Le Poeme de L'ame

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GENERATI ON DI VI NE

A l'instant qu'a choisi la sagesse infinie,


2 Le nant vaincu cde et fait place la vie :
De l'abime entr' ouvert, sombre et silencieux,
4 Une me humaine monte la clart des cieux ;
Et le Dieu crateur, d' une ineffable ivresse,
6 A tressailli lui -mme, et sur son cur il presse
Comme un pre l' enfant que son souffle a form,
8 Et qui s' est senti vivre en se sentant aim.
Salut, nouveau venu, qu' lve au rang de l' tre
10 Le triple don d' aimer, de vouloir, de connatre!
Que votre voix se joigne aux clestes concerts ;
12 Elle manquait pour Dieu dans l' immense univers !
Contemplez, abrit sous l'ombre de ses ailes,
14 Du Bien, du Beau, du Vrai les sources ternelles ;
Car l' Idal, pour vous un moment dvoil,
16 Bientt va s' obscurcir ; il faut, pauvre exil,
Il faut, quittant le ciel, que votre ange vous mne
18 Par ce chemin o doit passer toute me humaine ;
Libre de mriter, l'heure du retour,
20 Un arrt sans appel de colre ou d' amour.
Quels destins vous fera l' preuve de la terre?
22
Nul n'en sait rien, sinon que l' preuve est austre,
Que le bonheur pour l'homme est un fruit dfendu,
21 S'il ne veut pas pleurer le ciel deux fois perdu.

LE PASSAGE DES AMES
Dc l Ange gardi en l a mi ssi on commence,
26 Di eu l ui donne, i l empor t e en ses bras, endor mi
Celui dont il sera l e conseil et l' ami ;
28 Dans l' espace ii s' elance.
Plus rapicle en son vol que l' ouragan fougueux
30 Qui soul eve l es mer s et t our ment e l es nues,
11 plane hardiment, les ailes &endues,
32 Sur l ' ocean des ci eux.
Il voit crotre et s'enfuir par centaines de milles,
34 Plantes et soleils aux disques enflamms. Que sur les
[lots de l'air le Seigneur a sems
36 Comme d'immenses les.
On dirait, les voir, de rapides coursiers
38 Tout prts s' garer dans les champs sans limite, S'ils
n'taient, d'un bras fort, retenus dans l'orbite 40 Des clestes
sentiers.
Astres qui gravitez, malgr l'ombre et le vide,
42 Vous devez moins que nous vous tromper de chemin,
Troupeau sans libert, pouvez-vous fuir la main
44 Du pasteur qui vous guide?
L'esprit a salu leurs anges protecteurs,
46 Et ceux
Q
ui, comme lui, garderont sous leur aile L'me
humaine, fardeau plus lourd et plus rebelle, 48 Et qui semblent
rveurs.
D'autres vont recueillant pl eurs et cris de dtresse' 50 Que
d' iniques pouvoirs bravent insolemment ; Braveront-ils aussi
du juge tout-puissant
52 La force vengeresse?
Voici le dfil, ple et silencieux,
54 Des mes que la mort de la terre dlivre ; De
l'immense inconnu le redoutable livre 2 56 S'entr'ouvre
sous leurs yeux.
Tremblantes, elles vont o leur ange les mne 3, 58 Les
pousse quelquefois, vers le seul Tribunal
Qui sait juste la part et du bien et du mal 60 Qu
enferme une me humaine.
Sans ererur, sans appel, il va dicter leur sort
4
;

62 Elles
semblent dj le pressentir d' avance
A ce vol ingal comme leur esprance, 64 Au sortir de la mort.
Ainsi sous le
157
ciel gris, ds que l'hiver arrive,
66 De nos champs dserts pour des climats meilleurs.
Nous voyons migrer des oiseaux voyageurs 68 La troupe
fugitive.
Quel est donc ce gant et ce vautour cruel 70 Qui lui ronge
le coeur ? En vain il le dpce
Sans cesse dvor, le coeur renat sans cesse 72 Pour souffrir
immortel.
Tout autour, envieux de cette horrible proie,
Rde un cercle hideux, groupe de noirs esprits ;
Dans leurs yeux sans rayons et sur leurs fronts proscrits 76 Passe un clair
de joie.
