La Réception de La Violence Économique en Droit Comparé

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PIOLLET Fabrice

Magistre de Juriste dAffaires Paris 2

LA RCEPTION DE LA VIOLENCE CONOMIQUE EN DROIT


COMPAR
Sous la direction de Madame le Professeur Patricia Kinder-Gest

Mai 2008
Universit Paris II Panthon-Assas

Table des matires


Introductionp.4
Partie 1 : Vers une convergence des rceptions de la violence conomique entre droit franais
et droit anglais... p.8
Section premire : La rception de la violence conomique
1 : Le dveloppement de la doctrine de leconomic duress en droit anglais
1-1 : Gense de la protection du contractant en position de faiblesse
1-1-a) Lmergence du concept de violence conomique (economic duress)
1-1-b) Une rponse gradue aux abus de situationp.11
1-2 : Rgime de leconomic duress................................................................p.13
1-2-a) La caractrisation de la contrainte
1-2-b) Champ dapplication et sanctions...p.15
2:
La
rcente
rception
de
la
violence
par
le
droit
franais.........................................................................................p.17
2-1: Gense de la protection du contractant en position de faiblesse
2-1-a) : Apparition de la violence conomique en droit commun
2-1-b) : La protection offerte par les droits spciaux...p.19
2-2: Le rgime de la violence conomique...p.22
2-2-a) : Les lments caractristiques dun vice du consentement
2-2-b) : Un champ dapplication et des sanctions discutables.p.24
Section seconde : Vers une perte defficacit de la protection de la partie faible.p.26
1 : La protection contraste des droits franais et anglais
1-1 : Le peu de succs pratique, reflet de la svrit du rgime probatoire de la
violence conomique
1-1-a) : Un droit civil trop exigeant
1-1-b) : Linadaptation dun recours centr sur lillegitimacyp.28
1-2 : Le manque de rationalisation des rgimes...p.33
1-2-a) : La collusion spciaux et du droit commun en droit franais
1-2-b) : Lopportunit dune unification des doctrines en droit anglais ? ..p.37
2 : Les propositions communes....p.39
2-1 : Une redfinition des critres
2-1-a) : Les limites de la subjectivit dans lapprciation de la violence
2-1-b) : Le recentrage sur labsence dalternatives suffisantesp.41
2-2 : la mise lcart des notions de violence conomique et deconomic
duress.p.44
2-2-a) : Le rayonnement de la notion de bonne foi
2-2-b) : Le renouveau de la notion denrichissement sans cause ? .p.46

Partie 2 : Le droit franais lpreuve des autres droits : de lirrductibilit des divergences
la ncessaire volution du droit franais...p.49
Section premire : La violence conomique, cheval de troie de lintroduction de concepts
anglais en droit franais
1 : La violence conomique, faux vice du consentement, vrai prise en compte du
dsquilibre contractuel
1-1: La violence conomique, outil ncessaire au droit franais
1-1-a) : Le refus de la lsion
1-1-b) : La pression des juges du fond.....p.51
1-2 : Lintroduction cache de lunconscionable bargain.p.52
1-2-a) : La discrte tentation de la Cour de cassation
1-2-b) : Le dsquilibre contractuel, lment au cur de la violence.p.56
2 : Lintroduction diffuse des doctrines dundue influence et deconomic duress....p.57
2-1 : Le resserrement apparent du champ de la violence conomique
2-2 : Labus dautorit la franaise..p.62
Section seconde : La violence conomique, simple concept transition ?
1 : Le projet Catala laune des autres droits europens
1-1): La codification de la rigueur jurisprudentielle
1-2): Un droit isol au regard des autres droits europens...p.64
2 : Un concept dj dpass en doctrine...p.68
2-1) : La tentation de la gnralisation
2-2 : La voie de la proportionnalitp.70

1.

Oui, si un peuple veut tre grand, le vice est aussi ncessaire lEtat que la faim

lest pour le faire manger, la vertu seule ne peut faire vivre les nations . 1 Le cynisme de la
morale de la fable des abeilles, relay par la formule private vices, public benefits par les
conomistes anglais du 18me sicle, est au cur de lvolution initiale de la pense
conomique. Pourtant, la doctrine souligne le faible intrt des juristes pour ce texte2. Ce sont
les conomistes qui les premiers se sont interrogs sur le point de savoir quand lintervention
de lEtat ou du droit devait tre prfre au jeu spontan des entreprises. Les conomistes,
encore, qui se sont dabord poss la question de lutilit de la violence, de sa lgitimit, ainsi
que de ses limites. Parmi les juristes, le dbat entre le libralisme et les doctrines plus
interventionnistes, allant jusquau solidarisme contractuel , est certes latent, mais lveil
du droit franais la notion de violence conomique, apparat bien tardif. Celui-ci a
nanmoins le mrite de donner ces questions fondamentales une vigueur renouvele.
En effet, si, pour reprendre le mot du Doyen Carbonnier, la violence violente tend devenir
rare dans nos socits polices 3, la disparition ou le camouflage de la violence ne signifie
pas ncessairement labolition de la violence tout court. Il peut se produire une simple
mtamorphose. Or, notre poque a vu natre un systme de mise en condition psychologique
et sociale des individussous nos yeux distraits, un colossal difice de violence feutre est en
train dmerger 4. Cest de la violence conomique dont il est ici question, entendue, dans
une approche gnrale, comme lexploitation ou la menace exerce sur les intrts purement
conomiques dune personne pour obtenir un consentement quelle naurait pas donn
spontanment.
2.

Lenjeu apparat comme tant la protection du contractant en situation de faiblesse,

dans le cadre dune conomie librale. Les questions sont multiples, et la premire est dores et
dj complexe : au nom de quelle justice protger le contractant sur lequel le fort tire avantage
de sa supriorit, que celle-ci soit intellectuelle, sociale, statutaire ou conomique ? Ripert
notait ainsi que la faiblesse est coupable de faire commerce avec la force , relevant que
linquitable pouvait tre juste et utile5.

Bernard de Mandeville (1670-1733).


G. PARLEANI, Violence conomique, vertus contractuelles, vices concurrentiels, Mlanges Guyon Dalloz
2003, p.881.
3
J.CARBONNIER, Les Obligations, 22e d., Thmis, PUF, 2000, spc. N45, p.107.
4
COTTIER, Y a til une doctrine chrtienne sur la violence, in Semaine des intellectuels catholiques, La
violence, Paris, 1967, cit par M. ROVINSKI, La violence dans la formation du contrat, thse Aix-Marseille,
1987, p.2, n1 in fine.
5
RIPERT, La rgle morale dans les obligations civiles, LGDJ,1949, n5.
2

3.

La volont de tout contractant, dans un environnement capitaliste et libral, supporte

de manire incessante, diverses pressions inhrentes aux relations conomiques et sociales, de


sorte quil nest de consentement qui soit parfaitement libre. En raison, ladmission dun vice
de violence conomique semble instinctivement attentatoire la scurit des affaires et la
stabilit des relations contractuelles en ce que la conclusion des conventions rsulte
invariablement dun tat de ncessit conomique viciant dans sa composante libert la
volont dun des contractants. La vie contractuelle des affaires mrite-t-elle pour autant le
sacrifice de la protection des parties conomiquement faibles ? Un tel choix reprsente nen
pas douter une entorse profonde aux principes fondamentaux de notre droit, qui reposent
historiquement sur lautonomie de la volont et la libert contractuelle.
Le dfi lanc aux diffrents systmes juridiques est celui de la conciliation entre lingalit et
la libert, que lorganisation contemporaine du march semble avoir delle mme rsolue. Un
auteur6 dnonce une nouvelle forme dallgeance, appartenant un mouvement de
contractualisation de la Socit par le biais de nouveaux hybrides ractivant par le lien
contractuel des manires fodales de tisser le lien social . Sont ici viss les contrats
prsents autant dans le droit de la distribution que dans celui de la sous-traitance par exemple.
Si lon saccorde avec lauteur pour prendre acte de cette refdolisation et sefforcer de la
matriser plutt que de la nier , le rle de la violence conomique prend tout son sens :
prserver un espace de libert la partie faible dans le contrat, en donnant au juge le moyen
de sanctionner les abus de puissance conomique.
Pour autant, dillustres auteurs, et parmi eux le Doyen Josserand, nont pas manqu de
dnoncer cette singulire psychose collective qui tend voir dans le crancier comme dans
le propritaire, plus gnralement dans tous ceux qui occupent une situation dominante,
juridiquement et moralement, des ennemis de la socit 6bis. Ni la justice, ni la prosprit,
ne sauraient dcouler dun sacrifice systmatique des intrts des parties en situation de
domination conomique.

A.SUPIOT, La contractualisation de la Socit, in Universit de tous les savoirs- quest ce que lhomme ? ,
vol.2, d. Odile Jacob, 2000, p.166 167, cit par B.EDELMAN, De la libert et de la violence conomique,
Recueil Dalloz 2001, N29, p.2315.
6bis
L. JOSSERAND Aperu gnral des tendances actuelles de la thorie des contrats, RTD civ. 1937, p.1, cit
in D. MAZEAUD, Le contrat, libert contractuelle et scurit juridique, Defrnois 1998, art. 36874, spc.
P.1142.

4.

La difficult originaire, pour le droit franais, a t celle de lorigine de la violence.

Historiquement, la violence est dabord sanctionne comme un dlit, et napparat que dans
des hypothses proches de lextorsion de fonds. La crainte metus suscite par la menace
de violence dune des parties nentrera dans le spectre du droit que dans un second temps (au
1er sicle avant JC aprs sa reconnaissance par le prteur Octavius)7. La violence sera
assimile en droit romain un dfaut de libert, mme si elle ne pouvait maner que de la
personne et non des circonstances extrieures. Le droit savant mdival exclut lui la nullit de
plein droit du contrat entach de dol ou de violence et la violence morale doit alors tre
caractrise8. Le code civil va choisir une conception mixte, entre la conception traditionnelle
des Romains, qui requiert que le consentement ait t extorqu par la violence et exige
que la violence fasse impression sur une personne raisonnable (courant objectif), et une
approche plus subjective en prcisant dans larticle 1112 que le juge doit avoir gard lge,
au sexe et la condition des personnes. La violence ne saurait tre que dorigine humaine,
dans la conception des rdacteurs du Code Civil.
Pothier, pourtant, dsireux dattnuer la rigueur romaine, enseignait que la convention
consentie dans un tat dimprieuse ncessit puisse tre refaite, rquilibre par le juge,
lorsque celle-ci se trouvait entache dexcs. Ce faisant, lauteur liait ncessit et dsquilibre
de la convention9. La violence pouvait ainsi natre des circonstances, et le concept de violence
conomique se dvelopper. Sa position ne fut cependant pas suivie en 1804, les rdacteurs du
Code Civil se prononant nettement pour un refus de principe de la lsion, mcanisme qui
apparaissait au cur du raisonnement de Pothier. Ce nest que trs ponctuellement au regard
de limportance du dveloppement conomique au cours des deux derniers sicles, que le
droit franais a peu peu pris en compte lexploitation dun tat de ncessit, avant de
consacrer dans les annes rcentes la notion de violence conomique en sappuyant sur la
lettre des articles 1111 et 1112 du Code Civil et en rattachant ainsi cette problmatique celle
des vices du consentement.
Larrt du 21 avril 1887 de la Chambre des requtes de la Cour de Cassation (affaire Le Rolf),
statuant sur la question de savoir si le capitaine dun navire qui avait fait un remorqueur une
promesse de rmunration exagre devant les dangers dun naufrage tait bien fond

I. BENEIX, Lunification prtorienne du vice de violence conomique en droit priv, Les Petites Affiches 25
aot 2006.
8
I. BENEIX, ibid..
9
P.CHAUVEL, Violence, contrainte conomique et lsion, in Mlanges Sohm, 2004, p.19

contester son engagement une fois tir daffaire, se dtourne de la question de lorigine de la
violence pour se focaliser sur le caractre libre, ou non, du consentement : lorsque le
consentement nest pas libre, quil nest donn que sous lempire de la crainte inspire par
un mal considrable et prsent, auquel la personne ou la fortune est expose, le contrat
intervenu dans ces circonstances est entach dun vice qui le rend annulable .10 La solution
prsente un caractre rvolutionnaire, en ce que ni lorigine de la violence, ni le caractre
dsquilibr de la convention ne sont pris en compte pour apprcier lexploitation de ltat de
ncessit. Lessentiel rside ici dans la dimension volitive du consentement.
Si cet arrt est trs loign aujourdhui des exigences poses par la Cour de cassation au cours
des annes 2000 pour recevoir le concept de violence conomique, celui-ci nen est pas moins
le premier prendre position de faon si ferme pour la possibilit dune sanction de
lexploitation dun tat de ncessit. La gnralit de sa formule, bien quapplique au
contexte particulier du droit maritime, pouvait permettre la sanction de la violence
conomique, mesure que le contexte conomique favorisait des rapports contractuels
marqus par la contrainte. Ds lors que le consentement nest pas libre, le contrat est
annulable : lorigine de la contrainte peut devant une telle formule provenir des circonstances,
et donc des circonstances conomiques.
Au cours des annes 2000, la Premire Chambre Civile de la Cour de Cassation11 consacre
dans son principe la prise en compte par le droit de la violence conomique, entendue comme
une technique de contrle des rapports contractuels devant se rattacher au cercle des vices du
consentement et se dtacher de la lsion. La position du droit franais semble quilibre en ce
quelle se veut aussi bien protectrice des intrts de la partie faible que de notre tradition
juridique. Il sera dmontr quil nen est rien, et que la solution nest quun artifice visant
prserver les principes sculaires du droit franais, tout en intgrant discrtement des
principes communment admis outre Manche et outre Atlantique.
5.

La rponse du droit franais ne devrait en effet pas tre examine sans tre compare

celles des principaux systmes juridiques qui lentourent. Il convient de renverser demble
lassociation instinctive des pragmatismes anglais et amricain avec une finalit conomique

10
11

Cass. Re., 27 avr.1887, D.1881, 1, p.263, cit par P.CHAUVEL, ibid.


Cass.1e Civ, 30 mai 2000, Bull. civ. I, n169, p.109 ; Cass.1e Civ., 3 avr. 2002, D.2002., p.1880.

prvalente dans le droit des contrats12 et constater ainsi que la France ne fait pas figure de
pionnire en matire de protection de la partie en situation de faiblesse conomique. La
moralisation du comportement des parties contractantes a depuis longtemps impliqu la
reconnaissance de la notion deconomic duress, ie de la contrainte conomique chez les
champions du libralisme, au prix dune certaine entrave au libre jeu des relations
contractuelles.
Si les systmes de Common Law et le droit franais prsentent de profondes diffrences, la
comparaison des mcanismes de protection des parties conomiquement en situation de
faiblesse est rvlatrice dune certaine convergence entre les solutions, mesure que droit
franais et droit anglais rencontrent des difficults similaires (Partie I). La rception franaise
de la violence conomique met en vidence les incohrences de notre droit, qui sefforce,
dans la forme, de prserver sa tradition juridique, tout en laissant percevoir la ncessit
dvolutions substantielles, pour partie inspires des concepts de Common Law (Partie II).

12RuthSEFTONGREEN,Linfluencedelanalyseconomiqueendroitanglaisdescontrats:lerenversement

desidesreues,LaGazetteduPalais,910mars2005.

PARTIE I : Vers une convergence des rceptions de la violence conomique


entre droit franais et droit anglais

Section premire : La rception de la violence conomique


Ltude compare de lmergence du concept de violence conomique au sein des pays de
Common Law, et particulirement de la Grande-Bretagne (1), avec celle que connat le droit
Franais (2) rvle certaines diffrences dans le traitement de la problmatique de la
protection du contractant en position de faiblesse. Pourtant, dimportants mouvements de
convergence peuvent tre mis en vidence.
1- Le dveloppement de la doctrine de leconomic duress en droit anglais
Nous tudierons le dveloppement historique des modes de protection des parties dont la
position contrainte ou de faiblesse est exploite par une autre partie (1-1), avant de prsenter
le rgime de la doctrine de leconomic duress (1-2), qui prsente a priori le plus de
similitudes avec la notion de violence conomique telle quelle est aujourdhui entendue en
droit Franais.
1-1

: Gense de la protection du contractant en position de faiblesse

Le droit anglais sest dot de diffrentes techniques : la violence conomique a t peu peu
accepte en Common Law (1-1-a)), pendant que sur le terrain de lEquity, dautres modes de
recours se dveloppaient au bnfice des parties dont la faiblesse, conomique ou
intellectuelle, a t exploite (1-1-b)).
1-1-a) Lmergence du concept de violence conomique (economic
duress)
6.

linstar du droit franais, la premire forme de contrainte reconnue par la Common

Law tait la violence exerce par une personne physique ou la menace de laccomplir. Les
critres runir pour caractriser la violence en faisaient une notion dutilisation dlicate. En
effet, les plaideurs devaient la fois dmontrer que la conduite de leur cocontractant tait
dlictuelle ou criminelle, mais encore quelle tait de nature triompher de tout homme
raisonnable. Laccent tait alors mis sur le caractre illgal de la menace plutt que sur les

consquences de celle-ci sur la partie contrainte12. Le droit franais a conserv le standard de


lhomme raisonnable, alors que le droit anglais et le droit amricain ont peu peu abandonn
ce dernier critre.
7.

Les tribunaux anglais ont dabord tendu la porte de la violence, dans des cas o la

contrainte rsultait de la saisie ou de la dtention illgale de biens par une des parties
contractantes (duress of goods). Le premier arrt, Ashley v. Reynolds remonte 1732, et
aucune distinction nest faite entre la simple menace de saisie des biens et leur saisie
effective. Lattention des juges se porte encore sur le caractre illgal de la contrainte, et non
sur leffet de celle-ci sur le consentement de la victime de la contrainte. En 1840, larrt
Skeate v. Beale porta un frein au dveloppement de la doctrine de la contrainte conomique,
en rduisant lintrt dutiliser un tel fondement : le contrat rsultant dune pression sur les
biens de la victime ne pouvait pas tre annul, la victime ne pouvant obtenir que la
rtrocession des paiements effectus en vertu dudit contrat. Pendant plus dun sicle, cette
solution, couple avec le critre de lhomme raisonnable, a retard le dveloppement dune
doctrine cohrente de la contrainte conomique en droit anglais14. Pourtant la dimension
patrimoniale nouvellement acquise de la contrainte, devait faciliter son extension
lhypothse de menaces portant sur les intrts conomiques de la personne contrainte.
8.

Ds les annes 1960, des cas comme Rookes v. Barnard ou encore D. C. Builders Ltd.

V. Rees15, ont pu tre interprt par une partie des commentateurs comme annonant
louverture dun plus grand domaine de relations contractuelles susceptibles dentrer dans le
champ de la doctrine de duress. Le contexte des annes 1970, priode de crise conomique,
dinstabilit des marchs et dinflation, explique par le besoin pressant des contractants de
rengocier les contrats, lmergence de la doctrine deconomic duress. En 1976, le cas
Occidental Worldwide Investment Corp. V. Skibs /S Avanti (plus connu sous le nom de The
Siboen and The Sibotre), marque un tournant, mme si en lespce les demandeurs laction
nont pu prouver la contrainte et ont obtenu gain de cause sur le terrain de lerreur. Reprenant
la doctrine de duress, le juge Kerr y affirme la ncessit dlargir le champ des sanctions dans
le cas datteintes aux biens, jugeant la solution trop restrictive. Celui-ci se pronona ainsi en

12

R.HALSON, Opportunism, economic duress and contractual modifications, The Law Quarterly Review
1991.
14
Alan EVANS, Economic duress, in Journal Of Businness Law 1981
15
R. HALSON, op.cit.

10

faveur de la possibilit pour les victimes dune telle contrainte dobtenir la nullit du contrat
qui en est le rsultat.
Un important changement dapproche est encore souligner : dans lapprciation de la
contrainte, les juges ne doivent pas seulement apprcier le comportement de la partie
susceptible dtre lauteur de la violence, mais sattacher dterminer si le contrat est le
rsultat dune libre rencontre de volonts. Ds lors, des pressions commerciales ne sauraient
suffire carter la validit du contrat si le demandeur laction ne peut prouver quelles
taient de nature vicier son consentement16. En mettant laccent sur la libert du
consentement, les tribunaux anglais se rapprochent de la solution pose en droit franais dans
laffaire Le Rolf prcite.
Le raisonnement dvelopp par le juge Mocatta dans larrt North Ocean Shipping Co. Ltd. V.
Hyundai Construction Co. Ltd. (plus connu comme The Atlantic Baron), et rendu en 1979,
marque une tape dcisive dans la rception de la contrainte conomique par le droit anglais.
La contrainte tait ici constitue, selon les demandeurs, par la menace de lentrepreneur partie
au contrat de mettre fin au contrat, si ceux-ci nacceptaient pas une augmentation du prix. Il
est relever quen lespce, les demandeurs ntaient pas en situation conomiquement
dfavorable, et taient au contraire en train de ngocier un contrat particulirement lucratif
avec dautres parties, dpendant cependant de la ralisation du contrat litigieux. La contrainte
ne provenait ainsi aucunement des circonstances conomiques ou de la situation dlicate des
demandeurs, mais uniquement de la menace par lune des parties de mettre fin au contrat sils
nacceptaient pas la modification contractuelle. Autrement dit, il ntait pas tabli quun refus
des demandeurs les auraient mis en grande difficult conomique, mais simplement quil les
auraient certainement priv dun contrat particulirement intressant. Pourtant, cest partir
de cette situation que le juge Mocatta a reconnu que la contrainte pouvait prendre la forme
dune contrainte conomique (economic duress), et tendu lopinion du juge Kerr quant la
possibilit dannuler les contrats rsultants de atteintes aux biens dun des contractants aux
contrats conclus sous la pression de contraintes conomiques. Ds lors, de tels contrats
peuvent tre annuls et les sommes indment payes, restitues la victime de la contrainte.
Leffet de cette dcision est douvrir un large champ la contrainte conomique, ds lors que
celle-ci peut tre avance par les victimes dans le cas de modification contractuelle, sans que
celles-ci naient prouver la fragilit de leur situation conomique.

