La Nouvelle Droite, Ses Pompes Et Ses Œuvres: D'Europe Action (1963) À La NRH (2002)
La Nouvelle Droite, Ses Pompes Et Ses Œuvres: D'Europe Action (1963) À La NRH (2002)
La Nouvelle Droite, Ses Pompes Et Ses Œuvres: D'Europe Action (1963) À La NRH (2002)
A GNRATION SPONTANE nexiste pas plus dans lordre intellectuel que dans lordre physique, et lon pourrait remonter fort loin pour
tablir la gnalogie de la Nouvelle Droite. Peut-tre faudrait-il revenir
Celse et Porphyre, les polmistes paens de lAntiquit, dont les attaques antichrtiennes prfigurent toutes celles qui viendront par la suite 1.
Nous nous contenterons ici de remonter la fondation dEurope Action, en
1962-1963, dont les meneurs (Dominique Venner, Alain de Benoist 2, Jean Mabire,
1 Sur Celse et Porphyre, voir le matre-ouvrage de Pierre DE LABRIOLLE , La Raction
paenne, tude sur la polmique antichrtienne du Ier au VIe sicle, Paris, Cerf, 2005.
2 Alain de Benoist, qui a beaucoup de pseudonymes (Cdric de Gentissard, Robert de
Herte, Fabrice Valclrieux, etc.), signait Fabrice LAROCHE dans Europe Action.
T U D E S
88
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
89
lre de la nation est passe, il faut souvrir lEurope pour compenser la perte de
lempire colonial.
Lide est dans lair. Elle influence Dominique Venner qui rdige, dans sa prison, un manifeste nonationaliste inspir, entre autres, du Que faire ? de Lnine
(ne faut-il pas emprunter ladversaire les moyens qui lui ont russi ?). Venner
se lie avec un autre dtenu politique, Maurice Gingembre, trsorier de lOAS.
Cest avec lappui financier de la famille Gingembre quil fonde ds sa sortie de
prison, lautomne 1962, une maison ddition, puis, en janvier 1963, la revue
Europe Action, qui recrute tout naturellement son premier lectorat parmi les anciens de Jeune Nation. (Pierre Sidos, encore en prison lpoque, et fidle une
conception plus traditionnelle du nationalisme, se verra ainsi priv de ses anciens
cadres 1.) Europe Action suscite un grand engouement. Avec sa maison ddition,
sa librairie (Librairie de lAmiti), et les Cahiers Universitaires de la FEN
(Fdration des tudiants Nationalistes), auxquels elle est trs lie, la revue russit imposer un certain style la jeunesse de droite (camps-coles, mystique
paenne des racines et du sang, clbration des feux de solstice, etc.).
Constat lucide, en effet : la France des annes 1950, sous des apparences de
sant, est dj proche de la dcomposition (lathisme social et lhdonisme font
leur uvre) ; le christianisme lui-mme, attaqu par le progressisme, est dans un
tat critique. Certes, il en a vu dautres (dans son chef-duvre LHomme ternel,
Chesterton recensait, en 1925, cinq morts historiques du christianisme, toujours
suivies de rsurrection 2), mais les apparences peuvent faire impression, surtout
sur des jeunes gens dont la formation chrtienne a dj t frelate (des auteurs
1 Quelques semaines avant de quitter la prison, Venner voit arriver Pierre Sidos, lui
aussi balanc. [] Avec lui, la persuasion ne suffit pas. Lancien franciste ne se laisse pas
convaincre, dailleurs il ne partage pas les analyses de Venner sur les raisons de lchec et ne
comprend pas o il veut en venir quand il lui glisse loreille : Il faut faire du Lnine en
positif. Cest le dbut dune msentente au terme de laquelle, bientt, les deux hommes ne
saccorderont plus sur rien. (Franois CHARPIER, Gnration Occident, Paris, Seuil, 2005,
p. 59.)
2 G. K. C HESTERTON , LHomme ternel [The Everlasting Man], traduction dAntoine
Barrois, DMM (53290 Boure), 2004, p. 269. Voir texte cit en annexe.
LE SEL DE LA TERRE
90
T U D E S
aussi peu catholiques que Teilhard ou Mounier sont la mode dans les aumneries). Lpiscopat franais a abandonn le combat pour la royaut sociale du
Christ (il ne soppose pas la constitution athe de 1958), et toute une partie du
clerg favorise impunment la subversion politique et sociale. Un certain nombre
de jeunes gens gnreux sont tents de mettre ailleurs leur idal. Dus par la
France, dus par lglise, ils se tournent vers lEurope. Une Europe dont ils font
un absolu, et quEurope Action dfinit ainsi, dans son Dictionnaire du militant :
EUROPE Foyer dune culture en tous points suprieure depuis trois millnaires. Le destin des peuples europens est dsormais unique, il impose leur unit
politique, reposant sur loriginalit de chaque nation et de chaque province. De
mme que lapparition de la Nation franaise, au XIVe sicle, tait un phnomne
nouveau dans lhistoire, de mme lEurope, comme unit politique, sera un phnomne nouveau correspondant lvolution du monde. Il sera diffrent du phnomne national 1.
Le thme de la supriorit absolue et universelle de lEurope revient rgulirement dans la revue. En face, et par contraste, il ny a que des sous-dvelopps
(cest--dire des sous-capables 2 ) ou, pire encore, le malfique Orient . On
lit, la dfinition du mot honneur :
HONNEUR Mot intraduisible dans les langues non-europennes. Notion incomprhensible pour un oriental, un noir ou un chinois : elle est propre aux
peuples dEurope depuis la Grce antique. [] Lthique de lhonneur est lextrme oppos des morales orientales essentiellement utilitaires qui font toujours
miroiter rcompenses, punitions, dans un monde ou dans lautre, comme sanction
des choix humains. Au contraire, lthique de lhonneur est hroque et anti-utilitaire ; Antigone et Bastien-Thiry savent quils vont mourir, cela ne les arrte pas 3.
Lthique de lhonneur est le pivot de la morale occidentale ou morale du stocisme
aurlien. [p. 67.]
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
91
LE SEL DE LA TERRE
92
T U D E S
Saint-Loup a fait de moi un paen, cest--dire quelquun qui sait que le seul vritable enjeu, depuis deux mille ans, est de savoir si lon appartient aux peuples de
la fort ou cette tribu de gardiens de chvres qui, dans le dsert, sest autoproclame lue dun dieu bizarre un mchant dieu , comme disait lami Gripari.
Jai donc lgard de Saint-Loup la plus belle et la plus lourde dette. [.] Je fais
partie de ceux qui ont dcouvert le signe ternel de toute vie : la roue toujours
tournoyante du Soleil Invaincu 1.
Quun bon nombre de clercs progressistes (entrans par la subversion communiste) et toute une partie de la hirarchie (par faiblesse ou connivence) aient
t occasion de scandale, personne ne le niera. Mais ce nest pas lglise . Et le
problme est que, dans leur raction, Venner et ses amis gardent, leur insu, certains principes progressistes. Ils veulent une religion nationale et europenne
qui soit lme du peuple et la religion spcifique des Europens .
Autrement dit, une religion but non pas proprement religieux (relier les
hommes Dieu), mais social et culturel (unir entre eux les Europens, exprimer
leur me commune). Cest toujours du progressisme ! Progressisme de droite,
certes (au service de lidentit europenne), tandis que Vatican II prne un progressisme de gauche (au service de la fraternit universelle), mais progressisme
quand mme, cest--dire religion dtourne de Dieu, et mise au service de la politique humaine.
La sagesse juge de tout mme des ralits les plus infimes par les causes les
plus hautes, tandis que la btise (stultitia) juge de tout mme des ralits suprieures partir de points de vue infrieurs 3. Europe Action veut tout juger par
rapport lEurope. Ce point de vue permet une certaine sagesse (il est plus sage
de juger des ralits humaines par rapport la civilisation europenne grande
1 Pierre VIAL, le 20 avril 1991. Texte dans le recueil Rencontre avec Saint-Loup, publi
par lAssociation des amis de Saint-Loup, Paris, 1991, p. 148.
2 Dominique VENNER , Le Cur rebelle, p. 152. Le numro 37 dEurope Action
expliquait dj habilement ses lecteurs (au milieu dun jeu) que lglise lutte aujourdhui
contre le nationalisme pour deux raisons : elle veut revenir ses origines et [] elle
cherche une clientle dans le Tiers-Monde . Europe Action n 37 (janvier 1966), p. 29 et 31.
3 Voir saint THOMAS , II-II, q. 46.
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
93
et noble que par rapport la seule conomie). Mais il conduit aussi des inepties, ds quon se permet de juger des ralits suprieures (la religion, surtout)
partir dun point de vue infrieur.
Le simple bon sens suffit apercevoir que, Dieu tant suprieur aux hommes,
la vrit religieuse est indpendante des diffrentes civilisations. Refuser le catholicisme pour la seule raison que cest une religion universelle et quon veut
garder la religion de sa race ou de sa civilisation est lvidence un manque de
sagesse. Tout Grec laurait compris.
