dont le kislar-aga remplissait le serail, it s'en trouva une enfin qui eut le bonheur gagnaient des batailles, tandis qu'il batissait la belle
de plaice au jeune empereur. A cette grande nouvelle mosquee qui porte son nom, et faisait prudemment stranla joie rentra dans le harem imperial ; toutes les oda- gler un de ses gendres, le grand vizir Nassouf, qui meditait de le detrOner. Ce Nassouf avait eu l'honneur
lisques espererent obtenir aussi l'amour du sublime
sultan. Il eut en effet plusieurs favorites qui presque si- d'epouser la fille ainee du sultan et de Kiosem. La pemultanement le rendirent pore d'un fils et de quatre tite sultane n'avait que cinq ans lorsque son premier
filles. Celle qui eut la fortune de mettre au monde le maxi mourut, et avant qu'elle eat atteint rage de vingt
chazadeh fut, selon l'usage, proclamee hassaki; mais ans, elle fut quatre fois remariee. Ayant accumul tant
elle resta confondue parmi ses rivales et dut se contes- de douaires, elle etait devenue si riche qu'on disait proverbialement d'un prodigue : a II depenserait le tresor
ter de ce vain titre.
Au milieu de ces femmes dont le bonheur etait si de la sultane Ghenher. Ce nom vent dire en persan
passager et qui remplissaient le serail de leurs jalousies, pierre precieuse.
Sultan Achmet etait l'homme le plus heureux de son
de leurs querelles et de leurs intrigues, se trouvait une
jeune esclave qui avait la plus belle education que puisse empire. Osman, son fils aine, n'annoncait que de belles
recevoir une femme turque. Elle savait lire et elle ecri- inclinations et ne lui causait encore aucun souci. Kiosem
vait bien le turc et le persan ; de plus elle chantait fort l'avait rendu pore de deux fils encore en bas age, et de
agreablement les vers et dansait avec beaucoup de grace. plusieurs petites sultanes. La valideh, sa mere, voyait
Son visage etait d'une mediocre beaute; elle mit le sans envie finfluence de la favorite, et toutes deux viteint uni, les cheveux d'un blond dore et les yeux noirs. vaient en bonne intelligence. Mais les destinees humaiOn l'avait surnommee Kiosem (potelee) a cause du Le- nes ne comportent pas une felicite aussi complete. Au
ger embonpoint qui arrondissait ses membres forts et milieu de sa gloire, le Sublime Empereur eprouva les
gracieux. Des annees s'ecoulerent avant que le sultan premieres atteintes d'un mal dont la cause etait inconjetat les yeux sur elle ; mais enfin it fut attire par la nue ; quoiqu'il fat a la fleur de l'age, it deperissait lendouceur de sa voix; bientat ii decouvrit qu'elle savait tement, et chaque jour semblait emporter une annee de
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Interieur d'un kiosque du serjl construit sous Soliman le Magnitlque t (voy. la note au verso). Dessin de Catcu
112:
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
l'enivrait et il aimait a se montrer au peuple dans le superbe appareil des sultans. Un voyageur de cette poque,
s'etant trouve.sur le passage du padischa tandis qu'il se
rendait a la mosquee de Sainte-Sophie, secria avec enthousiasme : a La plus belle odalisque .ne pourrait lui
disputer le prix de la heaute ; il a les yeux noirs, la
bouche vermeille et le teint admirable ; sa taille est
grande et majestueuse , enfin toute sa personne inspire
l'admiration.
Malgre ces avantages exterieurs Osman ne gagna pas
les sympathies de la multitude ; il se montrait deja farouche , violent, inflexible ; le serail etait promptement
rentre dans l'obeissance sous sa main de fer. Il avait
des severites qui faisaient trembler les vieux pachas et
repandaient la terreur autour de lui. 11 eut un fils avant
Page de seize ans et n'attendit pas qu'une barbe naissante ombrageat sa levre pour se mettre a la tete de
l'armee. Solt intrepidite , soit presomption, it voulut
commander les trois cent mille hommes qu'il envoyait
en Pologne ; mais apres une sanglante campagne il revint a Constantinople vaincu et presque fugitif. Profondement humilie par ces revers, il accusa les janissaires
d'avoir manqu de valeur et concut contre cette milice
une haine implacable. Sans doute it resolut des lors de
la detruire, mais it fut distrait de son dessein par une
autre preoccupation.
Il y avait a Constantinople une jeune fille de grande
naissance nommee Ashada; quoique le harem du cheikul-islam son pore fat un endroit inaccessible , on savait
etait d'une beaute si rare que pent-etre elle
n'avait point d'egale dans tout l'empire. Le padischa fut
tents par le portrait qu'on lui fit de cette merveille.
demanda au cheik-ul-islam de lui amener sa fille. La
belle Ashada repondit fierement quo le Sublime Empereur etait le maitre de sa vie, mais qu'elle aimerait
mieux etre la femme legitime du dernier de ses sujets que
de devenir une de ses odalisques. Ce scrupule strange
chez une Turque irrita la passion du sultan et il n'hesita pas it Clever au rang d'Opouse legitime l'ambitieuse
jeune fille. Elle fut conduite dans le serail avec le ceremonial en usage pour les mariages musulmans et prit
immediatement le titre de sultane.
Cette infraction aux lois de l'fltat et aux coutumes de
la maison ottomans revolta le sentiment public; les pachas, fatigues du joug qui pesait si lourdement sur eux,
s'unirent aux janissaires mecontents; on repandit des
nouvelles inquietantes et bientOt le bruit courut que le
sultan Osman, pret a quitter le serail de Constantinople,
allait transferor le siege de l'empire au grand Cairo. Alors
le peuple credule commenca a s'agiter eta parler du
sultan avec des termes de mepris. Au premier indite de
cette sedition le sultan avait envoys les musts strangler
son frere Mohammed. Depuis environ trente ans aucun
male du sang imperial n'avait peri de mort violente et
cot acte de cruelle prudence acheva de rendre le sultan
odieux. La revolte se propagea comme un incendie : les
janissaires investirent le serail avec des menaces effroyables, et leurs agas, loin de les retenir, marcherent avec
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LE TOUR DU MONDE.
Vue des jardins du serail". Dessin de Karl Girardet d'apres al. Adalbert de Beaumont.
guere que dix ans, mais it etait deja d'un naturel si violent et si intrepide qu'il faisait ombrage au grand vizir.
1. Le hasard semble aujourd'hui avoir te le dessinateur de ces
jardins. Il n'y a la ni allees, ni plans qui indiquent une autre intention que celle d'avoir de l'ombre. Mais ces arbres sont si beaux
dans leurs allures sauvages, avec lee vignes, les clematites et les
jasmins qui les enveloppent de leurs bras parfumes, ils se detachent
si bien du haut de ces terrasses crnelees, sur-le fond d'azur de la
mer de Marmara, sur les montagnes neigeuses de 1'Olympe et les
faubourgs de Scutari, qu'on ne songe guere a demander plus de
soin et d'entretien aux bastandjis degeneres du serail. Et cependant, sous Achmet c'etait un veritable paradis terrestie, oil les
plantes et les oiseaux les plus rares, les kiosques et les bassins de
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PIMIRCIAN
LE TOUR DU MONDE.
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MME X... I.
Les Turques Kiosem et Ashada (suite). La Venitienne Roxane. La Russe Tarkhan. L'Armenienne geante. Mort de Kiosem,
Les odalisques au dix-neuvieme sicle.
tier des femmes. Les eunuques impassibles reconduisirent , cette fois pour toujours , la valideh dans le vieux
serail et Mustapha fut ramene dans sa prison. Loin
de manifester aucun deplaisir, it louait Dieu et disait
qu'il etait un pauvre derviche , ne pour vivre dans
l'obscurite.
Tandis qu'il se rejouissait ainsi de son malheur, le fils
de Kiosem se rendait an divan assis sur un soffra reconvert de drap d'or que portaient quatre janissaires. Lorsqu'il parut, le cheik-ul-islam cria le premier : c Longue
vie a sultan Mourad que son regne dare mille ans
Toute l'assemble repeta les memes acclamations, et
des le lendemain Mourad IV parcourut les rues de Constantinople, environne de tous les dignitaires du serail.
Cet enfant etait si beau que les femmes se prcipitaient
sur son passage avec des transports d'admiration et de
joie , en criant : Vive notre padischa a
Kiosem prit le titre de sultane valideh qu'elle avait
ambitionne si longtemps; elle gouverna avec une puissance absolue pendant quelques annees , mais elle ne
parvint pas touj ours it rprimer l'insolence des janissaires, les revoltes des spahis et les desordres de la populace qui s'ameutait quand le ble manquait ou qn'un
santon fanatique prechait contre les vices et l'impiete
des pachas. Lorsque les mcontents persistaient et qu'il
y avait peril a envoyer centre eux les milices restees fideles , on leur jetait par-dessus les murs du serail les
totes qu'ils demandaient ; une fois ils en exigerent trente
et on les leur donna. Kiosem est la premiere sultane
qui se soit melee directement et ostensiblement de la
politique europeenne. La valideh sa devanciere et la
Baffa, mere de Mahomet III, n'avaient pris part qu'a
l'administration de l'empire. Elle traitait avec les ambassadeurs par l'intermediaire du grand vizir et assistait voilee au conseil. Son autorite dura un peu moms
que la minoriti du sultan.
Mourad IV, des l'age de quinze ans, contraignit la
valideh a lui abandonner le pouvoir et les Turcs purent
s'apercevoir bientat qu'ils avaient un terrible maitre.
Cet adolescent etait ombrageux et cruel comme un vieux
tyran. L'ardeur guerriere dont it fut possede plus tard
se manifesta d'abord par une activite prodigieuse et un
goat passionne pour les exercices violents. Sans cesse
faisait 'utter et combattre ses pages, ses muets et jusqu'a ses bouffons; ceux qui avaient porte les plus rudes
coups et montre le plus de courage recevaient de sa
main des armes de prix , des joyaux et parfois memo les
LE TOUR DU MONDE.
riches habits dont it etait vetu. Il etait defendu sous
peine de mort d'approcher des murs du serail, et les
bons musulmans n'osaient meme lever les yeux vers ce
lieu redoutable. On raconte encore aujourd'hui a Constantinople le trait suivant de l'ombrageuse cruaute de.
Mourad IV. Il y avait dans ses jardins un kiosque d'oh
l'on decouvrait la plus belle perspective. Le sultan y
venait souvent et prenait plaisir h regarder sa ville imperiale avec une excellente lunette d'approche dont la
republique de Venise lui avait fait present. Un jour
qu'il promenait ainsi ses regards sur les hauteurs du
faubourg de Pera , it trouva au bout de sa lunette un
jeune homme qui, appuye au balcon d'un petit belvedere et arms d'un long tube pareil a celui qu'il avait luimale h la main, semblait explorer l'enceinte du serail.
Le sultan fait un signe , deux bastandjis partent aussitOt
et avant la unit l'infortune curieux etait pendu au baleen
qui lui servait d'observatoire.
C'est vers ce temps-la que l'usage du tabac commenca
a se repandre parmi les Turcs ; le sultan, qui dtestait
cette nouveaute, defendit sous peine de mort le plaisir
de fumer ; mais ses ordres ne furent pas toujours executes; ses sujets bravaient la mort pour conserver leurs
pipes, et la drogue pernicieuse penetra jusque dans le
serail. Une fois Mourad IV surprit la valideh le tchibouk entre les levres, et, a cet aspect, sa fureur fit si
grande que la princesse dut se jeter a ses genoux pour
obtenir son pardon. Le severe monarque voulait qu'elle
obit comme le dernier de ses esclaves, et ce n'tait qu'h
force de respect et de soumission qu'elle obtenait quelque chose de lui.
Mourad IV allait entreprendre ses grandes guerres
centre la Perse lorsque le kislar-aga lui presenta une
esclave circassienne d'environ seize ans, qui s'appelait
Roxane ; jamais femme d'une beaute aussi parfaite n'etait
entre dans le serail. Elle avait les cheveux blonds, les
yeux bleus et les sourcils d'un noir de jais. Ses traits
etaient d'une finesse incomparable et son teint d'une
fraicheur deuce, qui rappelait la nuance delicate des roses sauvages. Cette belle creature charma tout d'abord le
sultan, et bientet elle le subjugua non par sa douceur,
mais par sa hardiesse et sa mechancete. Le sombre Moorad subit l'ascendant d'un caractere encore plus energigue et plus implacable que le sien. Lorsqu'il alla faire
la conquete de Bagdad et de Babylone, Roxane gouverna
en son nom, et bien qu'elle ne lui eilt donne que des lilies, it l'honora du titre d'hassaki. Tout lui obeissait dans
le serail; la famille imperiale etait a ses genoux, et la valideh Kiosem elle-meme dut courber le front devant elle.
Les trois freres du sultan et son oncle Mustapha, Pimbecile empereur deux fois detrene , vivaient encore a.
cette epoque. La cruelle Roxane fit strangler d'abord
Orcan et Bagizid, puis Pinfortune Mustapha ; elle voulait aussi la mort d'Ibrahim , le plus jeune des trois
princes ; mais la valideh Kiosem parvint a sauver son fils,
en persuadant a Roxane qu'il etait fou. Jusqu'a ce moment Kiosem avait souffert en silence les insultes de la
favorite ; elle lui avait laisse commettre sans opposition
19
20
LE TOUR DU MONDE.
nople. Cent bastandjis partirent aussitOt et des le lendemain ils amenerent au kislar-aga une espece de geante,
assez belle de visage et qui paraissait avoir environ vingt
ans. Elle halt Armenienne et de condition libre. On la
baigna, on la parfuma, on l'habilla somptueusement et
elle fut presentee au Grand Seigneur, qui reconnut en
I. (Page 21.) Ce bassin est un lieu cheri des femmes turques.
Le vendredi, ce dimanche musulman, elles y viennent des le matin , dans des arabas dares, lourds chariots que trainent au pas
des boeufs blancs empanaches. tales sur des lapis de Perse,
sur des coussins de pourpre et d'or, elles restent tout le jour a se
mirer dans l'eau tranquille de cet elegant bassin de marbre; fumant, buvant les cherbets (sorbets a la glace), ecoutant la musique, les chants et surtout les histoires et les commerages. C'est
ce kiosque de Flamour, cache dans un repli de la montagne, pres
du Palais blanc, que le nouveau sultan, qu'on nous representait
comme insensible a tout plaisir, allait dans les premiers mois de
son regne, se reposer d'une etiquette trop severe pour n'etre pas
affectee.
Adalbert DE BEAUMONT.
bassin des Tilleuls) (voy. la note precedente). Dessin de Karl Girardet d'aprSs M. Adalbert de Beaumont.
22
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Soliman, son frere, et envoye dans le vieux serail la valideh Tarkhan. Les pachas etaient gagns ainsi que les
chefs des janissaires ; tous les habitants de Constantinople, partisans devoues de Kiosem, etaient en quelque
sorte du complot. Mais la jeune valideh avait de nombreux adherents dans le serail; le chef des eunuques
blancs, Suleiman-Aga, les ichoglans, la plupart des
grands dignitaires qui environnaient l'empereur et la
vaillante cohorte des bastandjis, etaient prets a la defendre. Kiosem rsolut d'emmener secretement hors
du serail le jeune Soliman, de le presenter au peuple
dans la grande place de l'At-Meidan , tandis que les
janissaires le proclameraient empereur. La nuit fixee
pour l'execution de ce complot etait une des plus longues
de l'annee. Une heure apres le toucher du soleil, les
conjures se runirent dans la mosquee imperiale , et
l'aga des janissaires qui presidait cette assemblee tumnltueuse fit avertir le grand vizir. Celui-ci accourut et feignit de donner son assentiment a toutes les mesures
qu'on venait de prendre ; mais tandis que les deliberations continuaient, it sortit furtivement et courut au
serail. La porte qu'on nommait la porte de l'Oisellerie
etait reste ouverte par l'ordre de Kiosem; it la fit fermer
et doubla le nombre des gardes, ensuite it passa outre.
Tout dormait dj dans l'appartement de l'empereur, les
pages et les eunuques blancs qui le gardaient la nuit
etaient couches a l'entree de sa chambre. Le grand vizir
fit eveiller aussitOt le salista-aga (porte-glaive), ainsi
que le chef des eunuques blancs, et envoya au cheik-ulislam l'ordre de se rendre au serail ; en un moment la
chambre imperiale fut remplie de monde; tons parlaient
par signes ou a voix basse et ne faisaient pas le moindre
bruit. Un eunuque alla eveiller la valideh Tarkhan et lui
apprit ce qui se passait. Elle accourut aussitet pres de
son fils , et, le prenant dans ses bras, elle lui dit tout en
larmes : Ah ! mon enfant I nous allons mourir 1...
Comme elle etait couverte de son voile, quelques-uns
crurent qu'elle etait la sultane Kiosem et voulurent s'emparer d'elle ; mais elle decouvrit son visage avec un geste
de fiert , et, detournant la tete , elle se mit a essuyer les
yeux du petit empereur qui pleurait appuye sur son sein.
Tout etait tranquille dans le quartier des femmes ; mais
on veillait encore dans l'appartement de la vieille sultane ; contre sa coutume, elle ne s'etait pas couchee aussitet apres la cinquieme priere , et, enveloppee dans ses
fourrures de martre zibeline, elle se divertissait a ecouter la musique et les chansons de ses femmes. Elle attendait ainsi l'heure de quitter le serail avec son petit-fils
Soliman ; ("ix mille janissaires etaient echelonnes le
mousquet our l'epaule et la meche allumee le long du
ehemin qu'elle allait prendre.
Dans ce peril imminent, le grand vizir prit ses mesures
avec un sang-froid et une presence d'esprit admirable.
Un seul moyen de salut lui restait; it resolut de l'employer et demanda au sultan de faire mourir la valideh
Kiosem. Mahomet IV n'avait guere que neuf ans; pourtaut it comprit l'enormite de l'action qu'il allait faire, et
it signa en freraissant le papier qu'on lui presentait. Le
23
cheik-ul-islam legalisa aussiteff cette sentence, qui disait expressement que la sultane Kiosem serait trangke ; mais que son corps ne serait point brise a force de
coups, ni divise en plusieurs parties.
Le kislar - aga voulait charger de l'execution des
eunuques noirs ; mais les ichoglans furieux se precipiterent en avant, l'ordre du sultan a la main, et oserent
penetrer dans le quartier des femmes. Its tuerent quelques eunuques qui voulurent en defendre Ventre() et
coururent a l'appartement-de la valideh Kiosem. Toutes
les lumieres etaient eteintes et it y regnait le plus profond silence. On alluma des flambeaux, et les ichoglans
commencerent leurs recherches. En ouvrant la salle oa,
un moment auparavant, les esclaves chantaient et dansaient au son des instruments, ils aperQurent une vieille
femme qui vint droit a eux, un long pistolet a la main,
en s'ecriant : cc C'est moi qui suis la tres-illustre sultane,
agente du sublime empereur !... z Its allaient la tuer ;
mais le kislar-aga les arrta; cette pauvre femme etait
la folle de la valideh, et elle avait voulu sauver ainsi sa
maitresse. On trouva enfin Kiosem couchee au fond
d'une grande armoire, sous un monceau de schalls de
Perse. Un ichoglan la tira dehors par les pieds. Elle se
leva promptement et jeta un coup d'ceil autour d'elle..
Selon sa coutume, elle etait richement vetue et portait
ses oreilles les magnifiques pendants qu'au temps de sa
faveur lui avait donnes sultan Achmet. Jenne homme de
bonne mine, dit-elle a l'ichoglan, sois touch de pitie !...
je to promets cent bourses.... Il ne s'agit pas de to
rancon, traitresse ! a s'ecria l'ichoglan en appelant ses
compagnons. Elle tira alors de ses poches des poignes
de sequins et les jeta sur le tapis, esperant sans doute
gagner un peu de temps. En effet, quelques-uns s'arreterent pour ramasser cette belle monnaie ; mais Pichoglan qui s'tait avance le premier saisit au con la vieille
sultane et la renversa; puis it commenca a la depouiller
et les autres lui vinrent en aide. Un bastandji nomme
AE lui arracha ses pendants d'oreilles ; on lui Ota ses
bijoux, ses superbes vetements et jusqu'a ses bahouches
brodees de perles. Quand elle flit Presque nue, ces miserables la trainerent hors du quartier des femmes, et,
l'ayant conduite assez loin du eke de l'Oisellerie, ils lui
passerent enfin une corde au cou pour la faire mourir.
La valideh Kiosem, rduite a cette extremite, ne s'abandonna pas encore ; la main de l'ichoglan qui serrait la
corde, s'etant trouvee pres de sa bouche, elle lui mordit
le ponce si fortement, qu'il lacha prise. Alors i1 lui
donna, avec le pommeau de son poignard, un coup sur
le front qui lui fit perdre connaissance ; elle resta sans
souffle et sans mouvement : ils crurent tons qu'elle etait
morte. Mais, un moment apres, elle reprit ses sens, et,
relevant un pen la tete, elle jeta les yeux de tons cOtes
comme pour demander du secours. Ses bourreaux revinrent, et, cette fois, ils acheverent de lui Oter la vie.
Au jour naissant, le kislar-aga fit enlever ce corps, dont;
selon l'ordre du sultan, le sang n'avait pas coule, et 1s
le livra aux femmes et aux eunuques noirs, qui l'inhumerent dans une des tours de la mosquee d'Achmet.
a.
24
LE TOUR DU MONDE.
Kiosem termine la serie des sultanes qui ont commande souverainement dans le serail et gouverne l'empire ottoman. La valideh Tarkhan abandonna le peavoir aux grands vizirs et ne se reserva que les moyens
d'accomplir de bonnes oeuvres. Pieuse et liberale, elle
fonda des hospices, donna beaucoup aux pauvres et fit
Mtir Pelegante mosquee qu'on voit en abordant la
ville imperiale, en face de Galata.
Aucun souvenir n'est reste des favorites qui ont passe
dans le serail depuis le regne de Mahomet IV; ces
existences, obscures quoique melees a tant de grandeurs, se sont ecoulees sans laisser de traces.
Apres la destruction des janissaires, le sultan Mahmoud abandonna pour toujours le serail et alla demeurer
dans ses palais du Bosphore. Neanmoins, le siege de
l'empire reste a la Sublime Porte ; les divers ministeres y sont etablis et leurs innombrables employes
remplacent le peuple d'esclaves qui remplissait autrefois ces grandes constructions irregulieres et vivait enferme derriere ces sombres murailles.
Aujourd'hui tout est change a la tour ottomane; le
VOYAGE AU KORDOFAN,
PAR M. G. LEJEAN'.
1982. - TEXTE ET DESSINS 1NEDITS.
I
Depart de Khartoum. Silhouettes d'indigenes. Le mont du Diable. Des fonctionnaires peu populaires. Arriyee a Lobeid.
et nous Mutes heureux de trouver une hutte vide et propre pour nous abriter contre une pluie diluvienne qui
ent suffi a nous prouver que nous n'etions plus en Nubie.
Le 7 au matin, nous nous mimes en route.
Nous avions cinq chameaux pour nos hommes et nos
bagages ; nous montions en outre deux de ces admirabies petits Aries qui sont la providence du voyageur
au Soudan. Sobres, infatigables, doues de jarrets d'acier (les 'tares ont fait en un jour dix-neuf Hones), ces
braves petits trotteurs passent la ou ne peuvent vivre
le cheval ou le chameau. Quant a nos hommes, leur
physiologie serait assez longue a faire ; en voici une
esquisse a grands traits qui les presentera au lecteur.
Mohammed-Skanderani, cuisinier d'Antinori, amene
par lui de la basse Egypte, vrai fils du pave d'Alexandrie (j'oublie qu'Alexandrie n'a pas de pave), serviteur
alerte et ingenieux en voyage, mais au re,,(,s le mecreant le plus irregulier qui soft. I1 ne pent passer a
cOte d'une jolie fille a cheveux tresses et beurres sans
lui adresser la parole; it ne croit guere en Dieu, it croit
peu au Prophete, mais rien au monde ne le ferait manger d'un animal tue en dehors du rite musulman.
If a pour ennemi personnel mon drogman, Carletto,
un Toscan, chasseur d'elephants, en ce moment sans
ouvrage, et qui parle italien de facon a prouver que tous
LE TOUR DU MONDE.
les Toscans n'ont pas le parler classique du baron Ricasoli. C'est dans la compagnie intime de ces deux
originaux que j'ai appris les mots les moins parlementaires de la langue arabe, la plus riche, je crois, qu'il
y ait sous ce rapport.
Je ne dirai rien d'Abdallah, chasseur d'Antinori : c'est
un beau garcon a longues jambes, que j'ai figure l'arme
au bras dans ma vue de l'Abou-Senoun (voy, page 29);
it aura sa place dans la suite du recit. Il est Nubien
Dongolaoui, de meme que mon cuisinier Hessein (le
renard), ruse drele qui a sur les renards a quatre
pieds une superibrite speciale : it ment du matin au
soir. Tous deux ont le blason de leur race trois scarifications longitudinales sur chaque joue.
Je ne fatiguerai pas le lecteur des incidents peu varies
d'une marche dans les steppes qui bordent le fleuve
Blanc. Nous marchons au sud-sud-ouest, en nous ecar-
25
taut peu a peu du fleuve, dont les rives plates et monotones, beaucoup trop vantees par le voyageur autrichien
Russegger, n'offrent a, l'est qu'un seul accident saillant,
le Djebel-Aouli ou Djebel-Chertan (mont du Diable). La
rive ouest est bordee d'ondulations sablonnuses et ravinees qui nous fatiguerent beaucoup et nous menerent
jusqu'a Abou-Sarad , on la route quitte la vallee du Nil
pour suivre un plateau boise parcouru par les nomades.
Nous entrames dans l'oasis cultivee qui forme proprement le Kordofan, a El-Koi, que nous tronvames desert.
Un vieillard reste pres du puits du village nous apprit la
cause de cette solitude. Ii parait qu'un haut fonctionnaire
egyptien voyageait sur la memo route, a quelques heures de nous ; les villageois avaient ete avertis que des
Tures arrivaient, et ils s'l aient enfuis en masse dans les
bon. Ce petit fait en dit plus sur le gouvernement egypden de Kordofan que toutes les refiexions du monde.
Vue du Djebel-Chm tan ou mont du Diable, au Kordofan. Dessin de Karl Girardet d'apres M. G. Lejean.
II
Esquisse de Lobeid. Le defterdar. Un geographe comme
y en a peu.
Lobeid m'a paru etre une ville de vingt-trois a vingtcinq mille Ames, entierement bade en terre, depuis la
prefecture et la naosquee jusqu'aux plus pauvres habitations. Ce qui lui donne un certain chatme, c'est que
l'espace n'y ayant pas ete menage, la surface occupee par
des jardins et des terrains vagues gazonn es est au moins
quintuple de cello des rues, tours et maisons, de sorte
que la ville vue a vol d'oiseau doit ressembler a une
sorte de jardin anglais , coupe, de massifs grisatres et
traverse par un ruban de sable fin : c'est la riviere de
Lobeid, riviere temporaire que j'ai vue a. sec le matin,
gonfiee a. deux heures du soir, presque s nulle a sept.
Elle n'en a pas moins mange l'ancien bazar, dont les
LE TOUR DU MONDE.
26
III
Le Kordofan : esquisse historique. Msellem l'eunuque.
Bataille de Bara.
27
LE TOUR DU MONDE.
Kourai, Taiara, l'Abou Haraz. Un cinquieme district
fut forme de la capitale et de la banlieue. La capitale
elle-meme se forma lentement de Pagglomeration de
quelques villages originairement separes par des terres
cultivees : dans cet espace, on haat des casernes, une
prefecture, une mosquee, des habitations de fonctionnaires, toutes constructions assez faciles a reconnaitre
aujourd'hui a leur style arabe, tandis que les anciens
quartiers ne se composent que de toukouls (buttes rondes des Soudanies).
A Lobeid, du reste, bath qui veut un palais ou une
Gendarme arabe.
Trois assistants
indigenes.
Un domestique negre.
Kachef (sous-prefet arabe).
Assistant indigene.
p. 28). Dessin de Karl Girardet d'apres M. G. Lejean.
beid est-il la ville la plus malsaine du Soudan oriental et j'y gagnai ma premiere fievre.
IV
Le Khor d'Abou-Haraz. Le conseil en plein air. Les pluies :
ma maison croule sur les epaules. La beaute nubienne. Je
pars pour le Haoudon.
28
LE TOUR DU MONDE.
El ouadi gar! (Le torrent arrive!) Invasion d'un torrent dans le lit desseche d'une riviere. Dessin de Karl Girardet d'apres M. G. Lejean.
LE TOUR DU MONDE.
nous vimes trois femmes occupees a tresser des tabaka.
Pendant qu'Antinori marchandait, je remarquai une
grande et belle fille de seize ans environ, qui me sembla une jeune scour du cure. Faite comme la Venus
de Milo, avec des traits purs et reguliers, de grands
yeux pleins d'une flamme voilee , un teint d'un noir
mat, une attitude a la fois gracieuse et modeste, elle
n'avait Hen de la bouffissure du visage, du noir luisant
et de la petulance tout animate des plus jolies negresses que j'aie vues. Nigra sum, sed Formosa. Je me figure
ainsi l'ideal de la beaut africaine.
J'avais de frequents entretiens avec le kachef d'AbouHaraz, officier fort intelligent. It m'attirait surtout par
29
une memoire geographique surprenante, qui me promettait une ample rcolte de notes et des documents,
but presque unique de mon voyage. Il avait une veritable carte du Kordofan gravee dans le cerveau. Entre
autres recits, .voici ce qu'il me narra un jour et qui me
fit dresser l'oreille.
y a environ six ans, nous avons conquis sur le
Darfour le pays de Katoul et celui de Kadja, oft it y a
quatre-vingt-dix-neuf montagnes. Je fus nomme commandant de Kadja, et charge d'aller percevoir Pimp&
des Kababich qui demeurent autour de la montagne de
Haoudon, a six journees de chameau de Kadja, dans le
desert. Je fus done au Haoudon, mais les nomades
Point culminant de 1'Ahou-3enoun, frontiere du Kordofan vers le Darfour. Dessin de Karl Girardet d'aprs M..G. Lejean.
avaient pris la fuite, abandonnant leurs villages deserts. Je me mis a parcourir ces villages, tous situes
dans les replis de la montagne, et je remarquai avec
etonnement que c'etaient non des groupes de toukouls,
mais comme d'anciennes vil es oil les Kababich s'etalent loges. Les murs, a hauteur d'homme, avaient
des sculptures etranges d'hom iaes et d'animaux, comme
chevaux, girafes, antilopes et tutres. On distinguait les
hommes a leurs armes, les femmes a leurs seins nus.
Je n'ai pas vu d'ecritures. Il y avait une source dans la
montagne, alimentant les villages.
Je n'hesitai pas, et me tom p ant vers Antinori, je lui
dis simplement :
Mon cher ami, je vais au Haoudon.
30
LE TOUR DU MONDE.
31
LE TOUR DU MONDE.
tier sparant des champs de dounah, debouche une colonne d'indigenes, en tenue de guerre, sur deux de
front, chaque homme ayant un bouclier au bras gauche,
deux ou trois lances a la main droite. Du reste, pas un
cri, pas un geste provocateur, mais le calme bien autrement menacant des gens forts de leur bon droit. Au
lieu de venir a nous, ils s'etablirent a l'ombre d'un
arbre voisin et se mirent a deliberer ; une autre colonne moins forte deboucha d'un autre cote et vint se
joindre a eux. Au bout de dix minutes, deux hommes
barbe grise, suivis d'une vingtaine de jeunes gens, se
dirigerent vers nous.
Je pus a cette occasion constater sur moi-meme
quel point un danger palpable et visible laisse de libert
a l'esprit. Je n'ai pas la pretention de faire du courage
militaire ; mais dans la position facheuse ou me mettait
l'acte sauvage de l'un de ribs hommes et ou fetais bien
la merci des gens qui venaient en demander raison, je fus
presque humilie de constater que je n'eprouvais pas Pombre d'une emotion physique, de celle par exemple qu'on
eprouve en face de quelqu'un que Von aime ou que l'on
hait tres-violemment. Je sentais tout au plus une curiosite d'enfant; le &sir de voir 0 comment cela tournerait. ' Un des deux parlementaires s'accroupit au pied
de mon angareb et nous fit ce petit discours :
g Nous sommes les sujets obeissants du vice-roi ; nous
payons les impots et les requisitions de bceufs et de
chameaux, quoiqu'elles soient lourdes ; nous- obeissons
sans nous plaindre a des requisitions illegales : des fors
pourquoi tire-t-on sur nous sans motif ? Le sultan luimeme n'a pas le droit de mettre un homme a mort sans
jugement. Etes-vous plus puissants que le sultan ?
Nous fimes repondre :
Ce n'est pas nous qui avons tire sur un des vOtres.
Nous sommes des Francs, et les Francs ne tirent pas
meme sur un oiseau sans necessit. C'est un Dongolaoui, un des veitres, qui a fait feu sans noire participation : it est coupable, et nous desirons que quelques-uns
de vous nous accompagnent jusqu'au poste militaire le
plus voisin, afin qu'il soit juge selon les lois du pays.
Ces paroles conciliantes fluent bien accueillies, mais
les mots de lois du pays ne semblerent pas produire une
bonne impression. Evidemment on s'y fiait peu. 0 Quand
le coupable mourrait sous le baton, le blesse en guerirait-il plus vite ? n disaient les villageois ,; et ils insinuerent une reparation financiere. Cela nous allait assez.
Nous primes a part un vieillard a figure rusee, a barbe
blanche, qu'a son encrier pass h la ceinture nous jugeames etre le faki, le cure notaire du lieu, et nous le pritimes
de parlementer pour nous aupres de la famine. Aprs un
long palabre , celle-ci se contenta d'une indemnite de
trois talaris (quinze francs soixante-quinze centimes) , et
de quelques soins pour le blesse, qu'on nous amena sur
un brancard ombrage de feuillages. J'avais heureusement
une bonne trousse de chirurgie, present de mon excellent ami le docteur Fr... ; Antinori, qui avait fait la
-campagne de 1848 en Wilkie et se connaissait en blessures d'armes h feu, reussit h extraire fort adroitement
32
LE TOUR DU MONDE.
A Kaimar, je sortis de l'oasis du Kordofan pour entrer dans le desert. Je merendis de la a Kharthoum en
suivant une route brisee comme un N pose hurizontalement, et passant par les monts Zer'aoua, Haraza, l'oasis
d'Abou-Gonatir, le mont Lao -Lao et le bras d'Echegoub,
lateral au Nil blanc. Sur cette route, je fis quelques decouvertes : je faillis mourir, et je fus victime du ragle,
cette maladie bizarre qui n'est que trop reelle et que je
me garderai bien de souhaiter a ceux qui en contestent
l'existence.
G.
LEJEAN.
LE TOUR DU MONDE.
33
VOYAGE EN SYRIE.
MISSION DE M. RENAN EN PHENICI.E,
PAR M. E. LOCKROY.
60. TEXTE ET DESSINS INEDITS.
I
La Phenicie. La vile de Djebel. Gouvernement. Etat des antiquites. Fetes a l'occasion des fouilles. Etat du pays chretien.
34
LE TOUR DU MONDE.
La tithe n'etait point facile : cette malheureuse Pheni- s'echappa nuitamment par une porte secrete qui existe
cie a etc si bien battue, volee, depouillee par chaque encore dans la muraille nord de Djebel, celle-ci n'avait
passant (Alexandre est du nombre) qu'il ne lui est que pas vu de soldats franQais. Us venaient clairons en
bien peu reste de ce qu'elle possedait, et encore ce peu- tete, et le musulman Mustapha Gannoum , l'un des
la parait-il ne lui avoir jamais legitimement appartenu,
quatre gouverneurs, seul debris du vieux parti de Sataut elle a fait d'emprunts a l'Assyrie, a l'Egypte et a
ladin, s'inclinait en les voyant passer.
la Grece.
Byblos, qui, autrefois, occupait une petite hauteur au
Les fouilles qui, plus tard et grace au genereux con- bord de la mer, a aujourd'hui degringole dans une de
cours de l'armee, devaient s'executer sur quatre points a
ces ravines peu profondes appelees en Normandie avalla fois, a Saida (Sidon), Sour (Tyr), Amrit (Marathus), leux : une tour, une forteresse plutet, et l'une des plus
et Djebel, commencerent dans cette derniere ville.
belles que possede la Syrie, elevee sur l'emplacement
Djebel, dont le nom phenicien est Gebal et le nom de la cite antique, dominant la ville des croisades, a lagrec Byblos, moins heureuse que Sidon, laquelle a touquelle la Djebel moderne a succede. Djebel est presque
jours conserve une certaine importance, est tombee dans
entierement en ruine : chaque hiver abat quelques-unes
un etat d'abaissement difficile a comprendre. Les Gide ses maisons; l'ouragan joue avec elles comme un enblites , celebres par leur science architecturale , ont fant avec des capucins de cartes ; les plafonds s'effronoublie a ce point de travailler la pierre qu'aujourd'hui
drent, les murailles se disjoignent, mais par un bonheur
ils essayent sans cesse, et avec plus de constance que
particulier au pays, ne s'ecroulent jamais sur la tete de
de bonheur, de faire fonpersonne. Il me souvient
dre les vieilles colonnes
qu'etant un jour dans un
de granit dont leur ville
village du Liban, j'entenest remplie et qu'ils suppodis tout a coup un fracas
sent etre du metal. Quatre
epouvantable : mon like,
mudzellins ont remplace
ayant mis la tete a la fedans l'exercice du pouvoir
netre : Ne vous derangez
les anciens et les prepas, me dit-il, ce n'est
Hen; c'est l'eglise qui
tres 1 qui commandaient
vient de tomber.
a Gebal. Je ne sais ce que
Le bazar de Dje b el est sipouvait etre le gouverne tue en dehors de sa vieille
ment de ceux-ci, ni s'il
enceinte : c'est une rue
fonctionnait avec dignite :
bordee des deux cotes de
leurs successeurs, qui ont
du ranger la savate au
petites boutiques, ayant
l'air de bones, couvertes
nombre de leurs etudes
par places de nattes epaispolitiques, n'administrent
ses pour interdire au soleil
qu'a coups de poings et rende penetrer, et a l'entree
trent souvent chez eux avec
de laquelle, sur la droite,
quelques dents de moins
Tombeaux anciens pres de Djebel (fouilles de Djebel). Dessin
s'etend le cimetiere. Le
et un nil poche. Gest seude A. de Bar d'apres une photographic de M. Lockroy.
port a a peine assez d'eau
lement de cette maniere
qu'en Sync les grandeurs changent les hommes; ils
pour les Sept ou huit barques de peche que possede la
restent, au moral, aussi nuls que leurs administres.
ville : it est litteralement pave de filth de colonnes en
granit, debris des temples antiques. Deux tours, conDepuis le temps des Antonins, on elle retrouva son
ancienne splendeur, Djebel a eprouve bien des mesastruite s au moyen age, dont les murailles laissent voir ca
ventures : la guerre et la maconnerie, deux fleaux pour
et la des fragments de sarcophages romains, en gardent
l'architecture ancienne, ont tour a tour detruit ses mo- l'entree. De l'endroit on elles sent baties, Djebel prenuments. Elle fut prise par Zimisces, par les Arabes,
sente, selon moi, un aspect charmant : ses maisons
par les croises ; les Genois s'y etablirent. Reprise par demi ruinees ou qui semblent l'etre, descendent des
Saladin, elle passa ensuite sous le long des Turcs, et deux cotes de la ravine au milieu des jardins, melees
c'est la, certes, pour une ville, comme pour une na- aux arbres ou cachees derriere les haies de plantes grasses. A gauche, on voit le haut de l'eglise Saint-Jean,
tion, le plus humiliant des malheurs.
Vers le milieu de novembre 1860, la compagnie du contemporaine du chateau ; devant soi la ville en amphitheatre, le petit port on sont ancrees les felouques ;
16e bataillon de chasseurs a pied, accordee a la mission
par M. le general commandant en chef l'expedition, faiau loin, les sommets coniques du Liban, et, dominantle
sait son entree triomphale dans la vine sacree d'Adonis.
paysage et la ville, une tour enorme, non pas noircie et
Depuis le jour on, en 1266, la garnison chretienne triste comme les ruiner de notre pays, mais eclatante et
fraiche de couleur, se decoupant le matin vigoureusement sur le ciel, doree le soir par le soleil couchant.
1. Voy. le rapport de M. Renan, fevrier 1861.
35
LE TOUR DU MONDE.
Le pays chretien dans lequel Djebel est bAtie fut, en tant de longues lances, entraient a toute bride dans la
1855, bouleverse par une revolution qui chassa les foule ; les sabres voltigeaient, en ayant l'air de chercher
cheiks, ses anciens maitres. Depuis ce temps, it jouit des totes a cueillir ; les fusils (fabrique de Liege) achetes
d'une absence totale d'autorites, et les divers pouvoirs sept, dix ou douze francs a Beyrouth, etaient charges
qui se disputent la Syrie, le pacha turc, le caimacan, jusqu'a la gueule, et comme s'ils eussent aussi voulu
les beys de la montagne , etc., etc., envoient dans temoigner leur joie, les ressorts se brisaient, les canons
les villes un delegue qui les represente ; c'est ainsi que
crevaient, les crosses se fendaient avec un entrain qu'on
Djebel en avait quatre, c'est-a-dire au moins trois de out vainement demande a des armes de prix. J'ai vu un
trop.
homme tirer toute la journee avec un fusil qui, chaque
Nulle part peut-etre Part antique n'a ete moins res- fois partait, faisait sauter sa batterie a terre : le
pecte qu'a. Byblos. Ses edifices ont servi a faire des mai- tireur l'allait tranquillement chercher, la rajustait et
sons ; ses necropoles ont ete violees a toutes les epoques. continuait le feu. Ces demonstrations, pour etre tresDepuis des siecles, it y a en Syrie des hommes qui font vives, n'en etaient pas plus sinceres, et cet enthousiasme,
la chasse aux morts : le mort est un gibier craintif, sur- bien qu'il prIt la forme d'une alienation mentale, et peuttout quand it appartient a Pespece phenicienne, et les etre a cause de cela, n'etait pas tres-reel. Aucun sentiGiblites ont, pour le trouver, une merveilleuse adresse. ment, si ce n'est le sentiment personnel, n'est bien profond en Orient. L'Orient ne s'attache qu'a la forme :
Au reste, it faut convenir que les generations eteintes
est le pays de Brid'oison. Hommes et choses y ont
ne se sont pas elles-memes traitees avec beaucoup de
deux faces ; l'une,
respects. Quand les morts
nee a etre vue, l'autre
pheniciens se furent endormis pour toujours dans
rester cachee. Le moindre
gardeur de bestiaux y a
les grottes sepulcrales
qu'ils s'etaient creusees,
une allure biblique : de
les morts grecs, cherchant
loin, on croit voir Abraham; de pros, c'est un
a se caser, ne trouverent
gueux vetu de loques,
rien de mieux que de metest patriarche a vingt pas,
tre a la porte des necrogoujat a deux. Venus et
poles leurs proprietaires
sentiments y sont comme
legitimes, et, apres avoir
les habits. J'ai souvent eu
fait au logis quelques rel'occasion d'examiner le
parations de bon goat, de
vetement des princes du
prendre ]eurs places et de
pays ; Pexterieur un drap
se coucher dans leurs lits.
fin, lustre, etincelant d'or ;
Les morts romains a leur
pour le doubler, une etoffe
tour, qui ne voulaient pas
commune, sale, en lamrester a l'air, traiterent
beaux. On a dit de la Rusles Grecs comme ceux-ci
sia que c'etait une facade ;
avaient traite les PheniPierres anciennes, A Djehcl. Dessin de A. de!Bar d'apres
l'Orient, c'est la veste d'un
ciens, avec un sang-gene
une photographieldeaM. Lockroy.
emir ; gare la doublure
inconvenant de la part de
trepasses. Les morts chretiens firent memo chose aux Tout n'y est qu'apparence, et le soleil lui-meme y
Romains idolatres, et les sepultures devinrent des au- doit avoir un envers.
berges. Seuls, les morts musulmans n'oserent entrer
L'arnvee de Parmee francaise avait mis fin aux masdans ces souterrains, de peur de ne plus pouvoir en sacres qui, pendant Pete de 1860, ensanglanterent la
sortir au jour du jugement.
Syrie.
Les malheureux chretiens etaient encore , au moL'arrivee de la compagnie et le commencement des
fouilles furent le pretexte de fetes et de fantasias. Les ment oil commencerent les travaux de la mission, enGiblites se couvrirent d'armes de toutes sortes, brillerent tasses dans les villes de la ate, oft la guerre les avait
de la poudre, firent des evolutions militaires : nous etions forces de chercher un refuge. Deja, depuis longtemps,
en pleine paix, et c'est ordinairement ces moments-la en Syrie, j'avais vu leurs rnaisons en ruine et les cadaque les chretiens dtaiban choisissent pour se montrer vres d'un grand nombre d'entre eux encombrant leurs
guerriers. Le courage est a l'ordre du jour : on massacre villages detruits.
des Druses imaginaires et l'on poursuit des musulmans
La Porte, malgre une severite apparente, s'efforcait
de sauver les Druses. Sa connivence etait palpable : elle
ab straits. C'etaitun tapage effroyable, une ivres se inoule
on se serait cru au milieu du bouquet d'un feu d'artifice ;
ne leur reclarnait que mollement Pindemnite due aux
les pistolets partaient tout souls ; les tromblons se de- chretiens, et elle continuait a accabler ceux-ci d'impOts :
chargeaient d'eux-memes dans vos jambes ; des chevaux elle faisait partir des convois de massacreurs pour Stamfantastiques vous foulaient aux pieds. Les cavaliers, agi- boul; mais, au lieu de les envoyer au bagne, comme cela
86
LE TOUR DU MONDE.
II
Populations de la Syrie. Fouilles executees a Byblos. Resultats.
Vie de la compagnie des chasseurs a lljebel.
Grotte spulcrale de la n6cropole de Djebel, Dessin de A. de Bar d'aprs une photographie de M. Lockroy.
lit i
II I! ,11141,1111.1.,
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11111111,,p,o,.,,,,
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L1031,114 11.
38
LE TOUR DU MONDE.
a Marseille des toilettes de Mme ***, qui habite Alexan- quefois la forme d'un prisme triangulaire, mais touj ours
drie : on sait parfaitement sur tout le littoral quelle brutes, sans inscriptions et sans ornements. Je ne
est la conduite de Mlle X.... ou de Mlle Z.... a Alexan- connais Tien de plus frappant que ces grottes desolees,
drette ou a Trieste, et les navires qui passent se racon- oa neuvre lente des stalactites a reconvert les devastatent de petits scandales entre deux vagues.
tions des siecles. Quelques caveanx offrent une parIl est temps de revenir h la mission scientifique de ticularite etrange : de nombreux soupiraux cylindriques
Phnicie. Voici, dans son rapport a l'Empereur, com- creases dans le roc avec un soin extreme, souvent sur de
ment s'exprimait M. E. Renan, au sujet de Byblos :
grandes epaisseurs, aboutissent a la vofite, et portent a
Peu de points exercent, au premier coup d'aeil, sur l'interieur l'air et la lumiere. , Les necropoles ne ful'investigateur un attrait aussi fort que Djebel. Les in- rent pas seules fouillees : les efforts des travailleurs se
nombrables fats de colonnes de marbre et de granit, qui porterent aussi aux environs de la tour qui domino la
sont epars ch et la, un sol tourmente, dont chaque coupe ville : Une construction phenicienne, d'un haut interet,
laisse voir des debris superposes de tons les ages, les a &Le le fruit des fouilles que nous avons fait executer
legendes qui nous montrent Byblos comme la vile la sur la colline ou est sane le chateau; elle se compose
plus ancienne du monde, les souvenirs mythiques de d'une base carree, massive, en pierres colossales.... Une
serie de details, maintenant hors de place, permettent
Cyniras, d'Adonis, d'Osiris; les souvenirs plus historiques de la part que prirent les Giblites a la construction de recomposer en partie l'edifice primitif.
du temple de Salomon, l'importance de Byblos dans la
Une foule de debris cependant , que la destruction
renaissance phenicienne du temps des Antonins, le role memo avait conserves, se retrouvaient a droite et a gaureligieux de premier ordre qu'elle joua a cette poque, che dans les murailles des maisons, sur les routes, aul'ouvrage inappreciable de Philon de Byblos (Sancho- dessus de la porte des eglises.
niathon), dont cette ville fut le berceau et est encore le
Autrefois , centre du culte d'Adonis, Byblos voyait
commentaire, tout se reunit pour exciter la curiosite et
autour d'elle, sur chacun des mamelons qui descendent
donner l'envie de remuer des decombres qui doivent tumultueusement du Liban jusqu'a la Mediterranee,
couvrir taut de secrets. 0
des sanctuaires ombrages de caroubiers et de cactus;
Il suffit, en effet, de parcourir un pen la campagne c'etaient des temples de toutes formes, de toutes granqui avoisine Djebel pour decouvrir a chaque pas la trace deurs , quelquefois de simples autels. Couronnant et,
des anciens ages. Des debris a flour de sol gisent epars pour ainsi dire, completant ces cones de verdure, ils
. dans les champs. Au sud de la ville s'tend une vaste s'etageaient dans la montagne entre les neiges des
necropole. A l'est, les dernieres ondulations de la mon- hauts sommets et le bleu profond de la mer. Des chatagne, les ravines etroites et profondes, par oit les tor- pelles chrtiennes les ont aujourd'hui remplaces. Faites
rents descendent au printemps, sont semees de grottes de mines, elles se cachent encore a l'ombre d'un arbre
sepulcrales, d'auges taillees dans le granit. Des signes dont les anctres ont abrit les dieux des anciens. Soumysterieux sent graves sur les rockers; une colline sur- vent les memes ceremonies qui honoraient les divinites
tout, nomme l'Assoubah, est, depuis sa base jusqu'a son paiennes se renouvellent pour les saints et les prophetes. Aux portes de ces chapelles, enclavees dans les ausommet, couverte de monuments de toutes sortes (stalles,
auges, cliambres, tombeaux, etc., etc.) : pres de la s'ouvre tels places sous lour protection, on retrouve encore
une caverne immense, architecturee, qui, ainsi que l'a quelques pierres portant des incriptions en l'honneur
dit M. Henan , pourrait fournir un excellent mo- de Jupiter, de Venus ou d'Astarte L'un des cotes
&le au peintre qui voudrait representer la Mahphelah de l'elegant baptistere de Djebel est forme par une
d'Abraham. n Au nord, enfin, et sur le bord de la mer, pierre enorme qui a servi de fronton monolithe a un
on trouve encore quelques tombeaux, dont l'interieur temple dans le style egypto-phenicien. On y retrouve
parait avoir 6-0 peint a l'epoque grecque 2. - C Les se- tons les emblemes communs a l'Egypte eta la Phepultures ont naturellement attire en premiere ligne mon nicie , dont parle Philon de Byblos ( globe ail enviattention. Aucun peuple n'y porta plus de grandeur et ronne de serpents, etc., etc.). x
Des monuments lourds et gauchos, des blocs de grad'originalite que les Pheniciens. Les fortes images que
les pates hebreux tirent du Scheol; les belles fictions nit peniblement superposes, les symboles souvent ind'Ezechiel, pour representer la descente aux enfers des comprehensibles qu'on retrouve sur des pierres frustes,
morts illustres, trouvent ici, comme dans toutes les se- les caveaux profonds aujourd'hui muffles, les auges sepultures pheniciennes, carthaginoises et juives, leur juste mees au hasard dans les sites les plus inaccessibles de
application. Les sepultures de Byblos affectent les la montagne, sont a pen pres les seules traces que les
Pheniciens aient laissees d'eux-memes.
formes les plus varies ; celles que je considere comme
Leurs edifices, comme leurs tombeaux, sont muets 2.
les plus anciennes se composent d'auges enorrnes, fermees par une dalle epaisse, gigantesque, affectant quel- a Les anciens Giblites, on n'en pent douter, ecrivaient
tres-peu sur la pierre; les tombeaux de Djebel, qui re1. Pour tout ce qui concerne les travaux de la mission de Phamontent le plus certainement a l'poque chananeenne,
nicie, j'ai cite, autant que possible, les rapports de M. Renan a
l'Empereur, et je pense que les lecteurs m'en sauront gre.
2. Voy. le rapport de M. Renan a l'Empereur.
39
LE TOUR DU MONDE.
ne portent aucune inscription ; je ne me dissimule pas
qu'il en doit etre ainsi de tons les peuples phniciens.
L'habitude de mettra des inscriptions sur les monuments, les tombeaux, les monnaies, ne fut pent-etre
pas chez ces peuples antdrieure a l'epoque of ils commencerent a imiter les Grecs. u a Comme les Hebreux, qui n'ont aucune epigraphie, les Phniciens, preferent l'ecriture sur les pierres prcieuses a l'ecriture
monumentale. En somme , les inventeurs de l'ecriture
paraissent n'avoir pas beaucoup crit. On peut affirmer, du moires, que les monuments publics, chez les
Plidniciens , resterent anpigraphes jusqu'h l'epoque
grecque.
Les travaux, grace au zele de la compagnie, avancerent rapidement et bientOt les fouilles purent etre entreprises sur deux autres points, a Tyr et a Sidon.
Aucune difficulte ne rebutait les travailleurs, ni la chaleur brOlante du soleil, ni les pluies torrentielles de
l'hiver. La curiositd scientifique est contdgieuse ; elle
gagna les chasseurs et se traduisit chez eux par-des coups
de pioche formidables. Its partaient le matin pour les
diffdrents chantiers et ne revenaient qu'a la nuit, ravis
si une inscription, pour eux indechiffrable, tait venue
recompenser leurs efforts.
Les Arabes, fortement emus par les fouilles, et ne
pouvant croire que nous eussions un autre but que celui
de chercher des tresors, assistaient religieusement aux
travaux.
Lorsqu'ils virent qu'on mettait de cote plus de
vieilles pierres que de pieces d'or, ils commencerent a
se moquer, puis tOmoignerent enfin ouvertement leur
peu d'estime pour l'intelligence des travailleurs. Un
jour, cependant, qu'il fallait enlever un lourd couvercle
de sarcophage , ceux-ci apportrent un cric. A sa vue,
l'assistance ne put retenir l'expression de son mepris;
ce furent des railleries ameres, des rires inextinguibles.
Les maronites avaient pris ce cric pour une pompe
incendie, et vouloir remuer une pierre avec une pompe
leur paraissait le comble du ridicule. Leur stupefaction
devint indescriptible, quand ils virent l'instrument en
question, mani par un seul homme, renverser le lourd
bloc de granit. Les soldats, a leur tour, entendant les
Arabes parler sans cesse de trdsors caches, de richesses
enfouies sous terre, se mirent a chercher avec un zele
sans egal. J'avais avec moi un ancien sergent, nomnad
Robillard, et, comme apres trois mois de fouilles on
n'avait encore trouv aucun Phenicien nanti de pieces
de vingt francs : Ne me parlez pas des cimetires
de votre Byblos, disait Robillard ; on n'y enterrait que
des va-nu-pieds.
III
Influence des consuls en Orient. L'esclavage. Gouvernement
de Djelael. Les mdecins. Le clerg.
40
LE TOUR DU MONDE.
que l'Amerique. La domestitite confond avec la famine, La famille avec la domesticite ; l'esclave mange a
la table du maitre, s'assied a cote de lui sur les divans,
fume sa pipe et pause ses chevaux. Sa position est intermediaire entre celle d'un fils et celle d'un palefrenier.
Eleves dans la meme ignorance, celui qui doit commander, celui qui doit servir se ressemblent; le travail
ne met guere de difference entre eux, et Peducation
n'en met pas du tout. La noblesse d'Orient etonnerait
Figaro : tons les maitres sont dignes d'tre valets.
Ces digressions m'ont entrains bien loin de Djebel,
dont je ne veux point reparler avant d'avoir exprime
MM. de Lubriat, Sacreste, de Groulard, officiers de
pour le faire tomber et prendre sa place, aux manoeuvres les plus basses, aux mensonges les plus indignes,
aux trahisons les plus noires, comme s'il se flit agi
d'un trCne et d'un budget.
C'est dans le bazar que se traitent les affaires impor-.
tantes ; c'est la que les revolutions se preparent, que se
forment les factions. Aucune vine n'est plus avide de
nouvelles, plus curieuse , plus credule que Byblos :
l'horizon y est plein de batons flottants. Le jour on se
presse autour des boutiques, on discute sur des evenements imaginaires, on complote, on conspire. Le soir,
la solitude se fait ; les chacals et les hyenes viennent
en hurlant remplacer:les maronites.
J',
42
LE TOUR DU MONDE.
ecole de medecine , oh l'on enseigne la chirurgie, l'anatomie , la botanique et la chimie. Comme je m'etonDais apres cela, devant un medecin de l'armee ottomane , de l'ignorance de ses confreres : a C'est Bien
naturel, me dit-il, les eleves n'entendent que le turc,
et Sa Hautesse , afin de forcer ses sujets a l'etude des
dialectes occidentaux, a ordonne que les tours se feraient seulement en francais. Quand on a etudie pendant deux ans une science dont on n'a pas la moindre
notion, dans une langue dont on ne sait pas le premier mot, on est recu docteur. n Ce qu'il y a d'etrange,
c'est le peu de confiance qu'ont les Arabes dans le savoir des Europeens. Les amis d'un pretre, a qui, pour
une indisposition, un medecin francais avait ordonn un
cataplasme et une infusion de chiendent, voyant d'un
cote une eau fade et jaunatre, de l'autre une pate epaisse
et appetissante, deciderent a l'unanimite que, si les remedes etaient convenables, le docteur s'abusait trangement stir l'application qu'on en devait faire : en consequence ils verserent le litre de chiendent sur l'estomac
du malade et lui firent manger son cataplasme : le
malheureux mourut, etouff par la graine de lin.
L'Eglise maronite , bien que soumise au pape, reconnait pour chef supreme un patriarche, qui porte le titre
de patriarche d'Antioche : c'est aujourd'hui la plus
grande autorite du pays chretien. Le clerge, clerge influent s'il en fut jamais, se divise en deux classes bien
distinctes. Le haut clerge, eleve dans les ecoles de la
propagande, a Rome, instruit, distingue, peu nombreux;
le bas clerge, choisi parmi les fellahs et reste lui-meme
fellah. Le premier, elegant, a demi italien , compose
de clibataires; le second, pauvre, s'enivrant de mastic
et usant largement du droit qu'ont les pretres maronites
de se marier. Toutefois la naivet de ses mceurs,
la simplicite de sa vie, les vertus veritablement chretiennes qu'il pratique, la candour avec laquelle it lit les
Peres de l'Eglise, sans y trouver, je ne dirai pas un
sujet de doute, mais de reflexion, les secours qu'il prodigue aux malheureux, l'hospitalite qu'il ne refuse jamais aux voyageurs, le rendent souvent vener,..ble et
digne de la mission qui a ete confiee sur la terre aux
hommes de Dieu. Je me souviendrai toujours d'un vieux
kouri 1 qui, tout occupe a recoller sa cigarette avec une
hostie, me disait en m'offrant pour souper des poissons
secs et un pain arabe : Je to recois comme to recevrait
saint Pierre. Les temps ne sont pas changes : c'est toujours Judas qui a la bourse..
Les pretres du Liban sont faits pour leurs ouailles :
un pareil troupeau no pourrait avoir d'autres pasteurs.
Quant aux paysans, le rudiment de religion qui les
eclaire ne leur a appris a connaitre que Dieu le Pere,
saint Georges et le patriarche, bien qu'ils ne sachent
pas au juste lequel des trois commando aux autres.
est vrai qu'h voir la facon dont marchent les affaires
du pays, on serait souvent tente de croire que c'est
le patriarche.
1. Cull).
LE TOUR DU MONDE.
Iv
fouilles de Sour et de Saida. Les chercheurs d'or. Les Wugies italiens. Condition des femmes. Ceremonies publiques.
Les maronites.
44
LE TOUR DU MONDE.
le choreveque Georges et le diacre Cyrus, au nom des rait avoir une idee de sa maigreur qu'en tachant de se
fermiers, des laboureurs et des fruitiers de l'endroit. figurer ce que pourrait etre un squelette a jeun. Sa fille,
Oum-el-Awamid , situe a trois ou quatre heures une sorte de petite goule dont les yeux faisaient l'effet
au sud de Sour, est peut -etre l'endroit de la Syrie de deux pains a catheter noirs sur du parchemin, grattait avec lui la poussiere humaine au fond des tombes.
ou Pantiquite phenicienne est le mieux conservee.
Trois points, dit M. Renan, y attirent d'abord l'at- Jamais croque-mort et c'est le mot ne s'etait
tention : 1 une acropole dominant la plaine et oil se adjoint un plus lugubre acolyte. Iacoub ne sortait pas
detachent des colonnes d'ordre ionique ; 2 une construc- des ncropoles : quelquefois cependant on le voyait,
tion egyptienne situee a quelques minutes de la,; 3 un une pioche sur le dos, dans la campagne, en quete
grand nombre de maisons dont le mode de construction d'un cadavre comme le parasite d'un repas. Tout d'un
parut. a M. de Vogue rappeler celui des monuments coup it s'arretait, humait l'air et se mettait a creuser
cyclopeens. Toutes les constructions de l'acropole pendant une heure ou deux : le cadavre etait la. Une
portaient les traces des plus grands desordres : aucune
seule chose echappait a Iacoub, chose essentielle pour
colonne n'etait en place. La construction egyptienne fut un antiquaire : la date de l'enterrement de sa victime.
ensuite consciencieusement etudiee : sur les debris qui
II croyait tomber sur un patriarche , et n'exhumait
l'entouraient se voyaient tous les emblemes empruntes qu'un contemporain. Je l'ai vu ainsi, apres le travail
a l'Egypte : globe aile entoure de serpents, etc., etc.
le plus opiniatre, retrouver quelques anciennes conAu milieu des soi-disant monuments cyclopeens, on fit naissances a lui, ou de vieux amis qu'il avait oublies.
L'Italie, apres chacune
une des decouvertes les
de ses tourmentes politiplus importantes de la
ques, jette ses proscrits
mission : celle de trois
inscriptions pheniciennes.
sur les cotes de la Mediterranee, comme celle-ci
Une de ces inscriptions,
dit encore M. Renan, est
des epaves a la suite
d'une tempete. Plusieurs
parfaitement conservee :
c'est un vceu d'un certain
sont venus s'echouer en
Abd'-Elim, fils de MaSyrie. L'un, jete a Elthan, fils d'Abd'-Slim, fils
Batroun, y a appris aux
de Baalschamor, au dieu
petits enfants sa langue
Baal-Schemesch (Baal-Somaternelle, qu'il parlait
leil). Une autre est un
bien, et le francais , qu'il
vceu d'un certain Abdeschignorait totalement. Deux
moun a Astarte. La troiautres sont arrives a Tij esieme se lit sur le bord
b e I . Le premier, marin a
d'un objet elliptique, evade
l'occasion, cavalier quand
et divise dans lapartie conit le faut, docteur au becave par des rayons parsoin , habite le pays detant d'un simple foyer.
puis vingt-deux ans. C'est
Le nom antique d'Oumun vieillard a moustaBar d'aprs un dessin de M. Lockroy.
el-Awamid est reste un
ches blanches, important
mystere ; tout ce qu'on peut supposer de Phistoire de gouailleur, pauvre comme Job, fier comme Pyrgopolicette ville, c'est qu'elle dut renouveler les monuments
nices, Italien jusqu'au bout des ongles, bonhomme au
de son acropole a l'epoque d'Alexandre, alors que le
fond. Je le vis pour la premiere fuis au bond du Narhgait grec commenca de prevaloir en Syrie, et qu'elle
Ibrahim (fleuve d'Adonis). On venait d etaler devant
fut detruite au temps des Sleucides.
nous, sur l'herbe, le dejeuner : trois olives, une galette,
Sour n'est plus qu'une petite ville habitee par des deux oranges. Nous etions six, et j'avais une faim a manpecheurs. Saida a conserve plus d'importance. ses habi- ger tout ce qui restait de la Phenicie. Francesco, cet
tants, fanatiques et a demi fous, forment une des popu- Italien, parut sur le haut d'un pont arabe, vetu d'une
lations les plus desagreables de la Syrie. Parmi eux redingote bleue, d'un pantalon jaunatre dont les extrese trouve une espece de savants qu'on ne doit plus ren- mites se perdaient dans une paire de bottes rouges, la
contrer aujourd'hui qu'a Sidon : les alchimistes.
tete couverte d'un couffi aux mille couleurs, et fort gene
Les chercheurs d'or, en effet, y sont nombreux : les dans ses mouvements par trois paires de pistolets, un
uns, poursuivis par le vieux rove qui tourmenta le long sabre, une carabine, deux tromblons et quelques
moyen age comme un cauchemar, cherchent la pierre poignards. Il venait nous complimenter sur notre arriphilosophale; les autres, moans savants, mais plus po- vee. Apres avoir servi l'Egypte, la Turquie, la Grece,
sitifs, violent les tombes et devalisent les trepasses.
le caimacan, le pacha, Mustapha Gannoum, Jousset
A Djebel, un Arabe nomme Iacoub-al-Kouri pou- Karam, Francesco fut adopte par la compagnie. Auj ourvait passer pour le type du chercheur d'or. On ne sau- d'hui que le voila orphelin, sa situation doit etre bien
LE TOUR DU MONDE.
precaire. Malgre son sabre, ses poignards, ses fanfaronnades et sa faconde italienne, it merite l'estime et
Pinteret de ceux qui l'ont connu. L'autre Italien donnait des lecons au fils d'un marchand du bazar, qui le
logeait et le nourrissait. a Ne faites pas attention a ce
bonhomme, disait-il de son patron, c'est un rustre.
Le patron s'inclinait en signe d'assentiment.
On dit malheureux le sort des musulmans. C'est
un paradoxe devenu pour nous verite en vieillissant. Si l'Orient etait devore d'une activite pareille
la mitre, s'il avait notre besoin de mouvement, une
existence calme , solitaire , toujours enfermes entre
quatre murailles blanches, serait en effet la pire des
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ger. Du fond des harems, les femmes gouvernent la Turquie et l'Orient. Leur role est celui du montreur de
marionnettes : invisibles pour le public, elles font danser devant lui des pantins. Ce sont elles qui inspirent
la haine de !'Europe, qui poussent aux massacres. Sans
elles, l'Orient n'aurait jamais ete fanatique.
Les ceremonies publiques ont, chez les chretiens, un
caractere particulier. Joie que l'on doit montrer aux
mariages, douleur que l'on tmoigne aux enterrements,
tout est convenu d'avance et regle comme la mise en
scene d'un drame. J'ai dit que l'Orient etait le pays des
formules : it y a des phrases toutes faites pour parler
sa future, comme pour regretter son pore; on les recite
46
LE TOUR DU MONDE.
Les enterrements sont aussi l'occasion de demonstrations bruyantes. On se reunit autour du cadavre, on se
roule dessus, on se jette avec lui dans la fosse, par convenance ; on s'y bat comme Laerte et Hamlet, par
respect humain. Un grand cheik metuali , des environs
de Nazareth, venait de mourir. Bien qu'il out ete exeere de son vivant, tous les villages du pays assisterent
par deputations a ses funerailles. Le cheik resta trois
jours expos, et chaque fois que, do loin, les gens de
sa maison voyaient venir une nouvelle troupe , ils saisissaient le cadavre et allaient avec lui a la rencontre
des arrivants. Ceux-ci entamaient alors une serie de reproches :
Pourquoi avez-vous laisse partir notre pere ? Rendez-le-nous , c'etait notre pore
Les autres repondaient :
a II a voulu partir, nous avons cede a sa volonte, etc.
On se querellait quelque temps sur ce ton ; puis une
lutte s'engageait, les uns tirant le cadavre par les pieds,
les autres par la tete , en criant tous :
C'etait notre pore.... nous le voulons !
Dans ces occasions solennelles, le daunt n'est plus
qu'une chose qui Berta faire des politesses. Enfin on
rentrait au village , bras dessus , bras dessous , toujours
avec le cheik. Cette scene se renouvelait au moins dix
fois par jour.
Je me souviens d'un enterrement que je vis chez les
chretiens a Djebel. Le mort, un homme d'une cMquantaine d'annees environ, revetu de ses plus beaux
habits, avait autour de lui , rangees en cercle, les
femmes de la famille occupees a le pleurer. Toute la
vine defila dans la chambre et vint assister a cette douleur bruyante, comme on assiste chez nous au spectacle :
c'tait en effet une comedie, mais une comedie mal jouee
et de mauvais goat, un assaut de plaintes, de cris, de
contorsions. La pauvre veuve faisait des efforts inouis
pour se tirer des yeux un pleur qui s'obstinait a n'en
pas sortir. Elle remplaca les larmes absentes par des
fleurs de rhetorique.
a 0 mon Arne, pourquoi nous as-tu quittes? Que t'avions-nous fait, ingrat ? Pourquoi n'as-tu pas voulu me
laisser partir a to place ?
Malheureusement pour elle, l'attention de l'assemblee se portait tout entiere sur sa fille, dont la voix etait
plus forte. Les gens riches , qui n'ont pas toujours des
larmes a leur service, payent des femmes pour en avoir.
Celles-ci gemissent pour la famille, a tant par heure.
De toutes les populations de l'Orient, la population
chretienne est certainement celle qui a le plus d'avenir
Elle est au dernier point civilisable, elle aime l'Europe,
elle appelle le progres de tons ses vceux. Une qualit
essentielle lui manque : cost le sens commun. La
raison est totalement absente de l'Orient. Guides par
leur imagination seule , imagination enfantine , qu'aucune education n'est venue regler,, les chretiens n'ont
ni volont, ni convictions, ni energie. Un jour ils adoptent lin plan de conduite, le lendemain ils l'abandonnent ni-rises entro eux sur des questions pueriles, ils
LE TOUR DU MONDE.
chambre a toucher, le troisieme de cuisine pendant la
semaine et d'eglise le dimanche. Il y dit regulierement
une messe, a laquelle assistent toujours les deux femmes.
Ce n'est point le desir de convertir les Metualis, auxquels it ne park jamais ; ce n'est pas pour accomplir
un c'est encore moins pour se retirer du monde
qu'il est venu. la. C'est simplement pour boire de l'eau
fraiche en ate. Ses voisins, les Metualis, attendent une
occasion favorable pour lui couper le con.
Dans Pantiquite, deux edifices se dressaient en face de
l'endroit ou le kouri maronite a etabli sa demeure :
reste de l'un quatre murailles, de l'autre une base carree. Sur la gauche, on trouve quelques tombeaux, dont
les couvercles massifs, grossierement taills en dos
d'Ane, ont ate renverses sur le sol, et pres d'eux trois
rochers enormes , ou, malgre les mutilations qu'ils ont
subies, on distingue encore des bas-reliefs encadres de
pilastres a chapiteaux bizarres. Plus loin enfin gisait
un autel, portant sur l'une de ses faces une tete assez
grossierement travaillee. Qu'etait autrefois Maschnaka?
Ces debris attestent son existence passee, sans dire son
nom, sans rien reveler de son histoire.
A. Samar-Geball, situee a quelques heures au nord de
Byblos, existe une vieille forteresse, qui renferme des
restes de tous les Ages : fosses gigantesques &ides dans
le granit , escaliers de pierre , citernes, tombeaux, inscriptions, bas-reliefs frustes reprsentant, selon que le
soleil se love ou que le jour finit, un lion ou un homme
a genoux ; murailles enormes, creneaux , meurtrieres
sont entasses la, pale-mole, et rappellent h la fois les
croisades, la domination arabe, l'epoque grecque et rantiquite phenicienne.
Le sentier qui mane, en suivant la plage, de Djebel a
Beyrouth est seme de ruines. Outre les restes partout
visibles d'une vole romaine, les nombreux travaux dans
le roc, qu'on volt au petit port d'El-Bowar, les homes
milliaires gisantes de distance en distance, le pont antique
jets sur le Mamelthein, a la frontiere du Kaiserouan ; la
colline de Sarba, qui porte les restes d'un temple, et
dont la masse granitique est creusee de toutes parts
comme l'interieur d'une ruche ; enfin, les sculptures et
les inscriptions cuneiformes du fleuve du Chien font, de
cette partie de la cote, une des regions de la Syrie les
plus dignes de fixer l'attention et d'exciter l'interet.
parfois, les medailles anciennes se trouvent a fleur de
sol : en labourant, le fellah remue des debris ou de la
pointe de sa charrue dechire une mosaique.
A Sarba, sur le sommet de la colline, pres du temple,
dans une petite maison arabe que des nattes epaisses,
Otendues au-dessus de la terrasse, protegent en ate du
soleil, habite une famille vraiment patriarcale, fort connue et fort respectee dans le pays, la famine Khadra. Je
n'ai pu, depuis mon retour, songer une seule fois a la
Syrie sans me souvenir de cette petite maison, des douces
journees que j'y ai passees, de l'hospitalit charmante
quo j'y ai taut de fois revue. J'y vins peu de jours apres
mon debarquement : c'etait au mois de juillet. On fit le
soir de la musique. Le chant ni la musique arabe ne
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48
LE TOUR DU MONDE.
Les fouilles de Djebel etant enfin terminees, la corvette a vapour le Colbert vint, le 30 mars, chercher la
compagnie de chasseurs pour la conduire pres de Tortose, a, la place ou s'elevait autrefois Marathus. On ne
quitte point Byblos sans regret : cette petite ville, avec
ses petites factions, ses intrigues enfantines, son gouverneur a trente francs par mois, nous amusait comme
un joujou. Le memo jour, apres avoir passe devant
Tripoli, nous arrivames, au soleil couchant, en vue
de Tortose et de l'ile si celebre de Rouad. Une plaine
immense, verte, deserte et riante s'etendait depuis
le bord de la mer jusqu'a une petite chaine de collines qui la terminait a l'est. Au sud, les sommets immenses du Liban, blancs de neige, fermaient l'horizon ;
au nord, et baignant son pied dans la Mediterranee, se
dressait une citadelle : c,'etait Tortose. L'ile de Rouad,
situee en face, a deux lieues au large, sortait de l'eau
avec ses mille maisonnettes, son petit fort, ses vieilles
Camp francais dans la plaine de Tortose. Dessin de A. de Bar d'apres une photographie de M. Lockroy.
LOCKROY.
LE TOUR DU MONDE.
49
Interieur de Kalat-el-Horn (p. 56, 57). Dessin de A. de Bar d'aprs une photographie de M. G. Hachette.
VOYAGE EN SYRIE.
VI
La plaine de Tortose. Tortose. Rouad. Amrit. Antiquites. Depart de Farm& francaise. Retour Tortose. Voyage
a Lattaquie et au chteau de Mercab.
'60
LE TOUR DU MONDE.
porte ce nom (Narh Amrit). Les plaines, qui entourent au dehors, porte par quatre forts piquets, a une assez
Tortose, resserrees entre la mer et les montagnes qu'ha- grande elevation du sol, se balance une -petite cage de
bitent les Ansaries, s'etendent depuis Tripoli jusqu'a feuilles , ou les Ansaries passant, courbes en deux, les
Lattaquie sur tine longueur de trente lieues environ :
fortes chaleurs de fete.
malsaines en hiver, elles sont mortelles en ate ; l'eau s'y
A deux lieues au sud du camp, dans la plaine, un
amasse, arretee par des bandes de roches ou par des vieux chteau, le Kalat-Yamour, hati autrefois par les
monticules de sable; elle y forme des etangs, et les va- croises, sert de retraite a quelques families arabes. La
pours qui s'en elevent, au coucher du soleil, empoison- tour centrale et les fortifications exterieures sont en
nent l'atmosphere. Ces plaines sont en grande partie inmine, les portes brisees; les escaliers n'ont plus de marcultes : les rivieres s'y cachent sous des touffes epaisses - ches, les chambres plus de plafonds, mais les nouveaux
de lauriers-roses; des fleurs de toute espece et de tou- habitants ne reparent rien. Ds attendent, pour la quitter,
tes couleurs en prennent joyeusement possession au que la forteresse s'ecroule. Tortose elle-meme n'est
printemps. La, point de villages, point d'habitations ;
qu'une vaste citadelle qui trempe ses pieds dans l'eau,
deux ou trois khans, a demi detruits , quelques tours et abrite, derriere sa double ceinture de murailles, quelen mine se dressent seulement, de loin en loin, a peu de ques pauvres maisons arabes, accrochees taut bien que
distance de la mer. Le jour, des troupeaux de buffles mal a ses remparts : son eglise, si clbre au temps de
viennent y paitre ; la nuit, y rodent les chacals, suivis saint Louis, est restee seule en dehors de la cite modo l'hyene ; le soir,, de pauvres Ansaries, guettant le dome, au milieu du cimetiere.
voyageur arabe , y trouvent moyen de se faire l'au- . Quand on arrive d'Amrit ou plutOt de la place ou
memo avec l'argent de ceux qu'ils devalisent. En appro- fut Amrit, it faut, pour entrer dans la ville, en faire le
chant de Tortose, on marche, pendant pros de trois tour : un fosse large, profond, que l'eau remplissait aulieues, au milieu de tombeaux violas, de caveaux fun& trefois, oh poussent aujourd'hui de grands arbres, des
raires tout grands ouverts au soleil. L'ile de Rouad, qui legumes et des flours, vous separe de la premiere enapparait h peu de distance, les monuments, debris de ceinte, fortification splendide, dont les pierres, taillees
l'ancienne Marathus, eparpilles dans la plaine, ces vas- en bossage, reposent sur une base de granit. La porte,
tes necropoles , vritables villas souterraines , Tortose laquelle on parvient par un escalier d'une quarantaine
enfin enfermee au bord de la mer dans son double de marches, situe au nord, dans un angle rentrant de
rempart, rappellent a la fois les plus memorables epo- la muraille, regarde la mer. Au-dessus, on distingue un
ques de l'histoire de la Syrie.
cusson : celui du comte de Toulouse. Apres avoir
A part le khouri d'un village chretien, perdu dans la franchi cette porte et l'admirable salle qui suit, ou le
montagne Ansariee, deux fakirs indiens , qui , apres marechal ferrant et le cordonnier ont maintenant etabli
avoir mendie a Damas, venaient mendier a Lattaquie
leurs boutiques, on se troxve en face d'une seconde
eta Alep, un Hongrois, parti de Constantinople, la enceinte aussi belle que l'autre, mais en partie detruite
canne a la main, sans savoir ni l'arabe ni le turc, et et n'etant restee gill un soul endroit tout entire deallant, de son pied lager , chercher de l'ouvrage
bout. Le fosse , qui separait les deux remparts, est
Alexandrie, nous ne vimes personne pendant le temps devenu une rue de Tortose, si l'on pout appeler rue
de noire sejour au campement d'Amrit. Parfois, nous un espace circulaire, oh, de loin en loin, une pauvre
choisissions les hauteurs pour but de nos promenades. maisonnette s'etaye h des mines. Apres avoir pass pal
La plaine, dont les rochers, les petits bois, les mou- une sorte de breche, on arrive sur la place qui occupe
vements de terrain ou les bosquets de lauriers-roses le centre memo de la ville : au fond, une muraille et
derobent toujours une partie , parait plus fertile , a me- quelques tours, auxquelles s'appuie une petite mossure qu'on la traverse. Aucune contree de la Syrie, entre
quee, vous separent de la mer : autour de la place,
les mains d'une population active et intelligente, ne se
et adossees toutes a la face interieure de la seconde
preterait mieux a la grande culture : en creusant des enceinte, sont rangees en cercle de petites boutiques,
canaux, en assainissant le pays par le dessechement des
oh les marchands fument tranquillenaent leurs pipes
marais, on arriverait bien vite a de magnifiques resul- tout le jour. Tortose pent compter six cents habitants.
tats. Mais it semble que plus, en se rapprochant des Le dimanche, les Ansaries y viennent faire leurs provitropiques, la terre devient productive et naturellement sions : elle est, ce jour-la, pleine de bruit et de mouveriche, plus ses habitants negligent de la cultiver. C'est
ment : les hues, les chevaux, les chameaux, les fellahs
peine si, au pied des collines qu'ils habitent, les Ansa-.
se pressent sur la petite place, encombrent les passages,
ries ensemencent quelques champs. Cette population est gravissent et redescendent pole-mole le large escalier
indolente et miserable : femmes, hommes, enfants,
qui conduit a sa porte. Ce n'est pas qu'il s'y conclue
peine vetus de quelques loques, grelottent continuelled'importantes affaires; on ne connait a Tortose que la
ment la fievre. Les hommes restent h. la maison, fluent petite monnaie, et, chose assez singuliere, on y refuse
ou fument, tandis que les femmes et les filles travail- les pieces turques toutes les fois qu'elles ont une valour
lent aux champs. Leurs maisons, faites de pierres se- plus forte que le khramse, un sou environ.
ches, sans aucun ciment, n'ont guere plus de deux metres
La ville n'est point, comma Djebel , agitee par des
de haut : l'interieur est a demi Grouse dans la terre :
factions : tout le monde y vit en bonne intelligence.
51
LE TOUR DU MONDE.
30
PLAN DE PAL,EYRE
BVideentitelle.
Bev/role Bade,
8 siltneednxbe aglited
9 ntnpleara doled
SCCpp
7.7.7 nattateneefnadarto
8 Coot Hnete7;1:
105/17
U Bate, an:tense.
151 Constna9ona arab.,
1555 dinnullar cyclopeennne
PLAN DE DAS1AS
1 Bel Tetan.
9 Thad.. de OA Geortenv
5 Lauds ln antrenrion de To' Beale
Thadean dr-TO:68dB.
5 Bab eentaghir.
6 amen:tie es della:,
7 Manion de udo,.
8 EttintArorld Patna.
9 anonele-Afneintele.
10 Naito.6dnaninr.
11 tlipatatdoe LeOrenn.
12 Bab Towne.
18 Bab eerie]o
111 Bab Farad9.
15 Bab Fanny.
16 Canna,
17 Bab eldfadid:
10 Terid.
19 Canon.,
20 fitarthO man atenaten.
21 telya.
ae Bab .1514,6
A Quer tier 4/7
B C
fine
C
Cheat.
pour le dater, les chretiens ont fait usage de l'ere des Seleucid.es. Le traite comprend, d'une part, les Etats du
sultan et de son ills, la Syrie, la Palestine, l'Egypte , etc. ;
de l'autre, Tortose et ses dpendances. Des deux Cates
on s'engage a ne pas ravager le territoire de son voisin.
52
LE TOUR DU MONDE.
Porte de Kalat-el-Hosn (p. 57). Dessin de A. de Bar d'apres une photographie de M. G. Hachette.
tes en couleurs eclatantes , des bricks , quelques troismats et une petite flottille de felouques. Les caboteurs de
lacete y viennent passer l'hiver, , ne trouvant d'abri contre
les vents d'ouest ni a Saida, ni a Sour, ni a Beyrouth.
Sur la foi d'un certain nombre d'auteurs , je m'etais
attendu naivement a trouver Rouad completement deserte : je fus tout surpris en la voyant couverte d'habitations et fort peuplee. Sterne (c'est ce qui sans doute fut
LE TOUR DU MONDE.
cause de ma deconvenue), en decrivant toutes les especes
de voyageurs, en a cependant oublie une, celle des voyageurs en chambre, et c'est de celle-la que j'aurais du me
defier. Ces voyageurs, en effet, ne voyageant pas, sont
comme les moutons de Panurge : it suffit que le premier
s ' embourbe pour que tous les autres s'embourbent a qui
53
Kalat-el-Hosn (p. 56, 57). Dessin de A. de Bar d 'apres une photographie de M. G. Haenere
qui lit l'ouvrage de Volney. Dans cette Ile, dit ce nouvel auteur, suivant Strabon; florissait une magnifique cite, aujourd'hui on ne trouve lame pas de debris
de ville.... les maisons, baties a plus d'etages qu'a Rome
meme , n'ont pas garde un seul mur debout.... tout
cela n'existe plus... : it n'y a sur le meme lieu qu'un
ecueil ras et desert. La phrase de Volney a servi de
texte et de pretexte a ces tirades. Voici maintenant comment s'exprime M. David, orientaliste , en decrivant
Rouad, dans la collection, si precieuse d'ailleurs, de
l'Univers pittoresque : Ne quittons pas le rivage de Tortose sans regarder en mer ce vaste roc qui fat la rpublique d'Aradus, et qui n'est plus qu'un immense ecueil.
Jamais disparition de cite n'a et plus generale, jamais
LE TOUR DU MONDE.
mans, _qui une fois enchevetres taut bien que mal sur le
pont, n'y purent rester qu'a la condition de ne pas faire
un mouvement. Je me placai a l'arriere, et lorsque la
brise de terre se fut elevee, sur les dix heures du soir,
qu'on eut oriente les voiles et fixe la barre au moyen
d'une corde, je vis tout le monde, passagers, matelots,
capitaine, s'endormir d'un profond sommeil : la nuit fut
d'une obscurit affreuse, le vent violent : perstinne ne
se rveilla. Tripoli, oil nous arrivames le lendemain, est
traverse par une petite riviere , le Narh-Kadischa : ses
jardins, son bazar, ses rues voiltees, ses vieux ponts, ses
cafs etablis au pied des ark -es, en font une des villes
les plus enchanteresses de 1'Orient. L'eau y collie partout ; elle ruisselle le long des murs, jaillit entre les
fentes des pierres, court dans les rues, sort sous les
portes. Vers le coucher du soleil, je repartis sur
pauvre petit bateau, n'ayant qu'une simple voile et deux
hommes seulement pour le conduire. Je me conchal au
fond et thchai de dormir; quelle nuit1 Roule par les
vagues, oblige de me lever a chaque instant pour aider
aux manceuvres, trempe par l'eau de mer, qui sans
cesse entrait par-dessus le bord, je n'eus pas une seconde de repos. Le jour parut. Les deux hommes
alors, dirigeant le bateau plus prs de terre, se jeterent a l'eau, gagnerent le rivage, et ayant attach une
corde au mat , me remorquerent : nous atteignimes enfin Amrit. La plaine, brillee par le soleil, commencait
a devenir jaune : le camp abandonne, dans lequel it ne
restait plus que dertx tentes habitees par M. Gaillardot
et M. Thobois, le savant architecte que M. Renan s'etait
adjoint, avait l'air d'une vine detruite : quelques batchibouzouks envoyes par le mudzellin de Zaphita (une ville
de l'Akkar) le gardaient. Les batchi-bouzouks sont tout
simplement des pillards entretenus par le gouvernement
turc : Volney les point d'une phrase : a On les prendrait, dit-il, plu.tet pour des bandits que pour des soldats ; la plupart out commence par le premier mtier
et n'ont pas change en prenant le second. Nous restames la encore pres de trois semaines. Je retournai,
dans cot intervalle, assez souvent a Rouad : les habitants,
que la crainte des soldats francais ne retenait plus, me
lancaient des pierres du haut de leurs maisons : quand je
passais, les rues devenaient desertes; j'entendais, a mesure que je faisais du chemin, les portes se fermer
bruyamment devant moi, puis a travers les cloisons, les
fentres grillees, ces phrases qui m'accompagnaient partout : a Ya gitane 1 ya malaoun! (Oh ! le diable! oh!
le maudit 1 )
Un matin, apres avoir galope pendant une heure
environ, a l'est de Tortose, je gagnai un bois, oh Menat les oliviers, les amandiers et les poiriers sauvages
me cacherent le pays environnant. Je continuai, marchant toujours au hasard au milieu des herbes , sautaut les ruisseaux, traversant des clairieres vertes et
pleines de soleil. Tout a coup, au detour d'un buisson,
j ' apercus un homme qui venait a moi; lui ayant domande si de ce cote ne se trouvait pas de village :
a Non, me dit-il , mais venez vous reposer chez moi.
55
56
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
croit, en arrivant h Hama, non-seulement transports
dans un autre monde, mais a une autre epoque que la
nOtre. On entre de plain-pied dans le moyen age. La
population est riche. llama ne fait guere de commerce
qu'avec les Bedouins, qui, generalement, l'assiegent
toutes les annees au printemps. Elle a je ne sais quoi
d'enchanteur,, meme dans les endroits les plus solitaires, meme dans les rues les plus tristes ; cette eau de
l'Oronte qu'on voit partout, ces arbres, ces jardins, surtout ce bruit continuel des grandes roues, jettent dans la
ville une gaiete calme, tranquille, bien inconnue en
France, qui repose l'esprit, l'occupe sans l'absorber, et
fait insensiblement passer le temps et la vie.
Un nombre considerable de chretiens habite llama.
Comme, pendant la guerre, ils n'ont point te massacres, on les croit generalement dans une position
assez deuce ; en realite , ils vivent sous le couteau.
Pour eux, titre riche est un danger, le paraitre , une
imprudence capitale. Aussi affectent-ils l'exterieur le
plus modeste, le plus miserable memo, preoccupes qu'ils
sont sans cesse de ne pas eveiller la cupidite de leurs
oppresseurs.
Rien n'aurait pu nous faire soupconner cette deplorable position, si, la veille de notre depart, une aventure
assez curieuse ne nous l'etait venue reveler. Notre arrivee dans llama avait fait quelque bruit, et la maison
oil nous etions loges n'avait pas desempli de curieux.
Le proprietaire, brave et vieux Grec catholique , sans
jamais laisser echapper une plainte , s'etait au contraire
etudie a faire tout haut devant nous l'eloge des musulmans. Cela m'tonnait d'autant plus, qu'il nous croyait
une mission politique. Chez lui, j'avais ramarque des
agents du pacha, et par hasard , un chretien pauvrement
vetu, a qui nous aurions volontiers fait l'aumOne. Un
soir, notre hOte, une immense lanterne a la main,
monta mysterieuwnent dans la chambre que nous occupions et nous pria de le suivre : nous sortimes. Apres
avoir, pendant trois quarts d'heure, tourne dans les rues
de Hama, nous nous arrtames devant une petite maison faite de terre et de paille hachee. On fut longtemps
avant de nous ouvrir ; puis, apres une attente prolongee
dans une tour sale et troite, nous penetrames enfin
dans une chambre dcoree avec la plus grande richesse :
l'or brillait partout : des peintures, des flours d'argent,
des ornements bizarres et clatants couvraient le has
des murailles ; des etageres barioles comme celles que
l'on fabrique en Algerie, pliaient, en realite, sous le
poids de mille objets precieux ; autour de la salle regnait
un divan convert de soie, et l'ceil s'arrtait a peine sur
les narguilhes d'or ou d'argent qui encombraient de
petites tables incrustes de nacre. Le maitre de la maison, couche sur des tapis de Perse, servi par une negresse
qui lui versait de l'araki et du yin d'or, prenait son repas. Quel ne fut pas notre tonnement en reconnaissant
en lui ce malheureux chretien qui venait chez notre hike
et dont la condition nous avait paru si prcaire ! C'etait
pour ainsi dire le chef des chretiens de llama, celui qui
dictait a toes leur conduite. On ferma les portes, puis, se
59
60
LE TOUR DU MONDE,
Une noria sur l'Oronte. Dessin de A. de Bar d'apres une photographie de M. G. Hachette.
ont ete brines sur place par les Metualis. Les uns soot
morts, les autres ont route dans les torrents avec d'enormes quartiers de roches ; partout on voit la trace
des inondations, du tonnerre et des tempetes ; la foret,
a demi detruite, semble une armee decimee par l'ennemi, et qui vent lutter jusqu'a la mort.
Parvenus enfin sur la derniere crete de la montagne,
un panorama splendide s'etendit devant nous : a l'est,
la Beka et l'Anti-Liban ; plus vers le nord, les plaines
que nous avions parcourues , le desert qui leur fait
suite ; a l'ouest, la ate, Djebel, Tripoli, Batrun, les
mille vallees du Liban, les cedres, la finer enfin, bleue,
immense et noyee dans le ciel. Quant aux cedres, c'est
LE TOUR DU MONDE.
une mystification. A peine en compte-t-on dix ou douze
vraiment beaux et qu'on puisse admirer. Perdus dans
ce paysage gigantesque, ils n'y semblent qu'un petit
point noir. Au milieu d'eux, les Maronites ont bati
une eglise. En France, on y aurait mis un cafe.
Le surlendemain , nous avions repasse le Liban et
nous arrivions a Baalbeck. Que dire de ces ruines colossales, taut de fois vues, tant de fois decrites ? L'architecture n'en est pas irreprochable : bien des signes
de decadence, bien des details de mauvais gait gatent
leur magnifique ensemble. Cependant on est effraye a la
vue de ces masses de pierres, de ces assises colossales
qui ne mesurent pas moins de vingt-deux metres de
61
grec place dans un lieu aujourd'hui desert, sur un piton elev. Toute cette partie du Liban qui s'etend depuis Edhen et les cadres jusqu'au Kalat-el-Hosn , la
plus curieuse et la plus inconnue, renferme une foule
de debris anciens ; aucun sentier ne guide ceux qui la
parcourent ; it faut y marcher dans le lit des rivieres,
a travers bois, au milieu des roches. Le temple d'Hosnel-Zephiri existe encore presque entier. Il devait etre
petit et tree-simple : quelques pilastres suffisaient
son ornementation exterieure.
La montagne d'Akkar, dans laquelle j'entrai le lendemain, couverte de forets immenses, toupee de raviites etroites, traversee par des torrents et des rivires,
62
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
63
d'une prophetie. La conversation roula sur l'influence de d'herbe : on dirait une chaine de montagnes en marla femme dans la societe. Le bey ne marchande pas :
bre rose veine de gris et de carmin. L'ceil decouvre des
veut l'exclure du monde, la parquer dans un coin et la horizons immenses, des plateaux, des pies, des ravins ;
bannir de toute reunion. Elle est, dit-il, la source de mais pas une feuille. La vallee du Narh-Barada, cetoutes nos fautes c'est elle qui toucha la premiere au pendant, est remplie d'une admirable vegetation.
fruit defendu. II cita, avec une incroyable memoire,
Apres avoir gravi la derniere time, une plaine appala Bible, l'Evangile, saint Paul, les Peres de l'Eglise.
rait a vos yeux. Le desert l'entoure et commence a l'hoUn de mes amis , Maronite etabli a Beyrouth, qui se rizon ; une chaine de collines bleues occupe la droite ;
trouvait present, riposta en racontant les aventures de
au centre de ce paysage resplendissant de lumiere, enTelemaque, et essaya de faire comprendre au bey que touree de jardins , s'eleve une ville ou les minarets se
lorsque la tentation devient trop forte, on a toujours la pressent comme les arbres dans une foret, oh les domes
ressource de se jeter a l'eau. Ioussef-Karam termina par enchevetrent leurs lignes , ville immense, feerique,
une comparaison assez orientale , qui peut donner une eblouissante : c'est Damas. La, vraiment , on a une
idee du ton general de la conversation. L'homme, dit- grande idee de l'Orient : des bazars couverts, larges, mail, est un monde a lui tout seul : le monde a des rochers, gnifiques ; des mosquees peintes, des tours entoures
l'homme a des os ; le monde a des arbres et de la verde portiques, de vastes khans pleins de marchands, de
dure, l'homme a des cheveux ; le monde a deux flam- voyageurs, de chameaux, de chevaux, de Bedouins, de
Kurdes , de Turcomans ;
beaux, le soleil et la lune;
l'homme a deux yeux;
des bains qui laissent voir,
mais le monde contient
par leurs fenetres grillees,
aussi des nations ennedes salles pleines d'hommies qui se font la guerre ;
mes a demi nus , qu'on
l'homme a ses passions,
masse, qui s'habillent ou
bonnes ou mauvaises, dont
qui dorment ; des boutiles combats ne sont ni
ques oil sont jetees les
moins terribles , ni moins
choses les plus precieuses
dangereux , puisqu'il s'aet les plus eclatantes : l'or,
git de la vie eternelle , du
la soie, l'argent, les etofciel et de l'enfer. Le
fes de Perse ; tout cela
lendemain , nous causeest reuni , confondu , enmes encore. Mon ami ratasse pole-mole. Les maiconta au bey le passage
sons surtout brillent par
des Thermopyles , la baleur richesse. Pour la pretaille de Marathon et quelmiere fois on trouve l'Oques-unes des aventures
rient d'accord avec les
de Telemaque.
Mille et une Nuits : moCes recits faits en arasaiques, jets d'eau, plabe ( les Aventur es de
fonds points de mille couGrandes assises de Baalbek. Dessin de A. de Bar
lenrs , fantaisies eblouisTelemaque en arad'apres une photographie de M. G. Hachette.
be l ) interessaient vive, santes de decorateurs arament Ioussef-bey, pour qui tout cela etait nouveau. bes, plaques de marbre, bois sculptes, glaces taillees,
Certes, je crois qu'il est peu de drames, peu de ro- nacre, metaux precieux, concourent a, la fois a l'ornemans, y compris Clorisse Harlowe, ayant produit au- mentation de cos palais dont les habitants couchent
tant d'effet sur le public qu'en fit sur le bey la fuite de par terre, tout habilles, sur des nattes.
J'arrivais juste pour le retour de la grande caravaTelemaque et de Mentor quand ils quittent l'ile de
Calypso. La fausse honte qui l'empechait de demander no de la Mecque. Depuis quatre jours deja d'intermisi cette histoire etait reelle ou inventee, ajoutait en- nables files de chameaux se suivaient, chargees de tentes et de paniers oix etaient entasses des hommes et des
core a l'interet qu'il prenait a l'entendre. Du reste,
est assez curieux de voir que dans ce pays, un des plus femmes de toutes les nations de l'Asie. Les gens riches
depraves du monde , la chastete soit regardee comme ont de grandes chaises a porteurs ; des dromadaires,
la premiere vertu : ce qui fait, en grande partie , la charges de rubans et de miroirs, sont atteles entre les
popularite incontestable de Ioussef-Karam , c'est son brancards. D'abord vinrent des Persans, aux coiffures
horreur bien connue pour les femmes. Le peuple est pointues, les uns deguenilles, les autres richement vetus;
convaincu que les mepriser est le premier devoir du puis des Tcherkess, avec un large bonnet a poil et des
armes incrustees d'or et d'argent; des Bedouins, la tete
guerrier et de l'homme d'Etat.
cachee dans le couffi, des cavaliers de Bagdad aux lances
Peu de temps apres, je me mis en route pour Damas.
L'Anti-Liban est completement nu et desole. La, pas longues et flexibles, des musulmans de l'Asie Mineure
une seule trace de culture ; pas d'arbres, pas un brin sur leurs chameaux chevelus, puis des negresses esclaves
LE TOUR DU MONDE.
64
qu'on amenait pour les vendre , puis des femmes soigneusement cachees sous leurs voiles, derriere les epais
rideaux des palanquins. Quelques malheureux, a demi
tues par le voyage et le soleil ardent du desert, etaient
couches en travers de leurs montures, la tete pendant
d'uncote, les pieds de l'autre, ballottes, heurtes, epuises.
Je vis ainsi un vieillard, presque un cadavre, ralant
au grand soleil, sans un mouchoir pour lui donner de
l'ombre, abandonne seul stir un dromadaire qui le secouait comme un vieux linge.
Enfin parurent le pacha et son etat-major, de l'artil-
Interieur de maison
E.
LOCKBOY.
LE TOUR DU MONDE.
65
Interieur do temple des serpents, a Wydah (p, 71 et 72 . Dessin de Foulquier d'apres un croquis de M. Repin.
VOYAGE AU DAHOMEY,
PAR M. LE D r REPIN , EX-CIIIRURGIEN DE LA MARINE IMPERIALE.
1960.
I
Depart de 13rest. Ooree. Wydah. La Barre. Un naufrage dans la tam.
De retour de l'expedition de Crimee, je me reposais
a Brest en mars 1856. On venait d'y lancer le Dialmath, Ali batiment a aubes de la force de soixante cheVII.
vaux, mate en brick-galette et arme de quatre obnsiers de 12. Sa construction speciale et son faible tirant
d'eau le rendaient propre a franchir les barres et a re5
161
66
LE TOUR DU MONDE.
versation devenait plus languissante. BientOt on n'entendit plus que le chant monotone et cadence des
ngres, auquel les mugissements de la Barre, plus distincts d'un instant a l'autre , formaient comme un vigoureux accompagnement.
Nous allions , en effet, nous trouver bientOt en face
d'un des plus majestueux et des plus terribles phnomenes de la mer : la Barre des cdtes de Guinee.
A ces moments solennels oh l'homme va jouer centre
les elements une partie dont son existence est l'enjeu,
it se recueille en lui-meme , et le plus aguerri paye
comme les autres ce tribut a l'instinct de la conservation.
Pour quelques-uns de mes lecteurs , un mot d'explication sur ce qu'on appelle la Barre ne sera peut-etre
pas inutile.
Pendant neuf mois de Pannee, les vents de sud-ouest
regnent dansle golfe de Guinee. Es y sont attires, selon
quelques savants, par la rarefaction de l'air, due a l'influence des rayons solaires , repercutes par les sables
bredants du vaste continent africain. Sous leur action
incessante, l'Ocean se creuse en longues ondulations,
qui viennent se briser sur une plage sablonneuse dont
la declivite vers la haute mer est presque insensible.
Ces gigantesques lames (quelques-unes atteignent quarante a cinquante pieds de hauteur) sent arrtees brusquement a leur base par le peu de profondeur du fond,
tandis que leur partie superieure , obeissant a l'impulsion revue, et continuant sans obstacle sa course furieuse, se roule en enormes volutes qui viennent deferler
sur la plage avec un bruit terrible. Elles ferment ainsi,
en rebondissant, trois lignes de brisants a peu pres egalement espacees , et dont la premiere est a trois cents
metres environ du rivage. C'est un spectacle qu'on
n'oublie plus des qu'on l'a une fois contemple; et si
quelque chose pent ajouter a l'impression qu'il cause,
c'est de voir l'homme se jouer, dans une frele embarcation, de ces coleres de la nature, et en triompher a force
de courage et d'adresse.
Chacun des comptoirs etablis dans ces parages entretient , pour le chargement de ses navires , une ou plusieurs embarcations speciales montees par un equipage
de negres exerces. Ce sent des pirogues creusees dans
un seul tronc d'arbre , mesurant quelquefois trente
trente-cinq pieds de longueur, et seulement assez larges
pour que deux hommes puissent s'y asseoir cote a cote.
Elles soot months par dix ou douze hommes completement nus , et arias d'avirons tres-courts et legers , a
pelle elegamment decoupee comme une feuille de nenufar. Es naanient ces page yes avec une grande dexterite,
sans en appuyer le manche sur le Lord de l'embarcation, comme le font nos matelots pour leurs avirons, et
parviennent neanmoins a imprimer a leur pirogue une
rapidit merveilleuse. Le chef de l'equipage se tient debout l'arriere , gouvernant a l'aide d'une pagaye beaucoup plus longue, a peu pres comme ce qu'on appelle
en terme de canotage un aviron de queue. Ces pirogues
n'ont en effet point de gouvernail ; egalement taillees et
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68 .
LE TOUR DU MONDE.
Repin.
LE TOUR DU MONDE.
Nous ne fumes pas aussi maltraites par la Barre de
Wydah. La pirogue s'etait remplie plusieurs fois, mais
sans chavirer, si ce n'est au moment merne portes
par la lame, nous touchions le rivage. Nos bagages seulement furent roules par la vague ; mais, grace aux barriques bien etanches qui les renfermaient, la mer nous
les rendit intacts.
L'un des employes de la maison Regis nous attendait avec des hamacs installes en forme de palanquins.
Apres avoir change d'effets, nous y montames ; et, en
moins d'une demi-heure, nos vigoureux porteurs nous
eurent fait traverser la plaine marecageuse qui separe
69
sept h huit cent mine habitants. Le nombre et Pimportance des villages que nous avons traverses, la quantite considerable de guerriers et de peuple rassembles
Abomey pendant les fetes que le roi nous y donna, denotent au moins ce chiffre. IL n'y a guere plus d'un
siecle que le royaume de Dahomey a pris toute cette
importance, par la conquete des royaumes voisins d'Ardra, de Jaquin et de Wydah, autrefois independants.
Les anciennes relations de voyages rapportent que, vers
1730, le roi de Dahomey, Guadja-Truda, ayant a se
plaindre de celui de Widah, envahit ses Etats et s'en
empara. La ville de Sabi ou Xavi, situee a quelques
milles au nord de Wydah, etait a cette poque la resi
70
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
71
d'hui, ce sont les naives chansons et les joyeux eclats de rebuterdu flegme avec lequel les employes de la factola gaiete negre qui en font retentir les volites. Il y re- rerie, habitues a leurs facons, accueillent leurs recrimignait, au moment de notre arrivee, une singuliere acti- nations. Habiles a frauder leurs marchandises, melanvite A chaque instant entraient des habitants de l'inte- geant sans vergogne la limaille de cuivre a la poudre
rieur, apportant de Thuile de palme dans de grandes d'or, ils nient effrontement les falsifications les plus
jarres de terre rouge, ou des dents d'elephant, ou de la evidentes.
poudre d'or dans de petits sacs de cuir suspendus a leur
Naturellement portes au vol, et, a l'instar des anciens
con.
Spartiates, ne le regard ant comme un crime que lorsQui n'a pas vu de marche negre ne peut se faire une qu'il est commis avec maladresse, ils sont constamment
idee des ruses employees par ces negotiants primitifs, a l'affat d'une occasion de larcin. Quand un voleur malpour retirer de leurs produits le plus grand benefice habile est surpris par les traitants, c'est au milieu des
possible. Vingt fois ils s'en vont indigoes du peu qu'on huees et des moqueries de ses camarades qu'il est corleur offre, et vingt fois reviennent a la charge sans se rige d'importance et chasse de la factorerie, mais ils
n'attachent aucune idee de deshonneur a sa mesaventure. A cinq heures du soir le marche cesse, et on ferme
les portes du fort, qui se rouvrent le lendemain, a sept
heures, pour voir se renouveler les memes scenes.
La premiere nuit de notre sejour dans le fort, ou nous
resumes du directeur une hospitalite aussi gracieuse que
confortable, fut signale par un evenement qui aurait pu
avoir des suites facheuses. Un cigare mal eteint, jete
dans un crachoir plein de sciure de bois, determina un
commencement d'incendie dans le corps de logis que
nous occupions. Heureusernent le capitaine Vallon, 'reveille par la fumee qui penetrait dans sa chambre contigue a la salle a manger, donna l'alarme, et de prompts
72
LE TOUR DU MONDE.
des cases des habitants, sont perces de deux portes op- rove, je laissai echapper en quittant le temple un soupir
posees, par lesquelles entrent et sortent librement les de soulagement.
divinites du lieu. La vat-Le de redifice, formee de branIl n'est pas rare de voir dans les rues de la ville
ches d'arbres entrelacees qui sou tiennent un toit d'herbes quelques-uns de ces animaux sacres promenant leurs
seches, est conslamment tapissee d'une myriade de ser- loisirs. Quand les negres les rencontrent, ils s'en appropents que je pus examiner a, mon aise. Tous appartien- chent avec les plus grandes marques de respect et, en se
nent, comme doit bien le supposer le lecteur, a des es- trainant sur les genoux, les prennent dans leurs bras
peces inoffensives, car ils sont depourvus des crochets
avec mille precautions, s'excusant de la liberte grande,
canalicules dont la presence caracterise les serpents ve- et les reportent dans leur temple de crainte qu'il ne
nimeux. Leur taille varie d'un a trois metres ; ils ont leur arrive quelque facheux accident. Malheur a l'etranle corps cylindrique, fusiforme, c'est-h-dire un peu ren- ger ignorant ou imprudent qui les maltraiterait !
fie au milieu, et se termipayerait cet outrage de sa
nant insensiblement par
vie. On m'a raconte qu'il
une queue formant le tiers
y a quelques annees , un
a peu pres de la longueur
employe recemment detotale de l'animal, La tete
barque avait fait feu, dans
est large, aplatie, et trianla tour du fort, sur un de
gulaire a angles arrondis,
ces animaux qu'il prenait
soutenue par un con un
pour unserpent ordinaire.
peu moins gros que le
Malgre le soin qu'on out
corps. Leur couleur varie
de tenir l'affaire secrete, il
du jaune clair au jaune
en transpira quelque chose,
verdatre , pout-etre selon
et il fallut acheter chereleur age. Les uns (c'est le
ment le pardon des preplus grand nombre) portres offenses. Mais it est
probable que, si le crime
tent sur le dos, dans toute
eat te commis dans les
leur longueur, deux lignes
rues de la ville, le fanabrunes, tandis que d'autres
tisme populaire, de moins
sont irregulierement tafacile composition que la
chetes. Ces differents caconscience des pretres, en
racteres me font penser
eat tire une sanglante venqu'ils appartiennent tous
geance.
aux diverses especes de
Ces pretres habitent,pres
reptiles non venimeux que
du temple des serpents, une
Linne avait rassemblees
des plus vastes cases de
dans les familles des pyla ville, dans laquelle ils
thons et des couleuvres. La
vivent grassement des ofqueue allongee et prenante,
frandes des fideles et du
et la facilite a grimper de
produit de leur double inquelques-uns d'entre eux,
dustrie de medecins et de
pourraient les faire admetsorciers. Its jouissent d'une
tre dans le genre Leptoinfluence considerable bien
phis de la famille des Synqu'occulte, car ils paraiscranteriens (coluber de Linsent strangers aux affaires,
ne), de Dumeril et Bibron.
Dessin
Vue exterieure du temple des serpents, Wydah.
de Foulquier d'apres M. tiepin.
et nous ne les avons vus
Quoi qu'il en soit, le
nombre de ces animaux, lors de ma visite, pouvait bien ni dans les conseils du roi ni dans ceux du vice-roi de
s'elever a plus d'une centaine. Les uns descend aient ou Wydah. Its semblent memo s'etre fait une loi de cette
montaient enlaces a des troncs d'arbres disposes a cet existence isolee et mysterieuse. Je desirais cependant
avoir quelques rapports avec eux, d'autant plus qu'on
effet Le long des murailles ; les autres, suspendus par
m'avait vante differents remedes dont ils possedent le
la queue, se balancaient nonchalamment au-dessus de
ma tete, dardant leur triple langue et me regardant secret, soit contre le ver de Guinee, soit contre la morsure des serpents venimeux. Es component en outre,
avec leurs yeux clignotants ; d'autres enfin, roules et
avec le jus de certaines herbes, les poisons les plus
endormis dans les herbes du toit, digeraient sans doute
les dernieres offrandes des fideles. Malgre l'etrangete
subtils.
Bien quej'ajoutasse peu de foi a ces assertions, j'etais
fascinante de ce spectacle et l'absence complete de tout
neanmoins
curieux de les verifier; mais, nalgre l'offre
danger, je me sentais mal a l'aise au milieu de ces
visqueuses divinites, et, comme au sortir d'un mauvais de cadeaux importants et de medicaments precieux,
LE TOUR DU MONDE.
me fut impossible non-seulement d'en rien obtenir,
mais encore de leur parler.
Je dois, pour ne rien omettre de ce qui peut interesser le lecteur, dire un mot du marche public qui se
tient a Wydah dans la partie est de la vine. II rappelle
un peu, pour l'aspect general, les bazars orientaux des
petites villes turques. C'est un double rang de chetives
boutiques de bambous dans lesquelles le marchand, ou
plutet la marchande, car ce sont surtout des femmes,
se tient assise au milieu des calebasses pleines de ses
marchandises. On y vend a peu prs tout ce qui est
necessaire a la vie chez ces peoples : du riz, de l'huile
de palme, du sel, des etoffes de coton, des verrote-
73
de veritables machoires de cannibale. Je n'y ai vu yendre aucune boisson spiritueuse, ni tafia ni yin de palme ;
les negres du reste ne boivent pas en mangeant ; ce
n'est qu'a la fin du repas qu'ils se desalterent et toujours avec de l'eau pure, ce qui ne les empeche pas
d'aimer avec passion les liqueurs fortes et de s'enivrer
toutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion.
La monnaie usitee sur ce marche est le cauris, dont
j'ai deja parle plus haut. On donne ce nom a un petit
coquillage univalve du genre des porcelaines (cyprea
moneta, Linne), d'un blanc jaunatre uniforme et de la
dimension d'une noisette. On le trouve abondamment
repandu sur lee rivages de l'ocean Indien, d'oit nos trai-
tants le font venir. Sa valeur n'est pas bien considerable. Il en faut vingt a peu pres pour equivaloir a un
sou de noire monnaie. Aussi en voit-on dest,as enormes
chez les commercants dont les transactions sont un peu
etendues , et la factorerie francaise occupe je ne sais
combien d'individus employes uniquement a compter les
cauris. Dans l'interieur on s'en sert moins comme monnaie que comme ornements, soit en colliers, soit en
bracelets, ou encore en broderies grossieres sur les
cartouchieres, les baudriers et les diverses pieces de
l'equipement des guerriers.
Le second jour apres notre debarquement nous allames rendre visite au gouverneur de Wydah, negre de
71.1
LE TOUR DU MONDE.
75
LE TOUR DU MONDE.
beaucoup plus jeunes et assez jolies, executaient une
danse voluptueuse et bizarre. Le discours et les danses
se terminerent par une explosion de cris tellement aigus
et discordants, que nous nous empressAmes de remonter
dans nos hamacs pour fuir au plus vita (voy. p. 81).
Le soir du meme jour, apres avoir traverse a pie une
petite riviere couverte de plantes aquatiques, nous nous
arretions au village de Tauli, a vingt milles au nord de
Wydah.
La nuit etait complete quand nous fumes installes
dans la case que le eabkeir ' ou chef du village vint
mettre a notre disposition. Fatigues de la route et du
bruit, nous nous couchames aussitOt apres diner, et,
malgre le pen de confortable de mon lit, car j'etais simplement enveloppe d'une couverture de coton et allonge
sur une natte, je dormis a poings formes.
Les coups de fusil, les cris, les chants et les exclamations des negres, race la plus bruyante que je connaisse, nous eveillerent des le lever du soleil. Le sentier
que nous suivimes, apres avoir traverse quelques cultures de manioc, s'enfonca dans les Brands bois. C'est la
que se deploient toutes les merveilles de la luxuriante
vegetation des tropiques. Les palmiers et les cocotiers
dont le stipe lance ressemble a de gracieuses colonnes
supportant un ape de verdure, les enodendrons au
tronc colossal, les magnolias, converts de largos flours
blanches, embaumaient l'air matinal; les diverses especes de mimosas au feuillage elegant, les sombres manguiers croissent en liberte dans ces forks que jamais n'a
frappees la hache. Au-dessous d'eux, proteges par leur
ombre impenetrable, enlaces a leurs robustes rameaux,
serpentent les lianes et les convolvulus , dont les tiges
flexibles et cannelees retombent chargees de flours en
brillants festons. Plus bas encore et plushumbles, mais
plus utiles h l'homme, le citronnier, l'oranger, le bananier tiennent a portee de la main leurs fruits delicieux,
tandis qu'a terre l'ananas sauvage s'eleve du milieu de
ses robustes feuilles. Ch et la enfin , comme un tapis ,
verdit la delicate sensitive qui frissonne et referme ses
craintives folioles au moindre attouchement.
Troubles dans lours retraites par le bruit de nos pas,
mille oiseaux aux couleurs les plus riches animaient ce
splendide paysage. Le cardinal au plumage de feu, le
foliotocole, emeraude vivante; relegante perruche verte,
et les perroquets criards voletaient en tons sens. L'aspect memo de notre caravane, sur les flancs de laquelle
couraient, pour en activer la marche, les chefs de l'escorte, les chansons des noirs, les detonations repercutees
par les echos de la foret, la bizarrerie des costumes,
tout contribuait a nous donner dans ces solitudes un
spectacle saisissant par son caractre de grandeur et
d'trangete.
Apres trois heures de marche, nous fimes une halte
1. Notre auteur ecrit ce mot cabessaire, et M. Vallon cabecere;
les Anglais l'orthographient cabocheer, caboshir ou caboceer.11 est
emprunte au portugais cabecaira (chef de famille ou de communaute), et nous croyons devoir lui conserver l'orthographe qui
rloigne le moms de son radical.
(Note de la redaction.)
76
LE TOUR DU MONDE.
Ili
A 1,(,1:4,,bA,1\10.0(,;(11,1,i1,1,11
11
78
LE TOUR DU MONDE.
pents, des singes , des tigres, des chiens a tete de crocodile et des hommes a tete de chien. L'une d'entre
elles attira particulierement notre attention ; elle etait
double, male et femelle, de grandeur naturelle et assise , les jambes croisees comme certaines divinites chinoises ou indiennes. Les deux bustes, tailles dans le
lame bloc de bois, etaient unis, comme jadis les freres
Siamois, par le cote, chacun d'eux ayant sa tete et ses
membres distincts. L'idole femelle, embleme sans doute
de la fecondite , portait le triple rang de mamelles de
la Cybele antique. Ces deux divinites etaient ornees de
bracelets et de colliers de verroteries et de corail, offrandes de leurs adorateurs, et entourees de petits vases
en terre rouge, encore a demi pleins d'huile de palme
avec des meches charbonnees, attestant qu'on avait bride
devant elles cet encens un pen grossier. J'aurais desire emporter quelques-unes des plus petites statuettes,
remarquables sous le point de vue de l'execution ; mais
cette soustraction pouvant, me dit-on, si elle etait decouverte, nous exposer a de graves inconvenients, je dus
m'en abstenir.
Le nombre des habitants de Toffoa est d'environ
quatre a cinq mille ; ils sont doux, affables et treshospitaliers Accompagne de notre interprete , j'entrai
en flanant par le village clans une case pleine de noirs
des deux sexes. Quelques petits cadeaux de tabac et
d'epingles me firent bien venir de la societe. Un mouchoir de cotonnade que je donnai h un petit enfant
exalta surtout au plus haut point la reconnaissance de
son pere....
Le lendemain , un soleil radieux dissipant les brouillards du matin nous permit de contempler le vaste panorama qui s'etendait a nos pieds. Devant nous, a vingt
on vingt-cinq mules au nerd, s'elevent les premieres
assises du plateau d'Abomey; a droite et a gauche,
perte de vue, s'etend la Lama, sol merecageux, coupe de
rivieres et de lagunes, inextricable fouillis de paletuviers,
de palmie,rs nains et de plantes aquatiques, barriere insurmontable pour quiconque voudrait pentrer en ennemi jusqu'a Abomey.
Nous quittames Toffoa a sept heures, en traversant
de belles plantations qui portaient les traces de l'orage
de la veille; un tres-beau fromager avait ete bris net
par la foudre, a plus de quarante pieds du sol. A me-
the d'un jaune vif. 11 est vrai que ce dernier ornement manque
la femelle. Leurs ailes ne different que par la taille de. celles de la
chauve-souris vulgaire, et chacune d'elles est munie, a sa partie
anterieure, de cinq grilles et d'un eperon. La charpente de ces
ailes (os et muscles) Ore une grande resistance. Les jambes de
derriere, courtes et vigoureuses, sont egalement terminees par
cinq grilles felines et courbees en demi-cercle. Chaque fois qu'ils
ne volent pas, ces animaux s'accrochent aux arbres, et y demonrent suspendus par ces griffes, la tete en bas. La femelle a sur la
poitrine deux seins qui, anatomiquement parlant, ressemblent
ceux de la :emme. Le lait en est epais et blanc. Ces animaux emigrent d'une localite a l'autre suivant l'apparition des differents
fruits dont ils se nourrissent. Es visitent Wydah de la fin de mars
a la fin d'avril, et vivent principalement sur les gouabas et les cachous, les plantains et les bananiers. roubliais de mentionner
que leur pelage est aussi epais que doux. (John Duncan, Travels
(Note de la redaction.)
in TVestern Africa, 1845 1846.)
LE TOUR DU MONDE.
79
sure que nous descendions, la vegetation devenait plus nous apprendre que, par ordre du roi, nous y sejournevigoureuse; et nous pouvions a peine nous frayer un rions toute la journee du lendemain.
passage au milieu des palmiers nains, des lianes et
La ville de Cana, situe sur le memo plateau qu'Abod'une foule de plantes inconnues, parmi lesquelles je mey, passe pour la seconde ville du royaume, quoique sa
remarquai tine espece de reseda arborescent qui repan- population snit de beaucoup inferieure a cello de Wydah.
dait une tres-bonne odeur. Arrive dans la vallee , on C'est la residence des grands feticheurs, la ville sainte
doubla l'equipage des hamacs pour traverser, a grands de Dahomey. Le roi y possede deux vastes habitations,
renforts de bras, le terrain mobile, fangeux et ob- dans lesquelles sont loges deux ou trois cents soldats. II
strue de la Lama. Le bruit de notre marche fit sans y vient chaque annee, a une poque determinee, assister
doute fuir les caimans dont ce marais est infeste , car,
aux sacrifices humains. Le theatre de ces horribles exemalgr les assertions de nos porteurs, qui pretendaient cutions est une petite case carre en terre seche, situee
qu'il y en avait un grand nombre , nous n'en vimes pas devant une des maisons du roi. Les murs, blanchis exun seul.
terieurenaent, sent ernes de fresques grossieres de couApres quatre heures d'une marche fatigante , nous leur rouge, representant des animaux fantastiques par
arrivames , a peu pros a moitie chemin , sur un point leur forme, ou leur dimension ; des serpents avalant un
legerement culminant oh l'on a bad quelques huttes
homme d'un seul coup, des caimans, un vaisseau grosl'ombre de grands mangottiers. Dans ce village, nomme sierement dessine : reminiscences peut-titre de quelque
Epoue, se tient un marche fort achalande par les cara- pauvre diable echappe aux negriers. Le plus remarquavanes qui vont de l'interieur a Wydah, et qui sent neble de ces dessins figure un prtre arme d'un coutelas
cessairement obligees de passer par cot endroit ou sou- et tenant par les cheveux , un malheureux agenouille
vent d'y sojourner. On y vend, comme sur les autres qu'il est sur le point d'egorger. Ce sent les armes parmarches, des viandes sechees, du Poisson fume, des ba- lantes de cot affreux edifice (voy. p. 80).
nanes, du mais, etc. On y trouve aussi une eau excelPendant la nuit du 15. au 16 octobre arriverent des
lente et d'une fraicheur delicieuse.
envoyes du roi. Its vinrent h notre reveil nous compliApres avoir dejeune a la hate, nous poursuivinaes no- menter de sa part, et nous prier de sojourner a Cana
tre route, pour traverser l'autre moitie du marais qui pendant la journee du 16, pour lui donner le temps de
nous offrit les mmes difficultes surmontees avec un gal
faire les preparatifs de notre reception. Es ordonnerent
bonheur. Vers trois heures, nous nous arrtames un ensuite de nous servir des liqueurs que Gheza nous eninstant au village d'Ackisabam; it s'y trouve un corps voyait, et nous Eames a la sante de Sa Majeste pendant
de garde de douaniers (decimero en langue portugaise que les soldats de l'escorte executaient une salve de vingt
de Wydah), oia toutes les marchandises qui entrent ou et un coups, avec de vieux canons de for ranges devant
sortent du royaume de Dahomey doivent payer une re- la porte de la case royale dans laquelle nous etions
devance au roi. Il nous fallut repartir presque de suite, loges.
pour Ocher de gagner Cana avant la nuit. HeureuseLa journee du 16 fut employee a parcourir la ville de
ment le terrain, devenu plus solide, opposait moins de
Cana, qui ne differe en rien de celles que nous avons
difficultes a notre marche. Nous traversames d'abord deja decrites, et le 17 au matin, nous nous mimes en
une grande plaine couverte de hautes herbes (Herbe route pour Abomey, terme de notre voyage. L'escorte
de Guine, Phelole Oant), dans laquelle nous dispas'etait grossie d'une nombreuse troupe de soldats arriraissions tout entiers, puis un bois de palmiers, et nous ves d'Abomey pendant la nuit, et nett e caravana monarrivames , au bout de deux heures, sur le bord d'une
tait a cinq cents hommes au moins.
riviere tres-profondement encaissee et large de trente
En sortant de Cana, on nous fit mettre pied a terre
quarante pieds. Je cherchais des yeux un pont, un tronc pour passer devant le temple des mauvais fetiches, ford'arbre, quelque chose enfin qui nous permit de la fran- malite a laquelle le roi lui-meme est soumis. Ce temple,
chir ; mais, sans tarder, nos porteurs s'etaient dj avancache sous un epais feuillage de mangottiers, de caouces dans l'eau jusqu'aux paules avant que nous eussions chouctiers (Hevea Guinxensis. Ficus Indica), et d'aupu songer a descendre de hamac. Es traverserent ainsi la tres arbres au feuillage sombre, bosquet d'aspect siriviere, et nous hisserent sur l'autre bord fort escarpe, nistre qui rappelle les bois sacres que les anciens
avec l'aide des hommes de l'escorte, sans nous permetconsacraient aux Eumenides, est le plus vnre de tout
tre de mettre pied a terre.
le Dahomey. Un pretre, debout sur le seuil, agitait incessamment une sorte de grelot , en marmottant des
conjurations qui devaient nous soustraire a la maligne
IV
Cana. Abomey. Entree dans la vile.
qui lui conserve le nom de Canamina, c'est une Tulle d'au moins
dix mille habitants, couvrant une vaste etendue d'un plateau uni
et bien cultive, rappelant par son aspect les meilleurs champs de
l'Angleterre, et dominant toute la contree It une grande distance.
Le roi y fait entretenir un batiment a rusage exclusif des blancs ,
qui cependant visitent rarement cette localite. Nous devons ajou-.
ter que le nom de la capitale elle-meme est, par quelques auteurs
(Note de la redaction.)
tres-modernes, orthographie Ahomtl.
80
LE TOUR DU MONDE.
/
Danse des fticheuses au Dahomey (voy. p. 75).
R2
LE TOUR DU MONDE,
VOYAGE AU DAHOMEY,
PAR M. LE D r REPIN, EX-CHIRURGIEN DE LA MARINE IMPRIALE'.
1860. - TETTE ET DESSINS INEDITS.
IV
Description d'Abomey. Le roi Ghzo. Reception officielle.
Chez entoure de ses femmes et de sa garde d'amazones, assis a l'ombre de grands parasols de soie, sur une
sorte de Irene. Nous nous avancons vers lui chapeau
bas ; it se leve, fait quelques pas au-devant de nous,
nous aborde, et apres nous avoir successivement serre
la main a la mode europeenne, it nous invite du geste
nous asseoir dans des fauteuils ranges devant son
trene.
A un signe de sa main tons les grands chefs, qui
jusque-la etaient restes le front dans la poussiere, se
releverent et vinrent se ranger h ses cotes, mats en restaut a genoux.
Le roi Ghezo, Age d'environ Soixante-dix ans (on sait
que les negres ignorent leur Age prcis), est d'une taille
au-dessus de la moyenne , encore droite , ferme et point
trop epaissie par l'embonpoint. Sa demarche est aisee, ses
manieres sont affables, et empreintes d'une certaine dignite, moins rare qu'on ne le pense chez les chefs negres. Son visage, legerement marque de petite verole ,
ne se rattache au type africain que par la saillie exageree des pommettes ; le nez est droit, la bouche bien
dessinde avec des leyres quelque peu epaisses et sensuelles. Sous un front intelligent et tres-dveloppe pour
un noir, l'ceil petit, enfonc dans l'orbite, et le regard
habituellement voile, s'illumine par instants d'un clair
de cette ruse feline particuliere aux races encore sauvages, pour laquelle la dissimulation et une certaine
cruaute sont des armes necessaires dans une vie de luttes et d'embAches continuelles.
Il etait vetu fort simplement : un pagne de soie entourait ses epaules et se nouait a sa ceinture ; ii avail pour
coiffure un feutre noir a larges bords eta ganse d'or, et
aux pieds des sandales mandingues enrichies d'ornements d'or et d'argent ; enfin pour tons bijoux it portait
un gros collier d'or assez bien travaille, servant de support a. une sorte de petite cassolette travaillee h jour et
renfermant quelque grigri venere.
L'aspect de l'assemblee avail reellement quelque chose
d'imposant : a la droite du roi, se tenaient environ six
cents femmes de sa garde accroupies h la turque sur des
tapis, dans une parfaite immobilite, le fusil entre les
jambes : derriere elles les lignes plus sombres des chasseresses d'elephants, vetues d'etoffes brunes et armees
de longues carabines au canon noirci : a sa gauche les
femmes du serail, au nombre de deux cents environ, les
unes h peme adolescentes, les autres dans tout l'eclat et
le dveloppement de la beaute noire, quelques-unes deja
d'un certain Age, mais eouvertes toutes de riches dtoffes
LE TOUR DU MONDE.
de soie et d'ornements d'or ou d'argent ; bracelets aux
jambes, pendants d'oreilles, anneaux, colliers et ceintures
de verroteries et de corail ; enfin, debout, derriere le fauteuil royal, trois ou quatre favorites et la generale en
chef de la garde feminine, qui se distinguait par ses
armes, sa tournure martiale, ses nombreux grigris de
guerre, et enfin, signe distinctif de son grade, par plusieurs queues de cheval attachees a sa ceinture et ondulant sur ses hanches puissantes au moindre de ses mouvements.
Devant le roi, sur les marches de l'autel ou l'on avait
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A Pont et porte de la ville en venant de Cana. 13 La grande C Palais du roi; tour entouree de gaieties pour les receptions officielles.
D La case des sacrifices, sur la grande place. E, E, E Fortes du palais du roi. G Les cases, irregulierement placees, dans lesquelles logent les
amazones. K, K, K Posse et muraille entourant la vine. M Maison du melon. N Case de la mission dans la maison du melon. 0 Case
de la favorite du roi, ou it recevait en audience familiere.P, P' Grandes places plantees d'arbres, oh se tiennent les marches. It, R, R, R Pedals
de petites rues et ruelles bordees par les murs des habitations. S Cases des femmes du roi. T Chemin de la maison du prince Bahadou.
V Route de Cana h Abomey.
LE TOUR DU MONDE.
84
Parasol d 1 onneur.
Sorte de guitare.
Baton du cambode.
a poudre.
ARMES ET USTENSILES.
savait que les blancs etaient des hommes riches et puissants, que parmi eux les Francais etaient renommes par
leurs richesses et leur bravoure, qu'il etait tres-satisfait
des marques d'amitie que lui donnait le roi des Francais,
et que nous pouvions l'assurer que ses sujets seraient
toujours bien accueillis dans les Etats de Dahomey.
Puis, sur une table dressee entre le roi et nous, on
servit des rafraichissements contenus dans les flacons de
cristal d'une riche cave a, liqueurs de provenance europeenne. Sur l'invitation et a. l'exemple de Ghezo, chacun
de nous prit un verre, et nous lui portames un toast qui
fut salue des hourras de toute Fassistance et des decharges de l'artillerie ranges sur la grande place. Pendant
LE TOUR DU MONDE.
85
que le roi buvait, le visage voile, la multitude fit entendre une sorte de houhoulement module, produit par
l'application intermittente des doigts sur les levres. Un
autre toast fut porte a la sante de l'Empereur et suivi
des memes manifestations.
Bien-0t le cambode fit tinter la sonnette pendue a son
con, reclama le silence par le mot plusieurs fois repete
de Dinaba (taisez-vous), et quand it l'eut obtenu, l'un
de tres-belles armes des manufactures anglaises et francaises : parmi ces dernieres, une bolte de pistolets magnifiquement damasquines, portant le nom de Devismes, et
une carabine a la marque de Saint-Etienne. Puis it fit etaler de riches etoffes de velours et de soie, quelques pieces
de ces anciens et splendides damas broches d'or et d'argent, des bijoux, des cristaux, enfin toutes ses richesses
qu'il prenait grand plaisir a nous voir admirer.
Cependant la journee s'avancait : nous etions fatigues,
86.
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
de burnous de lame blanche. Les chapelets qu'ils roulaient entre leurs doigts les faisaient facilement reconnaitre pour mahometans, mais j'en fus reduit aux conjectures sur leur nationalite exacte , mon interprete
n'entendant pas Bien leur langue. Cependant, it m'a
semble comprendre qu'ils etaient venus de Tripoli ou de
l'Egypte , et que ce n'etait pas la premiere fois qu'ils
faisaient ce voyage ; d'oit l'on pourrait conclure qu'il
n'est pas impossible de penetrer par le Dahomey dans
les grands marches de l'intrieur, tels que Sackatott et
Asben. Le chemin serait ainsi beaucoup plus court et
moms dangereux que celui suivi par le docteur Barth et
ses compagnons dans leur dernier voyage'.
Dans la soiree, nous allOmes au palais faire &bailer et
ranger sous une galerie les presents destines au roi. Its
consistaient en belles pieces de soieries et de damas broche d'or, en meubles de luxe, tables, fauteuils, glaces
et cristaux, en boites de parfumerie et de confiseries,
et en un grand nombre de lithographies colorises , representant les divers episodes de la guerre d'Orient.
Il y avait aussi le portrait de l'Empereur et de l'Imperatrice, douze pavilions francais en etamine, semblables a ceux des batiments de la flotte , et quatre dra. peaux francais aussi en soie a franges d'or, la hampe
surmontee de l'aigle imperiale, et timbres, sur la bande
blanche, de l'elephant du Dahomey. Nous apportions
encore, sur la demande expresso du roi, qui avait manifesto le desir de voir les fetiches des blancs , huit statues de saints, de demi-grandeur naturelle, en cartonpate peint et dore, qui obtinrent un tres-grand succes.
Le roi n'assista pas a cette exhibition, mais it y avait
envoys le mehou, le cambode etlo tolonou.Deux femmes,
que nous revimes plusieurs fois aux cotes du roi, s'y
trouverent egalement. C'etaient de grandes nc'gresses de
vingt-cinq a trente ans , assez jolies de figure, avec de
fort beaux yeux, mais d'un embonpoint tellement excessif qu'il approchait de la monstruosite. Nous leur limes
present de quelques Loites de parfumerie et de confitures, mais elles s'enfuyaient en criant quand nous approchions d'elles. Quand elles eurent suffisamment examine tons les cadeaux destines au roi, et dont elles
comptaient Bien sans doute avoir lour part , elles se retirerent et nous rentrames aussi chez nous.
Le 19, vers midi, le roi nous fit dire qu'il dsirait
nous recevoir en audience tout a fait particuliere. Nous
suivimes immediatement son messager, qui nous fit
entrer au palais par une petite porte cachee sous de
grands arbres au pied desquels etait entassee une enorme
quantite d'ossements d'elephants. Le roi nous recut dans
la case d'une de ses favorites, entour seulement de
quelques personnes de son intimit, hommes et femmes,
au nombre desquels se trouvait le mehou. Il nous acmedia trs- gracieusement , en nous remerciant tout
d'abord des presents que nous lui apportions, se fit expliquer l'usage des differents objets qui lui etaient inconnus, prenant soin d'en faire remarquer lui=meme
1. Voyez le Tour du monde, tome II, p. 293 d 340.
87
88
LE TOUR DU MONDE.
Au reste, ce n'est pas seulement sun le champ de hataille que les guerrieres dahomyennes trouvent !'occasion de faire eclater leur intrepidite. Quelque temps
avant notre arrivee , un certain nombre d'entre elles
etaient parties pour aller chasser un troupeau d'elephants
dont on avait signale la presence a trois ou quatre journees de marche au nord d'Abomey. Durant cette audience
memo, un messager apporta au roi, en notre presence,
trois queues d'elephant fraichement toupees, temoignage irrefutable du succes de la chasse. messager
ajoutait que le troupeau d'elephants comptait trentetet es
environ et que les chasseresses continuaient de les poursuivre, comptant faire d'autres victimes avant de revenir.
La maniere qu'elles emploient pour chasser !'elephant
90
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
en batterie sur de grossiers affilts. Les amazanes-artillaws (car ce sont des femmes de la garde qui servent
ces canons) se tenaient, meche allumee, pros de leers
pieces. Derriere nous, on avait dresse sur des piedestaux les statues des saints dont j'ai parle plus haut; ils
n'avaient pas besoin, comme nous, d'une garde pour les
defendre contre l'indiscrete curiosite du peuple , car les
noirs, qui savaient que c'etaient les [cliches des blancs,
ne s'en approchaient qu'avec une crainte respectueuse.
Au-dessus d'eux flottaient majestueusement les plis des
quatre drapeaux francais, timbres de l'elephant blanc
de Dahomey.
Nous allames saluer le roi, qui se leva pour nous
rendre noire politesse , mais sans venir nous serrer la
main, comme it l'avait fait la premiere fois; puis le
cambode nous conduisit a nos places, et la fte conamenca.
Par l'extremite de la place qui nous faisait face deboucha une colonne de cinq a six mille guerriers, presque
tons urines de fusils de traite ou de tromblons, mais
vtus assez irregulierement, qui d'une chemise de colon
bleu sans munches, qui d'un calecon descendant audessus du genou, ou memo du modeste ealimbe, simple
piece d'etoffe nouee autour de la ceinture et dont les
extremites retombent au devant du corps. En tete de
la colonne marchaient une trentaine de musicians. Les
uns soufflaient dans des defenses d'lephant percees
leur petite extremite et rendant un son rauque comparable a celui du cornet a bouquin ; les autres frappaient sur des especes de tambours faits d'une peau de
biche tendue- sur un bloc de bois creuse comme un
mortier ; ceux-ci agitaient un instrument bizarre que je
n'ai vu que la : c'est une calebasse videe, sechee et enveloppee d'un filet tres-lathe dont chaque nmud retient
une vertebre de mouton; je ne puis mieux comparer le
bruit de cot instrument qu'a celui que rend une vessie
gonflee dans laquelle on agite des haricots. D'autres encore frappaient avec de petites baguettes de fer sur des
clochettes pareilles a cellos qu'on suspend au cou des
vaches dans certaines provinces de France. Quelquesuns enfin soufflaient dans des flutes de bambou, mais
je n'ai pu en percevoir le son au milieu du vacarme produit par tous ces executants, cherchant a faire tous
preuve de vigueur d'haleine ou de poignet.
Apres avoir defile devant le roi, qu'ils saluerent en
passant de leurs acclamations, les guerriers se formerent, par une manoeuvre executee avec assez d'ensemble,
sur plusieurs lignes de cinq a six hommes de profondeur
sur cinquante environ de front et echelonnees a quelque
distance les unes des autres. Ensuite ils ouvrirent un feu
bien nourri, les hommes du premier rang tirant d'abord,
puis passant lestement entre ceux des rangs suivants
pour aller derriere recharger leurs armes pendant que
le second rang, devenu le premier, tirait a son tour avant
d'executer aussi la memo manoeuvre, et ainsi des autres. Bientet quelques hommes quitterent les rungs et,
le fusil en arret, le couteau a la main, se mirent a ramper avec une vitesse kora:tante comme pour aller sur-
91
92
LE TOUR DU MONDE.
Clochettes d'orchestre (p
plus sauvages. Enfin, quand tout fut epuise, les munitions et les forces, l'ordre et le silence se retablirent
peu a peu ; les amazunes, reprenant leur rang, vinrent
se placer a la droite du roi.
Ce fut alors le tour des chasseresses d'elephants, qui
n'avaient pas pris part a la scene precedente, et qui youlurent aussi nous donner un specimen de leur savoirfaire. Elles se formerent en cercle et, rampant sur les
mains et les genoux sans abandonner leur carabine,
elles s'avancerent convergeant vers un meme point oil
etait cense se trouver le troupeau d'elephants. Nous
crimes reconnaitre alors l'utilite de cette espece d'armement, les cornes, qu'elles portent sur leur tete. Sans
doute, quand elles s'approchent des animaux qu'elles
chassent, ceux-ci, trompespar ces fausses cornes, croient
voir et entendre un paisible troupeau d'antilopes, et
restent sans defiance exposes aux coups des chasseresses. Arrivees pres des elephants, elles se leverent
toutes a la fois au signal de leur chef, en dechargeant
leurs carabines ; puis, le couteau a la main s'elancerent pour les achever et leur couper la queue, trophee
de leur victoire. Elles revinrent ensuite en chantant
reprendre leur place.
A ces scenes guerrieres succederent des tableaux
plus riants et plus tranquilles. Les jeunes amazones,
armees d'arcs, sortant a leur tour du milieu de leurs compagnes, vinrent se ranger devant nous, et, conduites
par une des plus jeunes et des plus jolies d'entre elles,
executerent, en chantant, une danse guerriere, tenant
d'une main leur arc et de l'autre une fleche. Rien de
plus gracieux que les mouvements lents et cadences de
ces jolies enfants guidees par un chant doux et mono-
93
LE TOUR DU MONDE.
tone, qui nous rappela les vieux airs bretons. Ce n'etaient plus les noires enfants du Dahomey ; c'etaient les
belles filles de l'antique Grece, ou de la voluptueuse
Asie, qui charmaient nos yeux : on devait danser ainsi
aux fetes de Diane, ou a la cour des satrapes persans.
J'avais vu bien des fois les danses et entendu les chants
des diverses peuplades negres dont c'est le principal
divertissement, mais je n'avais jamais rien rencontre de
jeunes esclaves. Elle annonca que le roi allait faire distribuer a tout le monde des vivres et des rafraichissements. Un hourra formidable salua cette agreable communication. Tandis qu'une longue file d'esclaves sortait
du palais portant sur la tete des calebasses pleines de victuailles de toute nature, chacun des cabeceirs, faisant
l'appel de ses hommes, leur distribua ces vivres dont ils
avaient grand besoin, et qu'ils consommerent sur place
sans quitter les rangs. Quatre enormes dames-jeannes
LE TOUR DU MONDE.
94
LE TOUR DU MONDE.
eviter cet inconvenient un moyen assez ingenieux. 11 fit
approcher autant d'hommes qu'il y avait de saints , les
placa aupres, et leur declara quo desormais ils porteraient le nom par lequel on designait leur nouveau patron, ajoutant qu'ils eussent a bien prendre garde de
l'oublier, parce qu'il y allait de leur tete. Cola donna
lieu, le lendemain, a une petite scene tragi-comique
assez divertissante. Un de ces pauvres diables ( c'etait
saint Laurent ) avait, malgre la recommandation, oublie son nouveau nom. En nous voyant passer pour aller chez le roi, it accourut en proie a la plus vivo inquietude , cherchant a nous faire comprendre la facheuse
position dans laquelle it se trouvait. Grace a notre interprets, nous finimes par entendre ce voulait, et
a le tirer d'embarras en lui rappelant son nom de saint
Laurent, qu'il s'en alla repetant entre ses dents de la
facon la plus comique du monde.
Nous rentrames chez nous suivis des acclamations
generales, et pendant la nuit tout entiere le bruit des
instruments et les chants du peuple, en nous tenant
&eines , nous prouverent que la fte n'avait pas et ternainee par notre depart.
Cependant l'objet de notre mission n'etait pas coinpletement rempli. La factorerie francaise de Wydah
avait a traiter diverses questions d'interet commercial
dans le detail desquelles je n'ai point a entrer ici, et
entre autres, cello de l'etablissement a Abomey memo
d'une succursale de la factorerie de Wydah.
Les Anglais avaient deja fait, quelques annees auparavant , des tentatives analogues. Des missionnaires
protestants avaient memo penetre, parait-il, jusqu'a
Abomey, et, negotiants au moms autant qu'aptitres ,
avaient essaye d'echanger contre l'huile , l'ivoire et l'or,
les cotonnades anglaises. Ds avaient d'abord trouve un
appui considerable aupres du mehou en payant largement ses services ; mais, soit qu'une fois pays it eitt abandonne leur cause, soit que la propagande chretienne eat
porte ombrage au roi, toujours est-il quo les missionnaires avaient du abandonner le pays.
Le roi ne tenait guere a les voir revenir, mais leurs
tentatives, souvent renouvelees et soutenues par leur
cien ami le melon, pouvaient a la fin reussir. Ce vieillard
jouissait certainement d'une grande influence sur l'esprit
de son maitre, qui cherchait le mnager en toute occasion. Nous en eames une preuve en cette circonstance ,
car ce fut la nuit, et au Milieu des plus grandes precautions, que le capitaine et le directeur de la factorerie
furent appeles aupres du roi pour conferer avec lui hors
de la presence du mehou. Les questions ne furent neanmoins pas resolues tout a fait comme ils l'eussent desire; l'autorisation d'etablir une factorerie a Abomey
nous fut refusee, comme elle l'avait ete a l'Anglais
Forbes en 1850.
Nos affaires etant definitivement reglees, it fallut son=
ger au depart. Le capitaine annonca au roi qu'il desirait
retourner a son Nord. Chez fit les plus wives instances
pour nous retenir encore quelques jours, disant memo
qu'il nous refuserait l'autorisation de quitter Abomey
95
sitOt. Nous n'aurions en effet pu le faire sans son expresse permission, comme nous en eames la preuve le
jour memo.
J'etais alle me promener en compagnie de deux autres officiers, du cote de la ville oil se trouve la porte
par laquelle nous y etions entres. Il nous prit fantaisie de la franchir, mais les soldats qui la gardaient
nous demontrerent, par une pantomime energique, que
cola nous etait interdit.
A la fin, sur le desir formellement exprime du capitaine, et du reste, sans insister plus que ne le voulaient
les lois de l'hospitalite, le roi nous donna l'autorisation
de partir,
La veille de notre depart, nous allames lui faire une
visite d'adieu. Il nous recut sans apparat dans la case de
l'une de ses favorites. Apres avoir exprime ses regrets,
it fit venir les deux jeunes noirs que nous devions emmener en France. Ces enfants, ages de douze a quatorze
ans environ, etaient, nous dit-on, deux enfants eleves
dans le palais du roi et appartenant peut-titre a quelqu'un de ses officiers, mais ils n'etaient pas ses fils.
L'un d'eux, le plus jeune, paraissait intelligent et vigoureux : it s'appelait Ouzou; l'autre, plus grand mais
assez mal conforme, la poitrine etroite et les omoplates
trop proeminentes, avait l'air assez borne. J'en fis la
remarque au capitaine, en ajoutant que cot enfant, deja
peu robuste, supporterait difficilement le changement
e climat. M. Vallon fit alors demander au roi si on
ne pourrait pas le remplacer par un autre ; mais celuici etait designe , it dut partir. J'appris plus tard que
mon pronostic s'etait realise, et quo ce malheureux enfant etait revenu dans son pays atteint de plithisie. L'autre, dont je n'ai plus entendu parlor, est peat-titre encore au lycee de Marseille, on ils devaient etre eleveF
tous les deux.
Le 24 octobre , nous primes conge du roi, qui nous
serra a tons amicalement la main, en exprimant le desir
et l'espoir de nous revoir. 11 avait fait porter dans notre
case les cadeaux qu'il nous destinait, consistant en etoffes
du pays, armes et ustensiles divers. Les etoffes, produits
de l'industrie dahomyenne , etaient de grands pagnes
de coton de cinq metres de longueur sur quatre de largeur, a bandes alternativement rouges et bleues , et
tres-bon teint, car elles out resiste depuis quelques anflees plusieurs lavages. Elles sent tissees sur de petits
metiers qui ne permettent de leur donner que vingt centimetres au plus de largeur; ces bandes etroites sont
reunies les unes aux autres par des coutures pour former ensuite des pieces de la dimension voulue. Les
armes etaient des sabres et des poignards semblables
coax des amazones de la garde. Nous avions en vain essaye de nous en procurer a prix d'argent les jours precedents. Le roi a le monopole de la fabrication et de la
zente des armes, qu'il distribue et vend a sa guise.
Enfin it nous avait envoye un enorme sac do cauris dont
nous fimes genereusernent abandon a notre escorte,
merveillee d'une pareille prodigalite.
Le 25 au matin, nous quittions Abomey dans le memo
96
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
VOYAGE AU DAHOMEY.
PAR M. LE D r REPIN, EX-CIIIRURGIEN DE LA MARINE IMPERIALE'.
1856 2 . TEXTE ET DESSINS INEDITS.
VIII
Religion. Mceurs. Gouvernement. Industrie. Commerce. Beaux-arts.
98
LE TOUR DU MONDE.
iarangue ou dans la case meme, les idoles sont vaflees a l'infini : hommes, femmes, animaux naturels ou
fantastiques (voy. p. 76), etc. Quelques-unes meme consistent en un simple baton fourchu a trois dents, orne
de bandelettes et supportant un petit vase en terre du
pays plein d'huile de palme ; en une defense d'hippopotame, une molaire d'elephant, une come de cabri..., etc.
Tout objet pent devenir fetiche, si le prtre y a,
par ses paroles magiques, attache quelque propriete
surnaturelle. C'est meme la branche !,a, plus importante
de leurs profits, car ils vendent fort cher aux negres
des amulettes ou grisgris enchantes. Ainsi tel petit
scapulaire de cuir ouvrage et colori, telle griffe de tigre
fixee sur une section de defense d'elephant formant bracelet, telle come d'antilope, preservent de la mort par
le fusil, par le sabre ou par le poison; d'autres grisgris
serOnt tout-puissants contre la morsure des serpents ;
avec tels autres on pourra chasser sans crainte l'elephant ou le tigre. Nous avons vu a Tafoo, dans la case
des fetiches, un grand nombre d'ex-voto, fragments de
jambes ou de bras, mains, pieds, etc., grossierement
sculptes en bois et suspendus au-dessus de la divinite a
laquelle les fideles font honneur de leur g-uerison.
Les mauvais Esprits ont des temples qui leur sont
particulierement consacres, et dans lesquels it est interdit sous peine de mort de penetrer. Les pretres souls
les habitent, et y elevent, dans la solitude, les adeptes
qui devront les remplacer un jour. Quand des voyageurs
de haut rang passent devant ces temples, generalement
places, comme celui de Cana par exempie, sur le bord
des chemins les plus frequentes, ou a la porte des villes,
ils doivent mettre pied a terre,et on a vu plus haut ce
qui se passe alors (p. 79). Le pretre parait sur le seuil
du temple, et, pendant que son acolyte fait tinter une
sorte de cloche, it marmotte les conjurations destinees
h preserver le voyageur de la maligne influence du dieu.
