Theorie de L'enonciation
Theorie de L'enonciation
Theorie de L'enonciation
eorie de l
enonciation comme aide `
a la
structuration des connaissances et `
a la construction du
sens en d
ebut dapprentissage de langlais
Audin Line
CM2 et de 6e 1. Les scores, trs faibles, restent dsesprment stables, surtout dans les
exercices portant sur la segmentation des noncs, lidentification du sujet ou la rfrence
une tierce personne. Comment effectuer en LE les oprations de segmentation et
didentification indispensables la production et la comprhension compte tenu du peu
doccasions qua llve dtre confront la langue cible (au mieux deux sances
hebdomadaires en CM2), compte tenu aussi du peu dcrit quil rencontre ? Faute de repres
fiables reposant sur des connaissances morphosyntaxiques et grammaticales, il na pas les
moyens deffectuer seul un dcoupage pertinent pour comprendre ce quil entend.
De mme lorsquil veut dire quelque chose de personnel en LE. Sil ne dispose pas de
lexpression dont il a besoin dans le stock quil sest constitu, il revient en gnral au mot
mot et il tente de calquer son nonc sur lnonc franais correspondant. Cette dmarche le
conduit le plus souvent lchec du fait de lcart entre le fonctionnement de la LE et celui de
la langue maternelle (LM). On sest aperu que plus cet cart est grand, plus les faits de
langue identifis comme obstacles ncessitent un traitement didactique spcifique2.
Lexprimentation de squences pdagogiques innovantes avec des lves de neuf onze ans
montrent que la dcouverte du fonctionnement de la LM, puis de la LE facilitent le
dveloppement des comptences discursives dans les deux langues. Ces travaux ont fait
lobjet pour langlais dune publication spcialement destine aux enseignants3.
2.2. Franais, langue trangre : des obstacles inattendus
Cependant, les erreurs nouvelles que nous observons maintenant chez les lves de 6e
semblent remettre en question le clivage LE/LM, comme si la perte de sens des marqueurs de
la langue affectait autant le franais que la LE. Mme lorsque les structures du franais et de
langlais sont proches, le paralllisme entre les deux langues naide pas llve construire
son nonc correctement. Dans une lettre sa correspondante anglaise, une lve de 6me
crit : *In you dog? pour demander As-tu un chien? . premire vue, la confusion entre
la prposition in et le verbe have peut paratre saugrenue. En fait, in avait t vu rcemment
en classe dans lexpression I live in Paris, jhabite Paris . Pour cette lve francophone,
prposition et as , 3e personne du verbe avoir ne font quun puisquils
correspondent une seule forme phonique, /a/. Comment pourrait-elle retrouver llment
dont elle besoin en anglais pour exprimer la possession puisquen franais, elle na pas
identifi /a / comme lexpression dune possession ? Ce type de confusions, indcelable
loral, ne gne pas laccs au sens tant quil sagit de la LM. Mais il en va tout autrement
lorsquil sagit de se faire comprendre en LE.
2.3. Langue et ralit : des relations lucider
La capacit naviguer entre le plan de la langue (les marqueurs) et celui de la ralit (les
valeurs qui leur sont associes) est suppose acquise, et de ce fait, elle nest jamais pose
comme objet denseignement, ni en cours danglais, ni de franais. Or lexemple ci-dessus
illustre toute la complexit des relations quentretiennent langue et ralit, complexit
gnralement matrise loral en LM, mais qui engendre des confusions inextricables
lorsquon passe la LE ou lcrit en LM. Qui plus est, la confusion qui rsulte de la
superposition des deux plans est involontairement entretenue par la situation scolaire.
Lenseignant de langue se place tantt sur lun tantt sur lautre plan et suppose que les lves
sont avec lui. Une partie dentre eux le suivent lempchant ainsi de se rendre compte que les
Pour plus de dtails sur lvaluation INRP, cf.
Audin L., 2003, Lapprentissage dune langue trangre
lcole primaire : quel(s) enseignement(s) en tirer ? in Les Langues Modernes, n3, p 10-19
2
cf. Luc 1992
3
cf. Audin 2005
1
autres nont pas compris quil y existe deux plans : la ralit et la langue. Ceux-l dcrochent
trs vite, mais le cours continue fonctionner sur un malentendu didactique.
Par exemple, lorsque le professeur de LE met en place des activits destines favoriser les
transferts de structures, il est du ct de la langue. Il pense que, progressivement, force de
pratique, llve sera capable de produire seul I dont like tennis partir de I dont understand
German. Or le transfert suppose que llve a les pr-requis qui lui permettent de mettre like
et understand dans une mme catgorie grammaticale, les verbes. Encore faut-il quil ait
compris que le professeur est du ct de la langue. Mais certains lves like, nvoque que la
notion d amour , lacte daimer. Ils sont rests dans le monde de la ralit, et dans ce
monde, quel rapport pourraient-il trouver entre like, understand ou encore sleep que
lenseignant svertue pourtant regrouper ? Aucun. Ils veulent bien pour lui faire plaisir les
appeler verbes, mais au fond, cette catgorisation, non intriorise, ne leur sert rien.
