Hegel, Critique de Kant
Hegel, Critique de Kant
Hegel, Critique de Kant
2. La valeur du criticisme
A parir de l, la notion de vrit risque videmment d'tre bien diffrente chez Kant et
chez Hegel. En fait, selon Hegel, Kant ne parvient jamais la connaissance vraie, et il en
est incapable, du simple fait de l'origine sensible de cette connaissance. En effet, le
criticisme prtend que tout ce qui peut tre connu n'est que "l'tre contingent et
prissable", par consquent il prtend "que ce qui peut tre connu n'est pas le vrai, mais
le faux." (Discours de 1816 l'Universit de Berlin).
Mais le criticisme ne se contente pas d'affirmer que l'origine de la connaissance est
sensible, il pose cette connaissance comme une connaissance absolue
en disant que l'intelligence ne peut aller au-del, et que c'est la limite naturelle et
absolue de la science humaine. Mais il n'y a que les choses de la nature qui soient
limites, et elles ne sont des choses de la nature que parce qu'elles ignorent leur limite ;
car leur dterminabilit est une limite pour nous et non pour elles. (E, LX)
Or, que les formes de l'entendement n'aient aucune application la chose en soi "ne
peut avoir qu'un seul sens : ces formes en elles-mmes sont fausses." (Grande Logique,
Introduction)
Ailleurs, Hegel prfre dire que le criticisme, plutt que de produire une connaissance
fausse, produit une connaissance "superflue". En effet, dit-il, la doctrine de Kant n'a fait
faire aucun progrs la science :
Montrer que les dterminations de l'universalit et de la ncessit sont les lments de la
connaissance, ce n'est qu'indiquer un fait qui ne rfute pas le scepticisme de Hume. La
philosophie de Kant constate seulement un fait, et l'on peut dire en se servant du
langage ordinaire de la science qu'elle s'est borne donner une nouvelle explication de
ce fait. (E, XLI)
En fait, elle n'est tout simplement qu'une "description psychologique".
Au fond, tout se passe un peu comme si Kant, selon Hegel, ne voulait pas connatre le
vrai. Alors que l'esprit prouve naturellement "le dsir de connatre cette identit ou
cette chose-en-soi" (E, XLIV), avec Kant, il est
une recherche inquite qui dans le processus de chercher dclare quil est absolument
impossible davoir la satisfaction de trouver. (Phnomnologie de l'Esprit)
Finalement, la philosophie critique est pusillanime. En faisant porter la recherche sur
l'usage lgitime des catgories de l'entendement, elle interroge avec profit les formes de
la pense elle-mme, et les lve au rang d'objet de connaissance. Mais dans cette
saisie de la pense par elle-mme se glisse une confusion :
C'est de vouloir connatre avant de connatre, c'est de ne pas vouloir entrer dans l'eau
avant d'avoir appris nager. (P.L., 2nde)
Or, cette crainte d'un mauvais usage possible des formes de l'entendement prsuppose
beaucoup de choses :
Elle prsuppose notamment une reprsentation de la connaissance comme instrument et
milieu, et aussi une distinction entre nous et cette connaissance ; mais surtout elle
prsuppose que l'Absolu se trouve d'un ct, et que la connaissance qui se trouve d'un
autre ct, pour soi, spare de l'Absolu, est pourtant quelque chose de rel ; en
d'autres termes, elle prsuppose que la connaissance (qui est certainement en-dehors de
la vrit, puisqu'elle est en-dehors de l'absolu) est pourtant vraie -position qui fait
dcouvrir en ce qui se proclame crainte de l'erreur, la simple crainte de la vrit. (Ph.)
En bref, Kant a recul devant la difficult et n'a pas su aller au bout de sa dcouverte. Du
coup, "la critique de la raison pure n'est qu'un idalisme timide et subjectif." [E., XLIV)
Mais quel est prcisment cet obstacle devant lequel le courage de Kant aurait flchi ?
