Typologie Des Genres de Discours
Typologie Des Genres de Discours
Typologie Des Genres de Discours
(texte issu dune rcriture des pages 180-187 du livre Le Discours littraire. Paratopie et
scne dnonciation, Paris, Armand Colin, 2004)
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Les genres routiniers sont les genres qu'tudient avec prdilection les analystes de discours :
le magazine, le boniment de camelot, l'interview radiophonique, la dissertation littraire, le
dbat tlvis, la consultation mdicale, le journal quotidien, etc. Les rles jous par leurs
partenaires sont fixs a priori et restent normalement inchangs pendant l'acte de
communication. Ce sont ceux qui correspondent le mieux la dfinition du genre de discours
comme dispositif de communication dfini socio-historiquement. Pour de tels genres, cela n'a
pas grand sens de se demander qui les a invents, o et quand ; un rudit - supposer que ce
soit possible - peut toujours retrouver qui a publi le premier journal quotidien, qui a fait le
premier talk-show la tlvision ou la premire ordonnance mdicale, mais ici la question
de la source n'est pas pertinente pour les usagers. Les paramtres qui les constituent rsultent
en effet de la stabilisation de contraintes lies une activit verbale qui s'exerce dans une
situation sociale dtermine. A l'intrieur de ces genres routiniers on peut dfinir une chelle :
d'un ct les genres totalement ritualiss, qui laissent une marge de variation minime (actes
juridiques, par exemple), de l'autre ceux qui, l'intrieur d'un script peu contraignant, laissent
une grande part aux variations personnelles.
Quand on tudie les discours littraire, philosophique, politique, etc. on n'a affaire qu' des
genres institus . Mme si une uvre littraire se prsente comme la mimsis d'une
conversation (dans une comdie par exemple), il ne peut videmment s'agir d'un genre
conversationnel, puisqu'il existe un auteur qui a agenc de manire non ngocie l'ensemble
des rpliques.
Les analystes du discours s'intressent plutt ceux que nous avons dsigns plus haut
comme routiniers , abandonnant les genres auctoriaux aux spcialistes de littrature, de
philosophie, de religion, etc. Ce faisant, ils reconduisent le partage qu'a impos l'esthtique
romantique entre textes intransitifs , expression de la vision du monde d'une
individualit cratrice, et textes transitifs , de bien moindre prestige, qui seraient au service
des ncessits de la vie sociale. Pourtant, il n'y a aucune raison thorique srieuse pour que
l'analyse du discours n'apprhende qu'une partie de la production verbale et que les
spcialistes de littrature ne rapportent pas la gnricit des textes qu'ils tudient celle de
l'ensemble des productions verbales. Plutt que d'accepter un tel partage, qui n'a d'autre
justification que des habitudes ou des dcoupages institutionnels, il vaut mieux envisager les
genres institus dans toute leur diversit. C'est dans cet esprit que nous proposons de
distinguer quatre modes de gnricit institue, selon la relation qui s'tablit entre ce que nous
appelons scne gnrique et scnographie .
Comme on va le voir, le discours littraire abrite des genres qui relvent de modes distincts.
Si la tragdie grecque ou le sermon de l'poque classique, par exemple, sont des dispositifs de
communication qui contraignent l'ensemble des paramtres des uvres (longueur, thmatique,
registre de langue, etc.), en revanche la gnricit des Illuminations de Rimbaud ressortit
une catgorisation singulire impose par son auteur. La notion d'auteur en est galement
affecte : l'crivain du XVIIe sicle qui crit une tragdie rgulire, le prdicateur qui rdige
un sermon ne se trouvent pas dans la mme position que l'auteur souverain du XIXe sicle qui
prtend dfinir lui-mme la gnricit de son uvre.
Les quatre modes sont les suivants :
- Genres institus de mode (1) : ce sont des genres institus qui ne sont pas ou peu sujets
variation. Les participants se conforment strictement leurs contraintes : courrier commercial,
annuaire tlphonique, fiches administratives, actes notaris, changes entre avions et tour de
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contrle... Ils sont caractriss par des formules et des schmes compositionnels prtablis sur
lesquels s'exerce un fort contrle, pour lesquels les participants sont pratiquement
interchangeables. Il est impossible de parler d' auteur pour de tels genres. On se trouve
trs en de des contraintes qu'impose la littrature.
- Genres institus de mode (2) : ce sont des genres pour lesquels les locuteurs produisent des
textes individus, mais soumis des cahiers des charges qui dfinissent l'ensemble des
paramtres de l'acte communicationnel : journal tlvis, fait divers, guides de voyage, etc. Ils
suivent en gnral une scnographie prfrentielle, attendue, mais ils tolrent des carts, c'est-dire le recours des scnographies plus originales : un guide de voyage, par exemple, peut
s'carter des routines du genre et se prsenter travers une scnographie originale (une
conversation entre amis, un rcit d'aventures, etc.). Prenons un exemple les premires
Provinciales de Pascal. Au lieu de rdiger des pamphlets selon les voies usuelles de la
polmique religieuse de l'poque, il a prsent une srie de Lettres censes crites un ami de
province par un parisien ignorant des dbats thologiques. Un tel texte ne met pas en cause la
scne gnrique ; il s'inscrit l'intrieur d'une activit verbale codifie, prtablie, pice dans
cet ensemble d'activits que forme une controverse politico-religieuse au XVIIe sicle. Certes,
il se prsente travers une mise en scne originale - pistolaire en l'occurrence - mais il se
soumet au cahier des charges du genre, qui prescrit la thmatique, la dure, les rles des
participants, etc. Ici l'auteur donne seulement ce genre une inflexion particulire, sachant
que de toute faon cela reste un pamphlet.
