Bibliothquedel 194 Ecol

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A
AUZIAS MARCH
ET SES
PRDCESSEURS
ESSAI SUR LA POSIE AMOUREUSE ET PHILOSOPHIQUE
EN CATALOGNE AUX XlVe ET XVe SICLES
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/bibliothquedel194ecol
Armoiries de Pre March.
ibiiothque Nat.de Pans, MsEsp. 192
p.
74
Armoiries d'Auzias March.
Bibliothque Nat.de Paris. Ms.Esp. 192
p.
84
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ET SES PREDECESSEURS
ESSAI SLR L \ POSIE AMOUHELSE ET PHILOSOPHIQUE
EN CATALOGUE AUX XIV ET XA SICLES
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BIBLIOTHQUE
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DE L'ECOLE
DES HAUTES TUDES
PUBLIEE SOUS LES AUSPICES
DU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
SCIENCES HISTORIQUES ET PHILOLOGIQUES
CENT QUATRE-VINGT-QUATORZmME FASCICULE
AUZIAS MARGH ET SES PREDECESSEURS
ESSAI SUR LA POSIE AMOUREUSE ET PHILOSOPHIQUE EN CATALOGNE
AUX XIV' ET XV SICLES
AMDE PAGES
DOCTEUR KS LETTBES
l'HOFESSKDR AU 1.TCE DE LA ROCHELLE
Avec une planche en couleurs
PARIS
V
LIBRAIRIE
HONOR CHAMPION, DITEUR
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A LA
MMOIRE DE MON BEAU-PRE
M. Kdouard MADELAINE
inCMEDR EN CHEF
DE LA VOIE AUX CBEMIKS DE rER DE l'kTAT
Niv
AVANT-PROPOS
Le chapitre crhistoire de la littrature catalane que je me
suis propos d'crire intresse la France plus d'un titre.
Des deux cts des Pyrnes orientales se parle encore la
Langue dont s'est servi k pote classique de l'ancienne Ca-
talogne^ celui qui est l'objet principal de notre tude. A l'po-
que d'Auzias March, plus srement
qu'aujourd'hui,, cette com-
munaut d'idiome tait l'indice d'une identit de race^ d'une
ressemblance dans les murs et dans les gots, auxquelles nous
ne saurions rester indiffrents sans ngliger l'histoire d'une de
nos rgions.
En outre, les relations httraires de la France et de la Ca-
talogne ont t si troites, aux xiv^ et xv^ sicles, jusqu'aprs
la mort d'Auzias March, que l'on peut voir dans la vieille posie
catalane comme un prolongement de notre littrature. Sans
doute, nos troubadours ne vont plus chercher un refuge auprs
des rois d'Aragon, comme l'avaient fait leurs prdcesseurs
aprs la bataille de Muret, et exciter par leurs chants l'mula-
tion de leurs nouveaux compatriotes.
Mais la langue nationale
de la monarchie aragonaise, bien que se propageant chaque jour
davantage dans les pays rcemment
conquis, reste l'organe de
la vie famihre et de la prose. Il faut pour l'art divin des potes
un instrument spcial, qui ait dj
fait ses preuves, et l'on 'con-
tinue versifier en provenal, ou plutt en ('limousin)), suivant
l'expression encore usite de Ramon
Vidal de
Besal'i. La Cata-
logne n'est qu'une province potique de la langue d'oc. Aussi
l'appel que lancent les sept bourgeois de Toulouse, aprs la
fondation, en 1323, du Consistoire de la Gaie Science, est-il en-
tendu par del les Pyrnes. Les Catalans prennent part
ses
concours. L'institution est pour ainsi dire commune aux deux
pays voisins jusqu' l'tabhssement Barcelone, en 1393,
d'une
Acadmie autonome.
AVANT-PROPOS
Ce besoin d'une organisation indpendante se fait sentir
l'heure mme o l'influence franaise est son maximum. Les
crivains du royaume d'Aragon ne songent pas tant se passer
de la France qu' rivaliser avec elle et par les mmes moyens,
en transportant dans leurs uvres les formes et l'esprit de notre
posie. Ils composent en provenal ou mme en franais, mais
dans leur provenal se rencontrent des catalanismes de plus en
plus nombreux, voire mme des gaucheries qui semblent annon-
cer comme ncessaire et imminent l'abandon de la parlure li-
mousine .
Mais si la langue littraire se catalanise, le prestige de la
France n'en demeure pas moins vivace. Il grandit mme dans la
seconde moiti du xiv^ sicle. Ce n'est pas seulement la France
du Midi qui s'impose la Catalogne. La France du Nord p-
ntre maintenant jusqu' elle. On en adopte, Barcelone et
Valence, les livres et les coutumes.
Dante affirme, dans son opuscule sur le langage vulgaire, que
la langue d'oc a fourni l'Italie les modles de la posie lyrique,
tandis que de la langue d'ol drive toute la posie narrative.
Il en a t de mme en Catalogne, avec cette particularit que
l'imitation de nos trouvres s'y est faite en gnral plus tard
qvi'ailleurs.
Deux genres dominent, en effet, la posie catalane vers la fin
du xiv^ sicle. Ce sont, d'une part, les contes, les nouvelles ri-
mes
comme on les appelle, la manire de nos lais et des ro-
mans bretons. On
y
retrouve leur prolixit et leur simplicit
nave. Un manuscrit encore indit nous a permis d'ajouter de
nouveaux
spcimens ceux que nous possdions dj, et quel-
ques-uns sont prcisment dus aux deux principaux initiateurs
littraires
d'Auzias, Jacme et Pre March, son oncle et son
pre. Tous ces pomes romanesques, dont la plupart procdent
de la Table Ronde, abondent en termes provenaux. C'est la ru-
nion de la France et de la Provence dans l'me catalane.
Les mmes crivains composent, d'autre part, des chansons
et des sirvents suivant les formules et dans la langue des trou-
badours,
mais en faisant encore de frquentes allusions nos
chansons de geste et notre littrature narrative. Ils ne s'as-
treignent
pas ne chanter que la Vierge et les Saints, comme le
recommande le Consistoire de Toulouse. Ils ont les yeux fixs
sur les
chefs-d'uvre
des sicles prcdents.
AVANT-PROPOS
IX
L'influence de la France sur Auzias March n'est pas moins
relle^ mais elle est plus subtile et d'autant plus malaise d-
finir qu'il s'y ajoute^ dans une certaine mesure, celle de l'Italie.
Si sa langue est nettement catalane, les rgles de la versification
et le style le rattachent encore la Provence. Il n'innove, pro-
prement parler, que par l'emploi systmatique, dans quelques
pices, des rimes fminines, suivant l'exemple de Dante et de
Ptrarque. En revanche, le fond est peu prs exclusivement
d'origine franaise dans les p.osies d'amour. Il reconnat lui-
mme qu'il a got les chansons de geste de la doulce France
,
et il s'est nourri de la matire de Bretagne. Il a surtout cultiv
la Gaie Science telle que l'avaient enseigne les troubadours.
C'est de leurs thmes qu'il s'est servi, mais il a eu le mrite d'en
montrer la vritable porte l'aide du De Amore d'Andr le
Chapelain et de V Ethique Nicomaque.
A-t-il eu une ide claire de la relation qui a exist,
au xii^ sicle, entre la thorie pripatticienne de l'amiti et la
<ioctrine de l'amour labore en France par les potes et les
grandes dames du temps ? Il semble, vrai dire, qu'elle lui a
chapp, tout comme Andr le Chapelain lui-mme, qui nous a
dvoil cependant les secrets des premires prcieuses . Mais
il a certainement mis profit l'Ethique du philosophe grec et
prcis ainsi, en remontant sans le savoir sa source philoso-
phique, la conception de l'amour qui a inspir, du xii^ au
xvii^ sicle, toutes les littratures modernes.
C'tait une singulire gageure que celle qu'imaginrent
-quelques esprits d'lite dans les hauts rangs de la socit fran-
aise, au temps d'Alinor d'Aquitaine. Faire de l'amour, non
pas une passion inluctable et fatale, mais une amiti volon-
taire et libre, comme celle qui, suivant Aristote, unit les amis
vertueux, se servir de l'exaltation morale qu'il produit et du
surcrot d'nergie qu'il donne pour transformer l'homme et le
rendre capable des plus grandes actions, purifier, en un mot,
l'affection sexuelle de tout dsir autre que celui d la vertu,
voil le rve qui a enchant au Moyen ge les mes chrtiennes
et chevaleresques, le roman qui les a charmes. Au-dessous se
placent d'ailleurs deux autres espces correspondant encore
exactement aux amitis infrieures distingues par Aristote.
C'est d'abord l'amour courtois proprement dit, l'amour humain
ou mixte , comme l'appellent Andr le Chapela'n et Auzias
AVA^'T-PROPOS
March la passion lgante et raffine, mais dont la fin dguise
est le plaisir. Les potes moralistes ne tarderont pas le quali-
fier de
(c
fol amour . C'est ensuite Tamour intress, dont le
m-ariage n'est qu'une varit.
Est-il besoin de dire que l'amour humain n'a point perdu ses
droits
cette poque, mme chez les potes ? Mais l'amotir pur,
l'idal de chastet et le dlitable tourment qui en rsulte,
quand on s'efforce de le raliser, les proccupent de plus en
plus, au Nord et au Midi de la France. Quelques-uns n'y voient,
il est vrai, que matire rflexion et substituent la chanson
d'amour les analyses psychologiques. La religion et la philoso-
phie favorisent du reste l'expansion et l'expression de ces ides.
Avec les troubadours se constitue dfinitivement la thorie du
pouvoir ennoblissant et moralisateur de l'amour. En Italie, on
disserte, la faon des scolastiques, sur ses diffrentes espces^
et la femme
y
revt un caractre et une forme anglique.
Mais d'autres potes, plusieurs troubadours et Jean de Meun,
prennent plaisir, presque en mme temps, rabaisser l'amour
et faire de la femme un tre vain, capricieux, complice et fau-
teur des faiblesses de l'homme.
Tous ces lments en apparence contradictoires se concilient
dans l'uvre d'Auzias March et en augmentent la complexit.
Il loue la femme qu'il pare un instant de toutes les vertus, puis
la dnigre, pare qu'il n'y trouve qu'inconstance et trahison et
qu'il ne peut cause d'elle s'lever jusqu' l'amour parfait.
Mais, qualits et dfauts de sa dame, tout en elle est pour le
pote une occasion d'exposer les sentiments de l'amour comme
l'avaient fait saint Thomas et Aristote. Il s'efforce visiblement
d'en donner une description scientifique. Par l il exagre une
tendance qui s'tait dj manifeste chez ses matres ordinaires^,
mais qui n'a pris tout son dveloppement qu'en Italie.
La philosophie tient encore plus de place dans ses posies mo-
rales. Sa Chanson Spirituelle fait mme appel la thologie.
Malgr certaines ressemblances de fond et de forme avec les
troubadours, il n'est plus gure ici qu'un disciple de saint Tho-
mas et d'Aristote, Son intention avoue est bien de vulgariser,,
au sens le plus noble du mot, les thories de V Ethique Nico-
maque auqvielles il mle des lments stociens, subordonnant
encore le tout la religion. Mais dans cette partie didactique
de son uvre percent dj, comme chez ses prdcesseurs, les-
AVAJNT-PROPOS
XI
principes de la morale rationnelle qui se dgagent peu peu des
doctrines grco-romaines et des pratiques de la Chevalerie.
Par ses posies amoureuses plus que par toutes les autres,
Auzias March drive donc, en droite ligne, du Midi et du Nord
de la France. Elles attestent combien tait puissant encore en
Catalogne le rayonnement intellectuel de notre pays, au mo-
ment o l'Italie commenait cependant attirer tous les re-
gards. Or c'est surtout par ses uvres d'amour que le pote ca-
talan a exerc une action fconde, non seulement sur l'ancien
royaume d'Aragon, mais encore sur l'Espagne toute entire.
Grce lui la posie castillane du xvi^ sicle, dfinitivement ac-
quise Ptrarque et ses continuateurs, est reste quelque
peu imprgne des parfums de la Provence.
La renomme dont a joui Auzias March est due pour une
bonne part Jorge de Montemayor qui avait publi une traduc-
tion de ses uvres plus lgante que fidle. Mais, avant de l'in-
terprter, il lui avait emprunt pour sa Diana ses traits les plus
brillants. On sait avec quelle faveur ce roman pastoral fut ac-
cueilli en France. Traduit plusieurs fois, il trouva mme dans
Honor d'Urf un imitateur complaisant. En lisant le Dpart de
Sireine et VAstre, les familiers de M^ de Rambouillet ne se
doutaient pas qu'ils admiraient parfois des mtaphores et des
antithses extraites du pote catalan. Ainsi il a lendu nos pr-
cieux et prcieuses du xvii^ sicle une partie des biens que
la France lui avait donns. Ne mrite-t-il pas aussi, cet gard,
de retenir notre attention ?
Considre enfin en elle-mme, la posie d'Auzias March
nous rvle pour la premire fois, non pas une pense vraiment
originale

on prfrait alors s'en tenir au fond courant et con-


sacr par l'usage , mais une langue littraire, sonore et forte,
dtache enfin du provenal, capable d'exprimer harmonieuse-
ment, malgr les entrelacements de rimes souvent trop compli-
qus, les nuances les plus tnues des passions humaines aussi
bien que les ides les plus abstraites. Elle tait prte pour des
uvres plus compltement belles, si les circonstances politiques
n'taient pas venues en arrter brusquement l'essor.
Je voudrais que cet ouvrage ne dispenst pas de lire Auzias
March, mais ft un guide pour ceux qui il inspirerait le dsir
XII
AVA>fT-PROPOS
d'aborder ses uvres. Elles valent la peine d'tre gotes pour
elles-mmes^ mais^, si l'on veut en apprcier toute la saveur^
quelques efforts sont ncessaires. Pour les rendre plus acces-
sibles^ j'ai dress une table^ pice par pice^ des citations que j'en
ai faites et des explications ou allusions qui les concernent. Ce
sera une premire contribution leur commentaire.
Tous les renvois se rapportent l'dition critique publie par
les soins de V Institut d'Estudis Catalans, de Barcelone.
Je me suis efforc de mettre sous les yeux du lecteur les l-
ments
d'information qui m'ont permis de retracer la physiono-
mie de l'crivain et de surprendre le sens parfois cach de ses
crits. Certains penseront peut-tre que je n'y ai pas toujours
russi. J'en conviens^ rpondrai-je en leur rappelant une bou-
tade de Montemayor (1).
Qu'ils se mettent l'uvre ! Je ne pr-
tends aucunement ne leur avoir rien laiss faire. Quien otra
cosa le paresciere, tome la plumai
y
calle la lengua, que ya le queda
en que poder mostrar su ingenio.
Je ne puis terminer sans adresser mes remerciements
M. Alfred Morel-Fatio, professeur au Collge de France, qui
a dirig mes premiers pas dans l'tude d'Auzias March et des
littratures hispaniques. Il n'a jamais cess de mettre ma dis-
position, durant mon long travail, sa riche bibliothque et sa
vaste rudition.

Ce m'est galement un devoir trs agrable


de nommer ici, en les assurant de ma vive gratitude, MM. Emile
Chtelain, Alfred Jeanroy et L. Barrau-Dihigo qui ont bien
voulu me faire part de leurs connaissances bibliographiques ou
faciliter mes recherches.
Je suis heureux enfin de rendre un public hommage aux
nombreux amis d'Espagne qui m'ont prt un concours empress
et sympathique. Qu'on me permette de mentionner, Barce-
lone, D. J. Mass Torrents, dont le savoir et le dvouement
m'ont toujours t d'un prcieux secours, et D. Antoni Rubi
y
(1)
Prface de la traduction de 1560. Voy. notre lutioducci a Vedici
critica de les obres d'Au7ias March, Barcelona, Institut d'Estudis Catalans,
1912, p.
88.
AVANT-PROPOS
XIII
Lluch^ professeur l'Universit et prsident de V Institut d'Es-
tudis Catalans
;
Valence, le D^* J. Rodrigo Pertegs et le cha-
noine archiviste D. Roque Chabs
;
Madrid, D. Antonio Paz
y
Mlia
;
Majorque, D. Estanislau Aguil. Je les prie tous de
croire ma reconnaissance.
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Documents indits relatifs la vie d'Auzias March. Dans Ro-


mania, XVII
(1888), pp.
186-206.

Observations sur l'utilit d'une cditiou criliquc


d'Auzias March pour
l'tude de la langue et de l'orthographe catalanes. Dans Primer Congrs In-
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gr. in-8,
pp.
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Saint Ambroise et la Morale chrtienne au iv^ sicle. Paris


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Thomas d'Aquin (Saint).

Summa Theologica. Dans la Patrologie de
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2 srie. Paris, 1853-60, 5 vol. in-8.
TiCKNOR (J. G.).

Histoire de la littrature espagnole (trad. Magnabal). Pa-


ris, 1864-72, 3 vol. gr. in-8.
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Jacine I^"^ le Conqurant. Paris, 1863-67, 2 vol.


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Velasco y Santos (Miguel).

Reseiia histrica de la Universidad de Valen-


cia. Valencia, 1868, in-4.
ViciANA (Martin de).

Segunda parte... Tercera parte de la Crnica de
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VossLER (Karl).

Die philosophischen Grundlagen zum siissen neuen Stil
des Guido Guinicelli, Guido Cavalcanti und Dante Alighieri. Heidelberg,
19Q4, in-4.
ZuRiTA (Gernimo),

Anales de la Corona de Aragon. Zaragoza, 1610, 4 vol.


in-fol.
AUZIAS MARCH
ET SES PRDCESSEURS
PRE^IIKRE PARTIE
Auzias March et sa famille
CHAPITRE PREMIER
LES SOURCES DE LA BIOGRAPHIE D AUZIAS MARCH
ET DE SA FAMILLE
La vie d'Auzias March est resie longtemps presque incon-
nue. Deux ou trois notices^ indfiniment reproduites^ avaient
constitu^ jusqu' la fin du sicle dernier, tout le bagage des
rfrences biographiques. La premire est l'uvre d'Hierony
Figueres qui a compos, Valence, en 154G, un recueil ma-
nuscrit des uvres de notre auteur
(1).
Dans sa prface (pf'O-
lech) il mentionne avant tout autre, mais quatre-vingt sept
(1)
C'est le manuscrit 11 3695 de la Biblioteca Nacional de Madrid, dsign
et dcrit sous la lettre E dans l'Introduction notre dition critique. Nous
avons publi [Romania, XVII, 205) une partie du Prolech. D. J. Mass Ton-
RENTS (Manuscrits calalans de la Bihl. \ac. de Madrid, p. 48),
l'a reproduit en
entier. Il a t excut sur l'ordre de D. Luis Carro de Vilaragut, bailli gn-
ral du royaume de Valence, et la demande de la ( noble Dona Angela Borja
y
de Carro de Vilaragut. On lit, d'aprs Rubi y Ors (Ausias March
y
su
poca,
p. 34), sur un exemplaire des uvres d'Auzias March de 1555 ayant
Am. Pages.

Auzias Marrh.
1
l CHAP. I. SOURCES DE LA BIOGRAPHIE D AUZIAS MARCH
ans aprs la mort du pote^ quelques renseignements sur sa
vie. Les uns^ exacts et puiss des sources dignes de foi^
les autres purement imaginaires^ tous sont recueillis indis-
tinctement par Juan de Resa en tte de son dition de 1555 et
passent^ de l^ dans les tudes biographiques ou bibliogra-
phiques
postrieures. La Vida del Poeta que Diego de Fuentes
a crite en 1562 pour la traduction de Montemayor n'en est
qu'un
dveloppement prtentieux.
Gaspar Escolano (i), et, beaucoup plus tard, Rodrigo Ri-
bera
(2)
sont peu prs les seuls, avec Fr. Cerd
y
Rico
(3),
quf
aient enrichi de quelques nouvelles contributions cette tradi-
tion ininterrompue. Le dernier surtout, utilisant pour ses Notas
al Canto de Turia, o Gil Polo clbre les hommes illustres de
Valence, les recherches de trois rudits valenciens du xvin^ si-
cle, J. Antonio Mayans
y
Siscar
(4),
Jos Mariano Ortiz
(5),,
et Fr. Xavier Borrull
(6),
a t le plus complet des anciens
biographes d'Auzias March.
appartenu D. Manuel de Bofarull, la note suivante : Francesch Jharoni
Ramo demanda de serta senyora noble palenciana escrigu mol difusament la
vida del magnifich
y
strenuo caballer Mossen Ausias March . Cette biographie^
qui n'a pas t retrouve, ne serait-elle pas celle d'Hierony Figueres ?
(1)
Historia de la insigne ciudad de Valencia (Valencia, 1610-11, pet. in-fol.),
t. II, liv. X, ch. XXIX, col. 1698, n 5. Escolano semble avoir mis profit le
Libre de Metnories de la ciutat e rgne de Valencia dont im rpertoire manuscrit
se trouve la Bibliothque Nationale de Paris (Esp. 147).
(2)
Sa Milicia Mercenaria prsente sur quelques membres de la famille
March des faits prcis, puiss aux archives d'Aragon. On ne peut pas accorder
la mme confiance son prdcesseur Samper, qui parle toujours par ou-dire
et raconte par exemple que le chteau d'Arampruny est situ dans la viguerie
du Vallespir, en face de Cret ! (Montesa ilustrada, II,
p. 485, n^ 806).
(3)
La Diana i^namorada por Gaspar Gil Polo, con notas al Canto de Turia
(Madrid, 1802, in-8). Le prologue de l'diteur Fr. Cerd
y
Rico et la premire
dition sont de 1778.
(4)
Voir plus bas, p. 11,
l'indication du manuscrit communique Cerd
par J.-A. Mayans.
(5)
Les renseignements dont Cerd est redevable J.-M. Ortiz sont suivis
de la mention Ort. qui en dsigne l'origine. Un peu plus tard, le^mme Ortiz
est revenu sur certains dtails de la vie de Jacme Roig et d'Auzias March dans
son Informe
hisirico, rronolgico, palatino lgal (Madrid, Andrs de Sotos,
1782, in-fol.), p.
38. Cf. Eei^ista de Archivas, 1906, p.
214.
(6)
On trouve aussi du mme auteur, quelques lignes relatives Auzias
March dans son Exposicin la Real Academia de S. Carlos, Valencia, 1821,.
in-40, p.
6-7.
DOCUMENTS PUBLIES

De 1778 1873, aucune indication novivelle ou, tout au
moins, vraiment digne d'intrt, ne se rencontre dans les tudes
qui paraissent sur Auzias March, mme dans celles de J. Maria
Quadrado et de M. Mil
y
Fontanals, si remarquables d'au-
tres gards. Ils se contentent de rpter ce que l'on sait depuis
prs d'un sicle
(1).
Que de points obscurs et douteux il reste
pourtant lucider ! Hormis quelques faits rvls dans les
sicles prcdents, tout ou presque tout est connatre dans
l'histoire de notre pote. Les trois provinces de l'ancien
royaume d'Aragon continuent se disputer l'honneur d'avoir
t le berceau de ses anctres. On ne sait rien ou presque rien
de ses parents ni de ses allis, et, si la date de sa mort est ap-
proximativement fixe, celle de sa naissance est compltement
ignore.
La dcouverte que fit Miguel Velasco, dans les Archives g-
nrales du Royaume de Valence dont il tait le directeur, du
testament d'Auzias March et de l'inventaire de ses biens, vint,
vers
1873,
jeter un jour tout nouveau sur la vie prive du
pote. Signals et brivement cits par Rafal Ferrer
y
Di-
gne
(2),
ces documents de la plus haute importance ont t
entirement publis par nous
(3),
en 1888, avec deux lettres
extraites des Archives de Barcelone. Entre temps, J. Torres
y
Reyet
(4)
crivait l'histoire du chteau d'Arampruny, une
des possessions de la famille des Marchs, et J. Rubi
y
Ors fai-
sait couronner par les Jochs Florals de Barcelone sa monogra-
phie Ausias March
y
su poca
(5),
o sont exhumes, en appen-
dice, un petit nombre de pices intressantes.
L'anne 1901 a t particulirement fertile en publications
relatives Auzias March et sa famille. Dans le numro de
juin de la Revista de Archivas paraissaient d'abord, sous la si-
(1)
Les notices de Torres Amat [Diccionario crtico de los Escritores
catalanes) ont un caractre surtout bibliographique. Ce n'est gure qu'
l'article Jaime March que nous lisons un document inconnu jusque-l.
(2)
Estudio hislrico crilico sobre los polas i'alencianos de los siglos XIII,
XIV,
y
XV,
pp.
34-35, et 93.
(3)
Am. Pages, Documents indits relatifs la vie d'Auzias March dans la
Romania, XVII, 186.
(4)
Memorias de la Associaci Catalanista d'e.rciirsins cienti/icas, III (1879),
p.
33-64.
(5)
Couronne en 1879 et publie seulement en 1882.
4 CHAP. I.

sorncEs de la biographie d auzias march
gnature de D. Antonio Paz
y
Mlia_, l'minent bibliothcaire
de Madrid, des yoticias para la i'ida de Ausias March, re-
cueillies, vers le milieu du xix^ sicle, par un fureteur in-
connu
(1).
Nous avons dj apju^ci ailleurs
(2)
l'importance
des ces notes pour la biographie des ascendants du pote, et^
notamment, de son pre. Mais, en ce c[ui concerne Auzias
March, elles offrent une simple analyse des documents que la
Romania avait fait connatre treize annes auparavant.
L'origine de ces notes est encore mystrieuse. Si nous avons,
pour la dernire partie, les textes authenticiues d'o elles ont t
extraites, soit directement, soit indirectement, il n'en est pas
de mme pour la premire, et, malgr nos recherches dans les
archives publiques ou prives, nous n'avons pas pu savoir o
leur auteur anonyme a consult les pices relatives aux an-
ctres d'Auzias March, et, entre autres, le testament de Pre
March. Leur existence ne saurait cependant tre mise en doute,
d'autres pices qui nous restent
y
faisant de frquentes allu-
sions. Mais il s'est peut-tre gliss clans le rsum qui en a t pu-
bli, ct de faits certains et exactement transcrits, quelques
conjectures propres au compilateur ou l'diteur. Ces notices
ne peuvent donc tre acceptes qu'avec de grandes prcau-
tions, chaque fois cju'elles ne sont pas confirmes par d'autres
documents.
Plus indiscutables sont tous gards les trois diplmes
royaux dcouverts dans les Archives de Valence et copis par
le D^ J. Rodrigo Pertegs, Nous les avons fait prcder d'un
(1)
Voici ce que m'crivait sur ce sujet D. A. Paz
y
Mlia, le 23 aot 1901 :
Mucho me alegrari'a poder contribuir al resultado con los documentos que
V. me cita
;
pero V. compreader que de haber los tenido, hubicra publicado
alguno en el articulo de la Re<,'ista de Archivos
,
donde solo me limito ligeros
extractos indicaciones. Estes fueron sacados de un frrago de notas que mi
buen amigo, D. Bonifacio Martinez, me entreg hace anos,
y
quehabia recibido
de un Valenciano, pariente amigo suyo, que recogia noticias de censales,
acequias, derechos de aguas, etc., sin duda despus de recorrer los protocoles
de varies archives de Valencia. Yo tuve que recortar con tijeras todo lo
referente Ausias ]M.arch, para ahorrarme la copia (perque la letra era de me-
diades del siglo xix)
y
pegar los recortes sobre las cuartillas, entregande les
otres papeles de censales de la familia March
y
sus parientes al citado Sr Mar-
tinez. Nada hubiera V. sacade de elles, perque los estudi bien,
y
acordndome
de V., del Sr. Rubi
y
Ors, etc., tuvc buen cuidado de entresacar los nombres de
les escribanos, per si les era dable algn dia buscar les prolecolos...
(2)
Rev'ista de Bihliograjia Catalana, I, 129-132.
DOCUMENTS PUBLIES
bref commentaire dans la Rei'ista de Bibliografia Catalana
(juillet-novembre 1901),
o ils ont t imprims zn extenso.
Presque en mme temps, D. Gabriel Llabrs nous adressait,
par l'intermdiaire de la Revista critica de Historia
y
Lileratura
(nov. et dc. 1901, p.
333-337), une Carta Abierta o il r-
sumait dans ses grandes lignes un mmoire rdig au xvi^ sicle
en vue d un procs intent par les hritiers de la sur d Auzias
March aux hritiers de son frre. Ce factum, uvre de quelque
avocat valencien, se trouve aujourd'hui aux Archives de la
Audiencia, de Palma de Mallorca, et permet de prciser cer-
tains points de la vie d Auzias March et de mieux connatre
l'tat de son patrimoine. Nous avons pu obtenir, grce l'obli-
geance de D. Estanislau Aguil, les passages les plus intres-
sants pour nous de ce document, dont voici le titre exact :
Mmorial de la causa e procs de demanda ypothecaria que s
mena entre lo thagnifich moss en Johan Toisa caualler,e o la noble
doua Angela Toisa e de Muncada, muller del noble don Cast
de Muncada, jilla e hereua de aquell dit mossn Johan Toisa de
una part, e los nobles don Luys d' hier e dona Beairiu de Sandoi'al
coniuges, e per ells lo noble don Gaspar de Hi belles, de la part
altre.
Ngligeant les diffrentes prtentions des parties entre les-
quelles il est difficile et, du reste, inutile de se prononcer, nous
n'invoquerons ce Mmorial que pour les faits l)ien tablis, qui
n'ont aucun caractre litigieux.
Si nous ajoutons ces travaux un court article de D. J. Pi-
joan, avec un nouvel apport, dans la Revista de Bibliografia
Catalana, III,
1903, pp.
39-45, et, d'autre part, notre Etude
sur la Chronologie des posies d' Auzias Mardi
[),
o sont rele-
vs, runis et organiss tous les renseignements biographi(iues
ou historiques contenus dans son uvre, nous aurons la liste
des efforts les plus marquants qui ont t faits depuis le xvi^
sicle, en Espagne et en France, pour reconstituer la vie d'Au-
zias March et de sa famille.
Telles sont les sources, aujourd'hui connues, auxquelles
nous aurons recours dans notre biographie. Mais les faits
qu'elles nous fournissent sont, il faut bien ea convenir, encore
trop peu nombreux et ne nous permeltraicnl {)as, si nous de-
(1)
Romania, XXXVI (1907), pp.
203-223.
6 CHAP. I. SOURCES DE LA BIOGRAPHIE d'aUZIAS MARCH
viens nous en contenter, de dgager la vritable physionomie
de notre personnage et de son milieu. Ce serait faire presque
fatalement une uvre conjecturale et hypothtique, o Tima-
gination tiendrait plus de place que la ralit. Heureusement
les documents indits sur Auzias March et les siens abondent,
et nous avons pu par des recherches mthodiques en retrouver
un grand nombre qui renouvelleront et enrichiront, je Fespre^
cet essai biographique.
II
Voici un aperu des sources inexplores auxquelles nous
avons puis :
I.

Madrid. Biblioteca de la Academia de la Historia. Collection
Luis de Salazar
y
Castro : Ms. G. 37. Trois lettres (fol. 30vo-31,
36, 41 vo) de l'infant Pierre d'Aragon, le futur Pierre IV le
Crmonieux, dates, la premire, du 13^
jour des calendes
de fvrier
1334, les autres de 1335. Elles nous renseignent
sur un bisaeul (Pre March) et un grand-oncle d'Auzias
March (Perico March), fils l'un de l'autre.
II.

Madrid. Archii'o Histrico Nacional
(1).
A. N^ 222. Jernimos de Cotalha : Deux parchemins, l'un
du 8 janvier 1409, est le contrat de mariage de Pre
March pus jos'e, avec Na Constana Cifre, l'autre, du
20 septembre 1412, est l'inventaire aprs dcs des
biens de la dite Na Constana
;
B. rSI^ 224.

Cartuja de Portacli, en Serra : Quatre
parchemins
(7
dcembre 1460, 6 fvrier
1461, 5 jan-
vier 1462, 3 mai 1465) concernant la succession d'Auzias
March
;
(1)
Les numros indiqus sont ceux du classement de 1871, encore en usage
en
1888, quand nous avons fait nos recherches. Voir Invenlario del Archiva His-
trico Nacional, Madrid, 1871, broch., 12
p.
DOCUMENTS INEDITS
7
C

N'^ 236.

Varias de Valencia (legajo
13) : Deux do-
cumentSj dont l'un^ en parchemin, du 7 dcembre
1460,
sur la succession d'Auzias March
;
l'autre est le borde-
reau, sur }3apier, de deux dossiers notariaux o sont
mentionnes plusieurs pices relatives la mme suc-
cession
;
D.

De nombreux renseignements sur les parents ou
homonymes et sur les allis des Marchs :
N^ 192.

Jernimos de San Miguel de los Reyes, en
Valencia
;
N 209.

Mercenarios de la Merced, en Valencia
N^ 211.

Dominicos de Santo Domingo, en Valencia
N'' 218.

Dominicos de Santo Domingo, en Jtii>a
N 222,

Varios testamentos
y
codicilos, de Valencia
N 224.

Cartuja de Portacli, en Serra
;
N" 225.

Cistercienses de Nuestra Sehora de Val-
digna, en Benifair
;
N 236. Varios de Valencia (leg. 2, 3, 9,10, 12, 15, 17).
III.

Madrid.

Archivo del Duque de Osuna.
A. Osuna, 2206
1.
Procesos de Cortes, ad annum 1401.
B.

Archivo consistorial de Gandi'a.
1. Estante 20-tabla l'-n 10. Libro de procesos
tocantes las obras del ro Alcoy con Vernia,
y
sobre contiendas de haber puesto Gandia guardas
en el azud de Mosn March,
y
diferentes contien-
das sobre aguas .

N^ 14 Firma
y
contrafirma de derecho sobre el
azud de Mosn March (1595) .
2. Estante 3-tabla l*-n 3. Libro de concordias de
de los azudes de En Carroz
y
de En March .
3. Lios de pergaminos. Cajn 3.

n 12,
Jun-
tamiento por Pedro March, senor de Beniarj,
favor de Gaiidi'a, de un censo de 36 lihras de ca-
pital
y
lo que se le debia por prorrata hasta 5 de
julio de 1388, ante Bernardo de Boti .
C.

Gandia
(1).
(1)
Tous les pai>ier3 relatifs Gandie avaient t classs, vers la fin du
xviii^ sicle, par fray Liciniano Saez, archiviste de la duchesse de Benavente.
CHAP. I. SOURCES DE LA BIOGRAPHIE D AUZIAS MARCH
564

3. Acequia de Berniza. Sobre su ereccin
y
conservacin entre Gandia, Palma
y
Ador. Anos
desde 1457 1508 en Ganda
;
700

1. Ratificacin de las niereedes que el In-
fante D, Pedro
y
los reyes Alfonso padre hijo
hicieron de la juridiccin civil^ criminal de Be-
niarj a D. Ramon Castell^ de Pardines
y
Bernia
Mossen Pere^ Ausias Mardi.

Original papel
en forma de cuaderno
y
autgrafo del monarca.
Zaragoza, 20 Abril 1425. Description, un peu
inexacte, des documents publis dans la Rei'ista de
Bibliografia Catalana, \\,
139-153 :
700 2. Beniarj. Testimonio de la merced de la ju-
ridiccin criminal en Beniarj
y
Pardines hecha
por el rey Juan de Xavarra a Mossen Ausias March^
sin perjuicio de la que tnia Gandia.

Concordia
entre Ausias
y
Gandia
(1433)

;
Capitulaci fta e fermada entre la Universitat de
la Villa de Gandia e Mossen Ausias March sobre la
juridicci de Beniarj (16 juillet 1433)
;
707.

Almoynes.

Escritura de venta favor de
Arnaldo March de tierras en la alqueria Alfarraci
(1334,
pergO)

;
1121.

Registre de les letres e cartes del molt ait
senyor Do Alfonso, marques de Villena, comte de
Ribagora, e constable de Castella (Annes 1383-
84);
1121.

Autre registre de cartas ducales
(1388)
;
1121.

Protocoles Johan de Lorqua
(1414, 1415,
1418)
;
1122.

Protocoles Ramon Agualada
(1406)
;
1172.

Registre de cartas ducales
(1399)
;
1172.

Protocoles Ramon Agualada (1394-95)
;
1209.

Protocoles Pugeriol
(1415)
;
1210. Protocoles Pre Belsa (1423-24, 1430, 1432,
Un nouveau classement a t opr vers 1900. Nos indications sont conformes
ce dernier classement, mais nous avons conserv quelques-unes des rubriques
de Saez en langue espagnole.
DOCUMENTS INDITS
9'
1434, 1436, 1438, 1439, 1445, 1446, 1447, 1450,
1451, 1452, 1455, 1457).
Notai P. Belsa (1449-1450)
;
1211.

Protocoles Pugeriol
(1420)
;
1212.

Protocoles Pugeriol
(1417) ;
Protocoles Pre
Belsa (1426, 1443, 1444, 1448).
IV.

Valence
(1).

1. Archwo gnerai del reyno.
A.

Comunes Val. Alf. III [ad annum
1427)
;
Comunes R. D. Juan (1433-1439, lo I)
;
Comunes de la reyna D" Maria, n"
5,
leg. l''
(1443)
;
Comunes Valencie D Joan Segundo, n 2
(1458)
;
Diversorum Valentie Joan. II, n 18
(1458)
;
Curiae Joan. 2 (1436-1479, lio I).
B.

Curia del Gobernador, Litium (1426,
1438-40, 1442^
1450, 1458-1, 1458-III).
C.

Mestre Racional.

Cuentas gnrales de 1425


;

Compte de Joan del Pobo lo.


j.
de joliol 1427
(5'' Cedula segona de Johan Perez de les quantitats
que ha administrades per Mossn Ffrancesch Sar-
ola, tresorep del senyor Rey, comenada dilluns
primer dia de Juliol del any M.CCCC.XXVI)
;

Racional , ij. de Ffrancesch Sarola (any 1426)


;

Compte de Franges arola (any 1426)


;

Compte den Ffrancesch Sarola (any 1427)


;
4 Compte racional 48,
Frances arola, tesorer gne-
rai de la Corona de Arag
(1427) ;

Ordinari cinqu den Ffrancesch Sarola caualler,.


doctor en leys, conseller e tresorer del Senyor Rey,
comenant lo primer dia de Janer del any
M.CCCC.XXVIII;

Sisena cedula de Johan del Pobo


comenada lo
primer dia de Joliol del any
M.CCCC.XXVIII.
(Compte de Joan del Pobo lo .j.
de joliol 1427
1)
-,
(1)
Le D"" D. Rodrigo Pertegs a bien voulu continuer nos fouilles dans les
divers dpts d'archives de Valence qu'il connat parfaitement, et nous lui
devons tous les documents de VArchiva gnerai compris dans les sections B et
C, ainsi que ceux de la Curia Eclesislica. Son concours nous a t des plus
utiles et nous l'en remercions sincrement.
10 CHAP. I. SOURCES DE LA BIOGRAPHIE d'aUZIAS MARCH

Ordinari sise (du


l^r
juillet 1428); cuenta VII
(lei"
janv.-30 juin 1429);
ordinari VIIIJ.,
(1er
janv.-
30 juin 1430); ordinari X (du
l^r
juillet
1430); ordi-
nari XI
(l^r
janv.-30 juin 1431) den Ffrancesch
Sarola
;

Copia original de las cuentas del Baile Juan Mer-


cader. Afio 1429
;

Registro apocas de la Bailia^ t. 6


(1443).
D. Protocoles de Berenguer Cardona
(1456^ 1458^
1459) (1).
2.

Archwo de la Curia Eclesistica.
A. 22

187.

Sous cette cote sont compris cinq
groupes de documents relatifs au bnfice de la
chapelle Saint-Marc de la Seu. Voici^ avec les nu-
mros des pices^ les fragments du premier groupe
qui nous intressent plus spcialement :
a) La Seu. In Capella S^^ Marci. N. 35. R. X 2.
S. Marcos Evangelista.

10 novembre 1480
(Fol. VII) Testament de Berenguer March^ des
25-28 fvrier 1341
;

(Fol. XXIV) Dclaration


de l'vque de Valence en faveur de Pre March^
du 27 juin 1385
;
b) Jacobum Torrella et Gabrielem Sam;.
(Fol.
VIII) Preterea vero die septima mensis junii 1485...;
(Fol. W\o) Ceterutn vero die octaua niensis Julii
anno 1485...;

(Fol. XXVII) Die sahhati XXIII
Julii anno predicto 1485... Et jacit vohis fidem et
ocularem hostensionem de actis desuper vanatis si
et in quantum...
;
c) Blanes

Sanz

Regestrum processus cause
beneficialis beneficii fundati in Sede sub S'^ Marci
invocatione.

(Fol. IX) Depost autem die inti-
lulata dcima tercia mensis Junii anno 1522...
3.
Archiva Metropolitano.
N 3883. Protocoles Pau Rosell
(1451).
4.

Archii>o notarial.
Protocoles de Pre Rubiols fl465).
(1)
J'ai revu attentivement, en 1901, le texte des documents extraits de ces
deux derniers protocoles et publis dans la Romania, XVII,
pp.
190-204.
DOCUMENTS INDITS 11
5.

Colegio del Patriarca.
Notai de Bartolom BataJla
(1458)
;
N*^ 655. Protocoles de Bartolom Batalla
(1462);
N 806. Protocoles de Pre Belsa
(1427).
V.

Gandie.

ArchU'o municipal.
Fragment de Protocole de l'anne 1447.
VI,

Barcelone.

Archi\'o gnerai de la Corona de Aragon.
Procesos originales de Cortes, t.
8, 9^ 27^^
32
;
Registro 196
;
Reg. 858 Gratia I, Petii III, Pars I
;
Reg. 2254 Martini.
\\\.

Palm A de Mallorca.

Archii'o de la Audiencia.
Liber Allegationiun. (A la fin se trouve le Mmorial cit
par D. Gabriel Llabrs dans sa Carta abierta et dont
nous devons d'abondants extraits D. Estanislau
Aguil^ bibliothcaire de Palma).
VIII.

Paris.

1. Bibliothque jSationale.
Ms Esp. 147. Libre de memories de diverses sucessos e
fets mmorables e de coses senalades de la ciutat e
rgne de Valencia e de elecciohs de jurats e altres offi-
cis de aquella.
Ces annales de Valence vont de 1308
. 1644 et ont t compiles, d'abord par Frances Joan,
puis par Frances March (qui tait n en 1556, fut plu-
sieurs fois jur de Valence et vivait encore en 1614),
enfin par Joan Llucas Yvars (Voir A. Morel-Fatio, Ca-
talogue des Mss. espagnols de la B. N.,
p. 115).
2. Bibliothque Mazarine.
Ms. 4518. Tastu (Joseph). Notes gnalogiques et biogra-
phiques sur Auzias March.

13 ff,
IX.