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3. La contradiction
Hegel reconnat donc Kant d'avoir d'avoir lev la pense un niveau o elle devient
elle-mme son propre objet, c'est--dire au niveau de la rflexivit :
Il faut en gnral comprendre par ce mot l'entendement abstrayant et par l divisant,
qui persvre dans ses divisions. Tourn contre la raison il se comporte comme sens
commun, et fait valoir ses vues d'aprs lesquelles la vrit repose sur la ralit sensible
et les penses sont seulement des penses, dans ce sens que c'est seulement la
perception sensible qui leur donne contenu et ralit, et que la raison, dans la mesure o
elle reste en et pour soi, n'enfante que des chimres. (GL, Introduction)
On voit donc ici ce que Hegel critique et conserve du moment kantien de la philosophie :
Certes, le criticisme aboutit un "renoncement de la raison elle-mme" mais en
chemin, il a dcouvert le "conflit ncessaire des dterminations de l'entendement".
Ce conflit a atteint son expression la plus manifeste chez Kant, avec l'expos des
antinomies de la raison. Mais autant la pense d'une contradiction essentielle de la
raison constitue selon Hegel "le progrs le plus important et le plus profond de la
philosophie moderne", autant la solution des antinomies est "superficielle". (E., XLVIII).
Ce que Hegel reproche fondamentalement la philosophie critique, c'est d'avoir laiss la
contradiction au seul niveau de la raison. Avec Kant, "on s'imagine que c'est la raison
qui entre en contradiction avec elle-mme." On notera cet endroit comme le discours
prend un tour ironique et un brin compatissant :
On a prouv une sorte de tendresse pour le monde : on a pens que la contradiction
serait une tache sur lui, et que c'est la raison, l'essence de l'esprit qu'il faut
l'attribuer. (E., XLVIII)
Ou encore :
Quelle tendresse pour les choses ! Comme ce serait dommage si elles se contredisaient !
Mais que l'Esprit soit la contradiction, cela n'a pas d'importance [...] Or, le contradictoire
se dtruit ; ainsi donc l'Esprit est en lui-mme dsordre, folie.(Leons sur l'Histoire de la
Philosophie, III)
4. Le scepticisme
Outre la contradiction, l'autre grande avance de la philosophie critique est d'avoir pos
pense, voila donc le projet de Hegel. Pour cela, il faut montrer que c'est la manire dont
Kant comprend le rapport sujet-objet et les propres prsupposs de sa thorie de la
connaissance qui le conduisent un scepticisme indtermin, abstrait, qui, dans le
nant, ne voit que le nant.
Mais le nant nest en fait rien dautre, pris comme le nant de ce dont il rsulte, que le
vritable rsultat ; par quoi il est un nant dtermin avec un contenu [] Dans la
mesure o le rsultat est compris, comme il lest en vrit, cest--dire comme ngation
dtermine, alors immdiatement une nouvelle forme nat, et dans la ngation est
effectue la transition par laquelle le processus travers la srie compltes des figures
de la conscience rsulte de lui-mme. (Ph.)
Seulement, le contenu dont il est ici question nest videmment pas un contenu
sensible. A vrai dire, le contenu de la connaissance nest aucunement sensible. Cest
prcisment la raison pour laquelle, la chose-en-soi peut tre connue :
La chose en soi et sous cette dnomination lon comprend aussi lesprit, Dieu, etc. est
lobjet o lon fait abstraction de tout ce qui le rend saisissable la conscience, de tout
lment sensible comme de toute pense dtermine. Lon voit aisment quil ne reste
aprs cela, quune pure abstraction, un tre vide qui recule indfiniment et chappe la
pense, une ngation de toute reprsentation [] Mais on peut faire, cet gard, cette
rflexion bien simple, savoir : Que ce caput mortuum est lui-mme un produit de la
pense, de la pense qui forme cette abstraction pure, ou du moi vide [] On doit, par
consquent, stonner dentendre si souvent rpter quon ignore ce quest la chose en
soi, car il ny a pas de connaissance plus facile que celle-l. (E. XLIV)
La mthode dialectique prsentant un moment affirmatif et un moment ngatif, critique,
de la connaissance, le scepticisme kantien, "peu rassurant pour l'esprit", devient
dsormais "un peu superflu". Hegel peut alors affirmer avoir dpass Kant, mais sans
pour autant en tre revenu la vieille mtaphysique, une pense sans critique. Cela
est bel et bon.