16

A. EVANS, op.cit.

11

9.

Enfin, larrt Pao On v. Lau Yiu rendu en 1980 permit de fixer dfinitivement en son

principe la doctrine de la contrainte conomique, en affirmant que les contrats conclus par
leffet dune telle contrainte pouvaient tre annuls ds lors quil tait prouv que le
consentement avait t vici. Lapproche semble rsolument subjective.
Notons quaux Etats Unis, la notion deconomic duress a connu un dveloppement plus
ancien, llargissement commenant ds la fin du XIXe sicle, avant de prendre toute son
ampleur sous limpulsion de la doctrine dans les annes 1930-1940. Cest encore une fois au
cours dune priode crise conomique et dinterventionnisme tatique, que des auteurs comme
J. Dalzell sinterrogent sur le devenir de la libert contractuelle.
1-1-b) Une rponse gradue aux abus de situation
10.

Loriginalit du droit anglais est de prsenter une pluralit de notions remplissant

premire vue la fonction commune de protger les contractants dont la position de faiblesse
est exploite par leurs cocontractants en position dominante. Il sagit de la doctrine de labus
dautorit (undue influence), qui se divise elle-mme en deux branches (actual undue
influence et presumed undue influence), ainsi que de celle de lunconscionability. Ces
doctrines se sont essentiellement dveloppes en Equity, alors que la rception par la
Common Law de la contrainte conomique tait encore trs restrictive. Leur coexistence
pouvait permettre denvisager lensemble des rapports contractuels humain et les diffrentes
formes de domination. Leurs interrelations taient enfin lexemple du relais russi de lEquity
pour venir pallier les dficiences de la Common Law17.
11.

Labus dautorit, dans sa premire branche, ie lorsque celui-ci doit tre dmontr

rsulte de labus par une partie en position de domination, intellectuelle ou conomique. La


doctrine voit dans cette forme dabus dautorit le pendant en Equity de la doctrine
deconomic duress18. La victime doit apporter la preuve que son consentement a t influenc
de faon dterminante par la partie ascendante. De la mme faon que pour la violence,
lvaluation de la substance du contrat qui en rsulte nest pas un critre pour obtenir
satisfaction en justice, mais le caractre dsquilibr de celui-ci pourra servir dlment de
preuve. Le cur de la dmonstration repose ici encore sur le comportement de la partie

17

Matthew D J CONAGLEN, Duress, Undue Influence, and Unconscionable Bargains The theoretical mesh,
New Zealand Universities Law Review.
18
M. D J CONAGLEN, ibid. ; CAPPER, Undue Influence and Unconscionability : a rationalisation., TheLaw
Quarterly Review 1998-479.

12

ascendante et en labsence de conduite immorale ou de fraude, le recours ne sera daucune


aide la victime.
12.

Lorsque les parties contractantes sont dans certaines relations dfinies par la loi,

marques par une forte confiance dune des parties lgard de lautre, et que la transaction
entre les parties nest pas de celles qui peuvent tre raisonnablement attendues de ce type de
relations, la loi prsume en faveur de la partie la plus faible que la transaction est le rsultat de
lusage abusif de son autorit par la partie ascendante19. Au contraire de la doctrine dactual
undue influence, celle de presumed undue influence, repose sur une apprciation de labus au
regard du caractre dsquilibr de la transaction, par la dmonstration dun dsavantage
manifeste . Ce nest quaprs cette preuve que la prsomption joue. On remarque en doctrine
que ce facteur nest pas pour autant lunique critre, mais quen la matire, il convient de
prendre en considration la fois le processus qui a pouss la partie la plus faible contracter
et la substance du contrat qui en rsulte20. Le droit anglais apparat, avec le recours la
thorie de labus dautorit, enrichi dune technique de protection efficace de la partie faible,
en permettant dapprhender des formes de pressions plus subtiles, qui partagent avec la
doctrine de leconomic duress le mme souci de protection de la partie faible devant les
pressions exerces sur ses intrts conomiques.
13.

Si les applications en droit anglais de la doctrine de lunconscionable bargain, ie

littralement du contrat moralement rprhensible sont trs rares, lunconscionability procde


du mme esprit et vise punir le comportement rprhensible de celui qui profite dune
situation de faiblesse pour tirer un avantage excessif. Le contrle des tribunaux ne se rsout
pas en la matire un contrle objectif, et le droit anglais impose la runion de trois
conditions cumulatives21, introduisant galement une part de subjectivisme : lune des parties
doit tre en situation de faiblesse par rapport son cocontractant, du fait de sa pauvret ou de
son ignorance, dun manque de conseil ou pour tout autre raison ; cette faiblesse doit tre
exploite par lautre partie de faon moralement rprhensible et enfin le contrat doit faire
apparatre un dsquilibre extrme, de nature choquer la conscience daprs les termes
dun auteur. Cette doctrine apparat premire vue comme une technique complmentaire de
leconomic duress sur le continuum des relations contractuelles, en ce que cette dernire

19

M. D J CONAGLEN, ibid.
M. D J CONAGLEN, ibid.
21
Yves-Marie LAITHIER, Remarques sur les conditions de la violence conomique (suite et fin), in Les Petites
Affiches 23 novembre 2004.
20

13

suppose une menace alors que lexploitation de la situation qui caractrise lunconscionability
nest pas ncessairement assimilable une menace.
Cette doctrine est officiellement reconnue et codifie22 aux Etats-Unis mais donne en
revanche lieu une jurisprudence peu unitaire alors que celle-ci est souvent invoque. La loi
ne donne pour autant aucune dfinition de lunconscionability et lessentiel de la
jurisprudence articule cette doctrine autour de deux critres : une importante ingalit entre
les parties ayant priv lune dentre elles de choix rel au moment o il sest engag et un
dsquilibre manifeste dans le contenu du contrat23.
1-2 Rgime de leconomic duress
Ltude du rgime de leconomic duress impose de dterminer les lments constitutifs de la
contrainte et de relever que cest sur cette problmatique que se concentre lessentiel des
difficults du droit anglais (1-2-a)), avant de dlimiter le champ dapplication de la doctrine et
les sanctions applicables (1-2-b)).
1-2-a) La caractrisation de la contrainte
14.

Ltude du droit anglais et de lvolution de la jurisprudence rvle les tensions

permanentes que ce concept fait natre entre les tenants du libralisme et ceux pour lesquels la
libert contractuelle ne saurait tre vritable sans un consentement libre et clair. Dans un
premier temps, les juges ont entendu dmarquer nettement la doctrine de leconomic duress
de la conception traditionnelle de la violence qui insistait sur le caractre dlictuel ou criminel
des actes de la partie coupable de violence. Laccent est mis sur lapprciation du caractre
contraint, voir absent, du consentement. Le juge Kerr affirme avec force dans The Siboen and
The Sibotre que les tribunaux doivent dans chaque cas tre convaincus que le consentement a
t domin par la contrainte au point de la priver de tout animus contrahendi24. Cest la
doctrine de loverbone will. Le consentement nest pas seulement vici, il est considr
comme tant quasiment inexistant.
Pour encadrer le juge dans cette recherche, larrt Pao On donne un certain nombre de
facteurs, tous relatifs aux consquences du comportement de lauteur de la violence sur le
consentement de la victime de celle-ci. Lattention du juge se porte presque exclusivement sur

22

2-302 de lUCC, puis 208 du Restatement (Second) of Contracts.


Y-M. LAITHIER, op.cit.
24
A.EVANS, op.cit.
23

14

la victime, ds lors que la simple menace de rompre un contrat en cours dexcution est
prsume comme tant illgitime. Cest leffet de celle-ci sur le consentement de la victime
qui permettra de trancher les cas deconomic duress. Le comportement de lauteur de la
violence, sa bonne foi ventuelle, ne sont pas des facteurs dterminants25. Les 4 critres poss
par Pao On par le juge Scarman sont : 1) lexistence dune solution alternative satisfaisante au
bnfice de la partie contrainte (comme un recours en justice par exemple), 2) et 3)
lexistence de protestations faites par la victime au jour de la conclusion du contrat et celle
dun avis juridique indpendant sur lequel elle peut sappuyer, 4) de dterminer si cette
dernire a pris des mesures pour viter lapplication du contrat une fois celui-ci conclu.
15.

Certains remarquent en doctrine que Lord Scarman lui-mme semble suggrer la fin

de cette numration que ces facteurs sont uniquement probatoires et quaucun nest
dfinitivement concluant. La critique de ces tests a particulirement t dveloppe propos
darrts ultrieurs (The Vantafe Navigation Corporation v. Suhail and Saud Bahwan Building
Materials LLC (The Alev ) et The Atlas Express Ltd v Kafco Ltd), o il est apparu que ces
tests avaient t peu utiles la caractrisation du caractre vici du consentement26 (mme si
les juges y ont fait rfrence). La premire raison est le dfaut de hirarchie entre ceux-ci,
laissant ainsi les tribunaux avec lembarras de dterminer leur articulation. Il peut certes tre
remarqu que la doctrine de leconomic duress est par essence trs factuelle, expliquant ainsi
les difficults des tribunaux. Cest sans doute la prise en considration de cet tat de fait qui a
pouss les juges anglais dplacer leur contrle de lintgrit du consentement de la victime
au caractre illgitime de la contrainte ou des pressions conomiques exerces par lauteur de
la violence.
16.

Deux dcisions majeures, Universe Tankships Inc. Of Monrovia (1982) et Dimskal

Shipping Co. S.A. v. International Transport Workers Federation, The Evia Luck (1991), ont
remis la nature illgitime de la pression au centre de lapprciation de la violence
conomique, oprant ainsi un retour lapproche traditionnelle de la violence en droit anglais.
Dans la premire dcision, le rle du caractre illgitime de la contrainte est primordial en ce
que Lord Diplock considre que la preuve dune pression illgitime est suffisante et que la

25

R.HALSON, op.cit.
A. PHANG, Whither Economic Duress ? Reflections on Two Recent Cases, in The Modern Law Review, jan
1990.
26

15

preuve que cette pression et lorigine de lacceptation par la victime du contrat est labsence
de rvocation subsquente par celle-ci du contrat27.
Lord Scarman va rejoindre Lord Diplock dans cette conception qui fait de lillgitimit de la
contrainte le vritable critre. Cependant, celui-ci va considrer que pour dterminer cette
dernire, il convient de prendre en considration la fois la nature de la pression et la nature
de la demande sur laquelle la pression sexerce. Cette conception lui permet de faire une
distinction entre les actes illgaux qui sont clairement illgitimes et les menaces dactes
lgaux qui ne deviendront illgitimes que si la nature de la prtention objet des pressions est
elle mme illgitime28. Lord Diplock ne reconnat pas cette extension de la doctrine de
leconomic duress aux menaces de commettre des actes lgaux.
La solution de Universe Tankships pose un test exigeant la runion de deux lments distincts
pour la caractrisation de la violence conomique : 1) une contrainte dterminante du
consentement et viciant celui-ci, 2) une contrainte illgitime.
Dans deux arrts rcents, DSND Subsea v. Petroleum Geo-Services28bis et Carillion
Construction Limited v Felix (UK) Ltd, le juge Dyson a confirm limportance du critre de
lillegitimacy, en dfinissant leconomic duress comme tant la rsultante de pressions
illgitimes dont leffet est labsence de choix possible pour la victime, tant de nature
dterminante quant la conclusion du contrat par la victime de la contrainte29.
1-2-b) Champ dapplication et sanctions :
17.

Ltude du champ dapplication de la doctrine de leconomic duress rvle quen

principe celui-ci est beaucoup plus troit que celui de labus de position dominante droit
franais. En effet, celle-ci ne sentend en principe que dans le cas de modifications
contractuelles. La doctrine considre mme que la doctrine est devenue loutil majeur de la
police de rengociation des contrats29bis . La menace de rompre un contrat prexistant apparat
le plus souvent dans les arrts fondateurs exposs plus haut comme tant illgitime en ellemme. A cet gard, daucuns proposent que la loi devrait reconnatre que la menace de

27

MH OGILVIE, Economic duress in contract : departure, dtour or Dead-end ?, Canadian Business Law
Review 2001.
28
MH OGILVIE, ibid.
28bis
DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo Services ASA 2000 B.L.R. 530 (QBD (TCC))
29
D. TAN, Constructing a doctrine of economic duress, the Construction Law Journal, 2002, 18(2), 87-96.
29bis
D. TAN, ibid.

16

rompre un contrat peut tre lgitime ds lors quune modification contractuelle est accepte et
que cette modification est raisonnable au regard des circonstances non anticipes par les
parties devant excuter le contrat30. Lenjeu est ici la flexibilit contractuelle et une
reconnaissance trop vaste de la doctrine de la contrainte conomique est de nature empcher
toute adaptation du contrat aux circonstances extrieures ds lors que lune des parties pourra
obtenir lannulation de celui-ci (sous rserve davoir exprimer certaines rserves au jour de la
rengociation du contrat). La solution est pourtant bien loppos et les victimes de la
contrainte conomique bnficient dune certaine prsomption dillgitimit de la
modification contractuelle.
En revanche, lon a pu sinterroger sur la question de savoir si le refus de contracter dans le
futur oppos par un fournisseur un distributeur alors que ce dernier sapprovisionnait
exclusivement auprs du premier tait constitutif dune contrainte conomique sanctionnable
par les tribunaux. Il semblerait que la doctrine et la jurisprudence considrent quune telle
menace ne soit pas per se illgitime31.
18.

Quant aux sanctions, nous avons vu que depuis le cas The Siboen and The Sibotre, il

est reconnu que le contrat conclu la suite des pressions conomiques tait annulable,
renversant la solution trs restrictive qui tait jusqualors applicable au cas datteintes aux
biens. Pour autant, une certaine controverse sest dveloppe, entre la vision de Lord Diplock
et celle de Lord Scarman.
Le premier considrait en effet que si la violence, la duress, peut tre dlictuelle et ouvrir la
voie des dommages intrts, il ne pouvait en tre de mme pour la violence conomique et
les victimes ne sauraient obtenir rparation que par la voie des restitutions et de lannulation
du contrat.
Le second se prononait en revanche pour ouvrir aux victimes de leconomic duress les
terrains des dommages intrts et de lannulation du contrat, considrant que les contraintes
conomiques pouvaient constituer un dlit et causer des dommages32.

30

MH OGILVIE, op.cit.
MH OGILVIE, ibid.
32
MH OGILVIE, ibid.
31

17

2- La rcente rception de la violence conomique par le droit franais


La sanction des abus de situation sest dveloppe de faon parcellaire en droit franais avant
de trouver une thorisation rcente. linstar du droit anglais, cette protection est assure par
diffrents fondements (2-1) ; le rgime qui en rsulte est des plus exigeants (2-2).
2-1: Gense de la protection du contractant en position de faiblesse
Le contractant dont la situation de faiblesse a t exploite se voit offert diffrents recours,
dpendant essentiellement de ses qualits. Au recours rcemment consacr en droit commun
(2-1-a)) ont prcd un certain nombre de fondements issus des droits spciaux (2-2-b)).
2-1-a) Apparition de la notion de violence conomique en droit commun
19.

Si certains retracent le concept de violence conomique en doctrine 1890 et une thse

de A. Breton32bis, la jurisprudence sest carte ds la fin du XIXe sicle de la tradition


romaine et de la lettre du code civil (articles 1109 et 1111) qui exigent que la violence mane
dun homme dans des affaires de droit maritime et plus prcisment dassistance maritime
comme ce fut le cas dans laffaire Le Rolf prcdemment expose. Sil ne sagit pas en
lespce a proprement parl de violence conomique, en ce que ntaient pas seulement en
cause les intrts conomiques des victimes en situation de dtresse, nous avons remarqu que
laudace de la jurisprudence franaise fut de consacrer la possibilit dannuler un contrat issu
de la contrainte provenant de circonstances extrieures aux contractants, ds lors que la
preuve tait rapporte que le consentement navait pas t libre. On observe en doctrine que
cette solution est ne dun droit de praticiens, lesprit libr des contraintes du droit civil33.
Cette solution a t conteste par certains auteurs, estimant que ltat de ncessit ne pouvait
tre qualifi de violence, la menace devant tre la cause de lengagement et pas seulement
loccasion34. La majorit de la doctrine a maintenu, mme aprs cette solution, son hostilit
lassimilation entre violence et tat de ncessit, considrant quil fallait tablir un lien direct
entre la menace profre et lengagement contract. Il est ds lors trs rare que la violence
svince des seules circonstances trangres aux parties, et le plus souvent, lune delles en
fait linstrument dune menace qui dtermine la conclusion du contrat.

32bis

I. BENEIX, Lunification prtorienne du vice de violence conomique en droit priv, Les Petites Affiches
25 aot 2006.
33
J.TREILLARD, La violence comme vice du consentement en droit compar, in Mlanges Laborde-Lacoste,
1963, p.419.

18

En 1980, la Cour de cassation prend une position qui pour la majorit de la doctrine marque
son refus daccepter lannulation dun contrat conclu sous la pression dune des parties
abusant de sa puissance conomique, en cassant la cour dappel de Paris qui avait fait droit
cette prtention35. La chambre commerciale avait en effet reproch aux juges du fond de ne
pas avoir prcis en quoi les agissements de ce concdant taient illgitimes. Il nous apparat
curieux de voir avec quelle prcipitation les pourfendeurs de la violence conomique ont
interprt cette solution comme marquant le rejet par la Haute Cour du concept. La cassation
pour dfaut de base lgale nest en effet prononce quautant que lillgitimit de la contrainte
nest pas prouve ni retenue par les juges comme lun des lments constitutifs de la violence.
Une interprtation a contrario pourrait permettre de voir en cet arrt lune des dcisions
annonciatrices de lmergence du concept en droit franais. Dautant que la mise en
perspective de celle-ci avec le droit anglais se dveloppant partir de 1976 et de larrt The
Siboen and The Sibotre, fait apparatre une singulire concordance entre les solutions des
cours des deux pays. La pression tait forte en effet parmi les juridictions du fond franaises.
20.

Ds avant les annes 2000, la Chambre sociale de la cour de cassation avait eu

loccasion, en 1965, de reconnatre, sans la nommer ouvertement, la violence conomique


sous la forme de la violence morale et, selon les termes de larrt, dune contrainte
irrsistible constitutive de violence 36. Un arrt du 8 novembre 1984 de la Chambre sociale
fait apparatre dans une lecture a contrario que si la Cour dappel avait fait tat dun abus de
force conomique et non de voies de fait, les juges du droit aurait reconnu la violence
conomique37. On le voit, le concept en tait ses balbutiements et les juridictions du fond,
presses de porter assistance la partie en situation de faiblesse conomique, en oubliaient de
trouver le fondement adquat.
Cest en 1987 que J. Rovinski publie sa thse, dfinissant le vice de violence conomique
comme lexploitation abusive par un contractant dominant dun tat de supriorit
intellectuelle lors de la ngociation, caractrise par des pressions matrielles ou
psychologiques atteignant le consentement du contraint dans son lment de libert dune

34

Aubry et Rau, Cours de droit civil franais, 5e ed. , 1902 ; t. 4 ; 343 bis, p.500, 501.
Cass.com. 20 mai 1980, Bull.Civ., IV, n212.
36
Cass.soc., 5 juillet 1965, Bull.civ., V, n243.
37
Isabelle BENEIX, op.cit.
35

19

manire suffisamment forte pour justifier lannulation dun contrat dsquilibr qui en est
rsult, gnrateur davantages injustes en faveur du contractant dominant 38.
Sappuyant sur cette dfinition, les juridictions du fond vont assimiler peu peu la contrainte
conomique la violence, avant de voir leur solution consacre par la Premire Chambre
civile de la Cour de cassation le 30 mai 2000. En jugeant que la contrainte conomique se
rattache la violence et non la lsion , la cour va, pour reprendre le mot dun auteur,
sortir la violence conomique de son ghetto juridique 39. La question de la porte de cet
arrt avait pu tre un temps pose par les auteurs effrays de cette solution, esprant que la
solution ayant t pose au visa des articles 2052 et 2053 du code civil et dans le cadre
particulier des transactions, celle-ci resterait circonscrite ce domaine. Le visa, aux termes
gnraux, laissait prsager de son extension prochaine toutes les formes de contrats et la
solution dsormais clbre du 3 avril 2002 rendue par la mme Chambre de la Cour de
cassation est venue dfinitivement poser le principe dun vice de violence conomique
rattach au vice du consentement.
2-1-b) La protection offerte par les droits spciaux
21.