Les traditionalistes dont parle Venner sont reconnaissants lglise davoir
engendr et faonn leur patrie terrestre. Jugeant larbre ses fruits, ils voient
dans la fcondit du christianisme une des marques de sa vracit. Mais cest au
catholicisme en tant que vrai (universellement vrai) quils adhrent, et non en
tant que spcificit europenne. Sinon, ils nont pas la foi catholique.
94
T U D E S
On objectera peut-tre que le peuple philosophe par excellence celui qui tablit solidement la mtaphysique en tant que science fut prcisment le peuple
grec, peuple indo-europen sil en est. Mais cest se laisser arrter pour bien peu.
Les langues des vaincus, les langues chamito-smitiques, taient impropres
constituer loutil capable de faonner ces paralogismes, de les travestir suffisamment pour leur donner lapparence de bons et solides systmes philosophiques. La
langue dHomre et dHraclite fournit ce cadre linguistique ncessaire [].
Que les Europens, eux-mmes, aient prt la main cette gigantesque revanche des afro-orientaux, ne doit pas non plus nous surprendre. Pythagoriciens
et platoniciens, si friands de mystres gyptiens et syriens, ont t les dignes initiateurs dune vieille tradition de trahison par btise, qui transforme rgulirement
les intellectuels blancs en maquilleurs de la pense dralisante. Il en rsulte ces
systmes btards, mi-chemin entre le psychisme magico-religieux et lesprit
scientifique : laristotlisme, et son sous-produit, la scolastique thomiste [].
[p. 57-58.]
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
95
pas le moins important. Ils ont chercher leurs armes dans le positivisme logique,
qui est lantidote de la mtaphysique []. [p. 60.]
Une note prcise que le reprsentant le plus remarquable du positivisme logique est, en France, Louis Rougier . Nous retrouverons bientt ce personnage,
qui est un des principaux matres dAlain de Benoist. Soulignons dabord que ces
lments danti-philosophie ne sont pas un accident dans la collection dEurope Action. Le Dictionnaire du militant dfend exactement les mmes
conceptions. La mtaphysique a droit une dfinition de quatre mots, avec un
norme contresens et une faute dorthographe :
MTAPHYSIQUE thymologiquement [sic] = hors du rel 1.
Au mot Spiritualisme :
S PIRITUALISME Erreur tout aussi pernicieuse que celle du matrialisme puisquelle provient de la fausse distinction dualiste entre le corps et lesprit. La primaut accorde aux activits mentales sur les activits physiologiques est aussi
fausse que la primaut accorde aux fonctions matrielles sur les fonctions spirituelles []. [p. 77-78.]
96
T U D E S
en pratique par ceux qui le prnent. Ces gens-l nient la valeur des principes
universels et des concepts abstraits, mais, en ralit, en usent autant que quiconque (sans quoi, ils cesseraient tout simplement de penser).
3. Tout en voulant ragir contre la dcadence du monde moderne, Europe
Action adopte en dfinitive le relativisme doctrinal et moral qui est la cause
mme de cette dcadence.
II
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
97
La mtapolitique est une forme daction, qui est politique si lon veut mais pas
au sens o lentendent les politiciens. Je veux dire par l que cest une vision des
choses qui considre que la socit a plusieurs dimensions : une dimension politique, une dimension de socit civile qui comprend lconomie entre autres, une
dimension intellectuelle et culturelle qui est trop souvent nglige alors quelle
prcde la politique dans la mesure o toute politique sinscrit dans une vision du
monde. Or la vision du monde actuelle ne nous convient pas. Donc nous pensons,
au GRECE, quil faut changer les mentalits pour que la politique change. En pratique, cela consiste se consacrer des recherches, organiser, comme nous le faisons dans certains domaines, un laboratoire de recherches. Cette recherche tous
azimuts va de lhistoire la littrature en passant par la sociologie et toutes les
autres sciences humaines. Nous nous efforons de relire et de rcrire la conception
du monde europen. Bien sr, nous cherchons donner publicit nos recherches.
98
T U D E S
mme dire que, sil nen fut pas le meneur (il a 79 ans lors de sa fondation), le vritable inspirateur du GRECE fut, avant Alain de Benoist, le philosophe antichrtien Louis Rougier (1889-1982) 1. Membre du comit de patronage de la revue
Nouvelle cole, il est lobjet dun vritable culte de la part dAlain de Benoist, qui
semploie activement la rdition de ses uvres, prfaant personnellement
trois dentre elles 2.
Les raisons de cet engouement restent assez mystrieuses. Rougier a certes une
bonne plume, et un style persuasif. Sa mise lcart pour raisons politiques dut
galement le rendre sympathique aux fondateurs de la Nouvelle Droite 3. Mais
pour qui creuse un peu, il est vident quil ne brilla ni par la pntration philosophique, ni par lexactitude historique, ni par la probit intellectuelle 4.
La pense de Rougier peut tre rsume en deux a priori. En philosophie, cest
le rejet a priori de toute ralit dpassant notre exprience sensible (empirisme) ; en
religion, le rejet a priori de toute ralit surnaturelle (naturalisme).
En philosophie, Rougier nie tout simplement que la raison humaine soit capable datteindre des vrits universelles. Il consacre sa thse de doctorat cette
ngation 5. Les principes de la logique sont, ses yeux, arbitraires, purement
conventionnels, sans aucune valeur absolue.
de toute valeur une non-valeur, de toute vrit un mensonge, de toute sincrit une bassesse
dme. [] Jappelle le christianisme lunique grande maldiction.
1 Europe Action se rfrait dj volontiers Louis Rougier (n 11, p. 60 ; n 31-32, p. 3,
10 et dernire de couverture ; n 34, p. 6 ; n 42, p. 19 ; n 43-44, p. 40 ; n 47, p. 43, etc.).
2 Dans lordre : 1) Le Conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique (Paris,
GRECE, 1974) ; 2) La Mystique dmocratique, ses origines, ses illusions (Paris, Le Labyrinthe,
1983) et Paris, Albatros, 1984 ; 3) Celse contre les chrtiens (Paris, Le Labyrinthe, 1997). Le 5
avril 1979, Alain de Benoist et Louis Pauwels organisent une soire en son honneur, pour
son 90e anniversaire.
3 En octobre 1940, Louis Rougier fut envoy Londres comme missaire du Marchal
Ptain, en vue de conclure un accord secret avec Churchill. Rfugi ensuite aux tats-Unis
(o il obtint une bourse de la fondation Rockfeller), il commit, la Libration ,
limpardonnable erreur de ne se lier ni aux gaullistes ni aux communistes, et, pire encore, de
tenter de justifier ses liens avec le gouvernement de Vichy. Exclu pour cette raison de
lducation Nationale, il retrouva une chaire de philosophie scientifique Caen en 1955.
4 Rougier a dailleurs touch beaucoup trop de choses pour exceller vraiment en
lune delles. Outre la logique, lpistmologie, la physique, la gomtrie, lanti-mtaphysique
et lantichristianisme, Rougier se voulut aussi un matre en conomie (il fut la fin des annes
1930, avec le soutien de la fondation Rockfeller, laptre ardent dun nolibralisme
conomique), en diplomatie, et en histoire. Il reprit la thse de Gibbon sur le meurtre dont
serait coupable le christianisme : celui de lEmpire romain. Thse aujourdhui abandonne
par tous les historiens srieux, mme dans la mouvance de la Nouvelle Droite (Venner, peu
suspect de bienveillance envers le christianisme, le reconnat dans son Histoire et tradition des
Europens).
5 Louis ROUGIER, Les Paralogismes du Rationalisme. Essai sur la thorie de la connaissance
(thse de doctorat s lettres), 1920. Pour Rougier, la raison ne serait que la somme des
opinions moyennes et des prjugs universellement accrdits [] la gnralisation de
lempirisme journalier, la totalisation du savoir courant compos de plus de crdulit, de
prventions et derreurs, que de lumire, de sagesse et de vrit (p. 465). Louis Rougier
sera le seul membre franais du Cercle de Vienne (Wiener Kreis) : un groupe de philosophes,
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
99
qui, autour de Morizt Schlick, tente de dvelopper, partir des annes 1920, une philosophie
de la science spare de toute considration mtaphysique.
