L'alimentation, Arme Du Genre
L'alimentation, Arme Du Genre
L'alimentation, Arme Du Genre
Tristan Fournier:Universit Toulouse Jean Jaurs, CNRS-UMR 5044 Centre dtude et de recherche Travail organisation pouvoir, CERTOP,
Toulouse
Courriel : [email protected]
Julie Jarty:Universit Toulouse Jean Jaurs, CNRS-UMR 5044 Centre dtude et de recherche Travail organisation pouvoir, CERTOP, Toulouse
Courriel :[email protected]
Nathalie Lapeyre:Universit Toulouse Jean Jaurs, CNRS-UMR 5044 Centre dtude et de recherche Travail organisation pouvoir, CERTOP,
Toulouse
Courriel : [email protected]
dfinie comme une diffrenciation sociale accompagne par une valuation morale diffrentielle
(Kelly, 1993 : 4). Lvaluation morale diffrentielle peut tre conceptualise comme projet et/ou
comme consquence du dispositif de diffrenciation. Si donc lingalit se confond avec la
diffrenciation, et si une diffrenciation sociale prtendument justifie par le sexe est exerce par
toutes les socits humaines, lingalit nest alors ni un fait alatoire ni un fait optionnel.
Lingalit est un fait structurel. Le genre est un dispositif dingalit sociale. Quest-ce dire ? Si
lingalit est un fait de structure si elle constitue une contrainte pour la pense dans le sens
o Claude Lvi-Strauss entendait ce concept il faut sattendre trouver des pratiques
ingalitaires dans tous les domaines de la ralit sociale. Le genre est un dispositif qui fabrique de
lingalit tous les tages. Cest l un modle scientifique fort que lpistmologie fministe a
fourni aux sciences sociales. Quel que soit le domaine dtude, et quelle que soit la socit tudie,
les chercheur-e-s doivent sattendre trouver sur leur terrain des reprsentations et des pratiques
ingalitaires genres (ceci est dailleurs un plonasme). Lalimentation nchappe pas cette
prdiction. Aussi ltude de lalimentation aurait-elle tout gagner intgrer la grille de lecture
fournie par le genre et les tudes sur le genre enrichiraient et renouvelleraient leurs cadres
danalyse en constituant lalimentation comme une entre majeure.
5Il serait cependant faux de dire que des tentatives nont jamais t faites pour nouer ce lien. En
1976, une quipe du CNRS intitule Anthropologie alimentaire diffrentielle est ainsi cre.
Runissant notamment ethnologues et anthropobiologistes, elle est la seule avoir eu une
perspective nutritionnelle non symboliste son agenda. Cette quipe proposait un cadre de
recherche vritablement programmatique : elle entendait mettre en relation disponibilit
alimentaire, usages alimentaires, consquences physiologiques, politiques identitaires et systmes
conomiques et religieux. Elle prvoyait de combiner le recueil de donnes qualitatives sur la culture matrielle (ethnobotanique, ethnozoologie, ethnophysiologie) autant quidelle telle que le
pratiquent les ethnologues avec celui de donnes quantitatives tel que pratiqu en
anthropomtrie nutritionnelle. Ce programme de recherche au croisement de lanthropologie
sociale et biologique possdait une porte heuristique unique et permettait dinterprter les usages
alimentaires diffrentiels la fois en rapport un contexte culturel donn et dans une perspective
comparative. Malgr quelques articles prometteurs, ce programme a cependant rat le train du
genre. Alors quil tait le seul soccuper dalimentation diffrentielle , les chercheur/euses de
lquipe ont nglig les perspectives en termes de domination masculine ouvertes par C.
Meillassoux (1975) ou M. Godelier (op. cit.) et ils et elles ont ignor les publications de
lpistmologie fministe matrialiste en France, en ethnologie et en sociologie, qui ont point
prcisment les questions poser lintersection du genre et de lalimentation. C. Delphy (1975)
dans un article intitul La fonction de consommation et la famille , argumentait sur la ncessit
dtudier la consommation diffrentielle entre hommes et femmes, que lon doit cesser, disait-elle,
de tenir pour galitaire a priori. Quelques annes plus tard, M. Ferrand posait la question Faut-il
nourrir les enfants ? (Ferrand, 1983) dans un texte qui montrait la continuit entre la
reproduction, sur laquelle se fonde lidologie de nature, et son extension durable et abusive dans
la figure de la mre nourricire. Cette assignation sociale concerne non seulement les enfants, mais
encore lensemble des membres de la famille tendue. Dans un article qui a fait date, N.-C. Mathieu
dplorait le manque dinformations donnes par les ethnologues sur une ventuelle alimentation
diffrentielle par sexe et appelait relier cette investigation un calcul prcis de la dpense
nergtique chez les hommes et les femmes (Mathieu, op. cit. : 187-189). C. Guillaumin, quant
elle, voquait trs prcisment, dans un chapitre de son ouvrage intitul Le corps construit , les
consquences de la nutrition diffrentielle sur la diffrenciation des corps (1992 : 122-123). Des
travaux de lquipe Anthropologie alimentaire diffrentielle , seuls ceux dI. De Garine faisaient
cas de saisissantes ingalits alimentaires entre femmes et hommes sur son terrain africain et
considraient les graves consquences quelles engendraient (De Garine & Koppert, 1991).
Dlaissant cependant les pistes du genre ouvertes par De Garine, lquipe a, par la suite, cess de
sintresser la dimension diffrentielle et ingalitaire de la consommation entre femmes et
hommes (Hladick, Bahuchet & De Garine, 1990). Plus tard, et dans le champ de lalimentation, des
jalons de rflexion sont de nouveau poss dans le travail collectif coordonn par A. Hubert (2004)
autour des pressions exerces sur les femmes dans les faons de manger et les faons de
penser . Des pressions qui sont galement mises en vidence par T. Fournier dans une analyse de
la normalisation de lassignation des femmes au travail de prparation de repas sains pour leurs
conjoints malades (op.cit.).
