Ethnologie Du Contemporain Et Enquête de Terrain
Ethnologie Du Contemporain Et Enquête de Terrain
Ethnologie Du Contemporain Et Enquête de Terrain
diteur :
Les ditions de la Maison des sciences de
lHomme, Ministre de la culture
dition lectronique
URL : http://terrain.revues.org/2976
DOI : 10.4000/terrain.2976
ISBN : 978-2-8218-0756-3
ISSN : 1777-5450
dition imprime
Date de publication : 1 mars 1990
Pagination : 126-131
ISBN : 978-2-110889-18-8
ISSN : 0760-5668
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Maison des sciences de l'homme
Rfrence lectronique
Grard Althabe, Ethnologie du contemporain et enqute de terrain , Terrain [En ligne], 14 | mars
1990, mis en ligne le 17 juillet 2007, consult le 08 octobre 2016. URL : http://terrain.revues.org/2976
; DOI : 10.4000/terrain.2976
La question dont je vais traiter dans cet expos est simple : quelles sont les conditions
requises pour qu'une enqute ethnologique de terrain, effectue ici et maintenant dans le
cadre de notre propre socit, produise cette connaissance de type particulier qui est
celle de l'ethnologue, une connaissance livre de l'intrieur d'un monde social saisi une
chelle microscopique ? Les lments de rponse que je vais tenter d'apporter cette
question sont tirs d'une rflexion en cours, mene partir des travaux accomplis par
l'quipe de recherche dont je suis responsable l'cole des hautes tudes en sciences
sociales1.
Il faut tout de suite distinguer l'enqute ethnologique de terrain avec les procdures
d'enqute telles que les sciences sociales se sont efforces d'en fixer les rgles
mthodologiques. Dans ce dernier cas, les situations de rencontre entre le chercheur et
les sujets qu'il tudie sont des vnements quasi exprimentaux construits en fonction de
perspectives analytiques qui gouvernent entirement les modalits de recueil et
d'interprtation des donnes. La rencontre est donc l'expression d'une sparation
institue entre le chercheur et ceux qu'il tudie ; elle s'inscrit dans un registre de rupture
d'avec la communication ordinaire. Dans l'enqute ethnologique de terrain, le chercheur
est, bien entendu, anim par un projet analytique qui va orienter la collecte et
l'interprtation des informations. Mais, l'oppos du modle labor par les sciences
sociales en gnral, la pratique d'enqute se dploie l'intrieur de l'change entre
l'ethnologue et ses interlocuteurs. Elle pouse les formes du dialogue ordinaire et c'est
dans ce dialogue que le chercheur introduit une distance qu'il est condamn reproduire
lors de chaque rencontre. En d'autres termes, l'investigation ethnologique, avec la
distance qu'elle implique, se dveloppe dans la non-sparation d'avec la communication
ordinaire.
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Comment l'ethnologue difie-t-il cette distance ? A travers un processus que l'on peut
appeler fondateur dans la mesure o il constitue le point de dpart de la dmarche
ethnologique :
1 L'ethnologue considre les sujets qu'il rencontre, regroups dans une situation
empiriquement produite, comme les acteurs d'un univers social qui leur est tranger. Les
changes qui s'y dveloppent laborent - et sont labors dans - une configuration
singulire qu'il se propose de mettre en vidence. Simultanment, il anticipe et fixe
l'existence de son objet.
Dans cette opration, l'ethnologue se donne la perspective qui dessine l'horizon par
rapport auquel se dvelopperont investigation et analyse, stratgie de terrain et
interprtation.
Qu'advient-il lorsque l'ethnologue aborde des terrains dans une socit comme la ntre,
quand il mne des enqutes dans des situations de travail salari, des territoires
rsidentiels urbains ou des rseaux de sociabilit, dans des espaces sociaux comme le
march d'un centre-ville, un bar, un tablissement scolaire, autant d'exemples de travaux
effectivement conduits ?
Cependant, les sujets regroups dans cet ici et maintenant appartiennent une
pluralit de situations sociales. Ainsi, gnralement, le regroupement dans la rsidence et
le regroupement dans le travail n'ont-ils, du point de vue de chacun des sujets, rien voir
l'un avec l'autre. De plus, nos interlocuteurs sont pris dans le mouvement de production
du priv familial qui, dans notre socit, se fait travers la construction d'une sparation
d'avec le public, d'une frontire qui refoule systmatiquement l'ethnologue en dehors de
cette sphre. Il en rsulte qu' partir d'une situation (le terrain d'enqute), l'ethnologue
ne peut difier une connaissance de l'intrieur, ni des autres situations auxquelles les
sujets appartiennent, ni du priv familial dont il reste cart. De cet endroit o il est, il
n'obtiendra que la reprsentation des changes qui s'y droulent, sous la forme d'une
mise en scne produite dans sa rencontre avec les sujets et dont le sens doit tre
principalement cherch dans la situation mme o cette rencontre prend place.
