Le Tournant Linguistique en Anthropologie
Le Tournant Linguistique en Anthropologie
Le Tournant Linguistique en Anthropologie
anthropologie.
Par Laurie Savard,
anthropologue
Octobre 2012
Introduction.............................................................................2
Le tournant linguistique au sens large.................................................2
Johannes Fabian et lide de lobjectivit mergente..................................4
Fabian: llargissement de ses principes (Hans Georg Gadamer)....................6
Les outils de Gadamer: une thorie langagire et une thique communicationnelle.9
cole de Francfort, Habermas et la critique de la rationalit.......................13
Les apports du dbat Gadamer/Habermas...........................................17
Les inspirs du tournant linguistique en anthropologie.............................21
Conclusion.............................................................................27
Bibliographie..........................................................................29
Introduction
travers son histoire, lanthropologie a connu quelques points critiques et plusieurs
centaines de carrefours qui ont transform la discipline. Un bon exemple est la clbre
critique associe au postmodernisme dans les annes 1960 qui a rvolutionn la discipline
au niveau pistmologique touchant ses bases profondes. Cependant, bien que ce courant
de pense soit emblmatique, dautres transformations pistmologiques ont aussi touch
la discipline depuis. Lune delles, le linguistic turn (ou le tournant linguistique), sera le
sujet de ce travail. Notre but sera de cerner les rpercussions pistmologiques du
tournant linguistique dans lethnologie contemporaine. Pour ce faire, nous commencerons
notre exposition en situant limportance de Johannes Fabian comme le meneur de bal du
mouvement. Ensuite, nous entrerons plus en profondeur dans les entrailles de la crature
en tablissant ses liens avec les thories marxistes, lanthropologie critique, les
questionnements sur lobjectivit ainsi que sur ses liens complexes avec la philosophie.
Puis, nous reviendrons Fabian et dautres auteurs plus contemporains qui continuent
utiliser ce tournant comme base pistmologique pour largir la porte foncirement
linguistique de celui-ci.
Cest pour cette raison que nous avons donc choisi celle de Rorty. Pour lui, le tournant
linguistique implique que: philosophical problems are [now] problems which may be
solved (or dissolved) either by reforming language, or by understanding more about the
language we presently use (Rorty 1992: 3). Cette dfinition met bien en vidence que
bien que le tournant linguistique ait touch une foule de courant thorique, la seule chose
qui rassemble vraiment les branches qui peuvent paratre htroclites est la centralit du
langage.
Cette largesse, bien quune qualit pour reprsenter limmense talage du courant, doit
cependant tre recentre. En anthropologie, il ny a aucun doute que des liens entre la
discipline et le langage sont bien prsents. Il ny a donc a priori pas grand-chose
dinnovant faire rfrence au tournant linguistique, notamment lorsquon considre
lanthropologie linguistique, une des quatre sous discipline de lanthropologie nordamricaine. Cependant, nous nous attarderons un autre penchant du tournant
linguistique en anthropologie o le langage a une influence sur le travail empirique. Sous
cet angle le tournant linguistique est vu comme un virage de nature pistmologique qui
prsente le langage comme le mdium par lequel nous sommes en contact avec le monde
(et par consquent les autres) et par lequel nous le comprenons. Il implique galement
que le travail de terrain anthropologique est effectu par des interactions majoritairement
langagires et que si un anthropologue entreprend dobtenir des donnes les plus
objectives possible travers ces interactions, cette objectivit doit tre ancre dans
lintersubjectivit.
Cet angle, bien que nous le voyons comme relativement innovateur, nest pas
spcialement nouveau. En effet, il semble avoir pris naissance dans les annes 1970 et
1980, donc dans la mme priode que larrive de la vague postmoderne o la remise en
question dans la discipline touchaient autant lobjectivit du travail anthropologique que
la relation avec le terrain, la dmarche intellectuelle, le rapport avec le sujet dtude, la
conception de lhistoire, le rapport avec les textes et mme le rapport avec le savoir en
tant que tel. Cest dans ce contexte que Johannes Fabian, celui que nous considrons
comme celui qui a men le bal du tournant linguistique en ethnologie, a crit le texte
Language, history and anthropology. Paru en 1971 dans Philosophy of the Social
Sciences, il explore la possibilit dune inconsistance dans le raisonnement de la
mthodologie scientifique en anthropologie ou ce que Fabian appelle a positivistpragmatist philosophy of science (Fabian 1971: 20). Cest cette critique de lobjectivit
qui est le point dancrage du questionnement pistmologique de lauteur et qui a aussi
jou un grand rle avec ses successeurs dans le mouvement vers un tournant linguistique
ethnographique. En effet, lauteur argumente que la mthodologie scientifique a t
accepte presque par dfaut, donc sans avoir de vritable dbat sur sa pertinence
pistmologique:
In this paper I will propose and explore the possibility that the
critical situation in which our discipline seems to be caught is due to
a general and largely uncritical acceptance of a positivist-pragmatist
philosophy of science in american anthropology [...] It is an approach
in which metholodogy (the rules of correct and successfull procedure)
has taken place of epistemology (reflection on the constitution of
communicable knowledge) (Fabian 1971: 20)
On pourrait dire que Fabian voit lobjectivit des positivistes comme une idologie
aveuglante naturalise plutt que comme un vrai positionnement pistmologique. Mais
il nen reste pas l, puisquil entend trouver une solution au problme quil soulve.