Alors que le droit anglais a dvelopp plusieurs recours prtoriens au bnfice des

victimes des diffrentes formes de violence conomique, le droit franais prsente lui
plusieurs dispositions lgislatives toutes tournes vers la protection des parties dont la
position de faiblesse est exploite. A la diffrence du droit anglais dont nous avons vu quil
offre une protection graduelle, et des recours variant selon les rapports de domination, le droit
franais propose des recours qui coexistent mais ne sauraient tre aligns sur un mme
continuum. Le droit de la concurrence, le droit de la consommation, le droit social et le droit
pnal ont, chacun leur mesure, prvu des rponses aux abus de puissance contractuelle.
22.

Le droit de la concurrence a du ragir aux rapports de domination qui rgissent les

relations contractuelles entre producteurs et distributeurs, et dvelopper la notion dabus de


puissance conomique. Cest par lordonnance n86-1243 du 1er dcembre 1986 que le
lgislateur va intervenir. Les dispositions de ce texte se retrouvent larticle 420-2 du Code

38

J.ROVINSKI, Le vice contractuel de violence dans le droit moderne des contrats, th. Aix, 1987, spc. N133,
p.225 et n 180 , p.387.
39
Grgoire LOISEAU, Violence conomique, in La Semaine Juridiquen4 24 janvier 2001, p.195.

20

de commerce qui prohibe ds lors quelle est susceptible daffecter le fonctionnement de la


structure de la concurrence, lexploitation abusive par une entreprise ou un groupe
dentreprise dune position dominante sur le march intrieur ou une partie substantielle de
celui-ci , ainsi que lexploitation abusive par une entreprise ou un groupe dentreprises de
ltat de dpendance conomique dans lequel se trouve son gard une entreprise client ou
un fournisseur. Les lois du 1er juillet 1996 et du 15 mai 2001 (loi NRE), rformant le droit
de la concurrence ont introduit de nouvelles dispositions qui figurent larticle L.442-6 du
Code de commerce, qui se rapprochent nettement de la violence conomique. Sont
sanctionns par exemple le fait de menacer un partenaire conomique dune rupture brutale de
relations commerciales pour obtenir ou tenter dobtenir des prix, des dlais de paiement, des
modalits de vente, ou des conditions de coopration commerciale manifestement
drogatoires aux conditions de vente. La domination ou la dpendance conomique ne sont
pas illgitimes en elles-mmes et seul leur abus est condamnable. Lingalit est inhrente au
march conomique et la libert de consentement doit tre respecte.
Ce sont des critres essentiellement conomiques, apprcis du point de vue du domin, qui
permettent le constat de la relation de dpendance. La loi NRE a facilit la preuve de
labsence de solution alternative, auparavant expressment exige par larticle L.420-2, I, 2
ancien, en tablissant une prsomption sous condition de la runion de certains indices. La
rforme a galement supprim la rfrence latteinte au march issue de larticle L.420-1
relatif labus de position dominante, afin de favoriser les victimes. Ce faisant, la rfrence
au march pertinent disparat de fait, permettant une caractrisation plus aise de latteinte
la concurrence, condition maintenue larticle L.420-2. Cette dernire exigence montre que
labus de dpendance vise toujours des pratiques sanctionnes pour leur effet collectif. Cest
la principale diffrence avec le droit commun, qui rvle que le droit franais napprhende
pas la protection des parties faibles selon un continuum des relations contractuelles mais en
visant des sphres qui coexistent, avec des domaines nettement diffrents.
Cependant, la loi N.R.E., poursuivant son objectif de protection, a largi considrablement le
champ des rapports contractuels susceptibles dentrer dans le giron du droit de la concurrence,
en permettant sur le fondement de larticle L.442-6 du Code de commerce de sanctionner les

21

effets dune force conomique subis individuellement40. Nous verrons les consquences
critiquables de cette extension, en ltat de notre droit, dans les dveloppements qui suivent.
Un constat simpose : la violence conomique existe dj en droit de la concurrence.
23.

En droit de la consommation, ltat de ncessit a un temps t pris en compte presque

expressment par larticle L.122.13 du Code de la consommation, qui sanctionnait


lexploitation en connaissance de cause de circonstances extrieures un individu le mettant
dans un tat de faiblesse. La rpression des clauses abusives a sembl habite du mme
objectif et si la loi du 1er fvrier 1995 a abandonn les rfrences aux abus de puissance
conomique et davantage excessif dans le corps de larticle L.132-1 du Code de la
consommation, lesprit de la rglementation des clauses abusives demeure. La jurisprudence
est reste fidle aux termes d abus de puissance conomique 40bis. Son but est identique
la violence conomique : assurer la protection du contractant en situation de faiblesse,
contraint conomiquement daccepter des conditions dfavorables. En doctrine, on remarque
que le droit de la consommation a depuis cette loi pu smanciper des conditions de la
violence conomique tout en rejoignant le droit commun sur le fait que le dsquilibre
contractuel dsormais exig suggre une situation latente de contrainte conomique 41.
Enfin, les articles L.122-8 L.122-11 du mme Code traitent du dlit dabus de faiblesse,
class dans les pratiques commerciales illicites.
24.

Le droit pnal incrimine lui labus de ltat dignorance ou de la situation de faiblesse

lorsquil tend la conclusion dun acte gravement prjudiciable la personne qui en est
victime (article 313-4 du nouveau Code pnal) ; il rprime encore labus de vulnrabilit ou
de situation de dpendance quand il porte obtenir dune personne la fourniture de services
non rtribus ou en change dune rtribution manifestement sans rapport avec limportance
du travail accompli. Lobjet et les consquences de cet abus sont avant tout conomiques41bis.
Enfin, nous avons vu que la formation sociale de la Cour de cassation avait t trs tt
confronte aux problmatiques souleves par la violence conomique ; ce nest que logique
ds lors que les salaris sont le plus souvent dans une situation de dpendance conomique
lgard de leur employeur. Prcisons simplement que la simple dpendance ne suffit pas

40

I.BENEIX, op.cit.
Cass.civ.1re, 1er fvrier 2005, indit, pourvoi n 03-18.795.
41
G.LOISEAU, op.cit.
41bis
I.BENEIX, op.cit.
40bis

22

caractriser la violence conomique, qui ne peut tre valablement invoque quen cas de
contrainte conomique.
Le droit franais prsente ainsi un panel de fondements diffrents, destins des catgories de
demandeurs bien dtermines : consommateurs, entreprises en situation de dpendance
conomique
2-2 : Le rgime de la violence conomique
Le choix de la jurisprudence franaise de rattacher la violence conomique aux vices du
consentement entraine un rgime fortement imprgn des lments essentiels cette thorie
(2-2-a)) ; son champ dapplication et ses sanctions participent du mme esprit (2-2-b)).
2-2-a) Les lments caractristiques dun vice du consentement
25.

Le principal apport des arrts rendus par la Cour de cassation le 30 mai 2000 et le 3

avril 2002 est de rattacher la violence conomique un cadre juridique tabli, et den prciser
les conditions dapplication, mettant ainsi un terme aux divergences parmi les juges du fond
dans lapprciation de la contrainte et la qualification de la violence.
Dans le premier arrt, la Cour de cassation dtache nettement la contrainte conomique de la
lsion, admettant ainsi que la contrainte conomique puisse tre sanctionne en elle-mme, et
en la rattachant la violence. Cette position montre clairement que par la violence
conomique, cest la libert contractuelle que lon cherche protger, en assurant la ralit du
consentement. En lespce, la Cour casse une dcision de la Cour dAppel de Paris41ter qui
avait refus la demande dannulation dune transaction prsentant un caractre manifestement
lsionnaire entre un assur et son assureur, considrant que la transaction ne pouvait tre
attaque pour cause de lsion. La contrainte conomique, fondement de la prtention de
lassur, tait dans cette dcision envisage de faon strictement objective, ie uniquement au
travers du dsquilibre lsionnaire qui peut en rsulter entre les prtentions. Certes la Haute
Cour ne vise ni larticle 1111 ni larticle 1112 dans cette dcision, mais on remarque en
doctrine quen lespce les textes de droit spcial viss par les juges (articles 2052 et 2053 du
Code Civil) taient parfaitement adapts la situation42. Ladmission de la lsion tait en effet
spcialement carte par le lgislateur et lon a pu faire remarquer que la distinction entre la

41ter
42

CA Paris, 27 sepr. 1977


CHAZAL, La contrainte conomique se rattache la violence et non la lsion, RTD civ 2000, p.827.

23

contrainte conomique initiale le vice subjectif et ses ventuels effets sur lquilibre de la
transaction le vice objectif simposait particulirement dans cette affaire43 ds lors que
larticle 2053, alina 2, pose le pouvoir invalidant du vice violence et que larticle 2052,
alina 2, exclue expressment le jeu de la lsion. En dotant la contrainte conomique dune
existence propre, la premire chambre civile lui ouvre un champ plus vaste, tout en insistant
sur la ncessit dune approche plus subjective de la notion.
Larrt du 3 avril 2002 nen est que la confirmation. La premire chambre civile casse ici une
dcision de cour dappel qui, pour annuler sur le fondement de la violence un contrat par
lequel lauteur dun dictionnaire avait cd les droits dexploitation la maison ddition dont
elle tait salarie, avait considr que le statut salarial de lintresse la plaait dans une
situation de dpendance conomique par rapport la socit ddition, ce qui lavait
contrainte daccepter les contrats malgr des termes contraires ses intrts personnels et aux
dispositions protectrices des droits dauteurs. La salarie avait en effet connaissance de
lexistence dun plan de licenciement et tirait argument de celui-ci pour fonder la contrainte.
Les juges du fond ont valid cette dmonstration, en retenant la crainte de perdre son travail
comme fondement de la violence. La Cour de cassation intervient alors, pour poser les
conditions de caractrisation de la violence conomique : seule lexploitation abusive dune
situation de dpendance conomique, faite pour tirer profit de la crainte dun mal menaant
directement les intrts lgitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement.
Il faut donc en dduire que la contrainte conomique nat de labus dune situation de
dpendance conomique. Larrt est cette fois ci rendu au visa de larticle 1112 du Code civil,
confirmant la nature de vice du consentement de la violence conomique. Le droit commun
des contrats et des vices du consentement sintroduit alors et la cour de reprocher aux juges du
fond de ne pas avoir constater que lors de la cession, (la salarie), tait elle-mme menace
par le plan de licenciement et que lemployeur avait exploit auprs delle cette circonstance
pour la convaincre . Alors que les juges du fond navaient pas manqu daudace, la violence
ne ressortant en lespce que des seules circonstances trangres aux parties, sans quil soit
allgu que lemployeur en avait fait linstrument dune menace ayant dtermin la
conclusion du contrat, la cour de cassation fait le choix de lorthodoxie. Elle exige que la
partie avantage par le contrat ait pris une part active et personnelle la manifestation de la
crainte ayant dtermin le consentement de son cocontractant.

43

CHAZAL, ibid.

24

26.

La solution est conforme la lettre du code civil et de son article 1109 qui exige

que le consentement ait t extorqu par la violence. La condition dun lien direct entre la
violence et les intrts de la personne rappelle la conception classique des vices du
consentement. De cette faon, lon peut mme sinterroger sur la question de savoir si lon
nest pas revenu la tradition romaine, exigeant que la violence ait pour origine les actes
dune personne physique.
Les juges du fond semblent se rallier cette position et un arrt de la Cour dAppel de Pau44
du 27 juin 2006 qui reprend mot pour mot lattendu de la cour de cassation et qui considre
que la violence nest pas caractrise dans les relations entre une banque et son client,
dirigeant de socit, qui elle avait demand de fournir son cautionnement en contrepartie du
maintien de ses concours financiers. Le fait que ce dernier ne disposait que de peu de temps et
que la banque exerait une pression intense est indiffrent : la pression est inhrente toute
ngociation commerciale et la banque a t de bonne foi en nexigeant quun cautionnement
limit dans le temps et quant au montant des remboursements requis. Les exigences de la
Cour de cassation semblent gagner les juridictions du fond.
2-2-b) Un champ dapplication restreint et des sanctions discutables;
27.

Au contraire de la notion deconomic duress, le droit franais ne retient la violence

conomique quau stade de la formation du contrat et refuse ce fondement pour toutes


modifications contractuelles. La solution peut tre comprise par limportance laisse la
bonne foi et au jeu de larticle 1134 alina 3 du Code civil, qui, imposant une certaine
correction 45, interdit de menacer son contractant dune inexcution et dexiger de lui des
avantages supplmentaires non fonds. Lextension du vice de violence sur ce terrain le
rendrait en quelque sorte surabondant et sa nature de vice du consentement la rend en thorie
impossible; il convient de respecter ici un quilibre entre limpossibilit dadmettre la
lgitimit dune menace dinexcution motive par le seul but de senrichir aux dpens du
crancier plac dans une situation contraignante et la volont de prserver une certaine
flexibilit contractuelle afin de permettre lexcution des contrats ainsi que le libre jeu de la
concurrence. Le droit amricain propose en la matire une solution intressante, au sein du
Restatement (Second) of Contracts, en posant que la modification du contrat nest valable que

44
45

CA Pau, Chambre 2 section 1, 27 jun 2006, n JurisData : 2006-306184.


Y-M. LAITHIER, op.cit.

25

si celui qui annonce quil ne respectera pas ses engagements se conforme au devoir de bonne
foi.
Il nous apparatrait pourtant plus simple, et moins audacieux, dtendre, linstar de la
Common Law, le domaine de la violence conomique la modification du contrat convenue
mutuellement par les parties. Le critre de la bonne foi est en effet li un rgime probatoire
particulirement flou. O rside lobstacle ds lors que ce type de modification reprsente une
convention, dont le rgime ne devrait pas chapper au droit commun des contrats ?
Linconvnient est quen droit franais, la simple menace dune violation des obligations
contractuelles nest pas une inexcution, faute de pouvoir tre anticipe juridiquement. On
remarque en doctrine que la menace de commettre une faute intentionnelle devrait suffire
caractriser lillgitimit de la contrainte46.
28.

Quant aux sanctions, celles-ci sont logiquement celles de la violence, vice du

consentement. La victime a ainsi, du fait de la double nature de la violence, la fois vice du


consentement et dlit, le choix entre le prononc de la nullit relative du contrat et
lattribution de dommages-intrts.
Si certains voient dans la menace de la nullit la meilleure solution pour dissuader toute
pratique entrant dans le champ de la violence conomique47, dautres en font lun de leurs
principaux arguments pour rejeter la notion48, entendue comme un vice du consentement.
Lexistence dun vice du consentement entraine en effet la nullit du contrat irrgulirement
form et donc son anantissement rtroactif. La question des restitutions soulvent de relles
difficults, aussi bien eu gard aux parties au contrat que quant aux tiers celui-ci. La
restitution napporte souvent gure de satisfaction aux contractants et le retour au statu quo
ante est particulirement difficile dans de nombreuses conventions, notamment les prestations
de services.
Un auteur prsente larrt de la Chambre commerciale du 18 fvrier 1997 comme une
illustration parfaite des incohrences de la solution49. Les demandeurs se sont en effet dsists
de leur action en nullit au profit dune action en rparation sur le fondement de larticle 1382
du code civil, rvlant ainsi la prfrence des acteurs conomiques, principaux intresss,

46

Y-M.LAITHIER, ibid.
G. LOISEAU, op.cit.
48
C. NOURISSAT, La violence conomique, vice du consentement : beaucoup de bruit pour rien ?, recueil
DALLOZ, 2000, n23 p.369.
49
C. NOURRISAT, ibid.
47

26

pour une rparation pcuniaire plutt que la traditionnelle sanction du droit commun des vices
du consentement.
Il nous apparat que cette objection ne saurait tre dcisive, ds lors que si en pratique les
plaideurs optent le plus souvent pour les dommages-intrts, la menace dune action en nullit
a sans conteste un effet dissuasif. La solution apparat, quant aux sanctions du moins,
quilibre.

Section seconde : Vers une perte defficacit de la protection de la partie


faible
La convergence entre les droits anglais et franais se rvle encore par la mise en vidence
des difficults auxquelles ils sont confronts : leurs solutions chouent offrir des recours
sduisants pour les victimes (1), et lon trouve au sein des deux systmes de droit des
propositions similaires pour remdier ce constat (2).
1- La protection contraste des droits franais et anglais
1-1

: Le peu de succs pratique, reflet de la svrit du rgime


probatoire de la violence conomique

Aussi bien le droit franais (1-1-a)), que le droit anglais (1-1-b)) prsentent des recours
enferms dans des conditions probatoires trop stricts pour assurer une protection effective des
parties dont la situation a t abuse.
1-1-a) Un droit civil trop exigeant
29.

Sans doute est il rvlateur que larrt qui consacre en son principe la violence

conomique, en tant que vice du consentement, rejette paralllement les prtentions de la


partie qui linvoquait. En lespce pourtant chacun jugera du caractre dsquilibr,
lsionnaire, de la convention, qui liait la salari la maison ddition, alors que celle-ci avait
du abandonner ses droits dexploitation sur louvrage pour une somme de 30 000 francs en
reconnaissant quil avait t ralis dans le cadre de son contrat de travail alors quil avait en
ralit t effectu hors de son temps de travail. Surtout, louvrage en question sest avr tre
un des plus rentables de la maison ddition.

27

Les arrts postrieurs confirment la tendance la svrit, qui sest tendue de la Haute Cour
aux juridictions de fond, et aussi bien la Cour dAppel de Paris (Arrt CAP Chambre 5
section B 28 juin 2007) que la Cour dappel de Nmes (Arrt CA Nmes Chambre 2 section B
21 juin 2007) jugeront que la violence ntait pas caractrise dans les affaires qui taient
portes devant leur autorit.
Le premier cas est celui de linvocation par un liquidateur judiciaire de la violence
conomique pour obtenir la nullit dun avenant portant fin de non recevoir non
conventionnelle ; la prtention sera rejete en lespce : lavenant met fin au contrat et donc
la violence conomique. La violence conomique nest pas tablie car le locataire grant
dune station service conservait toute libert pour exploitation des locaux, malgr une clause
dexclusivit dapprovisionnement pour les carburants.
Le second est celui dun fournisseur qui menaait de ne plus livrer une socit les matriaux
ncessaires son activit. Les juges estimeront que lexigence dune garantie de paiement par
un fournisseur, qui il est demand de fournir crdit des marchandises au profit dune
socit insolvable, ne constitue pas une exigence illgale ou illgitime mais participe de la vie
normale des affaires. La prtendue contrainte conomique est selon la cour venue uniquement
du distributeur, lequel navait pas les moyens de rgler le fournisseur.
30.

Si certains avaient pu voir dans lmergence du concept de violence conomique un

ferment rvolutionnaire 50, la solution du 3 avril 2002 devrait les rassurer en ce quelle
paralyse pratiquement lapplication du principe quelle consacre. Lapplication du droit
commun des vices du consentement implique en effet la caractrisation dun mal menaant
les intrts menaant les intrts lgitimes de la personne . Pour reprendre les explications
claires dun auteur51, la formule exprime, ce qui est incontest, lexigence dune contrainte
suffisamment prcise lorigine directe de lengagement. Mais lauteur remarque que
lapplication de cette exigence porte en ralit requrir ce titre que la menace, prcise
dans son contenu, directe dans ses effets, soit galement clairement dtermine sa
source. 52 La contrainte implique ici, selon lauteur, une participation active du sujet la
manifestation de la crainte qui pousse lautre partie contracter. Le demandeur laction est
donc confront des exigences probatoires particulirement leves. La formule de la cour de

50

J. MESTRE, RTD civ. 1989, p.538.


G.LOISEAU, op.cit.
52
G.LOISEAU, ibid.
51

28

cassation, ne fait aucune rfrence aux effets de la contrainte, et ainsi lventuel dsquilibre
contractuel. La contrainte ne saurait se dmontrer selon cette approche, que par les lments
lorigine de la contrainte. La svrit du critre laisse penser que les situations o lune des
parties se contenterait dexploiter un tat de fait dont elle nest pas linstigatrice ne sauraient
tre sanctionnes par le vice de violence conomique. Cest l restreindre considrablement la
porte dun vice qui avait fait croire un certain renouveau du vice de violence. La contrainte,
en elle mme ne saurait tre assimile la violence.
31.

La contrainte ne dgnre en violence que sil peut tre prouv quelle est illgitime.