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Le premier objectif poursuivre est donc l'dification d'un instrument conceptuel (le
mode de communication) permettant d'accder l'intelligibilit des changes qui s'y
dveloppent, tant ceux entre les sujets eux-mmes que ceux dans lesquels le chercheur
est directement impliqu.
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Revenons sur l'opration fondatrice, celle par laquelle l'ethnologue transforme les sujets
placs dans une situation en acteurs d'un univers social d'o il s'exclut. Il prsuppose un
objet dont l'existence, dans le paysage que je viens d'voquer, ne peut tre
qu'hypothtique ; sa ralit ne peut tre confirme que dans le cours de l'enqute, ainsi
l'interrogation sur la pertinence de la perspective qui sert de cadre l'investigation estelle permanente.
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Dans ce bref expos, je ne peux rendre compte des espaces de communication (le
terme espace est, bien sr, utilis mtaphoriquement), des modes de production des
frontires l'intrieur desquelles un mode de communication vaut effectivement comme
instrument d'intelligibilit. La notion de conjoncture est centrale : en effet, un espace de
communication se construit par dfinition dans un lieu et un moment singuliers ; on
peut pressentir que se dessine la ncessit de mettre en place un cadre pour une
dmarche comparative.
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Une fois difis le mode de communication et les contours de l'espace dans lequel les
changes se droulent ( partir de situations de terrain dcoupes dans le champ de la
rsidence, du travail ou dans un rseau de sociabilit), plusieurs directions de recherche
peuvent tre empruntes.
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On peut aussi se pencher sur le poids des interventions extrieures (celles, par exemple,
des travailleurs sociaux ou des policiers dans un grand ensemble urbain), sur la logique
du jeu social indigne, tape ncessaire la comprhension de pratiques dont l'picentre
est l'articulation entre ce qu'elles signifient pour leurs acteurs et les institutions qui les
emploient, et leur traduction dans le langage du mode de communication structurant les
changes dont les sujets sont les acteurs.
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langage surtout. Dans sa rencontre avec les sujets, l'ethnologue court le risque de perdre
son autonomie, de se voir imposer par ses interlocuteurs des rponses que seule la
dmarche d'investigation peut fournir. Il slectionne dans ce qu'ils lui disent ce qui
renforce sa perspective, il adoptera les points de vue qui sont le plus rapprochs de celleci, etc. Il lui faut donc reconqurir en permanence son autonomie ; celle-ci passe par la
distance qu'il rintroduit dans chaque rencontre, les reprsentations que les sujets lui
donnent de leur monde social ou de celui des autres tant replaces dans la
problmatique de l'dification du mode de communication et interprtes dans ce cadre 3.
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Que se passe-t-il dans une enqute ethnologique de terrain ? D'un ct, le chercheur est
un acteur du jeu social indigne ; ds son arrive, il est impliqu, le plus souvent son
insu, dans un rseau d'alliances et d'oppositions, il est plac dans une position qui se
transformera dans le cours de l'enqute. De l'autre, il a une pratique qui lui est propre,
depuis les entretiens dont il a l'initiative jusqu' ses activits d'observation en passant
par les mille et une manires de tirer parti du partage avec les sujets d'un mme
quotidien ; la distance est produite et reproduite dans les activits composant cette
pratique.
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En fait, le chercheur est produit en acteur travers les processus internes qu'il a
dfinis comme objet d'analyse ; rappelons ici les propos de Gadamer signalant qu'en
aucune faon, une situation ne peut tre considre de l'extrieur, l'observateur en est
obligatoirement un des acteurs. La distance qui structure les activits du chercheur et
dont je viens de dcrire la production travers l'opration fondatrice doit tre
considre comme interne une communication dont les sujets sont les acteurs et dont
l'ethnologue est partie prenante, non point comme la simple traduction d'une position
extrieure4.
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Constater que le chercheur est un des acteurs du jeu social dont il s'est donn la tche de
rendre compte, de mettre en vidence la cohrence, de dfinir les rgles, permet de
traiter l'enqute elle-mme comme un terrain d'investigation ; la manire dont
l'ethnologue est produit en acteur, les transformations dont sa position est le cadre,
les relations dans lesquelles il est impliqu font partie de l'univers social tudi et sont
labores par le mode de communication dont il construit les termes. Leur interprtation
est une des voies qu'il peut emprunter ; pour cela, il doit donner au droulement de
l'enqute une organisation permettant une autorflexion permanente. C'est une
approche particulirement fructueuse pour analyser la manire dont, dans un espace de
communication donn, l'articulation avec l'extrieur est construite : l'ethnologue est cet
homme venu du dehors qui est promu en acteur et utilis comme tel dans des jeux
sociaux qui appartiennent son domaine d'investigation.
