L'Art Ou La Feinte Passion
L'Art Ou La Feinte Passion
L'Art Ou La Feinte Passion
apparence mon dsigne, autant il est vrai que mon tre nest
assign aucune apparence puisque je puis la changer.
Parce que je puis toujours tre autre que je ne suis, peux
toujours autrement que je ne parais.
En dsignant ce quils doivent faire parce quils sont, et ce
quils sont par ce quils paraissent, lart tend les identifier
leur fonction.
Mais lart nexerce ainsi cette grande fonction sociale de
dsignation, dassignation et dassimilation, que parce que
lindividu sidentifie son apparence, et identifie son
apparence sa fonction.
Il ny a donc dexprience esthtique que par ce que qui feint
dabolir la ralit naturelle du monde et de percevoir
lapparence que lart a produite comme lunique ralit.
Pour eux, le masque est la fois cet objet quils saisissent dans
le monde, quils peuvent y manipuler, y user, y jeter, et aussi
cette apparence que revt pour se manifester la force vitale
que le monde ne retient plus.
Rien nmeut qui ne dpayse, rien nest beau qui nmeuve.
Baudelaire le contestera encore : ltonnement est une des
grandes jouissances causes par lart et la littrature.
Ds quon eut reconnu lart la fonction de dpaysement, et
malgr les avertissements de Baudelaire, ntait-il pas devenu
quasiment invitable que nimporte quoi pt prtendre lieu
duvre dart pourvu seulement quil surprt ? Mais sil est
bien vrai que tout ce qui est tonnant nen a pas pour autant
un caractre esthtique, il est galement vrai quaucune
exprience esthtique nest possible sans le sentiment de
quelque distance et de quelque novation par rapport la
banalit de lexistence et du langage coutumier.
Quen nous dcouvrant des mondes jamais vus lart nous
dpayse par son objet, ou quen nous faisant voir ce monde
Des uns autres, tout annonce que tout a chang puisque notre
rapport au monde a chang. Alors que tout exprime ici la
mesure, lconomie, la prudence, la modestie et lutilit, tout
proclame l limprieuse libert dune existence o la matire
dessine nos calculs et o nos calculs dessinent les rves de la
raison.
Comme tout est l dfi de ce qui tait soumission, dici l
cest une autre image de soi que lhomme reoit des choses.
Nous savons que le monde de lart nest pas rel ; et pourtant
lexprience de la ralit que nous faisons dans le monde, en
vivant, est moins intense que celle que nous en faisons dans
lart, en limaginant.
Mais ce monde sans banalit avait t la banalit du sien.
Tel est donc ce prestige de la littrature que toute ralit
en ce monde ne nous intresse que par rapport la ralit
mme de lart, et bien moins dailleurs comme son modle que
comme son reflet.
Si, en venant aux mondes que lart nous dcouvre, la vie
sannonce nous plus intense que nous ne lprouvons en ce
monde o nous besognons, nest-ce pas, comme lillusion
romanesque nous lavait suggr, parce que nous sentons
exubrante, inventive et passionne dans lart une dure que
nous nprouvons que nonchalante, routinire et ennuyeuse
dans la vie ?
Lart nous fait dcouvrir ltrange proximit dautres mondes
o nous vies ne seraient pas assujetties cette temporalit par
laquelle nous dcouvrons une uvre.
Ce temps deffarement, dexploration et daguet rnove la
temporalit de nos vies par sa propre innovation.
Comme les mondes que nous dcouvrons ainsi nous
apparaissent en outre plus ou moins riches et varis, plus ou
moins dpassants et surprenants, leur contemplation se