6Si ces perspectives demeurent toujours trs parses en France, des publications issues du monde
anglophone ont appel trs spcifiquement connecter les tudes sur le genre et les tudes sur
lalimentation (McLean, 2013). Depuis une vingtaine dannes, des travaux vritablement
programmatiques ont t publis au croisement de ces deux champs, au nombre desquels nous
citerons celui de lanthropologue de lalimentation Carole Counihan, laquelle on doit ces deux
ide-force : le contrle de la nourriture peut tre la plus grande arme de coercition, mais pour les
femmes, elle ne lest pas (Counihan, 1999 : 47). Dans le mme sens, Patricia Allen et Carolyn
Sachs thorisent mtaphoriquement les femmes comme enchanes lalimentation et soutiennent
que lalimentation enferme les femmes dans leur subordination (Allen & Sachs, 2012 : 36). Ces
auteures observent que les domaines qui permettent de relier les champs de recherche du genre et
de lalimentation ont t sous-tudis et nont pas t connects (ibid. : 23). Pour quun
croisement heuristique merge, expliquent-elles, la connexion entre le travail des femmes sur la
nourriture, la connexion avec le travail alimentaire des femmes sur le march du travail, leur
responsabilit du travail domestique reli la nourriture et leur relation avec le fait de manger doit
tre tudi et adquatement thoris (ibid : 23).
7Le prsent dossier, travers les diffrentes contributions reues, couvre au moins trois grands
domaines dinvestigation o se nouent de manire cardinale genre et alimentation : linstitution de
la division sexuelle du travail qui met les femmes en charge de la plus grande part du travail
alimentaire (seront envisages autant les reprsentations que les pratiques de cette division), les
pratiques de discrimination dans la consommation, et comment lalimentation contribue
constituer des corps et des consciences diffrenci-e-s (genrs). Certains articles connectent
parfois plusieurs domaines. Cependant chacun dentre eux prsente clairement une thmatique
principale, ceci justifiant la place quils occupent les uns par rapport aux autres dans le dossier.
Lalimentation merge bien comme une grille de lecture heuristique pour comprendre et
apprhender les diverses dynamiques ingalitaires du genre dans les socits des Nords et des Suds
contemporaines.
Lenjeu princeps : la division sexuelle[2] du travail
8La division sexuelle de la qute alimentaire est un topique de lanthropologie sociale. En effet
cette division concerne toutes les socits connues ayant vcu et vivant encore sur une conomie de
chasse, de cueillette et/ou dhorticulture. Les hommes chassent , les femmes plantent, cueillent,
ramassent, dterrent, cuisent et rendent la nourriture consommable. Cette division, avant LviStrauss qui le premier a commenc la conceptualiser comme un ordre social a fait lobjet de
toute une srie de justifications physiologiques (Brightman, 1996) soutenant son caractre
prtendument naturel . Pour le dire vite, les femmes taient en charge de la qute des glucides
parce quelles ntaient pas capables de chasser. Dans un article qui a fait date, intitul Les mains,
les outils, les armes , P. Tabet (1979) a dfinitivement tabli la division du travail comme fait
sociologique en montrant simplement que lusage des armes est interdit aux femmes : les filles et
les adolescentes nen apprennent jamais le maniement (certaines socits ont prvu des sanctions
en cas de transgression). Cet article marque vritablement lentre, en anthropologie, dune analyse
de la division sexuelle du travail en termes de genre (de socialisation diffrencie). Tabet remarquait aussi que cest plus lusage des armes que la chasse elle-mme qui est interdit aux
femmes, voulant dire par-l que les hommes, par le contrle des armes, possdent aussi celui de la
violence. Tabet tient certainement l une partie de lexplication. Son analyse omet cependant le rle
possible des facteurs nutritionnels. Lanthropologue amricain Robert Brightman, dans un article
intitul La division du travail de qute alimentaire : biologie, tabous et politiques du genre , a
propos, la suite de Tabet, que la cration et la reproduction sociale de la division genre du
travail chasse/collecte drivent de lappropriation intresse par les hommes du travail de chasse,
et du capital social accumul de ses produits (Brightman, 1996 : 718). On peut, la suite de ces
deux auteur-e-s, avancer lhypothse selon laquelle linterdit des armes, qui passe avant tout par la
diffrenciation des savoirs (lapprentissage des armes), masque le vritable interdit (silencieux et
non-dit celui-l, comme beaucoup dinterdits) savoir que les femmes ne doivent pas se procurer
la viande par elles-mmes[3]. Le fait que les femmes ne peuvent pas apprendre les savoirs
techniques pour tre en mesure de chasser les gros gibiers garantit aux hommes le contrle la fois
sur la distribution et sur la consommation dune nourriture que la plupart des populations
humaines valorisent suprmement pour sa valeur nutritive et gustative : la viande animale. Nous
allons revenir sur la consommation dans la section suivante. Le contrle sur la viande serait le
motif nutritionnel de cette institution ingalitaire par excellence quest la division du travail par
sexe. La viande est un enjeu de pouvoir parce quelle est convoite par tous. Elle est lalibi dont se
servent les hommes pour accder sans rserve la production des femmes (jusqu 80% de la
production alimentaire glucides principalement dans les socits de chasseurs-cueilleurs) et
profiter du travail quelles effectuent sur ces produits en les transformant en mets consommables
(Touraille, 2008 : 338-343).
9
Concernant les socits industrialises, la division sexuelle du travail tudie par les sociologues
(Collectif, 1984 ; Kergoat, 2000), recouvre lassignation des femmes au travail domestique
(gratuit), et invisibilis comme travail (DeVault, 1991). Dans les tudes sur le genre, la
division sexue du travail est aujourdhui conceptualise comme le nud de loppression des
femmes (Bereni et al., op. cit. : 174). Cest un constat invariable des enqutes emploi du temps de
lINSEE en France (Nabli & Ricroch, 2012) : 80% de la production domestique est effectue par des
femmes, et enqute aprs enqute, la contribution moyenne des hommes nvolue que trs
lentement. Et si le temps de prparation culinaire a fortement baiss durant les dernires
dcennies, lune des grandes constantes repres concerne la division sexuelle des tches relatives
lalimentation (Warde et al., 2007). La spcificit de lalimentation rside en ce quelle constitue ce
que lon appelle le noyau dur du travail domestique et quelle appelle un enchanement de
tches varies, complexes et potentiellement chronophages : planification des menus, achats
alimentaires, transport des achats, stockage des denres alimentaires, anticipation et prparation
des repas, service, vaisselle, rangement, etc. Comme lensemble du travail domestique, il sagit
inlassablement dune affaire de femmes. Lactivit culinaire est extrmement discriminante : 1h12
par jour pour les femmes contre 22 minutes pour les hommes, toutes journes confondues ;
lapprovisionnement est un peu plus partag : 33 minutes par jour pour les femmes contre 22
minutes par jour pour les hommes (Ponthieux & Schreiber, 2006). En outre, les femmes
conservent la gestion mentale et la charge mentale (Haicault, 1984) dun
approvisionnement anticip et dune prparation quilibre des repas, impossible quantifier, qui
se doit dtre conforme aux aspirations gustatives des diffrents membres de la famille.
