Le Rebelle
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Le Rebelle
LE LIVRE :
LE REBELLE
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Un Grand Merci pour ladministrateur du site
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Louns Matoub
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Avec la collaboration de Vronique Taveau
Stock
ma famille,
tous les militants de la cause berbre,
Aux dmocrates algriens assassins,
Et tous ceux qui m'ont soutenu
dans ces preuves.
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le pilier de la maison, qu'elle grait et organisait. Elle devait aussi se sentir seule parfois :
ses trois fils taient l'tranger, dont mon pre,
qui, comme beaucoup de Kabyles, avait choisi
la France. Il n'y avait pas de travail chez nous.
Il envoyait ma mre l'argent dont nous avions
besoin. C'tait l'essentiel de notre revenu.
Enfant unique - ma sur est ne l'anne qui a
suivi l'indpendance -, j'tais, on l'aura devin,
turbulent. Ce que l'on appelle un gamin
difficile. Seul homme dans un univers
peupl de femmes, j'tais gt plus que de
raison malgr nos faibles moyens, mais nous
n'avions pas ou peu de jouets, sauf ceux que
nous parvenions nous fabriquer : il nous
fallait tre imaginatifs et inventifs.
il faut avoir vcu cette priode pour mesurer
la tension qui rgnait dans nos villages de
Kabylie. Si, pour nous, les enfants, cette guerre
tait une aubaine, puisque nous disposions
d'une libert presque totale, les adultes n'ayant
pas le temps de nous surveiller, pour nos
familles, pour les hommes surtout, c'tait
l'occupation, l'humiliation. Il y avait les
maquisards. Il y avait les Fran-
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mre. II criait devant notre maison : On l'a tu,
on l'a tu en parlant d'un maquisard qui venait
d'tre abattu. Les craintes de ma grand-mre en
ont t redoubles.
cette mme poque, beaucoup de Kabyles
qui vivaient Alger sont retourns dans leurs
villages cause de l'OAS. Il y a eu tout coup un
afflux de ces gens que nous connaissions plus ou
moins, mais surtout qui nous regardaient de haut
parce qu'ils arrivaient de la grande ville . Nous
tions, nous, des villageois, des montagnards,
fiers de ce que nous tions. Ces intrus, qui ne cessaient d'afficher leur supriorit de citadins et
nous considraient ostentatoirement comme des
rustres, nous exaspraient autant qu'ils nous
complexaient. Nous tions surtout trs jaloux des
enfants qui, luxe suprme, avaient de vrais
jouets, des objets qui nous paraissaient
merveilleux nous qui passions notre temps
bricoler tant bien que mal ces choses
approximatives
que
nous
baptisions
pompeusement jouets . videmment, ils ne
nous prtaient pas les leurs, ce qui a engendr un
nombre
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de coups de poing dont nos parents se souviennent certainement encore.
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interne au lyce de Bordj Menaiel, il y eut un
match important : l'Algrie jouait contre le
Brsil. J'ai quitt le lyce pour aller le voir.
Lorsque je suis rentr, il tait fort tard et le
surveillant gnral n'a pas voulu m'ouvrir la
porte de l'internat. Je me suis battu avec lui
coups de poing. Le lendemain, j'tais une
nouvelle fois renvoy.
cette poque, je tranais beaucoup dehors.
J'avais mme commenc voler des petits trucs
par-ci par-l et boire avec d'autres jeunes.
J'tais sur une pente fcheuse et les choses
auraient d'ailleurs pu trs mal tourner pour moi.
Je me souviens d'un incident assez grave. Nous
tions un petit groupe et nous sommes entrs
dans un salon de coiffure. Pour une raison que j'ai
oublie, un des jeunes de la bande a commenc
m'insulter. i1 tait plus g et plus fort que moi.
J'ai tout de suite violemment ragi. Sur le comptoir
de la coiffeuse, j'ai vu un rasoir. Je l'ai pris et j'ai
commenc me battre avec. J'ai frapp celui qui
tait en face de moi, le touchant srieusement. J'ai
aussitt pris la fuite, certain de l'avoir tu. Le soir
venu, je suis all devant chez
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moi pour voir si les gendarmes taient l. Il n'y
avait personne, mais j'ai prfr ne pas rentrer
et j'ai pass la nuit dehors. Le lendemain, j'ai
pris le premier autocar qui assurait la liaison
Alger-Tzi Ouzou. Arriv au village, je me
suis rendu chez une tante qui a immdiatement
compris que quelque chose de grave s'tait
produit : j'avais du sang sur moi, j'tais couvert
de boue - je ne devais pas tre beau voir. Je
lui ai tout racont et elle m'a raccompagn
chez moi. De l, j'ai t emmen chez les
gendarmes. Ma mre tait en larmes et c'est
peut-tre ce qui m'a fait le plus de peine. la
gendarmerie, j'ai eu droit aux photos
anthropomtriques, aux empreintes et j'ai t
conduit chez le procureur.
Constat, procs verbal, deux nuits de
dtention provisoire avant de retourner chez le
procureur. Il me fait la leon - le garon que
j'avais touch n'tait heureusement pas
gravement bless - et me dit de ne pas
recommencer. Comme j'tais mineur, il allait
me relcher. Je ne sais pas ce qui m'a pris ce
moment-l, je lui ai demand une cigarette.
