AUDOUZE, F. Le Geste Et La Parole Revisité.
AUDOUZE, F. Le Geste Et La Parole Revisité.
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Franoise AuoouzE*
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Cet article doit normment aux travaux de Bernard Stiegler qui, le premier, a offert une lecture clairante
du Ceste et fa parole (Stiegler 1992a, 1994). Il dri ve d' une prsenta tion plus brve au sein d' un articl e
consacr aux volumes d' volution et techniques et du Ceste et fa parole et destin un public anglophone, par aimable autorisation des diteurs Kluwers Academic/ Plenum publi shers.
LORS
93
Franoise AUDOUZE
l.
Le temps long
de Leroi-Gourhan
couvre des dizaines
de mi llnaires et atteint
le million d'annes;
i 1ne correspond donc pas
au temps long de Braudel
qui couvre
quelques sicles.
l'origine, ni le temps
historique ni l'histoire
n' intressent Leroi-Gourhan
qui les considre comme
non pertinents pour l'tude
des techniques o le rle
des individus est nglig
au profit du milieu
intrieur et du milieu
technique, des savoirs
et de la mentalit collective,
plus dterminants
que les individus
(Leroi-Gourhan
1945a/1973, p. 40 sqq.).
Comme le dit G. GuilleEscuret : il sait situer
l' une (l'volution)
mais pas l'autre (l'histoire)
(1994, p. 298). Fortement
sollicit pour intervenir
dans les dbats
sur les frontires
disciplinaires qui font rage
des annes 1930 1950,
il rpond du bout des lvres
ou de la plume,
pour ne pas se fa ire accuser
d'liminer une discipline
alors en plein essor
intellectuel et acadmique
(Ga ucher ce volume).
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2.
Lero i-Gourhan
fait rfrence
Teilhard
de Chardin
pas moi ns
de 6 fo is alors
que son matre
M auss n'a
le droit qu'
une mention,
associ
Durkheim
et quelques
lignes plus loin
Levy-Strauss
qu' il critique
to us troi s pour
avoir totalement
subordonn
le technique
au social.
M ais il le cite le
plus souvent
sous une forme
adjective :
ph ilosophie,
pense
tei lhardienne,
ce qui lui vite
de donner une
rfrence
bibliographique.
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Franoise AUDOUZE
1996). C'est galement une rflexion sur l'volution du vivant mais aussi
sur le dveloppement des socits y compris leur futur. Leroi-Gourhan
entend crer un cadre thorique au sein duquel analyser le dveloppement
humain en continuit avec le monde animal (Akrich 1994, p. 112). Il veut
montrer comment la culture s'articule avec la nature et il s'intresse avant
tout aux relations, aux connexions et aux liens beaucoup plus qu'aux stades
volutifs, aux catgories ou aux niveaux - aux relations entre gestes, outils
et langage, entre technique, mmoire et socit. La dmonstration de la
continuit entre le domaine du biologique et le domaine du social et la
recherche des interactions entre les deux par l'intermdiaire de la technique
apparaissent comme des constantes dans sa pense. Mais son refus de toute
discussion pistmologique, l'insertion de ses concepts au sein de descriptions rend sa lecture difficile en dpit de la clart de son expression.
96
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3.
On est loin
de la conception nuance
offerte par les travaux
rcents d'ric Boda,
impliquant
des rinventions
des bifaces
en plusieurs endroits
de la plante
des moments diffrents,
et les changements subtils
qu'on peut constater
dans leur forme
et leur fonction (Soriano
2000, Boda 1997).
Toutefois cela n'est pas
totalement contradictoire.
Encore une fo is,
i 1 faut apprcier
quelle chelle de temps
et de dtail se situent
l'une et l'autre.
97
Franoise AUDOUZE
en conclut que : On pourrait dire que dans une large mesure, chez les
Archanthropes, l'outil reste une manation directe du comportement spcifique [...] La technicit chez l'homme pendant la plus grande dure chronologique relverait donc plus directement de la zoologie que de toute autre
science. (Leroi-Gourhan 1964a, p. 140).