Celle-ci rside dans une pistmologie base sur les consquences thoriques du tournant
linguistique philosophique en ladaptant au travail de terrain ethnographique. Voyons
comment.
externally observable behavior (e.g. ritual) should constitute the primary data would
have failed at this point (Fabian 1971: 22). Cest alors que ses observations lui ont
montr que ctait plutt les mots qui incarnaient les prmices de base du mouvement qui
semblait rassembler les membres. Lanalyse tait donc au niveau des rcits, des penses,
de la manire de voir les choses. Ici encore rien de trs nouveau aux yeux des chercheurs
daujourdhui au sens o ces choses ont t largement discuts lors des dbats suivant le
postmodernisme: la place de lexprience, le texte, le subjectif, le beau, le refus de
lobjectif au profit de subjectivit, etc. Mais Fabian pousse sa rflexion plus loin pour en
venir une thse qui rsume sa position (ou solution) sur le problme de lobjectivit. On
pourrait la rsumer par ces trois courts passages:
anthropologique comme prtend le faire Fabian. Nous allons donc nous retourner vers la
philosophie hermneutique o nous pensons quune analyse plus brute de la thorie de
Gadamer peut donner dautres outils aux anthropologues voulant intgrer lpistmologie
du tournant linguistique dans leur dmarche.
apporte que tout le monde a des prjugs, o nous ajouterions que les anthropologues ne
font pas exception. Il faut donc considrer ces pr-jugements, ne pas les vacuer, et voir
comment ils sont imbriqus dans notre schme de pense. Quant notre tradition, cest
tout ce qui nous a t transmis du pass, et cest aussi ce qui transporte (ou contient) tous
nos prjugs. Elle est constitue de nos expriences, de notre ducation, de notre culture,
de notre vision du monde, etc. Notre tradition nous fournit les bases, les balises de sens
sur lesquelles nous comprenons.
Les deux visions cherchent donc toutes les deux atteindre une vrit, mais de manire
diffrente. Gadamer voit lhistorique de celui qui comprend ainsi que ses prjugs comme
faisant partie de son horizon. Lorsque nous comprenons ou interprtons quelque chose,
on le comprend partir de nos bases, de ce que nous avons vcu, de nos prjugs et ne
pas les considrer, selon Gadamer, est un prjug contre les prjugs; caractristique des
Lumires allemandes (Gadamer 1996: 291). Si au contraire nous en prenons compte, il
est possible que notre comprhension, mieux informe par la prise de conscience, nous
mne une meilleure comprhension de nous et de lautre (que a soit un texte ou un
autre tre humain).
Or, de dcortiquer nos prjugs nest pas une simple tche. Cest un processus
fondamentalement personnel, mais vcu en prsence des autres. Cest presque, comme le
disait Habermas, un procd psychanalytique. Ce qui est le plus complexe dans
lexcution de cette tape est que nos prjugs, notre historique personnel, sont bourres
de parties idologiques qui sont parfois virtuellement invisibles. La variante idologique
la plus pertinente considrer pour un anthropologue, et probablement la plus difficile
pingler, est certainement la culture. Autrement dit, tous sont porteurs de culture, incluant
lanthropologue, et cela influence comment il voit les choses. Cela peut paratre banal,
voire mondain, mais souvent sous-estim. Cest dailleurs quand quelquun ayant grandi
dans une autre culture nous fait remarquer les cadres idologiques de notre propre culture
invisibles pour nous quune partie de lillusion devient visible. Cette tche semble encore
plus difficile faire en Occident o la notion de modernit, semblant tre une opposition
la notion de culture, fait reluire une image acculturelle ou les gens seraient plus
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citoyen du monde, modernes, que des tres culturel. Pour rsumer, la rhabilitation des
prjugs et la place de notre historique personnel (tradition) comme partie intgrante
dune analyse de notre comprhension demande une rflexivit qui devrait tre explor
en prsence dun autre ainsi que seul avec soi-mme ce qui pourrait et devrait faire
ressortir les dimensions idologiques de notre discours. Autrement dit, ce processus
pourrait aider les anthropologues dmasquer un raisonnement idologique. Ce que
Gadamer prconise est en fait une rflexivit qui mne vers une meilleure comprhension
de soi ce qui aide ensuite comprendre lautre. Or, le processus rflexif a t bien explor
par les postmodernes en anthropologie, alors pourquoi aller voir un philosophe? Parce
que selon nous, Gadamer apporte que comprendre lautre peut tre possible alors que les
postmodernes pensent ce processus impossible, tout tant toujours subjectif. Autrement
dit, Gadamer prtend que malgr la subjectivit, une comprhension (ou une
interprtation la plus exacte possible) serait possible. Ceci nous amne au deuxime outil:
ce que Gadamer appelle le jeu des questions-rponses.
