Traunecker
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L'IMAGE
ET LA PRODUCTION ,/
DU SACRE
Actes du colloque de Strasbourg
(20-21 janvier 1988)
organise par le Centre d'Histoire des Religions
de l'Universite de Strasbourg II
Groupe «Theorie et pratique de l'image cultuelle»
PARIS
MERIDIENS KLINCKSIECK
1991
OBSERVATIONS SUR LE DECOR
DES TEMPLES EGYPTIENS
Dieu et mythes 2
Reflets des forces qui animent le monde, les dieux des anciens
Egyptiens sont aussi nombreux que divers. Cette etonnante variete
de noms, d'epithetes et d'apparences est le produit d'une forme de
pensee qui pendant toute la duree de l'histoire egyptienne, n'a cesse
de sonder l'imaginaire, le lieu inaccessible Oll s'elabore le destin du
monde. En effet, plutot qu'une foi, la religion egyptienne est une
prise de conscience du mode de fonctionnement de l'univers. Pour
decrire le monde et ses forces agissantes, les anciens Egyptiens n'ont
78 L'IMAGE ET LA PRODUCTION DU SACRE
Image et rite
Le temple
Le decor du temple
Le statut du decor
a) Images d'action
Les images d'action sont les statues et images de cultes habitees
par le «ba» divino Elks sont des lieux d'hierophanie et leur
conservation ainsi que leur entretien justifient l'existence meme du
temple. En relation permanente avec l'imaginaire, elles garantissent
l'efficacite du rituel celebre pour elles et en leur presence. Points
de contact entre le sensible et l'intelligible, elles permettent la
communication entre le monde reel et le monde pense.
a. Culte manifeste
Les images d'action de cette categorie sont le centre d'un culte
regulier, evident et connu de tous. Elles se subdivisent en deux
series:
1. Images de culte permanentes de la divinite principale
residente ou des divinites residentes associees.
2. Images de culte de fonction specialisee: Par exemple
l'image processionnelle du dieu (barque sacree ou pavoi divin). Ces
images sont l'objet d'un culte en des circonstances precises.
86 L'IMAGE ET LA PRODUCTION DU SACRE
b. Culte latent
J'entends par «images de culte latent» les effigies divines
conservees en des lieux discrets tels les cryptes, les cenotaphes ou
les salles cachees d'un temple Oll par leur seule presence elles
remplissent leurs fonctions. Elles se subdivisent en deux series:
1. Images latentes des divinites principales: par exemple la
statue d'Osiris de la crypte nord d'Opet 41. Les deux cryptes encadrant
le sanctuaire central contenaient les statues sacro-saintes du temple,
images investies en permanence du ba divin : une Isis allaitant dans
la crypte sud, un Osiris debout recevant les «ba» d'Amon dans la
crypte nord. Les parois de ces cryptes ont re<;u un decor peint
reproduisant ces statues de culte accompagnees de legendes des-
criptives indiquant, entre autres, la nature de leurs materiaux et
leurs dimensions. Ces cryptes donnaient respectivement sur les salles
de culte nord et sud du temple, mais leurs acces etaient soigneu-
sement dissimules et elles n'etaient ouvertes qu'en de rares
circonstances 42. On peut penser que seul le haut clerge du temple
pouvait y acceder et connaissait leur contenu. Les textes des parois
des salles de culte ne font aucune allusion a ces images cachees.
Cependant dans le premier registre de la salle de culte nord figure
un Osiris royal qui se distingue des autres figures du registre par
sa taille plus elevee d'une vingtaine de centimetres. Cette image est
placee dans l'axe de la porte et ses dimensions, - 175,5 cm -,
correspondent exactement aux 3 coudees, 2 palmes et 2 doigts de la
statue de l'Osiris royal en bronze noir conservee dans la crypte nord
Oll elle recevait la puissance secrete des dix «ba» d'Amon. Elle
est donc la replique dans la salle de culte de la statue sacro-sainte
et support de puissance du temple soigneusement cachee dans le
secret d'une crypte. Parmi les autres exemples d'images de ce type,
on peut citer l'image d'Osiris defunt dans le tombeau-cenotaphe du
temple d'Opet ou la statue d'Hathor de la crypte souterraine sud
du temple de Dendara 43.