Esprit du mal, mystre o nul n'a vu le jour,
78 Que vous a donc
:
fait l'homme? 11 lui suffit de natre ; Vous tes son
tourment, son partage peut-tre, $O Son ennemi toujour.
L'ange poursuit encore, et la sombre atmosphre
82 S' emplit d' un bruit croissant de plaintives clameurs.
C'est le globe maudit, c'est le sjour des pleurs. 84 L' ange a
touch la terre.
L' ANGE ET LA MERE
Que la paix du Seigneur repose 86 Sur cette
mre et son trsor,
Et que sur leur paupire close SM Elle verse
des songes d'or !
Enfant, dormez, pour vous je prie, 90 Et dois veiller
avec amour,
Afin qu'au terme (le la vie
92 Vous bnissiez ce premier jour.
Hlas ! Combien de fois l'aurore 94 Qui brille
l'orient vermeil,
Doit-elle se lever encore,
96 Avant votre dernier rveil!
Combien de fois les taches sombres, 98 Qui
naissent d' un limon impur,
Terniront-elles de leurs ombres 100 Ce lac
aujourd' hui tout azur.
Loin des sentiers de la patrie, 102
L'homme, voyageur gar,
Cherche en vain la source infinie 104 Dont il
fut ailleurs enivr.
Oubliant la patrie absente, 106 11 suit
le nuage trompeur
O sous une forme enivrante, 108 11
voit le rve de son cur.
Mais bientt l'idale image,
110 Du ciel imparfait souvenir, S' vanouit
comme un nuage,
112 Dans la main qui croit le saisir. L'me
d'un trait mortel blesse,
114 Ne peut plus reprendre son vol. Pauvre
oiseau, qui, l'aile casse,
116 Se trane sanglant sur le sol.
Vous seul savez, mon Dieu, quels dangers, que d' alarmes 118
Mena
158
cent vot re enf ant et , si j ' ose t rembl er,
Pardonnez-moi, vous seul pouvez compter les larmes 120 Qui de ses
yeux doivent couler.
Piti pour lui, Seigneur, et pour cc cur de mre 122 Plein
d' un amour si saint, et si fort et si doux ! Cet amour n'est-il pas
lui-mme une prire,
124 La plus loquente pour vous?
Mais votre juste main a pes la mesure
126 Des douleurs qu' ici-bas tout homme doit porter ; Pour
accomplir la loi de sa noble nature, 128 Il faut souffrir pour
mriter.
Des ombres du prsent tout l'avenir s'claire,
130 Cc n' est point un vrai mal, le mal qui peut finir
Car vous tes. Seigneur, bien moins juge que pre ;
132 Si vous frappez c' est pour bnir ;
Pour que l' homme vous cherche, en vous seul qu' il espre, 134 Et ,
qu' ai mant et soumi s, i l vous r ende son cur , Trop longtemps
gar, sur cette triste terre,
136 A la poursuite du bonheur.
I V
LE PRINTEMPS
Le sol ei l , mai t re de l a vi e,
138 Verse ses rayons l es pl us doux:
Il dit la terre engourdie :
140 C' est le printemps, rveillez-vous !

J'ai dchir le voile humide
142 Qui glaait votre sein avide
De subir mes regards de feu ;
144 Qu'attendez-vous, plantes frileuses? Levez vos ttes paresseuses,
146 Regardez-moi dans le ciel bleu.
Fils d'Adam, la terre est pare, 148 Eveillez-vous votre
tour,
L' Eden est de peu de dure, 150 Vous aussi le saurez un
jour !
Alors en vain le soleil donne
152 Au printemps sa blanche couronne,
A l't sa riche splendeur,
154 S' il ne reste plus dans votre me
L'essor, le rayon et la flamme, 156 La foi, la grce et la fracheur.
Venez, l'aubpine est fleurie, 158 Cueillez-en le premier rameau ;
Courez lger sur la prairie, 160 Comme l' hirondelle sur
l' eau.
Insecte, oiseau, brise odorante,
162 Tout vit, brille, bourdonne ou chante,
Vous caresse et vous fait sa cour ; 164 Le bouton d' or vers vous
se penche
Et les yeux bleus de la pervenche 166 Vous regardent avec
amour.
De ces fleurs peine amasses 168 Quoi! vous allez vous
dessaisir !
Vos mains sont-elles donc lasses? 170 Dj changez-vous de
dsir?