1 Rougier a aussi t accus dantismitisme. Ses dfenseurs rtorquent que deux des
trois femmes avec lesquelles il partagea successivement sa vie taient juives (la premire :
Annette Falk, et la troisime, Lucy Herzker). Et de fait, cest bien au christianisme quil en a :
Certes, Yahv, le dieu solitaire du Sina, le dieu farouche des dserts dArabie, tait un dieu
autoritaire, exclusif et jaloux, dnonant les autres dieux comme faux dieux et ordonnant
ses fidles de lapider leurs fils et leurs frres coupables didoltrie. Mais ce fanatisme resta
longtemps confin dans les limites de la race. Yahv est bien le dieu universel, puisquil est le
vrai dieu, mais le peuple dIsral le monopolise en vertu dune Alliance passe avec lui, qui
seule concerne le peuple juif. En ouvrant indistinctement le Royaume de Dieu aux Gentils
comme aux Juifs, aux Barbares comme aux Hellnes, le christianisme sest donn pour
vocation de convertir la terre sans distinction de races, ni de nationalits ; il est entr ainsi en
conflit avec toutes les religions, tous les mystres et toutes les sagesses autres que lui. Il a
tendu au monde entier lintolrance quil tenait de ses origines. Louis ROUGIER, Le Conflit
du christianisme primitif et de la civilisation antique , Paris, Copernic, 1977, p. 58.
2 Louis ROUGIER, Celse ou le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif,
Paris, 1926. Louvrage a t rdit en 1977 par les ditions Copernic (Paris), dont Alain de
Benoist, Jean-Claude Valla et Pierre Vial taient alors les principaux actionnaires.
LE SEL DE LA TERRE
100
T U D E S
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
101
formelle avec les dfinitions dAristote. Et tout cela se trouve amen ple-mle,
avec une ngligence stupfiante, les textes dimportance secondaire maltraits tout
autant que ceux quon pourrait croire accommods pour les besoins de la thse
dmontrer 1.
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
102
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
103
T U D E S
104
Nous nous btissons historiquement et culturellement sur la base des prsupposs de notre constitution biologique, qui sont la limite de notre humanit. Laudel de cette limite peut tre nomm Dieu, cosmos, nant ou tre : la question du
pourquoi ny fait plus sens, car ce qui est au-del des limites humaines est par
dfinition impensable 1.
De lau-del, on ne peut donc rien savoir. Ou plutt : les catholiques (ici viss)
ne peuvent rien savoir. Car la Nouvelle Droite, elle, sait malgr tout. Aprs avoir
banni la mtaphysique, elle prne sans complexe une position mtaphysique tout
fait caractrise : le panthisme. Cest toujours dans le Manifeste :
La Nouvelle Droite rejette la distinction absolue entre ltre cr et ltre
incr 2 .
Le panthisme aboutit chez beaucoup au culte du corps, nomm sant rotique . Les illustrations impudiques, rotiques, voire pornographiques, fleurissent rgulirement dans Nouvelle cole ou lments. Dans un entretien accord
La Nef, en mai 1992, Alain de Benoist dclare :
Mon approche diffre certainement de la vtre en matire de morale sexuelle.
Sur lrotisme, qui est lune des dimensions spcifiques de lexistence humaine
Manifeste , p. 14.
Manifeste , p. 18.
Dominique VENNER, qui est loin dapprouver toutes les volutions dAlain de
Benoist, soulignera discrtement dans le numro 29 de la Nouvelle Revue dHistoire (mars-avril
2007, p. 66) que ce nominaliste dclar tmoigne dune vidente virtuosit manier
abstractions et gnralits . Autre contradiction vidente.
4 Cette remarque nenlve rien la justesse de quelques analyses sur le centralisme
excessif de la monarchie dAncien Rgime, le rle des corps intermdiaires ou la nocivit du
jacobinisme.
5 Manifeste , p. 20.
1
2
3
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
105
(lune de celles en tout cas qui nous distinguent des animaux), je ne vois dans lenseignement de lglise que des jugements ngatifs.
Le fait que la sexualit a une finalit bien prcise (la transmission de la vie) et
que les civilisations humaines sont fortes et vivaces dans la mesure o cette finalit est respecte semble avoir chapp au gnial penseur de la Nouvelle Droite.
De mme le fait que lhumanit est dsquilibre lendroit du sexe
(Chesterton), et quelle ne peut vivre de faon simplement raisonnable sans rprimer fortement ses attraits en ce domaine. Quant au fait que la chastet favorise
la contemplation des vrits suprieures (tandis que la luxure obscurcit lesprit),
inutile den parler Alain de Benoist puisquil nie lexistence mme de celles-ci.
La thorie du pansexualisme est dveloppe par Guillaume Faye dans un article intitul Principes paens de la sexualit 1 :
Dans une conception paenne de la socit la fois libertaire et souveraine,
conviviale et rgalienne, anime par le principe de plaisir comme par la volont de
puissance tout peut coexister de manire organique et polythiste : lascse
sexuelle, le libertinage, lesprit de jouissance, la dviance, lhomosexualit, le saphisme, la sublimation, lesthtisme. Chacune de ces attitudes correspond une
fonction, un ordre, norm par des codes rigoureux []. Prendre position pour
une pan-sexualit pour une omniprsence du sexe cest oprer un retour vers
une conception vitaliste de la socit []. Le plaisir est paen, le plaisir est frre de
la volont de puissance. Gardons-nous de le condamner.
1 Article paru dans le n 2 de tudes et recherches (1983), repris dans un ouvrage intitul :
Sexe et idologie, Le Labyrinthe, Paris, 1986. De son ct, Michel MARMIN vante le cinma
pornographique dans un article intitul, Il faut prendre la pornographie trs au srieux ,
dans lments, n 122, automne 2006, p. 16.
2 Pards est spcialis dans la littrature occultiste et sataniste. Les titres du catalogue
sont suffisamment parlants : Kabbale, Arts divinatoires, Rose-Croix, Shivasme, Astrologie,
Astrologie chinoise, Graal, Astrologie mdicale, Astrologie nergtique, Chamanisme,
Symboles, Magie runique, Hypnose, Cathares, Occultisme, Envotement, etc.
3 Pierre VIAL, tudes et Recherches, n 5, 1987.
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
106
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
107
seize , il est troubl dans son incroyance par la lecture de la littrature antichrtienne :
Lisant et relisant tous les exposs sur ce sujet faits par des non-chrtiens ou des
antichrtiens, de Huxley Bradlaugh, une lente et terrible impression grandit graduellement mais trs nettement dans mon esprit, impression que le christianisme
devait tre une chose trs extraordinaire. Car non seulement (comme je le comprenais) le christianisme avait les vices les plus flagrants, mais il avait apparemment
un talent mystique pour combiner les vices qui semblaient incompatibles. Il tait
attaqu de toutes parts, et pour toutes sortes de raisons contradictoires. Un rationaliste navait pas plus tt dmontr quil tait nettement trop lest quun autre
dmontrait de faon tout aussi vidente quil tait beaucoup trop louest. Jtais
peine revenu de mon indignation devant sa forme angulaire et agressive quon me
sollicitait nouveau pour remarquer et condamner sa rondeur sensuelle et amollissante.
Chesterton donne toute une srie dexemples, dautant plus suggestifs quon
les retrouve peu prs tous sous la plume des actuels penseurs no-droitiers (ce
qui prouve, accessoirement, que leur argumentaire nest gure nouveau) :
Le brviaire de lantichristianisme prouve en son premier chapitre que le
christianisme est une doctrine essentiellement pessimiste, qui prive lhomme des
joies de la vie et lenferme dans des craintes morbides. Mais le second chapitre
dnonce le dangereux optimisme du mme christianisme, sa fallacieuse croyance
la bont divine, son imprudent abandon la providence, qui dresponsabilisent
les tres humains, les installant mentalement dans une sorte de nurserie peinte en
rose.
De mme, le christianisme dbilite les murs et les caractres, abolit toute
virilit, transformant lhomme en un mouton rsign, incapable de rsistance.
Mais je tournai la page de mon manuel agnostique, et mon cerveau se retourna
en mme temps . Car sa monstrueuse passivit, le christianisme joint une
monstrueuse agressivit. Il est la source de toutes les guerres, il a inond le
monde de sang. Les mmes auteurs qui ont dnonc, ple-mle, le paradoxe
vanglique de lautre joue, la non-rsistance des monastres face aux barbares,
le manque de pugnacit de saint douard le Confesseur et le pacifisme suppos
des premiers chrtiens toutes preuves videntes de lavachissement physique et
moral caus par le christianisme , fustigent ensuite lintransigeance des Pres de
lglise, lintolrance des inquisiteurs, la violence des Croiss, la vaillance de
saint Louis et la virulence des guerres de religions dont tous les crimes runis
(tant catholiques que protestants) sont porter, bien sr, au passif du christianisme.
On assure que le christianisme, trop particulier, li une race et un temprament propre, ne saurait convenir aux peuples dAsie ou dAfrique, dont la
mentalit et la culture sont si diffrents des ntres. Mais on soutient en mme
temps quil na rien de transcendant ni doriginal ; sa morale nest gure que
LE SEL DE LA TERRE
108
T U D E S
lexpression du bon sens universel, quon trouve tout aussi bien chez Confucius :
rien qui soit digne dune rvlation divine. Et cependant cette mme morale est
par ailleurs dnonce comme compltement dpasse.