2. Images latentes des divinites de fonction specialisee: par
exemple les statues de divinites protectrices conservees dans les
cryptes de Dendara 44.
b) Images d'evocation
c) Images de substitution
Enfin, pour terminer, il faut ranger dans une categorie a part
les images des lieux de culte de substitution. Ces chapelles permettent
de celebrer, sans sortir de l'enceinte du temple, des rites qui
normalement doivent etre effectues dans un sanctuaire exterieur 58.
f) La sacraliti aniconique
Ce processus de contamination peut aller tres loin. Puisque le
materiau meme dont le temple est fait s'impregne des forces habitant
les images, pourquoi ne pas prelever de la poussiere de gres a leur
proximite et recueillir une poudre chargee de vertus puissamment
therapeutiques. C'est l'origine des nombreuses cupules 71 mutilant
les parois a proximite des representations particulierement prisees
OBSERYATIONS SUR LE DECOR DES TEMPLES EGYPTIENS 91
par les fideles 72. Mais souvent l'image n'est meme plus necessaire
et, pour bien des fideles, la sacralite du lieu de culte s'etend a
toute la construction. Des parois sans aucune representation gardent
les traces du passage de nombreux gratteurs de cupules, simplement
parce qu'elles font partie de la demeure divine. Pour justifier de
telles pratiques, nul besoin d'une hierophanie ponctuelle, concentree
dans une image, ou de referents culturels precis. La premiere se
dissout dans l'ensemble de la construction tandis que les seconds
s'estompent. C'est ainsi qu'a Dendara les parois de l'eglise chretienne
du ye siec1e ont subi le meme traitement 73 et cette pratique, attestee
des le Nouvel Empire 74 est encore en usage de nos jours. Ce type
de sacralite globale est connu dans bien des civilisations et j'ai pu
examiner sur les parois exterieures de quelques eglises alsaciennes
des cupules en tous points semblables a celles qui defigurent les
monuments de Karnak 75.
Decor et theologie
(pages suivantes)
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96 L'IMAGE ET LA PRODUCTION DU SACRE
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OBSERVATIONS SUR LE DECOR DES TEMPLES EGYPTIENS 97
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98 L'IMAGE ET LA PRODUCTION DU SACRE
NOTES
liques de la porte (K. KITCHEN, o.c., p.514, Ig.9). Ces images servaient pro-
bablement a signaler a l'exterieur l'identite de la personnalite divine residente.
18. BLACKMANN, FAIRMANN dans lEA 28, 1942, p. 75-91; Edfou IV, p. 330-
1.
19. Edfou IV, p.331 (12-3).
20. BLACKMANN, FAIRMANN, O.C., p.85, 90; voir aussi P. BARGUET, BSFE,.
72, 1975, p. 23; REYMOND, The Mythical Origin, p. 294; le. GOYON dans LA
I, col. 689-90.
21. Voir aussi la stele de Thoutmosis III CGC 34012 (Urk. IV, p. 833-4) ;
TRAUNECKER, Coptos. Hommes et dieux sur le parvis de Geb, texte n° 53.
22. Voir par exemple A. GUTBUB, «Remarques sur quelques regles obser-
vees dans l'architecture, la decoration et les inscriptions des temples de Basse
Epoque », dans Melanges Vercoutter, pp. 123-135.
23. Edfou I, p.18 (42-44).
24. Edfou IV, p.351 (8-9).
25. Dendara I1, p. 73 (5-6).
26. H. JUNKER, Philae I, p.90 (18-19).
27. Litteralement «inscrites» (plJ:.r).
28. C'est-a-dire les dieux de la region.
29. La salIe de culte principale du temple d'Hibis est ornee d'une sorte
de catalogue topographique des divinites d'Egypte (WIN LOCK, The temple of
Hibis in el Khargeh Oasis Ill, pI. 2-6; E. CRUZ-URIBE, Hibis Temple Projet (I);
voir aussi le decor des naos tardifs, par exemple le naos de Saft el-Henneh
(PM IV, 10-11), la crypte dite des archives dans le temple de Dendara
(F. DAUMAS, O.C., p. 62; Dendara VI, p.149-174).
30. A. PIANKOFF, The tomb of Ramesses VI, p. 12 et pI. 36.
31. Edfou I, p.328 (10-11).
32. PM IV, p. 97; Description de l'Egypte, Antiquites IV, pI. 70 (8).
33. Temple d'El-Qal'a: Construction du temple et decor du sanctuaire:
Auguste; decor de la salIe des offrandes: Caligula; achevement du decor du
reste du temple: Claude (e. TRAUNECKER et L. PANTALACCI, ASAE 70, 1984-
5, p. 133-41 ; SAK Beihefte 3, 1989, p.201-1O).
34. Par exemple les temples de Deir ChelIouit (e. ZIVIE, Le temple de Deir
Chellouit, Le Caire IFAO 1982; BIFAO 77, 1977, p.154), Douch (BIFAO 55,
1955, p. 29-31 ; 78, 1978, p.5), Opet (PM 11 2, p.245, fig. 22).