Cest ici labus qui tablit la violence : tout consentement est troubl par la contrainte, dans le
jeu moderne des rapports contractuels ; en revanche, lexploitation de ce trouble ne saurait
tre tolre. Pour la doctrine, cette condition est une faon dassurer le maintien de lordre
du march. 53
Lillgitimit de la contrainte suppose quun jugement de valeur soit port sur la faon dont
son auteur sest rellement comport, ce qui dfavorise encore la partie lse sur le terrain
probatoire. Ds lors, lon remarque que jouir dune position de force et en tirer avantage
nest pas en soi abusif. Labus suppose une attitude rprhensible. 54 La doctrine y voit un
renvoi la conception romaine de la violence, selon laquelle la violence tait un dlit.
Lillgitimit renvoie la condition dune faute et implique lexamen du comportement de
lauteur de lacte. Lillgalit est de faon certaine le rvlateur dun acte ou dune menace
illgitime en droit franais. En labsence de consensus thorique, il convient de se rfrer la
jurisprudence. Celle-ci a pu juger illgitimes54bis : la spculation sur la dtresse dautrui54ter, la
provocation volontaire des difficults financires dune socit pour en prendre le contrle par
une augmentation de capital impose aux actionnaires54quater, ou le dtournement dun droit
afin dobtenir un avantage sans rapport direct avec celui auquel il pouvait lgitimement
prtendre54quinq.
En cela, le droit franais se rapproche du droit anglais qui a opr un recentrage sur le critre
de lillegitimacy. On observe ainsi le mme mouvement vers le rle actif de lagent qui abuse
duen situation pour en tirer profit au prjudice dautrui. Cependant, alors quen droit franais

53

Y-M. LAITHIER, op.cit.


Y-M. LAITHIER,op.cit.
54bis
Y-M. LAITHIER, op.cit.
54ter
Cass. Req. 27 avril 1887, D. 1888, I, p.263.
54quater
Cass. Com., 18 fvrier 1997
54quinq
Cass.civ. 3e., 17 janvier 1984, Bull. Civ. III, n13.
54

29

lillgalit apparat comme un sous-ensemble appartenant lensemble illgitimit , la


Common Law fait de ces deux notions deux ensembles spars, dont les domaines se
superposent partiellement55. Cest l lune des difficults majeures rencontres par le droit
anglais dans la dtermination de la violence conomique.
1-1-b) Linadaptation dun recours centr sur le critre de
lillegitimacy
32.

Si le rejet dune apprciation de leconomic duress uniquement fonde sur des

lments centrs sur le consentement de la victime fait aujourdhui lunanimit de la doctrine,


celle-ci ne sest pour autant pas rallie la position actuelle de la Common Law;
La thorie de loverborne will apparat ainsi comme un faux dpart la thorie de leconomic
duress et beaucoup estiment que les juridictions anglaises se sont engages sur une mauvaise
voie avec le critre de lillegitimacy. Au vue du faible nombre de recours intents sur ce
fondement, et du nombre encore plus rduit de plaideurs ayant ainsi reu satisfaction, il
semble que la formule dun auteur franais56 quant la violence conomique soit transposable
au droit anglais : leconomic duress nen finit pas dchapper son destin.
Les problmes soulevs par le test de lillegitimacy sont essentiellement lis la difficult
den dfinir le contenu. Le flou est originaire en ce que larrt qui opre ce glissement dans
les techniques de contrle, Universe Tankship, rendu en 1983 par la Chambre des Lords (avec
en autres Lord Scarman et Lord Diplock, ne dfinit pas clairement ce qui est illgitime. Lord
Diplock se contente de prciser que lillgitimit ne sarrt pas aux seuls crimes et dlits. Lord
Scarman suggre lui, sans dvelopper plus avant, que lillegitimacy englobe les pressions qui
ne sont pas illgales. Les consquences de cette incertitude sont dnonces en doctrine, et
illustres par les divergences entre les solutions : ltude compare des cas Vantage
Navigation Corporations v Suhail and Saud Bahwan Building Materials LLC (The
Alev )57et Atlas Express Ltd v Kafco (Importers and Distributors) Ltd58 rvle
lincohrence qui en rsulte. Un auteur59 remarque en effet que les deux solutions utilisent
toutes deux de faon interchangeable la fois le critre de loverbone will et celui de
lillegitimacy. Cela rvle quen ltat de sa dfinition, le seul critre de lillgitimit des

55YM.LAITHIER,op.cit.
56G.LOISEAU,op.cit.

5719891LloydsRep.138.

5819891LloydsRep138147
59PHANG,op.cit.

30

pressions exerces par lauteur suppos de la violence est insuffisant tablir clairement la
contrainte conomique illgitime.
33.

Ds lors, la problmatique est celle de lextension ou non de lillgitimit aux actes

lgaux et menaces dexercer des pouvoirs lgaux, en principes lgitimes, qui utiliss dans
certaines circonstances pourraient ou non devenir illgitimes. La dtermination de leconomic
duress appelle dans laffirmative un autre test, permettant de dfinir une grille dinterprtation
aux tribunaux. Lexemple type est le chantage, la menace dexercer un recours accord par la
loi, lgitime en principe, mais qui au regard des circonstances peut devenir illgitime (si
lauteur de la menace est de mauvaise foi, est lui mme en faute, ou encore si ce dernier sait
que la victime nest aucunement en mesure de satisfaire ses demandes).
La doctrine se divise sur cette question. Tous saccordent sur un impratif commun :
prserver la flexibilit du contrat, et lvolution des acteurs aux exigences du march.
Certains estiment que le contrat est avant tout linstrument de la cration de droits et
dobligations et que le respect de cette fonction impose que ces droits soient respectes :
autrement dit que la contrainte conomique soit entendue largement60. Ces auteurs sappuient
sur lopinion du juge Scarman, dont lutilisation du terme illgitime plutt quillgal,
implique selon eux dinclure les actes lgaux dans la dfinition du spectre des atces pouvant
tre considrs comme illgitimes. Ces actes deviendraient illgitimes si motivs par de
mauvaises raisons(comme lexploitation dune faiblesse). Dautres sont ouvertement contre
louverture de leconomic duress, affirmant avec force quil convient de maintenir une ligne
de dmarcation entre les cas o les pressions sont de simples pressions commerciales,
lgitimes et licites, et ceux o les pressions sont lexercice de la violence61.
Un auteur a ainsi propos en 1991 que le critre dterminant pour lapprciation de
leconomic duress soit le comportement illgitime dune des parties, en ce que la pression doit
sexercer par la commission ou la menace dactes illgaux. Lintrt du critre serait dviter
trop de concentration sur le consentement de la personne pour tudier la nature de la pression
exerce et ainsi sextirper des eaux troubles de la question de lingalit de puissance
contractuelle (inequality of bargaining power)62.

60

BIGWOOD Economic duress by (threatened) breach of contract, in The Law Quarterly Review 2001.
A. PHANG, op.cit.
62
A.EVANS, op.cit.
61

31

Les cours anglaises vont osciller entre les deux conceptions : en 1991, larrt The Evia Luck
(prcit) prsente lopinion de Lord Goff qui observait que les actes pouvant tre le moyen
des pressions ntaient pas forcment de nature dlictuelle et suggrait ainsi que des actes en
eux mmes lgaux pouvaient devenir illgitimes selon les circonstances62. En 1994, dans
larrt Cash and Carry Ltd v Gallagher Ltd63, le juge Steyn, prcisant que la nature gnrale
de la transaction tait lindice le plus important pour trancher les plaintes pour economic
duress. Il convient ainsi de distinguer les contrats entre professionnels galement avertis des
contrats conclus64 au sein de relations quil convient de protger . Cette distinction permet
en lespce de rejeter la demande, en considrant que les pressions taient de nature
commerciale et lgales, ntant no criminelle ni dlictuelle. Larrt refuse nettement
lextension de lillegitimacy ce type de pression.
Au dbut des annes 2000, la position de la Common Law se prcise par deux arrts, sous
limpulsion du mme juge, Lord Dyson :DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo Services ASA65et
Carillion Construction Ltd v Felix (UK) Ltd66. Dans ces arrts, le juge pose trois critres que
les cours peuvent utilement utiliser afin de dterminer si les pressions taient illgitimes:

lexistence dune rupture des relations contractuelles ou dune menace dune telle
rupture. Ce critre se heurte cependant la difficult de faire le dpart entre les
ruptures dobligations essentielles et les ruptures de moindre importance qui ne
devraient pas mettre un terme au contrat. Un auteur remarque galement que ce critre
va lencontre du principe qui veut quune personne ne puisse se prvaloir de sa
propre rupture du contrat67. Cette dernire critique est carter notre sens en ce que
lauteur allgu de la violence ne se prvaudra pas de sa rupture du lien contractuel,
mais tentera de dmontrer quil ne pouvait faire autrement que rompre le contrat si les
nouvelles conditions ntaient pas acceptes par le demandeur.

Ltat desprit de la partie exerant les pressions, ie dterminer si celle-ci tait ou


non de bonne foi. Certains doutent de ce critre, considrant que la preuve de la bonne
foi ne devrait pas prendre une place prdominante dans lapprciation de la lgitimit
des pressions et absoudre lauteur allgu de la violence. Selon Lord Dyson, la bonne

62

MH OGILVIE, op.cit.
1994 4 All E.R. 714 (C.A.)
64
M.OLGIVIE, op.cit.
65
2000 B.L.R. 530 (QBD (TCC))
66
2001 B.L.R. 1 (QBD(TTC))
67
D.TAN, Constructing a doctrine of economic duress, the Construction Law Journal, 2002, 18(2), 87-96.
63

32

foi dune des parties permet de considrer le comportement de lauteur des pressions
comme ayant t raisonnable, ce qui apparat contraire au principe selon lequel le
caractre raisonnable du comportement de la partie en rupture contractuelle nest pas
une dfense valable dans une action pour rupture contractuelle68.

Lexistence dalternatives pratiques ralistes, de protestation ou dune confirmation


des termes du contrat.

La dmarche du juge Dyson doit tre salue en ce quelle reprsente leffort de thorisation
tant attendu par la doctrine et de dfinition de lillgitimit. Pour autant, la doctrine nest pas
entirement convaincue, et certains militent toujours pour que les cours ne se consacre qu la
question de la lgalit ou non de lacte constituant le moyen des pressions69. Ce critre a le
mrite de la simplicit, et en offrant peu de liberts aux juges, de prsenter des garanties de
prvisibilit pour les contractants. Un auteur remarque enfin que si des actes lgaux ne
peuvent tre inclus dans le spectre de lillegitimacy, mais quils apparaissent comme tant
moralement rprhensible, cest la loi quil convient de changer70
Certains proposent encore de reconnatre que la rupture dun contrat est invariablement
illgitime dans le cadre du test deux lments pos par Universe Tankships et ainsi de poser
une prsomption de faute lgale. Mais les tribunaux devraient ensuite considrer lensemble
des circonstances pour voir si cette rupture est vraiment lorigine de lobligation pour le
demandeur davoir accept cette modification71.
Il apparat ainsi que lessentiel de la critique se porte sur le fait que lillegitimacy soit le seul
critre de leconomic duress, alors que ses contours en sont encore incertains. Une des
difficults pour dgager un critre est que les cours dappels ne peuvent interfrer avec
lapprciation souveraine des juges du fond quant au fond alors queconomic duress est
matire trs factuelle71bis. La doctrine pousse ds lors pour lmergence dun second critre,
en germe dans le raisonnement du juge Dyson, savoir labsence dalternatives pratiques
satisfaisantes. En ltat, la doctrine en vient mme se poser la question de lutilit de la

68

D.TAN, op.cit.
D.TAN, ibid..
70
D.TAN, ibid.
71
BIGWOOD, op.cit.
71bis
A. PHANG, op.cit.
69

33

notion mme deconomic duress en Common Law, ds lors que ses fonctions sont pour
linstant assures par dautres rgles plus faciles dapplication72
1-2: le manque de rationalisation des rgimes :
Les deux systmes de droit prsentent le mme dfaut : un manque de cohrence entre les
diffrents recours, qui sexprime en droit franais par le chevauchement du recours de droit
commun avec ceux des droits spciaux (1-2-a)) et en droit anglais par la coexistence des
recours de Common Law et dEquity, qui ont vu au fil des annes leurs diffrences sattnuer
(1-2-b)).
1-2-a) La collusion des droits spciaux et du droit commun en droit franais
34.

Nous avons vu que le droit franais prsentait un certain nombre de dispositions

parpilles entre les diffrents droits spciaux qui peuvent permettre certaines catgories
dacteurs conomiques, dans le cadre de relations contractuelles prcises (professionnels consommateurs, distributeurs - fournisseurs), dobtenir rparation sur des fondements
proches en essence du vice de violence conomique. Si cette coexistence avait un sens avant
lmergence dun principe en droit commun, il convient de sinterroger sur leur cohrence,
aprs la dfinition par la Cour de cassation du rgime du vice de violence conomique dune
part, et aprs les rcentes volutions au sein des droits spciaux dautre part.
Le droit commun des contrats apparat comme tant sous linfluence la fois du droit des
relations entre professionnels et consommateurs et du droit de la concurrence.
35.

Depuis larrt rendu par la Premire Chambre civile du 30 mai 2000, la solution est

arrte : la contrainte se rattache la violence et non la lsion. Ds lors, la sujtion


conomique nest pas susceptible de sanction en droit commun, au regard du seul dsquilibre
lsionnaire des prestations. Cest l une diffrence fondamentale avec le droit de la
consommation, dont le Code prvoit en son article L.132-1 que sont abusives les clauses qui
ont pour objet ou pour effet de crer, au dtriment du non-professionnel ou du consommateur,
un dsquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Notons que le retrait du projet de loi dfinissant la notion de ventes agressives et transposant
la directive n2005/29/CE du Parlement europen et du Conseil du 11 mai 2005, qui qualifiait
dagressives les pratiques commerciales rsultant de sollicitations rptes et insistantes ou

72

OLGIVIE, op.cit.

34

dusage de contraintes physiques ou morales qui altrent ou sont de nature altrer ou vicier
le consentement dun consommateur ( ex futur article L.122-13 du Code de la consommation)
porte un frein lexpansion du concept au sein du droit de la consommation72bis.
Le droit commun repose lui sur la thorie de lautonomie de la volont, et une approche aussi
objective irait son encontre ; pourtant, une telle tendance est perceptible en matire dabus
dans la fixation du prix, dont un auteur remarque quelle partage avec la violence conomique
limpratif de dgager la double exigence dune intention fautive et dun dsquilibre
conomique73. Labus dans la fixation du prix tend tre constat en fonction de sa
consquence, ie le dsquilibre lsionnaire.
La notion de droit commun est concurrence par le droit de la consommation, en ce que les
principes ports par ce dernier stendent peu peu hors des seules relations entre
professionnels et consommateurs. La meilleure illustration en est le droit de la concurrence,
dont limportance en matire de violence conomique a t expose plus haut et dont les
volutions ne sauraient tre sans impact sur le droit commun.
36.

Les rapports entre producteurs et distributeurs montrent que les contrats conclus entre

professionnels refltent souvent la domination dune des parties sur lautre. Le droit de la
consommation ntant lvidence daucune aide en la matire, cest au droit de la
concurrence quest revenue la tche de sanctionner les abus de dpendance conomique. On
remarque en doctrine que cet abus, libr du critre relatif au bon fonctionnement du march
depuis la loi N.R.E., et visant directement corriger le dsquilibre contractuel est plus
susceptible dinterfrer avec le vice de violence conomique74.
A linstar du droit commun, le droit de la concurrence ne sanctionne pas la dpendance
conomique en tant que telle mais seulement lorsquelle dgnre en un abus au prjudice du
domin, conformment larticle L.420-2 du code de commerce.
Cependant, le droit de la concurrence se distingue du droit commun dans la mthode
didentification de la relation de dpendance, en ce quil se rfre des critres
essentiellement conomiques, apprcis du point de vue du domin, dgags du

72bi

A. BRUDER, Le retrait du projet de loi dfinissant la notion de ventes agressives : la fin dun nouveau
souffle pour la notion de violence conomique ?, Revue Lamy Droit Civil , novembre 2007, n43.
73
M.BOIZARD, La rception de la notion de violence conomique en droit, Les Petites affiches, 16 juin 2004,
n120.
74
M.BOIZARD, ibid.

35

comportement du dominant. La jurisprudence attend ainsi de lentreprise domine quelle


prouve tre un acheteur dpendant dun fournisseur, que ce dernier a une marque de grande
notorit et enfin de caractriser sa part sur le march pertinent et la part de ses produits dans
le chiffre daffaires de lacheteur75. Cette diffrence est logique, en ce que les acteurs
concerns par ce droit se distinguent en principe des requrants sur le terrain du droit
commun.
Cest essentiellement dans la mthode de caractrisation de labus que le droit de la
concurrence et le droit commun diffrent. Ltude des dispositions du code de commerce
rvle un paradoxe du fait que les textes du droit de la concurrence semblent voluer vers une
fonction de protection des agents face aux situations de violence conomique, alors que les
destinataires de ce droit sont en principe les entreprises, et que cette fonction semble en
revanche trangre au droit civil76. Si lexigence dune possible affectation du
fonctionnement ou de la structure de la concurrence vient limiter quelque peu ladmission
dun tat de dpendance conomique, le droit de la concurrence apprcie nanmoins cet tat
au regard de critres objectifs. Le critre du droit commun, ie lintention de la partie
dominante dexploiter la situation de faiblesse du domin nexiste pas en droit de la
concurrence. Le rgime probatoire sur le terrain de la concurrence continue de sallger en ce
que la loi N.R.E. a supprim la rfrence latteinte au march issue de larticle L.420-1 du
Code de commerce relatif labus de position dominante. La dmonstration de labus pourra
rsulter du dsquilibre contractuel, une fois la situation de dpendance caractrise, au
travers dun examen de la proportionnalit entre les prestations et obligations rciproques. La
charge de la preuve qui pse en droit civil sur le demandeur est partiellement transfre sur le
dfendeur en droit de la concurrence. Le droit de la concurrence offre ainsi, et contre nature,
une protection plus efficace que le droit commun la partie dont la situation est exploite.
Pour une part de la doctrine, cette effort de protection participe dune erreur de perspective
qui voit dans le droit des pratiques anticoncurrentielles un instrument au service de la justice
contractuelle qui irrigue le droit commun () ; la vocation premire, issue de la pense
librale qui lanime, reste de guider les efforts individuels (F.A. Hayek) 76bis.
37.

Cette tendance devient problmatique ds lors que le droit de la concurrence ne se

contente plus de sanctionner des pratiques pour leur effet collectif. En effet, il a t remarqu

75

M.BOIZARD, ibid.
M. BOIZARD, ibid.
76bis
C. NOURISSAT, ibid.
76

36

que la rforme du droit de la concurrence opre par la loi N.R.E. permet dsormais, sur le
fondement de larticle L.442-6 du Code de commerce de sanctionner les effets dune force
conomique subis individuellement77. Sans lexigence de la preuve dun impact sur le march,
labus de dpendance et la disproportion des obligations et prestations mutuelles se trouvent
sanctionns en tant que tels. Le droit de la concurrence apparat ds lors comme un palliatif
la rigidit du droit commun. Surtout, celui-ci apparat plus attractif pour les plaideurs.
Le droit de la concurrence se rapproche encore du droit anglais, en prohibant la menace de
rupture brutale des relations commerciales78 (et ainsi de leconomic duress), ou pour obtenir
des conditions manifestement drogatoires aux conditions gnrales de vente79. Ds lors, la
coexistence de recours visant le mme objectif (sanctionner la violence conomique), avec
des critres semblables (labus et situation de dpendance), mais apprcis selon des
modalits diffrentes (objectivement ou subjectivement) est de nature porter atteinte la
scurit contractuelle en introduisant un flou juridique. Cependant, le risque de
chevauchement entre le droit de la concurrence et le droit commun peut tre rduit, ds lors
que lon considre que la rfrence aux relations commerciales par larticle L.442-6 du Code
de commerce est de nature carter de son champ dapplication la protection du producteur
pour des actes qui auraient prcd la conclusion du contrat79. Le champ de la violence
conomique telle quentendue en droit commun sarrt prcisment ces derniers actes.
Enfin, et de faon encore plus dcisive, la dernire limite larticle L.442-6 est quen
labsence de conditions gnrales de vente, celui-ci ne pourra pas jouer.
Labsence de cohrence entre les critres laisse au demeurant le sentiment quil nest pas
logique dtre plus exigeant quant aux critres applicables la violence conomique pour une
personne civile que pour un oprateur conomique. On remarquera tout de mme la raret des
recours fonds sur les articles L.420-2 et L.442-6 du Code de commerce80.
Limportance grandissante du droit de la consommation et du droit de la concurrence, tous
deux plus protecteurs dans leurs principes que le droit commun, ncessite une adaptation du
droit civil et un effort de rationalisation des modes de dtermination de la violence
conomique.

77
78

M.BOIZARD, ibid.
article L.442-6, I, 5 du Code de commerce

79

article L.442-6, I, 4 du Code de commerce


M. BOIZARD, ibid.
80
M. BOIZARD, ibid.
79

37

1-2-b) Lopportunit dune unification des doctrines en droit anglais ?


38.

Si le droit anglais prsente a priori un systme de protection plus cohrent que le

droit franais, en ce que nous avons vu quil organise celle-ci tout au long du continuum des
diffrents types de relations contractuelles et degrs de confiance quelles impliquent, celui-ci
nen est pas moins travers par certaines turbulences.
Le dveloppement de la notion deconomic duress en droit anglais et son largissement
progressif en Common Law pose la question de sa superposition avec la notion dEquity d
actual undue influence. Le dveloppement autrement spectaculaire, dans la frquence de son
utilisation par les plaideurs, de la thorie de lundue influence partir des annes 1980s met
lui en vidence la ncessit dune rationalisation avec la doctrine dunconscionability, qui
subsiste en Equity. Le droit anglais souffre du flou des frontires entre les doctrines et
recours, et le besoin sy fait galement sentir de crer des lignes directrices claires pour les
juges et requrants.
39.