Choqu, abasourdi par cette
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d'enseignement moyen d'Ath Douala, cheflieu de ma commune d'origine. Il est all voir
le directeur du CEM, qui m'a embauch
l'conomat du collge. Je gagnais 600 dinars
par mois, une misre : titre de comparaison,
un kilo de viande valait l'poque 70 80
dinars. Mon travail, fastidieux, consistait
remplir des pages et des pages de commandes. C'est peu dire que je m'y ennuyais
terriblement. Alors, au lieu de passer les
commandes, j'crivais des pomes. J'en ai
crit des dizaines au cours de cette priode.
Us parlaient d'amiti, d'espace, de nature. Us
parlaient galement d'humiliation, et de tout
ce que j'avais eu subir l'arme. Ils taient
engags. Us commenaient exprimer cette
prise de conscience qui mrissait en moi.
Le temps que je passais crire ces
pomes tait videmment pris sur celui que
j'tais cens consacrer mon travail. Quatre
fois, j'ai reu des avertissements. Au cinquime, j'ai t vir. Par la suite, j'ai appris
qu'il avait fallu embaucher un expert-comptable pour rgulariser les comptes et venir
bout de toutes les btises que j'avais faites.
Cela m'a amus. J'ai compris aussi que je
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n'tais pas fait pour un travail de bureau. J'avais
besoin d'espace et de libert. La plus petite
obligation m'tait insupportable. Je rejetais
l'ordre tabli pour tout ce qu'il reprsentait
d'astreinte, de contrainte. Je ne me sentais
l'aise qu'avec des gens simples, sans prtention,
avec qui je pouvais tout partager. Des gens
comme moi, des saltimbanques.
Quelques semaines plus tard, mes pomes en
poche, je suis parti en France pour tenter ma
chance.
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la mme poque, des tracts ont t distribus contre moi dans les quartiers forte
concentration migre. Aucun producteur n'a
voulu diter la cassette sur l'accord de Londres.
Par la suite, j'ai su que tous avaient reu des
menaces, d'o leur peur. Barbes, l o j'avais
fait produire mes cassettes pr108
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capitonne d'o personne ne m'entendait plus
crier. Entre ces quatre murs nus et sourds, je
n'avais plus aucune ressource. Parfois, au
malin, une infirmire passait me donner
quelques comprims pour dormir, ou injectait
un produit calmant dans ma perfusion. Il a fallu
des jours et des jours, un temps interminable,
pour me sortir d'affaire.
En mme temps, il s'agissait de soigner mes
infections, ma jambe. L'quipe mdicale a fait
un travail rellement formidable. Je suis arriv
le 29 mars Beaujon : six semaines plus tard, je
chantais dans le stade de Tizi Ouzou devant des
milliers de gens. Je revivais. Mme si je savais
que j'aurais retourner plusieurs fois Beaujon
- j'avais encore des fixateurs parce que je devais
subir une greffe osseuse -, j'avais retrouv les
miens et c'tait l'essentiel.
Ce concert m'a apport une sorte de rpit,
une impression de dlivrance. Ce jour-l, j'ai
compris ce que veulent dire les mdecins quand
ils insistent sur l'importance du moral dans la
gurison. Ce jour-l, j'ai su que les cinq balles
de Michelet taient dfi134
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nitivement vaincues. Elles n'taient que cinq
tandis que des milliers de curs battaient en
face de moi. Nous avions gagn.
J'ai utilis les six semaines qu'a dur mon
premier sjour Beaujon pour composer.
Malgr le bonheur que me procure la musique,
je ne pouvais pas m'empcher de penser que le
20 avril, jour anniversaire du Printemps
berbre, je ne serais pas chez moi. C'est la seule
et unique fois que j'ai manqu ce rendez-vous
essentiel et j'ai trs mal support cette absence.
Cette journe est si fondamentale pour moi que,
chaque fois que j'ai d me rendre l'tranger,
j'ai fait en sorte d'tre Tzi Ouzou le 20 avril.
Cette fois, j'tais au lit, immobilis la suite de
ma premire intervention, trs importante.
Lorsque l'anesthsie a cess d'agir, la journe
a tourn au cauchemar. J'imaginais la scne lbas, le dfil, les milliers de personnes dans les
rues, les interventions et les discours. Quels
mots, quelles phrases allaient-ils tre prononcs
? Mon me tait l-bas avec mes compagnons
et amis. Pitre
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certifi que le procs-verbal me serait envoy ds le
lendemain et bien que je sois sr qu'il bluffait, je ne
voulus pas faire durer le face face plus longtemps.
Je suis sorti, j'ai expliqu que j'avais obtenu des
garanties et chacun est rentr chez soi. Il n'y a pas
eu de provocation mais je n'ai, videmment, jamais
reu mon procs-verbal.
Peu aprs, j'ai dcid de porter l'affaire un
niveau suprieur. L'tat a propos de m'indemniser
par le biais de la caisse de scurit sociale, la
CNASAT algrienne. J'ai demand ce qu'un
budget spcial soit dbloqu non seulement pour
moi, mais pour toutes les victimes et les familles de
victimes, d'octobre 1988. Ce n'tait pas la Scurit
sociale prendre en charge les horreurs dont s'tait
rendu coupable Chadli Bendjedid et son
gouvernement. l'heure o j'cris, cette demande
est toujours lettre morte. Personne n'a t indemnis.