La situation change avec les Palanthropes (Prnandertaliens et
Nandertaliens). Leroi-Gourhan leur attribue une intelligence technique en
raison de la diversification et de la spcialisation des outils, et de l' anticipation que leur faonnage requiert. Il les dote aussi d'intelligence symbolique en raison del' existence de spultures et de proccupations esthtiques
qu'il a mises en vidence dans les niveaux moustriens d'Arcy-sur-Cure.
Fidle sa mthode, il se retourne alors vers des arguments anatomiques et
recherche des preuves parallles del' mergence du langage dans le dveloppement de l'ventail cortical du cerveau. Le langage des Anthropiens
antrieurs l' Homo sapiens semble donc apparatre en liaison troite avec la
motricit technique, liaison si troite qu'empruntant les mmes voies crbrales, les deux principaux caractres anthropiens pourraient ne relever que
d'un seul phnomne. (Leroi-Gourhan 1964a, p. 165)
B. Stiegler a bien mis en vidence les contradictions induites par ces
propositions: si le comportement technique n'est plus gntique, le dveloppement des outils ne peut plus tre considr comme quasi zoologique comme Leroi-Gourhan l'affirme dans plusieurs passages (LeroiGourhan 1964a, p. 134 et 140). Il n'explique pas ce saut qualitatif que
Stiegler dnomme la seconde origine (Stiegler 1992, p. 169). Ce dernier a propos, il y a quelques annes, de rsoudre cette contradiction en
reconnaissant dans ce processus un processus piphylogntique, o
l'volution des outils agit en feed-back sur la dtermination du processus
cortical. Il agirait en influenant le processus de mutations slectives
parce qu' la diffrence de la vie non artificielle, l'industrie lithique est
conserve dans sa forme au-del des individus qui l'ont produite ou
utilise (Stiegler 1992, p. 28).
Revenant Homo sapiens sapiens, Leroi-Gourhan identifie trois tendances majeures, savoir un accroissement constant en efficacit, diversit,
et spcialisation. Dans un exemple devenu fameux dans les cercles prhistoriques, il a rapport sur un graphique la longueur du tranchant au
poids des outils en silex bord coupant. Ce rapport ne cesse de s'accrotre
au cours du temps paralllement au volume du cerveau. Une fois encore,
Leroi-Gourhan fut impressionn par ce parallle entre le dbut de l' volution technique et l'volution biologique. Ce graphique a t srieusement
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Franoise AUDOUZE
4.
G . Gu ille-Escuret
a trs bien montr
comment cette proposition
audacieuse est suivie
d'un retrait plus conforme
au paradigme du temps
(1994, p. 161-163 ).
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langage, la premire volue beaucoup plus vite et de faon incontrle. Pour Guille-Escuret, il est clair qu'il recule parce qu'il se range
au paradigme dominant l'poque les sciences sociales et psychologiques (1994).
Comme prcdemment, il procde en associant les oprations
mentales et manuelles qui sont profondment enracines dans les
proprits biologiques des mammifres. Ici la motricit et les
rythmes qui conduisent trs tt, ds le Palolithique suprieur, au
graphisme en relation avec un premier niveau de pense symbolique
associe aux premiers mythes (Leroi-Gourhan 1964a, 261-267).
I.:espace est conu comme rayonnant partir de soi. Les premires
traces de gravures (et de cannelures) sur del' os ou de la pierre refltent ce stade5 . Leroi-Gourhan trouve une autre preuve de son hypothse dans l'organisation topographique du cortex crbral dans
lequel les aires de la motricit et de la parole sont contigus et fonctionnent ensemble partir d' Homo sapiens sapiens et ce qui a pour
consquence le dveloppement conjoint du matriel et du verbal
(Leroi-Gourhan 1964a, p. 124-128) 6 .