Dj on revient plus dans la sphre langagire, encore ici le mdium du principe. En gros,
ce que Gadamer entend par le jeu des questions-rponses est un modle dialectique (donc
une dialectique de question-rponse (Gadamer 1996: 401)) qui amnerait une
explication-entente. Par cela, il indique un clair penchant pour la place de lexprientiel
o le savoir est dans un tat de suspension. En effet, Gadamer affirme que si le jeu des
questions et rponses nest pas rhtorique, les gens qui y participent acceptent de mettre
ce quils savent dans les mains de lexprience. En anthropologie, nous pensons que cela
serait traduit par une dmarche certainement collaborative o linformateur devient dune
certaine faon (et dans un monde idal) un philosophe qui pensent vraiment avec
lanthropologue comme le prescrit Radin par exemple dans Primitive man as philosopher
(Darnell 2001: 138; Fabian 2006) ou Lassiter (Lassiter 2005: 133). Cette vision de
suspension de conceptions par une logique de question-rponse qui se veut non
rhtorique serait, selon Gadamer, un outil douverture qui permettrait de changer sa
manire de voir les choses. Si tout va bien, Gadamer affirme que lapplication de sa
dialectique de question-rponse pourrait (au conditionnel, car Gadamer ne prescrit pas sa
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dialectique comme mthode, et encore moins comme quelque chose qui fonctionne
chaque fois) ouvrir la voie une comprhension:
Nous maintenons dabord que le langage, qui permet quune
chose soit exprime, nest pas une possession dont puisse
disposer lun ou lautre interlocuteur. Tout dialogue prsuppose
un langage commun, ou mieux: tout dialogue donne naissance
un langage commun. Il y a l, comme disent les Grecs, quelque
chose qui a t dpos au milieu (de nous), quelque chose
auquel les interlocuteurs ont part, et dont ils sentretiennent.
Cette explication-entente sur le fond, qui doit tre le fruit du
dialogue, signifie donc ncessairement quil commence par
laborer un langage commun [...] Lexplication-entente
laquelle on procde dans le dialogue ne consiste pas faire tout
simplement valoir et triompher son point de vue, elle est au
contraire la mtamorphose qui vise introduire dans ce qui est
commun, et la faveur de laquelle nul ne reste ce quil tait
(Gadamer 1996: 402)
Autrement dit, on pourrait dire que pour entrer dans un vrai dialogue, chacun des partis
en prsence doit tre prt se laisser transformer par lexprience. Dans ce cas, une
vision nouvelle des choses serait cre lintrieur de lexprience commune, dans ce
cas-ci, dune comprhension. Dailleurs, selon Gadamer, on ne vit jamais deux fois la
mme exprience. Notre exprience forge un nouvel horizon (une nouvelle manire de
voir les choses au sens imag du terme) par lequel nous comprenons (Gadamer 1996:
375-376). Cette transformation influence aussi la comprhension que nous avons de
quelque chose que nous avons dj compris, notre comprhension doit toujours tre
remise en question avec cette dialectique de question et rponse (que lon peut faire avec
quelquun, avec soi-mme ou avec un texte). Cest cette remise en question continuelle
de notre savoir partir de nouvelles expriences que Gadamer appelle le cercle
hermneutique.
Comme nous lavons mentionn un peu plus haut, lapproche de Gadamer, bien que trs
intressante, peut paratre difficilement ralisable en anthropologie et mme un peu nave.
Tout comme lapproche de Gadamer, celle de Fabian peut aussi tre vue comme fleur
bleue o la comprhension la plus parfaite possible implique immanquablement une sorte
12
de relation collaborative entre les deux personnes passant par le dialogue (Fabian 2001:
15). Bien entendu, cette approche pose une multitude de problmes. Le plus vident est
quil arrive assez frquemment que la langue utilise dans linteraction entre
anthropologue et informateur ne soit pas familire une des deux personnes. Comme
nous le savons, ce problme en engendre dautres comme de comprendre le sens dune
blague, la vraie signification dun mot, le ton, etc,. Il arrive aussi que tous les deux
parlent la mme langue, mais ne semble pas du tout pouvoir comprendre lautre dans le
sens le plus strict. Mme quand les conditions sont optimales et que les deux personnes
sont de la mme culture dorigine et quils parlent la mme langue, il peut aussi y avoir
des problmes de comprhension, de rfrences, etc. De plus, nimporte laquelle des deux
personnes peut penser avoir compris ce que lautre essayait de lui dire et se tromper
totalement. Mais bon, personne na dit que ce serait facile. Finalement aucun de ces
aspects nest contrlable, ni garanti de succs, mme si les conditions optimales sont
mises en place. Daprs nous, cest dans ce sens que lapproche de Gadamer ressemble
plus une thique relationnelle quune mthode.
Malgr cela, il faut tout de mme remettre les choses en perspectives et tenter de
confronter la vision que lon pourrait qualifier dhermneutique dialogique ses
principales failles. Vu que cette tche est norme, nous ne prtendrons videmment pas
nous attaquer chacune delles. Cependant, une de celles-ci nous parait urgente et
absolument ncessaire dans la contemplation de la thorie dhermneutique dialogique du
travail ethnologique. Mme que lune ne devrait jamais tre considre sans lautre: les
relations de pouvoirs et linfluence de lidologie. Comment peut-on aspirer une
pistmologie dialogique lorsquil existe toujours des relations de pouvoirs vidents entre
lanthropologue et linformateur ou mme dans toute autre relation communicationnelle
humaine? Que faire alors des idologies invisibles aux participants? Cest lessence
mme du dbat entre Gadamer et Habermas.