Pourtant je ne dsespre pas. Je continuerai me
battre et rclamer notre d. Pour moi, en tant que
porte-parole de toutes les victimes anonymes d'un
pouvoir qui n'a pas hsit tirer sur la foule, il s'agit
d'un problme de
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conscience. En me proposant un semblant
d'indemnisation, on devait penser que je me
calmerais. C'tait mal me connatre. Je rclame
et je continuerai rclamer pour toutes les
victimes de 1988. On ne peut pas effacer d'un
trait cette priode, les meutes et la rpression
qui a suivi. Un pouvoir fasciste a tir sur la
foule. Si aujourd'hui nous devons affronter la
violence intgriste, c'est parce que le FIS a
parfaitement su exploiter le dsarroi qui s'est
empar d'une partie de la population aprs ces
meutes. Les intgristes se sont engouffrs
dans la brche ouverte par la vague de violence
d'octobre. Ils ont su proposer aux familles des
victimes l'aide morale ou financire dont elles
avaient besoin. C'est ce moment-l qu'ils ont
recrut dans les quartiers les plus dfavoriss et
quasiment abandonns par le pouvoir. Ce que
nous rcoltons aujourd'hui a t, en large part,
sem en 1988. C'est une raison supplmentaire
pour que je ne recule pas.
De son ct, sur le front politique, le
Mouvement culturel berbre, vritable relais,
prenait depuis 1980 chaque jour plus
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d'importance, et le Printemps berbre de mme.
Avec la monte en puissance des intgristes,
notre revendication identitaire se trouvait
propulse sur le devant de la scne kabyle.
Depuis l'Indpendance, l'Algrie s'tait trac
un programme de dveloppement sur tous les
plans : Boumediene avait annonc qu'une
rvolution culturelle suivrait les rvolutions
agraire et industrielle, lesquelles se sont
d'ailleurs soldes par des checs cuisants.
Paralllement, toute forme de pense autonome
rencontrait l'indiffrence, sinon le rejet.
Autrement dit : il fallait s'attendre
l'radication de la dimension berbre dans notre
pays.
Au lendemain de l'Indpendance, nos droits
les plus lmentaires et les richesses de notre
patrimoine culturel avaient t sciemment
ignors, sinon bafous, prtendument pour
sauvegarder l'unit nationale, btie sur
l'idologie arabo-islamique. La question
berbre a toujours t mal comprise en Algrie.
Ainsi, juste aprs la guerre, le prsident Ben
Bella rptait-il volontiers : Nous sommes des
Arabes, nous sommes
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des Arabes ! , coupant court de la sorte toute
autre dfinition de l'identit algrienne. On
dcrta le parti unique, la religion unique,
l'arabe classique langue unique, alors qu'elle
n'est la langue maternelle d'aucun Algrien. Un
tau meurtrier touffe un peuple dj meurtri,
cartel entre ces deux familles que l'crivain
Tahar Djaout qualifiera plus tard de famille
qui avance et famille qui recule. Le discours
officiel est invariable. On refuse de reconnatre
la diversit du peuple, pour, parat-il, viter la
division. Par voie de consquence, la langue
berbre n'a aucune place dans l'ensemble des
institutions algriennes et tous les textes
officiels
manant
de
l'tat
ont
systmatiquement vit de mentionner le terme
mme de berbre.
J'avais choisi mon camp. Tahar Djaout a dit
cet gard des choses remarquables, qui me
reviennent en mmoire : Le silence c'est la
mort et toi, si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu
meurs. Alors parle et meurs. Je veux parler et
je ne veux pas mourir.
la pointe d'un combat que j'avais toujours
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mais les lections lgislatives de 1991 approchaient et, en dcouvrant ses thmes de
campagne, je partageais de plus en plus les
convictions politiques du docteur Sad Sadi,
fondateur du Mouvement culturel berbre. Je
pense qu'il est aujourd'hui l'homme le plus
courageux et le plus honnte en Algrie. Alors
que tant d'autres ont dsert le terrain politique,
ont choisi de vivre en dehors de nos frontires,
lui continue se battre jour aprs jour. Il refuse
d'abdiquer et de laisser vacant un espace dans
lequel les intgristes ne demandent qu'
s'engouffrer. C'est un vritable dmocrate.
Ma rencontre avec Sad Sadi a eu lieu en
1991- Ayant appris que sa mre tait morte
d'une mort violente, je suis all lui prsenter
mes condolances. U m'a reu dans son bureau.
J'tais dsempar : je m'attendais rencontrer
un homme dur, j'ai vu quelqu'un qui a pris le
temps de m'couter, de parler de mes
souffrances et de ce que j'avais endur ces
derniers mois - cela malgr sa peine, malgr
son dsarroi.
Je l'ai revu souvent. Quand il passait prs de
chez moi, il n'hsitait pas venir la
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je jugeais absurde. Ds ce moment, j'ai commenc prendre mes distances d'avec les
formations politiques. J'avais compris que
certains responsables du FFS voulaient
m'utiliser, or je voulais rester totalement
indpendant.
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son ferme. n'importe quel moment, on peut
dcider de me faire purger cette peine. Mes
voisins ont fini par construire leur maison. La
route ne passe pas ct de chez moi. J'ai
mme fait btir un puits et un abreuvoir - l'eau
est rare chez nous - et ils y ont un accs direct
et illimit. J'ai pardonn. J'tais vivant.
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fameuses listes noires. J'tais condamn mort.