Du papillon l'aile azure
172 Serait bientt dcolore,
Il prirait entre vos doigts ;
174 Pendant que, libre en son caprice, 11 visite chaque calice,
176 Ecoutez cette douce voix
Viens ici, les fleurs sont plus belles, 178 Les oiseaux plus
brillants encor
Semblent en secouant leurs ailes 180 Semer l' azur, la pourpre
et l' or.
Suis-moi jusque sur la colline, 182 Et, sous le bois qui la
domine,
Nous trouverons d'autres sentiers ; 184 En les suivant dans
notre course,
Peut -t re verrons-nous l a source 186 Du ruisseau qui coule
nos pieds .
Et, joyeux, vous allez les suivre, 188 Et, quand vous
serez de retour, Vous aurez le sens de ce livre
190 Dont chaque feuille marque un jour.
Du moins, malgr la voix si douce, 192 Sur l'herbe frache
et sur la mousse,
Un moment cherchez un abri ; 194 Enfant, plus vous
marcherez vite,
Plus tt vous verrez la limite,
196 O finit le sentier fleuri.
V
SOUVENI R DU CI EL
Lorsqu'arrive le soir, l'enfant lass repose 198 Prs du
lit maternel sa tte blonde et rose ; Et les songes, amis du
160
paisible berceau,
200 D'un monde merveilleux cartent le rideaux.
Dans une vaste plaine, au bord d'un fleuve, il rve
202 Qu' il marche tout joyeux, ramassant sur la grve Coquille et
diamant, dont le prisme changeant
204 Luit dans le sable d'or en clairs reflets d'argent ; Pendant que
le soleil, qui sur les eaux dcline,
206 Jette un dernier regard la ville voisine,
Que les vitres en flamme et les toits, empourprs
208 D'une trange splendeur, brillent transfigurs.
Tout coup il entend comme un battement d'ailes,
210 Il coute, il regarde : surprises nouvelles!
Des anges radieux aux doux yeux, au front pur,
212 Passent en se jouant dans le limpide azur. Quel sourire
divin sur leur bouche divine,
214 Sous leurs cheveux flottants quand leur beau col s' incline, Sur le front
d'un enfant qui, pour tre embrass,
216 Leur sourit son tour entre leurs bras berc ! Ainsi la rose en
fleurs sur le bouton se penche,
218 Quand, au vent du matin, la verdoyante branche Qui porte
avec orgueil le couple gracieux,
220 Se balance lgre en les berant tous deux.
Des chants d'une harmonie inconnue la terre, 222 S' lvent
dans les airs, voils, pleins de mystres.
Comme ces bruits confus que la brise parfois
224 Murmure en soupirant l' ombre des grands bois.
Les clestes accents se croisent, se confondent
226 Et s' appellent entr' eux ; des harpes leur rpondent.
Comme des lis sems sur la pourpre des rois, 228 Les
belles notes d'or brillent entre les voix.
Ou tel, lorsqu' apparat dans le ciel d' un bleu sombre
230 L' astre aux rayons d' argent , des toiles sans nombre
Le chur brillant l' entoure, et leur vive lueur
232 Scintille ses cts, sans ternir sa blancheur.
L' enfant seul dlaiss, d'une oreille ravie
234 Ecoute, puis soupire, et d' un oeil plein d' envie
Il regarde, il implore, en leur tendant les bras, 236
Les groupes bienheureux qui ne l' entendent pas ;
Qui, tels que des oiseaux, tantt rasent la
terre, 238 Dans l ' ombre disparus, tantt la lumi re
Emergeant t out coup, reparai ssent au
l oi n, 240 S' ent r' ouvrant dans l a nue un spl endi de
chemi n.
Que ne peut -il, comme eux emport dans
l' espace, 242 At t ei ndre dans son vol l e nuage qui
passe,
Le mettre sous ses pieds comme un chelon
d' or, 244 Et de l vers l es ci eux reprendre son essor !
Mais plus grands sont les voeux, plus les efforts
striles. 246 De ses yeux abai sss sur ses pi eds
i mmobi l es,
Des pleurs de dsespoir commenaient
couler, 248 Quand d' une voi x connue, i l s' ent end
appel er :
Que de tes pleurs amers la source soit tarie ;
250 Voi s-t u l ' enf ant Jsus et l a Vi erge Mari e?
Ils te consoleront. En s' approchant de nous
252 Comme ils semblent sourire !.. genoux, genoux !
A peine ont-ils flchi que, grce inespre ! 254
Comme d' un corps mort el une me dl i vre.