Les femmes auraient t, depuis saint Paul, msestimes par la hirarchie
ecclsiastique. Mais ceux mmes qui portent cette accusation raillent lglise de
ce quon ny trouve que des femmes (critique qui prsuppose, bien sr, une
grande estime de la gent fminine).
Laustrit du christianisme, ses jenes et ses abstinences, lhabit rp et rapic de ses moines, le sac, la cendre et le cilice, les macrations pratiques par les
saints font aussi partie du dossier daccusation. Cette religion est videmment
trop rigide. Mais on ne manque pas de lui reprocher en mme temps sa pompe et
son triomphalisme, ses ornements de pourpre et ses calices dor massif. Cette religion trop terne est aussi trop colore.
On pourrait multiplier les exemples, et Chesterton le fait (il cite un de ses amis
libres penseurs qui, dans la mme conversation, reprocha au christianisme son
mpris des juifs, et au Christ dtre un juif). Il explique ensuite la vraie porte de
son numration :
[] Je veux maintenant tre parfaitement honnte. Je nai pas conclu que ces attaques contre le christianisme taient entirement fausses. Jai seulement conclu
que si le christianisme tait faux, il tait vraiment le comble de la fausset. Il peut
arriver que des dfauts opposs affectent en mme temps un mme objet, mais cet
objet doit tre vraiment trange et singulier. Il y a des hommes qui sont la fois
avares et prodigues, mais ils sont rares. Il y a des hommes la fois sensuels et asctiques, mais ils sont rares. Si vraiment il existe un tre qui soit atteint de cet ensemble dment de dfauts opposs simultanment pacifiste et assoiff de sang,
outrageusement fastueux et misrablement dguenill, austre et mas-tu-vu, mysogine et refuge inconsquent de toutes les femmes, solennellement pessimiste et
niaisement optimiste si donc ce mal existait, il y aurait vraiment en lui quelque
chose de tout fait suprme et unique. [] A une corruption aussi exceptionnelle
[], la seule explication qui me venait lesprit tait que le christianisme ne venait
pas du tout du ciel, mais bien de lenfer. Rellement, si Jsus de Nazareth ntait
pas le Christ, il tait lAntchrist.
Cest alors que, en un moment tranquille, une trange pense me frappa comme
un silencieux coup de foudre. Une tout autre explication me venait soudain lesprit. Supposez que nous entendions des hommes dcrire un inconnu. Supposez
que nous soyons trs intrigus dentendre certains dire quil est trop petit, et
dautres quil est trop grand ; quelques-uns lui reprocher dtre trop gros, dautres
se plaindre de sa minceur excessive ; les uns estimer quil est trop brun, dautres
trop blond. Une explication serait (comme on la dj dit) quil soit vraiment trs
bizarre. Mais il y a une autre explication. Il serait comme il faut. Les hommes excessivement grands lestimeraient petit. Les trs petits lestimeraient grand [].
Peut-tre, en dfinitive, cette chose extraordinaire est-elle tout simplement la
chose ordinaire ; tout au moins la chose normale, le centre. Peut-tre, aprs tout,
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
109
est-ce le christianisme qui est sain, et tous ses contradicteurs qui sont malades de
diffrentes manires.
Jai test la valeur de cette ide en me demandant sil y aurait, chez certains des
accusateurs, quelque chose de morbide qui puisse expliquer laccusation. Je fus effray de constater que cette cl entrait dans une serrure [].
Et cette cl, effectivement, trouve une serrure dans la Nouvelle Droite une
serrure large comme une faille, et dont il faut dire un mot.
Lorgueil de la Nouvelle Droite, cest dabord le refus de se reconnatre dpendant et pcheur redevable de ses actes envers le souverain Crateur, tenu de
regretter ses fautes et de lui en demander pardon 3. Rien ne lui rpugne davantage. Lide mme de pch, de repentir, de contrition, de pnitence lindispose
(et, videmment, elle confond ces notions chrtiennes avec leur caricature moderne : la repentance humanitaire, et lauto-dnigrement occidental). Les nodroitiers qui veulent un certain idal se rfrent lthique de lhonneur, au sto-
110
T U D E S
cisme, au refus grec de la dmesure mais, en dfinitive, ne se reconnaissent jamais dautre juge moral queux-mmes.
Do peut venir une telle attitude ? Pas de lintelligence, qui tend de soi dans la
direction oppose (il est vident quil ne saurait y avoir de loi sans lgislateur, et
il saute aux yeux que lhomme est soumis, de par sa nature mme, des lois morales dont il nest pas lauteur). Cest dans la volont quest le problme. Une rvolte contre lautorit de Dieu, un refus de sabaisser devant lui gisent en son
fond, consquences du pch originel ( Vous serez comme Dieu, jugeant du bien
et du mal avait dit le tentateur 1 ; et saint Thomas enseigne que lessence du
pch originel cet tat de pch dans lequel, dsormais, naissent tous les
hommes est la privation de cette justice par laquelle la volont demeurait
soumise Dieu 2 ).
Le paradoxe est quil ny a sans doute pas de dogme auquel la Nouvelle Droite
soit plus oppose que celui du pch originel !
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
111
112
T U D E S
III
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
113
1. Exaltation de lEurope
Le nom de lEurope revient sans cesse dans la NRH, systmatiquement associ
tout ce qui peut susciter ladmiration et lenthousiasme (la nation, en revanche
est souvent oublie ou mise au second plan). Ce parti pris a des consquences
politiques 1, mais aussi religieuses. Les nations europennes sont en effet les
fruits politiques de lglise. Elles prouvent de faon concrte sa fcondit bienfaisante, son respect de la diversit, sa force civilisatrice. Oublier ces nations, leur
naissance, leur dveloppement, leur civilisation propre, cest gommer sans en
avoir lair toute une part des bienfaits sociaux du christianisme. (Cest aussi, finalement, sattacher une Europe plus mythique que relle, comme on le verra
plus tard.)
114
T U D E S
Les mauvais lves risquent, bien sr, de demander pourquoi les diffrences
intra-europennes sont ncessairement accidentelles tandis que les autres sont essentielles. Pourquoi par exemple les Anglais, dots dun flegme si surprenant,
dun humour si particulier, dune alimentation si exotique et dune littrature si
originale (car, mme si ces genres ont aujourdhui envahi le monde entier, le roman policier, la science-fiction, la littrature fantastique sont, lorigine, des sp-
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
115
Ce regard est tout simplement un a priori : certaines diffrences de temprament, de got et dhabitudes seraient, on ne sait trop pourquoi, essentielles
(celles qui sparent les diffrentes races ou civilisations), tandis que toutes les
autres sont accidentelles (par exemple celles qui sparent, dans la mme civilisation, les diffrents peuples, les diverses classes sociales ou les gnrations successives). Pour Venner, lessentiel, chez les hommes, nest pas la nature humaine
(qui est mme nie 3) mais lidentit confre par la civilisation. Il existe une
nature borenne , une nature chinoise, une nature smite et une nature hindoue, qui demeurent de faon stable dans les individus et les gnrations successives, malgr les changements superficiels :
Les grandes civilisations ne sont pas des rgions sur une plante, ce sont des
plantes diffrentes. Comme les autres civilisations, celle de la Chine, de lInde ou
de lOrient smitique, la ntre est dorigine immmoriale. Elle plonge loin dans la
1 Pauline LECOMTE recensant louvrage de Dominique Venner [Histoire et tradition des
Europens] dans NRH n 11, p. 52.
2 Dominique VENNER , NRH n 10 (janvier-fvrier 2004), p. 5.
3 Lauteur ne croit gure luniversalit de la nature humaine. Pour lui, cette fiction
est ranger au rayon des ides primes issues des Lumires. [] Si les hommes nexistent
qu travers leur culture, cest la confirmation que lhomme universel, sans appartenance, fils
de sa seule raison, est une chimre. (Pauline LECOMTE recensant Dominique Venner
[Histoire et tradition des Europens] dans NRH n 11, p. 52.)
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
116
Prhistoire. Elle repose sur une tradition spcifique qui traverse le temps sous des
apparences changeantes. Elle est faite de valeurs spirituelles qui structurent nos
comportements et nourrissent nos reprsentations 1.
On ne sait plus trop, vrai dire, si lon est encore en histoire, ou bien en psychologie, en mtaphysique, voire en thologie. Venner crit que la tradition se
survit mystrieusement dans notre inconscient comme une rivire souterraine 2 ,
ce qui semble renvoyer la psychanalyse. Mais ces civilisations qui existeraient a
priori, comme des principes intemporels et quasi ncessaires, ont un ct
platonicien qui surprend chez un auteur quon croyait, jusque l, plutt nominaliste. Surtout, on ne voit gure de moyen de relier de faon adquate ces
ides au rel. La tradition borenne rclame un acte de foi, comme la
Tradition catholique, mais avec la grande diffrence que le catholique sait qui et
pourquoi il croit, tandis que la suppose tradition borenne na pas dorigine
connue, et que ses promoteurs refusent le seul tre (Dieu) qui pourrait rendre
compte de son existence. On en revient, en fait, la mythologie.