La premire tentation est celle de lunification. La runion des doctrines visant la

protection du contractant dont la situation de faiblesse est exploite par lautre partie a pu un
temps tre envisage sous la forme de la large doctrine de lingalit de puissance
contractuelle ( inequality of bargaining power ), qui avait t nonce par Lord Denning
dans larrt Lloyds Bank v. Bundy81. Cependant, cette tentative de thorisation semble
carte, ds lors que la Chambre des Lords la expressment rejete en 198682, ainsi que plus
indirectement dans larrt Pao On.
Le premier chantier est relatif aux relations entre leconomic duress et actual undue
influence. Ces doctrines se sont mutuellement influences, tant et si bien que hormis quelques
lgres diffrences, il semble quelle rponde aux mmes problmes selon un raisonnement
identique. Ainsi, les deux fondements pnalisent lauteur des pressions pour son
comportement et refuse tout bnfice quil aurait pu obtenir de cette affaire, moins que
lautre partie ait confirm le contrat un moment o elle ntait plus sous lemprise de la
contrainte83. Certes dans le cas de leconomic duress, le critre tre la pression illgitime,
alors que les courts dEquity se rfrent la fraude, telle quentendue en Equity. Mais toutes

81

A. PHANG, op.cit., 1975 1 Q.B. 326. 339.


National Westminster Bank v. Morgan, 1985 A.C. 686.
83
M. D J CONAGLEN, op.cit.
82

38

deux se concentre sur le processus de ngociation et sur les raisons qui ont pouss le
contractant accepter les termes du contrat, plutt que sur la substance mme de celui-ci.
Enfin, toutes deux ont la mme sanction, ie de rendre le contrat annulable. Pour une partie de
la doctrine, la question ne fait pas de doute, il existe entre elles une unit de principe et de
mthodologie, les diffrences ntant quapparentes, et le futur devrait tre la jonction des
deux notions84. Leconomic duress serait mme plus proche de labus dautorit que de la
violence84bis.
40.

Celles-ci doivent en revanche, tre distingues des doctrines de presumed undue

influence et dunconscionability, en ce quelles nimpliquent pas le mme niveau de confiance


entre les parties, mme si elles ont en commun le souci de protger un contractant en situation
de faiblesse. Ces deux dernires doctrines partagent elles le point commun de traiter des
situations dans lesquelles la plus faible des deux parties doit tre protge du fait de sa
position de faiblesse. Ici encore, la doctrine propose de runir les deux notions en une seule
doctrine, tirant autant argument de la faible existence pratique de lunconscionability que de
leurs points communs. Ces similitudes sont essentiellement au nombre de trois : une ingalit
de puissance contractuelle, un contrat manifestement dsquilibr et le caractre inadmissible
de la conduite de la part du contractant dominant85. Si les recours fonds sur le terrain de
lunconscionability sont peu nombreux, son domaine est cependant plus large que celui des
cas dabus dautorit prsums, ds lors quaucune distinction nest prvue selon les types de
relations contractuelles.
Certains proposent mme une seule doctrine dunconscionability, absorbant les anciens cas
dabus dautorit, quils soient prsums ou non ; son rgime ne serait orient ni de cot du
demandeur ni du cot du dfendeur, et serait plus concerne par la faon dont les parties sont
entres dans le rapport contractuel plutt que par linjustice substantielle qui peut en
rsulter86. Lintrt majeur dune telle doctrine serait de simplifier la tche des plaideurs, ds
lors que lexistence de deux recours peut tre contreproductif quant sa protection : le
mauvais choix entre les recours peut entrainer la perte du litige ; dautre part, il est courant
que les cours jonglent avec les deux notions, afin de donner la partie qui devrait tre
protge satisfaction, au prix dacrobaties juridiques incertaines. Enfin, il a pu tre remarqu

84

M. DJ CONAGLEN, op.cit.
M.H. OGILVIE, op.cit.
85
D. CAPPER, Undue Influence and Unconscionability : a rationalisation., in TheLaw Quarterly Review
1998-479.
86
D.CAPPER, ibid.
84bis

39

quen ltat du flou de la notion dundue influence, sa fusion avec une autre doctrine ne
saurait priver les parties dun recours leffectivit certaine87. Selon cette dernire
proposition, la notion deconomic duress serait laisse comme un recours indpendant.
Ces propositions refltent le trouble qui existe en droit anglais quant la ncessit dune
rorganisation des modes de protection des contractants contre les diffrentes formes de
violence conomique.
2- les propositions communes
Que ce soit en droit anglais ou en droit franais les critiques se portent majoritairement sur les
critres choisis par les juridictions pour apprcier la violence conomique : nombreux sont
ceux qui proposent un changement mthode (2-1). On trouve par ailleurs des juristes des deux
systmes qui saccordent pour proposer des voies plus radicales et un changement de
fondement juridique (2-2).
2-1 : Une redfinition des critres
La majorit des auteurs ont dnonc la ncessit dune plus grande objectivit dans
lapprciation de la violence : la critique sest dabord concentre sur les limites de la
subjectivit dans lapprciation de la violence (2-1-a), avant que peu peu merge un critre
en doctrine, voire mme en jurisprudence (2-1-b)).
2-1-a) Les limites de la subjectivit dans lapprciation de la violence
41.

Au sein des deux systmes de lois, la conception volontariste de la violence tend

reculer. Cela sest traduit en droit anglais par une modification dans lapproche des juges de la
violence conomique, qui est passe de lexamen du consentement de la victime prtendue de
la violence, celui du comportement de lauteur allgu de la violence ; quant au droit
franais, si la sanction de la violence conomique emprunte le dtour des vices du
consentement et apparat en principe appartenir une approche subjective, nous verrons que
ce choix supporte la critique ds lors que, pour reprendre lopinion dun auteur, lanalyse du
caractre dterminant de la violence sur le consentement selon lexamen de ltat de la
volont de celui qui consent est impraticable 88.

87
88

D. CAPPER, ibid.
Y.M. LAITHIER, op.cit.

40

Lanalyse volontariste de la violence ne diffre pas du droit anglais au droit franais : le


premier pilier de cette conception est la libert individuelle. Chaque individu est libre de
refuser ou daccepter de contracter. Lassujetissement quentrane la conclusion du contrat
nest compatible avec cette libert qu la condition que la volont soit considre comme la
source de lobligation et que le consentement ait t librement donn. Cette conception
entraine la prdomination des donnes psychologiques dans lapprciation du caractre
dterminant de la contrainte. La prsentation a le mrite dtre simple. Pourtant, certains
auteurs voient en la dimension psychologique des vices du consentement, une technique
inapte apprhender la ralit des problmes poss par la violence conomique89. Ce choix
rvlerait lemprise que la conception volontariste et idaliste du contrat exerce sur les
esprits 90. La volont nest

jamais parfaitement autonome, et toujours plus ou moins

influence par des facteurs sociaux et conomiques. Pour Durkheim, la contrainte est
inhrente aux contrats, ni ceux-ci, ni notre consentement ne sont exactement conformes ce
que nous dsirons. Limpasse est ici de dterminer le degr partir duquel les contraintes sont
telles que le consentement en est vici. Le juge est dans limpossibilit de rpondre avec
certitude de ltat psychique du cocontractant, et lanalyse du comportement humain et du
libre arbitre de lindividu ne saurait entrer dans le rle du juge91. Les difficults releves plus
haut rencontres par le droit anglais lorsquil se concentrait sur le consentement avait pouss
certains auteurs rclamer une approche moins subjective, en exigeant quil soit dmontr
que la partie qui se fonde sur leconomic duress, ait agit raisonnablement en prenant les
menaces de lautre partie au srieux91bis. Lobjectif tait de doter les juges de critres
efficaces.
42.

Limpasse thorique apparat : soit lon opte pour une conception puriste du

consentement et considrant que la volont est toujours contrainte, lexigence dune atteinte
la libre volont devient inutile en ce quelle est toujours satisfaite. Soit lon se laisse
convaincre par la thse oppose, selon laquelle la violence ne porte pas atteinte lintgrit de
la volont en ce que la menace implique un choix. Le choix entre chaque branche de
lalternative entrer ou non dans un contrat dsavantageux procde dune volont relle.
Juristes anglais comme franais saccordent pour dire quon peut mme voir dans le
consentement donn sous la contrainte lexpression de la volont la plus relle, sincre de

89

J.P. CHAZAL, recueil Dalloz, 2002, n23.


J.P. CHAZAL, ibid.
91
Y.M. LAITHIER, op.cit.
91bis
A.PHANG, op.cit.
90

41

contracter92. Llment volitif est prsent, et lon remarque que la volont ne serait supprime
selon pareille conception que si le cocontractant navait pas conscience de ses actes au
moment de la conclusion du contrat.
43.

La critique se porte encore sur le caractre inexact de lanalyse : selon une telle

conception, seule lapprciation subjective et individualise serait justifiable. Pourtant, cest


une apprciation objective, in abstracto, quappelle larticle 1112 du Code civil, en posant
que la violence doit faire impression sur une personne raisonnable. Enfin, un auteur remarque
que la thorie est inexacte dans la mesure o, en prsence dune violence insuffisamment
grave, le contrat est valable alors que la volont nest pas libre : larticle 1112 alina 1er
impose en effet que la violence fasse natre la crainte dun mal considrable 93.
Cette critique du caractre inadapt de lapprciation subjective de la violence conomique est
lorigine dun mouvement vers lobjectivisation, que lon retrouve aussi bien auprs des
juristes franais quanglais et qui est dj perceptible en jurisprudence.
2-1-b) Le recentrage sur labsence dalternative satisfaisante
La recherche dune objectivisation de la caractrisation de la violence conomique entend
rpondre au besoin de donner aux juges un cadre permettant de donner de la cohrence au
dveloppement de la doctrine. Le centre danalyse va se dplacer de la personne de la victime
leffet concret des pressions exerces sur le contrat. La dmarche se veut pragmatique.
44.

Le droit anglais est le premier connatre de cette volution, (sous linfluence encore

de Dalzell) et larrt Universe Sentinel suggre que la pression est illgitime quand elle prive
dalternatives pratiques. Ce nest pas la nature de la pression en elle mme qui est
dterminante mais le rsultat de la pression. Le caractre illgal de la pression pourrait ds
lors venir du fait dexploiter le peu de choix ou labsence de choix de la victime. Le critre
permettrait de sanctionner quand la pression est exerce par lintermdiaire dactes lgaux et
mettre ainsi fin la controverse sur le champ des actes illgitimes. Leconomic duress serait
selon un auteur redfinie comme le fait de priver un contractant de la possibilit de choisir94.
En droit anglais, labsence dalternatives satisfaisante a ainsi pour but de rsoudre la
problmatique de lillgitimit des pressions exerces sur le contractant.

92

DALZELL, Duress by Economic Pressure , I 1942 20 N.C.L. ; R.HALSON, op. cit.


Y.M. LAITHIER, op.cit.
94
M.H. OGILVIE, op.cit.
93

42

Le juge Dyson, nous lavons vu, a consacr ce critre comme lun de ceux utiles la
caractrisation de lillgitimit95.
45.

Le droit franais a consacr le critre de labsence dalternative satisfaisante en droit

de la concurrence. Certes, la disposition figurant lancien article L.420-2 , I, 2 du Code


commerce, posant celle-ci comme une condition de la preuve de labus dtat de dpendance
conomique, a t retire par la loi N.R.E. En ralit, cette rforme eu pour effet de supprimer
lexigence dune preuve directe de cet lment mais la jurisprudence continue de sy rfrer,
en exigeant la runion de certains critres (comme la part sur le march pertinent du
fournisseur et la part de ses produits dans le chiffre daffaires de lacheteur) qui pose elle une
prsomption dabsence dalternative satisfaisante96. La jurisprudence a rhabilit clairement la
condition dans un arrt rcent de la Chambre Commerciale, en dfinissant ltat de
dpendance pour un distributeur comme la situation dune entreprise qui ne dispose pas de
la possibilit de substituer son ou ses fournisseurs un ou plusieurs rpondant sa demande
dapprovisionnement dans des conditions techniques et conomiques comparables. 97 Cette
exigence probatoire limite assurment lexpansion de lincrimination de labus de dpendance
conomique98. La solution doit cependant tre encourage, ds lors quelle apporte un guide
utile

aux juges et quelle ralise lquilibre ncessaire entre la tendance actuelle la

protection des acteurs conomique du droit de la concurrence, et sa fonction traditionnelle de


protection du march. Alors que le recours ce critre semble bien implant en droit de la
concurrence, le droit commun ne le mentionne aucunement et la cour de cassation ny fait
aucune rfrence expresse.
46.

Certains plaident ainsi pour la rception de ce critre par le droit civil, non pas pour

apprcier le caractre illgitime de la contrainte comme le fait le droit anglais, mais pour
valuer le caractre dterminant de celle-ci sur le consentement.
La violence sera juge dterminante ds lors quil sera dmontr quil nexistait aucune autre
possibilit satisfaisante que celle de conclure le contrat. Reprenant les exigences de larticle
1112 alina 1er, consentir tait la seule branche raisonnable de lalternative.

95

DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo Services ASA 2000 B.L.R. 530 (QBD (TCC))
M.BOIZARD, op.cit.
97
Cass.com. 3 mars 2004, SA Concurrence c/ SA Sony, JCP G 2004, I,149.
98
M. BOIZARD, op.cit.
96

43

La mise en uvre du critre napparat pas sans difficult et le droit franais sera inspir de
tirer des enseignements de ltude des dcisions des juridictions anglaises, ds lors que sil ne
fait pas de doute que labsence dalternatives satisfaisantes est en passe de devenir la clef du
contrle de leconomic duress, la doctrine remarque dj que la solution prsente sa part
dincertitude99. Ainsi, quelle est la nature de la solution accessible ? quelles conditions
peut-elle tre qualifie de satisfaisante ?
Les auteurs, anglais et franais saccordent pour dire que la notion doit tre entendue
largement100. Il peut sagir de lexercice dune voie de droit. La cour de cassation a dj
utilis cet argument pour refuser la qualification de contrainte dans le cas de lapposition de
scells sur des locaux commerciaux par un bailleur, prtendument constitutive dune violence
ayant contraint des hritiers entrer dans un nouveau bail et payer des arrirs dus par le
locataire dcd, ds lors que les nouveaux locataires pouvaient efficacement obtenir la main
leve de la mesure conservatoire101.
Les cours anglaises ont elles reconnu cette solution dans Pau On, o il a t considr que
lexistence dun recours lgal tait lun des facteurs pertinents la dtermination de la
violence. Dans larrt Hennessy v. Craigmyle & Co. Ltd, les juges vont considrer quun
employ apprenant son futur licenciement et acceptant de renoncer ses droits de poursuite
devant un tribunal contre certaines indemnits ne pouvait invoquer la doctrine de leconomic
duress ds lors quil avait prcisment la possibilit dintenter un tel recours101bis.
Il peut encore sagir de lexistence ou non dune solution extrajudiciaire, aussi bien en droit
anglais que selon les auteurs franais102. Une conomie de march prsente en effet a priori de
nombreux offreurs et la violence ne sera dterminante que sil nexiste aucun autre
contractant possible, aucun autre dbouch. Ce raisonnement a t plusieurs fois suivi par les
juridictions du fond en droit franais ainsi que par les juridictions anglaises : la violence peut
dcouler dune situation de pnurie ou de rarete103, ou monopolistique ou encore dun
obstacle de nature juridique telle une clause dexclusivit ou de non-concurrence104. Un
auteur remarque que dans le cas dsormais clbre de larrt du 3 avril 2002 rendu par la

99

M.H. OGILVIE, op. cit.


Y-M. LAITHIER, op.cit. , R. HALSON, op.cit.
101
CAss.civ, 3me, 4 avril 1968, Bull. Civ. III, n152.
101bis
1986 I.C.R. 461 (C.A.)
102
Y-M. LAITHIER, op. cit ; R. HALSON, op.cit.
103
CA Aix en Provence, 19 fvrier 1988, RTD civ 1989, p. 535, obs. J. Mestre ; Atlas Express Ltd. V Kfco Ltd
prc. ;
104
CA Versailles, 28 fvrier 1992.
100

44

premire Chambre de la Cour de cassation, un exemple de solution alternative aurait pu tre la


possibilit, en labsence de clause de non-concurrence, de trouver facilement un emploi
quivalent chez un autre diteur105.
Enfin, lalternative doit tre satisfaisante, et pour cela permettre dobtenir lavantage
escompt du contrat. Cest en ce dernier lment que ce critre prsente un certain flou, en ce
quil appelle ncessairement une tude in concreto de la part du juge et une certaine
casuistique. Les auteurs appellent ds lors maintenir lexigence de la plus grande objectivit
possible, et ce que la preuve de lexistence de lalternative suffise, sans quil soit ncessaire
de prouver la connaissance par la victime de celle-ci106. Cest encore le moyen dimposer un
degr de rsistance la menace ou lexploitation dune situation, et par suite dassurer une
certaine stabilit contractuelle .107
Remarquons enfin quen droit franais cette solution appartient essentiellement au droit
prospectif, mme si certaines dcisions montrent que la jurisprudence est encline
lintroduire progressivement. Cette condition ne serait pas suffisante caractriser la
violence, mais simplement le caractre dterminant de celle-ci sur le consentement. Il faudrait
encore prouver quelle tait illgitime.
2-2 : La mise lcart des notions de violence conomique et
deconomic duress
Devant ces critiques, certains auteurs proposent de sappuyer sur la notion de bonne foi (2-2a)), alors que dautres prnent lutilisation de la technique bien connue des juristes de
lenrichissement sans cause (2-2-b)).
2-2-a) Le rayonnement de la notion de bonne foi
Ltude dun auteur, intitule Loyaut, solidarit, fraternit : la nouvelle devise
contractuelle 108 a mis en vidence lessor de la notion de bonne foi en droit franais et son
utilit. Nous ne rentrerons pas ici dans le dbat opposant les solidaristes aux libraux
et nous contenterons de relever que la notion de bonne foi et larticle 1134 al 3 du Code civil
pourrait judicieusement tre utiliss pour sanctionner les cas de violence conomique, sans
passer par le dtour jug inadquat par de nombreux auteurs des vices du consentement. La

105

Y-M. LAITHIER, op.cit.


R.HALSON, op.cit.
107
Y-M. LAITHIER, op.cit.
108
D. MAZEAUD, Loyaut, solidarit, fraternit : la nouvelle devise contractuelle, in Lavenir du droit, p.603.
106

45

bonne foi, selon les termes de son principal dfenseur, oblige une certaine dcence le
contractant qui, en situation de force au stade de la conclusion ou de lexcution du lien
contractuel, se trouve tre le maitre du contrat 109. La Cour de cassation a dj eu recours
ce fondement de nombreuses reprises, et plus prcisment dans des cas o lexercice dune
position dominante tait en question. Labus a ainsi t apprci au regard de la notion de
bonne foi, lorsque la cour a retenu que lorsque le franchiseur a laiss au franchis la libert
de ngocier les prix selon la loi du march sans souffrir une position dominante et arbitraire
du franchiseur ce dernier na pas commis dabus dans lapplication de la clause
dapprovisionnement exclusif 110.
Remarquons cependant quen ltat de notre droit, la violence conomique nest sanctionne
par les vices du consentement quau stade de la conclusion du contrat. En revanche, la notion
de bonne foi permet le contrle du juge sur lexcution du contrat. Elle ne stend pas la
conclusion du contrat. Autrement dit, nous soutenons, au rebours dune partie de la
doctrine111, que le vice de violence conomique ne saurait tre un instrument surabondant
ds lors quil nexiste aucune collision possible entre lutilisation de ce fondement et celle de
la bonne foi. Sans doute est-ce pour cela que le hraut de la bonne foi contractuel sest
prononc en faveur de la conscration du vice de violence conomique aprs larrt rendu par
la premire Chambre civile le 30 mai 2000112. En dfinitive, le rayonnement de la notion de
bonne foi apparat limit en droit franais et ne saurait, en ltat du droit, pallier les dfauts
prsents par la rception franaise de la violence conomique.
48.