Il n'est pas besoin d'ajouter qu'afin de rendre efficaces
les prieres des pretres, le voyageur doit les payer d'un
present (en cauris ou en marchandises) qu'il depose en
dehors de l'enceinte.
Sans contredit, le fetiche le plus invoque et le plus frequemment represents au Dahomey, est le memo qui
prsidait aux cultes organiques de l'antiquite classique.
Les pretres qui, comme on l'a vu, sont aussi les medecins , traitent les maladies plutOt au moyen d'exorcismes, de pratiques superstitieuses et sorcelleries, que
de medicaments. Les seals emploient, sont des
purgatifs drastiques tires de diverses plantes des families
des euphorbiacees et des convolvulacees. Its font aussi
un usage tres-frequent des ventouses scarifiees, qu'ils
appliquent au moyen d'une section de petite calebasse
en forme de demi-sphere, perce d'un trou a son centre.
Apres l'avoir posse sur l'endroit choisi (c'est toujours
tine des jambes), ils aspirent l'air contenu dans la calebasso, par la petite ouveriure qu'ils bouchent ensuite
rapidement avec une boulette de tire.
Je ne voudrais pas fatiguer le lecteur de details trop
speciaux. Qu'il me permette seulement de lui dire quel-
ques mots d'une maladie a peu pros inconnue en Europe, rare en Afrique, mais tres-commune au contraire
au Dahomey : je veux parler du filaire ou ver de Gull-1,6e.
C'est un entozoaire (genre Maria des helminthes nematoides de d'Orbigny) qui se developpe dans le tissu
cellulaire intermusculaire ou sous-cutane. Un gonflement parfois considerable, la rougeur du membre (c'est
principalement aux jambes qu'on le trouve), une vive demangeaison indiquent sa presence. BientOt it se fait jour
travers la peau ulceree et on pent l'apercevoir au fond
de la plaie. II faut alors le saisir, l'attirer doucement et
le rouler autour d'un petit batonnet, jusqu'a ce que la
resistance qu'on eprouve fasse craindre de le rompre. Si
on parvient, en l'enroulant un peu ainsi chaque jour,
l'extraire en entier, le malade guerit; si, au contraire,
se rompt, cat accident pent avoir des suites tres-graves,
parce que son corps (on n'a encore trouve chez l'homme
que des femelles) est rempli d'une multitude de jeunes
filaires qui restent dans la plaie. Loin d'avoir detruit le
germe de la maladie, on l'a an contraire ainsi considerablement multiplie, et l'inflammation produite par la
presence de ces nombreux parasites pout etre assez intense pour amener la mort. Les naturels pensent qu'ils
avalent ce ver en buvant les eaux saumatres qui le contiennent, mais la verite est que ces animaux, qui foisonnent a l'etat microscopique dans les eaux marecageuses,
s'attachent aux jambes nues des negres qui les traversent, penetrant sous la peau, et s'y developpent ensuite,
pout' causer les accidents dont je viens de parler.
Les pretres ont encore la reputation de preparer des
breuvages qui guerissent de la morsure des serpents
les plus dangereux, des philtres, enfin des poisons d'une
extreme subtilite.
Malgre les offres les plus seduisantes, et la promesse de riches cadeaux , je n'ai pu me procurer aucune de ces preparations. J'ai eu seulement en ma
possession quelques fleches pretendues empoisonnees ;
leur fer etait enduit d'une substance verdiltre, comme
un extrait de plantes fraiches. J'en fis l'essai sur un
chat ; mais malgr d'assez nombreuses blessures et
le soin que je prenais de laisser sojourner le fer dans
la plaie, le pauvre animal au bout de deux jours ne presentait aucun symptOnie d'intoxication : je lui rendis la
liberte et it court encore. Aussi suis-je dispose a n'accorder qu'un credit tres-restreint sur ce point aux recits
de certains voyageurs en Afrique.
Les Dahomyens ne celebrent avec solennite aucun des
evenements marquants de la vie, qui, comme le mariage , la naissance des enfants ou l'inhumation des
mods, sont chez les autres peuples des occasions de rejouissance on de douleur. Le negre, quand it vent se
marier, achete sa future spouse a ses parents et se procure de cetle facon autant de femmes qu'il en desire,
ou qu'il en petit nourrir. Chez les grinds, leur nombre
est quelquefois considerable, et nous avons vu que le
roi en avait plusieurs centaines.
Les Dahomyennes sont en general assez jolies, d'une
tailler mediocre ; elles seraient tres-bien faites, si ell s
LE TOUR DU MONDE.
00
dant lesquelles il fait distribuer au peuple et aux soldats des vivres., de l'eau-de-vie et la plus grande partie de ce qu'il vient de
recevoir. C'est au milieu de la surexcitation et de l'ivresse de ces
jours d'orgie populaire que se consomment les horribles sacrifices
humains qui content la vie a des centaines d'esclates ,
dans le but de conjurer Ia colke des divinites malfaisantes.
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LE TOUR DU MONDE.
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Sacrifices humains au Dahomey. Dessin de Foulquier d'apres un croquis de MM. Repin et Boulange.
102
LE TOUR DU MONDE.
pule, et qui est a la fois l'insigne de sa charge et l'instrument de ses sanglantes executions. Justice faite, la
tete du supplicij, separee du tronc, est placee sur les
crochets de fer qui sqrmontent les murs d'enceinte de
la case royale. Que deviennent les cadavres? J'ai souvent
pose, cette question 'a des Dahomyens de diverses classes,
et je n'ai jamais pu obtenir une reponse bien categorique.
Cependant je ne crois pas les Dahomyens anthropophages : la sanglante tragedie qui se joue chaque annee h la
fete des Coutumes n'a d'autre but quo la satisfaction de
cet instinct inne de cruaute, qui porte la plupart des enfants a faire souffrir les titres plus faibles qu'eux et qu'on
retrouve chez ces peuples touj ours en enfance. II pourrait se faire neanmoins qu'ils attachassent quelque idee
superstitieuse h la consommation de ces Testes et qu'ils
servissent a. de secretes et revoltantes agapes ; mais, je le
repete, je n'ai la-dessus que des soupcons qu'ont fait
naitre dans mon esprit l'hesitaiion et l'embarras des
noirs que j'ai interrogs h ce sujet.
De vastes forets, ou domine le palmier, couvrent
presque entierement la partie du Dahomey situe entre
Abomey et la mer. Quelques plaines cultives environnent seulement les principaux villages ; mais lorsque,
apres avoir franchi la Lama et gravi les pentes qui forment ses berges , on arrive sur les plateaux ou sont
situes Cana et Abomey, la scene change. Ce sent de
vastes plaines, legerement ondulees, semees, surtout
aux abords des villages, de bouquets de palmiers, de
dragonniers et de fromagers. Tantet on disparait dans
les prairies de hautes herbes, tantOt on traverse de
belles cultures de mil, de manioc, d'ignaine et de mais.
Les terrains marecageux sont reserves pour la production
du riz, qui, avec la farine de mais et les ignames, est la
nourriture habituelle des noirs. La viande y est rare,
parce que l'eleve des bestiaux n'entre pas dans lea
habitudes agricoles d'un pays ou le filmier serait inutile, la terre rendant sans engrais le centuple de ce
qu'on lui confie. Du reste, aucune de ces productions
n'est exportee , et l'huile de palme seule alimente le
commerce du Dahomey, pays oil l'ivoire et l'or sont
moires abondants que sur d'autres points de la cote occidentals d'Afrique. Il faut ajouter de suite que ce produit donne lieu a des transactions d'une grande importance et qui permettent a ceux qui s'y livrent de realiser
des benefices vraiment extraordinaires : je pourrais titer
tells maison francaise oft ils se chiffrent par millions.
Tout le monde sait que cette huile provient des fruits du
palmier a huile (Elais Guineensis), d'oa les naturels
l'extraient en les broyant imparfaitement et en les traitant par l'eau bouillante et l'expression.
Le coton parait venir sans culture. Il appartient
l'espece Gosypuens arborescens lame courts), dune
des meilleures qui existent ; malheureusement it est
tres-peu abondant, et loin de pouvoir en exporter, les
habitants du Dahomey n'en ont pas assez pour leur
consommation , car ils achetent aux factoreries une
grande quantite de cotonnades. Es fabriquent pourtant
des etoffes de coton ; mais leurs metiers sont tres-in.
LE TOUR DU MONDE.
parfaits et ne peuvent tisser que des bandes de vingt centimetres de largeur, qu'ils cousent ensuite les unes aux
autres pour confectionner leurs pagnes. Le roi nous fit
present de quelques pieces de ces tissus, et je puis constater encore aujourd'hui qu'ils sont d'une qualite surprenante, taut sous le rapport de la solidite que soils
celui de la teinture ; aussi sont-ils reserves pour les
grands et les riches. Les tisserands dahomyens n'emploient guere que deux couleurs : le bleu et le rouge.
L'indigotier, plante assez commune au Dahomey, leur
fournit la premiere, et ils obtiennent la seconde en pilant, laissant macerer et traitant ensuite par l'eau bouillante la tige du mil.
Le fer et le cuivre sont tres-rares au Dahomey ; on les
emploie presque exclusivement pour les armes blanches : sabres, couteaux, sagaies, etc., dont la fabrication
est un monopole royal. Ces metaux, fournis par les
comptoirs, sont de qualite tres-inferieure ; de plus,
comme les ouvriers dahomyens ignorent l'art de la
trempe, leurs armes sont tres-mauvaises. Ceux qui travaillent les metaux precieux font preuve de plus d'habilete, souvent memo d'assez de goat dans le dessin et
l'ornementation des bijoux, tels que les colliers, les
grisgris et surtout les bracelets d'argent, portes par les
cabeceirs comme insigne de leur dignite. Es se procurent l'or par le lavage des sables auriferes de certaines rivieres qui descendent du versant meridional des
monts de Kong, et vont alimenter, apres avoir traverse
le haut Dahomey, les vastes lagunes qui baignent le
sud de ce pays. Quanta l'argent, au dire mme du roi
Gbh , les monts de Kong en contiennent des mines
fort riches, d'oa les negres le retirent en traitant le
minerai (probablement un sulfure) par le grillage et
103
des fusions repetees. Je ne voudrais pourtant pas garantir la veracite de cette assertion, car les noirs faisaient
alors, comme pour la poudre d'or, commerce d'argent,
tandis qu'ils n'en apportent jamais aux comptoirs.
L'ecriture et les chiffres paraissent etre inconnus au
Dahomey. Les beaux-arts, l'architecture, le dessin, la
sculpture et la musique y sent peu florissants. Les dessins et les peintures que je n'ai vus appliqus qu'a la
decoration des murailles du temple des sacrifices, a
Cana (p. 80), prouvent surabondamment que les artistes
dahomyens n'ont pas l'idde de la perspective. Ce quej'ai
vu de mieux reussi en dessin, ce sont les broderies
executees avec une espece de sole vegetale du pays,
reflets chatoyants d'un jell effet, qui decorent les kendards de l'armee et les bonnets des amazones. Les Dahomyens reussiraient peat-etre mieux en sculpture :
les tabourets tennignent de quelque goat et d'une certaine habilete de main.
Quanta la poesie, je n'en ai trouve d'autres traces
que les chants de triomphe par lesquels les Dahomyens
celebraient leur victoire simulde le jour de la fte d'Abomey et les improvisations en notre honneur que chanterent les femmes du roi. Ces productions, sans originalite,
sont empreintes du caractere emphatique qui distingue
les ceuvres d'imagination des peuples primitifs.
Du reste la langue dahomyenne est tres-pauvre ; elle
n'a de mots que pour exprimer les besoins ordinaires
de la vie et designer les objets qui tombent sous rappreciation de nos sens. Elle n'a pas d'expression pour
traduire les idees abstraites, sans doute parce que ces
idees n'ont pas encore pris naissance dans le cerveau
des Dahomyens.
REPIN.
I
Funrailles , tombe et cercueil des rois. La grande coutume funebre et l'inauguratioa du nouveau souverain, etc., etc.
104
LE TOUR DU MONDE.
Le regent prend ce crane dans la main gauche, et, tenant une petite hache dans la droite, proclame a haute
voix le fait que la nation est censee ignorer (p. 108):
a savoir, que le roi est mort et que lui, regent, n'a jusque-la gouverne qu'en son nom. A l'oule de ces pretendues nouvelles, toute l'assemblee se prosterne, cha-
can se couvre de terre en signe de la plus grande douleur ; mais ces manifestations ne durent qu'un moment ;
le regent, deposant crane et hache, tire son epee du
fourreau et se proclame roi, sur quoi le peuple, passant immediatement du deuil le plus profond a la joie
la plus bruyante, eclate en chants et en danses, au mi-
lieu d'un concert d'instruments de musique dont l'harmonie ne fait pas le principal merite.
A cette occasion, it est d'usage que tons les grands
to les residents europeens des sarames, ou factoreries,
offrent des presents considerables. L'ensemble de touter ces ceremonies s'appelle la Grande Coutume par
106
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR. DU MONDE.
tour du palais. Quand it fut revenu devant la porte, on
tira de nouveau de nombreux coups de fusil, et la encore on massacra cinquante esclaves. Il avait plu h Sa
Majeste de faire grace h dix autres.
Le lendemain, le roi jeta dans les rangs de la foule
des cauris et divers effets d'habillement, pour se procurer le plaisir de la voir se disputer ces largesses.
Durant ce premier acte de la Coutume, les visiteurs
du roi lui firent d'enormes presents. Plus de trois semaines furent ainsi employees, et nous restAmes l en
viron deux mois sans pouvoir obtenir la permission de
nous en aller. Je l'obtins enfin le 1 .r septembre, mais
h la condition expresse de revenir le 12 octobre pour assister h la suite des ceremonies.
.... A peine de retour a Abomey, nous fames appeles au palais. Pres de la porte, nous vimes quatre-vingtdix ftes humaines, tranchees le =tin meme ; lair sang
coulait encore sur le sol comme un torrent. Ces affreux
debris etaient etales de chaque cote de la porte, de maniere que le public pat bien les voir. Quand nous fames
assis en presence du monarque, it nous montra les presents qu'il allait envoyer it l'esprit de son pere c'etaient
deux chariots, des roues, trois plats, deux theieres, un
sucrier, un pot a beurre, le tout en argent massif; un
somptueux coussin place sur une sorte de brouette, que
devaient trainer six amazones; trois superbes hamacs en
soie avec des rideaux de memo etoffe, etc., etc.
Trois jours apres, nouvelle visite obligee au palais
et meme spectacle : soixante ttes fraichement toupees,
rangees , comme les premieres, de chaque cote de la
porte, et, trois jours plus tard encore, trente-six. Le roi
avait fait construire, sur la place du marche principal,
quatre grandes plates-formes, d'oh it jeta des cauris au
peuple, et sur lesquelles it fit encore immoler environ
soixante victimes humaines. J'estime que, pendant la
celebration de ces horribles fetes, plus de deux ?Mlle
etres humains ont te egorges, les hommes en public,
les femmes dans rinterieur du palais.
Etant tombe malade le lendemain, je passai trois
jours sur mon lit, sans que personne me donnat une
bouchee de pain ou une goutte d'eau ; mais cette maladie me servit d'excuse pour quitter la capitale, tandis
que les autres visiteurs appeles furent obliges d'y sejourner encore
II
Politique dahomyenne.
107
108
LE TOUR DU MONDE.
III
Narration de M. EUSCHART, negotiant hollandais, recueillie A. PetitPopo, le 6 AOL' T 1862, par le commandant T. L. PFnItY, du navire de Sa Majeste Britannique le Griffin, et adressee par ce
dernier au gouverneur anglais de Lagos.
juillet 1862). Dessin de roulquier d'apres le lode de M. Euschart et les gravures de M. Forbes.
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LE TOUR DU MONDE.
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Carte indignant a position et les rapports du Dahomey dans l ' Afrique occidentale.
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LE TOUR DU MONLE.
112
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as p.ud'e dahomyen du haut de la plate-forme royale (22 ju , 11-t 1862). Desdn de Follqlier trapres Forbes.
ligator furent egorges en meme temps et les sacrificateurs apporterent un soin minutieux a meler leur sang
a celui des victimes humaines....
Lorsqu'il n'y eut plus rien a tuer dans Abomey, on
me permit enfin de quitter cette vine, et je n'ai pas besoin de dire avec quel soulagement et quelle hate je
sortis de cette capitale de bourreaux, dont le chef, dans
sa munificence, me fit remettre, comme indemnite de
deplacement et frais de route, huit filieres de cauris
(environ vingt-quatre francs), une piece de cotonnade
du pays et un flacon de rhum.
NoTA. Le mois de novembre s'est passe sans realiser les esperances sanguinaires du Bahadou. Les rivieres, grossies outre mesure par les pluies de requinoxe,
ont mis provisoirement Abbeokuta a l'abri de ses menaces, et, au moment de mettre ces pages sous presse,
nous apprenons que le commandant de l'escadre anglaise des mers occidentales d'Afrique vient de se rendre
Abomey, pour signifier au fils de Ghezo le veto britannique. Quels que soient les termes et les resultats
de son message, l'humanite ne peut que s'en feliciter.
Pour extiait et traduction : F. DE LANOYE.
LE TOUR DU MONDE.
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1-6:4
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I
Port-Louis. Aspect general. Types strangers. Les creoles. Le bazar. Les docks. Les cimetieres. Le general de Malartic.
Les courses de chevaux et la saison des bats. Details de mnurs.
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LE TOUR DU MONDE.
Lorsque l'on debarque, fattention se porte tout d'abord sur la statue de la Bourdonnais, qu'on a elevee
devant l'h'Ike' du Gouvernement, dont le style est moitie
asiatique, moitie europeen. Personne n'ignore que tout
etait a creer a l'ile de France quand la Bourdonnais
y arriva. Les quartiers ne communiquaient que difficilement entre eux ; la garnis-on occupait un camp de chaumieres; l'ile ouverte de tons dads et sans fortifications
ne pouvait se defendre centre une invasion. En 1738,
la Bourdonnais fit construire un batiment de cinq cents
tonneaux, le premier qu'on ait lance au Port-Louis. Il
perca des routes dans toutes les directions, bath des casernes magnifiques, des magasins , des hOpitaux, des
arsenaux ; entoura le port de quais, creusa des canaux et
des aqueducs, et eleva la batterie de l'ile aux Tonneliers, situee a l'entree du port et dont les ruines attestent encore aujourd'hui la solidit.
Poursuivi par d'injustes soupcons, it partit en 1747
pour aller se justifier, et, apres mille peripeties, fut fait
prisonnier de guerre par les Anglais et conduit h Londres, oiz l'on eut toute sorte d'egards pour lui. De retour
en France, accuse d'avoir vendu les interets de son pays
et lachement trahi la confiance de son souverain, it devint, comme Lally, victime d'une faction furieuse, fut
arrete et jet a la Bastille. Son secretaire fut force, ses
papiers enleves, et on lui refusa tous les moyens de se
justifier. Sa patience et son habilete triompherent de ces
difficultes, et it reussit a faire parvenir sous les yeux de
ses juges un mmoire justificatif. Les magistrats, eclaires
par l'evidence de la demonstration, lui permirent de cornmuniquer avec le conseil, apres etre reste vingt-six mois
au secret. Neanmoins on ne lui rendit pas la liberte, et
it passa trois ans en prison avant qu'un arret solennel le
declarat innocent, et le vengeat de toutes les calomnies.
Les assembles coloniales de Maurice et de Bourbon,
pour reconnaitre ses services, accorderent a sa fille,
Mme la marquise de Montlezun-Pardiac, une pension
annuelle de trois mille livres.
Le Port-Louis est aussi etendu que les villes de Rouen
et de Bordeaux, mais it est moms peuple. Les rues sont
larges et bien alignees : les plus belles, la rue du Rempart, la rue Royale, la rue du Gouvernement, et la rue
Desforges ou de Paris, terminee par PhOtel d'Europe, ne
depareraient pas une ville de France du second ordre. La
plupart sont bordees de bois noir, arbre du genre des
mimosas, ainsi que de badamiers et de dattiers, dont les
branches pendent souvent sur les murs et sont de l'effet
le plus pittoresque et le plus gracieux.
Le bois noir est un des vegetaux oh la nature dveloppe le plus sa puissance, et qu'elle semble avoir pourvu
des moyens les plus nombreux de se reproduire. Il a
ate porte du Malabar et de l'Arabie dans nos colonies,
et perd ses feuilles a certaines epoques de Pannee.
La multitude des gousses dessechees dont it est alors
convert produisent, quand le vent les agite, un crepitement particulier. Ses fleurs rpandent un parfum delicieux, et it suffit de s'approcher d'un de ces arbres pour
etre entoure comme d'une atmosphere odorante.
Un corps de bkiment avec sa varangue, des pavilions places a droite et a gauche d'un petit jardin qu'une
claire-voie separe de la rue , telle est a peu pres la
forme generale des habitations. Il y a beaucoup de
maisons en bois du pays, mais les constructions en
pierres deviennent plus nombreuses, a cause de la ra
rate du bois et des craintes d'incendie. Les croisees ne
sont pas entierement vitrees ; la moitie seulement en est
garnie de carreaux pour donner passage a la lumiere ;
le reste est ferme par des jalousies mobiles, qui laissent passer l'air exterieur du cote oppose a l'action du
soleil. Le plancher du rez-de-chanssee ne touche point
le sol; l'espace creux qui l'en separe le preserve de
l'humidite, et contribue a maintenir cette partie des appartements toujours seche et salubre. Certaines maisons ont des tours et des jardins magnifiques. La cuisine
et les cases des domestiques sont generalement isolees du
corps de logis.
Les rues voisines du port ont plus d'activite et de
mouvement que les autres ; aussi y remarque-t-on toutes les nuances de couleur, toutes les differences de costumes, du Chinois a l'Indien, do l'Indien a l'Arabe, et
de ce dernier au Malgache.
Le Chinois, qu'on a voulu employer comme travailleur, est essentiellement commercant. Il tient de petites
boutiques, lone des voitures, fait toutes les industries,
et a surtout presque monopolise Pepicerie, a tel point
que, dans le pays, au lieu de dire un epicier, on dit un
Chinois. Arme de son parasol et mini de sa grande
bourse en cuir, on le voit se presser dans les maisons de
commerce chaque fois qu'il y a une vente ou une arrive
de marchandises, ou bien, plus modeste , it porte de
grandes boites carrees soutenues par un baton, a peu
pres comme les porteurs d'eau de Paris portent leurs
seaux, et va vendre ses marchandises dans le Camp malabar ou le Camp creole.
Quelquefois on rencontre un homme au profil caucasien, la tete couverte d'un bonnet de forme bizarre : c'est
un des commercants parsis, originaires du Farsistan, qui
tiennent a Maurice quelque bureau pour les grandes
maisons de commerce de leur nation dont les operations
s'etendent jusque dans l'Inde et en Arabie.
Plus loin s'avance un autre homme a la chevelure
1. Toiture en fer-blanc.
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LE TOUR DU MONDE.
iisse et soyeuse : c'est un Malgache. Son angle facial,
presque aussi droit que celui de l'Europeen, son nez
qui ordinairement aquilin ne s'ecrase point comme celui
du Cafre, ses levres generalement epaisses, mais ne manquant ni de finesse ni de proportion, son regard penetrant et meme souvent farouche, sa peau d'un noir olivatre, tout enfin se reunit pour accuser son origne arabe
et malaise. En effet, ce sont les Malais qui, a diverses
reprises, ont peuple Madagascar, ainsi que les populations arabes qui, depuis la haute antiquite, sont vevues d'etape en etape jusqu'a la grande fie.
On reconnalt, a sa figure cuivree, le Malais vindicatif,
ruse, oubliant un bienfait, jamais une injure; et s'ar-
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LE TOUR DU MONDE.
cellente, et c'est un des principaux edifices du PortLouis qui, sous le rapport des monuments publics, est
moms favorise que sa scour Saint-Denis.
Un peu plus loin, on passe devant le Bazar, batiment
solidement construit en fer, et qui a quelque rapport
avec les nouveaux marches de Paris. II est compose de
plusieurs galeries dont les unes sont affectees aux fruits
et aux legumes, et les autres aux bouchers et aux yendeurs de poisson. Entre sept et huit heures du matin,
it offre un aspect curieux : chacun y envoie des dornestiques de confiance faire le bazar, comme en France
on envoie au marche, et on peut embrasser la d'un
soul coup d'oeil les productions et les physionomies
des cinq parties du monde. Les fruits des tropiques s'etalent en groupes gracieux : l'atte a la creme blanche et
sucree ; la mangue, a laquelle les Europeens reprochent
une odeur de terebenthine, mais qui n'en est pas moins
d'un gait delicieux ; la banane, qui parait dans tous les
LE TOUR
117
DU MONDE.
fois entre, on apercoit les tombes, mais comme ensevelies dans les nids de fleurs, et ca et l on s'arrete devant
quelque touchante inscription, Cu devant un bouquet,
dernier souvenir des vivants a ceux qui ne sont plus. Les
Chinois et les protestants ont leur cimetiere particulier ;
celui des Malais est entoure d'aloes. A quelques minutes
du cimetiere, en longeant la plage, on voit d'immenses
salines, et un pen plus loin, un endroit oit l'on peu.t
prendre des bains de mer, car l'eau y est si basse que
les requins ne peuvent y arriver. On a bati en cet endroit quelques cahutes, et plus dune dame creole y
vient le matin se donner le plaisir de la natation et le
deplaisir d'avaler parfois l'onde amere.
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LE TOUR DU MONDE.
son pays, et qui s'est eteint dernierement a Paris, entour de l'estime de tons ceux qui ravaient connu.
Il n'y a rien a dire sur l'hopital militaire et les casernes ; Ds suffisent a leur destination.
Derriere la cathedrale, monument en forme de Croix
grecque , dont l'interieur n'a nen de remarquable, se
trouvent rarcheveche, et la loge de la Triple-Es*rance,
qui n'est pas la seule du Port-Louis. La franc-maconnerie, dont beaucoup d'habitants ignoraient meme
l'existence avant la conqute anglaise, dut son clat, et
je dirai meme sa vogue, a lord Moira, qui donna le
spectacle public de ceremonies oix tons les francs-macons figuraient avec les decorations de leurs differents
grades.
En repassant devant la cathedrale, on traverse une
assez jolie place, bordee de multipliants et ornee d'une
belle fontaine. Une petite rue conduit a reglise protestante, entouree d'un jardin fort bien entretenu, et surmontee d'une fleche qui a quelque rapport avec celles
des eglises de Bretagne.
Le culte mahometan possede deux mosquees, l'une
dans le Camp malabar, l'autre rue de la Reine.
Les exercices et les revues de troupes ont lieu au
champ de Mars, vaste emplacement situe pres du champ
, de Lore et au pied de la petite-montagne. La musique
militaire des regiments anglais vient y jouer de temps
en temps vers quatre heures, et ces jours-la, on voit s'y
presser des pietons et des voitures 616gantes, pres desquelles caracolent quelques jeunes gens a cheval. Ce
sont les Champs -Llysees du Port-Louis. Au centre, la
reconnaissance des Mauriciens a eleve un tombeau et
une colonne au general Malartic, dont le courageux
sang-froid dans les circonstances les plus critiques et le
gouvernement paternel sont restes graves dans tons les
souvenirs. Sa mort, le 24 juillet 1800, causa une consternation generale. Les vaisseaux anglais en croisiere
devant Maurice s'associerent au deuil de l'ile : au
moment de la translation des cendres du general au
champ de Mars et durant toute la ceremonie , ils se
tinrent en panne devant le Port-Louis, avec leurs pavillons en berne. Hommage, dit M. d'Unienville, qui
fait l'eloge des hommes capables d'honorer ainsi la
vertu, meme chez leurs ennemis.
C'est au champ de Mars qu'ont lieu, au mois d'aotit
de chaque annee, des courses de chevaux qui durent trois
jours. Get amusement, essentiellement britannique, a ete
introduit par les Anglais peu de temps apres la conqute
de l'ile, et est parfaitement entre dans les mwurs mauricierines. On construit pour cette fete des loges elegantes
a deux etages ; des tentes de toute forme et de toute
grandeur s'etablissent de tons cotes, ainsi que des balancoires, des jeux et des mats de cocagne. De grand matin, les Indiens, dans leurs plus beaux costumes, arrivent
en mule; toute la population accourt, en carrosse , en
carriole, a hue, a pied, et chacun cherche a se placer le
mieux qu'il peut. Les petits noirs, qui n'ont pu trouver
place pres des loges, s'allongent a plat ventre dans l'espace libre entre ces dernieres et le sol, et applaudissent
LE TOUR DU MONDE.
que reunion. Les membres du Jockey-Club se cotisent
tons les ans pour donner des bals dont j'ai pu apprecier plusieurs fois le luxe et le bon gat. Tout le monde
se connaissant un peu au Port-Louis, il n'y regne pas
cette froideur que l'on remarque souvent ailleurs : une
franche gaiete anima toutes les figures. Quand une
danse est terminee, le cavalier peut se promener avec
sa danseuse dans le bal, aussi longtemps que celle-ci
lui accorde des danses ; cat usage est bien et dAment
etabli; les jeunes gens profitent de ces charmants tetea-tete quo la mode leur reserve et que l'habitude a consacres, et l'on peut dire avec certitude que c'est au bal
quo s'ebauchent presque tons les mariages.
En general, on se marie jeune a, Maurice, et cela se
comprend , car la vie de famille est une condition indispensable pour quiconque vent habiter les colonies. Le
Parisien est souvent hors de chez lui; le creole, au contraire, vit enferme le plus possible. Comore on se visite
peu, il est bon de trouver chez soi une societe pour se
Glasser des travaux de la journee, et cette predilection
pour les habitudes d'interieur tient autant a la chaleur
du climat qu'aux mceurs britanniques. Les Anglais n'ont
pu s'assimiler completement le pays et y detruire l'esprit francais , cependant ils y ont apporte quelques-uns
de leurs usages qui ont penetre peu a peu dans la societe mauricienne. Le home anglais a prevalu, et in, sensiblement on s'est fait a ce genre de vie, favoris du
reste par une temperature enervante. Le commercant
ou l'homme d'affaires qui a couru tout le jour au soleil,
le commissaire-priseur qui a crie pendant plusieurs henres, le bureaucrate qui aligne des chiffres depuis le
matin ; tons enfin, quand le travail est fini, aiment h
rentrer a la maison et a se reposer des peines et des
fatigues du jour dans la compagnie de leurs femmes et
de leurs enfants.
Pendant Pete, les bals cessent, et il n'y a guere d'animation que le samedi soir, oit chacun se dirige vers la
campagne pour y passer le dimanche, y jouir de la
fraicheur et so livrer aux plaisirs de la chasse ou de la
'Ache.
En general, on se couche de bonne heure au PortLouis. A huit heures du soir, un coup de canon part de
la forteresse de la Petite-Montagne et, pour bien des
personnes , c'est le signal du repos qui n'est interrompu
qu'en cas d'incendie : quand survient un de ces sinistres, la forteresse tire un coup de canon pour le faubourg
de l'est, deux coups pour celui de l'ouest et trois coups
pour le centre. A. part cette rare circonstance, le calme
le plus parfait regne dans la villa et n'est trouble qua
par la voix gutturals du veilleur de nuit, qui parcourt les
rues en criant les heures.
Maurice est de toutes les colonies cells ou les ideas,
les mceurs et la civilisation europeennes se sont introduites et acclimatees le plus aisement. Elle est en avance
sur la Reunion, sa voisine, et elle a suivi chaque annee
et adopts, taut qu'elle a pu, tons les progres de la
science et de l'industrie modernes. En ce moment des
ingenieurs, envoyes de Londres, y construisent un che-
119
II
Excursion dans l'ile La Grande-Rivii:re. La caverne de la
Petite-Biviere. Les plaines Saint-Pierre. Le morne Brabant. Le Bassin-Bleu. La riviere du Tamarin. Les cocotiers et les veloutiers.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
de loin une odeur agreable, qui se perd lorsqu'on approche, et de pres est rebutante.
Je ne quittai pas les plaines Saint-Pierre sans visiter,
sur l'habitation Ducasse, deux cavernes assez renaarquables. L'une d'elles, traversee par un ruisseau souterrain,
se compose de deux vastes salles froides et humides, et
renferme le tombeau de l'ancien proprietaire.
III
Excursion a la riviere Noire et a. la riviere des Galets.
Au mois de decembre, muni de quelques lettres de recommandation, je partis avec un jeune homme, habitant de File, pour visiter la riviere Noire. La profonde
ravine oa coule la riviere du Tamarin nous conduisit
d'abord au pied de la montagne des Trois-Mamelles,
dont la forme et les trois pitons expliquent parfaitement
le nom caracteristique. Nous arrivarnes bientOt a Yemen.
La chaine des montagnes de la riviere Noire s'tendait
a notre gauche, et quand nous eilmes gravi une colline assez elevee, la vallee s'ouvrit devant nous, et nous
laissa voir l'habitation Geneve oa nous devious nous
arreter.
C'est un grand corps de logis entoure de pavilions et
comme perdu dans une fort d'arbres a fruit. Le proprietaire vint nous recevoir au bas de son perron et nous
fit cet accueil aimable qui donne taut de charmes a l'hospitalite creole.
Les environs abondent en gibier et en produits de
toutes sortes. Cette partie de l'ile est un veritable pays
de cocagne. Les bois sont pleins de cerfs, et les rivieres
de poissons delicieux. Rien n'est plus delicat que la carpe
de Maurice, a laquelle le saumon seul peut etre compare
pour le bon gout et la finesse de la chair.
Au sortir de l'habitation, le lendemain, je me trouvai
dans de petites gorges oil la canne a remplac partout
le bois du pays; de la je distinguai le piton de la riviere
Noire, dont le sommet est toujours convert de nuages :
c'est la montagne la plus elevee de l'ile.
Un pen plus loin, apres avoir vu deux cones dont la
base s'appuie au morne Brabant, nous nous enfoncames
dans une allee, au bout de laquelle it fallut passer la
riviere ; nous la traversames sept fois avant d'arriver au
terme de notre promenade.
Plus loin les gorges se separent en deux routes, dont
l'une monte dans les hauteurs au milieu des bois, et
l'autre suit la riviere jusqu'a un rocher qu'on appelle
la Lanterne. Ce roc a une forme anguleuse et accentuee,
et offre quelque ressemblance avec celui de Lurlei sur
les bords du Rhin'. C'est un endroit de halte pour les
chasseurs, et je m'y arrtai un instant sous l'ombrage
protecteur d'un manglier touffu, pres d'une petite case
en paille penchee par le vent. Devant moi s'enfoncaient les gorges dont les derniers replis formaient une
espece de muraille apres laquelle commence le quartier
1. Le Lurlei est un rocher oil residait, dit la legende, une ondine qui attirait les voyageurs par ses chants et les precipitait ensuite dans un gouffre.
122.
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LE TOUR DU MONDE.
En parcourant la cote jusqu'au pied du morne Brabant, haut de deux mule pieds, on passe par une succession de gorges d'une beaut pittoresque, au fond
desquelles coulent des ruisseaux sans nombre dans la
saison des pluies.
La plaine entre les montagnes et la mer est rongee
en beaucoup d'endroits par Faction de l'eau et se continue ainsi jusqu'au morne, dont les cotes sont couverts
de jamlongues (syziumjamboloma), lesquels out survecu
seuls aux boil noirs et aux autres arbres qui croissaient
la, jadis. Pres du sommet de ce promontoire, un ruisseau qui ne s'est jamais desseche coule sur un petit
plateau longtemps habite par une bande de noirs mar-
LE TOUR DU MONDE.
tend a disparaltre tons les jours, et ne se rencontre
plus maintenant qu'a la Savane, au Grand-Bassin et
dans quelques parties du quartier de Flacq.
Quand nous fumes arrives pros du sommet de la mon
tagne que nous cOtoyions depuis quelques minutes, mon
125
compagnon me dit de remarq uer un cbangement de tern perature qui allait se faire sentir subitement : en effet
peine avions-nous pose le pied sur le plateau vers leque
nous nous dirigions, qu'a une grande chaleur succeda
tout d'un coup un vent tres-froid qui nous prit en echarpe
seux que, meme pour de Pargent, on ne peut les decider a faire une course ou a porter un fardeau. La terre
y est excellente, l'eau abondante ; mais la difficulte des
communications empeche la culture d'envahir le peu
de bois qui reste encore.
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LE TOUR DU MONDE.
resque de bois et de montagnes. Pour abreger le chemin, Isidore, guide seulement par son instinct, voulut
me faire passer a travers des groupes d'aloes melanges
de touffes d'arbres ; mais, au bout de quelques minutes
mes habits furent tenement transperces par les spines,
qu'il me fallut abandonner la partie. Nous reprimes le
sentier, qui parfois est a. peine visible et si peu frequents
que nous etions obliges de temps en temps de couper les
lianes et les arbrisseaux , cruises et entrelaces sur nos
tkes ; nous &ions en danger de nous agarer dans le bois,
sans un noir qui vint fort h propos nous indiquer la
route. Quelques minutes apres, je m'arrtai pres d'une
petite chute d'eau appelee la cascade du Bassin-Marron, et, tandis qu'Isidore allait ddpouiller les bananiers
des environs, je fis un croquis de cette gorge, l'une des
plus sauvages de l'ile.
Une bienveillante hospitalite m'attendait a l'habitation de M. Bertrand oh j'arrivai dans l'apres-midi. Le
gendre de mon like , M. Staub, voyant mon desir de
ne negliger aucune des beautes du pays, me conduisit par un sentier escarps, horde de veloutiers et d'une
grosse liane appelee la fouge, sur la montagne du Canon, ainsi nommee parce que les Francais, quelque
temps avant la prise de l'ile, avaient fortifie ce point et
y avaient place une batterie pour defendre le littoral
voisin.
Des masses enormes de basalte semblent jetees
comme par la main des Titans sur ce plateau, au pied
duquel s'etend une immense prairie couverte de filaos
qui se prolongent jusqu'au morne Brabant. En tournant
le dos a la mer, j'embrassai d'un coup d'ceil toute la
partie du pays comprise entre la baie du cap et le piton
de la riviere Noire.
Je descendis le long de la cote toute bordee de rochers
noiratres que ronge continuellement la vague, et, apres
avoir lenge le rivage, je tournai une langue de terre qui
forme le barachois de cette baie, oh ne se rendent guere
que les batiments ckiers d'un petit tonnage. M. Bertrand est oblige de se servir d'un bateau pour se rendre
en ville, car aucune route carrossable ne mene a son
habitation completement isolee du reste du pays par le
cercle de hautes montagnes qui l'entourent.
Je remarquai surtout chez mon like une petite caverne dont l'interieur est garni de prismes basaltiques
tres-curieux, et tine liane de l'Inde , appelee la liane
sabre , qui atteint des proportions colossales. Elle est
tordue dans tons les seas, et sa forme se contourne
d'une facon si etrange qu'en certains endroits on croit
voir la tete d'un serpent a lunettes.
Le jardin produit des ananas et des letchis d'une qualite superieure. On y voit des palmistes qui s'elevent audessus de tous les autres arbres, et dont latige terminate,
laquelle on a donne le nom de chou, est formee de jeunes feuilles roulees les unes sur les autres, fort tendres
et d'un gait exquis. Ce chou se mange ordinairement
en salade; mais pour se le procurer on est oblige d'abattre l'arbre.
M. Bertrand avait un Indien qu'il envoyait tous les
LE TOUR DU MONDE.
fours chercher du pain 'a Beauchamp et qu'il m'offrit
pour porter ma valise jusqu'a cette .propriete, situee
trois heures de marche du Cap. J'acceptai son aimable
proposition et, pour eviter la chaleur, je partis de grand
matin.
Une colline asset elevee separe le Cap du reste de la
Savane; elle est contournee par un troit sentier taill
dans ses flancs. En descendant, j'eus un magnifique
panorama de la cote de la Savane couverte au loin
de grands nuages noirs ; j'apercevais aussi, vivement
eclairee par le soleil, la ligne des brisants qui entourent l'ile comme d'une ceinture blanche, et qui
rendent son abord si dangereux. C'est l'ceuvre des polypes coralligenes semblable a l'anneau magique des
traditions orientales qui rendait son proprietaire invulnerable tant qu'il le possedait, et le laissait sans defense
chaque fois qu'il lui etait enleve. En 1810, l'ile n'aurait jamais ete prise, dit-on, s'il ne s'etait trouv des
traitres pour v:,ndre l'anneau.
En arrivant h Beauchamp , je demandai tout d'abord
un guide pour aller visiter la cascade et la riviere des
Galets. Mon hOte mit a ma disposition un charretier
noir, nomme Denis, qui, ayant longtemps travaille dans
les grands bois , en connaissait tons les detours , et
m'assura qu'il y avait au plus pour une heure de
marche.
Quoique un peu fatigue, et n'ignorant pas que lorsque
un noir vous pane d'une heure de marche, it faut au
moms compter sur deux, cette promenade ne m'effrayait
pas; aussi a midi, sous un soleil de feu, je me mis en
route avec Denis que je chargeai de porter deux cannes
sucre pour nous servir d'appui dans les bois et de
rafraichissements a chaque halte.
Le chemin cOtoie pendant une heure de grands champs
de cannes parsemes de pierres, et serpente ensuite le
long d'une colline apres laquelle commencent les grands
bois. Nous nous arretames en un endroit appele Jacobi, au bord d'un petit ruisseau. J'etais entoure d'arbres qui tirent tons leur nom de la fantaisie des habitants, et mon guide me nomnia successivement le bois
de rondo qui est dur et tortu, le bois de natte et le bois
de pomme qui sont tons deux rouges, et dont le second
produit un fruit insipide qu'on appelle pomme de singe;
le bois puant qui tire son nom de son odeur ; le bois
de fer dont le tronc semble se confondre avec les racines ; enfin les faux tatamaca qui parviennent a d'enormes dimensions, car on en voit de quinze pieds de
eirconference ils ne sent pas d'une jolie forme, se
composant invariablement d'un tronc tres-long et tresdroit, surmonte d'une houppe de feuilles dures et d'une
couleur vert sombre ; leur bois est board, cassant et se
pourrit aisement.
Ayant remarque sur un de ces arbres une masse
enorme, de couleur noiratre, qui avait l'air d'une pierre
fixee entre deux branches, je demandai a Denis ce quo
c'etait, et il me repondit que j'avais sous les yeux un
nid de carias. En examinant l'interieur de ces nids, on
y decouvre une foule d'alveoles, et des chemins de corn-
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LE TOUR DU MONDE.
cade, dont l'aspect grandiose me dedommagea largement de toutes mes fatigues. Formee par la riviere des
Galets qui tombe de la moutagne dans la plaine par
une chute d'environ six cents pieds, elle se compose
de plusieurs groupes de rochers d'une teinte ferrugineuse, couverts de fougeres et de mousses jaunatres ;
a l'epoque ou je la visitais, c'est-h-dire pendant la secheresse, elle ne forme qu'une petite masse d'eau qui
s'arrete de rocher en rocher et tombe enfin dans un
bassin au pied de la montagne.
Rarement ces lieux sauvages sent rejouis par le chant
des oiseaux, le silence n'y est trouble a de rares inter-
LE TOUR DU MONDE.
129
IV
Souillac. Cascade de la Savane. Le Grand-Bassin.
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LE TOUR DU MONDE.
sion. Cet animal n'avait qu'un defaut : c'etait un trot excessivement dur qui me fatigua beaucoup. Bonne bete,
du reste, et n'ayant pas ces caprices desagreables de certains coursiers des environs de Paris, qui, au moment oft
on s'y attend le moins, sont pris de l'envie de se frotter
le dos et vous font rouler avec eux dans la poussiere.
En quittant Combo, je longeai un vaste terrain appele
e Bois-Sec, dont l'aspect etait tout a fait desolant;
a droite et a gauche, je ne voyais que bois desseches
et troncs d'arbres renverses. Un pen plus loin, des
Indiens etaient coupes a defricher un coin de la fork :
operation qui consiste a couper les arbres, dont on bride
ensuite les troncs et les racines. La cendre qui en resulte
forme une couche d'engrais , sur laquelle on plante au
bout de quelque temps de jeunes pousses de cannes.
Il est curieux de remarquer que, partout oti l'on a fait
des percees dans les forets, le vent, a. repoque des oursgans, detruit tons les bois qui se trouvent dans le
voisinage de ces eclaircies. Ce fait s'explique d'une maniere fort naturelle. Les arbres, tres-rapproches les
uns des autres, tendent a s'elever pour avoir de l'air,
comme des nageurs a la surface de reau ; et les lianes
qui les soutiennent forment une masse compacte sur
laquelle le vent n'a aucune prise. Es ressemblent a ces
guerriers de rantiquite qui s'attachant les uns aux autres avec des chaines, resistaient a tons les efforts ; mais
des qu'on faisait une trouve dans leur masse, tons etaient
perdus et tombaient massacres les uns apres les autres.
Je m'enfoncai ensuite dans un petit sentier oit les
langousses, grandes plantes feuilles jaunes portees sur
une tige tres-mince, et le tabac marron formaient un
fourre si epais, que j'etais comme souleve par ces plantes. Le sentier s'elve graduellement et les mauvais pas
qui s'y succedaient e chaqueinstant me faisaient craindre
de voir flchir ma monture ; mais Jean-Baptiste se montra digne de sa reputation et triompha bravement de
toutes les difficultes.
Ce qu'il y a de plus curieux dans ces forks, ce sont
les nombreux cas de greffe naturelle que l'on y observe.
Une espece faible, rapprochee par accident des grosses
branches d'une autre espece, y prend racine et en devient
comme partie integrante. C'est ainsi qu'on voit quelquefois unmimosa prosperer sur une branche de l'arbre de
bois de natte, ou sur celui appele bois de cannelle. Les
racines pendent comme des cheveux autour de la mere
branche. C'est la un phenomena qu'on ne saurait voir
dans nos forks d'Europe, oit it n'est donne qu'h unpetit
nombre de plantes parasites, telles que le gui, de s'etablir a demeure sur un arbre etranger.
Plus on avance, plus le bois se retrecit I et on voit de
nouveau apparaitre les colophanes, pres de ces immenses
fougeres arborescentes qui sont une des plus belles decorations des forets tropicales. Leur tronc ligneux a des
cotes comme celui du bananier, et porte a son sommet
1. Anciennement, dans ces grands bois, vivait une race de
chiens marrons, qui, passes entierement a l'etat sauvage, chassaient le cerf et meme l'homme. Ces animaux ont totalement
disparu.
de la Cagte
Par
IPLA.D.ARDENNI:
cal1361.
132
LE TOUR DU MONDE.
au fond s'estompent legerement dans la brume les cretes des montagnes de la Savane.
Le centre du bassin est occupe par une petite Ile sur
laquelle on a plante des vakois et des arbrisseaux, et
qui ressemble de loin a une corbeille flottante. Un jardin et quelques bananiers entourent la case ou habite
un noir, place la comme gardien par le gouvernement.
Il n'y a pas d'oiseaux aquatiques sur le Grand-Bassin,
et ses eaux ne renferment que des poissons dores et des
anguilles enormes. On pretend que ces dernieres ont
quelquefois devore des baigneurs. Les environs abondent en gibier et en singes, dont on entend de temps
a autre le cri aigu et desagreable.
Le Grand-Bassin est le reservoir d'on s'echappent,
dans toutes les directions, ces,rivieres bienfaisantes qui
fournissent l'eau a toutle pays. En divers endroits, sa profondeur va jusqu'a soixante pieds ; it y en a d'autres dont
la croyance populaire vent qu'on n'ait jamais pu trou-
Un des passe-temps qu'affectionnent le plus les creoles est sans contredit la chasse au cerf, presque abandonnee en France depuis la Revolution et la division des
proprietes. A Maurice, on le nombre de ces animaux
est encore considerable, une chasse au cerf est une
veritable partie de plaisir : on part en bande de quinze
ou seize personnes, et on se rend dans un endroit de
la foret ou se trouve un Boucan, ou lieu de halte forme
le plus souvent d'un simple hangar reconvert de paille ;
mais les gens riches font batir de petits pavilions en
bois, et on y reste quelquefois pendant une quinzaine
a pother et a chasser dans les environs.
Chaque chasseur part avec un petit sac de voyage et
une grosse couverture de laine, dont it s'enveloppe pen
dant la nuit qui, dans la fork, est souvent tres-froide.
Vers quand midi, les domestiques noirs ont rabattu le
cerf, tous les chasseurs courent se placer sur la ligne'oa
it doit passer et atter dent impatiemment le moment de
134
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
geurs qui ont passe a Maurice, excepte par une femme
clebre, Mme Ida Pfeiffer 1 , dont on peut dire, it est
vrai, comme circonstance attenuante, qu'elle etait dj
atteinte, lors de son passage dans l'ile, de la maladie
bilieuse dont elle devait mourir peu apres.
Aux environs de Gros-Bois, vers cette partie du pays
qu'on appelle le Bras de mer du Chaland, le nom de
Souffleur a ete donne a un enorme bloc de basalte noir,
relie a peine a la terre par un petit isthme, et dont l'interieur est perfore jusqu'au sommet par une cavite qui
communique avec la mer. La base du rocher est entierement tapissee de goemon , reconvert incessamment
par l'eau qui sort du rocher et retombe en cascades
sur ses flancs. Dans les Bros temps, la mer se precipitant avec force dans l'interieur et rejaillissant en forme
de jet d'eau, le fait ressembler a une enorme baleine
qui se serait echouee sur le rivage. Le bruit qu'il produit s'entend de tres-loin; aussi dans le voisinage,
135
Le
de Souffleur, cache au fond d'une excavation souterraine oh le vent s'engouffre. Je pus l'observer en me
mettant a genoux et en approchant mon oreille de la
terre. L'Indien qui m'accompagnait n'osait point m'imiter, et comme je lui en demandais la raison, it me
dit que ce bruit venait du diable.
Quelques jours apres, M. Vallet me conduisit a Mahebourg, que je n'avais pas encore visitee. Mahebourg,
fondee en 1805 par le general Decaen, est magnifiquement situee sur le cote sud d'une pittoresque rangee de
montagnes basaltiques, et au bord d'une baie profonde
oix viennent se jeter deux belles rivieres. Elle possede
des magasins bien approvisionnes, et quelques belles
maisons, mais beaucoup de ces dernieres sont comme
en ruine et ressemblent a certaines habitations du
1. Voy. t. IV, r. 305 5 320
I36
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
137
quelque temps, parce qu'a l'arrivee de touter les voitures, M. de Rochecouste et plusieurs autres habitants allaient au-devant d'elles et se partageaient les voyageurs.
138
LE TOUR DU MONDE.
La vegetation de ce Ste de l'ile a beaucoup de rapport nourriture. Point de musique, point de gaiete; 1'Indien
avec celle de Madagascar, et le ravenal (urania speciosa) est d'une nature sombre et it est generalement peu corny pousse presque partout.
municatif. Il vit la dans la compagnie de sa femme et de
Cet arbre atteint jusqu'a trente pieds de haut. Son quelques animaux qui grouillent autour de lui; parfaisommet est couronne d'un groupe de branches en forme tement a l'aise au milieu d'une odeur insupportable qui
d'eventail. Le tronc est d'une substance cellulaire donee,
vous prend a la gorge et vous force bientOt a sortir de
les fleurs sont blanches, et les fruits, qui ont la forme la case.
d'une petite banane, sont secs et on ne pent les manger.
Avant de quitter le Grand-Port, notons, d'aprs
On lui a donne aussi le nom d'arbre du voyageur, parce
M. d'Unienville, que les excavations artificielles qui s'y
qu'en pratiquant une incision dans l'endroit oir naissent trouvent demontrent avec certitude un grand bouleverses branches, it en coule beaucoup d'eau. Il nous a
sement occasionne par des feux souterrains. Plusieurs de
paru que, pour s'expliquer ce bienfait naturel, i suffi- ces excavations, telles que le trou Fanchon et le trou
sait de remarquer comment se forment, dans les em- Magnien, communiquent, dit-on, avec la mer. On a
branchements , des cavits oti l'eau de pluie sejourne tents d'etudier les votites des souterrains et les commuainsi que dans un veritable reservoir.
nications de ces trous ; mais ces essais n'ont pas pu donJ'ai gouts plusieurs fois de cette eau et l'ai touj ours
ner de resultats satisfaisants, le manque d'air ayant fait
trouvee tres-mauvaise, par suite sans doute des parties eteindre les lumieres a une dertaine distance. M. Charvegtales qui s'y etaient melangees.
ron a passe vingt-quatre heures dans le labyrinthe de
On trouve encore dans cette partie du pays une es- ces cavernes et s'est trouve fort heureux de retrouver
pece de cannelle qui forme de jolis buissons sur le bord l'ouverture par laquelle it Otait descendu, et qui peut
des bois, et une petite plante, la sensitive, qui, comme avoir une vingtaine de pieds de profondeur.
on sait, des qu'on la touche se referme sur elle-mme.
La route de Beau-Vallon au Port-Louis traverse d'aUn peu plus loin, sur la magnilique propriete de Ferney, bord les plaines Magnien, oil se trouve le village de ce
on voit l'embouchure de la riviere Champagne encom- nom. Plus loin, pres du Hangar, qui est la derniere habree d'enormes mangliers. Cet arbre croit generale- bitation en revenant de Mahebourg, on rencontre
ment pres de la mer; ses branches et ses racines serpen- gauche du chemin une jolie petite cascade sous laquelle
tent sur le sable, et s'y entrelacent de telle sorte qu'il
est creusee une charmante piscine naturelle. Les bords
est impossible d'y debarquer. Son bois rouge donne une
en sent converts de menthe qu'on y a plantee autrefois
mauvaise teinture.
et qui s'est repandue maintenant de tons les cotes.
Un soir, j'entendis a Beau-Vallon un noir jouer d'un
Les fougeres arborescentes sont aussi tres-nombreupetit instrument qu'il faisait vibrer dans sa bouche : ce ses dans ce quartier, et leurs feuilles d'un vert pale, forfut la seule fois que j'eus occasion d'entendre la mu- mant de veritables parasols de feuillage, donnent au
sique des Mozambiques, qui autrefois chantaient et dan- paysage un caractere tres-original. Leurs troncs, d'une
saient souvent au son du bobre' et du tam-tam'. La couleur noire et dont quelques-uns acquierent jusqu'a
musique du Malgache est melancolique, sa danse est vingt-cinq pieds d'elevation, ont peu de tenacite; mais
grave, serieuse, et son instrument favori, le marrow- comme ils ne sont pas attaques par les insectes, on les
vane (harpe malgache), le rend triste en lui rappe- emploie souvent comme palissades.
lant les souvenirs de son enfance. Ce marrow-vane est
Le terrain, qui s'eleve graduellement a partir de Maune lyre cylindrique dont les cordes, au nombre de sept hebourg, forme une eminence haute de deux mills pieds
ou huit, sont distribuees autour d'un troncon ou d'une au-dessus de la mer, l'on apercoit une graude parpetite colonne de bambou; elles sont formees de filets tie de l'ile, se deroulant au loin avec son immense
d'ecorce, detaches du cylindre lui-mme et tendus par nappe de champs de cannes.
des chevalets places pres des nceuds qui sont a l'un et a
A droite et a gauche, la route est couverte de bois
l'autre bout. Quant aux Indiens, ils chantent plutot dans et bordee de buttes ou vivent des charbonniers et des
la douleur que dans la joie. On ne voit plus, quand la nuit Micherons. Ces gens sont bien retribues pour leur tratombe, ces groupes de noirs qui se reunissaient autour vail, et rien de plus juste, car, l'atmosphere tant toud'un grand feu et qui, dans l'intervalle de leurs danses jours humide dans cette partie de File, leur metier est
et de leurs gambades les plus pittoresques, ecoutaient des plus penibles. Durant la saison seche, ils se nouren silence quelque histoire d'homme assassins, dont le rissent de tandrecsi et de singes; ils sont tres-friands
gniang revenait tous les soirs, et dont on ne pouvait se de la chair de ces derniers animaux, ainsi que des moupreserver qu'en portant des grigris. Maintenant, si toucks' et des larves de mouches jaunes ; pendant tout
on entre dans la case d'un Indien, on ne voit que des le temps des pluies, ils vivent de poissons.
murs sales, des vetements deguenilles, et au milieu un
En descendant du point oulminant de cette month,
tas de cendres qui indique l'endroit on it fait cuire sa on arrive pres de l'ancienne route du Grand-Port, et
en marchant a droite pendant un quart de lieue on en-
LE TOUR DU MONDE.
tend le bruit d'un moulin a scier que met en mouvement une branche de la riviere des Creoles.
Le sol des plaines Wilhems, que je dus traverser
pour rentrer au Port-Louis, est bien plus beau que celui du Grand-Port ; la verdure y est plus luxuriante
et la temperature plus douce : aussi y trouve-t-on un
grand nombre de maisons de campagne, et c'est le lieu
choisi par les habitants riches pour passer agreablement les mois caniculaires de decembre, janvier, fevrier et mars.
VI
Moka. L'ascension du Pouce. Le Reduit. Le canton des Vakois.
Pour explorer le quartier de Moka que je ne connaissais pas encore, je resolus d'abandonner les grandes routes et de faire l'ascension du Pouce. Je partis
de grand matin avec deux compagnons, et me rendis au
139
dela du monument Malartic dans ce qu'on appelle l'enfoncement du Ponce, vaste cirque dont les rochers d'une
lave tres-dure ont quelque analogie avec les gradins
d'un amphitheatre. Le chemin, assez doux d'abord, devient ensuite tres-escarpe, et la marche est de plus en
plus fatigante jusqu'au sommet de la montagne. Quoiqu'on soit protg contre le vent par une haie d'arbustes et quelques arbres de foret, on arrive avec plaisir
sur un immense plateau dont le centre est occupe par
un mamelon isole, ressemblant a un ponce et couvert de
bois qu'habitent un grand nombre de singes. De ce point
la vue s'etend de tous les cotes et embrasse une grande
partie de l'ile : on apercoit a gauche le canton des
Pailles, la petite riviere Moka, et les plaines Wilhems;
a droite les Pamplemousses, la baie du Tombeau ; et
au bas de la ville, la rade, les navires ressemblant a des
toques de noix, et le champ de Mars pareil a un chale
qu'a l'endroit appele Creve-Cceur. Arrives la, nous gravissons un des cotes de la montagne de Pieter-Boot, qui
se presente comme un immense pain de sucre (un coutelier, natif d'Auxonne, Pierre Peuthe, arbora un dra
peau au sommet en 1690); puis nous nous arretons
pour contempler toute la partie nord de l'ile qui se
dessine a nos pieds comme un vaste panorama. Dans
la plaine a notre droite se detachent deux pitons coniques appeles les Deux-Mamelles de Creve-Cceur.
Apes avoir visite la jolie eglise de Moka, batie pres
d'une petite riviere tres-encaissee, je quitte mes deux
compagnons et je me rends a cheval dans le canton des
Vakois.
Je rentre dans le quartier des plaines Wilhems, et
la route me conduit d'abord pres du Reduit, qui est la
maison de campagne des gouverneurs de C'est
une charmante habitation precedee d'une pelouse sur
laquelle un multipliant etend ses branches, et entouree
140
LE TOUR DU MONDE.
comme un immense plateau deprime au sud-est, et s'eleve de mille deux cents pieds a peu pres au-dessus du
niveau de la mer. Le sol, a cette hauteur, ne produit
de bonnes cannes que s'il est engraisse avec le guano,
mais en revanche, les legumes d'Europe y viennent
tres-bien et sont des meilleurs.
Cette partie de l'ile, autrefois tres-boisee, n'est plus
ombragee maintenant que par quelques belles forets
arrosees par plusieurs rivieres, dont les principales
prennent leur source dans la mare aux Vakois, lac
bourbeux dont la profondeur varie de vingt pieds
quelques pouces a peine. Il faut etre tres-prudent si
l'on y va sans guide, car it y a des trous fort dange-
141
LE TOUR DU MONDE.
Port-Louis du cote du Camp Malabar, qui ressemble
une petite ville de Golconde ou de Mysore, et est habite
par une population d'ouvriers laborieux et d'honnetes
commercants dont plusieurs ont beaucoup d'aisance.
Tout y rappelle les usages, le costume et le caractere
asiatiques. Le dima.nche, on y voit les femmes rnalabares dans leur plus grande parure : elles se chargent
les doigts des pieds et des mains de beaux anneaux en
cuivre, elles suspendent a, la narine gauche et aux
oreilles des boucles ornees de petits coquillages. Elles
se couvrent d'un voile ou dale qui tombe jusqu'aux
pieds. Il n'y en a pas un grand nombre de johes, mais
en general elles ont beaucoup d'expression et de mo-
une grande pagode elevee de plusieurs etages et surmontee d'une boule semblable a celles des eglises russes, puffs la decorent avec des papiers de toutes les couleurs : c'est ce qu'ils appellent le ghoun. Cette cerernonie,
nommee le Yamse, dure onze jours.
Les Malabars mahometans sont de la secte des schias,
comme les Persans et les musulmans de l'Inde. Es regardent Ali comme le seul legitime successeur de Mahornet, et ont en horreur les trois califes Aboubekre,
Othman et Omar. Tousles ans, a la pleine lune de mars,
ils celebrent la mort funeste d'Hocein, second fils d'Ali,
I. Aux Iles Maurice et Bourbon, on appelle generalement Malabars tous les Indiens, de quelque partie de l'Inde qu'ils soient.
LE TOUR DU MONDE.
142
Une demi-heure apres ma sortie du Port-Louis, j'etais sur les bords de la baie du Tombeau, qui est Baran.
tie a son embouchure par une barre de sable. Tente
par la tranquillite de ses eaux et la beaute du paysage
environnant, je fis une charmante promenade en bateau
le long de ses rives, qui sent egayees par un petit moulin a eau et de jolis groupes de cocotiers. Il se fait de
ces cotes un grand commerce de pierres ; on en tire la
majeure partie du lest dont on a besoin au Port-Louis.
A peu pres a deux milles au nord, je fis une halte pres
de la baie de l'Arsenal, et descendis visiter une magnifique guildiverie, oir un employe obligeant m'expliqua
les procedes de la fabrication du rhum. C'est ici que, dans
les premiers temps de l'etablissement, furent eleves les
manufactures et les depots de fournitures appeles Arsenal. La cote de cette partie de l'ile est parsemee, sur plusieurs points, de larges lits de corail; on creuse aujourd'hui ces depots, qui sent probablement les restes
d'anciens recifs, pour en extraire de la chaux; prise dans
ces endroits, elle est moins affectee par l'humidite que
cello qu'on tire du corail frais. Dans les mois de juillet
LE TOUR DU MONDE.
143
son capitaine ; mais ce dernier ayant rencontre un ra- aux champs et se dit souvent malade pour rester dans
deau charg de monde , crut qu'il y serait plus en sa case. Alors, pourle forcer a travailler on le menace....
stirete et quitta son intrepide marin. Celui-ci , oblige de ce qu'aime tant le Malade imaginaire; car l'Indien est
de plonger un instant pour eviter un choc, ne vit plus l'antipode de M. Purgon, et it est rare qu'il ne se rende
personne aupres de lui quand it reparut sur l'eau; dans pas a cet argument. Il ne tient pas au sol : des gull a
ce moment M. de la Marre avait peri avec toutes les reuni un petit pecule, c'est pour retourner dans son pays
personnes qui se trouvaient sur le radeau. Il y avait a le plus tot possible. L'Indienne, qui parfois a de jolis
bord deux jeunes personnes, Mlle Mallet qui etait sur traits, se gate completement la bouche en machant la
feuille du betel, qu'elle melange avec de la chaux et de
le gaillard d'arriere avec M. de Peramon, et Mlle Callon qui se tenait sur le gaillard d'avant avec le lieute- la noix d'arac.
Revenons au planteur. Il est non-seulement cultivanant de Montandre, dont l'amour avait merite sa main
et qui devait l'epouser a son arrivee a l'ile de France. teur, mais aussi fabricant , et chaque annee it transCe jeune homme, aussi agile que son amante parais- forme en sucre le jus de la canne. Ce roseau arrive a sa
sait calme et resignee , s'occupait de faire un radeau maturite vers le mois de juillet ; alors la coupe compour sauver celle dont la vie lui etait mine fois plus mence. Les Indiens, qui partout ont remplace les noirs
chere que la sienne. On le vit h genoux la supplier dans le travail des proprietes, se repandent dans les
de descendre avec lui sur le radeau, d'eter une partie champs, coupent la canne par le pied, et la chargent sur
de ses vetements ; elle rejeta toutes ses prieres, et son des charrettes qui se dirigent ensuite vers la suererie.
regard lui fit sentir que toutes ses solicitations seraient La, on prend la canne par faisceaux et on la precipite
entre les cylindres du moulin, qui la broient et lui font
inutiles ; elle lui tendit la main en temoignage d'amour
et de reconnaissance. Montandre tira alors de son porte- rendre une eau jaunatre appelee vesou. Ce liquide desfeuille une boucle de cheveux qu'elle lui avait donnee, cend dans de grandes chaudieres, d'oh s'echappent des
y porta plusieurs fois les livres avec transport, le placa Hots de vapeur, et autour desquelles un grand nombre
sur son cceur et attendit a cote de sa fiance la fin de d'Indiens travaillent sans relache. Les uns, armes d'imcette scene de desespoir. Voila le fond du drame de menses cuillers en cuivre, font passer le jus de la canne
d'une chaudiere dans une autre, suivant le degre de cuisPaul et Virginie.
Un pen au sud de cette lle s'eleve le village de la son. D'autres, au moyen d'un instrument en bois qui a
Poudre-d'Or, qui possede une jolie eglise, des casernes, la forme d'un couteau, enlevent tine ecume epaisse sur
et un petit port d'oh on expedie au Port-Louis tous les la surface du liquide en ebullition. Le vesou change en
sucres des environs. C'est aux Hollandais que l'ile doit sirop passe ensuite dans des vides oh it se cristallise ; et
au sortir de la, les cristaux sent seches dans d'immenses
ses premieres plantations de cannes qu'ils importerent
de Batavia. Cette culture est devenue la principale bran- toupies, appelees turbines, qui terminent la fabrication.
La coupe est tithe d'ordinaira dans les derniers jours
che de revenus de Pile Maurice et la base de son commerce avec l'Europe. Le sucre qu'on tirait de ce roseau du mois de decembre. L'attention du planteur se porte
n'etait alors sonmis a aucune preparation : apres l'avoir sur les champs oh les cannes nouvellement plantees
fait legerement fermenter, on s'en servait pour tenir reclament tons ses soins. Chetives comme tout ce qui
lieu des liqueurs spiritueuses dont la colonie etait pri- vient de naitre, elles sont en outre exposees a un envee. M. dela Bourdonnais eleva plusieurs sucreries qui, nemi redoutable, le borer, insecte qui les attaque au
en 1760, produisaient un revenu de six mile livres
cceur et les fait mourir, comme en France Poldium detruit la vigne. D'abord chenille, puffs papillon, le borer
la compagnie; c'est en souvenir de son administration
que son nom a et donne a une des plus belles proprietes constitue un veritable fleau contrelequel les habitants de
de Pile. Maintenant, sur cent vingt-sept cinquante- l'ile luttent avec perseverance ; on ne peut se figurer les
six arpents de terre cultives , cent dix-huit mile deux ravages de cet insecte qu'apres les avoir vus. La canne
cent quatre-vingt-quatre sont affectes aux plantations de est transpercee dans toute sa longueur, et sa chair,
cannes; grace a l'immigration indienne, la production tendre et aqueuse a l'etat normal, prend la consistance
a plus que triple depuis Pabolition de l'esclavage. L'ile du bois. Pour conjurer ce Nati, on propose l'introducest divisee en un grand nombre de proprietes, qui pre- tion d'oiseaux insectivores ; en attendant, ce sont des
bandes d'Indiens que l'on emploie detruire le borer.
sentent presque toutes le meme aspect.
Es
veillent sur la canne pendant sa croissance, et cherAu centre de champs de cannes plus on moins kendus s'eleve l'usine, grand batiment a arcades, reconvert chent les ceufs de l'insecte et l'insecte lui-meme. Les
d'un toit en fer-blanc peint, et tout aupres, la jolie quartiers des Pamplemousses, de Flacq et de la riviere
maison de bois entouree de verdure, oil le planteur du Rempart sont beaucoup plus atteints par le borer
vit independant avec sa femme et ses enfants. Plus que ceux de la riviere Noire, de la Savane et du Grandloin, deux ou trois rangees de cases en terre, recou- Port : it est a craindre que les ravages de cet insecte
vertes de paille, ferment ce qu'on appelle le Camp : c'est ne forcent un jour a abandonner la culture de la canne,
la que reside la nombreuse population d'Indiens au ser- comme cela est arrive a l'ile de Ceylan.
Apres avoir visite les plantations de la riviere du
vice du planteur. L'Indien est sale et paresseux ;
cherche tons les pretextes possibles pour ne pas aller Rempart et du gnarlier de Flacq ; apres avoir use et
144
LE TOUR DU MONDE.
mousses et la mer souffre terriblement du borer, et encore plus d'une herbe introduite it y a une quinzaine d'annees, et qu'on appelle herbe cailli ou caille. C'est la plus
grande peste dont puissent etr@ affligees les Cannes, car
les graines de cette plante etant portees de tous cotes par
le vent, it est tres-difficile d'en preserver les champs.
Une route a droite de celle des Pamplemousses conduit par un pont en Pierre a l'etablissement appele les
Aloulins a poudre. Vers l'annee 1774, it y existait une
manufacture de poudre, mais a cette poque une terrible explosion detruisit une partie de l'edifice, qui Bert
LE TOUR DU MONDE.
145
DE PARIS A BUCHAREST,
CAUSERIES aOGRAPHIQUES'
PAR M. V. DUR1JY.
1860. - TEXTE ET DESSINE 1NEDITV.
XXI
A RATIsBONNE.
La biere de l'eOque.
Un Francais au four. Des chevaux loges comme des princes. Une heroine de Jules Janin.
10
1 L6
LE TOUR
DU MONDE.
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II
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148
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
officiel en refusant de contempler avec la veneration necessaire les vieilles friperies de la salle de la diete. Je me
fais conduire a la Salle de torture, basso, sombre, couverte d'uno voete epaisse que les cris ne pouvaient percer,
et on l'on conservetous les engins dont le moyen age usait
pour obliger un honnete homme a s'avouer coupable.
Un catalogue decrit tout en detail. Voici l'dne espagnol, sorte de pupitre a musique porte sur des treteaux
solides ; on y mettait le patient a cheval, et a ses pieds on
attachait deux grosses et lourdes pierres. Voici le lit de
cuir avec son traversin garni de clous aigus, mais courts,
qu'on roulait sous les reins, le corps de l'accuse etant tenu
bien developpe par des cordes attachees aux mains et
aux pieds. Et la potence qui tirait a la fois les bras en
haut et les pieds en bas ; et les tenailles pour dechirer
la chair ; et les marteaux pour enfoncer les coins entre
les chevilles des deux pieds etroitement serres par des
chaInes ; et enfin tout ce qu'a pu imaginer l'esprit de ces
temps on, malgre la toute-puissance du clerge et la foi
des peuples, Satan regnait bien plus que le Christ.
Dans le fauteuil
s'asseyait tranquillement le me,dean, pour arreter le supplice
juste au point au
dela duquel la
douleur aurait tue
le patient. Derriere la grille en
bois siegeait le ju,
ge, pour recueillir
les aveux que la
torture arrachait.
Mais pourquoi
cette grille entre
le juge inique et
la victime? Etaitce pour empecher que le sang ne rejaillit jusqu'a lui?
Tout pros de cette salle se trouve la prison du comte
Scheffgotsch. C'est un affreux cachot, sans jour, sans
air, de six pieds carres tout au plus, et que le curieux
ne visite pas sans torture, car la porte, ouverte dans
un mur tres-epais, n'est haute que de deux pieds et
demi. Voici ce que j'ai copie sur le catalogue manuscrit dont j'ai pule et qui en regard du texte allemand
porte une traduction francaise :
a Prison du comte Scheffgotsch qui fut en concert avec
Wallenstein. Retenu quinze semaines , it fut execute
chez la Croix-d'Or, on est la fontaine. On y trouve une
ouverture pour lui donner sa nourriture, une autre au
plafond pour epier son monologue, et une commodite.
En verite, ils auraient bien do laisser cola en allemand. Remarquez que Ratisbonne etait ville imperiale,
c'est-h-dire republique, ce qui n'empechait pas qu'on
n'y torturat bel et bien comme dans les chateaux des
grands seigneurs. En ce temps la nobles et vilains,
des qu'ils avaient la force, en usaient avec cruaute.
149
C'etaient les deux jeunes filles du concierge qui m'avaient conduit en cette affreuse prison. L'une portait
le flambeau , l'autre donnait les explications, et parfois, comme l'herolne de Jules Janin, prenait la place
du patient pour faire comprendre le jeu des abominables machines. Aujourd'hui de gracieux enfants sourient au milieu de cas horreurs, et ce sol qui a tant bu
de sang , ces murs impregnes encore de maledictions,
ne retentissent plus que du bruit des pas des curieux.
Ali 1 que la justice vient lentement, et que l'humanite,
elle aussi, a longtemps porte sa croix dans la voie douloureuse, via dolorosa!
XXII
DE RATISBONNE A PASSAU.
Les Fumes et la sombre fiance. Un paysan du Danube. Straubing, Agnes Bernauer et une reine d'Egypte. Les pelerins du
Danube et Satan. Hohenlinden. Le pont du Dampschiff.
150
LE TOUR DU MONDE.
paraissent fort in discretes. Lorsque enfin vous avez satisfait a toutes ces injonctions, s'il vous plait de partir, ce
n'est pas tini. Votre passe-port, embelli d'un douzieme
parafe et d'une douzieme tete d'aigle, n'est qu'une piece
justificative ; it vous faut de plus un petit billet special
qui fixe le jour de votre depart, le lieu on vous allez.
Sans cdtte piece officielle , impossible de retenir une
place soit a la poste, soit sur un chemin de fer ou sur
un bateau a vapeur. Voila a quoi j'echappais ; je remercie le ciel de n'etre venu en Autriche que depuis ce
bienheureux jour du 16 mars 1857, que j'inscrivis sur
mes tablettes en grandes majuscules. J'ai, en effet, traverse l'empire de part en part, et l'on ne m'a domande
mon passe-port que deux fois, a la frontiere et h Vienne.
Enfin tout se termine , me voila a bord. La lune a
LE TOUR DU MONDE
151
a ces eloges. La double ligne de bustes qui s'etend le long des murailles n'est point d'un of et heureux. On y trouve heureusement
admirer de belles fresques et quelques bonnes sculptures.
L'Allemagne y tient. Le roi de Prusse vient de decider (decembre 1862) que l'anniversaire de Leipzig deviendrait la grande
fete nationale de la Prusse. II a meme joint a cette reminiscence,
tout en signant un trails de commerce avec nous, un souvenir de
Rosbach. Je vous abandonne Rosbach, mail vous etiez dix a la
curse du lion, ne l'oubliez done pas. Et puis, encore une fois, quel
profit y a-t-il pour le monde 1, eterniser ces rancunes? II faut
dire aussi que Einstitution de ce jubile antirfrangais est surtout
une manoeuvre politique contre les deputes liberaux. Mais je ne
l'aime pas plus vu de ce cOte que de Padre.
152
LE TOUR DU MONDE.
a notre arriere, rentrer dans la brume comme une apparition qui s'efface.
Au bout d'une demi-heure , qui me parut longue,
surtout en la mesurant aux figures inquietes de plusieurs passagers, nous sortimes de ces tenebres plus
vite encore que nous n'y etions entres. Le rideau de
brume qui nous enveloppait se fondit de gauche a droite
et du haut en bas. Le soleil reparut et dessina Aivement
les dechirures de notre humide manteau en les Frangeant de lumiere. Ses rayons penetrent et eclairent
tous les recoins de ces ombres qui , sous leurs traits
de feu, se roulent, se tordent et s'elevent. La nature
sort radieuse de son linceul de wort. Nous revoyons le
fleuve majestueux et calme, les Iles ombreuses qui bordent sa rive droite, lee vertex collines dont l'autre est
153
LE TOUR DU MONDE.
tes, elles font varier sans cesse le point de vue, et les
memes sites se montrent sous les aspects les plus divers. Nous voyons une ruine dont nous faisons ainsi
presque le tour. Vingt fois Straubing apparait a tous
les points de l'horizon, meme derriere nous, avant que
nous passions devant ses murs. Aussi les gens du pays
disent-ils : De Ratisbonne a Straubing, it n'y a pas
moyen de s'egarer ni d'arriver.
Straubing est celebre par la mort tragique de la belle
Agnes Bernauer, fille d'un petit bourgeois d'Augsbourg.
Un fils du duc de
Baviere l'avait
epousee en secret;
le pere , irrite de
ce mariage disproportionne , accusa
Agnes de sorcellerie et la fit precipiter du haut du
111 111111:'fil'I ANSI
pont de Straubing
dans le Danube.
Comme elle surnageait et que le
flot la portait a la
rive , le bourreau
la saisit par ses
longs cheveux et
lui tint la tete au
fond de l'eau jusqu'a ce qu'elle fat
noyee.
Je ne vous parlerais pas de cette
aventure, dont
vous trouverez le
recit partout , si
elle ne venait de
faire commettreun
de ces mefaits archeologiques auxquels se laissent
parfois aller Perudition allemande
et la nOtre. La
Gazette de Cologne
racontait dernierement que des
pecheurs avaient trouve dans le Danube, pres de Straubing, une epee portant l'inscription : Anno Domini 1303.
La catastrophe d'Agnes tait posterieure de pres d'un
siecle et demi, en 1436, et la pauvre enfant n'avait pas
t frappee de l'epee. On n'en conclut pas moins que
cette vieil]e ferraille etait l'epee d'Emeran Kszsberger
de Kalmberg , qui avait joue un role dans le proces,
et elle vient d'tre ou sera solennellement donnee au
musee germanique de Nuremberg.
Que de choses dans nos croyances d'erudits et d'artistes ont des attributions equivoques, et comme nos col-
154
LE TOUR DU MONDE.
Vue de
155
LE TOUR DU MONDE.
en faisait un quelques lieues plus bas, a Deggendorf,
Bien entendu dans un but satanique. Ii y avait la un
monastere si pieux, si rebelle a toute tentation du malin, qu'un jour it s'en alla chercher dans les Alpes une
grosse montagne pour en ecraser le convent. Mais
comme it approchait , la cloche se mit soudain a sonOer matines et le doux chant de 1'Ave Maria s'eleva
dans l'air. Il eut peur,, se sauva et laissa tomber sa
montagne. On la voit encore : c'est le Nattenberg, une
masse de gneiss, isolee au Lord du Danube, haute de
trois cents pieds, longue de cinq a six mille. Satan, en
verite, n'avait pas epargne sa peine.
Qu'il faut peu d'effort a l'imagination populaire pour
transformer tin phenomene naturel en une legende gracieuse ou terrible ! Ce roc solitaire, la science l'etudiera et en trouvera l'origine. Mais le peuple n'attend
pas les savants. Il a a son service les puissances invi-
sibles du ciel et de la terre; it commande elles obeissent, et ensuite it tremble devant elles.
Ce pauvre diable de Satan n'etait pas toujours si
noir qu'on le fait. Dans la grande comedie humaine,
a Lien des fois, au moyen age, joue le role du patito.
Il est souvent trompe, bafoue, quelquefois meme battu,
avant d'arriver a la grandeur mephistophelique que
Goethe lui a donnee. Vous venez de le voir prendre
beaucoup de peine pour rien a Deggendorf, tout cornme un simple mortel ; un peu plus bas, meme chose
lui est arrivee. Pour empecher le depart des croises
qui s'etaient propose de descendre le Danube, it jeta
dans le fleuve, a Wilshofen, de grosses masses de rockers, mais si maladroitement que les croises passerent , et apres eux tout le monde ; it n'y gagna que
d'tre maudit par chacun pour sa mauvaise volonte
inapuissante ; et, de nos jours, avec un peu de poudre,
156
LE TOUR DU MONDE.
ces figures sans expression, sans ideas, ce couple de fiances me rejouit le cceur et le g yeux, comme tout a l'heure
le premier rayon de soleil qui perca au travers des nuages humides et bas dont nous etions enveloppes.
Je croyais avoir fini mon voyage de decouvertes sur le
pont de notre bateau, quand je trouvai encore, dans un
coin, un vieux savant arme d'enormes lunettes rondes et
enveloppe, maigre le soleil, de son manteau, toujours
lisant, annotant et rvant, mais ne regardant jamais.
Moi, au contraire, je le regarde beaucoup, et je cherche a lire dans son ( sprit a travers sa bonne grosse
figure. Il park sans doute dix langues, sait par cceur
l'antiquite grecque et celle des Vedas, a etudie tons
les systemes , et tres - certainement en a publie au
moins un. 11 a remue beaucoup de faits, beaucoup
d'idees, et n'est probablement d'accord avec personne,
petit-etre pas avec lui-meme. II a traverse le monde
sans s'en apercevoir, et it aurait ate bien certainement
capable, le 14 octobre 1806, d'aller, comme Hegel, par
les rues d'Iena, chercher un eciiteur pour sa Phenomenologie, sans entendre le canon de Napoleon qui
eclatait au-dessus de sa tete. Mats c'est un soldat de
la pensee, un veteran qui a blanchi dans les veilles.
Si son oeuvre est trouble comme celle de tant d'autres, le Temps tient un grand crible oil tout tombe,
se clarifie et s'epure. Heureux qui peut y faire passer
une parcelle de verite : celui-la a paye sa dette de la vie.
Mon vieux savant est peut-etre de ce nombre : je voudrais bien lui serrer la main, et il faudra que j'en
trouve l'occasion avant la fin de notre journee.
En attendant, nies amoureux et lui me donnent un cu.
rieux spectacle. Il n'y avait certainement qu'eux a bord,
qui vecussent, et a eux trois, ils me representaient bien
l'Aliemagne si souvent krangere au monde reel par le
sentiment, la poesie et la science. Apres tout, ne vaut-il
pas mieux etre enlace de ces fils d'or que des liens pesants de l'industrialisme? Le riche qui n'est que cela a
recu sa trompeuse recompense, suam receperunt mercedem, vani vanam. Le poke ou l'amant, c'est la meme
chose, l'a toujours dans son tour et le savant dans sa
pensee.
XXIII
DE PASSAU A LINTZ.
Passau et ses trois fleuves. Harmonie entre la plaine et lee
montagnes. Le sanctuaire de Mariahilf. Une troupe de IAlerins a bord du Dampschiff.
Passau.
158
LE TOUR DU MONDE.
d'emeraude; enfin les flots jaunes de l'Inn, qui, torrentueux et violent, ronge partout ses rives. La masse d'eaL
que l'Inn apporte est pent-titre superieure a cello du
Danube; elle est du moins plus large mais ne vient
pas de si loin. Grace a l'Inn, le Danube emporte a la mer
Noire toutes les eaux du Tyrol allemand et de la Suisse
que le Rhin, le RI-1611e, le Tessin et 1'Adige ne prennent
pas pour la mer du Nord et la Mediterranee.
Admirable harmonic des choses1 sur la time et les
flancs des Alpes, au point culminant et au centre de l'Europe, se trouvent des neiges eternelles qui, reunies, formeraient une men de glace ayant quatre cents lieues de
superficie et parfois cinq a six cents pieds de profondeur.
Cette mer sert de reservoir aux fleuves europeens et cause
en partie la fertilite d'une moitie de notre continent.
L'ete chaud qui, dans la plaine , tarirait les fleuves,
dans la montagne fond le glacier, alimente les sources
et envoie de l'eau aux rivieres epuisees : c'est la nature
morte qui donne la vie.
Passau est une des plus vieilles citees de 1'Allemagne.
Les Boies, ancetres des Bavarois, et qui etaient une tribe
gauloise, avaient construit un grand village sur la langue
de terre au bout de laquelle l'Inn et le Danube se'reunissent. Les Romains en front un camp ou ils etablirent
des cohortes bataves (Batava castra) : de la le nom modemo. Quand Lorch eut etc detruit, en 737, par les
Avares, l'eveque de cette ville se refugia a Passau et v
installa son siege. C'est l'origine de la riche principaute
ecelesiastique dont l'ancien campement des legions romaines fut la capitale. Toutes les eglises qui s'eleverent
dans la vallee du Danube, de l'Inn a la Leitha, eurent Passau pour metropole, memo cello de Vienne, qui ne fut erigee en &eche qu'en 1480; etjusqu'a l'empereurJoseph II,
le grand revolutionnaire autrichien, l'eveque souverain
de Passau posseda de nombreux domaines en Autriche.
C'est dans PhOtel de la Poste que fut signee en 15521a
transaction de Passau, qui annonca au monde la mine
des ambitieuses esperances de Charles-Quint, la victoire
du protestantisme et l'avenement prochain de la liberte
de conscience. Cette petite ville a done vu un des evenements considerables de l'histoire generale du monde.
Passau, qui fut secularise en 1802 et donne a la
Baviere, n'a que douze mille habitants; mais bien que
cette ville se trouve loignee de tout chemin de fer, it est
impossible que sa prosperite ne grandisse pas. La navigation h vapour vient de s'etablir sur 1'Inn et sur la
Salza, son affluent. Le 7 avril 1857, le Prince-Otto, de la
force de cinquante chevaux, remonta de Braunau jusqu'h
Salzbourg au milieu de l'enthousiasme des populations
riveraines. Passau est done l'entrepet naturel non-seulement des produits du Tyrol, que lui apporte, mais
de ceux du riche pays de Salzbourg, que le chemin do
fer de Munich 5, Lintz n'emportera pas tous.
Cette prosperit, toutefois, ne pourra alien bien loin,
parce que la vallee de l'Inn est plus riche en beautes
1. Le pont de bois sur 1'Inn a 760 pieds allemans (Fiisse), celui
qui est sur le Danube n'en mesure que 677. Le Fuss = 324 millimetres, ce qui donne aux deux ponts 246 et 219 metros.
LE TOUR DU MONDE.
pittoresques, en sites charmants ou grandioses, qu'en
terres fertiles, en cites populeuses et actives. Quand
l'Inn a apporte les Lois du Tyrol et les sels du Salzbourg, it ne faut pas lui demander autre chose. Cette
pauvrete commerciale et la direction sud-nord de son
cours ont fait de lui l'affluent au lieu du bras principal
du Danube, comme la masse de ses eaux lui permettait
d'y pretendre. Pour Rome, qui a arrete ii y a dix-huit
siecles la geographie de ces contrees, l'Inn n'etait
qu'une route des Alpes vers la Germanie; le Danube,
dans son cours d'occident en orient, etait Bien plus, le
large fosse qui defendait les approches de son empire,
la barriere de deux mondes.
En sortant de Passau, i1 faut se retourner Bien vite,
tandis que la vapeur vous entraine, pour contempler une
derriere fois la vile et ses faubourgs; car sur le Danube, on ne la voit Lien que de ce cote. Le regard
plonge dans les vallees par oh. les deux grands fleuves
arrivent, puis remonte sur la vile eta* en amphitheatre et qui sort d'un ocean de verdure. Elle n'a point
de beaux edifices, dit-on; mais a cette distance le detail
echappe et l'ensemble est saisissant, encadre qu'il est,
h droite, par le chteau d'Oberhaus, avec ses remparts
que rien n'empeche a cette distance de croire formidables ; h gauche, par la colline qui porte l'eglise de Notre-Dame de Bon-Secours (Mariahilf). Si son escalier de
deux cent quarante-sept marches n'etait pas convert, j'y
verrais sans doute quelque pelerin en monter a genoux
les degres, et disant a chaque marche une oraison.
Mais M. Lancelot l'a monte pour moi, sur ses deux
pieds, Bien entendu. Comme ce n'etait pas jour d'expiation, D n'y trouva que deux ou trois mendiants et
quelques femmes qui avaient pris par la pour abreger
l'ascension de la colline.
Avec un pareil site, des Italiens eussent fait merveilles. Le Tedesco parait Bien avoir eu i'intention d'appeler, lui aussi, l'art au secours de la religion. Its ont du
moins creus dans la muraille ele gauche une multitude
de niches; mais les statues n'y sont pas; point de fresques
non plus, aucune sculpture : c'est tout bonnement un
escalier pour monter, comme Ia colline, au lieu de porter
ces magnifiques platanes, Fornement des terres du Midi,
n'est qu'un prosaique verger au maigre feuillage.
Ces aparences refroidissaient deja le zele de notre
artiste et l'arrtaient au bas des deux cent quarantesept marches, a lorsque, me dit-il, un rayon de soleil,
percant juste a ce moment, au sommet du Calvaire, qu'il
emplit de sa lumiere doree, me semi*, une promesse et
un encouragement. Je fis done l'ascension. Au dernier
palier, je rencontrai une grande belle jeune file en robe
de soie, a volants moderes, coiffee de l'immense foulard
noir, dont les bouts retombent par derriere, plus bas que
la ceinture, et qui constitue la coiffure des femmes du
peuple dans l'archiduche.
a Le rayon de soleil tenait deja ses promesses. A defaut d'une oeuvre d'art, qui manquait encore, une belle
creature! Bien chaussee, ce qui est rare ; Lien gantee,
ce qui l'est plus encore; l'air modeste et presque touchant.
159
160
LE TOUR DU MONDE.
Le petit nombre de pelerins qui representaient treslegitimement dans la troupe le sexe laid etaient nupieds, comme la plupart des femmes, portaient comme
elles au cou des chapelets , des images saintes encadrees de laiton estampe et dont quelques-unes, au moins
de format in-octavo , descendaient sur un tablier
bleu a bavette.
Deux ou trois
des femmes moins
laides que les autres riaient et caquetaient avec des
soldats en tunique
de toile blanche.
Un d'eux etait
pourtant le type
le plus parfait de
la sottise satisfaite
d'elle-meme. Son
nez gros , mou et
tombant, ses cheveux plats sur de
grandes oreilles
sans orbe, ses levres epaiss es et son
petit ceil a fleur
de tete justifiaient
bien l'epithete de
bruta tedesca,
LE TOUR DU MONDE.
161
DE PARIS A BUCHAREST,
CAUSERIES GEOGRAPHIQUES 1,
PAR M. V. DURUY.
1860. TCNTE ET DESsIN
INLiI ITS.
XXIV
DE PASSAU A LINTZ (suite).
L ' entree en Autriche.
Pourquoi s trouye-t-il moins de ruines feodales sur le Danube que sur le Rhin. La Traunstein
et Louis XVI.
162
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
bonheur qu'au-dessous d'Ottensheim, village coquettement assis sur une colline qu'on decouvre de loin, je me
vois emporte par notre bateau dans une vallee moins
grandiose que celle que nous avons quittee a, Neuhaus,
mais belle encore . avec ses roch es granitiques et sa vegetation puissante, gracieuse de forme et semee d'habitations de plaisance qui annoncent l'approche de la plus
grande ville que j'aie encore vue sur le Danube, Lintz
Dans ce village d'Ottensheim naquit un triste empereur, 0 thou IV de Brunswick, notre vaincu de Bouvines.
Le livre allemand on je trouve cette indication m'apprend en outre qu'une maison, sur le marche, annonce
deux fois aux yeux des passants ce grand evenement
par un tableau et par une inscription portant qu'Othon
naquit en ce lieu en 1208. A cette date, Othon avait
trente-trois ans au moins , et it venait , cette annee
meme, de faire assassiner, ou l'on avait assassins pour
lui, son competiteur a l'empire, Philippe de Souabe.
163
164
LE TOUR DU MONDE.
clefs de leur empire est la, que plus d'une fois on est
venu l'y chercher et l'y prendre, par exemple Moreau,
apresHohenlinden, et Napoleon, apres Ulm etEckmuhl,
les Autrichiens l'ont enfermee sous des fortifications
qu'ils estiment formidables. C'est un systeme de grosses tours rondes, avec glacis et fosses, communiquant
entre elles par un chemin couvert et dont chacune peut
croiser son feu avec celui de ses deux plus proches voisines. On en compte trente-deux, vingt-trois sur la rive
droite, neuf sur la rive gauche, et une forte citadelle,
cells du Postlingberg. Quelques-unes de ces tours sont
a une assez grande distance de la ville; l'ellipse qu'elles
torment autour d'elle a deux grandes lieues de diametre. Elles enveloppent done un espace immense et
font de Lintz un vaste camp retranche.
Ce systeme, imagine vers 1828 par l'archiduc Maximilieu d'Este, et depuis fort employe par les Allemands,
a ete uge avec quelque severite par nos ingenieurs, qui
ne semblent pas desireux de rimiter. Les tours maximiliennes oat encore leur virginite : aucune n'a ete
prise; it est vrai que pas une non plus n'a ete assiegee. Puisque celui que les soldats appelle le brutal
et qui, en ces choses, decide souverainement, n'a pas
jusqu'a, present dit son mot, le champ rests ouvert
aux discussions theoriques. Puissent-elles durer longtemps 1
La disposition des lieux a ete favorable a retablissement de ces vastes fortifications. Les montagnes vienneat des deux c6tes du fleuve baigner leurs Hants
abrupts dans le Danube qu'elles resserrent : au nord
le POstlingberg, pointe extreme du Bcehmerwald, au sud
les derniers contre-forts des moats du Salzbourg qui, au
sortir de la Suisse autrichienne, rejettent la Salza a
l'ouest, dans Finn, puis se recourbent au nord-est et
longent la Traun jusqu'a Lintz. La ville s'etage sur
leurs flancs, tandis que les forts se dressent sur leur
165
LE TOUR DU MONDE.
plus loin, dans la campagne, sur le Freinberg, la premiere tour batie par l'archiduc Maximilien et qu'on a
abandonnee aux jesuites. En Autriche ils heritent volontiers de l'Etat, a la difference d'autres pays on 1'Etat
herite parfois d'eux.
Mais sil'art est pauvre dans la ville, la nature deploie
dans la campagne toutes ses magnificences. Tant que
nous avions monte, j'avais ete plus sage que la femme
de Loth : pas une fois je n'avais regarde en arriere. J'en
fus recompense lorsque je me retournai : le spectacle
etait eblouissant. Devant moi, sur la rive gauche, les
montagnes de Boheme accouraient en moutonnant au
bord du grand fleuve, comme un troupeau de buffles
gigantesques qui venaient s'y desalterer. Le roc percait leurs flancs et ca et la montrait la forte membrure
LE TOUR DU MONDE.
166
cote du sud et nommee le Haustein. Ce passage est encore plus dangereux que l'autre ; en deux minutes on
est lance avec une extreme vitesse du cote oppose. Cependant les travaux qui ont ete faits depuis 1778 ont
diminue beaucoup le danger de cette navigation. Il n'en
reste plus que ce qui est necessaire pour inspirer le
sentiment de crainte qui s'accorde a merveille avec les
beauts de ce lieu sauvage et majestueux'.
Les travaux commences par l'imperatrice Marie-Therese ont ete continues, et, la poudre aidant, le Strudel
aura tin minimum de six pieds de profondeur dans les
plus basses eaux. Mais le courant y reste toujours d'une
violence extreme, parce que la pente y est de quatre pieds
par cent brasses de longueur et la vitesse de dix pieds
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
171
mille Ames et centre de la fabrication des aciers de Styrie, vois passer sont-ils en grandes bottes qui leur arrivent
qui ont un grand renom. Les gens du pays racontent jus'qu'aux genoux.
qu'au temps des invasions, quand les Romains durent
Les hommes ont meilleur air. Le type autrichien est
ceder le Noricum aux barbares, le Genie des monta- generalement doux, coil bleu pale, nez long et un peu
gnes apparut, aux conquerants et leur dit : Jo vous pendant , bouche boudeuse , sans fermete. La grosse
donnerai des mines d'or pour un an, des mines d'ar- levre des Habsbourg , trait caracteristique de cette
gent pour vingt ans ou des mines de fer pour toujours ;
maison, ne leur vient done pas seulement de l'epouvanchoisissez. Les barbares prirent le fer. Puisque le table Maultasche, la plus laide creature qui ait jamais
Genie de la montagne etait en si bonne humour, ils porte couronne, mais qui leur coda un beau domaine,
auraient bien du lui demander aussi de la houille. Mais le Tyrol. Il y a dans le peuple autrichien quelque chose
la houille en co temps-la n'etait point connue, et aujour- de ce trait.
d'hui le regne de ces bons genies si commodes est malLe paysan, qui se coiffe en arriere et arair tres-placide,
heureusement passe.
aime les plumets et en abuse. Qui a tue une chouette ou
Tout cola c:.onne it la Styrie un tout autre aspect quo un milan, pare son chapeau de ses plumes. Quelquescelui de la plaine froide, humide et maigre de la Baviere.
uns vent jusqu'a y fixer des oiseaux empailles, avec des
Le gouvernement imperial est pauvre, parce qu'il admi- yeux en email, les ailes Ctendues et la queue en aigrette.
nistre mal ; mais ces populations ont certainement de
Nous croyions, dans ces dernieres annees, avoir inl'aisanee , bien
vente ou retrouve
qu'elles en monl'architecture potrentle moins poslychrome. Je la
sible par crainte
rencontre ici pardu fist, et comme
tout. Leurs staelles sont detions de chemin
-
vouees a leurs
de fer dont aucune
!"17
maitres it y a
ne ressemble a
de la force dans
l'autre sent de
ce grand corps si
vraies curiosites.
mal bad de l'emJe voudrais poupire autrichien.
voir en transporJ'eprouve ceter une aux envipendant une derons de Paris, a. la
ception.Jecrcyais
place de ces affreutrouver par is des
ses b tisses qui ne
totes superbes et
sont clue des cages
des carnations
it employes et a
blanches et rc ses
patients , ou les
On m'avait taut
compagnies n'ont
dit quo les fempas voulu faire la
L.4 ';iCE LOr
mes de Rubens et
moindre depense
Coiffures de paysans autrichiens dans Parchiduche.
la Marguerite de
d'art, nibs archiScheirer se rencontraient en Allemagne sous chaque tectes, d'esprit. Ce serait un bijou h faire accourir les
pommier ! Je ne vois quo de disgracieuses creatures badauds et les artistes. Tout s'y trouve, la pierre, la
qui s'enlaidissent comme h plaisir par lour costume, brique jaune et rouge de toute forme, le Bois decoupe
surtout a l'aide d'une sorte de tablier de soie noire jour, les moulures en terre cuite, les couleurs harmoqui leur serve la tete et dont les deux bouts pen- nieusement combinees. A quoi les habitants ajoutent
dent derriere le dos. Beaucoup aussi vont nu-pieds. le plus qu'ils peuvent de flours eclatantes ou de plantes
C'est un detail de toilette qui me repugne et me fait mal. au joli feuillage.
Je leur passuais toutes les excentricites de costume,
Je sais Bien quo cola carte plus quo quelques moelsauf cello-la qui m'ete une partie de la bonne opinion lons entasses requerre, et quo les dividendes des acquo je me faisais de leur bien-titre. A Vienne, d'on je 'tionnaires en ont efe diminues. Mais l'industrie et la
vous ecris, je viens de rencontrer encore quantite de finance no doivent-elles pas payer rancon fart? Puisfemmes et d'enfants courant ainsi, jusqu'a la porte du que ces deux grandes puissances des temps modernes
palais imperial, dans la boue et sur le dur pave des sent reines aujourd'hui, demandons-leur de ne pas vivre
rues. Nos plus pauvres paysans ont des sabots, nos ou- parcimonieusement, comme des parvenus de bas etage;
vriers de bons souliers de cuir, et le dimanche ils chaus- qu'elles se souviennent quo Peducation du peuple se fait
sent l'ancienne botte feodale. Croyez bien quo ce n'est par le beau tout comme par le vrai, et qu'elles soient
pas une rema:que puerile. Avec des pieds nus, on ne stires d'y trouver encore leur compte.
monte jamais hien haut. Aussi tous les pretres quo je
Un des traits de cette architecture, c'est
prendre
LE TOUR DU MONDE.
172
Abbaye de Maelk.
173
LE TOUR DU MONDE.
anglais rencontre M. de Metternich : (( Prince, lui dit-il,
je crois qu'il serait a propos de prevenir vos employes
que nous avons change notre cachet. Les maladroits ! murmura le ministre. L'histoire est-elle vraie ?
je n'en sais rien; mais je sais bien qu'autrefois on ne
pretait qu'aux riches.
Pour mon compte , j'aurais mauvaise grace de me
plaindre. Et d'abord j'entre dans la cite imperiale plus
facilement qu'a Paris. On ne m'y retient pas aux portes
une heure entiere, comme it m'est arrive dans certaine
de nos gares, et la douane me semble fort debonnaire.
Aux barrieres, on arrete notre voiture pour payer le
droit de penetrer en ville. C'est un ennui qu'ils out
oublie de supprimer. A l'hOtel, dans la rue, j'entends
parlor avec la plus extreme liberte. Le guide que je
; ardins de rois, oft les arbres les plus rares, les fleurs
les plus belles, que jadis on n'ent laisse voir que sous
les vitrines jalouses d'une serre ou derriere les barreaux
de for d'une grille inexpugnable, sont mis a la portee
de nos yeux, de nos mains, et presque sous nos pas ;
quand le plus pauvre pent jouir de magnificences que
Louis XIV ne connut jamais, it n'y a point a s'etonner
que les splendours d'hier ne soient plus, comme une
toilette fanee, que la friperie d'aujourd'hui.
Le Prater est un lieu bas, humide, mal entretenu,
l'on doit se trouver fort bien aux heures les plus chaudes
des jours d'ete. Je n'ose avancer que les Viennois, qui
ont aux environs de leur ville tant de sites charmants,
abandonnent le Prater ; it faut cependant qu'en historien
fidele je dise qu'au moment oft j'y arrivai, je n'y trouvai
personne, pas un promeneur, un cavalier ou un equi-
page, mais treize cerfs et un archiduc. L'archiduc passait rapidement pour regagner son hotel, el les cerfs,
qui sont en liberte et qui n'en abusent pas, venaient
tres-debonnairement chercher leur pature au lieu accoutume. Comme taut d'autres choses, le Prater s'en va :
les chemins de fer Font tue, et l'on ne fait rien pour lui
Kendre la vie.
Apres cela, les habitants, sans doute, a cette heure,
dinaient, et Hans Wurst 2 , le Polichinelle viennois, qui
a etabli au Prater son quartier general, s'etait retire
sous sa tente. Un gaillard qui s'appelle Jean Boudin ne
1. Le Prater, se trouvant au dela du canal de Vienne, est luiineme une ile de deux lieues de long sur 1rois quarts de lieue de
large, dont le faubourg de Leopold, la Lopoldstadt, occupe une
grande partie.
2. Wurst signifie andouille, saucisse, boudin.
1 74
LE TOUR DU MONDE.
d'Italie et des mceurs que ce soleil produit. La temperature s'eleve, et les robes descendent h proportion.
Meme de grandes dames se montrent en public avec
japes immenses, vestes soutachees d'or, dolmans
fourragere torsee et perlee, chapeaux empanaches, mais
le con nu, et la poitrine h pea pres comme le con.
Vienne a quatre cent soixante-dix mille habitants', a
peine un pea plus que Naples. Une tour nombreuse,
toute l'aristocratie d'un grand empire et une garnison
immense y resident. Le nombre des gens pour qui la
vie est, avant tout, une partie de plaisir, s'y trouve done,
toute proportion gardee , beaucoup plus considerable
qu'ailleurs, et ce ne sont pas precisement les vertus
de Page d'or qu'ils y apportent.
Ces mceurs faciles n'ont pas eu le contre-poids necessaire d'un grand travail de l'esprit. Un spirituel touriste
pretend avoir vu l'ordonnance d'un medecin allemand
qui, ne sachant comment guerir un professeur dont le
cerveau, fatigue par des veilles laborieuses, menacait de
se detraquer, lui prescrivit trois mois de sejour en un
pays oh l'on ne penserait pas. Le malade fit sa malle et
sans hesiter prit la route de Vienne.
L'Autriche, en effet, pendant longtemp , n'a point
pense, sauf en musique et en histoire naturelle : art et
science qu'un gouvernement paternel pouvait encourager
sans peril, que le prince de Metternich cultiva par politique, pour le bon exemple, et qu'h la fin it cultiva par
goat, pour son plaisir, si hien qu'on vit le chancelier
aulique devenir un des meilleurs botanistes et numismates de l'Autriche.
Pour tout le rests, la censure faisait autour des esprits une garde vigilante, et protegeait efficacement
l'empire contre le demon Thought qui effrayait tant
l'empereur Francois II, on Franzl, comme l'appelaient
l es Viennois. a Ne me faites pas de savants, disait-il un
jour aux professeurs de Laybach, je n'en ai pas besoin ;
mais faites-moi de bons et braves sujets attaches aux
choses anciennes. Nos pres s'en sent bien trouves.
Longtemps on a cru Franzl sur parole, et l'habitant de
Vienne, qui aims a vivre et a se laisser vivre, leben and
sich leben lassen, s'est abandonne, comme notre Mathurin Regnier, a la bonne et donee loi de nature.
Il n'en va plus tout a fait de meme aujourd'hui, du
moins quant au demon Thought. On s'est quelque pea
familiarise avec lui, et Vienne ne merite plus le nom
qu'elle a si longtemps ports de : a Capone de l'esprit.
Il s'est memo trouve un poste, en Autriche, it est
vrai qu'il etait Hongrois, pour glorifier le vieux demon.
a La pensee, s'ecrie Niembsch de Strehlenan, qui n'a
ose signer que les deux dernieres syllabes de son nom,
la pensee, c'est le Saint, c'est le Heros I Der Gedanken,
der Heilige, der Held! A Son poeme des Albigeois se termine meme d'une facon menacante : a Les souffrances
du pass, dit-il, se payent avec du sang. Apres les Albigeois, les Hussites; apres Jean Huss et Ziska, Luther,
Hutten et la guerre de Trente ans; ensuite cells des
1. Quatre cent soixante et onze mine quatre cent quarante-deux
personnes, d'apres le recensement de 1856, sans la garnison.
LE TOUR DU MONDE.
Cevennes, puis la destruction de la Bastille, et ainsi de
suite, and so weiter.... A Jamais mots si pen poetiques
n'ont produit pareil effet. Le pate s'arrte a la Bastille, mais son lecteur viennois continue par la penseet
et cette pensee est 40, devenue une action.
Depuis 1848, l'Universite a ete reorganisee sur le plan
des universites allemandes, ce qui a entrains une reforme
correspondante dans les ecoles secondaires, et, pour
fortifier les etudes, nombre de savants ont ete appeles
du dehors. L'Academie des sciences', fondee le 30 mai
1846, avec une dotation annuelle de quarante mille florins, a hien:6 to conquis une grande consideration et eh, rgi
la sphere de ses travaux : ses Comptes rendus, . par leur
abondance, feraient rougir les nOtres de leur secheresse.
Les ministres, les hauts dignitaires de l'empire ne
manquent point de se rendre a ses solennites, et l'imprimerie imperiale qui, pour ]a beante, de ses publications,
rivalise avec la nOtre, prete liberalement ses presses
aux academiciens. Avant 1848, on ne comptait h Vienne
que cinq associations particulieres pour les arts et les
lettres. En 1856, it y en avait dj vingt-huit, et cent
une autres societes de toute sorte s'etaient formees, dont
plusieurs publiaient des memoires qui etaient remarques au dehors. Naguere, la critique litteraire ne touchait qu'au theatre, et une comedie de Scribe, un
drame d'Alexandre Dumas, toute piece traduite, imitee
ou copies des nOtres, car nous defrayons largement les
theatres de Vienne, etait l'unique aliment des causeries
de salon ou des discussions de journaux; la presse va
mainten ant plus loin et plus haut. L'horizon des esprits
s'est agrandi. Le concordat de 1855, qui mettait l'instruction aux mains du clerge, est fort ebranle ; la vie se
reveille partout ; Vienne enfin publie des livres, memo
pour la foire de Leipzig, et une litterature autrichienne
commence, mais avec ce caractere particulier qu'elle est
encore une litterature de grands seigneurs et de bureaucrates.
A Vienne, on est fonctionnaire d'abord, c'est le pain ;
ecrivain ensuite, c'est le sel, si l'on a du talent. Mais
les lettres s'etiolent dans l'atmosphere des bureaux, et
Fecrivain qui porte une clef de chambellan ne tient pas
fortement sa plume. La grande seve populaire manque done a cette litterature Out& allemande qu'autrichienne, je veux dire qui se perd dans le grand courant
germanique sans y entrainer son peuple apres elle.
Cependant elle peut deja se vanter d'un triomphe : le
plus brillant succes dramatique des dix dernieres annees
en Allemagne est un drame autrichien, heureusement
pas en dialecte viennois. Il revient au baron MunchBellinghausen, grand conseiller d'Etat de l'empire, selon
son titre officiel, mais, de plus et ipieux, auteur de
Griseldis, du Fils du desert, et surtout du Gladiateur de
Bayonne (1856). Le baron de Zedlitz et le comte d'Auersperg ont aussi conquis un legitime renom hors de leur
pays. V. Hugo a imite du premier die Nachtliche Heerschau, la Revue Nocturne, morceau celebre au dela du
1. Elle est divisee en deux classes : les sciences historiques et
philosophiques, les sciences mathematiques et naturelles.
175
Rhin, mais qui perd beaucoup h sortir de sa poetique enveloppe d'Allemagne pour se montrer en habit francais.
La nuit, vers la douzieme heure, le tambour quitte
son cercueil, fait la ronde avec sa caisse, va et vient
d'un pas empresse.
a Ses mains decharnees agitent les deux baguettes en
mme temps ; it bat ainsi plus d'un roulement, maint
rveil et mainte retraite.
a La caisse rend des sons etranges dont la puissance
est merveilleuse. Es reveillent dans leur tombe les soldats morts depuis longtemps :
Et ceux qui des confins du Nord restent engourdis
dans la froide neige ; et ceux qui gisent en Italie oil la
terre leur est trop chaude ;
a Et ceux que recouvre le limon du Nil ou le sable do
l'Arabie : tous sortent de leur tombe et prennent en main
leurs armes.
Vers la douzieme heure, le trompette quitte son
cercueil, sonne du clairon, va et vient sur son cheval
impatient.
a Puis arrivent sur des coursiers aeriens tons les cavaliers morts depuis longtemps : ce sont les vieux escadrons sanglants converts de leurs armes diverses.
a Les blancs cranes luisent sous les Basques; les
mains, qui n'ont plus que les os, tiennent en l'air les
longues epees.
Et vers la douzieme heure, le general en chef sort
de son cercueil, it arrive lieutenant entoure de son etatmaj or.
porte un petit chapeau ; it porte tin habit sans orfoment ; une epee pend a son cote.
a La lune eclaire d'une pale' lueur la vaste plaine
L'homme au petit chapeau passe en revue les troupes.
a Les rangs lui presentent les armes ; puis l'armee
tout entiere s'ebranle et passe musique en tete.
a Les marechaux, les generaux, se pressent en cercle
autour de lui. Le general en chef dit tout bas un seul
mot a l'oreille du plus proche :
Ce mot vole h la ronde, de bouche en bouche et resonne bientOt jusque dans les rangs les plus eloignes :
le cri de guerre est France; le mot de ralliement est
Sainte-Helene.
C'est la grande parade des Champs-tlysees que le Cesar wort commande vers la douzieme heure de la nuit'. a
11 est assez curieux de voir cet hommage rendu h la
grande armee et a son chef par un pate autrichien. Au
reste, le baron de Zedlitz n'est pas le seul qui ait subi
l'attrait magnetique de cette puissante figure. Le baron
de Gaudy qui, ne a Francfort, mourut h Berlin en 1840,
avait compose, a la gloire de Napoleon, tout un cycle de
chansons imperiales, Kaiserleider, et pass les dernieres
annees de sa vie a traduite avec Chamisso, autre esprit
francais egare en Allemagne, les chansons de Beranger.
11 y a aussi un chant fameux du comte d'Auersperg,
l'Invalide, oh se retrouve la memo preoccupation de la
France, mais avec une portee plus haute. C'est l'histoire
1. J'ai suivi pour cette piece, comma pour la suivante,
duclion de M. N. Martin.
la tra
176
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
177
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La Gloriette, a ScInenbrunn.
DE PARIS A BUCHAREST,
CAUSERIES GEOGRAPHIQUES 1,
PAR 141. V. DURUY.
1860.
XXVIII
VIENNE (suite).
Schcenbrunn. Pourquoi Louis XIV portait les cheveux si longs et pourquoi le 1\16tre taillait les arbres si court. Le Belvedere.
De la ferraille herolque. Un cheval emport et un general methodique, Le Saint-Denis de 1'Autriche. Saint - Etienne;
une cloche patriotique.
remarquable, si ce n'est des broderies de Marie-Therese (un grand roi 1) qui decorent tout un petit salon ;
dans la boiserie d'une fenetre, le trou qu'a fait la balle
de Staps, lorsqu'en 1809 it tira sur Napoleon ; et, dans
une piece, un plafond mobile pour faire descendre les
mets, afin que l'empereur pia diner avec ses ministres,
sans que la domesticite entendit les secrets d'Etat, ou
peut-titre ne vit rien, quand ce n'etaient pas les ministres
qui se trouvaient en conference avec le prince. Tout etait
parfaitement desert. Je n'ai rencontre dans les jardins
qu'un promeneur solitaire, les pieds dans la boue et
jeter dans leurs egouts pour les laver. On devrait bien faire la
meme chose a Paris avec la Bievre, ou avec une derivation de la
Seine.
12
178
LE TOUR DU MONDE.
179
LE TOUR DU MONDE.
n'est aussi represents que par une ou deux toiles ; le
Poussin par trois ou quatre, entre autres un Jesus delivravt un paralytique, qui est, contre l'ordinaire, d'une
belle et vive couleur. En somme, ce doit etre une des
premieres collections du monde. Elle est tres-superieure
a cells de Munich, et possede bien plus que nous de la
magnifique stole de Venise. lien pourtant qui vaille les
Naas de Cana, ni la Vierge de Murillo, quoique nous
l'ayons surfaite, ni nos trois Raphael, ni le Diogne du
Poussin.
La sculpture est nulle, sauf un Canova, ici, comme
toujours, elegant mais fade.
Pour faire comme tout le monde, j'ai visite la collection
des armures des princes autrichiens, sans pouvoir prendre le moindre interet a toute cette ferraille heroique.
180
LE TOUR DU MONDE.
bre blanc. Toujours quelque chose qui charme, rien
qui enleve. Dans cette eglise, qui est celle de la tour,
la garnison fait celebrer une messe, le 3 novembre
de chaque annee, pour le repos de l'ame de tous les
soldats autrichiens morts dans les combats. C'est
une ceremonie pieuse et touchante. Le 18 juin elle y
revient encore, mais joyeuse et bruyante, faisant retentir les sabres sur les dalles saintes, de maniere a
montrer que la lame tient bien mal au fourreau et ne
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Plan de Vienne.
demande qu'a sortir. C'est l'anniversaire de la victoire remportee en 1757, pres de Collin en Boheme,
sur les Prussiens de Frederic II. Chaque annee, Parmee autrichienne remercie Dieu de lui avoir permis de
battre ce jour-1a les chers confederes, ce qui ressemble
beaucoup a une priere pour solliciter la faveur de les
battre encore.
Saint-Etienne, la cathedrale, est du quatorzieme siecle, Page du gothique flamboyant, de la pierre tourmen-
LE TOUR DU MONDE.
182
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'XXIX
SUITE DE VIENNE.
Les deux parties de la vale. -Le Leopoldsberg. - Pourquoi Vienne
se trouve-t-elle oil elle est? - Le Wienerwald limite de deux
regions gographiques. - Rapport entre l'histoire et la &graphie de l'Autriche.
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LE TOUR DU MONDE.
183
184
LE TOUR DU MONDE.
Le Leopoldsberg est le dernier sommet du Kahlenberg, qui lui-meme est l'extremite du Wienerwald. On
s'y trouve a deux cent soixante metres au-dessus du
Danube, et le regard y court librement a la surface de
cent lieues carres de pays. A ses pieds on a le second
fleuve de notre continent pour la longueur du tours, le
premier pour l'importance commerciale ou politique, et
une des grandes capitales de 1'Europe, la cinquieme par
le nombre de ses habitants'.
Je ne vous decrirai pas la majeste de ce spectacle.
D'ailleurs cette fois la nature, toute belle qu'elle feu,
eut tort devant l'histoire. Je n'etais pas renu au Leopoldsberg pour voir un beau toucher de soleil ou l'horizon bleuatre des montagnes lointaines. Je venais y
chercher la solution de deux problemes : demander h
Vienne la raison de son existence, et a l'Autriche comment autour de cette vine s'etait forme un empire de
trente millions d'hommes. La poesie s'en allait et la geographic prenait sa place.
Nous savons pourquoi Londres, Paris, Constantinople et Petersbourg se trouvent oil ils sont. Paris dans
son lle que le fleuve protegait 2 ; Ptersbourg dans
ses marais, mais aupres du golfe de Finlande et
portee de 1'Europe civilisee ; Constantinople sur les
sept collines qui descendent h un port magnifique,
en face de l'Asie et au bord d'une mer interieure
dont elle pelt fermer les deux entres : Londres enfin,
assez loin de la mer pour n'avoir rien a craindre d'une
guerre maritime, assez pres pour recevoir dans son
fleuve des navires de mille tonneaux. Mais Vienne et
Berlin ! Pourquoi dune s'est-elle placee au bord d'une
riviere sans eau, quand, a deux pas plus loin, coulait un
fleuve magnifique ; pourquoi l'autre a-t elle pousse d'un
jet si vigoureux dans ces Landes du Brandebourg oil la
bruyere merne pousse si mal ?
C'est qu'aucune des deux n'est un produit naturel du
sol qui les porte,mais une creation artificielle de la polltique. Sous les Romains, Vindobona resta sans importance. Its n'y gardaient rien, pas meme le Danube qui
en est eloigne d'une lieue et s'y divise en plusieurs bras.
Aussi avaient-ils mis leur flottille plus bas a Hainbourg,
et leur forteresse de Cilium plus haut, au Leopoldsberg.
Dans le moyen age, au contraire, des raisons militaires
firent la fortune de la bourgade romaine. Quand Vienne
s'agrandit, ce ne fut pas en effet qu'on songeht au commerce, h l'industrie, aux convenances de la paix, mais
beaucoup aux Huns, aux Hongrois, aux Tures. Vienne
fut alors une forteresse jetee en avant du Wienerwald
pour en defendre les approches.
Ces monts du Wienerwald, extremite des Alpes Noriques, jouent un role considerable dans la configuration
du pays. Par un de leurs contre-forts, le Smmering, ils
se relient aux hauteurs qui separent le Bassin du Raab
de celui de la Muhr, et le demi-cercle qu'ils tracent
ainsi de Vienne jusqu'aux environs du lac Platten mar1. Londres, Paris, Constantinople sont beaucoup plus peuples,
mais Vienne n'est pas tres-loin du chiffre de Saint-Petersbourg.
2. Voy. ci-dessus, t. III, p. 338.
185
LE TOUR DU MONDE.
186
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
187
levees dans les duches allemands, elle ecrasa des populations divisees, et s'aidant ensuite de l'une contre l'autre,
elle s'assujettit des nations plus civilisees et plus riches,
comme les Italiens, d'une valeur plus opiniatre, comme
les Bohemes, d'un plus brillant courage, comme les Hongrois et les Polonais. Alors son chef placa sur sa tete dix
couronnes ; it s'affubla de vingt titres, depuis celui d'empereur jusqu'a celui de margrave et de weyvode, et son
manteau imperial bariole de vingt couleurs differentes
ressembla a celui d'arlequin. C'est bien a cet empire
fait de pieces de rapport qu'on aurait le droit d'appliquer
le mot que le prince de Metternich lancait dedaigneusement l'Italie , de n'etre qu'une expression geographique.
Le prince qui savait tant de choses ne savait pas que
la geographic est la plus grande des forces nationales, et
que l'avoir pour soi, c'est, en depit du present, avoir
l'avenir. L'Italie l'a bien prouve. Elle etait, elle, non
pas une expression, mais un fait geographique, et l'Au-
LE TOUR DU MONDE.
188
jetant, aprs les grandes insurrections de 1848, ces nationalites qui devenaient &antes. II se mit a l'ceuvre
avec la fougue de son caractere et de sa volonte ; it est
mort a la peine et les individualites provinciales sont plus
vivantes que jamais.
C'est qu'au moment oir le gouvernement autrichien
entreprenait cette revolution unitaire, la France jetait
par-dessus les Alpes le grand mot de principe des nationalites ; et l'ceuvre de fusion commencee partout, dans
les Etats retardataires, s'arreta soudain. A Vienne on
comprit que le plan du prince de Schwartzenberg devenait impossible. On y renonce, dit-on, et l'on vent essayer de retrouver la force que donne l'union, non plus
dans la centralisation administrative, mais dans une association volontaire au sein de la liberte. Dieu veuille
que l'essai russisse, car l'Autriche est necessaire a l'equilibre des puissances en Europe, mais une Autriche
liberale et a qui la France puisse tendre franchement la
main
XXX
DE VIENNE A PRESBOURG.
Un village de moulins. La Lobau. Les Francais et les Tures
Vienne; une grande ingratitude. L'ancien Carnuntum; pourquoi Vienne a pris son rile? Hainbourg et la porte de Hongrie. La March. Theben. Presbourg.
189
LE TOUR DU MONDE.
loin, c'est une colline, haute de quarante pieds, qui ressemble fort a un tumulus, mais dont on a en vain explore l'interieur : la tradition locale vent que les Tures
l'aient eleve en apportant toute cette terre dans leurs
turbans. A Hainbourg, a la Porte des Pecheurs, on montre le point jusqu'on le sang monta, quand les Tures
entasserent en cot etroit espace huit mille quatre cent
vingt-trois personnes qu'ils egorgerent.
Les Francais et les Tures pour qui Vienne fut pendant trois siecles le commun objectif de guerre, se rencontrerent cependant sur ces memos bords du Danube
pour s'y combattre. C'etait au temps oil Louis XIV,
voulant eblouir l'Europe par toutes les gloires , se
donna cello d'envoyer a l'Autriche un secours fastueux
au risque de perdre l'utile alliance que Francois Ier
avait nouee avec les Osmanlis.
En 1664,1e grand vizir marchait sur Vienne avec cent
mine combattants ; le comte de Coligny fut charge de
conduire a Montecuculli, le general de l'empereur, un
corps d'elite de quatre mille fantassins et de deux mille
cavaliers. Un autre Francais, le comte de Souches, commandait deja l'armee chargee de couvrir la Moravie.
Les contingents des Cercles etaient venus rejoindre
aussi l'armee autrichienne, mais c'etaient de mauvaises
troupes qui, le jour de la bataille, faillirent tout cornpromettre.
On alla au-devant des Tures jusqu'a Raab, et on les
rencontra pros de la petite ville de Saint-Gothard.
L'armee de l'empire, dit Coligny, etait dans le plus
grand desordre, la plupart des soldats cherchant a, fuir
plutOt qu'O. combattre ; et cependant point d'esperance
de retraite devant une armee on it y avait plus de cinquante mille chevaux. Il fallut, ajoute-t- il avec une certaMe complaisance, que les Francais se sacrifiassent
pour le salut de tous ; aussi Bien ne pouvaient-ils eviter
de se trouver enveloppes dans la perte commune. 7) Es
occupaient l'aile gauche, les Autrichiens la droite. Le
centre, compose de l'armee des Gerdes, fut enfonce par
les Ottomans, et ceux-ci croyaient deja la victoire gagnee lorsque Coligny et Montecuculli firent un commun
effort. Les Tures plient et s'arretent. Leurs masses profondes sont entamees, taillees en pieces, jetties dans
le Raab, oil les cadavres d'hommes et de chevaux amoncels forment des barrages par-dessus lesquels vainqueurs et vaincus gagnent l'autre rive. Un mot de Coligny peint l'horreur de cette scene : C'etait un cimetiere
flottant. Les jours suivants, les Francais ne s'occuperent qu'a retirer du Raab les cadavres pour les depouiller. Toute notre armee, mandait Coligny a. le Tellier,
est devenue pecheuse, et l'on ne saurait dire les richesses qu'on a trouvees a la depouille des noyes. Cinquante etendards, douze pieces de canon, une multitude
d'armes precieuses et bizarres, furent le trophee de cette
victoire. Sans nous, ajoute encore Coligny, qui n'avait
pas herit de la modestie du grand chef de guerre dont
it portait le nom, il n'y aurait pas un Allemand qui ent
sa tete sur les epaules presentement.
Les Autrichiens furent reconnaissants, au m oinspendant quelques jours, de ce service. Un homme qui
vient de Vienne aujourd'hui m'a dit que dans la tour du
palais de Penapire, it y avait quantit de pieces de vin
d'on Pon tirait de toutes les sortes pour les Francais qui
y veulent aller boire, et que ce regal n'est que pour
ceux de notre nation. C'est la piscine probatique de
notre valeur, et une marque de l'estime que l'on en fait
a. Vienne, et rien n'est plus vrai que les marchands et
les cabaretiers, qui les ranconnaient a leur arrivee, les
font boire presentement pour rien le plus souvent, et
les marchands lour donnent lours marchandises a. grand
prix, leur disant : Braves Francais, il ne faut pas pren dre garde a. peu de chose avec vous. La medaille
out son revers. Quelque temps apres, Coligny ecrivait :
Je ne doute pas qu'on ne veuille ici que le dernier
de nos hommes crave le dernier jour de la campagne.
Depuis que nous avons joint l'armee, nous ne savons
plus ce quo c'est que du pain, et toute l'industrie humaine ne pout trouver de remade a cola ; car nous sommes dans un pays desert, eloigne des villes, et dans la
Hongrie, oil les Allemands et leurs adherents sont en
abomination.
On voit que ces sentiments-la. ne datent pas d'hier,
d'on je conclus qu'ils ne s'effaceront pas domain.
190
LE TOUR DU MONDE.
L'armee francaise fut cependant renvoyee avec beaucoup d'honneur. Dix-neuf annees plus tard, l'Autriche
fut exposee a un peril plus grand. Deux cent mille
musulmans vinrent mettre le siege devant Vienne.
Louis XIV ent encore voulu humilier l'empereur en le
sauvant. Quatre camps furent echelonnes le long du
Rhin, prets a lancer quatre armees au premier signe de
Leopold. Il se garda hien de se jeter aux pieds d'un
allie si puissant : it aima mieux se servir de la vaillante
epee d'un heros polonais, le roi Jean Sobieski, plus facile a tromper et envers lequel la reconnaissance serait
plus legere, l'ingratitude moins dangereuse. Quelques
volontaires francais accoururent cependant offrir leur
courage a l'armee imperiale.
C'etait le 14 juillet que le grand vizir Kara-Mustapha
avait paru devant Vienne ; deux mois apres it y etait encore. Stir de sa proie, it la menageait pour n'en point
alterer la valeur et ne rien perdre des richesses qu'il
convoitait. On annonce l'approche d'une armee polonaise et de Sobieski; Mustapha en nit. Le 12 septembre
la bataille s'engage ; a cinq heures de l'apres-midi, rien
LE TOUR DU MONDE.
191
avant de ces deux forteresses, pour garder la ligne du Danube, Lauriacum (Lorch), au nord de Steer, et Carnuntum. On a pretendu
reconnaitre sur la colonne Trajane la montagne de Hainbourg.
192
LE TOUR DU MONDE.
La Hongrie est, par ses hies, son betail, son yin, le greasier d'abondance de Vienne et de Parchiduche. Une
partie de ces produits, pour entrer en Autriche passe a
Presbourg, qui en garde le plus qu'il peut, et je vois les
collines qui l'entourent couvertes au loin de magnifiques
vignobles, dont un, celui de Saint-George, est renomme.
On vante la vue magnifique dont on jouit du haut du
Schlossberg, et qui s'etend a Fouest jusqu'au lenberg , par-dessus Vienne, a l'est , sur l'immense
plaine on le Danube circule paresseusement entre des
Iles basses et boisees. Du bateau meme on voit la seule
curiosite de Presbourg,laMontagne-Royale. Que ce mot
ne vous fasse pas raver d'Alpes ou de Pyrenees, la Montagne-Royale est une simple colline, moms encore, une
DURUY.
LE TOUR DU MONDE.
193
VOYAGE EN EGYPTE,
PAR MM. HENRY CAMMAS ET ANDRI LEFEVRE.
1859. TEXTE INEDIT
notre disposition.
13
194
LE TOUR DU MONDE.
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196
LE TOUR DU MONDE.
nous reveilla avant le jour ; mais nous nous ferons rapidement a ce bruit, bientet devenu familier. Il n'est
pas de chemins plus doux qu'un fleuve a l'eau calme, aux
rives verdoyantes, surlequel on avance sans se mouvoir.
Nous regardons venir de beaux villages blancs qui jaunissent et noircissent en arrivant, puis ils s'eloignent
et reprennent leur blancheur ; le soleil fait disparaitre
leur misere et leur malproprete ; it y a partout de
grands colombiers carres
autour desquels une multitude de branches seches,
fichees dans les murs, forment des auvents irreguliers oil les pigeons se
pressent. Un groupe de
femmes vetues de longues
chemises bleues, la tete
chargee de paquets de Tinge, les unes maintenant
leur fardeau d'une main,
d'autres, plus savantes en
equilibre, les mains gracieusement poses sur les
hanches, sort du village et
se dirige vers le lavoir au
bord du Nil. Elles viennent
par une avenue oil les sycomores alternent avec les
mimosas, longeant une
vieille mosques en ruine.
Parmi elles sont de jeunes.
files qui portent sur la tete
de grands vases de terre
pour puiser de l'eau, et
des enfants se roidissant
sous une charge aussi grosse qu'eux ; voyez-vows ce
tout petit qui descend le
talus en relevant sa robe
blanche? C' est un tableau
tout fait, mais un de ces
paysages oh la nature est
tout, et qu' animent, si l'on
veut, des figures microscopiques. Les lavandieres
sontpres de nous ; le soleil
qui decline et touche presque les sommets encore
modestes de la chaine libyque eclaire vivement les figures, et rehausse d'un
trait d'or les lignes et les contours. Quelques-unes honteuses d'tre vues par des strangers, relevent leur vetement pour cacher leur visage ; mais d'autres, mains scrupuleuses ou moins occupees, laissent voir un front plein,
de grands yeux, un nez bien attache, un air agreable
gate par des levres epaisses, un menton lourd et des
joues tatouees : presque toutes ont des anneaux de metal
au nez, des bracelets, des colliers et des Gerdes d'or a
LE TOUR DU MONDE.
ete si indulgente; les coups de baton ne lui content rien
et pleuvent, sans autre forme de proces, sur thus les dos
qu'on lui amene. Les Fellahs, sous un tel regime, se
font une tres-faible idee de la dignite humaine et de
leur propre valeur ; Hs ne repondent aux coups que par
des plaintes. Parfois Hs se revoltent comme des moutons, mais avec la conviction que la lutte est inutile.
Ainsi, a l'epoque de la conscription, Hs resistent a la
force armee ; on en tue
quelques-uns, et le reste,
emmene sur les barques
de l'Etat vers le Caire,
descend le Nil, suivi pendant plusieurs lieues par
les lamentations des femmes et des jeunes filles.
La vie des Fellahs n'est
pas, materiellement, plus
malheureuse que la vie de
nos manouvriers des campagnes ; leur caractere est
pint& gai que melancoli
que ; et les circoncisions,
les mariages, sont des fetes
oa tout le village est invite : leurs fantasias, leurs
chants et leurs danses respirent la joie spontanee,
instinctive , des negres.
Mais, avec tout ce qui peut
rendre l'existen aimable,
it leur manque le sentiment des droits et des devoirs, ce quelque chose
qui fait l'homme libre et
le citoyen ; chacun d'eux
aime son hameau, sa_maison ; mais l'Egypte n'est
pas une nation, une patrie.
Cet abaissement de l'espece humaine, si douloureux voir, etonne au premier abord ; toutefois, si
l'on reflechit a la tyrannie
oppressivedes mamelouks,
a la desorganisation profonde de l'Egypte sous la
F
dynastie grecque et la domination romaine, enfin a
l'antique loi des castes qui condamnait la masse du peuple a l'esclavage de la glebe, on comprend que l'esprit du Fellah, atrophie kb, sous les Pharaons, ahuri
sous les Romains, tue par le fatalisme musulman, resiste longtemps aux efforts, aux tendances intelligentes
du gouvernement de Said-pacha. Depuis la conquete
arabe, la terre a ete legalement la propriete des sultans, des emirs et des beys; ce qui existait chez nous
en principe dans le monde feudal, fut rigoureusement
197
198
LE TOUR DU MONDE.
199
LE TOUR DU MONDE.
tombs dans l'eau. C'etaient des hommes et des enfants,
aussi avides a la curse qu'une meute de chiens; accables d'injures par notre equipage, ils ripostaient non
sans gloire, et leur vocabulaire tait si bien nourri
qu'ils eteignirent le feu de leurs adversaires. Enfin nous
parvinmes a nous en debarrasser, et ils remonterent
avec leur butin dans une sorte de grand batiment carre
que nous apercevions assez haut dans la montagne.
Qu'etait-ce que cette maison ? Un convent, nous repondit le drogman. Et ces gueux? Des moines
coptes et leurs eleves. Les Coptes, qui descendent de
la caste commercante de l'ancienne Egypte, sont chretiens ; ils disent la messe dans une langue precieuse
pour la philologie mais qu'ils ne parlent et n'entendent
plus depuis le quinzieme sicle. Leur histoire n'est pas
brillante : convertis au christianisme vers le deuxieme
sicle, disciples d'Entyches, decimes par la persecution
orthodoxe, complices de l'invasion arabe, toleres par
l'islamisme et employes par les mameluks a la percep-
tion des tributs, ils jouissent aujourd'hui d'une mediocre estime ; moines mendiants et voleurs, faiseurs d'eunuques, tels sont les noms que Fon pourrait jeter
beaucoup trop d'entre eux.
Ce fut a la hauteur de Minieh, ville peuplee, jolie, on
le vice-roi possede un palais, que nous commencames
requerir les Fellahs pour tirer notre barque a, la cords
(11 decembre). Les moudirs; les cheiks appuyaient notre
firman de leur autorite. Le plus souvent nous ne treuvions aucune resistance ; les vieux et les jeunes quittaient
leurs travaux et venaient faire la chaine en chantant ; ils
ne demandaient pas de bakchis; et s'il nous prenait
fantaisie de leur donner quelque menue monnaie, notre
aumene restait aux mains du drogman. Chaque village
envoyait son contingent, et, de relais en relais, un attelage
frais remplacait l'attelage fatigue. Les matelots, parfaitement oisifs, surveillaient le baton en main, et dirigeaient la chains ; ils arretaient quiconque passait leur
portee, sans lui demander la direction qui lui ent con-
200
LE TOUR DU MONDE.
devoree par le Nil qui la baigne. Elle montre au voyageur une mosquee a demi eventree, bazar qui descend
boutique par boutique et Pend sur l'eau. L'indolence
arabe oppose une dedaigneuse inertie au progres du
fleuve; it est ecrit que le Nil emportera ce mur, cette
maison, ce champ. A quoi bon lutter? D'ailleurs la
vie est bonne a Manfalout ; on y fait d'excellent beurre,
rare tresor en Egypte, et la region des pasteques a chair
201
LE TOUR DU MONDE.
rouges dont nous etions pourvus. Ce fut un beau spectacle, et des lueurs magiques, changeantes, reveillaient
dans les antres de grands aigles effrayes ; nous voyions
distinctement les patois seches, austeres, moins belles
que les vontes de nos grottos on pendent des stalactites
humides. Mais, l'illumination eteinte, le pilote, trouble
par l'obscurite subite, laisse devier le gouvernail et la
barque pirouette sur elle-meme. Par bonheur nous ne
devions avoir du danger que ce qu'il en fallait pour fixer
en notre esprit le souvenir de cette nuit; la manoeuvre
habilement commandee par le reis nous remet dans le
droit chemin ou plutOt nous echoue doucement sur un
petit Hot o a nous nous amarrons solidement pour le reste
de la nuit. La joie, plus vive encore que la crainte, se
manifesta par des coups de fusil repercutes dans les
profondet-i s, par des chants, des danses, un tumulte qui
attira pres de nous plusieurs barques etonnees et prates
202
LE TOUR DU MONDE.
entre les roches au bord de I'eau, et les violettes parfument le pied des buissons. Les cannes a sucre, hautes en
ce lieu de cinq a six metres, recoltees presque sous nos
yeux, jettent deja des pousses nouvelles. Le tahac, le
chanvre, le lin, semes en petits champs, introduisent
dans ce gracieux ensemble les varietes de leur feuillage.
Parmi les arbres connus, nous remarquons une espece
de palmier qui se plait surtout dans 1'Egypte tropicale ;
c'est le doums, qui differe
du dattier par la conformation et par le fruit. Au
lieu d'un seul tronc eleve,
couronne d'un panache de
longues feuilles pointues,
le doums a generalement
deux branches principales
garnies de nombreux rameaux dont l'extremite
porte un bouquet de feuilles assez courtes et plie
sons une forte grappe de
gousses rougeatres. Les
regions de la Nubie, dont
ii est parfois le soul ornement, semblent couvertes
de gros liCrissons immobiles, les dards leves. Ses
fruits, gros comme une orange allongee et de forme
irreguliere, ont l'aspect,
mais non la valeur, de petites noix de coco. L'enveloppe epaisse et filandreuserenferme une partie
molle legerement sucree
et au centre un fort noyau.
Le doums donne par an
deux recoltes ; les naturels
mangent le fruit quand
est frais et l'emploient surtout en medecine.
Une suite de gracieux
villages : Aboutig, pose sur
une eminence entre le Nil
et la montagne; M ekela,
gros bourg, avec un joli
port, des maisons construites en pise, et de Brands
" Femme
pigeonniers
s'echappent a notre approche des nuees pleines de roucoulements ; l'air ancien ; Souaghi, dont le palais
ressemble a une prison ; Akmin, la misere et la salete
toutes nues, avec je ne sais quelle splendour pourtant;
El-Saouitch et Menscheb, infestes de moines coptes; Elhouia, qui s'attache comme un bracelet d'email blanc et
vert, au pied du Djebel-el-Serath, relient Syout a Girgeh, la favorite de Mehemet-Ali. Mais aujourd'hui delaissee, mirant dans le Nil qui la & yore ses nombreuses
mosquees solitaires, elle languit desheritee sous le gouvernement d'un simple mamour. Ses habitants se couchent tit et se levent tard; les portes se ferment a la
tombee de la nuit. Lorsque nous arrivarnes it faisait
clair de lune, et penetrant a grand'peine dans la ville
silencieuse, nous y revames mille beautes nocturnes
que le jour devait effacer ; c'etaient de grandes ombres
clairement dessinees dans les rues tortueuses, et cette
lueur ideale des lunes de
Apres Girgeh dechue,
Farchout sans pretentions,
epanouie sous le soleil au
milieu de vastes champs
de pasteques. L ,;st de la
qu'au printemps descendent Vers le Cairo etAlexandrie des montagnes de melons et de citrouilles qui
encombrent les marches ;
tout le rivage est convert
de larges feuilles et de
grosses tiges qui serpentent, et ch et la s'ouvrent
les grandes ileurs jaunes
et blanches dont le cceur
demesurement grossi fera
la joie des Fellahs. Un lieureux Fruit clue ces pasteques, adrnis a toutes les
tables, cher a toutes les
bouclies ! Sa reno-: ,,rnee est
universelle, et nos troupes, lorsqu'elles parcouraient ces lieux, Font nominee Sainte Pastetine. Eh
bien ! ditt notre opinion
faire scandale, nous faisons peu de cas de ce tresor ; nous n'avons pas encore eu assez soil pour
en apprecier le parfum insensible et l'eau sucree
peine.
Depuis Syout, le Nil
vaut qu'on le regarde, au
moins autant que ses rives. Ses condos brusques,
les efforts qu'il fait pour
se drober aux montagnes qui l'etreignent, varient
chaque instant l'aspect de son tours. Tanta des troupeaux 'de buffles viennent boire ses eaux limpides et
plongeut tout d'un coup ; on ne voit plus que leurs mufles noirs couronnes de plantes aquatiques ; ou bien
ce sont des escadres de canards magnifiques, prenant
pied par moments sur les ilots de sable. A demi sauvages et presque sans maltres, ils pullulent aux environs
de Farchout ; nous essayames en vain d'en tuer quelques
203
LE TOUR DU MONDE.
uns; ils sentent l'homme de loin et se refugient dans les
roches. Les gens du pays en font, vers le printemps, de
grandes destructions; c'est dans le courant de fevrier,
quand des pasteques sans nombre, tombees des barques
trop pleines, s'en vont a la derive, becquetees des
oiseaux sur la route. Chacun se coiffe alors d'une citrouille creusee, percee de trous pour la bouche et les
yeux, puis, nageant sans bruit au milieu des canards sans
renomme qui passe pour se faire ecouter des crocodiles. Il jette des sorts aux gens qui passent sans lui
rendre hommage ; voyez; it donne sa main a. baiser.
Mais que fait-il de ce qu'on lui donne?
II distribue presque tout aux pauvres ; de ce qui
reste it habille son domestique.
grace a quelques talaris et a. une livre
Cheik
de tabac, nous recut bien et daigna nous promettre un
204
LE TOUR DU MONDE.
nonia ; sur fautre bord, Louqsor et Karnak developpent leurs palais enormes encore pleins de la gloire et
des noms de Thoutmosis et de Rhamses.
Sur cette terre epuisee par la puissance qu'elle a
nourrie, l'homme aujourd'hui tient peu de place : un
bourg a Louqsor, des huttes a Medinet, a Gournah
quelques tombeaux habites, voila toute la part dune vie
rabougrie et miserable sur ces bords fameux par les
dieux, les rois, les chefs-d'oeuvre. Mais, dans cette vaste
plaine qui repousse et forme en cirque lointain les deux
chaines riveraines, la solitude est peuplee de visions
innombrables ; les nations mortes laissent quelque
chose dans Pair, et les pensees volent encore on les
cerveaux ne sont plus !
Loupor, point meridional de Thebes, sur la rive arabique, conserve deux importantes series d'ediiices. C'est
d'abord, en partant du sud, le temple-palais d'Ameno phis-Memnon, relie au Nil par des propylees on nous
206
LE TOUR DU MONDE.
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gypte. Dans les ombres croisees de ses trente colonnades habite un peuple de bas-reliefs ; et des hieroglyphes innombrables montent, comine un tourbillon de
greles scarabees, a l'assaut des murailles et des chapiteaux monolithes.
Entre la Salle hypostyle et la montagne se succedent :
Oat
A,111)1 1
1)
la Galerie des colosses, dont les piliers delabres soutienlent soIxante statues enormes ; une cour jonchee de debris; un temple de granit rose flanque de deux series de
chambres jadis destinees a un college de pontifes ; la
Galerie des rois ou l'antique Mceris a fait sculpter le long
des murs, sur quatre files superposees, soixante Pha-
LE TOUR DU MONDE.
207
raons, ses aieux; enfin de grands espaces fertiles en pattroisieme du nom. A. quelque distance, au pied de la
tes de sphinx, en troncons de triades de granit rose et chaine libyque, le palais de Sesostris, longtemps pris
d'albatre, deux pylones ruines, deux sbkos ornes de co- pour le tombeau d'Osymandyas, jonche le sol de ses
losses et un propylene completement nu, qui confine colosses et de ses murailles. En avant, dans la plaine,
au mur d'enceinte. N'oublions pas les obelisques : deux se dressent deux statues assises de vingt metres de
petits devant le temple rose, deux grands au milieu de la haut, elevees par Amenophis au milieu du quartier
Galerie des colosses ; a la sortie de la Salle hypostyle,
funeraire des Memnomia ; l'une est le fameux colosse
le plus beau de toute l'Egypte, ceuvre d'une reine
de Memnon, qui, si l'on en croit les inscriptions
Amense qui vivait au dix-septieme siecle avant notre nombreuses de temoins auriculaires , rendait au
ere et se faisait appeler
point du jour des sons
le roi du peuple obeisharmonieux. Plus loin et
sant, la tilde du soleil.
plus haut, au nord, MeAu nord, les Ptolemees
nephta, pore de Sesostris,
avaient place des avenues
a bati le palais de Kourna,
de proportions modestes
de bliers, des colosses et
des propylees ; it ne reste
mais exquises, et oil Chamde ces splendours qu'un
pollion a vu un precieux
colossal propylene .aux rireste de la plus belle periode de l'art egyptien.
ches sculptures parfaitement conservees . Au midi,
La vallee funebre ou
pros du Nil, et se reliant
reposent les dynasties thejadis par quatre pylemes et
baines s'ouvre dans la monune double rangee de
tagne libyque et se dirisphinx a la Salle hypostyle,
ge vers l'ouest ; c'est dans
se developpent les restes
ces demeures occidentales
imposants du temple de
quo l'esprit symboliquedes
Kons ou grand temple du
pontifes a place l'amenthi,
sud. C'est un edifice des
tribunal supreme oil siege
dix-neuvieme et vingtieme
Osiris assiste de Thmei
(Themis), Horus, Apis et
dynasties ; les Ptolemees y
ont mis la derniere main.
Anubis. C'est lk, dans les
entrailles de ht montagne,
Enfin Auguste a termine
un petit sanctuaire dedie
quo se reunissent les quapar Evergete le Ventru
rante -deux jures , homune Cleopatre, sa femme
mes-serpents, ibis, chacals
et sa seeur.
ou crocodiles ; le mort est
Karnak et Louvor ne
etendu sur une bari
sont quo la moitie de Themystique, escortee de
bes. Sur la rive gauche,
Nephtys et d'Isis ; au pied
Moeris, Menephta, Amedu belie d'Osiris est un
nophis, Sesostris et Rhammonstre oil se melent le
ses III oat construit de malion, Phippopotame et le
gnifiques demeures ; les
crocodile.
--------7,--------.=____--
_____I;
-----,
rois ethiopiens, les Ptole- k;
D'ordinaire, les torn----=-_-=------
----_----,_1-mees, les A ntonins, ont
beaux
complets sont ainsi
_,27
-,_-=?
-:-;-__.
-:-.--- -:
-- _-----=.---=_.
4 ) --4'
complete ourepare l'oeuvre
concus : une ouverture
de leurs devanciers. La
basso, etroite, dissimulee;
An ier.
butte de Medinet est forune pente roide aboutismee par les ruines du temple-palais de Rhamses III; l'ceil sant a une galerie spacieuse oil des peintures merveilperdu au milieu des tours immenses, des colonnes et leusement fraiches rappellent les lois et les moeurs de
des colosses, des bas-reliefs et des hieroglyphes qui ces temps recules ; parfois dans les parois, de petites
celebrent l'apotheose du pharaon, se repose sur les pro= chambres ou est trait un sujet special ; plus loin un
portions plus modestes d'un petit hotel precede de deux pronaos, puis la salle funebre, plus longue que large,
pylenes et d'une tour etroite ; le grand pavilion du fond vontee en berceau, peinte sur toutes les faces, et au mipresente trois etages decores avec goat, des balcons lieu, le sarcophage enorme souvent prive de sa momie
supportes par des cariatides engagees dans le mur a mi- qui dormait au fond de nombreuses enveloppes precorps ; les sculptures interieures sont pleines de details cieuses. Les rois dont le regne fut long ont les plus
intimes et familiers. La fut le gynecee de Rhamses, beaux hypogees, entre autres Menephta, Rhamses IV
208
LE TOUR DU MONDE.
.--'7
11,
De l'union de Neith, le chaos des Bermes, , avec Ammon, l'intelligence et le mouvement, nait l'ordre visible,
le dieu Kons, troisierne personne de la triade supreme,
ou plutOt unique : la triade est la loi de la hierarchie
sacree. C'est la filiere uniforme ou doivent passer tons
les fetiches locaux, les heros et les idees divinises. Les
dieux n'etant que des synonymes ou des subdivisions les
uns des autres, se combinent entre eux aisement, sans
souci d'adultres ou d'incestes apparents. Il suffit, pour
ne pas s'egarer dans le labyrinthe des triades secondaires,
de ramener tous les dieux a l'emploi d'Ammon et de
Kons, toutes les deesses au role de Neith-Bouto-Isis.
Tous les dieux sont tour a tour pare et fils ; quant aux
deesses, jusqu'a des temps assez rapproches, elles demeurent toujours meres et ne sontjamais lilies. L'Eternel
Feminin reste immuable. C'est diti Vedique, la Nuit
primitive d'Orphee, la Terre d'Hesiode, le Possible
LE TOUR DU MONDE.
209
VOYAGE EN EGYPTE,
PAR MM. HENRI CAMMAS ET ANDRE LEFEVRE.
1660. -
Comme nous touchions au rivage, un bruit d'instruments et de chansons Vint nous distraire de notre reve1. Suite et fin. Voy. page 193 et la note.
VII.
mv.
14
210
LE TOUR DU MONDE.
211
LE TOUR DU MONDE.
bord une cargaison de poterie, du sel et des pipes ; les
matelots les deposaient au passage, et devaient trouver
au retour une provision de tabac, de dattes et de barnais. La polygamie, ainsi comprise, est industrieuse ;
cependant elle perd chaque jour du terrain, non-seulement chez les pauvres, mais encore chez les riches qui
n'ont le plus souvent qu'une spouse legitime a la fois.