Cheltenham. Bibliothque de sir Thomas Phillipps.
Ms. n 8185. Noticia de varios autores
y
obras espanolas,
especialmente de todos los poetas Valencianos quai
comunic D^ Francisco Cerda D Juan Antonio
Mayans. In-4 de 151 ff.; mais plusieurs ont t arra-
chs, un peu partout. Il manque, notamment,
presque
toutes les pages sur la vie d'Aozias March. Toutefois la
12 CHAP. I. SOURCES DE LA BIOGRAPHIE d'a\ ZIAS MARCH
comparaison de ce qvii reste du travail de Mayans
(1)
avec les Notas al Canto de Turia nous fait croire qu-e
Cerd en avait utilis l'essentiel.
III
Tous ces tmoignages officiels ou privs de l'activit d'Auzias
March que novis avons minutieusement recueillis dans les ar-
chives ou les bibliothques comme dans les travaux de nos pr-
dcesseurs^ partout o subsistent quelques indices capables de
nous rvler cet homme et cet auteur d'avitrefois^ nous auto-
risent tenter enfin une tude d'ensemble sur sa vie et sur sa
famille.
Mais les documents que nous livrent les archives sont
presque toujours en un sens choses mortes. Ils enregistrent des
rsultats sans rien nous montrer des mditations et des tats
d'me qui pourraient les expliquer.
D'autre part^ quand on n'a que le livre d'un auteur^ on
risque de n'y trouver que des ides combines et exprimes
avec art^ mais sans relation apparente avec le milieu o il a
vcu^ ni avec les vnements qui ont fait battre son cur.
Une double tche s'impose donc au biographe d'un pote
tel qu'Auzias March. Il doit^ sous peine d'tre superficiel et
incomplet^ tudier l'uvre la lumire de la biographie et la
biographie la lumire de l'uvre. Il ne comprendra son tour
d'esprit^ son caractre et son humeur que s'il connat certaines
particularits qui ont influ sur sa pense avant de se reflter
dans ses crits^ et^ rciproquement^ les dtails que nous offrent
les registres des notaires ou les dossiers d'avocats restent vagues
et dnus d'intrt tant qu'on n'en a pas vu les rapports avec
(1)
Une intressante lettre de J. Ant, Mayans
y
Siscar, date du 25 mars 1783,
a t publie par la Revista critica de Historia
y
Literalura, V. 269. Rpondant
J. de Vega
y
de Sentmant qui avait cru un instant qu'Auzias March tait
originaire de Cervera et avait t tir de son erreur par les Notas al Canto de
Turia, il affirme qu'Auzias March est bien vlencien et relve quelques souve-
nirs qu'il a laisss Gandie et dans les environs.
l'homme et l'crivain
13
ses uvres. C'est pour cela qu'aprs avoir recherch, dans nos
tudes sur la chronologie des posies
(1),
l'homme sous l'cri-
vain, nous allons essayer de retrouver l'auteur travers les
documents. En l'absence d'une autobiographie ou d'une cor-
respondance c[ui nous dvoilerait plus compltement l'homme
et ses ides, nous dgagerons de ces vieux parchemins et de
ces papiers demi-rongs tous les traits de nature faire re-
vivre devant nous ce pote, en qui on n'a gure vu jusqu'ici
qu'un assembleur de mots sonores,
La vritable histoire, a crit Taine
(2),
s'lve seulement
cjuand l'historien commence dmler, travers la distance
des temps, l'homme vivant, agissant, dou de passions, muni
d'habitudes, avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes
et ses habits, distinct et complet, comme celui c|ue tout
l'heure nous avons quitt dans la rue. Certes, le programme
est trop beau pour que nous nous vantions jamais de l'avoir
ralis. Mais il n'en demeure pas moins le but auquel nous
nous sommes efforc de tendre, sans
y
prtendre. Au surplus,
cet idal ne s'impose-t-il pas tout particulirement l'histoire
littraire ? Les uvres, surtout celles des potes lyriques, sont
des documents intimes et personnels, des confessions o il n'est
pas impossible de dcouvrir, c[uand on les rapproche des cir-
constances extrieures, l'homme dont elles manent, avec ses
passions, ses doutes, ses colres, ses haines, ses affections les
plus profondes, ses dsespoirs et ses joies.
(1)
Romania, XXXVI, 203 ;
Introd. notre dit. crit., Chap. vir,
p.
161.
(2)
Introduction VHisl. de la litt. anglaise,
12^
d., Paris, 1905, p.
vu.
CHAPITRE II
ORIGINES PATERNELLES D AUZIAS MARCH
HISTOIRE DE SA FAMILLE
Lorsque le roi d'Aragon^ Jacme I^^ le Conqurant^ eut pris
aux Sarrasins le royaume de Valence^ il procda^ comme il
l'avait fait quelques annes auparavant pour File de Majorque^
au partage des biens abandonns par les vaincus. Parmi les
bnficiaires des donations dont la ville de Gandie et son ter-
ritoire furent l'objet^ en 1249, figure un certain Petrus Mar-
chi {i), cfui
le Roi accordait des maisons dans l'intrieur de
la ville et trois
jovates
(2)
de terre dans les environs, Beni-
quineyna, domos iii Candia et III jo [vatas'\ in Beniquineyna.
Ce Pre Mardi est sans aucun doute Tanctre auquel se
rattache toute la famille de notre pote, le chef de la dynastie.
Si on a cherch ailleurs ses origines, c'est que son nom patro-
nymique, ayant pris d'ordinaire dans les documents latins la
forme Marchi ou Marci, n'a pas t reconnu
(3).
C'est aussi
(1)
Repartimientos de los reinos de Mallorca, Valencia
y
Cerdena (Coleccin
de Doc. ind. del Archwo gnerai de Aragon, t. XI),
p.
512.
(2)
La jovata valait, suivant Bover, 16 quartres ou 2, 935, 511 1/9 palmes
carrs,
c'est--dire environ 59 ares. D. Roque Chabas [El Archwo, I, 232) tra-
duit tort jovalas par jornales .
(3)
Les
gnalogistes ont t induits en erreur par les prnoms, assez fr-
quents dans les Repartimientos, de Marchus
(p. 197),
Marcho
(p.
502, 559, 615),
Marco (p.
462),
les deux derniers au datif, et par les noms de Marques
(p.
214,
216),
Marcius (p.
166) et J. de Marc. (p.
156). La forme castillane Marco, em-
RPARTITION DE GANDIE. PERE MARCH I IS
{u'on ignorait gnralement les liens troits qui unissaient Au-
zias March et ses ascendants la ville de Gandie.
Les registres des Repartimientos ne nous indiquent expres-
sment ni d'o venait cet homme qui le Roi concdait ainsi
une part des terres reconquises^ ni quelle tait sa condition.
Mais nous pouvons_, en les examinant attentivement^ en
tirer quelques conclusions tout au moins indirectes sur Tun et
l'autre point.
Ces listes de rpartition signalent d'ordinaire la provenance
des donataires^ mais^ chose curieuse et qu'on n'a pas releve
notre connaissance^ on n'y trouve qu'assez rarement la mention
de Barcelone. Or^ comme il
y
avait assurment dans l'arme de
Jacme le Conqurant^ et_, parmi les pohladores des pays nouvel-
lement acquis^ bon nombre de Barcelonais^ on peut en induire
que tous ceux dont le lieu d'origine n'est pas mentionn^ ou
tout au moins la plupart^ taient originaires de la capitale de
la Catalogne.
Mais il n'y a l^ htons-nous de le dire^ qu'une simple pr-
somption en faveur de notre hypothse et nous serions con-
damn ne rien affirmer de prcis sur la patrie du premier
Pre March^ si un document_, un peu postrieur au Reparti-
miento de 1249^ n'tait venu nous apporter des lumires nou-
velles. Elles manent d'un acte notari du 28 juillet 1260 par
lequel les ambassadeurs de Manfred^ roi de Sicile^ s'engagrent
obtenir de leur matre le consentement au mariage de sa fille
Constance avec l'infant Pierre d'Aragon. Cette pice offre cette
particularit^ intressante pour nous^ qu'elle a t crite dans
le palais mme du roi Jacme^ pre du fianc_, et scelle par les
soins d'un notaire public de Barcelone dsign sous le nom de
Ptri Marci, c'est--dire Pre March
(1).
ploye par un diteur du xvi^ sicle (voir l'Introd. notre dit. crit.,
p. 56) a
contribu aussi mettre les biographes sur une fausse piste.
Un homonyme et presque certainement un des parents de notre Pre March,
Berenguer March, de Tarragone, est appel March dans la rpartition de Ma-
jorque
(p. 32) et Marchi dans celle de Corbera
(p. 387). Ce prnom de Be-
renguer reparatra, plusieurs reprises, dans l'histoire de la famille.
Il n'en est pas de mme de Ramon March, dont parle la Chronique de
Jacme I" (d. Aguil,
p. 480, 514,

491-492, 536).
(1)
On lit, en effet, la fin de ce document publi par P. de Bofarull (Co-
leccin de Doc. ind. ciel Arch. de Ai-agn, VI, 151) : Signum Pelri Mcrixi noiarii
publici Barehinone qui hoc scripsit et clausit die et anno predicto.
16 CIIAP, II. ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCH
Nous n'hsitons pas identifier cet officier ministriel qui^
en 1260, instrumentait la Cour avec le personnage auquel le
Roi avait attribu, onze annes auparavant, une partie de la
plus belle rgion du royaume de Valence.
Il est remarquer d'ailleurs que tous ceux auxcjuels des
terres avaient t concdes n'taient pas tenus d'y rsider.
Des femmes
(1),
des ecclsiastiques, voire mme des enfants,
avaient reu des lots qu'ils taient incapables de faire valoir
par eux-mmes. Ils les affermrent des colons venus du dehors
ou mme aux musulmans rests dans le pays et se contentrent
d'en percevoir les revenus.
Rien ne s'oppose, par consquent, ce qu'un notaire de Bar-
celone ait pu, sans abandonner sa charge, devenir propritaire
Gandie et participer aux gnrosits d'un monarque qui avait
dj, sans doute, fait appel ses services.
C'est ainsi qu'il semble possible de rsoudre, l'aide de
textes officiels, la question si souvent dbattue de l'origine
de la famille March. L'Aragon, la Catalogne et Valence reven-
diquaient la gloire d'avoir donn le jour son plus ancien
reprsentant. La Catalogne nous parat avoir plus de titres
l'emporter dans cette lutte plusieurs fois sculaire, aussi hono-
rable pour les provinces rivales que pour la mmoire des
hommes de talent qui en taient l'objet.
S'il est probable que le fondateur de la ligne des Mardis, le
qviadrisaeul de notre Auzias, tait barcelonais, il est plus in-
contestable encore qu'il fut un citoyen sans clat, un tabellion
digne de la confiance royale, mais qui ne fit nulle action mri-
toire ni prilleuse. Les Repartimientos ne le rangent ni parmi
les nobles proprement dits, ni mme parmi les chevaliers. Ce
fut un de ces bourgeois qui composaient la haute classe, la
ma major de Vestament popular. On sait que les bourgeois ca-
talans combattirent, dans les milices des communes, ct
des troupes fodales contre les Sarrasins
(2).
Mais il n'est pas
certain que le notaire Pre March ait pris part ces nouvelles
croisades et acquis, ds le milieu du xiii^ sicle, dfaut de la
noblesse du sang, la vraie noblesse, celle que confre le mrite
(1)
C'est ainsi que le roi n'oublie pas, dans ses largesses, sa matresse
i
Thc-
iresa Gil de Vidaure
(p. 187).
(2)
Voir sur ce point Ch. de Tourtoulonj Jacmel^^ le Conqurant, I, 280.
PERE MARCH II
17
personnel. On ne peut^ en tout cas^ rien conclure de ce que son
nom figure dans les livres de rpartition. Outre que le Roi ne
rcompensa pas seulement ceux qui avaient contribu la
reconqute_, il est noter que l'attribution faite Pre March est
une des dernires et date d'une poque dj loigne de la
jirise de \ alence et de ses environs immdiats.
II
Un hritier mle^ un continuateur de la race et du nom lui
naquit^ nous ne savons quelle date. Si nous pouvons affirmer
que ce fils n'est autre que le Pre March, deuxime du nom et
du prnom, que nous rvlent les documents, c'est prcis-
ment cause de l'identit de leur prnom. C'est, en effet, un
signe distinctif de la famille March que cette transmission r-
gulire des mmes prnoms. Des preuves irrcusables nous en
seront fournies, pour ses deux branches, aux xiv^ et xv^ sicles.
Tout porte croire que cette tradition a pris naissance avant le
second Pre March que nous rencontrons Barcelone et qu'il
tient son prnom du notaire contemporain de Jacme I'". Les sur-
noms tirs de la seigneurie ou de la dignit taient, au Moyen
ge, les noms gnriques des familles nobles. Les bourgeois, de
leur ct, s'appliqurent perptuer le nom et le prnom de
l'aeul le plus lointain.
Il faut voir une autre preuve de sa filiation dans le poste de
confiance qu'occupait ce second Pre March auprs du roi
Jacme II. En 1290, il est charg par lui de vendre au seigneur
Guillem de Bellavista le chteau d'Arampruny
(1)
qui ne tar-
dera pas, par une remarquable concidence, devenir, comme
nous le verrons, une des possessions de la famille March. Ses
(1)
A propos de cette vente, D. J. Torres v Reyet (Associaci catalanista
d'excursions, III, 59) se demande si elle a t faite par devant le notaire de
Barcelone Pre March ou Pre Marques. Nous croyons qu'il s'appelait plutt
Marques, si nous rapprochons de ce document la mention Signum Ptri
Marchesii publici Barchinone notarii qui se trouve au bas d'une protestation
de l'infant Pierre (15 cet. 1260) dans Doc. ind. del Archwo de Aragon, VI, 156.
Cf. El Archwo, I, 328.
Am. Pages.

.li<:/V/.s Mardi. 2
18 CHAP. II. ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCH
fonctions taient^ suivant une lettre royale de 1298
(1),
celles
de secrtaire ovi plutt de greffier du roi (scriptor domini r-
gis)
(2).
Elles taient compatibles avec celles de notaire public
qu'exerait son pre^ et il est vraisemblable qu'il avait d suc-
cder la charge paternelle, bien que les documents recueillis
jusqu' prsent ne le dmontrent pas. Quoi qu'il en soit, le
Roi le rcompense des services qu'il lui a rendus et lui rend
encore chaque jour en cette qualit, et il lui abandonne un
droit de past, de 400 sous de Jaca, pay annuellement par la
ville d'Alguaire.
Un troisime Pre March apparat dans nos documents, ds
le premier tiers du xiv^ sicle, et occupe, lui aussi, un emploi,
mais plus lev que celui de son pre, dans la maison du Roi,
Conseiller et matre des comptes (magister racionalis), c'est-
-dire trsorier, de Jacme II, il semble avoir jou un rle plus
actif que ses devanciers et contribu plus qu'eux augmenter
le patrimoine moral et matriel de la famille.
En 1315, il assiste, comme conseiller du roi, une transac-
tion dont est l'objet la ville de Vich
(3).
Les annes suivantes
(1319
(4),
1321-1322)
(5),
il est ml, en qualit de trsorier,
d'autres vnements du mme rgne. Sa fortune lui permet
(1)
Nos lacobus, etc. Attendentes grata et accepta servicia per vos fidelem
scriptorem nostrum Petrum Marci nobis exhibita et que exhibetis cotidie in-
cessanter, circo in renumeracionem dictorum serviciorum damus et concedi-
mus vobis ad vitam vestram illos quadringentos solidos jaccenses quos homines
ville de Alguayra et baiulie eiusdeni nobis pro cena donant et tenentur solvere
annuatim... Datum Barchinone X Kalendas junii anno XCVIII. Barcelone,
Arch. de Aragon, Reg. 196, fol. 246. On lit un peu plus loin, fol. 254, une
autre lettre sur le mme sujet adresse par le roi ses fidles hommes d'Al-
guayre (6
kal. juin 1298).
(2)
Nous ne traduisons pas le mot scriptor par notaire , comme on le fait
d'ordinaire d'aprs Du Gange. Les textes des Doc. ind. del Arch. de Aragon,
VI, 281, 291, etc., distinguent le scriptor secretarius, ou, simplement, le scriptor
domini Rgis et le notarius publicus regia auctoritate per totam terram et domi-
nacionem ejusdem. Ce sont deux titres attribus parfois la mme personne,
mais diffrents.
(3)
ToRRES Amat, Djccionario, p. 370. Voir Balaguer, Hist. de Cat., V, 347.
(4)
RiBERA, Mil. Merc,
p. 533, n 715.
(5)
Doc. ind. del Arch. de la Cor. de Aragon, VI, 230 (20 juin 1321), Petrus
Marti [lisez Marci] thessaurarius dicti domini rgis Aragonum.

Ibid., 232
(20 dc. 1321),
Fideli nostro thesaurario Petro Marti [lisez Marci]
Ibid.,
240 (20 mai 1322),
Petrus Marcii thesaurarius domini rgis .
PERE MARCH III
19
<racheter^ le 4 fvrier 1322^ au Roi^ qui a besoin d'argent^ le
<;hteau d'Arampruny pour la somme de 120.000 sous
(1).
Cet achat fait entrer dans la famille March^ titre de franc
alleu, l'immense domaine d'Arampruny, avec ses dpendances
et ses fiefs, ses droits rels et personnels, immobiliers et mobi-
liers. Le Roi ne se rservait que la haute et moyenne justice.
Encore ne tarde-t-il pas lui concder aussi cette dernire
(2).
Le nouveau seigneur d'Arampruny prend possession de son
chteau et de ses terres, le 7 fvrier suivant, avec le crmonial
accoutum, et ses vassaux, parmi lesc[uels figurent Dona
Blanca de Centellas, chtelaine de Sitjar, et Arnau de Vilar-
nau, viennent son hommage.
Peut-tre est-ce ce moment que se place son admission
dans la chevalerie. C'tait, en tout cas, le terme naturel de la
fortune croissante de sa famille et des multiples faveurs dont
elle n'avait pas cess d'tre comble par les rois d'Aragon
(3).
La notice que lui consacre Ribera, dans son histoire de l'Ordre de
JVIuntesa, fait mme souponner qu'il eut quelques rapports avec
cette milice rcemment
(4)
organise par son suzerain, le roi Jacme
II. Ce qui est certain, c'est que, de 1323 1324, il fut un des che-
valiers c{ui combattirent en Sardaigne sous le commandement
de l'infant Alphonse et tranchrent les discussions des Pisans
et des Gnois propos de cette le en s'en emparant par les
armes
(5).
Le sige fut mis devant les places-fortes d'Iglesias
et de Cagliari qui, malgr les efforts dsesprs des Pisans,
durent ouvrir leurs portes. La Rpublique de Pise signa, le
12 juillet 1324, un trait de paix reconnaissant au roi d'Aragon
(1)
J. ToRREs Y Reyet, Associaci Cat. d'exc. cient., III, 60.
(2)
Le 18 sept. 1323.
(3)
Un document des Archives de la Couronne d'Aragon (Reg. 2589, fol.
109)
que D. Ramon d'Als a bien voulu copier pour nous, prouve qu'aux kalendes
de juillet 1323 le roi Jacme II, reconnaissant les services de son cher et fidle
trsorier Pre March, lui octroie pour lui et pour les siens, titre perptuel,
diverses immunits.
-
Cette charte sera renouvele plus tard, le 30 mars 1420,
en faveur du chevalier Jacme March, huissier d'Alphonse V, et du chevalier
Luis March, qui avait servi le roi Ferdinand, son pre.
(4)
Le 10 juin 1316. Cf. Marti.n de Viciana, Teicera parle de la Crnica de
Valencia, Valencia, 1882, in-fol.,
p. 117.
(5)
Lire le rcit, trs bref, mais lumineux, de cette expdition dans le pre-
mier livre de la Chronique de Pierre IV d'ARAcox.
20 CHAP, II, ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCH
la suzerainet sur la Sardaigne. Le chevalier Pre Mardi dut
faire son devoir dans cette glorieuse et meurtrire campagne^
puisque l'infant^ dsireux de lui tmoigner sa reconnaissance^
lui fit donation dune ville sarde par une lettre du 29 septem-
bre 1324
(1).
A son avnement avi trne sous le nom d'Alphonse III^ le
vaincjueur de la Sardaigne ratifie_, le 13 janvier 1327^ l'aban-
don cjui lui a t fait de la moyenne justice sur le territoire
d'Arampruny
(2).
Enfin, le 25 mars 1337, usant du droit de retrait fodal
(jatica), qui lui avait t concd par le roi Jacme II
(3),
Pre
March achte Dona Blanca de Centellas, femme de Bernt
de Calders, le fief d'Arampruny, en sorte que dsormais la
possession du chteau et celle du fief seront runies dans la
mme personne.
Pre March semble avoir ralis par ce dernier acte ce qui
avait d tre l'ambition de sa vie. Sa famille est devenue une
des plus considrables du royaume et fait maintenant partie
de la noblesse catalane. Chevalier, seigneur d'Arampruny,
possesseur de grands domaines Gandie et en Sardaigne, il
a, de plus, mrit la confiance des trois rois Jacme II, Al-
phonse III et Pierre IV qu'il a servis en qualit de conseiller
et de trsorier. Le Crmonieux lui rend mme, ds le dbut de
son rgne, dans des circonstances qu'on devine aisment, un
(1)
RiBERA, loc. cit., p. 533, n 715.
Reducentes ad mcmoriam qualiter
nuper existentibus nobis in insula Sardinie propter grata et accepta servicia
per vos dilectum consiliarium nostrum Petrum Marci, thesaurarium, etc..
Ex certa sciencia damus perfecta et irreparabile donacione inter vivos, vobis
dicto Petro Marci et vestris et quibus velitis, perptue, in feudum, secunduni
morem Italie, villam vocatam Gesici sitam in curatoria de Siurgos... Datum
Barchinone tercio kalendas septembris anno Domini MCCC vicesimo quarto .
{Arch. de la Cor. de Aragon : Reg. 389, fol. 38 v, d'aprs une copie de D. Ra-
mon d'Als).
(2)
J. ToRREs Y Reyet, oc. Cit.,
p.
62.

le 21 fvrier 1331, Tere March,
est ml aux ngociations entames par le roi d'Aragon avec le roi de France
pour l'organisation d'une croisade contre les Mores de Grenade. Cf. sur ce sujet
l'art, de Joaquim Miret
y
Sans dans VAnuari de l'Institut d'estudis catalans^
1908, p.
295.
(3)
Le 21 dc. 1322 (12 kal. 1323). J. Torres y Reyet (l. c, p. 54-55) im-
prime 1332
;
mais, cette poque, Jacme II tait mort. La correction 1323
s'impose.
PERE MARCH IV 21
hommage clatant qui mrite d'tre cit. Pre March est sans
doute assez g ;
les courtisans du nouveau Roi n'ont plus
pour ce vieux serviteur le respect qui convient. Aussi Pierre IV
mande-t-il de Lrida^ le 18 juin 1336^ son procureur de Cata-
logne et ses officiers de Barcelone^ qu'ils aient traiter avec
les plus grands gards son cher conseiller^ son familier et do-
mestique Pre March^ qui a rendu ses prdcesseurs et lui
rend encore lui-mme de bons et loyaux services.
Il mourut vers 1338^ comme le prouve le testament qu'il fit
le 13 juillet 1338 par devant Pre Folqueris^ notaire de Barce-
lone
(1),
mais non sans avoir obtenu une dernire faveur du
Roi, qui lui aurait confirm, le 17 mai prcdent, le privilge
de moyenne justice dans le domaine d'Arampruny
(2).
De son mariage avec Dona Maria (dont nous ne connaissons
<(ue le prnom) il restait, croyons-nous, trois enfants mles :
Perico, Jacme et Berenguer.
Dj nous savions, par l'article de J. Torres
y
Reyet
(3),
(jue Pre March, l'acqureur du fief d'Arampruny, avait eu
un fils appel aussi Pre, comme lui. Mais trois lettres de l'in-
fant Pierre d'Aragon, conserves la Bibliothque de l'Aca-
dmie de l'Histoire, nous fournissent, sur ce quatrime Pre
March, de plus amples renseignements. Elles mentionnent, en
effet, comme attach sa propre Cour un certain Pre March,
inatre des comptes (dilectus racionalis curie nostre Periconus
Marchi). Dans la premire, du 20 janvier 1334, adresse de
Saragosse au Roi, son pre, l'infant charge ce Perico March, d-
sign aussi plus bas sous le nom de don Pre March ,
de rem-
plir diverses missions auprs de Jacme II, entre autres, celle de
lui demander une avance sur l'argent que les juifs de sa Sei-
gneurie doivent lui verser, afin d'acquitter quelques dettes de
nourriture et de vtements qui lui font grande honte (algu-
nos deudos que dei^em de uiandas e de s'estits
;
los deudos son a
el muy vergonyiosos).
Les deux autres, crites en 1335, l'une de Teruel, l'autre de
Daroca, accrditent certains envoys de l'infant et sont com-
muniques toutes les deux :
1"
Dilecto suo Pelro Marci, consi-
(1)
A. Paz y Mlia, Rei^. de Archwos, V, 369.
(2)
J. Torres y Reyet, loc. cil., p.
62.
(3)
Loc. cit.,
p.
62.
22 CHAP. II, ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCH
liario et magistro racionali ciirise dicti Domini Rgis
;
2
Dilecto-
suo Pericono Marchi [Petro Marci, dans la seconde lettre), ra-
cionali curise nostrse.
Ce sont l deux personnages diffrents. Pre March, con-
seiller et trsorier du roi Alphonse_, nous est connu. PericO'
March, trsorier de l'infant Pierre d'Aragon, ne peut tre que
son fils. Cela rsulte videmment du diminutif du prnom tra-
ditionnel qui lui a t attribu et des fonctions identiques
celles de son pre qu'il remplit la Cour du futur Pierre IV.
Le chevalier d'Arampruny n'a pas voulu laisser s'teindre
le prnom de ses aeux, c'et t un crime contre le sang, et il
a obtenu ensuite pour son fils an, dans la maison du prince,
un emploi auquel le dsignaient des aptitudes pour ainsi dire
hrditaires.
Nous ne savons gure autre chose sur ce Perico March. Il
semble qu'il ait pris part, en 1332, dfaut de son pre trop
g,
aux expditions diriges par Ramon de Cardona contre
les Gnois en Sardaigne
(1).
Perico March ne parat pas avoir laiss de descendants mles
et avec lui s'est teinte la branche ane des Marchs. C'est ce
qui rsulte des documents d'Arampruny
(1)
o nous voyons
un Jacme March hriter des titres et des biens.
III
Il est difficile de savoir exactement quelles relations de pa-
rent unissaient ce Pre March avec les Marchs que nous ren-
controns Valence, peu prs la mme poque. Aucun t-
moignage formel n'est parvenu jusqu' nous ce sujet. La
premire mention d'un Jacme March
(2)
nous est fournie par
(1)
Feliu de la Pea, Anales de Caialuna, II, 196, 201, nomme un Pedro
March parmi les Catalans qui se firent remarquer dans cette guerre.
(1)
Loc. cit.,
p.
62.
(2)
On ne peut ajouter que peu de foi aux Trohes de Jaume Febrer qui font
remonter la famille de Jacme March au xiii sicle. Un Jacme March aurait
particip la reconqute de Cullera et la prise de Bivar (1245) et aurait eu
pour fils Guillem March, de Gandie. Le gnalogiste, auteur des Trohes. a voulu
flatter un des nombreux Jaume March du xvi^ sicle.
Feliu de la PeiIa.
[Anales, I, 294) signale un Guillem March en 1017.
JACME MARCH I 23
le Libre de Memories de Valence. On
y
lit parmi les noms des
magistrats municipaux lus^ en 1322^ Berenguer March et
Jaume March^ en 1324_,
Arnau March^ en 1340 et 1345^ Jaunie
March
(1).
Rien ne permet d'identifier les deux premiers de
ces bourgeois avec les frres de Perico.
On sait toutefois que des rapports ont exist entre Pre
March, trsorier des rois d'Aragon et un Jacme March_, venu
sans doute Valence pour
y
remplir quelque office royal. Dans
une pice des archives d'Aragon_, date du 20 fvrier 1334 et
publie par Rubi
y
Ors
(2),
Pre March reconnat, en qualit
de trsorier du roi Alphonse, qu'il est d Jaume March de
casa d'aquell mateix senyor la somme de 15.000 sous de Bar-
celone. L'infant d'Aragon, dsireux de participer aux dpenses
qu'avait entranes son mariage, les lui a donns titre gra-
cieux. En foi de quoi, et sur l'ordre mme du Roi, il lui dlivre
une quittance (alhar) ou plutt un mandat de paiement en
bonne et due forme.
Ce Jacme March nous parat avoir t, avec le chanoine
Berenguer March, un des fils puns du vieux trsorier. En
1341, son frre Berenguer le choisit pour excuteur testamen-
taire et le cjiualifie de citoyen de Valence . Mais, le 20 fvrier
1361, nous le retrouvons Barcelone avec le titre de chevalier
(miles) et recevant du trsorier du Roi, Bernt de Ulsinelles, le
complment de la somme que Pierre IV lui avait promise, quand
il n'tait qu'infant, vingt-sept annes auparavant
(3).
Paiement
tardif et qui tient sans doute ce que le Roi, parfois court
d'argent, oubliait, contrairement une parole clbre, les en-
gagements pris par le dauphin.
Il est probable aussi c[vi' la mort de son frre Perico, il a
recueilli la succession des chevaliers d'Arampruny
(4)
et c'est
(1)
Bib. Nat. de Paris, Esp. 147, p. 9, 10, 22, 27.

La forme Jacme a t
modernise par les compilateurs de ces annales. Parmi les quinze generosos
choisis pour recevoir le roi Pierre IV en 1336 figure aussi En Marti March
(p. 17). Un Francesch March est jur en 1348, justicia civil en 1353. Nous igno-
rons leur parent avec les prcdents.
(2)
Ausias March
y
su poca, p.
87. II faut lire MCCCXXX Quarto. Cf.
Ibid.,
p. 20, note 2.
(3)
Rubi y Ors, loc. cit., p. 87.
(4)
L'histoire de ce chteau vient d'tre crite par D. Francisco de Bofa-
roll, le savant directeur des Archives de Barcelone. Elle contribuera, nous
l'esprons, claircir bien des points encore fort obscurs dans la
transmission
de ce domaine.
24 CHAP, 11. ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCII
lui que l'on peut rapporter le plus vraisemblablement l'ins-
cription grave dans la pierre^ sur le ct sud du chteau : En
lany de la enquarnacio de nostre senyor mccclxxv fo
comenada la obra del mlr d aquest castell per mose%
Jacme Marck.
Il meurt enfin_, quelqvie temps aprs^ vers 1376, comme en
fait foi une lettre de Pierre IV rapporte par Ribera
(1),
et est
enterr^ comme son pre, dans une chapelle du couvent des
Prcheurs de Barcelone
(2).
Le second frre pun de Perico March a t, selon toute ap-
parence, Berenguer March, chanoine de Barcelone et de Valence.
Peut-tre est-ce en souvenir de Berenguer March, de Tarragone,
dont nous n'avons pas retrouv de descendants, cjue son prnom
lui fut attribu. En tout cas, il est curieux de constater cjue les
deux Berenguer March du xiv^ sicle embrassrent l'tat eccl-
siastic[ue, comme il convenait cette poque aux fils de famille
dpourvus d'hritage. Docteur en droit (legum cloctor), cha-
noine de Barcelone, il dut avoir de frquents rapports avec cette
ville qui avait t le berceau de sa famille
;
mais il a surtout
habit Valence. En 1322, un Berenguer March fait partie, on l'a
vu, du corps des jurais de cette ville, mais nous ne pensons pas que
ce soit notre ecclsiasticiue, qui ces fonctions taient interdites
en vertu d'une ordonnance de Jacme II
(3).
Sacristain
(4),
puis
chanoine et prvt (prepositus), c'est--dire chef du chapitre
de Valence, ce fut un homme trs instruit et dont le souvenir
dut se perptuer dans la famille. Ses qualits de lgiste le
dsignrent aussi pour tre arbitre dans un procs auquel
(1)
Mil. Merc, n 717. La lettre est du 10 mars 1376, et le roi s'y exprime
ainsi : Propter magna servitia quae Jacobus March miles quondam habilator
Barchinonse et alii de gnre suo Nobis et Priedecessoribus nostris prsestiterunt.
(2)
A. Paz y Mlia (Z. c, p. 370) rapporte cependant, d'aprs le testament
du pote Pre March, que ce Jacme March et son pre, le conseiller des rois
d'Aragon, furent enterrs dans une chapelle du couvent des Prcheurs de Bar-
celone.
(3)
Aureum opus regalium privilegiorum civitatis et regni ]'/e;ie. Valence,
1515, in-fol., fol. 51 v.
(4)
C'est ce qu'indique VexUbris : Berengarii Marchi sacriste Valentie qu'on
lit dans un manuscrit de la Cathdrale de Valence que nous a montr D. Roque
Chabs. Il contient une copie des fueros et privilges de Jacme I'' et de ses
successeurs jusqu' Jacme II.
LE CHANOINE BERENGUER MARCH 25
donna lieu la succession d'Arnaud de Villeneuve
(1).
Une copie
authentique de son testament^ excute le 10 novembre 1480,
nous a t conserve aux Archives de la Cathdrale de Va-
lence
(2).
Ce testament fut rdig par un notaire public de
Montpellier^ le 25 fvrier 1341, et un codicille
y
fut ajout par
le testateur, le jour mme de sa mort, le 28 fvrier. Il
y
demande
tre enterr dans la chapelle Saint-Marc qui a t construite
par ses soins dans la Seu de Valence et il veut qu'il en soit fail
ainsi, mme s'il meurt Montpellier ou Barcelone. Il dcide
ensuite qu'une rente annuelle de vingt livres royaux de Va-
lence sera affecte au service de cette chapelle et verse per-
ptuit son chapelain pour les messes qu'il sera tenu d'y c-
lbrer
(3).
Enfin il dsigne au premier rang de ses excuteurs
testamentaires son frre Jacme March, citoyen de Valence,
Jacobum Marci, jratrem nieuin, civem Valentie.
A la mme poque vit Valence un Arnau March qui est
presque certainement un parent des prcdents. En 1324, il est
lu justicia civil, et, le 4 aot 1334, il achte, Gandie, une
des terres de Valcheria de Aljarraci
(4).
C'est tout ce que nous
savons de lui. et nous ne pouvons d'aucune faon le rattacher
aux autres Arnau March que nous rencontrerons plus tard.
(1)
Nous tenons ce renseignement de D. Roque Chabs.
(2)
Archivo de la Curia Eclesistica. A. 22-187
l. fol. 7.
(3)
Ce bnfice a donn lieu diverses contestations entre les hritiers et
des procs dont les pices occupent la mme liasse.
(4)
Archivo de Osuna, Gandia. Almoynes, 707. Venda por Jayme de
Quintaval
y
su muger Arnaldo March de un pedao de tierra sita en la Al-
queria de Alfarraci, auto por Estevan de Podio. Pridie Non. Augusti 1334.

CHAPITRE ni
ORIGINES PATERNELLES D AUZIAS MARCH.
HISTOIRE DE SA FAMILLE [suite).
LES POTES JACME MARCH^ PERE MARCH LE VIEUX^
ET ARNAU MARCH
La famille des Marchs s'est continue grce Jacme, qui fut
probablement le second fils de Tancien conseiller Pre Mardi.
Nous avons numr les vnements connus de sa vie ou ceux
qu'on peut vraisemblablement lui rapporter. Il pousa^ vers
1334^ Dona Constana
(1)
et eut de ce mariage deux enfants,
Jacme et Pre
(2).
Le prnom du premier a t, comme celui
de son oncle Perico, transform par addition d'un suffixe dimi-
nutif et est devenu Jacmot, pour le distinguer sans aucun
doute de son pre, tout en lui conservant le prnom hr-
ditaire. Mais Paz
y
Mlia, s'appuyant sur des pices malheureu-
sement introuvables, compte trois autres enfants : Berenguer,
matre de Muntesa, Arnau et Bartholomeu.
(1)
A. Paz y Mlia, loc. cit., 1.
(2)
Les documents d'Arampruny (J. Torres y Reyet, l. c, p. 62) et ceux
de la Curia Eclesistica de Valence sont d'accord sur ce point. On lit, dans ces
derniers, la date du 8 juillet 1485 : Item dicit ut supra quod dictus Jacobus
March, frater dicti Berengarii March, habuit duos filios, videlicet Jacobum
March militem et Petrum March secundo natum et pro filiis dicti Jacobi March
legittimis et naturalibus fuerunt tenti et reputati. Et sic fuit et est verum; et,
la date du 13 juin 1522 : Item dicit ut supra quod dictus Jacobus March,
frater dicti institutoris et patronus dicti beneficii veniens ad mortem suam
condidit ultimum testamentum in et cum quo suum instituhit heredem uni-
versalem Jactmotum March, transferens in dicto suc herede et descendentes
ab eo omnia jura patronatus que ipse habebat cum verbis sequentibus : Trans-
ferens omnia jura patronatus in dictum Jactmotum filium meum et in alios sibi
et michi succedentes...
LE CHEVALIER JACME MARCH II
27
Les deux premiers nous intressent tout particulirement.
L'un est Loncle_, Lautre le pre d'Auzias March_, tous les deux
chevaliers et potes. C'est eux surtout qu'il se rattache^ non
seulement par le sang, mais encore par les gots et les ides.
Jacme est n vers 1335. Il dut avoir en partage, en qualit
d'an de la famille, la seigneurie d'Arampruny et fut arm
chevalier le 7 dcembre 1360, au monastre de Pedralbs, de
la main mme du roi Pierre le Crmonieux
(1),
Il a racont
lui-mme son investiture dans quelques pages aujourd'hui per-
dues, mais cites par Ribera, et d'aprs lesquelles est dcrit,,
clans sa Milicia Mercenaria
(2),
le crmonial usit, en Cata-
logne, pour la rception des chevaliers de Muntesa, 11 est utile
d'en connatre les principales phases, tant la Chevalerie, avec
ses murs et ses privilges, a laiss de traces dans l'uvre
potique des Marchs.
Le damoiseau ciui se prparait recevoir l'ordre de la Che-
valerie passait la nuit qui prcdait la crmonie dans une
Eglise. A la messe du Saint-Esprit qui
y
tait clbre, le Roi
se levait aprs l'Eptre et allait lui. Deux chevaliers lui chaus-
saient les perons. L'archevque ou un autre prlat, revtu de
ses habits pontificaux, prenait le Lii>re de l'Ordre de la Cheva-
lerie et commenait les prires d'usage. Puis il bnissait l'pe
place sur l'autel. Le Roi la tirait alors de son fourreau et la
mettait dans la main droite du prtendant. Celui-ci la brandis-
sait et s'agenouillait, la tenant toujours de la main droite, pen-
dant que l'officiant lui rappelait les devoirs du chevalier, entre
autres celui de dfendre son Dieu, son roi, les royaumes et le
(1)
Le chevalier arm en 1360 ne peut pas tre le Jacme March, mari vers
1334, parce qu'il aurait eu, au moment de son admission dans l'ordre de Mun-
tesa, prs de cinquante ans. Ce ne peut tre que son fils qui a d aussi, pour les
mmes raisons, prendre part au sige de Murvedre
(1365) et crire \eDebat entre
lionor
y
Dlit o sont voqus les souvenirs de ce fait d'armes.
(2)
P. 20, n" 12
; p. 533,
nO
766.
28 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
bien public. Ces prires termines^ le Roi prenait l'pe de la
main du damoiseau_, la replaait dans son fourreau pendant
que le clerg rcitait un rpons^ et^ aussitt aprs^ lui ceignait
l'pe^ non sans l'en avoir doucement frapp la joue et
l'avoir embrass. Le prtendant qui^ jusque-l^ avait tenu les
mains jointes au-dessus de la tte^ s'agenouillait devant le
Roi et lui baisait les mains et les pieds. Immdiatement aprs^
un chevalier dtachait son pe et deux autres lui enlevaient
les perons. Le Roi et le futur chevalier s'asseyaient chacun
sa place et la messe continuait. Aprs l'Evangile^ ils faisaient
au prtre clbrant l'offrande de quelques florins.
A la fin de la messe^ le Roi prenait les Evangiles et le cheva-
lier^ agenouill prs de lui-, jurait sur le saint livre de garder le
secret^ disant au Roi^ dans le creux de l'oreille et voix basse^
ce qu'il devait faire pour le service royal^ et il prtait aussi
serment d'observer les Ordonnances royales. Enfin^ pendant
qu'il tait encore agenouill^ le Roi le revtait d'un manteau
blanc et d'une croix vermeille.
Ribera^ qui nous avons emprunt les dtails qui prcdent,
ajoute qu' l'armement du chevalier Jacme Mardi assistrent
la reine, les infantes, l'archevque de Cagliari, plusieurs nobles,
entre autres Guillem Galceran de Rocaberti, l'abbesse du mo-
nastre de Pedralbs avec toute sa communaut, la vicomtesse
de Cabrera, femme du noble Bernt de Cabrera et un grand
nombre d'autres dames.
Aprs cette solennit, le Roi rentra dans ses appartements
de Pedralbs, et, pour mieux marquer Jacme March son es-
time et son amiti, il le fit asseoir sa table. Monseigneur le
Roi, dclare-t-il non sans fiert, s'assit au milieu de la table
droite et Madame la Reine gauche, et, auprs de la Reine,
\[m3
]a vicomtesse de Cabrera. Monseigneur le Roi voulut que
je prisse place au bout de la table prs de lui, et une autre
table s'assirent les autres riches dames et femmes de cheva-
liers, ainsi que celles des citoyens honors... Il
y
eut si abon-
dante chre qu'elle aurait pu suffire pour deux mille per-
sonnes. Et il ajoute : Aprs cela. Monseigneur le Roi prit
cong de Madame la Reine, et, revenant cheval Barcelone,
voulut que je chevauchasse avec lui et sa gauche.

Il continua jouir de la favevir royale et fut attach la
Cour, comme bi ])lupart de ses anctres, mais en qualit d'huis-
JACME MARCH II POETE 29*
sier d'armes
(1).
En juillet 1365^ il assistait au sige de Miir-
vedre occup par le roi de Castille. Il a rappel^ dans un de ses
plus beaux pomes^ le Dbat entre Honor
y
Dlit, les souvenirs
du temps o il campait devant cette place-forte^
Que lo molt ait Rey d'Arago
Tnia Murvedr' asetgats...
En 1371^ il compose^ sur la demande du roi Pierre W, trs
pris de posie et pote lui-mme, un dictionnaire de rimes
sous le titre de Libre de Concordances. Plus tard, en 1378, il se
rend Majorque pour
y
ngocier certaines affaires royales
(2)..
En 1381, on le retrouve encore auprs du Crmonieux
(3).
Le 17 septembre 1385, l'infant Jean d'Aragon, qui se pi-
quait, comme son pre, d'crire en vers et recherchait aussi
les livres, lui fait rclamer par son chambellan Janer certaines
choses que son frre, Pre Mardi, devait lui avoir rapportes
d'Angleterre, et le dbut de la lettre de l'infant son cham-
bellan autorise penser que ces choses n'taient autres
cjue des manuscrits
(4).
Une fois mont sur le trne, Jean ne tarda pas favoriser
le dveloppement de la posie, et, le 20 fvrier 1393, il charge,
sur leur demande, le chevalier Jacme March et- le citoyen Llus
d'Avers, l'un et l'autre trs habiles dans la gaie science (perilos
admodum in hac sciencia) et qui ont cueilli dans son jardin, non
pas des rejetons, mais des rameaux trs abondamment pourvus
de fleurs et de fruits (nedum surculos, sed ramos etiam in e]us
ortulo collegistis, flores et fructus uberrime affrentes) , d'orga-
niser Barcelone, sur le modle du Consistoire de Toulouse,,
des concours et des ftes poticjues. Le Roi va mme jusqu'
les nommer matres et dfenseurs de cette science
(5)
.
Jacme March a donc t un des fondateurs du Consistoire bar-
celonais de la Gaie Science.
D'autres documents nous rvlent, vers la fin de la vie de
(1)
RiBERA, op. cit.,
p. 534, n 718.
(2)
RiBERA, l. C.
(3)
R. Ferrer y Bign, op. cit.,
p.
24.
(4)
A. RuBi Y Lluch, Documents, I, 331.
(5)
ToRRES Amat, Diccionario, p. 60. La correction Marci pour Marti est
ncessaire, comme l'avait pressenti Mil.
50 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES D A. MARCH (sVITe)
notre pote, un Jacme March, chevalier, dput de la Gnralit
de la Catalogne. En 1389, il prend part, comme tel, aux Corts
de Mont
(1)
et la lutte qui s'y engage contre le roi Jean I^^
que l'on accuse de passer tout son temps en ftes, chasses et
exercices de gai savoir
(2).
De 1395 1397,
il exerce les mmes
fonctions, suivant Feliu de la Pena
(3).
C'est encore en tant
que dput de la Catalogne qu'il s'entremet, avec son collgue,
Jacme Gralla, citoyen de Lrida, pour le rachat d'un cens que
le roi Martin devait payer annuellement son cousin Pierre,
comte d'Urgel, et, dans l'acte du 7 septembre 1397
(4)
qui cons-
tate ce rachat, figure comme tmoin le matre de l'ordre de
Muntesa, Berenguer March. En 1398, et 1400,
il est signal
encore, avec le mme titre, dans des actes notaris
(5).
Enfin,
il est inscrit parmi les chevaliers qui assistrent, en 1413, aux
Corts par lesquelles Ferdinand de Castille fut appel au trne
d'Aragon
(6).
On ne saurait voir dans ce personnage qu'un troisime
Jacme March et probablement le fils du pote de ce nom. Il
n'est gure admissible, en effet, que le vieil huissier de Pierre IV,
dont on peut placer la naissance peu aprs le mariage de son
pre, c'est--dire vers 1335, ait pu reprsenter la Catalogne,
de 1389 1413,
alors surtout que dans la charte de cration
de la fte et des concours de la Gaie Science, en 1393,
le titre
de dput de la Catalogne ne lui est aucunement attribu.
Ajoutons seulement que le pote Jacme March est mort vers
1396
(7),
et, certainement, avant
1400,
puisque sa veuve,
Guillemona, avait pous, en secondes noces, un Desplugues
(1)
Boletin de la Real Acad. de la Historia, XIII
(1888), p.
61. Dans un cata-
logue de la Dipuiacin del gnerai de Cataluna, appartenant D. Teod. Creus,
figure parmi les dputs lus en 1389
(p. 124), Mossen Jacme March, caualler.
(2)
V. Balaguer, Hist. de Cataluna, V, 251.
(3)
Anales de Cal., II, 342.
(4)
Archive de la Cor. de Aragon. Reg. 2254, fol. 15. Nous devons la copie
complte de cette pice, publie en partie seulement par Torres Amat
(p.
366)
D. J. Mass Torrents.
(5)
J. RuBi Y Ors, loc. cit.,
p. 20, note.
(6)
Apndice al Parlamento de Cataluna
y
Compromiso de Caspe [Docum.
ind. del arch. de Aragon, III, 107).
(7)
Feliu, Anales, II, 339, 342. Il
y
est encore cit parmi les conseillers de
Barcelone, en 1395.
PERE MARCH V PERE d'aUZIAS
31
t qu'elle a t enterre, en 1400, dans le couvent des Pr-
cheurs de Valence
(1).
II
Le second fils du vieux Jacme March de Valence fut Pre
March. C'est le cinquime du nom et prnom. Avec lui se re-
noue la chane des Pre, et il contribue, comme son frre,
rehausser le nom familial du prestige de la posie. Nous ne
connaissons pas la date de sa naissance, mais elle peut tre
fixe, avec assez de vraisemblance, aux environs de 1338,
quelques annes aprs celle de son frre. Jacme avait obtenu,
par droit d'anesse, le fief d'Arampruny
;
Pre churent les
possessions que la famille avait Valence et Gandie, et sur-
tout la seigneurie de Beniarj et de Pardines, acquise une
poque inconnue, mais dont l'origine premire est, sans aucun
doute, la concession de Jacme I^^ le Conqurant.
Pre n'a pas crit, comme son frre Jacme, le rcit de son
admission dans la Chevalerie, mais il a expos, dans un pome
intitul par M. P. Meyer, h Harnois du Chei^alier
(2),
les signifi-
cations symboliques des anciennes armures des chevaliers.
C'est un code du parfait chevalier o chaque pice de l'arme-
ment reprsente une des vertvis qu'il doit acqurir. Il est
adress un trs haut seigneur (mot aut senyor) que l'auteur
ne nomme pas, mais qu'il dsigne clairement en disant qu' il
est tenu de le servir (cuy so tengutseri'ir). Nous savons
(3)
que.
pendant plus de quarante ans, il fut attach la maison d'AI
phonse, marquis de Villena, comte de Ribagora et de Dnia
y^ (1)
J. P. FusTER, Bibl. ml, Valencia, 1827, I, 12.