Ils voulaient ma peau, c'tait sr. Je n'avais
jamais voulu prendre trop au srieux ces
menaces. Sinon, j'aurais d quitter la Kabylie,
arrter de chanter ou rester enferm chez moi,
comme tant d'autres. Autant de choses
impossibles. J'aime vivre. Je ne supporte pas
les entraves ni les restrictions. Esprit de
contradiction, peut-tre. Mme si ma scurit
est en jeu, j'aime sortir, aller dans des bars, y
rester jusqu' des heures parfois avances de la
nuit - il n'y a pas de couvre-feu en Kabylie -,
discuter avec les gens, prendre un verre et
rentrer quand je me sens fatigu.
Cest comme cela que j'ai toujours conu
ma vie d'artiste. Immerg dans la socit, j'en
saisis mieux les besoins et les satisfactions.
J'aiguise mon savoir par le contact direct avec
les gens, dont je partage les ambitions et les
prils. Pour moi, le pote n'est pas l pour
imaginer des situations ni inventer des
solutions. Son rle consiste rester le plus prs
possible l'coute de la vie, l'exprimer le
plus fidlement qu'il peut et sait le faire, pour
permettre chacun de
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se situer dans son milieu et se raliser selon ses
ambitions. Pour tre crdible, le pote ne doit
pas tre, comme on le prtend souvent un peu
vite, un marginal. Au contraire, il doit se
montrer solidaire des siens et adapter au
maximum sa vie sa parole. L'essentiel pour
moi est de raliser l'adquation entre ma vie et
mes ides, mon combat et mes chansons. C'est
toujours cet objectif que j'ai essay d'atteindre.
Ma vie est une recherche permanente de cet
quilibre d'o je tire ma force et mon
inspiration. Les gens savent, lorsque je suis
parmi eux, que c'est l'ami, le copain qui est l.
Chez nous, tout le monde connat tout le
monde, depuis l'enfance. Les vieux m'ont vu
grandir, les plus jeunes taient l'cole avec
moi. Nous sommes des frres. C'est d'ailleurs
cette fraternit qui nous a permis, nous
Kabyles, d'tre relativement pargns par la
violence intgriste.
J'avais appris par des gens de la rgion qu'
plusieurs reprises, pour me coincer, de faux
barrages avaient t mis en place entre
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passage. Certains arrivaient, d'autres repartaient. Moi je comptais les minutes. Je n'avais
rien pour m'occuper, je regardais le temps
s'tirer sans fin. Jamais il ne m'a paru si long.
J'avais connu des moments difficiles dans ma
vie, des souffrances physiques terribles. Mais
les choses taient peut-tre encore plus
insupportables cette fois-ci. Je ne pouvais me
raccrocher rien, ni l'espoir d'une gurison ni
ma musique. La torture psychologique tait
immense. La solitude aussi. Pour me rconforter, je me disais que chaque instant de vie
tait un instant de gagn. L'instant suivant serait
peut-tre celui de ma mort. Elle tait dj en
moi comme un sentiment diffus. Je ne voyais
pas de solution. Je ne comprenais toujours pas
pourquoi ils ne m'avaient pas dj abattu. Peuttre essayaient-ils de gagner du temps? Pendant
trois jours, je suis pass par des phases terribles, de l'angoisse profonde de furtifs
moments d'optimisme sans fondement. Je
mangeais trs peu, et du bout des dents, des
galettes de pain qu'ils fabriquaient eux-mmes,
avec parfois de la confiture. J'avais
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parce que mon esprit continuait fonctionner.
Une fois de plus, nous avons d nous
dplacer. Ces transferts me faisaient peur : je
craignais la raction des gendarmes si nous
tombions sur un barrage. Cette fois-l, ma
crainte s'est confirme. Il y a eu un accrochage
entre terroristes et gendarmes, une fusillade, un
affrontement qui a dur longtemps. J'tais
terroris et j'ai d'ailleurs failli tre tu. Plus tard,
l'un des terroristes m'a dit qu'il avait tir vingtsept balles avec son fusil-mitrailleur. C'tait un
Afghan, comme on appelle les intgristes
algriens entrans en Afghanistan.
Lors de ce transfert, donc, on m'installe dans
une voiture vole, un bandeau sur les yeux. On
me prvient : s'il se passe quoi que ce soit, tu
enlves le bandeau et tu te glisses l'extrieur
de la voiture. Au premier coup de feu, la voiture
stoppe. J'arrache le bandeau, je sors et je me
mets courir. Un des ravisseurs me rattrape
aussitt, m entrane avec lui et nous roulons
dans le ravin, quelques mtres en dessous du
cur de la
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fusillade. Pendant le temps qu'ont dur les tirs,
aucun gendarme n'a explor le ravin en
contrebas. la nuit tombe, le calme revenu,
nous avons march jusqu' un village o nous
avons attendu de nouveau un long moment. Je
n'ai pas reconnu ce village. Je n'avais aucune
ide du lieu dans lequel nous nous trouvions.
Une voiture est arrive, vole comme
d'habitude. J'y suis mont, bandeau sur les yeux,
et nous nous sommes retrouvs dans un nouveau
camp. Ces multiples transferts, ces bandeaux
qu'ils me mettaient systmatiquement sur les
yeux, toutes ces prcautions ne signifiaient-elles
pas qu'ils n'avaient pas dcid de me supprimer?
Il aurait t plus simple et moins dangereux pour
eux de m'liminer une fois pour toutes. L'espoir,
une fois de plus, a commenc renatre en moi.