Fleuve, grve, sous ses pieds semblent
fuir, 256 Et , d' un vol qui s' accro t au gr de son dsi r,
Il mont e vers le ciel . . . mais, hlas ! mme en rve, 258
Le bonheur s' ent revoi t et j amai s ne s' achve
Des tres lumineux la vision s' enfuit,
260 Et l ' enf ant rest e seul dans l a prof onde nui t .
V I
LE TOIT PATERNEL
Ami, retirons-nous, l' orage me fait peur !
262 Nous avons bi en t emps soust rai t sa f ureur La
primevre rose et le rosier si frle ;
264 Sous l es coups redoubl s du vent et de l a grl e. Pour
un moment d' oubli , nous aurions vu prir
266 Leurs boutons qui, ce soir, commenaient s'ouvrir.
Laisse-moi contempler cet immense nuage, 268 Etenclant
sur le ciel ses bras dmesurs,
Et l'clair tout coup se livrant un passage 270 Dans ses flancs
dchirs.
As-tu vu resplendir d'un clat phmre
272 Les t oi t s, l es haut s cl ochers, l es vi eux murs de l ' encl os? Fantmes
voqus par un coup de tonnerre,
274 Rentrez dans le chaos !
Je n' ai vu, je n' entends que la foudre qui tombe 276 A
quelques pas de nous ; cet te eff royabl e t rombe
Ne finira donc point . Daignez de tout malheur 278
Prserver, mon Dieu, le pauvre voyageur !
Le ruisseau, ce matin, selon notre coutume, 280 Pass
sur des cailloux jets dans le courant,
Roulant hors de son lit des flots blanchis d'cume, 282 Mugit comme un
torrent.
Le grand chne gmit en secouant la tte ;
284 Comme un cheval rtif sous l' peron cabr, Il se dbat en
vain aux coups de la tempte
286 Qui le courbe son gr.
Ami , rapprochons-nous de l a l ampe qui bri l l e. 288 Autour
d' elle dj s' assemble la famille ;
Et grand' mre, qui lit la Bible chaque soir,
290 Nous f ai t , pour cout er, si gne dc nous asseoi r.
LECTURE (Psaume
Qu' est -ce que l ' homme, Di eu, pour que vot re pense 292 Du haut
de l ' i nf i ni descende j usqu' l ui ,
Lui, cette ombre d'hier au matin efface
294 Quand le soleil a lui?
Si , des ci eux abai sss, vous marchez sol i t ai re,
296 Sur ces monts escarps que l ' homme n' at teint pas,
Il suivra plein d'effroi, sur leur fumant cratre, 298 La trace
de vos pas.
Car, devant vous, Seigneur, sur leurs bases tremblantes, 300
Sent ant f l chi r l ' orguei l de l eurs sommet s al t i er s, Comme un lion
vaincu, les montagnes gantes
302 Se couchent vos pieds.
Etendez sur les eaux votre bras secourable! 304 Le flot monte
toujours, il va me submerger.
Dlivrez-moi, Seigneur, de la serre implacable 306 Des fils de
l'tranger !
Leur langue est un serpent dont le venin s'attache 308 A souiller sans
piti l' homme au cur droit et pur ;
Le crime a dans leurs mains une arme qui se cache 310 Pour frapper coup
sr.
Que de mon coeur bris s'exhale la prire,
312 Comme les saints parfums que brle l' encensoir,
Comme l'odeur des pins qui monte de la terre 314 Sur
les ailes du soir !
Heureux qui peut ainsi songer son enfance
316 Sans y t rouver ml s ces l ongs j ours de souf f rance,
O, ferms dans les murs d'une troite prison, 318
Contemplant tristement un lambeau d' horizon,
Nous suivons du regard moins que la pense,
320 De quel que arbre loi ntain la cime aux vent s berce,
L' oiseau qui parcourait les champs libres des cieux, 322 Et nous sentions
bientt des pleurs mouiller nos yeux !