13
Tout dabord, valuons plus en profondeur les bases de ce que Habermas a dfendu
pendant son dbat lgendaire avec Gadamer: lapport de la thorie critique. lpoque de
lEurope de lentre-deux guerre, des philosophes continuaient dexplorer la nouvelle
possibilit qui leur tait prsente avec larrive de Quine (Van Orman Quine 1980): le
positivisme ntait pas garant de lobjectivit et du sens. Cest dans ce contexte quest
ne lcole de Francfort en Allemagne dans les annes 1920. Cette cole est une tiquette
qui sert reprer lvnement de la cration de lInstitut de Recherche Sociale en
Allemagne dans les annes 1920 (le commencement), un projet scientifique (intitul
philosophie sociale) et une dmarche appele thorie critique (Fabian 1990). Lcole
avait comme but de dmasquer lillusion positiviste des sciences par la rflexivit que
permettait la thorie critique : the reflectiveness of critical theory was supposed to
unmask what the Frankfurt School considered to be the positivist illusion afflicting
traditional theories (such as the natural sciences), namely that theory is just the correct
miroring of an independant realm of fact (Assoun 2001: 19). Plus prcisment lcole
de Francfort tait davis que: the facts and our theories are part of an ongoing dynamic
historical process in which the way we view the world (theoretically or otherwise) and
the way the world is reciprocally determine each other (Finlayson 2005: 3). Cette vision
de la comprhension du monde a t la marque de commerce de Theodor Adorno et Max
Horkheimer, les deux penseurs les plus associs lcole de Francfort.
Ce qui les diffrencie des autres dtracteurs du positivisme cest leur attachement au
marxisme. En effet leur thorie critique, tait pousse par un projet de philosophie
sociale. Cela veut dire que cette thorie a comme base philosophique que les humains ne
peuvent atteindre le bonheur que par lmancipation de loppression de lHomme envers
les hommes dans la socit (ibid). Le but de la thorie critique est donc de nature sociale
et entend donner aux hommes les conditions ncessaires pour leur mancipation qui les
dirigeront ventuellement vers le bonheur. Comme Marx et Engel, Adorno et Horkheimer
ne prescrivaient pas une mancipation lente et graduelle, mais radicale et brusque.
Cependant, leur attachement au marxisme est complexe et doit tre dtaill.
14
Effectivement, la thorie critique doit beaucoup au marxisme, mais elle ne peut y tre
attach troitement pour quelques raisons. La premire est quils voulaient se dtacher
dun marxisme partisan prsent dans les annes 1930 (Tar 1977: vii). La deuxime, et la
plus importante, est quils voulait dpasser lide de critique de la domination
conomique de Marx et Engel. Selon Horkheimer et Adorno, la domination va bien audel de lconomique, elle se trouve partout incluant de manire internalise dans la
raison des hommes par les dominateurs. Lmancipation que revendique la thorie
critique stend la conscience des hommes. Elle ne sarrte plus seulement combattre
le fascisme (comme le marxisme), mais doit aussi inclure toute sorte de domination,
internalise ou non. La domination de lhomme se trouve dans la raison (dans une
perspective de critique du positivisme), mais aussi dans technologie (comme lment de
domination de la nature par lhomme), le gouvernement, le capitalisme et plusieurs autres
choses. Le combat contre la domination internalise de la raison trouve son point
dancrage dans les observations que Adorno et Horkheimer ont fait de la socit
amricaine pendant la Deuxime Guerre mondiale. Ils voyaient celle-ci comme une
socit fondamentalement irrationnelle qui on avait impos une structure rationnelle
dans un but capitaliste ou dautres types de domination. Cest ce quils ont appel la
raison instrumentale:
these giant monopolistic corporations exerted subtle techniques of
manipulation and control which had the effect of making people
accept and even affirm a social system that, behind their backs,
thwarted and suppressed their fundamental interests [...] the 20th
century social world is the result of the actions of human beings,
whose faculty of reason has been atrophied to a mere calculus of the
most efficient means to a given end. Domination and mastery are
very close cousins of rationality (Bottomore 2002: 7)
Pour eux, la raison est donc au centre de la domination. Cest exactement ce prcepte que
Adorno et Horkheimer ont dfendu dans leur clbre Dialectics of enlightnment o ils
expliquent quil existe deux sortes de raison: la raison instrumentale (aufklarng2) et la
raison menant lmancipation (Horkheimer et Adorno 1989). Et cest dans ces prceptes
2 Aufklarung tant le mot allemand pour le german enlightnment ou les Lumires allemande. La
thorie critique fait un lien entre le enlightnment et la raison, ce qui sera plus tard lobjet dune
critique dHabermas.