Elle n'a d'ailleurs qu'une raison d'tre, c'est la vieillesse prematuree des femmes ; que les hommes cessent
d'epouser des enfants promptement epuisees par les
fatigues d'une maternite
precoce, et c'en est fait de
la polygamie.
Tout en philosophant de
la sorte, nous avions dit
adieu a Thebes et repris
notre route vers le sud.
Nous regardions machinalement les belles cultures
et les proprietes du prince
Mustapha-pacha ; pres
d'Hermant (Hermonthis),
centre de ce vaste apanage,
de belles ruines s'elevent,
a quelque distance du Nil,
derriere un bouquet de sycomores et de mimosas;
sous les rameaux s'arrondit
la coupole d'un tombeau
musulman ; quatre belles
colonnes antiques precedent un petit sanctuaire.
destine a rappeler la naissauce de Cesarion, fils de
Cleopatre et de Cesar. Le
regne de cet enfant n'est
jamais de realite; a peine
dura-t-il assez de temps
pour que le temple fin
acheve. La Cella est divisee en deux pieces, dont
l'une, tres-petite, presente
de curieux bas-reliefs.
Ammon-Ra , accompagne
de Souan, la Lucine egyptienne, assiste a l'accouchement de Ritho-Cleopatre ; la sage-femme divine remet l'enfant a une nourrice et a une berceuse. Plus loin Ritho, soutenue par
Souan, est presentee aux grands dieux, Ammon, Souk,
Phre et Mandou-Cesar. Le petit Cesarion partage les
honneurs , divins avec l'enfabt Har-Phre, le Jour, dont
vingt-quatre femmes figurent la marche. Le sens general de cette mythologie pent se resumer ainsi : Cleopatre et Cesar, semblables aux dieux, ont mis au monde
un fils aussi beau que le jour. Un sculpteur serait aujourd'hui bien embarrasse pour exprimer une pensee
analogue; nous ne sommes plus au temps des alle-
212
LE TOUR DU .MONDE.
jusque dans l'eau. Une journee entiere et une nuit encore nous separent d'Assouan ; les vents, les rochers, le
fleuve retardent notre marche. Au milieu des villages
refugies dans lours anses escarpees, palpitant a l'aspect
des grosses pierres, sentinelles avancees des chutes et
des rapides, nous avancons avec precaution et lenteur.
La vegetation semble venir au-devant de nous d'ile en
Ile ; a notre droite s'allonge la verte Elephantine, couverte de ruines presque invisibles, fabuleux pays de
ces ichthyophages qui servirent a Cambyse d'ambassadeurs en Ethiopie ; enfin pendant le courant impetueux, nous entrons dans le canal qui mene au port
d'Assouan, l'antique Syene et la refine des cataractes.
2 1 4
LE TOUR DU MONDE.
plus des masses de granit ; nous pouvons voir enchaines par les pieds au fond des eaux, un peuple de Titans, ceux qui sans doute, taillant les sphinx dans le
granit comme un ptttre decoupe une figurine dans un
morceau de buis, posant d'une main les obelisques en
equilibre, ont orne le palais de Karnak et creuse des
temples dans les montagnes.
Nos sauvages, de retour avec l'aurore, reprennent
leur travail et nous etablissent enfin, vers trois heures,
dans un bassin tranquille, au-dessus des trois passes
qui nous restaient a franchir. La derniere,
couchee comme une nalade endormie en travers du
fleuve qui est resserre dans un espace d'une trentaine
de points d'appui ; nos hommes y attachent de gros cables, qui nous tirent lentement. Le soir torrrbait comme
nous venions de franchir la premiere passe, et it fallut
nous amarrer pour la nuit entre deux rapides. Les Nubiens nous accablerent de felicitations sur les heureux
debuts d'un voyage difficile : c, Allah est grand, >,
criaient-ils, c'est-h-dire : a Bons Francais, donnez-nous
quelque chose! Quand Hs eurent recu le bakchis inevitable, ils s'en allerent passer la nuit chacun dans
son village. Pour nous, gravissant les rochers voisins,
nous contemplons le chaos qui nous environne. La lune,
composant des tableaux fantastiques, donne aux pierres
enormes des apparences presque humaines. Ce ne sont
LE TOUR DU MONDE.
215
Philm ; ce sont deux deesses scours, deux noms du principe ferninin, de l'amour et de la fecondite. Si Pepervier solaire et la couronne de fleurs bleues appartiennent plus particulierement a Hator, elles ont en
commun le disque, les comes, la tete ou la figure entiere de la genisse, animal qui leur est consacre. Toutes
deux ressemblent a. Venus, a. Cybele, a la vache Io.
Couronnees du disque et des comes, elles semblent
dire a. leurs adorateurs vous voyez sur notre tete Pembleme de la lumiere, nous savons le secret de la vie
et de la destinee ; mais ne cherchez pas n nous le ravir nous avons des armes pour le defendre.
Deux colonnades de longueur inegale et dont la diver-
216
LE TOUR DU MONDE.
it tient d'une seule main les chevelures ; une inscription francaise, datee du 13 ventOse an vii, se lit sur la
paroi interieure du pylene oriental. On monte sur les
pylOnes par un escalier encore praticable qui s'ouvre
dans la cour situee derriere eux. Les ekes de cette
cour sont formes par deux edifices quo les Ptolemees
ont consacres a Hater et Isis mores : l'un, a l'occident,
etait perhypxthre (sans murailles et sans plafond); l'autre, a Forient, compose de plusieurs pieces, a conserve
une colonnade qui forme galerie sur la cour ; les sculptures en sont curieuses.
Deux seconds pylOnes ferment cette premiere cour ; ils
ont une hauteur de 14 metres 50 centimetres et sent ele-
LE TOUR DU MONDE.
temps pour prendre sur un grand dressoir place derriere lui une foule de presents qu'il destine a Isis. Il
est d'une gaucherie et d'une noblesse admirables. II ne
detourne pas de la deesse son aril de face sur sa tete de
profil ; ses longues jambes forment compas ; ses Brands
bras, d'un mouvement symetrique et infaillible, vont
du dressoir a Isis et d'Isis au dressoir. Lorsqu'on sort
de la cour par le couloir de l'ouest, on debouche en
face de Beghe, sous une colonnade qui est separee du
Nil par les debris du temple dont le portique forme la
galerie occidentale de la premiere cour. Que de fois
nous sommes venus pres de ces piliers dont la bdse,
sans avoir flechi du milieu, presente des assises rangees
selon des lignes legerement courbes
Les quatre pylenes et les deux tours annoncent dignement le grand temple d'Isis. Dix belles colonnes
elancees, jadis couvertes de peintures dont on devine
encore les couleurs, soutiennent un pronaos imposant,
217
ilegItieh.
218
LE TOUR DU MONDE.
temple &Isis, joint l'elegance attique a la majeste eg yp- avait son tombeau ; Isis et Hator, tout un peuple de pontienne. Et comment la science ne serait-elle pas recon- tifes et de pretresses, qui n'en pouvaient sortir et desnaissante envers les Ptolemees et l'ile de Philm? C'est cendaient apres la mort dans une necropole souterraine
a Philw que Belzoni trouva l'inscription bilingue
on sans doute etait depose le dieu. La saintete de Phil
les noms de Ptolmee et de Cleopatre, ecrits en hieroavait grandi avec le cake de ses genies locaux ; car aucune
glyphes pareils a ceux de l'inscription de Rosette, per- divinite egyptienne ne se repandit dans le monde romirent a Champollion le jeune d'etablir la presence des
main autant qu'Osiris et Isis ; derniers noms d'Amcaracteres phonetiques dans l'ecriture egyptienne, et mon et de Neith, ils etaient, avec leur fils Horns, deamenerent la decouverte
venus , vers les derniers
de la langue.
siecles avant notre ere, les
Philw a son histoire,
chefs de la hierarchie. La
politique et religieuse. Clef
derniere triade eclipsait la
des cataractes, elle fut le
premiere. Le christianisme
rempart des dynasties thevint tard a Philw ; et dans
baines contre les incurla seconde moitie de notre
sions des hordes d'Ethiosixieme siecle , la vieille
pie ; elle devint leur refuge
Isis y etait encore adoree.
lorsque les hommes du
Ce fut l'islamisrne qui eut
Nord , Pasteurs ou Hykla triste gloire d'en finir
sos , inonderent la basse
avec Fidole innocente ; mais
et la moyenne Egypte. Les
it ne put substituer a son
Rhamses, vainqueurs des
paisible regne que la solistrangers, couvrirent d'etude et le neant.
difices les deux Iles saLa Nubie.
crees, berceau de l'independance renaissante ; et
Depuis hier nous somsi Philw n'a rien garde de
mes entres en Nubie, et
leurs dons, on retrouve
rien pourtant n'a change ;
a Beghe des restes kenpent-etre une vegetation
dus qui appartiennent au
plus riche encore s'etend
regne d'un Amenophis ,
en etroites bandes au pied
successeur d'un Maoris et
s deux chaInes , qui
etr Ignent le Nil avec
ancetre de Sesostris. Arnenophis, le Memnon grec,
amour, dans les gorges de
allant combattre les EthioTaphis`:4ci la rive libyque,
piens, laissa sur un rocher
pendue rn on tagn e fauune inscription qui consye comme e frange vertate son passage. On peut
doyante , noth offre une
attribuer aux devastations
promenade dehiA\euse ; une
de Cambyse, vers la fin du
caravane defile co\qme une
sixieme sicle, la pauvrete
longue fourmiliere`sur une
de Philee en edifices tresroute elevee ; l, les murs
anciens ; Nectanebe, de la
d'un grand convent suivent
derniere dynastie natioen serpentant les asperites
_
__ =. - - z ------nals, commenca d'en re- , .des roches ; ou bien c'est
-,---_-_-_-_2-7----. -----------;..- -___-,-,--_-_-_,.
--:--7j-------- - -= ,---=--;-_--t___lever les mines vers 370; -_---2---_.7'-----__7:1-une mosquee deserte , a
lesPtolemees continuerent
mi-cote, oil les populala restauration interromtions riveraines s'assemNubien.
pue par une nouvelle conblent pour ouvrir le BM:quete perse ; et nous avons vu que les cesars reprirent ram. Les ruines des pharaons abondent. Au 'loin, lors'heritage des rois grecs. Lorsque l'empire, menace au qu'on a gravi un rocher a pic, on voit dans un labyrinnord, flechit sur ses frontieres meridionales, Philw fut the de montagnes des colonnes:se detacher sur l'horizon
sa derniere citadelle en Nubie ; Diocletien la fortifia, et enfiamme par le couchant c'est toute une ville fantasy construisit Part de triomphe ou la caserne dont it tique, inconnue, que nul pied n'a touchee ; quelques
reste trois portes cintrees vers le nord de Pile.
voyageurs, tents par la tradition, en ont cherch la
Lorsque Pharaons, Ptolemees et Cesars eurent aban- route et se sont perdus dans les plis du dedale ; et la
donne ses dieux y resterent et soutinrent un long ville inconnue garde sa renommee mysterieuse.
siege contre les croyances nouvelles. L'antique Osiris y
Le Cancer, animal fantastique, celeste ecrevisse aux
LE TOUR DU MONDE.
serres ardentes, h la carapace enflammee, dont l'haleine
brille tout sur son passage ; c'est ainsi, d'apres les poetes, que l'on aime a se figurer le Tropique; le Cancer
est au-dessus de nos tetes et nous ne voyons quo deux
ou trois scorpions dans la poussiere; la nature repose
clans un calme parfait sous de charmants ombrages, et
l'air tiede respire des aromes indecis; rien n'est plus
tempere que la zone torride. II est vrai que nous sommes en hiver et qu'il fait chaud comme en ete. Jusqu'ici
le thermometre n'a pas marque moins de six degres
centigrades a six heures du matin, plus de vingt-neuf
a midi, moins de septa minuit. Encore la temperature
du matin et du soir se maintenait-elle le plus souvent
219
entre neuf et treize degres ; du 8 au 12 janvier, c'est-adire aux environs du Tropique, nous notames une elevation sensible, trente trente-deux degres a midi,
quatorze a. dix-sept le matin, quinze a. dix-neuf le soir.
Il faut reconnaitre que nous sommes en Nubie. On
ne parle plus arabe ; et notre drogman desappointe doit
ceder ses benefices occultes a un de nos matelots qui
connait la langue du pays, le barbarin. Les Nubiens,
generalement inoffensifs, ont cependant une allure guerriere ; le poignard qu'une courroie attache h. leur bras,
leur arc en bois de fer, et un bouclier en peau de crocodile sont les marques et les gardiens de leur liberte ;
le gouvernement n'a rien d'eux que par la force. Yigou-
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Daoud.
220
LE TOUR DU MONDE.
la belle epoque est loin de nous, et la position des ruines au-dessus du Nil fait plus pour elles que le style des
bas-reliefs. L'hrnispeos de Ghirch-Hussein se compose
d'un avant-corps presque disparu et de trois salles souterraines oil se voient, a la lueur des torches, les statues
et les emblemes de Phta, le feu central ou le mouvement
universel. Des portes. laterales conduisent dans des pro-
LE TOUR DU MONDE.
fondeurs peuplees d'oiseaux silencieux et de reptiles qui
laissent une trace luisante sur les pierres humides. Nous
n'osames nous risquer dans cette nuit ou descendaient
les initis, au temps de Sesostris.
Nous passons rapidement devant les deux temples de
Dakkeh, ancienne Pselcis, bien qu'ils soient dedies
TOt, le dieu des arts et des lettre 3. Les ruines de Maharakka, posterieures et inferieures a beaucoup d'autres,
nous fournissent toutefois un motif pittoresque. Elles
ressemblent a ces chateaux que les enfants construisent
avec des cubes de bois toujours renverses. Une tour entouree de colonnes est restee debout. A quelques metres du flans oriental gisent les restes informes d'un
edifice plus ancien qui a
servi peut-titre a. la construction du nouveau. L'avenue de Sphinx qui vaut
Seboua le beau nom de
yank des Lions n'est plus
guere qu'une suite de decombres , en avant d'un
hemispeos dont le sable
interdit Pentree.
La lenteur de la barque, la chaleur croissante,
l'aspect desole du pays que
nous traversions, nous accablaient dune morne langueur. Plus de montagnes,
mais des amas de roches
calcinees, fendues soit par
le temps, soit par le soleil
des tropiques, jonchant au
loin l'etendne ; tout autour
de nous un sable brisilant ;
le desert bordait l'eau ; les
villages devenaient rares
et les hommes plus farouches. Assez pros des debris de Seboua, vers trois
heures, c'etait le 12 janvier, la mauvaise volonte
du vent nous contraignit de
faire valoir notre firman ;
mais quand nous voullimes
recruter des aides dans un hameau voisin, nous fumes accueillis par une complete rebellion. Deja depuis longtemps fort inquiets, nous attendions le retour du reis et
du cawas, lorsqu'une detonation se fit entendre.AussitOt
nous ordonnons d'amarrer la barque, et nous descendons
a terre avec une partie de requipage pour soutenir les
n6tres. Its arrivaient suivis d'une multitude de criards
que la vue de notre escorte fit reculer ; on entendait
un grand tumulte et, comme toujours, les voix aigues
des femmes et des enfants juches sur les miserables
toits. Dans notre premier emoi nous n'avions pas vu
que nos hommes trainaient avec eux un prisonnier important, le cheik lui-meme ; notre -attitude energique
221
222
LE TOUR DU MONDE.
reunissait sans doute a ses fonctions visibles des attributions plus equivoques. La biere, faite de Me fermente
dans l'eau, fut apportee dans de grandes amphores de
terre cuite dont le col etait couronne d'un liquide epais
etjaunatre. C'est unhideux breuvage, a le voir du moins,
mais non pas a en juger par l'accueil quo lui fit notre
equipage. Au depart, it y out des cris, on etait altere
encore : mais une noce a laquelle nous fumes invites
leur fut une nouvelle occasion de chanter et de boire.
Nous etions fort curieux de comparer le mariage de
Mahmoud a une noce nubienne. Le premier l'emportait
par la decence, le bon ton et nnepropre le relative ; ici, les
hommes et les femmes, pele-mele, riaient et chantaient
223.
LE TOUR DU MONDE.
Sais (palefrenier).
224
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
225
PEROU.
TROISIEME ETAPE.
DE LAMPA A ACOPIA.
Le maitre de poste d'Aguas-Calientes. Qui rappelle de loin les notes de Gamache le Riche. L'auteur devoile dans une epitre
familire la noirceur et la perfidie de son Ame. Deux crucifix miraculeux. Renseignements utiles sur la biere de Combapata et
sur la facon dont elle est brassee. Dissertation sur le pass des Indiens Canas et Canchis. OA it est question de Cesar passant
le Rubicon. Arrivee a Acopia.
LE TOUR DU MONDE.
226
qu'apres en avoir delibere marement. Jamais plat couvert, surprise, rarete, delectation gastronomique destinee a reveiller l'appetit blase d'un despote ou a chatouiller
les houppes nerveuses du palais d'un prelat, ne fut surveille, combine, coctionne avec plus d'amour, d'attention
et de minutie, que le pot-au-feu vulgaire qui bouillait
sous mes yeux. Le maitre de poste s'etait charg de la
friture. Comme Brillat-Savarin, it trouvait apparemment
quo l'art de frire est un art difficile, et n'avait voulu confier a personne le soin de tenir la queue de la pale. Son
cochon d'Inde, flambe, lave, vide, ouvert, englue de saindoux, saupoudre de piment moulu et aplati au moyen
d'un pave qu'il lui avait mis sur le ventre, n'attendait
plus que l'instant d'tre mis au feu et d'acquerir, par
une cuisson vive, cette couleur doree qui recommande
l'animal a ('appreciation des gourmets peruviens.
Ce splendide souper me fut enfin servi, non sur tine
table, la poste n'en possedait pas, mais sur une mante
de bayeta qu'on etendit a terre et devant laquelle je
m'accroupis a la facon d'un tailleur sur son etabli. Une
cuiller de bois fut mise a ma disposition ; de fourchette,
it n'en fut pas question, mais mes dix doigts en valaient
Bien une. Le maitre de poste voulut me servir d'echanson. Un quart d'heure me suffit pour souper et dire mes
graces. Alors les spectateurs qui m'entouraient, m'ayant
vu trainer mes pellons pros du feu et comprenant que
j'allais demander au sommeil la rehabilitation de mes
forces, se retirerent dans la piece voisine en me souhaitant une digestion facile et une bonne nuit. Nor Medina,
sur un signe du maitre de poste, s'etait mole au cortege
et l'avait suivi dans l'autre chambre, en laissant tomber
derriere lui la peau de vache suspendue par sa queue,
qui servait de portiere. BientOt un bruit de machoires et
d'eclats de rire a la cantonade m'apprit que les serviteurs soupaient de la desserte du maitre et prenaient un
a- comp te sur les joies futures du paradis.
Le lendemain je fus sur pied d'assei bonne heure. Le
maitre de poste etait dj love. Apres lui avoir remis tine
douzaine de reaux, prix auquel j'evaluai mon souper et
la provende de mes mules, je detachai de mon album
une feuille blanche, et sur la declaration iterative de
l'individu qu'il ne savait lire aucune espece d'ecriture,
j'adressai au general L.... les lignes suivantes :
Mon cher general,
Le nomme Ignacio Muynas Tupayanchi, maitre de
poste d'Aguas-Calientes, s'etait propose, a l'exemple de
ses concitoyens, de braler un peu d'encens sur votre passage, quand je l'ai engage a n'en rien faire, persuade
que fetais qu'a l'heure oiz je griffonne ces lignes sur
mon genou, vous tes fatigue d'ovations, de harangues
et de banquets officiels. Si done vous ne trouvez a AguasCalientes ni tentures, ni banderoles, ni guirlandes de
roseaux verts, n'en veuillez pas au susdit Ignacio, qui
n'a fait que ceder h tine influence etrangere. Ce brave
garcon vous dedommagera d'ailleurs, par sa cuisine,
de quelques vains honneurs qu'il vous eat rendus. 11
txcelle dans la friture, et d'un cochon d'Inde vulgaire,
sait faire un manger des dieux; c'est a ce titre de cuisinier que je vous le recommande, mon cher general, afin
qu'en arrivant a Aguas-Calientes vous mettiez a I'essai
le talent de son maitre de poste, que je n'hesite pas a
proclamer aussi bon friturier qu'il m'a paru bon citoyen
et devoue d'ame et de corps h la chose publique.
Que sainte Rose, patronne du Prou, veille sur vos
fours et sur ceux des titres qui vous sont chers.
J'appris plus tard que le malheureux maitre de poste,
mis en requisition par le general L.... et son escorte,
qui avaient pris ma recommandation au srieux, avait
tenu la queue de la poele pendant dix-huit heures et
frit un norobre fabuleux de cochons d'Inde qu'on avait
recrutes dans les environs. Mais n'anticipons pas sur
les evenements.
A deux lieues d'Aguas-Calientes et apres une descente
peu sensible, mais continue, on arrive a Marangani, un
pauvre village qui n'a d'autres titres a l'attention que sa
situation a la confluence du Huilcamayo gue nous avons
vu sortir du lac de Sisaccocha sur le plateau de la Raya,
et du ruisseau de Langui, issu de la lagune de ce nom.
La temperature s'est un peu adoucie. Dans quelques anfractuosites de la montagne, a l'abri des vents et du froid,
verdoient faiblement de petits carres de pommes de terre,
d'orge, d'avoine, de quinoa et l'oxalide appele occa, que
les Indiens mangent dans leurs chives.
Un detail geographique et statistique a noter en passant, c'est que l'extremite nord du plateau de la Raya
est la borne frontiere qui separe la province de Lampa
de la province de Canchis. Le village de Marangani appartient a cette derriere, une des plus minimes du
Perou. Sa surface est de 180 lieues carres.
A trois lieues de Marangani, dans l'aire du Nord et sur
la rive droite du Huilcamayo, s'eleve Sicuani, que les
chartes peruviennes qualifient de ville, mais qui n'est en
realite qu'un grand village aussi monotone que mal bati.
Sa population au temps des vice-rois etait de 7500 Ames,
aujourd'bui elle est a peine de 3000. Un hospice pour les
deux sexes, qu'y avait fonde au dix-septieme sicle le
vice-roi, comte Gil de Lemos, a disparu de la terre avec
son fondateur. Quant a la splendide lampe d'argent massif qu'on pouvait voir encore dans l'eglise de Sicuani au
commencement de ce sicle, elle a ete remplacee par une
ignoble lampe de cuivre h trois bees. Un Espagnol du
nom de Joaquin Vilafro l'avait offerte autrefois h la Vierge
de Sicuani, non pas taut par devotion a cette memo Vierge
que pour s'excuser, vis-a-vis de l'inquisition et du vice roi, des grandes richesses qu'il avait retirees en tres-peu
de temps de la mine de Quimsachata, voisine des sources
de l'Apurimac, excuse ou precaution qui ne l'empecha
pas d'tre pendu par ordre a cause de ces memos richesses. La lampe de Yinfortune chapeton, apres avoir fait
longtemps Yornement du cbceur et l'admiration des fideles, fut enlevee du lieu saint, portee a la monnaie et servit
fabriquer des piastres pendant la guerre des royalistes
et des independants. C'est a Sicuani que le cacique Matheo
Pumacahua, qui en 1781 avait livre Tupac-Amaru aux
Espagnols, recut, trente-quatre ans apres, le prix de ses
227
LE TOUR DU MONDE.
ses services. Les Espagnols, qui devaient autrefois recompenser sa trahison par les epaulettes de colonel,
differereiat longtemps l'execution de leur promesse et
s'acquitterent enfin envers lui en lui faisant trancher la
tete.
Une merveillenaturelle de Sicuani dont les voyageurs
n'ont jamais parle, par la raison peremptoire qu'aucun
d'eux ne Pa vue et ignore probablement son existence,
c'est la lagune de Quellhua ou mieux Quellhuacocha,
comme on l'appelle dans le pays, laquelle est situee a
l'est de ce village sur les hauteurs qui le donainent. Qu'on
se figure, si l'on peut, un saphir liquide de six lieues de
circonference encaisse entre cinq troupes de montagnes,
que depassent a l'horizon les times neigeuses des Cordilleres de Chimboya et d'Atun-Quenamari, et auquel des
totoras, ces roseaux-j ones alarges feuilles, font une charmante ceinture. Rien de plus calme, de plus limpide, de
plus fraichement ideal que ce lac andeen qu'aucun
un volcan tres-respectable, malheureusement eteint auj ourd'hui, ce qui diminue sa valeur, et dont les eruptions
ont convert le pays de laves, de stories et de pierres
ponces. Ce volcan, dont le cratere est incline du nord au
sud, s'eleve sur un soubassement de collines, dans un
site appele Racchi. De la, le nom de volcan de la Riacha,
que par corruption les habitants donnent a cette montagne ignivome. Au pied des collines pelees qui lui font
un piedestal, on trouve une argile plastique avec laquelle
les potiers de la Cordillere faconnent des cruches, des
vases, des buires d'un galbe charmant; des ocres variees,
une rubrique appelee taco, qui n'est employee a aucun
usage, et de la magnesie que les pauvres menageres, qui
la nomment chacco ou lait de terre, recueillent pour en
faire, en la delayant dans un peu d'eau, une poulette ou
sauce blanche aux pommes de terre qu'elles preparent
pour le repas de la famille.
A quelques jets de Roche des collines de Racchi, dans
228
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
229
Cholla du village de Combapata. Pour atteindre ce derflier point, on descend sans cesse, et a mesure qu'on descend la temperature s'adoucit et quelques bandes de verdure s'etendent au pied des montagnes. Corn bapata,clontil
nest fait mention dans aucun traite de geographie et qui
ne figure encore sur aucune carte connue, est un village
d'une soixantaine de feux, situe pres d'une riviere assez
tapageuse. Sa petite eglise est des plus proprettes, et le
badigeon blanc qui la recouvre, tranche agreablement
sur le fond terreux des chaumieres de la localit. Un
christ de grandeur naturelle,a au ciseau d'un sculpteur
de Huamanga et venere des fideles sousle nom duSeigneur
de Combapata, &core le maitre-autel de cette eglise. Ce
230
LE TOUR DU MONDE.
ches de ces braves gens, qui s'ouvraient et se refe:maient avec une precision mecanique, et cela sans desemparer, me rappelaient, en mme temps que la patrie
absente, les dentiers de Desirabode, s'agitant du matin
au soir dans leur cadre vitre.
Au sortir de Combapata on se dirige vers Checcacupi,
distant de trois lieues. Checcacupi est un pauvre village
d'une trentaine de feux, situe pres d'une petite riviere,
descendue, comme celle de Combapata, des Andes du
Crucero. On traverse cette riviere sur un pont de pierre
qui date de l'epoque des vice-rois, et laissant derriere
soi les provinces limitrophes de Canchis et de Canas,
autrefois comprises dans le Corregimiento de Tinta, on
eutre dans la province de Quispicanchi. Avant de passer
231
LE TOUR DU MONDE.
outre, jetons un rapide coup d'ceil sur le passe de la
double province Rue nous abandonnons pour ne la plus
revoir.
Longtemps avant l'apparition des Incas au Peron,
deux nations rivales, les Canas et les Cachis, occupaient
un territoire de plus de douze cents lieues carrees qui,
du nord au sud, s'etendait des Sierras de Chimboya et
d'Atun-Quenamari aux plateaux d'Ocoruro, 'et de l'est
l'ouest, de la Cordillere de Huilcanota au torrent de
Chuquicabana. Le Huilcamayo,que nous avons vunaitre
a Aguas-Calientes et suivi jusqu'a Checcacupi, coupait
en deux une partie de ce territoire. Les Canas occupaient
dans le nord et l'ouest l'emplacement actuel des villages
de Pitumarca, Combapata, Tinta et Yanaoca, et s'etendaient jusqu'aux hauteurs de Pichigua et de Mollocahua,
voisines de la riviere Apurimac. Les Canchis habitaient
la partie de l'est et du sud comprise entre les villages
actuels de Saint-Pierre et Saint-Paul de Cacha, Sicuani
et Marangani, jusqu'au plateau de la Raya I.
Ces deux nations, fortes
d'environ vingt-cinq mille
hommes, etaient gouvernees par leurs curacas ou
chefs respectifs. Leur rivalite, qui remontait a des
temps recules et qui occasionnait entre elles de
sanglantes querelles, parait
n'avoir eu d'autre cause quo
la difference de leur origine
et de leur humeur. Les Canas, habitants primitifs de
la Sierra-Nevada, tiraient
leur nom du volcan de Racchi qni dominait leur territoire et dont Es se vantaient d'tre issus, Cana,
dans l'idiome quechua, veut
dire foyer d'incendie. Les
Canchis etaient venus jadis des regions temperees qui
avoisinent Arequipa. Leur nom rappelait le sol natal,
ses pales flours et ses verdures. Cancha, en quechua,
signifie enclos ou jardin. A cette difference d'origine
s'ajoutait chez ces indigenes la difference du costume,
invariablement noir chez les premiers et bariole chez les
seconds.
Le caractere de ces nations cadrait a merveille avec
leur nom patronymique. Les Canas, d'une humeur ordinairement sombre et taciturne, mais bouillante et impetueuse a l'occasion, jaloux de leur independance au
point de tout lui sacrifier, avaient lutte pendant quatre
siecles contre l'envahissement des Incas et n'avaient subi
le joug de ceux-ci qu'a la suite d'une alliance, ou la
fille de l'Atun-Cana, chef de leur nation, etait devenue
une des trois cents femmes de Huayna-Ccapac, douzieme
I. Les limites assignees aujourd'hui a ces deux provinces ne
rappellent qu'imparfaitement celles de leur ancien territoire,
empereur de Cuzco Les Canchis, au contraire, d'un caractere doux et timide, d'un esprit tiede et indecis, comme
le climat sous lequel Es etaient nes, s'etaient soumis
sans resistance h, la domination des bills du Soleil.
Au seizieme siecle, le territoire des Canas et des Canchis fut reuni en une seule province sous le nom de Corregimiento de Tinta, et ces indigenes, qui ne formaient
plus qu'un soul et meme peuple, passerent du joug des
empereurs sous celui des vice-rois. Pour eux le licou
remplaca le collier. Comme leur constitution robuste les
rendait propres au travail des mines, ils furent feod alement exploites par leurs nouveaux maitres. Chaque anne, des recruteurs espagnols venaient prelever une dime
au nom de l' Rtat, sur la double population. Les malheureux designes par le sort se reunissaient devant
l'eglise, pour entendre une messe dite a leur intention
et qu'ils etaient tenus de payer eux-memes. A l'issue de
cette messe, le cure, apres avoir recu leur serment de
fidelite et obeissance au
roi d'Espagne, les aspergeait d'eau Unite, prononcait sur eux la formule accoutumee : Vete con Dios,
et leur tournait le dos.
Ces recrues, escortees de
parents et d'amis quirepondaient a leurs larmes par
des gemissements, prenaient alors le chemin de
Cailloma, de Carabava, de
Potosi, sites des riches gisements de minerai que les
vice-rois du Peron faisaient
exploiter un peu pour leur
compte et pour celui du roi
d'Espagne. La, voues aux
travaux d'excavation , ces
Indiens desceudaient dans
les bocaminas et les socabons puits et galeriesoil la p 'vation de l'air pur auquel Es etaient accoutumes et 1 emanations des gaz delteres leur occasionnaient, d sent les docteurs du pays, une espece d'asthme
appelee c taco dont Es mouraient dans l'annee. Quand
cette pro ision de travailleurs etait epuisee par la mort,
les repro entants de la monarchie espagnole n'avaient
qu'a se b. isser et prendre au tas humain pour le renouveler.
Les cho es durerent ainsi pendant plus de deux sieties, puis 1 is populations lassoes de ce joug accablant se
souleverent Les habitants d'Aconcahu, dans la province de C anas, exasperes par une augmentation du
tribut d'or en poudre qu'ils etaient tenus de payer
s'e parerent du collecteur espagnol qui le leur
reclamait e lui donnerent a boire de ce metal fondu f ;
puis, pour ichapper aux poursuites de la justice, Es
1. Para sa
Pour apaiser
232
LE TOUR DU MONDE.
abandonnerent a jamais leur village, dont l'emplacement est encore reconnaissable aujourd'hui. TupacAmaru, cacique de Tungasuca, apres avoir pendu de sa
propre main le corregidor de Tinta, Antonio Arriega, et
souleve contre les Espagnols la population du pays, fut
dfait par ceux-ci et perit dans d'atroces supplices. Angulo, Bejar, Pumacahua, Andia, qui succederent a Tupac-Amaru, payerent de leur tete l'oeuvre d'emancipation
qu'ils avaient entreprise et que neuf ans plus tard Si-.
mon Bolivar realisa dans les plaines d'Ayacucho.
A l'epoque on les premiers essais d'affranchissement
furent tentes dans la contree, le Corregimiento de Tinta
etait divise en six districts. C'etaient ceux de Sicuani,
Tinta, Checca, Checcacupi, Langui et Yauri, lesquels
comprenaient vingt-trois villages que leur situation sur
la montagne ou dans la plaine, et partant la difference
de leur temperature, avait fait classer en villages d'en
haut et villages d'en bas. Plusieurs de ces villages n'existent plus. D'autres ne sont
aujourd'hui que de simples
estencias (fermes) ; mais
par respect pour leur memoire et les souvenirs
qu'ils rappellent, les statisticiens du pays lour ont
conserve depuis quarante
ans, dans leurs comptes
rendus annuels, et leur
con serveront longtemps encore, le rang et la situation
qu'ils occupaient jadis.
Ainsi, l'illustre grenadier
dont s'honore la France
continua de figurer apres
sa mort sur la liste du regiment dont it avait fait
partie, et de repondre
l'appel nominal de chaque jour par la voix
d'un de ses freres d'armes.
Tout en applaudissant a la pensee de ces stat ticiens,
evidemment inspires par le plus pur patriot' me et la
piste du souvenir, nous ne pouvons nous em ether de
blamer l'artifice dont ils ont use, dans leur annuaires, pour donner a I'Europe en general et au, republiques voisines en particulier une haute idee es forces
numeriques de la contree. D'apres eux, le ch ffre de la
population actuelle de chacune des provinces de Canas
et Canchis serait celui de la population enti' -e du Corregimiento de Tinta au temps de sa splende . Par malheur pour ces messieurs, on sait que de toute les provinces du bas Peron, cello de Tinta fut precise ent la plus
maltraitee pendant la duree de l'occupation espagnole.
Sa population, decimee tour a tour par les ep demies, les
subsides de la Mita, les enrOlements forces, es emigra-
LE TOUR DU MONDE.
son odyssee, est--il permis a l'intortune de jurer de par
tous les diables, ou de benir la Providence, selon qu'il a
le ventre vide et peu d'espoir de le remplir,, ou qu'accroupi devant le feu d'une hutte postale, it ecoute avec
ravissement le murmure de son souper qui bout dans la
marmite.
J'ai dit que nous devious terminer la journee a Checcacupi. Mais chemin faisant et tout en causant de choses
indifferentes avec mon guide, je songeais apart moique
Checcacupi, a en juger par la sterilite de ses environs,
ne devait offrir aucune ressource, et que nous en serions
reduits a nous mettre au lit sans souper,-ce qui me paraissait infiniment triste. Or, comme le lendemain nous
233
234
LE TOUR DU MONDE.
QUATRIhME TAPE
D'ACOPIA A CUZCO.
lissertation sur la province de Quispicanchi que le lecteur peut passer sans la lire. Acopia, ses pseudo-ruines et ses tartes. Une
hospitalit y compromettante. Bibiana et Maria Salome. Qui prouve jusqu'A l'evidence que tons les hommes, egaux devant la
mort, ne le sont pas devant les puces.
Le village d'Acopia appartient h la province de Quespicanchi ou Quispicanchi, se lon l'orthographe adoptee par
les statisticiens modernes et les redacteurs du Calendario. Les limites de cette province sont assez indekses,
le gouvernement peruvien n'ayant pas encore eu le
temps d'y envoyer des &metres eti3Oes arpentAs
charges de ramener sa superficie au ore metrique.
Tout ce que nous pouvov en dire, geographiquement
parlant, c'est qu'elle est enclavee dans les provinces de
Paucartampu, d'Urubamba, de Paruro, de Cotabamba,
de Chumbihuilcas, de Canas y Canchis, qu'a l'est, au
dela de la Cordillere orientale, elle comprend les vallees de Marcapata, d'Ayapata, d'Asaroma, et s'etendi
travers des regions encore inexplorees jusqu'aux frontieres de la Bolivie et du Bresil.
La population civilisee ou soi-disant telle de cot immense territoire s'eleve a peine a quarante mille times.
Quant aux tribus sauvages qui vivent au bord de ses
fleuves ou sur la lisiere de ses forks, elles ne sont pas
aussi nombreuses qu'on semble le croire' en Europe. En
general, les voyageurs qui ont traite de l'anthropologie
americaine ont singulierement enfle le chiffre de la
population de sesPeaux-Rouges. Cette exageration a deux
causes qu'il importe de signaler. D'abord, 1 'amour-pro1. D'Orbigny, dans son oeuvre intitul6e . L'homme amdricain,
a gonfl a plaisir le total de ses chiffres et greffe sur le tronc andoperuvien des rameaux inconnnus. Ainsi les habitants du village
d'Apolobamba dans la vallee orientale de ce nom, Indiens et Cholos de la Sierra pour la plupart, sont devenus sous sa plume la
tribu des Apolistas; des Cholos et metis de Paucartampu, it a fait
la tribu des Paitcartambinos; des Chunchos (nom generique des
sauvages au Perou), une caste distincte, etc., etc.
LE TOUR DU MONDE.
235
236
LE TOUR DU MONDE.
Devant ce morne pueblo que les gens du pays qualifient de bourgade, s'levent de chaque ate du chemin
les pans d'une muraille en terre (tapia), haute de quelques pieds , ebrechee a son sommet et d'un joli ton
de momie chauffe de bitume. Ces debris d'un mur de
cloture qui date de vingt ans a peine, ont un faux air
d'antiquite auquel un voyageur enthousiaste et novice
Fourrait se laisser prendre. Comm je ne suis ni novice
ni enthousiaste, je ne m'y trompai pas et passai pres des
pseudo-ruines sans leur accorder un regard. Toute mon
attention d'ailleurs etait concentree stir des pyramides de
tartes, que deux In diennes dont c'est la l'industrie avaient
elevees sur des banes de bois, a l'entree du village et de
facon provoquer
la gourmandise dcs
passants. En met- -
tent pied a terre
devant les marchandes qui m'adresserent simultanement ce doux
sourire commercial, charme du
serpent sur l'oiseau, que l'industriel jette la pratique , je fis une
reflexion :c'est que
la route Rant peu
frequentee, la patisserie locale que
j'avais sous les
yeux avait du rester exposee pendant un mois ou
deux aux injures
de l'air. La couche
de poussiere qui la
recouvrait et ce racornissement singulier que le temps
fait subir aux choses, autorisaient en
quelque sorte cette
supposition ; mais un estomac affame s'arrete-t-il a as
vetilles ! Sans daigner m'informer de l'epoque precise a
laquelle remontait la fabrication des susdites tartes, j'en
achetai bien vite une demi-douzaine a raison d'un real
la piece. J'epoussetai une d'elles avec mon mouchoir
et j'y mordis a belles dents. Deux bouchees passerent
sans encombre; a la troisieme bouchee, je m'arretai
court. Un in de finiss abl e melange de senteurs et de saveurs
heterogenes me soulevait le cceur. Machinalement, je
fourrai les doigts dans la tarte et j'en retirai tour a tour
des olives noires, des trenches d'oignon, de petits carres de fromage et des feuilles de menthe. Tout cela
etait englue de caramel et de saindoux. J'eus le secret
de mes nausees. Comme Nor Medina avait pris les de-
vants et trottait deja, dans le village, je ne pus le gratifier de cette p fiti , serie et regagner par ce moyen ses
bonnes graces. Pour m'en debarrasser, je la fis manger
a ma mule, au grand scan late des deux marchandes qui
me regardaient faire d'un air courrouce.
Ce bel exploit accompli, je remontai sur la bete et
me lancai a la poursuite de mon guide que j'eus bientOt
rejoint. Alors, sans nous dire un seul mot, mais mus
tous deux par la meme pensee, celle du gite et du souper, nous nous mimes en quete d'une demeure hospitahere ou l'on consentit a nous. hberger, Acopia n'ayant
ni caravanserail, ni tampu , ni hetellerie a offrir aux infortunes voyageurs. Nous tournames quelque temps
autour des chaumieres, les examinant de la base au
faite, sans parvenir a fixer notre
choix. La plupart
de ces demeures
etaient singulierement delabrees et
la vermine devait y
foisonner. Deux ou
trois d'entre elles,
qui se recommandaient par un
chaume neuf et
line couche de
chaux passee sur
leur facade, s'etaient brutalement
fermees a notre
approche. La situation devenait
d'autant plus critique, que le jour
allait nous manquer pour continuer nos recherches. Deja, le soleil
avait disparu ; l'horizon se nuancait
de teintes violettes; des vapeurs s'elevaient lentement du sol et flottaient autour du village dont l'ombre estompait les contours. Jamais crepuscule ne m'avait sembld si lugubre.
Comme nous repassions pour la troisieme fois dans
une ruelle fangeuse, bordee d'un ate par des facades de
chaumieres, de l'autre par le mur d'un pare a moutons,
une porte un peu vermoulue s'ouvrit discretement et
une femme tenant entre son ponce et son index un bout
de chandelle , m'apparut comme la personnification de
cette hospitalite tant cherchee. Je n'irai pas plus loin,
pensai-je en arretant ma mule devant l'inconnue, qui
repondit a mon salut par un charmant sourire. Cette
femme me plut par son air bienveillant et sa proprete
scrupuleuse. Ses cheveux etaient peignes avec soin et
LE TOUR DU MONDE.
lustres au suif de mouton. line llicla de laine blanche
bordee d'un ruban rose voilait sans les cacher son sein
et ses epaules; sa jupe se perdait dans l'ombre, mais
la main qui tenait le suif et le bras nu auquel s'attachait
cette main, etaient Bros, charnus, frappes de fossettes et
temoignaient d'une sante robuste.
Flattee de l'examen dont elle etait l'objet de la part
d'un homme h peau blanche, c'est de moi que j'entends parlor; mon guide avait la peau couleur de nefle,
l'inconnue sourit de nouveau, et faconnant sa bouche
en cceur :
a Que cherchez-vous done a cette heure , mon bon
seigneur? me demanda-t-elle en voix de fausset.
Un toit pour abriter ma tete et un ehupe pour
apaiser ma faint, lui repondis-je de ma voix naturelle.
Comme la femme etait en train de m'assurer que je
trouverais chez elle, et a meilleur compte que partout
ailleurs, le convert et le vivre que je souhaitais, je regardai Nor Medina, qui
depuis notre traversee du
Huilcamayo n'avait pas
encore desserre les dents.
L'expression de son visage
etait parfaitement maussade et ses sourcils touffus
et grisonnants me parurent plus rapproches que
de coutume. Je n'eus pas
le temps de m'en etonner,
distrait que je fus aussitet
de cot examen par des
ehuchotements et des eclats
de rire qui partaient du
seuil des maisons voisines,
dont mon colloque avec la
femme a la lliclla blanche
paraissait avoir eveille l'attendon
Sans m'arreter a ce que
ces manifestations pouvaient avoir de blessant pour moi, je sautai a has de ma
mule. Au mme instant, une voix dont le timbre clair revelait une personne du beau sexe, prononca distinctement
ces mots &ranges :
Ne les tondez pas de trop court, la Templadora.
Tas de filous t murmura l'inconnue, h qui probablement cette recommandation etait adressee.
Qu'est-ce que cela signifie ? demandai-je, en regardant tour a tour ma future hOtesse et Nor Medina dont
les deux sourcils n'en faisaient plus qu'un.
Cela signifie, me repondit la femme, que j'ai pour
voisins de mauvaises gens qui font ce qu'ils peuvent
pour me retirer le pain de la bouche, sous pretexte que
je ne suis pas du pays. Mais entrez done chez moi, mon
bon seigneur, reprit-elle aussit6t avec son bienveillant
sourire.
N'entrez pas, monsieur me dit vivement Nor Medina ; et vous, la femme, ajouta-t-il en regardant l'incon-
237
238
LE TOUR DU MONDE.
venait de nous remettre apres l'avoir prealablement essuyee avec sa pipe, nous nous escrinaames de notre
mieux.
Ce repas termine, je songeai, par egard pour la bienseance, a fabriquer une cloison qui, partageant en deux
la chambre banale, nous isolat completement de nos
hOtesses. Des lambeaux de serge et de vieux torchons
qu'elles me preterent, non sans rire de ma pudeur, et
que je suspendis a une ficelle , m'en faciliterent le
moyen. Quand ce fut fait, mon guide et moi nous dressames fraternellement nos lits ate a ate, et enveloppes
jusqu'aux yeux dans nos couvertures, nous attendimes
que Morphee effeuillat sur nous ses pavots. Deja une
torpeur langoureuse avait paralyse mon esprit et ma
langue, et mes paupieres venaient de se fermer. quand
deux corps agiles et velus, dont le contact douillet me
fit frissonner, passerent simultanement sur mon visage;
chacun de ces corps Irainait apres lui une queue. Au
cri d'horreur que je poussai, les veuves accoururent et
Nor Medina se mit sur son seant.
a II y a des rats ici! m'ecriai-je.
Pas possible fit mon guide.
Ce sent nos cochons d'Inde que monsieur aura
pris pour des rats, dit une des femmes.
Est-ce que les cochons d'Inde ont une queue? exclamai-je.
Ah! pour ca non, dit IST or Medina; mais a supposer que ce soient des rats, ajouta-t-il, le cri que
monsieur vient de jeter a du les effrayer si fort, qu'il y
a cent a parier centre un qu'ils ne reviendront plus.
Je trouvai la reflexion assez sensee et je me recouchai.
Quelques minutes se passerent, puis it me sembla que
des milliers d'aiguilles m'entraient brusquement dans la
chair. Comme chaque piqtire se produisait a la fois sur
toutes les parties de mon corps, mes deux mains ne
pouvaient suffire a repousser les attaques de l'ennerni
auquel j'avais affaire. En desespoir de cause, je me
roulai sur mon grabat avec de telles exclamations de
rage, que Nor Medina s'eveilla de nouveau.
a Monsieur a le sommeil bien agite, me dit-il.
-- Eh! malheureux , lui rpliquai-je , est-co que je
puis former l'ceil seulement; je suis devore par les
puces
En m'entendant, les chicheras se mirent a rire.
a Ah dit l'une d'elles, ce monsieur qui s'etonne d'avoir des puces; mais tout le monde en a dans la Sierra,
le riche aussi bien que le pauvre; les puces c'est comme
la mort, nul n'en est exempt..
Dans Ia disposition d'esprit et de corps oh j'etais, cat
aphorisme me parut si stupide et en meme temps m'exaspera si fort, qu'il s'en fallut de pen que je n'apostrophasse rudement la commere qui me l'adressait comme
fiche de consolation. Toutefois je me contins et j'essayai
de m'endormir; mais je n'y reussis que lorsque l'ennemi,
suffisamment gorge du plus purde mon sang, eut cesse ses
attaques. Alorsje m'affaisai sur moi-meme comme une
lourde masse et dormis d'un sommeil de plomb. Le lendemain, quand je consultai mon miroir de poche, je fus
LE TOUR DU MONDE.
239
est un cristal que peut ternir le moindre souffle, je depassai sans m'en apercevoir les maisons d'Acopia et me
trouvai bientCt dans la campagne, si I'on pent donner ce
nom a une suite de terrains montueux,jonches de pierres
et herisses ca et la de maigres buissons ; deux lacs.que
j'entrevis a quelque distance, et vers lesquels je me dirigeai, allongerent d'autant ma promenade. Tous deux
e!aient places a fleur de terre, aucune touffe d'herbe, si
grele qu'elle fat, n'embellissait leurs bords, nul palmipede ne folatrait a leur surface et leurs eaux immobiles
semblaient recouvertes d'une pellicule. Je tournai le dos
aux deux lacs et revins sur mes pas. Mon guide, pi avait
termine sa besogne, commencait a s'etonner de mon al-
240
LE TOUR DU MONDE.
16
2V2
LE TOUR DU MONDE.
FERMI.
QUATRIEME
D'ACOPIA A CUZCO.
Un rove de bonheur. La quebrada de Cuzco. Andajes et ses boudins aux pistaches. La chingana de Qquerohuasi. Une
Trait6 de hotanique h la . port6e de tout le monde. Le voyageur
carriLre du temps oh l'imp6ratrice Mama WM Duaco
pleure sa jeuncs , e pass6e et ses illusions perdues. Qu'un muletier pout etre a la fois herboriste el logicien. Quiquijana rt les
cailloux de sa riviere. Qui traite dTrzos, Chef-lieu de la province de Quispicanchi. Le lac Ia Mohina et sa chaine d'or. Zoologie
et arboriculture. Huarm son clod e , son coq et son buffet d'orgues. Vallees et villages caracterises en passant par un mot
quelcongue. Oropesa, la bourgade herolgue. Le voyageur se brouille pour Ia seconde fois avec son guide. Croquis de San
Jeronimo. San Sebastian et ses families nobles. L'arbre des adieux. Du couvent de la Becoleta, de son prieur et de ses
moines. Le Corridor du ciel et It Chaire-du-Diable. Brie chambre monolithe.
Pendant mon sommeil le barometre descendait a tempete ; le vent mugissait, la foudre grondait, les eclairs
brillaient, le ciel, comme dit ouvrait ses Cata,ractes ; je revais d'idylles, de pros verts et de clairs
ruisseaux ; le lendemain, a mon reveil, j'avais un pied
de neige sur les jambes, edredon immacule tout aussi
chaud que du duvet d'eider I Cette belle vie eut un
terme. Nous atteignimes Tungasuca et nous nous dirigeames vers Cuzco en prenant par la quebrada de ce
nom. La m'attendaient des plaisirs sun lesquels je ne
comptais pas. Decembre allait finir, Pete commencait
dans la Cordillere, de splendides hijacks entr'ouvraient
de tous ekes leurs corolles peintes. La jeunesse est vaine
et presomptueuse ; je crus un moment que la Fiore de
l'Entre-Sierra etalait en minaudant, par me captiver,
les doux tresors de sa corbeille ; a chaque pas, une merveille vegetale m'arrachait un cri d'enthousiasme, les
muletiers, qui ne comprenaient Hen a mon exaltation
phytologique, me crurent d'abord un peu fou, mais je
leur expliquai la chose; et comme ma passion pour les
plantes de leur pays leur parut flatteuse pour leur
amour-propre national, chacun d'eux, rivalisant de zele,
se mit a me cueillir des flours et m'en apportait a brassees. D'Andajes a Urcos, je recueillis des echantillons
admirables ; je retrouvai toutes les especes connues et
j'en ajoutai de nouvelles au catalogue des savants. Ce
magnifique herbier qui devait a j amais assure ma gloire,
futbroute par une de nos mules entre Huaro et Oropesa;
je faillis en perdre la tete ; mais en songeant que la nature, symbolisee par le phenix, se consume et renait de
ses propres cendres, et que les plantes dont je venais
de perdre un specimen refleuriraient l'annee suivante,
je parvins h me consoler. Huit ans s'ecoulerent. Chaque
annee, quand le printemps faisait place h. fete, en quelque endroit que je me trouvasse, nn besoin d'emigra1. Suite. Voy. t.
et Ia note 2.
243
LE TOUR DU MONDE.
ment douce qui dans Fte s'elve jusqu'a 20 a 22 degres.
A cette epoque, la grande fonte des neiges dans la Cordillere y fait mitre d'humbles rivieres, qui la parcourent,
I'arrosent et la fertilisent pendant un mois ou deux.
Toutes ces rivieres se rendent sans bruit au Huilcamayo.
D'invinsibles rigoles sillonnent les versants des cerros et
ressuscitent mille vegetations charmantes, larves et chrysalides qui depuis ran passe dormaient dans leurs cocons
obscurs et dont la chaleur et l'humidite combinees vont
faire autant de beaux insectes et de papillons radieux.
La fraicheur du sol et le suintement de la pierre donnent
aux herbes, aux mousses, aux lichens qui les recouvrent
un lustre humide et veloute. Tout se reprend a vivre
pendant cette delicieuse saison : les friquets , les merles,
les tourterelles en profitent pour contracter des unions
ephemeres ; on les voit se poursuivre, s'agacer de l'ceil
et du bee, se declarer leurs flammes respectives a l'aide
de pepiements, de sifflements et de roucoulements, et
conclure en suspendant leurs nids aux ombrages.
Devant cette esquisse au fusain de la quebrada de
ma memoire me servait mal, que nous n'avions pas encore atteint la partie fertile de la quebrada, et cette idee
me fit prendre patience jusqu'a Andajes, ott nous nous
arretarctes pour acheter un pain grossier et des moreillas,
boudinslocaux dans la preparation desquels it entre avec
du lard et du sang de mouton, du piment, du baume,
des pistaches de terre' et de la cannelle.
Andajes est un village de quarante feux, qui se recommande a l'attention des statisticiens par son ecole
ouverte a la jeunesse, et la pulperia, depot de liqueurs, de chandelles 'et d'epiceries , oil nous achetames des aliments. Andajes a de plus sa legende et son
souterrain comme un chateau d'Anne Radcliffe. En face
du village, sur la rive droite du Huilcamayo, et dans les
flancs du cerro Qquerohuasi, se trouve une chingana,
conduit tortueux et profond oii les habitants du pays
pretendent qu'a l'epoque de la conquete, les Indiens
eacherent d'immenses tresors, pour les soustraire a la
rapacite des soldats de Pizare. Nombre d'industriels, af-
244
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
245
ici veers la Saint-Sylvestre ; or, comme a cette epoque on etait en ete, it n'est pas etonnant qu'il ait trouve
de l'eau , des oiseaux et des fleurs. Aujourd'hui que
nous y passons en juillet, c'est-a-dire en hiver, it ne
doit pas etre etonne de n'y trouver rien.
Je regardai mon interlocuteur du coin de Pceil. a Mais
ce diable d'homme a raison, pensai-je, et son appreciation me parait exacte. Seulement, oit la raison et l'exactitude vont-elles se nicher? . A partir de cette heure,
Nor Medina grandit considerablement dans mon esprit.
Chemin faisant, si je ne lui avouai pas le cas que je faisais de ses lumieres, ce fat uniquement pour ne pas lui
donner de lui-meme une idee trop avantageuse et l'exposer plus tard a *her par orgueil.
Suffisamment reconfortes par le dejeuner fait en
route, nous traversAmes sans nous y arreter la bourgade de Quiquijana, que les chartes peruviennes qualifient de cite tres-fidele. Cette facon hispano-americaine
d'honorer les villes en attachant a leur nom une flamboyante epithete, serait assez de notre si le Perou
n'en abusait un peu. Ainsi, it suffit qu'un village se soit
montre sympathique a tel pretendant au fauteuil de la
presidence et qu'il ait manifesto cette sympathie par le
don secret d'un millier de piastres fait a l'individu pour
l'aider a soutenir ses pretentious, pour que ce village
recoive plus tard, comme recompense, le titre de fidele,
d'heroique ou de bien mritant. L'existence politique du
pretendant devenu president a beau n'avoir que la duree
des roses, le village ennobli par lui n'en continue pas
moins de tenir orgueilleusement le haut du pave. C'est
la le cote vicieux de la chose. En fait de caprice, de
monde, d'engouement passager, la cause cessant, l'effet
devrait cesser aussi; or la nomination d'un president ne
fat jamais qu'une affaire de mode. Interrogez a cet egard
le sexe aimable du Perou
Quiquijana, la tres-fidle, n'est qu'un amas de maisons
par
246
LE TOUR DU MONDE.
au milieu de la bourgade et la divise en deux quartiers, toure, l'empeche de sentir la fatigue et de compter les
qu'un pont de pierre, bki depuis quelques annees seu- kilometres qui le separent du but; it se trouve rendu
lement, fait communiquer Fun avec l'autre.
Urcos quand it s'en croyait encore loin.
Un detail auquel je ne m'etais jamais arrete jusqu'aUrcos est le chef-lieu de la province de Quispicanchi.
lors et dont je fus frappe cette fois en traversant QuiC'est un gros village edifie sur une eminence et dont les
quijana, c'est la largeur de la quebrada ou coule le maisons laissent beaucoup a desirer sous le double rapHuileamayo. Ce vaste lit qu'il occupe au temps de ses port de l'architecture et de la proprete. Urcos possede
crues etait a sec en ce moment et jonche de plus de
neanmoins deux choses relativement curieuses : sa lacailloux que le ciel n'a d'etoiles fixes et d'astres errants. gune et sa vallee. Sa lagune, appelee la Mohina, s'etend
De l'orgueilleuse riviere, si bruyante et si tapageuse au bas de l'eminence qui sort de piedouche au village;
pendant Fete, it ne restait qu'un gentil ruisselet qui un sentier en zigzag, trace plutOt que creuse, dans
coulait sans bruit sous l'arche centrale du pont de pierre, la paroi du roc, toupee a pit de ce cote et d'une haulechant de son eau cristalline des galets de porphyre teur d'environ trois cents metres, permet aux habitants
noir. J'avais arrete
de la localite de
ma mule pour exacommuniquer avec
miner la chose a
leur lagune.
mon aise; l'impresLa Mohina, ension qu'elle me cautour& d'un demisa et qui me revient
cercle de hautes
montagnes et dont
a cette heure fut un
les eaux sont a la
etonnement presfois ameres et sauque voisin de l'inmatres, pout avoir
credulite ; je me
une lieue de cirdem andai comment
cuit. Sa profondeur
une si petite riviere
varie de quinze a
pouvait occuper taut
vingt-deux brasses.
d'espace et y rouDes joncs, Ides roler taut de cailseaux, et de loin en
loux. Les voies de
loin quelques buisDieu sont impendsons ras, lui font
trables I
une verte ceinture.
La contree situde
Des sarcelles rousau nord de Quiquises , des grebes,
jana est fertile et
des huananas, gros
bien cultivee; la lucanards au pluzerne verdoie dans
mage brun , aniles bas - fonds , le
ment sa surface. Le
mais et le ble tajour,
quand le ciel
pissent les pentes
est
serein
et que le
Bien exposees , la
soleil
illumine
et
pomme de terre oc*etre
de
ses
traits
cupe les plateaux,
d'or cette nappe
l'orge et le ch,enopodormante, elle est
dium quinoa suequebrado de Cuzco.
d'un effet ravissant.
cedent plus haut
ce tubercule : tout le paysage, jusqu'a Urcos, distant de La nuit, quand tout est calme, que la lune l'effieure de
quatre lieues, a l'allure honnete et patriarcale d'un bon ses rayons d'argent et que les montagnes voisines y jetfermier ; rien de violent et de heurte dans les contours, tent une ombre portde, elle est plus ravissante encore.
Une tradition du pays, que le touriste europeen auquel
rien de tranche dans les nuances; c'est lourd,.calme et
on la raconte ne rnanque pas, de retour chez les siens,
satisfaisant.
Le chemin qu'on suit a de molles ondulations, des d'intercaler dans son recit, cette tradition place au fond
endroits sables, de jolis carres d'herbe verte et de touffes de la Mohina la chaine d'or que le douzieme Inca Huayna
de graminees qui font des forets vierges aux fourmis. Capac fit fabriquer l'occasion de la premiere coupe de
La temperature, de plus en plus douce, semble inviter cheveux d'Inti-Cusi Hu allp a, son fils aind (Aliud Huascar).
le voyageur a descendre de sa monture, a mettre bas Ce morceau d'orfevrerie, qu'on pourrait croire de simple
chapeau, veste et souliers, et a marcher nu-pieds, en fu- jaseron, avail la grosseur des chatnes de fer qui lient les
mant un cigare sur le gazon douillet qui horde le che- homes de nos quais. Sa longueur totale etait de huit cents
metres. Elle servait a enceindre la grande place de Cuzco
min. Son esprit agreablement distrait par ce qui l'en-
LE TOUR DU MONDE.
pendant la duree des fetes d'equinoxe Raymi et Cittua.
A l'arrivee des Espagnols, les Indiens jeterent, dit-on,
ce colossal bijou dans la Mohina, afin de le soustraire
la cupidite des conquerants. Ceux-ci eurent vent de la
chose. Une chaine d'or du poids de quelques milliers
de kilos leur parut valoir la peine d'etre repechee, et ils
envoyerent un detachement de pionniers charges de
dessecher le lac d'Urcos. Des canaux d'ecoulernent furent pratiques au-dessus du niveau de son lit '. Quaratte
Espagnols et deux cents Indiens travaillerent h -cette
oeuvre pendant trois mois. Mais, soit que la Mohina fat
intarissable ou que l'histoire du bijou ne fat qu'un
conte, les conquerants en furent pour leurs frais de de-
247
9.18
LE TOUR DU MONDE.
1. C'est aux jesuites que la plupart des villes du Perou et quelques villages de la Sierra doivent les orgues remarquables qu'on
voit dans leurs eglises.
249
LE TOUR DU MONDE.
dans leur argot special nos tapissiers appellent tibaude.
Hien de plus humble que les salles oft travaillent a ces
tissus locaux des individus des deux sexes; rien de plus
primitif que les metiers qui servent a les fabriquer. Les
premieres se composent de quatre murs demanteles et
d un toit de chaume oii l'industrieuse Arachne donne
l'exemple aux travailleurs en tissant ses reseaux a prendre
les mouches; les seconds sont de simples batons en
croix, lies par de simples ficelles.
La province de Quispicanchi, oil les lumieres sont en
honneur, ne compte pas moins de sept ecoles dans son
etendue; mais celle de Huaro est la plus celebre. On
.pourrait memo, a bon droit, l'appeler l'Universite de
Quispicanchi, car elle est la seule ecole de cette province oil les eleves apprennent, en meme temps que les
fables d'Yriarte et la grammaire espagnole, A. decliner
les substantifs homo, mulier, cornu dans le rudiment.
A partir de Huaro, la quebrada de Cuzco va s'elar-
lillas , ont donne le nom de vallee aux terrains ensemences qui l'avoisinent. Cette vallee, pour lui conserver
son titre sonore, change de nom a une lieue de la, et de
vallee d'Andahuaylillas qu'elle etait, devient vallee de
Lucre. Le voyageur qui sur la foi d'un annuaire peruvien chercherait une vallee dans ces carres de trefle et
de froment, serait tout surpris de ne rien trouver de
semblable ou meme d'approchant. Mais, en se contentant du nom, sans avoir egard a la chose, it est a l'abri
d'une deception. En attendant que la nature fasse de
Lucre une vallee, les hommes en ont fait une metairie,
autour de laquelle sent groupes, dans un beau desordre,
des pares h btes et des chaumieres de peons. On y cultive avec succes le mais, le Me, les legumes; on y tisse
la bayeta et le bayeton au grand deplaisir de Huaro,
dont cette concurrence et ce voisinage immediat paralysent un peu l'industrie. Nous regrettons sincerement
de n'avoir rien de plus et surtout rien de mieux b. dire.
250
LE TOUR DU MONDE.
Quand on a vu d'Oropesa ses champs de ble, ses petits arbres rabougris et ses maisons a toits de tuiles et
de chaume , qu'on a releve a droite du pueblo une ruine
en beau gres couleur rose sche, qui date du regne des
premiers Incas ; ruine que des savants modernes s'obstinent a prendre pour la porte d'un edifice et qui n'est
que l'arche d'un aqueduc, on pout continuer sa marche.
Oropesa est la borne frontiere qui separe la province de
Quispicanchi de cello de Cuzco. Apres quelques pas faits
au nord, on est dans la province que le peuple au temps
des Incas tenait pour sacree; on foule la terre classique
qu'en langagevulgaire nous appelons Soleil.
A mesure que la quebrada s'elargissait, signe certain
que nous approchions de Cuzco, Nor Medina devenait
de plus en plus loquace et communicatif. Sagaiete longtemps contenue par les divers incidents du voyage : les
casse-cou , les tempetes , les mauvais gites, l'ennui
d'avoir a obeir quand i1 eta voulu commander; enfin,
l'incertitude de savoir si les mules qu'il me louait arriveraient saines et sauves; sa gaiete, delivree de ces apprehensions facheuses, renaissait et se traduisait par un
deluge de paroles, entremelees d'eclats de rire et de
saillies. J'etudiais l'homme en l'ecoutant jaser. A 'part
sa susceptibilite cbatouilleuse et sa mane de croire
qu'il voyageait pour son plaisir et non pour le mien,
mania que j'avais toujours combattue de mon mieux,
c'etait une brave et digne creature que Nor Medina, et je
n'avais jamais si hien apprecie ses qualites et ses Mauls,
qu'au moment de me separer de lui pour touj ours. De
puis notre sortie d'Oropesa, sa conversation, month au
ton du lyrisme, clebrait les douceurs de l'arrivee, la
joie de revoir une spouse aerie, d'embrasser de tendres
enfants, de serrer la main des amis et d'aller en leur
compagnie passer quelques heures entre les murs d'un
cabaret. N'ayant ni femme ni enfants, ne possedant aucun ami dans la contree et redoutant les cabarets, autaut pour la liqueur qu'on y debits que pour la vermine qu'on y ramasse , les petits bonheurs que Nor
Medina faisait passer successivement sous mss yeux,
comme les verres colories d'une lanterne magique, ne
pouvaient m'interesser que mediocrement. Aussi le
laissais-je discourir a son aiso sans l'interrompre.
Comme it jugea sans doute a mon silence que je ne
partageais qu'h demi la satisfaction intime qu'il eprouvait, it entreprit de me ramener a son dire, en m'entre tenant de moi-meme et me vantant les tertulias, les
bals, les festins et les calvalcades qui m'attendaient it
Cuzco. Quand it out termin g l'enumeration des plaisirs
que pent offrir a Petranger l'ancienne ville du Soleil, je
lui appris quo je ne comptais rester a Cuzco que le
temps de faire quelques emplettes et de ficeler quelques paquets ; qu'une fois cette besogne achevee, je
partirais, accompagne d'un guide pour une des trois
vallees de Lares, d'Occobamba ou de Santa Anna,je
ne savais encore laquelle, et que de la je m'enfoncerais dans l'interieur du pays.
a Mais oiz va done monsieur? me demanda Nor Medina avec wae scrprise melee d'epouvante,
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252
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE
pour tels en naissant. Tous portent au pylone egyptien
en champ d'azur surmont du cuntur aux cites plo7Ms,
blason primitif des Incas. A ceux qui pourraieut s'etonner de ces prerogatives, nous dirons que les Indiens,
cholos metis et gens de demi-poil, qui habitent San Sebastian, sont des Quisp6, des ,Ilamani, des Condori, trois
families illustres et les seules du pays qui descendent en
ligne directe du Soleil, par 1'vmpereur Manco Ccapac et
l'imperatrice Mama Oclio Huaco. En narrateur consciencieux, ajoutons que ces families historiques sont
un peu dechues de leur splendeur passee. De nos jours,
it n'est pas rare de voir un Quispe marcher nu-pieds
faute de chaussure et pousser devant lui un troupeau de
moutons; une Mamani vendre au marche de Cuzco des
choux, des carottes et autres legumes; un Condori loner
ses services en qualite de porteur d'eau et de palefrenier,
pour la modique somme de quinze francs par mois. De
pareils tableaux sont affligeants a retracerl Heureusement pour les nobles it fortunes dont nous lappelons ici l'origine et la
grandeur eteinte, tons sont
quelque peu philosophes.
Its se disent qu'ApollonPhebus, leur divin areui, a
garde jadis les troupeaux
d'Admete ; qu'un roi de
Baby lone fut reduit a manger de l'herbe et un tyran
de Syracuse h montrer
lire aux enfants. Ces illustres exemples de decadence
leur font envisager sans trop
d'ennuis leur position prechire. L'eau-de . vie, la cliicha, la coca, dont its usent
d'ail le urs liberalemen ,
contribuent encore a ecarter de leur esprit toute Mee
penible relative au passe.
A partir de San Sebastian, les cerros qui bornent
l'horizon se rapprochent et forment comme un mur
circulaire. Cuzco, qu'on ne decouvre pas encore, est ass's
a leur base. En cheminant au nord, on releve comme un
point de repere place sur les talus de gauche du chemin, un arbre dont le tronc rugueux et crevasse, les ravines dechaussees et le maigre feuillage attestent l'extrme vieillesse. C'est de lui qu'on pent dire : Durando
secula vincit; car l'arbre en question, s'il faut en croire
une tradition locale, a ete plante par l'Inca Ccapac Yupanqui et date du milieu du treizieme sicle. Ce patriarche vegetal appartient a le famille des capparidees.
Les gens du pays l'appellent chachacumayoc, arbre
des adieux. Tout voyageur partant de Cuzco est tenu de
venir, accompagne de parents, d'amis et de connaissances,
s'asseoir a l'ombre de cet arbre, pour recevoir bears
adieux et leur faire les siens. La societe a soin de se munir de provisions solides et liquides et d'emporter une
23
254
LE TOUR DU MONDE.
et de l'eau-de-vie, deux choses qu'il affectionnait singulierement. Alors it ne tarissait pas d'eloges sur mon
compte et me donnait, avec force benedictions, le titre
pompeux d'Excellence. Lorsqu'il m'arrivait d'oublier ma
bourse ou de n'avoir pas de monnaie, it negligeait de
me benir et me saluait froidement en m'appelant senor
tout court.
Quant aux jeunes freres, je les avais surpris taut de
fois dans les cabarets voisins, un pot de chicha sur les
levres, ou leur robe relevee jusqul la ceinture et leur
chapeau tout bossele, en train de danser des samaeueeas
prohibees a l'heure oil les reverends pares faisaient la
me souriaient comme a une ancienne consieste,
LE TOUR DU MONDE.
255
droit renomme dans les annales du pays pour les engagements bachiques dont it fut longtemps et dont, it est
encore parfois le theatre. C'est un espace verdoyant, peu
pros circulaire, offrant ca, et la, qnelques maisonnettes,
quelques fermes, quelques vergers. Au fond, dans un
lointain bleuatre, s'ouvre une gorge formee par des cer-
Tityre local, mollement couche sous rombrage des capulis (aucun fagus ne croft dans le pays), put dialoguer
a l'aise avec un Melibee, ce site est devenu, l'homme et
l'usage aidant, une maniere de champ clos, d'arene bachique, musicale et dansante on les deux sexes de Cuzco
viennent, bouteille en main, se defier a qui boira le plus
et dansera le mieux aux doux accords de la guitare.
-2;56
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
257
PEROU.
QUATRIEME TAPE.
D'ACOPIA A CUZCO.
Trois sorcieres de Goya dans un benitier. Par quel chemin on arrive chez les descendants du Soleil. Silhouette capitale.
Dernier conseil de la Sagesse represent& par un Arriero. D'une main l'auteur fait ses malles, de l'autre it ecrit des meinoires.
Cuzco antique et moderne.
17
258
LE TOUR DU MONDE.
259
LE TOUR DU .MONDE.
rouge-brun des cerros et des constructions antiques;
puis le faubourg de la Recoleta, ou ce qu'ainsi l'on
nomme, s'interrompt tout a coup, coupe a droite par
l'escarpement de San Blas, un des huit faubourgs de
Cuzco a gauche par un etroit conduit horde de murs
batis dans l'appareil cyclopeen. Ce conduit c'est la rue
du Triomphe. Les mules surexcitees par les emanations
de la luzerne et du corral s'y precipitent tete baissee.
1. C'est dix qu'il faudrait dire, car les statisticiens du pays considerent comme faubourgs de Cuzco les villages de San Sebastian
.et de San Jeronimo, bien qu'ils soient separes de la vine par une
plaine d'environ douze kilometres carres (voy. p: 252 et 253;9
260
LE TOUR DU MONDE.
requipemcnt de la bete
attendit chapeau bas que je
le soldasse. Comme au prix convenu entre nous j'ajoutai
quelques reaux de llapa (pourboire), cette generosite,
laquelle it ne s'attendait pas, dissipa le nuage amasse
sur son front et emu doucement son Coeur.
a Si j'osais parler a monsieur I me dit-il apres avoir
verifie la somme que je venais de lui remettre et l'avoir
glissee dans une bourse en peau de rat, qu'il portait
suspendue au con en mode de scapulaire.
A votre aise, Nor Medina.
Eh bien ! que monsieur reflechisse encore avant
de faire ce qu'il m'a dit, car c'est non-seulement une
imprudence de sa part, mais un gros peche dont if chargera sa conscience. Les Chunchos sont des mecreants et
des heretiques et la sainte religion de Jesus-Christ nous
defend tout commerce avec eux.
Est-ce la tout ce que vous aviez a me dire?
Mais oui, monsieur....
En ce cas, bonjour mon ami et que Dieu vous ramene sans accident a l'endroit oiz je vous ai pris. Mes
compliments a votre spouse, quand vous reverrez les
toits en dos d'ane d'Arequipa.
L'arriero s'en alla en levant les epaules et je n'entendis plus parler de lui.
Aprs un repas copieux, je pris possession de mon lit
et jusqu'au lendemain je ne fis qu'un somme. La nuit,
dit-on porte conseil. En m'eveillant je pus juger de
la valeur de ce dicton. Le soir, en posant ma tete sur
l'oreiller, je.m'etais demands h plusieurs reprises de
quelle vallee je ferais choix pour entrer en pays sauvage, mais le soleil m'avait surpris avant que j'eusse
decide quelque chose a cot egard. En me levant, et sans
que je parvinsse a m'expliquer ce travail occulte de nia
volonte, it se trouva que mon choix etait fait et que ce
choix etait tombs sur la valle d'Occobamba, que les
geographes ont rieglige d'indiquer sur leurs cartes, mais
que la nature a placee entre les deux vallees de Lards
et de Santa Ana.
Pendant les quarante-huit heures queje passai a Cuzco,
je consacrai mes journees a l'achat d'articles divers,
destines a me concilier les bones graces des sauvages
que je pourrais trouver en route. La nuit venue, au lieu
d'accepter la cacharpari, ou fte d'adieux, que, selon
l'usage, on m'avait offerte, je me barricadai chez moi,
laissant mes connaissances s'etonner et memo s'indigner
un peu de mon declain subit a l'endroit des choses locales. Mais j'avais un devoir a remplir ou pint& un
compte a regler avec le lecteur. Ce compte, c'etait une
description, sous le double aspect antique et moderne,
de la ville inconnue, on je l'avais amend en troupe et
d'oir nous devions bieiattit repartir ensemble. Done au
lieu de passer ces deux nuits a boire de l'eau-de-vie et
a caqueter avec des personnes .du sexe, ainsi que chacun
rat voulut et que rexigeaityetiquette, je les employai
tout entieres a prendre les notes suivantes. Si le lecteur
1. Dans un voyage sur la cote ou dans la Sierra, on l'on se sert
habituellement de mules de louage , le harnais de la bte est tonjours fourni par le voyageur et jamais par le nutletier qui la loue.
TYPES D'INCAS
Tires de I'Arbre genealogique ou Descendance imperiale. (Document inedit.)
262
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Tout fait croire, au contraire, que la civilisation ameriCaine a eu des temps d'arret, longues phases de torpeur
et d'engourdissement, ou, repliee sur elle-meme, elle
est restee stationnaire, jusqu'a ce qu'une impulsion nouvelle lui fut donee par la mere patrie, dont les navigateurs pheniciens, trusques, arabes etaient alors les
plus actifs mandataires. S'il en avait etc autrement, on
retrouverait chez tous les descendants des premiers colons asiatiques les formUles exactes d'un meme dogme,
des mceurs identiques, une architecture absolument
semblable. Or, entre lee nations de la Nouvelle-Espagne
et celles du continent meridional, si ridee fondamentale
du culte est toujours la meme, chez les uns sous sa figure abstraite, chez les autres sous sa forme concrete ;
si les traits gendraux dans l'ordre physique et dans
l'ordre moral sont commune aux deux groupes de nations, de facon a prouver la communaute de leur origine et de leur point de depart, it existe en memo temps
chez elles des differences assez tranchees pour les separer hierarchiquement et etablir la suprematie des premieres sur lee secondes. Cette suprematie n'a d'autre
cause que la scission qui dut s'operer au principe entre
ces nations et qui, nous l'avons dit plus haut, laissa
les premieres en communication avec les idees qui continuaient d'affluer du sud de l'Asie, tandis que les secondes, par leur eloignement progressif, cesserent d'en
ressentir l'influence ou ne la ressentirent que faiblement.
On voit, en effet, apres la separation des deux groupes de
peuples sur les plateaux du haut Mexique, les premiers
se constituer gardiens et depositaires de la tradition
du passe, des mythes religieux et des idees cosmogoniques de l'Inde et de l'E' gypte. Leur facies, la nuance
de leur teint, leur chevelure lisse et nattee, leurs vete ments blancs ou barioles de couleurs vives, tout en eux
rappelle les races namou et rot- enne - reme et le
double rameau semitique et japetique dont elles sont
issues. Les chefs pontifes qui gouvernent ces peuples et
regissent leur culte, les rois legislateurs, qui leur donnent des lois, sent des hommes a longue barbe, aux yetements amples et flottants, qui semblent continuer en
Amerique les castes theocratique et guerriere de l'Orient. Des siecles s'ecoulent depuis le depart de ces
peuples des regions oh ils ont pris naissance. Etablis
sur un continent nouveau, ils continuent de recevOir de
la vieille Asie, Palma parens, les germes d'une civilisation progressive. L'ecriture hieroglyphique est naturalisee chez eux. L'usage du papyrus (maguey) y est introduit. Leur architecture, qui s'etait bornee a copier de
memoire les lourdes maconneries primitives de l'Inde
et de la haute Egypte, entre dans une voie nouvelle ;
tout en conservant aux temples, aux palais, aux monuments les formes hieratiques et immuables des anciens
edifices, cette architecture, renaissance de l'art, couvre
leurs murs d'une ornementation elegante et compliquee
oil se retrouvent les delicates fantaisies du style grec de
epoque macedonienne. Les monuments.de Teotihuacan
dans l'Etat de Mexico, ceux de Culhuacan, de Guatusco
et de Papantla dans l'Etat de Chiapa, le temple de
263
Chichen-Itza dans le Yucatan, nous sent restes commede magnifiques specimens de l'art americain a differentes
epoques'.
Sous la dynastie des empereurs azteques, la civilisation amricaine atteint son apogee. Ceremonies du
culte, pompes exterieures, lois somptuaires, tout y revet
ce luxe insense des satrapies persanes, auquel Fernand
Cortes va mettre un terme, comme, dix-neuf siecles avant
lui, l'avait fait Alexandre le Grand a regard des provinces de la Medic, de la Babylonie et de la Perse.
Si des premiers peuples nous passons aux seconds,
nous les verrons apres leur separation du groupe primitif et leur introduction sur le continent sud, errer h
travers les regions boisees du Venezuela et de la Guyane,
laissant sur les rochers de l'Orenoque et du Cassiquiare,
sur les bords du rio Cauca, eomme une attestation figuree de leur passage. Parmi ces hordes voyageuses,
en est qui font une halte de plusieurs siecles sur les
plateaux de Bogota; d'autres stationnent sous l'equateur et fondent dans le pays de Lican la dynastie des Conchocandos; d'autres enfin poursuivent le tours de leurs
migrations jusqu'au lac de Chucuytu et couvrent les
alentours de Tiahuanacu de temples et de monuments.
Observons en passant, qu'a mesure que ces peuples
s'eloignent du foyer de culture intellectuelle dont la
Nouvelle-Espagne est restee le centre, la notion pure
du pass s'use et s'oblitere de plus en plus chez eux.
Livres a leurs propres forces, sans communications avec
le reste du monde, se derobant par leur eloignement
toute influence civilisatrice, ils retombent par degree
dans un tat de decadence relative.
Le flambeau du progres fut rallume au Peron par
cette dynastie des Incas qui y importa le culte et les traditions deja presque effaces de l'antique Orient.
La tradition locale degagee des nuages qui l'enveloppent, fait sortir Manco-Ccapac et sa sceur Mama
Ocllo, des vallees chaudes situees au dela de la Cordillere, a l'est du lac de Titicaca. Ces vallees comprises
entre Apolobamba et les sources du rio Beni, appartiennent aujourd'hui a la Bolivie et sont communement
designees par la nom de Yungas de la Paz.
Porteur d'une verge d'or, embleme du pouvoir 2, le
nouvel Horus, pasteur des peuples a venir, s'avance a
travers les punas du Collao, suivi de sa compagne, et
apres une marche de quatre-vingts lieues dans la direction du nord-ouest, arrive sun les hauteurs de Huanacote
(aujourd'hui Huanacori) decouvre une vaste
quebrada circulaire entouree de montagnes, qu'il choisit
pour lieu de residence. La vile qu'il batira plus tard au
centre de cette quebrada, portera le nom de Ccozcco,
qui signifie point d'attache ou nombril.
Bientet les peuplades des environs accourent a la voix
de l'Inca, et subjuguees par le charme de sa parole et la
1. Voy. tome V, premier semestre de 1862.
2. Quelques modernes ont mais a tort, d'un coin d'or.
Les textes espagnols concordants a regard. de una Zara de
dos pies de largo y un dedo de grueso ne comportent pas d'equivoque.
LE TOUR DU MONDE.
264,
douceur de ses enseignements qui leur rappelle pent- tre un kat primitif dont elles sont dechues, ces pen. plades se rangent sous ses lois et passent de la vie de
chasseur a la vie agricole. Pendant que Manco enseigne
aux hommes a defricher la terre, a l'ensemencer,
creuser des canaux d'irrigation, Mama Ocllo apprend
aux femmes h. filer la laine des vigognes et des alpacas,
a tisser les etoffes necessaires aux vetements de la famille et les initie a leurs devoirs d'epouse et de nienagere. Le plan d'une ville est tracee ; c'est un parallelogramme irregulier, de peu d'etendue, developpe du
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11 artq'j
266
LE TOUR DU MONDE
LE TOUR DU MONDE,
bras, en expiation des peches qu'ils ont pu commettre
dans le tours de l'annee.
Les eglises et les convents de Cuzco sont generalement construits en pierre dure, gres carbonifere, trachyte
porphyroide, granit feldspathique, au lieu d'tre bhtis
en bois, en torchis et en platre, comme ceux des vines
du littoral. Cette difference dans le choix et la nature
des materiaux, est motivee par la situation des derniers
edifices au pied de la chaine des Andes dans le voisinage
de quelque volcan, et la frequence des tremblements de
terre auxquels ils sont exposes. De la l'emploi du badigeon sur leurs facades et ces nuances gris de perle, rose
paille, cuisse de nymphe, dont l'architecte les empate
pour dissimuler la charpente du monument. Les edifices de Cuzco n'ont pas besoin de recourir a ces artifices
vulgaires. Es &talent dans sa couleur et sa nudite primitives la pierre dont ils sont batis, et sur laquelle le
temps, la pluie et le soleil ont passe comme un vernis
sombre. Leur physionomie a je ne sais quelle grandeur
morne, quelle majeste taciturne, qui s'harmonie avec la
tristesse du ciel, la rigidite du climat et les lourdes gibbosites des montagnes voisines.
La disposition interieure des eglises est presque toujours cello d'une croix latine. Quelques - unes n'ont
qu'une nef sans bas cotes, comme Peglise des Peres de
Jesus; d'autres ont une nef principale et deux nefs secondaires, comme l'eglise de la Merced, ou trois mattresses nefs et deux collatraux, comme la cathedrale.
Leurs vaites en berceau, plus elevees du double que
celles des eglises du littoral, sont quelquefois lisses,
quelquefois renforcees par des arcs-doubleaux et supportees par des colonnes engagees ou de simples pilastres. La decoration architecturale de ces eglises est
generalement tres-simple a Pinterieur. Parfois cette simplicite s'etend h l'exterieur de Pedifice, dont toute l'ornementation se borne alors a un fronton triangulaire,
engage entre deux tours en saillie, supporte par des
colonnes accouplees, et surmonte d'un etage perce de
fentres carrees et (Moore de colonnettes, comme la facade de la cathedrale. Parfois encore, cette ornementation emprunte au gout hispano-lusitanien des dix-septieme et dix-huitieme siecles son materiel de pinacles
et d'acroteres, de pyramidions et de boules, auxquels elle
ajoute le luxe des enroulements, des eves, des volutes,
des pompons et des chicorees de cette bienheureuse epoque. L'eglise des Peres de Jesus et celle de la Merced
offrent sur leurs facades un assortiment assez cornplet de ces fantaisies. Remarquons toutefois que les
diverses pieces de ce bric-a-brac architectural, au lieu
d'tre moulees en plhtre et rapportees apres coup, comme
sur les facades des eglises du littoral, sont laborieusement taillees dans le-trachyte ou le granit des Andes,.
circonstance qui fait gagner par le mason la cause perdue par l'architecte.
Ce que nous avons dit deja du luxe si complaisamment kale par les eglises d'Arequipa, peut s'appliquer
a celles de Cuzco. C'est la meme profusion de richesses,
amalgamees , combinees, selon tons les logarithmes de
267
268
LE TOUR DU MONDE.
dant trente-six ans l'emplacement acluel de la cathedrale. En 1572, le vice-roi Francesco Toledo fit jeter bas
cette bicoque et creuser les fondements d'une nouvelle
eglise. Une Somme de trois cent soixante mille francs
fut d'abord affectee a sa construction ; puis cinquante ans
s'ecoulerent, et comme cette eglise, pareille a, la toile de
Penelope, se poursuivait toujours sans jamais s'achever, que de nouvelles sommes, incessamment votees, venaient s'ajouter aux premieres, Philippe IV, impatiente,
demanda un jour si on comptait la faire en argent massif. Le mot royal eut du succes ; apres avoir fait le tour
de l'Espagne, it arriva en Amerique. On ne sait s'il stimula le zele de l'entrepreneur, mais apres quatre-vingt-
it fallut deblayer les abords de l'eglise, rendus impraticables par ralluvion due aux travaux de pres d'un sicle.
Tons les chanoines, enflammes d'un saint zele, passerent
a leur bras un cabas de jonc et se mirent a enlever la
terre, les moellons, les gravats, qui formaient autour du
lieu saint des montagnes et des vallees 1 . L'exemple des
chanoines fut suivi par le corregidor et par quatre chevaliers de Catatrava ; puis les cures de la ville et ceux des
environs arriverent en foule suivis de leurs vicaires, les
moines de quatre ordres vinrent egalement donner un
coup de main, les dames de la ville imiterent les
1. Les auteurs espagnols ont relate comme un chiffre exorbitant les cinquante ans de travail qu'avait necessites Pedification
de la forteresse du Sacsahuaman; mais aucun d'eux n'a fait mention des quatre-vingt-deux ans employes a la construction de la
cathedrale, ou s'est content de les indiquer par deux dates.
Ajoutons que de pareils chiffres, qui, partout ailleurs qu'au Peron, auraient une valeur significative, ne prouvent ici qu'une
chose : c'est que l'Indien du continent sud, tres-nonchalant de
sa nature, met a ce qu'il fait vingt fois plus de temps qu'il n'en
faut.
1. Alturas empinadas y hondos valles, dit le manuscrit du docteur Carrascon auquel nous empruntons ces details.
LE TOUR DU MONDE.
269
avaient allume sur plusieurs points de la cite, fut miraculeusement preserve des flammes par l'intercession de
la Mere de Dieu. C'est la cette chapelle en pierre a coupole
de chaux qu'on leva depuis pour perpetuer le souvenir
du miracle, chapelle au seuil de laquelle, le jour de
1'Assomption de chaque annee , les Indiens des deux
270
LE TOUR DU MONDE.
pierre horde d'une rampe en bois sculpts, d'un joli travail, les orgues etalaient encore leurs batteries de tubes
de differents calibres, mais descelles, et visiblement
penches les uns sur les autres, comme les arbres d'une
fork dans un coup de vent. Les touches du clavier
etaient decollees ; les vers avaient ronge le buffle des
marteaux et de grandes toiles d'araignees enveloppaient
comme d'un linceul ce pauvre corps harmonieux dont
Fame etait partie.
Devant la balustrade qui separait le sanctuaire de la
nef, baillait une ouverture de quatre pieds arra, pourvue d'un escalier dont on n'apercevait que les premieres
marches : le reste se perdait dans une ombre noire.
Suivi de l'Indien porte-clefs, que cette eglise vide et ce
trou tenebreux impressionnaient visiblement, je tentai la
descente. Une vingtaine de degres nous conduisirent
dans la crypte de Yeglise, divisee en cellules carrees
dont les murs, d'une proprete singuliere, semblaient
avoir ete recemrnent blanchis. Ces cellules avaient servi
autrefois de caveaux funeraires. Quelques cercueils ouverts et vides s'y trouvaient encore. La forme des cadavres qu'ils avaient renfermes etait indiquee sur la planche du fond par une silhouette couleur de sepia. Des
lambeaux de suaire en coton du pays (tocuyo) pendaient
accroches aux clous de ces bieres. La nuit, a, la lueur
d'une torche, ce spectacle ea ete fort pen rassurant ;
mais it etait midi, la crypte etait inondee d'air pur et de
soleil, entrant, par des fenetres grillees, une mauve en
fleur se courbait et se redressait au souffle du vent, et
les details lugubres que je relevais un a un, n'eveillerent
en moi qu'on sentiment de paisible melancolie. Il n'en
fut pas de meme de mon compagnon, qui, en se retrouvant dans la rue, m'assura que la vue de ces cercueils et
leur odeur de pourriture humaine lui avaient si fort
soulev le coeur, qu'il se voyait contraint d'aller boire
un flacon d'eau-de-vie chez un pulpero de sa connaissance. J'approuvai son idee, et en lui mettant deux
reaux dans la main, je le chargeai d'offrir mes renterciments a son maitre.
Apres Peglise des Peres de Jesus viennent les eglises
de San Augustin et de l'Almudena, toutes les deux elegamment construites, toutes les deux fermees au culte,
ce qui implique tine certaine indiflerence en matiere de
religion chez les Cusquniens de notre poque. Toutefois ces deux eglises, bien que sans pretres et sans autels, ne sont pas vouees a une entiere solitude. Le positivisme, en les depouillant de leur prestige sacre, a su
tirer parti des avantages qu'elles pouvaient offrir. Un
cellege avec tout son materiel de banes, de tables et de
pupitres s.est installs dans la premiere et y est a Paise.
Dans la sechnde, desservie autrefois par des religieux
bethleemites, une societ de philanthropes a transfers
l'hospice dit de Saint-Andre, fonds a l'intention de
pauvres femmes, action qu'on ne petit trop louer,
mais en ayant soin de s'approprier la vaste maison primitivement affectee a cet usage par le fondateur du susdit hospice, de la faire vendre aux encheres et de s'en
partager le prix, dot qu'on ne saurait trop fletrir.
LE TOUR DU MONDE.
271
manieres et gais vivants par leurs propos, joignent habituellement a l'instruction generale qu'ils peuvent posseder, une science speciale qui leur fut toujours sympathique et dont ils ont pulse les premieres notions dans
des recueils et dans des livres qui leur sont tombes sous
la main. Chacun d'eux a choisi selon les circonstances
ou la pente de son esprit, qui la geographie, qui la physique, qui la chimie ou les rnathematiques transcen-
272
LE TOUR DU MONDE.
Les mceurs du clerge cusquenien sont douces et paisibles, et rappellent un peu celles des temps bibliques
et des ages patriarcaux. la plupart d'entre eux ont des
nieces dont la mere, qu'ilsn'appellentjamais leur sceur,
par egard pour la bienseance, remplit habituellement
dans la maison Yoffice de ama de haves ou de gouvernante. Quelques-uns recueillent une orpheline ou une
pauvre jeune veuve dont ils adoptent les enfants. Ces
oeuvres pies, chez les bons pretres de Cuzco, sont dictees par un pur amour du prochain, par l'horreur de
Je suis en tout de l'avis de mon senor padre, n repond invariablement la veuve en montrant du doigt la
plus belle et la plus there des deux etoffes.
L'homme de Dieu fixe definitivement son choix, fait
couper l'etoffe et confectionner le paquet, et le mettant
sous son bras, dit gracieusement au marchand : n Je
vous enverrai l'argent dans quelques minutes. u Presque toujours ces minutes canonicales ou clericales durent un an ou dix-huit mois ; it en est qui sont eternelles.
Paul MARCOY.
(La suite a la prochaine livraison.)
LE TOUR DU MONDE.
273
PfiROU.
QUATRIEME ETAPE.
D'ACOPIA A CUZCO.
Cuzco antique et moderne.
18
274
LE TOUR
DU MONDE.
Clara en particulier attirait mon attention par la disposition de ses cellules et les compartiments de son jardin
diapre de flours charmantes, mais communes; du haut
de mon observatoire je voyais les religieuses eller et
venir, tout occupees de soins divers et fort loin de
penser qu'un profane, un etre du sexe abhorre avait les
yeux fixes sur elles et ne perdait aucun detail de leur
pantomime.
Certaine apres-midi que fetais a mon poste, examinant pour la centieme fois l'interieur du jardin de Santa
Clara, le hasard me rendit temoin d'une scene etrange.
J'en parle ici pour deux raisons : la premiere, parce
qu'un voyageur oblige par etat de tout voir,- sinon de
tout savoir, a un peu le droit de tout dire; la seconde,
parce que l'episode ou la scene en question se rattache
aux mceurs du pays et explique certains usages. J'examinais done l'interieur du jardin de Santa-Clara, quand
une religieuse sortit de sa cellule et vint se poster devant une cellule voisine; cette religieuse portait tine
guitare qu'elle accorda et dont elle se servit pour accompagner tine copla, un yaravi, une chanson quelconque.
A la distance oil je me trouvais, cent cinquante metres
environ, je ne pouvais entendre ni l'air ni les paroles ;
mais la pose langoureuse de l'executante, sa tete penchee en arriere, ses yeux loves au ciel, indiquaient clairement que la poesie du morceau dont elle avait fait
choix, etait des plus tendres et sa musique a l'avenant.
Comme cette vierge du Seigneur etait occupee b. filer
des sons, la porte d'une cellule placee a sa gauche s'ouvrit brusquement : tine religieuse en sortit, les bras
etendus, les voiles au vent, courut sus a la virtuoso, lui
arracha sa guitare des mains et la lui brisa sur la tete ;
puis la saisissant d'un bras vigoureux et la courbant
comme un free roseau, malgre les efforts de la victime
pour se debarrasser de son etreinte, lui infligea, sance
tenante, cette correction manuelle dont la seule menace
fait frenair les petits enfants. Je vis passer rapidement
devant mes yeux, pareilles aux zones multicolores de la
tranche d'un code civil, les enaguas' bleues, jaunes,
rouges, vertes de la pauvre nonne ainsi maltraitee ; aux
cris poussait, tine partie de la .communaute accourut, l'abbesse en tete ; trois religieuses parvinrent
grand'peine a l'arracher aux mains de son bourreau.
J'ignore ce qui s'ensuivit.
Le soir venu, je racontai le fait a quelques dames de
la ville en les priant de m'en Bonner l'expiication. Elles
me repondirent ingenument, mais non sans rire un peu,
que la nonne dillettantina s'etait .probablement attire
cette correction pour avoir donne une serenade a ramie
de cour d'une de ses_ campagnes ; que celle-ci s'etait
courroucee de cot exces d'audace et l'avait chatiee,
comme en Espagne un galant se courroucerait et malmenerait le rival qu'il verrait racier le jambon sous les
fenetres de sa belle.
1. Sous le ciel de Cuzco, les enaguas ou jupons portes par le
beau sexe sont toujours en laine et jamais en coton et de couleurs
tres-vives. Les couleurs a la mode sont le ponceau, le bleu de
ciel, le rose de Chine, le vert Veronese et le jaune de chrome.
LE TOUR DU MONDE.
Revenons aux convents d'hommes et a lour architecture.
Apres le couvent de la Merced, le plus beau de tous
et dont la fondation remonte a l'annee 1537, vient celui de Santo-Domingo, qui date .de 1534, et fut fonde
par les quatre moines dominicains Valverde, Pedraza,
275
San-Martin et Oliaz qui accompagnaient Francisco Pizarre lors de son entree a Cuzco. Ce convent est bad
sur l'emplacement qu'occupaient, du temps des Incas,
le temple du Soleil et ses dependances. Quelques pans
de murs de cet edifice bati en trachyte porphyroide d'un
gris obscur sont enchasses dans les constructions moder-
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276
LE TOUR DU MONDE.
mieux cet enclos d'or (ccoricancha), en perdant ses richesses, a donne son nom au quartier.
Le convent de San-Francisco, fonds en 1535 dans le
quartier de Toccocachi , dependant de la paroisse de
San-Cristoval, fut transfers en 1538 dans le quartier
de Casana et presque en face du college des Sciences.
En 15119 , on l'etablit definitivement a l'angle de la
place qu'il occupe aujourd'hui et a laquelle it a donne
son nom. Sur cette place, le samedi de chaque semaine , de midi a six heures , se tient un marche dit du
Baratillo , ou les amateurs des deux sexes trouvent a.
acheter de vieux habits, de vieux galons, de vieux chapeaux et de vieilles chaussures.
Le convent actuel de San-Francisco n'offre exterieurement aux partisans de l'architectonographie qu'une
agglomeration de batiments carrs , surmontes d'une
tour carre. A Finterieur, it a des tours, des jardins, de
longues galeries dont les pleins cintres sont portes par
des groupes de colonnettes, et sur les murs de
ces promenoirs, de grandes fresques ou saint
Francois d'Assises est
pourtraict dans toutes les
postures et dans tous les
actes intimes de sa pieuse
existence. Ces fresques
n'ont de remarquable que
leur piste naive. Au point
de vue de l'art, composition, dessin , couleur n'y
sont comptes que pour
memoire, ou donnent lieu
d'etranges meprises et
a de curieux contre-sons.
Mais dans ces croiltes
la tolls, exposees a l'air
du dehors et que chaque
printemps voit pair un
Moines de Cuzco.
peu comme de jeunes filles poitrinaires , on sent une foi si fervente, et, chez
Fartiste qui les peignit , une intention si manifeste
d'honorer le patron du lieu pour s'en faire un intercesseur pros du divin maitre, que le critique le plus farouche et le plus cuirasse contre l'emotion s'attendrit
malgre lui et laisse choir sa plume.
Apres les monasteres, it nous rests a parlor des
moines.
A Cuzco, comme dans toutes les villes du littoral, le
moine jouit de la consideration generale. Les hauts
fonctionnaires lui frappent amicalement sur le ventre,
les
. , bourgeois et les commercants lui donnent des poignees de main, les femmes lui sourient et le chargent
du soin de diriger leur conscience , les enfants montent sur ses genoux etjouent sans crainte avec les glands
de son cordon. La liberte d'action dont jouit a. Cuzco cot
elu du Seigneur est illimitee. Rarement on le trouve
dans sa cellule. En revanche, on le rencontre pai tout
et a toute heure, devisant avec Pun des choses serieuses, avec l'autre de choses frivoles, parlant a chacun le
langage qui lui est propre, porte par temperament et
par education a. plaisanter Out& qu'a s'affliger sur les
miseres de ce monde, ,assaisonnant volontiers ses plaisanteries de gros sel, donnant le pas au vin de France
et au met propre, sur l'eau du pays et la periphrase;
tolerant les petits defauts du prochain, excusant toutes
ses faiblesses , voilant du manteau de la charite les
peccadilles du beau sexe ; toujours pret , comme citoyen, a. blamer en public les actes du gouvernement,
et comme religieux, a fronder en cachette les faits et
gestes de l'eveque : tel est le moine de Cuzco.
La plupart de ces moines quittent le convent apres
l'office du matin et n'y rentrent que le soir a neuf heures. Quel est l'emploi de leur journee? . C'est ce que
nul n'a jamais su. Desireux d'obtenir des eclaircissemerits sur leurs absences regulieres qui me semblaient
au moins etranges, j'interrogeai un jour a, cet
egard le prieur d'un convent que j'avais eu souvent pour vis-a-vis dans
de petits bals de famille.
Pourquoi tons vos
moineaux s'envolent-ils
ainsi chaque matin? lui
denRandai-je.
Pour eller chercher
leur pature, me repondit-il en riant.
Et comme j'insistais
pour savoir de quel genre
etait cette pature, le digne
prieur ajouta en me regardant et clignant de Fceil :
Ne sont-ce pas des
hommes comme vous ?
Je dus me contenter de
cette reponse ambigue.
A Cuzco, l'etat monastique n'entraine apres lui pour
les novices qui s'y destinent , aucune de ces rudes
epreuves qui brisent le corps du postulant et lassent son
esprit. C'est par des chemins revetus de gazon et des
sentiers semes de fleurs , que ces novices atteignent
repoque de prononcer leurs vieux et de se preparer
la gloire Oternelle. Bien souvent, dans nos promenades
urbi et ruri, it nous est arrive de voir, a, travers l'huis
entr'ouvert d'une chicheria, un essaim joyeux de ces
monigotes, chantant a tue -tote en choquant leurs verres
pleins jusqu'aux bords , ou dansant le maicito et la
mazo mala avec tout l'abandon de leur age.
Les prieurs des convents de Cuzco se sont fait une
loi de tolerer, chez les novices de lour ordre, ces passetemps honnetes et que la religion telle qu'ils la professent ne desapprouve pas. Its pretendent savoir; par
experience, que la nature humaine a besoin d'une rondelle fusible pour laisser echapper son trop-plein de
LE TOUR DU MONDE.
277
tence et que le Seigneur inflige a ses elus pour les avancer dans la voie de la perfection. Cette passion avait
ete , pour le prieur dont nous parlons, une source de
mille maux en meme temps qu'une occasion de prodigalites folles. Apres avoir devo.re l'epargne de la communaute et crible d'hypotheques les biens-fonds du convent,
it avait, disaient ses ennemis, qui de nous, helas! n'a
les siens ? vendu a un orfevre de la rue des Plateros
une statue de saint Michel archange en argent massif,
de grandeur naturelle, et qui, depuis deux siecles qu'elle
ornait une chapelle de l'eglise , faisait l'orgueil de la
co mmunaute et l'adrniration des fideles. Le public devot
s'emut de l'affaire. Comme l'eveque se disposait a ouvrir
ces qualites par une rondeur de manieres , une franchise de langage , une appreciation nette et accentuee
des hommes et des choses , qui mettent Petranger
l'aise aupres d'eux. Chez les moines d'Arequipa , la
forme l'emporte sur le fond. Chez ceux de Cuzco , le
fond predomine sur la forme.
Le parallele que nous etablissons entre les convents
d'hommes des deux cites pout s'appliquer, avec quelques
modifications, a leurs communautes de femmes. Moins
Bien douees par la nature et Peducation que les nonnes
d'Arequipa, les religieuses de Cuzco n'ont avec le monde
aucune de ces relations d'amitie, de convenance ou de
curiosite que Iles premieres ont su se creer avec lui et
278
LE TOUR DU MONDE.
qu'elles entretiennent a l'aide de petits cadeaux et de su- soin. Nous ajouterons seulement que, de la difference
creries. Comme les vierges du Soleil auxquelles elles se geographique et climatologique qui existe entre les deux
rattachent par des liens de famine , les religieuses de cites, resulte un sentiment d'aigreur hostile et mutuelle
Cuzco vivent chastement confinees a l'ombre de leurs froi- dans leurs populations. Les citoyens grands et petits des
des murailles, et bien qu'a l'exemple de leurs scours d'ou- provinces du littoral, comme les corporations religieuses,
tre-Cordillere, elles contraitent d'Indiens pouilfectionnent parfois pour
leux (Indios piojosos) ceux
tin public payant, des crede la Sierra- qui, de leur
mes, des beignets et aucote, les qualifient de latres friandises, elles n'inpins blancs et de manvitent jamais, comme celgeurs de creme (Yuracuy
les-ci , leurs proches et
et Masamoreros).
leurs amies a venir les
Malgre la reclusion semanger chez elles.
vere des religieuses de
Ces dissemblances moCuzco et leur indifference
rales et physiques entre
a l'endroit du monde, la
les communautes de Cuzco
calomnie, qui ne respecte
et d'Arequipa nous semrien, a tents maintes fois
blent tenir a des quesde souiller ces vases d'etions d'altitude, de climat
lection et de ternir sous
et de race. Arequipa, sison haleine immonde ces
tue dans une vallee vermiroirs de purete. Les
doyante, jouit d'une assez
nonnes de Sainte-Cathedonee temperature et d'un
rine, en_ particulier, ont
ciel presque toujours sete comme Sion, en butte
rein. Son voisinage de la
aux fleches de Pimple.
cote du PaciCque et ses
Lors de notre premier
relations journalieres avec les strangers, durant une pe- voyage a Cuzco, on accusait ces saintes filles de desriode de trois siecles, ont du expurger une partie du sang
cendie chaque soir dans la rue, a l'aide d'une corde h.
indien des veines de sa population d'elite et le remplacer
puits, une manne d'osier qu'elles remontaient ensuite,
par assez de sang espagnol, anglais, allemand, Francais,
et dans laquelle venaient se blottir tour a tour des ofitalien , pour que l'idioficiers du bataillon de
syncrasie de cette derniePulturichara. La calomre ait ete changee et que
nie ajoutait que l'eveque,
son epiderme soit pass de
pour couper court a tout
la nuance de brique cuite
propos ; avait fait murer
a celle de rose citrin.
la fenetre du couvent qui
Cuzco, par sa situation
donnait sur la rue. De
geographique , n'a pu
pareils on dit sont aujouir des memos avantadessous des commentaiges. Situe a cent lieues
res et soulevent l'indignade la mer et a douze mille
tion des coeurs vertueux.
cinq cent cinquante-huit
Si nous les relatons ici,
pieds de son niveau, enc'est que notre tache de
toure d'arides montagnes,
narrateur nous fait un
attriste par un climat
devoir de tout dire.
froid et un ciel nebuleux,
Ce meme couvent de
sa population n'a eu jusSainte-Catherine, par un
qu'a ce jour avec la cihasard strange , est bati
vilisation et surtout ses
sur l'emplacement qu'ocrepresentants , que des
cupait autrefois l'A ccrelations passageres, et a
Ilhuaci ou maison des vierconserve a peu pres inges , consacrees au cults
tacts ses mceurs primitives , son idiome particulier et
d'Helios-Churi. Les statuts etablis par Sinchi-Roca, au
la nuance de sa peau.
douzieme siecle, condamnaient la vierge adultere a etre
Nous aurions pu developper plus longuement cette
enterree vive, comm e les vestales romaines, et punissaient
comparaison entre Arequipa et Cuzco ; mais nos minutes de mort son complice, en remontant jusqu'a la troisieme
sont comptees, et le lecteur voudra bien se charger de ce generation. Depuis l'introduction du christianisme, les
LE TOUR DU MONDE.
lois a cet egard se sent fort adoucies. Aujourd'hui la
nonne parjure a ses vieux, on en cite quelques
exemples, est fouettee simplement, mais vigoureusement par deux de ses compagnes, et privee de chocolat
a son dejeuner pendant une anne. Quant a son coraplice , le blame public
peut l'atteindre , mais la
lei ne le frappe pas.
Le tremblement de terre de 1650, un des plus
violents , avec celui de
1590, qu'on ait ressentis a.
Cuzco et qui jeta bas une
centaine de maisons, detruisit en partie le couvent
de Sainte-Catherine dont
redification remontait
1599. Depossedees de leur
demeure , les religieuses
trouverent un asile dans
la maison d'un commandeur, sise rue de Cuichipuncu. Le 17 dcembre
1651, it Tissue des vepres,
on posa solennellement la
premiere Bierre du monastere actuel. L'eveque
de Cuzco, escorte du clerge, des communautes religieuses et d'une grande affluence de populaire, deposa sous
cette pierre , apres l'avoir benie , quelques pieces d'or
monnaye a l'effigie de Philippe IV, une bague et un
cure-dent. L'or monnaye,
dit naivement a ce sujet
une longue inscription en
latin quelconque , gravee
sur une plaque de plomb
qu'on placa sous la pierre
en lame temps que ces
objets, cet or monnaye
faisait allusion aux richesses spirituelles que Paine
acquiert par la priere et
le renoncement aux plaisirs du monde ; la bague
etait l'anneau mystique
qui fiancait les vierges
leur celeste epoux ; seul,
le cure-dent etait sans
destination apparente.
Nous avouons ingenument avoir cherche longtemps a. quoi rimait ce
cure-dent episcopal. Etaitce un avertissement ? etait - ce un symbole? et ce symbole avait-il trait a, Fame ou au corps? quelle etait sa
signification ? voulait -il dire curez et recurez, Vigilate
et orate? Desesperant de trouver jamais le mot de ce
cure-dent-enigme , nous laissons aux amateurs de re-
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280
LE TOUR DU MONDE.
de reception et les chambres a toucher, dont les portes a deux vantaux n'ont pour tout vitrage qu'un judas
grille ou une chattiere. A l'exterieur, un balcon, lourde
caisse en bois, portee par des poutres en saillie, souvent fermee de toutes parts, mais guillochee de cceurs,
de carres, de lozanges qui permettent de voir les passants sans en etre vu, complete la physionomie de ces
logis converts d'un toit de tuiles.
allant a l'eglise.
LE TOUR DU MONDE.
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d'hommes et d'animaux, des refouloirs et des quenouilles , des papillons et des choux-fleurs. Des massifs de dahlias, d'asters , de giroflees et d'willets bigarres, tranchent agreablement sur ce fond de verdure.
L'ameublement de ces logis , comme celui des demeures d'Asequipa , est de deux sortes et de deux
poques.
Les maisons fideles aux traditions antiques ont
froideur du sol, couvert, a defaut de parquet, d'un enduit d'argamaza, espece de ciment.
Un papier gris ou une peinture a la colle decore les
murs des salons aristocratiques. Sur des tables ou des
consoles a. miroirs de forme octogone dans des cadres
d'acier, sont etales des echantillons du bric-a-brac peruvien, consistant en statuettes d'Incas et de Coyas ou imperatrices, tirees de Huamanga, et plus ou moins mudlees; en , vases de terre cuite et peinte anterieurs a. la
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
de pantoufle a Rhodope ou a Cendrillon; mais, en fait de
naissance , un soulier quel qu'il soit ne prouve pas
grand'chose. On a vu plus d'une bergere avoir des pieds
de naive, et mainte reine avoir un pied de roi. Ce que
nous disons ici du sexe de Cuzco exhibant son soulier
comma un certificat de son origine, ne s'applique, bien
entendu, qu'aux femmes dont Page varie entre dix-huit
ans et quarante-cinq. Les vieilles femmes restees sans
illusions, et auxquelles notre sexe brutal ne rend que des
devoirs et plus d'hommages, ne craignent pas de confessor leur origine a haute voix quand l'occasion s'en presente.. Sornos Indias, para guenegarlo ? Nous sommes
Indiennes, a quoi bon le nier ? . disent-elles en riant.
rareil aveu dans la bombe de ces venerables personnes
nous a toujours semble, enmeme temps qu'un hommage
rendu a Ia verite sainte, un coup d'epingle a l'adresse
des jeunes femmes, etune facon toute feminine de protester contre l'isolement auquel les vouent leur rides
et leurs cheveux gris.
Ces petits travers, communs au beau sexe de tons les
pays et de tous les Ages, sont amplement rachets, chez
les Cusquefias vieilles et jeunes, par des qualites de don. ceur etd'amabilite, par des attentions et des provenances
qui rendent leur commerce fort attrayant. Leur vie monotone et denude d'incidents, leur eloignement des
points civilises, certaine difficulte qu'elles ont a parlor
l'espagnol, qu'au dire des femmes de Lima et d'Arequipa
elles estropient (chapurean), toutes ces causes donnent
a leurs manieres je ne sais quelle timidite ingenue et
quelle gaucherie pudique d'une saveur charmante et
qu'on chercherait en vain chez les femmes du littoral.
Cette timidite, devant Petranger qu'elles voient pour la
premiere fois, timidite qui se change en frayeur chez
1'Indienne du peuple, nous semble, a tort ou a raison ,
provenir des relations pen amicales qu'eut autrefois la
caste indigene avec les conquerants, relations dont l'effet,
bien que fort affaibli dans les hautes classes par suite de
leurs alliances avec les Espagnols , est encore appreciable chez Ia generation de notre epoque.
A part les visites hebdomadaires que se font, entre
chien et loup, quelques amies intimes, les femmes de
Cuzco ne sortent guere de chez elles, oh les unes s'occupent a des travaux d'aiguille, les autres a la preparation de sorbets et de confitures, toutes melant a ces divers
labeurs d'innocents commerages dont le texte leur est
apporte du dehors par leurs chinas cameristes ou chambrieres. Pour reunir le beaux sexe en majorite, ilnefaut
rien moins qu'une fete carillonnee, un bal officiel du
rnardigras, Pentree solonnelle d'un eveque, l'installation
d'un nouveau prefet ou la nomination d'un president. En
dehors de ces occasions, d'ailleurs assez rares , les
femmes se cloitrent volontiers chez elles et font fermer
leur porte. Saul, Fetranger pout forcer la consigne et les
visitor librement a toute heure du jour. Mais Yetranger
jouit, parmi le sexe aimable du Peron., de tant de privileges! Il est ce rara avis dont park Juvenal, a qui
chaque joune fille presente, sur un trebuchet, une phtee
de choix et qu'elle provoque a manger par de douces pa-
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LE TOUR DU MONDE.
Nous ne saurions dire que les Gusquenos sont gracieux et amides comme leurs femmes, mais nous pouvons assurer qu'ils sont susceptibles et defiants. Autant
les premieres, une fois la glace rompue, se montrent
sympathiques a l'etranger,, autant les seconds manifestent de repugnance a entretenir avec lui des relations suivies. Gette repugnance tient chez eux a un peu
de sauvagerie et a beaucoup de confiance dans leurs
lumieres. La superiorite physique et morale de l'Europeen froisse leur vanite, et quand it leur arrive d'etre forces de la reconnaitre en public, c'est avec une
reserve telle , qu'on comprend sur-le-champ ce qu'un
pareil aveu leur coitte a formuler.
natures sans artifice, a qui repugne l'emploi de la ceruse et du vermilion, et qui, trouvant hien fait ce que
Dieu fit , se contentent de vernir leur visage avec du
blanc d'ceuf auquel elles ajoutent quelques gouttes
d'eau de Jean-Marie Farina. Get innocent gacis
pareil a certaines recettes prOnees par certains prospectus, ecluireit le feint, suavise la peau, previent les
rides a mitre, efface ou dissimule les anciennes rides,
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LE TOUR DU MONDE.
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1,111,111,i'd
IiII III
11111!
PtROU.
QUATRIME ETAPE.
D'ACOPIA A CUZCO.
Cuzco ancien et moderne.
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que un - du - ro gol - pe de ti - ra - ni - a.
LE TOUR DU MONDE.
sos, signala le troisieme j our. La place du Cabildo, on les
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rite que celui d'une ficielite servile. Ces pretendus origi- appelions notre ami avait pu se rendre coupable d'une
naux exposes au grand jour et debarhouilles de la crasse action indigne, nous sentimes le rouge de la honte nous
qui les recouvre, reveleraient sur-le-champ a un mil
monter au visage, et nous fumes sur le point de repousexerce leur origine plebeienne, comme certaines mains, ser la main qu'il nous tendait. Quelques mots lui suffidepouillees de leurs gants laissent voir les callosites et rent pour nous prouver son innocence. Un moine de la
les durs stigmates du travail.
Recoleta, 4 qui il avait fait offrir par une vieille beate
Plus tard, a defaut de ces ceuvres originales, deve- experte en ces sortes d'affaires, une once d'or (86,40)
nues l'objet de speculations privees, les peintres de en echange du Rubens inedit, n'avait pas hesit a charCuzco se sent inspires des copies qu'en avaient faites ger sa conscience de ce vol sacrilege. Toutefois, craileurs devanciers. Des gravures quelconques qui leur gnant d'tre surpris par un des freres et d'avoir maille
sont tombees sous la main ont complete cette education
partir avec le prieur, it avait opere nuitamment la secartistique, qui depuis un sicle est toujours la meme.
tion de la toile, et cola avec taut de precipitation, que
Parler aux peintres d'aujourd'hui d'anatomie et d'osteo- les chevilles de la Vierge avaient ete tranchees. Un
logie, d'tudes d'apres la bosse, l'ecorche ou le modele mois apres, en allant fumer un cigare sur le lieu du
vivant, de perspective lindaire ou aerienne, serait leur sinistre, nous revimes le cadre veuf de sa toile et les
tenir un langage incomprehensible et s'exposer a rece- pieds roses de la Mere de Dieu, qui semblaient provoir d'eux un mauvais compliment. Ce manque absolu tester energiquement contre ramputation cruelle qu'un
des premieres notions de l'art leur interdit toute crea- moine simoniaque leur avait fait subir.
Les revolutions politiques, les catastrophes privees,
tion originate et les oblige a recourir aux toiles existantes pour y prendre les diverses parties dont its for- et, plus que tout cela, l'esprit serieux des Cusqueilos
ment un tout. De lh cette gene, cette roideur et ce tourne vers retude de la theologie et du droit canon,
manque d'animation que presentent leurs ceuvres et entravent l'essor des beaux-arts, dont la muse, a Cuzco,
marche pedestrement, quand sun cette terre classique
qui choquent h. premiere vue. Tons leurs personnages,
construits de morceaux rapportes, semblent &coupes elle devrait avoir des ailes. Les eglises et les convents,
remporte-piece , et cones sur la toile ; aucun d'eux regorgeant de peintures, ne font plus de commandos
aux artistes modernes, et par economie les families suin'avance ni ne recule ; nul souffle d'air ne circule autour
de ces mornes silhouettes, qu'une couleur blonde et vent l'exemple des communautes. Les deux ou trois
chaude continuee par tradition, un colons souvent frais peintres qu'on compte dans la ville, courraient risque
de mourir de faim si les negotiants et les conducteurs
et charmant, recommandent h rattention.
Les belles ceuvres du temps passe, nous l'avons dit,
de tropas, attires a. Cuzco par les besoins de leur comsent extremement rares dans les eglises et les convents merce ne leur faisaient quelques commandos picturales
de Cuzco ; nanmoins, en furetant dans les recoins, on sur lesquelles, une fois de retour chez eux, its realisent
de jolis .benefices. Ces commandes consistent en doupeut trouver encore, voile par la poussiere et les toiles
d'araignees, un bijou artistique que ses possesseurs ne zaines de Chemins de la Croix, en Bons Pasteurs avec ou
refusent jamais de vendre, si la proposition leur en est
sans brebis, en Vierges au raisin, a la chaise, au poisfaite a l'oreille et le prix qu'on en offre assez allechant. son, copiees crapres des gravures; en saints et en saintes
Une historiette de quelque lignes a ce sujet en dira de toutes sortes, en pied ou en buste, avec ou sans
plus que bien des pages.
mains. Chacune de ces toiles est payee, hien entendu,
Un ami avec qui nous causions un jour des tableaux
selon sa grandeur et le plus ou moins de nus qu'offre
que possedent les eglises et les convents de Cuzco, nous
le sujet qu'elle represente. Il est des toiles de quatre
demanda a laquelle de ces ceuvres nous donnerions la reaux (deux francs quarante centimes environ), il en est
preference; nous lui parrames d'un tableau de deux de cinquante francs. Une fois que le negociant a fait sa
pieds carres representant une Fuite en Egypte, que nous commando et qu'il est convenu avec l'artiste de repoavions decouvert sous la votite d'un escalier du convent
que oil elle lui sera livree, il donne a celui-ci un ade la Recoleta, oh, comme une lampe allumee, il nous . compte sur le prix de son travail, et part confiant dans
avait semble eclairer les tenebres. L'ami, curieux de sa bonne foi; il est rare que la bonne foi de l'artiste
verifier le fait , vint avec nous a l'endroit indique
fasse defaut h son commanditaire; seulement, comme
nous lui montrames le chef-d'oeuvre en question, que ce commanditaire est absent, qu'il ne doit revenir que
sa couleur admirable non moins que le bizarre et dans six mois, et que les absents ont presque toujours
luxueux accoutrement de ses personnages, nous faisaient tort, il arrive, dans l'intervalle, que l'artiste, trouvant
croire sorti de la palette de Rubens ou de quelque ar- d'autre besogne a faire et d'autres a-compte h toucher,
tiste de son ecole. Notre ami regarda longtemps le ta- oublie si bien le ngociant et sa commande, que Hen
bleau, le trouva bonito (joli) et sortit sans rien dire. n'est encore fait quand celui-ci revient. De la des recriQuelques jours apres, en entrant chez lui, nous y aper- minations sans fin de la part du commanditaire et des
climes la precieuse toile ; a l'aide d'un instrument tranexcuses sans nombre de la part de rartiste, qui, sur la
chant on l'avait coupes raz du cadre, mais avec taut de menace qu'on lui fait de le rouer de coups, se decide
maladresse, que les pieds nus de la Vierge etaient res- enfin h se mettre a l'ceuvre.
Comme les marchands de couleurs sont inconnus
tes dans la borduro. A ridee que l'homme que nous
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298
LE TOUR DU MONDE.
dans le pays, c'est au peintre a se procurer tous les articles de peinture qui lui sont necessaires : it va chercher dans les ravins des environs des ocres et des terres;
l'apothicaire du coin de la Merced lui vend quelques
couleurs en poudre ; le pulpero ou epicier, de l'huile et
de l'essence; l'encens en poudre lui sert de siccatif; des
os a demi brides lui donnent du bitume, et la fumee de
sa chandelle lui fournit du noir. Quant aux pinceaux, le
poil des chiens tiles chaque semaine lui permet de les
renouveler a peu de frais. Ses toiler sont de simple calicot anglais a soixante centimes le metre, qu'il prepare
lui-meme et qu'il tend , non pas sur un chassis, mais
sur une planche, a l'aide de six ou huit clous. La palette de l'artiste est empruntee a un fragment d'assiette
ou a un debris de carreau de vitre.
Qu'on n'aille pas faire a notre imagination l'honnour
d'avoir invente de pareils details; nous les avons releves
un a un chez les artistes du pays, oft tout en souriant de
leurs preparations diverses, nous nous sommes emerwine plus d'une fois du bon resultat qu'ils en obtenaient.
Un de ces peintres, celui-la rame qu'en raison de son
talent nous avims surnomme le Raphael de la cancha,
nous honorait d'une confiance toute particuliere. Bien
qu'il set qu'a nos moments perdus nous triturions comme
lui des coulet.-..s sur une palette, it ne craignait pas de
nous livrer les petits secrets de son art, sachant bien que
nous etions incapables d'en user ou d'en abuser pour lui
faire concurrence et paralyser son commerce. Le don de
quelques mauvaises lithographies nous avait ouvert toute
grande la porte de son atelier , oil nous allions souvent
le regarder peindre. Cet atelier, dont le loyer lui
tait cinq francs par mois, etait dans une cave ; on y descendait par en escalier de trois marches qui boitaient
comme un distique de Martial; une lumiere a la Rem-.
brandt en eclairait l'interieur ; le sol disparaissait sous
une litiere d'epluchures de legumes , que des poules et
des cochons d'Inde se disputaient. Un Chien a l'echine
saillante dormait a cute de l'artiste ; un chat noir sans
queue et sans oreilles, pareil a une idole japonaise,
ronronait sur son epaule pendant qu'il peignait, harcele
par les injures de sa femme, Indienne courtaude et mafflue, dont un dresipele avait empourpre le visage, et qui
l'invectivait a tout propos en faisant bouillir sa marmite.
Le theme favori de cette atroce Fornarine etait de reprocher au pauvre Raphael sa paresse et son ivrognerie.
A l'entendre, it passait des semaines entieres sans faire
oeuvre de ses dix doigts, et le peu d'argent qu'il gagnait
ensuite etait depense par lui dans les cabarets. L'artiste
declaignait de repondre a ces imputations perfides. Trempant tour a tour ses pinceaux dans des pots a pommade
qu'il tenait de la munificence des dames de la ville, et
qui lui servaient de godets, it continuait sa besogne.
Quand sa patience etait a bout, it emplissait une ecuelle
de chicha, la vidait d'un trait, et, apres s'tre essuye
les levres au revers de sa manche, it reprenait courageusement son labour, comme pour dmentir les allegations de son affreuse epouse. Pauvre Raphael ! s'il
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LE TOUR DU MONDE.
lui sont necessaires et pose sa casserole sur des charbons ardents. Quand la chaleur du feu a suffisamment
amolli le verre, roperateur, arme d'Un poincon arrondi
par le bout, appuie legerement sur chaque fragment,
qui, passaikt par le trou, prend aussitOt une forme convexe. Cette chose, dans la partie concave de laquelle
l'artiste figure ensuite, a Paide de couleurs, la pupille
et le globe de l'ceil, est enchassee par lui dans le masque de ses icones et donne a leurs regards cet eclat
radieux dont s'emerveille retranger.
Les ebauchoirs, grattoirs, polissoirs et autres engins
artistiques dont se servent ces statuaires indigenes, sont
des os de mouton ou de volaille, d'humbles lames de
place aux balcons. Des flots de chicha, de vin et d'eaude-vie ont coule depuis l'avant-veille pour celebrer la
fin de la semaine sainte et le grand jour de la resurrection; puis, comme it n'est pas de bonne fte sans
lendemain, on a continue de boire a l'occasion du lundi
de Paques et de la procession qui doit le terminer.
A quatre heures precises une triple salve de camaretos
ebranle la place; eglises et convents font entendre aussitea un carillon joyeux ; toutes les cloches de la cathedrale, depuis le bourdon appele la madre abadesa (la
mere abbesse),jusqu'a resguillon d'argent de la chapelle
du Triomphe, s'agitent a toute yolk. Dix mille Indiens,
hurlant et debrailles, sont groupes dans la place, et les
fenetres regorgent de curieux des deux sexes agitant leurs
300
LE TOUR DU MONDE.
mouchoirs. Les trois portes de la cathedrale se sont ouvertes a deux battants, laissant voir les profondeurs tenebreuses de la nef, oh brillent comme des vers luisants
les flammes de mille bougies. Un frisson religieux court
dans la multitude. Tous les cons sont tendus, tous les
yeux sont tournes vers la porte centrale par oh la procession commence h defiler, precedee par les Croix d'or que
portent des bedeaux a collerettes, et les Brands chandeliers d'argent que soutiennent a deux mains des acolytes
bruns de peau et blancs de costume.
La premiere image qu'on apercoit, debout sur un brancard porte par huit hommes, est Celle de san Blas, qui a
dote de son nom un faubourg de la ville. La foule, qui
l'a reconnu, le salue par des acclamations et des battements de mains prolonges. Le costume du saint eveque
se compose d'une tunique a creves en velours noir brode
d'or, qui hi descend jusqu'aux genoux ; un maillot cou.
leur de chair dessine ses formes ; une large fraise
tuyaux emboite son cou et couvre ses epaules ; it a pour
coiffure un beret taillade en elours n r)ir, orne de plumes
blanches ; ses pieds sont' chauss, s de boitines rouges, et
dans sa main droite, couverte d'un gantelet en cuir verni,
it porte son brev:aire de format in-quarto, elegamment dore sur Manche. Un ange aux ailes deployees,
debout sur un 1,1 de fer en s,Jirale, est place derriere san
Bias, dont it abrite le c fief episcopal sous un parasol de
soie rose. A chaque rn ,uve nent de la litiere, la mobilite
du support sur lequel repo ,,e l'habitant du ciel, imprime
a son ombrelle un doux balancement.
San Blas est immediatement suivi par san Benito, que
la foule accueille assez froidement, sous pretexte quo le
reverend abbe descend de Cham, fils de Noe, en ligne
directe. L'image, en effet, est d'un noir de jais pareil au
drap de sa soutane, et ses gros yeux blancs et ses levres
lippues, d'un rouge violatre, lui donnent un aspect assez
repoussant.
A san Benito succede san Cristoval. L'ermite porteChrist s'appuie sur un palmier deracine, qui ploie sous
lui comme un frele roseau. Il est vein d'une robe blanche
brodee d'etoiles d'or et relevee par des agrements ponceau ; it a des bandelettes de pourpre dans les cheveux, comme un roi assyrien; des moustaches dont les
extremites se dressent fierement et une royale taillee
en pointe.
San Jose, l'epoux de Marie, fait suite a san Cristoval.
L'humble charpentier est habille d'une robe de pelerin
couleur Carmelite. II porte un rabot en sautoir, une
scie d'une main, et s'appuie, de l'autre main, sur un
baton noueux. Le seul ornement profane qui *are ce
severe costume, est une plume de paon attachee a son
feutre.
Derriere san Jose parait l'image de la Vierge de Belen
cri Bethleem, debout sur un braucard porte par seize
hommes qui semblent ployer sous le faix. Il est vrai que
ce brancard est en bois de huarango massif, revetu de
plaques d'argent et surmonte de lourds chandeliers du
memo metal oh bralen r, d'odorantes bougies. La donee
mere de Jesus rayonne de beaute. Jamais statuaire
LE TOUR DU MONDE.
301
classique. Ce Christ, au lieu de la draperie traditionnelle enroulee et volante, porte un jupon en point d'Angleterre qu'un ruban attache a ses hanches et qui descend
jusqu'a mi-jambes. Les epines de l'acacia triacanthos,
qui forment sa couronne, sont simulees par un entrelacement de pierreries d'un prix fabuleux. Les clous qui
le retiennent a la croix sont des emeraudes de Panama,
longues de trois pouces, et les levres de la blessure
qu'ouvrit dans son cOte la lance de Longin, sont ourlees
302
LE TOUR DU MONDE.
de rubis-balais plus gros que des pois chiches. La chevelure de ce Christ, que le vent souleve et fait onduler,
est d'un noir mat et d'une longueur extraordinaire.
Avant d'orner le chef du Redempteur, elle embellit
ongtemps la tete d'une pecheresse que de folles orgies
conduisirent prematurement au tombeau. Le pare de
cette Marie-Madeleine, un intendant de police que
nous avons connu, mais que nous ne pouvons nornmer,
coupa lui-meme les cheveux de sa fille morte et en fit
don au chapitre de la cathedrale, taut pour racheter
les fautes de la pauvre enfant et lui ouvrir les portes
du sejour bienheureux, que pour remplacer l'ancienne
chevelure du Christ des tremblements, que les vers,
de la procession. Les porteurs.des images defilent successivement. Toutes les sing minutes, les hommes qui
portent le brancard de la Vierge s'arretent et font volteface, pour que la sainte Mere puisse s'assurer par ellememe que son Fils bien-aime ne l'abandonne pas. A la
suite du Christ des tremblements de terre vient le dais
du saint-sacrement, entoure des notabilites ecclesiastiques et des autorit es civiles et militaires. Les quatre
ordres de moines bleus, blancs, noirs, gris, font une
double haie au cortege et ferment la marche. Une nuee
de beguines, pareilles a des oiseaux de nuit, se pressent
sur los pas des moines. Un flot de peuple roule a la
suite des beguines, stir les talons desquelles it marche
303
LE TOUR DU MONDE.
images et les interpellant ou les apostrophant avec de
hideuses grimaces. A mesure que la procession s'avance
dans l'interieur de la l'enthousiasme s'accroit et
se propage dans les masses et reagit sur les esprits les
plus indifferents. La vue de ce Christ, qui tremble
comme au sortir dune eau glacee, arrache aux assistants
des vociferations au-dessus du diapason normal. BientOt
les voix enrollees expireraient dans les gorges, si l'eaude-vie ne venait pas a propos en eclaircir le timbre et
les ranimer. Parmi les Indiens des deux sexes qui
s'arrachent mutuellement des mains le pot ou la bouteille, c'est a qui hurlera plus fort et plus longtemps
en se montrant du doigt la pieuse effigie.
BientOt cette foule, hors d'etat de maitriser la frenesie religieuse et bachique dont elle est possedee, se
rue comme un seul homme sur les porteurs de la litiere
du Christ, qui marchaient courbes sous leur fardeau.
On les saisit a bras-le-corps, on s'accroche a leur cheve-
lure, leurs chemises et leurs habits sont mis en lambeaux, chaque fickle vent a son tour soutenir le brancard, ou seulement en toucher le bois, car le simple
contact de ce bois sacre remet au pecheur dix ans de ses
fautes. Mais les Indiens charges de ce precieux fardeau,
et qui ont sans doute beaucoup de fautes a expier, repoussent energiquement l'aide de leurs camarades et
ripostent aux attaques dont its sont l'objet de leur part,
par des soufflets, des coups de poing, des coups de
pied et des morsures. L'affaire ne tarde pas a tourner
au serieux. L'engagement partiel se change en melee
generale. Les horions convergent et divergent avec un
entrainement furieux, au milieu des cris de douleur et
des imprecations de rage des combattants.
Dans ce conflit, que les spectateurs indigenes, tant
laiques que religieux, trouvent parfaitement de circonstance et qui n'abasourditun peu que l'etranger, ]'image
du divin crucifie roule et tangue comme une nef sur
304
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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NINIVE ,
PAR M. VIVIEN DE SAINTMARTIN.
1844-1860.
TEXTE ENED1T.
306
LE TOUR DU MONDE.
comme celles de l'Egypte, etaient difficilement acressibles ; et ceux des peuples voisins qui, par la guerre
ou le commerce, auraient pu nous transmettre d'utiles
informations, n'eurent avec elles que des rapports d'une
date relativement recent. Aucun des ecrits ott ces informations etaient deposees n'est d'ailleurs arrive jusqu'A,
nous. Tout au plus nous en a-t-on transmis des fragments on des extraits muffles. Les livres juifs, entre
Pepoque de Salomon et celle de Cyrus, font mention de
plusieurs rois avec lesquels les royaumes d'Israel et de
Juda eurent des rapports hostiles; ces mentions, quoique accidentelles et sans suite, sont pour nous d'une
grande valeur en ce qu'elles fournissent de precieux
jalons chronologiques. L'Histoire d'Assyrie qu'avait
ecrite Herodote est perdue ; de celle de Ctesias, qui avait
puise aux archives d'Ecbatane, nous n'avons que Pimparfaite analyse de Diodore ; l'Histoire de Berose, enfin,
la plus precieuse de toutes, parce qu'elle etait l'ouvrage
d'un pretre babylonien ecrit d'apres les sources indigenes, ne nous est egalement connue que par quelques
extraits de Flavius Joseph et par les listes de rois des
chronographes chretiens. Ces donnees eparses, encore
alterees par les copistes du moyen age, sont insuffisantes pour reconstruire une histoire suivie ; elles presentent, en outre, des obscurites, des contradictions
et des difficultes qu'elles ne fournissent pas les moyens
de resoudre, etAui ont fait le desespoir des chronologistes.
Les faits que, dans cette penurie des textes, on peut
regarder comme a peu pros certains, se peuvent resumer
en peu de mots.
La chronologie de Berose, qui parait s'etre appuyee
sur une eerie continue d'observations astronomiques,
remontait a mille neuf cent trois ans avant l'entree
d'Alexandre a Babylone. C'est en Pannee 331 que le
vainqueur de Darius entra pour la premiere fois dans la
grande cite; ces dates nous portent a une ere initiale de
2234 ans avant Jesus-Christ. Une duree de prs de 2000
ans est dj, pour la monarchie babylonienne, une antiquite assez respectable. Elle est cependant bien loin de
conduire aux veritables commencements de Babylone;
car la date de 2234 est presque contemporaine d'Abraham, et des le temps.d'Abrahana, comme on -le voit par
recits et les traditions deposes dans la Genese, les
origines de Babylone, aussi bien que celles de Ninive, se
perdaient dj dans un pass immemorial. Pour Berose
ces premiers temps appartenaient a la fable et aux legendes cosmogoniques.
Dans cette period historiquement certaine de dixneuf cent et quelques annees, Babylone et Ninive
avaient toujours forme deux Etats distincts, mais non
pas toujours separes. On a tout lieu de croire (d'apres
les monuments decouverts sur le bas Euphrate) que
dans les anciens temps les rois de Babylone avaient domine sur l'Assyrie ; plu g tard, ce furent les rois d'Assyrie. qui dominerent sur Babylone. Les donnees empruntees a Ctesias sur Yhistoire de l'Assyrie, si elles
etaient plus suivies et.plus entieres, completeraient ici
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308
LE TOUR DU MONDE.
sceptre de l'Orient, devint i son tour et resta une province de l'empire des Medes, qui allait bientCt, sous
Cyrus, devenir l'empire des Perses, jusqu'au jour
prochain oii tous ces peuples et tous ces empires, Assyriens, Babylonians, Medes et Perses, courbs sous le
bras victorieux d'Alexandre, n'allaient plus faire qu'un
soul empire et un seul peuple.
Et les tristes debris de ce qui fut Ninive, epars sur le
sol vide d'habitants, lentement envahis par la poussiere
de la plaine et le lirnon du fleuve, se trouverent un jour
completement ensevelis sous ce linceul de terre que le
temps etendait sur eux.
Ce fut plus qu'une oeuvre de destruction, ce fut une
oeuvre d'aneantissement et d'oubli. Le patre qui conduisait se s troupeatix a travers cette plaine ondulee sous laquelle gisaient les monuments devastes des anciens rois,
gardait a peine une vague tradition des magnificences de
la cite royale.
Cette tradition memo a fini par se perdre a travers les
generations. La malediction des prophetes fut accomplie. C'est de nos jours seulement que la ville oubliee a
ate retrouvee enterree sous le sol, ignoree des habitants du pays, et sans qu'a la surface de la plaine rien
autre chose en revelat la presence que les monticules
memes formes par la terre amoncelee qui en recouvre
les debris.
310
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Premiers essais de dechiffremeat de Ecriture cunei-.
forme. Grotefend. Progres ulterieurs. Eugene Burnouf. Lassen.
Rawlinson. Inscriptions trilingues. Trois
especes d'critures cuneiformes : Ehriture pers6politaine, l'ecriture medicine
et reciiture babylonienne.
Les inscriptions persepo!Raines sont compltement
dechiffrees et traduites.
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314
LE TOUR DU MONDE.
clique pour la seconde espece, et le nom d'ecriture babylonienne ou assyrienne pour la troisieme.
iCriture de la premiere espece.
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LE TOUR DU MONDE.
315
316
LE TOUR DU MONDE.
un quart d'heure du fleuve, pros du village de KoYoundjik ; c'est a celle-la que s'attaqua d'abord M. Botta.
M. Botta continue ses fouilles a quelques heures de Mossoul.
Le village de Khorsabad.
Les premieres tentatives dans le monticule de Koioundjik n'eurent pas de grands resultats : on n'avait pas
porte encore la pioche assez avant. Mais, pendant que les
ouvriers sent a Pceuvre, survient un paysan des environs.
Ce sont ces choses-la, que vous cherchez ? leur dit-il
A. la vue de quelques fragments que l'on avait deterres.
Venez a mon village : je vous en montrerai hien d'autres,
que l'on a trouves en creusant les fondations de nos
maisons.
M. Botta n'avait pas une Bien grande confiance dans
ces promesses trop communes en Orient. Il envoya
cependant deux ou trois de ses hommes a l'endroit de signe. C'etait un village appele Khorsabad, nom de venu depuis si faineux, a quatre heures de Mossoul
dans la direction du nord-est. II y avait la en effet beaucoup de briques couvertes d'empreintes cuneiformes.
On y pouvait esperer des trouvailles importantes ;
M. Botta s'y transporta immediatement et y fit commen cer les travaux.
Tel a ate le poiut de depart des magnifiques decouvertes qui ont pris une place si considerables dans Phistoire scientifique de no tre poque.
Un grand monticule, en partite couvert par les maisons
du village, revelait un ancien site. Une coupure fut pratiquee sur le talus du tumulus, et apres quelques heures
deVavail la pioche des ouvriers mit a decouvert l'angle
d'un mur, puis un second mur, puis un troisieme,
Bas-relief provenant du palais de Sardanapal. tin convoi de prisonniers. Dessin do H. Catenacci d'apres
puis une salle entiere, et une autre, et une autre encore, les parois partout couvertes de sculptures et d'inscriptions, de scenes de chasse, de scenes guerrieres, de
scenes religieuses, puis des figures colossales aux formes
symboliques, un vaste palais avec toutes ses magnificences, une veritable habitation royale. Des poutres
carbonisees, des pans de murailles noircis ou calcines,
attestaient que les flammes avaient accompli Pceuvre de
destruction. Les fureurs de la guerre qui renversa la derniere dynastie assyrienne, et la main devastatrice d'un
ennemi victorieux, ont laisse partout leur trace.
On peut juger des emotions de l'heureux explorateur
devant ce monde nouveau qui se depouillait, heure par
heure, de son linceul seculaire.
M. Botta rendit compte en toute hate, a son gouvernement, de sa magnifique decouverte. M. Guizot et
M. Villemain, les ministres d'alors, en apprecierent
Rawlinson.
l'importance et l'avenir. Deux choses furent mises aussitot a la disposition du consul frangais : de l'argent pour
suivre activement les fouilles, et un artiste habile ,
M. Eugene Flandin, qui avait deja fait ses preuves
dans un voyage en Perse. Les travaux, a l'arrivee de ce
double auxiliaire, furent pousses avec une ardeur nouvelle. Une nombreuse serie de magnifiques dessins
reproduisit, dans leur ensemble et dans tous leurs details,
les richesses de l'art assyrien, en meme temps que
M. Botta copiait, avec l'exactitude la plus scrupuleuse,
l'immense suite d'inscrip Lions traces a ate des sculptures et sur les colosses symboliques. Tout ce qui pouvait se detacher sans etre detruit ou endommage fut
transporta jusqu'au Tigre et embarque sur des radeaux ;
et quoiqu'un deplorable accident ait englouti dans le
fleuve une partie de ces richesses, ce qui nous en est
arrive a suffi pour remplir toute une salle basse du
318
LE TOUR DU MONDE.
murales, comme celles des palais d'Egypte, representaient les campagnes du prince qui avait bati le palais;
les inscriptions contiennent le recit de ces campagnes et
la longue enumeration des pays, des villes et des rois
subjugues. Des taureaux ailes a face humaine, tout a
fait semblables a ceux de Khorsabad, et, comme ceux-ci,
de proportions colossales, gardaient l'entree principale
du palais. Tout ce qui pouvait se detacher et se deplacer
a ete envoy a Londres. Strange destinee de ces restes
d'une civilisation eteinte, aujourd'hui transporter aux
extremites de l'Occident, dans une des capitales du monde
nouveau qui s'est eleve sur les debris du monde ancien,
et qui suivent ainsi dans leur &placement le deplacement mme des civilisations!
Les Arabes employes par M Layard pretaient leurs
bras a ces travaux sans en Men comprendre, on le conpit, le but ni l'interet. Un de leurs cheiks exprimait par
des reflexions naives l'etonnement que lui causait tout
ce labeur. c Au nom du Tres-Haut, demandait-il, dismoi, bey, ce que vous allez faire de ces pierres? Tant de
milliers de bourses depensees pour cela 1 Se peut-il,
comme to dis, que ton peuple y apprenne la sagesse ?
Ou bien, comme l'assure le cadi, est-ce qu'on va les
transporter au palais de votre reine, qui rend un culte
ces idoles comme le reste des infideles? Et pour ce qui
est de la sagesse, ces figures ne vous apprendront pas a
mieux faire les couteaux, les ciseaux et les indiennes; et
n'est-ce pas dans ces choses que les Anglais montrent
leur sagesse ? Mais Dieu est grand 1 u Puis, apres un
moment de pause : c Voila, des pierres qui sont enterrees
depuis le temps de Noe, la paix soit avec lui! Pentetre elles etaient sous terre avant le deluge. J'ai veal
dans le pays depuis des annees. Mon pere et le pore de
mon pore plantaient leurs tentes ici avant moi; et jamais, ni eux ni moi, nous n'avions oui parler de ces figures. Depuis douze cents ans et plus, les vrais croyants
sont tablis dans ces contrees, et pas un d'eux n'a jamais
entendu parler d'un palais souterrain, ni ceux qui y
etaient avant eux. Et voici un Franc qui arrive ici de
je ne sais de combien de journees de marche. Il vient
droit a la place, et il prend un baton, et il trace ici
une ligne, et la une autre ligne, et il nous dit : ici est
le palais, la est la porte ; et il nous montre des choses
que nous avons eues sous les pieds sans en rien savoir. E. tonnant ! etonnant ! Est-ce dans vos livres, est-ce
par magie, est-ce par vos prophetes que vous avez appris ces choses? Dis-moi, 6 bey dis-moi le secret de la
sagesse.
Ce n'est pas seulement un palais que M. Layard a
deblaye sous le tumulus qui recouvrait cette Pompei
orientale ce sont trois palais renfermes dans une commune enceinte, et qui occupaient l'angle sud-ouest de
I'ancienne cite. Nous ne pouvons suivre dans le detail de
ses fouilles l'heureux emule de M. Botta. TantOt les excavations sent pratiquees par des tranchees a ciel ouvert, tantOt par des galeries souterraines longeant les
parois interieures des salles. L'ensemble de ces travaux presente un tres-vaste developpement.
319
LE TOUR DU MONDE.
M. Layard explore le site nidnie de Ninive. Fouilles
de Koloundjik.
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de soixante et onze salles, chambres ou passages,-couverts d'une immense quantite de bas-reliefs sculptes et
d'inscriptions. On etait tombe au milieu d'un palais plus
vaste encore et plus riche en ornements que les palais
de Nimroild. La construction de ce grand edifice, d'apres
les inscriptions, appartient a Sennakherib, fils du roi
Sargoun, le fond ateur de la residence de Khorsabad ; elle
se place, consequemment, entre les annees 650 et 700
1. a Assour sortit du pays de Sina'ar (la Babylonie), et it Mat
Ninive, et les rues de cette ville, et Kalah. (Gen., ch. x, 11.)
LE TOUR DU MONDE.
320
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LE TOUR DU MONDE.
321
NINIVE,
PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTII\ 1.
1844-1860. TEXTE 110DIT.
Une expedition francaise, sous la direction de M. Fulgence Fresnel, aecompagne de N. Jules Oppert et d'un architecte, est chargee,
en 1852, d'aller etudier le site de Babylone
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
nee de leurs traits), et de figures symboliques qui devaient rappeler quelques-uns de ses attributs religieux.
Plus frequemment on le montre debout ayant devant lui
ses chefs ou ses grands fon ctionnaires. Il porte une longue
tunique bordee dune frange qui se termine par plusieurs
rangs de perles. Par- dessus la tunique estjete une sorte
de manteau tout convert de riches broderies. Les pieds
sont chausses de sandales a quartiers releves, exactement
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326
LE TOUR DU MONDE.
Les restes exhumes des constructions assyriennes montrent assez que chez les grands le luxe des habitations
ne le cedait pas au luxe des vetements , des chevaux
et des armes. Une particularite commune aux grands
edifices de la Babylonie et de 1'Assyrie, c'etait d'etre
eleve sur tine plate-forme massive en terres rapportees,
plus ou moins exhaussee au-dessus du sol, et dont les
faces, revetues de briques, s'inclinaient en larges gradins. Les murs exterieurs, comme ceux de l'interieur,
sont en briques sechees au soleil, et revetues d'un parement forme de plaques de basalte ou de gypse marmoriforme,sur lesquelles sent sculptes des bas-reliefs avec
leurs inscriptions ; des taureaux ou des lions a face humaine, tailles dans le granit ou l'albAtre, donnaient un
aspect monumental aux portes de l'edifice. Franchissons
LE TOUR DU MONDE.
ces larges portails que le ciseau avait charges de riches
ornements , et penetrons dans un de ces palais qui
etaient la demeure du souverain. L'interieur en devait
etre aussi imposant que magnifique. Une longue suite
de salles, aecompagnees d'une multitude de chambres et
d'appartements prives, se succedaient au loin et couvraient une immense surface. Telle de ces salles , qui
ont ete deblayees, avait au dela de cent pieds de longueur et tine largeur presque egale. Les plafonds de
ces pieces gigantesques devaient etre soutenus par des
rangees de colonnes, quoique jusqu'a present on n'en ait
rencontre que de rares vestiges. On a trouve, neanmoins
dans les deblayements de Koioundjik , des piedestaux
encore ranges dans un ordre regulier. On pent tres-probablement prendre une idee de la disposition de ces
colonnades! interieures par celle de quelques grandes habitations aetuelles des habitants sedentaires de la Mesopotamie. On voit dans quelques bas-reliefs la colonne
employee comme decoration exterieure. Les parois des
salles etaient, nous l'avons dit, revtues de tablettes de
marbres sculptees, et unepartie au moins, sinon la totalite de ces 'sculptures, etait rehaussee de vives couleurs.
A l'extremite superieure de quelques-unes des salles, la
figure coloSsale du roi etait en adoration devant le dieu
supreme, ou recevait des mains d'un ennuque la coupe
emblematique.
Plusieur's portes, toujours accompagnees de taureaux
ou de lions ailes , ou de l'image des divinites protectrices, ouvraient sur des appartements qui eux-memes
conduisaient a d'autres salles, et dans chaque salle se
reproduisaient de nouvelles sculptures. Ici l'artiste avait
represents des corteges royaux se deployant dans toute
leur variete ; ailleurs, le roi etait monte sur son char,
qu'entrainaient de toute leur vitesse de magnifiques coursiers ; ou bien encore c'etaient des files de prisonniers
enchalnes defilant devant le tame royal, ou des envoyes
strangers Venant offrir en trihut lee plus rares pro duits
de leurs cOntrees natales. Ces dernieres scenes ont un
interet particulier, soit par les costumes et l'aspect des
personnages, soit par la nature des offrandes, qui peuvent fournir d'utiles indications sur les pays et les
peuples avec lesquels l'Assyrie fut en relations selon les
epoques. Sens ce rapport, une stele pyramidale en basalte noir, aujourd'hui deposes au mush Britannique,
et dont notre musee du Louvre possede un beau moulage, est d'une grande importance (voy. p. 316). Cette
stele appartient au regne du troisime Salmanasar. Partout dans ces palais le pied foulait des dalles de marbre
blanc pareilles aux revetements des murailles, et toutes
couvertes d'ornements ou d'inscriptions cuneiformes.