A Paz y Mlia [le,


p. 370),
fait de cette Guillemona la mre et non la femme du pote. Mais on
s'explique mal comment Pre March, fils de dona Constana
(p. 369), a pu avoir
pour mre une Desplugues
(p. 370). Nous ne connaissons par ^uster que Guille-
mona Desplugues, qui a d tre la femme du second Jacme March et non du
premier.
(2)
Romania, XX, 579.
(3)
Rev. de bibliog. cal., I, 139.
32 CHAP. m. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
qui prit aussi plus tard le titre de duc de Gandie
(1).
Il fut
son
procureur onral pour toutes ses villes^ chteaux^ lieux et sei-
gneuries . Il n'est pas douteux que c'est ce haut personnage^
amateur et protecteur des lettres^ qu'il prsente son harnois
allgoricjue. Tandis que Jacme^ son frre^ vcut ct de
Pierre lY, Pre eut le cousin du Roi, Alphonse de Gandie, pour
seigneur et pour matre.
C'est en sa compagnie qu'il dut faire ses premires armes,
puisqu'il le suivit
, comme le dclare le fils mme du marquis,
dans tous ses vaillants et belliqueux exploits (en tots sos
strenuus e bellicosos
feyts). La Chronique de Pierre IV le Cr-
monieux cite, en effet, le marquis Alphonse, sous le nom de
comte de Dnia, parmi les barons qui prirent une part impor-
tante la guerre de l'Aragon contre Pierre le Cruel, roi de
Castille, de 1356'
1365. Les barons, nobles, chevaliers et gn-
reux du royaume de Valence
y
furent aussi largement repr-
sents. On sait enfin qu'Henri de Transtamare, frre btard
du roi de Castille, vint grossir, avec ses partisans, l'arme du
roi d'Aragon, Ce dernier triompha d'abord sur mer, mais
toutes les places qu'assigea ensuite le roi de Castille, Alicante,
Elche, Dnia, etc, se soumirent lui, et il vint, aprs une suite
de succs, camper sous les murs de Valence, Pierre IV se porta
alors sa rencontre par Tortose et le bord de la mer, et le roi
de Castille fut contraint de se replier en hte sur Murvedre, c[ui
lui ouvrit ses portes. Cette ville se rendit son tour l'arme
catalane, aprs un sige de quelques mois, auquel, comm< nous
l'avons vu, Jacme Mardi assista en personne et o devait aussi
se trouver Pre March avec son matre.
L'anne suivante, grce au concours du roi d'Aragon et sur-
tout des grandes compagnies, la tte desquelles tait Ber-
trand Duguesclin, l'illustre condottiere breton, le comte de
Transtamare s'empare du 'trne de Castille. Pierre le Cruel se
rfugie en Galice, et, de l, crit au roi de Navarre et au Prince
de Galles pour obtenir leur appui, Pierre de Castille et le Prince
Noir passent les Pyrnes en fvrier 1367, Henri de Transta-
(1)
Le 13 avril 1399. Voir Viciana, Crnica de Valencia, II, 1881, p. 27. La
concession du chteau de Bayrent et de la ville de Gandie par le roi Jacme II
son fils an, Pierre, comte de Ribao^ora, date du 6 juin 1323. Cf. El Archh'o,
IV. 323,
PERE MARCH. ET LE MARQUIS DE VILLENA
33
mare s'avance leur rencontre. Les deux armes se trouvent
en prsence_, le 3 avril
1367^
prs de Najera. E no passa molt
temps^ dit Pierre IV d'Aragon dans sa Chronique
{1),
quels dits
rey Pre el princep de Gales, ab les dites lurs companyes^ en-
traren per Castella, e combaterense ab lo dit rey don Enrich,
qui fo venut e desbaratat en lo camp de Nagera^ e fugi e passa
s'en a les parts de Ffrana^ en la quai batalla foren preses molts,
axi de gents de nostra naci com de gents de Castella^ entre Is
quais fonch lo comte de Denia_, e lo maestre de Calatrava, e
mossn Bertran de Claqui, e molts de sa companya, e d'altres.
Avec le comte de Dnia fut aussi fait prisonnier notre Pre
March. Srieusement bless^ il ne dut d'avoir la vie sauve qu'
ce qu'il tait en tat de payer une riche ranon
(2).
Aprs cette expdition^ qui avait failli lui coter la vie, Pre
March rentre Valence ou plutt Gandie. Il est dsign, en
effet, dans la plupart des documents, par l'expression d'habi-
tator i^ille Gandie, et nous savons qu'il
y
avait une maison parti-
culire, en dehors mme du palais ducal auquel il est attach,
vers 1370, en qualit de procureur et de chevalier de la maison
du marcjuis de Villena, cavalier de casa del dit senyor marques.
Mais il devait rsider aussi de temps en temps Valence o il
avait de mviltiples intrts.
Suivant l'exemple de son frre an, il cultive la posie. C'est
le passe-temps le plus digne d'un gentilhomme.
Ds
1374, pendant un sjour Valence de l'infant Jean
d'Aragon, il est en relations littraires avec lui et lui ddie un sir-
i'ents, probablement celui qui commence par Tots grans senyors
qui h ol ai^enir
(3).
Sur le ton sentencieux et dogmatique, qui
lui est propre, il lui enseigne les devoirs incombant un grand
seigneur tel que lui. Le fils an du roi Pierre lui rpond, et,
tout heureux de montrer son pre qu'il a pour l'art des vers
le mme got que lui, il lui envoie Barcelone la copie du sir-
vents avec sa rponse et quelques autres pices. Il communique
ensuite toutes ces uvres au pote Bernt de S6 en l'invitant
en composer d'autres son tour et sur le mme style, et, par
(1)
Cronica del rey En Pre IV, VI, d'aprs le manuscrit G. 35,
fol. CIII v,
de la bibliothque de l'Acadmie de l'Histoire, Madrid.
(2)
Rev. de bibliog. cat., l. c.,
p.
140.
['4) Baselga, Cane. cat. de Zaragoza, p. 53, 381.
Am. Pages.

Auzia.s March.
3
34 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
une curiosit bien naturelle^ mme chez un prince qui fait ses
dbuts littraires, il charge spcialement le protonotaire de sa
mre, de lui faire connatre les apprciations formules, la
Cour, par le Roi, la Reine et les autres personnages qui liront
ses premiers vers
(1).
Les rapports de Pre March avec la Cour de Barcelone furent
assez frquents. En 1378, suivant Zurita
(2),
il remplit auprs
du Roi une mission assez dlicate. Le marquis de Villena pr-
tend avoir des droits au trne de Sicile laiss vacant par la
mort de Frdric II et de Constance, et il demande au Roi, par
l'intermdiaire de son procureur, l'autorisation de les faire va-
loir. Mais le Roi lui-mme aspire la couronne de Sicile, sinon
pour lui-mme, du moins pour un de ses fils, et il rpond cat-
goriquement l'envoy du marquis que les titres des infants
sont suprieurs aux siens.
A la mort de son frre Jacme, seigneur d'Arampruny, cette
proprit dut lui choir, mais nous ne savons quelle date. C'est
ce qu'on peut induire de ce que, comme nous le verrons, un de
ses fils, nomm Jacme March comme son oncle, fut seigneur
d'Arampruny et hrita d'Auzias March au mme titre qu'un
.autre de ses enfants, Francesch, citoyen de Barcelone.
De son premier mariage il eut trois enfants
(3)
: Jacme et
Franeesch, que nous venons de mentionner. Il faut, sans doute,
y
ajouter Johan
(4),
chevalier, qui pousa Yolanda de Vilarig
(1)
A. RuBi Y Lluch, op. cit., 252-254.
(2)
Anales de Aragon, t. II, lib. X, c. xxin, fol. 372
vO-373.
(3)
La tradition familiale, laquelle nous avons fait allusion, nous jorte
croire qu'il avait eu, de son premier lit, un premier fils mort en bas-ge et pr-
jiomm Pre comme lui.
(4)
Paz
y
Mlia en fait un fils de Pre March et de sa seconde femme. Mais,
si ce renseignement tait exact, il en rsulterait que Johan March aurait eu
a mort 18 ans au plus. C'est peu pour un chevalier, pre de quatre enfants !
La date de sa mort rsulte cependant, avec la plus entire certitude, des pro-
tocoles de Ramon Agualada (Archivo de Osuna, Gandia, n 1122) o on lit,
la date du 23 avril 1406 : Noverint universi quod ego Petrus March, miles,
dominus loci de Beniarjo, habitator ville Gandie, tutor per curiam dicte ville
Gandie, damus et assignamus filiis et heredibus venerabilis Johannis March,
militis, filii mei quondam, ut constat de dicta tutela, per instrumentum publi-
um actum in curia dicte ville, receptum per discretum Bernardum de Garri-
gas, auctoritate regia notarium publicum tunchque scribam dicte Curie, XVI*
die Aprilis anno a nativitate Domini M CCC XC octavo, ut de ipso notario
subscripto plene constitit.
LA FAMILLE DE PERE MARCH 35
et mourut le IG avril 1398 laissant quatre enfants^ Pere^ Leonor^
Yolanda et Aldona.
Devenu veuf, Pre March se remaria Valence, le 2 septem-
bre 1379,
avec Leonor de Ripoll, fille de Mossn Pre Ripoll,
qui lui apportait en dot 40.000 sous.
De cette seconde union naquirent :
1"
Peyrona, laquelle fut
attribu, probablement parce qu'elle tait l'ane, le prnom
paternel et traditionnel, et qui resta sourde-muette
;
2"
Auzias, chevalier et pote, dont nous parlerons plus tard.
Convoqu le 11 juin 1382 aux Corts gnrales de Mont
(1),
Pre March
y
figure, en
1383,
parmi les reprsentants des che-
valiers du royaume de Valence. On sait que les trois bras
y
firent entendre d'abord d'nergiques protestations contre la
maison royale, puis finirent par se sovimettre la volont du
Roi et lui accordrent les subsides ncessaires pour une exp-
dition contre la Sardaigne souleve par Rrancaleone Doria
(2).
Il s'occupe ensuite des affaires du marquis de Vitlena, qu'il
reprsente activement. Le 10 mars 1383, il obtient pour ses
vassaux de Dnia l'autorisation de construire et de tenir des
htelleries dans les faubourgs de la ville et d'y vendre certaines
denres. Il ngocie encore, le 15 novembre 1384, l'achat du
chteau royal de Beniopa
(3
.
Le 13 jviin 1385, l'vque de Valence lui reconnat formelle-
ment le droit de prsenter un ecclsiastique au bnfice de la
chapelle Saint-Marc, fond par son oncle Berenguer. Ce droit
lui a t donn par son pre avec ses autres biens mobiliers et
immobiliers de Valence, probablement au moment o il a re-
cueilli, Barcelone et Arampruny, la succession de la
branche ane, aprs la mort de Perico March
(4).
Cette mme
(1)
Barcelone, Arch. gen. de la Cor. de Ar., Colecc. de Procesos origin. de Cartes,
t. VIII, fol. 27.
(2)
V. Balaguer, Ilist. de Cat., V, 232.
(3)
Archivo de Osuna, Gandia, 1121

(Registre de les letres e cartes del


molt alt'senyor Do Alfonso, marques de Villena, comte de Ribagora e de
Dnia e constable de Castella).
(4)
a Dictus Jacobus March genitor vester universa bona mobilia et immobi-
lia et quelibet jura que habebat et que sibi competebant et competere potcrant
qualicumque ratione vel modo donauit et concessit vobis et vestris perpetuo,
pura et irreuocabili donatione que dicitur inter vivos et sic jus patronatus
sive presentandi bcneficiatum ad dictum beneficium in vos transtulit. Va-
lence, Arch. de la Curia Ecles., A 22

187
1, fol. 24.
36 CHAP, III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (suiTe)
anne, il va en Angleterre remplir une mission dont nous igno-
rons l'objet, mais nous savons que les rois d'Aragon taient,
cette poque, en relations avec les Universits d'Oxford et de
Cambridge
(1),
et, d'autre part, Pierre IV avait promis aux
Anglais
,
qui occupaient la Guyenne, de les aider contre la
France
(2).
Pour le rcompenser de ses divers services, le marquis de
Villena lui concde, le 14 septembre 1387, le droit qui lui ap-
partenait de prlever la dme sur Valqueria de Vernia et le ch-
teau de Palma
(3).
En 1388, il assiste de nouveau aux Corts gnrales de
Mont
(4),
o son matre a jou vm rle prpondrant. Le roi
Pierre IV est mort. Son fils, Jean, vient d'tre proclam, mais
dj le mcontentement est grand dans toute la nation. On se
plaint des dpenses exagres de la Cour. Le Roi donne l'ordre,
ds l'ouverture des Corts, d'arrter tous les barons qui se sont
ligus contre lui. Mais, ayant leur tte le marquis de Villena,
ils se rfugient Casalanz, et, le Roi, contraint de cder, leur
accorde un sauf-conduit et leur permet de dlibrer
(5).
Pre Mardi n'en continue pas moins s'acquitter avec zle
de sa charge de procureur. En fvrier
1388, il figure comme t-
moin dans le partage qui est fait de certains cens entre les pa-
roisses de Dnia et dans la requte adresse au marquis par le
justicia et les jurs de Candie, en vue d'obtenir une exemption
d'impts. Ces deux actes le nomment au premier rang parmi
les cavaliers de casa del dit senyor marques
(6).
Le 28 du mme
mois, il procure son matre une mule pour le prix de 70 flo-
rins qui lui sont pays sur les revenus de la baronnie d'Arens
(7).
Le marquis le charge, le 6 juin
1388, de faire construire le mur
de son chteau de Callosa
(8).
Le 5 juillet, agissant cette fois en
(1)
A. RuBi Y Lluch, Documents,
p. 277, 282.
(2)
V. Balaguer, loc. cit.,
p. 249.
(3)
A. Paz y Mlia, loc. cit.,
p. 370, note.
(4)
Barcelone, Arch. de la Cor. de Aragon, Procesos de Cartes, t. IX, fol. 22 v".
(5)
V. Balaguer, l. c, p. 253.
(6)
Archivo de Osuna. Gandia, 1121 (2^ registre des lettres du duc, au dbut,
et la date du 20 fvrier 1388).
(7)
Ihid., Lettre du 28 fvrier 1388. Le duc l'appelle dans cette lettre, comme
dans plusieurs autres conscutives, l'honrat e aniat Mossen P. March, geiwral
procurador nostre.
(8)
Ibid. Lettre du 6 juin 1388.
LES FONCTIONS DE PERE MARCH
37
qualit de seigneur de Beniarj, il s'engage payer la ville de
Gandie un cens de 36 livres de capital
(1).
Cette mme anne, le prieur et huit frres du monastre de
Xabea, consacr Saint-Jrme, ayant t capturs par les Mores
de Berbrie et transports Bougie, le marquis Alphonse, qui
tait aussi comte de Dnia, les rachte et fait construire pour
eux, Cotalba, aux environs de Gandie, sur le territoire de
Palma, un second tablissement sous l'invocation du mme
saint. Pre March prend une grande part cette fondation
(2).
Le 26 dcembre 1391, le marquis lui octroie une rente an-
nuelle de 500 sous de Valence dont il lui renouvelle la conces-
sion quatre annes plus tard
(3).
Le 4 avril 1394, il est dsign, en mme temps que le vn-
rable Francesch Desplugues, chevalier, habitant de Valence >>,
pour excuteur testamentaire de dame Yolanda de March,
femme de Bonafocam de Vallebrera
(4).
Le
6,
la prieure du
couvent de Saint-Jrme lui verse 12 livres de monnaie de
Valence
(5).
Le 26 janvier 1395, il rglemente, en qualit de procureur
et de bailli gnral du trs haut seigneur Don Alfonso, sei-
gneur et comte de Ribagora
,
les conditions du chargement
et du dchargement des navires dans les ports soumis sa
juridiction
(6).
En fvrier, il notifie Pre Ceriol, notaire de
Dnia, certaines recommandations de son matre
(7).
Le
1^"^
.[uin, Fr. Johan Ripoll, seigneur du Genovs, grand-pre
(1)
Archive de Osuna, Pergaminos del archiva consistorial de Gandia (Cajn,
III, lio 12).
(2)
Paris, Bib. nat. Esp. 147, p.
113. Divers renseignements sur la fondation
et la dotation de ce monastre figurent dans la copie, faite en 1685, d'un acte
du 14 avril 1406 (Arch. de Osuna, Archiva Consistorial de Gandia, est. 5,
tabla
5''^.
Cf. Roque Chabas, Hist. de Dnia, II, 45
;
El Archiva, II, 126, IV,
235, 311.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, 1172.
(4)
Arch. de Osuna, Gandia, 1172 (Protocole de Ramon Agualada).
(5)
Ibidem, Gandia, 1172.
(6)
Ce rglement est invoqu dans un procs engag en 1447 contre un cer-
tain Trilles, propritaire d'une barque, et dont il reste des extraits dans un
registre des Archives municipales de Gandie.
(7)
Arch. de Osuna, Gandia (Protocoles Ramon Agualada, 1394-95).
38 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
de sa femme^ fait sa petite-fille un legs dont nous ne connais-
sons pas rimportance
(1).
En 1398^ un de ses fils, le chevalier Johan March meurt lais-
sant quatre enfants mineurs dont la tutelle lui est confie par
la Cour de Gandie, le 16 avril.
Plus tard, le 3 octobre 1399,
il envoie Pre de Vilanova,
seigneur du bas chteau (castell awall) de Pop, une lettre pa-
tente du haut seigneur don Alfonso, duc de Gandie
(2),
mar-
quis de Villena et comte de Ribagora
,
pour lui faire con-
natre certaine mesure son sujet.
Il gre ses intrts propres en mme temps que ceux du duc,,
et, le
1^'
fvrier 1406, il conclut Beniarj un arrangement
avec Alit Alfaqui
?),
un des musulmans de son domaine
(3).
Le 23 avril suivant, il autorise, en qualit de tuteur des en-
fants de son fils Johan March, le rachat d'une rente de
1.000 sous au nom de ses pupilles et il certifie avoir reu de
rhonorable Pre de Soler, physicien , matre en mdecine,
citoyen de Valence, le capital qui s'levait 13.000 sous, ga-
rantis par une maison situe dans la j^aroisse de Saint-Mar-
tin
(4).
L'an de ses petits-enfants s'appelle aussi Pre March, et,,
pour viter de confondre le grand-pre et le petit-fils, on ap-
pelle l'un, suivant l'usage ordinaire en Catalogne, Pre March
major dierum, major en dies )>
(5),
l'autre Pre March junior
ou pus jove(6). Nul doute que la premire dnomination ne
soit celle que le marquis de Santillana a traduite, dans sa Carta
(1)
Fr. Cerda y Rico, Notas al Canto de Turia, d .1802, p.
291.
(2)
Arch. de Osuna, Gandia, 1121. (Feuillets extraits d'un protocole de 13-
99 et joints au 2^
registre de lettres ducales mentionn plus haut). C'est la
premire fois que le titre de duc de Gandie est attribu Alphonse d'Aragon.
Il lui a t confr par le roi Martin, le 13 avril 1399, le jour mme de son cou-
ronnement Saragosse.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1122 (Protocole Ramon Agualada, 1406),
(4)
Ibidem. ... Super quodam hospitio... sito et posito in parrochia Sanct
Martini civitatis prfixe (Valentie), confrontato cum via publica, cum duabus
adzucaqueris et cum domibus Ptri Vives, pomerii, et cum domibus Ptri Gil,
argenterii...
(5)
Rei\ de bibliog. eut., I, 139.
(6)
Madrid, Archive histrico nacional, n 222, Parchemins des Jernimosd&
Cotalba en Gandia
(8 janvier 1409 et 20 septembre 1412).
PERE MARCH LE JEUNE
39
al condestable de Portugal, par cette expression Mossen Pero
Mardi el i'iejo
(1).
Les commentateurs expliquaient mal les
mots el v'iejo. Nos documents permettent de rsoudre dfi-
nitivement ce petit problme d'histoire littraire. Nous sa-
vons maintenant que c'est bien du pre d'Auzias c[u'il s'agit^
et^ s'il est appel Pre March le vieux , c'est cause, non de
son fils, comme on l'a admis gnralement, mais de son petit-
fils prnomm et nomm comme lui. Le tmoignage de San-
tillana prouve par l mme aussi que les posies qu'on lui
attribue, dans les Canoncrs, lui appartiennent vritable-
ment.
C'est prcisment ce petit-fils qu'il marie, le 8 janvier 1409,.
en mme temps qu'il mancipe son fils Auzias, vnements
srement concerts en vue du partage, qu'au terme de sa vie,.
il veut faire de ses biens situs dans le royaume de Valence.
En Pre March junior, damoiseau, fils de Johan March et
d'Yolanda de Vilarig, pouse Na Constana, fille de feu l'ho-
norable Francesch Cifre, de Gandie. Le contrat de mariage
qui nous a t conserv
(2)
nous apprend que, suivant les der-
nires volonts de son pre, il ne pouvait contracter mariage,
sous peine d'tre dshrit, qu'avec le consentement d'une sorte
de conseil de famille comprenant le rvrend matre de Mun-
tesa , Berenguer March, les honorables Mossn Pre March,.
Madona Alamanda de Vilarig, Madona Violant de March,
mre du dit En Pre March, Mossn Bernt de Vilarig, Mossn
Joffre de Vilarig; et En Guillem de Vilario' . Non seulement
Mossn Pre March, major dierum, d'accord avec les autres
personnes prsentes, approuve le mariage d'En Pre March,,
mais encore abandonne son petit-fils (al dit net seu) la pro-
prit pleine et entire du lieu du Verger (lo loch del Verger);
et lui donne, avec jouissance aprs son dcs, la somme de
10.000 sous. Il est stipul enfin que son petit-fils ne pourra
prendre dans ses biens, tant propres que dotaux, que la somme
de 25.000 sous, pour doter ses trois surs.
Toutes ces claoses sont videmment destines conserver
au jeune damoiseau, hritier de la race, une fortune qui lui
permette de ne pas dchoir du rang qui convient sa naissance.
(1)
Amador de LOS Rios, Obras del Marqus de Santillana, p.
10.
(2)
Madrid, Archive histrico nacionaj, oc. cit. Parchemin d:u 8 janvier1409:
40 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
Quant Auzias March^ il reoit, avec le droit d'administrer
ses biens, la partie principale du patrimoine. Son pre lui donne,
en effet, les lieux de Beniarj et Pardines, Valqueria de Vernia
et d'autres immeubles. De son ct, Leonor de Ripoll, sa mre,
lui fait abandon de sa dot et du creix, et laisse sa fille Pey-
rona 15.000 sous
(1).
Il ne semble pas que ce partage ait satisfait tous les int-
resss. Peut-tre Pre March junior, plus
g que son oncle
Auzias, esprait-il reprsenter son pre, Johan March, dans
tous ses droits
(2).
Ce qui est certain, c'est que, comme nous
allons le montrer, il songea prendre le nom de sa mre.
C'est encore lui que nous retrouvons, semble-t-il, en 1409,
parmi les gens de guerre dsigns pour suivre le capitaine Mos-
sn Guillem Ramon de Moncada, ancien gouverneur et vice-roi
du royaume de Valence, dans son expdition en Sardaigne
(3).
III
Sur ces entrefaites, le duc de Candie meurt, peu aprs avoir
pos devant le Parlement de Barcelone, prliminaire de celui
de Caspe, sa candidature la succession du roi Martin d'Ara-
gon (4).
Le vieux Pre March croit tre arriv, lui aussi, au
terme de sa carrire et il rdige son testament avec le soin et
la prcision dont nous avons constat l'empreinte dans chacun
des actes de sa vie. C'est le patriarche qui ne veut oublier au-
cun des membres de sa nombreuse famille. Le 9 dcembre 1410,
par devant le notaire Francesch Dalmau
(5),
il choisit comme
(1)
A Paz y Mlia, op. cit.,
p. 370, n.
Sur le creix, voir plus loin
p.
63.
(2)
La reprsentation n'a t introduite dans le code de Valence qu'en 1418
par le roi Alphonse V d'Aragon. (Voy. Furs, lib. VI, rubr. V, f. 1 et
2).
(3)
La mostra de la gent que dvia anar en Cerdenya en la capitania de
Mossen Guillem Ramon de Moncada... Itleni en Pre March per dos Baciners
(sic),
y
dos Pilarts... 89 l[iures]. Bib. nat. de Paris, Esp. 147, ad ann. 1409,
p.
195-196.
(4)
V. Balaguer, loc. cit., V, 415, 422.
(5)
A Paz y Mlia op. cil,
p.
370.
TESTAMENT DE PERE MARCH LE VIEUX 41
excuteurs testamentaires ses cousins Johan Roi de Corella
et Johan de Cabrera et demande tre enseveli dans la cha-
pelle du monastre de Saint-Jrme qu'il a contribu faire
construire. A son neveu_, Mossn Jacme Castell^ il assigne la
somme de 3.000 sous qu'il rclame en qualit d'hritier de son
frre Bartholomeu March, enterr par ses soins dans la chapelle
Saint-Marc de la Seu de Valence o son autre frre Arnau doit
aussi tre inhum.
Pour l'excution de ses dernires volonts, il ordonne de
vendre les meubles de ses maisons de Gandie et Beniarj, ses
livres, ses monnaies d'argent, environ 80 marcs, ses troupeaux
et divers cens.
Il reconnat avoir reu de sa femme Leonor 40.000 sous de
de dot et il prescrit de lui en restituer
20.000, avec ses robes,
perles et bagues. Il la nomme, en outre, tutrice de sa fille Pey-
rona, et, dfaut de sa mre, la tutelle appartiendra ses ex-
cuteurs.
A chacun de ses petits-enfants. Pre, Leonor, Yolanda et
Aldona, fils et filles de Johan March, il lgue cent florins.
Autant ses neveux Guerau, Gualba et Luis March. Cinquante
florins ses neveux Jacme et Arnau March.
Enfin son hritier universel est Auzias March.
Ces dispositions prises, il continue nanmoins grer les
intrts du fils an de son ancien matre, appel Alphonse
comme lui, mais dpossd du marquisat de Villena. Le nou-
veau duc lui cde mme, titre onreux, le 14 octobre 1411,
une rente que payaient son pre les ( universits de Dnia
et du lieu de Xabea
(1).
Mais, le 31 mars 1412, dsireux de faire une bonne fin, d'en-
trer, comme le dit son matre, au service de Dieu et de laisser
les affaires temporelles pour les ternelles, il abandonne son
office de procureur qu'il avait occup pendant plus de quarante
ans. C'est la retraite qu'il veut prendre, et, pourrait-on dire
aussi, qu'il dsire faire avant de comparatre devant le Juge
ternel
(2).
Le duc, qui il remet sa lettre de procuration (carta de pro-
curacw),ne savirait se sparer d'un tel collaborateur sans lui
(1)
A. Paz y Mlia, loc. cit.,
p. 37L
(2)
Rev. de bibliog. caL, I, 139.
42 CHAP. III. ORIGI^fES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
tmoigner publiquement toute sa gratitude pour tous les
bons_, loyaux et mmorables services qu'il a rendus son pre
et lui-mme, et il lui octroie la juridiction civile et criminelle
sur le lieu de Beniarj et les alqueries, c'est--dire les fermes^
de Pardines et Vernia. Ce privilge avait appartenu, depuis
1356, Ramon Castell, descendant, comme notre Pre March,
d'un des premiers colons de Gandie aprs la conqute
(1).
Il
consistait dans le droit de connatre de toute accusation cri-
minelle et de tous les procs civils contre toutes personnes,
except les vassaux du duc, et d'infliger toute peine afflictive
aux Sarrasins qui habitaient le territoire de sa justice. Le duc
ne se rservait que la ranon et la composition pcuniaire de
la peine de mort
(2).
En acqurant ainsi la plus haute justice qui, d'aprs les Furs
de Valence, pouvait appartenir un seigneur, Pre March
obtient pour lui et pour ses successeurs la proprit pleine et
entire de son fief.
Mais la satisfaction que lui a cause la faveur du duc ne tarde
pas tre grandement attnue par un deuil qui l'atteint dans
ses sentiments les plus profonds. Sa petite-fille, par alliance,
meurt, Gandie, le 20 septembre 1412, peine ge de vingt
ans, pendant l'absence probable de son mari Pre March ju-
nior, rcemment arm chevalier. Ptri March junioris, militis,
hahitatoris i'ille Gandie quondam. Un inventaire des biens de
la jeune femme, de ses robes et de ses bijoux, dress le 9 no-
vembre suivant, nous donne, en mme temps que la date de
son testament et de sa mort, des renseignements prcis et cu-
rieux sur la toilette et les gots d'une patricienne de Gandie,
au dbut du xv^ sicle
(3).
Le 5 janvier 1413, le duc confirme le privilge et la juridic-
tion qu'il lui a concds quelques m.ois auparavant. Le nouveau
seigneur justicier, qui dsire marquer son entre en charge par
un acte de haute bienveillance, obtient, en outre, de son suze-
(1)
Le nom de R. Castellanus figure plusieurs fois dans la Rpartition de Va-
lence (Doc. ind. del arch. de Aragon, XI, 349, 366, 383, 415). C'est prcisment
lui que le roi Jacme donna, en 1248, l'alqueria de Beniarj.
(2)
Rei'. de bibliog. cal., I, 139-147.
(3)
Madrid, Archive Histrico nacional,
no
222. Jeronimos de Cotcdha. Par-
chemin du 9 novembre 1412.
MORT DE PERE MARCH LE VIEUX 45
rain et prdcesseur une amnistie en faveur de ses vassaux,
tant chrtiens que sarrasins, pour toutes les condamnations
civiles et criminelles prononces jusciue-l son profit
(1).
Mais ride de sa mort prochaine s'impose encore lui, et,
par un codicille en date du 8 mai 1413, il introduit dans son
testament quelques modifications importantes. Estimant que
la seigneurie de Beniarj et autres lieux est un apanage suffi-
sant pour Auzias, il lgue ses petites-filles Yolanda et Al-
dona, une partie de la rente que lui font les communaux de
Dnia et Xabea. Mais, en revanche, il donne son fils pour sa
maison seigneuriale de Beniarj c{u'il ne convient pas de laisser
sans armes, toutes ses cuirasses, ses arcs, flches, lances, bou-
cliers, etc. Enfin sachant que son petit-fils. Pre March junior^
prtendait abandonner, sa mort, le nom de March pour celui
de Vilarig, il dclare c{u'un tel projet est absolument contraire
sa volont. Il demande, en tout cas, qu'il ne puisse changer
de nom cjue s'il lui choit un hritage au moins gal la substi-
tution qu'il lui faisait de ses biens, dfaut d'Avizias. Si cette
condition ne se ralise pas et cjue son petit-fils prenne nan-
moins un autre nom, il veut que cette substitution soit nulle
et qu'elle ait lieu en faveur de son neveu Luis, fils de Jacme,
seigneur d'Arampruny
(2).
Sous la scheresse laconique de cette dernire clause on sent
la sourde irritation d'un homme fier du nom qu'il porte et qui,
aprs l'avoir rendu plus glorieux encore par toute une vie de
probit et d'honneur, voudrait en assurer autant que possible
la perptuit. La fin de sa vie en fut certainement assombrie.
Est-ce cause de son petit-fils ou pour remplir quelque mis-
sion de confiance de son ancien matre qu'il entreprend, aus-
sitt aprs et malgr son grand ge, de se rendre au nord-est
de l'Espagne, Balaguer, dans le comt d'Urgel ? Cette der-
nire hypothse est la j)lus vraisemblable. On sait, en effet,
que le duc de Gandie tait le vassal de Jacme le malheurtux, et
nombreux devaient tre alors les rapports qu'entretenait avec
lui l'ancien prtendant la couronne, qui s'obstinait ne pas
rendre hommage son nouveau roi, Fernand d'Antequera, et
se prparait mme lui rsister par les armes.
(1)
Rev.. de bibliog. cat., 146.
(2)
A. Paz y Mlia, loc. cit.,
p. 371.
44 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES DA. MARCH (sUITe)
Quoi qu'il en soit, le vieux Pre Mardi meurt, le 7 juin
1413(1)
Balaguer, loin de sa famille et du pays aime o il dsire re-
poser da.ns son dernier sommeil. Mort brutale qui voque natu-
rellement ces vers d'une de ses mditations sur la faiblesse
humaine :
Trop es cert fayt que no podeni gandir
A la greu mort, e que no
y
val metgia,
Fora ne giny, rictat e senyoria,
E trop incert lo jorn que deu venir!
(2)
[Al piint c'om naix, v. 9-12).
Quelques jours aprs, la nouvelle ])arvient Gandie, et, le
16 juin
(3),
a lieu, Xativa
(4),
l'ouverture de son testament
chez le notaire Francesch Dalmau. Aprs avoir pris connais-
sance de ses d-ernires volonts, ses |)arents et amis se proc-
cupent de faire apporter sa dpouille Gandie. Mais les com-
munications sont lentes et difficiles entre Balaguer et le
royaume de Valence. En outre, la guerre est engage entre Tlu
de Caspe et le comte d'Urgel. Balaguer est sur le point d'tre
assig par les troupes royales
(5).
Pendant ce temps on dresse l'inventaire de ses biens
(6),
afin d'excuter les legs que nous avons mentionns. Mais, pour
des raisons de haute convenance, la vente est ajourne aprs
le suprme hommage que s'apprtent lui rendre ses vassaux
et ses concitoyens.
Ce n'est que l'anne suivante, le l^'" aot
1414,
que le Roi
donne l'ordre
(7)
Mossn Ramon d'Empuries, son lieutenant
(1)
A. Paz y Mlia, loc. cit.,
p. 370.
(2)
D'aprs le Canoner de Paris. Bib. nat. Esp. 225, fol. 126. Cf. Torres
Amat, Dicc,
p.
371 et Mila, Resenija, 128 {Obras, III, 159).
(3)
Suum ultimum condidit testamentum receptum per discretum Fran-
ciscum Dalmau quondam notarium die nona Decembris anno Domini M
CCCC X et publicatum per dictum notarium die sexta dcima junii anno do-
mini M CCCC XIIIo, cum quo heredem suum universalem fecit Ausiam
March, filium suum, ad omnimodas voluntates... Valence, Arch, de la Curia
Eclesistica, A 22-187

3 Jacobum Torrella et Gabrielem San (7


juin 1485),
fol. VIII.
(4)
Ces ce qui semble rsulter du renseignement fourni par Ortiz Cerd
y
Rico, op. cit.,
p. 292.
(5)
V. Balaguer, op. cit., V, 464.
(6)
A. Paz y Mlia, loc. cit.,
p.
371.
(7)
J. RuBi Y Ors, loc. cit.,
p. 89.
LA BIBLIOTHQUE DE PERE MARCH 45
dans le comt d'Urgel^ aux viguier et autres officiers^ ainsi
qu'aux autorits ecclsiastiques de la cit de Balaguer^ de li-
vrer immdiatement ses parents et amis les restes de son
u am Mossn Pre March, pour c{u'ils puissent les transfrer
Valence et leur donner la spulture dans le monastre de
Saint-Jrme de Gandie^ avec toute la solennit rec[uise.
Cette crmonie une fois termine_, on procde^ le 16 d-
cembre^ la vente aux enchres de tous les meubles c{ue s'tait
rservs le dfunt. Nous
y
remarquons quelques objets d'ar-
genterie offerts par Yaljama de Beniarj sa femme_, Leonor
Ripoll^ deux esclaves^ dont un noir^ et^ surtout^ plusieurs
livres qu'il est intressant d'examiner de prs pour savoir s'il
y
a quelcjue accord entre ses lectures et les ides qui lui sont
chres.
Les trente-sept volumes, trop sommairement dsigns dans
cet inventaire
(1),
ne sont probablement pas toute la librairie
(1)
La publication qu'en a faite A. Paz
y
Mlia rend leur identification d'au-
tant plus difficile qu'on
y
trouve

et l des termes castillans videmment
surajouts. Nous indiquons ci-dessous, dans l'ordre alphabtique pour chaque
genre, les titres, corrigs chaque fois que possible, avec les ouvrages connus de
nous auxquels ils se rapportent :
1. Breviari.
2. De contemplaciones (sic), de San Jernimo.
3. De dilectio e caritat.

- (Peut-tre la traduction du livre De amore et dilec-
tione Dei et proximi d'ALBERTANO di Brescia. Cf. A. Morel-Fatio, Cat. des
mss. esp. de la Bib. AaL, n 79, 2).
4. De humilit., de San Gregorio.

(De homiliis ?

-Il n'y a pas de trait De
humilitate dans les uvres de Saint-Grgoire le Grand).
5. De Ignocent, sobre los siete salmos.

(On sait que le Commentariuni in


septem psalmos pnitentiales du pape Innocent III fut traduit en catalan, la
demande mme de Berenguer March, matre de Muntesa, par le dominicain
Johan Romeu. En voici le titre : La exposiei dels VII psalms penitentials
jeta per Papa Innocent ter iralladada de lati en roman per^frare Johan
Romeu, dels jrayres preycadors. (Cf. Villanueva. Viage, XVIIII, 169
;
ToRREs Amat, Dicc., 563, et A. Morel-Fatio, Kat. Lit.,
p. 89).
6. De notes e proser de cant, de Santa-Maria
(Prosier not avec hymnes en
l'honneur de la Vierge).
7. Evangelis e exemples del Novell Testament. (Voir ci-dessous
ns
11 et 12).
8. Exacutori de penssa a Deu.

[Excitatori ? Trad. cat. de VExcitatorium
mentis inDeum de Bernt Oliver, de Valence, prdicateur de Pierre IV d'Ara-
gon,
(tl348). Cf. A. Morel-Fatio, Kal. Lit., 97).
9. Examenon.
{Exameron, Voir n" 10).
10. Exameron, de San Ambrosio. (Sancli Aniin-osii mcdiolancnsis episcopi
46 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCII (sUITe)
de Pre March : ils n'en constituent peut-tre mme pas Tes-
sentiel. On a peine croire^ en effet^ que les excuteurs testa-
inentaires aient priv sa famille de tout ce que le pre lisait le
plus souvent et son fils Auzias de ce qu'il aimait le mieux.
Les livres latins sont les plus nombreux. Rien de plus naturel.
C'tait le fond mme de la culture du Pre March, comme de
ses contemporains. Cependant on
y
note une quantit relati-
vement leve de textes catalans^ bien c[u'il ne soit gure pos-
sible d'admettre qu' tout titre catalan de l'inventaire rpond
ncessairement un ouvrage crit en cette langue. Il
y
en a aussi
trois en franais^ le Brunet Latin, le Sidrach et un livre de droit
civil.
La thologie^ la liturgie et le droit canonique
y
occupent
une si grande place qu'on est tent de croire que Pre March
avait hrit d'une partie au moins de la bibliothque de son
oncle, le chanoine Berenguer March (n^- 1 20).
Hexameron libri sex, Paris, 1686, in fol.,
p.
1. Le prince de Viane en avait un
exemplaire, Doc. ind. del Arch. de Aragon, XXVI, 49).
11. Exemplari.
(Voir n^ 7 et 12. Sur un recueil d'exemples catalan, cf. A.
Morel-Fatio, l. c, p. 96).
12. Exemples de la S. Escriptura.

(Peut-tre le recueil De exemplis sacre
Scripturse de Nicolas de Haxapes
; voir Hist. litt., XXIX, 551).
13. Ignocent.

(Voir
no
5).
14. Ordinacions de la Iglesia.
15. Part de la Vida de Sent Silvestre.
16. Que la persona rica salvar no s pot....
17. Questiones de la anima e dl cos.

(Est-ce les Qusestiones de Anima attri-


bues Gilles de Rome ? Cf. Hist. litt., XXX, 462).
18. Salterio.
19. Otro, escrito de letra bolonesa, storiat.
20. Sermons dominicals.

(Probablement le Dormi secure, attribu au
Franciscain Jean de Werden, et dont l'dition la plus ancienne, de 1481, avait
pour titre Sermones dominicales cum Expositione Evangeliorum, Dormi secure,
velDormi sine cura. Cf. Hist. litt., XXV, 74-77 et Catal. de laBibl. du roi Martin,
noi).

21. Breviari d'amors, en pergami.



(L'uvre de Matfre Ermengau
avait t traduite en prose catalane ds le xiv sicle ;
cf. Bib. nat. de Paris.
Mss. Esp.,205 et 353).
22. De regimine principum.

C'est le texte latin d'Egidio Colonna


;
cf.
Hist. litt., XXX, 517).
23. Llibre apellat Cidratus.

(Sidracii, La Fontaine de toutes les Sciences,


f
LA BIBLIOTHQUE DE PERE MARCH 47
Les sciences et la philosoj^hie^ surtout la politique et la mo-
ra e, viennent ensuite (n^ 21
30).
Les belles-lettres ne sont reprsentes, proprement parler,
que par deux ouvrages de grammaire ou de lexicographie et
deux de posie. C'est peu pour un pote. Mais on peut ais-
ment expliquer, comme nous l'avons vu, pourquoi ne figu-
raient cette vente qvi'un petit nombre de livres de littra-
ture
(nOs
31 34).
Enfin, il n'y a qu'un seul ouvrage d'histoire, un de cheva-
lerie et un autre de droit civil (n^ 35 37).
La varit de ces livres parat suffisante pour l'poque,
mais, si l'on fait abstraction des ouvrages religieux et tholo-
giciues cjui n'intressaient pas spcialement un laque, on
Hist. litl., XXXI, 285-318
;
une version catalane a t publie en partie par la
Revista Catalana, fv.-mars 1892).
24. Llihre apellat Doctrina puril, en paper. (Texte catalan du De doctrina
puerili de Ramon Lull, pub. Palma, 1736, et Barcelone, 1907).
25. Llihre de cilurgie apellat cidrat.
[Libre de clergie...
;
texte franais de
SiDRACH ;
voir n" 23. L'expression livre de Clergie est applique, dans quelques
manuscrits, VImage du Monde, Hist. litt., XXIII, 299).
26. Llibre de conseils e doctrines ordenat per en Ramon Lull.

(Liber de con-
silio, Hist. litt., XXIX, 328, n 220).
27. Manipulus florum.

(Recueil de maximes morales contimenc par Jean


de Galles et achev par Thomas d'Irlande, Hist. litt., XXV, 188
; XXX, 401).
28. Suma de collatione, en romance.
(Communiloquium ou Summa colla-
tionum de Jean de Galles, Hist. litt., XXV, 180
;
sur les trad. castillane et
catalane, cf. A. Morel-Fatio, Kat. Lit.,
p. 95).
29. Tesaurus paupei'um.

(La version catalane de ce Trait de mdecine


de Pierre d'Espagne, pape Jean XXI, a t publie dans la Revista catalana,
janv.-avril, 1892).
30. Trsor de la lengua francesa.

(Li livres dou Trsor, de Brunetto La-
TINO).
31. Canoner.
(Cf. A. Rubi
y-
Lluch, Documents...,
p. 346, 347).
32. Diccionari e flors de cables. (Est-ce le Diccionari ou Libre de Concor-
dances de Jacme March
?)
33. Sinonimes de Sont Isidre.
(Synonima Isidori Ilispalensis episcopi, Pa-
ris, 1580, in-fol., pars II, fol.
54).
34. Uguti. (Probablement les FeroruMi derivaliones d'Ucuccio.NE, Hist.
litt., XXII, 9-11).

35. Canoniques de reijs (Cf. A. Rubi y Lluch, loc. cit., p. 123).


36. Instituci de art de caualleria.
37. Sumari de rgles de dret, en francs.
48 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
s'aperoit que les vritables amis de Pre March^ ce sont les
crivains politiques et les moralistes ^ tels c[ue Matfre Ermen-
gau, Egidio Colonna^ l'auteur anonyme de Sidrach, Ramon
Lull, Jean de Galles^ Thomas d'Irlande^ Brunetto Latino^ etc.
Les encyclopdies et les recueils de maximes lui offrent sur-
tout le meilleur moyen de complter son exprience et ses r-
flexions personnelles et contribuent donner ses posies le
caractre grave et moralisateur^ que nous retrouverons aussi
dans l'uvre de son fils et digne successeur.
IV
Deux parents^ probablement mme deux frres de Pre
Mardi, mritent encore d'tre signals pour l'influence qu'ils
ont pu avoir sur lui et sur son fils.
Berenguer March,
'(
de naci catal )>. suivant le Libre de
Memories
{1),
n Barcelone, d'aprs Samper
(2),
fut lu, le
25 juillet 1382, matre de l'ordre de Muntesa, malgr le Roi
cfui
avait un autre candidat. Il fut un des lettrs que le roi
Jean P'" avait pour conseillers et qui, aprs sa mort, furent
(1)
Paris. Bib. Nat. Ms. Esp.,
147, p. 92.
(2)
Frey Hipp. de Samper, Montesa Ilustrada, II,
nO
806, p.
485.