15
que la thorie critique deviendra trs pessimiste3. En effet, Adorno et Horkheimer en sont
ensuite venus la conclusion que la seule manire de se sortir de cette domination tait
un retour vers la nature plus primitive, o la domination de lhomme envers la nature et
envers les autres hommes ne serait plus la rgle (Finlayson 2005: 8). Cependant, les deux
hommes taient conscients quun retour un monde sans technologie tait impossible, la
raison instrumentale tant compltement intgre dans la raison de lhomme. Autrement
dit, Horkheimer et Adorno pensaient que la raison instrumentale, la technologie, la
domination, taient tellement imbriques dans notre raison quelle tait devenue une
entit autonome. Il ntait donc plus possible pour lhumain de sen sortir, leur pouvoir
tant irrvocable (Tar 1985: xii). La fin du positivisme dans la perspective de la thorie
critique a donc fait ressortir, partir dune critique nomarxiste, que les donnes
primaires (sense data) ne sont pas des vrits, mais que ceux-ci sont toujours interprts.
Cette interprtation passe par un mdium, le langage, qui est notre lien au monde
extrieur. La connaissance, la science, nest pas infaillible. Cest dans ce contexte que
Jurgen Habermas, bref assistant de Thodor Adorno entre dans le dcor.
Ladjonction dHabermas lcole de Francfort nest pas toujours accepte par les
spcialistes de la question. Bien quil ait t lassistant dun des membres fondateurs 4, il
na pas tudi avec ceux-ci ni ntait au courant des travaux fondateurs de lcole que
bien aprs son travail dassistant nait termin (Finlayson 2005: 4). De plus, il est plus
connu comme ayant critiqu la thorie critique dHorkheimer et dAdorno que comme
layant endoss. Cest pour cela que plusieurs le situe dans une deuxime (et dernire)
gnration de lcole (Finlayson 2005: 1), alors que dautres le situent comme un hritier
(Mendelson 1979: 45). Cest dans lvolution de sa pense que tient la cl de cette
histoire puisque Habermas est lun de ces philosophes auxquels on attribue un
changement radical entre le dbut de sa carrire scientifique et la fin de celle-ci (early
and latter Habermas). Le premier travail reconnu dHabermas, Structural
transformation of the public sphere, tait une critique plutt constructive de la thorie
critique de ses mentors. Celle-ci voulait garder les principes de philosophie sociale de
3 Un bon exemple est le chapitre de La dialectique de la raison intitull : The Culture Industry:
Enlightenment as Mass Deception
4 Theodor Adorno
16
lcole de Francfort, ainsi que son interdisciplinarit et son immanent criticism, ou une
critique qui vient de lintrieur ou rflexive (Bouchindhomme 1986: 9). La critique
dHabermas repose sur le pessimisme de Horkheimer et Adorno. Il veut essayer, tout en
gardant la variable de la domination, de trouver un modle dinstitution qui permet
lmancipation: Si lon voulait conserver la puissance dune thorie critique de la
domination, il fallait aussi se doter dune vritable thorie de lmancipation possible,
qui ne sassimilerait pas une utopie historiciste (Finlayson 2005: 8). Habermas a donc
pris comme tche de faire une dmarche rflexive de la socit (qui inclut aussi la
bourgeoisie) et a trouv que ctait lespace public qui tait bourr didologie et quil
fallait len librer pour quelle revienne un lieu dmancipation. Mais peu aprs, ayant
redcouvert les crits marxistes et les ayant tudis, Habermas dcidera de reprendre tout
zro: en ayant cette fois pour objectif de dterminer positivement lidal dune
communication non dforme, cest--dire de poser la forme stable dune Raison
communicationnelle (Bouchindhomme 1986: 12). Cest ce quil tentera de faire avec sa
thorie de lactivit communicationnelle.
Nous nirons pas plus loin dans les thories dHabermas, principalement parce quil ne
serait pas chronologiquement vrai de le faire. En effet, Habermas a crit la plupart de ses
ouvrages importants dans les annes 1980 et 1990. Mais bien avant cela, entre la fin des
annes 1960 et le dbut des annes 1970, Habermas a particip un dbat qui allait
changer sa perspective thorique et pistmologique. Cest ce dbat avec Gadamer qui,
selon plusieurs, contribuera a former sa fameuse thorie de lagir communicationnelle ou
encore son opinion sur lthique dans la communication. Cest de ce dbat que nous
traiterons ici et qui contribuera mettre en relation la thorie apparemment dtache de
Gadamer la ralit dHabermas.
17
tre la donne la plus importance: le dbat quont eu les deux hommes sur lidologie, le
pouvoir et lEnglightment. Nous choisissons cet angle parce que celui-ci explique la
vision de Gadamer sur la rsistance et sur la relation entre la prise de conscience et la
libert. De plus, cest la critique la plus vidente la vision pouvant paratre nave de
Gadamer. Avant dentrer dans ce sujet, pour bien comprendre le dbat, nous devons
dabord le contextualiser.