Quil sagisse de LM ou de LE, comment concevoir la langue comme objet dtude, comment
utiliser du mtalangage, parler de grammaire, si la distinction entre langue et ralit nest pas
opratoire ? Il est manifeste que ces blocages nous renvoient lactivit langagire
proprement dite, aux relations complexes entre linguistique (le monde de la langue) et
extralinguistique (le rel ). Sans mdiation spcifique, les automatismes cognitifs tels que
les relations langue-ralit, ralit-langue ne se mettent pas en place, les lves qui ont du mal
accder au symbolisme de la langue restent bloqus dans la ralit , dans lincapacit
doprer le va-et-vient ncessaire entre les deux mondes.
Ces constats rpts, non dmentis par les observations et les valuations successives nous ont
convaincus de lurgence laborer des contenus conceptuels transdisciplinaires pouvant aider
les lves surmonter cet obstacle, contenus penss non plus en fonction de la seule langue
trangre, mais aussi en fonction de leur pertinence pour le franais.
3. De la thorie linguistique
Il nous est apparu que la thorie des oprations nonciatives dAntoine Culioli ouvrait des
perspectives didactiques intressantes. La langue y est apprhende travers les noncs, le
texte (crit ou oral). Les noncs sont la manifestation matrielle, physique de lactivit
mentale signifiante du sujet nonciateur qui construit la ralit quil veut faire partager
linterlocuteur. Le co-nonciateur son tour reconstruit sa propre ralit partir de ce quil
entend et des paramtres de la situation dnonciation. Une communication russie suppose
lajustement progressif des ralits respectives de chacun, ce qui nest pas chose facile.
Selon ce modle, toute proposition (monde de la langue), mme complexe en surface, est une
mise en relation dlments qui renvoient des notions primitives (monde de la ralit). Il est
alors possible davancer lhypothse que le fait de savoir retrouver la relation ordonne entre
ces lments essentiels pourra faciliter laccs au sens, ds les dbuts de lapprentissage.
3.1. Une relation primitive ordonne entre des notions
La construction dun nonc suppose la mise en uvre doprations mentales qui suivent un
certain ordre : relations primitives, prdicatives, nonciatives.
A. Culioli pose dabord la relation entre des notions primitives. La notion suppose des
proprits communes partages par une communaut1. Tout individu apprhende et dcoupe
1
- objectif cognitif : une proposition, quelle que soit la langue, quelle que soit sa complexit,
quel quen soit le registre, peut tre ramene la mise en relation dlments essentiels qui
renvoient des notions dans la ralit
- objectif linguistique : organisation syntaxique de la phrase active
- objectif disciplinaire : reprage du sujet grammatical dans un nonc actif et de sa rfrence
extralinguistique, (critres de reprage du groupe sujet dans chaque langue et identification de
ce quil dsigne dans la ralit).
4.2.2. Stratgie didactique : ARB, passerelle entre le rel et la langue
Une valuation crite pralable portant sur le reprage de phrases qui ont le mme sens
lintrieur dune mme langue dune part (le franais), et dune langue lautre dautre part
(franais / anglais), avait montr que les lves traitent tout nonc (anglais ou franais)
comme une succession ordonne de mots (de gauche droite, un mot aprs lautre) sans
traiter les relations quils entretiennent les uns avec les autres.
Nous avons donc introduit un espace intermdiaire entre langue et ralit, un plan abstrait
supplmentaire, que nous nommons ARB. Cet espace facilite laccs au sens en faisant
merger la relation fondamentale qui rgit toute proposition, la relation prdicative.
Lorsque nous sommes dans ARB nous ne sommes plus dans le monde de la ralit, mais nous
ne sommes pas encore vraiment dans le monde de la langue. Cest un plan intermdiaire entre
la ralit et la langue, comme un sas qui permet de prparer le passage vers lun ou lautre
monde. Grce ARB, llve peut naviguer entre la ralit et la langue chaque fois quil en a
besoin. Pour comprendre, il part du monde de la langue et il remonte vers la ralit.
Inversement, pour sexprimer, il part du monde de la ralit et descend dans la langue.
Dans les deux cas, impossible de rater le monde du ARB.
partir du ARB, il peut identifier les lments essentiels de la relation prdicative (noyau du
groupe sujet, verbe et ventuellement son complment essentiel), leur nature et leur place
dans lnonc. Les trois places correspondent aux notions essentielles qui sont voques dans
la ralit et elles sont remplies (instancies) en fonction de ce quon veut voquer dans la
ralit :
A = ce qui est lorigine de la relation, ce qui dsigne propos de qui ou de quoi on
parle.