Samper
ajoute qu'il tait fils de Ramon March, seigneur d'Arampruny, et de dona
Elisen de Millas, de la maison des seigneurs de Millas, prs de Girone. Il aurait
eu, suivant lui, deux frres, Jacme et Lle, et une sur Yolanda. Jacme, l'an
de la famille, aurait succd son pre
;
Lle aurait t nomm par son frre
lieutenant-gnral du matre de Muntesa. Yolanda aurait pous Bonanat de
Vallebrera, de Murvedre. Mais on ne peut avoir que trs peu de confiance en
Samper qui parle souvent par ou-dire et a commis sur quelques points des
erreurs manifestes. D'autre part, J. Torres
y
Reyet ne mentionne pas Ramon
March parmi les seigneurs d'Arampruny. En outre, les Documents de Rubi
Y Lluch nous apprennent qu'en 1384 deux frres, Jacme et Pre March, qui
ne peuvent tre que les deux potes dont nous avons parl, taient en relation
avec un Lle March, sans dire quelle tait leur parent avec lui. Le contrat de
mariage de Pre March junior nous montre aussi Berenguer March faisant
partie, en 1409, du conseil de famille du petit-fils de Pre March le vieux. En-
fin Paz
y
Mclia affirme expressment que Berenguer tait frre do Pre le pote.
Ce sont l, il faut l)icn l'avouer, de fortes prsomptions en faveur de leur filia-
tion commune.
i
BERENGUER MARCH II. ARNAU MARCH
49
poursuivis sur l'ordre de la nouvelle reine Maria de Luna
(1),
et il est certain qu'il avait, comme Jacme et Pre, des gots
littraires assez prononcs, puisque, sur ses conseils, le domi-
nicain, frre Johan Romeu, traduisit les commentaires d'In-
nocent III sur les Sept psaumes de la Pnitence
(2).
En cher-
chant ainsi vulgariser les uvres d'un des plus grands pon-
tifes de l'Eglise, il a voulu^ comme le dit le traducteur^ dans
son Prolech, >< allumer le feu de la dvotion chez les indiffrents
et encourager les tides la prire et aux autres bonnes
uvres . Cette proccupation, si naturelle qu'elle ft chez un
homme plac la tte d'un ordre religieux de Chevalerie, d'une
milice place sous l'invocation de la Vierge Marie, le rapproche
de Pre March, presque toujours soucieux, nous le verrons,
de faire servir la posie la diffusion des ides morales.
Berenguer March fut arm chevalier Saragosse, le
14 avril
1399,
par le roi Martin, le jour mme de son couronne-
ment, et charg de la bannire de Saint-Georges
(3).
C'est de
lui que date d'ailleurs la runion des ordres de Muntesa et de
Saint-Georges
(4).
Il prit part, fen 1401. aux Corts qui eurent
lieu Segorb
(5)
et mourut San Matheu, le 8 mars 1409.
Arnau March a encore plus de titres figurer dans cette
gaierie de portraits. Pote un peu antrieur Auzias, il es!
vraisemblable qu'il a influ sur lui. Il nous a laiss, en effet,
quelques uvres dont la principale, la chanson tensonne

Presumptus cor pl de vanilais, a d tre compose de 1409
1422. Les chansonniers, qui nous l'ont conserve, rappor-
tent que la sentence par laquelle elle se terminait avait t
supprime, sur l'ordre de la reine Marguerite. Or l'on sait que
la reine Marguerite, femme de Martin I"*, marie le 17 sep-
tembre 1409, veuve le 31 mai 1410, s'est intresse aux lettres,
pendant les longs sjours qu'elle fit, aprs la mort du Roi,
Barcelone, Perpignan et Valence, et qu'elle est morte en
1422
(6).
C'est donc une poque o Auzias March n'avait pas
(1)
ZuRiTA, II, 10, ch. Lvii, fol. 415, col. 4 ;
Feliu, II, 340.
(2)
Voir plus haut,
p. 45, note.
<3)
Libre de Memories, p.
92
;
Zurita, II, 10, ch. lxix, fol. 433, col. 4.
(4)
Lib. de mem.,
p.
92.
(5)
Arch. de Osuna, 2206-1. Procesos de Certes, ad ann. 1401.
(6)
MiLA Y FoNTANALs,Otrtw, III, 334. Les dates que nous citons sont ex-
traites de P. DE BoFARULL, Los condes uindicados, II, 296.
Am. Pages.

Auzias March.
4
50 CHAP. III. ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)'
encore commenc crire cjue s'est exerce l'activit potique-
du protg de la reine Marguerite.
Mais il est difficile de savoir exactement c[uels taient leurs
liens de parent. Un Arnaldus March, i'icinus Gandie, assiste^,
le 20 avril 1373^ en qualit de tmoin^ une vente de cinquante
sous royaux de monnaie de Valence faite Johan de Cabreraj,
en prsence du notaire de Gandie^ Bartholomeu Dalmau^ par
les Sarrasins de l'alqueria dite Lo Rafal d'en Siscar
(1).
Quel-
ques annes plus tard^ le
1^^
fvrier 1406^ les protocoles de
Ramon Agualada le mentionnent comme alcaydus loci de Be-
niarj
(2).
On ]>eut identifier cet Arnau March avec celui
qu'A. Paz
y
Mlia considre comme un des frres de Pre March
et qui^ au moment o ce dernier rdige son testament^ c'est-
-dire le 9 dcembre 1410^ avait dj cess de vivre, puisque le
seigneur de Beniarj ordonne que ses cendres seront transpor-
tes de Foyos Valence dans la chapelle de la Seu.
C'est_, d'autre part, son fils, neveu, par consquent, de Perc
March, que s'adresse le legs de cinquante florins inscrit la
fin du mme document
(3).
On peut admettre que ce neveu de Pre March est bien l'au-
teur des posies attribues Arnau March, contemporain de
la reine Marguerite
(4).
Nos documents offrent quelques indi-
cations qui le concernent presque srement. Le 25 aot 1424,
sa femme Anthonia, uxor Arnaldi March, vicini ville Gandie
reconnat devoir Berenguer Bages, de Cullera, la somme de
sept livres royaux pour un mulet noir, precio unius mulli pili
negri
(5),
et, ce qui prouve tout au moins ses rapports avec
notre famille de potes, c'est que le mme bourgeois de Gan-
die sert un peu plus tard de tmoin dans un acte par lequel.
Elionor de Ripoll, veuve de Pre March, atteste qu'il lui a t
rembours par Francesch Ferrer la somme de trente hvres
(1)
Madrid, Archivo Ilistiico Nncional, n" 218. Parchemin.
(2)
Arch. de Osuna.
Gandia, n 1122.
(3)
Re^'. de Archivas, V, 370.
(4)
Les Archives d'Osuna {Gandia, n 1212 ;
Protocoles Pugeriol de 1417)
mentionnent, il est vrai, la date du 10 mars 1417, une vente faite au notaire
Guillcimo Ferrarii, de Gandie, d'une rente de 33 sous par Arnaldus March.
et Bartholomeus March, vicini ville Olive .
(5)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210. Protocoles P. Belsa, ad ann. 1423-24.
GNALOGIE d'aUZIAS MARCH 51
rovaux de Valence qu'elle avait donnes pour l'achat d'un
rente censive de cinquante sous
(1).
Voici donc^
(p. 52)^
si les rapports que nous avons cru d-
couvrir entre les prdcesseurs d'Auzias March sont tous fonds,
comment on pourrait reconstituer, dans ses lments essen-
tiels, sa gnalogie :
Certes ces pages n'ajouteront rien sa gloire et ne relve-
ront aucunement son mrite propre. Mais de telles recherches
ne paraissent cependant pas devoir tre inutiles l'tude de
la formation de son esprit et de sa posie. Quelque imperson-
nelle que puisse paratre son uvre, on ne peut la comprendre
entirement qu'en replaant l'auteur dans son milieu et pour
ainsi dire dans sa ligne.
La famille des Marchs n'est point de noblesse ancienne. Elle
appartient d'abord cette bourgeoisie qui constitue, Barce-
lone, la classe des citoyens honors. Mais ses premiers repr-
sentants sont dj pourvus d'emplois publics et ne tardent
pas s'lever aux plus hautes charges de la maison du Roi.
Notaires, trsoriers ou conseillers de la Cour, leur zle servir
les rois d'Aragon leur vaut l'honneur d'tre admis de bonne
heure dans la Chevalerie et de rehausser leur nom du prestige,
si grand l'poque, de la noblesse d'pe.
Leur fortune suit la mme ascension. Les rois rcompensent,
par des concessions de terres ou d'autres donations, leur d-
vouement leur personne et leur courage sur les champs de
bataille. A Barcelone et Valence, o le chef de la famille a
obtenu de Jacme
^'",
aprs la reconqute, quelques proprits,
le patrimoine familial s'agrandit et peut, vers le milieu du
xv^ sicle, tre ddoubl sans dommage pour le nom.
Les biens de Barcelone et la seigneurie d'Arampruny de-
viennent l'apanage d'une branche de la famille, ceux de Va-
lence et de Gandie, avec le fief de Beniarj, sont attribus n
l'autre.
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, nP 1212. Protocoles P. Belsa, ad ann. 1426.
52 CHAP. III.
ORIGINES PATERNELLES d'a. MARCH (sUITe)
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CARACTRE DES MARCHS 53
Avec la richesse augmentent les loisirs. A la Cour du Roi ou
dans l'entourage des ducs, les savants et les potes se donnent
rendez-vous. On devise d'armes et d'amour au son de la mu-
sique des jongleurs. Le monarque lui-mme et ses plus hauts
barons se piquent d'crire dans la langue la plus avenante et
la plus fine ,
suivant Ramon Vidal de Besal, en limousin >',
ou plutt en provenal.
Elevs dans un tel milieu, les Marchs inclinent naturellement
vers les belles-lettres. Ils croient que le got des tudes litt-
raires est compatible avec la valeur militaire, et ils diraient
volontiers avec le marquis de Santillana ; La sienia non
embota el fierro de la lana, nin face floxa el espada en la mano
del cavallero
(1).
)
Tous reoivent d'ailleurs une ducation foncirement reli-
gieuse. Mais les cadets, qui ne peuvent aspirer ni aux titres ni
aux dignits, se consacrent plus particulirement l'tude de
la thologie en entrant dans le clerg ou la dfense de la reli-
gion et de la civilisation en s'affiliant aux ordres militaires.
Aussi la posie ne sera-t-elle point pour eux un simple dlasse-
ment, ni une pure distraction, mais surtout un instrument de
propagande morale ou religieuse.
Issu d'une famille de chevaliers, comptant parmi ses pa-
rents collatraux des ecclsiastiques ou des guerriers sou-
mis une discipline monacale,fils, neveu et cousin de potes
soucieux de moralisation, Auzias March ne pouvait que diffi-
cilement se soustraire toutes ces influences, et il serait trange
que de tels exemples et une hrdit aussi multiple n'aient pas
laiss quelques vestiges dans l'esprit et dans l'uvre d'un
crivain, en qui toutes les forces vives de la race devaient
s'panouir comme dans son dernier rameau.
(1)
Ohras del Marqus,
p.
24,
CHAPITRE IV
ENFANCE ET JEUNESSE D AUZIAS MARCH
Une petite ville^ enserre dans de hautes murailles qui la
dfendent encore contre les rvoltes toujours possibles des
musulmans^ moins d'une lieue de la Mditerrane avec la-
quelle elle communique par une platja ou grau qvie frquentent
les barques catalanes. Dans cette forteresse
(1)^
sur un des
bords de la rivire d'Alcoy^ dont les "mandres se droulent au
milieu de Vorta la plus riante, le palais o Alphonse, marquis
de Villena et duc de Dnia, reoit l'hommage de ses vassaux.
C'est Gandie o Auzias March nat, vers
1397,
probablement
dans une maison du Carrer major
(2),
peut-tre mme dans une
de celles que son quadrisaeul avait reues, en 1249, de Jacme I^^
le Conqurant.
Aucun texte n'affirme expressment que notre pote a vu
le jour Gandie. Mais ses parents
y
taient installs l'poque
de sa naissance, et, comme nous le verrons, il
y
a pass lui-
mme son enfance et sa jeunesse. Si donc il se nomme valen-
cien dans une de ses dernires posies :
La velledat en Valencians mal prova
e no se com yo fassa obra nova,
(CXII, 9-10),
(1)
Voy. la description de Viciana, Segunda parte de la Crn. de Val.,
pp.
24
et suiv.
(2)
Romania, XVI, 196.
GANDIE
55
c'est qu'il est n dans le royaume de Valence et valencien par
cela mme ou qu'habitant la ville de Valence vers la fin de sa
vie, au moment o il crit ces vers^il a pu la considrer comme
sa seconde patrie.
Gandie est presque entirement habite par des chrtiens
et jouit des liberts communales depuis le
1^
novembre 1323,
de par la volont de Jacme II
(1)
;
mais la population des envi-
rons est, sauf de rares exceptions, compose de Sarrasins
rduits une sorte de servage. Excellents agriculteurs, ils
continuent faire, par leur travail opinitre, la prosprit de
cette rgion
(2).
Leurs matres seuls ont chang, car ils jouis-
sent, sous la domination chrtienne, du libre exercice de leur
culte et de leurs lois. Comme le dit Auzias March lui-mme :
Tenir sa ley, e, si es moro, una,
e Deu ladonchs lo far segur d'ell.
(XXX, 59-60).
Le marquis de Villena, duc de Dnia, comte de Ribagora, etc.
ne rside que rarement dans ce pays. Il prfre ses possessions
du Nord. Mais, depuis 1370 environ, son vassal. Pre March,
dont il a dj apprci la valeur sur les champs de bataille, le
reprsente, en vertu d'une procuration gnrale, dans toutes
les villes, chteaux, lieux et seigneurie qui sont en son_ pouvoir
sur le territoire de Valence. C'est un chevalier sans peur et
sans reproche, un administrateur habile, et aussi, ses moments
de loisir, un crivain qui admire les troubadours et croit
J'minente dignit de la science et de la posie.
Mari une premire fois, il a eu, comme nous avons cru pou-
voir l'induire de plusieurs faits, quatre fils, dont l'an devait
jjorter le mme prnom que lui et est mort en bas-ge.
Devenu veuf, il pouse, Valence, le 2 septembre 1379,
Elionor de Ripoll, avec l'espoir d'avoir un autre fils qu'il
appellera Pre, comme le premier qu'il a perdu. Mais, si la date
du mariage indique par D. A. Paz
y
Mlia est exacte, il semble
<jue les joies de la maternit aient t refuses pendant long-
temps sa seconde femme.
(1)
ElArchiiv, IV, 323.
i(2)
Cronica del rey en Pre, per B. Desclot, ch. l, d. Buchon, p. 605.
56 CHAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE DAUZIAS MARCH
Une fille lui nat. Il lui donne le prnom de Peyrona^ la
plaant ainsi sous la protection de saint Pierre^ auquel taient
vous les fils ans dans sa famille. Il doit renoncer au rve
qu'il avait fait^ une seconde fois, de transmettre son patri-
moine, avec ses titres et dignits, un enfant mle qui lui
succderait entirement. Sa dconvenue se change en la plus
profonde affliction, lorsqu'il s'aperoit que sa fille est sourde-
muette de naissance.
Un autre fils vient heureusement attnuer sa douleur. C'est
Auzias, n, avons-nous dit, vers 1397, mais plutt avant
qu'aprs. Cette date reste simplement probable parce qu'elle
rsulte du rapprochement de deux faits, l'un certain, mais
indtermin, l'autre dtermin, mais invoqu dans un acte de
procdure. Disons cependant qu'il faut renoncer dfinitive-
ment le faire natre, en 1381, comme l'a propos D. Ant. Paz
y
Mlia_, s'appuyant unic{uement sur la date du mariage de
son pre avec Elionor de Ripoll. D. Ant. Paz
y
Mlia nous
apprend, d'autre part, que Pre March a mancip son fils le
8 janvier 1409, en mme temps qu'il lui a fait donation de la
seigneurie de Beniarj et autres lieux. Il est facile, ds lors,
de reconnatre que la date de 1381 est trop avance, car, ce
compte, Auzias March n'aurait t mancip qu' 28 ans.
Un des renseignements de D. A. Paz
y
Mlia lui-mme nous
permet d'entrevoir tout au moins la vrit. Si Pre March
mancipe son fils Auzias, c'est pour qu'il puisse, avant sa mort
qu'il sent proche, lui cder tous ses droits. Or il est prsumer
qu'il a accompli cet acte ds que son fils a atteint l'ge requis,
c'est--dire 12 ans. En plaant sa naissance aux environs de
1397, il avait donc 12 13 ans au moment o son pre rdi-
geait ses dernires volonts
(1).
Cette date est encore confir-
me par le Mmorial de la Audiencia de Palma qui fixe 1422
la reddition par Elionor de Ripoll des comptes de tutelle de
(1)
Remarquons que, d'aprs les Furs (liv. V, rubr. VI, fol. 3, 10, 14),
la
majorit de 15 ans fait cesser la tutelle pour les deux sexes. Auzias March,
soumis en 1409 la tutelle de sa mre, n'avait donc pas enoore 15 ans.
D'autre part, la substitution que son pre fait en faveur de Pre March /vu'or
nous permet d'aboutir la mme consquence, car le fds qui n'avait pas
15 ans ne pouvait pas tester (Furs, Hv. VI, rubr, IV, fol. 43, 102) : d'oii la n-
cessit de cette substitution. Cf. Ch. de Tourtoulon. op. cit., II, 262 et suiv.
SAINT AUZIAS DE SABRAN 57
son fils
(1).
D'o il est possible de conclure qvi' cette date
Auzias March avait dpass sa majorit.
Auzias^ prnom nouveau, inconnu jusque-l en Catalogne et
qui a longtemps exerc en vain la curiosit des biographes. Il
faut
y
voir, comme je l'ai tabli ailleurs
(2),
le nom vulgaire de
saint Elzar de Sabran, dont l'histoire singulire mrite d'tre
conte. N en Provence, prs d'Apt, en 1285, ce riche seigneur,
fils du comte d'Ariano, Hermengaud de Sabran, pouse, l'ge
de dix ans, Delphine de Glandenez. Mais la jeune fiance a
vou Dieu sa virginit, et, le soir de ses noces, exhorte son
mari suivre son exemple, lui citant pour modles sainte C-
cile et saint Valrien, saint Alexis et sa femme et d'autres
saints et saintes qui ont gard la continence monastique sous
le toit conjugal. Elzar, touch de la grce, fait alors le mme
vu, et, pour s'aider le garder, se soumet, aux cts de sa
femme, la discipline la plus austre et au jene le plus rigou-
reux. Il meurt Paris en 1325 et est canonis en 1369. Quant
sa femme, elle fut simplement batifie
(3).
La renomme de saint Auzias dpassa fies limites '^de la Pro-
(1)
E l'altra cxcepcio que s diu per la part altra es que la dita Na Elionor
de Ripoll fonch tudriu de Mossen Auzias March, son fill, de la quai administra-
cio no don compte, e pero resta deutora al dit son fill, lo quai deute hauia de
pagar la dita Na Peyrona com a hereua de la dita Na Elionor llur mare. La
quai excepcio no obsta, car la dita Na Elionor, en aprs fet major son fill mos-
sen Auzias, fonch per aquell diffinida, e resta aquell deutor en .VIII. milia
y
tants sous, los quais lo dit Mossen Auzias March li confes deure ab contracte
de resta de finament de comptes. E no obsta dir lo que diu la part altre,
que ladita Na Elionor, aprs de formar lo dit debitori dels dits .VIII. milia
DLXXXVI sols II. dinars, aquella hauria administrt e rebuts los fruyts del
dit Mossen Auzias, los quais prenien tanta sumaque pa gauen los dits .VIII.
M. DLXXXVI sols II, e restaua en poder de aquella la major cantitat
;
al que
satisfent, se diu que en l'any .XXII. fonch lo dit compte e format dit debitori, e en
aprs cessa esser ver que la dita Na Elionor de Ripoll rebes fruyts ni rendes
algunes de dits lochs, e si alguna cosa rebe ho rebe com a procuradriu del dit
Mossen Auzias March, son fill, per lo quai altre vegada fonch diffinida ab carta
rebiida per en Frances Dalmau a XXXI. de Maig any mil CCCCXXIV
;
e de
aqui auant no rebe pus res per que, en l'any XXV., Mossen Auzias March hauia
fet procurador a Lluch Pons notari per a que li rebes ses rendes. E per o no
obsta tal excepcio...
(2)
Romania, XVII, 189.
(.3) De Forbin d'Oppde (la marquise), La Bienheureuse Delphine de Sa-
bran, Paris, 1883, in-8",
p.
44 et suiv.
58 CHAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE DAUZIAS MARCH
vence^ et^ dans l'Espagne du nord-est^ se rpandit vite le rcit
de la chastet exemplaire des deux povix^ bien faite pour
merveiller des esprits entichs des thories de l'amour pur.
Un imitateur des troubadours tel que Pre March ne pouvait
pas mettre son fils sous un patronage plus agrable son cur
de pote,
Auzias n'a jamais parl de son pre, aucune allusion ne lui
chappe. Mais il dit, non sans quelcjue arrogance de grand sei-
gneur :
Yo so aquest que m dich Auzias March !
(CXIV, 88).
Ce n'est pas seulement un aveu de sa propre valeur, (/est
aussi un hommage indirect cette longue srie d'aeux qui ont
donn, avant lui, un peu d'clat au nom qu'il porte.
Tout ce que nous savons de celle qui, aprs lui avoir donn
le jour, veilla sur ses premires annes, se rduit quelques
lignes d'actes officiels. Peut-tre cependant convient-il de voir,
dans un de ses vers, un tmoignage de la tristesse qui devait
assombrir le visage de sa mre, chaque fois que ses regards se
portaient sur Peyrona, la pauvre sourde-muette. Heureux,
dit la femme du peuple Jsus, heureux le ventre cjui te porta !

Malheureux, dit, avec une sorte de rancune, le pote Auzias,
malheureux le ventre d'o je suis n;
D'un ventre trist exir xn'ha fet Natura !
(LVIII, 29).
II
Quelles furent son enfance et son adolescence ? Nous ne
pouvons gure que le supposer ou plutt le deviner d'aprs ses
uvres.
Damoiseau ou donzell, c'est--dire fils de chevalier, il tait
destin hriter du fief paternel, et le mtier des armes devait
^tre sa carrire naturelle. Il semble qu'il en ait fait l'appren-
SON EDUCATION 59
tissage de bonne heure auprs de quelque chevalier de haut
rang, peut-tre auprs du duc de Gandie lui-mme^ l'accompa-
gnant la chasse^ dans ses voyages ou dans ses expditions,
tirant de rarc_, maniant la lance et rpe, soignant les chevaux
et les prsentant son matre
(1).
Edvication rude et de plein
air. Une de ses strophes les plus connues nous en signale les
fatiffues :
No m pren axi com al petit vaylet
qui va cercant senyor qui festa 1 faa,
tenint-lo calt en lo temps de la glaa
e fresch d'estiu com la calor se met...
(LXVIII, 1-4).
Il as&iste de brillants tournois dont un souvenir se retrouve
dans 'cette comparaison :
Null junyidor no feu encontre tal
d'on fos content com yo veent lo rench.
(LX, 31-32.
(1)
Ce sont les exercices que nous dcrira, avec quelque ironie, le valencien
Jacme Roig, dans son Spill, compos vers 1460 :
Un cavalier
gran bandoler
d'antich linatge
me prs per patge :
ab ell vixqu
fins que n'ixqui
ja home fet.
Ab l'hom discret,
temps no hi pcrdi :
d'ell aprengui
de ben servir,
armes seouir :
fuy caador,
cavalcador
dels bons dels rgnes,
bona ma n rgnes,
peu,
y
sperons,
de tots falcons
y
de sparver,
ginet, coser,
de cetreria,
menescalia,
sonar, ballar,
fins a tallar,
ell m'en monstr.
(Ed. Roque Ciiabas, v.971-995).
60 CHAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
Quelques-uns de ces travaux font encore l'objet des vers
suivants :
Tt cavalier en com,
poch li val temprar lo cos,
ne dret estar sobr'aspre dos
d'un fort cavall e b rgir,
si Is afs d'armes vol fugir,
,
tt quant ha fet es quasi va.
Aigu es qui b junyir
e luytar vestit e nuu
que jams vesti arns cruu...
(CXXYIII, 320-329).
Il a connu et probablement aim les ftes pompeuses et les
solennits qu'il affectera plus tard de mpriser. Les chansons
de geste et les romans de Chevalerie l'ont aussi agrablement
charm :
Colguen les gents ab alegria festes
Places, carrers e delitables orts
sien cercats, ab recont de grans gestes.
(XIII, 1, 3-4).
Segons de molts havem hoydes gestes,
crehent los tais qui descolen les festes.
(XLIII, 22-23).
Mos fets d'amor ab los Romans acorden.
(LXXIII,
5).
C'est sans doute aussi dans ces ftes et dans ces delitables
orts y>, o se runissaient les potes de Barcelone et de Valence^
l'imitation de ceux de Toulouse
(1),
que notre page reut ses
premires leons de galanterie obligatoire. Mais son esprit s-
rieux se porta de prfrence vers la pratique des vertus prives
et sociales qui taient l'honneur de la Chevalerie. Il put en lire
l'exposition la plus complte et la plus susceptible de lui
plaire_, non seulement dans le Libre del orde de Ca^ayleria de
matre Ramon Lull, mais encore et surtout dans le pome de
(1)
Ilist. de Languedoc, X, 193.
LES SEPT ARTS
61
son pre sur le Harnois du Chevalier, vritable code en vers du
parfait gentilhomme.
Pre March avait des gots littraires trop marqus pour
que son fils n'ait pas t initi^ durant ces annes dcisives de
la premire jeunesse^ la science et aux arts qui florissaient
son poque.
Nous ne savons ni o ni comment l'instruction lui fut donne.
Mais il est certain qu'il a t un de ces clercs maris de plus en
plus nombreux en Espagne
(1)^
comme en France
(2)^
partir
du xiv^ sicle, en dehors des rois et des princes, tels que Jean I^^
d'Aragon et Charles de Viane, en dehors mme des notaires et
des avocats qui avaient t autrefois les seuls laques lettrs.
Sous la direction de ses matres, quels qu'ils furent, le jeune
Auzias traversa le Trivium et le Quadrivium. Il apprit d'abord,
sous le nom de Grammaire, le latin, langue curiale, universelle,
qui devint bientt comme sa langue maternelle. De la Dialec-
tique ou Logique et de la Rhtorique, quelques traces subsis-
tent jusque dans ses dissertations potiques sur le Bonheur
(3).
La Musique ne lui est pas inconnue et il lui emprunte plusieurs
mtaphores
(4).
Des autres parties du Quadrivium, Arithm-
tique, Gomtrie et Astronomie, il n'y a gure que la dernire

et on ne saurait s'en tonner chez un pote



laquelle il fasse
quelque allusion
(5).
Les sept arts libraux n'taient d'ailleurs ni galement ni
mme uniquement dvelopps. Certaines voies n'taient re-
prsentes, dans ce carrefour des coles, que par des poteaux
indicateurs. D'autres en compltaient le rseau, et nous savons
qu' Valence, avant mme la fondation de l'L'niversit qui
n'eut lieu qu' la fin du xv^ sicle, on enseignait un peu par-
tout, conformment aux Furs de Jacme I^'', non seulement
la Grammaire et les autres arts
, mais encore la Physique
(1)
Dans son Ohra de Mossen Sent Jordi e de Cavalleria [Doc. ind. del Arch.
de Aragon, VI, 21) le roi Pierre le Crmonieux recommandait dj l'instruc-
tion aux chevaliers : Eper o conve que los cavaliers sien savis et certs pera saher
obrar de o que enlenen : car en altra manera non porien esser acabadament bons
dejensors.
(2)
Voy. SiM. Luge,, L'enfance de Du Guesclin, Paris, 1882, p.
12.
(3)
CVI, 81-88.
(4)
VII, 4 ; VIII, 9-12
;
XXXII, 9-12
;
LVI, 11-12
; C, 108.
(5)
XIV, 30
;
XX, 32
;
LXXXVII, 331-334. Cf. XLVI, 1-8
;
ClI,17-24.
62 CHAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
(c'est--dire la Mdecine), le Droit civil et le Droit cano-
nique
(1)
. La Mdecine

son uvre nous le rvle dans
maintes pages

fut x\n des arts majeurs auxquels s'attacha
Auzias March, et, par dessus tout, les deux sciences par excel-
lence, encore troitement unies, malgr quelques signes de
msintelligence, la Philosophie et la Thologie.
Le ct moral de tout cet enseignement est trs digne d'ob-
servation, et il ne pouvait en tre autrement dans les coles
monastiques o il tait donn, comme avec les prcepteurs
ecclsiastiques auxquels taient confis les jeunes nobles et les
damoiseaux. On ne cessait d'y proclamer la communaut des
conditions humaines, la fragilit de notre nature, le mpris de
la fortune, etc., toutes ides la fois chrtiennes et stociennes,
probablement extraites des compilations faussement attri-
bues Snque ou des recueils, si rpandus en Espagne
(2),
de Jean de Galles et de Thomas d'Irlande.
Les exercices mnmotechniques, la rcitation des morceaux
choisis ))
y
tenaient une grande place et Auzias March men-
tionne lui-mme un joli pome moral, le Rkythmus de Contemptu
Mundi
(3)
qu'il avait appris par cur ds son jeune ge, sans
en bien comprendre le sens, et dont il fit plus tard, comme nous
le verrons, un usage intressant.
Mais, pour la plupart de ses tudes, il dut se servir de ces
rpertoires dans lesquels les crivains des xiii^ et xiv^ sicles
s'taient efforcs de condenser, en vers ou en prose, tout le
savoir humain : encyclopdies confuses ou sommaires qui four-
nirent tous les esprits curieux de cette poque le moyen de
satisfaire, peu de frais et d'une faon parfois agrable, leur
amour de la science et leur got des hautes tudes. C'est le
Trsor de Brunetto, ou le Breviari d' Amor de Matfre Ermen-
gau, ou encore Sidrach justement dnomm La Fontaine de
toutes les sciences. Auzias n'a pas manqu, tout au moins, de les
lire dans la bibliothque paternelle sur les rayons de laquelle
nous les avons retrouvs.
Une telle ducation forcment rapide, surtout pour un fut\ir
(1)
Mais les grades taient pris Lrida ou Paris. Voy. M. Velasco y San-
Tos, Resena historien de la Universidad de Valencia,
p.
12.
(2)
Voir plus haiit,
p.
47.
(3)
Fr. Picavet, Hist. compare des philosopJiies mdivales,
p. 183.
SON MANCIPATION 63
chevalier qui les exercices physiques importaient avant tout,
ne pouvait tre que superficielle. Aussi Auzias March tra-
vaillera-t-il la complter plus tard, soit par des lectures per
sonnelles, comme celle d'Aristote, soit encore en assistant
peut-tre des
'
lectures publiques organises de temps en
temps Valence durant le xv sicle et
y
constituant les pre-
mires tentatives d'enseignement suprieur.
Le souci de moralisation et de prdication^ qui caractrisait
cette poque Tins ruction sous ses diverses formes, convint
son humeur mditative, hrite sans doute de son pre et aggra-
ve encore par les tristes images qui avaient entour son en-
fance. Il contribua, avec ses tudes elles-mmes, lui rvler
ce qui sera l'me mme de son uvre.
C'est pendant cette active adolescence, au moment o Auzias
March apprend tout ce qui convient au descendant d'une race
cultive, qu'il est mancip. Le vieux Pre March ne veut sans
doute pas que le duc de Gandi, dont il est le vassal, reprenne,
pendant la minorit de son fils, la jouissance de son fief de Be-
niarj. Aussi confre-t-il son futur hritier, par son testament
du 8 janvier 1409, la capacit de recevoir en mme temps qu'il
lui donne sa seigneurie et ses autres domaines. Sa mre lui
attribue son tour les 40.000 sous de sa dot et les 20.000 d'aug-
ment (creix), qui lui ont t acquis, conformment un usage
emprunt par les Fuis au droit germanique, aprs la consom-
mation du mariage
(1).
Ainsi pourvu, le jeune homme pourra,
la mort de son pre, entrer en possession de ses titres et aller
l'hommage.
Trois ans plus tard, le 7 juin 1413, Pre March meurt, en effet,
Balaguer, loin de sa patrie et des siens. Son fils ne dit rien de
cet vnement, mais on peut supposer qu'il fut de ceux qui
obtinrent du Roi, l'anne suivante, le transfert de ses restes
dans le monastre de Cotalba,
Le jeune damoiseau a atteint sa dix-septime anne. Il est
en tat de porter les armes, mais il ne peut, sans avoir t sou-
mis de nouvelles preuves, devenir chevalier. D'ailleurs, pour
(1)
D'aprs le Mmorial de la Audiencia de Palma.

Sur le creix, voy. Fori


rogni Valenti, Valence, 1574, lib. V, rubr. I, fol. 11 et 16 et Tourtoui.on,
Jacme /"
le Conqurant, II, 263. Paz
y
Mlia traduit inexactement ce mot par
gananciales, acquts .
64 CIIAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE DAUZIAS MARCH
exercer ses droits civils, il a encore besoin du concours de sa
mre, qui sa tutelle ou curatelle a t confie. Toutefois il
jouit dj des prrogatives attaches son titre de seigneur.
C'est ainsi que, le 9 janvier 1415^ bien que simple domicellus,
il assiste, dans le bras des chevaliers, aux Corts que Fernand I'^'^
ouvre Valence
(1).
L il entend la parole image du grand
prdicateur populaire, le rvrend matre Vicent Ferrer
(2)
et
dlibre, sur la demande de subvention prsente par le Roi et
laquelle il est rpondu schement : Que le Roi continue
administrer la justice, et la cit fera de son ct ce qu'elle
doit (3).
Peu aprs tait clbr dans la nicme vil e le mariage du fils
an du Roi, le prince de Girona, avec Dona Maria, fille de
Henri III de Castille et de Catherine de Lancastre, et il n'est
pas impossible qu'Auzias March ait alors bauch avec le
couple princier des relations qui se prciseront plus tard.
Le 5 avril 1418, il est tmoin et mentionn encore comme
damoiseau dans un acte par lequel Alamanda de Vilarig,
grand'mre d'Aldona March
(4),
qui a pous en secondes
noces le duc de Gandie, reoit la somme de 500 sous du bailli
d'Ayora.
III
Auzias March est dans sa vingt-unime anne ;
rien ne s'op-
pose plus ce qu'il soit admis dans l'ordre de la Chevalerie.
(1)
Barcelone, Archive de la Cor. de Aragon, Proc. de Cort., vol. XXVII,
fol. 131 : Nauzias March, domicellus et fol. 131 v: Nausias Marchi, miles ,
sous la rubrique Pro brachio militari.
(2)
Ibid., fol. 20 v :Emes avant lo dit rgent la governacio diu que s rete
acord sobre la resposta faedora a la dita scriptura. Al quai acord hoydor assi-
gna al dit sindich la jornada de dema per lo mati en la Seu de la dita ciutat
aprs del sermo del rvrent mestre Vicent Ferrer.
(3)
La Resposta fonch que administras Juslicia, e que la ciutat faria lo que
degues. Libre de Memories, ad ann. 1414.
(4)
Cette Aldona tait fille de Johan March et d'Yolant de Vilarig, et,
par consquent, cousine d'Auzias March. Elle avait pous en premires noces
Ramon Castell ;
devenue veuve, elle se marie, le 12 mai 1415,avec le nouveau
duc de Gandie. (Arch. de Osuna, Gandia, 1121. Protocoles de Johan de Lorqua,
12 mai 1415 et 5 avril 1418).

On lit, cette dernire date : Testes Auzianus


March, domicellus, et Johannes Ngre, scutifer, de domo dicti domini ducis.
IL EST ARM CHEVALIER
65
C'est en 1418 ou 1419 que semble avoir eu lieu cette rception
suivant un crmonial dont son oncle Jacme March nous a
dcrit les principales phases en quelques traits o percent l'or-
gueil et la joie du rcipiendaire
(1).
Au dbut de l'anne 1418^
nous l'avons vu, il est encore damoiseau, et il est qualifi pour
pour la premire fois de Mossen, titre rserv aux chevaliers,
dans une lettre sans date, mais qu'il est facile de faire remonter
au
1er
juillet 1419.
C'est une sorte de rapport adress Alphonse V d'Aragon
par ses ambassadeurs , ou plutt ses recruteurs dans le
royaume de Valence. Ils lui annoncent ({u' Gandie ils n'ont
trouv, malgr tous leurs efforts, que deux chevaliers disposs
prendre part la guerre qu'il prpare pour la fin du mois de
juillet. Ce sont Mossen Lois Darag et Ausi'as March )>. Les
autres ne peuvent pas ou ont d'autres affaires . Beaucoup,
Gandie et ailleurs, accepteraient volontiers de suivre le Roi,
s'il consentait leur donner quelque subside pour acheter des
chevaux, trs rares en ce moment.
D. J. Rubi
y
Ors, qui a publi cette lettre
(2),
pensait
qu'elle se rapporte l'expdition entreprise en 1424 contre
Naples. Une flotte quitta, en effet, le port de Barcelone, le
21 aot, et les bannires en auraient t bnies ds le 4 juin.
D. J. Pijoan
(3)
se rallie cette opinion. Mais nous avons dj
indiqu brivement qu'il ne saurait en tre ainsi
(4).
Tout
d'abord, la lettre au Roi montre qu'au l^"'" juillet il n'est pas
encore en possession des lments de son arme. Ses envoys
dclarent c[ue, faute de chevaux, son dpart ne pourra avoir
lieu fin juillet, comme il l'avait espr. Il est douteux que, dans
ces conditions, il ait pu faire voile le 24 aot suivant. En outre,
nous savons par un document, dont la prcision ne laisse rien
dsirer
(5)
c{u'Auzias March a participe, en 1420, la cam-
(1)
Voir
p. 27.
(2)
Op. cit.,
p. 35 et 88.

Nous avons examin, aux Archives de la Cou-
ronne d'Aragon, le texte de cette lettre. Il a t exactement reproduit, sauf
ligne 22, o il faut lire : Car en los dits memorials... D. Manuel de Bofarull
y
Sartorio, qui l'avait indique D. J. Rubi
y
Ors, estimait aussi qu'elle est de
1419 ou 1420, en se fondant sur ce que dit Zurita (III, fol. 137,
2^ col.).
(3)
Rei'. de bibliog. cat. VI, 40.
(4)
Rei'. de bibliog. cat., I, 136.
(5)
Rei^. de bibliog. cat., I, 151. Idcirco gratis affeclibus
recensentes,
crit le
roi d'Aragon, le 20 avril 1425, notabilia et ardua servitia pcr vos dilectum nos-
Am. Pages.

Auzias March.
5
66 CHAP. IV, ENFANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
pagne contre la Sardaigne^ souleve en grande partie par le
vicomte de i\ar bonne, Guillaume II, petit-fils de Batrix
d'Arborea, qui on n'avait pas achev de payer le prix convenu
pour la vente des places qu'il possdait dans l'le
(1).
Or cette
expdition a t prpare durant l'anne 1419. Les Corts ca-
talanes sont runies San Cucufat del Valls, au dbut du
mois de mai, et, dans son discours du trne, le Roi fait con-
natre son intention de se rendre lui-mme en Sicile et en Sar-
daigne. 11 demande mme au Parlement catalan une contribu-
tion de 60.000 florins. Mais les dputs lui rpondent qu'il est
trop press de partir et que bien des questions restent encore en
suspens, et le Roi se rsigne ajourner son voyage au prin-
temps suivant (2;.
11 n'en continue pas moins se prparer, et,
le 16 septembre 1419, il crit de Valence, o il se trouve, au
bailli gnral de ce royaume, pour faire distribuer la somme de
40.000 florins entre les patrons des galres qui doivent trans-
porter son arme et dont quatre lui ont t prtes par le
Conseil de la Cit
(3).
Le Roi s'embarque enfin, le 7 mai 1420,
au port des Alfachs. Le 9,
il est Majorque, et, de l, il passe
en Sardaigne, o il s'empare trs promptement de toutes les
villes insurges
(4),
pendant que le vicomte de Narbonne,
principal instigateur de cette rbellion, soutient en France la
cause du dauphin, le futur Charles Vil
(5).
La pacification de la Sardaigne une fois acheve, Auzias
March suit encore le Roi dans son expdition contre la Corse
qu'il veut enlever Gnes, la vieille ennemie de la Catalogne.
Le sige est mis devant Calvi, qui ne tarde pas se rendre.
trum Ausias JSIarch, militem, nohis prestita
,
presertin in recuperatione Sardinie
cuius major pars per vicicomiiem Narhone quondam, assistentibus eidem noii-
nullis secuacibus et nostre corone rebellibus, occupata existebat, ac in obsidioni-
bus Calui videlicet et Bonifacii, ubi, decenti gentium armorum numro sociatus,
in belloruni conflictibus contra nostros eniulos et rebelles inier alios commilites
vestros viriliter i>os gessistis...
(1)
RossEEuw Saikt-Hilaire, Hist. d'Espagne, V, 202.
(2)
V. Balaguer, op. cit., VI, 15.
(3)
D. Fr. de Bofarull y Sans, Antigua marina catalana, dans Memorias
de la Real Acad. de Buenas Letras , 1901, p.
100.

Cf. Libre de Memories,


d ann. 1418.
(4)
V. Balaguer, op. cit., VI, 18.
(5)
Art de vrifier les dates, II, 319.
SES CAMPAGNES. LA REINE MARIE 67
puis^ le 21 octobre, devant Bonifacio
(1).
Cette place-forte se
<lfeni avec vigueur, mais l'ardeur des assigeants, parmi les-
quels se distingue notre chevalier, est telle qu'elle est prte
se rendre, lorsque les galres gnoises viennent son secours.
L'ne terrible bataille s'engage entre la flotte des Catalans et
celle des Gnois : elle dure du lever au coucher du soleil et se
termine par la dfaite d'Alphonse d'Aragon et l'introduction
dans la place de vivres et de renforts.
Le Roi, fatigu de ce long sige, se dcide abandonner la
Corse aux Gnois. Son ambition est d'ailleurs plus vaste : elle
vise les Etats de l'Italie du Sud. Depuis longtemps appel par la
reine Jeanne de Naples, il part, ds les premiers jours de f-
vrier 1421,
pour la Sicile
(2),
avec la plus grande partie de sa
flotte, tandis qu'Auzias Mardi retourne sans doute Gandie,
heureux et fier d'avoir servi courageusement (viriliter) son
suzerain, comme le reconnatra, dans un acte public, le Roi lui-
mme, quelques annes plus tard.
A cette poque deviennent plus troites les relations qui
l'unissent au Roi et la famille royale. Le 7 fvrier 1422, la
reine Marie, qui gouverne le royaume d'Aragon pendant l'ab-
sence d'Alphonse V, lui crit de Barcelone et le prie affectueu-
sement

de faire bon accueil son secrtaire Guillem Berenguer
abrugada qu'elle envoie Valence pour conclure le mariage
de Xa Vilaraguda, nice de Mossn Berenguer de Vilaragut.
Elle charge particulirement son secrtaire de s'entretenir
avec Auzies March de cette union, laquelle elle tient, nous
ne savons pourquoi, au plus haut point
(3).
La mme anne, devenu majeur, il reoit son compte de
tutelle qui accuse au profit de sa mre et tutrice, Na Elionor,
un reliquat de 8.586 sous 2 deniers cfu'il reconnat lui devoir
dans son rcpiss
(4).
La carrire militaire d'Auzias March ne devait pas se borner
aux campagnes de la Sardaigne et de la Corse. En aot 1424
(5),
(1)
Libre de Memories, ad ann. 1420, p.
327.
(2)
A. GiMNEz SoLER, lluierorio del Rey Don Aljotiso de Aragon,
p. 45, 48.
(3)
Romania, XVII, 204-205.
(4)
Voir plus haut, p. 57, note.
(5)
V. Balaguer (Hist. de Cat., VI, 41, 44),
place l'envoi del flotte en 1425
et l'attaque de Kerkenah en 1427. C'est une double erreur que nous soup-
onnions dj, en 1901, dans notre article de la Revisla de BibUograjia cala-
68 CHP. IV, ENFANCE ET JEUNESSE d'aLZIAS MARCH
comme nous l'avons vu^ le roi Alphonse envoie une flotte, com-
mande par le comte Frdric de Luna, au secours de son frre,
Pierre, duc de Noto, gouverneur de la Sicile, menac dans ses
possessions de Naples. L'infant profite de ces renforts pour
bloquer le port de Gnes et triompher de la rsistance des G-
nois imis aux Milanais. Au retour de cette expdition victo-
rieuse, le Roi, qui veut flatter l'orgueil des Siciliens en recon-
qurant leurs anciennes colonies d'Afrique, donne l'ordre
son frre d'aller s'emparer de l'le de Djerba dont les pirates
infestent les ctes de la Sicile et de l'Italie. A ce moinent,
Auzias Mardi rejoint, sur quelque galre valencienne, les deux
chefs de l'expdition
(1).
Ils se dirigent d'abord sur l'le de Djerba, mais ils en sont
repousss et font porter alors tous leurs efforts sur l'le des
Guergues ,
appele encore Chergui, Querquens ou Kerkenah,
l'autre extrmit du golfe de Gabs.
Notre jeune chevalier aborde en personne l'le des Gviergues
et contribue, aprs une sanglante bataille, la capture de
4.000 Sarrasins et Infidles. Le Roi lui-mme relve ce trait
glorieux de sa vie, mais peut-tre exagre-t-il, par un sentiment
d'orgueil bien naturel, le nombre des prisonniers. Les histo-
riens de la Sicile le rduisent 3.000. Ce qui est certain, c'est
que le roi de Tunis, Abou-Fars, effray par la victoire de
lana, I, 137.