Pourtant le GIA, je le connaissais comme
tout le monde. Chaque jour, depuis maintenant
plus de deux ans, la presse relate leurs actions,
toujours plus violentes et plus meurtrires.
Partout dans le pays, ces extrmistes imposent
leur loi par les armes. Un
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ils auront de chance de l'atteindre. Le discours
est d'une effroyable simplicit. Et il fonctionne
parce qu'on s'adresse des jeunes perdus, la
plupart du temps sans ducation. Des jeunes qui
n'attendaient plus rien de la socit et que l'on a
recruts dans
les mosques. Le discours n'a rien de politique.
Il ne s'appuie pas sur une doctrine particulire.
Il n'a pour fondement que l'islam et pour seule
rfrence le Coran. La dmocratie, la musique,
c'est kofr, impie. Dieu a dit. Le Prophte a dit...
chaque phrase, les mmes paroles reviennent,
toujours identiquement marteles.
Ils avaient une radio, pour les informations.
Mais comme nous tions la plupart du temps au
fond des ravins, on avait du mal capter les
missions. Si par hasard on russissait trouver
une station, ils coupaient immdiatement sitt
qu'une chanson tait diffuse. Une chanson, un
passage musical ou quelques notes de musique
annonant une mission, et la radio tait
irrmdiablement ferme, quitte ce qu'ils
manquent les informations qu'ils suivaient
pourtant avec beaucoup d'attention.
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Lorsque l' mir voque la mort, c'est
toujours en des termes trs doux. Le paradis
n'est que miel, torrents de lait, sucre. La mort
au djihad ouvre grand l'accs des plaisirs
enfin permis. Ils se dsignent eux-mmes sous
le nom de Moudjahidin, les combattants. Sur
terre, une seule chose les proccupe : tuer au
nom de Dieu. Tout le reste est dfendu. Ils n'ont
droit aucun plaisir. Mais le paradis les librera
de tous les interdits. Tout ce qui leur a toujours
t refus va enfin devenir possible. Il faut donc
exciter leur imagination dans cette attente.
Lorsque l'un d'eux est bless dans une
embuscade et sur le point de mourir, c'est l
qu'ils deviennent le plus loquents. Ils m'ont
racont qu'au commissariat de Michelet, l'un
des leurs avait t gravement atteint au cours
d'une fusillade qui les avait opposs pendant
plusieurs heures aux policiers. Us ont russi
l'emmener et le transporter au camp.
Amirouche, c'est le nom de guerre de celui qui
avait t bless, tait mourant. Sentant qu'il
vivait ses derniers instants, l' mir ne cessait
de lui parler, trs douce221
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Pendant ma dtention, j'ai entendu plusieurs rcits plus effarants les uns que les
autres. Par exemple, des bombardements de
villages auraient eu lieu Jijel, zone considre comme un fief intgriste. Les avions
auraient t des Mirage franais, que l'on
avait reconnus parce qu'une cocarde tricolore
tait peinte sur le fuselage... Bourrage de
crne, manipulation, tous les moyens sont
bons pour pousser au meurtre.
Mais l'un de leurs plus grands bonheurs,
c'est d'assassiner des reprsentants des forces
de l'ordre. Avec force dtails, l'un d'entre eux
m'a racont comment l' mir du groupe
avait obtenu sa Kalachnikov, arme qu'il
convoitait depuis de nombreuses semaines.
Ils taient une trentaine ce jour-l tendre
une embuscade. Ils dcident de donner
l'assaut aux 4x4 Nissan des gendarmes, que
l'on reconnat facilement car ils sont peints en
vert et blanc. Attaque surprise, videmment,
et les gendarmes trop peu nombreux n'ont pas
pu rsister longtemps. L'un d'eux, gravement
bless, tait couch sur le dos, sa Kalach
ct de lui. L'mir n'avait plus de balle dans
son fusil. Il lui crie : Rends-
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trs dur. Alors que je comptais sur son aide au
nom de notre ancienne amiti, il n'a rien tent.
Rien ne peut plus le faire flchir, ses
convictions sont inbranlables. Pourtant,
comme les autres, il est trs jeune. Il tait mme
parmi ceux qui taient venus chez moi
m'apporter le message du GIA adress au
Mouvement culturel berbre. Quel gchis !
Une grande partie du temps des combattants est consacr la prire, un rituel toujours trs bien orchestr. La premire a lieu
cinq heures du matin. L'aprs-midi, il y en a
deux, et le soir deux autres. Et les incantations
rpondent aux pleurs. Il faut pleurer beaucoup.
Avec ferveur : ces larmes prouvent que le
croyant a atteint la foi suprme et qu'il est prt
mourir. Tous attendent cette mort avec une
certaine impatience.
Leur niveau d'instruction est gnralement
limit. Certains devaient tre la rue, sans
travail, souvent sans profession et sans
vritable formation. Ils sont souvent issus de
milieux dfavoriss, fils de familles nombreuses. Proies faciles, endoctrins via la
mosque, ils ont rejoint le maquis. Le pou230
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voir en porte la responsabilit. Je dirai que ce
sont pour beaucoup des jeunes paums, des
exclus, victimes d'un systme qui n'a jamais
russi les intgrer. Un systme fond sur la
corruption, la faillite, le gchis. Lorsque des
voix se sont leves dans des mosques pour
dnoncer ce rgime, ce sont eux qui ont cout.
