Régis Burnet L'Égypte Ancienne À Travers Les Papyrus

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L'GWTE ANCIENNE

TRAVERS

LES PAPYRUS
Vie quotidienne

Merci au professeurJean Gascou


pour ses suggestions
et merci mes premiers relecteurs.

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qui vous tiendra au courant de nos dernires publications.
2003 :ditions Flammarion, dpartement Pygmalion
ISBN 2-85704-810.6
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RGIS BURNET

,,,

L'EGYPTE ANCIENNE
TRAVERS

LES PAPYRUS
Vie quotidienne

Pygmalion

INTRODUCTION

Les textes que l'on va lire sont des rescaps. Par une conjonction unique de paramtres climatiques et de rsistance du support de l'criture - le papyrus-, ils se trouvent tre quasiment les
seuls crits originaux conservs de !'Antiquit. Les autres textes
ne proviennent que de copies, dont l'exemplaire le plus ancien
date souvent du Moyen ge ( l'exception du texte biblique) : par
exemple, pour les uvres de Platon, deux manuscrits du IXe sicle,
le Bodleianus 39 et le Paricinus 1807 ; pour le De Natura Rerum de
Lucrce, deux manuscrits galement du IXe sicle, les deux
Vossianus; pour la Politique d'Aristote, deux manuscrits encore plus
tardifs, le Parisinus Coislinianus 161 (XIV" sicle) et l' Ambrosianus
B 105 sup (XV' sicle).
Non seulement les originaux ont disparu, mais four texte
mme a rarement t transmis: seuls ceuxjugs dignes d'intrt
ont t reproduits ; autrement dit, les textes littraires majeurs.
Recopier un texte pour le sauvegarder constitue un investissement coteux en temps et en argent. Mme s'ils taient nombreux, s'ils y passaient leur vie et s'ils n'taient pas rcompenss sinon spirituellement-, on voit mal comment les moines copistes
frileusement encoigns dans leur scriptorium auraient pu recopier les quittances de loyer, les dclarations d'impts, les lettres
d'amour, les pense-btes des hommes de !'Antiquit!

Tout s'est donc vanoui. .. part les papyrus miraculeusement


prservs par la scheresse du climat dans les dserts d'gypte. Au
sein d'obscures provinces traverses par le Nil ou ses affluents, des
milliers de papyrus ont survcu au cours des sicles. Miraculs, ils
livrent la vie quotidienne de ces habitants dont les voix se sont
teintes depuis deux millnaires.
Comment parlaient les hommes de !'Antiquit? La plupart des
romanciers qui situent leur intrigue dans le lointain pass ne se
posent pas la question. Et que dire des films 1 Ou bien les personnages parlent avec l'hiratisme de la Phdre de Racine ou bien avec
la truculence du Gargantua de Rabelais. Et quel que soit le film,
Cloptre parle comme une actrice hollywoodienne. Cette anthologie ne se contente pas de rvler la vie quotidienne des habitants
de l'gypte grco-romaine : elle rvle que ni la componction ni le
dbraill ne caractrisent la manire antique.

1. -

PAPYRUS, PLOMB, PARCHEMIN, CIRE ET POTERIE

Ce miracle s'explique par l'extraordinaire rsistance d' yperus


papyrus, le papyrus nilotique, que les Grecs nommaient papyros ou
U:Jblos. Il pousse en abondance sur les bords du Nil, dans le Delta
et dans le Fayoum. Dans l'gypte ancienne, cette plante servait
tout : on la mangeait, on en faisait des objets usuels (paniers,
cordes, barques, etc.) et l'on s'en servait pour crire. On crasait
sa tige pour la rduire en fines lanires que l'on disposait plat en
les croisant et que l'on faisait scher. On obtenait alors une feuille
souple. Il suffisait de la poncer pour la rendre bien lisse, de tracer
ventuellement des lignes avec une mine de plomb et d'crire
avec un roseau taill en biseau, le calame, que l'on trempait dans
une encre faite de noir de charbon ou de substances animales
(comme l'encre de seiche). Le papyrus joua le rle de papier de
!'Antiquit; l'usage s'en rpandit dans le Bassin mditerranen
partir du ne millnaire avant notre re et ne cessa pas jusqu' la
conqute des Arabes : en prenant le contrle de l'gypte, ces derniers contriburent tarir les exportations. La Mditerrane et
l'Europe se tournrent alors vers d'autres supports: le dernier
papyrus papal date de 1057, et il semble dj archaque.
loign de l'humidit, le papyrus demeure quasiment indestructible. Il ne s'est conserv que dans les rgions extrmement
8

sches : les papyrus d'gypte ont t trouvs en majorit au


Fayoum et dans les zones arides du pays. Dans le Delta ou dans la
brillante capitale conomique, politique et culturelle de l'gypte
grco-romaine, Alexandrie, il pourrit. Aussi avons-nous perdu bon
nombre de documents qui auraient pu tre d'un intrt capital et
conservons-nous les archives d'obscurs fonctionnaires et de petits
paysans.
Le papyrus n'tait pas le seul support sur lequel on pouvait
crire dans l'gypte grco-romaine. On utilisait aussi le parchemin, confectionn partir d'une peau de bte non tanne, qui
fut invent en Perse et se rpandit en gypte partir du me et du
IV" sicle de notre re : beaucoup plus cher, il ne servait que pour
les textes officiels ou les textes littraires. Dans la vie quotidienne,
on utilisait des tessons de poterie que l'on nommait ost:raca (au
singulier : ostracon). Ramasss dans les dpotoirs, ils avaient le
mrite de ne rien coter, mais l'inconvnient d'tre de format
rduit et de surface irrgulire. Certains textes magiques taient
gravs sur des tablettes de plomb. Enfin, pour prendre des notes
ou pour les exercices scolaires, on utilisait la cire meuble : il suffisait de l'galiser aprs usage pour pouvoir indfiniment s'en
servir.

2. -

LES HRITIERS DE L'GYPTE DES PHARAONS

La conservation exceptionnelle des papyrus d'gypte s'explique donc par d'exceptionnelles conditions climatiques: seuls
les hasards de la mtorologie font que l'on connat avec autant
de prcision la vie de ceux qui demeuraient sur les bords du NiL
Qui sont ceux dont on va lire les crits?
l'poque que couvre cette anthologie (332 av. J.-C.-395
ap. J.-C.), les habitants de l'gypte sont en leur grande majorit
les successeurs des gyptiens de l'poque pharaonique: l'apport
culturel, racial, technique ou conomique des conqurants ne
modifie pas radicalement la physionomie du pays, l'exception
de quelques grandes villes. Les conditions gnrales de vie, l'agriculture, la religion voluent trs lentement et l'on retrouvera tout
au long de l'ouvrage des traits trs anciens, au point que ces
tmoignages d'une priode postrieure clairent souvent la vie
quotidienne de l'gypte des Pharaons.
9

Mais pas seulement. En gypte coexistent une multitude d' ethnies; qui ne se mlangrent que lentement. Vivant au milieu des
gyptiens de la campagne, on trouvait des habitants du monde
hellnis : Grecs, mais aussi Perses, habitants d'Asie Mineure, habi-

tants de la cte orientale de la Mditerrane, etc. Ils se mariaient


souvent avec des indignes et formrent un groupe intermdiaire,
les Grco-gyptiens. Dans les cits dites grecques habitaient
des Grecs de souche; ils formaient une sorte d'aristocratie grce
leur statut civique privilgi. Aprs la conqute romaine, on
rencontrait quelques rares Romains, surtout dans les hautes
fonctions militaires et dans l'entourage des prfets Alexandrie.
Il faut enfin mentionner les Juifs, prsents ds le V" sicle dans
la colonie juive d'lphantine, puis partir de l'poque ptolmaque, dans la campagne et Alexandrie.

3. -

GREC, COPTE, IATIN, HIROGLYPHIQUE OU DMOTIQUE

L'tude des papyrus rvle une trange surprise : la majorit


d'entre eux est crite en grec. Pourtant, jamais l'ensemble des
gyptiens ne parla grec : jusqu' la conqute arabe, ils parlaient
l'gyptien (en fait, de multiples dialectes), puis ils adoptrent un
dialecte de l'arabe. Pourquoi alors a-t-on rdig tant de papyrus
en grec?
Pour comprendre, il ne faut pas hsiter comparer le monde
mditerranen au monde actuel : une multitude de peuples, une
multitude de langues et le besoin vital de communiquer. Dans
cette configuration, tout naturellement, une langue s'impose,
rarement la plus simple, mais souvent celle du peuple conomiquement, culturellement ou politiquement dominant, Dans
!'Antiquit, le sumrien, le phnicien, l'aramen jourent ce rle,
et partir de la conqute d'Alexandre, ce fut le grec. Langa franca,
le grec qui s'imposa se dpouilla (comme il arrive souvent; c'est
d'ailleurs ce qui arrive de nos jours l'anglais) de la plupart de ses
traits dialectaux et se normalisa, en adoptant toutefois des
tours de phrase et des expressions propres aux locuteurs indignes. Plus d'attique, de dorique, d'ionien, mais simplement un
grec commun, le grec de la koin, de la communaut, qui
subit les influences de la Syrie, de l'Asie Mineure et surtout du
parler d'Alexandrie.
10

Le grec devint alors une langue vhiculaire. L'gyptien, que


l'on crivait sous deux.formes, le dmotique et le hiroglyphique,
perdura. Modifi, enrichi d'une terminologie grecque et crit
dans un alphabet inspir du grec, il se mtamorphosa en copte,
ou plus exactement en une multitude de dialectes coptes (comme
le sahidique, le bohairique, etc.). Mme au temps de l'occupation
grecque, on trouve des papyrus crits en hiroglyphes ou en
dmotique, et partir de l'occupation romaine, on trouve des
papyrus coptes. Cependant, le grec accapara l'crit: le hiroglyphique se voyait cantonn un usage religieux, le dmotique
quelques crits, et l'usage du copte crit ne se rpandit que tardivement, essentiellement dans l'glise. Il se trouve d'ailleurs
aujourd'hui encore en usage dans la petite minorit chrtienne
d'gypte.
La conqute romaine ne renversa pas la suprmatie du grec en
gypte : seuls quelques hauts fonctionnaires et quelques militaires parlaient le latin, qui ne parvint jamais concurrencer vraiment le grec et le copte. Dans cette socit trilingue, l'crit tait
le plus souvent dvolu au grec.

4. -

.,,
l

POURQUOI CETTE ANTHOLOGIE

On sait les Franais curieux d'gyptologie. Or, inexplicablement, ils semblent borner leur intrt la civilisation prcdant
la conqute d'Alexandre. Pour s'en convaincre, il suffit de visiter
le Louvre. Alors qu'un nombre considrable de salles du muse
ressuscitent l'gypte pharaonique, l'gypte lagide et l'gypte
romaine occupent quelques vitrines. Il y a fort parier que l'tat
des collections n'explique pas cette portion congrue, mais plutt
un choix dlibr des conservateurs qui entendent rpondre
l'attente d'un public avide de Ramss, de Touthmsis et autres
Toutankhamon et peu curieux de Ptolmes, de Brnice et autre
Trajan gyptianiss.
Il en va de mme pour les ouvrages sur cette autre gypte.
Alors que les Anglais et les Allemands ont depuis longtemps de
grandes et belles anthologies, rien n'existe en France, l'exception
notable du petit ouvrage dirig par Paul Schubert, remarquable
travail, hlas de dimensions modestes, paru dans des ditions
helvtiques confidentielles.
11

Pourtant, la dcouverte de textes grecs venus d'gypte n'a rien


de rcent. Le premier papyrus tre dit parut en 1788. Il appartenait au cardinal Stefano Borgia, qui l'avait achet un marchand
italien en voyage Gizeh. Il s'agit d'une liste d'habitants du village
de Ptolmas Hormou datant des environs de 192 ap. J.-C. 1
Suprme ironie, l'intrt europen pour la papyrologie
grecque naquit sous l'impulsion des Franais et de la fameuse
Expdition d'gypte, dont les rsultats - et les premires
reproductions ! - furent publis dans la monumentale Description
de l'gypte (1809-1812). En 1823,J.-A. Lettronne publiait une srie
de papyrus du muse du Louvre, Recherches pour servir l'histoire de
l'gypte pendant la domination des Grecs et des Romains, qu'il faisait
suivre par un Recueil des Inscriptions grecques et latines d'gypte,
demeur inachev par sa mort en 1848. Enfin, ne faut-il pas mentionner que la fameuse Pierre de Rosette (cf. n 3), qui fut le point
de dpart du dcryptage des hiroglyphes par Champollion, est
un document d'poque ptolmaque ?
Le dsintrt franais dcoule probablement de ce que la
France demeura largement trangre aux grandes dcouvertes
papyrologiques. La premire se fit en 1877 par l'arrive sur le march du Caire d'une formidable quantit de papyrus provenant de
Crocodilopolis, d'Hraclopolis et d'Hermoupolis. L'essentiel du
stock fut achet par le consul austro-hongrois pour l'archiduc
Rainer (70 000 papyrus!). L'apprenant, les Anglais diligentrent
des fouilles en gypte, qui tait leur protectorat. En 1883-84, Sir
Flinders Petrie fouilla Tanis dans le Delta, puis Hawara en 18881889 et Gurob en 1889-1890. De 1895-1896 1907, Bernard Pyne
Grenfell et Arthur Surridge Hunt, deux Anglais d'Oxford, fouillrent systmatiquement le Fayoum: Caranis, Oxyrhynchos,
Thadelphie, Tebtynis ... Par leur technique novatrice et la masse
de leurs publications, finances par I'Egypt Exploration Fund (qui
existe actuellement sous le nom d' Egypt Exploration Society), ils
peuvent tre considrs comme les pres de la papyrologie.
Vinrent ensuite les Amricains, qui financrent de nombreuses
fouilles et achetrent quantit de papyrus pour former de
grandes collections universitaires comme celle d'Ann Arbor (University ofMichigan), de New York, de Princeton, etc. L'Allemagne ne
fut pas en reste grce l' uvre magistrale d'Ulrich Wilcken qui
1. Il s'agit du SB 5124.

12

fouilla Hraclopolis et ralisa de nombreuses publications, dont


deux monumentales anthologies qui servent encore de rfrence :
Urkunden der Ptolemaerzeit ( Documents de l'poque ptolmaque, 1927) et Orundzge und Chrestomathie der Papyruskunde
(Traits caractristiques et chrestomathie [morceaux choisis] de
la documentation papyrologique , 1912, en collaboration avec
L. Mitteis; toutes les rfrences sont donnes en fin de volume).
Les Allemands fouillrent par la suite Tebtynis, Hermoupolis, lphantine, Philadelphie, Socnoponse, Narmouthis ... Un savant
allemand, Preisigke, fut galement l'origine d'une recension des
papyrus encore en cours, la Sammetbuch griechischer Urkunden aus
Agypten ( Collection des documents grecs d'gypte ), et d'un dictionnaire, le WorterlJUch der griechischer Urkunden ( Dictionnaire des
documents grecs ).
Ce dsintrt des Franais comporte d'autant plus d'injustice
que de nombreux chercheurs francophones prirent part la
grande aventure papyrologique, en particulier grce l'Institut
Franais d'Archologie Orientale (IFAO), dont l'un des directeurs,
P. Jouguet, donna une impulsion dcisive l'tude de l'gypte
grco-romaine. Les Franais fouillrent Tanis, Aphroditopolis,
Antinoupolis, Edfou ... Les Belges, quant eux, restent extrmement actifs grce un priodique, la Chronique d'gyp, et grce
la Fondation gyptologique Reine lisabeth, dans laquelle s'illustrrent Marcel Hombert et Claire Praux.

5. -

XYRHYNCHOS

Au cours de cette anthologie, un nom exotique reviendra souvent: celui de la ville d'Oxyrhynchos. D'o vient cette appellation
trange ? Probablement del' oxyrhynque, un poisson dont le nom
que lui donnaient les Grecs ( oxys = pointu , rhyncos = bec )
voque la forme gnrale. Il faut noter que 1' oxyrhynque des
Grecs est appel mormyre par les biologistes et que l'on nomme
aujourd'hui oxyrhynque un crustac.
Peu de villes de l'Antiquit sont aussi bien connues 1
qu'Oxyrhynchos. Rien ne l'y prdisposait en ralit: situe
1. Julian KRGER, Oxyrhynchos. Studien zur Topographie und Literaturrezeption,
Frankfurt am Main/Bern/New York/Paris, Peter Lang, Europische Hochschulschriften 3.441, 1990.

13

400 kilomtres d'Alexandrie, elle .n'avait rien de l'attraction de la


capitale, ou mme de villes secondaires comme Antinoupolis ou
Ptolmas. Elle constituait certes un point de passage dans l'oasis
du Fayoum et a peut-tre abrit la cohorte romaine III lturceorum,
mais elle ne formait qu'une ville de moindre importance, qui
n'tait que la modeste mtropole du 1ge nome de Basse gypte.
Elle connut tardivement une grande influence et compta jusqu'
30 000 habitants sous l'poque byzantine; c'tait alors un vch
important qui avait de nombreux monastres dans son diocse.
Ville moyenne, elle ne connut pas les grands vnements de
!'Histoire: en 4 ap.J.-C., on lui permit de recruter des archontes;
en 128, elle se construisit des thermes; en 120, Hadrien y fit une
courte halte, et en 200, Septime Svre lui fit visite ...
Sa vraie clbrit, Oxyrhynchos la doit aux nombreuses dcouvertes faites dans ses ruines par les archologues. Des milliers de
papyrus furent exhums par Grenfell et Hunt de l'Egypt
Exploration Fund, puis par les Italiens Pistelli (1910-1914) et
Breccia (1927-1928). Patiemment dits ou dcrits, ils sont rassembls depuis 1898 dans les Graeco-Roman Memoirs ,publis
par l'Egypt Exploration Society: en 2001 paraissait le tome 67, qui
contenait la publication du 4600e document ...
D'Oxyrhynchos, on sait presque tout et presque rien: on
connat ses temples ( Sarapis, Thoris, Apollon, aux
Dioscures, Hadrien, Csar, Cloptre ... ), ses archives, son
port, ses cinq portes, ses quartiers, ses marchs, ses gymnases, ses
portiques, ses odons, ses thtres, mais rien n'est conserv. La
ville a quasiment disparu, et gt, enruines informes, sous les sables.

LES LIMITES DE CETTE ANTHOLOGIE

Le lecteur commence le percevoir : les documents dcouverts en gypte forment une masse cyclopenne dans laquelle il
est souvent malais de se frayer un chemin. Il a pourtant fallu oprer un choix. On s'est tenu aux rgles suivantes :

1. Les documents sont en grec l'exception de deux documents


latins insrs dans un corpus en grec (n 83 et n 84).

2. Les documents ressortissent d'une priode couvrant la monarchie


lagi,de (332-30 av. J-C.) et la domination romaine jusqu' la mort de
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Thodose (30 av. J-C.-395 ap. J-C.). Si la limite ultrieure, 332


av. J.-C., se voit rarement discute, tant la conqute d'Alexandre
introduit de nombreux bouleversements en gypte, la limite postrieure, elle, pose de multiples questions, mme si elle est couramment utilise. Pourquoi 395 ap. J.-C. et non 30 av. J.-C. ? On peut en
effet arguer que la conqute romaine constitue un changement
majeur, et qu'il est abusif de voir une continuit entre l'emprise des
Grecs et l'emprise des Romains ; on a bien trop tendance parler
d'gypte grco-romaine et oublier que la priode couvre mille
ans d'histoire. Tout en reconnaissant le bien-fond de la critique
- qu'y a-t-il de commun entre la France de l'an mil et celle de l'an
deux mille ? -, on plaidera que les continuits sont plus grandes
que les diffrences et que la religion, l'administration, les activits
constituent de puissants facteurs de stabilit. Pourquoi 395 ap.J.-C.
et non 641 ap. J.-C., date de la conqute arabe ? L encore, on
cde l'habitude qui consiste voir dans le partage dfinitif de
l'Empire la fin d'un monde. Pour l'gypte, qui demeura dans
l'orbe de Byzance, le changement intervenait en ralit un peu
avant, lors de la christianisation de l'Empire : l'gypte constituait
dj un foyer de christianisme au sein de l'Empire romain et sa
culture se modifia en profondeur avec davantage de rapidit que
dans les autres parties du Bassin mditerranen.
3. Les documents sont plus suggestifs que reprsentatifs du corpus. Si
l'on voulait donner une image caractristique du corpus des crits
trouvs en gypte, il faudrait multiplier les baux, les reus de versement d'impts, les relevs cadastraux et les listes de noms :
l'crasante majorit de l'ensemble renferme des actes administratifs. Sans doute en serait-il de mme l'poque contemporaine, si
on dtournait au hasard un sac postal pour en examiner le
contenu : la correspondance administrative distance de loin les
lettres d'amour ! Ces rbarbatifs tmoignages constituent un matriau prcieux pour les historiens qui peuvent y suivre les alas de
l'conomie, de la dmographie et les rformes de la bureaucratie,
mais ne prsentent aucun agrment de lecture. Aussi a-t-on pris le
parti de privilgier les documents vocateurs, curieux, rares : eux
seuls permettent de donner de la vie quotidienne une image anime et surprenante.
En dpit des rgles qu'il se fixe, l'auteur de toute anthologie se
trouve tiraill entre deux objectifs : prsenter les grands textes
15

classiques et proposer ses propres dcouvertes. Celle-ci n'a pas


chapp au dilemme. En effet, il suffit de feuilleter les ouvrages
d'histoire traitant de l'gypte grco-romaine pour s'apercevoir
que beaucoup de textes reviennent. Soit qu'ils soient spcialement
reprsentatifs, soit qu'ils aient t comments avec une finesse particulire, ils servent de fondations l'difice de la recherche historique. Ce livre, tout en tant marqu par le hasard des lectures
et les gots de son auteur, tente de satisfaire le curieux voulant
dcouvrir un monde rescap et l'historien dsireux d'y retrouver
ses classiques .

GLOSSAIRE

Agoranome (ayopav6oc;) : chef


du march, magistrat charg de
la surveillance des marchs .
Ala : aile , corps auxiliaire de
la cavalerie romaine, en principe
recrut dans les provinces.
Anachorse (avaxropricrtc;): fuite,
abandon du lieu de travail ou de
rsidence.
Annone : approvisionnement de
Rome.
Apomo'ra (anooipa): taxe sur
les produits de la terre non craliers.
Archidicaste (apxitKacrTI\c;) : haut
fonctionnaire charg de la justice.
Archiphylacite (apxi<!>u.aKicr't'llc;) :
chef des gardes, chef de la
police d'un nome ou d'un village.
Aroure (<'ipoupa): mesure de
superficie gyptienne estime
2 756 m 2, soit environ la moiti
d'un terrain de football.
Artabe (ap'ta~ri) : mesure de

17

capacit pour des produits secs.


Une artabe mesurait entre 20 et
40 litres. On estime qu'une personne pouvait vivre avec 10 artabes
de bl par an.
Athlophore (a0.o<j>6poc;) : porteuse de lance, prtresse du
culte des reines Alexandrie.
Basilicogrammate (~acrt.tKoc; ypaa'teuc;) : scribe royal , un fonctionnaire charg des finances .et
de l'administration du nome. Le
nom perdurera sous l'occupation
romaine, mme s'il n'y avait plus
de rois.
Boul (~O'U.)) : conseil munic:>ipal d'une cit. Ses membres taient
nomms les bouleutes.
Byssus (~ucrcroc;) : coteux tissu
de lin teint par le coquillage du
mme nom.
Cmsareum: temple ddi aux
Empereurs, qui abritait souvent
des crmonies publiques.

Canphore (1wvri<Jiopoc;) : porteuse de corbeille, prtresse du


culte des reines Alexandrie.
Catque (KchotKO) : ancien
militaire possesseur d'une terre
catcique. Les catques remplacent les clrouques partir du
n sicle av. J.-C. et semblent avoir
possd des terres plus rduites.
Centurion: grade de l'arme
romaine. Le centurion commandait en principe une centurie de
100 hommes.
Choachyte (xoaxu'tric;) : prtre
charg du culte des morts et de la

surveillance des tombeaux.


Chra (xropa) : la campagne ,
c'est--dire le reste de l'gypte
pour les Alexandrins.
Chous (xou, pl. chos, xoc;) :
mesure de capacit valant environ
3 1.
Chrmatiste (xpriancnitc;) : les
chrmatistes sigeaient au tribunal des affaires des Crees.
Clrouque (K.flpoiJXoc;) : ancien
militaire possesseur d'une clrouquie. partir du ne sicle av. J.-C.,
les clrouques se dnomment
catques.
Clrouquie (K.fjpo) : terre distribue par le roi ses soldats comme
rcompense pour services rendus.
Cmarque (Kroapxoc;) : chef de
village, plus ou moins le maire.
Cmogrammate (Krooypaa'tU): scribe de village, le plus
petit rouage de l'administration
de l'gypte. Pour une description
des comptences du cmogrammate Menchs, cf. chapitre VI.
Copte : langue parle en gypte
partir du r sicle de notre re.
Cosmte (Koari'tftc;) : ordonnateur , fonction municipale. Le

18

cosmte tait charg de surveiller


l'application des rglements du
gymnase, mais devait galement
organiser ses frais certaines festivits municipales.
Cotyle (KO'tV.a) : mesure de
capacit pour les liquides valant
un quart de litre.
Denier: unit montaire romaine valant environ un ttradrachme (= 4 drachmes).
Diadoque (taoxoc;) : successeur, nom donn aux successeurs
d'Alexandre le Grand (dont Ptolme Lagos qui chut l'gypte).
Dicte (totKfl'tft) : fonctionnaire royal de la cour charg de
l'administration conomique de
l'gypte.
Dra (ropea) : vaste clrouquie
prte par le roi ses courtisans,
ses gnraux ou ses hauts fonctionnaires. Dionysios, le patron
de Znon, possdait une dra de
10 000 aroures .Philadelphie (cf.
chapitre V).
Drachme (paxit): 1) Mesure
de poids valant environ 3,5 kg.
2) Unit montaire grecque qui
resta en usage dans l'Orient mditerranen pendant la domination
romaine. Souvent abrg dans les
papyrus (et rendu dans l'abrviation par dr. ).
Enteuxis (v'teul;tc;, pl. enteuxeis,
v'teul;et) : plainte crite adresse au roi ou un fonctionnaire.
picrisis (niKptcrtc;): examen,
examen d'admission un statut
particulier, civil ou militaire.
pimlte (mE.fl'tft) : surveillant, titre recouvrant des
fonctions varies de direction.
pistate (mcr'ta'tft) : chef,

Obole (o~oM) : unit montaire valant 1/6 ou 1/7 de


drachme. Souvent abrg dans les
papyrus (et rendu dans l'abrviation par ob. ).
Ostracon (OO"'tPXKOV, pl. ostraca) :
tesson de poterie servant crire.
Paradis (napaetcro): mot d'origine perse qui dsigne un grand
jardin souvent la pointe des
techniques agronomiques.
Pastophore (nacr'tp<j>opo) : prtre
charg de porter les statues des
dieux en procession.
Pdagogue (nmayroyo) : esclave
charg d'accompagner un enfant
ses tudes.
Pdotribe (1tato'tpt~1'\) : matre
de gymnastique.
Perse de l 'pigon (11p0"1'\ 't'J
1tt'YOV'J) : d'ascendance perse .
Statut juridique particulier qui
ne semble pas avoir de sens ethnique.
Phylacite (<jluaKi't'l'\) : gendarme, policier.
Prfet (Prcefectus .IEgypti et
Alexandrice, ]yeffiv, fmpxo) :
prfet de l'gypte et d'Alexandrie, gouverneur de l'gypte
l'poque romaine.
Schne (crxovo) : unit de
mesure valant 100 coudes, soit
52,5 mtres.
Serapeum ~epanetov) : temple
au dieu Srapis (cf. chapitre XI).
Sitologue (crt'tOyo) : fonctionnaire en charge des greniers
locaux et de la collecte du bl.
Speculator: haut grad de l'arme romaine.
Statre (cr'tmJp) : unit montaire valant quatre drachmes.
Appel parfois ttradrachme.

surveillant , Titre genenque


valable pour plusieurs chelons de
1' administration.
ponyme : qui donne son
nom , dsigne le prtre en fonction Alexandrie qui donne son
nom l'anne.
Euthniarque (euOrivtapx11) : magistrat charg des moulins et des
boulangeries.
Exgte (ES'l'\'Y'l'\'tJ) : fonction
municipale. L'exgte prside le
collge des magistrats de l'anne.
Gymnasiarque (yuvacriapxo) :
magistrat charg du fonctionnement du gymnase municipal.
Fonction trs honorifique.
Hipparque (innapxo) : chef de
cavalerie.
Kramion (Kepcitov, pl. kramia) : mesure de liquide de capacit variable.
Koin (Kotv~) : grec normalis
parl dans le Bassin mditerranen.
Laog;raphie (A,aoypa<jlia) : liste
du peuple, tat civil servant de
base l'impt.
Mtrte (e'tP'l'\'tJ<;) : mesure de
liquide valant environ 18 litres.
Mtropole (1'\'tP01tOt) : capitale
d'un nome.
Naubion (vau~tov, pl. naubia) :
unit de capacit valant 1,34 m 3
Nome (voo): division administrative et gographique. Plus ou
moins une province.
Nome arsinote: l'un des nomes
du Fayoum. Il tait divis en trois
districts: le district d'Hraclide,
celui de Thmistos et celui de
Polmn. Tebtynis, Kerkosiris et
Oxyrhynchos faisaient partie du
nome arsinote et dpendaient du
district de Polmn.

19

Stathmos (<nt06) : logement


rquisitionn pour les militaires.
Le chef des rquisitions est le
stathmouque.
Stolistes (o"tO.tcrtJ) : prtres chargs de la crmonie de l'habillement des statues des dieux.
Stratge (cr-rpa't1']y6) : au dbut,
gouverneur militaire d'un nome.
Par la suite, haut fonctionnaire du
nome.
Talent (-ra.o:v'tOv) : unit montaire valant 6 000 drachmes.
Ttradrachme ('te-rpa>po:xo) :

quatre drachmes . Unit montaire valant 4 drachmes.


Thbade (01']~o:t) : rgion entourant la ville de Thbes (la
moderne Louqsor).
Tholos (06.o) : rotonde dans des
thermes ou temple de forme ronde.
Toparchie ('t01tapxia) : division administrative du nome. La toparchie
est administre par le toparque.
Xnia (evio:) : cadeau d'hospitalit offert un dignitaire en
voyage. En fait, une forme de prlvement obligatoire.

NOTES

1. -

NOTES SUR LES TEXTES

1. Tous les textes sont publis ici dans une traduction originale, sauf exception signale.
2. Cette anthologie n'est pas un travail d'dition: aucun des
textes n'est indit, mme si rares sont les textes publis en franais ou tout simplement traduits. Les textes sont habituellement
reprs par leur numro d'dition et quelquefois par leur rang
dans quelques grandes anthologies. Le sens des abrviations
(habituelles) est rcapitul en fin de volume. Pour des cas trs
exceptionnels, on a donn le numro d'inventaire de muses ou
de bibliothques.
3. Par dfaut, les textes prsents se trouvent ~onservs sur
des papyrus: lorsque tel n'est pas le cas, la description indique le
support.
4. Pour la translittration des noms propres, les quivalents
familiers au lecteur franais ont t privilgis: Ptolme et
non Ptolemaios , Socnoponse et non Socnopaos
Nsos .Ainsi, le plus souvent l'upsilon est rendu par un y, selon
l'ancienne coutume, le kappa par un cou par un k, le chi par ch.

21

2. -

LES EMPEREURS ROMAINS

Les titres des empereurs romains ont t restitus en latin. Nor.


seulement les termes employs s'loignent peu du franais, mais
en outre l'usage du latin permet d'indiquer qu'il s'agit bien d'un
titre et non d'une qualit relle ... Par exemple, l'empereur
Commode (180-192), familier des spectateurs du film Gladiator, se
dsignait ainsi: Imperator Ccesar Marcus Aurelius Commodus
Antoninus Augustus Felix Pius Armeniacus Medicus Parthicus
Sarmaticus Germanicus Britannicus Maximus. Son nom personnel
tait Marcus Aurelius Commodus, de la famille des Antonins. Ses
titres impriaux taient Imperator (Gnral en chef puis
empereur), Ccesar (Csar, du nom de l'illustre gnral de
la Rpublique), Augustus (Auguste, qui n'est pas un prnom
mais une fonction). Venaient ensuite ses qualits : Felix
( Bienheureux ), Pius ( Pieux ), Maximus ( le Grand ). De
ronflantes pithtes censes clbrer des victoires parfois simplement espres le glorifient enfin: Armeniacus (!'Armnien ),
Medicus ( le Mde ), Parthicus ( le Parthe ), Sarmaticus ( le
Sarmate ), Germanicus ( le Germanique ), Britannicus ( le
Britannique ).

22

3. -

LES TRAVAUX ET LES JOURS

Les mois sont dsigns par leur nom grec ou par leur nom gyptien
Mois dans le
calendrier
grgorien
( quelques
semaines prs... )
Septembre

Mois dans le
calendrier
gyptien

Mois dans le
calendrier
macdonien

Nom
honorifique
des mois
sous les
Romains

Thth (0ro0)
(1er Thth,
dbut de l'anne)

Dios

Octobre

Pha~hi

Apellaos

Sbastos
(Augustus)
puis Germanicus
Domitianos

Novembre

(<l>aroqn.)
Hathyr
(1\0up)

Aydnaos

Dcembre

Choac
(Xoim:)

Pritios

Janvier
Fvrier
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Aot

Tybi (Tu~t)
Dystros
Mchir (Mexeip)
Xandicos
Phamnth (<l>aevro0) Artmisios
Pharmouthi (<l>apou0t)
Dasios
Pchon (ITaxrov)
Pamenos
Payni (Ilauvi)
Los
piph ('Enei<j>)
Gorpiaos
Msor (Mecropfl)
Hyperbrtaos

Nos
Sbasts
(Novus Augustus)
Ioulies
(Julius) puis
Nerneos Sebastos
(Nron Augustus)
puis Hadrianos

Germanikeos
Sterios (Sauveur)
Drousieys
Casarios

Travaux

Maximum de la crue, dbut de la dcrue.


Achvement des vendanges. Cueillette des
dattes.
Fin de la crue. Dbut des semailles.
Ramassage des olives. Cueillette des dattes.
Poursuite des semailles. Dbut des hersages.
Ramassage des olives.
Poursuite des hersages.
Ramassage des olives.

Fin des olives.


Dbut des prparatifs_p_our la moisson.
Suite des prparatifs.
Dbut de la moisson.
Suite de la moisson, dbut du battage.
Dbut de la crue. Fin des moissons. Battage.
Dbut de la crue. Fin du battage.
Crue du Nil. Dbut des vendanges.

4. - L'ADMINISTRATION IAGIDE
L'administration lagide est pyramidale, et compte quatre
niveaux. Au sommet, le roi, assist d'une srie de services: l'administration judiciaire dirige par un archidicaste, la chancellerie
dirige par l'hypomnmatographe et les finances, diriges par le
dicte. Ensuite, au niveau d'un nome (la division administrative), le stratge, assist d'un basilicogrammate (scribe royal) et
d'un nomarque (chef de nome). Le no marque dirige les services :
les finances, gouvernes par un pimlte ou un conome, la
police, domaine de l'pistate des phylacites, et la justice, dirige
par l' pistate. Ensuite, au niveau de la toparchie, le toparque, au
rle mal connu. Enfin, au niveau du village, le cmarque, sorte de
maire du village, associ au cmogrammate (scribe de village), le
plus petit des fonctionnaires royaux (cf. chapitre VI).

Royaume
Roi
Finances
Dicte

Chancellerie
Hypomnmatographe

Justice
Archidicaste
Nome
Stratge

Nomarque

Finances
conome

i--------1---iBasilicogrammate

Police pistate
des Phylacites

Justice
pistate

Toparchie
Toparque
Village
Cmarque
Cmogrammate

24

5. -

LES SOUVERAINS D'GYPTE ET LES GRANDS VNEMENTS

poque de la conqute de l'gypte


Fondation d'Alexandrie.
la mort d'Alexandre, partage de
son Empire.

332-331 av. J.-C. : Alexandre en


gypte
323 : Mort d'Alexandre.
323-317 : Rgence de Philippe
Arrhide
321: Ptolme Lagos transforme sa
satrapie en monarchie hrditaire.

poque ptolmaque (305-31 av.J.-C.)


305-284 : Ptolme Jer Str
284-246 : Ptolme II Philadelphe

284 : divinisation de Ptolme 1'.


Premires traductions en grec de la
Bible Alexandrie (Septante).
271 : premire divinisation du couple
royal.
275~272 et 261-252 : 1re et 2 guerres
de Syrie.
270-246 : guerre de Cyrnaque.

246-222 : Ptolme III vergte

245-240 : 3 guerre de Syrie.


Dcret de Canope qui se concilie le
clerg gyptien.

222-204 : Ptolme IV Philopatr

222-205 : 4 guerre de Syrie.


217 : victoire de Raphia.

204-180: Ptolme V piphane

207-186 : scession de la Thbade.


201-198: 5 guerre syrienne (qui se
solde par une victoire sleucide)~
170 : Antiochos IV envahit l'gypte.
Division du royaume.

180-145 : Ptolme VI Philomtr

164-163: Ptolme VI est expuls du


trne par le futur Ptolme VIII.

145 : Ptolme VII Eupatr


145-115: Ptolme VIII
vergte II Physcn

131-124 : guerre civile entre les


deux femmes de Ptolme VIII :
Cloptre II et sa fille Cloptre III.

115-107: Ptolme IX Str Lathyros 110-108: le futur Ptolme X .remplace Ptolme IX.
25

107-80 : Ptolme X Alexandre Jer


80 : Ptolme XI Alexandre II
80-58: Ptolme XII Nos Dionysos Aulte
58-55 : Brnice IV rgne
conjointement avec Cloptre VI
Tryphaina.
55-51 : Ptolme XII Nos
Dionysos Aulte (restaur)
51-47 : Ptolme XIII

51-31 : rgne effectif de Cloptre VII


Tha Philopatr.

47-44: Ptolme XIV

52 : Jules Csar en gypte.


48 : assassinat de Pompe en gypte.
52-44 : liaison de Cloptre avec Csar.
4 7 : premier incendie de la Bibliothque d'Alexandrie.

44-30 : Ptolme XV Csarion

41-31: liaison de Cloptre avec Antoine.


31: dfaite d'Antoine Actium

poque romaine (30 av. J.-C.-395 ap. J.-C.)


Dynastiejudo-claudienne (27 av.J.-C.-68 ap.J.-C.)
30 av. J.-C. : conqute de l'gypte par Octave.
27 av. J.-C. : Octave reoit le titre d'Auguste,
dbut du Principat d'Auguste.
14-37: Tibre

19 : visite de Germanicus en gypte.

37-41 : Caligula

t 38 : massacre des Juifs Alexandrie ; ambassade des Juifs alexandrins


Rome.

41-54: Claude

41: rponse de Claude la crise


alexandrine.

54-68: Nron

Empereurs de la guerre civile (68-69)


68: Galba, assassin le 15 jan. 69
69 : Othon, se suicide le 14 avr. 69
69 : Vitellius, assassin en juin 69

26

F/,aviens (69-96)
69-79 : Vespasien

70: prise de Jrusalem par les


Romains et destruction du TerrpJ.e.

79-81 : Titus
81-96: Domitien

Antonins (96-192)
96-98 : Nerva
98-117 : Trajan

117-138: Hadrien

138-161 : Antonin le Pieux


161-180 : Marc Aurle
180-192: Commode

115-117 : guerres juives qui font


quasiment disp~ratre les communauts juives d'Egypte.
130: voyage en gypte d'Hadrien;
noyade de son favori Antinos ; fondation d'Antinoupolis (Antino).
167-174: rvolte des boukoloi:

Svres (192-235)
193 : Pertinax
193-211 : Septime Svre

199 : voyage de Septime Svre en


Egypte.

211-217: Caracalla

215 : troubles Alexandrie et visite


de Caracalla.
217 : dit de Caracalla qui donne le
droit de cit tous les habitants de
l'Empire.

217-218 : Macrin
218-222 : Hliogabale
222-235 : Alexandre Svre

Anarchie militaire (235-284)


270 : Claude Il le Gothique ; 270-275 :
Aurlien ; 275-276 : Florien ; 276 :
Tacite ; 276-282 : Probus ; 282-283 :
Carus ; 283-285 : Carin ; Numrien.
251: perscution de Dce contre
les chrtiens.
270-298 : guerres et invasions des
Palmyrniens et des Blemmyes.

Les empereurs phmres se succdent, la plupart ne gouvernent pas


l'Empire en entier. 235-238 : Maximin Ier ; 238 : Gordien Ier, Balbin, Pupien, Gordien II ; 238-244 : Gordien III ; 244-249 : Philippe l'Arabe ;
249-251: Dce; 251-253: Gallus; 253260 :Valrien ; 260-268 : Gallien ; 26827

Empereurs des guerres civiles (285-395)


285-305 : Diocltien, division de l'Empire
entre deux C;esar et deux Augustus (ttrarchie).
305-337 : Constantin, rtablit
peu peu l'unit de l'Empire.

313: dit de Milan.

337-340: Constantin II
340-361 : Constant Jer et Constance II
rgnent conjointement.
361-363 :Julien l'Apostat
363-364: Jovien Jr
364-375 : Valentinien Jr

375-379: Valentinien II
379-395: Thodose

391-392: dits de Thodose qui font


du christianisme la religion officielle
de l'Empire. Destruction de la statue
du Serapeum d'Alexandrie.
395 : partage dfinitif de l'Empire
entre Honorius et Arcadius.

La toile de fond des papyrus


l'automne 332 av.J.-C., Alexandre le Grand conquit l'gypte.
vrai dire, ce fut une prise facile, rapide comme une charge de
cavalerie. Le glorieux royaume, qui pouvait s'enorgueillir d'une
histoire vieille de plus de deux mille ans, n'tait dj plus que
l'ombre de lui-mme. Il avait t soumis par Assourbanipal, roi de
Babylone, puis par Cambyse, roi des Perses ... Le Macdonien fut
reu comme un librateur et n'eut pas combattre Mazacs, le
satrape perse qui gouvernait le pays.
Sitt install, le conqurant se mit l'uvre. Averti par un
songe ou, plus prosaquement, conseill par son sens de la stratgie, il jeta les plans d'une cit qui porterait son nom: Alexandrie,
s'tendant entre la terre et la mer, entre la cte gyptienne et l'le
de Pharos, que l'on relia bientt par l'Heptastade, une chausse
artificielle longue de prs d'un kilomtre. Puis il est Siwa, une
28

oasis en plein dsert o s'levait un temple au dieu Ammon


clbre pour ses oracles. La tradition, rapporte par Diodore de
Sicile (t v. 10 ap. J.-C.), raconte qu'il y fut salu du titre de Fils
de Zeus:
Alexandre fut introduit par les prtres l'intrieur du temple
et se recueillit devant le dieu. Le prophte, un vieillard, s'avana
alors vers lui. - "Salut" - dit-il - " mon fils ! Et reois cette salutation
comme venant du dieu." Alexandre prit la parole et dit: - "Oui, j'accepte ton oracle, mon Pre. A l'avenir, on m'appellera ton Fils.
Mais me donnes-tu l'empire de la terre entire?" Le prtre s'avana
alors vers l'enceinte sacre et les porteurs du dieu s'branlrent. Par
certains signes convenus, le prophte proclama alors que le dieu lui
accordait fermement ce qu'il demandait 1

Sans doute le prtre qui allait sa rencontre ne faisait-il qu'entriner la situation politique de son pays : Alexandre tait le successeur des pharaons et l'on appelait le pharaon Fils de Dieu ,
Mais le Grec prit l'expression au pied de la lettre, peut-tre par
orgueil, peut-tre par calcul politique. De retour de Siwa, il abandonna les coutumes un tantinet grossires et provinciales de la
cour de Macdoine: dsormais, il n'tait plus ce gnral en chef
que ses compagnons apostrophaient familirement, son pouvoir
avait une origine divine.
Alexandre ne demeura pas longtemps en gypte : il poursuivit
son rve d'Orient et mourut Babylone en juin 323. Aucun hritier ne pouvait lui succder : son demi-frre, Philippe Arrhide,
tait moiti idiot et son fils Alexandre, n de la belle Persane
Roxane, vint au monde deux mois aprs la mort de son pre. Ses
gnraux, nomms diadoques, successeurs, se partagrent son
empire: Ptolme, fils de Lagos, reut l'gypte.
Trs vite, le nouveau matre de l'gypte consolida son pouvoir en annexant la Cyrnaque, en drobant la dpouille
d'Alexandre, qui dormit au cur d'Alexandrie, dans le Sma, le
Tombeau et en djouant les tentatives d'envahir l'gypte des
diadoques ses rivaux, Cassandre de Macdoine, Lysimaque de
Thrace, Antigone d'Asie et Sleucos de Babylonie. Par des
mariages - Lysimaque pousa sa fille Arsino - et des combats, il
russit protger le pays par ses possessions assurant un double
dispositif dfensif: une premire ceinture troitement contrle,
1.

DIODORE DE SICILE,

Bibliothque historique, XVII, 51, 1-2; trad. de

P. Goukowsky.

29

forme de Chypre, la Cyrnaque, la Phnicie et le sud de la Syrie,


et une seconde ceinture d'allis, forme des les de la mer ge
et de comptoirs sur les ctes d'Asie Mineure.
Prenant le titre de Str, Sauveur, Ptolme Ier mit en place
un culte en l'honneur d'Alexandre devenu dieu et favorisa
l'mergence d'une divinit nationale, Srapis, qui empruntait
ses traits aussi bien la religion grecque qu' la 'religion gyptienne. Dans la ligne du Conqurant, il organisa un culte autour
de sa personne, en se glissant dans les habits du pharaon, dont il
emprunta les attributs, les prrogatives et les pouvoirs. Sa dynastie, appele lagide , du nom de son pre, gouverna l'gypte
jusqu'en 31 av.J.-C.

6. -

L'GWTE SOUS LES LAGIDES

Si Ptolme Jer Str fondait une nouvelle dynastie, ce furent


ses descendants, Ptolme II (284-246 av. J.-C.) et Ptolme III
(246-222 av. J.-C.), qui donnrent la monarchie lagide sa plus
grande extension.
L'un et l'autre furent aux prises avec des difficults extrieures
venues de deux cts : la Syrie des. Sleucides et la Cyrnaque,
leur possession. Les guerres de Syrie avaient pour cause la rivalit
entre les deux plus puissants successeurs d'Alexandre. Si la premire guerre de Syrie (275-272 av.J.-C.) se solda par une victoire
de l'gypte, la deuxime guerre de Syrie (261-252 av.J.-C.) vit la
dfaite du Lagide qui se rsolut perdre ses possessions d'Asie
Mineure, tandis que la troisime guerre de Syrie (245-240 av.J.-C.),
aprs d'indniables succs militaires gyptiens, se conclut par un
trait de statu quo : Ptolme II y gagna le surnom d' vergte
( Bienfaiteur ). Les guerres de Cyrnaque, elles, sanctionnent
la politique d'indpendance de cette colonie et la trahison d'un
fils de Ptolme Jer, Magas, et de sa femme Apama. Magas proclama l'indpendance de son royaume en 274 av.J.-C.: malgr les
tentatives de Ptolme II, la Cyrnaque ne revint dans le giron de
l'gypte qu'au prix d'une guerre de reconqute, aprs la mort de
Magas et de Ptolme, en 250-246 av. J.-C.
Ptolme II et Ptolme III accenturent la continuit avec la
monarchie pharaonique en pratiquant l'inceste et en intensifiant
le caractre divin de leur pouvoir. Aprs la mort de Lysimaque,

30

Arsino, la sur de Ptolme II, revint en gypte et obtint de son


frre la rpudiation de sa femme, nomme elle aussi Arsino.
Devenant reine d'gypte, Arsino II partagea galement le lit de
son frre, dnomm depuis lors Philadelphe, qui aime sa sur ,
Quant Ptolme III, il pousa la fille de son oncle Magas,
Brnice II. Ptolme II fit diviniser son pre Ptolme Jr et sa
mre Brnice Jr sous le nom de Thoi Stres, Dieux Sauveurs,
Puis, ds 271 av.J.-C., il se fit rendre un culte, en association avec sa
femme Arsino II : divinis de son vivant, le couple royal porta le
nom de Thoi Adelphoi, Dieux Frre et Sur .Arsino II, qui mourut en 270 av. J.-C., fut ensuite assimile Aphrodite. Ptolme III
et Brnice II, leur tour, furent adors comme les Dieux vergtes.
Le successeur de Ptolme III, Ptolme IV Philopatr, qui
aime son pre (222-204 av. J.-C.), n'avait pas la rputation de
celui qu'il tait cens aimer : connu comme dbauch et pote
amateur, il passa sa vie dans les plaisirs une notable exception,
la quatrime guerre syrienne. En juin 217 av. J.-C., Raphia,
Ptolme IV remporta une grande victoire sur le Sleucide
Antiochos III. Il put ainsi reconqurir la Syrie du Sud et la
Phnicie que ce dernier lui avait prise.
Le rgne fut surtout marqu par le dclin de la puissance royale
et par des rvoltes indignes : la mauvaise rputation du roi, ainsi
que son dsintrt pour les affaires, qui laissait le champ libre ses
fonctionnaires, accrurent une crise sociale qui alla en s'amplifiant
Ptolme V piphane, Dieu manifest (204-180 av. J.-C.),
passa son rgne calmer cette agitation populaire. Usant tantt
de la force, tantt de la diplomatie, il crasa les rvoltes, mais
donna des gages au clerg gyptien: en 197, il se fit couronner
pharaon et allgea les charges pesant sur les temples. Si son
habile politique lui permit de reprendre le contrle de son pays,
elle ne parvint pas combattre l'affaiblissement de sa politique
extrieure: la cinquime guerre syrienne (201-198 av. J.-C.) se
solda par la perte de la Phnicie (200 av.J.-C.), puis par celle de la
Syrie (198 av.J.-C.). Rompant avec la :rratique des mariages endogames de ses prdcesseurs, Ptolme V pousa Cloptre Jr, la
fille d'Antiochos III.
Le dclin amorc sous Ptolme III s'accentua encore la
mort, prmature, de Ptolme V et surtout aprs la disparition
de la rgente Cloptre Jr (181-172 av. J.-C.). En 170 av. J.-C., le
roi de Syrie Antiochos IV piphane envahit l'gypte. Le royaume

31

fut partag entre les deux fils de Ptolme V, Ptolme VI


Philomtr ( qui aime sa mre ), qui rgnait sur Memphis, et
Ptolme VIII Philopatr ( qui aime son pre ), qui rgnait sur
Alexandrie. Pour sortir de la crise, Ptolme VI prit une dcision
bnfique dans l'immdiat, mais qui se rvla dsastreuse pour
l'indpendance du pays : il alla rclamer Rome, la nouvelle puissance montante, un arbitrage. Rome intervint pour chasser le
Sleucide en 164 av. J.-C. et divisa le royaume en deux:
Philomtr l'gypte et vergte II la Cyrnaque et Chypre.
Roi de 180 145 av. J.-C., Ptolme VI mourut en laissant le
royaume son frre : son fils Ptolme VII Eupatt fut assassin par
son oncle qui devint roi sous le nom de Ptolme VIII Philopatr
vergte II, surnomm Physcn, le ventripotent. Physcnjeta le
pays dans les troubles : ayant pous sa sur Cloptre Il, qui avait
dj t marie Ptolme VI, il convola en secondes noces avec la
fille de celle-ci, Cloptre Ill. La mre et la fille se dtestaient cordialement: en 131 av.J.-C., Cloptre II profita d'un soulvement
Alexandrie pour chasser son mari et sa fille. La guerre civile commena, elle ne s'acheva qu'en 124 av.J.-C.
Calamiteuxjusqu'aprs sa mort, Physcn laissa en 116 av.J.-C. un
testament qui partageait le royaume en deux : Ptolme Apion,
le fils qu'il avait eu de sa concubine Irne, il lguait la Cyrnaque; Cloptre III revenait l'gypte. Ptolme Apion lgua
son tour sa possession Rome en 96 av. J.-C. Cloptre III rgna
sur l'gypte en s'ingniant conserver la rgence : aprs que son
fils Ptolme IX Str II (surnomm Lathyros, pois chiche) fut
devenu grand, elle le remplaa en 107 par Ptolme X Alexandre.
Lorsqu'elle mourut en 101 av.J.-C., ce dernier rgna jusqu' son
assassinat en 88 av. J.-C. Il fut alors remplac par Str II, toujours
vivant, qui laissa le trne son fils Ptolme XI Alexandre II en
80 av. J.-C. : ce dernier ne l'occupa que quelques mois. En effet,
ayant fait assassiner sa cousine Brnice III qu'il venait d'pouser,
il fut supprim son tour par les partisans de sa victime.
Mourant sans hritier, Alexandre II laissait la dynastie lagide sans
hritier lgitime. Prenant l'ascendant sur ses monarques en cette
priode trouble, la foule d'Alexandrie dsigna le nouveau roi :
Ptolme XII Thos Philopatr Philadelphe Nos Dionysos, le Dieu qui
aime son pre, qui aime sa sur, qui est le Nouveau Dionysos,
un btard de Str II qui l'on donnait des surnoms moins
ronflants: Nothos, btard ou Aulte, fltiste. Ptolme XII

32

n'avait aucune lgitimit; pour conserver son pouvoir, il se rsolut devenir la crature des Romains : il acheta tour tour
Pompe puis Csar. Dpos en 58 av. J.-C., il dilapida sa fortune
pour corrompre le Snat, allant mme jusqu' promettre le poste
lev de dicte [ministre des finances] son crancier Rabirius
Postumus et payer largement le proconsul de Syrie pour qu'il le
rtablisse sur son trne.
En 51 av. J.-C., Aulte lguait par testament son royaume sa
fille Cloptre VII et son fils Ptolme XIII pour qu'ils deviennent le nouveau couple royal. Cette Cloptre VII est la fameuse
reine d'gypte qui fit rver Pascal et dont de nombreux pplums
immortalisrent la lgendaire beaut et les fastes troublants.
Pour l'heure, elle se disputait le royaume avec son frre et surtout ses conseillers, Achillas, Thodote et Pothin l'eunuque. En
48 av. J.-C., les trois compres parviennent chasser Cloptre et
dcident d'assassiner Pompe, le vaincu de Pharsale venu chercher refuge auprs de ses allis, afin de plaire Csar, le nouveau
matre de Rome. Csar n'a pas la raction attendue: il s'installe
au palais royal, devient l'amant de Cloptre et finit par conqurir l'gypte en 47 av.J.-C.
Cloptre a un fils de Csar, Csarion, qu'elle vient prsenter
Rome en 46 av. J.-C. ; aprs l'assassinat de Csar en 44 av. J.-C.,
elle fit monter Csarion sur le trne d'gypte.
Aprs Csar, elle choisit Antoine pour protger son royaume.
En 41 av. J.-C., elle se rendit Tarse dans un quipage demeur
fameux pour sduire le triumvir romain. Celui-ci succombe son
charme. Il la revit en gypte en 34 av. J.-C., o, sous sa protection,
elle se fit proclamer reine avec son fils Csarion au Gymnase
d'Alexandrie. Octave, le futur Auguste, inquiet pour son pouvoir,
dclara alors la guerre l'gypte : elle se solda en 31 av. J.-C. par
la bataille d'Actium qui vit.la dfaite d'Antoine et de Cloptre.
Lorsqu'en 30 av.J.-C. Octave gagna l'gypte, le couple mythique se
suicida et Csarion fut assassin. L'gypte passa sous la domination
romaine et le resta jusqu' la conqute arabe de 641 ap.J.-C.

7.

L'GYPTE SOUS LES ROMAINS

Car Auguste, entre autres principes secrets de son pouvoir, en


interdisant aux s~ateurs et aux chevaliers romains du yremier
rang d'entrer en Egypte sans sa permission, avait mis l'Egypte

33

part, craignant que l'Italie ne pt tre affame par quiconque aurait


occup cette province et ses accs, sur terre et sur mer, et pourrait
rsister, mme avec une faible garnison, des armes immenses 1

Comme le souligne l'historien Tacite (t 120 ap.J.-C.) prs d'un


sicle aprs cette conqute, Auguste avait mis l'gypte part. En
effet, quoiqu'elle ft gouverne comme n'importe quelle autre
province, l'gypte appartenait en propre au Prince et conserva sa
spcificit culturelle, montaire, et administrative. Ce traitement
de faveur s'expliquait aisment par la richesse de la province que
tous considraient comme le grenier bl de l'Empire, par la
richesse de son histoire et par la relative facilit qu'il y a contrler le pays une fois Alexandrie prise. Le Ccesar y fit donc stationner trois puis deux, puis une de ses lgions ainsi que des troupes
auxiliaires, des alce de cavalerie et une flottille 2
Partie intgrante de l'Empire romain, l'gypte en suivit l'volution qu'il n'est pas utile de rappeler ici. Elle connut en propre
quatre crises principales : les rvoltes juives de 38-41 et 117, la rvolte
des Bouviers (167-174), la rvolte de 215, les troubles de 270-298.
Les rvoltes juives (cf. chapitre Ill) s'ancraient sur une hostilit
de longue date entre les Grecs et les Juifs d'Alexandrie. En 38, la
situation s'envenima lorsque le prfet Flaccus demanda de placer
des statues de Caligula dans toutes les synagogues: devant l'hostilit des Juifs, les Grecs prirent d'assaut les synagogues. La situation s'apaisa l'avnement de Claude, qui imposa le calme.
Quatre-vingts annes plus tard, en 117, l'instar de tous les Juifs
du Bassin mditerranen, les Juifs d'Alexandrie se soulevrent et
plongrent le pays dans la guerre civile : la rpression fut cette fois
d'une extrme brutalit, les Juifs furent massacrs, et la synagogue
d'Alexandrie fut dtruite.
La rvolte des Bouviers ( boUkoloi), cinquante ans plus tard, ressembla davantage une jacquerie. Habitant le delta du Nil, ces
pauvres parmi les pauvres connurent des difficults conomiques
terribles dues des crues du Nil catastrophiques qui les poussrent
au pillage et la rvolte. En 170, ils menaaient Alexandrie. Le
lgat de Syrie Avidius Cassius crasa la rvolte en 173-174.
1. TACITE, Annales Il, LIX, 3, trad. P. GRIMAL in ID, uvres compltes, Paris,
Gallimard, Bibliothque de la Pliade, 1990, p. 461.
2. De Tibre Trajan, les lgions taient la III Cyrenaica et la XXII Deiotariana. Trajan remplaa la III Cyrenaica par la II Trajana et Hadrien dissout la
XXII Deiotariana. La flottille tait la Classis Augusta Alexandrina.

34

La rvolte de 215 fut plus typiquement alexandrine. Dirige


par des ouvriers, elle mit en pril le prfet. L'empereur Caracalla,
ulcr, fit tuer son prfet et dirigea en personne la rpression, qui
fut extrmement dure (cf. n 11).
Face l'affaiblissement de l'Empire, l'gypte connut ensuite
une srie de troubles provoqus par des envahisseurs avides de
prendre leur indpendance. En 268-270, les Palmyrniens venus
de Syrie tentrent de prendre Alexandrie, mais furent battus en
271-272. Puis ce furent les Blemmyes: ces terribles Nubiens, qui
avaient envahi la Haute gypte et avaient fait de Phfe leur temple,
permirent Coptos et Ptolmas de se soulever. La rvolte fut
galement rprime. En 297, enfin, le Fayoum et la Thbade se
mirent en rvolte ouverte contre les Romains: l'empereur Diocltien punit les coupables, assigea Alexandrie pendant huit mois,
puis la livra au pillage.
Aprs ces troubles, l'Empire romain resta matre de l'gypte
jusqu'en 641. Aprs le partage de 395, elle revint en effet
l'Empire d'Orient et ne quitta l'orbe imprial qu'en 639-641,
lorsque Amr Ibn Alas entra dans Alexandrie et tablit son camp
prs de Memphis, Fustat, qui deviendra Le Caire.

PREMIRE PARTIE

Les chos de ! 'Histoire dans les papyrus

Il y a Histoire et Histoire. Le chapitre prcdent parlait de la


Grande Histoire, celle des rois et des batailles, celle qui intressait les historiens jusqu'au dbut du xxe sicle. Paralllement,
il y a l'histoire des humbles, l'histoire des obscurs contemporains
des grands hommes, l'histoire de ceux qui n'ont jamais prtendu
faire !'Histoire.
Bien sr, cette distinction se rvle partiellement inexacte : on
peut toujours expliquer les bouillonnements de la Grande
Histoire par des mouvements de fond de l'conomie perceptibles
par d'infimes changements; ou par l'volution des mentalits; ou
par les menus dsordres d'une socit. De mme, on trouve souvent des chos de la Grande Histoire dans la petite : le nom
d'un roi, l'allusion une guerre, les rancurs d'une crise.
En gypte pourtant, jamais la distinction entre petite et
grande Histoire ne s'est autant vrifie. Les tmoignages
autrefois reus comme historiques font cruellement dfaut.
Et les papyrus et les ostraca dcrivent un autre monde, qui
semble n'avoir pas t touch par les frasques des Ptolmes ou
les guerres syriennes.

37

Les alas de la slection des documents expliquent largement


ce phnomne : le climat d'Alexandrie tait trop humide pour
permettre la conservation des documents, et l'on se voit rduit
lire les archives d'une campagne recule. Quelle vision auraiton du XVII" sicle si l'on n'avait conserv que les Mmoires de
Saint-Simon et les archives d'un petit canton du Bourbonnais ?
Pour l'gypte, on ne peut gure citer que Polybe, Strabon,
Diodore de Sicile, Dion Cassius, Tacite et Sutone, ainsi que les
archives de quelques petits nomes moiti ensevelis dans le
dsert.
Lorsque d'aventure nous ont t conserves des lettres de
tmoins de certains vnements historiques, ils ne laissent pas
d'tre dcevants, comme le prouve la lettre du mdecin personnel du dicte [ministre des finances] Apollodore, qui accompagnait la reine Brnice, fille de Ptolme II, vers la Syrie o
elle devait se marier avec Antiochos Il, ce qui mettait fin la
deuxime guerre syrienne.
nl
UN MARIAGE ROYAL

P. Cair. Zen. 59251

= SP93 -

Philadelphie - 252 av.J.-C.

Artmidoros Znon, salut l Si tu te portes bien, tout est pour


le mieux,je vais bien moi aussi l Apollonios est en bonne sant et le
reste s'est pass selon nos vux. Au moment o je t'cris, nous arrivons Sidon, aprs avoir escort la reine jusqu'aux frontires, et
j'espre tre bientt de retour auprs de toi. Tu me ferais donc plaisir en prenant soin de ta sant, et en m'crivant si tu dsires que
l'on fasse quelque chose pour toi.
Achte-moi, s'il te plat, pour que je les trouve mon arrive,
3 mtrtes du meilleur miel, et 600 artabes d'orge pour mes btes:
paie-les avec la vente du ssame et du ricin. Occupe-toi galement
de ma maison Philadelphie, pour qu' mon arrive, je la trouve
couverte par une toiture. Fais ton possible pour surveiller les bufs
d'attelage, les porcs, les oies et tout le reste : ainsi j'aurai tout ce
qu'il me faut. Emploie-toi aussi voir comment les moissons ont t
rentres et n'hsite pas payer le ncessaire s'il faut dpenser
quelque chose. Porte-toi bien l La 33 anne [de Ptolme Il], le 6
du mois intercalaire de Pritios [14 avr. 252 av.J.-C.].
[Verso] Philadelphie. Znon. [2' main, endoss par Znon] La
33 anne, le 6 Phamnth. Artmidoros.

Artmidoros participe un vnement historique qui eut un


tel retentissement qu'on en trouve la trace jusque dans la
38

Bible 1 et voici qu'il se proccupe de toitures, d'oies et de porcs!


Est-ce dire qu'il est totalement indiffrent cette alliance diplomatique ? En ralit, cette lettre confronte son lecteur la notion
dlicate et ambigu de tmoin : jusqu' quel point l'individu
est-il transform par ce qu'il voit, au point de se dpossder de ses
proccupations et coller aux vnements dont il est spectateur ? La lettre d' Artmidoros rpond avec simplicit : les acteurs
des vnements ne sont pas dpasss par une prtendue ncessit suprieure qui serait !'Histoire. La chronique des pripties
politiques peut bien attendre, quand il s'agit de foin rentrer 1
La Voix de !'Histoire retentit donc rarement dans les documents qui peuplent cette anthologie : il faut plus modestement
essayer d'en discerner quelques chos.
On cherchera tout d'abord percevoir les chos de la colonisation grecque et romaine, et les rsistances cette colonisation.
Ensuite, quelques rverbrations de la vie de l'Empire romain
pourront nous parvenir, bien faibles, en vrit. Enfin, dans un
monde o la religion peut faire l'histoire , deux clameurs plus
fortes dominent : le cri du Peuple juif que l'on perscute et la
lente mlope de la conqute du christianisme.

1. Daniel 9, 6 : La fille du roi du Midi s'en viendra auprs du roi du Nord


pour excuter les accords. Cit par Claude Orrieux, Les Papyrus de Znon,
Paris, Macula, 1983, p. 50 (cf. bibliographie).

LA MISE AU PAS DE LA TERRE GYPTIENNE


ET SES RSISTANCES SOUS LES LAGIDES

L'entre des troupes d'Alexandre en gypte s'accomplit sans


coup frir: il n'en reste pas moins que les Lagides furent des
occupants et que la mise en valeur de l'gypte ne fut rien
d'autre qu'une colonisation. Et mme si l'gypte avait l'habitude
d'tre gouverne par des envahisseurs, le modle civilisateur des
Grecs ne pouvait que rencontrer des rsistances.

1. -

LES SUCCESSEURS DES PHARAONS

Il faut dire tout d'abord qu'un certain nombre d'abus taient


commis, comme le prouve l'extrait suivant d'une ordonnance de
Ptolme Jer :
n2
LES CANTONNEMENTS MILITAIRES

P. Hal. 1 = C. Ord. Ptol. 24 = SP207 - Milieu du m sicle av.J.-C.

Le roi Ptolme Antiochos, salut.


propos du cantonnement des soldats, nous entendons dire
qu'il y a un regain de violence: ils n'occupent pas les logements
que leur assignent les conomes, mais ils pntrent d'eux-mmes
dans les maisons, et, chassant les habitants, ils s'y installent de
force.

41

Ordonne donc qu' l'avenir, ceci ne se reproduise plus, mais


qu'ils se crent de prfrence eux-mmes un toit. Si, nanmoins, les
conomes doivent leur donner des logements, qu'ils leur accordent
ceux dont ils ont strictement besoin. Et lorsque les soldats quitteront ces logements, qu'ils les restituent aprs les avoir remis en tat,
et qu'ils ne les quittent pas pour y revenir, comme nous entendons
dire que cela se passe actuellement: lorsqu'ils partent, ils louent les
habitations ou y mettent des scells !
Proccupe-toi surtout d'Arsino prs d'Apollinopolis [la
moderne Edfou] : si des soldats y viennent, qu'aucun d'eux n'y soit
cantonn, mais qu'ils s'installent Apollinopolis. S'il apparat
ncessaire qu'ils demeurent Arsino, qu'ils se construisent des
baraquements comme l'on fait ceux qui taient avant eux. Porte-toi
bien.

Cette ordonnance prouve que la soldatesque de Ptolme Jr


se comportait comme une arme d'occupation en territoire
conquis : elle confondait le droit de rquisition et le droit de proprit et se livrait des brutalits qui devaient exasprer les gyptiens. En effet, si le devoir de fournir des logements, de la
nourriture, des moyens de transport des personnages officiels
en visite demeurait une tradition pharaonique, si les rquisitions
de logements pour les soldats constituaient galement une coutume, abuser de cette pratique ne convient pas une arme qui
doit se considrer chez elle en gypte, et non plus en pays
ennemi. Qu'elle se construise des casernes 1
Les excs se sont concentrs tout particulirement Arsino,
prs d'Edfou/Apollinopolis: Ptolme va jusqu'en interdire l'accs aux soldats, sauf imprieuse ncessit.
La mise au pas de la terre gyptienne ne passe pas seulement
par la force, mais aussi par une subtile politique de ngociation
avec les prtres. Le clerg local restait en effet extrmement puissant et Ptolme, fort subtilement, ne chercha jamais le contrecarrer. Au contraire: il lui donna des signes d'apaisement et
multiplia les signes de bonne volont. En change, il s'assurait de
la paix intrieure d'un pays largement gouvern par les prtres.
Pour s'en assurer, quittons quelques instants le monde des papyrus pour lire une inscription extrmement clbre: celle de la
Pierre de Rosette. Ce texte long et riche mrite d'tre lu en
entier, tant pour son importance dans l'histoire de l'gyptologie
que pour ce qu'il nous apprend sur les difficults du pays.

42

n3
TEXTE DE LA PIERRE DE ROSETTE
Memphis -196 av.J.-C.
(texte grec)
< I >Au cours du rgne du jeune [roi Ptolme V] qui a succd
sur le trne son pre, matre des [deux] couronnes, couvert de
gloire, qui a rtabli l'ordre en gypte et a t pieux envers les dieux,
a triomph de ses ennemis et a ramen la vie civilise aux hommes,
seigneur des Crmonies des Trente annes, semblable
Hphastos le Grand, roi comme le soleil, grand roi des pays
Suprieur et Infrieur, n des Dieux Philopatr, approuv par
Hphastos, qui le soleil a donn la victoire, vivante image de Zeus,
fils d'Hlios, Ptolme, vivant jamais, le bien-aim de Ptah, dans la
9 anne, quand Atos fils d'Atos tait prtre d'Alexandrie, et des
Dieux Str, et des Dieux Adelphes, et des Dieux vergtes, et des
Dieux Philopatr et du Dieu piphane Euchariste [Bienfaisant], et
que Pyrrha, fille de Philinos, tait athlophore de Brnice vergte,
qu'Aria, fille de Diogne, tait canphore d'Arsino Philadelphe,
qu'Irne, fille de Ptolme, tait prtresse d'Arsino Philopatr, le 4
du mois de Xandicos, d'aprs les gyptiens le 18 Mchir [27 mars
196 av. J.-C.] Les grands prtres et les prophtes, ceux qui entrent
dans le sanctuaire pour habiller les dieux [les stolistes], les porteurs
de plume [les ptrophores] et les scribes sacrs [les hirogrammates] et tous les autres prtres des temples du pays sont venus
Memphis au-devant du roi, pour la fte de l'accession au trne de
Ptolme, vivant jamais, bien-aim de Ptah, dieu piphane
[ manifest ], Euchariste, qu'il a reu de son pre.

< II > Tous se sont assembls dans le temple de Memphis ce jour


o ils ont dclar que le roi PTOLME, VIVANT JAMAIS, BIEN-AIM DE
PTAH, DIEU PIPHANE, EUCHARISTE, issu du roi Ptolme et de la reine
Arsino, les Dieux Philopatr, a combl de bienfaits les temples et
tous ceux qui y demeurent, ainsi que ses sujets.< 1 >Qu'tant un
dieu issu d'un dieu et d'une desse comme Horus le fils d'Isis et
Osiris qui a veng son pre Osiris, qu'tant plein d'une efficace
pit envers les dieux, il a consacr aux revenus des temples de l'argent et du bl et a entrepris de grandes dpenses pour le bien-tre
de l'gypte, et le maintien des temples. Qu'il a manifest son humanit envers tous sur ses propres ressources. Qu'il a supprim certains revenus et impts perus en gypte et qu'il a allg d'autres,
afin que son peuple et tous les autres puissent tre dans le bien-tre
pendant son rgne. < 2 >Qu'il a remis les dettes envers la couronne
de nombreux habitants de l'gypte et du reste du royaume. Qu'il
a dcid de lever les charges pesant contre ceux qui taient en prison et ceux qui taient mis en accusation depuis longtemps. < 3 > Qu 'il
a ordonn que les revenus des temples et les contributions perues par eux chaque anne, tant en bl qu'en argent, ainsi que les

43

apomora quitables perues sur les vignes, les jardins et autres proprits qui appartenaient aux dieux sous le rgne de son pre
demeurent sur le mme pied. < 4 > Qu'il a aussi ordonn que les
prtres ne devaient plus rien de plus au fisc que ce quoi ils taient
imposs, jusqu' la premire anne, sous son pre.< 5 >Qu'il a dispens les membres des tribus de prtres du voyage annuel
Alexandrie. < 6 >Qu'il a ordonn qu'il n'y aurait plus aucune contribution pour la marine. < 7 > Qu'il a remis les 2/3 de l'impt sur le
byssus pay par les temples au trsor royal.< 8 >Que quelles qu'aient
t les ngligences des temps passs, il les a corriges comme il se
devait, en veillant ce qu'il tait d'usage de faire pour les dieux soit
accompli comme il convient. Qu'il a dispens tous sa justice,
comme Herms deux fois grand. < 9 > Qu'il a ordonn que ceux qui
reviennent de la guerre, et ceux qui ont t spolis de leurs biens au
temps des troubles, devaient, leur retour, tre autoriss occuper
ce qu'ils possdaient.< 10 >Qu'il a prvu d'envoyer la cavalerie, l'infanterie et la marine contre ceux qui tentent d'envahir l'gypte, tant
par mer que par terre, grands frais de bl et d'argent, afin que les
temples et tous les habitants de l'gypte puissent tre en scurit.
< Il >Que, s'tant rendu Lycopolis dans le nome de Busirite, une
ville dont on s'tait empar et qu'on avait fortifie contre un sige par
des magasins d'armes et d'autres munitions, pour dissiper l'esprit de
rvolte provoqu par des impies ayant perptr de nombreux dgts
aux temples et tous les habitants de l'gypte, il a fait le sige de la
place et l'a entoure de retranchements, de fosss et de fortifications.
Quand le Nil, qui habituellement inonde les plaines, a connu une
grande crue dans la huitime anne de son rgne, il l'a contenu en
endiguant en de nombreux endroits les dbouchs des [canaux] du
fleuve, en engageant de fortes sommes. Aprs avoir confi la garde
de ces canaux la cavalerie et l'infanterie, en peu de temps, il prit
d'assaut la ville et tua tous les impies qui s'y trouvaient, l'instar
d'Herms et Horus, les fils d'Isis et Osiris, pour subjuguer autrefois
les rebelles dans le mme pays. Quant ceux qui s'taient mis la
tte des rebelles sous le rgne de son pre, et qui avaient ravag le
pays sans respecter les temples, il les a punis comme ils le mritaient,
en se. rendant Memphis pour venger son pre et sa propre royaut.
< 12 >Profitant de sa venue, il fit excuter les crmonies prescrites
pour son couronnement. < 13 > Que, de plus, il a exempt ce qui
dans les temples tait d au trsor royal: c'tait, en bl et en argent,
une somme non ngligeable. < 14 > Pareillement, il a ordonn que
l'impt sur le byssus ne soit pas lev par la couronne, ainsi que les
frais de vrification pour ceux qui l'avaient t, jusqu' la mme
poque. < 15 >Qu'il a aussi affranchi les temples de l'impt du droit
d'artabe par aroure sur la terre sacre; il a fait de mme pour le
kramion par aroure de vignoble. < 16 > Qu'il a fait beaucoup de
donations Apis, Mnvis et aux autres animaux sacrs d'gypte, en
tant plus sensible que les rois ses prdcesseurs ses animaux, en

44

toute circonstance. Que, pour leurs spultures, il a donn ce qui


convenait avec prodigalit et magnificence, ainsi que les sommes
accordes pour leur culte particulier, y compris les sacrifices, les
ftes et les autres crmonies prescrites. < 17 >Qu'il a maintenu les
privilges des temples d'gypte conformment aux lois. Qu'il a
orn le temple d'Apis par des uvres magnifiques, en dpensant
pour lui sans compter or, argent et pierres prcieuses. Qu'il a restaur les temples, les naos et leurs autels, et qu'il a rpar ceux qui
le ncessitaient, en ayant l'esprit d'tre un dieu bienfaisant en ce
qui touche les dieux. Qu'aprs enqute, il a fait reconstruire pendant son rgne les plus honors des temples, comme il se doit.
< III > En rcompense de quoi, les dieux lui ont accord sant,
victoire et pouvoir, et tous les autres biens : la royaut demeurera
lui et ses enfants pour lternit. LA BONNE FORTUNE 1
< IV> Il a paru convenable tous les prtres de tous les temples
de la chra d'tendre amplement le culte rendu au roi PTOLME,
VIVANT JAMAIS, LE BIEN-AIM DE PTAH, DIEU PIPHANE, EUCHARISTE, ainsi
qu' ses parents les Dieux Philopatr, et ses aeux, les dieux vergtes, les Dieux Adelphes et les Dieux Str. <a> Qu'on lve au
roi PTOLME, VIVANT JAMAIS, LE BIEN-AIM DE PTAH, DIEU PIPHANE,
EUCHARISTE, une image en chaque temple, dans le lieu le plus minent, sous le nom de Ptolme, le vengeur de l'gypte, et qu'
ct se dresse le dieu principal du temple, lui prsentant l'arme de
la victoire, le tout sera ralis la manire gyptienne. < b >Que les
prtres leur rendent un culte trois fois par jour, leur mettent un
ornement sacr, et excutent les autres crmonies prescrites pour
les autres dieux dans les ftes d'gypte. < c > Qu'ils lvent au roi
PTOLME, VIVANT JAMAIS, LE BIEN-AIM DE PTAH, DIEU PIPHANE,
EUCHARISTE, n du roi Ptolme et de la reine Arsino, les Dieux
Philopatr, une statue et un naos dor dans chacun des temples,
qu'ils les placent dans les sanctuaires avec les autres naos, et que
dans les grandes ftes o les naos sont ports en procession, celui du
DIEU PIPHANE EUCHARISTE soit port en procession avec eux. Et afin
que celui-ci puisse tre aisment reconnaissable en tous temps, qu'il
soit surmont de dix couronnes royales en or devant lesquelles sera
plac un aspic, l'identique de toutes les couronnes ornes d'un
aspic des autres naos, et qu'au milieu d'elles on place le Pschent [la
couronne double] qu'il portait dans le temple Memphis lors des
crmonies de son couronnement. Qu'on mette sur le ttragone des
couronnes, ct de la couronne susmentionne, dix phylactres
d'or, sur lesquels on inscrira que c'est le naos du roi qui a rendu illustre
le Pays Suprieur et le Pays Infrieur. < d > Et puisque c'est le
30 Msor que l'anniversaire du roi est clbr, et galement que c'est
le 17 Phaphi qu'il succda son pre, [les prtres] les ont reconnus
comme des jours ponymes [de dvotion] dans les temples, car ils
sont la source de grandes bndictions pour tous. Qu'ils les clbrent

45

par une crmonie en son honneur et une fte chaque mois dans
tous les temples d'gypte : qu'ils y accomplissent les sacrifices, les
libations et toutes les crmonies d'usage, comme dans les autres
ftes, ainsi que [ ... ].Qu'ils clbrent une crmonie et une fte en
l'honneur du roi PTOLME, VIVANT JAMAIS, LE BIEN-AIM DE PTAH,
DIEU PIPHANE, EUCHARISTE, chaque anne dans les temples du pays,
partir du 1., Thth et durant cinq jours, durant lesquels ils porteront des couronnes et excuteront les sacrifices, les libations et tout
ce qu'il convient. < e > Que les prtres des autres dieux soient appels les prtres du DIEU PIPHANE, EUCHARISTE, en plus des noms des
autres dieux qu'ils servent. Que ce sacerdoce soit inscrit sur tous les
documents officiels et soit grav sur les bagues qu'ils portent.
< f > Qu'il soit permis tout particulier de clbrer la fte et d' lever le naos susmentionn dans sa maison, qu'ils accomplissent les
clbrations prescrites annuellement et mensuellement, afin que
tout un chacun puisse savoir que les hommes d'gypte exaltent et
honorent d'aprs la loi le DIEU PIPHANE EUCHARISTE ROI.

< V > Que ce dcret soit inscrit sur une stle de pierre dure en
caractres sacrs [hiroglyphes] locaux et grecs et qu'elle soit place
dans tous les temples des premiers, seconds et troisimes rangs,
ct de l'image du ROI TOUJOURS VIVANT.

Il convient au pralable de rappeler quelques vnements. Le


texte, dat de la 9 anne de Ptolme V piphane, a paru en 196
av. J.-C. cette poque, le roi n'a qu'une quinzaine d'annes
(son pre tant mort alors qu'il avait 4 ou 5 ans). L'poque est
trouble : la rgion de Thbes (Louqsor), au sud du pays, a fait
scession depuis 207 av. J.-C.: des pharaons indignes, d'origine
nubienne, s'opposent aux Grecs, sans doute en arguant d'un
retour aux traditions gyptiennes. Lycopolis, 150 km au nord de
Thbes, reprsente le front avanc de la rvolte. l'extrieur, la
5 guerre de Syrie s'est acheve en 198 par un dsastre pour
l'gypte. Pour rsister l'affaiblissement de son pouvoir, le jeune
roi Ptolme a besoin de tous les soutiens, et en particulier de
celui, puissant, du clerg gyptien. Aucun des partenaires n'a vritablement le choix: les prtres ne peuvent se permettre d'entrer
en conflit ouvert avec le roi, et Ptolme ne peut laisser grandir le
mcontentement des gyptiens. Les deux partis transigent et ce
dcret procde de leur ngociation.
Le dcret dbute par une longue salutation trs protocolaire,
o les titres du roi se voient complaisamment gravs dans la pierre,
et par l'occasion du dcret : un synode de prtres Memphis, la
capitale de la religion gyptienne. la lecture des pithtes
46

royales, on s'aperoit que des quivalences s'tablissent entre les


divinits : Zeus se mtamorphose bien videmment en Amon,
Hlios, le soleil, en R, Ptah en Hphastos, etc. Remarquons galement que l'anne est repre partir de l'entre en fonction du
souverain, mais galement par le nom des prtres en charge du
culte royal d'Alexandrie cette anne-l: Atos fils d'Atos se
charge du culte des rois, et trois femmes du culte des reines, une
athlophore (porteuse de lance), une canphore (porteuse de couronne) et une prtresse. Notons enfin que la runion ressemble
bien un congrs puisque toutes les catgories de prtres sont
numres : les grands prtres, chefs d'un temple, les prophtes,
chargs des oracles et de l'interprtation des livres saints, les stolistes, chargs de l'habillement sacr des dieux, les porteurs de
plume, insigne de leur fonction, qui taient sans doute des
scribes particuliers, les scribes sacrs. L'expression tous les autres
prtres recouvre ceux qui manquent l'appel: les pastophores,
qui sont les auxiliaires du clerg chargs de porter les statues des
dieux au cours des processions, les sphragistes, qui marquaient les
victimes sacres, les nocores et les zacores, etc. O cette auguste
assemble s'est-elle runie ? Au temple de Ptah (ce qui expliquerait l'pithte chri de Ptah ) ? Dans le fameux Serapeum
consacr Sarapis ? Le texte ne le dit pas.
Aprs les salutations vient la liste des actions de Ptolme qui
motivent le dcret < II > : coup sr, il s'agit l des concessions
qu'il a accordes au clerg local et que l'on grave dans la pierre;
on ne saurait tre trop prudent, les rois sont parfois inconstants.
En effet, aprs une liste d'actions assez vagues, qui servent surtout de prambule (< 1 >), la srie de mesures concrtes - financires, militaires et religieuses .- qui sont numres ressemblent
fort des gages de bonne conduite envers le clerg et envers le
peuple du pays.
Tout d'abord, voici des mesures financires. < 2 >est ainsi une
amnistie en faveur de ceux qui avaient des arrirs d'impt. Non
seulement le roi efface leur dette, mais il libre les prisonniers :
il s'agit des prisonniers pour dettes qui, comme tous les mauvais
payeurs, subissaient une peine d'enfermement. < 3 > restaure les
impts du clerg, eten particulier l' apomoi"ra, une sorte de dme
que prlevait le temple sur les produits agricoles non craliers :
les vignes, les vergers, etc. < 4 > instaure le retour une taxation
datant de son pre et supprime une augmentation qui nous est

47

inconnue. Les mesures qui suivent constituent des allgements


d'impt: < 5 > abolit l'obligation de visiter chaque anne
Alexandrie (cf. n 4), < 6 > abroge la nautia, une taxe destine au
fonctionnement de la marine, < 7 > abaisse le taux de l'impt sur
. le byssus, un textile de lin extrmement fin et extrmement
noble, servant l'habillage des statues des dieux.
Au cours de cette partie, le parallle fait entre l'argent et le
bl ne doit pas surprendre. Au temps des pharaons, la monnaie
n'existait pas et toutes les transactions s'effectuaient par troc. Si
les Grecs introduisirent la circulation montaire, elle n'tait pas
trs dveloppe et l'on voit souvent le bl servir de moyen de
paiement et les greniers fonctionner comme des banques.
Ensuite, < 8 > qui renoue avec le style abstrait de < 1 >joue le
mme rle : il sert de prambule ce qui suit, qui sont des
mesures militaires.< 9 >nonce un retour au statu quo d'avant les
troubles engendrs par la 5e guerre de Syrie et par les premiers
soubresauts de la rvolte de la Thbade. Les soldats revenant de
guerre, et ceux qui ont t chasss par les diverses meutes, doivent recouvrer leur bien. < 10 > annonce de nouvelles oprations
militaires sans doute contre la Syrie et les pharaons indignes
venus de Nubie. < 11 >rappelle les faits d'armes de Ptolme
Lycopolis. Ayant mis le sige devant la ville, il russit la prendre,
peu avant son couronnement. Sa prsence Lycopolis est prsente comme providentielle : cette anne-l, la crue du Nil fut
plus haute que d'habitude. Les soldats du Lagide purent ainsi
servir de terrassiers et viter une inondation majeure. S'tant
empar de Lycopolis aprs cet pisode, il se livra visiblement
une rpression massive.
Aprs cet pisode sanglant, < 12 > voque le couronnement
comme une chose fortuite: Lycopolis n'tait pas loin de
Memphis, pourquoi ne pas s'y faire couronner ? On ne sait pas
bien ce qu'il faut entendre par cette prcision. Ptolme se fit-il
couronner ce moment parce qu'il en tait autrefois empch,
soit par les troubles, soit par son ge trop tendre ? En ralit, il
est assez probable qu'il avait dj t couronn, la grecque,
Alexandrie : ce couronnement l'gyptienne ne constitue-t-il pas
une nouvelle concession ses sujets et une manire de renforcer
sa lgitimit auprs des gyptiens ?
Cela peut surprendre : le roi tait-il donc si tranger au peuple
qu'il dominait? Il faut rpondre par l'affirmative: on sait, par
48

exemple, que Cloptre est la premire reine parler gyptien:


les Lagides ont pu gouverner l'gypte pendant trois sicles sans
parler un mot de la langue du pays. Mais les Franais ont-ils opr
diffremment lorsqu'ils administraient l'Indochine ou l'Algrie ?
La monarchie lagide reste fondamentalement grecque, e~ languit
des rivages de l'Ionie. Alexandrie, lot de culture grecque dans
une mer gyptienne, on pouvait se croire encore dans les palais de
Macdoine. Quels sentiments a d prouver ce jeune roi de
quinze ans, lorsqu'il fut oblig de se dplacer jusqu' Lycopolis, de
se faire couronner comme un pharaon et de ngocier avec les

prtres?
Les mesures< 13 >< 15 >semblent s'tre gares dans cette
partie du texte puisqu'elles renouent avec les dgrvements d'impts consentis par le souverain. Peut-tre s'agit-il des mesures
prises aprs la prise de Lycopolis. < 13 > efface les arrirs d'impts,< 14 >abroge la leve de l'impt sur le byssus et< 15 >celle
des taxes sur les champs et sur les vignobles.
< 16 >et< 17 >,enfin, rappellent les largesses faites par le roi
aux temples, qui marquent sa pit envers les dieux du pays, mais
galement le posent dans son rle de souverain dispensateur de
bienfaits. Sa gnrosit touche particulirement Memphis, l'un
des centres du culte du taureau Apis (et de son jumeau Mnvis)
cens reprsenter l'incarnation de Ptah sur terre.
Aprs ce rappel des actions du roi et une rapide invocation
la Bonne Fortune qui l'accompagne (<III>), la quatrime partie formule la contrepartie qu'accordent les prtres leur
monarque : un culte vritablement pharaonique de dieu vivant. Il
s'agit bien d'un hommage des indignes leur roi grec : le texte
se prsente comme un dcret des prtres de la chra, autrement
dit de l'gypte sans Alexandrie. Ce culte prend divers aspects.
Tout d'abord (<a>), le roi s'associe tous les dieux de l'gypte,
qui lui tendent une arme de victoire, pour montrer son triomphe.
Dsormais, les prtres ne rendront plus un culte au seul dieu de
leur temple, mais ils adoreront conjointement (< b >) leur dieu et
leur roi. Ensuite (< c >), le roi s'immiscera mme dans le sanctuaire des dieux puisqu'une statue sacre protge par une caisse
dore (le naos) ctoie'ra les autres dieux. Il ne s'agit plus ici d'une
statue visible par tous - ou tout du moins par l'ensemble des
prtres - mais bien d'une sacro-sainte statue, appr,ochable par les
prtres de rang suprieur, image mme du dieu. Comme les
49

autres statues sacres, elle sera porte en procession lors des


grandes ftes, mais elle occupera une position minente car elle
sera surmonte d'un ornement particulier, un peu kitsch : une
couronne atefcompose de dix couronnes rehausses d'un urreus,
coiffe par un pschent (la double couronne, rouge et blanche, symbole de la domination sur la Haute et la Basse gypte), et agrmente d'inscriptions laudatives pour le roi.
La suite prcise l'extension du culte royal (< d >) : une crmonie tous les mois ainsi qu'une grande fte de cinqjours partir du premier Thth, le dbut de l'anne.
Pour entriner la position minente qu'occupe dsormais le
roi dans le panthon gyptien, son nom s'unit systmatiquement
celui des autres dieux (< e >), comme sa statue flanquait systmatiquement celle du dieu principal de chaque temple. En outre
(< f >), un culte domestique en son honneur est encourag.
Les derniers mots du texte donnent au dcret tout son sens :
on ne l'a pas simplement rdig en grec, mais galement en
hiroglyphe, la langue des dieux auxquels le roi entend s'associer, et en dmotique, la langue du peuple gyptien. Ce trilin.,.
guisme prouve qu'il s'agit bien d'un geste en faveur de ces
habitants de la chra que les Lagides avaient le plus souvent choisi
d'ignorer.
Cette volont conciliatrice ne se manifestait pas toujours,
comme le prouve l'dit suivant, datant du pre de Ptolme V.
n4
LE RECENSEMENT DES TEMPLES.