Sauf que, tout de mme :
L'ancienne mtaphysique avait de la pense un concept plus lev que celui qui est
devenu courant dans les temps modernes. Cette mtaphysique acceptait l'ide
fondamentale suivante : ce qui est connu par la pense, des choses et dans les choses,
est leur seule vritable vrit. Ainsi les choses n'taient pas acceptes telles quelles,
dans leur aspect immdiat, mais leves la forme de la pense, en tant que penses.
Pour cette mtaphysique donc la pense et la dtermination de la pense n'taient pas
quelque chose d'tranger aux objets, mais plutt leur essence ; autrement dit, les
choses et leur pense [...] s'accordent quand elles sont pleinement actualises. La
pense dans ses dterminations immanentes et la nature vritable des choses, sont un
seul et mme contenu. (G.L., Introduction)
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5. Pense et tre
On aura peut-tre not, au passage d'une citation prcdente, quen dfinissant Dieu
comme une chose en soi, Hegel affirmait tout la fois son existence (en soi) et la
possibilit pour lesprit de le connatre. Ds lors, on ne stonnera pas que Hegel
s'attaque la rfutation kantienne des preuves de l'existence de Dieu.
Dans lIdal de la Raison Pure (qui suit d'ailleurs, dans la CRP, l'expos des antinomies
de la raison), Kant avait montr que les diffrentes preuves de lexistence de Dieu se
rduisaient toutes largument ontologique.
Cet argument peut tre prsent ainsi :
1. Quelque chose de ncessaire ne peut pas ne pas exister (selon le concept de
ncessit)
2. Dieu est un tre ncessaire (selon le concept de Dieu)
3. donc Dieu existe.
Or, continuait Kant, lexistence de Dieu ne peut tre dduite de son seul concept. Afin de
montrer que tre nest pas un prdicat rel , cest--dire que dune ide , dun
possible, on ne peut dduire lexistence relle, Kant avait utilis l'argument devenu
fameux des 100 thalers :
Cent thalers rels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles [] Mais je suis
plus riche avec cent thalers rels que si je nen ai que lide (cest--dire sils sont
simplement possibles). (III, 401)
tant que possible, est toujours plus que le rel, en tant quexistence sensible.
Chez Hegel, le concept est tellement plus que lexistence sensible quil est le
rsultat de sa ngation, rsultat qui est immdiatement le rel.
Bergame
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Merci pour la citation des Leons qui termine l'extrait, je ne la connaissais pas (je n'ai lu
que ce qui concerne la philosophie grecque, dans ce bouquin), elle est trs bonne.
Mais cela me suscite ce commentaire - que j'ai peut-tre dj fait ailleurs - : je vois ici
pulvriser la critique marxienne selon laquelle Hegel n'aurait conu la dialectique que
dans les ides, et rduire l'allgation grotesque les propos du genre la dialectique est,
chez Hegel, la tte en bas, il faut la retourner pour dcouvrir, sous la gangue mystique,
le noyau rationnel.
Althusser avait tent en son temps (Pour Marx) de justifier ladite assertion. Pour
paraphraser Spinoza (qui parlait en l'occurence de Descartes), Althusser aura surtout
montr en cette occasion les minentes qualits de son grand esprit, sans rien proposer
qui fasse avancer l'affaire.