Ethnodiffrencialisme
Un mot rsume toute cette vision des choses : ethnodiffrencialisme. Le terme a
t forg par les intellectuels du GRECE pour se dfendre de laccusation de racisme. On se souvient que, pour Europe Action, lEurope tait le foyer dune culture en tous points suprieure . Une telle affirmation passe trs mal aujourdhui.
Pour se concilier le politiquement correct , les no-droitiers ont donc chang
dangle dattaque : ils dfendent la civilisation europenne, uniquement en tant
que cest la leur, et en supprimant tout jugement de valeur. Toutes les civilisations
se valent, que chacun reste chez soi. Laissez-nous lAntiquit grco-romaine, qui
nous parle, nous Europens, mme si elle na aucune valeur universelle.
Chaque civilisation a son gnie propre.
On est loppos de la vision chrtienne de lhistoire selon laquelle la sagesse
grecque dans lordre artistique et intellectuel, lempire romain dans lordre juridique et politique, ont une valeur universelle, et ont t suscits par Dieu pour
prparer lincarnation du Sauveur.
Mais on est aussi loppos du simple bon sens 3.
NRH n 4 (janvier-fvrier 2003), p. 7.
Dominique VENNER, NRH n 7, p. 58. Voir aussi NRH n 11, p. 49 : Porte au
cinma, la trilogie de Tolkien rveille dans linconscient de millions de spectateurs les mythes
borens qui y sommeillent. Mme thme dans Le Choc du mois n 7 (dcembre 2006), sur
l inconscient collectif europen.
3 Tous les peuples ont des caractristiques particulires (qualits et dfauts) qui leur
permettent dexceller dans un domaine ou dans un autre (la Grce antique dans la rflexion
philosophique, par exemple). Refuser par principe quune civilisation puisse en surpasser une
autre dans tel ou tel domaine, cest renoncer tout critre universel de jugement, et donc
tout jugement de valeur, mme lintrieur dune civilisation donne (comment distinguer
lchec de la russite sinon selon des critres universels ?) La position de la Nouvelle Droite
est, l encore, fondamentalement absurde.
1
2
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
117
Contre l universalisme
Consquence pratique de la ngation de la nature humaine, la ngation de la
loi morale naturelle revient comme un refrain :
Les hommes nexistent que par ce qui les distingue : clan, ligne, histoire, culture, civilisation. Il ny a pas de rponse universelle aux questions de lexistence et
du comportement. Chaque civilisation a sa vrit et ses dieux, tous respectables
tant quils ne nous menacent pas. Chaque civilisation apporte ses rponses sans
lesquelles les individus, hommes ou femmes, privs didentit et de modles, sont
prcipits dans un trouble sans fond. Comme les plantes, les hommes ne peuvent
se passer de racines. Il appartient chacun de retrouver les siennes 1.
Uniformisation rductrice ?
Les principes universels, lorsquils sont vrais et bien compris, ne nuisent pas
lidentit individuelle 2 . La dfinition universelle du cercle et dun certain
nombre de ses proprits (rapport de la circonfrence au rayon, etc.) nempche
aucunement les cercles concrets dtre tous diffrents quant la taille, la couleur,
le support, etc. Les lois universelles de la nutrition ne nuisent nullement la diversit gastronomique. De mme, lexistence de quelques principes moraux valables toujours et partout (rsums dans le Dcalogue) nimplique pas luniformi1 D. VENNER , NRH n 24 (mai-juin 2006), p. 30 (voir aussi la conclusion du dernier
ouvrage de D. V ENNER , Le Sicle de 1914, Paris, Pygmalion, 2006, p. 403-404 ; et encore
NRH n 12 [mai-juin 2004], p. 15 ; NRH n 4, p. 7 ; etc.) On note que le rejet de
l universalisme (dj contradictoire en soi, puisque affirm comme un principe universel)
est ici li toute une collection de rgles de vie prsentes comme universellement valables :
les hommes ont besoin didentit et de racines, de modles, etc. Le mme article affirme : A
la diffrence des autres mammifres, les hommes ont besoin de donner du sens leur vie. Ils
en ont besoin autant que de pain . Autrement dit, D. Venner est bien oblig dadmettre
lexistence dune certaine loi morale universelle simposant tous les hommes.
2 Lerreur majeure de la pense de Venner, et travers lui celle de la droite
nopaenne, rside dans lopposition, totalement factice, entre universalit et identit note
judicieusement Charles-Henri DANDIGN dans la revue (conciliaire) Libert politique, n 20,
deuxime trimestre 2002 ( La Nouvelle droite ou la rvolte des apparences ).
LE SEL DE LA TERRE
118
T U D E S
sation mondiale des lois et des coutumes. Saint Thomas distingue parfaitement,
dans sa Somme thologique, la loi naturelle ( valeur universelle) et la loi humaine
ralisable selon la nature et la coutume du pays, adapte au temps et au lieu 1 .
Il explique par ailleurs, au sujet de la loi naturelle elle-mme :
Dans les sciences spculatives, la vrit est identique pour tous, tant dans les
principes que dans les conclusions. [] Dans le domaine de laction, au contraire,
la vrit ou la rectitude pratique nest pas la mme pour tous dans les applications
particulires, mais uniquement dans les principes gnraux []. Par exemple, il
est vrai et droit aux yeux de tous que lon agisse selon la raison. De ce principe il
sensuit comme une conclusion propre quil faut rendre ce quon a reu en dpt.
Et ceci est vrai dans la plupart des cas ; mais il peut se faire quen certains cas il
devienne nuisible et par consquent draisonnable de restituer un dpt : par
exemple si quelquun le rclame en vue de combattre la patrie. Et ici, plus on descend dans les dtails, plus les exceptions se multiplient 2.
Le danger ne rside donc pas dans les principes universels en tant que tels,
mais dans la faon dont ils sont atteints, manis et appliqus. Il y a des principes
vrais (le Dcalogue) et des principes faux (les Droits de lhomme) ; des principes
suprieurs, absolument intangibles, et des principes infrieurs qui doivent seffacer en cas de ncessit ; des hommes prudents, qui savent sadapter aux circonstances concrtes, et des imprudents, qui en sont incapables (car la prudence, qui
fait le lien entre les principes universels et la ralit particulire, nest pas une
science, qui se contenterait de dduire logiquement les conclusions des principes,
mais bien une vertu qui ncessite, entre autres, le sens du concret 3).
Colonisation et vanglisation
Lanti-universalisme de la NRH explique ses critiques de la colonisation et de
lvanglisation :
En dehors dexceptions, les colonisateurs sont aussi universalistes dans leurs
desseins que les Amricains daujourdhui, convaincus quils sont dapporter la
civilisation et le progrs pour le bien de tous 4.
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
119
ce moment, au nom de la lutte antiesclavagiste et de lvanglisation, les contrervolutionnaires se rallirent la doctrine coloniale dfinie par Jules Ferry, donc
aux principes quils combattaient depuis 1789 Puis, en 1890, par le toast dAlger , le cardinal Lavigerie favorisa le ralliement des catholiques la Rpublique 1.
En ralit, le vritable problme est, au contraire, que tout fut fait pour empcher lvanglisation de lAfrique du Nord. On connat ce sujet la remarque
prophtique que le chanoine Cutajar entendit vers 1920, en Algrie, de la bouche
dun musulman :
Parce que vous navez pas voulu nous convertir, nous vous rejetterons la
mer 2.
La NRH ne se contente pas de dnoncer comme utopiste et, terme, dangereux pour la France le concept dintgration prn dans les annes 1950 par
Jacques Soustelle, ni de rappeler ( juste titre) que lAlgrie tait un boulet conomique pour la France qui sy ruinait 3 . Elle conteste les principes mmes de
cette colonisation :
Les Europens nont aucune raison de se reconnatre dans une colonisation entreprise au nom des idologies universalistes 4.
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
120
Tout nest sans doute pas faux, dans cette description, mais tout est dform. Il
ne faut tout de mme pas confondre les fruits des diverses idologies antichrtiennes (communisme, Droits de lhomme) ou hrtiques (protestantisme, modernisme) avec ceux du catholicisme traditionnel. On ne peut non plus rendre celui-ci responsable de haines tribales qui lui sont largement antrieures. Comment
dailleurs stonner que le christianisme africain nait pas encore atteint sa maturit, alors que quarante annes de tempte conciliaire se sont abattues sur une
tige si frachement plante ? Les chrtients occidentales ne se sont pas
construites en lespace dune seule gnration ! Les massacres nont pas manqu
dans les familles de lempereur Constantin ou du roi Clovis, mme aprs leur
conversion (la NRH aime dailleurs le rappeler, loccasion). Pourquoi stonner
de difficults analogues en Afrique ? Et pourquoi taire les vrais fruits de paix et
de sanctification obtenus par les bons missionnaires 1 ?