BGUI2ll = C. Ord. Ptol. 29 = SP208 =Schubert 55 -Thbes


- 215-205 av.J.-C.
Par ordre du roi [Ptolme IV Philopatr]
Ceux qui initient aux mystres de Dionysos dans le pays descendront le fleuve jusqu' Alexandrie; ceux qui rsident en de de
Naucratis, dans les dixjours dater de la publication de l'ordonnance; ceux qui rsident au-del dans l'n dlai de vingt jours.
Ils s'enregistreront auprs d'Aristobule, au bureau du recensement, dans les trois jours qui suivent leur arrive : ils indiqueront
aussitt de qui ils ont reu les rites en remontant jusqu' trois gnrations, et ils remettront le hiros logos [l'inventaire ?] scell, aprs y
avoir inscrit chacun son nom.

La descente de contrle sur Alexandrie que promeut


Ptolme IV est assez mal connue. Il s'agit probablement d'un
50

inventaire des possessions des temples en vue d'une imposition et


d'une vrification de la fiabilit des doctrines. Le nom de
Dionysos ne doit pas faire illusion: Dionysos est l'quivalent grec
du dieu Osiris, et c'est bien le grand dieu du royaume des morts
et ses rites magiques qu'il s'agit de surveiller. Mais quel qu'il
puisse tre, ce contrle sonne comme une tentative de mainmise
de l'administration royale grecque -le commis au recensement se
nomme Aristobule - sur le clerg gyptien. Tous les Lagides
n'agirent pas de faon aussi conciliante que Ptolme IV.

2. -

UNE DIFFICILE COHABITATION

De nombreux papyrus prouvent en effet que Grecs et gyptiens


cohabitent sans vritablement se mlanger. Et l'occasion des frictions naissent : voici deux plaintes, mises par des Grecs qui se plaignent d'avoir subi des mauvais traitements de la part des
indignes. Ces textes ont l'avantage de faire entrer leur lecteur
dans l'intimit de la vie courante puisqu'ils prennent place au bain
(Ir et 3 exemple) et dans une rue de village (2 exemple).
n5
UN INCIDENT AU BAIN.

P. Magd. 33 = P. Enteuxeis 82 = Mitt. Chrest. 39 = SP 269 - Magdola


- 221 av. J.-C.

Au roi Ptolme, salut de Philista, fille de Lysias, l'un des


catques [colons militaires] de Tricomia [ les Trois-Bourg]. J'ai
t lse par Ptchn. En effet, alors que je me baignais dans les
bains du village susmentionn le 7 Tybi de la 1' anne [de
Ptolme IV], [Ptchn], qui est garon de bains dans la. tholos [la
rotonde] des femmes, s'est avanc comme pour me savonner; il a
vid sur moi l'eau chaude qu'il avait puise et m'a brle. Il m'a
brl le ventre et la cuisse gauche jusqu'au genou, comme s'il voulait mettre ma vie en danger. Quand je l'ai retrouv, je l'ai livr
Nechthosiris l'archiphylacite du village, en prsence de Simn l'pistate.Je te demande donc, Sire, s'il te semble bon, comme une suppliante qui a trouv refuge auprs de toi, de ne pas permettre
qu'une femme qui gagne sa vie de ses mains soit injurie, et d'ordonner au stratge Diophans d'crire l'pistate Simn et au phylacite Nechthosiris de faire comparatre devant lui Ptchn afin
que Diophans instruise l'affaire pour que, ayant trouv refuge
auprs de toi, Sire, l'universel bienfaiteur de tous, j'obtienne justice.
Sois heureux.

51

[Rponse du stratge] Simn : envoie l'accus. 1re anne, le 28 Gorpiaou [soit] le 12 Tybi.
[Verso] La 1re anne, le 28 Gorpiaou [soit] le 12 Tybi : Philista
contre Ptchn, garon de bain, pour avoir t brle.

Philista, une travailleuse qui fait partie des catques, c'est-dire des colons grecs, se plaint d'un garon de bain gyptien.
Visiblement, ce dernier a eu un geste xnophobe, en versant d'un
coup sur Philista l'eau qu'il venait de puiser - et qui tait donc
brlante - sans l'avoir fait refroidir un peu. S'il n'est pas certain
que l'incident n'ait pas t non plus provoqu par le comportement de Philista, qui a tout l'air d'une virago - ou tout du moins
.une forte femme, ne dit-elle pas qu'elle l'a elle-mme livr au
chef de la police (l'archiphylacite) et au chef du village (l'pistate) ? -, il traduit bien la difficult de la cohabitation entre les
.
Grecs et les gyptiens.
Pour se plaindre, Philista utilise une enteuxis, que l'on traduit
par ptition ou placet, l'poque ptolmaque, elle prsente toujours une forme identique. Elle est tout d'abord formellement adresse au roi, alors qu'on l'envoie au chef du
nome, le stratge - et la rponse vient bien du stratge. Ensuite,
elle se compose toujours de la mme manire : une formule d'introduction dbutant par tKoum uno K"C. ( N m'a fait du
tort, j'ai t ls par N ) qui permet de nommer celui contre
qui l'on porte plaine; un expos des motifs de la plainte; une formule polie mentionnant l'espoir de trouver justice ; une suggestion polie des mesures prendre; une brve formule d'adieu- la
formule polie eil-cuxet, sois heureux, plutt que la formule
pistolaire courante pprocro, porte-toi bien.
Le texte confirme l'importance sociale des bains dans la vie
publique. Hritage gyptien et grec, le bain est le plus souvent
entretenu par la municipalit et donne parfois lieu de somptueuses dpenses. Dtail curieux, malgr la pudeur grecque,
un homme se voit admis dans la tholos des femmes. Cela traduit bien ce que l'on pensait des esclaves: peine des tres
humains.
La deuxime plainte se rvle tout aussi pittoresque que la
premire : un Grec se promne dans le petit village de Psya et
reoit le contenu d'un pot de chambre sur ses vtements ...

52

n6
UNE ATIAQUE AU POT DE CHAMBRE

P. Magd. 24 = P. Enteuxeis 79 - Magdola - 218 av. J.-C.


Au roi Ptolme, salut. Hraclide originaire de l'le alexandrine,
dans le district de Thmists habitant Crocodilopolis dans le nome arsinote. Psnobastis qui vit Psya dans le nome susdit m'a fait du tort. La
4 anne [de Ptolme IV], le 21 Phamnth,je suis venu Psya dans
ledit nome pour une affaire personnelle. Comme je passais devant chez
[... ]une femme gyptienne, dont le nom semble tre Psnobastis, s'est
penche dehors et m'a vid [un pot de chambre] d'urine sur mes
habits et m'a compltement tremp. Quand, avec colre, je le lui ai
reproch, elle m'a agoni d'injures. Comme je rpondais sur le mme
ton, [une fois descendue] Psnobastis, avec sa propre main droite, se
saisit du pli du manteau qui m'enveloppait, le dchira et me l'arracha,
si bien qu'elle me dnuda la poitrine. Elle me cracha aussi la figure,
en prsence de quelques personnes que j'avais appeles comme
tmoins. Voici ce que je lui reproche d'avoir commis : m'avoir maltrait
et avoir port la premire indment la main sur moi. Lorsque certains
de ceux qui taient prsents [ ... ] lui reprochrent ce qu'elle m'avait
fait, elle me laissa simplement, et retourna l o elle avait dvers
l'urine sur moi. Aussi, je te demande, Sire, s'il te semble bon de ne pas
ignorer que je fus maltrait sans raison par une femme gyptienne,
alors que je suis un Grec et un tranger, et d'ordonner au stratge
Diophans [... ] d'crire l'pistate Sgne de faire comparatre
Psnobastis devant lui pour la questionner sur ma plainte et, si ma ptition se rvle exacte, d'encourir la punition que le stratge dcrte. Si
cela arrive, Sire, j'aurai obtenu justice par toi. Sois heureux l
[Verso] La 4 anne, le 3 Dios [soit] le 27 Phamnth - Hraclide
contre Psnobastis - pour avoir t maltrait.

Bouffe spontane de chauvinisme ou rsultat d'une brouille


antrieure? Le texte n'explique pas pourquoi Hraclide a reu
de l'urine sur la tte, et il affecte bien trop ne pas connatre sa
tourmenteuse pour tre vraiment honnte. Toujours est-il que
l'explication revient: c'est parce que je suis grec.
Si les manifestations de sgrgation ne doivent pas tre sousestimes, il convient, en retour, de ne pas les survaluer l'excs.
Ces petites vexations impliquent galement des gyptiens.
n7
PLAINTE POUR VIOLENCE

P. Magd. 42 = P. Enteuxeis 83 = Mitt. Chrest. 8 - Magdola -

22~

av. J.-C.

Au roi Ptolme, salut de la part de Thamounis d'Hraclopolis.


Je suis lse par Ththortas, habitante d'Oxorhyncha dans le nome
arsinote. La 1' anne [de Ptolme IV], en Hathyr, en rsidence
0

53

Oxorhyncha, je m'tais rendue au bain; l'accuse survint, me


trouva en train de me baigner dans une baignoire de la tholos des
femmes et chercha me chasser de la baignoire. Mais, comme je ne
sortais pas, elle me mprisa parce que je suis trangre au pays, et
me roua de coups, me frappant au hasard au milieu du corps, puis
elle arracha le pendentif de ma parure de pierre. Peu aprs, je me
plaignais vivement Ptosiris le cmarque [chef de village].
Appele devant lui, Ththortas lui parla exactement comme elle le
voulut, et le cmarque, se faisant son complice, me conduisit en prison et m'y garda 4jours,jusqu' ce qu'il me dpouillt du manteau
dont j'tais enveloppe, qui vaut 30 drachmes et que l'accuse a
rcupr. Voil comment on m'a relche. Je te prie donc, Sire,
d'ordonner au stratge Diophans d'crire 1'pistate Moschin de
faire comparatre Ththortas devant lui, et, sije dis la vrit, de la
forcer me rendre mon manteau ou me payer son prix,
30 drachmes. Quant ses violences contre moi, Diophans les
connatra. Ainsi, grce toi, Sire,j'obtiendraijustice. Sois heureux.
[2' main, dcision du stratge] Moschin. Avant tout, concilie-les,
sinon envoie-les pour qu'elles soient juges devant les laocrites. La
1re anne, 28 Gorpiaos [soit] 12 Tybi [26 fv. 221 av. J.-C.].
[Verso] Ire anne, 28 Gorpiaos [soit] 12 Tybi. Thamounis contre
Ththortas, au sujet d'un manteau.

N'allons pas taxer la plainte de Thamounis de drisoire. Dans


!'Antiquit, le vtement n'est jamais une chose phmre que l'on
jette au gr des modes. Il cote cher et sert souvent indiquer le
statut social de celui qui le porte. En outre, voir le luxe de certains
manteaux, il devait parfois constituer une forme de placement.
Le stratge a bien compris de quoi il s'agit, qui renvoie l'affaire
aux laocrites, les juges des affaires indignes : ce sont bien deux
gyptiennes qui sont impliques dans ce nouvel incident balnaire. En effet, les Grecs n'imposrent pas leurs lois mais prvirent plusieurs corpus. Les indignes se voyaient soumis aux lois
de la chra ;les citoyens grecs des trois cits confrant la citoyennet grecque (Naucratis, Ptolmas et Alexandrie) taient soumis
aux lois de la 7tOt (la cit). Chacun avait ses propres juges:
laocrites pour les indignes et chrmatistes pour les Grecs. Cela
prouve que les gyptiens avaient une notion trs relative de
l'tranger: Oxyrhynchos et Hraclopolis ne sont pas distantes de
plus de 50 km ! Il convient donc de relativiser les ractions que les
modernes ont parfois tendance prendre pour de l'anti-colonialisme. S'il y a une rsista.nce certaine de la terre gyptienne la prsence grecque, elle s'inscrit aussi dans la mfiance pour l'tranger
propre tous les villages reculs.

II

LES CHOS DE L'EMPIRE ROMAIN


ENGYPTE

Passant de !'Histoire lagide !'Histoire romaine, la moisson


historique se rvle beaucoup plus considrable, puisque l'on
dcouvre quantit de documents ayant trait l'volution du
judasme et du christianisme. En revanche, des remous politiques, des affaires impriales auxquelles Sutone ou Tacite
nous ont familiariss, nulle trace. La lettre qu'crivit Antoine
Cloptre aprs la bataille d'Actium, sur laquelle ont planch des gnrations d'lves de !'Antiquit puis du x1x sicle,
n'a pas t conserve. L encore, tout n'est qu'cho, reflet,
allusion.
0

1. -

PREMIERS CONTACTS

Premire de ces allusions, la visite d'un snateur romain en


gypte: elle prouve l'intrt prcoce que les Romains portaient
cette partie du monde. Lucius Memmius - peut-tre le pre du
Caus Memmius Gemellus auquel Lucrce ddicacera le De
Natura Rerum - vient faire du tourisme au Fayoum. On
demande au gouverneur local de traiter avec faste cet alli des
gyptiens.

55

n8
UN VISITEUR DE MARQUE

P. Teb. 33 =P. Rainer Cent. 67 = SP416-Tebtynis -112 av.J.-C.


Hermias Horus, salutations. Cijoint une copie de la lettre
Asclpiade. Soucie-toi que tout soit fait comme prvu. Porte-toi bien.
La 5 anne [de Ptolme IX], le 17 Xandicos [soit] 17 Mchir.
Asclpiade. Lucius Memmius, snateur romain, qui occupe
une position de haut rang et d'honneur, monte d'Alexandrie jusqu'au nome arsinote pour voir les sites. Qu'il soit reu avec la plus
grande magnificence. Prends soin que les chambres d'htes soient
prtes aux endroits appropris [... ], que les dbarcadres soient
construits, qu'on lui apporte des cadeaux d'hospitalit convenables
chaque dbarcadre, que soient prts l'ameublement de la
chambre d'hte, les gteries habituelles pour Ptsouchos et les
crocodiles, le ncessaire pour voir le labyrinthe ainsi que les
offrandes et sacrifices. Bref, prends le plus grand soin en tous
points ce que le visiteur en soit trs satisfait et montre le plus
grand zle ... [la suite fait dfaut].

Pour comprendre comment se passe le voyage de Lucius


Memmius, il suffit de citer Strabon (t 25 ap.J.-C.), qui a fait un
voyage semblable :
En continuant ce voyage le long de la rive, on parvient, cent
stades plus loin, la ville d'Arsino. Cette ville portait autrefois le
nom de Crocodilopolis, car dans tout ce nome le crocodile est particulirement en honneur. Il en est un sacr, lev part dans un lac,
qui se comporte en animal apprivois avec les prtres. On l'appelle
Soukhos et on le nourrit du pain, de la viande et du vin que ne manquent pas de lui apporter les visiteurs trangers. C'est ainsi que notre
hte, un notable, qui nous initiait ces mystres, nous accompagna
jusqu'au lac, emportant de notre desserte un gteau, un morceau de
viande cuite et un flacon d'hydromel. Nous trouvmes la bte tendue sur le bord du lac. Les prtres alors s'approchrent, et, tandis
que les uns lui ouvraient la gueule, un autre lui jeta le gteau, puis la
viande et enfin lui versa l'hydromel. La bte alors bondit dans le lac
et passa prcipitamment sur la rive oppose. Quand un nouvel tranger se prsenta, apportant une offrande de prmices, les prtres la
prirent, firent le tour du lac en coura1~t, et, se saisissant de la bte, lui
firent prendre de la mme manire ce qui lui avait t apport 1

Hrodote (t v. 420 av.J.-C.), bien avant Strabon, dcritlui aussi


ces fameux crocodiles, que l'on appelle Souchos ou Ptsouchos:
, 1. STRABON, Gographie XVII, 1, trad. P. Charvet in S:rRABON, Le Voyage en
Egypte, Paris, Nil, 1997, p. 151.

56

Pour certains gyptiens, les crocodiles sont sacrs ; ailleurs, ils


ne le sont pas, et au contraire, on les traite en ennemis. Les habitants
de la rgion de Thbes et de celle du lac de Mris [en plein Fayoum]
les considrent tout fait comme sacrs. Dans chacune de ces deux
rgions, on nourrit un crocodile choisi entre tous; on l'a dress, il est
apprivois ; on met aux oreilles de ces crocodiles des pendants en
pierres artificielles ou en or, aux pattes de devant des bracelets ; on
leur donne manger des aliments dtermins et des victimes, on
prend soin d'eux le mieux possible tant qu'ils vivent; quand ils sont
morts, on les ensevelit, embaums, dans des cercueils sacrs 1

Ce culte du crocodile n'tait pas rpandu dans toute l'gypte.


Ses centres se dployaient dans le Fayoum, Korn mbo, Akoris et
les environs de Thbes. Dans ces rgions, on l'assimilait Sobek
(nom gyptien du dieu que le grec nomme Souchos), un dieu de
la fertilit. Ailleurs, il tait particulirement ha, puisqu'on l'assimilait au funeste dieu Seth. Outre les crocodiles, l'une des principales curiosits de la rgion s'appelait le Labyrinthe: il s'agissait
d'un norme temple dont parlait dj Hrodote (Histoires 2.148)
construit par Amnmhet III. Il tait d'abord vou au culte du
pharaon lui-mme et du dieu crocodile et se trouvait encore en
service l'poque, ddi surtout au dieu crocodile.
Ce texte parle galement des cadeaux d'hospitalit, les
xnia. Leur usage remonte la plus haute antiquit en gypte. Il
s'agissait de cadeaux offerts au roi et aux personnages trs importants. Malgr leur nom, ils n'avaient rien de spontan: on voit
bien que le suprieur hirarchique d' Asclpiade le charge de leur
collecte. C'tait en vrit une sorte d'impt.
Bientt, l'intrt des Romains pour l'gypte ne fut plus uniquement touristique, Rome prit le contrle de l'gypte et l'administra sa manire. Auguste nomma un prfet charg de le
reprsenter, le Prcefectus Alexandrice et JEgypti (prfet d'Alexandrie et de l'gypte, souvent dsign comme Prcefectus JEgypti),
qui constituait l'autorit suprme de l'gypte.

2. -

L'GYPTE ROMAINE : ALEXANDRIE, LES CITS ET IA CHRA.

La mise au pas de la terre gyptienne reprit son cours. En haut


de la pyramide, les Romains, peu nombreux: hauts fonctionnaires,
1. HRODOTE, Histoires 2.69, trad. Ph.-. LEGRAND, Paris, Belles Lettres,
Collection des Universits de France [Bud], 1930.

57

banquiers, soldats et marchands. Petit petit, les citoyens devinrent plus nombreux car beaucoup de Grecs qui avaient servi
dans l'arme recevaient le cognomen latin et la citoyennet.
Ensuite les Grecs, c'est--dire les citoyens des trois cits
grecques, Naucratis, Alexandrie et Ptolmas. Ces villes furent
rejointes en 130 ap. J.-C. par une quatrime, Antinoupolis, la
ville d'Antinos ,fonde par l'empereur Hadrien en l'honneur
de son favori noy dans le Nil cet endroit. Au cours des annes,
certaines capitales de nomes (les mtropoles) reurent le droit
de confrer une citoyennet grecque. Et enfin les gyptiens ,
qui dsignaient moins les gyptiens de souche que les habitants
de la chra qui ne possdaient pas la citoyennet : beaucoup de
Grecs de souche se classaient parmi les gyptiens.
Les frontires entre les diffrentes catgories d'habitants
taient trs impermables. Prs de 180 ans aprs la conqute
romaine, et aprs 480 annes d'occupation grecque, on distingue
encore les diffrentes catgories des habitants de l'gypte dans ce
rsum des rgles administratives en gypte que constitue le
Gnomon de l'Idiologue.
n9
GNOMON DE L'IDIOS LOGOS

BGU1210-Thadelphie -150 ap.J.-C.


(extraits, cf. n 98, n 148, n 150)
Je t'ai soumis un rsum des points principaux et centraux du
gnomon que le dieu Auguste a tabli pour l'administration de
l'Idios Logos, et des points qui ont t ajouts au fur et mesure par
les empereurs, le Snat, les prfets du moment ou les idiologues,
afin que, grce la forme simplifie de la rdaction, aprs en avoir
conserv le souvenir, tu viennes aisment bout de tes affaires.
38. Ceux qui sont ns d'une citoyenne grecque et d'un gyptien restent gyptiens ; mais ils hritent de leurs deux parents.
39. Si un Romain. ou une Romaine se marie son insu un
citoyen grec ou un gyptien, ses enfants suivent la ligne infrieure.
40. Ce qui concerne ceux qui introduisent qui ne le doit pas
dans la politeia des Alexandrins relve .dsormais de la comptence
du prfet.
52. Il n'est pas permis aux Romains de se marier avec une
gyptienne.

Aprs un demi-millnaire d'occupation grecque puis latine, les


non-citoyens demeurent infrieurs. Ainsi, aucun espoir d'acqurir
58

la citoyennet grecque par mariage ( 38) et encore moins de


frayer avec des Romains ( 52). Lorsque cela arrive par accident
( 39-40), les consquences en sont graves puisque les enfants
sont quasiment dshrits et que l'affaire remonte jusqu'au

Prfectus JEgypti.
Cette attitude s'explique par l'image de l'gypte que manifestent les Romains : l'gypte se rduit Alexandrie et peut-tre aux
cits grecques, le reste n'est que la campagne, la chra, un tout
indtermin (mais fructueux cause du bl). Lorsque, cinquante
ans aprs la conqute, Germanicus visite l'gypte, il tourne son
intrt vers la seule Alexandrie.
n10
GERMANICUS VIENT EN GYPTE

SB 3924 = SP 211 - origine inconnue - 19 ap. J.-C.


Germanicus Cresar, fils d'Auguste et petit-fils du dieu Auguste,
proconsul, dclare :
[tant inform qu'en vue de ma visite] on fait des rquisitions
de bateaux et d'animaux et que pour le logement, on rquisitionne
des gtes par la force et que des personnes prives subissent des intimidations. J'ai pens ncessaire de dclarer que je souhaite que ni
bateau ni bte de somme ne soient saisis quiconque, sinon sur
l'ordre de mon ami et secrtaire Brebius, et qu'aucun gte ne soit
occup. En effet, s'il le faut, Brebius allouera lui-mme les gtes, de
faon juste et quitable ; et en ce qui concerne les bateaux et les
animaux que nous rquisitionnons,je commande que le louage soit
pay sur mon compte. Ceux qui dsobissent, je dsire qu'ils soient
conduits devant mon secrtaire, qui empchera lui-mme les personnes prives d'tre lses ou me rapportera l'affaire. Et j'interdis
que l'on s'approprie les btes de somme que l'on rencontre travers la ville: c'est un acte de vol caractris.
Germanicus Cresar, lls d'Auguste et petit-fils du dieu Auguste,
proconsul, dclare :
La bienveillance que vous manifestez toute occasion lorsque
vous me voyez, je la reois avec plaisir, mais vos acclamations, qui me
sont hassables et qui sont comme celles qu'on adresse aux dieux, je
les dsapprouve compltement. Car elles ne sont appropries qu'
celui qui est vraiment le sauveur et le bienfaiteur du genre humain,
mon pre, et sa mre, ma grand-mre. Mais notre position est [ ... ]
leur divinit, si bien que si vous ne respectez pas ma demande, vous
me forcerez ne me montrer vous que rarement.

Ces deux proclamations de Germanicus, le petit-fils d' Auguste


adopt par Tibre, sont des modles de finesse politique. La
59

prem1ere proclamation reprsente un sommet de dmagogie,


puisque Germanicus feint de refuser les rquisitions que l'on fait
pour sa visite et entend en blmer les excs. Son souci d'quit et
de justice, qui veut trancher avec certains de ses prdcesseurs,
vise certainement toucher le cur du peuple et rendre sympathique ce prince humain. Quant la seconde proclamation,
elle campe une outrageuse modration destine se concilier
Tibre. Celui-ci, jaloux de son pouvoir, ne supportait pas que l'on
rende d'autres les honneurs qu'il entendait se rserver.
Germanicus, en affectant de canaliser la sympathie de la foule,
vite de se poser en rival du Prince. La rencontre des deux prodamations sur le mme papyrus donne une impression de
machiavlisme : tout en s'vertuant susciter l'affection des
Alexandrins, Germanicus parat la trouver disproportionne, ce
qui n'a d'autre effet que de la provoquer davantage. Cette duplicit, releve par l'historien Tacite, ne fut pas du tout du got de
Tibre: Sous le consulat de M. Silanus et de L. Norbanus [19 ap.
J.-C.], Germanicus part pour l'gypte, afin de connatre son lointain pass. Mais il donnait comme prtexte l'administration de la
province ; il fit diminuer, en ouvrant les entrepts, le cours des
grains et prit beaucoup de mesures agrables au peuple ; il marchait, en chaussures dcouvertes, sans escorte de soldats, vtu
exactement comme un Grec, imitant ainsi P. Scipion, dont nous
savons qu'il fit de mme en Sicile, bien que la guerre contre
Carthage fit encore rage. Tibre blma en termes modrs ce
comportement et cette tenue, mais adressa Germanicus de vifs
reproches pour avoir, contrairement la rgle fixe par Auguste,
pntr dans Alexandrie sans l'autorisation du prince 1
Malgr le temps qui passe, l'importance d'Alexandrie ne
dcrot pas. Retrouvons un incident dj voqu : la sauvage
rpression de la rvolte des Alexandiins par l'empereur Caracalla.
Aprs que ses soldats se furent livrs au pillage et au massacre avec
la dernire des sauvageries, le Csarordonne que l'on chasse tous
les non-Alexandrins de la ville. Sans doute esprait-il ainsi calmer
l'agitation populaire en purifiant la cit de ses lments les plus
pauvres, et donc sans doute les plus remuants.

1. TACITE, Annales Il, ux, 1-2, trad. P. GRIMAL in ID, uvres compltes, Paris,
Gallimard, Bibliothque de la Pliade, 1990, p. 461.

60

n Il
EXTRAIT DE LA LETTRE DE CARACALLA

P. Giss. 40 = Wilck. Chrest. 22 = SP215- 215 ap.J.-C,


(extraits)

Tous les gyptiens qui se trouvent Alexandrie, et surtout ceux


de la campagne, qui ont fui d'une autre rgion, et peuvent tre facilement dtects, doivent tre expulss par tous les moyens, l'exception toutefois des vendeurs de porcs, des bateliers et de ceux qui
apportent les roseaux pour chauffer les bains. Mais expulse tous les
autres : par la quantit de ceux de leur espce et leur inutilit, ils
perturbent la cit.
Je suis au courant qu'aux ftes de Sarapis et au cours de certains
autres jours de fte, les gyptiens ont coutume de descendre [par
bateau depuis la chra jusqu' Alexandrie] des taureaux et d'autres
animaux pour le sacrifice, ou mme d'autres jours: on ne doit pas le
leur interdire. Les personnes que l'on doit interdire sont celles qui
fuient leur propre campagne pour chapper aux contraintes rurales
[les liturgies?], et non ceux, cependant, qui s'assemblent pour visiter
la glorieuse cit d'Alexandrie, ou descendent pour jouir d'une vie
plus civilise ou faire momentanment des affaires. Pour le reste [ ... ]
Car les gyptiens indignes peuvent tre facilement reconnus
parmi les tisserands de lin par leur accent, qui prouve qu'ils ont
emprunt l'apparence et le costume d'une autre classe. En outre,
dans leur mode de vie, leurs manires trs loin d'tre civilises les
trahissent comme des gyptiens de la campagne.

Cette lettre est accablante. On y lit tout le mpris romain pour


les gyptiens indignes, qui se reconnaissent leur langue, leur
vtement et surtout leurs coutumes barbares. La prsence
d'gyptiens Alexandrie, qui traduit un exode rural provoqu par
les difficults conomiques, est vcue comme une invasion de sauvages. Car Alexandrie ne fait pas partie de l'gypte, on l'appelle
Alexandria ad JEgyptum, Alexandrie ct de l'gypte ; elle se
voyait en quelque sorte dtache de l'gypte. Oasis de civilisation
dans un dsert grossier, elle mprisait la chra.
Les rvoltes, dans l'esprit de Caracalla, ne pouvaient pas tre
le fait des Alexandrins civiliss. Elles provenaient du germe de
corruption prsent dans la ville : car comme tout ennemi intrieur, l'indigne est perfide, il se cache en esprant donner le
change. Qu'on l'expulse et la cit retrouvera son calme.
Et pourtant, l'Empire aun besoin vital de cette chra 1 Le pays
d'gypte recle en effet une richesse trs convoite : son bl.
On conclura ce survol des chos de la vie de l'Empire en gypte
par cette lettre prive. Elle est d'une assez grande banalit, mais
61

elle permet de percevoir en acte le transport du bl d'gypte, qui


assurait une bonne partie de l'approvisionnement de Rome.
n 12
UNE LETIRE DE ROME

BGU27=Ghedini1 = Wilck. Chrest. 445=SP113-Rome -

m s. ap. J.-C.
Irne Apollinaire son cher frre, mille bonjours. Je fais des
vux en toute circonstance pour ta sant : moi-mme je vais bien.
Je veux que tu saches que j'ai touch terre le 6 piph et que nous
avons dcharg [le bateau] le 18 du mme mois. Je suis arriv
Rome le 25 du mme mois et Dieu a voulu que l'endroit [la communaut ?] nous ait bien accueillis. Chaque jour nous attendons
.notre dcharge, car jusqu' aujourd'hui personne en charge du bl
n'a t dli. Mille saluts ta femme, Srnos et tous ceux qui
t'aiment, chacun par leur nom. Porte-toi bien. Le 9 Msor.
[Verso] Apollinaire de la part de son frre Irne.

Irne fait manifestement partie du convoi de bl collect en


gypte et il attend d'tre dcharg de cette obligation. Aprs tre collect dans toute l'gypte, le bl tait engrang dans d'immenses greniers prs d'Alexandrie et plac sous la protection de l'arme. Il tait
ensuite charg sur des bateaux et envoy Rome, dont il assurait une
bonne partie de la subsistance. Une fois dbarqu, il tait contrl et
vrifi par les services du prfet de l'annone, en charge de l'approvisionnement de la Ville. Quelquefois, les choses tranaient, comme
s'en plaint Irne. Heureusement, il a trouv un endroit accueillant
pour son sjour Rome : cette prcision et la mention de Dieu
ont fait penser qu'il s'agissait d'une lettre chrtienne.
Cette lettre donne l'occasion de voir comment se compose une
lettre antique. Le formulaire de la lettre demeure. relativement
fig. Elle dbute par une salutation de la forme [Expditeur]
[Destinataire], salut. Lorsque le destinataire est d'un rang suprieur l'expditeur, on prfre mettre son nom en avant, ce qui
donne: [Destinataire] de la part e [Expditeur], salut. La
formule de salutation est souvent simplement salut (xatpetv)
ou mille bonjours (1tO.. ou 1tEO"ta xatpetv). On peut quelquefois trouver e' npanetv ( se bien porter ), surtout dans les
lettres de condolances : se rjouir dans un moment de deuil
paraissait indcent.
Ensuite, vient une formula valetudinis, formule de bonne
sant : si tu vas bien, tout est pour le mieux ou je fais des
62

vux pour ta sant . On aurait grand tort de prendre ces vux


pour des formules creuses d'une politesse futile ou de croire que
certains correspondants en font trop. Dans une socit o l'esprance de vie demeure dsesprment faible et o la mort
menace chaque jour, la sant constitue un bien prcieux. Toute
maladie, tout voyage, toute msaventure peuvent se rvler fatals.
Puis vient le corps de la lettre, introduit souvent par un verbe
d'information: je veux que tu saches, sache donc,
apprends que , etc. Aprs le corps de la lettre viennent souvent
des transmissions de salutation : salutation des proches de l'expditeur au destinataire ( toute notre famille te salue ) ou
demande de salutation ( n'oublie pas de saluer X et Y). Enfin,
la lettre se conclut par une formule d'adieu : ppcooo ( porte-toi
bien ) si le destinataire est d'un rang social gal celui de
l'expditeur, E'tUXEt ( sois heureux ) dans le cas contraire.

3. - LA SUCCESSION DES EMPEREURS

Passant d'un prince l'autre, nous retrouvons Nron, dont les


papyrus conservent la notification d'accession au trne.
n13
NOTIFICATION DE L'ACCESSION DE NRON AU TRNE

P. Oxy. 1021 =Hengstl 10 = SP 235 - Oxyrhynchos 17 nov. 54 ap. J.-C.

Le Csarqui se devait ses anctres [Claude], le dieu manifest,


les a rejoints et l'attente et l'espoir du monde a t dclar empereur, le bon gnie du monde et la source de tout bien, Nron, a t
dclar Csar. Aussi devons-nous tous, en portant des guirlandes, et
avec le sacrifice des bufs, rendre grce aux dieux. La 1 anne de
!'Empereur Nero Claudius Csar Augustus Germanicus, le 21 de Nos
Sbastos [17 nov. 54 soit 25 jours aprs la mort de Claude].

Ce petit texte est trs caractristique d'une certaine prose officielle, friande en pithtes et en priphrases. Probablement
empoisonn par sa femme, Claude est mort. Selon la coutume
impriale, il est dclar dieu manifest immdiatement aprs
sa mort et son successeur est proclam Imperator (en grec Autocratr) et Ccesar- un nom propre devenu titre. Le nouveau rgne
commence par des crmonies religieuses.
63

Nouveau tmoignage (infime) de la prsence romaine,


soixante-dix ans aprs, un reu pour la statue d'Hadrien.
n14
REu POUR LA CONTRIBUTION LA STATUE n'HADRIEN
Ostracon O. lphantine 114- lphantine-Ouest-19 oct. 128
ap.J.-C.
Triadelphos, fils de [ ... ], percepteur. A pay Binchis, fils de
Petorzmthos, pour la statue, deux drachmes [soit] 2 dr. L'an 13
d'Hadrien notre matre, le 22 Phaphi.

Manifestation de pit politique et honneur pour une cit, la


participation la construction d'une statue de !'Empereur est galement une obligation, malgr la spontanit qu'on voudrait y
voir. Sur l'le lphantine, tous sont mobiliss pour apporter leur
tribut.

III
LES CHOS DE LA VIE DES JUIFS EN GYPTE

Les deux chapitres qui prcdent ont certainement du l'historien en mal d'vnements historiques, car les papyrus ne
donnent qu'une image affadie et indirecte des bouleversements
qui ont agit la Mditerrane antique. Les deux chapitres qui
suivent lui permettront de revenir sur cette dception. En effet,
qu'il s'agisse de la question juive en gypte ou de l'mergence
du christianisme, les documents d'poque fournissent des pices
uniques.
En ce qui concerne les Juifs en gypte, les papyrus et les ostraca
permettent de suivre de manire assez prcise leur prsence, leurs
activits, puis de prendre la mesure du drame qu'ont reprsent
les troubles de 39-41 et, surtout, la guerre juive de 117.

1. -

LES JUIFS EN GYPTE AVANT

41

AP.j.-C.

Les Juifs ont trs tt habit l'gypte. Dans la Bible, la Gense


et l'Exode conservent le souvenir- certes trs romanc -de leur
installation sous Joseph et de leur exode sous Moise, probablement fond sur d'effectives prgrinations. Les premires traces
archologiques de leur prsence dans la valle du Nil remontent
au temps de Josias, au VIIIe sicle av. J.-C. : il s'agit d'une petite
65

colonie militaire situe sur l'le lphantine, au large de Syne


(Assouan), avant la premire cataracte. La vie religieuse s' organise autour d'un temple YHW (et non, de faon surprenante,
YHWH), qui se trouve sur l'le.
La minorit juive en gypte prit vritablement de l'extension
avec la conqute d'Alexandre. Dsormais, la Jude et l'gypte
faisaient partie du mme empire et les Juifs, dj prsents en
Perse et en Syrie cause des dportations successives conscutives la prise de Jrusalem, s'installrent sur les ctes du sud de
la Mditerrane. La majorit d'entre eux se fixa Alexandrie,
mais certains choisirent de s'tablir dans la chra.
Si la majorit des Juifs taient des petits boutiquiers ou des
artisans d'Alexandrie, certains connurent un destin hors du commun, comme le fameux Dosiths dont on trouve la trace dans
le papyrus suivant.
n15
L'INTGRATION JUIVE : DOSITHS, HAUT FONCTIONNAIRE

P. Gradenwitz 2 = CP]ud. I, 127c -Hibeh - 224 av.J.-C.

Hraclide Clitarque, salut. Pour la visite de Dosiths qui


accompagne le roi, envoie, s'il te plat, 5.oies gaves.
[Verso] La 23 anne [de Ptolme III], le 6 Phamnth [21 avr.
224 av. J.-C.]. Hraclide propos des contributions qui doivent tre
envoyes. Clitarque.

Dosiths est n dans les annes 270 av. J.-C. En 240, il occupe
dj le poste d'hypomnmatographe (grand archiviste) de
Ptolme III et en 224, il voyage dans l'entourage du roi. Il doit
avoir une position enviable, car il bnficie d'une xnia particulire (cf. n 8). En outre, on ne mentionne pas son titre : il est tellement connu qu'on n'a pas besoin de le prsenter. En 223,
aprs avoir semble-t-il reni la religion de ses pres, le voil
prtre ponyme du culte d'Alexandre 1, l'un des tout premiers
personnages de l'gypte. En 217, on le retrouve la bataille de
Raphia, o il sauve la vie de Ptolme IV Philopatr.
1. Voici l'un des tmoignages: Sous le rgne de Ptolme fils de Ptolme et d'Arsino, dieux Adelphes, la 2~ anne [de Ptolme III], le prtre
d'Alexandre et des dieux Adelphes et des dieux Evergtes tant Dosiths fils de Drimylos,
la canphore d'Arsino Philadelphe tant Isidora fille d'Apollonios, la prtresse
d'Arsino Philopatr tant Brnice, fille de Pythangelos, etc.( CP]ud. r, 127e).

66

Tous les Juifs n'eurent pas une vie aussi extraordinaire : la


plupart partageaient l'existence des gyptiens, comme le prouve
cet accord.
n16
L'INTGRATION JUIVE : ACCORD POUR UN ATELIER DE POTIER

BGU 1282 = CP]ud.

I,

46 - Le Village Syrien (Fayoum) sicle av. J.-C.

II 0-I 0 '

Sabbataos fils d'Horus et son fils Dosas, potiers juifs du Village


Syrien Ptsouchos et ses fils Nphros et Nechthanoupis, salut.
Nous sommes d'accord pour partager avec vous l'atelier de poterie
appartenant Paous, fils de Sabbataos, qui se trouve Nilopolis
partir du 25 Tybi de la 7 anne jusqu'au 30 Msor de la mme
anne: 1/4 de ce qui m'appartient et 3/ 4 du quart de ce qui appartient mon fils. Nous paierons en commun la taxe, chacu~ selon sa
part. S'il y a des pertes ou des profits, ils seront communsiet rpartis. Nous ne pourrons pas quitter l'atelier de poterie avant la fin de
l'anne susmentionne, et vous ne pourrez pas nous jete hors de
l'atelier. Si nous n'agissons pas comme il est crit, nous paierons au
trsor 40 dr. d'argent. Le contrat sera valable partout.
crit pour eux par Charmon fils de Callicrats leur
demande, car ils ont dclar ne pas connatre leurs lettres. [2' main]
Sabadon fils de Nicn est tmoin. [3' main] Nicodrome fils de
Philippe est tmoin ..

Il s'agit d'un arrangement entre deux potiers juifs et deux


potiers gyptiens pour partager un atelier dans le Village Syrien,
au sein du Fayoum. Le propritaire de l'atelier semble juif. C'est
peut-tre le fils et le frre des deux. Les deux Juifs vivent en
contact troit avec les habitants de la rgion. D'ailleurs, Paous fils
de Sabbataos porte un nom gyptien alors que son pre semble
juif: nouvelle preuve d'intgration.
La coexistence ne semble pas avoir pos beaucoup de problmes, et l'on a mme retrouv les synagogues et les bains
rituels, dans lesquels les Juifs ont pu pratiquer leur religion.
Alexandrie devient le sige d'un foyer de culture brillant. En particulier, les Juifs ditrent et traduisirent Alexandrie la premire version grecque de la Bible, la version des Septante.
Dmtrios, un historien faisant le rcit des rois de Jude, crivit
Alexandrie son histoire, et certains livres tardifs de la Bible
furent rdigs Alexandrie.
Preuve de l'intgration des Juifs, les mariages mixtes semblent
avoir exist, mme avec les Grecs, comme le prouve la plainte
d'Helladot.

67

n17
UNE PLAINTE D'UNE FEMME CONTRE SON MARI

P. Enteuxeis 23 = CP]ud.

1,

128 - Magdola-11mai218 av.J.-C.

Au roi Ptolme salut. De la part d'Helladot. Je suis lse par


Jonathas mon mari [... ]. Ayant sign le contrat [... ] de m'avoir
pour femme selon la loi civique des Juifs, il veut prsent renoncer
[ la vie commune et me demande une somme de] 100 drachmes
ainsi que la maison, ne m'assure pas le ncessaire, me met la porte
[ ... ] et me fait en permanence tout le tort possible.
C'est pourquoi, Sire, je te prie d'ordonner au stratge
Diophans d'crire [ ... ] l'pistate du village de Samaria, pour
qu'il ne permette pas [que cela continue] et d'envoyer Jonathas
Diophans pour [qu'il le convainque de revenir sur ses intentions]. Ceci fait, [j'aurai obtenu justice grce toi]. Sois heureux 1
[Verso] La 4 anne [de Ptolme IV], le 3 de Dias, le 27 de
Phamnth. Helladot, fille de Philonide, propos de la dot et de
[

... ] .

Helladot, d'aprs son nom, semble tre grecque, mais elle a


pous Jonathan selon la loi civique des Juifs , qui permet un
homme de rpudier sa femme. Or cette disposition s'oppose aux
lois grecques qui reconnaissent l'galit du mari et de la femme
face au divorce et qui interdisent au mari de jeter dehors sa
femme. Toutefois, Helladot excipe de la Loi juive comme d'une
loi civique : elle est range ct des autres lois trangres au droit
grec que le Lagide respecte, au mme titre que les lois gyptiennes,
par exemple.
La prsence d'une forte communaut juive en gypte ne va
cependant pas sans crer des frictions avec les fodignes et avec
les Grecs. Aussi assiste-t-on ce que l'on pourrait qualifier
comme des pousses d'antijudasme . Sans doute convient-il
d'tre extrmement prudent. Comme nous l'ont appris les textes
n 5, n 6 et n 7, les gyptiens taient naturellement mfiants
envers les trangers, non seulement l'gard des Grecs, mais
galement vis--vis de ceux qui avaient le malheur de ne pas
tre du coin. Toutefois, les deux textes qui suivent montrent
l'existence d'un sentiment spcifiquement antijuif au sein de la
population gyptienne.

68

n18
UNE MANIFESTATION D'ANTI:JUDASME?

SB 9564 = P. !FAO 104 1 = CP]ud. I, 141 - origine inconnue I er"l


s1ec e av. JC
.- .
Hracls au dicte [ministre des finances] Ptolme, mille
bonjours et vux de bonne sant.J'ai vujap [ ... ] Memphis pour
le prtre de Tebtynis, etje [lui ai demand] d'crire une lettre pour
que je sache o il en est Je t'en prie, tche de voir comment il
pourra chapper aux embches et conduis-le par la main; s'il
a besoin de quoi que ce soit, agis comme tu le fais pour
Artmisodore, et fais-moi le plaisir de fournir au prtre le mme
logement. Tu sais bien que les Juifs leur donnent la nause. Salue
[ ... ]ibas, pimns, Tryphonas [ ... ] et prends soin de toi.

Tu sais bien que les Juifs leur donnent la nause : l' expression est forte et voque une animosit brutale. Pourtant, il convient
d'tre prudent. Rappelons les faits. Manifestement, Hracls, malgr son patronyme paen, doit tre juif ou proche des Juifs puisqu'il
demande au dicte, l'un des premiers personnages du royaume,
de se proccuper du logement d'un prtre de Tebtynis ,qui est
un prtre juif. Ce dicte doit tre lui aussi l'ami des Juifs puisqu'il
compte un certain Tryphonas dans ses connaissances, qui portait
un nom assez rpandu chez les Juifs. Le prtre juif doit tre de passage Memphis ; il se rend peut-tre au Temple de Lontopolis et
semble ne pas tre le bienvenu Memphis.
Le contraire serait surprenant. Memphis n'tait-elle pas l'une
des capitales religieuses de l'gypte ? Pour le prtre d'une religion
monothiste, dclarant haut et fort que le polythisme revenait
de l'idoltrie, sjourner Memphis se rvlait une opration extrmement prilleuse. En outre, il convient de ne pas surestimer
l'expression d'Hracls. Ce dernier a une grande culture littraire et manie une forme d'ironie par exagration : chapper
aux embches, conduis-le par la main. Le terme qu'il
emploie, le verbe vomir , est trs courant dans la Septante, la
version grecque de la Bible juive : sans doute manie-t-il l'hyperbole
de manire plaisante.
Mais la conqute romaine met fin une priode relativement
faste pour les Juifs. Juridiquement, d'abord, ils perdent leur
1. Nous travaillons partir du texte et des suggestions de traduction de
Roger R.MONDON, Les Antismites de Memphis>>, Chronique d'gypte 35
(n 70), 1960, p. 244-261.

69

exception culturelle : alors que les Grecs ne conservent leur


droit de cit que da~s trois villes (puis 1uatre), les Juifs sont dsormais assimils aux Egyptiens.

2. - LA PREMIRE RVOLTE (37-41)

Une grande animosit entre les communauts prend peu peu


corps. Elle clate la mort de Tibre en 37 ap. J.-C. Le prfet de
1'poque tait Aulus Avilius Flaccus, un bon administrateur qui
avait le dfaut d'tre un ami personnel de l'empereur dfunt:
comment pouvait-il plaire Caligula qui lui a succd ? Pour se
trouver des allis, le voil qui se rapproche des nationalistes
alexandrins, farouchement antijuifs. La crise latente clate lors
d'une visite du roi de Jude Agrippa Jr : pour le ridiculiser, les
Alexandrins ralisent une parodie de visite royale avec un mendiant dguis en roi. En mme temps, Flaccus exige que l'on rige
des statues de Caligula dans les synagogues. C'est l'insurrection.
Aux meutes juives succdent des contre-manifestations
grecques, puis de nouvelles rvoltes juives. En aot 38, tous les
Juifs sont dpouills de leurs biens ; pour les reconnatre, on leur
fait le test du porc et de la circoncision ; certains prissent mme
sur le bcher, une sanction rarissime dans !'Antiquit, rserve
aux crimes politiques. En octobre 38, Flaccus est exil puis assassin, tandis que le grand intellectuel Philon d'Alexandrie (t 54)
part dans une ambassade auprs de Caligula qu'il dcrit dans sa
Legatio ad Gaium.
Un sentiment antijuif diffus gagne toutes les couches de la
socit ; pire, il se banalise, comme le prouve cette lettre d'un
provincial un ami alexandrin:
n19
!
BGU 1079 = CP]ud. 11, 152 = SP 107 = Olsson 30 = Wilck. Chrest. 60 Abusir el-Melek - 4 aot 41 ap. J.-C.
PRENDS GARDE AUXjUIFS

Sarapion notre cher Hraclide, salut ! Je t'ai envoy deux


autres lettres, l'une par Ndymos, l'autre par le porte-pe Cronios.
En outre, j'ai reu par l'Arabe ta lettre, je l'ai lue et elle m'a boulevers. Suis Ptollarion pas pas! Peut-tre qu'il pourra te tirer
d'affaire. Dis-lui: Moi, c'.est moi, les autres, c'est les autres. Moi, je
ne suis qu'un petit esclave. Pour un talent, je t'ai vendu ce que je

70

transportais : je ne sais pas ce que mon patron va faire de moi. Nous


avons beaucoup de cranciers. Ne nous perturbe pas tant. Pose-lui
des questions tous les jours ; peut-tre qu'il pourra avoir piti de toi.
Sinon, comme tout le monde, toi aussi, prends garde aux Juifs !
Mais suis-le et tu pourras t'arranger avec lui. Ou bien, grce
Diodore, tu peux faire signer la tabula par l'intermdiaire de la
femme du prfet. Si tu ne t'occupes que de tes affaires, tu n'auras
rien te reprocher. Mes meilleures salutations Diodore. Porte-toi
bien ! Mes salutations Harpocration.
Premire anne de Tiberius Claudius Csar Augustus Germanicus
Imperator [!'Empereur Claude] le 11 du mois de Casarios.
[Verso] [Porte cette lettre] Alexandrie, dans l'agora d'Auguste,
la boutique d'Hraclide, de la part de Sarapion, fils de [ ... ],fils
de Sosipatros.

Le contexte est extrmement obscur. On peut simplement


supposer qu'Hraclide a fait faire de mauvaises affaires
Ptollarion d'une manire ou d'une autre, et qu'il ne veut pas en
porter la responsabilit. Son ami lui conseille donc ou bien de se
faire pardonner par un travail de sape auprs de ce dernier, en
ne cessant de lui demander de l'aide, ou bien de circonvenir la
femme du prfet afin qu'elle intervienne auprs de son mari.
En revanche, la phrase contre les Juifs est claire : comme tout
le monde, toi aussi, prends garde aux Juifs. Dans une ville sans
cesse en bullition, o les meutes se succdent, il est de notorit
publique qu'il faut se mfier des Juifs et viter de se rendre dans les
quartiers o ils habitent. Le plus tragique est que Sarapion nonce
cette mise en garde au dtour d'une phrase, comme une vidence.
Cette premire rvolte des Juifs fit long feu. Les agitateurs
alexandrins sont excuts et Claude, le nouvel empereur, fait
paratre un dit qui exhorte au calme. Ce texte, trs clbre, apaisa
les tensions.
n20
LETIRE DE CLAUDE AX ALEXANDRINS

P. Land. 1912

CP]ud.

153 = Schubert 60 = SP 212 - Philadelphie


-10 nov. 41 ap.J.-C.

11,

< 1. > Lucius JEmilius Rectus dclare :


Puisque, en raison de son nombre, tout le peuple de la cit n'a
pu tre prsent la lecture de cette lettre trs sacre et trs bnfique pour la cit, j'ai estim ncessaire de la publier afin que cha,cun de vous la lise, s'merveille de la grandeur de notre dieu le
Csar et que vous puissiez louer la bienveillance qu'il manifeste

71

envers notre cit. L'an 2 de Tiberius Claudius Csar Augustus


Germanicus lmperator, le 14 du mois de Nos Sbastos.
< 2 > Tiberius Claudius Csar Augustus Germanicus Imperator
Pontifex Maximus, dtenteur de la Puissance Tribunitienne, consul
dsign, la cit d'Alexandrie, salut.
< 3 > Tiberius Claudius Barbillus, Apollonios fils d' Artmisodore, Charmon fils de Lonidas, Marcus Julius Asclpiade,
Gaius Julius Dionysios, Tiberius Claudius Phanias, Pasion fils de
Potamon, Dionysios fils de Sabbion, Tiberius Claudius Archibios,
Apollonios fils d'Ariston, Gaius Julius Apollonios, Hermascos fils
d'Apollonios, vos ambassadeurs, m'ont prsent le dcret en me
parlant longuement de votre ville, attirant mon attention sur les
bons sentiments que vous manifestez envers nous, et qui, depuis de
longues annes, soyez-en srs, sont conservs dans ma mmoire ;
vous avez marqu votre pietas [fidlit] envers les Augustes de
nombreuses reprises, je le sais, et vous avez manifest un extraordinaire empressement pour ma maison. Pour n'en citer que le dernier grand tmoignage, un parmi tant d'autres : mon frre
Germanicus Ccesar s'est adress vous dans une langue qui vous est
familire. C'est pourquoi, j'ai agr avec plaisir les honneurs que
vous m'avez rendus, mme si je n'y suis pas enclin.
< 4 >Aussi, en premier lieu, je vous laisse dclarer augustus
[sacr] mon anniversaire, comme vous l'avez d'abord demand, et
je consens ce que vous fassiez riger partout des statues de moi et
de ma famille :je vois que vous tes empresss d'tablir des rappels
de votre pietas envers ma maison.
< 5 >Quant aux deux statues d'or, celle de la Pax Augusta
Claudiana que je voulais refuser par peur de paratre odieux, elle
sera rige Rome, comme mon cher Barbillus l'a suggr et m'en
a exhort; l'autre sera porte en procession chez vous les jours ponymes, ainsi que vous l'avez demand, sur une chaise curule que
vous ornerez votre envie.
< 6 > Il serait sot d'accorder tant d'honneurs et de refuser la
cration d'une tribu Claudienne et la conscration d'un bois sacr
selon la coutume gyptienne: cela aussi, je l'accorde.
< 7 > Si vous le voulez, rigez galement une statue questre de
mon procurateur Vitrasius Pollio.
< 8 >Je vous autorise l'dification des quadriges que vous voulez
placer l'entre de votre pays, l'un Taposiris de Libye, l'autre au
Phare d'Alexandrie, le troisime Pluse d'gypte.
< 9 > En revanche, je refuse la cration d'un grand prtre et
d'un sanctuaire qui me soient consacrs : je ne veux pas paratre
odieux mes contemporains et j'estime que les temples et les autres
difices sacrs ont t attribus exclusivement aux seuls dieux dans
tous les ges.
< 10 > En ce qui concerne les dcisions que vous avez tch de
me faire prendre,je les connais :je confirme et garantis tous ceux

72

qui ont t phbes avant le dbut de mon principat la c"t

,
d
'

J
.
oyennete
a1exan nne avec tous es droits et les bnfices attachs cette cit,
l'exception de ceux qui ont russi devenir phbes malgr leur
Il 1

origine i;e.~le.Je veux galement confirmer tous les privilges qui .


vous ont t accords avant moi par mes prfe~. les empereurs et .
les rois, comme le dieu Auguste les avait confirms.

< 11 >Quant aux ncores du temple d'Alexandrie, qui sont


tirs au sort pour le dieu Auguste, je veux qu'ils soient tirs au sort
de la mme faon que ceux du dieu Auguste de Canope.
< 12> Il me semble que vous avez bien fait de dcider que les
charges de la cit durent trois ans : vos magistrats se comporteront
avec mesure le temps de leur charge, de peur qu'on les poursuive
pour mauvaise gestion.
< 13 > En ce qui concerne le conseil que vous teniez au temps
des anciens rois, je n'ai rien en dire, mais vous savez que vous n'en
aviez pas sous les empereurs avant moi. .. Puisque c'est une question
nouvelle qui se pose pour la premire fois devant moi, et qu'il n'est
pas certain que ce conseil profite la cit et mes affaires, j'ai crit
.iEmilius Rectus d'enquter et de me faire un rapport, pour savoir
s'il faut constituer ce conseil, et, si oui, de quelle manire le faire.
< 14 > En ce qui concerne les troubles et les meutes contre les
Juifs - ou plutt, s'il faut dire la vrit, la guerre -,je n'ai pas cherch savoir prcisment qui en tait la cause, mme si, au cours
d'une confrontation, vos ambassadeurs ont beaucoup insist sur ce
point, et particulirement Dionysios fils de Thn : j'amoncelle en
moi une fureur impitoyable contre ceux qui recommenceraient. J
vous fais donc savoir simplement que, si vous ne calmez pas cette
fureur mutuelle odieuse et funeste, je serais forc de vous montrer
de quoi est capable un prince bienveillant quand il est saisi d'une
juste colre. C'est pourquoi, une fois encore, je conjure les
Alexandrins de se conduire avec douceur et bienveillance envers les
Juifs qui vivent dans la mme ville depuis si longtemps, de ne pas
dshonorer ce qui fait traditionnellement partie du culte qu'ils rendent leur dieu, et de les laisser observer leurs coutumes, comme
ils le faisaient sous le dieu Auguste : je les ai confirmes aprs avoir
reu les deux parties.
< 15 > Quant aux Juifs, je leur ordonne fermement de ne pas
chercher obtenir plus qu'ils avaient avant, de ne plus m'envoyer
une seconde ambassade, comme s'ils vivaient dans deux cits diffrentes, ce qui ne s'estjamais vu, ni de vous immiscer dans les jeux
des gymnasiarques et des cosmtes : qu'ils profitent d'une abondance infinie de biens, en jouissant de la maison qu'ils habitent dans
une cit trangre. Qu'ils n'invitent plus ou ne fassent plus venir
des Juifs de Syrie ou d'gypte en leur faisant descendre le Nil:
qu'ils ne me forcent pas concevoir davantage de soupons 1Sinon,
je les chtierai pa:r tous les moyens, comme s'ils propageaient une
maladie dans le monde entier.

73

< 16 >Mais si, en vous dtournant de ces querelles, vous consentez vivre ensemble avec douceur et bienveillance les uns pour les
autres, moi, je montrerai, comme par le pass, une bienveillance
pour la cit semblable celle que l'on prouve pour une maison
qui nous vient des aeux.
< 17 > Mon ami Barbillus, je peux en tmoigner, vous a toujours
soutenus devant moi et il a men pour vous le combat avec le plus
grand zle. Il en va de mme de mon ami Tiberius Claudius
Archibios. Portez-vous bien.

La lettre de Claude - qui suit l'introduction du pr~fet < 1 > - ne


traite de la question juive qu' la fin du texte. Elle commence
par une belle manuvre politique: Claude fait pckser pour un
grand lan de magnanimit d'agrer les honneurs q~e l'on tient
lui rendre, la suite de son frre Germanicus (cf. ni,IO). Non seulement il consolide ainsi son pouvoir tout en se canitonnant dans
une modration de bon aloi, et rappelle discrtem~nt qui est le
matre, avant d'employer dans la suite de la lettre le discours de la
fermet. Malgr sa rpugnance dclare, il accepte donc une fte
pour son anniversaire, l'rection de statues < 4 >, l'tablissement
d'une procession d'une statue en or sa gloire < 5 >, l'institution
d'une tribu portant son nom et d'un bois sacr < 6 >, l'rection
d'une statue questre de son reprsentant< 7 >ainsi que l'dification de quadriges< 8 >.En revanche, il refuse explicitement de se
faire diviniser de son vivant < 9 >,.requte inspire sans doute de la
monarchie lagide mais qui aurait t odieux pour des Romains.
Ensuite, l'Empereur se proccupe de questions politiques : il
confirme des privilges< 10-11 >et entrine des dcisions municipales< 12-13 >.
Enfin, il en vient aux troubles avec les Juifs< 14-15 >.Cette foisci, le ton devient beaucoup plus ferme. Il commence par exhorter
au calme en fulminant des menaces peine voiles contre les fauteurs de troubles. Puis, se tournant vers les Juifs, il leur prche
l'apaisement en leur demandant de faire cesser les troubles dont ils
sont responsables. En effet, si ce sont bien les Grecs d'Alexandrie
qui ont allum la guerre, les Juifs se sont rattraps l'annonce
de la mort de Caligula en dclenchant une insurrection au
Gymnase, le centre de l'hellnisme, et en faisant appel des renforts venant de la chra ou de la Palestine (alors situe dans la province de Syrie). L'origine de cette agitation s'explique peut-tre par
la recommandation de !'Empereur de ne pas s'immiscer dans les
jeux organiss par les Grecs. Certains Juifs trs hellniss s'taient

74

sans doute frauduleusement mls eux pour se prvaloir des


mmes honneurs, ce qui avait dclench l'opposition des citoyens.
Les mots de !'Empereur sont durs, car il traite les Juifs d'trangers et les compare une maladie : en ralit, il ne fait que
reprendre les termes d'une confrontation des ambassades qui a
eu lieu devant lui et ne fait que rappeler la situation juridique des
Juifs qui sont considrs comme des immigrs Alexandrie.
La position du Prince est trs quilibre et cherche la conciliation. Pour viter de nouveaux troubles, il renonce rechercher les responsables et demande d'en revenir au sta'tu quo ante.
Son objectif rside avant tout dans le maintien de la paix: rien
d'tonnant ce qu'il accepte finalement d'riger une statue de
la Pax Augusta Claudiana dans le Forum 1
La lettre de Claude eut le succs attendu. La paix allait durer
plus d'un quart de sicle dans l'Empire, et prs de 75 ans en
gypte. En effet, la catastrophique rvolte de Palestine de 66-70,
qui conduisit une rpression froce et se solda par la destruction du Temple de Jrusalem, eut peu de retentissement sur la
situation des Juifs d'gypte. Alors que les Juifs de Jude taient
chasss de Jrusalem et tentaient de survivre la catastrophe en
exprimentant une vie sans Temple, les Juifs d'gypte, accoutums depuis longtemps au judasme des synagogues, ne connurent
pas de changements radicaux. Ils durent simplement payer un
nouvel impt: Vespasien, estimant que l'impt juif du didrachme
destin au Temple n'avait plus de raison d'tre, dcida de le maintenir son propre profit. Il cra ainsi un impt juif, vers partir
de Domitien dans un compte spcifique, le fiscus judacus.
n 21
STRACON DE L'IMPT JUIF

O. Edfou 41

= CP]ud. II, 162 -

Edfou (Apollinopolis Magna) 28 jan. 72 ap. J.-C.

Niger fils d'Antonius Rufus, pour le didrachme des Juifs la


4 anne du rgne de Vespasien, 8 drachmes 2 oboles. Le 3 Mchir.

Le didrachme du Fiscus ]udacus tait d par tous les Juifs,


homme ou femme, de 3 60/62 ans. En gypte, deux drachmes
valent huit drachmes deux oboles : Antonius Rufus paie en
drachmes gyptiennes qui ne valaient pas les drachmes romaines ;
et le montant du didrachme est pass entre-temps deux deniers,
soit huit drachmes.

75

3. - LA SECONDE RVOLTE (115-117)


En dpit de ces petites vexations pcuniaires, le dsastre ne survint que quarante annes plus tard. partir de 115, sous le rgne de
Trajan, pour des raisons que l'on connat mal, toutes les communauts juives s'embrasrent, aussi bien enJude qu'en gypte. Une
vritable guerre commence, dont lesJuifs sortiront grands perdants.
En 115, peu aprs le Jour de l'An, Aline, une jeune marie,
crit son mari Apollonios qui occupe le poste de stratge.
Rsidant Heptacomi, prs d'Hermoupolis, son mari - qu'elle
appelle ici son frre sans qu'il soit vident que le couple est
incestueux (mme lgalement, selon la vieille coutume gyptienne) - est dpch Memphis pour mater la rvolte. Aline se
ronge les sangs pour lui.
n 22
UNE POUSE INQUITE

R Giss. 19 = CP]ud. II, 436 - Hermoupolis -Aot-Sept. 115.


Aline Apollonios son frre, mille bonjours.Je suis terriblement
inquite pour toi cause de ce qu'on dit de la situation et parce que
tu m'as quitte si soudainement.Je n'ai plus envie ni de manger ni
de boire, etje demeure veille, jour et nuit, avec un seul souci :ton
salut. Seule la diligence de mon pre me maintient en vie et le 1'
jour de la nouvelle anne, sur ton salut, je serais reste couche sans
manger, si mon pre n'tait venu me forcer. Je te supplie de
prendre garde toi et de ne pas t'engager dans le danger seul et
sans garde. Fais comme le stratge d'ici, qui fait porter le fardeau
ses officiers ... [la suite est mutile].

L'inquitude d'Aline n'a rien de feint: comme le prouve la


lettre suivante, trs mutile, les Romains subissent de sanglants
revers.
n 23
UNE DFAITE ROMAINE

CP]ud.

II,

438- Hermoupolis -116/117

Le seul espoir et la seule attente restants rsidaient dans l'ardeur


de la masse des villageois de notre nome contre les Juifs impies;
mais l'heure qu'il est, c'e~t le contraire qui s'est pass. En effet, le
20, les ntres ont combattu, ont t battus et beaucoup d'entre eux
ont t tus [ ... ].Cependant, nous venons d'apprendre la nouvelle
que des hommes arrivent de [ ... ] et qu'une autre lgion de Rutilius
est arrive Memphis le 22 et qu'elle est attendue.

76

Malgr les efforts du prfet d'Egypte, Marcus Rutilius, les


Romains sont battus. Pourtant, les Juifs combattent sur deux
fronts: non seulement ils luttent contre les Romains, mais ils
subissent aussi les assauts des villageois - :gyptiens et Grecs - qui
ont pris fait et cause contre eux.
Petit petit, les dfaites juives s'accumulent. Aphrodisios, l'un
des serviteurs du stratge Apollonios rencontr dans le texte
n 22, se fait l'cho de l'une d'entre elles: une bonne nouvelle
pour Aline.
n 24
UNE VICTOIRE ROMAINE

P. Giss. 27 = CP]ud. II, 439

= Wilck.

Chrest. 17 - Hermoupolis - 117

Aphrodisios son cher Hraclios, salut.J'ai appris de gens arrivs aujourd'hui d'lbin qu'ils ont fait route avec un esclave de notre
matre Apollonios. Il venait de Memphis apporter la bonne nouvelle de la victoire et du succs. C'est pour cela que je t'envoie spcialement une lettre, afin que je puisse tre sr de la nouvelle, que
je fte la victoire et fasse les offrandes aux dieux qui conviennent.
S'il te plat, informe-m'en rapidement, mon cher. Deux petits
esclaves de l'Oasis ont t apports au matre, l'un a quatre ans,
l'autre trois [ ... ].Je fais des vux pour ta sant, mon ami.
[Verso] Hraclios, l'intendant (n:l:tpon:o) d'Apollonios.

Malgr les victoires romaines, la situation ne s'amliore pas


pour la famille d'Aline. Eudaimonis, sa mre, lui fait part de ses
difficults : portrait d'un pays en guerre civile.
n 25
EUDAMONIS CRIT SA FILLE ALINE

P. Brem. 63 = CP]ud.

II,

442 - Hermoupolis - 16 juill. 117 ap. J.-C.

Eudamonis sa fille Aline, salut. Avant tout, je prie pour que tu


accouches terme et que l'on m'apprenne que c'est un fils. Le 29,
tu es partie en remontant le Nil, et le lendemain j'ai commenc
tisser. J'ai enfin reu la livraison du teinturier le 10 d'piph. Je travaille de concert avec tes esclaves, comme je peux.Je ne trouve pas
des filles capables de travailler avec moi, car toutes travaillent avec
leurs propres matresses. Nos gens ont fait le tour de la ville pour
rclamer de plus gros salaires. Ta sur Souerous a accouch. Teus
m'a crit pour me dire sa gratitude envers toi: je sais ainsi,
madame, que l'on suit mes instructions. Elle a quitt tous les siens
pour te rejoindre. La petite te salue et elle fait bien ses devoirs.
Sache que j'ai bien l'intention de laisser tomber le dieu, tant que je
ne reverrai pas mon fils. Pourquoi m'as-tu envoy 20 drachmes,

77

alors que je ne n'ai plus de plaisir? J'ai dj sous les yeux que je
serais toute nue pendant l'hiver. [2' main] Porte-toi bien. Le 22
piph. [Sur la marge gauche, de la ]"main] La femme d'Eudmos est
reste etje lui en sais gr. [3' main] Aline, sa fille.

Eudamonis se montre une femme courageuse : malgr la


guerre, elle veut continuer travailler. Et cette femme d'un certain ge, sans doute d'une bonne famille - sa fille n'est-elle pas
marie un stratge ? -, n'hsite pas travailler de ses mains. Les
ouvriers font en effet cruellement dfaut et entendent profiter
de la faiblesse des patrons pour obtenir de meilleures conditions : Eudamonis travaille comme elle peut avec les esclaves.
Elle ne renonce pourtant pas tre lgante et se plaint de ne
rien avoir se mettre ...
En dpit des dolances de la coquette, aprs deux ans de
troubles, la dfaite des Juifs est terrible : lorsque Hadrien monte
sur le trne, la pacification du pays s'achve, mais les Juifs ont
pratiquement disparu du pays. Leurs biens sont d'ailleurs confisqus comme le. prouve la demande d'Aquilius Pollion.
n26
LA CONFISCATION DE BIENS JUIFS
P. Oxy. 1189 - Oxyrhynchos - vers 117/118 ap. J.-C.
(extraits)

Aquilius Pollion stratge de l'Hraclopolite son cher


Apollonios, stratge de l'Oxyrhynchite, salut.Je te prie de recevoir
deux lettres que j'ai crites, l'une toi et l'autre Sabinus, le stratge du Cynopolite, propos de la liste des biens possds par les
Juifs ainsi que cette liste elle-mme. Garde ta propre copie et transmets l'autre au Cynopolite.
[Verso] Apollonios, stratge de l'Oxyrhynchite.

Le stratge d'Hraclopolis crit celui d'Oxyrhynchos et lui


transmet la liste des biens saisis chez les Juifs. Ce faisant, il rvle
leur situation : victimes des confiscations, les Juifs d'gypte ont
perdu toutes leurs possessions.
Pourquoi les Juifs d'gypte se soulevrent-ils ? Les rancurs
accumules par la perte de leur citoyennet ou la destruction du
Temple et peut-tre amplifies par une agitation messianique ont
souvent t mentionnes par les historiens, elles n'expliquent
pas la folie de l'entreprise. Comment une minorit pouvait-elle
esprer vaincre le matre de la Mditerrane, au.quel, pour une

78

fois, s'taient allis les Grecs et les gyptiens ? Leur rbellion


tait irraliste. Elle fut aussi meurtrire : beaucoup de Juifs prirent, certains se fondirent dans la population gyptienne en
abjurant leur judat, aucun ne retrouva l'existence brillante
qu'il avait connue. Les registres du .fiscus judacus sont accablants :
Edfou, on ne trouve plus d'ostraca mentionnant l'impt juif
aprs 117 ; il n'tait pas aboli, il ne restait plus personne pour le
payer. Cinquante ans aprs, Caranis, une ville du Fayoum qui
comptait plus d'un millier d'habitants, il n'y a plus qu'un Juif
s'acquitter de l'impt juif. ~es communauts juives s'effacent
presque compltement de l'Egypte.

IV

L'MERGENCE DU CHRISTIANISME EN GYPTE

Les dbuts du christianisme en gypte furent modestes, et nous


ne savons quasiment rien de l'introduction de la nouvelle religion
dans le pays. La tradition attribue Marc, l'auteur prsum de
l'vangile, la fondation du patriarcat d'Alexandrie. Historiquement, rien ne permet d'tre aussi affirmatif. Il est assur, en
revanche, que cette ville, curieuse de philosophie et de religion, a
constitu un terreau favorable la nouvelle religion ; elle a en tout
cas procur au christianisme gyptien ses premires troupes.

1. -

LES DBUTS DU CHRISTIANISME EN GYPTE

Alors que les premiers crits du christianisme - les lettres de


saint Paul-datent de 50-57, il est assez probable que la premire
ptre gyptienne soit celle de Barnab 1 : la lettre proviendrait
d'Alexandrie et aurait pour but de dfinir les rapports entre les
Juifs et les chrtiens; les chrtiens, affirme Barnab, doivent
se comporter d'une faon compatible avec leurs privilges sans
renier l'ancienne alliance. Le premier document gyptien que
1. Martin B. SHUKSTER & P. RICHARDSON, Barnabas, Nerva and the Yavnean
Rabbis ,Journal ofTheologfral Studies 34, 1983, p. 31-55.

80

l'on suspecte avoir t crit par un chrtien (puisqu'il fait mention


d'un Dieu qui aime personnellement l'auteur de la lettre) est
assez banal : les dbuts papyrologiques du christianisme en gypte
sont finalement assez modestes.
n27
LE PREMIER DOCUMENT CHRTIEN D 'GYPTE

P. Mich. 482 = Naldini 1 - origine inconnue - 23 aot 133

[le dbut fait difaut] et si tu veux quelque chose, cris-moi tout ce


que tu veux. On tient en rserve ton petit capuchon jusqu'
aujourd'hui. Ils l'ont renvoy encore une fois en Syrie et me l'ont
apport sans retard.Je fais des vux pour ta sant.
Ue l'ai] chez moi. Pteus, qui crit la lettre pour moi, te salue
encore et encore, ainsi que ta femme, ta fille, ton cheval Bassos et
[ ... ] : c'est moi qui te le demande, mon frre. Si tu veux venir et
m'emmener avec toi, fais-le :je te suivrai partout o tu m'emmneras. Comme je t'aime, Dieu m'aimera. Je prie pour ta sant.
La 17 anne de l' Imperator Csar Trajan us Hadrianus Augustus
[Hadrien], le 30 Msor selon les Grecs. Et n'hsite pas m'crire
des lettres, car je me rjouis toujours davantage, comme si tu tais
venu. Depuis le jour o tu m'as envoy une lettre, j'ai t sauf.

crite dans un grec trs personnel qu'il n'a pas t toujours


possible de rendre, cette lettre montre la touchante affection
d'un inconnu pour son frre. Elle manifeste en particulier un
lieu commun trs particulier de l'pistolaire grco-romain : la
lettre comme substitut de la prsence 1
2. -

L'GLISE PERSCUTE

Revenons-en l'histoire du christianisme en gypte. Aprs ses


discrets commencements, le christianisme gyptien entra de
plain-pied dans l'histoire sous l'empereur Commode (v. 180) et
surtout sous Septime Svre. En 200-202, en effet, !'Empereur
visita l'Orient. Au cours d'un sjour en Palestine, il dfendit ses
sujets de se faire Juif et tendit les peines encourues aux chrtiens. Son courroux se renfora en arrivant en gypte : il y rencontrait un christianisme dj florissant, runi en particulier
autour du Didascale, l'cole fonde par Pantne, dans laquelle
s'illustrait le grand thologien saint Clment d'Alexandrie. Il
1. Voir le dernier chapitr.

81

dclencha une pe.rscution: de nombreux martyrs prirent,


corchs ou brls vifs.
Mais cette premire perscution ne russit pas enrayer l'essor
de la nouvelle religion. Une cole florissante foisonnait
Alexandrie (l'cole alexandrine), autour de saint Clment, derechef, et d'Origne (qui finit par tre dclar hrtique par un
concile Alexandrie en 231). Paralllement, des coles gnostiques, taxes plus tard d'hrtiques, naissaient autour de Basilide
et de Valentin. Les rgnes suivant celui de Septime Svre, plus
apaiss, permirent le renforcement du christianisme gyptien.
Ce n'est que sous l'empereur Dce (249-251) que le christianisme gyptien retrouva la voie de la perscution. Pour reconnatre les chrtiens, le Csar avait eu une ide brillante:
puisqu'ils abhorraient le culte imprial et prenaient les dieux de
Rome - et particulirement les empereurs - pour des faux dieux,
qu'on fasse sacrifier toute la population ! Ceux qui acceptaient
de brler quelques grains d'encens devant une statue recevraient
un certificat, les autres seraient perscuts. Un dit spcifique
ordonna donc de sacrifier aux dieux en prsence de toute la
population. Ceux qui acceptaient recevaient ainsi un certificat
( libellus) et devenaient des libellatici.
n 28
LIBELLE DE LA PERSCUTION DE DCE

P. Mich. 157 = SB 6824 - Thadelphie - 17 juin 250 ap. J.-C.


ceux en charge des sacrifices, de la part d'Aurelius Sakis du village Thoxnis, avec ses enfants Aon et Hras, de passage dans le village de Thadelphie. Ayant toujours sacrifi aux dieux, maintenant
galement, en ta prsence et selon les prescriptions [du dcret], nous
avons sacrifi, vers des libations et got les offrandes, et nous vous
demandons de le certifier pour nous. Soyez parfaitement heureux.
[2' main] Nous, Aurelius Serenus etAurelius Hermas, vous avons
vu sacrifier.
[1" main] La 1re anne de l' Imperator Csar Gaius Messius Quintus
Trajanus Decius PiusFelixAugustus [Dce], le 23 Payni [17 juin 250].

n29
AUTRE LIBELLE DE LA PERSCUTION DE DCE

P. Mich. 158 = SB 6825 - Thadelphie - 21 juin 250 ap. J.-C.


ceux en charge des sacrifices du village de Thadelphie, de la
part d'Aurelia Bellias, fille de Ptres, et sa fille Capinis. Ayant toujours sacrifi aux dieux, maintenant galement, en ta prsence et

82

selon les prescriptions, j'ai sacrifi, vers des libations et got les
offrandes, etje te demande de le certifier pour nous. Soyez parfaitement heureux.
[2' main] Nous, Aurelius Serenus etAurelius Hermas, vous avons
vu sacrifier.
[3' main] Moi, Hermas, le certifie.
[1" main] La 1,. anne de l' Imperator Ccesar Gaius Messius Quintus
Trajanus Decius PiusFelixAugustus [Dce], le 27 Payni [2ljuin 250].

Comme on peut le voir, les deux papyrus adoptent une forme


rptitive; en outre, ils prouvent que la prescription concerne
galement des femmes. Le sacrifice se droulait devant une commission (dcrit dans saint Cyprien, Epistula 43, 4) qui comprenait
le maire, le scribe du village (cf. chapitre VI) et cinq notables
dsigns par le responsable du nome sur proposition du maire.
Aprs Dce, les perscutions se poursuivirent sous Valrien
(253-260), Gallien (260-268) et surtout Diocltien (285-305) :
elles ne finirent vritablement que sous Constantin et font partie
de la lgende dore de l'glise. Pourtant, n'allons pas nous
reprsenter de sauvages expditions ou des chrtiens jets quotidiennement dans l'arne : les documents du Fayoum nous montrent un visage plus humain de cette perscution, qui confine
davantage la tracasserie administrative qu' la rpression
aveugle.
n30
?
P. Oxy. 2601 =Schubert 27 = Naldini 35 - Oxyrhynchos dbut du IV" s. ap. J.-C.
PERSCUTION OU TRACASSERIES

Coprs sa sur Sarapias, mille bonjours.


Avant tout, je prie pour ton parfait bien-tre .devant le Seigneur
Dieu. Je veux que tu saches que nous sommes arrivs le 11, qu'on
nous a fait savoir que nos compagnons sont contraints de faire un
sacrifice, que j'ai fait une procuration mon frre, et que jusqu'
aujourd'hui nous n'avons rien fait; nous avons donn des instructions un avocat le 12, car l'affaire des aroures passe devant le tribu- .
nal le 14. Si nous faisons quelque chose, je te l'cris.
Je ne t'ai rien envoy c~r j'ai trouv Thodore qui va venir en
personne: je t'enverrai rapidement quelque chose par quelqu'un
d'autre. cris-moi propos de la sant de tous et comment va
Maximina [crit sur la marge] et Asena et s'il est possible que tu
viennes avec ta mre [crit au verso] pour qu'on soigne son leucome :
j'en ai vu d'autres tre guris. Je fais des vux pour ta sant. Salue
tous les ntres, chacun par leur nom.

83

[Toujours au verso] remettre ma sur de la part de Coprs.


[les deux lettres grecques, un koppa et un thta, reprsentent la somme des
lettres du mot Amen ].

Mauvaise surprise pour Coprs: avant de pouvoir rgler son


diffrend agricole, lui, qui est chrtien comme le prouve le cryptogramme koppa 1-thta, doit sacrifier aux idoles avant de pouvoir
passer en justice. vrai dire, Coprs ne prend pas les choses au
tragique : le ton de sa lettre parat plutt serein, il ne cde pas
la panique. Peut-tre espre-t-il pouvoir s'arranger avec les officiels? moins qu'il n'accepte une petite entorse sa conduite?
Toujours est-il que ce texte nous montre que la perscution ne
fut pas en tout temps et en tout lieu d'une gale brutalit : elle
passa souvent par des vexations et des chicanes, certes injustifiables, mais, tout prendre, plus clmentes que les pouvantables chroniques de la Lgende dore. La vritable perscution
viendra quelques annes plus tard, sous le Csar Maximin Daia.
Moins passionnante que la lettre prcdente, mais plus clbre,
voici la lettre de Psnosiris Apollon :
n 31
L'ARRIVE D'UNE EXILE

P. Grenf II, 73 =P. Lond. 713 = Hengstl 63 = Drdjlman,,;, 22 = Naldini 21


= Ghedini Il= Wilck. Chrest. 127 - Kysis -v. 280/300 ap.J.-C.
Le prtre Psnosiris au prtre Apollon, son cher frre dans le
Seigneur, salut. Avant tout, je te salue beaucoup, ainsi que tous les
frres en Dieu qui sont auprs de toi. Je veux que tu saches, mon
frre, que les fossoyeurs ont envoy ici dans l'intrieur (de l'oasis),
[ou jusqu' moi], Politik, qui a t envoye par le prfet dans
l'oasis.Je l'ai immdiatement livre la garde des meilleurs et des
plus fidles de ces fossoyeurs, jusqu' l'arrive de son fils Nilos. Et
lorsqu'il viendra, avec l'aide de Dieu, il te tmoignera ses actes. Faismoi galement savoir ce que tu veux, pour que je puisse le faire
immdiatement.Je fais des vux pour ta sant en Dieu.
[Verso] Au prtre Apollon, de la part de Psnosiris, prtre dans
le Seigneur.

Ce papyrus du British Museum est plus connu par les polmiques qu'il a souleves que par son intrt vritable. Il mit
en effet aux prises les papyrologues et les historiens de l'glise
1. Le Koppa est une ancienne lettre supplante par le Kappa mais utilise
pour la numrotation.

84

les plus clbres du dbut du xx sicle. Grenfell et Hunt,


DeiBrnann 1, Harnack 2 ainsi que Crnert 3 se disputrent son
interprtation. En effet, selon DeiBrnann, Politik, une chrtienne, fut interne par le prfet dans la Grande Oasis. Pour lui,
ce texte prouverait l'existence de dportation de chrtiens. Qui
est cette Politik ? DeiBmann ne rpond pas. Est-elle morte
(comme le prouverait l'allusion aux fossoyeurs) ou vivante?
S'appelle+elle vraiment Politik, ou le terme dsigne+il une
citoyenn d'Alexandrie ou une condamne politique ? moins,
comme le soutiennent Grenfell et Hunt 4, qu'il s'agisse au
contraire d'une prostitue ! Politik a en effet ce sens dans le
grec byzantin (analogue l'expression franaise femme
publique 5 ) ... Les questions, en ralit, sont nombreuses et l'on
ne saurait trancher avec certitude sur ces dportations. On peut
simplement affirmer que ds la fin du III sicle, le christianisme
tisse des liens jusque dans des endroits aussi perdus que la
Grande Oasis et possde un fort rseau de solidarit.
0

3. - LA VIGUEUR DU CHRISTIANISME n'GYPTE

Au cours de la perscution, un certain Paul de Thbes s'enfuit


au dsert. Il n'en revint jamais et vcut prs de soixante-dix ans en
solitaire. Ce faisant, il donnait le coup d'envoi d'une nouvelle pratique, l'rmitisme, qui connut une grande faveur dans le sicle
suivant. Les Pres du Dsert furent nombreux, trs vnrs et ont
laiss des crits lus jusqu' aujourd'hui, surtout dans l'glise
orthodoxe. Leurs successeurs, runis en communauts - les premires furent organises autour de saint Antoine et de saint
Pacme -, donnrent naissance la vie monastique.
Saint Antoine, peut-tre le plus vnr de tous ces solitaires,
1. AdolfDEISSMANN, Licht vom Osten, Tbingen, Mohr-Siebeck, 1908, n 22.