Dabord, il faut savoir que Gadamer et Habermas ont tous les deux enseign Heidelberg
en Allemagne de 1961 1964. Apparemment, les deux hommes se connaissaient
personnellement et Habermas semble avoir t immerg dans lhermneutique de
Gadamer (Aguirre Oraa 1998: 191). Or, Habermas avait quelques problmes de fond
avec la thorie de son collgue malgr son accord avec une bonne partie de son oeuvre.
la fin des annes 1960, Habermas publie donc un article dans lequel il critique le fait que
Gadamer laisse de ct la mthode scientifique dans latteinte dune objectivit:
Habermas took exeption to what he regarded as his [Gadamer] obdurate refusal to
appreciate the role of scientific method in achievement of objective understanding
(Ingram 1980: 18). Pour lui, cette mthode est le seul moyen de se librer de loppression
des idologies. Sa critique est clairement inspire de thorie critique de ses prdcesseurs,
notamment de lEnglightment, o il faut se librer de toute attache idologique pour
penser atteindre la vrit.
Plus prcisment, Habermas reprochait Gadamer son obstination voir le prjug et la
tradition (ce que Gadamer tente de rhabiliter dans Vrit et Mthode) comme non
idologique (Habermas 1970: 143-147). Autrement dit, Habermas dfend que la tradition
et les prjugs soient des vhicules de lidologie et quils ne devraient pas servir la
comprhension, au contraire, ils doivent tre vacus si on veut penser atteindre la vrit.
Ainsi Habermas affirme que la seule manire de supprimer lidologie dans la culture et
le langage est par lutilisation dune: special method of depth-interpretation
(explanation-understanding) modelled on a psychoanalysis (Ingram 1980: 19). Or,
quelques mois plus tard, Gadamer rcrit un article en rponse la critique de Habermas
maintenant publi en anglais dans Philosophical Hermeneutics. Dans larticle, Gadamer
18
constate que la critique de Habermas est articule sous deux hypothses sous-jacentes. La
premire est que le langage peut tomber sous un contrle hgmonique de classe qui
empche lesprit non entran de dceler lidologie. La deuxime est que le contrle
idologique de certaines forces sur le langage (tat/pouvoir/matrialisme, etc.) efface le
pouvoir dialogique de celui-ci. En dautres mots, un vrai dialogue ne peut pas avoir lieu
si on ne dcouvre pas avant toutes les idologies qui le teinte (Gadamer 1967 ; Ingram
1980: 20). Ceci inclut videmment non seulement les idologies de classes, mais tous les
prjugs, la culture, la tradition, etc. Gadamer se dfend de ces accusations par deux
contre arguments. Ceux-ci nous renseignent sur les dtails de la thorie de Gadamer, mais
nous donnent aussi une autre perspective sur la thorie critique de Habermas. Le premier
argument concerne lautorit versus lidologie selon Gadamer, et le deuxime concerne
luniversalit de lhermneutique. Nous tenterons de les expliquer le plus clairement
possible malgr leur complexit.
Reprenons dabord le premier. En rsum, Habermas est davis que la vraie
comprhension nest pas possible si elle est teinte de quelque idologie que ce soit.
Gadamer rpond Habermas que cette vision donne un faux pouvoir dmancipation la
rflexion, outil que prescrit Habermas inspir par la mthode psychanalytique pour
dceler les idologies. Selon Gadamer, il serait possible de vraiment comprendre et
dinterprter quelque chose sans tre conscient du processus. Il pose la question: But
does this mean that we understand only when we see through pretexts or unmask false
pretention?. Il rpond la ngative en prcisant que: reflection is not always and
unavoidably a step toward dissolving prior convictions (Gadamer 1967: 32-33).
Gadamer continue en disant que le problme du discours de Habermas est quil confond
idologie et autorit. Il dfend, au contraire, quil est tout fait possible de reconnatre
lautorit sans ncessairement laccepter sans penser (naturalisation):
Authority is not always wrong [...] Certainly I would grant that
authority exercises an essential dogmatic power in innumerable
forms of domination: from the ordering of education and the
mandatory commands of the army and government all the way
to hierarchy of power created by political forces or fanatics.
Now the mere outer appearance of obedience rendered to
19
qui a sans doute caus le plus de controverse. Il a t critiqu non seulement pas
Harbermas, mais aussi par Derrida puisquil suppose, dune certaine manire, quil est
possible de tout comprendre ou que toute comprhension peut tre transform en des
termes langagiers (rappelons que Gadamer, se basant sur Humbolt, associe directement
langage et pense): une universalit plus rigoureuse semblait se trouver, pour lun, dans
la critique des idologies, pour lautre dans la dconstruction, mais les deux options
avaient en commun de mettre en cause lintelligibilit donne au nom dun
questionnement critique portant sur les conditions plus ou moins refoules (Habermas
et Derrida sinspirant tous deux du vocabulaire de la psychanalyse) de lintelligibilit
(Grondin 2000: 470).
Le dbat entre Gadamer et Habermas se continua dans larticle La prtention
luniversalit des sciences humaines de Habermas. Cependant, nous ne continuerons pas
lexplorer. Nous pensons avoir tabli lessentiel du dbat dans les derniers paragraphes
et cest ce qui nous permettra davancer dans notre argumentaire. Il est cependant
important de dire que lapproche de Habermas, travers son contact avec Gadamer, sest
rvle de plus en plus hermneutique. Par exemple, son expos sur la comprhension du
sens dans les sciences sociales dans Thorie de lagir communicationnel ont,
lvidence, des rfrences profondment gadamrienne (Aguirre Oraa 1998: 238), tout en
gardant une saveur critique. Il parat vident que bien que les deux hommes se soient
influencs lun lautre, leur tradition respective (lune dans base dans le no-marxisme
et lautre dans lhermneutique romantique) ne permet pas une vision partage.