En ralit, ces apprciations ne proviennent pas dune analyse raliste de la
situation, mais de prjugs idologiques : les civilisations sont irrductibles les
unes aux autres ; le christianisme nest donc pas fait pour lAfrique.
Philippe Randa, de la tendance dure de la Nouvelle Droite, a pu crire :
Les missionnaires chrtiens, mme si leur action na pas toujours eu que de
mauvaises consquences, restent pour moi les plus grands criminels de lhumanit : sous leurs sermons et leurs ukases ont disparu nombre de cultures enracines et de traditions ancestrales. Ce sont les vritables prcurseurs du melting-pot
et du mondialisme cosmopolite 2.
3. Exaltation du paganisme
Lexaltation du paganisme, tout fait dans la ligne dEurope Action 3, est immdiatement discernable dans la NRH. On y prsente rgulirement, de faon
Voir en annexe le tmoignage de Mgr Marcel LEFEBVRE.
Philippe RANDA interrog par Christian BOUCHET dans Les Nouveaux paens, Paris,
Dualpha, 2005, p. 187.
3 Dtail significatif : le n 1 de la NRH propose ses lecteurs un jeu sur les diffrents
lieux de spiritualit en Europe (quils doivent identifier sur une carte, et relier la lgende
correspondante). Or ce nest quune reprise (un peu modifie) dun jeu propos en juin 1965
aux lecteurs dEurope Action (n 30, p. 14-15) !
1
2
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
121
T U D E S
122
ordres religieux []. En dcouvrant cet ensemble prodigieux, on mesure ce que fut
le rle politique et culturel de lglise depuis le haut Moyen Age, en tant quhritire adultrine de lEmpire romain, de sa puissance et de sa sacralit. On mesure
aussi quel point le gnie des peuples celtes et germaniques si troitement apparents sest donn libre cours dans ldification dune architecture sacre qui na
dquivalent que larchitecture castrale et palatine des chteaux (moins bien
conserve). La comparaison photographique avec quelques hideuses ralisations
contemporaines montre bien quil faut chercher lesprit crateur en de du religieux au sens troit du terme 1.
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
123
Bref, nimporte quoi, pourvu que ce ne soit pas au christianisme. Car il est
bien entendu quil existe une frontire tanche entre la mentalit indo-europenne et la mentalit smite. La crainte du loup, cest bien connu, est un lment
constitutif de linconscient collectif europen 1 , les autres tres humains y
tant parfaitement insensibles.
Parti sur une si belle lance, Walter se surpasse pour expliquer, par lexemple
de saint Bruno, que le monde des mythes est celui o la distinction entre
lhomme et lanimal nest pas nettement tablie . Ce qui se vrifie, lvidence,
dans le nom de saint Bruno ( le brun ) :
Le brun peut aussi tre compris comme le velu, ltre couvert de poils bruns.
On rejoint alors immdiatement la figure de lours brun [].
Dailleurs :
Une fois installs en Chartreuse, les moines vivront tels des ours, dans un milieu
sauvage.
124
T U D E S
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
125
dune victoire sur le paganisme, car tout vainqueur utilise ainsi son profit les
dpouilles du vaincu. (Le fait que des lments dorigine paenne aient t intgrs dans la synthse chrtienne est souvent prsent par la Nouvelle Droite
comme une sorte de victoire du paganisme et une preuve de sa supriorit 1.
Cest tout simplement confondre le verbe actif manger avec le verbe passif tre
mang.)
4. La morale chrtienne est la fois naturelle (rsume dans le Dcalogue) et
surnaturelle (rsume dans les Batitudes). Pour lexposer, lglise a utilis tout
ce que les philosophes avaient dcouvert de la loi naturelle. La morale stocienne
offrait beaucoup de bon en ce domaine, mais avait besoin dune rectification fondamentale. Lglise sen est servie, mais en la rectifiant, non en sy calquant .
5. De mme, lglise a abondamment utilis la philosophie dAristote, mais
comme une matresse utilise sa servante, et non en sy asservissant.
6. Enfin, cest du Christ que lglise a reu sa hirarchie (pape et vques).
Cette hirarchie sest effectivement appuye sur le cadre imprial, et en a retir
une grande force, mais elle nest pas en soi dpendante de ce cadre.
126
T U D E S
par nature et destin tous les hommes, transcende de soi toutes les cultures 1.
Mais, de fait, cette graine divine a t plante dans la civilisation grco-romaine.
Cest dans cette bonne terre quelle a puis les lments ncessaires sa croissance et quelle a tendu ses racines. Cest partir de l que, petite semence, elle
est devenue un arbre vigoureux dont les rameaux stendent au monde entier,
protgeant tous les oiseaux de la terre. Il y a l, lvidence, un dessein providentiel.
Cest en mme temps trop accorder la civilisation europenne car celle-ci
na pu modifier lessence du christianisme. Le dveloppement dun tre vivant, si
spectaculaire quil puisse tre, nest pas un changement de nature. La foi catholique est la foi des vangiles et des ptres (un seul Dieu, Pre, Fils et SaintEsprit ; un seul Sauveur mort sur la croix pour expier nos pchs ; la rsurrection
des corps ; un jugement qui enverra certains hommes lternit bienheureuse,
les autres au feu ternel prpar pour le diable et ses anges). Le culte et la morale
de lglise sont essentiellement le culte et la morale de lglise primitive (messe
et sacrements ; Dcalogue et Batitudes). Le christianisme est rest, depuis sa
naissance, identique lui-mme, et il demeurera tel jusqu la fin du monde.
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
127
exigeant, la posie des saints et des cathdrales. Traditioniste, parce que la tradition [borenne] nous relie nos sources et fabrique naturellement des anticorps.
Elle ne peut quappuyer ce qui subsiste de meilleur dans le christianisme europen, par exemple en matire ducative 1.
Mais toute la bienveillance du monde ne peut empcher une idologie de produire les effets qui dcoulent logiquement de ses prmisses :
on ne peut nier la nature humaine, la loi morale naturelle, la religion universelle sans sopposer ipso facto lglise ;
on ne peut promouvoir le paganisme sans nuire la foi ;
on ne peut, enfin, enseigner la primaut de lidentit culturelle sur la religion (les religions et les philosophies passent, les identits demeurent) sans relativiser la religion (qui naurait plus valeur de vrit absolue) et dnaturer le
christianisme (qui aurait chang de nature au cours des sicles).
Le christianisme-poison ?
De plus, malgr les bonnes intentions quelle affiche parfois, la NRH ne peut
sempcher dattaquer rgulirement le christianisme 2.
Elle a sans doute fortement attnu la thse du christianisme-poison, chre la
Nouvelle Droite, mais elle ne la pas entirement rpudie. Elle la dcline sur un
mode apais : aprs tout, le christianisme na pas t si nocif que a. Les
Europens se sont rvls suffisamment forts et vigoureux pour supporter ce virus et garder leur paganisme originel sous un vernis chrtien. Face aux menaces
islamiques, pourquoi ne pas nous allier aux chrtiens pour dfendre cet hritage
(quils croient, eux, tre chrtien, mais que nous savons, nous, tre europen) ?
Le christianisme demeure cependant, de soi, une religion dvirilisante :
Tant que les Europens furent vigoureux et entreprenants, le christianisme
composa avec leur vigueur et en tira profit. Pensons aux croisades ou la colonisation. Mais dans une poque de dclin, il aggrave le mal. La thmatique de lamour
universel, laccueil de lAutre , une fausse ide de la faute et du pch, limplo-
1 Dominique VENNER interrog par Virginie Tanlay, NRH n 7, p. 59. Voir aussi
lditorial du n 28, p. 5.
2 Subtile le plus souvent, lattaque se fait parfois grossire. Le n 4 de la NRH (janvierfvrier 2003) dcrit saint Cyrille dAlexandrie comme une sorte dayatollah, organisateur de
pogromes anti-juifs (p. 64), tandis que le roman antichrtien Hypatia (du romancier juif
Arnulf Zitelmann) est abondamment lou. Dans le n 6 (mai-juin 2003), Jean M ABIRE,
recensant un ouvrage sur les martyrs chrtiens, souligne lintelligence, lhonntet
intellectuelle et mme morale des perscuteurs ! Ceux-ci ne pouvaient pas agir
autrement face une submersion bien plus dangereuse et bien plus radicale que celle des
Barbares . Car en dfinitive, les chrtiens sont, en cette sanglante affaire, les agresseurs
(p. 14-15). Le n 7 laisse la parole Alain de Benoist, pour stigmatiser lintolrance
caractristique du christianisme (p. 39-40). Enfin, pour nous en tenir lactualit la plus
rcente, le n 28 recommande sans hsitation : louvrage blasphmatoire dAlain DE BENOIST
sur Jsus et ses frres (p. 9) ; lexcellente collection Qui suis-je ? des ditions Pards
(p. 65) ; et un ouvrage hostile lauthenticit du linceul de Turin (p. 66).