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Ce travail est dvaloris, ignor et banalis, surtout dans sa dimension quotidienne, alors mme
quil fait partie de ce que Genevive Cresson appelle le travail domestique de sant (1998) et
quil est susceptible dengendrer un phnomne de culpabilisation dans un contexte de pression
temporelle forte qui pse sur les femmes ( assurer dans toutes les sphres, productives ET
reproductives). Ceci contraste avec lactivit culinaire occasionnelle des hommes, comme par
exemple la prparation de repas exceptionnels le week-end. Celle-ci requiert une plus forte
technicit au sens de la matrise des outils (ce peut tre un barbecue), renvoyant aux travaux de P.
Tabet qui insistaient sur la manipulation ingalitaire des outils de production comme dattaques
(1979, op. cit.). Cette posture de surinvestissement domestique est largement positive et conforme
aux normes contemporaines de fminit o les femmes, htrosexuelles, se doivent de russir
leur vie professionnelle tout en restant des anges du foyer . En revanche, gare celles qui
rsistent ou chouent (Guillaumin, op. cit.).
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Larticle de S. Bevilacqua sur la patrimonialisation du rgime mditerranen montre comment
la production de discours sur lalimentation contribue reproduire les rles et identits de genre et
justifier le maintien des seules femmes dans la tche de nourrir les autres. Pendant sain du
phnomne de macdonaldisation de lalimentation, la dite mditerranenne tend simposer
comme modle alimentaire prescripteur de normes. Linscription de cette dernire au patrimoine
culturel immatriel de lUnesco lgitime son audience largie. Les femmes y sont prsentes, de par
leurs comptences acquises, comme les garantes naturelles de ces traditions culinaires, et sont
de ce fait prioritairement dsignes pour transmettre un modle alimentaire vecteur de bonne
sant . Cette vision traditionnelle est largement mise en scne dans les mdias occidentaux.
Les missions tlvises de cuisine diffuses en Italie et analyses par larticle de L. Stagi constituent une autre illustration des discours de rassignation permanente des femmes aux tches
quotidiennes de lalimentation. La mise en scne de la prparation des repas conforte le maintien
de lordre hirarchique du genre : lorsque les hommes cuisinent, ils en retirent une certaine
valorisation sociale. Dune part en accaparant les outils et les techniques les plus sophistiqus
(Tabet, 1979), dautre part en faisant de la cuisine un potentiel tremplin de carrire , o ils occupent le noble rle de chef , situ tout en haut de la hirarchie des brigades. Par ailleurs, les
femmes mises en scne sont relgues la posture de cuisinires domestiques, dvoues leur
famille et leur entourage. Tout en devant rester sexy , elles restent enfermes dans un univers
mnager dont elles se doivent dassurer prioritairement le fonctionnement quotidien.
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Des missions tlvises culinaires la prparation concrte des repas, il ny a quun pas. Dans
Cuisine et dpendance , P. Cardon fait un constat semblable dans son analyse de la prparation
des repas chez les couples htrosexuels confronts au vieillissement, la maladie, et/ou la
dpendance en France. Du fait de la prgnance de la division sexuelle du travail tout au long de la
vie, les hommes ont dvelopp des formes dincomptence relatives la cuisine. Ces dernires
entranent des formes de dpendance culinaire qui auront indniablement des effets diffrencis
la vieillesse selon le membre du couple confront au handicap le plus lourd. En outre, lassignation
au domestique sintensifie pour les femmes lorsque ces dernires vont devoir prendre en charge les
lourdes activits de care. Cet article suggre que la diffrenciation des comptences aggrave, au
stade de la vieillesse, tant ltat de sant des femmes que celui des hommes eux-mmes.
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Larticle dH. Prvost, sur la mise en conserve des tomates effectue par des groupements de
femmes au Bnin, a priori cre pour favoriser lempowerment des femmes, montre galement un
renforcement de la division sexuelle du travail. Les tentatives politiques daider les femmes pour
quelles acquirent plus dautonomie amnent, sous le prtexte positif de faire manger les
enfants , un effet pervers : elles reprsentent un alourdissement trs significatif de leur charge
de travail, dont certaines se plaignent.
Consommations discriminatrices : pratiques et discours de justification
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Une rsistance pistmologique impressionnante caractrise la description et la problmatisation
de lingalit alimentaire dans le champ de lanthropologie et ailleurs (Touraille, 2008). En
ethnologie, cest lingalit qui a la charge de la preuve. Tant quune ingalit de consommation na
pas t tablie, on prsume que la consommation entre hommes et femmes est galitaire. Delphy
(1975) montrait combien ce raisonnement est une erreur en sociologie. Dans une perspective de
genre, dit Delphy, cest la preuve de lgalit qui doit tre faite ; les ingalits de consommation
sont lattendu. Bon nombre dethnologues interrogs soutiennent pourtant avec force quil ny a pas
dingalits alimentaires dans leur socit, sans pour autant avoir effectu la moindre enqute.
Les raisons historiques qui font pencher la communaut des ethnologues vers les thmatiques de
lgalit ne sont peut-tre pas trangres ces options mthodologiques errones. Cependant, les
sociologues, beaucoup plus focaliss sur la question des ingalits sociales, ne se sont pas tellement
plus occups de diffrenciation de genre que les ethnologues. Lide fausse du point de vue des
thories rcentes des sciences de la nutrition (Touraille, 2008 : 284) selon laquelle les hommes
doivent manger plus de protines que les femmes a longtemps eu cours dans les socits
occidentales. Il est aussi possible que lobservation de pratiques alimentaires ingalitaires dans
dautres cultures nait pas de ce fait sembl si irrationnel, ce dont tmoigne dailleurs une des
premires ethnographies centres sur lalimentation, comme celle dAudrey Richards dans lentredeux guerres, qui problmatise trs peu les ingalits quelle dcrit (1932).