Dans le sol maternel profondment fixe, 324 Heureuse
mille fois la plante dlaisse
Que le savoir cruel du fer ducateur
326 N' aura pas dpoui l l de sa j eunesse en f l eur.
Elle aspire longs traits sous sa robuste corce 328
La sve qui fera sa dure et sa force ;
Et ses rameaux f conds, sans t re mut i l s, 330 Ou contre un
t ri st e mur, tordus, cart el s,
Sans factice chaleur qui la hte et la tue, 332 Donneront
l eur jour l a rcol te att endue.
Heureux qui vit le jour loin des sombres cits, 334
O, nomade habitant de leurs murs dtests,
Il faut, chaque fois qu'on transporte sa tente, 336
Abandonner des siens la poussire vivante,
Tant de chers souvenirs qui, pour jamais perdus, 338 De ceux que
nous ai mi ons ne nous parl eront pl us !
Heureux qui peut revoir sous le toit de son pre 340 La
place encore intacte o reposait sa mre,
Quand ses regards teints et sa mourante voix 342
S' adressrent lui pour la dernire fois!
L, du moi ns, des a eux l es t ombes vnres 344
Dans la foule des morts ne sont point gares.
Sous les arbres grandis que leurs mains ont plants, 346 A l ' ombre des
rameaux par l e f er respect s,
S' il sent du doute en lui peser la nuit obscure, 348
De ceux qui l' ont quitt la mmoire si pure,
Le visage la fois austre, calme et doux,
350 Apparaissent vivants ; et tombant genoux. La pense leve
au-del de la terre,
352 11 donne un libre cours aux pleurs, la prire.
Et
164
retrouve, en ouvrant ces deux sources du coeur, 354 Li n peu de cett e
pai x qui ressemble au bonheur.
V I I
LE MAUVAIS SENTIER
LES ENFANTS
Que nous veulent, mon Dieu, cette vieille en colre 356 Et ces hommes
vt us de noi r ?
l' ai peur, car il me semble voir
358 Que de l eurs yeux sur nous t ombe un regard svre.
LA VI EI LLE
Enf ant s, d' o venez -vous? o courez - vous ai nsi ? 360 Et qui vous
a permi s de passer prs d' i ci ?
LES ENFANTS
Pi t i pour la pei ne cruel l e
362 De deux pauvr es enf ant s qui , depui s cc mat i n,
Loin de la maison paternelle,
364 Ne peuvent , dans l a nui t , ret rouver l eur chemi n !
LA VIE/ L LE
Ce n' est pas l e ct par o cc chemi n passe' , 366 Au
cont rai re, car pl us on s' approche de nous,
Plus il est malais d' en retrouver la trace. 368 Mai s l e cas
est prvu par i nt rt pour vous.
Chez nous est votre place ; enfants, nul n' a li cence 370 Sans not re
bon plaisir cl e gravir cc senti er,
Dont chaque degr marque un pas dans l a sci ence. 372 C' est un
beau pri vi l ge et nous l ' avons ent i er.
Fl i ci t ez - vous donc de vot r e heur euse chance, 374 Car
pui sque t t ou t ard vous nous seri ez rendus,
Il n' t ai t ri en de mi eux que de prendre l ' avance.
LES ENFANTS
376 Mais, nous vous l' avons dit, nous nous sommes perdus 2.
LA VI EI LLE
Alors, contez-moi donc toute votre aventure 3.
LES ENFANTS
378 Nous cherchions les champs, la
verdure
Ils taient ce matin si beaux ; 380
Car l'orage avait de ses eaux
Raviv leur frache parure.
382 A peine aussi nos yeux ouverts
Virent-ils l'aube souriante
384 Qui chassait l'ombre dcroissante
Sur l'meraude des prs verts,
386 Nous franchmes d'un pas rapide
Le verger clos de ses vieux murs, 388
Ramassant les fruits dj mrs
Epars sur le gazon humide.
4,
390 Le jour se levait, rallumant A sa lueur vive et rose,
392 Dans chaque goutte de rose. L'toile teinte au
firmament.
394 Mille fleurs fraches et vermeilles
Paraient les plus humbles sentiers, 396 Et les oiseaux plus
familiers
Oubliaient qu'ils avaient des ailes.
398 Tout tait chants, parfums, rayons. Echangs du ciel la terre ;
400 Le front baign dans la lumire, Joyeux, en marchant, nous
disions :
402 Chantez, matinale alouette,
Chantez votre douce chanson ; 404 Sur votre nid, dans
le buisson,
Dormez en paix, pauvre fauvette !