Courtial
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Merci Courtial. Je n'ai pas lu Althusser, mais quant moi, il me semblait assez vident
que, chez Hegel, la dialectique n'est pas que le mouvement de la pense, mais
galement celui de la vie. Quel est donc ce passage o Hegel dit qu'en gros, les animaux
aussi sont dialecticiens, puisqu'ils ne s'arrtent jamais la chose-en-soi et la
consomment, se l'incorporent. Bon, mais au fondement de tout cela, il y a une
interprtation trs personnelle de la chose-en-soi par Hegel qui n'a plus grand chose
voir avec celle de Kant. Je crois que tu avais parl quelque part de cette lettre de Fichte
Kant o le premier en arrive dire que, finalement, est-ce qu'on ne comprendrait pas
mieux tel ou tel sujet si on se passait de la chose-en-soi. C'est tout fait comme cela
que je comprends Hegel -pour ce que a vaut. D'ailleurs, Hegel paye aussi sa
contribution Fichte, sur la conception du Moi transcendantal, en particulier, non ?
Mais je t'avoue que je suis un peu tonn, je pensais tre un peu provocateur en fait,
avec ce petit travail. Ils sont o nos hgliens, l ?
"Et ils sont o, et ils sont o, et ils sont o les h-g-liens, la la la la la la, la la la la la
la..." :nan:
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chez Hegel, la dialectique n'est pas que le mouvement de la pense, mais galement
celui de la vie. Quel est donc ce passage o Hegel dit qu'en gros, les animaux aussi
sont dialecticiens, puisqu'ils ne s'arrtent jamais la chose-en-soi et la consomment,
se l'incorporent
Je ne vois pas de quel passage tu parles. Mais je songe un autre, qui confirme au plus
haut point ce que nous disons, le passage de l'Encyclopdie o Hegel se montre fort
ennuy, dans la Philosophie de la Nature, parce que nous avons 5 sens, 5 n'tant pas
trs dialectique, comme chiffre. Pourquoi qu'o n'a pas 3 sens? C'est rigolo la faon dont il
essaie de se sortir de l...
Pour le reste, j'ignorais qu'on trouvt ici les Hgliens que tu mentionnes. J'aimerais
aussi leur soumettre quelques questions. C'est un auteur qui, lorsqu'on a dpass la
torture intellectuelle qui constitue la prparation ncessaire, se rvle souvent
passionnant lire et trs stimulant pour l'esprit. L'allocution de 1817 (pas 1816, comme
tu dis) l'Universit de Berlin, c'est un texte magnifique.
Hegel inaugure la srie des philosophes essentiellement "littraires" - avant, c'est que
des matheux, Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, etc., l on a un type qui a une culture
essentiellement littraire, un Liseur.
Courtial
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Salut Bergame, merci de nous avoir gratifier de cette analyse que moi je juge excellente et dont toi seul connat
les secrets. Pour qui cherche situer le niveau critique de Hegel face Kant, je crois quil ne peut tre mieux
servi. Encore une fois, merci !