Du langage, Andr Leroi-Gourhan passe l'criture qui en est une
extriorisation et en cherche l'origine dans le graphisme selon sa
mthode qui consiste ouvrir le plus largement le champ d'investigation et le relier au biologique. Le graphisme qui donc est l' origine del' art et del' criture est inscrit dans le corps de l'homme grce
aux rythmes. Ce sont d'abord des rythmes biologiques qui
s'expriment dans le corps (respiration, battements de cur) puis des
rythmes volontaires (chants et danses). Ils sont ultrieurement extrioriss dans la musique par exemple. Le progrs de la motricit de la
main associe l'volution du langage et de la pense vers la pense
rflexive et rationnelle conduit l'criture. Celle-ci implique un
rtrcissement du mode de raisonnement qui cesse d'tre rayonnant
pour devenir linaire et rationnel, stade que Leroi-Gourhan associe
l'agriculture et la sdentarit. Pour lui, l'criture fait partie du
milieu technique des agriculteurs. Elle apparat en mme temps que
se dveloppent leur croissante technicit, leur motricit et leur quipement (poterie et tablettes), en parallle avec le stockage et leurs
besoins de dcomptes. Ce dveloppement correspond aussi l' apparition d'un symbolisme trs diffrent de celui des chasseurs-cueilleurs
(Leroi-Gourhan 1964a, p. 275 sqq.). I.:criture apparat aussi comme
une forme d'extriorisation de la mmoire.
5.
Il va sans dire
que cette
dernire
observation perd
de sa pertinence
en raison
de la dcouverte
de la grotte
Chauvet dont
les peintures
aurignaciennes
ne sont pas
que l'expression
de rythmes
graphiques.
Mais elle
continue
de s'appliquer
aux premires
gravures
aurignaciennes
du Prigord
et de Charente.
Et il n'est pas
interdit
de penser que
l'art de Chauvet
n'est pas n
ex nihilo
et q u'il a t
prcd d'un art
n plus l'est
ou hors des
grottes, dont
nous ne savons
encore rien.
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6.
Il est intressant de noter
que cette jonction
des deux aires corticales,
considres comme
des modules au dpart
indpendants,
a t utilise
beauoup plus rcemment
par le prhistorien anglais
Steve Mithen
pour expliquer
la rvolution
du Palolithique suprieur
(Mithen 1996).
101
Franoise AUDOUZE
Une programmatologie
Cette programmatologie , comme la dnomme B. Stiegler qui a crit
les pages les plus clairantes sur cet aspect de l' uvre de Leroi-Gourhan
(Stiegler l 992b, p. 31-36 ), a t l'objet d'une attention renouvele de la part
des philosophes des techniques et a influenc, entre autres, Jacques Derrida
(Derrida 1967).
La mmoire
Leroi-Gourhan considre la mmoire comme un ensemble de programmes composs de squences opratoires utilises de faon diffrente
selon le type de mmoire active. Il distingue trois types de mmoires superposes, une mmoire spcifique ou gntique prsente chez tous les tres
vivants, qui se forme par exprience dans des canaux gntiques troits prspcialiss par l'espce et dont les programmes sont activs par le systme
nerveux central en fonction d'impulsions physiologiques et de stimuli
externes. La seconde mmoire est la mmoire individuelle qui accumule
des programmes faonns par l'exprience et l'ducation. Chez l'homme,
elle est totalement canalise par les connaissances dont le langage assure
dans chaque communaut ethnique la conservation et la transmission. Avec
ce savoir, l'individu accde un troisime type de mmoire: une mmoire
virtuelle qui est la mmoire sociale ou ethnique et qui appartient en entier
au groupe ethnique dont il est membre. Selon le type de comportement
opratoire, l'individu active l'une ou l'autre de ces trois mmoires: les comportements biologiques lis sa nature biologique font appel sa mmoire
gntique. Ce sont essentiellement des comportements alimentaires et
sexuels. Un second niveau de comportement, machinal, est li aux chanes
opratoires acquises par l'ducation et l'exprience, mais qui se droulent
dans un mode semi-automatique (brosser ses dents, mettre ses habits ... ) et
ne requirent pas toute son attention. Mais ds qu'un incident se produit,
le comportement semi-automatique est remplac par un comportement
lucide qui introduit une confrontation entre la situation prsente et l' exprience. Le troisime niveau est le comportement lucide dans lequel le langage joue un rle prpondrant (Leroi-Gourhan 1965a, p. 22-27 et 64). Il