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
128
La NRH sait pourtant que cest le propre du modernisme (et non du christianisme traditionnel) dinsister unilatralement sur la bont de Dieu (en mconnaissant sa justice), de transformer la charit en vague humanitarisme (oubliant
justice et vrit) et de remplacer la vertu par le sentiment 3. Mais elle laisse entendre que ce modernisme retrouve le vritable christianisme des origines
(jusquici neutralis par la vigueur de la vieille race europenne).
La perfection chrtienne
Ce que les penseurs de la Nouvelle Droite refusent avant tout, cest de se reconnatre pcheurs. Lhomme doit saccomplir par lui-mme, sans recevoir pardon ni secours dune puissance suprieure (cest trop humiliant).
Trs logiquement, ces intellectuels vont juger excessif et inhumain lidal de
perfection propos par le christianisme. Cet idal surnaturel, inaccessible sans la
grce, est galement incomprhensible sans la foi, et trs facilement dform.
Leur grande erreur est de disjoindre et sparer ce que le christianisme, au
contraire, unit troitement. Voyant le Christ recommander une douceur
hroque, ils imaginent quune douceur aussi extrme va ncessairement contre
la force et ils accusent le christianisme de manque de vigueur. En sens
contraire, lintransigeance avec laquelle il demande de se sparer du monde
parat inconciliable avec toute bienveillance ; spare du reste, elle est un ferment
vident de fanatisme.
Linsistance du christianisme sur la transcendance, lunit et la perfection de
Dieu est telle quelle semble facilement, si on la considre isolment, pousser le refus de lidoltrie jusqu liconoclasme, et ladoration du Crateur jusquau mpris voire la ngation des cratures. De l accuser le christianisme davoir
dsenchant le monde, engendr le nihilisme et provoqu le saccage industriel de la nature, il ny a quun pas, quon franchit allgrement. On carte, ce fai Dominique VENNER interrog par Virginie Tanlay, NRH n 7, p. 59.
Charles VAUGEOIS, NRH n 26 (septembre-octobre 2006), p. 64. Dans le n 29
(mars-avril 2007), p. 8, une petite phrase sur Mel Gibson ( cinaste au temprament
temptueux, brid par une mystique non violente) fait passer la mme ide :
catholicisme = non-violence. Voir aussi le titre significatif dans la NRH n 8 (septembreoctobre 2003), p. 52 : La diplomatie de la joue tendue .
3 Face des menaces telles que limmigration musulmane, une religion
culpabilisatrice, antiraciste et non violente, comme celle des catholiques modernistes, se rvle
dun faible secours crit Dominique V ENNER (NRH n 7, p. 59).
1
2
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
129
sant, tout un autre aspect du christianisme, mais on dcrte, a priori, que ce nest
l quune rsurgence du paganisme. Saint Franois dAssise, les Pres du dsert,
saint Bernard dans ses bois, les moines dans leurs solitudes, saint Martin de
Porrs au milieu des souris et jusqu Notre-Seigneur dans ses paraboles taient
paens sans le savoir. Et cela dit, on attaque un autre aspect du christianisme : sa
charit universelle nest-elle pas subversive de tout ordre, de toute hirarchie, de
toute justice ? Ne mne-t-elle pas tout droit lgalitarisme et lanarchie ?
Et ainsi de suite. Comme Horace face aux Curiaces, la Nouvelle Droite isole
successivement chacune des vertus du christianisme pour loccire part, au bon
prtexte quelle nest pas la vertu contraire.
En dfinitive, cette tactique constitue un magnifique hommage. Ce quon reproche au christianisme, cest sa perfection. Chacune de ses vertus est pousse
un degr tel que, considre part, elle semble anantir la vertu oppose. Ainsi
isole, elle donne au christianisme un visage monstrueux. Mais en ralit, celui-ci
associe ces vertus apparemment contraires. Cela resplendit de faon surminente
en Jsus-Christ (on ne sait quadmirer le plus, de sa force ou de sa douceur, de
son humilit ou de son autorit, de sa simplicit ou de son habilet, de sa mansutude ou de son zle pour la justice 1). Et cette union des vertus est traditionnellement regarde comme une des marques de la saintet chrtienne :
La grande saintet [] se manifeste surtout par la connexion ou lharmonie des
vertus mme les plus diffrentes. Tel homme peut bien tre inclin par nature la
force, mais il ne lest pas la douceur ; pour tel autre, cest linverse. La nature est
en quelque sorte dtermine ad unum, elle a besoin dtre complte par les diffrentes vertus sous la direction de la sagesse et de la prudence. La grande saintet
est ainsi lunion minente de toutes les vertus acquises et infuses, mme des plus
diffrentes, que Dieu seul peut si intimement unir. Cest lunion dune grande
force et dune parfaite douceur, dun ardent amour de la vrit et de la justice et
dune grande misricorde lgard des gars ; cela dnote une trs intime union
avec Dieu, car ce qui est divis dans le rgne de la nature sunit dans le rgne de
Dieu, surtout en Dieu lui-mme. Cest ainsi que la saintet est une image trs belle
de lunion des perfections divines les plus diverses, de linfinie Justice et de linfinie Misricorde, dans lminence de la Dit ou de la vie intime de Dieu. Ainsi les
martyrs chrtiens manifestent en mme temps la plus grande force dans leurs
1 Le mme homme lave les pieds de ses disciples et dclare : Je suis la lumire du
monde , invective les pharisiens et pardonne ses bourreaux, chasse les marchands du
Temple et accueille misricordieusement les pcheurs, prche une doctrine la fois sublime
et accessible tous. En Jsus-Christ, on ne voit jamais une seule vertu la fois, on en voit
toujours deux, aussi belles lune que lautre, do rsultent les contrastes les plus imprvus,
qui finissent par se rsoudre [] dans une harmonie parfaite dit Mgr BOUGAUD (cit par le
chanoine A. TEXIER, Prcis dapologtique, Paris, lcole, 1964, p. 245).
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
130
tourments et la plus grande douceur en priant pour leurs bourreaux 1 ; ils sont
vraiment marqus limage de Jsus crucifi 2.
La saintet vacue
On saisit alors pourquoi la saintet, qui clate chaque page de lhistoire de
notre Europe, semble ne pas exister pour la NRH. Jsus-Christ est le grand absent
de cette revue, non seulement en sa propre personne, mais en la personne de tous
ceux qui ont vcu pour lui et en lui depuis 2000 ans. La saintet, la foi, lordre
surnaturel dont on ne peut nier le rle historique depuis 2000 ans sont tout
simplement vacus. Mme lorsque la NRH consacre un dossier la religion, elle
passe ct 4. Et ce silence vaut bien des attaques, tant il est vrai que certaines
omissions sont plus nocives que des mensonges caractriss. (Lcole laque, qui
se contentait de taire le nom de Dieu, a t beaucoup plus efficace dans la dchristianisation que toutes les propagandes antireligieuses qui suscitent tou1 Les faux martyrs, au contraire, ne prient pas pour leurs bourreaux, on ne voit pas
chez eux la connexion des vertus les plus diverses, mais leur volont se raidit par orgueil
contre la souffrance, au lieu de sabandonner Dieu en cherchant sauver des mes.
2 Rginald GARRIGOU-LAGRANGE O.P., Les trois ges de la vie intrieure, prlude de celle du
Ciel, Paris, Cerf, 1938, p. 247.
3 Louis DE GRENADE O.P., premier sermon pour la fte de la purification de NotreDame (uvres compltes, Vivs, 1863, t. VI, p. 558).
4 Le dossier consacr La religion et la politique ne sintresse gure aux
(nombreux) saints ayant jou un rle politique. En revanche, Dominique V ENNER y prsente
(sous le pseudonyme Hubert V ILLERET et sous le titre La tradition voltairienne dans la
droite franaise ) toute une brochette dcrivains antichrtiens ou nopaens. Il cite avec
complaisance la charge de Cline contre la religion de Pierre et Paul qui, propage aux
races viriles, aux races aryennes les transforma en sous-hommes ds le berceau []
dlaissant jamais leurs dieux de sang, leurs dieux de race . Il voque Ernest Renan et sa
clbre thse opposant le psychisme du dsert des peuples smites au psychisme de la
fort des Indo-Europens (autre thme cher la Nouvelle Droite, ds quelle entend critiquer
le monothisme). Il souligne de la mme manire lantichristianisme dHenry de
Montherlant, de Maurras ( Lombre dun ralliement, arrache sur son lit de mort, ny
changera rien ) et de Lucien Rebatet. (NRH n 28, janvier-fvrier 2007, p. 56-58.)
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
131
Conclusion
Lamour de soi pouss jusquau mpris de Dieu, cest bien la Nouvelle Droite.
Elle est alle, en ce sens, bien plus loin que les anciens paens.
