Bouderbala N. - La Formation Du Système Foncier Au Maroc - 133-134++
Bouderbala N. - La Formation Du Système Foncier Au Maroc - 133-134++
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1.
BOUDERBALA
Le rgime juridique de la terre au Maroc prsente une extraordinaire diversit de statuts. Selon les auteurs, le nombre et la dnomination changent: A. Mesurer (1) en dnombre 8 dont 7 indignes >: Terres mortes, terres melk, terres collectives des tribus,
terres makhzen, terres 19Uich, terres des tribus de naiba, bien
habous > et une moderne terres immatricules >. Paul Decroux (2)
en cite 8: terres immatricules, habous, droits coutumiers musulm.:"ns, terres collectives, guich, terres situes l'intrieur des pri~etres d'irrigation, bien de familles, lotissements etc... Paul Pascon
Signale l'existence de 7 statuts principaux et de 27 sous-statuts (1).
Cette profusion a plusieurs raisons:
La premire est d'ordre terminologique: c'est l'abus du concept
de Siatut foncier >. II faudrait rserver ce terme la dsignation
d'Un individu juridique > dfini par un rgime cohrent:
- nature du droit de proprit (individuel-collectif, priv-public,
droit minent-jouissance)
- rgime de l'exploitation
- dlimitation
- enregistrement etc...
- dvolution successorale etc...
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mentation de la dvolution successorale (Rabous priv), un dmembrement de la proprit i(droit de 19Za), quelques restrictions apportes au rgime de la proprit prive melk (bien de famille, lotissements), une procdure d'enregistrement et de dlimitation de la proprit (l'immatriculation)? Seules semblent constituer des statuts, les
terres collectives, les terres melk, les terres domaniales, les autres
rgimes :l> ne constituant que des dispositions partielles, des cas particuliers de ces 3 grandes catgories. La question reste videmment
creuser...
La deuxime raison suggre par Paul Decroux (1), est la
diversit des sources du droit foncier marocain, relevant de systmes
juridiques - je dirais de socits - diffrentes. Il y a chevauchements, imbrications, superpositions de dispositions partielles du orf,
du chra et du Code Civil franais. Par exemple la procdure de
l'immatriculation peut se superposer pratiquement tous les autres
rgimes (melk, collectif, domaniaL). Autre exemple: le rgime successoral suit le statut personnel: une proprit prive, immatricule
ou non, selon qu'elle appartienne un juif, un musulman ou un
tranger sera rgie par le droit des successions hbraque, musulman ou franais.
Une troisime raison nous fait quitter le droit pour le fait:
la diversit et la complexit des rgimes fonciers est lie, bien sr,
l'volution et la combinaison de modes de production. Un survol
rapide de l'histoire foncire conduirait lier la proprit collective
un MP tribal, berbre, prislamique; prsenter la proprit priv(
melk comme cration de l'islam et convergence de la rsistance d'un
MP patriarcal et de l'mergence d'une proprit individuelle citadine;
identifier l'apparition et l'extension du domaine de l'Etat c Makhzen >
avec la consolid.ation de l'Etat centralis et enfin dater l'apparition de la proprit cadastre capitaliste ~ de l'arrive des gom.
tres de la colonisation. Ce serait une vue beaucoup trop schmatique:
Les pasteurs arabes connaissaient la proprit tribale avant leur arrive
au Maghreb et les sdentaires berbres la proprit prive avanl
l'installation des Romains (2). Le domaine foncier de l'Etat n'est pa
apparu avec l'Islam: les principes berbres le constiturent, selo'
toute vraisemblance, comme domaine royal ~, sur les terres enle
ves aux Puniques (1). Ouant Rome, ce domaine O'ager publicm
(1) Droit Foncier Marocain Rabat. 1972.
(2) Ch. A. Julien: Histoire de l'Afrique du Nord.
(3) Massinissa laisse ses 44 ou 45 fils un domaine de "lus de 40000 t
(Ch. A. Julien), op. cit.
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f~t l'lment central de sa politique de colonisation et de sa politIque agraire. Enfin le cadastre n'tait pas inconnu avant les modernes services topographiques. Jacques Berque (4) rappelle que la
photo arienne rvle dans certaines valles irrigues du Haut Atlas
une savante et trs ancienne cadastration en alvoles de roches, et
en Tunisie le gomtrique quadrillage de la cadastration romaine qui
couvre tout le territoire et ordonne jusqu' aujourd'hui l'espace: villes, communications et mme parcellaire.
.
On le voit, on ne saurait trop se garder de simplifier. Chaque
Institution foncire s'est historiquement constitue par une combinaiSon complexe de dterminations. Le rgime actuel de la terre plonge
donc de profondes racines dans l'histoire de la socit rurale et la
connaissance de la formation historique du systme foncier marocain
est une des conditions de sa transformation par une rforme agraire.
Dne connaissance utile du systme foncier devra donc rendre compte
de sa formation dans ses relations avec la succession, la combinaison, la composition des MP. Ce que nous savons ne nous permet
pas encore de le faire avec quelque rigueur.