Jai pris mon temps pour vous lire et je crois que tout ce que je pourrais ajouter ne serait quune confirmation du
moins une contribution. A mon avis, et tu le souligne bien, on ne trouver prtexte pour valider la critique
hglienne sur le simple fait de se limiter a Hegel. Un retour Kant simpose pour comprendre comment le
criticisme aborde le problme de la connaissance. Lentreprise philosophique de Kant est essentiellement centre
sur le problme du fondement de la connaissance. Son projet critique devait alors lamener sinterroger sur les
conditions de possibilit de la connaissance, c'est--dire, sur lexamen critique des limites de la raison dans son
pouvoir de connatre afin ddifier un espace lintrieur duquel elle peut sexercer lgitimement. Et on peut
sans doute affirmer que cest dans le soucis, entre autre, de restaurer lunit mtaphysique dans les limites
naturelles de la raison, de redonner la mtaphysique une nouvelle dmarche, que Kant sent la ncessit de
formuler une critique de la raison pure, critique qui, alors dfinira un nouveau champ, la fois pratique et
thorique, pouvant dsormais garantir les pouvoirs de la raison. On peut voir, il me semble, que si on comprend
ainsi lintention du criticisme lobjectif est bien prcis. Mais la question est de savoir comment fonder cette
connaissance dans et par les facults humaines en considrant la fois leur limite sensible et leur finalit
rationnelle. La manire dont la question de la connaissance est aborde chez Kant laisse penser quil sagit dun
problme de la raison avec elle-mme. Dans ce sens le criticisme peut tre lu comme une critique de lusage
dogmatique et empiriste de la raison. La critique se voit ainsi comme le souligne Kant, oppose au
dogmatisme, c'est--dire la prtention daller de lavant avec une connaissance pure (la connaissance
philosophique) tirs de concepts daprs des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps
sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrive. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique
que suit la raison pure sans avoir fait une critique pralable de son pouvoir propre (CRP, p. 26) Ainsi pour
liminer cette prtention il faut mener des recherches pour tablir des connaissances a priori, afin dinflchir
lobjet et pour mettre en place une mtaphysique rationnelle pour lavenir. A travers cette tche comme le note
A. Philonenko, Kant a ouvert de nouvelles voies la raison humaine par et dans la fondation de lidalisme
transcendantal. (Luvre de Kant)On reviendra peut tre sur cette expression. En mme temps, il soppose
lempirisme anti-mtaphysique qui se rduit la fameuse formule : il n y a rien dans lentendement qui nest
dabord t dans les sens . Mais je retiens par cette lecture lide dun dpassement de lexprience c'est--dire
des limites sensibles de ces mmes facults humaines. Ainsi chez Kant la distinction entre l'entendement et la
raison conduit faire du sujet humain le point de dpart d'une ralisation antidogmatique de la science et le
principe d'une intentionnalit morale objectivement universelle. A la suite de ce constat, Kant cherchant toujours
ce qui pourrait rendre possible la connaissance, en arrive comprendre que le domaine de la connaissance
proprement dite, par laquelle nous saisissons des objets partir des impressions sensibles, est organis dans le
cadre des formes a priori que sont les conditions de possibilit de toute connaissance. Ce cadre reste pour sa
part, luvre de dun sujet transcendantal, qui ne se situe pas lui-mme en tant que tel dans le cercle
phnomnal, et ne peut non plus tre assimil un autre transcendant. Nous comprenons donc que la
philosophie kantienne est profondment rationaliste en ce sens quelle se propose de dterminer exactement les
limites dexercice de la pense ainsi que les conditions dans lesquelles elle produit des notions idales ou des
rgles de notre libert.
Ainsi, ce sont les catgories comme lespace et le temps qui nous permettent dapprhender les objets. Lespace
et le temps comme le considre Kant, ntant pas des intuitions empiriques, sont plutt les concepts purs de
lentendement, autrement dit, ils sont prsents dans notre esprit antrieurement toute exprience. Kant justifie
cette ide dans lEsthtique transcendantale quand il considre que nullement nous ne pouvons avoir
dexprience sans que celle-ci apparaisse dans lespace et le temps. Cest ainsi quil affirme : en effet nous ne
connatrons, en tout cas, parfaitement que notre mode dintuition, c'est--dire notre sensibilit toujours soumise
aux conditions du temps et de lespace originairement inhrentes au sujet ; ce que les objets peuvent tre en euxmmes, nous ne le connatrons jamais, mme par la connaissance la plus claire du phnomne de ces objets,
seule connaissance qui nous est donne . Lide dune limitation du savoir consiste se demander jusquo on
peut aller dans lusage spculatif de la raison. Considrer sous un autre angle, cela amne se demander dans
quelle sphre la raison peut se dployer pour pouvoir apprhender correctement la ralit. Mais au lieu
dentendre cette critique comme une simple raction contre le dogmatisme Kant affirme quelle est plutt la
prparation ncessaire au dveloppement dune mtaphysique tablie en tant que science () . Nous voyons
bien travers cette ide que lambition de Kant, loin de consister labandon de la mtaphysique, demeure
plutt de lui donner sens, lui trouver une autre nouvelle voie. Cette ide se justifie travers cette affirmation de
Kant : Peut-tre jusquici ne sest-on que tromp de route : quels indices pouvons-nous utiliser pour esprer
quen renouvelant nos recherches nous serons plus heureux quon ne la t avant nous ?