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Quelques rares tudes apportent des preuves solides ce que bien des ethnologues ont not depuis
les dbuts de la discipline de faon passablement impressionniste et lgre, mais avec une
rcurrence nanmoins remarquable (tant pour les socits dites de chasseurs-cueilleurs que pour
celles ayant une conomie dagriculture et dlevage) : la viande et les protines en gnral ne sont
pas consommes par tous les membres dune population quitablement. Des tudes documentes
existent notamment sur lInde (Katona-Apte, 1979). Pour les chasseurs-cueilleurs, une tude
rcente fournit des donnes impressionnantes. Aprs un an de terrain quantifier
scrupuleusement les items consomms par les hommes et les femmes dans six campements hadza
(population de chasseurs-cueilleurs en Tanzanie) un spcialiste de lcologie comportementale
humaine par ailleurs pas le moins du monde concern par les problmatiques du genre note
que la viande constitue pratiquement 40% du rgime alimentaire des hommes et 1% ( peine plus)
de celui des femmes (Marlowe, 2010 : 128).
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Larticle Laisse-moi manger ta viande de P. Atse et P. Adon fournit une lecture, en contexte
rural ivoirien, de ce que ces auteurs nomment lordre du partage pour tablir que ce dernier est
annex lordre du genre. Il analyse les discours venant justifier les pratiques de discrimination qui
donnent aux hommes une trs grande priorit de consommation sur les femmes et les enfants sur
la viande de gibier et dlevage (toutes appeles gibier en langue akye, dune faon qui semble
assez significative dailleurs).
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Une ide revient frquemment dans le discours des sociologues et des ethnologues qui nont pas
chauss les lunettes du genre : les femmes, tant tout le temps en cuisine, pourraient en ralit se
rserver les meilleurs morceaux, et en tout cas manger leur faim. Margarita Xanthakou, partir
de son terrain dans la rgion du Magne en Grce (effectu il y a quarante ans) sinsurge contre cette
profonde idiotie . Elle a constat, tout au contraire, que les femmes se privent de viande pour
leurs maris ou leurs fils, et que, mme les tomates , quand celles-ci sont rares, sont mises de
ct pour les hommes, par les femmes elles-mmes[4]. La socialisation au sacrifice est un des
moyens par lequel les femmes sont sans doute amenes ne pas remettre en question linjustice
alimentaire. La sgrgation des repas (sgrgation de lieu et/ou temporelle avec prsance des
hommes) remplit trs certainement une fonction similaire, car ne pas voir manger les autres est
aussi une faon de ne pas avoir directement sous les yeux linjustice. Larticle dAtse et dAdon
rpte ce que bon nombre de travaux ont dj not sur le continent africain, en Europe rurale et
ailleurs : les hommes, les enfants et les femmes forment des groupes qui mangent sparment. Cet
article fait observer que les prrogatives masculines, si insatisfaites, sont rappeles par la violence :
les hommes sattendent consommer les morceaux qui leur reviennent et les sanctions qui
attendent les femmes en cas d oubli ne sont pas particulirement enviables. Loin de la
socialisation au sacrifice, les femmes sont empches de manger ce quelles veulent parce quelles
sont menaces, au sens propre, par les hommes. Mathieu, dans ses sminaires[5], na jamais cess
de rappeler que la domination nest pas juste symbolique comme lcrit Bourdieu, mais quelle
est maintenue par une violence trs concrte de la part de ceux qui ont intrt prserver leurs
privilges alimentaires. Dans leur approche critique de la notion de gatekeeper (Lewin, 1943), les
sociologues Alex McIntosh et Mary Zey ont fourni des considrations pistmologiques prcieuses :
la responsabilit nest pas quivalente au contrle disent-ils (1998 : 126). Ce qui signifie,
comme le dit aussi Counihan (1999) que ce nest pas parce que la nourriture est aux mains des
femmes que les femmes en disposent selon leur bon vouloir, et encore moins pour en obtenir un
pouvoir.
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Larticle Tout ce qui est bon est pour eux (D. Maniraziza, P. Bil & F. Mounsad Kpoundia)
analyse la transgression, par certaines Yaoundennes, dun tabou alimentaire (le gsier de poulet)
toujours en vigueur dans les milieux universitaires de la capitale camerounaise. Cette analyse
confronte les discours communs de justification du tabou, les discours des femmes pour justifier de
leur transgression et les discours de rsistance des hommes. Ce travail suggre de manire trs fine
que la fonction sociale des interdits alimentaires qui touchent les femmes est bien celui de
maintenir lordre du genre, comme ordre de domination masculine. Une femme qui ose manger
du gsier de poulet est une menace la domination des hommes. Le rappel du ncessaire respect
des tabous (dans un contexte social global dictant des tabous alimentaires pour les femmes) fait
partie de larsenal utilis par certains hommes pour tenter de maintenir cet ordre tout prix.
19
Une tude ethnographique rcente montre quau Kenya, les hommes massa justifient les ingalits
alimentaires par le fait de se considrer eux-mmes comme des gourmets : En relguant les
plus mauvais morceaux aux femmes, ils maintiennent que les femmes ne font pas la diffrence (ou
quelquefois, plus honntement, quelles ne peuvent connatre la valeur de ce quelles nont jamais
got) (Spencer, 1988 : 259). La question de savoir si les aliments que les femmes nont pas le
droit de consommer dans un contexte culturel donn sont aussi ceux qui sont considrs les
meilleurs dun point de vue gustatif fait rarement lobjet dune documentation par les ethnologues.
Larticle de Manirakiza et al. est dautant plus intressant ce titre. Les hommes Yaound se
rpandent en justifications symbolico-sexuelles complexes pour justifier le tabou du gsier, ils
nvoquent aucun moment quil pourrait juste sagir dun droit masculin sur les aliments les plus
apprcis pour leur got. En revanche, les femmes qui contestent le tabou du gsier de poulet dans
la capitale le font bien sur la base de sa valeur gustative. Les femmes font ainsi apparatre que la
saveur des aliments est ce qui leur parat le mieux mme dexpliquer, en fin de compte, les
prrogatives alimentaires masculines.