--
de
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voisins. La terre n'est pas rare: elle est la tribu pour autant que
la tribu a des hommes pour l'occuper et qu'elle n'a pas rencontr
d'autres groupes plus puissants dans son expansion. Cette ralit
mouvante fait, bien sr, obstacle l'apparition de limites foncires
nettes. Pendant toute cette priode, l'abondance relative de terre met
le rgime foncier davantage sous la dpendance du milieu physique
et moins sous celle des rapports sociaux: Jacques Berque traduit
cela en parlant de droit cologique :) (1).
2.2. Avec l'Islam sur un fonds de pratiques anciennes, qui, pour
l'essentiel, se maintiennent ou se transforment lentement, se superposent des institutions nouvelles; la greffe prend quelques sicles mais
il faut bien user ici du raccourci.
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(2)
r.ede1ttent. volution
d~. oelIle
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tectorat un dbat qui n'a jamais rellement cess, entre les partisans
d'une colonisation sauvage libre de toute entrave juridique et ceux
d'une installation plus soucieuse de l'avenir long terme et donc,
subordonnant les accaparements au maintien de l'ordre ') dans les
campagnes. En fait c'est une solution de compromis qui est adopte:
D'une part, un dispostif de protection des terres indignes , est
mis en face (protection des terres de tribu, lgislation sur le bien
de famille ' mais d'autre part de larges possibilits sont ouvertes
l'acquisition par des Europens, non seulement titre priv sur le
melk mais galement sur les terres collectives. L'article 10 du dahir
du 27 avril 1919 sur les terres collectives est une remarquable illustration de ce compromis: La proprit des terres collectives ne
peut tre acquise que par l'Etat, cette acquisition ne peut avoir lieu
qu'en vue de crer des primtres de colonisation ,.
Le fonds des terres de colonisation se constitue sur des domaines
divers: Avant mme l'tablissement du protectorat, achats dans le
Maroc du Nord-Ouest par l'intermdiaire de la procdure de la c protection >, de la Convention de Madrid (3 juillet 1880) de l'acte
d'Algsiras (7 avril 1906) imposs par les puissances europennes.
Ds l'tablissement du protectorat, une intense activit lgislative ouvre des voies lgales l'installation des colons. L'Etat du
protectorat reprenant son compte la thorie du domaine minent,
et des terres de conqute, reconstitue et tend le domaine Makhzen,
restaure et consolide la tutelle sur les terres de tribus et sur les
terres constitues en habolls public, introduit la distinction entre
domaine public et domaine priv de l'Etat (1).
Les terres contrles par l'Etat colonial sont ainsi trs nombreuses: il installe des primtres de colonisation sur les terres
makhzen et sur les terres dites collectives , (2) (article 10 du dahir
du 27 avril 1919), permet l'installation permanente des colons sur
les terres collectives par le tour de passe-passe juridique des ali11Jltions perptuelles de jouissance, encourage les achats privs sur les
terres melk par l'octroi de langes crdits. Enfin il gnralise, au
bnfice quasi exclusif des acheteurs trangers la garantie de la proprit que constitue l'immatriculation >.
(1) Da?ir sur le Habous public (21 juillet 1913), l'immatriculation des prC)prIts foncires (12 aot 1913), le domaine public (1 er juillet 1914),
les terres collectives (27 avril 1919).
(2) Vd,0Ouir J. GadiUe, c La colonisation officielle au Maroc " in Cahiers
tre-Mer, oct.-dc., 1955.
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Cependant, le rythme de ces accaparements n'est pas uniformment acclr: command par les besoins de la mtropole, la conjoncture conomique, il reste toujours sous le contrle de l'Etat
colonial qui ne cesse d'arbitrer entre les apptits des colons et la
volont de contrle politique de la toute puissante direction des Affaires Indignes. Les premiers, par le canal de leurs influentes chambres d'Agriculture, obtiennent quand mme que le secteur colonial
atteigne la superficie notable du million d'hectares sur les meilleures
terres du pays et de multiples avantages et soutiens la production
agricole c: moderne :1>. La seconde obtient que des rserves foncires :1> soient conserves pour les collectivits, rserves soumises
la tutelle, toute puissante de l'administration, son. contrle politique incessant. L'adoption du statut des terres collectives en 1919
est bien le point de convergence de ces diffrents projets:
En premier lieu fixant au sol les tribus (1), les enfermant dans
les bornes de la dlimitation administrative, cette loi vient mettre
opportunment un terme leur divagation qui menace la scurit
de la proprit coloniale. Mais en mme temps, elle entoure ces
c rserves d'un cordon sanitaire juridique (inalinabilit, insaisissabilit, imprescriptibilit) dont l'effcacit se mesure, au moins, aux
campalgnes incessantes des colons contre la loi.
Quelle que soit l'ampleur des empitements, on peut dire que
la protection n'a pas t inoprante: 6 millions d'hectares de
c terres collectives ~ dont un million de terres de cultures n'ont
pas encore t dmembres en 1956.
Voil donc un des objectifs de cette lgislation: protger la
proprit coloniale en fixant les collectivits dans les limites strictes
mais en mme temps crer d'inexpugnables c: rserves :1> foncires pour
retenir la paysannerie la campagne et limiter l'xode rural et les
dangers de l'urbanisation.