Cependant, les derniers textes de chacun semblent dessiner une vritable entente sur des
questions de fond. Ces dbats ont inspir plusieurs chercheurs philosophes comme
Ricoeur (1973, 1986, 1997), Karl-Otto Apel (2010) ou Wellmer (1974), mais aussi
plusieurs anthropologues comme Geertz (1977), Ulin (1984) ou Rabinow.
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Geertz est probablement le plus connu. Cest surtout dans son The interpretation of
culture (Geertz 1977) et son fameux article Deep Play: Notes on the Balinese Cockfight
(Geertz 1972) quon remarque sa tendance pour les rgles de linterprtation. Pour lui, il
ne sagit pas de de trouver les lois gnrales dune socit, mais bien dexpliciter et
dinterprter le sens des actions et des discours (Geertz 1977: 11). Il est possible de
considrer Geertz comme un hritier du tournant linguistique surtout dans ses ides
dinterprtations de la culture, de voir la culture comme un texte avec qui on doit
interagir, etc. Cependant, nous ne le classons pas dans les hritiers de Gadamer comme
Ricoeur ou Fabian. Bien quil considre les principes dinterprtation de lhermneutique,
sa conception du savoir anthropologique passe plus par un texte que par le mdium du
langage dans la pratique de terrain. Il est dailleurs clbre pour son ide de regarder pardessus lpaule de son informateur. Cependant, il est important de se rappeler que les
travaux de Geertz taient essentiellement une raction au courant modernisme, au
structuro-fonctionnalisme et aux Manilowski de ce monde. Le contexte historique dans
lequel il a bti son pistmologie est donc probablement grandement influence du but de
se dtacher dune tradition quil pensait dpasse. Son attachement/dtachement de ce qui
caractrise le tournant linguistique en anthropologie est complexe et son explication
pourrait constituer un autre essai portant exclusivement sur le sujet. Son interprtation
des symboles, des significations et du rle du langage est diffrente de celle de Gadamer
et de Fabian, mais se rapproche de celle de Ricoeur (qui refuse, au contraire de Gadamer,
les prmices de Humbolt sur la relation entre langage et pense). Daprs nous, il fait
moins appel ceux qui portent ces sens que les sens eux-mmes. Pourtant, il est souvent
associ lutilisation de Gadamer en anthropologie, nous pensons donc ncessaire de
clarifier que bien quil utilise Gadamer, notamment lide du cercle hermneutique, nous
ne le classons pas dans les hritiers hermneutiques du tournant linguistique en
anthropologie.
part Fabian, cest lanthropologue Robert C. Ulin qui semble tre le plus prs de
lpistmologie hrite du tournant linguistique comme nous lavons prsent. Dans son
plus clbre ouvrage, Understanding cultures (Ulin 1984), Ulin affirme que la rationalit,
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lobjectivit, passe par le langage. Ce langage, pour tre compris, doit tre interprt. Il
considre dailleurs lanthropologie comme la discipline des sciences sociales la plus
proche du langage. Il commence dailleurs en critiquant Peter Winch, philosophe de
tradition no-wittgensteinienne anglais, qui sinspire de la thorie des language games
o chaque contexte (culturel ou autre) aurait ses rgles langagires qui permettent de
comprendre ce que les autres disent. Par exemple, des joueurs dchecs ne peuvent pas
jouer le jeu sans savoir les rgles. Winch ajoute la thorie de Wittgenstein quil est aussi
ncessaire de savoir dans quel contexte telle rgle sapplique dans dautres contextes o il
est socialement accept (ou mme socialement prescrit) de ne pas suivre les rgles. La
critique de Ulin est que la vision de Winch (et corolairement de Wittgenstein) laisse
croire que lanthropologue devrait laisser son propre systme de rgle (et donc de sens),
pour adopter celui de lautre. Or, cela enlverait la notion historique et dialectique de la
rencontre entre lanthropologue et lAutre. De plus, il prtend que cela efface aussi les
dynamiques de force conomique, politique et sociale entre les deux membres prenant
part la conversation. Il argumente que cest avec Gadamer, qui rintroduit la notion de
tradition tout en gardant la possibilit dun vrai dialogue, qui peut combler le manque
laiss par Winch. Sauf que Winch critique Gadamer en lui reprochant que la notion de
dialectique de Gadamer nest que thorique, voire normative. Pour lui: critical
anthropology must therefore not be satisfied with a hermeneutics of the life-world of
tradition but must be able to penetrate, by means of reflection, the density of social life to
reveal the ideology embedded in a normative structure of society (Ulin 1984: 105).
Autrement dit, Ulin fait une critique semblable celle de Habermas en disant que la
thorie de Gadamer ne permet pas de distinguer les prtentions qui sont ou ne sont pas
bases sur un consensus normatif ou idologique.