Ceux-ci reconnaissaient plus ou moins (mme sils y manquaient souvent)
lexistence dune loi naturelle. Prisonniers du paganisme, ils essayaient malgr
tout de se tourner vers la divinit. Conscients de la dchance de lhumanit, certains attendaient confusment le Rdempteur.
La Nouvelle Droite refuse volontairement le christianisme, mprise explicitement le Crateur, sacralise ce que lAntiquit avait dimparfait et rejette ce quelle
avait de meilleur.
Elle absolutise le systme des mythes, cest--dire dune religion fonde sur
limagination (alors que ce ntait, pour beaucoup de paens, quun pis aller),
mais elle refuse par principe toute vrit mtaphysique (tournant le dos la sagesse grecque).
Elle se satisfait de toutes les pratiques immorales de lAntiquit, mais refuse de
la suivre ds quelle parle de loi naturelle.
Elle se soucie beaucoup des repres identitaires : les hommes doivent savoir do ils viennent. Mais elle refuse absolument de remonter jusqu lorigine
premire. Il est trs important de savoir qui sont nos anctres mais indiffrent de
connatre le Dieu qui nous a crs son image.
Ce sont l des principes non de civilisation, mais de barbarie.
Cest un signe des temps que lart dtre paen avec naturel se soit perdu chez
nous depuis deux mille ans,
affirmait Chesterton.
132
T U D E S
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
133
Annexe 1
Keith Chesterton)
134
T U D E S
I. La mort du paganisme
E PAGANISME vivait de cette posie dont nous avons parl sous le nom
de mythologie. [] Elle enivrait la jeunesse du monde de fables et de
mythes comme un jeune homme senivre de vin et damourettes ; plus irresponsable quimmorale, elle ne donnait aucune rponse long terme. Son gnie cratif
ne connaissait aucune borne, elle tait donc dune crdulit sans gale. Comme
uvre dart, car cen tait une, elle tait devenue confuse et surcharge. Les
arbres gnalogiques issus de Jupiter senchevtraient inextricablement, les dieux
et demi-dieux se disputaient une prsance qui relevait plus du droit et du protocole que de la posie. Ce ntait pas seulement du point de vue artistique, fautil lajouter, que les choses se gtaient. Les fleurs du mal prolifraient : bon gr
mal gr toutes les difications de la nature en favorisent lclosion. [] Il arriva
de fait que, de plus en plus immorale, la posie mythologique versa dans linsupportable. Vices grecs, vices orientaux, fantasmes des antiques atrocits des
dmons smites, toutes les perversions peuplrent limagination de la Rome dcadente comme les mouches bourdonnent sur le fumier. La psychologie de cet effondrement est humaine et bien connue de ceux qui font leffort de voir lhistoire
de lintrieur. On se lasse de tout. Il vient toujours une heure, la fin de la journe, o lenfant en a assez de faire semblant et commence tourmenter le
chat. []
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
135
cits des rivages mditerranens, le peuple pleura ses dieux et se consola avec
des gladiateurs.
LE SEL DE LA TERRE
136
T U D E S
La diffrence
Si nous examinions la question plus avant, ce qui nest pas le propos de ce
livre, nous verrions, je crois, que le scepticisme et lindiffrence ont plusieurs fois
vid le christianisme de sa substance : il nen restait que la coquille, comme
lcorce du paganisme a survcu trs longtemps au cur de larbre paen. Mais il
y aurait cette diffrence que nous verrions resurgir chaque fois des enfants aussi
ardents que leurs pres taient tides. La Contre-Rforme a succd la
Renaissance. Les nombreux renouveaux catholiques de notre temps succdent au
dclin du XVIIIe sicle. Et je pense que lon pourrait trouver beaucoup dautres
exemples qui parleraient deux-mmes.
La foi na pas survcu la faon dont elle aurait pu subsister en Asie et dans
lEurope antique, o les mythologies et philosophies se ctoient ternellement
dans lindiffrence ou la tolrance rciproque au sens o des druides seraient
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
137
Essais de comparaisons
Lglise dOccident nhabitait pas un monde o les choses taient trop vieilles
pour mourir, mais un monde o elles taient toujours assez jeunes pour se faire
tuer. Dailleurs, aux yeux dun observateur superficiel, elle fut plusieurs fois mise
mort, et parfois disparut delle-mme. Il en dcoule un fait difficile dcrire
mais que je crois rel et dune certaine importance. De mme quun spectre est
lombre dun homme, et en ce sens lombre de la vie, de mme quelque chose
comme lombre de la mort traversait par intervalles cette vie indestructible. La foi
aurait-elle d mourir, le passage de lombre aurait marqu lheure de sa mort. A
ce moment-l, ce quelle avait de mortel disparaissait. Si je puis risquer cette
image, je dirais que le serpent muait, puis poursuivait sa route. Mais il est plus
vrai et plus convenable de dire que lhorloge sonnait et que rien narrivait, ou
que lon entendait rsonner les tambours dune excution ternellement reporte.
[] En cinq occasions au moins larianisme, les Albigeois, lhumanisme
sceptique, laprs-Voltaire et laprs-Darwin la foi parut condamne. Et cinq
fois, elle a enterr ses vainqueurs.
[] Nous voudrions, disent certains, ne garder du christianisme que son esprit. Ils dsirent en vrit quil nen reste que le fantme. Mais ce qui suit le processus de mort apparente dont je parle nest pas la persistance dune ombre, cest
la rsurrection dun corps. Il nest donc pas question de fantme. Ils sont prts
verser pieusement des larmes respectueuses sur la mort du Fils de lHomme,
mais ne le sont pas le voir se promener de nouveau parmi les collines du matin.
Ils taient, dans leur majorit, parfaitement habitus lide que le vieux cierge
chrtien allait cder la place la lumire du jour. Il leur semblait honntement
que la flamme jaunie de cette chandelle ne cessait de plir dans le jour grandissant. Il tait imprvisible mais fatal que le chandelier sept branches se dresse
soudain vers le ciel, flamboie comme un arbre en feu et fasse plir le soleil.
Dautres ges avaient vu la lumire du jour vaincre celle du cierge, puis la lumire du cierge vaincre celle du jour. []
LE SEL DE LA TERRE
138
T U D E S
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
139
devant la sche raison du Sicle des Lumires, puis que les cataclysmes de lAge
des Rvolutions lengloutiraient. La science lexpliqua, ce qui ne lempcha pas
dexister. Lhistoire lenterrait dans le pass quand, soudain, elle rapparut
comme lavenir. Elle est aujourdhui sur notre chemin et se dveloppe sous nos
yeux 1.
Si lon admet que nos sources sont fiables et si les hommes consentent jauger
rationnellement une pareille accumulation de faits historiques indiscutables, il
semblerait que, tt ou tard, mme les ennemis de la foi devraient tirer la leon de
leur attente perptuellement due et ne plus esprer quelque chose daussi
simple que sa mort. Ils pourront bien sr continuer la combattre ils pourraient aussi sen prendre la nature, la terre ou aux cieux. Le ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Ils attendront quelle trbuche ou
quelle sgare mais nattendront plus sa ruine. Insensiblement, inconsciemment
peut-tre, ils accompliront, dans leur attente muette, les termes de cette extraordinaire prophtie. Ils oublieront desprer un glas tant de fois illusoire, et se mettront dinstinct guetter dabord le refroidissement du soleil et les signes dans le
ciel.
(DMM, tous droits rservs, 2004.)
LE SEL DE LA TERRE
T U D E S
140
Annexe 2
Les fruits du christianisme en Afrique
(Mgr Marcel Lefebvre)
Mgr Marcel Lefebvre a tmoign plusieurs reprises de la fcondit
du christianisme en Afrique. Nous reproduisons ici deux extraits de son
ouvrage Le Mystre de Jsus 1 , puis deux extraits du sermon quil pronona Paris le 23 septembre 1979, loccasion de son jubil sacerdotal ( la Porte de Versailles).
Le Sel de la terre.
L A NO UVE L L E DR O IT E , S E S P O M P E S E T S E S O E UVR E S
141
Jai vu
ERTES, je connaissais par les tudes que nous avions faites ce qutait ce
grand mystre de notre foi, mais je nen avais pas compris toute la valeur,
toute lefficacit, toute la profondeur. Cela, je lai vcu jour par jour, anne par
anne, dans cette Afrique et particulirement au Gabon, o jai pass treize ans
de ma vie missionnaire, dabord au sminaire, ensuite dans la brousse au milieu
des Africains, chez les indignes.
Et l, jai vu, oui, jai vu ce que pouvait la grce de la sainte messe. Je lai vu
dans ces mes saintes qutaient certains de nos catchistes. Ces mes paennes
transformes par la grce du baptme, transformes par lassistance la messe et
par la sainte eucharistie, ces mes comprenaient le mystre du sacrifice de la
croix ; elles offraient leurs sacrifices et leurs souffrances avec Notre-Seigneur
Jsus-Christ et vivaient en chrtiens.
LE SEL DE LA TERRE
142
T U D E S