Les plafonds, formes de Bois precieux, etaient divises en
caissons mottles et sculptes, oh les incrustations d'or et
d'ivoire se inlaient aux representations peintes de flours
et d'animatix. Au total, l'ensemble de ces vastes constructions, 'autant qu'on peut se les figurer par les indices
spars et quelques descriptions anciennes, devait presenter, a l'interieur aussi hien quo dans son developpement
exterieur, un aspect grandiose et reellement imposant.
327
328
LE TOUR DU MONDE
Khorsabad. Palais du roi Sargon. Personnage ails (masse du Louvre). Dessin de Latenacci.
On n'a jusqu'a pi esent trouve que deux statues proprernent Bites en Assyrie : l'une, assise et tres-rnutilee, dans les ruines de Kalah-Cherghttt ; l'autre debout,
dans un des palais de Nimrond. Celle-ci est a peu pres
de demi-grandeur naturelle : elle est taillee dans un
calcaire compacte. a Les proportions generales ne sont
LE TOUR DU MONDE.
329
ce que cette vue avail d'inexact. La parfaite ressemblance avec les plus ancieLs produits ceramiques de l'Etrurie et
des vases et des coupes trouves en IThenicie et a Ninive, de la Grece, montre d'ot't vient limitation. Cette ressem-
330
LE
TOUR DU MONDE.
tuaire antique. On en peut suivre la progression a travers l'Asie-Mineure, depuis la vallee de l'Euphrate jusqu'aux bords de regee, et de la Grece asiatique chez les
Grecs d'Europe. L'Asie Mineure, avant de passer sous
la domination perse, avait ete, durant de longs siedes, une dependance de l'empire assyrien. Le temps
a fait disparaitre a peu pres toutes les traces de la
periode assyrienne ; mais celles de l'epoque perse y
sont encore nombreuses , et l'art perse , tel qu'il se
developpa sous les Akhemenides , n'etait lui-meme
qu'une emanation de l'art assyrien. La connexion entre
les monuments de la periode perse en Asie Mineure et
les formes archalques de l'art grec, est aujourd'hui bien
reconnue.
Objets divers en bronze, en argue, en pierres fines,
en ivoire, etc.
font preuve d'une habilete rnanuelle dont on a quelquefois lieu d'tre etonne. C'est encore un trait commun
entre eux et les Pgyptiens, dans les tombeaux desquels
on a trouve des armes, des bijoux et d'autres objets qui
datent de douze a quinze cents ans avant Pere chretienne.
et dont la perfection est merveilleuse.
Les Assyriens connaissaient le verre et diverses
especes d'emaux, Es savaient cuire Pargile pour en
fabriquer soit des briques, soit des vases et des poteries
d'une pate plus ou moins fine. La brique etait d'un immense usage, en Assyrie comme a Babylone, pour la
construction et l'ornementation ainsi que pour d'autres
applications. C'etait sur des carres en briques ou sur
des cylindres polygones que l'on inscrivait, nous l'avons
vu, soit au moyen d'empreintes, soit avec des poincons
sur la tablette encore molle, les choses dont on
voulait conserver le souvenir. Les Assyriens
quaient aussi sur les briques employees dans les constructions interieures des dessins en couleurs variees
d'un effet assez semblable aux ornements etrusques.
Leurs poteries ne manquent ni de goat ni d'elegance,
une branche distinguee de l'industrie assyrienne appliquee a la fonte et au travail des metaux. Es savaient
egalement sculpter l'ivoire et graver sur diverses sortes
de pierres fines.
La thdogonie et le culte.
Les donnees nouvelles qui se tirent soit des inscriptions, soit des representations figurees pour la connaissance du pantheon assyro-babylonien, des symboles
theogoniques et des ceremonies du culte sont, des a present, nombreuses. Neanmoins, quoique les recentes
decouvertes aient deja donne lieu a des recherches et a
des travaux importants, le sujet est hien loin encore
d'avoir ete creuse a fond. Les symboles les plus frequents qui se rencontrent dans les bas-reliefs et dans
les sculptures deCoratives, independamment des taureaux et des lions a tete humaine, sont des personnages a
tete d'epervier ou a corps de poisson, des genies ailes, une
sorte d'Hercule etouffant un lion dans ses bras. Deux
ernblemes tres-frequemment reproduits sont la pomme
de pin et une sorte de panier a apse, qu'un personnage
symbolique tient de chaque main. Chez les Assyriens
331
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
332
des peuples de toutes les langues ; roi de quatre regions, roi de tous les rois, seigneur des seigneurs, mat-
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334
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Sur la poitrine d'une statue du dieu Nebo (la divinite
supreme de Babylone et de Ninive), trouvee a Nimroeid
en 1854, on a lu une inscription que nous ne saurions
omettre. Cette inscription est une dedicate de la statue
Phalloukha, roi d'Assyrie, et a son spouse imperiale
Sammouramit, reine du palais. u Ce Phalloukha, par la
correspondance des dates (une autre inscription le designe comme petit-fils du roi Salmanasar de la stele mentionnee tout a l'heure), n'est pas different du Phoul dont
la Bible rapporte une double expedition en Syrie et en
Israel a dix ans d'intervalle, vers 774 et 764; mais ce
qui eveille surtout notre vif interet, c'est de retrouver
ici le grand nom de Semiramis, non la Semiramis
legendaire de Ctesias et des traditions niedes, qui se perd
dans la nuit des origines, mais la Semiramis d'Herodote, la seule qui ait un caractere reellement historique, Celle qui fit executer les premiers embellissements
de Babylone. L'epoque oil les indications prcises de
l'historien place cette reine fameuse (cinq generations
avant la mere du prince sous lequel Babylone fut prise
par Cyrus) conduit en ellet
precisement au temps de
Phalloukha.
Au milieu de la splendeur que revelent les vastes
constructions des princes qui
regnerent dans les trois siecies compris entre le grand
Tiglath-Pileser et l'epoux de
Semiramis, quand les rois
d'Assyrie regnant sur toute
l'Asie occidentale, que la Babylonie, la Medie, la Mesopotamie, l'Armenie, la Syrie, et l'Egypte elle-mme,
sont des provinces de l'empire de Ninive ou ses tributaires, qui aurait pu prevoir que cette grandeur allait
s'abimer dans une terrible catastrophe? Le jour marque
par la ruine de I'empire etait proche, cependant ; la
chute fut aussi soudaine que l'elevation avait etc rapide.
Les historiens nous en font connaltre la cause. La
Medie et la Babylonie, soutenues par le roi de la Bactriane, se liguerent pour reconquerir leur independance.
Ninive fut prise, nous le savons, en l'annee 747, et le
roi regnant (que Ctesias nomme Sardanapal) se donna
la mort sur un beicher. L'Assyrie, comme royaume, fut
reduite a ses anciennes limites, et la famille regnante
qui succomba dans cette revolution fit place a une nouvelle dynastie.
BientOt, cependant, on voit les princes de cette dynastie nouvelle reconquerir pied a pied la preponderance que Ninive avait perdue dans la revolution de 747.
Ici les inscriptions trouvees dans les explorations de
M. Botta et de M. Layard confirment et completent celles
qui se tirent des livres saints. Salmanasar, qui prit Samaria en 721 et emmena les dix tribus en captivite, est
le deuxieme roi de la nouveile monarchie. Son successeur,
335
Sargon, bath la ville et le palais retrouves sous le tumulus de Khorsabad. Ce fut un prince guerrier et conquerant. On a de lui une inscription d'une grande importance historique. Sauf la Medie, tous les anciens pays
soumis a l'Assyrie, la Babylonie elle-meme, sont retomhes sous sa dependance. Le fils de Sargon, Sennakherib, se montre le digne heritier de son pore. Il fait aussi
une expedition en Syrie, expedition a laquelle on croit
pouvoir rapporter le bas-relief assyrien qu'on voit
sculpts pres de l'embouchure de Nahr-el-Kelb, un peu
au nord de BeIrouth, sur les rochers de la cote phenicienne, a cite d'une tablette de Sesostris que le temps a
presque effacee. Le palais deblaye par M. Layard
KoYoundA, le quartier royal de Ninive, fut commence
par ce prince et acheve par son fils Sardanapal. C'est
un des plus beaux restes de Yarchitecture assyrienne.
On y lit, dans une des inscriptions de Sennakherib J'ai
agrandi tous les edifices de Ninive, ma royale cite. J'ai
reconstruit ses rues anciennes, j'ai elargi les plus etroites, j'ai fait de la ville entiere une cite brillante comme
le soled. C'est dans une
des salles de son palais qu'a
etc trouvee la precieuse collection de briques couvertes
de memorials et de documents cuneiformes, qu'on a
qualifies tout a la fois d'archives et de bibliotheque.
La fatalite qui, une fois
dej a, avail frappe l'ancienne
monarchie ninivite dans le
temps memo oh une suite
de regnes glorieux semblait
avoir assis sa puissance sur
d'inebranlables bases, cette
fatalite va l'atteindre encore,
et d'un coup bien autrement
funeste, au moment oil de nombreuses victoires ont
rendu a l'empire l'eclat des anciens jours. C'est quand
Sennakherib et son fils Sardanapal se glorifient d'avoir
fait de Ninive' une cite resplendissante, que la grande
capitale va tomber une seconde fois, ensevelie sous ses
ruines, devant la nouvelle coalition des rois de Medie
et de Babylone. Cet immense desas tre, qui changea la
face de l'Asie, n'est rapporte sur aucun monument
connu : ce sont les restes a demi-consumes de la ville de
Sennakherib qui seuls nous racontent aujourd'hui la
catastrophe. Et par un singulier accord, qui semblerait
inexplicable si nous ne savions combien d'ecrivains ont
peri clans le naufrage de Pantiquite, un des plus grands
evenements de l'hismire n'y a pour ainsi dire pas laisse
de trace. La plupart des historiens semblent avoir confondu la seconde prise de Ninive en 608 avec la chute
du premier empire en 747.
La geographie des inscriptions cuneiformes.
Nous ne pouvons terminer cat expose des .faits nouveaux que les explorations de l'Assyrie, de la Babylonie
336
LE TOUR DU MONDE.
et de la Perse ont donne a l'histoire, sans jeter un regard sur le cote geographique de ces decouvertes. Ce
cOte est important deja. ; it doit le devenir bien plus encm e. Si tousles noms geographiques que les inscriptions
renferment pouvaient etre identifies et fixes a leur vraie
place, nous aurions des a present la carte restituee de
l'Asie occidentale pour les temps compris entre le
dixieme siecle et l'epoque d'Herodote, avec ses villes,
ses rivieres, ses nombreuses tribus, ses nations et ses
Etats. Bien des noms restent maintenant inexpliques;
beaucoup cependant se reconnaissent dj d'une maniere probable, quelques-uns d'une maniere tout h fait
certaine. Aucune etude serieuse, sur cette branche dif-
VIVIEN DE SAINTMARTIN.
LE TOUR DU MONDE.
337
potence, le couple anglais dut faire verifier ses passeports. a Si peu de temps que prit cette formalite, dit
Mme Atkinson, ce moment suffit pour evoquer dans nos
souvenirs les lamentables fanteunes des nombreux proscrits pour lesquels cette barriere avait 6te la premiere
etape de l'exil; les uns accuses des plus grands crimes,
les autres des plus minces delits, beaucoup simples victimes des caprices, de la brutalite on des terreurs d'un
maitre, beaucoup aussi martyrs d'une foi herolque.
a Pendant notre court sefrour a Moscou, les families de
quelques deportes, sachant notre dessein de visiter prochainement des contrees oei leurs peres, leurs marls et
leurs frres geinissaient detenus depuis de longues annees, avaient cherche a lien des relations avec nous. Gila22
338
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
neau et son contenu droit sur le bord du precipice. Mais
avant que je pusse calculer le danger, les sauvages animaux m'emportaient dans une direction opposee, entralnant mon leger vehicule deca dela, sur les asperites du
sol comme la queue d'un cerf-volant.
Parmi les perils d'une autre nature semes sur les
routes de la Siberie, je signalerai les superstitions brutales des vieux paysans, premiers colons de ce pays.
Dans une cabane on nous vinmes un soir demander
l'hospitalite pour la nuit, deux voyageurs avaient et
peu auparavant egorges a coups de hache pendant leur
sommeil par le proprietaire de cette demeure ecartee,
pousse irresistiblement a ce crime
par la simple vue
d'un repas de vian_
des froides pris par
ses hOtes dans la
nuit du vendredi
au samedi. Sa conscience n'avait pu
tolerer un tel scandale sous son toit,
et la mort seule des
coupables lui avail
paru capable de
l'expier.
Mais laissons les
terres russes ,
d'autres voyageurs
nous ont cleja conduits, on d'autres
nous rameneront
prochainement.
C'est au sud des
linnites qui les se- 4rrfr
parent des possessions chinoises que
nous devons suivre
M. Atkinson.
I
Le pays des Kalkas.
Ancienne Mongolie.
341
avoir la main ferme, l'ceil prompt et l'habitude des armes, si l'on veut se garantir de tout ante de violence.
Le pillage est le droit commun du desert, et, ce qui est
pis, le voyageur qui succombe .; s'il n'est pas mis a
mort, est destine a subir une captivite certaine.
Mon escorte se composait de trois Cosaques, braves
et honnetes compagnons qui eussent affronte tous les
dangers. Puissent-ils vivre longtemps et heureux sur
le coin de terre qu'ils habitent au pied du Kourtchoum ! Je leur adjoignis Sept Kalmoucks, forts et robustes chasseurs, habitues a la penible vie des montagnes. J'avais une provision suffisante de poudre et
de plomb , ainsi
qu'une collection de
huitcarabines. Mes
Kalmoucks avaient
les cheveux coupes
ras a. l'exception
d'une touffe sur le
kommet de la tete,
reunie en une Ion, gue tresse qui leur
pendait sur le dos et
leur communiquait
un exterieur tout a
fait chinois. De fait,
ils pouvaient etre
consideres cornme des sujets chinois. Malheureusement pour eux, la
Russie les contraint
aussi a lui payer
une taxe.
Le chef de ma petite troupe de Kalmoucks se nommait
Tchuck-a-boi. C'etait un fort et puissant individu, d'une
belle et male contenance ; au front massif et aux grands
yeux noirs. Il etait
vetu d'un manteau de peau de
cheval serre autour de la taille a l'aide d'une large
echarpe rouge. Quand le temps etait chaud it Otait ses
bras des manches de son manteau qu'il attachait alors h
la ceinture. Ce vetement lui retombait autour du corps
en plis magnifiques qui donnaient tout son relief a son
port plein de fierte, a ses mouvements pittoresques, et
imprimait un grand effet a sa figure herculeenne.
etait ne pour etre chef; son excellente nature en faisait de plus un compagnon de route tres-agreable. II
m'accompagna durant un grand nombre de mes jours
de peine et de fatigue, supportant la faim et la soif sans
laisser echapper un murmure.
342
LE TOUR DU MONDE.
343
LE TOUR DU MONDE.
apres notre depart du San-gbin-dalai , nous descendiens arse vallee etroite tapissee d'un riche gazon que
nos chevaux flairaient avec deices. Plusieurs chameaux
etaient a paitre apeu de distance, et derriere eux,
une assez grande distance, on entrevoyait des yourtes,
spectacle fort agreable pour tout notre monde. Dans le
lointain, on decouvrait aussi des chevaux paturant dans
des vallons herbeux au dela des yourtes, de name qu'un
gros troupeau de moutons dans le voisinage des chevaux.
Cette vue nous fit hater le pas de nos montures vers
Paoul des Kalkas. A notre approche, deux hommes monterent a cheval et vinrent a notre rencontre , ce qui indiquait de leur part une mission pacifique. Quand notre
escorte les out rejoints, une conversation animee s'engagea entre eux et Tchuck-a-boi, apres quoi l'un retourna
vers ses gens tandis que l'autre restait pour nous accompagner. Un moment plus tard, nous vimes trois autres
Kalkas versant au-devant de nous; Es avaient l'ordre de
nous guider vers l' aoul. A notre arrivee, un homme age
prit les reties de mon cheval et m'offrit la main pour
m'aider h descendre, puis it me conduisit h son habitation oil se trouvaient deux femmes et quatre enfants.
C'etait Arabdan, le chef de Paoul , qui me recevait et
se disposait h exercer l'hospitalite en ma favour en me
presentant une tasse de the puisee dans une large bouilloire en fer. Le the etait melange avec ,du lait, du
beurre, du sel et de la farine, ce qui lui donnait l'apparence d'une soupe epaisse mais non desagreable. Les
Cosaques et les Kalmoucks furent admis a partager ce
breuvage. Pendant que j'en buvais ma part, je pus
examiner notre hOte. C'etait un homme grand et mince,
age de quelque chose comme cinquante ou soixante ans,
d'une physionomie brune, les os des joues saillants,
les yeux noirs, le nez preeminent et la barbe chetive.
11 etait vetu d'un long kalat de soie d'un bleu tirant sur
le noir , boutonne sur la poitrine. Autour de sa taille ,
etait attachee, h l'aide d'une boucle d'argent, une ceinture
laquelle pendaient un couteau, un caillou et un morceau d'acier destine h servir de briquet. Son chapeau
avait la forme d'un casque; it etait de soie noire , erne
de velours noir et pourvu de deux larges rubans rouges
pendant sur le dos de leur proprietaire. Une paire de
bottes a hauts talons, de couleur garance, completaient
le costume du chef. L'une des femmes portait un kalat
de soie rouge et verte, l'autre une robe de velours noir ;
toutes les deux avaient aussi autour de la taille une large
ceinture rouge. Leurs chapeaux etaient semblables.
Elles avaient les cheveux tresses et flottant sur les
epaules en une multitude de petites tresses dont quelques-unes etaient ornees de grains de corail; bijoux
tres-apprecies par les beautes mongoles. Elles portaient
des bottines tres-courtes , a tres-hauts talons et en cuir
rouge qui les empechaient de marcher a l'aise et avec
agrement. Quant aux enfants, ils n'taient point surcharges d'habits, mais pour suppleer au manque de
ceux-ci , ils avaient ete se rouler sur le bord d'une mare
fangeuse qui les avait enduits d'une couche d'ocre rougeatre contrastant avec lour chevelure d'un noir de jais.
344
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
346
une teinte nuageuse. Je m'empressai d'esquisser ce paysage si extraordinaire avec ses lacs, ses montagnes et
ses plaines onduleuses. Ces dernieres ont un caractere
different de tout ce qu'on trouve en Europe en ce genre
elles ont du offrir un grand spectacle quand les hordes
innombrables de Tchinkis et de ses fils les traverserent
en armes. A cette heure , ce n'etait plus qu'une solitude , sans un etre vivant ni une demeure humaine.
La colline sur laquelle j'etais debout etait de granit
d'un rouge sombre, a arates inegales et brisees. D'epaisses veines de quartz rose -traversaient les rochers,
courant en lignes paralleles sur une etendue de deux
milles ; une immense cay enne, ayant pour portique des
montants de cette memo roche a demi transparente et
d'une belle couleur rosee, s'ouvrait derriere moi et formait comme un cadre merveilleux au paysage qui se deroulait sous mes yeux (voy. p. 352). Ayant termin
mon esquisse, nous continuames d'avancer le long de
la crate de la montagne, puis une vallee etroite nous
conduisit sur les bonds de la Tess. Il nous fallut deux
heures pour l'atteindre, h un endroit oil elle a l'aspect
d'un torrent large et rapide, courant parmi des rochers
Cleves, avec des arhres et des hroussailles dans chaque
crevasse. Un peu avant la tombee du jour nous campames dans une petite vallee herbeuse, non loin de la riviere. Un Cosaque , Tchek-a-boi et un Kalmouck que
j'avais envoyes a la chasse, revinrent h la nuit close avec
un magnifique claim tue par le Kalmouck. Notre feu venait d'tre allum , et entoure de pieux destines a griller
la venaison; mais je m'endormis, sans attendre memo
que le repas fat prepare.
La nuit etait belle, le ciel convert d'etoiles scintillantes , et pas un son n'interrompait le petillement -de
notre feu. On s'etait arrange avec les chevaux de maniere
h ce qu'ils ne pussent s'ecarter bien loin. La phipart
d'entre nous dormaient, quand un hurlement soudain
retentit h quelque distance. Les Cosaques et les Kalkas
furent sur pied en un instant. C'etait une bande de loups
qui suivaient nos traces : un hurlement, repete de temps
autre dans le lointain, pouvait servir a mesurer l'espace
qui nous separait d'eux. Les hommes s'elancerent autour
de moi, afin de rassembler les chevaux ; puis on les mit en
sarete entre nous et les eaux du lac. Nous possedions
sept carabines et mon fusil a deux coups que je chargeai
a balle, a rintention de ces radeurs voraces, pour le cas
ou ils s'aventureraient jusque sous notre feu, ce quo
les Kalkas estimaient certain, attendu que les loups font
tres-frequemment de grands ravages parmi leurs bestiaux. Notre foyer etait presque eteint ; mais on pensa
qu'il valait mieux laisser avancer tres-pros les maraudeurs dans robscurite, avant de montrer de la lumiere,
afin d:tre a portee de les voir, et un signal donne, de
leur envoyer une &charge. Nous les entendimes de
nouveau plus pros de nous; evidemment ils flairaient
leur gibier; tout le monde se concha par terre pour surveiller leur venue. L'instant d'apres , on pouvait entendre leur course furieuse retentissant sur le sol de la
steppe. En quelques minutes, la bande arriva et poussa
LE .TOUR DU MONDE.
un hurlement farouche. Alors nos gens jeterent un peu
de broussailles sur les braises du foyer, qui, s'enflammant aussitht, lancerent devant nous un jet rouge sur les
oreilles et le poil herisse de nos ennemis dont les yeux
flamboyaient. Alors aussi, je donnai le signal de tirer,
et notre decharge eut un effet terrible. Le hurlement qui
suivit temoigna que nos balles avaient porte. Nos armes
furent rechargees avec autant de celerite que possible.
Les Kalkas nous avaient prevenus que les lays reviendraient. On les entendait gronder; plusieurs, grievement
blesses, hurlaient encore, mais trop loin pour que nous
pussions risquer une nouvelle decharge. On Oteignit le
feu et chacun resta tranquille.
Mais les loups ne nous laissrent pas longtemps
ignorer leurs intentions. Bientat une grande agitation
se manifesta parmi les chevaux ; nous decouvrimes que
la bande s'etait divisee et qu'elle dirigeait sur nos betes
une double attaque , entre nous et le bord de Feau.
Les Kalkas et les Kalmoucks coururent aux chevaux en
poussant les hauts cris , ce qui engagea les loups 4 reculer. 11 devenait necessaire de veiller sur les chevaux
de trois ekes h la fois, car nous entendions nos feroces
ennemis tout pres de nous, et nos gens me predisaient
qu'ils allaient faire irruption, quo les chevaux briseraient
leurs liens, et que les loups pourraient alors les poursuivre a travers la steppe ; si cet accident arrivait, le
matin nous trouverait sans chevaux; ceux qui n'auraient
pas succombe seraient disperses au loin. Un Cosaque et
un Kalmouck allerent done gander les approches de nos
flancs, tandis que je veillais moi-memo sur le front de
notre camp. On ralluma du feu, que les Kalkas maintinrent toujours flambant, en y jetant des broussailles, ce
qui nous permettait de voir nos sauvages agresseurs.
Je pouvais distinguer leurs prunelles eclatantes se rap-.
prochant de plus en plus de nous; bientOt j'apercus leurs
ombres gristres se poussant Tune sur l'autre. En ce
moment, plusieurs carabines retentirent h ma droite, et
le sillon de lumiere que leur explosion traca dans la nuit
me permit de visor un loup que j'avais en flanc. J'envoyai mon second coup dans la bande, et plus chin ennemi sans doute fut atteint, car un concert de hurlements
s'eleva dans cette direction. Puis un silence absolu
succeda a la fusillade, et l'on n'entendit plus que le hennissement des chevaux. Les Kalkas et les Kalmoucks
m'assurerent toutefois que les loups tenteraient une attaque nouvelle, et insisterent pour que chacun continuat
de veiller a son poste.
Pour surcroit de difficulte, nous n'avions plus que trespeu de broussailles, et it n'y en avait pas dans le voisinage, aussi n'etait-ce qu'au moyen d'une surveillance de
plus en plus vigilante que nous pouvions sauver nos
chevaux. La nuit devenait epaisse; on n'apercevait rien,
meme a une tres-courte distance, sinon du cote du lac,
ou l'on pouvait percevoir obscurement les objets sur
l'eau , a travers une faible lueur. Nos regards avides et
percants scrutaient les alentours dans toutes les directions; nulle part on ne pouvait voir ni entendre quoi que
ce fat ayant apparence de loup.
347
348
LE TOUR DU MONDE.
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350
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
dans la direction du nord ; on apercevait a une grande
distance trois ilots presque a fleur d'eau. L'extremite
nord du lac etait invisible, car la rive est tres-plate ; une
parfie de son contour apparaissait a rouest, puis disparaissait en une ligne imperceptible dans le lointain.
Pendant que j'esquissais ce tableau, je fus temoin de
la formation d'un ouragan au-dessus des eaux. Il venait
du nord droit a nous. Les Cosaques et Tchuck-a-boi allrent mettle les chevaux h l'abri derriere les roseaux,
laissant deux de leurs compagnons auprs de moi. La
tempete arrivait avec une rapidite furieuse, lancant d'enormes vagues dans l'espace et abattant la vegetation
sur son passage. On voyait un long sillon blanc s'avancer
sur le lac. Quand it fut h une demi-verste, nous l'entendimes rugir. Mes gens me pressaient de m'eloigner;
je pris mes esqnisses et autres objets, puis je courus
rejoindre le gros de la troupe sous les roseaux. J'arrivais a peine a rentree de ce rempart mouvant, que l'oules buissons et les
ragan eclata, courbant jusqu'a
roseaux. Lorsqu'il entra clansles
les sables de la steppe, it
se mit a tourbillonner circulairement, enlevant des monticules entiers dans l'espace, 'en elevant d'autres la
it n'y en avait pas ; etait aise de comprendre maintenant a quoi etaient clues nos pretendues tombelles.
Cette tempete fut de courte duree ; en un quart
d'heure elle etait finie et tout etait redevenu calme
comma auparavant.
Rien n'est plus dangereux que d'tre surpris en plaine
par cette espece de typhon. J'en ai vu plus tard descendre des montagnes ou s'elever du fond d'une gorge profonde, sous la forme d'une masse noire, compacte, d'un
diametre de mille metres et plus, qui s'elance sur la
steppe avec la rapidite d'un choral de course. Tous les
animaux, domestiques ou sauvages, fuient epouvantes
devant elle ; car une fois enveloppes dans sa sphere
d'action, ils sont infailliblement perdus. Du reste je n'ai
vu aucun de ces effrayants meteores durer plus de quelques minutes.
Le jour et la nuit s'ecoulerent, puis une autre nuit;
les teintes rosees du matin annoncaient un lever de soleil brillant et un beau jour. En jetant les yeux autour
de moi, je remarquai que toutes les carabines avaient
ate nettoyees en prevision d'une journee de chasse ; des
traces de sangliers et d'autre gibier avaient eta apercues
la veille. Notre dejeuner fut bientOt termin et nos autres arrangements pris ; it fut decide que quatre hommes
resteraient au campement, dont deux acmes de carabines, pour le cas ou les Kirghis nous decouvritaient,
tandis que six d'entre nous, armes egalement de carabines, puis tin Kalmouck portant mon fusil 'a deux coups,
me suivraient h la recherche des sangliers. Le soleil
etait sur rhorizon depuis environ une heure , quand
nous traversames la vallee dans la direction oh les Cosaques avaient vu les traces du gibier. En face de
nous , etait un epais mlange de bruyere peu levee et
d'herbe haute ; aussitet que nous y fumes entres, plusieurs sangliers sortirent de leur bauge. Le Inouyewent de l'herbe froissee nous mettait a memo de les
351
LE TOUR DU MONDE.
journee, it Int decide qu'on accorderait quelque repos a
nos chevaux, et que pendant cetemps-la on dinerait, afin
de continuer ensuite notre voyage.
La vallee que je voulais remonter s'etait retrecie
progressivement. Desirant jeter un coup d'ceil sur le
pays ; je gravis une des hauteurs qui,la resserraient, accompagne d'un Cosaque et de Tchuck-a-boi. De son so:nmet, la vue pouvait s'etendre sur une grande partie du
desert de Sarkha, et je m'assurai qu'il n'existe pas de
grand Altai, mais settlement a sa place une chaine de
hauteurs courant, au sud, se perdre dans le desert de
Gobi. Tout en examinant le pays, j'apercus
l'est, a une grande distance, une colonne de
fumee. Elle n p, pouvait
indiquer la presence des
Kirghis, qui sont plus
loin a l'ouest; je me figurais difticilement qu'il
put exister des Kalkas
dans cette direction;
mais comme on distillguait au moins deux ou
trois feux, it fallait Lien
qu'il y eut la quelqu'un.
Nous continuames de
suivre la crete des collines pendant l'espace de
plusieurs verstes, jetant
de temps a autre un regard sur les colonnes
de fumee. Nous finimes par renconti er un
chemin battu, la route
des caravanes qui traverse le desert de Gobi.
Cela nous donna l'explication de la fumee :
une caravane avait fait
halte la nuit precedente
en cat endroit. De notre position elevee, nous avions aussi en perspective
brillant sous les deriders rayons du
soleil couchant. Un autre lac d'une etendue considerable
apparaissait encore non loin des foyers de la caravane.
Nous redescendimes dans la vallee afin de rejoindre nos
compagnons , dans l'intention de camper au premier
endroit favorable. L'un des Cosaques, envoye en eclaireur quelque temps auparavant, revint bientOt annoncer qu'il avait trouve un campement convenable pour y
passer la nuit.
11 devenait tout a fait necessaire d'avoir Pceil au guet,
car nous approchions des nomades ; or ceus de ce district sont assez mal fames. Cependant rien n'annoncait
leur presence dans le voisinage ; mais les Cosaques et
les Kalmoucks etaient d'avis qu'ils avaient pu apercevoir
la fumee de nos feux. On envoya les chevaux paitre jusqu'a la unit, puis on les attacha pros de nous, et deux
sentinelles, qu'on devait relever toutes les deux heures,
farad commises a leur garde. C'etait une precaution
tres-importante, a laquelle chaque homme de notre
petite troupe etait profond4ment interesse, car it tait
parfaitement sur que si nous perdions nos chevaux, nos
ennemis auraient bon
marche de nous.
La unit pourtant s'ecoula tranquillement, et
une brillante matinee
annonca une chaude
journee.
Apres avoir examine
ma carte, je me determinai a marcher encore un jour ou deux
dans la direction du
sud, puis alors de prendra a l'ouest, afin de
gagner la. riviere Ourangour ; j'entrarais ainsi
clans le desert de Gobi,
au nord de la grande
chaine du a Thian-Chan a
de nos cartes, un nom
tout a fait inconnu des
indigenes, qui nomment
ces a SyanShan, a appellation que
je prendrai la liberte de
leur conserver. C'est la
plus haute chaine de l'Asie central e, et sur son
axe s'eleve Pe9rayante
masse du a Bogda-Oola a
et les cimes volcaniques
du Pe-Shan et du Ho-Theou, trois huts de mon excursion
dans ces lugubres contrees. J'avais inurement pese le
danger avant de l'affronter, et j'avais pris ma determination sans egard aux fatigues ni aux difticultes; la peur
des brigands ne m'aurait empeche a aucun prix d'esquisser ces sommites qu'aucun enrol:teen n'avait encore ent revues. Je voulais aussi obtenir des informations
geographiques dont les voyageurs futurs reconnaltront
l'exactitude, j'en Buis persuade.
Pour extrait et traductioa : F. DE LANOYE.
(La suite d la prochaine litraison.)
LE TOUR DU MONDE.
353
La Tartarie chinoise. Le berceau des invasions. Volcans. Tribus de Kirghis. Sultans et bandits.
179' Irv.
13
354
LE TOUR DU MONDE,
LE TOUR DU MONDE.
nous guida vers une grande yourte devant la porte de
laquelle une lance Malt enfoncee en terre ; la moitie de la
criniere d'un cheval flottait suspendue au-dessous de sa
pointe brillante. La se tenait un homme d'un exterieur
respectable ; it prit les relies de mon cheval, me donna
la main pour descendre et m'introduisit dans la yourte.
C'etait le sultan Baspasihan ; it me souhaita la bienvenue dans sa demeure. Homme de haute taille , au
visage vermeil, vetu d'un kalat de velours noir horde de
zibeline , it portait un chale cramoisi en guise de ceinture ; un chapeau rouge de forme conique et garni de
peau de renard lui couvrait la tete; la plume de hibou
dont 11 etait surmonte temoignait que le sultan descendait
de Tchenkis-Khan ; it avait fait etendre sur le sol
tapis de Bokhara, sur lequel it me fit asseoir, apres quoi
it s'assit lui-meme en face de moi. Je l'invitai a se mettre a mon cote, ce qu'il accepta avec une satisfaction
evidente. Au bout de quelques minutes, deux jeunes
garcons entrerent , apportant du the et des fruits. Es
etaient vetus de kalats de soie rayee, coiffes de chapeaux de peau de renard et ceints de shales verts. C'etaient les fils du sultan. La sultane etait absente, ayant
(Re faire une visite h l'aoul d'un autre chef, eloigne de
deux journees.
La yourte etait tres-vaste : d'un cote, des rideaux de
soie servaieut a isoler un coin servant de chambre h
toucher, mais oil it n'y avait pas de lit. Pres de l un
bearcoote z ou puissant aigle noir etait enchaine sur
un perchoir, en compagnie d'un faucon.
J'ai remarque que toutes les personnes qui entraient
dans la yourte se tenaient a une distance respectueuse
du monarque emplume. De l'autre cote etaient deux
chevaux et deux agneaux enfermes dans une sorte de
part etroit. 11 y avail derriere moi une pile de boites et
de tapis de Bokhara, puis un grand sac a koumis soigneusement protege par un voilock. Entre moi et la porte
etaient assis huit ou dix Kirghis analysant chacun de mes
actes avec une attention profonde; en dehors de la porte,
on distinguait un groupe de femmes dont les petits yeux
noirs etaient ardemment fixes sur Petranger. La conversation s'tait engagee entre le sultan, un Cosaque et
Tchuck-a-boi. Aux regards scrutateurs du sultan, je
m'apercus aussitOt que j ren etais l'objet. Ma jaquette de
chasse, mes bottes longues et mon chapeau de feutre
pretaient h Pintert; mais mon ceinturon et mes pistolets
exercaient surtout une vive attraction.
Le sultan desirait les examiner. Apres avoir prealablement Ote les capsules, je lui en tendis un; it le retourna
dans tons les sens, regarda dans les canons. Cela ne le
satisfit point ; it voulut les voir &charger, offrant un
chevreau pour cible et s'imaginant probablement qu'une
arme si courte ne produirait aucun effet. Je refusai son
chevreau, mais, dechirant une feuille de mon album,
je fis une marque au centre et je la donnai h un Cosaque; celui-ci comprit mon intention, fendit l'extremite
d'un baton, y insra le morceau de papier, s'eloigna, et
ficha le baton en terre a une certaine distance. Le sultan se leva, et tout le monde quitta la tente; je le suivis
355
et me dirigeai vers la cible. Sachant que nous nous trouvions au milieu d'une horde sans frein ni loi, j'avais
resolu de Ieur faire voir que ces petits instruments euxmemos etaient dangereux. Arrive h. quinze pas, je me
retournai pour armer mon pistolet, puis ayant fait feu,
je trouai le morceau de papier. Le sultan ainsi que ses
gens etaient evidemment persuades que c'etait la un
tour d'escarnotage ; it dit quelque chose h son fils, qui
aussitOt courut a la yourte et en rapporta h son pere
une coupe de bois d'origine chinoise ; elle fut placae a
l'extremite superieure du mme baton , de la propre
main du sultan, et quand it fut de retour h mon cote,
je la traversai d'une balle. On examina le trou avec un
grand soin; un Kirghis se placa la coupe sur la tete afin
de voir si le trou marquerait sur son crane. Ceci etait
assez significatif.
Les gens au milieu desquels nous nous trouvions inspiraient une terreur profonde a toutes les tribus environnantes. Bref, c'etaient des Outlaws en pleine revoile contre l'autorit de la Chine et qui vivaient de
depredations.
En jetant les yeux autour de moi, je vis qu'une bande
de gaillards audacieux surveillaient mes mouvments ;
je vis aussi que le mouton gras avait ete tue , et que
l'heure du repas allait venir.
Deux cuisiniers aux bras musculeux ecumaient la
chaudiere bouillante ; d'autres preparatifs etaient en
train; tout alentour des groupes d'hommes, de femmes et d'enfants etaient assis en attendant la curee.
Comme un banquet kirghis est un evenement peu ordinaire pour un Europeen , je vais essayer de decrire
celui que m'offrit le sultan Baspasihan. Les convives
etaient beaucoup trop nombreux pour qu'il pet avoir
lieu dans la yourte du, sultan. Un tapis de Bokhara fut
etendu h Pentree. Baspasihan m'y fit asseoir et prit
place aupres de moi. On laissa un espace vide en face
du sultan ; les invites s'assirent en cercle autour de cet
espace, les plus Ages ou les plus considerables de la
tribu pres du maitre, au nombre de plus de cinquante,
hommes, femmes et enfants. Les garcons se tenaient
derriere les hommes; les femmes et les jeunes filles occupaient la derniere place; je ne compte pas les chiens
qui, places a quelque distance, avaient l'air de s'interesser a la fte autant que les bimanes.
.Quand tout le monde fut pret, deux hommes entrerent
dans Pinterieur du cercle, portant un vase de fer fumant
ayant l'apparence d'une cafetiere. L'un s'approcha du
sultan, l'autre de ma personne. Es nous verserent de
l'eau chaude sur les mains; mais ici chaque convive doit
etre pourvu de sa serviette. La memo ceremonie se repeta
pour chaque homme, depuis le sultan jusqu'au pasteur
de ses troupeaux. On laissa les femmes et les jeunes filles
s'acquitter elles-memes de cette besogne. Les ablutions
terminees, les cuisiniers apportrent des vases exhalant
une fumee epaisse : c'etaient de longues auges de bois
semblables a celles dont se servent les bouchers de Londres et dans lesquelles des quartiers de mouton bOuilli
etaient empiles les uns sur les autres. L'un des vases,
3.56
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
357
Quand je fus en selle, j'eus le loisir d'examiner notre cravache. En quelques minutes, je marchai de front avec
escorte. Le sultan et ses fils montaient de magnifiques l'avant - garde, cOte a cote avec l'un des gardiens de
animaux. L'alne tenait le faucon qu'on devait lancer sur l'aigle. Nous etions a deux cents metres du bearcoote
le gibier aile. Un ` Kirghis a cheval s'etait charge de quand it frappa sa proie. Le cerf fit un bond en avant et
l'aigle noir, enchaine sur un socle fixe sur la selle. Le tomba. L'aigle lui avait enfonce une serre dans le con,
bearcoote etait fort tranquille sous ses chatnes et son l'autre dans le flanc, que fouillait son bec, pour en archaperon ; deux hommes d'ailleurs avaient recu l'ordre racher le foie. Le Kirghis sauta de son cheval, jeta le
de le surveiller. Pres du sultan etaient ses trois chas- chaperon sur la tete de l'aigle, des liens autour des
seurs ou gardes, armes de leurs carabines, et autour jambes, et lui fit lather prise sans difficulte. Le gardien
de nous une bande d'environ vingt Kirghis enveloppes remonta en selle, son assistant replaca l'oiseau sur son
dans leurs kalats a couleur voyante : plus de moitie socle : it etait pret a fournir une nouvelle course. Quand
etaient armes dehaches de combat. Vus d'ensemble, nous on chasse avec l'aigle, on ne prend pas de chiens, car
formions un groupe d'une physionomie etrange, que ils periraient certainement. Les Kirghis assurent que
beaucoup, sans doute , auraient prefere regarder de leur aigle est de force a attaquer un loup et le tuer. Its
chassent le renard
loin que d'approde cette maniere et
cher de trop pres.
en prennent beauNous nous diricoup, ainsi que des
geames d'abord
presque droit
chevres sauvages et
l'est ; les trois chasautres animaux de
seurs du sultan faimoindre taille.
saient l'avant-garA quelque disde; venaient ensuite
tance de la, on aSa Hautesse et moi ;
percut une troupe
ses deux fils et les
de petites antilopes
gardiens de l'aigle
en train de paitre
nous suivaient imd an s la plaine. L'aimediatement; deux
gle s'eleva derechef
de mes gens feren tournant aumaient la marche.
de3sus de nos teUne course de trois
tes comme
heures nous mena
vant ; de meme
sur les bords d'un
aussi ii fondit corntours d'eau stame le destin sur sa
gnante herisse de
victime designee :
l'animal etait mort
roseaux et de buissons, oft le sultan
avant que nous fusesperait que nous
sions arrives justrouverions du giqu'a lui. Le bearbier.
coote ne part jaEn effet , plumais en vain ;
sieurscerfs de hau-
moms que l'animal
to taille debuchene gagne un trou
rent bientet d'un
de rocher,, comme
champ de roseaux faisant saillie dans la plaine, a peu pres
it arrive parfois aux renards, la mort est son partage
a trois cents metres de nous. A l'instant, le bearcoote certain.
fut dechaperonne et debarrasse de ses liens ; it s'elanca
J'ai vu plus tard dans les moots Alataus ces terribles
de son socle et prit son essor dans l'espace, s'elevant et accipitres, a l'etat de liberte, emporter dans leurs serres
volant circulairement au-dessus de nous ; it me faisait puissantes de jeunes argalis, ou suivre, avec la rapidite
l'effet de n'avoir pas apercu sa proie; mais je me tromde la foudre, dans leur chute fatale des argalis adultes
pais : it etait en ce moment a une hauteur considera- qu'ils avaient precipites de quelque haute paroi.
ble. Pendant une minute it parut immobile, ensuite
La journe tout entiere s'coula ainsi dans la pourbattit deux ou trois fois des ailes, puis fondit en ligne
suite et la capture de gibier de toute sorte, et il etait
droite sur sa proie. Je ne pouvais distinguer le mouve- tard lorsque nous aperciimes la fumee de l'aoul oil nous
ment de ses ailes, mais it avancait avec une vitesse ef- devions passer la nuit. On pressa les chevaux, et en peu
frayante. Il y eut un cri d'allegresse ; les gardiens de l'ai- de temps nous nous trouvames assis dans la yourte du
gle partirent au grand galop, suivis de beaucoup d'autres. sultan, oil du koumis ne tarda pas a circuler de main
Je fis tourner la tete de mon cheval et le touchai de ma en main dans de grands vases. J'avouai ma preference
358
LE TOUR DU MONDE.
pour le the, qu'on prepara aussitat; mais de la maniere que les Kirghis me regardaient boire, j'etais convaincu qu'ils me consideraient tout a fait comme un
barbare et qu'ils avaient pitie de mon goat. On apporta des plats de mouton fumant, qui se viderent
comme par enchantement. Mon impression fut qu'il
eat ate difficile de trouver des chasseurs doues d'un
meilleur appetit. La nuit vint comme le repas finissait,
et bientat chacun ronfla bruyamment.
A la pointe du jour , j'allai voir quelle etait la situation des lieux. Je vis les pies neigeux du Sian-Shan. Es
apparaissaient pales et comme des fantames au fond des
profondeurs d'un ciel bleu ; en ce moment, eclaires des
rayons du soleil levant, ils brillaient au loin comme des
rubis. Je m'assis a terre, et je restai la a les voir changer
de couleur, jusqu'a ce que tout le paysage fat illumine.
Dans mon voisinage immediat, la scene etait fort active; d'un eke, les hommes, au nombre de plus de cent,
etaient occupes atraire les juments et transportaient aux
yourtes, dans le sac a koumis, leurs seaux de cuir pleins de
lait ; tandis que les jeunes poulains eiaient attaches sur
deux lignes a des pieux enfonces dans la terre. En face
et du cote oppose, les femmes trayaient les vaches, les
brebis, les chevres ; a quelque distance derriere elles,
les chamelles allaitaient leurs petits. Autour de l'aoul,
la steppe etait pleine de vie animee. Le sultan me dit
qu'ii y avait la plus de deux mille chevaux, mille vaches
et bceufs, deux cent quatre-vingts chameaux, plus de six
mille moutons ou chevres. Les cris percants des chameaux, le beuglement des bceufs, les hennissements des
chevaux , le blement des brebis et des chevres, faisaient
un chceur pastoral tel que je n'en avais jamais entendu
en Europe.
Mon hate ne me laissa pas partir sans me faire promettre de le visiter a mon retour de Kessilbach ; je devais le trouver a l'ouest sur ma route. Il insista de
plus pour que j'emmenasse avec moi le cheval que je
inontais, magnifique animal aux muscles puissants, capable d'affronter les assauts les plus violents. Et en
effet it me fut Bien utile dans les rudes stapes que j'eus
a franchir immediatement.
Des le milieu du second jour, nous nous retrouvames
en plein desert; le gazon avait disparu pour faire place a
un desert de sable presque depourvu de vegetation. La
nature n'y etait pas morte neanmoins : nous arrivames
a un endroit ou le sol , convert de toute une moisson de tarentules , disparaissait sous leurs toiles et
leurs trous. En passant, nos chevaux ecraserent une
quantite de ces insectes venimeux. J'etais curieux de les
voir dans leurs tanieres etroites, et je descendis afin de
faire plus ample connaissance avec eux.
Je rencontrai bientOt une de leurs demeures, d'un
volume respectable et annoncant l'ceuvre d'un architecte
consomme. Je tirai un long couteau et la touchai : le proprietaire sortit, appuya un instant ses longues pattes sur
l'acier, puis rentra dans son trop . Quand les Kirghis me
virent essayer de le deterrer, ils craignirent que je ne me
fisse mordre; mais je mis un soin particulier a me tenir
LE TOUR DU MONDE.
et amis de Baspasihan, nous avait deja precedes, transmise de voix en voix.
En chemin, nous rencontrames une troupe de chevaux
derriere laquelle nous aperctImes desKirghis venant audevant de nous. Comme on allait vite des deux cotes, on
ne tarda point a se rejoindre : les Kirghis nous annoncerent qu'ils venaient de la part de leur chef, Oui-Yass,
nous souhaiter la bienvenue. On distinguait, a quelque
distance, les yourtes echelonnees sur les bords d'un lac
qui s'etendait beaucoup au dela. C'etait un tableau tresagreable apres une si terrible course. Il etait evident
clue le chef possedait de riches troupeaux et se trouvait
it la tete d'un puissant aoul.
Les Kirghis nous menerent a une yourte devant laquelle une lance surmontee d'une touffe de poils roux etait
enfoncee dans la terre; un vieillard au regard bienveillant se tenait aupres. II portait un riche kalat de soie de.
couleur jaune et cramoisie, et avait la taille ceinte d'une
echarpe verte. Son chapeau de soie, egalement de couleur cramoisie et brode d'argent, faisait l'effet d'une
calote ; it etait chausse de bottes rouges a tres-hauts
talons. C'etait Oui-Yass, qui prit les renes de mon cheval
et me tendit la main pour m'aider a descendre. Quand je
fus a terre, it me placa d'abord la main droite sur la
poitrine, puis la main gauche, apres quoi it m'introduisit dans sa yourte. Des tapis etaient etendus sur le sol
en face de la porte, du COO oppose. Il me fit asseoir
dessus et voulait s'asseoir lui-meme sur du voilock, si je
ne Pavais fait asseoir pros de moi. On apporta bientett
une theiere de cuivre , puis on deposa sur une table
basse des tasses a the chinoises avec des soucoupes, et
l'on avanca la table devant nous : on y adjoignit un bassin contenant du sucre candi et plusieurs plats garnis de
fruits exquis. Ensuite, un enfant d'environ dix-sept
ans vint s'agenouiller devant la table, versa du the et
m'en presenta une tasse, ainsi qua des fruits. Il fit la
memo chose pour mon hOte , apportant le plus grand
soin a remplir ses tasses et la theiere au fur et a mesure qu'elles se vidaient.
Des que nous fumes assis, les convives affluerent dans
la yourte. Un grand nombre etaient vetus de kalats de
soie et coiffes de chapeaux en peau de renard. L'enfant dont j'ai parle presentait le the aux hommes.
Outre les visiteurs places dans Pinterieur, un grand
nombre etaient dehors a nous considerer,, se relevant
de temps a autre afin de nous voir thus. Le costume des
gens de mon escorte avait de la ressemblance avec celui
des Kirghis de distinction; mars la difference de mon
accoutrement et du leur etait si marquee, qu'ils n'avaient jamais rien vu qui s'en rapprochat a un titre
quelconque. Je portais une jaquette de chasse a raies
vertes, un gilet raye de memo et un pantalon large,
dont, 4 vrai dire, on ne voyait pas grand'chose, car il etait
cache dans de longues bottes de chasse ; j'avais de
plus une chemise de calicot rose avec un col rabattu sur
une cravate legere, et un chapeau de feutre a larges bords
qui prenait toutes les formes. Depuis quatre ans, nul
coiffeur n'avait touch a mes cheveux ; ils pendaient en
359
Le passage d'une riche vegetation a la nudite du desert, de la scene si pleine de vie que nous avions quittee le matin a la solitude complete de la steppe, prtait
des reflexions melancoliques. La, en effet, it n'y a que
bien peu de liens communs entre les hommes; les Kirghis vivent separes de l'univers, et tout entiers absorhes par les soins de leurs troupeaux ; la plupart vieillissent et meurent sans avoir vu la face d'un homme
etranger a leur tribu.
Ce jour-la nous avons ete temoins d'un bel effet de
mirage. Un lac d'une etendue immense apparut sur la
steppe, flanque d'une ville considerable sur sa rive. De
grands arbres et de vastes forets etaient reproduits
avec tant de fidelite, qu'il etait vraiment difficile de ne
voir la qu'une illusion. Les heures succederent aux
heures; le tableau reculait devant nous, se transformant
chaque instant, jusqu'a ce qu'enfin it s'evanouit. Deux
des Cosaques et un Kalmouk qui n'avaient jamais et
temoins d'un phenomene de ce genre, ne pouvaient
croire que ces eaux, cette verdure, ces monuments ne
fussent que du sable aride.
Dans l'apres-midi du lendemain la plaine changea de
couleur dans le lointain , ce qui nous indiquait l'approche des paturages que nous cherchions. Une heure apres
nous etions en presence d'une troupe de chameaux et
d'une grande quantite de chevaux. A une verste des troupeaux, on decouvrit plusieurs hommes marchant 'a notre
36'
LE TOTJR DU MONDE.
ils m'interessaient du reste au meme degre. En c,e moment, deux jeunes garcons apporterent le the dans la
yourte ; une table basse fut posse devant moi ; j'invitai
mon hOte a s'asseoir a mon ate. Entre nous egalit
parfaite ; pour les gens de Koubaldos nous etions deux
sultans, car ils me consideraient comme le chef de ma
troupe. Le the fut servi dans de petits vases de Chine ;
du sucre candi et des fruits confits furerit egalemen.
places devant nous dans des plats de meme origine
que les vases. Mon h6te me choisit lui-meme des fruits ,
it etait fort attentif a me servir, tout en se partageant
lui-meme avec liberalite : j'imitai son exemple.
Deux Cosaques et Tchuck-a-boi etaient assis a quelque distance. Les enfants servirent aussi le the a mes
gens, ainsi qu'a, trois ou quatre Kirghis places en avant.
On leur donna du sucre candi, mais pas de fruits. Quand
nous etimes fini, les autres Kirghis priment leur part du
the. Alors Koubaldos s'enquit de ma visite, et demands
on j'allais. Je fis
repondre par un
Cosaque que j'allais
a Tchin-si, et que
je n'avais pu traverser la contree sans
offrir mes civilites
a un chef aussi re nomme que lui. J'ajoutai que j'avais
aussi l'intention de
faire une visite au
sultan Sabeck, et
de continuer de la
mon voyage vers
Tchin-si. Il s'informa si j'avais quelque chose h vendre,
et on lui repondit
que non. E s'enL4). D ' apres Atkinson.
quit alors si j'allais
acheter quelque chose*--1 Tchin-si. La reponse jock
parut l'etonner beaucoup. II desira connaitre pourquoi nous avions tant de carabines et d'armes. Ma reponse fut que c'etait pour nous defendre d'abord et afin
de tuer du gibier pour notre subsistance. Il exprima
le desir d'acheter mon pistolet, mon fusil a deux coups
et deux carabines. Le Cosaque laissa de nouveau echapper le mot jock! avec beaucoup de force. Sa demande de poudre et de balles n'obtint pas plus de
succes. Le Cosaque se tourna de mon cote et me dit :
Si nous en agissions ainsi, it essayerait de nous tuer
immediatement.
J'ouvris mon album in-folio et lui montrai quelques
esquisses coloriees. II considers une vue de yourte avec
des chameaux aux alentours et s'y interessa vivement,
mais it ne voulut pas consentir a ce que je fisse son portrait. Tandis qu'on faisait cuire deux moutons, Koubal dos parut tres desireux de me voir essayer mon fusil
deux coups. Il s'imaginait evidemment quo les deux ca-
362
LE TOUR DU MONDE.
363
LE TOUR DU MONDE.
dit que Koubaldos avait envoys un Kirghis chercher les
hommes de l'aoul pendant la nuit et qu'ils etaient en
expedition; mais elle ne savait pas oh. Elle nous dit aussi
qu'h une journee de marche vers le sud, se trouvaient
egalement un lac et des paturages ; que plus loin nous
verrions une montagne a pic pres de laquelle habitait
le sultan Sabeck. Ceci concordait avec la description
quo Baspasihan m'avait faite. Je ne pouvais douter de la
veracite de cette femme. Ainsi la Providence elle-meme
nous fournissait les informations dont nous avions besoin.
Nous reprimes le grand trot ; deux heures plus tard,
l'herbe disparut de la steppe et fit place a un desert de
sable. Le soleil &taut encore assez haut , on poussa en
avant. Trois heures s'ecoulerent encore ; on commencait h entrevoir une ligne sombre traversant la steppe.
C'etaient les buissons qui longeaient une riviere. Plusieurs monticules rocheux se montraient au nord. Au
sud, la plaine s'etendait aussi loin que les yeux pouvaient decouvrir : c'tait une region sterile et depourvue d'interet. Les chevaux commencaient h dresser les
oreilles ; ils pressentaient de l'eau dans le voisinage ;
en eflet, on atteignit une petite riviere avant que le
soleil disparut de l'horizon. Ce fut un brillant coucher
de soleil. Des vapeurs rouges sillonnaient l'horizon;
eparses h la fois dans l'espace et sur la steppe, elles
jetaient un voile obscur sur la ligne qui separait la terre
du ciel. Des nuages d'or flottaient en masses floconneuses au-dessus de l'endroit oh le soleil venait de disparaitre, et montaient au loin vers le zenith. Bs prirent
d'abord l'eclat d'une flamme brillante qui eblouissait
Presque les yeux. Puis cette flamme d'un rouge ardent se
nuanca graduellement jusqu'au cramoisi le plus fonts. La
partie superieure du ciel, d'un bleu obscur, au moyen
de gradations nombreuses, prit une teinte verdatre, puis
elle passa au jaune pale, dont les tons s'accentuaient
davantage a mesure que les regards s'abaissaient vers
l'horizon, jusqu'h ce qu'enfin elle devint orange, om.bree d'un rouge fauve au niveau de l'horizon, sur lequel tranchait la plaine de couleur pourpre sombre.
C'etait un spectacle magnifique et plein de calme ; mon
escorts faisait l'effet d'un point au milieu du desert sans
bornes.
On tint conseil en ce lieu, maintenant si calme, et
qui pouvait devenir le theatre d'une lutte sanglante
avant que les rayons du soleil levant tombassent sur la
steppe. Les Cosaques , Tchuck-a-boi et quelques-uns
des Kirghis estimaient que la bande de Koubaldos etait
sur nos traces. Nous savions que Koubaldos n'avait besoin que de nos chevaux; s'il pouvait seulement nous
en separer nous deviendrions une proie aisee a saisir;
nous ne pouvions echapper h pied de ces vastes deserts
de sable, et ces brigands s'empareraient de nos armes
sans courir de grands dangers.'
Koubaldos une fois renseigne sur notre compte par
les gardiens de ses troupeaux, au petit aoul, pouvait nous
atteindre vers minuit; aussi, avant la tombee du soir,
nos carabines furent examinees et rechargees avec soin.
Les chevaux furent rassembls et attaches, puis on placa
364
LE TOUR DU MONDE.
13aranta ou attaque d'un eon I kirghis (voy. p. 366). Dessin de Yan d'Argent d'aprUs Atkinson.
Preparatif6 de funnrailles chez les Iiirghis (voy. p. 366). Dessin de Foulquier d'apres Atkinson.
366
LE
TOUR DU MONDE.
broderies en soie ; une echarpe de crpe de couleur cramoisie lui entourait la taille ; elle portait une coiffure de
mousseline blanche. Sa Elle etait plus jolie, grace sans
doute a sa jeunesse : un kalat de soie jaune et cramoisie
lui descendait jusqu'au genou, et le turban de soie blanche qui couvrait sa tete laissait echapper une profusion
de longues boucles de cheveux noirs.
Dans toutes les tribus, c'est a ces dames, vieilles et
jeunes, que revient la fonction de traire soir et matin les
vaches, brebis et chevres; traire les juments est un office
reserve aux guerriers. On sait que chez les Arians vediques le mot fille, dont ('application parmi nous monte
si haut et descend si bas, signifiait cello qui trait les
troupeaux. Parini tons ces pomades, la richesse consiste dans d'innombrables troupeaux de moutons, chevres, vaches, chameaux et cavales, qu'ils comptent par
dizaines et centaines de
, et qui constituent la
dot des filles a marier. De tout ce , le cheval est le
plus apprecia soit pour ('usage, soit pour la nourriture,
et le Kirghis qui se detournerait avec degotit d'une bonne
tranche de bceuf, se rejouit a ride d'une grillade de
cheval. Aussi le vol des troupeaux, et des chevaux surtout., est-il plus encore que les empietements ou usurpations de paturages, une des causes des guerres interminables qui troublent la tranquillite de la steppe.
Ces expeditions de pillage, qu'ils nomment barantas ,
sent ordinairement dirigees a Pheure la plus chaude du
jour sur les troupeaux au paturage, ou sur les aouls a la
fin de la nuit, au moment ou les bergers et les chiens de
garde, fatigues d'une longue veille, commencent a se relcher de leur surveillance habituelle. Le but des maraudeurs etant bien moms la lutte que le butin, ils bornent
ordinairement lours efforts a jeter la terreur parmi les
troupeaux, surtout parmi les chevaux, et a les attirer
hors de l'aoul ; car, une fois les animaux dans la steppe,
ils n'ont qu'h les pousser devant eux pour s'en emparer.
11 n'y a veritablement combat que lorsque les habitants de Paoul, eveilles a temps, peuvent se jeter entre
les voleurs et lours troupeaux menaces. Alors ont lieu des
luttes corps a corps et des scenes de sang dont le souvenir va grossir les legendes sauvages du desert. On m'a
conte dans un aoul, qui peu avant mon passage avait
eu a repousser une baranta, que l'un des assaillants,
frappe a mort, etant venu tomber devant la yourte du
chef, la femme de celui-ci avait reconnu dans ce malheureux un de ses fils, deserteue depuis peu du foyer
paternel.
Les haines et les vendettes soulevees par des evenements de ce genre, semblent faire trove, ninon s'eteindre, Tors de la wort des chefs de tribus, h Penterrement
desquels accourent de loin amis et ennemis. Cette impression m'est restee, du moms , des funerailles de
Darma-Syrym, dont je fits temoin plus tard, non loin
du Nor-Zaizan. C'etait un vieillard grandement estime
par sa trihu autant que redoute de toutes les autres.
Pourtant, des qu'il eut expire, des messagers furent
dpeches viers toutes les aires de l'horizon, pour annoncer le fatal evenement. Montant des chevaux d'elite
LE TOUR DU MONDE.
'dont ils ne menageaient ni l'ardeur ni les forces, a
peine etaient-ils arrives dans un aoul et avaient-ils fait
confiaitre la triste nouvelle, que d'autres cavaliers partaient aussitet de la meme maniere pour la transmettre
plus loin. Elle se repandit ainsi en quelques heures,
dans une contree mesurant cent lieues de diametre.
Les sultans, les chefs, les anciens des tribus monterent alors immediatement a cheval pour assister aux
funerailles. Avant le soir, un grand nombre etaient deja
arrives. Uune lance, surmontee d'un drapeau noir, se
dressait au-dessus de la porte du defunt, et lui-meme,
revetu de son plus beau costume, reposait au-dessous.
A sa tete etait place le siege d'apparat, embleme de sa
dignite ; sa selle, les harnais de ses chevaux, ses armes, ses habits etaient empiles des deux cotes. Des
rideaux en soie de Chine retombaient a grands plis du
haut de la tente, et les epouses, les filles du trepasse,
les femmes de la tribu, a genoux, la face tournee vers
367
le cadavre, chantaient l'hymne des morts, en balancant ie haut du corps d'avant en arriere et d'arriere en
avant. C'etait un spectacle solennel et pathetique. Les
hommes, entrant par groupe, s'agenouillaient aussi et,
se joignant au chceur funeraire, grossissaient la lugubre
harmonie de toute la puissance de leur Voix de basse.
Point de cris, point de gemissements, point de chevaux
arraches, comme c'est l'habitude aux funerailles des
peuples sauvages. C'est ce qu'on peut appeler ailleurs
un service religieux en musique.
En meme temps, une autre partie du ceremonial requis se passait derriere la tente. La, des hommes egorgeaient dix chevaux et cent moutons pour la Ate des
funerailles, et le feu etait attise sous les grands chaudrons de fer sur lesquels se penchaient les operateurs
nus jusqu'a la ceinture, armes de grandes cuillers de
bois, les bras et les mains couverts de sang.
Partout ou la flamme des foyers se projetait a travers
368
LE TOUR DU MONDE.
dans la tente, continuerent, pendant une heure, a than- ensuite dans la demeure, pour recevoir ce que nous
ter leur complainte funebre en face des armes et des nommerions, en Europe, les compliments de condoleance
harnais de Darma-Syrym. Toute la famille se reunit des sultans et des chef's venus pour rendre hi-image
a la memoire du decede. Ces ceremonies et festins se chanter l'hymne funeraire pendant une annee,
prolongerent pendant plusieurs jours encore; puis gra- lever et au toucher du soleil.
duellement thacun regagna son aoul. Mais la tribu de
Pour extrait et traduction F. DE IJANOYE.
Darma-Syrym, vouee au deuil pour longtemps, dut
(La fin d la prochaine livraison.)
au
LE TOUR DU MONDE.
369
Les sultans de la steppe (suite). Des monts Syan-Shans aux monts Atalans.
A l'aoul du Iultan Sabeck, extremite sud-est de mes rapide qui, a la rigueur, m'aurait permis d'en esquisser
courses dans le Gobi, je n'etais qu'a deux journees de la le plan. Ses maisons, baties sur le penchant d'une colville chinoise c e Barkoul ou Tchnisi, que mon note me line, contre-fort avance des Monts-Celestes, sont petites
dissuada de vikiter, en appliquant a cette cite importante et basses comme dans toutes les villes chinoises, peu rel'objection du renard de la fable parlant de l'antre du
marquables en general sous le rapport architectural.
lion :
' En ce moment un soleil radieux se levait derriere
nous, mais ses rayons n'avaient pas encore atteint les
Je vcis fort bien comment on entre,
times neigeuses que nous avions sous les yeux a l'horiEt ne -Tois pas comme on en sort.
zon. Tout en cheminant, je contemplais le ciel, et je vis
En consequence, je dus me boner a en approcher, et a bientOt le premier jet lumineux faire etinceler les glaces
faire autour de ses murailles une sorte de reconnaissance et les neiges de Bogda-Oola, qu'un des hommes de
notre escorte m'avait indiquees. La crete de la montagne
1. Suite et fin. Voy. pages 337 et 353.
fut soudain couronnee d'une flamme rougeatre qui se
VII. toe Lay.
37 0 LE TOUR DU MONDE.
transforma graduellement en un ocean d'or et finit par
prendre la blancheur eclatante de l'argent. Le soleil s'arreta quelques minutes sur ce sommet qui dominait tons
les autres, avant de verser sa lumiere sur les pies d'une
moindre hauteur. Quelques secondes apres, il en eclairait de moins eleves encore, et hien-VA la chaine tout
entiere ne fut plus qu'une masse eblouissante qui se detachait sur un fond d'une profonde obscurite. Ily a quelque chose de merveilleusement grand dans ces effets de
lumiere qui revetent de tons magiques et de lueurs changeantes ces masses prodigieuses de montagnes. Apres
avoir donne un instant a la contemplation, je fis le denombrement de ma bande qui se composait de vingt-cinq
hommes et de qtarante-cinq chevaux. Quatre des hornmes du sultan portaient de longues lances et des haches
d'armes, les autres n'avaient que des haches d'armes
seulement ; leurs habits faits de peau de cheval, rues de
crinieres flottantes, et leurs casques rabattus sur leurs
bonnets, leur donnaient un aspect tout a fait sauvage.
Le Kirghis que Sabeck m'avait donne pour guide a
travers le desert etait un homme d'une quarantaine
d'annees, a la force athletique, a la figure bonne et
intelligente. C'etait lui qui accompagnait toujours le sultan dans ses voyages ; it connaissait toutes les routes,
quelle que fat la direction : aussi, grace a lui, je pus,
sans encombre ou mesaventure, tracer un long itineraire
le long de la pente nord des Syan-Shans, et traverser le
desert qui s'etend entre la base septentrionale du Bogda061a et le bassin du Kessil-back-Noor.
Dans ce trajet je revis mes anciennes connaissances
Oui-Yas etBaspasihan qui etaient venues, avec leurs clans
et leurs troupeaux, y prendre leurs quartiers d'automne,
et je resserrai les liens de l'hospitalite avec un grand
nombre de rois-pasteurs. Je dois titer entre autres le
sultan Yamantuck, un des hommes les plus intelligents
que j'aie rencontres au desert. Dans le portrait que j'ai
fait de lui je l'ai peint entre sa file, fort Eel echantillon
de ce type kirghis, tres-apprecie, dit-on, des Grecs du
Bas-Empire, et son fils, qui lui fait une communication
h genoux selon l'usage de ces regions. Je ne dois pas
omettre non plus le sultan Beck, le plus puissant et le
plus riche des Kirghis de la grande horde ; le sulta a
.Boulania qui, ayant voyage jusqu'h Omsk et Tobolsk,
passait pour l'homme le plus instruit et le plus eclairs
de sa race et enfin le sultan Souk, qui, plus voisin des
Russes et des terrains de pature de la horde moyenne,
doit sans doute a ces circonstances une autre espece de
reputation. On ne saurait trouver un plus grand voleur
dans touts la steppe ; mais comme it avait quatre-vingts
ans, it ne pouvait plus se joindre aux barantas, quoiqu'il
en proj e tat toujours.
Dans une precedente circonstance oh je me trouvais
a son aoul, quelques Kirghis de la moyenne horde
etaient venus nous prier de leur faire rendre leurs fernmes et leurs enfants, enleves par les bandits du sultan.
Mais ce vieux coquin s'y etait refuse, pretendant que
cela faisait partie de son butin. Il recevait une pension
de l'empereur de Russie, vendait son pays et trompait
LE TOUR DU MONDE.
371
pourvue de meubles, et nous fit asseoir sur une plateforme elevee qui lui servait de lit. L'appartement fut
J'emprunterai encore au journal de Mme Atkinson le bientet rempli de personnes desireuses de savoir qui
recit d'une tentative que nous fumes ensemble pour
nous etions.
penetrer dans une vide chinoise situee sur la frontiere,
L'officier voulut connaitre le motif de notre arrivee
non loin de l'Ala-Kool, entre les monts Barlouks et en Chine. M. Atkinson dit qu'etant pres de Chougachac,
Tarbagatais.
it desirait simplement presenter ses respects au gouver... Le 9 aoUt, nous arrivames aunpiquetchinois situe neur et visiter la vide. L'officier repartit que nous ferions
a Choubachac, ou, suivant une autre orthographe, Chou. bien de camper, qu'il enverrait une depeche au gouvergachac. Notre interprete voulait nous empecher d'y aller,
neur, et que la reponse arriverait le soir meme.
parce qu'un Tatar lui avait dit que les Chinois nous
Quand nous fumes installes dans notre yourte, notre
feraient prisonniers. Je ris de sa couardise. Lorsqu'il bete vint avec son interprete et son secretaire, pour prenvit que nous etions bien determines it tenter l'aventure,
dre le the avec nous. Ile s'interessaient a tout ce qu'ils
it pretexta une indisposition, prit la place de Columvoyaient, examinant minutieusement chaque chose, et
bus notre palefredisant que j'etais
nier pres des chala plus extraordimeaux, et, au lieu
naire de toutes. Es
de les conduire,
nous raconterent
disparut derriere
qu'ils etaient
eux des que nous
ce piquet pour
dimes atteint le
trois ans , et je
sol chinois. En apcrois qu'ils eurent
prochant du piencore une annee
quet, nous pouy rester avant
vions apercevoir
de rejoindre leurs
les clochers de la
families. Es se
vide dans le loinplaignaient ametain , et nous derement d'tre semandames a u x
pares de leurs femofficiers la permes.
mission d'y entrer.
Le matin suiIl etait environ
vant, deux officiers
midi, lorsque nous
et trois soldats
arrivames, et pour
vinrent a notre
la premiere fois
yourte, et les preseulement nous vimiers descendirent
mes positivement
de cheval. Comme
des Chinois ; it n'y
ils n'avaient pas
avait pas a se med'interprete ,
prendre sur leur
nous fut difficile
costume. Leurs
d'echanger un
chaussures etaient
seul
mot , mais
L'Alatau vu de la steppe (voy. p. 374). Vaprs Atkinson.
en satin noir, avec
on ne pouvait vier
de hauts talons et d'epaisses semelles. Leurs habits me
leur plaisir a voir des strangers. Es consentirent a
plaisaient singulierement et etaient vraiment tres-jolis ; prendre le the; mais, avant que je l'eusse verse, ils nous
ceux des serviteurs etaient en coton bleu, mais ceux des serrerent cordialement la main, nous dirent encore un
maitres etaient en soie. Le vetement de dessus s'ap- mot, sortirent de la tente et repartirent au grand galop.
pelle kaufa et ressemble assez a une piece de calicot.
II para4 qu'ils venaient d'un autre piquet pour s'eclairer
Alors commencerent les ceremonies. Un domes ague
sur notre compte. Es etaient tous grands ; j'en conclus
courut en avant pour annoncer notre arrivee, en faisant
qu'ils avaient ete choisis ainsi expres pour voir de
toutes sortes de gestes pour nous inviter a rester. Il revint
loin, sur la route, par-dessus les roseaux. Les soldats
bientOt et nous introduisit dans une basse-cour ou l'offi- avaient des arcs et des fleches sur leur dos ; run d'eux
cier superieur jouaat avec une oie ; neanmoins ce dernier portait une longue lance, et tons montaient bien a cheabandonna cette occupation interessante, et nous recut
val, avant, comme les Kirghis, des etriers assez courts.
tres-poliment. Je fus tout a fait etonnee de la hauteur de
En sortant, nous decouvrimes la cause de ce depart
sa taille ; M. Atkinson paraissait petit a cote de lui.
precipite. Les soldats avaient apercu des officiers sups
etait droit et sec comme un jonc, avec un teint de cuir rieurs avec leur suite sur la route de Chougachac. Notre
bride. Il nous fit entrer dans sa chambre, qui etait depremier ami nous envoya dire qu'ils arrivaient.
Un poste chinois des frontieres.
372
LE TOUR DU MONDE.
DC
LI'
L 'I 11 .10. 1,111 , mm. LiL ,
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374
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
hors de la perpendiculaire, dans la direction de la riviere,
est de huit pieds environ. Les quatre autres blocs varient
de quarante-cinq h .cinquante pieds de hauteur ; l'un
mesure quinze pieds de cote, les autres un peu moins;
deux sont exactement perpendiculaires; les deux autres
s'ecartent de la verticale, un surtout qui semble sur le
point de perdre son equilibre (voy. p. 376).
Plus grande encore, une sixieme pierre git tout pros
h demi ensevelie dans le sol, et ch, et la, couverte d'arbustes prosperes qui ont pris racine dans le roc. A deux
cents metres a l'ouest, trois autres blocs jonchent la
terre ; sous l'un d'eux s'ouvre une cavite que plus d'une
famille de Kopal considererait comme tine demeure
splendide. Non loin de ce dernier cgroupe, s'eleve un
amas de pierre du sans conteste h. la main de l'homme,
puisqu'il renferme, entre autres materiaux, une grande
quantite de blocs de quartz; it est circulaire : son diamtre est de quarante-deux pieds, sa hauteur de vingt-huit;
sa forme, cello d'un dome. Autour de ce monument, a
une distance de dix pieds, de nouveaux blocs de quartz
sont ranges en cercle. Je fus grandement surpris de rencontrer dans cette vallee un pareil tumulus qui ne pouvait guere etre le tombeau d'un chef de la race habitant
actuellement cette region, et qui devait remonter h une
aussi haute antiquit que les tumuli que j'avais deja
vus dans les steppes.
Mes Kirghis ne s'approcherent du tombeau qu'en
tremblant et avec tons les signes d'une profonde veneration. Chacun d'eux laissa un lambeau de son vetenient
comme offrande h l'Esprit du mort. Ma coriosite n'en
fut que plus vivement excitee jusqu'a ce que j'eusse obtenu le recit suivant d'un de nos guides, qui se croit un
des descendants de Tchenkis. Qu'on sache d'abord que
Kora signifie renfermd, mis sous clef.
La vallee de la Kora etait jadis habitee par de puissants genies, continuellement en guerre avec d'autres
genies de la meme race qui avaient elu pour demeure differentes regions du Tarbagatai, du Barlouck et du Gobi.
A la suite de leurs expeditions et de leurs pillages, ils
trouvaient toujours une retraite assuree sur la Kora; au
sommet des rochers qui dominent le pays, veillaient des
sentinelles. Elles annnonQaient de loin l'approche des ennemis qn'on attirait dans les defiles des montagnes; la,
c'en etait fait d'eux; ils etaient ecrases par les rochers
qu'on faisait rouler du sommet des monts. Enfin l'audace
et la tyrannie des genies de Ia .Kora devinrent telles
qu'il se forma contre eux une vaste conspiration vengeresse hlaquelle le demon fut prie de participer.
Comme toujours, les sentinelles signalerent, cette
fois encore, l'arrivee de l'ennemi, l'on prit des mesures pour l'attirer dans le defile fatal. Deux autres
grandes armees parurent soudain, marchant vers d'autres defiles, et it fallut que les genies assieges missent
en mouvement toutes leurs forces pour detruire ces innombrables assaillants. Les montagnes retentirent de
tout le tumulte de la guerre et de tout le fracas des avalanches. La bataille fut terrible ; les genies allaient
triompher, lorsqu'un bruit epouvantable se fit entendre;
375
376
LE TOUR DU MONDE.
faces sont percees d'une arcade de vingt-cinq metres de que je cessai de m'etonner de la croyance qui en fait la
demeure de Satan.
large. Pendant que je dessinais cette masse enornae,
La bouche de la caverne est formee par une arche
l'orbe cramoisie du soleil levant apparut tout a coup sous
d'au
moins cinquante pieds de large et de soixante-dix
la triple arcade, ajoutant ainsi un magique effet au sombre paysage qui m'entourait. Ce monument, auquel la de haut ; la riviere y pentre par un canal coupe dans
nature a donne un caractere plus grandiose qu'effrayant, le roc solide et ayant environ trente pieds de large sur
dix de profondeur. Une saillie de rochers , de dix
n'en est pas moins, pour les Kirghis, l'oein re de Satan.
C'est lui qui a desseche le lac dont les eaux emplissaient douze pieds de large, forme une terrasse le long d .
jadis le bassin. C'est lui qui a ouvert l'etroite et profonde bord du torrent et juste au-dessus du niveau de ream.
fissure par oil s'ecoulerent les eaux. Je la suivis en depit Quand mon etonnement fut apaise, je me preparai
de mon guide, curieux que j'etais de visiter un endroit explorer la cascade, et deposai a cat effet mon sac de
bagages et mon fudont nul Kirghis
sil sur les rockers ;
n'approche volonles deux Cosaques
tairoment.
suivirent mon
Sous nos pieds
exemple. Le guide
grondait le torrent
regarda
cesprepara
invisible, et sur nos
tifs
avec
un interet
-fetes les rocs provisible;
mais
quand
jetaient une enorit nous vit entrer
me hauteur leurs
dans la caverne,
parois inclinees ,
fut terrifie. A vingt
leurs sommets depas de l'entree, le
chiquetes et branbruit cause par la
lants; quelques-uns
chute d'eau devint
d'eux s'avancant si
vraiment effrayant
loin sur le bord que
et un brouillard
leur stabilite semfroid nous envelop-.
blait un probleme
pa. De ce point, la
insoluble.
cascade s'etendait
Arrive a un enen largeur et en
tassement de hauls
hauteur, mais je
blocs appuyes sin;
n'ai pu me former
la base des hauune idea de ses
teurs, je me heurdimensions.
tai a de vastes masNous avancames
ses sur lesquelles
dans le brouillard
it etait impossible
jusqu'a pres de quade grimper. Apres
tre-ving ts metres d
nous etre hisses sur
l'entree , voulant
leur extrenaite,nous
voir la riviere bonentrames dans une
dir dans un terrible
ouverture formee
ablme
, noir corndans l'eboulement
tandis
me
arebe,
et presque privee
qu'une
blanche
vade toute lumiere.
Pierres levees dans la vallee de la Kora. D'aprs Atkinson.
peur
la
couronnait,
Le guide, cepenet donnait a tout l'ensemble de la scene une apparence
dant, bon gre malgre, y penetra ; je suivis ses pas, et nos
supernaturelle.
compagnons m'imiterent. Ayant chemine a travers cette
Peu de personnes peuvent se tenir sur le . bord du
fissure pendant environ cinquante yards, nous emergeagouffre sans frissonner. Il etait impossible d'y entendre
mes a. la lumiere du jour, sur un petit rebord dominant
le torrent. En face, un precipice perpendiculaire, s'ele- un mot, et l'on ne pouvait contempler longtemps cette
vait a plus de dix-huit cents pieds. Quelques buissons scene, trop forte pour les ,nerfs les mieux trempes.
Les monts Alataus, elevant leurs cimes bien au dela de
croissaient dans les crevasses pres de la passe, des planla
zone des neiges eternelles, et plongeant leurs racines
tes grimpantes festonnaient les bords superieurs, et dans
dans
des plaines basses oil it n'est pas rare de voir, en
cette masse cyclopeenne baillait la bouche de la caverne
ate,
le
thermometre monter a cinquante degres, ont une
qui absorbait la riviere. Nous nous tinmes silencieux et
frappes de surprise en contemplant le torrent qui gron- faune des plus variees. A leur base, le tigre, le vrai
tigre, preleve de nombreuses contributions sur les troudait dans eel effrayant abime avec un tel retentissement,
378
LE TOUR DU MONDE.
peaux des pomades; dans les anfractuosites de leurs vallees elevees, l'ours du nord epie ces memos trouPeaux,
lors de leurs migrations, et, a leur defaut, chasse l'argali
et le cerf.
Dans mes courses a travers l'Asie centrale, j'ai croise
frequemment la piste de I'un et de l'autre de ces grands
carnassiers. Leurs rugissements ont souvent trouble le
repos de mes haltes de nuit. Plus d'une fois j'ai vu les
feux de mon bivac se reflechir dans leurs prunelles
fixes et sanglantes. Enfin, it arriva un jour qu'un de mes
guides, assailli a l'improviste par un tigre, ne dut son
salut qu'a l'abandon qu'il fit du cheval qu'il montait
pour s'enfuir a toute bride sur son cheval de main.
Noble attrait pour les chasseurs, le maral, ou grand
cerf, dont le bois
est tres-estime par
les Chinois , se
trouve dans toutes
les hautes regions
du massif de l'Alatau, et de la double chaine du Mustau ; mais it faut
des homraes sans
peur pour le poursuivre jusqu'au
fond de ses retraites, au sein des
precipices, sur les
glaciers, et sur
les pies couverts
de neiges eternelles. En hiver, au
printemps, it ha bite les vallees ;
mais des que les
chaleurs commencent, it escalade la
montagne pour
chapper aux mouches et aux insectes ; ils se montrent rarement en
Arche naturelle de granit (voy
q on
p e , bien qu
troupe,
en voie quelquefois dix a douze postes ensemble au Nord
d'un precipice, a quinze cents, a deux mille pieds de
hauteur, sur des rochers a peu pros inaccessibles.
Je les ai vus gravir les roches escarpees et brouter la
mousse veloutee qui croft sur la pente des monts. Un
jour j'en ai apercu sept se tenant en observation au sommet d'un rocher, pareil a une tour gigantesque de sept
a huit cents pieds d'levation, a pie de trois cOtes ;
le quatrieme, etroite arete rocheuse, plongeant, par un
angle de soixante degres, dans un profond precipice, se
redressait parfois en murs perpendiculaires qui semblaient en rendre l'ascension impossible; c'est pourtant
par ce fantastique escalier seulement que les marals
avaient pu atteindre le sommet.
LE TOUR DU MONDE.
qu'il n'en fallait pour les enflammer. Es poursuivirent
done le maral de vallee en vallee ; puis as arriverent avec
lui dans une haute region rocheuse. Ces deux Cosaques
n'etaient pas hommes reculer ; ils gravirent les hauteurs
abruptes, sans perdre la trace de la bete ; en vain le
maral multipliait-il ses detours, it se trouvait toujours
quelque leger indice pour signaler a ses ennemis sa
nouvelle direction. Dans Papres-midi ils apercurent le
bois branchu du cerl dans une espece de deehirure
de la montagne,
bordee d'un ate
de hauteurs a pie,
de l'autre par un
precipice ; impossible a la bete de
s'echapper. A la
vue des deux chassours , la bete se
mit a bondir au
milieu de rochers
ebonies ; son avarice tait d'environ
trois cents metres.
Les Cosaques la
poursuivirent avec
rapidite , gagnant
du terrain sur elle ;
tout a coup le maral s'arreta hesitant, et regarda en
arriere, dans l'intention apparente
de revenir sur ses
pas. Comprenant
alors que quelque
autre bete barrait la route au
cerf, un tigre pentetre , animal fort
commun dans cette
region, les chasseurs ne firent pas
feu et continuerent a marcher en
avant. Le cerf, en
proie a une terreur evidente, s'avancait avec lenteur, lorsque deux ours enormes se precipiterent sur lui.
Le maral alors, d'un bond prodigieux, s'elanca pardessus un precipice de trente-trois pieds de large, sur
le sommet d'un rocher detache de la masse principale.
L'un des ours, sautant apres lui, tomba dans le gouffre
d'une hauteur de plus de quatre cents pieds ; l'autre,
reste sur le bord de l'abime, grondait dosage. Les chasseurs avancerent ; lorsqu'ils ne furent plus qu'a une
trentaine de pas, la bete se leva en grognant, mais une
balle l'envoya rejoindre son compagnon. Le maral, de-
379
380
LE TOUR DU MONDE.
refusa egalement la nourriture que je lui offris. Pen- cre. Il avait ete apercu avec sa mere par un bon nombre
de Kirghis qui s'etaient abstenus d'y toucher. Ceux qui
sant qu'il vaudrait mieux lui laisser la liberte, je dis
ces hommes qu'elle etait trop jeune pour etre enlevee le rencontrerent plus tard le retrouverent sans sa mere.
L'histoire de Panimal sabre etait toujours racontee avec
a sa mere. Its repondirent qu'ils la laisseraient libre
gravite.Lorsque les Cosaques disent que c'es t moi qui ai
lorsqu'ils auraient pris la mere ; que dans la nuit celle-ci
descendrait en appelant son enfant ; qu'ils cacheraient le attache ce ruban, personne ne vent les croire et tous
faon, et que la mere ne quitterait jamais cet endroit pretendent que ce maral est venu ainsi au monde.
sans savoir si sa progeniture y etait, et sans avoir en tendu
La Russie chez les Kirghis.
Relais et trombes de la steppe.
une re d onse a son appel. Je devins d'autant plus desiAtkinson, chef de handes. Les prisonniers circassiens.
reuse de voir s'echapper ce doux et bel animal. Mo
Le fort de Kopal, qui a l'epoque ou je l'habitai etait le
cceur de mere souffrait pour cette pauvre bete. Je sentais qu'il n'y avait pas de difficulte ou de danger qu'elle poste le plus avance de l'empire russe dans 1 Asie centrale, ne l'etait deja plus lorsque je rentrai en Europe.
n'affrontat pour sauver son enfant ; it me vint a l'esL'envahissement
prit un petit moyen
graduel de ces conpour la sauver sans
trees par la Ruselle. Je demandai
sie est incessant.
de nouveau aux
Aujourd'hui ses
Cosaques de lui
avant-postes entourendre la liberte,
rent le massif de
ce qu'ils promil'Alatau, encadrent
rent , mais pour
le grand lac Issykun peu plus tard,
Kool, et du haut de
lorsque l'orage sela chaine du Musrait passe ; dans
tau epient et conl'intervalle ils esvoitent les plaines
peraient attraper la
d'Yarkand et de
mere.
Khasgard. Deja
J'allai chertoute la petite ,
cher quelques rutoute la moyenne
bans bleu clair ,
et au grand amuet une partie de la
sement des Kirghis
grande horde des
je les passai autour
Kirghis reconnaisdu cou du jeune
sent la suzerainete
faon. Cette couleur
du grand tsarblanc,
formait un agreaet l'on peut regarder comme tres Me contraste avec
prochain le jour ou
celle de la robe du
cet exemple sera
petit faon. Pensuivi par tout le
dant que je me lireste de cette granvrais a cette occu:10*
de famille de p opation , it me reLgibt 411...2110
mades qui, a deux
garda d'un air si
reprises, ebranla
piteux avec ses
deux grands yeux, qu'avant de le quitter je l'embras- le monde sous le galop de ses chevaux.
En attendant, it n'y a pas, entre l'Altai et les Montssai ; puis je coupai la corde qui le retenait captif. Je
Celestes, entre les sources de l'Iaxarl es et cello de
quittai la tente et je racontai aussit6t a mon mari ce
l'Amour, un clan, une tribu de renom ou la Russie
que je venais de faire. Soudain nous entendimes un cri
n'entretienne un agent, officiel ou non, mais toujours
de l'autre cote; nous nous precipitames vers la porte
de la tente et je vis a ma grande satisfaction que le ecoute. Il n'y a pas de chef, descendant plus ou moins
authentique de Tchenkis -Khan ou de Timour, qui ne
faon etait parti du cote de la montagne ; les Cosaques
soit pret h troquer son allegeance nomad et sa franciset les Kirghis se mirent a sa poursuite et tournerent dans
une gorge, esperant reprendre leur capture. Its ne rens- que contre une medaille ou un sabre dore envoy de
Saint-Petersbourg....
sirent pas. La pauvre bete entendait comme nous-memes
.bans un livre bien connu en Angleterre, sir Robert
la voix de sa mere qui du haut de la montagne encourageait son enfant dans sa course. Un mois plus tard ce Peel a beaucoup lone l'hahilete et la promptitude
des cochers russes ; s'il a eprouve tant de plaisir
fut pour moi une vraie jouissance d'apprendre que
franchir les plaines de la Russie avec la rapidite du
mon petit protege etait considers comme un animal sa-
382
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
ce qu'elle approchait, s'elevait a pres de deux cents
pieds. On out dit, a les voir s'inclinant, se redressant et
se croisant dans l'espace au milieu d'une atmosphere de
poussiere, des monstres antediluviens sortant de leur
couche geologique et rentrant dans ractivite febrile de
l'existence. Mais bientOt les forces atmospheriques qui
les avaient soulevees venant a s'epuiser, nous vimes ces
trombes s'affaisser l'une apres l'autre et reformer sur la
face du desert un nombre de dunes mouvantes identiquement pareil a celui d'oU elles etaient sorties.
Pendant que je me dirigeais ainsi vers Semipalatinsk,
it se passait du ate de l'Altai un evenement qui, pour
peu qu'il eUt ete exploite par la delation et la malveil-
383
384
LE TOUR DU MONDE,
trouves a l'abri de toute poursuite dans le pays des Kalkas, d'oit vingt-cinq jours de marche les eussent amenes
au milieu de tribus kirghises a yant avec celles du Caucase communaute de langue et de religion, et des lors
leur rentree clans leur patrie detsit plus ete qu'une affaire
de temps. Mais par malheur leur ignorance de la geographie locale les ramena dans l'Altal, ou ils se heur-
F.
DE LANOYE.
LE TOUR DU MONDE.
385
E
VOYAGE DANS LA SIBER1
ORIENTALE,
VII. M . LIV.
386
LE TOUR DU MONDE.
I
Mal-Ma-Tchin.
Kiachta.
Irkoutsk. Le lac Baikal.
Diner et spectacle chinois.
LE TOUR DU MONDE.
soutenue par des colonnes, et forme une espece de galerie de l'aspect le plus agreable a cause de la legerete
et du bon goat de la construction, de l'eclat des couleurs
et de la variefii des ornements. Au centre de la cour
est un tableau entoure de fleurs, representant le dieu
de predilection du maitre du logis, et it faut ajouter que
messieurs les Chinois ont des divinites d'une forme
plus que bizarre. Les fentres des maisons sont faites
en bois artistement contourne et d'un effet charmant.
En ete, on en demonte les chassis et on les remplace
par des canevas de soie qui laissent entrer l'air et qui
sont peints d'une maniere ravissante. Si l'on ajoute a
tout cola une quantite de fleurs rares sous les portiques,
dans de jolis vases de porcelaine, et des cages dorees ou
vernies, renfermant des oiseaux dont les formes et les
couleurs se trouvent si souvent reproduites sur les paravents et les eventails, on concevra que l'aspect exterieur
d'une maison chinoise est une vraie fte pour
L'interieur des maisons est en harmonie avec le reste.
Dans cellos que j'ai visitees, it y avait trois pieces; la
premiere servait d'antichambre et les deux autres d'habitation au maitre de la maison. Je ne dois pas oublier
de vous dire que les marchands chinois qui frequentent
Kiachta n'ont pas la permission d'amener lours femmes;
c'est une ville d'hommes et uniquement d'hommes, ce
qui doit modifier a leur desavantage les maisons chinoises, car je ne doute pas que les dames de cette nation
n'aient, comme les Mitres, le goat des jolies choses, et
n'aiment a s'entourer de meubles elegants et gracieux.
On est d'autant plus porte a le croire, que les femmes
chinoises sortent peu de chez elles et doivent en consequence chercher encore plus que d'autres a parer
leurs demeures. Quant aux talents des Chinois pour les
bagatelles et ce qu'on appelle a Paris la bimbeloterie de
luxe, telle qu'elle se montre au grand jour chez Giroux
ou Tahan, it est incontestable; aussi avons-nous beaucoup perdu en ne voyant pas l'appartement d'une dame
chinoise et son petit Dunkerque.
L'antichambre d'une maison d'homme est entouree de
chaises de cannes vernies, recouvertes d'une belle natte
fine. Il s'y trouve de grandes armoires d'un bois noir
sculpte. Sur les murs sont des stahces religieuses ou
philosophiques, des tableaux peints sur papier representant des scenes d'interieur ou des paysages. L'appartement, a droite en entrant, est le salon de reception dont
les portes sont en bois sculpte verni, avec des glaces
peintes qui offrent de jolies figures de femmes, des flours,
des oiseaux, ou des compositions d'une originalite singuliere et pourtant d'une originalite agreable : le travail
en est tel qu'on aurait bien de la peine a Paris ou a
Londres, je ne dis pas a les surpasses, mais meme a les
imiter. Au fond de l'appartement, it y a un divan sur lequel sont des especes de matelas avec des oreillers carres, oh les Chinois se placent a la turque. Sur la , muraffle, derriere le divan, it y a ordinairement une glace
dont les ornements peints et sculptes rappellent ceux de
la porte qui lui fait face ; quelquefois au lieu de glace se
developpe un grand sujet mythologique plus ou moms
387
318
LE TOUR DU MONDE.
389
LE TOUR DU MONDE.
Apres le diner, on repassa au salon, on l'on nous servit
le the et d'excellentesconfitures. Pendant que nous &ions
au dessert, notre hete nous quitta pour aller changer de
vetement, car c'est une politesse chez les Chinois d'en
mettre un autre apres le diner. II revint bientet apres en
robe d'une espece de satin turc d'un Brun charmant, re couverte d'une veste de satin bleu broche. Il nous montra differentes curiosites et nous proposa de nous faire
voir le temple principal, en attendant l'heure de spectacle ; car les Chinois ont un theatre a Mai-Ma-Tchin.
Le temple que nous avons vu est un batiment carre
dont la corniche tres-saillante est soutenue par des colonnes formant une galerie autour de l'edifice. Rien n'est
Dans le temple de Mai-Ma-Tchin, it y avait neuf divinites partagees en trois groupes. Au centre, Fo, divinite
principale, accompagnee de ses acolytes, c'est-h-dire des
guerriers qui, legendairement, ont contribue a assurer
ses succes ; dans les deux autres groupes, sont les dieux
de la guerre, de la justice, du commerce, de l'agriculture, et quelques autres idoles secondaires. Le dieu Fo
e:t le seul qui ait un vtement de satin jaune, couleur
sacree chez les Chinois, et que portent seuls les empereurs. En somme, le temple de Mai-Ma-Tchin est certainement une des choses les plus originales et les plus
remarquables que j'aie rencontrees dans mes voyages.
Notons en passant qu'il n'y a pas de pretres ; le temple
390
LE TOUR DU MONDE.
la poussent aussi loin qu'elle pent aller, taut ils sent indifferents pour tout ce qui n'est pas de leur pays. Ainsi,
par exemple, le Dzargoutchey de Mai-Ma-Tchin ignorait
qu'il y eat un peuple francais. Prenez done la peine,
apres cola, de conquerir les trois quarts de l'Europe sous
la conduite du plus grand capitaine des temps modernes,
pour que votre renommee, a bout de souffle et de vol,
vienne ainsi s'abattre et mourir 'a la porte d'un mandarin
chinois de sixieme ou septieme classe ! Ce respectable
fonctionnaire ne connaissait en Europe que des Anglais
et des Portugais, et se persuadait que les Russes etaient
asiatiques. Mais, pour ce qui touche a leur orgueil et h
leur interet, les Chinois ont un sens penetrant et un tact
qui suppleent aux connaissances qui leur manquent. Its
sont d'ailleurs veritablement opprimes par la dynastie
mantchoue qui les gouverne depuis un peu plus de deux
siecles. C'est elle qui s'enferme et qui refuse toute communication exterieure. Nous croyons pouvoir assurer
que le peuple chinois proprement dit verrait sans peine
le monde s'ouvrir devant lui; il sent qu'il y gagnerait de
toute maniere ; mais ce n'est qu'en tremblant que quelques Chinois osent s'ouvrir sur ce sujet avec les strangers ;
les peines les plus severes atteindraient ceux qui auraient
l'audace d'exprimer cette pensee, qui exist pourtant
chez le plus grand nombre.
La comedic ayant termine les plaisirs de la journee,
nous nous separames du Dzargoutchey, et nous nous
quittames les meilleurs amis du monde. Le lendemain
it vint a son tour a notre logis, apportant avec lui ses
presents qui, chez les Orientaux, sont une marque de
consideration qu'ils accordent. toujours a ceux qui les
visitent. Ces presents consistaient en une piece de satin
noir, deux demi-pieces de satin broths bleu et brun,
deux lanternes de bois travaille, garnies avec du canevas
brode en flours de couleur, une boite d'essence de the,
du the noir et du the vert, et quelques autres menus objets. On lui riposta sur-le-champ par une montre anglaise
en or a repetition, douze aunes de beau drap bleu, et
l'on n'oublia pas les comediens qui nous avaient amuses
la veille. Tout cela coata assez cher ; mais on ne voulait
pas etre en reste de politesse avec ces messieurs, et l'on
put esprer qu'ils conserveraient un souvenir agreable
de notre excursion au dela de leur frontiers.
II
Visite a une tribu de Bouriates.
LE TOUR DU MONDE.
bandouliere, et montes sur des chevaux richement caparaconnes:
Les Bouriates, peuple nomade de la Sibrie, habitent les monts situes au nord de Baikal, dans le
gouvernement d'Irkoutsk ; on value leur nombre
trente-cinq mille individus males environ. Es paraissent etre de la memo famille que les Kalmouks. Leurs
troupeaux font leur richesse ; leur religion est le chamanisme, espece d'idolatrie tres-repandue parmi les
peuples de la Siberie orientale. Leur dieu supreme habite le soleil; it a sous ses ordres une foule de divinites
inferieures. La femme, chez les moins avances de ces
peuples, passe pour un objet immonde et qui n'a point
dame. Heureusement les sectateurs de ce culte grossier
diminuent de jour en jour.
Nos voitures etaient trainees par des chevaux de paysans; mais les Bouriates ne voulurent pas permettre
qu'ils traversassent la Selinga. Es attelerent leurs propres chevaux, et Timis voila partis au triple galop dans la
steppe, avec des cochers et des postillons en robe de
chambre de satin, entoures d'une nuee de cavaliers qui
faisaient des voltes h se casser le cou pour nous faire
honneur. Comma les Bouriates ont rarement l'occasion
de conduire des voitures, nous avions sujet de craindre
de leur donner le spectacle de gens plus ou moms verses
et contusionnes ; mais la Providence permit que nous
arrivassions sails et saufs, ainsi que nos voitures, apres
des soubresauts capables de faire rendre fame h l'Auvergnat le plus rompu a l'exercice des pataches ; mais
l'habitude des voyages en pleine steppe nous avait
aguerris.
On celebrait chez ces braves gens les obsques de l'un
de leurs principaux chefs. Nous assistames au service
et aux ceremonies funebres dans un temple mongol, et
ensuite aux jeux qui eurent lieu suivant l'antique coutume observee en pareille occasion, savoir : le tir de l'arc,
la lutte, les courses a. pied et h cheval, apres quoi vint
un festin h la mode des Bouriates, qui nous servirent
des mets beaucoup plus civilises que les Chinois, comme
du mouton reti, du fromage , quantite de gateaux, et
ineme d'excellent yin de Champagne.
Nous nous remimes bientOt en route pour aller dans
une autre tribu qui nous attendait et qui possedait le
principal temple mongol de la contree, ear les Mongols
ont des temples, a roppose des Kirghis, qui sacrifient
encore sur les rochers et sur les hauts lieux, comme aux
temps antiques (voy. p. 392). Ce temple en bois avait
un peristyle entour de seize petites chapelles disposees
symetriquement, et oh l'on Mare des ceremonies relatives h l'histoire du dieu principal, qui, je ne sais sous
quel nein, n'est autre que le fameux Bouddha de I'Inde
et du Thibet. Dans l'une, on conserve la voiture sur
laquelle on espere qu'il fera son apparition dans quelques annees; dans une autre, ses chevaux; ailleurs ses
armes, puis ses vetements , ses livres , etc. Le temple
principal est divise en trois parties : le peristyle oil
s'exposent les ex-voto, les offrandes, autour d'un cylindre tournant qui fait mouvoir des cloches; la nef, , oh
391'
392
LE TOUR DU MONDE.
Arrivee au camp des E ou"iales voy. p. 391) Dessin de Foulquier d'aprs Atkinson
394
LE TOUR DU MONDE.
Peu de jours apres le depart d'Irkoutsk, nous descendiens mollement la Lena en joyeuse compagnie, en belle
humeur et en bonne sante.
La Lena est un des plus grands fleuves de l'Asie soptentrionale ; elle traverse toute la partie la plus orientale de la Siberie, prend sa source dans les monts qui
avoisinent le lac Baikal, et, apres un tours de sept cents
lieues environ, se jette au nord dans l'ocean Glacial.
Elle arrose le pays deeToungouses, vrai peuple sauvage a l'aspect repoussant , que j'eus l'honneur de
voir pour la premiere fois le 21 mai 1849: de grosses
tetes encore plus difformes que celles des Bouriates, de larges epaules , de longs cheveux incultes , herisses, flottants en tons sens, et des haillons. Ce qui me
frappa surtout, ce fut d'apercevoir sous ces corps robustes des jambes tellement greles qu'elles ressemblent
h celles du singe, et sont comme elles termindes par
d'enormes pieds.
Les Toungouses, les Bouriates el les Iakoutes sont des
tribus nomades a peu pres de la meme famille et issues
de cette race mantchoue, qui peuple le nord de la Chine
et regne aujourd'hui h Pekin. Its vivent generalement
de chasse et de pche, et s'adonnent particulierement a
la chasse des animaux a fourrure. C'tait jadis en ces
apres contrees que l'on trouvait les plus belles zibelines;
elles y sont devenues si rares aujourd'hui que ces pauvres sauvages ne peuvent plus satisfaire au tribut de ce
genre qui leur est impose par le gouvernement russe.
Es ont ete obliges de se rabattre sur le petit gris, qui
est Presque la seule fourrure que l'on trouve dans le
pays. Ces peuplades sont d'ailleurs toutes idelatres, et
j'ai trouve chez elles les beaux exemples de ce communisme absolu que certains cerveaux Ries voudraient
inoculer a l'Europe ; tout est commun chez elles : les
champs, les recoltes, le betail.... et le reste ! a Dieu
sait, me disait h ce propos le docteur de l'expedition, ce
que le communisme fait commettre de crimes ! b Et it
me citait des exemples dramatiques revoltants.
21 juin 1849. Enfin nous sommes arrives malgre
vent, maree, et les maladresses d'un pilote qui, par entetement, nous avait echoues juste au milieu du fleuve,
en face de la ville. A onze heures a la montre du general
et h une heure aux horloges de Iakoutsk (car, a cause de
la difference de longitude, le soleil est de deux heures
plus matinal a Iakoutsk qu'h Irkoutsk), nous avons fait
notre entre triomphale dans la vine. Nous tions attendus sur le port par toute la population en habits de
fte et par tons les employes en grand uniforme ; it y
avait huit jours qu'ils no le quittaient plus. Cinquante
hommes tiraient nos batiments a terre ; a peine le soleil
etait-il couch depuis une heure qu'il commencait h
rayonner. Sous cette latitude septentrionale , la nuit
existe a peine, et les derniers rayons du couchant se
confondent au mois de juin avec les premieres lueurs de
l'aube.
Le debarquement s'est fait tout simplement, sans harangue ni canonnade ; le general est descendu suivi de
ces messieurs, a salue le chef de la province, est monte
LE TOUR DU MONDE.
bitons sans Oter son bonnet depuis le premier angle de
la palissade qui nous entoure jusqu'au dernier pieu qui
l'acheve. Je dirai peu de chose du costume ; it est a peu
pres le meme pour les hommes que pour les femmes,
tons sans distinction de sexe portent des bottes et une
espece de petite redingote venant jusqu'aux genoux, bordee soit de noir si l'habit est blanc, soit de rouge vif si
l'habit est noir on de couleur foncee. Les femmes ont de
plus pour coiffure une espece de bonnet garni de fourrure devant et derriere, avec un petit ornement en drap
bariole qui surmonte le tout et ressemble assez au bonnet de Polichinelle.
Repartis le 4 juin, a cinq heures, nous avons suivi
d'abord un bras de la Lena et traverse le fleuve, qui a
ici sept verstes de largeur ; arrives h terre, trempes malgre nos intpermables , et neanmoins de joyeuse humeur, nous nous sommes ravives sous une belle yourte,
mais des plus aristocratiques, oil nous avons trouve bon
feu. Rien de plus original que ces especes d'habitations
faites toutes en ecorces d'arbres cousues et ornees avec
des fils de crins h .dessins blancs et noirs ; le tout est
pose sur de grandes perches qui se reunissent en faisceau par le haut. La fumee s'echappe par une assez large
ouverture menagee au sommet. Autour sent des banes,
des poteaux et des pateres pour accrocher les habits ; le
tout est tapisse de branches de meleze qui donnent a l'interieur un aspect riant et 6 propre qui met la joie au
cceur et aux levres: Apres une journee de mauvais
temps, cet abri nous a fait l'effet du paradis. Bon feu
de bivac, the brillant et parfum, souper sur le police,
joyeux lazzi, donee liberte, toute etiquette laissee dehors, et un bout de Marseillaise que j'ai entonnee, tout
a concouru h nous mettre en belle humour.
Apres quatre heures de repos, nous sommes repartis
vers deux heures du matin avec un fracas superbe : cinq
equipages atteles de chevaux tout a. fait sauvages, dont
l'allure independante nous donnait le raisonnable espoir
de nous casser bientOt le con. Les paysages qui passaient sous nos yeux semblaient de vrais Edens ; mais
ce qui nous a rappeles h la realite, c'est l'horrible etat des
routes, bien qu'on y eta beaucoup travaille depuis l'annonce du passage du general.
Nos chevaux sont'devenus de plus en plus sauvages ;
ils se jettent d'une maniere effrayante h droite et h
gauche ; eleves en plein air et dans une complete independance, jamais ils n'ont ete atteles; quand on vent les
prendre pour s'en servir,, c'est une veritable chasse h
courre ou les hommes font l'office de chiens. Mais ce
qu'il y a de plus effroyable, ce sent les cris sauvages que
poussent leurs conducteurs au moindre incident du
voyage. Ce matin nous cheminions bravement lorsque ,
tout d'un coup, j'entends d'horribles cris de detresse et
d'angoisse derriere nous; je crois qu'au moins la moitie
de la caravane est engloutie dans quelque marais; je
me precipite en bas de la voiture pour regarder, je vois
tout le monde en bon etat et enbonordre ; c'etaitnous qui
&ions la cause involontaire de cette alarme ; nous avions
pris h droite au lieu de prendre h gauche. Ces terribles
395
Le Kamtschatka, presqu'ile d'origine volcanique, traversee par de hautes montagnes , situee a l'extremite
nord-est de l'Asie, est entouree h l'est par la mer
Kamtschatka et une partie de la mer de Behring, et it
l'ouest par la mer d'Okhotsk. Sa cote orientale est entouree d'une double ranges de volcans en activite. A peu
pres vers son centre, la peninsule est traversee par une
troisime chains parallele , qui se compose en grande
partie de volcans eteints. La situation favorable du
Kamtschatka entre les possessions russes de l'Asie y a
provoqu la creation d'un grand nombre d'tablissements,
parmi lesquels it faut titer celui de Petropaulowski , '
principal entrepOt de la Societe de commerce russoamericaine.
Petropaulowski pout etre considers comme le cheflieu. du Kamtschatka. On y compte de trois a quatro
396
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
coups de canon tires a tout propos et hors de propos, tantat pour une fte, tantOt pour un toast, tantht a l'occasiou
d'une rencontre; les officiers du bord relevant les positions du matin et du soir ; puis, en maniere de distractions, quelques bourrasques venant a l'improviste nous
aire danser a la pointe des flots, brisant nos verres et
nos meubles, et mettant tout a l'envers dans nos cabines;
le soleil, presque toujours estompe de brume, se mirant
tristement dans une eau plombee ; la lune, eclatante,
faisant jouer ses feux follets au sommet des vagues; des
nuits noires, qui font d'autant plus briller les lueurs
phosphorescentes de cet immense ocean ; les toiles de
mer scintillant au milieu de l'onde comme des astres ravis au firmament; puis encore le phenonaene des nuages
lumineux qui arrivent comme des bombes, enveloppent
le batiment et disparaissent avec une telle rapidite que
le souvenir en reste a peine ; les eternelles manoeuvres,
ramenant sans cesse les lames mots toujours inintelligibles pour moi; la severe discipline d'un batiment de
guerre, entravant toute libert de mouvement ; une
maussade promenade sur le pont, oil apres trente-deux
pas faits en longueur, it me fallait revenir sur les mmes
traces pour le retour, ayant d'un cote les chaloupes immobiles sur leurs chevalets , et de l'autre l'ocan invariablement coupe par cette ligne inflexible de l'horizon;
de loin en loin un navire, le salut d'un canon, un mot
echange au passage.... Voila de quelle vie j'ai vecu pendant les cinquante jours quo nous avons tenu la mer pour
aller de Petropaulowski aux embouchures de 1'Amour.
Pendant trois jours, a la hauteur du cap hisabeth, et
a la hauteur de l'ile Saghalien, nous avons cherche le
Baikal , navire de la couronne, qui devait communiquer
pour affaire avec le general. Durant une de ces trois
journees, oh le soleil voulut bien se montrer radieux, on
Mehra avec force champagne et coups de canon l'anniversaire du couronnement de l'empereur. Nous sommes
descendus a terre ou nous nous sommes trouves en face
de vrais sauvages, gens fort doux d'ailleurs et qui n'ont
nullement eu Pair de nous vouloir manger. Nous avons
fait avec eux quelques echanges. Its preferaient a l'argent des boutons d'uniforme, un pen de tabac, des verroteries, des guenilles de rebut ; Es nous ont largement
pourvus de poisson frais et nous ont laisse prendre quelques babioles; j'ai en, pour ma part, un etui fort curieux. Du reste, dans tout ce petit monde qui vit la a la
grace de Dieu, nous n'avons pu decouvrir un seul specimen du sexe feminin. Ces dames, effarouchees par notre
venue, avaient completement disparu ; mais, a en juger
par les maHs, la plus belle moitie du genre humain devait titre fort sale et fort laide, et probablement nous
n'y avons pas bea'ucoup perdu.
Enfin, apres avoir lutt quelques jours centre les vents
contraires , nous sommes arrives vers le 10 octobre en
vue d'Ayane, nouveau port &convert sur la eke, pros
des batches de I'Amour, par la Compagnie anadricaine;
mais, helas si pros de terre, les vents de sud-est n'ont
pas voulu nous permettre d'entrer au port ; it a fallu
mettre une chaloupe a la mer, et nous sommes partis
LE TOUR DU MONDE.
casser le cou ou d'tre englouti. Malheureusement pour
moi je m'etais detachee de la bande, esperant du hasard
une meilleure route ; c'etait tomber de Charybde en
Scylla. J'avais beau me jeter h droite et h gauche, partout les memes obstacles et les memos dangers se reproduisaient. Mon cheval, guide par de plus sars instincts
que moi, voulait en vain choisir son chemin, je forcais
la pauvre bete a tout franchir, au risque de nous tuer
tous deux. Il ne me restait que dix verstes h faire pour
atteindre la Maia, petite riviere a peine navigable qui
se jette dans l'Aldan, l'un des principaux affluents de la
Lena : c'etait la fin de nos plus rudes travaux, car nous
devious trouver sur le bord de la Maia des bateaux qui
nous rameneraient h Iakoutsk. Au lieu de taut compter sur
mon toile j'aurais du compter sur mon cheval et me
laisser conduire par lui loin de m'enteter a le conduire. Ces reflexions un pen tardives commencaient a se
faire jour dans mon esprit, lorsqu'un employe du general passa pros de moi : a Je vais h la station, me
dit-il, chercher des porteurs pour Madame qui ne vent
plus aller a cheval, et le general ne se soucie pas de
toucher sur la neige. Je vous suis, lui dis-je. Tresbien! mais je vous previens que je ne m'arrete pas pour
vous attendre, quelque obstacle qui se presente.Convenu I marchez! u Voila mon homme qui s'envole devant
moi au grand trot de sa monture ; je le suss h travers le
marais de plus en plus impraticable ; fespere qu'il ralentira son allure ; nullement, toujours memo train : nos
chevaux tombent, se roulent, font mile sauts et mile
bonds, tantet a droite, tantOt a gauche, pour eviter de
s'enterrer dans la bone ou se soustraire h la grele de
coup's qui pleuvent sur leurs corps. Rien n'arrte mon
compagnon, rien ne m'arrete : une montagne succede
au marais, une descente rapide encombre de roches
vient apres la montagne ; nos montures ereintees se refusent a. la rapidite de notre course ; on leur rend du
courage h grands coups de nagaika : mon compagnon
court toujours, je le suis fidelement : la nuit vient, les
passages dangereux se multiplient sous nos pas, nos
chevaux epuises buttent a chaque pierre, a chaque ravine; mon terrible guide garde son trot d'enfer; je demande un instant de grace ; l'obscurite m'empechait de
distinguer ma route : . Impossible ! m'est-il repondu de
loin; service du general ! et je le vois s'vanouir dans
l'ombre : . C'est biers, criai-je, a la garde de Dieu 1
Je me raffermis dans mes etriers, je passe deux fois ma
bride autour de ma main, je pousse un cri sauvage, je
talonne les flancs de mon miserable coursier, je laisse
tomber de ma cravache sur son dos une grele de coups :
tout cela fait, je me laisse emporter ou it plaira h Dieu
de me conduire et a mon cheval de me mener. Cependant, un pen de pitie avait fini par penetrer au Coeur de
l'inflexible messager, pitie pour moi ou pour les chetraux, je n'en sail rien encore, car l'etat de ces pauvres
animaux pouvait donner a penser qu'il faudrait bientet
les abandonner sur la route. Il ralentit le pas, je m'en
apercois, et donnant une derniere bourrade a ma monture, je passe devant et me jette en desesperee a travers
D
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400
LE TOUR DU MONDE.
environ quarante concerts publics, sans compter les soires particulieres et les occasions que j'ai pu trouver de
faire de la musique pour mon propre plaisir.
Tel est le bilan de ma temeraire entreprise. Pierre
qui route n'amasse pas de mousse, dit un vieux proverbe ; j'ai verifie par moi-meme l'exactitude de ce dic-
Tombeau de Mlle Cristiani. Dessin de Therund dapres un dessin envoyd de Novo-Tcherkask a sa amille.
LE TOUR DU MONDE.
1101
VOYAGE A TERRE-NE-I'VE',
PAR M. LE COMTE A. DE GOBINEAU2.
1860. DESSINS INEDITS.
I
Les banes de Terre-Neuve. Ile Saint-Pierre. Aspect. Les maisons. Le barachoix. Le poudrin. L'arrivee des pecheurs.
.... Le bane de Terre-Neuve n'est en aucune facon
une etendue de sable plus ou moms couverte d'eau. C'est
la pleine mer, et les navires flottent sans crainte audessus et le traversent dans tous les sens. On y trouve
trente, quarinte, quatre-vingts brasses et davantage.
Mais autour de ces profondeurs qui restent toujours
peu pres les memes dans une etendue de cent lieues,
la sonde n'obtient plus de fond. On a conclu avec raison, ce semble, quo les banes etaient de vastes plateaux
sous-marins entoures de plaines encore plus deprimees.
Sur ces plateaux abondent les morues. Toutes les fois
que le vapeur de guerre le Gassendi qui nous portait
s'arreta pour sonder, les amateurs de peche laisserent
filer d'enormes lignes, et les desmuvres suivirent ces
26
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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arborent a lours fenetres les appats seduisants de bou- a-dire l'appat destine a garnir les lignes. Cet appat est'
teilles de tons les formats, et une multitude de navires, ou frais ou sale, et les gees du mtier en sont encore a
venant du large, debarquent sur le quai une population decider si l'un ne peut pas en tout temps et en toutes
nouvelle qui arrive de tons les ports de France, depuis circonstances tenir la place de l'autre. Toutefois il est
Bayonne jusqu'a Dunkerque, et qui fait monter parfois certain que lorsque la morue est consult& par l'offre
le chiffre des habitants de l'ile a dix, douze et memo simultande des deux seductions, elle prefere la chair
quinze mine Ames. C'est la, a sa facon, a un certain point fraiche.
Cette chair fraiche est fournie par le capelan 1, espece
de vue, une population tres-distinguee, tres-fire d'ellememe, qui se considere comme une espece d'elite dans de petit poisson qui, au printemps, descend des mers du
la creation, et qui, en verite, n'a pas tout a fait tort. En Nord, poursuivi par des bancs de morues, lesquelles
un mot, ce sont les pecheurs des banes qui font la leurs lour tour sont chassees par de plus grosses especes. Dans
la terreur que leur causent les bandes innombrables de
provisions de vivres pour eux-memes, d'appAt pour le
poisson qu'ils veulent prendre, ou bien qui, dans le tours leurs ennemis, les capelans se repandent dans toutes les
de la campagne , viennent emmagasiner on vendre celui mers qui avoisinent Terre-Neuve, en masses tellement
qu'ils ont conquis. Ces gees-la sont au petit pe'cheur epaisses, que le flot les rejette et les accumule parfois
indigene ce qu'un zouave pent etre a un garde national. sur le sable des groves.
La *he principale de ce capelan se fait sur la cote
Le costume de ces matelots paracheves atteint les dernieres limites possibles du dsordre pittoresque. Des anglaise de Terre-Neuve, et les hommes de la apportent
leur butin a nos pecheurs venus a Saint-Pierre pour le
bottes montant jusqu'a mi-eUisse, des chausses de toile
ou de laine , amples comme celles de Jean-Bart sur rendez-vous.
Les goelettes une fois pourvues de leur boitte quittent
l'enseigne des marchands de tabac, des camisoles bleues
et blanches ou rouges, ou rouges et blanches, des vestes Saint-Pierre, prennent la direction du nord-est et s'a,
ou des vareuses de tricot qui n'ont plus de couleur si ja- vancent sur les banes.
Des que le capitaine a choisi sa place de peche, il se
mais elles en ont en, des cravates immenses, ou plutet des
pieces d'etoffe accumulees , tournees, nouees autour du met a la cape sur cette mer profonde, orageuse, plucon, des chapeaux enormes pendant sur le dos, ou bien vieuse, brumeuse, et il y passera plusieurs semaines sans
bouger. Il tend ses lignes le long du bord. Ce sont
des bonnets de laine bleue, enfonces sur les oreilles, et,
sortant de toutes ces guenilles, des mains comme des d'enormes cordes flottant sur la mer et auxquelles sent
battoirs, des visages plutet basanes que de couleur hu- attachees d'autres cordes verticales dont l'extremite porte
maine, plutet noirs que basanes, converts de la vegeta- l'hamecon, dissimule par Yap*. A chaque instant, on
tion desordonnee d'une barbe qui depuis quinze jours love les lignes, on en detache le poisson pris, on remet
n'a pas vu le rasoir, voila l'aspect honore, respecte, ad- de l'appAt et on recommence 2.
Cependant, on s'occupe immdiatement de faire subir
mire du pcheur des banes. 11 reste encore un point important pour que la description soit complete. Prenez a la prise une premiere preparation. On decolle la
l'homme ainsi fait qu'il vient d'tre- dit, et roulez-le morue, on l'ouvre, on la vide, on la fend en deux, on
pendant deux bonnes heures, avec son equipement, dans l'empile en las et on la sale.
Ce labour combine est incessant, il dure autant qua
la graisse de tons les poissons possibles, alors it ne manquera plus rien a la ressemblance. Car il faut le con- le Poisson donne ; jour et nuit on s'y relaye. Jour et nuit,
cevoir huileux au premier chef, sans quoi ce n'est plus le matelot est sur le pont, quelque temps qu'il fasse,
presque toujours mouille jusqu'aux os, convert d'huile
le vrai pecheur.
Ainsi fait, il descend de sa goelette, aussitert qu'elle a et de sang, respirant une odour infecte, entoure de demouille, et vient s'offrir avec bonhomie, mais avec le bris degartants, travaillant sans s'arreter.
Comme la premiere affaire est de rapporter le plus de
juste sentiment de ce qu'il vaut, a l'accueil chaleureux
et admiratif de l'habitant. Il marche dans le sentiment poisson possible, on mnage avec grand soin la place
disponible, On a done de vivres ce qu'il en faut strictede sa gloire sur ce sol qui l'appelle depuis taut de mois.
,
Les mains dans les poches, la pipe a la bouche, il rapOn
se
sert
aussi,
comme
appat,
du
hareng et de l'encornet.
1.
pelle Adam dans le paradis terrestre. Il en a l'innocence
2. Voici comment un recueil special rectifie ce passage de la
et la satisfaction d'tre an monde, dont il se considere relation :
aussi, en toute humilite, comme la merveille, et encore
a Lorsque le capitaine a choisi sa place de peche, au lieu de
une fois, il a raison, car il n'est pas un homme de mer mettre a la cape, il mouille ; le peu de profondeur relatif de la
mer, quarante a soixante brasses, le lui permet, les navires qui
depuis l'amiral jusqu'au dernier mousse qui ne pense sont armes pour la peche etant tous munis de cables en chanvre
cela de lui.
sans lesquels it serait impossible de mouiller a de pareilles pro-
Za boitte.
Un navire part de France et vient d'abord a SaintPi,:rre se pourvoir de ce qu'on appelle la boitte, c'est-
fondeurs.
a Alors 1:equipage tend les lignes ; ce sont des cordes tresminces et d'une longueur considerable qui, au lieu de flotter sur
la mer, trainent sur le fond oh elles sont retenues aux deux extremites par des grappins. Des bouts de ligne plus minces sont attaches
a la premiere ligne. Es sont separes a peu pros par une distance
de un metre et sont longs d'environ cinquante centimetres.
(Revue du Monde colonial, 1861, page 79.)
LE TOUR DU MONDE.
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qu'a trois et quatre milles en mer, tendre d'autres lignes. On rayonne fort loin autour du navire.
Chaque matin, a quatre heures, les matelots se mettent dans leurs coquilles de noix, s'assoient sur les bancs,
d'une main jettent leurs bonnets a leurs pieds, et en
commencant a ramer, comme nous disons a terre, a na-
56
59
ger, comme ils disent, recitent tout haut une priere ; puis
remettent leurs bonnets et s'en vont a lours lignes.
Mais it fait nuit, mais it pleut, mais le brouillard est
opaque, mais la mer devient subitement furieuse. Un
courant s'est empare de l'embarcation et l'a jetee hors
de sa route; plusieurs jours se passent, on n'en a pas
LE TOUR DU MONDE.
eu de nouvelles, on n'en aura jamais. Voila ce que
peut touter un plat de poisson.
Mais voila aussi pourquoi, dans toute la gent maritime, le pecheur des Bancs est un homme tenu en
si haute consideration. De tous les marins, c'est celui qui a vu le plus souvent toutes les difficultes du
metier, qui en a eprouve les fatigues les plus rudes,
qui a du montrer,, pour disputer sa vie a l'abime,
le plus de sang-froid et d'adresse, le plus de fermete
et d'esprit d'h-propos, qui sait le mieux ce que vaut
un bout de corde et ce que promet le vent qui souffle.
Enfin c'est, dans toute l'expression du mot, un marin, et pent-etre doit-on lui faire un honneur plus difficilement merite encore de nos j ours ; c'est un homme.
qui est le fait, en general, de tous les hommes aventureux et resolus, lose a peine dire a quel chiffre ce qu'il
est en droit de reclamer se reduit. S'il le faut absolument, j'avouerai pourtant qu'il est tel de ces hommes
qui ne recoit pas plus de cinq a six francs au bout de six
mois de navigation.
Ainsi, meme dans les meilleures conditions possibles,
comme metier, c'est un mauvais metier que d'tre pecheur des Bancs. Et cependant, ceux qui l'ont fait une
fois y retournent presque toujours, et tant qu'ils ont des
forces ils y reviennent, et leurs enfants y reviennent
apres eux, et des generations successives se devouent a
ces terribles epreuves.
405
La France a toujours ete la nation qui a fourni, proportion gardee, le plus d'hommes a ce genre de navigation.
Les Anglais, qui rivalisent avec nous, et meme, au
point de vue du nombre, nous depassent, ne sont nullement dans des conditions semblables l . Leurs navires
des Bancs viennent de Terre-Neuve, qui est tres-voisin,
et y vont sans cesse porter leurs chargeinents. Its n'ont,
en realite, a essuyer , ni des dangers, ni des fatigues, ni
des travaux pareils ; aussi eux-memes ne comparent-ils
1. Les exportations anglaises, en produits de peche, representent
une somme d'environ 1 357 49 livres sterling. Dans ce chiffre la
morue seule entre pour 894 966 livres sterling.
LE TOUR DU MONDE,
406
pas leurs equipages aux Mitres, dont ils avouent l'immense superiorite.
Les Americains ne se montrent pas en grand nombre
et ne cherchent pas h lutter.
Il faut done constater que nous sommes restes dans
ces mers ce que nous y avons toujours ete , meme au
temps oil nous &ions les possesseurs.des terres voisines,
d'excellents et hardis marins, des hommes intrepides et
intelligents. Toutefois, avouons-le aussi et h regret :
nous ne sommes plus aussi nombreux
III
Une rue de Saint-Pierre. Le matelot et le marchand.
LE TOUR DU MONDE.
pent. Les objets ne sont pas tarifes d'une maniere bien
exacte. L'interlocuteur est si aimable, son eau-de-vie si
bonne, et d'ailleurs on n'en est pas a quelques sous de
plus ou de moins.
Quand it n'a plus rien, le matelot serre chaleureusement la main de son ami et retourne a son bord en chantant. Ce n'est que le lendemain qu'il s'apercoit de toutes
les belles acquisitions qu'il a faites, et que, s'il est marie,
it commence a se gratter l'oreille, en se demandant avec
inquietude ce qu'au retour sa femme va penser et dire.
IV
L'tle de Miquelon. Nouvelle Reosse. Le Cap-Breton.
Sydney-Ville. Sydney-Mines.
Le peu de choses que nous avions h faire etant termine, le Gassendi leva l'ancre et partit pour Sydney.
Nous franchimes de nouveau l'entree de la rade, et,
avec un plaisir assez vif, nous perdimes de vue le cap a.
l'Aigle et son front aussi chauve que celui d'un vautour.
Nous apercames un bout de Miquelon, et cola suffit
pour la satisfaction des yeux. Bien que, sur la carte,
cette lie presente un developpement plus considerable
que Saint-Pierre, en Halite ce n'est Hen. Elle n'est
habitee quo par un tres-petit nombre de families de IAcheurs. Elle n'a pas plus d'arbres que Saint-Pierre ;
toutefois les herbages y poussent un peu mieux, et on y
admire, si l'on vent y alien, une espece de ferme. Dans
la topographie locale, l'ile est divisee en deux : la grande
et la petite Miquelon, qu'une langue de sable reunit.
Quand Saint-Pierre sera devenu une cite, peut-titre
Miquelon deviendra-t-elle un jardin. En attendant cet
heureux jour, ce n'est rien.
Grace au sOleil resplendissant qui nous couvrait de sa
lumiere et un pen de sa chaleur, la journee se passa sur
le pont dans un bien-titre auquel on n'etait plus accoutume, et aux premieres lueurs du jour, nous apercames
la cote du Cap-Breton, qui courait a notre gauche parallelement a nous.
C'est une vaste plage s'elevant en amphitheatre par des
ondulations prolongees jusqu'a des hauteurs moyennes.
Ce sont, a l'horizon, de grandes lignes harmonieuses qui
unissent les montagnes aux collines, et se dcoupent
noblement sur le ciel. Ce sont des forets d'arbres tresdifferents, oh dominent cependant les coniferes ; ce sont
des plaines d'une belle verdure, au milieu desquelles
apparaissent quelquefois les toits d'une ferme.
Mais les fermes y sont rares, et quant a des villages,
je ne suis Tas assure d'en avoir decouvert un seul.
Nous poursuivions notre route en regardant ces belles
rives, quand la mer se montra a nous, comme ('embouchure d'un vaste fleuve, entouree de rives, penetrant par des bras d'une largeur majestueuse dans un
horizon de verdure, de forets, s'enfongant en meandres
doucement contournes sous les profondeurs des arbres.
Nous entrames dans le vaste golfe, et deja nous apercevions distinctement les marais de Sydney-Mines, 'orsque nous fimes rencontre du nnare, aviso a vapour
comme nous, et appartenant a la division, qui s'dloi-
.407
LE TOUR DU MONDE.
408
A mesure que nous passions le long des cotes duCapBreton, nous admirions sans nous lasser ces puissantes
dentelures qui, a chaque instant, berissent l'aspect des
terres de caps et de promontoires. La mer brisait tantOt
sur des greves, tant6t sur des roches depouillees. Tres-
Peelle de la morue sur le grand bane de Terre-Neuve. Les embarcations longent les lignes. Dessin de Le Breton.
410
LE TOUR DU MONDE.
aspect assez gai, precedees d'un enclos de palissades soigneusement rabotees, blanches ou grises, bordant la
grande route. Mais dans ces enclos it ne pousse pas
grand'chose, et on y contemple avec plus d'espoir que de
plaisir quelques maigres tiges d'acacias qui seront arbres
un jour, pourvu quo Dieu leur prete vie.
L'Ecole normale, surmontee du pavillon de la colonie,
se signalait au milieu des habitations par une construction particulierement soignee et des dveloppements
beaucoup plus vastes.
VI
La baie Saint-Georges (Terre-Neuve). Codroy et l'ile Rouge.
Preparation de la morue. Un etablissement. Les graves. Le chauffaut. Le cageot. Salaison. Le vigneaux.
Par une belle matinee, nous sortimes de la passe d'Halifax, et reprimes la haute mer, nous dirigeant vers la
baie Saint-Georges, sur la Cate occidentale de l'ile de
Terre-Neuve.
Pour entrer dans la baie Saint-Georges, on longe
quelque temps une langue de sable qui s'avance paralllement a la terre, on en double la pointe, et on penetre
dans un vaste bassin entoure de rives assez plates. A
l'est, s'elevent des maisonnettes de bois en grand nombre, et, devant toutes cellos qui avoisinent la mer, une
ligne de debarcaderes charges de tonneaux.
Nous descendimes a terre pour faire connaissance
avec la population presque tout irlandaise du village de
Saint-Georges qui s'occupe uniquement de peche. Au
printemps, les harengs, poursuivis dans la haute mer
par des poissons plus gros qu'eux , viennent se refugier
en masse dans la baie, et les habitants de Saint-Georges n'ont que la peine de les y prendre. Its les preparent, les salent ; et c'est la leur fortune et leur seul
moyen d'existence.
Il n'y a point d'agriculture, et it ne pout y en avoir.
Le sable lutte avec les cailloux, les cailloux confluent a
la tourbe. Beaucoup de sapins et des grandes herbes forment des taillis et des fourres. Avec quelque peine, on
reussit a obtenir des pommel de terre, mais en petite
quantite. C'est le supreme effort de la puissance creatrice
de ce sol.
Cependant les cabanes oat bon air ; elks sent remarquablement propres au dehors et au dedans, garnies de
meubles d'une certaine elegance, fournies de bons pales
qui permettent de braver la rigueur des hivers interminables. Hommes, femmes et enfants sont vigoureux,
bien portants, de bonne humour, bien vetus. Rien n'est
plus singulier que de voir passer sur cette grove sauvage
des dames et des jeunes demoiselles en chapeau, tenant, lorsque le temps vent Bien le permettre , une ombrelle a la main. Cette elegance jure avec l'aspect de la
contree, et plus encore avec le genre de vie du beau sexe:
car ces dames sont des nereides. Elles tirent les barques
a terre, vont prendre le poisson dans la baie avec leurs
pores et leurs maris, le salent et l'encaquent de leurs
propres mains. Tout cola ne les empeche pas d'avoir une
tenue fort convenable, d'etre pour la plupart tres-agrda-
LE TOUR DU MONDE.
tiles a regarder, et de ne ressembler en aucune sorte
leurs emules du continent.
De Saint-Georges, nous partimes pour Codroy, situe
un pen au sud.
Tandis que Saint-Georges est un village tout anglais
oit jamais les pecheurs francais ne se montrent, Codroy
peut passer a la rigueur pour une fondation mixte ; mais
quel triste role y jouent nos hommes ! Sur un petit ilot
de quelques pas d'etendue qui semble echoue sur la
cote, quelques miserables cabanes sont eparses, et c'est
la dans la boue et la raalproprete que sont etablis une
douzaine de nos gens.
Au dela du petit bras de mer qui isole la triste residence de nos compatriotes, et sur la grande Ile tame,
nous entrames dans le village de Codroy, habite par
deux ou trois cents pecheurs. Nous y retrouvames la
memo apparence propre et detente dans les habitations,
le memo air d'aisance chez les hommes et chez les
femmes, la meme solidite d'esprit chez tout le monde
qu'a Saint-Georges, enfin une opposition un peu triste
avec ce qu'on voyait en face chez nos Francais. Cette
population intruse est plus riche que celle de SaintGeorges. Le sol, moins sterile, possede d'assez beaux
paturages oh des troupeaux de vaches errent sur la
troupe des montagnes.
De la nous nous remimes en route pour le nord. En
quelques heures nous arrivames en vue de l'ile Rouge,
une espece de cOne elev qui fait face a la GrandeTerre. Entre ses rives etroites et celles de cette derniere,
une multitude de petits bateaux montes chacun par
deux hommes etaient occupes a pcher la morue. On
les voyait par un rayon de soleil qui , en ce moment,
percait les nuages et egayait cette scene d'activite, debout dans les embarcations et faisant l'un filer une
ligne , tandis que l'autre relevait celle qui avait deja
dormi quelque temps dans l'eau. Le Poisson pris s'accumulait dans le fond de chaque barque. Des goelettes circulaient au milieu de cette animation, et a notre vue hisserent les couleurs francaises. Nous debarquames dans
l'ile Rouge.
Au pied du cOne, une rangee de cabanes de branchages, qui ne contiennent que des cadres et des hamacs,
sert de dortoirs aux pecheurs.
La greve etait couverte, de maniere a flatter aussi peu
la vue que l'odorat, d'une couche de debris sanglants de
morues ; tetes et entrailles chargeaient le galet aussi
abondantes que le sont ailleurs les plantes marines rejetees par la vague. A quelques pas s'elevait la paroi
presque droite du cone. L'tablissement proprement dit
est au sommet. On a construit en planches un escalier
roide comme une &hello , accoste a droite eta gauche
par des rails en bois sur lesquels montent et descendent,
avec l'aide d'un cabestan place au sommet du mont, tons
les fardeaux qu'on vent faire circuler.
Apres avoir escalade un bon nombre de marches, nous
nous trouvames au milieu des magasins, tous construits
en planches, de l'habitation du gerant, de celle du docteur, enfin dans le centre d'une exploitation intelligente
411
1112
LE TOUR DU MONDE.
s'y prenaient pour saler la morue donnait lieu h des critiques universelles.
Aujourd'hui, parmi nos capitaines, il se trouve des
gens actifs et de bon sens qui commencent, non pas a
imiter les Anglais, mais a revenir a nos anciens us. Au
lieu de couvrir au hasard le Poisson de pelletees de sel,
ils exigent de leurs hommes que ce preservatif soit appliqu en plus petite quantite et avec plus de soin, principalement le long de l'epine dorsale. Its soumettent le
Poisson a une dessiccation plus longue ; ils l'emballent
dans des caisses plus petites, on a l'aide de presses ils
en font entrer davantage, et ils obtiennent ainsi des resultats que l'exprience des dernieres annees a fait re-
Saint-Jean, capitale de la colonie anglaise de Tern-Neuve. Dessin de Le Breton d'aprs une photographie.
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. une photographic.
Preparation de la morue a la baie du cap Rouge. Dessin de Le Breton d'apr es
LE TOUR DU MONDE.
414
Du sommet du cone de l'ile Rouge la vue est admirable. On plane sur une immense etendue de mers et
sur les grands bois de Terre-Neuve. Le soleil se conzhait dans les eaux rougies du golfe Saint-Laurent quand
nous primes conge des pecheurs. Nous fimes voile alors
pour Ia baie des Iles, largement ouverte, tendue, profonder seme de beaucoup d'Ilots.
Ici la nature change d'aspect et prend une grandeur
que je ne lui avais pas encore vue dans ces parages.
Tous les ilots sont des montagnes fierement dressees
en face de la Grande-Terre, qui, relevee elle-meme
en falaises orgueilleuses, couverte de bois epais, assombrie par la verdure des sapins, montre un amas d'escarpements et de troupes, de rochers surplombants et
de pentes rapides qui remplissent fame d'une sorte de
respect craintif.
De la baie des Iles, nous partimes pour le port Saunders, oh nous ne decouvrimes qu'un seul pe'cheur qui,
dans tin complet isolement et sans famine aucune, demeure a une certaine distance du rivage au milieu des
bois, dans une petite cabane qu'il a construite it y a
deja bien des annees.
Arrives en vue de l'ile Saint-Jean, nous n'apercUmes
sur la plage qu'une trentaine de gros chiens noirs jouant
dans l'eau et a pen pros autant d'enfants joufflus de toutes
tailles qui les aidaient. Dans une douzaine de cabanes,
rien que des femmes. Les hommes etaient alles pother
au Labrador.
Les femmes de Saint-Jean ne sont pas moins actives
et courageuses que leurs compatriotes de Saint-Georges.
Elles ont de plus le privilege de pother seules dans leur
baie, leurs maris dedaignant un travail si facile et si peu
dangereux. Nous vimes quelques belles files, qui sortant des maisons, mirent a l'eau une des embarcations
echoudes sur la grove et s'eloignerent avec la securite de
l'experience. J'admirai encore comme toutes ces demeures etaient a l'interieur propres et bien tenues, presentaient un aspect rgulier, joyeux, confortable, et
differaient helas I des bouges desordonnes dont se contentent memo nos capitaines et nos docteurs qui, cependant, voient chaque annee tout autre chose en France.
On a d'autant plus lieu d'tre surpris de taut de proprete
chez leurs voisins, que, je ne saurais trop le repeter,
s'agit ici non-seulement de pauvres pecheurs sans argent,
mais d'Irlandais qui nulle part en Angleterre, ni dans
leur ile, n'ont encore trouve moyen de se faire une reputation en ce genre.
La vie a l'ile Saint-Jean est un peu plus agitee que
sur le reste de la cote ouest, exposee dans certains moments de l'annee a des dangers qui ne sont pas connus
plus bas. Vers le printemps, on voit quelquefois deboucher par le detroit de Belle-Isle, certains bateaux Venus
on ne sait trop d'oh, du Labrador, de la partie anglaise
de Terre-Neuve, qui, sans papiers et sans pavilions, se
repandent dans ces parages, sous prtexte d'y couper du
bois. Quand ces vagabonds surprennent, une habitation
isolee, it leur arrive quelquefois de la piller et d'insulter
on de maltraiter les femmes. Aussi surveille-t-on avec
anxiet leur venue, et aussiat qu'une voile suspecte parait au large, les mores de famine ferment et barricadent
tout, cachent ce qu'elles ont de meilleur et s'enfuient
dans les bois avec leurs enfants. Lorsqu'elles se sont
assurees que les etrangers ne sont pas descendus a terre
ou se sont rembarques, elles reviennent, et quelquefois
elles en sont quittes pour quelques portes enfoncees ou
memo pour la pour.
Nous commencames a faire rencontre de glaces flottantes. Il arrive assez frequemment qu'au mois de juillet, le detroit de Belle-Isle n'tant pas encore debarrasse
des banquises qui l'obstruent, le passage n'est pas libre.
Il l'etait cette fois, et les morceaux de la barriere flottaient ca et la sur les eaux, enormes, elevant dans les
cieux leurs totes blanches de neige, semblables h des
Iles montagneuses avec plusieurs sommets, des pica et
des vallees. Il arriva, un jour, pendant que nous visitions
la pecherie de la baie des Fleurs, que les officiers s'amuserent a tirer h boulet et presque h bout portant sur un
de ces debris ; on voyait le projectile s'enfoncer dans la
neige, et ne pas plus emouvoir le but que si on Petit
salue d'une noisette. Quelquefois, lorsque les eaux ont
use suffisamment la base d'une glace , la masse immense
s'agite , s'emeut , se retonrne avec un bruit epouvantable , et dresse en l'air ce qui tout a i'heure plongeait au plus profond du gouffre , car si monstrueuse
que se montre la partie qui est h decouvert, cello qui
se cache dans l'eau en represente toujout.s sept fois la
hauteur.
Ces monuments de la rigueur du climat polaire se
LE TOUR DU MONDE.
separent au printemps , et emportes par les courants ,
descendent vers le sud. Les uns, uses peu a peu par la
temperature plus donee, se fondent et disparaissent, les
autres echouent sur le rivage; quelques-uns saisis par
le gulf-stream remontent dans le nord, et sont entralnes jusqu'aux parages de la Norvege.
....L'entree du port de Saint-Jean de Terre-Neuve est
fort etroite et pendant l'hiver bloquee par les glaces.
Dans la belle saison, it y vient un assez grand nombre
de batiments strangers, notamment des espagnols qui
transportent la morue dans leurs colonies et dans lours
provinces europeennes. La ville n'est pas tout h fait
aussi considerable qu'Halifax, ni le lieu d'un aussi grand
commerce, surtout aussi varie. Neanmoins, it y regne
une activite tres-grande, et comme c'est 1a que les pcheurs anglais des banes et de toute la cote britannique
de l'ile apportent leurs cargaisons, des groves sont etablies partout of les maisons n'occupent pas le terrain.
La morue s'y stale, y seche jusque sur les glacis des
forts et remplit l'air de ses parfums combines avec ceux
du Loup marin. A certains egards, Saint-Jean pout etre
considers comme un vaste chauffaut.
La moitie au moins de la population de la vine est
irlandaise, et par consequent catholique. Cette moitie se
compose ainsi : quelques negociants ou agents d'affaires
assez riches, en petit nombre ; une certaine moyenne qui
a quelque aisance, et enfin a peu pros toute la classe
pauvre. Les protestants comprennent la majeure partie
de la societe opulente.
Le gouvernement de Terre-Neuve est absolument
semblable h celui des autres colonies anglaises. L'impOt
se vote par une chambre basso composee des membres
qu'elisent les habitants de l'ile partages en districts, sauf
coax qui habitent la cote frangaise, lesquels n'ont pas
d'existence civile reconnue. Les lois coloniales sont faites
par cette chambre et par le conseil, espece de senat
nomme egalement a l'election. Le gouverneur, reprsentant de la refine, ne saurait Hen faire sans le concours
de ces deux pouvoirs et c'est dans leur majorite qu'il
prend les agents principaux de son administration, ministere responsable devant la colonie. Toutes les affaires
sont traitees d'apres la methode constitutionnelle, avec
une grande publicit, une grande intervention de la part
des journaux, un appel constant h l'appui ou a la me=
fiance da electeurs, de grandes difficultes pour les ministres et enfin bon nombre de soucis pour le gouverneur.
L'evque de Saint-Jean de Terre-Neuve, notamment,
phut passer pour un des riches prelats de la catholicite.
Ses revenus sont considerables, et se fondent, pourtant,
presque uniquement sur la vente du poisson. Les contributions des fideles arrivent sous cette forme, et le plus
miserable pecheur prefrerait prendre sur la portion
destinee a la nourriture de sa famille que de diminuer la
portion qu'en son Arne et conscience il croit devoir reserver a son premier pasteur. Il apporte son tribut en
nature, et l'evque le fait vendre, et comme il se trouve
ainsi annuellement en possession de cargaisons consi-
415
Les preparatifs de notre retour, apres nous avoir conduits h Saint-Pierre, nous ramenerent galement h
Sydney. Nous y passames quelques jours en face d'un
paysage que l'automne commencait a couvrir de teintes
rougeatres de toutes nuances.. Les sauvages etaient des-.
cendus de l'interieur en plus grand nombre que nous no
les avions encore vus, et leurs wigwams s'etendaient
dans les Bois voisins. Des groupes de ces braves gem
circulaient dans les rues vendant leurs paniers et demandant un peu l'aumOne, ce qui nous fit faire la connaissance d'un personnage important nomme Gougou, qui
n'tait Hen moins que le dernier reprsentant de l'an-
416
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
1e9 7
REVUE GEOGRAPHIQUE,
1805
(PREMIER SEMESTRE)
I
Speke et Grant sont arrives a Khartoum. A Ces
sept mots, transmis d'Alexandrie et recus a Londres le
30 avril par la voie telegraphique , sont devenus la
grande nouvelle scientifique du jour. Cette annonce tout
a fait inopinee a produit une joie aussi vive , une emotion aussi communicative et aussi generale que l'anxiete
d'une longue attente avait ete penible. Depuis longtemps
on osait a peine esperer un aussi heureux denottment
pour l'aventureuse entreprise des deux voyageurs. La
Societe royale de geographie etait precisement a la
veille de sa grande reunion annuelle; on peut bien
penser que le succes glorieux des deux braves . ofliciers
en a fait les honneurs. Les journaux memes du capitaine
Speke, qui avaient suivi de pres la depeche d'Alexandrie,
ont permis au president de la Societe, sir Roderick
Murchison, de donner a sa communication un developpement suffisant pour calmer la premiere curiosite. C'est
ce document que nous allons emprunter les faits
suivants.
Nos lecteurs n'ont peut-etre pas oubli les circonstances auxquelies l'entreprise se rattache, et qui en ont
ete le point de depart. Lorsque le capitaine Burton, en
1857, concut la pensee d'une exploration interieure de
l'Afrique australe, it s'associa dans cette expedition dangereuse le capitaine (alors lieutenant) Speke, comme
lui officier de l'armee de nide, et qui deja avait partage
sa fortune dans un premier voyage au pays des Som'al,
sur les bords du golfe d'Aden. On sait quels furent les
resultats de cette memorable expedition de 1858 ', et
combien elle a contribue a enrichir la carte d'Afrique.
Elle restera le grand.titre de gloire du capitaine Burton;
mais Speke, lui aussi, y out une belle et large part. Les
deux explorateurs avaient acheve, a onze cents milles
de la cote orientale , la reconnaissance du grand lac
central de Tanganika, lorsque, au retour, leur attention fut appelee , par les rapports des marchands arabes, sur un autre lac d'une non moms grande eten-
1. La relation de cette expedition, &rite par le capitaine Burton, a ete traduite en francais par Mme Loreau : Voyage aux
Brands lacs de l'Afrigne orientate. Paris, 1862, un volume grand
.n-8, avec de nombreuses illustrations (chez Hachette).
VII.
II
A peine de retour en Angleterre , it soumit ses idees
et ses plans a la Societe de geographie et au gouvernemeut; l'un et l'autre les approuverent pleinement, et les
moyens d'execution lui furent largement fournis. L'Angleterre 'n'hesite ni ne marchande la oil Ole voit l'honneur de son nom interesse memo dans une entreprise
scientifique. De regrettables questions d'amour-propre
LE TOUR DU MONDE.
418
l'avaient separe de Burton; c'est a un autre de ses compagnons d'armes , le capitaine Grant, qu'est revenu
l'honneur d'associer son nom a la belle expedition qui
vient d'tre accomplie.
SpekeAtait revenu d'Europe a Zanzibar au mois d'aotlt
1860 ; ii en partit pour l'interieur le 1 octobre avec le
capitaine Grant, accompagnes d'une nombreuse escorte
organisee a grands frais. Speke reprenait precisement
la route qu'il avait suivie avec Burton dans le voyage de
1858. Plus tard , it regretta de ne pas avoir choisi pour
point de depart une partie de la cote plus rapprochee de
l'equateur ; d'autant plus qu'une secheresse extraordinaire , suivie d'une grande famine et de guerres intestines , semerent cette premiere partie du voyage de difficultes inattendues, et retinrent l'expedition pendant
de longs mois dans des contrees deja reconnues qu'il
avait compte traverser rapidement. Enfin , au mois
d'otobre 1861, il revoyait le Nyanza. II se trouvait au
seuil de la zone inexploree, oit s'ouvrait pour lui et
son compagnon de travaux une nouvelle phase de decouvertes et d'aventures, mais aussi une nouvelle perspective de perils inconnus.
III
A la nouveaute des scenes et hl'imprevu des incidents,
cette partie du journal de Speke reunit l'importance des
observations scientifiques. Un sejour de pres d'une
annee, en partie force, en partie volontaire, chez les
differents peuples qui bordent le lac, l'ont mis a meme
de reunir des informations et de constater un grand
nombre de faits d'un interet extreme pour la geographie
physique de cette zone equatoriale et pour la connaissance de ses populations. La contree dont le Nyanza
recoit les eaux est dans son ensemble une region elevee,
elevee, du moins , par rapport au continent africain,
dont la configuration generale ne presente qu'un relief
mediocre Speke estime que le pays, situe a l'ouest
et au sud-ouest du lac, peut avoir une elevation moyenne
de six mine pieds anglais (environ dix huit cents metres);
mais les montagnes qui dominent ces hautes plaines atteignent , par quelques-uns de leurs sommets, a une
hauteur absolue de dix mille pieds au moins ou trois
mille metres. C'est la hauteur du mont Liban en Syrie.
On peut remarquer que cette configuration du pays
l'ouest du lac repond tout a fait a celle que les observations de Krapf et du baron de Decken ont dj fait connaitre a l'est, a mi-chemin environ entre le Nyanza et la
cote de Zanzibar. La aussi de hautes plaines sont herissees de groupes de montagnes ou de pies isoles , parmi
lesquels le Kilimandjaro et le Kenia portent leurs fronts
glaces a la hauteur des plus hautes times du Gaut. Le plateau qui constitue le massif de l'Afrique australe (dans
la partie traversee par Burton et Speke, entre Zanzibar et le lac
Tanganika) n'a qu'une altitude moyenne de mills a douze cents
metres; le point culminant est a treize cent soixante et un metres
(quatre mille quatre cent soixante-sept pieds anglais). Nous sommes
loin de l'enorme soulevement du plateau tibetain, quatre a cinq
mille metres.