Les choses paraissaient simples, ils ont suivi.
On a profit de leur faible bagage, de leur
dsarroi social pour les recruter. Aujourd'hui on
les retrouve dans le maquis.
L'un d'eux m'a racont qu'il avait cinq frres.
Tous ont rejoint le maquis. L'an est n en
1970. Les autres en 1972, 1973, 1974 et 1975.
Un a t condamn dix ans de prison. Deux
sont morts dans un accrochage avec la
gendarmerie Ath Yenni. Les deux derniers
sont actifs dans le maquis. De la faon la plus
naturelle du monde, il m'a appris qu'il avait
encore deux frres, plus jeunes. Ds qu'ils
auront l'ge, un coup de aux fesses, et
pied direction le maquis et le djihad.
Parmi les intgristes que j'ai pu rencontrer, mon avis quatre-vingts pour cent
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deux, trois botes ; pas vingt. Pourtant, personne n'a rien dit cette fois-l. Par complicit,
ou peur de reprsailles.
Il est galement de notorit publique qu'un
certain nombres de familles puissantes de Tizi
Ouzou aident et cooprent volontiers. Je ne
parle pas de racket, je parle de coopration
volontaire.
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l'crivait Jean Amrouche, en 1958.
comme il l'a si bien prcis lui-mme :
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je me rsignais : j'tais tu, je voyais mes funrailles.
Je me consolais un peu en me persuadant qu'il y
aurait beaucoup de monde mon enterrement, que
mon cercueil serait recouvert du drapeau algrien,
qu'on chanterait mes chansons. Il y aurait des femmes
vtues de leurs robes kabyles multicolores, des
hommes, des enfants. L'ensemble me paraissait
plutt beau et cela me rassurait. Je me disais que,
mme mort, je resterais vivant dans la mmoire des
gens. Mes chansons s'inscriraient dans cette ternit
dont j'ai parl. Ma famille serait respecte, ce qui tait
essentiel pour moi. Si trange que cela puisse
paratre, c'est l'ide de la mort, la projection de ma
propre mort, qui m'a permis de rester en vie, de
m'accrocher la vie. Combien de fois me suis-je
rpt : Tu es mort, de toute faon tu es mort. La
diffrence avec une maladie grave, une
hospitalisation, c'est que, mme en cas de diagnostic
rserv, il reste toujours un espoir. Dans ma situation
de squestr entre les mains du plus extrmiste des
groupes islamistes, il n'y avait mme pas de
diagnostic, et donc aucun espoir. J'avais
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attaqu leurs valeurs - des valeurs fondamentales pour eux -, leurs croyances les plus
importantes.
Encore une autre fois, la mort m'a frl, puis,
elle a pass son chemin. tant en sursis, je n'en
suis que plus combatif. Mais je ne suis pas un
homme politique au sens strict du terme. Je suis
un pote et le revendique haut et fort. La
chanson est mon expression, pas les discours.
Un pote, un tmoin, mais aussi un citoyen qui
vit et assume la condition de son peuple. Comme
tout rvolt berbre, comme tout Algrien, je ne
peux laisser faire ce qui se passe dans mon pays.
Les miens me font confiance, ils me l'ont
exprim maintes reprises, je ne peux les
dcevoir. Je ne peux pas rester insensible au
drame qui dchire mon pays. Aucun dmocrate,
qu'il soit algrien ou d'une autre nationalit, ne
peut baisser les bras devant l'horreur de la
situation en Algrie. Le temps est l'action.
La neutralit est une chose qui n'existe pas
dans mon pays. Il faut se situer dans un camp ou
dans l'autre parce que dans cette tragdie le juste
milieu est un leurre, une
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dmission. C'est une prise de position ngative, dangereuse. L'Algrie est en passe de
basculer dans le chaos et de plonger dans un
puits sans fond. Je suis oblig de dnoncer
les abus du pouvoir comme les horreurs des
intgristes. En tant que pote, je ne peux
qu'apporter mon soutien aux forces qui font
esprer un changement. C'est la dmocratie
qui nous sauvera. La dmocratie et la lacit,
deux notions fondamentales face l'obscurantisme religieux, deux notions qui peu
peu se sont imposes moi et sont
aujourd'hui aussi ncessaires que le pain et
l'eau. Avant l'explosion de l'intgrisme en
Algrie, dmocratie et lacit restaient des
termes assez vagues. C'tait le rgne du parti
unique. Aux annes Boumediene - annes
noires -, avaient succd les annes Chadli grises. On se battait contre le pouvoir en
place. On se battait pour la reconnaissance de
nos droits fondamentaux : Tamazight, le
berbre l'cole, le berbre comme langue
nationale reconnue et enseigne.
Aujourd'hui, au risque d'en choquer plus
d'un, je dis qu'en l'tat actuel du systme
scolaire en Algrie, je suis plus prudent,
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son aveuglement. Je veux continuer exister et
chanter en toute libert. L'Algrie islamique
n'existera pas. Si je dois donner ma vie pour ce
combat-l, je n'hsiterai pas. Puisqu'ils n'ont pas
russi me briser en quinze jours de captivit,
je leur prouverai, nous leur prouverons que
nous sommes plus forts qu'eux. Rien ne pourra
nous arrter. Notre combat est juste et noble.
Nous ne laisserons personne nous abattre. J'en
fais le serment.
POSTFACE
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trices qui lacraient son corps et ses jambes
excluaient toute erreur.