La notion de bonne foi, dont les racines peuvent tre puises en droit romain qui

imposait dj aux parties certains standards de comportement, est galement prsente en droit
anglais. Un comportement de bonne foi implique que les parties adoptent leur attitude en
fonction des intrts de leur contractant. Prenant acte que la bonne foi peut tre considre
comme tant lorigine des diffrents mode de protection de la partie en position de faiblesse
offerts par le droit anglais, la doctrine a pos la question de lintrt dun devoir de bonne foi

109

D. MAZEAUD, ibid.
Cass.com. 21 janvier 1997, cit par C. NOURISSAT, op.cit.
111
C. NOURISSAT, ibid.
112
D. MAZEAUD, Vers lmancipation du vice de violence, in Recueil Dalloz 2001, sommaires comments,
p.1140.
110

46

recouvrant lensemble de ces notions ; faut-il, limage de lentreprise de Lord Denning


lorsquil a pos le principe dune doctrine runissant la violence conomique, labus
dautorit et les contrats moralement rprhensibles, donner la bonne foi une nouvelle
fonction lgale en liminant les diffrences entre les doctrines ? Ou ne vaut-il pas mieux
concevoir la bonne foi comme un principe cadre, surplombant la loi, dont lexistence doit tre
reconnue, sans pour autant que le sens en soit modifi113 ? Selon un auteur, le concept de
bonne foi ne doit pas venir remplacer les distinctions entre les doctrines sa reconnaissance
permet de cerner au mieux les interrelations entre celles-ci114. Ce dernier observe encore que
la conscration du principe de bonne foi ne donnera pas aux juges le pouvoir discrtionnaire
redout par certains de sintroduire dans les rapports contractuels par lintermdiaire de la
notion dquit, sous-jacente la bonne foi. En effet, chaque partie qui se fonde sur bonne foi
devra relever le principe pertinent selon les lois de lquit sur lequel la prtention pourra tre
valablement fonde et dmontrer que celui-ci doit tre respect en lespce115.
La bonne foi apparat comme une notion encore incertaine en droit anglais, ds lors que sa
grande souplesse ne permet pas de relle thorisation, en labsence dun texte comme celui de
larticle 1134 alina 3 du Code civil. Ce dfaut majeur ne permet pas, notre sens de voir en
la bonne foi une alternative part entire aux incohrences du vice de violence conomique.
En cela, droit franais et anglais se rejoignent.
2-2-b) Le renouveau de lenrichissement sans cause?
49.

Le droit franais connat depuis longtemps la notion denrichissement sans

cause, puisque celle-ci a t consacre par la jurisprudence titre principal et autonome par le
clbre arrt Boudier, rendu par la chambre des requtes le 15 juin 1892.116 Il accorde
lappauvri une action spcifique, laction de in rem verso, action prcisment motiv par
lquit. Lenrichissement sanctionn est alors lenrichissement injuste. Lexigence de
scurit viendra temprer cette solution en faisant voluer la notion vers lenrichissement sans
cause : une action sera accorde dans tous les cas o le patrimoine dune personne se trouve
enrichi au dtriment de celui dune autre personne et ce, sans cause lgitime117 et que la
victime ne dispose daucune autre action. Le trs large champ ouvert par la jurisprudence na
t que partiellement dmenti par le Code civil qui ne contient certes aucune thorie gnrale

113

M. D J CONAGLEN, op.cit.
M. D J CONAGLEN, ibid.
115
M. D J CONAGLEN, ibid.
116
Cass.req., 15 juin 1892, DP 1892.1596.
117
Cass.civ., 12 mai 1914, S. 1918 ; 1.11 ;
114

47

de lenrichissement sans cause mais dont certains articles vont clairement en ce sens (article
1376 et suivants). Cest du fait de cette autonomie et dun cadre aux bords extensibles que les
auteurs se sont poss la question de lintrt de sanctionner les cas de violence conomique
par ce fondement.
Le recours des juridictions la notion dabsence de cause est rapprocher de cette
problmatique, (mme si le fondement juridique est en ce cas larticle 1131 du Code civil) et
labsence de cause est aux yeux dun auteur la premire voie de sanction de labus de
domination conomique du cocontractant. 117bis Lintrt du recours cette solution est que
la sanction amne le juge rputer les clauses du contrat qui sont gnratrices du
dsquilibre, de lenrichissement sans cause, ce qui permet de maintenir le contrat et noblige
pas prononcer la nullit.
50.

En droit anglais, cest avant tout le peu de succs pratique des demandes fondes sur

leconomic duress, qui a entrain une raction dune partie des praticiens orienter les
plaideurs vers lunjust enrichment, ie lenrichissement sans cause. Les critres permettant
lapplication de cette doctrine sont en effet similaires ceux du droit franais : lexistence
dun enrichissement ; que celui-ci soit au prjudice de la victime ; que la rtention de cet
enrichissement soit injuste ; que le dfendeur nait aucune dfense ni objection valable la
prtention de la victime. La doctrine de lenrichissement sans cause connat des volutions
rcentes et Lord Goff a eu loccasion de prdire, au regard des rcents dveloppements du
concept deconomic duress, que considrer les catgories de mode de sanction des contraintes
conomiques comme tant dfinitivement fixes serait une erreur117ter. En 1994, et dans larrt
CTN Cash and Carry Ltd v Gallagher Ltd, lun des juges, Sir Donald Nicholls V-C,
stonnait que les plaideurs aient prfr le terrain de la violence conomique plutt que celui
de lenrichissement sans cause, et observait que les catgories de cette dernire doctrine ne
sauraient tre dtermines de faon restrictive.
Le dveloppement de la notion denrichissement sur cause sur le terrain de la violence
conomique permettrait selon ses dfenseurs117quater de se dissocier de la philosophie
individualiste du march, de la protection de lidologie de la libert contractuelle, et de
lapproche restrictive des juridictions eu gard leconomic duress. Lenrichissement sans

117bis

C. NOURISSAT, op.cit.
Woolwich Equitable Building Society v IRC 1992, 3 All ER 737 at 753.
117quater
H. LAL, commercial exploitation in construction contracts : the role of economic duress and unjust
enrichment, The International Construction Law Review, 2005, p.466.
117ter

48

cause est le fondement lgal de la restitution des sommes injustement reues par un
cocontractant. Les conditions probatoires sont plus souples ds lors que la victime demande la
restitution de sommes dargent et non la nullit du contrat.
Lavantage majeur de cette voie de droit est quelle nentrane pas la nullit du contrat et est
donc moins onreuse pour les cocontractants. Elle permet encore dviter le pige de la
confirmation, obstacle auquel nombre de plaideurs se heurtent lorsquils invoquent
leconomic duress,118ds lors que sous cette doctrine un contrat est nul de nullit relative et
que son invocation doit se faire dans un dlai raisonnable aprs que la contrainte ait t leve ;
la mauvaise foi de lauteur des contraintes pourrait entrer dans le champ des critres
permettant de caractriser lenrichissement injuste119. La sanction, de par le droulement des
restitutions, permet de remettre les parties dans un rapport contractuel quilibr.
En effet, Ripert ne voyait-il pas la violence conomique comme un moyen dassurer un
certain quilibre du contrat ? Lobjectif de celle-ci serait non pas tant de sanctionner
limperfection de la volont qui a concouru la formation du contrat, mais plutt de
sanctionner lenrichissement injuste, indu, obtenu par une partie120. Cette conception du vice
de violence, plus conforme la justice contractuelle, obscurcit la distinction avec les notions
voisines dunconscionability en Common Law, et de lsion en droit franais, au point, selon
un auteur, quelles paraissent dsormais se recouvrir . Un rapprochement entre la lsion et
la violence conomique est invitable, ds lors que ce dernier vice aurait pour fonction de
parvenir la reconnaissance dun principe dquilibre contractuel.
Le droit franais et le droit anglais connaissent incontestablement des mouvements
convergents quant la rception de la violence conomique. Tous deux ont une approche
restrictive de la violence conomique, en reconnaissent le principe mais le cloisonnent dans
des exigences probatoires par trop difficiles tablir. Aux mmes obstacles, ie dfaut de
rationalisation des divers recours offerts la victime, sanctions inadaptes, faible efficience
pratique des doctrines, les juristes proposent des pistes de rflexion similaires. Pourtant, si
pour les deux systmes une volution semble ncessaire, cest le droit franais qui semble peu
peu cder sur ses traditions pour intgrer en quasi-catimini des concepts issus du droit
anglais.

voir par ex. , DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo-Services ASA, prc.
H. LAL, ibid.
120
G. RIPERT, La rgle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 1949 4e ed.
118
119

49

PARTIE 2 : Le droit franais lpreuve des autres droits : de


lirrductibilit des divergences la ncessaire volution du droit franais
Si la tradition marque profondment le droit franais, la violence conomique a une porte qui
dpasse largement la simple protection des parties dont la situation a t abuse, en ce que son
utilisation par la Cour de cassation rvle louverture de celle-ci des concepts anglosaxons,
nouveaux en droit franais (section premire). Ce constat nous mnera nous interroger
soutenir que la rception actuelle de la violence conomique est amene voluer (section
seconde).
Section premire: La violence conomique, cheval de troie de lintroduction de
concepts anglais en droit franais.
Le vent de nouveaut apport par la violence conomique pourrait tre plus profond que
lapport dun fondement de droit commun rattach au vice du consentement, tant cette
qualification semble cacher limportance donne ltude du dsquilibre contractuel par les
juridictions franaises (1). Cest lensemble des techniques anglaises de protection de la partie
dont la situation est exploite qui semble discrtement est introduit en droit franais (2).
Lla violence conomique, faux vice du consentement, vraie prise en compte du
dsquilibre contractuel :
Le dveloppement de la notion de violence conomique sexplique en partie par le vide laiss
par le refus franais de la lsion (1-1). La rponse de la Cour de cassation sinspire notre
sens largement de la doctrine anglaise de lunconscionable bargain (1-2).
1-1: La violence conomique, outil ncessaire au droit franais
Sous la pression des juges du fond (1-1-b)), le refus de principe de la lsion est mis rude
preuve (1-1-b)).
1-1-a) Le refus de principe de la lsion
51.

Lopposition en doctrine entre ceux, pour reprendre le mot de Saleilles qui professent

que la justice repose sur le contrat et ceux qui rpliquent que le contrat doit reposer sur la
justice121 a t particulirement clatante sur la question problmatique de la lsion.
Cambacrs, Portalis et Tronchet soutenaient en leur temps que la lsion dnature le concept

121

D. MAZEAUD, op. cit.

50

de contrat commutatif122, considrant quil est de lessence mme du contrat quil soit
rescind quand lquivalent de la chose na pas t fourni. Le Code civil a depuis longtemps
tranch au fond, en posant un refus de principe de la lsion, larticle 1118 du code civil, et
en ne ladmettant que dans certains cas dfinis par la loi.
Comme le remarque un auteur123, il existe deux acceptions de la lsion : lune stricte, qui est
une cause automatique de rescision dans certains contrats cits par la loi lorsquun certain
seuil dans le dsquilibre est franchi ou lorsque certaines personnes juges vulnrables sont
parties au contrat. Lautre, beaucoup plus gnrale, sattache la justice et veille un certain
quilibre contractuel. La premire acception est la place minimale que le droit franais a
entendu officiellement consacrer.
Pourtant, ltude du droit compar rvle que de nombreux pays ont rserv une place plus
importante la lsion, entendue comme technique au service de la justice contractuelle. Il
convient de rappeler Outre-Manche larrt Llyods Bank ltd v Bundy124 et lopinion de Lord
Denning selon laquelle le contrat doit tre annul quand les parties ntaient pas sur un pied
dgalit, cest dire quand lune a un pouvoir de ngociation tellement fort et lautre
tellement faible quen toute justice, il nest pas bien de laisser le plus fort pousser le plus
faible au pied du mur .

125

Sil nexiste pas dacceptation gnrale de la lsion en droit

anglais, la jurisprudence est concerne par le respect du principe prcit et travers labus
dautorit ou lunconscionable bargain, le dsquilibre contractuel peut tre corrig par le
juge. En Allemagne, le Tribunal constitutionnel, aprs avoir fait de la restauration de lgalit
contractuelle perturbe lune des missions principales du droit civil , estime lui que les
tribunaux ont le devoir de veiller ce que les contrats ne servent pas assurer la
domination dune partie par une autre 126. Les juges allemand peuvent cette fin sappuyer
sur le paragraphe 138 du BGB qui autorise la rescision des conventions lsionnaires lorsque la
disproportion entre les prestations convenues a t cause par lexploitation de la gne, la
lgret ou linexprience de lune partie par lautre.
52.

Les exemples des systmes juridiques prcits rvlent que la lsion y est troitement

lie lexploitation dune position dominante par une partie sur une autre. Il en est ainsi du

122

J-P. CHAZAL, La contrainte conomique : violence ou lsion ?, recueil Dalloz, 2000, n43.
J-P CHAZAL, ibid.
124
1974, 3 WLR 501.
125
J-P CHAZAL, ibid.
126
Bundesverfassunggsgericht Bverg, 19 oct 1993.
123

51

droit qubcois pour lequel lexploitation dune partie par lautre est devenue un lment
caractristique de la lsion, en ce que larticle 1406 du code civil du Qubec exige une
disproportion importante entre les valeurs changes dan le contrat ainsi que lexploitation de
la victime par le cocontractant127. Cette dfinition est celle de la lsion qualifie, dont un
auteur enseigne que la disproportion affectant le contrat devient injuste lorsquelle rsulte
dun abus de puissance conomique128. Selon cette dfinition, le domaine de la lsion
qualifie semble largement correspondre lessentiel des situations sanctionnes par la
violence conomique. Pourtant, dans son arrt du 30 mai 2000, la Premire Chambre civile de
la cour de cassation entend donner de lautonomie la violence conomique et affirme
fermement que la contrainte conomique se rattache la violence et non la lsion. Cette
prise de position entend rpondre aux tentatives des juges du fond qui introduisaient peu peu
le concept de lsion qualifie pour sanctionner les situations de violence conomique.
1-1-b) la pression des juges du fond
53.

La position du droit franais quant la problmatique de la lsion sexplique encore

par la grande dfiance quil cultive lgard des ses juges. La mfiance est partage autant
par les sujets de droit ( Dieu nous prserve de lquit des Parlements ! disait ladage), que
par les organes dcideurs (nattribue-t-on pas Robespierre la clbre formule : le mot
jurisprudence doit disparatre de notre vocabulaire ?). Admettre le recours la lsion qualifie
permettrait en effet au juge de simmiscer dans le rapport contractuel et de corriger le
dsquilibre contractuel, au mpris selon certains de la scurit juridique ainsi que de la
libert contractuelle. La sanction de la lsion qualifie nest pas la nullit, mais bien la
rduction de lcart en valeur la juste valeur du contrat. La sanction serait en cela adquate
la violence conomique, en ce quelle permettrait le maintien des contrats.
54.

Les juges du fond ont peu peu substitu la preuve du dsquilibre contractuel ou le

constat de la dpendance conomique celle de llment injuste de la violence. Un auteur


cite ainsi une dcision du Tribunal de grande Instance de Bourges129, qui affirme que le vice
contractuel de larticle 1112 du code civil consiste en une exploitation abusive par un
contractant dominant dun tat de supriorit lors de la ngociation par des pressions
matrielles, psychologiques, atteignant le consentement du contraint dans son lment de
libert dune manire suffisamment forte pour justifier lannulation du contrat dsquilibr

127

J-P. CHAZAL, ibid.


J-P CHAZAL, ibid.
129
Trib. Gr. Inst. Bourges, 1ere ch., 11 avril 1989, cit par M. BOIZARD, op.cit.
128

52

qui en est rsult () . Le vice de violence est ainsi constitu lorsque le dsquilibre
contractuel est avr et que lexploitation dune des parties par une autre est dmontre. On
retrouve ainsi la dfinition de la lsion qualifie, mais le tribunal a manqu daudace et a
rattach sa solution aux vices du consentement. Un arrt de la Cour dappel dAix130 est
galement rvlateur, en ce quil tire de lexistence de clauses marquant un dsquilibre
profond du contrat la preuve de labsence du consentement de la victime et ainsi celle de la
violence conomique. Les juges du fond dduisent ainsi la dimension subjective de la
violence, ncessaire la dmonstration de vice du consentement, du caractre objectif de la
position relative des parties ou du dsquilibre au sein du contrat131. Sous la qualification de
violence, se cache bien le spectre de la lsion qualifie : la dsquilibre conomique nest pas
un simple indice mais la preuve de lexploitation du cocontractant. Que lon retienne les
termes de violence conomique ou de lsion qualifie, la solution des juges du fond conduit
bien faire de la violence un vice objectif. Un auteur remarque cependant que cette
conception prsente toutefois une diffrence en matire probatoire, avec une exigence
supplmentaire par rapport la lsion : celle de la dmonstration dune dpendance, soit
lintrieur du contrat, soit ne du contexte132.
Cette position a t critique, notamment en ce quelle entraine une porosit du contrat la
situation personnelle des contractants 133, de par la prise en considration par le juge dans
lexamen de lagencement des obligations dans les clauses contractuelles du contexte
conomique et concurrentiel ainsi que des situations respectives des contractants. Mais nestce pas le propre des juges du fond, de pouvoir se plonger au plus prs des faits et de par la
proximit dont ils jouissent avec les sujets de rendre des solutions parfois plus appropries
la pratique contractuelle ? Souvent, limpulsion est venue des ces juridictions. Nous verrons
quen matire de violence conomique, et bien que la cour de cassation sen dfende, ce
mouvement jurisprudentiel tend peu peu faire voluer le droit franais, qui intgre des
notions drives du droit anglais.
1-2 : Lintroduction cache de lunconscionable bargain :
Nous soutiendrons que la Cour de cassation nest pas reste insensible ces pressions et que
sous la formulation du vice de violence conomique se cache lintroduction de

130

Aix, 8e ch, 19 fvrier 1988, R.T.D. civ, 1989, p.534.


M. BOIZARD, op.cit.
132
M. BOIZARD, ibid.
133
M. BOIZARD, ibid.
131

53

lunconscionable bargain (1-2-a)), alors que celle-ci fait du dsquilibre contractuel un


lment essentiel de la violence conomique (1-2-b)).
1-2-a) La discrte tentation de la cour de cassation
55.

Au milieu du XIXe sicle, la Cour de cassation a jug, au visa de larticle 1134 du

Code civil, que le tribunal des prudhommes qui se fondait uniquement sur la quotit du
salaire pour annuler le contrat de travail, ne faisait que violer la libert des conventions et
de lindustrie et exposer le rglement du prix de travail des rtractations et incertitudes
aussi prilleuses pour les ouvriers que pour les matres. 133bis Cent cinquante ans plus tard, la
jurisprudence semble avoir digr cet hritage. Dans son arrt du 3 avril 2002, aprs avoir
dtach la violence conomique de la lsion, la cour de cassation va circonscrire le domaine
de la violence conomique en lenfermant dans des critres stricts. Certains auteurs y ont vu,
par lexigence dun lien direct entre la contrainte et la crainte inspire par celle-ci chez la
victime la preuve dun ancrage certain de la violence conomique aux vices du consentement.
Pourtant, une relecture prcise de lattendu de principe de cet arrt peut rvler que son
approche nest pas si rsolument subjective. Le voici pour mmoire : seule lexploitation
abusive dune situation de dpendance conomique faite pour tirer profit de la crainte dun
mal menaant directement les intrts lgitimes de la personne peut vicier de violence le
consentement lacte juridique. A la lecture de cette formule, il apparat que lobjet sur
lequel sexerce la menace nest pas le consentement : la violence conomique na pas tant pour
but de protger volont que les intrts lgitimes de la personne . Autrement dit, si le
consentement est vici par la violence, la menace pse sur les intrts de la personne, cest
dire sur ce quelle attend du contrat, et ainsi la valeur change, ou encore la contrepartie
ses obligations. Ds lors, dans lapprciation de la valeur conomique, la cour de cassation
fait rfrence la substance du contrat. Cette concession discrte, involontaire ou assume, a
pour effet de rvler quen pratique, lapprciation de la violence ne se fera jamais sans la
caractrisation dun avantage excessif au profit dun des cocontractants. Le juge du droit
procde donc, malgr la fermet des termes de larrt rendu le 30 mai 2000, que ce soit titre
dindice ou de preuve, lexamen de lconomie du contrat et de son caractre quilibr ou
non.

133bis

Cass.civ, 12 dc 1853, DP 1854, 1 p .20, cit par G. LOISEAU, Lloge du vice ou les vertus de la violence
conomique, Droit et Patrimoine, n107, Septembre 2002, p.26.

54

56.

Labus est en effet indissociable du profit indument retir134, ie de lavantage excessif

que lauteur son auteur soctroie en exploitant ltat de son cocontractant. Jusqu la loi du 1er
fvrier 1995, le droit de la consommation faisait appel aux critres de labus de puissance
conomique et de lavantage excessif pour dfinir la notion de clause abusive. Le dsquilibre
contractuel dsormais exig suggre toujours une situation latente de contrainte conomique.
Le droit pnal, sanctionne labus de faiblesse lorsque celui-ci est la cause dun acte gravement
prjudiciable la personne qui en est la victime ; labus de vulnrabilit est sanctionn
lorsquil entraine une rtribution qui est manifestement sans rapport avec limportance du
travail accompli, alors que le droit de la concurrence prend en compte le caractre justifi ou
non des conditions commerciales auxquelles est soumise la victime dun abus de dpendance
conomique135. La prise en considration du caractre injustifi, excessif du profit retir de
labus de situation apparat ainsi comme le dnominateur commun de ces diffrents
recours136 ;
57.