R = le relateur (dans la langue, un verbe sens plein ou le mta-oprateur tre de mise
en relation), qui permet de mettre en relation llment A avec llment B.
B = qui est en relation serre avec R (parfois absent dans lnonc de surface selon les
langues, de type attribut ou complment essentiel)1
Le passage par ARB lui permet de choisir et dordonner les lments essentiels de sa relation
prdicative. Il visualise mentalement la scne et isole les lments essentiels de la ralit quil
veut faire partager son interlocuteur : CHAT BOIRE LAIT. Muni de son ARB, il peut
alors accder au monde de la langue en tant qunonciateur et construire son systme de
reprages en fonction de la situation nonciative (MOI-ICI-MAINTENANT) et des
contraintes morphosyntaxiques de la langue cible : Ya le chat qui a bu tout son lait ! ,
The cat drank up his milk , etc.
Notons que les trois lments de la relation ne sont pas forcment prsents dans lnonc de surface.
Pour des raisons pdagogiques, on garde la marque du pluriel sur le nom, qui facilite ensuite les accords sujetverbe lors du passage dans la langue.
2
ce stade on travaille uniquement sur des phrases actives.
marqueurs de la langue qui leur correspondent. Ainsi pour parler de MOI, le pronom I qui
instancie la place de A est physiquement spar de am, vitant ainsi lassociation
systmatique Im, si difficile dconstruire une fois quelle est installe : *Im like, Im think
Pour construire une phrase en anglais, le ARB peut sexprimer en franais ou en anglais selon
leur degr de familiarit avec la langue trangre. Cela na pas dimportance puisqu ce
stade, on exprime des notions. Tout en vitant les piges du calque avec le franais, les lves
prennent conscience de lorganisation syntaxique trs diffrente du franais et de langlais. Le
franais parl autorise des liberts syntaxiques que langlais ne permet pas. Lors du passage
dans la langue, ils acceptent plus volontiers dhabiller leur ARB en respectant les rgles
propres la langue quils utilisent Si, au lieu de partir de la phrase franaise quil a dans la
tte (Les pommes, moi, jadore a!), llve pose le ARB qui correspond la ralit quil
veut exprimer, son nonc anglais a toutes les chances dtre syntaxiquement correct: MOIAIMER-POMMES (I-LIKE-APPLES).
I - LIKE - APPLES I like apples
I - LIKE - APPLES I dont like apples
YOU LIKE/LIKE - APPLES Do you like apples?
En effet, langlais est trs proche du A R B : schma syntaxique des phrases actives
correspondant lordre du ARB, absence de marque de conjugaison sauf la 3e personne du
singulier, absence de marque visible de dterminant (MUSIC, APPLES). Ds que
lnonciateur simplique un peu plus dans son nonc, en sloignant de la relation
notionnelle, soit parce quil la nie, soit parce quil la met en question, le R revt un indice
(LIKE ou LIKE/ LIKE) qui correspond une marque dans la langue : lauxiliaire do . Trs
vite, les lves dcouvrent que lauxiliaire varie en fonction des dterminations apportes par
la situations dnonciation (prise en charge temporelle, aspectuelle, modale), mais ils sont
prts accepter sa prsence.
5. Un dispositif exprimental en 6e : Rflchir et agir avec la langue
Pour juger de la validit de ce modle didactique, il fallait se donner les moyens dvaluer la
fois les conditions de sa mise en uvre effective sur le plan institutionnel (insertion dans le
cadre scolaire franais actuel, cohrence avec les programmes et les objectifs disciplinaires) et
les effets sur les apprentissages. Un dispositif pdagogique exprimental adoss la recherche
a permis de tester la faisabilit et lefficacit du systme sur le court terme (une sance), le
moyen terme (une squence) ou le long terme (une anne scolaire).
Ce dispositif existe depuis septembre 2005 sur plusieurs classes de 6e. Un travail systmatique
et identique est effectu dans deux collges sociologiquement trs contrasts : un collge du
19e arrondissement de Paris relevant de lducation prioritaire et un excellent collge du
centre de Lyon. Une fois par semaine ou par quinzaine selon les situations locales, les lves
bnficient dune sance spcifique intitule Rflchir et agir avec la langue . Ces sances
sont indpendantes des cours de franais ou danglais, mais elles sont conduites
conjointement par les professeurs danglais et de franais de la classe et les contenus de
langue retenus sont toujours en prise avec les programmes des deux disciplines.