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Cette manire d'tablir le matriau permet de placer dans un mme cadre interprtatif ce
qui relve de l'change verbal (l'entretien) et ce qui relve de l'observation : l'ethnologue
est toujours l comme acteur, il occupe une place variable (de cette faon, la drive
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Une enqute de terrain nous laisse entre les mains principalement de l'crit (textes des
entretiens et des runions, comptes rendus crits des observations). L'criture, dont
l'effet interne est renforc par la transcription de l'enregistrement des entretiens et des
runions, contient potentiellement le pouvoir de dissoudre les vnements de
communication dans lesquels les changes verbaux dsormais crits, ont t produits ; le
chercheur est pouss les traiter comme un grand texte dans lequel il puise significations
et informations. L'interprtation est un effort pour combattre cette tentation ; elle
recompose les vnements, leur articulation dans la dure, cet arrire-plan d'o ces
textes ont surgi et o ils prennent sens.
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Je ne vais pas dvelopper la mthode suivie qui est l'utilisation de l'entretien de longue
dure dans lequel est offert l'interlocuteur un cadre synchronique et diachronique qui
lui permet d'laborer le rcit et la reprsentation de son existence. Dans l'vnement de
communication particulier que constitue un tel entretien, il unifie sa manire les
diverses situations auxquelles il appartient, il les ordonne et les hirarchise dans une
perspective singulire, il construit ainsi une image de lui-mme. Paralllement, guid par
les questions qui mergent dans l'entretien, il observe les situations de rencontre dont
l'interlocuteur est le protagoniste, il recense les reprsentations que les autres se font de
lui, etc. L'objectif est de comprendre les modes par lesquels le sujet se produit et est
produit en acteur social, ainsi pourra-t-on donner sens au degr d'implication, la
manire singulire dont chacun des sujets est acteur du jeu social particulier dont la
cohrence et les rgles ont t dfinies...
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sujets en acteurs ; l'ethnologue occupe une position qui lui permet de saisir dans un
mme regard l'un et l'autre domaine. Dans les terrains dont nous parlons aujourd'hui, le
chercheur reste enferm dans une situation qui n'est qu'un champ parmi d'autres dans
l'existence des sujets ; il lui faut donc dissocier les deux domaines dans la mesure o la
production du sujet en acteur met en jeu l'ensemble des espaces sociaux dans lesquels il
est impliqu.
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1. Le lieu du social atteint par l'enqute, dans lequel d'ailleurs l'investigation reste place
(le champ du quotidien avec ses pratiques et ses interactions dont le sujet et l'ethnologue
sont les acteurs, se droulant dans des cadres, quartier, rseau, entreprise, produits dans
la socit elle-mme) possde-t-il une autonomie qui donne sa pertinence la production
de sa connaissance de l'intrieur, ou bien est-ce la scne d'une pice dont le scnario
s'crit ailleurs ? En se cantonnant dans ce champ, le chercheur ne s'interdit-il pas la
comprhension de ce qui s'y passe ?
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2. Une socit comme la ntre scrte une production symbolique inpuisable (les
techniques de la communication lui ont donn une dimension considrable) dont les
manifestations et les divers produits constituent notre environnement. Les ethnologues
considrent cette production symbolique comme un domaine privilgi, ils se donnent
pour tche d'en dgager les processus fondamentaux, d'en reconstituer la continuit
historique. La connaissance de l'intrieur de ce domaine ( travers des dmarches de type
hermneutique) s'effectue travers des procdures parmi lesquelles l'enqute de terrain
- c'est--dire la communication dans laquelle les sujets et le chercheur sont entrans n'est qu'un pisode annexe. Dans l'orientation que je viens de prsenter succinctement,
de grands pans de cette production symbolique sont laisss de ct ; elle n'y est saisie que
partiellement, jamais pour elle-mme, travers sa mise en uvre dans les changes
sociaux. N'est-ce point une manire d'viter la drive que Marc Aug a dnonce, celle
qui consiste rduire la dmarche ethnologique au dchiffrement d'une culture
considre mtaphoriquement comme un texte ? N'est-ce point faire, en somme, de
ncessit vertu ?
NOTES
1.Grard Althabe, Bernard Lg, Monique Slim, Urbanisme et rhabilitation
symbolique (Evry, Boulogne, Amiens), Anthropos, 1984. Grard Althabe, Christian
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INDEX
Thmes : mthodologie, terrain (notion de)
Index gographique : France
AUTEUR
GRARD ALTHABE
EHESS
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