20
Si les ethnologues mentionnent souvent les interdits et les restrictions alimentaires sur leur terrain
de recherche, leurs descriptions permettent trs rarement dvaluer et de formuler une hypothse
solide sur lincidence nutritionnelle de ces restrictions. Cette absence de questionnement rigoureux
du contexte alimentaire permet des drives interprtatives peu ralistes : on entend dire ainsi trs
souvent (dans les discussions de couloir ou les sminaires de recherche) que les interdictions
alimentaires naffectent pas le statut nutritionnel des femmes parce que les interdits quelles
doivent respecter concernent (forcment) des gibiers assez rares. Ltude dHarriet Whitehead
(2000) sur les Seltaman de Nouvelle-Guine (largement centre sur la nutrition) offre un dmenti
catgorique et incite une suspicion pistmologique renforce concernant ce genre daffirmation :
Whitehead montre que les gibiers interdits aux femmes comme catgorie (tout au long de leur vie
donc) sont les casoars (trs gros oiseaux de la rgion) et les porcs sauvages : or ces gibiers sont les
plus frquemment chasss (par les hommes) et constituent donc les ressources en protines les
plus courantes dans cette socit. Concernant le partage ingalitaire de la viande, larticle dAtse et
Adon constitue, comme lethnographie de Whitehead, un intressant contre-exemple. Atse et Adon
nous disent quil ny a que trs peu dingalit chez les Aky de Cte dIvoire dans le partage des
trs gros gibiers, du genre buffles, girafes ou lphants. Or il mentionne galement que ces gibiers
sont devenus rares : ils se trouvent donc peu au menu des Aky. En revanche, la discrimination vise
les viandes moins rares, comme le poulet, dont les femmes ne sont autorises manger, en gros,
que ce quon appelle en France la carcasse (et encore pas son entiret). Dans le cas des
Seltaman, les restrictions pour les femmes se font sur les gros gibiers, dans le cas des Aky, sur les
petits, mais, dans les deux cas, les restrictions se portent sur la viande susceptible dtre le plus
frquemment au menu.
21
Les discours dingalit alimentaire sont souvent opposs aux pratiques qui, au fond, ne seraient
pas si ingalitaires que a . Cest le propos de larticle de G. Lacaze qui dcrit comment les
pratiques alimentaires ingalitaires des Mongols sont soutenues par un systme symbolique
complexe associant les femmes au maigre de la viande et les hommes au gras de la viande. Des
discours (et des pratiques) extrmement ingalitaires sont dcrits par lauteure. Ces descriptions
extrmement riches ne font cependant pas lobjet dune analyse, linterprtation finale se portant
sur les quelques faits qui semblent les contredire, comme sil fallait absolument dnoircir le
tableau de loppression selon lexpression de Mathieu (op. cit. : 109). Cette rsistance assez
typique des recherches menes par des ethnologues originaires de France, contraste ici avec les
articles proposes par les deux chercheurs originaires dAfrique de lOuest, qui mettent
parfaitement le focus sur lanalyse des justifications des interdits en analysant leurs rouages la
fois comme des entreprises de mystification dlirantes du point de vue des ethno-savoirs et dune
parfaite rationalit du point de vue des intrts masculins concernant la consommation
hgmonique de la viande.
22
Concernant la rpartition des viandes, quand celles-ci sont bouillies, les ethnologues peuvent aussi
dire quil ne peut y avoir discrimination quand les gens mangent dans le mme plat. Un argument
entendu lors dun sminaire de recherche[6] (fourni par un ethnologue ocaniste) tait que les
aliments taient tellement dissous par la cuisson quon ne pouvait reconnatre aucun morceau en
particulier. Cet argument tait avanc pour dire que mme si les hommes avaient des morceaux
attribus, ils ne pourraient en aucun cas les reconnatre dans la marmite et se les octroyer. Larticle
Le gras viril et le maigre fminin de G. Lacaze offre quelques donnes permettant de
reconsidrer cet argument, mme si cest dans un tout autre contexte culturel. Chez les Mongols,
dit-elle, lalimentation quotidienne est constitue dune soupe qui est en fait assez largement
constitue de gras dissous. La consommation du gras cest dailleurs le sujet de son article est la
prrogative des hommes. Le contenu quotidien de la marmite est genr : le dessus jug comme
tant le meilleur par les gens eux-mmes est attribu aux hommes, le fond, aux enfants et aux
femmes. Est-ce une remarque dune telle vidence que lon ne pense pas le mentionner : le gras,
lment plus lger que leau, surnage. Ainsi, le dessus de la marmite est effectivement plus riche en
gras que le fond. Or cest par ce type de considration que la question du genre peut tre relie la
question nutritionnelle. quantit quivalente de protines et de glucides, les lipides possdent
une valeur nergtique plus de deux fois suprieure : cest aussi un fait bien connu des socits
occidentales lipophobes. Le problme est bien ici de russir relier plusieurs champs du savoir.
Un-e ethnologue recourant une interprtation symboliste pourrait expliquer au hasard que si
le dessus de la marmite est attribu aux hommes et le fond aux femmes, cest cause de
lassociation du haut avec ce qui est masculin et du bas avec ce qui est fminin. Ce type
dinterprtation symbolique se donne lapparence dune analyse en termes de genre sans en tre
une. Les rsultats de G. Lacaze offrent la possibilit de vritablement dplier une analyse en termes
de dispositif de genre. Ils permettent en effet une mise en regard de lassociation symbolique du
masculin au gras et du fminin au maigre, des pratiques culinaires, du monopole rel des hommes
sur les graisses, et de divers discours ethnophysiologiques (caractre goteux et/ou nergtique de
la graisse). Cette analyse permettrait elle-mme douvrir sur une perspective comparative, car bien
videmment, le monopole masculin sur les graisses et leur extrme valorisation gustative ne sont
pas propres aux Mongols (Touraille, 2008 : 305, 312).
23
Pour revenir larticle de S. Bevilacqua voqu dans la section prcdente, les cosmologies
alimentaires peuvent prsenter des connections inattendues. Bevilacqua montre comment les
discours de sauvegarde de la dite mditerranenne qui bannit presque compltement la
consommation de viande rouge la prsentent comme bnfique pour la beaut et la sant
reproductive des femmes[7]. En voquant les chasseurs-cueilleurs, il donne voir une rification
troublante dans les discours des pays occidentaux la fois de la division sexue du travail qui
privilgie la transformation et les prparations du vgtal par les femmes et des reprsentations
qui lgitiment une exclusion ou une limitation de la viande de leur alimentation quotidienne.