- Genres institus de mode (3) : pour ces genres (publicits, chansons, missions de
tlvision...) il n'existe pas de scnographie prfrentielle : de savoir que tel texte est une
affiche publicitaire ne permet pas de prvoir travers quelle scnographie il va tre nonc.
Certes, bien souvent des habitudes se prennent (cela contribue dfinir des positionnements,
des styles , etc.), mais il est de la nature de ces genres d'inciter l'innovation. Ce ncessaire
renouvellement est li au fait qu'ils doivent capter un public qui, prcisment, n'est pas captif,
en lui assignant une identit en harmonie avec celle prte leur instance auctoriale (qu'il
s'agisse d'un artiste ou d'une marque commerciale). L'innovation nanmoins n'a pas ici pour
fonction de contester la scne gnrique : sauf exceptions, un chanteur de varits ne met pas
en cause le genre chanson de varit , un publicitaire le genre affiche publicitaire .
- Genres institus de mode (4) : ce sont les genres proprement auctoriaux, ceux pour lesquels
la notion mme de genre pose problme. Genres de mode (4) et de mode (3) sont proches
par bien des aspects : ils ne se contentent pas de suivre un modle attendu, ils entendent capter
leur public en instaurant une scne d'nonciation originale qui donne sens leur propre
activit verbale, ainsi mise en harmonie avec le contenu mme du discours. Mais avec les
genres de mode (4) il s'agit de genres qui sont par nature non saturs , de genres dont la
scne gnrique est prise dans une incompltude constitutive. C'est un auteur pleinement
individu (associ une biographie, une exprience singulires) qu'il revient d'autocatgoriser
sa production verbale Dans le cas d'un genre de mode (4), des dnominations comme
mditation , utopie , rapport , etc., sont censes contribuer de manire dcisive
dfinir de quelle faon et quel titre le texte correspondant doit tre reu. Ici le nom donn ne
peut tre remplac par un autre (une rverie n'est pas une fantaisie ...) : ce n'est pas une
simple tiquette permettant d'identifier une pratique verbale indpendante, mais la
consquence d'une dcision personnelle, qui participe d'un acte de positionnement l'intrieur
d'un certain champ et qui est associ une mmoire intertextuelle. C'est par rapport cette
mmoire que les actes de catgorisation gnrique prennent sens et c'est cette mmoire qui
conserve la trace du geste des auteurs. L'tiquette ainsi confre par l'auteur ne caractrise
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qu'une part de la ralit communicative du texte ; en effet, si un crivain appelle son uvre
fantaisie , cette catgorie rvle peu du processus de communication effectivement
impliqu : alors qu'une tiquette comme newsmagazine mobilise l'ensemble des
paramtres caractristiques d'un certain genre de discours, fantaisie ne rfre pas aux
multiples contraintes qui caractrisent un certain genre de posie dans une socit donne
(elle ne permet pas de dterminer dans quel champ il intervient, par quel canal il passe, quel
est son mode de production et de consommation, son organisation textuelle, etc.). De mme,
l'auteur d'un roman pistolaire ne se contente pas de remplir le cahier des charges du genre, en
l'occurrence celui d'un roman, car le roman (ds lors qu'il ne s'agit pas d'un roman de mode
(3), qui relve de la paralittrature) participe d'une littrature qui est affecte d'une
indtermination gnrique constitutive.
Pour ces genres de mode (4), troitement lis aux discours constituants, les textes ne
correspondent donc pas des activits discursives bien balises dans l'espace social : les
genres publicitaires, tlvisuels, politiques imposent leur prsence, ils sont lis certaines
activits sociales aux finalits prtablies. Rien de tel pour les textes premiers des discours
philosophique, religieux, littraire... : l' auteur y construit son identit travers son
nonciation. On sort de la rhtorique au sens strict (un ensemble de techniques de persuasion),
pour aller vers une indtermination foncire des finalits mmes du discours. Un homme
politique qui rdige un programme lectoral mne un raisonnement stratgique : il vise
produire un effet limit (un vote) et raisonne en termes de moyen et de fin. Ce n'est pas le cas
avec un discours constituant, o travers le choix qu'ils font de recourir des dialogues ,
des mditations , des rflexions ... les auteurs entendent dfinir en dernire instance ce
que sont le Vrai et la philosophie, le Beau et la littrature, etc.
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