En attendant, la question pose restait
toujours sans rponse. Existait-il encore, ce
peuple tant lou et se souvenait-il de son fils
ravi?
Qu'allaient faire les Kabyles, maintenant
qu'ils taient acculs, dos au mur?
Bien sr, il n'y eut pas que des dclarations, il
y eut des manifestations drainant une foule
considrable et exigeant la libration de
Matoub. Puis, il y eut aussi des groupes de
jeunes qui, spontanment, se mirent parcourir
la montagne la recherche de Matoub, arms de
leur seule colre.
Ils s'attendaient au pire, ils taient prts
tout.
La tension tait telle que, ds les premiers
jours, les barbes dans les villes kabyles taient
rases. Toutes les familles qui avaient un de
leurs membres engags dans les partis
islamistes juraient qu'ils n'taient pour rien dans
cet enlvement. Chose unique chez des militants
qui revendiquent publiquement l'assassinat, on a
mme vu un intgriste, pass la clandestinit,
crire aux journaux
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pour s'innocenter parce qu'il avait t impliqu
dans cette affaire.
L'incroyable se produisit. Matoub tait rendu
aux siens vivant.
Le billettiste Sad Mekbel* avait alors su
trouver les mots qu'il fallait pour accueillir
Louns encore hbt et secou par ce qu'il
venait de vivre.
Ce fut une explosion de joie chez ce peuple
que l'on croyait rsign. Cette joie exprime
sans honte sur fond d'assassinats qui continuaient de se perptrer tait presque indcente.
Et pour certains, elle l'tait.
Mais en vrit, cette libration a t, comme
on a pu le dire, une victoire sur l'impossible.
Elle signifiait une possible victoire sur la
barbarie, la perspective d'une paix retrouve.
Cette libration, c'tait la victoire des humbles
montagnards, l o un rgime, des institutions
ronges par la corruption avaient chou.
Enfin, on notera l'pilogue charg de symbole
dans la remise Louns Matoub du cinquime
prix de la Mmoire collective par
* Voir ce texte reproduit page 7 du hors-texte.
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Madame Danielle Mitterrand, la Sorbonne le
6 dcembre 1994.
Ce 6 dcembre prcisment, de l'autre ct
de la Mditerrane, on enterrait Sad Mekbel
qui venait d'tre assassin par le GIA. C'est
Sad Mekbel et tous les dmocrates
assassins que Louns Matoub ddiera ce prix
de la Mmoire collective. Il en fait un serment
pour son combat futur. C'est aussi un flambeau
transmis, l'image du marathonien de
l'Antiquit, dans une course jusqu'au bout de la
vie.
Paris, le 15 dcembre 1994.
Hend Sadi,
Membre du MCB.
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de deux balles dans la tte le 3 dcembre 1994 Alger par le
GIA. Il a t rendu clbre par ses billets quotidiens intituls
Mesmar JHa. Il avait fait ses dbuts de journalistes en 1962
Alger rpublicain. Il avait cinquante-quatre ans.
Khalida MESSAOUDI : ne en 1958. professeur de
mathmatiques, figure de proue du mouvement des femmes
algriennes, elle sera en tte des manifestations contre
l'adoption du code de la famille en 1984. Elle milite depuis une
quinzaine d'annes pour l'galit entre les hommes et les
femmes en Algrie. Depuis novembre 1993 elle est viceprsidente du MPR, le Mouvement pour la rpublique. Elle sera
blesse lors de l'attentat contre la marche organise par le MPR
le 29 juin 1994 Alger pour exiger la vrit sur l'assassinat du
prsident BOUDIAF.
Sad SADI : n en 1947, docteur en mdecine, psychiatre,
fondateur du MCB (Mouvement culturel berbre), il a t le
principal organisateur des manifestations de Tizi Ouzou en avril
1980, plus connues sous le nom de Printemps berbre. Initiateur
de la premire Ligue algrienne des droits de l'homme en 1985,
il sera dfr pour la deuxime fois devant la Cour de sret de
l'Etat. Aprs cinq sjours en prison, il cre en 1989 le RCD
(Rassemblement pour la culture et la dmocratie) qui se bat
pour un projet lac et dmocratique. Face la violence intgriste, il lance un Appel la rsistance en mars 1994. Il chappe
un attentat le 29 juin Alger lors de la marche organise par le
Mouvement pour la rpublique, dont il est le prsident depuis sa
cration en novembre 1993.
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HYMNE BOUDIAF
Refrain
0 Sainte Montagne
Nous avons perdu les meilleurs
Exil des annes durant
Tu as dfi et combattu l'arbitraire
De toi nous attendions le Salut
Pour ressusciter ce que d'autres ont ananti
Derrire toi surgit la mort
Dcids par ceux qui t'ont trahi
Misreux souvenons-nous Nous
avons aid le Mal
Les intrigants t'ont appel Dans une
tragdie sans issue Invit sur ce
terrain Tu as brav tous les risques
Ils avaient droul leurs cordes
Lestant au fond du puits la Patrie
Qu'Us ont coule pic Devant les
nations bahies
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Tu avais trouv ion pays boulevers
clat en clans
L'un proclamant son arabisme Se pose en
prcurseur absolu Les barbus faiseurs de
voiles Jurent qu'ils ne cderont rien Et
menacent du Jugement dernier Tout tre
diffrent d'eux
Tu es rentre* dans l'Histoire
Les gnrations futures te retrouveront
Le malheur ne durera pas
Mme si l'indignation nous habite
L'Algrie se relvera
Le savoir bourgeonnera
Tu as trac la voie la postrit
Maintenant repose en paix. Seigneur Boudiaf.