Pour combler les manques de la thorie de Gadamer, il fait appel lhermneutique de la
suspicion de Ricoeur (qui sinspire notamment de Marx, Freud et Nietszche). Avec
laddition de Ricoeur son parcours pistmologique, Ulin cherche exposer ce qui est
cach dans un discours par la smiotic method. Cependant, il critique aussi Ricoeur
puisque sa thorie non plus, comme celle de Gadamer, ne prend pas en compte les
contengencies of the knowing subject. Selon Ulin, ne pas prendre en compte ces
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contengencies revient penser quil est possible de comprendre quelque chose hors des
conditions sociales dingalit, et donc serait aussi positiviste que lapproche scientifique.
Autrement dit: hermeneutics operate with a concept of tradition and communicative
interaction that presupposes reciprocity between interlocutors (Ulin 1984: 127). Par ce
processus de critique, Ulin a comme but de dvelopper (ou de situer) une thorie de la
comprhension qui est non seulement critique face ces ingalits, mais aussi
mancipatoire de celle-ci. Nous voyons donc clairement lattachement de Ulin la
thorie critique en anthropologie. Nous pensons, comme nous lavons dit prcdemment,
que les rpercussions pistmologiques du tournant linguistique en anthropologie
devraient toujours tre considres en dialogue avec la thorie critique pour compenser
les lacunes de la thorie hermneutique philosophique pour que le tournant soit
applicable au travail anthropologique.
Pour arriver au rsultat recherch, Ulin utilise la combinaison de 2 analyses marxistes
diffrentes en dialogue avec lhermneutique de Gadamer. Lune comble les lacunes de
lautre. La premire analyse marxiste est celle de lcole marxiste structuraliste que
Ulin rfre Messailloux, Godelier et Hirst (des sociologues anglais de tradition
dAlthusser, philosophe marxiste franais): the structuralist-marxist way is previleging
the system over process and structure over intersubjectivity, and the primacy of the logic
of production in the construction of a social formation (Ulin 1984: 148). La deuxime
analyse quil prconise est celle de lcole historical-culturalist alternative qui est un
dveloppement dune mthodologie historique lintrieur dun cadre thorique
marxiste. Finalement, cette combinaison entre marxismes, thorie critique et
hermneutique fait ressortir que:
the social scientist must not only grasp hermeneutically
the cultural determinations that are expressed through lived social
interactions but must also be careful not to overlook the possible
constraints to which social relations are subject. As we have seen,
the question of exploitation and domination is complicated by the
fact that those who are subject to its injustices can also contribute
to its reproduction (Ulin 1984: 153)
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Conclusion
Au dbut de ce texte, nous nous tions donn comme but de situer les rpercussions
pistmologiques du tournant linguistique en ethnologie. Pour ce faire, aprs avoir
identifi Fabian comme meneur de bal du courant, nous avons entrepris didentifier ses
inspirations qui nous ont dmontr les liens entre le tournant linguistique et la
philosophie. Le centre de largumentation a t sur la philosophie hermneutique de
Gadamer, puis sa relation avec celle de Habermas, en terminant avec ltude de quelques
chercheurs stant inspirs de cette base thorique. Nous avons trouv que des notions de
collaboration, de dialogue, despace temporel et dintersubjectivit taient les
rpercussions les plus flagrantes du courant. Or, il est vite devenu vident que la vision
hermneutique-critique (si on peut lappeler ainsi), bien quinspirante, ne pourrait jamais
devenir un courant dominant comme dautres lont t auparavant. Cependant, nous
pensons que ltude de celui-ci amne au moins une chose: le retour du balancier aprs la
rupture intense de la crise des reprsentations. Autrement dit, ce courant montre bien que
le temps de crise est pass (mais pas oublie) dans notre contexte historique actuel. Le
calme semble revenir aprs la tempte en offrant une plus grande varit de positions
nuance, interdisciplinaire et moins motionnelle. Ceci a de nombreuses consquences. Il
est maintenant possible et ncessaire de faire une rappropriation de la notion de culture
en anthropologie, bizarrement notion assez malaime, mais aussi de revoir la place de
lidologie et de lpistmologie aprs ces annes mouvementes.
Cest dailleurs ces notions qui nous intressent le plus dans cet expos. En effet, nous
pensons quelles offrent dtudier le contexte du Qubec contemporain dans sa relation
avec les nouveaux arrivants dune nouvelle manire. Ce qui est intressant, cest de
trouver les traces de culture comme idologie dans ce dbat dactualit et sans
ncessairement le faire sur une base fondamentalement critique. Ce qui est intressant est
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dutiliser la thorie critique comme expose dans cet essai pour soulever et comprendre le
systme idologique dans les problmes Qubois actuels avec limmigration nouvelle,
mais de ne pas faire de la critique lobjectif final. En effet, nous pensons quil serait
intressant dutiliser ce courant en le combinant des notions de prjugs positifs, de
rflexivit par rapport ses propres idologies, dans un but de complexifier la vision de
Qubcois par rapport leur propre culture. Ce sera langle que nous prendrons dans nos
travaux produits ultrieurement.
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