419
LE TOUR DU MONDE.
Ptolemee, aux lacs dont it fait sortir le Nil (Neiloti X11).vac,
les Marais du Nil). Dans son ensemble, le Nyanza pent
avoir cent cinquante milles de longueur sur Imo largeur a peu pros egale; les observations de Speke, qui
en avaient dj place l'extremite meridionale vers deux
degres et demi de latitude sud, ont constate que le bord
septentrional est presque directement sous l'epateur.
La depression dont le Nyanza occupe le point le plus bas
est du reste une veritable region lacustre. D'autres lacs,
d'une tendue plus ou moins considerable, y furent mentionnes au voyageur, qui n'a pu les visitor personnellement ; l'un entre autres, a huit ou dix journees vers le
nord-ouest, lui fut designs sous le nom de Louta-Nzighi.
Parmi les peuples noirs qui avoisinent le cote occidental du Nyanza et chez lesquels les voyageurs ont le
plus longtemps sejourne, it en est deux, les Karagoue
et les Ouganda, qui sont notes comme particulierement
remarquables. Les premiers touchent a l'angle sudouest du lac; les Ouganda leur confinent du cote du
nord. Au-dessous de ceux-ci, dans la memo direction,
sont les Oungoro, et plus loin encore, toujours en se
portant au nord, on trouve le pays de Kalladja qui touche au Louta-Nzighi , et dont les habitants sont d'une
autre race. Avec les Oungoro finit le vaste domaine
de la famille de langues - scours qui couvre la presque totalite de l'Afrique australe. Jusque-la, les interpretes de l'expedition, engages a Zanzibar, avaient pu
comprendre partout les nombreux dialectes que l'on
avait rencontrs depuis la ate ; apres les Oungoro,
des langues absolument differentes leur devinrent corapletement inintelligibles. Le fait ethnologique signals
ici par le capitaine Speke confirme et complete a la
fois les informations tout a fait correspondantes dj
fournies par les missionnaires du Zanguebar et par ceux
du Gabon sur les populations des deux cotes.
Les negres de Karagoue sent representes dans la
relation comme les plus industrieux et les plus intelligents que l'on eta rencontrs depuis Zanzibar. Les
Ouganda, qui leur confinent, partagent cette superiorite ; le voyageur les qualifie de a Francais de l'Afrique,
tant it fut charms de leur vivacit , de leur enjouement,
de leur prompte intelligence et du bon gout qui se montre sur leur personne et dans leurs demeures, aussi bien
que dans leur conduite vis-a-vis des strangers. Leur roi
Mteza est un aimable jeune homme, que son nombreux
serail, luxe des chefs africains comme des princes
asiatiques n'empeche pas d'tre passionne pour la
chasse. Qu'on ne se hate pas trop, cependant, de faire
de ce pays de l'equateur une Arcadie africaine ; car
toutes ces qualites sympathiques attribuees au jeune roi
Mteza n'empchent pas qu'une loi de l'ftat ne pres-
soit permis encore de renvoyer aux dveloppements od nous sommes entre dans notre Anne's ge'ograpItique, pubbee au mois de M.
vrier dernier (page 73 et suiv.)
1. Voyez l'esquisse, page 421.
IV
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
421
sinie (les Aga6), celle de la Nubie et de la moyenne vallee du Nil (les Bodjas, les Ababdeh, les Barabras, etc.),
et entin cette grande famine berbere de la Libye orientale et de l'Atlas, dont les Foulahs du haut Senegal et
de la Nigritie sont a leur tour une ramification secondaire, plus ou moins alteree par le sang ethiopien. Les
Gallas, en un mot, sont, a l'orient, le dernier chainon
d'un immense developpement de populations blanches
qui couvre tout le nord de l'Afrique, et que le grand
desert d'un cote, de l'autre requateur (il ne faut pas
tracer de ligne.s trop rigoureuses) separent du domaine
propre des populations noires. Il y a en tout ceci de
nombreux et difficiles problemes, en ce qui touche
aux origines des peuples, tout est obscur et difficile
reserves aux etudes h peine entamees de l'ethnologie africaine.
422
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
dont se forme le fleuve Blanc (que l'on a regarde de tout
temps, et avec raison, comme la tete du Nil) ; quoiqu'ils
n'aient pu mme suivre sans interruption la large riviere
oh se deversent les eaux du Nyanza, et qui nous parait,
comme a Speke, ne pouvoir guere etre autre chose que la
riviere memo de Gondokoro, c'est-h-dire le fleuve Blanc,
ce que les deux explorateurs ont reconnu et constate fixe
invariablement le caractere et la limite (au moins du cote
du sud) de region oh nait le fleuve d'Egypte. Nous
voyons la, dans un espace de trois degres au sud de
Yequateur, une zone senaee de grands lacs et dominee a
droite et a gauche par des montagnes elevees, oh se , forment de nombreux courants dont le recipient principal
est le Nyanza, lequel a son tour alimente un fleuve considerable qui sort du cette septentrional pour se porter
directement au nord. Tout cot ensemble de circonstances physiques repond bien aux conditions de la naissance
d'un grand fleuve, outre qu'elles sont en parfait accord,
sauf le deplacement des latitudes, avec les informations locales que Ptolemee , dans la premiere moitie du
deuxieme siecle de notre ere, consigna dans son ouvrage
geographique (voyez page 419). A ce point de vue,
Spoke a pu dire sans presomption, n la tete du Nil est
decouverte ; c'est une question reglee , D the Nile is
settled; et ses amis du Cairo, dans l'exultation toute
britannique que lour fait eprouver l'heureuse issue de
cette difficile entreprise , ont pu s'ecrier, en citant les
vers metaphoriques que l'auteur de la Pharsale met dans
la bouche du vainqueur de Porapee l : C'est un grand
sujet d'orgueil pour nous tons, officiers de Parmee de
l'Inde , que deux d'entre nous aient vaincu JulesCesar I D
Speke et Grant ont d'ailleurs etudie avec soin les routes qu'ils ont suivies. Its en ont dresse la carte, appuyee
sur des determinations de latitude et de longitude pour
tous les points importants, ce qui n'est pas une mince
acquisition dans Petat d'incertitude di nous sommes encore sur la longitude de Gondokoro, par exemple, et
consequemment sur le trace tout entier et la direction
precise du fleuve Blanc au-dessus de Khartoum. Les
elements de ces observations sont en ce moment entre
les mains du directeur de l'Observatoire de Greenwich,
qui s'est charg de les calculer. Il y a aussi une longue
serie d'observations physiques, qui nous fera parfaitement connaitre la climatologie de cette region equatoriale, en memo temps que des relevements hypsomatriques permettront d'en fixer le relief. Nous avons deja
vu ce que les deux voyageurs ont fait pour Petude des
peuples au milieu desquels ils ont Wm. Ce sont la sans
doute d'assez grands services rendus a la geographie,
memo en dehors du trace topographique des premiers
1. Attribuant A Cesar une pewee que venait de realiser NOron,
Lucain fait dire au vainqueur de Pharsale, assis au festin de Cleopatre
Sed cum tanta meo vivat sub pectore virtus,
Tantus amor veri nihil est quod noscere malim
Quam fluvii caussas per secula tanta latentes
Ignotumque caput Spes est mihi certa videndi
Niliacos fontes ; bellum civile retinquam.
423
424
LE TOUR DU MONDE.
GRAN RES.
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
LA FONTAINE DU SERAIL
KARL GIRARDET.
KARL GIRARDET.
CATENACCI. . . .
KARL GIRARDET .
CATENACCI. . . .
LA POINTE DU SERAIL
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET.
KARL GIRARDET .
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KARL GIRARDET .
A. DE BAR. . . .
A. DE BAR. . . .
A. DE BAR . . .
A. DE BAR. . . .
A. DE BAR. . .
A. DE BAR. . . .
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A. DE BAR.
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A. DE BAR.
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A. DE BAR..
A. DE BAR.
V. FOULQUIER .
E. DE BERARD.
E. DE BERARD.
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER.
PORTE DE TORTOSE.
COSTUMES ET TYPES DE SYRIE
MURS DE ROUAD
MONUMENTS PHENICIENS DE TORTOSE
INTERIEUR DE KALAT-EL-HOSN
PORTE DE KALAT-EL-HOSN.
KALAT-EL-HOSN
MAMA
COSTUMES SYRIENS : FELLAH , MUSULMAN , DANSEUR , ANSARIE , MENDIANT
UNE NORIA SUR L ' ORONTE
PONT SUR L' ORONTE
GRANDES ASSISES DE BAALBECK
426
DESSINATEURS.
FETICHES DU DAHOMEY
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
ARMES ET USTENSILES
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
USTENSILES ET INSTRUMENTS
V. FOULQUIER .
SOLDAT DU DAHOMEY.
V. FOULQUIER .
AMAZONES-ARCHERS COMBATTANT
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
76
76
77
80
81
84
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88
89
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101
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105
108
109
.........
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
V. FOULQUIER .
11 JUILLET 1862)
.. .
V. FOULQUIER .
1862)
V. FOULQUIER
112
LE PORT..LOUIS, VU DU LARGE.
KARL GIRARDET .
113
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
VUE DU GRAND-BASSIN
KARL GIRARDET
115
116
117
120
120
121
124
125
125
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129
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KARL GIRARDET.
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LE SOUFFLEUR
KARL GIRARDET.
LE PONT-NATUREL
KARL GIRARDET .
134
135
136
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET.
KARL GIRARDET
LA MONTAGNE DU REMPART
KARL GIRARDET.
LA CASCADE DE CHAMAREL
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
138
11
KARL GIRARDET .
ERNY ......
137
139
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160
161
163
LES DEUX-MAMELLES.
VUE DE LA GRANDE BAIE MAPOU
UNE SUCRERIE
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
KARL GIRARDET .
LA GRANDE RIVIkRE
KARL GIRARDET .
LANCELOT . . . .
LANCELOT
LANCELOT
LANCELOT
LANCELOT
DONAUSTAUF ET LA WALHALLA.
LANCELOT
. .
LA WALHALLA
LANCELOT
L'INTARIEUR DE LA WALHALLA.
LANCELOT
VUE DE STRAUBING.
LANCELOT
LANCELOT
PASSAU
LANCELOT . .
LANCELOT . .
AVANT LINTZ
LANCELOT
LANCELOT
427
DESSINA TEUI19.
VUE DE LINTZ
LANCELOT . .
LE STRUDEL
LANCELOT . . 165
LE WIRBEL.
164
LANCELOT . . 166
LANCELOT . . 168
LANCELOT . . 167
PERSENBEUG
MARIA-TAFERL
LANCELOT . .
LANCELOT . . . 172
ABBAYE DE MOELK
DURRENSTEIN
169
LANCELOT . . . 171
LANCELOT . . 173
LANCELOT . . . . 176
KREMS
LANCELOT . , . 177
LA GLORIETTE , A SCHOENBRUNN
LANCELOT . . . . 178
LANCELOT . . . 179
LAN .7ELOT . .
181
TAOPOLT) Pi k
LANCELOT . . . . 182
A
LANCELOT
VIENNE.
COUVENT DE KLOSTERNEUBOURG
183
LANCELOT . . . 185
186
LANCELOT .
LANCELOT 187
HAINBOURG
LANCELOT 189
APREs HAINBOURG
LANCELOT 190
THEBEN (DEVEN)
LANCELOT 191
PRESBOURG. LE QUAI
LANCELOT 192
DAME DU CAIRE
A. DE BAR. . . 193
A. DE BAR. . 196
A. DE BAR. . 197
A. DE BAR. . . 198
A. DE BAR. 199
A. DE BAR. 200
A. DE BAR. 201
A, DE BAR.. 202
FEMME FELLAH
FEMME FELLAH
LE TEMPLE DE DENDERAH
FEMME FELLAH
A. DE BAR. 203
III
A. DE BAR. 204
III
A. DE BAR. 205
A. DE BAR. 206
A. DE BAR. 207
A. DE BAR.. 208
HERMANT
A. DE BAR.. 209
ALMEE OU DANSEUSE
A. DE BAR.. . 210
A. DE BAR. 211
212
A. DE BAR.
A. DE BAR. 213
A. DE BAR.. 214
A. DE BAR.. 215
A. DE BAR. . 216
A. DE BAR. 217
A. DE BAR. . 218
JOUEUSE DE TARABOUK
Com-OmBos.
BEGHIEH
NUBIEN
A. DE BAR. . 219
DEBOUD. . . ,
KARTAS
A. DE BAR.. 220
221
A. DE BAR. . .
222
A. DE BAR.
223
A. DE BAR..
224
A. DE BAR. .
GHIRCHEH OU GHIRCH-HUSSEIN
MAHARAKKA
SAN (palefrenier)
DEUXI g ME CATARACTE DU
NIL, DITE DE OUADI-ALFA
Mop
225
Riou
227
221'
428
229
LE CRUCIFIX DE COMBAPATA
RIOU
Riou
Riou
231
233
230
232
MASTICATION DU MAIS
RIOU
VILLAGE D 'ACOPIA
RIOU
235
Rrou
236
Rtou
Rim
RIOU
Rrou
Rrou
RIOU
Riou
Riou
Riou
Rum
Riou
237
239
Cuzco
ANDAJES
LA CHINGANA DE QQUEROHUASI.
Cuzco
SAN SEBASTIAN
LA CHAIRE-DU-DIABLE
CHAMBRE MONOLITHE
240
241
243
244
245
246
247
248
249
iliou
252
RIOU
253
Riou
Riou
Rum
254
RIOU
255
255
255
LE CORRIDOR DU CIEL
Rim
256
LE TEMPLE DU SOLEIL
RIOU
257
RIOU
Riau
258
261
264
265
268
269
271
Riou
Riou
Riou.
Riau
Rtou .
Riou
RIOU
RIOU
BEGUINAGE DE LA RECOLETA
FAUBOURG DE LA RECOLETA, A CUZCO
(Document inedit).
DESCENDANCE IMPERIALE
259
..
272
RIOU
}Wu
Riou
...
273
275
276
277
278
LIONNE DE CUZCO
LION DE CUZCO
Riou
Rm.
Rtou.
278
Ritiouu
Rrou
Rrou
Rtou
RIOU
279
279
280
281
284
.
285
287
COMBAT DE TAUREAUX , A
Cuzco
Amu. . . . . . . 288
Rim. . . . . 289
291
Riou. .
RIOU. . . , . . 293
Riou ...... . 297
RIOU. . . . ... 299
RIOU
301
302
Riou
DEssINATEurts.
MOU
304
305
307
THORIGNY . . .
EUGENE FLANDIN. 308
EUGENE FLANDIN. 309
H. CATENACCI . . 312
H. CATENACCI . . 313
THEROND. . . .
MOSSOUL
CONVOI DE PRISON-
316
317
CATENACCI . . 320
EUGENE FLANDIN. 321
H. CATENACCI . . 324
EUGENE FLANDIN. 325
H. CATENACCI . . 328
H. CATENACCI . . 329
H.
H.
H.
303
THEROND ....
429
(musee du Louvre)
(musee du Louvre)
L' HERCULE ASSYRIEN (musk du Louvre)
EFFIGIE ROYALE
CATENACCI . .
CATENACCI . .
H. CATENACCI . . 329
330
331
CATENACCI . 332
EUGENE FLANDIN. 333
H. CATENACCI . . 335
H. CATENACCI . . 336
YAN D 'ARGENT. . 337
ATKINSON
. 340
ATKINSON
. 341
344
ATKINSON
345
GUIAUD. . ..
348
ATKINSON .
349
YAN D' ARGENT.
352
ATKINSON ....
353
SORIEUL ....
356
ATKINSON.. . .
ATKINSON. . . .
357
360
ATKINSON ....
361
METTAIS ....
H.CATENACCI . .
III,
H.
H.
(musee du Louvre) .
LE TRAINEAU EN DANGER
VALLEE DE LA TOURA
LE DESERT , EN MONGOLIE
CAMPEMENT DE NUIT
SORIEUL ....
CAVERNE DE SATAN
(torrent de l'Alatau)
DINER CHINOIS
364
365
367
368
FOULQUIER . .
369
SORIEUL ....
371
ATKINSON ....
372
SABATIER ....
373
E. DE BERARD.
376
ATKINSON. .
377
SORIEUL ....
378
ATKINSON . . .
ATKINSON . .
379
ATKINSON . . . 380
J. DIDIER . . 381
ATKINSON . . . . 382
LANCELOT . . . 383
SORIEUL . . . . 384
METTAIS ..... 385
0 . 388
ATKINSON
FOULQUIER . 389
ATKINSON . . 392
FOULQUIER. .
CATENACCI . .
430
DESSINATEUM
FOULQUIER . . .
E.
FOULQUIER
THROND. . .
VUE DE SAINT-PIERRE
LE BRETON. .
ROUSSEAU . .
LE BRETON..
PkcHE DE LA MORUE
LE BRETON. .
VUE DE SAINT-JEAN
LE BRETON..
PREPARATION DE LA MORUE
LE BRETON. .
LE BRETON. .
DE BERARD .
392
396
397
400
401
405
408
409
412
413
416
CARTES ET PLANS.
CARTE DE LA SYRIE
51
67
CARTE DU
83
111
M. A.
DARDENNE EN
1862
131
180
PLAN DE VIENNE
EGYPTE , ETAT MODE RN E
(1863)
195
251
311
319
323
CARTE DE L'ASIE CENTRALE , ENTRE LES LACS ISSYK-KOUL ET BAIKAL , POUR SERVIR AUX VOYAGES DE
WITLAM AKTINSON (
339
1848 - 1853)
401
ESQUISSE DE L' ITINERAIRE DES CAPITAINES SPEKE ET GRANT A LA RECHERCHE DES SOURCES DU NIL . .
420
421
......
UNE VISITE AU SERAIL EN 1860, par Mme X.... (Texte et dessins inedits.)
Description du serail. Ce qu'etait autrefois le serail. Histoire de Roxelane. La Venitienne Baffa. La
Grecque g lenka. La juive Keira-Kadun. Les Turques Kiosem et Ashada
Les Turques Kiosem et Ashada (suite). La Venitienne Roxane. La Russe Tarkhan. L'Armenienne
17
soigneux de ses soldats. Retour a Lobeid. Une aventure tragique. Le prix du sang. L'azkanIte
Un sous-prefet Bien nomuae. -- Kalmar : rectifications des cartes. Sortie du Kordofan
24
VOYAGE EN SYRIE. MISSION DE M. E. RENAN EN PHENICIE , par M. LOCKROY. (1860. Texte et dessins
inedits.)
La Phenicie. La ville de Djebel. Gouvernement. Etat des antiquites. Fetes a l'occasion des fouilles
Etat du pays chretien. Populations de la Syrie. Fouilles executees a Biblos. Resultats. Vie de
la compagnie de chasseurs it Djebel. Influence des consuls en Orient. L'esclavage. Gouvernement
de Djebel. Les medecins. Le clerge. Fouilles de Sour et de Saida. Les chercheurs d'or. Les
refugies italiens. Condition des femmes. Ceremonies publiques. Les maronites. Environs de
Djebel. La musique. Le carnaval. Depart. Arrivee a Tortose
33
49
La plaine de Tortose. Tortose. Rouat. Amrit. Antiquites. Depart de Parmee frangaise. Retour
VOYAGE AU DAHOMEY par M. le D r REPrm , ex-chirurgien de la marine imperiale. (1860. Texte et dessins inedits.)
Depart de Brest. Goree. Wydah. La Barre. Un naufrage dans la barre. Quelques mots sur le
royaume de Dahomey. Description de Widah. Le fort Francais. Le temple des serpents fetiches.
Allada. Toffoa. La
Xavi. Les feticheuses. Tauli.
Le marche. Depart de Wydah.
Lama. Cana ou la ville sainte. Anil/6e a Abomey. Cana. Abomey. Entree dans la vine .. ..
65
Description d'Abomey. Le roi Ghezo. Reception officielle. Sejour a Abomey. Une fete publique
Abomey. Revue generale des troupes. Exercices militaires. Simulacre d'une chasse a Pelephant
par les amazones.
faute de mieux. Les nouveaux devote aux saints. Reception d'adieu. Depart d'Abomey et retour a
Widah
82
... . . . .
97
432
103
SEJOUR A VILE DE MAURICE (1LE DE FRANCE), par M. ALFRED ERNY. (1860-1861. Texte et dessins
Port-Louis. Aspect general. Types strangers. Les creoles. Le bazar. Les docks. Les cimetieres. Le general de Malartic. Les courses de chevaux et la saison des bals. Details de mceurs.
Excursion dans l'ile. La Grande-Riviere. La caverne de la Petite-Riviere. Les plaines Saint-Pierre.
Le morne Brabant. Le Bassin-Bleu. La riviere du Tamarin. Les cocotiers et les veloutiers.
113
129
DE PARIS A BUCHAREST, CAUSERIES GEOGRAPHIQUES , par M. V. DURUY. (18f0. Texte et dessins inedits.)
A RATCSBONNE. - La biere de l'eveque.
145
DE BATISBONNE A PASSAU. - Les ruines et la sombre fiance. Un paysan du Danube. Straubing, Agnes
Bernauer et une reine dlgypte. Les pelerins du Danube et Satan. Hobenlinden. Le pont du
Dampschiff
149
DE PASSAU A LINTZ. - Passau et ses trois fleuves. Harmonie entre la plaine et les montagnes. Le sanetuaire de Mariahilf. Une troupe de pelerins a bord du
Dampschifj
156
DE PASSAU A LINTZ (suite). L'entree en Autriche. Pourquoi se trouve-t-il moins de ruines feodales sur
161
DE LINTZ A VIENNE PAR LE DANUBE. - Le losange des montagnes de Boberne. Importance militaire de
Lintz. Le char d'Indra. Le Strudel et le Wirbel. Les caves de l'abbaye de Mmlk.
163
DE LINTZ A VIENNE PAR LE CHEMIN DE FER. - Le marche de Lintz. Un enterrement. Aspect des campagnes de Farchiduche. Un homme coin dune chouette. L'architecture polychrome et feodale. Un
169
Milanais autrichien
VIENNE. - M. de Metternich botaniste.
E pure si muove.
officielle. L'Opera. La moralite viennoise et la litterature autrichienne. Un sac vide ne peut se tenir
debout
VIENNE (suite). Schcenbrunn. Pourquoi Louis XIV portait les cheveux si longs et pourquoi le Notre taillait les arbres si court. Le Belvedere. De la ferraille berolque. Un cheval emporte et un gene
ral methodique. Le Saint-Denys de l'Autriche. Saint-Etienne; une cloche patriotique.
172
177
SUITE DE VIENNE. - Les deux parties de la villa. Le Leopoldsberg. Pourquoi Vienne se trouve-t-elle
elle est ? Le Wienerwald limite de deux regions geographiques. Rapport entre I'histoire et ,la geographie de l'Autriche
182
DE VIENNE A PRESBOURG. - Un village de moulins. La Lobau. Les Francais et les Tures a Vienne ; une
grande ingratitude. L'ancien Carnuntum ; pourquoi Vienne a pris son role? Iiainbourg et la porte de
Hongrie. La March. Theben. Presbourg.
188
VOYAGE EN EGYPTE , par MM. HENRY GAMMAS et ANDId LEFEVRE. (1860. Texte inedit.)
La vie sur le Nil. Les rives du fleuve. Le Said. Thebes
Un manage a Louqsor. Les Almees.
193
La Nubie
209
VOYAGE DE L ' OCEAN ATLANTIQUE A L 'OCEAN PACIFIQUE , A TRAVERS CAMERIQUE DU SUD , par M. PAUL MARCOY.
(1848-1860. Texte et dessins inedits.)
PERDU. Troisieme Rape. DE LAMPA A ACOPIA. - Le maitre de poste d'Aguas-Calientes. Qui rappelle
de loin les noces de Gamabhe le Riche. L'auteur devoile dans une Opitre familiere la noirceur et la perfidie de son Anne. Deux crucifix miraculeux. Renseignements utiles sur la biere de Combapata et sur
la facon dont elle est brassee. Dissertation sur le passe des Indiens Canas et Canchis. OiI it est question de Cesar passant le Rubicon. Arrivee a Acopia
Quatrieme &ape. D'Aco pIA A CUSCO. - Dissertation sur la province de Qu'spicanchi que le lecteur petit pasBihiana
compromettante.
ser sans la lire. Acopia, ses pseudo'-ruines et ses tartes.
225
433
234
242
Trois sorcieres de Goya dans un benitier. Par quel chemin on arrive chez les descendants du Soleil.
Silhouette d'une capitale.
teur fait ses malles, de l'autre it ecrit ses memoires. Cuzco antique et moderne
257
273
Cuzco moderne
289
305
Une expedition frangaise, sous la direction de M. Fulgence Fresnel, accompagnee de M. Jules Oppert et d'un
arehitecte, est chargee, en 1852, d'aller etudier le site de Babylone. La decouverte des inscriptions ninivites fait entrer l'tude des cuneiformes assyriens dans une nouvelle phase. Quels resultats positifs sont
sortis jusqu'a present de Petude des monuments et du dechiffrement des inscriptions assyriennes. Resultats acquis pour la connaissance de la societe assyrienne. Civilisation. Etat social. Art de la guerre
L'architecture. Les arts du dessin. La statuaire. Objets divers en bronze, en argile, en pierres
fines, en ivoire, etc. La theogonie et le culte. Les resultats nouveaux acquis pour l'histoire. La geographie des inscriptions cuneiformes
321
VOYAGE SUR LES PRONTIKRES RUSSO-CHINOISES ET DANS LES STEPPES DE L 'ASIE CENTRALE , par THOMAS-WITLAM
ATKINSON. (1848-1854. Traduction inedite.)
y voyage. Le pays des Kalkas. Ancienne Mongolie. Plaines de la Mongolie. La steppe et ses habitants
337
La Tartarie chinoise. Le berceau des invasions. Volcans. Tribus de Kirghis. Sultans et bandits
Un camp d'Outlaws. Depart precipite.
Coucher du soleil au desert.
Pluie de bolides. Les
bandits en Maw. Les sultans de la steppe, leurs guerres et leurs funerailles
353
de Satan. Faune de l'Alatau. Le Maral. La Russia chez les Kirghis. Relais et trombes de la
steppe. Atkinson, chef de bande. Les prisonniers circassiens
369
Les sultans de la steppe (suite). Des monts Syan-Shans aux monts Alataus. Un poste chinois des frontieres. Traversee des monts Alataus. Pierres levees de la Kora. Legendes kirghises. La caverne
VOYAGE DANS LA SIBERIE ORIENTALE , NOTES EXTRAITES DE LA CORRESPONDANCE D ' UNE ARTISTE (Mlle LISE CRISTurn. (1849-1853. Texte et dessins inedits.)
Irkoutsk. Le lac Baikal.
28
385
Li 34
des Iles.
Saint -Jean. Les femmes de pecheurs. Les glaces flottantes. Saint-Jean capitale
401
417
424
ERRATA.
Page 340, premiere colonrie, ligne 15, au lieu de : reserve, lisez : reservent.
Page 401, sous la gravure, au lieu de : Vue de Saint-Pierre, lisez Vue de Saint-Jean.
Page 412, sous la gravure, au lieu de : Vue de Saint-Jean, capitale de la colonic anglaise, lisez : Vue de Saint-Pierre.
430
LE
TOUR DU MOXDE
NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES
PUBLIE SOUS LA DIRECTION
DE M. DOUARD CHARTON
1865
DEUXIEME SEMESTRE
1863
LE TOUR DU MOND
NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES.
I
La traverse.
Le 27 novembre 1862, deux heures, je prenais passage sur le paquebot des messageries impriales, le
Danube. Ce steamer l'ancre invitait vraiment voyager. Mais il y a loin de la coupe aux lvres, et un navire
en mer est trs-diffrent d'un navire au port.
Le beau ciel du Midi tait, ce jour-l, trs-laid
Marseille. Il s'en panchait des torrents de pluie. Nous
en tions dsirer vivement le piquant mistral; du moins
aurait-il pris notre navire en poupe. Mais, hlas! le vent
soufflait du sud-est et nous en acqumes la preuve ds
la sortie de la Joliette.
Le btiment roulait horriblement. Les passagers, hors
d'tat de quitter le pont, en taient rduits se cramponner aux cordages. A quatre heures, le commandant
dclara qu'il tait impossible d'avancer.
Il nous fallait donc passer la nuit louvoyer, en vue
de Marseille, une heure de chemin du Grand-Thtre,
o l'on chantait Guillaume Tell. Le navire prenait des
LE TOUR DU MONDE.
avec le coeur malade, l'estomac vide et les oreilles sai- lave le tillac, tend sur les embarcations une couche de
gnantes. Je passai la plus grande partie de la nuit sur le peinture. Tout coup la cloche sonne. Elle appelle les
pont, et j'eus tout le loisir de m'y livrer cette sorte de matelots de quart. Ce tintement familier vous transporte
gymnastique qui consiste combiner ses mouvements par la pense bien loin du navire. A travers la fume de
avec ceux du btiment, de manire n'tre pas entran votre cigare vous voyez le clocher et le toit de l'glise;
du ct o il penche. Lorsque cet exercice se fait d'in- les maisons du village; la rivire qui le traverse et son
stinct, ce qui arrive aprs quelques traverses, on peut pont d'une seule arche ; et le rideau de saules et les longues prairies qui alternent avec les champs de bl.
se glorifier d'avoir ce qu'on appelle bord le pied marin.
Voici les les i:oliennes : rochers abrupts, pics qui s'Voil bien des petites misres, Comme on les oublie
vite lorsqu'on voit le soleil se lever resplendissant! Nous lvent du fond de la mer et prs desquels les plus profonavions peine quitt le port, et notre gouvernail, orient
des quilles de navires peuvent fendre l'eau sans danger.
au Levant, tait encore bien loin de ces rivages o les
Nous voguions entre ces cueils et nous invoquons
flots sont tides, le ciel pur et la lumire blouissante. isole, le dieu des vents, pour qu'il maintienne ses sujets
Mais dj nous en sentions l'influence. La mer ne tarde
dans leurs cavernes. Puisse-t-il nous pargner ce terpas beaucoup se calmer lorsque le vent a cess de la rible coup de lance qui leur donne une issue et les dtroubler. Il semble que l'agitation soit contraire au temchane sur la mer ! Voici l'le de Vulcain o la blonde
prament de Neptune. C'est un dieu paisible et de bon Vnus vint prendre l'armure forge pour son fils, le pieux
caractre tant que les vents ne suscitent pas sa colre.
.Ene. Voici l'antre o descendit la fire Junon, lorsqu'elle
Donc le navire file rapidement. Les voiles sont ten- promit au dieu des vents de lui donner la nymphe Deodues tour tour. D'abord les triangulaires l'avant et
pe s'il voulait disperser la flotte troyenne et l'empcher
l'arrire, puis les voiles intermdiaires, puis la grande d'aborder aux rives du Latium. Fuyons ces cueils. Ce
voile elle-mme qui offre au vent favorable sa large sur- sont ceux qu'habitaient les Sirnes, filles du fleuve
face ballonne. Attention I Voici les matelots qui vont Achlofis et de la muse Calliope.
jeter le loch. L'un porte le sablier, d'autres tiennent la
Il est nuit, le ciel semble couvert, et pourtant on voit
corde nuds, enroule autour d'un pivot mobile. Un dans le lointain scintiller une toile brillante Plus nous
contre-matre s'apprte lancer la planchette triangu- avanons, mieux elle se dessine. Elle parat descendre
laire. Il fait trois appels : une, deux, trois. Sur ce dervers l'extrmit de l'horizon. Nous distinguons bientt
nier mot le loch vole par-dessus le bord, la corde se ses reflets rougetres. C'est une toile terrestre.
droule avec rapidit : Stop 1 s'crie l'homme au sablier.
a Quelle est cette lumire? demande un passager au
Tous les bras sont tendus, les nuds sont compts. Il
matelot qui veille la proue.
y en a douze. C'est une marche exceptionnelle. Le com Cette Iumire, rpond le marin avec une nuance
mandant, un lieutenant de la marine impriale, un eximperceptible de ddain, c'est le phare de Messine !
cellent marin, vient vers nous en se frottant les mains :
Nous sommes donc arrivs sur la cte de Sicile. Une
Nous allons avoir beau temps, dit-il, trs-beau ligne sombre s'tend notre droite. C'est la terre. Nous
temps.
avanons encore. Les lumires apparaissent les unes
Ces paroles rassurantes et la cloche du djeuner nous aprs les autres, indiquant et les courbes du rivage et
remplissent de joie. La salle manger est encombre.
l'emplacement des maisons. Bientt elles se rapprochent,
Quarante couverts rangs sur une longue table offrent elles se multiplient, elles percent en mille endroits les
un spectacle imposant. Spectacle plus merveilleux encore !
voiles de la nuit. Nous touchons la ville, nous entrons
Toutes les places sont occupes. On ne voit que visages
dans le port.
joyeux. Les dents sont aiguises par le jene du jour
Vue du pont du navire qui stationne au milieu du
prcdent. L'air de la muer, quand elle est calme, est un port, Messine est pittoresque. L'amphithtre naturel
qui l'entoure a des gradins o croissent l'olivier et le
tonique puissant.
L'heure de la promenade est venue. Les cigares sor- figuier de Barbarie. Quelques maisons parses escaladent
tent de leurs tuis, non sans hsitation, car l'estomac les flancs au rocher qui est domin par une citadelle.
conserve encore quelques inquitudes, mais l'aspect de
Nous regardons avec intrt ces rivages tmoins du
la mer et du ciel rassure bientt les plus timides. On combat de Milazzo, le dernier qu'aient livr les troupes
monte sur la dunette. Quel contraste 1 Le soleil dans de Franois II en Sicile. L'entre de Garibaldi Mestoute sa force semble vouloir sonder les profondeurs de sine fut la dernire tape des volontaires dbarqus
la mer; ses rayonsy pntrent et donnent h l'humide l- Marsala. Cette marche travers un pays tonn ,
ment l'aspect du bronze en fusion. Le navire fait bonne mais non soulev, sauf Palerme, restera comme
route, mais on le croirait immobile si ce n'tait le ruban un des plus curieux pisodes de l'histoire contempod'cume que soulve l'hlice dans ses volutions et qui se
raine. C'est de Messine que sont parties les bandes
perd l'horizon.
de chemises rouges, jetes la fois et dissmines
sur une grande partie du littoral calabrais. Reggio que
Donc on arpente la dunette sans se lasser du magique
spectacle qu'offrent la mer et le ciel.
nous apercevons en terre ferme notre gauche fut prise
en un tour de main. Dans la mme journe le tlgraSur le pont rgne une activit ordonne et joyeuse.
phe portait l'administration napolitaine effare la nonL'quipage enroule les cordages, nettoie les cuivres,
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5. Katieh.
Canal de Ncos, ancien canal.
7. Seuil d'el-Guisr.
8. Lac et ville de Timsah.
9. Scheick Ennedech (tombeau).
LE TOUR DU MONDE.
velle du dbarquement des volontaires Capo dell'Armi,
Villa-San-Giovanni, Cannitello, Altafiumara,
Torre-Cavallo. Devant un tel dbordement, que faire ?
que devenir ? o aller? o ne pas aller? Le gouvernement napolitain perdit la tte, et, ds ce jour surtout,
sa destine fut crite.
Notre traverse au sortir de Messine dans le canal troit qui spare la Sicile des Calabres s'annonce
comme une promenade des plus agrables. Ce serait une vritable partie de
plaisir que d'affrter un navire
pour une telle
excursion, et si
le dtroit de
Messine tait
aux portes de
Paris , quelque industriel
en ferait bientt l'entreprise.
Appuys sur
la rampe de la
dunette, nous
dominons le
paysage et nous
voyons passer
devant nous les
champs plants d'oliviers,
les vignes en
chelons sur les
flancs de la
chane des
Apennins; les
maisons par
groupes ranges sur le bord
des routes qu'on
voit monter en- '
tre deux parapets et se perdre dans les plis
d'un vallon
La physionomie de cette
partie de la
cte est agreste et gaie. Le rivage de Sicile, le long du
dtroit, prsente une physionomie bien diffrente. Il est
trs-sauvage. L'Etna le domine et lui donne son caractre. Les anciens en avaient t frapps. Ils ava'
plac les antres des Cyclopes au pied de cett naine,
couronne d'un dme de nnige et d'un panache de feu.
Le soleil, qui descend l'occident, s'est cach derrire
le sommet de l'Etna. La rive sicilienne du dtroit est
plonge dans une obscurit relative. Les nuages projettent de grandes ombres mouvantes. Il n'est pas ncessaire
LE TOUR
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La ville d'Alexandrie, vue du port, n'a rien de majestueux. Elle est btie sur un terrain plat, et n'offre
aucune perspective. Une double range de moulins
vent s'tend en ailes droite et gauche. C'est un
prsent de la civilisation franaise apport par les soldats de Klber. Cet utile appareil semble avoir t
fort apprci par Mhmet-Ali, Il en a considrablement multipli les spcimens. Aussi loin que les regards peuvent s'tendre, on voit s'allonger ou tour-
LE TOUR DU MONDE.
ner ces grands chssis couverts de toile, qui ne sont
pas pittoresques. Quelques minarets et surtout une colonne de l'poque romaine s'lvent pourtant et l,
comme pour protester contre le prosasme du tableau.
En somme, il ne faut pas regarder Alexandrie travers le prisme de ses souvenirs, si l'on veut viter un
dsappointement.
Il faut se dire que ce n'est pas la ville des Ptolmes.
Celle-ci a t dtruite. La cit actuelle, construite sur
les ruines de l'ancienne, n'en reproduit pas la splendeur. Elle a d'ailleurs un tout autre caractre, une tout
autre destination. L'Alexandrie des Grecs et des Romains tait une ville construite et orne pour des gens
de loisirs, pour des philosophes et pour des lettrs.
Elle tait consacre surtout aux plaisirs de l'intelligence.
L'Alexandrie nouvelle est exclusivement adonne au
commerce.
N'y cherchez pas ces difices qu'levaient les diles
et les architectes romains dans un sentiment commun
du beau. Chacun aujourd'hui pose les assises de sa
maison proximit de ses affaires et s'y retire aprs
l'heure des transactions -
commerciales. Les grandes
distractions sont la table
et le jeu. La population
europenne n'prouve pas
le besoin d'un lieu de runion publique : d'un thtre, par exemple. D'abord
la confusion des langues
est dans cette Babel peuple de Grecs, d'Italiens
et d'un certain nombre de
reprsentants de tous les
peuples de la terre. Ensuite
la religion musulmane, qui
domine et gouverne en gypte, exerce sur les murs
des habitants une influence dont eux-mmes ne se rendent pas compte. Cette religion proscrit les images; elle
n'lve pas de statues ; elle entoure la vie prive de
mystre; elle renferme les femmes; elle tourne les fentres des maisons sur les cours intrieures; elle est antipathique aux plaisirs pris en commun. Ces tendances si diffrentes de celles des anciens, qui vivaient en
public, ne font pas les villes brillantes et monumentales.
Voil ce que nous disions, tandis que le Danube se
frayait un chemin au milieu des nombreux navires de
toutes nations qui encombraient le port, Le pavillon
autrichien, le pavillon russe, le grec, l'italien, l'espagnol et l'anglais, cela va sans dire, figuraient dans ce
congrs naval, o l'on voyait mme un btiment de
guerre franais qui venait d'amener le duc de Brabant,
non sans avoir couru de grands risques pendant la tempte des jours prcdents.
A peine sommes-nous arrivs au mouillage et dj
Ies embarcations nous environnent par centaines. Elles
ne peuvent accoster le Danube. Il faut attendre les for-
LE TOUR DU MONDE.
n'est pas trs-rare en hiver, le macadam form par l'accumulation de la poussire pendant plusieurs mois, se
dtrempe la profondeur de quinze vingt centimtres.
Il est assez curieux de voir alors la population indigne
marcher les pieds nus dans cette boue noire et infecte.
Les pluies deviennent, dit-on, plus frquentes qu'autrefois.
On attribue ce phnomne aux plantations nombreuses
et aux jardins que les Europens ont multiplis extra
muros. Je ne sais si cette explication satisfera les savants. Dans tous les cas, l'inconvnient de la pluie est
plus que compens par l'agrment de la verdure.
Les mois d't sont toujours un temps de scheresse,
mme sur le bord de la nier, et les habitants avaient
beaucoup souffrir avant le jour o l'eau du Nil qu'lve la vapeur a t rpandue avec largesse par des
fontaines publiques et des jets d'eau mme qui alimentent plusieurs bassins sur la grande place dite : Place
des Consuls. C'est le rendez-vous gnral des gens affairs. On y fait beaucoup d'oprations de commerce. La
spculation y est sur son terran; la mdisance aussi.
Car Alexandrie n'a rien envier aux petites villes
d'Europe, o l'on s'occupe le plus du prochain pour
le dchirer. Le camp des Volsques dblatre contre le
camp des Romains ; les Troyens montrent beaucoup
de froideur aux Grecs, et ces groupes divers vitent de
saluer quand ils se croisent. Au-dessus d'eux les sycomores tendent leurs grands bras dcharns pendant
l'hiver et ressemblent des potences.
Aprs avoir dpos nos bagages l'htel, notre premier soin devait tre de nous rendre au sige de la Compagnie du canal de Suez. Il est ais d'arriver cette
rsidence. Tous les manoeuvres, tous les portefaix, tous
les niers, tous les cochers, tous les boutiquiers d'Alexandrie en indiquent le chemin. Il suffit de prononcer avec
un accent interrogateur le mot Compar"nia, pour obtenir
10
LE TOUR DU MONDE
Lesseps tait au Caire et nous avait laiss l'avis de le rejoindre sans dlai. Il y a chaque jour, au chemin de fer,
deux dparts pour le Caire : l'un huit heures du matin,
l'autre cinq heures du soir. Il fut dcid que nous
prendrions ce dernier train.
La dure du trajet est de cinq six heures; le convoi
devait donc arriver au Caire vers onze heures, et nous
avions l'espoir de nous trouver vers minuit l'htel d'Orient, sur la place de l'Esbekieh. A cinq heures, la locomotive, avec des sifflements aigus, nous entranait rapidement, en longeant les bords du lac Marotis.
Cette vaste tendue d'eau, navigable au temps de la
domination romaine, recevait alors le tribut rgulier de
canaux ouverts sur le Nil; aussi tait-elle entoure d'une
ceinture de plantations. On y cultivait la vigne ; la
population tait nombreuse, non-seulement aux alentours, mais encore sur les les, dont elle exploitait la
. fertilit. A prsent, ce n'est plus un lac, c'est un marais; il ne communique plus avec le Nil. Les Anglais
pour le besoin de leur politique y ont fait entrer la mer.
On n'y voit plus de cultures, mais du sable couvert
d'une cume saline. Les hommes ont abandonn ces
rives dsoles.
La nuit les couvrit bientt de ses Iinceuls et nous invita au sommeil; mais l'imagination fait un travail trop
actif sur cette terre peuple d'immortels souvenirs, et
prs de cette ville d'Alexandrie, fonde par Alexandre,
dfendue par Csar, et prise par Napolon. Le calme
de la nuit et du dsert marotique ne servit qu' aiguiser entre nous la conversation et mme un peu de controverse. Quel devait tre naturellement notre sujet
d'entretien sur les bords du lac Marotis? les Anglais et
Napolon; l'expdition d'gypte et la guerre de 1801 ;
l'le Sainte-Hlne et l'alliance avec la Grande-Bretagne.
Diviss d'opinion, nous fmes bientt d'accord pour
nous livrer au sommeil. Onze heures avaient sonn
lorsque la locomotive s'arrta dans la gare. Quelqu'un
se prcipita dans notre compartiment, en nous appelant
haute voix : c'tait l'interprte Hassan. Au pied du
wagon, devant la porte et derrire Hassan, se tenait
Mohamed : deux types comme on n'en trouve qu'en
gypte. Le premier, de pure race arabe, aux traits rguliers, au teint olivtre, aux manires rserves, avec des
yeux pleins d'intelligence, une allure calme et digne,
des mains et des vtements propres. Le second, d'origine africaine, porteur d'une physionomie grotesque;
moins intelligent que son collgue, mais plus vif; avec
des allures souvent brouillonnes et ahuries; un caractre gai; un instinct naturel de domesticit; en cela fort
diffrent d'Hassan, qui, malgr sa docilit et sa complaisance, a toujours l'air de faire une grce en offrant ses
services. Ces deux bons compagnons nous suivirent dans
l'isthme et nous furent trs-utiles, surtout quand ils
taient d'accord et que Mohamed supportait sans murmurer la supriorit que Hassan s'arrogeait.
Le lendemain, au rveil, j'avais sous les yeux cette
ville des Mille et une Nuits, cette ville si anime, si pit-
l'poque de mon premier voyage, pntrer dans le labyrinthe de ses rues commerciales, o chaque pas met
l'tranger en prsence de quelque objet intressant et
curieux, de quelque ornement sculptural, chef-d'oeuvre
perdu au milieu des choppes; mais je ne suis pas venu
pour me livrer aux distractions du touriste. Je laisse donc
mes compagnons le plaisir d'explorer les curiosits de
la ville et d'en sonder les mystres plus ou moins attrayants, content d'couter le rcit de leurs excursions
journalires quand nous nous runissons le soir autour
d'une table commune, prside par M. de Lesseps !
Mes promenades se bornent au bazar qu'on appelle le
Mouski.
C'est une chose bien curieuse que ce Mouski : une
ruelle seme d'choppes, larges au plus comme un comptoir, o sont assis, les jambes croises, les gens du pays.
Avez-vous quelque emplette faire, vous prenez place
sur un petit tapis, ct du marchand, et vous entamez ,
la conversation. La langue arabe est trs-gutturale, et
les gyptiens parlent avec un accent fort lev; ils ont
la physionomie de gens qui se querellent lorsqu'ils discutent le prix d'un objet, en gesticulant et montrant une
loquacit et une vivacit extrmes. Leur sombre physionomie, leurs , a guenilles pittoresques, b les armes qu'un
grand nombre d'entre eux portent leur ceinture, font
redouter une dispute srieuse ; mais bientt le calme succde cet orage de paroles, et les deux interlocuteurs,
tant convenus du prix, ne tardent pas se sparer dans
les meilleurs termes.
La varit des vtements n'est pas ce que l'on rencontre de moins curieux dans la foule des passants : les
uns portent de larges pantalons formant jupon aux chevilles, veste pareille, brode de noir, tarbouche en tte;
d'autres sont vtus d'indiennes bleues, avec un turban
sur la tte et des babouches jaunes ou rouges sur leurs
pieds nus. Le peuple est couvert ou peu prs par un
mauvais caleon en coton blanc : les jambes et les cuisses
sont nues; il marche nu-pieds et ne se couvre que la
tte avec un turban.
Voici venir sur un ne une espce de paquet de coton
bleu : jupe de coton, large pantalon en coton, puis une
grande pice de la mme toffe jete sur la tte et encadrant la figure. Sur le visage, une bande de coton de
mme couleur qui pend, attache une rondelle de
bambou fixe au front, et qui se termine en pointe
un peu au-dessous de l'estomac. Les pieds sont nus.
C'est une des femmes du pays.
Les lgantes portent un jupon de soie, un capuchon
et une cagoule d'toffe blanche, desbas et des babouches.
Rangeons-nous : une voiture roule sans bruit sur la
Poussire de la voie publique. Un domestique la prcde, en courant et en criant : Rouan! qui sans doute veut
dire : Garez-vous! Souvent aussi un joli cheval couvert
d'une selle de velours bleu brod d'or caracole sous son
cavalier, jeune Turc vtu de la redingote boutonne, et
coiff du tarbouche.
LE TOUR DU MONDE.
A cette poque de l'anne, le soleil, qui resplendit
toute la journe, n'a rien que d'agrable, car l'ombre
il fait frais, surtout le matin et le soir. Mais, en t,
quelle fournaise que ces rues troites, o l'air ne circule
pas 1 On les couvre d'une sorte de plafond en planches
lgres, poses sur des madriers qui s'tendent d'un
ct l'autre de la rue, et s'appuient sur le bord des
terrasses.
Quelques maisons ont assez bonne apparence; mais
on ne saurait se figurer, sans l'avoir vu, quel aspect ont
ies autres. Les btisses provisoires qu'on chafaude
Paris sur des terrains vagues, les constructions bizarres
o s'abritent les marchands forains, tout ce qu'il y a de
plus anti architectural, de plus dgrad et de plus dsordonn, ne peut en donner qu'une faible ide. Il faut renoncer absolument dcrire la succession de ces maisons
ventres, de ces cours encombres d'immondices, de
ces hangars distribus en compartiments pour les marchands de galettes, de tabac, de fruits, et pour ces industriels europens dont les boutiques, pareilles au sac
de Robinson Cruso, contiennent toutes les marchandises imaginables.
C'est qu'il y a beaucoup de libert dans ce pays de
gouvernement absolu. Les Europens surtout y sentent
trs-peu l'action de l'autorit.
Elle pourrait, du reste, se rvler avec avantage sous
le rapport municipal, en exigeant l'enlvement des immondices et l'alignement de la voie publique. Pour ma
part, je lui saurais beaucoup de gr d'empcher l'invasion des constructions en planches sur cette belle place
de l'Esbekieh, qui, plante d'acacias odorifrants, donnerait la plus haute ide des enivrements propres ce
climat de sensualisme et de soleil, si tout cela n'tait
gt par des cafs chantants, des thtres de vaudeville,
des cirques o l'on montre des btes savantes, et des
artistes, migrs sans doute des Funambules, qui voltigent ne sur la promenade, dans un costume digne
d'Asnires et de Montmorency.
Avec tout cela, le Caire est une ville des plus agrables. A la contempler du haut de la citadelle, entoure de riches campagnes, baigne par le Nil, caractrise par les pyramides de Giseh, qui s'lvent ses
portes, et par ses monuments d'intressante architecture qu'on appelle les tombeaux des califes; voir ces
superbes mosques qui portent dans les airs la gloire de
leurs fondateurs musulmans, on prouve un sentiment
d'admiration et surtout un vif dsir de sonder les secrets
de la vie orientale.
III
Dpart pour l'isthme, par Zagazig. Sir Henry Bulwer.
Notre dpart pour l'isthme tait subordonn certaines convenances, celles de sir Henry Bulwer, entre
autres. L'ambassadeur d'Angleterre Constantinople
avait annonc l'intention de visiter les travaux du canal.
Un diplomate n'est pas curieux pour le seul plaisir de
satisfaire sa curiosit. Il et t par trop naf de croire
que sir Henry se drangeait ainsi sans un intrt poli-
11
12
LE TOUR DU MONDE.
ments; l'arrosage des terres. Au lac Timsah il rencontre le canal Maritime, et changeant de direction il inflchit
au sud par un brusque dtour et va porter vers Suez le
bienfait de son eau fcondante.
Le canal Maritime, au contraire, qui doit donner passage la grande navigation va droit du nord au sud,
de la Mditerrane la mer Rouge en traversant ou
ctoyant les lacs Menzaleh, Timsah et les lacs Amers.
Pour rsumer les explications prcdentes, nous prions
le lecteur de se figurer deux lignes : l'une horizontale,
allant de l'ouest l'est : c'est le canal d'eau douce qui,
prenant son origine Zagazig, conduit les voyageurs au
centre de l'Isthme ; l'autre verticale, courant du nord
au sud : c'est le canal Maritime. Partant de Zagazig,
nous avons donc suivre le cours du canal d'eau douce
jusqu'au lac Timsah o nous entrons dans le canal Maritime qu'il nous reste remonter jusqu' la Mditer-
LE TOUR
C'est ce moment que j'appris connatre tout le prix
des services d'Hassan et de Mohamed. Jusqu'alors je
ne leur avais pas rendu justice. L'un me paraissait nonchalant, l'autre dou d'une vivacit brouillonne et inutile. Mais combien ils grandirent dans mon estime
ds cette premire distribution des bagages ! L'un, avec
le plus grand flegme, choisissait et mettait part les
effets confis sa garde, sans daigner rpondre aux interpellations des portefaix, ni aux offres de service,
plus que suspectes, des officieux runis en assez grand
nombre. Il repoussait, avec le poing ferm, les plus ardents la cure et ne desserrait pas les lvres. Mohamed, au contraire, rpondait leurs sollicitations par
des cris et des gestes dsesprs. Il procdait, d'ailleurs,
la mme opration que son collgue, sinon avec sa
superbe, du moins avec un gal, succs. Ce que voyant
je confiai instantanment ma malle et mon sac de nuit
DU MONDE.
13
leur garde pour le reste du voyage. Je les leur fis reconnatre en leur expliquant ce que j'attendais d'eux.
Hassan hocha la tte. Il me dit : Tait), qu'on peut traduire cette occasion par : Trs-bien, et continua sa
besogne sans qu'un seul pli traht sur sa physionomie
de bronze verdtre un sentiment quelconque. Mohamed
me regarda, ouvrit la bouche toute grande et se mit
rire en montrant les dents, comme si ma recommandation et t la chose la plus plaisante du monde.
Dlivr d'un assez grand souci, je voulus rejoindre
notre caravane. Elle avait disparu. De quel ct? Le
moyen de le demander l'une de ces figures turban
dont la gravit un peu ironique n'a rien d'engageant?
Enfin je me laisse guider par le hasard; je tourne droite, et une centaine de pas me conduisent devant une
porte o j'arrive temps pour voir l'un des ntres enjamber les marches d'un escalier. Parvenu sa suite au
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Anglais de distinction s'y adonne. Du reste, rien ne ressemble moins que M. Bulwer au type d'Anglais qu'on
se reprsente habituellement en France et ailleurs. Il
n'est pas blond ; il n'a pas de favoris tirant sur le rouge
et taills en ctelettes; D il n'a pas un teint frais et
rose, son teint est celui des hommes du Midi; des rides
prcoces l'envahissent. Quelle est la couleur de ses
yeux? Je ne saurais le dire. Son regard clair et pntrant n'est pas de ceux qui se laissent fixer, encore
moins tudier.
Ainsi que je l'ai dit, sa courtoisie a t parfaite. Mais
les esprits susceptibles ont trouv, dans le raffinement de
cette courtoisie, un fond de trs-grande rserve et mme
de hauteur. Les hommes du monde, et surtout du monde
britannique, excellent manier la politesse comme un
bouclier contre la familiarit. Les diplomates, principalement, s'en servent toutes fins et savent, s'ils sont du
rang et de la trempe de sir Henry, la manier de telle
ltv
LE TOUR DU MONDE.
sorte qu'elle peut tre considre soit comme une distinction flatteuse, soit comme une marque de ddain, d'loignement ou d'hostilit, soit mme comme une insolence.
Sir Henry tait certainement incapable de cette dernire attitude, qui et d'ailleurs t toute gratuite. Mais,
cette exception faite, je ne me hasarderais certainement
pas classer l'extrme politesse de sir Henry dans l'une
ou l'autre des catgories prcdentes. Toutes les suppositions sont permises, car il ne s'agit pas d'un simple
particulier, mais d'un fonctionnaire public dont la situation dans l'Isthme, au milieu de nous autres Franais,
attachs de cur la grande entreprise, tait trs-dlicate.
Agent du gouvernement britannique, il a combattu et
entrav cette entreprise Constantinople.I1 a t, auprs
du sultan, l'instrument de cette politique qui dissimule
une hostilit violente contre le canal sous un ddain calcul, et qui s'est efforce de le reprsenter comme impossible, afin d'en empcher l'excution. Quel sens donner
sa dmarche au milieu de nous, et par quelle attitude
viter qu'elle ne soit interprte d'une manire blessante
pour la politique passe, ou d'une manire embarrassante pour la politique future? Tout autre qu'un homme
de l'exprience, du tact et du mrite de sir Henry serait
difficilement sorti de ces cueils. Pour viter d'y tomber,
l'ambassadeur d'Angleterre Constantinople s'est arm
de l'impntrable politesse dont je parlais, et ceux qui
auraient eu la pense d'interroger son visage ou la hardiesse de l'interroger lui-mme, n'en auraient obtenu
que des sourires obligeants et des rponses gracieuses.
En fait, cet homme d'tat a rsolu, dans la circonstance,
le difficile problme de regarder sans avoir l'air de voir;
de questionner sans avoir l'air de vouloir apprendre, et
de parler trs-spirituellement sans rien dire.
Il est onze heures. Nous avons faire une assez longue
tape. Le signal est donn et nous suivons nos guides
jusqu'au bord d'un canal. Plusieurs barques nous attendent. La plus belle et la plus rapide est rserve
l'ambassadeur. 11 s'embarque avec sa suite. L'quipage lance aussitt une corde terre, deux vigoureux
chameaux y sont attels. L'embarcation part au petit
galop de ces animaux, et leur conducteur, agitant le
court bton qui sert diriger l'attelage, psalmodie d'une
voix saccade, monotone et nazillarde, des versets du
Coran.
Nous partons, au nombre de huit, sur un esquif plus
modeste.
Nous ne manquons pas de fusils bord; nos compagnons en ont apport de tous les systmes. Les oiseaux
qui hantent le canal se mfient sans doute de ce formidable armement. Nous n'en voyons pas un seul. A dfaut de chasse; le whist nous offre ses fiches de consolation. Jouons donc. Le soleil tombe d'aplomb sur notre
coche d'eau; il ruisselle en cascades dores sur la peau
de nos mariniers demi-nus: il inonde le pont. Bien
imprudent serait l'Europen mal acclimat qui s'exposerait ses dvorantes caresses. Il faut rentrer sous la
tente.
cc
15
LE TOUR DU MONDE.
quand ils sont pris en flagrant dlit et qu'il ne leur reste
aucun moyen de contester l'vidence. C'est un aveu de
maladresse qu'on prendrait bien tort pour une expression de repentir.
IV
L'Ouady, domaine de la Compagnie dans le dsert. Le chteau
de Tell-el-Kebir.
Nous venons de franchir la limite d'un domaine appartenant la Compagnie. C'est une proprit qui ne comprend pas moins de dix mille hectares. Lie aux terres
cultives de la basse gypte, elle s'avance entre deux
zones de sables comme une presqu'le verdoyante au
milieu des ondes jauntres de l'Ocan. Le dsert la
presse au nord, l'est et au midi. Elle est situe
l'entre de la valle de Gessen, dont la fcondit est clbre dans la Bible.
C'est donc entre ces terres trs-fertiles et trs-bien
cultives que notre embarcation glisse avec vitesse : le
vent qui enfle notre voile pargne notre attelage les
efforts et la fatigue ordinaires de la remorque. Le cotonnier tige basse couvre de vastes espaces, et rpand
sa nappe de neige sur le noir limon du Nil. Le bl,
l'orge alternent avec les champs de coton. Le ssame
et le riz ont leur place marque dans ce' damier
qui couvre la terre de casse de toute couleur. Le mas
agite ses pis jaunes au-dessus d'un tapis mobile de
longues et minces feuilles. et l des groupes de dattiers se dcoupent sur l'azur d'un ciel inaltrable.
Cependant la journe s'avance. Dj le soleil a la
moiti de son disque au-dessous de l'horizon. Encore un
peu de temps et nous sommes menacs d'une obscurit
complte; mais notre tape s'achve. Voici le pont mobile qui signale l'tablissement principal de la Compagnie, l'habitation du rgisseur, le chteau de Tell-elKebir, comme on l'appelle (voy. p. 7).
Nous dbarquons et nous suivons un chemin bord,
d'un ct par des champs en plein rapport, et de l'autre
par le mur d'un jardin que couronne la haute verdure
des palmiers. A travers ce rideau on aperoit la faade
d'un difice. C'est le chteau : une maison solide et de
bonne apparence, btie en 1823 par Mhmet-Ali et
comprenant un rez-de-chausse et un premier tage
avec terrasse et balcon couvert.
Nous y montons temps pour jouir d'un magnifique
spectacle. Le soleil, qu'il faut toujours citer ici parce que
sa splendeur est sans gale, disparat derrire des montagnes situes sur les bords de la mer Rouge. Il enflamme ces rochers et leur donne l'aspect d'un volcan. En
face, un horizon tout entier de verdure; les cultures les
plus riches et les plus abondantes. A droite, le dsert
qui semble joindre le ciel et que l'obscurit croissante
remplit de mystres. Enfin sous nos pieds, le jardin du
chteau, ce jardin que nous avions seulement pressenti
en ctoyant la clture, mais qui nous apparat maintenant, avec tous ses panaches de feuilles, comme cet den
o le premier homme fut victime des artifices du serpent et de la curiosit de la femme. Depuis lors j'ai
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
IV
Le tombeau d'un compagnon de Mahomet. Fte religieuse. Justice sommaire. Rhamss. Carrires de Gebel-Gneff.
Les terrassiers indignes.
Pendant le djeuner de nos amis trangers qui ftaient avec grand apptit la table hospitalire de la Compagnie, je me promenais dans l'enclos du campement,
causant de toutes ces choses si nouvelles avec un vtran
des travaux du canal, un de ces hardis pionniers qui
ont, les premiers, plant leur tente l'appel de M. de
Lesseps. Et il me donnait sur les moeurs et le caractre
ds Bdouins du dsert qui dit dsert ne dit pas solitude les informations les plus intressantes.
Tchons de nous souvenir de ses propres paroles. Elles
ont le mrite de la vrit. C'est la nature prise sur le fait.
a Vous voyez bien, me disait-il, ces dunes qui s'lvent l-bas l'horizon ; on y trouve le tombeau d'un
saint du mahomtisme. Abou-Nichab (le pre de la
Flche), compagnon de Mahmet, passe pour avoir
excell dans les exercices de l'quitation et les jeux
d'adresse. Il est le patron des cavaliers indignes. La
lgende rapporte que son corps tait enterr dans la
haute gypte, et qu'un de ses bras seulement tait dans
le dsert. Mais un jour le corps a disparu et s'est trouv
runi au bras. A la suite de ce miracle, on a rig un
tombeau et les fidles sont venus chaque anne au mois
de juillet implorer l'intercession du saint.
a La fte avait d'abord un caractre purement religieux. Les malades venaient en plerinage; les mres
amenaient leurs enfants pour attirer sur eux la protection
divine. Les zchres ou louangeurs de Dieu se runissaient
pour prier. Il y a une douzaine d'annes, un gouverneur, Malhereffendi, aprs avoir maltrait cruellement
les habitants de la valle, vit en songe le saint, qui lui
reprocha sa conduite et lui ordonna, pour rparer ses
fautes, de fter solennellement le plerinage annuel.
C'est alors que commencrent les fantasias et les courses
qui attirent, outre les habitants du domaine, les cavaliers du pays et les Bdouins du dsert.
n Cette anne j'ai assist cette fte qui dure pendant plusieurs journes. Le premier jour, l'assemble
n'tait pas au complet. Elle grossissait peu peu par
l'arrive d'un cheik et de sa famille, d'une tribu du
dsert, de la population d'un village. Les femmes
taient jusqu' trois sur un chameau, avec leurs enfants et les ustensiles du mnage. Ces animaux, pars de draperies clatantes, semblaient fiers de porter
la famille. A l'arrive d'une caravane, drapeaux et mu1. Suite et fin. Voy. page I.
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LE TOUR DU MONDE.
cision. Aprs un court interrogatoire, le nazir rendit
sa sentence, et dans son impartialit il conclut que les
deux dlinquants devaient recevoir chacun cinquante
coups de courbache. La courbache est une lame d'acier flexible, entoure de lanires de cuir. J'intercdai et je demandai qu'en l'honneur du saint la premire
faute ft pardonne. Le juge cria alors pour toute sentence.
Bdouins, embrassez-vous !
Leurs cheiks, se prcipitant sur eux ces mots, leur
prirent la tte et les tinrent embrasss, aux acclamations
des assistants.
Ce rcit m'avait fort intress. Il soulevait un coin du
rideau qui cache nous autres Europens les murs des
habitants du dsert. Cette foi ardente des populations
dans le pouvoir de leur saint; ce dploiement d'un luxe
guerrier; cette galanterie ; ces courses, ces jeux chevaleresques et par-dessus tout cette justice patriarcale dont
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LE TOUR DU MONDE.
branches d'un bois rsineux. Par intervalles, un tison s'chappe et tombe tout enflamm sur le sol, avec la rapidit et l'clat d'une toile filante. Des hommes rangs en
demi-cercle devant le dbarcadre se tiennent immobiles, la torche plante en terre, comme autant de sentinelles du moyen ge, veillant la lance au pied. La vive
lumire qui enflamme leur visage, tandis que toute leur
personne reste plonge dans l'obscurit, leur donne l'aspect de dmons dont les ttes surnageraient dans un
ocan de feu.
Nous retrouvons sur cette plage de Timsah la mme affluence et le mme mlange de montures. Prs de nous un
objet de forme bizarre se dresse comme une tour tronque ;
impossible d'en deviner la nature, dans la pnombre o
il est plac. Des dromadaires sont stationns tout auprs ;
j'aperois leur long cou, surmont d'une tte petite et
inintelligente. Nous avons saut terre. Les sas s'approchent et nous conduisent, en levant et secouant leurs
torches, prcisment cet objet dont l'aspect singulier
et les formes indcises ont excit notre attention. C'est
fiert lgitime que la rgularit et la discipline des travaux et surtout le bien-tre et la bonne sant des ouvriers sont dus aux soins de la Compagnie, et contrastent
avec la situation qu'ils avaient subir, lorsqu'on les appliquait, dans l'antiquit et dans les temps modernes,
aux grands travaux d'utilit publique.
V
Le lac Timsah. Une voiture trange. La ville d'Ismalia.
El-Guisr. Le kiosque de Sad-pacha. Le Serapeum.
Toussoum. Tombeau du cheik Ennedeck. La chane de l'Ai. taka. Suez. Navigation sur le canal. Le campement (le
Kantara. Le lac Mensaleh. Port-Sad.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
doit passer au pied de la carrire projete. Eu attendant un campement est form sur les lieux, et ce sjour
est l'un de plus pitoresques qu'on puisse souhaiter au
dsert.
L'aspect du Gebel-Gneff est sombre et majestueux.
D'immenses anfractuosits reclent des nids d'aigles et
de vautours qu'on voit souvent planer distance. La nudit du rocher dpourvu de vgtation ajoute la grandeur du tableau et son caractre sauvage. La nature
environnante contribue maintenir ce caractre. Presque en face de Gebel-Gneff de longues ranges de tamarix tendent leur sombre rideau. A droite, on voit les
montagnes d'Asie : la chane du Sina sur la route de la
Mecque.
Le canal d'eau douce gayera et animera ce paysage.
Aprs avoir baign ces arides montagnes, il dbouchera
dans le golfe que forme la mer Rouge Suez, en fertilisant les terrains situs en dehors des vieilles murailles
de la ville qu'on appelle les Cimetires.
Suez n'tait qu'un village peu prs dsert, il y a vingt
ans. C'est une ville auj.ourd'hui, une ville en pleine prosprit. La Compagnie pninsulaire et orientale anglaise
y reoit, deux fois par mois, les paquebots de l'Inde et de
l'Australie. La Compagnie des messageries impriales
de France vient d'y organiser un service semblable, et
elle construit sur le bord de la mer des bassins et des
docks qui seront relis la ville par un chemin de fer en
cours d'excution.
On devine aisment que cette rade o s'changent les
correspondances de l'Europe, de l'Inde, de la mer Pacifique prsente le spectacle d'une grande animation. Les
btiments de guerre et de commerce y sont en complte
scurit trois mille mtres de la plage. Leurs embarcations sillonnent incessamment les eaux de la rade. Les
bateaux de pche, les navires caboteurs de la mer Rouge
qui conservent encore le cachet de la galre antique, contribuent au mouvement de ce tableau dont le cadre est
splendide. A l'est et l'ouest il est bord par les montagnes de la chane asiatique et de la chane africaine. Les
magnificences du climat, la grandeur et la couleur des
horizons, l'agitation des affaires, la diversit des costumes, tout concourt donner une physionomie des plus
intressantes la ville et au port.
Les anciennes masures disparaissent successivement,
signe certain de la prosprit prsente et venir. Une
nouvelle ville lgamment et solidement construite s'lve la place de l'ancienne.
Une seule chose manque Suez pour assurer sa grandeur future : l'eau douce. Cette ville souffre souvent
d'une scheresse absolue, et l'alimentation des habitants
y serait mme compromise certaines poques de l'anne si l'on n'y apportait dans des caisses, par le chemin
de fer, le liquide tribut du Nil pris au Caire. Cette eau
se vend au litre et cote peu prs aussi cher que le vin
dans notre pays. Les habitants ont, il est vrai, les fontaines de Mose dans leur voisinage ; mais ces sources
lgendaires n'ont rien de rafrachissant, car elles sont
constamment sec. Dans ces conditions qui songerait
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
des pluviers, des canards. Les chasseurs qui se sont runis derrire nous, dans une des barques, font des feux de
file accompagns de hourras ! La chasse doit tre bonne.
Pendant que les mariniers se jettent l'eau pour rapporter le gibier, la barque, abandonne, s'en va la
drive et donne de la proue dans un banc de sable. Laissons-les se dgager, et profitons du vent frais qui enfle
notre voile et nous entrane avec rapidit.
Voici (pie notre petit esquif vogue h l'abri d'une haute
muraille de fer ; dans l'intrieur, un bruit de pistons, des
jets de vapeur qui s'chappent avec un sifflement, la
fume qui forme un nuage noir au-dessus d'une large
chemine, indiquent le travail d'une machine europenne : c'est une drague employe creuser le lit du
canal, dont elle forme en mme temps les berges. La
terre enleve par le chapelet de seaux en fer qui tournent sur le flanc de la drague est verse dans un couloir
de bois et glisse sur le talus, o elle s'accumule et se durcit au soleil. Mais ces appareils, qui sont chelonns en
certain nombre dans le lac Menzaleh, sont insuffisants;
d'autres dragues, d'une plus grande puissance, sont en
ce moment construites dans les usines de France.
Continuons notre navigation. Plus nous avanons,
plus le spectacle devient intressant et instructif. Ici l'on
a fait un essai : on a creus le canal la largeur de cinquante-six mtres. Nous avons donc ds ce moment un
aperu de l'aspect qu'il offrira lorsque les travaux seront
termins. M. Stephenson a dit un jour la Chambre des
communes, en Angleterre, que le canal de Suez serait
un foss : foss trs-vaste, en effet, puisqu'il sera semblable un Bosphore. Cette tendue d'eau est vraiment
imposante ; il suffit de la voir pour comprendre combien
sont puriles les objections qu'on oppose au dveloppement prvu de la navigation maritime travers l'isthme.
Un coup de fusil retentit nos oreilles; il a t tir
par nos chasseurs, qui sont parvenus dgager leur barque. Tous les regards se tournent vers le petit nuage
blanc qu'a produit l'explosion de la poudre. Un oiseau
large envergure s'lve en tournoyant; son plumage est
sombre, ses ailes sont puissantes. Il ne parat pas fort
effray et revient, aprs quelques circuits, se poser sur
le bord de l'eau. C'est un aigle de belle espce, gibier
coriace qui ne vaut pas les grains de plomb.
Nous passons devant un campement de la Compagnie,
Ras-el-Eiche, o rsident depuis plusieurs annes des
agents sur un lot de boue, donnant un exemple de ce
courage et de cette constance dont les preuves se multiplient parmi ces excellents ouvriers et employs. On les
appelle, en gypte, n les zouaves de la Compagnie. Ils
ont mrit ce nom par leur nergie, leur ardeur, et
parce qu'ils ont toujours soutenu la rputation de bravoure, d'entrain et d'intelligence qu'on accorde, en
Orient comme partout, la nation franaise.
Le lac Menzaleh, dont les eaux sont'trs-hautescette
poque de l'anne, a rompu les berges du canal en plusieurs endroits au-dessus de Raz-el-Eiche. Des escouades
d'ouvriers indignes ont t appeles pour rparer les
dgts et consolider les digues en y versant de la terre
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LE TOUR DU MONDE
Nous voici runis autour de la table hospitalire de M. Voisin, ingnieur des ponts et chausses, directeur des travaux
de l'isthme. M. Bulwer se lve. Le plus profond silence
s'tablit. L'ambassadeur parle avec une loquence rare,
surtout chez un tranger ; il cherche le mot et le trouve.
Il fait sourire, il laisse les esprits en suspens, il a des
compliments pour tout le monde. Il s'assoit enfin, et
l'un attend encore. On attendrait longtemps, si l'un de
nos compagnons de voyage, M. le comte d'H""", ne prenait la parole son tour. L'esprit abonde dans son
speech; les saillies, les traits inattendus naissent et se
pressent sur ses lvres. Il s'excuse surtout de n'avoir pas
entendu ce que sir Henry n'a pu manquer de dire au
sujet de la grande entreprise dont nous venons de visiter
les travaux. Certainement une telle omission ne peut
LE TOUR DU MONDE.
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La maison du gouverneur, Pangim ou Nova-Gca, cte de Malabar. Dessin de Guiaud d'aprs l'album de M. . Fleuriot de Lang!e.
VOYAGE AU MALABAR,
PAR M LE CONTRE-AMIRAL FLEURIOT DE LANGLE.
1859 TEXTE ET DESSINS INDITS.
vicomte A. Fleuriot de Langle, contre-amiral, alors capitaine de vaisseau commandant la division navale des
ctes orientales d'Afrique. Les notes qui suivent ont t
recueillies pendant cette croisire et les dessins ont t
faits en grande partie par M. 1Jmile Fleuriot de Langle,
qui accompagnait son pre en qualit de secrtaire.
I
Description de la cte du Malabar. Chemin de fer indien.
La plus grande partie de la cte de Malabar est comprise dans la prsidence de Bombay, qui s'tend depuis
vingt-huit jusqu' seize degrs de latitude nord; le sud
de cette cte ressortit administrativement de la prsidence
de Madras. Le climat est trs-variable sur la cte de
Malabar et les races n'y sont pas moins varies.
Le Sindh, dont les dserts sablonneux lvent normment la temprature, peut tre compar par son
pret au climat de l'Afrique ; le thermomtre s'y tient
pendant six mois trente-trois ou trente-quatre degrs
l'ombre, et les eaux du fleuve sont rarement infrieures'
la chaleur humaine.. La division du nord est habite
par des races nergiques. La chaleur que l'on prouve
dans le Catch et le Deckan est peu infrieure celle que
l'on ressent dans le Sindh; les eaux y sont rares.
V
Les nations qui habitent la cte de Malabar tiennent tant de souches diffrentes, et professent des religions si diverses, que cette cte offre l'observateur une
partie des types de l'Inde entire. Quelques-unes de ces
religions prennent leur point de dpart dans le panthon
indien, tandis que d'autres tirent leur origine des livres
sacrs des hbreux et de ceux des chrtiens. Les religions
de Mahomet et de Zoroastre y ont aussi leurs reprsentants. Les familles juives de cette cte prtendent s'tre
chappes de la Palestine au temps de Titus.
La population indoue de la cte de Malabar peut
LE TOUR DU MONDE.
sibles; ils continuent aller presque nus et ont conserv
un grand nombre de superstitions. Mgr de Cannes, qui
avait longtemps vcu au milieu d'eux, me disait qu'ils
avaient divers modes d'adoration, que le feu tait un
des lments auxquels ils rendaient un culte, et que, dans
quelques occasions, les jeunes filles parcouraient les villages avec une couronne de charbons ardents sur leur tte.
Les natifs de la cte de Malabar, qui armaient autrefois les hardis corsaires d'Angria, de Savagi et de
Sawant-Vadi, sont presque tous pcheurs aujourd'hui.
Ds le mois de janvier, la sardine abonde sur la cte
de Malabar, et des milliers d'embarcations viennent au
large pour faire cette pche. L'attitude de ces hommes,
lorsqu'ils lancent leur filet en forme d'pervier, est
pleine de noblesse.
Sur la cte de Canara, les pcheurs se livrent de prfrence la pche de fond, et leurs embarcations bien
espalmes se rencontrent quelquefois plusieurs milles
au large. Un chapeau 'a double fond, large bord, semblable un vaste parasol , les prserve du soleil et rend
l'aspect de leurs pirogues trs-pittoresque; ils sont fort
dfiants et se retirent ds qu'ils voient un grand navire.
Quelques-uns se hasardent cependant venir offrir
le produit de leur pche aux croiseurs ou aux navires qui
louvoient pour remonter la cte. Ds que le mois de mai
est venu, les pches cessent et les pirogues sont hales
terre. La belle saison recommence sur les ctes de Malabar vers le mois d'octobre. La mousson de sud-ouest
fait, en gnral, son apparition dans la premire semaine de juin et inonde de torrents de pluie toute cette
cte. Les mois qui sont compris entre les mois de mai et
novembre sont orageux, et les navires qui frquentent
alors ces parages sont exposs de terribles temptes;
les ouragans de 1837 et 1854 firent de grands ravages
dans le port de Bombay. Mais ds qu'en dcembre le
soleil fait un mouvement rtrograde pour venir rpandre
la vie dans l'hmisphre nord, les barques indiennes
sortent en foule des criques o elles s'taient rfugies
pendant l'hiver, et la cte est de nouveau sillonne de
milliers de barques non pontes qui portent Bombay
les produits les plus varis; les unes descendent le littoral, les autres le remontent, en profitant des vents et
des mares; tout est anim, la vie circule partout.
Les barques indiennes sont, en gnral, gres en tartanes; leur avant est trs-svelte, et leur arrire est charg
d'une lourde dunette qui a quelquefois deux tages et
sert de logement aux armateurs ou aux ngociants,
Les barques charges de coton en sont littralement
encombres : elles en ont dans leur cale, sur le pont;
les mts sortent peine de ce monceau et les voiles s'orientent comme elles peuvent; des filets et des cordes
retiennent d'autres balles sur les flancs du btiment,
tandis que sur l'arrire on voit pendre des rgimes de
bananes ou des jarres remplies de beurre, quelquefois des gargoulettes vides.
Patients et sobres, les mariniers indous s'cartent peu
des ctes et mouillent presque tous les soirs pour reprendre la mer ds que les brises de terre se font sentir,
35
III
Etablissements franais de la cte de Malabar. Mah.Sa prosprit. Sa rivire. Races et religions. Sainte Thrse.
Saint Sbastien.
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LE TOUR DU MONDE.
Une vue de Mah sur la ente de Malabar. Dessin de Guiaud d'aprs l'album de M. E. Fleuriot de Langle.
aux agents d'migration de parcourir librement la campagne, il serait possible de faire de Mah un point de
recrutement pour la Runion.
Les revenus de Mah sont de trente-deux mille francs,
et les dpenses de l'administration y montent trentequatre mille francs. Le riz avait manqu lors de la visite
de la Cordelire Mah, et la population tait dans une
dtresse inimaginable.
La terre des fonds est sablonneuse et le riz peut se
cultiver sur le bord des rivires oit l'on produit des inondations artificielles. Les hauteurs n'ont qu'un sol dur
et qui parat calcaire; quelque distance dans l'intrieur
s'lvent les Ghtes, dont les flancs sont couverts de forts magnifiques.
LE TOUR DU MONDE.
L'vque habite Mangalore. Mangalore est aussi le
sige d'un vch catholique. Le gouvernement anglais
entretient cet vque et les missions catholiques qui dpendent de lui. Ces missions sont desservies par des
carmes et des capucins.
Les Indiens qui habitent les environs de Mah sont
soumis aux matres dont ils cultivent les terres. Les
Nayrs avaient le privilge de pouvoir possder et de
transmettre leur hritage.
La compagnie des Indes franaises tait autrefois matresse de Gestapour. Cette ville est trs-importante,
parce qu'elle communique par de bonnes routes avec
l'intrieur de la presqu'le. La rivire, sur laquelle est
situe la ville, est navigable pour les btiments d'un port
37
assez considrable; elle fait aujourd'hui un grand commerce d'huile de coco et d'huile de ssame.
IV
Etablissements portugais de la cte de Malabar. Goa. Iles
Saint-Georges. Mouillage de l'Aguada. = Phare. Barre de
la rivire. La ville neuve Pangim. Le comte de Torres
Novas. Le clerg catholique. Vieux Goa. Reliques (le
saint Franois-Xavier. Les glises de Goa. L'arsenal. Le
couvent del Cabo. Marmagon. Ctes de Concan. Savant
wadi. Pirates savaji. Tulaji angria. Fondation de l'empire mahrate. Conqute des places de Savaji et d'Angria par
l'Angleterre.
Une vue du quai de Mah sur la cte de Malabar. Dessin .de Guiaud d'aprs l' album de M. . Fleuriot de Langle.
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LE TOUR DU MONDE.
stade qui dfend Goa avec bien plus de sret que les
forts qui avaient t autrefois levs par la couronne de
Portugal. Ds que l'on a franchi cet obstacle on trouve
des constructions lgantes qui bordent les deux rives
de la rivire jusqu' Pangim ou nouveau Goa, situe
deux milles en amont de la barre.
Quoique nouvelle, cette ville possde des glises fort
remarquables et des casernes. Le palais du gouverneur
gnral est un vaste difice couronn par une srie
de toits pointus qui couvrent chaque pavillon spar ,
ainsi qu'il tait d'usage de le faire au sicle dernier, ce
qui donne cet difice un grand caractre. La chapelle
prive du gouverneur s'ouvre sur la place du palais et
Son Excellence peut entendre l'office divin sans quitter
ses appartements qui donnent sur la galerie suprieure
de sa chapelle.
Un vaste escalier en marbre descend de la faade
nord du palais jusqu' la rivire, et de vastes hangars
abritent la barge et les canots du gouverneur.
Les salons de l'htel sont vastes et levs d'tage,
ainsi qu'il convient dans un climat aussi chaud que celui
de Goa. Une des galeries contient le portrait des vicerois et des gouverneurs gnraux, qui ont fond l'empire portugais dans les Indes.
Le temps a malheureusement peu respect les traces
de ces grands hommes dont les traits auraient pu tre
reprsents par une main plus habile.
Son Excellence M. le vicomte de Torres Novas fait
les honneurs de son gouvernement avec une affabilit
extrme. L'lite de la socit de Goa se runit dans ses
salons. Une fois par semaine on peut y admirer les belles
Lusitaniennes; si loin de leur patrie, elles n'ont rien
perdu de la grce de leurs mres.
On est tout d'abord frapp la premire vue du
nombreux clerg qui circule dans les rues de Pangim;
mais il est facile de s'en rendre compte en rflchissant
que, bien que les Anglais dominent politiquement toute
la cte de Malabar, la direction religieuse y appartient toujours Goa; cette ville est le vaste sminaire
d'o sortent tous les desservants qui exercent le saint
ministre dans l'Inde presque entire.
L'archevque de Goa avait autrefois le titre de primat
des Indes. Au moment o la Cordelire tait mouille
dans les eaux de Goa, en dcembre 1859, il existait un
schisme entre l'archevque et la cour de Rome, mais le
prlat auteur de ce schism venait de mourir et la concorde renaissait.
M. le vicomte de Torres Novas avait pens qu'il serait bon de consacrer le retour de l'glise de Goa au
giron de l'glise romaine, par l'exposition publique des
reliques de saint Franois-Xavier, l'aptre des Indes,
qui n'taient pas sorties de leur chsse depuis quatrevingts ans.
Un grand nombre de fidles avaient t attirs h Goa
par le dsir de visiter ces saintes reliques, et la ville avait
pris cette occasion un caractre de fte inaccoutum.
Le vieux Goa est deux heures en amont de Pangim.
Une chausse, qui vient d'tre rpare par M. de Torres
LE TOUR DU MONDE.
aux vice-rois; elle existe encore, et ses clotres sont
en bon tat. Lorsque les gouverneurs viennent au vieux
Goa, ils se reposent dans ce couvent o ils font entretenir quelques appartements assez confortables.
Quelques rues de Goa sont paves en larges dalles.
On ne voit plus maintenant aucune trace des fortifications
qui ont couvert la ville contre les attaques de l'ennemi.
La cathdrale est une noble basilique dont le frontispice se dveloppe sur une place aux vastes proportions.
Ses deux tours carres sont d'un beau dessin. La longueur de l'difice est d'environ soixante-dix mtres, et
la largeur de la nef d'environ vingt-sept mtres. Lorsqu'on pntre dans la nef on est frapp du grandiose du
saint lieu. Les chapelles latrales se dveloppent au nombre de sept de chaque ct; elles ont chacune un autel,
et cet ensemble est couronn par un magnifique matreautel. On regrette que ces autels, orns de colonnes
corses, soient peints et dors avec exagration. Les fentres, ainsi que l'usage en a prvalu dans les tablissements portugais de l'Inde et de Mozambique, sont fermes par des vitres en coquilles de nacre, ce qui ne
laisse pntrer dans la basilique qu'un jour mystrieux.
Le trsor de la cathdrale contient des ornements
d'une richesse merveilleuse.
Les glises de Goa sont les seules o j'ai vu des
anneaux dors scells aux nervures des votes, ce qui
permet de pavoiser compltement l'intrieur des glises,
de faon faire disparatre les pierres sous de riches
tentures de soie aux couleurs varies.
A l'occasion de l'exposition des reliques, les glises
avaient toutes revtu leurs habits de fte.
Le corps de saint Franois qui appartenait l'ordre
des jsuites est conserv dans I'gIise du Bon-Jsus,
qui tait l'glise du couvent de cet ordre.
Cette glise est btie en forme de croix, et le maitreautel est splendide. Le magnifique mausole de saint
Franois-Xavier est plac la gauche du matre-autel :
il reprsente une chapelle gothique en argent repouss.
La chsse dans laquelle repose le saint en avait t extraite, et la partie suprieure de son cnotaphe en argent cisel surmontait cette chsse qui est en verre.
La momie est encore revtue du costume que le saint
portait de son vivant. Le visage est vermeil; quelques cheveux gris ornent les tempes; l'orbe de l'oeil fait saillie
sous ses arcades fortement accentues et surmontes do
sourcils pais. Le nez seul parat avoir un peu souffert.
La main gauche est tendue et tient une canne en
jonc pomme d'or que ne quittait jamais, dit-on, le
saint personnage. On exposait autrefois cette sainte relique sans prendre la prcaution de la mettre dans une
vitrine; une dame trop fervente dtacha d'un coup de
dent l'un des petits doigts du pied du saint. Depuis cette
poque, on a d prendre des prcautions pour que de
pareils actes de dvotion ne se renouvelassent plus.
Le bras droit a t envoy Rome vers le milieu du
dix-septime sicle et, au dire des contemporains, cette
ablation ne se fit pas sans difficult : il fallut faire des
prires sans nombre au saint, qui finit par se laisser
30
40
LE TOUR DU MONDE.
Bombay, vue du large, donne l'ide d'une vaste mtropole. Les navires se croisent dans tous les sens, les
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42
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
laisss et mme aux animaux. Le fameux Parsi Sijiboy,
que la reine avait fait baronnet, a fond un hpital qui
ne serait dplac dans aucune capitale.
Le climat brlant de l'Inde a forc les Europens
chercher une forme de construction propre leur procurer un peu d'ombre et de fracheur. La forme qui a
le mieux rsolu ce problme est un vaste hangar de bois
o des pieux sans nombre supportent un toit immense
recouvert de feuilles de palmier. L'intrieur en est divis
en divers appartements, et l'air circule avec facilit sous
cette immense toiture qui fait l'effet d'une tente. Rien de
plus confortable et de plus frais que ces a bongalows.
Une range d'arbres rgne tout l'entour des pieux
qui limitent l'espace o l'on rige le bongalow; une pelouse verte et des fleurs ornent le terrain rserv, et
presque toujours une alle ombreuse conduit jusqu'
l'entre de cet tablissement de luxe. Les curies, les
cuisines, les logements des gens de service sont souvent
dans l'enclos, mais assez spars de la maison pour que
les matres n'en ressentent pas les inconvnients.
Le gouverneur a trois ou quatre rsidences Bombay : son palais officiel est dans la ville mure, mais il
prfre ordinairement se tenir la pointe de Malabar,
o la brise de mer rafrachit son immense bongalow.
Les Portugais avaient fond un couvent Parle. Ce
couvent a t converti depuis longtemps en maison de
plaisance, et la salle du chapitre est devenue la salle
manger du gouverneur de la prsidence de Bombay.
Aussitt que l'heure des affaires a cess , les routes
se couvrent en tous sens de chevaux rapides qui portent
les ngociants dans les maisons o leurs familles se sont
retires. Ces villas s'tendent sur toutes les collines; elles
sont souvent bties dans le got italien ; des jardins et
des fleurs, qui en ornent les abords, rafrachissent et
embaument l'air.
L'eau est un objet de premire ncessit dans un pays
comme Bombay. De vastes rservoirs ciel ouvert ont
t creuss, et des hommes conduisant des boeufs viennent y remplir leurs outres pour la distribuer dans tous
les quartiers; les abords de ces rservoirs offrent toujours un spectacle trs-anim.
Le boeuf est l'Inde ce que le cheval et l'ne sont au
reste du monde. Il a le poil fin, les muscles ressortis. Sa
bosse arrte son collier ou son bt, car il porte ordinairement dos une charge, ou bien il tire une lgre charrette qu'il mne au grand trot. Souvent son cou est orn
d'un collier de grelots sonores. Quelquefois l'homme le
monte comme en Afrique, et plus d'un courrier parcourt
de vastes espaces sur un petit boeuf qui a les cornes
droites, blanches et presque diaphanes.
Dans l'Inde, gens et btes semblent sympathiser. Je
n'y ai jamais t tmoin de la rsistance qu'opposent nos
animaux la volont de l'homme, comme je n'y ai non
plus jamais t tmoin des brutalits sans exemple de
nos charretiers envers leurs animaux.
Est-ce un effet de climat nervant de l'Inde qui atrophie la volont de l'animal, lequel se sent moins de
vigueur et moins. d'esprit d'indpendance, ou est-ce la
43
consquence d'une plus longue domestication des espces? C'est ce que je ne saurais dire. Il est remarquable
toutefois que les animaux des pays chauds 'sont, en gnral, plus patients que ceux des pays froids : le chameau
en Arabie , le lama au Prou en offrent un exemple
aussi frappant que la docilit des boeufs dans l'Inde.
Bombay contient une multitude de temples appartenant aux cultes indou, parsi ou mahomtan; mais aucune de ces constructions n'est ancienne. Quelques-uns
de ces temples sont assez lgants, la plupart ne mritent aucune mention.
Il est certain qu'il a exist des temples plus anciens
dans cette le, et les Indous visitent encore avec beaucoup
d'affluence la pointe de Malabar o l'on prtend que
Rama s'tait arrt pendant la marche qu'il fit d'Aoude
Ceylan. Il y adorait un lingam que, tous les soirs, son
frre Lakshman lui envoyait de Benars. Un jour, ennuy de voir un retard dans l'arrive de l'objet de
son culte, il fit de ses propres mains une idole de sable,
et peine eut-il fini son dieu, que le lingam de Benars arriva. Il le fit dposer dans un temple o il fut
ador sous le nom de Valuk-Eshwar, le seigneur de sable,
jusqu'au moment de l'arrive des Portugais; on prtend
que l'idole s'lana d'elle-mme la mer la vue de
ces trangers : il est bien plus probable que ce furent
les Portugais qui l'y jetrent.
Les navires franais frquentent Bombay au nombre
de 80 ou de 100 par an; plusieurs y apportent des
chargements de vins ou de spiritueux, d'autres n'y
viennent qu'aprs avoir pralablement port Aden le
charbon qu'ils avaient pris en Europe.
Ces navires ainsi que les navires anglais reoivent
leur bord les chargements qui leur sont prpars par les
ngociants indignes, parsis ou mahomtans. Le coton
et le ssame, les cocos schs sont en gnral les objets
de retour.
Le coton tait autrefois un article qu'on se procurait
difficilement Bombay, parce que la grande chane des
Ghtes spare des provinces intrieures les ports de la
cte de Malabar. Depuis que Bombay est reli l'intrieur par un chemin de fer, le prix de revient du coton
est moins lev et permet de l'apporter sur ce march.
Le port de Curatchie reli au vaste rseau qu'arrose
l'Indus par un autre chemin de fer, permet galement
de tirer de ce delta aussi riche que le delta du Nil, s'il
ne le dpasse pas, toutes les denres que produisent les
affluents du Scind. Il ne reste plus qu' introduire dans
ces terrains privilgis la culture des espces qui sont
le plus en rapport avec les besoins du commerce europen.
VII
Temples souterrains. Caractre de Siva. Description du
temple d'Elphanta. Choeur du Trimourti. Ravan tentant
d'escalader le Kailassa. Naissance de Sakti. ArdinathsEshwar. Mariage de Siva. Vira Bhadra. Bhairava.
Conclusions.
LE TOUR DU MONDE.
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Mariage de Siva et de Parvati. Bas-relief des grottes d'liephanta. Dessin de hrond d'aprs une photographie
46
LE TOUR DU MONDE.
La proportion de ces colonnes est admirablement approprie l'architecture trange de l'difice. La partie
de ces colonnes qui s'appuie sur le sol est carre jusqu'
la moiti de leur hauteur; les pans carrs ont t abattus, et les colonnes se sont arrondies sous le ciseau
du sculpteur qui a laiss chacune d'elles un renflement de bon got et y a trac des cannelures; il semble
voir un faisceau reli par des astragales; les fts sont
spars par les ornements des chapiteaux ayant la forme
de sphres crases dont les cannelures ouvertes donnent
l'ide qu'elles vont clater sous l'effort qu'elles font pour
supporter le plafond du temple.
Ce plafond est plat; les chapiteaux sont surmonts
d'une plinthe carre portant une architrave qui s'appuie
sur la plinthe de la colonne voisine, de sorte qu'il se
forme ainsi une srie de caissons qui relient les colonnes
quatre quatre. Les architraves, ainsi que les plinthes,
sont couvertes de ciselures riches et fines.
Ces colonnes taient primitivement au nombre de
vingt-six ; huit aujourd'hui sont brises. On comptait,
avec les seize pilastres qui sont adosss aux parois du
rocher, un total de quarante-deux colonnes, formant
un carr peu prs parfait sur une profondeur de huit
piliers ou colonnes qui s'tendaient symtriquement du
nord au sud et de l'est l'ouest.
L'lvation du plafond du temple au-dessus du sol
n'est pas toujours gale; quelques colonnes ont prs de
six mtres et d'autres n'en ont que cinq. L'espace qui
spare les colonnes et les piliers n'est pas non plus trsrgulier; quelques-unes sont loignes de quatre mtres
trente centimtres, tandis que d'autres le sont de cinq
mtres cinquante centimtres et beaucoup d'autres de
cinq mtres. De mme le diamtre des piliers et des
colonnes est quelquefois d'un mtre, et ailleurs d'un
mtre trois centimtres. Enfin le ct droit du temple
mesure peu prs quarante-quatre mtres, et le ct
gauche seulement quarante-deux mtres. Malgr ces ingalits , l'effet gnral est trs-beau et trs-saisissant.
Les cours intrieures qui clairent le fond du temple
ont t, ainsi que le reste de l'difice, tailles au ciseau
dans la roche vive. Chacune d'elles avait autrefois une
entre vers le nord, mais les boulements ont combl
ces portes.
Les pilastres qui font saillie sur les parois du rocher
pour correspondre aux colonnes, forment deux deux de
vastes cadres. On y a trac grands traits la vie de Siva.
Ces figures en ronde bosse s'enlvent vigoureusement de la paroi, et frappent l'esprit par leur taille
gigantesque et la varit de leurs attitudes. Il faut avoir
recours au panthon indien pour expliquer toutes leurs
poses , et encore quelques-unes sont-elles restes inexpliques.
Les piliers et les colonnes portent aussi plusieurs
sculptures, parmi lesquelles on reconnat Ganessa et
Cartick, les deux fils de Siva.
La rgularit du temple n'est altre que par une
chapelle situe l'ouest et comprise entre quatre colonnes.
LE TOUR DU MONDE.
48
LE TOUR DU MONDE.
qu'il est d'habitude de le faire dans les temples bouddhistes ; deux figures en posture d'adoration soutiennent
cette tige ; les bras sont briss ; ils devaient reposer sur
l'abdomen. La statue est plonge dans une profonde mditation. Brahma et Vishnou se distinguent encore sur
ce tableau, o l'on voit un animal que l'on prend pour
un cheval ; il porte une selle semblable aux selles europennes, et rappelle sans doute le sacrifice de l'Ekiam.
Les chapelles qui donnent dans la cour ont aussi des
parois sculptes. La chapelle de l'est contient une table
plus petite que celle qui est dans la chapelle du milieu,
qui est de mme traverse par une pierre dure; un serpent fait le tour de cet autel ; sa bouche bante est tourne
vers l'est, de faon servir d'coulement aux libations.
Les dvots Siva disent que cette chapelle reoit les
dont la saillie est telle qu'elles sont souvent presque entirement dtaches de la roche, reprsente une espce
de panthisme, o tous les rgnes de la nature semblent
se confondre pour arriver, par divers volutions, des
degrs suprieurs, jusqu' ce qu'ils soient absorbs en
Dieu, dont ils ont issus.
Les plus curieuses excavations que l'on rencontre sur
l'le de Salsette sont celles de Kennery. On y a pratiqu un grand nombre de fouilles. On a trouv sous les
dagobas ( dmes isols ) des empreintes de sceaux reprsentant Bouddha. Sur l'exergue de ces sceaux on lit plusieurs phrases du rituel bouddhique qui ne laissent aucun doute sur l'origine des dagobas. Les inscriptions
qu'on a pu lire s'espacent depuis 150 avant Jsus-Christ
FLEUItIOT DE LANGLE.
LE TOUR DU MONDE.
49
VISITE
La ville de Brunswick m'a beaucoup intress, quoiqu'elle ne possde peut-tre pas un seul monument
vraiment remarquable. Ses maisons charpente en bois
bien apparente, avec un remplissage de briques et de
pltre peint, et leurs encorbellements multiplis; ses
restes de vieux difices publics transforms en habitations, et dcors, leurs portes d'entre, de belles
l'autre, est extrait des lettres que notre jeune ami, M. Adolphe
Carnot (petit-fils de l'illustre Carnot) , a crites sa famille pendant l't de 1862. Il faisait alors, comme lve ingnieur des
mines, lin voyage d'instruction en Allemagne; il est ingnieur
aujourd'hui.
Le second rcit se compose de notes prises notre intention par
M. Stroobant; excellent artiste belge, qui a entrepris le voyage
du Harz sur notre demande prcise et a Tait, pour le Tour du
Monde, tous les dessins joints aux deux textes.
4
50
LE TOUR DU MONDE.
juillet.
juillet.
LE TOUR DU MONDE.
tangs : dans un espace dont on peut faire le tour en
une journe, j'ai compt trente-six tangs, tous assez
considrables. Le nombre des canaux de drivation est
prodigieux, et tous sont parfaitement entretenus. Les
eaux sont une source de richesse pour le pays ; ce n'est
pas qu'elles servent l'agriculture (l'agriculture n'y
existe pas), mais elles servent beaucoup aux mines : on
emprunte leur chute la force ncessaire pour puiser
les eaux d'infiltrations, pour extraire les minerais, enfin
pour mettre en mouvement les machines qui aident
la descente et la sortie des ouvriers. Ces eaux, aprs
avoir t utilises, sont conduites au jour par des galeries souterraines trs-longues, trs-dispendieuses
percer, mais qui rendent d'immenses services. L'une de
ces galeries, qui date du commencement de ce sicle
(Tiefe-Georg-Stollen), passe 228 mtres au-dessous
du sol de l'glise de Clausthal ; elle a plus de 10 400
mtres de long, et a cot 1 600 000 fr. Une autre,
commence en 1851, et qui sera acheve dans un an, se
trouve 115 mtres au-dessous de la premire : elle
aura un dveloppement de 14 kilomtres. Tous ces travaux sont magnifiques. La dernire galerie porte bateaux sur une partie de sa longueur; nous venons d'y
faire aujourd'hui mme une assez longue promenade.
Quelle navigation pittoresque ! l'paisse nuit, la clart
fumeuse des lampes, la subite apparition des rochers en
saillie, qui ne sont clairs qu'un court instant, le bruit
sourd de l'eau sous la barque, tout cela forme un tableau frappant pour l'imagination.
Depuis longtemps l'amnagement des eaux dans le
Harz, aussi bien la surface du sol qu' l'intrieur des
mines, est un sujet d'admiration pour les hommes spciaux.
C'est le conseil des mines qui a la haute main sur
les travaux relatifs l'conomie des eaux. Il en est de
mme pour les forts : les officiers chargs de la mise en
valeur des forts ne peuvent exporter aucun bois qu'aprs avoir satisfait aux demandes du conseil des mines,
o ils ont quelques reprsentants, et aprs avoir fourni
non-seulement aux usines, mais aux habitants mme des
villes de mine, la quantit qui leur est ncessaire pour la
consommation de l'anne. L'excdant seulement du bois
abattu est export par flottage sur l'excdant des eaux
que les mineurs ont jug propos de laisser aux rivires.
La haute direction en toutes choses appartient ainsi
aux ingnieurs des mines. Comme d'ailleurs le but de
l'exploitation ' est bien moins de verser de l'argent dans
la caisse du prince que de faire vivre de son travail
une population qui ne trouverait aucune ressource
dans la culture du sol, on n'a pas recul devant des
travaux immenses, dont l'excution devait durer de
longues annes et qui n'auraient jamais t accessibles
des compagnies intresses, dsireuses de rentrer le
plus vite possible dans leurs dbourss. Aussi est-ce
juste titre qu'au point de vue de l'art, mais non de l'conomie, le Harz passe pour le pays classique des travaux de mines.
51
Clausthal, 26 juillet.
La bonne ville de Clausthal est toute en moi l'occasion du Schtzenfest. Le Schtzenfest (Fte des tireurs)
est, comme vous savez, la fte nationale allemande; elle
donne lieu partout h des dmonstrations patriotiques.
Clausthal ne s'est pas mise beaucoup en frais : les
belles harangues, les chants en l'honneur de la libert
et de l'unit de l'Allemagne, qui ont retenti Francfort,
n'ont eu ici d'cho que dans une runion fort bruyante
des lves de l'cole des Mines, et dans une chanson
belliqueuse, apprise par coeur l'avance, et qu'ils ont
rcite en sance solennelle. Cette chanson remplissait,
si vous le voulez bien, trois bonnes pages d'impression
fine et serre : l'auteur n'est pas Allemand pour rien.
Afin de se conformer une invitation du porte, et de
terminer la sance par un acte d'hrosme, tous les tudiants ont bravement dgain leurs rapires et transperc
leurs couvre-chefs. On les voit aujourd'hui se promener
trs-fiers du trou que chacun porte son chapeau.
Le Schtzenfest dure huit jours. Jusqu' prsent son
seul bnfice avait t de nous faire corcher les oreilles
par les instruments en cuivre des musiciens mendiants,
qui assigent successivement toutes les maisons de la
ville; hier enfin nous avons assist un grand concert
donn pour l'aristocratie de l'endroit, soixante centimes par tte. Nous y avons entendu une musique plus
que mdiocre, c'est vrai; mais la fte n'a pas t sans
agrment pour nous : nous y avons vu dfiler la plus
belle partie de la population, et surtout nous y avons
fait connaissance avec quelques lves de l'cole des
Mines, ce dont nous sommes fort aises, car cela nous
permettra de causer un peu dsormais avec les Allemands; et les occasions de le faire, autrement que sur
des points spciaux du mtier, ne sont pas pour des
trangers aussi faciles trouver qu'on pourrait le croire,
moins qu'on n'ait le courage d'obliger un voisin de
table vous couter nonner en mauvais allemand !
Pendant les huit jours de fte, prs du tir la cible,
o s'escriment les Schtzen, s'taient tablies toutes
sortes de boutiques : marchands de vaisselles, de poteries, de gteaux et bonbons, etc.; des thtres ambulants, o l'on montrait des femmes gantes et des autruches, le tout la mode de Paris, comme dans toute
foire possible; mais par bonheur au milieu de la mme
place se dressait un thtre de Polichinelle, et chaque
soir nous allions au spectacle pour nous former comprendre le dialogue; ce n'tait pas sans difficult, car
messire Polichinelle parlait moiti patois, au platt
Deutsch, et malgr ses gestes trs-bien faits, malgr
l'attention que nous y mettions, nous ne dmlions pas
grand'chose tout ce qu'il disait.
Hier soir, aprs le concert de la noblesse, a eu lieu
un grand bal bourgeois, auquel nous n'avons pas manqu de prendre part. Le bal se donnait dans une
vaste salle , construite pour l'occasion, tout entire
en bois de sapin, dcore de guirlandes de feuillage et
claire par un trs-modeste nombre de bougies. Prs
52
LE TOUR DU MONDE.
de l'orchestre on avait rserv un tiers de la salle environ pour les danseurs; le reste tait garni de longues
tables o venaient s'asseoir jeunes gens, jeunes filles et
parents, et o les uns et les autres passaient les longs
intervalles des danses causer et boire leur petit verre
de vin de France ou de vin du Rhin. Au signal de l'orchestre, chacun disait un adieu amical son verre, puis
allait chercher sa danseuse et se ranger la file des couples qui avaient dj pris place, le tout bien tranquillement, bien posment, avec mthode, sans faire un
pas plus vite que l autre. Puis commenait la valse ou
le galop. Six ou sept couples seulement partaient la
fois. A un signal convenu six autres leur succdaient et
Clausthal, 20 juillet.
53
LE TOUR DU MONDE.
pays, un appareil trs-ingnieux (appel Fahr-Kunst)
qui permet une sortie assez rapide, et donne avec peu
de fatigue une scurit complte, pourvu que l'on fasse
quelque attention. Voici en quoi il consiste :
Reprsentez-vous, suspendues dans un compartiment
d'un puits de mine, deux tiges verticales qui portent des
paliers ou des sortes de marchepieds des intervalles
rguliers : supposez ensuite que ces deux tiges reoivent
ainsi de ct, chaque fois que deux marchepieds s'arrtent vis--vis l'un de l'autre, quittant la tige qui vient
de monter et qui va descendre, pour celle qui vient de
descendre et qui va remonter, il pourra s'lever constamment depuis le fond jusqu'en haut du puits. Il fera
l'inverse pour descendre.
En Belgique et en France, les appareils tablis sur
ce principe sont beaucoup plus nouveaux et plus parfaits
que dans le Harz : au lieu de simples marchepieds nous
54
LE TOUR DU MONDE.
Clausthal, 5 aot.
LE TOUR DU MONDE.
chimiste et gologue distingu, M. Streng, dont nous
avons fait la connaissance Clausthal, et qui s'est gracieusement offert nous guider dans ce pays, qu'il connat merveille. Une pareille offre n'tait pas de refus,
comme bien vous pensez.
Clausthal, 9 aot.
55
56
LE TOUR DU MONDE.
burg, nous avons successivement rencontr deux charmants points de vue : l'un embrasse le cours serpentant
de la Bode et la Marmormhle, o l'on travaille, comme
l'indique ce nom, le marbre de quelques carrires voisines ; l'au,, sur le versant oppos du plateau, domine
Blankenburg. De l'endroit lev qu'on appelle Ziegen-
limburg et Halberstadt quelque distance, et l'horizon Magdeburg. C'est une belle vue de plaines, moins
tendue sans doute qu'au Brocken, mais qui a plus de
pittoresque et de charme. Le paysage a pour second
plan la ligne de rochers escarps auxquels on a donn
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
16
aot.
LE TOUR DU MONDE
59
rectement les ordres du conseil gnral des mines. Toutefois elles peuvent appartenir des particuliers. Elles
ont mme toutes commenc par l, et j'ai lu, avant mon
dpart, dans la Richesse minrale de Hron de Villefosse, publie en 1810, que, sous l'empire, la plupart
appartenaient des compagnies d'actionnaires; mais
peu peu, les actionnaires y renonant, l'tat a pris
leur place.
Voici comment sont organises les compagnies : si la
mine est en bnfice, sa valeur est partage en 130 actions, dont quatre pour le roi, une pour la ville et une
pour l'glise ; on ne distribue pas chaque anne aux
actionnaires tout le bnfice que fournit la mine. Pendant les premires annes le produit net est mis de ct
de manire former un fonds de rserve pour les annes suivantes. Souvent aussi une portion en est distraite pour tre prte aux mines qui sont en perte.
Une mine en perte est divise en 124 actions seule-
la mine peuvent par prfrence acqurir les actions abandonnes; s'ils ne les demandent pas, elles sont offertes
aux officiers des mines , et sur le refus de ces derniers, elles reviennent l'tat. Une caisse spciale, ayant
d'autres bnfices assurs, est charge alors de rpondre aux appels de fonds et devient propritaire des actions.
U. est arriv, pour un grand nombre de mines, que les
60
LE TOUR DU MONDE
actionnaires se sont lasss de verser longtemps et chaque trimestre de nouveaux fonds sans tre bien srs de
les recouvrer, et que l'tat a hrit ainsi de leur proprit.
Assurment l'conomie politique peut faire ce systme de proprit et d'exploitation de trs-graves re-
plus riches. Les compagnies, abandonnes elles-mmes, renonceraient l'exploitation, ou bien la pousseraient d'une manire irrgulire : ne cherchant que les
points les plus riches et gaspillant ainsi les ressources
de la mine, elles puiseraient rapidement le gte, et y
laisseraient quantit de parties inexplores ou de te-
62
LE TOUR DU MONDE.
Adolphe
CARNOT.
II
PROMENADES
DANS LE HARZ,
PAR M. STROOBAN
-
Heine dit que le Broken est essentiellement germanique, en bien comme en mal, en beau comme en laid.
Cela est parfaitement exact, et il en est de mme des
autres parties du Harz. Le pays est d'un grand aspect
et d'un pittoresque fantastique; les brouillards qui s'y
promnent pendant une grande partie de l'anne donnent aux montagnes un caractre et une couleur exceptionnels. Le paysan subit cette influence ; il semble
marqu au front d'une teinte sombre qui donne sa
physionomie un air de crainte et de tristesse; ses gestes
sont brusques, et si l'on tient obtenir de lui le moindre
renseignement, il faut lui adresser la parole dans sa
langue mme, prononce correctement, car s'il s'aperoit
que vous tes tranger, il vous tourne le dos en murmurant des paroles inintelligibles. Il nous est arriv,
pendant notre excursion dans ce pays, de rester toute
une semaine assis aux heures de repas avec les mmes
convives et d'en trouver peine deux qui fussent disposs rpondre nos questions sur les moeurs et les
usages du Harz; les autres vitaient toute espce de
conversation. Notre voisin de face notamment paraissait
viter mme de nous regarder et se renfermait dans un
flegme absolu. Sa physionomie nous est reste dans la
1. Voy. page 49 et la note 2.
LE TOUR DU MONDE.
Le Harz se compose d'normes blocs dont la base s'lve plusieurs centaines de pieds au-dessus du niveau
de la mer. Son tendue est de trente-six milles carrs.
Les montagnes sont gnralement isoles et forment
d'immenses monticules de forme conique spars par
des valles troites et profondes, surtout dans le nord
du Harz. Une chane de montagnes divise ce pays en
deux parties; plusieurs rivires y prennent leur source;
les principales sont : la Bode, la Holzemme, la Wipper,
la Tyra, l'use et la Selke.
Les voyages dans le Harz se font ordinairement du
sud au nord par les touristes qui habitent en de du
Rhin; j'ai prfr faire mon excursion en vritable Allemand, c'est--dire en me dirigeant de Halberstadt sur
Harzbourg.
II
Halberstadt. Maisons anciennes. Place du March. Costumes. Htel de ville. Cathdrale; tombeaux anciens.
Eglise de Notre-Dame. Ovation faite un duc.
63
64
LE TOUR DU MONDE.
(La fi n la
prochaine
lit raison.)
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1111
66
LE TOUR DU MONDE.
HARZ,
PAR M. STROOBANT'.
1862. - TEXTE ET DESSINS INDITS.
Cathdrale de Halberstadt (suite). Tombeaux anciens. glise de Notre-Dame. Ovation faite un prince allemand.
La cathdrale primitive avait t construite par Charlemagne et dtruite au douzime sicle par Henri le
Lion, duc de Saxe et de Bavire, qui assigea la ville,
la prit d'assaut et ruina dans un immense incendie plusieurs glises et quatre monastres. Les prtres et la
foule des fidles qui s'y taient rfugis prirent dans
les flammes.
L'glise de Notre-Dame, du ct oppos de la place,
est un des monuments byzantins les mieux conservs de
l'Allemagne; les anciennes peintures l'intrieur de
l'glise ont t restaures rcemment, mais d'une manire trs-incomplte.
La ville a gnralement un aspect calme et silencieux.
Cependant j'y fus tmoin d'un vnement qui prouve
combien cette population peut tre susceptible d'enthousiasme quand ses passions politiques sont excites.
Une nuit je fus rveill en sursaut par une grande rumeur; je me levai la hte, j'ouvris ma fentre et je vis
un grand nombre de personnes entourant une voiture
arrte devant l'htel du Prince-Eugne. Deux personnes en descendirent, et aussitt mille bras se levrent
et un cri formidable sortit de toutes les poitrines. Quelques instants aprs, j'entendis des pas dans les corridors
de la maison, puis le calme se fit, et la foule se retira
silencieuse. Le lendemain matin, on m'apprit que l'on
avait acclam le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, qui arrivait
Halberstadt pour y passer en revue le rgiment des
cuirassiers prussiens dont il est le colonel.
On aime donc bien le duc? dis-je la personne
que je questionnai.
Oh l oui,- monsieur; on aime le prince parce que
c'est un homme libral.
Pendant toute la journe la ville fut en fte, et, le
soir , plusieurs socits chorales donnrent au prince
une de ces srnades allemandes dans lesquelles le dialogue aux allusions politiques a plus d'importance que la
partie musicale. Les vieilles bannires dployes dominaient la foule et cent flambeaux clairaient cette
scne vraiment originale. Les Thurners , dans leur
costume pittoresque , applaudirent avec enthousiasme
un discours que leur chef pronona d'une voix forte et
vibrante.
1. Suite et fin. Voy. pages 49 et la note 2, et 62.
67
LE TOUR DU MONDE.
clent suffisamment que l'glise primitive, dote d'un
transsept, avait la forme lgue aux anciens temples du
christianisme par les difices civils des Romains. Mais
comment entendre la disposition du grand autel et de
l'autel du milieu de l'glise? Ne faut-il pas comprendre
que le premier tait au fond de l'abside, et le second
la rencontre du transsept et de la nef, sur la place o
les coupoles s'levrent plus tard? Voil l'image complte d'une basilique latine. D
Dans les caveaux de l'glise sont enterres les abbesses de Quedlinbourg; on s'y arrte malgr soi devant la dpouille mortelle de la belle Marie-Aurore de
Kceningsmark, aime d'Auguste le Fort, roi de Pologne,
mre du marchal de Saxe. Son cadavre est momifi et
dans un tat parfait de conservation, ainsi que ses vtements garnis de nombreuses dentelles dont elle aimait
se couvrir. C'est un spectacle navrant. Pour quelques
pices de monnaie, le concierge du chteau enlve le
couvercle du cercueil.
Le chteau date de plusieurs poques et n'offre pas le
moindre intrt; les appartements sont nus, blanchis
la chaux, et ne renferment que quelques mauvais portraits au pastel; dans une rue voisine, on remarque une
maison d'aspect pittoresque : c'est l que naquit Klopstock, en 1724.
IV
Environs de Quedlinbourg. Blankenburg. Le Teufelsmauer;
le chteau de Blankenburg. Le Regenstein. Le Hoppelberg ; panorama. Montagnes volcaniques. Rochers de
l'Ermite.
II_!WILiIIIIIINiIIlu^
i.,
LE TOUR DU MONDE.
69
70
LE TOUR DU MONDE.
VI
71
LE TOUR DU MONDE.
La pluie cessait par moments; mais l'orage tait continu et faisait le bruit d'un chariot roulant sur la grand'route. De temps en temps survenaient quelques claircies et nous en profitmes pour passer sur l'Ilsenstein.
L'Ilsenstein est un immense rocher dress pic, d'une
hauteur d'environ deux mille cinq cents pieds ; au bas
de ce bloc colossal de granit serpente avec mille dtours
la rivire l'Isle dont parle Henri Heine : On ne saurait dcrire l'enjouement, la navet, la grce avec les-
72
LE TOUR DU MONDE.
conduire en trois heures au sommet du Broken. Pendant la premire heure de marche tout alla pour le
mieux, et ma scurit tait si grande que je demandai
plusieurs fois au guide quelques moments de repos ;
pour toute rponse il htait le pas; je m'expliquai
bientt cette obstination. Lorsque nous arrivmes prs
d'un amas de rochers spars les uns des autres, l'orage qui n'avait fait jusque-l que menacer, clata dans
vgtation, les rafales redoublrent; les clairs paraissaient glisser devant nous le long de la montagne. Nous
montions toujours d'un pas ferme et rgulier, sans
changer une parole. Aprs une heure de marche, un
nouveau et magnifique spectacle se droula devant nous :
au-dessus de nos ttes nous avions un soleil splendide et
l'orage nos pieds; la scne tait grande, majestueuse; les
nuages roulaient les uns au-dessus des autres. De temps
en temps une pointe de rocher apparaissait, puis disparais-
toute sa fureur. Un vent affreux nous coupait le visage, la pluie tombait lourde et compacte, l'eau descendait de la montagne en torrents imptueux, des arbres
briss taient entrans par le courant , et le fracas du
tonnerre semblait faire trembler la montagne. Par moments nous tions envelopps dans des tourbillons si
violents que, pour y rsister, il fallait marcher serrs
l'un contre l'autre. Arrivs la hauteur o cesse toute
LE TOUR DU MONDE,
Dans l'aprs-midi, j'explorai le sommet de la montagne afin de prendre connaissance des diffrents points
que je comptais visiter le lendemain.
Le Broken, qui s'lve trois mille cinq cent quatrevingts pieds au-dessus du niveau de la mer, est la plus
haute montagne de cette partie de l'Allemagne; elle passe
73
LE TOUR DU MONDE.
FAUST.
Comme l'orage se dchalne dans l'air ! avec quelle violence il frappe mes paules !
MPHISTOPHLS.
Par
VOIX.
FAUST.
MPHISTOPHLS.
Arrte ! arrte 1
UNE VOIX D ' EN HAUT.
75
LE TOUR DU MONDE.
LES DEUX CHURS.
FAUST.
pianissimo.
VIII
Goslar. -- Chapelle; portail. Ancien palais des empereurs.
Le Baiserworth. Palais du roi de Hanovre. Excursion aux
mines du Bammelsberg. Aspect du pays. Descente dans les
mines; leurs produits. Effets de lumire la sortie. Travaux extrieurs. Mines de Clausthal. Moeurs des mineurs.
Valle de l'Ocker. Viennebourg. Brunswick.
76
LE TOUR DU MONDE.
je m'empresse de rentrer l'htel pour faire mes prparatifs de visite aux mines du Rammelsberg.
Avant d'entreprendre ce voyage souterrain, je tchai
d'obtenir de mon hte les renseignements qui pouvaient
m'tre ncessaires; malgr toutes les formes polies que
j'employai pour arriver mon but, je ne pus rien obtenir de raisonnable; la rponse tait toujours la mme :
a Puisque vous descendez dans la mine, vous pourrez
juger si cela est beau ou non.
Je sortis de l'htel, et m'adressant un jeune garon,
je lui demandai de m'indiquer le chemin des mines. Au
bout de vingt minutes de marche, il me laissa au milieu d'un sentier qui traversait une superbe prairie, et
me montrant une maison qui se trouvait une petite
distance de l, il me dit : C'est l le Rammelsberg.
premier tage. Ce calme absolu faisait ressembler l'habitation celle d'un pasteur de village, et ne rappelait
en rien l'animation bruyante qui caractrise ordinairement le voisinage de grands travaux industriels. Mon
embarras fut plus grand encore quand, au lieu d'une
figure de mineur que je m'attendais voir, ce fut une
dame qui m'ouvrit la porte et me pria d'entrer. Je m'excusai de mon mieux en lui dbitant en allemand tous les
mots de politesse que je connaissais, et je cherchai lui
faire comprendre que j'avais probablement t mal renseign et que mon intention tait de visiter les mines du
Rammelsberg. Elle me prit des mains la permission que
je m'tais procure la veille Goslar, la lut et m'introduisit dans un petit salon o elle me laissa seul. Au bout
de dix minutes, elle revint accompagne d'un mineur qui
portait sous le bras le costume traditionnel destin aux
Le spectre du Broken, vu et dessin par M. Stroobant, dans l't de 1862 (voy. p. 75).
78
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
sol, des enfants se roulent parmi des jouets, et la jeune
mre prsente au mineur son dernier n, dont les petits
bras semblent chercher le baiser d'adieu. Ce dessin me
rappelait les clbres adieux d'Andromaque et d'Hector;
j'y retrouvais les mmes sentiments, la sombre inquitude qui nat de l'ide d'une mort peut-tre prochaine ,
l'enfance mlant ses grces ignorantes aux troubles de
l'ge mr. Ce qui donne au pome homrique une jeunesse ternelle, n'est-ce pas la peinture des passions que
l'homme prouvera toujours, dans tous les pays, tant
qu'il saura aimer et souffrir?
a Le jeune mineur, aprs avoir termin son apprentissage dans les ateliers extrieurs des mines , commence enfin son existence souterraine : chaque semaine , il doit descendre six fois dans les mines et y
demeurer pendant huit heures; il arrive l'entre du
puits en costume de travail, avec un bonnet de feutre
pais pour garantir sa tte contre les coups, et autour
des reins un morceau de cuir pour travailler assis dans
des terres mouilles par des eaux vitrioliques. Un habit de toile grise , une petite lampe qu'on suspend par
un crochet, des outils de forage compltent son quipement. Quand les mines n'ont pas une profondeur excessive, on y descend simplement par des chelles. Tout le
long du puits, creus dans le rocher, sont de petits planchers relis par des chelles droites; on descend sur l'une
d'elles et l'on arrive sur le plancher infrieur, perc d'un
trou assez large pour laisser passer un homme; on descend par ce trou sur l'chelle suivante, et ainsi de suite.
Qu'on se figure un tel exercice prolong pendant une ou
deux heures; les barreaux des chelles sont sales et fangeux, l'eau suinte de toutes parts , la lampe fumeuse ne
jette qu'une lueur rouge et vacillante. L'on descend, l'on
descend toujours, et le mineur est dj puis avant de
commencer son vritable travail. La monte et la descente
ne sont pas la partie la moins pnible de son existence;
ce n'est pas une distance de quelques mtres qui le spare de son chantier, ce sont des distances effrayantes de
plusieurs centaines de mtres. A Andreasberg, localit
depuis longtemps clbre pour ses minerais d'argent, le
puits Samson, le plus profond qui existe au monde, descend deux cent trente mtres au-dessous du niveau de
la mer du Nord, et sept cent quatre-vingt-onze mtres
au-dessous du sol. Le puits du comte George-Guillaume, Clausthal, a six cent quatre mtres de profondeur. Une invention extrmement ingnieuse, qui remonte
l'anne 1833, a diminu en grande partie la fatigue
des descentes et des ascensions perptuelles : c'est celle
des machines nommes fahrkunst. On la doit un simple
bergmeister (matre mineur) du Harz, nomm Drell
(voy. p. 53).
a Aujourd'hui les fahrkunst sont tablis au Harz dans
toutes les mines dont la profondeur est trs-considrable.
a Arriv dans les galeries souterraines, le mineur se
dirige souvent par un vritable ddale vers le point o il
attaque le filon, et pendant huit heures il est occup
forer des trous dans la roche pour la faire sauter la
poudre. Quandtoutes les prcautions ont t prises et Qu'il
79
vient d'allumer la mche, il s'loigne rapidement et atlend l'explosion en avertissant tous ceux qu'il rencontre.
On entend bientt un bruit sourd : ds que le nuage de
vapeurs s'est un peu dissip, le mineur va dtacher de
la roche grands coups de maillet tous les dbris qui y
adhrent encore, il spare les morceaux qui contiennent
une portion de filon de ceux qui sont tout fait striles
et qui servent combler les anciennes galeries puises. Le minerai, plac dans de petits chars qu'on nomme
chiens de mine, est port, par des chemins de fer,
l'orifice des puits, d'o on l'extrait.
Il arrive quelquefois que la charge de poudre fait
explosion pendant que le mineur est encore au milieu de
ses prparatifs, surtout au moment o il retire du trou
de forage dj rempli de poudre la tige en fer qui doit
donner place la mche, et qui peut faire jaillir une
tincelle au frottement de la pierre. Le malheureux ouvrier est alors brl, mutil et souvent tu sous les dbris qui l'crasent. Je rencontrai un jour au milieu d'un
vallon solitaire , sur la route de Lauthenthal Grund,
un pauvre homme horriblement dfigur; il me raconta
qu'il avait t brl par une semblable explosion et
n'avait chapp que par miracle. Il tait infirme et incapable de travail, passait sa vie garder des vaches dans
la fort, et offrait des bouquets de fraises aux rares voyageurs qui traversent cette partie de la montagne.
a Faut-il s'tonner de la joie que le mineur ressent
quitter les sombres abmes o son labeur l'appelle?
a Un dessin bien connu dans le Harz reprsente le mineur ce moment souhait : il vient de sortir du puits,
il se tient debout, te son bonnet comme pour prier et
regarde le ciel : Glch, auf! Rentr pour seize heures
dans sa famille, il n'prouve qu'un besoin, celui du repos. On a souvent essay d'introduire parmi la population ouvrire des industries de montagne qui pourraient
en donnant une occupation aux mineurs, durant leurs
moments perdus, leur permettre de gagner davantage et
d'introduire un peu de bien-tre dans leur vie domestique. Ces essais n'ont jamais russi. Tous les soins de
la maison sont abandonns la femme; c'est elle qui va
chercher les provisions, souvent de trs-longues distances; elle s'occupe seule de tous les dtails du mnage.
Le mineur passe le temps devant sa fentre, presque
toujours orne de quelques fleurs; quelquefois il s'amuse
lever des oiseaux. Les occupations qui permettent la
rverie sont les seules qui lui conviennent. Il fume pendant de longues heures sans parler , et sa taciturnit
croit mesure qu'il a travaill plus longtemps dans les
mines. Jeune, on le voit encore gai, alerte, remuant;
peu peu il tombe dans une mlancolie qui n'a rien de
sombre, mais qui s'tend autour de lui comme un voile
et se trahit par le srieux du visage et la gravit de ses
rares propos.
a L'assistance de l'tat, dont il est sr en cas d'accident
et de maladie, l'empche de se proccuper de l'avenir
et de chercher une condition meilleure. Il ne connat pas
non plus les dsordres qui rgnent dans un si grand
nombre de districts industriels; il ne s'enivre jamais et
80
LE TOUR DU MONDE.
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I^^^^^ HorE^ia
naient mon oreille travers le voile d'un demi-sommeil, mais je sais qu'ils avaient une douceur, une simplicit, une tranget particulire. Ces artistes forains
gardaient sans doute pour les joyeux villages de la plaine
les valses au rhythme entranant; leur musique aux formes vieillies tait empreinte d'une mlancolie pntrante, qui semblait s'inspirer de ce ciel froid, encore
demi assombri par les brumes matinales.
Malgr la grande fatigue que les voyages souterrains
m'avaient cause, je traversai la magnifique valle de
l'Ocker pour me rendre Goslar o j'arrivai dans la soire; la patache qui m'y avait men s'arrta devant l'htel o j'tais descendu deux jours auparavant; mon in-
u1ll li l i
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1t
STROOBANT.
LE TOUR DU MONDE.
81
Louisville, dans le Kentucky (voy. p. 86). Dessin de Guiaud d'aprs une gravure amricaine.
I
De New-York Liberty.
En ce temps-l, il y a quatre ans, un Europen pouvait parcourir en tous sens le territoire de la grande
rpublique amricaine, sans tre en pril de tomber
tout coup dans les lignes de quelque arme inconnue , d'tre arrt comme un espion, et forc, pour viter
la prison ou pis encore, se battre bon gr mal gr
`pour le Sud ou pour le Nord. L'auteur du rcit de
voyage d'o nous avons extrait les pages qui suivent
tait parti de New-York, en compagnie de lord S....
Le chemin de fer de South-Amboy les avait transports
Philadelphie, o ils avaient visit la collection de
Francklin-Institute. Ils avaient ensuite travers Baltimore, Harpers-Ferry, d'o l'on admire le panorama des
82
LE TOUR DU MONDE.
84
LE TOUR DU MONDE.
III
Paysages. Une singulire auberge. Le vol est rare. Pourquoi.
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LE TOUR DU MONDE.
86
Le reste de notre voyage s'acheva d'une manire insignifiante, et, trois jours aprs, nous arrivmes Cattles1. Gros insecte noir et puant qui ressemble un grillon, mais
qui appartient la famille des blattes.
burg, premire ville de l'ftat de Kentucky, sur la frontire de Virginie. Le pays o nous entrmes tait bien
plus habit et par consquent beaucoup mieux cultiv.
L, comme je l'avais projet, nous nous dcidmes
prendre le stage, ou diligence. Dix jours passs
cheval nous avaient fatigus et il nous restait cent vingt
milles faire pour atteindre Lexington o nous devions
enfin retrouver le chemin de fer.
Dirk revendit nos chevaux sur lesquels nous ne perdmes gure que moiti; nous le paymes gnreusement,
ce qui nous attira une foule de compliments obsquieux
la mode irlandaise, et nous nous dcidmes nous
emballer dans le stage.
Nous n'avions pas de chance : la maudite voiture tait
complte, et nous nous y trouvions entasss comme des
harengs dans une caque. Du reste, le stage tait fort solidement construit, assez bien suspendu, et contenait neuf
places sur trois banquettes horizontales : l'extrieur en
tait bariol d'affiches et de rclames flamboyantes de
toute espce : une fois en route et aprs avoir surmont
le dgot que nous inspiraient quelques voisins d'une
propret et surtout d'une odeur douteuse, nous dmes
nous applaudir de la compression utile que nous subissions : la voiture, lance fond de train, sur des chemins affreux et trane par un attelage de cinq chevaux
ardents conduits grandes guides, faisait des bonds impossibles et nous aurait certainement briss, ou tout au
moins contusionns sans le point d'appui que nous prtaient les autres voyageurs.
A cela prs qu'il faisait une chaleur touffante et qu'un
de nos voisins se mit manger sous notre nez une salade
d'oignons assaisonne d'ail, le voyage se passa parfaitement bien, et nous arrivmes au milieu de la nuit dans
la ville de Lexington.
On nous transporta, nous et nos bagages, au NationalHtel, le meilleur de la ville, ce qu'on nous assura, et
nous pmes enfin tendre nos membres fatigus dans
un lit confortable.
Lexington est rgulirement btie et assise sur un
plateau d'o on a une vue magnifique : c'est le sige
d'une universit clbre.
Toutefois, comme il n'y a rien absolument y voir,
le soir mme nous reprmes le chemin de fer pour
Louisville, principale ville du Kentucky, une distance
de cent milles de Lexington.
Le chemin de fer passe Francfort, capitale de l'ftat.
Cette ville ne compte pas plus de cinq mille habitants;
elle est btie dans une valle profonde, entoure de rochers, sur le bord de la rivire Kentucky.
A dix heures du soir, nous arrivions Louisville, o
nous passmes trois jours entiers, pour nous refaire un peu
du long voyage que nous venions d'accomplir (voy. p. 81).
Louisville, qui repose sur un plateau pic cent
pieds au-dessus du fleuve Ohio, est grande et fort peuple. De la promenade on a sous les yeux les chutes du
fleuve, qui, large de plus d'un quart de lieue, se prcipite travers les rochers par mille rapides diffrents.
Le palais de ju rtice et l'htel de ville sont deux di-
87
LE TOUR DU MONDE.
lices remarquables par leur tendue , leur hauteur, et
surtout par le mauvais got qui a prsid leur construction.
Ce fait est gnral aux Etats-Unis, o l'architecture,
comme les autres arts, est traite de la manire la plus
dplorable. Il semble que la vie matrielle soit trop facile dans ces pays nouveaux, pour que le sentiment de
l'art, raffin par les dlicatesses et les subtilits de la
vieille civilisation europenne, ait pu pntrer dans les
esprits. Si le got du beau ne prcde pas ou n'accompagne pas ds le principe le dsir et la recherche du
bien-tre, il y a grand danger qu'il reste en retard et
qu'on le mette en oubli.
Un Amricain raisonne architecture, peu prs
comme un paysan franais. Un difice est trs-lev, il
a cot beaucoup d'argent, et beaucoup de temps ; les
pierres sont bien neuves et rgulirement poses, donc
il est beau ; il n'y a rien rpondre de semblables
arguments.
Nous fmes bien vite fatigus de Louisville : la vie
d'htel, quoique fort confortable, y est aussi ennuyeuse
qu'ailleurs, et nous fmes affaire avec un loueur de voitures, pour une calche deux chevaux, avec un cocher multre, que nous pouvions garder tant que nous
voudrions , moyennant huit dollars par jour , retour
compris.
Au prix o sont les chevaux et l'avoine l-bas, ces gensl doivent faire de bonnes affaires. D'ailleurs ce loueur
tait le seul dans la ville qui et des voitures un peu lgantes, et il en fallut passer par ses conditions.
La route qui conduit Mammouth-Cave est une des
meilleures que j'aie rencontres dans l'Ouest. Le pays,
assez plat, est couvert de forts interrompues de temps
en temps par des plantations de crales et de tabac, et
on n'y rencontre qu'une seule petite ville appele Mau-.
ford, situe quatre-vingts milles environ de Louisville,
la bifurcation du chemin de traverse qui mne aux
grottes.
A partir de l pendant les dix milles qui restent
faire, on monte et on descend alternativement, et nous
dmes souvent mettre pied terre et pousser aux roues
pour franchir les passages difficiles. Enfin nous arrivmes dans la valle du Green-River , charmante petite
rivire qui mrite bien son nom (Green, verte), couverte
qu'elle est par les larges feuilles vertes des nelumbos
aquatiques, et des pontederias, dont les fleurs jaunes et
les aigrettes bleues forment des bouquets d'une varit
charmante la surface de ses eaux tranquilles.
V
Mammouth-Hotel. Visite aux grottes. La Rotonde.
L'glise gothique. La chambre des revenants. Poissons
singuliers. Le fauteuil du diable. Le puits des Andes.
La mer Morte. Styx - River. Le vignoble de Marthe.
Le puits terrible. Retour l'htel.
88
LE TOUR DU MONDE.
suivre le guide qui marchait en tte, tandis que l'Allemand fermait la marche.
Aprs avoir fait un assez long trajet dans ce corridor
qui ressemble un boyau de mine, nous descendmes
une centaine de marches proprement tailles dans le
rocher, et nous entrmes notre grande satisfaction
dans une longue galerie beaucoup plus haute et plus
large.
Cette galerie aboutissait une grande salle naturelle
appele la Rotonde, de laquelle partaient plusieurs embranchements latraux. Un nouveau corridor, moins
troit que celui de l'entre, nous conduisit enfin une
immense excavation qui peut contenir cinq mille per-
mites, autres concrtions qu'avait progressivement formes sur le sol des grottes la chute des gouttes d'eau
calcaire, occupaient la vote et les parois de toutes
les avenues, de toutes les salles et de tous les dmes
que nous parcourions, affectant les formes les plus bizarres et les plus fantasques, et fournissant l'imagination de chacun les comparaisons les plus diffrentes.
C'est ces merveilleuses cristallisations que sont dus
les noms souvent fort singuliers appliqus aux diffrentes parties des grottes.
L'glise gothique est dj une demi-lieue de l'entre. En la quittant, nous nous enfonmes dans l'ave-
LE TOUR DU MONDE
nue gothique o abondent, pendant un trajet d'un
quart de lieue, les stalactites qui avaient tant excit
notre admiration.
De l on arrive la chambre des revenants, ainsi
nomme parce qu'on y a trouv des momies indiennes
provenant sans doute des anciennes tribus qui ont peupl le sol amricain. Cette salle servait peut-tre de
lieu de spulture. Malgr son nom sinistre, elle tait
89
Les grottes de Mammouth. La tonnelle merve illeuse. Dessin de Gambard d'aprs M. Deville.
90
LE TOUR DU MONDE.
Cyprinodons, poissons aveugles des grottes de Mammouth. Dessin de Rouyer d'aprs des sujets du Musum.
arrive la mer Morte, grand lac intrieur en communication avec le Styx, petite rivire qui, suivant tranquillement son cours dans les profondeurs de la terre,
s'accrot par l'infiltration des eaux pluviales et des nappes
d'eau intrieure, et va sans doute se runir par des
canaux souterrains au Green-River, qui contourne la
montagne o sont situes les grottes.
C'est dans ces eaux profondes qu'on pche les sirdons et les poissons sans yeux dont j'ai dj parl. Nous
nous y embarqumes sur un bateau qui y attend les
visiteurs pour les transporter sur l'autre rive ; cependant, malgr le nom fatal de ce cours d'eau, je dois dire
que notre bonhomme de batelier n'avait pas la moindre
ressemblance avec le nautonier des enfers, Caron, de
sinistre mmoire.
La lueur des torches, reflte par l'eau, produit dans
la nuit profonde un effet impossible dcrire : ce sont
des jeux de lumires, des contrastes d'ombres si saisissants, au milieu des ces formes tranges qui vous environnent, qu'aucun pinceau ne saurait les rendre.
LE TOUR DU MONDE.
Nous fmes frapps de la sonorit cause par les vibrations successives de mille chos qui se produisent au
centre du lac, sonorit telle que nous entendions distinctement un bruit de paroles et le clapotement des
avirons d'une autre barque, naviguant sur les mmes
eaux, quoiqu'elle ft plus de cinq cents pas de nous,
d'aprs ce que nous assura le guide.
. Au milieu du Styx se trouve un fort remou qui fit
tourner brusquement trois ou quatre fois notre embarcationsur elle-mme : il y a l un gouffre naturel o
une partie des eaux va disparatre.
Ds que le bateau eut repris son quilibre, notre
Allemand, qui, en sa qualit d'habitu des grottes, tait
59
trent des passages plus difficiles, et o quelques boulements ont eu lieu, est rarement visite.
Une suite de galeries, de dmes et d'excavations nous
conduisit, une lieue plus loin, au vignoble de Marthe,
ainsi nomm cause des stalagmites qui boursouflent
le sol, et rappellent par leur disposition symtrique une
range d'chalas, puis au ravin des boules de neige, couvert d'efflorescences gypseuses. De l on passe par des
sentiers escarps, entours de prcipices, sur les montagnes Rocheuses, o l'on trouve un gouffre appel le
Trou terrible, trs-large, d'une profondeur incalculable,
et au fond duquel on entend bouillonner les eaux souterraines.
92
LE TOUR DU MONDE.
avant dans ce ddale souterrain, et a pu s'assurer, malgr l'impossibilit de passer, que les grottes s'tendaient
beaucoup plus loin ; seulement on n'a pas dcouvert
d'autres sorties, et il y a bien des prcautions prendre
pour ne pas s'garer dans ce ddale o s'enchevtrent
une foule de corridors et de galeries sans fin, souvent
si troites et si basses qu'on peut peine s'y glisser, et
qui, le plus souvent, n'aboutissent qu' des impasses,
d'o l'on est forc de revenir sur ses pas. Le guide qui
m'apprit ces dtails et toutes les recherches inutiles
qui avaient t faites, m'assura en outre qu'il fallait
suivre pendant plus d'une heure pour y pntrer une
crte troite, large d'un pied au plus, suspendue au flanc
d'un rocher pic au-dessus d'un abme incommensurable, et que lui-mme avait prouv un vertige affreux
chaque fois qu'il s'y tait hasard.
Il y avait bien l, je l'avoue, de quoi me dtourner
des dcouvertes que je voulais faire, et comme je n'avais pas d'ailleurs beaucoup de temps consacrer ces
amusements, je rsolus de laisser d'autres plus heureux et plus hardis l'honneur de dcouvrir le terme de
ces souterrains extraordinaires, o l'on a constat jusqu'ici : deux cent vingt-six avenues, cinquante-sept dmes, onze lacs, sept rivires, huit cataractes, trentedeux puits ou plutt trente-deux abmes dont quelques uns
sont d'une profondeur et d'un diamtre extraordinaires
tue vente d'esclaves aux tats-Unis (voy. p. 95). Dessin de Gustave Dor d'aprs
1l. Deville.
ois
LE TOUR DU MONDE.
Un sentier trac dans le flanc de la montagne nous ramena l'htel, o nous arrivmes la nuit tombante et
presque au moment ou le gong chinois', cet affreux
instrument dont les vibrations dchirent les oreiller,
annonait que le diner tait servi.
Nous tions curieux d'assister l'un de ces repas publics qui devaient former, d'aprs nos conjectures, une
runion bizarre de gens de toute condition et de tout
rang.
Ainsi donc, sans tenir compte des insinuations du
maitre d'htel, qui nous assurait qu'il serait plus convenable de nous faire servir sparment, nous nous empressmes de changer de vtements, et de descendre
dans la salle manger o tout le monde tait dj
runi.
Sur une longue table de trois cents couverts, o presque toutes les places taient prises, s'talait une profusion infinie de mets de tout genre, volailles, gibier, immenses pices de rest-beaf, porcs, esturgeons, poissons
divers, entremls de distance en distance de pyramides
de fruits et des invitables chteaux de blanc-mangers,
blancs, roses, ou jaunes. Cette perspective s'tendait
perte de vue dans une salle joliment orne de guirlandes
et de pots de fleurs, ce qui annonait rellement la prsence du cuisinier franais qu'on nous avait justement
vant, l'ordonnateur de ce repas homrique.
On pense bien que notre entre fut peine remarque
au milieu du bruit des fourchettes, du cliquetis des
verres et du bourdonnement des voix.
Nous allmes nous asseoir l'un des bouts de la salle,
prs de l'office, la place des derniers venus, et on nous
servit immdiatement.
C'tait un spectacle comique que cette galerie de cent
cinquante personnes, ranges sur la mme file, agitant
leurs bras avec ensemble , tandis qu'un nombre presque gal de noirs tout habills de blanc se dmenaient
derrire elles pour faire le service.
Nous venions d'achever un potage la tortue, quand
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LE TOUR DU MONDE.
d3 pourtour, et dont la vote s'lve en nef immense,
Sa forme, sa grandeur, les tranges stalactites qui la
dcorent, lui ont valu le nom d'glise gothique.
En effet, grce aux jeux de la lumire, et l'imagination aidant, on distingue ici tous les dtails architecturaux d'une nef du moyen ge : piliers, colonnes, nervures, votes ogivales. Il y a mme une chaire naturelle,
o, dit-on, plus d'un de ces prdicateurs errants, dont
abondent les tats-Unis, est venu exposer sa doctrine.
Un peu plus loin, dans un troit couloir nomm le labyrinthe, la vote s'abaisse tellement, qu'il faut marcher
sur les pieds et sur les mains. C'est le chemin de l'humilit; on ne peut lever la tte sans la frapper contre le
rocher, aussi les plus fiers la portent-ils ici aussi humblement que possible. Au sortir de ce dfil, nous atteignons Devil's chair, le fauteuil du diable, sorte de balcon, accol une paroi pic, la paroi de Bottomless pit,
l'abme sans fond. A travers une ouverture, taille dans
le rocher en forme de fentre, le ngre qui me guide me
fait avancer la tte. Les lumires de nos lampes, projetes en avant, nous laissent entrevoir sous nos pieds un
noir prcipice bant; mais c'est tout. Pour me donner
une ide de sa profondeur, Mat fait d'normes cornets
en gros papier imbib d'huile, il les enflamme, puis les
abandonne eux-mmes. Je vois alors ces cornets en feu
descendre en tournoyant dans le vide, et rpandre des
lueurs rougetres sur le diamtre du gouffre; mais avant
d'en atteindre le fond, ils s'teignent entirement consums. Nous levons les torches au-dessus de nos ttes,
pour apercevoir la hauteur du dme; mais sa vote se
perd dans les tnbres. La paroi rocheuse de l'abme, o
sans doute s'est prcipit jadis quelque vaste cours d'eau
souterrain, aujourd'hui disparu, forme le fer cheval;
c'est en miniature la reproduction fidle du croissant de
la cataracte du Niagara.
Plus d'une sombre lgende se rattache au Bottomless
pit. Chaque guide la sienne.... mais celle que le pauvre
Mat me raconta voix basse et en s'assurant, chaque
mot, que nul autre que moi ne pouvait l'entendre, est
malheureusement intimement lie aux ralits du monde
contemporain.... C'est un simple pisode de cette vieille
et hideuse institution de l'esclavage qui tarde tant mourir sur le sol des tats-Unis! En l'coutant, je me reportais en frmissant un souvenir repoussant, au spectacle d'une vente d'esclaves que j'avais vue quelques
jours auparavant dans une ville de l'Alabama, et qui
avait tal mes regards les derniers degrs de l'abjection dans la crature vendue et les derniers degrs de la
corruption dans les maquignons en chair humaine. Eh
bien, deux esclaves fugitifs de cette mme ville, s'efforant de gagner les tats du Nord, taient venus de nuit
demander un asile temporaire aux grottes de Mammouth, dans l'espoir de s'y tenir cachs assez longtemps
pour faire perdre leur trace aux sbires envoys leur
poursuite. Hlas ! on ne met pas facilement en dfaut
les chasseurs d'hommes, aids qu'ils sont, presque toujours, dans leur tche diabolique, par l'instinct carnassier de limiers froces, dresss spcialement la qute
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LE TOUR DU MONDE.
monde, sans en excepter les voyageurs les plus prosaques. Cette avenue aboutit la salle de bal, aux murailles de Neige (Snow ball room) ; l'enduit brillant qui
les recouvre est effectivement d'une clatante blancheur.
Des chemins tour tour larges ou troits, unis ou escarps, nous conduisent de l aux montagnes Rocheuses
(Rocky mountains), o il faut sans cesse gravir d'normes
quartiers de roche dtachs de la vote. A travers leurs
asprits et de larges fissures, qui semblent prsager
d'autres boulements considrables, on parvient enfin
la grotte des Fes (Fairy grotte), o, de toute part, les
stalactites ranges en immenses colonnades forment d'lgants arceaux d'un aspect vraiment ferique. De tous
cts suinte l'eau ; de tous cts l'on entend tomber les
gouttelettes dont la chute sonore retentit dans ces tnbreuses retraites. Au fond mme de la sale, on re-
marque un groupe imitant la cime d'un immense palmier. Les branches, gracieusement inclines, semblent
sculptes dans un bloc d'albtre oriental. Au sommet de
ce gracieux ensemble, jaillit une source, cratrice sculaire de tous ces dpts calcaires qui brillent du reflet
de nos torches. La lumire, promene dans les vides
laisss entre ces formations sdimentaires, en fait ressortir toute la transparence. Les dlicats arceaux, orns
de franges bizarrement dcoupes, qui s'tendent audessus de la tte de voyageurs, peuvent figurer leurs
yeux une lgante tonnelle de marbre blanc. Aussi, les
touristes donnent-ils ce singulier groupe le nom de
palmier ou de tonnelle merveilleuse, suivant leurs apprciations particulires.
La grotte des Fes, situe une des extrmits de la
caverne, se trouve seize kilomtres de son ouverture.
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LE TOUR DU MONDE.
PROU.
CINQUIME TAPE.
DE CUZCO A ECHARATI.
Quelques mots sur le chemin qui conduit de Cuzco la pampa d'Anta. Qu'un domestique de confiance peut tre la fois fripon,
gourmand et imposteur. Les nuages du ciel. A quoi songeait le voyageur en arrivant Mara. O Arimane et Oromase interviennent propos d'une bille de chocolat. Qui traite du pardon et de l'oubli des offenses. La desse de Pintobamba. Souvenirs
et silhouettes. Le ravin d'Occobamba. Ci-gft un noble cur. Les ruines d'Oltantay-Tampu vues vol d'oiseau. La chronique
et la tragdie.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
de grignoter certaine chose oblongue et brune qu'il escamota prestement, en surprenant mes regards attachs
sur lui. Mais si prompt qu'et t son geste, j'avais eu
le temps de reconnatre dans la chose en question une
bille de chocolat.
C'est singulier, me dis-je; est-ce mes dpens ou
aux siens que ce garon se rgale ainsi?
En me voyant arrter ma monture, le mozo avait compris que j'avais besoin de ses services et s'tait ht
d'accourir.
Passez-moi un flacon de vin de Madre qui se trouve
dans les alforjas, lui dis-je.
Il me remit aussitt l'objet demand.
La lgret de ce flacon, dans lequel j'tais certain
d'avoir vers une bouteille entire de liquide , me donna
l'ide de l'appliquer mon oeil et de regarder le jour au
travers. Le flacon tait moiti vide.
Jos Benito, pensai-je, doit avoir bu mon vin de
Madre, comme il a mang mon chocolat.
Ce doute ou plutt cette certitude opra sur ma physionomie un certain changement qui n'chappa pas au
muzo.
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Cd
LE TOUR DU MONDE.
101
troit tapis o toutes les nuances du vert taient prodigus, trois villages s'levaient au milieu de massifs de
pisonays4 , de saules et de chilcas'; c'taient Urquillos
et son hacienda seigneuriale, Huayllabamba et sa tour
carre, Yucay avec ses maisonnettes parpilles sur un
coteau. A la suite de ces villages, venait Urubamba, que
son pont de deux arches, son glise isole au milieu
d'une place et son simulacre de fontaine dnonaient
comme le chef-lieu de la province quiconque et
ignor qu' son importance architecturale Urubamba
joignait la qualification de Benernerita (bien mritante),
et que cette qualification, donne en 1839 par dcision du congrs de Huancayo et quivalant un titre
de noblesse, levait la bourgade au rang de mtropole.
Erythrina pisonay.
2. Vernonia serrataloides.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
-- Voil ce que je voulais me faire dire, lui rpliquai-je galamment.