24
Un article de ce numro traite aussi du boire en France. Dans Le genre de livresse , N.
Palierne, L. Gaussot et L. Le Minor, montrent que, contrairement certains prjugs en vigueur, il
nexiste pas de vritable mouvement dgalisation de la consommation dalcool entre hommes et
femmes au sein des gnrations les plus jeunes de Poitiers (population tudiante). Les auteurs
observent un cart important entre le boire des femmes, qui donne lieu un important contrle
(corporel et comportemental), et le boire des hommes, davantage li lexpression dune
masculinit qui favorise lostentation, lexcs, la prise de risque, et, par voie de consquence, la
dpendance alcoolique. La thmatique du contrle nous amne envisager un autre aspect de la
consommation diffrentielle. Dans les socits industrialises, les femmes ne sont pas lobjet
dinterdits alimentaires comme dans les socits de chasseurs-cueilleurs ou dans les socits
dagriculteurs et dleveurs, prsentes et passes. Pourtant, elles exprimentent des pressions
sociales dont lalimentation est aussi linstrument, et qui ne sont pas moins redoutables : celle du
contrle de leur apparence corporelle, et dans une certaine mesure aussi, celle de leur pense.
Corps et consciences domin-e-s
25
Si les tudes sur lalimentation et les tudes sur le genre souhaitent vritablement sallier pour
tudier les enjeux sociopolitiques de lalimentation, il nest pas possible dapprhender
lalimentation seulement comme un fait social[8] ceci serait une illusion des sciences sociales :
elle doit tre apprhende, dans le mme temps, dans sa dimension biologique. Ce que
lalimentation fait au corps ne peut tre pass sous silence. Lide a t nonce depuis longtemps
par certains chercheurs sur lalimentation : Les nourritures agissent sur la physiologie de
lHomme, sur "sa viande" selon une expression africaine. La consommation alimentaire introduit
sur ce plan des carts diffrentiels entre les socits et, au sein des socits, entre les individus
(De Garine, 1988 : 28). Comme la not C. Guillaumin [] les caractristiques physiques requises
dun homme et dune femme vont par dfinition vers la diffrenciation (Guillaumin, op. cit. :
125). Cette injonction la diffrenciation prend pour matire premire les corps, et a pour effet de
naturaliser larbitraire (Bourdieu op. cit. : 169). Lalimentation reprsente un des moyens les
plus efficaces de construire des apparences corporelles durablement diffrencies au cours dune
vie individuelle (plasticit phnotypique), mais aussi de constituer une pression de slection sociale
capable de sinscrire dans le gnome de la mme manire quune pression de slection naturelle
(Touraille, 2008).
26
Lalimentation affecte le corps des individus tant par le biais des pratiques de consommation
alimentaire diffrencies que par celui de la division sexuelle du travail. Sil ne sagit plus, ici, de
restrictions et de tabous engendrs par le monopole des hommes sur les aliments protins, il sagit
cependant, l aussi, de pratiques de restrictions ciblant plus intensment les femmes que les
hommes. Larticle de S. Carof Le rgime amaigrissant : une pratique ingalitaire , confirme ce
quune importante littrature a mis depuis longtemps en vidence (Counihan & Kaplan, 1998 ;
Beardsworth et al., 2002 ; Gough, 2007) : les femmes se privent plus de manger que les hommes.
Elles le font pour suivre linjonction rduire les proportions de leurs corps bien au-del des
recommandations mdicales de sant. Ce faonnage est, pour certaines, impossible atteindre
biologiquement sans privations alimentaires importantes. Les hommes, de leur ct, manifestent
une certaine complaisance pour leur propre masse graisseuse quand celle-ci semble confirmer la
puissance virile de leur corps. Ce rapport au gras viril , selon lexpression de G. Lacaze, qui
ne slve cependant pas celui des Mongols (mais offre des voies de comparaison), permet aux
hommes un rapport moins obsessionnel la nourriture (Sobal, 2005). Lalimentation reprsente le
moyen principal de cette pression omniprsente la minceur pour les femmes. Cette pression nest
pas imaginaire : dans certains milieux et dans bien des domaines du travail salari, la minceur fait
partie dune caractristique oblige pour les femmes, au mme titre que le maquillage par exemple
ou le port de talons (S. Carof). Larticle Moi, je ne demande pas entrer dans une taille 36 dO.
Lepiller interroge de son ct le recours beaucoup plus important des femmes la chirurgie
bariatrique. Lauteur montre de manire trs incisive que linjonction esthtique nest plus
vraiment oprante pour les femmes de plus de 45 ans qui tombent dans la catgorie mdicale de
lobsit. La mise au rebut sexuel des femmes associe au concept de mnopause (Delano,
2007) et surtout les nouvelles charges de travail qui simposent elles en termes de care sont
voques pour expliquer le dsir des femmes obses de matriser une corpulence devenue
incompatible avec le travail du care (Molinier, 2013). La pression du careaugmente en effet pour les
femmes partir de cette tranche dge avec la prise en charge supplmentaire des membres
vieillissants de la famille, ou des petits-enfants, comme on le voit bien dans larticle de O. Lepiller.
Les deux dernires tudes prsentes dans ce dossier permettent de penser le corps des femmes
comme domin par lalimentation au travers des deux grandes aires daction du dispositif du
genre : la sexualit et le travail (Clair, op. cit.).
27
Lalimentation affecte aussi la pense des individus. Lobnubilation de la nourriture qui tient les
femmes est bien souligne par S. Carof : le fait que les femmes sont amenes en permanence
penser la nourriture pour contrler leur corpulence travers ce quelles vont, ou ne vont pas
manger, ou de ce que mangent les autres dans le cadre de la division sexuelle du travail (articles de
P. Cardon et dH. Prvost), fonctionne comme une forme de colonisation et de domination de la
pense par lalimentation. Comme le dit trs bien une informatrice de S. Carof, quand on pense la
nourriture, notamment pour ne pas y succomber, on a du mal se concentrer sur autre chose.