2. Adolf von

HARNACK, Die Mission und Ausbreitung des Christentums in den


dreijahrhunderten, vol. 2, Leipzig, Hinrichs, 41924, p. 717.
3. W. CRNERT in Raccolta di scritti in onore di G. Lumbroso, Milano, 1925,
P,~;:514 sqq.
. .
4. B.P. GRENFELL & A.S. HUNT (d.), New Classical Fragments and Other Greek
and Latin Papyri, Oxford, 1897, p. 116.
5. Johannes DIETHART_ & Ewald K!SLINGER, Papyrologisches zur Prostitution im byzantinischen Agypten ,]ahrbuch der osterreichischen Byzantinistik 41,
1991, p. 15-24.

85

est tenu pour le pre du monachisme. Un fragment d'une lettre


de lui a t conserv dans les papyrus: s'il n'existe aucune assurance qu'elle soit de la main mme de l'illustre abb-la tradition
veut qu'il crivait en copte -, elle semble une traduction fidle de
l'original 1
n32
FRAGMENT D'UNE LETTRE DE SAINT .ANTOINE

P. Lond. 1658 =Naldini 42 = Ghedini 19 - origine inconnue IV"

sicle ap. J-C.

mon fils d'ternelle mmoire, ~mon, de la part d'Antoine,

salut en Dieu.
Grce soit rendue au Matre de tout de nous avoir donn l'occasion d'voquer comme il convient ta pit incomparable, mon
bien-aim fils, car, en vrit, je fais sans cessemmoire de toi, mme
si.tu es loin. En effet, qui donc parmi les hommes n'aurait le dsir
d s'entretenir avec toi, dont je loue la pit mme par une lettre
[la suite manque].
[Verso] mon fils d'ternelle mmoire, Ammon.

Le dbut de cette lettre, qui tresse les louanges d'un des fils spirituels d'Antoine (pour mieux ensuite le. reprhdre ou pour lui
servir d'introduction ?) , contient les traits caractristiques d'un
style chrtien inspir de saint Paul et de rminiscences bibliques.
Il dbute, comme une lettre de l'aptre, par une action de grce
et il utilise le thme de la mmoire comme dans les lettres de Paul
(cf. ptre aux Romains l, 9 ; Premire ptre aux Thessaloniciens l, 3 ;
ptre Philmon 4). L'expression Matre de tout rappelle une
expression de saint Clment de Rome (Premire ptre aux
Corinthiens 8, 2). Voil une lettre bien crite, un rien pompeuse,
qui annonce le style de l'poque byzantine.
On retrouve les mmes appels la solidarit dans les nombreux billets de recommandation : ils tmoignent la fois d'une
pratique ancienne de l'glise, l'hospitalit envers les frres chrtiens - que l'on trouve ds l'institution de l'glise -, mais galement du dveloppement d'une hirarchie et d'une structure
ecclsiale de mieux en mieux constitues.

1. G. GHEDINI, Una lettera autografa di S. Antonio abbate? ,La Scuola


Cattolica 48, 1920, p. 247sqq.

86

n 33
UN BILLET DE j.COMMANDATION

P. Alex. 29 = Naldini 19 - origine inconnue - rue sicle


Rjouis-toi dans le Seigneur, mon cher frre [ ... ] Maxime, [ ... ] te
salue. Reois dans la paix notre frre Diphile qui vient toi. travers
lui, moi et ceux qui sont avec moi vous saluons, toi et ceux qui sont
avec toi. Je souhaite que tu ailles bien, mon cher frre dans le
Seigneur.
n 34
UN AUTRE BILLET DE RECOMMANDATION

PSJ1041 = Naldini 29 - Oxyrhynchos - m -IV" s. ap. J.-C.


Rjouis-toi dans le Seigneur, mon cher frre Paul, Sotas te salue.
Reois comme il convient nos frres Hron, Horion, Philadephe,
Pekysis, Naarous, catchumne participant [ la messe] et Lon,
catchumne qui en est au dbut de l'vangile. travers eux, moi
et ceux qui sont avec moi vous saluons, toi et ceux qui sont avec toi.
Je souhaite que tu ailles bien, mon cher frre dans le Seigneur.

Comme on peut le constater, les deux billets adoptent le mme


formulaire, trace d'une organisation gnrale de l'glise. Le
second billet parat plus intressant que le premier, car il donne
une ide de l'initiation chrtienne (le catchumnat). Il existe
manifestement plusieurs degrs d'initiation : on distingue ceux
qui assistent la messe (sans doute sans y communier) et les nophytes, ceux qui n'en sont qu'au dbut de l'vangile chrtien.
Malgr la perscution, le patriarcat d'Alexandrie fleurissait.
La preuve de sa vigueur rside dans le dveloppement de voies
diffrentes de celle de la Grande glise, que les autorits de
cette dernire s'empressrent de taxer d'hrsie. Parmi elles, on
mentionnera spcialement les lettres des manichistes.
Le manichisme, mieux connu depuis qu'on a dcouvert une
bibliothque dvolue aux crits gnostiques Nag Hammadi, fait
partie des gnoses. Il s'agit autrement dit d'une forme hrtique
du christianisme qui postule que la connaissance seule assure la
rdemption aux fidles. Dfini son dpart par le Perse Mani
(v. 216-275), le manichisme postule deux principes l'origine du
monde : le principe bon, qui rside dans le Lieu de Lumire, environn de l'intelligence, la Pense, la Rflexion, l'intention, le
Raisonnement, et un principe mauvais, qui demeure dans la
Terre de Tnbres, entoure de cinq ons (des mondes), la
Fume, le Feu, le Vent, l'Eau, les Tnbres. Un jour, la Tnbre

87

monta l'assaut de la Lumire, qui, pour se dfendre, cra


l'homme primitif. Hlas, le mal s'en empara et engloba dans les
tnbres la parcelle de lumire qui l'animait: dsormais, l'me,
cette parcelle emprisonne dans la matire, souffre et se languit
de la lumire. La Lumire envoya alors des messagers pour dlivrer le monde de sa prison terrestre : pour accomplir sa mission,
il lui suffit de rvler aux hommes leur vraie nature. Par la
connaissance, la gnose, elle arrachera les hommes de leur tat, les
conduira sur les voies de l'ascse et les fera remonter la lumire.
n 35
UNE LETTRE MANICHISTE

P. Harris 107 = Naldini 5 - prov. inconnue - v. 300 ap. J.-C.

ma mre trs honore Maria, de Besas, mille bonjours en


Dieu. Avant tout, je prie le Pre, Dieu de la Vrit, et !'Esprit
Paraclet de te prserver en me, en corps et en esprit : pour le
corps, sant, pour l'esprit, joie, et pour l'me, vie ternelle. Et toi,
si tu trouves quelqu'un qui vient chez moi, n'hsite pas m'crire
propos de ta sant, afin que je puisse l'entendre et m'en rjouir.
N'oublie pas de m'envoyer le manteau pour la fte de Pques, et
envoie-moi mon frre. Salue mon pre et mes frres. Je fais des
vux pour ta sant pour de nombreuses annes.

Cette lettre n'est pas d'un trac sr: Maria vient juste d'apprendre crire et elle en profite pour demander des nouvelles
sa mre. On trouve dans sa lettre de nombreuses allusions au
manichisme. Ainsi le Pre de la vrit: la formule se retrouve dans
les crits ma,nichens et dsigne la Lumire. Ainsi galement
l'Esprit Paraclet ( dfenseur ) qui dsigne 1'esprit de connaissance
envoy par la Lumire pour aider les hommes dans leur chemin
vers elle ; Mani, le crateur de cette doctrine, lui fut largement assimil. La mention de Pques soulve une lgre difficult : les
manichistes clbraient-ils cette fte 1 ?
n36
UNE AUTRE LETTRE MANICHISTE

P. Kellis Gr. 63 - Kellis - dbut du IV" sicle

messeigneurs mes trs dsirs et trs aims fils Pausanios et


Pisistrate [de la partde X], salut en Dieu. Puisque votre rputation

1. Ian GARDNER & Alanna NOBBS & Malcom CHOAT, P. Harris 107 : Is this
another Greek Manichaean Letter ? , Zeitschrift fr Papyrologie und Epigraphik
131, 2000, p. 118-124.

88

est grande et sans limites dans nos penses et sur nos lvres, je veux,
par cette lettre, la manifester au mieux et mme l'tendre: en effet,
c'est l'esprit le plus sincre envers vous qui l'a crite et en a tmoign. Et donc, sachant que cette lettre vous rjouira plutt, nous
nous h~ons en consquence d'en faire usage et envoyer aux[ ... ]
1'expos des sentiments divinement engendrs que nous portons en
nous envers votre propre pit. Car nous nous sommes rjouis et
flicits de recevoir la fois les preuves de votre sympathie envers
nous et vos lettres qui nous taient agrables. Je veux dire [ ... ] et
dsormais, nous jouirons des quelques fruits deTesprit ; nous jouirons ensuite des fruits d l'esprit des pieux [ ... ],bien entendu. Et
rempli des deux, nous allons lever toute louange envers votre me
pleine de lumire, autant qu'il nous sera possible. Car seul notre
Seigneur le Paraclet est capable de vous louer autant que vous le
mritez et de vous rcompenser au moment appropri. Nous avons
reu le panier et nous l'agrons en vertu de votre trs pieuse prvenance. Nous avons donn au Seigneur [ ... ] ryllos ce qui lui tait
destin. Nous avons aussi reu le [ ... ]. Puissiez-vous continuer
nous aider, comme nous en formons le vu.

Il s'agit manifestement d'une lettre de recommandation. On y


retrouve des sentiments manichens qui s'expriment par l'expression du Seigneur Paraclet. Mani se disait avoir t directement inspir par cet esprit et a finalement t confondu avec lui, alors que
la tradition chrtienne a plutt tendance assimiler le Christ au
Paraclet. De mme, l'allusion l'me lumineuse fait cho aux
enseignements manichens qui veulent qu'une parcelle du divin
ait t emprisonne dans la matire. Rveille par l'esprit lumineux transmis par l'enseignement manichiste, elle gravira les
chelles qui la sparent de cette matire et atteindra la divinit
dont elle est issue. La lettre rvle que l'glise manichiste a une
certaine extension et que des recommandations sont habituelles
pour aller de communaut en communaut.
Outre les gnostiques, le patriarcat d'Alexandrie connut
d'autres hrsies, comme celle d'Arius, qui voyait dans le Christ
un prophte divinis, et non Dieu lui-mme, et vit natre lc:~urs
plus farouches combattants comme saint Athanase d'Alexandrie
et saint Cyrille d'Alexandrie.
Les chrtiens s'tablirent dans les temples gyptiens transforms en glises, ce qui permit leur survie. Bien peu furent en effet
dtruits ; on se contentait de badigeonner les temples, de casser
des statues et de graver quelques croix, comme Tentyris (Denderah), Syne (Louqsor), Apollonopolis Magna (Edfou), Philre ...

89

Bientt les chrtiens jouirent d'une grande influence, y compris


sur la hirarchie, comme le prouve la lettre (trs souvent cite)
de Kaor, prtre d'Hermoupolis.
n37
LE PRTRE KA.OR PLAIDE POUR LE SOLDAT PAUL

P. Lond. 417 = Wilck. Chrest. 129 =P. Abinn. 32 = SP 161 = Tibiletti 24


= Naldini 40 = Dei)Jmann 24 - Philadelphie - 346 ap. J.-C.
mon Seigneur et bien-aim frre Abinnaios, le prpositus, salut
de la part de Kaor, pape d'Hermoupolis. Je salue beaucoup tes
enfants. Je veux te parler du soldat Paul, de sa fuite : pardonne-lui
cela pour cette fois. Je n'ai en effet pas le temps de venir chez toi
aujourd'hui. S'il n'obit toujours pas, il tombera dans tes mains une
autre fois. Je te souhaite une bonne sant pour de nombreuses
annes, mon Seigneur et frre.

Mme jusque dans les confins de l'Empire - Philadelphie le prtre d'une obscure cit, Hermoupolis, se permet d'intervenir dans les affaires internes de l'arme. Se nommant lui-mme
pape - ce terme de respect prsent ds Homre ne sera pas
rserv au seul vque de Rome avant Grgoire VII et il est prsent avec une accentuation diffrente (mxnf; au lieu de nana)
dans le sens de prtre jusqu'au grec moderne -, Kaor fait
appel l'indulgence d'un haut .grad de l'arme romaine,
Abinnaios, lui-mme chrtien. Il plaide la cause du soldat Paul
qui a dsert: c'est la premire fois, plaide-t-il avec une certaine
navet, et la prochaine fois, on le punira ... De religi,o illicita, le
christianisme sera pass promptement au statut de religion lie
au pouvoir.

DEUXIME PARTIE

Les voix du pouvoir et de l'administration

Parmi la masse des documents que conserve l'gypte romaine,


. les tmoignages administratifs comptent parmi les plus nombreux.
Comptes, dclarations d'impts, reus divers ont la part belle dans
les papyrus l Cette accumulation d'actes apparemment identiques
peut donner une ide assez fausse d'uniformit. Qu'est-ce qui
ressemble plus un reu de paiement de taxe qu'un autre reu
de paiement de taxe? On aurait ainsi l'impression que, des
Lagides aux Romains, l'gypte n'aurait pas chang et que tous les
gyptiens avaient une seule activit.
Pour donner une ide de la varit des situations et des occupations, voici plusieurs portraits issus d'archives bien constitues:
quoi de plus parlant que la vie de personnages dissemblables ?
Leurs problmes et leurs labeurs valent bien de longs discours
techniques sur l'administration grecque et romaine. Tout
d'abord, nous rencontrons Znon, l'intendant d'un gros propritaire grec au temps de Ptolme II. Puis, nous faisons la
connaissance de Menchs, le modeste scribe de village d'un petit
bourg du Fayoum sous la monarchie lagide tardive. Perdonsnous ensuite dans les papiers de la famille de Castor : divorces,

91

hritages, taxes nous renseigneront sur la vie au temps des


Romains. Les visages qui suivront, le stratge, le cosmte, le
fuyard, paratront certes autonomes, mais ils achveront de
complter le tableau de l'administration de l'gypte sous les
Romains. Enfin, le paysage ne serait pas entier sans la prsence des
fameux militaires romains : Terentianus et les soldats en garnison
Mons Claudianus diront les heurs et malheurs de la lgion.
/

ZNON, UN COLON GREC EN GYPTE

Le corpus des archives de Znon est sans doute l'un des plus
importants de la papyrologie grecque. Dcouverts par des fouilleurs clandestins avant la Premire Guerre mondiale, les papyrus
de Znon connurent une notorit considrable. Par leur clbrit, ils mritent une mention dans cette anthologie.
Znon est particulirement reprsentatif de ces Grecs bien
dcids mettre en valeur leur profit la terre d'gypte qu'ils
considraient comme une colonie. N Caunos (aujourd'hui
Dalian), un petit port de l'Asie Mineure situ face l'le de
Rhodes, il part faire fortune en gypte. En 261 av. J.-C., il est au
service d'Apollonios, qui vient d'tre nomm dicte, c'est-dire ministre des Finances, de Ptolme II Philadelphe. Il aura
successivement trois activits : de 261 258 av. J.-C., il arpente la
Syrie et la Phnicie pour renseigner son matre (la deuxime
guerre de Syrie venait de commencer) ; de 258 256, il accompagne Apollonios travers les nomes ; de 256 248, il e.st enfin
charg de superviser la mise en valeur de la dra, le domaine
de 10 000 aroures (2 756 ha) que Ptolme II a prt son
ministre prs de la nouvelle ville qu'il a fonde - pour le remercier? aprs des enchres?-, Philadelphie. En 248 av.J.-C., suffisamment enrichi par son poste, Znon quitte Apollonios et gre
sa fortune de concert avec son frre pharmostos. Ce dernier

93

meurt en 243 av. J.-C., au moment o on liquide la dra: le


don n'avait qu'un temps et n'tait li qu' la personne du
ministre, qui venait sans doute de disparatre. Le dernier papyrus
connu relatif Znon date de 229 av. J.-C.

1. -

LES VOYAGES HORS D'GYPTE

Voici Znon au cours de ses tournes d'inspection en Syrie et


en Palestine. Que fait-il exactement? Il reprsente son matre le
dicte. Celui-ci possde un rle trs important sous les Lagides
puisqu'il se chargeait non seulement du Trsor royal, mais aussi,
par extension, des recettes, des dpenses, des impts ... Aussi voiton Znon porter du courrier confidentiel, surveiller les abus,
informer son matre de la situation financire de ces contres
qu'accable la guerre. Il provoque certains jaloux user de dlation. Ainsi cette lettre qui parle de malversations assez peu engageantes.
n38
UNE DNONCIATION ZNON

PSI 406 - Philadelphie - 260-250 av. J.-C.

Mmoire Znon de la part d'Hraclide le roulier, au sujet des


menes de Drimylos et Dionysios. Aprs avoir utilis [sic.~ sa petite
esclave, ce dernier l'a loue l' orophylax [garde du dsert]. Ils lui ont
fourni le ncessaire si par hasard elle se parait pour sortir. Elle vit
aux Sources, chez l' orophylax. Ils en ont enlev une autre chez les
Ammonites et l'ont vendue Ptolmas. C'est dj la quatrime
prostitue sacre qu'il fait descendre jusqu' Jopp. Il est parti
ensuite pour le Hauran en emmenant une femme esclave [mot
mot un corps femelle ] et il en a reu 150 dr. Puis, en revenant de
l-bas, il a fray avec les Nabatens. Le bruit en ayant couru, on l'a
jet sept jours en prison les fers aux pieds. Quant Drimylos, il a
achet une petite esclave pour 300 dr. Ils partaient tous les jours en
promenade et s'en flicitaient ouvertement. Pendant qu'ils taient
ainsi occups, non seulement ils n'avaient plus les btes l'esprit,
mais' en plus Drimylos faisait chauffer deux chaudrons d'eau par
jour pour son amante. Enfin il a vendu l'nesse et le petit onagre. Il
y a des tmoins de a. Et pour le reste, si tu m'interroges, tu dcouvriras toute la vrit.

Profitant des troubles de la guerre, Drimylos et Dionysios ont


mont un petit commerce de traite de femmes. Ils vontles chercher
94

parmi les peuples de Palestine: Jopp. (Jaffa, prs de l'actuelle


Tel-Aviv), le sanctuaire cananen qui semblait encore pratiquer la
prostitution sacre, chez les Ammonites ... Ensuite, ils les font
remonter vers le nord, Ptolmas (Saint:Jean-d'Acre), au Val des
Sources dans le Sud-Liban, dans le Hauran, mme vers l'actuelle
Jordanie, chez les Nabatens (les futurs btisseurs de Ptra). Il
faut dire qu'ils ont un mtier propre aux longs parcours puisqu'ils
s'occupent des attelages royaux chargs du transport du ravitaillement de la cte vers l'intrieur des terres. Dionysios semble
avoir t puni: sans doute davantage de s'tre rapproch des
Nabatens, que les Lagides souponnaient d'intelligence avec les
Sleucides, que de ce honteux commerce.
La fin du mmoire est d'ailleurs accablante: le grief d'Hraclide ne porte pas sur le fait qu'on prostitue de jeunes esclaves,
mais plutt qu'on nglige les animaux et qu'on gaspille l'argent
royal prendre des bains !
Heureusement, Znon n'a pas toujours s'occuper d'aussi
nausabondes affaires. Mlant ses fonctions officielles et les intrts privs de son matre, il l'informe galement de la prosprit
de ses domaines, l'instar de Glaukias, qui fait partie de l'quipe
de Znon:
n39
LES VIGNES D'APOLLONIOS SE PORTENT BIEN

P. Land. 1948- Philadelphie - 257 av.J.-C.

Glaukias Apollonios, salut! En ce qui concerne ce que Nicanor


et Antiochos m'ont command de rapporter, nous le rapportons.
Pour le reste, nous te le rapportons. Ds mon arrive Baitanata,j'ai
pris avec moi Mlas et nous sommes alls voir les plantations et tout
le reste.J'estime que !!avance des travaux est satisfaisante. Il m'a dit
que la vigne compte 80 000 pieds. Il a aussi quip une citerne et
une habitation conven'!-hle. Il m'a fait goter le vin etje n'ai pu discerner s'il venait de Chios ou de la rgion. Considre-toi donc, s'il te
plat, comme un homme heureux en tout. Porte-toi bien. La
29 anne [de Ptolme II], le 7 Xandicos [9 mai 257].

Au nord d'Isral, sur les montagnes du Liban, Apollonios possde une vigne dont il a charg Mlas de s'occuper. Visiblement,
il a fait un bon choix car le vin produit semble tre excellent, au
point de pouvoir surpasser le vin grec 1 Isae, trois sicles auparavant, se faisait l'cho de semblables esprances : Mon bien-aim
avait une vigne sur un coteau fertile. Il la bcha, l'pierra, il y
95

planta du raisin vermeil. Au milieu, il btit une tour, il y creusa


mme un pressoir. Il attendait de beaux raisins (Isae 5, 1-2). Les
similitudes sont assez frappantes avec le texte biblique : la tour, la
citerne et l'espoir d'un bon vin ... Apollonios peut s'estimer heureux et s'apprte sans doute en remplir des amphores qu'il bouchera d'un sceau indiquant firement - comme l'poque
moderne - la provenance et le millsime. Cinq cents ans aprs,
Aurelia Demetria faisait de mme :
n40
UN BOUCHON D'AMPHORE 1
BN Cabinet des Mdailles inv. 1107 -Thadelphie - 230/231 ap. J.-C.
(bouchon d'amphore)
La 10 anne [d'Alexandre Svre]. Du vignoble de Spartianos
qui appartient Aurelia Demetria.

2. -

EN VOYAGE EN GYPTE

Mais, bientt, Znon abandonne son emploi de surveillant au


profit de celui de compagnon de son matre dans ses tournes
dans les nomes. Il est le plus souvent en voyage et s'attend, comme
le prouve le contenu de sa malle, rencontrer tous les climats.
n4l
LA MALLE DE ZNON
P. Cair. Zen. 59092 = SP 182 - Philadelphie - 257 av. J.-C.
[Verso] De la part de Peisicls, liste des vtements de Znon.
Voici ce qui est dans la malle de Znon : 1 robe de chambre en
lin, lave ; 1 chlamyde couleur terre pour l'hiver, lave ; et 1 use ;
1 pour l't, demi use; 1 de couleur naturelle pour l'hiver, lave,
et 1 use; 1 pour l't, neuve; 1 chiton blanc pour l'hiver,
manches, 1 de couleur naturelle pour l'hiver, manches, us ;
1 autre de couleur naturelle pour l'hiver, us ; 2 blancs pour l'hiver,
lavs, et 1 demi us; 3 blancs pour l't, neufs, 1 non blanchi,
1 autre demi us; 1 himation blanc pour l'hiver, lav; 1 en toffe
grossire; 1 blanc pour l't, lav, et 1 demi us; 1 paire d'oreillers
de Sardes ; 2 paires de sandales couleur terre, neuves ; 2 paires de
blanches, neuves ; 2 ceintures blanches, neuves.

, 1. Georges NACHTERGAEL, Sceaux et timbres de bois d'gypte


d'Egypte 75, 2000, fasc. 149, p. 160.

96

Chronique

Quoiqu'il ft l'homme de confiance d'un des premiers per-.


sonnages de l'gypte, Znon porte des vtements fort modestes.
part sa robe de chambre en lin, tous ses vtements sont en
laine : foin des coteux byssus, ces tissus de lin trs fin colors par
le coquillage rouge du mme nom (cf. n 3) ! Znon entend gar,.
der les vtements de son pays: un chiton (une tunique) et une
chlamyde (un manteau lger) tenus la taille par une ceinture,
des sandales. Lorsqu'il commence faire frais, un manteau, l'himation. Le seul luxe de cette malle : une paire d'oreillers de
Sardes.
Cette frugalit relative se retrouve galement dans les gots
culinaires de Znon :
n42
RECOMMANDATIONS DE ZNON POUR SON GRUAU

P. Cair. 'Zen. 59129 - Philadelphie - 22 mars 256 av.J.:-C.

Znon Panakestor, salut l Nous t'avons expdi le chargement


et 100 dr. d'argent que nous avons comptes Eutychids. Nous
n'tions pas capables d'en trouver davantage. Ordonne aussi d'expdier Crocodilopolis deux cargaisons d'orge, la plus tendre et la
plus grosse possible, pour en faire des chidra. Ds que les pis seront
dcortiqus par frottement, qu'on les convoie aussitt, sans les
griller, sinon ils deviendraient blancs et propres rien. Envoie-nous
aussi des choux. Porte-toi bien l La 29 anne [de Ptolme II], Tybi
28 [22 mars 256].

Du gruau, des choux : on ne peut pas dire que Znon ait des
gots dispendieux ! En revanche, il se montre trs soucieux de la
russite de ses chidra, une sorte de couscous fait avec de l'orge
concasse. De mme, pour le gruau : il n'a pas l'intention de sacrifier la coutume gyptienne qui veut que l'on limine l'enveloppe
en faisant griller l'orge ; cela la blanchit et lui donne un got fade.
Il suffit, comme le font les Grecs, de la frotter doucement la main
pour l'monder.
Dans son vtement, dans ses gots extrmement prcis, Znon
essaie de conserver un peu de la Carie en gypte. Il est trs repr;.
sentatif cet gard de ces colons qui cherchent reproduire dans
les colonies les coutumes de la mtropole. Finalement, il n'est pas
tellement loign de ces petits blancs qui se sont obstins
dans les annes 1930 btir un petit Vichy Antsirabe au cur
des montagnes de Madagasca~ : mme pour s'enrichir, mme
pour une vie plus exaltante, le colon garde la nostalgie du pays
97

natal. Et cette nostalgie s'exprime le plus fortement dans la


nourriture.
Eri outre, Znon n'a pas rompu tout fait avec sa patrie de
Caunos. L-bas, il passe pour celui qui a russi dans les colonies , celui qui est devenu riche parce qu'il a os partir. Il entretient une sorte de rve d'gypte chez ces Grecs d'Asie Mineure.
Et ceux-ci ont bien l'intention de profiter de leur gloire locale : ils
font appel lui, qui a de l'argent et qui gravite dans les couloirs
du pouvoir.
n43
UNE LETIRE DE CAUNOS

P. Cair. Zen. 59067 =P. Col. Zen. 11 - Philadelphie - 257 av.J.-C.


Znon, Protogns et Apollonide Znon, salut ! En entendant
parler de ta bienveillance envers tous tes concitoyens, nous te louons
et nous aimerions converser avec toi car nous voulons bavarder avec
toi des intrts de la cit et des ntres. Nous estimons en effet qu'il
te revient de t'en occuper, comme ceux qui, parmi nos concitoyens,
ont des responsabilits leves dans les affaires publiques. Mais
puisqu'il nous a t impossible de nous voir trois, nous te prions
d'accompagner Pyrrhias et Apollonide lorsqu'ils remettront
Apollonios la lettre qui nous est utile tous et que nous avons
confie Apollonide, et de travailler avec nous, si tu le peux, obtenir sa promesse. Tu sais parfaitement qu'une fois revenus dans notre
pays, nous ne serons pas oublieux, mais que devant le peuple nous
essaierons de te rendre grce : tu le verras bien ! Sois heureux !

Znon, Protogns et Apollonide sont trois missaires de


Caunos qui s'attendent fermement ce que Znon les appuie
dans leur requte auprs du dicte. Pour le. convaincre, ils prsentent le service comme une chose normale pour ,quelqu'un
d'aussi important et lui font miroiter une rcompense qui doit
certainement toucher le cur de Znon : ventuellement un
dcret d;loge grav sur la pierre, afin de ne pas perdre le souvenir de ses actes. Cette lettre tmoigne que les liens entre la patrie
et la colonie ne sont jamais distendus.
Si Znon fait souvent des 'tournes d'inspection, il n'est pas
rare, nanmoins, qu'il passe du temps la cour. Parmi ses activits, il s'occupe d'entretenir Alexandrie pour son matre des
athltes pour les faire combattre ; un spectacle extrmement pris
chez les Grecs qui se htrent de le transplanter en gypte. Cette
activit donne lieu quelques lettres trs pittoresques.

98

n44
FAUT-IL ENTRANER

PYRRHus?

P. Cair. Zen. 59060 = SP 88 - Philadelphie - 257 av. J.-C.

Hirocls Znon, salut. Si tu vas bien, c'est excellent. Moi aussi


je suis en bonne sant. Tu m'as crit au sujet de Pyrrhus, en me
disant de l'entraner si je suis certain de son succs, mais sinon, d' viter d'engager des dpenses inutiles et de le dtourner de ses lettres.
Maintenant, en ce qui concerne ma certitude, les dieux le sauraient
mieux, mais il semble Ptolme, autant qu'il est permis un
homme, que Pyrrhus est bien meilleur que ceux qui s'entranent
actuellement, mme s'ils ont commenc longtemps avant lui, et que
d'ici peu, il les dpassera. En outre, il poursuit ses autres tudes en
mme temps. Et pour parler avec les dieux, j'espre te voir couronn. Envoie-lui au plus vite un caleon de bain, de prfrence en
peau de chvre, sinon en peau de veau lgre ; et aussi un chiton, un
himation, et le matelas avec couverture et coussins, ainsi que le miel.
Tu m'cris t'tonner que je ne saisisse pas que ces choses sont taxes.
Je le sais, mais toi, tu es capable de t'arranger pour que l'envoi se
fasse sans encombre.
[Verso] Znon. [ gauche, en petits caractres, la lettre est endosse]
Hirocls propos de Pyrrhus. La 29 anne [de Ptolme Il], le
3 Xandicos, Memphis [28 janv. 257 av. J.-C.].

Hirocls, qui s'exprime dans une langue assez littraire, fait


office de prcepteur de Pyrrhus, charg la fois de son ducation
,sportive et de son ducation littraire. Il informe Znon que Ptolme, le pdotribe de Pyrrhus, charg de ses entranements au
gymnase, considre son lve comme un futur champion. Sans
nul doute, Hirocls exagre : il a tout intrt ce que Znon
continue de verser de l'argent pour son lve, et il l'y encourage
vivement. Car Hirocls semble tre un petit malin : sous
couvert de demander les objets ncessaires Pyrrhus, il passe
commande pour son propre usage: un chiton (une tunique), un
himation (un manteau), une literie et du miel, l'aliment favori
des gymnastes. Il espre surtout que Znon s'arrangera pour qu'il
n'ait pas payer les droits du page de Memphis, o il rside
actuellement.
Une lettre envoye quelques mois plus tard met de nouveau en
scne Hirocls, toujours propos de ses athltes. Cette fois"'Ci,
Hirocls:ne joue pas au plus fin, la situation est grave, car le voil
emport ~lans de petites intrigues de cour.
:

99

n45
INTRIGUES DE COUR ALEXANDRIE

P. Zen. Pest. 51 = PS/340 =P. land. 92- Philadelphie - 257 av.J.-C.


Hirocls Artmidoros, salut ! Si tu te portes bien et si pour le
reste tout se passe comme tu le veux, bravo ! Moi, j'ai t secou par
de violents accs de fivre au moment o je quittais la Haute gypte
pour redescendre, mais maintenant je suis en voie de rtablissement. pharmostos et les garons que tu m'as confis vont bien.
Je t'ai dj crit au sujet de Ptolme [... ]. Znon est d'accord
que [... ] avoir la palestre. Maintenant, il va tre mpris si tu ne fais
pas un geste en sa faveur : comme de juste, ceux qui en ont fait la
promesse doivent la respecter. La cause de tous les maux, c'est
Mtrodore, car voici ce qu'il a dit en rponse ceux qui parlaient
encore Ptolme: Nagure, je m'efforais de soutenir Ptolme
parce que j'ignorais l'affaire; mais maintenant que je sais ce qu'il en
est, je proteste en parlant ouvertement.
Or, il se trouve qu'Apollonios passe le plus clair de son temps
se dplacer dans la chra, et qu'Amyntas vit hors du palais - il s'est
mari et vient d'avoir un enfant-, de la sorte aucun soupon ne
psera sur lui. Voil pourquoi l'arc est tendu contre moi qui suis le
seul rsider au palais. Dans ces conditions, si le roi vient
apprendre que la palestre a t inaugure, les plus accablants soupons se porteront sur moi, on croira que je l'ai ouverte de ma
propre initiative, puisque j'aime la jeunesse. Voil pourquoij'estime
qu'Amyntas devrait nous aider empcher l'ouverture de la
palestre. Comme Amyntas est retenu dehors, je serai contraint .de
quitter le palais si je ne parviens pas persuader Hgmon d'crire
Apollonios.Je te prie donc aussi etje te supplie de faire preuve du
plus grand zle auprs de Ptolme pour qu'il s'occupe de la
palestre. Je suis persuad que tout russit quand tu le veux. Et
j'ajoute ceci: ne vous laissez pas vaincre par un homme mesquin.
cris aussi Artmidore pour qu'il distribue le gros manteau aux
garons, car il ne le donnera pas si tu ne lui cris pas. Envoie-moi
aussi le garon que tu m'as recommand, pour que nous avancions
dans les leons. Porte-toi bien ! La 29e anne [de Ptolme Il], le
19 Dios [14 dcembre 257].
[Verso] Au mdecin Artmidoros.

Petites maladresses, petites indlicatesses et infimes manigances de cour. Hirocls, l'entraneur des athltes d'Apollonios,
panique. Grce une souscription prive, il semblait entendu
qu'on allait ouvrir une palestre, un lieu d'entranement. Hirocls tait partie prenante de ce projet, en association avec
Ptolme, le pdotribe du texte n 44. Mais voil qu'une difficult
est intervenue: la palestre n'a-t-elle pas t dclare pour viter
100

des impts? a-t-on dtourn de l'argent? a-t-on omis de prvenir


le roi de cette ouverture, sans doute proche de son palais ? Les
conditions d'ouverture d'une palestre Alexandrie nous sont
inconnues. Toujours est-il que Mtrodore, un courtisan, a refus
de mettre la main la poche et a entran la dfection de ceux
qui s'taient engag payer. Hirocls s'affole: le dicte se promne, l'intendant Amyntas fonde une famille, Ptolme semble
ne plus vouloir prendre en charge la palestre. Pour que l'affaire
ne prenne pas des proportions considrables, il faut ou bien fermer la palestre, ou bien la confier Ptolme. Sinon, la position
de Hirocls en cour risque d'tre fortement compromise. Et
peut-tre mme celle de Znon.
Aussi Hirocls essaie-t-il de faire intervenir son patron,
Apollonios. Il essaie de convaincre Hgmon, le magasinier du
palais, d'crire Apollonios, tandis que lui-mme se fend d'une
lettre au mdecin personnel d'Apollonios (cf. n 1). Celui-ci, peu
soucieux d'intervenir, a d laisser la corve Znon, ce qui
explique que ce dernier ait conserv la lettre. On ne connat pas
le dnouement de l'affaire, mais il semble qu'elle se soit bien termine pour Hirocls, que l'on retrouve ensuite dans les papyrus
de Znon.

3. -

ZNON ET LE PARADIS D'APOLLONIOS

Dernier poste occup par Znon, mais de loin celui sur lequel
on a le plus de documents: intendant de la dra d'Apollonios
Philadelphie. partir de 256 av. J.-C., Znon fait partie du vaste
chantier de dveloppement rural. Pour comprendre de quoi il
s'agit, il faudrait comparer Philadelphie aux grandes exploitations coloniales d'Algrie. Mi par intrt bien compris, mi par
idologie, le gouvernement distribue gnreusement des terres
inexploites pour les mettre en valeur ; il peut ainsi remercier ses
bons serviteurs, tout en prouvant le bien-fond de sa mission civilisatrice. Il en va de mme pour l'gypte lagide. En fondant
Philadelphie, Ptolme II rcompense ses soldats grecs par une
clrouquie (une concession) : 5 7 aroures pour les troupes suppltives, 30 pour les fantassins (8,25 ha), 100 pour les cavaliers
(27,5 ha). Et pour les grands serviteurs de l'tat, comme Apollonios, une dra, une grande surface de terre mettre en valeur :
101

10 000 aroures, soit 2 756,25 hectares. Mais galement le roi


dploie aux yeux de tous les bienfaits de son gouvernement : ne
fait-il pas pousser des fruits en plein dsert ? ne fait-il pas concurrence aux dieux de 1'Abondance et de la Vie ?
Tout l'Orient antique a en effet la nostalgie des paradis
perses. De grands jardins irrigus, avec des cultures, des vergers, des
parcs, et mme des btes sauvages pour la chasse; idaux d'abondance et de prosprit, ils formaient un condens d'innovation
agricole et d'ingniosit technique. Xnophon, qui les a visits, a
communiqu son merveillement tout le monde hellnistique et
il est vident que Ptolme II et Apollonios poursuivent ce rve.
Un devis conserv par Znon donne une ide de l'ampleur des
travaux:
n46

LE PARADIS n'APOLLONIOS
P. :zen. Pest. A= P. Lifte 1 - Philadelphie - 259 av. J.-C.
(extrait)
Devis tabli par Stothoetis [... ] pour Apollonios la 27 anne [de
Ptolme II], le[ ... ] du mois de Phaphi de la mme anne dans le
calendrier gyptien (dcembre 259), sur l'ordre de Znon et le
contrle de Diodore.
[

... ]

Du sud au nord et d'est en ouest, le primtre des dix mille


aroures est de 400 schnes (21 km) pour quatre digues. l'intrieur, du sud au nord, il y aurait trois digues, spares de 25 schnes
(1312,5 m), et en outre, d'est en ouest, neuf remblais transversaux,
spars de 10 schnes (525 m). II y aurait donc dans les dix mille
aroures quarante bassins de 250 aroures chacun (69 ha), mesurant
25 sur 10 comme dessin sur le plan, ce qui reprsente seize digues
longues de 100 schnes chacune (5,250 km), soit 1 600 schnes
(84 km), pour lesquels il faudrait creuser de faon obtenir du remblai.
La largeur de chaque foss serait de 4 coudes, la profondeur
serait de 2. Nous considrons qu'on pourra excaver assez de terre
pour lever les digues la hauteur voulue, ce qui ferait 86 naubia
(115,24 m3) pour un schne, et 137 600 naubia pour les 1 600
schnes. Quant aux quatre canaux amenant l'eau qu'il faudrait ajouter aux quatre existants, ils auraient une longueur de 100 schnes
chacun, soit 400 schnes de 86 naubia, ce qui fait 34 400 naubia. Au
total : 172 000 naubia (230 480 m3). Si les travaux sont achevs pendant l'hiver, nous estimons qu'ils coteront, raison de 70 naubia
pour un statre, 1 talent et 3 834 dr., soit environ 1 dr. l'aroure ... Si
en revanche ils ne sont pas achevs avant la moisson, leur montant

102

atteindra, raison de 50 naubia pour un statre, 2 talents 1 760 dr.,


soit 1 dr. 2 1/4 ob. l'aroure.

On utilise la technique des rizires : la dra se dploie sur une


lgre pente irrigue par des canaux protgs par des digues. Les
diverses parcelles sont dlimites par des biefs qui les irriguent et
qui permettent que le surplus se dverse des parcelles les plus leves aux parcelles les plus basses. Les travaux sont considrables :
si l'on estime le salaire moyen d'un ouvrier une obole par jour,
le projet a mobilis 500 ouvriers pendant trois mois et demi.
Une fois construite l'infrastructure, les papyrus livrent les
diverses phases de la mise en culture. Les terres qui venaient
d'tre gagnes sur le dsert taient ensemences par des olagineux de rendement faible (pavot, ssame, ricin, lin ... ). Ensuite,
lorsqu'elles devenaient plus productives, on les vouait aux
crales : les meilleures terres en bl, les autres en orge ou en sorgho. Les parcelles les plus pauvres, celles qui se situaient trop en
hauteur pour recevoir la crue, taient plantes d'arbres, qui pouvaient pousser sur des sols rocailleux.
Et que fait Znori dans ce paradis ? Il est charg de surveiller
les travaux et de les diriger. Un mmorandum donne une ide de
la diversit des tches qu'il doit accomplir :
n47
L'AGENDA DE ZNON

PSI 429 = SP 179 - Thadelphie - v. 250 av. J.-C.


Demander Hrodote pour le poil de chvre. Demander
Arninias combien il vend la mine. La lettre Dioscourids propos du bateau. Conclure un accord avec Time propos des
cochons. Faire un brouillon du contrat avec Apollodore et lui crire
de le livrer. Charger le ba.teau avec du bois. crire Jason de faire
charger le bois Dionysios et le faire descendre la rivire quand il
est convenable. Le quart du bois d'Arabie. Lui faire descendre le vin
aigre. crire Mliton de planter les plants du vin bumastus appartenant Noptolmos, et Alkime de faire la mme chose s'il est
d'accord. Thogne sur les douze jougs buf. Livrer Apollodore
et Callipos [le reste fait dfaut]. [Verso] De Mtrodore Athnagoras
propos du produit de la mme anne. Thophile pour lui tre
agrable et au sujet de l'tat du travail. crire Iatrocls au sujet du
bl, et Thodore avant que l'eau du canal [le reste fait dfaut].

videmment, il est impossible d'lucider toutes les allusions de


ce mmo. On voit cependant que Znon se charge des achats, des

103

cultures, des plantations. Il dcide du travail - jusqu' la qualit


du cpage de ses vignes, le fameux bumastus prsent aussi chez
Virgile ( Gorgi,ques Il, 102) -, conclut des marchs, se tient au courant des rcoltes et de l'avance des travaux agricoles.
Comme tout intendant, Znon doit aussi obir aux ordres parfois premptoires de son propritaire :
n48
UN ORDRE n'APOLLONIOS

R Cair. Zen. 59156-Philadelphie -256 av.J.-C.

Apollonios Znon, salut 1 Fais venir des poiriers greffs et


autant de plantes qu'il sera possible de transporter depuis Memphis, notre jardin et le palais royal. Obtiens galement d'Hermaphilos des pommiers doux et replante-les. Porte-toi bien 1 La
30 anne [de Ptolme II], le 13 Dios [soit] le 3 Hathyr
(27 dcembre 256).

On le voit, Apollonios suivait de trs prs ses cultures. Il profitait des paradis royaux et de sa propre ppinire Memphis (une
autre dra) qui servaient de champs d'exprience agronomiques.
Il faut aussi voir dans ce domaine des 10 000 aroures une exprience pilote pour acclimater de nouvelles varits et de nouvelles
techniques agricoles.
Znon s'emploie galement ngocier avec Clon, le fonctionnaire du Fayoum charg de la gestion des canaux. Il occupait
une charge essentielle puisqu'il dcidait de l'ouverture des
vannes qui irriguaient la proprit d'Apollodore et qui taient
gres par l'tat.
n49
!
R Zen. Pest. B - Philadelphie - 258 av. J.-C.
IL FAUT OUVRIR LES VANNES

Znon Clon, salut 1 L'eau dans le canal n'est pas monte


de plus d'une coude : elle ne peut pas arroser la terre. Ouvre
les vannes, s'il te plat, pour que la terre soit arrose. Porte-toi
bien 1 La 28 anne [de Ptolme II], .le 23 Msor (14 octobre
258).
[Verso] Clon. 28 anne. 24 Msor. [au sujet] eau [ ... ]

Comme tout intendant, Znon gre galement les conflits


sociaux:

104.

n 50
UNE GRVE

PS/502-Philadelphie-257 av.J.-C.
Apollonios. J'ai reu grce Zole ta lettre du 14 Pachn
[6 juillet 257] dans laquelle tu m'crivais t'tonner que je t'aie laiss
sans nouvelles de l'estimation et de la rentre des crales. Voil ce
qui est arriv. Je suis arriv Philadelphie le 16 Phamnth [9 mai],
et aussitt j'ai crit Zole, Zopyrion et aux scribes royaux [basili~
cogrammates] de venir me rejoindre pour mener bien tes ordres.
Mais il s'est trouv que Zole tait en tourne d'inspection avec
Tlests: il n'tait pas disponible. Quant aux basilicogrammates et
Pays, qui travaille chez Zopyrion, ils ne m'ont rejoint qu'au bout de
douze jours. peine taient-ils arrivs que nous nous sommes mis
arpenter la terre par cultivateur et par espce : cela dura 5 jours.
Ayant achev le tout, nous avons convoqu les cultivateurs et nous
leur avons annonc les avantages que tu leur donnes. Nous leur avons
expliqu le reste et nous leur avons propos ou bien d'estimer ce
qu'ils doivent selon les directives que tu nous as donnes dans ton
mmoire ou bien de conclure en accord avec nous une convention
selon un montant forfaitaire. Ceux qui taient prsents ont rtorqu
qu'ils allaient d'abord tenir conseil avant de nous faire connatre leur
dcision. Puis, au bout de quatre jours, ils se sont tablis dans le sanctuaire en dclarant qu'ils refusaient de faire des estimations, tort ou
raison, et ils ont affirm qu'ils abandonnaient la moisson. Car, selon
l'accord qu'ils avaient conclu avec toi, ils devaient reverser le tiers de
leur rcolte.
Darnis et moi avons copieusement argument. Mais, comme
nous n'en sommes pas venus bout, nous sommes alls voir Zole et
lui avons demand de nous accompagner. Mais il a rpondu qu'il
n'tait pas disponible car il s'occupait de l'envoi des bateliers.
Trois jours aprs nous tions de retour Philadelphie. Nous.
avons dcid, suivant le mmoire en notre possession, que, puisqu'ils n'acceptaient de faire ni estimation ni concessions, nous leur
demanderions de donner eux-mmes leur estimation, chacun selon
son opinion. Ils nous les ont remises et nous te les avons d'abord
envoyes.
Aprs nous tre occup de l'affaire, nous avons entrepris avec
les basilicogrammates l'arpentage de la terre ssame et de la terre
en broussaille. Ils nous ont remis leurs comptes le 22 Pharmouthi
[14juin]. Tu ferais donc bien de ne pas m'accuser de ngligence,
car ton service personne ne peut tre ngligent. Qu'il soit galement bien clair pour toi que depuis que les moissons ont corn~
menc, on ne trouve plus personne sur place pour donner un coup
de main.
[Au verso, l'adresse:] De Panakestor. Copie de la lettre
Apollonios. La 29 anne [de Ptolm~ Il], le 14 Los [7 juillet 257
av. J.-C.], Alexandrie. Znon.
!
1

105

Panakestor, le prdcesseur de Znon Philadelphie, rencontre une difficult majeure sur ses terres: les ouvriers refusent
de travailler. On les comprend : les salaires sont bas, les fermages
sont levs, les fermiers sont gnralement endetts. Bien souvent, leur seul salut rside dans l' anachorse, la fuite, qui exaspre
les patrons car elle contrarie les rcoltes et rduit nant leurs
investissements. Cette fois-ci, pourtant, les ouvriers ont choisi une
autre technique: ils font grve.
Le motif est la visite de Panakestor, qui veut introduire une
nouvelle faon de calculer les contributions. En effet, il propose
aux paysans gyptiens de fixer le taux de leur fermage en fonction
d'une estimation sur pied de leur rcolte : le systme semble bien
plus juste car il tient compte de la crue du Nil et de la rcolte.
Mais cette dcision de technocrate est mal prise sur le terrain. Les
paysans dclarent abandonner les rcoltes. Ils ne contestent pas la
mthode employe, mais entendent faire respecter la parole donne. Apollonios, certainement de bonne foi, a modifi les termes
de l'engagement de manire unilatrale.
Les paysans s'engagent donc dans un bras de fer: en refusant
de travailler, ils perdent aussi leurs rcoltes. Cependant, comme le
note Panakestor la fin, il parat impossible de trouver des agriculteurs libres pendant les moissons : les villageois savent bien
qu'Apollonios va transiger.
En outre, Zole, le basilicogrammate [scribe royal], refuse
d'expulser les paysans du sanctuaire. Il donne pour motif sa proccupation : organiser la rquisition des bateaux qui seront chargs de transporter les impts, collects en nature, en bl, jusqu'
Alexandrie. Peut-tre entend-il aussi laisser Apollonios et Panakestor en face de leurs responsabilits.
Panakestor attend donc la rponse d'Apollonios: reviendra-t-il
sur sa dcision ? En tout cas, ce dernier document nous apprend
que, mme dans un paradis, tout n'est pas parfait.

VI

UN ROUAGE DE L'ADMINISTRATION LAGIDE

Prs d'un sicle et demi spare Znon de Menchs, le scribe de


village de Kerkosiris, un monde social galement. Pourtant,
bien y regarder, ils sont dans la continuit l'un de l'autre : si
Znon occupe un bout de l'chelle sociale, Menchs est l'autre
bout ; si Znon est le type du colon grec, Menchs reprsente le
peuple d'gypte ; si Znon vit aux dbuts de la monarchie lagide,
Menchs en vrifie la permanence.
Les archives de Menchs comptent parmi les premires trouvailles d'importance de la papyrologie moderne. Leur prservation
extraordinaire s'explique par le fait qu'elles furent utilises dans le
cartonnage d'une momie. On se souvient (cf. n 8) que le crocodile
connaissait une grande vnration au Fayoum comme la manifestation du dieu de la fertilit Sobek/Souchos. Lorsqu'un des animaux sacrs mourait, avant qu'un autre prenne sa place, il se faisait
momifier et somptueusement ensevelir dans une tombe spciale.
Certains prtres taient mme probablement chargs de recueillir
les cadavres des crocodiles qui mouraient sur les bords du Nil.
Pour l'embaumement, les prtres utilisaient habituellement du lin
coteux. Cependant, pour des raisons inconnues, certains crocodiles jouirent d'un traitement spcial puisqu'on utilisa une premire couche de papyrus avant de les emmailloter ou qu'on
bourra leur gueule de papyrus. Cette technique trs inhabituelle
107

ne se retrouve qu'au Fayoum et elle pourrait s'expliquer par des


raisons votives : on donnait du papyrus pour faire honneur
Sobek. Fruit inespr du dmaillotage d'une momie de saurien
trouve Tebtynis prs de Kerkosiris, les papyrus de Menchs
furent publis par Bernard Grenfell et Arthur Hunt partir de
1899: ils furent ds lors largement tudis et cits; ils le mritent
bien, car ils prsentent concrtement l'activit du plus petit rouage
de l'administration lagide: le cmogrammate, le scribe de village.
Hritier du systme pharaonique qui reposait sur des scribes, le
cmogrammate incarnait l'administration royale, prsente jusque
dans les villages. Il occupait en effet le point de contact entre les
gyptiens indignes et l'tat grec : il transmettait les dcisions de
son suprieur, le chef de nome (le stratge) qui donnait ses ordres
ou relayait les dcisions de la cour, et il communiquait en retour
l'administration tout ce qui concernait la vie de son village. Son
rle d'interface lui donnait des comptences varies. Il se chargeait d'abord de raliser le cadastre des terres, d'estimer les
rcoltes et d'en dduire les taxes que devaient payer les paysans. Il
pouvait galement recevoir les requtes, juger selon ses comptences ou transmettre au stratge, procder des arrestations. Il
occupait tout la fois les fonctions de juge de paix, contrleur des
impts et notaire.
Le cmogrammate jouissait d'une position en vue dans le village, car il pouvait diriger jusqu' sept ou huit scribes qui crivaient
pour lui. Cette position privilgie a permis une petite imposture :
un certain Petays, fils de Petays, vivant prs de trois cents ans aprs
Menchs (et donc dans un contexte assez diffrent), ne savait pas
crire. On a dcouvert de lui un papyrus (P. Petaus 121) sur lequel
il s'exerait reproduire au jug des lettres et apprend signer
son nom. Pour maintenir les apparences, il vivait entour d'amis
fidles qui l'aidaient dans sa tche. Petays tait en quelque sorte
un crivain qui ne savait pas crire 1 1
Menchs, lui, possdait le profil d'un bon cmogrammate. Son
criture, conserve sur les papyrus, est ferme et dcide, preuve
de sa bonne ducation. Il porte un double nom - Menchs (nom
gyptien) et Asclpiade (nom grec) - qui illustre peut-tre sa
double ascendance : l'un de ses anctres pourrait venir de Grce
1. Herbert C. YOUTIE, Petaus fils de Petaus, ou le scribe qui ne savait pas
crire, Chronique d'gypte 41, 1966, p. 127-143.

108

et s'tre mari avec une autochtone. lev dans une double culture, il matrisait le grec, langue de l'administration, mais parlait
couramment l'gyptien dmotique avec ses administrs.

1. - LA NOMINATION DE MENCHS
n 51
L'ACTE DE NOMINATION DE MENCHS

P. Teb. 10 = Wilck. Chrest. 160 = SP 339 - Kerkosiris - 119 av. J.-C.

Asclpiade Marrs, salut. Menchs a t nomm par le dicte


[ministre des Finances] au poste de cmogrammate de Kerkosiris
la condition qu'il travaille ses propres frais 10 aroures [2,75 ha]
de terre estime abandonne autour du village [loues au prix de]
50 artabes [de bl, env. 200 l.], qu'il devra verser partir de la
52 anne au Trsor chaque anne, soit en intgralit, soit en compltant ce qui manque de ses propres moyens privs. Transmets-lui
ses lettres de charge et assure-toi qu'il remplisse les termes du
contrat. Porte-toi bien. La 51 anne [de Ptolme VIII], le 3 Msor
[20 aot 119 av.J.-C.].
[Verso] Au topogrammate Marrs.

Au temps du roi Ptolme VIII vergte, surnomm Physcn


(le ventru), Menchs est nomm cmogrammate de Kerkosiris.
Sa nomination vient directement du dicte, le ministre des
Finances: l'administration centrale intervient jusque dans la
nomination du plus petit de ses fonctionnaires. L'ordre est ensuite
transmis au topogrammate Marrs par son suprieur Asclpiade :
on ne sait qui est cet Asclpiade, mais il occupe certainement un
rang plus important que Marrs car, selon les rgles pistolaires, il
met son nom en premier.
proprement parler, il ne s'agit pas d'une nomination, mais
d'une re-nomination : 1' examen de l'ensemble des archives
prouve que Menchs, qui se trouvait dj en poste, se succde
lui-mme. Il occupera son poste jusqu'en 110 av. J.-C., puis sera
remplac par un certain Ptsouchos.
Il semble donc que le poste de cmogrammate ressemblait
plutt aux charges <l'Ancien Rgime: il tait payant. Le cmogrammate percevait ensuite des avantages lis sa charge ou
devait se faire verser un salaire par les habitants du village. L'achat
de cette charge se faisait en deux temps : par le versement d'une
somme l'entre de sa charge et par la location au prix impos
109

d'une terre. En effet, la terre qu'on lui donne en location est plutt une servitude: sa location est relativement leve et l'obligation de payer 50 artabes si besoin par ses propres moyens est une
incitation la mettre en culture plus qu'un salaire 1La priode est
en effet trouble : Ptolme VIII et sa sur-pouse Cloptre II
sont en perptuelle rivalit. Cloptre jouit du soutien des
Alexandrins et des habitants du Delta, tandis que Ptolme s'appuie sur les indignes et les soldats de la Haute gypte. Au q:mrs
des hostilits, Ptolme expulsa mme les savants du Muse (la
Bibliothque d'Alexandrie et ses salles de travail, ses logements de
fonction, etc.) et organisa le premier pogrom des Juifs. Face l'intensit des combats, les paysans abandonnrent les terres qu'ils
cultivaient: la famine et l'appauvrissement gnral menaaient,
ce qui explique l'obligation de culture faite par l'administration
ses fonctionnaires.
Le versement du prix fixe d'entre en charge a t effectu
trois mois avant la publication de l'acte de nomination:
n 52
MENCHS ACHTE SA CHARGE

P. Teb. 9 - Kerkosiris - 119 av. J.-C.

De Menchs, cmogrammate de Kerkosiris. Pour tre appoint


au poste de cmogrammate qui tait occup par moi :
- Je donnerai [au grenier qui se trouve] dans le village.
Bl: 50 art.
Crales : 50 art. savoir : Lentilles : 20 art. ; Pois casss : 10 art. ;
Petits pois : 10 art. ; Graines diverses : 6 art. ; Moutarde : 3 art. ;
Crales sches : 1 art. Total 50 art.
Total : 100 art.
La 51e anne [de Ptolme VIII], le 6 Pchon [25mai119 av.J.-C.]
- EtDorion:
50 art. de bl.
10 de crales. savoir : pois casss : 3 ; petits pois : 3 ; graines
diverses : 3 ; moutarde : 1. Total 10.
Total: 60.

Menchs fournit donc 160 artabes de bl [environ 62871.], ce


qui constitue une assez grosse somme. Le paiement de la charge
se fait en effet en nature : on retrouve ici le problme rcurrent
de toute !'Antiquit, le manque de liquidits, qui conduit
rechercher des quivalents 1' or ou l'argent. Il est impossible de
savoir pourquoi Dorion finance le poste galement. Peut-tre
110

Menchs lui a-t-il rendu un service, qu'il rembourse ainsi ; peuttre est-il le patron de Menchs - il lui paierait sa charge en
change d'une influence - ; peut-tre cette participation s'explique-t-elle par des pratiques habituelles de la bureaucratie
lagide qui nous demeurent mystrieuses.

2. - LE RLE DE MENCHS (1): AGENT DU FISC

Une fois nomm, Menchs se met au travail: comme tout


fonctionnaire, il fait des rapports, des procs-verbaux, des expertises. Et tout d'abord, concrtement, il ralise le cadastre, conoit
des rapports de semailles, renseigne le fi.se. Il faut donc l'imaginer arpentant digues et fosss, vrifiant les cultures, environn
de ses assistants. Peut-tre les laissait-il travailler en s'abritant
l'ombre des grands palmiers pour chapper la terrible fournaise gyptienne ...
n 53
UN CADASTRE DE MENCHS

P. Teb. 84- Kerkosiris -116 av.J.-C.

(extraits)
La 53 anne [de Ptolme VIII, 116 av.J.-C.], de Menchs cmogrammate de Kerkosiris. Mesure par homme et par parcelle enregistre autour du village [ ... ].
A l'est, commenant au nord, Harmiysis fils d'Harmiysis [terre]
royale ............................. 2 [aroures, 0,55 ha] ;
Ensuite au sud, commenant l'est, Ptsouchos fils de Sarapion
[terre] royale ...................... 4 1/2 [aroures, 1,23 ha] ;
A l'est, commenant un canal. ..... 1/4 [d'aroure, 6 ca];
A l'est, commenant au nord, Onnphris fils de Petearpsenesios
[terre] royale, etc.

Citer le papyrus, fort long, en entier serait inutile : on voit que


Menchs procde l'numration des parcelles qui sont repres les unes par rapport aux autres. La plupart des terres appartiennent au roi, qui les loue contre un bail en nature : souvent,
il s'agit de bl, qui remplit les greniers royaux, assure l'approvisionnement des armes et finance l'administration et la cour.
Ce systme fond sur la quasi-absence de la proprit individuelle est un hritage pharaonique dont on a vu l'application
dans la dra de Dionysios et dans le systme de la clrouquie
111

(cf. n 46). On distinguait en effet plusieurs sortes de terres : la


terre administre pour le roi, la terre royale (~acrt.tKl 'Yii) ; la
terre temporairement administre pour le compte d'autres personnages (v $pet) ; la terre donne en cadeau pour service
rendu (v opeq) ; la terre accorde aux temples (hira g, on en
trouve la trace dans la Pierre de Rosette, cf. n 3) ; la terre concde des militaires (clrouquie) et la terre prive, rarissime ('Yii
itoK'tflwc;). Sous la domination romaine seulement, la possession
individuelle de la terre s'tendra.
n 54
UN AUTRE CADASTRE

P. Teb. 87 = Wilck. Chrest. 231 - Kerkosiris - ?

(extrait)
Ensuite l'ouest, commenant au nord, le clros de 7 aroures de
Collouthos de l'unit de Chomnis......... 61;2 [aroures, l, 79 ha].
Terre royale .......................................... 31/32 [aroures, 0,26 ha].
[Total] .................................................

7 15/32 4 1/2 [artabes


par aroure].

l 3/16
6 23/32

6 7/32

1 5/16

8 [aroures] excdent: 17/32

Cumin noir. Cul[tivateur]: lui-[mme].

L encore, il parat inutile de citer le papyrus en entier : il s'agit


de comprendre comment procde Menchs. Pour estimer un clros, c'est--dire la terre donne un militaire pour bons et loyaux
services, Menchs ralise (ou fait raliser par ses assistants) l'arpentage de la terre, qu'il reporte sur le papyrus autour du trait
horizontal.
b= 1
a= 6 23/32

a'= 6 7/32

b'= 1 5/16

Il procde ensuite une approximation en multipliant


entre elles la moyenne des longueurs des cts opposs du
quadrilatre : a+ a' x .h.JJ..' ou, s'il veut se compliquer la vie :
2
2
112

(a x b) + (bx a')+ (a'x b') + (b'x a). En ralit, la formule exacte est:

4
(ax b) sin (ab)+ (bxa') sin (ba') + (a'x b') sin (a'b') + (b'xa) sin (b'a)
4
o sin (ab) dsigne le sinus de l'angle form par le ct a et le
ct b. L'approximation de Menchs demeure raisonnable, car il
s'agit de trs petites superficies.
Il convient de noter que Menchs porte galement le rendement moyen de la terre, 4 1;2 artabes par aroure, et prcise l'espce cultive pour l'anne, le cumin noir.
n 55
UN RAPPORT DE SEMAILLES

P. Teb. 67 - Kerkosiris - 117 av. J.-C.


(extrait)

La 53 anne [de Ptolme VIII, 117 av. J.-C.], de Menchs,


cmogrammate de Kerkosiris. Rsum de l'anne par plante. Ont
t semes dans l'anne 53, incluant les ptures: 11391/4 [aroures,
soit 313, 29 ha] de terre ayant un rapport de 46421/12 [artabes, soit
environ 182 400 litres].
Estimation de rendement par type:
Bl ......................................................................... 1 6442/3 [artabes soit
environ 64 600 1.] ;
Orge (en quivalent bl) .................................... 2 8771/4 [artabes soit
environ 113 500 l.] ;
Olyra [peautre] (en quivalent bl) ............... 913/4 [artabes soit
environ 36001.] ;
En quivalent cuivre.......................................... 395/12 [talents de
cuivre] ;
En bl................................................................ 4 6421/12 [artabes]
[

... ]

Pour l'anne 53, ont t semes :


En bl 5 767/8 [aroures] rendant 2 5671/3 [artabes] pour lesquelles:
213/4 [aroures]
5 [artabes l'aroure] ce qui fait 1 083/4
[artabes];
261/2 [aroures]
411/12 [artabes l'aroure] ce qui fait 1 307/24
[artabes];
371;2 [aroures]
41/2 [artabes l'aroure] ce qui fait 1 683/4
[artabes] ;
961/2 [aroures]
4 [artabes l'aroure] ce qui fait 386 [artabes],

etc.

Ce document sert quant lui le fisc : Menchs y numre les


semailles faites sur les diffrentes terres et estime leur rendement
113

moyen. Pour tablir ce rendement, il se sert sans doute des relevs


prcdents qu'il collationne. Grce ce document, le fisc royal
peut prvoir l'assiette de l'impt qu'il calcule en fonction de la
hauteur de la crue du Nil. Cette crue se mesurait officiellement
dans un endroit spcialement dvolu cet usage, le nilomtre. Le
rendement devient bon si l'eau inonde l'gypte au bon moment,
pendant un temps bien dtermin, et s'il y a assez d'eau pour que
toutes les cultures soient couvertes. Finalement, on voit que les
prescriptions du dicte Apollonios ont t acceptes (cf. n 50) 1
Menchs ne se contente pas de jouer les arpenteurs et les receveurs des impts, il peut aussi se transformer en greffier et enregistrer les mouvements de terres.
n56
LE POIDS DE L'ADMINISTRATION

P. Teb. 30 = Wilck. Chrest. 233 - Kerkosiris - 115 av.J.-C.

[Mmo de Menchs] Onnphris. 24 aroures, total 24. 29 Tybi de la


2c anne [de Ptolme IX]. Reu le 29 Tybi de la 2c anne.
[2' main] Onnphris Menchs, salut. Cijoint une copie de la
lettre d'Apollonios fils de Posidonios, basilicogrammate propos
des 24 amures prs de Kerkosiris dclares cdes Didymarque,
fils d'Apollonios, par Petrn, fils de Thn, afin qu'inform, tu
puisses excuter ces instructions. Salut. La 2 anne, le 28 Tybi.
Apollonios fils de Posidonios Polmn, salut. Cijoint les copies
de la lettre de Ptolme Hestiaos, ancien intendant des catques
concernant 24 amures prs de Kerkosiris qui ont t dclares
cdes Didymarque, fils d'Apollonios, par Petrn, fils de Thn, et
des rapports des scribes. La 2c anne, 27 Tybi.
Ptolme et Hestiaos Apollonios, salut. Nous avons joint une
copie de la ptition qui nous a t prsente par Didymarque, fils
d'Apollonios, Macdonien de la 5 hipparchie des hommes des 100aroures. Puisque nos scribes ont aussi rapport que la cession des
24 amures lui a vraiment t faite, prire de donner des ordres pour
que la terre soit consquemment inscrite aussi sur votre liste sous
son nom. La 54 anne [de Ptolme VIII], le 8 Pharmouthi.
Ptolme et Hestiaos, premiers amis et responsables de la
distribution des terres de la part de Didymarque, fils d'Apollonios de
la 5 hipparchie des hommes des 100-aroures. Comme Petrn, fils de
Thn, un Perse de la mme hipparchie, m'a cd sa tenure de
24 amures prs de Kerkosiris dans le district de Polmn, mais que
les scribes, ignorants de cette transaction me concernant, continuent d'enregistrer la tenure sous le nom de Petrn, je vous prie
d'crire une lettre Apollonios le basilicogrammate [scribe royal],
pour qu'inform, il puisse enregistrer lesdites 24 amures sous mon
nom et que je puisse obtenir rparation. Adieu.

114

Provenant des scribes. Une note ayant t insre dans la lettre


prcdente de Ptolme et Hestiaos, anciens dirigeants de l'arrangement des cavaliers catciques, propos de la tenure de 24 aroures
prs de Kerkosiris dans le district de Polmn possdes par Petrn,
fils de Thn, qu'ils crivent avoir t cdes par lui Didymarque,
fils d'Apollonios, nous demandant de rapporter le cas, nous, sur examen du cadastre de Kerkosiris pour la 54 anne, l'avons trouv inscrit dans la clrouquie comme possdant 24 aroures dans le pays
octroyes par le pre du roi l'phode et l'avons transfr aux
catques. Concernant cette terre, nous rapportons que les agents
de Hestiaos crivent galement qu'elle a t cde Didymarque.
La 2 anne, le 24 Tybi.

Le poids de l'administration ne date pas d'hier! Dmlons le


fil de l'histoire qui nous fera visiter tous les bureaux de l'administration lagide. Le cavalier Petrn, fils de Thn, un Perse - il
y avait beaucoup de Perses dans l'arme lagide -, a cd une
terre de 24 aroures sop. camarade de cavalerie, Didymarque, fils
d'Apollonios. Rien n'est indiqu sur cette cession: s'agit-il
d'une vente? s'agit-il d'une cession sans contrepartie faite pour
chapper aux servitudes de la possession de terre ? Malheureusement, le changement n'a pas pris effet administratif: la terre
est encore inscrite sous le nom de Petrn. Aussi Petrn et
Didymarque crivent-ils Ptolme et Hestiaos, les officiers
chargs de la distribution des parcelles aux catques, ou colons
militaires. Les catques sont des clrouques particuliers : le clrouque ne possdait que la terre, le catque possdait une habitation (stathmos) rquisitionne sur l'habitant. La lettre de
Didymarque ne comporte pas de date, mais remonte probablement au 8 Pharmouthi de l'an 54 de Ptolme VIII .vergte Il,
jour de l'criture de la lettre de Ptolme et d'Hestiaos
Apollonios le basilicogrammate (le second personnage du nome
plus particulirement charg de ces questions), qui lui demandent de faire le changement : ils joignent cette fin le rapport
de leurs scribes authentifiant la validit de l'acte. Apollonios
demande alors ses propres scribes de se charger de la besogne.
Neuf mois passent et le 24 Tybi de la 2e anne de rgne de
Ptolme IX Ster II, les secrtaires de Hestiaios lui rapportent
que le changement a t fait. Trois jours plus tard, Apollonios
transmet l'ensemble de la correspondance un certain Polmn
(peut-tre le toparque, c'est--dire le chef du sous-nome) qui le
transmet son tour Onnphris le topographe (son secrtaire).
115

Le lendemain, Onnphris le transmet Menchs le cmogrammate, le scribe du village concern.


Ce contrat donne l'occasion de toucher du doigt l'une des
nombreuses questions qui agitent la papyrologie. Pourquoi
Petrn, fils de Thn, qui a le plus grec des noms, se rclame-t-il
d'une ascendance perse ? de nombreuses reprises, on trouve
dans les papyrus l'expression Perse de l' pigon , c'est--dire
d'ascendance perse et aujourd'hui encore, il est difficile de
savoir ce que cela recouvre. Pour les uns, le terme dsigne des
indignes hellniss tentant de s'immiscer parmi les Grecs 1 ; pour
les autres 2, il n'a pas de connotation ethnique. Quoi qu'il en soit,
l'expression a un sens juridique 3 certain : chaque fois qu'un individu est dsign sous le terme de perse, il semble toujours personnellement responsable du non-respect du contrat, comme si
les Perses avaient t moins fiables que les autres.
Pour comprendre sa juste valeur l'importance du contrat
prcdent, il convient de saisir que les terres catciques, qui ont
succd aux clrouquies, ne constituaient pas seulement pour les
souverains lagides une manire de rcompenser les bons soldats :
elles constituaient aussi le moyen de mettre en valeur une trs
grande partie du territoire. Aussi la concession s'assortissait-elle
d'une obligation de cultiver la terre matrialise par un serment.
Quittons un instant Menchs pour lire un de ces serments :
n57
LE SERMENT D'UN CATQUE

P. Bingen 46- Hraclopolis -18 oct. 52 av.J.-C.

Dmtrios fils de Dionysios, un des cavaliers catques [colons


militaires] commands par Paniscos, cousin du roi, charg des
revenus. J'ai prt le serment royal dj crit selon lequel soit je
sme vraiment, au cours des semailles des trente prochaines
annes, la terre catcique que je possde prs de Phys, soit, si la
terre est abandonne, je paye l'abandon au fisc royal [l'idios], sans
retenue. Sij'ai bien jur, qu'il m'en arrive du bien, sij'ai mal jur,
qu'il m'arrive du mal. La 30 anne [de Ptolme XII Aulte], le
14Phaphi.

1. ]. F. OATES, The status designation IlpO'l'I Tfj ttyoviii; , Yale Classical


Studies 18, 1963, p. 1-130.
2. P. W. PESTMAN, A proposito dei documenti di Pathyris >>, !Egyptus 43,
1963, p. 23-29.
3. P. M. F'RAzER, Ptolemaic Alexandria, Oxford, Oxford University Press,
1972, p. 58-59.

116

Dmtrios, on le voit, s'engage sous serment cultiver la terre


pendant trente ans: s'il ne le fait pas, il sait qu'il devra payer un
droit d'abandon assurment assez lev.
Pour en revenir Menchs, les lecteurs de ses archives dcouvrent d'autres prrogatives attaches sa charge, comme la collecte de certains impts. Il se transforme alors en receveur.
n58
UNE COLLECTE D'IMPT

P. Teb. 17 = Wilck. Chrest. 165 = Hengstl 15 - Kerkosiris - 114 av. J.-C.

Polmn Menchs, salut. Puisqu'il a t dcid que l'pimlte


parte l'aube le 15 pour Brnik, et passe par le village le 16 sur
son chemin vers Thogonis, fais tout ton possible pour mettre en
ordre tous les arrirs de la rgion, afin que tu ne le retiennes pas et
que tu ne risques pas la moindre petite dpense. La 3 anne [de
Ptolme IX], le 11 Payni.

L'pimlte, c'est--dire l'adjoint de l'conome charg des


impts, fait une tourne dans la rgion. Le suprieur de Menchs
le prvient pour qu'il puisse lui remettre tout ce que doit son village sans le retarder.

3. - LE RLE DE MENCHS (2) : JUGE DE PAIX

Les comptences du cmogrammate excdent celles du simple


greffier : non seulement il communique ses relevs cadastraux,
mais il a galement des pouvoirs de police et de justice. Ainsi, il
peut mettre les biens d'un accus sous squestre.
n 59
MISE SOUS SQUESTRE DES BIENS D'UN MEURTRIER

P. Teb. 14 = Mitt. Chrest. 42 - Kerkosiris - 114 av. J.-C.

Menchs, cmogrammate de Kerkosiris du district de Polmn


Horus, salut. Tu m'as crit d'annoncer Hras, fils de Ptalos, habitant du village, inculp de meurtre et autres motifs, qu'il comparat
dans trois jours pour qu'une dcision soit prise son propos, et, en
attendant la conclusion de l'affaire, de dresser la liste de ses proprits, de les faire mettre sous squestre, et d'en envoyer le rapport des
relevs, en yjoignant le dtail des superficies et leur valeur. En consquence, je l'ai prvenu en personne le 14 courant Ptolmas-vergte
qu'il devait comparatre pour les charges susmentionnes. Je rapporte qu'il possde le sixime [des terres du temple] des Dioscures

117

du village, qui s'tendent au sud et l'ouest de l'espace libre autour


du village et au nord et l'est d'un canal. Leur valeur totale est d'un
[talent] de cuivre. Porte-toi bien. La 4 anne [de Ptolme IX], le
14 Phaphi [Il octobre 114 av.J.-C.].

Pour prvenir l'accus, Menchs n'hsite pas faire les vingt


kilomtres qui sparent Kerkosiris de Ptolmas-vergte, le
bourg voisin. De ce texte, nous apprenons deux dtails importants.
Tout d'abord, l'absence de prison prventive: malgr la gravit
des accusations, le prvenu est laiss en libert : sans doute
tait-on sr de pouvoir le retrouver 1 En outre, on remarque que
les temples pouvaient tre possds par des particuliers. Dans ce
papyrus, comment savoir si Hras ne possdait que la terre du
sanctuaire des Dioscures (les dieux grecs Castor et Pollux) ou s'il
habitait galement dans le temple ? En tout cas, ses biens ont pu
tre mis sous squestre.
Le cmogrammate peut galement diriger la police locale,
comme le prouve le texte suivant :
n60
DE L'HUILE VOLE

P. Teb. 39 = SP276- Kerkosiris -114 av.J.-C.

Menchs, cmogrammate de Kerkosiris, de la part d'Apollodore, exi!,phe [receveur] de la fourniture et de l'impt sur l'huile du
mme village pour la 4 anne. J'ai dj prsent un mmorandum
Polmn, l'pistate du village, propos de ma dcouverte du 27
de Phaphi [28 octobre] : il y a, dans la maison de Sisos, fils de
Senapynchios, qui se trouve [dans le sanctuaire] de Thoris du village, de l'huile en fraude. J'ai immdiatement pris Trychambe,
l'agent de l'conome, pour le paiement puisque ni toi ni les autres
personnages officiels n'avez voulu m'accompagner dans la maison
dont je parle. Je m'y suis rendu. L, le susdit [Sisos] et sa femme
Taysiris m'attaqurent, me rourent de coups, nous jetrent dehors
et fermrent la porte du sanctuaire et de leur maison. Ensuite, le
4 Hathyr [2 novembre],j'ai rencontr Sisos prs du sanctuaire de
Zeus et j'ai voulu l'arrter en prsence d'Ineilotos le porte-pe et
de Trychambe. Mais Paysiris son frre porteur, Bells, Dmas,
Marn, fils de Taconnos, ainsi que d'autres dont j'ignore le nom se
sont jets sur nous, nous ont matriss et nous ont rous de coups
avec les gourdins qu'ils portaient. Ils ont bless ma femme la main
droite - et moi aussi. Le dommage se monte 10 talents de cuivre.
Je te prsente donc cette plainte pour que tu ordonnes aux autorits
comptentes d'exiger d'eux [la suite manque].

118

Dans l'gypte lagide, certaines denres comme l'huile, les


mines, le marbre, le sel, les produits de la pche, la bire, taient
soumises au monopole de l'tat et un papyrus clbre, nomm
Revenue Laws par Bernard Grenfell, nous explique comment on
procdait pour l'huile. Les cultivateurs recevaient en prt les
semences des plantes olagineuses comme le ssame.et le ricin et
en change vendaient leur rcolte au fermier charg de la collecte. Les graines taient ensuite presses dans les pressoirs de
l'tat et l'on scellait les mortiers pour empcher des presses clandestines. L'huile se vendait prix fixe des dtaillants. Bien
entendu, les tentatives d'chapper ce monopole prolifraient
car il s'agissait d'un march fructueux. L'un de ces fraudeurs ..
Sisos, semble tre u~ nergumne: il terrorise l'agent de l'tat
charg du contrle de l'huile. Le pauvre Apollodore se sent manifestement lch par le cmogrammate qui n'a pas voulu participer l'arrestation de ce Sisos qui joue les cads. Et malgr le
secours de Trychambe, l'agent du fisc, et d'un policier, il s'est fait
molester deux reprises par l'escroc et sa remuante famille. Mais
pourquoi, aussi, a-t-il littralement cherch des gourdins pour se
faire battre une seconde fois, alors qu'il se trouvait en dehors de
son service puisque sa femme l'accompagnait?
Dans ce texte, il parat clair que l'habitation mme de Sisos se
trouve dans le temple de Thoris - une desse forme d'hippopotame qui semble avoir t assimile Athna - puisque ce dernier peut en interdire l'accs l'infortun Apollodore.
On trouve enfin dans les archives de Menchs de nombreuses
ptitions concernant de petites affaires agricoles : voil nptre
cmogrammate charg de rgler les petits litiges, de remplir les
fonctions de juge de paix :
n61
UN INCIDENT DE VOISINAGE

P. Teb. 49 = Mitt. Chrest. 19 = Hengstl 128 - Kerkosiris - 113 av. J.-C.

Menchs, cmogrammate de Kerkosiris, de la part d'Apollophane, fils de Dionysodore, cultivateur royal, du mme village. Le
20 Phaphi de la 5 anne [18 oct. 113 av. J.-C.], Nicn fils
d'Ammn, habitant dudit village, ayant laiss couler l'eau de sa
propre terre, a inond la terre royale que je possde: 21/4 aroures
[0,618 ha] qui venaient d'tre laboures. Cela a eu comme consquence qu'elles sont compltement [ravages] et que j'ai subi un
dommage se montant 20 [artabes de bl]. Par consquent, je te

119

prsente [cette plainte] afin que l'accus soit cit en justice et soit
forc me rembourser les dommages. Et s'il refuse, je te prie de
transmettre une copie de cette ptition aux autorits comptentes,
afin que l'on puisse l'enregistrer et que le roi ne puisse subir aucune
perte. Sois heureux.

Petits incidents de voisinage communs tous les pays irrigus


(que l'on songe au Midi de Pagnol!) : des inondations ou des asschements cause d'un mauvais usage des canaux. Nicn est-il
l'ennemi d'Apollophane ou bien est-il tourdi? A-t-il volontairement laiss dborder le canal d'irrigation qui se trouve chez lui
dans la terre d'Apollophane - en le bouchant au besoin - ou bien
a-t-il inond son terrain par inadvertance et laiss s'couler le tropplein chez son voisin ? Le papyrus ne le dit pas, mais le fait
qu'Apollophane n'espre pas vraiment tre ddommag plaide
pour la ngligence. Toujours est-il qu'il se rappelle fort propos
son statut de cultivateur royal pour affirmer que le dommage qui
lui a t fait touche en ralit le roi. La question est d'importance :
l'impt, on l'a vu dans le texte n 54, se calcule partir d'estimations de rendement ici srieusement mises mal par l'incident.
Dans les attributions du cmogrammate entre galement le rle
de briseur de grve, comme dans celles de Znon (cJ. n 50).
n62
MENCHS DNONCE UNE GRVE

P. Teb. 1099 - Kerkosiris - 114 av. J.-C.

Menchs, cmogrammate de Kerkosiris du district de Plmon,


Horos, salut. Alors que j'tais Ptolmas vergtide pour remettre les
comptes qui m'taient demands, il m'a t donn d'entendre que les
cultivateurs royaux du village se sont retirs au temple de Narmouthis.
J'ai estim que le fait mritait de t'tre rapport. Porte-toi bien. La
4 anne [de Ptolme IX], le 20 Phaphi [9 nov. 114 av.J.-C.].

Menchs informe son suprieur le basilicogrammate [scribe


royal] Horos que les cultivateurs de Kerkosiris ont trouv asile au
temple de Narmouthis. Les charges, cette anne-l, devaient tre
trop importantes par rapport aux revenus. Phnomne mal
connu de !'Antiquit, la grve se rvle assez courante.
Malgr la modestie de son rang, la vie de cmogrammate n'est
pas toujours aise. cause de sa position en vue au sein du village, il se trouve parfois en butte de fausses accusations et
des vexations.

120

n63
UNE FAUSSE ACCUSATION

P. Teb. 43 = Wilck. Chrest. 448 - Kerkosiris - 117 av. J .-C.

Au roi Ptolme et sa sur la reine Cloptre et sa fen::ime la


reine Cloptre, dieux vergtes, salut. De Menchs cmogrammate
de Kerkosiris, du district de Polmn de l'Arsinote ainsi que son
frre Polmn.
Le 17 Hathyr de l'anne courante, la 53 [13 nov. 118 av. J.-C.], il
s'est trouv qu'Asclpiade, de l'quipe d'Aminias, pistate des phylacites du nome, venait au village. Comme il convient, nous sommes
venus sa rencontre avec le cmarque du village, quelques-uns des
anciens des paysans, Dmtrios qui fait office d'pistate et qui est
archiphylacite [chef de la police], ainsi que d'autres. N'ayant pas de
[ ... ],nous l'avons salu. Mais il nous a mis aux arrts, nous, ainsi que
Dmtrios et Marrs, fils de Ptays, l'un des paysans, en affirmant
qu'une plainte avait t dpose contre nous en mme temps que
contre Marn, fils de Diodore, Ptsouchos, fils de [... ],et Simon,
fils de[ ... ], tous du mme village, ainsi qu'Artmidoros cmogrammate d'Ibin-des-20-aroures, par Aryts, fils d'Arsiesios, de la ville
de Crocodilopolis, sous le motif d'avoir dn avec lui dans une
taverne du village et de l'avoir empoisonn. cause de lui, nous
avons comparu devantAminias le 19 du mme mois; aprs examen,
auquel assistait Ammns le basilicogrammate [scribe royal], nous
avons t immdiatement relchs par absence de la partie adverse.
C'est pourquoi, prvoyant d'tre molests pour la mme [affaire, si
la partie adverse] se ravise [ ... ], nous avons t forcs de trouver
refuge auprs de vous, et nous vous supplions, dieux grands et victorieux, de nous garantir une part de ce secours que vous accordez
tous, et puisque le rsultat du procs fut de nous dclarer innocents, de bien vouloir donner des ordres pour que notre ptition soit
envoye Apollonios, votre cousin et stratge, qui, selon vos dsirs,
prendra soin qu'aucun acte d'injustice ne soit commis par calomnie
ou extorsion, afin que personne ne soit autoris nous molester
pour les mmes charges ou nous ennuyer sous un quelconque prtexte : ainsi Menchs pourra remplir pour vous les devoirs de sa
charge sans entrave, ayant obtenu du secours de votre part pour nos
vies entires. Portez-vous bien.
[De la main du basilicogrammate ?] Apollonios: si les allgations
sont correctes, qu'il ne soit pas molest. 4 Pachn 53 [29 avril 117
av.J.-C.].

Un certain Aryts, peut-tre pour se venger de lui et de certains de ses compagnons, dont, comme par hasard, le policier en
chef du village (l'archiphylacite Diodore), l'accuse d'empoisonnement. Cette accusation a toutes les chances d'tre fausse :
pourquoi, sinon, n'aurait-il pas comparu devant l'pistate des

121

phylacites (le chef de la police du nome) et le second personnage du nome, le basilicogrammate (scribe royal) Ammns?
Menchs, d'ailleurs, semble savoir o il veut en venir puisqu'il
accuse ses ennemis d'extorsion, Toujours est-il que ce que
Menchs prenait pour une visite de politesse a tourn en une
humiliante arrestation et qu'il juge sa tranquillit suffisamment
menace pour devoir faire appel au juge suprme, le roi, afin de
plaider sa bonne foi. Celui-ci a donn un ordre conciliant : il
enjoint au dirigeant du nome, le stratge Apollonios, de faire cesser les poursuites si Menchs se rvle de bonne foi. Remarquons
enfin la prsence d'un certain Simon~ un nom juif: il y avait une
synagogue Crocodilopolis, ce qui ne surprend pas dans l'gypte
lagide. Comme on l'a vu au chapitre III, les Juifs ne s'taient pas

tous tablis Alexandrie ; nombre d'entre eux vivaient au contact


de la population gyptienne dans les petits villages isols.