Au moment o je dbitais doa Julia cette fadeur
l'eau de rose dont je puis avouer ici que je ne pensais
pas un tratre mot, l'oeuvre de Gavarni, qui a pour titre :
Ce qu'on dit et ce qu'on pense, me revint l'ide. Certes,
si la desse de Pintobamba et pu lire dans mon esprit,
elle et t scandalise de la pense qui s'y formulait en
toutes lettres au moment mme o je lui dcochais ce
madrigal; mais pour sa flicit, aussi bien que pour son
malheur, l'espce humaine sera toujours dupe des apparences.
La journe se passa gaiement. On mangea des fruits
et des sucreries tout en vidant quelques bouteilles, et
quand vint l'heure du diner, on se mit table sans apptit. Vers le soir, des dames d'Urubamba, en toilette
prtentieuse, arrivrent au bras de leurs cavaliers.
Aprs les compliments d'usage et des sants changes
entre les convives de la journe et les nouveaux venus,
deux guitaristes, lous pour la soire, s'allrent poster
dans un coin, et le bal s'ouvrit par une de ces valses locales o les couples d'abord enlacs, se sparent, frappent dans leurs mains, se tournent le dos, s'enlacent de
nouveau et rappellent, par leurs volutions bizarres, ces
automates en bois peint qu'on voit dfiler processionnellement dans l'entre-caisson de certains orgues de Crmone. A cette valse succdrent les danses caractristiques de la Cte et de la Sierra; et comme la dive
bouteille allait toujours son train et que les toasts ne
discontinuaient pas, vers minuit l'enthousiasme des convis grondait l'gal du tonnerre.
Comptant partir au petit jour, j'allai prendre cong de
doa Julia, et m'excusai d'abandonner la fte son plus
haut degr d'animation. Je la priai d'tre mon interprte au prs de son mari, qu'une de ces indispositions
qui ne rsistent pas au sommeil et quelques tasses de
th lger venait d'obliger quitter la salle. Je terminai par une promesse formelle de donner de mes
nouvelles la desse de Pintobamba, si le ciel me permettait d'arriver sain et sauf au terme de mon voyage :
puis, comme je la saluais et lui tendais la main, elle
appela sa chola de confiance.
a La chambre de don Pablo est-elle prte? lui demanda-t-elle.
Si senora, rpondit celle-ci.
As-tu remis son domestique des botes de confitures pour le voyage?
Si senora.
C'est bien, dit-elle en se levant; il est du devoir
d'une matresse de maison de s'assurer par elle-mme
que rien ne manque l'hte que Dieu lui a donn pour
quelques heures.
Elle prit mon bras et nous sortmes de la salle.
Selon la coutume espagnole, les chambres coucher
de la maison, situes au rez-de-chausse, occupaient les
trois cts d'une vaste cour transforme en parterre.
Des massifs de fleurs qui croissent merveille sous le
climat d'Urubamba, lis blancs, tubreuses, daturas et
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0'.
1861.
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LE TOUR DU MONDE.
vaut sur parole, surtout quand ce savant, qui s'est couch
le soir entomologiste et chasseur d'insectes, se lve le
matin archologue, ethnographe et, ce qui est pire,
affam de clbrit 1
Quand j'eus saisi tant bien que mal l'aspect gnral
des cerros d'Ohantay, les cavits et les reliefs de leurs
latomies et fait un croquis de la forteresse en pis qui
borde la rivire, je compltai mon oeuvre par une vue du
village moderne et celle des ruines de l'ancien tampu
fortifi. Ce tampu me remit en mmoire, avec la chronique qui s'y rattache, certaine tragdie crite en langue
quechua par un certain docteur Antonio Valdez. En
posie, a dit un esprit minent, il n'y a pas de bons et
Soleil et premier-n de la descendance Capac-Ayllu-Panaca, rgnait sur le Prou. La mort de son pre l'avait
mis en possession de ce vaste empire des Incas qui s'tendait alors des bords de la rivire Rapel (Chili) aux
confins du royaume de Lican, aujourd'hui rpublique de
l'quateur. Mari sa propre soeur, Mama-Chimpu
Oellu, Tupac avait eu de sa femme et de ses nombreuses
concubines deux cent quatre-vingt- onze enfants, parmi
lesquels on comptait trente-quatre fils lgitimes qui vivaient sa cour en attendant que la couronne cht, par
droit d'hrdit, l'an d'entre eux. Cet an, appel
Huayna-Capac, devait un jour tre pre de Huasear et
d'Atahualpa, ces princes rivaux dont le premier devait
110
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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sur l'escabeau, tait vtu d'une tunique de laine d'alpaca, d'une blancheur de neige, rehausse par une bordure multicolore. Ge vtement, tiss en forme de sac,
avec une ouverture pour la tte et deux ouvertures latrales pour les bras, tait si court, qu'il laissait voir les
genouillres d'or que portait l'empereur. La coiffure de
l'Inca se composait d'une mitre d'or orne de chaque ct
d'un peron aigu. Un feston dentel, qui rappelait la
crte dorsale d'un iguane , dessinait les contours de cette
mitre, sur laquelle tait grave la figure d'Inti-Ghuri, le
dieu Soleil. Une frange de laine d'un rouge obscur, qui
tombait sur le front, s'adaptait ce bizarre diadme,
complt par deux bandelettes pendant jusqu' l'paule,
une ide complte, les notes extraites des quippus, auxquelles nous empruntons nos renseignements, ne contenant que quatre mots ce sujet. Il est vrai que ces
quatre mots quivalent quatre lignes : Sayayf tn cumu
cencca huarmicamayoc, ce qui signifie que notre Inca
tait de haute taille, d'apparence robuste, avait un long
nez, et tait fort adonn aux femmes, apprciation qui
doit tre exacte, en juger par la postrit nombreuse
qu'il laissa aprs lui.
Autour de sa litire se pressait une garde d'lite , compose de ces curacas ou caciques que les conqurants
espagnols qualifirent irrvrencieusement d'oreillards
(orejones), sous prtexte que le lobe de leurs oreilles
balayait leurs paules. Quatre de ces dignitaires abri-
11 ^
LE TOUR DU MONDE.
piliers, et qui guettait apparemment l'arrive du cortge, abandonna son poste et, s'avanant vers l'empereur, se prosterna quelques pas de lui, la face contre
terre. Cet homme tait vtu d'une tunique bleue ; il avait
les cheveux coups carrment sur le front et flottants sur
les paules. Un morceau de jonc, de la grosseur du doigt,
traversait le lobe de ses oreilles. Tupac, occup en ce
moment de la prparation d'une chique de feuilles de
coca, dont il retirait les nervures longitudinales avec le
plus grand soin, suspendit son travail pour tendre vers
l'inconnu le sceptre d'or qu'il tenait la main. Il avait
reconnu dans le suppliant son cacique 011antay, rcem-
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LE TOUR DU MONDE.
PROU.
CINQIUIME TAPE.
DE CUZCO A ECHARATI.
La chronique et la tragdie (suite). O le voyageur, qui comptait taler des confitures sur le pain de son djeuner, se voit rduit
manger ce pain sec. Le port de la Cordillre d'Occobamba. Monologue potique interrompe par un coup de foudre. Rveries philosophiques dans un sentier couvert. Arrive Occobamba. Le voyageur invoque l'appui th la justice, reprsente
par un alcade. Jugement et excution de Jos Benito. Jusqu'o peut aller l'amour d'une mre. Description d'une fontaine.
Une paule de mouton. O l'auteur de ces lignes se voit contraint de faire sa soupe lui-mme. Les deux moitis d'un fonctionnaire. Essai sur la topographie locale. Un djeuner Mayoc. La carte payer. Ce qu'il en cote de parler mariage
aux veuves d'un certain ge. Idylle d'aprs Thocrite. Le logis et les poules d'Unupampa. La ferme des patates douces.
tymologie au rebours du bon sens. Qui rappelle Philmon et Baucis de mythologique mmoire.
a Fils du Soleil, rpondit 011antay, je n'tais autrefois qu'un Indien obscur de la nation Poque, condamn
par tes aeux ne porter d'autre ornement qu'un flocon
de laine blanche suspendu mes oreilles ; il te plut de
m'adjoindre la tribu des Tampus et de troquer cet ornement de laine contre un ornement de totora (jonc);
grces te soient rendues pour cette insigne faveur !
Aprs, mon fils, dit l'empereur en ajoutant de
nouvelles feuilles la pelote volumineuse qu'il roulait
dj dans sa bouche.
Fils du Soleil, poursuivit le cacique, ta volont suprme a fait successivement de moi un homme libre, un
noble cacique, un gnral illustre.
-- Celui que nous appelons Churi (le Soleil), rpondit l'Inca, prescrivit Manco-Capac, son premier fils,
d'lever aux honneurs l'homme de mrite, et d'loigner
de sa vue l'homme paresseux et lche, qu'il fltrit de
l'pithte de Misqui-tullu 2 , en le vouant au mpris de
ses semblables. Descendant de Manco-Capac, je dois professer ses maximes sacres.
Aussi, pour te prouver ma reconnaissance, poursuivit 011antay, me suis-je attach d'me et de corps
ta personne, et t'ai-je aid conqurir tour tour les
provinces de Huancrachuca, de Cassamarquilla et de
Huilcanota....
Tu oublies la dernire, fit l'empereur en regardant
attentivement son .favori, celle de Cunturmarca, o tu
reus dans la poitrine cette pierre lance par une fronde
invisible dont le coup m'tait destin.
Ton serviteur l'oubliait, en effet, dit le cacique.
Mais le fils du Soleil s'en est souvenu et veut acquitter la dette du combat. Qu'exiges-tu de notre faveur
divine ?
Inca, murmura 011antay d'une voix basse et presque
1. Suite. Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273; t. VII, p. 225,
241, 257, 273, 289; t. VIII, p. 97 et la note 2.
2. Os paresseux. Littralement : os sucrs.
LE TOUR DU MONDE.
bomba, habite alors par la nation Poque, laquelle
appartenait le cacique. Son premier soin, en arrivant,
fut de dpcher un messager aux tribus Pirahuas et
Ayquis, ses allies. Ce messager tait porteur de quippus
noirs et jaunes, qui racontaient la disgrce du favori, les
douleurs de l'amant, et concluaient par un appel aux
armes. Le secours demand ne se fit pas attendre. Deux
jours aprs le retour du messager, dix mille Indiens,
arms de lances et de frondes, occupaient les hauteurs
du tampu, et n'attendaient que l'ordre d'011antay pour
marcher sur Cuzco.
A la nouvelle de ces prparatifs de guerre, Tupac,
tremblant pour la sret de son trne, allait envoyer au
cacique rebelle des hrauts chargs de ngocier un accommodement, quand un des gnraux de l'empereur s'avisa,
pour touffer cette rvolte naissante, d'un stratagme
qui russit merveille. Ce cauteleux Indien, appel Rumifiahui, franchit, par une nuit de lune, les murs du
palais des Vierges et s'introduisit jusque dans la dernire cour du gynce. Les prtresses du Soleil, pouvantes de ce trait d'audace, ameutrent par leurs cris
les gardiens de nuit, qui s'emparrent de Rumifiahui et
le conduisirent devant le Villacumu ou grand prtre, qui
faisait aussi les fonctions de juge. La lgislation pruvienne punissait de mort quiconque avait os pntrer
dans la demeure des Vierges du Soleil, et le chtiment
atteignait le coupable jusqu' la seconde gnration.
Quant la femme, sa complicit une fois tablie, les statuts de 1042 la condamnaient, comme les vestales romaines, tre enterre vive. Rumifiahui, interrog sur
les motifs de ce sacrilge, rpondit que la curiosit de
voir de prs les riches lambris de l'difice l'avait pouss
en escalader les murs ; qu'au reste, n'ayant parl aucune des vierges, il ne pouvait sans injustice tre condamn mort. La sentence du profanateur fut commue,
en effet, en une flagellation publique, suivie de la dgradation de tous ses titres. Le lendemain de l'excution,
Rumifiahui disparaissait de Cuzco et allait se rfugier
dans le tampu d'011antay, offrant ce dernier de mettre
en commun leur haine et leur vengeance.
011antay, inform de ce qui s'tait pass par les intelligences qu'il entretenait dans la ville de Cuzco, reut avec
joie le fugitif, charm d'avoir acquis un si puissant auxiliaire. Les deux bannis vcurent huit jours ensemble,
dans une intimit touchante. Au bout de ce temps, Ruminahui, mettant profit la connaissance topographique
qu'il avait acquise du tampu et la confiance que lui tmoignait son hte, ouvrit l'Inca les portes de la forteresse, et lui livra 011antay pieds et poings lis.
La vengeance de Tupac-Yupanqui fut noble et gnreuse ; il rintgra le cacique rebelle dans ses anciennes
dignits, et lui donna sa fille en mariage. 011antay et
Cusi-Coyllur eurent une fille, qui porta le nom d'ImaSumac.
Quant Ruminahui, il n'est rien dit de la manire
dont l'empereur Tupac, qu'il avait si bien servi, rcompensa son dvouement infme. Tout porte croire que
sa trahison fut oublie au milieu de l'allgresse gnrale.
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A cette chronique dj trop longue, nous nous garderons d'ajouter la tragdie qu'elle inspira au pote Antonio Valdez. Il suffira du titre de la pice et de la dsignation des personnages introduits par l'auteur dans cet
acte en vers octosyllabiques, pour que le lecteur, avec la
sagacit que nous lui supposons, flaire bien vite un de
ces ours classiques, mal lchs et difformes, que les
directeurs des thtres repoussent impitoyablement,
comme tant susceptibles de mettre leur public en fuite
et d'apporter le dsordre dans leurs finances.
En achevant d'crire le mot Cuzco, je me retournai pour voir si Jos Benito avait plac ma porte
le djeuner dont je sentais que j'avais grand besoin;
mais je n'aperus rien. Le mozo, tranquillement assis
quelques pas, tailladait avec son couteau l'corce d'un
morceau de bois.
Eh! mon djeuner! u lui criai-je.
Il se leva et alla prendre dans la sacoche aux provisions un petit pain rassis, et me l'apporta avec une boite
de confitures. Je mordis dans le pain et j'ouvris la boite,
comptant y trouver de ces fruits confits, dans la prparation desquels excellent les mnagres de Cuzco ; mais,
au lieu des fruits attendus, je ne trouvai que leurs
noyaux, leurs pepins et leurs queues, demi submergs dans une mare de sirop. Sans penser mal, je dis
au mozo :
Cette bote est vide; donnez-m'en une autre.
Il n'y en a pas d'autre, me rpondit-il.
Comment, pas d'autre? C'est l tout ce qu'on vous
a donn pour moi Urubamba?
C'est tout ce qu'on m'a remis pour monsieur, de
la part de madame la sous-prfte.
Je regardai Jos Benito dans le blanc des yeux, essayant de lire au fond de sa pense. videmment, le
drle me mentait encore et se moquait de moi, bien que
sa physionomie exprimt la candeur et la plus touchante
innocence. Certes, doa Julia n'avait pu lui faire remettre, titre de provisions de route, une boite de confitures peu prs vide. La desse de Pintobamba tait
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
tion tait de maintenir dsormais entre lui et moi une
distance au moins respectueuse. Il devina sans peine ma
pense et passa outre en poussant un soupir norme,
qu'il supposait devoir veiller ma piti.
D'abord, quand il ne fut plus l, je ne pus m'empcher de sourire. Effronte canaille ! me dis-je ensuite,
il ose me rappeler son devoir comme guide et comme
domestique, il me vole, il me pille, il ne me laisse',rien
118
LE TOUR DU MONDE.
n'ait pu voir avec l'oeil de la ralit ce passage de la Cordillre d'Occobamba! Quel parti magnifique il et tir
d'un pareil site, et quels pisodes surnaturels il y et
introduits. Jamais plus beau frontispice d'enfer ne fut
offert l'imagination d'un pote apocalyptique! Que
c'est bien l l'horrible et tnbreux chemin qui doit
conduire l'empire des ombres et des douleurs sans
nom!
Per me si va nella citt dolente :
Per me si va nell' eterno dolore :
Per me si va tra la perduta gente,
fredonnai-je aussitt sur un air en ut mineur que j'improvisai, et o les premires syllabes de chaque vers de
ce tercet revenaient temps gaux, pareilles aux sourdes
coupetes d'un beffroi. Comme je cherchais une phrase
mlodique effet pour l'appliquer au Lasciate ogni speranza, voi che ' ntrate, un clair passa devant mes yeux
comme un glaive de flamme et fut instantanment suivi
d'un coup de tonnerre si sec, si violent, si dmesurment grossi par l'cho de la Cordillre, que, bondissant
sur ma selle, j'allai tomber le nez sur les oreilles de ma
mule. Cette effroyable dtonation, que salurent quelques pas de moi des voix bruyantes et des clats de rire,
effaroucha si fort la muse Euterpe, qui chantonnait en
ce moment mon oreille, que la cleste fille, rassemblant la hte sa flte, son hautbois, ses papiers de
musique, et autres attributs que lui donnent les peintres,
ouvrit ses ailes d'or et remonta au ciel, me laissant sur
la terre tout tourdi, et en mme temps un peu intrigu
de savoir quelles brutes pouvaient parler et rire de la
sorte devant une des plus sombres pages du grand livre
de la nature.
Ces brutes taient tout simplement de pauvres
Indiens des deux sexes, qui, comme moi, traversaient la
Cordillre pour se rendre dans la valle d'Occobamba.
Ils me salurent quand je passai prs d'eux. Les hommes
portaient surleur paule la houe et la bche du travailleur;
les femmes taient charges de tout un attirail de cuisine.
Sur cette pyramide d'ustensiles, des marmots taient
assis califourchon. Ces malheureux avaient abandonn par ordre leur village, leur demeure, leurs travaux respectifs, et allaient rcolter, pour l'intrt et la
satisfaction d'autrui, des:patates douces, de la coca, du
manioc, du cacao, subir la misre, la faim, la maladie,
et peut-tre laisser leurs os dans la valle.... a Encore des
mes damnes qui peuvent dire adieu l'esprance I
pensai-je en voyant les pauvres ilotes disparatre dans le
brouillard.
Quelques minutes aprs cette rencontre, je relevai
ma gauche deux monticules faonns par la main de
l'homme avec des ossements d'animaux, boeufs, chevaux,
mules, moutons, lamas, morts de faim, de soif ou
d'puisement en atteignant ces hauteurs. Cette dcoration funbre marquait l'entre du passage. Je la franchis
rsolment comme un paladin de l'Arioste, et je me
trouvai sur le revers oppos des Andes. Le brouillard
tait toujours des plus denses. Le vide bant devant moi
LE TOUR
secoue et fouette, comme elle ferait d'un voile, et dont
elle dchire aussitt les marges en mille lanires. La
feuille du bananier m'a souvent rappel ces natures
tendres et dlicates qui ne peuvent s'exposer au choc des
passions humaines sans en tre meurtries et voir leur
coeur saigner par mille blessures.
Tout en philosophant sur ce sujet, car pour le moment je n'avais rien de mieux faire, je m'engageai,
'remorqu par mon guide, dans un sentier auquel aboutissaient les talus d'ocre qui formaient un soubassement
la mtairie de Sayllaplaya,, veuve d'habitants comme
sa voisine, la ferme de Lacay. Ce sentier, qu'on et dit
creus par la roue d'un char gigantesque, tait bord par
des terrains en pente couverts d'arbustes et de plantes,
et jonchs de grosses pierres verdies. L'ensemble de ces
choses offrait cet inextricable fouillis que la nature dispose avec une entente admirable, et dans lequel le peintre
voit un motif d'tude, et le penseur un sujet de mditations. Dans ce fouillis ravissant, l'oeil, la pierre
semblait peser sur la plante, la sarmenteuse implantait ses griffes dans le
rocher , l'arbuste tentait
d'touffer celle-ci dans ses
serres noueuses, des lianes brochaient sur le tout
et, venant se rencontrer,
se saisissaient et se mordaient l'une l'autre, comme deux aspics en fureur.
Partout clataient une ardeur rageuse, une pret
d'envahissement, une opinitret de rsistance singulire. Chaque chose
voulant tre, parce qu'elle
devait tre, luttait dsesprment pour se procurer l'air et la lumire
qui lui taient ncessaires et remplir l ' espace, autant
que sa puissance d'extension le comportait. 11 n'tait
pas jusqu'au sentier qui, en s'insurgeant contre la ligne
droite, ne tmoignt par des dtours 'multiplis de ce
besoin de dveloppement que la nature inflige tous les
tres.
Prs d'une demi-heure s'tait coule depuis que nous
tions entrs dans ce sentier, et le demi-jour qui y rgnait, non moins que la rptition des mmes choses,
n'et pas tard m'endormir sur le dos de ma mule, si
le dcor n'et chang brusquement. Au sentier venait
de succder un grand espace circulaire, jonch de blocs
erratiques mls des arbrisseaux nains et de gros
buissons ramasss en boule. Au fond de la perspective,
au pied de deux cerros boiss leur base et dnuds
leur sommet, apparaissaient une trentaine de chan=
'mires grises de ton et d'un aspect assez misrable.
e Occobamba ! cria de loin mon guide en se retour-
119
DU MONDE.
nant et me montrant du doigt le village. Pour toute rponse, j'peronnai ma mule. Au bout d'un quart d'heure
de marche, j'tais arriv.
Une femme, que je trouvai accroupie devant une
flaque d'eau o elle lavait des guenilles et qui je demandai o demeurait l'alcade de la localit, me montra
une chaumire difie l'cart, vers laquelle je me dirigeai aussitt. L'autocrate d'Occobamba, que je reconnus
sa chemise de tocuyo peu prs blanche, tait assis
sur un banc treilliss, devant la porte de sa demeure, et
se taillait des sandales dans un morceau de cuir qu'il
adaptait ses plantes, afin d'en prendre la mesure exacte.
a Que Dieu soit avec toi, lui dis-je.
Que Dieu soit avec toi, me rpondit-il.
Ce salut chang entre nous, et voyant que l'individu,
un peu surpris de mon apparition, tait tout yeux et tout
oreilles, je profitai de l'attention qu'il me prtait pour
lui demander si, parmi ses administrs, il ne trouverait
pas un homme qui, moyennant finance, consentit
me servir de guide jusqu'
E charati.
Mais Echarati est dans
la valle de Santa-Ana, et
nous sommes dans celle
d'Occobamba, observa-t-il
trs-judicieusement.
C'est vrai, dis-je;
mais tu sais ou tu ne sais
peut-tre pas que tout chemin mne Rome, et
qu'en tirant droite, ;i je
puis entrer dans la valle
de Lares, en prenant h
gauche , je puis entrer
aussi dans celle de SantaAna. Or c'est dans cette
dernire que j'ai affaire
pour le moment, et tu
m'obligeras de me donnor un guide pour m'y conduire.
Rien n'est plus facile.
-- Ce n'est pas tout, repris-je; j'ai depuis deux joui s
un mozo qui me sert de guide et de domestique, et qui
m'attend quelques pas d'ici. Ce mozo, je dsire le renvoyer Cuzco, et, comme il m'est fort attach malgr ses
dfauts et qu'il pourrait s'obstiner me suivre malgr
moi-mme, j'ai recours ton intervention pour l'obliger
partir sur-le-champ, en cas qu'il s'y refuse. Prends
cette piastre, pour t'indemniser du drangement que cela
peut t'occasionner.
Virgen santissima! exclama l'alcade en empochant
la piastre; o donc est ce garon dont tu as te plaindre `t
Montre-le-moi : je puis l'emprisonner, le mettre au cepo,
le faire fouetter ou rouer de coups de bton.... ton
choix !
C'est inutile. Renvoie-le' simplement, et donnemoi un homme qui le remplace.
120
LE TOUR DU MONDE.
Viens donc; mais, en vrit, tu es trop bon Huracocha. Une petite correction ne m'et rien cot administrer ce drle, et t'et t le meilleur moyen de te
prouver ma reconnaissance.
Comme je revenais sur mes pas, accompagn de l'alcade, dont la figure bonasse et souriante avait pris subitement une expression rbarbative en harmonie avec
les fonctions qu'il allait remplir, nous nous trouvmes
nez nez avec Jos Bonito, qui avait mis pied terre et
tenait sa mule par la bride. En apercevant le chef politique d'Occobamba, qu'il devina malgr la ngligence
de sa mise, comme un voleur flaire un gendarme sous
un dguisement, le mozo perdit contenance et baissa les
yeux.
Voil l'homme ! dis-je simplement.
Avance, voleur, brigand, assassin! crut devoir
ajouter l'alcade.
Jos Benito devint vert comme une olive, et, tremblant
121
LE TOUR DU MONDE.
Le mozo s'avana avec une humilit feinte ou relle,
prit l'argent que je lui donnai et le mit dans sa poche ;
mais au lieu de partir il s'appuya sur la croupe de ma
monture, comme s'il allait dfaillir; sa pose indiquait
un tel abattement, le regard qu'il me jeta tait empreint
d'une si profonde tristesse, que, sentant le courage me
manquer, je dtournai la tte en disant l'alcade :
Q Fais-le partir bien vite !
Double sclrat ! cria celui-ci d'une voix furieuse,
faut-il que je te fasse corcher vif 1
A cette menace, le mozo bondit brusquement et, retrouvant la fois sa prsence d'esprit et ses forces physiques, dtala comme un cerf travers les halliers, o
nous le perdmes de vue.
Quand le pauvre diable eut disparu, j'eus comme un
remords de l'abandonner ainsi vingt- deux lieues de
Cuzco et surtout de l'obliger traverser pied la Cordillre que le matin il avait franchie commodment assis
entre ses jambes deux enfants de trois quatre ans, auxquels elle prodiguait des caresses; de temps en temps
sa main s'garait dans la chevelure bouriffe des innocents, et y cherchait un objet invisible qu'elle portait
sa bouche aprs l'avoir trouv. Je reconnus bien l cet
amour maternel que ne rebute aucun obstacle, que n'effraye aucun sacrifice et quise repat au besoin de la vermine d'un enfant 1 Heureux, me dis-je en m'arrachant
ce tableau, celui que la main d'une mre dbarrasse
ainsi des insectes qui l'incommodent 1 C'est un bonheur
que Dieu m'a refus jusqu' ce jour, et que probablement je suis destin ne jamais connatre sur cette terre !
En continuant mon inspection de la localit, j'avisai,
adoss contre les flancs d'un cerro, et pareille, avec ses
montants de granit joints par un linteau, un lichaven
celtique, la plus charmante fontaine que pt souhaiter
un peintre de genre pour un premier plan de tableau.
L'eau s'en panchait comme un voile de gaze, et tombait
122
LE TOUR DU MONDE.
1. Jatropha Manihot
LE TOUR DU MONDE.
eu retournant mes racines sur les braises incandescentes.
Aprs une heure d'attente, je jugeai ma soupe paissie point et, l'ayant retire du feu, j'en versai la moiti
dans une cuelle que j'offris mon hte. Je partageai
galement, avec lui mes tubercules, et tout en mangeant
et l'interrogeant sur lui-mme, je ne lui cachai pas mon
tonnement de n'avoir trouv sous son toit ni pouse, ni
gouvernante, ni mozita quelconque qui semt quelques
fleurs sur son existence et ft des reprises perdues ses
pantalons.
a J'ai eu deux femmes lgitimes, me dit-il avec un
soupir, et pas une ne m'est reste....
Mortes toutes les deux! exclamai-je.
Hlas 1 fit-il.
- Conte-moi donc ton histoire, mon hte; cela fait
tant de bien d'pancher son coeur dans le coeur d'un ami
et tu ne peux douter que je ne sois le tien, aprs avoir partag fraternellement avec
toi ma soupe au giraumont
et mes patates douces.
Voil la chose, me
dit-il. Ma premire pouse
avait le got des liqueurs
fortes. Comme elle s'enivrait du matin au soir et
prtait rire aux autres
femmes du village, j'imaginai, pour la corriger de
ce dfaut, de la btonner
rudement. Elle s'entta, je
tins bon. ,Un jour qu'elle
avait bu plus que de coutume, je la cognai si fort
qu'elle ne se releva plus.
Diable ! tu as eu la
main malheureuse; il est
vrai que l'ivrognerie est
un triste dfaut ! Nanmoins, s'il fallait assommer tous les gens qui s'enivrent, plus des trois quarts du
genre humain y passeraient. Enfin le mal est fait ; n'y
songeons plus. Et comment perdis-tu ta seconde
femme ?
Un de mes voisins lui faisait la cour, et la malheureuse le laissait faire. Plusieurs fois je l'avais battue
et raisonne ce sujet, mais ni coups ni raisonnement,
n'avaient de pouvoir sur elle; c'tait une de ces natures
de mules qui s'enttent et se laisseraient assommer sur
place plutt que de cder. Comme elle rentrait au logis
aprs un jour d'absence, ayant oubli de me laisser de
quoi manger, je lui lanai une cruche la tte etl'borgnai. C'tait peu de chose en comparaison des avanies
qu'elle m'avait faites; mais elle m'en garda rancune et
disparut le lendemain, aprs avoir fait un paquet de ses
hardes. Depuis, je ne l'ai plus revue.
Une femme borgne est assez facile reconnatre
dans la foule; en cherchant la tienne, tu la retrouveras.
123
124
LE TOUR DU MONDE.
125
LE TOUR DU MONDE.
troubl par l'apparition de ses deux pouses, mais le
mien fut calme et profond comme celui du juste, et je
me rveillai au petit jour sans avoir chang de posture.
Fidle h la consigne que je lui avais donne la veille,
mon guide m'attendait devant la porte. L'alcade alla
chercher les mules et sella lui-mme celle que je montais, pendant que Miguel harnachait la bte qui, aprs
avoir servi Jos Benito, allait lui servir lui-mme.
Je pris cong de mon hte et partis charg de ses voeux
pour mon bonheur futur.
Le soleil ne tarda pas dpasser la chane des cerros
qui forment droite la borne naturelle de la valle. Les
touffes d'arbres et les buissons des escarpements, illu-
mins par ses premiers rayons, formaient, avec les anfractuosits de terrains encore plongs dans une ombre
bleutre, des oppositions d'une grce et d'une fracheur
idales. Entre deux croupes de montagnes boises, reluisait comme un trait d'argent la rivire d'Occobamba
descendue des hauteurs. Son murmure, ml ces rumeurs confuses que le jour veille dans la plaine ou
dans les forts, et qui sont comme l'hymne matutinal
que la cration chante au Crateur, ce murmure caressait doucement l'oreille et faisait passer dans l'esprit
mille visions charmantes, mille choses ailes que la
plume ou le pinceau est inhabile retracer. Devant ces
splendides tableaux de la nature, le vritable pote sera
sant dessus nous eussions couru le risque de le voir s'abmer sous nous. Je remerciai vivement Miguel de l'intrt qu'il portait nos deux personnes ; une chute de
quinze pieds, au milieu d'un courant rapide encombr
de pierres, ayant un ct pittoresque, mais pouvant tre
dangereuse.
Le pays que nous traversions n'avait ni chemins ni
sentiers apparents, et nous rglions notre marche sur le
cours de la rivire, rasant la berge ou nous en cart:int
selon les accidents du site ou les mouvements du terrain.
La vgtation, presque nulle sur la rive gauche, du pt
de Santa-Ana, n'offrait rien de bien remarquable sur la
rive droite, du ct de Lares. Mais en voyage il faut sa-
126
LE TOUR DU MONDE.
voir se contenter de ce que Dieu vous donne, et j'acceptai volontiers comme distractions botaniques les plantes
grles, les buissons rabougris et les maigres arbustes
qui dfilaient successivement sous mes yeux.
Miguel, qui je fis part des tiraillements d'estomac
que je ressentais, et qui par apptit ou par sympathie en
ressentait d'exactement pareils aux miens, me dit que
nous rparerions nos forces Mayoc, une mtairie dont
la propritaire, veuve encore jeune et sans enfants, lui
tait particulirement connue.
La vue de cette mtairie de Mayoc, o nous arrivmes
sur les onze heures, n'veilla pas chez moi un grand enthousiasme artistique, mais elle redoubla ma faim.
Quand la matresse du logis, grosse matrone vtue d'une
simple chemise et d'un jupon de laine, apparut sur le
seuil, pour disposer son esprit la bienveillance je lui
souris eu m'informant de sa sant et lui demandant si
son sommeil de la nuit passe n'avait pas t troubl par
de mauvais rves. Pareille demande de la part d'un
homme qu'elle voyait pour la premire fois la surprit
un peu.et la fit sourire, et comme des gens qui j'abordent en souriant sont tout prs de s'entendre, mon guide
avait peine fait part son amie de notre envie de djeuner, que la digne femme se mettait en mesure de
nous satisfaire.
Bientt accroupi prs du feu que j'alimentais debranchages, j'entendais avec une motion difficile rendre
le bruit que faisait la marmite en terre dans laquelle
trois cochons d'Inde, entours de lgumes, s'levaient,
s'abaissaient et tourbillonnaient au milieu des remous
d'cume forms par le bouillonnement de l'eau. 0 posie
de l'estomac, pour n'tre pas d'une nature thre, tu n'en
es pas moins admirable, et tes ravissements ne le cdent
gure ceux de l'esprit ! Parfois, en crivant ces lignes,
le souvenir de mes fringales du dsert me revient l'ide
et me donne, avec des retours de jeunesse, des vellits
d'apptit! Je me sens libre, fier, ardent, enthousiaste et
dispos manger, sans les faire cuire, de vulgaires trognons de choux! Mais ces lans de l'estomac et de la
pense durent peu, etjeretombe sur moi-mme, ramen
par la loi des choses au sentiment d'une amre ralit!
La chup aux cochons d'Inde que notre htesse ne
tarda pas nous servir me parut plus substantiel que
ma soupe au giraumont de la veille. Tout en mangeant
et regardant la bonne femme qui s'empressait autour de
nous, il me vint une ide que je communiquai Miguel
entre deux bouches. Cette ide, que je croyais lumineuse, le fit rire aux clats. Craignant que la veuve, qui
ne nous quittait pas des yeux, n'attribut quelque remarque inconvenante de ma part l'hilarit intempestive
de mon guide, je priai celui-ci de lui en expliquer la
cause, ce qu'il fit, mais non sans rire sur nouveaux frais.
A peine la digne femme eut-elle su que j'avais eu
l'ide qu'en qualit de veuve elle aurait d se remarier
avec un homme veuf, et que le veuf que je croyais devoir
lui convenir tait l'alcade d'Occobamba, que sa figure,
jusque-l souriante, prit subitement une expression de
colre mlange de ddain.
129
LE TOUR DU MONDE.
crayon ou quel ton de la palette et rendu ce murmure,
cette fracheur, cette harmonie, ce voile de posie enfin,
qui, pareil au ventus textilis de Ptrone, l'enveloppait
comme une gaze. Je remis donc dans mes sacoches l'album que je venais d'ouvrir, comprenant que le gracieux
paysage n'tait qu'un de ces souvenirs charmants qu'on
conserve dans la mmoire, comme on garde un parfum
subtil dans un flacon scell.
Pendant le temps que nous passmes dans ce chemin
couvert, je m'imaginai voyager en rve, et, pour complter l'illusion, je fermai les yeux demi, laissant les
dtails se fondre dans les masses et me contentant de
prter l'oreille au chant des oiseaux. Soit que l'orchestre
invisible me bert doucement, soit que le demi-jour,
imprgn de fracheur, invitt au sommeil, je commenai par m'assoupir et finis bientt par dormir tout fait.
Un faux pas de ma monture me rveilla en sursaut. En
ouvrant les yeux, je ne pus retenir une exclamation de
qui gloussaient et picoraient dans les broussailles, animaient le paysage et gayaient un peu les abords du
logis. Je regrettai que leur propritaire ne ft pas l
pour lui en acheter quelqu'une, l'emporter suspendue
par les pattes l'aron de ma selle, et, le soir venu, lui
tordre le cou pour en faire un bouillon. Mais Miguel
m'ayant assur que l'hacienda d'Uchu, o nous terminerions l'tape, abondait en volatiles de toutes sortes, je
laissai les poules d'Unupampa leurs affaires et n'emportai qu'un croquis du logis auquel elles appartenaient.
De nouveau nous nous dirigemes vers la rivire, que
nous traversmes sur une passerelle dont un aquarelliste
et tir un excellent parti ; rien n'y manquait : ni les
pieux verdis et. tortus, mi-partis d'ombre et de lumire,
ni les lentilles d'eau et les conferves simulant un gazon
pais, ni les touffes de plantagos et d'arodes, talant
au fil de l'eau leurs feuilles lustres que le courant lutinait, froissait et submergeait incessamment.
128
LE TOUR DU MONDE.
Une fois sur la rive gauche, Miguel crut devoir m'avertir que le soleil n'tait plus au znith et qu'il nous
restait encore huit lieues faire pour arriver Uchu.
C'tait me dire clairement qu'au lieu de bayer aux
corneilles ou de m'amuser ramasser des cailloux et
cueillir des fleurs, je ferais mieux de piquer ma monture pour que la nuit ne nous surprit pas en chemin.
L'avis, tout indirect qu'il ft, me parut judicieux, et
j'eus d'autant moins de peine le suivre, que la valle
n'offrait, en cet endroit, rien de curieux ou seulement
d'intressant. Nous marchmes bon train jusqu' l'hacienda de los Camotes (Batela convolvulus), o, sur la foi
de cette appellation, je m'attendais voir des champs
ensemencs de ces patates douces dont la corolle rgulire est d'un violet si doux l'oeil et les tubercules si
sucrs au got; mais je n'aperus, au sommet d'un mon-
La Cuesta d'Unupampa.
129
LE TOUR DU MONDE.
PI 111^1UU' {^ vrT
III
PROU.
CINQUIME TAPE.
DE CUZCO A ECHARATI.
Sta, viator! L'hospitalit d'une picire. Portrait au pastel d'une grande dame. L'hacienda de Tian-Tian et son majordome.
Dissertation sur le Theobroma cacao. Ornithologie. Faute d'une chemise blanche, l'auteur dit un adieu dfinitif aux illusions
qu'il caressait. Aspects varis du paysage. O le voyageur, en cherchant l'me d'une fleur, se sent saisir le nez par des tenailles.
L'hacienda de la Chouette. L'hibiscus mutabilis. Conversation travers les lames d'une persienne. La femme abandonne.
Une fleur blanche le matin, rose midi, pourpre le soir. Biographie et physiologie de quatre jeunes filles. Le voyageur soupe
en famille chez le gouverneur de Chaco. Arrive Echarati. L'hacienda de Bellavista.
130
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Notre maigre repas achev, l'picire nous offrit,
titre de dessert, un verre de curaao de sa composition,
simple tafia sans sucre, dans lequel trempaient des zestes
d'orange. Aprs avoir trinqu avec nous, elle se retira
dans une autre pice, nous abandonnant sa boutique,
o Miguel dressa deux lits jumeaux avec les tapis de
nos selles. Malgr la fatigue d'une journe de marche et le besoin de sommeil qu'elle m'occasionnait, je
ne pus dormir qu' la condition d'avoir toujours un
il ouvert. Une fois la chandelle teinte, un bataillon
de rats avait envahi la boutique, cherchant partout
des provisions absentes. Je les entendais trotter sur le
comptoir, grimper le long des tagres, et, furieux de
ne rien trouver grignoter, entre-choquer les casser les bouteilles et les flacons. La nuit que je passai
me garantir des attaques de ces rongeurs, que je
comparais aux revenants qui hantent les chteaux dserts, cette nuit fut digne du souper qui l'avait prcde.
Le lendemain, aprs
avoir rgl nos comptes
avec la Manuela, bu cavalirement avec elle le coup
de l'trier et quitt sa demeure, Miguel, devinant
mes yeux bouffis et la
prostration de tout mon
tre que l'hospitalit d'Uchu m'avait t pesante,
entreprit de relever mon
courage abattu par la perspective du bon gte et du
bon souper que je ne pouvais manquer de trouver
l'hacienda de la Lechuza
(chouette) o nous finirions la journe. Comme
je ne semblais qu' demi
convaincu, l'homme se hta d'ajouter que la propritaire de l'hacienda en
question n'tait pas une picire comme doa Manuela,
mais une grande dame, una alla seitora, qui depuis
quatre ans qu'elle habitait la valle d'Occobamba, vivait
dans une retraite absolue. Tout ce qu'on savait de son
histoire, c'est qu'elle tait ne Lima, d'o elle tait venue s'tablir sur l'hacienda de la Chouette, qu'elle avait
hrite d'un de ses parents; habituellement elle restait
enferme pendant le jour, ne sortait que la nuit et toujours voile.
J'avoue qu'en coutant mon guide, ma premire ide
fut qu'il me faisait un conte dormir debout; mais je le
regardai et lui trouvai l'air si srieux, que je finis par
croire ce qu'il me disait. Sans lui rpondre, je me mis
rver au sens de ses paroles. Mes tudes physiologiques
l'endroit des femmes de Lima taient assez compltes.
Depuis longtemps je connaissais les gots changeants,
l'humeur volage, les fantasques caprices de ces charmantes indignes, gots, humeur et caprices qui font
131
d'elles de vritables oiseaux-mouches, voltigeant et bourdonnant sur toutes les fleurs, passant de l'une l'autre
et ne se fixant sur aucune, pompant leur miel avec la
mme avidit, et, aprs l'avoir puis, les lacrant
coups de bec avec la mme indiffrence. Quelle exception la rgle faisait donc l'inconnue de la Lechuza, qui
appartenant, au dire de mon guide, l'aristocratie de la
ville des Rois, avait fui le monde pour venir habiter un
recoin perdu de la valle d'Occobamba, o elle ne recevait ni ne voyait personne? Un tel mystre tait affriandant; aussi mis-je tant d'ardeur le pntrer, que ce fut
seulement hune lieue d'Uchu que je m'aperus que nous
avions travers la rivire, et qu'au lieu de longer sa rive
gauche que nous suivions depuis Unupampa, nous ctoyions maintenant sa rive droite.
La contre qui spare l'picerie d'Uchu de l'hacienda
de Tian-Tian, o nous arrivmes entre onze heures
et midi, offre, comme les valles limitrophes de Lares
et de Santa-Ana sous le
mme parallle, des espaces arides alternant avec
des sites plantureux qui
rappellent le dualisme de
l'art classique et de l'art
romantique. Ici c'est la
pierre et la scheresse qui
dominent; l, c'est la vgtation, l'ombre et la
fracheur. Cette opposition
constante, que sur la foi
de nos lignes on pourrait
croire rjouissante l'oeil
et divertissante l'esprit,
finit la longue par fatiguer horriblement. A chaque lieue, c'est comme un
soufflet donn par la prose
la posie ; un coup de
ciseau dans les ailes de
l'enthousiasme.
L'hacienda de Tian-Tian prsentait le touchant accord
des deux genres. Sa vue me remit en mmoire certains
potes de notre poque, dont la muse trop timide ou
trop faible pour monter jusqu'aux astres, et trop prcieuse en mme temps pour se rsoudre aller pied,
volette et sautille entre terre et ciel l'aide des moignons
qui lui servent d'ailes. Je ne hais pas ce lyrisme de juste
milieu, mais j'en jouis avec modration, et n'ai pour lui
ni points d'exclamation ni mtaphores dlirantes.
En entrant dans la cour de Tian-Tian, o nous fmes
reus par un majordome, le propritaire de cette hacienda habitant Calca et ne venant visiter son domaine
qu'une fois l'an, mon premier soin fut de demander
l'individu s'il ne me serait pas possible, en change
d'espces, de faire chez lui un repas quelconque. Il me
rpondit que rien n'et t plus facile, si, pour le moment, le garde-manger de l'hacienda ne se ft trouv en
piteux tat.
132
LE TOUR DU MONDE.
133
LE TOUR DU MONDE.
lui prsenter mes hommages. Rien ne dispose l'enthousiasme potique comme un voyage dos de mule;
l'ide seule de la mystrieuse Limnienne m'inspirait b.
cette heure des sentiments chevaleresques dignes des
Amadis et des Galaor. Sur un signe d'elle, je me sentais capable de tenter l'ascension du plus haut pic de la
valle, de dfier l'un aprs l'autre les ours et les jaguars
de ses forts, et d'accomplir sur nouveaux frais les antiques travaux d'Hercule.
Comme je passais en ce moment prs d'un ruisseau
limpide qui se rendait la rivire, j'arrtai ma mule et
laissai tomber dans l'eau cristalline, l'aide d'un boutde
ficelle, le gobelet de fer-blanc qui me servait, selon le
cas, de tasse caf et de verre boire. Cette action n'avait d'autre but que le besoin d'tancher ma soif; mais,
en me penchant sur le miroir liquide qui me renvoya
mon image, une ide dsolante m'assaillit tout coup:
c'est que, pour me produire aux regards de la dame de
mes penses, supposer que je parvinsse la flchir et
m'introduire chez elle, la chemise que je portais depuis
quatre jours, sans compter les nuits, tait bien sale et
bien fripe. Ce fait, si simple en apparence, suffit
renverser le chteau de cartes que j'tais en train
d'difier. Comment, en effet, aborder une Limnienne,
une grande dame, dposer Vases pieds mes hommages
avec un devant de chemise froiss, crasseux et tiquet de
13't
LE TOUR DU MONDE.
A l'extrmit d'une de ces zones ptres que nous venions de traverser, j'aperus quelques pas de la rivire,
sur une ampoule du terrain, un de ces daturas fleurs
violettes, assez rares au Prou, et que rappelle imparfaitement le datura stramonium qu'on trouve dans certaines parties du midi de la France. Cet arbre, d'environ
dix pieds de hauteur, avec ses feuilles condiformes et un
peu velues, ses belles campanules d'un violet noirtre,
faisait un admirable effet. Je m'approchai pour le considrer plus mon aise. Une de ses fleurs pendait ma
porte et tournait vers le sol l'orifice de sa corolle; je la
relevai et, plongeant mon visage jusqu'au fond de son
cne, j'aspirai voluptueusement, les yeux ferms, son
odeur, mlange ineffable de benjoin et d'amande amre.
Au moment o je me demandais, demi pm, si le parfum, cette partie insaisissable et volatile de la fleur, n'est
pas son me immatrielle, une paire de crocs ou de tenailles me saisit brusquement le nez et le pina si fort,
que je poussai un cri de douleur en me rejetant en arrire. Miguel, qui ne me prcdait que de quelques pas,
accourut aussitt et, me voyant empoigner mon nez
deux mains, me demanda la cause de ce mouvement
insolite. Je lui montrai la fleur avec un geste d'pouvante. Il la cueillit, la tourna et la retourna en tous sens.
Mais je ne vois rien, me dit-il.
Je n'ai rien vu non plus, mais j'ai senti. Regardez
mon nez!
Le mozo regarda : un point sanglant, me dit-il, tait
marqu sur chaque aile de mes narines. Comme je l'assurais que j'prouvais une pre cuisson dans cette partie
et craignais d'avoir eu affaire quelque monstre venimeux, il tenta de me rassurer en m'apprenant que le
prtendu monstre devait tre une cucaracha ou un mascardon tapi dans la fleur et que j'avais troubl dans son
sommeil. La blessure que cet insecte m'avait faite se cicatriserait promptement en la bassinant avec de l'eau
frache. Heureusement le remde tait sous ma main. Je
pris de l'eau la rivire et, le nez enfonc dans mon gobelet, je me remis en marche, jurant une haine immortelle au datura arborea fleurs violettes.
Sur les cinq heures de l'aprs-midi, une maison
blanche, demi voile par des touffes d'arbres, se dessina sur un de ces coteaux bas appels lomas, qui longent
la rivire.
C'est l'hacienda de la Chouette, n me dit Miguel.
Mon premier soin fut de demander au mozo si mon
nez tait rouge et gardait la trace de sa double blessure;
et comme il m'assura que rien n'y paraissait, je me sentis un peu tranquillis.
Quelques minutes de marche nous suffirent pour atteindre l'hacienda, petite chartreuse blanchie la chaux,
aux volets peints en vert et d'une propret scrupuleuse.
Les arbres qui la protgeaient de leur ombre taient des
sapotiliers, des orangers et des genipahas.
Au bruit de nos montures, deux personnes parurent
la fois sur son seuil : un homme en poncho, aux cheveux
dj gris, et une cholita, galamment attife, dans laquelle
je reconnus une de ces camristes que les femmes du
LE TOUR DU MONDE.
coropsis, des nothoeres odorantes, des ornithogales et
des mauves. Mais le soin avec lequel leurs tiges faibles
taient attaches des tuteurs et tales selon l'habitus
de la plante, prouvait chez la personne qui les cultivait,
en mme temps qu'une certaine entente de l'horticulture, une sollicitude extrme pour ces fragiles existences.
Un jardinier de profession et peut-tre fait mieux, mais
une femme seule pouvait faire aussi bien.
Tournant le dos la persienne dont j'avais remarqu
que les lames taient baisses, je m'avanai au fond du
jardin. Tout coup je fis une exclamation de surprise.
Au milieu d'une corbeille entoure de ces scylles naines
hla corolle rouge et verte, qui croissent dans les terrains
135
LE TOUR DU MONDE.
136
Nous tenons la terre par un fil.
LE TOUR DU MONDE.
Mes grces dites, en homme qui sent toute l'importance de l'acte qu'il vient d'accomplir, j'eus l'ide de
retourner au jardin pour reprendre avec l'inconnue ma
dissertation sur les fleurs au point o je l'avais laisse.
La crainte d'tre indiscret m'en empcha ; et puis l'air
137
voir montr de la main le banc de pierre. A peine taisje assis, que les lames de la persienne se soulevrent.
a Monsieur, me dit l'inconnue de sa belle voix de
contr'alto, laquelle la nuit prtait un charme singulier,
j'ai pens qu'avant de partir, vous ne refuseriez pas de
me rendre un petit service,
138
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
dans le plus grand de mes albums une feuille sans tache
et mettre de l'ordre dans mes couleurs un peu bouleverses par les cahots de ma monture. Une assiette que je
trouvai me servit de palette, et je n'eus plus qu' remplir d'eau mon gobelet.
A six heures, j'tais assis en face du merveilleux arbuste et occup tracer mon esquisse. Sur une branche
de convention, entoure de feuillage, j'avais plac cinq
fleurs panouies, bien que l'arbuste n'en offrt qu'une en
ce moment. Ces cinq fleurs, dessines sous divers aspects,
devaient rappeler cinq tons des plus tranchs de la
gamme colore que parcourt la fleur de l'hibiscus mutabilis depuis l'heure de sa naissance jusqu' celle de sa
mort. Aprs deux heures de travail, ma branche, mon
feuillage et ma premire fleur d'un blanc laiteux taient
peu prs termins. A dix heures, une seconde fleur
d'un rose ple venait s'ajouter la premire. A midi, ma
troisime fleur, d'un rose vif, s'panouissait sur la branche. Une quatrime fleur, d'un carmin brillant, tait
acheve trois heures; enfin six heures, je finissais de
peindre la cinquime fleur dont les ptales dj flasques
et la couleur d'un pourpre violac annonaient la mort
prochaine et la dcomposition rapide qui allait s'ensuivre. Quand j'eus mis ce travail la dernire main,
fait quelques retouches, donn les vigueurs ncessaires,
j'crivis au bas, sous la date du jour et la dsignation de
l'anne, ces trois mots : Data fata secutus, et je donnai
mon aquarelle la chola pour qu'elle la portt sa
matresse. Elle revint au bout d'un moment, et, en me
transmettant les remercments chaleureux de cette dernire, elle me remit de sa part, en me priant de la garder pour l'amour d'elle, une tige de huccho fane, qui,
dans le langage figur des Quechuas, exprime la dfaillance du cur. Cette fleur-momie, que je plaai entre
les feuillets d'un album etqui survcut toutes les vicissitudes de mon voyage, gt aujourd'hui chez moi dans un
sachet de satin blanc bord d'une dentelle d'or.
Je puis avouer maintenant que cette journe, consacre la peinture d'une fleur et divise en cinq sances,
me parut interminable et me divertit peu. L'ide seule
que je causerais une sensation douce la captive volontaire de ce logis put contenir mon impatience et m'engager aller jusqu'au bout. Aussi fut-ce avec un plaisir
vritable que, le soir venu, je pris possession de mon matelas en me disant, comme Titus, que j'avais gagn ma
journe. Le lendemain, ce plaisir fut plus vif encore
quand je vis nos mules selles, et un instant aprs les
murs blancs de l'hacienda de la Chouette disparatre derrire nous.
Quelle insensibilit de cur ! dira tout bas peut-tre
une lectrice cet aveu naf de mes impressions. -- Hlas !
madame ou mademoiselle, lui rpondrai-je, vous qui
daignez me suivre depuis le port d'Islay sur la cte du
Pacifique, vous savez, et mieux que personne, que mon
temps ne m'appartient pas, et que toute heure que j'en
distrais, mme au profit de la charit, est une perte irrparable.
.... Nous marchions cte cte, chacun de nous garQ
139
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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faiseurs de mercuriales du march de Cuzco, qui s'obs- partag les mmes fatigues, subi les mmes privations;'
tinent coter celui-ci un prix plus lev que l'autre. nous prouvmes un plaisir vritable en nous revoyant
Aux lecteurs du genre positif, que de pareils dtails aprs une absence de huit annes. Instruit de mon propourraient intresser, nous dirons que cette supriorit jet de voyage, par une lettre que je lui avais adresse de
du thobrome d'Echarati, que nous sommes le premier Cuzco et qu'il avait reue la veille au soir, il attendait
signaler publiquement et sans avoir l'ide de faire une mon arrive. Son premier soin, aprs m'avoir fait rafrarclame son propritaire, n'a d'autres causes que la
chir, fut de me demander si j'tais fatigu et si je voulais
taille et la culture intelligentes des arbres qui le pro- faire un somme. Comme je lui rpondis que j'avais bien
duisent, et l'lvation de temprature qui le mrit. A dormi, et me sentais frais et dispos, il donna des ordres
Pintobamba, cette temprature ne dpasse gure vingt- pour le djeuner et me proposa, en attendant, de visiter
trois degrs, tandis qu' Echarati elle s'lve jusqu' en amateur le domaine de Bellavista, qu'il possdait devingt-huit degrs.
puis trois ans. Nous parcourmes le cacahual, les planLa situation de l'hacienda entre les deux montagnes tations de caf, de coca, de manioc, dont la tenue ne
boises de l'Urusayhua et de l'Aputinhia est des plus mritait que des loges. Tout en marchant pas compts,
pittoresques, et dans toute la valle on chercherait vaiafin de me laisser examiner chaque chose mon aise, le
nement un site qui allit avec tant de bonheur la beaut compatriote m'entretenait de ses oprations commeret la splendeur des masses l'lgante varit des dtails. ciales, escomptait complaisamment leur succs futur,
A chaque pas le point de vue se dplace et charme auquel, par affection, j'ajoutai quelques chiffres. Insenl'oeil par un attrait nousiblement notre conversaveau : l'artiste y trouve
tion passa du prsent au
foison des sujets d'tudes;
pass, et nous en vnmes
le pote y cueille loisir
nous rappeler l'un l'autre
des sonnets tout faits ; le
les incidents de tout genre
botaniste des plantes et
qui l'avaient signal. Nous
des fleurs sans nombre, et
nous tions connus dans
le zoologiste peut y collecles valles de Carabaya,
tionner assez de quadrupque je parcourais le fusil
des, d'oiseaux et d'insectes,
sur l'paule et o mon hte
pour en remplir des caisexploitait alors un lavadero
ses et en encombrer des
sur lequel il avait fond de
cartons.
magnifiques esprances.
L'alle d'agaves qui reL'esprance, a dit quelque
lie comme un trait d'union
part l'auteur des Natchez,
le village l'hacienda,
est une plante dontla fleur
vient aboutir, du ct de
se forme, mais ne s'pacette dernire, une cour
nouit jamais. Le comd'un arpent carr, coupe
patriote avait pu juger de
en deux par un ruisseau
la vrit de cette pense;
d'eau vive; des gramines
ses esprances taient conde toute espce y croissent
stamment restes en boulibrement et forment un tapis moelleux. Cette cour est ton, et ce bouton, venant se desscher, avait entran
borne au nord par une suite de btiments en pis, de pour lui une perte de cent cinquante mille francs, c'esthangars et de granges; au sud, par la cuisine, la dis- -dire tout ce qu'il possdait et qu'il avait expos dans
tillerie et les demeures des pons, humbles cabanes son entreprise. Ce rude chec l'avait courb sans l'abat-,
pans treillisss et toit de chaume; l'est, par un jar- tre. Sa nature, vigoureusement trempe, avait bien vite
din sans bornes, et l'ouest, par des taillis sans fin. De repris le dessus. Du revers oriental des Andes, il tait
grands et beaux arbres, les uns pourvus de leur seul pass sur leur revers occidental, et quatre ans d'interfeuillage, les autres couverts de magnifiques fleurs, ar- valle je le retrouvais dans le val de Tambo, cultivant
rondissent leurs masses travers cet ensemble.
le coton et la canne sucre. A cette poque nous avions
Mon arrive fit aboyer les chiens de garde enchans explor de conserve la rgion sablonneuse du littoral
aux poteaux d'un hangar et lever de la table devant la- comprise entre le seizime degr et le dix-huitime, chaquelle il tait assis, sous ce mme hangar, le propri- cun, il est vrai, dans un but diffrent, mais bravant
taire de l'hacienda, un compatriote venu tout jeune en conjointement la faim, la soif et la chaleur. Que de fois,
Amrique. Il accourut ma rencontre, et comme je sau- faute d'aliments convenables, nous avions soup avec
tais bas de ma mule, ses mains s'emparrent des des coquillages crus et une poigne de fucus recueilli
miennes et les serrrent affectueusement. Notre connais- sur la plage ! que de soires et que de nuits nous avions
sance mutuelle datait de loin; nous avions voyag en- passes tendus sur le sable, coutant le bruit de la
semble, mang au mme plat, bu au mme verre, mer et bayant aux toiles, ou dormant du sommeil des
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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Intrieur d ' un harem. Dessin de Mettais d'aprs le tableau de Mme Henriette Browne.
MOEURS TURQUES.
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LES FEMMES TURQUES, LEUR VIE ET LEURS PLAISIRS.
PAR M. F. JRUSALMY.
1862. TEXTE ET DE:SINS INDITS.
146
LE TOUR DU MONDE.
vres, curieuses, indolentes, avides de plaisir et de distractions, comme l'est la hanoum' , sortent, flnent, courent aprs l'amusement, satisfassent leurs caprices et se
donnent, autant qu'elle, du beau et bon temps, aussi
bien au harem' qu'au dehors. C'est ce point que nous
croyons que beaucoup d'Europennes, tous avantages
et inconvnients bien considrs, n'hsiteraient pas
changer leur sort et leur libert relative contre le prtendu esclavage de la femme orientale, si elles la connaissaient mieux.
Nous ne parlons ici, bien entendu, qu'au point de vue
matriel : au point de vue moral et intellectuel, c'est
autre chose, et si l'on veut se tourner de ce ct-l, nous
comprenons et nous approuvons aussi ce mot : Femme,
que je te plains !
La femme levantine est, avons-nous dit, la plus dsuvre du monde ; elle l'est non-seulement par suite de
son indolence inhrente sa nature, de l'insouciance de
son caractre presque enfantin, de l'horreur qu'elle a de
l'tude et de toute occupation srieuse ou suivie, mais
fatalement et par la force des choses.
Le dsoeuvrement absolu, considr, dans les pays
avancs en civilisation, comme une exception honteuse,
est gnral en Turquie, et, sous ce rapport, toutes les
femmes y sont gales. L'ducation qui dveloppe le got
des arts et des choses de l'esprit, o l'amour du prochain
qui porte s'occuper de lui, font presque compltement
dfaut la vraie hanoum. Une jeune fille qui, l'ge
de treize quatorze ans, terme ordinaire de ses tudes,
joint la connaissance de quelques travaux d'aiguille'
celle de la lecture, passe pour une personne instruite,
et pour une savante si elle en arrive savoir crire fort
mdiocrement et les deux premires rgles de l'arithmtique ; enfin une kiz (jeune fille musulmane) sera
cite comme un modle de perfection si, avec tant de
savoir, elle peut chanter de routine quelques romances
et chansons, ou jouer du santour 4 , du tambour', ou de
la flte simple. Mais des sujets aussi accomplis sont
bien rares, rares comme des prodiges !
D'autre part, les murs ne permettant pas la femme
des classes moyennes de se livrer au commerce, elle est
aussi oisive que la femme riche ou de haut rang.
1. Hanoum, dame. En Turquie, comme en Amrique, la femme
la plus pauvre rclame ce titre de par la fraternit musulmane.
2. Harem, partie de la maison occupe par les femmes. On
donne aussi le nom de harem l'ensemble du personnel fminin
d'une maison.
3. Ces travaux consistent broder au tambour et au mtier horizontal fixe, tricoter ( cinq aiguilles au bout lgrement crochu)
des bas avec dessins jour, faire des bordures de mouchoirs et
de devants de chemises en oijas, ou ce que nous appellerions point
de Levant; ce sont de petites pyramides, trfles et autres formes
varies, obtenus en coulant les uns par-dessus les autres des noeuds
doubles, triples, etc., du fil ou de la soie au moyen de l'aiguille.
4. Santour. Imaginez en petit une caisse harmonique de piano,
compose d'environ trois gammes chromatiques. Le joueur pose
l'instrument plat sur ses genoux croiss et en tire les sons au
moyen de deux baguettes, espce de clefs de serrure allonges
en bois et fort lgres, dont il passe les anneaux aux index de ses
mains; il frappe avec les marteaux sur les fils mtalliques.
5. Tambour. L'instrument ainsi appel en turc est simplement
une mandoline hmisphrique manche trs -allong et not;
le son en est agrable et se prte au chant.
La femme pauvre elle-mme ne travaille que par exception et ses heures, surtout Stamboul, le mari ne
poussant jamais le despotisme jusqu' l'y forcer, et lui
associant souvent une ngresse, sur laquelle elle ne
manque point de rejeter presque tout le fardeau du
travail et du mnage.
Toutes les femmes turques, quelque condition
qu'elles appartiennent, sont donc pour ainsi dire perptuellement condamnes au far fiente. Or, l'ennui, ce
monstre hideux qui nat de l'oisivet, voil le grand, le
terrible ennemi qu'il leur faut incessamment combattre !
Aussi, toutes leurs penses, toutes les ressources de leur
esprit ne tendent-elles qu' ce seul but : chasser l'ennui, en d'autres termes, s'amuser, se divertir : et comment ne parviendraient-elles pas en dcouvrir les
moyens, n'y mettant pas moins d'application et de persvrance que l'homme le plus exerc par l'tude et la
mditation la solution des 'problmes les plus ardus
de la science.
D'abord dans les harems riches, o chaque hanoum
en titre possde en propre son appartement, quelquefois
tout un corps de logis, son personnel et un train de
maison complet, ces dames se runissent, toujours sur
invitation, tantt chez l'une, tantt chez l'autre ; les
amusements de ces intrieurs sont les petits et les grands
jeux, les causeries et les contes, dans la douce paix
du tandour' , pendant les rigueurs de l'hiver ; il y a
la musique instrumentale et les chants l'unisson, les
danses et les pantomimes danses sur les dalles luisantes
des vastes salles basses ; les bains en commun et leurs
jeux spciaux ; les promenades et les courses dans les
jardins et sur les terrasses, les motions de l'escarpolette
ou l'agrable balancement du hamac, le tout avec accompagnement de tchiboucs et narguilhs incessamment
renouvel et de petits repas dlectables ; enfin et surtout
il y a l'incomparable amusement des tours, quelquefois
cruels et toujours effet comique, jous aux ngres et
aux ngresses dont les grognements; les grimaces et les
contorsions grotesques provoquent des clats bruyants
d'hilarit.
Du reste, il n'est pas besoin, pour subvenir aux frais
de ces plaisirs, qu'un harem soit riche. Le toutounn
( tabac ), les doundourmas (sucreries), les fruits ne sont
pas des prix inabordables, et d'ailleurs on se cotise
sans faon.
Les dames d'un mme harem sont souvent nombreuses ; les voisines le sont bien plus encore, et chacune
d'elles peut et doit mme organiser quelqu'une de ces
matines, journes ou soires, ce qui permet de renouveler trs - frquemment ces distractions de l'intrieur.
Mais les plaisirs du dehors ont encore de plus puissants attraits, et la hanoum les recherche et les gote
bien autrement que ceux de la maison, parce qu'ils
satisfont davantage sa mobilit, sa curiosit et sa vanit
1. Voir la gravure. Sous la table un brasero couvert de cendres
entretient la temprature du Candour un degr lev.
LE TOUR DU MONDE.
sans pareilles; et comme rien absolument n'entrave sa
libert d'action ( quoi qu'en pensent chrtiennes et chrtiens ), elle se le donne le plus souvent qu'elle peut.
numrons ces plaisirs. Il en est quelques-uns qu'aucune relation de voyage n'a pu rvler ni nos lectrices
ni nos lecteurs.
Les bazars.
147
rait rendre alors l'aspect curieux et agit qu'elle prsente et l'effet assourdissant des mille clameurs confuse s
qui s'en lvent de toutes parts.
Les visites.
Il y a des visites de trois sortes : les visites demandes ou annonces, les visites par surprise et les visites l'aventure.
Lorsqu'une ou plusieurs dames de la mme maison
veulent visiter des amies d'un autre harem, elles leurs
envoient deux djarihs (demoiselles de compagnie), suivies d'un ngre, ou simplement un de ces monstres, qui
annoncent la hanoum dsigne que leurs matresses
viendront passer la journe chez elle (ces visites sont rarement moins longues). Les usages et la civilit exigent
que les visites annonces, sauf les cas d'empchement
majeur, soient toujours accueillies avec empressement
et le sourire sur les lvres, toutes affaires cessantes,
tous projets ajourns.
Ainsi avertie ds le matin, la hanoum expdie ses
gens mles et femelles auprs de ses amies et connaissances pour les prier de venir en l'honneur de la dame
qui s'est invite elle-mme. Quoique l'acceptation de
ces invitations ne soit point de rigueur, bien rares sont
les hanoums, les coconas (dames chrtiennes) et les
boulitzas (dames juives) qui s'en excusent ; encore ne
le font-elles jamais qu'avec un chagrin trs-rel, tant
le got des runions et des causeries est dvelopp chez
les Levantines.
Les habits de gala sont de rigueur. La runion, commence d'ordinaire vers midi, ne se termine gure avant
la tombe de la nuit, tout l'intervalle se passant fumer
force tchiboucs et narguilhs, absorber quantit de
tasses de caf, de verres de limonade et de sirops, de
fruits, de confitures et autres friandises, jouer aux
cartes ou au jacquet, jaser bruyamment de mille choses plus banales les unes que les autres, surtout mdire cordialement du prochain.
Otez de la visite annonce l'avertissement qui la prcde, les invitations en grand qui en sont la suite, la
recherche des toilettes, et vous aurez une visite par surprise, laquelle toutefois n'exclut ni la contrainte impose la visite, ni la dure, ni les bombancs de
rigueur.
Les visites l'aventure paratraient extraordinaires
en France. Plusieurs dames se runissent en groupe et
s'en vont par les quartiers et les faubourgs de la ville
frapper aux portes de maisons inconnues et offrir visite
des personnes qu'elles n'ont jamais vues. Les coconas
et les boulitzas demandent l'hospitalit navement et le
sourire la bouche, comme des enfants timides qui
convoitent un objet, mais les hanoums ne demandent
pas, elles entrent bon gr mal gr ; pareilles certains
intimes, n elles s'imposent comme en pays conquis et
avec le sans-gne d'un seigneur honorant de sa prsence
la demeure de ses vassaux. Cependant il arrive bien rarement qu'une matresse de maison se refuse recevoir
ces sortes de visites ; son accueil peut seulement se res-
1118
LE TOUR DU MONDE.
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Le tandour (voy. p. 146). Dessin de Pasici d'a )rs le tableau de Mine Henriette Browne.
La place d'Ett-Meydan, Constantinople (voy. p. 147). Dessin de Thrond d'aprs un dessin de M. Brest.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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moins grandes dont la temprature est adoucie par de cours aux angles des divans. La matresse de la maison
grands brasiers en cuivre placs au centre, et des tan- I reste assise l'un des lciochs (angles du divan), place
Un rcit dans l'intrieur d'un harem. Dessin de Mettais d'aprs un dessin de Bida.
d'honneur, ainsi que celle qui est sa droite. Les invites, introduites dans la salle de rception, s'avancent
sans tre annonces vers la matresse, qui leur dit invariablement, avec un aimable sourire : Sfd yeldiniss,
khosch yeldiniss', change avec elles tmnas et compliments, ou donne sa main baiser aux kiz, aux toutes
152
LE TOUR DU MONDE.
jeunes hanoums, et aux femmes du peuple qui se prsentent souvent sans invitation pour assister la soire
et auxquelles on ferme rarement la porte. En Turquie,
l'galit est la rgle, mais elle n'est pas absolue.
Sur le bouyourounn' de la hanoum matresse, les
arrivantes vont s'asseoir successivement et cte cte,
droite et gauche, sur le divan, les jambes croises ou
un genou lev. La seconde place d'honneur est rserve
la plus riche ou la plus respecte des invites, ou
celle dont l'on fte la rconciliation.
Si le nombre des invites est trop grand pour que
toutes puissent trouver place sur les divans, les kiz et
les hanoums d'un rang infrieur sont pries de s'asseoir
sur les tchits et les tapis qui garnissent le ct de la
pice dpourvu de divan.
Des djarihs servent immdiatement le tchibouc allum, bouquin d'ambre plus ou moins riche, et le
caf ou le cherbett (eau sucre colore et bouillante) dans
des fildjanns ou petites tasses en porcelaine, sans anse,
plongeant demi dans une espce de coquetier nomm
zar/f, en mtal prcieux ou commun, artistement cisel
jour. De la confiture ou de la gele de fruits, range
par petites portions dans un plat d'argent aux bords cisels, est servie aprs le caf. Chacune des invites, en
commenant par la plus considre, aprs s'tre fait
longuement prier, porte sa bouche l'unique cuiller qui
est dans le plat et qui sert tout le monde. Avec la
mme fraternit, toutes les lvres se collent, pour boire
une gorge, au mme grand verre d'eau qui suit le plat
de confiture.
La soire dbute par une conversation gnrale ,
bruyante, anime, joviale; les questions et les rponses
se croisent en tous sens, les provocations et les reparties
bondissent de divan en divan, les plaisanteries volent d'un
bout l'autre de la salle, les perfides insinuations se
heurtent entre deux groupes, et les exclamations et les
rires remplissent l'air de leurs clats argentins. Aprs
le premier feu, la conversation de gnrale devient partielle, sans cesser d'tre creuse, banale et mdisante.
Soudain, un signal de la matresse de maison, ses
filles ou celles de ses djarihs qui possdent des talents
en musique s'asseyent en ligne sur un tapis, de manire
tre vues de tout le monde, et se mettent chanter en
chur des romances et des chansons, en s'accompagnant
du santour, de la mandoline, de petites timbales et du
tambour de basque, le tout l'unisson. Les plus jolies
voix et les instrumentistes les plus habiles excutent des
soli qui arrachent des soupirs et des exclamations de
contentement l'auditoire. Sur un autre signal, au moment o excutantes et auditrices sont transportes par
la musique, d'autres jeunes filles se placent vis--vis, au
centre de la salle, et se livrent une sorte de pantomime
danse, se rapprochent, s'loignent, s'enlacent ou se
fuient, se penchent langoureusement sur les cts, ou
renversent en arrire leurs flexibles tailles, ou secouent
mollement leurs paules, accompagnant toute l'action
1. Commandez-nous; c'est le
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LE TOUR DU MONDE.
154
faire se peut, une demoiselle ou une parente de la maison s'assied chaque cini et en fait les honneurs.
Le vin, ou toute autre boisson fermente ou alcoolique, tant expressment dfendu par le Coran, l'eau
claire et le cherbet froid sont les seuls breuvages servis
ces soupers.
Pendant que les plateaux s'allgent de leur agrable
contenu, des djarihs armes de grands couteaux dpcent le khalva et le rpartissent en autant de portions
qu'il y a de cercles au milieu desquels orties porte dans
des plateaux d'argent.... On apporte ensuite les lpans', et les invites , aprs s'tre lav et essuy les
mains et les lvres , vont reprendre leurs places sur le
divan, o le tchibouc et le caf leur sont servis de rechef.
Tandis qu'elles se livrent une nouvelle conversation
gnrale, les jeunes personnes et les enfants, dont la
matresse de maison a eu soin de remplir les poches de
bonbons et de fruits confits, s'en vont les grignoter en
se promenant ou en jouant dans les jardins ou les galeries du harem.
Cependant il est tard, la conversation languit et tombe
insensiblement, les paupires s'appesantissent, quelques
bouches s'ouvrent toutes grandes sans faons , et les ttes, troubles par les vapeurs du repas et du sommeil,
excutent des volutions fantastiques...; plusieurs enfants, tendus sur la natte ou accroupis sur les genoux
de leurs mres, dorment dj profondment, et plus
F. JRUSALMY.
II
LE CYDARIS,
P
A R M.
ANTONIN PROUST.
Il faut que je vous rende compte, madame, de la visite que nous fmes hier l'Armnien Djezerli.
L'autre soir, sa maison de Pra, il fut question du
merveilleux kiosque qu'il a fait lever rcemment sur les
bords du Cydaris. Mme Beretta lui dit qu'elle entendait
parler trop souvent des splendeurs de ce yali, pour ne
pas dsirer le voir.
Eh bien, madame, lui rpondit l'Armnien, si vous
voulez venir en compagnie de ces messieurs y faire le
kieff, le deuxime jour du Baram, je serai heureux de
vous y recevoir.
Faire le kieff veut dire, en bon franais, digrer ;
1. Le lguenn est une espce de grand et profond plat barbe,
sans chancrure, en mtal fin, garni intrieurement d'un couvercle perc jour, au sommet duquel est un cercle saillant contenant une savonnette ou des morceaux de citron exprim. Le domestique tient le plat-cuvette d'une main et de l'autre verse l'eau
d'une aiguire de mme mtal que le lguenn, goulot troit et
arrondi en col de cygne, sur les mains de la personne servie.
155
LE TOUR DU MONDE.
les jours qui prcdrent notre visite, il ne fut question
que de l'Armnienne.
Comment tait-elle? brune, blonde, grasse, maigre?
et surtout comment se vtirait-il, lui Jacques , pour lui
tre prsent? en Turc; en Persan, en Grec ou en
simple giaour? Il voulait plaire. Son imagination dansait, comme vous le voyez, une folle sarabande.
La veille, enfin, tout bien calcul, il dcida qu'il ne
156
LE TOUR DU MONDE.
Effendi !
O sont mes pantalons blancs?
Ils sont chez la blanchisseuse, Effendi.
Allah kerim! soupira Jacques.
Voyons, mon ami, lui dis-je, blanc ou jaune, coutil ou nankin, habillez-vous, car j'entends le hammal qui
amne les chevaux.
Aprs de nombreuses digressions, Jacques acheva sa
toilette et nous partmes. Le hammal suivait en courant
les chevaux que nous devions laisser l'embarcadre de
u
Kacim-Pacha.
Le dicton, fort comme un Turc, est, madame, tout
Quand nous entrmes dans le cahven de KacimPacha, un jeune homme se faisait piler.
Nous prmes, en attendant, une tasse de caf, et fmes
apporter un tchibouck, le narguilh exigeant des poumons herculens et un got pour le tombeki, que nous
n'avons ni l'un ni l'autre, mon ami el; moi.
Jacques ras de frais, nous regagnmes le caque, qui
se tenait frmissant sous les rames, et la mer gmit bientt sous les coups redoubls.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
Je n'entreprendrai pas, madame, de vous faire le dtail du menu. Brillat-Savarin y perdrait sa langue.
Le dner turc est une succession incohrante de viandes haches et de sucreries qu'on porte sa bouche avec
une petite cuiller en caille ou plus souvent avec ses
doigts ; le tout trs-parfum, la violette, l'orange, au
limon, la menthe ; les Turcs mangent beaucoup par le
nez. Les plats de rsistance sont le pilaf (riz bouilli au
jus de viande), le kebab (tranches de mouton qui voient
le feu, mais n'y touchent pas, selon le prcepte du Coran), le yaourt (lait caill), le kaimak (crme fine, dlicate, exquise avec les fraises du Bosphore), le baklava
(tarte aux confitures), etc., etc....
Toutes ces prparations se succdaient rapidement ;
la crme la rose faisait place la crme la violette,
les cailles au jasmin remplaaient le poulet au jus de cerise, mais la hanoum n'arrivait pas.
Enfin, l'instant o on apportait le cherbet' , dernier
acte du dner oriental, elle entra.
a Allah kerim ! me dit Jacques l'oreille. Cette apparition venait de lui rendre la parole.
Aprs que nous emes t admis lui baiser la main,
Jacques se rpandit en onomatopes admiratives, et devint franchement insupportable ; il rdita toutes les
comparaisons tombes en dsutude : les lvres de corail,
les dents de perles, etc., etc., ; il n'oublia que les yeux
de faence, et il eut tort, car rien n'tait plus en situation ; le regard fixe des femmes du Levant a en effet
quelque chose d'trange et d'immobile, qui ferait douter de leur me ; l'clat de la faence, en un mot, qui
brille et ne reflte pas.
Nourmahal (c'est le nom de la femme de Djezerli) est
grande ; l'ensemble de sa physionomie est d'une douceur rsigne, mais d'une expression intrieure peu
saisissable. Selon l'usage, ses yeux sont rehausss d'une
teinte de surmeh' qui les agrandit et leur donne de l'clat; ses cheveux sont noirs, son teint d'un blanc mat;
l'arte du nez est indcise, la lvre paisse, la forme du
visage plus romaine que grecque, les extremits fines et
dlicates. Elle tait vtue d'une longue robe de soie,
forme empire, retenue la taille par un simple noeud
de ruban.
Sur les instances de Mme Beretta, elle trempa ses lvres dans une coupe de cherbet et mordit une tranche de pastque. Une pareille invitation est un grand
honneur, en Turquie, pour la femme qui ne se considre
pas comme digne de prendre place la mme table que
son matre et que ses htes.
Djezerli fit signe d'apporter les aiguires et l'Armnien nous emmena dans une galerie haute donnant
sur le Cydaris, pour prendre le caf et fumer.
Toutes les femmes turques chantent, madame ; don
Juan l'affirme et je le crois, car le chant est une distraction l'ennui, et elles s'ennuient.
Jacques, qui a lu Byron, pria donc Nourmahal de
1. Le cherbet est un compos d'eau et de miel, mlang de divers ingrdients.
2. Surmeh, prparation d'antimoine et de noix de galle.
LE TOUR DU MONDE.
159
Mme Beretta, pour nous ramener en Occident, proposa d'aller voir l'glise de Baloukli et ses poissons miraculeux.
Le projet adopt, notre petite caravane s'branla,
traversa Eyoub, longea les vieux murs de Constantin et
mit pied terre l'entre du couvent byzantin.
Ce monastre est moiti ruin ; les longs rameaux de
160
LE TOUR DU MONDE.
les poissons, effendi). Mais ces poissons sont d'intelligents poissons, et ils ne montrent leur ct rouge,
le ct grill, que si vous jetez dans le bassin une pice
d'argent.
Ce petit commerce rapporte chaque anne une somme
assez ronde, qui ne sert pas dcrasser les moines, mais
LE TOUR DU MONDE.
161
I
Ouargla, la sultane des oasis, surnomme l'Oasis aux
Sultans, tait autrefois la capitale prtentieuse d'un
royaume microscopique. Perdue dans l'immensit du
Sahara, au milieu de sables, comme un lot de verdure
dans un ocan de feu, dfendue par une enceinte en pis
que protgeait un foss 'bien entretenu, la fire cit se
targuait de son isolement et de ses murailles pour jouer
la royaut. Les prtendants au trne ne manquaient
pas; les parvenus se succdaient rapidement. Leur rgne
phmre commenait presque toujours par une lutte
fratricide, pour finir par un assassinat. Un peu de bruit,
du sang, et enfin la tombe, tous les rgnes se ressemblaient.
Lorsque le vent du sud apportait jusqu'au littoral mditerranen un cho d'Ouargla, on coutait avec anxit,
presque avec charme. N'tait-ce pas la ville du lointain,
de l'inconnu? A ct des sombres rcits, on croyait entendre le murmure des palmiers pouss par la brise du
dsert. On voyait, travers le mirage, la cit mystrieuse entoure de sa ceinture de jardins et de dattiers,
orne de son diadme de reine des oasis, luxuriante de
1. Les auteurs des dessins sont MM. Alfred Couverchel et de
Lajolais, qui tous deux ont fait le voyage de GCryville Ouargla
avec l'expadition (voy. p. 166).
verdure et de fracheur. Les quelques taches de sang jetes sur sa robe verte taient comme des lambeaux de
pourpre qui seyaient bien la ville aux Sultans. Les
hardis caravanistes qui en revenaient, conduisant de
longues files de chameaux chargs de dattes, et poussant
ple-mle des troupeaux de ngresses et ngrillons, ne
manquaient pas d'en raconter une foule de merveilles.
Le teint fortement bazan, des gutres de laine aux
jambes, le burnous jauni par les sables, le fusil en bandoulire, ces voyageurs du dsert avaient un aspect qui
prtait leur narration quelque chose de fantastique et
d'attrayant la fois. Tantt ils racontaient un combat
sanglant de quartier quartier, tantt le massacre des
Mozabites, tantt une bataille entre Ouargla et N'goussa;
d'autres fois ils vous menaient travers les fouillis de la
fort de palmiers, dans les sentiers ombrags et sinueux
qui conduisent aux portes de la casbah royale, vous montraient pars, dans ces labyrinthes de chemins qui s'entre-croisent, ces kobbas aux dmes blanchis, pieux monuments levs la mmoire des marabouts vnrs, sur
lesquels viennent s'battre des nues de palombes et de
tourterelles; ou bien encore ils vous faisaient entendre
les chants de la nuit dans les jardins, aux bords des ruisseaux s'coulant des puits arftsiens. On se taisait pour
11
152
LE TOUR DU MONDE.
couter encore, quand dj depuis longtemps le voyageur ne parlait plus. C'est que, malgr nous, notre imagination a toujours un fond de posie dont elle se plat
revtir l'inconnu, soit pour le parer de riantes couleurs,
soit pour l'assombrir et le rendre sauvage. Que de fois,
dans les voyages que j'ai faits dans le Sahara, j'ai pass
la nuit l'oreille tendue aux rcits des chameliers et des
dellils, ces pilotes du dsert pour qui l'immensit semble
n'avoir point de mystres! Accroupis autour d'un feu
d'herbes sches ou de broussailles, une tasse de caf la
main, l'toile du matin nous surprenait attentifs encore
l'histoire de quelque lointain voyage. Que ne puis-je
mettre dans mes lignes ces gestes loquents que les conteurs arabes savent si bien approprier leurs rcits?
C'est surtout dans le Sahara que la puissance du geste
ajoute la parole. Au milieu de cette terre morte, o pas
un arbrisseau n'agite une branche, o pas un oiseau ne
fait entendre un cri, o pas un cho ne reflte la voix,
l'oeil coute pour ainsi dire autant que l'oreille.
Un de ces conteurs arabes me disait un jour, propos
d'Ouargla, cette phrase caractristique : Le ksar'
d'Ouargla ne fait pas ses sultans, il les dfait. Ce mot
dpeint bien, mon avis, la tradition politique de la
vieille cit royale et les tiraillements continuels de ce petit peuple grouillant dans un limon d'indpendance.
Dans les derniers temps, les souverains d'Ouargla
taient nomms l'lection pour un an. Les abus, les
conflits ne firent qu'augmenter avec les Syllas annuels.
Un beau jour, quelques annes aprs la conqute d'Alger, la casbah des sultans fut dmolie et l'anarchie reprit
tous ses droits. L'anarchie a ses adorateurs, on le sait,
mais elle conserve peu de temps la majorit ; il suffit,
le plus souvent, d'un homme nergique pour la faire
cesser; cet homme nergique rclame pour lui la majorit qui ne lui fait pas dfaut, et en obtient la dictature. C'est l'histoire du dernier sultan d'Ouargla, le
chrif Mohamed-Ben-Abdallah, aujourd'hui prisonnier
Perpignan'.
Mohamed-Ben-Abdallah, marabout important des
Traras, avait jou un certain rle politique dans la subdivision de Tlemcem. En 1843, prsent au gnral Bedeau par un chef influent de notre maghzen, comme un
homme assez puissant pour contre-balancer la puissance
d'Abd-el-Kader. On l'avait nomm khalifa de Tlemcen
avec tin traitement annuel de dix-huit mille francs. On
s'aperut bientt de la nullit de son action au point de
vue de l'intrt de notre occupation, et, tout en tolrant
l'homme, on n'attendit qu'une occasion pour carter le
chef. Quelques difficults qu'il crut de son devoir de nous
susciter, firent qu'on l'engagea se rendre la Mecque.
L'ex-khalifa partit pour le plerinage, emportant pour
principal bagage les plus haineuses rancunes contre
Ksar signifie : ville fortifie; ksour au pluriel. Les oasis sont
gnralement entoures de murs. Ces places fortes servent de magasins d'entrept pour les tribus nomades qui y mettent leurs
grains et leurs richesses a l'abri quand elles vont au loin chercher
des pturages pour leurs troupeaux.
2. Intern actuellement Bne, sur la proprit du gouverneur
gSnral de l'Algrie.
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LE TOUR DU MONDE.
165
LE TOUR DU MONDE.
lion produite par les succs d'un jour du chrif, avait
succd une sombre consternation. Vainement essaya-t-il
de remettre un peu de calme dans les esprits, il ne fut
point cout, chacun s'isola; tous ceux qui avaient un
peu d'influence ou d'autorit s'taient ou se croyaient
compromis, et craignaient pour leur personne. En prtsence de ce vide qu'on lui opposait, Si-Bou-Bekers'al stint et attendit des instructions.
L'autorit franaise crut avec raison, devoir faire procder une enqute avant de prendre une mesure
166
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
corde bagages et un aron de bt de rechange. Ces
chameliers taient tous arms.
En rsum, nos effectifs taient
150 cavaliers.
280 chameliers fantassins.
160 chevaux y compris ceux en main.
860 chameaux.
La runion eut lieu le 24 fvrier 1862 Gryville. Une
inspection fut faite des vivres de chacun, et ceux dont les
provisions furent reconnues insuffisantes furent immdiatement mis en demeure de les complter. Peaux de bouc et
tonnelets furent compts et essays: Le convoi fut organis enpelotons de chameaux,
placs chacun sous la
surveillance d'un chamelier chef, rendu
responsable des objets
qui lui taient confis, et dont la liste
fut dresse. Il fut cie
mme dress des listes des cavaliers et de
leurs chameliers. Les peaux de bouc de la rserve furent marques. Les chameaux de toute la colonne reurent aussi une marque gnrale laquelle chacun
ajouta en outre un signe distinctif. C'est une prcaution
indispensable pour qui connat les habitudes arabes.
Le 25, la pointe du jour, eut lieu le dpart. Le convoi se mit en marche le premier. La cavalerie ne partit
qu' huit heures, afin de donner le temps aux animaux
de transport de franchir le col de Sitten, situ trois
lieues de Gryville. On alla coucher Ain-Farch, belle source
d'eau excellente qui coule au
pied d'une montagne rocheuse,
garnie de thuyas et trbinthes.
De grands feux gayrent le
bivac. On fit une petite provision d'eau, sachant que le
lendemain la source o l'on
devait boire tait un peu saumtre. Les barils furent tous
remplis, afin d'viter leur dessiccation, et l'ordre fut donn de faire en route le lendemain provision de bois et d'alfa.
Le 26, notre bivac fut install sous le ksar de BouAlem. C'est une pauvre oasis perche sur un mamelon
l'entre d'une large valle dnude.
Le 27, nous couchions au pied de la montagne de Sel,
aprs avoir travers le petit ksar de Sidi-Tifour qui barre
l'autre extrmit de la valle de $ou-Alem. Les gens de
Sidi-Tifour sont des marabouts qui exploitent la commisration des passants au moyen d'une koubba o est
enterr le marabout Sidi-Tifour, quelque saint homme
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169
LE TOUR DU MONDE.
A chaque pas des tas de pierres surmonts de quelques
chiffons en loques, indiquent qu'un homme est tomb
l sous une tratreuse balle ; enfin, la lgende fait du
Kheneg la demeure de Djenoun ou esprits nocturnes,
les uns bienveillants, les autres horriblement cruels.
Tous ces souvenirs forment un cortge lugubre au voyageur isol qui le traverse la nuit, et lui font de la traverse un pouvantail. Nul ne s'y risque sans s'tre
assur des amorces de ses armes. La longueur du dfil
est d'environ quatre lieues. On marche presque constamment dans le lit de la rivire ou sur les accote-
ments, au milieu de bouquets de tamarins et de lauriersroses. De distance en distance le mince filet d'eau qui
coule pendant les mois d'hiver forme de grandes flaques
o s'battent des nues de canards et d'oiseaux aquatiques. Quand on arrive au pied de la montagne du Sel,
que la rivire vient laver sur une longueur d'enviror
trois kilomtres, on sent une odeur prononce de mare.
La montagne, en partie fendue et effondre de ce ct,
se dresse presque pic, gigantesque, talant mille
nuances cristallines et irises, qui font ressortir encore
les couches vert bleu des roches transversales et les
l'arrive d'un personnel europen, s'tait piqu de courtoisie et avait fait provision Laghouat de pain frais et
de vin. Sa dlicate attention fut apprcie dignement.
Nous ne perdmes ni une goutte de vin ni une miette de
pain. Nous savions trop bien que nous avions devant
nous une perspective de longues journes de privations
pour ne pas prendre en bonne part cette galanterie saharienne.
Nous restmes deux jours Tadjerouna. Nous y fmes
rejoints par le Bach-Aga Si__ Bou-Beker, qui nous avait quitts en route pour aller dire un
dernier adieu sa smala. Pauvre Si-Bou-Beker! Nous ne
nous doutions pas que nous allions enlever sa famille une
bonne partie des quelques jours
qui lui restaient encore vivre.
Ag de vingt-cinq ans seulement, officier de la Lgion
d'honneur pour son beau fait
d'armes de la prise du chrif,
Si-Bou-Beker tait appel par sa position, sa bravoure
chevaleresque et son amour des voyages, se faire un
nom europen. Faonn nos usages et nos habitudes, il connaissait l'importance que nous attachions
des relations avec l'intrieur de l'Afrique, et il rvait d'ouvrir un jour, au moyen de son influence religieuse et de son sabre, la route du Soudan par Insalah.
Venu avec nous jusqu'au Touat, il avait pu juger par
lui-mme de la puissance de son nom, et se croyait
assez fort pour aller avec les Chamba demander compte
aux gens du Tidikelt et aux Touaregs de leur agression
III
Aprs une marche de six heures, nous arrivmes au
ksar de Tadjerouna, oasis sans
verdure et sans palmiers, qui
s'est loge dans une dpression
en forme de conque au milieu
des plaines. La richesse de cette
oasis consiste en quelques labours que les crues de l'OuedMelh arrosent. Un barrage dans
cette rivir permet, lors des
grosses pluies, d'inonder toute
la conque de Tadjerouna; la
terre imbibe est aussitt mise
en culture, et deux mois font
germer et jaunir les moissons. Outre cette ressource,
les habitants de Tadjerouna sont les magasiniers des
Ouled-Yagoub, tribu puissante avec laquelle ils sont
allis par l'intrt et le sang. Pendant que le ksar conserve le grain des nomades, moyennant une faible redevance, ceux-ci font pacager les troupeaux de leurs
allis avec les leurs.
Les Ouled-Yagoub taient camps sous les murs de
l'oasis Iors de notre arrive. Une diffa abondante, compose de moutons rtis, de lait et de dattes, fut offerte
toute la colonne. Le cad de Tadjerouna, prvenu de
di
170
LE TOUR DU MONDE.
171
LE TOUR DU MONDE.
tion. Il arrive souvent qu' quelques lieues de la route
que l'on se propose de suivre, un orage a fait pousser
l'herbe et a laiss des flaques d'eau. On comprend donc
combien il est important d'tre renseign. Une lgre
dviation de la ligne droite n'a aucun inconvnient dans
ces immenses tendues, tandis que la prsence sur son
chemin de pturages abondants et surtout de redirs (ou
de flaques d'eau laisses par les orages) pourvus d'eau
est une providence.
IV
Le 3 mars, ds l'aube, le convoi se mettait en route.
L'ordre tait donn de se diriger sur Dayet-el-Roumel.
La marche devait continuer tous les jours jusqu' l'arrive Metlili, dont nous tions spars par une distance
de cinquante-trois lieues sans autre eau potable que celle
d'An-Massin, source sulfureuse et nausabonde, dix
lieues de Metlili. La cavalerie ne se mit en marche qu'
dix heures, aprs avoir fait boire ses chevaux sur les
puits de Tadjerouna.
Cette premire journe fut marque par un de ces
outres demi dessches les unes dans les autres, de manire complter les plus grandes et les meilleures; on
abrite ces dernires en les enveloppant de plantes et les
plaant au fond de grands sacs de laine que l'on nomme
gharas, et qui servent au transport dos de chameau.
Malheureusement il est arriv souvent que cela n'a
point suffi', et qu'aprs avoir gorg les chameaux pour
boire l'eau de leurs intestins, cette ressource suprme a
t insuffisante pour atteindre les eaux les plus voisines,
et alors les hommes sont tombs sous les treintes de la
soif, le naufrage a t complet, et les sables, soulevs
par le vent, en s'amoncelant sur les cadavres, les ont
engloutis. On le voit, la cause relle des dsastres, c'est
la soif. Sous ces zones torrides, avec un sol jaune et
ardent, au milieu de tourbillons d'un vent et d'un sable
brlants, la soif tue en quelques heures. Lisez plutt les
pages contemporaines d'un illustre voyageur, vous y verrez que le docteur Barth, gar une aprs-midi et surpris
par la soif saharienne, cette angine de plomb fondu,
1. Cette assertion, bien que frquemment reproduite par les conteurs arabes, ne saurait tre accepte d'une manire srieuse. Eu
tout cas, elle donnerait l'occasion de rpter, avec le pote, que
Le vrai peut quelquefois n'tre pas vraisemblable.
ouragans sahariens que Flicien David a si bien dpeints. Nous emes un coup de simoun, ce que les Arabes
appellent el-azedje. Le simoun, pour le dsert, c'est le
typhon pour le grand Pacifique. Ce n'est point (du
moins pour les sables sahariens), comme on l'a cru longtemps, un vent pestilentiel qui touffe et tue par sa nature pernicieuse, ou bien qui vous engloutit sous des
avalanches de sable. Ses dangers sont d'une nature que
l'homme peut combattre. Le simoun n'est qu'un coup
de vent trs-violent; au milieu des sables, il se produit.
une infinit de tourbillons qui tiennent ce que les
dunes brisent le courant. Outre que le vent est violent,
il est brlant et charg de sable au point d'obscurcir
l'air. Les peaux de bouc suintent toujours, et ce suintement est considrablement activ par la couche de sable
dont le vent les entoure en un clin d'oeil. Voil le grand
danger du simoun; une demi-journe suffit, pendant
l't, par un azedje intense, pour desscher une outre.
Les Arabes le savent bien. Ils ont, pour lutter contre
l'azedje, des procds eux, mais trs-imparfaits. On
emploie des rcipients en peau de chameau, on vide les
172
LE TOUR DU MONDE.
173
LE TOUR DU MONDE.
Arabes donnent ces plaines hautes) de Seba-Redjem,
nous apermes la Chebka du Mzab, soulvement rocheux dont la vue nous fit tressaillir d'aise : nous devions
camper une lieue en de de ses pentes. La direction
nouvelle donne par les guides fut un promontoire de
soulvement, o l'on distingue de loin une raie blanche
horizontale ; ce promontoire se nomme Chab-Rassou
(tte blanche). Malgr toute notre bonne volont, nous
n'arrivmes qu' la nuit au bivac, fix d'avance; il tait
indispensable de pousser jusque-l, attendu l'absence
totale de bois et de fourrages sur la Gada. La journe
avait t accablante; plusieurs groupes de chameaux ne
nous rejoignirent que vers dix heures du soir : un grand
nombre de ces animaux avaient d tre dchargs afin de
pouvoir suivre, et une quarantaine avaient t abandonns
en arrire sous une garde particulire ayant mission de
les amener petites journes Metlili, o nous devions
faire sjour. Heureusement le soir notre convoi tait
encore allg de six mille. litres d'eau ncessaires aux
hommes et chevaux. Le lit de l'Oued-el-Loua etait bien
pourvu de drinn et de retem (gent fleurs blanches),
ce qui permit aux chameaux de se repatre, la Gada nue
ne leur ayant pas offert en route un seul brin de fourrage.
Le 6, le dpart n'eut lieu qu' six heures du matin,
afin de donner un peu plus de repos tous. Nos savants
se dirigrent la recherhe de pierres, vers le ChabRassou (le cap la tte blanche), pendant que nous longions ce promontoire pour aller chercher une ravine
rocheuse qui, moins esparpe que les berges du soulvement, permet d'arriver sur les plateaux de la Chebka.
Chebka signifie un filet en arabe; la Chebka du Mzab
doit probablement son nom la forme particulire des
ravines qui sillonnent dans tous les sens le soulvement
rocheux qui la compose. Ce soulvement est plat; il se
prolonge, au dire des Arabes, avec une direction sudsud-ouest, jusqu' Goliah, c'est--dire sur une tendue
de cinquante soixante lieues, et forme, l'est, une
barrire aux grands sables qui sparent la province d'Oran du Gourara.
Rien de triste comme les plateaux de la Chebka. Le
sol est un parquet de roches glissantes et noires, parsem de dbris de pierres brises : on dirait un sol de
lave; l'oeil, en parcourant l'infini de l'horizon, ne trouve
pas une plante verte pour s'y reposer; le soleil, en clairant cette tendue noirtre, semble perdre de son clat
et donne au paysage une teinte lugubre : on se croirait
dans les domaines de la mort. Tout coup les sombres
plateaux s'entr'ouvrent, et de riantes valles apparaissent
encaisses dans des berges pic, talant au milieu d'une
couche de sable jaune la verdure des touffes paisses de
leurs plantes et de leurs arbrisseaux. Quelques dunes
flanquent le pied des escarpements, et forment un cadre
dor et plein de lumire autour des bas-fonds. Tout cela
se prsente l'improviste, comme un lever de rideau.
C'est ainsi que se montra la valle d'An-Massin, gigantesque crevasse dans l'immense table rocheuse de la
Chebka; elle ne se montra nos yeux qu'au moment o
nous arrivions au sommet de la berge abrupte qui y conduit par un escalier de Titans.
La valle d'An-Massin doit son nom une mare ftide flanque de trois puits, que le mme filet d'eau souterraine alimente. La nappe d'An-Massin coule entre
deux bancs, l'un de sel gemme, l'autre de pltre. Ce sont
ces bancs qui, mis nu Chab-Rassou, forment la tte
blanche de ce cap. An-Massin est signal au voyageur
par quelques palmiers du bon Dieu que chacun respecte.
Qui les a plants? nul ne le sait : des noyaux de dattes,
reste de quelque frugal repas, ont germ sans doute prs
de l'eau, et les arbres ont pouss. L'eau d'An-Massin
est mauvaise, purgative et fortement saumtre. En dpit
de ces qualits ngatives, elle n'en est pas moins une
providence pour les voyageurs; btes et gens ne sont pas
difficiles, dans le pays de la soif. Quoique notre provision d'eau ft encore assez complte, nous fmes boire
aux animaux tout ce qu'ils voulurent, afin de diminuer
d'autant la distribution d'eau (lu soir.
Aprs une halte de quelques heures faite par la cavalerie, pour laisser le temps nos savants d'analyser l'eau,
de prendre les hauteurs baromtriques et de faire leurs
observations scientifiques, nous nous remmes en marche pour atteindre la tte de notre convoi, qui avait dj
presque totalement dbouch dans la valle, et aller installer notre bivac Mader-Ben-Messaoud, quatre lieues
plus loin, toujours dans la valle de Massin. Ce point
est abondamment fourni en drinn, gent et autres plantes des sables; les lefa ou vipres cornes y abondent.
Nous remes l la visite des cads de Metlili et des
Chamba. Nous n'tions plus qu' une journe de l'oasis;
aussi fmes-nous des largesses avec l'eau de nos tonnelets,
bien autrement agrable et pure que celle des peaux de
bouc. Nous ne gardmes que vingt tonnelets pleins, pour
le djeuner du lendemain et pour le cas d'un accident.
Le 7, ds trois heures du matin , la cavalerie et le
goum prenaient la tte de colonne et se dirigeaient sur
Metlili. La route continua pendant trois lieues dans le
bas-fond de Massin, jusqu' Argoub-Sbah'. Nous trouvmes sur notre chemin plusieurs douars des Chamba,
ainsi que leurs troupeaux; les chefs vinrent brler un
peu de poudre en l'honneur de la colonne et nous prier
d'accepter une diffa, que nous refusmes. Arrivs Argoub-Sbah, nous emes escalader une berge rocheuse
d'une difficult inoue, pour aller reprendre nos sombres plateaux de la veille et retomber, aprs quelques
heures de marche, dans le bas-fond de Metlili, o nous
conduisit un ravin nomin Chaba-Lekahl, le ravin noir.
VI
Comme l'Oued-Massin, l'Oued-Metlili est garni de pturages et enclav dans des berges rocheuses, ardues et
leves. Aprs une heure de marche dans le bas-fond de
l'oasis, et au dtour d'une grosse dune qui barre la valle, la fort de palmiers de l'oasis se dessina tout coup
un kilomtre de nous. Un hourra de joie accueillit
1. Argoub-Sbala signifie : colline du lion.
t s 4
L E 'l' O n k DU MONDE.
Procd employ Metlili pour retirer l'eau des puits. Dessin de M. Alfred Couverchel.
176
LE TOUR DU MONDE.
Dessin de M. de Lajolais.
Malgr ces difficults, pas un pouce de terre n'est
perdu. Tout ce qui fait vivre est utilis, et, devant ce
sentiment du besoin, tous les autres ont d se taire.
Afin de ne rien perdre du sol productif, on a d mme
refuser aux morts, dans le terrain de la valle, cette modeste et minime part de terre qui est dvolue nos
corps, lorsque nous ne sommes plus. La ncropole de
Metlili, ce sont les gradins rocheux des montagnes qui
l'entourent. Ces gradins forment une srie de corniches
sur l'entablement desquelles on couche les trpasss,
pour leur btir ensuite un spulcre qui les enveloppe. La
montagne se trouve ainsi recouverte d'une couche humaine, aligne et maonne sur ses escaliers; elle ressemble ces mamelons ardus de nos pays vignobles, o
l'on a tag des murs pour soutenir les terres ; seulement, au lieu de ceps de vignes, on ne voit dominer que
les sommets de pierres places debout, qui, chez les
12
V 111. ! y 1 LIV.
178
LE TOUR DU MONDE.
VI (Suite.)
Le commandement de la ville de Metlili et des nomades qui en dpendent ne fait qu'un. Les Ghamba-Berazga
forment deux fractions ayant chacune leur cad, et ces
deux chefs sont sous l'autorit plutt nominale que relle
d'un cad des cads. Ce petit trio vit en bonne harmonie.
Le cad des cads se nomme Mohamed-Ben. Sman ;
et pour un chef de Chamba il a des allures et des
gots qui, au premier abord, surprirent beaucoup nos
jeunes artistes. Le mot de l'nigme, c'est que Mohamed-Ben-Smain n'est autre que le chambi que tout le
monde a connu Paris, le chambi du gnral Daumas. Fier du peu de franais qu'il connat, de quelques
mots d'anglais qu'il a rapports de Londres, le chambi
jouait son rle de vieil habitu du boulevard avec un
aplomb qui nous amusait beaucoup, trouvant le moyen
de nous questionner sur son Paris, sur les Champslyses, le Chateau-des-Fleurs, et placer tant bien
que mal son franais. Il prenait surtout un air indfinissable quand on lui parlait de Mabille, et sa bouche
s'ornait alors d'un sourire d'une finesse extrme. Sa prsence Metlili tait pour nos jeunes artistes une aubaine
excellente. Faonn nos habitudes, il se prtait de
bonne grce toutes les demandes qui lui taient faites,
et c'est par son intermdiaire qu'il fut possible de dessiner des intrieurs, et mme de faire d'aprs nature le
portrait d'une jeune fille. Celle-ci consentit de bonne
grce laisser faire son portrait, la condition d'tre pare de ses atours. Nos coquettes parisiennes souriraient
de piti de tout cet attirail de breloques dont les habitantes des oasis s'embellissent; mais je suis sr qu'elles
n'auraient pas le mme ddain pour les yeux de gazelle
de ces belles et brunes filles, et pour leur taille, qui se
balance gracieusement en marchant, comme un palmier
que le vent agite, suivant l'expression des potes du dsert. Nous tions, Metlili, dans la patrie mme de la
belle Messaouda, que le gnral Daumas nous montre
comme une colombe de bonne augure, saluant la caravane
du Soudan, et faisant flotter son charpe de soie en signe
d'adieu. La dlicieuse narration de l'auteur du Voyage
au pays des ngres tait l vivante au milieu de nous; et
le jour du dpart, quand nous quittmes Metlili pour
nous enfoncer encore dans le pays de la soif, nos yeux
cherchrent instinctivement dans les sentiers, le long
des jardins, une Messaouda d'heureux prsage.
Pendant les trois jours que nous restmes Metlili
1. Suite. Voy. page 161.
LE TOUR DU MONDE.
179
ordres multiples se succdent et sont ports par des cavaliers qui passent au galop, le burnous flottant, au milieu de ce dsordre. Bientt cependant on distingue des
masses noirtres qui commencent se mouvoir : ce sont
les premiers groupes du convoi qui sortent du camp
pour se masser; les guides les attendent et commencent
la marche. Le calme renat peu peu, et bientt il ne
reste plus que les retardataires, que l'on presse. Quand
tout est parti, les chefs du goum viennent faire leur rapport et prendre les ordres pour la route. Enfin la cava-
LE TOUR DU MONDE.
180
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wi le
Le Bach-Agha Si-Bou-Beker.
^ (^ ti,^
c.ii i
Nami.
LE TOUR DU MONDE.
181
devait en effet se produire une srie d'chos rpercutant le bruit du vent dans les dunes, et pouvant produire
un bruit analogue celui d'un tambour.
Pendant que nous faisions une halte El-Eurma, l'aghad'Ouargla, Sid-Lalla, vint nous rejoindre, entour de
son maghzen. La joie clatait sur sa mle figure ; la nouvelle de l'arrive de notre colonne avait chang son
gard les dispositions des esprits des oasis; les cavaliers
les moins compromis avaient demand l'accompagner;
les djema (assemble des villages) avaient dcid qu'on
nulle, et depuis sa nomination, rcente il est vrai, il n'avait os pntrer dans la ville d'Ouargla, Notre prsence
venait de tout modifier. Aussi, pour ne pas perdre le
fruit du bon accueil qui venait de nous tre fait, nous
nous dirigemes, aussitt le camp trac, vers la ville aux
Sultans, guids par Sid-Lalla et son maghzen. Nous
tions accompagns de SiBou-Beker et son jeune
frre, monts sur leurs magnifiques chevaux, et ruisselants d'or et de soie. Nos
jeunes peintres et nos savants taient de la partie.
Notre premier soin fut
de conduire Si-Bou-Beker
et ses gens la mosque,
o une diffa improvise
nous fut immdiatement offerte. Pendant les prparatifs
de la diffa, nous escaladmes le minaret le plus lev, afin
d'embrasser toute la cit du regard. Cette ascension n'est
pas une opration facile pour qui n'en a pas l'habitude.
La tour du minaret est une pyramide quadrangulaire,
VIII
Vers deux heures de l'aprs-midi, nous dbouchmes
en bon ordre dans l'immense bas-fond o se trouve
Ouargla. La fort de palmiers s'tendait perte de
vue ; la lisire des dattiers nous trouvmes, rangs en bataille, les fantassins de l'oasis, drapeaux et
musique en tte. Une dcharge gnrale de leurs
armes fut le signal de notre
bienvenue. Nous rpondmes au salut par une
fantasia effrne. Une revue de ces fantassins eut lieu,
aprs laquelle hommes de pied et hommes de cheval se
mlrent, et nous allmes installer notre bivac prs du
bordj de l'agha.
Jusque-la ce chef n'avait eu qu'une autorit peu prs
182
LE TOUR DU MONDE.
184
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
85
forent pas de puits nouveaux; ils se contentent de rparer les puits morts et d'entretenir les anciens qui fonctionnent encore.
Il y a bien deux cents puits effondrs qu'un peu de
travail ferait revivre, et dus aux anctres de l'oasis
l'poque o la ville tait florissante; mais la race des
oasis a suivi la mme marche rtrograde que toutes
les populations musulmanes en contact avec la civili-
1&6
LE TOUR DU MONDE.
corde fixe qui leur sert se haler, soit pour descendre, ordinairement ce travail se paye prix fix et convenu
soit pour monter; ils n'emploient point de lest pour des- d'avance. Les rparations consistent rtablir le blindage en troncs de palmiers. Ce blindage ne va pas une
cendre plus vite, ils se laissent couler le long de la corde.
Avant de plonger, le kertassa s'assure que le couffin grande profondeur et dpasse rarement sept huit mqu'il va remplir est bien au fond et plac sa conve- tres au-dessous du sol ; plus bas les parois sont ronance ; il vrifie que la corde de ce panier n'est point en- cheuses.
tortille dans celle qui sert son voyage. Ces vrifications
X
faites, il entre brusquement dans l'eau, se frotte vigoureusement la tte, appuie, sur la cire qui bouche hermLe systme employ Ouargla pour l'arrosage est suivi
tiquement ses oreilles, et reste ensuite immobile pour dans les sept oasis qui font partie de ce district, et accuse
attendre que l'oppression produite par la fraicheur du chez les habitants d'autrefois une industrie puissante
bain ait totalement disparu. Il prie avec ferveur et voix dont leurs descendants n'ont conserv que peu de chose.
Il n'en est pas de mme dans les oasis plus mribasse. Le plus grand silence rgne autour de lui. Ce
dionales, au Gourara, au Touat et au Tidikelt, o les
gouffre, o va s'engloutir un tre plein de vie et de
habitants actuels ont encore une nergie de travail et de
courage, rendra-t-il o gardera-t-il sa proie?
cration que nous ne retrouvons pas au nord de l'Afrique,
Le moment approche, le plongeur a essay ses poumons par de longues aspirations; on le voit: jeter un der- quoique cependant ils soient dj bien dgnrs de ce
qu'ils taient autrefois. Le procd pour se procurer de
nier regard vars le ciel , on entend le nom d'Allah
l'eau courante la surface du sol dans les oasis du Goucomme suprme invocation, et il se laisse couler.
Chacun suit alors avec anxit ses mouvements au rara, du Touat et du Tidikelt est assez curieux pour que
moyen des deux cordes qui vont au fond du puits; on nous en donnions rapidement une description ici. Les
oasis sont places sur des pentes reliant les bas-fonds de
juge de l'instant o il est arriv, il travaille, il a rempli
le couffin, il remonte.... Il y a dj trois minutes et grands bassins ou chotts avec des plateaux suprieurs.
quelques secondes; enfin il apparat, on le saisit moiti Ces chotts sont probablement d'anciens lits de lacs ou
tangs ayant servi de rceptacles aux dernires eaux di asphyxi et tourdi, on le soutient dans l'eau afin qu'il
luviennes. Les sables pousss par les vents ont raccord
respire quelques instants, puis on le retire en le complimentant. Le couffin plein de sable est enlev, et invaria- les berges de ces chotts avec les bas-fonds. Les habitants
blement on flicite celui qui l'a si bien rempli. Pendant des oasis ont creus des puits sur les plateaux suprieurs
ce temps, il va rchauffer ses membres et ses poumons et ont amen l'eau par des conduits souterrains sur les
auprs d'un bon feu, et attendre que son tour revienne. points de ces pentes places un niveau infrieur celui
Nous avons suivi avec le plus vif intrt le travail de l'eau des puits des plateaux, et ont ainsi obtenu de
excut ainsi par diverses brigades de kertassa. Nous vritables ruisseaux.
Ordinairement on creuse sept huit puits sur le plaavons remarqu que les jeunes de chaque brigade sont
teau, ct les uns des autres, et on les relie ensemble
forts et vigoureux, mais les vieux sont des squelettes.
Comme dans tout, l'habitude forme les plus habiles, et au moyen de conduits souterrains. Chacun de ces puits
les vieillards sont ceux qui restent le plus longtemps devient une source. Il faut ensuite amener le dbit total
sous l'eau et semblent le moins souffrir de cet asphyxiant sur les pentes de la berge. pour cela, on creuse de dix
voyage aquatique. Les plus jeunes descendent et re- en dix mtres et suivant la ligne de la plus grande pente
montent plus vite; ils sont plus forts, mais leurs mouve- un puisard servant de regard, dont on relie le fond avec
ments htifs les essoufflent plus vite. Il nous est arriv celui du prcdent par un conduit souterrain pour les
eaux. La profondeur des puisards diminue mesure que
plusieurs fois de les voir revenir la surface le visage
ple, malgr leur couleur de caf brl, le sang sortant l'on descend vers le chott, jusqu' ce que l'eau arrive
de leurs oreilles, du nez et de la bouche ; les vieux les ainsi au niveau du sol o des rigoles vont la distribuer
grondaient alors et leur reprochaient leur prcipitation, aux palmiers.
Tout un systme pareil porte le nom de Feggara.
qui avait activ le besoin de respirer. Nous avons conIl n'est pas rare de voir une Feggara compter jusqu'
stat que les pulsations du cur taient profondment
modifies par chaque immersion ; pour l'un d'eux, nous cent vingt et cent cinquante puits. A Timimoun leur
avons compt quatre-vingt-six battements la minute moyenne compte trente-cinq quarante puits. Dans
avant l'opration, et son retour, nous n'en avons re- l'Aouguerout, elle est de soixante-dix environ. Si l'on
compte pour l'Aouguerout, que ce petit groupe d'oasis
trouv que cinquante-cinq.
Chaque brigade de kertassa comprend de six huit possde lui seul une soixantaine de Feggara, on verra
hommes. Leur travail est pay raison de cinquante que les puits creuss se dnombrent par milliers.
centimes par couffin rempli. Chaque plongeur n'enlve
Ce nom de Feggara a donn lieu une lgre erreur
gure que cinq ou six couffins au plus dans sa journe. de traduction dans l'excellent ouvrage de M. le gnral
Les puits ont gnralement besoin d'un curage tous les Daumas, le Voyage au pays des ngres. L'auteur raconte
trois ou quatre ans. On en retire en moyenne 250 qu'arrivs l'Aouguerout les gens de la caravane du
Soudan allrent boire An-El-Fankkara ou Fekkara, la
300 couffins de sable.
Les kertassa sont chargs aussi de rparer les puits; fontaine des pauvres. Il nous a t facile de nous con-
li':^li^ nll^;
LE TOUR DU MONDE.
188
vaincre sur les lieux qu'il n'y a pas de fontaine des pauvres et que la caravane du Soudan a d boire comme
nous la source d'une Feggara, au point o l'eau arrive
couler ciel ouvert et que l'on nomme
An-El-Feggara.
XI
Notre sjour Ouargla dura une quinzaine de jours, qui s'coulrent rapidement au milieu d'occupations et d'tudes
varies, malgr les inconvnients d'une
installation de bivac sous un ciel embras et humide tout la fois. Le basfond dans lequel est situ Ouargla est un
de ces immenses lits de rivire comme
on en rencontre tant dans le Sahara et
qui sont dus probablement des mouvements d'eaux diluviennes. La largeur de
l'Oued-Ouargla est de trois quatre
lieues; des dunes de sable recouvrent en
grande partie le bas-fond. et l se
trouvent d'immenses lits de daya fonds salins
stamment humides; l'air est toujours imprgn
peurs. Des nues de moustiques voltigent de tous
cts et martyrisent surtout les trangers ; le drinn
et le bois, communs dans
l'oued, font totalement dfaut jusqu' une distance
de quatre cinq lieues des
palmiers cause de la consommation journalire des
habitants de l'oasis et des
caravanes. Nous fmes obligs d'envoyer nos chameaux
sous une garde particulire six lieues au sud dans la
rivire. Tous les quatre jours on amenait
ces animaux pour les abreuver, et ils nous
apportaient en venant les provisions de
bois pour nos cuisines et les fourrages
pour nos chevaux.
Nous ne tardmes pas ressentir les
effets du climat meurtrier dans lequel
nous vivions. Des fivres se dclarrent
parmi nos convoyeurs, surtout parmi ceux
des tribus campes ordinairement dans
les hauts plateaux. Les coups de vent
nous amenant des tourbillons de sable
furent aussi la cause de nombreuses maladies d'yeux. Il nous fut facile de comprendre combien il serait important qu'un
mdecin ft toujours attach ces petites
colonnes dans le sud. Malgr l'imperfection de notre science mdicale et l'exigut de nos moyens curatifs, les indignes n'avaient
confiance qu'en nous pour leurs maladies. Nous fmes
usage d'une soixantaine de grammes de sulfate de quinine et nous emes la consolation de ne perdre aucun
Prisonniers (chefs arabes et ngres) dans le bordj du kaid de Ouargla. Dessin de M. Vlfred Couverchel.
190
LE TOUR DU MONDE.
XII
Des sept oasis qui font partie du district d'Ouargla,
N'goussa est la plus importante ; elle est aussi la plus
loigne du chef-lieu, dont la spare une distance de
cinq six lieues, tandis que les palmiers des autres
sont contigus ceux d'Ouargla. N'goussa tait autrefois
comme Ouargla un royaume, et si notre mmoire ne
191
LE TOUR DU MONDE.
lges de la couronne n'taient point autrefois une fiction. p aient cause du rhamadan. Nous n'avions pas les
Chaque fois que le Babia rgnant montait cheval et mmes raisons d'abstention et notre route matinale
dpassait la ligne des palmiers, il avait droit une rede- nous avait affams; aussi fmes-nous les plus grands
vante assez considrable pour ses frais
honneurs au repas de notre amphitryon.
d'excursion; quand il paraissait en pu-
= = ^--__ Parmi les galanteries dont nous fmes
l'objet, je ne veux pas oublier celle de
blic il avait sa garde d'honneur et sa
l'offre d'une vritable bouteille de bor
musique. Tout change ici-bas; un beau=
-_
deaux; rien qu'une, il est vrai, retrouve
jour le souverain, un Babia, je ne sais - =
=
au
fond des archives du garde-meuble
quel numro, se rveilla simple cad de
dans
une peau de bouc ayant servi . conpar l'autorit franaise et apprit que son
-- -
tenir
du beurre rance. Cependant le conroyaume tait englob dans 1 aghalik
1
tenu
de
la bouteille ne se ressentait nuld'Ouargla. Mais peu lui importait, il res
? > =^ -<-=
;.:
..'
;
>:;',,;v
,
lement
du
mode particulier de mise en
tait le premier de l'oasis, et chez les Ara ` `'
.;,.-._:
,^,;:cave.
Nous
tions huit Europens, tous
bes le premier est toujours sultan._
;
="
':
militaires
ou
artistes
qui n'aiment gure
Le cad actuel Bahous-Ben-Babia nous s;'
ti . , " boire dans des ds coudre, surtout
a paru fort peu soucieux de la couronne i^'' . ;^^ `' '`*^
au pays de la soif :une bouteille pour
de ses anctres et trs-jaloux de son titre
p y
A
huit, c'tait modeste ; mais outre que
de cad. Il jouit d'un embonpoint remar-
l
+
"J nous n'aurions jamais os compter sur
quable qui semble tmoigner du calme
= i
goussa, nous
une pareille aubaine 'a N'goussa,
de ses passions et de sa conscience.
Marabout de Sidna-No, a N'goussa.
Lors de notre visite, il vint au-devant Dessin de M. de Lajolais. emes la consolation de nous donner
de nous avec sa musique et ses sujets en armes. Nous de cette exigut une explication sinon vraie, du moins
fmes rgals de tous les exercices pdestres de sa po- saine au point de vue historique, et laquelle nous
tions loin de nous attendre.
pulation noire. Tambourins et
Aprs le djeuner, pendant que
musettes taient infatigables.
toute notre escorte musulmane
Pendant prs d'une lieue les
se livrait aux douceurs de la
fantasias pied et les danses ne
sieste , nous allmes parcourir
discontinurent pas. A notre arles jardins et nous fmes une
rive prs des portes de la ville
trouvaille inespre, une koubba
les you-you glapissants des femdlicieuse , dans une position
mes accourues en foule sur les
charmante, et ddie Sidnaterrasses occasionnrent un acNo, notre seigneur No. Ce
cs frntique chez les danseurs
respect des anctres nous meret les hommes de poudre. Ce fut
veilla;
le bordeaux aidant, nous
une immense clameur de tambours, de cris, de musique, de dtonations. Bahous-Ben- nous rappelmes que Sidna-No planta le premier la
Babia tait rayonnant. Quant notre jeune bath agha, vigne, et but de son vin, qu'il en but mme trop certain
jour, ce qui aurait pu nous arriver si le
Sid-Bou-Beker, il y avait dans ses traits
cellier du cad nous l'avait permis : de l
une expression indfinissable. Affectant un
une explication plausible de la parcimocalme plein de dignit, on sentait bouil
nie de Bahous-Ben-Babia, dont nous
lonner son impassibilit. Mont sur un
nous fmes part, notre commune satisde ces magnifiques coursiers du sud dont
faction.
les grandes familles seules ont conserv
la race pure, son regard calme et souXIII
riant planait autour de lui, pendant que
Nous n'avons rien dit encore des
son cheval se cabrait furieux, mais mainmoeurs et coutumes des habitants d'Ouartenu par un poignet de fer.
gla, et si nous avons rserv jusqu'ici
Notre entre dans la ville se fit solennellement.
nos apprciations, c'est pour suivre les
rgles de l'ordre chronologique. Ce traAprs avoir parcouru une assez lonvail est d des notes prises journellegue rue arcades transversales, que
ment sur les lieux, et nous avions atnous appelmes rue de Rivoli, nous
tendu dans ces notes d'avoir bien vu et
arrivmes au chteau des Souverains.
bien tudi pour nous prononcer en conBahous-Ben-Babia nous fit les honneurs
naissance de cause.
de son palais avec une courtoisie muette
disant
La
population
d'Ouargla
provient d'origines diverses.
pleine de charmes, veillant tout quoique ne
rien.
On peut distinguer quatre races distinctes : les Arabes,
Une diffa copieuse nous attendait. Les Arabes je- les Mozabites, les Aratins et les ngres.
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192
LE TOUR DU MONDE.
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V. COLOM1EU.
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194
LE TOUR DU MONDE.
XIII
Quelques indignes font du vin de palmier. Le procd
consiste enlever, au sommet d'un palmier mle, le
chou, c'est--dire le coeur qui tend faire grandir
l'arbre. On opre une vritable dcapitation. Tout autour
de la section horizontale ainsi obtenue, on fait, avec de
la glaise, un bourrelet ayant une gouttire par oit la sve
qui arrive sous forme liquide est dverse dans un vase
suspendu ct. Un palmier peut donner ainsi, chaque
jour, plusieurs litres de vin. Au moment o cette liqueur
est recueillie, elle est blanchtre et ressemble du lait
tendu d'eau; le got est analogue celui de l'orgeat.
Quelques heures suffisent, quand il fait chaud, pour
amener la fermentation, et donner alors un liquide aigrelet possdant de grandes qualits alcooliques et produisant l'ivresse. Les indignes fabriquent aussi du miel de
dattes ; le procd consiste placer des dattes fraches
et molles dans un panier, d'o dcoule naturellement une
liqueur visqueuse qui a tout fait l'apparence et le got
du miel des abeilles.
Les hommes seuls sont admis au travail des palmiers
et des jardins. Les femmes sont charges des soins intrieurs et du tissage des toffes. Les caravanes qui viennent acheter les dattes emportent peu d'argent monnay,
mais des denres d'change, crales et laines; ces laines
sont ouvrages par les femmes, qui non-seulement fournissent ainsi aux vtements de la famille, mais produisent encore des vtements pour la vente , que les
caravanistes achtent et exportent. Le M'zab commerce
aussi sur ces tissus, qui consistent en burnous, habayas,
charchias, haks. Quelques Mozabites sont tanneurs et
apprtent les peaux de mouton que leur vendent les nomades; ils fabriquent aussi des sandales, des dessus de
selle, des cartouchires, des bottes arabes, des souliers, etc. En rsum, les occupations de la majorit des
habitants consistent en travaux de culture qui sont peu
de chose et laissent de grands loisirs une population
que le climat dispose dj la paresse. Aussi le farniente
est-il l'tat normal de la cit, surtout pendant l't et
pendant le rhamadan. A l'poque de notre voyage, commenait la floraison des dattiers ; le seul travail agricole
consistait dans l'arrosage, c'est--dire la distribution de
l'eau des rigoles intarissables et la fcondation artificielle
des arbres. Le repos le plus absolu semblait planer sur
l'oasis. Pendant le jour, les couloirs sinueux de chacune
des portes de la ville, couloirs pleins de recoins munis de
1. Suite et fin. Voy. pages 161et 177.
(Suite.)
larges bancs de pierre, taient garnis d'oisifs et de dormeurs, qui venaient chercher l une obscurit prcieuse
et un faible courant d'air. Dans les fourrs des jardins,
l'ombre des koubbas, sur les revers des dunes abrites
du soleil, ngres et aratins faisaient une sieste continuelle, oubliant ainsi les tiraillements du jene ; les
femmes dormaient dans les maisons, dont toutes les
portes restaient closes pendant la chaleur.
Dans notre camp, l'immobilit tait presque complte ; on y respirait le sommeil. Tout notre monde ne
se rveillait qu' la tombe du soleil. En ce moment les
feux s'allumaient et les impatiences commenaient; chacun attendait le signal du muezzin de la colonne, dont
l'appel la prire du soir, prire du maghreb, indiquait la fin du jene de la journe. A sa voix, les affams, les altrs, les fumeurs se htaient de prendre qui
sa bouche, qui sa gorge, qui sa bouffe, comme premier acte de la libert de satisfaire ses apptits. Les
hommes graves et jaloux de leur dignit reportaient
leur pense vers le Dieu de l'islam, et avant de rompre
le jene s'inclinaient avec une fire ostentation . pour
la prire. Aprs le premier repas du soir, nous arrivaient de nombreux visiteurs d'Ouargla; les groupes de
fumeurs se formaient en divers points ; les joueurs de
flte attiraient les chanteurs, et bien souvent les danses
s'organisaient; les Vestris de renom taient recherchs,
on les accueillait avec enthousiasme, on les poussait au
centre des groupes en leur mettant un sabre la main,
et pendant qu'ils trpignaient un pas la fois guerrier et
lascif, on les excitait en chantant et battant des mains en
cadence. La nuit se passait ainsi en jeux, en ftes et en
visites. A Ouargla et dans les oasis de l'Afrique centrale,
l'habitude de faire de la nuit le jour, et inversement, n'est
point seulement particulire l'poque du rhamadan,
mais toute la saison de l't. Pendant les grosses chaleurs, tout dort le jour, et ce n'est que le soir que le
mouvement se fait. On va courir alors les jardins pour
voir l'arrosage et humer le frais ; les femmes sont de la
partie, les groupes voisins se rejoignent et des cris joyeux
volent dans les airs de tous cts. Les ris et les danses se
prolongent assez avant dans la nuit; puis tout ce monde
se dispose aller dormir au frais, les riches et leurs
femmes sur leurs terrasses, les ngres et aratins sur le
sable dans les jardins, porte de leurs travaux. Le calme
rgne alors jusqu' l'appel matinal du muezzin : les
hommes profitent de la fracheur matinale pour vaquer
leurs affaires, pendant que les femmes ont repris leurs
LE TOUR DU MONDE.
195
1. MM. de Lajolais et Couverchel, qui ont pass toutes les journes fouiller le
ksar, pntrant partout, devinant tout, mme ces intrieurs
iusqu'ici impntrables, ont
rencontr l'accueil le plus sympathique et le plus dsint-
XIV
196
LE TOUR DU MONDE.
charg de reprsenter le chrif, et lui donna les instructions voulues pour la rsistance factice qu'il devait
opposer ; on l'entoura, comme l'tait le chrif, de ngres, de Touaregs, etc. Tout tant dispos, l'attaque
eut lieu. Le groupe du chrif fut poursuivi, cern, et on
se jeta sur le chef pour le faire prisonnier. Fidle la
consigne donne, le chrif fictif
fit semblant de rsister; en un
clin d'oeil on le saisit, on le terrassa, et alors, pour de bon, chacun le gratifia d'un vrai coup de
poing, de bourrades, de coups
de plat de sabre, au milieu d'clats de rire fous. En vain le
malheureux se dbattait contre
l'avalanche, criant : a Assez 1
assez! u les coups pleuvaient toujours et les rires continuaient,
jusqu' ce qu' la fin il se mit hurler qu'il n'tait pas
le chrif et qu'il demandait grce. On le laissa, il tait
moulu. Il jura qu'on ne l'y reprendrait plus, mais s'arrta au milieu de son serment en se voyant mettre dans
la main une poigne de douros par M. Couverchel.
tout le monde ; il fut ncessaire de faire usage de nos rserves, et de rationner hommes et chevaux. Des prcautions militaires furent prises pour empcher le pillage
de l'eau par les convoyeurs altrs, mais nos efforts
furent vains pour garder les peaux de bouc; heureusement nos barils nous sauvrent d'un dsastre. Les
peaux de bouc de la rserve, qui conservaient un peu
d'eau , furent enleves en
un clin d'il; on se les disputait, on se les arrachait
malgr nos efforts. Nos barils, trop lourds pour tre
enlevs aisment, purent
tre dfendus. La rpartition se fit ensuite avec calme, et chaque homme put
boire. Les chevaux n'eurent chacun que quinze litres
d'eau, ce qui tait loin d'tre suffisant, mais leur permettait d'attendre au lendemain matin.
Le 31, le dpart du goum eut lieu deux heures du
matin, et sept heures tous nos chevaux taient abreuvs aux premiers puits de Metlili.
Ces quatre jours nous avaient horriblement fatigus ;
nous avions prs de soixante malades dans la colonne ;
il nous tait mort prs de quarante chameaux en rout et
des meilleurs. Cette mortalit devait tre attribue,
d'aprs nos Arabes, aux
eaux d'Ouargla. Outre cette
perte, deux cents chameaux
taient rests en arrire.
L'influence de la maladie
nous poursuivait. Cette influence , aggrave par le
jene, par le soleil et par
notre marche de quatre
jours, menaait de nous encombrer davantage de malades et de nous enlever encore nombre de chameaux.
Aussi, un repos de quatre jours pleins Metlili fut-il
rsolu.
Avec quel bonheur nous retrouvmes nos ombrages
LE TOUR DU MONDE.
197
de leurs plus beaux vtements, leurs chevaux taient richement caparaonns ; chacun allait voir ses amis pour
leur souhaiter une ad-mebrouk, une heureuse fte.
Bientt arrivrent les gens de l'oasis en habits de gala et
arms, avec leurs marabouts leur tte, leurs tendards,
leur musique. Aprs les compliments, les flicitations
mutuelles, un signal donn tout le monde tait cheval et se rangeait pour la fantasia sous les murs de l'oasis
198
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
donnent au petit dsert dans leurs plaisanteries. Nos
tonnelets ne devaient plus nous servir, non plus que nos
peaux de bouc.
Nos savants et nos artistes partirent le 12 avril pour
Birizina, avec Si-Bou-Beker, qui tenait leur montrer
199
son pays et leur faire les honneurs de sa maison, pendant que les spahis et les prisonniers rentraient Gry,
ville par la route de la rivire du Sel, et y arrivaient
le 15, aprs cinquante jours d'absence.
V. COLOMIEU.
r
EXCURSION AUX ENVIRONS DE GONDOKORO,
PAR M.
GUILLAUME LEJEAN'.
1862. -
TEXTE INDIT.
200
LE TOUR DU MONDE.
peuple nomm Legh : c'est tout ce que j'ai pu apprendre. Il est bien difficile d'avoir des informations srieuses
des ngres du Nillaud, et en voici la raison. Dans tout
ce pays il n'y a pas de grands tats : chaque village est
lui-mme un tat indiffrent ou hostile ses voisins.
Gnralement un ngre ne sort de son village que pour
faire la guerre ou ngocier un mariage au village voisin :
aussi ai-je vu une foule de noirs cheveux gris qui
n'taient jamais sortis du rayon de trois lieues au plus
formant la circonscription de leur village. Les seuls voyageurs sont les malfaiteurs chasss de leur zeriba, et
ayant droit, dans chaque village tranger o ils passent,
tre nourris et hbergs trois jours : cet exil est pour
eux un supplice terrible, et il est peu prs le seul, car
:a peine de mort n'existe pas dans les usages du Fleuve
Blanc. Je m'explique toutefois : elle existe en thorie,
mais ne s'applique jamais. Un mari a le droit rigoureux de se saisir du sducteur de sa femme et de le
faire tuer par ses propres parents runis, mais il n'use
jamais de son droit : les parents ngocient une indemnit en btail, et le tout finit le plus souvent par un
banquet o le mari offens prouve sa philosophie en se
grisant avec le pre de sa volage pouse.
La chose se passe moins prosaquement en cas de sduction d'une jeune fille. On runit un conseil de famille, on interroge la coupable et on lui demande le
nom de son complice : en cas de refus elle est fustige
et enferme. Si elle avoue, le complice n'a qu' choisir
entre un mariage de rparation et la fuite : mais il est
rare qu'il choisisse l'exil. Si la jeune fille s'obstine
se taire, elle est chasse au dsert, ou plutt vers cette
lisire de fort qui spare le dsert de la zone cultivable
du fleuve. Elle y mourrait en vingt-quatre heures de
faim ou sous la griffe des lions ou des panthres, si l'amant, averti par la rumeur publique, ne s'empressait de
la rejoindre. Le code de la galanterie indigne veut qu'il
lui construise une hutte, qu'il s'y installe prs d'elle, la
nourrisse et la protge, jusqu' ce que les parents, irrits pour la forme, jugent qu'il a fait un assez rude apprentissage de la vie de mnage, et consentent rgulariser ce qu'ils n'ont pu empcher.
Tout cela m'a men assez loin de Belegnn : aussi bien
n'ai-je plus rien en dire. Je me htai de quitter ces
ngres cupides et inhospitaliers, et j'arrivai sans autre
incident Gondokoro.
G. LEJEAN.
l'histoire des circumnavigations et des dcouvertes gographiques de notre sicle'. Il tait parti avec le titre de
En 1826, le Beagle partit d'Angleterre avec l'Aventure et
explora le dtroit de Magellan, les ctes ouest de la Patagonie, la
Terre de Feu. Les deux navires revinrent en Angleterre vers la
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OVINME Va.r q.)
202
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
d'hostilits funestes l'expdition ou tout au moins
ses travaux.
M. Fitzmaurice a dessin lui-mme la scne trange
que nous venons de raconter, et c'est son dessin, plac
comme frontispice en tte de la narration de ce voyage
crite par le commandant Lord Stockes 1 , qui a servi de
modle notre gravure.
Il ne faudrait rien conclure de ce rcit contre le caractre des habitants indignes de cette partie de l'Australie.
Quelques jours auparavant, le commandant du Beagle
avait rencontr un vieillard, sa femme et leurs quatre
enfants. Sa prsence avait paru leur causer quelque
frayeur. Il tait parvenu les rassurer, et il avait offert
la femme un mouchoir : elle lui avait donn en change
une grande feuille de palmier. Elle portait au cou un
panier, en forme de bouteille, contenant des terres blanche et rouge avec lesquelles les Australiens se teignent le
corps. Elle et son mari n'avaient pas toutes leurs dents :
c'est la coutume d'en arracher plusieurs lors de la crmonie du mariage; mais les dents des quatre enfants
taient au complet. L'an, g d'environ quinze ans,
portait un petit bton travers le cartilage de son nez.
Le vieillard regardait avec une curiosit pleine de bon-
203
homie le costume et les armes de l'officier anglais; il exprima aussi un tonnement naf la vue de la barque et
des rames dont les formes taient si diffrentes des pirogues australiennes ou des bateaux des Malais. Le commandant eut l'ide de le conduire dans sa barque jusqu'au
navire, et dj le vieillard se prtait son dsir, lorsque
les vives prires de sa femme le retinrent au rivage. Le
fils an allait prendre sa place, mais une troupe d'indignes vint passer, et l'un d'eux adressa des paroles
nergiques l'adolescent, qui se retira aussitt prs de
son pre. D'aprs la description que le commandant avait
faite de cet homme, M. Fitzmaurice eut la conviction
que c'tait ce mme sauvage qui avait excit la colre
de ses compagnons contre lui et contre M. Keys.
Les indignes australiens de cette contre sont bien
faits. Ils sont ordinairement nus et ne se ceignent les
reins de branchages que lorsqu'ils vont aux endroits o
ils veulent se mettre en rapport avec les Europens.
Pendant les nuits les plus froides, ils se couchent sous
le sable, d'o l'on est trs-tonn de les voir sortir le
matin. Parmi leurs instruments de musique, la narration du Beagle signale une sorte de flte dont ils jouent
avec le nez et qu'ils appellent ebroo.
E. C.
DE LA
SIBRIE.)
I
Dpart de Kouia. Orage. L'le Varandei. L'le Dogat. L'le 'Vaigatz. Samoydes. La mer de Kara. Iles et montagnes
de glaces. Chocs. L'Iermak et l'Embrio emprisonns. Dangers; preuves. Anniversaire de la fondation de la Russie.
204
LE TOUR DU MONDE.
entre eux les glaons. La brise tait frache, et la golette marchait trs-vite. Il n'y eut pas cependant de
choc trop rude, et au bout d'une heure les deux navires
se retrouvrent dans la mer libre.
Deux heures plus tard, nouvelle banquise; la nuit
s'avanait, mais le mouillage tait pris, il valait mieux
passer la nuit l'abri qu'au milieu de tous ces lots en
mouvement : les succs prcdents enhardissaient d'ailleurs.
La golette et l'Embrio entrrent rsolment dans le
premier canal qui se trouva devant eux. Le vent tait
fort, on avait diminu de toile autant que possible. Cependant les navires marchaient toujours trs-vite, et si
l'on vitait les grosses glaces on abordait souvent les petites. Il y eut de rudes chocs. Deux fois la golette s'arrta court, tressaillant dans toute sa membrure, puis elle
reprit sa course. L'Embrio, plus petit, suivait sans trop
d'obstacles le chemin ouvert. Aprs une heure et demie
LE TOUR DU MONDE.
205
206
LE TOUR DU MONDE.
degrs Raumur. Une forte rfraction levait les montagnes de glace des hauteurs fabuleuses et leur donnait
les aspects les plus fantastiques : chteaux et forteresses
avec donjons et clochers, immenses palais d'albtre surmonts de coupoles et de minarets. Les glaces commencrent emprisonner la golette, il fallut l'entourer de
pices de bois pour la dfendre; une petite clairire restait encore par le travers o la chaloupe tait flot; elle
se ferma bientt et l'embarcation fut mise sec : la
golette tait compltement prise.
Il y avait de grandes flaques d'eau souvent profondes
sur les glaces qui l'entouraient, elles furent utilises par
l'quipage : dans l'une on allait laver le Linge, dans
l'autre les matelots faisaient leurs ablutions du matin,
une troisime fournissait l'eau pour la cuisine.
Le calme continuait; le matin on aperut pour la dernire fois l'Embrio pris aussi dans les glaces deux ou
trois milles plus terre. Toutefois ce btiment russit
se dgager et rentra Kouia le 13 septembre. Son capitaine, le courageux Korotki, raconta qu'aprs avoir
t envelopp pendant trois jours par la brume, il ne
revit plus la golette. Plusieurs fois enclav dans la banquise, il russit toujours s'en dgager et gagna le dtroit de Vaigatz o il attendit pendant deux semaines le
retour de son commandant; n'apercevant rien, il expdia sur des traneaux plusieurs hommes de son quipage,
qui parcoururent la cte jusqu' la rivire de Kara sans
recueillir aucun renseignement. Son navire tait gravement avari, il ne lui restait que pour deux mois de
vivres. Aprs avoir signal aux Samoydes de la cte la
prsence de l'Iermak dans les glaces de la mer de Kara
et leur avoir fait promettre de lui porter tous les secours
en leur pouvoir, il se dcida retourner Kouia.
Mais revenons la golette immobile au milieu de la
banquise. Elle ne l'tait que par rapport aux glaces qui
l'environnaient, car la sonde, par la direction de la ligne
LE TOUR DU MONDE.
207
golette reut deux chocs violents; au second sa sousbarbe en chane se rompit. On dbarqua la hte des
provisions et chacun se prpara quitter le navire ; les
embarcations avaient t hales sec. Toutefois, le
mouvement s'arrta et le dchargement fut suspendu.
La profondeur tait descendue` cent douze brasses, on
208
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE
209
Traverse d'un chenal d'eau libre sur un fragment de glace (voy. p. 21.4).
DE
LA SIBRIE.)
(Suite.)
14
210
LE TOUR DU MONDE.
II
RECIT DU LIEUTENANT KRUSENSTERN.
L'quipage abandonne la golette l'[ermack dans les glaces. En
route on abandonne aussi la chaloupe et les traneaux. Prire.
Le forgeron Sitnikov. Accident. Clairires. Navigation sur des morceaux de glace. Vue de la terre. Morses.
La faim. Espoir tromp. Les tombeaux. Un renard.
Vol. Le matelot I'onowa. On atteint la terre. Tente
des Karachins. Hospitalit de Setch-Sirdetto, Le fleuve Obi.
Le chef Egor. Obdorsk. Tempt de neige. Retour
Kouia.
212
LE TOUR DU MONDE.
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214
LE TOUR DU MONDE.
215
LE TOUR DU MONDE.
camarade. Celui-ci, plantant ses dfenses dans la glace, souffrant d'une violente douleur d'estomac, parlait de
commena escalader notre lot dj surcharg. Notre sa mort prochaine durant toute la journe du 11; il
avait vomi sur la route et il avait fallu son nergique
position tait critique si deux ou trois nous eussent assaillis la fois, notre glaon et certainement chavir volont pour traner son corps malade jusqu' la troiou coul; je pris une carabine et russis loger une sime tape.
Le 12 septembre, au jour, je grimpai sur le sommet
balle clans l'oeil du monstre; le morse lcha prise et
de notre glace; la mer tait libre autour d'elle; dans la
tomba l'eau, les autres disparurent.
Nous avanmes sur l'eau, o, sur la glace jusqu' 'nuit le vent avait pass l'est et soufflait assez fort. A
huit heures du soir, l'obscurit nous fora de nous ar- huit heures, une brume paisse nous enveloppa. L'rter, et nous campmes sur une grosse glace qui tait quipage perdait toute esprance et tomba dans une dchoue, mais tournait sur elle-mme; la sonde donna moralisation complte. Nous tions silencieusement asonze brasses. La cte tait sept ou huit verstes. Nous sis sur nos sacs onze heures, au changement de mare;
commenmes ressentir les douleurs de la faim; nous les glaces revinrent; l'une d'elles passa prs de nous;
n'osions manger que trs-peu; les vnements de la nous y abordmes successivement l'aide de la ligne de
sonde et d'un petit glaon. Tchernousov et moi, rests
journe nous avaient prouv que nous pouvions encore
longtemps rester sur la glace; le froid nous rveillait les derniers, faillmes tre spars pour toujours de nos
compagnons. Le transbordement avait dur longtemps
chaque instant; nos forces diminuaient rapidement.
M. Maticen, n'ayant rien mang depuis deux jours, et et la glace allait toujours, quand le glaon revint pour
216
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
217
us des tentes qu'au moment o ils escaladrent la hauteur. Ds que les Karachins les virent approcher, ils
coururent de tous cts pour runir leurs rennes et fuir
avec eux; mais on ne leur en donna pas le temps.
Pankrator et les siens se mirent courir malgr leur
faiblesse et purent les rejoindre temps. Par signe, il
leur ordonna d'atteler trois traneaux et d'aller la mer
notre rencontre, ce qui fut excut immdiatement
avec beaucoup de bonne volont. Ces traneaux nous
rencontrrent mi-chemin, et je puis vous avouer que
jamais je n'ai fait sur un vhicule de ce genre course qui
me ft plus agrable.
Ce fut une chance trs-heureuse pour nous d'avoir atterri comme nous l'avions fait. Quoiqu'il y et quelques
autres tentes sur cette cte, comme nous l'apprmes plus
tard, elles taient peu nombreuses et plus avances dans
l'intrieur; nous aurions eu peut-tre encore dix ou
quinze jours de marche avant de trouver une habitation,
218
LE TOUR DU MONDE.
tempte de neige qui manqua de nous engloutir; pendant sept heures je dsesprai de notre salut. Heureusement le vent diminua, et nous pmes descendre vers la
plaine.
Le 2 novembre, j'arrivai avec tout mon quipage
Yma. Aprs quarante-huit heures de halte, nous partmes, en passant par Tset-Tsilma, pour Kouia, l'embouchure de la Petchora. Je fis faire en ce lieu tout ce
qui tait ncessaire pour l'hivernage de mes hommes
que je laissai sous les ordres du lieutenant, M. Maticen,
auquel j'adjoignis le baron Budberg; puis je me dirigeai
en traneau vers Archangel.
En terminant ce rapport de notre infructueux voyage,
je crois devoir ajouter que la pense que j'avais eue de
retourner vers l'Iermacic en traneau, pour sauver les
instruments, se trouva impossible raliser. La seule
chose que j'aie pu faire a t de dclarer aux Karachins
que, s'il venait terre des objets de la golette, ils
pourraient se regarder comme lgitimes possesseurs de
l'eau-de-vie, de la poudre, du plomb, des effets, et de
tous les dbris du navire; mais que s'ils recueillaient un
coffre renfermant des objets dont ils ne comprendraient
pas l'usage, ils devraient l'envoyer au chef d'Obdorsk,
ce coffre tant la proprit du tzar. Ils m'ont promis de
se conformer mon dsir. Les Karachins sont des hommes loyaux et bons, je ne doute pas qu'ils ne tiennent
parole. Pendant la dure de mon voyage, j'ai recueilli
beaucoup de renseignements sur les moeurs et les coutumes de ces populations, bien moins corrompues que
les Samoydes, du gouvernement d'Archangel , parce
qu'elles n'ont pas encore de rapports avec nos marchands, qui apportent chez ces peuplades la civilisation europenne sous la forme de l'eau-de-vie. Vraisemblablement, avant de longues annes, la richesse
des Karachins, c'est--dire leurs troupeaux de rennes,
aura pass dans les mains des Russes, comme les troupeaux des indignes du district de Mzne sont dj
dans celles des gens d'Yma.
Traduit par H. DE LA PLANCHE.
LE TOUR DU MONDE.
219
AVANT PROPOS.
LE TOUR DU MONDE.
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1. Description du royaume Thay ou Siam,
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II I
LE TOUR DU MONDE.
du Cambodge; ils ont navigu sur le grand fleuve Mkong, l'artre de la grande valle orientale de l'IndoChine, et ont signal la gographie le vaste lac TouliSap et les ruines antiques qui dorment sur ses bords.
L'honneur de relier ensemble toutes ces dcouvertes,
de dcrire, de dessiner ces ruines, de traverser la chane
qui spare les deux bassins du Mnam et du Mkong,
et de remonter ce dernier fleuve jusqu'aux frontires de
la Chine tait rserv un de nos compatriotes, M. Mouhot, choisi pour cette mission par les socits scientifiques de Londres. Il a pay cet honneur de sa vie, et
221
nous remplisons tout la fois un devoir envers sa mmoire et un vu de sa famille en offrant nos lecteurs
la primeur du journal de voyage et du portefeuille vraiment artistique de ce jeune et regrettable savants.
I
La traverse. Premier coup 'd'oeil sur le royaume de Siam
et sur Bangkok la capitale.
La barre du Mnam, vue prise du pont du Kusrovie. Dessin de Sabatier d'aprs M. Mouhot.
assez difficiles. Enfin, j'arrivai Singapoure le 3 septembre. Je n'y fis qu'une courte halte pour m'orienter sur les pays que j'allais visiter. Le 12 du mme
mois, aprs une traverse bien monotone dans le large
golfe qui spare l'lndo-Chine en deux pninsules, nous
arrivmes la barre de Siam. Le Mnam, fleuve qui
traverse la ville de Bangkok, est obstru son em-
Sucrerie de paklat sur le bras du Mnam qui conduit Bangkok (voy. p. 222). Dessin de Sabatier d'aprs M. Mouhot.
bouchure par un vaste banc de sable qui barre le passage aux navires d'un fort tonnage, et c'est huit
ou neuf milles, dans le golfe et avec des frais assez
considrables, qu'ils doivent oprer une partie de
leur dchargement, s'ils veulent remonter jusqu' la
capitale. Le ntre ne tirant que douze pieds d'eau,
'passa sans grandes difficults et vint jeter l'ancre
Paknam, en face de la demeure du gouverneur chez
lequel le capitaine et moi nous nous rendmes aussitt,
afin d'obtenir la permission de poursuivre notre route.
Cette formalit remplie, je m'empressai de visiter les
forts, le march et quelques rues de la ville. Les premiers sont construits en briques et crnels. Paknam
est le Sbastopol ou le Cronstadt du roide Siam; cependant je crois qu'une escadre europenne s'en rendrait
facilement matresse, et que son chef, aprs y avoir djeun, pourrait le mme jour aller dner Bangkok.