intervient dans l'ajustement entre chanes machinales successives, dans les
situations accidentelles et permet les ajustements et les rparations et par
suite les innovations. Les chanes opratoires machinales constituent le
fonds du comportement individuel commun aux membres d'une mme
ethnie. Elles sont transmises au sein du groupe familial ou des groupes de
102
L'extriorisation de Foutil
Prenant la suite de la libration de la main, ce sont l'outil et le geste qui
sont peu peu extrioriss en une libration si pousse dans les socits
actuelles qu'elle atteint non seulement l'outil mais le geste dans la machine,
la mmoire des oprations dans la mcanique automatique, la programmation dans l'appareillage lectronique (Leroi-Gourhan 1965a, p. 36). On
passe de la main en motricit directe des premiers Anthropiens la main en
motricit indirecte avec les premires machines manuelles, puis au transfert
du processus moteur dans les machines animales ou automotrices comme
les moulins. Au dernier stade, la main ne fait plus, aujourd'hui, que dclencher un processus programm. Cvolution attaque un nouveau palier, celui
del' extriorisation du cerveau et du point de vue strictement technologique,
la mutation est dj faite. (Leroi-Gourhan l 965a, p. 58)
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L'extriorisation de la mmoire
Avec l'volution de la mmoire, l'humanit connat une double extriorisation. Lune est le transfert de larges segments du savoir de l'individu vers
la mmoire sociale ou ethnique. Cautre est l'inscription de la mmoire sur
des supports extrieurs son corps et de plus en plus performants. La
mmoires' est d'abord transmise oralement puis elle a t fixe par l'criture.
Les bibliothques ont ensuite t cres pour conserver la mmoire crite
puis les dictionnaires et les catalogues ont eu pour but de s'orienter au sein
de cette trop vaste quantit d'informations. Le XJXe sicle voit la mmoire se
fixer en fichiers et index qui connaissent un dbut de mcanisation avec les
fiches perfores. Leroi-Gourhan observe la parent de ce dernier systme
avec le m tier tisser Jacquard et note qu'en dpit de la parent de leur structure, celui-l a mis prs d'un sicle apparatre. Une nouvelle tape est franchie avec l'apparition de l'informatique et de l'intelligence artificielle dont
la mmoire augmente chaque anne de faon exponentielle. Cette tape
implique non seulement la mmoire mais aussi une partie de l'intelligence
rflexive humaine (c'est--dire une autre dimension de l'extriorisation).
103
Franoise AUDOUZE
Symbolisme et esthtique
7.
Le style et la fonction
o nt fait l'objet de dbats
sans fin entre ethnologues
et entre prhistoriens
dans une opposition
style versus fonction,
puis un peu plus tard,
avec le style comme
expression de l' identit
(en particulier travaux
de L. Bi nford, F. Bordes,
J. Sackett, P. Lemonnier,
P. Wiessner, M. Wobst).
104
niveau technique, le niveau social auquel il ajoute un niveau figuratif, ce dernier faisant rfrence l'image intellectuelle, reflet symbolique de l'ensemble des tissus de sensibilit (Leroi-Gourhan 1965a, p. 83). Les valeurs
esthtiques physiologiques sont profondment enracines chez les tres
vivants par la symtrie et les rythmes. l:esthtique fonctionnelle est prsente
dans toutes les productions humaines telles que les outils ou les instruments,
et correspond un vritable dterminisme mcanique, li aux lois de la
matire, la recherche d'une adquation de la forme la fonction. Les reprsentations, figuratives ou non, tmoignent d'une esthtique rflexive (LeroiGourhan 1965a, p. 123-134).
Pour effectuer son analyse ethnomorphologique des reprsentations
artistiques, Leroi-Gourhan introduit plusieurs catgories analytiques : le
mode d'expression (du gomtrique au figuratif analytique), les contours
des formes (des contours lmentaires aux ornementations exubrantes), la
composition (incluant la perspective, la rpartition spatiale et le mouvement) et la construction (le cadrage et l'usage d'intervalles crateurs de
rythmes). Leroi-Gourhan a appliqu cette mthode d'analyse des statuettes africaines puis gravettiennes. Il a ainsi pu montrer que ces figurines
taient construites en fonction d'intervalles rpts, dont la longueur tait
lie la largeur de l'herminette utilise sur le bois ou la taille de la main.