VII
LES ARCHIVES D'UNE FAMILLE
SOUS L'ADMINISTRATION ROMAINE

Lorsque l'empereur Auguste fait de l'gypte une province


romaine, les plus humbles des gyptiens connurent-ils un vritable changement? Les lettres familires parlent des mmes ralits et manifestent les mmes difficults. Pourtant, il ne faudrait
pas croire que le pays ne connut aucune transformation. Si l'on
constate une continuit dans le mode de vie, trois domaines principaux manifestent des volutions significatives 1 : le gouvernement, l'conomie et la socit. 1. Les Romains rorganisrent en
profondeur l'administration: ils restructurrent l'administration,
changrent les procdures juridiques, accenturent la prsence
militaire, remodelrent la collecte des impts et multiplirent les
services obligatoires. 2. conomzquement, les Romains abandonnrent
le monopole royal de la possession des terres et encouragrent la proprit
prive. 3. Socialement, les Romains ne purent empcher les bouleversements
sociaux : mme si, en vertu des principes de la pax romana, ils cherchrent encourager une socit statique, le bouleversement
qu'engendra leur prsence fut profond. Ils ne surent pas endiguer l'exode rural et la fuite des paysans dsireux d'chapper aux
1. Naphtali LEWIS, Graeco-Roman Egypt: Fact or Fiction? , Proedings of
the 12th congress ofPapyrologists, Toronto, 1970, American Society of Papyrologists,
American Studies in Papyrology 7, p. 3-14

123

servitudes de plus en plus lourdes. On assista en outre une sorte


de romanisation de la socit, en particulier des classes leves :
celles-ci s'alignrent sur un mode de vie la romaine, dont on
trouve des traces dans toutes les provinces de l'Empire.
Les deux chapitres qui suivent tentent de rvler la spcificit
de la vie de l'gypte sous les Romains. Les archives d'une famille
de Tebtynis, tout d'abord, permettent de plonger dans les diverses
procdures juridiques de l'gypte impriale. Elles permettent de
se rendre compte quels taient les papiers de famille qui
encombraient les coffres d'archives des maisons du Fayoum. On
ne choisit ici qu'une petite slection pour les annes 108-130.
n 64
REU D'ARGENT PROVENANT D'UN HRITAGE

P. Fam. Tebt. 10 =P. Lond. 1957-Tebtynis -26 fv. 108 ap.J.-C.


La onzime anne de l' Imperator Csar Nerva Trajanus Augustus
Germanicus Dacicus [Trajan], le 2 Phamnth Tebtynis dans le district de Plmon de l'Arsinote. Castor, fils de Cronion, fils de
Castor, g d'environ vingt-deux ans, ayant une cicatrice sur le ct
gauche de la gorge, reconnat au frre de mme mre de sa mre
Apollonarion, fille de Lysimaque [son oncle par alliance], Hraclide, fils de Maron, g d'environ 68 ans, ayant une cicatrice sur le
sourcil gauche, qu'il a reu de lui, Hraclide, de la main la main
hors de sa maison, quatre cent une drachmes d'argent et deux
oboles, qui est le reliquat du tiers lui revenant, lui Castor, des mille
deux cent quatre drachmes d'argent que conservait Hraclide et qui
viennent du don qu'a fait la mre d'Hraclide, Thaubarion, fille de
Mysths, dcde, la mre de Castor, Apollonarion, fille de
Lysimaque, par un accord testamentaire enregistr au secrtariat de
la mtropole, la 6 anne de Domitien, le 6 jour intercalaire de
Casarios [29 aot 87] [ ... ]. [L'acte] est en conformit avec la
reconnaissance faite entre Hraclide et son frre de mme mre,
Apollonios et Lysimaque alias Gaius, l'un et l'autre fils de Lysimaque, en faveur du pre de Castor et de ses frres Dioscoros alias
Castor et Lysimaque, Cronon, fils de Castor, la 10 anne de Domitien, le 2 Tybi [28 dc. 90]. L'ordre de paiement qui concerne prcisment les mille deux cent quatre drachmes d'argent que
conservait Hraclide - comme il apparat dans le contrat susmentionn - est annul, puisque Hraclide a aussi rendu aux frres de
Castor, Dioscoros alias Castor et Lysimaque, les parts qu'il leur
devait de ces mille deux cent drachmes: le prouvent les reus que
Hraclide a obtenus d'eux, qui demeurent valides. Et ni Castor ni ses
reprsentants ne pourront ester contre Hraclide ou ses reprsentant ni propos de la somme reue comme susmentionne, ni propos des intrts que le pre de Castor, Cronion, a reus quand Castor

124

tait encore mineur, depuis le dbut jusqu' aujourd'hui. [Suivent les

signatures de Castor et d 'Hraclide.]

Ce document plutt rbarbatif illustre un des aspects du droit


testamentaire de l'gypte romaine. Un arbre gnalogique l'clairera.
La famille de Castor
Mysths

Thaubanon
1. Maron

-1-.. - ... - ... - ... - ... - .. -...

2. Lysimaque 1

Hraclide

Apollonios

Lysimaque-Gaius
Cronion

Dioscoros-Castor

Lysimaque Il

Apollonarion

,,,_,,,_,,,_,,_,,_J
Castor

Thaubarion fait deux mariages : le premier avec Maron - elle


a un fils, Hraclide -, le second avec Lysimaque I - elle a deux
fils, Apollonios et Lysimaque-Gaius, et une fille, Apollonarion.
Cette dernire se marie (avec un certain Cronion) et a son
tour trois fils: Dioscoros, Lysimaque II et Castor. Le 29 aot 87,
elle fait un testament pour laisser 2 000 dr. d'argent sa fille
Apollonarion. sa mort, probablement en 90, le mari d'Apollonarion prfre laisser l'argent l o il est et encaisser les intrts.
Aussi, les frres (Hraclide, Apollonios, Lysimaque-Gaius) se le
partagent-ils et lui paient-ils les intrts (accord du 28 dc. 90) :
1 204 dr. demeurent entre les mains d'Hraclide. Quelques annes
plus tard, les fils d'Apollonarion veulent rcuprer leur capital :
Hraclide leur doit chacun le tiers de 1 204 dr., soit 401 dr.
2 oboles. Castor reoit ce tiers en 108 et fait une reconnaissance
d'extinction de dette.
n65
REU DE TAXES EN NATURE

P. Fam. Tebt. 12 =P. Lond. 1911....; Tebtynis - 2juil. et 19 aot


112 ap. J.-C.
Paiement de la taxe de l'artabe pour la 15 anne de notre
Seigneur Trajan [112 ap. J.-C.].

125

De la part des catques [colons militaires] de Kerksphis:


Hermas, fils de Didyme, en mme temps que Ptolmas, fils de
Didas, par Hraclia sa fille: 6112 + 1/12 artabes de bl, plus 11/8 artabe
de bl, rquisition 2/3, plus 1/8, total 81;2 artabes de bl, taxe d'un
pour cent: 1/8, total 8112 1/8 artabes de bl, qui ont t mesures
aux sitologues Geminos et Cronion, la 15 anne, le 8 piph.
De la part des Grecs :
Et dans le mois de Casarios, le 27, de Kerksis. De Ptolmas, fils
de Didas, vigneron, 21/16 1/24 artabes de bl, plus 1/2 1/24, taxe
d'un pour cent 1/24, rquisition du village 1/2 1/8, plus 1/12, total
31/3 1/24 artabes de bl, charge pour le transport 1/24, total 31/8
1/12 artabes de bl, qui ont aussi t mesures Gminos, Acoutas,
Ptollas, fils de Permouthion, et Zole, fils de Didyme, sitologues
Tebtynis.

Hraclia, la fille d'Hermas, paie la taxe sur le bl pour son pre


et un certain Ptolmas. Due tous les ans, elle est recouvre par les
sitologues, les agents du fisc chargs du bl. On s'aperoit que la
taxe de l'artabe se voit majore d'une taxe d'un pour cent et que les
contribuables doivent galement payer le transport du bl jusque
dans les greniers impriaux. Cette taxe en nature joue un rle fondamental dans l'conomie de l'Empire romain : l'gypte a toujours
t considre comme le grenier bl de la Mditerrane et cette
taxe permet d'approvisionner une grande partie des silos de
!'Empereur. Les gyptiens ne profitaient pas vraiment de la richesse
de leur pays, mme si le bl, converti en pain, constituait l'une des
bases de leur alimentation. N'allons pas cependant comparer ce
pain ce que nous connaissons : la crale employe, triticum durum,
n'avait ni la puret ni la douceur du bl commun en Europe, triticum vulgare. Le pain gyptien ressemblait des galettes assez dures.
n66
ACTE DE DIVORCE

P. Fam. Tebt. 13-Tebtynis-113/114 ap.J.-C.

Copie de divorce.
La dix-septime anne del' Imperator Csar Nerva Trajan Augustus
Germanicus Dacicus [Trajan], le [ ... ], M [ ... ] dans le district de
Polmn du nome arsinote. Cronous alias Philoumn, fille de
Castor, ge de 20 ans, ayant une cicatrice sur la jambe droite, avec
l'assistance de son tuteur, son propre pre Castor, fils de Pyrion, g
de 44 ans, ayant une cicatrice sur le ct droit du front [ ... ] et
Lysimaque, l'ex-mari de Cronous, alias Philoumn, fils d'Hraclide,
g de 30 ans, ayant une cicatrice sur le genou gauche, s'accordent
dclarer qu'ils ont dissous leur mariage l'un avec l'autre [ ... ] conclu

126

par un contrat crit autrefois au secrtariat de Tebtynis. Chacun des


deux sera libre de grer ses propres affaires comme il le souhaite et
Cronous de conclure un nouveau mariage avec l'homme qu'elle
prfre [sans l'intervention ?] de Lysimaque. Le susmentionn
Castor reconnat qu'il a reu entirement en retour de Lysimaque,
le mari de sa fille Cronous, la dot fixe au secrtariat de Tebtynis, en
or et en argent [ ... ]. Aucune des personnes susmentionnes ne
pourra ester en aucune manire; ni propos des possessions concernant le mariage, ni propos d'aucune autre chose crite ou orale,
qu'elle soit dette ou accord, depuis autrefois jusqu' maintenant. De
Lysimaque et Cronous est n de l'un et l'autre un fils nomm
Hraclide alias Valerius. Les liens que Lysimaque et Castor pouvaient avoir sont annuls. Pour Cronous, aussi appel Philoumn,
signe son pre susmentionn, Castor, fils de Pyrion, qui est aussi
nomm son tuteur. Cet acte de divorce est dclar valide partout o
il est produit.
Moi Cronous alias Philoumn, avec l'assistance de mon tuteur,
mon pre Castor, fils de Pyrion et [moi] Castor susmentionn, nous
reconnaissons que nous avons dissous le mariage, qui a exist avec
Lysimaque, sur la base d'un contrat crit dans les temps passs au
secrtariat de Tebtynis. Moi, Castor, ai reu la dot fixe en or et en
argent mentionne en lui, ainsi que des paraphcrnalia varies. Et chacun de nous sera libre, etc. [Le texte est repris une premire fois, puis une
seconde fois sous la signature de Lysimaque.]

L'acte de divorce met fin au contrat de mariage conclu sous le


rgime de la sparation des biens sous forme de simple accord.
Dans ce contrat, Lysimaque reconnaissait qu'il prenait Cronous
pour femme et qu'il avait reu de son pre Castor la dot en or et
argent (<j>epvfl) ainsi que divers cadeaux (paraphernalia ; on parlait,
en droit franais, de paraphernaux). La diffrence d'ge entre les
poux tait habituelle. Pour divorcer, il suffit Lysimaque et
Cronous de rompre l'accord et au mari de rendre la dot et les paraphernaux au pre de sa femme. Il convient de remarquer que le fils
du couple, Hraclide-Valerius, est mentionn : cela lui permet de
conserver une situation lgale malgr le divorce de ses parents.
Cronous, qui n'est pas citoyenne romaine l'instar de quasiment
toute la population gyptienne, ne peut profiter du jus liberum : elle
doit se faire assister de son pre Castor qui est considr comme son
tuteur (cf. chapitre XIV). Il n'est pas rare de voir des femmes assistes de leur propre fils (cf. par exemple ci-dessous n 68).
Si l'on veut poursuivre l'arbre gnalogique de la famille, il
faut comprendre que Lysimaque est le dernier fils de l'Hraclide
mentionn au texte n 64, ci-dessus.

127

n67
REU DE PNALIT

P. Fam. Tebt. 14 = P. Land. 1943 - Tebtynis - 21 mai et 1r juillet 114

Copie de reu. La 17 anne de l' Imperator Csar Nerva Trajanus


Augustus Germanicus Dacicus [Trajan], le 27 Pchon. Hraclide, fils
de Maron, ancien conservateur des archives, a pay une pnalit
pour son administration pendant la 16 anne dans le district
d'Hraclide de deux cent quatre-vingt-deux drachmes et deux
oboles (282 dr. et 2 ob.) plus 17 dr. 4 oboles, et selon un autre reu
de la mme 17 anne du Csar Trajan notre seigneur dans le mois
piph aprs d'autres paiements le 7 : le mme, travers ses enfants
Hraclide alias Valerius et Lysimaque, [a pay] comme pnalit
pour son administration comme conservateur des archives susmentionnes mille deux cents [... ] dr. plus [... ] 1 obole.

Hraclide, le fils de Maron, dj mentionn dans le texte n 64ci-dessus, a bien men ses affaires et il est parvenu se faire dsigner
conservateur des archives (~t~to<j>ua). Il avait la charge des
archives publiques de son village, dans lesquelles tous les papiers
officiels taient entreposs : il recevait en dpt les documents, les
classait et les ordonnait avec l'aide de scribes et les mettait la disposition des habitants. Malheureusement, une affaire remontant
au rgne de Domitien vient grever sa gestion (cf. P. Lond. 1885 &
1888) : lors de la rorganisation des archives, des rouleaux de papyrus ont t endommags et non .remplacs. Aprs plus d'un quart
de sicle de querelles, le prfet dcide finalement que ce seront les
conservateurs en chef qui seront responsables sur leurs finances de
la rparation des rouleaux. Hraclide se voit donc condamn une
amende. Mais, comme il meurt en 114, ce sont ses fils qui doivent
s'acquitter du reliquat, la mort n'teignant pas les dettes.
n68
RENONCIATION D'HRITAGE

P. Fam. Tebt. 17 = P. Land. 1980 - Tebtynis - aprs aot 117

(fragment)
[le dbut fait dfaut] contre mon pre Hraclide, fils de Maron, qui
est devenu conservateur des archives publiques dans le nome arsinote la 10 anne du dieu Trajan [110], en mme temps que Patron,
fils d'Euangelos [... ].je cde la moiti qui m'est due dans l'hritage
entier de mon pre susmentionn afin de ne pas tre inquit des
pnalits. Sois heureux.
[2' main, signature d 'Hraclide-Valerius] Hraclide alias Valerius, fils
d'Hraclide, fils de Maron [ ... ]

128

Hraclide-Valerius (qui a divorc de Cronous-Philoumn,


ci-dessus, n 66) a dj d payer des pnalits pour son pre
dcd, condamn dans une affaire de papyrus officiels abms
(cf. n 68) : devant le montant de la dette, et parce que les biens
ont dj t mis sous squestre, il renonce son hritage pour ne
pas en payer davantage. Le principe est que les dettes doivent tre
payes par l'hritage et non par les hritiers.

cf.

n69
.ANNONCE DE LA NOMINATION D'HRACLIDE-VALERIUS

P. Fam. Tebt. 18 = P. Lond. 1924 - Tebtynis -vers 117/118 ap. J.-C.

(fragment)
Maron, ex-exgte et Ptolme, ex-cosmte, conservateurs des
archives publiques, Hraclide aussi appel Valerius, qui a t
appoint par le stratge Apollonide du district de Polmn pour
tre contrleur de l'arpentage dans le nome oxyrhynchite, en mme
temps qu'Anthestios Gemellus, l'arpenteur, qui est dj install,
salut [la suite fait difaut].

Ce fragment de lettre dont il ne reste que la salutation nous


apprend une bonne nouvelle pour Hraclide-Valerius : malgr les
problmes rencontrs au cours de l'administration de son pre, il
vient d'tre nomm contrleur de l'arpentage des terrains (e7ticr1\jft), une tche essentielle dans le systme des impts. (Pour
une description des fonctions d'exgte et de cosmte, cf. n 77,
ci-dessous.)

VIII

LITURGIE ET IMPTS :
LE POIDS DE LA PRSENCE ROMAINE

Si les Lagides s'y entendaient collecter les impts, jamais ils ne


furent de taille rivaliser avec les Romains. Il n'est pas toujours possible de reprer dans les papyrus des changements majeurs entre
l'poque hellnistique et l'poque romaine, mais une chose se
modifie radicalement: les manifestations du poids de l'tat quis' exprime travers les impts et les services obligatoires, et qui s'accentue partir du ne sicle. L'Empire romain a de gros besoins, et la
province d'gypte, qui passe pour riche, se voit mise contribution.
On assiste donc une augmentation globale de l'imposition et,
peut-tre plus pnible, sa rorganisation pour une plus grande
efficacit et un meilleur rendement. Instrument principal de
cette nouvelle politique, la laographie ( liste du peuple ) qui
signifiait simplement recensement sous les Lagides, et qu'il
convient plutt de traduire par capitation sous les Romains.
n 70
UNE DCLARATION DE RECENSEMENT

P. Bruxelles 13 -Thelbonthon Siphtha - 19 juillet 174 ap. J.-C.


Apin basilicogrammate [scribe royal] du Prosopope de la part
de Pantbeys, fils d'Hartysis, fils de Pnpherotithos, ainsi que Stotis
sa sur et Thaps et Thanibchis, toutes deux filles de Pbs.
Nous dclarons, selon l'ordre du clarissime prfet Calvisius
Statianus, pour la dclaration par maison [le recensement] qui se

130

droule sous d'heureux auspices, nos proprits dans le village :


deux maisons et, sur un autre feuillet, des terrains vacants appartenant Pbs et Pantbeys, tous deux fils d'Hartysis, fils de
Pnpherotithos, [biens appartenant] autrefois leur pre.
Dans ces maisons : .
Pantbeys, fils d'Hartysis, fils de Pnpherotithos et de Tsontithos,
sa mre, fille de Pnpherotithos : 40 ans, sans signe particulier.
Pnpherotithos, fils de Pantbeys et de Stotis, sa mre, fille de
Pnpherotithos: 16 ans, sans signe particulier.
Thaps, fille de Pbs, fils de Pnphrs, sa mre, fille
d'Iarpichis: 12 ans.
L'an 14 du rgne de 1' Imperator Csar Marcus Aurelius Antoninus
Augustus Armenicus Medicus Parthicus Germanicus Magnus [Marc
Aurle], le 25 piph [19 juil. 174], moi, Pantbeys fils d'Hartysisj'ai
fait la dclaration ci-dessus grce Arpo [ ... ] selide.

Sous le rgne de Marc Aurle et sur l'ordre du Prfectus lEgypti


Calvisius Statianus, on procde un recensement. Cette pratique a
t rendue clbre par les vangiles : c'est l'occasion d'un recensement que Marie, pourtant de Nazareth, accouche Bethlem. Le
recensement avait lieu tous les quatorze ans et tait inaugur par
un dit du prfet, qui fixait sa dure gnralement une anne.
Tous les habitants taient tenus de se faire recenser leur domicile
fiscal, qui n'tait pas toujours le lieu o ils habitaient. Le schma
des recensements est. toujours identique : sont ports le nom,
l'adresse, les qualits du dclarant, la liste des maisons habites ou
possdes, la liste des habitants avec leur ge, leur lien de parent,
une formule conclusive, une date et la signature du dclarant.
En tant que chef de famille, Pantbeys fait la dclaration en son
nom propre et au nom de ses enfants, de sa sur et des filles de
son frre (peut-tre dcd). On peut le constater, contrairement
ce que le nom pourrait laisser croire, il s'agit plus d'une dclaration d'impt. Cette dclaration des habitants permet la capitation: elle tait due par tous les individus de 14 60 ans. Seuls en
taient exempts les citoyens romains, les citoyens grecs des cits
grecques (Naucratis, Alexandrie, Ptolmas et, partir de 130
ap. J.-C., Antinoupolis) et les militaires. Le Gnomon de l' Idios
Logos (BGU1210, cf. n 9) est assez ferme: 58. Ceux qui n'ont
pas dclar au recensement par maison eux-mmes et ceux qu'ils
devaient recenser sont passibles d'une amende du quart de leur
proprit, et sic' est la deuxime fois qu'on les dclare ne pas l'avoir
fait, ils sont passibles du double de cette amende. Les diffrentes
131

dclarations taient colles bout bout pour former des rouleaux


classs dans la capitale du nome. Apparemment illettr, Pantbeys a
recours un scribe spcialement appoint pour ces dclarations.
n 71

UNE DCLARATION DE DCS


P. Gen. 139 = Schubert 7 - Socnoponse - dc. 178 ap. J.-C.

Apollonios, basilicogrammate [scribe royal] du district


d'Hraclide de l'Arsinote, de la part de Panephrmes, fils de
Stototis Ill, fils de Stototis, du village de Socnoponse, prtre de
Socnopaos, dieu grand parmi les grands, ainsi que des dieux qui
partagent son sanctuaire. Mon parent Stototis, fils de Stototis et de
[ ... ] tissa mre, ainsi que son fils[ ... ], prtres des mmes dieux de
la 1re tribu, sont morts au mois d'Hadrianos de l'anne courante, la
19 [de Marc Aurle] . C'est pourquoi j'en fais la dclaration pour
l'inscription de leur nom dans la liste des personnes dcdes.

La dclaration de dcs, importante pour toute administration, prenait dans l'gypte romaine une importance particulire
puisqu'elle permettait de faire cesser le paiement de la capitation.
Cette dclaration est particulire puisqu'elle intervient dans une
famille de prtres qui semble avoir subi une pidmie : deux morts
coup sur coup dans la famille 1
Mais la capitation n'est pas le seul impt. Nous retrouvons galement l'impt foncier, pay en nature, et vers dans des greniers
grs par des sitologues. Parmi les nombreux reus existants, en
voici un de Socnoponse 1
n 72

UN REU DE SITOLOGUE
P. Land. 1586a- Socnoponse -194 ap.J.-C.
La 2 anne de Lucius Septimius Severus Pertinax Pius [Septime
Svre], le 26 Msor. Nous, Sarapion et ses associs, sitologues du
village de Nilopolis, nous nous sommes mesurs, partir du produit
de l'anne courante de la terre publique d'Apynchis fils d'Apynchis
de Socnoponse, six artabes de bl [env. 2351.]. Total: 6 art.

Apynchis, quoique habitant le village de Socnoponse, paye


son impt Nilopolis, situ une dizaine de kilomtres. L' explication la plus probable ce fait semble que les terres arables
1. Deborah HOBSON, A Sitologos Receipt from Soknopaiou Nesos '"
Zeitschriftfr Papyrologie undEpigraphik 99, 1993, p. 73-74.

132

manquaient autour de Socnoponse et que les paysans devaient


travailler des terres dpendantes de Nilopolis.
La terre que cultive Apynchis porte le nom de publique , car
elle fait partie des terres confisques l'poque romaine sur le
domaine des temples, sur les clrouquies et les terres catciques.
Elle tait donc afferme moyennant une rente annuelle qui fait
l'objet du reu. Outre la terre publique, on trouve galement
une terre royale, possde directement par l'tat, et une terre
domaniale , provenant de la confiscation au ne sicle des
grands domaines qui s'taient tablis en gypte au dbut de la
domination romaine. Malgr l'ouverture la proprit prive, la
terre se trouve rarement aux mains des paysans. Les parcelles
prives appartiennent en fait aux Alexandrins, aux riches
citoyens des mtropoles (les capitales des nomes) et des vtrans de l'arme romaine. part peut-tre les possessions de certains vtrans, ces terres sont affermes.
Une fois rentr dans les greniers impriaux (0ricmupoi), le bl
tait concentr sur Alexandrie puis envoy Rome o, selon l'historien juif Flavius Josphe (Guerre juive Il, 386), il permettait de
nourrir la population pendant le tiers de l'anne.
Outre cette collecte de bl, les Romains prlevaient une srie
impressionnante de taxes, dont les petits textes suivants gardent
la trace de certaines :
n73
REU D'OCTROI
P. Ryl. 197 = SP 383 - Socnoponse - 162 ap. J.-C.
Pay l'octroi de Socnoponse pour la taxe du 11/2 par
Sarapion, exportant sur un chameau, six artabes de graines payes
cinq dr. et sur un autre chameau et deux nes, douze artabes de bl
payes trois drachmes. La 3 anne d'Antoninus et Verus [Marc
Aurle et Verus], nos Seigneurs, le 4 Hathyr.

n 74
REU D'UNE TAXE SUR LES PORCS
P. Mich. inv. 3510 1 -Thadelphie-54 ap.J.-C.
La ire anne de Nero Claudius Csar Augustus Germanicus
Imperator [!'Empereur Nron], le 29 Choac [25 dc. 54]. Hras,
femme de Aynes, fils d'Harthotes et de sa mre Tasis, a pay pour
1. PJ. SI]PESTEIJN, Three Tax-receipts from the Michigan Papyrus>>,
Zeitschrift Jr Papyrologi,e und Epigraphik 103, 1994, p. 93-97.

133

la taxe de cette anne sur les porcs du village de Thadelphie six


oboles. Total : 6 ob.
n 75
REU POUR DIVERSES TAXES

SB 12637 - Caranis - oct.-nov. 125 ap.J.-C.


La IO anne de l'Imperator CsarTrajanus Hadrianus Augustus
[Trajan], le [... ] Hathyr. Ptays, fils de Pakysis, a pay Moros et ses
associs, collecteurs : pour l' apomora de la 8 anne de Caranis, 970 dr.
de cuivre; pour le transport des olives, 150; pour le naubion, 105;
pour les charges additionnelles, 245 ; pour la taxe d'arpentage,
650 dr. de cuivre ; pour les charges additionnelles, 50 ; pour le
change, 35 ; pour le reu en drachmes de cuivre, 3 ob. ; pour la geometria, 8 dr. 4 ob. ; pour les charges additionnelles, 31;2 ob.
n 76
REU D'UNE TAXE SUR LE COMMERCE

O. Berol. inv. 25470 1 - lphantine -15 dc. 78 ap.J.-C.


J'ai reu de Psouchnouis et son fils pour la taxe sur le commerce
de la 11 anne de Vespasien notre Seigneur, 12 drachmes, le 19
Choac. Moi, Philoumnosj'ai crit.

Les taxes frappent aussi bien la circulation des biens (n 73) et


le commerce (n 76) que l'levage (n 74) ou l'agriculture (n 75).
Le naubion (va:6~tov) sert entretenir les digues et les canaux, la
gomtria (yeroe'tpta) pesait sur les vignobles, les vergers et les
jardins potagers, l' apomora (n6otpa) concerne la rcolte des
vignobles et des vergers (cf. n 3). On pourrait citer bien d'autres
impts: le phoros probaton (<j>6po; npo~a'trov) sur les troupeaux, le
telesma camln ('t.ecra xaft.rov) sur les chameaux, la huik
(uiK\) sur les porcs, le balaneutikon (~a.avemtK6v)sur les thermes
et les bains, le chmatikon (xromtK6v) sur les digues, etc.
Les impts, passe encore : les pharaons prlevaient depuis toujours des taxes en nature, et les Grecs n'ont pas hsit lever des
contributions de toutes natures. Mais voici que les Romains ont une
autre ide : transformer le vieux systme de la liturgi,e pour allger
les dpenses publiques. L'administration lagide se distinguait par le
grand nombre de ses fonctionnaires : Menchs, le cmogrammate
[scribe de village] rencontr au chapitre VI habitant Kerkosiris,
1. C. A. Nelson, Receipts for Trade-Tax in Elephantine/Syene >>, Zeitschrift
jr Papyrologi.e und Epigraphik 107, 1995, p. 259-262.

134

faisait partie des petits fonctionnaires. Les Romains, plus pragmatiques et dsireux. de faire des conomies, remirent l'honneur le
systme de la liturgie, qui tait plutt rare sous les Ptolmes. Il
s'agit d'un antique systme hrit de la cit grecque. Charge non
spcifiquement religieuse, contrairement l'acception que lui
donneront les chrtiens (le terme vient du verbe Et'toupyro, je
sers), la liturgie dsigne un service qu'accomplit gratuitement
un citoyen pour le bien de l'tat. Elle a souvent un grand poids
honorifique, mais elle se rvle fort coteuse : le liturge doit la
plupart du temps payer de ses propres deniers. Athnes, les
citoyens les plus riches faisaient ainsi profiter de leur richesse le
plus grand nombre en organisant les concours de thtre o
s'illustrrent Euripide et Sophocle, en assurant l'entretien du gymnase, en offrant la cit de nouveaux bateaux de guerre. Dans
l'gypte romaine, le systme fut tendu la perception des impts,
aux charges administratives, la police, etc., et se dveloppa lors de
l'autonomisation progressive des mtropoles. l'image de la cit
grecque, on vit fleurir les Boul ( conseils municipaux ) et les responsabilits municipales : superviser les finances municipales,
nommer les magistrats et les liturgies, financer une partie des
amnagements. Pour devenir bouleute, il fallait remplir certaines
conditions d'accs thoriques 1 : tre issu d'une famille de bouleutes, tre de langue grecque, avoir fait ses tudes au gymnase.
En ralit, certains ne savaient ni lire ni crire le grec : le degr
de fortune entrait souvent en ligne de compte, car il fallait verser
des droits d'entre colossaux. En pratique, on constate que seuls
les gros propritaires terriens devenaient bouleutes.
Le systme se rvlait assez subtil : plutt que d'imposer les
citoyens et de les cantonner dans des corves anonymes, il jouait
sur l'orgueil et le got des honneurs. Ils accomplissaient ainsi
volontairement d'immenses sacrifices financiers pour leur propre
prestige : on imagine les substantielles conomies ralises par
l'tat, d'autant que les liturges taient souvent responsables sur
leurs propres biens du bon droulement de leur charge. Choisis
par leurs concitoyens, ils taient dsigns par le stratge : cela
explique ce procs-verbal d'une lection plutt tumultueuse.

1. Marie DREW-BEAR, Les conseille~s municipaux des mtropoles au


rn sicle aprs jsus-Christ>>, Chronique d'Egypte 69, fasc. 118, 1984, p. 315-333.

135

n 77
NOMINATION UNE LITURGIE

P. Ryl. 77 = Schubert 66 = SP 241 - Hermoupolis la Grande 31 oct. 192 ap.J.-C. (extrait: 1. 32-77)

Copie de procs-verbal. Parmi les magistrats, taient prsents la


tribune : Dios, gymnasiarque ; Dionysios alias [ ... ] ths, exgte ;
Olympiodore, avocat ; Apollonios, fils d'Hraclapollon, ancien gymnasiarque ; Achille, fils de Cornelius.

Les citoyens qui sont prsents crient: Que l'on couronne


Achille cosmte 1Imite ton grand homme de pre, ce vieillard honorable 1 - Achille : Obissant ma patrie, j'accepte la couronne
d'exgte, la condition de verser deux talents par an et d'tre dispens de m'occuper des terres en location. - Olympiodore: Dans
sa fortune, notre seigneur l'empereur fournit des charges en abondance et fait prosprer les affaires de la cit. Pourquoi cela ne durerait pas pendant l'heureux gouvernement de Larcius Memor [le
prfet] ? Si donc Achille veut tre couronn exgte, qu'il en paye le
prix d'entre; s'il ne le veut pas, il ne s'en est pas moins propos
pour la charge plus urgente de cosmte. -Achille: Moi,je me suis
propos pour tre exgte pour deux talents par an.Je ne peux tre
cosmte. - Olympiodore : Quand on se propose pour une charge
suprieure, on ne peut se dfiler pour une charge infrieure 1 Ammonios, fils de Dioscoros (l'interrompant) : Pendant toute la
journe, Achille m'a frapp etje veux que cela soit consign dans le
procs-verbal car j'en appelle aussi l'illustrissime prfet pour cet
affront. -Achille: Je ne l'ai pas frapp, ni ne lui ai fait affront.
- Sarapion alias Apollonios, le stratge : Ce que vous avez dit a t
not, mais les cosmtes seront aussi convoqus, pour que vous puissiez dire en leur prsence tout cela.
Peu aprs, Diogne et Dioscore se dirigent, avec leurs cosmtes,
dans le Cresareum [le temple Csar et aux Empereurs]. En prsence d'Achille, Diogne dit au nom de tous: Nous avons appris
qu'Achille se propose pour tre exgte en notre absence. Cela n'est
pas permis : le dieu Antonin a prescrit par ordonnance de refuser le
poste d'exgte s'il n'y a pas trois candidats. Or les candidats sont
nombreux : il faut passer la charge la plus urgente, comme je vais
vous en lire l'ordonnance.
Aprs avoir lu la copie de 1' ordonnance du Csar Marcus Aurelus
Antoninus [Antonin le Pieux], Aspidas pre d'Hermas, l'ancien cosmte qui tait prsent, dit : Sous ma propre responsabilit, je couronne Achille cosmte. - Olympiodore : Nous avons la parole
d'Aspidas qu'il le couronne sous sa propre responsabilit ; il faut qu'il
soit couronn, car dsormais la ville ne saurait laisser la charge vacante. - Le stratge : Il convient de consigner ce qui a t dit. Je
le lis.
Copie d'un autre envoi : Les magistrats de la ville d'Hermoupolis
la Grande leur trs cher Sarapion alias Apollonios, stratge de

136

l'Hermopolite, salut. Achille, fils de Narchids, alias Cornelius,


ancien agoranome, propos pour tre cosmte par certains cosmtes, s'est engag devant toi tre exgte. Et comme nous le persuadions d'accepter la charge de cosmte car il n'y en a pas
beaucoup en ville et qu'il y a plthore de candidats pour tre exgte, Aspidias, pre d'Hermas, l'ancien cosmte, l'a tabli cosmte
sous sa propre responsabilit, comme tu peux le dduire du procsverbal. Tu dois dcider auquel des deux revient la charge que la ville ne
peut laisser vacante, afin que tu suives les vnements qui se sont produits sous ton mandat, et que la ville reoive sa charge. L'anne 32<
[du rgne de Commode, 192], le 13 Pharmouthi [8 avril]. L'exgte
et le gymnasiarque ont sign.

Hermoupolis la Grande, les citoyens se sont runis sous 1a: prsidence de deux des liturges principaux de la ville : le gymnasiarque
et l'exgte. Le gymnasiarque est le magistrat le plus important de
la ville : porteur du manteau de pourpre symbole de pouvoir et
accompagn de quatre phbes, il est charg de 1'entretien du gymnase municipal : le combustible pour chauffer 1' eau des bains,
. l'huile pour enduire le corps des athltes, les rparations ncessaires... Il avait galement un rle honorifique dans la cit. L'exgte
(le directeur) prsidait le collge des magistrats de l'anne, et
avait sans doute d'autres attributions mal connues.
Un piquant dialogue s'engage, qui dvoile toutes les petites
affaires d'une bourgeoisie de province soucieuse de son importance. Car les mtropoles entendaient vivre selon l'idal grec. Les
plus petites cits se prirent pour Athnes. Hermoupolis, la ville
dans laquelle se droule l'action, se voulait une Corinthe en miniature et cherchait singer la splendeur d'Antioche ou d'phse.
Comme Antioche, on multiplia les colonnades ; comme
phse, on difia une vaste chausse menant du port la ville, le
long de laquelle se dressaient un gymnase, des bains, etc. l'instar de toutes les villes grecques, Hermoupolis regorgeait de
temples pristyle et fronton calqus sur le Parthnon qui taient
ddis Aphrodite, la Fortune, !'Empereur. On aimait en
outre par-dessus tout les ttrastyles, ces sortes de places-carrefours
d'une modestie discutable flanques de quatre colonnes monumentales surmontes de statues colossales.
Malgr le got inn pour le faste des bourgeois d'Hermoupolis,
personne n'entend devenir cosmte (ordonnateur) : ce dernier se
chargeait en thorie de surveiller l'application des rglements
du gymnase, mais devait galement organiser ses frais certaines
137

festivits municipales. Il s'agissait d'une charge coteuse et peu


honorifique. La foule dsigne alors Achille, membre d'une
influente famille de la ville, qui a dj t agoranome, charg du
march municipal et dont le pre a lui-mme t cosmte. Que
l'on couronne Achille cosmte ,vocifrent-ils, en faisant allusion
la crmonie d'intronisation qui se droulait au gymnase et pendant laquelle on posait une couronne vgtale sur la tte du
candidat. Achille tente de se dfiler et ngocie : une charge d' exgte, plus honorifique, lui conviendrait mieux. Il pose ses conditions: deux talents par an et l'exemption de cultiver les terres
impriales. Mais la foule ne 1' entend pas de cette oreille :
Olympiodore, un avocat, rappelle que la charge de cosmte reste
pourvoir, tandis qu' Ammonios tente de le discrditer pour l' empcher d'accder aux honneurs.
La situation se prsente mal pour Achille. Peu aprs, une crmonie se tient au C<esareum. Ce temple, ddi au culte imprial,
remplit les fonctions d'difice public, et abritait probablement les
runions qui se droulaient dans d'autres provinces au sein des
basiliques. On lui rappelle une ordonnance d'Antonin le Pieux
(138-161 ap.J.-C.) - qualifi de dieu car il est mort et a t divinis
- qui prescrit qu'il faut au moins la prsence de trois candidats
pour choisir un exgte : Achille ne peut se proclamer de son
propre chef. En outre, l' ex-cosmte Aspidas tente un coup de force
et, sans doute comme le lui permettait la loi, dsigne son successeur : Achille.
On envoie donc le procs-:verbal au stratge pour que, selon
la loi, il procde la nomination du cosmte. En effet, l'instar
des prfets napoloniens du Second Empire dans leurs dpartements, on le considrait comme le premier personnage du nome :
il cumulait des fonctions administratives, juridiques et financires
et des fonctions honorifiques et liturgiques, comme le prouve cet
agenda d'un stratge d'lphantine.
n 78
EXTRAITS D'UN JOURNAL D'UN STRATGE

P. Paris 69 = SP 242 = Wilck. Chrest. 41 - lphantine m s. ap.J.-C.

Minutes d'Aurelius Lontas, stratge du nome Ombite [Ombos,


l'actuel Korn mbo] et d'lphantine. La 12 anne de l'lmperatar
Csar Marcus Aurelius Severus Alexandrus Pius, Felix Augustus
[Svre Alexandre].

138

Le 1er Thth. la tombe de la nuit, le stratge [est all] au gymnase avec Aurelius [ ... ], a couronn gymnasiarque Aurelius Pelaas
fils d'Harpasis, fils de Hirax, et a sacrifi dans le Cresareum et dans
le gymnase. Ayant accompli les libations et les prires, il est parti
pour l'autre nome, l'Ombite. Aprs les rites habituels Di [ ... ], il a

assist la procession tenue en l'honneur du mme dieu. [2' main]


Lu. [3' main] Enregistr par moi, Aurelius Dionysodore, assistant,
aprs avoir t prsent au public, la 12 anne, le 2 Thth.
Minutes d'Aurelius Lontas, stratge du nome Ombite et d'lphantine. La 12 anne de !'Empereur Csar Marcus Aurelius
Severus Alexandrus Pius, Felix Aug;ustus [date].
Le stratge est revenu chez lui dans la soire. [2' main] Lu.
[1" main] [date]. Le stratge, aprs avoir travaill dans ses bureaux
aux affaires, a inspect le march de vivres. [2' main] Lu. [1" main]
[date] Le stratge a travaill dans ses bureaux aux affaires. [2' main]
Lu. [1"' main] [date] Le stratge, aprs [avoir travaill] dans ses bureaux,
a assist, tard dans la soire, la procession habituelle tenue en l'honneur d'Isis la Grande Desse. [2' main] Lu. [1"' main] [date] Lestratge, aprs avoir travaill au Cresareum aux affaires, s'est rendu dans
ses bureaux pour [traiter] les affaires publiques [ ... ] [2' main] Lu.
[1"' main] [date] Le stratge, aprs avoir examin dans ses bureaux les
collecteurs de taxes, est parti vers l'autre nome, l'Ombite. [2' main]
Lu. [3' main] Enregistr par moi, Aurelius Dionysodore, assistant,
aprs avoir t prsent au public, la 12 anne, le 2 Thth.

Le stratge tant un personnage public, ses actes doivent pouvoir tre connus de tous. Son journal le prouve, ses comptences
sont larges: reprsentant de !'Empereur qui est le pontifex maximus, il possde un rle religieux qui lui fait reprsenter !'Empereur et l'tat dans les processions religieuses et lui fait prsider les
sacrifices. Il couronne galement les liturges. Il rpond aux
requtes qui lui sont adresses, dcide de certaines questions fiscales, traite les affaires administratives. Plus que jamais, le
Cresareum est confirm ici dans son rle d'difice public, sige
habituel des affaires publiques, mais l'on voit aussi que le gymnase jouait galement un rle religieux. Le travail du stratge
semble tre compliqu par le fait qu'il dirige deux nomes la
fois : le nome d'lphantine, situ juste en aval de la premire
cataracte (lphantine se situe au large de Syne, la moderne
Assouan), et le nome Ombite dont la mtropole est Korn mbo,
trois jours de navigation en aval de Syne.
Si Achille, le cosmte malgr lui du texte n 77, pouvait s'estimer relativement heureux d'accder cette fonction honorifique
que l'opulence de sa famille lui permettait de supporter, il n'en
139

va pas de mme d'Aurelius Apphous, qui choient des fonctions


peu exaltantes.
n 79
NGOCIATION POUR UNE LITURGIE

P. Oxy. 1627

SP 362 - Oxyrhynchos - 12 aot 342 ap. J.-C.

Sous le consulat de nos seigneurs les Augustes Constantin


([consul] pour la 3 fois) et Constance ([consul] pour la 2 fois), le
19 Msor [12 aot 342]. Aurelius Apphous, fils de Patermouthious,
de la trs illustre cit d'Oxyrhynchos, Aurelius Diogne, fils de
Sarapion, organisateur de ladite cit pour la tribu actuellement charge des liturgies, salut. Nous avons t choisis, moi et mon fils
Thonin, pour une liturgie de huit mois dans l'anne venir, et,
cause de la faiblesse de nos moyens, nous t'avions demand de nous
imposer une charge trs lgre, la garde du temple de Thoris : dans
ta clmence notre gard et dans la confiance que tu nous portes,
tu as fait en sorte qu'il en soit ainsi. Pour notre part, nous sommes
d'accord, en guise de remerciement et de gratitude, pour nous engager de remplir, durant toute l'anne, la charge d'archiphylacite de
ce temple de Thoris, au lieu des huit mois. Pour ta tranquillit, j'ai
produit pour toi cet accord, qui sera valide, et j'ai donn mon
consentement.
[Z main] Aurelius Appphous Patermouthious,j'approuve ce qui
prcde et donne mon consentement.
Aurelius Rhouphion, fils d'Apollonios, j'ai rdig pour lui sa
demande car il ne sait pas ses lettres.
[3' main] [ ... ]j'ai cris, moi, Diogne.

Par rapport au texte n 77, plus de 130 ans ont pass: les liturgies, autrefois vcues comme des honneurs, deviennent de plus
en plus lourdes. Plus personne ne veut s'en charger. Aussi un
fonctionnement nouveau fait-il son apparition. Dsormais, les
liturgies sont dues par tribu (sorte de circonscriptions lectorales ) et un organisateur ( O"UO''tt'I<;) se charge de la rpartition. Des liturgies de plus en plus diverses sont mises en place:
Aurelius Apphous est nomm archiphylacite, surveillant en chef,
d'un sanctuaire de Thoris, la desse hippopotame (cf. ci-dessus,
n 60).

Cette lettre rsulte d'un march avec l'organisateur: en


change d'une petite charge, Aurelius Apphous et son fils s' engagent rester plus longtemps que prvu en charge. Chacun y trouve
son compte: l'organisateur, car il n'a pas chercher de nouveaux
liturges, et le pre et le fils, car ils chappent aux liturgies les plus
lourdes et les plus coteuses. Visiblement soulag, Aurelius
140

Apphous rdige un contrat avec l'aide de Diogne, un secrtaire


priv ou un crivain public, qui sert galement de tmoin.
Tous n'ont pas la chance de pouvoir ainsi ngocier: pour certains, les plus pauvres, il n'y a parfois d'autre ressource que de fuir
leurs responsabilits.
n80
LETIRE RELATIVE UNE FUITE (ANACHORSE)

P. Philadelphie 33 = Hengstl 35 - Philadelphie - ne sicle ap. J.-C.


[ ... ]j'ai t mis au courant [ ... ] propos de mon pre qui se dispose s'enfuir. C'est pourquoi je t'cris, pour que tu lui en fasses
part et qu'il ne fasse pas cela mon insu. Et s'il ne veut pas que je
sache o il va, qu'il m'envoie cent drachmes pour que moi aussi je
puisse me rendre Alexandrie et y rester quelque temps. Car lui
parti, je ne peux demeurer dans l'Arsinote: le stratge me connat
trop, ainsi qu'Artmisodore et tout son entourage, pour que je ne
sois pas incrimin. Voil donc pourquoi je t'cris, Seigneur, pour
que vous lui lisiez cette lettre, et qu'il sache mon avis. Qu'il n'en
fasse pas autrement, sinon il s'en repentira. Porte-toi bien.

Face la multiplication de trop lourdes liturgies, il n'tait pas


rare de voir s'enfuir les candidats pressentis: c'est ce qu'on appelait
1' anachorse. La plupart quittaient leur village pour se rfugier
Alexandrie, o il se rvlait difficile de les retrouver. Malheureusement, les reprsailles s'exercent directement sur la famille du
dlinquant : le frre ou le fils pouvaient tre punis la place du pre.
Le fils qui crit dans ce papyrus (assez mutil, mais pas suffisamment pour que l'on ne comprenne de quoi il s'agit) le sait parfaitement. Il crit donc l'ami de son pre chez qui il sait le trouver
pour que ce dernier renonce son ide ou l'aide s'enfuir avec lui.
Mais chapper une liturgie faisait retomber sur les autres le
poids du travail. Aussi le cordonnier Acousilaos, dsireux d' chapper une nouvelle liste de liturgie, qui aurait pu le viser, dnoncet-il Sarapas, suspect d'anachorse:
n81
UNE DNONCIATION

P. Bouriant 21 - Caranis - v. 138-161


Sarapion basilicogrammate [scribe royal] cfu district d'Hraclide de l'Arsinote, de la part d'Acousilaos, le cordonnier du village
de Caranis. Je dclare que Sarapas, fils d'Hraclide et de sa mre
Diodora, est en ville. Aussi produisje cet acte pour qu'on en tire les

141

consquences. L'an [ ... ] de notre seigneur le Csar Titus JElius


Hadrianus Antoninus Augustus Imperator [Antonin le Pieux], le [ ... ]
Thth Augustus.

Bien loin d'allger les taxes, le gouvernement prenait la plupart


du temps des mesures inverses et cherchait maintenir son bnfice en les accroissant. On demandait ceux qui restaient de s'acquitter d'une contribution pour les fugitifs qui faisait retomber
sur eux le manque gagner. Bien des villages se virent ainsi compltement ruins et furent abandonns 1 Tous n'eurent pas la
chance de trouver un aussi gnreux bienfaiteur qu'Aurelius
Horous, dont la philanthropie dvoile l'tat catastrophique dans
lequel la chra se trouve.
n82
UNE PHILANTHROPIE BIEN COMPRISE

P. Oxy. 705 = Wilck. Chrest. 407 - Oxyrhynchos - 200/202


(extrait)

!'Empereur Csar Lucius Septimus Severus Pius Pertinax


Augustus Arabicus Adiabenicus Parthicus [Septime Svre] et
!'Empereur Csar Marcus Aurelius Antoninus Pius Augustus, sauveurs
et bienfaiteurs du monde, de la part d'Aurelius Horion, ex-stratge
et ex-archidicaste de la trs illustre cit d'Alexandrie, salut. Certains
villages du nome oxyrhynchite, Empereurs philanthropes, dans lesquels moi et mon fils possdons des domaines sont littralement
puiss par les demandes onreuses des liturgies annuelles exiges
la fois par le Trsor et la protection des lieux. Et il y a grand danger
qu'ils soient ruins, ce qui concerne aussi bien le Trsor que nos
terres laisses en jachre. Moi donc, m'adressant votre humanit
et votre philanthropie, je souhaite, afin qu'ils puissent s'en
remettre, faire un insignifiant bienfait chacun pour l'achat de foin,
dont le revenu sera consacr la subsistance et au soutien de ceux
qui sont annuellement soumis la liturgie.

Aurelius Horion dcide de faire une fondation pour permettre


l'achat de foin qui doit tre investi pour aider au paiement des
impts. Le texte est accablant, tant par l'tat d'appauvrissement des
environs d'Oxyrhynchos que par l'cart entre les conditions des diffrents habitants de l'gypte. Un simple particulier, par une donation, peut aider le paiement des impts d'une rgion entire ...
1. Naphtali LEWIS, Merismos A nakechorekoton, An Aspect of the Roman
Oppression in Egypt ,journal of Egyptian Archaeologi,sts 23, 1937, p. 63-75.

IX
LES MILITAIRES EN GYPTE

La force de Rome rside dans ses armes , les Romains


formaient un peuple militaire , ces dclarations, et tant
d'autres, amorces par Tite-Live ou Csar, relayes au XVI et au
XIXe sicle par les Gibbon ou les Mommsen, donnent l'impression
que l'on sait tout de l'arme romaine. Tribun, centurion, dcurion : on connat les grades. Le casque, la tunique rouge, la cuirasse, les sandales, les lances, les glaives, les enseignes avec la louve
ou un aigle, SPQR ; les images ne manquent pas. Les pplums
nous ont accoutums au bruit des sandales et la sueur des lgionnaires ; les romans historiques et les bandes dessines nous ont
familiariss avec le fonctionnement d'une arme monolithique
et brutale.
Certes, l'gypte connaissait cette image de l'arme: l'arme
romaine jouait le rle d'une arme d'occupation. Et pour s'approprier l'gypte, Auguste n'avait pas lsin: trois lgions de
5 000 hommes, l'une cantonne Alexandrie, l'autre Babylone
(dans l'actuel Vieux Caire) et la troisime Thbes, l'une pour
garder le nord, l'autre pour occuper le point nvralgique de
l'gypte, la troisime pour garder le sud. Avec les lgions, on
maintint une flotte - qui gardait les ctes et fut affecte la
police fluviale - et galement des cohortes et des ailes de cavalerie :
plus de 24 000 hommes occupaient l'gypte.

143

Mais, avec le temps, on, estima le pays pacifi : il n'y eut plus que
deux, puis qu'une lgion. L'arme fut consacre d'autres tches :
entretenir les digues et les canaux d'irrigation, surveiller les mines
et les carrires, faire la police des routes et garder les greniers.
Les empereurs et les prfets largirent le recrutement : autrefois
rserv aux citoyens romains, on enrla les habitants des cits
grecques, puis dans les hautes classes des mtropoles des nomes, et
enfin, de manire locale. C'tait un honneur envi puisqu'en fin
de service, le soldat accdait au statut de vtran qui comportait
divers avantages, matriels et juridiques. Il recevait une prime de
dmobilisation d'un montant quivalant une dizaine d'annes
de solde. Les trangers recevaient la citoyennet romaine ( civitas),
qui incluait le droit de se marier. Les enfants ns pendant le service deviennent citoyens romains. Ceux qui taient dj citoyens
romains retrouvent leur conubium, suspendu leur entre dans
l'arme. Le vtran se voyait aussi remettre un diplme militaire,
document qui attestait de sa libration rgulire avec le cong
honorable (honesta missio) et de son tat civil. Le statut de vtran
donnait accs la notabilit locale, avec exemption des charges
civiques. Des gnrations de soldats commencrent s'tablir : on
devenait lgionnaire de pre en fils.
Au gr des papyrus, on voit que l'image de l'arme romaine ne
correspond pas la reprsentation qu'on s'en fait. Si certains
papyrus pourraient sortir tout droit de la Guerre des Gaules de
Csar, on dcouvre dans d'autres une arme bien diffrente.
Explorons deux visages de cette arme : celui de Claudius
Terentianus et sa famille, qui nous parle de militaires peu belliqueux, et celui d'un dtachement cantonn dans un avant-poste
perdu en plein dsert, Mons Claudianus.

1. -

CLAUDIUS TERENTIANUS, UN MILITAIRE PAS SI FOUGUEUX

Les archives de Terentianus ont t dcouvertes sous l'escalier


d'une maison de Caranis et datent majoritairement du ne sicle
ap. J.-C. Elles nous permettent d'entrer dans la vie quotidienne d'un
militaire en gypte.

144

n83

P. Mick.

NOUVELLES D'UN JEUNE MILITAIRE


467 = C. Epist. Lat. 141 - Caranis -vers

98-117

(latin)
Claudius Terentianus Claudius Tiberianus son trs cher sei?neur et pre, mille bonjours. Avant tout, j'espre que tu es fort,
Joyeux et en bonne sant, avec tous les ntres. Chaque fois que j'ai

des nouvelles de toi, je vais bien.

Sache, mon pre, que j'ai reu un manteau, une tunique et des
braies de tissu ainsi que, de Nepotianus [... ].Mais tu lui as donn les
rugueuses. Tu sais combien il a menti ses camarades. Apprends
galement que j'ai t envoy en Syrie et que je vais partir avec un
dtachement etje le lui ai demand de me les donner. Mais il a ni
avoir les rugueuses. Et il m'a dit: si tu ne me les donnes pas, je le
dis ton pre. Et si je n'ai pas besoin de [ ... ]je les lui rendrai
volontiers, afin que tu puisses rcuprer chez lui notre tui.
Kalabel et Deipistus se sont enrls dans la flotte Augusta
d'Alexandrie [... ] et personne n'a calcul ses chances de vivre [ ... ]
etje ne hais pas Marcellus pour cela. Puisque, par les dieux, tout a
n'est rien pour moi sinon des paroles, je n'ai conu aucune haine et
je vais me lancer dans les bateaux et, avec leur aide, m'inscrire dans
la flotte, moins que je ne te paraisse tre saisi par un espoir amer
et errer comme un fugitif..
Je t'en prie et t'en supplie, mon pre, car je n'ai personne de
plus cher que toi aprs les dieux, envoie-moi par Valre un glaive de
combat, une lance, un dolabre, un grappin, deux des meilleures
lances, un manteau de Castalie [?], une tunique-braie, en mme
temps que mes braies puisque je porte les mmes depuis que je me
suis enrl dans l'arme et que mes braies doivent tre renouveles.
Quand tu vas m'envoyer quelque chose, marque tout et dcris-le-moi
dans une lettre afin que cela ne s'gare pas en route. Et si tu m'cris
une lettre, adresse-la la Iiburne Neptune. Sache que, grce aux bienfaits des dieux, tout va bien dans notre maison.
Je t'ai envoy 2 amphores d'olives, une de vertes et une de noires,
elles sont semblables celles que j'ai envoyes au milieu [du
mois ?] : tu pourras ainsi les reconnatre. Je te prie et te supplie,
pre, d'aller au Delta sur un navire marchand afin que tu puisses
acheter et envoyer trois reproducteurs.
[Sur les bords] Ma mre, mon pre Ptolme et mes frres te
saluent. Salue Aphrodisia, Istyche [ ... ], Srnus le scribe, Marcellus
ton collgue, Terentius ton collgue et tous tes camarades.J'espre
que tu iras bien de nombreuses annes avec les tiens. Porte-toi bien.

Terentianus crit son pre Tiberianus pour lui donner des


nouvelles. Si bien des allusions demeurent obscures, c.ette lettre
explique assez la situation de la jeune recrue. Comme tous les
145

militaires, Terentianus et Tiberianus portent des noms romains et


doivent donc tre citoyens romains. Le sont-ils d'origine ou, plus
vraisemblablement, le sont-ils devenus? Il est impossible de le
savoir. Une chose parat sre: comme la majorit des militaires,
ils forment une famille de militaires de pre en fils : ne mentionne+il pas les nombreux camarades de son pre, sans doute
militaires comme lui ?
Aprs s'tre inscrit dans l'arme, Terentianus semble vouloir
changer d'affectation, et veut s'enrler dans la marine. Ses motivations ne semblent pas trs claires : veut-il imiter ses amis Kalabel
et Deipistus dans leur courage ? A-t-il t sacqu par un certain
Marcellus ou s'est-il fch avec lui? Est-ce une affaire de cur
(quel est cet espoir amer?) ? Toujours est-il qu'il demande son
pre de pourvoir son quipement. Contrairement ce qui se
passe dans l'arme moderne, Terentianus semble assez libre de
son quipement et de son uniforme. Non seulement il demande
qu'on le pourvoie en braies, mais aussi en armes : une lance, un
dolabre (une sorte de pioche), un grappin, un glaive ...
Une chose reste obscure la lecture de la lettre: Terentianus
part-il en Syrie comme lgionnaire ou comme marin ? Pourquoi
est-il cantonn sur la liburne (un bateau lger) Neptune avec son
dtachement ?
n84
D'AUTRES NOUVELLES DE TERENTIANUS

P. Mich. 468 = C. Epist. Lat. 142 - Caranis - v. 98-117


(latin)

Claudius Terentianus Claudius Tiberianus son pre et seigneur,


mille bonjours.
Avant tout, je fais des vux pour ta sant, ce qui est mon principal souhait. Sache, pre, que j'ai reu les choses que tu m'as
envoyes grce au vtran [ ... ]ium Th[ ... ] et par Numesianum le
petit manteau (palliolum) etje te remercie de m'en avoir jug digne
et de m'avoir soulag.Je t'ai envoy par Marialis un tui bien cousu,
dans lequel tu trouveras deux manteaux ( amicula), deux capes ( amictoria), deux serviettes (sabana), deux sacs et une couverture de lin
(stragulum) : j'ai achet cette dernire avec un matelas et un dredon et, tandis que j'tais couch dans la liburne, on me les a vols.
Tu as aussi dans l'tui une cape de simple paisseur: ma mre te
l'envoie. Reois galement une cage poulet, dans laquelle tu trouveras une srie de verres, deux bols d'un quinaire, une douzaine de
gobelets, deux rouleaux de papyrus pour l'cole, et dans le papyrus,
de l'encre, cinq calames et vingt feuilles alexandrines. Je te prie,

146

pre, de te satisfaire de cela: si seulement je n'avais pas t couch,


j'aurais espr t'en envoyer davantage et j'espre le faire bientt sije
suis en vie.Je te prie, mon pre, si cela te convient, de m'envoyer de
l-bas deux bottes de cuir ( calig) et une paire de chaussures en poil
(udones). Celles qui ont des trous sont des cochonneries : je dois
changer de chaussures deux fois par mois. Etje te prie de m'envoyer
un dolabre: celui que tu m'as envoy m'a t pris par l'adjudant
(optio) mais je lui suis reconnaissant de me donner d'autres choses
meilleures.
En outre, je te prie [verso] et te suppl~e de me rpondre immdiatement sur ta sant, et si tu as bien rcupr. Je serai inquiet
propos des problmes la maison, moins que tu ne m'crives. Et
si les dieux le veulent, j'espre vivre de peu et tre transfr dans une
cohorte. Mais rien ne se fait ici sans argent, et les lettres de recommandation ne valent rien, si l'on ne s'aide soi-mme.Je te prie, mon
pre, de me rpondre immdiatement. Sache que Carpus est venu
et que Diosa t retrouv dans la lgion et j'ai reu 6 deniers pour
lui. Ma mre te salue, ainsi que mon pre et mes frres. Sache que
tout va bien la maison. Salue Aphrodisia et Isityche. Salue Arrius le
centurion et les siens, Saturninus le scribe et les siens, Capito le centurion et les siens, Cassius l'adjudant (optio) et les siens, Tyrannius
l'adjudant et les siens, Sallustius et les siens, Terentius le pilote,
Fronton et les siens, Sempronius Italicus, Publicus, Serverinus ton
collgue, et Lucius. Salue Seren us le scribe et les siens, salue tous nos
camarades. Porte-toi bien.
[Sur la marge droite] Je prie pour que tu ailles bien de nombreuses
annes dans le plus grand bonheur pour toujours. Porte-toi bien.
[Au verso, d'une 2' main] Claudius Terentianus Claudius
Tiberianus [ ... ] Terentianus.
[3' main] Livre-le Claudius Tiberianus mon pre de la part de
Claudius Terentianus, son fils.

Les relations exactes entre Terentianus et son pre ne sont


pas trs claires, car il semble avoir un second pre
Alexandrie. Ptolme est peut-tre le vrai pre de Terentianus et
si les rapports avec Tiberianus ne peuvent tre que de simple politesse, il est peut-tre le pre adoptif de Terentianus ... Comme l'a
dit l'un des commentateurs, un usage trs lche de "pre" et de
"mre" est de rgle aussi bien dans l'Orient ancien que dans
l'Orient moderne i. .Toujours est-il que leur loignement donne
l'occasion de fructueux changes qui nous renseignent sur les
diverses activits de la ville et de la campagne. La ville est le
1. Herbert C. YoUTIE & John G. WINTER, Papyri and Ostraca Jrom Karanis,
Ann Arbor, Michigan Papyri 8, 1951, p. 31.

147

royaume des produits manufacturs : tissages (manteaux, capes,


serviettes, couvertures), verrerie, papyrus. La campagne est celui
du travail du cuir, de celui du fer.
Les deux lettres qui suivent nous voquent des vnements
bien mystrieux, mais elles rvlent de petites msaventures assez
croustillantes. Elles ont la saveur et la complexit des affaires de
famille auxquelles on ne comprend rien si l'on est tranger et
dmontrent l'impuissance de l'historien plac dans l'inconfortable position de l'indiscret qui ouvre une lettre qui ne lui est pas
destine. Nous avons tent de conserver, sinon l'orthographe, du
moins le style.
n85
UNE QUERELLE DE FAMILLE

P. Mich. 471- Caranis - II sicle ap.J.-C.


[Le dbut fait dfaut]. Je lui dis, donne-moi ,je dis, un peu de
sous,j'irai ,je dis, chez les amis de mon pre, Encore une fois,
il me donna une aiguille et du fil. Mais il ne me donna pas un sou.
Moi cependant, j'ai recueilli et l un peu de sous etje suis all
chez [ ... ]uaroclum et [ ... ]ivan etj'ai achet le peu que je voulais. Il
ne m'a pas dit s'il allait venir Alexandrie s'il avait assez de temps.
De mme, il ne m'a pas donn un sou alors que ma mre m'a donn
un aureus [une pice en or] pour le vtement: Voil, dit-elle, ce
que ton pre m'a dit de faire. Lorsque je suis venu, tout tait l, la
laine et le [fil?]. Mais j'ai trouv ma mre enceinte; elle ne pouvait
rien faire. Ensuite, aprs quelques jours, elle accouchait, et elle n'a
pu m'aider. De mme, mon pre Ptolme a eu une querelle avec
moi propos de mes vtements, et il se trouve qu'il est venu
Alexandrie avec des recrues et m'a laiss avec ma mre. Seuls, nous
n'avons rien pu faire et, cause de son absence, on a d partir l-bas.
Ma mre [me dit] : Attendons jusqu' ce qu'il arrive, et je viens
avec toi Alexandrie etje te conduis au navire. Satornis tait dj
prt partir ce jour-l, mais il y a eu une grande querelle.Je lui dis :
Viens, interviens, si tu veux aider mon pre Ptolme. Il n'a pas
plus fait attention moi qu' un bton merdeux [en ralit un xylespongi,um, une ponge au bout d'un bton utilis dans la mdecine
hippocratique pour appliquer un remde sur une plaie] mais il ne
s'est occup que de ses affaires. mon tonnement, lorsque je suis
sorti, je lui ai dit : donne-moi un peu de sous pour que je puisse
venir avec mes affaires Alexandrie pour les dpenser >>, il a ni en
avoir. Viens, a-t-il dit, Alexandrie et je te les donnerai. Mais, moi,
je n'y suis pas all. Ma mre, n'ayant pas un sou, a vendu le fil pour
que je puisse venir Alexandrie.
[Verso] Claudius Tiberianus, son pre, de la part de Claudius
Terentianus.

148

n86
UN FILS ASSASSIN

P. Mick. 473 - Caranis - 11 sicle ap. J.-C.

T~beti:eus Claudius Tiberianus, son frre, mille bonjours. Avant


tout, Je fais des vux pour ta sant et je me prosterne devant le seigne~r So~chos. Je me suis rjouie que tu m'envoies mon fils pour
que Je pmsse Je saluer, mais je suis loin de l'avoir fait comme un
homme: Saturnilus n'a pas dcouvert ce que j'ai fait pour lui. j'ai
achet trois mines de lin etje les ai envoyes. Ne me blme pas de ne
au soldat Metellius. Je voulais que tu crives pour
un ami: livre-les-lui immdiatement.J'ai t beaucoup peine.J'ai pu
t'envoyer la robe de cette anne : je ne l'ai pas envoye l'an pass,
mais je l'ai envoye et vendue Cabin le serviteur. En descendant
la maison de Tnis et en allant dans le logement de Saturnilus,j'ai vu
nos choses - que le mauvais il ne les touche pas, je n'approuve pas
que lui, mon fils, doive faire confiance Mnas. Et aprs l'avoir tu,
il m'a dit ne pas tre pein.J'ai dit Saturnilus que je ne dormais plus
d'angoisse. Puisque tu m'as lse de 12 000 drachmes, fais-les parvenir pour la ranon de mon fils. Et je suis venue Alexandrie avec
mon fils. Pour cette raison, une folie a pris possession de lui, parce
qu'il n'approuvait pas que lui et sa famille mangent les rations. Si
Dieu veut et toi, reois les rations que j'ai prpares pour toi[ ... ]. En
ce qui concerne les rations de l'an dernier, je ne les ai pas prpares
[ ... ]je les ai prpares l'an dernier. Je les ai envoyes d'Alexandrie
aussi tard que le second bateau qui a remont le flot. Et il est devenu
malade. J'tais torture par la peine qu'il m'a cause, mais j'tais
compltement heureuse de ce qu'il est rest vivant.Je l'avais press
avec insistance : essaie Alexandrie >>, et il m'a dit : je ne veux pas ,
Je remercie les dieux qu'il soit comme toi: personne ne peut s'en
moquer. Salue tous les gens, chacun par son nom. Combien de soucis j'ai eus cette anne avec Saturnilus ! Ni lui, ni moi n'en sommes
responsables, mais j'ai eu des soucis des deux cts. Porte-toi bien.
[Verso] l'attention de Tiberianus de la part de Tabetheus.

pas les avoir livres

2. - LA VIE QUOTIDIENNE DANS UN AVANT-POSTE :


MONS CLAUDlANUS

En plein dsert, 150 kilomtres de Coptos et 50 km de la


mer Rouge, se tenait l'avant-poste de Mons Claudianus. Son rle
consistait garder des mines d'un granit gris que l'on retrouve
jusqu' Vienne (Isre). Quelle pouvait tre la vie des soldats encaserns dans cette terre aride et solitaire ? Les fouilles menes dans
les annes 1990 laissent entrevoir un peu de cette existence.

149

n87
UN MILITAIRE FACTIEUX

O. Claud. 1 - Mons Claudianus - ne sicle ap. J.-C.

Celui qui trouvera ceci donnera un statre. Porte-toi bien.

Petit jeu enfantin : celui qui trouve le tesson trouve un statre,


c'est--dire deux drachmes. Mais comment se fait-il que l'on ne
sache pas qui l'a crit? qui donner le statre?
n88
UN REU D'APPROVISIONNEMENT

O. Claud. 4 - Mons Claudianus - 21 oct. 110 ap. J.-C.

Ptchn fils d'Ammnios et Sansns fils d'Harbkis Alkime,


assistant de Magios l'intendant (cibariator), salut. Nous avons reu
de toi 8 matia de pains. L'an 14 de notre seigneur Trajan, 4 Hathyr.
[2' main] 8 matia.

Dans une arme, l'intendance joue un rle primordial. Alkime,


l'assistant du cibariator, procde une tourne de pain, peut-tre
dans les casemates. Et comme l'arme aime la procdure, on produit un reu, mme pour quelques miches de pain.
n89
UN LAISSEZ-PASSER

O. Claud. 53 - Mons Claudianus - 11 sicle ap. J.-C.

Antoninus aux sentinelles (stationariz), salut. Laissez passer un


homme. Le 24 Msor [17 aot].

Voici la forme la plus simple du laissez-passer : un petit tesson


que les sentinelles rcuprent en laissant le passage ceux qui
veulent pntrer dans le camp.
n 90
UN MAUVAIS PAYEUR

O. Claud. 156 - Mons Claudianus - 11 sicle ap. J.-C.

Antigonus Marion son frre. Je t'envoie par Calpurnius notre


concitoyen l'intendant le contrat de Rutilius. Je te demande, mon
frre, comme je te l'ai demand en gypte: demande-lui tout ce
qu'il te doit. Je sais que tu es vif et il ne paiera pas de mots. Il suspecte que l'criture est de toi. Tu trouveras l'occasion de lui dire que
le contrat est ancien et qu'il n'a toujours pas pay. Porte-toi bien.

150

Mme dans une caserne, il importe de s'occuper de ses affaires.


Antigonus, qui vient manifestement de rentrer de permission,
joue ici au grand frre : il exhorte son frre Marion se faire
payer par Rutilius en lui envoyant le contrat. Il le prvient des
mauvais coups dont ce dernier a l'habitude: laisser croire un
faux pour viter de payer. Le document a le mrite de montrer
que, pour les Anciens, l'gypte se rsumait au Nil et ses abords.
Mons Claudianus, dans le dsert, n'est dj plus l'gypte.
n 91
Du TRAVAIL DE ROMAINS 1

O. Claud. 141- Mons Claudianus-25 dc. 109/110 ap.J.-C.


Silvanus :mvanus son frre, salut. Sache, mon frre, que nous
sommes alls jusqu' la Mer Assche. j'y ai trouv Crispus le centurion. Clas tait encore l et il m'a dit: Nous pavons le bain.
[Perpendiculairement dans la marge gauche] Pour le reste, mon frre, cris
une liste d'ouvriers avant que je vienne. Porte-toi bien. Le 29 Choac.

Les deux Silvanus sont deux officiers de l'arme romaine, peuttre chargs des constructions. L'un est parti en tourne d'inspection sur les cantonnements de l'arme romaine et rapporte
l'autre ce qu'il y a vu. En retour, il demande son frre de prparer une liste d'ouvriers pour raliser un quelconque travail. On
voit que mme au fond du dsert, les Romains apportaient ce
qu'ils considraient comme le summum de la civilisation, les bains.
Il est d'ailleurs piquant de construire des bains dans un lieu dit la
mer assche 1

TROISIME PARTIE

Les voix des dieux et des dmons

Les papyrus concernant l'histoire et l'administration ont permis de donner quelque aperu de la socit dans laquelle vivaient
les gyptiens : ils restent le plus souvent la bordure de ce
monde. Les deux parties qui suivent, parlant des dieux et de la
vie quotidienne, font pntrer dans l'intimit des gyptiens, "des
Grecs et des Romains. Paradoxalement, elles forment la part la
plus copieuse de ce volume, alors qu'elles reprsentent la portion congrue des documents trouvs en gypte. La majorit des
papyrus et des ostraca, on l'a dit, parlent de comptes, de reus et
de testaments.
La familiarit nouvelle permise par l'tonnante conservation
des tmoignages originaux plonge les modernes que nous
sommes dans un sentiment trange. lire les papiers personnels,
les invitations, les plaintes, les requtes, on ne s'estjamais senti
aussi proches de ces gens morts il y a deux mille ans : certains
textes auraient pu tre crits ici et maintenant.
Pas tous en vrit; ces manuscrits montrent quel point le
XXIe sicle a introduit les pays dvelopps dans une re nouvelle, qui a boulevers les vieilles solidarits et les problmes qU:e

153

l'on croyait ternels. Par bien des aspects, nous sommes bien plus
loigns de la vie de 1850 que ne l'taient nos anctres de celle de
200 av. .J.-C. En revanche, certains paysans de l'gypte contemporaine ou d'Afrique pourraient se reconnatre davantage dans le
monde des papyrus que dans celui, qui leur est contemporain,
du Caire ou des grandes mtropoles africaines.
Disons donc que certains autres papyrus auraient pu tre crits
nagure ou ailleurs.
De mme, l'immersion dans le monde des dieux et des dmons
produit un sentiment de familire tranget. Superstitions 1clame
l'esprit cartsien. Et pourtant, les instincts demeurent, ces motions ambigus envers le sacr sont actuelles : pas uniquement
dans le no-paganisme qui fleurit prsentement sur Internet, mais
bien au cur de notre socit raisonnable, et, s'il prend la peine
de s'analyser un peu, au cur de tout individu.

Car sous ses habits gentiment exotiques, la vieille religion


gyptienne - peine transforme par la greffe hellnistique nous dresse le portrait d'une religion ordinaire. Comme toute
religion, elle a ses fonctionnaires, qui s'occupent de comptes, de
privilges, de l'organisation du culte (chapitre X). Elle a galement ses mystiques, comme Ptolme, le reclus du Serapeum qui
fait tellement confiance ses rves (chapitre XI). Elle a enfin ses
sorciers (chapitre XII).

LES TEMPLES D'GYPTE

En reprenant un jeu de mots clbre dans !'Antiquit, on peut


dire qu'en matire religieuse, l'gypte conquit son conqurant.
Ptolme Jr et ses successeurs se gardrent bien de mcontenter
les prtres et laissrent temples et domaines sacrs en place. La
brillante religion gyptienne put ainsi continuer sa marche.
Car, dans !'Antiquit, les gyptiens passent pour un peuple
extrmement religieux et trs proche de ses dieux. Le papyrus
suivant prouve ce saisissant voisinage entre dieux et hommes.
,.'

n 92
UN CHANTAGE FACE AUX DIEUX

P. Flor. 332 = SP 114 - Heptakomias - 11 s. ap. J.-C.

Eudamonis son fils Apollonios, salut. N'oublie pas qu'il y a


aujourd'hui cl,i::ux mois que je suis all voir l'insubordonn Discas,
car il ne v~'hlait pas attendre ton retour. Maintenant, avec
quelques amis lui du gymnase, il cherche m'attaquer en ton
absence, en pensant pouvoir russir ses affaires iniques.j'ai fait ce
que j'avais faire, etje ne me baigne plus, ni me prosterne devant
les dieux, par peur de ton affaire en suspens, si jamais elle est en ;
suspens. Il ne faut pas qu'elle reste longtemps en suspens, sinon,
je vais me retrouver au tribunal. Avant tout,j'espre que tu vas bien,
ainsi que mes petits et leur mre. cris-moi sans cesse sur ta sant,
pour me rconforter d'tre partie. Porte-toi bien, mon seigneur.
Phaphi 3.

155

[Post-scriptum] ton mariage, la femme de mon frre Distas m'a ".


apport 100 dr. Maintenant que son fils Nilos va se marier, il,estjus.t
de lui faire un cadeau en retour, mme si nous avons des coni:~~#1?ux
,.::
en suspens.
[Adresse] Apollonios mon fils.

Eudaimonis fait du chantage ses dieux : ayant fait tout son


possible pour son fils, elle attend qu'ils fassent leur part, t, pour
~es y contraindre, cesse de les honorer. Elle n'observe plus les
purifications rituelles - elle ne se baigne plus - et ne leur rend
plus aucun culte - elle ne se prosterne plus devant eux. Elle
espre ainsi montrer son mcontentement devant les malheurs
qui lui sont survenus et attend que les dieux les rparent pour
reprendre de bonnes relations avec eux. Douer les dieux de sentiments humair1:s tait dj une tendance du paganisme : les gyptiens vont plus loin, et entretien.u~n.t,n'a'Vec eux une relation faite
de rciprocit, presque une liaison amoureuse. Cette familiarit
extrme, surprenant mme les observateurs de !'Antiquit, tait
tellement reconnue que le philosophe noplatonicien Porphyre
la cite en exemple.

1. -

ANCIENS ET NOUVEAUX CULTES

En se conciliant les dieux de l'gypte, c'tait donc tout le pays


que les Lagides se conciliaient. La preuve la plus frappante de la
continuit, on l'a vu, rside dans le maintien d'un culte royal bien
tranger la mentalit grecque. Chaque couple royal dfunt fut
divinis, un prtre fut accord chacun et un culte spcifique se
.dploya.
n 93
LE DVELOPPEMENT DU CULTE ROYAL

P. Rdnach 15 = P. Dion. 15 -Akoris - vers 109 av.] .-C.

Sous le rgne de Cloptre et de Ptolme, dieux Philomtores


Stres [Ptolme IX et Cloptre IV], la huitime anne, sous les
prtres en fonction Alexandrie - ceux d'Alexandre, des dieux
Stres, des dieux Adelphes, des dieux vergtes, des dieux
Philopatores, du dieu Eupatr, du dieu Philomtr, du dieu Nos
Philopatr, du dieu vergte, des dieux Philomtores Steres -, sous
le poulain sacr d'Isis, grande mre des dieux, sous la stphanophore de la reine Cloptre Tha Philomtr Stra, Dikaosyn,

156

Nicphore, sous l'athlophore de Brnice vergte, sous la phosphore de la reine Cloptre Tha Philomtr Stra, Dikaosyn,
Nicphore, sous la c;anphore d'Arsino Philadelphe, sous la prtresse de la reine Cloptre Tha Philomtr Stra, Dikaosyn,
Nicphore, sous la prtresse d'Arsino Philopatr, qui sont en fonction Alexandrie, le 16 du mois Dystros, le 16 Tybi, Tnis ou
Akoris, du district de Mchits du nome d'Hermoupolis.
Dionysios fils d'Asclpiade, Perse, des cavaliers catques [colons
militaires] d'Apollophane et d'Exacon, a prt Dionysios, fils de
Cphale, Perse de l' pigon, 262/3 artabes de bl, que celui-ci a reues
du prteur, chez lui domicile, au taux de moiti, soit 131/3 artabes.
L'emprunteur rendra la somme totale, 40 artabes de bl, Dionysios
au mois de Los, c'est--dire Payni, de la 8 anne, en bl neuf, pur
et sans fraude, mesur conformment l'talon de bronze, et il le
livrera dans le grenier d'Akoris, sans procs, ni contestation, ni chicane d'aucune sorte.
S'il ne fait pas le remboursement comme il est crit, l'emprunteur paiera Dionysios, pour prix de chaque artabe, 3 000 drachmes
de cuivre, et, en outre, au trsor royal, 60 drachmes sacres d'argent,
en monnaie ptolmaque et rien de moins.
L'affaire se fera en faveur de Dionysios, pour le bl et toutes les
clauses du contrat, sur la personne de l'emprunteur Dionysios, et sur
tous ses biens, comme s'il y avait eu chose juge.
Le prsent contrat est valide.
Tmoins : Ptolme, fils d'Anaxagoras, Milsien ; Arimmas, fils de
Dionysios, Charistrios, Agnor, fils de Barkaos, Lacdmoniens :
Dionysios, fils de Ptolme, Macdonien, commis d'administration
du rgiment ; Eumne, fils de Polycrate, Perse ; Apollonios, fils de
Polycrate, Perse. Gardien du contrat : Ptolme.
Approuv: Moi Dionysios, fils de Cphale, Perse de l'pigon,j'ai
reu les 40 artabes de bl comme il est dit plus haut, etje ferai selon
ce qui est prescrit pour le reste. j'ai remis le titre excutoire
Ptolme.

Ce prt de bl nous intresse surtout pour son dbut, qui date


avec prcision le contrat en mentionnant l'ensemble des prtres
et prtresses ponymes (c'est-~dire qui donnent leur nom l'anne) : ce faisant, il cite les diffrents cultes dynastiques mis en
place par les Lagides. tout seigneur, tout honneur, Alexandre
vient en tte de liste. Puis sont numrs les diffrents souverains
lagides diviniss: les dieux Ster (sauveurs, Ptolme 1er et
sa femme Brnice ire), les dieux Adelphes ( frre et sur ,
Ptolme II et Arsino Il), les dieux vergtes ( bienfaiteurs ,
Ptolme III et Brnice II), les dieux Philopatr ( qui aiment
leur pre , Ptolme IV et Arsino Ill), le dieu Eupatr ( qui a

157

un pre illustre , Ptolme VII), le dieu Philomtr ( qui aime


sa mre , Ptolme VI), le dieu Nos Philopatr ( le nouveau
dieu qui aime son pre , Ptolme VII, derechef), le dieu vergte ( bienfaiteur , Ptolme VIII), les dieux Philomtr Ster
( sauveurs, qui aiment leur mre , Ptolme IX et Cloptre IV).
Viennent ensuite les prtresses des reines, honores sparment
comme desses. Chacune porte un nom diffrent : la stphanophore ( porteuse de couronne ) de la reine Cloptre Tha
Philomtr Stra, Dikaosyn, Nicphore (desse qui aime sa
mre, sauveuse, justice, victorieuse, Cloptre II), l' athlophore
( porteuse de lance ) de Brnice vergte (Brnice II), la
phosphore ( porteuse de lumire ) de la reine Cloptre Tha
Philomtr Stra, Dikaosyn, Nicphore (Cloptre II, derechef), sous la canphore ( porteuse de corbeille ) d' Arsino
Philadelphe (Arsino II), la prtresse de la reine Cloptre Tha
Philomtr Stra, Dikaosyn, Nicphore (Cloptre II, encore),
la prtresse d' Arsino Philopatr (Arsino HI).
Le culte officiel des souverains culmine dans une grande fte
clbre, la grecque, tous les quatre ans (comme les Olympiades) : les Ptolmaa. Mlange de clbration religieuse et de
grand spectacle pour le peuple, elle vante la gloire des Ptolmes.
Elle se droule dans leur capitale, .Alexandrie, et commence par
deux jours de processions (7tom), puis se poursuit par le sacrifice
(Sucria.) de prs de 2 000 taureaux et par un concours (yrov) qui
voit s'affronter athltes, musiciens et auriges. Les PtoMmaa se
finissaient dans un grand banquet (cr-ria.cnc;) destin aux htes
de marque, aux prtres et la soldatesque. Destines autant
impressionner les dieux que le peuple d'Alexandrie et les allis,
les Ptolmai"a, essentiellement en grec, excluent de fait les gyptiens, mme s'il arrivait qu'on les clbre dans la chra, Memphis
ou Caranis.
La conqute romaine ne vient pas modifier fondamentalement les habitudes des divinisations royales : le clerg continue
voir en !'Empereur le nouvel Horus garant de l'ordre du monde
et de la socit. Ainsi, Philre, August continue tre appel
fils de R, Seigneur des Couronnes, bien-aim de Ptah et
d'Isis , comme pouvait l'tre un Ptolme V (cf. Pierre de Rosette,
n 3). Les titulatures et les ftes changent, mais l'intention de
glorification demeure: on clbre l'avnement au trne d'un
empereur, le jour anniversaire de cet avnement, l'anniversaire
158

de sa naissance, et les jours augustes (dont parle Claude dans


sa lettre aux Alexandrins, cf. n 20). Ainsi, le Temple du dieu
romain Jupiter Capitolinus clbrait, en pleine gypte, une srie
de ftes la gloire de Rome et de son empereur qui donnent une
ide de cette idologie religieuse impriale.
n 94
COMPTE DU TEMPLE DE JUPITER CAPITOLINUS

BGU 362 = Chrest. Wilck. 96 -Arsino - 215 ap. J.-C.


(extraits)

1er Mchir [26 janvier]. Fte du IO anniversaire de l'avnement


de notre seigneur l'empereur Severus Antoninus [Caracalla] : couronner [de guirlandes de fleurs] toutes les statues des dieux, tous les
boucliers et toutes les statues des hommes .......... x dr. [ ... ]
19 [Mchir = 14 fvrier]. Fte de l'avnement du dieu Severus
[Septime Svre], pre de notre empereur Severus Antoninus : tout
couronner dans le temple .......... 16 dr.
Huile pour l'illumination du sanctuaire ......... .4 dr. [ ... ]
18 Phamnth [14 mars]. Fte et assemble pour l'rection de la
statue de notre seigneur l'empereur Severus Antoninus: tout couronner dans le temple comme ci-dessus .......... 16 dr.
Huile pour l'illumination du sanctuaire .......... 4 dr.
20 Phamnth [16 mars]. Fte d'entre en fonction de l'illustre
Prfet Septimius Heraclitus : tout couronner dans le temple comme
ci-dessus .......... 25 dr.
Huile pour l'illumination du sanctuaire .......... 6 dr.
Pommes de pin, aromates et divers .......... 12 dr. [ ... ]
5 Pharmouthi [31 mars]. Fte de la victoire et du salut de notre
seigneur l'empereur Severus Antoninus: couronner toutes les
statues des dieux, tous les boucliers et toutes les statues des
hommes.......... 16 dr.
Huile pour l'illumination du sanctuaire ........ ..4 dr.
9 Pharmouthi [4 mai]. Anniversaire de naissance de notre seigneur l'empereur Severus Antoninus: couronner tout ce qu'il y a
dans le temple comme ci-dessus .......... 24 dr.
Huile pour l'illumination du sanctuaire .......... 6 dr.
Pommes de pin, aromates et encens.......... x dr. [ ... ]
19 Pharmouthi [14 avril]. Fte de la proclamation de notre dame
Julia Domna Mre des Armes Invincibles : couronner [de guirlandes
de fleurs] toutes les statues des dieux, tous les boucliers et toutes les
statues des hommes. couronner toutes les statues des dieux, tous les
boucliers et toutes les statues des hommes comme ci-dessus.......... x dr.
[ ]
26 Pharmouthi [21 avril]. Anniversaire de Rome : tout couronner
dans le temple comme ci-dessus.

...

159

Si ces nouveaux cultes furent introduits, de concert avec celui


de Srapis (cf. chapitre XI), les cultes gyptiens traditionnels
furent maintenus et la vie quotidienne des temples se poursuivit,
comme le prouve le compte du temple de Socnoponse, qui
nous plonge dans les dtails des clbrations.
n 95
COMPTE DU TEMPLE DE SOCNOPONSE

SB 9199 1 - Socnoponse - n sicle ap.] .-C.


Prix de l'encens (Ku~t) du dieu Harpocrate......... x;
Pour leur nourriture, aux prtres et l'ensemble des cinq phyles
qui accomplissent le rituel journalier, raison d'une artabe de froment par jour.......... 365 artabes de froment.
De mme aux[ ... ] prtres du grand dieu Socnopaos, l'occasion des ftes processionnelles desdits dieux.......... x.
Le 1., Thth, 7 jours, raison de 4 artabes de froment ........ ..
28 artabes de froment.
Et le 19 du mme mois, pour les ftes d'Herms, 7 jours, raison
de 4 artabes de froment. ......... 28 artabes de froment.
Le 16 Phaphi, pour les Charmosynes, 8 jours, raison de
4 artabes de froment .......... 32 artabes de froment.
Le 7 Nos Sbastos, pour l'anniversaire du grand dieu Socnopaos, 19 jours, raison de 4 artabes .......... 76 artabes de froment.
Et pour [les lampes devant les statues des dieux] au cours de l'anne, 6 mtrtes d'huile par jour.......... [2 190 mtrtes] d'huile.
Onction pour les prtres susmentionns [ l'occasion des ftes]
dudit dieu .......... 6 mtrtes d'huile.
Et pour l'aspersion du sanctuaire, 3 keramia de vin par
mois .......... [36 keramia de vin].
Et pour l'aspersion du sanctuaire, l'occasion des ftes de vture
des dieux, le 7 Hathyr, 1 kramion de vin, le 9 Phamnth, 1 kramion de vin, le 26 piph, 1 kramion .......... [3 kramia de vin].
Aux prtres ralisant la vture du dieu, le 7 du mois de Nos
Sbastos .......... x vin
Pour l'aspersion du sanctuaire, le 26 Choac .......... x.