Au XVIIIe sicle en Europe, le pain au chanvre qui plongeait les catgories sociales les plus pauvres
dans un tat dhallucination permanent est dcrit par lhistorien P. Camporesi (1981) comme le
moyen trouv par les lites dempcher que les pauvres ne prennent conscience des injustices
subies et sinsurgent contre lordre social. De mme, lordre alimentaire genr rend les femmes
tellement obsessionnelles de ce quelles ont le droit de manger, ou de ce quelles ne doivent pas
manger, quil leur reste peu de temps pour prendre conscience des tenants et des aboutissants de
ces normes et pour essayer de sen librer. Mme si beaucoup de femmes sautorestreignent et
sautocontrlent (Germov & Williams, 1996 ; Saint Pol, 2010), et que personne ne leur enlve le
pain de la bouche au sens littral, celles-ci semblent toujours sous le coup dune instance de
jugement alimentaire. Entendre une femme qui sexcuse tout haut devant les autres de manger plus
quelle ne devrait est la norme en France. Quant celles qui sortent un tant soit peu du canon
attendu (avec de srieuses diffrences suivant les classes sociales cependant), les remarques en
passant, les conseils alimentaires, ou les interventions nettement dsobligeantes en provenance de
lentourage familial (notamment masculin) jalonnent leur vie, comme le rappellent S. Carof et O.
Lepiller. Il existe donc bien un vritable rappel lordre de la ligne (corporelle) pour les femmes
franaises, qui ne consiste pas seulement en des pressions exerces par des images au travers des
mdias, mais qui relve aussi dune contrainte et dune violence psychologique relle exerce par le
cercle familial et professionnel, exactement comme P. Atse et P. Adon le dcrivent pour les femmes
akyes si elles ne respectent pas les prrogatives masculines sur certains morceaux de viande, ou
comme le dcrivent Manirakiza et al. pour les Yaoundennes qui osent manger le gsier de
poulet.
28
Cest N.-C. Mathieu (op. cit.) que lon doit lexpression de conscience domine des femmes. La
conscience des femmes semble bien en effet ici domine par lalimentation dans les pays
occidentaux. Elle est dailleurs domine autant par lenvie de manger que par la sensation de faim
(Bordo, 1998). Javais faim , se rappelle une informatrice de S. Carof, qui avoue avoir eu du
mal se concentrer sur autre chose quand elle tait en priode de rgime. Larticle de P. Atse et P.
Adon cite ce propos un corpus dtudes mdicales qui ont montr les effets du manque de
nourriture sur la capacit de concentration des enfants. Camporesi (op. cit.) voque dailleurs la
faim comme une arme majeure de contrle social. Cest aussi une hypothse mise par Mathieu
pour expliquer cette ide de conscience domine : les restrictions alimentaires, dit-elle, ne
peuvent manquer davoir des incidences psychiques, daugmenter la fatigue et de diminuer les
capacits de rsistance physique et psychique des femmes (Mathieu, op. cit. : 189). On peut dire
que la conscience des femmes est domine par lalimentation dans le sens o elles y pensent
beaucoup plus que les hommes ny pensent. Mais on peut dire aussi quelle est domine par les
effets rels que les restrictions alimentaires ont sur le cerveau. La fatigue continue du corps
entrane celle de lesprit dit Mathieu (ibid. : 187). Dailleurs la fatigue mentale nest pas seulement
un effet des rgimes, mais aussi celui de la division sexuelle du travail (Jarty, 2012). Dans Des
tomates et des femmes , H. Prvost crit que les femmes bninoises expriment leur fatigue en
mentionnant quelles nont plus le temps de la paresse , et plus le temps de penser autre chose
qu soccuper des tomates.
29
Lordre alimentaire genr favorise presque immanquablement lapparition dingalits de sant
entre femmes et hommes. H. Prvost voque les problmes des femmes bninoises rassignes aux
tches alimentaires et en proie la fatigue. P. Cardon voque les difficults des femmes atteintes
dun handicap physique qui ne peuvent pas compter sur leur conjoint pour assumer les tches
culinaires et donc redoublent leurs efforts. P. Atse et P. Adon suggrent les effets dltres des
ingalits alimentaires sur la sant reproductive des femmes chez les Aky. G. Lacaze voque une
malnutrition avre des femmes mongoles. S. Carof et O. Lepiller rappellent que les rgimes
engendrent des comportements addictifs envers la nourriture. Ils suggrent que linjonction qui
pse sur le corps des femmes, associe aux charges de prparation des repas, cre un environnement pathogne gnrant des souffrances physiques et psychiques et favorisant in fine des prises
de poids que seules les chirurgies, un certain point, viennent soulager. Dans dautres cas, plus
rares, ce sont les hommes qui dveloppent une souffrance psychique du fait de leur incomptence
culinaire acquise et semblent alors tre domins, plus que bnficiaires, de la division des rles
dans la prparation des repas (P. Cardon). De mme, ce sont les hommes qui sont amens
dvelopper des problmes de sant du fait du lien entre consommation dalcool et construction de
la masculinit. Larticle Le genre de livresse incite affirmer que les corps et la pense des
hommes sont plus domins par la boisson que ceux des femmes ne le sont. Prise sous langle du
genre, la question des consquences de la dpendance alcoolique sur lentourage (Fainzang, 1993)
enjoint nanmoins pousser lanalyse en se demandant si les femmes (et les enfants) ne souffrent
pas autant, sinon plus, de lalcoolisme des hommes que les hommes eux-mmes.
30
Quand il ne sagit pas dingalits alimentaires brutes, lalimentation sert comme un rappel
incessant de lordre social inscrit dans les corps comme dans les consciences. Cest aussi une
conclusion de Manirakiza et al. Le gsier de poulet interdit aux femmes na pas vraiment
dincidence nutritionnelle pour les Yaoundennes. En revanche, le respect de linterdit signifie
bien, dans le discours des hommes, quils contrlent les femmes. Comme les Yaoundennes, les
femmes occidentales doivent respecter les rgles alimentaires pour obir lordre de la
diffrenciation des corps, qui lie le fminin au maigre , comme dans la socit mongole dcrite
par G. Lacaze.