Pour ne pas servir un long dveloppement je dirai qu en ce qui concerne le domaine gnral de la connaissance,
le criticisme nous montre que lexprience est insuffisante pour fonder toute connaissance mais aussi pour se
suffire expliquer lentendue du savoir que demande la pense. En clair, la raison ne saurait tre pleinement
satisfaite dun emploi des rgles de lentendement limit lexprience Proleg p, 109. Du mme coup, il faut
rapporter cette exprience des conditions aprioriques. La dcouverte des ides transcendantales nest pas une
issue mtaphysique rendue possible par lexprience, mais une activit hors du cercle de cette exprience pour
lui servir de fondement thorique et de limite rationnelle destine assurer la connaissance.
Mais alors quen est-il lorsque la raison, pour des raisons de droit, achoppe aux difficults de saisir le noumne
et, de ce fait, recule devant le problme de labsolu et prfre se ravaler vers un domaine quelle considre
comme plus sure et plus lgitime pour son application, mais domaine pourtant qui rvle son inaptitude parce
quincapable de matriser le rel dans son essence ? Cest alors cette mme raison qui prfre faire demi-tour
devant le problme de labsolu, qui prend la direction oppose sans tre incapable de rendre compte du rel en
lui-mme et dans son essence. Or linterrogation mtaphysique a toujours cherch justifier cet intelligible,
fonder le principe absolu qui est le centre de lactivit philosophique. Ds lors on serait en droit de se demande
si cette double limites assigne la raison peut la librer des contraintes la fois mtaphysiques et empiriques,
dautant plus que ni dans un champ ni dans lautre la raison ne se trouve dans le pouvoir rsoudre entirement le
problme de la connaissance. Cette insatisfaction que suscite lintelligibilit kantienne constitue le point de
dpart des critiques qui se sont formules en son encontre et dont les figures les plus marquantes se retrouvent
dans le terrain de lidalisme allemand.
Autant dire que Kant, malgr son ambition de supprimer toutes les erreurs qui, jusquici avaient divis la
raison avec elle-mme dans son usage en dehors de lexprience (Luvre de Kant p. 6), laisse le champ
mtaphysique inexplor. Lidalisme transcendantal sera ainsi mis en jeu dans la formulation des critiques dont
la pense de Kant fera lobjet.
Cest a mon avis et a peu prs dans ce contexte quon peut situer la critique hglienne. On ne peut ignorer le
rle que Fichte et Schelling occupe dans cette tradition qui spare Kant et Hegel. Il y a une phrase de Lnine
dans ses Cahiers philosophiques que jaime bien. Lnine dit : On dit que la raison a ses limites. Dans cette
affirmation rside linconscience de ce que, par cela mme quon dtermine quelque chose comme borne, on
opre dj son dpassement. Je comprends cela encore suivant la critique que Hegel adresse Kant.