Mm si le papyrus n'est pas extrmement bien conserv, il


nous donne de prcieux renseignements sur les activits du
temple local de Socnoponse. Ce temple, quoique ddi
Socnopaos, abritait galement d'autres dieux, comme Harpocrate, le dieu Horus enfant. Les comptes concernent deux postes
comptables : les salaires des prtres et les produits ncessaires au
1. dition de Claire PRAUX, Chronique d'gypte 29,janvier 1940, p. 134-149.

160

culte. Les prtres, organiss en phyles, en tribus qui se relayent


pour accomplir le rituel, sont pays en nature, en bl, raison
d'une artabe par jour pour l'ensemble. Ils peroivent un salaire
supplmentaire lors des grandes occasions que sont les processions et les anniversaires du dieu. Il faut imaginer une grande fte
populaire, avec des musiciens, des comdiens et des danseurs. On
promenait la statue du dieu et on lui rendait hommage en public.
C'tait souvent la seule fois o les fidles avaient l'occasion de voir
cette statue. Visiblement, les ftes foisonnaient : le 1er Thth, fte
du Nouvel An et naissance de R, le 19 Thth, les Hermaia, les
ftes d'Herms assimil au dieu Toth, les Charmosynies, probablement des ftes en l'honneur d'Isis, le 16 Phaphi, l'anniversaire
de Socnopaos, le 7 Nos Sbastos.
Il y a ensuite les dpenses faites pour les dieux. On peut les diviser en dpenses du culte ordinaire et dpenses du culte festif. Tous
les jours, le dieu tait oint d'huile, selon un rituel immmorial, et
l'on faisait brler une lampe devant lui. Son sanctuaire tait purifi par aspersion de vin. On faisait brler du kyphi, une sorte d'encens qui remonte l'gypte pharaonique. De formules diverses,
pouvant aller jusqu' 50 ingrdients, il se prsentait comme une
pte (miel, rsine) enrobant des produits odorifrants comme la
myrrhe, la cannelle, etc. Lors des ftes, le temple recevait une purification supplmentaire. Plusieurs fois par an, le vtement du dieu
tait chang, au cours d'une fte solennelle (stolisme).
Finalement, dans l'gypte grco-romaine, nouveaux cultes et
anciens cultes coexistent en bonne intelligence, comme le prouve
la lettre d'un hirophante une prtresse :
n 96
LE SYNCRTISME EN GYPTE

P. Oxy. 2782 - Oxyrhynchos -161-169 ap.J.-C.


Marcus Aurelius Apollonius, hirophante, la porteuse de corbeille de Nesmemis, salut. Va s'il te plat Sinkpha au temple de
Dmter pour y accomplir les sacrifices habituels pour nos seigneurs
les empereurs et leur victoire, la crue du Nil, l'augmentation des
rcoltes et le beau temps. Je prie pour ta sant.

Il n'y a rien de choquant pour Marcus Aurelius Apollonius


confondre dans un mme geste liturgique les sacrifices plurisculaires des gyptiens (ceux de la crue du Nil) et les sacrifices
imposs par l'occupant (le culte aux empereurs).

161

2. -

LES RAPPORTS ENTRE RELIGION ET TAT

Si la religion du conqurant se mle sans barguigner la religion indigne, les deux puissances conomiques et politiques
que constituent les temples et l'tat ne pouvaient que se heurter.
L'histoire de la monarchie lagide vcut la perptuelle remise en
cause d'un quilibre subtil, o le souverain, pos en dispensateur
de tous les biens de l'gypte, doit ngocier sa lgitimit avec les
prtres. Monarchie et temples sont deux puissances complmentaires: quand l'une crot, l'autre diminue.
On a vu que la Pierre de Rosette (n J) enregistrait un certain
quilibre. Les nombreux privilges attachs aux temples, en particulier le droit d'asile, gnreusement accord la fin de la
monarchie lagide, entrinent l'affaiblissement du pouvoir des
Ptolmes.
n97
UNE STLE ACCORDANT DES PRIVILGES

Inscr. Fayoum 112 -Thadelphie - 19 fv. 93 av.J.-C.


(stle en calcaire, conserve au Muse d'Alexandrie)
Lieu d'asile par ordonnance. [Dfense d'entrer] qui n'y a pas
affaire.
Au roi Ptolme alias Alexandre, dieu Philomtr, salut. Les
prtres d'Isis Sachypsis, trs grande desse, premire s'tre manifeste, du sanctuaire qui se trouve Thadelphie .dans le district de
Thmistos de l'Arsinote. Le sanctuaire indiqu tait sacr depuis
tes anctres, grand roi, il tait honor et estim depuis les temps
anciens. Mais actuellement des individus sans foi ni loi non seulement expulsent les suppliants qui viennent s'y rfugier en usant de
la force, mais font effraction dans le plus grand dsordre avec une
violence terrible et des voies de fait ; ils commettent des sacrilges et
des profanations contraires la pit que tu professes envers le
divin, trs saint roi, et surtout envers la desse Isis. C'est pourquoi
nous te demandons, dieu Nicphore [qui apporte la victoire], de
concder s'il te plat le droit d'asile au sanctuaire susmentionn et
d'ordonner que des stles de pierre soient riges aux quatre vents,
loignes du sanctuaire de cinquante coudes et portant distinctement l'inscription: Dfense d'entrer qui n'y a pas affaire. Faisle pour toi, trs grand roi, pour que personne n'use de force pour y
pntrer, et que ceux qui ne respectent pas l'interdiction soient passibles de sacrilge et d'une sanction plus grave. Que l'on ordonne
Lysanias, ton parent, le stratge du nome, de se conformer ce
qui est ordonn et de nous permettre de satisfaire notre requte afin
que soient accomplis toujours mieux les sacrifices, les libations et

162

-,

autres cultes clbrs pour toi, tes enfants, tes anctres Isis et
Sarapis ; ainsi, nous serons combls de tes bienfaits. Sois heureux.
[Ordre du roi] Lysanias : qu'il en soit ainsi. 7 Mchir de la
21 anne [de Ptolme X Alexandre, 19 fv. 93 av.J.-C.].

l'instar de beaucoup d'autres sanctuaires du Fayoum,


Ptolme Alexandre accorde le droit d'asile au modeste sanctuaire
de Thadelphie. Rare auparavant, ce privilge a eu tendance se
multiplier sous les derniers Lagides, qui cherchaient ainsi se
concilier les habitants du Fayoum. Le titre du dcret dfinit le privilge, qui s'explique par la requte des prtres et i'accord du roi.
Ce droit d'asile reoit ainsi sa dfinition: interdiction de pntrer
sans motif dans le sanctuaire, d'expulser ou de molester ceux qui
y rsident. Le droit d'asile protgeait les prtres, les fidles, mais
surtout les fuyards et certains criminels. On se souvient en effet
que les paysans en grve du temps de Znon (n 50) ou de
Menchs (n 62) se prvalaient du droit d'asile pour chapper la
lourdeur des corves et des impts : ce privilge constituait bien
une limitation du pouvoir royal, qui connaissait l une srieuse
remise en cause.
Si les Lagides mnagrent les prtres pour se maintenir en
place, il n'en alla pas de mme avec les Romains. De nombreux
documents prouvent que les Romains firent perdre au clerg
toute indpendance. Le Gnomon de l' Idios Logos, derechef, illustre
la toute-puissance de l'administration romaine sur les affaires spirituelles:
n 98
GNOMON DE L'IDIOS LOGOS

BGU1210 -Thadelphie - 150 ap.J.-C.


(extraits, cf. n 9, n 148, n 150)

71 Il n'est pas permis aux prtres d'avoir d'autre charge que le


service des dieux, ni d'aller en vtements de laine, ni de porter les
cheveux longs, mme lorsqu'ils sont en dehors du service divin.
72 Il n'est pas permis de sacrifier des veaux qui ne portent pas
le sceau; ceux qui en auraient sacrifi, l'encontre de cette interdiction, sont condamns [payer] 500 drachmes.
75 Un prtre qui abandonne le service divin est condamn
200 drachmes ; s'il porte un vtement de laine, 200 drachmes ; s'il
s'agit d'unjoueur de syrinx [une flte], 100 drachmes; s'il s'agit
d'un pastophore, 100 drachmes.
76 Les prtres qui portent des vtements de laine et les cheveux longs sont condamns 400 drachmes.

163

79 Dans tous les temples o il y a un sanctuaire, il doit y avoir


des prophtes et l'on doit faire des processions le 5 jour du mois.
81 Il est permis aux gyptiens de participer aux ftes des
temples grecs. [... ] Il n'est pas permis ceux qui ensevelissent les
animaux sacrs, d'tre prophte, de porter un naos en procession ni
de nourrir les animaux sacrs. [ ... ] Une charge sacerdotale ne peut
pas tre occupe par des lacs.

Le grand prtre devient l'un des agents de cette ingrence de


Rome dans les affaires des temples, que 1' on voit agir comme un
fonctionnaire, qui reconnat le prfet comme son suprieur hirarchique.
n 99
EXTRAITS DES MINUTES D'UN CHEF DES PRTRES

BGU347 =Schubert 39 = SP244 = Wilck. Chrest. 76- Memphis171 ap. J.-C.

Extrait des minutes de Son Excellence le Chef des Prtres Ulpius


Serenianus. La 11anne d'Aurelius Antoninus Csar [Marc Aurle]
notre Seigneur, le 28 Tybi. Memphis.
Il a salu le trs illustre prfet, et aprs cela, au temple d'Apis,
Panephremmis, fils de Stototis alias Satabous, a avanc devant lui
son fils Panephremmis et a demand la permission de le circoncire
[pour qu'il devienne prtre], en lui prsentant la lettre crite ce
propos par Sarapion, stratge du district Hraclide de l'Arsinote,
avec l'aide d'Alexandre, ex-gymnasiarque, date du 6 Phaphi de la
10 anne passe. Serenianus a demand aux coryphes, aux souscoryphes et aux scribes sacrs prsents si l'enfant avait une marque
[indigne]. Ils lui rpondirent qu'il n'avait pas de signe. Ulpius
Serenianus, Chef des Prtres et des Temples, a sign la lettre et a
ordonn que l'enfant soit circoncis selon la coutume. Lu.

3. - LA PIT EN GYPTE

Avec le recul, les questions conomique et politique de la religion tendent prendre un poids considrable au regard de la
simple religiosit. Certes, les tmoignages de la pit populaire
sont plutt rares et peuvent faire oublier que la religion se fonde
aussi sur un rapport entre l'homme et le divin. Nanmoins, on
peut brosser une esquisse rapide de cette pit en gypte.
Assurment, les Grecs et les gyptiens priaient. La mention des
prosternations (procynses) que l'on fait pour la sant de
quelqu'un et les nombreuses tras de plerinages plaident mme
164

en faveur d'une extension large. On a dcouvert en outre de nombreuses figurines dans les maisons, aux abords des villages ou dans
des temples : elles servaient de support cette pit populaire qui
brille par son absence dans les documents.
Il est avr galement que la religion en gypte ne se cantonnait pas uniquement aux grands temples, leurs fastueuses' processions et leurs coteuses crmonies. Sous l'influence grecque,
de nombreux sanctuaires privs furent rigs.
n100
DDICACE D'UN SANCTUAIRE

Inscr. Fayoum 124 - Thadelphie - 156 ap. J.-C.


(inscription)
Pour l'empereur CsarTitus JElius Hadrian us Antonius Augustus
Pius [Antonin le Pieux] et toute sa maison, sous Sempronius
Liberalis le Prfectus JEgypti, au grand dieu Amon, Gaius Valerius
Cottus, vtran de la III lgion Cyrnaque, a reconstruit le sanctuaire, ses propres frais, pour lui et sa femme Gaia Valeria et leurs
enfants. Pour le bien l La 19 anne [19 mai 156 ap. J.-C.], le
24 Pchon. Nicandre a crit l'inscription.

Un vtran devenu sur ses vieux jours un dvot d'Arnon


(comme beaucoup de ses compagnons, ce qui peut faire croire
une ferveur largement rpandue dans l'arme) a pu reconstruire
un temple priv. Il en est peut-tre le desservant, comme ont pu
l'tre d'autres fondateurs.
De mme, de simples particuliers pouvaient participer la vie
des temples de moindre importance ; ils occupaient des fonctions
qui se vendaient comme toutes les autres charges. Voici la vente
des droits affrents au sanctuaire d'Aphrodite Deir el-Mdineh.
n101
A UN TEMPLE
PSIIOI6 = SP37 -Thbes-129 av.J.-C.

VENTE DE PRIVILGES ATTACHS

La 42 anne du rgne de Ptolme dieu vergte [Ptolme VIII], fils de Ptolme et Cloptre, dieux piphanes, et de la
reine Cloptre sa femme, desse vergte, sous le prtre
d'Alexandre et des dieux Ster, des dieux Adelphes, des dieux vergtes, des dieux Philopatr, des dieux piphanes, du dieu
Philomtr, du dieu Eupatr et des dieux vergtes, sous l'athlophore de Brnice vergte, la canphore d'Arsino Philopatr, de
mme sous les prtres et prtresse Ptolmas actuellement en

165

charge, le 29 du mois d'Hathyr, Diospolis Magna, devant


Hraclide, agoranome du nome du Pri-Thbes. Sennouthis, fille
d'Horus de Memnonea du district libyen et du nome de Pathyris,
ge d'environ 30 ans, de taille moyenne, de visage clair et rond, le
nez camus, portant une cicatrice sur le ct droit de la bouche, les
joues larges, avec l'assistance de son tuteur, son parent maternel
Harsiesis, fils de Patmis et de sa mre Labas, salari des fantassins
de Ptolme, fils de Pyrrhus, g d'environ 35 ans, de taille
moyenne, de visage clair, les cheveux assez boucls, le visage large, le
nez droit, les oreilles larges et dcolles et l'oreille gauche perce,
ainsi que Harsisis lui-mme ont vendu le privilge de dix jours
saints annuels assorti des bnfices, des services et des droits qui
leur sont attachs, la portion des jours intercalaires qui leur reviennent ainsi que tous les droits affrents, qu'ils possdent dans le
temple d'Aphrodite nomm Hathyr Nouemontesema qui se trouve
au milieu des tombes en face de celles du Memnonium. Psenimis,
fils de Perminis, de Memnonea, g d'environ 40 ans, de taille
moyenne, de visage clair, de cheveux clairsems, le visage large, le
nez droit, des cicatrices des deux cts du front, les a achets quatre
talents de monnaie de cuivre. Les garants des termes de cette vente :
les vendeurs, que l'acheteur Pseninis a accepts.

Enfin, il ne faut pas oublier les nombreuses thiases et autres associations cultuelles hrites du monde grco-romain : on se runissait, on louait les dieux, on faisait des sacrifices, on partageait de
grands banquets et, quelquefois, on avait des activits charitables
ou vergtiques.
n102
DDICACE D'UN SANCTUAIRE

Inscr. Fayoum 121 - Thadelphie - 93 ap. J.-C.


(inscription)
Pour !'Empereur Csar Domitianus Augustus Germanicus
[Domitien], le lieu de la communaut du bienheureux Harthths,
en l'honneur de la trs grande desse Sachypsis a t reconstruit
grce au prsident Abdn, Petronius Secondus tant prfet.
Protarche a crit l'inscription. Pour le bien ! La 12 anne, le 12 Pharmouthi [7 avr. 93 ap.J.-C.]

L'inscription commmore la restauration de la salle de


runion d'une de ces associations pieuses. Celle d'Harthths,
dnomm bienheureux , euphmisme exprimant sa mort: ses
membres se runissent en l'honneur de la desse Isis Sachypsis,
particulirement honore Thadelphie (cf. n 97).
166

Dernier trait de la pit populaire d'gypte : l'importance


qu'elle accorde la magie, la divination, les gurisons. Ce n'est sans
doute pas un hasard si, outre Srapis (cf chapitre XI), la desse la
plus l'honneur en gypte tait Isis, une Isis qui n'a plus grandchose voir avec la divine pouse d'Osiris : adoptant des traits aux
desses grecques de la fcondit, comme Dmter, elle agissait
comme une magicienne redoutable, assimile parfois aux sauvages
Aphrodites orientales, qui ne servaient que de prte-nom de primitives divinits babyloniennes, rgnant sur la mort et sur les fertilits humaines et vgtales. On traitera dans les chapitres suivants
de la magie (cf chapitre XII) et de la mort (cf chapitre XIX), lments extrmes de la religion populaire ; mais on peut ds
prsent citer deux tmoignages de ce got pour le surnaturel.
n103
QUESTIONS UN ORACLE

P. Oxy. 1477 = Hengstl 65 = SP 195 - Oxyrhynchos - v. 300 ap. J.-C.


(extraits)
72. Est-ce que je vais recevoir le salaire ? 73. Est-ce que je vais rester l o je vais? 74. Est-ce que je vais tre vendu? 75. Est-ce que je
vais obtenir un bnfice de mon ami? 76. Est-ce que j'aurai l'occasion de m'associer quelqu'un d'autre? 77. Est-ce que je vais me
rconcilier avec mes enfants ? 78. Est-ce que je vais recevoir du
rpit? 79. Est-ce que je vais recevoir de l'argent? 80. Est-ce que celui
qui est parti est vivant? 81. Est-ce que je vais faire du profit de l'affaire ? 82. Est-ce que ce que je possde va tre mis aux enchres?
83. Est-ce que je vais arriver vendre ? 84. Est-ce que je vais arriver
faire ce que je souhaite ? 85. Est-ce que je vais avoir du succs ?
86. Est-ce que je dois prendre la fuite ? 87. Est-ce que je vais partir en
ambassade ? 88. Est-ce que je vais devenir bouleute [membre d'un
conseil municipal] ? 89. Est-ce que mon parcours va tre stopp ?
90. Est-ce que je vais divorcer de ma femme? 91. Est-ce que j'ai t
empoisonn ? 92. Est-ce que je vais recevoir ce qui m'appartient?

Ce papyrus nous donne une image droutante, bien loigne


de l'vocation romantique habituelle des oracles. La sibylle
ancienne, qui rendait ses oracles assise sur son trpied en
mchant des feuilles de laurier, fait figure d'amateur. L'gypte
romaine entrait dans l're de la prophtie numrologique : grce
au mage Astrampsychos (ce papyrus provient de son livre magique
intitul les Sortes Astrampsychi), les questions taient normalises
et converties en numros. Pour avoir une rponse, il suffisait de penser un chiffre de 1 IO : un procd numrologique complexe
167

permettait de transformer ce chiffre en rponse. chacun de se


retrouver dans les problmes soigneusement reprs 1
n104
LES RGLES DE PURET DANS UN SANCTUAIRE 1

SB 3451- Ptolmas - ier sicle ap.J.-C.


(inscription)
Ceux qui pntrent dans le sanctuaire doivent se purifier selon
ce qui suit: [pour une impuret] provenant de sa propre maladie ou
de celle d'un autre : 7 jours; pour avoir t en contact avec un
dcs: xjours; pour un avortement: xjours; pour une accouche,
qui allaite : x jours ; si elle s'est spare de l'enfant : 14 jours ; les
hommes aprs des relations avec une femme : 2 jours.
Les femmes suivent les mmes [prescriptions] que les hommes.
[Cependant, pour l'impuret provenant d'un] avortement: 40 jours;
celle qui a accouch et qui allaite: 40 jours; mais si elle s'est spare
de l'enfant: x jours; pour les rgles: 7 jours; aprs des relations
avec un homme: 2jours et elle [doit brler? doit offrir?] du myrte.

Malheureusement, on ne sait pas d'o viennent ces prescriptions. Elles indiquent toutefois que le sanctuaire formait un lieu
de puret ; on devait respecter des dlais de purification pour y
entrer. Aux trois grands interdits du monde grec classique - les
relations sexuelles, la naissance et la mort - se superposent des
lments nouveaux : les rgles et la maladie.

1. Jean BINGEN, Notes relatives la ddicace SB


d'gypte 58, fasc. 135/136, 1993, p. 219-228.

III,

6184 , Chronique

XI
LES RECLUS DU SERAPEUM

S'il fallait caractriser la religion gyptienne, l'un des traits


majeurs que 1'on retiendrait serait son extraordinaire adaptabilit
aux croyances trangres. Essentiellement syncrtique, le polythisme grco-gyptien puis romano-gyptien se prtait toutes
les mtamorphoses. Il ne faut pas croire que le mouvement d'assimilation ne passait que des vainqueurs aux vaincus : le culte de
la desse gyptienne Isis se rpandit dans tout l'Empire romain,
et surpassa trs souvent des cultes d'origine romaine : on ne
compte pas les sanctuaires d'Isis-Artmis ou d'Isis-Dmter. Pour
illustrer ce phnomne qui parat tranger une culture judochrtienne, prenons le cas du culte de Srapis.
Reprsent sous la forme d'un taureau, le dieu gyptien Apis
tait vnr dans toute l'gypte pharaonique, mais particulirement Memphis. Au dpart rincarnation du dieu dynastique
Ptah, il fut ensuite associ Osiris sous la forme Asar-Hapi
(Osiris-Apis, Osirapis) pour devenir une divinit du monde des
morts, qui prsidait aux funrailles. En arrivant en gypte, les
Ptolmes reprirent la coutume d'un dieu dynastique et choisirent Osirapis ou Srapis. Ptolme Ster lui btit un magnifique
temple Alexandrie : il invitait ainsi Grecs et gyptiens communier dans une mme ferveur au dieu royal. Bientt, Srapis
runit les attributs des dieux gyptiens et grecs : prenant d'Osiris
169

ses caractristiques de dieu souverain et de dieu du monde souterrain, il s'assimila ses quivalents Zeus, le roi des dieux, et
Hads, le dieu des Enfers.
Le culte de Srapis connut un essor fulgurant qui ne se dmentira point jusqu' la victoire du christianisme. Outre le Serapeum
d'Alexandrie, les Ptolmes reconstruisirent et ornrent le
Serapeum de Memphis. Fonde en 3 000 av. J.-C., Memphis
occupa une place privilgie dans le royaume d'gypte. Capitale
du vieil Empire pharaonique (2890-2173 av. J.-C.), elle se situait
un point stratgique : 40 kilomtres en amont de la pointe du
Delta du Nil, elle tait la porte menant Alexandrie, en aval, et
la Basse gypte, en amont. Memphis se prsentait galement
comme la cit des dieux : Apis, le dieu du Nil associ au taureau,
y rgnait en matre.
Le Serapeum se trouvait en dehors de Memphis, sur l'actuel
site de Saqqarah, quelque distance de la fameuse pyramide
degrs de Djoser. Les fouilles, conduites ds le XIx sicle par
Auguste Mariette, donnent une ide du btiment. En prenant l'alle du Serapeum et en laissant main droite la pyramide de
Djoser, le visiteur passait devant le temple de Nectanebo II o l'on
adorait un dieu tte de faucon. Il se trouvait alors face face
avec onze statues de marbre : les potes et les sages de la Grce
antique le saluaient son entre. Ensuite, il prenait une alle
pave encadre de part et d'autre de reprsentations de dieux
grecs et gyptiens : ce mlange le prparait l'univers biculturel
du dieu. Les papyrus nous rvlent l'existence qui se menait dans
ses hauts murs.

1. -

GURISONS ET RETRAITES AU SERAPEUM

Dans !'Antiquit, le Serapeum tait clbre pour les gurisons


qui s'y droulaient. Le grand temple hbergeait en effet le sanctuaire d'Imhotep (en grec Imouths), le savant du IV millnaire
avant notre re, qui avait t depuis longtemps divinis comme un
dieu gurisseur et que les Grecs arrivant en gypte s'taient hts
de confondre avec Asclpios, le dieu-mdecin d'pidaure. Le lieu
traditionnel du tombeau d'Imhotep, quelques centaines de
mtres de son chef-cl' uvre, la pyramide degrs de Saqqarah,
tait tout naturellement devenu un Asclepion. Memphis prit donc
170

des airs d'pidaure, o chacun venait chercher un soulagement


ses maux en passant la nuit dans le temple. Comme en Grce, le
malade se purifiait, jenait, faisait abstinence, et installait son couchage dans le sanctuaire : pendant la nuit, le dieu venait le visiter
et lui rvlait comment se soigner.
Mme s'il livre une version littraire de ces convalescences, le
papyrus 1381 d'Oxyrhynchos donne une petite ide de ce qui se
passait pendant ces nuits d'attente de la gurison : nous slectionnons l'extrait qui parle de la gurison.
n105
UNE GURISON MAGIQUE

P. Oxy. 1381 - lieu et date inconnus


(1. 91-145)

Il faisait nuit et toute crature sommeillait, l'exception de


celles qui souffraient ; mais la divinit se manifestait avec le plus de
force. Une violente fivre me brlait; agit d'asthme et de toux, je
frissonnais cause d'une douleur mon ct ; la tte lourde de
douleur, je glissais lthargiquement dans le sommeil. Ma mre,
attentionne de nature, tait assise mes cts, comme pour un
petit enfant; elle ne dormait pas un seul instant. Soudain, elle vit.
Ce n'tait ni songe, ni sommeil, car elle avait les yeux ouverts: une
chimre (~avtacria) l'empcha de voir clairement s'il s'agissait du
dieu lui-mme ou de ses serviteurs. En tout cas, c'tait quelqu'un de
plus grand qu'un homme, qui portait un vtement brillant et un
livre dans la main gauche. Il ne fit que me regarder de la tte aux
pieds deux ou trois fois, puis devint invisible. Calme mais encore
tremblante, ma mre tenta de me rveiller: elle dcouvrit que la
fivre m'avait quitt et que j'avais abondamment transpir. Elle se
prosterna devant la manifestation des dieux, puis m'essuya et me
rendit plus prsentable. Et, dialoguant avec moi, elle voulut rappeler la vertu du dieu, mais moi, la prvenant, je lui dis tout moimme: car tout ce qu'elle avait vu dans la vision m'tait apparu
en rve. Aprs que la douleur au ct m'eut quitt, et que le
dieu m'eut donn un autre traitement calmant, je proclamai ses
bienfaits.

Le texte ci-dessus prsente une certaine originalit car il


cherche rationaliser la gurison. Il ne s'agit pas simplement d'un
rve, mais bien d'une vritable apparition divine, puisqu'un
tmoin, la mre, voit galement le dieu. En outre, le dieu apparat deux fois : la premire nous est raconte, tandis que la seconde
est mentionne dans un dtour de phrase, aprs que le dieu m'eut
donn un autre traitement calmant . Seule la plus spectaculaire
171

retient l'attention de !'crivain: sans doute la seconde n'eut-elle


pas d'autre tmoin que le malade.
L'interprtation des rves, dvolue aux hermneutes, les
prtres interprtes, s'ajoutait aux nombreuses dpenses que
devait faire le malade. Il commenait par passer devant les boutiques qui s'alignaient aux abords des sanctuaires - il est bien rare
qu'il n'achett pas de quoi manger, un souvenir, un oreiller pour
passer la nuit-, puis il s'acquittait d'un droit d'entre dans le
temple. Ensuite, il payait des honoraires pour la purification
rituelle, un droit pour passer la nuit dans le temple, et sans doute
maints autres petits services que lui rendaient les prtres.
Les gurisons miraculeuses qui se droulaient au Serapeum
donnrent naissance un phnomne assez mal connu, qui ressemblait une sorte de retraite spirituelle que l'on nommait yKmOKJ ( enkatoch). La lettre d'lsias Hphastion jette
quelques lueurs sur cette trange pratique.
n 106
LETTRE UN RETRAITANT DU SERAPEUM

P. Land. 42

= UPZ 59 = SP 97 = Wilck. Chrest. 97 - Memphis 29 aot 168 av.J.-C.

lsias son frre Hphastion, salut. Si tu es en bonne sant et que


les choses se passent bien en gnral, tout va comme j'en prie continuellement les dieux. Moi aussi je suis en bonne sant, ainsi que le
petit et tous ceux qui sont la maison : ils font constamment
mmoire de toi. J'ai reu ta lettre par Horus, dans laquelle tu disais
tre en retraite au Serapeum de Memphis. J'ai immdiatement
remerci les dieux de te savoir en _bonne sant. Mais je suis contrarie de ne pas te voir revenir alors que tous ceux qui taient l-bas
sont revenus : le petit et moi, je nous ai pilots hors de la crise, j'ai
connu les dernires extrmits cause du prix du bl et je pensais
qu'avec ton retour je connatrais quelque soulagement. Mais tu n'as
mme pas song revenir, tu ne t'es mme pas inquit de notre
situation dsespre. Lorsque tu tais l, je manquais de tout, et que
dire maintenant que le temps a pass et avec la crise qui nous est
tombe dessus 1 Et tu n'as rien envoy 1 Et maintenant qu'Horus
nous a apport la lettre qui annonait que tu tais dli de ta
retraite, je suis vraiment contrarie. Et ce n'est pas tout. Il se trouve
que ta mre porte le poids de cette absence. Pour l'amour d'elle et
de moi, reviens en ville, s'il te plat, moins que quelque chose de
vraiment important te retienne. Prends soin de toi et de ton corps
pour tre en bonne sant. L'an 30, le 2 piph.

172

trange habitude que celle du temple de Srapis. On y entrait


comme dans un hpital pour s'y faire soigner de ses maladies ou
pour accomplir un vu et l'on se retrouvait parfois retenu
comme dans un monastre. Le dieu avait en effet coutume d'envoyer des rves certains de ses visiteurs en leur intimant l'ordre
de rester en retraite (v Ka-tO?Cfl) a sanctuaire. Beaucoup d'auteurs pensent qu'une gurison miraculeuse poussait les gens
rester en retraite. Cette pratique de rester dans le lieu de la gurison est d'ailleurs atteste, plus tard, chez les auteurs chrtiens.
Le statut de retraitant demeure assez mystrieux. Il semble en effet
avoir t sous les ordres des pastophores, les prtres dvolus au
culte de la divinit, et il vivait au milieu d'eux sans en avoir le titre.
Hphastion fait partie d'une fourne de ces retraitants .
Mais il semble apprcier la situation et n'a pas grande envie de
rentrer la maison o l'attend sa femme - le style de sa lettre
laisse prsager qu'il s'agit d'une femme de tte. Alors que ses
camarades sont rentrs et qu'il a t lui-mme dli de sa retraite,
il reste Memphis. Est-ce par une brusque ferveur religieuse ?
Est-ce cause de la famine qui rgne la campagne ?
n107

LA SUITE DE L'AFFAIRE
UPZ 60 - Memphis - 29 aot 168 av. J.-C.
Dionysios son frre Hphastion, salut. Si tu es en bonne sant
et que les choses se passent bien en gnral, tout va comme je le
veux; moi aussi je vais bien, ainsi que Eudamonis, les enfants, Isias,
ton enfant et ceux qui sont la maison. J'ai bien reu ta lettre dans
laquelle tu annonais tre sauv de grands dangers et tre en retraite.
J'ai rendu grce aux dieux de te savoir en bonne sant.J'aurais pourtant aim te voir revenir en ville, l'instar de Conn et de tous les
autres qui sont revenus, afin qu'Isis, qui a sauv par tous les moyens
ton enfant qui tait parvenu aux dernires extrmits et l'a plusieurs
fois sorti d'affaire, pense trouver un peu de rconfort. Il ne faut absolument pas que tu attendes de gagner un petit quelque chose pour le
ramener : lorsque quelqu'un a tent le sort, peine sorti du danger,
il doit revenir immdiatement et saluer sa femme, ses enfants et ses
amis. Reviens dans peu de temps, s'il te plat, sauf si quelque chose
d'essentiel te retient. Prends soin de ton corps pour que tu ailles
bien. Porte-toi bien. La 12 anne [de Ptolme VI], le 30 piph.
[Verso] Hphastion.

La lettre crite par le frre d'Hphastion jette un doute sur


les ardeurs mystiques de ce dernier. Elle confirme en effet
173

qu'Hphastion a bien t guri par le dieu, puisqu'il a chapp


de grands dangers . Mais Dionysios connat bien son frre :
il sait que ce sont des questions d'argent qui le retiennent loin de
sa famille. Il ne faut pas que tu attendes de gagner quelque
chose pour revenir, lui dit-il, peut-tre avec ironie, ou en citant
les termes d'une prcdente lettre. Et de faire appel sa fibre
paternelle, et de jouer sur la corde sensible ...
Nul ne sait si Hphastion revint voir sa famille ou s'il demeura
retenu au Serapeum. En revanche, on sait qu'un autre retraitant,
Ptolme, resta lui toute sa vie dans le temple.

2. -

PTOLME RETRAITANT AU SERAPEUM

Ptolme tait le fils d'un certain Glaukias, qui mourut en


164 av.J.-C. au cours de la guerre civile qui opposa Ptolme VIII
et sa sur-pouse Cloptre II. D'origine macdonienne, il fit
sa carrire sous les bannires du roi et gagna le titre honorifique
de cousin du roi, Bientt, il s'installa Psichis dans le nome
d'Hraclopolis au sud de Memphis. Ptolme reut une instruction rudimentaire: il a souvent du mal crire et son grec
est parfois rudimentaire.
En 172 av.J.-C., coup de tonnerre: l'instar de Hphastion du
texte n 106, voil que Ptolme dcide d'entrer au Serapeum,
dans le petit temple d' Astart, comme retraitant. La raison de ce
brusque repli du monde nous demeure inconnue. tait-il malade ?
Reut-il en rve l'ordre divin de quitter le monde?
Ptolme vcut dans le Serapeum pendant plus de vingt ans. Ce
qu'il y faisait au service du dieu nous demeure obscur : nulle mention ne se trouvedans les documents, comme si sa tche apparaissait trop vidente ses contemporains pour tre mentionne. On
a conserv certains rves de lui : la communication onirique avec
la divinit devait faire partie de ses attributions. On a galement
conserv une multitude de comptes d'approvisionnement: il est
possible qu'une certaine charge d'intendance lui tait dvolue. Il
arrondissait galement ses fins de mois dans le commerce du lin.
Certes, il ne faut pas assimiler sa vie celle d'un chartreux : nous
le voyons plusieurs fois quitter l'enceinte du temple et il n'abandonne pas ses activits sculires. Il communique librement avec
l'extrieur et reoit souvent des visites, en particulier de son frre
174

Apollonios. Celui-ci, beaucoup plus jeune que lui, lui est comme
un fils: la mort de leur pre, il prend soin de lui.
n108
PTOLME RECOMMANDE SON FRRE AU ROI

P. Lond. 23 = C. Ord. Ptol. 37 = SP 272 = VPZ 14 - Memphis 158 av. J.-C.


(extraits)

[Mmo de Ptolme]. La 24 anne [de Ptolme VI], le 2 Thth


[3 oct. 158 av.J.-C.],j'ai prsent cette ptition au roi et la reine.
Au roi Ptolme et la reine Cloptre sa sur, dieux Philomtr, salut. Ptolme, fs de Glaukias, Macdoniens de l' pigon
[d'ascendance macdonienne], du nome d'Hraclopolis.
Mon pre Glaukias susmentionn, qui faisait partie des catques
[colons militaires] cousins du roi de l'Hraclopolite, a perdu la
vie au temps des troubles : il ne reste que moi et Apollonios mon
plus jeune frre. Mais il se trouve que je suis en retraite dans le
Grand Serapeum de Memphis depuis 15 ans et que je suis oblig
d'asimrer mon frre susmentionn une solde, car je suis sans
enfant : grce lui, je pourrai, tout en restant retraitant, bnficier
de son soutien et avoir une vie dcente. Aussi vous demandje, Trs
Grands Dieux Philomtr, de prendre en considration les annes
dont je viens de parler :je n'ai pas d'autres subsides que ceux qui me
viendront du refuge que je trouverai auprs de vous, Dieux grands
et secourables, pour obtenir la solde indique pour mon frre. Si
cela vous semble bon, accordez-moi une partie du secours que vous
manifestez tous les autres hommes pieux, et ordonnez d'crire
qui de droit d'enrler mon frre Apollonios susmentionn sous l'enseigne de Dexilaos, qui tient garnison Memphis: qu'on lui procure
la mme paie en bl et en argent que celle que les autres reoivent.
Ainsi, je pourrai vivre dcemment et offrir les sacrifices pour vous et
vos enfants, afin que vous gouverniez tous les pays sur lesquels Hlios
brille pour l'ternit; ainsi recevraije par vous ma subsistance pour
la vie. Portez-vous bien.
[Ordre du roi] Qu'il en soit ainsi et que l'on enregistre combien
cela cote [ ... ]
[Second ordre royal] Dmtrios : que le Macdonien Dmtrios
soit enrl sous la bannire de Dexilaos, qui tient garnison
Memphis, et qu'ils reoivent ce que reoivent les autres, savoir
150 drachmes et 3 artabes de bl (une artabe de bl en nature, et,
au lieu des deux autres artabes, 100 drachmes).

Apollonios, lui, n'est pas fait pour la vie recluse. Certains papyrus nous apprennent qu'il fait un court sjour l'ge de 15 ans:
il quitte bien vite le Serapeum. Que faire pour assurer sa subsistance ? Ptolme le dirige vers la carrire militaire : comme de
175

nombreux Macdoniens, il veut le faire enrler dans l'arme.


Aussi crit-il au roi et la reine en excipant du prestige de son statut pour qu'on le nomme prs de lui, Memphis.
La condition de reclus s'assortissait probablement d'un certain
prestige ; on lui reconnat en tout cas une certaine utilit. En
effet, Ptolme excipe de ses quinze annes de rclusion comme
d'un lment de poids dans la lgitimit de sa demande.
Outre son frre, Ptolme aide galement Thays et Taous,
des jumelles de sa connaissance.
n109
UNE PTITION EN FAVEUR DES SERVANTES D'APIS

P. Paris 23 = UPZ 18 - Memphis - 163 av. J.-C.

De la part de Thays et Taous, jumelles du Grand Serapeum de


Memphis. Nus sommes lses par notre mre Nphoris. Celle-ci a
quitt notre pre pour vivre sous le toit de Philippe, fils de Sgens,
soldat de l'unit de Pyros. Philippe, pouss tratreusement par elle
tuer notre pre [ ... ], s'est approch de lui l'pe au clair. Mais la
maison de notre pre est ct du fleuve: il a saut dans l'eau et a
plong jusqu' une le du fleuve. Un bateau l'a rcupr et l'a
ramen Hracliopolis o il est mort de chagrin. Son frre est venu
le chercher et l'a ramen pour le dposer dans la ncropole, o il gt
sans spulture. Mais elle, elle a pris possession de ses biens et reoit
une rente mensuelle de 1 400 drachmes de cuivre. Elle nous a mis
la porte, et, mourant de faim, nous avons fui jusqu'au Serapeum,
chez Ptolme qui y est en retraite. Ptolme, qui tait un ami de
notre pre, nous a recueillies et nous a nourries. Lorsque le deuil
[d'Apis] est survenu, [les prtres] nous ont fait descendre pour la
lamentation sur le dieu. Des connaissances nous ont convaincu de
pousser son fils [de notre mre] Panchrats nous assister. Nous
l'avons commissionn la 12 anne et la 17 anne, il s'est occup de
la part de l'argent du Trsor royal qui nous revenait. Mais, en retour,
il nous a drob ce que nous avions au Serapeum et notre part de
l'argent, un mtrte d'huile, et il est rentr chez sa mre. Mais
Ptolme, qui est en retraite dans ce sanctuaire, nous a accueillies
sur l'ordre des dieux. [Verso] De la part de Ptolme Glaukias le
Macdonien qui est en retraite depuis 11 ans.

Le texte quel' on lit constitue le brouillon d'une plainte (dont on


conserve aussi une version ultrieure dans le R Paris 22 = UPZ 19) :
il a la spontanit et la navet des premiers jets. Thays et Taous
sont des jumelles victimes de leur propre mre, qui s'est marie
sur le tard avec leur pre, sans doute aprs un premier mariage
dont elle a eu un fils. Volage, celle-ci a quitt le domicile familial et
176

a dcid de se dbarrasser de son mari en l'assassinant. Si la tentative


choue, elle parvient ses fins car son mari finit par mourir : . elle
l'hritage ! Cette mre dnature chasse alors ses propres filles, car
celles-ci pouvaient prtendre une part substantielle de l'hritage.
bout de ressources, ses filles se rfugient dans le Serapeum.
Elles y trouvent rapidement un emploi enviable : jumelles charges de l'entretien du buf sacr. Depuis le temps de !'Ancienne
gypte en effet, le rituel voulait qu' la mort du buf sacr reprsentant Apis, le dieu du Nil, des jumelles en fassent le deuil,
pour reprsenter les deux desses surs Isis et Nephtys. Elles se
consacraient ensuite au service du successeur du buf mort,
qu'elles soignaientjusqu' sa propre mort: d'autres jumelles en
faisaient alors le deuil. Les souverains grecs avaient soigneusement conserv ce rite ancien, et Thays et Taous furent pendant
plus de six annes les jumelles sacres.
Elles n'entendaient cependant pas abandonner leur hritage
et tentrent donc d'utiliser leur beau-frre. Celui-ci, hlas, les trahit, et elles n'ont d'autre ressource que de s'adresser au roi et la
reine pour leur demander que leur hritage leur soit rendu.
part jouer les Bons Samaritains, Ptolme, on l'a dit, occupait quelques fonctions utiles dans le Serapeum, dont celle de
rveur, En effet, le reclus de Memphis accordait une grande
importance ses rves : il prenait mme la peine de les noter. Sans
doute s'en servait-il pour transmettre l'avis du dieu:
n 110
UNE LISTE DE RVES AU SERAPEUM

P. Leid. C = UPZ77 - Memphis -161-158 av.J.-C.

Le rve que vit l'une des jumelles Thays, le 17 Pachn. Dans


mon sommeil, elle semblait descendre la rue et compter neuf maisons. J'ai voulu revenir en arrire. J'ai dit: Au grand maximum, il
y en a neuf. Ils me dirent : Bien, tu es libre de partir. Ue rpondis] : Il est trop tard pour moi.
Le rve que vit Ptolme lors des Slnies [les ftes de la lune],
le 25 Pachn. Il me semblait voir Thays chanter d'une voix douce
et enjoue. Et je vis Taous rire. Son pied tait grand et propre.
Le 29. Deux hommes travaillent dans le vestibule. Taous est assise
sur les marches et plaisante avec eux. En entendant la voix de
Chentosney, elle se dtourne immdiatement. Ils lui disent qu'ils
aimeraientlui apprendre [ ... ] .
Le rve de Ptolme le 15 Pachn. Deux hommes se sont approchs de moi et m'ont dit: Ptolme, reois le cuivre pour le sang.

177

Ils comptrent 100 drachmes de cuivre pour moi, et pour Thays la


jumelle une bourse pleine de statres de cuivre. Ils lui dirent : Voil
le cuivre pour le sang. Je leur rpondis : Elle a plus de pices que
moi.
Le rve que j'ai vu le 20 Pachn. Il me semblait que je comptais
en disant: le premier Thth de l'an 20 ,jusqu' 20.
Le 4 Pachn 23 : dans mon rve, il me semblait invoquer le grand
Amon de venir moi du nord dans sa trinit, jusqu' ce qu'il arrive.
Il me semblait qu'il y a une vache sur place et qu'elle porte un petit.
Il se saisit de la vache et la fait se coucher. Il insre sa main dans son
ventre et en sort un veau. Voil ce que j'ai vu en rve, que cela me
porte chance 1 Le 23 Pachn, jour de mon anniversaire.

Ce relev de rves a quelque chose de droutant. La plupart


des rves de !'Antiquit qui nous sont conservs ont tous t soigneusement rcrits, complts : ils servent une dmonstration
politique, poursuivent une fin littraire ou illustrent de pieux
sentiments. Ici, nous sommes confronts au matriau onirique
brut, qui, vingt-trois sicles plus tard, nous frappe par sa touchante proximit. Conscient de la valeur de ses rves pour prdire
l'avenir, Ptolme les note, dans l'espoir qu'ils seront interprts.
Il n'est pas lieu, ici, de se livrer une psychanalyse de Ptolme;
toutefois, comprendre les sentiments ambigus qui le lient la
jumelle Thays et la paternit ne prsente aucune difficult.
Si parfois les rves annoncent l'avenir et les dcisions divines,
ils crent aussi des situations inextricables pour ceux qui leur faisaient trop confiance. Lettre d'un client mcontent du rveur:
n 111
UNE LETIRE MCONTENTE

P. Paris 47 = SP 100 = VPZ 70 - Memphis - v. 152 av. J.-C.

Apollonios Ptolme son pre, salut. Je jure par Sarapis que si


je n'avais pas un peu d'indulgence, tu ne me verrais plus en face, car
tu ne fais que mentir, et le dieu qui est auprs de toi, c'est pareil. Il
nous a jets dans une merde noire, o nous pouvons prir et o,
lorsqu'on se voit dj sauv, on replonge. Sache que le fugitif va tout
faire pour nous empcher de rester dans le lieu : cause de nous,
il a perdu 15 talents de cuivre. Le stratge descend demain au
Serapeum et va passer deux jours boire dans le temple d'Anubis.
Je ne pourrai jamais plus passer la tte haute dans Tricomia cause
de la honte de nous tre livrs nous-mmes et de nous tre illusionns, tromps par les dieux et croyant aux songes. Sois heureux.
[Au verso] Ptolme, salut. [Ajout en marge] : contre ceux qui
disent la vrit,

178

Le contexte exact nous chappe. Il semble en revanche que les


rves de Ptolme ont mis Apollonios en trs grande difficult. Il
reproche son frre, qu'il appelle pre par respect, de s'tre
tromp dans ses songes et en vient mme douter de son dieu.
Poursuivant le chapitre des inconvnients de la rclusion, il
faut aussi noter le papyrus de Londres publi sous le numro 44.
l'instar des textes du chapitre I, il montre que la cohabitation
entre Grecs et gyptiens ne se passait pas forcment bien et que
les guerres ethniques franchissaient galement les portes des
sanctuaires.
n112
GUERRES ETHNIQUES AU SERAPEUM

R Lond. 44 = Schubert 56 = UPZ 8 - Memphis - nov. 161 av. J.-C.


Dionysios, ami du roi et stratge, de la part de Ptolme, fils
de Glaukias, Macdonien, en retraite dans le Grand Serapeum
depuis 12 ans. Comme les balayeurs dont le nom est cit ci-aprs ne
m'ont pas peu fait du tort et qu'ils ont mis plusieurs fois ma vie en
danger, je cherche refuge auprs de toi, pensant ainsi obtenir mes
droits. La 21 anne, le 8 Phaphi [le 9 nov. 161 av.J.-C.], ils ont fait
irruption dans l'Astartion, l'intrieur du temple, dans lequel j'ai
pass en retraite lesdites annes. Et, certains avec des pierres la
main, d'autres avec des btons, ils essayrent de faire effraction dans
le temple sous un quelconque prtexte afin de le piller et de me
faire perdre la vie - et ce, bien que je sois grec 1Je les ai repousss
jusqu' la porte du temple, je l'ai ferme clef et, en criant, je leur
ai ordonn de se retirer calmement. Mais ils ne partirent pas.
Lorsqu'un certain Diphilos, un des servants retenus par Srapis,
exprima son indignation de voir comment ils se comportaient dans
un tel sanctuaire, ce n'est pas peu qu'ils le bousculrent, le maltraitrent et le battirent: leur violence sans loi clata aux yeux de tous.
Car ces mmes personnes me traitrent de faon similaire en
Phaphi de la 19 anne [nov. 163 av.J.-C.] etje t'ai envoy une ptition l'poque qui eut pour rsultat qu'ils ne furent pas rprimands et grandirent en mpris. Aussi je te le demande, si cela te semble
bon, d'ordonner qu'ils soient conduits devant toi, afin qu'ils puissent
subir la punition approprie. Porte-toi bien.
[Le nom des accuss est cit ensuite:] Mys le vendeur de tissu, Posnays
le portefaix, Imouths le boulanger, Arembasnis le vendeur de
grain, Stototis le porteur, Harchbis le mdecin, Po [ ... ] os le tisserand et d'autres dont je ne connais pas le nom [ ... ]

Un sentiment d'appartenance nationale a beaucoup jou, en


dpit des protestations des rois. Les gyptiens, fi.ers de leur histoire

179

et de leurs ralisations, ne devaient pas goter les privilges de ces


parvenus de Grecs 1 Peut-tre Ptolme s'tait-il montr un peu
trop hautain. En tout cas, il avait un tort : il vivait dans le sanctuaire d'Astart, une desse trangre l'gypte, ce qui explique
le dsir qu'ont eu les balayeurs de le piller. Astart, en effet, tait
la desse phnicienne de la fcondit, qui fut souvent assimile
la desse babylonienne Ishtar et mise en parallle avec une forme
sauvage de la desse grecque Aphrodite.

XII
PAPYRUS MAGIQUES ET ASTROLOGIQUES

Dans !'Antiquit, l'gypte n'est pas uniquement clbre pour


son bl et pour ses fastes : on la connat galement comme une
terre de magie. Avec la Chalde (Babylone) et la Thessalie, elle
passe pour une contre fuligineuse, peuple de sorciers et de magiciens. L'gypte ressemblait un peu l'cosse de Shakespeare, les
Carpates du Romantisme ou l'Hati des temps modernes : un
pays fascinant mais dangereux, o il ne fallait pas se promener la
nuit. La principale desse des gyptiens, leur Isis. bien-aime, ne
la considrait-on pas comme la reine des magiciennes ? N'avaitelle pas ramen la vie son mari Osiris par les artifices de sa
ncromancie ? Et comme pour confirmer le fait, on a retrouv en
gypte une foule de tmoignages magiques ...
. Papyrus, plaques de plomb, ils couvrent tout le champ des oprations occultes. On passe de la magie sommaire - se protger
contre le mauvais il ou les maladies banales - des incantations
majeures : se susciter un assistant dmoniaque, s'attacher un fantme pour lui faire accomplir certaines tches, se protger contre
les menes de la desse des Enfers. On passe galement d'une
magie protectrice - que l'on pourrait nommer magie blanche
- une magie malfique, la magie noire .
Commenons par la petite magie, les petites formules, les
amulettes, le sympathique attirail du sorcier de village.
181

n113
UNE FORMULE MAGIQUE

P. Lond. 121 = PGMvn, 661-663


Charme d'amour. Dans la conversation, pendant que tu embrasses
avec passion, dis : Anok tharnpibatha chouchcha anoa anok charimochth lalam.

Voil une manire conomique de s'attacher quelqu'un: une


petite formule magique glisse dans la conversation suffit transformer sa bien-aime en femme dsesprment amoureuse.
Voici quelques autres recettes, plus coquines :
n114
DES RECETTES MAGIQUES

P. Yale 134 = Suppl. Mag. 76


Il tombera et ne bandera plus : enduis-toi les reins avec de lacervelle de raie lectrique.
Pour lever quelqu'un aux bains : presse la tique d'un chien
mort contre tes reins.
Pour baiser une femme : enduis tes parties gnitales avec le jus
d'une thapsie [une plante jaune].
Pour crer un pugilat durant un banquet : jette une pierre mordue par un chien au milieu.
Pour rendre doux un vin aigre : jette des petits cailloux brlants
dedans.
Pour bien baiser: bois l'avance du jus de cleri et des graines
de roquette.

S'agit-il de vritables recettes ou d'une simple collection de


prjugs ? On retrouve dans ces prescriptions grillardes davantage de petites mthodes que de secrets surnaturels. Ainsi la raie
lectrique tait-elle clbre pour empcher l'rection, alors que
la thapsie, le cleri et la roquette taient censs la favoriser. La
tique jouait un rle fantasmatique dans la sexualit. Il faut noter
que, dans la pense antique, le sige du dsir sexuel se trouvait
localis dans les reins.
n115
PETITES AMULETTES PARTIR D'HOMRE

BGUI026 = PGMxxna, 11-17

Port avec une pierre magntique, ou simplement prononc, sert


de contraceptif: Pourquoi es-tu n? Pourquoi n'es-tu pas mort
avant d'avoir pris femme ? cris cela sur un nouveau morceau et
attache-le avec des poils de mule.

182

Pour quelqu'un qui souffre d'lphantiasis, cris ce vers et


donne-le-lui porter : Une femme teint l'ivoire avec de la pourpre
phnicienne.

Pour se protger des dangers de la vie, les gyptiens multipliaient les amulettes et les talismans. Les talismans sont des objets
considrs comme extraordinaires car investis d'un pouvoir de
protection. Les amulettes, de sens plus restreint, sont des objets
censs prserver de la maladie ou du malfice. Comment confrer
ces objets ce pouvoir? La raret, une pierre particulire, une
forme trange peuvent suffire faire d'un caillou ou d'un bout de
bois une amulette. Mais souvent il faut davantage : une gravure,
une statuette ou des paroles magiques. Ce dernier cas est le
plus intressant: qu'est-ce qui fait qu'une parole peut devenir
magique? Dans l'exemple prsent, il ne s'agit que de citations
d'Homre issues del' Iliade (l. m, v. 40 pour le premier et 1. IV, v. 141
pour le second) qui ont un vague rapport avec ce qu'elles sont censes produire. Homre avait-il un statut particulier chez les magiciens ? L'engouement qu'il produit provient-il uniquement de la
musicalit des vers ?
n116
UNE AMULETTE CHRTIENNE

P. Amst. 26 = Suppl. Mag. 22 - IV" sicle ap. J.-C.


aPro La puissance aPro de Jsus-Christ aPro soigne Eremega que
porta Anilla, de toute maladie, mal de tte et des tempes, de la
fivre, et de la fivre avec des frissons.

On voit que les chrtiens n'taient pas non plus en reste de


recettes magiques, malgr la farouche interdiction des autorits
ecclsiastiques. Le monogramme du Christ (un rh encadr de l'alpha et de l'omga) sert de protection puissante contre la maladie.
n117
UN MODLE D'AMULETTE

P. Mick. 155 -

11

sicle ap.J.-C.

Phylactre : Grand dans les cieux, toi qui fais tourner le


monde, vrai Dieu, Ia, Seigneur, Matre de tout, Ablanathalaabla,
accorde, accorde-moi le pouvoir, la victoire. l'extrieur cris le
nom du grand dieu qui se trouve dans le phylactre et Protgemoi, moi que N engendra, de tout mal, moi que N porta.

183

Ce petit modle d'amulette nous en apprend beaucoup sur la


magie de l'poque. Elle n'tait pas en effet uniquement rserve
des lites de magiciens trs cultivs : des magiciens itinrants ou
de simples sorcires revendiquaient des pouvoirs et des malfices.
C'est sans doute l'un d'eux qui a recopi d'une main malhabile
ce petit modle (qui ne contient pas de nom de destinataire). Il
n'avait ensuite qu' le reprendre pour produire ses amulettes. Le
magicien devait tre peu prs illettr puisqu'il se trompe mme
sur le nom du dieu. Au lieu du fameux Ablanathanalba, dont l'un
des principaux intrts rside dans son caractre de palindrome,
il crit Ablanathalaabla , qui n'a plus rien d'un palindrome.
Peut-tre que cela marche quand mme ?
n118
FORMULES MAGIQUES

R Oxy. 3834 - Oxyrhynchos - m s.


Sur les scrtions [sminales], un bon charme : aprs avoir fait
l'amour, dis: J'ai vers le sang d'Abrathiaou dans la nature [<j>fot]
de Untel.
Un autre: Donne ton plaisir Untel ;je t'ai donn mon plaisir
Untel. Dans ton estomac j'ai vers le sang de Babraoth.
Pour voir un vrai rve. Au moment d'aller dormir, dis, aprs avoir
mang de la viande rituellement pure: En vrit par Neith, en
vrit par Neith, si j'ai du succs dans telle activit, montre-moi de
l'eau, et sinon du feu.
Un diminueur de colre. Va lui et dis : Ne sois pas en colre
contre moi, Untel, mais change ton cur. Je suis un dieu au ciel,
AphphouAxAbrasach. Mets fin ta colre, Untel, contre moi Untel.
Pour un charme de victoire contre un adversaire lgal.
Regardant le rayon du dieu, dis: Sisir Thianor Abrasach, apposetoi aujourd'hui Untel, parce qu'il est un adversaire du dieu.

Ces premires formules magiques nous accoutument l'usage


des voces magi,c, les formules magiques inspires de langues
trangres censes avoir une efficacit magique. Abrathiaou
constitue une variante de Abrathia et de Arbathia, ttrade de
Iao . Aphphou reprend le nom du 18 dcan gyptien etAbrasax
constitue l'une des voces magi,c les plus puissantes que l'on rencontrera au texte n 123. Sisir est le 30 dcan gyptien. Thianor
voque peut-tre le solaire Thnr.
Plus complexes, mais tout aussi traditionnelles, voici les
potions et les mixtures magiques (extrait du fameux Grand
papyrus magique de Paris, BN suppl. gr. 574).
184

n119
UN PHILTRE D'AMOUR

PGM IV, 2455-2464

Prends une musaraigne et noie-la dans l'eau d'une source,


prends deux scarabes lunaires et noie-les dans l'eau d'un fleuve.
Prends une crevisse, le suif d'une chvre tachete jamais saillie, de
la fiente de cynocphale, deux ufs d'ibis, deux drachmes de styrax
[une rsine], deux drachmes de myrrhe, deux drachmes de safran,
quatre drachmes d'herbes de Chypre italique, deux drachmes d'encens non coup, un oignon avec une seule pousse. Verse tout cela
dans un mortier avec la musaraigne et tout le reste et pile le tout
finement. Pour l'avoir sous la main en cas de besoin, verse le tout
dans une pyxide de plomb. Lorsque tu veux t'en servir, prends-en un
peu, fais chauffer du charbon, monte dans une chambre haute et

jette-le sur les braises pendant que tu diras la prire qui suit au lever
de la lune. Et elle viendra sur place. [La prire fait suite.]

Il ne faut pas attendre le Moyen ge et Tristan et Iseult pour voir


apparatre les philtres d'amour. Visiblement, sorciers et sorcires
de !'Antiquit savaient composer les recettes les plus saugrenues
pour parvenir leurs fins. L'accumulation des ingrdients, qui ne
saurait tre explicite parfaitement, rvle plusieurs dsirs: 1) La
raret: le suif de chvre non saillie, les ufs d'ibis, la fiente de
singe. 2) Le caractre liturgique suggr par des produits odorifrants: la myrrhe, l'encens, le styrax. 3) L'allusion phallique - il
s'agit d'un philtre d'amour- de l'oignon avec une seule pousse et
peut-tre de la chvre non saillie. 4) Le sacr: la musaraigne tait
un animal sacr (HRODOTE, Hiswires II, 67), l'instar du cynocphale, animal de Toth, de l'ibis, animal d'Anubis, du scarabe, animal du dieu-soleil R.
La recette qui suit (papyrus de Berlin P 5025 A-B) parat tout
aussi excentrique :
n120
FORMULE POUR DEVENIR INVISIBLE

PGMI, 247-262

Formule magique prouve pour devenir invisible : une bonne


mthode. Prends l' il d'un singe ou d'un cadavre mort d'une mort
violente et la plante Aglaophtis [la pivoine?]. [2' main: il veut
dire de la rose ]. Broie-les avec de l'huile de lys et pendant que tu
frottes de droite gauche, dis la formule suivante [en italique, copte]:
je suis Anubis, je suis Osiris-R, je suis Osor-Sorounier, je suis Osiris que
Seth dtruisit. Lve-toi, dmon infernal, I Erbth I Fobth I Pakerbth I

185

Apomps, qui que tu sois, moi Untel, je t'ordonne de m'obir. Et si


tu veux devenir invisible, frotte-toi le front avec la mixture et tu seras
invisible aussi longtemps que tu le voudras. Et si tu veux redevenir
visible, dplace-toi d'ouest en est et prononce cette formule, et tu
redeviendras percevable et visible tous les hommes. La formule est
Marmarith Marmariphng, rends-moi, Untel, visible tous les.
hommes, aujourd'hui, immdiatement, immdiatement, vite, vite.
Cela marche trs bien.

Le caractre biscornu de ces recettes ne doit pas nous faire


sous-estimer le pouvoir qu'elles avaient sur la croyance populaire.
Une ptition du ne sicle nous dfend de rabaisser ces croyances
au rang de simples enfantillages.
n121
UN GAS D'ENVOTEMENT

P. Mick. 424 - Caranis - 197 ap. J.-C.

Hirax, dit Nmsion, stratge du nome arsinote, district


d'Hraclide, de la part de Gemellus, dit Horion, fs de Gaius
Apollinarius, d'Antino. Seigneur, j'ai fait appel par ptition au trs
illustre prfet d'gypte, JEmilius Saturnius, l'informant de l'agression dontj'ai t victime de la part d'un certain Sotas, qui me mprisait cause de ma mauvaise vue et voulait prendre possession de mes
biens en usant de violence et d'arrogance.j'ai reu la rponse sacre
[du prfet] me conseillant de faire appel Son Excellence l'pistratge. Sotas tant mort dans l'entrefaite, son frre Julius, usant de la
violence qui les caractrise, a pntr sur des champs que je cultive
et en a emport une grande quantit de foin; en outre, dans l'olivaie qui m'appartient prs du village de Kerksoucha, il a coup et
vol des pieds secs et de la bruyre : j'ai appris ces larcins lorsque je
me suis rendu sur les lieux pour la rcolte. Il ne s'en est pas tenu l,
mais a de nouveau attaqu ma terre, accompagn par sa femme et
un certain Znas : ils ont apport avec eux un brphos Wp~oc;, un
porte-malheur], en voulant envoter mon fermier par malice, si
bien que celui-ci a abandonn son travail aprs avoir moissonn une
portion seulement d'une autre de mes parcelles; et ils ont fait la
rcolte pour eux. Ceci fait, je suis all voir Julius en compagnie des
officiels du village pour qu'ils servent de tmoins. De nouveau, de la
mme manire, ils ont jet contre moi le mme brphos, avec l'intention de m'envoter par malice, en prsence de Ptsouchos et de
Ptollas, Anciens de Caranis qui font aussi office de cmogrammates
[scribes de village], et de Socras, leur assistant. Et en prsence des
officiels, Julius, ayant fait les rcoltes qui restaient, rapporta le brphos
chez lui. J'ai fait enregistrer s~s exactions par les mmes officiels et
par les percepteurs de l'impt en bl du mme village. C'est pourquoi je suis contraint de prsenter cette ptition et de demander

186

qu'elle soit enregistre afin de conserver le droit de plaider contre


eux devant Son Excellence l'pistratge, propos des outrages commis par eux et pour les taxes payer au Trsor imprial sur ces
champs, parce qu'ils ont frauduleusement coup la moisson.
[2' main] Gemellus alias Horion, g d'environ 26 ans, qui a mauvaise vue.
[3' main] La 5 anne de Lucius Septimius Severus Pius Pertinax
Augustus [Septime Svre], 27 Pchon [22 mai 197].

Tout ce qui prcde apparat comme gesticulations de petit magicien. Dans les documents d'gypte, on trouve les textes d'une magie
beaucoup plus impressionnante. Pour avoir le droit de la pratiquer,
il convient d'abord de devenir un vrai magicien. Le papyrus de
Berlin nous renseigne :
n122
COMMENT ACQURIR UN ASSISTANT DMONIAQUE

PGMI, 1-42

Acqurir un dmon comme assistant : il te dira tout explicitement, il vivra, mangera et dormira avec toi.
Prends donc ensemble deux de tes ongles et tous les cheveux que
tu as sur la tte. Prends un faucon circen et rends-le dieu dans le
lait d'une vache noire, auquel tu auras ml du miel attique.
Ensuite, lie-le avec une pice d'toffe incolore [cd pure], mets prs
de lui les ongles et les cheveux, prends du papier royal, cris dessus
ce qui suit l'encre de myrrhe, mets-le avec les ongles et les cheveux
puis enduis-le avec de l'encens non coup et du vin trs vieux.
Voil ce que tu criras sur le papier : a ee 111111 tttt 00000 uuuuuu
oxocooxocococo. Mais cris-le en le disposant sur deux colonnes :
a
cocococococococo
'\)'\)'\)'\)'\)'\)
ee
00000
111111
tttt

tttt

111111
'\)'\}'\)'\)'\)'\)
ee
cocococococooxo
a
Prends le lait avec le miel et bois-le avant que le soleil ne se lve,
et une chose divine sera dans ton cur.
Prends le faucon, pose-le dans un temple fait en genvrier, couronne ce mme temple, places-y un repas de denres sans me [vgtales ?] , et tiens prt du vin trs vieux. Avant de te coucher, fais une
prire devant ce mme oiseau en lui offrant un sacrifice comme le
veut la coutume et dis cette prire : a ee 111111 tttt 00000 uuuuuu
COOXOCO(J)O)(J)O), viens chez moi, bon agriculteur, Agathos Damn [bon
gnie] Arpon Knouphi Brintathn Siphri Briskylma Arouazar Bamesen Kriphi
Niptoumichmoumaph, viens moi, saint Orion, toi qui demeures au
00000

187

nord, qui roules les flots du Nil et qui les joins la mer, en y mlant
[la vie] comme le fait le sperme de l'homme dans la vie sexuelle, toi
qui as difi le monde [sur une base] indestructible, qui es jeune le
matin et vieux le soir, toi qui passes le ple qui es sous la terre et qui
te lves en soufflant le feu, qui as spar les mers en un mois, qui
mets sans cesse ton sperme dans le figuier sacr d'Hermoupolis. Tel
est ton vrai nom : Arbath Abath Bacchabr.
Mais en partant, sois sans souliers et marche reculons, commence le repas de vivres et de tout ce qui a t prpar, en approchant ton visage de son visage comme le compagnon du dieu. Ce
rite exige une puret totale ; cache, cache le rite et abstiens-toi de
relations avec une femme pendant sept jours.

Pour devenir un .vrai magicien, on ne saurait agir seul. Il


convient de s'attacher les services d'un assistant dmoniaque,
nomm pardre, qui accomplira les tches qu'on lui demandera.
Ce rite permet de se faire un nouveau compagnon qui, comme
l'indique le papyrus lui-mme, vivra en permanence avec le magicien, tout en lui transmettant les nouvelles du monde divin ( il te
dira tout explicitement, il vivra, mangera et dormira avec toi ).
Pour excuter ce rite, il faut tout d'abord consacrer un objet qui
reprsentera le pardre, ou plus exactement, selon la comprhension antique du rle des statues et des objets sacrs, sera le pardre.
Pour cela, il suffit de noyer un faucon dans du lait de vache noire et
du miel. Le symbolisme de la mixture parat assez clair : le lait est un
symbole d'immortalit, tandis que le miel, qui s'y associe habituellement (et pas uniquement dans la Bible : dans le Thda ou dans les traditions celtes), marque la douceur et l'opulence. Le meurtre rituel,
qui prsente une terrible transgression car le faucon demeure un
animal sacr, consomme la rupture avec les usages communs qui est
le propre du sacr. Ensuite, le faucon mort est associ aux ongles et
aux cheveux, manation du sorcier : le rapprochement de ces prolongements sui generis du corps avec l'animal sacrifi symbolise le
rapprochement du magicien avec son pardre. Le papyrus magique
sur lequel se trouve la formule renforce le lien entre les deux. Celle. ci joue uniquement sur le caractre graphique et sur les voyelles.
Enfin, le faucon est emmaillot comme une momie et oint
d'encens et de vin vieux. Il reoit le mme traitement que les
momies et les statues divines : il devient dieu .
La seconde tape est celle du rituel proprement dit, qui a pour
but d'assurer le compagnonnage du sorcier avec son pardre. Ce
rituel s'accomplit en trois temps.
188

1. Le premier temps est d'assimilation: en buvant le mlange


de lait et de miel qui fut le lieu du meurtre du faucon, le magicien
s'assimile la divinit - une chose divine est dans son cur. Il y
a d'autres parallles de cette ingestion transformante : pour devenir prophte, zchiel mange un livre.
2. Le second temps est de vnration. Ayant dress un temple
la statue/ symbole du dieu, on lui prsente des offrandes (des
lgumes et des fruits ainsi que du vin) et on lui adresse une prire.
Celle-ci rvle quelle est la divinit dont on demande le compagnonnage : rien de moins que le soleil. Le dieu qui est jeune le
matin et vieux le soir, qui passe le ple souterrain et qui se lve en
soufflant le feu voque videmment le soleil, R dans la mythologie gyptienne, Hlios en grec. Il provient des flots de l'origine
et cre par masturbation les dieux d'Hermoupolis. D'ailleurs, le
faucon Horus a toujours t associ R sous la forme RHorakhty et il se voit ici vnr sous une forme d'Horus agathos
damon ( bon gnie ) .
3. Le troisime temps est de compagnonnage. Aprs s'tre retir,
le sorcier revient pour manger les offrandes en tte--tte avec le
dieu. On voit qu'il s'agit galement ici d'un rite de sparation.
Alors que les humains se retirent aprs avoir accompli le rituel
pour revenir au monde quotidien, le sorcier, dsormais l'gal des
dieux, se rapproche et mange avec son nouveau compagnon.
Comme tous les rites, celui-ci doit tre tenu secret : cache,
cache le rite, exhorte le papyrus. En effet, la magie doit tre un
mystre. Les derniers mots, abstiens-toi de relations avec une
femme pendant sept jours, sont classiques dans les rituels: il s'agit
une fois de plus d'un moyen de se sparer du monde quotidien,
d'en refuser les usages. Le magicien se pose avant tout en marginal.
Une fois devenu magicien, il est grand temps de se lancer dans
des exercices beaucoup plus prilleux comme la confection de

defixio.
n123
UNEDEFIXIO

P. Mick. 757 - origine inconnue - m-IV' sicle ap.J.-C.


(tablette de plomb)
[La tablette se prsente en 10 blocs de textes, dont deux conservent un
texte intelligi,ble. Les autres sont prsents en triangle ou en colonnes. On les
numrote conventionnellement par A, B, C... ]

189

[A]

iaeropa<J>peveouvo81;\,ap111:p1<1>1aeuem<J>1p11:1pa18ovuoevep<1>aProea1
aeropa<J>peveowo8tapt11:pt<J>iaeueat<l>tp11:tpa18ovuoevep<J>aProea
eroPa<1>peveouvo8tap111:pt<J>iaeuea1<1>1p11:tpa18ovuoevep<1>aProe
roPa<J>peveouvo0taptKpt<J>taeuem<J>tpKtpat0ovuoevep<J>aPro
Pa<1>peveouvo8tap1Kpt<J>taeueat<1>tpKtpa;\,18ovuoevep<1>aP
a<1>peveowo81;\,aptKpt<J>taeuea1<1>1pKtpa;\,18ovuoevep<1>a
<J>peveowo8tap1Kpt<J>taeuem<J>tp11:1pa18ovuoevep<1>
peveowo0taptKpt<J>iaeueat<!>tpKtpat0ovuoevep
eveouvo0t;\,ap111:p1<1>1aeuem<1>1pKtpa18ovuoeve
veouvo0taptKpt<J>iaeuem<J>tpKtpat0ovuoev
eouvo0taptKpt<J>iaeueat<J>tpKtpat0ovuoe
owo0taptKpt<J>taeuem<j>tpKtpat0ovuo
ouvo81;\,ap1Kpt<j>taeuem<j>tpKtpa18ovuo
wo81aptKp1<j>1aeuem<j>tpKtpa18ovu
vo8taptKpt<J>iaeueat<j>tpKtpat0ov
o0taptKpt<j>iaeuem<j>tpKtpat0o
0taptKpt<j>taeuem<j>tpKtpat0
taptKpt<J>iaeuem<J>tpKtpat
aptKpt<j>taeuem<j>tpKtpa
aptKpt<j>taeuem<j>tpKtpa
ptKpt<j>iaeuem<j>tpKtp
tKpt<j>ta'Uat<jltpKt
Kpt<j>iaeuem<j>tp11:
pt<J>ta'UEat<j>tp
1<j>iaeuem<j>1
t<j>iaeuem<j>t
<j>iaeuem<j>
taeuem
aeuea
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[E]
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'UlOO'Jl
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aKpaaxaapet
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11t
'UCl'UCltO
'Ut
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'U011111
aKpaaxaap
11t
taO'U
ua
aKpaaxaa
1111
tarot
tO
aKpaaxa
11e
taoao
ta
aKpaaxa
111
'U'UOt
roro
aa
aKpaax
ll'Utt
aKpaa
Kpa
aKpa
[D]
[F]
Kpa
B11t0'UOO
OO'U0111<l
KP
E11tO'U
'U0t11E
(ll\'.
0111
111
a
t
t

190

Ul a~epaev0roouep0eavae0pe:uoro0veape~a. Je dpose
devant vous ce sort (Katafoo), dieux des Enfers, Pluton, CorYesemmigadn [Isis la Grande ?] , Cor-Persphone-Ereschigal,
Adonis alias Barbaritha, Herms l'Infernal-Toth Phkensepseu
Earecthatou Misonctach, Anubis le Puissant Psriphtha qui tiens les
clefs de !'Hads, esprits (airov) infernaux, dieux et desses morts
prmaturment, jeunes gens et jeunes filles, anne aprs anne,
mois aprs mois, jours aprs jours, nuits aprs nuits, heures aprs
heures.Je vous adjure, vous, tous les esprits de ce lieu, d'assister cet
esprit du mort (veKuatrov).
Lve-toi pour moi, Esprit du mort, qui que tu sois, mle ou
femelle, et va dans tous les lieux, dans tous les quartiers, dans toutes
les maisons, pour lier Copria, que sa mre Tasis engendra, dont tu
as les cheveux de la tte, Ailourion, qu'engendra une mre du
nom de Copria, afin qu'elle n'ait plus de rapports anaux ou vaginaux et qu'elle ne puisse plus donner de plaisir un autre jeune
homme ou un autre homme qu'au seul Ailourion, qu'engendra
une mre du nom de Copria : qu'elle ne puisse plus ni boire, ni
manger, ni trouver le sommeil, ni aller bien, ni trouver la paix de
l'esprit ou de l'me, dans son dsir pour Ailourion, qu'engendra sa
mre Copria,jusqu' ce que Copria, qu'engendra une mre du nom
de Tasis, dont tu as les cheveux, surgisse, brlante [de passion], de
tous les lieux et de toutes les maisons, et coure vers Ailourion qu'engendra une mre du nom de Copria; qu'elle aime, qu'elle adore, de
tout son esprit et de tout son souffle, d'une passion rotique incessante, perptuelle et constante, Ailourion, qu'engendra une mre
du nom de Copria, avec un amour divin, depuis ce jour, depuis cette
heure, jusqu' la fin de sa vie elle, Copria.
Car je t'adjure, Esprit du mort, par son nom terrible et
effroyable, lui dont le nom fait s'ouvrir la terre, lui dont le nom fait
trembler les Esprits de peur, lui dont le nom fait s'agiter les fleuves
et les mers, lui dont le nom fait se fendre les rochers : par le nom
d'Adona Barbaritham Barbarithaam Chelombra Barouchambra,
par le nom d'Abrasax Ambrath Ssngn Barpharangs, par le nom
de Ia Sabath Ia Pakenpsth Pakenbrath Sabarbatiath
Sabarbatian Sabarbapha Mari Marmarath le Glorieux, par le nom
d'Ouserbenth, par le nom d'Ouserpat, par le nom de Marmarayth
Marmarachtha Marmarachthaa Amadra Maribth.
Ne dsobis mes ordres, Esprit du mort, qui que tu sois, mle ou
femelle, mais lve-toi pour moi et va dans tous les lieux, dans tous les
quartiers, dans toutes les maisons, et lie Copria, que sa mre Tasis
engendra, dont tu as les cheveux de la tte, Ailourion, qu'engendra
une mre du nom de Copria, afin qu'elle n'ait plus de rapports
anaux ou vaginaux et qu'elle ne puisse plus donner de plaisir un
autre jeune homme ou un autre homme; qu'elle ne puisse plus ni
boire, ni manger, ni trouver le sommeil, ni trouver la paix de 1'esprit
ou de la pense, dans son dsir perptuel, de jour comme de nuit,
191

pour Ailourion, qu'engendra une mre du nom de Copria; qu'elle


aime, qu'elle adore, de tout son cur, de tout son souffle et de tout
son esprit, elle, Copria, dont tu as les cheveux ; qu'elle aime d'un
amour divin jusqu' la mort Ailourion, qu'engendra une mre du
nom de Copria. Maintenant, maintenant, vite, vite. [Suivent 5 lignes
de caractres magi,ques et de voyelles.]
[K] [En haut gauche] co ... roa11rocnuauerotaero Marza Maribth. Ne dsobis pas mes ordres, Esprit du mort, qui que tu sois,
mais lve-toi pour moi et va dans tous les lieux, dans tous les quartiers, dans toutes les maisons pour amener Copria, qu'engendra sa
mre Tasis, Ailourion, qu'engendra une mre du nom de Copria,
brlante, embrase, se liqufiant dans son me, son esprit, sa fminit; qu'elle aime d'un amour divin Ailourion, que porta une mre
du nom de Copria, jusqu' la mort. Maintenant, maintenant, vite,
vite.
Moi je suis Barbadnaa Barbadna, qui cache les toiles, qui
prserve les cieux, qui tablis le cosmos en vrit, latthoun,
latroun, Salbiouth, Ath, Ath, Sabathiouth, lat'therath, Adonaa,
Ishtar la Syrienne, Bibibe, Bibiouth, Natth, Sabath, Aanapha,
Amourachth, Satama, Zeus, Atheresphilay.

S'il est un acte magique important dans l'gypte romaine, c'est


bien la defixio (en grec Ka-taMcro), cette sorte de vaudou grec
et gyptien avec des influences hbraques et babyloniennes.
Comme son nom l'indique - il vient de KamMro qui signifie
attacher fortement, arrimer -, il s'agit d'une pratique
magiqtte permettant de lier une personne, de 1' emprisonner dans
des rets magiques, d'en faire le jouet du sorcier. crite sur une
tablette de cire, un morceau de plomb ou un papyrus, la defixio
tait dpose, souvent accompagne d'objets appartenant la victime, dans la tombe d'une personne dcde d'une mort violente
ou prmature. L'esprit du dfunt, nomm VEKuairov, que sa
mort non naturelle faisait errer comme une me en peine, devenait ainsi comme un serviteur du magicien, qui le faisait agir sa
guise. Par cet intermdiaire dmoniaque, le sorcier influait sur le
cours d'un procs, bouleversait un commerce, ou, comme ici, forait une jeune fille aimer passionnment un jeune homme. Les
cheveux, rognures d'ongles ou effets personnels ne sont pas utiliss, comme dans le vaudou, pour raliser un substitut de la personne, mais servent d'indicateur 1' esprit, pour qu'il ne se trompe
pas de cible.
La defixio prsente une structure complexe, dans laquelle on peut
reprer deux types de textes : des suites de lettres, accumulation
192

sans rime ni sens ou transcriptions de l'gyptien, de l'hbreu ou


de l'aramen et des invocations. Les suites de lettres sont des voces
magfr, des mots magiques : ils renforcent, par leur prsence,
le pouvoir de la de.fixio. Les invocations sont des adjurations: elles
prcisent ce que le magicien veut voir s'accomplir. Dans notre
texte, il y a huit sries de voces magfr et deux adjurations.
Commenons par analyser les huit voces magi,c. La premire
(A), dispose en triangle, forme un palindrome. Il porte le nom
du Dieu juif, Yahv, transcrit Ia. Suit un qualificatif qu'un
savant allemand 1 a identifi comme de l'gyptien : Baphrenemou
Nothilaric Kriphiay. Cela signifierait celui qui porte le nom
secret, le Lion de R, assur dans son sanctuaire. Si la premire
partie de l'expression pourrait tre hbraque - on sait que le
nom du Dieu d'Abraham et de Mose, YHWH, tait secret -, la
seconde mlange allgrement les religions puisqu'elle assimile
Yahv au dieu-soleil gyptien, R ou R. (C) et (E) sont deux invocations, allant souvent de pair, assez obscures. Le palindrome
Ablana-th-analba pourrait tre de l'hbreu et signifierait Pre,
viens nous (comme le pensait Gerschom Scholem). Acrammachamari, galement de l'hbreu, pourrait signifier protge-moi,
moi amulette. (B), (D), (F), (G) et (H) sontdesvoyellesdisposes
en lignes ou en triangles palindromiques. On pensait que les sept
voyelles reprsentaient les sept plantes de l'horoscope.
Intressons-nous maintenant aux adjurations et, en premier
lieu, la grande adjuration (J). La premire partie convoque les
dieux et les esprits qui serviront de tmoins et d'auxiliaires l'esprit du mort pour accomplir sa tche. Elle dbute par un nouveau
palindrome, trs rpandu, qui est souvent li au Dieu juif Yahv et
l'gyptien Seth. Suivent les noms des dieux: 1) Pluton, le dieu
grec des Enfers. 2) Cor, la desse des moissons, souvent associe
aux desses chthoniennes. Elle s'associe ici une certaine
Yesemmigadn, qui pourrait tre Isis la Grande, la desse gyptienne au pouvoir souterrain, Persphone, la reine des Enfers
grecs, et Ereschigal, la redoutable desse babylonienne des
morts. 3) Adonis, le berger ressuscit par Aphrodite, souvent
affect l'Hads, qui est qualifi de Barbaritha, un mlange d'hbreu et d'aramen qui pourrait signifier Tu es quatre (arba) ,
1. Toutes les rfrences proviennent de l'ouvrage de David Martinez, cit
en bibliographie.

193

quatre reprsentant le ttragramme (les quatre lettres) du


nom sacr de Dieu, YaHVeH. 4) Herms, le dieu grec des carrefours, des marchands et des voleurs, qui avait peu peu tendu
son domaine d'action sur les mondes et les critures cryptiques
(d'o le terme hermtique). Il s'adjoint son quivalent
gyptien, le dieu Toth, qualifi de Phkensepseu Earecthatou
Misonctach. Seule la premire partie de ce qualificatif a t
dcrypte : ce serait une expression gyptienne signifiant porteur
d'pe. 5) Le dieu des funrailles gyptien, Anubis, le dieu tte
de chacal. Il est li Psriphtha, que l'on pourrait interprter
comme Sha (le dieu gyptien de la destine)-R (dieu soleil)-Ptah
ou Fils de R-Ptah. Dtenteur des clefs de l'Hads, on l'assimile
l'un des trois juges grecs des Enfers (os, Minos et Rhadamanthe) : le rle qu'il tenait dans la mythologie gyptienne se
rapprochait en effet de celui de ces derniers. Ensuite, l'invocation
convoque les Esprits des morts. Comme nous l'avons dit, il s'agit
avant tout des esprits des hommes morts avant terme, sans spulture, morts de faon violente: n'ayant pas eu la chance d'avoir une
bonne mort, ce sont les auxiliaires des Enfers.
Assur de l'assistance des dieux et des esprits, le sorcier peut
maintenant s'adresser son mort pour qu'il accomplisse ce
qu'il demande. Il l'adjure de partir la recherche de Copria, la
fille de Tasis. La mention du gniteur, trs administrative, a de
quoi surprendre : habituellement, on nomme le pre. Peut-tre
s'agit-il d'une faon de se dmarquer, de se sparer du monde
habituel (ce qui est le propre de la magie) ; peut-tre s'agit-il d'un
got de la prcision plus grand que dans l'administration; aprs
tout, si l'on connat la mre, comment savoir qui est le vrai pre?
Il ne faudrait pas que le dmon se trompe de cible ...
Le bouleversement amoureux qu'Ailourion, le demandeur
(qui n'est pas forcment le sorcier), veut voir s'oprer en Copria
est assez romanesque. Plus prcisment, il emprunte la littrature tous les poncifs de l'amour draisonnable : l'absence de dsir
(dcrite de manire assez prcise), la perte du boire et du manger, l'agitation perptuelle et jusqu' la mtaphore du feu brlant
de la passion se trouvent aussi bien dans la littrature romanesque
(Achille Tatius, Hliodore) ou dramatique (Euripide) que dans
les traits mdicaux (Galien).
Pour contraindre l'esprit, le magicien fait usage ensuite d'une
premire menace : utiliser un nom trs puissant, terrible et
194

effroyable. La croyance au pouvoir du nom secret d'un dieu traverse !'Antiquit: connatre ce nom permettait de profiter du
pouvoir de ce dieu. Aussi la magie antique (et celles qui l'ont suivie) use-t-elle, voire abuse-t-elle, de l'usage de ces noms puissants:
elle les inscrit sur des amulettes pour leur donner du pouvoir, les
fait rciter dans des prires, profrer devant des dieux ou des
dmons. Plusieurs noms sont numrs par le magicien: 1) Adona, l'autre nom (prononable) de Yahv dans la religion juive. Il
s'assortit de Barbaritham (voir plus haut) et de Baruch ( bni de
Dieu en hbreu). 2) Abrasax qui rappelle le chiffre 4 du ttragramme, mais qui peut tre aussi interprt comme une forme
grcise de Ha Brachah, la bndiction , ou bien une contraction du grec abros sa, le beau sauveur. Ce mot mystrieux a pu
recevoir bien d'autres interprtations, car il connut une immense
fortune, tant chez les gyptiens que chez les Romains (qui l' crivaient Abraxas, ce qui a peut-tre donn abracadabra, autre palindrome) : on le retrouve sur nombre d'amulettes et dans des crits
gnostiques. Il s'appelle galement Sesengen Bar-Pharangs que
l'on pourrait lire Sesengen, fils de Pharangs , le nom d'un
dmon (G. Scholem). 3) Ia Sabath, l'un des noms de Dieu dans
la Bible (Yahv Sabath, le dieu des armes). Il est assorti d'une
srie de noms obscurs, ainsi que de Marmarath, seigneur des
seigneurs , nom que portent les anges du 24e et du 29e dcan.
4) Ouser-Bentth et Ouser-pat. Ouser voque Osiris, le dieu
gyptien, et il est appel ba des dieux (vie des dieux) et fort.
Encore une fois, on constate l'extraordinaire mlange des
croyances, des religions, des anglologies et dmonologies, qui
informe la magie gyptienne.
Fort de ce nom et de la menace qu'il reprsente, le sorcier
peut rappeler l'esprit tout ce qu'il entend qu'il fasse. Il conclut
par la formule maintenant, maintenant, vite, vite , qui termine
la plupart des adjurations. Sans doute pour renforcer son propos,
il ajoute une srie de caractres magiques et des lettres.
Par l'adjuration (K), le magicien rpte sa menace. Il utilise la
forme Moi je suis , qui caractrise les rvlations divines (en
particulier dans le judasme et le christianisme), mais galement
des lgitimations de pouvoir (chaque fois que les dieux sont censs se manifester dans les hommes : les rois dans les proclamations, les dfunts dans le Livre des Morts, etc.). Le magicien
lgitime ainsi sa menace en se revtant de la puissance du dieu,
195

en affirmant que le dieu se manifeste en lui. Il se rvlle un dieu


fort, capable de menaces aussi terrible que dclencher l'apocalypse (cacher les toiles est typique des Apocalypses juives) et fonder le monde (pouvoir rserv Yahv, cf. Proverbes 3, 19). Il
numre ainsi les noms des dieux les plus puissants, parmi lesquels
on reconnat Adona, Sabath/Ath, Ishtar la terrible desse babylonienne, Aia (une forme du nom divin Yahv), Haracht (Horus
de l'horizon, un des noms du dieu gyptien Horus), Satan et,
enfin, Zeus Gupiter), le dieu suprme des Grecs.
Franchissant un pas supplmentaire, le magicien peut s'attaquer ensuite directement aux dieux. Une reprsentation de
thtre montre comment s'y prendre.
n124
UNE MAGICIENNE DE THTRE

PGL 1214- r s. ap.J.-C.