Capmany, dans ses Memorias histricas sobre la marina, II, 30
etsuiv., assigne la date de 1424 au premier vnement, et, la mme anne, a
eu lieu Texpdition dans les les Tunisiennes suivant tous les chroniqueurs
italiens. Le document du 20 avril 1425, publi par la Revista de Bihliograjia
catalana, I, 151, ne fait que confirmer ces dernires indications. Le roi
y
si-
gnale le dbarquement dans l'le des Guergues comme s'tant pass jampri-
deni, c'est--dire rcemment ou nagure
,
par consquent, vers la fin de
1424. Voir Mas Latrie, Traits de paix avec les arabes de l'Afrique septentrio-
nale, I, 311
;
Archivio Storico Siciliano, 1S92,
pp.
1-27.
(1)
C'est ce qu'on peut conclure de cette phrase du document cit plus haut :
Vos jampridem, cum nostro victrici galearum exercitu, inclitum infantem Pe-
trum fratrem et Ffredericum de Aragonia consanguineum nostros carissimos
sociando.... D'autre part, le Libre de Memories relate le fait suivant, ad ami.
1424 : Com la ciutat dona al senor Rey XII Milia florins per a anar contra la
armada que los Genovesos e altres han fet contra lo senor Rey e mes fon
afigit al donatiu trs milia florins en aixi que serien quinze milia florins
y
la
galera nomenada Sent Juan...
LA SEIGNEURIE DE BENIARJO
69
Pierre d'Aragon^ remit en libert tous les chrtiens qu'il rete-
nait captifs
(1).
Digne fils de Pre March^ l'ancien combattant de Najera,
tel nous apparat^ dans ces expditions de la Sardaigne, de la
Corse et de Kerkenah^ le futur pote Auzias March. Ses ser-
vices militaires ne mritent peut-tre pas l'pithte de va-
liente capitn > dcerne par Feliu de la Pena
(2)^
ni la compa-
raison avec le dieu Mars que lui consacre^ avec une emphase
toute castillane^, le pote Gil Polo
(3)
: mais il a t un soldat
courageux^ un strenuu et valers cavalier, comme l'ont appel^
avec plus de simplicit et aussi de vrit, quelques-uns de ses
premiers diteurs.
De cette vie des camps, de la guerre et de ses diverses pri-
pties, il gardera un souvenir fidle et leur empruntera plus
tard quelques-unes de ses plus vivantes images
(4).
Ds le 20 avril 1425, le roi d'Aragon rend hommage sa
valeur, et un de ses anciens chefs immdiats, le comte Frdric
de Luna, signe, avec son souverain, deux des trois chartes qui
lui sont octroyes cette date
(5).
Si le Roi intervient ainsi
dans les affaires du duch de Gandie, c'est que le duc Alphonse,
son oncle, est mort, le 31 aot 1422, sans hritiers lgitimes.
En qualit de suzerain, il dcide de donner son frre, l'infant
Don Juan, le duch de Gandie, ainsi que les comts de Riba-
gora et de Dnia qui relvent de lui. Mais le dsaccord qui
existe entre Don Juan et Don Enrique de Villena, retarde cette
concession
(6),
et c'est pendant que, le duch de Gandie ayant
fait retour la couronne, le Roi en exerce toutes les prroga-
tives, qu'il est amen rcompenser son vassal indirect, le
nouveau seigneur de Beniarj.
Par la premire charte il confirme en sa faveur le privilge de
juridiction ciNile et criminelle sur Beniarj, Pardines et Ver-
nia, que le duc de Gandie avait accord Pre March, son pre.
(1)
Mas Latrie, op. cit., I,
p.
311.
(2)
Anales de Caial., III, 27.
(3)
Dans son Canto de Turia {Diana Enamorada, III,
p. 153).
(4)
Voyez, notamment, X, 16,
29-32
; XVII, 49
;
XLV, 185-188
;
LXXI, 33
;
XCVIII, 25.
(5)
iw. de bibliog. cat., I, 139-153.
(6)
ZuRiTA, An. de Aragon, III, liv. XIII, fol. 160, col. 4. Cf. E. Cotarelo v
Mort, Don Enrique de Villena,
p. 88, note.
70 CHAP. IV. ENFANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
Dans la seconde^, Alphonse V lui renouvelle^ en raison des
nombreux services rendus et de ceux cju'il ne cesse encore de-
lui rendre, le droit de prlever la dme du trzain sur le terri-
toire de Beniarj et ses dpendances. Le titre de ce privilge
que les Marchs possdaient de temps immmorial, avait t
brl Gandie, lors de la guerre contre le roi de Castille, pro-
bablement en 1364.
Enfin, le Roi lui tmoigne encore sa reconnaissance, dans une
troisime charte, en lui attribuant perptuit la haute justice,
celle qui donne son possessevir le pouvoir de dresser des
fourches et un carcan (fiircas et costellum), de pendre, de fus-
tiger, de mettre la torture et de flageller sans appel. C'est le
droit de souverainet c{ui est ainsi assur Auzias March avec
toutes ses consquences, merum et mixtum imperium.
IV
Des services d'une autre nature que ceux qui lui ont valu
tous ces titres ne tardent pas lui tre demands. A Valence
(1),.
dans Yorta et prs de l'Albufera o le gibier abonde, Al-
phonse V a fait installer, probablement depuis qu'il administre
lui-mme le duch de Gandie et le comt de Dnia, un office
de vnerie et de fauconnerie o il lve des chiens et des faucons,,
autant pour se livrer lui-mme aux plaisirs de la chasse que
pour faire de riches prsents aux princes et d'autres person-
nages importants. On trouve trace des comptes de cet office
ds 1425
(2).
Mais, en 1426, Auzias March est plac sa tte,
(1)
Auzias semble avoir habit Valence cette poque. Il est qualifi d'ha-
bitador de Valencia dans le Compte de Frances arola, tesorer ad ann. 1426,
fol. 79 v, (Arch. gnerai del reyno de Valencia, Mestre raciona) et les d-
penses qu'il fait pour ses faucons lui sont rembourses Valence [Ihid. ad
ann. 1427, fol. 79 v et 89). Mais il n'y est pas dfinitivement tabli, et voil
pourquoi d'autres documents que nous verrons le signalent comme habitant
encore Gandie.
(2)
Valence, Arch. gnerai del reyno. Mestre Raciona. Cuentas gnrales
de 1425.
LA FAUCONNERIE DU ROI 71
avec le titre de grand fauconnier de la maison du Roi, falconer
major de casa del senyor Rey. Pendant plus de deux ans, il
figure sur les registres du Mestre Racional et commande de
nombreux fauconniers, sous-fauconniers et varlets de chiens.
Dur mtier que cekii qui incombe cet ordonnateur des chasses
royales. Pierre IV le Crmonieux en a, dans ses Ordenacions-
sobre lo rgiment de tots les officiais de la sua cort
(1),
minutieu-
sement indiqu les principales obligations. C'est une mission:
de confiance, car le Roi court de vritables dangers dans ces
distractions qui sont, pour tout le Moyen ge, une imitation.
de la guerre. Aussi le grand fauconnier est-il tenu de prter
serment de fidlit et hommage sa personne
(2).
Une livre
spciale le dsigne d'ailleurs l'attention et au respect de tous..
Celle d'Auzias March est en satin et velours, brode d'or et
borde de peau de martre, de ceti ^ellutat, brocat dor, ab sa folca-
dura de marts, per fer-se una roba
(3).
Quelques-unes des occu-
pations auxquelles il se livre nous ont t rapportes dans le
journal de la Trsorerie royale. Tantt il achte pour le compte
du Roi des roussins de chasse
(4)
;
tantt il lui envoie des fau-
cons Barcelone
(5)
;
mais, d'ordinaire, il se contente de nour-
rir
(6),
dresser et soigner
(7)
les oiseaux chasseurs. En mai 1428,
(1)
P. DE BoFARULL, Documejitos ind. del Arch. de la Cor. de Aragon, t. V,
p.
53.
(2)
Fermament duem ordonador quel dit major falconer sagrament de feel-
tat e homenatge a nos faa que tt perill a nostra persona apparent per sonpo-
der esquivara e encara si ho sabra a nos ho revelara mayorment engir aquelles
coses que per son offici per opposicio porien esdevenir . Ibid.,
p.
55-56.
(3)
Valence. Arch. gnerai del reyno. Mestre racional. Compte racional 48.
Frances arola, ad ann. 1427, milieu d'octobre, fol. 126.
On sait que Ife
prince Charles de Viane aimait, lui aussi, les belles fourrures et paya jusqu'
cent cus d'or, c'est--dire 1275 francs environ de notre monnaie, une fourrure
de martre. Il s'habillait parfois de velours noir doubl de satin. Voir Desde-
vises DU Dezert, D. Carlos d'Aragon, p.
122.
(4)
Ibidem. Racional ij de Ffrancesch Sar.ola, ad ann. 1426, fol. 62 et
79 v.
(5}
Ibid. Cedula segona de Johan Ferez de les quantitats... per Mossen Ff^an^
cesch Sarola, 23 octobre 1426 dans le Compte de Joan del Pobo lo
j.
de joliol
1427. Compte de Frances Sarola, ad ann. 1426, fol. 109 v.
(6)
Ibid. (Compte d'en Ffrancesch Sarola, ad ann. 1427, fol. 114 v et fol.
129. Compte racional 48 Frances arola
;
ad ann. 1427, fol. 79 v et 89.
(7)
Le trsorier fait rembourser son office per absencia de Mossen Ausias
March les dpenses faites pour acheter
cascauells, cornets, capells, pell de ca
72 CHAP. IV, ENFANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
il est absent de Valence et remplac par le sous-fauconnier
Galceran Cura. Les livres de comptes ne le nomment plus^ et
son titre est attribu Mossn Hugo Dolms. Mais il n'en reste
pas moins un passionn chasseur^ comme il le dit lui-mme
dans une de ses dernires pices :
Tt mon dlit resta sols en caar.
(CXXII bis, 13).
Il continuera mme dresser des animaux pour la chasse^
mais sans doute titre priv.
Durant les sjours que^ depuis sa majorit^ il a faits hors de
Gandie^ soit dans les les de la Tunisie^ soit Valence, ses int-
rts ont t reprsents principalement par sa mre, Elionor
de Ripoll. En vertu d'une procuration qu'il lui a donne, le
1^
juillet
1423,
par devant le notaire Andreu Jolia, elle vend,
le 23 avril 1426, Johan Mateu, de Candie, une rente de 33 sous
4 deniers
(1).
Mais d'autres mandataires spciaux, tels que le
notaire Lluch Pons et Johan Morata
(2),
touchent, en son
absence, en 1425, et, notamment, le 3 mars 1427, diverses
sommes ou rglent quelques questions litigieuses.
Parmi ces affaires, il en est une qui excite plus particulire-
ment notre curiosit. Le 25 juin 1427, il nomme pour procu-
reur l'honorable Johan de Monpalau jeune. Ce damoiseau
comparat le mme jour devant le justicia de Candie, aux lieu
et place du chevalier Auzias March, pour rpondre l'accusa-
tion qui a t porte contre lui au sujet d'une certaine Leonor,
fille d'En Rodrigo Alfonso, habitant de Candie
(3).
De quelle
nature tait ce grief ? Les documents notaris n'en disent rien
et se contentent de renvoyer la Cour de Valence, devant la-
quelle le procs vient d'tre engag. Mais il devait offrir
une
relle gravit, puisque la mre de la jeune fille, Ysabel, n'a
per fer gits, ruibarber, pindoles e aygua dindia per obs dels falcons que te del
dit Senyor en l'offici dessus dit de falconer major . (Ordinari cinqu d'en
Ffranccsch Sarola, mai 1428, fol.
153).
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1212 : Protocoles P. Belsa de 1426 et Mmo-
rial de Palma, sitb finem.
(2)
Valence. Col. del Patr. Protocolos, Icg.
nO
806 : P. Belsa, 1427.
(3)
Valence, Ibid.
SON RETOUR A GANDIE 73
hsit dnoncer au Roi la conduite de son vassal. Un instant
le Roi a song se saisir de son fief et exiger que les habitants
de Beniarj lui prtassent directement l'hommage et le serment
de fidlit. Mais^ aprs avoir examin toutes les pices, il donne
l'ordre de casser (cancellari) les actes de procdure qui ont
t faits, et, par une lettre expdie de Valence, le 8 novem-
bre 1427
(1),
mande aux bailli, jurs et hommes
>'>
de Beniarj
d'avoir obir, comme par le pass, leur seigneur chevalier.
Peut-tre est-ce cet incident qu'est due la cessation des
fonctions cju'il remplissait Valence dans la maison du Roi.
Il est vrai c{ue d'importantes raisons de famille l'ont rappel
Gandie, prcisment la mme poque. Sa mre meurt dans
cette ville, le 24 aot 1429
(2).
Il obtient peu aprs, le 29 aot,
du justicia Fr. Verdaguer, la curatelle de sa sur Peyrona,
hritire universelle des biens maternels, mais incapable de
les grer, cause de sa surdi-mutit
(3).
L'inventaire en est
dress immdiatement, et, pour les garantir, une hypothque
gnrale est prise sur la fortune immobilire et mobilire d'Au-
zias Mardi, sur ses possessions de Beniarj, Pardines et Ver-
nia, sur la dot et le creix que lui a laisss sa mre, ainsi que sur
la somme de 25.000 sous hrite de son pre
(4).
Auzias March est au seuil de l'ge mr. La mort de sa mre
l'a priv d'un soutien et d'un appui sur lequel il aimait se
reposer. Sa sur est comme une me emmure sur laquelle il
veille sans cju'il puisse communiquer avec elle. Sur les champs
de bataille ^t dans les fonctions publiques qu'il a exerces il a
connu les joies de l'action et aussi ses meurtrissures. La vie re-
tire le tente de plus en plus, ainsi c[ue l'tude qui en sera pour
lui l'acconqDagnement indispensable. Assagi par l'exprien.ce, il
(1)
Valence. Arch. gen. del reyno.

Communes Val. Alf. III, n^ 14, fol. 70.


(2)
A. Paz y Mlia, l. c, 369. Elle avait test le 9 aot et demand tre
enterre dans le cimetire de l'glise de Gandie. Parmi les biens qu'elle avai -
laisss sa fille figure un moulin dans le territoire d'Oliva, un hritage appel ;
La Canal d'En Bnites et une maison Gandie.
(3)
A. Paz y Mlia, loc. cit,
(4)
Mmorial de Palma.
74 CHAP. IV ENFANCE ET JEUNESSE D AUZIAS MAKCH
dit un dernier adieu sa jeunesse mourante^ dont il regrette en-
core quelquefois les songes dcevants :
Axi com cell qui' n lo somni s dlita
e son dlit de foll pensanient v,
ne pren a mi que 1 temps passt me t
l'imaginar qu'altre b no
y
habita !...
(1,
1-4).
CHAPITRE V
L AGE MUR. LA VIE PUBLIQUE D AUZIAS MARCH
Il semble que, vers 1430, Auzias March ait renonc tout es-
poir de prendre une part plus active dans les affaires du royaume
A Gandie d'abord, o il est revenu, puis, de 1450 jusqu' sa
mort, Valence, il a t avant tout, si Ton s'en tient nos docu-
ments, qui nous permettent presque de le suivre anne par
anne, un administrateur attentif de ses domaines. Aucune
guerre ne dsole ni la Catalogne ni Valence durant cette longvie
priode de trente ans. C'est en Italie que les passions ardentes
des chevaliers du royaume d'Aragon se donnent libre carrire,
sous l'impulsion et le commandement d'Alphonse le Magna-
nime. Il faut de l'or pour fournir aux dpenses de la conqute
qu'il a entreprise des Etats de Xaples et de la Sicile, et, sans se
rebuter de son absence, ses sujets travaillent nergiquement
afin d'en payer les frais.
L'ancien combattant de la Sardaigne, de la Corse et de Ker-
kenah se croit quitte envers le roi et laisse d'autres la gloire de
prendre part cette expdition belliqueuse. Pour lui, s'il ne se
dsintresse pas de la vie politique, il se sent cependant plus
attir vers la vie morale que favoriseront et la famille et la for-
tune, auxquelles il va dsormais consacrer les loisirs de la paix.
De l sortira l'uvre littraire dans laquelle il a mis le meilleur
de lui-mme.
jNous allons exposer cette seconde partie de la vie d'Auzias
March, non plus dans un ordre strictement chronologitiue,
mais
ces diffrents points de vue, nous attachant dire ce que nous
76 CHAP. V.

l'ge mur. la vie publique d'auzias march


savons des fonctions publiques qu'il a encore remplies^ de ses
mariages et de sa famille^ enfin de la gestion de ses fi( fs qui ne
font que s'accrotre de jour en jour et dont il s'efforce de tirer le
meilleur parti possible.
A Gandie^ Auzias March redevient le seigneur fodal ordon-
nant des chevauches avec ses cuyers^ chassant^ tenant un
compte exact de toutes les redevances auxquelles il peut pr-
tendre. Il met tout son zle exercer les prrogatives que la
coutume et les privilges royaux lui confrent^ dispensant la
justice ses vassaux ou discutant dans les Corts les affaires du
royaume.
Le 6 juin
1433_,
le roi de Navarre^ Juan d'Aragon^ qui son
frre Alphonse^ parti pour ritalie_, a dfinitivement donn le
duch de Gandie et remis le gouvernement gnral k
de tous ses
royaunes et terres ))^lui cde^ par une charte signe Tudela
(1).
titre de donation entre vifs et de franc alleu, la juridiction cri-
minelle, le mre et mixte empire
, sur les lieux de Beniarj et
de Pardines. Ces droits lui sont renouvels non pas seulement en
raison des services qu'il a rendus au roi Alphonse, mais aussi
pour ceux qu'il rend et continuera rendre, le roi du moins l'es-
pre, son souverain. Il ajoute que quelques-uns de ses fami-
liers et domestiques sont intervenus en sa faveur ( nonnulloriun
familiarium et domesticoriun nostrorum per humiles intercessus)
.
Mais cette concession est subordonne des conditions nou-
velles,
des restrictions que n'avaient pas stipules les anciens
ducs. Seuls, les Sarrasins qui, aprs avoir commis un crime, au-
ront t pris sur le territoire de Beniarj et de Pardines, seront
ses justiciables. Le roi excepte encore ses propres vassaux,
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, 700-2.
Il rsulte de documents des archives
municipales de Gandie, suivant T. Llorente (Ffl/enci'a, II, 673, note), qu'en
janvier 1439 le roi D. Juan de Navarre possdait le duch, en juillet 1441,
avril 1444, mai 1449, le prince de Viane, et en mai 1452, une seconde fois,
D. Juan de Navarre.
SES DROITS ET CEUX DE GANDIE
77
quelque religion qu'ils appartiennent^ et mme les vassaux
mles de Beniarj qui^ dans ce territoire ou dans celui de Gan-
die_, ont eu pour complices un ou plusievirs Chrtiens des deux
sexes. Il limite aussi trs troitement et fixe un seul jour le
privilge d'lever des fourches sur la place de Beniarj. Les
droits de la ville de Gandie sont enfin l'objet d'une rserve
expresse.
Le 15 juin suivant^ le roi de Navarre est Saragosse et pr-
cise encore mieux^ dans une lettre en catalan
(1),
les rserves
qu'il a formules au nom de Gandie. Il dcide de soumettre
l'approbation du justicia, des jurs et autres officiers pviblics^
de l'universit et des particuliers de cette ville la donation
qu'il vient de consentir en faveur d'Auzias March.
Voil pourcfuoi^ le 16 juillet
(2),
Auzias March et les reprsen-
tants de la ville de Gandie^ au nombre de cinquante-sept^ si-
gnent une capitulation, c'est--dire une convention qui rgle
l'tendue de la juridiction accorde par le roi de Xavarre. Pour
viter que les criminels de Gandie ne se rfugient sur le terri-
toire d'Auzias March et ne se soustraient ainsi la justice des
officiers royaux^ il est admis d'un commun accord que le sei-
gneur de Beniarj ne connatra ni des crimes commis par des
mores de Gandie sur le territoire de la ville ou ailleurs, mme
Beniarj, ni de ceux que commettront les mores de Beniarj
sur le territoire de Gandie. D'autres droits plus positifs, des
contributions de toutes sortes que la ville de Gandie pourra
percevoir sur les habitants de Beniarj et de Pardines, sont
ensuite numrs et reconnus.
Toutes ces clauses indiquent de la part de la ville le dsir de
diminuer autant que possible l'autorit seigneuriale, avec l'assen-
timent du roi. C'est un premier pas vers l'affranchissement de la
commune qu'accepte peut-tre Auzias March malgr lui, mais
dont il fait certainement les frais.
Son autorit est cependant encore considrable. Il est choisi,
le 14 janvier 1434
(3),
pour arbitre dans un diffrend qui divise
certains hommes domicilis depuis peu Gandie, et les habi-
(1)
Ibidem, la suite de la prddente charte.
(2)
Ibidem.
(S) Ibidem, n 1210. Protocoles P. Belsa ad ann. I'i34.
78 CHAP. V.

l'ge mur. la vie publique d'auzias aiarch


tants d'Oliva. Il dcide qu'une trve de trois ans leur sera accor-
de. Pendant ce temps^ il convoquera et entendra les parties.
Le 3 aot de la mme anne
(1)^
le more de Beniarj^ Juhe
Abenchaer^ alias Cina^ coupable d'un vol, accuse Auzias March
lui-mme. Il est aussitt jug par l'alcalde du lieu et condamn
avoir le poing droit coup. Notre seigneur^ juge t partie, pro-
mulgue la sentence et la fait excuter. Supplice atroce qu'on
faisait subir aussi en France, suivant les Etahlissements dp.
Saint-Louis
(2),
tout vassal qui avait frapp son seigneur.
Cette svrit amne, le 18 aot suivant
(3),
la fuite de Juhe
Abenchaer, alias Follu, un des parents du serf ainsi mutil.
Puis, le 22 aot
(4),
c'est Cina lui-mme qui cherche se sous-
traire quelque nouveau chtiment. Auzias March donne man-
dat de poursuivre en toute hte les fugitifs.
Le 21 octobre
(5),
il exige d'un autre serf, du nom de Fumeyt,
qui a quitt Beniarj avec son fils pour s'tablir Oliva, soi-
xante-dix florins d'or d'Aragon. C'est le prix de la
composi-
tion )) pour le prjudice c|ue lui a caus leur dpart. Une autre
amende, de cinquante sous d'or d'Aragon, pour un crime
commis Beniarj, lui sera paye par le sarrasin Caat Bleguer,
le 14 novembre 1443
(6).
L'accord conclu entre Auzias March et Gandie ne fut pas de
longue dure. Les magistrats et administrateurs
(officiais) de
cette ville mirent, en effet, la prtention de faire payer aux
habitants de Valqueria de Pardines les droits d'accise (sises),
dont ils avaient t exempts depuis un temps immmorial,
comme ceux de Beniarj. Le 4 septembre 1438, Auzias March et
le more Ali ot, syndic et procureur de Valfama
(7)
et univer-
sit de Pardines, protestent, en invoquant la prescription, au-
prs de la Cour du gouverneur de Valence
(8).
Ils demandent
(1)
Ibidem.
(2)
Cits par R. Rosires, Histoire de la Socit Franaise au M. A. Paris,
1884, I, 304.
(3)
Archive de Osuna, Gandia, n^ 1210. Protoc. P. Belsa, ad an. 1434.
(4)
Ibidem.
(5)
Ibidem.
(6)
Ibid., 11 1212. Protocoles Belsa, ad ann. 1443.
(7)
C'est l'assemble des Mores qui coexiste, dans chaque commiuie, avec
l'universit ou syndicat des chrtiens.
(8)
Arch. gnerai del Reyno. Curia del Gobernador, Lijium 1438, cahier III,
fol. 32 et cahier XV, fol. 19.
SES DMLS AVEC GANDIE 79
Mossn Jacme Romeu, lieutenant du gouverneur, qu'il fasse
prter le serment de bonne foi (firma de dret) et respecter la
possession de leur droit, en attendant qu'il soit dfinitivement
statu sur le fond.
Jacme Romeu ordonne aux justicia, jurs, syndic et univer-
sit de Gandie, de ne point troubler Auzias March et les habi-
tants de Pardines dans la possession de leur privilge sous peine
de cinq cent morabatins.
Le notaire March de Pina, qui reprsente Gandie, rpHque, le
13 septembre 1438,
que Valqueria de Pardines est sur le terri-
toire de Gandie et soumise, par consquent, toutes les contri-
butions urbaines. Sans doute, elle en fut exempte lorsqu'elle
appartenait Mossn Lois de Boil. Mais, par une sentence arbi-
trale du 20 mars 1377
(1),
Valqueria de Pardines, l'hritage de
l'Alfal, les jovades de Na Maria et la moiti de l'hritage de
Vernia situe aux confins des terres de Gandie furent impo-
ses de la mme faon que la ville proprement dite. Pre March
avait bien obtenu du marquis, seigneur de Gandie, qu'il ft
sursis cette mesure, mais son fils Auzias ne saurait se prva-
loir d'une telle faveur.
Le 23 dcembre 1438, Auzias March, confiant dans la justice
du roi de Navarre, et rappelant le prcepte Non intres in judi-
cium cum servo tuo, Domine, s'engage son tour par devant no-
taire, sous peine de cinq cent florins d'or, accepter l'arrt que
doit rendre, dans ce dbat, le juge dsign Micer Francesch Exi-
meno, docteur in utroque, citoyen de Valence
(2).
En 1440, le procs est encore pendant. C'est tantt le juge
Francesch Eximeno qu'on cherche vainement Xativa et qui
esta Majorque, tantt Pre Rubiols, procureur d'Auzias March
qui fait dfaut. Les parties sont enfin invites comparatre, le
3 juin, devant la Cour du gouverneur de Valence.
Nous ignorons comment se termina ce confht. Mais comme il
provenait, indirectement au moins, de ce que le roi de Navarre,
un peu court d'argent, avait engag le tiers de dme (Iv ter de
delme) qu'il percevait sur la ville de Gandie, il ne serait pas
tonnani qu'Auzias March, qui lapidait en somme contre le
(1)
L'expdition, sur parchemin, de cette sentence figure dans les Archives
d'Osuna, Gandin,
547-2.
(2)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210. Protocoles Belsa, ad ann. 1438.
80 ciiAP. V,

l'ge mur. la vie publique d'auzias march


Roi
(1)^
ait perdu son procs. Jl est vrai que, le 20 aot 143'J^
durant cette longue procdure, le roi de Navarre cde le duch
de Gandie son fils D. Carlos de Viana
(2),
et que le nouveau
duc, peu de temps aprs, en
1443,
paie la dette paternelle et
libre le revenu des impts de Gandie
(3).
Constatons, en tout
cas, avec quelle nergie le seigneur de Beniarj et de Pardines a
dfendu, la fois contre la bourgeoisie et contre la royaut, un
de ses privilges.
II
11 avait, avons-nous dit, une trs haute ide de son rang et
des gards qui lui taient dus. Au milieu des Musulmans doni
taient peupls ses fiefs le prestige tait ncessaire et l'hom-
mage fodal avait une importance extrme. Aussi tient-il a ce
que le crmonial en soit minutieusement respect.
Sous les formules banales d'un de ses actes
(4),
le notaire
Pre Belsa nous laisse deviner le sentiment profond qu'il avait
de sa dignit et peint admirablement son caractre. Auzias
March s'est rendu en personne dans la valle de Xal, le
2o septembre 43H,
pour
y
recevoir l'hommage des nouveaux
vassaux qu'il vient d'acqurir par la mort de sa premire
femme, Isabel de Martorell. Les alami, jurs, anciens et aljaina
de Rafol, Trahella et Nia ont t convoqus sur la place de
Rafol par le crieur public. Le notaire et cinq tmoins, trois
chrtiens et deux sarrasins de Dnia, assistent aussi la runion.
Auzias March s'adresse ses vassaux et leur dit que Na Isabel,
sa femme, est passe de vie trpas, et, par son dernier testa-
ment, l'a institu hritier propre et universel de tous ses biens,
meubles e!: immeubles. 11 est donc venu pour prendre posses-
sion des dits lieux et recevoir le serment de fidlit des Sarra-
(1)
C'est ce que dit expressment Auzias au dbut de l'acte notari du 23 d-
cembre 1438.
(2)
Deux copies sur parchemin de cette donation sont aux Archives d'Osuna,
Gandia, 547-2.
(3)
Ibidem.
('i) Arch. de Osuna, Gandia, n'' 1210. Protocoles P. Belsa, ad aiin. 1439.
l'hommage de ses vassaux
81
siiis prsents. Ceux-ci rpondent que le cas est nouveau, qu'ils
ignoraient la mort de Na Isabel^ leur seigneuresse^ et qu'ils
demandent se consulter entre eux pour la rponse faire.
Ils s'loignent un instant^ s'entretiennent avec la mre de la
dfunte^ Xa Damiata^ femme de feu Mossn Francesch Marto-
rell, l'ancien seigneur de la valle_, et avec En Jammot Marto-
rell_, puis reviennent^ dcids prter serment leur nouveau
seigneur^ pourvu qu'il leur jure de respecter les usages et bonnes
coutumes de la valle d'Exal et d'en juger les Sarrasins sui-
vant una et Xaca , c'est--dire conformment aux livres
de lois et au code pnal des Sarrasins
(1).
Auzias March rpond
firement qu'ils aient prter d'abord serment et qu'ensuite
il fera ce que commande la justice, e lo dit Mossen March
dix que li prestassen e fessen lo dit sagrament e fealtat, que depux
ell era prest de
fer
tt o que ell
fer
degues e
fos
tengut
fer
per jus-
ticia. Cette fermet inspire confiance aux Sarrasins, et, sur une
nouvelle requte d'eux, ils sont admis prter le serment
d'usage. Aussitt aprs, Auzias March dclare qu'il est prt
prendre l'engagement c[ue sollicite Valjama. Il se fait apporter
le missel de l'Eglise de la valle et jure par N. S. Dieu et les
quatre Saints Evangiles, sur lesquels il pose les mains, de con-
server aux Sarrasins leurs usages et bonnes coutumes et de les
juger suivant una et Xaca , avec l'aide de Dieu et de ses
quatre Saints Evangiles. Et, immdiatement, il amnistie tous
les Sarrasins de l'endroit pour tous crimes, quels qu'ils soient,
commis par eux jusqu' ce jour.
Plus pittoresque encore est la crmonie de l'hommage rendu
sa future belle-mre, Constana Castella Scorna, par ses vas-
saux de Pedreguer, le 5 fvrier 1443. Il
y
assiste en qualit de
tmoin. Chacun des Sarrasins prsents, crit toujours le no-
taire P. Belsa dans son procs-verbal officiel
(2),
baisa la main
et l'paule (lo muscle) de la dite seigneuresse, et tous ensemble
se tournrent vers Valquibla de Mahomet
(3),
regardant du ct
du soleil levant, comme les Mores ont coutume de jurer et ils
(1)
Voir, aux mots achaque et zuna , D. L. Eguilaz y Yanguas, Glo-
^ario etimolgico de las palabras espanolas de origen oriental, Granada, 1886.
(2)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1212. Protocoles P. Belsa, ad ann. 1443.
(3)
M. m. midi . C'est l'endroit de la mosque vers lequel doivent se tour-
ner les musulmans dans leurs prires.
Am. Pages.

Auzias March.
G
82 CHAP. V.

l\4ge mur. la vie publique d'auzias march


prtrent serment tous ensemble et chacun pour soi par
N. S. Dieu et Valquibla de Mahomet... Ils la prirent ensuite de
jurer la una et Xaca des Sarrasins et de les juger suivant
cette una... Aprs avoir jur sur les Saints Evangiles la dite
Na Constana entra dans la maison seigneuriale et en sortit,
ouvrit et ferma les portes du dit difice
;
et, cet instant mme,
la dite Na Constana alla un champ du dit lieu,
y
prit un peu
de terre dans ses mains et la jeta, et de mme elle coupa des
branches aux arbres du dit champ .
Le 17 fvrier 1444
(1),
il donne mainleve Mahommat
Roayal, sarrasin de la Font d'En Carrot^, dans le territoire du
Chteau de Rebollet, et sa femme Ayxa, de la garantie exige
d'eux pour la composition laquelle avaient t condamns
leurs parents Ali. et Caat Roayal, coupables d'avoir tu le more
Beneni, de Yorta de la Ufa de Gandie. Cette transaction nous in-
tresse surtout parce qu'elle a t consentie par Jacme Diez
Daug
(2)
,
procureur gnral du seigneur Prince de Yiane et
duc de Gandie . C'est la premire fois que, dans nos docu-
ments, intervient, mais indirectement, D. Carlos d'Aragon, qui
a toujours t considr comme l'ami et le protecteur d'Auzias
March
(3).
S'il n'est pas certain que le jeune duc et son vassal aient eu,
cette poque, de vritables relations, il est, en revanche, hors
de doute que le roi Alphonse a encore recours aux bons offices
de son ancien fauconnier. Le 12 mai 1443, Auzias March
lui envoie, par l'intermdiaire de son fauconnier de Valence,
Adam Lopiz, trois faucons munterins gruers
(4),
et, le 8 mai
1444, le roi crit de Naples son mestre racional de Valence qu'il
approuve le paiement fait Adam Lopiz, et Jacme Dezpla, de
cinq cent cinquante sous royaux pour le transport de Valence
Naples de deux faucons et d'un chien de chasse dresss par
Auzias March
(5).
Un peu plus tard, le 2 mars 1446,
Alphonse V
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, n 12l'2, Protoc. P. Belsa., ad ann. 1444.
(2)
Jacme Diez de Aux fut d'abord cuyer du prince, pviis gouverneur de
Corella. Voy. Desdevises du Dezert, op. cit.,
p.
176.
(3)
C'est en 1439 que D. Carlos avait pris le titre de Prince de Viane, Primo-
gnit, hritier et gouverneur gnral de la Navarre, duc de Gandie. Cf. Desde-
vises
DU Dezert, op. cit.,
p.
123.
(4)
Valence, Arch. gen, del Reyno. Begistro apocas Bailia, t. VI.
(5)
Rev. de bibliog. cat., VI, 42.
SES DROITS SEIGNEURIAUX 83
ayant perdu les meilleurs faucons qu'il avait;, los niillors
fal-
cons que tenyem, s'adresse lui-mme, cette fois, Mosn Au-
sas pour lui demander deux de ses faucons gruers dont
il avait entendu faire Tloge
(1).
Il
y
a quelques annes que
Naples a t dfinitivement conquise. Le roi aime
y
goter
les plaisirs de la paix. Son bailli gnral dans le royaume de
Valence, Berenguer Mercader, lui fournit divers objets, et, no-
tamment, tout ce qui lui est ncessaire pour la chasse. C'est
ainsi qu'Auzias March, dont il a dj apprci les connaissances
cyngtiques, est amen lui continuer accidentellement ses.
services.
De Valence, o il est tabli six annes plus tard, il dfend en-
core activement les droits seigneuriaux qu'il possde Be-
niarj. Par un usage immmorial, quand un more, homme ou
femme, dcde sans enfants, son hritage revient au seigneur.
Auzias March prtend appliquer cette rgle au cas d'une de ses
vassales, veuve du more Yhayhe, teinturier, c[ui est morte sans
hritiers directs
(2).
Mais les fonctionnaires (officiais) de la ville
de Gandie, et le procureur de l'excellent prince de Navarre

seconde allusion sans grande porte au prince de Viane

lui en
contestent le droit. Auzias March se pourvoit alors auprs de la
Cour du Gouverneur, en se fondant sur ce fait que, pendant
plus de quinze ans, Yhayhe et sa femme ont eu Beniarj leur
domicile continu et principal et qu'ils ont pay pendant tout ce
temps leurs droits de vasselage. Il rclame encore du demandeur
le serment de bonne foi, et, le 26 mars 1450, le gouverneur
Don Johan Roiz de Corella, rend un jugement d'avant faire
droit ordonnant de laisser les choses en l'tat, sans prjuger le
fond, sous peine de mille florins.
Auzias March est ml, vers la fin de sa vie, un autre procs
dont il nous est malheureusement impossible de connatre l'ori-
gine. Dans les registres de la Cour du Gouverneur figure, la
date du 7 janvier 1458, une mention
(3)
indiquant qu'une
plainte a t porte par l'honorable Na Elionor, femme de
(1)
A. Gimnez Soler, op. cit., p.
224.
(2)
Valence, Arch. gen. del reyno. Curia del gobernador. Litium ad an. 1450,
cah. II, fol. 25.
(3)
Ibidem. Diversorum Valentie Joan. II, n 18, fol. 77.
84 CHAP. V.

l'ge mur. la vie publique d'auzias march
l'honor En Francesch de Vilanova contre l'honorable Mossn
Ausias March . Cette note a t biffe. Mais, par une premire
lettre du roi Juan, qui n'est encore que lieutenant du roi Al-
phonse, nous apprenons que si, d'une part, Elionor de Vilanova
accuse Auzias March, celui-ci, par une sorte de demande recon-
ventionnelle, porte contre son mari, Francesch de Vilanova,
l'accusation de crime. Le roi Juan, devant qui l'affaire est vo-
que, dcide qu'il
y
a lieu de laisser Auzias March en libert el
de s'emparer, au contraire, de Francesch de Vilanova pour l'in-
terrogatoire et le jugement duquel il dsigne tout d'abord, en
qualit d'assesseur, le docteur en droit Johan de Gallach, citoyen
de Valence.
Le 2 aot 1458, Francesch de Vilanova n'est pas encore jug.
Auzias March se plaint., La roi Juan, qui vient d'tre appel au
trne d'Aragon par la mort de son frre le Magnanime, dcide
qu'il
y
a lieu d'examiner cet homme coupable d'avoir per-
ptr )), suivant son accusateur Auzias March, divers crimes
normes . Il recommande de le tenir enferm et sous bonne
garde
(1).
Mais, le 23 septembre, l'affaire est encore l'instruc-
tion, faute par le roi d'avoir nomm un assesseur aux juges ordi-
naires de la Cour du Gouverneur, Cette dsignation est faite la
demande d' Auzias March et de Garcia de Boray, procureur du
fisc royal
(2)
.
III
Quelle fut son attitude envers la royaut dans les dlibra-
tions des Corts auxquelles il prit part durant cette seconde partie
de sa vie ? Rien ne nous permet de le savoir. Trois fois cepen-
dant, il V reprsente Vestament militar^ comme il l'avait fait dj,
lorsqu'il n'tait encore que damoiseau. La premire fois, ce fut
Mont, en 1435, aprs la dfaite de Ponza
(3).
La reine Marie,
qui prsida aux dbats, invita les dputs des trois royaumes
prendre les mesures ncessaires pour aider son malheureux
(1)
Ibid., Comune Valcncie D"^ Joan Segundo, n 2, fol. 7 v.
(2)
Ibid. Comunes Valentie Joan. II,
nO
1, fol. 42.
(3)
Barcelone. Arcl. de la Cor. de Aragon, Procesos de Cortes, t. XXXII,
fol. 7.
SA PARTICIPATION AUX CortS
85
poux. Six galres furent quipes^ et^ places sous les ordres de
Bernt Johan de Cabrera, elles allrent grossir l'escadre du roi
Alphonse, en Italie
(1).
Ces secours taient insuffisants. Le roi de Navarre, revenu
d'Italie, o il avait t fait prisonnier avec son frre, convoc[ua
de nouvelles Corls, cette fois-ci particulires, en 1436. Sur la
liste des Valenciens, qui se runirent Morella, le 15 janvier
1437, nous relevons les noms des chevaliers Auzias et Alphonse
Mardi
(2).
Des contributions supplmentaires pour la guerre
d'Italie furent consenties de toutes parts
(3).
Dix ans ajjrcs, en 144G, a lieu, Valence encore, une session
des Corts sous la prsidence du roi de Navarre. Auzias Mardi
y
sige
(4),
et, dtail qui mrite d'tre relev, charge aussitt
aprs son fils Francesch March, par une procuration en bonne
et due forme, de toucher rindemnit (salariu-n) c|ui lui revient
de ce chef
(5).
De tous ces faits, o nous voyons Auzias March dans son rle
de seigneur et surtout de seigneur justicier ou justiciable, une
conclusion se dgage pour ainsi dire d'elle-mme. Trs attach
ses prrogatives, il les exerce avec le sentiment le plus vif
de son importance. De ses vassaux il exige la soumission et le
respect. Vis--vis de son suzerain, le duc de Gandie, qui presque
toujours ne fit qu'un avec le roi ou son lieutenant, vis--vis des
magistrats publics qui les reprsentent et. revendiquent de plus
(1)
V. Balaguer, op. cit., VI, 73.
(2)
Valence, Arch. gen. del reyno, Comunes R. D. Juan (1433-39), li'o I
;
Cu-
rise Joan. 2 (1436-1479), lio I.
(3j
V. Balaguer, l. c, 75.
(4)
P. FusTER, Bib. valenciana, I, 24, emprunte ce renseignement Borrull
Y ViLANOVA, Exposicin la Acad. de S. Carlos, p. 6, note 5. Ce dernier l'a ex-
trait d'un ouvrage sur les Furs
y
Corts imprim Valence en 1482.
(5)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210, Protocoles P. Belsa, ad ann. 1446.

Un demi florin, valant 11 sous 6 deniers, avait t donn aux reprsentants de


la ville de Valence aux Corts de 1436-37 durant tant com les dites Corts du-
raran e no pus per alguna raho e manera . [Libre de Mem., ad ann. 1437).
86 CHAP. V.

l'ge mur, la vie publique d'auzias march
en plus la connaissance de toutes les affaires, il refuse d'abdiquer
son droit de justice, manifestation la plus sensible de son auto-
rit. Le dput aux Corts dut laisser paratre sans aucun doute
le mme souci de sa dignit.
rsul commentaire ne saurait mieux montrer ce qu'il
y
a de
sincre dans ses pomes sur l'Honneur et l'on comprend mainte-
nant toute la porte de cette dclaration :
Car per honor yo m sech en pus ait banch.
(LXXXIV, 56).
CHAPITRE^VI
LA VIE PRIVE D AUZIAS MARCH
L'tude de la vie prive d'Auzias March va nous dvoiler
quelques replis de son cur
;
et, en nous faisant entrevoir ses
inclinations les plus secrtes, elle contribuera pevit-tre
nous
expliquer une autre face de son uvre.
En aot 1429,
il avait perdu sa mre, et sa sur Peyrona
tait passe sous sa curatelle. L'administration des biens de la
pauvre sourde-muette lui revenait naturellement. Pre March
avait lgu sa fille 1.500 sous pour son entretien
(1),
et nous
avons vu que, par son testament du 9 aot 1429,
Elionor de
Ripoll l'avait dsigne pour son hritire universelle. Cette for-
tune tait plus que suffisante pour lui assurer une vie dcente.
Son frre semble l'avoir gre avec prudence. Ds le 23 janvier
1430, il reoit d'un notaire de Dnia, Johan San, un cens
annuel de 116 sous 8 deniers de Valence affect la curatelle
(2).
Le 23 dcembre 1449 nous trouvons encore des traces de sa ges-
tion
(3).
En fait, elle dura toute sa vie, car Peyrona ne mourut
qu'en 1472, c'est--dire treize ans environ aprs Auzias
(4).
Les comptes de curatelle furent contests plus tard par une
hritire de Peyrona, Dona Angela Toisa e de Mancada. Dans
une pice du procs qu'elle engagea contre les hritiers d'Auzias
(1)
Mmorial de Palma.
{2)
Arch. de Osuna, Gandia, nfi 1210. Protocoles P. Belsa, ad ann. 1430,
(3)
Ihid. Notai P. Belsa, ad ann. 1449-40.
^4)
Mmorial de Palma.
88 CIIAP. VI. LA VIE PRIVE DAUZIAS MARCH
Mardi
(1)^
elle insinue que^ si les biens matriels de Peyrona
sont rests intacts, son curateur n'aurait cependant dpens
pour elle c{ue 30 40 livres par an^ s'appropriant ainsi les co-
nomies faites sur l'entretien. Argument d'avocat qui ne parat
pas de nature entacher la mmoire du frre de Peyrona^ alors
surtout c[ue l'accusation s'est produite aussi longtemps aprs la
mort de l'accus.
Il n'est pas probable qu'Auzias March ait vcu longtemps en
compagnie de sa sur. La condition des sourds-muets ne s'tait
gure amliore depuis l'antiquit, et^ s'ils n'taient plus consi-
drs comme semblables aux niorts^ mortuis sirniles, ils taient
encore traits en enfants et tenus l'cart. D'autres images
fminines ne tardent pas hanter sa pense. C'est d'abord
Pleine de sens ou Lis entre Chardons ^ c'est--dire la femme
intelligente et pure dont la plupart de ses posies chantent les
perfections
;
puis^ une femme^ moins parfaite^ mais plus vi-
vante^ laquelle il dsire s'unir parles liens de l'amour terrestre.
Il a dpass la quarantaine : il est temps d'assurer par un ma-
riage la perptuit de sa race et de son nom. Il ne demande
d'ailleurs gure autre chose la vie conjugale. Les femmes^ pour
l'intelligence desquelles il a pevi de respect, ont pour fonction
essentielle d'accrotre l'espce humaine :
Linatge d'hom niijanant elles creix
;
lur esser fon par aumentar aquell.
(LXXI, 103-104).
C'est en 1437
(2),
au moment mme o il exalte les beauts de
l'amour pur, qu'il pouse Isabel de Martorll, fille de l'hono-
rable chevalier Mossn Francesch de Martorell
(3)
et de Na Da-
miata et l'une des femmes qui lui firent prouver le charme des
affections humaines. Elle lui apporta une dot, considrable pour
l'poque, de 3.000 florins, c'est--dire 25.500 francs de notre
monnaie, garantis par les terres de Rafol.
(1)
C'est un rsum de toute cette procdure que nous offre le Mmorial
de Palma.
(2)
A. Paz y Mlia, op. cit., 374.
(3)
Dans les protocoles de Johan de Lorqua (Arch. de Osuna, Gandia,
n 1121), la date du 8 aot 1415, figure un acte de Francesch de Martorell
relatif 300 florins d'Aragon.
SON PREMIER MARIAGE 89
Le 10 janvier 1439^ il conclut un arrangement avec son beau-
frre, le chevalier Galceran Martorell, citoyen de Valence, afin
d'viter tous procs et toutes discussions, qualsevol plets e ques-
tions
(1).
De cette union est peut-tre
(2)
n un fils, Francesch, qui, ds
1446, est charg, comme nous l'avons vu, de toucher, Valence,
les honoraires de reprsentant aux Corts dus son pre, mais
dont nous ne retrouvons plus que deux fois la trace, le 2 sep-
tembre, et le 6 novembre 1447, dans des procurations manant
encore d'Auzias
(3).
Le mariage fut bref. Isabel testa par devant le notaire Pre
Rovira, le 20 septembre 1439, et tait morte le 25 suivant. Ce
jour-l, en effet, Auzias March, dont elle avait fait son hritier
universel, reoit serment et fidlit, sagrament e fealtat, dans les
formes que nous avons dcrites, des Sarrasins de Rafol, Tra-
hella et Nia. Il prend possession, en prsence de sa belle-mre
et d'un autre alli nomm Jammot Martorell, de ces lieux qui
avaient appartenu sa femme et garantissaient sa dot. Un peu
plus tard, le 5 mars 1442, il fait, en qualit de crancier, oppo-
sition leur vente auprs du lieutenant-gouverneur du royaume
de Valence, Mossn Pre Cabanyelles, et a contre lui, dans cette
affaire, Mossn Baltasar Bou, qui Jacme Roig ddiera son
Sj)ill
(4].
Que fut cette femme et quels sentiments lui inspira-t-elle, du-
rant le court espace de temps qu'ils vcurent ensemble ? Xous
ne le savons aucunement. Il n'a fait allusion elle qu'une fois.
Vingt ans aprs sa mort, il demande, par un article de son co-
dicille, que cinq cents messes soient clbres pour le repos de
son me dans l'glise du monastre de Saint- Jrme de Gandie
o elle avait d tre enterre. Le renseignement est mince, et
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, toP 1210. Prot. P. Belsa, ad ann. 1439.