Sur un petit lot, au milieu de la rivire, s'lve une
pagode fameuse et d'un travail remarquable; elle con1. L'dition anglaise . que prpare Londres l'diteur John
Murray, pour la fin de cette anne, formera un volume grand in-8
illustr avec les gravures mmes de notre recueil.
222
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
223
pes sur ce point du globe, le son incessant des instrumen! s de musique et le bruit des reprsentations scniques, tout cet ensemble est, pour l'tranger, un spectacle
aussi nouveau qu'agrable au premier abord.
En outre ici, autre impression trange; pas de bruit
de voiture ni de chevaux; pour vos affaires ou vos plaisirs, vous tes oblig de descendre ou remonter la rivire
en bateau. Bangkok est la Venise de l'Orient; on n'y
entend que le bruit des rames, celui des ancres, le chant
des matelots ou les cris des rameurs qu'on nomme Cipayes. Le rivire tient lieu de cours et de boulevards,
et les canaux remplacent les rues. Un observateur n'a
de choix dans ce pays qu'entre deux positions; s'accouder sur son balcon, ou glisser mollement sur l'eau,
couch au fond de son canot.
Henri MOLHOT.
(La suite la prochaine livraison.)
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Portail de la grande pagode de Wat-Chan, Bangkok. Dessin de Thrond d'aprs une photographie.
LE TOUR DU
MONDE.
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II
Population de I'.angkok. Les Siamois. Hommes, femmes, enfants, Esprit de famille. tranges contrastes. Superstitions.
Bangkok, ville toute moderne, a succd comme capitale du royaume de Siam deux autres cits qui, ellesmmes, ne remontent pas une haute antiquit: Ajuthia
et Nophabury. En hritant de leurs prrogatives, elle a
J. Suite. Voy. page 219.
15
226
LE TOUR DU MONDE.
thia, qui a t, plusieurs reprises, prise et pille par ques, il faut se dcouvrir; les premiers fonctionnaires
les Pgouans et les Birmans. Belle ! elle a certaine- de l'Etat sont alors tenus de fermer leurs parasols,
ment droit cette pithte quand, vue du milieu du ou tout au moins de les incliner respectueusement du
fleuve, elle tale aux regards ses palais et ses temples; ct oppos la demeure sacre; les innombrables
mais elle la perd rapidement ds qu'on pntre dans les
rameurs des milliers de barques qui montent ou desruelles fangeuses, dans les mille canaux secondaires, cendent le fleuve doivent s'agenouiller, tte nue, justroits et nausabonds qui dcoupent ses lots chargs de qu' ce qu'ils aient dpass le pavillon royal, le long
huttes sales et misrables, blessant l'oeil autant que l'oduquel des archers, arms d'une sorte d'arc qui ddorat. Quant la population de cette royale cit, po - coche fort loin des balles de terre fort dure, se tienpulation dont il est presque
nent en sentinelles, pour
impossible de savoir le chiffaire observer la consigne
fre exact, vu l'imperfection
et chtier les dlinquants.
des recensements orienAjoutons, comme dernier
taux, mais qui grouille certrait, que ce peuple, toutainement, au nombre de
jours plat ventre, dont
trois ou quatre cents milun grand tiers au moins, la
liers de cratures, dans un
moiti peut-tre, si l'on en
espace o cinquante mille
excepte la colonie chinoise,
Franais auraient peine
est esclave de corps et de
se mouvoir et respirer,
biens, se donne luibien loin de rappeler en
mme le nom de Thai, qui
quoi que ce soit le type
signifie hommes libres!!!
anglique, tel du moins
La population du royauque nous nous le reprsenme de Siam s'lve, suivant
tons d'aprs les traditions
Mgr Pallegoix, six milartistiques et religieuses ,
lions , quatre et demi
elle forme certainement un
seulement, suivant sirBowdes groupes sociaux les plus
ring; mais, quel que soit
nervs au physique et au
son chiffre, elle n'est pas,
moral qui existent sur ce
beaucoup prs, homogne.
globe sublunaire.
Une colonie chinoise, trsPendant de longues anrespectable dans ce pays,
nes j'ai sjourn en Rusen forme au moins un cinsie ; j'y ai t tmoin des
quime; deux autres cineffets affreux du despotisme
quimes sont composs de
et de l'esclavage. Eh bien.!
Malais, de Cambodgiens, de
ici j'en vois d'autres rsulLaotiens, de Pgouans, etc.
tats non moins tristes et dLes Siamois proprement
plorables. A Siam, tout indits comptent donc peine
deux millions. Chaque pofrieur rampe en tremblant
devant son suprieur, ce
pulation a ses usages, ses
n'est qu' genoux ou promoeurs elle; et bien que
toutes appartiens nt cette
stern et avec tous les signes
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branche du tronc humain
de la soumission et du resque les classificateurs appect qu'il reoit ses ordres.
pellent larace mongole, touLa socit tout entire est
tes ont un type propre. Les
dans un tat de prosternaSiamois se reconnaissent
tion permanente sur tous
Jeune prince royal wuy. p. aae) . Dessin de E. Bucourt
d'aprs une photographie.
sans peine leurs allures
les degrs de l'chelle sociale : l'esclave devant son matre, petit ou grand,
molles et paresseuses, leur physionomie servile. Ils ont
celui-ci devant ses chefs civils, militaires ou religieux, presque tous le nez un peu camard, les pommettes des
et tous ensemble devant le roi. Le Siamois, si haut joues saillantes, l'oeil terne et sans intelligence, les naplac qu'il soit, ds qu'il se trouve en prsence du
rines largies, la bouche trop fendue, les lvres ensanmonarque, doit demeurer sur ses genoux et sur ses glantes par l'usage du btel, et les dents noires comme
coudes aussi longtemps que son divin matre sera vi- de l'bne. Ils ont tous aussi la tte compltement rase,
sible. Le respect au souverain ne se borne pas sa
l'exception du sommet, o ils laissent crotre une espersonne, mais le palais qu'il habite en rclame une
pce de toupet. Leurs cheveux sont noirs et rudes, ils
part; toutes les fois qu'on passe en vue de ses porti- figurent assez exactement la brosse ; les femmes portent
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LE TOUR DU MONDE.
le mme toupet, mais leurs cheveux sont fins et tenus
soigneusement. On regrette, les voir, qu'elles les rasent impitoyablement ds leur naissance. Le costume des
227
Types siamois : Femmes de Bangkok._ Dessin de E. Bocourt d' aprs une photographie.
228
LE TOUR DU MONDE.
resses aux enfants. Qu'il arrive un malheur un membre de la famille, frre, cousin, etc., tous les parents
l'envi viendront s'unir, se cotiser, pour prvenir l'accident, s'il en est temps encore, ou pour l'allger, dans
le cas contraire. Il m'est arriv vingt fois d'entrer dans
une case d'esclaves, ou dans le palais du premier ministre, de prendre un enfant sur mes genoux et de le
caresser; aussitt je voyais la joie se peindre sur le visage du pre et de la mre; tous deux me remerciaient
avec effusion : Kopliai, hopliai, merci, merci, me rptaient-ils, et, une autre fois, si je passais devant leur
demeure, Viens donc chez nous, tranger, e me criait
la mre. Ces petits dtails indiquent clairement, il me
Portail de la salle d'audience au palais royal de Siam. Dessin de Thrond d'aprs une photographie.
semble, que ce peuple a du ceeur; et si, un jour, il s'claire et se civilise notre contact, il retrouvera, j'en
ai la conviction, ses autres facults intellectuelles, qui
ne sont qu'endormies.
Enfants du berceau jusqu' la tombe, les Siamois
adorent les bijoux, n'importent les quels, vrais ou faux,
pourvu qu'ils brillent; ils couvrent leurs femmes et leurs
enfants d'anneaux, de bracelets, d'amulettes et de plaques d'or ou d'argent; aux bras, aux jambes, au cou,
aux oreilles, sur le torse, sur les paules, partout o il
peut en tenir, on est sr d'en trouver. J'ai vu un charmant enfant de six huit ans, fils du roi, si charg de
ces objets, de clinquant et de broderies en pierres fines,
229
LE TOUR DU MONDE.
libert pour cause de dettes, et dont les services acquis
leurs cranciers sont supposs payer les intrts de la
somme due ; 3 enfin les esclaves non susceptibles de
rachat. Cette dernire classe, le caput mortuum de la
misre, est entirement recrute d'enfants vendus par
leurs parents la suite de procs, de gne ou de famine,
et qu'un contrat crit met corps et me la disposition
de l'acqureur.
Nous trouvons dans Pallegoix (t. I, p. 234) un spcimen d'un contrat de ce genre ; le voici : a Le mercredi, sixime du mois, vingt-cinquime jour de la lune
de l're 1211, moi, le mari, accompagn de Mme Kol,
l'pouse, nous amenons notre fille Ma pour la vendre
Les gardiens de la porte de .a salle d'audience, statues en granit (voy. p. 231). Dessin de n. Clerget d'aprs une photographie.
230
LE TOUR DU MONDE.
III
231
LE TOUR DU MONDE.
232
LE TOUR DU MONDE,
Bouddha dormant, longue de cinquante mtres, et parfaitement dore; dans celle de Borovanivet on a employ en feuilles d'or (pour les dorures seulement)
plus de quatre cent cinquante onces d'or. Une pagode
royale est un grand monastre o logent quatre ou cinq
cents talapoins avec un millier d'enfants pour les servir.
C'est un vaste terrain, ou plutt un grand jardin, au
milieu duquel s'lvent quantit de beaux difices, sa-
voir: une vingtaine de belvdres la chinoise, plusieurs grandes salles ranges sur les bords du fleuve,
une grande salle de prdication, deux temples magnifiques, dont l'un pour l'idole de Bouddha, l'autre pour les
prires des bonzes; deux ou trois cents jolies petites
maisons, partie en briques, partie en planches, qui sont
la demeure des talapoins; des tangs, des jardins; une
douzaine de pyramides dores et revtues de porcelaine,
IE
Palais du roi de Siam : Pavillon de plaisance cu des rcrations royales (p. 234). Dessin de Tnrond
d'aprs une photographie.
p. 62-66.
ou
Siam, t. Y,
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234
LE TOUR DU MONDE
Bangkok, celle de Watt-Chang, n'est cependant pas renferme dans l'enceinte du palais, mais s'lve vis--vis,
sur la rive droite du Mnam. Sa flche, haute de deux
cents pieds, est le premier indice de la capitale qu'aperoit le voyageur qui remonte le fleuve en venant de
la mer.
Depuis la publication du livre de l'vque Pallegoix,
un nouveau pavillon entirement dans le style italien,
avec colonnade et pristyle, a t lev proximit
235
LE TOUR DU MONDE.
IV
Le second roi. Hirarchie et corruption des grands. Femmes
et amazones du roi.
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Femmes du roi de Siam dans leur intrieur. Dessin de H. Rousseau d'aprs une photographie.
inconnu. C'est cette mme erreur qui a donn naissance au bruit gnralement rpandu en France qu'il y
a deux rois Siam, celui de la paix et celui de la guerre.
Le droit de faire la guerre ou de conclure la paix
appartient au premier roi seulement. Les deux collgues couronns sont en ce moment frres consanguins,
mais la mdisance prtend que leur position difficile a
considrablement refroidi entre eux l'affection fraternelle. En effet, le second roi ne se rend chez le premier
que dans les occasions o il lui est impossible de faire
autrement. Et comme il est l'hritier dsign du trne, il
ne prend peut-tre pas aussi grand intrt la sant de
son frre que l'exigeraient les liens du sang. Tout ce que
236
LE TOUR DU MONDE.
238
LE TOUR DU MONDE.
au moyen d'une centaine de dames qui sont sous au bataillon des amazones, qu' l'exemple de ses collses ordres, elle exerce une surveillance exacte sur la gues le nizam d'Hyderabad et le roi de Dahomey, Phrareine elle-mme et sur les concubines du roi, qui sont Somdetch-Mongkut, a recrut parmi les plus belles filles
des princesses de diverses nations ou des filles de grands de son peuple. Les femmes-hommes, comme on les apmandarins que leurs pres ont offertes au prince; elle pelle ici, forment incontestablement le corps militaire le
commande en outre environ Lieux mille femmes ou jeu- mieux tenu de l'arme siamoise; mais les voir voluer
nes filles employes au service du palais. La gouvernante firement, avec leur bret cossais, leurjupe de tartan, le
de la maison de la reine est encore charge de veiller sabre au ct, le pistolet la ceinture, arc et carquois sur
sur les filles du roi et sur toutes les princesses, qui sont l'paule, on les prendrait volontiers pour des chappes
du corps de ballet de l'Acacomme clotres et ne peudmie impriale de musique.
vent jamais se marier.
Toute cette troupe de femV
mes passent leur vie dans
Jeux et spectacles.
la triple enceinte de murs
Comme toutes les popuo elles sont enfermes, et
lations serviles, celle de
ne peuvent sortir que rareSiam donne une bonne
ment pour aller faire quelpart de son existence, la
ques achats ou pour almeilleure devrais-je dire,
ler porter des offrandes aux
aux
jeux et aux divertissepagodes. Toutes, depuis la
ments. Le jeu sous toutes
reine jusqu'aux portires,
ses formes est, immdiatereoivent leur solde du roi,
ment aprs le pain quotiqui les entretient, du reste,
dien, dont, au reste, elle
avec beaucoup de luxe et de
n'a souci que quand elle a
gnrosit. On dit que,
faim, sa proccupation dodans la troisime enceinte,
minante. Il lui faut des
se trouve un jardin dlicieux
amusements, des hochets,
et fort curieux; c'est un
pour toutes les heures et
vaste enclos qui contient en
pour tous les ges. Aux enminiature tout ce que l'on
fants du matin au soir, le
trouve en grand dans le
palet, la cligne-musette, le
monde. L, il y a des monsaute-mouton, les barres,
tagnes factices, des bois, des
le colin-maillard, la tourivires, un lac avec des
pie
et bien d'autres invenlots et des rochers, des petions
que nos marmots
tits vaisseaux, des barques,
croient marques du caun bazar ou march tenu
chet europen. Aux hompar les femmes du palais,
mes faits, le trictrac, les
des pagodes, des pavillons,
checs, les ds, les cartes
des belvdres, des statues,
chinoises, et mme le cerfet surtout des arbres Heurs
volant, rserv chez nous
et fruits apports des
l'enfance. Le joueur apporpays trangers. Pendant la
tera ces combinaisons de
nuit, ce jardin est illumin
l'adresse ou du hasard un enpar des lanternes et des
train si passionn qu'il exlustres; c'est l que les
posera en enjeu ou en pari
dames du srail prennent
Amazone
de
la
garde
du
roi
de
Siam.
uessin
de
R.
tout son avoir, et qu'ayant
leur bain et se livrent
d'aprs une photographie.
tout perdu il jouera jusqu'
toutes sortes de divertissements pour se consoler d'tre sequestres du monde. u sou langouti, ce pauvre caleon, seul voile de sa nudit !
La passion des Siamois pour les combats de 'coqs est
Des portraits photographis de quelques habitantes de
encore plus forte ; aussi, malgr les dfenses du roi et
ce gynce tant aujourd'hui parvenus en Europe, nous
devons nous empresser de dclarer qu'ils ont t ex- l'amende dcrte contre les dlinquants, ces combats se
cuts sous les yeux du roi, quand ils ne l'ont pas t de sa renouvellent journellement. Ds qu'un spectacle de ce
propre main; car Sa Majest, qui ne doit rien ignorer, genre est annonc, la foule y court et prend part aux
prtend que l'art des Niepce et des Daguerre n'a point de paris avec tant d'empressement qu'il en rsulte toujours
secrets pour elle. Quant aux sentinelles qui veillent le des disputes et des rixes entre les spectateurs; de sorte
plus frquemment autour du palais, elles appartiennent que la lutte qui a commenc par des coups de bec et
reine;
1 li
1,0IIII
LE TOUR DU MONDE.
239
des plumes arraches, finit par des coups de poing et l'honneur d'tre convi un spectacle la cour. Le
thtre s'lve dans une cour attenante la salle d'audes yeux pochs.
Le gouvernement, qui cherche interdire les combats dience Des draperies de soie rouge et blanche, des
de coqs aux parents, permet aux enfants les combats de boiseries sculptes et un nombre infini de ces immenses
fourmilions, de grillons, de sauterelles, et mme de deux dcoupures en carton dans lesquelles excellent les Siaespces de petits poissons querelleurs et rageurs, qui se mois, en forment les dcors. Une vaste tribune, situe
livrent des assauts acharns au grand plaisir de la mar - droite de la scne, que de riches tentures dsignaient
maille; en ceci, comme en beaucoup d'autres choses, le nos regards, tait destine Sa Majest elle-mme.
Tous les grands mandarins
gouvernement semble peu
logique : mais que vouleztaient prosterns au bas
vous? il cde cette consides degrs qui y conduisaient.. Une grande estrade
dration suprme : il faut
que le peuple s'amuse! Les
situe en avant de la scne
et de plain-pied avec elle,
combats de buffles et d'lphants sont trs-gots de
tait garnie de chaises et
lui, mais cotent beaucoup;
de fauteuils l'intentiondes
on ne peut les lui offrir que
Europens. Le roi nous
rarement, de mme que les
ayant prcds de quelques
minutes, nous dmes aller
grandes rgates et les joutes
sur l'eau: Heureusement,
le saluer et lui prsenter
nos respects avant de gopour remplir les entr'actes
ter les charmes de la rede ces reprsentations extraordinaires, onpeutcomp-'
prsentation si pompeusement annon.e. Une muter sur les grandes funsique tourdissante servit
railles, qui ont touj ours pour
intermdes obligs la lutte,
d'ouverture 'a la pice,
le pugilat, les danses sur la
L'orchestre se distingua par
corde, les feux d'artifice,
un bruit pouvantable et
les marionnettes, les omune absence complte d'harbres chinoises et la comdie
monie, plutt que par la
en plein vent.
varit de son rpertoire.
De tous les amusements
La mme phrase musicale
que l'on jette en pture au
nous fut joue pendant cinq
bon peuple siamois, celuiheures d'horloge, au grand
contentement du roi et de
ci est le plus de son got;
le thtre cependant ne
ses courtisans. Je croirais
volontiers que toute la
consiste gure qu'en une
salle ouverte de tous cts,
science musicale de Siam
sorte de trteau sur lequel
se borne ce terrible air;
des acteurs et des actrices
car les autres reprsentaau corps frott de poudre
tions auxquelles j'ai t
blanche, aux longs bonnets
condamn d'assister ailleurs
pointus, aux longues oreilm'ont toujours fait entendre
les postiches, aux vtements
ces notes uniques et discorde polichinelles et aux bidantes. Enfin la pice comjoux de clinquant, chantent
mena; une foule d'acteurs
et crient, tour de rle ou
et d'actrices s'lancrent sur
en chur, des histoires fala scne, vtus des costuComdienne de la troupe du roi. Dessin de E. Bocourt
c'apis une photographie.
buleuses et des scenarios
mes les plus bizarres qu'on
fantastiques, en s'accompagnant d'une pantomime bi- puisse imaginer. Les soieries brodes d'or dans leszarre. Eh bien! tel est l'attrait irrsistible de ce spec- quelles ils se drapeaient, les bonnets coniques orns de
tacle sur la foule qui le contemple et l'entend, qu'elle ne pierres fausses et de verroteries qu'ils portaient firele quitte pas un instant du regard et de l'oue pendant
ment sur leur tte, offraient un coup d'il saisissant
les vingt-quatre heures qui forment la dure moyenne et curieux. Quant leur jeu, on ne peut rien imaginer
d'une reprsentation de ce genre.
de plus simple; il consiste presque uniquement en une
A Siam, chaque grand personnage possde un thpantomime originale sans doute, mais assez disgratre et entretient une troupe d'acteurs. Sa Majest na- cieuse, que rvle un chur criard, plac peu de disturellement a les siens, dont je puis parler, ayant eu
tance des acteurs. Ce que l'on joua, je ne puis le dire :
240
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
241
Dbarcadre d'une pagode moderne d'Ajuthia. Dessin de Thrond d'apres une photographie.
VI
Remonte du Mnam. Rives, riverains et embarcations. Ajuthia ancienne et moderne.
Un fragment d'histoire
16
242
LE TOUR DU MONDE.
lignes interminables d'embarcations escortaient un mandarin dont la barque, ou, suivant l'appellation locale,
le ballon, clatant de dorures et couvert de sculptures,
brillait dans la flottille comme un cygne au milieu d'une
troupe de canards. Ce magistrat allait offrir des prsents
aux pagodes des environs et des toffes jaunes aux talapoins.
Le roi se montre rarement en public : deux ou trois
fois par an seulement, une fois en bateau et une fois
sur la terre ferme, dans le courant du mois d'octobre.
Sur le fleuve, il est toujours accompagn par trois ou
quatre cents barques, contenant souvent plus de douze
cents personnes, et l'aspect de cette procession nautique,
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dont les rameurs sont couverts d'habillements aux couleurs clatantes, et les barques de banderoles, est
rellement d'une splendeur indescriptible et telle que
l'Orient seul sait en dployer encore.
Chemin faisant, je ne cessais de m'tonner de la
g.liet et de l'insouciance du peuple siamois, malgr le
joug qui pse sur lui et les impts exorbitants dont il
est surcharg; mais la morbidesse du climat, la douceur native des indignes et le pli de la servitude, creus
de gnration en gnration, font oublier ceux-ci les
soucis privs et les amertumes insparables du rgime
oppresseur. Partout aussi sur mon passage on faisait
des prparatifs pour la pche, car le moment o les
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LE TOUR DU MONDE.
243
244
LE TOUR DU MONDE.
Ajuthia des maisons qui leur servent la fois de magasin et de pied--terre; ils viennent s'y reposer une semaine ou deux pendant les chaleurs.
Les seuls restes visibles de l'antique sont un grand
nombre de watt ou temples plus ou moins ruins. Ils
occupent une surface de plusieurs milles d'tendue et
sont cachs par les arbres qui ont pouss tout alentour.
Comme la beaut d'un temple siamois ne consistepas dans
son architecture, mais bien dans la quantit d'arabesques
qui recouvrent ges murs de brique et de stuc, il cde
bientt l'action du temps et devi3nt, s'il est nglig,
un amas informe de bois et de briques recouvert de
toutes sortes de plantes parasites. Il en est ainsi des mo-
a dix-huit mtres de hauteur et parat de bronze au premier coup d'oeil ; mais j'ai constat que, tout entire maonne en brique l'intrieur, elle tait simplement
revtue de plaques d'airain de trois centimtres d'paisseur. Mgr Pallegoix prtend que les ruines d'Ajuthia reclent d'inpuisables trsors et qu'on y fouille toujours
avec succs. Selon lui, une seule des statues qui dorment aujourd'hui sous les boulis des temples antiques
avait exig, pour sa confection, 25 000 livres de cuivre,
2000 livres d'argent et 400 livres d'or! Aujourd'hui le
vautour et l'orfraie nichent dans la couche de dcombres
qui les a ensevelis.
Au centre d'une plaine, quatre milles environ de la
LE TOUR DU MONDE.
245
ces ornements de faence dont les temples et les pyramides de Bangkok sont si abondamment recouverts.
Au troisime tage de ce monument, quatre corridors,
formant la croix, aboutissent dans l'intrieur du dme,
aux pieds d'une colossale statue dore de Bouddha, qu'entourent, assigent et souillent incessamment des tourbillons de chauves-souris et de chats-huants. Les ftides
excrments des oiseaux nocturnes sont dsormais le seul
encens du dieu abandonn, leurs cris aigus et sinistres
son seul cantique t Sic transit gloria mundi.
L'histoire d'Ajuthia se liant celle du dveloppement
et de la dcadence du royaume de Siam, nous ne pouvons mieux faire que de l'emprunter un rcit succinct
246
LE TOUR DU MONDE.
Cet tat de dpendance et de soumission ne dura toutefois que peu d'annes. Au milieu de la confusion que
l'on vit natre la cour du Pgou, au sujet de l'avnement
d'un nouveau roi, le prince Naret s'chappa avec sa famille, et, avec l'aide de plusieurs Pgouans influents,
il s'aventura reprendre le chemin de son pays. Le nouveau roi du Pgou envoya des troupes sa poursuite;
mais le prince Naret s'attaquant leur chef, lui lana un
de ses traits, qui le fit tomber mort de son lphant. Le
prince arriva ensuite sain et sauf Ajuthia.
a Une guerre s'alluma avec le Pgou, et le Siam redevint tat indpendant. Six gnrations aprs, sous le roi
Nara, plusieurs marchands europens s'tablirent dans
le pays, et parmi eux se trouvait Constance Phaulcon,
qui ses services valurent le gouvernement de toutes les
provinces du nord du Siam. Il conut le projet d'tablir
un fort d'aprs le systme europen pour la dfense de
la capitale; le roi ayant accueilli trs-favorablement ce
plan, Constance fit choix d'un terrain sur un canal prs
de Bangkok, ville qui tire son origine de cette construction.
Le mme clbre Europen amena le roi Nara
restaurer l'ancienne ville de Nophaburi (Louvo), et y
construisit un palais royal magnifique d'aprs les principes de l'architecture europenne ; il y tablit ensuite
une demeure spacieuse pour lui-mme, puis une glise
catholique dont les inscriptions se reconnaissent mme
de nos jours. Ces btiments, tombs en dsutude,
offrent encore le spectacle de ruines imposantes. Constance avait commenc ou projet bien d'autres travaux,
des aqueducs, des exploitations de mines, etc., lorsque
la jalousie des nobles siamois vint l'arrter dans sa carrire et causer sa perte. Accus d'avoir tremp dans un
complot, il fut assassin sur un ordre du roi. (C'est du
moins la tradition reue; les annales crites de Siam
cependant prtendent qu'il a t tu par un prince rebelle, qui comprenait bien que Constance en vie, il ne
pouvait rien contre l'autorit du roi.) On montre encore
quelques vestiges des travaux utiles du malheureux favori,
tels qu'un canal, qui devait aller de Nophaburi au lieu
sacr, dit Phrbat, et un aqueduc dans les montagnes.
La mort de Nara fut le signal de nouvelles rsolutiens de srail; un fils illgitime tua son successeur,
donna d'abord la couronne son tuteur, se rservant
pendant quinze ans les fonctions de premier ministre,
jusqu' ce qu'enfin, la mort de son tuteur, il prit luimme le sceptre. Il s'appelait Nai-Dua. Deux de ses fils
et deux de ses petits-fils rgnrent successivement
Ajuthia; un de ces derniers ne rgna que peu de temps
et entra dans les ordres religieux aprs avoir cd la
couronne son frre. Pendant ce rgne, en 1759, une
invasion formidable eut lieu; le roi des Birmans, la
tte de trois corps de troupes nombreuses, pntra dans
le pays et concentra ses forces devant la capitale Ajuthia
qu'il cerna. Le roi siamois (Chaufa-Ekadwat-AurakMoutri) n'opposa point une rsistance rflchie, et ses
grands dignitaires ne lui prtrent nulle assistance. Il
appela bien tous les habitants des petites villes voisines
au sein de sa capitale et concerta des plans pour sa dfense, mais la division et la jalousie rendirent tous les
efforts infructueux. Le sige se prolongea deux ans; les
assigs parpillrent leurs forces dans de petits combats
et des sorties o, pour la plupart, les Birmans taient
victorieux. Leur gnral Maha-Noratha mourut en vain;
ses principaux officiers choisirent un autre chef, qui,
profitant de la saison de scheresse, franchit les fosss, ouvrit des brches, enfona les portes et se rendit
matre de la ville. Les provisions des Siamois taient
puises, la confusion tait son comble, et l'ennemi
victorieux mit le feu la ville. A peine le roi, grivement bless, put-il s'chapper avec les flots de fuyards;
il mourut bientt des suites de ses blessures et de ses
fatigues, compltement dlaiss; ce n'est que plus tard
qu'on a trouv et enterr son corps. Son frre, le grand
talapoin, et alors le personnage le plus considrable de
son pays, fut emmen prisonnier par les Birmans.
Ceux-ci s'apercevant que le Siam tait trop vaste et trop
loign pour y tablir leur gouvernement, se rsolurent
y porter partout le pillage et l'incendie; ils massacrrent impitoyablement les habitants pour leur extorquer
le secret de leurs trsors supposs. Cette uvre de destruction et de carnage dura deux mois ; les officiers birmans s'enrichirent des dpouilles des malheureux habitants, dont ils emmenrent un grand nombre captifs;
non satisfaits encore de ces actes de cruaut et de brigandage, ils laissrent un chef pgouan, nomm PhayaNackong, pour administrer le pays selon son bon plaisir,
et avec la charge spciale de runir encore des esclaves
et du butin, pour transporter le tout en temps opportun
dans le pays des Birmans.
a Ainsi prit Ajuthia, en mars 1767, aprs quatre cent
dix-sept ans d'existence, sous trente-trois rois et trois
dynas ties.
o Et tout le pays des Thai tomba dans l'anarchie, parcouru en tous sens par des bandes armes et dchir par
ses propres enfants autant que par ses ennemis. Les forts, les dserts mme les plus inaccessibles cessrent
d'tre un asile pour les opprims, et se changrent en
repaires de bandits qui s'gorgeaient les uns les autres
pour s'arracher leur butin.
a Un homme aussi habile que brave entreprit de mettre un terme ce triste tat de choses. Pin-Tak, Chinois
d'origine, n en 1734 daus le nord du Siam, avait su
obtenir, sous le dernier roi, d'abord un poste secondaire, puis celui de gouverneur de sa ville natale, Tak;
il y prit, de son chef, le titre magnifique de Phaya : de l
vient le nom qu'il a gard dans l'histoire. Il avait t
appel une espce de vice-royaut des provinces occidentales peu de temps avant l'invasion des Birmans;
ayant d cder devant le nombre, il se retira sur Ajuthia ; mais s'apercevant que le gouvernement n'tait
pas capable de rsister l'ennemi, il se rfugia avec sa
troupe Chantaburi (Chantaboun), ville situe sur le
bord est du golfe de Siam. Il en fit le centre de la rsistance l'tranger et l'asile de braves compagnons qui
dsertaient les drapeaux des bandes de brigands pour
LE
TOUR DU MONDE.
247
248
LE TOUR DU MONDE.
et il expira le 3 avril 1851. Ce jour-l mme, malgr les
complots des fils du roi dfunt, que le premier ministre
sut habilement comprimer, le prince Cho-Fa quitta
son monastre et ses habits jaunes, et fut intronis sous
le nom dj connu de nos lecteurs de Somdetch-PhraParamander-Mah-Mongkut, etc. J'abrge : l'numration de tous les titres de Sa Majest siamoise tiendrait
plus d'une page. Vingt-six annes d'tudes solitaires
terre et par mer, et qui n'eut d'autre rsultat que de procurer Siam des milliers de captifs.
Au commencement de 1851, le. roi, tant tomb trsmalade, rassembla son conseil, et proposa un de ses fils
pour successeur. On lui rpondit : a Sire, le royaume a
dj son matre. Atterr par cette rponse, le monarque rentra dans son palais et ne voulut point reparatre
en public; le chagrin et la maladie le minrent bien vite,
Ci '. o
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:.
F , ,;
Ruines du temple et d'une statue de Bouddha, Ajuthia (voy. p. 244). Dessin de Catenacci d'aprs une photographie.
LE TOUR DU MONDE.
fonds de tolrance. Une de ses premires mesures fut la
rvocation d'un arrt d'exil qui frappait plusieurs missionnaires. Dans l'audience qu'il accorda h l'vque Pallegoix, partant pour l'Europe en 1852, il lui remit pour
le pape une lettre autographe crite en langue anglaise,
et dans laquelle il exprimait sa haute considration pour
le chef du culte catholique, et lui communiquait en mme
temps sa rsolution d'accorder cette religion, dans ses
249
LE TOUR DU MONDE.
250
VII
Pakpriau. Le mont Phrbat. Le prince-abb. Temple et
monastre. Le pied de Bouddha. Empreintes gologiques.
La chaleur est quelquefois accablante Ajuthia; pendant huit jours nous avons prouv trente-deux degrs
centigrades l'ombre nuit et jour, mais peu de moustiques, ce qui tait un grand soulagement. Mes courses
m'ont ramen plus d'une fois vers les grandes ruines qui
se trouvent au milieu des bois, et j'y ai fait une collection de beaux papillons et plusieurs insectes nouveaux.
En quittant Ajuthia, je me dirigeai vers Pakpriau, qui
est quelques jours de marche, au nord, sur la frontire
du Laos; c'est un pays de montagnes qui me promettait
une ample rcolte d'insectes et de coquilles terrestres.
La grande comte (1858) que j'avais dj observe
pendant mon voyage sur mer brillait maintenant sur le
fleuve de tout son clat; sa queue tait vraiment splendide. Il est difficile de ne pas croire que c'est cet astre
que nous devons les fortes chaleurs qui ont marqu l't
et l'automne de cette anne.
Jusqu' prsent ma sant est reste excellente; je ne
me suis jamais mieux port, mme dans le nord de la
Russie. Depuis l'arrive des vaisseaux anglais et d'autres
navires europens Bangkok, tout y a doubl de prix;
nanmoins tout est encore ici trs-bon march relativement aux prix d'Europe. Je ne dpense pas plus d'un
franc par jour pour mon entretien et celui de mes hommes. Le peuple vient en masse pour voir mes collections, et il ne peut s'imaginer ce que je puis faire avec
tant d'animaux et d'insectes.
Quel contraste entre cette nature-ci et celle de notre
Europe! Compar ce globe enflamm, ce ciel tincelant, que notre soleil est ple, que notre ciel est
froid et sombre! Qu'il est doux, le matin, de se lever
avant ce soleil clatant! Et qu'il est plus doux encore,
le soir, de prter l'oreille ces mille sons, ces cris stridents et mtalliques, qui s'lvent de tous les points du
sol, comme si une arme d'orfvres et de batteurs d'or
taient l'ouvrage ! De silence, de repos, nulle part;
partout et toujours on ne voit, on n'entend que le bouillonnement de la vie dans cette nature exubrante.
Je reste tonn chaque fois que je vois de petits bambins de deux trois ans dirigeant des barques de toute
dimension et nageant et plongeant sans cesse au milieu
de ce fleuve rapide et profond comme une mer. Rptons-le, ils vivent en amphibies. Je m'amuse souvent
voir ces petits tres fumer mes bouts de cigares, pour
lesquels ils courent aprs les papillons et me les rapportent sans les endommager.
J'ai dcouvert, chemin faisant, cette espce d'araigne
que l'on trouve aussi, je crois, au Cap, et que l'on pourrait lever pour en tirer la soie; en saisissant le bout
de celle-ci qui lui sort du corps, l'on n'a qu' dvider,
dvider toujours; le fil est trs-fort, lastique, et ne se
rompt jamais pendant l'opration.
Que le peuple, dans ce pays, serait heureux s'il ne croupissait pas dans l'esclavage le plus abject 1 La nature l-
LE TOUR DU MONDE.
djeuner, me tmoignant du regret de ne pouvoir
m'accompagner en personne, mais il eut la gracieuse
prvenance de m'envoyer quatre hommes pour me servir de guides et d'aides. En retour de son amabilit et
de l'empressement qu'il mit me rendre service, je lui
prsentai un petit pistolet, qu'il accepta avec les marques
de la plus grande joie.
Le mont Phrbat et la plaine qu'il domine huit lieues
la ronde forment le fief de ce dignitaire, dont l'existence
est tout fait celle des princes-abbs de l'Europe fodale. Il a des milliers de vassaux taillables et corvables
sa merci, et en emploie autant qu'il veut au service de
son monastre, o rien ne rappelle le voeu de pauvret
transport et entass les uns sur les autres tous ces blocs
erratiques? A la vue de ce ple-mle, de ce chaos, j'ai
compris comment l'imagination de ce pauvre peuple,
rest enfant en dpit des sicles qui ont pass sur lui, a
cru retrouver l des traces du passage de ses fausses divinits. On dirait qu'un rcent dluge vient de se retirer.
La vue seule de ce tableau me rcompensa de mes fatigues. Jusqu'au sommet de la montagne, dans les valles,
dans'les crevasses des rochers, clans les grottes, partout,
je rencontrai des empreintes d'animaux, parmi lesquelles celles d'lphant et de tigre sont les mieux
marques et les plus communes; mais j'ai pu me convaincre que plusieurs de ces empreintes provenaient d'a-
251
de son ordre; il ne sort jamais qu'en magnifique palanquin, tel qu'en ont les plus grands princes, et la suite de
pages qui l'entoure, ainsi que la troupe de jouvencelles
alertes qui est charge du soin de son rfectoire, ne m'ont
pas paru affects de la plus lgre teinte d'asctisme.
Je me rendis, de sa demeure, sur le versant occidental
de la montagne o se trouve le fameux temple qui renferme l'empreinte du pied de Samonakodom, le Bouddha
de l'Indo-Chine. Je fus saisi d'tonnement et d'admiration
en arrivant cette partie de la montagne, et je me sens
incapable d'exprimer convenablement la grandeur du
spectacle qui s'offrit ma vue. Quel bouleversement de
la nature 1 Quelle force a soulev ces roches immenses,
LE TOUR DU MONDE.
253
254
LE
TOUR
VIII
Patawi. Vue magnifique. Retour Bangkok.
DU MONDE.
soulever tous les petits instruments qu'il mettait sa
porte.
Je me rendis l'extrmit nord de la montagne, o
quelque tre gnreux, pour faire une oeuvre mritoire,
a eu la bonne ide de construire une salle pareille celles que l'on trouve sur beaucoup de chemins et auprs
des pagodes pour abriter les voyageurs.
La vue dont on jouit de cet endroit est d'une splendeur indescriptible, dans toute la valeur significative de
ce mot. Je n'ai pas la prtention, on a pu le voir du reste,
de dpeindre avec toutes leurs couleurs ces spectacles
grandioses qui vont dsormais se multiplier sous mes
yeux; peine ma plume et mon crayon ont-ils pu en
saisir les contours et quelques dtails, mais ce dont on
peut tre sr, c'est que nies esquisses n'admettent que
ce que j'ai vu et rien de plus. Je n'avais rencontr jusqu'alors au Siam que des horizons trs-restreints;maisici
la beaut du pays se montre dans toute sa splendeur.
Je voyais se dessiner mes pieds, comme un riche et
moelleux tapis velout, aux nuances clatantes, varies
et fondues, une immense ligne de forts, au milieu desquelles les champs de riz et les autres lieux non boiss
paraissent comme de petits filets d'un vert clair, puis
peu peu s'levant comme en gradins, des monticules,
des monts, et enfin l'est, au nord et l'ouest, sous la
forme d'un demi-cercle, la chane de montagnes de
Phrbat, puis celles du royaume de Muang-Lm , et
enfin celles de Krat jusqu' plus de soixante milles au
del. Toutes se relient les unes aux autres et ne forment pour ainsi dire qu'un seul massif, d au mme
bouleversement. Mais comment dcrire la varit de
formes de toutes ces sommits? Ici ce sont des pics qui
se confondent avec les teintes vaporeuses et rostres de
l'horizon; l des aiguilles o la couleur des roches fait
ressortir l'paisseur de la vgtation; puis des mamelons
aux fortes ombres, tranchant sur l'azur du ciel ; plus loin
des crtes majestueuses; enfin ce sont surtout les effets
de lumire brillants, les teintes dlicates, les tons chauds
qui font de ce spectacle quelque chose d'enchanteur, de
magique, que l'oeil d'un peintre pourrait saisir, mais
que son pinceau, tant de secrets et-il, ne saurait jamais rendre qu'imparfaitement.
A la vue de ce panorama inattendu, un cri d'admiration sortit en mme temps de toutes les bouches. 1Vles
pauvres compagnons, gnralement insensibles aux beauts de la nature, prouvaient cependant un moment
d'extase devant ce tableau sublime et grandiose. 0111
di! di (beau) ! u s'criait mon jeune guide laotien; et demandant Ke, qui restait silencieux, ce qu'il pensait
de cette vue : Oh I master, me rpondit-il dans son
jargon ml de latin, d'anglais et de siamois, les Siamois voir Bouddha sur une pierre et ne pas voir Dieu dans
ces grandes choses; moi content d'tre venu Patawi.
Du ct oppos, c'est-dire au sud, le tableau est diffrent; c'est une plaine immense qui s'tend de la base
de Patawi et des monts voisins jusqu'au del d'Ajuthia,
dont on aperoit mme les hautes tours qui se confondent
avec l'horizon plus de cent vingt milles de distance. Du
LE TOUR DU MONDE.
hi.lFlLtFALLI.
255
durcie au soleil, ils parcourent leurs vastes forts, malgr les lopards et les tigres dont elles sont infestes.
La chasse est leur principale amusement, et lorsqu'ils
peuvent se procurer un fusil et un peu de poudre chinoise, ils vont traquer le sanglier, ou attendre le tigre
et le daim l'afft, perchs sur un arbre ou dans une
petite hutte qu'ils lvent sur des pieux de bambou.
Leur pauvret approche de la misre; mais, comme
presque toujours, elle provient de leur excessive paresse, car ils ne cultivent que le riz ncessaire leur entretien. Ce point atteint, ils passent le reste de leur
temps 'a dormir, flner dans les bois, faire de longues courses aux villes et villlages voisins, et se visiter
chemin faisant.
A Patawi j'entendis beaucoup parler de Krat, qui est
la capitale d'une province du mme nom situe au nordest de Pakpriau, cinq journes de marche de cet endroit (cent ou cent vingt milles) et que j'ai l'intention de
visiter plus tard. Il parat que c'est un pays riche et qui
produit surtout beaucoup de soie d'une bonne qualit; il
Reliques en argile mle de cendres royales et trouves au mont Phrbat. Dessin de Catenacci d'aprs M. Mouhot.
pluies, des torrents qui tombent du sommet de la montagne, et aussi des tigres, qui, chasss de la plaine par
l'inondation, se rfugient sur les montagnes, et viennent
jusque contre leurs habitations enlever leurs poules et
leurs chiens. Toutefois ce n'est pas seulement en cette
saison qu'ils leur rendent visite, car la seconde nuit que
nous passmes sous leur toit, vers dix heures, les chiens
poussrent tout coup des hurlements plaintifs :
Un tigre ! D s'cria mon Laotien, couch prs de moi.
Je m'veillai en sursaut; saisissant mon fusil, j'entr'ouvris la porte, mais la profonde obscurit ne me permit ni de le voir ni de sortir sans m'exposer inutilement;
je me contentai de dcharger mon arme en l'air pour
effrayer l'animal. Ce n'est que le lendemain que nous
nous apermes de l'absence d'un de nos chiens.
Aprs avoir parcouru cette intressante localit pendant une semaine, nous revnmes lever l'ancre de notre
barque pour regagner Bangkok, o j'avais mettre en
ordre mes collections et les expdier.
Les lieux qui, deux mois auparavant, taient recouverts de six mtres d'eau, taient sec, et partout autour
256
LE TOUR DU MONDE.
des habitations on bchait les potagers et on commenait la plantation des lgumes; mais les horribles moustiques avaient reparu en essaims plus formidables encore, et aprs avoir ram tout le jour, mes pauvres
domestiques ne pouvaient mme goter de repos pendant la nuit. Pendant le jour, surtout prs de Pakpriau,
la chaleur tait excessive. Le thermomtre tait ordinairement quatre-vingt-dix degrs Fahrenheit (trente-deux
degrs centigrades) l'ombre, et cent quarante degrs
Fahrenheit (soixante degrs centigrades) au soleil. Heureusement nous n'avions plus lutter contre le cou-
du Danemark, vint au-devant de moi et m'offrit gracieusement l'hospitalit dans sa magnifique demeure. Je dois
considrer la partie du pays que je viens de parcourir
comme trs-saine, sauf peut-tre l'poque des pluies;
il parat qu'alors l'eau qui dcoule des montagnes, aprs
avoir pass sur une foule de dtritus vnneux et s'tre
imprgne de substances minrales, donne naissance
des miasmes dltres d'o s'chappe la terrible fivre
des bois (jungle fever), qui, si elle ne vous emporte pas
au premier accs, ne vous quitte qu'aprs plusieurs annes de souffrances
Mon voyage a eu lieu la fin de la saison des pluies,
lorsque les terrains qui avaient t inonds commenaient se desscher ; il s'en levait quelques miasmes,
et j'ai vu plusieurs indignes atteints de fivres intermittentes; cependant je n'ai pas cess un instant de me bien
porter. Dois-je l'attribuer au rgime que je suivais et qui
m'a souvent t recommand, c'est--dire de ne boire
que du th, jamais ou trs-rarement de vin ni de spiritueux, et jamais d'eau frache? Je le pense, et je crois
qu'en agissant toujours ainsi on ne courrait aucun danger srieux dans les localits les plus malsaines.
Henri MOUHOT.
(La suite o la prochaine livraison.)
LE TOUR DU MONDE.
257
IX
Dpart pour le Cambodge. Voyage en barque de pcheurs. Chantaboun. Produits. Commerce. Physionomie du pays.
Archipels du golfe de Siam. Manire dont les crocodiles attrapent les singes.
17
258
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
tre encore plus dserte et plus inculte ; mais au pied de
la montagne s'ouvrent de charmantes valles, o quelques centaines de Chinois se livrent la culture du
poivre.
J'achetai au prix de 25 ticaux une bonne petite barque
pour visiter les les du golfe, trs-intressantes sous
tous les rapports, quoique sur plusieurs d'entre elles les
tigres soient nombreux. La premire que je visitai porte
le nom de Ko-nam-sao (buste de jeune fille). Elle a la
forme d'un pic et prs de deux cent cinquante mtres
de hauteur. D'origine volcanique comme toutes les autres les de cette partie du golfe, elle n'a seulement que
deux milles de circonfrence. Les roches qui l'entourent
presque partout en rendent l'accs difficile, mais l'effet
qu'y produisent une vgtation puissante et une verdure pleine d'clat et de fracheur est ravissant. La saison
de la scheresse, si agrable dans les voyages en Europe,
cause de la fracheur des nuits et des matines, est au
Siam un temps de mort et de dsolation pour toute la
nature. Malgr une vgtation encore assez frache, la
vie semble s'arrter, les oiseaux ont fui vers les lieux o
ils trouvent se dsaltrer et recherchent de prfrence
le voisinage des habitations et les bords des rivires o
les insectes, en nombre immense, leur fournissent une
abondante nourriture. Rarement un chant vient charmer
l'oreille; l'aigle pcheur seul fait entendre son cri rauque
et perant chaque fois que le vent change. Les fourmis
en essaims innombrables surgissent , au contraire, de
partout; le sol, les arbres, tout en est couvert, et elles
paraissent tre, avec les moustiques et quelques grillons,
les seuls insectes qui aient chapp la destruction.
En poursuivant les troupes de singes qui s'enfuyaient
mon approche, ou bien en suivant les traces des
daims ou des lopards, dont plusieurs tombrent frapps de mes balles, nulle part je ne trouvai dans ces les
la moindre trace de sentier, ni source, ni ruisseau;
je n'avanais que trs-difficilement travers les masses
de lianes et de branches entrelaces, la hache 'a la main,
et ce n'est qu'puis par la chaleur et la fatigue que je
revenais au rivage.
La plupart des roches de ces montagnes, comme celles
des les, sont mtamorphiques, c'est--dire d'anciennes
roches sdimentaires qui ont conserv beaucoup de
traces de leur ancien dpt sous les eaux, mais qui ont
subi un changement dans leur structure et dans leur
composition par l'action des volcans. Toutes renferment
un grand nombre de filons et d'amas auxquels en gologie on donne le nom de gtes de contact, c'est-dire des gtes mtallifres qui, encastrs dans des roches stratifies ou des roches massives, ont t pntrs
de leur substance.
Le 26, nous fmes voile pour la premire des les
Ko-Man, car il y en a trois qui portent ce nom et qui
sont rapproches les unes des autres. La plus grande
n'est loigne de la cte que d'une dizaine de milles.
Quelques aigles pcheurs, une espce de pigeons blancs
et des coucous noirs sont peu prs les seuls habitants
ails que j'y rencontrai; mais les iguanes y sont trs-
259
nombreuses, et lorsque le soir elles sortent de leurs retraites, le bruit qu'elles font en marchant pesamment
sur les feuilles sches et les branches mortes, ferait facilement supposer qu'il est produit par des animaux de
plus grande taille.
Vers le soir, la mare ayant baiss, nous laissmes
chouer notre barque dans la vase; j'avais dj remarqu pendant le jour que la boue, semblable celle des
tourbires, tait imprgne de matires volcaniques;
mais pendant toute la nuit il s'en chappa une si forte
odeur sulfureuse, que je me crus sur un volcan sousmarin. Le 28 , nous passmes la seconde le des Patates, qui est plus leve et plus pittoresque que la prcdente; les rochers qui la bordent produisent un effet
grandiose. Le coup d'oeil dont on jouit en traversant les
deux les par un beau soleil et mare basse est surtout
magnifique. Les les des Patates doivent leur nom aux
nombreux tubercules sauvages qui s'y trouvent.
Je passai plusieurs jours au cap Liaut, tantt sur la
cte, tantt dans les nombreuses les qui en sont trsrapproches; c'est la plus belle partie du golfe, et comparable pour sa beaut au dtroit de la Sonde prs des
ctes de Java. Il y a deux ans, le roi tant venu visiter
Chantaboun, on lui btit sur la plage, l'extrmit du
cap, une maison et un kiosque. En mmoire de sa visite
on a aussi rig au sommet de la montagne une petite
tour d'o l'on jouit d'une vue trs-tendue.
Je visitai aussi Ko-Kram qui est la plus belle et la
plus tendue de toutes les les qui se trouvent au nord
du golfe entre Bangkok et Chantaboun. Toute l'le n'est
qu'une suite de montagnes boises, mais cependant d'un
accs assez facile et renfermant beaucoup 'de fer oligiste.
Les singes et les daims qui l'habitent viennent tous les
soirs boire au rivage, car elle manque d'eau douce.
Le 29 au matin, mesure que le soleil s'levait
l'horizon, la brise diminuait, et nous n'tions plus qu'
trois milles du dtroit qui spare l'le de l'Arec de celle
des Cerfs, lorsqu'elle tomba tout fait. Depuis une demiheure, nous n'avancions qu' force de rames, et exposs
toute l'ardeur d'un soleil brlant, quoiqu' une heure
matinale, sans le moindre souffle dans l'air, devenu
lourd et suffoquant. Tout coup et mon grand tonnement la mer s'agita, se souleva, et ballotta en tOus sens
notre lgre embarcation. Je ne savais que penser d'un
phnomne tout nouveau et inconnu pour moi, et d'o
pouvait peut-tre rsulter, d'un instant l'autre, quelque danger ou accident srieux, lorsque notre pilote s'cria tout coup : Voyez comme l'eau de la mer bout..
En effet, je me retournai du ct indiqu, la mer semblait tre en bullition et peu d'instants aprs un immense jet d'eau et de vapeur fut lanc dans les airs et
dura pendant plusieurs minutes. Je n'avais jamais t
tmoin d'un pareil phnomne et je ne suis plus tonn
maintenant de la forte odeur de soufre qui me suffoquait
dans l'le Ko-Man. C'tait donc un volcan sous-marin qui
faisait ruption prs d'un mille de distance de l'endroit o trois jours auparavant nous avions jet l'ancre.
Le ler mars, nous arrivmes Ven-Von, sur le Pak-
260
LE TOUR DU MONDE.
X62
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
Ma ngociation est enfin arrive un rsultat heureux, c'est--dire que le bon vieux Apat a consenti
laisser son fils Phra entrer mon service, pourvu
que je lui donne trente ticaux, la moiti de ses gages
d'une anne, en avance; puis il vendra sa case et son
champ de poivre, payera sa dette et se retirera dans un
autre endroit de la montagne. Le petit Phra est enchant de me suivre et de pouvoir courir les bois du
matin au soir. Je ne suis pas moins content que lui, car
avec sa connaissance du pays, son activit, son intelligence et son dvouement pour moi, il est d'un prix inestimable. Les chaleurs deviennent de plus en plus fortes.
Le thermomtre est mont un jour cent deux degrs Fahrenheit (trente-neuf centigrades) l'ombre;
aussi les longues chasses deviennent pnibles et quelquefois impossibles ailleurs que dans les forts. Je
profitai, il y a quelques jours, d'un temps couvert et par
consquent moins chaud, pour visiter une chute d'eau
dont on m'avait parl et qui se trouve dans le district
presque dsert de Priou, douze milles de Kombau.
Au mois de janvier, lors de mon premier passage ici,
j'avais dj eu le dsir de m'y rendre, mais le Chinois qui s'tait propos pour nous y conduire, s'tait
gar et nous avait fait marcher une journe tout
entire pour nous conduire un endroit oppos. De
Kombau, nous longemes pendant une heure et demie
une charmante valle unie presque partout comme une
pelouse, et riante comme un parc. Elle aboutit une
fort o en suivant le bord d'un torrent qui, encaiss
entre deux monts et hriss de blocs de granit, augmente
de largeur mesure que l'on approche de sa source,
nous ne tardmes pas arriver la chute. Dans la saison des pluies, ce doit tre un spectacle de toute beaut;
une norme nappe d'eau tombe alors de tous les cts
du haut d'immenses roches perpendiculaires, tailles
pic et dcrivant comme un cirque de prs de trente mtres de diamtre; pendant la scheresse, l'eau de la
source seule sort de dessous d'immenses blocs de granit,
mais avec une telle abondance qu'elle alimente plusieurs
ruisseaux. D'une hauteur de plus de vingt mtres, le
torrent, Iarge de deux sa source, tombe avec fracas et
presque d'aplomb sur les rochers, d'o il rejaillit en
se dtournant pour former une nouvelle chute de trois
mtres de hauteur seulement, mais qui se dverse dans
un vaste bassin profond de plus de quinze pieds, et qui
reflte comme un miroir les rochers et les arbres qui
l'entourent. Mes deux domestiques, chauffs par une
longue course, se plongrent dans cette eau si froide,
mon grand tonnement; et quand je voulus leur exposer
le danger qu'ils couraient en agissant ainsi, ils me rpondirent que c'est quand on a chaud qu'on doit se baigner; et tous les indignes font de mme.
Un voyageur ne doit ignorer aucun mtier; un jour je
dus me faire tailleur de pierre pour dtacher une empreinte d'un animal inconnu, de la surface d'un large
bloc de granit enfoui au fond d'un torrent de la montagne ; au mois de janvier, un Chinois me demandait un
prix si lev pour ce travail que je pensais me contenter
263
264
LE TOUR DU MONDE.
l'homme, moins qu'ils ne soient pousss par la faim. que c'est un remde contre tous les maux. C'est ici le
J'ai rencontr un jeune colon chinois qui porte sur le cas de dire que c'est la foi qui nous sauve : bien des
corps dix-neuf cicatrices faites par un de ces animaux.
pilules sont administres chez les peuples civiliss qui
Un jour il tait l'afft sur un arbre, une hauteur n'ont certainement pas plus de vertus curatives que la
de trois mtres, lorsqu'un tigre de la plus grande es- poudre de granit absorbe par le vieux Apat.
pce s'approcha d'un jeune chevreau qui, attach un
Ce pauvre bonhomme a vendu sa proprit pour
arbre trs-peu de distance de l'afft du Chinois, 60 ticaux ; sa dette paye, il lui reste, avec l'argent
l'attirait par ses cris. Le chasseur ayant tir sur le qu'il a reu de moi pour son fils, 40 ticaux. Il n'en faut
carnassier, bien que mortellement bless, le tigre runit pas davantage ici pour qu'il se croie riche jusqu' la fin
toutes ses forces, fit un bond norme, et saisissant son en- de ses jours; il pourra de temps en temps rgaler l'me
nemi avec ses griffes et ses dents, l'arracha de son sige de ses aeux de bonbons et de th, et lui-mme vivre en
et lui dchira les chairs en roulant avec lui sur le sol ; vrai mandarin campagnard. Avant de s'loigner de Komheureusement pour le malheureux Chinois, ce fut l bau, le bon vieillard m'a procur un autre domicile au
le dernier effort du monstre; il expira presque aussitt. prix de deux ticaux (cinq francs) par mois; je n'ai rien
Dans les montagnes de
perdu au change sous le
Chantaboun et non loin de
rapport du confort. Pour
un appartement meubl, je
notre demeure actuelle ,
pense que ce n'est pas
on trouve des pierres pr- `!`-i cher. Voici l'inventaire des
cieuses d'une assez belle
meubles : dans le salon,
eau ; il y a mme l'est
rien, dans la chambre
du bourg une minence
coucher, une vieille natte
que l'on appelle la monsur un lit de camp. Cetagne des Pierres - Prpendant cette case-ci est
cieuses; il paratrait, d'aplus propre, plus spacieuse
prs ce que dit Mgr Palleet mieux couverte que l'angoix, qu'il fut un temps
tre, o l'eau filtrat de tou o elles taient trs-comtes parts, puis j'ai un large
munes, puisque dans l'eslit de camp pour me repopace d'une demi - heure ,
ser de mes lorgues chasses.
il en ramassa une poigne,
En outre mon nouveau
c'est--dire autant que les
propritaire me fournit de
habitants de la province
bananes et de lgumes
en trouvent actuellement
que nous lui payons en
dans une anne. Ce qui
gibier, quand la chasse a
prouve du reste qu'elles
t fructueuse.
sont devenues trs-rares,
Les fruits dans cette proc'est que l'on ne trouve
vince sont aussi bons que
plus en acheter, mme
nombreux: ce sont la man un prix lev.
gue, le mangoustan, l'anaIl parat que j'ai grave _ =
nas, si odorifrant et qui
ment offens les pauvres
fond dans la bouche, et
Thais de Kombau, en enRocher perc de Thoulou, v& olfe de Siam. Dessin de Sabatier
d'apres M. Mouhot.
surtout, ce qui est bien sulevant les empreintes dont
prieur
tout
ce
que
j'avais
pu imaginer avant d'en
j'ai parl plus haut; je viens d'en rencontrer plusieurs
qui mrite juste
avoir
got,
le
fameux
dourion,
qui, me disent-ils, ont les a bras casss; n ils ne pourtitre
d'tre
appel
le
roi
des
fruits.
Toutefois,
pour bien
ront plus travailler et seront toujours pauvres. Dsormais ils auront une bonne excuse pour leur paresse, et l'apprcier, il faut quelque temps; il faut surmonter le
moi j'aurai me reprocher et rpondre de leur misre, dgot qu'inspire son odeur lorsqu'on n'en a jamais
puisqu'en enlevant cette pierre, j'ai irrit contre eux tous mang ; cette odeur est telle qu'au premier abord, j'tais
les gnies de la montagne. Les Chinois pensent autre- oblig de m'loigner du lieu o il s'en trouvait. La prement, leurs ides ne sont pas moins amusantes. Ils mire fois que j'en gotai, il me semblait tre prs de
prtendent que sous l'empreinte il doit se trouver un quelque animal en putrfaction; ce ne fut qu' la quatrsor dans le roc, et que le bloc que j'ai enlev doit trime ou la cinquime tentative que je sentis cette odeur
avoir de grandes vertus mdicinales; de sorte qu'Apat et se changer en un arome des plus agrables. Le dourion
ses amis frottent tous les matins le dessous de la pierre atteint en grosseur peu prs les deux tiers du jacquier,
contre un autre morceau de granit, puis recueillent et comme ce dernier il est entour d'une corce trsprcieusement dans de l'eau la poussire qui en tombe paisse et pineuse, qui le protge contre la dent des
et avalent le tout, jeun, avec la ferme persuasion cureuils et des autres rongeurs ; en l'ouvrant, on trouve
266
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
distance, sur une estrade leve, un orchestre tait tabli, jouant des divers instruments de la musique siamoise. Plus loin, quelques femmes avaient tabli un
march o elles dbitaient des fruits, des bonbons et des
noix d'arec, tandis que d'un autre ct des Chinois et des
Siamois jouaient, sur un petit thtre mont pour cette
occasion, des scnes dans le genre de celles de nos thtres ambulants qui courent les foires. Cette fte , qui
dura trois jours, n'avait rien qui rappelt une crmonie
funbre, et il s'y fit une consommation norme de poudre et d'arack. Je m'y tais rendu, pensant y voir quelque
chose de nouveau et de curieux, car la crmation n'existe
que chez trs-peu de peuples, et on ne la pratique ici
que pour les souverains, les princes et les personnages
de rang lev, sans songer que je serais moi-mme un
objet de curiosit pour la foule, ce qui arriva cependant.
A peine tais-je dans l'enceinte de la pagode, suivi
de Phra et de Niou, que de tous les cts j'entendis
rpter le mot farang; venez voir le farang; D puis
aussitt Siamois et Chinois quittrent leurs bols de riz
pour se porter de notre ct. J'esprais qu'une fois leur
curiosit satisfaite, ils me laisseraient circuler paisiblement; mais loin de l, la foule grossissait de plus en plus
et me suivait de quelque ct que j'allasse, au point de
devenir gnante, insupportable, et d'autant plus que la
plupart de ceux qui y affluaient taient dj ivres d'opium ou d'arack, et peut-tre de tous les deux. Je m'loignais de cet endroit quand, en 'passant devant une
baraque en planches construite pour la circonstance,
j'aperus plusieurs chefs de la province qui prenaient
aussi leur djeuner. Le plus g vint directement moi,
me prit la main et me pria d'une manire civile d'aller
,m'asseoir auprs d'eux; je profitai de sa bonne invitation pour trouver un refuge contre les importuns.
On me combla d'honntets ainsi que de ptisseries, de
fruits naturels et confits, etc. ; mais la foule qui m'avait
suivi se pressait de plus en plus autour de la maison et
avait fini par en envahir tous les abords, jusqu'au toit
qui tait couvert de curieux. Tout coup un sourd craquement se fit entendre, et toute la partie antrieure de
l'habitation, cdant sous le poids des spectateurs, s'croula avec eux, et ils roulrent au milieu des talapoins
et des laques : ce fut une confusion des plus comiques.
J'en profitai pour m'chapper, jurant, mais un peu
tard, qu'on ne m'y prendrait plus. D
XI
Retour Chantaboun. 11es Ko-Khut, Koh-Kong, etc. Superbe
perspective du golfe de Kampdt. Le Cambodge. Commerce
de ces contres. Etat misrable du pays. Audience chez
le roi du Cambodge.
267
268
LE TOUR DU MONDE
Vue nes lies du golfe prises du cap Liant (voy. p. 259). Dessin de Sabatier d'aprs M. Mouhot.
leve sur des pilotis dans un endroit peu profond. Au ment par la basse Cochinchine, dont les ports ont t
moment o nous dpassions la douane, nous apermes jusqu'ici presque constamment ferms aux Europens, de
le cortge royal quise dirigeait vers une grande jonque sorte que les navires qui y arrivent ne trouvent gure
que Sa Majest faisait construire afin de pouvoir aussi charger que du riz qui leur est amen par des bateaux, et
presque comme contrebande, de la basse Cochinchine
se livrer au commerce, et avoir quelque chose de mieux
envoyer Singapour que les mauvais bateaux qui, par Itatienne, le Cancao des cartes, ou d'autres petits
ports du voisinage. Hormis quelques tonnes de gommejusque-l, avaient compos toute sa marine.
La rivire qui conduit la ville a prs de cent cin- gutte, un peu d'ivoire, du poisson pch dans le grand
quante mtres de largeur, mais son cours est trs-born ; lac par des Annamites, du bois d'bnisterie et de conelle prend naissance dans les montagnes voisines. Le struction pour lequel il est clbre, et du coton, le Camprincipal avantage qu'elle offre, c'est de pouvoir amener bodge ne fournit rien au commerce, et j'ose mettre
la mer les magnifiques bois de construction qui abon- l'opinion que le jour o les ports d'Annam seront oudent dans les forts de ses deux rives, et dont les Chinois verts aux Europens, les marchands chinois tablis
Kampt abandonneront cette ville ; cependant, mieux
ne peuvent se passer pour la mture de leurs jonques.
Il y a continuellement de six sept navires en charge gouvern, ce district pourrait alimenter le commerce
dans la rade, de sorte que l'on voit souvent des bateaux d'un grand nombre de produits dont nous parlerons plus
chinois ou europens monter et descendre le fleuve. tard.
Ce qui reste de ce malheureux pays ne tardera sans
Quoique Kampt soit actuellement l'unique port de Cambodge, il est loin d'avoir le mme mouvement que le doute pas tomber sous la domination de quelque autre
port de Bangkok, car la ville compte au plus trois cents puissance; qui sait ? Peut-tre la France a-t-elle. les
maisons et une population peu prs gale celle de yeux fixs sur lui et se l'annexera comme elle fait en ce
Chantaboun; en outre, tout son petit commerce est ali- moment de la Cecl.inchine.
269
LE TOUR DU MONDE.
fut que la France tait en guerre avec l'Autriche. J'ignorais mme qu'il y et quelque diffrend entre les
deux gouvernements. L'Italie allait natre de ce conflit!
A peine tais-je dbarqu qu'on nous annona le passage du roi qui revenait de son excursion. L'abb Hestrest me conduisit au bord de la rivire. Ds que le roi
eut aperu un tranger ct du missionnaire, il donna
l'ordre ses rameurs d'accoster le rivage, et quand il
fut porte de la voix, il s'adressa l'abb :
Quel est l'tranger qui est avec vous?
Sire, c'est un Franais.
Un Franais! b rpondit-il avec vivacit.
Puis, comme s'il doutait de la parole du missionnaire,
il ajouta en s'adressant moi :
Vous tes Franais?
Franais, sire, lui rpondis-je en siamois.
M. Mouhot vient de Paris, dit l'abb en donnant , sa rponse un ton mystrieux; mais il a t tout
rcemment au Siam.
Et que vient-il faire dans mon royaume ?
Il est en mission particulire, dit l'abb d'un ton
270
LE TOUR DU MONDE.
mystrieux, mais qui n'a rien de commun avec la politique ; c'est uniquement pour voir le pays ; du reste ,
M. Mouhot ne tardera pas rendre une visite Votre
Majest.
Aprs quelques minutes de silence de part et d'autre,
le roi salua de la main et nous dit :
Au revoir..
Le cortge s'loigna.
Je craignis un instant que l'abb ne m'et fait passer
pour un personnage moins humble que je ne le suis
rellement, et que, par suite, on ne m'interdt l'entre du royaume. Le nom seul de la France cause une
peur mortelle ces pauvres rois. Celui-ci s'attendait
chaque jour voir flotter le pavillon franais dans la
rade. Le roi du Cambodge a prs de soixante ans; petit
de taille et replet, il porte les cheveux courts : sa physionomie annonce l'intelligence, beaucoup de finesse, de
la douceur et une certaine bonhomie'. Il tait mollement couch l'arrire de son bateau de construction
europenne, sur un large et pais coussin; quatre rameurs seulement et une douzaine de jeunes femmes le
remplissaient. Parmi celles-ci, j'en remarquai une dont
les traits taient dlicats et mme distingus; vtue moiti l'europenne, moiti l'annamite, et portant releve toute sa longue chevelure noire, elle aurait pass
pour une jolie fille en tous pays. C'tait , je pense, la
favorite du roi; car, non-seulement elle tait mieux mise
que les autres et couverte de bijoux, mais elle occupait la
premire place auprs du roi et prenait grand soin que
rien ne blesst le corps de son vieil adorateur. Les autres femmes n'taient que de grosses filles la figure
bouffie, aux traits vulgaires et aux dents noircies par
l'usage de l'arack et du btel. Derrire le bateau du roi
venaient, sans ordre et de longues distances, ceux de
quelques mandarins que je ne pouvais distinguer du
vulgaire ni par la mine ni par la tenue. Une barque
seule, monte par des Chinois et commande par un gros
personnage de la mme nation qui tenait leve une espce de hallebarde surmonte d'un croissant, attira mon
attention; elle marchait en tte de l'escorte. C'tait le
fameux Mun-Suy, le chef des pirates et l'ami du roi.
Voici ce que j'appris au sujet de cet individu :
A peu prs deux ans auparavant, ce Chinois , oblig,
par des mfaits que l'on ne connat pas trs-bien, de
s'enfuir d'Amoy, sa patrie, arriva Kampt avec une
centaine d'aventuriers , cumeurs de mer comme lui.
Aprs y avoir pass quelque temps, faisant trembler
tout le monde, extorquant, la menace la bouche, tout
ce qu'ils pouvaient aux gens du march , ils conurent
le projet de s'emparer de la ville, de tout y mettre feu
et sang, et de se retirer ensuite avec le fruit de leurs
vols s'ils n'taient pas en force pour rester en possession du terrain. Mais leur complot fut rvl, les Cambodgiens furent appels de tous les environs et arms
'mit bien que mal, et le guet-apens avorta. Mun-Suy,
L Depuis le voyage de M. Mouhot au Cambodge, ce roi est mort,
et c'est le second roi, dont il est question plus loin, qui lui a suc-
cd.
LE TOUR DU MONDE.
d'ltgance et recouverte en tuile rouge. L'intrieur tait
plutt celui d'une salle de thtre forain que celui de la
demeure d'un souverain. Ne trouvant la porte ni suisse
ni factionnaire, nous entrmes sans nous faire annoncer.
Sa Majest trnait sur une vieille chaise de fabrication europenne. De chaque ct de sa personne, et rampant sur
les coudes et les genoux, deux officiers de sa maison lui
offraient de temps en temps une cigarette allume, de l'a-
271
une canne fusil anglaise d'un beau travail, avec l'intention de l'offrir Sa Majest. Ce fut la premire
chose qui attira son attention :
Veuillez me montrer cette canne, D dit-il en cambodgien. Je la lui prsentai.
Est-elle charge? ajouta-t-il en voyant que c'tait
une arme.
Non, sire. D
Alors il l'arma, me demanda une capsule et la fit
272
LE TOUR DU MONDE.
M. Mouhot navigant entre les les du golfe de Siam. Dessin de Sabatier d'aprs M. Mouhot.
dit, je l'eusse devin rien qu' voir les magnifiques inscriptions charbonnes sur le mur par les marins de sa
suite, telles que celles-ci :
e Htel du roi et des ambassadeurs. Ici on loge
pied, cheval et lphant gratis pro Deo. Bon lit,
sofa et table manger.... sur le plancher. Bains d'eau
de mer.... dans la rivire. Bonne table.... au march,
Bon vin.... Singapour....
Rien.... pour la servante. u
Henri MotmoT.
(La suite d la prochaine livraison.)
LE TOUR DU MONDE.
273
XII
Dtails ultrieurs sur le Cambodge. Udong, sa capitale actuelle. Audiences chez le second roi, etc.
Dans la matine du jour fix pour mon dpart, et lorsque tous mes prparatifs furent termins, l'abb Hestrest vint me chercher pour me faire partager avec lui
son modeste djeuner et me conduire ensuite avec son
bateau jusqu' Kompong-baie, o je devais trouver les
chariots.
Arrivs cet endroit, point de chariots. Nous nous
rendmes chez le premier mandarin, qui, tout en chiquant du btel, nous montrait ses dents noires et son
rire stupide; je vis que j'tais le jouet de ces individus
faux partout et toujours, ne cdant qu' la force et dtestant avant tout le nom d'Europen. Aprs maintes
rclamations auprs des mandarins de tous grades, on
m'amena enfin trois chariots! Les voitures chiens qui
sont en usage en Hollande auraient mieux fait mon affaire. J'envoyai donc promener les trois brouettes du
roi du Cambodge avec mes compliments pour cette majest, et j'en louai d'autres mes propres frais.
Udong, la capitale actuelle du Cambodge, est situe
au nord-est de Kampt, deux lieues et demie de l'affluent du Mkong, qui vient du grand lac, et cent
1. Suite. Voy. pages 219, 225, 241 et 247.
18
274
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
a Oh ! cela ne fait rien; le roi n'a pas de costume du tout, et il sera enchant de vous voir. A peine
mes chariots taient-ils arrivs, qu'un chambellan en
langouti, suivi d'un page, accourut pour me dire que le
roi m'attendait. Je me rendis donc au palais. La cour
qui le prcde tait dfendue par une douzaine de canons
veufs de leurs affts, jets au hasard et dans la gueule
desquels nichaient les moineaux. Plus loin, une nue
de vautours dvoraient les restes du repas du roi et des
gens du palais. Je fus conduit dans la salle d'audience,
qui communique avec les appartements particuliers du
roi; elle est pave de larges carreaux chinois, et les
murs sont blanchis la chaux. Une foule de pages, tous
Siamois, beaux jeunes hommes de vingt-cinq trente
ans, vtus uniformment
d'un langouti de soie rouge, se tenaient groups et
assis l'orientale en attendant Sa Majest. Quelques minutes aprs mon
arrive, le roi parut. Aussitt tous les fronts se
courbrent jusqu' terre.
Je me levai, et sa Majest
s'avana fort gracieusement prs de moi, d'un air
tout la fois dgag, distingu et digne.
Sire, lui dis-je, j'ai
en l'honneur de voir S. M.
le premier roi Kampt
et d'en obtenir une lettre
pour me rendre Udong.
tes-vous Anglais
ou Franais? dit le prince
en m'examinant attentivement.
JesuisFranais, Sire,
Vous n'tes pas marchand; que venez - vous
donc faire au Cambodge?
J'y suis venu pour visiter votre pays et chasser.
C'est trs-bien. Vous avez t Siam; moi aussi,
j'ai t Bangkok. Vous viendrez me voir encore?
Toutes les fois que ma prsence pourra tre agrable Votre Majest. D
Aprs quelques instants de conversation, le roi me
tendit la main, je le saluai et sortis. A peine tais-je
rentr que plusieurs de ses officiers accoururent chez
moi en me disant : Q Le roi est enchant de vous, il dsire vous voir souvent.
Le jour suivant je parcourus la ville, dont les maisons
sont construites en bambous et quelques-unes en planches; le march, tenu par des Chinois, est, par sa salet,
l'gal de tous les autres dont j'ai dj parl. La plus longue rue, je pourrais dire l'unique, a prs d'un mille de
longueur. Dans les environs habitent les cultivateurs et
voyage.
275
276
LE TOUR DU MONDE.
pour me saluer, puis m'appela prs d'elle. Aussitt deux grande faveur. Le lendemain matin, des pages vinrent
pages apportrent des chaises qu'ils placrent sur le m'offrir, de la part du roi, des chevaux pour me promegazon en face l'une de l'autre. Sa Majest m'en offrit ner; mais la chaleur tait accablante. Vers quatre heures
une, et la conversation commena dans ce salon impro- le roi m'envoya un cheval pour me rendre au palais.
vis, tandis que toute l'escorte, ainsi que les passants, J'tais en habit, pantalon et gilet de toile d'une blandemeuraient prosterns. Aussi loin que la vue pouvait cheur clatante; un casque de lige la faon des anciens
s'tendre, elle ne rencontrait aucun homme debout.
Romains et recouvert de mousseline blanche t compl Comment trouvez-vous ma ville? dit le roi en em- tait ma singulire toilette. Je fus introduit par le chamployant ce mot pour dsigner son palais avec ses dpen- bellan dans un des appartements particuliers du roi.
dances et les fortifications.
C'tait un trs-joli salon, meubl l'europenne. Sa
Sire, elle est splendide et offre un aspect que je Majest m'attendait en fumant un bouri, assise ct
n'avais vu nulle part ailleurs.
d'une table charge de mets. Ds que j'entrai, elle se
Tous ces palais et ces pagodes que vous voyez d'ici leva, me tendit la main en souriant, et me pria immdiadans cette cour ont t construits dans une anne, depuis tement de prendre place et de commencer mon repas.
mon retour de Siam ; dans une autre anne tout sera Je vis qu'il se proposait, selon l'usage du pays, de me
achev, et il n'y aura plus
faire honneur en assistant
au repas sans y prendre
alors que des briques. Japart lui-mme. Aprs m'adis, le Cambodge s'tenvoir prsent, avec une
dait trs-loin, mais les Anamnit et une grce parnamites nous ont enlev
beaucoup de provinces.
faites, son frre cadet,
Sire, le moment est
jeune prince de quatorze
peut-tre arriv pour vous
quinze ans, prostern
ct de lui, le roi ajouta:
de les reprendre. Les Franais les attaquent d'un ca J'ai fait rtir ce poulet et ce canard la mat, attaquez-les de l'autre.
nire europenne , vous
Sa Majest ne rpondit
me direz s'ils sont votre
pas, mais elle me tendit
un cigare en me demangot.
En effet, tout tait exdant mon ge.
Je venais de me faire
cessivement bien prpar;
le poisson surtout tait exapporter une jolie petite
quis.
carabine Mini que les officiers du roi taient venus
Good brandy ! s me dit
le roi en anglais, les seuls
examiner dans la matine;
mots de cette langue qu'il
je la lui prsentai en le
connt, en me montrant
priant de bien vouloir l'acune bouteille de cognac.
cepter si elle lui plaisait.
Il me dit de la charger. Je
Prenez et buvez.
On me servit des geles
levai la bascule et poussai
une cartouche dans le ca- Portrait du deuxime roi de Cambodge, en 1859, aujourd'hui premier roi. et des fruits confits exDessin de Janet Lange d'aprs M. Mouhot.
quis, des bananes du Camnon. a C'est fait, Sire.
Comment donc? ce n'est pas possible; tirez alors. bodge et des mangues excellentes, puis le th, que le
IL choisit lui-mme pour but un poteau assez loign roi prit avec moi en m'offrant un cigare de Manille.
et m'indiqua l'endroit o je devais frapper; je tirai, et Enfin, il plaa une bote musique sur la table et la fit
aussitt Sa Majest et ses pages coururent s'assurer que jouer.
le coup avait port juste.
Le premier air qui en sortit me fit un plaisir d'autant
Quand pensez-vous quitter Udong?
plus grand que je ne m'attendais pas l'entendre dans
Sire, mon dsir est de partir aprs-demain pour le palais d'un roi.... rgnant. C'tait la Marseillaise. Le
Pinhalu et les provinces d'au del.
roi prit mon mouvement et mon sourire d'tonnement
-- Si vous pouviez rester un jour de plus, vous me
pour de l'admiration.
feriez plaisir; demain vous dinerez chez moi, le jour
Connaissez-vous cet air?
suivant je vous conduirai voir la ville du premier roi,
Un peu, Sire.
et le soir je ferai jouer la comdie.
Puis vint un autre, non moins bien connu, l'air des
La comdie ! pensai-je, cela doit tre curieux ;, et pour Girondins: Mourir pour la patrie! etc.
la comdie je restai. Aprs avoir remerci le roi de ses
1. Coiffure excessivement lgre, fralche, commode et abritant
faveurs et de ses bonts pour moi, nous nous sparmes
bien du soleil le cou et la face. Je la recommand fort aux voyaavec une poigne de main. videmment, j'tais en geurs dans ces pays.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
Le 2 juillet, aprs avoir mang le riz ordinaire du matin, nous tions prts nous mettre en route; nous n'attendions, pour cela, que les lphants et les chariots que
LE TOUR DU MONDE.
mon compatriote comme Franais, mais comme enfant
du mme dpartement : il est n dans le canton du
Russey et moi dans celui de Montbliard (Doubs). Il
avait donc double titre ma sympathie. Il appartient
la. mission de Cochinchine, et tait venu de chez les sauvages Stings pour renouveler ses provisions; mais il
s'tait trouv atteint de la dyssenterie par suite de la
fatigue du voyage, et n'avait pu retourner son poste
avec ses gens. En entendant ces braves et dvous soldats de l'glise raconter leur misre passe et prsente,
j'tais quelquefois autant amus qu'mu, tant ils le faisaient gaiement. C'est le propre des enfants de notre
vaillante nation de savoir souffrir et mourir le sourire
sur les lvres. Quatre jours s'coulrent promptement
dans l'aimable compagnie de ces bons prtres, qui ne
tenaient pas moins me procurer l'occasion de voir leur
vque que moi 'a faire sa conaissance. Je savais que
je trouverais en lui un homme suprieur sous tous les
rapports, mais je ne m'attendais
pas trouver dans ce hros des
missions une simplicit et une humilit gales son instruction
et la force de son caractre.
Mgr Miche est trs-petit de taille,
mais sous une enveloppe chtive
il concentre une vitalit et une
nergie extraordinaires. Les annales de la mission de Cochinchine
qui tait la mme que celle du
Cambodge il y a peu de temps encore, doivent compter de belles
pages consacres aux actes de ce
glorieux soldat du Christ.
N'tant encore que simple missionnaire, il fut emprisonn avec
un de ses confrres et frapp de
verges, affreux supplice qui chaque coup fait jaillir le sang et entame les chairs. La sentence excute, ou les ramenait dans leur cachot afin de renouveler le supplice le lendemain lorsque les plaies commenceraient se cicatriser.
e Cela fait horriblement souffrir, dit l'autre missionnaire Mgr Miche, et je crains de n'avoir pas la force de
supporter une nouvelle preuve.
Soyez tranquille, lui rpondit celui-ci, je demanderai recevoir les coups pour vous.
Et il en fut comme il l'avait dit !
Ici le missionnaire est tout pour ses pauvres catchistes, mdecin de l'me et mdecin du corps, juge, etc.
Chaque jour, il passe plusieurs heures entendre leurs
diffrends et remettre la paix l o elle est trouble.
Et elle l'est souvent dans une contre oh un dbiteur
qui ne peut payer son crancier devient, lui et sa famille, l'esclave de cet homme.
Tu es mon esclave, dit un individu une jeune
fille qu'il rencontre par hasard.
Comment cela? je ne vous connais pas.
279
XIV
Dpart de Pinhald. Le grand bazar du Cambodge. PenomPenh. Le fleuve Mkong. L'91e Ko Sutin. Pemptilan.
Les confins du Cambodge. Voyage Brelum et dans la contre des sauvages Stings.
280
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
la ville de Saigon aurait peut-tre peu flatt l'orgueil
d'un Francais. Je n'avais pas vu les glorieux bulletins
de l'amiral, j'avais la douleur d'entendre l'ennemi nous
traiter de -barbares, et, faisant retomber sur nous la
responsabilit de faits partiels, sans doute invitables
en temps de guerre, et surtout dans un pays o le soldat souffre du climat et de privations de toute espce,
s'tonner, lui, le peuple le plus corrompu peut-tre de
tout l'Orient, de ne pas trouver en nous des hommes
d'une supriorit morale aussi incontestable que notre
supriorit intellectuelle et physique.
Le jour suivant, en descendant le fleuve jusqu' l'extrmit sud de la ville, nous longemes comme une autre
281
Confluent du fleuve Mekong et du coenal du lac Touli-Sap. -- Dessin de Sabatier d'apres M. Mouhot.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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l'approche
de l'hombous du voisinage, la
me, et pour les tirer, il
modeste croix plante defaut les attendre l'afft
puis deux ans au milieu
auprs des endroits o
de ces effrayantes solitudes
d'habitude ils viennent s'apar deux nobles Franais.
breuver, post sur un arC'tait la Mission de Brebre ou dans une hutte de
lum.
feuillage. Les scorpions,
Notre apparition fut sales centipdes, et surtout
lue par plusieurs dcharles serpents, sont les enges de mousqueterie ; nous
nemis que nous redoutons
y rpondmes de notre
le
plus et contre lesquels il
mieux, tandis qu'au milieu
faut
prendre le plus de prde ce vacarme de feux roucautions, de mme que
lants, rpercuts par l'cho
d'autre parties moustiques
de la fort et propres faire
et les sangsue s sontles plus
rentrer au fond de leurs
incommodes et les plus
repaires tous les monstres
acharns. Pendant la saison
du voisinage, le pauvre
des pluies notamment, l'on
pre Guilloux, les jambes
ne peut tre trop sur ses
couvertes de plaies envegardes, autrement, en se
nimes, rsultat des courHutte cambodgienne. Dessin de Sabatier d'aprs M. Mouhot.
couchant comme en se leses o l'entranait son zle
et qui l'avaient retenu sur le grabat pendant plus de vant, on risquerait de mettre le pied ou la main sur quelsix mois, s'avanait en chancelant ma rencontre sur que serpent venimeux des plus dangereux. J'en ai tu
les troncs d'arbres jets en guise de pont en travers plusieurs dans la maison, soit d'un coup de fusil, soit
du marais.
d'un coup de hache. En crivant ces lignes, je suis oblig
de faire le guet, car je m'attends en voir reparatre
Salut toi, noble enfant de notre chre et belle
patrie! A toi, qui braves la misre, les privations, les faun sur lequel j'ai march ce soir, mais qui s'est enfui
tigues et les souffrances, et mme la mort, pour apporter sans me mordre. De temps en temps je m'interromps
ces sauvages les bienfaits de la religion et de la civili- aussi pour couter le rugissement d'un tigre qui rde
sation. Que Dieu te rcompense de tes nobles et pni- autour de notre demeure, guettant les porcs travers
leur clture de planches et de bambous, tandis que d'un
bles travaux, car les hommes sont impuissants le faire,
autre ct j'entends le bruit d'un rhinocros brisant les
et, du reste, ta rcompense n'est pas de ce monde!
La case de l'oncle Apat tait plus lgante que l'hum- bambous qui s'opposent son passage, pour venir dide presbytre de Brelum au toit d'herbes sches, aux vorer les ronces qui entourent notre jardin. Les sauvages Stings qui habitent ce pays sortent proparois de roseaux, parquet de terre nue ; mais j'y fus
reu en ami.
bablement de la mme souche que les tribus des pla-
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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286
LE TOUR DU MONDE.
riz pour alimenter l'me de leurs anctres ; dans les sentiers frquents autrefois par eux, dans leurs champs,
ils font les mmes petits sacrifices. Au bout d'un long
bambou plant en terre, ils suspendent des panaches
arrachs aux roseaux; plus bas, ils attachent de petits
bambous qui contiennent quelques gouttes d'eau et de
vin ; et enfin, sur un petit treillage lev au-dessus du
sol, ils dposent un peu de terre, y plantent une flche, y jettent quelques grains de riz cuit, un os, un
peu de tabac et une feuille.
Selon leurs croyances, les animaux ont aussi une me
qui continue errer aprs la mort; aussi, quand ils en
ont tu un, dans la crainte que cette me ne vienne les
tourmenter, ils lui demandent pardon du mal qu'ils lui
ont fait et lui offrent de petits sacrifices proportionns
la force et la grandeur de l'animal. Pour un lphant,
la crmonie est pompeuse : on dresse des couronnes
pour orner sa tte, le tam-tam, le tambourin et les chants
retentissent pendant sept jours conscutifs. Tout le village, appel au son de la trompe, accourt et prend part
la fte, et chacun a droit un morceau.
Les Stings fument la chair des animaux qu'ils veulent conserver longtemps; mais comme d'ordinaire tous
ceux qu'ils tuent ou prennent la chasse sont mangs
sur le terrain mme dans l'espace de deux ou trois jours,
ils se contentent de les faire roussir en entier et sans
les dpouiller; plus tard, ils les dpcent et les cuisent
soit dans le creux d'un bambou vert, soit sur des charbons.
Il est rare de rencontrer un sauvage sans qu'il ait
son arbalte la main, son couperet sur l'paule et
une petite hotte sur le dos, qui lui sert de gibecire et
de carquois.
La chasse et la pche occupent tout le temps que ne
rclament pas le champ. Ils sont infatigables la course,
et ils glissent dans les bois les plus pais avec la vlocit
du cerf. Ils sont vifs, lgers, et supportent la fatigue
sans paratre la ressentir; les femmes paraissent aussi
agiles et aussi robustes que les hommes. Leurs arbaltes
ont une grande force, et ils s'en servent trs-adroitement, mais rarement une distance de plus de cinquante pas. Le poison qui sert envenimer leurs flches pour la chasse des gros animaux est d'une activit
trs-rapide lorsqu'il est nouvellement employ. Si
l'animal, lphant, rhinocros ou tigre, a t atteint de
manire pntrer un tant soit pen dans les chairs et
communiquer le poison au sang, on est presque sr de
le trouver quelques centaines de mtres de l'endroit o
il a t frapp.
La manire de chasser le tigre est bien diffrente chez
les Annamites qui confinent au territoire des Stings.
L, ds qu'un tigre a enlev quelqu'un dans une localit, tous les hommes accourent des environs au son du
tam-tam pour se mettre aux ordres d'un chasseur dnomm et traquer l'animal.
Comme d'ordinaire, le tigre se couche toujours prs
de l'endroit o il a laiss les restes de son repas ; lorsqu'on trouve ceux-ci, on est presque sr que n le sei-
LE TOUR DU MONDE.
287
vendre,
ils les disposent par dizaines et mettent
coupent les broussailles autour d'eux.
un
temps
infini
pour
s'assurer que le nombre est exact.
Le tigre, press de tous cts, se retire lchement
Ils
ont
des
guerres
frquentes, mais jamais trs-sdans les broussailles qui n'ont pu tre coupes. Roulant
ses yeux sanglants autour de lui, et lchant ses pattes rieuses, suites de reprsailles entre les villages voisins;
d'une manire agite, comme pour se prparer la lutte, ils cherchent se surprendre dans leurs champs ou sur
il pousse un effroyable hurlement et prend son lan; mais les chemins ett se faire prisonniers. Le captif est alors
aussitt les hallebardes sont releves, et l'animal, perc conduit la cangue au cou et vendu comme esclave aux
de coups, tombe sur le terrain, o on l'achve. Parfois, Laotiens et aux Cambodgiens. On peut dire que leur
cependant, des accidents ont lieu dans ces sortes de caractre est doux et timide ; la moindre alerte, ils se
chasses, et plusieurs hommes sont mis hors de combat; retirent dans les bois et enfoncent dans les sentiers des
mais les armes feu tant prohibes dans le pays, l'An- dards de bambous aigus et taills comme des stylets,
namite est forc d'avoir recours sa pique, car la nces- qui trs- souvent percent de part en part les pieds de
sit l'oblige poursuivre partout a le grand-pre , qui ceux qui les poursuivent.
Il y a une diffrence trs-notable entre les moeurs des
ne lui laisse pas de repos, force les cltures et enlve
trs-souvent des animaux et mme des hommes, non- sauvages de Brelum et ceux des villages environnants, et
seulement sur les chemins et la porte des maisons, on doit cela la prsence de la croix, aux bons et coumais jusque dans l'intrieur des habitations.
rageux missionnaires qui, rduits n'oprtr que bien
Les Stings aiment beaucoup la parure, et leurs orne- peu de conversions, la plus grande de leurs peines, ont.
ments de prdilection sont les fausses perles de couleur au moins la consolation de pouvoir, par leur prsence
brillante, dont ils font des bracelets; la verroterie et le continuelle, leurs bons exemples et leurs conseils, adoufil de laiton sont pour eux une monnaie courante. Un cir les moeurs, clairer l'intelligence, en un mot, civibuffle ou un boeuf est estim six brasses de gros fil de liser ces malheureuses cratures.
laiton ; un porc est presque aussi cher ; mais pour une
La faune de ce pays ne diffre pour ainsi dire pas de
coude d'un numro fin ou pour un collier de perles, on celle du royaume de Siam. Ainsi, sauf quelques belles
peut avoir un faisan ou cent pis de ruais. Les hommes coquilles terrestres, de beaux insectes, dont plusieurs
ne portent gnralement qu'un bracelet au-dessus du spcimens nouveaux dans ces deux genres, et un trscoude ou au poignet, tandis que les femmes s'entourent petit nombre d'oiseaux intressants, je ne rapporterai
les bras et les jambes des mmes ornements.
de mon excursion que le plaisir d'avoir pu tudier les
Les individus des deux sexes ont les oreilles perces murs de ce peuple curieux, et contribu le faire
d'un trou qu'ils agrandissent chaque anne en y intro- connatre ; si toutefois mes notes de voyage, prises la
duisant des morceaux d'os ou d'ivoire de trois pouces de
hte et sans autre prtention que celle d'une exactitude
longueur.
scrupuleuse, sont appeles voir le jour mon retour,
La polygamie est en usage chez les Stings, quoisoit que Dieu me rserve le bonheur de revoir ma patrie,
qu'il n'y ait gure que les chefs qui soient assez riches soit que tomb victime des fivres ou d'un tigre affam,
pour se permettre le luxe de plusieurs femmes.
je laisse quelque banne me le soin de recueillir ces
Je me trouvais chez les Stings au moment d'une feuilles, barbouilles le plus souvent la lueur d'une
clipse totale de soleil qui, je pense, fut visible en torche au pied d'un arbre, au milieu d'un tourbillon
Europe ; comme les Cambodgiens, ils prtendent que ce
d'affreux moustiques.
phnomne est caus par un tre puissant qui engloutit
Henri MOULUT.
la lune ou le soleil, et ils font, pour 'secourir l'astre en
(La suite ci la prochaine livraison.)
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LE TOUR DU MONDE.
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Retour Pinhalu et Udong. Le grand lac Touli-Sap. Rencontre de neuf lphants. Oppression du peuple.
Sur la rgnration ventuelle du Cambodge.
19
290
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
Tout ce que je regrette, disait-il, ce sont mes pauvres
parents que je ne reverrai plus; je vois venir la mort
avec calme, presque avec joie. Toutes nos instances
pour l'emmener furent inutiles, et il nous fallut poursuivre notre route, profondment attrists de le Iaisser
dans cette pnible position sans pouvoir rien faire pour
le soulager.
Le 21 dcembre, nous tions enfin rendus Pinhalu.
C'est par le 103 03' 50" de longitude mridien de
Paris, vers le 11 37' 30 " de latitude nord et deux ou
trois lieues seulement de la frontire de la Cochinchine,
que se trouve Penom-Penh, ce grand march du Cambodge. C'est le point o le Mkong se divise; le grand
fleuve remonte au nord-est d'abord, puis au nord-ouest
jusqu'en Chine et aux montagnes du Thibet o il prend
sa source. L'autre bras, qui ne porte aucun nom et qu'il
serait bon, pour le distinguer, d'appeler M-Sap, du
nom du lac Touli-Sap, remonte an nord-ouest. Vers le
12 25' de latitude, commence le grand lac, qui s'tend
jusqu'au 1353'; sa forme est celle d'un violon. Tout l'espace compris entre ce dernier et le Mkong est une plaine
peu accidente, tandis que le ct oppos est travers par
les hautes chanes de Poursat et leurs ramifications.
L'entre du grand lac du Cambodge est belle et grandiose. Elle ressemble un vaste dtroit; la rive en est
basse, couverte d'une paisse fort demi submerge,
mais couronne par une vaste chane de montagnes dont
les dernires cimes bleutres se confondent avec l'azur
du ciel ou se perdent dans les nuages; puis, quand peu
peu l'on se trouve entour , de mme qu'en pleine
mer, d'un vaste cercle liquide dont la surface, au milieu
du jour, brille d'un clat que l'oeil peut peine supporter, on reste frapp d'tonnement et d'admiration comme
en prsence de tous les grands spectacles de la nature.
Au centre de cette mer intrieure est plant un grand
mt qui indique les limites communes des royaumes de
Siam et de Cambodge; mais, avant de quitter ce dernier pays, disons tout ce qui nous reste en dire.
L'tat prsent du Cambodge est dplorable et son avenir charg d'orages'.
Jadis cependant c'tait un royaume puissant et trspeupl , comme l'attestent les ruines splendides qui se
trouvent dans les provinces de Battambng et d'Ongkor,
et que nous nous proposons de visiter; mais aujour-
1. Cette prdiction s'est dj en partie ralise par une insurrection en faveur du jeune roi contre le vieux, peu de temps aprs le
dpart de M. Mouhot. Mais cette rvolution de palais n'a fait que
multiplier l'anarchie dans le royaume, comme le tmoigne le passage suivant d'une lettre de Mgr Miche, provicaire du Cambodge,
publie dans le numro de septembre 1863 des Annales de la Propagation de la foi.
a Voil huit mois que nous sommes en pleine rvolution trois
princes se disputent un trne vermoulu, sans qu'on puisse prdire
qui l'obtiendra. La cause de cette anarchie persvrante, c'est
l'incurie de la cour de Siam, qui nous envoie chaque mois un ou
deux petits mandarinets sans autorit, lesquels expdient Bangkok des rapports contradictoires en embrouillant les affaires de
plus en plus. Il est vrai que le roi de Siam a dirig un gnral sur
Battambang avec trois mille hommes ; mais Battambang est en
paix et se trouve plac huit journes de marche du thatre de la
guerre. C'est ici qu'il devrait tre. Ce soldat au coeur de poule a
peur d'une poigne de rebelles, qu'il pourrait facilement cerner
292
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
293
bres plongeaient dans notre bateau; et d'normes singes accrochs aux rameaux discontinuaient leurs jeux
pour nous regarder passer. De temps autre, quelque
alligator, veill en sursaut par le bruit des rames ou
les chants de nos rameurs, bondissait de la rive, o il
dormait sur le sol humide, et s'enfonait sous l'eau.
Enfin nous apercevons devant nous une bourgade domine par les murailles en terre de ce qu'on appelle ici
de lumires et le lger souffle d'une frache brise emportent nos ennemis acharns les moustiques, de nouveau
les avirons se mettent en mouvement. Arrivs un endroit o la rivire se divise, nous entrons dans un troit
ruisseau qui vient du sud-est et qui, tortueux comme
un serpent, coule avec la rapidit d'un torrent. Ce cours
d'eau, sur lequel s'lve Battambang, n'a parfois que
douze quinze mtres de largeur; les branches des ar-
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pompeusement une citadelle; nous sommes Battambang, et comme partout c'est un prtre franais qui vient
nous offrir l'hospitalit. Que M. Sylvestre reoive ici l'expression de ma gratitude pour son bienveillant accueil
et pour l'aide qu'il a prte mes recherches de naturaliste et d'archologue.
Il y a prs d'un sicle que la province de Battambang
est soumise au Siam; depuis ce temps, plusieurs fois
294
LE TOUR DU MONDE.
l'empire d'Annam, il est probable qu'aujourd'hui la dernire heure aurait sonn pour le petit royaume de Cambodge, dont la destine peu douteuse est de s'teindre et
d'tre assimil aux peuples voisins.
Toutes les habitations construites sur les bords de
cette petite rivire sont entoures de belles plantations
de bananiers, et perdues au milieu de leur feuillage rubann et de la verdure intense de superbes manguiers.
La majorit de la population de Battambng est cambodgienne; les cultivateurs ont leurs rizires derrire
leurs demeures; et quoique soumis l'tranger depuis
prs d'un sicle, ils ont conserv les murs et les usages
de leur pays, et le gouvernement actuel, par une politique
habile, leur laisse toute la libert qui rgne au Cambodge, et les exempte des impts et des taxes qui ruinent
les autres provinces. Cette faveur cre une prosprit
relative Battambng, dont les habitants jouissent
d'un certain bien-tre qui apparat au premier abord.
La vie y est d'un bon march extraordinaire. La ville
actuelle ne date que de l'poque de la prise de la province par les Siamois; l'ancienne ville tait situe
trois lieues plus l'est, sur le bord de la rivire que
l'on a barre et dtourne de son cours.
Tous les anciens habitants ont t alors conduits au
Siam et au Laos, de sorte que la nouvelle population s'est
forme de gens venus de Penom-Penh, de Udong et
d'autres points du Cambodge.
Quelle que soit leur origine, les Battambonais sont de
vrais Siamois par leur amour pour le jeu et les amusements les plus purils. Ils sont passionns surtout pour
les courses de chevaux qui ont lieu chaque anne, et
dans lesquelles on engage des paris qui montent parfois jusqu' onze naines (prs de 1100 fr.), somme
assez considrable pour ce pays. On trouve l des poneys d'une vlocit extraordinaire et que l'on recherche pour la chasse aux daims et aux buffles. Lancs
dans la plaine, ils devancent les animaux sauvages les
plus rapides la course, ce qui permet aux chasseurs de
les tuer coups de pique. Pour les combats de coqs et
de tortues, il se fait aussi des paris considrables. Ces
derniers sont trs-curieux : deux tortues sont places
entre deux planches resserres dans un troit espace ;
une autre planche les spare, de manire ce qu'en s'avanant en mme temps vers la seule sortie qu'on leur
mnage, ce ne soit que par le recul de l'une d'elles que
l'autre puisse sortir de la cage. On fait alors sur leur
carapace un petit foyer d'argile, on prend du charbon
que l'on divise en deux parties trs-gales, on le place
allum sur le dos des animaux en l'attisant avec un ventail. Ds que la chaleur commence pntrer les chairs,
les pauvres btes font tous leurs efforts pour s'vader et
se pressent vers l'ouverture jusqu' ce que la plus faible,
puise par ses efforts, finisse par cder.
La province de Battambng est seme de ruines d'une
poque inconnue. Elles forment tout autour de l'extrmit septentrionale du grand lac un demi-cercle immense. Commenant aux sources de la petite rivire de
Battambng, il se prolonge et se perd dans les forts
LE TOUR DU MONDE.
qui a disparu en entier la suite des guerres ritres
que ce pays a eu soutenir contre Siam.
Les habitants de cette province furent emmens captifs par les vainqueurs, qui peuplrent de la sorte plusieurs parties dsertes de leur pays.
C'est ainsi que l'on voit Siam et au Laos des
provinces entires , dont la plupart des habitants sont
d'origine cambodgienne.
Dpeupler une province pour en peupler une autre,
est, peu prs, toute l'conomie politique de l'Orient
moderne. Engourdi par la mollesse et la servitude, il
dort insoucieux sur les ruines de l'Orient antique, ruines
qui n'ont dsormais d'loquence et de leons que pour
les fils de l'Occident.
En remontant la rivire de Battambng l'espace de
douze treize lieues, dans la direction du sud, on arrive
un des premiers monts dtachs d'une des ramifications de la grande chane de Poursat. A ses pieds est une
misrable pagode d'origine rcente; dans les environs
sont disperss quelques hameaux, tandis que sur le
sommet aplani du mont mme se trouve le monument
en ruine de Banone. Huit tours sont relies par des galeries et communiquent de deux cts, par un mur de
terrassement, une tour centrale qui a plus de huit
mtres de diamtre et vingt d'lvation.
L'difice est de plain-pied, bti en pierre de grs, et
doit remonter la mme poque que Bassette. Quoiqu'il n'y ait rien de particulirement remarquable, ce
qui est rest debout des tours et des galeries n'en indique
pas moins un travail imposant, beaucoup de got dans
l'ensemble, d'habilet dans la construction et d'art dans
les dtails. Ce monument, de mme que tous ceux de
la province d'Ongkor, contraste autant, par la nature
de ses matriaux, avec les constructions de briques et
de faence de l'architecture siamoise, qu'avec les fragiles
et purils monuments de l'art chinois (voy. p. 292).
Banone devait tre un temple; on voit encore dans la
cour centrale et aux deux petites tours opposes qui sont
relies par une galerie, un grand nombre d'normes
idoles bouddhiques, probablement aussi anciennes que
l'difice lui-mme, et entoures d'une infinit d'autres petites divinits qui paraissent dater de toutes les poques.
Au pied du mont voisin se trouve une profonde caverne aux votes leves, sombres, et aux roches de
calcaire desquelles pendent de belles stalactites. On n'y
pntre qu'en rampant l'espace de plusieurs mtres.
Comme l'eau qui dcoule de ces stalactites est regarde
comme sainte par les Cambodgiens, qui lui attribuent,
entre autres vertus et proprits, celle de possder la
connaissance du pass, du prsent et de l'avenir, et d'en
rflchir les images comme une glace, les dvots s'y
rendent encore de temps en temps en plerinage pour
demander ces eaux de leur rendre la sant ou de jeter
des lumires sur leur sort ou celui du pays, et pour
adresser quelques prires aux nombreuses idoles que l'on
trouve partout parses dans les anfractuosits des rochers ou entasses sur le sol.
Le temple de Wat-Ek se trouve dans la direction op-
295
296
LE TOUR DU MONDE.
juste si on l'employait au figur pour parler de ces travaux prodigieux dont la vue seule peut donner une juste
ide, et dans lesquels la patience, la force et le gnie
de l'homme semblent s'tre surpasss, afin de confondre
l'imagination et laisser des preuves de leur puissance aux
gnrations futures.
Chose trange, cependant, aucun de ces monuments
ne semble avoir t cr en vue de servir d'habitation ;
tous semblent porter le cachet des ides du bouddhisme.
Dans le palais mme, statues et bas-reliefs ne reprsentent que des sujets exclusivement civils ou religieux ;
c'est une suite de rois entours de leurs femmes, la tte
et le corps chargs d'ornements, tels que bracelets et
colliers, et vtus d'un troit langouti.
Partout ailleurs l'on dcouvre des monceaux de dbris
de porcelaine et de poterie, beaucoup d'ornements, des
instruments de fer, des lingots d'argent, pareils ceux
ports, c'est sans doute la position centrale qu'elle occupe, car le minerai d'or dont nous avons reconnu l'existence dans une roche de quartz du voisinage ne doit entrer que pour peu dans ce choix, je le suppose du moins.
Situ quinze milles du grand lac, dans une plaine
en grande partie sablonneuse et aride, sous tous les rapports en un mot, moins que la nature du terrain n'ait
chang, la mtropole d'un grand empire aurait trouv
sur les rives du grand fleuve, un autre emplacement plus
abondant en ressources, et offrant surtout des communications faciles.
Quoique sans la moindre prtention en science architecturale, non plus qu'en archologie, j'essayerai cependant de dcrire ce que j'ai vu et senti Ongkor, dans le
seul espoir de contribuer, selon mes faibles capacits,
enrichir d'un nouveau champ le terrain de la science,
et d'attirer sur une scne nouvelle l'attention des savants
qui font de l'Orient l'objet de leurs tudes spciales.
298
LE TOUR DU MONDE.
Nous commencerons notre tude par le temple d'Ongkor, qui est le plus beau et surtout le mieux conserv
de tous ces monuments; c'est aussi le premier qui sourit au voyageur, lui fait oublier les fatigues du voyage
lorsqu'il arrive d'Ongkor la nouvelle, le transporte
d'admiration et le remplit d'une joie bien plus vive encore que ne le serait la rencontre de la plus riante oasis
au milieu du dsert. Subitement, et comme par enchantement, on se croit transport de la barbarie la civilisation, des profondes tnbres la lumire.
Avant d'aller plus loin, toutefois, nous sentons le besoin d'exprimer ici notre profonde gratitude envers le
digne missionnaire de Battambng, M. l'abb E. Sylvestre, qui, avec une complaisance sans bornes et une
ardeur infatigable, a daign nous accompagner depuis
sa rsidence, nous guider partout au milieu des paisses
forts qui couvrent une partie des ruines, et auquel
nous devons d'avoir pu recueillir bon nombre de matriaux dans un espace de temps assez court.
Lorsque de Battambng on se rend Ongkor, aprs
avoir coup le grand lac de l'embouchure de l'un
l'autre des cours d'eau qui traversent ces deux localits,
on s'engage dans un ruisseau que l'on remonte l'espace
de deux milles dans la saison sche, puis l'on arrive
un endroit o il s'largit quelque peu et forme un petit
bassin naturel qui tient lieu de port. De l une chausse
en terre, assez leve, praticable encore et qui s'tend
jusqu' la limite que les eaux atteignent l'poque de
l'inondation actuelle, c'est--dire sur un espace de
trois milles, conduit Ongkor la nouvelle, bourgade
insignifiante, chef-lieu de la province actuelle et situe
h quinze milles nord-nord-ouest des bords du lac.
Le vice-roi de la province de Battambng se trouvait
h Ongkor au moment de notre visite; il venait de recevoir l'ordre du gouvernement siamois d'enlever un des
plus petits, mais en mme temps un des plus jolis monuments d'Ongkor et de le transporter h Bangkok.
Nous trouvmes dans la personne du gouverneur
d'Ongkor un homme beaucoup plus affable et beaucoup
mieux lev sous tous les rapports que celui de Battambng. Je lui offris pour tout prsent un pain de savon,
et M. Sylvestre deux feuilles lithographies reprsentant
des militaires franais, et nous fmes aussitt dans les
bonnes grces de Son Excellence.
Il s'approcha de moi et passa sa main dans ma barbe
avec une sorte d'admiration.
Que dois-je faire pour faire crotre la mienne ainsi?
dit-il. Je dsirerais en avoir une pareille. Ne connatriez-vous pas un moyen pour la faire pousser?
Enfin il nous promit un chariot pour faire conduire
nos bagages Ongkor-Wat, ainsi qu'une lettre pour
nous recommander au chef du district et lui ordonner de
nous accorder tout ce que nous lui demanderions. Le
lendemain, nous nous mmes en route. Nous traversmes d'abord le chef-lieu moderne qui ne compte pas
beaucoup plus de mille habitants, tous cultivateurs, et
h l'extrmit duquel se trouve un fort d'un mille carr :
c'est une muraille crnele, construite en beaux blocs de
LE TOUR DU MONDE.
299
300
LE TOUR DU MONDE. .
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i...71.^11^1 il
mais le gnie, la volont et la force faisaient un peu dfaut; en un mot, le temple du mont Ba-Khng parat
avoir t un des prludes de cette civilisation comme
Ongkor.Wat en aurait t plus tard le couronnement.
A six ou sept kilomtres au nord-ouest du temple,
gisent les ruines d'Ongkor-Thm, l'ancienne capitale.
Un bout de chausse, en partie dtruite, cache sous un
pais lit de sable et de poussire et traversant un large
foss bord de dbris de pierres, de blocs, de colonnes,
de lions et d'lphants, conduit la porte de la ville,
qui a la forme et les proportions d'un arc de triomphe.
Ce monument, assez bien conserv, est compos d'une
tour centrale haute de dix-huit mtres, entoure de qua-
tre tourelles et flanqu de deux autres tours avec galeries se reliant ensemble.
Au sommet se trouvent places quatre normes ttes
dans le got gyptien.
Tout le reste est charg de sculptures. Le pied de la
grande tour est perc d'une vote qui permet le passage
aux chars et de chaque ct de laquelle on a mnag
dans les murs deux ouvertures pour les portes et les
escaliers qui ont communiquer les tours entre elles et
avec les murailles. L'difice tout entier est construit en
pierre de grs. La grande muraille d'enceinte est forme de blocs de concrtions ferrugineuses, et s'tend
droite et gauche de la porte.
302
LE TOUR DU MONDE.
Cette muraille a de dveloppement prs de vingt- ses cts une cour de femmes. Toutes ces figures sont
quatre milles; sa largeur est de trois mtres quatre-vingts charges d'ornements, tels que pendants d'oreilles excentimtres. Haute de sept mtres, elle sert d'appui cessivement longs, colliers et bracelets. Elles n'ont pour
un glacis qui partant presque du sommet, s'tend sur costume qu'un lger langouti, et toutes ont la tte surune distance de quinze mtres de sa base.
monte d'une coiffure termine en pointe que l'on dirait
Aux quatre points cardinaux se trouvent des portes compose de pierreries, de perles et d'ornements d'or et
pareilles; le ct de l'est en compte deux.
d'argent. Les bas-reliefs d'un autre ct reprsentent
Dans cette vaste enceinte, aujourd'hui couverte de
des combats; on y remarque des enfants portant la chetous cts d'une fort presque impntrable, on dcouvre velure longue, noue en torchon, ainsi que l'troit lan chaque pas des difices plus ou moins ruins, mais qui gouti des sauvages de l'est.
tous tmoignent de l'anToutes ces figures le cPLAN DU TEMP LE D'ONDKOR.
cienne splendeur de cette
dent cependant en beaut
chelle e n mtres.
's
ville.
wo
,eo la statue dite du roi lEn quelques endroits efpreux, dont la tte, type
Est.
fondrs par les pluies ou
admirable de noblesse, de
F7
7
F7
3
3
creuss par les mineurs
rgularit, aux traits fins,
qui recherchent sans doute
doux et au port altier, a
des trsors enfouis sous
d tre l'oeuvre du plus
ces dcombres, on voit
habile des sculpteurs d'une
sous une paisse couche
poque qui en comptait un
s
d'humus , des lits pais
grand nombre dous d'un
d'un mtre et forms de
rare talent. Une moustaporcelaine et de poterie.
che fine recouvre la lvre
Trois murs d'enceinte
suprieure, et une longue
assez loigns les uns des .
chevelure boucle retombe
autres et bords chacun z
g sur les paules ; mais tout
d'un foss, entourent ce
le corps est nu et n'est requi reste du palais des ancouvert d'aucun ornement.
ciens rois.
Un pied et une main ont
Dans la premire ent briss.
ceinte sont deux tours reLe type de cette statue
3
lies par des galeries, et
est essentiellement celui
qui forment de quatre cdes Arians de l'Inde antits comme un arc de triomque; cette circonstance,
phe. Les murs sont btis
jointe au caractre d'une
en concrtions ferrugineuportion du moins des basses dont chaque gros bloc
reliefs des temples et des
forme sur sa longueur l'palais d'Ongkor, et qui
paisseur du mur; les tours
semblent inspirs de la
et les galeries sont en grs
mythologie et des comcomme dans les difices
bats chants dans le Raprcdents.
mayna, nous reporte la
A une centaine de mplus haute civilisation de
tres de l'angle du carr qui
l'Inde; l'poque qui a
Oues .
se trouve form du ct
prcd
la scission de ses
I. Esplanade en forme de croix menant au portique d'entre 2. 3 Galerie
nord par le mur d'enceinte
extrieure. 4 et c Pristyle entre les deux galeries. 5 Pavillons.
croyances et les luttes de
6 Galerie intrieure. 9 Terrasse leve portant le pavillon central.
se trouve un singulier didix sicles entre le brahmafice consistant en deux hautes terrasses carres avec nisme et le bouddhisme. Toujours est-il que la tradition
angles rentrants, et relies au mur d'enceinte par une locale confond l'original de cette statue avec le fondateur
autre muraille; le tout ruin demi.
d'Ongkor.
Dans une cavit creuse rcemment par des mineurs
Cette ville garde encore, dans son voisinage, de la susont de gros blocs travaills et sculpts qui remplissent priorit de ses premiers architectes sur tous ceux de
l'intrieur et paraissent provenir de la partie suprieure l'Indo-Chine moderne, un tmoignage non moins irrqui se serait croule.
cusable que ses temples et que ses palais. C'est un pont
Les murs, encore intacts, sont couverts sur toutes leurs de trs-ancienne date, en assez bon tat de conservation
parois de bas-reliefs, formant quatre sries superposes sauf le parapet et une partie du tablier qui ne prsentent
et dont chacune reprsente un roi assis l'orientale, les plus aux yeux qu'un amas de ruines en dsordre. Les
mains reposant sur la moiti d'un poignard, et ayant piles, les arches et les votes qui les forment, construites
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20 ZS
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7,0
LE TOUR DU MONDE.
303
ve au point le plus culminant, et l'abjection de la bardans le mme systme que les toits en vote des temples,
restent encore debout. Les piles sont formes de blocs barie actuelle. On n'en rencontrerait aujourd'hui aucune
de grs, les uns longs, les autres carrs poss en assises autre aussi compltement prive de souvenirs, de tradiirrgulires; on en voit quelques-uns qui sont sculpts tions, de documents quelconques sur son histoire. A
et qui, s'ils n'ont pas t pris d'autres monuments, part les rcits fabuleux des historiens chinois et quelques
devaient tre des rebus rejets cause de quelques d- lgendes plus probablement composes par les prtres
qui dominent les esprits de ce peuple superstitieux, que
fauts, car ils sont souvent poss contre-sens.
Ce pont, avec ses quatorze arches troites, peut avoir transmises de gnration en gnration, le monde ne
quarante-deux quarante-trois mtres de long et qua- possde aucune relation sur ce pays autrefois si puissant,
aujourd'hui si dgrad.
tre cinq mtres de large.
Le roi actuel du Cambodge, a prtendu avoir trouv
La rivire, au lieu de passer sous les arches, coule
des
documents assez positifs pour pouvoir tablir l'hismaintenant ct ; son lit ayant t modifi depuis la
d'Ongkor jusqu' une poque qui prcde l're
toire
construction du pont par les sables qu'elle charrie, et qui
chrtienne ; il y a quelse sont accumuls au pied
ques annes, en interdisant
des arches et autour des
la monnaie sphrique pour
pierres boules, de mala remplacer par une monnire cacher la moiti des
naie plate, il saisit l'occapremires.
sion de perptuer le souSous le pont mme, il y
venir d'Ongkor-Wat et de
a trs-peu de sable.
sa grandeur, en faisant reIl devait servir faire
prsenter une vue de l'communiquer la cit d'Ongdifice sur la monnaie. Le
kor la grande avec la haute
souverain rgnant de Siam,
et large chausse qui, couqui a t pendant plusieurs
pant la province de l'ouest
annes chef d'un temple, et
l'est sur un espace d'une
qui porte un grand inttrentaine de milles, se dirt cette question, soit
rige ensuite vers le sud.
cause des associations
Presque chaque ruine,
d'ides de son ancienne
sur ce sol boulevers, est riprofession, soit parce que
che en inscriptions graves
le fondateur de sa dynastie
en divers caractres dont
tait originaire de Camles uns sont employs assez
bodge, assure que toute
gnralement et les autres
l'histoire de l'Inde au del
fort rarement. Les caracdu Gange , remontant
tres les plus usits parmi
plus de quatre cents ans,
les Cambodgiens sont ceux
est indigne de foi et remde l'alphabet pali ; mais
plie de fables ridicules.
personne , Siam ou au
Dans
un des livres canoniCambodge, n'a encore pu
ques bouddhistes, le Camtraduire ces inscriptions,
quoiqu'on puisse les distinbodge, cit comme la seizime des seize nations les
guer facilement. Les naturels prtendent qu'il y aune
plus puissantes de la terre,
Statue du roi lpreux. Dessin de Thrond d'aprs
est signal comme un pays
clef trouver pour dchiffrer ces caractres; mais ils ne l'ont pas encore dcou- o les ides librales ont un grand essor, car on n'y converte. Ils montrent une pierre qu'ils prtendent com- nat ni aristocratie ni servitude hrditaire. Suivant le
muniquer sous terre jusqu' la mer; ils affirment que,
mme document, ce serait au troisime sicle de l're
lorsque les vagues sont hautes, la pierre remue ; leurs chrtienne qu'aurait vcu le fondateur d'Ongkor-Wat. Il
connaissances gologiques ne sont pas assez avances
s'appelait Bua-Sivisithiwong; le premier, il a fait venir
pour qu'ils puissent expliquer ce fait. A. trois jours de des prtres bouddhistes du Ceylan dans son pays, imdistance de Ongkor, on voit, suivant les rcits des indi- portation qui s'est souvent renouvele depuis. Ces exils
gnes, les ruines de trois cits ct d'un vaste sanc- volontaires apportrent avec eux leurs travaux dogmatuaire, et de tous les cts il existe des vestiges d'difices tiques, et, dans le but de prserver ces documents saqui prouvent que cette contre, aujourd'hui dserte, a crs, le roi fit construire tout exprs un monument de
t autrefois trs-peuple et trs-florissante. Il y a peu pierre o l'on prtend qu'ils sont rests intacts. Ces livres
de nations qui prsentent un contraste aussi tonnant taient faits avec les matriaux ordinaires cette poque,
que le Cambodge, entre la grandeur de leur pass, arrides feuilles de palmiers.
304
LE TOUR DU MONDE.
la
Clio de l'Indofets de l'hydropathie, mais
Chine
l'aspect
de monuil prfrait que le liquide
ments plus grandioses que
ft en tat d'bullition et
ceux de Ninive et de Perproposa son client royal
spolis !
de le tremper dans un
A cette pense amre,
i I
bain d'eau-forte , liquide
f
n.
^`
cette preuve ironique du
assez corrosif. Le roi hnant des grandeurs husitant naturellement devant
maines , que de fois me
un pareil procd, exsuis-je senti comme treint
prima le dsir de voir d'apar les rameaux de l'bord faire l'exprience sur
paisse fort qui encombre,
un tiers; mais personne
presse, ensevelit les palais
ne se prsenta pour la suPavillon central d'Ongkor-Wat. Dessin de Thrond d'aprs M. Mouhot.
et les temples d'Ongkor,
bir, et le fakir proposa de
la tenter sur un criminel. Le roi, qui au fond tait jaloux et quand le dclin du jour me surprenait au milieu de
du pouvoir surnaturel du brahmane, lui demanda s'il mes tudes et de mes rflexions, j'tait entran, comme
un de mes devanciers en ce lieu comparer les teintes
voulait essayer sur lui-mme. Je le veux bien, rpliqua le fakir, si Votre Majest veut me promettre solen- que la nuit efface dans le paysage, celles de la vie des
peuples quand la gloire et l'esprance cessent de lui
nellement de jeter sur moi une certaine poudre que je
rais vous laisser. Le roi promit et le malheureux m- prter la magie de leurs couleur
decin, trop crdule, entra dans la chaudire bouillante.
MOUEOT.
Le roi lpreux la fit enlever et jeter avec celui qu'elle
(La fin d la prochaine livraison.)
contenait dans le fleuve.
C'est, dit-on, cette trahison quia amen sur cette ville
1. Voyage dans l'Indo-Chine, par M. C. E. Bouillevaux, ancien
la dcadence et la ruine.
missionnaire apostolique. Paris, 1858.
IwWIII,JIId umll
1od^ Iu
Sau l I SJI
LE TOUR DU MONDE.
305
Halte du voyageur dans les jungles, entre Battambng et Bangkok. Dessin de Catenacci d'aprs M. Mouhot.
XX
Quelques remarques sur les ruines d'Ongkor et sur l'ancien peuple du Cambodge.
La connaissance du sanscrit, celle du pali et de quelques langues modernes de l'Indoustan et de l'IndoChine, ainsi qu'une tude des inscriptions et bas-reliefs
d'Ongkor, compars avec un grand nombre d'pisodes
des antiques pomes hroques de l'Inde, pourraient
seules aider trouver l'origine de l'ancien peuple du
Cambodge, qui a laiss, d'une civilisation avance, les
imposants vestiges que nous venons d'admirer, et celle
du peuple suppos conqurant qui, en lui succdant, parat n'avoir su que dtruire sans jamais rien difier.
Jusqu' ce que quelques savants en archologie se
vouent cette uvre, il est probable que l'on n'tablira
que des systmes contradictoires, et croulant les uns
sous les autres.
Si donc, ne pouvant faire mieux pour le moment que
des suppositions, nous nous permettons ici d'mettre
notre avis, c'est humblement et avec toute rserve.
Ongkor a t le centre, la capitale d'un tat riche,
puissant et civilis, et nous ne craignons pas d'tre contredit par aucun de ceux qui auront tudi ses grands
monuments dans nos imparfaites esquisses.
Or, tout tat puissant et riche suppose ncessairement
1. Suite. Voy. pages 219, 22b, 241, 257, 273 et 289.
VIII. 202 LIV.
20
306
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
sants, c'est que, tant au physique qu'au moral, il n'a
rien de caractristique qu'un orgueil dmesur.
Il n'en est pas de mme des sauvages de l'est que les
Cambodgiens appellent encore leurs frres ans; nous
avons sjourn parmi eux pendant prs de quatre mois,
et, au sortir du Cambodge, il nous semblait avoir pass
dans un pays comparativement civilis. Une grande
douceur, une certaine politesse, des convenances et mme
un got de sociabilit, toutes choses qui pourraient bien
tre les germes perptus d'une civilisation teinte, nous
ont frapp dans ces pauvres enfants de la nature perdus
depuis des sicles au milieu de leurs profondes forts
qu'ils croient tre la plus grande partie du monde, et
qu'ils chrissent au point que rien ne peut les en dtacher.
307
En visitant les ruines d'Ongkor, nous avons t singulirement tonn de retrouver dans la plupart des basreliefs de ses monuments des traits frappants de ressemblance avec le type du Cambodgien et celui du sauvage.
Rgularit du visage, longue barbe, troit langouti, et,
chose caractristique, peu prs mmes armes et mmes
instruments de musique.
Dous d'une oreille excessivement dlicate et d'un
got extraordinaire pour la mlodie, ce sont Ies tribus
des montagnes qui confectionnent les tam-tams de forme
antique, trs-priss des peuples voisins, et qui ont
une grande valeur. Ils marient, en les variant, les sons
de plusieurs de ces instruments celui d'une grosse
caisse, et obtiennent une musique assez harmonieuse.
des Stings, c'est que, bien au del de la chane de montagnes qui traverse leur pays du nord au sud, se trouvent
aussi des gens du haut (tel est le nom qu'ils se donnent,
celui de sauvages les blesse fort), parmi lesquels ils ont
beaucoup de parents, et ils citent mme des noms de villages ou de bourgades situs jusque dans les provinces
occupes actuellement par les envahisseurs annamites.
Au retour de mon excursion chez les sauvages stings
je rencontrai, Pinhalu, M. C. Fontaine, ancien mis-
des causes principales et fatales du chiffre restreint de la population, sur un territoire aussi tendu et aussi favoris par la nature.
Un navire de guerre franais surveille la capitale et les Etats
du Cambodge.
., L'amiral la Grandire a visit avec un extrme intrt et aussi
en dtail que possible les mines de la province d'Ongkor. Elles
sont au-dessus de l'ide que l'on avait pu s'en faire, et de beaucoup
30s
LE TOUR DU MONDE.
Vue du port et des docks de Bangkok, prise d'un bateau en face de l'glise des Missions. Dessin de Sabatier d'aprs M. Moubot.
LE TOUR DU MONDE.
et soumises successivement, sont depuis plus d'un sicle
tout fait perdues pour le Cambodge; la langue et
l'ancien peuple cambodgien y ont mme totalement disparu. Les deux tats actuels ont leurs limites et leurs
rois entirement indpendants l'un de l'autre. Le Cambodge est bien jusqu' un certain point tributaire de
309
fremment. Tout autour d'eux s'tendent les provinces cidevant cambodgiennes, aujourd'hui siamoises, de Sourne, de Samrou-Kao, de Cou-Khan, d'Ongkor-Eith ou
de Korat, danslesquelles s'est maintenue jusqu' ce jour
cette croyance que le roi ne pourrait traverser le grand
lac sans tre sr de mourir dans l'anne.
310
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
311
312
LE TOUR DU MONDE.
large comme un ruisseau, mais roulant un peu d'eau potable; jusque-l nous n'avions eu boire que de l'eau
des mares, terreuses, infectes, servant de baignoires et
d'abreuvoirs aux buffles des caravanes. Pour la boire
ou la faire servir aux besoins de notre cuisine et de notre
th, je la purifiais avec un peu d'alun, dont je recommande l'usage prfrablement au filtre, qui retient les
corps trangers, mais qui ne purifie rien.
A notre arrive Muang-Kabine, il rgnait une
grande excitation dans cette ville cause des riches
mines d'or qui ont t dcouvertes depuis peu dans son
voisinage, et qui ont attir une foule de Laotiens, Chinois
et Siamois. Les mines de Battambng, moins riches, sont
aussi moins frquentes que celles-ci. Aprs une tude
rapide de leur gisement, je me dirigeai sur Paknam, o
je louai un bateau qui pt me conduire Bangkok.
Le premier jour de notre navigation fut pnible; les
e
photograpine,
Petchabury. Dessin de E. Bocourt d'aprs une
Femmes de race laotienne, vivant prs de
314
LE TOUR DU MONDE.
nouvelles, de relire les lignes traces par les mains bienaimes d'un vieux pre, d'une femme, d'un frre! Ces
jouissances, je les compte aussi parmi les plus douces
et les plus pures de la vie.
Nous nous arrtmes au centre de la ville, l'entre
d'un canal d'o la vue s'tend sur la partie la plus commerante du Mnam; il tait peu prs nuit, et le silence ne tarda pas rgner autour de nous; mais lev
avec le jour, ds que j'aperus ces beaux navires dormant sur leurs ancres au milieu du fleuve, les toits des
palais et des pagodes, rflchissant les premiers rayons
du soleil, qui rveillaient la vie et le mouvement sur le
fleuve, il me sembla que jamais Bangkok ne m'avait paru
aussi beau.
Ge fleuve est sillonn presque constamment par des
milliers de bateaux de diffrentes grandeurs et de diffrentes formes. Le port de Bangkok est certainement un
des plus beaux et des plus grands du monde, sans en excepter celui de New-York si justement renomm : il peut
contenir des milliers de navires en toute sret.
La ville de Bangkok s'accrot en population et en tendue chaque jour, et il n'est pas douteux qu'elle deviendra une capitale trs-importante, si la France russit
s'emparer de l'Annam, car alors le commerce deviendra
plus considrable entre ces deux pays. Cette ville, qui
compte peine un sicle d'existence, contient peu prs
un demi-million d'habitants, et parmi eux beaucoup de
chrtiens: le drapeau de la France, flottant dans la basse
Cochinchine, favorisera encore les tablissements religieux de tous ces pays environnants, et nous avons lieu
d'esprer que le nombre de chrtiens s'augmentera dans
une proportion plus forte que par le pass.
Cependant la vie ici ne pourrait jamais me plaire; je
ne puis rester condamn un mode de locomotion pnible pour moi. La vie active, les chasses, les bois, voil
mes lments.
J'avais form le projet de visiter la partie nord-est du
pays, le Laos, en traversant Dong Phya Phale (la fort
du roi de feu), et remontant jusqu' Hieng Naie sur les
frontires de la Cochinchine, arriver aux confins du Tonquin, et redescendre le M-Kong jusqu'au Cambodge,
puis revenir par la Cochinchine si la France y domine.
Cependant les pluies ayant commenc, tout le pays est
inond et les forts sont impraticables. J'avais donc quatre mois a attendre avant de mettre ce plan excution.
Je m'empressai de mettre en ordre ma correspondance,
d'emballer et d'expdier toutes mes collections, et, aprs
un sjour de quelques semaines Bangkok, je me remis
en route pour la province de Petchabury, situe vers le
13 de latitude nord, et au nord de la pninsule malaise.
XXII
Excursion Petchabury.
315
LE TOUR DU MONDE
s'est montr . mon gard un ami, dans toute l'acception
de ce mot dont on fait un si banal usage. Cet ami, dont
je n'ai aucune raison pour taire le nom (mais auquel, au
contraire, je dsire tmoigner ici toute la reconnaissance
que je lui dois), est M. Malherbes, ngociant franais,
qui voulut absolument m'accompagner quelque distance; et le plaisir que j'prouvai pendant les quelques
jours qu'il passa avec moi fut bien doux.
Le courant nous tait favorable, et, avec nos quinze
rameurs, nous remontmes le fleuve avec rapidit. Notre
bateau, pavois de toutes sortes d'insignes, queues de
paon, pavillons rouges flottant l'arrire, etc., attirait
l'attention de tous les rsidents europens dont les maisons sont bties sur les rives du fleuve, et qui, de leurs
balcons couverts (varandas), nous envoyaient leurs salutations de la voix et du geste. Trois jours aprs notre dpart de Bangkog nous tions Petchabury.
Le roi devait y arriver le mme j our pour visiter le palais qu'il a fait construire au sommet d'un mont voisin
de la ville; le Khrme Luang, le Kalahom, ou premier
ministre, et une grande suite d'autres mandarins l'y
avaient dj devanc. En nous voyant arriver, le Khrme
Luang, qui se trouvait dans une jolie petite habitation
qu'il possde en ce lieu, nous appela. Ds que nous emes chang notre tenue nglige contre une plus prsentable, nous nous rendmes prs du prince, et nous
causmes avec Son Altesse jusqu' l'heure du djeuner.
C'est un excellent homme, et de tous les dignitaires du
pays celui qui tmoigne le moins de hauteur et de rserve
aux Europens. Pour la culture de l'esprit, ce prince et
ses frres, les deux souverains, sont trs-avancs, surtout si l'on considre l'tat de barbarie dans lequel ce
pays a t tenu depuis si longtemps; mais quant aux manires, ils ne diffrent que peu de la a vile multitude.
Je lis chez lui la connaissance d'un noble et savant
Siamois, Kum-Mote, qui n'est infrieur aucun homme
de sa nation par l'esprit, l'rudition et le caractre.
Notre premire promenade fut pour le mont le plus
rapproch de la ville, et au sommet duquel se trouve le
palais du roi. De loin, l'apparence de cette construction,
d'architecture europenne, est charmante, et sa situation
sur la hauteur est des mieux choisies. Une magnifique
chausse y conduit depuis le fleuve, et le sentier sinueux
qui mne l'difice a t parfaitement mnag au milieu des roches volcaniques, basaltes, scories qui couvrent toute la surface de cet ancien cratre.
Du sud au nord s'tend, vingt-cinq milles seulement,
une chane de montagnes nomme Deng, et habite par
les tribus indpendantes des primitifs Kariens, domine
par des pics plus levs encore. Au pied de ces montagnes se droule la plaine avec ses forts, ses nombreux
palmiers, ses beaux champs de riz, puis viennent des
monts dtachs, aux formes pittoresques, aux tons riches et varis, quoique sombres. Enfin l'est et au sud,
et au del d'une autre plaine, s'tend le golfe, dont
la teinte vaporeuse se confond avec celle de l'horizon,
et que croisent quelques navires peine perceptibles.
C'est un de ces paysages qu'on ne peut oublier, et le
roi a fait preuve de got en y faisant construire un palais. Rien n'est moins potique que l'imagination des
Indo-Chinois ; leur coeur ne se ressent nullement des
rayons brlants de leur soleil ; cependant cette sublime
nature ne les trouve pas tout fait insensibles, puisqu'ils profitent des sites les plus beaux, les plus grandioses, pour y lever des chteaux et des pagodes.
En quittant le sommet de ce mont, nous descendmes
dans les profondeurs d'un antre trois milles de distance, et qui est galement un volcan teint ou un cratre
de soulvement. Ici se trouvent quatre ou cinq.grottes,
dont deux surtout sont d'une largeur et d'une profondeur
surprenantes, et surtout d'un pittoresque extrme. A. la
vue d'un dcor qui les reprsenterait avec fidlit, on les
croirait l'oeuvre d'une riche imagination, et on nierait
qu'il soit possible de rien voir d'aussi beau dans la nature. Ces roches, tenues longtemps en fusion, ont pris
par le refroidissement ces formes curieuses particulires
aux scories et au basalte, puis plus tard la mer se retirant, car tous ces monts ont surgi du sein des eaux, et
l'humidit de la terrre continuant suinter, ces mmes
rochers se sont teints de couleurs si riches, si harmonieuses; ils se sont orns de si imposantes, si gracieuses
stalactites, dont les hautes et blanches colonnades semblent soutenir les votes et les parois de ces souterrains,
que l'on croit assiter une de ces belles scnes feriques
qui font Nol la fortune des thtres de Londres.
Si le got de l'architecte qui a construit le palais du
roi en ville a chou l'intrieur, ici du moins il a tir
le meilleur parti possible de tous les avantages qu'offrait la nature, et heureusement sans leur nuire en
rien. Pour peu que le marteau et touch aux roches,
il les et dfigures ; on n'a donc eu simplement qu'
niveler le sol, et pratiquer quelques beaux escaliers
pour aider descendre dans l'intrieur des grottes et les
faire paratre dans toute leur beaut
plus vaste et la plus pittoresque des deux cavernes a t convertie en temple; elle est borde sur toute
son tendue d'un rang d'idoles, dont la plus grande,
reprsentant Bouddha, dans le sommeil, est toute dore.
Nous descendions de la montagne juste au moment
de l'arrive du roi, qui commenait la gravir. Quoique
venu dans ce palais de campagne pour deux jours seulement, des centaines d'esclaves le devanaient portant
une quantit innombrable de coffrets, de botes, de paniers, etc. Un troupeau de soldats en dsordre prcdaient et suivaient Sa Majest, affubls des plus singuliers et des plus ridicules costumes qu'il soit possible
d'imaginer. L'empereur Soulouque lui-mme en et
probablement ri, car coup sr sa vieille garde devait
avoir un air plus glorieux que celle de son confrre des
Indes orientales : c'tait un assortiment de dguenills
incroyable, dont rien ne peut donner une ide meilleure
1. Le Tour du inonde doit la vue de cette grotte et celle de la
plaine de Petchabury (p. 311 et 312) l'obligeance de M. Bocourt
an, naturaliste du jardin des Plantes, qui a mis notre disposition l'album d'aquarelles et de photographies qu'il a apport de
Siam en 1861.
316
LE TOUR DU MONDE.
que les singes habills qu'on voit si souvent danser sur au diable l'amour maternel de ces tres intressants.
les orgues des Savoyards. Ils taient vtus d'habits d'un Dans les environs de Petchabury, je trouvai, une disgrossier drap rouge, imitant la coupe de l'arme anglaise,
tance d'une dizaine de milles peu prs, plusieurs villaissant voir une partie du corps nu, toujours trop larges lages habits par des Laotiens qui, tablis l depuis
ou trop troits, trop longs ou trop courts, coiffs de shakos
deux ou trois gnrations, sont venus du nord-est du
blancs et des pantalons omnicolore. Quant des sou- grand lac Sap et des bords du Mkong.
liers, c'est un luxe dont peu
Leur costume consiste en
usaient; jamais suite de
une longue chemise et panprince ne mrita mieux la
talons noirs de la mme couqualification de vann-pieds.
pe que celle des CochinchiQuelques chefs, d'une tenois. Leur coiffure, du moins
nue en rapport avec celle de
celle des femmes, est galeurs hommes, taient chelement la mme que celle
val conduisant cette bande
des femmes de ce pays ; les
de guerriers, tandis que le
hommes portent le toupet
roi avanait lentement dans
siamois. Leurs chants et leur
une petite calche attele
manire de boire, l'aide de
d'un poney, souleve et portuyaux de bambous, dans des
te en mme temps par d'augrandes jarres, une liqueur
tres esclaves.
fermente faite de riz et de
J'ai visit plusieurs des
diffrentes plantes, me rapmonts dtachs de la grande
pelaient ce que j'avais vu chez
chane Khao-Deng, qui n'est
les sauvages stings; je requ' quelques lieues, et ces
trouvai galement chez eux
courses ont t effectues
les hottes et quelques petits
Portrait du hhrme Luang, frre des deux rois de Sian,.
sous des torrents de pluie.
instruments pareils ceux
Dessin de E. Bocourt d'aprs une photographie.
Depuis mon arrive ici, il
de ces sauvages.
pleut presque continuellement; mais j'ai lutter conLes jeunes filles ont la peau blanche, comparativestamment contre un plus cruel et plus odieux ennemi, ment aux Siamois, et des traits trs-agrables, mais
qui ne m'a jamais tant fait souffrir qu'ici; rien ne peut qui de bonne heure grossissent et perdent beaucoup
contre lui : coups d'ventail, coups de poing, coups de leur charme. Isols dans leurs villages, ces Laotiens
ont conserv leur langue et leurs
de fusil ; il se fait tuer avec un
courage digne d'un tre plus nousages, et ils ne se mlent jamais
ble. Je veux parler des moustiaux Siamois.
ques. Des milliers de ces cruelles
XXIII
btes sont occups jour et nuit
me sucer le sang; mon corps, ma
Retour k Bangkok. Prparatifs pour
une nouvelle expdition au nord-est
figure et mes mains ne sont que
du Laos. dpart.
plais et qu'ampoules.
Je prfre de beaucoup avoir
Aprs un sjour de quatre mois
affaire aux animaux sauvages
dans les montagnes de la province
des bois ; par moments c'est
de Petchabury, dont quelqueshurler de douleur et d'exaspunes, connues sous les noms de
ration ; on ne peut s'imaginer
Nakhou Khao, Panom Kuot, Khao
quel flau pouvantable sont
lamoune et Khao Samroun, sont
ces affreux dmons auxquels le
leves de dix-sept cents dix-neufDante a oubli de donner un
cents pieds au-dessus du niveau de
rle dans son Enfer. C'est avec
la mer, je revins Bangkok, d'apeine que je puis me baigner, car
bord pour faire les prparatifs
avant d'avoir puis un seau d'eau
ncessaires la nouvelle expdile corps en est couvert. Le naturation que je mditais depuis longBun Mote, noble et savant siamois.
Dessin de H. Rousseau d'aprs une photographie.
liste philosophe, qui nous montemps et devant me conduire de
tre ces petits vampires comme engendrs par la nature Bangkok dans le bassin du Mkong, vers la frontire de
pour servir d'exemple de prvoyance et d'amour pa- Chine; puis, je dois l'avouer, pour me gurir de la gale
que j'avais attrape Petchabury; comment? je n'en
ternel l'humanit, n'tait sans doute pas couvert de
piqres et de sang au point d'en tre presque aveu- sais vraiment rien, car tous les jours, et malgr les affreux
gl comme je le suis, lorsqu'il crivait ces charman- moustiques, je renouvelais mes ablutions deux et soutes remarques; et quant moi, je ne cesse d'envoyer vent trois fois; quelques jours de frictions de pommade
LE TOUR DU MONDE.
317
cour. Chacun des mandarins tait dans une de ces splensoufre et de bons bains devaient, m'en dbarrasser.
Ceci est une de ces petites contrarits insparables de dides pirogues dont les rameurs taient couverts d'tofla vie de voyage, et petite en comparaison du malheur fes aux couleurs brillantes. Beaucoup d'embarcations
taient charges de soldats en habits rouges; celle du roi
que je viens d'apprendre; le bateau vapeur sur lequel
la maison Gray, Hamilton et Cie de Singapour avait se distinguait surtout parmi toutes les autres par un trne
surmont d'une petite tour
charg toutes mes dernires
se terminant en flche, et par
caisses de collections, vient
la masse de dorures et de
de sombrer l'entre de ce
sculptures
dont elle tait
port. Voil donc mes pauvres
charge. Le roi, qui avait
insectes qui me cotent tant
ses pieds quelques jeunes
de peines, de soins et tant de
princes, ses enfants, saluait
mois de travail jamais perde la main les Europens
dus!... Que de choses rares
qui se trouvaient sur son
et prcieuses je ne pourrai
passage.
sans doute pas remplacer,
Tous les navires ]'ancre
hlas!
taient pavoiss, et chaque
Il y a deux ans, la mme
maison flottante avait son
poque, au dbut de mes
entre un petit autel couvert
prgrinations dans ce pays,
de diffrents objets, o fuje me trouvais peu prs
maient des btons odorifl'endroit o je suis aujourrants.
d'hui, sur le Mnam, quelAu milieu de toutes ces
ques lieues au nord de Bangbelles
pirogues, celle du
kok. Les dernires boutiKhrme
Luang, le frre du
ques flottantes des environs, Le mandarin, chef des chrtiens Bangkok. Dessin de E. Bocourt
d'aprs une photographie.
roi,
homme
trs-intelligent,
avec leur population presque exclusivement chinoise, commencent devenir plus affable, bon et serviable envers les Europens, en
rares et mme disparaissent; la vue des rives basses du un mot, prince et gentleman accompli, se faisait surfleuve est un peu monotone, quoique de distance en tout remarquer par la simplicit et le bon got de ses
ornements et la ;livre de ses
distance, travers le feuilrameurs : vestes de toile
lage des bananiers et des
blanche avec collets et poibroussailles surmontes des
gnets rouges. Toutes les aupalmes de l'arquier ou des
tres livres taient gnracocotiers, apparaissent les
lement d'un rouge cramoisi.
toits de quelques cabanes, ou
La plupart de ces dignidans des emplacement toutaires, chargs d'embonpoint,
jours heureusement choisis,
sont mollement appuys sur
les murs blancs d'une pagode,
des coussins brods et trianentoure des modestes habigulaires, au milieu de leurs
tations des bonzes.
magnifiques embarcations ,
C'est l'poque des ftes; le
sous une espce de dais lev
fleuve est sillonn de magniet lgant. Une foule d'offifiques et immenses pirogues,
charges et dcores avec ce
ciers, de femmes et d'enfants
luxe d'hommes, de dorures,
accroupis ou prosterns les
entourent, prts leur tende sculptures et de couleurs
que l'Orient seul sait ddre l'urne d'or qui leur sert
ployer, et qui s'entre-croisent
de crachoir, des botes d'arec
avec Ies lourds bateaux des
ou des thires faites du mmarchands de riz, des cultime prcieux mtal, et chefsvateurs et des pauvres femd'oeuvre des orfvres du Laos
mes qui vont brocanter quelou du Ligor. Chacune de ces
ques noix d'arec ou des baembarcations est monte par
nanes. Ce n'est gure qu' cette poque et dans une ou quatre-vingts et mme cent rameurs, la tte et le corps
deux autres occasions que le roi, les princes et les grands nus, les reins ceints d'une l'arge charpe blanche tranmandarins dploient ainsi leurs richesses et leur imchant sur le bronze de leur peau, et sur leur langouti
portance. Le roi se rendait une pagode o il allait rouge, ils lvent ensemble simultanment leurs pagaies
offrir des prsents, prcd, escort et suivi de toute la
et frappent l'eau en mesure, tandis qu' la proue et la
318
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
tites aventures, bien rares, hlas! Je ne suis pas un de
ces voyageurs qui tuent un lphant et un tigre du mme
coup de fusil, le moindre petit insecte ou coquillage
inconnu fait bien mieux mon affaire; b cependant,
l'occasion, je ne recule pas devant les terribles htes de
ces bois, et plus d'un individu de diffrentes espces sait
combien loin porte ma carabine et de quel calibre sont
mes balles. Tous les soirs, enferm sous ma moustiquaire, soit dans quelque cabane, soit au pied d'un arbre, au milieu des jungles ou au bord d'un ruisseau,
je veux causer avec vous; vous serez les compagnons
de mon voyage, et mon plaisir sera de vous confier toutes
mes impressions et toutes mes penses.
A peine tais-je loign de l'excellent M. Malherbes,
que je dcouvris dans le fond de ma barque une caisse
qu'il avait fait glisser parmi les miennes; Petchabury dj il m'en avait envoy trois, aujourd'hui il me
comble encore de ses faveurs. Quelques douzaines de
bouteilles de bordeaux, autant de cognac, des biscuits
de Reims, des botes de sardines, enfin une foule de
313
choses qui me rappelleraient, si jamais je pouvais l 'oublier, combien, si loin de la terre natale, l'amiti- dlicate et attentive d'un compatriote fait de bien au coeur.'
J'emporte galement de doux et agrables souvenir s
d'un autre excellent ami, le docteur Campbell, de la
marine royale, attach au consulat britannique. Je- dois
galement citer avec des sentiments de gratitude Sir
R. Schomburg, consul anglais, qui m'a tmoign beaucoup d'intrt et de sympathie; Mgr Pallegoix et son
provicaire; les missionnaires protestants amricains
et la plupart des consuls et rsidents trangers, principalement M. de Istria, notre nouveau consul, et
enfin le mandarin charg spcialement de l'administration et des intrts de la population chrtienne de Bangkok. Ce magistrat a dans les veines du sang portugais
de la bonne poque, et il le rvle par ses traits et par
son caractre. (Voy. p. 317.)
Les rives du Mnam sont couvertes perte de vue de
superbes moissons ; l'inondation priodique les rend
d'une fertilit comparable celles du Nil, si fameux
mme un singe, a la mauvaise chance de se laisser surprendre et approcher porte de mon fusil. J'avoue
que ce dernier gibier ne possde pas toute mon estime,
mais il fait les dlices de mes Chinois avec le chien sauvage et les rats. Chacun son got. Il a aussi son
petit dfaut, ce pauvre Deng (mais qui n'en a pas dans
ce monde ?) ; de temps en temps il aime boire un petit
coup, et je l'ai souvent attrap aspirant, l'aide d'un
tuyau de bambou, l'esprit-de-vin des flacons dans lesquels
je conserve mes reptiles, ou buvant au goulot de quelque bouteille de cognac, largesse de mon ami Malher=
bes. Dernirement, pris d'une soif dvorante, pendant
que j'tais sorti pour quelques instants seulement, il
profita de mon absence pour ouvrir ma caisse, et saisissant, dans la prcipitation de la crainte, la premire
bouteille qui lui tomba sous la main, il but tout d'un
trait une partie de son contenu; je rentrais comme il.
s'essuyait la bouche avec la manche de sa chemise.
Vous dire les grimaces et les contorsions du pauvre diable, c'est impossible; il criait de toutes ses forces qu'il
tait empoisonn ; il avait rpandu une partie du liquide
320
LE TOUR DU MONDE.
Pour le moment, les paysans profitent encore gnralement du peu de temps qui leur reste pour jouir du
e far fiente, pour aller aux pagodes porter aux bonzes
des prsents qui consistent principalement en fruits et
en toile jaune, afin que ces derniers soient vtus proprement pendant le temps de la bonne saison qu'ils
passeront courir le pays, car pour plusieurs mois ils
sont libres de quitter leurs monastres et d'aller oh bon
leu r semble.
Henri MOUHOT.
(La suite d la prochaine livraison.)
LE TOUR DU MONDE.
321
Habitation d'un chef de talapoins, Nophabury. Dessin de Th_ror.d d'aprs une photographie.
XXIV
Nophabury. La procession annuelle de l'inondation. Les talapoins, prtres, moines, prdicateurs et instituteurs. Le parc
aux lphants d'Ajuthia. Grande battue. Dpart pour le nord-est. Saohae et la province de Petchaboune.
21
312
LE TOUR DU MONDE.
323
LE TOUR DU MONDE.
pour le Siamois adolescent ce qu'est la premire communion pour l'Europen, et ce qu'tait pour le jeune
Romain la prise de la robe virile; si, en outre , l'on tient
compte du droit que possdent les phras d'hriter, de
tester et d'acqurir, en dehors du contrle ordinaire des
lois, on concevra facilement comment cet ordre de mendiants se compose, pour le seul royaume de Siam, de
plus de cent mille frres bien nourris, et de plusieurs
milliers de vicaires, provicaires, lgats, prieurs et
princes-abbs $, jouissant de l'existence la plus confortable et des positions les plus sres que puisse offrir
l'ordre social siamois.