Pose la table comme cela. Mets un peu de sel dans ta main et


du laurier autour de te~ oreilles. Maintenant, va vers le foyer et
assieds-toi. Toi, donne-mf i l'pe. Apporte ici le chien. H, o est
le bitume ? - Le voici. - rends le cierge et l'encens. Allez, ouvrezmoi en grand ces port s. Vous, fixez-les des yeux. teignez les
torches, comme cela. aites maintenant silence, pendant que
moi, je lutte pour elles. Matresse, voici tes offrandes irrprochables [ ... ]

La figure de la magicie ne, matresse femme inquitante mais


haute en couleur, pass bien au thtre. La voici encore
l' uvre dans ce petit fra ment anonyme. On y trouve tous les
poncifs qui nous convain uent que les fes Carabosse ne datent
pas de Perrault. Un rituel e gurison va tre accompli. Pour librer des femmes de l'influ nce d'Hcate, la sorcire recommande
ses patients de se pr tger avec du sel et du laurier pendant
qu'elle excute une pur9cation avec du bitume, de l'encens et
un cierge. Un chien estJur le point d'tre sacrifi la desse
malfique, pendant que l' n ouvre toutes grandes les portes la
pleine lune, afin de la lais er entrer. Le fragment s'interrompt au
moment o la magicienn commence son incantation.
Que peut-:elle bien lui ire ? On a retrouv certaines formules
dire pour pousser les di ux agir. Nous retrouvons le Papyrus
de Paris.

196

n 125
UNE DIABOL

PGMIV, 2475-2496

Je vais te rvler les calomnies (w~o.~) de cette sclrate et


sacrilge Unetelle ; car elle a fait connatre aux hommes tes saints
mystres, afin que les hommes les connaissent. C'est elle, Unetelle,
qui a dit, et non pas moi: J'ai vu comment la grande desse a
quitt le ple cleste pour aller vers la terre, avec une seule sandale,
un glaive, et en criant un nom absurde. C'est elle qui a dit: je
vois la desse boire du sang. C'est Unetelle qui a dit, et pas moi:
Aktiphi, Ereschigal Neboutosoualth, phorphorba, Satrapammon
[Ammn roi], chorixin, Sarcophorba [bouffeuse de chair], va Unetelle et enlve-lui le sommeil, donne-lui une me brlante, mets
son esprit au supplice et fais-le souffrir, jette-la hors de tout lieu et de
toute maison et conduis-la moi, Untel. Aprs ces mots, fais acte
d'offrande, crie fortement, et descends en marchant reculons. Elle
va venir immdiatement: prends soin d'elle, sinon elle mourra.

Cette technique consiste jouer sur l'orgueil et la colre des


dieux pour les amener se venger de quelqu'un : on la nommait
diabol, accusation mensongre. Pour calomnier sa victime ou
dtourner sur un autre le courroux divin, le sorcier fait croire
Isis-Sln qu'une tierce personne a rvl les secrets de la desse,
une accusation souvent passible de mort, et surtout qu'elle prend
la desse pour une folle chevele.
Tous les tmoignages n'atteignent pas ces sommets de nuisance : la tche principale du magicien consiste prdire l'avenir.
Pour ce faire, il recourt aux techniques de l'art divinatoire.
n126
UNE TECHNIQUE DMNATOIRE.

P. Oxy. 886 - Oxyrhynchos - m s. ap. J.-C.

Grande est la matresse Isis. Copie d'un livre sacr trouv dans les
archives d'Herms. La mthode concerne les 29 lettres utilises par
Herms et Isis quand elle chercha son frre et mari Osiris. Invoque
le soleil et tous les dieux des cieux propos de tout ce sur quoi tu
veux recevoir un prsage. Prends 29 feuilles d'un palmier mle et
cris sur chacune des feuilles le nom des dieux, puis, ayant pri,
enlve-les deux par deux, et lis celle qui reste en dernier : tu trouveras en quoi consiste ton prsage et tu recevras une rponse claire.

Ce papyrus magique provient en ralit d'un recueil trouv dans


un temple ddi Herms, mais on ne sait ni dans quelles conditions, ni quel usage. Comme souvent dans les papyrus magiques,

197

il dbute par une invocation destine se concilier les forces


divines : ici, Isis, la grande desse gyptienne, qui reoit la
louange.
Vient ensuite le nom de la mthode : Les 29 lettres utilises par
Herms et Isis quand elle chercha son frre et mari Osiris. Le
mlange de la mythologie grecque (Herms, dieu du commerce et
des changes) et de la mythologie gyptienne (l'histoire d'Isis et
d'Osiris) ne doit pas surprendre. Les habitants de l'gypte grcoromaine pratiquaient une religion syncrtiste, qui mlangeait
cultes et mythologies. Ainsi, Herms, peut-tre assimil Horus,
s'associe-t-il la recherche d'Isis, qui retrouva les morceaux du
corps de. son mari Osiris, dpec par Seth.
La mthode divinatoire reprend une vieille technique omniprsente dans toutes les magies du monde.: la slection par le
hasard d'lments significatifs dont la combinaison donne la
rponse une question; il ne s'agit de rien d'autre que de tirer
les cartes 1 Aprs avoir confectionn lui-mme les cartes en
inscrivant les 29 lettres caractristiques de 29 dieux, le voyant est
invit retirer du jeu deux cartes par deux cartes. la fin, il
ne reste plus qu'une carte, cense donner la rponse la question
pose.
Hlas, le dtail de la technique nous demeure obscur: nous
ne connaissons pas le nom de ces vingt-neuf dieux. En outre, un
point particulirement crucial reste claircir : quelles sont ces
29 lettres, sachant que l'alphabet grec n'en compte que 24?
Aux marges de la magie, l'astrologie donne un visage beaucoup
plus officiel la divination. Hrite des Chaldens et transmise aux
gyptiens, elle se rvlait parfois extrmement technique. Grecs et
gyptiens paraissaient extrmement friands d'horoscopes en tous
genres, qui s'appuyaient sur des connaissances mathmatiques
souvent prcises 1
n127
UN HOROSCOPE
P. Oxy. 804 - Oxyrhynchos - 3 oct. 4 av.J.-C.
L'an 27 de Csar [Auguste], Phaphi 5 selon le calendrier augusten, vers la troisime heure du jour. Le soleil dans la Balance, la
lune dans les Poissons, Saturne dans le Taureau, Jupiter dans le

1. 0. NEUGEBAUER & H.B. VAN HOESEN, Greek Horoscopes, American Philosophical Society, Memoirs of the American Philosophical Society 48, 1959.

198

Cancer, Mars dans la Vierge, [Vnus dans le Scorpion, Mercure dans


la Vierge, le Scorpion au levant, le Lion au znith, le Taureau] au
couchant. Le Verseau mi-znith. Il y a des dangers. Prends garde
pour quarante jours cause de Mars.

L'astrologue-astronome qui a rdig cet horoscope obit la


rgle d'tablissement du genre : il cite avec prcision la date et
l'heure auxquelles il a observ le ciel, puis dcrit la position des
plantes dans le ciel et en tire une consquence pratique.
L'avertissement de prendre garde pour 40 jours s'explique par la
position de la plante Mars, cense apporter les soucis. En effet,
elle se trouve dans la position que les Anciens appelaient le bon
gnie, ici la Vierge, qui dcrit la bonne fortune de la personne
de l'horoscope, et ne pourra quitter ce signe zodiacal que dans
quarante jours. En outre, Mars se trouve en opposition avec la
lune, configuration particulirement dangereuse.
n128
UN HOROSCOPE DE NAISSANCE

P. Kellis#D/8/114 1 - Kellis (Oasis de Dakhleh) -10-11juillet292


L'an 8 de Diocltien, Phaphi 25 26 selon les gyptiens, ce qui
quivaut, selon les Grecs piph [16 17], la 7 heure de la nuit
[ = dans son milieu ?] , de la 6 indiction.
Horoscope dans le Blier, dans la maison de [N, x degrs]
Le soleil dans le Cancer, dans la maison de la Lune, 7
La Lune dans le Lion, dans la maison de Mercure, 4
Mars dans le Scorpion, dans la maison de Jupiter, 22
Mercure dans les Gmeaux, dans la Maison de Mars, 12
[Lune?] dans la Lyre, dans la maison de Mars, 25
Vnus en Sagittaire, dans la maison de Jupiter, 24
Beaucoup de fortune en Capricorne, dans la maison de Saturne,
27
Naissance du jeune Ploutianos.

D'aprs les calculs 2, on s'aperoit que l'horoscope porte sur la


nuit du 10-lljuillet 292. La date de naissance semble tre la septime de la nuit, soit environ minuit. Si l'on fait les vrais calculs,
on s'aperoit de nombreuses erreurs.

1. Temple du complexe de Tutu, aire D/8, chambre 8, Dpts 5 et 6.


2. T. DEjONG & KA. WoRP, More Greek Horoscopes from Kellis (Dakhleh
Oasis) >>, l'.eitschrift fr Papyrologi,e und Epigraphik 137, 2001, p. 203-214.

199

Texte
Horoscope
Soleil

Blier
Cancer, 7

Horoscope calcul
Blier, 25
Cancer 17

Lune

Lion, 4

Vierge, 9

Mercure

Gmeaux, 12

Lion, 10

Vnus

Sagittaire, 24

Mars

Scorpion, 22
Lyre, 12

Lion, 23
Cancer, 17

Jupiter?
Saturne
Pars Fortunce

Lyre, 25
Capricorne 27

Vierge, 26
Lyre, 1

Il y a de nombreuses erreurs dans cet horoscope. Seule la position de Saturne, de Jupiter et du Soleil est juste ; l'horoscope
semble tre galement bien calcul. En revanche, la position de
Vnus est astronomiquement impossible tandis que le calcul de
la pars fortun est impossible vrifier. Il y a galement des
erreurs dans les maisons.

QUATRIME PARTIE

Banalit et mystre:
les voix de la vie prive

Pntrant encore davantage dans l'intimit des habitants de


l'gypte, il faut maintenant lire les documents qui touchent ce
que les modernes nomment la vie prive, une notion qui n'a
pas d'quivalent dans l'Antiquit. Au milieu des comptes et des
feuilles d'impts, des proclamations et des ptitions, quelques
documents plus personnels ont survcu : des lettres particulires,
des messages intimes, des histoires prives, etc. Ils ne sont certes pas
les plus nombreux, mais indubitablement les plus troublants.
Ils nous permettent de voir l'ensemble de la socit l'ouvrage et fournissent quelques lments de rponse aux questions
suivantes : quelle place occupaient les femmes ? comment traitait-on les esclaves ? comment duquait-on les enfants ? quelle
attitude avait-on devant la mort ?
Hlas, plus on se rapproche de la sphre prive, plus le contexte
fait dfaut. Jusqu' prsent, on pouvait fournir quelques explications, clairer tel dtail par tel vnement historique ; dsormais, on dbrouille des nigmes. La vie des autres est d'une
dsesprante banalit, mais quand on cherche la comprendre,
elle conserve tout son mystre: n'oublions pas qu'en parfaits indlicats, nous ouvrons un courrier qui ne nous est pas adress 1

XIII

MILLE ET UNE ACTMTS,


MILLE ET UNE CONDITIONS

Ce premier chapitre parle davantage de la vie quotidienne que


de la vie prive. Il dresse le tableau d'une socit essentiellement
agricole, mais o les activits sont diverses, l'instar des conditions
sociales. Au cours des chapitres prcdents, nous avons rencontr
quelques reprsentants de ces couches sociales varies : prcisons
leurs activits et dcouvrons d'autres contemporains.

1. -

LES TRAVAUX AGRICOLES

Activit principale du grenier bl du monde mditerranen, l'agriculture. Znon (cf. chapitre V) et Menchs (cf. chapitre VI) nous y ont dj bien prpars. Mais voici des petites
demandes, toutes quotidiennes, qui ont chapp au cmogrammate [scribe de village] et l'intendant.
n129
'TRAVAUX AGRICOLES

Ostracon O. Mick. 91-Arsinote - m s. ap.J.-C.


Orion son frre lias, salut. Mme si j'tais loin, j'ai appris
l'empressement que tu as eu nous fournir les bufs pour les
semailles. Permets-nous, s'il te plat, de les garder trois autres jours
avant de te les renvoyer. Ordonne galement Eudamon de venir

203

prendre le fourrage chez Dionysios : je lui ai demand de me le


donner. J'ai confiance, mon frre, que tu ne me ngligeras pas. Je
prie pour ta sant, mon frre. La 2 anne, le 18 Tybi.

L'utilisation des bufs dans les labours et les semailles tait courante dans les terres rendues meubles par l'inondation. Ces animaux lourds ont en effet une grande force pour pitiner la terre,
ce qui permet de la labourer et de faire entrer les semailles. Mais
les bufs sont des animaux chers : on se les prte mutuellement,
on met en commun ses forces pour avoir davantage d'efficacit.
Encore aujourd'hui, dans certains pays d'Afrique ou d'Asie, de
telles pratiques sont traditionnelles : cette lettre aurait pu tre
crite Madagascar, o l'on utilise des omby (les zbus) que l'on se
prte les uns les autres pour fouler les rizires.
L'gypte ne cultivait pas que du bl, les gyptiens ne mangeaient
pas que du pain: Znon entretenait dj des vergers (if. n 48).
Outre les fruits, il faut aussi nommer les dates, les figues, les pistaches et les olives.
n130
DE~DE DE SURGEONS

BGU37 = Deijlmann 8 = Olsson 32 - Fayoum - 50 ap.J.-C.


Mystarion son cher Stototis, mille bonjours. Je t'ai envoy .
mon cher Blastos pour les btons fourchus pour mon oliveraie. Fais
en sorte de ne pas le retenir. Car tu sais combien j'en ai besoin
chaque heure.
[2' main] Porte-toi bien. La 2 anne de Tiberius Claudius Csar
Augustus Germanicus Imperator [Claude], le 15 Sbastos [13 sept. 50].
[Verso] Stototis, lesn [.l::crrov, chef de l'administration d'un
temple] dans l'le de ...

Voici une demande un peu moins claire. Mystarion envoie son


cher Blastos , probablement son esclave, pour qurir des
btons fourchus; Sont-ce des tuteurs? Sont-ce des surgeons?
Sont-ce des gaules ? Le sens de la requte de Mystarion demeure
mystrieux.
n131
IL FAUT ATTRAPER LES SOURIS

P. Oxy. 299=SP108=Hengstl107 = Olsson 77 - Oxyrhynchos 1' s. ap.J.-C.

Horus au trs honorable Apion, salut. En ce qui concerne


Lampon le chasseur de souris, je lui ai donn sur ton compte 8 dr.

204

pour qu'il chasse les souris Toca. Envoie-moi s'il te plat cette
somme. J'ai aussi prt 8 dr. Dionysios, le prsident de Nermera
et il ne me les a pas rendues : sache-le. Porte-toi bien. Le 24 Payni.

Dans les vignes et les vergers, les souris grignotent : on fait appel
un spcialiste de la dratisation. On ne sait gure comment il
procdait. Il n'est gure plausible de penser qu'il les charmait avec
une flte, comme dans le conte : employait-il des chats, des
piges? En tout cas, son service n'tait pas donn: 8 drachmes
permettaient d'acheter 48 pains et reprsentaient plus de huit fois
le salaire journalier d'un ouvrier.
n132
LAGUER LES OLMERS

P. Fay. 114=SP109 = Olsson 56 -Fayoum - 100 ap.J.-C.


Lucius Bellenus Gemellus son fisse Sabinus, salut En recevant
ma lettre, envoye-m si-te-plat Pindare le garde champtre (7tet.ocj>u.cx) de Dionysias en ville passque Hermonax m'a demand
qu'on l'envoie Kerksoucha pour qu'il inspecte ses oliviers.
Comme ils sont trop denses, il veu que ce soit lui qui coupe les
arbres pour que ceux qui vont tre coups le soient avec soin.
Envoie-le poion le 24 ou le 25 pour l'anniversaire de Gemmella.
Ne dlire pas propos de secouer tes arbres. Porte-toi bien. La
4 anne de !'Empereur Cresar Nerva Trajanus Augustus Germanicus
[Trajan], le 18 Choac.

Le vtran L. Bellenus Gemellus, qui passe une retraite active


dans le Fayoum, crit son fils pour qu'il lui envoie un garde champtre, le pdiophylax, apparemment expert en lagage. Le style est
grossier et l'orthographe l'avenant: nous avons essay de respecter l'un et l'autre pour garder sa saveur la lettre. Une petite allusion demeure obscure : pourquoi le lgionnaire interdit-il son fils
de secouer ses arbres ?
n133
COPIE D'UNE VENTE D'UNE NESSE 1
P. New York University inv. 38 - Oxyrhynchos - 28 novembre 198

Pallas, fils d'Hatrs et de sa mre [... ],de la cit d'Oxyrhynchos,


reconnat qu'il a vendu Hraceids, fils de Didyme [ ... ] et de sa
mre Hlna, d'Aphrodision dans la Petite Oasis, un ne femelle
1. Bruce NIELSEN & Klaas A. WoRP, New Papyri from the New York University
Collections II, Zei,tschriftfr Pafrjrol,ogje undEpigraphik 136, 2001, p. 125-144.

205

blanc, adulte, sans tache, pour un prix convenu de 320 drachmes


d'argent de la monnaie impriale, que Pallas fils d'Hatrs, le contractant, a reues dans son entier et sur-le-champ d'Hraceids et avoir
garanti [l'nesse]. Si quelqu'un s'en empare en s'en prtendant le
propritaire, le contractant le lui arrachera ses propres frais ou
rendra au dit Hraceids le prix susdit. Le contrat est valable.
L'an 7 de Lucius Septimius Severus Pius Pertinax [Septime
Svre] et de Marcus Aurelius Antoninus [Caracalla] Csares, nos
Seigneurs Augusti, le 2 du mois d'Hadrien.
Moi Pallas, fils d'Hatrs, ai vendu ledit ne et ai reu lesdites
320 drachmes d'argent comme il est garanti ci-dessus.
Moi Pasis, fils de Ploutarchos, de la cit d'Oxyrhynchos, l'ai
crit pour lui car il ne sait pas les lettres.

Autre petite lettre quotidienne: la vente d'un ne. Le prix de


320 dr. parat raisonnable pour cette poque, et correspond un
individu g de cinq ans. Les nes valaient cher : 320 dr. correspondent un an de salaire d'un ouvrier et, prcision curante
pour les modernes, au prix d'une petite esclave de deux ans. En
effet, l'ne tait un animal rentable, utilis pour le transport des
hommes et des marchandises. On l'utilisait surtout comme animal de bt et rarement comme animal de trait : tirer les carrioles
revenait au buf.
n134
LES JOIES DE LA CHASSE

P. Ryl. 238

= SP 143 -

Fayoum - 262 ap. J.-C.

De la part d'Alypius. Occupe-toi de fournir aux chasseurs que


j'ai envoy chasser le sanglier tout ce qui est ncessaire pour leurs
nombreux besoins, c'est--dire tout ce qu'eux et leurs animaux ont
coutume de recevoir. Ils pourront ainsi chasser avec le plus grand
zle. Fournis-leur aussi un de tes mulets robustes, puisque j'ai gard
pour mon propre usage une de leurs mules.
[2' main] Je fais des vux pour ta sant, mon cher.
[1" main] Hroninos, intendant Thraso. La 9 anne [de
. Gallien], le 25 Pachn.

Au Fayoum, on ne se proccupait pas que des souris 1Les sangliers endommagent les cultures et ravagent les champs : il faut
les chasser. Alypius, un gros propritaire du Fayoum, qui a
adress une correspondance fournie son intendant Hroninos,
emploie des chasseurs professionnels pour se dbarrasser de
cette nuisance.
206

n135
LA VISITE

DU PROPRITAIRE

P. Flor. 127 = SP 140 - Fayoum - 256 ap. J.-C.

De la part d'Alypius. Si Dieu veut, attends-toi nous voir venir


le 23. Ds que tu reois ma lettre, fais en sorte de chauffer les bains,
de rentrer des bches et de rassembler de partout de la paille, afin
que, par ce temps hivernal, nous puissions nous baigner au chaud.
Car nous avons rsolu de sjourner chez toi, car nous allons inspecter les fermes qui restent et organiser tes affaires. Assure-toi
qu'on fasse trs attention nous, que nous ayons avant tout un bon
cochon pour nous - mais qu'il soit bon : pas maigre et immangeable comme le dernier 1 Fais dire aux pcheurs de nous fournir
du poisson.Je t'ai envoy une lettre pour Horion, afin qu'il t'envoie
500 ballots de fourrage : tu lui rendras la mme quantit. Car mes
animaux, qui travaillent, mangent de l'herbe verte. Fais en sorte
d'avoir de l'herbe verte en abondance en toute occasion afin
qu'eux aussi aient suffisamment manger.
[2' main] Fais chercher l'herbe aujourd'hui sans tarder. Je fais
des vux pour ta sant, mon cher.
[1" main] Hroninos, intendant, la 3 anne [de Valrien], le
22 Tybi.

Un autre des propritaires qui emploient Hroninos


comme intendant (cf n 134) lui crit : il veut faire une visite
sur ses terres. Pour l'intendant, c'est le branle-bas de combat,
car le matre parat exigeant et trs sourcilleux sur son confort.
Il veut des bains chauds, des bons repas, et il veut que sa monture soit aussi bien soigne que lui-mme. Il est agaant, le
matre.
vrai dire, il peut se le permettre: dans les mains de ces propritaires tait concentre la grande masse des richesses. Sous
l'Empire, les grands propritaires urbains dtenaient une grosse
partie de la terre. Certains n'taient que de petits rentiers qui
ne possdaient qu'une faible surface, tandis que d'autres, les
moins nombreux, possdaient d'normes domaines, suprieurs
100 ha.
Quand on se trouvait la tte d'un tel domaine, les tournes
s'imposaient. En effet, les grandes proprits n'existaient pas: la
plupart des possessions tenues par des habitants de la ville
taient morceles.

207

2. -

BANQUIERS ET COMMERANTS

Les comptes de Menchs, les rves de Ptolme et les missives


de Terentianus donneraient l'impression que les habitants de
l'gypte se rsumaient des paysans, des prtres et des militaires.
Il ne faut pas oublier les commerants ! Voici quelques textes les
mettant en scne.
n136
UN SYSTME BANCAIRE LABOR

P. Prague 114 1 - Thadelphie -

III'

s. ap. J.-C.

[Syr ?] os son trs cher Hroninos, salut.


Je t'ai envoy la lettre de 340 drachmes, dont l'explication a t
donne, pour que tu la modifies et la rdiges au nom de Philokyrios
et Chrermon, marchands de vin de Narmouthis, en utilisant la
mme formule et en portant en plus ton compte sur place le prix
du dichron que tu as eu, de telle faon que le document que nous
dlivrons soit de 300 drachmes. Tu me feras savoir qui tu veux que
les 20 drachmes restantes soient attribues.
Le 20 je passerai par chez vous en remontant Arsino, attendsmoi donc au village.
Je fais des vux pour ta sant, mon cher.

Ce document montre l'existence d'un systme bancaire trs


bien rod. Hroninos a une note de 340 drachmes sur la caisse
centrale des domaines et doit la remplacer par : a) 300 drachmes de
vin des marchands de Narmouthis; b) une criture comptable
de 20 drachmes (montant implicite) compensant 2 monochra de
vin qu'il s'est attribus lui-mme et qui figureront au bilan
comme une vente du domaine au prix ckaring de 10 drachmes
le monochron ; c) un solde de 20 drachmes pour lesquelles
Hroninos est pri de faire connatre une inscription comptable
au bnficiaire. Cela vite donc la circulatio~ d'argent.
n137
UN NOTABLE PROSPRE

P. Graux II, 10 - Philadelphie -

1' s.

ap. J.-C.

Servilios Nemesin son frre, mille bonjours et bonne sant.


Ce que tu m'as crit dans ta lettre, je l'ai fait. Tu recevras deJulios,
mon gendre, cinq rouleaux de papyrus et un cotyle et quart [environ 310 ml] de rosat italien de premier choix. Je suis content
1. Jean BINGEN,
1988, p. 367-378.

Hroninos, Thadelphie et son vin , Chronique d'gypte 63,

208

d'avoir donn 8 dr. par cotyle. Tu recevras d'Antnios, fils de


Lnids, soldat de cohorte, une bague d'un poids de deux carats.
Je n'ai pas trouv de petit bloc de silphium au prix que tu m'as crit,
mais on en a achet un pour 2 dr. 3 oh. sur lequel il y a Harpocrate.
Tu le recevras par Antnios avec une demi-mine de vitriol bleu. Tu
les recevras scells comme tu me l'as crit - mme ici on ne trouve
pas de vitriol bleu - ainsi qu'un panier de friandises et dix pommes
de pin pour les enfants. Si tu as besoin de quelque chose, cris-lemoi et je le ferai. Toi, arrange-toi avec Julios, mon gendre, pour
recevoir d'ici l soit du bl soit de l'argent. Salue les enfants et
Thermoutis et tous ceux qui sont la maison. Tu m'cris propos
de gens que je ne connais pas. Je suis all jusqu' l'Hraclide etje
n'ai pas trouv.

Nemesin se pose en notable prospre qui veut frayer avec


l'lite romaine de Philadelphie et, pour l'impressionner, se fait
livrer des produits de luxe. Il demande du rosat italien, un parfum trs cher venu d'Italie. Il cote en effet 8 drachmes le cotyle
(24 ml, soit prs de 33 dr. le litre) : pour le prix d'un cotyle, on
pouvait acheter plus de deux litres d'huile. Il achte galement
du silphium, une substance utilise comme condiment et prconise contre toutes sortes de maladies, qui venait probablement
d'une ombellifre, du vitriol bleu, un sulfate de cuivre qui servait
teindre les peaux et faire de l'encre.
n138
UN REGISTRE DE NAVIRES MARCHANDS

P. Bingen 77-Alexandrie (?) [Charge[Port


ment]
d'origine]

[Date de
dpart]

Huile

D'Attalion
de Crte

[le... ]

[vin]

D'Aigeai

le 20

[Navire]

ue s. ap.J.-C.

[Tonnage]

[Le 25 ?]
[le navire de X], [n] artabes
fils de
Szomenos,
Les Furies et
La Fortune
Le26
2 000 artabes
l'akatos
[aKmo, bateau entre 60 et
lger utilis
80m'
pour le cabotage

[Chargement]

[Responsable
du contrle ?]

[Transporte,
pour X, n]
demijarres
d'huile, (et)
pour Srnos, 41
demijarres
d'huile

Asclp [... ]

Transporte pour Harpoc[rat-]


le nauclre 700
Qarres) de vin
rouge (?) de [... ]

1. Paul Heilporn, Registre de navires marchands in Henri MELAERTS


(d.), Papyri in Honorem johannis Bingen Octogenarii, Leuven, Peeters, Studia
Varia Bruxellensia ad orbem grreco-latinum pertinentia 5, 2000, p. 339-359.
209

[Charge[Port
ment]
d'origine

[Date de
dpart

[vin]

D'Aigeai

le 20

[ vide]

D'Ostie

le 1[ ...]

[ vide]

DeLib(-)

le 5

Huile

Du Canal

le 26

[vin]

De Paltos
le20
[actuellement 'Arab
alMulk
en Syrie]
De Laodice le 18
[en Syrie]

[vin]

[Navire]
de Diodros, fils
d'Athnodotos
Sarapis (et)
Fortune
La plauda
[navire
inconnu de
Dmtrios, [fils
de X],
Philomtr
[le navire] de
Lu dus
Pompeius
Mtrodros,
[nom]
l' akatos (?) de
Publius lEelius
Anni [... ],
l[ ... J
l'akatosde
Basiln, fils de
Libys (?),
Athna R[ ... ]
[le navire] de
Znon, fils de
Prtos (... ),
Dragon

l'akatosde
Cassian us, fils
de Kyros, et de
Dominus, fils
d'Agathocls,
Espoir (et)
[ ... )

[vin et
figue]

De Gagai
le 6
[actuellementYenice
en Turquie]

[bois et
huile]

DeSid

[vin)

D'Anele 13
mourion
[aujourd'hui
Eski-anamur,
sur la cte de
Pamphylie)

le 7

[Tonnage]

[Chargement]

[Responsable
du contrle ?]

[n] artabes

Transporte
pour le
nauclre [n]
Garres) de vin
rouge d'Aigeai

Idem.

22 500 (?)
[artabes]
[entre 675
et 900 m']

(Revient)
vide.

2 000 artabes [Revient vide


[entre 60 et
80m']
1 000 artabes Transporte pour
[entre 30 et notre seigneur
40m']
Cresar [n) demijarres d'huile
2 500 artabes Transporte pour
[entre 75 et Hliodros
100m')
500 (?) Garres)
de vin
2 000 artabes Transporte pour
[entre 60 et Dominus [...
80m']
Garres)) de vin

))

[le navire) de
Nen, fils de
Varus,
Asclpios (et)
Sarapis

1 500 artabes Transporte pour Harpoc(rat-)


[entre 45 et Claudius
60m']
Crispinus 300
Garres) de vin
de Sid
de premire
qualit, (et) ...
flacons (?) de
figues
l'akatosde
7 000 artabes Transporte Isi[ ...]
Gaius Ulpius
[entre 210
pour notre
lasn, Espori
et380m']
seigneur Cresar
(et) Ourania
32 (troncs?) de
pin, (et) pour
Numnius alias
Callistratos 216
demijari'es d'huile
d'Aspendos
l'akatos de
Autant
Transporte
Ninos, fils de
d'artabes que pour le nauclre
Touns, Zeus, [ ... ]
2 500 Garres)
Aphrodite (et)
de vin de Sid
Sln"

210

Issu probablement d'un registre de la capitainerie du port


d'Alexandrie (il n'est pas possible d'en savoir plus ni sur le port,
ni sur l'instance mettrice), ce papyrus nous renseigne sur le
commerce et la navigation.
Remarquons tout d'abord que l'habitude de baptiser les
bateaux est trs ancienne et que les noms employs sont varis :
des divinits protectrices comme Sarapis ou Athna, des allgories
comme la Fortune, des animaux mythologiques comme le
Dragon, ou des allusions la dynastie passe comme Philomtr .Remarquons ensuite que les nauclres (les capitaines de
navires) peuvent voyager leur propre compte - et donc tre galement des commerants - ou bien pour le compte des armateurs
ou de !'Empereur. En outre, ce registre nous renseigne sur les
importations de l'gypte : le vin, l'huile, le bois et les figues. Enfin,
il nous permet de nous renseigner sur les vitesses de navigation.
Port d'origine

Attalion de Crte [l'actuelle Bali,


prs d'Hraklion]
Aigeai [l'actuelle Yumurtalik,
au N.-0. d'Issos, en face de la Syrie]
Ostie [le port de Rome]
Lib(-) [Libyssa en Bithynie ou
Liviopolis l'ouest de Trbizonde?]
Canal [d'Alexandrie]
Paltos [actuellement 'Arab al Mulk
en Syrie]
Laodice [en Syrie]
Gagai [actuellementYenice en Turquie]
Sid
Anemourion [aujourd'hui Eski-anamur,
sur la cte de Pamphylie]

Journes
de
navigation

Distance
approximative
en miles marins

Vitesse
moyenne
en nuds

410

7
817

600
1080

3,5
5,6 2,6

22
1

Libyssa : 730
Liviopolis : 1130
?

Libyssa: 1,4
Liviopolis : 2,1
?

7
9
21
20

460
490
810
760

2,7
2,2
1,6
1,6

14

700

2,1

n139
PTITION D'UN VENDEUR DE LENTILLES

PSI 402 = Schubert 46 = SP 266 - Philadelphie - III s. av. J.-C.


Philiscos, salut, de la part de Harentots, grilleur de lentilles
Philadelphie.
Je fais 35 artabes par mois etje fais de mon mieux pour payer les
taxes chaque mois, afin que tu n'aies rien me reprocher. En ce
moment les gens de la ville rtissent des. citrouilles. Pour cette raison, plus personne n'achte mes lentilles actuellement. Je te

211

demande donc et te supplie, si cela te semble bon, de retarder le


solde de mes taxes au roi, comme cela s'est fait aussi Crocodilopolis. Car, ds le matin, ils s'installent ct de mes lentilles,
vendent leurs citrouilles, etje n'ai plus aucune chance de vendre
mes lentilles.

Les affaires ne vont pas bien pour Harentots : en dpit de ses


efforts, il ne vend pas assez. D'autant plus que la concurrence fait
rage en ville ; Harentots entre en comptition avec des vendeurs
de citrouilles qui lui volent le client. Il demande donc un moratoire sur ses impts car il ne parvient pas rentrer dans ses frais.
Pourtant, les lentilles constituaient l'un des mets les plus
apprcis de l'gypte. Lasss du pain qui fournissait la base de
l'alimentation, les gyptiens ne ddaignaient pas manger des

lgumineuses comme les lentilles, les haricots, les pois chiches et


les agrmentaient de concombre, choux, oignon, moutarde,
anis, artichaut, cumin ...

3. -

MDECINS ET CHIRURGIENS

Place sous le haut patronage d'Hippocrate, la mdecine


grecque et gyptienne se rvle extrmement volue. Le sujet a
une grande ampleur et l'on ne saurait en donner ici une image
complte. Quelques papyrus donneront au lecteur un aperu du
degr d'volution de la mdecine de l'gypte grco-romaine.
n 140
UN CATCHISME MDICAL

P. Turner 14 - Oxyrhynchos - deuxime moiti du II s.


[Quelle est la vertu de l'huile?] [lorsque le fruit n'est pas mr],
l'huile provenant de l'olive est capable de produire l'effet
contraire. Car elle produit de I'omphanikon (6$avucov), un astringent. Il resserre et contracte les organes corporels, car il tient sous
contrle ceux qui sont disperss. Mais l'huile douce perd son pouvoir astringent avec le mrissement du fruit, et elle a un effet assouplissant. Car nous utilisons l'huile del' omphanikon sur les parties qui
sont enflammes lorsque nous dsirons inhiber l'activit immodre de l'infection dans les rgions contractes, afin que l'abaissement de la tension puisse relcher les organes. Et il faut valuer le
degr de maladie de ceux-ci, afin de ne pas employer l'embrocation
un tat avanc - car un tel traitement ne sert pas grand-chose ni trop souvent, car cela provoque une suppuration.

212

Quel est le meilleur moment pour une catabrocation ? Dans toutes les
maladies, le meilleur moment pour une catabrocation est lorsque la
maladie commence crotre. Car, lorsque les organes sont modrment tendus, l'affection n'est pas son paroxysme, et n'empire
pas. La catabrocation, applique en cas de paroxysmes rpts, peut
se trouver tre un remde l'affection. Il arrive qu'en chaque occasion, les symptmes deviennent plus violents et plus gnants, jusqu' ce que la maladie connaisse son pic et aille en s'amliorant, les
organes tant calms de nouveau cause de la catabrocation ...

Ce catchisme mdical discute les mrites compars de l' embrocation, une fomentation applique sur les parties inflammes
du corps, et de la catabrocation, l'immersion ou la baignade de
certaines parties du corps.
Le papyrus suivant montre l'avance des connaissances opthamologiques grecques :
n141
QUESTIONNAIRE D'OPHTALMOLOGIE

P. Ross. Georg. r, 20 - provenance inconnue - rr s. ap.J.-C.


(extraits)

[Il est impossible] de soigner une pupille dont le cercle tout


entier est gris-bleu. De quelle manire la coloration gris-bleu [glaucome]
differe-t-elle de la cataracte ? Encore une fois la coloration gris-bleu
[glaucome] est un changement de la pupille, de la couleur noire
vers le gris-bleu, tandis que la cataracte est l'accumulation d'une
humeur blanche dans la rgion de la pupille, qui empche de voir
ou de voir clairement.
Qu'est-ce que le staphylome? Une saillie, dans la rgion de la
pupille, comme un grain de raisin. Comment se produit le staphylome ?
Ou bien par atonie de la corne avec dchirure, ou bien par coulement invtr d'humeurs et relchement. En quoi different les staphylomes ? Ils diffrent entre eux par la taille, la couleur, la nature,
la localisation. Chirurgie du staphylome. Il faut enfoncer une aiguille
travers la base du staphylome de haut en bas, et, travers la fissure
qu'on y a faite, une autre aiguille munie d'un fil double partir du
petit coin de l'il; en entourant le staphylome, nous l'tranglons.

Ce catchisme ophtalmologique explique le soin de deux maladies de l' il, le glaucome et le staphylome. Le glaucome dsigne
un obscurcissement de la pupille qui, encore aujourd'hui, peut
1. Marie~Hlne MAR.GANNE, L'Ophtalmologie dans l'gypte grco-romaine
d'aprs les papyrus littraires grecs, Leiden/New York/Kln, Brill, Studies in
Ancient Medicine 8, 1994.

213

tre irrversible. Le catchisme ne propose donc pas de traitement


mais insiste pour le distinguer de la cataracte, dont l'opration tait
courante depuis le m sicle avant notre re. Le staphylome dsigne
une petite hernie du globe oculaire. Le traitement consiste
l'trangler par ligature.
La chirurgie tait galement assez technique :
0

n142
QUESTIONNAIRE DE CHIRURGIE

P. Gen. inv. ll l - provenance inconnue - rr s. ap. J.-C.

Qu'est-ce qu'une incision? C'est une section des corps. Qu'est-ce


qu'une excoriation ? C'est un cartement des corps travers cordons
et membranes. Qu'est-ce qu'un transpercement? C'est une section
troite des corps au moyen d'une aiguille. Qu'est-ce qu'une suture?
Un transpercement au moyen d'une aiguille et d'une couture ou
d'un fil enfonc en beaucoup de surjets. Combien y a-t-il de sortes de
compresses ? Les compresses diffrent de deux manires. Premirement par la matire, deuximement par la forme.

Enfin, voici la trs belle lettre d'un mdecin qui demande des
conseils pour raliser des empltres.
n143
UN MDECIN
P. Merton 12- origine inconnue - 28 aot 58 ap. J.-C.
Charas son trs cher Dionysius, mille bonjours et bonne sant
pour toujours. J'ai t aussi ravi de recevoir une lettre de toi que si
j'tais vraiment chez moi; part cela, nous n'avons rien.Je dispense
de t'crire de grands remerciements, car ce sont ceux qui ne sont
pas nos amis que nous remercions avec des mots. J'ai confiance de
me renforcer dans une certaine srnit et d'tre capable de te donner en retour sinon l'quivalent, du moins une petite partie de ton
affection mon gard. Tu m'as envoy deux copies de prescriptions, l'une portant sur l'archagathien, l'autre sur le caustique.
L'archagathien est compos correctement, mais le caustique ne
comporte pas le bon poids de rsine. Indique-moi s'il te plat un bon
caustique qui puisse tre utilis sans danger pour cautriser la plante
de pied, car j'en ai un besoin urgent. En ce qui concerne le [caustique] sec, tu crivais qu'il y en a de deux sortes. Envoie-moi la prescription du dissolvant, car l'empltre aux quatre substances est lui
aussi sec. Cette lettre est scelle avec. Porte-toi bien et rappelle-toi ce
1. Marie-Hlne MARGANNE, La Chirurgi,e dans l'gypte grco-romaine d'aprs
les papyrus littraires grecs, Leiden/New York/Kln, Brill, Studies in Ancient
Medicine 17, 1998.

214

que je t'ai dit. La 5 anne du seigneur Nron, 1er Germanicus.


[Verso] Dionysius, mdecin.

Pour cautriser les plaies, les Anciens utilisaient des empltres.


Parmi eux, le pltre archagathien, invent par Archagathe, est
bien connu : il se compose, entre autres, de rsine, de sels argen- .
tiques et de charbon. De mme, la composition de l'empltre
aux quatre substances ( -ce-cpa<j>apaKov) est fournie par Galien :
de la cire, de la rsine, de la graisse, de la poix. Chairas a essay
les deux recettes et apparemment l'une des deux devait tre trop
liquide, car il en redemande la composition et exige des prcisions
sur les autres empltres dont une prcdente lettre a parl.

4. -

LE MONDE DES ESCLAVES

Le problme de l'esclavage dans !'Antiquit est sans doute


l'un des plus dbattus. Contrairement ce que l'on croit parfois,
l'gypte n'tait pas une terre d'esclavage. Le nombre des
esclaves dans le monde rural demeura particulirement faible.
Leur apport aurait sans doute t apprci, mais les paysans
d'gypte taient trop pauvres pour possder des esclaves; ils se
trouvaient eux-mmes dans une situation proche de l'esclavage.
En ville, les esclaves occupaient une trs grande varit de postes,
depuis le simple rle domestique jusqu' celui de vritable assistant
de leurs matres.
C'est ainsi que beaucoup d'esclaves recevaient une formation
pousse, comme le prouvent les contrats d'apprentissage :
n144
UN CONTRAT D'APPRENTISSAGE POUR UN ESCLAVE

P. Oxy. 724 = SP 15 = Schubert 44 = Wilck. Chrest. 140 = Hengstl 1OO -

Oxyrhynchos - 155 ap. J.-C.


Panechts alias Panars, ex-cosmte de la cit des Oxyrhynchites, par l'intermdiaire de son ami Gemellos, au stnographe
Apollonios, salut.
Je t'ai remis mon esclave Chairammon, pour l'apprentissage des
signes que connat ton fils Dionysios, pour une priode de deux ans
partir du mois courant de Phamnth de la dix-huitime anne
1. Trad. inspire de Paul SCHUBERT in In, Vivre en gypte Grco-Romaine, Vevey,
l'Aire, Le chant du monde>>, 2000, n 44, p. 144-145.

215

de notre matre Antoninus Csar. Les honoraires fixs entre nous


s'lvent cent vingt drachmes d'argent, sans les jours fris. Tu en
as reu une premire portion de quarante drachmes ; tu recevras la
deuxime portion de quarante drachmes lorsque l'esclave aura assimil le commentaire en entier ; quant la troisime tranche, correspondant aux quarante drachmes restantes, tu la recevras la fin
de la priode (d'apprentissage), lorsque l'esclave pourra crire et
lire sans faute n'importe quel texte de prose. Si tu achves son parcours dans le temps imparti,je n'attendrai pas l'expiration du dlai;
mais il ne me sera pas permis de retirer l'esclave pendant la priode
d'apprentissage, et il restera auprs de toi aprs cette priode autant
de jours ou de mois qu'il aura t absent de son travail.
La 18 anne de !'Empereur CsarTitus.A!:lius Hadrien Antoninus,
Augustus, Pius, le 5 Phamnth.

Des contacts affectueux pouvaient ainsi se nouer entre l'esclave


apprenti et son matre d'apprentissage :
n145
UN ESCLAVE SALUE SON MATRE D'APPRENTISSAGE

P. Oxy. 3809 - Oxyrhynchos -

II-III s.

Agathangelos Panars, le barbier, mille bonjours. Je salue


Hliodora galement. Je me prosterne pour vous deux devant les
dieux d'ici etje me prosterne pour vous chaque jour. Par la volont
des dieux, je suis dj barbier du matre etje suis le barbier de tous
ceux de la maison. Tous les jours o je dois faire le travail de barbier, c'est mon habitude de me prosterner. Salue tous mes collgues
d'apprentissage 1 [La suite fait dfaut.]

Agathangelos ( messager de bonnes nouvelles ) est un nom


d'esclave. Il a reu une solide formation puisque non seulement
il sait tailler la barbe, mais il sait aussi crire.
L'affection qui lie l'esclave et le matre peut se rvler parfois
trs profonde comme le prouve cette ptition au stratge d'une
femme pauvre et seule, visiblement trs peine de l'accident qui
est survenu son esclave:
n146
UNE JEUNE CHANTEUSE ESCLAVE BLESSE

P. Oxy. 3555 - Oxyrhynchos - r'-n s. ap.J.-C.


Asclep[ios] le stratge, de la part de Thermouthion, fille de
Plutarque de la ville d'Oxyrhynchos.J'aime etje m'occupe de ma
petite servante ne la maison nomme Peina comme ma propre
fille, dans l'espoir de l'avoir quand elle sera plus ge et que je serai

216

vieille :je suis une femme seule et dmunie. Voil ce qui s'est pass
en ville, le 19 du mois dernier : une certaine Eucharion, affranchie
de Longinus, l'escorta pour aller apprendre le chant et d'autres
choses et, au moment de quitter ma maison, fit entrer Peina avec
le bras droit band. Quand j'en demandai la cause, elle me dit que
l'enfant avait t renverse par un certain Polydeuchs, un esclave
qui conduisait son ne, si bien que tout son bras avait t bris, que
certaines parties avaient t mutiles et que le reste tait vif.
Comme nous n'avons pas de stratge, je n'ai pas fait de ptition, en
supposant la blessure superficielle. Or elle est incurable, et je ne
peux supporter la peine de ma petite servante : elle est en danger
de mort et la crainte de sa mort m'treint; lorsque tu la verras, tu
te sentiras aussi dsespr. Presse par la ncessit, je viens trouver
refuge auprs de toi comme mon dfenseur, etje demande d'tre
aide et de recevoir de toi...

Ce petit texte trs touchant exprime le dsespoir d'une femme


pauvre face au grave accident que vient de subir son esclave Peina
(la Perle en grec). Il montre les rapports d'affection qui peuvent unir l'esclave et le matre lorsque ce dernier n'a pas d'enfant.
Les sentiments exprims par Thermouthion sont en effet quasiment maternels, comme tait quasiment maternel le souci qu'elle
portait l'ducation de sa petite servante.
Dans des cas comme celui-l, ou lorsque 1' esclave avait bien
rempli sa fonction, on pouvait l'affranchir, ce que l'on nommait
la manumission:
n147
BROUILLON D'UN ACTE D'AFFRANCHISSEMENT

P. Oxy. 2843- Oxyrhynchos -24/28 aot 86 ap.J.-C.

La 5 anne de !'Empereur Csar Domitianus Augustus Germanicus


[Domitien], au mois d'Hyperbrtaos, le jour intercalaire __, au
mois de Casarios, le jour intercalaire __, Oxyrhynchos, cit de
la Thbade, devant les agoranomes Thn, Dios et Dionysios.
Aline, fille de Comn, fils de Dionysios et de Cloptre, fille de
Dionysios de la ville d'Oxyrhynchos, ge d'environ [... ] ans, de
taille moyenne, de peau couleur de miel, de visage allong, ayant
une cicatrice ___ , avec l'assistance de son tuteur, son propre fils
Comn, fils de Mnsithos, fils de Ptsouchos, de la mme ville, g
d'environ [ ... ] ans, de peau couleur de miel, le visage allong, une
cicatrice sur la joue gauche, travaillant dans la rue, affranchit, sous
les auspices de Zeus, Gaia et Hlios, sa proprit, l'esclave
Euphrosyne, ge d'environ 35 ans, de taille moyenne, de peau
couleur de miel, le visage allong, une cicatrice ___, ne la maison de l'esclave Dmtrous, contre le paiement de dix drachmes en

217

monnaie d'argent ainsi que ce qui a t pay pour elle sa matresse Aline susmentionne par Thn, fils de Dionysios, fils de
Lon et d'Isione, de la mme cit, g d'environ 43 ans, de taille
moyenne, de peau couleur de miel, de visage allong, une cicatrice
sur le mollet droit, savoir huit cents drachmes d'argent du mon-
nayage imprial et dix talents de bronze [soit] trois mille drachmes.
Ni Thn ni quelqu'un d'autre de son entourage ne peut faire
rclamation l'affranchie Euphrosyne ou quelqu'un de son
entourage, ni de la ranon ni de toute autre chose en aucun cas.
Le certificat d'affranchissement ...

Le droit romain prvoyait l'affranchissement des esclaves


contre une ranon. Les femmes esclaves connaissaient un statut
particulier, car elles taient souvent affranchies aprs qu'elles
eurent engendr des enfants, dclars esclaves car ns la maison : la population servile tait ainsi maintenue moindres frais,
puisqu'il n'tait pas ncessaire d'acheter de nouveaux esclaves.
C'est manifestement le cas d'Euphrosyne, affranchie l'ge de
35 ans.
Les relations entre Thn et Euphrosyne demeurent assez mystrieuses : pourquoi l'affranchit-il sans contrepartie ? Plusieurs
rponses ont t apportes: 1) il serait un banquier (mais cella
n'explique pas la clause finale) ; 2) il aurait l'intention de se
marier avec Euphrosyne; 3) il joue le rle de prte-nom de la
famille d'Aline qui veut affranchir Euphrosyne et qui a besoin
d'une tierce partie pour racheter l'esclave.
Il convient de noter qu'il ne s'agit que d'un brouillon, qui prsente quelques lacunes destines tre remplies : il manquait
sans doute certaines informations au rdacteur de la lettre.
Une fois affranchi, l'esclave avait moins de droits que
l'homme libre :
n148
GNOMON DE L'IDIOS LOGOS

BGU1210 -Thadelphie -150 ap.J.-C.


(extraits, cf. n 9, n 98, n 150)
16. Les legs des affranchis des Romains en faveur de leurs descendants seront confisqus au dcs des bnficiaires s'il est prouv
qu'aucun descendant n'tait n au moment de l'criture de la
demande.
19. Les legs en faveur d'affranchis qui n'ont pas encore t
affranchis selon la loi sont confisqus. L'affranchissement n'est
lgal que si la personne affranchie a plus de trente ans.

218

21. L'affranchi de moins de trente ans qui a reu sa manumission du prfet est comme celui qui a t affranchi aprs trente ans.
22. Les biens des Latins [c'est--dire des personnes affranchies
selon la Lex]unia Norbana, les Latini]uniani, qui vivaient comme des
affranchis mais mouraient comme des esclaves] sont donns leur
patron, ses fils, ses filles et ses hritiers. Les legs faits par ceux
qui n'ont pas encore acquis la libert romaine lgale sont confisqus.
9. En ce qui concerne les affranchis des citoyens grecs,. s'ils
meurent sans enfants et intestats, ce sont leurs patrons ou leurs fils
qui hritent, pour autant qu'ils existent et qu'ils estent en justice; les
filles ou toute autre personne n'hritent pas: c'est le fisc qui hrite.
20. Les legs faits des esclaves qui ont connu les fers puis ont
t affranchis ou ceux qui ont t affranchis avant trente ans
seront confisqus.

videmment, tout ne se passait pas toujours bien : il arrivait que


des esclaves s'enfuient :
n149
RCOMPENSE POUR DES ESCLAVES EN FUITE

UPZ 121 = SP234 =P. Paris 10=Hengstl123 - Memphis -

145 av.J.-C.
La 15 anne [de Ptolme VIII], le 16 piph.
Un esclave d'Aristogne, fils de Chrysippe, d'Alabanda, ambassadeur, s'est chapp Alexandrie.
Il se nomme Hermon, alias Nilos ; Syrien de naissance, de la ville
de Bambyce ; environ 18 ans, taille moyenne, sans barbe ; jambes
bien faites ; creux au menton ; signe prs de la narine gauche ; cicatrice au-dessus du coin gauche de la bouche : le poignet droit
tatou de lettres barbares.
Il avait [quand il s'est enfui] une ceinture contenant en monnaie d'or trois pices de la valeur d'une mine, et dix perles; un
anneau de fer sur lequel il y a un lcythus et des strigiles ; son corps
tait couvert d'une chlamyde et d'un prizma.
Celui qui le ramnera recevra 2 talents de cuivre et 3 000
drachmes; celui qui indiquera le lieu de sa retraite recevra, si c'est
dans un lieu sacr, 1 talent et 2 000 drachmes; si c'est chez un
homme solvable et passible de la peine, 3 talents et 5 000 drachmes.
Si l'on veut en faire la dclaration, on s'adressera aux employs
du stratge.
S'est encore chapp avec lui Bion, esclave de Callicrats, un des
archyprtes de la cour.
Taille petite ; paules larges ; jambes fortes ; yeux pers. Il avait,
lorsqu'il s'est enfui, une tunique, un petit manteau d'esclave, et un
coffret de femme du prix de 6 talents et 5 000 drachmes de cuivre.
Celui qui le ramnera recevra autant que pour le premier. Faire
de mme la dclaration, pour celui-ci, aux employs du stratge.

219

On trouve ici les rcompenses promises pour la fuite d'esclaves voleurs. Il s'agit manifestement d'une affiche duplique
pour les villes o l'on pensait que se trouvaient les esclaves. La
somme en rcompense parat norme.
Le premier esclave est jeune, il a dix-huit ans, et on l'appelle
na;, jeune homme. Nomm Hermon, il est srement de naissance syrienne ; la Syrie, l'ennemi du Lagide, fournissait beaucoup d'esclaves. Il porte sur son poignet des lettres barbares qui
sont sans doute le syriaque utilis Bambyce. Beaucoup d'esclaves
en portaient, moins qu'il ne s'agisse des marques pour les
esclaves fugitifs (mme si on les apposait souvent au front). Il
s'agissait sans doute d'un esclave attach au service personnel de
son matre puisqu'il porte un lcythe, le vase mettre de l'huile,
des parfums et des xystres, des strigiles pour gratter la peau. On les
trouve figurs sur un anneau, ce qui prouve son emploi d'esclave
lcythophore (porteur de lcythe). Le lcythe a toujours la
mme forme d'un vase trs bomb avec un col trs troit. Le
liquide pouvait ainsi s'couler goutte goutte. L'esclave le porte
sur un bracelet, un collier ou un anneau.
Il porte galement deux vtements. Le prizma est le manteau
de servitude, une sorte de tablier. Il porte galement une chlamyde, manteau d'homme libre, peut-tre pris son matre.
La rcompense est extrmement forte. Son montant diffre
selon l'endroit o on retrouvera l'esclave. Dans un temple o on
trouve traditionnellement refuge, elle est plus faible, car on peut
supposer que Hermon n'a pas de complice. Dcouvert chez un
particulier, l'esclave ne peut qu'avoir t vol: son nouveau
matre serait alors lourdement puni pour ce dlit, assez frquent.
On prcise chez un homme solvable car si le coupable est trop
pauvre pour payer l'amende et les dommages et intrts, le
matre ne veut pas s'engager payer le surplus de la rcompense.
Le second esclave appartient l'un des hauts fonctionnaires
de la cour. Son signalement est moins dtaill, son ge incertain ;
il possde une particularit physique qui le distinguera facilement, il a les yeux pers. Alors que le premier esclave s'est enfui
en accompagnant son matre au bain, le second a disparu en faisant main basse sur ce que contenait l'appartement de sa matresse : un coffret de femme et 5 000 drachmes. Bion est un
esclave voleur.

XIV
HISTOIRES DE FEMMES

Projetant sur la femme antique un regard rtrospectif biais


par le judo-christianisme, la grande surprise de notre poque
est de la dcouvrir plus libre que les mres victoriennes du
x1xe sicle. Le droit romain, en effet, paraissait plus favorable aux
femmes que le droit chrtien ou mme le code Napolon, la civilisation plus librale. Il n'en restait pas moins que les hommes
dominaient la socit et que les femmes devaient conqurir leur
place.

1. -

LES FEMMES DANS 1A SOCIT

Le Gnomon de l' Idios Logos nous renseigne sur le


femmes.

droit des

n150
GNOMON DE L'IDIOS LOGOS

BGU 1210 - Thadelphie - 150 ap. J.-C.


(extraits, cf. n 9, n 98, n 148)

15. Il n'est pas permis aux affranchis des citoyens grecs de. tester, l'instar des citoyennes grecques.
23. Il n'est pas permis aux Romains de se marier avec leurs
surs, leurs tantes, mais le mariage avec les filles de leur frre [leur

221

nice] a t accord. Pardalas a confisqu les biens d'un frre mari


sa sur.
24. La dot apporte par une femme romaine de plus de cinquante ans [imparmatri,monium] un homme de moins de soixante
ans est confisque par le fisc aprs la mort.
25. De mme, celle qui est apporte par une femme de moins
de cinquante ans un mari de plus de soixante ans.
26. Et si un. Latin de plus de cinquante ans donne quelque
chose quelqu'un de plus de soixante ans, cela est galement
confisqu.
28. Si une femme a 50 ans, elle n'hrite pas. Si elle en a moins
et a 3 enfants, elle hrite, mais si elle est affranchie, (elle hrite) si
elle a quatre enfants.
29. Une Romaine de naissance qui possde 20 000 sesterces
paie l/lOOe par an tant qu'elle n'est pas marie. Une affranchie qui
possde 20 000 sesterces paie la mme chose jusqu' son mariage.
30. Les hritages laisss des femmes romaines possdant
50 000 sesterces, non maries et sans enfants, sont confisqus.
31. Il est permis une femme romaine de lguer son mari
le dixime de ses biens, ce qui est en surplus est confisqu.
6. Il n'est pas permis un Alexandrin de lguer plus d'un
quart de ses biens sa femme, s'il n'a d'elle aucune descendance;
mais s'il a des enfants d'elle, il ne lui est pas permis d'allouer sa
femme une part plus grande que celle qu'il lgue chacun de ses
fils.

Les contrats de mariage et de divorce, ensuite, donnent une


ide de la libert des couples. La situation rsulte de l'imbrication complexe de plusieurs traditions. Chez les Grecs, les femmes
connaissaient plutt un tat de sujtion : elles taient donnes en
mariage par leurs pres et ne possdaient pas beaucoup de
droits. En revanche, en gypte, les femmes devaient consentir
leur mariage et pouvaient se marier sans crmonie : la cohabitation constituait la preuve du mariage. Elles jouissaient du droit
de possession et ne se trouvaient pas sous la dpendance lgale
de leur mari. Une certaine indpendance des deux conjoints
prside par exemple ce divorce:
n151
UN MARIAGE BIEN COURT

SP6 = BGU1103 -Alexandrie -27 mars 13 av.J.-C.

Accord.
A Protarque de la part de Zos fille d'Hraclide assiste de son
frre Irne fils d'Hraclide, et d'Antipatros, fils de Znon. Zos et
Antipatros reconnaissent qu'ils ont rompu l'un et l'autre le contrat

222

de vie commune conclu devant ce mme tribunal en Hathyr de la


17 anne de Csr [Auguste] courante. Zos reconnat qu'elle a
reu d'Antipatros de la main la main et hors de la demeure des
vtements d'une valeur de cent vingt drachmes et une paire de
boucles d'oreilles en or qu'il avait reue comme dot. L'accord de
mariage est donc nul, et ni Zos ni personne d'autre agissant pour
son compte n'estera contre Antipatros pour la collecte de la dot; ni
l'une ni l'autre des parties n'estera contre l'autre propos de la
cohabitation, ou de toute autre affaire jusqu' prsent. partir de
ce jour, il est loisible Zos de se marier un autre homme, ainsi
qu' Antipatros de se marier une autre femme, sans aucune restriction. Cet accord est valide : celui qui, en outre, le transgressera,
sera passible des dommages et intrts fixs. La 17 anne de Csar,
le 2 Pharmouthi [27 mars 13 av.J.-C.].

L'ide de la rpudiation de la femme par le mari, propre aux


Juifs, et celle de l'indissolubilit du mariage, dfendue par les
chrtiens, taient parfaitement trangres aux Grecs et aux gyptiens. Le mariage se rsumait un contrat, qui pouvait se rompre
par accord mutuel. La procdure de divorce tait assez simple :
elle ne faisait qu'entriner la rupture du contrat. La dot tait
rendue par le mari, les biens taient rpartis au sein du couple,
et l'un ne devait plus rien l'autre. La simplicit du divorce laissait une grande libert aux femmes et favorisait les mariages trs
courts : ici il ne dure que d'Hathyr Pharmouthi, soit cinq mois.
Tout ne se passait pas aussi bien que dans le cas prcdent : il
pouvait arriver que les querelles persistent. Et de manire assez
surprenante, ce n'taient pas toujours les hommes qui quittaient
le domicile conjugal.
n152
UN MARI SE PLAINT AU CENTURION

P. Heid. 237 -Thadelphie - milieu du m s. ap.J.-C.

Claudius Alexandrus, centurion, de [x; fils de Pan] etbeous,


paysan public du village de Thadelphie. La femme avec qui je vivais
[... qui] j'ai fait un enfant, ne s'est plus satisfaite de son mariage
avec moi, [profita] de mon absence, et a quitt la maison il y a[ ... ]
mois, pour ainsi dire sans [procdure de divorce], en emportant ses
biens personnels et beaucoup des miens, parmi lesquels se trouvaient
un grand manteau blanc inachev et un dredon oxyrhynchite, un
tissu (tMcrcriov) ray, de quoi faire deux chitons et d'autres outils
agricoles. Et bien que j'aie plusieurs reprises envoy des lettres
en cherchant rcuprer mon bien, elle n'a pas rpondu et ne les
a pas renvoys et pourtant, je lui paye abondamment la pension

223

alimentaire pour notre enfant. En outre, ayant appris qu'un certain


Neilos, fils de [S]yros du mme village, l'a prise illgalement et s'est
mari avec elle, je soumets (cette ptition) et demande qu'elle et
Neilos puissent tre convoqus devant toi afin que je puisse obtenir
une rparation lgale, rcuprer mes affaires et tre aid. Porte-toi
bien.

Quoique les centurions de l'arme romaine n'aient pas d'autorit lgale, ils jouissaient d'un grand prestige et se trouvaient
parfois conduits jouer un rle d'arbitre. Ici, un mari se plaint
de ce que sa femme l'ait quitt en le pillant et se soit remarie
sans avoir divorc au pralable. Sa demande ne laisse pas, cependant, d'tre curieuse : pourquoi s'en proccuper au bout de plusieurs mois et surtout, pourquoi la femme aurait-elle emport
des outils ? Il semble que notre homme prpare le terrain et que
cette plainte ne soit envoye que pour excuser le retard mis
payer les taxes ...
Si cette ptition jette un doute sur la sincrit de son auteur,
d'autres documents prouvent l'envi que certaines femmes se
rvlaient parfois de vraies pestes.
n153
(1)
P. Oxy. 282 = Mitt. Chrest. 117 - Oxyrhynchos - 29-37 ap.J.-C.
QUERELLE DE MARIAGE

Au stratge Alexandre de la part de Tryphon, fils de Dionysios


de la ville d'Oxyrhynchos. Je me suis mari avec Dmtrous fille
d'Hraclide, et moi, je lui ai fourni ce qu'il fallait, et parfois au-del
de mes moyens. Quant elle, elle a mpris notre union commune
et a fini par partir. Elles [Dmtrous et sa mre] ont emport des
choses qui m'appartenaient et qui sont listes ci-dessous. Aussi je te
demande de la faire comparatre devant toi afin qu'elle reoive ce
qu'elle mrite et qu'elle me rende ce qui m'appartient[ ... ]. Sois
heureux;
Les articles vols sont : un [petit poignard ?] valant 40 drachmes
[ ... ]

Premire tape d'une querelle de mnage. Tryphon et


Dmtrous ont t maris, mais Dmtrous quitte le domicile
familial en emportant une srie d'objets: Tryphon n'a d'autre
ressource, pour les rcuprer, que d'taler ses infortunes sur la
place publique. Mais l'affaire ne s'arrte pas l:

224

n154
UNE QUERELLE DE MNAGE

(2)

SB 10239 =P. Oxy. 315 - Oxyrhynchos - 25 juin-24juil. 37 ap.J.-C.

Au stratge Sotas, de la part de Tryphon, fils de Dionysios, de la


ville d'Oxyrhynchos. une heure tardive, le jour de Gaius Csar
Augustus du prsent mois piph [25 juin-21 juil. 37], les femmes
Thnamounis [fille de ... ] oans et sa fille Dmtrous, alors qu'elles
n'avaient rien contre moi ni contre ma femme Saraus, attaqurent
cette dernire sans raison et l'ont rosse quoiqu'elle ft enceinte et
[la rourent] de coups [si bien que cela provoqua] un avortement.
Aussi je viens te demander que les femmes coupables comparaissent
devant toi afin qu'elles reoivent ...

L'affaire continue et Dmtrous apparat comme une ventable virago. Aprs avoir divorc avec pertes et fracas, l'ancienne
femme de Tryphon, accompagne de sa mre Thnamounis,
prend violemment partie la nouvelle femme. L'altercation se
rvle extrmement violente puisque la jeune femme, enceinte,
avorte.

2. -

DES FEMMES DE TTE

Mener son mari une vie impossible ne prouve pas l'indpendance. D'autres tmoignages, plus essentiels, dmontrent
que les femmes pouvaient avoir une vritable libert dans leur
manire de grer leur fortune et leurs biens.
Tout d'abord, les femmes avaient le droit de tester:
n155
L'HRITAGE D'UNE FEMME

P. Princ. 38 - Hermoupolis la Grande - 264 ap. J.-C.

Aurlia Srnilla alias Dmtria, fille de Philippianos, alias


Copreys, ex-membre du conseil d'Hermoupolis la Grande, cit
ancienne et renomme, avec l'assistance de son tuteur Aurelius
Hermeinos alias Achille, fils d'Eudamon, euthniarque de ladite
Hermoupolis ainsi que son curator Aurelius Valre Longus, vtran
de la mme Hermoupolis, a fait un testament et l'a formul pour
qu'il soit crit:
Qu'Aurlia Asclatarion alias Coprilla ma mre soit mon hritire.
Que les autres [membres de ma famille] soient dshrits. Qu'elle
entre en possession de mon hritage dans les 100 jours aprs l'annonce [de ma mort], quand elle l'apprend et peut tmoigner qu'elle

225

est mon hritire. Au cosmte [magistrat municipal] Aurelius


Achille alias Hermeinos, mon mari, je laisse dans les alentours
d'Ibion Peteaphthi la cession un vtran provenant de la clrouquie de Naubs, dontje possde les aroures en une parcelle, [ ... ]
cinq aroures, et prs du mme village, le bien que je possde en
commun avec Aline de trois aroures [la suite est trs fragmentaire].

Mme si ce testament nous est parvenu de manire trs fragmentaire, il nous permet de comprendre que dans le droit
romain, la femme avait le droit d'hriter et de lguer son gr.
Aurlia fait de sa mre sa lgataire universelle : elle lui accorde
centjours pour accepter l'hritage.
Ce testament trange provient-il d'une querelle de famille ?
Plus probablement, la mre d'Aurlia est veuve et ne jouit que
d'une part de l'hritage de son mari, dont la partie la plus importante fut transmise ses enfants: Aurlia entend la protger
pour le cas o elle viendrait dcder avant elle. Il semble en
effet vident que son hritage passera ensuite ses enfants.
Il faut noter la prsence d'un curator: depuis le dbut du
me sicle ap. J.-C., la loi romaine obligeait les filles ges de 12
25 ans d'y avoir recours.
Ensuite, elles pouvaient louer :
n156
BAIL D'UNE MAISON

P. Reinach 43 - lbin (Fayoum) - 15 mars 102

[1" main] Ibin de Taukelmis.


[2' main] Moi, Hellous, fille de Triadelphos, avec l'assistance de
mon tuteur, mon mari Hermaos fils d'Horion, Polydeuks et
Asclpiade, tous les deux fils de Castor, salut. Je vous ai donn bail
partir du mois de Pharmouthi [avril 102] de la prsente cinquime anne,jusqu'au mois de Pharmouthi de l'anne prochaine,
sixime du seigneur Trajan Csar, le bel appartement noble en
sous-sol que je possde dans le bourg d'Ibin de Taukelmis moyennant un loyer convenu pour la dure susdite de quarante drachmes
d'argent, savoir 40 dr. Vous me paierez au mois de Pharmouthi
vingt drachmes et les vingt drachmes restantes dans le mois qui suit.
Il ne me sera pas permis de vous expulser pendant ce temps. La
5 anne de !'Empereur Csar Nerva Trajanus Augustus Germanicus
[Trajan], 19 Phamnth [15 mars 102].
Moi Hermaos fils d'Horion,j'ai approuv, comme tuteur de ma
femme, et j'ai crit pour elle car elle ne sait pas ses lettres.

226

Troisime tmoignage d'indpendance : le P. Oxy. 932, qui


explique qu'une femme puisse tre la tte d'une exploitation
agricole.
n157
UNE FEMME LA TTE D'UNE EXPLOITATION AGRICOLE
P. Oxy. 932 - Oxyrhynchos - ne s. ap. J.-C.
Thas son cher Tigrios, salut. J'ai cris Apollinaire pour qu'il
vienne faire des mesures Petn. Apollinaire t'expliquera les
dpts et les impts ; quel nom ils sont, il te le dira lui-mme. Si
tu viens, emmne six artabes de graines dans des sacs ferms pour
qu'ils soient prts. Et si tu peux, monte chercher l'ne. Sarapdora
et Sabinos te saluent. Ne vends pas les porcelets sans moi. Porte-toi
bien.

crite dans une langue assez lche, cette lettre indique que
Thas est la vritable matresse du domaine. Elle demande
Tigrios de s'occuper des terres, des animaux et des impts. Les
femmes avaient une bonne raison de payer les taxes temps car
elles risquaient davantage des peines d'emprisonnement que les
hommes : les juges estimaient sans doute que les hommes pouvaient davantage rgler leurs dettes.
Troisime tmoignage : la plainte d'Apion, mcontent qu'une
femme gre l'exploitation de son mari.
n158
UNE FEMME D'AFFAIRES 1
P. Oxy. 2342 - Oxyrhynchos - 102 ap. J.-C.
Au Seigneur prfet Gaius Minicius Italus d'Apion fils d'Apion
d'Oxyrhynchos, marchand de vin. La 2 anne du Seigneur Trajanus
Ca:sar, Pasion, fils de Sarapion, qui tait mon partenaire et crancier,
mourut Alexandrie. Il avait dshrit ses enfants cause d'un
dsaccord et fait de sa femme Brnice son successeur. Elle garda le
stock de vin chez elle sous clef et fit main basse sur tous les produits
de la vente, lorsqu'elle a appris la mort de son mari loin de chez lui.
Ses fils dpravs font pression sur elle pour ne pas dire combien elle
a obtenu, ni parvenir un accord sur l'affaire. Elle n'a pas rembours ce qu'elle gardait en dpt ni la reconnaissance de dette. Elle

1. Peter VAN MINNEN,

Berenice, A Business Woman From Oxyrhynchus

in A. M. F. W. VERHOOGT & S. P. VLEEMING, The Two Faces of Graeco-Roman Egypt,


FS P. W. PESTMAN, Leiden/Boston/Kln, Brill, Papyrologica Lugduno-Batava 30,
1998, p. 59-70.

227

garde la somme entire et me trompe chaque jour. Nous sommes


alls devant Dios le stratge. Elle a dit : Il y a trois reconnaissances
de dettes pour 3 000 dr. et une autre de 5 000 dr. assure en vin.
[Le stratge] vit qu'elle mentait et demanda le registre de son mari
dcd Pasion qu'il avait l'habitude de me montrer souvent, alors
que le total du montant des trois reconnaissances de dettes et des
transactions informelles est de 5 249 dr. 4 ob. On lui a donn des
instructions de ne pas montrer le registre cause du contre-interrogatoire et elle l'a cach, trompant le stratge. Le stratge renvoya
le cas car il avait une affaire urgente. Aussi, tant ainsi ls, j'ai
recours vous et je vous demande, s'il vous semble bon, qu'elle
comparaisse en votre prsence pour avoir jet le mauvais il sur
nous et qu'elle soit convaincue de flagrant dlit de (vol?) et qu'elle
fasse le compte de ce qu'elle a fait et me retourne le dpt qu'elle
tenait de moi et les reconnaissances de dettes afin que je puisse
jouir du bienfait de ton support dans ton tribunal. L'an 5 de
l'Imperator Cresar Nerva Trajanus Augustus Germanicus.
Donn au prfet Cos, Phamnth 20 (16 mars 102).

Pour comprendre la lettre, dressons un arbre gnalogique.


Pasion meurt vers 90, en lguant sa femme ses affaires.
Pasion

1.
j

Sarap10n
Pasion

B&mj
Sarapion

Apollonius

Diogenes

1
Horion

Visiblement, il s'agit d'un vignoble. En effet, Apion parat se


limiter au ct commercial, tandis que Pasion, puis Brnice, produisent le vin. En ralit, Apion est le dbiteur de Pasion. Il a
dpos une grosse quantit de vin chez Pasion, que Brnice a
vendue, moins que le vin d'Apion provienne de chez Pasion et
qu'il ft achet crdit. Il aurait ainsi fait l'objet d'une transaction informelle (aypa<j>o). Le fait qu'il soit dbiteur explique
pourquoi il veut savoir cbmbien Brnice a vendu et pourquoi il
prtend que le montant est de 5 249 dr. 4 oboles alors que
Bernice dclare 3 000 dr. plus 5 000 dr.
228

Apion prtend que Pasion a dshrit ses fils cause d'un


dsaccord. En ralit, le testament de Pasion ne dshrite personne (il suffit de le lire dans le P. Oxy. 493) mais laisse
Brnice le choix libre. Apion regrette la vrit qu'une femme
ait pris la succession de Pasion. Et il laisse entendre qu'une faible
femme ne peut rsister la pression de ses fils.
Car l'ensemble des tmoignages dmontrant une certaine
indpendance des femmes ne doit pas nous faire verser dans
l'irnisme. Les Grecs, les gyptiens et les Romains taient aussi
des machos qui ricanaient de voir les femmes seules et n'hsitaient pas abuser de leur soi-disant faiblesse. Asia, la veuve de
Machatas, s'en plaint amrement.
n159
UNE QUERELLE DE VOISINAGE

P. Magd. 2=P.Enteuxeis13=Hengstl157 = Wilck. Chrest. 101Plousion - 28 jan. 222 av. J.-C.

Au roi Ptolme, salut, de la part d'Asia. Poris, le stathmouque,


m'a fait du tort. En effet, mon mari Machatas a t cantonn dans
le village de Plousion. Il a fait une sparation chez Poris et a
construit dans sa partie un sanctuaire la divinit syrienne et
Aphrodite-Brnice. Il restait un mur inachev entre la partie de
Poris et celle de mon mari. Lorsque j'ai voulu finir le mur pour
qu'on ne puisse pas entrer chez nous, Poris fit cesser la construction: ce n'tait pas le mur qui lui importait, mais le mpris qu'il
prouve envers moi depuis la mort de mon mari. Je te prie donc,
Sire, d'ordonner Diophans le stratge d'crire l'pistate
Mnandre : s'il appert que le mur est nous, qu'il empche Poris
d'en faire cesser la construction. Ainsi, ayant trouv refuge auprs
de toi, j'aurai obtenu justice. Sois heureux.
[2' main] Mnandre : si possible, rconcilie-les, sinon, rfrem' en pour l'enqute. La 25 anne, le 26 Los [soit] le 13 Choac
[28 jan. 222 av. J.-C.].
[Verso] La 25 anne, le 26 Los = 13 Choiac. Asia contre Poris
cause de la destruction du mur [sic!].

Ge texte est extrmement riche d'enseignements. Tout


d'abord, il nous fait assister la construction d'un sanctuaire
domestique (cf. n 60) : initiative prive de Machatas, le petit
temple lui appartient. Il dcide qui le consacrer - en particulier une desse du pays de sa femme (qui a un nom oriental),
sans doute Atargatis - et il en est le desservant : une inscription
datant de 186-181 montre que deux descendants de Machatas

229

continuaient y tenir le culte 1 Ensuite, il nous renseigne sur la


condition des femmes l'poque de Ptolme. Aprs la mort de
son mari, Asia se trouve dans une situation mdiane : certes, elle
reste seule matresse et possde le droit de proprit et de ptitionner, mais elle se fait mpriser par son voisin qui s'arroge le
droit de faire cesser les travaux qu'elle entreprend alors qu'ils lui
sont indiffrents. Remarquons enfin le destin de la reine
Brnice: dj divinise par son fils Ptolme, elle s'assimile bientt Aphrodite, la desse de l'amour et de la beaut.
D'autres tmoignages viennent complter cette esquisse de
la condition fminine en gypte. On ne saurait toutefois quitter
le sujet, sans citer deux petites lettres qui parlent de l'amour
maternel.
n 160
UNE FEMME ENCEINTE

SB 7572 - Philadelphia - n s. ap.J.-C.


Thermouthas Valerias sa mre, mille bonjours et bonne sant
pour toujours.J'ai reu de Valerius le panier dans lequel se trouvaient
vingt paires de gteaux de bl (etKavta) et dix paires de pains
d'orge (Koupa). Envoie-moi les couvertures (aoxta) au prix
convenu et de la belle laine, cinq toisons. Donne cela Valrius.Je
suis enceinte de sept mois.Je salue Artmis, la petite Nicarous, mon
seigneur Valerius - il me manque dans mon esprit -, Dionysia et
Dmtrous, plusieurs fois, la petite Tasis, plusieurs fois, et tous
ceux de la maison. Et que fait mon pre ? Envoie-moi des nouvelles,
car il tait malade quand il m'a quitte. Salut mamie. Rodin vous
salue.Je l'ai mise l'vre :j'ai toujours besoin d'elle maisje suis
heureuse. Le 8 Phaphi.
[Verso] : remettre Philadelphie, ma mre Valerias.
n161
UN BB PRMATUR

SB 12606 - Oxyrhynchos (?) - III s. ap.J.-C.


c

Zole Thodora sa mre, salut. tant aujourd'hui Thallou


chez mon frre, j'ai trouv tout le monde en bonne forme, mais ma
sur Techsous tait terriblement malade. j'espre qu'elle va
accoucher aujourd'hui sept mois. Si la dlivrance se passe bien, je
te dirai ce qu'il en est. Inaarous, le pre du petit, qui te livre cette
lettre, avec Aks, fils de Pachoimis, le tisserand et d'autres viennent

1. tienne BERNAND, Recueil des inscriptions grecques du Fayoum, vol.


Leiden/Le Caire, Brill, 1981, n 150.

230

III,

Oxyrhynchos pour des obligations creees par l'affaire de


!'Honorable Hirokins. Donne-leur s'il te plat la clef de la porte
qui se trouve prs du portail [de la maison ?] . Eudamonis dit en
effet que tu dois d'abord les recevoir pour qu'ils puissent demeurer
chez toi avant qu'ils reoivent l'hospitalit de ton matre. Salue tous
ceux de chez nous. Eudamonis, Techsous et tous ceux qui sont ici
te saluent [plus de 10 lignes illisibles].

Alors que le texte n 160 contient une lettre banale et charmante d'une femme enceinte qui donne des nouvelles, en prend
et remercie sa mre de ses petits paquets, la lettre suivante est
plus singulire. Un peu obscure, elle reflte toutefois une
croyance trs fortement ancre en gypte la suite de la mdecine grecque : le prmatur de sept mois survit alors que celui de

huit mois meurt. Il y a sans doute une raison magique ces considrations - le chiffre 7 a toujours t considr comme sacr mais une cause mdicale n'est pas exclure: certains troubles de
la grossesse comme !'clampsie interviennent au cours du dernier trimestre.
La mortalit infantile tait en effet considrable : un tiers des
enfants mouraient avant leur 1er anniversaire et plus de 2/5 avant
l'ge de cinq ans. Ce poids de la mortalit infantile faisait baisser
drastiquement l'esprance de vie que l'on estime 22 ans pour
les femmes et 25 ans pour les hommes. En ralit, un enfant qui
survivait ses cinq ans pouvait esprer vivre plus d'une quarantaine d'annes.

XV
DE LA NAISSANCE LA MORT

Le titre de ce chapitre se comprend de lui-mme : il runit des


textes qui dcrivent le parcours d'un individu tout au long de sa
vie. dire vrai, ce regroupement peut paratre un peu factice :
des textes d'poques diffrentes voquant des conditions sociales
htrognes se voient amalgams ici. Il faut donc lire ce chapitre
avec prudence, en s'efforant de retrouver le contexte.
n162
UNE DCLARATION DE NAISSANCE

P. Fay. 28 =Hengstl25

=SP309 -Fayoum -150-151 ap.J.-C.

Socrate et Didyme alias Tyrannus, scribes de la mtropole [du


nome arsinote], de la part d'lschyras, fils de Protas, fils de Mysths
et de Tasoucharion sa mre, fille de Didas, du quartier de
Hermouthiak ainsi que de la part de sa femme Thasarion, fille
d'Ammonios, fils de Mysths, et de Thasas sa mre, dudit quartier
d'Hermouthiak. Nous enregistrons le fils qui nous est n, Ischyras,
qui a un an cette prsente anne, la 14 du CsarAntoninus notre
Seigneur [Antonin le Pieux]. Aussi prsentje cette dclaration
d'une naissance aprs le recensement. Ischyras, g de 44 ans, sans
signe distinctif, Thasarion, sans signe distinctif. crit pour eux par
Ammonios, scribe public.

Comme toutes les dclarations de naissance, celle-ci prsente


les lments ncessaires l'administration: nom du pre et de

232

ses parents, nom de la mre et de ses parents, lieu d'habitation


des parents, nom de l'enfant, ge de l'enfant. On remarquera
simplement que la dclaration ne se fait pas la naissance mais
un an plus tard. La raison est donne par la suite : la naissance a
eu lieu aprs le recensement, et les parents bnficient d'un certain dlai avant le recensement suivant. Rien ne presse : l'tat
civil sert surtout l'administration fiscale, dsireuse de ne pas
oublier de contribuables. Ceci explique sans doute que l'on
n'accorde pas d'importance la date de naissance prcise de
l'enfant. Il semble d'ailleurs que la dclaration n'tait obligatoire que lorsque l'enfant naissait peu aprs un recensement : les
enfants ns juste avant un recensement taient comptabiliss
avec les autres.
n163
UN CONTRAT DE NOURRICE
P. Bouriant 14 = C. Pap. Gr. 28 - Ptolmas

vergtide -

126-127 ap.J.-C.
Duplicata de contrat de nourrice. La 16 anne de !'Empereur
Csar Nerva Trajanus Augustus Germanicus Dacicus [Trajan], le
30 Sbastos. Ptolmas vergtide du nome d'Arsino. Hlne, fille
de Hrn, Perse, d'environ 40 ans, cicatrice au coude droit, assiste
de son tuteur et frre Nilos, fils de [ ... ] d'environ vingt ans, cicatrice
au ct gauche du front, s'engage vis--vis de Sarapin, fils
d'Asclpdiade, de la tribu Philaxithalassienne et du dme d'Althaa,
d'environ 31 ans, sans signe particulier, nourrir et allaiter chez
elle de son propre lait pendant deux ans partir d'aujourd'hui [ ... ]
l'enfant du sexe fminin nomme Corinthia, ne de l'esclave ayant
appartenu Sarapin, nomme Tych, en recevant de lui comme
salaire mensuel pour ses dpenses et l'allaitement [ ... ] drachmes,
plus deux cotyles d'huile [ ... ] un kramion de vin, quatre poules [ ... ] .
Qu'il ne soit donc pas permis Hlne au cours du temps fix de
rendre Sarapin le petit esclave, ni d'avoir chez elle un second
nourrisson, ni de gter son lait, ni [ ... ] aucune autre chose [ ... ] de
lui donner les soins convenables [ ... ].Si elle rend l'enfant ou transgresse quelqu'une des clauses susdites, qu'elle paie sur-le-champ son
salaire augment de moiti, le double des dommages, une amende
de [ ... ] drachmes et autant au trsor.

Allaiter soi-mme son enfant, lorsqu'on jouit d'un rang lev,


est une invention du xx.e sicle : le souci d'indpendance, quelques
principes hyginistes et maintes raisons pratiques imposaient le
recours une nourrice. Dans ce texte, on voit que cet expdient

233

concernait galement les esclaves, soit que l'on voult rduire au


maximum l'inactivit de la mre, soit que l'on tentt de prvenir
une trop grande affection maternelle, soit que l'on chercht tout
simplement le bien de l'enfant en l'loignant d'une maison qui
n'tait pas prvue pour les nourrissons. Une quatrime possibilit
serait que la mre ft morte en couches.
Aprs qelques annes, il convient de faire aller l'enfant
l'cole. L'ducation des classes sociales favorises demeurait
assez traditionnelle. L'enseignement primaire se trouvait dans les
mains d'un grammatiste qui enseignait les lettres, les syllabes, les
mots et les phrases. Les quelques exercices qui suivent portent les
traces de cet enseignement lmentaire.
n164
EXERCICES D'ARITHMTIQUE ET DE GOMTRIE

P. Mich. 145 - ne sicle ap. J.-C.

(extraits)

[Exercice de fractions (col. I, 2)]


12/29 = 1/4 + 1/8 +1/29 + 1/232
13/29 = 1/3 + 1/15 + [1/29] + 1/87 + 1/435
14/29 = 1/4 + 1/5 + 1/58 + 1/116 + 1/145
15/29 = 1/2 + 1/58
16/29 = [1/2] + 1/29 + 1/58
[17/29 = 1/2 + 1/12] + 1/348
[Exercices de calcul]
[Col. III, III, 5-7]. Rduire en drachmes d'argent 5 800 drachmes de
cuivre, sur la base d'un statre 1 200 drachmes de cuivre. Comme il
convient, j'ai pris 1/1200 des 5 800 drachmes donnes soit 4 1/2 *
1/3 statres, je les multiplie par quatre [puisque le statre vaut
4 drachmes], soit 19 drachmes 2 oboles.
[Col. III, VI, 3-4]. Le tarif de transports de 100 artabes est 5 artabes:
quel est le tarif de transport du montant principal entier de 1 000 artabes ?
Comme il convient, j'ai multipli [5] par 1 000 soit 5 000, dont le
centime est 50 : tel est le montant des frais de transport.
[Col. III, VI, 5-8]. La largeur d'un champ est de 2112 schnes, quelle
est sa longueur pour qu'il puisse tre de 200 aroures ? Comme ncessaire,
rduire les 2 1/2 schnes la moiti soit 5 et les 20 aroures la moiti soit 40, dont le cinquime est 8. Voil la longueur. Preuve : multiplier les 2 1/2 schnes de la largeur par les 8 de la longueur : 20.
[Col. III, VII, 5-7]. L'intrt [mensuel] est de 2 drachmes et 3 oboles [pour
100]. 4 mois passent et le principal est de 200 drachmes: quel est l'intrt?
[Multiplier] les 2 drachmes 3 oboles par les mois soit 10 [puis] par
200 soit 2000, dont le centime est 20 : voil l'intrt.