35. Edfou I, p.327 (7).
36. Dendara I1, p. 173 (4).
37. Dendara I1, p. 73 (7).
38. Dendara I1, p. 173 (4).
39. Voir infra p.86 et n.41.
40. Nous avons exclu de cette analyse les statues royales.
41. e. TRAUNECKER, Les cryptes du temple d'Opet, Memoire de l'EPHE
(inedit), voir LA Ill, col. 825-6 ; Histoire et Archeologie n° 61, mars 1982, Karnak,
p.48.
42. Le maniement de leur systeme de fermeture etait une operation
relativement lourde.
43. Le puits-crypte etabli sous le sanctuaire etait une sorte de caveau
inaccessible, sce lIe au moment de la construction. du temple. 11 contenait
probablement une effigie du dieu-defunt (voir LA Ill, col. 825, figure, 3);
E. CHASSINAT dans Dendara VI, p. XXVI-XXX.
44. Dendara: Cryptes sud n° 4 et 4 de Dendara (Dendara VI, p. 49 sq,
pI. 496, 504); voir aussi les escouades de genies-halIebardiers du registre
superieur du couloir mysterieux du temple d'El Qal'a (El Qal'a I1, a paraitre).
100 L'IMAGE ET LA PRODUCTION DU SACRE
devant une deesse lionne: Graffite S2, 1 (cahier Ill, 19), HELCK,Ritualszenen,
AgyAbh. 18, p. 7 et pI. 10 infra, fig. 2.
66. Par exemple : Temple de Ptah, paroi posterieure : PM II 2, p. 201 (35) ;
S. de LUBICZ, O.C. II, pI. 314; Temple de Louqsor, paroi exterieure est: PM
II 2, p.335 (220-221); Cour de la cachette, representation d'un sphinx: PM II
2, p.131 (482), graffite 12, 8-10; Amon dans le passage de la porte acces a
la cour du quartier administratif de Karnak: PM II 2, p. 184 (554), Graffite
R 17.
67. Graffite R.103,5: BSFE 85, 1979, p.27-9.
68. PM II 2, p. 181 (544); P. BARGUET,Le temple d'Amon-Re, p. 254 ;
graffite F7, 3-6, cahier IV, 35. Neron ou peut-etre Claude.
69. A.R. SCHULMAN,dans Memphis et ses necropoles au Nouvel Empire edite
par A.P. Zivie, Paris 1988, p.88. Voir aussi la pratique (!.u remploi d'elements
des edifices anciens dans le corps de la ma~onnerie : LA VI, col. 1264-5.
70. Voir fig. 3 et 4. Graffite F7 3-6, face sud du mole est du IX pylone.
71. Sur les cupules, voir C. TRAUNECKER, « Dne pratique de magie populaire
en Egypte ancienne» dans les Actes du colloque La magia in Egitto ai tempi
dei Faraoni, Milan 1985, p.221-42.
72. Par exemple une figure d'Amon dans le passage du VIIIe pylone (S. de
LUBICZ,O.C., II, pI. 385, voir aussi ibidem, II, pI. 283.
73. J. DORESSE,Regards sur l'Egypte, pI. 181.
74. C. TRAUNECKER,O.c., p.223, fig. 1.
75. Ibidem, p. 230-5.
76. Exemples de graffites de peres divins ou de pretres a Karnak: G4,4;
14,6; KS,2; R1,21 ; R9,38; R10,11 ; GG3,1. Graffites de grands pretres: Rl1
2-3 (Herihgr, P. BARGUET,O.c., p. 257); F4 1 (Masaharta, ibidem, p.251).
77. LA II, col. 1003; P. BALLET,BIFAO 82, 1982, p.75-83.
78. Voir par exemple un graffite du Ouadi Hammamat avec un Harpocrate
dont la titulature regroupe les deux fonctions (1. COUYAT, P. MONTET, Les
inscriptions hieroglyphiques et hieratiques du Ouiidi Hammiimiit, n° 58, p. 54-58 et
pI. xv).
79. L. PANTALACCI,C. TRAUNECKER,El Qal'a I, Introduction § 13, 17-19,
scenes 7 et 3, 50 et 44, 46 et 42, 48 et 51, 55 et 49.
80. Par exemple a la scene n° 521 du temple d'Esna (S. SAUNERON,Esna
IV) gravee sous Trajan (abattage et harponnage de l'ennemi) repond en symetrie
une scene d'offrande a Montou-Re, divinite guerriere, gravee cent cinquante
ans plus tard sous le regne de Philippe (249-51) (scene n° 488).