Fr. Cerda [Notas al canto de Turia,
p. 292),
cite un compromis du 28 jan-
vier 1440 relatif sans doute aux mmes intrts et fait de Galceran Martorell,
le beau-frre d'Auzias. Cf. Fuster, op. cit. I, 24.
(2)
Le jeune ge qu'a cet enfant en 1446, au moment o Auzias March en
fait son mandataire, peut faire croire qu'il est le fruit ou d'un mariage ant-
rieur ou d'une union irrgulire.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210. Prot. P. Belsa, ad ann 1447.
(4)
Valence. Arch. gen. del Reyno. Curia del gobernador. Litium 1442. Ca-
hier II (manque le
l^r)
fol. 2.

90 CHAP. VI. LA VIE PRIVE d'aUZIAS MARCH
c'est tant mieux pour elle. Isabel fut une de celles dont on ne
parle pas, et, cette poque tout au moins, il n'y avait pas de
plus bel loge pour une femme. Il faut se garder surtout de lui
appliquer les jugements dfavorables que le pote porte sur
les femmes sous l'influence de ses modles littraires et pour
se venoer aussi sans doute de les avoir tant aimes.
II
Un peu moins de quatre ans aprs la mort d' Isabel, il songe
se remarier. Le 5 fvrier 1443, il est prsent, en qualit de
tmoin, l'hommage seigneurial que les habitants de Pedre-
guer, Monteroy et autres lieux rendent Constana Castella
Scorna, femme de feu l'honorable Mossn Bernt Scorna, et
hritire de son fils Galceran
(1).
Le nom des Scorna figure dj
dans les livres des Repartimientos
(2).
Bernt Scorna lui-mme
t jur de Valence en 1405, et, en
1415,
justicia civil
(3).
C'est dans cette vieille famille valencienne, laquelle il est
dj uni, qu'Auzias March prend sa seconde femme, Johana
Scorna, donzella. Le contrat de mariage a t sign, le 26 fvrier
1443,
par devant le notaire P. Belsa
(4).
Constana Castella
Scorna assure sa fille une dot de 50.000 sous. Pour la garantir,
elle cde ou engage diverses rentes et le lieu de Pedreguer. De
plus, si Na Johana Scorna meurt avant la consommation du
mariage, elle ne pourra disposer que de 5.000 sous, le reste de-
vant revenir sa mre ou tout autre bnficiaire. Outre ces
50.000 sous de dot, Johana recevra pour 10.000 sous de robes
et de bijoux (robes e joyes) que Mossn Auzias March fera esti-
mer son gr. De son ct, Mossn Auzias March fera titre
d'augment ou creix la dite damoiselle pour cause de sa virgi-
nit 25.000 sous, de faon que la dot et le creix s'lvent la
somme de 75.000 sous . Comme il v a entre Auzias Mardi et sa
(1)
Voir plus haut,
p. 81.
(2)
Doc, ind. del Arch. de la Cor. de Aragon, XI, 430.
(3)
Libre de Mem., ad an. 1405 et 1414.
(4)
Arch. de Osuna, Gandia,
no
1212. Prot. P. Belsa, ad an. 1443.
SON SECOND MARIAGE
91
fiance un tel degr de parent par alliance
(affinitat) qu'ils ne
peuvent se marier sans dispense, Auzias March est charg de
l'obtenir de notre Saint Pre ou du Concile de Ble, ses frais.
Enfin, une dernire clause cjue certains jurisconsultes de notre
poque voudraient introduire ou rintrocUiire dans nos conven-
tions matrimoniales, Mossn Auzias March, Na Constana Cas-
tella Scorna et sa fille Na Johana, donzella, s'engagent ex-
cuter ces accords et aussi clbrer le mariage un mois aprs
l'arrive de la dispense, sous peine de trois mille florins de ddit.
Il en est de la seconde femme d'Avizias March comme de la
premire. Il ne nous reste sur elle que des renseignements offi-
ciels, des actes notaris. Ils attestent, entre autres choses, que,
le 14 novembre 1443, sa mre dsireuse de complter sa dot,
qui n'est encore cjue de 48.500 sous, lui constitue une rente
supplmentaire de 100 sous. Elle et son mari donnent ensuite
quittance Constana Scorna des 10.000 sous qu'elle a verss
pour ses robes et bijoux. A la mme date, elle reprsente Auzias
March pour certaines affaires sans grande importance
(1).
Le
28 mai et le 4 juin 1444, elle nomme son tour des procureurs
Valence pour
y
percevoir diverses sommes, et, le 12 dcembre,
lie en touche d'autres elle-mme avec le concours de son
mari
(2).
En somme, rien qui puisse nous rvler son cur, ni la part
qu'elle prit la vie morale de notre pote et de ses enfants. Rsi-
gnons-nous encore en rendant hommage son existence dis-
crte et renferme.
Elle perdit sa mre vers le 23 fvrier 1446. A cette date, en
effet, Constana Castella Scorna, seigneuresse de Pedreguer,
dicte son testament
(3),
et son nom ne reparat plus depuis dans
nos protocoles. Deux de ses gendres, Mossn Auzias March et
Mossn Vidal de Blancs, ont t chargs par elle d'excuter ses
dernires volonts, et, notamment, diffrents legs son fils
Joffre, et ses quatre filles : Castellana, femme de Vidal de
Blancs, Johana, femme d'Auzias, Constana, femme de Mossn
Francesch Marti, et Damiata
(4).
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1212. Prot. P. Belsa, ad an. 1443.
(2)
Ibid., ad an. 1444.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210. Prot. P. Belsa, ad an. 1446.
(4)
Il est fait mention d'un procs entre Na Damiata de Scorna et Mossn
Julia dans l'inventaire d'Auzias March, Romania, XVII, 201.
92 CHAP. VI. LA VIE PRIVE d'aUZIAS MARCH
Il est prohaljle que vers 1451 Auzias March a habit Valence
au moins de temps en temps. Ce qui n'est pas douteux^ c'est que,
le 11 octobre
1451,
par devant le notaire valencien Pau Rosell,
il est qualifi pour la premire fois d'habitant de Valence (hahi-
tator Valentie)
(1)
et cjue les deux poux s'engagent solidaire-
ment payer Pre Pardo de la Casta jeune 233 sous 4 deniers
de rente perptuelle pour un capital de 3.500 sous qui leur a t
cd. Cette somme leur a servi sans doute au paiement d'une
maison achete par Auzias, le 9 octobre prcdent, et situe
dans la paroisse de Saint-Thomas, dans la rue appele De les
Avellanas. Ils donnent pour garantie hyjiothcaire la maison
elle-mme, et Johana renonce l'inalinabilit de sa dot et
toute exception tire de senatus-consulte Vellien interdisant
la femme de s'obliger pour autrui
(2).
Johana, seconde femme d'Auzias March, est morte, aprs
moins de douze ans de mariage, vers la fin de 1454. Cette date
rsulte de deux documents du 13 janvier 1455. Dans l'un, Au-
zias Antich, de Gandie, reconnat avoir reu d'Auzias March
une somme que lui avait lgue Johana de Scorna par son der-
nier testament. Le second nous montre Auzias March se rf-
rant ce testament reu par Johan San, notaire de Valence,
mais dont la date est reste en blanc dans les registres de Belsa,
et chargeant un autre notaire valencien d'excuter les dernires
volonts de la dfunte
(3).
C'est dans le monastre des Frres de
Saint-Jrme, prs de Gandie, cju'elle fut enterre, comme
Isabel de Martorell. Mais, dans son testament
(4),
c|uelques
(1)
La plupart des actes que nous avons cits portent la mention hahitator
ville Gandie. Une seule fois, la suite du contrat de mariage du 26 fvrier 1443^
le notaire Belsa crit Auziano March, militi, hahitalori dicte civitatis, et la cit
laquelle il semble se reporter est bien Valence, puisqu'on lit quelques lignes
plus haut Bernardi de Scorna quondam habitatoris civilatis Valencie. Faut-il ne
voir dans cette nouvelle indication qu'un simple oubli du scribe ? En tout cas,
les actes postrieurs 1443 et antrieurs 1451, ou ne mentionnent pas le do-
micile, se contentant de la formule habituelle Auzianus Alarch, miles, dominus:
loci de Beniarjo, ou contiennent, comme celui dvi 10 juin 1443 par lequel il
donne procuration Abdalla, sarrasin de Beniarjo, les mots hahitator ville
Gandie.
(2)
Valence. Arch. Metropolitano, n 3883. Prot. Pau Rosell, ad an. 1451.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, n^ 1210. Prol. P. Belsa, ad an. 1455.
i'i)
Romania, XVII, 191.
SES ENFANTS
93
annes plus tard^ Auzias Mardi demande que ses restes soient
transports Valence, si l'vque et les frres de Saint- Jrme
l'autorisent, dans le tombeau des Mardis, la Seu, o lui-mme
veut tre inhum. Il ordonne, cette fin, qu'un drap d'or qu'il
possde soit garni de fleurs et de feuilles (hidaures)
(1)
avec ses
armoiries et celles de Johana de Scorna, et plac dans la Seii de
Valence. Il sera donn au monastre de Saint- Jrme, si la
translation n'a pas lieu. Il prescrit enfin, dans son codicille de
l'anne suivante, que 700 messes

200 de plus que pour sa
premire femme

soient dites son intention


(2).
Dispositions testamentaires c[ui tmoignent d'un rel souci
des convenances d'outre-tombe plutt que de sentiments r-
trospectifs bien dtermins.
Un dernier problme reste rsoudre. Johana Scorna laissa-t-
elle des enfants Auzias March ? Aucune indication prcise ne
nous a t transmise ce sujet. Parmi les enfants lgitimes du
seigneur de Beniarj nous avons dj cit Francesch, n peut-
tre de sa premire femme, mais qui, n'tant pas nomm dans
son testament de 1458,
avait probablement cess de vivre
cette poque. Reste un autre enfant. Pre, c[ue l'on pourrait
aussi considrer comme lgitime, parce que la mention jil meu,
par laquelle Auzias le dsigne, n'est pas accompagne de l'pi-
thte bastard ou natural applique aux autres. Il est aussi le seul
pour lequel le testament n'ait pas envisag le cas o il serait in-
capable et ne pourrait pas recueillir par lui-inme le legs qui lui
est fait. Mais il faut remarquer par contre qu'il n'est pas insti-
tu hritier, mais seulement lgataire comme les autres. Cet ar-
gument serait lui seul peut-tre insuffisant, mais il est con-
firm par ce fait trs important c[ue la possession de la seigneurie
de Beniarj fut attribue aux Marchs de Barcelone et d'Aram-
pruny. Enfin, une des pices du dossier de la chapelle Saint-
Marc
(3)
dclare qu'Auzias est mort sans enfants lgitimes (sine
filiis legittijnis et naturalihus) et aucune ne signale mme l'exis-
tence d'un descendant appel Pre.
(1)
Item altre dosser de brocat a la domasquina ab les vidaures de ceti vert
ab les armes del senyor Duch. [El Archiva, VII, 104).
(2)
Romania, XVII, 195.
(3)
Valence. Arch. de la Curia Ecl., A. 22-187.
3 Jacobum Torrella te
Gabr. San , fol. XX v.
94 CHAP. VI. LA VIE PRIVE d'aUZIAS MARCH
Nous croyons donc que^ malgr le prnom traditionnel qui
lui a t donn comme l'an des enfants lgitimes, chacune
des gnrations de la famille, ce Pre Mardi Vil n'est issu ni du
premier ni du second mariage d'Auzias March. Sa seconde
femme, Johana de Scorna, est donc morte vraisemblablement
sans enfants.
III
D'autres unions furent moins striles. Ce sont les amours irr-
gulires, les faiblesses de grand seigneur que nous rvle le cha-
pitre secret de la biographie d'Auzias Mardi, son testament.
Trois fils et une fille

Johan, Pre, Felip et Johana

en
furent les consquences durables. Les deux ans paraissent
tre Johan et Johana. Au premier, qualifi de btard dans cet
acte authentique, peut-tre parce qu'il tait adultrin, et pour le
distinguer des autres qui sont simplement naturels, il lgue, par
l'entremise de sa belle-sur Madona Constana Marti, et con-
dition qu'il pouse une de ses filles, un cens de 25.000 sous
(1).
La seconde, dj marie Auzias Torrella, de Gandie, reoit en
partage une maison que le pote possdait encore dans cette
ville, tous ses meubles de Valence et de Beniarj et 60 livres
royaux de Valence pour l'achat d'une esclave.
Pre et Felip sont plus jeunes : le dernier, n d'une esclave
appele Marta, qu'il a encore en 1458 son service, le proccupe
cause de son incapacit et de sa minorit de 20 ans. Des legs
plus minimes, l'un de 35 livres de rente, l'autre de 20,
leur sont
attribus respectivement titre d'aliments, mais avec la facult
(carta de gracia) de racheter le capital.
Ces enfants ne semblent pas tre le fruit de rencontres passa-
gres, de bonnes fortunes sans lendemain. Le type de Don Juan
(1)
Romania, XVII, 191. Ce mariage eut lieu le 10 avril 1459, un peu plus
d'un mois aprs la mort du testateur. Johan March obtint la main de Castel-
lana, fille lgitime de Francesch Marti et de Constana de Scoma, et, le 14 juin
suivant, Joffre de Blanes, hritier universel d'Auzias March, lui concde tous les
droits qu'il avait contre Berenguer Mercader et Pre Johan (Arch. gen. del
reyno de Valencia, Prot. Berenguer Cardona, ad ann. 1459).
SES FAIBLESSES 95
est encore inconnu. Notre Auzias n'a rien ou presque rien du
sducteur brillant^ picurien et sceptique. C'est un homme sen-
suel^ au temprament fougueux et ardent^ qui pse la mono-
gamie. C'est le patriarche qui dsire une progniture nombreuse,
signe de puissance et de richesse, surtout au milieu des popula-
tions musulmanes qui l'entourent. De l ses infidlits au de-
voir conjugal
;
de l ses liaisons ancillaires, ces amours faciles et
de peu de dfense, suivant l'expression de notre vieux Rgnier,
et dont il accepte toutes les responsabilits. Alors qu'il soupi-
rait aux pieds de femmes pleines de sens, plus idales sans
doute que relles, il cherchait ailleurs et plus bas des plaisirs
moins platoniques, tant il est vrai que la nature rejDrend tou-
jours ses droits, mme chez les favoris des Muses. La passion
qu'il eut pour Marta, son esclave, mre de son dernier enfant,
nous fait entrevoir ce qu'avaient t probablement les autres.
L'une d'entre elles tout au moins voque en nous le spectacle de
Sarah supportant silencieusement le voisinage d'Agar. Que de
soupons veillent, en effet, ses gots un peu vulgaires, et, com-
ment ne pas voir quelque nouveau caprice oriental dans ce fait
qu'il rvocjue, le 3 mars, l'article de la mort, le legs qu'il a fait
le 4 novembre prcdent en faveur de cette ancienne servante-
matresse, alors qu'il double celui qu'il destine Na Francina,
sa remplaante !
Ces garements que l'ge n'a pas attnus et contre lesquels il
essaie de ragir en vain, ces crises d'amour impur lui ont fourni
le thme de nombreuses posies et prouvent par l mme que
ses uvres ne sont pas de pures dclamations. Ce serait d'ailleurs
une injustice que de juger avec notre moderne svrit ces d-
sordres, tant ils taient frquents son poque et pour ainsi dire
dans les murs. Le roi Alphonse V, le prince Charles de Viane^
et le marquis de Santillana, pour ne citer que les plus clbres
des contemporains de notre chevalier, s'adonnaient presque ou-
vertement un libertinage du mme genre.
Cette complexion amoureuse laquelle il s'abandonne par-
fois, comme il le dit lui-mme dans ces vers ddis prcisment
au roi Alphonse :
Complaure vuU a ma complexi
8 fer-me tort, que m luny tant de rah
que FolTAmor yo torne praticar,
(CXXII bis,
18-20)
96
CHAP. VI. LA VIE PRIVE d'aUZIAS MARCH
devait avoir ncessairement pour contre-partie^ suivant sa
propre thorie, la jalousie

et c'est, en effet, ce sentiment qui


se manifeste clans une de ses uvres les plus curieuses. A voir de
c{uelles injures la pice Vos qui sabeu de la tortra l coslum accable
une certaine Na Monbohi, coupable de s'tre livre quelque
drapier, on ne peut douter cjuil n'y ait l un pisode de sa vie
galante. C'est un cri de colre du gen ilhomme tromp par une
matrone trop complaisante.
La vie sentimentale d'Auzias Mardi nous apparat donc, en
dfinitive, comme assez complexe. Elle prsente pour ainsi dire
trois parties superposes. L'une, lgante, raffine, consacre
l'expression des ides les plus nobles et des sentiments les plus
chevaleresques. La beaut des femmes ne s'y mesure
ciu'
leur
intelligence
;
elle est la splendeur de la vrit. L'autre, plus hu-
maine, plus conforme notre double nature est la synthse des
vertus domestiques et sociales : c'est la vie conjugale avec les
joies de la famille, les douceurs de l'aisance et l'affection fami-
lire et respectueuse la fois pour la femme lgitime dont l'office
principal est d'assurer en silence la continuation de l'espce.
Enfin, dans la troisime, obscure et cache, rgnent, avec toutes
leurs violences et toute leur tyrannie, les passions infrieures
et les apptits matriels. Le commerce des femmes n'y a gure
d'autre objet que le plaisir goste des sens.
Ces trois aspects de sa vie correspondent assez exactement
aux trois degrs qu'Auzias March distingue, comme nous le ver-
rons, dans l'amour. L'homme et l'artiste se confondent ici en-
core, ou plutt le pote n'a fait qu'exposer sa manire de vivre.
CHAPITRE VII
LA FORTUNE D AUZIAS MARCH. SES PREMIERES POESIES
La fortune est^ aprs la vertu et avec la famille, une des con-
ditions du bonheur. Cette opinion d'Aristote est aussi celle d'Au-
zias March. Sans les biens extrieurs, dit-il, nul ne peut atteindre
une haute valeur :
L'orne pe 1 mon no munta'n gran valer
sens haver bns, bondat, linatge gran.
(XXXII, 1-2).
Ses deux mariages ne lui ont pas donn cette grande ligne,
ces nombreux descendants lgitimes que souhaitait un seigneur
tel que lui, hritier d'une longue suite d'aeux. En revanche, sa
fortune, trs relle et assez considrable pour l'poque, fut des
plus prospres. Toute sa vie, nous le voyons, grce aux registres
de ses notaires, occup la grer et l'augmenter. Elle lui per-
met de tenir son rang de chevalier et Ivii procure aussi les loisirs
ncessaires l'tude et la posie.
A sa majorit, Auzias March retrouva intact, aprs l'adminis-
tration (jue sa mre en avait assure depuis 1413,
le patrimoine
])aternel, immeubles cl meubles, dont nous avons dj vu les
principaux clments. Il se composait essentiellement de la sei-
gneurie de Beniarj, de Pardines et de Verni;a aux environs de
Gandie. Elle lui a t transmise par Pre March avec cette parti-
Am. Pacs.

Auzias March.
98 CHAP. VII. FORTUNE d'a. MARCH. PREMIERES POSIES
cularit qu'au cas o il ne pourrait pas en bnficier lui-mme,
son cousin cl'Arampruny lui serait substitu. Cette condition
semble indiquer

et c'est ainsi qu'elle sera interprte plus
tard

que ce fief tait inalinable et attach la famille.


A cet hritage, il faut ajouter sa maison natale de Gandie,
dans \e Carrer major, les meubles du palais seigneurial de Be-
niarj
(1),
et une somme de 50.000 sous dont une moiti prove-
nait de son pre et l'autre de sa mre.
Avec la proprit de Beniarj, il possde aussi les droits fo-
daux
y
affrents, sources d'importants revenus, et surtout la ju-
ridiction civile et criminelle, c'est--dire la moyenne et basse
justice, ainsi que la dme du trzain.
Pour Auzias Mardi, comme pour tout seigneur fodal, le do-
maine est essentiellement une proprit exploitable dont il faut,
par une gestion attentive^ tirer le plus grand profit, sans ngliger
les devoirs de sa charge et les dpenses qui incombent un
vassal :
Com a vassall la renda despenent...
(X. 13).
Ds 1425, il obtient du roi Alphonse V la juridiction suprme
qui n'avait point appartenu ses prdcesseurs et paie de ce
chef un droit de 18.000 sous
(2),
chiffre qui nous renseigne dj
en partie sur ses recettes extraordinaires.
L'agriculture est aussi l'objet de tous ses soins. 11 se proccupe
de tout ce qui peut augmenter le rapport de ses terres. Dans
Vorta fertile de Beniarj, sur les bords de la rivire d'Alcoy, le
bl
(3),
le riz
(4)
et le vin
(5)
enrichissent la population, surtout
arabe, qui la cultive. Mais Nicolau Santaf, le premier sucrier
de Valence , comme l'appelle le Libre de Memories
(6),
vient
(1)
Il est aujourd'hui dmoli. Les seuls souvenirs de la famille March qui
aient t conservs Beniarj sont l'glise et un ermitage consacrs tous les
deux Saint Marc. Voy. D. Teod. Llorente, Valencia, II, 701 et suiv.
(2)
Mem. de Palma.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210, Prot. P. Belsa, 20 sept. 1432.
(4)
Ibid., n 1212, Prot. P. Belsa, 16 fvrier 1444.
(5)
... Super locis predictis de Beniargo, de Pardines et de Vernia ac juri-
bus, redditibus, proventibus et emolumentis ipsorum, terris, i'meis et heredi-
tatibus eorumdem... (Arch. Hist. Nat.,
no
224, Poitaceli en Serra, 6 fv. 1461).
(6)
P. 186. Le 24 janvier 1408, le conseil de la cit lui vota une subvention
de 200 florins.
LE DOMAINE DE BENIARJO
99
d'iMtrodiiire la canne sucre dans le royaume. Gandie ne sau-
rait rester en arrire, et, le 9 dcembre 1430,
1'
honorable
chevalier Mossn Galceran de Vich s "engage payer au cheva-
lier Auzias March cinq sous par francada de terre plante de
<< cannemelles /> dans les limites de Beniarjo, mais condition
que les produits en seront ports et traits au moulin svicre
ou trapig que le premier de ces gentilshommes campagnards a
fait difier Gandie
(1).
Plus tard, Auzias March ordonne de construire pour son
propre compte un de ces moulins dont Viciana, fier de ce c[u'
son poque l'industrie sucrire ne fleurissait encore c[u' Va-
lence, nous a laiss une description pittoresque
(2).
Le duch de
Gandie en comptait sept au moment o il crivait, et un des
premiers avait t certainement celui de Beniarj qui, avec tout
son outillage, avait cot son propritaire 16.569 sous
(3).
En 1456, les plantations d'Auzias March sont en pleine pro-
duction. Il s'est retir Valence, et, le 24 avril, il vend sur pied
sa rcolte de sucre 577 livres 10 sous royaux de Valence, raisori
de 19 livres 5 sous la charge (carrica), c'est--dire les 125
kilogrammes, prvoyant donc 30 charges de sucre environ.
La somme convenue lui est verse le 20 mai de l'anne sui-
vante
(4).
A la mme poque, il amliora ses terres par un remarquable
travail d'irrigation dont les bienfaits se font encore sentir au-
jourd hui. Il fit creuser un canal, connu sous le nom A'acequia de
Berniza et destin conduire et rpartir travers la campagne
de Beniarj l'eau de certaines sources se dversant dans la ri-
vire d'Alcoy, sur le territoire de Palma. Le 28 mars 1457, un
accord est conclu et sign, par devant Francesch Flubert, no-
taire public de Valence, entre Dona Isabel de Proxida, seigneu-
(1)
Arch. de Osuna, Gandia, n 1210. Prot. P. Belsa, ad an. 1430. Les proto-
coles de 1434 mentionnent, le 9 aot, un achat de sucre fait par Galceran de
Vich, de Gandie, deux sarrasins.

Sur ce Galceran de Vich, et, en gnral,


sur la rcolte du sucre dans le royaume de Valence, voir El Archwo, I, 43, 53.
(2)
M. DE Viciana, Seg. parte del Crnica de Valencia, Valencia,
1881, p. 26.
(3)
Mem. de Palma.
(4)
Valence. Arch. gen. del reyno. Prot. Berenguer Cardona, ad ann. 1456
(fol. 3 du
4e
cahier).
100 CHAP. VII. FORTUNE d'a. MARCH. PREMIERES POESIES
resse de Palma et Ador^ les reprsentants de ces deux villages,
d'une part_, et le trs magnifique Mossn Auzias March^ cheva-
lier, Valjama de Beniarj, d'autre part. Le seigneur de Beniarj
est autoris faire passer ce canal travers le territoire de
Palma. Sur ce dernier, l'usage de l'eau sera permis un jour seu-
lement ,
il appartiendra le reste du temps aux cultivateurs de
Beniarj. D'autres clauses visent la rglementation de l'arro-
sage et les pnalits appliquer ceux qui seront surpris en
flagrant dlit de vol dans les vergers et les vignes de Palma.
Quiconque dgradera le barrage (azut) ou la prise d'eau de
Palma sera condainn, qu'il
y
ait abondance ou disette d'eau,
la perte du poing.
La ville de Gandie ne tarda pas vouloir j^rofiter des avan-
tages de ce canal. A la suite d'un autre arrangement, elle en
partagea les frais avec Auzias Mardi, mais trois jours furent
rservs Gandie pour l'arrosage et trois autres Beniarj
(1).
Auzias March a dpens pour ces travaux, ainsi que pour la
reconstruction d'un moulin Palma prvvie dans un article de
l'accord primitif, la somme de 5.100 sous
(2).
Une partie de ce canal est encore dsigne dans le pays par
l'expression 'azut ou azuteta d'En March. C'est un hommage
auquel et t sensible notre orgueilleux chevalier qui a vrai-
ment contribu accrotre la fertilit d'une rgion o les Arabes
avaient dj ralis d intelligentes uvres du mme genre.
Mme souci de l'intrt gnral et particulier la fois lors-
qu'il fait rparer pour la somme de 17 livres sa maison sei-
gneuriale de Beniarj et jeter, vers la fin de sa vie, un pont
sur la rivire aux environs du village. S'il n'a chant nulle
part, comme Virgile, les joies du laboureur, nul n'en a mieux
connu les besoins. Aussi blme-t-il juste titre et en homme
comptent le seigneur qui administre mal son domaine et le
])aysan incapable par ignorance de reconnatre pour l'ense-
mencer le terrain le plus favorable :
(1)
Ces deux conventions et d'autres postrieures jusqucn 1508 sont l'Ar-
chivo de Osuna, Gandia, 564-3.
(2)
Mem. de Palma.
l'administration de ses biens
101
Puys es dit foll cell qui serveix senyor
qui no pot fer content bon servidor,
e per null temps ningun dret juh fa
;
e mes que mal administrador es,
al cavador donant loguer de metge.
Pren ni'enax com al grosser pages
que bon sment en mala terra met :
altrecuydant pens'aver bon esplet
d'aquell terreny qui buyda los graners.
(VI, 26-30, 33-36).
C'est dans sa propre vie^ dans son exprience quotidienne^
qu'il a puis ces deux comparaisons.
Quelques-uns des biens qu'il a reus de son pre et de sa mre
ont donn lieu de longs procs. Il parat les avoir soutenus
avec une telle nergie qu'on pourrait dire de lui qu'il a fait va-
loir ses droits comme ses terres. Voici d'ailleurs les faits.
Le vieux Jacme March avait laiss son fils Pre March et
son petit-fils Johan March une crance sur le domaine de Quart,
dont avaient hrit Auzias et Pre March le jeune. A la mort de
ce dernier, sa mre Yolant avait succd ses droits. Or, un
autre crancier du nom de Pre d'Almenar, invoquant un acte
du 5 juillet 1409, et prtendant que son titre tait antrieur et
prfrable au leur, avait fait vendre les biens du dbiteur Fran-
cesch Monyo et prlev cent livres royaux de Valence sur le
produit de la vente. Le 17 mai 1438, le notaire Pre Rubiols de
Valence adresse^ au nom d'Auzias March et de Na Yolant March
une requte Micer Narcis Vinyoles, subrog de Pre Bou, lieu-
tenant-gouverneur du Royaume, qui ordonne de rapporter la
Cour la somme conteste
(1).
Un autre procs relatif au lieu d'Alcantera, qui semble avoir
fait partie de la succession d'Elionor de Ripoll, commenc le
18 mars
1435, tait encore pendant en 1458. Il s'agissait des di-
vers revenus de ce domaine dont Na Elvira de Ribelles, femme
de .Johan de Montagut et hritire de Na Yolant Gasc, tait
devenue propritaire. Il avait t mis sous squestre la de-
mande de ses cranciers Pre de Ripoll, Auzias March et autres.
Le 18 juin 1458, Elvira demande Jacme Romeu, lieutenant
(1)
Valence, Arch. gen. dcl reyno. Curia dcl Gobernador, Litium, 1438,
2e
main, fol. 22.
102 CHAP. VII. FORTUNE d'a. MARCH. PREMIERES POSIES
gouverneur^ qu'un juge liquidateur soit nomm. Auzias March
et consorts refusent et changent avec la partie demanderesse
plusieurs pices de procdure^ afin d'tablir que l'affaire doit
tre porte devant le justicia civil et non devant le Gouverneur
du royaume de Yalence
(1).
Nous ne savons pas si Auzias March eut gain de cause dans
ceux de ces procs qvii se terminrent de son vivant. Mais il faut
reconnatre qu'il s'y est vigoureusement dfendu.
II
Une seconde source de fortune pour le pote furent ses deux
mariages. A-t-il pous le fief plus que la femme, comme on la
dit de beaucoup d'autres chevaliers ? Il serait tmraire de l'af-
firmer. Ce qui est certain, c'est qu'il a trouv dans ses alliances-
un moyen d'augmenter ses richesses. Le dtail authentique des
biens dotaux qu'il a ac({uis nous est dj connu. On peut va-
luer 105.000 sous les sommes c{u'il a. reues en dot
(2).
En
outre, la mort de sa premire femme, il hrite de l'usufruit,,
sinon de la proprit des lieux de Rafol, Trahella et Nia dans
la valle de Xal, ce qui lui permet d'ajouter le titre de seigneur
de ces lieux celui de seigneur de Beniarj
(3).
Enfin, nous ne
savons pas combien s'levait le legs que lui a fait sa belle-mre
Constana Scorna, ni la succession de sa seconde femme,Johana.
La gestion de son nouveau domaine de la valle de Xal a t
marc}ue par c^uelques incidents. Le l^'" septembre 1443, il
donne mandat Barthomeu Yvant, habitant de Benia, de r-
clamer certaines redevances aux sarrasins qui
y
sont installs(4).
Bientt aprs, Jacme de Malferit, lieutenant-gouverneur du
royaume de Valence pour la partie au del du Jucar, sous pr-
(1)
Ihid. Litium, 1458,
3^
main, fol. 11, et
12e
main, fol. 11.
(2)
Nous attribuons au florin la valeur de 15 sous, d'aprs Palmireno, Voca-
bulario ciel Humanista, Valencia, 1569,
11^ part.,
p.
51.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, 1212. Prot. P. Belsa
(1er
gept. 1443). Auzianus
March, miles, dominus loci de Beniarj et certonim locorum vallis de Exalo. )>
(4)
Ibid..
SES BIENS DOTAUX
103
texte qu'il lui tait d par Auzias March une grande somme
d'argent et certains honoraires (salaria) , avait fait saisir divers
ijestiaux dans la valle et donn l'ordre de les vendre. Notre
propritaire n'hsite pas porter plainte auprs de la reine
Marie^ alors Valence^ et se pourvoit surtout contre les exi-
gences de Malferit en ce qui concerne ses honoraires. Par une
lettre du 24 septembre 1443 Jacme de Malferit
(1)^
la reine lui
fait observer que, conformment aux Furs du royaume, un gou-
verneur est mal fond rclamer des honoraires. Elle dcide
qu'une enqute sera faite et qu'il sera sursis l'excution.
Il est vraisemblable qu' partir de 1448 il donna bail
Agns de Portogil une partie au moins de ses terres, et nous le
voyons, en effet, toucher de ce chef diverses sommes de 1448
1451 (2).
Outre ses biens patrimoniaux ou dotaux et les hritages ou
legs qui viennent les grossir, Auzias reoit, de 1430 sa mort,
diffrentes sommes, rentes, redevances ou |)aiements
(3).
D'au-
tres fois, c'est lui cjui acquitte certains cens ou achats
(4).
Pour
la plupart de ces oprations financires, elles nous sont connues
incompltement d'ailleurs par les procurations que nous ont
conserves les livres des notaires (5). Ce sont, avec les divers re-
(1)
Valence, Arch. gen. del reyno. Comunes de la R. D. Maria, legajo 1,
libro 5, fol. 24 v.
(2)
Arch. de Osuna, Gandia, 1212. Prot. P. Belsa, 18 janvier 1448 ;
Ibid.,
1210, 26 juin 14.50 et 18 fvrier 1451.
(3)
Arch. de Osuna, Gandia, \2\2, Prot. P. Belsa : le 28 novembre 1442,
Auzias consent une vente des Sarrasins
;

le 27 fvrier 1444, il reoit une


somme de Jacmena
[7],
uxore quondam Johannis Salmarii
;

Ibid., 1210,
janvier
(?)
1457, il reoit
(?)
1400 sous de Jacme Dalmau.
(4)
Arch. de Osuna, Gandia, 1210, Prot. P. Belsa : le 18 juillet 1432, il paie
150 sous de rente entre les mains de Franccsch Dalmau, notaire de Valence, et
100 sous Felip Boyl et sa femme Agns ;
le 18 septembre, 120 sous Fran-
cesch Dalmau.

Ibid., 1212 : le 7 janvier 1443, Auzias March et Anthonius


Spano, mcrcator de Gandie s'engagent solidairement vis--vis du bailli de
Villajoyossa
; le 10 juin 1443, il vend Barthomeu Muna 25 sous de rente
;

le 17 juillet 1446, Auzias March et les sarrasins de Beniarj, Maymo Cozondo et


Jlamet, sa femme, et leur fils Caal Cozondo, s'engagent solidairement.
(5)
Arch. de Osuna, Gandia, 1210, Prot. P. Belsa : le 7 fvrier 1434, il nomme
procureur Guillem Vilaplana, notaire de Valence, le 11 fvrier, Marti Coll,
notaire de Valence
; le 15 mars, Jacme Bellot, de Xativa ;

le
1^' juillet 1438,
Berenguer... de Gandie.

Ibid., le 8 juillet 1439, son cuyer, Adam Lopez, Cj,


104 CHAP. VII. FORTUNE d'a. MARCH. PREMIERES POSIES
venus que nous avons signals dans les chapitres prcdents^ des
ressources ordinaires ou extraordinaires qvii ont eu une impor-
tance relle^ mais qu'il est impossible d'apprcier exactement.
Plusieurs de ses placements nous sont cependant connus avec
prcision par son testament du 29 octobre 1458 et la donation
conscutive que fit de leurs revenus Joffre de Blancs^ son excu-
teur testamentaire. Il possdait^ au moment de sa mort, sur la
Gnralit (lo gnerai) du royaume de Valence une inscription
de 22.500 sous dont la rente annuelle servit doter son fils
Johan March
(1).
Parmi les autres transactions nous mentionnerons plus parti-
culirement la cjuittance par laquelle Belsa^ son notaire de
Gandie^ reconnat avoir reu de lui 40 livres d'honoraires pour
tout ou partie des travaux, actes et contrats excuts pour
son compte et pour celui de sa femme, Johana Scorna
(2).
Enfin,
quelques jours peine avant sa mort, le 27 fvrier 1459, Johan
de Monpalau, donzell de Valence, qui il avait consenti un
censal de 500 sous moyennant un capital de 7.500 sous, le 19 mai
1450, dclare n'avoir pas pay ce capital et le tient quitte de
toute obligation
(3).
Dernire et incontestable preuve de l'ordre et de la vigilance
avec lesc[uels il a pris soin de ses intrts matriels jusqu' la fin
de sa vie. Lui-mme, nous l'avons vu, a forinul les obligations
du seigneur et insist sur les cjualits de bon administrateur qu'il
doit avoir. Nul n'a mieux administr son domaine, et qu'il
s'agisse de sa fortune ou de celle de sa sur, il s'en occupe tou-
Ramon Closts, de Gandie.
Ibid, 1212 : le 25 avril 1442, Guerau de Cenpey,
de Gandie
;
le 16 juin, Bernt Antich, notaire de Xativa
;
le 22 juin, Thomas
Terro, de Xativa ; le 8 janvier 1444, Johan Arrayana
;
le 20 mai, Johan
San, jiotaire de Valence
;

Ibid., 1210 : le 22 juin 1452, Auzias March, miles,


dominus loci de Beniarjo , nomme procureur Berenguer Cardona, notaire de
Valence
;

le 19 novembre 1455 Auzianus March, miles, habitator ville


Gandie , nomme procureur Bernt Cabrera, de Gandie ;

le 17 janvier 1457,
Auzianus March, miles, dominus loci de Beniarjo , nomme Anthonium
Garcia , de Dnia.
(1)
Romania, XVII, 191, 203.