Les squences alternent activits individuelles, collectives ou en groupes (manipulation
dtiquettes, de symboles, posters, dessin, dbats grammaticaux, ). Langue trangre et
franais ont le mme statut mme si cest le franais qui sert aux changes. Les lves sont
prvenus des rgles de fonctionnement, ils doivent tre capables de formuler les objectifs
viss chaque sance. Celles-ci se terminent dailleurs par une valuation crite immdiate et
un court bilan personnel.
Le croisement des donnes recueillies par diffrents canaux1 permet dvaluer limpact du
dispositif tant sur le plan individuel que sur le groupe classe. Outre l'intrt manifest par les
lves, ceux qui sont en situation d'chec scolaire comme les bons lves, ces indicateurs
(externes la recherche ou non) attestent du rle positif jou par ces squences du point de
vue de la structuration des connaissances et de leur mise en cohrence. Ils soulignent tous
limpact positif sur les acquis des lves long terme (savoirs/savoir-faire gnraux,
mthodologiques et disciplinaires)2. Les enseignants de franais et danglais sont
rgulirement surpris des transferts spontans oprs par les lves entre outils conceptuels et
contenus disciplinaires. Ils reconnaissent que ces outils conceptuels et les dmarches qui les
accompagnent sont trs utiles pour permettre certains lves (pas forcment les plus faibles)
datteindre autrement les objectifs disciplinaires requis par les programmes.
Conclusion
un moment o dbats et controverses sur les missions de lcole vont bon train, il importe
de dvelopper des recherches en didactique qui travaillent llaboration doutils
pdagogiques qui aident llve construire et organiser sa pense et sa parole et qui
facilitent le travail de lenseignant. Le ARB rpond ces exigences. Outil innovant, coconstruit dans le va-et-vient continuel entre thorie linguistique et mise lpreuve du terrain,
il devient un savoir commun, partag par les enseignants et leurs lves, un savoir transfrable
dune discipline lautre, dune langue lautre, dune classe lautre.
Lexprimentation Rflchir et agir avec la langue se poursuit et slargit. Lorientation
transdisciplinaire du projet et la convergence didactique de certains concepts explors ont
permis dintgrer une nouvelle discipline scolaire, les mathmatiques. Les premiers travaux
communs sur les valeurs de tre , la notion de relateur et de mise en relation, semblent
prometteurs.
Bibliographie
AUDIN L., 2008, Langues trangres l'cole primaire: recherches INRP 1998-2003 &
2005-2007, in Psycholinguistique et Didactique des langues trangres, Groupe dtudes en
Psycholinguistique et Didactique, Chini D. et Goutraux P. (d.), Cahier de recherches n2,
2008, Ophrys, pp143-154
AUDIN L. (coord.), 2005, Enseigner langlais de lcole au collge : comment aborder les
principaux obstacles lapprentissage, Hatier, collection Hatier-pdagogie, 275 p.
AUDIN L., LIGOZAT M.-A., LUC C., 1999, Enseignement des langues vivantes au CM2,
INRP, 59 p.
BAILLY D., 1998, Didactique de langlais vol. 1 & 2, Nathan
Citons ple-mle le suivi individuel dlves, les entretiens et questionnaires, lanalyse des prises de parole des
lves pendant les sances filmes, les bilans personnels et les fiches dvaluation, la tenue du cahier projet,
lvolution sur lanne des rsultats scolaires individuels et de la classe, la comparaison des rsultats aux devoirs
communs de 6e, lcart entre les rsultats des tests en dbut et en fin danne,
2
Le bilan 2007-08 de lexprimentation nationale article 34 pour lacadmie de Paris est disponible ladresse
suivante: <http://eurouault.lautre.net/spip/spip.php?rubrique9>
1
BLONDIN C., CANDELIER M., EDELENBOS P., JOHNSTONE R., KUBANEKGERMAN A. & TAESCHNER T., 1998, Les langues trangres ds lcole primaire ou
maternelle : quels rsultats, quelles conditions ? Bruxelles : De Boeck
BOUSCAREN J., MOULIN M., ODIN H., 1996, Pratique raisonne de la langue, initiation
une grammaire de lnonciation pour ltude et lenseignement de langlais, Ophrys, 255 p.
BOUSCAREN J., 1991, Linguistique anglaise. Initiation une grammaire de l'nonciation.,
Paris, Ophrys, 131 p.
CULIOLI A., 1990, Pour une linguistique de l'nonciation. Tomes I, II, III, Paris, Ophrys,
300p.
GAUTHIER A., 1983, Oprations nonciatives et apprentissage d'une langue trangre. Paris,
Numro spcial, 542 p.
LUC C., 1992a, Approche d'une langue trangre l'cole. Vol. 1 : Perspectives sur
l'apprentissage, Paris, INRP, 104 p.
10