234

Le papyrus est conserv dans !un tat de prservation trs


dplorable. Il pose de nombreu~es questions. Cependant, il
montre bien que les problme~ algbriques ne datent pas
d'hier.
n16~
PROBLMES DE GOMTRIE

P. Rainer Unterricht 7 - Hermopolis (?) -

1er s.

ap. J.-C.

Soit un cercle dont le diamtre fait IO schnes. Combien


d'aroures a-t-il? Voil comment il faut faire : multiplier les 30 schnes
par eux-mmes, cela fait 100. En prendre la moiti puis ajouter le
quart, cela fait 75. Voil combien d'aroures a le cercle, comme il est
inscrit ci-dessous :
[La solution est porte sur un cercle barr cens reprsenter le diamtre]

Primtre: 10 schnes; ce qui fait 75 aroures.

n166
EXERCICES D'CRITURE

P. Rainer Unterricht 7 - Hermoupolis (?) - rr s. ap. J.-C.

1. 1
1. 2
1. 3
1. 4
1. 5

[l'alphabet grec: aPye0t]Kvonpcnu$[X]'l'ro


[l'alphabet grec l'envers: ro'l'x$utcr] pnovKt0T)eypa
[suite de lettres dpourvue de sens :]0umT)cr$'Yopro\jf
[suite de lettres dpourvue de s~ns :J'l'x0rotv7tT)Ktpovcr$t...
[premire lettre, dernire lettre, etc. : aroP'l''YX]$eti'tT)cr0ptv-

Koa

1. 6 [nombres de 1 10 et de 20 '200 : aj3 X: J ~


~ 01t

1. 7 [numraux de
1. 12 [syllabes :]
1. 13
1. 14
1. 15
1. 16
1. 17
1. 18

i X: : v

300 6000: roA'


r' A' E' drachmes.
a
a
i ea
e
e
0e
T)
T)
i 0T)
t
t
i 0t
o
o
eo
u
u
eu
ro
ro
0ro
1

nJ6'j

ALPHABTI~UE DE MTIERS
P. Teb. 278 - Tebtyni~ - 1r s. ap. J.-C.
UNE LISTE

pt6Kono [boulanger]
Pcx$eu [teinturier]
yvaeu [foulon]
opuo [armurier (fabricant d~ lances)]
atoupyo [huilierJ

235

roypa$o [peintre]
]1tT]'t) [tailleur]
0ropmconot6 [fabricant de cuirasse]
mp6 [mdecin]
TC.et't01tO [serrurier]
Ml;o [foulon]
uoTCono [carrier (fabricant de meule)]

n168
INVITATION UN ANNIVERSAIRE

P. Oxy. 2791 - Oxyrhynchos - n s. ap.J.-C.

Diogne t'invite dner pour le premier anniversaire de sa fille


au Serapeum demain le 26 Pchon partir de la 8 heure.

La clbration du premier anniversaire d'un enfant semble


avoir t particulirement importante en gypte, sans doute parce
qu'on estimait que s'il avait chapp aux maladies du premier
ge, il avait quelque chance de vivre. La clbration se tient dans
un temple : la fte devait avoir un caractre religieux, mais il faut
dire aussi que le Serapeum possdait de grandes salles.
n169
DCLARATION POUR L'EXAMEN D'PHBIE (EPICRISIS)

P. Gen. 19 = Schubert 5 - origine inconnue - 23 aot 148 ap. J.-C.

Tyrannos alias lsidoros et Ninnos alias Chrysippos, ex-gymnasiarques responsables de l'examen du statut civique, de la part
d'Heron, fils de Souchion, petit-fils de Diodoros, de mre
Hermion, et de la part de son pouse divorce Thaubarion, fille
d'Heron, petite-fille d'Heron, tous deux enregistrs, Heron dans le
quartier d'Hellenion, Thaubarion dans celui des Bithyniens et environs, avec pour rpondant lgal le mme Heron. Notre fils tous
deux, Isidoros, ayant atteint ses 13 ans la prsente 11 anne de
notre matre Antoninus Csar [Antonin le Pieux], et devant tre
examin, nous avons soumis les pices lgales. Moi, Heron,j'ai t
enregistr sur la dclaration de la 2 anne du divin Hadrien [119
ap.J.-C.] au quartier de Phanesios, sur celle de la 16 anne du divin
Hadrien [134 ap. J.-C.J, et sur la dclaration par maisonne de la
9 anne de notre matre Antoninus Csar [146 ap. J.-C.] au quartier d'Hellenion, ayant t enregistr sur la liste de la 9 anne en
mme temps que mon fils Isidoros examin. Et moi, Thaubarion,
j'ai t enregistre sur la liste de la 16 anne et celle de la 9 anne
du quartier des Bithyniens et environs. Quant notre fils examin,
Isidoros, nous l'avons dclar tous deux au registre des naissances
de la 6 anne de notre matre Antoninus Csar [143 ap.J.-C.], au
quartier d'Hellenion. Les parents de mon pouse Thaubarion ont

236

t enregistrs sur la liste de la 2 anne au quartier des Bithyniens


et environs, alors que mon pouse n'tait pas encore ne.
[2' main] Moi, Ninnos alias Chrysippos, ex-gymnasiarque, par
l'intermdiaire d'Ammonios, scribe, j'ai examin Isidoros, fils
d'Heron, petit-fils de Souchion, de mre Thaubarion. La 11 anne
de notre matre Antoninus Csar, le 30 Msor.

La dclaration d' epicrisis ne concernait que les Grecs habitant


les villes accordant la citoyennet: elle permettait d'accorder la
citoyennet au jeune homme ayant atteint sa majorit civique
(son phbie). La citoyennet se confrait par le sang : il suffisait
que les deux parents soient citoyens grecs pour que l'enfant le
devienne. Pour devenir citoyen, profiter des avantages attachs
la citoyennet et pntrer au gymnase, il fallait donc pouvoir justifier de sa bonne naissance. Les parents soumettaient donc aux
magistrats chargs de l'examen une demande, en fournissant les
lments qui prouvaient qu'ils taient citoyens : ici, la fiche
d'tat civil est constitue de l'inscription des parents sur les
diverses listes de recensement ainsi que de la.dclaration de naissance de l'enfant.
Muni de sa dclaration, le jeune citoyen profitait de l'enseignement du gymnase. Outre sa fonction administrative, il semble
qu'on y maintenait l'ducation sportive et militaire laquelle la
Grce ancienne le destinait. Les jeunes privilgis du gymnase
s'entranaient donc aux jeux martiaux et participaient des comptitions publiques. Comme le prouve le papyrus suivant, une
picrisis russie , donnait lieu une belle fte :
n170
INVITATION UNE FTE D'PICRJSJS

P. Oxy. 2792 - Oxyrhynchos - m s. ap.J.-C.

Horion t'invite l' picrisis de son fils le 15 dans sa maison partir de la s heure.

Influenc par les coutumes gyptiennes, on l'a dit, le mariage


faisait l'objet d'un simple accord. Comme le prouve le contrat
suivant, les conditions sont simples : la cohabitation prouve le
mariage et la rupture de la vie commune constitue un motif suffisant de divorce. Les femmes se mariaient le plus souvent entre
17 et 20 ans, les hommes un peu plus tard.

237

n" 171

P. Teb. 104 = SP 2

UN CONTRAT DE MARIAGE
= Mitt. Chrest. 285 = Hengstl 72

- Tebtynis -

92 av.J.-C.

[Rsum du contrat] Le 11 Mchir de la 22 anne [de Ptolme X].


Philiscos fils d'Apollonios, Perse de l' pigon, reconnat Apollonia
alias Kellauthis, fille d'Hraclide, Perse, avec comme tuteur son frre
Apollonios, qu'il a reu d'elle en monnaie de cuivre 2 talents 4 000
drachmes, montant de la dot pour Apollonia sur lequel on s'est mis
d'accord [ ... ]. Le gardien du contrat est Dionysios.
[Contrat] L'an 22 du rgne de Ptolme alias Alexandre, dieu
Philomtor, sous la prtrise du prtre d'Alexandre, etc., comme crit
Alexandrie, le 11 du mois Xandicos qui est le 11 Mchir,
Kerkosiris dans la division de Polmn du nome d'Arsinos.
Philiscos fils d'Apollonios, Perse de l' pigon, reconnat Apollonia alias Kellauthis, fille d'Hraclide, Perse, avec son tuteur son
frre Apollonios, qu'il a reu d'elle en monnaie de cuivre 2 talents
4 000 drachmes, la dot pour Apollonia sur laquelle on s'est accord.
Apollonia devra rester avec Philiscos, lui obir comme une femme
son mari, possdant leur proprit en commun.
Philiscos doit assurer Apollonia le ncessaire, les vtements et
ce qui est propre une femme marie, qu'elle soit la maison ou audehors, raison de ce que leur proprit peut admettre. Il ne sera
pas loisible Philiscos de prendre une autre femme qu'Apollonia, ni
d'avoir une concubine ou une amante, ni d'engendrer des enfants
d'une autre femme tout le temps de la vie d'Apollonia, ni de vivre
dans une autre maison dont Apollonia ne serait pas la matresse, ni
de l'expulser, de l'insulter ou de la maltraiter, ni d'aliner aucune de
ses proprits au dtriment d'Apollonia. S'il se rvle qu'il fait l'une
de ces choses ou ne lui fournit pas le ncessaire, les vtements et le
reste comme il a t dit, Philiscos devra verser sur-le-champ
Apollonia la dot de 2 talents 4 000 drachmes de cuivre.
De la mme manire, il ne sera pas loisible Apollonia de passer la nuit ou le jour loin de la maison de Philiscos sans le consentement de Philiscos ou d'avoir une aventure avec un autre homme,
ou de dshonorer la maisonne, ou de faire honte Philiscos en
tout ce qui cause de la honte un mari. Si Apollonia veut de son
propre mouvement se sparer de Philiscos, Philiscos devra lui verser strictement la dot dans les 10 jours partir du jour o la restitution en a t demande. S'il ne restitue pas comme il a t
mentionn, il devra verser sur-le-champ la dot qu'il a reue, majore de la moiti.
Les tmoins sont Dionysios, Patrnos, Dio:riysios, Hermascos,
Thn, Ptolme, Didyme, Ptolme, Dionysios, Dionysios, Hraclios, Diocls, tous Macdoniens de l' pigon [citoyens grecs descendants de Macdoniens]. Celui qui conserve le contrat est
Dionysios.

238

[2' main] Moi Philiscos, fils d'Apollonios, Perse de l' pigon,


accuse rception de la dot, les 2 talents 4 000 drachmes de cuivre,
comme crit ci-dessus etj'agirai conformment la dot [... ].Moi
Dionysios, fils d'Hermaiscos, dj mentionn, l'ai crit pour lui car
il tait illettr.
[3' main] Moi Dionysios, ai reu le contrat comme valide.
[1" main] Enregistr le 11 Mchir an 22.
[Au verso] Contrat de mariage d'Apollonia et de Philiscos.
[Au-dessous] Apollonia, Philiscos, Dionysios, Dionysios, Didyme,
Apollonios, Thn, Hracleios, Dionysios.

Ce document prsente les traits caractristiques des contrats


de mariage. Philiscos t Apollonia passent devant le notaire (cruyypa<j>o<j>u.a) Dionysios pour conclure un accord. Lgalement, la
femme n'a pas de statut: elle se fait donc reprsenter par un
tuteur (Kupto). Le contrat se fonde sur des obligations de deux
sortes : une dot et des obligations de conduite.
1) La dot provient des ges les plus reculs de l'humanit. Elle
pouvait se prsenter comme une transmission la fille d'une partie des terres du pre ou bien comme le don d'un trousseau
souvent assorti d'objets de valeur comme des bijoux. Ici, il s'agit
d'une forte somme d'argent : elle rsulte sans doute d'une ngociation acharne entre les deux parties.
2) Les obligations de conduite concernent aussi bien l'homme
que la femme. L'homme a quatre obligations : le gte, le couvert,
l'habillement et la dcence. Si les trois premires se comprennent facilement, la culture judo-chrtienne ne doit pas majorer
le sens de la quatrime obligation. Il n'est pas prcis que
Philiscos doit tre fidle Apollonia: il doit seulement viter
d'avoir une concubine officielle ,ou pire, d'aller vivre ailleurs.
Le but avou de cette obligation n'est pas de prserver un certain loyalisme envers Apollonia mais de garantir la dignit de la
famille. Le contrat ne condamne pas les relations sexuelles avec
d'autres femmes, mais proscrit de mettre en danger la prosprit
du mnage en entretenant une concubine ou des enfants.
L'interdiction d'aliner ses proprits au dtriment de la femme
va dans le mme sens. La femme, elle, a des obligations plus
strictes puisqu'elle n'a pas le droit de voyager sans le consentement de son mari, n'a pas le droit d'avoir des relations sexuelles
avec un homme et surtout n'a pas le droit de faire honte
Philiscos en tout ce qui cause de la honte un mari. On voit
bien que le contrat est asymtrique : le but des obligations de la

239

femme est de prserver la dignit masculine. Elle ne doit pas


faire de son mari un objet de rise : personne ne doit mettre en
doute ses capacits sexuelles, la prosprit de son mnage, l'tendue de son autorit. Aussi, ce qui cause de la honte un mari
recouvre des impratifs varis : Apollonia ne doit pas laisser ses
enfants vtus comme des misreux, elle ne doit pas se pavaner au
march, elle ne doit pas se moquer de son mari. Bref, alors que
l'homme a pour mission de protger la famille, la femme doit
respecter l'autorit de son mari.
n172
INVITATION UN MARIAGE

P. Oxy. 111 = Wilck. Chrest. 484 - Oxyrhynchos - rrr s. ap. J.-C.


Hras t'invite au repas l'occasion du mariage de son enfant,
dans sa maison, demain le 5, la 9' heure.

Dans ce papyrus d'invitation, on repre de nombreuses analogies avec une pratique ayant cours plus de dix-huit sicles aprs :
la mre de famille (et non le pre) invite sa table, car un mariage
ne saurait tre clbr sans banquet. Toutefois, les rjouissances
commencent tt puisque les convives sont censs arriver ds la
9 heure (en l'absence de date, il parat impossible de savoir
l'heure exacte, mais en tout tat de cause, la 9 heure se situe le
matin). Remarquons en outre que l'invitation vient plutt tard :
qui oserait envoyer une invitation pour le lendemain ?
On dcouvre quelquefois dans les papyrus des traces de l'an
cienne coutume d'inceste de l'gypte pharaonique :
n173
DES JUMEAUX INCESTUEUX

P. Miss. 57 -Arsino - ne s. ap. J.-C.

Zeus etApollonios, scribes de la mtropole, de la part de Sabinos,


fils de Ptolemaos et petit-fils d'Hracl [... ] mre d'Eudamonis, et ma
femme Thermion, qui est ma sur jumelle de mme pre et de mme
mre, avec mon seigneur Sabinos, l'un et l'autre de la mtropole, nous
sommes enregistrs dans le quartier du Gymnase.

Le scribe mtropolitain a pour rle de recenser la_population


de la ville. Manifestement, les jumeaux sont incestueux. et sont
mari et femme.
1. Nicolaus GoNIS, lncestuous Twins in the City of Arsinoe , Zeitschriftfr
Papyrologi,e undEpigraphik 133, 2000, p. 197-198.

240

n174
UNE DCLARATION DE DCS

SB 11586 - prov. inconnue - 4 7 ap. J.-C.


Hermaos, basilicogrammate [scribe royal], de la part de
Taparpis, avec son tueur, son parent Adrastos, fils de Diogne. Mon
mari Abis, fils d'Horos, payant l'impt au village de Philadelphie,
est mort dans le mois d'piph, la 7e anne courante de l'empereur
Tiberius Claudius Csar Augustus Germanicus [Claude] .Je te demande
par consquent que son nom soit inscrit parmi ceux qui sont morts.

Ce genre de dclaration de dcs peut rvler des drames.


Reste seule l'tranger, Tar crit sa tante Hreina de Coptos
pour lui demander de ne pas l'oublier.
n175
LETTRE DE DEUIL ET DE DEMANDE

P. Bouriant 25 = SP 165 = Naldini 78 - Apameia - IV s. ap. J.-C.

madame et trs aime tante, de la part de Tar, fille de ta sur


Allous, salut en Dieu. Avant tout, je prie Dieu que ma lettre te trouve
heureuse et en bonne sant : telle est ma prire. Sache, madame, que
depuis Pques, ma mre, ta sur, a t dlivre [est morte].Lorsque
j'avais ma mre, c'tait toute ma famille que j'avais en elle. Mais depuis
qu'elle est morte,je demeure solitaire, n'ayant plus personne, en pays
tranger. Souviens-toi donc de moi, ma tante, comme si ma mre te le
demandait, et, si tu en trouves l'occasion, envoie-moi quelqu'un.
Salue tous ceux de notre famille. Qu'en bonne sant le Seigneur te
conserve de longues et paisibles annes, madame.
Remets cette lettre Horeina, sur d'Apollonios, de Coptos, de
la part de Tar, fille de sa sur d'Apameia.

Tar, la jeune chrtienne (comme le prouve la mention du


Seigneur pour parler de Dieu et celle de la fte chrtienne de
Pques), vient de perdre sa mre et se retrouve seule Apameia,
une ville de Syrie. Elle crit donc cette lettre bouleversante sa
tante reste en gypte pour qu'elle lui envoie de la compagnie. La
lettre respecte les conventions pistolaires classiques : une adresse,
une action de grces, l'objet de la lettre, une demande de salut et
un souhait de bonne sant. Toutefois, par quelques phrases trs
personnelles et trs dlicates, elle parvient transmettre la tristesse
qu'elle prouve de la mort de sa mre, ainsi que le re~pect qu'elle
veut tmoigner envers sa tante qu'elle semble ne pas connatre.
1. Herbert C. YoUTIE, Zeitschrift fr Papyrologi,e undEpigraphik 22, 1976, p. 57.

XVI

AMUSEMENTS ET PLAISIRS

Aprs tant de chapitres graves et raisonnables, VOICI que


Dionysos prend le pas sur Apollon, le plaisir sur la raison. Les
Grecs et les Romains savaient galement s'amuser et la fte faisait
partie de leur vie quotidienne. Les quelques textes qui suivent
tentent de donner une ide de ces plaisirs.

1. -

THTRE, LITTRATURE ET CHANSONS

Les Grecs et les Romains avaient en commun une chose : le


got immodr pour le thtre. La tragdie ancienne la
Sophocle n'tait plus qu'un lointain souvenir, rserv une
lite : le peuple aimait la farce. Les Romains prfraient le mime ;
les Grecs, la comdie. Les deux extraits qui suivent voquent les
mille et une ressource des pantomimes, ces acteurs inventifs et
parfois subtils.
n176
LAMENTATION SUR UN COQ

P. Oxy. 1899 - Oxyrhynchos - ne s. ap. J.-C.

Depuis son enfance, mon ami Tryphon l'a gard, a veill sur lui
comme un enfant dans ses bras. Je ne sais o aller ; mon navire a

242

fait naufrage. Je pleure mon oiseau chri que j'ai perdu ! Ah, que
j'embrasse son poussin, l'enfant du guerrier, du bien-aim, du
Grec 1Grce lui on disait ma vie russie, et l'on m'appelait le bienheureux, le grand homme parmi les amis des animaux. j'agonise :
. mon coq s'est perdu, il est tomb amoureux d'une poule assise et
m'a abandonn. Qu'une pierre gt sur mon cur etje serai en paix.
Et vous mes amis, adieu 1

Ce court texte constituait la fin d'une longue lamentation


burlesque perdue : il parodie avec bonheur la posie lgiaque,
dont il reprend tous les lieux communs en les dtournant pour
les attribuer un volatile. Comme l'amant trahi qui crie sa douleur, le propritaire du coq de combat volage enchane les effets :
le souvenir d'une longue affection, l'treinte des enfants, le rappel de la vie passe, et, finalement, l'appel la tombe. Malgr
quelques excs, ce texte n'est pas dpourvu de finesse et n'a rien
envier aux textes de Goldoni ou aux pices du jeune Molire.
n177
UNE SCNE DE MIME

P. Oxy. 413 - Oxyrhynchos - n s. ap. J.-C.

[Scne Il Bien. Saisissez-vous de lui, esclaves, et livrez-le son sort.


Prenez aussi celle-l comme elle est, billonne.Je vous l'ordonne,
conduisez-les aux deux promontoires et attachez-les aux arbres qui
s'y trouvent. Mais faites-le loin l'un de l'autre et faites en sorte qu'ils
ne puissent pas se voir, afin qu'ils ne se rejoignent pas par les yeux
et meurent avec plaisir 1 Quand vous les aurez gorgs, venez me
retrouver. C'est tout.Je rentre l'intrieur.
[Scne Il] Que me dis-tu ? Comme a, les dieux vous sont apparus? Et vous avez eu peur? Et ils [se sont chapps] ? Je vous l'annonce, s'ils ont pu vous chapper, ils ne se dissimuleront pas des
gardes des montagnes. Maintenant, je veux demander la clmence
des dieux, Spinther. Fais une invocation [ ... ], dis les prires des
sacrifices. Quand les dieux vont apparatre pour notre bien, chante
comme ceux qui font attention. Canaille 1 Ne feras-tu pas ce qu'on
t'ordonne? Que se passe-t-il? Es-tu devenu fou? [Un bruit.] Sors voir
qui c'est.
[Scne Ill] Que dit-il? Oh, c'est elle? Voyez si notre puissant ami
n'est pas dehors.Je vous l'ordonne, emmenez cette femme et livrezla aux gardes des montagnes ; dites-leur de la charger de chanes et
de la surveiller. Saisissez-la 1Tranez-la 1Disparaissez 1Et vous, cherchez-le, gorgez-le et jetez-le devant moi pour que je le voie mort.
Spinther et Malacos, avec moi 1
[Scne IV] Je sors [ ... ].Je vais tcher de m'assurer qu'il est bien
mort, afin de ne plus souffrir de colre [ ... ].H, le voil! Pauvre

243

fou. Tu as prfr trejet comme cela, plutt que de m'aimer? Il


gt sourd : comment le. pleurer? Quelle que soit la colre que j'ai
eue contre ce mort, elle est finie 1 Suffit! Je vais apaiser [... ] mon
cur ravi. Spinther 1Pourquoi ces yeux au sol ? Viens ici, viens vers
moi, canaille, pour que je puisse tirer un peu de vin. Viens, viens,
canaille. Ici. O vas-tu ? Ici l
[Scne V] Voici la moiti de ta tunique. La moiti? Moi je paierai
entirement pour tout.Je suis dcid, Malacos.Je les tuerai tous, je
vendrai les proprits etje me retirerai quelque part. Maintenant,
je veux me rendre matresse du vieux, avant qu'il ne s'en doute. Et
j'ai point nomm un poison fatal que je vais mlanger l'hydromel et que je lui donnerai boire. Aussi va la grande porte et
appelle-le comme pour une rconciliation. Disparaissons et mettons le parasite dans la confidence propos du vieux.
[Scne VI] Esclave l Esclave 1 C'est comme a, parasite. Qui estce? Et qui est-elle? Et qu'est-ce qu'elle a? Dvoile-la que je puisse
la voir.J'ai besoin de toi. C'est comme a, parasite.Je me suis repentie et je veux une rconciliation avec le vieux. Va le voir et amnele-moi :je vais rentrer prparer ton djeuner.
[Scne VII] Merci, Malacos, d'avoir t si rapide. Tu as mlang
le poison et le djeuner est prt ? Quoi ? Ici, Malacos, prends l'hydromel. Pauvre garon, je pense que notre parasite est devenu fou.
Il rit, le pauvre garon. Suis-le pour que rien ne lui arrive. Tout s'arrange comme je l'ai voulu. Nous prparerons le reste plus tranquillement dehors. Malacos, tout va se passer comme prvu si nous
nous dbarrassons du vieux.
[Scne VIII] Parasite, que se passe-t-il ? Comment? Certainement,
j'ai tout ce que je veux. [Le corps du vieux est prsent sur scne.]
SPINTHER : Eh bien, quoi, parasite, que veux-tu ? PARASITE : Spinther,
donne-moi de quoi mourir 1 SPINTHER : Parasite, j'ai bien peur de
rire 1 MALA.cos: Tu dis bien! PARASITE: Je dis ... Mais que doisje
dire? Pre et Seigneur, pour qui m'abandonnes-tu? J'ai perdu ma
franchise, ma rputation, ma lumire libre. Tu tais mon matre.
lui... MALA.cos: Tais-toi. Moi, je vais chanter son loge funbre.
Malheur toi, misrable, mchant, mauvais et dtestable homme 1
Malheur toi. .. LE VIEUX [mergeant de son cercueil]: Malheur moi 1
Je sais qui tu es ! Spinther, des chanes pour lui ! [Voyant les amants.]
Il est l de nouveau ? SPINTHER: Matre, ils sont encore vivants 1

l'instar de la commedia dell'arte, le mime antique se servait


d'un canevas d'intrigue et brodait ensuite en fonction de son inspiration et des ractions du public. Malgr leur mauvaise rputation, les mimes connaissaient la faveur du public. Il faut dire qu'ils
taient de valeur ingale. Le canevas quel' on prsente ici fait partie des meilleurs : la progression dramatique subtile et l'extrme
varit des sentiments exprims devaient faire le bonheur des

244

amateurs. L'histoire est complexe. Une femme aduhre a fait des


avances l'un de ses esclaves ; celui-ci la repousse et file le parfait
amour avec une servante. Dpite, la femme adultre ordonne
qu'on les mette mort. Heureusement, leurs compagnons les laissent filer en inventant une histoire d'apparition (Sc. Il). Hlas,
voici que la servante rapparat, elle est arrte (Sc. III), tandis
que son compagnon est apparemment mis mort (Sc. IV).
Encourage par ses excs, la femme adultre complote avec son
me damne Malacos de tuer son vieux mari (Sc. V) ; elle envoie
le parasite - une figure habituelle de la comdie - pour l'inviter un repas fatal (Sc. VI). Finalement, le mari est produit sur
scne, apparemment mort : le parasite en fait les louanges mais se
voit interrompre par Malacos qui rvle sa vraie noirceur. Le vieil
homme se lve et le confond. Tout est bien qui finit bien : on
apprend que le couple d'esclaves vit encore et, suppose-t-on, que
les mchants seront punis (Sc. VIII).
Ces bouffonneries devaient paratre par trop grossires certains, qui avaient des loisirs plus raffins. Ainsi, cette liste de livres
issue d'une librairie ou d'une bibliothque prive.
n178
UNE LISTE DE LIVRES

P. Turner 9 - Hermoupolis - IV" s. ap. J.-C.

Un commentaire d'Archiloque;
Callimaque, La Cration;
Eschine, [ ... ] ;
Dmosthne, [ ... ] ;
[Un commentaire] sur I'fliaded'Homre;
Un commentaire sur les Iditikoi logoi de Dmosthne ;
Callinique, [ ... ] ;
[

... ] ;

Hrodote, [ ... ] ;
Xnophon, [ ... ] ;
Aristote, Constitution d'Athnes;
Thucydide, Histoires;
Xnophon, Cyropdie;
Callinique, Diaphoroi logoi.

Ce fragment a beaucoup d'intrt, car il nous montre que les


Anciens lisaient les mmes auteurs que les modernes. On trouve
ici des livres d'auteurs et des commentaires, des ouvrages rhtoriques et des ouvrages historiques. Il s'agit sans doute d'une
bibliothque prive d'un homme assez cultiv.
245

2. -

FTES ET JEUX

La plupart du temps, les mimes que 1'on a reprs dans les


textes prcdents (cf. n 176 et n 177) se produisaient lors des
grandes ftes religieuses ou civiques qui s'taient multiplies en
gypte. On y rencontrait galement des danseurs et, avec les
Romains, des jeux du cirque.
Trs souvent connectes des vnements religieux, ces ftes
pouvaient avoir un caractre plus ou moins priv. Certaines semblent avoir t organises l'initiative d'individus (comme le
billet qui suit) ; d'autres constituaient des rjouissances municipales (comme la lettre de Dmophon) ; d'autres enfin taient
organises par les temples.
n179
INVITATION UN BANQUET EN L'HONNEUR DE SRAPIS

P. Oxy. 4339 - Oxyrhynchos - ue-rrr sicle ap. J.-C.


Ammonios te demande de dner au banquet du seigneur
Sarapis dans la maison du Serapeum le 9 partir de la 9 heure.

n180
DES DANSEURS

P. Hibeh 54 = Hengstl 93 = Deijlmann 5 = SP 95 = Wilck. Chrest. 477 Hibeh - 245 av. J.-C.
Dmophon Ptolme, salut. Envoie-nous par tous les moyens
le joueur de flte Petys avec, la fois, les fltes phrygiennes et les
autres. Et s'il est ncessaire de dpenser quelque chose, paie-le : je
te rembourserai. Et envoie-nous aussi Znobios, l' effmin, avec des
tambourins, des cymbales et des crotales. Les femmes ont besoin de
lui pour le sacrifice; qu'il ait le plus bel habit possible. Va aussi
chercher l'enfant d'Aristion et ramne-le-nous. Et si tu as pris l'esclave [mot mot le corps], donne-le Semphtheus pour qu'il
puisse nous l'apporter. Envoie-moi galement,autant de fromages
que tu le peux, des poteries vides, et des plantes de toutes sortes,
ainsi que des friandises, si tu en as. Porte-toi bien.
Charge-les bord avec des gardes qui aideront dcharger le
bateau.
[Verso] Ptolme.

Parfois, ces danseurs s'oganisaient en troupes:

246

n181
UNE DANSEUSE S'ATIACHE LES SERVICES D'UN FLTISTE
CPRXVIII, 1- prov. inconnue - 231 av.J.-C.
Sosos, fils de Sosos, Syracusain de naissance, s'est lou
Olympias [fille de X], danseuse athnienne, ayant Zophyre, fils de
Marikos, Galate de naissance, comme tuteur, sur les termes suivants : il doit collaborer avec elle en jouant de la flte partir du
mois d'Hyperbrtaos de la 16 anne [de Ptolme III] pour
douze mois, avec un salaire mensuel de 45 drachmes de bronze.
Sosos recevra comme avance d'Olympias 50 drachmes de bronze. Il
ne sera absent d'aucun concours ou d'aucune autre occasion
laquelle Olympias sera prsente ; il ne fera pas de reprsentation
pour qui que ce soit sans le consentement d'Olympias. Le contrat
est sous la garde d'Olympichos fils d'Hrodote. Cloptre [ ... ].
Sosos a environ 30 ans, est de haute stature et de peau coulur
de miel. Olympias a environ 20 ans, est petite, a la peau blanche et
le visage rond [ ... ]. Zopyros a environ x ans, a la peau couleur de
miel. Olympichos a environ 40 ans, est de taille moyenne, a la peau
couleur de miel, le visage allong et devient chauve sur le front.
crit dans la 16 anne, en Hyperbrtaos.

Ce texte exceptionnel montre que les artistes pouvaient s'associer. Ici, c'est la femme, Olympias, qui dirige l'association, promise visiblement un bel avenir : le salaire promis parat
extrmement lev. Il faut dire qu'Olympias ne se produit pas
de petites ftes villageoises mais entend participer avec son nouvel associ des concours musicaux lors des grandes crmonie's
ou des jeux publics. Voici un compte de ces jeux :
n182
COMPTE POUR DES JEUX PUBLICS
P. Oxy. 519 = Wilck. Chrest. 492 = SP402 - Oxyrhynchos n s. ap. J.-C.
[ ... ] de cette somme, ont t pays le 23 Mchir:
Pour un mime ............................................................... .496 dr.
Pour un rcitant d'Homre ......................................... ..448 dr.
Pour un musicien ........................................................... [ ... ] dr.
Pour un danseur ............................................................ 1 [ ... ] 4 dr.
[

... ]

Reu des exgtes ........................................................,..42 dr.


Reu des cosmtes [magistrats municipaux] ............... 53 dr. 1/2 ob.
Total ................................................................................ 500 dr. 1 ob.
De cette somme, on t pays:
Aux porteurs du dieu Nil .............................................. 20 dr.

247

Aux porteurs des dieux .................................................56 dr.


Aux cuyers ..................................................................... 16 dr.
Aux 14 hirodules .......................................................... 84 ob.
Pour le bateau des hirodules ....................................... 20 dr.
Pour un hraut ............................................................... 8 dr.
Pour un trompettiste ..................................................... 4 dr.
Pour les enfants pour le petit djeuner........................ 6 ob.
Pour les palmes .............................................................. 6 ob.
Total .................................................................................... 124 dr. 96. ob.
[ ... ]

Pour un pancratiaste ...................................................... [ ... ] dr.


Pour un challenger ........................................................ [ ... ] dr.
Pour un boxeur .............................................................. [ ... ] dr.

Ce compte de crmonie prouve que les amusements et la


religion ne se dissociaient pas en gypte. Le mime, l'ade, le
musicien et les danseurs voisinent avec les porteurs de la barque
sacre sur laquelle prenaient place les dieux et avec les prtres
qui formaient la procession religieuse. La fte devait se clore par
des dmonstrations sportives puisque l'on finance galement le
pancratiaste (un lutteur qui pratique un sport anctre de la
lutte grco-romaine ) et le boxeur.
Parfois, les rjouissances n'taient pas aussi raffines:
n183
UNE BELLE SOLOGRAPHIE

SB 12199 -Thadelphie - 16 mars 155 ap.J.-C.

Ptolme, basilicogrammate [scribe royal] du district de


Polmon, du nome arsinote, agissant comme stratge des districts
de Thmistos et de Polmon, de la part d'Horion, fils de Castor,
cultivant la terre publique du village de Thadelphie. Le 20 du
mois courant de Phamnth, une heure tardive, un certain
Hraclide, conducteur d'nes et une autre personne, un tranger dont je ne connais pas le nom, l'un et l'autre conducteurs
d'nes,, quoique nous n'ayons rien de commun, ont attaqu,
saouls, ma maison et ont us d'une assez grande violence contre
les membres de ma famille, mme s'il n'y avait rien entre nous. Et
il a fallu tous les phylacites pour les arrter, aprs beaucoup de
bruit [ ... ]

1. Herbert C. YouTIE, P. Mich. Inv. 4195: Drunken Rowdies , Zei,tschrift


fr Papyrologie undEpigraphik 31, 1978, p. 167.

248

n184
UNE PERMISSION D'EXERCER LA PROSTITUTION 1
SB9545-lphantine-142
Ammonias et les collecteurs qui sont avec lui pour collecter la
taxe sur les prostitues Thinpapremithis, salut. Nous t'avons
donn permission de t'engager dans la prostitution. La 6 anne du
Seigneur Antoninus Csar [Antonin le Pieux], le 26 Thth.
[2' main] Brasidius, fils de Valens, a sign.

3. -

LE TOURISME EN GYPTE

Autre activit trs frquente en gypte : le tourisme. Les croisires sur le Nil ne datent pas d'hier 1 Tout le Bassin mditerranen s'est prcipit dans ce pays mystrieux et aguichant qui,
avec la vieille cit d'Athnes, avait la faveur des excursionnistes.
n185
UN TOURISTE SUR LE NIL
P. Lond. 854 =Dei,jlmann 10 = Wilck. Chrest. 117 - r-n s. ap. J.-C.
Narchos [ ... Hliodore]. Puisque beaucoup [partent en
voyage] et [se lancent dans un] voyage en bateau, afin de visiter les
uvres de la main de l'homme, je les ai imits et ayant entrepris le
voyage en remontant le fleuve, je suis arriv Syne, d'o le Nil
prend sa source, puis en Libye o Amon psalmodie ses oracles
tous les hommes, j'ai appris des choses de bon prsage, et j'ai grav
le nom de mes amis sur les sanctuaires pour un souvenir perptuel 2 La prire ...
[Verso] A Hliodore.

Un certain Narchos remonte le Nil pour visiter les fameux


temples d'gypte. Comme les touristes modernes, il s'est arrt
Assouan (Syne), juste avant la premire cataracte, o l'on
croyait, avec Hrodote, que le Nil avait sa source, et a poursuivi son
voyage jusqu'en Libye, vraisemblablement par d'autres moyens.
En parfait vandale, il a mme fait des graffiti sur les murs. Il n'est

1. C. A. NELSON, Receipt for Tax on Prostitues , Bulletin of the American


Society of Papyrologi,sts 32, 1995, p. 23-33.
2. Nous ne suivons pas la lecture de Jacques Schwartz et nous maintenons
la lecture traditionnelle (cf. Jacques SCHWARTZ, Les Archives de Sarapion et de ses
fils, Le Caire, IFAO, IFAO Bibliothque d'tudes 29, 1961, p. 101).

249

pas le seul: on trouve sur les temples d'gypte les traces du passage (parfois ancien) des curieux qui s'y sont succd.
Si le voyage sur le Nil connat la faveur des touristes antiques, l'un des grands classiques, une expdition quasiment
mythique, est le plerinage au Colosse chantant de Memnon.
Il s'agissait en fait d'une statue funraire d'Amnophis III
(XVIIIe dynastie, XIV' sicle av. J.-C.) situe prs de la Valle des
Rois Thbes (Louqsor), que les Grecs ont prise, peut-tre par
homophonie, pour une statue de Memnon, le hros troyen mort
aux cts d'Achille. la suite d'un tremblement de terre, aux
dires de Strabon 1, en 26 av. J.-C., la statue se serait fissure et le
bloc laiss en place aurait mis des sons. Les scientifiques affirment que ce chant n'tait d qu'aux craquements de la
pierre provoqus par le rchauffement du soleil, mais les plerins, ayant remarqu que ce phnomne ne se produisait qu'
l'aurore, en attribuaient la paternit Memnon lui-mme, qui
tait fils d'os (!'Aurore) et de Tithon. Rapidement, un plerinage se mit en place et l'on trouve de nombreuses inscriptions
sur la statue.
Hlas, au II sicle, l'empereur Septime Svre, dans un grand
lan de retour au paganisme pour s'opposer au christianisme,
voulut faire restaurer la statue : enfin rpar, Memnon ne chan.;.
terait-il pas mieux? Le contraire se produisit: priv des fortuites
fissures, le Colosse se tut.

Si de nombreux visiteurs se pressrent l'aurore, nous n'avons


conserv que les inscriptions des plus considrables, qui avaient les
moyens (et l'autorisation) de graver la trace de leur passage. Parmi
eux, Mettius Rufus, prfet en 89-91 ap.J.-C. Comme il sait mal le
grec, il fait rdiger l'inscription par un pote.
n186
INSCRIPTION DE METIIUS RUFUS

Insr:r. Colosse de Memnon II - Thbes - 89-9I ap. J.-C.


Des dvastateurs ont eu beau endommager ton corps, tu mets
cependant des sons, comme je l'ai personnellement entendu, mo~,
Mettius Rufus, Memnon. Ces vers sont de Pon de Sid.

Le pote ne se prive pas d'ailleurs de rajouter son message


personnel.
I. STRABON, Gographie XVII, 46.

250

'""1

n187
INSCRIPTION DE PON DE SID

Inscr. Colosse de Memnon 12 - Thbes - 89-91 ap. J.-C.


Que tu fusses capable de parler, Memnon, moi, Pon de Sid,
je l'avais jadis appris; je l'ai maintenant appris par ma prsence.

D'autres visiteurs laissent des messages plus narratifs.


n188
INSCRIPTION DE CELER

lnscr. Colosse de Memnon 23 - Thbes - n s. ap. J.-C.


Le stratge Celer se trouvait ici, mais pas pour entendre
Memnon. Il se trouvait en effet dans la poussire des buttes pour
consulter l'oracle et se prosterner. Memnon comprit et ne profra
rien. Mais Celer revint de nouveau l o il s'tait trouv, en laissant
passer l'intervalle de leuxjours. En arrivant, il entendit la voix du
dieu. L'an 7 du Ccesar Hadrien notre matre, le 6 piph, la premire heure.

Le visiteur le plus clbre est sans conteste l'empereur


Hadrien, qui visita le colosse avec sa femme l'impratrice,
quelques jours aprs la mort de son favori Antinos. Cet pisode
est relat de faon romance par Marguerite Yourcenar dans les
Mmoires d'Hadrien: mme s'il s'agit d'une fiction, la description
est conduite avec une prcision trs remarquable. Quelques
jours aprs l'arrive Thbes, j'appris que l'impratrice et sa
suite s'taient rendues par deux fois au pied du colosse de
Memnon, dans l'espoir d'entendre le bruit mystrieux mis par
la pierre l'aurore, phnomne clbre auquel tous les voyageurs souhaitent d'assister. Le prodige ne s'tait pas produit; on
s'imaginait qu'il s'oprerait en ma prsence [ ... ]. Ce matin-l,
vers la onzime heure, Euphorion entra chez moi pour raviver
la lampe et m'aider passer mes vtements.Je sortis sur le pont;
le ciel, encore tout noir, tait en vrit le ciel d'airain des
pomes d'Homre, indiffrent aux peines et aux joies des
hommes. Il y avait plus de vingt jours que cette chose avait eu
lieu. Je pris place dans le canot; le court voyage n'alla pas sans
cris et sans frayeur des femmes. On nous dbarqua non loin du
colosse. Une bande d'un rose fade s'allongea l'Orient; un jour
de plus commenait. Le son mystrieux se produisit par trois
fois ; ce bruit ressemble celui que fait en se brisant une corde
d'un arc. L'inpuisable Julia Balbilla enfanta sur-le-champ une

251

srie de pomes 1 C'est en effet la srie des pomes de


puisable Julia Balbilla qui nous est conserve.

l'in-

n189
LA PREMIRE VISITE DE L'IMPRATRICE
lnscr. Colosse de Memnon 29 - Thbes - 20 nov. 130 ap. J.-C.
Quand, en compagnie de !'Impratrice Sabine, j'tais auprs de
Memnon. Toi qui es le Fils de !'Aurore, Memnon, et du vnrable
Tithon, et qui es assis en face de la ville thbaine de Zeus, ou bien
toi Amnoth, roi gyptien ce que rapportent les prtres instruits
des rcits anciens, reois mon salut, et, en chantant, accueille favorablement, ton tour, l'pouse vnrable de !'Empereur Hadrien.
Ta langue a t coupe, ainsi que tes oreilles, par un homme barbare, l'impie Cambyse. Certes, par sa mort lamentable il en fut
puni, frapp de la mme pointe d'pe qui lui avait servi tuer
impitoyablement le divin Apis. Mais moi, je ne pense pas que ta statue puisse prir, et j'ai dsormais sauv et immortalis ton me par
mon esprit. Pieux en effet furent mes parents, Balbillus le sage et le
roi Antiochos, Balbillus, pre de ma race, de sang royal, et le roi
Antiochos, pre de mon pre. C'est de leur race que je tire mon
noble sang et ces vers sont de moi, Balbilla la pieuse.

Julia Balbilla crit des vers de mirliton et aligne les poncifs. Elle
fait tout d'abord cho de la lgende d'Apis et de Cambyse, raconte par Hrodote 2, qui expliquerait la mutilation de la statue. Puis
elle use du topos littraire de la survie par la littrature : comme
Horace qui voyait dans ses pomes un monument inscrit dans de
l'airain ternel, elle se voit bien vivre jamais par son inscription
sur Memnon. Artifice littraire, en vrit : c'est avant tout dans sa
race qu'elle se fie, et de dployer une ingnue vanit nobiliaire.
Antiochos IV (38-72)
Roi de Commagne

Balbilius
Prfet d'gypte

, _ j_ _ _

C. Julius Antiochus

C. Julius Antiochus
Consul en 109

Julia Balbilla
Dame d'honneur

1. Marguerite YOURCENAR, Mmoires d'Hadrien, 1951, in ID, uvres romanesques, Paris, Gallimard, Bibliothque de la Pliade, 1982, p. 444.
2. HRODOTE, Histoires III, 29-30.

252

n190
lA VISITE DE L'EMPEREUR ET DE L'IMPRATRICE
Inscr. Colosse de Memnon 30 -Thbes - 21 nov. 130 ap.J.-C.

Puisque le premier jour nous n'avons pas entendu Memnon.


Hier, Memnon a gard le silence pour recevoir l'poux, afin que la
belle Sabine revienne ici. Car tu es charm par l'aimable beaut de
notre reine. Mais, son arrive, pousse un cri divin, de peur que le
roi n'aille s'irriter contre toi. Trop longtemps, dans ton audace, tu
aurais retenu son auguste et lgitime pouse. Aussi Memnon,
redoutant la puissance du grand Hadrien, se mit-il soudain profrer un cri qu'elle entendit, non sans joie.

De pire en pire : pour expliquer le silence du colosse, la voil


qui minaude. Ses vers prouvent en tout cas la prsence de
!'Empereur devant le colosse.
La voix se fit entendre encore longtemps. Voici une inscrip
tion bien pittoresque, d'une candide fatuit.
n 191
INSCRIPTION DE FALERNUS

Inscr. Colosse de Memnon 61 - Thbes - v. 205 ap. J.-C.


Moi qui suis un sophiste: Memnon sait parler autant qu'un rhteur, et il sait se taire, car il connat la force du langage et du silence.
De fait, la vue de !'Aurore, sa mre au voile de safran, il a mis un
son plus doux qu'une parole mlodieuse. Ces vers que Falernus,
pote et sophiste, a crits, sont dignes des Muses et dignes des
Grces.

4. -

LUXE, CALME ET VOLUPT

Avec la conqute d'Alexandre, l'opulence et le raffinement


gyptiens se mlangeaient la finesse grecque. Une civilisation
brillante - pour ceux qui en avaient les moyens - naquit, qui fut
bientt clbre dans tout le Bassin mditerranen. Le Muse
d'Alexandrie, les richesses du palais royal d'Alexandrie, la grce
des temples grco-gyptiens comme celui d'Edfou, les prodiges
agronomiques des paradis comme celui du palais royal ou
celui d'Apollonios (cf. n 46) : tout tait enchantement et beaut.
De ce mode de vie recherch, la reine Cloptre fut la meilleure
ambassadrice qui arriva Rome pare des derniers feux de la
puissance lagide, et qui blouit Antoine par la magnificence de

253

son apparat. Quelques documents attestent de cette splendeur


gyptienne.
n192
L'ESTIMATION D'UN PEINTRE

P. Oxy. 896 = Wilck. Chrest, 48 = SP 360 - Oxyrhynchos - 316 ap.J.-C.

Valerius Ammonianus alias Gronte, logiste du nome


d'Oxyrhynchos de la part d'Aurelius Artmidore, fils d'Arsinoos,
de l'illustre et illustrissime cit des Oxyrhynchites, peintre de profession. la demande de Ta Grce pour une valuation des lieux
qui doivent tre peints dans les bains publics des thermes de Trajan
Hadrien de ladite cit, en rnovation sous de bons auspices : je
dclare que pour la peinture des lieux qui l'exigent- les deux bains
chauds, une rotonde de bains, les issues nobles de la colonnade en
entier, la colonnade extrieure, les quatre antichambres ainsi que
d'autres endroits -, je demande pour le prix des pigments [ ... ]
mille deniers d'argent, et pour le salaire du peintre pour tout le travail, dix mille deniers d'argent. Voil ce que je rapporte. Sous le consulat de C::ecinius Sabinus et de Vettius Rufinus, les trs illustres [ ... ].
Moi, Aurelius Artmidore,j'ai prsent ce rapport. Moi, Aurelius [ ... ]
l'ai crit car il ne sait pas lire.

Les bains publics constituaient un haut lieu de la vie des villes


gyptiennes et taient entretenus par les municipalits. Ils
taient souvent somptueusement dcors: malgr l'inflation, la
somme que demande le peintre est considrable.

XVII
MALADIES, MEURTRES ET FAITS DIVERS

Aprs les joies, les peines. La vie de l'gypte grco-romaine


connaissait aussi ses accidents, ses meurtres, ses souffrances. Voici
un petit florilge qui rjouira les adeptes du roman policier et les
amateurs de drames. coup sr, de nombreux crivains trouveraient ici le point de dpart de plus d'une histoire.
Avant de les lire, une prcaution 1 La plupart des plaintes
proviennent de personnages d'un haut rang social, se plaignant
de personnes d'un bas statut. Rien ou presque rien n'est dit des
violences des grands envers les petits.
Pour les collectionneurs de mystres, commenons par ce petit
ostracon extrmement obscur.
n193
UN FILS ACCUS 2

SB 9633 = SB 4254 =Deijlmann 20 = Ostracon Deiss. 64 - Thbes m sicle ap. J.-C.

Pacysis, fils de Ptsebethis, mon fils, salut. Pas d'histoire. Vous


demeurez ici avec un soldat. Mais vous ne recevrez rien de moi jusqu' ce que je vienne chez vous. [ ... ] Porte-toi bien.
1. Roger S. BAGNALL, Official and Private Violence, Bulletin of American

Society of Papyrowgi,sts 26, 1989, p. 201-226.


2. AdolfDEISSMANN, Licht vom Osten, op. cit., p. 171.

255

On peut imaginer toutes les histoires possibles. Le ton est


abrupt car, visiblement, le destinataire se trouve dans une situation plus que dlicate. On l'accuse de quelque chose, mais de
quoi ? Et pourquoi Pacysis interdit-il de communiquer avec le soldat charg de rester avec lui ? Sont-ils complices ? Pacysis veut-il
viter que son fils passe aux aveux ?
n194
LE RAPPORT D'UN MDECIN LGISTE

R Oxy. 51 - Oxyrhynchos - 173 ap. J.-C.


Claudianus, stratge, de la part de Dionysios, fils
d'Apollodore, fils de Dionysios, d'Oxyrhynchos, mdecin public.
J'ai t aujourd'hui rquisitionn sur ton ordre, par l'intermdiaire
d'Hraclide, ton assistant, pour examiner le corps d'un homme
trouv pendu, nomm Hirax, et te rendre un rapport. J'ai donc
examin le corps en prsence dudit Hraclide au domicile d'pagathe, fils de [ ... ] merus, fils de Sarapion, dans le quartier de la
Grand-Rue, etje l'ai trouv pendu par une corde: voil mon rapport. L'an 13 de !'Empereur Csar Marcus Aurelus Antoninus
Armenicus Medicus Particus Germanicus Magnus.

Comme dans les enqutes du commissaire Maigret, le lgiste


antique rend son rapport au chef de police, le stratge, et son
inspecteur Hraclide. Il confirme que Hirax a bien t trouv
pendu par une corde au domicile d'pagathe. La spculation de
l'amateur de mystre peut alors commencer.: qu'tait pagathe
pour Hirax? S'est-il suicid ou l'a-t-on assassin? S'agit-il d'un
crime crapuleux ?
Plongeant encore davantage dans les nigmes, lisons le rapport de police qui suit.
n195
UN RAPPORT DE POLICE

R Teb. 730 = SP 335 - Tebtynis - 178/167 av. J.-C.

(extrait)
La 4 anne, le 6 Hathyr. Osororis basilicogrammate [scribe
royal]. La 5 anne du mois courant, en patrouillant dans les
champs autour du village, j'ai trouv [biff: du sang] une effusion de sang [biff: mais pas de corps] et j'ai appris des villageois que Thodote, fils de Dosiths, tait parti dans cette
direction mais n'tait pas revenu. Voil mon rapport. [La suite est
trs mutile.]

256

Un meurtre sans corps ou simplement un accident? Thodote


est parti sans laisser de traces, et voici que l'on dcouvre du sang :
est-ce le sien ? Mais o est le corps ? Enterr dans le champ,
emport par des brigands, cach quelque part dans le village :
Thodote avait-il des ennemis ? Sont-ce ses voisins qui ont fait le
coup? On ne saurait exclure le crime de rdeur ...
Aurelia Tisais, quant elle, parat beaucoup plus affirmative : si
son pre et son frre ne sont pas de retour, alors on les a assassins.
n196
UNE SUSPISCION DE MEURTRE

P. Teb. 333 = Wilck. Chrest. 3 = SP 336 - Tebtynis - 216 ap. J.-C.


Aurelius Julius Marcellinus, centurion, de la part d'Aurelia
Tisais, dont la mre, Tais, portait autrefois le titre d'habitante du vil-

lage de Tebtynis dans le district de Polmn. Mon pre Calabalis,


Seigneur, qui a coutume de chasser, a quitt la maison avec mon frre
Nilos depuis le 3 du prsent mois, pour chasser des livres. Jusqu'
prsent, il n'est pas revenu.Je suspecte donc qu'ils aient connu une
issue fatale.Je te le fais savoir par la prsente, afin que, s'ils ont connu
une issue fatale, ceux qui paraissent en tre responsables me soient
confronts. [2' main] Il se trouve que j'ai aussi prsent une copie de
cette dclaration au stratge Aurelius ldiomachos pour tre archive.
[1" main] La 25e anne de Marcus Aurelius Severus Antoninus Csar
[Caracalla], notre Seigneur, le 26 Choac.

Dans les journaux scandales, on emploierait le terme juridique srieux: une plainte contre X. X, ce sont les assassins
qui ont attaqu les paisibles chasseurs de livres, ce sont les
meurtriers de Calabalis et de Nilos qui ne sont pas revenus
depuis trois semaines. Mais aussi, Aurelia Tisais semble sre de
son fait : pourquoi ne s'agirait-il pas d'un accident? Le pre et le
fils auraient-ils donc tant d'ennemis?
Beaucoup moins mystrieux, mais sans doute plus dramatique, voici le rapport d'un envoy du stratge Hirax : une
petite esclave a trouv la mort d'une horrible faon.
n197
RAPPORT D'UN ACCIDENT

P. Oxy. 475 = Wilck. Chrest. 494 = Hengstl 95 =SP 337 - Oxyrhynchos


-182 ap.J.-C.
Hirax, stratge de l'Oxyrhynchite son assistant Claudius
Srnos. Une copie du rapport fait par Lonidas alias Srnos qui
m'a t prsent t'est envoye cijoint, afin que tu prennes avec toi

257

un mdecin public, que tu examines le cadavre dont on parle et,


aprs l'avoir rendu pour qu'on l'enterre, que tu m'adresses un rapport. [2' main] Sign par moi. [1" main] La 23 anne du Csar
Marcus Aurelius Commodus Antoninus [Commode], notre Sei-.
gneur, le 7 Hathyr.
[3' main] Hirax, stratge, de la part de Lonidas alias
Srnos, connu pour avoir Tayris pour mre, de Snpta. Tard dans
la journe d'hier, le 6, alors qu'il y avait une fte Snpta et que
les danseuses de castagnettes officiaient selon la coutume devant la
maison de mon gendre Plution, [ ... ]son esclave paphrodite, ge
d'environ 8 ans, voulant se pencher du premier tage de cette maison pour voir les danseuses de crotales, est tombe et s'est tue.Je
te soumets donc cette dclaration pour te demander, si cela te
semble bon, d'envoyer un de tes assistants Snpta, pour que le
corps d'paphrodite ait la bonne fortune d'tre envelopp momifi et enseveli comme il convient. La 23 anne de !'Empereur Csar
Marcus Aurelius Commodus Antoninus Augustus Armeniacus
Medicus Parthicus Sarmaticus Germanicus Maximus, le 7 Hathyr.
Soumis par moi, Lonidas alias Srnos.
n198
UN PROCS

P. Oxy. 294 = Olsson 17 - Oxyrhynchos - 11 dc. 22 ap. J.-C.

L'enqute [ ... ]
Sarapion son frre Darion, salutations et sant pour toujours.
mon arrive Alexandrie, le [ ... ] du mois ci-aprs, j'ai appris de
certains marins [arrivs] Alexandrie que Sa[ ... ]eilla [avait tmoign] contre moi au tribunal, que la maison de Secunda a t
fouille, que [ ... ]ma maison a t fouille [ ... ],et [que je puisse
savoir] si les choses sont vraiment ainsi. Aussi, s'il te plat, cris-moi
une rponse ce propos, afin que je puisse moi-mme prsenter
une ptition au prfet. N'y manque pas.Je ne me parfume pas jusqu' ce que j'en aie des nouvelles de ta part. Mes amis m'ont press
de devenir l'ami de la maison du palefrenier en chef [l' archistatore]
Appolonius, afin que je puisse me prsenter avec lui l'enqute. Le
chef des stratges et Justus le policier sont en prison, comme l'a
ordonn le prfet, jusqu' l'enqute, moins qu'ils ne persuadent
le palefrenier en chef de les laisser en libert jusqu' l'enqute. En
ce qui concerne le Chauve, cris-moi comment ses cheveux repoussent sur sa tte. N'y manque pas. J'ai dit Diogne ton ami de ne
pas me tromper en ce qui concerne la dpense de ce qu'il m'a
emprunt. Ue vais frquenter?] le palefrenier en chef.Je te prie et
te conjure de m'crire une rponse sur ce qui s'est pass. Par-dessus tout, prends soin de toi pour tre en. bonne sant. Prends soin
de Dmetrous et de notre pre Darion. Porte-toi bien. L'an 9 de
Tiberius Csar Augustus [Tibre], le 15 Choac.
[Verso] remettre mon frre Dorion.

258

Malgr les nombreuses obscurits du texte, il parat clair que


Srapion a des problmes. Arriv Alexandrie, il apprend qu'un
certain Sa [ ... ] eilla intente une action contre lui. Il prend les
choses avec humour (comme le prouve l'allusion pas trs subtile
au Chauve) mais questionne son frre avec insistance et dploie
toutes les ressources pour se protger : non seulement il entend
crire une ptition au prfet mais pense rechercher la protection
d'un personnage puissant. Quant savoir quelle est l'affaire que
l'on reproche Srapion et quel est le rapport entre ce qui s'est
pass Oxyrhynchos et l'arrestation du chef des stratges et du
porteur d'pe Julius, le mystre reste entier.
Beaucoup plus claire, hlas, la lettre d'Hilarion, qui recommande sa femme d' exposer son nouveau-n si c'est une fille :
il ne s'agit ni plus ni moins que d'un meurtre lgal.
n199
Aus D'ASSASSINER SA FILLE
SP 105 - Oxyrhynchos - 1-2 av. J.-C.

HILARION RECOMMANDE

P. Oxy. 744 = Dei)Jmann 7 =

Hilarion Alis, sa sur, mille saluts, ainsi qu' ma chre dame


Berous et Apollonarion. Sache que nous sommes encore
Alexandrie. Ne t'inquite pas, si tous [les autres] reviennent : moi
je reste Alexandrie.Je te demande et te prie de t'occuper de l'enfant et ds que nous recevrons le salaire, je te l'enverrai. Si - grce
Dieu - tu accouches, si c'est un garon, laisse-le [vivre], si c'est
une fille, expose-la [i.e. abandonne-la]. Tu as dit Aphrodisias:
[dis-lui] qu'il ne m'oublie pas: comment pourraisje t'oublier?
Ne t'inquite pas, s'il te plat. La 29 anne de Csar [Auguste], le
23 de Payni [28 mai].

Voil une lettre qui a fait couler beaucoup d'encre. Hilarion,


le mari d'Alis, lui annonce qu'il ne rentrera pas avec ses compatriotes oxyrhynchites mais qu'il restera Alexandrie. Il lui promet de lui envoyer de l'argent ds qu'il en aura, mais vu le ton
de la lettre, rien de moins sr. Peut-tre a-t-il dcid d'abandonner Alis, ce qui expliquerait la question angoisse de cette dernire et l'assurance avec laquelle il tente de la dtromper.
L'intrt de cette lettre ne gt toutefois pas dans ce petit drame
familial mais dans l'nigmatique phrase d'Hilarion 1 : si c'est un
garon, laisse-le [vivre], si c'est une fille, expose-la. L'gypte romaine
1. Paul McKEcHNIE, An Errant Husband and a Rare Idiom , Zeitschriftfr
Papyrologi,e und Epigraphik 127, 1999, p. 157-161.

259

avait-elle renou avec la coutume archaque d'abandonner par


exposition les enfants non souhaits - si quelqu'un voulait les
prendre, pour les lever ou en faire des esclaves, tant mieux pour
eux, sinon, on les laissait mourir - ou Hilarion plaisante-t-il ?
Mais, en fait, Alis a-t-elle vraiment le choix, avec un mari qui
l'abandonne ou, pour le moins, ne l'entretient pas? L'avortement, le meurtre des enfants, leur abandon ne datent pas d'hier
- on a trouv Ashkelon des squelettes dans le drain d'une maison de bains qui devait aussi servir de maison de plaisir. D'ailleurs,
l'exposition tait parfois prvue.
n200
UN CONTRAT PRVOIT L'EXPOSITION DE L'ENFANT

BGU II 04 - Alexandrie - 8 av. J.-C.

Protarque de la part de Dionysarion, fille de Protarque, assiste de son frre Protarque, etd'Hermione, citoyenne [d'Alexandrie],
assiste d'Hermias, fils d'Hermias, le fils de son frre. Dionysarion
reconnat invalide l'accord que le fils dcd de ladite Hermione,
Hermias, fils d'Hermias, a soumis, avec Hermione pour garante, au
mme tribunal, la 21 anne de Csar en Phaphi. Dionysarion
reconnat avoir reu d'Hermione, de la main la main et hors de
la demeure, cause de la mort de son mari, la dot qu'elle avait
apporte Hermias sous la garantie d'Hermione. Un vtement
valant deux cent quarante drachmes, des boucles d'oreilles, une
bague, [ ... ] et cent drachmes d'argent. Elle reconnat que [ledit]
accord est invalide ainsi que tout ce qui y est mentionn. Ni
Dionysarion ni quelqu'un d'autre agissant pour elle ne peut ester
contre Hermione ni contre les hritiers du dfunt Hermias, ni
propos de la dot, du mariage, ou de tout autre chose, crite ou
verbale, depuis les temps anciens jusqu' aujourd'hui. Puisque
Dionysarion est enceinte, elle n'estera pas contre Hermione propos des frais d'accouchement en excipant de cette affaire, et elle est
autorise exposer le bb et se marier un autre homme. Le
contrat est valide, et, en outre, si elle le transgresse, elle est passible
des dommages et intrts fixs. Nous demandons [que ce contrat
soit enregistr]. La 22 anne de Csar [Auguste], Pchon ...

[La suite du papyrus porte un llrouillon de contrat sans rapport.]

Non seulement l'exposition, l'abandon des enfants (cf. n 199,


ci-dessus), tait permis mais la loi l'encourageait. En effet, lors
d'une rupture de contrat de mariage par la mort de l'un des
contractants, le contrat peut prvoir l'abandon de l'enfant si
la mre, appauvrie par la mort de son mari, ne peut l'entretenir.
Le Gnomon de l' Idios Logos (cf. n 9, n 98, n 148, n 150) est
260

particulirement prcis sur ce point : 41. Si un gyptien


recueille un enfant du fumier et en fait son fils, on lui prlvera
le quart de sa fortune aprs sa mort.
Terminons la srie des faits divers par une note plus apaise,
mme si l'exprience n'est jamais trs agrable. Voici un rapport
de cambriolage: il s'agit de loin des plaintes les plus frquentes'
n 201
UN CAMBRIOIAGE

P. Turner 42 - Oxyrhynchos - m s. ap. J.-C.


0

Aurelius Asclpiade et [... ] bouleutes [membres du conseil


municipal] et gardiens de la paix de la ville de [ ... ] de la part
d'Aurlia Alexandra [fille de XJ alias Thodora et de [X, ancien]
euthniarque [surveillant des moulins] et cosmte [ordonnateur
du gymnase] de [la trs glorieuse cit] des Alexandrins. Le matin
du [... ], aprs avoir pass la nuit dehors [... ] et tre revenu la maison que je possde dans le district du jardin de Pamenes,j'ai trouv
la porte d'entre brise.Je suis mont au second tage et j'ai trouv
que quatre rideaux [avaient t emports ? dchirs ?] .

1. Barry BALDWIN, Crime and Criminals in Graeco-Roman Egypt >>,


IEfSjptus 43, 1963, p. 256-263.

XVIII
UNE GALERIE DE CARACTRES

Le chapitre prcdent l'a montr : les papyrus d'gypte donneraient matire maints romans. Ils nourriraient galement la
rflexion de plus d'un moraliste : leur manire, ils dressent le
portrait de leurs auteurs et pourraient servir de point de dpart
une thorie des caractres qu'affectionnaient tant les Anciens, et
aprs eux, les crivains du Grand Sicle. Selon son temprament,
chacun se lamentera ou se rjouira de cette permanence des travers et des penchants humains. L'historien des murs prendra
plaisir lire les tmoignages originaux et non littraires des comportements antiques.

1. -

LES STUDIEUX
n 202

THON OU L'ENFANT CAPRICIEUX

P. Oxy. 119 = Hengstl 82 =Dei]Jmann 19 = Schubert 9 - Oxyrhynchos


-II" s. ap.J.-C.

Thn son pre Thn.


Bienjouer. Tu m'as pas emmenn avec t en ville. Si tu veux pas
m' enmener avec t Alexandrie, je t'cris plus de lettres, je te parle
plus, je te souhaite plus ta sant. Mais i tu va Alexandrie, je prendrai plus ta min etje te dirai plus bonjour jamais. i tu veux plus

262

m' enmener, voil ce qui va se paer. Et puis ma mre a dit


Archelas il m'nerve, qu'on le voie plus! T'as bien jou. Tu
m'a envoi des cadeaux, de belles salets! Elles nous ont bien dsabuss, le 12, que t'es parti. Envoie-moi autre chose, je t'en prie. i
t'envoi pas, je mange plus, je boie plus. Voil. J'espaire que tu v.b.
Le 18 Tybi.
[verso] l'attention de Thn, de la part de Thonas, son fils.

Influencs par l'mile de Jean:Jacques Rousseau et par le prjug qui voudrait que la prise en considration de l'enfance soit
une proccupation moderne, nous estimons souvent que l'enfant
ne comptait pour rien dans l' Antiquit. Cette lettre du ue s., miraculeusement conserve, vient nous persuader du contraire: l'enfant qui crit dans une orthographe et une grammaire dplorables
n'hsite pas menacer son pre de cesser de lui obir; il fait la
loi. Nous essayons de rendre le tour enfantin de la lettre.
Manifestement, Thn le pre a beaucoup du son rejeton.
Alors qu'il lui avait promis de lui faire visiter la brillante capitale
de la province, Alexandrie, il est parti furtivement, le 12 Tybi
(environ le 7 janvier), probablement en prtextant d'avoir
affaire en ville, Oxyrhynchos, le bourg le plus proche, situ
une quarantaine de kilomtres d'Alexandrie. Pour soulager sa
conscience et apaiser son fils, il envoie un petit cadeau. Au bout
de six jours, le 18 Tybi, Thn-fils, ne voyant pas revenir son pre,
dcouvre la supercherie. Il crit son pre en l'accusant de l'avoir
tromp. Le cadeau? Une belle salet - le gamin emploie pch.:ta,
des gesses, une sorte de pois chiche d'eau, l o nous dirions
des nfles - qui l'a bien dsabus (mystre des langues,
Thn emploie ici le verbe navaco qui signifie abuser, exactement comme dans le franais contemporain, on emploie dsabuser pour dcevoir ) .
Plein de rage, le jeune Thn menace de devenir insupportable,
de cesser d'tre bien lev, et, suprme intimidation, de cesser de
s'alimenter. Il a d'ailleurs dj mis sa menace excution puisque
sa mre, excde, demande Archelas, probablement son prcepteur, de le garer de sa vue. Railleur, il se moque de son gniteur
en utilisant sur le verso de la lettre son diminutif, Thonas , le
nom que son pre devait lui donner dans l'intimit.
Thn-pre s'est-il laiss flchir par cette lettre d'un machiavlisme naf? Aucun document ne peut le confirmer. Seule reste
cette lettre, qui tmoigne des petits drames d'une vie familiale
263

rescape des sicles, et qui assure de la permanence des caprices


enfantins.
n 203

LA VIE D'TUDIANT
P. Oxy. 2190 =Schubert IO- Oxyrhynchos -v. 100 ap.J.-C. 1
, .. Thn, son seigneur et pre, salut.
Tu nous as soulags de notre trs grand abattement en dclarant
que les vnements au thtre te sont indiffrents, mais j'esprais
gagner de splendides avantages en revenant rapidement [en bateau]
et qu'aije reu de mon empressement? Pour l'instant, dans ma
recherche d'un tuteur, j'ai dcouvert que Chrmon le professeur et
Didyme, fils d'Aristocls, avec qui il y avait un espoir que je puisse
moi aussi russir, non seulement ne se trouvent plus en ville, mais en
plus sont des dbris dans les mains desquelles la plupart des lves
ont pris le droit chemin du gaspillage de leur talent.
Je t'ai crit auparavant, tout comme j'ai crit l'entourage de
Philoxne, pour qu'ils considrent l'affaire, et ils m'ont prsent
l'homme qui a leur faveur. Quoiqu'il demandt l'indulgence de
Thn ,tu l'as immdiatement rejet, tu l'as toi-mme condamn
sous prtexte qu'il ne possderait pas la bonne formation. Quand j'ai
inform Philoxne de ta faon de voir, il a pens la mme chose et a
dclar qu'il ne plaignait la cit que pour cette pnurie de sophistes ;
et de dire qu'il lui semblait que Didyme, un de ses amis qui tient une
cole, est descendu [en bateau] et qu'il s'occupera des autres. En
particulier, il a commenc encourager les fils d'Apollonios le fils
d'Hrods de frquenter sa classe. En effet, eux comme lui cherchent jusqu' maintenant un professeur plus styl, puisque le tuteur
dont ils frquentaient les cours est mort. Mais moi, qui cherche des
professeurs dignes de ce nom et qui ne peut pas voir Didyme mme
de loin,je suis dsespr que lui, qui tait professeur dans la chra, se
soit mis en tte de rentrer en comptition avec les autres 1
Aussi, sachant cela - je veux dire qu'il n'est pas bon de quitter un
professeur, moins de payer pour rien des tarifs exorbitants, et que
je dpends de mon propre effort-, cris-moi rapidement ce qu'il
t'en semble.J'ai toajours Didyme sous la main, comme le dit aussi
Philoxne, et il me fournit toute l'aide. qu'il peut. En attendant,
j'coute ceux qui dclament, parmi lesquels Posidonios: peut-tre,
si les dieux le veulent,j'y arriverai.
Dsesprs par tout cela, nous ngligeons nos personnes. Il n'est
pas demand ceux qui ne sont pas encore aux affaires de prendre
soin d'eux, surtout lorsqu'ils ne peuvent pas apporter d'argent. Car,

1. Nous suivons les suggestions de John REA, A Student's letter to his


father : P. Oxy. XVIII 2190 revised , l:eitschrijt fr Papyrologj,e und Epigraphik 99,
1993, p. 75-88.

264

autrefois, l' utile Hraclas - malheur sa malice - avait coutume


d'apporter quelques sous de temps en temps, mais maintenant, ds
qu'il a t enchan par Isidore comme il convient, il a fui vers toi,
ce que je crois. Rappelle-toi qu'il n'hsitera jamais comploter
contre toi. Car il n'a pas eu du tout honte de rpandre des contes
dans la cit propos des vnements du thtre et de dire des mensonges que mme un accusateur n'oserait prononcer, et ceci sans
avoir souffert le traitement qu'il mritait, mais en pouvant agir
comme un homme libre. Mais tu peux tout aussi bien, si tu ne le renvoies pas, au moins le mettre travailler avec un charpentier. J'ai
entendu qu'un gars peut se faire deux drachmes par jour. Ou metsle d'autres travaux qui rapporteront plus d'argent, afin que ses
gages soient collects et nous soient envoys de temps en temps. Car
tu sais que Diogas aussi tudie la littrature. Pendant que tu envoies
le petit, nous allons chercher une place plus spacieuse dans une
maison prive. En effet, afin d'tre prs de Denys, nous nous
sommes installs dans une maison trop petite.
Nous avons reu le panier [ (Koilm), un panier tress avec de la
fibre de palmier], qui contenait srement tout ce que tu as crit, et
les jarres avec les demi-cadus [env. 20 l.], nous en avons trouv l'intrieur 22, au lieu des 18 chos [env. 54 l.] . Et j'ai envoy un demicadus avec une lettre chacun des gens dont tu as parl.J'ai reu six
mesures de lentilles entires, une con [Kroov, une jarre de forme
inconnue] pleine de vinaigre, 126 pices de viande sale, le contenu
du cadus et 30 pices de viande grille. Porte-toi bien 1Le 5 Choac.
[Verso] [ Thn ?] , grand prtre du Nil.

Cette lettre exceptionnelle nous fait vivre de l'intrieur la vie


d'un tudiant Alexandrie. Comment ne pas reconnatre l'hostilit de tout tudiant vis--vis de ses professeurs ? L'expditeur
estime qu'ils ne valent rien et qu'il vaut mieux apprendre par luimme en coutant dclamer les rhteurs : on imagine sans peine
les progrs qu'il peut faire ! Comment ne pas sourire au reproche
qu'on lui fait de ngliger son apparence? Et comment ne pas
reconnatre les problmes d'argent rcurrents, l'accusation d'agitation au thtre, les esprances sans limites, les logements exigus
et jusqu'aux paquets gnreusement distribus par des parents
soucieux de la nourriture de leur progniture ?
Si certaines zones d'ombre demeurent, le sens gnral parat
clair. L'auteur et son frre sont deux tudiants Alexandrie
(comme le montre l'allusion la chra) : l'un tudie la rhtorique
tandis que l'autre, nomm Diogas, s'adonne aux lettres. Ils ont
achev l'un et l'autre leur ducation secondaire avec le grammatikos, qui leur a appris le bon grec et la littrature ; ils entament des
265

tudes supeneures, manifestement pour devenir orateurs. Un


petit frre est sur le point de venir. Comme tous les tudiants aiss
del' Antiquit - le pre n'est-il pas grand prtre ? -, les deux frres
sont accompagns d'un pdagogue , l'utile Hraclas, un
esclave charg de veiller sur eux. Malgr les reproches appuys
du jeune homme, il semble lgitime de penser que ses deux protgs ont d lui en faire voir de toutes les couleurs, si bien qu'il
n'a eu d'autre ressource que de revenir chez le pre lui raconter
les frasques de ses rejetons. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage: l'acharnement mis charger l'esclave de tous les
maux et les immatures mesures de rtorsion laissent penser que
l'auteur de la lettre a peur des rvlations d'Hraclas.
Pour un lecteur moderne, le plus tonnant est de voir les
lves trouver leur propre matre. Le concept d'universit n'existait pas et chacun devait payer celui qui lui enseignerait la grammaire, la rhtorique, etc. Sur la suggestion d'un certain
Philoxne, peut-tre un ami du pre ou un tudiant plus avanc,
un premier tuteur a t propos, qui rclamait l'indulgence de
Thn (sans doute le pre). Thn ne fut pas indulgent, et le
second choix se porta sur Didyme. Hlas, le garon le dteste. La
raison qu'il avance est bien caractristique du snobisme estudiantin: il n'est qu'un provincial de la chra qui prtend rivaliser avec
les Alexandrins ! Le trait est d'autant plus piquant que le jeune
homme vient lui-mme de la chra.
n 204
HRADOUS OU LA PETITE FILLE AIME

P. Giss. 80 = SP 116 -Apollonopolite Heptacomias -

ne s. ap. J.-C.

[Le dbut fait dfaut] Hradous, [ ... ], Hlna, Tinouthis et leur


papa, tous ceux qui sont la maison et la mre de notre douce
Hradous vous saluent. Envoie les pigeons et les petits oiseaux, que
je n'ai pas l'habitude de manger, [ ... ], le matre d'Hradous.
Hlna, la mre d'Apollonios, vous demande d'avoir l'il son fils
Hermaos. Quelles que soient les choses que je n'ai pas manges
lorsque je [ ... ], envoyez-les au matre de ma fille, afin qu'il soit
aimable avec elle. Je prie que vous soyez en bonne sant. Le 17
Choac.

La petite Hradous a bien de la chance l Elle est tendrement


aime par son pre qui entend qu'elle ait une bonne ducation.
Il a ainsi la dlicate ide de faire des cadeaux son matre pour
qu'il s'en occupe tout particulirement. Rescaps d'une lettre trs
266

mutile, ces quelques mots donnent du pre d'Hraidous une


image touchante et dlicieuse, bien loigne des figures d'indiffrence et de froideur que l'on se fait parfois des hommes de
l'Antiquit.

2. -

LES AMOUREUX
n 205

SSOPOLIS OU L'AMOUREUX NAF

P. Magd. 14 = P. Enteuxeis 49

= Hengstl 40 = Mitt. Chrest. 224 Magdla - 221 av. J.-C.

Au roi Ptolme, salut, de la part de Spolis. Une certaine


Dmous, habitante de Crocodilopolis, dans le nome arsinote, une
courtisane, m'a fait du tort. Elle a abus par des gens de son entourage mon fils Spolis, qui n'est pas encore adulte, et l'a persuad de
lui signer un billet de mille drachmes. Je te prie donc, Sire, d'ordonner, si bon te semble, Diophans le stratge de faire comparatre devant lui Dmous, son tuteur et le gardien du contrat, et de
conduire une enqute. S'il est tabli qu'il n'y a eu en aucune faon
un prt d'argent, mais que l'acte a t crit dans un but malhonnte,
qu'il force Dmous nous restituer le billet. Quant elle, le stratge
Diophans en dcidera. S'il en est ainsi, Sire, je ne serai pas ls, moi
qui ai servi sans reproche ton pre et toi-mme. Sois heureux.
[2' main, ordre du stratge] Fais venir en mme temps Dmous, la
fille de Nicagora. La l anne, le 30 Gorpiaos, soit le 13 Tybi [27 fv.
221 av.J.-C.].
[Verso] La 1re anne, 30 Gorpiaos, 13 Tybi. Spolis contre Dmous
pour[ ... ]

Petite scne de genre que n'aurait pas dsavoue Molire. Une


courtisane ensorcelle un fils de bonne famille et le contraint
signer une reconnaissance de dette d'un montant exorbitant.
Excd, son pre se voit contraint de faire appel au stratge. Une
telle histoire ne se rencontre qu'au thtre, croit-on: cette ptition prouve que les auteurs de comdies trouvaient leur inspiration dans des faits rels.
n 206
PANISCOS OU LE JALOUX

P. Mich. 217 = SB 7249 - Coptos - 296-297 ap. J.-C.

Paniscos Ploutognia sa femme, salut.Je t'ai ordonn, quand je


suis parti, de ne pas sortir de ta maison, et pourtant tu es sortie tout

267

le temps. Quand tu veux quelque chose, tu le fais, sans tenir compte


de ce que je dis. Mais je sais que ta mre fait pareil. Regarde :je t'ai
envoy trois lettres et tu ne m'en as pas envoy une seule! Si tu ne
veux pas monter me voir, personne ne te force. Ces lettres, je te les
ai crites parce que ta sur me force crire. Mais puisque tu
trouves impossible d'crire ce propos, cris donc propos de toi.
Mais j'ai entendu les choses qui te concernent. Envoie-moi mon
heaume et mon bouclier, cinq lances, mon plastron et ma ceinture.
Je salue ta mre Hliodora. Le porteur de la lettre m'a dit quand il
est venu moi: alors que j'tais sur le point de partir, j'ai dit ta
femme et ta mre : "donne-moi une lettre porter pour Paniscos",
et elles ne me l'ont pas donne. Je t'ai envoy un talent par
Antonius de Psinestes.Je fais des vux pour ta sant.
n207
CALOCAROS OU LE MARI JALOUX

P. Oxy. 3994 - Oxyrhynchos - me S.

Calocaros Euphrosyn sa sur, salut. S'il te plat, ma sur, si tu


veux me faire une faveur, enquiers-toi de ce que ma femme Alis fait.
Mme si je ne t'ai pas crit, tu dois m'avoir crit de toi-mme, car je
suis ton frre. Ce n'est pas que je me proccupe d'elle, mais tout ce que
je possde est sous son contrle. Et vu qu'elle ne m'crit pas, j'ai un
mauvais pressentiment son sujet. Salue Thasous ma sur et dis-lui de
m'crire si elle a besoin de quoi que ce soit ici.Je prie pour ta sant.
[Verso] remettre Euphrosyn, ma sur.

Ces deux petites lettres traitent du mme thme : la jalousie.


Dans la premire, Paniscos, un militaire, se trouve cantonn trs
loin de sa femme, mais tout prs de sa belle-sur. Il fait brusquement une forte crise de jalousie face l'indpendance de sa
femme, assurment soutenue par sa propre mre; les deux
femmes semblent le battre froid... et puis il y a ces rumeurs ...
Dans la seconde, Calocaros se sert de sa sur comme espion pour
savoir ce que trafique Alis, qui est bien loigne de lui, qui dirige
ses affaires et qui ne lui rend plus aucun compte.
n 208
SRNOS OU L'AMOUREUX TRANSI

P. Oxy. 528 = SP 125 = Schubert 26 = Hengstl 88 - Oxyrhynchos 11 s. ap. J.-C.

Srnos Isidora sa sur et dame, mille bonjours.


Avant tout, je prie pour que tu sois en bonne sant: chaque jour
et chaque nuit, je me prosseterne pour toi devant la desse Thoris
qui t'aime.

268

Je veux que tu aches que, depuis que tu m'as quitt, j'ai t en


deuil: la nuit je pleurre, le jour je souffre. Depuis que je me suis baign avec toi le 12 Phaphi,je ne me suis plus ni lav ni mi de l'huile
jusqu'au 12 Hathyr; tu m'as envoy des lettres branler les pierres,
tellement tai parolles m'ont mu.Je t'ai rpondu dans l'heure etje
l'ai scell le 12, avec les lettres pour toi.
En plus de tes paroles et tes lettres disant Colobos a f de moi
une prostitue , il m'a dit: Ta femme m'a f un courrier pour me
dire que c'est lui qui a vendu la chanette et c'est lui encore qui m'a
mise sur le bto. Tu dis cela pourque l'on ne me croie plus sur
l'embarquement. Rgarde combien de foixje t'ai fait des envois. Di
moi si tu viens ou si tu viens pas.
(Au verso) remettre Isidora, de la part de Srnos.

Nous avons conserv l'orthographe de cette tonnante lettre


d'amour : Srnos est amoureux fou d'lsidora, au point que son
absence le met en deuil : comme s'il avait perdu un tre cher, il
s'abstient des bains et des onctions d'huile parfume (l'lment
principal pour prendre soin de son corps dans l' Antiquit). Il faut
dire qu'Isidora semble s'tre engage dans une histoire bizarre de
bateau o elle se plaint d'avoir perdu ou sa vertu, ou sa libert, ou
les deux. Elle a tromp Srnos avec Colobos, mais la voil qui
s'emptre dans ses contradictions.

3. -

LES INGRATS

n 209
STROUTHOS OU LE FILS INDIGNE

P. Enteuxeis 25 - Ghoran - 222 av. J.-C.

Au roi Ptolme, salutations de Pappos. Mon fils Strouthos me


fait du tort.Je l'ai envoy l'cole etje l'ai [envoy] chez l'instituteur (ypactcr'C]). Quand je suis devenu vieux et n'ai pu subvenir
mes besoins, j'ai [comparu?] dans le village d'Arsino devant
Dioscourids votre [reprsentant ?] , qui lui a ordonn de me fournir une artabe de bl et quatre drachmes par mois : Strouthos
accepta ces termes. Mais malgr cela, il ne m'a rien donn de ce qui
tait convenu, et chaque fois qu'il me rencontre, il m'insulte indignement. Ce qui est pire, il s'introduit de force dans ma maison et
chaque fois, il s'enfuit avec tous les objets qu'il trouve utiles, me
mprisant parce que je suis vieux et que je deviens aveugle. Aussije
te demande, Sire, de donner des instructions Diophans le stratge d'crire au chef de la police du village d'Arsino-sur-la-digue,
dans la division de Thmists, afin d'envoyer Strouthos Diophans,

269

qui, si ce que je dis dans ma ptition est vrai, peut limiter sa violence
et le contraindre me donner des assurances pour ma pension, afin
qu'il la paie rgulirement dans le futur. Lorsque cela sera fait,
Roi, j'aurai obtenujustice.
[De Diophans] : Ptolme : si cela est possible, tu rconcilies
toi-mme le pre avec Strouthos. Mais s'il campe sur ses positions, tu
me l'envoies et je ferai en sorte que les choses changent. La
26 anne [de Ptolme III], le 23 Dasios = 5 Phaphi. [21 nov. 222
av.J.-C.]
[Notation au verso] Strouthos a comparu et dit qu'il donnera
Pappos deux drachmes de cuivre par mois pour sa subsistance.
Pappos tait prsent et s'est dclar satisfait de ces termes.

Le vieux Pappos comptait sur son fils Strouthos pour lui procurer une vieillesse paisible et dgage des soucis matriels. La
solidarit entre les gnrations tait une coutume, et dans certains cas, une obligation lgale, puisque Pappos peut comparatre
devant Dioscourids. Malheureusement, il apprend ses dpens
qu'il a engendr un ingrat: non seulement le rejeton nglige son
vieux pre, mais en outre, il le vole. bout d'arguments, Pappos
en est rduit taler ses affaires de famille devant le stratge. Il
fait bien, car il obtient gain de cause, mme s'il doit faire des
concessions: au lieu de l'artabe de bl et de 2 drachmes de pension, il faudra qu'il se contente des quatre drachmes.
n 210
ANTONIUS OU LE FILS PRODIGUE

BGU846 = Dei}Jmann 14=SP120 - Fayoum - n s. ap.J.-C.


Antonius Longus Nilous sa mre, mille bonjours.
Toujours je prie pour que tu ailles bien.Je me prosterne chaque
jour devant le Seigneur Srapis.Je veu que tu saches que je n'ai plus
d'espoir que tu montes la mtropole. causse de a, moi je suis
pas rentr dans la ville. J'ai onte d'aller Caranis parce que je vis
comme un locdu.Je t'cri que je suis nu.Je t'en prie, mre, rconssilie-toi avec moi.Je me suis aviz que c'est de ma faute.Je sais que
je me suis tromp. J'ai entendu Postumus dire qu'y t'avais vu dans
l'Arsinote et qu'il t'avait racont btement. Ne sais-tu pas que je prfre devenir estropi plutt que de savoir que je dois encore une
obole un certain? [ ... ]viens toi [ ... ]j'ai entendu dire que [ ... ]Je
t'en prie [ ... ]J'ai presque [ ... ]je t'en prie [ ... ] sinon, je ne [ ... ].
[Verso] Nilous sa mre de la part d'Antonius Longus son fisse.

crite dans un grec dplorable, cette lettre essaie de susciter


la piti. Indubitablement, l'auteur de la lettre a fait une btise et

270

s'est enfui en esperant que sa mre l'ignore. Las 1 Un certain


Postumus s'est empress de tout aller lui raconter. Aussi, le fils
n'est plus reparu devant sa gnitrice : il vit depuis d'expdients et,
pouss par la ncessit, tente de flchir sa mre.
n 211
DIOGNE OU LE MATRE CRUEL

P. land. 97 = Tibiletti 2 - prov. inconnue - m sicle ap. J.-C.

Aurelius Zoi1e Diogne. J'ai reu ta lettre le 2 et j'y ai reconnu


[ ... ] ta folie. Moi qui te sers, je suis insult. Mais je ne suis ni un fou,
ni un effront, ni une tte de linotte [mot mot, une souris].
Prends garde ce que je t'cris. Cela fait quatorze ans que je sers tes
parents etje n'aijamais t effront ;je n'ai jamais t comme toi ou
ma sur. Tu n'auraisjamais d faire cela, t'en aller pendant douze
ans et te comporter honteusement dans le Cynopolite. Quoi que tu
aies fait, tu ne peux me battre. Lorsque j'tais petit, tu me demandais souvent de te faire sauter en l'air, et maintenant que je suis
devenu jeune homme, tu es l pour me battre 1 C'est pour cela que
je t'ai support mais dornavant je ne te supporterai plus; j'en
tmoignerai ma sur Thasis si, avec l'aide des dieux, elle vient
m'assister. La 5 anne, le 3 Choac.
Je pensais que tu me voulais du bien, mais lorsque ma mre a t
en danger, j'ai dcouvert que, mme si elle arrivait plus de cent
ans, tu allais me mettre la porte sans piti.