On ne peut donc s'tonner que les Siamois vivent dans
le respect de l'habit jaune et dans la persuasion qu'en le
revtant on acquiert de grands mrites, non-seulement
personnels, mais mme applicables aux mes des anctres. Aussi n'est-il pas de bon bourgeois qui n'exige de
son fils d'entrer dans la sainte congrgation, du moins
pour quelque temps. Rien n'est plus facile du reste. Les
rangs des talapoins s'ouvrent quiconque se prsente
au conseil d'admission d'une pagode, vtu de blanc et
suivi d'un cortge suffisant de parents, d'amis, de musiciens, et enfin d'honntes offrandes. Le postulant n'a
qu' dclarer devant l'assistance qu'il n'a jamais t
attaqu de la lpre ou da la folie, que nul magicien ne
lui a jet un sort, qu'il n'a pas contract de dettes et
qu'il possde le consentement de ses parents, vingt ans
accomplis, le langouti jaune, la ceinture jaune, le manteau jaune, l'charpe jaune et la marmite de fer battu.
Ses ngations et ses affirmations oues du conseil, on lui
fait lecture de la rgle de l'ordre, et, ipso facto, voil le
rcipiendaire lev de l'humble condition de laque
l'tat parfait de phra, dans lequel il doit se maintenir
au moins durant trois mois. Ce temps coul, il est libre
de rentrer dans le monde, de reprendre l'habit sculier
et de se marier : il a pay sa dette ses ascendants.
Mme parmi ceux qui se consacrent entirement la
vie monastique, il en est trs-peu qui s'astreignent
passer chaque anne dans leur couvent respectif au del
des trois ou quatre mois de la saison des pluies, tout le
reste du temps ils l'emploient vagabonder d'un bout
l'autre du royaume, plus occups des soins terrestres
que des affaires du ciel, eu dpit des prescriptions les
plus formelles de leur rgle.
Comme c'est de pareilles mains que l'ducation de
la jeunesse masculine est livre par la loi siamoise, on ne
devra pas s'merveiller non plus qu'il faille sept ou
huit ans d'tudes monacales pour inoculer un lve,
privilgi sur dix fruits secs, la science complte de l'criture et de la lecture, ni plus, ni moins.
J'tais de retour 'a Ajuthia, vers le milieu d'octot. Voyez la planche de la page 325.
2. Voici, rangs dans le mme ordre, les titres siamois correspondants : Chao-Khun-Samu , Chao-Khun-Balat , Raxa-Khna,
Somdet-Chao, et enfin Sang-Karat.
324
Construction leve pour les funrailles de la rei ne Dessin de H. Catenacci d'aprs une photographie.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
Kraal ou parc aux lphants, Ajuthia (vue extrieure). Dessin de Thrond d'aprs une photographie.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
vrir que sept ou huit chaumires de Laotiens qui forment le noyau de cette population de la citadelle future,
cultivateurs paisibles et hospitaliers qui seraient bien
affligs, et encore plus pouvants si jamais leurs chos
rptaient un jour de sinistres bruits de guerre, s'ils
voyaient luire au loin des baonnettes europennes, ou
s'ils entendaient tonner des canons rays. Quant aux habitations royales, je ne pus y atteindre. Tout l'espace au
del d'une zone de cinquante pas comprise entre la montagne et les bords du fleuve n'est encore qu'un marcage, et tous les troits sentiers sont obstrus par des
broussailles et de hautes herbes qui ont eu le temps de
crotre pendant les six ou huit mois couls depuis la
dernire visite du roi.
Ne pouvant trouver une seule cabane o nous pussions loger, nous nous mmes en devoir d'abattre des
bambous pour nous en construire une ; ce qui ne fut
pas long, plusieurs hommes du hameau s'tant joints
nous, et c'est dans cette hutte ouverte tous les vents
que nous nous sommes installs.
Dans l'intervalle, j'appris qu'un lphant blanc venait
d'tre pris dans le Laos et qu'il tait en route pour
Bangkok sous la garde d'un mandarin.
Cette grande nouvelle a t apporte ici par un messager, charg par le vice-roi de Korat de faire prparer
la route et les tapes pour la bte sacre. M'tant trouv
chez le premier magistrat de Khao-Khoc au moment
de l'arrive dudit messager, je me suis empress de
reporter sur mon journal les principaux dtails de cette
entrevue et du dialogue qui s'ensuivit, dans l'espoir
qu'ils auront au moins, pour mes lecteurs, si j'en ai jamais, le piquant de la nouveaut.
La scne se passe dans le prtoire de la localit, ou
ce qu'en France on appellerait l'htel de la prfecture.
Pauvre prtoire qui ne diffre gure de la plupart des
huttes cambodgiennes, dont j'ai donn le dessin (voir
p. 283), et dans la construction complte desquelles,
pilotis, charpente, cloisons, plancher et toiture, gros et
petit mobilier compris, il n'entre d'autres matriaux que
ceux que peut fournir un pied de gramine, gigantesque
il est vrai, une touffe de bambou.
Sur le plancher vacillant de cette espce de cage, le
mandarin, les jambes croises la faon d'un tailleur,
occupe une estrade de quinze dix pouces de hauteur
et roule dans la bouche, d'un air grave, quelques pinces de btel ; devant lui, plutt tendu que prostern,
le messager, fonctionnaire de l'ordre des nai-mouets ou
sergents de police, fait son rapport, tandis que sur les
degrs de l'chelle qui donne accs la salle d'audience,
des volailles indiscrtes se perchent et caqutent, et que
des tonquins, l'abdomen distendu, se vautrent et grognent dans la vase charge d'immondices du sous-sol de
cette demeure officielle.
Le message dbit et ou, le mandarin se lve avec
transport, dpose sa chique, joint les mains et s'crie :
Heureux vnement ! Avez-vous, Nai-Mouet ! t
favoris de la vue du saint lphant?
LE MESSAGER. Illustre seigneur, que n'en est-il
331
332
LE TOUR DU MONDE.
Elpbants sauvages amens au kraal d'Ajuthia pendant l'inondation. Dessin de E. Bocourt d'aprs M. Bocourt an.
m'apporter des btes, comme ils disent; les uns des sauterelles, les autres des scorpions; qui des serpents, qui
des tortues, etc., et le tout accroch au bout d'un bton.
1. a ....Lorsque j'tais Ajuthia, ayant eu occasion de faire des
fouilles, pour chercher les vases sacrs qui furent enfouis lors de
l'invasion des Birmans, en 1769, j'observai, partout o je fis creuser,
qu' la profondeur d'environ trois mtres on rencontrait une couche
de tourbe noire d'un pied d'paisseur, dans laquelle s'taient forms
quantit de beaux cristaux transparents de sulfate de chaux. (Disons en passant que les Siamois recueillentces cristaux, les calcinent, et en obtiennent une poudre extrmement fine et trs-blanche, dont les comdiens et les comdiennes se frottent les bras et
la figure.) Dans cette couche de tourbe on trouve, en outre, des
troncs et des branches d'un arbre dont le bois est rouge, mais si
fragile, qu'il se rompt sans effort. D'o je. conclus que c'tait l
le niveau primitif du terrain, qui se sera lev peu peu par le
sdiment qu'y dposent les eaux chaque anne, l'poque de
l'inondation, aussi bien que par le dtritus des feuilles et des
plantes.
' Il est dit dans les Annales de Siam, que sous le rgne de PhraRung (environ l'an 650 de notre re), les jonques chinoises pouvaient remonter le )lf-Nam jusqu'. Sangkhalk, qui est aujour-
334
LE TOUR DU MONDE.
335
LE TOUR DU MONDE.
une partie quelconque du corps humain, et qui doit
cette circonstance de devenir le dieu lare du foyer, le
protecteur qui en carte tous les mauvais gnies.
Tous les jours nous organisons une nouvelle chasse
dans les forts; cependant ici, quand on ne croit chasser
qu'aux insectes ou aux oiseaux, il arrive que le bruit de
la voix, ou la dtonation de nos fusils dans ces profondes solitudes, rpts par les chos de la montagne,
fait sortir les animaux froces de leurs repaires. Hier,
aprs une chasse assez longue et fatigante dans laquelle
nous avions tu quelques oiseaux et un ou deux singes,
nous revenions fatigus, lorsque , arrivs une petite
claircie de la fort, je dis mes deux boys 1 u de prendre un peu de repos au pied d'un arbre pendant que
j'irais, de ma personne, la recherche des insectes, etc.
Tout coup mon attention est veille par un bruit suspect, comme le pitinement d'un animal se glissant dans
l'pais feuillage. Je relve aussitt la tte, saisissant et
armant en mme temps mon fusil, et je me glisse lgrement derrire le grand arbre au pied duquel dorment
mes hommes. Il tait temps! En ce moment mme un
beau et grand lopard prenait son lan pour franchir les
broussailles et s'lancer sur un de mes domestiques, qui
tous deux sommeillaient aussi paisiblement que s'ils
eussent t dans notre hutte. Je n'eus pas une seconde
moi pour viser et presser la dtente de mon arme, et
l'animal frapp de ma balle l'paule droite alla rouler
plusieurs pas de distance, dans un inextricable buisson, aprs avoir dcrit en l'air un bond d'une hauteur
prodigieuse. Il n'tait que bless, et nous avions tout
craindre, si je ne russissais le tuer, ou tout au moins
lui briser l'autre paule pour le mettre dans l'impossibilit de nous faire du mal. Une seconde dcharge,
qui le frappa dans la rgion du coeur, l'acheva presque
instantanment.
L'effroi, la crainte et l'motion de mes deux pauvres
garons rveills en sursaut par la premire dtonation
de mon arme, si prs de leurs oreilles, ne peuvent se
comparer qu'au plaisir qu'ils prouvrent en voyant l'animal tendu sans vie leurs pieds.
Je pouvais regarder cette aventure comme une trenne
de nouvel an, car nous sommes au dernier jour de dcembre.
Encore une anne coule , anne seme pour moi,
comme pour tous, de joies, d'inquitude et de peines, et
aujourd'hui plus encore que les autres jours, mes penses se reportent sur le petit nombre d'tres qui me sont
chers. Plus d'un coeur ami, cette heure, rpond aux
battements du mien; j'en suis sr, des voeux pour le
pauvre voyageur s'lvent la fois et identiques des
foyers de mon pre, de ma femme et de mon frre, quelle
que soit la distance qui les spare. Tous dsirent mon
retour , m'crit mon frre dans sa dernire lettre que
mes amis de Bangkok viennent de m'envoyer, et pourtant
je ne suis qu'au dbut de ma nouvelle campagne : serait-ce d'un bon soldat de prendre son cong la veille
1. Le mot boy, qui veut dire garon, est gnralement employ
en Angleterre pour dsigner les domestiques mles.
d'une bataille? Je suis aux portes de l'enfer comme appellent cette fort les Laotiens et les Siamois. Tous les
tres mystrieux de cet empire de la mort sem des ossements de tant de pauvres voyageurs, dorment profondment sous cette vote paisse. Je n'ai rien qui pourrait effrayer les dmons qui l'habitent, ni dents de tigre,
ni cornes de cerf rabougries, aucun talisman enfin, que
mon amour pour la science et ma croyance en Dieu. Si
je dois mourir ici, quand l'heure sonnera, je serai prt.
Il y a dans le repos de cette fort, dans le calme de
cette puissante nature tropicale, quelque chose d'une majest indfinissable qui cette heure de la nuit (minuit)
fait sur moi une impression profonde. Le ciel est serein,
l'air frais, les rayons de la lune ne pntrent qu' travers les branches et les feuilles des arbres, et n'clairent
et l que quelques coins du sol, qu'on dirait des lambeaux de papier disperss par le vent ; pas le moindre
souffle ne fait bruire les arbres, et rien ne troublerait
ce silence imposant sans quelques feuilles mortes qui
tombent de branche en branche avec un petit bruit
sec, le murmure d'un ruisseau qui coule mes pieds
sur un lit de cailloux, quelques grenouilles qui se rpondent de distance en distance, et dont le coassement ressemble l'aboiement rauque d'un chien ; puis de temps
en temps quelque oiseau de la nuit, des chauves-souris,
attires par la flamme de la torche qui brle attache
une branche de l'arbre sous lequel j'ai tendu ma peau
de tigre ; puis, de longs intervalles, le cri plus ou
moins rapproch d'une panthre qui appelle son mle, et
auquel rpondent par des grognements du sommet des
arbres des chimpanzs dont elles troublent le repos.
Un sabre d'une main et une torche de l'autre, Pra
poursuit des poissons dans le ruisseau; son ombre reflte sur les rochers et dans l'eau, pendant qu'il s'escrime et crie tour tour : Manqu ! touch ! u le ferait
prendre pour un dmon par les gens du pays. Je ne sais
pourquoi, mais je ne puis me dfendre d'un sentiment
de tristesse que quelques heures de sommeil et une longue chasse demain parviendront dissiper ; comment
finira cette anne pour nous? Atteindrai-je mon but,
et aurai-je le bonheur de conserver cette sant sans
laquelle il me serait impossible de rien faire, et pourrai-je surmonter tous les obstacles et les difficults qui
m'attendent, et dont les moyens de transport, si difficiles se procurer, ne sont pas les moindres ?
Cependant, malgr tout, que ceux qui pensent moi
cette heure, par del les continents et les mers, au
foyer de famille, ne soient pas trop inquiets sur mon
sort, et conservent cet espoir et cet amour en Dieu qui
seuls font l'homme grand et fort. Avec l'aide de la protection divine le jour de notre runion viendra, et notre
persvrance et nos efforts seront recompenss ! Et toi,
fil magntique invisible qui, malgr les distances, runit
les curs amis , porte les bndictions du voyageur
tous ces tres chris, inspire-leur ces penses qui font
ma force de toutes les heures, et ma consolation dans
les plus tristes et les plus pnibles moments. A tous
donc une heureuse anne ! Puiss-je aussi ramener sain
336
LE TOUR DU MONDE.
dcoulent des sources bruyantes qui, doues de la proprit d'incrustation, laissent partout sur leur passage des
dpts de formes curieuses ; tantt des monts qui s'lvent abruptement une grande hauteur, et renferment
des grottes plus ou moins profondes et ornes de stalactites; enfin de gracieux lits de sable, et des lots o s'tendent pour se chauffer au soleil une foule d'iguanes ;
partout c'est une riche vgtation entremle d'lgantes
touffes de bambous. L s'battent et se querellent des
troupes de chimpanzs sur lesquels s'exerce l'adresse de
Phra, et qui lui procurent des repas dlicieux.
Nous mordicus une pirogue trs-lgre, de sorte que
le premier jour nous dpassmes des bateaux de Pet-
LE TOUR DU MONDE.
Ruines
337
XXVI
La
ville de Tchaapoune. Retour Bangkok. L'lphant blanc. Encore la fort du Roi du Feu.
ISrat et sa province. Penom-Wat.
fvrier
je me prsentai au gouverneur pour lui demander de l'aide et le prier de me louer des lphants ou des
beeufs pour continuer mon voyage. Je lui prsentai mon
passe-port franais, la lettre du Khrme Luang, puis une
autre du gouverneur de Krat; mais tout fut inutile. Il me
fut rpondu que, si je voulais des boeufs ou des lphants,
il y en avait dans la fret. J'aurais pu me passer de l'assistance de ce fonctionaire en langouti, et louer d'autres animaux chez les habitants de la ville ; mais ceux-ci
me les auraient fait payer deux ou trois fois plus cher
que le prix ordinaire, et ma bourse est trop lgre pour
me permettre un pareil sacrifice, qui se renouvellerait
probablement chaque station. La seule chose qui me
restait faire, c'tait de retourner sur mes pas, laisser
un de mes domestiques Krat avec mes bagages, et
revenir avec 1 autre, Bangkok, rclamer prs de notre
consul, des ministres ou du roi lui-mme ; car il y a un
trait conclu par M. de Montigny, entre la France et
le roi de Siam, qui oblige donner aide et protection
Avant atteint la ville de Tchaapoune le 28
1861,
1. Suite et lin. Voy. pages 219, 225, 241, 257, 273, 289, 305
et 321.
Vlll.
aux Franais, et surtout aux missionaires et aux naturalistes. C'tait 1k une perte de temps bien regrettable et.
qui pouvait m'occasionner de trs-srieux inconvnients,
car, si par suite de ces dlais je venais tre surpris
par la saison des pluies au milieu des forts, ou mme
avant mon arrive dans un lieu sain, ma sant et ma
vie pouvaient tre compromises.
Heureusement, depuis Krat, j'eus le plaisir de voyager en compagnie de cet lphant blanc pris dans le
Laos, dont j'ai parl plus haut, et qu'un dignitaire de
Bangkok, avec lequel je liai connaissance et qui me
prit en amiti, tait venu chercher en grande pompe.
La caravane tait magnifique : elle comptait plus de
soixante lphants de couleur normale, dont deux furent
mis mon service, un pour moi-mme et un autre pour
mon domestique.
Me trouvant donc dans les bonnes grces du mandarin charg d'escorter le pachyderme ftiche, je lui contai mon aventure, et il me promit de me faire obtenir
tout ce que je dsirais. A notre arrive Saraburi,
nous trouvmes les administrateurs du Laos et les premiers mandarins de Bangkok runis en cette ville pour
22
704 e LI\'.
338
LE TOUR DU MONDE.
prendre soin de l'lphant. Les Siamois, gens superstitieux avant tout et pleins de foi dans la mtempsycose, croient que l'me de quelque prince ou de quelque roi passe dans le corps de ce pachyderme, comme
aussi dans le corps des singes blancs et de tout autre
animal albinos : c'est pourquoi ils ont pour ces cratures
maladives la plus grande vnration, non pas qu'ils les
adorent, car les Siamois, en vrais disciples des premiers
aptres du bouddhisme, ne reconnaissent aucun Dieu,
pas mme Bouddha, mais ils ont la croyance que ces
tres anormaux portent bonheur au pays.
Pendant le trajet, des centaines d'hommes coupaient
les branches devant l'animal et lui prparaient un chemin facile. Deux mandarins lui servaient ses repas des
gteaux de diffrentes espces dans des plats d'or, et le
roi lui-mme, sorte de philosophe rationaliste, vint jusqu' Ajuthia au-devant-de lui.
Grce ce ftiche et l'aide de quelques prsents de
valeur, je russis obtenir des lettres un peu plus favorables pour les gouverneurs des provinces du Laos et
je quittai de nouveau Bangkok, o pendant une quinzaine
de jours je reus la gracieuse et gnreuse hospitalit
de mon ami Dr Campbell, un des meilleurs hommes que
j'aie rencontrs jusqu' prsent, et dont la bont, l'affabilit et la loyaut ont gagn mon coeur et mou estime.
Enfin, aprs une double dpense d'argent et de temps,
celui-ci plus irrparable que celui-l, je pus reprendre
la route du nord.
En me parlant de son voyage Krat, le Dr House, le
plus hardi des missionnaires amricains de Bangkok et
le seul blanc qui et pntr jusque-l depuis un grand
nombre d'annes, me disait qu'il n'avait prouv sous
tous les rapports qu'une dception. J'en dirais autant, si
j'tais comme lui parti avec beaucoup d'illusions; mais
j'avais une ide de la fort du roi du Feu, que j'avais dj
traverse sur une foule de points, comme Phrbat,
Khao-Khoc et Kenne-Kho, et sous les ombrages dltres de laquelle j'avais dj pass plus d'une nuit.
Quant des cits, je ne m'attendais point non plus h en
trouver au milieu de ces bois, presque impntrables,
ei o l'oeil mme ne peut plonger plus de quelques
pas devant soi. Dernirement encore, je viens d'y passer dix nuits successives. Durant la traverse de cette immense et paisse fort, tout ce qu'il y avait de Chinois
dans la caravane, heureux chaque halte de se trouver
encore au nombre des vivants, s'empressaient de tirer de
leurs paniers une abondance de provisions capable de
satisfaire l'apptit le plus exigeant; ils choisissaient,
dfaut d'autel, quelque gros arbre, ils disposaient leurs
plats, allumaient des bougies, et brlaient force papier
dor, en marmottant des prires genoux. A l'entre et
la sortie de la grande fort, ils jetaient des feuilles et
dposaient des btons parfums dans des espces de chapelles leves sur quatre pieux de bambous, ces tranges
offrandes devant, selon eux, conjurer les dmons et
carter la mort.
Quant aux Laotiens, quoique superstitieux, je les trou-
LE TOUR DU MONDE.
chane qui court paralllement la premire, mais couverte de blocs de grs ; la vgtation y reparat avec toute
sa force. L'air est pur et frais ; et grce des bains ritrs dans des sources d'eau vive, les pieds qui n'taient
que plaies et ampoules au dbut du voyage, commencent
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340
LE TOUR DU MONDE.
toutes les saisons ils pitinent le sol de ces affreux sentiers, ayant peine le temps, matin et soir, d'avaler quelques boulettes de riz gluant, et passant la plupart de
leurs nuits, avec trs-peu de someil, tourments par
les fourmis blanches et tenus en alerte par les voleurs.
Tous les jours nous croisions une ou deux caravanes
de quatre-vingts cent boeufs, transportant des peaux de
daim, de cerf, de panthre, beaucoup de soie crue,
venant du Laos oriental, des langoutis de coton et de soie,
des queues de paon, de l'ivoire, des os d'lphant, du
sucre, mais ce dernier produit en petite quantit.
Les quatre jours suivants, le terrain conservait le
mme aspect. Nous traversmes plusieurs villages considrables, dont un, Sikiou, nourrit un troupeau de
plus de six cents boeufs appartenant au roi. Nous avons
mis dix jours pour aller de Keng-Ko Krat, o je fus
parfaitement reu par l e gouverneur, qui, en outre de
mes autres lettres, m'en donna une pour les fonction-
Caravane d'lphants traversant les montagnes du Laos. Dessin de E. Bocourt d'aprs M. Mouhot.
Autant je trouvai les Siamois venus du dehors impudents, autant je rencontrai d'affabilit et de cur mme
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342
Consulter les quelques cartes existantes de l'IndoChine pour me guider dans l'intrieur du Laos et t une
sottise, aucun voyageur, ma connaissance du moins,
n'ayant encore pntr dans le Laos oriental ou publi
des donnes authentiques sur ce pays. Interroger les indi-
LE TOUR DU MONDE.
343
341e
LE TOUR DU MONDE.
Un chef laotien chassant le rhinocros (voy. p.351). Dessin de Janet-Lange d'aprs M. Mouhot.
vaincre qu'il n'est pas une grossire bauche de la nature, mais une crature faite, non pas pour confondre
l'esprit de l'homme, mais pour lui donner souvent des
leons de bont, de patience et de prvoyance. Il ne faut
pourtant pas exagrer son utilit, ou bien les bts employs par les Siamois et les Laotiens sont susceptibles de
perfectionnement ; mais la charge de trois petits boeufs,
c'est--dire de deux cent cinquante h trois cents livres, est
tout ce que j'ai vu les plus gros lphants transporter aisment en plaine comme dans les montagnes, et dix-huit
milles sont les plus grandes distances qu'ils puissent
parcourir avec un poids modr , tandis que de dix
douze milles sont les journes ordinaires.
iteoeption uu voyageur par tes rois du Laos. Lessin de Janet-Lange d'aprs M. Mouhot.
346
LE TOUR DU MONDE.
C'est ainsi qu'avec quatre, cinq et jusqu' sept lphants, je traversai toute cette mer de montagnes qu'
partir de mon entre dans le Laos, jusqu' Luang-Prabang, je ne cessai de monter et descendre, c'est--dire
sur un espace de prs de cinq cents milles.
Tout ce versant oriental, l'exception de quelques villages de sauvages ventre noir s enclavs dans cet tat,
est habit par le mme peuple, les Laos ou Laotiens
ventre blanc, qui s'appellent eux-mmes Lao, et que
les Siamois, les Chinois et tous les autres peuples environnants ne connaissent que sous ce nom.
Les Laotiens ventre noir, ou occidentaux; sont appels par leurs frres de l'est du nom qu' Siam et
au Cambodge on donne aux Annamites : Zune, LaoZune. La seule chose qui les distingue, c'est qu'ils se
tatouent la partie infrieure du corps, principalement les
cuisses, et portent souvent les cheveux longs nous en
torchon au sommet de la tte. Leur langue est la mme
quant au fond, et ne diffre gure du siamois et du lao
oriental que par la prononciation et l'acception de certaines expressions qui ne sont plus en usage chez le premier de ces peuples.
Je ne tardai pas tre convaincu que sans la chaude
lettre du gouverneur de Krat j'aurais eu partout des
chefs le mme accueil qu' Tchaapoune; mais celle-ci
est trs-explicite : n'importe o je passerais on devait me
fournir des lphants et m'apporter toutes les provisions
ncessaires comme si j'tais un envoy du roi. Aussi
je me rjouissais grandement voir ces petits chefs de
provii.,;es marchant aux ordres de mes domestiques et
craignant chaque instant que, suivant l'usage siamois,
je n'usasse dr. rotin. Un de mes hommes, pour se donner un certain relief de dignit et de pouvoir, avait attach un de ces pouvantails aux armes dont il tait porteur, et cette vue seule suffisait, avec le son du tam-tam,
pour inspirer la crainte, tandis que de petits prsents distribus propos et de bons pourboires aux cornacs
m'attiraient la sympathie du peuple.
La plupart des villages se trouvent situs une journe de distance les uns des autres; cependant il faut
quelquefois marcher trois ou quatre journes avant de
rencontrer une seule habitation; on est alors forc de
coucher dans le jungle. Dans la bonne saison, je le trouverais peut-tre agrable; mais dans celle des pluies,
rien ne peut donner une ide des souffrances que les
voyageurs prouvent la nuit sous un mauvais abri de
feuilles lev la hte au-dessus d'un lit de branchages,
assaillis qu'ils sont par des myriades de moustiques attirs par la lumire des torches et des feux, des lgions
de taons qui, la tombe du jour aussi bien que lorsqu'on met le pied l'trier, s'attaquent l'homme autant qu' sa monture, des pucerons presque imperceptibles qui vous entourent par essaims et dont la piqre,
excessivement douloureuse, vous cause d'normes ampoules; je ne parle pas des sangsues qui, la moindre
pluie, sortent de terre, sentent l'homme plus de vingt
1. Ainsi appels cause du tatouage qu'ils se font la partie
suprieure des cuisses.
pas, et de tous les cts viennent avec une vitesse incroyable lui sucer le sang. Se couvrir les jambes de
l'paisseur d'une ligne de chaux est le seul moyen de les
empcher d'envahir tout le corps pendant la marche.
Le 12 avril, j'avais quitt Bangkok; le 16 mai, j'arrivai
Leuye, chef-lieu d'un district relevant tout la fois de
deux provinces, de Phetchaboume et de Lme, et situ
dans une valle troite comme tous les villages et villes
que j'ai rencontrs depuis Tchaapoune jusqu'ici. C'est le
district de Siam , le plus riche en minerai. Un de ses
monts renferme des gtes immenses d'un fer magntique
d'une qualit remarquable; d'autres de l'antimoine, du
cuivre argentifre et de l'tain.
Le fer seul est exploit , et cette population, moiti
agricole, moiti industrielle, fournit d'instruments de
labour et de coutelas toutes les provinces qui l'entourent
jusqu'au del de Krat. Cependant il n'y a ni usines ni
machines vapeur, et il est vraiment curieux de voir
combien peu il en cote un forgeron pour son installation : dans un trou d'un mtre et demi carr creus
proximit de la montagne , il entasse et fond le minerai
avec du charbon; le fer, liqufi, se dpose dans le fond
de la cavit et s'y creuse un lit d'o on le retire, lorsque l'opration est acheve, pour le transporter la
forge.
L, dans une nouvelle cavit en terre, on tablit un
feu qu'un enfant avive au moyen de deux soufflets qui
sont simplement deux troncs d'arbre creux enfoncs en
terre et dans lesquels jouent alternativement deux tampons entours de coton, fixs une planchette et emmanchs de longs btons, tandis qu' la base des troncs
d'arbre sont adapts deux tubes de bambou qui conduisent l'air sur le foyer enflamm.
Dans plusieurs localits, je dcouvris des sables aurifres, mais aucun gte abondant ; dans quelques villages,
les habitants font temps perdu le mtier d'orpailleurs,
mais ils gagnent peine cette besogne, disent-ils, le
riz qu'ils mangent. J'ai travers, dans ce voyage, plus de
soixante villages comptant de vingt cinquante feux, et
six bourgades appeles villes et ayant une population de
quatre cents six cents habitants.
J'ai fait une carte de toute cette contre. Depuis Krat j'ai travers cinq rivires considrables qui se jettent dans le Mkong, et dont le lit est plus ou moins
rempli, selon les saisons. La premire a trente-cinq
mtres de largeur, c'est le Menam-Tchie, latitude 15 45';
la seconde, le Menam-Leuye, quatre-vingt-dix mtres,
latitude 18 3 ' . Le Menam-Ouan, Kenne-Tao, cent
mtres, latitude 18 35 ' ; le Nam-Pouye, soixante mtres,
latitude 19; le Nam-Houn, 20 de latitude, de quatrevingts cent mtres de largeur.
Le Tchie est navigable depuis la latitude de Krat
jusqu' son embouchure, du mois de mai au mois de
dcembre. Le Leuye, le Ouan et le Houn, ne le sont que
sur une tendue restreinte cause de leurs nombreux
rapides, et, malgr nos vieilles gographies, il n'existe
pas de communication par eau entre le Mnam et le
Mkong; les hauteurs considrables qui sparent ces
LE TOUR DU MONDE.
fleuves sont des obstacles insurmontables pour le percement de canaux.
Les Laotiens ressemblent beaucoup aux Siamois ; une
prononciation diffrente, une accentuation lente est la
seule diffrence que je remarque dans leur langage. Les
femmes portent les cheveux longs et une jupe pendante,
ce qui leur va bien quand elles sont jeunes et qu'elles
sont peignes. Elles sont mieux que celles des bords
du Mnam; mais un ge un peu avanc, leur chignon
ngligemment jet sur une tempe ou l'autre, et les goitres
d'une grosseur norme dont elles sont affectes, les
rendent d'une laideur repoussante.
Le commerce, dans toute cette partie du Lao, est peu
considrable, les Chinois habitant Siam ne pouvant pntrer chez eux, cause des frais normes que leur occasionnerait le transport de leurs marchandises en lphant. A peu prs chaque anne, il vient une caravane
du Yunnan et de Quanglee, compose d'une centaine
d'individus et de quelques centaines de mulets. Les uns
vont jusqu' Renne-Thae ; d'autres gagnent M. Nne et
Tchieng-Mae. Ils arrivent en fvrier et repartent en
mars ou avril.
Le mrier ne russit pas dans ces montagnes; mais,
par contre , dans plusieurs localits on lve en quantit
l'insecte qui produit la laque, et on cultive cet effet l'arbuste dont les feuilles servent sa nourriture.
C'est de l'extrmit nord de la principaut de LuangPrabang, et d'un district tributaire de la Cochinchine
comme de Siam, et peupl par des Tonkinois plutt que
par des Loatiens, que vient toute la gomme benjoin qui
est vendue Bangkok.
Le 24 juin, j'arrivai Paklae (lat. 19 16' 58"), qui
est la premire bourgade de cette principaut situe sur
le Mkong, que l'on rencontre en venant du sud. C'est
un charmant village, trs-riche, et plus grand et plus
beau que ceux que j'ai rencontrs jusqu'ici dans ce
pays; les maisons y sont lgantes et spacieuses, et tout
y annonce une aisance et un bien-tre que depuis j'ai
remarqus dans toutes les localits o je me suis arrt.
Le Mkong y est beaucoup plus large que le Mnam
Bangkok, et c'est avec un bruit pareil celui de la mer
et l'imptuosit d'un torrent qu'il se fraye un chemin entre de hautes montagnes qui semblent avoir peine le
contenir dans son lit.
Les rapides se succdent de distance en distance depuis Paklae jusqu' Luang-Prabang, que l'on n'atteint
qu'aprs dix quinze jours d'une marche pnible.
La vue de ce beau fleuve fit sur moi le mme effet que
la rencontre d'un ami; c'est que j'ai bu longtemps ses
eaux; c'est une vieille connaissance; il m'a longtemps
berc et tourment. Aujourd'hui, il coule maje. '.ueux,
pleins bords, entre de hautes montagnes dont il a rong
la base pour creuser son lit ; ici, ses eaux sont boueuses et
jauntres comme l'Arno Florence, mais rapides comme
un torrent; c'est un spectacle vraiment grandiose.
J'tais fatigu de cette longue marche dos d'lphants, et je dsirais prendre un bateau; mais le chef et
les habitants du village, craignant qu'il ne m'arrivt quel-
347
LE TOUR DU MONDE.
348
Le 5 aot, aprs dix jours d'attente, j'ai t enfin prsent au roi de Luang-Prabang avec une pompe mirobo-
LE TOUR DU MONDE.
ferait passer pour un marchand de bric--brac, et j'y
dcouvris une loupe, une paire de lunettes du vieux
style, c'est--dire verres ronds, avec lesquels Sa Majest en second a l'air d'un gorille sans poil, un petit
pain de savon marbr ( elle en avait besoin), un flacon d'eau
de Cologne et une bouteille de cognac. Cette dernire fut
ouverte sance tenante et par ma foi juge fort bonne.
Je me mis donc en frais ; mais il fallait bien rcompenser ces pauvres gens;
car enfin le roi est complaisant et bon pour moi ; il
se charge de mes lettres ;
c'est lui-mme qui les portera Bangkok, o il va,
je crois, prter son serment
d'allgeance et de vassalit. Il est donc bien heureux qu'il ne comprenne
pas le franais, car si le
lche abus b du systme
de curiosit postale transmis ses descendants
a par le grand roi qui trahit la Vallire.... A avait
pntr jusque dans ce
pays, je risquerais fort
d'tre pendu au sommet
du plus grand arbre qu'on
pourrait trouver, sans mme recevoir un premier
avertissement.
Je distribuai ensuite aux
princes des estampes dont
j'avais fait provision
Bangkok, de beaux cavaliers la lance au poing, des
Napolon le Grand deux
sous, des batailles de Magenta, des Victor-Emmanuel, des Garibaldi, trsenlumins de blanc, de
bleu et de rouge, des zouaves, des clous tte dore,
de l'eau-de vie camphre,
etc. Il fallait voir comme
ils taient heureux et contents, ne regrettant tous
qu'une chose : mon dpart
de la capitale avant d'avoir puis en leur faveur le fond de mon sac jouets.
Mon troisime domestique song, que j'avais engag
Pakpriau, m'a demand avec instance de le laisser
retourner Bangkok la suite du roi de Luang-Prabang. J'ai tout fait pour le retenir, mais il parait opinitre et dcid. Je ne puis le contraindre rester. Je
lui ai pay ses gages jusqu' ce jour et lui ai donn une
lettre pour Bangkok, o il touchera ce qui sera d
pour tout le temps qu'il mettra retourner.
349
350
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
351
des Carolins, des Tagales de Luon et de ces Haraforas srent des cris sauvages pour forcer le rhinocros
quitter sa retraite. Peu d'instants aprs, l'animal, fude Clbes, qui lui ont apparu comme les anctres des
rieux d'tre drang dans sa solitude, venait droit
Tongas et des Tahitiens.
On ne trouve dans leurs habitations ni chaises, ni nous ; c'tait un mle de la plus grande taille. Sans la
tables, ni lits, pas mme de vaisselle de terre ou de por- moindre crainte, au contraire avec tous les signes de la
plus grande joie, comme s'il tait assur de sa victoire,
celaine ; peu d'exceptions prs, ils mangent leur riz
l'intrpide chasseur s'avana au-devant du monstre, et,
gluant, faonn en boulettes, dans la main ou dans un
petit panier tress avec du rotin, et dont quelques-uns la lance croise, l'attendit une certaine distance et
comme le dfiant. L'animal avanait toujours, baissant
sont artistement travaills.
et relevant alternativement son norme tte, la gueule
L'arbalte et la sarbacane sont leurs armes de chasse,
ainsi qu'une espce de lance en bambou, et quelque- grande ouverte. Arriv la porte de l'homme, celui-ci
lui enfona sa lance dans l'intrieur du gosier une
fois, mais plus rarement, le fusil, dont ils se servent avec
profondeur de plus d'un mtre et demi, et aussi tranbeaucoup d'adresse.
quillement que s'il et charg une pice d'artillerie.
Dans le hameau Na-L, o j'arrivai le 3 septembre,
Cela fait, il abandonna son
j'eus le plaisir de tuer une
arme
dans le corps de l'atigresse qui, avec son
nimal
et vint nous rejoinmle, causait de grands
dre.
Nous
nous tenions
ravages dans la contre,
une
distance
respectueuse,
Le lendemain, le chef des
de
manire
assister
chasseurs de ce village orl'agonie
de
la
brute sans
ganisa en mon honneur
avoir craindre pour nousune chasse aux rhinocros,
mmes. Elle poussait des
animal que je n'avais pas
mugissements affreux et
encore rencontr dans touse roulait sur le dos, en
tes mes courses travers
proie des convulsions
ces forts. La manire
pouvantables, tandis que
dont les Laotiens font cette
nos hommes poussaient
chasse est fort curieuse,
des cris de joie. Quelques
fort intressante, en raison
instants aprs, nous pmes
de sa simplicit et de l'hanous en approcher, elle
bilet qu'ils y dploient.
vomissaitdes flots de sang.
Nous tions huit hommes,
Je donnai une poigne de
moi compris. J'tais arm
main au chef en le flicid'un fusil, ainsi que mes
tant de son adresse et de
domestiques; j'avais plac
son
courage. Il me dit
au bout du mien ma lonalors
qu' moi seul appargue baonnette bien effitenait
l'honneur d'achever
le ; les Laotiens ne porl'animal, ce que je fis en
taient que de solides bamlui perant la gorge de ma
bous emmanchs dans une
longue baonnette.
lame de fer, tenant le miLe chasseur ayant retir
lieu entre une baonnette et
sa lance du corps du. Bun long poignard, tandis
que la lance du chef tait une sorte d'espadon, longue, hmoth, me la prsenta en me priant de l'accepter
comme souvenir. Je lui donnai, en retour, un magnieffile, forte et souple, mais ne brisant pas, ce qui fait
fique poignard europen....
la qualit de cette arme dangereuse.
Henri MOUHOT.
Ainsi arms nous nous mmes en route dans le plus
pais de la fort, dont notre chef connaissait tous les dtours et tous les gtes gibier. Aprs y avoir pntr
A la date du 5 septembre finit le journal de voyage de
peu prs de deux milles, tout coup nous entendmes le
M.
Mouhot. Jusqu'au 25 du mois d'octobre, il a toutecraquement des branches et le froissement des feuilles
fois
continu de tenir fidlement son registre mtorolosches. Le chef prit les devants, nous faisant signe de la
main, sans se retourner, de ralentir notre pas et nous gique ; mais les dernires notes inscrites sur son carne
de route se bornent aux suivantes :
tenir arms et prts.
352
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
353
VOYAGE EN ESPAGNE,
PAR MM. GUSTAVE DOR ET CH. DAVILLIER'.
DE VALENCE A ALCOY.
1862. DESSINS INDITS DE GUSTAVE DOR. TEXTE INDIT DE M. CH. DAVILLIER.
L'Albufra de Valence. La pche et la chasse; les batidas; les phnicoptres. Alcira et Carcagente. Les oranges du royaume
de Valence. La huerta de Gandia. La pita et son emploi. Denia. Alcoy.
23
354
LE TOUR DU MONDE.
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356
LE TOUR DU MONDE.
figurs exactement, taient tellement rapprochs, et langue limousine. Quant aux noms de localits, la pluoffraient l'oeil un enchevtrement si confus, que la part, dans le royaume de Valence, rappellent bien plus
carte ressemblait assez une toile d'araigne. C'est que une origine arabe que valencienne ou espagnole : il sufla culture du riz, qui ne peut avoir lieu que dans des fit, pour en donner une ide, de citer les noms de Benichamps submergs une bonne partie de l'anne, exige Muslem, Beni-Mamet, Beni-Parrell, Beni-Farraig,
une abondance d'eau extraordinaire : on lve autour Alfafar, Algemeci, et tant d'autres qui n'ont pas vari
de chaque rizire un rebord de terre assez lev pour depuis plus de huit sicles.
Nous venions de traverser le grand canal appel Aceempcher cette eau de s'chapper, et au moyen d'une
quia del rey, dont
petite vanne, on
les eaux vont se
peut volont en
perdre dans l'Albuexhausser ou en
fra; bientt aprs,
abaisser le niveau.
le magnifique lac
Tout le monde
nous a assur dans
nous apparat dans
le pays que les ritoute son tendue,
zires taient d'un
encadr l'horizon
rapporttrs-producpar la Sierra escartif ; malheureusepe de la Falconera
ment les exhalaiet par la montagne
sons marcageuses
de Monduber, qui
sont des plus malpasse pour une des
saines, et font tous
plus leves du
les ans de nomroyaume de Vabreuses victimes,
lence.
ce qui est facile
Rien ne saurait
comprendre dans
peindre l'animation
un pays o la chaextraordinaire qui
leur est excessive.
rgnait surles bords
Il est peu de ladu lac : il faut avoir
boureurs qui ne
vu cette fte popusoient sujets aux
laire pour se faire
fivres intermittenune ide de l'entes, et nous ne
train et de la gaiepouvions, sans tre
t du caractre des
pris de piti, les
Valenciens. Malgr
voir travailler du
l'heure peu avanmatin au soir les
ce, la foule tait
pieds dans l'eau et
dj compacte : de
la tte expose un
nombreux groupes
soleil brlant. Il est
s'taient forms
trange qu'on ne
et l; les uns cherleur enseigne
chaient un peu
prendre aucune des
d'ombre sous les
prcautions qui sont
tartanas; d'autres
en usage ailleurs.
s'taient bravement
C'est autour de
installs en plein
la petite ville d'Alsoleil, et faisaient
bric qu'on voit le
honneur, mais avec
Musiciens ambulants.
la frugalit tradiplus d'arrozales; un
proverbe bien connu dans le pays fait allusion aux pro- tionnelle des Espagnols, un djeuner champtre arros
de vin noir, qui sortait des outres de cuir sous la forme
fits en mme temps qu' l'insalubrit de la culture du riz :
d'un mince filet. Les petits marchands ambulants dbie Si vols vivre poc, y fer te rie,
taient leur orchata de chufas, ou leur agua de cebada,
a Ves ten a Alberic.
eau d'orge refroidie dans la neige, et d'autres rafraC'est--dire : si tu veux vivre peu, et te faire riche, chissements, accessoires invitables de toute fte espava-t'en Albric. Je cite ce proverbe en valencien, afin gnole. Pendant ce temps-l, les aveugles faisaient bourde donner une ide de l'analogie qui existe entre donner les guitares et grincer les citaras, soit pour acnotre langue et ce dialecte, qui drive de l'ancienne compagner quelque complainte larmoyante, soit pour
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LE TOUR DU MONDE.
Le lac d'Albufra.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
364
LE TOUR DU MONDE.
produise pas de ballottage pendant le trajet. Cette opration termine, on envoie les caisses au chemin de fer
qui les transporte Valence, et de l elles sont expdies Marseille par les bateaux vapeur; d'autres
sont embarques dans les petits ports du littoral.
Bien que le feuillage des orangers forme une vote
paisse, peu prs impntrable aux rayons du soleil, on
ne laisse pas de cultiver dans les naranjales toutes sortes
de lgumes, et mme des crales comme le bl, l'avoine
et le mas, qui croissent parfaitement l'ombre sous
cet admirable climat.
Chaque jardin est ordinairement accompagn d'une
petite casa de recreo, simplement meuble, qui sert au
propritaire pour les djeuners ou les rendez-vous de
campagne. Une particularit qui nous frappa, c'est que
les pourceaux, lorsqu'on les laisse pntrer au milieu
des naranjales, ne se montrent nullement friands des
oranges, qui se trouvent presque toujours sous les arbres
en assez grande abondance. Un pareil ddain nous
tonna beaucoup de la part de ces animaux, qui ne
passent pourtant pas pour tre des plus difficiles sous
le rapport de la nourriture ; on aurait bien pu leur
confier en toute scurit la garde des pommes d'or du
jardin des Hesprides.
La cte de la Mditerrane, entre Valence et Alicante,
se trouvant tout fait en dehors des itinraires consacrs,
n'est que trs-peu connue; cependant elle mriterait
d'tre plus souvent visite par les touristes : les montagnes boises, les valles la vgtation presque tropicale des environs de Gandia, de Denia et de Javea n'ont
rien envier Castellamare, Amalfi, Sorrente, et
aux autres sites si vants de la cte napolitaine.
C'est par la huerta de Gandia que nous commenmes
notre excursion dans cet l.'den des potes espagnols, dans
ce paradis terrestre des Arabes d'Occident. Beaucoup
moins tendue que celle de Valence, cette huerta offre
peut-tre une vgtation encore plus luxuriante, et le
climat y est, dit-on, plus tempr. Cette contre tait
renomme pour la culture de la canne sucre ds le
temps des rois arabes de Valence, et il y existait alors
beaucoup de moulins sucre. Aujourd'hui mme on y
voit encore quelques champs o sont cultives les canas
de azucar, qui acquirent sous ce beau climat tout leur
dveloppement et une complte maturit. Les orangers,
les figuiers, les grenadiers et une infinit d'autres arbres
^ fruit y forment d'pais ombrages; les caroubiers, trsnombreux dans le pays, sont cultivs principalement sur
les coteaux, et dpassent quelquefois la grosseur des plus
gros chnes : leur feuillage, d'un beau vert fonc, contraste d'une manire trs-heureuse avec la teinte gristre
et un peu triste de celui des oliviers.
Mais une plante qu'on remarque souvent dans les environs de Gandia, o elle atteint des proportions extraordinaires, c'est l'alos ou agave d'Amrique, qu'on retrouve du reste dans tout le sud de la Pninsule. Ici la
pita, ainsi que l'appellent les Espagnols, ne sert pas
seulement, comme partout ailleurs, pour la clture des
champs, dont ses feuilles acres interdisent l'entre aux
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
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Chasse l'hippopotame sur la rivire Sainte-Lucie (voy. p. 374). Dessin de Janet-Lange d'aprs Baldwin.
CHASSES EN AFRIQUE.
DE PORT NATAL AUX CHUTES DU ZAMBSE,
PAR WILLIAM - CHARLES BALDWIN',
Membre de la Socit de gographie de Londres.
1852-1860. -- TRADrCTION
INDITE
Vocation de l'auteur. Pourquoi il va en Afrique. Son arrive Port-Natal. 11 va chasser l'hippopotame. Aventures avec les
crocodiles. Rsultats dsastreux de l'expdition. Retour Durban.
Lorsque dans une hutte sauvage ou au fond d'un chariot, j'crivais mon frre les pages suivantes, quelquefois avec de l'encre, souvent au crayon, frquemment
avec un mlange de poudre et de th, ou de caf, j'tais
loin de penser qu'elles seraient un jour imprimes.
Si maintenant je me dcide les publier, ce que je fais
avec dfiance, c'est pour rpondre aux sollicitations de
mes amis, et tenir la promesse que j'en ai donne
ceux qui, dans le Natal, ont vu avec intrt mes courses
d'abord restreintes, s'tendre graduellement jusqu'au
1. Extraits du livre publi Londres, chez Richard Bentley, en
1863 African hunting.
VIII. 206 0 Liv
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C _0_ N T R E,. D E S
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46
LE TOUR DU MONDE.
de produire ensuite quelque chose qui soit plus digne
de lui.
Je crois devoir expliquer mes amis d'Afrique par
quelle raison je suis all au Natal. Il faut pour cela que
je parle de mon enfance; je le ferai en quelques lignes,
que le lecteur indiffrent pourra passer.
L'amour du sport, des chevaux, des chiens tait inn
chez moi. Ds l'ge de six ans, je suivais sur mon poney
les lvriers du voisin, et cela deux fois par semaine. Il
en fut ainsi jusqu'au jour nfaste o l'une de mes
prouesses valut mon pre un avertissement du digne
squire, avertissement qui me fit mettre en pension. J'y
restai comme tant d'autres. Lorsque j'en sortis, ayant
l'humeur vagabonde , je fus plac dans la maison de
commerce d'un ex-membre du Parlement, afin, plus
tard, d'tre envoy aux colonies. Je travaillai; mais les
bassets, les bigles, le canotage, les meetings taient
contraires la discipline du bureau. Le plus jeune des
associs et moi, nous
en tirmes cette conclusion que je n'tais
pas n pour le mtier
de scribe, et il fut
rsolu que j'irais
dans le Forfarshire
apprendre l'agriculture. J'en partis bientt pour une ferme
du West - Highland,
o sur treize milles
carrs de montagnes,
de ruisseaux , d'tangs, de rivires et
quelque deux acres
de terre labourable,
auxquels s'ajoutaient
deux distilleries de
whiskey, mon excellent pre ne doutait
pas que son fils, accabl de travail, ne ft initi tous
les mystres de la culture cossaise. Toujours est-il
qu'avec la chasse, la pche, les gens de la ferme, les
chiens, les flneries, les promenades, j'tais dans une
position magnifique ; mais n'ayant dans ma patrie ni
bruyres, ni lacs, ni chevaux de race en perspective, je
cherchai quelque pays lointain o l'on et la libert de
se mouvoir.
Tandis que je balanais entre le Haut-Canada et les
prairies du Far-Ouest, deux de mes amis intimes, qui
partaient pour le Natal, me conseillrent de choisir cette
colonie; et l'ouvrage de Gordon Cumming, venant paratre, me dcida immdiatement. J'eus bientt pris mes
dispositions, le peu que j'emportais se composant de
fusils, de rifles, de selles, et id genus orme. La seule
partie dispendieuse de ma cargaison tait forme de sept
chiens courants; une dpense inutile : car deux des
meilleurs ne tardrent pas mourir, et les autres succombrent peu de temps aprs.
371
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LE TOUR DU MONDE.
tirent deux ou trois coups de fusil pour effrayer les crocodiles. Bien que fort nombreux ces derniers sont trstimides, et je ne crois pas qu'avec les prcautions dont
je viens de parler nous ayons les craindre; mais ils
diminuent le plaisir du bain.
26 janvier. Nous tirons au sort pour savoir qui accompagnera Monies dans le bateau; c'est Gibson qui est
dsign ; on nous dpose sur l'autre rive , car l'eau est
haute, et Price, Arbuthnot et moi nous allons battre le
pays avec nos guides.
Aprs avoir fait quelque vingt-cinq milles, nous nous
arrtons pour passer la nuit. Comme nous avons oubli
de prendre des grains de verre ou du fil de cuivre, je
dchire mon foulard, j'en fais des lanires qui peuvent
avoir deux pouces de large, c'est un ornement de tte,
en manire de bandelette ; les indignes nous donnent
en change du lait caill, de la bire et de la farine
d'amobella, dont nous faisons de la soupe.
Le lendemain nous tions de retour deux heures de
l'aprs-midi ; Monies et Gibson n'arrivrent que sur les
huit heures. Ils revenaient sans le bateau, les crocodiles
leur avaient bris leurs pagaies et leurs rames.
Comme ils descendaient la rivire , Monies avait
aperu un lphant dans les roseaux, il avait ram du
ct de la bte, et quinze pas l'avait tue d'une balle
entre l'oeil et l'oreille. Nos deux amis enlevrent les dfenses ut l'oreille coups de hache, mirent le tout dans
le bateau et continurent leur promenade. L'odeur du
sang exaspra sans doute les crocodiles, et bien que
Monies en et tu cinq, et trois hippopotames, la victoire
finit par leur rester. N'ayant plus que le manche d'une
rame pour godiller la barque, Monies et Gibson dposrent leur cargaison sur un banc de sable, la couvrirent
du bateau, et reprirent le chemin du camp.
Nous allmes dans le fourr; Price, Arbuthnot et
Monies, qui taient fort adroits, fabriqurent des rames,
des godilles, et, accompagns de huit indignes. , s'en
furent chercher la barque ; ils la trouvrent telle qu'ils
l'avaient laisse, et partirent le 30 pour la baie de
Sainte-Lucie.
Les chasseurs firent plus de vingt milles travers une
belle rgion ; ils rencontrrent des oiseaux d'eau en
masse et une foule d'hippopotames. Vers le milieu du
jour ils furent obligs de prendre terre, ayant contre eux
vents et mare; non-seulement ils n'avanaient plus,
mais les vagues emplissaient la barque. La partie n'en
tait pas moins bonne; courir vent debout, manger de
l'oie sauvage et des melons d'eau; excellentes choses
par la chaleur. Il passrent la nuit confortablement,
prs de leurs feux, sans couverture aucune, et arrivrent
le lendemain midi leur destination, aprs avoir tu
deux hippopotames.
Elle doit son nom de rivire Noire aux galets noirtres dont son lit
est jonch au point d'influer sur la couleur apparente de ses eaux.
L'autre Om-Philos roule au contraire sur du sable qui l'a fait
nommer rivire Blanche. Toutes les deux prennent leur source
dans les monts Quathlambnes, parcourent d'abord une contre
nue, puis, moiti de leur cours, entrent dans une fort paisse et
giboyeuse dont l'lphant occupe le centre. (Note du traducteur.)
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
malade, ainsi qu'Edmonstone et Gibson. Il faut que je
sois rest longtemps sans connaissance; tout ce que je
me rappelle, c'est qu'Arbuthnot et Monies nous rejoignirent aprs avoir chass l'lphant pendant cieux
jours; Arbuthnot se disait trs-malade ; il se laissa
tomber en entrant dans la hutte et ne se releva plus :
le lendemain il tait mort. On se hta de revenir, afin
de soigner les autres ; mais Price mourut quarante
milles de Port-Natal. Monies, qui jusque-l n'avait rien
eu, fut saisi tout coup, et mourut le jour suivant. Mac
Queen arriva jusqu' Durban, o il expira quelques jours
aprs, tandis qu'Hammond, Etty et Purver mouraient
chez les Zoulous. Des neuf chasseurs que nous tions
au dpart, tous pleins de vigueur et d'espoir, nous revnmes seuls, Gibson et moi, et nous restmes prs d'un
an avant de recouvrer la sant.
Seconde excursion au pays des Zoulous. Visite au kraal de
Panda. Moment dsagrable. Rveills par les lions.
Chasse magnifique.
376
LE TOUR DU MONDE.
378
assez rude. Les lions et les hynes s'entendirent jusqu'au jour, mais ne vinrent pas nous inquiter.
On m'avait dit que je me perdrais; il n'en fut rien.
Levs avec le soleil, nous marchmes pendant sept heures .au milieu d'un fourr trs-pais, compos d'arbres
et de buissons rabougris, et nous arrivmes un dfrichement o s'apercevaient des terrains cultivs; nous
tions chez les Amatongas. Le capitaine me fit trs-bon
accueil et mit une cabane ma disposition. Je passai les
jours suivants chercher des inyalas, espce d'antilope
que je n'avais pas encore vue, et dont je finis par tuer
un beau mle que je ne me lassai pas d'admirer.
Reparti le lendemain matin, et m'arrtant de kraal en
kraal, je me dirigeai vers le Pongola, que je traversai le
2 juillet. Peu de temps aprs l'avoir franchi, nous trouvmes de grands tangs couverts d'oiseaux d'eau, et servant d'asile quelques hippopotames qu'il me fallut tirer
de trs-loin. J'en tuai deux qui taient dans des conditions de graisse et de dlicatesse peu communes. Un
chasseur qui viendrait l avec une habile mnagre serait sr de ne pas mourir de faim. Je venais de me procurer environ cinq tonnes de viande parfaite, et une
quantit incalculable d'une graisse dlicieuse.
Ne me dcidant pas quitter une aussi bonne station,
j'y passai quelques jours; puis je me remis en route, et
le 12, je traversais l'Omsoutie, jolie rivire qui se jette
dans la baie Delagoa : ses eaux profondes renferment de
nombreux hippopotames, et les crocodiles y pullulent; j'en
ai compt vingt-deux sur un petit banc de sable situ au
milieu du courant. J'avais atteint le but que je m'tais
propos, et n'avais plus qu' revenir sur mes pas ; je regagnai le dernier kraal, et m'y tablis pour quelques jours.
Le 17 juillet, un parti de quinze hommes, y compris
le chef du village, plus trois cantiniers chargs d'abouti
inyouti', se mirent en chasse avec moi ; les couvertures
avaient t prises pour la nuit. On marcha longtemps sans
rien voir; la fin, un vieux buffle mle bondit mes
cts; ma balle l'atteignit derrire l'paule et le fit tomber sur les genoux; il se releva bientt et prit la fuite ;
je le tirai une seconde fois, mais sans aucun rsultat.
Un peu plus loin, je vis un gros hippopotame endormi
prs de la rive, derrire cm bouquet de roseaux. Je me
dirigeai vers lui en rampant. Juste au moment o je me
dcouvris (j'avais de l'eau jusqu' la ceinture) la bte,
au lieu de s'enfuir, comme je l'avais pens, se prcipita
vers moi; quand l'hippopotame ne fut plus qu' une
vingtaine de mtres, il s'arrta une seconde pendant laquelle je tirai; le coup l'atteignit sous l'oreille et le fit
pirouetter sur lui-mme comme une toupie. Deux balles
lui entrrent dans le corps sans produire aucun effet.
Une troisime, destine la tte, le manqua; il parut
se remettre, s'loigna peu peu du bord, gagna l'eau
profonde, et je craignis de le voir m'chapper.
Le soleil frappait directement sur lui, au point de
m'blouir; le fond de l'eau tait bourbeux, glissant;
1. Bire amatonga, faite avec du sorgho, estime des Europens quand on n'y a pas ml une racine amre, dont les indiH. L.
gnes recher,hentles proprits enivrantes.
380
LE TOUR DU MONDE.
veur d'un temps frais et couvert, je franchis avec un succs inespr vingt milles d'un terrain sablonneux, entirement dpouill d'arbres, n'offrant pas une goutte
d'eau, et fis encore six milles travers bois.
Le 2 aot, je me sentis assez bien pour prendre mon
fusil; j'avais promis quelques rangs de perles mon
chasseur s'il me faisait voir un inyala. Il m'emmena
dans la fort, o nous marchmes longtemps au milieu
des broussailles. Tout coup, les yeux de mon Cafre
tincelrent, il dbucha et courut vers un tang. Aux
gestes qu'il m'adressait, je compris qu'il fallait le rejoindre, mais suivre la route oppose celle qu'il avait
prise. Je fis donc le tour en avanant avec prcaution,
ne me doutant pas de ce que j'allais voir, et je dcouvris
soixante ou quatre-vingts pas un superbe inyala qui
s'loignait tranquillement, aprs s'tre dsaltr. Il se
dtourna, reut une balle dans l'paule, fit en l'air un
bond prodigieux et disparut sous bois. Lgers et rapides,
plus revenir dans le pays; et cependant, arriv PortNa tai, le 9 septembre, je m'arrangeais de faon repartir le 31 mars pour cette contre maudite.
1. L'inyala est une antilope (l'un gris brun reflets argents, parente du bushbuck (tragetaphzus sylraticus), mais beaucoup plus
grande que celui-ci, et paraissant n'habiter que les forts de la cte
occidentale. De mme que le bushbuck, le mle est arm de cornes
en spirale, et revtu de longs poils sur la poitrine et la partie infrieure du corps; il pse de deux cent cinquante trois cents livres,
et, selon toute apparence, vivrait solitaire au moins une partie de
l'anne. Les femelles, de moiti plus petites, et d'un poil brun marqu de raies et de taches blanches, ressemblent au daim ; elles n'ont
pas de cornes on les voit souvent runies en troupeau.
LE TOUR DU MONDE.
381
embourbs sur la plus horrible des routes, nous gagnmes, le 10, la demeure d'un missionnaire norvgien
appel Lawson. Arrivs lh, nous nous trouvmes en face
d'une descente qui, h premire vue, nous fit tressaillir.
Le rvrend nous conseilla d'enrayer trois roues, et de
maintenir le chariot avec des courroies pour l'empcher
de culbuter, car cette descente abrupte nous offrait encore une certaine pente latrale. Enfin passant de la
thorie la pratique, M. Lawson nous prta un ancien
trait, que j'avoue ne lui avoir jamais rendu.
Grce au conseil, au trait, aux courroies, nous arrivmes au bas de la cte sans accident. Mais nous fmes
moins heureux deux jours aprs. A. force de crier et de
frapper sur l'attelage, nous avions gagn le sommet d'une
montagne dsesprante, dont le versant oppos commenait presque aussitt; l'homme qui marchait h la
tte du convoi n'avertit pas assez vite pour qu'on pt
enrayer, et nous voil descendant avec une rapidit
plaie, ils poussrent des cris affreux auxquels se joignirent ceux du patient. 11 fallut renoncer ma suture,
et me contenter d'un bandage que je serrai le plus possible; je fis un bon lit dans le wagon pour y tendre le
bless ; mais rien ne put dcider celui-ci se remettre
en route; et ses deux compagnons refusrent galement
de partir.
Ma position tait assez embarrassante; je n'avais plus
qu'un homme pour conduire quatre chevaux et quatre
bufs de rechange, en surplus du wagon. Nanmoins
je fis contre fortune bon cur, et au bout de quelques
milles, j'eus la chance de mettre la main sur un garon
qui voulut bien venir avec nous jusqu'au Tougula pour
une demi-couronne.
Le soir, nous fmes rejoints par deux boers que mes
Cafres avaient chargs d'une commission pour moi;
ceux-ci voulaient scarifier le bless entre les deux
paules et frictionner les scarifications avec de la pou-
LE TOUR DU MONDE.
382
m'ayant dit qu'il s'y trouvait des hippopotames, je dtelai, j'attendis que le soleil et baiss l'horizon et je
me rendis au bord d la rivire. Quel battement de
coeur en entendant ce souffle bien connu! J'cartai les
roseaux avec prcaution, et je vis trois hippopotames qui
remontaient le fil de l'eau. Ils taient sur leurs gardes
et ne laissaient apercevoir qu'une trspetite portion de leurs
ttes.
Je fis un dtour,
me plaai en amont
sans qu'ils m'eussent
dcouvert , et tirai
sur l'un d'eux.
C'tait un vieux
mle ; il ne montrait
que son oeil; j'en tais
cinquante pas; la
balle frappa juste au
milieu; une balle numro sept avec mon
fusil de Burrow.
Trois jours aprs,
revenant de chasser
un buffle, j'aperus
un crocodile chou
quelque distance de
la rive et qui dormait profondment. Je ne vis d'abord
qu'une masse informe, ne distinguai pas le museau
d'avec la queue, et fus sur le point de le tirer l'envers.
Quand la halle l'eut frapp, il releva la tte, ouvrit ses
formidables mchoires, et je compris que je lui avais
bris l'pine dorsale. Il aurait nanmoins gagn la
rivire, si un nouveau
coup dans la gorge et
un troisime dans la
poitrine ne l'avaient
achev.
Pendant une heure,
je restai sur l'autre rive, prt lui envoyer
une quatrime balle
dans le cas o il redonnerait signe de vie.
Lorsque je fus certain qu'il tait bien
mort, je me htai d'aller au wagon prendre
une hache, et revins
en toute hte avec mes
hommes, afin de couper
la tte du monstre que je voulais emporter. Quelle ne
fut pas ma surprise de ne plus voir mon animal; ses pareils avaient profit de mon absence pour le traner dins
l'Omlilas. Je fus vivement contrari; car il est rare de
tuer un crocodile terre, et dans l'eau il coule fond
ds qu'il est mort.
Je gagnai ensuite les hauteurs, passai une triste journe la crte des Omgowies, et changeai de route par
le conseil d'un nomm Joubert'.
Le 22, nous traversions l'Omvelouse-Noir, et le lendemain nous avions pass l'Inyoni. Un jour que nous
tions occups nous ouvrir un chemin travers de
grandes herbes mouilles, o s'levaient
des arbres pineux et
chtifs, apparut une
femelle de rhinocros
qui me regarda d'un
air tonn et marcha
lentement vers moi.
Je n'avais qu'un fusil
ray de petit calibre;
mon porteur d'armes
tait vingt pas en
arrire avec mon numro neuf. Je lui faisais les signes les plus
pressants, mais il paraissait peu dcid
m'obir. A la fin cependant ( c'tait un
garon de coeur), il
accourut, me jeta le
fusil avec l'tui et le
reste, et grimpa sur un arbre aussi lestement qu'un
singe. J'arrachai le fusil de son enveloppe et envoyai au
rhinocros une balle en pleine poitrine. La bte se retourna, partit en soufflant comme un marsouin et disparut.
Les chiens, pendant ce temps-l, avaient dpist un
autre rhinocros qu'ils
ramenaient de mon
ct. L'animal arrivait
au grand trot, la tte
haute, la queue roule
sur la croupe, avanant
d'une allure superbe,
la fois puissante et
rapide. Il avait l'air
trs-dispos me charger; mais une balle qui
l'atteignit derrire l'paule, et qui le fit tomber sur les genoux, modifia ses intentions; il
se releva et partit.
Convaincu de l'avoir
frapp mortellement,
je me mis sa poursuite; nous trouvmes en effet un
rhinocros couch dans l'herbe; mais son dernier soupir
remontait quelques heures : c'tait le premier que
j'avais tir. J'enlevai les cornes et la langue, je taillai
I. Citoyen de la rpublique transvaalienne chez qui, plus tard,
nous verrons Baldwin.
383
LE TOUR DU MONDE.
dans la peau quelques chamboks t , suspendis le tout
un arbre, et je me mis la recherche de l'autre bless.
A peine tions-nous partis, que nous rencontrmes
un nouveau rhinocros; il n'tait gure plus de vingt
pas, nous regardait avec inquitude et paraissait vouloir
se cacher; c'tait une femelle. J'attendis qu'elle se ft
dtourne et la frappai derrire l'paule; elle revint immdiatement sur moi; mais une balle au milieu du front
l'arrta dans sa course;
elle tomba morte dix
pas. Ce fut un coup de
bonheur, car je ne savais o tirer et n'avais
pas de temps perdre,
si je l'avais manque,
elle m'embrochait avec
sa grande corne.
Derrire elle tait
un jeune qui se battait contre les chiens
en poussant des cris
vigoureux. Cet animal
ressemblait beaucoup
un tonquin bien
nourri, avait les oreilles droites, la peau fine
et luisante, comme si on l'et vernie avec du noir de
plomb. Dsirant l'emmener vivant, j'cartai la meute
et envoyai chercher quatre ou cinq hommes pour le conduire au chariot. Mais pendant que j'tais avec John,
voulant tuer un gnou, afin que ce dernier et quelque
chose emporter, mon petit rhinocros fut dvor par
les hynes, qui l'avaient prfr sa
mre.
Ce n'est pas la seule
fois qu'en chasse, et
au grand jour, nous
emes nous plaindre
de cette odieuse engeance. Plus tard,
chez les Amatongas,
j'avais bless une femelle d'inyala qui s'tait fait poursuivre
longtemps, et qui s'chappa en fin de compte ; l'espce est trs-farouche, trs-prudente,
et ne peut tre approche qu'avec une extrme prcaution. Quelques instants
aprs, je vis un mle et lui cassai la jambe. Il fut bientt rejoint par Ragman et Juno; et, blant avec force, il
les entrana dans le fourr, o il les conduisit trs-loin.
Les chiens furent admirables; nous les suivmes la
voix travers les broussailles, et je finis par arriver prs
1. Cravaches la fois souples et rsistantes qui ont parfois trois
mtres de longueur.
de Ragman, que je trouvais couvert de sang. Il avait renonc la bte, ce qui me surprit tout d'abord ; mais,
entendant aux environs une lutte violente, je me dirigeai de ce ct, et vis trois hynes qui dchiraient l'inyala, expdiant la peau et la chair si prestement que
trois minutes plus tard il n'en serait pas rest une parcelle.
Juno avait pris la fuite et ne revint qu'au bout d'une
heure. Quant aux hynes, elles s'loignrent
mon approche ; guid
par leurs grognements,
je me mis les poursuivre; mais bien que
j'aie fait une assez longue course derrire
elles, il me fut impossible de leur envoyer
une balle.
Nous tions alors en
novembre; le surlendemain, nous sortmes
pour aller tuer un hippopotame. Un des indignes qui nous accompagnaient s'cria :
a Voici une bte morte; il la prenait pour une antilope ; moi-mme je crus apercevoir une femelle d'inyala.
Je me dirigeai vers le cadavre, mes gens y coururent,
et, lorsqu'ils arrivrent trente pas de l'animal, ils dcouvrirent que c'tait un beau lion crinire noire, lequel se leva et disparut dans le fourr voisin.
Les Cafres les plus
rapprochs de la bte
s'vanouirent comme
de la fume; Ragman,
au contraire , donna
sur la piste en aboyant.
Tout coup, nous vmes dbucher deux
lionnes qui poussaient
des rugissements furieux. Le reste des
indignes s'enfuit
toutes jambes.
Les lionnes s'arrtrent pour me regarder .; elles n'taient
y
gure plus de trente
pas. Supposant qu'elles
allaient fondre sur moi, je cherchais des yeux un arbre
qui pt me servir de refuge; mais elles rentrrent dans
les buissons, et je ne les revis plus.
C'tait l'poque des grandes ondes : chaque jour des
averses diluviennes; un sol comme une ponge, entirement satur d'eau, et la pluie commenait s'infiltrer
dans ma tente. Ce genre de vie est suffisamment dur par
le beau temps; mais dans cette saison d'averses conti-
384
LE TOUR DU MONDE.
BALDWIN.
(La suite la prochaine livraison.)
LE TOUR DU MONDE.
385
CHASSES EN AFRIQUE.
DE PORT NATAL
AUX
CHUTES DU ZAMBSE,
PAR MADAME
II. LOREAU.
Lutte prolonge avec un buffle. Sabbat. Ce qu'il faut pour chasser la grosse bte. Episode de chasse. Aventures
avec des buffles.
a Le dimanche 16 novembre, j'tais sous ma tente,
je savourais un pome de Byron et comptais sur un jour
de repos, lorsque les Amatongas vinrent me supplier de
leur tuer quelque chose, disant qu'ils avaient grand'faim. Ils s'taient fait accompagner d'une masse de jolies filles pour appuyer leur supplique, et m'apportaient
de petits prsents : un peu de riz, de la farine, de labire
et des oeufs. Je finis par me laisser toucher. Ils eurent
bientt dcouvert la trace de deux buffles, qui, au point
du jour, taient venus pturer dans la plaine.
Les meneurs relevrent brillamment la passe au travers d'un bois pais, sombre comme la nuit, et tellement
silencieux que la chute d'une feuille en troublait le repos. Tous les Amatongas, sans exception, m'ouvraient
le chemin avec une politesse remplie d'gards, et, sans
rien dire, m'indiquaient la piste du doigt.
Seulement alors je commenai prendre intrt la
25
386
LE TOUR DU MONDE.
tement et me livra un nouvel assaut. La moiti d'un buisson nous sparait peine : il tait dix pas, le regard
plein de rage, la face inonde de sang. Je l'avais frapp
entre les deux yeux, mais trop bas pour que la blessure
ft mortelle. Il me chargea de nouveau, et je ne lui
chappai cette fois littralement que de l'paisseur d'un
cheveu. Pendant tout ce temps-l, quelques minutes, qui
pour moi furent des heures, pas un Cafre, pas mme
l'un de mes chiens ne vint mon secours en dtournant
son attention. Ils savaient pourtant ce qui se passait,
ils devaient l'entendre.
Il ne restait plus entre nous que les dbris crass du
buisson ; j'avais l'oeil riv sur les yeux du buffle ; celui-ci
recula d'un pas, baissa la tte comme s'il voulait charger,
etpendantdeux minutes cette mince broussaille de quatre
pieds de haut fut laseule chose qui me spara de l'ennemi.
C'est peine si je peux dire comment j'vitai sa dernire attaque. Je jetai mes deux bras en avant, me repoussai moi-mme de
son corps, et m'enfuis
aussi vite que possible , l'entranant sur
mes pas; son haleine
me brlait le cou ;
deux enjambes de
plus et rien ne pouvait me sauver ; mais
le sentier tournait
droite, et passant prs
de moi comme la foudre , le buffle alla
tomber dans un effroyable hallier, d'o
il dbucha , portant
sur les cornes une
demi - charrete d'pines.
Il arrivait dans une
clairire : je me couchai sur le dos, au milieu du fourr, pour l'empcher
de me voir ; et juste au moment o il sortait du bois, je
lui envoyai la balle de mon premier coup que je n'avais
pas pu tirer. Elle l'atteignit l'extrmit suprieure de
la dernire cte du flanc gauche, en face de la hanche.
Il releva la queue, fit un bond effrayant, se prcipita
dans un tissu d'pines, tellement fort et serr que je ne
comprends pas comment il y pntra; il y pratiqua nanmoins une troue de deux cents yards et tomba mort,
en exhalant ce mugissement touff si doux l'oreille
du chasseur.
Mes fidles Amatongas descendirent aussitt des arbres o ils s'taient rfugis et m'accablrent d'loges.
Peu sensible leurs compliments, je voulus en retour
leur reprocher leur couardise; mais il se trouva que j'avais perdu la parole. Ce n'est que longtemps aprs que
je recouvrai le libre usage de ma langue, et je fis voeu de
ne plus chasser le dimanche en connaissance de cause.
J'tudi ,e.ensuite diffrents coups sur mon buffle. Aprs
387
LE TOUR DU MONDE.
388
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
389
1. Harrisbuck (aigocre noir), dcouvert en 1837 , par le capitaine Harris, au retour d'une expdition commence en 1837,
et qui avait eu lieu chez les Mathlis, o prcisment se rendait
Baldwin l'poque dont nous parlons.
Le capitaine poursuivait un lphant bless, quand un point
noir attira ses regards; il prit son tlescope et vit un groupe
d'animaux qui lui semblrent inconnus. Il se mit aussitt la recherche de cette petite bande qui tait compose de neuf femelles
et de deux mles; ceux-ci formaient l'arrire-garde. ' M'tant approch, dit le capitaine, je mis pied terre; la bande s'arrta pendant quelques secondes et me regarda d'un air surpris; je n'en
tais pas cinquante yards. Mon rifle malheureusement s'tait
390
LE TOUR DU MONDE.
forc dans une chute que j'avais faite avec mon cheval, et c'tait
un mauvais fusil pierre que j'avais la main. Trois fois le chien
s'abaissa bruyamment sans faire partir le coup, et la bande, pendant ce temps-l, gravit une montagne escarpe o mon cheval
391
LE TOUR DU MONDE.
buisson pour l'examiner, mais il avait disparu, ou plutt les buissons, les arbres, les quartiers de roche qui
encombraient la ravine me l'avaient cach.
Le 25, ils avaient enfin dtel au bord d'une eau
limpide : Nous y attendions la rponse de Mossilikatsi, dit Baldwin; il y avait dj trois jours qu'il tait
prvenu de notre arrive. Marquons tout de suite que
ce grand chef, persuad que nous tions des espions des
boers, nous laissa l pendant deux mois; non-seulement
il ne voulait pas que nous missions le pied dans ses
tats, mais il avait envoy une troupe assez forte pour
surveiller nos mouvements. Ne sachant rien de tout
cela, nous esprions qu'il rpondrait notre message.
En attendant, je profitais de la rivire. Le 27, vers le
coucher du soleil, j'tais en train de nager, quand deux
coups de fusil retentirent du ct des wagons; au mme
instant, je vis passer toute vitesse un rhinocros noir,
serr de prs par les chiens, qui ne tardrent pas le
mettre aux abois. Neuf coups de feu, tirs par six individus, furent adresss
la bte, et l'auraient N -.;)
tous frappe derrire
l'paule, s'il avait fallu
en croire leurs auteurs ; mais, aprs la
mort dudit rhinocros,
on ne lui a pas trouv
plus de quatre balles,
dont l'une tait dans
la culotte. Le pauvre
Smouse a t secou
d'une rude faon ; il
pse au moins cent livres, et le rhinocros
s'en est jou comme
'
d'un ftu. Il devait
tre broy, mais il ne
s'en porte pas plus
mal ; toutefois, aprs sa chute, il avait l'air terriblement grognon, et s'est abstenu de reprendre part au
combat.
Ce mme jour, qui tait un mardi, j'ai tu mon
premier tsessb, et le lendemain soir mon premier
harrisbuck. Ils taient quatre au. milieu d'une foule de
393
LE TOUR DU MONDE.
rtiU
Baldwin chassant pied dans la fort d'Entumni. Dessin de Janet-Lange d'aprs Baldwin.
rience, mon compagnon n'tait pas moins novice, etj'envoyai chercher un vieux chasseur qui avait l'habitude de
ces rencontres. Pendant ce temps-l., j'piais la bte.
J'avanai; elle bondit en pleine vue de la meute, cent
cinquante pas de distance. Nous trouvant en lieu dcouvert, la chasse fut magnifique. Lorsque la panthre
sentit que les chiens allaient la rejoindre, elle se retourna, et fondit sur eux de manire les disperser aux
quatre vents. Ils revinrent la charge et finirent par
l'acculer contre des rochers, o elle les tint de nouveau
distance respectueuse. Soit que la course et t trop
rapide, soit qu'il et fait un dtour pour viter les fondrires, notre homme se fit attendre; il arriva cependant,
394
LE TOUR DU MONDE.
Poursuivi par la bte, mon unique ressource fut de gravir le fond de la gorge o elle m'avait accul : un sol
glissant, dtremp, des monceaux de feuilles mortes,
pas de talon mes chaussures, que j'avais faites d'une
peau de blesbuck non tanne, et qui, sature d'eau,
avaient doubl de dimension. Je reculais chaque fois
que je voulais avancer, et me retrouvais en bas, puis
de l'effort que j'avais fait. Ne voyant pas que mon assaillant ft dispos la retraite, je changeai de tactique;
je grimpai sur un arbre afin de reprendre haleine, et,
d'un bond, franchissant dix yards angle droit (l'animal n'tait pas quatre longueur), je tournai la colline
toute vitesse. L'lphant, sonnant la charge, s'lana
derrire moi; quelques enjambes et il me saisissait,
lorsque, par un saut de ct, je me mis en dehors de sa
route; il passa, crasant tout devant lui, incapable de
s'arrter : la colline tait roide, et son lan furieux.
J'prouvais un soulagement indicible, car c'tait ma dernire ressource; et je pris la rsolution de ne m'aventurer l'avenir que dans un endroit o je pourrais, en
pareille circonstance, avoir le secours tout-puissant d'un
bon cheval : rsolution laquelle je n'ai pas manqu de puis lors.
Samedi, j'ai quitt le camp de bonne heure avec
Donna et l'un de mes hommes. Un effroyable orage a
clat peu de temps aprs, et s'est accompagn d'une
pluie froide et torrentielle. J'avais, pour tout vtement,
un lger pantalon de toile, et une vieille chemise des
plus minces. Comptant sur mon Cafre, je marchais
l'aventure, et quand je dis celui-ci de reprendre en
toute hte le chemin des wagons, il ne put jamais le reconnatre.
Nous continumes errer au hasard, marchant le
plus vite possible afin de nous conserver un peu de
chaleur.
Lorsque le soleil fut son dclin, nous cherchmes
quelque saillie de rocher, qui pt nous servir d'asile, et
nous trouvmes un vieil appentis que nous nous mmes
rparer. Bien que le bois ft ruisselant, nous parvnmes faire du feu ; et la nuit ne se passa pas trop mal,
Au point du jour, le brouillard tait si pais qu'il n'y
eut pas moyen de s'orienter. Nous allions vite et en silence, gravissant les collines, montant sur les arbres,
mais sans rien voir qui clairt la situation. Mon Cafre
me mettait hors de moi en me dsignant l'ouest comme
le point o se levait le soleil. C'est une chose affreuse
que d'tre perdu au milieu de ce fourr; vous grimpez sur un arbre pour vous reconnatre, et quand vous
en tes descendu, vous tournez dans un labyrinthe o
vous suivez presque toujours la direction contraire celle
que vous vouliez prendre. Vers midi, n'en pouvant plus,
je me couchai sous une roche avec l'intention de me reposer un instant; mais les penses les plus tristes
me vinrent en foule. Je me prouvai surabondamment
qu'une fois gar dans ces lieux on n'avait plus qu'
mourir ; et bien que, depuis quarante heures, je n'eusse
rien pris, je n'avais pas la moindre faim. L'eau tait
voisine,je resserrai ma ceinture, et m'abreuvai copieu-
LE TOUR DU MONDE.
395
recevoir, pas mme souffert qu'il approcht de la rsi- bientt loin des buffles; je tirai la girafe; Swartz arriva
dence royale ; et furieux de l'audace de cet intrus, qu'il sur ces entrefaites, et acheva la bte que j'avais blesse
un peu trop bas. Je tirai ensuite une grande femelle de
prend toujours pour un espion, il a envoy sa rencontre des hommes chargs de le ramener ses chariots, rhinocros, qui fuyait au plus vite, et la roulai dans le
et de lui enlever son cheval et ses armes. Je crains bien bon style : le coup lui brisa l'pine dorsale, chose qui
arrive trs-rarement.
que cet incident ne nous ait fait perdre le peu de chance
25 dcembre. Quel contraste avec les jours de Nol,
qui nous restait; nous saurons cela demain. En attensi gaiement passs dans ma vieille Angleterre, au sein
dant, je me rgale d'une bire cafre de premier choix;
de ma famille et de mes amis ! la comparaison m'attriste.
c'est vraiment une chose excellente.
Je suis en pleine solitude; j'ai march sous un soleil dJe suis fatigu comme un chien de ne rien faire; sije
n'avais pas un petit volume de Byron, que j'ai appris vorant (nous sommes en t) depuis l'aurore jusqu' la
par coeur, je ne sais pas ce que je deviendrais. Nous chute du jour, et je n'en peux plus. Un morceau de rhijouons au petit palet avec les rondelles de cuir de nos nocros, tellement gras que l'estomac le plus ferme en
roues; aprs la partie, je m'exerce lancer des pierres: est soulev, une petite ration de pte, moiti cuite, en
cela fait passer le temps.
guise de pain, tel a t notre menu. Ce repas est loin
9 dcembre. Le camp est lev; nous partons enfin, du festin traditionnel de la christmas anglaise. Mais si
sans plus attendre. Six indignes sont l pour nous ai- l'existence du chasseur a parfois de ces mcomptes, elle
der sortir du territoire. Swartz a tu dans le chariot a aussi des plaisirs qui ddommagent amplement des
un serpent de neuf' pieds de long, un mamba, le plus privations qu'elle inflige. Aprs tout, la chose est mieux
venimeux des ophidiens de ce pays-ci. J'ai manqu hier telle qu'elle est; si nous tions largement abreuvs et
de marcher sur un de
nourris comme un heuces reptiles, qui avait
reux de la Grandeenviron douze pieds ;
Bretagne, nous ne seil chappa aux assrions gure en haleine
et ferions de triste begayes, aux btons, et
finit par gagner un
sogne. J'avoue cetrou dans lequel il dispendant que j'aimerais
parut comme par ma boire un verre de
gie. Nous l'avons frapbire la sant de
p plusieurs fois ;
mes amis, et le faire
mais il s'aplatissait
suivre d'une bouteille
tellement qu'il n'en
de vieux porto. Ne difut pas bless, et n'en
sons rien du pt ; j'en
devint que plus fuai compltement ourieux.
bli le got depuis que
I8 dcembre. Ayant
j'ai quitt la maison
renonc l'espoir de
pour frayer avec les
trouver des lphants,
htes des forts. C'est
nous avons depuis quelques jours fait une marche ra- gal; je porterai la sant des amis avec une tasse de caf,
pide; l'un de nos essieux qui tait fendu, s'est dcid- le breuvage le plus capiteux que j'aie ma disposition..
ment bris. La charge est si pesante que nous somIls marchaient nuit et jour afin de sortir du dsert; la
mes tous obligs d'aller pied. Rude besogne que de
lune tait dans son plein, et c'est peine s'ils dormaient
marcher de ce temps-ci depuis l'aurore jusqu'au cou- deux ou trois heures, quand l'occasion s'en prsentait.
cher du soleil! On ne s'arrte que deux fois pour abreu- Bref, le 6 janvier 1858, la caravane dbarquait chez
ver les boeufs, et pour prendre la hte quelques rafra- Swartz, o elle arrivait sans autre accident; et trois ou
chissements.
quatre jours aprs, Baldwin reprenait le chemin de la
Nous avons rencontr hier une quantit de gibier, tu Terre de Natal.
deux girafes, quatre rhinocros, et eu la chasse la plus
amusante que nous ayons faite depuis notre dpart du Premire visite au lac Ngami'. Une girafe dans un arbre.
Abandon et solitude. Chasse l'oryx. Indigne poursuivi
Mrico. Une troupe de buffles, d'une centaine de btes
par un buffle. L'auteur chass par un lphant.
au moins, se leva sur la droite, en avant de la girafe
Aprs avoir t rejoindre Swartz Mrico, j'ai fait
que j'avais spare; la bande fut bientt distance,
route avec lui pendant quatorze jours. Le 17 avril 1858,
car nous allions un train d'enfer. Ma girafe prit sur la
gauche, et continuant la suivre, j'eus cinquante pas nous nous sommes spars Ltloch;.il retourne chez
derrire moi les buffles qui arrivaient toute vitesse. Mossilikatsi, et je me dirige vers le lac. Me voici comLa position tait peu rassurante ; si mon cheval ft tomb, pltement livr moi-mme; seul en plein dsert de
la masse me passait sur le corps et j'tais mis en poudre.
1. Ce lac d'eau douce, situ par vingt et un degrs de latitude sud,
Mais grce la rapidit de notre course, nous fmes a t dcouvert en 1849 par MM. Livingstone, Oswell et Murray. H. L.
396
LE TOUR DU MONDE.
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yG
LE TOUR
Le 17 mai, j'ai vu des lchs pour la premire fois;
trs-dsireux d'en avoir un, j'ai essay de les rejoindre
la rampe, mais sans aucun succs. Le lendemain, de
trs-bonne heure, j'avais repris ma chasse, et, mon
immense satisfaction, je tuai du premier coup un beau
mle, trois cents pas. Le mme jour, ayant troqu un
vieux fusil contre un petit Masara, j'ai nomm celui-ci
Lch. C'est un bambin qui n'a pas plus de deux ans,
un beau petit garon vif et rjoui, la figure intelligente, et pas encore dcharn par la faim; je l'aime de
tout mon coeur. Des Bamangouatos, revenant de chasser
le lynx, le chacal, le chat sauvage, tous les animaux
fourrure du pays, avaient ramass ce pauvre bb;
397
DU MONDE.
C' est ainsi que nous passmes la nuit. Dessin de Janet-Lange d'aprs Baldwin.
dit-il, de chercher le sentier qui ramne au pays. n
Tous, en effet, semblaient prts partir ; mais je ne pris
pas la chose au srieux, et je rpondis Rafflers : Trsbien, faites ce que vous voulez. Immdiatement cinq
de mes hommes se levrent et me rendirent en grande
pompe les munitions que je leur avais confies, s'excusant beaucoup de la perte qu'ils avaient faite d'une ou
deux balles. Le conducteur me fit en outre la remise de
son fouet, des jougs, des traits du chariot, etc., puis ils
rclamrent leurs gages.
e Vous n'aurez pas, leur dis-je, un demi-penny ; je
regrette mme de vous avoir donn quelque chose d'avance. b
398
LE TOUR
vaincre et me dcidai rejoindre les fugitifs, m'enqurir de leurs griefs, et leur offrir toutes les rparations qui taient en mon pouvoir. Sous l'influence de ce
bon mouvement, je donnai l'ordre Matakit de runir
les chevaux ; mais on ne les trouva nulle part.
Cette pense me frappa tout 'a coup : ils taient cinq,
ils en auront pris chacun un. Je dis Inyous de venir
les chercher avec moi. Nous nous sparmes, sachant
bien que les larrons avaient d s'carter du chemin pour
dissimuler leurs traces, et Inyous finit par tomber sur
les doubles empreintes des hommes et des chevaux.
Nous les suivmes jusqu' l'endroit o l'on ne voyait
plus que ces dernires, c'est--dire o les fugitifs taient
monts cheval. Deux pitons poursuivant cinq cavaliers 1 l'entreprise tait folle. Je restai pendant quelques
minutes dans une rverie profonde, puis je me rappelai
qu'il n'y avait personne au wagon, et que je pouvais
perdre mes vingt boeufs tout aussi bien que mes chevaux.
J'appelai Inyous pour
retourner au camp :
pas de rponse. Je fis
retentir le bois de
mes cris; je tirai un
coup de fusil destin
l'lphant : la dtonation fut effroyable ;
toujours le silence.
Ils taient tous partis;
l'abandon tait complet.
Je revins au camp
le plus vite possible,
et n'y retrouvai que
mon petit Lch, en dormi sous un arbre, au milieu de ses
pleurs. Aprs avoir
consol de mon mieux
le pauvre enfant, je
me mis la recherche des boeufs qui s'taient chapps; je finis par les
runir, me htai de regagner le kraal, allai chercher de
l'eau et du bois, lavai les plats et la marmite que mes
gens avaient laisss pleins de graisse. Je dcouvris alors
qu'il y avait une grande diffrence entre faire une chose
et la commander aux autres.
Jusque-l je n'avais pas eu le temps de rflchir. Mais
quand j'eus couch le bambin et que je me trouvai seul
devant le feu, ma situation m'apparut dans toute sa
gravit.
Je maudis mille fois mon fol orgueil; j'aurais d tout
accorder mes hommes plutt que de m'exposer leur
abandon; je n'avais pas mme essay de le conjurer.
La nuit fut horrible : quatorze heures de tnbres, car
nous tions en hiver ; je n'en souhaite pas une pareille
mon plus mortel ennemi. Quand par hasard quelques
minutes d'un sommeil agit venaient interrompre mes
rflexions, ce n'tait que pour me sentir plus seul, plus
DU MONDE.
dsol au rveil. Je pensais me rendre au lac; j'y serais all pied; mais il fallait suivre la rivire, pas
d'autre moyen d'y parvenir ; la tche tait difficile, et
comment abandonner Lch, le laisser mourir de faim
et de soif ? Je ne supportais pas cette ide-l. Si vous
l'aviez vu, chancelant sur ses petites jambes, arm d'un
bton deux fois grand comme lui, m'aider runir les
boeufs et les faire entrer dans le kraal! Si vous saviez tout le chemin qu'il avait fait pour aller chercher le
veau, et sans que je le lui eusse dit; j'en avais les yeux
pleins de larmes. Il tait couch devant moi, pauvre
bb 1 lui aussi avait de l'inquitude ; il comprenait que
les choses allaient mal; il se rveillait en sursaut, cherchait nies pieds, les touchait bien doucement, et retournait sa place. C'est ainsi que nous passmes la
nuit. Le jour vint paratre; j'allai chercher de l'eau et
du bois, je me fis du caf, donnai djeuner l'enfant,
et dtachai les boeufs. Tout coup j'entendis parler sur la
rivire ; j'appelai et
dchargai mon fusil.
Au bout de quelques
instants une pirogue
traversait les roseaux,
et j'y voyais trois Cafres. Hlas! je n'avais
que quatre mots dans
mon vocabulaire :
bonjour, marche, verroterie et wagon ; il
LE TOUR DU MONDE.
gagner le lac, de m'entendre avec Wilson, un Anglais
qui s'est fix l-bas, et d'y tuer le temps jusqu' ce que
l'occasion se prsentt de me rendre la baie de Walvish. Je ruminais tout cela, en mangeant avec apptit
un morceau de langue de buffle, quand je vis arriver un
homme qui avait les pieds dchirs et qui n'en pouvait.
plus. C'tait mon pauvre Inyous ! Je me levai d'un bond
et l'aurais volontiers embrass. Aprs m'avoir quitt,
lui et Matakit avaient march toute la nuit, plus par
instinct qu'autrement, puisqu'ils ne voyaient pas ; ils
avaient rejoint les fugitifs, les avaient dcids revenir,
et ils arrivaient tous avec les chevaux, qui ressemblaient
des lvriers. Je leur demandai les motifs de leur conduite ; ils me rpondirent qu'en prenant les chevaux ils
s'taient pays eux-mmes, puisque je leur refusais
leurs gages; que s'ils taient partis, c'tait cause de
ma vivacit; que je leur avais parl anglais, dont ils
n'entendaient pas un
mot, et qu'ils avaient
cru que je leur disais
des injures. C'tait,
je crois, la faute du
vieux chariot, qui, tout
disloqu, avait failli
tomber en pices.
Bref, le dernier verre de grog fut aval,
et matre et serviteurs
promirent de faire dsormais tous leurs efforts pour vivre en
bonne intelligence.
27 mai. Nous
avons eu le malheur
d'craser Lou , un
jeune chien qui promettait normment;
il est rest surla place;
et deux autres, Bull
et Falk, ont t grivement blesss hier par un oryx. Je montais Broon ; la
plaine s'tendait perte de vue, nous la traversions aux
grandes allures, distanant tous les chiens, qui cependant avaient faim, taient rposs, et qui d'abord nous
prcdaient. Broon, en cette circonstance, prouva qu'il
tait franc et n'avait pas moins de vitesse que de fond.
L'oryx tait devant nous mille yards; il piquait droit
dans le vent, rasant le sol, rapide et nerveux, superbe de formes. Quand il sentit que nous approchions,
il se retourna, nous fit tte, bondit et pirouetta d'un
ct l'autre avec une rapidit surprenante; mais Broon
tait partout; il suivait tous ses mouvements, on et dit
un limier de race. Je tirai sans mettre pied terre;
l'oryx fut bless. Ltant dans une position difficile, je ne
lui donnai pas le coup de grce; les chiens arrivrent;
la bte aux abois transpera le pauvre Bull, atteignit
Falk au-dessus de l'oeil, et les laissa tous deux sur le
terrain.
399
400
LE TOUR DU MONDE,
LE TOUR DU MONDE.
401
CHASSES EN AFRIQUE.
DE PORT NATAL AUX CHUTES DU ZAMBSE ,
PAR WILLIAM - CHARLES BALDWIN,
Membre de la Socit de gographie d Londres.
1812-1860. TRADUCTION INDITE PAR MADAME H.
LOREAU ^.
Diner chez l'un des chefs des bords du lac. Marche au clair de lune. Incendie de la fort. A propos de lions.
26
402
LE TOUR
DU MONDE.
403
LE TOUR DU MONDE.
Le moment fut critique; je ne me rappelle pas avoir
jamais ressenti d'inquitude aussi vive. Il est certain
que si le feu nous avait gagns nous tions tous perdus.
18 aot. Nous avons travers aujourd'hui une rivire o il se trouvait deux pieds et demi d'eau vaseuse,
plus de fange que de liquide, mais elle tait remplie de barbeaux; en cinq minutes mes gens out plis
quinze de ces poissons, pesant en moyenne deux ou trois
livres ; il y en avait de quatre cinq. Petits et gros
taient maigres et avaient la chair molle ; nanmoins
nous les avons mangs avec beaucoup de plaisir.
Un oiseau du miel' a conduit tantt mon Masara
presque dans la gueule d'un lion; il n'en tait plus
qu' cinq pas, lorsqu'il aperut le terrible animal, ramass sur lui-mme, et tout prt bondir. Mon homme,
faisant preuve d'un grand sang-froid, au moins d'aprs
ce qu'il nous raconte, se mit crier d'une voix forte
Regarde l-bas ! regarde l-bas ! dsignant en mme
temps un point oppos l'endroit o il se trouvait. Ldessus le lion s'tant
dtourn afin d'obir,
l'Africain en profita
pour faire une prompte retraite.
Avec l'existence de
ces Bakalahari qui vivent en plein air depuis qu'ils sont au
monde, n'ayant aucune espce de hutte,
ces rencontres imprvues doivent tre assez communes.
Pour ce qui est de
l'indicateur, que l'on
a dj accus de pareilles mprises, Baldwin a rpondu plusieurs fois son appel,
en des localits bien diffrentes, et c'est toujours auprs
d'une ruche qu'il a t conduit. En certaines saisons, il
lui est bien arriv d'y trouver fort peu de chose, la
fin de l'hiver, par exemple, ou quand il avait plu longtemps de suite. Nanmoins, crit-il aprs une de ces
recherches peu fructueuses, j'ai eu beaucoup de plaisir
suivre le pauvre petit; il y a dans cette course amusante un intrt qui vous passionne.
Quand je suis arriv, Joubert et ses fils, qui sont de
trs-grands chasseurs, taient court de munitions,
Franz avait tu, mirabile dictu, avec la mme balle, trois
ou quatre mles de caama, l'espce la plus farouche, la
plus difficile rallier de toute la famille des antilopes;
et qui par surcrot, a la vie dure.
Il tait dehors au point du jour, n'pargnant ni son
temps, ni sa peine, se tranant dans l'herbe jusqu' ce
qu'il ft bien sr du coup; il n'avait dans son fusil que
1. Coucou indicateur.
LE
404
TOUR
Dpart et projets de Baldwin. Dception. Pnurie de gibier. Petites outardes. -- Une chienne parfaite. Retour.
Passage du Tougula.
DU MONDE.
et cependant Juno a dpist aujourd'hui trois de ces korans, et les a chasss d'une faon merveilleuse. Ces petites outardes fuient comme des rles de gent, souvent
plus de huit cents pas ; il est difficile de les mettre au
vol, et dans les fourrs o elles se tiennent, la poursuite
en est hasardeuse. Mais quand Juno est sur la piste,
elles ont beau faire : dtours, feintes, crochets, marches
et contre-marches, rien ne la droute ; vous n'avez besoin
ni de l'encourager, ni de la retenir; elle est aussi parfaite que possible. Il va sans dire que j'ai eu les trois
korans. Nous avons ici des canards, des oies, tous les
genres de rmipdes. La bcassine, le faisan et la perdrix se voient en fort grand nombre, ainsi que le dikkop, oiseau qui rappelle le courlis par la taille et le
plumage, a le bec trs-court et la chair excellente'.
Vous n'avez qu' lui jeter le mot sar, et Juno part
comme un lvrier; elle fond sur la proie et tombe au
milieu de la bande. Tout en accourant, je tire n'importe quelle distance pour parpiller la troupe ; Juno
revient alors d'elle-mme, arrte chaque fuyard l'un
aprs l'autre avec la fermet d'un roc, et j'abats autant
de pices qu'il me convient, jusqu' faire plier un de
mes Cafres sous la charge.
10 aot. Hier, des buffles s'aperurent dans un bois trop
clair-sem pour offrir un abri au chasseur. Nanmoins,
prenantle dessous du vent, j'approchai sans que la bande
s'en doutt. Elle se composait de dix mles et se tenait
dcouvert; deux buffles taient debout, les autres taient
couchs. Arriv quatre-vingts pas de l'un des premiers,
dont la position tait excellente, je le tirai d'une main
ferme: la balle frappa; le chocretentit suprieurement.
Toutefois, j'avais le fusil d'Arlington; et le peu de recul,
ainsi que la faiblesse de la dtonnation me firent penser
qu'il n'y avait qu'une demi charge de poudre. Naturellement, les dix buffles partirent, et je les aurais abandonns sans Juno qui suivit les traces du bless. Quelques
instants aprs, j'entendis ma chienne tenir la bte aux
abois; elle n'tait gure plus de quatre cents pas,
et lorsque j'arrivai, le buffle rendait le dernier soupir :
la balle l'avait frapp juste au bon endroit et n'avait pas
dvi d'une ligne. Juno pargna ainsi une rude fatigue h
mon cheval; sans elle, le buffle aurait t perdu, et il
m'aurait fallu trouver une girafe ou un lan; car j'ai tous
les jours dix-huit affams nourrir. Maigre d'ailleurs
comme une vieille corneille, et certes plus dur, ce malheureux buffle tait dtestable. Je m'empressai de revenir une outarde au carry d'une qualit exquise ; et je me
sentis heureux, bien avec moi-mme et avec le genre
humain.
Bachoulfourou, 12 octobre. Nous avons fait au
moinscentvingtmilles partirdela Zouga. De belles nuits
claires par la lune ont favoris notre marche. Les matines et les soires ont t fraches, et, en quittant la
rivire, nous avons, Dieu merci! vu notre dernier moustique; mais l'eau est devenue rare. La semaine prochaine nous trouvera probablement chez Sicomo; huit
1. Dikkop, littralement grosse-tte : ccdicn,ne du Cap.
LE TOUR DU MONDE.
jours aprs, nous arriverons, je l'espre, au kraal de Schl, o treize boeufs nous attendent et nous seront d'un
immense secours. La marche est si pnible dans ces
sables mouvants! Quatorze boeufs, tirant tous merveille, suffisent bien juste traner le chariot sur le pied
de deux milles l'heure.
17 novembre. Une hyne m'a pris cette nuit une
belle chvre qui tait fixe par la jambe la roue du wagon dans lequel je dormais; cinq hommes taient couchs sous ce mme wagon, et deux chevaux se trouvaient
attachs la roue de derrire. Ce fut aussitt un branlebas gnral, une leve de massues, d'assgayes et de tisons flambants, accompagns de cris infernaux. La bande
tait guide par les gmissements de la pauvre chvre;
mais les plaintes s'loignaient mesure qu'on avanait,
et la bte ravisseuse disparut avec sa proie. Les blements s'teignirent, les chiens s'effrayrent, la nuit tait
sombre, les hommes n'avaient plus rien qui les guidt,
et la chasse fut abandonne.
Je reprochai amrement l'hyne le
souper qu'elle faisait
nos dpens; car de
mes trois chvres, elle
avait pris la meilleure. Si je ne l'avais pas
vu, je n'aurais jamais
cru cet animal capable d'emporter une
bte aussi lourde (au
moins soixante-dix livres), et avec une pareille vitesse.
L'expdition avait
t plus heureuse que
Baldwin ne l'avait espr; il ramenait deux
wagons chargs d'ivoire , et se retrouvait, le 11 dcembre, la frontire de la rpublique
d'Orange. Le Vaal coulait pleins bords ; on tait dans
la saison pluvieuse, les rivires grandissaient rapidement et, aprs avoir failli mourir de soif', notre chasseur allait tre arrt par l'inondation. Plusieurs fois,
dj, il avait manqu prir par suite de la crue des eaux.
Un jour, dit-il, j'avais franchir le Tougula, je le
trouvai dbord. Nanmoins, craignant les Bushmen,
qui, tous voleurs de chevaux, taient nombreux dans les
environs, je rsolus de conduire mes chevaux sur l'autre
rive, et j'y russis- en les faisant nager parmi les boeufs
de rechange. Restait passer la voiture, une charrette
couverte et suspendue que j'avais fait faire assez longue
pour pouvoir y coucher. L'entreprise tait srieuse; elle
fut discute avec mes Cafres, et, aprs avoir entendu le
pour et le contre, je dis mes hommes qu'ils ne souperaient que sur la rive droite. Ils n'hsitrent plus gagner l'autre bord. Je fis attacher toutes les courroies dis-
1405
496
LE TOUR DU MONDE.
LE TOUR DU MONDE.
447
par- dessus mon oryx, qui tomba tout coup sous les
naseaux de mon cheval.
Ramshua, 29 juin. J'ai vu enfin cinq lphants.
Ayant choisi le plus gros, je l'ai spar des autres, et lui
ai tir mes deux coups. Peu de temps aprs il s'est retourn ( peine tait-il quarante pas) et a charg d'une
manire terrifiante. Kbon, un nouveau cheval que je
montais pour la premire fois, resta ferme comme un
roc. Je voulais envoyer l'lphant une balle dans la
poitrine, mon coup de prdilection; mais ds que j'essayais de mettre le fusil l'paule, Kbon encensait et
m'empchait de viser.
Tandis que je m'efforais de le calmer, l'lphant
chargea de nouveau; je tirai l'aventure, et soit que la
balle lui eut siffl dsagrablement l'oreille, soit un
motif que j'ignore, mon cheval secoua la tte avec tant de
force, que la rne gauche passa du ct oppos, la gourmette se dtacha, et le mors lui tourna dans la bouche.
Le colosse n'tait
plus qu' vingt yards;
il avanait, les deux
oreilles dresses et
mouvantes, et sonnait
de la trompe avec fureur. Ne pouvant conduire mon cheval qu'avec mes perons, je
lui labourai les flancs
d'une manire sauvage. Au lieu de se dtourner, Kbon s'lana vers le monstre,
et je me crus ma
dernire minute. Je
me rejetai aussi loin
que possible, fus effleur par la trompe,
et je tirai bout portant. Nouveaux coups
d'perons, nouvel lan
de mon cheval, qui s'arrta devant trois bauhinias, formant un triangle : je lui creusai la chair; il passa, me
408
LE TOUR DU MONDE.
heurta l'paule avec tant de violence contre l'un des arbres, qu'il s'en fallut de bien peu que je fusse dsaronn; et mon bras droit, lanc derrire le dos, vint
me frapper le ct oppos. Je ne sais pas comment j'ai
pu conserver mon fusil, un poids de quatorze livres,
n'ayant pour le tenir que le doigt du milieu, pass dans
la garde de la dtente. La bride m'tait reste dans la
main gauche, o elle se trouvait heureusement lorsque
j'avais tir.
Nous allions ainsi, galopant toute vitesse travers
une fort emmle, dont le sous-bois, compos presque
entirement d'attends-un-peu, tait franchi par Kbon,
qui sautait comme une chvre. L'lphant nous suivait
toujours de prs; je finis cependant par l'loigner; il se
retourna et s'enfuit d'un pas rapide.
Aussitt que je pus arrter mon cheval, ce quoi je
ne parvins qu'aprs lui avoir fait dcrire deux ou trois
cercles, je mis pied terre, rebridai Kbon, et courus
somme le vent la poursuite de la bte qui avait une
longue avance, et que je craignais de ne plus retrouver.
Aprs avoir subi trois nouvelles charges, dont la dernire fut longue et silencieuse, d'autant moins plaisante
que mon cheval essouffl conservait grand'peine la distance qui le sparait de l'lphant, celui-ci, auquel j'avais envoy dix balles, tomba enfin pour ne pas se relever. J'tais bout de force depuis longtemps, et ne
pouvais mme plus amorcer mon fusil.
Couvert d'pines et de meurtrissures, demi mort de
soif, je dessellai Kbon, lui attachai son licol au genou,
et m'tendis sous un arbre. J'ignorais compltement o
je pouvais tre : en vain criai-je de toutes mes forces et
tirai- je des coups de fusil dans l'espoir de faire arriver
les Masaras, je ne vis personne. Pour comble d'infortune, mon cheval s'chappa, il me fallut suivre ses traces,
faire un mille avant de le retrouver, et revenir sur mes
pas, chose difficile. Enfin apparut January, accompagn
des Masaras; il prit la tte de la bande, et, trottant d'un
pied leste, il me ramena aux chariots, o nous arrivmes
au coucher du soleil.
Chasser l'lphant est la vie la plus dure qu'un homme
puisse se crer. Deux jours de suite cheval pour se
rendre un tang o l'on vous a dit que la bande est
alle boire, coucher dans la fort, n'avoir rien manger, s'abreuver le matin d'une eau vaseuse puise dans
une carapace de tortue, qui sert d'cuelle et qui est
grasse. Remettre le pied l'trier, suivre la piste, par
une chaleur dvorante, derrire trois Masaras demi
morts de faim, mal vtus des haillons graisseux d'une
peau de bte, chargs d'une panse de couagga renfermant le peu d'eau qui doit vous faire supporter la soif
lvriers, avec lesquels je courais l'oryx, comme en cosse, nous
poursuivons le cerf avec de rudes limiers. Lorsqu'on est familiaris
avec le pays, et que l'on sait la direction que prendra la bande, on
peut la cerner en faisant un circuit de plusieurs milles tandis que
l'after rider (cavalier de suite) reste au point on la troupe doit
arriver. Quand elle approche, l'homme appost la rabat violemment
du cot du chasseur, et celui-ci tire au passage l'un des oryx haletants et drouts. Ce moyen est aussi employ l'gard de l'au(Note du traducteur.)
truche, qui habite les mmes lieux.
410
LE TOUR DU MONDE,
LE TOUR DU MONDE.
Le pauvre homme avait eu si grand'peur la nuit prcdente, qu'il en tait presque fou. Il s'tait creus une
fosse de neuf pieds de long sur deux et demi de large,
qu'il avait recouverte de grosses branches, d'une masse
d'herbe, d'une couche de terre, et s'y tait fourr pour
attendre les lphants qui viendraient boire. Une femelle
l'ayant senti se prcipita vers l'ouverture de la fosse, y
passa la trompe et fouilla de tous les cts pour le saisir.
Blotti l'autre bout du couloir il ne fut pas atteint;
mais si la bte, au lieu de se tenir l'entre de la cachette, avait cart les branches qui la recouvraient, c'en
tait fait du chasseur. Boccas affirme que cette fouille a
dur cinq grandes minutes; et malheureusement il ne
pouvait tirer la bte qu'au pied ou la trompe, seuls
points qu'il apert.
Pour moi, j'ai t plus heureux; entendant boire l'lphant, je sortis de ma cachette avec prcaution ; la bte
41(
se retourna lorsqu'elle se fut dsaltre, et je lui envoyai, douze pas, une balle qui l'atteignit derrire
l'paule avec tant de force qu'elle en fut traverse. Nous
l'avons retrouve ce matin mille pas du bord de l'eau.
J'ai le visage tellement noir et meurtri, que mon ami
le plus intime aurait de la peine me reconnatre. C'est
de votre faute, me dira-t-on; mais que voulez-vous?
dans ces chasses nocturnes vous n'avez qu'un seul coup
tirer ; si vous n'en profitez pas, vous avez fait cette longue
veille pour rien ; autrement elle peut tre fort productive. Un chef makalaka est venu me prier l'autre jour
de tuer quelques btes pour lui et ses sujets ; ils fuient la
colre de Mossilskatsi et meurent de faim. Boccas leur a
tu vingt-trois pices, dont trois antilopes noires d'une
seule balle, fait extraordinaire au clair de lune, et moi
dix-sept, parmi lesquelles deux lphants, quatre rhinocros et quatre buffles ; il n'en reste plus vestiges. Ces
412
LE TOUR DU MONDE.
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LE TOUR DU MONDE.
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LE
TOUR
DU MONDE.
BALDWIN.
LE TOUR DU MONDE.
417
REVUE GOGRAPHIQUE,
1863
(DEUx1LME SEMESTRE.)
Activit des explorations africaines. Les sources du Nil : Vue nouvelle de la question. Les dames touristes dans la rgion du
fleuve Blanc. La Nubie, l'Abyssinie, le Sahara, la Guine. Les montagnes neigeuses de la zone orientale. Madagascar. Que
nous vient-il de la Cochinchine? de la Chine? du Japon ? du Mexique? M. Mouhot dans le Cambodge et le pays de Siam.
Publications sur la gographie ancienne et actuelle de notre propre sol.
I
A l'heure nous traons ces lignes, la relation avidement attendue du capitaine Speke n'a pas encore paru;
mais sur plusieurs points notables, des communications
ont t faites la Socit de gographie de Londres qui
permettent dj d'apprcier quelques-uns des grands
rsultats de l'expdition. Le Tour du Monde consacrera
h ce voyage mmorable la place que son importance rclame; nous voulons seulement aujourd'hui nous arrter
un ou deux points parmi ceux qui apportent la gographie de l'Afrique les donnes les plus nouvelles, ou
qui soulvent dans la science des questions controverses.
Quelques mots d'abord sur le climat des contres parcourues.
Les anciens, qui ont cru si longtemps qu'une zone
torride absolument inhabitable formait, sous l'quateur,
une infranchissable barrire entre les deux zones tempres du globe , auraient t bien tonns si un de
leurs voyageurs avait pu leur affirmer que la temprature de l'Afrique quatoriale est beaucoup plus modre
et plus aisment supportable qu'un t de Rome ou de
Naples; et aujourd'hui encore, la srie d'observations
faites durant une anne entire par MM. Speke et Grant,
sous l'quateur mme ou trs-peu de distance, est de
nature rectifier bien des ides populaires sur les tempratures quatoriales. Dans l'espace de cinq mois passs Karagou, un degr et demi au sud de la ligne,
du mois de dcembre 1861 au mois d'avril 1862 (ce qui
comprend le double passage vertical du soleil au-dessus
du lac), la temprature oscilla entre vingt-cinq et vingtneuf degrs du thermomtre centigrade, et atteignit
une seule fois vingt-neuf degrs et demi. Les nuits apportaient invariablement une impression de fracheur.
A neuf heures du soir, le thermomtre se maintenait
entre seize et vingt-deux degrs, et l'heure la plus froide
de la nuit entre quatorze et dix-huit degrs. Une constitution europenne s'accommoderait admirablement d'un
pareil climat, qu'explique suffisamment l'lvation de la
contre au-dessus du niveau de la mer. On sait combien
la hauteur du plateau ibrique, qui n'est cependant que
de six cents mtres, influe sur la temprature de la
Vllt.
27
LE TOUR DU MONDE.
418
II
du Nil est-elle dcouverte?
Grande question, fort agite dans le monde gographique, mais qui ne nous parat pas avoir t pose dans
ses vritables termes.
On nous permettra d'y insister un moment.
Pour la Socit de gographie de Londres, en tant
qu'on peut la regarder comme reprsente par son honorable prsident, sir Roderick Murchison, la dcouverte est un fait acquis, certain, hors de discussion.
17:contons la voix si pleine d'autorit de l'minent gologue :
Dans sa rcente expdition avec le capitaine Grant,
a dit sir Roderick, le capitaine Speke a prouv que le
grand lac d'eau douce qu'il a nomm Victoria Nyanza
est la source principale du Nil Blanc, et cette grande dcouverte est un des plus beaux triomphes gographiques
de l'histoire. Les sicles ont succd aux sicles; depuis les temps antiques des prtres gyptiens et des Csars jusqu' nos temps modernes, nombre de voyageurs
ont essay de remonter le Nil jusqu' ses sources : tous
ont chou. En attaquant la mme recherche par une
route oppose, en partant de Zanzibar, sur la cte orientale d'Afrique, pour gagner la rgion des sources par
les hautes plaines du plateau central qui forme, sous ce
La source
LE TOUR DU MONDE.
Assurment non. Les deux courageux explorateurs
ont travers de part en part une rgion centrale o nul
Europen avant eux n'avait pntr. Ils ont vu les premiers la rgion mystrieuse o le fleuve d'gypte a son
origine; ils en ont aplani la route ceux qui viendront
aprs eux. L sont la gloire du voyage et l'ternel honneur de leur nom. Mais la source du fleuve, ils ne l'ont
ni cherche ni dcouverte.
Je dirai plus : certains gards cette recherche et t
prmature.
N'oublions pas ce qu'est le Nil dans la partie extrme de son bassin, o se trouvent ses origines.
Ce n'est plus, comme en Nubie et en Egypte, un canal unique contenu dans une valle sans affluents; c'est
un vaste rseau de branches convergentes venant de
l'est, du sud et du sud-ouest, et toutes ensemble se dployant probablement en un immense ventail qui embrasse peut-tre la moiti de la largeur de l'Afrique
sous l'quateur. Quelle sera, parmi ces branches suprieures, celle que l'on devra considrer comme la branche mre? l est la question. Il est de fait que l'opinion
Iocale, et nous avons sur ce point des tmoignages
fort anciens, a toujours regard notre fleuve Blanc,
la Bahr el-Abyad des Arabes, comme le corps principal
du fleuve; mais en admettant cette notion comme physiquement exacte, et nous la croyons telle, il reste encore
constater, par des reconnaissances directes, l'importance respective des branches suprieures dont se forme
le Bahr el-Abyad. C'est alors qu'il sera possible de se
prononcer en connaissance de cause sur la question du
Caput Nili.
419
tr
LE TOUR DU MONDE.
20
LE TOUR DU MONDE.
ses en perspective, tant au nord qu'au sud des provinces
du Ngous. Malheureusement, depuis la date de cette
lettre (elle est du 22 fvrier), il est survenu pour M. Lejean des circonstances extrmement fcheuses, qui compromettent fort la ralisation de ses excellents projets.
Par des motifs jusqu' prsent assez mal expliqus,
l'empereur Thodore, aprs avoir fait notre compatriote un accueil des plus flatteurs, revenant tout coup
sur ces bonnes dispositions, fit saisir M. Lejean qui fut
jet en prison.
Mais dans ce malheureux pays, dont on pouvait croire
les destines mieux assises depuis les vnements qui
avaient mis le pouvoir souverain aux mains de Thodore, une nouvelle rvolution est survenue qui a tout
remis en question. Cette rvolution, du moins, a eu
pour M. Lejean l'heureux rsultat de le rendre la
libert. Voici ce que l'on rapporte. Un soulvement formidable aurait clat dans le Choa ( dont le Raz a t
dpossd il y a deux ou trois ans); et l'empereur Thodore , accouru pour rprimer le mouvement, aurait t
compltement dfait. Selon un usage assez habituel en
Abyssinie l'gard des prisonniers d'importance, Thodore avait fait amener M. Lejean la suite de son arme; si bien que dans la droute notre compatriote est
tomb aux mains du vainqueur, qui l'a trait , assuret-on, avec toutes sortes d'gards. Les lettres du voyageur
lui-mme ne sauraient manquer de nous apporter bientt de plus complets renseignements.
V
Nous avons t arrts longtemps dans ces rgions du
haut bassin du Nil, o se concentrent tant d'efforts et
de persvrance nergique : c'est que l est le grand intrt actuel des explorations africaines. Nous pouvons
passer plus rapidement en revue les entreprises qui se
prparent ou se poursuivent dans les autres parties de
l'Afrique, bien que plusieurs ne manquent ni d'importance ni d'avenir.
De sinistres nouvelles sont arrives du Soudan; la
mort de M. de Beurmann, annonce depuis un certain
temps et dont on s'efforait de douter, parat maintenant
trop certaine. Il tait parti de Kouka, le 26 dcembre
1862, pour tenter la route du Ouady par le nord du
lac Tchad; c'est dans cette tentative qu'il a succomb.
Les dtails manquent encore. C'tait sur le docteur
Beurmann que reposaient les dernires esprances
du comit de Gotha pour les explorations du Soudan
oriental.
Sur notre territoire algrien et ses oasis du sud, rien
de considrable signaler, si ce n'est la relation officielle
des commissaires envoys Gh'adams, dans les derniers mois de 1862, pour conclure avec les Toureg une
convention commerciale, et la publication prochaine d'un
volume de M. Henry Duveyrier, avec une grande et belle
carte o sont tracs tous les itinraires de ses trois annes de voyages dans les parties inexplores du Sahara algrien et dans le pays des Toureg. Le livre de
M. Duveyrier sera une acquisition prcieuse pour la
421
gographie de ces contres sahariennes, o tant d'intrts considrables s'ouvrent aujourd'hui pour nous, et,
en attendant, la relation des commissaires de Gh'adams
nous apporte des donnes d'une grande valeur pour
l'tude physique et conomique du Sahara tripolitain et
de ses populations.
A l'autre extrmit de la rgion de l'Atlas, un voyageur allemand, M. Gerhard Rohlf de Brme, est parvenu l'anne dernire, sous les dehors d'un Arabe
musulman, visiter les oasis de Tafilelt et de Fighig,
dont nous n'avons jusqu' prsent aucune relation
europenne, et le rcit de cette excursion vient d'tre
publi dans les blittheilungen'. Dans les conditions
o il a fait cette traverse de caravane , M. Rohlf
n'avait avec lui aucun instrument et n'a pu faire aucune observation , pas mme avec la boussole ; nanmoins sa notice a pour nous le vif intrt d'une course
accomplie travers un pays inconnu. On y prend au
moins une ide gnrale de la nature et de la disposition du pays, avec des dtails tout fait neufs sur les
localits principales. C'est, au total, une bonne acquisition pour la gographie. M. Rohlf, revenu dans la province d'Oran, se disposait entreprendre la traverse
du grand dsert jusqu' Timbouktou. Un un, tous les
voiles qui nagure encore nous drobaient ces vastes
contres du nord-ouest de l'Afrique s'cartent devant
nous, et la carte se couvre rapidement de dtails qui
nous montrent le Sahara sous un aspect tout nouveau.
Au Sngal, le retour de M. Faidherbe au poste de
gouverneur, dont on l'avait vu s'loigner avec tant de regret il y a un an, est d'un heureux prsage tout la fois
pour le rapide dveloppement de la colonie et l'extension
de nos connaissances sur les contres et les tribus environnantes. M. Grard, le clbre tueur de lions, a ambitionn une gloire plus haute que celle d'intrpide chasseur; il a pens, sans doute, que les sauvages n'taient
pas plus rudes affronter que les lions de l'Atlas , et il
a voulu, lui aussi, devenir un explorateur. Aprs plusieurs projets conus et abandonns, il a trouv Londres les moyens d'organiser un voyage de dcouvertes
dans la haute Guine, au-dessus de l'Achanti. Il y a l
toute une rgion inconnue entre les pays de la cte et le
bassin suprieur du Dhioliba; si M. Grard peut y porter ses reconnaissances et y utiliser les instruments dont
il a d se rendre l'emploi familier, il aura bien mrit
de la science.
Le Gabon est aussi un pays nouveau pour la gographie. Les excursions que Du Chaillu y a pousses en
deux ou trois directions ont t, en Angleterre, le sujet
de vives controverses, o il y a eu souvent moins de justice que de passion ; il est du moins un honneur qu'on
ne peut lui refuser : c'est d'avoir appel l'intrt sur des
contres jusqu'alors inconnues, et d'en avoir provoqu
une tude de plus en plus agrandie. Plusieurs notices
intressantes en ont t adresses depuis un an aux socits
savantes par les missionnaires amricains qui y ont des
1. Au n 10 de 1863, cahier d'octobre.
422
LE TOUR DU MONDE.
novembr 1863.
LE TOUR DU MONDE.
423
sait mieux que personne sur quelles faibles bases (le contour
hydrographique except) reposent les donnes que nous possdons.
424
LE TOUR DU MONDE.
Le temps, ai-je dit, n'est pas venu encore o les nouveaux rapports de commerce ou de guerre avec l'extrme Orient et l'Amrique aient pu ajouter notablement la somma de nos informations scientifiques;
quelque exception, cependant, pourrait tre faite pour
l'Indo-Chine. Les reconnaissances de nos officiers de
marine dans notre rcente colonie de Cochinchine sont
une bonne acquisition pour la gographie positive. Le
vice-amiral Bonnard, au mois de septembre 1862, remonta le grand fleuve du Kambodje jusqu' cent vingt
lieues de ses embouchures ; et prs d'un large lac que le
fleuve traverse cette distance il put contempler les magnifiques ruines de l'ancienne cit d'Ongkor', restes
d'un tablissement bouddhique dont les Siamois ne parlent qu'avec admiration comme de l'ouvrage des gnies.
Les constructions d'Ongkor ont une grande analogie
avec les monuments bouddhiques de l'le de Java; elles
sont, comme ceux-ci, l'oeuvre d'une civilisation importe. L'poque n'en est indique par aucune donne prcise; mais il est bien probable qu'elles doivent appartenir la priode de la grande prosprit du bouddhisme
de l'Inde, qui fut aussi le temps de la grande propagation extrieure du culte de kyamouni, ce qui nous conduit au troisime ou au deuxime sicle avant l're chrtienne. Les statues colossales du Bouddha tailles dans
les rochers d'Ongkor ont une frappante analogie avec
les colosses bouddhiques de Bamyn, dans l'Asie centrale, qui remontent incontestablement des temps voisins de notre re. Deux ans avant la visite de l'amiral
Bonnard, le site d'Ongkor avait t vu et dcrit par un
voyageur franais, M. Mouhot, dont le Tour du Monde
a publi la relation. M. Mouhot voyageait surtout en
naturaliste, et ses collections, que la mort a interrompues, sont d'une extrme richesse; mais il savait aussi
voir et dcrire ce qu'un pays peu connu offre de curieux
l'observateur. Nos lecteurs ont pu juger de l'intrt
de ses journaux en mme temps que de la beaut des
dessins dont il avait form un riche portefeuille. Ses
courses dans le Kambodje et les provinces de Siam ne
prsentent pas un dveloppement de moins de huit cents
lieues dans l'espace de trois annes; c'est, au total, un
des voyages les plus importants et les plus instructifs
que possde aujourd'hui l'Europe sur la pninsule indochinoise.
J'avais inscrit dans mon programme quelques-uns
des travaux dont notre propre sol est l'objet; j'aurais
voulu signaler les publications djt nombreuses qui
promettent la France, si le zle de nos provinces se
soutient, les matriaux d'un beau monument gographique. L'espace me manque aujourd'hui; mais ce n'est
qu'une occasion remise.
VIVIEN DE SAINTMARTIN.
1. Noklior, selon M. Pallegoix.
GRAVURES.
DESSINATEURS.
DOM. GRENET
DOM. GRENET
M. DE LESSEPS
H. ROUSSEAU . .
DOM. GRENET
LE CHTEAU DE TELL-EL-KEBIR
DOM. GRENET
LE VILLAGE DE TELL-EL-KEBIR
DOM. GRENET
DOM. GRENET. .
DOM. GRENET
VUE DE ZAGAZIG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
0 . . 0 . . . . . .
9
12
DOM. GRENET
13
DOM. GRENET
16
CAMPEMENT A EL-GUISR
DOM. GRENET
17
CARRIRES DE GEBEL-GNEFF
DOM. GRENET
19
DOM. GRENET
20
21
DOM. GRENET
DUNES D 'EL-FERDANE
DOM. GRENET
22
DOM. GRENET
23
DOM. GRENET.
24
DOM. GRENET
25
DOM. GRENET
26
28
DOM. GRENET
29
DRAGUE AU MONTAGE
DOM. GRENET
32
ZALEH
GUTAUD. .
GUTAUD. .
GUTAUD. . .
THROND. .
33
..
36
37
40
THROND. . .
THROND. ..
44
THROND. . .
45
THROND.
48
STROOBANT.
49
STROOBANT.
52
STROOBANT.
53
LE BROCKEN
STROOBANT.
56
STROOBANT. .
LA ROSSTRAPPE
STROOBANT. .
STROOBANT. .
60
STROOBANT.
61
64
41
57
59
STROOBANT.
STROOBANT.
65
STROOBANT.
68
STROOBANT.
69
426
DESSINATEURS.
STROOBANT.
71
STROOBANT. .
72
STROOBANT. . 73
STROOBANT. . 76
LE ROCHER DU MOINE
STROOBANT. .
77
STROOBANT. . . . 80
LE RAMMELSBERG.
UNE COLE D 'ENSEIGNEMENT MUTUEL DANS L 'ETAT DE VIRGINIE (ETATS - UNIS).
GUTAUD.. . . . .
81
JANET-LANGE. .
83
JANET-LANGE. . 85
88
GAMBARD.
GAMBARD. . . . . 89
ROUYER . . . . . 90
GAMBARD. . . . . 91
92
GAMBARD. . . .
93
G. DOR. . . . .
E. DE BRARD. 96
VALLE DE YUCAY-URUBAMBA
RIOU
97
100
RIou
101
RIOU
105
RIOu
RIOu
107
RIOu
108
MONTE D 'HABASPAMPA
RIOU
109
RIOU
111
RIOU
112
Riou
113
Riou
117
RIOU
119
RIOu
120
MTAIRIE DE SAYLLAPLAYA.
RIOU
121
RIOu
122
RIOU
123
RIOU
124
MTAIRIE DE MAYOC
RiOU
125
itou.
127
RIOU
128
RIOU
129
RIOU
130
Riou
131
RIOU
133
HACIENDA DE LA LECHUZA
RIOU
135
RIOU
137
RIOU.
. . . . . 140
RIOU
141
Riou
142
VILLAGE D 'ECHARATI
RIOU
143
RIOU.
. 144
HACIENDA DE BELLAVISTA.
METTAIS .. . . 145
PASINI... . . . 148
LE TANDOUR
. . . . . . . . .
THROND. . . .
149
METTAIS . . .
151
METTAIS .. .
153
A. PROUST.
155
A. PROUST.
157
A. PROUST.
159
A. PROUST.
160
UN BARBIER TURC
A. DE LAJOLAIS . 161
A.
COUVERCHEL. 165
427
DESSINATEURS.
. . . . . . . . . . . .
. , . . . . .
LE KSAR BOU-ALEM . . . . . . . . . . . . . . . . .
. , ..
..
LE MARABOUT DE SIDI-TIFOUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LE U DE L ' OUED-ZERGOUN . . . . . . . . . . . . .
. .
LE KSAR DE TADJEROUNA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
UNE HABITATION DANS LE KSAR DE TADJEROUNA . , . . . . , , . .
DPART DU KSAR DE TADJEROUNA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
AN-MASSIM . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . . .
. . . , .
(marabouts quteurs). . . . . . . ,
. . . . . . . .
, . . . . . . . . .
IMPASSE, A OUARGLA.
LA PLACE DE LA BOUCHERIE, A OUARGLA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
KERTASSA CURANT UN PUITS, A OUARGLA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
UNE DJEMA
LE KSAR EL-ROUISSAT
. . . . . .
. . . . . . . .
. . .
. .
LE KSAR EL MADHY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , . . .
. .
. ,
LE KSAR RAOUL
RAOUL
CHAMBRA EN PRIRE
LE SAUT DE
L'AROU
A. DE LAJOLAIS 166
A. DE LAJOLAIS . 167
A. DE LAJOLAIS . 167
A. DE LAJOLAIS . 168
A, DE LAJOLAIS . 169
A. DE LAJOLAIS . 169
170
A. COUVERCHEL
A. DE LAJOLAIS . 171
A. DE LAJOLAIS . 174
A. DE LAJOLAIS . 174
A. COUVERCHEL . 175
A. DE LAJOLAIS . 176
A. COUVERCHEL . 177
A. COUVERCHEL 179
A. COUVERCHEL . 180
A. COUVERCHEL . 181
A. DE LAJOLAIS . 181
A. COUVERCHEL . 182
A. DE LAJOLAIS . 183
DE LAJOLAIS . 184
A DE LAJOLAIS . 185
A. COUVERCHEL . 187
A. DE LAJOLAIS . 188
A. DE LAJOLAIS 188
A. DE LAJOLAIS . 188
A. COUVERCHEL . 189
A. DE LAJOLAIS . 190
A. DE LAJOLAIS . 191
A. DE LAJOLAIS . 191
A. DE LAJOLAIS . 191
A. DE LAJOLAIS 192
A. DE LAJOLAIS . 192
A. COUVERCHEL . 193
A. COUVERCHEL . 195
A. DE LAJOLAIS . 196
A. DE LAJOLAIS . 196
A. DE LAJOLAIS . 196
A. COUVERCHEL . 197
A. DE LAJOLAIS . 198
A. DE LAJOLAIS 198
l'Iermak
ET
. . . . . , . . .
l'Embryo
l'Iermak
UN MORSE CHERCHANT A ESCALADER L ' LOT DE GLACE QUI PORTE L ' QUIPAGE , . ,
L ' QUIPAGE DCOUVRE UN CAMPEMENT DE KARACHINS
M. HENRI MOUHOT
V FOULQUIER
Kulrovie
201
204
V. FOULQUIER . 205
V. FOULQUIER . 206
V. FOULQUIER . 208
V. FOULQUIER . 209
V. FOULQUIER . 211
V. FOULQUIER 212
V. FOULQUIER. 213
V. FOULQUIER . 215
V. FOULQUIER . 217
V. FOULQUIER . 218
H. ROUSSEAU. 219
SABATIER. . . . . 221
221
SABATIER. . . .
222
SABATIER. . . .
223
E. BOCOURT. .
CASTELLI .....
TABLE DES
428
GRAVURES.
DESSINATEURS.
THROND. . . . . 224
225
E. BOCOURT .
E.
BOCOURT. . . 226
E. BOCOURT . . 227
THROND. . . . . 228
H. CLERGET . . . 229
THROND. . . . . 232
THROND. . . . . 233
E. BOCOURT . 234
H. ROUSSEAU 235
E. BOCOURT . 236
E. BOCOUBT. 237
H. ROUSSEAU 238
E. BOCOURT. . 239
THROND. . . . . 240
THROND.
241
THROND. . . .
242
THROND. . . .
243
RUINES, A AJUTHIA
THROND. . . .
244
RUINES, A AJUTHIA
THROND ....
245
H.
H.
248
CATENACCI
CATENACCI .
249
SABATIER. . . .
251
H. CATENACCI.
H. CATENACCI.
252
H. CATENACCI .
255
H.
CATENACCI .
256
SABATIER. . . .
257
SABATIER. . .
260
E. BOCOURT. .
261
RIVES DU MNAM
253
SABATIER. . . .
264
SABATIER.. . .
265
SABATIER. . . .
268
E. BOCOURT .
269
271
PELCOQ. . . . .
SABATIER. . . .
272
SABATIER. . . .
273
SABATIER. . . .
275
JANET-LANGE. .
276
JANET-LANGE. .
277
H.
ROUSSEAU .
279
E.
BOCOURT . .
280
SABATIER. . . .
281
(Cambodge)
CHARIOT CAMBODGIEN
UN PAGE DU
JANET-LANGE. . 284
E. BOCOURT285
SAUVAGE STING
LABOUR ET SEMAILLES CHEZ LES SAUVAGES STINGS
SABATIER
VUE DE BATTAMBANG
MONUMENT RELIGIEUX DES CHINOIS DE BANGKOK.. . . . . . . . .
SABATIER. . . . 283
CATENACCI. 289
THROND. . . . . 292
. . . 293
THROND
GUTAUD. .
296
296
.
.
GUTAUD. . . . . . 297
. 296
GUTAUD. . . . . . 300
THROND
THROND. . . . . 303
TABLE DES
429
GRAVURES.
DESSINATEURS.
THROND. . . .
CATENACCI . . . .
304
305
307
VUE DU PORT ET DES DOKS DE BANGKOK , PRISE D ' UN BATEAU EN FACE DE L'GLISE
SABATIER. . . .
DES MISSIONS
E.
BOCOURT . . .
CATENACCI . . . .
E. BOCOURT . .
E. BOCOURT . .
E. BOCOURT . . .
E. BOCOURT . . .
H. ROUSSEAU.. .
E. BOCOURT . . .
E. BOCOURT . . .
SABATIER. . . . .
E.
SABATIER. . . . .
SABATIER. . . . .
H. CATENACCI . .
E. BOCOURT . . .
E. BOCOURT . . .
JANET-LANGE.. .
E.
SABATIER. . . . .
E. BOCOURT . . .
H. CATENACCI . .
E. BOCOURT . . .
E. BOCOURT . . .
JANET-LANGE. . .
JANET-LANGE. . .
HOMME DU LAOS
JANET-LANGE.. .
FEMME DU LAOS
JANET-LANGE.. .
BOCOURT . . .
BOCOURT . . .
CABANE LAOTIENNE
SABATIER. . . . .
H. CATENACCI .
G. DOR. . . . .
G. DOR . . . . .
G. DOR. . . . .
G. DOR. . . . .
G. DOR. . . . .
G. DOR.
G. DOR. . . .
G. DOR. . . .
G. DOR. . . .
G. DOR. . . .
G. DOR. . . . .
................
MUSICIENS AMBULANTS . . . . . . . . . .
LES BORDS DU GUADALAVIAR
LE LAC D'ALBUFRA
MARCHAND D 'CUELLES , A ALCIRA
CHASSE AUX PHNICOPTRES SUR LE LAC D'ALBUFRA
PAYSANS DES ENVIRONS DE CARCAGENTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LES ORANGES DE CARCAGENTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LA FORT D 'ELCHE, PRS D 'ALCOY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
PRPARATION DE L'ALOS.
CHASSE A L' HIPPOPOTAME SUR LA RIVIRE SAINTE-LUCIE. .
JANET-LANGE.. .
CLICH ANGLAIS .
W. C. BALDWIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
JANET-LANGE.. .
JANET-LANGE.. .
. . . . . . . . . . .
. . . . . .
CLICH ANGLAIS .
JANET-LANGE..
JANET-LANGE.. .
JANET-LANGE.. .
INYALAS.
JANET-LANGE. .
CLICH .ANGLAIS .
CLICH ANGLAIS .
UN COUP HEUREUX
CLICH ANGLAIS .
CLICH ANGLAIS .
308
309
310
311
312
313
316
316
317
317
318
319
320
321
324
325
328
329
332
333
336
337
340
341
344
345
348
349
351
352
353
355
356
357
359
360
361
363
365
367
368
369
271
373
374
377
377
379
380
381
382
382
383
384
43x1
GRAVURES.
TABLE DES
DESSINATEURS.
385
CLICH ANGLAIS
386
387
388
CLICH ANGLAIS
391
CLICH ANGLAIS
389
JANET-LANGE. .
390
JANET-LANGE..
395
CLICH ANGLAIS
392
JANET-LANGE..
393
JANET-LANGE. .
395
CLICH ANGLAIS
CLICH ANGLAIS
396
397
JANET-LANGE..
CLICH ANGLAIS
398
CLICH ANGLAIS
499
400
JANET-LANGE..
CLICH ANGLAIS . 401
CLICH ANGLAIS
402
403
CLICH ANGLAIS
405
CLICH ANGLAIS
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JANET-LANGE. .
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CHASSE A L'AUTRUCHE.
CHASSE DE NUIT
POURSUIVI PAR UN BUFFLE
LE LION ME HEURTA L ' PAULE . . . . . . . . . . . .
C OUDOUS.
......
CARTES ET PLANS.
CARTE DE L ' ISTHME DE SUEZ ET DES TRAVAUX DONT IL EST LE THTRE . . . . . . . . . . . . . . .
ESQUISSE DE LA RGION DES OASIS ALGRIENNES ET DE LA ROUTE DE GRYVILLE A OUARGLA
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CARTE D ' UNE PARTIE DE LA MER GLACIALE AVEC L'INDICATION DE LA ROUTE SUIVIE PAR LA GOLETTE
Iermak
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Co
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UNE EXCURSION AU CANAL DE SUEZ , par M. PAUL MERRUAU. (1862. Texte et dessins indits.) (Dessins de
M. Dom. Grenet, tirs de l'album indit de M. Berchre.)
La traverse. Alexandrie et le Caire. Dpart pour l'isthme, par Zagazig. Sir Henry Bulwer.
L'Ouady, domaine de la Compagnie dans le dsert. Le chteau de Tell-el-Kbir
Le tombeau d'un compagnon de Mahomet. Fte religieuse. Justice sommaire. Rhamss. Carrires
de Gebel-Gneff. Les terrassiers indignes. Le lac Timsah. Une voiture trange. La ville d'Ismalia. El-Guisr. Le kiosque de Sald-Pacha. Le Serapeum. Toussoum. Tombeau du cheik
Ennedeck. La chane de l'Attaka. Suez. Navigation sur le canal. Le campement de Kantara.
Le lac Menzaleh. Port-Said
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VOYAGE AU MALABAR, par M. le contre-amiral FLEURIOT DE LANGLE. (1859. Texte et dessins indits.)
Description de la cte du Malabar. Chemin de fer indien. Idiomes et populations de la cte de Malabar.
Les Mahrates, les Bihls, les Gondes. Les parias et les gens sans castes. tablissements franais de
la cte du Malabar. Mah. Sa prosprit. Sa rivire. Races et religions. Sainte-Thrse.
Saint-Sbastien.. tablissements portugais de la cte de Malabar. Goa. Iles Saint-Georges.
Mouillage de l'Aguada. Phare. Barre de la rivire. La ville neuve Pangim. Le comte de Torres
Novas. Le clerg catholique. Vieux Goa. Reliques de saint Franois-Xavier. Les glises de
Goa. L'arsenal. Le couvent del Cabo. Marmagon. Ctes du Concan. Savant wadi. Pirates
savaji. Tulaji angria. Fondation de l'empire mahrate. Conqute des places de Savaji et d'Angria
par l'Angleterre. Bombay. Commerce. Les Daubachis. Arsenal de la Compagnie pninsulaire et
orientale. Mazaghan. Le fort et la Ville-Noire. Maisons de plaisance. Douceur des animaux.
Les temples. Temples souterrains. Caractre de Siva. Description du temple d'lphanta. Choeur
de la Trimourti. Ravana tentant d'escalader le Kailassa. Naissance de Sakti. Ardinaths-Eshwar
Mariage de Siva. Vira Bhadra. Bhairava. Conclusions
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Cathdrale de Halberstadt (suite). glise de Notre-Dame. Ovation faite un duc. Environs de Quedlinbourg. Blankenburg. Le Teufelsmauer; le chteau de Blankenburg. Le Regenstein. Le Hoppelberg ; panorama. Montagnes volcaniques. Rochers de l'Ermite. Le Rosstrappe. Effet d'un
beau jour. Lgende. Descente de la montagne. Valle des sorcires. Superstition des paysans du
Harz. L'Hexen-tanz-platz. Symphonie imaginaire. Retour Thale. Une dernire visite Halberstadt. Un intrieur de famille. Une patache. Wernigerode. Htel de ville. Place du March
Chteau du comte de Stolberg-Wernigerode. Elbingerode. Arrive Ilsenburg. Un guide du
Broken. Dpart. L'Ilsenstein. Description de l'Ise. Orage dans la montagne. Effet imposant
Le Brokenhaus. Hauteur du Broken. Contes populaires. Spectre du Broken. Descente.
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Charbonniers du Harz. Harzbourg. Goslar. Chapelle ; portail. Ancien palais des empereurs.
Le Kaiserworth. Palais du roi de Hanovre. Excursion aux mines du Rammelsberg. Aspect du pays.
Descente dans les mines; leurs produits. Effets de lumire la sortie. Travaux extrieurs. Mines
de Clausthal. Murs des mineurs. Valle de l'Ocker. Viennebourg. Brunswick
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VISITE AUX GROTTES DE MAMMOUTH , DANS LE KENTUCKY ( TATS-UNIS ), par M. POUSSIELGUE. (1859. Texte et
dessins indits.)
De New-York Liberty. Une cole mutuelle dans un bois. Christianburg. Le coneylure vert.
Paysages. Une singulire auberge. Le vol est rare. Pourquoi? Cattlesburg. Une mauvaise diligence. Lexington. Francfort. Louisville. Mammouth-Hotel. Visite aux grottes. La Rotonde
L'glise gothique. La chambre des revenants. Poissons singuliers. Le fauteuil du diable. Le
puits des Andes. La mer morte. Styx-River. Le vignoble de Marthe. Le puits terrible. Retour
l'htel
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VOYAGE DE L 'OCAN PACIFIQUE A L 'OCAN ATLANTIQUE, A TRAVERS L 'AMRIQUE DU SUD, par M. PAUL MARCOY.
(1848-1860. Texte et dessins indits.)
PROU. Cinquime tape. DE Cuzco A ECHARATI. - Quelques mots sur le chemin qui conduit de Cuzco
la pampa d'Anta. Qu'un domestique de confiance peut tre la fois fripon, gourmand et imposteur.
Les nuages du ciel. A quoi songeait le voyageur en arrivant Mara. O Arimane et Oromase interviennent propos d'une bille de chocolat. Qui traite du pardon et de l'oubli des offenses. La desse de
Pintobamba. Souvenirs et silhouettes. Le ravin d'Occobamba. Ci-gt un noble coeur. Les ruines
d'011antay-Tampu vues vol d'oiseau. La chronique et la tragdie
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Cinquime tape. DE Cuzco A ECHARATI. - Sta Viator. L'hospitalit d'une picire. Portrait au pastel
d'une grande dame. L'hacienda de Tian-Tian et son majordome. Dissertation sur le Theobroma cacao
Ornithologie. Faute d'une chemise blanche, l'auteur dit un adieu dfinitif aux illusions qu'il caressait
Aspects varis du paysage. O le voyageur, en cherchant l'me d'une fleur, se sent saisir le nez par
des tenailles. L'hacienda de la Chouette. L'hibiscus mutabilis. Conversation travers les lames
d'une persienne. La femme abandonne. -- Une fleur blanche le matin, rose midi, pourpre le soir.
Biographie et physiologie de quatre jeunes filles. Le voyageur soupe en famille chez le gouverneur de
Chaco. Arrive Echarati. L'hacienda de Bellavista
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MOEURS TURQUES.
LES FEMMES TURQUES, LEUR VIE ET LEURS PLAISIRS, par M. F. JRUSALMY. (1862. Texte et dessins indits.)
Les bazars. Les visites. Les promenades. Les bains. Plerinages aux Turbs et aux Tkihs.
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et dessins indits.)
EXCURSION AUX ENVIRONS DE GONDOKORO, par M. Guillaume LEJEAN. (1862. Texte indit)
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glaces. En route on abandonne aussi la chaloupe et les traneaux. Prire. Le forgeron Sitnikov.
Accident. Clairires. Navigation sur des morceaux de glace. Vue de la terre. Morses. La faim.
TABLE DES
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MATIRES.
Espoir tremp. Les tombeaux. Un renard. Vol. Le matelot Ponowa. On atteint la terre.
Tente des Karachins. Hospitalit de Setch-Sirdetto. Le fleuve Obi. Le chef Egor. Obdorsk.
Tempte de neige. Retour Kouia
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VOYAGE DANS LES ROYAUMES DE SIAM, DE CAMBODGE, DE LAOS ET AUTRES PARTIES CENTRALES DE L'INDO-CHINE,
par feu Henri MouHOT, naturaliste franais. (1858-1861. Texte et dessins indits.)
Avant-propos. La traverse. Premier coup d'oeil sur le royaume de Siam et sur Bangkok la capitale. .
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Population de Bangkok. Les Siamois. Hommes, femmes, enfants. Esprit de famille. tranges contrastes. Superstitions. Le roi de Siam. Son rudition. Son palais. Le second roi. Hirarchie
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Dtails ultrieurs sur le Cambodge. Udong, sa capitale actuelle. Audience chez le second roi, etc.
Dpart d'Udong. Train d'lphants. Pinhalu. Belle conduite des missionnaires. Le grand lac du
Cambodge. Le fleuve Mkong. Dpart de Pinhalu. Le grand bazar du Cambodge. Penomg-Peng
Le fleuve Mkong. L'ile Ko-Sutin. Pemptilan. Les confins du Cambodge. Voyage Brelum
et dans la contre des sauvages Stings. Sjour de trois mois parmi les sauvages Stings. Moeurs de
cette tribu. Produits du pays. Faune. Moeurs des Annamites.
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Retour Pinhalu et Udong. Le grand lac Touli-Sap. Rencontre de neuf lphants. Oppression
du peuple. Sur la rgnration ventuelle du Cambodge. Traverse du Lac Touli-Sap. La rivire,
la ville et la province de Battambang. Population et ruines. Voyage aux ruines d'Ongkor. Leur description. Province d'Ongkor. Notions prliminaires. Ongkor. Ville, temple, palais et pont.
Ruines de la province d'Ongkor. Mont-Ba-Khng
289
Quelques remarques sur les ruines d'Ongkor et sur l'ancien peuple du Cambodge. Voyage de Battambang
Bangkok travers la province de Kao-Samrou ou de Petchabury. Excursion Petchabury. Retour
Bangkok. Prparatifs pour une nouvelle expdition au nord-est du Laos. Dpart
305
Nophabury. La procession annuelle de l'inondation Les talapoins, prtres, moines, prdicateurs et instituteurs. Le parc aux lphants d'Ajuthia. Grande battue. Dpart pour le nord-est. Saohale et
la province de Petchaboune. Voyage Khao-Khoc. Traverse de la Dong Phya Parie, ou fort du roi
du Feu. Le mandarin et l'lphant blanc. -- Observations de moraliste, de naturaliste et de chasseur. .
3. 1
La ville de Tchaiapoune. Retour Bangkok. L'lphant blanc. Encore la fort du roi du Feu. Krat
et sa province. Penom-Wat. De Krat Luang-Prabang. Versant occidental du bassin du Mkong
Luang-Prabang. Notes de voyages l'est et au nord de cette ville. Derniers traits du journal.
Mort du voyageur
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VOYAGE EN ESPAGNE, par MM. GUSTAVE DORE et CH. DAVILLIER. (1862. Texte et dessins indits.)
VALENCE. L'Albufra de Valence. La pche et la chasse, les batidas; les phnicoptres. Alcira et Carcagente. Les oranges du royaume de Valence. La huerta de Gaudia. La pita et son emploi. Denia
Alcoy
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CHASSES EN AFRIQUE. DE PORT-NATAL AUX CHUTES DU ZAMBESE, par WILLIAM-CHARLES BALDWIN, membre de
la Socit de gographie de Londres. (1852-1860. Traduction indite par Mme H. LOREAU.)
Vocation de l'auteur. Pourquoi il va en Afrique. Son arrive Port-Natal. Il va Chasser l'hippopotame.
Aventure avec les crocodiles. Rsultats dsastreux de l'expdition. Retour Durban. Seconde excursion au pays des Zoulous. Visite au kraal de Panda. Moment dsagrable. - Rveills par les lions.
Chasse magnifique. Dpart pour le pays des Amatongas (1854). Inyalas. Hippopotames. Partie
de chasse avec les indignes. Troisime excursion chez les Zoulous. Crocodile tu sur la rive.
Rencontre de plusieurs rhinocros. Hynes. Un lion et deux liom es
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Lutte prolonge avec un buffle. Sabbat. Ce qu'il faut pour classer la grosse bte. pisodes de chasse :
Aventures avec des buffles. Dpart pour l'intrieur de 1',1 frique. Chasse la girafe. Traverse du
dsert. Rhinocros. Harrisbuck. Arrive chez Mossil:katsi. Mis en quarantaine. Souvenirs de
chasse : Babouins, panthre, colre d'un lphant. Perdu au milieu d'un fourr. -- Dpart du territoire
de Mossilikatsi. Poursuite d'un serpent. Buffles et girafes. Nol au dsert. Premire visite au lac
Ngami. Une girafe dans un arbre. Abandon et solitude. Chasse l'oryx. Indigne poursuivi par
un buffle. L'auteur chass par un lphant
v 111.
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