Une pice du 25 juin 1465 (Valence, Archivo


Notarial, Prot. P. Rubiols, 1465, cahier 7, fol.
6),
numre neuf titres de rente
sur la gnralit de Valence provenant de la succession d'A. March et donns
par Joffre de Blanes Johan March et sa belle-mre Constana Martf.
(2)
Arch. de Osuna, Gandla, 1210, Notai. P. Belsa, ad an. 1449-1450.
(3)
Valence, Arch. gen. del reyno, Prot, Ber. Cardona, 1459,
2^
cahier, fol. 5 v.
SES OPINIONS SUR LA RICHESSE 105
jours avec prudence et la plus stricte conomie. C'est le digne
continuateur des Pre March qui ont^ au sicle prcdent, gr
avec tant de distinction les finances des rois d'Aragon ou les
intrts du duc de Gandie.
S'il n'est pas encore possible de dterminer d'une manire
exacte le chiffre de ses revenus, les indications que nous avons
donnes plus haut dmontrent amplement qu'ils taient impor-
tants et qu'il a joui d'une assez grande aisance.
Mais, chose singulire, il semble que sa vie donne ici un nou-
veau dmenti la doctrine que ses vers nous exposent. De mme
qu'il prchait l'amour pur et avait non seulement des enfants
lgitimes, mais des btards, aurait-il enseign le mpris des ri-
chesses tout en possdant d'abondantes ressources ? Mriterait-
il vraiment le reproche de contradiction que l'on a fait S-
nque dont il a prcisment dvelopp les ides dans quelques
posies ? A cette critique, Auzias March aurait rpondu sans
doute, avec Aristote dont il se rapproche davantage, que si la
richesse n'est pas le vrai bien, elle en est cependant une condi-
tion secondaire et que tout dpend de l'importance qu'on
y
attache et de l'usage que l'on en fait. Il blme l'avare qui n'aime
l'argent que pour lui-mme,
Si com l'avar los dins per ells ama...
(CXVIL 201)
;
il veut aussi qu'on se montre bienfaisant pour les pauvres
(CIII, 53) : n'est-ce pas une manire de mpriser la richesse que
de la rpandre ?
E, lo rich honi de larguesa dsert,
gran suma d'or pobretat no 1 defensa. (XV, 7-8).
Le vrai but de la fortune est enfin d'assurer l'existence des
gnrations futures, l'avenir des enfants. Aussi approuve-t-il le
riche qui, la mort de son fils pour lequel il a amass des biens,
s'en dpouille volontairement :
Si com l'hom rich que per son fill treballa
e sol per ell vol que l'haver servesca,
e, quant la Mort vol que 1 fill jorns fenesca,
dna SOS bns e tt goig de si talla
(LVIII, 1-4).
106 CHAP, VII. FORTUNE D A. MAHCH. PREMIERES POESIES
Auzias March a t riche^ mais rien dans ses thories morales
ne le condamnait faire vu de j^auvret.
III
Nous voici au terme de cette seconde }3riode de sa vie qui a
commenc vers 1430 et dont nous venons de retracer les princi-
paux aspects. Avec elle concide l'activit littraire d'Auzias
March. A ct du chevalier^ de l'homme priv et de l'adminis-
trateur apparat le pote. Nous avons dj entrevu les liens qui
unissent troitement ces divers personnages. Comment pourrait-
il en tre autrement chez un auteur qui se met presque toujours
en scne ? En s'analysant lui-mme^ comnae il le fait dans la
plupart de ses uvres^ il ne saurait viter d'exprimer^ ne serait-
ce qu'indirectement_, quelc[ues-uns des traits dominants de son
caractre^ certaines ides ou motions qui l'ont proccup ou
agit.
Mais cette priode comprend elle-mme^ au point de vue de
la production littraire^ deux phases que novis avons dj dis-
tingues dans notre Etude sur la chronologie des posies d'Au-
zias March. L'une va des environs de 1430 1445
;
l'autre de
1445 sa mort.
Vers
1430, il est de retour Gandie aprs avoir pris part des
expditions belliqueuses et rempli quelque temps les fonctions
de grand fauconnier du roi : il a des loisirs nombreux. Suivant
le remarquable exemple de plusieurs de ses parents, la posie
devient un de ses passe-temps. Au surplus, Valence, si proche
de Gandie et qu'il vient d'habiter, Barcelone, o l'appellent
des relations de parent et peut-tre mme ses fonctions, les
belles-lettres sont en honneur. Il cde sans difficult l'engoue-
ment de ses prdcesseurs et de ses contemporains })Our la
posie lyrique et amoureuse.
Mais les continuels soucis de la gestion de son domaine, les
charges qu'il remplit, les conflits auxquels il se heurte, l'occu-
pent et le proccupent encore : il compose lentement. Ce sont du
reste, en partie tout au moins, des pices de circonstance,
l'occasion de quelque incident amoureux ou de quelque fte
SES PREMIRES POESIES
107
potique. De la premire de ses chansons la quatorzime il
s'coule un intervalle de cinc{ ans. Il met onze autres annes
crire les soixante-dix chansons qui suivent. Ses aveux sur la
dure de son amour et les pices de la seconde partie que l'on
peut dater avec une entire certitude nous font croire que les
posies I XCI inclusivement ont t composes durant la pre-
mire priode. La plupart traitent de l'amour^ les sujets de mo-
rale proprement dite et surtout de philosophie pure n'y tenant
qu'une place assez restreinte.
uvres de l'ge mr^ o le pote nous raconte peu d'vne-
ments prcis de sa vie^ mais plutt les efforts douloureux qu'il
fait chaque jour pour atteindre l'affection dsintresse^ telles
nous apparaissent les premires posies d'Auzias March.
Ce n'est en effet cju'assez tard qu'il a pu se soustraire aux
dangereuses illusions, aux charmes trompeurs des passions. La
sagesse laquelle il aspire ncessite, pour tre recherche, l'exp-
rience et le sang-froid. Aussi n'a-t-il commenc rimer, et, ce
qui revient pour lui au mme, clbrer l'amour idal, qu'au
sortir de la jeunesse :
Molt he tardt en descobrir ma falta
per joventut que m neg 'speriment...
(VI, 1-2).
CHAPITRE VIII
XA VIEILLESSE D AUZIAS MARCH. SES DERNIERES POESIES
Les dernires annes de la vie d'Auzias March mritent d'arr-
ter un instant notre attention.
A partir de 1445^ ses uvres prennent un caractre moral plus
marqu. La philosophie en fait presque uniquement le fond.
Cette seconde phase de son talent dbute^ avec la pice XCII^
jjar les quelques posies qu'il a consacres^ suivant une trs an-
cienne tradition, la mort de sa mulUr aymia, c'est--dire de sa
dame. Mais il
y
flotte sans doute aussi le souvenir de sa premire
femme lgitime prmaturment emporte en 1439 et pour la-
quelle il a d verser des larmes moins potiques.
L'amour n'est plus qu' de rares occasions le thme de ses
chansons. D'autres penses conviennent mieux son ge. La
vieillesse, avec ses infirmits, dont on suit pour ainsi dire les pro-
grs de pice en pice, l'avertit de songer la mort. Mais l'ge
n'a pas entirement amorti ses sens. Son temprament ardent a
des rveils cju'il dplore dans quelques-vmes de ses dernires
strophes et dont son testament nous a rvl la vritable nature.
Peut-tre aussi faut-il voir dans telle ou telle de ces mdita-
tions, non pas seulement la proccupation de son salut, mais en-
core l'influence des malheurs qui l'accablent la fin de sa vie.
II perd son fils Francesch, celui qui parat tre l'unique enfant
issu de sa premire union rgulire. De plus, sa seconde femme
meurt, en 1445, sans lui avoir donn les hritiers lgitimes cju'il
en attendait, et il voit dsormais dvolu quekjue collatral ou
mme un tranoer l'hritaoe de ses anctres.
SES
RAPPORTS
AVEC L
ITALIE
i"^
Cette
seconde
[lai-tle de
son
uvre
nous
ottre
plus que la pre-
mire
de
prcieux
renseignements
biographiques (1).
Au.ias
March
nous y
apparat
d'abord
au
courant
des pre-
miers
travaux
de
la
Renaissance
en
Italie
II s
interesse
aux
tables
Eugubines
dcouvertes
en
1444
prs de
Perouse
et en tait
l'objet
d'une
de ses
plus
curieuses
comparaisons
(CIS 24/

Vers la
mme
poque,
un de ses amis,
An.oni
Tallander
(t
14.6 ,.
plus
connu
sous le
sobriquet
de
Mossn
Borra,
bouffon
de a
eour
d'Aragon,
lui
fournit
l'occasion
d'une
spirituelle
posie, a
CVlIe o il
nous
le
dpeint
vieux,
dcrpit
et
ayant
peur de
mouri;.
Notre
auteur
ne
rsiste
pas au
plaisir de
taquiner,
pour
mieux
le
rassurer,
cet
impitoyable
railleur
redoute
des
courti-
sans,
et qui
tremble
maintenant
l'ide de la mort .
Il ne
semble
pas
avoir
fait
partie du
cortge
de poe
es et de
savants
dont
tait
entour
en
Itabe le
roi
Alphonse
V
;
mais,
comme
eux, il
clbre
les
vertus
de
son

bon
seigneur
Di
dans la
pice
CVIII,
No m
clam
d'alg
qu en
mon ma.
haja
colpa,
il fait
trs
probablement
son
loge et
vante, a
a
tornada
ou
l'.n.oi,
sa
passion,
qu'il
considre
comme
pure
ment
intellectuelle,
pour
une
femme
qui ne
peut * '1
l^"
belle
Lucrce
d'Alagno ;
et,
comme
c'est en 1448
que le con-
qurant
de
Naples
s'est
pris
d'elle, on
peut
fixer
avec
assez
d'approximation
la date
laquelle
Auzias
March a
crit ces vers,
iiis ce sont
surtout
les
pices
CXXII
et
CXXII Us
qui
nous
renseignent
sur les
relations
qu'il eut de
nouveau,
vers la fin de
sa
vie, avec
son
ancien
suzerain,
le roi
d'Aragon,
de
Xaples et
'^'utoHe
est
vieux.
Les
plaisirs
corporels
lui
sont
dsormais
intercUts.
Une
seule
distraction
Im
reste,
celle de a chasse.
Aussi
adresse-t-il
au
roi, dont
il a t
jadis le
grand f-""-;;
""
pitre en
vers
pour lui
demander
un
faucon.
Simple
prtexte,
en
realit,
pour
lui
dcerner
de
nouvelles
louanges
et s
attirer
les
bonnes
grces de son
ambitieuse
matresse.
Avec tous
les
auteurs de
son
temps,
il crot ou
femt de
cro
>c
i, la puret
de leurs
relations.
A
l'entendre,
jamais
union
plus
chaste ne
fut
nneux
assortie,
et il crie au
miracle
parce
que
le

)
Vol,, sur ce point ,.0.
prenure ,..*
sur la
a,ro,,o,sie
*fP';: '';,';;.
.,:! Marrft,
dans
Rommia,
XXXVl,
211 et
s,v., el le chap.
VU
,<le
duction notre
dition
critique.
110 CHAP. VIII.

vieillesse: d'. march. dernires posies


vaillant roi a trouv dans une femme l'exemple de tout bien .
Il ajoute que cette femme a eu l'honneur d'tre reue par le
Saint Pre^ qui a d'ailleurs oppos un refus sa requte^
D'un Sant merex proposit revocat.
(CXXII bis, 31).
Or^ on sait que Lucrce d'Alagno
(1)
avait^ clans une audience
solennelle^ sollicit de Calixte III, ancien vque de Valence,
son consentement au divorce du roi et de Marie de Castille, afin
de pouvoir pouser ensuite son royal ainant. Lucrce chez le
pape ! Cet vnement, qui tait bien de nature frapper l'ima-
gination des contemporains, eut lieu le 13 octobre 1457, et c'est
entre cette date et le 27 juin
1458,
jour o mourut le roi Al-
phonse, qu'Auzias March a crit ses deux pices, en de du
Phare , comme il le dit, c'est--dire Valence.
Il n'a lui-mme que peu de temps vivre. Ses cheveux sont
blancs depuis longtemps
(2),
sa figure et ses prunelles rides.
Mais peu importe. Tel qu'il est, il prtend n'tre pas trop dplai-
sant. N'est-il pas bien fait de sa personne ?
Ja la edat a mi no 's cominal.
Ser jutjat de tots per galant vell,
y
a dones plau l'hom quant es jovenceli !
Totes son carn
y
en carn es lur cabal :
Tant quant a o recapte Is donar
;
dels membres so b proporcionat
;
mas es lo mal que l'ull tinch ja rut,
y
en llur esguart vell me reputar !
(CXXII, 17-24).
C'est le seul portrait authentique c{ui nous reste dAuzias
March, dfaut de celui de Juan de Ribalta cjui parat avoir t
perdu
(3).
Il est vrai que l'uvre du peintre valencien, excute
(1)
G. FiLA^GiERi, Nuovi documenti intorno la famiglia, le case et le i'icetidedi
Lucrezia d'Alagno, dans Archwio Storico Napoletano, XI, 92.
(2)
Si ans de temps so vist blanch e rut...
(LXXXIV, 49).
(3)
Dans son Exposicin la Academia de S. Carlos, F. Xavier BorruU
y
Vi-
lanova mentionne, en 1821, l'existence de ce tableau au monastre de la Murta,
prs d'Aldra. Il aurait t, suivant Fuster, Bib. Val., I, 253, 489, transport
l'Academia de Nobles Artes, de San Carlos, Valence.
SON PORTRAIT. SA RPUTATION
111
au dbut du x\ii^ sicle, ne pouvait gure nous en donner
({u'une image peu ressemblante. Imaginons-le^ d'aprs ses pro-
pres paroles_, comme un vieillard encore vert, bien dcoupl-,
dont le temps a blanchi la tte et pliss le visage, mais respect
le cur.
Comment s'tonner ds lors qu'il ait pu prendre part, jusque
dans ses dernires annes, au jeu quelque peu innocent des De-
mandes et des Rponses, aux devinettes potiques d'o sont sor-
ties les pices Johan Moreno, Xa Tecla de Borja, nice du
pape Calixte III, et Mossn Fenollar. C'est un bel esprit, pr-
cieux et raffin, qui ne veut pas renoncer Ivii-mme. Au sur-
plus, ce petit cnacle, au milieu duquel il vit Valence, lui pro-
digue des tmoignages de vnration agrables son orgueil de
<-hevalier autant qu' son amour-propre d'auteur. Mon mestre
y
semjor, lui dit Johan Moreno, son cuyer, qualifi aussi d'
tu-
diant
(1);
Sou de lots lo mes enls, lui dclare Na Tecla
(2),
dont
" on dit des merveilles
;
Vos, magnifich, que sou malt attisai,
'crie enfin le jeune abb Mossn Fenollar
(3).
Sa rputation a d'ailleurs dpass depuis longtemps les fron-
tires du royaume de Valence. Le marquis de Santillana, retir
Guadalajara et crivant entre 1445 et 1449
(4)
sa clbre lettre
D. Pedro, conntable de Portugal, le cite parmi les grands
matres de la posie limousine, et dit de lui : Mossn Ausi'as
Mardi, el qual auu vive, es gran trovador orne de assaz elevado
espiritu
(5).
Jugement fort prcis d'un pote espagnol contem-
porain qui connaissait l'Aragon et l'aptre valencien Vicent
Ferrer et avait bien pu lire quelques-unes au moins des pre-
mires uvres de notre auteur.
(1)
Romania, XVII, 193 et 203. Cf. Trohes en lahors de la Verge Maria,
p.
44-46.
(2)
Ne probablement Gandie, elle habita Valence d'assez bonne heure et
y
mourut en 1459, un peu aprs Auzias March, ge d'environ 28 ans. Voir la
notice que lui a consacre le R. P. Fidel Fita, dans le Boletin de la Real Aca-
demia de la Historia, X, 2 21-228, et qu'il a rimprime dans Estudios hislricos,
Madrid, 1886, VI, 194-200.
(3)
Voyez Trohes,
pp.
24-33.
(4)
M. ScHiFF, La bibliothque du Marquis de Santillane, p.
xliii.
(5)
Obras del Marqus,
p. 11.
112 CIIAP, VIII. VIEILLESSE d'. MARCII. DERM ERES PO ESTES
II
Dans Valence^ non loin de l'glise Saint-Thomas, il vit en
gentilhomme bourgeois, honor de ses concitoyens, bien qu'il
les souponne
(1),
non sans quelque amertume, de lui prfrer
les jeunes. Jetons un coup d'oeil dans son intrieur en nous ai-
dant de l'inventaire de ses biens. La maison comprend deux
corps de btiment, placs probablement l'un derrire l'autre et
spars par une cour. Le premier est Valberch, un tage : il se
compose, d'un ct, de la maison d'habitation proprement dite,
de l'autre de l'curie, chacune de ces parties ouvrant par une
porte sur la rue des Avellanas
(2).
Le second est le palan haix,
un simple rez-de-chausse.
Dans la maison proprement dite, une grande salle, la sala,
s'offre d'abord nous. C'est l que le chevalier-pote reoit ses
visiteurs ou tient bureau d'esprit. Quatre coffres verts et un ver-
meil, ferrures (landat), sont rangs le long des murs : ils ren-
ferment des fourrures, des vtements et du linge. Quelques-uns
de ces effets appartiennent Johan March, fils du matre de
cans, et Catal, son cuyer de maison. Sur le sol, un tapis
(drap de peus) vermeil, d'une grande finesse (molt sotil). Un
bahut (artihanch) deux compartiments et deux bancs en bois,
sont placs ct d'un dressoir (tinell) dcor des armoiries de
la famille. Le blason de Pre March a huit marcs d'or placs sur
huit croix d'or potences, champ de gueules
;
celui d'Auzias,
huit marcs et croix d'or potences, cartel des armes de Cata-
logne
(3).
Voici la salle manger. On
y
voit une table moulures et
pieds se relevant (a1> frontises e peus le.'adios)^ longue de
(1)
CXII, 9
;
CXX, 79.
(2)
Actuellement Calle de Cabilleros. Le 23 janvier 1878, une plaque comm-
morative a t place sur la maison portant le n 7, construite sur l'emplace-
ment probable de celle d'Auzias March.
(3)
Voy. la planche hors texte du dbut. Elle reprsente ces blasons d'aprs
un armoriai que Joseph Tastu croyait peint sous Philippe II, tandis que
M. A. Morel-Fatio le rapports au xvii^ sicle seulement. Au-dessus du pre-
SA MAISON DE VALENCE
113
14 palmes^ un banc de la mme longueur, une table ronde_, trois
chaises pliantes, une sculpte (mostrada) et une conque de mi-
iieu avec ses pieds de cuivre.
Dans la cuisine, la batterie et la vaisselle paratraient som-
maires notre poque : deux chaudrons d'airain, trois pots
(
gihrfUs) de terre, une demi-douzaine de plats et douze cuelles
en terre, deux ustensiles en fer.
A ct de la cuisine, le fournil
(
pastador) renferme une grande
jarre farine et un coffre vermeil, peint en blanc et vermeil.
Plus loin, la tuerie
(
masa dor), dans laquelle ouvre une chambre.
De l'autre ct de la salle manger, une autre chambre o
nous remarquons, avec divers objets de literie, de lingerie ou
d'ameublement, un caisson plein d'critures, une salade, une
cervelire rase, un cu en cuir de buf, un camail de fer avec sa
chane, deux bancs scells, deux lanternes en fer, deux nattes en
sparterie, une caissette critures o se trouvent des accessoires
de faucons. Dans l'alcve (recambra), un coffre vermeil sur
lequel sont peintes des perdrix, un grand lit et un petit lit, un
caisson de trois palmes contenant une cuirasse et un devant de
cuirasse, et cinq manoples (mayopes) ou gantelets.
Au-dessus, mi-escalier (en la casa de mija scaZaJ, est l'ap-
partement priv d'Auzias March. C'est l qu'il se tient d'ordi-
naire et o il rendra le dernier soupir. Le mobilier se compose
d'un lit, avec deux matelas, une couverture de laine et trois
coussins, de trois tables, quatre escabeaux, deux chaises
sculptes (mostradesj, une pliante, cinq accoudoirs
(?)
en
toile d'Arras (recolsadors de Ra), deux seaux en cuivre,
quatre carafes, une bouteille, trois tasses en verre, trois verres,
dont un en ctistal avec son couvercle, un candlabre en cuivre
une branche, et un ventail plumes.
Notons parmi les vtements

les derniers qu'a d porter
Auzias March

une cloche de damas en drap noir fourre de
peau blanche, une gonelle de bure fourre de peau blanche, un
manteau de bure. Signalons encore une jaquette de futaine
mier, on lit la mention Marque; au-dessus du second, Osias Marque. Mais
avec J. Tastu, nous pensons que l'ccusson simple appartenait bien au pre
d'Auzias, qu'il nomme ainsi dans la note indite o il dcrit ses armes :
> Pedro (Mosn) March, tesorcro del duque Real de Gandia ,
Cf. Romaniu,
XVII, 191, note
3, et Llorente, Valencia, II, 703.
A.M. Pagi^.s.

Auzias March. 8
114 CHAP. VIII. VIEILLESSE d'a. MARCH. DERNIERES POSIES
blanche^ une paire de brodequins blancs placs ailleurs, et un
tapis de Berbrie long de 16 palmes.
Tout prs du lit, comme s'il voulait l'avoir mme la nuit la
porte de sa main, le manviscrit probable de ses posies, deux
livres in-folio, dit l'inventaire, non relis, avec des strophes .
Un peu plus loin, un bahut deux compartiments contient,^
outre les pices d'un procs de Na Damyata de Scorna contre
Mossn Julia, sept livres cjui attirent plus particulirement
notre attention :
1. Item, hun libre en pregami, cubertes de fust cuber-
TES DE ALUDA NEGRA. Parla DEL Guy Sahev E DE la Sciencia
d'En Lull.
On peut reconnatre, dans la deuxime partie de cet ouvrage,.
l'Arbre de Sciencia
(1),
de Ramon Lull.
2. Item altre libre ex paper, cubertes de fust ab aluda
VERMELLA. CoMENA Cum proi'erbium sit breuis proposilio.
C'est le Liber proverbiorum, de Ramon Lull
(2).
3. Item hun libret en paper, cubertes de fust ab aluda
VERMELLA. SoN LES Costunis de Espanya.
4. Item hun libre en pregami, cubertes de fust ab aluda
VERMELLA. CoMENA Mestrc Miqucl de la Tor es de la Gaya
Sciencia.
Miquel de la Tor, de Clermont en Auvergne, vivait vers 1300.
Pote lui-mme, il a crit la vie de plusieurs troubadours, no-
tamment de Peire Cardenal, et recueilli leurs uvres
(3).
5. Item hun libre en paper, cubertes de fust, ab aluda
GROGA, en pla. Son Esposicions dels Salms.
On sait que le dominicain Johan Romeu avait traduit, sur la
demande de Berenguer March, matre de Muntesa, le Commen-
tarium in septeni psalmos poenitenticdes du pape Innocent III,.
(1)
C'est sous ce titre que D. Mateu Obrador
y
Bennassar esprait en publier
une dition en deux volumes (^^ Congrs Internacional de la Llengua Cat., Bar-
celona,
1908,in-8o,
p. 506). Le catalogue de la bibliolhque du roi Martin men-
tionne deux livres,
n^s
109 et 117, intituls de la Sciencia den Lull [Res>. Hispa-
nique, XII, 429, 430).
(2)
Ilist. Litu, XXIX, 368.
(3)
Hist. gnrale de Languedoc,
2^ dit., VI, 948, X, 212, 366.
Barbiert,
Dell' origine dlia poesia rimata, Modena, 1790, p.
120. Dans la prface, Tira-
boschi dit que Miquel de la Tor vcut au plus tt aprs les premires annes-
du xiv^ sicle .
QUELQUES-L'NS DE SES LIVRES
115
SOUS le titre d' Ex^pos-ici ciels VII psalmS:. Pre March en poss-
dait un exemplaire
(1).
6. Item HiVN libret ex paper^ cubertes de pergami.
Tra'Jta de ben morir.
C'est ou la version cataJane de VArs hene inoriendi,'\VL\\^Yme
dit-on, Valence en 1491
(2),
ovi;, peut-tre mme_, le trait du
franciscain Eximeniz intitul Art de be morir.
7. Item hu^; libre en paper, cubertes de fust cubertes
DE PERGAMi : CoMENA Secuiidum quod dicit Filosopus in se-
cundo de Anima.
Cet incipit est trop frquent pour que nous puissions dter-
miner quel ouvrage de la philosophie scolastique il appartient.
Tout ce qu'il est permis d'affirmer avec quelque certitude, c'est
qu'il n'est pas extrait de la Somme de saint Thomas.
La majorit de ces livres

qui ne formrent sans doute
qu'une partie de la bibliothque d'Auzias

ont donc un carac-


tre religieux, philosophi(iue ou moral bien marqu. Il en tait de
mme, nous l'avons vu, de la librairie de Pre March. Le fait est
noter, quelque ordinaire qu'il soit cette poque de morali-
sation outrance. Ramon Lull, le clbre philosophe de Palma,
y
est reprsent deux fois. Deux autres ouvrages se rapportent
au Gay Saher, un seul la vie pratique, c'est un coutumier de
l'Espagne.
L'autre partie de la maison, le palan baix, offre pour nous
moins d'intrt. Dans la premire pice figurent cinq demi pa-
^ois, un petit bouclier ou rondelle , et un cheval de bois avec
deux selles la genette. Dans une chambre et une autre pice
voisine, au fond du palais bas , divers objets de literie.
Entre le bas palais et l'curie, un puits avec sa cruche en
cuivre.
Darts l'curie, un ronsin encolure roue ,

le cheval pr-
fr d'Auzias March

et, l'entre, quatre guindas monter
les arbaltes et trois lances longues.
Au-dessus de l'curie, au bout de l'escalier (al pujant de la
scala) , une chambre ou palais o nous remarquons deux pes
el deux rondelles de poing (broqus) pour jouer l'escrime .
Enfin^ dans une chambre sous les combles (en una cambra sos-
(1).
Voir plus haut,
p.
45.
(2)
Une rimpression en a t donne, en 1905,
par D. Angel Aguil.
116 CHAP. VIII. VIEILLESSE D A. MARCH. DERNIERES POESIES
trada), sont plusieurs objets de literie, un coffre peint blanc et
vert renfermant la cuirasse que porta l'cuyer Marti le jour de
son armement. A ct, une cotte de mailles dont s'est revtu
Moreno dans les mmes circonstances, et deux paires de chausses
flamandes qui servent l'quipement de ces deux cuyers.
Johan est, ce qu'il semble, le seul des enfants d'Auzias
March qui vive auprs de lui. Sa fille Johana a pous Auzias
Torrella, de Gandie. Ses autres fils. Pre et Felip, sont sans
doute trop jeunes et vivent encore avec leurs mres.
Trois cuyers, Catal, Marti et Johan Moreno sont attachs
sa personne, l'accompagnent dans ses chasses, fourbissent ses
armes ou soignent ses chevaux. Il a son service un assez nom-
breux personnel o l'on compte deux esclaves, suivant l'usage
encore admis dans le royaume de Valence. Ce sont Mart Ngre,
ainsi nomm parce qu'il est probablement de race noire, et Yo-
lant, laquelle succderont tour tour Marta et Francina.
III
C'est dans cette maison et avec un tel entourage que notre
chevalier finit sa vie.
Le 29 octobre 1458, une maladie l'avertit que ses jours sont
compts. Il fait appeler son notaire Berenguer Cardona et lui
dicte ses dernires volonts, en prsence de trois tmoins, Mossn
Miquel Julia, chevalier. En Domingo Daviny, tailleur, et En
Johan Moreno, tudiant.
A dfaut d'enfants lgitimes, habiles lui succder, son hri-
tier universel et excuteur testamentaire sera En Joffre de
Blanes, donzell. Il demande ensuite tre enterr dans le cime-
tire de la Seu de'Valence, dans la tombe ou chapelle des Marchs,
dans le clotre, prs du Chapitre . Il dsire
y
reposer ct de
sa seconde femme Johana Scorna, si les autorits ecclsiastiques
consentent au transfert de ses cendres de Gandie Valence,
Les divers legs qu'il charge ensuite Joffre de Blanes d'ex-
cuter en faveur de ses enfants naturels et de ses esclaves nous
sont connus. A chacun de ses cuyers il laisse son cheval ordi-
naire et son quipement. Il affranchit son esclave Marti Ngre
I
SON TESTAMENT. SA MORT 117
et laisse 70 livres pour qu'il en soit fait de mme l'gard de son
ancienne esclave Yolant, actuellement au service de Mossn
Pre de Castellvf. Il ordonne enfin que tous ses serviteurs pren-
nent le deuil aprs sa mort, les hommes en cottes (gramallas) et
plerines (capirons), les femmes en mantelets (manteUs)
.
Quelques jours aprs, le 4 novembre, il rvoque ce testa-
ment et en dpose un autre

mais celui-ci secret, clos et scell


de son sceau
-
entre les mains du mme notaire et en prsence
des mmes tmoins, sauf Daviny, remplac par Pre Ferrandez,
crivain. Il n'a pas t retrouv, mais nous ne croyons pas qu'il
y
ait sensiblement modifi ses dispositions antrieures.
Enfin, le 3 mars 1459, la maladie dont il souffre s'est aggrave
et menace de l'emporter. Il se hte d'ajouter un codicille son
dernier testament. Mossn Anthoni Stheve, prtre, sous-chef
des churs (sots cabiscol) la Seu, assiste cet acte so-
lennel. Ds le dbut, le moribond dclare annuler le legs qu'il a
fait prcdemment son ancienne esclave Marta (olim sclava
niia), mre de Felip, son dernier enfant naturel,

et nous
apprenons ainsi qu'il ne l'a plus son service.
Que s'est-il donc pass pendant ces quatre mois ? Les deux
clauses suivantes, par lesquelles il fonde un nombre consid-
rable de messes pour le repos spirituel de ses deux femmes lgi-
times, permettent de le deviner. Le souci de son salut, la veille
de sa mort, l'a conduit renoncer aux pratiques du Fol Amour.
Victoire bien tardive, et qui a fait

par les mesures testamen-


taires qui en ont t la consquence

une et peut-tre mme,
si on lit entre les lignes de son codicille, plusievirs victimes inno-
centes. Singulire puissance de la crainte de l'Enfer! Qui pourra
dire, s'crie notre pote dans une de ses dernires posies, la
douleur qui tourmente le pcheur l'approche de la mort ?
>;
Qui por dir la dolor qui turmenta
lo peccador, quant a la mort s'acosta ?
(CXII, 251-252).
Auzias Mardi ne tarde pas dire un adieu bien dfinitif cette
fois aux faiblesses de ce monde, et il s'endort dans la paix du
Seigneur, murnmrant peut-tre comme nagure :
Mare de Deu, e advocada mia,
fes ab ton Fill que piads me sia.
(CXII,
'.21-422).
118 CHAP. VIII. VIEILLESSE d'. M ARCH. DERNIERES POESIES
Le mme jour^ son testament et son codicille sont ouverts la
demande de Joffre deBlanes^ cjui accepte la succession sous b-
nfice d'inventaire. Les biens qu'il possde Valence sont aussi-
tt inventoris et confis la garde de iS'a Johana, sa fille_, qui
en est d'ailleurs la lgataire. C'est donc elle qu'choit le ma-
nuscrit de ses posies.
Mais l'excuteur testamentaire se heurte immdiatement
des contestations de toutes sortes. Auzias March laisse deux
frres consanguins dont l'un Jacme^ ccwaUer, est seigneur
d'Arampruny, l'autre Francesch^ donzeU, habite Barcelone
(1).
Estimant cjue leur frre n'a pu disposer que des meubles^ ils se
considrent pour les immeubles comme ses hritiers ah intestat.
C'est principalement sur la seigneurie de Beniarj que portent
leurs prtentions. Leur auteur commun Pre March avait dcid
ciixe, si Auzias March n'hritait pas de ses biens^ son petit-fils
Pre March le jeune lui serait substitu_, et, son dfaut, un
des reprsentants de la branche d'Arampruny
(2).
Jacme
March en conclut que la seigneurie de Beniarj est un bien p-
li)
Au dbut d'un parchemin de VArchiva Ilistrico IVacional (n 224, Car-
tuja de Portaceli en Serra), qui n'est autre que la procura de Mossen Frances
March a son germa Mossen Jaume March per lo carregament dels cinquanta
iniHa sous a Mossen Jofre de Blanes
(7
dcembre 1460), nous lisons en effet :
JXotum sit cunctis euidenler quod Ego Fjrancischus Marchi, domicellus, hahi-
lator cwitalis Barchinone, succedens ah intestato vna cum Jionorahili Jacobo
Marchi, milite, fratre meo, in omnibus bonis et juribus que fuerunt venerahilis
Ausie March quondam domicelli fratris mei et illius Actum est hoc in parro-
chia Sancte Marie Castri Fidelium diocesis Barchinone...

Dans un autre acte


sur parchemin, de la mme date [Ihid., n 236, Varios de la prov. de Valencia,
leg.
13),
par lequel Francesch March et Johana, femme de Jacme March, auto-
risent ce dernier hypothquer les lieux de Beniarj et Pardines pour un ca-
pital de cent mille sous au maximum, prcisment afin de restituer Jofre de
Blanes les dpenses faites par Auzias pour sa seigneurie, les titres de Jacme
March sont plus nettement indiqus : Noverint universi quod nos Francischus
Marchi, domicellus, hahitator Bcuchinone et Johanna, u.ror honorabilis Jacobi
Marchi, militis, domim Castri de Araperupronio, diocesis Barchinone, gratis
et e.v certa sciencia facimus, constituimus et ordituimus procuratorem nostrum et
utriusque nostrum in solidum vos eumdem honorabilem Jacohum Marchi fra-
trem meum dicti Ffrancischi et virum meum dicte Johanne... Actum est lioc in
parrochia sancte Marie Castri Fidelium...
(2)
Cf. A. Paz y Mlia, Rev. de Arch., V, 371.
SA SUCCESSION
119
trimonial, attach la famille par un lien juridique (-mincie) et
ne pouvant sortir de la ligne des Mardis
(1;.
Cette thse triomphe en justice, et il
y
a l une nouvelle
preuve incontestable de la parent des Marchs de Valence avec
oeux d'Arampruny et de Barcelone.
Joffre de Blanes rplique alors que le patrimoine de Pre
Mardi a t considrablement amlior par son fils et rclame
le remboursement de toutes les sommes dpenses par Auzias
pour les divers travaux que nous avons numrs plus haut.
Des arbitres sont nomms de part et d'autre, et, le 27 octobre
1460, une sentence est rendue fixant 90.209 sous 11 deniers
royaux de Valence la somme que les nouveaux propritaires de
Beniarj doivent l'hritier de leur frre. Une partie de cette
somme, 40.209 sous il deniers, sont pays comptant, et, pour le
reste, savoir 50.000 sous, les Jacme March pre et fils lui assu-
rent, le 6 fvrier 1461, une rente perptuelle de 3.333 sous 4 de-
niers
(2).
En revanche, le procs engag depuis longtemps contre Pre
Ripoll et Auzias March au sujet des revenus d'Alcantera se ter-
mine par la condamnation de son successeur Joffre de Blanes
rembourser 42.482 sous 2 deniers Elvira de Ribelles. Le 5 juin
1462, il lui cde en effet 2.333 sous 4 deniers de la rente prc-
dente en paiement de 35.000 sous
(3).
A la mort de Peyrona, en 1472, son compte de tutelle donna
lieu une contestation de la part de ses hritiers. Il fut procd
un examen svre de la gestion qu'Auzias March avait faite de
ses biens, et il en rsulta pour le neveu de son successeur, appel
lui aussi Joffre de Blanes, l'obligation de leur payer 121.143 sous
8 deniers
(4).
(1)
Mem. de Palma. Cf. Rev. cril. de Hisl.
y
LU., VI, 333-337. D. Gabriel Lla-
brs ne semble pas avoir aperu toute la porte des arguments de Gerni
March, petit-fils de Jacme March, frre d'Auzias.
(2)
Arch. Hist. Nac, n" 224, Cart. de Portaceli en Serra. Parchemin.
(3)
Ibid., n 224, Cartuja de Portaceh, Parchemin du 5 juin 1462.

Un
autre document de la mme date figure, au Colegio del Patriarca de Valence,
dans les protocoles de Bartolom Batalla, Leg. n 655.

Un parchemin du
3 mars 1465 [Arch. Hist. Nac, n^ 224, Cart. de Portaceli en Serra), nous
apprend qu' leur tour Johan de Montagut et sa femme Elvira de Ribelles c-
drent une partie de leur rente s'levant 500 sous.
(4)
Voy. Mmorial de Palma et Rev. crit. de Hist.
y
Lit., l. c.
120 CHAP. VIII. VIEILLESSE D^A. MARCH. DERMrES POSIES
Quelques-unes de ces instances furent rouvertes plus tard la
demande d'un certain Gerni March, descendant des Jacme
d'Arampruny et de Barcelone
(1).
C'est encore la mme famille
qui intervient constamment dans les innombrables procs dont
fut la source la collation du bnfice de la chapelle des Marchs
dans la Seu de Valence
(2),
IV
Telle est la biographie d'Auzias March. Encore imparfaite
sans doute et pleine de lacunes que de nouvelles recherches per-
mettront peut-tre un jour de combler^ cette esquisse nous fait
connatre plus srieusement 1 homme ct de son uvre.
C'est un gentilhomme chez qvii l'orgueil familial soutient l'or-
gueil personnel

un homme d'action autant et plus qu'un
homme de lettres.
Issu de plusieurs gnrations de hauts fonctionnaires et de
seigneurs importants^ il aime le nom qu'il porte. Ses anctres lui
ont transmis^ avec leurs titres^ les traditions et les vertus de la
famille. Vassal du duc de Gandie, il a t^ dans les expditions
guerrires auxquelles il a pris part en Sarclaigne et en Afrique,
un chevalier actif et valeureux, un strenuu )>, un valers
cavalier
, comme l'ont dit de confiance ses premiers diteurs.
Grand fauconnier du roi Alphonse V pendant quelques annes,
il a aim passionnment la chasse jusqu' la fin de sa vie. N'tait-
ce pas encore, en temps de paix, l'image la plus fidle de la
guerre ? Aux Corts, comme reprsentant de Yestament militar,
ou, dans sa seigneurie, en qualit de haut-justicier, il s'est tou-
jours rvl nous comme jaloux de son autorit et de ses privi-
lges.
Sa vie prive ne rpond pas l'ide que nous aurions pu nous
en faire par la lecture de la plupart de ses posies. Mari deux fois,
il semble avoir demand au mariage, non seulement plus de
puissance et plus de richesse, mais encore et surtout la perp-
(1)
Ihid.
(2)
Valence. Arch. de la Curia Eclesistica. A. 22-187.
SON CARACTRE
121
tuit de sa race^ afin que^ suivant un mot connu^ sa terre
ne
reste pas sans hoir . Peut-tre a-t-il eu pour sa dame un amour
plus intellectuel, une passion plus raffine. Mais c'est certaine-
ment de misrables servantes, des esclaves qu'il demande
en mme temps des satisfactions moins imaginaires. Ses uvres
nous montrent que parfois sans doute il rougit de sa faiblesse
;
il
a des accs de repentir, mais qui aboutissent des abandons, ou
des mesures de dfaveur comme celle dont son testament nous
fournit l'aveu in extremis. Sous les dehors de la courtoisie la plus
lgante se cachent encore, quelque zle qu'il mette s'en d-
faire, les murs sensuelles et violentes de sa caste.
Seigneur de Beniarj, Pardines et Vernia, il fait aussi preuve,
dans l'exploitation de son domaine, du mme esprit pratique
que ses aeux dans leurs fonctions de trsoriers du roi d'Aragon
ou que son pre dans la gestion des intrts du duc de Gandie.
Sa fortune s'accrot non seulement par les mariages qu'il con-
tracte, mais encore grce l'habile administration de ses biens.
Ses serfs musulmans n'ont qu' se louer de son initiative. Il est
un des premiers cultiver la canne sucre dans le royaume de
\alence, et il augmente la production agricole de la contre par
de nouveaux travaux d'irrigation. 11 dfend ses droits avec la
mme ardeur au sein de cette fodalit querelleuse o les litiges
sont nombreux, cherchant conserver par tous les moyens lgi-
times, cette richesse qui est pour lui, comme pour Aristote, avec
les honneurs et la famille, une des conditions accessoires du
bonheur.
Deux natures coexistent en lui : l'une toute sensuelle qui l'in-
vite l'action et aux plaisirs mlangs qu'elle nous offre
;
l'autre, toute mystique, qui l'entrane vers le contemplation^,,
vers les joies suprieures de la Science et de la Vertu.
Ce sont ces efforts pour raliser cette suprme condition de la
Flicit qu'il va nous confesser dans son uvre potique.
Au milieu du voyage de sa vie
,
pour parler comme un de
ses matres, l'immortel Alighieri, jouissant des loisirs que lui
laissent la paix et la fortune, il se consacre la posie, consid-
rant comme un devoir de rpandre par elle les vrits que lui
ont rvles l'exprience et l'tude.
Mais, sur ce point encore, il est l'hritier de ses parents et ne
fait qu'iiniler leur exemple.
DEUXIt:Mi: PARTIE
L'uvre littraire des prdcesseurs d'Auzias March
CHAPITRE PREMIER
XA POSIE CATALANE DU DEBUT DU XIV^ SIECLE A LA FONDATION
DE l'acadmie de BARCELONE
(1393)
Vers le milieu du xiii sicle^ au moment o la famille des
Marchs fait son entre dans l'histoire, la posie et la prose diff-
rent au plus haut point dans toute la Catalogne. L'une emploie
encore, dans ses productions artistiques, la langue des trouba-
dours ou plutt, suivant une expression du grammairien-pote
Ramon Vidal de Besal
(1)
qui a dj fait fortune, le parler li-
mousin
;
l'autre a recours, soit dans la conversation, soit dans
les crits, l'idiome propre des Catalans, au Catalanesch ou au
Catal, que Jacme I^"" le Conqurant appelait, dit-on, nostre
lati . Plus que partout ailleurs, le provenal est rest la langue
potique j^ar excellence, celle qui, dans l'opinion de tous, est la
plus apte exprimer les ides galantes et chevaleresques du
temps. Sous le rgne de Jacme, comme sous celui de ses pr-
dcesseurs, comtes de Provence en mme temps que de Barce-
lone, les troubadours ns hors de la Pninsule trouvent dans les
Etats d'Aragon l'accueil le ])his eni])ress et une gnreuse
(1)
Las rasos de Irobar, d. Stengel,
p. 70.
124 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
protection
(1).
Certains mmes^ comme Guilhem Montanhagol^
et^ trs probablement aussi^ Bertran Carbonel_, figurent, avec
le premier des Pre March_, parmi les bnficiaires de la rpar-
tition des biens de Valence, aprs sa reconqute. Mais ils ont
dans les pays catalans eux-mmes des mules, tels que Guillem
de Cervera et Cerveri de Girona qui, malgr quelques catala-
nismes, apparents surtout chez le dernier, sont encore de vrais
potes provenaux au mme titre que ceux du Languedoc ou
des autres provinces mridionales de la France.
Commence avec le roussillonnais Berenguer de Palazol, et
facilite par les rois d'Aragon Alphonse II et Pierre II, l'infiltra-
tion de la posie provenale va manifestement et tout naturelle-
ment du Nord au Sud. Les Guillem de Cabestany, Guillem de
Bergad, Hugo de Mataplana, Ramon de Besal, Guillem de
Cervera nous la montrent gagnant de proche en proche toute la
partie Nord-Est des Etats d'Aragon, A la fin du rgne de Jacme
le Conqurant, cette uvre de pntration s'tend jusqu'aux
Balares avec le majorquin Ramon Lull et est acheve pour la
Catalogne proprement dite.
Elle s'tait accomplie avec d'autant plus de facilit que la
littrature provenale avait pris, chez Folquet de Marseille et
surtout chez ses derniers reprsentants, tels que N'At de Mons
et Guiraut Riquier, un nouveau caractre qui convenait parfai-
tement l'esprit positif et pratique de la race catalane.
On sait, en effet, que les troubadours de la dcadence, aban-
donnant de plus en plus les thmes de l'ancienne lyrique, incli-
nent de prfrence vers la posie morale et didactique. Mme
lorsque l'amour est encore l'objet de leurs chansons, ce ne sont
plus les dsirs ni les plaisirs physiques qu'ils expriment en vers
passionns. Il est devenu une vertu, la source mme de toutes
les vertus, la condition suprme du Bonheur. Sordel et surtout
Montanhagol
(2)
passent pour avoir dvelopp les jrremiers cette
thorie de l'action moralisatrice de l'amour. Tous la reprennent
aprs eux, mais en s'attachant plus particulirement ana-
lyser l'ide mme de l'amour et en distinguer les diffrentes
espces. C'est une science qui deviendra bientt le Gaij Saher et
(1)
Ch. de Tourtoulon, Jacme I^^ le Conqurant, II, 459. Voyez surtout
MiLA Y FoNTANALs, De los Trovaclores en Espana, dans Obras, II, 156 et suiv.
(2)
J. CouLET, Le Iroubadow G. Montanhagol,
p.
46.
SES CARACTRES 125
qui a dj ses spcialistes. On l'tudi avec des proccupations
morales qui contribuent expliquer pourquoi la plupart des
auteurs de chansons d'amour abordent aussi les plus graves
problmes de la philosophie morale et de la thologie ou passent
insensiblement de la lyrique courtoise la lyrique religieuse.
C'est un troubadour philosophe^ a dit M. Anglade de Guiraut
Riquier
(1)
: o|i pourrait en dire autant de presque tous les trou-
badours de la fin du xiii^ sicle.
On a attribu cette transformation l'tablissement de l'In-
quisition dont les potes auraient cherch flchir les rigueurs.
Mais, en fait, l'Inquisition n'a agi sur eux qu'indirectement, par
les nombreux ordres qui se constituent aprs elle et crent, dans
la socit du xiii sicle, une atmosphre morale et religieuse
favorable l'closion des nouvelles thories
(2).
Enfin, et sur-
tout, la philosophie remise en honneur par Albert-le-Grand,
saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure a ncessairement
sa rpercussion dans la posie savante. Les troubadours ne
peuvent pas rester trangers aux grandes doctrines de la scolas-
tique et sont entrans peu peu leur faire une place si grande
que leur art n'est plus pour eux qu'un instrument de propa-
gande et sombre, avec Matfre E-mengau, dans l'norme et
diffus Breviari d'Amor.
Un changement analogue s'est accompli chez les derniers
potes provenaux de la Catalogne. Comment pouvait-il en tre
autrement dans un pays o les ordres religieux comptaient de
nombreux adeptes et d'ardents controversistes tels que Ramon
Marti, l'auteur du Pugio fidei, et Ramon de Penyafort
(3),
une
poque o le got des tudes philosophiques refleurissait sous
l'influence des grands docteurs de la scolastique et au contact
des Arabes et des juifs que l'on s'efforait de convertir ? Le lan-
gage rim est naturellement employ pour rpandre les vrits
qui proccupent les lettrs et les princes eux-mmes. Dj, vers
1243, un anonyme compose une Biblia rimada e en romans qu'on
a inexactement attribue au dominicain de Majorque Sabru-
guera
(4).
Son intention est vidente. Il veut raconter brive-
(1)
J. Anglade, Le troubadour Guiraut Riquier,
p. 279.
(2)
Ibid.,
p.
284-285.
(3)
TouRTOuLON, op. cit., II, 381 et 463.
(4)
J. M. BovER, Bibliot. de escrit. baleares, Palma, 1868, I, 122; S. Berger;
126 CHAP, I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
ment pour ceux qui ignorent le latin les principaux faits de
l'Ancien Testament :
E cels qui no entenen lati
Poran legir sovent assi,
E la ley de Deu apendran,
E la Biblia de cor saubran.
De leur ct^ Guillem de Cervera et Cerverf ont une prfrence
marque pour la posie morale. Mais celui chez qui s'est le plus
compltement opr le passage de la posie profane la posie
philosophique et religieuse est sans contredit le docteur illu-
min, le mystique franciscain Ramon Lull. Dans les quelques
posies qu'on peut lui attribuer avec une entire certitude
(1),
on retrouve, sous une forme trs voisine encore du Provenal,
certaines ides des troubadours de l'poque. Il se faii le che-
valier et le pote do la Vierge qu'il appelle la ^
doua dona
d'amors . L'amour mystique, jvisque dans ses ouvrages en
prose potique tels que le Libre de Amich e AmaL
(2),
emprunte,
comme l'avaient fait les Cantiques de Salomon, le langage de
l'amour humain. Versificateur sans prtention, rimant, pour
qu'elles fussent plus faciles retenir, les vrits de la religion et
de la philosophie, les esprances et les dsillusions de son cur
d'aptre dans le Desconort, les vertus thologales et cardinales
dans sa Medicina de peccat, les attributs de Dieu dans Cent noms
de Deu, il considre la posie comme un auxiliaire de son Art
gnral
, comme un moyen de ramener tous les hommes sans
exception une croyance commune et un commun amour.
C'est encore le mme caractre didactique et religieux qu'offre
le Serm de l'historien Ramon Muntaner, crit vers 1322 en so
de Gui Nantull, l'occasion de l'expdition en Sardaigne de
l'infant Alphonse, fils du roi Jacme II
(3).
Recherches sur les bibles provenales et catalanes [Remania, XIX,
525) ;
Mcfei
Fatio, Katalanische Litieratur,
p.
87.
(1)
Plusieurs des Obras rijnaclas publies par G. Rossell (Palnia, 1859, 8),
sont manifestement apocryphes.
(2)
Publi par M. Obrador
y
Bennassar (Palma, 1904, pet.
in-8o).
D. J. Ri-
bera prtend (Homenaje Menndez
y
Pelayo, II,
191),
que cet ouvrage est
inspir du philosophe et pote arabe Mohidin, n Murcie en 1165.
(3)
MiLA Y FoNTANALS, Lo serw rf'i??? Muntaner, Montpellier, 1880, in-8,
(Ofems, III, 243).
INFLUENCE DE LA SCOLASTIQUE
127
Il est intressant de remarquer que_, vers la mme poque^ la
littrature italienne qui n'avait t tout d'abord^ en Sicile^ qu'un
simple cho de celle des troubadours^ subit^ en Toscane et Bo-
logne, la mme volution que la posie provenale, sans qu'on
puisse affirmer que l'une ait influ sur l'autre. Avec Guittone
d'Arezzo, Guido Guinicelli et tous les potes du clolce stil nuovo
(1),
l'amour se purifie peu peu de tout lment sensible, et la
femme s'anglise . Habitus ds l'cole aux spculations m-
taphysiques, ils transportent aussi dans leurs vers le got de
l'abstraction et se complaisent dans les subtilits de la casuis-
tique amoureuse. C'tait l'poque, dit Bartoli
(2),
propos de
Guido Cavalcanti, o la philosophie et la thologie, amalgames
ensemble, se fatiguaient aux subtiles et vaines recherches de la
nature de toutes choses. Il suffit de jeter un regard sur les livres
d'Albert-le-Grand et de Thomas d'Aquin pour comprendre le
dsir fbrile qui envahit les esprits de pntrer l'essence de Dieu,
des anges, de l'me humaine, des lments, des corps, de tout en
somme, en argumentant, distinguant et subtilisant. A cette
ambiance intellectuelle ne pouvaient naturellement pas se sous-
traire les potes, et voil pourc|uoi ils dissertrent sur la nature
de l'Amour, en se rapprochant autant que possible des mthodes
de l'cole philosophic{ue dominante. L'uvre de Dante est in-
sparable de celle de la nouvelle cole qu'il porte sa plus haute
perfection, grce un art merveilleux dont le secret rside dans
sa puissante personnalit et dans son imagination forte et disci-
pline la fois
(3).
Ainsi l'union de la philosophie et de la thologie avec la vieille
posie de cour aboutit, au Xord des Pyrnes, aux traits les
plus ennuyeux, aux dissertations les plus froides, c{ue ne r-
chauffe et ne vivifie aucun souffle d'en haut. En Catalogne, au
contraire, l'ardeur du sentiment religieux ranime parfois, chez
Ramon Lull, les sujets les plus mornes ou s'panche en des
accents d'une relle tendresse. En Italie, enfin, par la vertu
(1)
Voir K. VossLER, Die philosophischen Grundlagen zuin siXssen neuen
5<i7)). C'est tort, suivant nous, que P. Savj-Lopez a critiqu ses conclusions
dans le Giornale storico dlia Lelteratura italiana, XLV, 74, et dans Trovatori e
Pote, Milano,
1907, p.
10 et suiv.
(2)
Sioria dlia Letteratura Italiana, IV,
p.
135.
(3)
A. Jeanroy, Dante [Grande Encyclopdie, XIII, 891).
128 CHAP, I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
mystrieuse du gnie^ les symboles et les abstractions acqui-
rent dans les Canzoni et dans la Vita Nuova de Dante une vie
vritable^ et, si la Dicine Comdie est encore_, comme on l'a
dit
(1)
,
'(
une encyclopdie didactique o le pote a entass pa-
tiemment des trsors de science et de profitables enseigne-
ments , elle n'en est pas moins le pome le plus attachant
omme le plus profond du Moyen ge.
II
Ce caractre de gravit qu'avait pris la posie, au xiii^ sicle,
pendant la priode provenale de la littrature catalane, con-
tinue se manifester dans les sicles suivants. Avec le rgne de
Pierre IV d'Aragon (1335-1387) commence l'poque de l'cole
catalane proprement dite que Mil
y
Fontanals
(2)
propose de
diviser en trois parties distinctes. La premire comprendrait
peu prs tout le xiv^ sicle jusqu'au premier tiers du xv. C'est
une re de transition
;
les potes catalans abandonnent de plus
en plus la langue provenale tout en s'inspirant encore des trou-
badours anciens et nouveaux. Dans la seconde, le catalan est
devenu peu prs dfinitivement le langage de la posie comme
celui de la prose. Elle concide avec l'activit littraire d'Auzias
March et s'tend de 1430 environ 1459. Mil
y
Fontanals et
Rubi
y
Lluch
(3)
l'appellent, non sans quelque emphase, le
znith )) et l'ge d'or de la posie catalane. La troisime, enfin,
de 1460 aux premires annes du xvi^ sicle, prsente dj des
symptmes de dcadence.
Il importe de jeter un coup d'oeil sur la premire priode
avant d'tudier l'uvre d'Auzias March et son influence.
Peu de temps avant que le roi Pierre IV montt sur le trne
d'Aragon se constituait Toulouse le collge du Gay Saher o la
posie catalane devait puiser une vitalit nouvelle. On connat
on origine. Sept bourgeois, qui s'affublaient du nom de trouba-
(1)
II. Hauvette, Littrature italienne,
p. 108.
(2)
Resenya dels antichs poetas catalans,
p. 195, [Ohras, III, 234).
(3)
Sumario de la historia de la literatura espanola,
p. 67.
LE CONSISTOIRE DE TOULOUSE
129
clours, se runissaient chaque semaine dans le jardin des Au-
gustines en un vergier garnit de flors
(1) >),
pour se lire leurs vers
les uns aux autres. En 1323^ ils rsolurent de fonder une so-
cit potique, sous la raison sociale de Sobregaya companhia
ciels set trohadors de Tholosa, destine favoriser la culture de la
posie et encourager les potes par des rcompenses publiques.
Son premier acte fut renvoi_, diverses rgions et villes
notables o se parlait la langue d'oc, d'une lettre circulaire
en vers et en prose. Il
y
tait annonc de la part des trs gais
compagnons et des graves magistrats, les Capitouls de Tou-
louse, que, le
1'
jour de mai 1324, une violette d'or serait dcer-
ne solennellement l'auteur de la meilleure pice de vers en
langue provenale.
Le souvenir de la rpression de l'hrsie albigeoise et la
crainte de l'Incjuisition taient tels Toulouse et dans toute
la rgion du Languedoc qu'on exigea tout d'abord des concur-
rents la plus parfaite orthodoxie religieuse. Ils ne pouvaient
louer que Dieu, la Vierge et les Saints ou ne traiter tout au
plus que des sujets empreints de la moralit la plus austre.
L'unique femme qui dt tre l'objet de leurs hommages tait
la Vierge, et c'est elle ou Dieu que devaient tre adresss
les vers de la tornada, c'est--dire Vein'oi de leurs chansons. La
gaie science devenait ainsi l'auxiliaire de la religion.
Cet appel fut entendu par del les Pyrnes, en Catalogne
o le provenal tait toujours la langue littraire. Un des re-
cueils qui nous sont rests de l'Ecole Toulousaine
(2)
contient
en effet, un i>ers et une chanson de l'aragonais Thomas Periz
de Fozes et une chanson de Johan Blanch ,catal
,
qui lui
valut la violette. Il semble qu'avec la plupart des autres lau-
rats ils aient encore chant l'amour profane la manire des
anciens troubadours et dans les mmes termes, mais en se
conformant le plus souvent ce prcepte un peu naf des Leys
d'amrjrs qui recommande gravement de ne faire l'loge d'une
dame c[ue pour le bon motif,
a Si c'est une jeune fille
(
piuczla)
(1)
Voir dans Vllisl. de Lang., X, 193,1a description potique de ce jardin
enchanteur.
(2)
A. Pages, ^oles sur le Chansonnier provenal de Saragosse,
Toulouse,
1890 (Extrait des Annales du Midi, II), p.
20-21.