En second lieu, les institutions cres en 1919 visent permettre
un contrle total des collectivits, poser littralement un verrou sur
la socit rurale de faon y prvenir la moindre vellit d'expression politique. N'oublions pas que le texte du 27 avril 1919 n'a pas
pour objet principal de dfinir le rgime de la proprit et de l'exploi(1) A. Mesureur, de faon significative, donne au dahir sur les terres collectives le titre suivant: c L'immobilisation de la proprit collective
aux mains des tribus ~, c La proprit foncire au Maroc ., Vuibert,
Paris 1921, p. 85.
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tation sur les terres des tribus mais d'organiser c: la tutelle administrative des collectivits indignes >. Ce n'est pas le lieu ici de dcrire
l'ampleur du pouvoir de tutelle, un bref aperu suffira. L'article 1er
donne le ton: c: Le droit de proprit des tribus... ne peut s'exercer
que sous la tutelle de l'Etat... c: La tutelle n'est pas exerce par une
administration technique (agriculture par exemple), mais par le c: directeur des Affaires Indignes et du service de renseignements ~ qui
devient, en 1937, le directeur des c: Affaires Politiques >. Le tuteur
a qualit pour prendre seul un certain nombre d'importantes mesures (le partage, par exemple: article 4) et la jma ne prend aucune
dcision sans son autorisation (location, alinnation de jouissance,
acquisition. utilisation des revenus, etc...).
Les collectivits, ternelles mineures, sont ainsi maintenues dans
un tat de dpendance totale. Le carcan qu'on leur impose et qu'on
prsente comme un respect de leurs usages immmoriaux n'est que
la copie fige et dforme de la coutume d'une tribu, les Bni Ahsen
du Rharb dont on arrte l'volution dans un texte rigide. TI vise
dtruire les groupements en tant qu'unit politique, dissoudre les
solidarits antrieures pour laisser l'individu seul face l'administration.
L'unit ethnique de l'espace est clate en terres de fractions,
de tribus, de douars. Les nouvelles frontires brisent les finages, les
complmentarits, soustraient les forts et les merjas l'usage collectif (1).
Enfin et surtout le protectorat franais tablit une sparation
dfinitive entre les collectivits comme personnes morales de droit
priv, propritaires et gestionnaires de biens (les petites jma des terres collectives) et les collectivits comme personnes morales de droit
public (les trop vastes communes rurales) assurant le fonctionnement
de services publics municipaux (voirie, souks, etc..). En enlevant ces
prrogatives de droit public aux t1 ibus et en les faisant exercer dans
un cadre trop vaste pour exprimer rellement les besoins des collectivits rurales.. l'autorit coloniale coupe court, l encore, tout possibilit d'expression politique. Le colonisateur espagnol, plus pragmatique, n'avait pas, quant lui, t jusque l: une srie de dahirs ('2)
(1) TI ne s'agit nuillement de regretter l'affaiblissement des formes ethnique8
d'organisation sociale et le dveloppement de formes plus territoriales
mais de constater cette volution et ses consquences sur l'organisation
<kls campagnes.
(2) Voir Sur ce point A. GUILLAUME, c: La proprit~ collective au Maroc ~,
Rabat 1960.
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~.
Paris 1962.
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~.
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On le voit, jusqu' ces deux dernires annes, le domaine colonial n'a gure t utilis massivement pour crer, par lotissement, un
large secteur d'exploitations familiales viables . Cependant, si les
ventes des Marocains privs contribuent la constitution d'un capitalisme agraire national de grandes fermes modernes ~, on peut
dire, d'aprs l'exemple du Rharb, que les consquences sont plus complexes: dans la rgion du Rharb, 10 % des acheteurs de tenes de
colons ont achet des proprits de plus de 100 ha et regroupent
60 % de la superficie rachete. Mais si l'on examine l'ensemble du
secteur, qui tait auparavant colonial et capitaliste 100 %, on s'aperoit que l'importance de la gl ande ferme capitaliste a diminu. Il
y a morcellement des grandes exploitations coloniales puisqu'entre
1963 et 1971, il Y a environ 300 acheteurs pour 100 vendeurs seulement et surtout que 25 % des acheteurs ont achet des lots de
moins de 5 ha!
Si l'on ajoute que 50 % des acheteurs ont acquis des lots de
5 20 ha, c'est--dire situs dans la catgorie moyenne d"exploitants entrant dans le cadie d'une stratlgie de type B.I.R.D., on voit
que l'installation d'un capitalisme agraire national s'est accompagne
d'une rgression dans l'esp.ace, de l'ex-secteur capitaliste colonial et
du renforcement d'une classe de moyens propritaires.
dclare
dans le Tadla: c L'action du rgne de S.M. Hassa:n II est fonde l'heure
actuelle et pour les 10 ans venir sur ne dveloppement de l'Agriculture >.
(2) La Banque estime qu'en dessous d'un taux de rentabilit interne de 10 %
les projets ne sont plus c conomiques )).
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