La plupart des auteurs ont en revanche vu dans lexigence de lexercice direct dune

menace par lauteur de la violence le symbole de la perte dintrt de la notion de violence


conomique, en ce quelle tait ramene au droit commun. Nous soutenons pour notre part
que lexigence dun comportement illgitime, dlictuel, immoral de la part de lauteur de la
violence pour que la violence conomique, ajoute la prise en compte, certes discrte, mais
certaine du dsquilibre qui en rsulte sur le contrat, nest que lintroduction masque du
concept anglais dunconscionability. La comparaison entre la version actuelle de la violence
conomique la franaise et la dfinition historique donne dans larrt Alec Lobb (garages)
Ltd v Total Oil (Great Britain) Ltd137 est saisissante . Le contrat est dans le champ de la
doctrine de lunconscionability lorsque trois critres sont runis : une situation de domination
entre une partie et une autre, en raison de la pauvret, de lignorance ou du manque de conseil
dune des parties lgard de son cocontractant ; lexploitation de cette faiblesse par lune des
parties de faon immorale ; et un dsquilibre contractuel tel quil ne peut que frapper la
conscience des juges.

134

G. LOISEAU, ibid.

135

pour labus de faiblesse : C.pn. art 223-15-2 ; pour labus de vulnrabilit : C. pn : art 225-13 ; pour abus de
dpendance conomique : C. com art L.420-2.
136
G. LOISEAU, ibid.
137
1983, 1, W.L.R. 87.

55

On relvera certes que le dsquilibre contractuel nest pas une condition essentielle de
lunconscionable bargain pour certains auteurs138 mais il sera toujours prsent et est un
moyen de preuve puissant. Le test pertinent est que les termes du contrat parlent deux
mmes et rvlent quune des parties a t conduite entrer dans un contrat qui choque la
conscience de la cour 139. De plus, de nombreux arrt ont jug que lorsque le dsquilibre est
dune extrme importance il est suffisant pour caractriser lunconscionability ; il en sera
ainsi de la vente de sa proprit pour la moiti de son prix par exemple140. Dans ces derniers
cas, il nest point besoin de relever une conduite immorale de la part de lauteur de la
violence.
Quant llment immoral, inadmissible, de la conduite de lauteur de la violence, la doctrine
de lunconscionability a volu pour finalement le dfinir comme la victimisation, qui
consiste soit lextorsion active dun avantage ou lacceptation passive dun avantage dans
des circonstances immorales. 140On ne saurait voir autre chose quune trange ressemblance
entre la dfinition de la violence conomique, quelle soit endogne ou exogne, et celle de
llment rprhensible du comportement du bnficiaire de lunconscionable bargain.
Enfin, la doctrine anglaise repose sur un dernier lment, ie la dpendance de lune des parties
par rapport lautre, son tat de faiblesse, au mme titre que la cour de cassation vise des
situations o les parties sont en tat de dpendance conomique .
La Cour de cassation introduit ainsi, sans le dire ouvertement, le concept sculaire de
lunconscionable bargain. Le lgislateur lavait prcd, comme le remarque un auteur, les
conditions requises pour caractriser labus de faiblesse tant trs proches de celles requises
lapplication de cette doctrine141. Mais la place laisse lapprciation du dsquilibre
contractuel ne spuise pas ce dernier arrt. Celle-ci est en ralit telle que lon ne peut que
sinterroger sur lutilit des efforts dploys par la Cour de cassation pour prserver une
certaine tradition juridique franaise. Il semble quen matire de violence conomique, seules
les apparences soient sauves. A dfaut de la cohrence.

138

CAPPER, op. cit.


Burmah oil Co Ltd v Governor and Company of the Bank of England, The Times, July 4 1981, per Walton J.
140
CAPPER, ibid.
140
Hart v OConnor, 1985 A.C. 1000 at p.1024 cit par CAPPER, ibid.
141
Y-M. LAITHIER, op. cit.
139

56

1-2-b) Le dsquilibre contractuel, lment au cur de la violence


A notre sens, la position dun refus catgorique de la lsion qualifie est insoutenable, et nest
en tout tat de cause pas conforme la ralit de la pratique juridictionnelle. La raison est un
constat dvidence : un auteur amricain relve que le seul prjudice qui ressort de la situation
prcaire dune des parties, et le seul avantage qui peut en tre retir par lautre partie nest
autre que le dsquilibre en valeur entre les prestations changes142. La violence conomique
a cela de moderne que ses consquences se trouvent au cur du contrat, ds lors sa
caractrisation ne saurait faire abstraction de lconomie de celui-ci. La lsion irradie notre
droit, alors que lon svertue tordre dautres concepts, ici les vices du consentement, faute
dtre prt lassumer.
58.

Les rapports entre la lsion et la violence sont anciens, et avant mme que la notion de

violence conomique soit consacre, le lgislateur a li expressment les deux notions dans
deux textes. Au sein de statuts spciaux, la dmonstration de la lsion permet dtablir une
prsomption de violence. Il sagit de la loi du 29 avril 1916 relative lassistance et au
sauvetage maritimes et de lordonnance du 21 avril 1945 relative la restitution des juifs. La
premire dduit une prsomption de vice du consentement du caractre inquitable,
dsquilibr de la convention et la seconde tablit une prsomption lgale de contrainte
manant des circonstances.
Le droit commun, a priori, ne subordonne aucunement lannulation pour vice de violence
lexistence dun dsquilibre conomique du contrat. Les articles 1111 et suivant ne font pas
de lconomie du contrat un des lments constitutifs du vice. Un auteur relve cependant que
cette affirmation nest valable que pour le domaine de la menace dun mal considrable et
prsent , cas gnral prvu par le code civil, distinguant de cette hypothse les situations
de contrainte diffuse 143. Pour ces dernires, lillgitimit ne peut tre, selon lauteur,
recherche que dans cette lsion objective qui traduit lexploitation des circonstances en
vue den tirer un profit excessif.
59.

La controverse se porte donc sur le fait de savoir si le dsquilibre contractuel peut tre

une condition suffisante de lillgitimit de la contrainte. Certes lexigence dune apprciation


morale du comportement de lauteur de la violence dfavorise la victime en levant un
obstacle supplmentaire au prononc de la nullit. Pourtant, la thse dduisant lillgitimit du

142
143

GORDELY, cit par M. D J CONAGLEN, op. cit.


P. CHAUVEL, Violence, contrainte conomique et lsion, in Mlanges Sohm ????

57

seul dsquilibre contractuel rencontre certaines rserves : certains y voient une atteinte la
loi de loffre et la demande sans que soit pour autant offert de relle garantie de justice.144
Pour sduisante quelle soit, la thse soulve la difficult de son encadrement par les juges du
fond. En labsence de texte, partir de quel seuil considrer lexploitation de la contrainte
comme tant illgitime ? La doctrine relve quici les principales objections ladmission
dun principe gnral de lsion ne sont toujours pas rsolues : que choisir entre la fixation
chiffre dun quantum et le simple nonc dun standard ? Surtout, un auteur145 relve que la
premire des tches du juge ne sera pas aise ds lors quil devra, sans tre pour cela
comptent, dterminer la valeur exacte de la prestation. Ni lexactitude ni la justice ne
pourront tre par ce biais assures. A quel instant se placer pour apprcier les valeurs
changes ? Selon ce choix, la rpartition initiale des risques peut tre modifie et la
victime de la contrainte peut vite savrer ntre quun contractant peu avis ni
scrupuleux, dsireux dchapper ses engagements contractuels moindres frais.
A notre sens, le dsquilibre contractuel ne saurait suffire : la position de la cour de cassation
prise en 2002 est en cela pertinente. Ce faisant, elle sinspire bon escient de son homologue
britannique. En revanche, par son obstination rattacher la sanction des abus de situation un
vice du consentement, la Haute cour brouille le message du droit franais, le rendant peu
intelligible ni exportable, alors que des notions comme celle de lsion qualifie sont courantes
au sein des systmes de droit europens.
2- Lintgration diffuse des doctrines dundue influence et deconomic duress
Si certains ont pu se rjouir dun apparent revirement de la cour de cassation sur la question
de la violence conomique (2-1), nous soutiendrons au contraire que ltude du compar
rvle que ce revirement nest quapparent et peut sinterprter comme lintroduction de la
doctrine de lundue influence en droit franais (2-1).
2-1: Le resserrement apparent du champ de la violence conomique
60.

De laffaire Le Rolf la dsormais clbre affaire Kannas, la jurisprudence a entendu

inclure dans le champ de la violence conomique aussi bien la violence endogne que la
violence exogne. Il fallait pour la victime dmontrer lexploitation dune situation de
faiblesse par lauteur de la violence. Un arrt du 8 septembre 2005, rendu par la Deuxime

144
145

Y-M. LAITHIER, op. cit.


Y-M. LAITHIER, op. cit.

58

chambre civile de la Cour de cassation (et publi au Bulletin)146, est venu semer un certain
trouble parmi les dfenseurs de la violence conomique.
Le premier doute vient de ce que deux ans auparavant, la mme chambre avait prononc
lannulation dune convention dhonoraires pour cause de violence morale exerce par un
avocat sur son client147. Larrt prcit opte lui pour une solution contraire, marquant un
certain retour la svrit en rappelant que la caractrisation de la violence suppose la
runion de certaines conditions. En voici les faits : poursuivi par une banque, un individu
avait sollicit le conseil et lassistance dune SCP davocats. La SCP accepta de revoir la
baisse lune de ses conventions dhonoraires, la demande de son client, qui len remerciera
par courrier. La facture demeurant impaye, la SCP a agi devant le btonnier de lordre des
avocats du barreau concern et le dfendeur laction sest rfugi derrire lexception de
nullit pour cause de violence. La Cour dappel va faire droit cette prtention, en annulera la
convention en sinscrivant dans le prolongement de la conception expose par la Premire
chambre civile en 2002. La convention apparat selon celle-ci comme ayant t obtenue sous
la contrainte morale rsultant de la crainte par le dfendeur dexposer sa fortune un mal
considrable et prsent, caractrise par lengagement de lexcution sur les immeubles de
son pouse en rglement de ses dettes impayes. Contrairement aux faits de larrt Kannas, il
apparat bien quil existait un lien direct entre les vnements et la crainte de la victime. La
SCP davocats taient ainsi accuse davoir abusivement exploit cette situation pour imposer
une convention dhonoraires excessive.
Pourtant, la cassation est sche, au visa des articles du code civil consacrs la violence : il
ne rsulte pas que M.X ait contract le 17 novembre 1992 sous lempire dune quelconque
contrainte morale exerce par la SCP ou un tiers . La cour relve galement que la
convention litigieuse a t tacitement mais ncessairement approuve dans le courrier
postrieur .
61.

La svrit dans lapprciation de la violence est telle en lespce que la cour exige non

seulement un lien direct entre la contrainte et la crainte de la victime, mais encore la


dmonstration que la contrainte trouve son origine dans le comportement de lauteur allgu
de la violence. Lorigine de la violence semblait tre une considration subsidiaire, en 2002,
voire indiffrente dans larrt Le Rolf. Cette position a t interprte comme lannonce dun

146
147

Cass. Civ 2, 8 septembre 2005, Bull civ 2005 II n213 p.190


Cass. Civ 2e, 18 dcembre 2003, D. 2004.IR.394

59

revirement, dune volte face de la cour de cassation qui peu aprs avoir affirm le principe de
la violence conomique et enferm celle-ci dans des conditions strictes dapplication, vient
considrablement en rduire le champ potentiel dapplication. La contrainte provenant de
circonstances extrieures lauteur de la violence est exclue. La dfinition de la violence
conomique en serait alors modifie, ds lors que la violence ne serait plus caractrise par
lexploitation abusive par un des cocontractants de la situation de lautre partie au contrat.
Seuls des actes eux mmes gnrateurs de la contrainte pourraient ainsi tre sanctionns.
Nous ne partageons pas cette interprtation. Tout dabord parce que la tendance nest
clairement pas une telle conception. En effet, deux arrts rendus par la Chambre
Commerciale de la cour de cassation, le 11 juillet 2006 puis le 3 octobre 2006 (pour des
affaires de cautionnement et de prt) confirment la jurisprudence du 3 avril 2002 en refusant
certes tous deux les prtentions de la prtendue victime de la violence, mais uniquement pour
manque de preuves suffisantes. Le principe est donc maintenu, comme un arrt de la Chambre
sociale du 20 fvrier 2007 le rappelle, dans le cas dun contrat de travail.
Dautre part, notre droit ne gagnerait pas considrer larrt du 8 septembre 2005 comme une
solution isole et sans porte. Celui-ci porte en effet les marques dune bauche
dintroduction du concept anglais dabus dautorit.
2-2: Labus dautorit la franaise ?
62.

Lintrt majeur de lorganisation de la protection du cocontractant dont la situation de

faiblesse a t abuse par son cocontractant dveloppe par le droit anglais est de fournir la
victime une gamme de recours et une chelle gradue de protection eu gard la nature de la
relation entre les parties au contrat. Lorsquil peut tre prouv que lune delle avait un
ascendant intellectuel ou conomique sur lautre, la doctrine dundue influence permet la
victime dobtenir rparation. Il faut encore prouver le comportement fautif de la partie
ascendante, quil soit emprunt dimmoralit ou frauduleux. Dans le cas de lactual undue
influence, le caractre quilibr du contrat ou non nest pas un critre, mais tout au plus un
lment de preuve. Laccent est mis sur le comportement de la partie ascendante.
Les faits de larrt du 8 septembre 2005 collent parfaitement cette prsentation. La relation
tait suppose tre de confiance, entre une socit davocats et une personne physique,
affaiblie par les contraintes judiciaires et financires auxquelles elle devait faire face. La
solution de la cour de cassation est peu dveloppe mais contient les lments dcisifs de
labus dautorit : en insistant sur la ncessit de prouver que la contrainte avait t exerce

60

par lauteur allgu de la violence, la cour ne fait rien dautre que transcrire la condition
anglaise dun comportement fautif de la partie ascendante. Il nest de plus fait aucune
rfrence au caractre ventuellement excessif du contrat litigieux. A des rapports plus
subtils de domination que les situations donnant gnralement lieu lapplication du vice de
violence conomique, la Cour de cassation joint des conditions de sanction diffrentes.
Lapproche raliste de la Haute cour ne doit ds lors pas tre interprte comme le refus de
lextension de la doctrine de la violence conomique mais au contraire comme le
dveloppement dune voie de recours diffrente, pour un mode dexercice de la violence
diffrent.
En lespce, et comme le remarquent certains auteurs, le caractre illgitime de la contrainte
faisait dfaut, ds lors que les voies de droit exerces par les cranciers de la prtendue
victime de la violence tait parfaitement lgales et exerces de bonne foi. En refusant
lexception de nullit en lespce, la cour oriente nanmoins les plaideurs sur une piste, si lon
lit larrt a contrario : si ceux-ci parviennent prouver que la socit davocats a elle-mme
exerc une pression illgitime sur son client, alors celui-ci pourra trouver protection auprs
des juges. Et ce, sans avoir prouver, semble-t-il le caractre lsionnaire du contrat. Le
silence de la cour de cassation sur ce point, sil peut sinterprter comme un simple oubli, peut
galement rvler, qu linstar du droit anglais, lorsque les parties sont dans un rapport de
confiance et de domination intellectuelle, cette circonstance nest pas un lment constitutif
de la violence mais tout au plus un lment de preuve. Nous nous rapprochons en ce cas dune
transposition de la doctrine dactual undue influence. Et nous loignons des voies
prexistantes en droit franais en matire dhonoraires excessifs.
63.

Cette solution est nouvelle en droit franais, en ce que la jurisprudence classique qui

admet la rduction des honoraires excessifs procde selon une mthode diffrente. La
premire diffrence, essentielle, est qu limage de la victime dun abus dautorit en droit
anglais, la victime pourrait obtenir la nullit de la convention dhonoraires ainsi conclue et
non seulement sa rduction un montant adquat. La solution suscitera si elle se confirme de
nombreuses critiques de ce simple fait : voil encore un mode de protection audacieux qui,
tomb entre des mains peu scrupuleuses peut tre contreproductif dans la recherche dune
meilleure justice contractuelle. La difficult de lapprciation de lexcs est ici lude, pour
concentrer le contrle du juge sur le comportement de la partie ascendante. Lorsque celle-ci
participe la contrainte, la convention pourra tre annule. La victime naura pas prouver le
dsquilibre de la convention, au contraire de la mthode classiquement retenue par la

61

jurisprudence. La partie ascendante ne sera pas sanctionne si les circonstances lont fait
profiter dun contrat intressant avec une partie en proie des difficults. En revanche, nous
retomberons dans le champ du vice de violence conomique si la partie ascendante a exploit
abusivement cette situation, et en ce cas la victime devra prouver quil en est rsult un
dsquilibre contractuel. Le droit franais prsenterait, si cette tendance se confirmait, une
nouvelle batterie dinstruments de protection des contractants devant les abus de situation.
Une telle interprtation est au reste rendue possible par les termes employs par la Cour de
cassation dans son arrt du 30 mai 2000 : la contrainte se rattache la violence et non la
lsion , lexpression est assez large pour soutenir que la contrainte pourrait galement se
rattacher un autre fondement.
64.

Nous voudrions enfin prciser que la jurisprudence franaise a dj par le pass

proposer des solutions permettant de voir une application directe de la doctrine deconomic
duress, ds lors qutaient en jeu des cas de menaces dinexcution contractuelle similaires
aux cas qui ont construit la doctrine anglaise. La mthode actuelle de sanction de la violence
conomique ne permet en effet pas de sanctionner les cas de violence exercs au cours de
modifications contractuelles, ds lors que la protection des vices du consentement spuise au
stade de la formation du contrat. La mesure de la porte de ces dcisions aujourdhui doit
ainsi tre relativise car elles ont t rendues avant que la jurisprudence ne fasse de faon si
explicite de la violence conomique un vice du consentement. Pour autant leurs solutions
taient audacieuses : dans des cas o la menace tait de ne pas payer ce qui est d, ou de pas
le faire entirement et o le cocontractant se voyait exposer une perte souvent considrable,
la cour de cassation a retenu deux reprises que cette menace pouvait tre lorigine dun
tat de ncessit ultrieurement exploit par lauteur de la violence. Le meilleur exemple en
est larrt du 5 juillet 1965 rendu par la Chambre sociale de la cour de cassation148 fait droit
la demande en annulation sur le fondement de la violence morale dun contrat qui avait vu un
reprsentant de commerce devant faire face des difficults familiales consentir un nouveau
contrat de travail contenant des clauses draconiennes. Ladmission dun tel recours, au cot
du vice de violence conomiquement tel que dfini actuellement et des prmices du
dveloppement dune doctrine franaise de labus dautorit parachverait de doter la France
dun systme proche de celui du droit anglais.

148

Cass.soc. 5 juillet 1965, Bull. Civ., IV, n 545.

62

Malgr ces avances, la notion semble au point mort en ce que ses critres dapplication
restent trs difficiles prouver pour les victimes. Lvolution des diffrents systmes
europens et la pression doctrinale pourraient pousser le droit franais dpasser le cadre
rigide de ses traditions et le sortir de lisolement. La violence conomique, entendue comme
un vice du consentement, serait pour certains un concept dj dpass.

Section seconde : la violence conomique, simple concept transition ?


Si le projet Catala reprend pour lessentiel la solution pose rcemment par la jurisprudence
de la Cour de cassation, sa comparaison avec les autres principaux codes et projets europens
rvle lisolement de la position franaise (1). Dj, la doctrine se tourne vers de nouvelles
techniques de protection de la partie faible (2).
1- le projet Catala laune des droits europens
Lavant projet de rforme du droit des obligations a cru faire preuve daudace en codifiant la
solution jurisprudentielle (1-1) ; celui-ci noffre pourtant pas un modle exportable au droit
franais au regard des autres droits europens (1-2).
1-1 : la codification de la rigueur jurisprudentielle
65.

Pierre Catala sest vu confier limmense tche de diriger une commission charge de

proposer une rforme du droit des obligations afin dlaborer un nouveau code civil. Ses
propositions vont souvent dans le sens des volutions majeures de la jurisprudence et
brusquent parfois celle-ci, avec certaines innovations. En matire de violence, le projet Catala
a fait preuve dun grand respect de la tradition, tout en consacrant la solution labore par la
cour de cassation le 3 avril 2002 et ainsi la violence conomique.
Le rgime de la violence, dont dispose larticle 1114 du projet Catala parat ainsi trs
classique : la condition de limputabilit de la violence quelquun y demeure prsente.
Larticle 114-2 dispose ainsi que : la violence vicie le consentement de la partie qui
soblige, quelle ait t exerce par lautre ou par un tiers, et non seulement lorsquelle a t
exerce sur la partie contractante mais encore lorsquelle la t sur son conjoint ou sur lun
de ses proches . Les auteurs nont pas manqu de relever le classicisme de la solution, qui

63

va jusqu conserver la mention de la crainte rvrencielle parmi les cas dexclusion de la


violence.149
66.