Texte crit en juillet 1992.
quelques jours aprs l'assassinat,
le 29 juin, de Mohamed Boudiaf Annota.
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IMPOSTURES
On croyait la paix venue
Elle n'est jamais arrive
D'o viendrait-elle aujourd'hui
Mme partie la France nous a lgu
Le Mal incurable
Elle a produit nos zams*
Leur a indiqu l'hritage
A dilapider sans retenue
La faim qu'efface le savoir
En nous habite toujours
Puisque l'cole est supercherie
Mon fils je ne saurais te garantir
Le savoir et la paix
Dans un pays qui dvore les siens
La langue arrache la France
Par le sang de nos martyrs
Est interdite l'Algrien
Rduits vivre de privations
Nous errons sans but
Tel un cheptel reni par son guide
Nous nous savons dmunis
Le sang qui a abreuv notre terre
Meurtrit le cur des hommes sagaces
Nous nous sommes bercs d'illusions
Avec force certitudes
Jusqu' aveugler notre avenir
Si nous avions anticip les conflits
Pour en prvenir la gense
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Nos problmes seraient plus simples
Aujourd'hui l'ennemi abuse et provoque Violant
tous les interdits Notre bravoure nous sauvera-telle Toutes les limites sont dpasses Le
dsespoir nourrit l'puisement Nous sommes
menacs d'extinction
Y a-t-il solution au dilemme?
Mme si solution il y a
En mesurons-nous le prix?
Les esprits furent souills
Ds le jour premier
Quand on nous a orient vers La Mecque
Pour parasiter nos mes
Par le verbe creux
Qui prtend que religion est panace.
Texte crit le 18 octobre 1994, une
semaine aprs ma libration.
' Chefs fodaux.
Rebelle
COMPAGNON DE COMBAT
Compagnon de Rvolution
Mme si ton corps se dcompose
Ton nom est ternit
Pars en paix nous ne faillirons pas
Quoi qu'il advienne
Nous serons toujours des tiens
La tombe nous attend tous
Aujourd'hui ou demain
Nous te rejoindrons
Nous ne laisserons pas l'adversit
Briser notre volont
Ta mort est notre serment
Tu t'es sacrifi pour nos droits
Pitines par des chiens
Le peuple aime toujours ta voix
J'ai entendu
Nos ennemis dire
Que cette fois tu n'en rchapperais pas
Dors du sommeil du nourrisson
Nous veillerons sous les toiles
Pour perptuer ton Existence
Quant au rythme qui fait l'Histoire
Nul ne nous en dtournera
Ne perturbe plus ton repos
Combien d'autres t'ont suivi
Dsormais il y a plus de tombes
Que de maisons dans nos villages Les
Cheiks qui forment leurs mules
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Repus de sacrifices
Se prosternent devant les nihilistes
Qui sment la terreur
Et n'pargnent nul lieu
Ils gorgent au nom de Dieu
Et par la violence et le feu
S'en prennent aux gens du Savoir
Qui dsormais assumera la probit?
J"ai entendu ta soeur hurler
Blottie contre sa mre
Quand les youyous peraient l'horizon
L'emblme qui arrime l'attente
Ne sera pas altr
Mme au prix d'autres veuvages
Saboteurs et intrigants
Veulent briser notre courage
Solidaires dans le chaos
Quant l'animal gar
Il a la bride de travers
Et claironne que la paix rgne sur nos villages.
Texte crit le 19 octobre 1994.
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KENZA
Le ciel est trouble il se fissure
La pluie a lav la tombe
Les eaux dchanes se dversent
Emportant tout sur leur passage
De sous les dalles un cri dchirant retentit
Clamant la colre et l'impuissance
Kenza ma fille
Ne pleure pas
En sacrifis nous sommes tombs
Pour l'Algrie de demain
Kenza ma fille
Ne pleure pas
Mme si la dpouille s'tiole L'ide ne
meurt jamais Mme si les temps sont
rudes On aura raison de la lassitude Mme
s'ils ont fauch tant d'toiles Le ciel ne
sera jamais dpouill
Kenza ma fille
Supporte le fardeau de ta douleur
En sacrifis nous sommes tombs
Pour l'Algrie de demain
Kenza ma fille
Ne pleure pas
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Ils ont scell par avance notre sort Bien
avant qu'aujourd'hui n'advienne Les pour
chasseurs de l'intelligence Jettent sur !e
pays la nuit de l'horreur Ils ont tu Tahar et
Flici Boucebsi Et tous les autres Ils ont tu
Smal et Tigzri Smal ils ne l'ont pas
pargn
Kenza ma fille
La cause pour laquelle nous sommes tombs
Cest l'Algrie de demain
Kenza ma fille
Ne pleure pas
Pourvu que l'un d'entre eux nous survive
Il attisera le feu de la mmoire
La blessure se cicatrisera
El l'on apparatra enfin
Dans le concert des nations
Nos enfants pousseront d'une seule douleur
Ft-ce dans le giron du malheur
Kenza ma fille
La cause pour laquelle nous sommes tombs
C'est l'Algrie de demain.
Texte crit en juin 1993, quelques semaines
aprs l'assassinat de Tahar Djaout.