Le point dentre de la critique hglienne est celui de lobjectivit. Le criticisme tel que Hegel le voit sinvestie
dans une formulation tout a fait subjective de la connaissance. Kant na fait selon Hegel que conclure le
criticisme en renfermant toutes nos connaissances dans les limites de lexprience et en les faisant procder des
lois de lentendement. Cest pour cette raison quelle na pu chapper un subjectivisme, qui traduit un retour
de la raison sur elle-mme, prfrant renoncer tout apport extrieur. Il complut au rationalisme certes, mais
non sans se convertir en une thorie transcendantale, un formalisme affirmant limpossibilit dune vraie
science, dune science systmatique. Et cest ce mme formalisme que Hegel critique dans la pense de Kant
quand, prenant son fondement thorique dans lapplication des catgories, il drive les dterminations du
concept en les plaant sous un schma modle, ce qui lui fait perdre la vrit de lobjet. Au lieu de faire du
concept sa propre dtermination, Kant prend le concept comme un schma appliqu au savoir. Et ce que Hegel
reproche Kant cest sa mthode de procder, consistant, selon B Bourgeois, au lieu de driver du concept les
dterminations d'un ob-jet, le placer simplement sous un schma tout prt par ailleurs Le fait pour Kant
dintroduire les catgories comme relation ou comme ncessit pour la pense participe non seulement dune
ngation de lessence, mais impose la ralit une dtermination subjective qui nest pour cela que lunit
transcendantale subjective, applique lobjet. Ce que la connaissance thorique, par lapplication des
catgories, produit comme concept, reste une mdiation dans le sens o cest avec et dans lapplication des
prdicats que soffre le concept. Celui-ci reste abstrait chez Kant car, dans la synthse lisolement de la
dterminit par le jugement nest que le rsultat dune abstraction exerce sur lobjet. Ce que Hegel rcuse cest
ce caractre abstrait du concept car selon lui le concept est ce qui est absolument concret. La runion dun
sujet et dun prdicat dans un corps dnonc nengendre pour cela que luniversalit de leur singularit. Ce qui
nous amne au constat que si le prdicat se trouve contenu dans le sujet comme son identit il faut aussi voir que
la singularit dun prdicat ne suffit pas pour formuler lidentit du sujet dont il soppose comme une
dtermination extrieure.
Mais attention, En formulant ces critiques nous nous situerons dans la logique de la pense hglienne, logique
qui, comme nous le verrons, intgre tout ce qui, dans la pense de Kant, relevait de contradiction. A la raison
subjective Kant accorde le droit dinstituer un monde des phnomnes qui tombe sous lemprise dun monde de
reprsentations. Mais si cette subjectivit dfinie ainsi le sens des choses on serait en droit avec Victor Cousin
de se poser cette question non moins subjective mais lgitime. Comment sais-je que ma raison est subjective ?
. Cest parce que quelle traduit une rflexion donc un retour sur elle-mme que la raison croit dbuter et
saccomplir sur la certitude de ses principes. Or, toujours selon V. Cousin il faut reconnatre que la raison
humaine nest pas frappe primitivement de ce caractre subjectif dont Kant sest fait une arme contre
elle, et quelle doit dbuter par une affirmation pure, absolue, sans aucun soupon derreur . Cest
principalement cette position absolue dune vrit non subjective que symbolise le cheminement de la
conscience telle que nous pouvons le lire dans la phnomnologie hglienne. Nous nous apercevons ajoute t-il
que cest plus tard quil yaura ce replis sur elle-mme .
En effet pour Hegel le savoir est un processus. Et parce quil est toujours savoir dun sujet concret, le savoir
absolu est avant tout la certitude que ce savoir rside dans une qute, un progrs. Cest pour cette raison que
Hegel considre le savoir non pas simplement comme substance mais comme sujet. Ainsi il y a une objectivit
du sujet par rapport a un monde dont il dpend mais aussi un subjectivisme de lobjet dfini comme
reprsentation partielle dun sujet. Cest travers ce cheminement que peut se comprendre lintention de Hegel
qui consiste retrouver ce processus dialectique qui anime le travail de lEsprit dans sa vritable conqute. La
raison fondamentale qui habite ce fait rside dans la logique dune interprtation exgtique qui dfinie la
manire dont la pense de Hegel saborde suivant sa dmarche. Si elle sinscrit dans la logique dun discours
philosophique qui cherche exprimer un savoir absolu, elle le fait suivant une dynamique qui fait consister ce
savoir sur une mthode. Et cest pour cette mme raison que la pense hglienne demeure une qute
mthodique dont lenjeu reste li lunit absolue du savoir. Mais autant cette pense se trouve habit par une
ncessit systmatique autant elle inscrit cette systmaticit dans un devenir. La dmarche hglienne devait
avant tout aborder le savoir dans son immdiatet c'est--dire, dans un contexte qui rvle une totalit encore
nave do commence cette qute. Cest en quelque sorte un retour limmdiatet que formule Hegel.