406 A moiti cachs dans les bls,
Gais moissonneurs, liez vos gerbes : 408
Egars dans les hautes herbes,
Troupeaux, mugissez ou blez !
410 Et nous marchions toujours ; et dans les cieux limpides
L'ardent soleil montait. Les heures sans piti
412 Avec lui s'enfuyaient; et leurs ailes rapides
Avaient de ce beau jour emport la moiti.
414 Nous cherchions dans les bois l'ombre partout absente.
Sur la mousse o, lasss, nous vnmes nous asseoir, 416
Aux framboisiers de pourpre, la fraise odorante,
L'airelle mlait son fruit noir.
418 D' autres plantes sans nombre aux formes inconnues,
Nous montraient l' envi leurs fleurs, leurs fruits nouveaux, 420 Et
devant nous fuyaient les longues avenues
Qu'ombrage la fort de ses mouvants arceaux.
422 L' cureuil s' y jouait, sautant de branche en branche,
De l'rable au fayard, des chnes aux bouleaux
424 Qu'on reconnat au loin leur corce blanche,
A travers les sombres rameaux.
426 Vers un coin du ciel bleu, perant la vote obscure,
Les yeux f i xs, du vent nous cout i ons l a voi x
428 Qui s' approche et grandit, puis s' apaise et murmure,
Et va se perdre au loin dans le profond des bois ; 430 Et
nous ne pensions plus que, des monts descendue,
L' ombre grands pas marchait vers le dclin du jour ; 432 Du
sentier conducteur la trace tait perdue,
Quand nous songemes au retour.
4 3 4 L ' a u b p i n e p i q u a n t e e t l e r o s i e r s a u v a g e .
Entrelaant leurs bras, nous barraient les chemins,
436 Et faisaient payer cher l' inutile passage
A grand'peine fray par nos sanglantes mains.
438 Puis, quand la lune vint, sa clart mouvante Si
quelque arbre gant dressait son profil noir,
440 D' un fant me on et di t la t t e menaant e
Qui se penchait pour mieux nous voir.
442 Piti pour la peine cruelle
De deux pauvres enfants, qui, depuis ce matin, 444 De la
demeure paternelle' ,
Ne peuvent dans la nuit retrouver le chemin.
LA VIEILLE 2
446 Enfants, c' est bien, entrez, ces murs sont ma demeure. O je tiens
la fois caserne et garnison 3.
448 Dfense d'en sortir avant d'atteindre l'heure
O savamment guri de toute illusion
450 D'idal et de foi qui sduit et qui leurre,
Nul ne croit plus rien qu' sa propre raison.
VIII
CAUCHEMAR
Quant le vent du midi chassant les noirs autans Apporte avril en
fleur sur son aile attidie, Et qu'on voit s'agiter comme un souffle
de vie.. Ferment gnrateur o germe le printemps :
La lumire des cieux, trop longtemps clipse, Regarde
enfin la terre, et la terre, son tour, Emue et souriante
ce regard d'amour, Va bientt se parer comme une
fiance.
Le gazon reverdit ; d'enivrantes senteurs S'exhalent des forts par
l'hiver dpouilles ; Comme le lait qui monte aux
mamelles gonfles. Sur leurs boutons rougis coule la sve
en pleurs.
Du voile transparent de ses feuilles closes
Le saule des vallons s'est vtu le premier.
Plus
167
452
454
456
458
460
462
464
prcoces encor, le pcher, l'amandier
Font pleuvoir sur les prs leurs fleurs blanches et roses.

468 Mai s, t rop vi t e oubl i e, raust ere vent du nord, Reveillant tout a
coup son haleine endormie,
470 Vi ent souf f l er sur ces f l eurs, sur t out e cet t e Adieu, Printemps! void
i le froid, la nuit, la mort !
472 L' homme connait aussi cette heure printaniere.
OY tout cc qu' il dolt etre et qu' il n' est point encor, 474 Fl ot t e
i ndeci s dans t ame, avant de prendre essor,
Comme au vent du matin une vapeur Legere
476 Oa, sembl abl e au bouquet que t on cuei l l e en chemi n, Sans souci de son
but, sans souci de la route,
478 L' idee a chaque pas, comme une fleur s' ajoute. Of les pleurs
d' aujourcl' hui sont oublies demain
480 OO nulle passion dest encore eveil lee,
OY nous ne con naissons des twits que le sommeil ; 482 Joyeux
chaque matin de revoir l e soleil ,
Qui fait chanter roiseau sous la verte feuillee.