De la lecture de la suite de lavant projet, il ressort qu un puissant vent de

nouveaut se lve , pour reprendre les termes dun auteur149. Larticle 1114-3 de lavant
projet reprend ainsi la solution pose par la cour de cassation le 3 avril 2002, gravant ainsi le
principe dans le marbre de la loi. La solution, peine suggre, se voit donner un caractre
dfinitif150. Il y a galement violence lorsquune parties sengage sous lempire dun tat de
ncessit ou de dpendance, si lautre partie exploite cette situation de faiblesse en retirant de
la convention un avantage manifestement excessif .
La texte propos prcise encore le principe pos par la jurisprudence : ce que nous
pressentions du sens donner la formule de la cour de cassation ( un mal menaant
directement les intrts lgitimes de la personne ) est confirm, en ce quil est expressment
fait rfrence l avantage manifestement excessif . Lavant projet fait nen pas douter
de la constatation du dsquilibre contractuel un lment constitutif du vice de violence
conomique. Ceci sinscrit nettement dans lorientation de lavant projet, qui gnralise plus
loin la lutte contre les clauses abusives tous les contrats dadhsion en sappuyant sur le
critre du dsquilibre significatif .
Dautre part, le texte de larticle 1114-3 apporte une prcision quand au champ des situations
susceptibles de caractriser une situation de faiblesse : il peut sagir soit dun tat de
ncessit , soit dun tat de dpendance . Ce texte va donc plus loin que la formule de la
Haute Cour qui ne visait que les parties en tat de dpendance et le texte embrasse toutes les
situations de faiblesse, que la victime soit au non dpendante de lauteur de la violence. Enfin,
remarquons que larticle 1114-3 ne mentionne que lexploitation de la situation de faiblesse,
sans prciser que celle-ci doive tre abusive, au contraire de la solution jurisprudentielle. Sans
doute les juges continueront dexiger la preuve dun abus, car cest nous lavons vu cest cet
abus qui rend les pressions commerciales et actes de lauteur de la violence illgitimes ;
nanmoins, cette dernire remarque est loccasion de relever les inquitudes suscites par ce
texte.

149 P. STOFFELMUNCK, Autour du consentement et de la violence conomique, in Revue des Contrats 01

janvier2006,n1,p.45.

150P.STOFFELMUNCK,ibid.

64

67.

Certes, les champions de lconomie de march ont une institution analogue et

() ne sen portent pas plus mal 151151. Cependant, les anglais et les amricains ont des
cultures et des modes de recrutement des juges bien diffrents. La remarque est pertinente ds
lors quil apparat que la codification envisage du principe de la violence conomique est
galement la preuve dune nouvelle confiance donne au juge ; tout sera ici affaire
apprciation : comment dfinir la dpendance ou ltat de ncessit ? labus dans
lexploitation de celui-ci ? le caractre manifestement excessif de lavantage retir ? Toutes
ces notions sont encore prciser, et la tche semble avoir t abandonne aux juges. Comme
le remarque un auteur, tous ces critres sont dune prvisibilit proportionne la
personnalit du juge qui les emploiera 152. Certains regrettent dj que lavant projet nait
pas profit de son entreprise de codification pour encadre le concept de la violence
conomique, dautres senthousiasment au contraire de ce dbut de rvolution culturelle qui
ambitionne de codifier une nouvelle confiance accorde aux juges. Nous pensons pour notre
part que la gnralit des termes employe est la mieux mme de rpondre lextrme
diversit des contrats daffaires et de permettre la cration, en droit commun, dune protection
contre les abus de situation.
Enfin, le rattachement, qui reste selon nous contestable, de labus de situation aux vices du
consentement offre toujours la victime le choix de la sanction, nullit ou dommages-intrts.
Le choix des vices du consentement est dautant plus critiquable que la formule de larticle
1114-3 se rapproche plus encore de la dfinition de lunconscionable bargain que ne le faisait
lattendu principal de larrt Kannas. Lon retrouve ainsi les mmes incohrences et risque de
se heurter aux difficults exposes prcdemment.
Notons pour conclure que le rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avantprojet de rforme du droit des obligations et de la prescription fait part de son adhsion cette
innovation, tout en relevant quune acceptation large de la notion de bonne foi permet de
sanctionner ce type dagissements abusifs.
1-2 : un droit isol au regard des droits europens
68.

A lheure o nombreux sont ceux qui attendent la rdaction dun code europen de

droit des contrats, la question doit tre pose de lexportation du modle franais. Pour tre
influent, ou ne serait-ce que pour survivre devant cette vague duniformisation, notre droit se

151P.STOFFELMUNCK,ibid.
152

P. STOFFEL-MUNCK, ibid.

65

doit dtre intelligible et cohrent. Si la spcificit de la notion de cause en droit franais est
lorigine de nombreuses difficults cet gard, gageons que la cration dun principe de
violence conomique, rattache aux vices du consentement et impliquant instinctivement une
apprciation subjective de limpact de la contrainte et des pressions sur le consentement de la
victime, mais semblant tre en dfinitive examine selon des critres objectifs en empruntant
pour lessentiel les traits du mcanisme de la lsion qualifie alors que le droit franais en
refuse expressment le principe ne sera pas llment moteur de cette entreprise.
La comparaison avec les autres principaux droits europens est difiante, et le droit allemand
ne fait aucune rfrence la notion de violence pour sanctionner labus de situation. Le
paragraphe 138 du BGB dispose ainsi : Est nul, en particulier, un acte juridique par lequel
une partie, travers lexploitation de la situation de contrainte, de linexprience, du manque
de capacit de jugement ou des faiblesses considrables de la volont de lautre, se fait, pour
lui ou un tiers, promettre ou accorder, en contrepartie dune prestation, des avantages
patrimoniaux qui sont en disproportion flagrante avec cette prestation. Si la dfinition est
proche de celle de lavant projet, labsence de rfrence la violence est une diffrence
majeure en ce quelle nimplique pas les exigences inhrentes aux vices du consentement. Le
code civil nerlandais procde de faon similaire au sein de son code civil153.
Dautres droits, comme le droit civil italien, rattache directement le mcanisme de sanction
des abus de situation la lsion. Larticle 1448 du code civil italien dispose
ainsi : sil y a disproportion entre les prestations de lune des parties et celles de lautre, et
que la disproportion dpende de ltat de besoin de lune des parties dont lautre a profit
pour en tirer un avantage, la partie lse peut demander la rescision du contrat. Le texte
est plus prcis en prcisant que le seuil pour le dclenchement de la lsion soit doutre-moiti.
La solution est trs peu prcise, et en ltat trs protectrice des victimes en ce quil nest pas,
littralement parl, besoin de dmontrer que lavantage retir par lauteur de la victime tait
excessif, et il semble que seule la preuve que cest ltat de besoin de la victime qui a
dtermin son consentement est requise.

153

art. 44 NBW : 1) : Est annulable lacte juridique form la suite dune menace, dun dol ou dun abus tir

des circonstances (). 4) : Une personne abuse des circonstances lorsquelle encourage la passation dun acte
juridique, tout en sachant ou devant comprendre, que qui et d len retenir, que cette dernire y a t induite par
des circonstances particulires telles que la ncessit, la dpendance, la lgret, ltat mental anormal,
linexprience.

66

Le code civil suisse est plus prcis, en imposant lui la lsion qualifie, labus de situation
tant rprim par le mcanisme de la lsion, lorsque celle-ci a t dtermine par
lexploitation de sa gne, de sa lgret ou de son inexprience 154. La dfinition, large,
semble recouvrir les cas dtat de ncessit, dabus dautorit voire mme de contrat
moralement rprhensible.
La comparaison du droit civil franais avec ceux de ses principaux voisins fait donc apparatre
un certain isolement : il semble quil soit le seul lier de faon aussi affirme la sanction des
abus de situation aux vices du consentement, bien quil ne lassume gure en pratique, en
faisant nous lavons vu une application cach des principes de la lsion qualifie. Lisolement
du droit franais se traduit dans le droit prospectif, ds lors que parmi les principaux projets
de codification europens, aucun ne reprend la position franaise.
69.

Les principes dvelopps par la Commission Lando, les fameux Principes du droit

europen des contrats reprenne une dfinition ici encore classique de la violence, similaire
celle du droit franais (en ajoutant toutefois lexception de lalternative raisonnable
larticle 4 :108), avant de sanctionner labus de situation larticle 4 : 109, sous lintitul
profit excessif ou avantage dloyal 154bis. La sanction est ici encore la nullit, et le texte est
centr autour de lexploitation illgitime de ltat de ncessit dans lequel se trouve le
cocontractant. Sans pour autant porter un principe gnral de rescision pour lsion, le texte
limitant son domaine dapplication aux situation de faiblesse, dinaptitude, de ncessit
imprieuse, celui-ci na dautre but que de sanctionner les hypothses dabus manifeste. Un
auteur155 fait remarquer que le commentaire officiel de ce texte apprcie labus au regard du
prix normal : le dsquilibre est au cur du mcanisme. Le prix normal est celui du
march, et le commentaire prcise que lachat au prix fort nouvre aucun recours sur le
fondement de larticle 4 : 109. Le profit peut tre excessif dans pareil cas (si le vendeur avait

154

article 21 Code des obligations suisse.

154bis

article 4.109: (1) Une partie peut provoquer la nullit du contrat si, lors de la conclusion du contrat, (a)
elle tait dans un tat de dpendance l'gard de l'autre partie ou une relation de confiance avec elle, en tat de
dtresse conomique ou de besoins urgents, ou tait imprvoyante, ignorante, inexprimente ou inapte la
ngociation,
(b) alors que l'autre partie en avait ou aurait d en avoir connaissance et que, tant donnes les circonstances et le
but du contrat, elle a pris avantage de la situation de la premire avec une dloyaut vidente ou en a retir un
profit excessif.
155

P. CHAUVEL, ibid.

67

par exemple lui-mme achet lobjet de la vente un prix trs bas), sans quil y ait pour
autant exploitation abusive. Enfin, larticle prcise quil faut que le cocontractant ait une
connaissance de ltat de dpendance de lautre partie, ralisant ainsi le lien ncessaire avec la
notion de bonne foi. En vue de la scurit juridique et de solutions plus quitables, il nous
semble opportun dadopter un tel article au lieu de manipuler de vieux concept du droit des
contrats au point de les dformer.
Surtout, les principes Lando proposent de mettre le juge au cur du rquilibrage du contrat
en ne rduisant ses pouvoirs ni au choix des parties, ni lalternative entre nullit et
dommages-intrts. Sous cette conception, la justice contractuelle passe par la possibilit
dimmixtion dans le juge dans le rapport contractuel. Celui-ci peut adapter le contrat de
faon le mettre en accord avec ce qui aurait pu tre convenu conformment aux exigences
de la bonne foi156 . Codifier un tel principe en droit franais serait une rvolution.

Ltude des principes Unidroit, dont on connat limportance pratique et la frquence de leur
utilisation par les arbitres, rvle que ceux-ci procdent diffremment des travaux de Lando
ds lors quils assimilent lsion et violence et sanctionnent par la nullit lavantage excessif
obtenu injustement157. La solution est particulirement intressante ds lors que les principes
Unidroit voient leur champ limit aux contrats du commerce international et touchent pour
lessentiel des contrats entre professionnels. Cette disposition rvle que la pratique nest pas
oppose lintroduction de principes correcteurs, protecteurs, entre des professionnels,
prenant ainsi acte que les disparits et ingalits de puissance de ngociation ne sont pas
prjudiciables quaux consommateurs.

156

article 4.109 in fine : (2) la requte de la partie lse, le tribunal peut, s'il le juge appropri, adapter le
contrat de faon le mettre en accord avec ce qui aurait pu tre convenu conformment aux exigences de la
bonne foi.
(3) Le tribunal peut galement, la requte de la partie qui a reu une notification d'annulation pour profit
excessif ou avantage dloyal, adapter le contrat, pourvu que cette partie, ds qu'elle a reu la notification en
informe l'expditeur avant que celui-ci n'ait agi en consquence.
157

article 3-10 des principes Unidroit.

68

2- un concept dj dpass en doctrine


Devant cet tat de fait, la doctrine sefforce de trouver des techniques vritablement
novatrices : certains prnent un fondement plus gnral reprenant lensemble des
situations de faiblesse (2-1), dautres soutiennent que le dveloppement du concept de
proportionnalit en droit franais pourrait tre un horizon favorable la justice
contractuelle (2-2).

2-1 : la tentation de la gnralisation


70.

La rception de la violence conomique par la Cour de cassation a suscit de

nombreuses ractions, encourageant souvent la Cour aller plus loin, malgr les rticences
clairement affiches de quelques auteurs. La principale critique sest concentre sur
lincohrence de la position de la jurisprudence qui sefforce de maintenir un quilibre
artificiel entre les racines du droit franais et lvolution de la pratique contractuel. Pour
beaucoup dobservateurs, le vice de violence conomique nest quun mauvais
travestissement de la technique de la lsion qui corche les principes essentiels des vices du
consentement. Plutt que de corriger les critres et mthodes dapprciation de ce vice,
porteur dun dfaut originel, certains proposent de le dpasser en crant un concept
vritablement nouveau.
En droit franais, la proposition la plus audacieuse vient de la doctrine solidariste 158 et
propose la cration dun vice gnral de faiblesse. Ce vice dsigne la particulire
vulnrabilit de certains contractants profanes du fait de leur ge, de la maladie, ou dun tat
de ncessit - qui altre leurs perceptions et favorise les incitations et le harclement
contractuels par des personnes peu scrupuleuses, ne permet ni la reconnaissance dun dol ni
elle dune violence. 159Cette cration maintiendrait la violence conomique dans le giron des
vices du consentement. Lintrt en serait sa gnralit et le fait de dtacher le vice du vice de
violence, plus restrictif et aux conditions dapplication par trop exigeantes pour les victimes.
Un tel vice permettrait dapprhender des situations de violence plus subtiles comme les abus
dautorit et dinfluence ou le contrat moralement rprhensible (lunconscionable bargain),
en juger par la rfrence aux personnes peu scrupuleuses . La solution permettrait une

158

D. MAZEAUD, Vers lmancipation du vice de violence, in Recueil Dalloz 2001, sommaires comments,
p.1140., C.OUERDANE-AUBERT DE VINCELLES, Altration du consentement et efficacit des sanctions
contractuelles, Dalloz, 2002.
159
C. AUBERT DE VINCELLES, ibid., n438, p.343.

69

restauration de la thorie des vices du consentement et le vice absorberait le vice actuel de


violence en reposant sur deux lments constitutifs : la situation de faiblesse et le dsquilibre
contractuel159bis. Un arrt rcent de la deuxime Chambre civile de la Cour de cassation rendu
le 5 octobre 2006 propos dune convention dhonoraires conclue entre un avocat et son
client illustre les avantages que peut offrir un raisonnement fond sur lide dun nouveau
vice du consentement, qui ne serait ni un cas de dol ni un cas de violence160. Larrt relve en
effet que l tat de faiblesse implicitement reconnu par (lavocat) lorsque celui-ci fait part
des angoisses de sa cliente, ntaient pas de nature permettre la demanderesse de
sopposer aux prtentions de son avocat, compte tenu de la diffrence des personnalit en
prsence ; quainsi, lors de la signature de la convention dhonoraires, le consentement de
Mme X tait altr. 161La caractrisation du vice du consentement reviendrait largement au
juge et lessentiel sera ltude du dsquilibre originaire entre les parties, au stade de la
ngociation. Cet arrt peut sanalyser comme une confirmation de la tendance initie par la
Cour de cassation dans larrt du 8 septembre 2005, confirmant que cet arrt ntait pas
anodin et annonait les balbutiements de lintgration de la doctrine de lundue influence. La
gnralisation dune telle solution permettrait enfin de stopper la pratique jurisprudentielle qui
consiste utiliser contre nature des concepts prexistants plutt que doser la voie de la
nouveaut. Le dveloppement de ce vice repose entre les mains de la jurisprudence, les
rdacteurs de lavant projet Catala nayant pas souhait sengager dans cette voie.
71.

Nous avons dj eu loccasion de relever les puissants mouvements doctrinaux

plaidant pour la rorganisation du systme anglais de sanction des abus de situations. La


tendance la rationalisation saccompagne de diffrentes propositions de gnralisation, dont
une des plus innovantes est ce quil conviendrait dappeler la doctrine de lopportunisme. La
doctrine162 relve en effet quune frontire peut tre trace entre les modifications
contractuelles opportunistes et celles qui obissent des considrations non opportunistes.
Seules les dernires mriteraient dtre protges par les juridictions. La clef de lecture serait
en ce cas ltude des alternatives ouvertes aux parties dont la position est ostensiblement

159bis

D. MAZEAUD, ibid.
S. AMRANI MEKKI et B. FAUVARQUE-COSSON, Panorama droit des contrats octobre 2006
septembre 2007, recueil Dalloz oct-dc 2007, n42 p. 2966.
160

161

Cass. Civ. 2e, 5 oct. 2006, n0 04-11.179, D.2007, Jur. 2215, note G. RAOUL-CORMEIL.
R.HALSON, Opportunism, economic duress and contractual modifications, in The Law Quarterly Review
1991.
162

70

moins intressante lissue de la modification contractuelle. Certaines modifications


opportunistes pourraient encore trouves grce auprs des tribunaux, lorsque la partie en
position de force prfrerait la rupture du contrat lexcution de ce dernier. Cette doctrine
propose dapporter des critres simplifis, objectifs.
Rappelons toutefois lopinion autorise de John Dawson qui observait dj, tudiant
leconomic duress aux Etats-Unis, que lexprience de la gnralisation sur ce terrain
noffre que peu desprances pour ceux qui cherchent en condenser les rsultats dans une
seule formule.

2-2: La voie de la proportionnalit


72.

Prenant acte de limportance de lapprciation du dsquilibre contractuel dans

lapprciation de la violence conomique et de la difficile articulation de celle-ci avec la


lsion, un courant doctrinal propose de mettre la proportionnalit au cur du contrle des
juges163. Le critre permettrait de contourner les difficults de preuve tenant la ncessit de
sonder ltat desprit de parties. Lobjectivisation du contrle qui en rsulterait fait apparatre
de nombreuses similarits avec la lsion. Pour contourner son exclusion de principe par le
droit franais, le contrle de proportionnalit sest dvelopp par le recours la notion de
cause. Larrt Chronopost du 22 octobre 1996163bis a ouvert la voie une possible apprciation
de la cause comme mesure de lintrt que le contrat prsente pour les cocontractants 164.
Selon un auteur, lusage du contrle de proportionnalit qui est fait partir des concepts
juridiques existants semble pouvoir porter sur des circonstances o il a t tir avantage dune
volont contrainte et apparat donc apte sanctionner les situations de violence
conomique165.
Pour preuve de lexistence du principe de proportionnalit en droit franais, lexigence dune
proportionnalit entre le montant du cautionnement et les revenus de la personne qui y
consent a t gnralise tous les cautionnements par la loi pour linitiative conomique du
1er aot 2003. Le contrle de la proportionnalit peut encore tre identifi au stade de

163

M. BOIZARD, op.cit.
Cass.com 22 octobre 1996, Bull. civ IV n261, p.223.
164
M. BOIZARD, ibid.
165
M. BOIZARD ibid.
163bis

71

lexcution du contrat, et la rduction des honoraires excessifs, tout comme celle des clauses
pnales manifestement excessive participent de cet esprit166.
73.

Lrection de la proportionnalit en principe du droit permettrait dunifier les solutions

du droit commun, de la concurrence et de la consommation, indpendamment de la qualit


des parties. Le raisonnement a t dvelopp en doctrine : la proportionnalit apparat comme
tant probatoirement objective et substantiellement subjective puisque celle ci peut rvler
une exploitation. Elle est ainsi un lien entre la dfinition subjective du contrat comme
rencontre de volonts entre deux personnes, dimension privilgie par le droit civil et la
dfense du contrat comme change objectif de prestations, dimension plus volontiers
reconnue en droit de la concurrence. 167Si ce lien trouve pour lheure ses fondements
textuels dans le droit de la consommation, lintroduction de ce principe en droit commun et au
sein du code civil pourrait permettre de rsoudre une partie de limpasse thorique dans
laquelle sest engouffre le droit franais.
La solution impliquerait nouveau un rle accru du juge, et relverait de lapprciation
souveraine des juges du fond. Le risque de drive et datteintes la force obligatoire du
contrat pourra cependant tre canalis par la Cour de cassation, dont le contrle peut porter
la fois sur la dcision des juges dappliquer le principe aux faits, par le biais du contrle de
qualification, et par un contrle de motivation.
Lessentiel nous apparat, au del des qualifications, la restauration dune position cohrente
de notre droit franais : la protection des parties faibles et la garantie de la scurit juridique
passent par la construction dun droit pragmatique, raliste et au dessus des susceptibilits
nationales. Le travail de fond de la Cour de cassation doit ainsi faire figure dexemple.

166
167

M. BOIZARD, ibid.
M. BOIZARD, ibid.

72

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14 YvesMarieLAITHIER,Remarquessurlesconditionsdelaviolenceconomique,in
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15 G. LOISEAU, Violence conomique, La Semaine Juridique n4 24 janvier 2001,
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16 G.LOISEAU, Lloge du vice ou les vertus de la violence conomique, Droit et
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17 .MESTRE et B.FAGES, Violence et convention dhonoraires davocat, Jin RTD Civ,
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18 Ruth SEFTONGREEN, Linfluence de lanalyse conomique en droit anglais des
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2005
19 PhilippeSTOFFELMUNCK,Autourduconsentementetdelaviolenceconomique,
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