Jespre Bergame que vous nallez pas me faire payer pour ce long dveloppement. Je men excuse mais je crois
que je ne suis pas aussi prcis et bref que toi. Je reviendrai sur cette critique hglienne de Kant.
thianoumar
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Te faire payer ? Mais bien au contraire, Oumar, je loue la richesse de ton intervention et
tout le monde avec moi, j'en suis sr. Et puis j'attendais cette intervention, je dois te le
dire. Je me suis permis d'en changer la taille de caractres afin de la rendre plus lisible
toutefois, j'espre que tu ne m'en voudras pas.
Sur le fond, je dirais que ce que tu cris m'voque plusieurs choses.
Bon d'abord, c'est anecdotique, mais je n'aime pas trop l'ouvrage de Philonenko. J'ai le
sentiment qu'il est l'origine des interprtations "modernes" -je n'ose dire "librales",
mais le coeur y est- de Kant en France, celui en tous cas dont se prvalent Ferry et
Renaut. C'est anecdotique, mais c'est dj pour dire que, personnellement, et en tant
que ver de terre, ce n'est pourtant pas la ligne interprtatrice de Kant laquelle
j'adhre.
Je comprends la premire partie de ton expos comme -au moins en partie- une
dmonstration que je rsumerais comme suit :
1. L'entreprise de Kant n'est pas la rfutation de la mtaphysique, mais sa rnovation.
Autrement dit, Kant, dans son projet, ne renonce pas penser l'absolu.
2. La philosophie critique, dans le mme temps qu'elle pose la borne de la chose-en-soi,
en tant qu'objet. Qu'est-ce que la chose-en-soi, selon Kant ? C'est ce qui reste, c'est un
rsidu. Dire qu'au terme de l'opration, il reste un rsidu, est-ce le prsenter comme
objet pour la connaissance ? Possible, mais il faut alors que l'esprit s'y applique,
s'attache analyser, dissquer, comprendre. Et reste alors un nouveau rsidu. Et ainsi de
suite. A ce stade du process, qu'est-ce qui pourrait permettre de penser qu'un jour,
l'esprit humain pourra rendre compte de la totalit du rsidu ? Rien, ou bien la foi.
Dirons-nous : la Schwrmerei ?
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H les amis ! Ce n'tait peut-tre pas vident dans la forme, mais ce sont l des
questions, hein, adresses tous ceux qui veulent bien en discuter, d'ailleurs. :lut:
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03/09/2007
Une ide me frappe l'instant : Kant et Hegel sont deux penseurs de la pense, du
moins ils s'y essaient. Mais Kant est la fois un esprit scientifique et un esprit moral,
c'est un homme qui pense la pense en termes de limites. Et du reste, la discipline
extraordinaire avec laquelle il rgle son existence tmoigne suffisamment de sa
connaissance intime de la ncessit d'imposer des limites la pense.
En revanche, Hegel est un esprit qui semble avoir une absolue confiance en la pense.
Hegel est celui qui dit justement que la pense est sans limites, et qu'elle dpasse
successivement toutes les limites en les abolissant - commencer par les limites
empiriques, par le monde. Et je me rends brusquement compte qu'il n'y a pas d'thique,
chez Hegel. Il y a une philosophie du droit, oui, mais il n'y a pas de philosophie thique.
_________________
...que vont charmant masques et bergamasques...
Bergame
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