Cette lettre pleine d'amertume recle une tonnante fracheur


de ton. Tout n'est pas trs clair. Visiblement, Aurelius Zole est un
esclave n la maison de Diogne, qui sert les parents de ce dernier depuis longtemps, l'instar, probablement, de sa sur et de
sa mre. Autrefois, Zole et Diogne entretenaient une grande
amiti, mais Diogne a ensuite disparu dans le Cynopolite pendant des annes, laissant Zole servir fidlement ses parents. Le
voil de retour : il a bien chang, il blme la conduite de Zole et
lve la main sur son ancien ami, qui le lui reproche avec curement: que faisait-il pendant tant d'annes loin de la maison de
ses parents ? de quel droit peut-il lui reprocher de se conduire
comme un fou ?

271

4. -

LES INQUIETS

n 212
PTOLME OU LE MAQUIGNON POSSD 1
P. Mich. 679 = SB 1386'7 - prov. inconnue - II sicle ap. J.-C.
0

[Par] Sarapis l Toi, qui que tu sois, qui lis la lettre, fais un petit
effort et traduis aux femmes ce qui est crit dans cette lettre et transmets-le-leur.
Ptolme sa mre Zosime et sa sur Rhodous, salut 1Vous me
faites des reproches par des lettres et par des messagers, comme si
j'avais mal fait. Aussi, je jure par tous les dieux que je n'ai rien fait
de ce qui a t dit, part ce qui concerne les nes de Karas. Mais
vous sembliez mentir en m'attendant. Et si vous tes en colre parce
que je n'ai rien envoy mme sij'ai entendu, la raison est que j'ai
reu un coup de sabot de cheval et que j'tais en danger de perdre
mon pied, ou mme ma vie. Je vous en veux, parce que vous ne vous
tes pas enquis de moi, ni par des mots ni par des lettres. Plaisent
aux dieux que 'aurait t bien [vingt lignes manquent].
Mais je l'ai aussi retenu et il s'est amus pendant quatre jours,
nuit et jour. Le jour d'aprs, quand il n'y eut plus une goutte
boire, il s'est lev en me disant: Veux-tu que l'on t'achte au march une mine de viande? J'ai dit: oui. Immdiatement, je lui
ai donn deux pices de quatre oboles pour la mine de viande. Bien
qu'il ait pris les deux pices de quatre oboles, il n'a ramen ni la
viande ni la monnaie, etje ne l'ai plus jamais revu.Je ne vous cris
pas cela pour l'argent mais pour dire son tat d'esprit propos de
ma sur. Par respect de vous tous, je lui ai interdit de lui parler de
l'argent qu'il lui devait. Par les dieux, j'tais dsespr quand j'ai
appris ce qu'il a fini par devenir, cause d'un peu d'argent.
Je regrette que toi, Rodhous [ ... ],tu ne te sois pas prsente pour
le 25 du dieu. Je te supplie de venir chez moi pour le 70 du dieu,
comme dans ta propre maison. La mme affection demeure. Supplie
aussi la vieille de venir. En ce qui concerne la lettre que vous m'avez
envoye, comme je ne l'ai pas reue,j'ai dit: Non, par Srapis, je ne
le rejette pas, car je ne suis pas stupide. [6 lignes manquent].
Elle est totalement maladroite. Comme tu tais loin de moi,
j'tais dans le dsespoir pendant quatre jours, de peur qu'elle soit
malade ou qu'elle ait connu quelque autre problme et j'ai envoy
ma sur, en utilisant Karas comme un prtexte. En apprenant comment elle va, j'ai rvl toute l'affaire. Son frre Ammonios [a dit]
ma sur qu'elle tait partie. Quand j'ai entendu qu'elle tait partie, cela m'a rendu joyeux de ce qu'elle n'tait pas malade et qu'aucun mal ne lui tait advenu. Mais je suis en colre parce qu'elle ne
1. A. BLOW:JACOBSEN & V. P. McCARREN; P. Haun. 14, P. Mich. 679, and
P. Haun.15 - a Re-edition , 'Zeitschrifl far Papyrologie und Epigraphik 58, 1985, p. 71.

272

m'a pas dit au revoir; elle est partie sans moi. Mais il n'y a rien d'inhabituel dans son manque de considration. Moi je voulais vous
envoyer le tout. Je prie que vous soyez en bonne sant. Saluez
Tapsois et sa mre Isarous.

Bien des dtails demeurent obscurs dans cette lettre, assez


fragmentaire. Ptolme parat se livrer de petits trafics avec des
nes. Mais voici qu'il se fait possder par un ami : aprs avoir
pill ses rserves, ce dernier est parti avec la monnaie d'un achat
de viande. Mais les msaventures ne s'arrtent pas l: sa sur
semble tre associe de troubles querelles dans lesquelles
Ptolme semble se perdre.
n 213
LE FILS ANXIEUX

P. Oxy. 1680 = SP 153 = Naldini 32 = Ghedini 15 - Oxyrhynchos III s. ap. J.-C.


[ x], mon seigneur bien-aim et doux pre 1.Je prie Dieu que
tu sois entier, que tu fasses un bon voyage et que l'on te revoie la
maison en bonne forme. Je t'ai dit auparavant combien j'tais en
deuil de ton absence parmi nous ; je crains que quelque chose de
terrible t'arrive et que l'on ne retrouve plus ton corps. Et en effet j'ai
souvent voulu te dire que, face aux troubles, j'avais l'intention de te
tatouer une marque. Maintenant, j'ai entendu dire qu'Hraclius,
l'actuel pitrope, te cherche avec insistance ; je souponne qu'il a
encore quelque chose contre toi. Si d'aventure tu lui dois quelque
chose, je veux que tu saches que j'ai pris Gaius deux artabes de bl
et[ ... ]
[Verso] mon seigneur et pre bien-aim Apollon.

Cette lettre souvent reprise prsente une redoutable difficult.


Il s'agit probablement d'une lettre chrtienne, d'un fils inquiet
pour le salut de son pre, sans doute parti en voyage. En des
termes charmants, il dit son pre son inquitude de le savoir
absent. Et soudain, cette phrase trange lui vient sous la plume :
j'avais l'intention de te tatouer une marque , Quel sens donner
cette curieuse expression ? Le fils veut-il tatouer une marque au
pre pour mieux le retrouver? S'agit-il d'une marque pour le protger? Si l'expression n'est pas claire, coup sr, elle participe
la beaut de la lettre et aux sentiments levs du fils ..

1. Nous suivons la suggestion de F. FARID, Anagennesis l, 1981, p. 18.

273

5. -

LES RAFFINS

n 214
AQUILAS OU LE PHILOSOPHE

P. Oxy. 3069 = Tibiletti 20 - Oxyrhynchos - me S. ap.J.-C.

Aquilas Sarapion, salut. J'tais trs heureux de recevoir ta


lettre. Notre ami Callinicus avait tmoign au mieux du mode de vie
(taii-a) que tu suis, mme dans ces conditions; et particulirement
le fait que tu n'aies pas abandonn tes austrits (<X01CT]cn). Oui,
nous avons le droit de nous fliciter, non pas de ne pas faire cela,
mais de ne pas nous laisser nous en dtourner par nous-mmes.
Courage donc et passe travers ce qui reste comme un homme
digne (v~p 1a06). Que ne te troublent ni la richesse, ni le regard
des gens, ni quelqu'une de ces choses : il n'y a rien d'utile en elles et
si la vertu (pi]'t'T]) n'y est pas prsente, elles disparaissent et ne valent
plus rien. Si les dieux me gardent, je t'attendrai Antinoupolis.
Envoie la petite chienne Steris, puisqu'elle passe son temps la
campagne. Porte-toi bien, ainsi que les tiens. Porte-toi bien.
[Verso] Sarapion, philosophe, de son ami Aquilas.

Cette lettre est un document exceptionnel, puisqu'elle illustre


concrtement l'enseignement des philosophes de la priode
romaine. Aquilas donne le ton en appelant Sarapion philosophe . Selon la coutume antique, la philosophie n'est pas une
aptitude la rflexion, mais bien une attitude qui occupe toute
l'existence. On entre en philosophie comme on entre en religion: plein temps, en pratiquant l'austrit (asksis) et en communiant avec le mode de vie (diaita) qui conduit la vertu
(art). Or Sarapion connat des difficults, qui sont peut-tre des
tentations : Aquilas, qui fait sans doute partie de la mme secte
philosophique, craint que son ami ne se soit laiss dtourner de
son appel.
De quelle philosophie se rclament les deux amis ? En remarquant qu'Aquilas employait le verbe troubler (mpacrcrro), on a
pu penser que les correspondants pourraient tre picuriens.
L'absence de trouble, l'ataraxie, est en effet l'un des concepts clefs
de la doctrine d'picure. La lettre ne fait-elle pas en outre allusion tout un rseau d'amiti ? On sait que les picuriens vivaient
en communaut.
Mais, la vrit, Aquilas et Sarapion pourraient aussi bien tre
stociens ou no-platoniciens : ces philosophies prnaient, elles
aussi, une adhsion entire de l'individu sa qute de la vertu.

274

n 215
FLAVIUS HERCULANUS OU LA TENDRE AMITI

P. Oxy. 1676=SP151- Oxyrhynchos - m s. ap.J.-C.


Flavius Herculanus notre trs douce et trs honorable
Aplnarion, mille bonjours.Je me suis grandement rjoui en recevant
ta lettre, que m'a donne l'armurier. Mais celle dont tu me dis que tu
me l'as fait parvenir par Platon le fils du danseur, je ne l'ai pas reue.
J'ai t extrmement dsol que ni toi, ni ton mari ne soyez venus pour
l'anniversaire de mon fils, car tu aurais pu te rjouir pendant plusieurs
jours avec lui. Tu avais certainement autre chose faire : voil pourquoi tu nous as ddaigns. Je te souhaite comme moi-mme d'aller
toujours bien, mais encore une fois, je suis dsol que tu sois loin de
moi. Mais si, loin de moi, tout ne va pas mal, je me rjouis que tout
aille bien, mme si je me ronge les sangs de ne pas te voir. Fais ce qui
te convient. Chaque fois que tu voudras nous voir, nous serons trs
heureux de te recevoir. S'il te plat, viens chez nous en Msor, afin
que nous puissions te voir en chair et en os. Salue ta mre, ton pre et
Callias. Mon fils te salue, ainsi que ma mre et Dionysios mon compagnon de travail qui m'aide l'table. Salue tous ceux qui t'aiment.
[2' main] Je prie pour ta sant.
[1" main] remettre Aplnarion, de la part de son patron
Herculanus. De la part de Flavius Herculanus.

Flavius Herculanus, qui est sans doute un gros fermier (qui travaille l'table), crit Aplnarion, avec qui il parat entretenir
des relations plus que tendres, mme si elle ne parat pas tre sa
sur. Est-ce une faon hyperbolique de s'exprimer? Est-<:e davantage que de l'amiti? En tout cas, il y a de belles formules dans
cette lettre qui exprime la douleur de 1' loignement d'une amie.
n216
AURELIUS THNINOS OU L'AMI CULTIV

P. Flor. 367 = SP 147 -Arsinote - m s. ap. J.-C.


Aurelius Thninos au trs honorable Didyme, salut. Je ne vais
imiter ni toi, ni tes lettres inhumaines, etje vais t'crire comme avant,
Thninos Didyme . Car, quoique je t'aie crit de nombreuses
lettres et que je t'aie envoy du papyrus pour les lettres, pour te permettre de m'crire, tu n'as jamais daign te souvenir de moi en
quelque faon: l'vidence, la fiert de la richesse et le nombre de
tes possessions te font mpriser tes amis. Ne te comporte pas ainsi
envers ton propre frre Thninos, et cris-moi frquemment, afin
que par les lettres ton ami puisse savoir comment tu vas. Car,
chaque occasion,je m'chine interroger ceux qui viennent de chez
toi sur ta sant, quoique tu l'ignores.Je salue ton pre Souchion.
[Verso] mon ami Didyme.

275

Aurelius Thninos crit comme un homme cultiv. Il manie


l'ironie avec lgance pour se plaindre d'avoir t dlaiss par
son ami Didyme qui parat avoir bien russi dans la vie. Il le rappelle avec lgret ses devoirs avec cette distance qui caractrise l'homme bien duqu habile manier l'euphmisme et la
drision.
'1i 0

217

EUNOOS OU LE PRCIEUX

P. Oxy. 3812 - Oxyrhynchos - m s.

Eunoos Horignes, son trs cher, mille bonjours.


Tu as ddaign le srieux de tes paroles dans tes actes. Nous te
pardonnons d'tre occup, mais tu dois te rappeler les choses que tu
as promises et tre srieux vis--vis des choses que tu as dit que tu
ferais. Car aux Calendes sucres, alors que le miel aurait d tre
envoy- et tu es plus doux que lui l -, tu ne t'en es pas proccup,
et cela alors que nous esprions que tu viendrais pour la fte des
Calendes, et tu as laiss tes compagnons de fte sans fte.Je t'cris
cela durant la fte, comme une plaisanterie, en te rappelant d'tre
srieux envers nous. Prends en considration l'homme qui te remet
la lettre comme l'un des ntres, car c'est quelqu'un de proche
d'Eunoos.
Puissent les dieux te prserver jamais avec toute ta maisonne.
Mais fais en sorte de ne pas le ngliger, monseigneur et pre 1
Viens Eunoos pour la fte de notre trs divin [barr : Augustus ]
Anubis.

Autant Aurelius agenait sa lettre avec subtilit, autant Eunoos


ne se dtache pas des lieux communs littraires :jeux de mots, allusions plaisantes, oxymores, tout cela sent le lecteur assidu des
potes prcieux. L'allusion aux calendes sucres voque le dbut
de l'anne. Il s'agit du dbut de l'anne romaine dsign en grec
simplement par les calendes. Ovide, dans les Fastes (1, 185-188),
explique que le miel et les autres sucreries sont appropris aux
calendes car ils sont le prsage d'une anne sucre. la fin,
Eunoios utilise son propre nom la troisime personne et voque
une paternit suppose : ce sont sans doute deux marques d'amiti. Anubis est le dieu du nome de Cynopolis.

XIX

UN CERTAIN GOT POUR IA MORT

Les historiens de !'Antiquit l'indiquaient dj: la mort exerait une grande fascination sur les gyptiens. L'importance de la
survie matrielle du cadavre en vue de sa survie spirituelle, le
faste des enterrements, l'importance des croyances lies la
mort, envotent en tout cas nos contemporains. Et pour l'historien, les pratiques lies au dcs et aux funrailles donnent de
prcieux renseignements sur la mentalit des gyptiens. En effet,
en abordant les terres o rgne la mort, on atteint des zones sensibles o s'exprime la sensibilit profonde. Il ne faut donc pas
s'tonner de ce que ni les Grecs, ni les Romains, ni les gyptiens
n'aient voulu abandonner leurs pratiques funraires: en gypte,
elles se sont mlanges et ont form une synthse particulire
et indite.

1. - L' APOSTROPHE MUETTE

: LES PORTRAITS DU FAYOUM

L'lment le plus frappant de cette synthse, celui qui fascine


le plus l'homme moderne, reste sans conteste l'art des portraits
funraires du Fayoum, dont on trouve les premires traces sous le
rgne de Tibre (14-37 ap.J.-C.). En effet, en eux se fondent le
rituel gyptien des morts et la pratique romaine du portrait.

277

Pour les gyptiens, tout d'abord, le rituel des funrailles consistait faire du mort un nouvel Osiris, un nouveau dieu revivifi.
Le dfunt s'associait symboliquement aux preuves subies par
Osiris : la mort et la ressuscitation grce la protection d'Isis et
d'Anubis. Aprs la mort de l'individu, on oignait son visage, on
vidait son corps, on le dposait dans le sel de natron pour le desscher et on l'emmaillotait. Ensuite, devant le tombeau se droulait la Rsurrection. On dressait le sarcophage sur un
terre-plein de sable et on le pleurait. Puis, le prtre procdait au
rituel de l'ouverture de la bouche et de l'imposition de l'il oudjat, l' il protecteur d'Horus. Le dfunt tait alors devenu un
Osiris et pouvait tre plac dans son tombeau.
Pour les Romains, le rite funraire tait bien diffrent. Aprs
l'avoir lav, on exposait le cadavre dans la maison, visage dcouvert et vtu de blanc. Puis on prenait un moulage de sa tte, que
l'on peignait, garnissait de cheveux et incrustait d'yeux en verre.
Cette imago reprsentait le dfunt: c'tait elle que l'orateur
adressait sa laudatio, son loge funbre. Pour les Romains, en
effet, l'immortalit rsidait dans la bonne renomme dont on
conservait la mmoire. Aprs l'enterrement, l'imago tait place
parmi les anctres, dans l'atrium de la demeure, avec un rsum
de l'loge funbre. Ds lors, elle s'associait aux gnies domestiques, qui il convenait de rendre un culte.
Les portraits du Fayoum semblent se trouver mi-chemin
entre ces diffrents cultes. Ils s'insrent dans une srie de dveloppements rgionaux de l'art romain: la notion romaine d'honorer un mort dans un buste commmoratif fut interprte selon
les sensibilits locales. En Cyrnaque ou Palmyre, on retrouve
le mme got pour les portraits funraires.
En gypte, certains portraits sont de simples planches
peintes 1 : ils ne sauraient reprsenter le mort dans le rituel de
1. On distingue plusieurs sortes de portraits : des linceuls peints, figurant le
dfunt soit en pied, soit son visage; des cartonnages; des portraits en pltre
(buste, masque, masque et mains) ; des portraits peints sur une planchette de
bois et insrs dans les bandelettes ou dans le cartonnage. Pour les portraits en
bois, on utilisait des planches de sycomore ou d'acacia, que l'on enduisait d'un
pltre qui permettait de fixer la peinture. On utilisait des pigments locaux:
charbon pour le noir, ocre naturelle pour les bruns, azurite pour les bleus, ocre
jaune ou orpiment (arsenic sulfur) pour les jaunes. Pour lier les pigments, on
utilisait le plus souvent de la cire (la fameuse cira punica dcrite par Pline) chauffe (technique dite l'encaustique ).

278

l'ouverture de la bouche. D'autres sont en ronde-bosse: peut-tre


taient-ils dvolus cet usage. Tous recouvrent des momies : ils
reprsentaient donc bien tous un Osiris. Mais comment caractriser l'apport romain dans ces portraits? Les imagi,nes taient
moules, les voici peintes. Mme celles qui sont en ronde-bosse
semblent tre cres artificiellement, sans chercher reproduire
les traits du dfunt. Les imagines taient dposes dans des
atriums, et voici qu'on les retrouve dans des tombes. Le mystre
commence.
La premire question concerne l'utilisation des portraits. Sir
Flinders Petrie, l'archologue anglais de la fin du XIXe sicle qui fut
le premier les mettre au jour, remarqua que certains portraits et
certaines momies avaient subi des dtriorations - des raflures,
des souillures, des chiures de mouches - comme s'ils avaient t
exposs pendant longtemps l'air extrieur. Il mit donc l'hypothse que les gyptiens avaient purement et simplement substitu
des imagines aux momies pharaoniques. D'autant que certains portraits ont t dcouverts dans des armoires propres rendre un
culte et qu'il est possible qu'on les associt des banquets familiaux. Cette hypothse est loin de faire l'unanimit, mais elle a au
moins l'intrt d'expliquer certains portraits comme le Tondo des
deux frres du Muse du Caire. Deux frres sont reprsents sur un
tableau et son accompagns de deux divinits grco-gyptiennes,
Hermanubis (Herms-Anubis) et Osirantinos (Osiris et Antinos, le favori divinis d'Hadrien). Comment supposer que ces
portraits coiffaient un sarcophage double momie ?
Si l'hypothse de Petrie se rvle exacte, le culte traditionnel
gyptien ne pouvait que reprendre ses droits par la suite puisqu'on a retrouv les sarcophages et les portraits dans des ncropoles ou des tombeaux. Aprs un temps indtermin, ils taient
donc enterrs. Curieusement, la plupart du temps, cela semblait
se faire en bloc : Petrie a retrouv dans la mme tombe (sans
qu'elle ait t rouverte) des momies datant du rgne de Trajan au
rgne de Commode.
Devant la trs grande fracheur des portraits, leur troublant
regard, une seconde question se pose : taient-ils raliss du vivant
du futur mort? Certains estiment que le portrait tait peint ante
mortem et d'autres post mortem. D'autres font l'hypothse d'une peinture de salon - le portrait d'un individu accroch sur son mur
- qui aurait t copie au moment de la mort ou simplement
279

recadre et insre dans le sarcophage. Les derniers pensent


qu'ils n'ont pas t peints d'aprs nature mais qu'ils taient plus
ou moins standardiss : des peintres auraient propos un chantillon de race, d'ge et de type, et l'on choisissait le plus ressemblant. L'hypothse la plus vraisemblable est celle de la peinture de
salon reconvertie en masque funraire. En effet, la radiographie
montre que l'ge des momies ne correspond pas au portrait. On
s'aperoit en outre que les portraits ont t la plupart du temps
retouchs pour entrer dans le sarcophage : on les a retaills ; certains portent des traces de griffures, des marques de clous voire
des vestiges d'encadrement. Toutefois, cette thorie ne permet
pas de rendre compte de troublantes erreurs : une momie du
muse de Pretoria (inv. 170) prsente un homme avec une barbe,
mais la radiographie prouve qu'il s'agit d'une femme ; de mme,
la momie .EA 6704 du British Museum possde des seins mais
contient celle d'un homme ...

2. -

PAPYRUS ET FUNRAILLES

Le plus frustrant dans ce domaine demeure l'absence quasi


totale de tmoignages papyrologiques sur les portraits. Tout se
passe comme si les peintres n'existaient pas, n'crivaient pas ou
comme si leur activit allait tellement de soi qu'il tait inutile d'en
crire quelque chose. De mme, il n'est pas fait allusion la pratique de conserver les morts chez soi, alors que les allusions aux
funrailles sont lgion.
Le rituel se passait en deux temps. Un premier temps, qui tait
le temps de l'embaumement, tait rserv au travail du deuil et
se nommait la 7tept<J"to:fJ (peristol, l'emmaillotement). Le deuil
tait ritualis. Chacun manifestait son chagrin par des dplorations, en lacrant ses cheveux, enjetant de la poussire sur sa tte
(rite gyptien), en se coupant les cheveux (rite grec), en s'abstenant des thermes, de la nourriture abondante, des vtements
bariols. On ne parlait plus du dcd que par priphrases en
le nommant le bienheureux , comme le prouve la lettre
suivante:

280

n 218
LETIRE DE DEUIL

P. Oxy. 115 =Deij3mann 11 = Wilck. Chrest. 479 - Oxhyrhynchos n sicle ap. J.-C.
Irne Taonnphris et Philon, bon rconfort.
En deuil, j'ai pleur sur le bienheureux, comme je pleure pour
Didymas. Et toutes les choses qu'il convient de faire, je les ai faites,
ainsi que tous les miens, paphrodite et Thermouthion, Philion,
Apollonios et Plantas. Mais, cependant, contre de telles choses, on
ne peut rien. Aussi rconfortez-vous l'un l'autre. Portez-vous bien.
Le l'Hathyr [28 octobre].
[Verso] Taonnphris et.Philon.

Ensuite, le cadavre tait livr la famille et pouvait demeurer


longtemps sans tre enterr.
n219
LETIRE UN AMI

P. Princ. 166 = Hengstl 58 - prov. inconnue - n sicle ap.J.-C.


Bsas l'orfvre Edos, mille bonjours.Je te salue bien ainsi que
tes enfants. Va chercher le cadavre de mon pre et conserve-le jusqu' ce que je descende le fleuve, si les dieux le veulent, pour le
rcuprer. Fais-le comme un parent. Ne t'inquite pas pour les
frais ; le corps sera enterr un autre jour. [Verso] Edos, de la part
de l'orfvre Bsas.

L'orfvre Bsas le dit bien dans sa lettre: on attendra pour


l'enterrement. Une fois momifi, le cadavre pouvait tre entrepos longtemps dans les maisons, sans qu'il soit ncessaire de
l'inhumer.
Ensuite, venait le temps de l'enterrement:
n 220
UN TRANSPORT DE MOMIE

P. Lond. 717 - Kysis (Grande Oasis) - v. 250 ap. J.-C.


Mfas Sarapion et Sylvain, salut. Je vous ai envoy par le fos- .
soyeur le corps de votre frre Phibion et j'ai complt les frais de
transport du corps, cela fait 300 drachmes anciennes. Mais je suis
trs tonn que, sans aucune raison, vous ne vous soyez pas occups
du corps de votre frre, et qu'au contraire, vous vous soyez empars
de tout ce qu'il possdait, et que vous l'ayez abandonn.]' en conclus
que ce n'est pas cause de sa mort que vous vous tes prcipits,
mais cause de ses affaires. Ayez donc soin de payer les dpenses 1
En voici le rcapitulatif:

281

Pour les pices .......... 60 anciennes drachmes ;


Pour le vin, le premier jour, 2 chos .......... 32 anciennes drachmes ;
Pour le repas, pain et lgumes .......... 16 drachmes;
Pour le fossoyeur, jusqu' la montagne, en plus du salaire crit,
1 choun .......... 20 drachmes;
De l'huile, 2 chos ......... .12 drachmes;
Une artabe d'orge .......... 20 drachmes;
Pour le linceul... ....... 20 drachmes ;
Et pour le salaire, comme prvu .......... 340 drachmes.
Cela fait, si l'on compte toutes les dpenses, cinq cent vingt
drachmes anciennes, soit..........520 drachmes.
Il faut absolument que vous serviez celui qui a port le mort du
pain, du vin et de l'huile et tout ce que vous pourrez, pour qu'il
m'en rende compte. Ne vous trompez pas l Le 28 Pchon [ ... ].
Portez-vous bien.

Ce texte d'un personnage mcontent du peu de pit filiale de


ses amis rappelle que 1' enterrement tait la charge de la famille qui
devait fournir le prix de l'embaumement (et en particulier celui du
coteux lin) mais aussi des funrailles. L'enterrement se passait de
nuit, la lumire des torches et au cri des pleureuses professionnelles. Le mort tait port sur un catafalque orn de couvertures
rouges, tandis que les participants portaient couronnes et encens.
Quelqu'un prononait l'7tta<j>toc; (epitaphios, oraison funbre), puis
on prenait un repas en commun. Ensuite, le sarcophage entrait dans
la tombe tandis que chacun y dposait des offrandes : de la nourriture, des couronnes, des lampes, des figurines de protection, de
l'argent, des guirlandes, comme le prouve le rcapitulatif suivant:
n 221
UN COMPTE DE FUNRAILLES

Stud. Pal.

XXII,

56 - Soconponse -

II-In

sicle ap.J.-C.

Huile: 12 dr. 2 ob.; cythra [Ku0pa, vase en terre] : 2 oh.; couverture rouge: 4 dr. 19 ob.; cire: 12 dr.; myrrhe: 4 dr. 4 oh.; miel:
4 ob. ; graisse : 8 ob. ; lin : 136 dr. 16 oh. ; masque : 64 dr. ; huile :
41 dr.; prparation (~tpaKov) pour le lin: 4 dr.: huile fine: 4 dr.;
salaire de Tourbon : 8 dr. ; torches : 24 dr. ; prix d'une vieille tunique :
8 oh. ; friandises : 20 ob. ; orge : 16 dr. ; entaille de la pierre : 4 dr. ;
gomme : 8 dr. ; petit masque : 14 dr. ; 2 artabes de pain : 21 dr. ;
pommes de pin : 8 ob. ; guirlandes : 16 oh. ; pleureuses : 32 dr. ; [prix]
de l'ne du bateau : 8 dr. ; pices : 12 oh. Total : 440 dr. 16 oh.

Dans ce rsum, tout est rappel, jusqu'aux pices et aux


pommes de pin.

282

Les corps taient le plus souvent dposs dans des ncropoles,


souvent proches des temples comme celui de la Tte d'Osiris
Abydos, le Labyrinthe au Fayoum, le Serapeum Memphis, la
ncropole royale Thbes, etc. Ceci explique que, parfois, on
devait transporter les corps sur de longues distances, d'o l'usage
de vritables corbillards flottants.
n 222
UN REU DU TRANSPORT DE MOMIE

P. Hamb. 74 = SP78-Memphis -173/174 ap.J.-C.


[X] habitant Acho [ ... ] du nome [... ],pilote d'un navire funraire [X] , salut.Je reconnais avoir reu de toi le corps dans les bandelettes[= la momie] de[ ... ], que je descendrai au port de Kerk
dans le nome memphite o je le livrerai [Tha ?] caris, le croquemort etje reconnais avoir reu le prix- sur lequel on s'est mis d'accord - du transport, de la douane et de toutes les dpenses du
bateau. La 13 [ou la 14] anne de l'empereur Csar Marcus
Aurelus Antoninus Augustus Armeniacus Medicus Parthicus Germanicus
Maximus, le [... ] Pharmouthi.

Ces bateaux funraires pouvaient avoir de grandes cargaisons


de momies : pour les distinguer, on a dcouvert de nombreuses
tiquettes de momies :
n 223
UNE TIQUETTE DE MOMIE

SB 939 -Akhmm ? - date inconnue

Hermysis Kollothous, bon courage. Lorsque tu recevras chez


toi cette momie de mon enfant, garde-la jusqu' mon retour.

Une fois enterrs, les morts faisaient l'objet d'un culte (libations, offrandes) et d'une surveillance constants :
n 224
PLAINTE POUR VIOLATION DE SPULTURE

P. Paris 6 = VPZ 187 = Hengstl 57 - Thbes - 126/127 av. J.-C.


Di [onysos], l'un des amis du roi, hipparque des hommes
[chef de cavalerie] et archiphylacite [chef de la police] des alentours
de Thbes, de la part d'Osororis, fils d'Horus, choachyte de ceux
des Memnonia.
Je porte ta connaissance que l'an 44, lorsque Lochos, le parent du
roi, est venu Diospolis Magna [Thbes, l'actuelle Louqsor], certains
individus ont envahi l'un des tombeaux qui m'appartiennent dans les
environs de Thbes ; l'ayant ouvert, ils ont dpouill quelques-uns des

283

corps qui y taient ensevelis, et en mme temps ont emport le mobilier que j'y avais mis, pour un montant de 10 talents de cuivre.
Comme la porte est reste grande ouverte, il s'est trouv que des
corps en bon tat laisss sans spulture ont beaucoup souffert des
loups, qui les ont dvors.
Par consquent, j'intente une action contre Poris [... ] et son
frre Phagnis : je demande qu'ils soient conduits devant toi et,
aprs une enqute prcise, que l'on prenne une bonne dcision.
Sois heureux.

Ce papyrus dcrit une aventure dont beaucoup d'archologues


ont dcouvert les traces : la violation de spulture. Au cours de la
visite du stratge de la Thbade, parent du roi, Thbes, des
voleurs ont profit de la confusion pour s'introduire dans les tombeaux autour du Memnonium, sur la rive oppose de Thbes, l'actuelle Louqsor. Les Memnonia se prsentaient comme un vaste
complexe funraire, o se rpartissaient tombeaux, temples et
monuments (dont les fameux colosses, cf. chapitre XVI).
Les voleurs ont bris la porte, ouvert les tombeaux (ou les sarcophages) qui se trouvaient porte de main et ont fait main
basse sur les bijoux, les toffes prcieuses et le mobilier funraire,
laissant sans doute les corps sans spulture. Les loups ont ajout
1' outrage en venant dvorer les momies. Le choachyte, prtre
charg du culte des morts, venu sans doute accomplir son office,
dcouvre le dsastre. Il crit au chef de la police (l' archiphylacite),
charg de la surveillance des tombeaux, en dnonant les pilleurs
de tombes. Comment les connaissait-il ? Il est probable que dans
le petit monde thbain, les nouvelles allaient bon train.

3. -

LES EXPRESSIONS DU DEUIL

La premire priode, le temps du deuil, nous est la mieux


connue : c'est elle qui nous a transmis les plus beaux tmoignages
d'humanit.
n 225
UNE LETIRE DE SYMPATHIE

BGU 801 - Fayoum - n sicle ap. J.-C.


mon frre Nilos de la part de Tasoucharion. Il m'a t extrmement dsagrable d'apprendre ce qui est arriv Taonnphris.
Supporte-le bravement, mon frre, pour tes enfants. Et s'il n'y avait

284

le problme de mon absence pour mes enfants Ptolme et Sarapion,


je serais moi aussi venue. Reois de celui qui te porte la lettre des
friandises au nombre de 160 et 10 pommes de pin pour le sacrifice
en son honneur.
[Verso] l'attention de Nilos [fils?] de Tasalis de la part de sa
sur Tasoucharion.

Tasoucharion, qui ne peut venir cause de ses enfants, envoie


une lettre. Celle-ci la reprsente et fait ce qu'elle-mme aurait
fait : apporter du rconfort, se soucier du sacrifice en apportant
des friandises (souvent des fruits secs, des noix ou des figues) et
des pommes de pin.
Parfois, les lettres de condolances sont beaucoup plus dveloppes. Ainsi Srnos, un homme cultiv, crit-il sa mre pour
la consoler et lui proposer de venir vivre chez lui.
n 226
LETTRE DE CONDOLANCES DE SRNOS SA MRE

P. Ross. Georg.

III,

2 = Tibiletti 1=Hengstl161- Fayoum Il sicle ap. J.-C.

Srnos sa mre Antonia, sois prospre.


Il m'a t trs pnible, Madame, d'apprendre le dcs du docteur.
Mais telle est la condition humaine l Et nous aussi nous en prenons
le chemin. Nous avons apport beaucoup de consolation Marcos,
qui est dans le deuil, la fois cause de la mort du docteur et aussi
de ton propre deuil. Mais, si les dieux le veulent, puisqu'il te reste
Marcos, il ne t'arrivera rien de mal. S'il te plat, Mre, viens immdiatement chez nous la rception de cette lettre. Tu sais que mon
frre Marcos est trs proccup de maladie et de mdecine. Et tu sais
qu'il ne lui est pas facile de quitter un grand nombre de patients et
un dispensaire, de peur que cela cre des murmures contre nous - et
cela sous un prfet comme le ntre l coup sr, Marcos t'a [racont]
dans sa lettre que je suis dbord.J'occupe une liturgie municipale
et c'est elle qui m'occupe.
Puisque je ne peux rester ici quelques jours et te l'envoyer et
voyant le soin que Harpocras a pour nous deux, dsireux de faire au
mieux (je t'cris?] pour que tu viennes avec ta fille [et que tu]
puisses vivre ici avec ton fils. [Ainsi] seras-tu honore par beaucoup
de monde [ ... ] cause du souvenir qu'il a laiss, mais bien davantage au nom de la rputation que Marcos a ici.
Sache que grce aux sages et aux notables du village - spcialement ceux qui se proccupent de Marcos - nous sommes parvenus
un accord depuis sa premire absence: par des amis, avec l'aide
des dieux de nos pres et grce des lettres, nous ne serons plus
spars l'un de l'autre.

285

Par consquent, Mre, comme une femme raisonnable, rassemble tes affaires en recevant la lettre par Harpocras : fais ce qu'il
y a le plus raisonnable pour nous. Tu peux mettre en location certains de tes biens, mettre les autres en lieu sr et te hter de venir
chez nous. Bon courage, Madame !

Voici la version froide et rflchie du deuil : pour distraire une


veuve de sa douleur, il faut un changement d'habitudes et de lieu
de vie, et il faut qu'elle puisse se consoler avec ses enfants. Aussi
Srnos fait-il appel plusieurs fois la raison de sa mre pour lui
proposer de venir loger chez ses fils, et en particulier chez Marcos,
qui semble avoir pris la succession de son pre dans un dispensaire.
Toutes les lettres ne sont pas si extrieures la douleur humaine.
La rhtorique de la consolation, qui tait l'une des plus banales et
des plus tudies tout au long du cursus littraire grec et latin, peut,
si elle est parfaitement sincre ou parfaitement matrise, produire
des documents bouleversants :
n 227
LE SPECULATOR EVDAMON CONSOLE SON FRRE

CPR VI, 81

= SB 13946 -

Hermoupolis - IV" sicle ap. J.-C.

Eudamon mon seigneur et frre Hermodore, salut. Sur ton


salut, si les tches que l'on m'a assignes n'taient pas si nombreuses et si importantes, au point d'tre inexorables, j'aurais tout
quitt et me serais moi-mme prcipit chez toi pour me jeter tes
genoux :je me serais entretenu de l'vnement indissociable de la
condition humaine survenu [votre?] fille - et tout particulirement avec [ta] sur. Car je sais que toi, qui es un homme qui est
pass travers bien des preuves, tu seras capable de te matriser.
Mais je te prie d'exprimer ta sur ce qu'il convient en cette circonstance. Nul tre engendr ne saurait tre immortel. Bienheureuse est-elle, elle qui a chapp cette vie misrable et pnible
avant [ses dsastres]. Pour autant, il faut que ta sur, mme si elle
souffre, jouisse de ses proches. Je te demande donc, mon frre, si
jamais tu fus utile ceux qui taient dans le malheur, de maintenant
[la suite fait dfaut].
[Verso] Hermodore, exgte Alexandrie de la part d'Eudamon,
speculator, son frre.

Le speculator Eudaimon, un haut grad de l'arme romaine qui


appartenait l'tat-major du prfet (l'quivalent de l'officier
d'ordonnance), crit son frre, qui occupe de hautes fonctions
Alexandrie. Entre ces deux membres de la classe suprieure, la

286

,,/

relation est profonde, comme le prouvent leurs condolances. En


effet, le speculator use avec un tact infini des habituelles conventions rhtoriques et essaie de le consoler avec dlicatesse et surtout
son pouse, qui est la plus susceptible de souffrir de cette perte :
les Anciens savaient bien qu'il n'est pire chagrin pour une mre
que de survivre ses enfants et c'est souvent la femme que les
exhortations s'adressent. Il vite ainsi soigneusement de parler du
dcs et prfre enchaner les priphrases. Il rappelle avec tact
l'un des topos de la littrature de condolances : la mort constitue
le propre de la condition humaine, nul n'y peut rien ; il console le
pre en lui rptant: Au moins, elle n'a pas souffert.
Surtout, il connat la valeur de la parole pour gurir la souffrance - si je pouvais, je viendrais m'entretenir avec vous, ressasset-il : plus que jamais, la lettre se pose en substitut de la prsence
de son auteur. Et celle d'Eudamon a travers les sicles.

XX
POURQUOI ONT-ILS CRIT?

Face la quantit considrable de textes de toute nature


dcouverts dans les dserts d'gypte, le profane comme le savant,
qui vivent l'un et l'autre dans une civilisation del' crit quel' on
nommait il y a encore peu la Galaxie Gutenberg, succombent la
plupart du temps une illusion rtrospective. Transposant leur
pratique quotidienne de l'crit l'gypte grco-romaine, ils
considrent comme naturel d'crire dans chacun des actes de
la vie. Mme si nous avons tous quelque ide de la difficult
d'crire dans !'Antiquit, nous valuons le papyrus que nous lisons
comme la forme normale du message qu'il transmet. En ralit, il suffit de se trouver dans n'importe quel pays en voie de dveloppement pour raliser quel point crire n'est en rien un acte
naturel. Quand le support est cher, que peu de gens savent crire
et qu'il est toujours possible de trouver quelqu'un pour retenir ou
transmettre l'information, le choix de l'criture n'est jamais un
choix par dfaut, mais toujours l'objet d'une intention particulire:
en plus du sens contenu dans son message, le document crit
porte un dessein supplmentaire qui a fait prfrer l'criture
l' oralit. Au terme de ce parcours, peut-on rpondre cette question : pourquoi ceux dont on vient de lire les tmoignages ont-ils
crit?

288

1. -

L'CRITURE, UN CHOIX POSITIF DANS L'ANTIQUIT

Que l'criture ne soit pas le mdium de la transmission d'informations, une srie de remarques convergentes et bien connues
nous le prouvent. La difficult est d'abord technologique: la technique d'criture dans !'Antiquit n'tait pas trs performante. Le
support, le papyrus, cotait extrmement cher. Si l'on en croit les
estimations de prix ralises par H.J. Drexhage 1, la feuille de papyrus cotait au ier et au ne sicle environ 4 dr., ce qui reprsentait
prs de 5 jours de salaire d'un ouvrier agricole. En outre, l'encre
tait difficile utiliser et les critoires peu performantes.
Ensuite, il convient de noter la trs faible quantit de personnes
sachant lire. Selon les tudes de William Harris 2, il est probable
qu' peine 2 4 % de la socit connaissait ses lettres. En effet, le
nombre d'endroits pour apprendre lire tait extrmement
rduit et supposait, pour y entrer, un niveau social lev. La plupart des changes commerciaux se faisaient oralement et l'on pouvait parfaitement conduire ses affaires sans tre lettr. Pourquoi
apprendre crire, d'ailleurs? Les crivains publics n'taient pas
rares, et l'on pouvait toujours faire autrement pour viter d'avoir
crire. Les gyptiens illettrs, enfin, n'taient pas dnus d'ingniosit : Petays, le cmogrammate illettr, a rempli apparemment
sans souci son office en dirigeant les scribes de son bureau.
Il convient galement de remarquer que l'absence de systme
postal pour les particuliers conduisait une utilisation intensive
des messagers qui pouvaient porter des nouvelles autant crites
qu'orales. L'anonymit du systme de transport n'existant pas, le
recours un document crit n'tait pas ncessaire : le messager
pouvait aussi bien dlivrer le message oralement. Et mme lorsqu'une administration postale tait mise en place, comme c'tait
le cas avec le cursus publicus, les postiers ne se considraient pas
comme de simples convoyeurs sans bouche ni oreilles : ils pouvaient tre questionns par les destinataires et servaient probablement d'espions !'Empereur.
1. Han~::Joachim DREXHAGE, Preise, Mieten/Pachten, Kosten und Lohne im
Romischen Agypten bis zum Regi,erungsantritt Diokletians, St. Katharinen, Scripta
Mercaturre, Vorarbeiten zu einer Wirtschaftsgeschichte des rmischen
gypten 1, 1991
2. William W. HARRIS, Ancient Literacy, Cambridge/London, Harvard
University Press, 1989.

289

Enfin, il ne faut pas croire que l'invention de l'criture engendra immdiatement son adoption : un obstacle pistmologique
majeur contribua freiner la diffusion de l'crit : la rsistance
obstine de la civilisation orale. Longtemps l'crit fut subordonn
l'oral, comme l'ont montr les travaux d'Eric Havelock :
Les formes de langage et de pense de l' oralit originelle considre comme une technologie de conservation perdurrent longtemps aprs l'invention [de l'criture] [... ].Alors que l'alphabet,
par son efficacit phontique, tait destin remplacer l'oral par
l'crit, la premire tche qu'on lui assigna historiquement fut de
rendre compte de l'oral, avant que celui-ci ne ft remplac 1

Paradoxalement, en effet, cette rsistance de l'oral fut cause


par la simplicit du mdium crit, l'alphabet grec. Alors que les
transcriptions plus complexes conduisirent distinguer clairement
usages de l'oral et usages de l'crit, les transcriptions intgralement
phontiques mirent plus de temps pour tre adoptes. Investi d'un
moindre poids symbolique et ne paraissant tre qu'un double de
l'oral, l'crit fut cantonn la simple fonction de conserver l'oral
et ne put gagner facilement une autonomie propre.
Ce faisceau de causes permet d'tre assez catgorique : l'crit
n'est jamais dans l'Antiquit le moyen le plus facile de transmettre un message. Son utilisation fait toujours l'objet d'un choix
concert et rvle une certaine intentionnalit. Par suite, et sans
doute bien davantage que dans les langues contemporaines des
pays dvelopps, on peut admettre que le recours l'crit a un
effet pragmatique: en plus du contenu du message, le document
crit transmet une intention de son auteur qu'il s'agit d'interprter. Quels lments faut-il ds lors mettre en avant pour expliquer ce choix de l'criture ?

2. -

CRIRE POUR LAISSER UNE TRACE

Pour rpondre cette question, le choix le plus naturel consiste


se laisser guider par des informateurs indignes , en l' occurrence les hommes de !'Antiquit eux-mmes. Et, videmment, c'est
1. Eric A. HAVELOCK, The Muse Learns to Write, New Haven/London, Yale
University Press, 1986, p. 90.

290

le mythe de l'criture du Phdre de Platon (247b-276d) qui vient


immdiatement l'esprit. L'criture, affirme le Socrate du dialogue, est une mnmotechnie : si l'on crit, c'est avant tout pour
se souvenir et ne plus oublier. Le but premier de l'criture n'est
donc pas du tout d'informer - comme cela semble le plus naturel
aux modernes - mais de consigner ce que tout le monde sait dj.
Le rle de conservation de l'crit - exprim par le topos proverbial verba volant, scripta manent- explique la majorit du corpus
papyrologique. L'criture reprend le chant de l'ade, conserve la
plaidoirie de l'orateur et retrouve le rcit du conteur. Elle soulage
mme la mmoire de celui qui est cens improviser, le mime, en
lui fournissant un canevas l'instar du n 177. De mme, elle permet de reproduire, de formaliser et d'enregistrer un contrat pass
par oral : les actes juridiques et administratifs sont crits pour tre
conservs et servir de rfrence. Et, contrairement notre habitude juridique moderne, le document crit est rarement l'acte
performatif suffisant: il vient souvent aprs, et ne sert qu' garder
trace. Ainsi, dans les serments de catques (comme par exemple
le n 57), c'est l'oral qui a force de loi : j'ai prt le serment royal
dj crit selon lequel soit je sme vraiment, au cours des
semailles des trente prochaines annes, la terre catcique que je
possde prs de Phys, soit, si la terre est abandonne, je paye
l'abandon au fisc royal, sans retenue , crit le catque au
pass en prouvant ainsi que ce document ne vient qu'a posteriori
et ne fait qu'entriner un serment. Il poursuit d'ailleurs en montrant que seul le serment compte vraiment : si j'ai bien jur,
qu'il m'en arrive du bien ; si j'ai mal jur, qu'il m'arrive du mal.
De mme, dans les actes de divorce comme le n 151, l'crit ne fait
que rappeler le vritable geste de rupture, la restitution de la dot,
de la main la main et hors de la demeure. L'omniprsence
des tmoins dans les actes juridiques prouve d'ailleurs l'envi que
c'est l'action qui compte et non pas sa transcription.
Conservation des paroles et conservation des accords, l'crit
sert galement conserver les actes. cette catgorie appartiennent les divers reus, versement de bl, versement d'argent,
changes de bons procds, mais galement l'archivage des actes
des personnages officiels comme peut l'tre un stratge (n 78) ou
un chef des prtres (n 99), ainsi que l'enregistrement de rves
(comme ceux de Ptolme, cf. chapitre XI). Plus rares - mais il en
existe tout de mme - sont les tmoignages de l'criture utilise

291

comme mmento: le papyrus n 47 conserve l'agenda de Znon,


la liste des choses faire .
Charge de conserver des faits qui ne doivent pas tre oublis,
l'criture reprend ici sa valeur commmorative : son choix se justifie par la volont de ne pas disparatre des mmoires. Elle rejoint
ici la pratique des inscriptions, qu'elles soient officielles comme
les inscriptions monumentales ou plus officieuses. Le touriste
du n 185 l'indique bien, qui lie dairement l'usage du graffito
celui du souvenir de ses amis: j'ai grav le nom de mes amis sur
les sanctuaires pour un souvenir perptuel, dit-il. Il rallie en cela
les nombreux visiteurs, parfois des personnages considrables, qui
ont taggu le Colosse de Memnon pour laisser une empreinte
de leur passage. Ainsi l'inscription de Falernus, qui prtend immortaliser le talent du pote : ces vers que Falernus, pote et sophiste,
a crits, sont dignes des Muses et dignes des Grces (n 191).
Immortalit toute relative : quoi sert d'crire lorsqu'une crasante majorit de la population ne peut lire ? Il y a ici un litisme
de la mmoire o seule compte la reconnaissance d'une certaine
caste, et la prtention de Falernus prfigure celle d'un Stendhal qui
ne rdigeait ses livres que pour ses happy few.
crire pour ne pas mourir ou crire pour ne pas tre spoli de
ses intrts : l'criture comme mmoire ne vaut que si elle est
destine tre publique. Le choix de l'criture s'impose alors
comme le seul possible. Mais il n'en va certainement pas de mme
lorsque l'on s'approche du domaine pistolaire o l'alternative
de la coteuse technologie alphabtique ne s'impose pas. Pourquoi favoriser l'criture alors que l'on pourrait transmettre son
message infiniment plus aisment par oral ?

3. - LA LETTRE COMME ACTE DE PRSENCE

Avant de rpondre la question, dbarrassons-nous immdiatement de trois cas de figure qui justifient le recours l'crit.
1. Les textes littraires mis sous forme de lettres. Les ouvrages de
Snque ou de Pline le Jeune sont des lettres destines passer
la postrit, c'est--dire tre conserves : il convient de ne pas
se laisser abuser par l'artifice littraire et de les classer parmi les
autres textes littraires. Malgr la critique qu'elle a essuye, la distinction d'Adolf Deissmann entre Epistel (lettre littraire) et Brief

292

(lettre prive) demeure valable: l'ptre n'est pas pistolaire,


elle est une forme littraire. 2. Les lettres destines accompagner un
envoi. Lorsqu'on confie des objets un coursier, il peut tre
appropri d'en faire la liste pour que le destinataire vrifie que
rien n'a disparu pendant le transport. Certaines lettres comme les
papyrus n 137 ou n 84 se servent de la lettre comme d'un bordereau d'expdition. 3. Les crits confidentiels. En scellant la lettre
(dissimulation par l'opacit du matriau) ou en la confiant quelqu'un d'illettr (dissimulation par l'opacit du code), on peut
conserver secret un message que l'on ne souhaite pas divulguer.
On peut ainsi supposer que la lettre n 45, dans laquelle le
prcepteur Hirocls fait part Artmidoros de ses difficults
propos de l'ouverture d'un gymnase, a t crite pour viter
de dvoiler publiquement les petites intrigues de la cour des Ptolmes. En revanche, le mystrieux petit ostracon n 193- Pacysis,
fils de Ptsebethis mon fils, salut. Pas d'histoire. Vous demeurez
ici avec un soldat. Mais vous ne recevrez rien de moi jusqu' ce
que je vienne chez vous [ ... ] . Porte-toi bien. - n'a pas pu tre
scell : l'auteur devait compter sur l'illettrisme de son porteur et
du soldat pour donner ses ordres son fils, vraisemblablement
dans une situation dlicate.
Ces possibilits cartes, beaucoup de documents demeurent
sans explication, comme toutes les lettres personnelles qui ne cherchent qu' donner des nouvelles. Pourquoi, par exemple, Irne at-elle pris le calame pour s'adresser Taonnphris et Philon
(n 218) ? Elle ne leur dit quasiment rien et ce qu'elle dit aurait parfaitement pu tre transmis par le messager 1 Afin d'expliquer ce
recours l'criture, il convient d'interroger un second informateur
indigne, Dmtrios. Le premier thoricien de l'pistolaire fut
l'origine d'un slogan qui fut repris depuis lors continuellement:
la lettre est comme la moiti du dialogue (De Elocutione, 223),
elle reproduit la contribution d'un interlocuteur un dialogue
commun. Ds lors, la lettre reprsente cet interlocuteur, elle fonctionne comme un acte de prsence. Le Finnois Heikki Koskiennemi
a tudi longuement ce pouvoir de vicariance de la lettre, en le
justifiant la fois par la thorie pistolaire - on y parlera comme
quelqu'un de prsent des gens prsents , affirmait le PseudoLibanios (Caractres pistolaires, 2) - et par sa pratique. Le choix
de l'criture s'explique alors par des sentiments de sympathie
- Koskiennemi parle de philophronsis en rfrence la thorie
293

aristotlicienne de l'amiti - dont l'expression la plus adquate


passe par ce substitut que constitue la lettre.
Les lettres de deuil forment le plus grand corpus de cet usage
philophrontique de l'crit : tre au ct des parents dans la
peine constituait non seulement une obligation amicale mais
aussi un impratif social. Aussi, lorsqu'on ne peut prsenter directement ses condolances, dpche-t-on un alter ego pistolaire qui
s'excuse de l'absence et tche de rconforter. Ainsi fait le speculator Eudaimon (n 227) : Si les tches que l'on m'a assignes
n'taient pas si nombreuses et si importantes, au point d'tre
inexorables, j'aurais tout quitt et me serais moi-mme prcipit chez toi pour me jeter tes genoux : je me serais entretenu
de l'vnement indissociable de la condition humaine survenu
[votre ?] fille. Clairement, la lettre, qui se poursuit par ces
mmes discussions sur la mort, remplace les exhortations de vive
voix du speculator empch. D'autres documents prouvent que le
recours l'crit pour faire acte de prsence ne se borne pas des circonstances aussi dramatiques. Aurelius Theoninus, l'auteur du
n 216, se plaint de ce que son ami Didyme ne lui crive pas.
Aquilas le philosophe crit Sarapion pour l'exhorter dans une
situation difficile (n 214). Srnos crit Isidora une vritable
lettre d'amour en lui disant qu'elle lui manque (n 208). La lettre
de l'esclave Agathangelos Panares son matre d'apprentissage
est un cas exemplaire de cet usage philophrontique de la lettre
(n 145). Agathangelos ne donne quasiment aucune autre nouvelle que d'tre le barbier attitr de son matre : le reste de sa
lettre est vou transmettre son amiti et les prosternations face
aux dieux qu'il accomplit en faveur de ses amis. Elle est un pur
acte de prsence.

4. -

L'CRIT COMME ACTE D'AUTORIT

La volont de conserver et de se souvenir, un moyen de combattre l'absence: ces deux raisons permettent d'expliquer le
recours coteux - en temps, en nergie, en comptence et en
argent- l'crit de bien des documents. Tous ne peuvent pourtant pas tre analyss par ces deux facteurs. Prenons par exemple
la lettre de Mystarion : Mystarion son cher Stototis, mille bonjours. Je t'ai envoy mon cher Blastos pour les btons fourchus
294

pour mon oliveraie. Fais en sorte de ne pas le retenir. Car tu sais


combienj'en ai besoin chaque heure (n 130). Le moins que
l'on puisse dire est que le contenu de la lettre n'est pas imprissable: Mystarion n'entend certainement pas passer la postrit
pour des histoires de btons fourchus ! En outre, dans sa brivet
et son ton un peu sec, elle ne cherche manifestement pas rassurer Stototis sur les sentiments d'amiti qu'prouve Mystarion
envers lui. Enfin, vu le contexte, il semble que les exploitations de
Mystarion et de Stototis ne sont pas trs loignes puisque
Blastos, dont on a tellement besoin, peut se charger du transport.
Le porteur de la lettre aurait donc pu parfaitement dlivrer
Stototis le message de vive voix. Pourquoi avoir utilis du coteux papyrus pour une demande aussi banale ?
Pour rpondre cette question, il convient de faire une hypothse hermneutique. Les modernes sont habitus au concept de
texte: un texte est une nonciation particulire mise par crit. Du
fait de sa mise par crit, elle se dtache de son nonciateur :
l'nonciation devient pur nonc, sans rapport avec celui qui l'a
nonce. Aussi sommes-nous habitus sparer nettement l' nonciateur, la catgorie linguistique, de l'auteur, la catgorie hermneutique. Sans pouvoir nous passer d'hypothses sur l'auteur,
nous pouvons parfaitement nous passer d'hypothses sur l' nonciateur. Or, dans une civilisation nettement domine par l'oral,
on peut faire l'hypothse que l'nonciateur n'tait pas aussi nettement distingu de l'auteur: avant de prendre le document
comme un texte, les Anciens le prenaient comme le rsultat d'une
nonciation, ou plus probablement, confondaient texte, nonciation, nonciateur et auteur. Le concept clef d' auctoritas, c'est--dire
le prestige particulier attach un nom d'auteur, dont la domination ne cesse vritablement qu'au XVIIe sicle - la mthode de
Descartes est-elle autre chose qu'un refus de l' auctoritas? -, vient
renforcer cette hypothse: la croyance en l'autorit d'un auteur
ne prouve-t-elle pas que les noncs taient strictement rapports
la personne qui les nonce ?
Or, quelle autorit possde le message transmis par un quelconque missaire? Certes, outre l'autorit naturelle du messager,
il a galement l'autorit que lui confre son statut d'envoy;
cependant, .ce crdit n'est-il pas dilu par la mdiation ? Pour
obvier cet affaiblissement, la tactique la plus simple tait d'crire.
Le choix de l'criture ne se justifie pas alors pour informer, mais
295

plutt pour confirmer le contenu du message verbal et affirmer sa


validit. Plus qu'un acte de communication, le recours l'crit est
un acte de pouvoir. Ainsi s'explique une caractristique frappante
du corpus des papyrus grco-romains : ils ne contiennent quasiment pas de commandes, de demandes ou mme d'informations
gratuites ,mais en revanche beaucoup d'ordres. Pour demander,
nul besoin d'avoir recours l'crit: un messager, une conversation de vive voix suffisent. En revanche, comment se faire obir
lorsqu'on est loin? On crit, l'instar d'Alypius qui inondait
Hroninos d'instructions : prvenant son intendant de sa visite, il
utilise l'crit uniquement pour lui recommander de faire chauffer ses thermes, de lui fournir de la bonne nourriture et de penser au fourrage de ses btes. Le n 135 qui contient ses desiderata
est d'ailleurs significatif; Alypius a prouv le besoin d'crire de
sa propre main : Fais chercher l'herbe aujourd'hui sans tarder.
Je fais des vux pour ta sant. En crivant la formula valetudinis,
il fait un acte de prsence philophrontique, mais en rappelant
l'un des points importants de sa lettre, il renforce l'acte d'autorit, en quelque sorte en le contresignant. De mme, Znon dans
le n 42 prouve-t-il le besoin de donner par crit ses instructions
concernant la confection de son gruau d'orge. En soi, la demande
ne vaut pas le papyrus qu'elle cote, mais elle revt une importance capitale aux yeux du Grec de Caunos qui a des souhaits trs
prcis ; la prparation des chidra d'orge selon la coutume d'Asie
Mineure est sans doute l'une des choses qui relient encore l'exil
sa mre patrie. Citons encore le n 157: une femme, Thas, crit
son cher Tigrios pour lui commander de faire une srie de
choses. Le grec de Thas est assez lche et son criture assez mal
forme: il est probable qu'crire lui demande un certain effort.
Si elle en prend la peine, c'est sans doute pour compenser le fait
d'tre une femme dans un monde domin par les hommes. Elle
entend affirmer qu'elle est la patronne et pour renforcer ses
ordres, elle crit.
Un cas partic~lier de ce rle de l'crit comme facteur d'autorit est celui des lettres de recommandation. Prsentes depuis
longtemps, elles connurent une faveur toute particulire dans les
communauts chrtiennes. Le plus souvent, elles sont portes au
destinataire par la personne qu'elles recommandent (cf. par
exemple P. Oxy. 292). Qu'elles soient adresses celui de qui l'on
attend une faveur (n 33 ou n 34) ou, de manire plus complexe,

296

celui que l'on entend favoriser ( l'instar de la fameuse lettre


n 32 attribuable saint Antoine ou de la lettre manich~ste
rcemment trouve Kellis, n 36), elles ne valent gure pour leur
nonc : ce qui compte, c'est la signature et le prestige de leur
auteur.
Que cela soit pour garder trace, pour pallier l'absence ou pour
renforcer ses ordres, le recours l'crit ne se rvle jamais un
choix innocent dans !'Antiquit. Option coteuse, l'criture suppose des stratgies extrmement prcises. Pour les valuer, les
quelques interprtations qui viennent d'tre tentes demeurent
bien insuffisantes. Ainsi, il y a fort parier que des contraintes
sociales difficiles estimer jouent galement dans le choix de

l'crit. Pourquoi, par exemple, beaucoup d'invitations ressemblent celle-ci: Hrais t'invite au repas l'occasion du mariage
de son enfant, dans sa maison, demain le 5, la 9 heure
(n 172) ? Qui aurait l'ide d'inviter quelqu'un, dujour au lendemain, au mariage de sa fille ? La proximit de date suppose que
le destinataire habitait la mme ville et pouvait aisment tre prvenu par oral. En outre, certaines lettres pouvaient tre retouches par une autre main, ce qui suppose que 1' on avait fait appel
un scribe : pour lancer leurs invitations, mme les illettrs voulaient crire . Une rgle de politesse semble sousjacertte : il
fallait recevoir une invitation crite. Comment expliquer ce
recours ? De nouvelles recherches sur la valeur de l'crit dans
l'Antiquit grco-romaine demeurent encore conduire.

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Pour une description des difices publics : Adam LUKASZEWICZ, Les
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Joseph MLZE-MODRZEJEWSKI, Les Juifs d'gypte de Ramss II Hadrien,
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CHAPITRE IV : L'MERGENCE DU CHRISTIANISME EN GYPTE
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in R. GRAFFIN, Patrologi,a Orientalis IV, 2.16, 1906, Paris, Didot, 1946.

299

CHAPITRE V : ZNON, UN COLON GREC EN GYPTE


Une excellente introduction en franais aux papyrus de Znon et au
monde dans lequel il vivait :
Claude RRIEUX, Les Papyrus de Znon. L'horizond'un Grec en gypte au
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CHAPITRE VI : UN ROUAGE DE L'ADMINISTRATION LAGIDE
Arthur M. F. W. VERHOOGT, Menches, Komogrammateus of Kerkeosiris,
Leiden/New York/Kln, Brill, Papyrologica Lugduno-Batava 29,
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CHAPITRE VII: LES ARCHIVES D'UNE FAMILLE SOUS L'ADMINISTRATION
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B. A. VAN GRONINGEN, A Family-Archive /rom Tebtynis, Lugdunum
Batavorum (Leyde), Brill, Papyrologica Lugduno-Batava 6, 1950.
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Franoise DUNAND & Christiane ZME-CHOCHE, Dieux et Hommes en
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CHAPITRE XI : LES RECLUS DU SERAPEUM
Les textes se trouvent dans: Ulrich WILCKEN, Urkunden der Ptolemiierzeit,
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Sur l' enkatoch: Reinhold MERKELBACH, Zur yK:a1:0xfi im Sarapeum zu
Memphis , Zei,tschrift fr Papyriologi,e und Epigraphik 103, 1994, p. 293297.
Dorothy]. THOMPSON, Memphis under the Ptolemies, Princeton, Princeton
University Press, 1988.
Naphtali LEWIS, Greeks in Ptolemaic Egypt, Oxford, Clarendon, 1986,
ch. V.
CHAPITRE XII : PAPYRUS MAGIQUES ET ASTROLOGIQUES
Sur la magie: Fritz GRAF, La Magi,e dans !'Antiquit grco-romaine, Paris,
Les Belles Lettres, 1994 [republ. Paris, Hachette, Pluriel 8822,
1997].
Sur le papyrus P. Mick. 757 (n 123) : David G. MARTINEZ (ed.),
P. Michigan XVI. A Greek Love Charm from Egypt (P. Mick. 757), Atlanta,
Scholars, American Studies in Papyrology 30, 1991.

300

CHAPITRE XIV : HISTOIRES DE FEMMES


Jane ROWLANDSON (ed.), Women & Society in Greek & Roman Egypt,
Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
CHAPITRE XVI : AMUSEMENTS ET PLAISIRS
Sur le plerinage au Colosse de Memnon ( 3) : Andr et tienne
BERNAND, Les Inscriptions grecques et latines du Colosse de Memnon,
Le Caire, IFAO, IFAO Bibliothque d'tudes 31, 1960.
CHAPITRE XIX : UN CERTAIN GOT POUR LA MORT
Marie-France AUBERT & Roberta CORTOPASSI, Portraits de l'gypte romaine,
Catalogue de lexposition du muse du Louvre (5 oct. 1998-4jan. 1999),
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CPR: papyrus appartenant la collectio~ de l'archiduc Rainer
Vienne. Corpus Papyrorum Raineri, Wien, Osterreichische National;.
bibliothek : plus de 20 vol. depuis 1895.
DeijJmann: papyrus publis dans le livre d'A. DeiBmann.
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Ghedini: anthologie de lettres chrtiennes dites par G. Ghedini.
Giuseppe GHEDINI, Lettere Cristiane dai papiri Greci del III e IV Secolo,
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Hengstl: anthologie de papyrus grecs ralise par]. Hengstl. Joachim
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303

Inscr. Colosse de Memnon : inscriptions du Colosse de Memnon


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Papyri in the British Museum, London, British Museum : 7 vol. depuis 1893.
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de Magdla in PierreJOUGUET et al., Papyrus grecs, vol. 2, Paris, Leroux,
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C. H. ROBERTS, A Descriptive Catalogue of the Greek Papyri in the Collection of
Wiljred Merton, London, Emery Walker, vol. 1, 1948, vol. 2, 1959.
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Arbor. Michigan Papyri, Ann Arbor: 18 vol. depuis 1931.
P. Oxy. : papyrus trouvs Oxyrhynchos. The Oxyrhynchus Papyri,
London, Egypt Exploration Fund [puis : Egypt Exploration Society],
1898- [Plus d'une soixantaine de volumes ont t publis ; les premiers
taient dits par Bernard Grenfell et Arthur Hunt].
P. Paris : slection de papyrus de la Bibliothque nationale et du
Louvre.J.-A. LETRONNE, W. BRUNET DE PRESLE & E. EGGER, Notices et textes
des papyrus du Muse du Louvre et de la Bibliothque Impriale, Paris,
Imprimerie nationale, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothque Impriale et autres bibliothques 18.2, 1865.
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de la collection de l'archiduc Rainer conserve Vienne. Festschrift
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alii, The Tebtynis Papyri, London, Egypt Exploration Society, vol. 1 :
Graeco-Roman Memoirs 4, 1902 ; vol. 2 : Graeco-Roman Memoirs 52,
1907; vol. 3.1: Graeco-Roman Memoirs 23, 1933; vol. 3.2: GraecoRoman Memoirs 25, 1938; vol. 4: Graeco-Roman Memoirs 64, 1976.
P. Turner: documents dits en l'honneur du 70e anniversaire d'Eric
Turner. Papyri Greek & Egyptian Edited by Various Rands in Honour ofEric
Gardner Turner in the Occasion of His Seventieth Birthday, London, Egypt
Exploration Society, Graeco-Roman Memoirs 68, 1981.
P. Hal. : papyrus dits par un sminaire de papyrologie de Halle.
GRJECA HALENSIS, Dikaiomata: Auszge aus alexandrinischen Gesetzen und
Verordnungen in einem Papyrus des Philologischen Seminars der Universitat

Halle (Pap. Hal. 1) mit einem Anhang weiterer Papyri derselben Sammlung,
Berlin, 1913.
PGM: papyrus grecs magiques dits par K. Preisendanz. Karl
PREISENDANZ, Papyri Grcecce Magicce. Die griechischen Zauberpapyri,
Berlin/Leipzig, Teubner, vol. l, 1928 ; vol. 2, 1931.
Schubert. Paul SCHUBERT et al. (d.)., Vivre en gypte Grco-Romaine,
Vevey, !'Aire, Le chant du monde, 2000.
SP: papyrus de l'anthologie de Hunt et Edgar. A. S. HUNT &
C. C. EDGAR, Select Papyri, Cambridge/London, Harvard University
Press: vol. l, Private Affairs, Loeb Classical Library 266, 1932 [n 1200] ; vol. 2, Official Documents, Loeb Classical Library 282, 1934
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W. DANIEL & Franco MALTOMINI, Supplementum Magicum, Opladen,
Westdeutscher Verlag, vol. 1 : Papyrologica Coloniensia 16.1, 1990;
vol. 2 : Papyrologica Coloniensia 16.2, 1992.
Tibiletti: papyrus de l'anthologie de G. Tibiletti. Giuseppe TIBILETTI,
Le Lettere private nei papiri greci del III e IV secolo d. C., Milano, Vita e
Pensiero, Scienze filologiche e letteratura 15, 1979.
UPZ: anthologie de documents de l'poque ptolmaque. Ulrich
WILCKEN, Urkunden der Ptolemaerzeit, vol. l, Berlin/Leipzig, De Gruyter,
1927.

TABLE DES TEXTES

BGU

27 n 12.
37 n 130.
347 n 99.
362 n 94.
801 n 225.
846 n 210.
1026 n 115.
1079 n 19.
1103 n 151.
1104 n 200.
1210 n 9, 70, 98, 148,
150, 200.
1211n4.
1282 n 16.

BN Cabinet des Mdailles


inv. 1107 n 40.
C. Epist. Lat.
141 n 83.
142 n 84.
C. Ord. Ptol.
24 n 2.
29 n 4.
37 n 108.
C. Pap. Gr.
28 n 163.
CP]ud.
I, 46 n 16.
I, 127c n 15.

I, 128 n 17.
I, 141 n 18.
II, 162 n 21.
II, 152 n 19.
II, 153 n 20.
II, 436 n 22.
II, 438 n 23.
II, 439 n 24.
II, 442 n 25.

CPR
VI, 81 n 227.
XVIII, 1 n 181.

DeijJmann
5 n 180.
7 n 199.
8 n 130.
10 n 185.
11 n 218.
14 n 210.
19 n 202.
20 n 193.
22 n 31.
24 n 37.
Ghedini.
1n12.
11 n 31.
15 n 213.
19 n 32.
Hengstl
10 n 13.
309

15 n 58.
25 n 162.
35 n 80.
40 n 205.
57 n 224.
58 n 219.
63 n 31.
65 n 103.
72 n 171.
82 n 202.
88 n 208.
93 n 180.
95 n 197.
100 n 144.
107 n 131.
123 n 149.
128 n 61.
157 n 159.
161n226.

Inscr: Colosse de Memnon


11n186.
12 n 187.
23 n 188.
29 n 189.
30 n 190.
61 n 191.
Jnscr: Fayoum
112 n 97.
121n102.
124 n 100.

Mitt. Chrest.
8 n 7.
19 n 61.
39 n 5.
42 n 59.
117n153.
224 n 205.
285 n 171.
Naldini
1 n 27.
5 n 35.
19 n 33.
21 n 31.
29 n 34.
32 n 213.
35 n 30.
40 n 37.
42 n 32.
78 n 175.
O. Berol.
inv. 25470 n 76.
O. Claud.
1 n 87.
4 n 88.
53 n 89.
141 n 91.
156 n 90.
O. Deiss.
64 n 193.
O. Edfou
41 n 21.
O. lphantine
114 n 14.
O. Mich.
91n129.
Olsson
17 n 198.
30 n 19.
32 n 130.
56 n 132.
77 n 131.
P. Abinn.
32 n 37.
P. Alex.
29 n 33.
P. Amst.
26 n 116.
P. Bingen
46 n 57.
77 n 138.
P. Bouriant
14 n 163.
21 n 81.
25n175.

P. Brem.

63 n 25.
P. Bruxelles
13 n 70.
P. Cair. Zen.
59060 n 44.
59067 n 43.
59092 n 41.
59129 n 42.
59156 n 48.
59251 n 1.
P. Col. Zen.
11 n 43.
P. Dion.
15 n 93.
P. Enteuxeis
13 n 159.
23 n 17.
25 n 209.
49 n 205.
79 n 6.
82 n 5.
83 n 7.
P. Fam. Tebt.
10 n 64.
12 n 65.
13 n 66.
14 n 67.
17n 68.
18 n 69.
P. Fay.
28 n 162.
114 n 132.
P. Fior.
127 n 135.
332 n 92.
367 n 216.
P. Gen.
19 n 169.
139 n 71.
inv. 111n142.
P. Giss.
19 n 22.
27 n 24.
40 n 11.
80 n 204.
P. Gradenwitz
2 n 15.
P. Graux11
10 n 137.
P. Grenj. JI
73 n 31.
P. Hal.
1 n 2.

310

P. Hamb.
74 n 222.
P. Harris
107 n 35.
P. Heid.
237 n 152.
P. Hibeh
54 n 180.
P. land.
92 n 45.
97n2ll.
P. !FAO
104 n 18.
P. Kellis #D/8/
114 n 128.
P. Kellis Gr.
63 n 36.
P. Leid.
C n 110.
P. Lille
1n46.
P. Lond.
23 n 108.
42 n 106.
44 n 112.
121n113.
417 n 37.
713 n 31.
717 n 220.
854 n 185.
1586 a n 72.
1658 n 32.
1911n65.
1912 n 20.
1924 n 69.
1943 n 67.
1948 n 39.
1957 n 64.
1980 n 68.
P. Magd.
2 n 159.
14 n 205.
24 n 6.
33 n 5.
42 n 7.
P. Merton
12 n 143.
P. Mich.
145 n 164.
155 n 117.
157 n 28.
158 n 29.
217 n 206.
424 n 121.

P. Paris
467 n 83.
468 n 84.
6 n 224.
10 n 149.
471 n 85.
23 n 109.
473 n 86.
47 n 111.
482 n 27.
69 n 78.
679 n 212.
P. Philadelphie
757 n 123.
33 n 80.
inv. 3510 n 74.
P. Prague
P. Miss.
114 n 136.
57 n 173.
P. New York University inv. P. Princ.
38 n 133.
38 n 155.
166 n 219.
P. Oxy.
51 n 194.
P. Rainer Cent.
67 n 8.
Ill n 172.
P. Rainer Unterricht
115 n 218.
119 n 202.
7 n 166.
178 n 165.
219 n 176.
P. Reinach
282 n 153.
15 n 93.
294 n 198.
43 n 156.
299 n 131.
P. Ross. Georg.
315 n 154.
1, 20 n 141.
413 n 177.
III, 2 n 226.
475 n 197.
P. Ryl.
519 n 182.
77 n 77.
528 n 208.
197 n 73.
705 n 82.
238 n 134.
724 n 144.
P. Teb.
744 n 199.
9 n 52.
804 n 127.
10 n 51.
886 n 126.
14 n 59.
896 n 192.
17 n 58.
932 n 157.
30 n 56.
1021n13.
33 n 8.
1189 n 26.
39 n 60.
1381n105.
43 n 63.
1477 n 103.
49 n 61.
1627 n 79.
67 n 55.
1676 n 215.
84 n 53.
1680 n 213.
87 n 54.
2190 n 203.
104 n 171.
2342 n 158.
278 n 167.
2601 n 30.
333 n 196.
2782 n 96.
730 n 195.
2791n168.
1099 n 62.
2792 n 170.
P. Turner
2843 n 147.
9 n 178.
3069 n 214.
14 n 140.
3555 n 146.
42 n 201.
3809 n 145.
P. Yale
3812 n 217.
134 n 114.
3834 n 118.
P. 'Zen. Pest.
3994 n 207.
51n45.
4339 n 179.

311

An 46.
B n 49.
PGL
1214 n 124.
PGM
1, 1-42. n 122.
I, 247-262 n 120.
IV, 2455-2464 n 119.
IV, 2475-2496 n 125.
VII, 661-663 n 113.
xxna, 11-17 n 115.
PSI

340 n 45.
402 n 139.
406 n 38.
429 n 47.
502 n 50.
1016 n 101.
1041 n 34.
SB
939 n 223.
3451n104.
3924 n 10.
4254 n 193.
6824 n 28.
6825 n 29.
7249 n 206.
7572 n 160.
9199 n 95.
9545 n 184.
9564 n 18.
9633 n 193.
10239 n 154.
11586 n 174.
12199 n 183.
12606 n 161.
12637 n 75.
13867 n 212.
13946 n 227.
Schubert
5 n 169.
7 n 71.
9 n 202.
10 n 203.
26 n 208.
27 n 30.
39 n 99.
44 n 144.
46 n 139.
55 n 4.
56 n 112.
60 n 20.
66 n 77.

SP
2 n 171.
6 n 151.
15 n 144.
37 n 101.
78 n 222.
88 n 44.
93 n 1.
95 n 180.
97 n 106.
100 n 111.
105 n 199.
107 n 19.
108 n 131.
109 n 132.
113 n 12.
114 n 92.
116 n 204.
120 n 210.
125 n 208.
140 n 135.
143 n 134.
147 n 216.
151 n 215.
153 n 213.
161 n 37.
165 n 175.
179 n 47.
182 n 41.
195 n 103.
207 n 2.
208 n 4.
211n10.
212 n 20.

215 n 11.
234 n 149.
235 n 13.
241 n 77.
242 n 78.
244 n 99.
266 n 139.
269 n 5.
272 n 108.
276 n 60.
309 n 162.
335 n 195.
336 n 196.
337 n 197.
339 n 51.
360 n 192.
362 n 79.
383 n 73.
402 n 182.
416 n 8.
Stud. Pal. XXII,
56 n 221.
Suppl. Mag.
22 n 116.
76 n 114.
Tibiletti
1 n 226.
2 n 211.
20 n 214.
24 n 37.
UPZ
8 n 112.
14 n 108.
18 n 109.

59 n 106.
60 n 107.
70 n 111.
77 n 110.
121n149.
187 n 224.
Wilck. Chrest.
3 n 196.
17 n 24.
22 n 11.
41 n 78.
48 n 192.
60 n 19.
76 n 99.
96 n 94.
97 n 106.
101n159.
117 n 185.
127 n 31.
129 n 37.
140 n 144.
160 n 51.
165 n 58.
231 n 54.
233 n 56.
407 n 82.
445 n 12.
448 n 63.
477 n 180.
479 n 218.
484 n 172.
492 n 182.
494 n 197.

TABLE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Papyrus, plomb, parchemin, cire et poterie . . .
2. Les hritiers de l'gypte des pharaons . . . . . . .
3. Grec, copte, latin, hiroglyphique ou dmotique
4. Pourquoi cette anthologie ? . . . . . . . . . . .
5. Oxyrhynchos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les limites de cette anthologie . . . . . . . . . . . . . . . .

.7
8
9
10
11
13
14

Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17

Notes

21
21

1.
2.
3.
4.
5.

Notes sur les textes ..................... .


Les empereurs romains .............. ; ... .
Les travaux et les jours .................. .
L'administration lagide .................. .
Les souverains d'gypte et les grands vnements

22

23
24

25

La toile de fond des papyrus ................ .

28

6. L'gypte sous les Lagides


7. L'gypte sous les Romains

30
33

313

PREMIRE PARTIE:

Les chos de !'Histoire dans les papyrus

37

1. La mise au pas de la terre gyptienne et ses rsistances


sous les Lagides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Les successeurs des pharaons . . . . . . . . . . . . . .
2. Une difficile cohabitation . . . . . . . . . . . . . . . . .

41
41
51

II. Les chos de l'empire romain en gypte . . . . . . . .


1. Premiers contacts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. L'gypte romaine: .Alexandrie, les cits et la chra
3. La succession des empereurs . . . . . . . . . . . . . . .

55
55
57
63

Ill. Les chos de la vie des Juifs en gypte . . . . . . . . . .


1. Les Juifs en gypte avant 41 ap. J.-C. . . . . . . . . .
2. La premire rvolte (37-41) . . . . . . . . . . . . . . .
3. La seconde rvolte (115-117) . . . . . . . . . . . . . .

65
65
70
76

IV. L'mergence du christianisme en gypte . . . . . . .


1. Les dbuts du christianisme en gypte . . . . . . .
2. L'glise perscute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. La vigueur du christianisme d'gypte . . . . . . . .

80
80
81
85

Deuxime partie:
Les voix du pouvoir et de l'administration

91

V. Znon, un colon grec en gypte . . . . . . . . . . . . . . 93


1. Les voyages hors d'gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
2. En voyage en gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3. Znon et le paradis d'Apollonios . . . . . . . . . 101
VI. Un rouage de l'administration lagide . . . . . . . . . .
1. La nomination de Menchs . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Le rle de Menchs (1): agent du fisc . . . . . . .
3. Le rle de Menchs (2) : juge de paix . . . . . . . .

107
109

111
117

VII. Les archives d'une famille sous l'administration romaine 123


VIII. Liturgie et impts: le poids de la prsence romaine
314

130

IX. Les militaires en gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143


1. Claudius Terentianus, un militaire pas si fougueux 144
2. La vie quotidienne dans un avant-poste:
Mons Claudianus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Troisime partie :
Les voix des dieux et des dmons
X. Les temples d'gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Anciens et nouveaux cultes . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Les rapports entre religion et tat . . . . . . . . . .
3. La pit en gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

153
155
156
162
164

XI. Les reclus du Serapeum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169


1. Gurisons et retraites au Serapeum .... ~ . . . . . 170
2. Ptolme retraitant au Serapeum . . . . . . . . . 174
XII. Papyrus magiques et astrologiques

Quatrime partie :
Banalit et mystre: les voix de la vie prive
XIII. Mille et une activits, mille et une conditions . . . .
1. Les travaux agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Banquiers et commerants . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Mdecins et chirurgiens . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. Le monde des esclaves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

181

201
203
203
208
212
215

XIV. Histoires de femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221


1. Les femmes dans la socit . . . . . . . . . . . . . . . . 221
2. Des femmes de tte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
XV. De la naissance la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
XVI. Amusements et plaisirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Thtre, littrature et chansons . . . . . . . . . . . .
2. Ftes et jeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Le tourisme en gypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. Luxe, calme et volupt . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
315

242
242
246
249
253

XVII. Maladies, meurtres et faits divers . . . . . . . . . . . . . . 255


XVIII. Une galerie de caractres ......... : . . . . . . . . . .
1. Les studieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Les amoureux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Les ingrats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. Les inquiets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5. Les raffins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

262
262
267
269
272
274

XIX. Un certain got pour la mort ................ .


1. L' Apostrophe muette : les portraits du Fayoum
2. Papyrus et funrailles ................... .
3. Les expressions du deuil ................. .

277
277

. ;i .....................
XX. Pourqu01. ont-11 s ecnt.
1. L'criture, un choix positif dans !'Antiquit ..
2. crire pour laisser une trace ..............
3. La lettre comme acte de prsence ..........
4. L'crit comme acte d'autorit .............

288

.
.
.
.
.

280

284
289
290

292
294

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
Abrviations et index des sources

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303

Table des textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309

_,\

CHEZ LE MME DITEUR


LA REINE MYSTRIEUSE
HATSHEPSOUT
par Christiane Desroches Noblecourt
TOUTANKHAMON
par Christiane Desroches Noblecourt
Vie et mort du plus fabuleux de tous les pharaons.
RAMSS Il - LA VRITABLE HISTOIRE
par Christiane Desroches Noblecourt
MYTHES ET DIEUX
LE SOUFFLE DU SOLEIL
par Isabelle Franco
Une rencontre avec les dieux oublis de l'gypte,
clairant les grands mythes et les mystres de l'univers.

RITES ET CROYANCES D'TERNIT


par Isabelle Franco
Le concept d'une vie ternelle,
obsession du vieux pays des pharaons.

LES GRANDS PHARAONS


ET LEURS UVRES
Dictionnaire
par Isabelle Franco

NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MYTHOLOGIE GYPTIENNE
par Isabelle Franco
AFFAIRES ET SCANDALES SOUS LES RAMSS
par Pascal Vernus
La Crise des Valeurs dans l'gypte du Nouvel Empire.
VOYAGE DANS LA BASSE ET LA HAUTE GYPTE
par Vivant Denon
A l'origine de l'gyptologie, la dcouverte de l'empire des pharaons
par le fondateur du Louvre.
CHAMPOLLION
par Hermine Hartleben
La biographie fondamentale consacre au plus grand
gyptologue franais.
LE SECRET DES BTISSEURS DES GRANDES PYRAMIDES
par Georges Gayon, Matre de recherche au CNRS
Nouvelles donnes sur la construction des monuments mgalithiques.
L'AVENTURE ARCHOLOGIQUE EN GYPTE
par Brian M. Fagan
Grandes dcouvertes, pionniers clbres, chasseurs de trsors
et premiers voyageurs.
DJSER ET LA li' DYNASTIE
par Michel Baud

\.

Impression ralise sur CAMERON par

BUSSIRE CAMEDAN IMPRIMERIES


GROUPE CPI

Saint-Amand-Montrond (Cher)
pour le compte de Pygmalion
Dpartement des ditions Flammarion
en mars 2003

N d'dition: 810. N d'impression: 031471/4.


Dpt lgal : mars 2003.

Imprim en France

Rgis Bumet

L 'GYPTE ANCIENNE
TRAVERS LES PAPYRUS
Vie quotidienne

Comment parlaient les hommes de l' Antiquit ? Que se


racontaient-ils chaque jour ? Les crits ont gnralement disparu
et l'on ignore bien souvent tout de leur intimit. Il existe cependant une exception : les papyrus de l'Egypte, miraculeusement
sauvegards grce l' aridit du dsert.
Il s' agit des plus anciens tmoignages authentiques qui nous
sont parvenus . Dcouverts il y a plus d'un sicle, les voici
runis pour la premire fois dans une anthologie en franais.
Comment n' tre pas fascin : c' est un hritage direct du temps
'
des pharaons qu ' ils nous transmettent !
Entirement traduits et prsents par Rgis Burnel., ces
extraordinaires papyrus rvlent une vie surprenante. Loin du ton
parfois pompeux des uvres littraires, ils nous montn ;nt des
hommes de chair et de sang dans leurs proccupations concrtes
et les mille et uns secrets de leur existence quotidienne. Ainsi,
mieux qu ' travers tous les rcits et les reconstitutions, souvent
sujets caution, le naturel de leurs voix trangement proches et
vibrantes, comme si elles s'adressaient nous, tmoigne en
direct et sans emphase de l'intemporalit de l'esprit Humain.

Rgis Burnet est ancien lve de ! 'Ecole Norma le Suprieure et


docteur de !'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il enseigne / 'universit de Paris VIII. Il a dj publi plusieurs livres sur le christianisme ancien et sur ! 'Antiquit.

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FD 0646

lllustr. de couv. : O. R.
IS B 2.85704.8 10.6
2 1,50 prix France

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