Mais il a en mme temps pu montrer que le choix des intervalles et la faon
dont ils se recouvraient, dpendaient du style del' ethnie qui les produisait.
Il tait donc possible d'isoler des caractristiques ethno-stylistiques qu'on
peut qualifier de superstructures (Leroi-Gourhan 1970).
Cet exemple montre clairement quel point, pour lui, les productions
artistiques sont d'abord dtermines par des contraintes matrielles et
techniques et, seulement ensuite, par le style ethnique l'intrieur des
marges troites imposes par les exigences fonctionnelles. On se trouve ici
nouveau devant un de ces paradoxes dus l'volution de sa pense : tantt
le style est une superstructure reposant sur l'infrastructure des contraintes
matrielles, tantt il est cette expression englobante qui imprime sa marque
tous les aspects culturels d'un groupe humain.
Par la suite, il tablit un lien entre esthtique et symbolisme au cours de
quelques pages trs clairantes, o il dmontre par exemple que l'esthtique
des vtements trouve sa source dans la symbolique et que le rle symbolique
du vtement est au moins aussi important que sa fonction (en tmoignent
par exemple les vtements japonais fminins si peu pratiques pour la vie
courante mais qui rendent compte des situations sociales, des saisons, etc.)
(Leroi-Gourhan 1965a, p. 188-195, Leroi-Gourhan 1946a).
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105
Franoise
8.
On parle en gnral
de la matrise
de l'espace et du temps
mais c'est justement
l'originalit
de Leroi-Gourhan
de montrer
qu' une libration
au niveau du groupe
socio-ethnique
n'est pas synonyme
de libration
pour l' individu,
bien au contraire.
AUDOUZE
Dans un dernier largissement, les chapitres suivants sont consacrs aux symboles sociaux. Leroi-Gourhan y montre l'insertion de la
symbolique des socits dans leur espace, dans leurs villes, microcosmes reprsentatifs de leur macrocosme et rejoint l les gographes
avec qui il a collabor au dbut de sa carrire (e. g. BrunhesDelamarre). Plus important, il largit ensuite son propos la libration de l'espace et du temps 8, mettant en vidence nouveau les processus qu'il met en jeu depuis le dbut de son ouvrage. De l'espace
itinrant des chasseurs-cueilleurs l'espace rayonnant des agriculteurs, puis l'espace mesur en temps de dplacement de l'homme moderne, le bouleversement le plus important [est] celui qui fait
passer l'homme dans un cadre d'intgration spatiale individuellement plantaire (Leroi-Gourhan 1965a, p. 181).
Dans cette dernire partie, Leroi-Gourhan introduit son analyse
del' art prhistorique auquel il est en train de consacrer sa Prhistoire
de L'art occidental, publie la mme anne (Leroi-Gourhan 1965 b) . Il
n'est pas lieu d'en discuter ici puisque deux articles de ce volume
(Sauver et Delluc) abordent la question.
Modernit de Leroi-Gourhan
Lorsque !'on relit Le geste et La parole, on reste frapp par le
contraste entre le relatif archasme des passages consacrs la
palontologie et la capacit de prospective induite par les lignes de
force que sont les processus de libration et d'extriorisation.
propos de la mmoire conue comme ensemble de programmes et
de son extriorisation, de l'avnement d' un macro-organisme social,
de la position de l'individu dans le groupe socio-ethnique, de la libration de l'espace et du temps, de !'puisement futur des ressources
nergtiques, la pense d'Andr Leroi-Gourhan reste, quarante ans
aprs la publication du Geste et La parole, d'une tonnante actualit,
qu'elle s'exprime dans des termes recevables aujourd'hui ou dans des
expressions idiosyncratiques comme la mga-ethnie ou le macroorganisme social.
Laccroissement exponentiel des capacits de mmoire des ordinateurs et leur extriorisation, dans des supports externes, l'attention
porte l'intelligence artificielle et aux systmes experts tmoignent
de la pertinence de la tendance l'extriorisation de la mmoire et de
l'intelligence mise en vidence par Leroi-Gourhan.
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