484 Pl ei ne denchant ement s et de chast es at t rai t s,
D'illusions en fleurs et de calme esperance, 486 Trop courte
vision, la celeste innocence
S' asseoit a nos cotes comme un ange de paix.
488 Jamais de ricleal plus pur rayon n' arrive,
Que reflete stir nous par razur de ses yeux 490 Uri c onde
pure ai nsi f ai t descendre l es ci eux
jusqu' a
thumble
gazon que
vit croitrc sa rive.
492 Mais un souffl e etrangcrgl acial ct mort el , Arrete en son
lan cettc divine fla111171e,
494 Cat e aurorc du coeur, cc beau pri nt emps de t ame. Que fit
epanouir lc regard maternel.
496 Ai nsi , t ame Ian qui t , des gl accs de l a t ombe
Paralysee, avant lcs jours d' hiver ;
498 Ai nsi , sans et re mar, se f l et ri t , mcurt et t ombe
Le fruit souvcnt clevore par un ver. 500 La
chenille s' attaque a la &trill(' naissantc.
Et, dans scs nids, aux rameatzx suspcndus, 502
Fourmi l l e un enncmi , dont l a / ai m cl evorant e
Mene en rampant les bataillons velus. 504
L' arai gnec, en son anti c, att end , sai si t , cmportc,
Prisc au fact, la nzouche aux ailcs dor
Commc guet t c un marchand sur l c seui l de sa port e, 504
Chaque passant pour grossir son tresor. 508
lin ennemi plus sfir, plus terrible se cache
Pres de ten/ant rieur et confiant,
scull paterncl malgre scs pleurs l' arrache, Entre ses bras 510 Et du
temportant tout tremblant. 512 Ah! n' est-ce point assez qu au
des annees declin
Sou vent plus tot, nous vienne la douleur,
514 Sans qu un spectre hideux, de ses mains decharnees,
Vienne fletrir nos seuls jours de bonheur? 516 Faut-il
tant de soucis, tant de peines cruelles,
Etre fermes vivants dans un tombeau? 518
Faut-il au
,
premier jour essaya ses ailes,
u
n fer brutal les

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coupe au pauvre oiseau ? 520 Maitres du Bien, cliz Beau, saints, heros ou poetes,
Ne pouvons-nous vous rencontrer ailleurs! 522 Que
vous seriez feconds, Si vos froids interpretes
Oubliaient moms de parler a nos curs, 524 Si nous
n'etions si loin des champs, de la lumiere,
Du ciel, enfin, qui vous sut inspirer ;
526 Si nous n' etions, mon Dieu ! si loin de notre mere,
Que nous saurions bien mieux vous adorer ! 528 Dans tine dine
denfant tout cc qui se remue
De chaud, claimant, dimprevu, de nail, 530
S'atrophie ou s'eteint rien qu'a la tristc vue
Des sombres murs qui le tiennent captif. 532 Sur sa
bouchc epie s'eteint le doux sourire.
Qu'il doive tin jour etre aigle ou passereau, 534 Orz
mesure ses pas, jusqu'a qu'il respire
Ii doit subir limbecile niveau.
536 De [esprit et du cceur la jeunesse s' efface Sur cc front pale,
impuissant, irrite,
538 Ce que di x ans dennui semblent met tre a l a place. Vaut-il jamais tout cc
qu'ils ont cod te?
I X
LE GRAI N DE BLE
540 Voyez ce grain dc bl e qui , malgre les rages Ou hi ver qui sevi t ,
542 Fai bl e e t f or t a I a f oi s , a t r av e r s e l e s age s
Vi vant oi l l homme vi t .
544 Mais du grain a Vepi stir la terre sterile Quc de rides labeurs!
546 Enf ant s, vous i gnorez pour l a rendre f ert i l e
Ce qu' il taut de sueurs.
548 Croyez-vous qu' il suffit du printemps qui l' arrose, De rete qui murit ?
550 Sur le ciel meme arni que l' homme se repose Et la moisson pent.

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