Des aliments, des armes ? Remises en cause de lordre alimentaire genr
31
Ce dossier fait apparatre lalimentation comme un moyen une arme trs efficace de
reproduction de lordre du genre. Il invite prendre la mesure de ce que nous appelons ici lordre
alimentaire genr, de sa capacit se reconfigurer de socit en socit en autant davatars de
lingalit sociale. Malgr le fait que dans la plupart des socits les femmes continuent porter
la responsabilit de lapprovisionnement mental et physique alimentaire qui reprsente le travail le
plus lmentaire du care et quelles font la plus grande part du travail li la nourriture, elles
contrlent trs peu de ressources et possdent trs peu de pouvoir de dcision dans lindustrie
alimentaire et dans les politiques alimentaires. Et bien que les femmes portent la responsabilit de
nourrir les autres, elles ne se nourrissent souvent pas elles-mmes de manire adquate (Allen &
Sachs, op. cit. : 23). Dans trois des champs dsigns, ce dossier confirme lalimentation comme un
lieu de fabrique, de reconfiguration (et de lecture) privilgi des rapports sociaux de sexe. Il plaide
pour la constitution de programmes de recherche denvergure qui poursuivraient la rflexion et
approfondiraient les rsultats et les analyses fournies par les diffrentes contributions. Un manque
pistmique, en effet, sy fait jour : celui, notamment, danalyses comparatives et intersectionnelles
qui permettraient dapprhender lordre alimentaire genr avec plus de force thorique. Ce nest
quen mettant en regard le rle de lalimentation dans la constitution dautres rapports historiques
et actuels de domination, comme ceux de classe (S. Carof), dge (P. Atse & P. Adon), de caste, ou
encore entre socits (Counihan, op. cit.) que le croisement genre et alimentation prendra toute sa
pertinence pour les sciences sociales et comme base de comprhension pour les mouvements
sociaux qui essayent de lutter contre les souffrances engendres par le dispositif de genre.
32
Or si lalimentation est une arme du genre, elle reprsente aussi un levier, une arme potentielle de
10
contestation pour toutes ces identits en souffrance (Xanthakou,op. cit.). tre gros dans ce
monde livr aux marchands de maigreur, c'est tre rvolutionnaire , aurait dit Marlon Brando
(cit par Fischler, 1987 : 256). Dans les socits occidentales, qui ne sont plus caractrises par de
graves manques alimentaires comme il en est encore tellement (Scheper-Hugues, 1992) mais par
une surabondance alimentaire, une nutritionnalisation de lalimentation et une surmdicalisation
des corps gros (Poulain, 2009), la rsistance prend parfois comme cible linjonction au corps
maigre. Les mouvements sociaux de fat acceptance et ses branches fministes comme riots not
diets, des meutes, pas des rgimes , en sont un exemple, les mises en scne des corps hors
normes dans des dfils de mode ou dans des campagnes publicitaires en sont un autre. Symbole
de la rencontre entre des mouvements sociaux intriqus aux food et gender studies (slowfood ou
locavorisme pour lun ; fministes pour lautre), ces mouvements contestataires de lordre du genre
et de lordre alimentaire mettent en exergue des ressorts ventuels pour un changement social et
une potentielle mancipation.
33
Dailleurs, ce dossier donne subrepticement voir quelques failles, visibles aussi bien dans les
socits des Suds que des Nords, permettant de desserrer ltau du genre sur la sphre alimentaire.
Larticle de Manirakiza et al. montre comment la production alimentaire industrielle ouvre une
brche, pour les Yaoundennes, laccs certains morceaux qui sont lobjet de tabou (les gsiers).
Des changements dans loffre alimentaire permettent donc la rengociation des rapports de genre.
Larticle de Prvost montre quau Bnin, dans le cadre de la transformation agricole, cest
lapprentissage de la transformation du produit la mise en conserve de tomates effectue par
des groupements de femmes qui cre une acquisition de comptences et une potentielle autonomie
conomique. Cependant, dans les deux pays, ces nouveaux processus dempowerment des femmes
par lalimentation apparaissent mis en chec par la rification des assignations de genre et la
rsistance des hommes au changement, qui se manifeste particulirement dans la sphre prive.
Les fissures dans les rapports de pouvoir qui semblent possibles, sous certaines conditions, dans la
sphre publique ne fonctionnent pas dans le cadre familial o le maintien des traditions et des
normes alimentaires fonctionne comme un retour de bton (Faludi, 2006) qui soppose aux
nouvelles fentres dopportunits alimentaires ou de liberts financires qui commencent
sentrouvrir pour les femmes.
34
Cest bien ces fissures possibles de lordre du genre et de lordre alimentaire qui constituent une
thmatique de recherche investir, tout comme celle des rsistances quelles continuent
inlassablement de susciter.
[1]
Jarty J., Fournier T. Mise en perspective des problmatiques "genre" et "alimentation" , communication la journe
dtudes Genre et alimentation organise par luniversit de Toulouse Jean Jaurs dans le cadre du sminaire
doctoral ARPEGE Genre, environnement, cologie, alimentation , mai 2014.
[2]
Division sexuelle du travail est lexpression courante sous laquelle la thmatique est connue tant en ethnologie quen
sociologie. Elle est utilise prfrentiellement par trois des coordinateurs de ce dossier (N. Lapeyre, J. Jarty et T.
Fournier) et par certains des contributeurs. P. Touraille utilise lexpression division genre du travail pour des raisons
expliques ailleurs (2008, 2011). Les auteur-e-s de lIntroduction aux tudes sur le genre utilisent, pour une autre raison
pistmologique encore, celle de division sexue du travail (Bereni et al., op.cit. : 169). Ces trois formulations
cohabitent dans ce dossier sans quil y ait dsaccord thorique cependant entre les auteur-e-s sur ce que cette division
recouvre.
[3]
Touraille P. Le silence des interdits : les anthropologues et la division genre du travail , communication au
colloque Interdits et genre. Constructions, reprsentations et pratiques du fminin et du masculin , universit
Franois Rabelais, Tours (France), mai 2009.
[4]
Ethnologue, directrice de recherche mrite au CNRS (Laboratoire danthropologie sociale, Collge de France, Paris) avec
laquelle P. Touraille sest entretenue.
[5]
Anthropologie des sexes , lEHESS, Paris, dans les annes 1990.
[6]
Sminaire de Ccile Barraud, EHESS, Paris, fin des annes 2000.
[7]
Les supposs bienfaits de cette mme dite pour lnergie et la vitalit (sexuelle) des hommes rvlent linjonction
minemment binaire et dichotomique de lordre du genre, impens au cur mme de ses contradictions.
11
[8]
Les tudes sur le genre doivent notamment renoncer au paradigme hyperconstructiviste dans lequel elles se sont
engages (Touraille, 2011) pour voir ce que le social fait au biologique (Goodman, 1999), et ce que le genre fait au sexe
(Touraille, 2008).
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