Ce manuscrit a t acquis
rcemment par la Bibliothque de l'Institut d'Estudis Catalans.
Am. Pages.

Auzias Mardi.
"
130 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
OU qu'elle n'ait pas de mari^ je puis lui exprimer par mes
chants le grand amour que j'ai pour elle^ afin de la disposer
plus vite devenir ma femme ou pour proclamer ses bonnes
qualits, ses belles manires et son maintien honnte, en sorte
qu'un autre se hte de la prendre pour femme et que sa bonne
renomme se rpande parmi ceux qui ne la connaissent pas. Si
elle est marie, je puis galement la chanter pour la louer, pour
clbrer son beau maintien et ses bonnes manires et pour r-
pandre sa bonne renomme
(1).

Mais ce qui finit par les proccuper plus encore que le fond,
c'est la forme. Ils s'attachent imiter leurs prdcesseurs,
redire ce qu'ils ont dit. On ne doute pas certains moments
qu'ils aient cd au plaisir facile du pastiche.
Le besoin d connatre les lois des genres traditionnels, les
procds mathmatiques grce auxquels on peut gagner
coup sr les violettes, glantines et autres fleurs artificielles
du Gai Savoir, les dtermine bientt codifier de nouveau,
aprs Hue Faidit et Ramon Vidal, les rgles de leur art. Ja-
mais on n'a compos plus de traits potiques, plus de gram-
maires, plus de dictionnaires de rimes qu' cette poque.
Alors qu'on n'en compte gure que trois, dont un crit par un
catalan, pour la priode classique de la littrature provenale,
il en reste sept au moins pour le xiv sicle
(2).
On n'invente
plus, on inventorie.
Les Catalans ont pris une grande part l'laboration de ces
savants travaux.
Un an aprs le premier concours de Jeux floraux, suivant
l'expression que l'on adoptera plus tard, le chancelier du Con-
sistoire, Guilhem Molinier, est officiellement charg de rdiger
le trait de prosodie, grammaire et rhtorique, connu sous le
titre de Flors del Gay Saber ou Leys d'amors. L'uvre n'est
acheve qu'en 1356. Nous savons, par la rdaction la plus longue
qui en a t faite, que Molinier avait t aid ou plutt conseill
par un certain Bortholmieu Marc
(3).
Mais, comme les Flors
(1)
Leys d'amors, III, 124.
(2)
Voyez Mila, Antiguos tratados de gaya ciencia (Revista de Archivas, VI,
313 ;
Obras, III, 279).
(3)
E adonx comezero de bocca a mestre Guilhem Molinier, savi en dreg,
que el fes e compiles las ditas reglas, am cosselh del honorabble e reveren
senhor mossen Bortholmieu Marc, doctor en leys. Hist. de Lang., X, 184.
Cf. p.
205 et 342.
TOULOUSE ET LA CATALOGNE
131
ont t non seulement copies pour tre envoyes telles quelles
en divers lieux^ mais encore rsumes par l'auteur lui-mme
et que le seul exemplaire de cet abrg versifi se trouve en
Espagne
(1)^
on peut supposer que ce Bortholmieu Marc est
un catalan qui a concouru ce travail de copie ou d'abrvia-
tion ou tout au moins qu'il a t fait sa demande ou sur ses
conseils pour servir aux Catalans. Si nous ajoutons, d'autre
part, que le prnom de Bartholomeu a t usit dans la famille
des Marchs et que, comme nous l'a appris A. Paz
y
Mlia, le
pote Pre March lui-mme a eu un frre ainsi appel, on ad-
mettra comme possible qu'un membre de la famille March
soit venu en France, ds le milieu du xiv^ sicle, pour
y
chercher
les recettes potiques de l'Ecole Toulousaine
(2).
Cette hypothse est rendue plus vraisemblable par ce fait
qu'un second rsum, mais celui-l en prose, du livre de Moli-
nier, a t compos peu prs la mme poque par Jean de
Castellnou, un des sept mainteneurs du Consistoire de Tou-
louse, la demande du ^( noble En Dalmau de Rochaberti,
fils de feu le trs noble En Dalmau, vicomte de Rochaberti .
Ln peu auparavant il avait coinment et critiqu le Doctrinal
de trohar de Ramon de Cornet et adress son Glosari l'infant
Pierre, comte de Ribagora, fils de Jacme II d'Aragon,
celui-l mme que Cornet qualifie ainsi, dans la conclusion de
son ouvrage :
Mos libres es complitz.
Dieu ne sia grazitz
E la Verges Maria
;
E vuelh que donatz sia
A'n Pedro, filh del Rey
D'Arago, qar \o vey
Savis, cert e valen
E de trobar saben
(3).
(1)
Ce manuscrit, provenant du monastre de San Cucufat del Valls, se
trouve actuellement aux Archives de la Couronne d'Aragon. Cf. Mila, ihid.,
506 ;
Chabaneau, Hist. de Lang., X, 179. Une copie en a t faite par Tastu
en 1837, et figure la Mazarine sous la cote 4526.
(2)
Remarquons aussi que Bortholmieu Marc ne se trouve mentionn ni
parmi les mainteneurs, ni parmi les honorabbles senhors de capitol de Tho-
losa , ni enfin parmi les bourgeois, licencis, docteurs ou marchands qui les
accompagnent.
(3)
J. B. NouLET et C. Chabaneau, Deux manuscrits du A'7T'^ sicle, Mont-
peUier-Paris, 1888, in-S,
p.
214. Cf. Mila, Obras, III, 288.
132 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AL XIV^
SIECLE
On comprend ds lors combien furent troits les rapports
qui unirent la Cataloone et le Consistoire de Toulouse. Cette
institution fvit en quelque sorte commune, durant cette pre-
nire priode, aux crivains des deux cts des Pyrnes. C'est
rinfant Pierre, oncle du roi Pierre IV d'Aragon, qui parat
avoir favoris ses dbuts ce rapprochement littraire. Pote
lui-mme, il avait protg les potes
(1)
avant de revtir,
comme certains troubadours de jadis, la robe de saint Fran-
ois (1358).
Son fils Alphonse
(2)
n'hrita pas seulement de
ses titres, auxquels il ajouta plus tard celui de dvic de Gandie,
mais aussi de son amour des lettres : nous avons vu ce qu'il fut
pour Pre Mardi.
A l'influence de l'infant Pierre est d, au moins en partie,
le govit pour la posie provenale que manifestrent sa nice
Constance
(3),
femme de Jacme II de Majorque, et surtout
son neveu Pierre IV le Crmonieux. Celui-ci, qui professait
pour le talent de son oncle une relle estime, puisqu'il lui en-
voyait, le 8 juin 1355, un sirvetitesch sur le bon air et la no-
blesse )) de l'le de Sardaigne
(4),
avait d'abord cultiv la posie
amoureuse, puis trait des sujets plus austres, donnant l'un
de ses fils des conseils sur la Chevalerie
(5)
ou raillant l'autre
d,u mariage qu'il venaitde contracter malgr sa volont
(6).
Sous
(1)
Le chroniqueur Muntaner raconte (chap.
298)
qu'il composa une dana
un serventesch et une chanson qu'il chanta lui-mme ou fit chanter par les jon-
gleurs En Romaset, en Comi et En Novellet, l'occasion du mariage de son
frre, le roi Alphonse III, en 1327. Cf. Mila, Ohras, III, 306.

Le 8 mai 1331,
le fils d'Alphonse III lui recommanda son jongleur Allons Fernndez (A. Rubi
Y Lluch, Documents, I, 101).
(2)
Voy. sa gnalogie dans notre article de la Revista de bibliografia caialaua,
, 133.
(3)
Mila, Ohras, III, 457. Son fils l'infant Jacme de Majorque (-j- 1375)
aimait aussi la posie. Le dominicain Fr. Pre Saplana, qui avait traduit la
Consolalio de Boce, lui conseillait, dans sa ddicace, de mettre le livre en
rimes pour qu'il ft plus plaisant , e srie m semblant, Senyor, que vos qui
sabets be la art de trobar vos occupassets en lo dit libre de fer-lo en rimes, per
o que
fos pus plasent. (Libre de Consolacio
;
dit. Aguil, dans la Bihlioteca
Catalana)
.
(4)
Archivio Storico Sardo
(1906), II, 434. Cf. Rubi y Llucii, Documents,
L
168.
(5)
P. DE BoFARULL, Los condcs de Barcelona vindicados, II, 272
; Cf. Rubi
Y Llucii, op. cit.,
p.
276.
(6)
Ibid., 288. Cf. Rubi y Lluch, o. c,
p.
281.
t
PRINCIPAUX POTES 133
son rgne et suivant son exemple fleurit toute une pliade de
potes. C'est d'abord Pau deBellviure que nous mettons en tte_,
pour rester fidle au tmoignage un peu vague de Santillana
(1)^
et qu'une seule strophe contre les femmes a rendu clbre et
signal Auzias March. Ce sont surtout les chevaliers Jacme
March et Pre March^ frres par le sang et par l'esprit^ Tun
attach la Cour du Roi^ l'autre la personne de son cousin
Alphonse_, comte de Ribagora et de Dnia. Citons encore le
vicomte Felip Dalmau de Rocaberti_, qui participe avec Jacme
March une tenson ou plutt un dbat entre l'Hiver et
VEt dont le Roi lui-mme prononce la sentence
(2),
Bernt de
S^ contemporain^ nous le verrons^ de Pre March et en rela-
tions potiques avec lui^ Bernt Metge qui^ en 1381,
compose
des noi'es rimades intitules par Mil Libre de Fortuna e Pru-
dencia
(3),
et le majorquin Guillem de Torrella qui crit, vers la
mme poque et dans le mme mtre, une fable plus cu-
rieuse qu'intressante
(4).
Nous ne connaissons que le nom de
Guerau de Queralt qui vient de nous tre rvl par une r-
cente publication
(5).
En revanche, plusieurs nouvelles

anonymes du manuscrit de Carpentras tel qu'il tait dans son
tat primitif, peuvent tre attribues la mme priode, parce
qu'elles trahissent les mmes influences trangres.
Pour la premire fois, en effet, au moment mme o les
potes catalans s'efforcent visiblement d'affranchir la langue
littraire de l'norme tribut qu'elle avait pay jusque-l au
limousin
ou au provenal et cju'il ne reste plus dans leurs
vers qu'un petit nombre de termes exoticfues, la littrature de
la France du Nord, aprs celle de la France du Midi, envahit
la Catalogne. Plus qu'autrefois les livres franais sont recher-
chs et lus avec avidit. Ds le 21 juillet 1339,
le roi Pierre IV
d'Aragon en demande un sa sur et ajoute qu'il aime beau-
coup lire de tels ouvrages (en leyr taies libros trobemos plazer
(1)
Op. cit., 10.

On sent dj chez Pau de Bellviure l'influence des
romans bretons. Voir le dbut de sa chanson Dompna gentil dans Mil,
Obras, III, 459.
(2)
T. Amat.,
p.
367
;
Baselga, Cane, de Zaragoza, p.
25.
(3)
MiLA, Obras, III, 378.
(4)
Ibid.,
p. 365.
(5)
RuBio Y Li.ucH, op. cit., 251.
134 CHaP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
e recreacion
} (1),
Les infants et lui^ comme nous le prouve leur
correspondance
(2),
achtent^ font copier ou traduire, prtent
aussi les romans bretons Lancelot
{3),
n le livre
de la Table
Ronde, Mhadus, Guiron le Courtois, Tristan, etc., ainsi que
les Chroniques des rois de France. En 1385, l'infant Joan em-
prunte Le March, nomm dans la mme lettre que Jacme et
Pre March, et, presque certainement, leur parent, le livre
de Godefroy de Bouillon )>
(4).
La France ne leur fournit pas seu-
lement des livres, mais aussi des tapisseries reprsentant
Charlemagne, le roi Artus, la Table Ronde, le Chastel d'Amour,
Godefroy de Bouillon
(5).
Le Roi aime tout particulirement
les scnes de Chevalerie et l'on sait avec quel soin il rorganise
cet ordre dans ses Etats.
Parmi les romans venus de France, les uns sont en prose,
d'autres en vers octosyllabiques rimant deux deux. Ce mtre
est aussi celui des lais bretons dont quelques-uns, ayant pn-
tr en Catalogne, au mme moment et peut-tre sous quel-
ques-uns des titres prcdents, devaient tre chants par des
jongleurs ambulants ou })ar ceux de la Cour. Certes il avait t
employ dans la littrature morale, didactique et mme
pique de la Provence, et notamment dans le Brei>iari d'amor,
trs populaire en Catalogne. Le catalan Ramon Vidal s'en
tait servi pour son Castia-gilos. On le retrouve mme encore,
au dbut du xiv sicle, dans le Salut d'amour
(6),
pome cata-
lan rempli, suivant le procd de Matfre Ermengau, de cita-
tions empruntes aux troubadours. Mais c'est certainement
sous l'influence de la littrature franaise qu'il reprend, au
Sud-Est des Pyrnes, une vogue inattendue dans les longues
compositions potiques moins savantes, sinon plus popu-
laires que les autres, et qu'on appelait noves rimades, d'un
nom driv encore du provenal. Mais si la forme de ces nou-
velles )), com.me celle des lais narratifs franais, est le plus sou-
(1)
Ibid.,
p. 118.
(2)
Ibid.,
p. 119, 126, 135, 141, 146, 172, 196, 201, 278, 314.
(3)
Sur une traduction catalane en prose du Lancelot, acheve le 16 mai
1380, YoirRei^. de bibliog. cat., III, 9.
(4)
Ibid.,
p.
331.
(5)
Ibid.,
p. 157, 170.
(6)
Romania, XX, 193.
LES GENRES ET LES UVRES POTIQUES 135
vent le vers de huit syllabes^ certaines offrent cependant des
vers de sept ou mme six syllabes : d o l'on peut conclure que
le nom de ?ioi'es rimades s'est appliqu toute posie en rimes
apparies. D'autre part^ ce genre de posie seiTible avoir port
aussi dans quelques cas^ au xiv sicle tout au moins, le noiTi
de lay, en souvenir des lais bretons, inais cette appellation ne
tarde pas tre rserve aux noi>es rimades d'un caractre l-
giaque qui furent combines, sous le noin de codolada, avec
la cobla capcaudada des provenaux, et devinrent trs popu-
laires en Catalogne partir du xv^ sicle
(1).
De ces noires rimades, les unes, visiblement inspires par les
livres imports de France

et un auteur. Bernt Metge, a soin


de les opposer aux rimes subtiles du Gay Saher
(2)

sont de
vraies nouvelles , des narrations, des fables :\ telles que le
Salut d'amour, uvre de transition o la France et la Provence
ont presque autant de part, La Joyosa garda (31 aot 1370) de
Jacine March
(3),
la Vesio de Bernt de S, la Faula de Guillem
de Torrella
(4),
les Sete Sa<^is
(5),
la nouvelle de Frre de joie
(6),
l'histoire de Frondino et de Brisona
(7),
etc., les autres expo-
sent, comme les ensenhamens de la Provence, les prceptes de
la morale individuelle ou sociale ou les vrits de la religion.
Ce sont le Harnois du Chevalier de Pre March
(8),
le Facet
(9),
la Lausor de laDiinitat (1380-1399) d'Aymon de Cestars
(10),
etc.
D'autres, enfin, constituent un genre inixte et joignent au r-
cit la prdication morale, l'agrable l'utile. Citons entre
autres le Dbat entre Honor
y
Dlit [il) de Jacme March
(1365),
(1)
MiLA, Obras, III, 331, 361, 405. Cf. Morel-Fatio, op. cit., p.
81.
(2)
MiLA, op. cit., 380.
(3)
Nous intitulons ainsi un fragment indit de noves rimades en vers de six
syllabes que nous analyserons plus loin. Il nous a t fort aimablement com-
muniqu, avec d'autres uvres de Bernt de S et de Pre March, par son pos-
sesseur D. Estanislau Aguil, bibliothcaire Palma.
(4)
MiLA, op. cit., 365.

L'auteur s'y exprime parfois en franais.


(5)
A. MussAFiA, Die catalanische metrische version der siebenweisen Meister,
Wien, 1876,
in-4o.
Cf. Romania, VI, 299.
(6)
Romania, XIII, 264.
(7)
Ibid., XX, 599.
On
y
lit un virelai et cin^i rondeaux franais.
(8)
Ibid., XX, 579.
(9)
Ibid., XV, 192.
(10)
Ibid., XX. 209.
(11)
Posie indite dont nous publierons plus loin quelques extraits d'aprs
le manuscrit Est. Aguil.
136 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
le Mal d'Ainor
(1)
de Pre Mardi et le Libre de Fortuna e Pru-
dencia de Bernt Metge
(1381).
Les Catalans ne se contentent pas d'imiter les auteurs de
la France du Nord
;
ils les citent ou composent mme en
langue d'ol, comme nagure et maintenant encore en langue
d'oc. Tel ou tel couplet franais intercal dans leurs uvres est
de leur cru. L'infant Joan nous apprend qu'en
138-')
il a crit un
rondeau en franais, avec la musique, et il invite son frre ou
ceux de ses amis qui veulent composer virelai ou rondeau ou
ballade en franais, les lui transmettre pour qu'il
y
adape
un air nouveau, e si cos ne altre alcu qui ah i'os sia s'ol
fer
s'i-
ralay o rondell o ballada en jjrances, emnats la ns, quan jeta sia,
car nos la us trametrem notada ah son so nos'ell
(2).
Cependant le genre le plus cultiv, aprs les no<>'es rimades,
est le siri'entesch, mais il n'a plus le caractre historique et
satirique d'autrefois et est rserv la posie morale ou didac-
tique. Entrans peut-tre par une fausse tymologie du mot,
les Catalans en ont fait un genre utilitaire, qui sert la propa-
gande de la vrit sous toutes ses formes. Il exprime, en gn-
ral, les mmes ides que certaines noves rimades, mais plus
brivement et en vers de dix syllabes. Quant l'ancienne satire
personnelle, elle a t remplace par le maldit ou le mal dig des
Leys d'amors.
Ces deux derniers genres constituent, avec la chanson
d'amour, ce que Santillana appelle d'un seul mot les cohles. La
forme en est sensiblement la mme et s'oppose celle des
noces rimades. Mais la chanson d'amour ne tient, chez les potes
catalans de la deuxime moiti du xiv sicle, qvi'une place
assez restreinte. La lyrique amoureuse des provenaux est un
instant quelque peu clipse par le roman breton, et, d'autre
part, la posie srieuse continue faire, chez les lettrs, pour
les mmes raisons qu'autrefois et grce aux progrs des tudes
philosophiques et thologiques favorises par les rois
(3),
des
adeptes plus nombreux.
(1)
Indite aussi (voir plus bas,
p. 150).
(2)
RuBi Y Lluch, op. cit.,
p. 284.
(3)
Voir dans le beau livre d'A. Rubi y Lluch, Documents per la cultura
Caialana mig-eval, tous les efforts que firent les rois d'Aragon et surtout
Pierre IV pour dvelopper ces enseignements l'Universit de Lrida et
ailleurs.
LES UVRES DE JACME MARCH 137
III
C'est au moment o le courant franais et le courant pro-
venal viennent ainsi confondre leurs eaux dans la littrature
catalane que se produit l'activit potique de Jacnie March et
de Pre March. L'oncle et le pre^ potes tous les deux, ont d
ncessairement exercer quelque influence sur l'esprit d'Auzias
March, mais plutt par leurs uvres que par eux-mmes, tout
au moins en ce qui concerne le premier qu'il n'a probablement
pas connu,
Jacme March est n, comme nous l'avons dit, vers 1335, date
de l'avnement du roi Pierre IV. On sait qu'il a t son vas-
sal
(1)
et qu'il a crit pour lui, en 1371, son Libre de Concor-
dances. Sa vie s'est prolonge au-del de ce rgne, puisqu'on
1393,
c'est--dire sous le roi Jean, il fonde le Consistoire de
Barcelone. Mais la mission de lgifrer en matire de posie, et
plus tard, celle d'organiser une Acadmie potique, ne lui ont
t confies

le document, qui nous apprend cette dernire
cration, l'affirme expressment

qu' cause de son talent
dans l'art d'crire en vers. Dj en 1365, ou plutt un peu
aprs le sige de Murvedre auquel il avait pris part, il avait
compos la premire des noves rimades qui nous restent de lui.
C'est le Dbat entre Honor e Dlit.
Ce petit pome nous montre, ds le dbut de sa carrire po-
tique, le dsir qu'a Jacme March de mettre l'Art au service de
(1)
C'est du moins ce qu'on peut induire de son Libre de Concordances, o il
dit du roi :
E mon Senyor, a cuy me son donats.
Per o, Senyor, que tots tems que lijats
Aquets dictais, de me siats membrats,
Qui us suy de cor humil en vos servir.
(MiLA, 06ra.9, 111,314).
138 CHAP. I, LA POSIE CATALANE AU XIV SIECLE
la Morale. Mais il n'y fait pas dialoguer^ comme on pourrait le
croire d'aprs le titre^ de simples entits^ des personnifications
purement abstraites. Les qualits du genre narratif
y
temprent
la svrit didactique.
C'est au plus fort de l't. Les chevaliers ont rpondu
l'appel du Roi et assigent Murvedre occup par le roi de Cas-
tille :
[]o fo el mig de Juliol,
al punt qu'era entrt lo sol
en lo calt signe de Lo
(1),
hon majors calors de l'an so.
Angoxos temps e plasentier
plaser auion caualler,
ladonchs l'ardit, leal e bo,
que lo molt ait rey d'Arago
tnia Murvedr' asetgats,
ab cuy stavon atendats
coms e vezcoms e man baros.
(Ms. Est. Aguil, fol. 14 vo
a)..
Puis, en quelques vers, qui rappellent le clbre loge de la
guerre souvent attribu Bertran de Born
(2)_,
il nous dcrit
le plaisir qu'il prouve voir les tentes dresses et les pavillons
flottant autour de la ville, les chevaux l'attache, les cheva-
liers montant l'assaut, les lances et les flches volant dans
l'air :
Aqui uerets molts pavallos
estenduts, e fatxes barraques,
e cauals fermats per staques,
e nills e {corr. e millers) crits e gran brogit.
Enquer virets mant hom garnit,
qu'entrauon dintre les barreyres,
ffar asalts per moites maneyres,
lanas volar, cayrell e dart. (Ibidem).
(1)
Cf. les premiers vers du Dbat des deux amants, de Christine de Pisan :
Ce fu en may, en la douice saison, etc.
Les deux dbuts doivent procder d'un ou plusieurs textes antrieurs, cette
faon de commencer un conte tant d'ailleurs assez commime.
(2)
Be m platz lo gais temps de pascor.
(Bartscii, Chrest. prov., 159).
LE DEBAT ENTRE IIO.\OR E DELIT 139
Il s'veille^ un beau matin^ rvant sa dame dont il nous
fait un court et banal portrait_, suivant la formule obligatoire
des troubadours :
E si us uull eras i-econtar
que m'auench un bon matinet
quem staua suau e quet
en mon lit, penssan d'una flor
qu'eu ami de fort gran amor,
car es sus totas altres bella,
gaya, jentil, cuy
fn]
da, isnella,
amorosa e de bell tayll,
si que nulla res no li fayll,
mas una pauca de merce,
la quai volgues aver de me
qui 1 suy de cor leals e fis...
(/6id., fol. 14 voaet
6).
Il s'habille^ appelle ses cuyers, fait seller son beau cheva
et s'en va sur un puy d'o l'on aperoit^ aux premires
lueurs roses de l'aurore^ les armes_, la cavalerie^ le ch-
teau^ la ville et le mur . Il entend deux personnes qui discu-
tent haute voix ;
il regarde. L'une a l'pe au poing et parle
bravement. C'est l'Honneur. L'autre se rpand en belles
paroles^ n'a pour toute arme qu'un couteau^ est assez jeune^
lgamment vctu d'habits bien sa taille, doubls de cendal^
sans camail sur la tte, mais les cheveux bien peigns et nous
par un ruban de soie, afin d'avoir moins chaud. C'est le
Plaisir.
Ces deux figures offrent quelques traits de ressemblance
avec celles de la Vertu et du Vice dans le clbre mythe de
Prodicus de Cos. J'ignore d'ailleurs par quels intermdiaires,
autres que quelque conflictus latin, la dispute imagine par le
sophiste grec et rapporte par Xnophon dans ses Mmoires
sur Socrate
(1)
s'est transmise jusqu' notre auteur. La Vertu
et le Vice, ou plutt la Mollesse, deux femmes qui se disputent
Hercule, sont devenues, chez Jacme March, l'Honneur et le
Plaisir, et cette confusion de l'Honneur et de la Vertu est par-
faitement conforme l'idal chevaleresque du Moyen ge.
L'Honneur est un guerrier farouche cjui fait honte
son
(1)
Ed. Didot, 11,1. 21.
140 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
contradicteur de ne rechercher que chapons farcis, paons,
veaux et bons chevreaux, bon vin clair et savoureux, beaux
vergers et nobles maisons, lit bien fait pour s'tendre molle-
ment .

Et toi, rpond le Plaisir, tu fais souffrir et mourir
les hommes par vaine gloire, par pur orgueil.

Mauvais re-
nom ici-bas, rplique l'Honneur, les flammes de l'Enfer au-
del de cette vie, voil ce qui attend les partisans du Plaisir.
La gloire que l'on acquiert dure toute la vie et ne fait que
crotre aprs la mort :
Vejes Alexandre que feu,
ne Juli Csar, ne Ponipeu,
ne Caries Maynes, ne Rotlan,
com conqueriren treballan
Honor e Prts qui no fenex,
ans li gen mellora e crex
qui per mi son axi montais.
(Ibid.y fol. 15
vo
a).

Mais, riposte avec beaucoup d'-propos le Plaisir, pour-


quoi rechercher ainsi l'Honneur ? N'est-ce pas faire comme le
mauvais ange que le Dieu d humilit prcipita dans l'enfer ?
Que de maux tu causes aux hommes, sans d'ailleurs plaire
Dieu !
Donques no est a Deu plasens :
al mon dones de greus turmens
a cells qui t cresen de tt mal.
Per o uejes en lo Real
Com son de mosques abastats,
puces qui Is roen los costats
que nol s lexen dormir de nuyt.
En lo jorn an per gran desduyt
cigales qui fan gran brogit.
Null bon auzell no
y
es hoyt,
ne uist mas uoltos e milans,
corps e d'autres auzells senblans
qui uenon per menjar carnaa.
Aquesta es la tua caa
;
ffort es plasent a tos servens.
Albergar los fas solamens
en maysos de boua de jonch,
e los pilars que son de tronch
a gran perill stan de foch.
[Ibid., M. i5 vb).
LE DEBAT ENTRE HONOR E DELIT
141
Ce tableau aux couleurs un |)eu crues^ mais bien locales^ des
ennuis de la vie militaire, ne dsarme point THonneur qui s'in-
digne qu'un homme perdu de vices, tel que le Plaisir, ose parler
de Dieu. Dieu a voulu, tout au contraire, ajoute-t-il, souffrir
dans sa chair, jener quarante jours, supporter toute espce
de privations pour apprendre aux hommes comment ils peu-
vent rsister au diable. Reprenant la formule mme des de-
voirs de la Chevalerie, il dclare que l'homme est fait, non pour
suivre le plaisir, mais pour dfendre le bon droit au pril de sa
vie, secourir son seigneur, lui maintenir l'honneur et protger
les femmes, les veuves et les orphelins.
Bref, l'Honneur rclame la mort du Plaisir pour qu'il ne
puisse plus nuire au monde, car il l'a suffisamment habitu la
lchet (aulesa) .
Jacme March, qui a t pris pour juge, ajourne son arrt au
lendemain. Ce jour-l, les parties comparaissent l'heure dite,
apportant dans leurs mains les gages convenables,

et le
pote dicte au greffier une sentence en bonne et due forme :
Vist e regonegut breumen
tt o qu'es per les parts pausat
e pro e contra 1 lgat,
xascus fondan sa'ntencio
d'aquesta molt gran questio,
la quai ha lonch de temps que dura,
e pux aytal es ma uentura
que m'en auets donat lo carch,
sentencian, EN Jacme MARCH
diray en la forma seguen :
E prononciu primeramen
que de les parts sia Honor
tengut tostemps per lo mellor...
(/6/V/.,fol. 16
voa).
L'Honneur esl reconnu suprieur au Plaisir, mais, de son
cl, le Plaisir a toute libert d'aller de par le monde prcher
sa propre cause. Le mal (jue ses partisans se feront eux-
mmes ne pourra tourner qu' l'avantage de l'Honneur.
Cette premire uvre est la plus vivante, la plus originale
de toutes celles que nous connaissons de Jacme March.
S'il
reste, pour le fond, un homme du Moyen ge ([ui fait de la
force physique et du point d'honneur l'idal du chevalier,
sans
142 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
arriver d'ailleurs le concilier avec riiumilit chrtienne
(1),
il a nanmoins le mrite d'adapter son pays et son poque
ces ides mmes, et ses descriptions, malgr quelques dtails un
peu prosaques, nous intressent par un certain sentiment de
la nature qu'elles dnotent
et l.
C'est le mme jeu scolastique et pdant auquel il se livre
dans un dbat de l'Hiver et de l'Et (Questi sobre lo deperti-
ment de l'estiu e de l'u'ern)
(2),
mais sous une forme plus recher-
che qui se rapproche davantage des troubadours. Le vicomte
de Rocaberti offre Jacme March de choisir entre les deux
saisons,
dels dos partits quai millor vos parria.
C'est donc une tenson avec partimen
(3),
ou, suivant les
razos, un depertiment ou une questi. Jacme March choisit
l'Et
;
reste au vicomte l'Hiver. Chacun d'eux dfend son
client par des strophes de neuf vers alternant avec celles de la
partie adverse et toutes sur les mmes rimes ABABBAABB.
Les deux avocats s'en remettent enfin au jugement du roi
Pierre IV qui, dans trois strophes conscutives rimant comme
les prcdentes, se prononce contre l'Hiver et condamne plai-
samment le vicomte, son porte-parole, ne manger toute
une anne que des glands, et, rarement, des chtaignes .
Cette tenson, qui n'est pas sans prsenter quelques ressem-
blances avec les rdactions franaises antrieures
(4),
est-elle
l'uvre des trois auteurs ? Rien n'est plus vraisemblable,
puisque nous savons que le vicomte de Rocaberti et le Roi
aimaient et cultivaient la posie
;
mais nous
y
reconnaissons
surtout la manire de Jacme March. Ce sont mmes qualits
et aussi mmes dfauts, surtout mmes trivialits, avec plus
de banalit peut-tre, que dans le dbat prcdent.
(1)
Voy. K. VossLER, op. cit., p.
4.
(2)
T. Amat, p. 367
;
Baselga, op. cit., p.
25.
(3)
A. Jeanroy, La tenson provenale, Toulouse, 1890 (Extrait des Annales
du Midi, II), p. 8.
(4)
A. JuBiNAL, Recueil de contes, dits et fabliaux, 1842,
in-8o, II, 40-49
;
MoNTAiGLON ct J. de Rothschild, Recueil de posies franaises des XV^ et
XVI^ sicles, 1857, pet.
in-8o,
VI, 190-195.
JOYOSA GARDA
143
Le fragment de nos'es rimades, auquel nous avons propos
de donner le titre de Joyosa Garda, appartient au genre nar-
ratif. C'est un conte en vers de six syllabes qui offre cette par-
ticularit que Jacme March s'y nomme expressment^ comme
dans le Dbat entre Honor e Dlit, et mentionne la date laquelle
il l'a crit de la manire suivante :
Dada en lo loch gay
de la Joyosa Garda,
lo jorn qui plus se tarda
d'Agost a l'eximen,
en l'any del naximen
Mil e CGC LXX :
Aco saben gen manta
q'un an hi fa justar
a complir canelar.
(Ms. Est. Aguil, fol. 19a).
Ces trois derniers vers sont une parenthse un peu pdante
pour exprimer la diffrence d'un an qui existait parfois
(1)
entre le calendrier romain et l're chrtienne. Mais la composi-
tion de la pice n'en doit pas moins tre fixe l'poque in-
dique par l'auteur^ c'est--dire au 31 aot 1370.
Le nom de Joyosa Garda, qui revient souvent dans la pice,
rappelle le chteau de Douloureuse Garde du Lancelot du Lac.
Ainsi appel cause du mauvais accueil qu'on
y
recevait^ il ne
se nomme plus^ a])rs l'intervention de Lancelot^ que la Joyeuse
Gards
(2).
Malgr la lacune du dbut^ il est facile de reconstituer toute
l'histoire^ trs simple d'ailleurs^ qui
y
est raconte. Les viais
amants^ ceux qui s'aiment d'amour loyale et fine , se plai-
gnent d'tre entours^ dans les diverses parties du monde,
d'hommes grossiers, aux murs relches, et violant sans cesse
les rgles de l'amour courtois . Au lieu de chansons, ils
ne font plus qu'estribots, disent des sotirrimbots et des mots
que personne n'entend.
(1; Art de vrifier les dates, I, Dissert, sur les dates, 8.
(2)
P. Paris, Les Romans de la Table Ronde, t. III,
pp.
154, 194.
144 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
E-s en loch de canons
no fan mas stribots
(1) ;
dizen sotirrimbots
e mots c'om no enten.
{Ibidem, fol. 17a).
Cette situation est intolrable. Une dputation se rend au-
prs du Roi d'Amour pour lui exposer le danger que courent
ses partisans. Le Roi rpond aux messagers qu'il convient^ en
effet^ de sparer les bons des mchants. Il convoque ses trois
conseillers^ Secret, Loyaut et Connaissance. Tous accordent
qu'il
y
a lieu de btir une cit nouvelle o ne seront accueillis
que les sujets du Roi d'Amour.
Jacme March, qui a surpris cette conversation, s'approche
et diL au Roi que, se promenant dans un pr voisin, Ja re-
cherche de rimes en l'honneur de sa dame, il est arriv devant
lui, et il le supplie humblement de l'admettre avec elle dans
la cit ferme (en la ciutat scrta) qu'il veut fonder :
Car es uengut lo temps
qu'auia dsirt
que 1 fi enamorat
e leals a marits
ffossen de joy complits,
e que Is enganados,
per qui uenon erros,
ffossen foragitats
e fossen xastiats...
(76/f/.,fol. 18fl).
Le Roi consent les recevoir. Il connat le talent du pote et
veut lui attribuer, ainsi qu' son amie, qu'il sait jolie, ayant
fin prix au cur , un patrimoine. Il appelle son secrtaire qui
lui demande son nom et celui de sa vritable amie .

Je
lui rponds que mon premier nom est Jacme, mon surnom
(1)
On lit dans un trait potique du
xn-e
sicle : Totes les altres maneres
qui son, axi com biades [ci. viandelas dans Leys d'amors, p. 350), o estribots o
semblans, no son de intenci de la art, per o cor son contra o qui princi-
palmont se enten en la art de trobar, o es gint parlar e cortesia. [Rei^. de
bibliog. cat., V, 327).
JOYOSA GARDA
145
March^ et ma devise d'or fin,, et que celle de ma dame est
Colombe.
Eu li respos qu'auia
nom Jacme tt primer
;
el sobrenom derrer
es MARCH, e mon senyal
es d'or fi, atretal
a midons dits Coloma.
Suit aussitt le refrain ordinaire sur les qualits de sa a
Co-
lombe :
Rosa fresca ne poma
no es pus colorada.
Deu la fay tan comada,
e fayta de bell tayll.
Nulla res no li fayll
qui s tang'a nobla dona,
qu'ella's bella e bona
e de noble linyatge.
(Ibid., fol. 18 b ;
18 v a).
On lui assigne sur-le-champ un hritage ;. Puis^ quand il va
prendre cong du Roi et le remercier, celui-ci le charge de re-
cruter des habitants pour sa nouvelle ville. Son chancelier lui
dlivre mme une lettre de crance par laquelle il fait assavoir
aux fidles^ trs ams et nobles amoureux, aux dames gra-
cieuses et parfaites et aux humbles damoiselles, qui voudront
faire partie de l'Ordre d'Amour, qu'il sera construit une ville
o le bonheur sera complet et o il ne se commettra aucune
vilenie
, et qu'En Jacme Mardi a mission de renseigner plus
amplement ceux qui dsireront s'y installer.
Cette pice diplomatique, date, comme nous l'avons vu,
de Joyosa Garda, le 31 aot 1370, est suivie d'une lettre parti-
culire de Jacme March un seigneur trs cher qui n'est pas
nomm. C'est la conclusion de toute l'uvre. Le pote espre
que son rcit ei, le document royal qui l'accompagne suffiront
convaincre son correspondant et qu'il consentira habiter,
avec son

aymia , la ville de Joyosa Garda, o ils jouiront de
la joie la plus parfaite.
Deus prech que us lax ueser
en breu, que molt me tarda,
dins la Joyosa Guarda.
{Ibid., fol. 19
vo
b).
Am. Pages.

Auzias March.
10
146 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU Xiv'^ SIECLE
Ce pome abondant^ facile et banal^ comme^ il est vrai, la
plupart de ceux de France qu'on lisait de son temps en Cata-
logne, n'est cependant pas dpourvu de grce et de nave sim-
plicit.
Plus travailles et plus pnibles lire sont ses cohles propre-
ment dites. Avec celles qui ont pour titre dans les manuscrits
Cobles de Fortuna et qui commencent par ce vers : Quant
heu cussir en los tts
mundenals (l)/il pntre franchement dans
le domaine de la morale religieuse, La Fortune, que nous in-
terrogeons au moyen des astres, distribue au hasard ses biens
et ses maux, donnant le bonheur aux audacievix, le malheur
aux bons et aux nobles. Dieu seul en nous faisant esprer une
vie meilleure peut nous permettre de supporter ses coups.
Ses chansons d'amour sont au nombre de trois seulement, si
nous laissons de ct la strophe quivoque
(2),
et certaine-
ment quivoqvie, (ju'il adresse Pre March. Ce n'est qu'une
devinette grivoise, cynique mme, a dit avec raison Torres
Amat, et contrastant trangement avec l'lvation morale du
reste de son uvre.
La premire Dos son los alts segons lo meu parer
(3)
analyse
le plaisir que fait prouver l'amour. C'est une motion double
qui a pour origine, d'une part, la vue d'une femme jeune,,
noble, au maintien honnte, dote par la nature de nombreuses
qualits, d'autre part sa bont, sa grce, sa noblesse de cur,
sa vertu et son savoir. Deux lments s'y mlent donc, l'un
physique, l'autre purement spirituel. Un peu obscure, tant
cause de son caractre philosophique que du systme compliqu
de ses rimes, cette pice annonce dj le genre qui sera cultiv
plus tard avec tant d'abondance par Auzias March.
Au mme genre appartient la seconde chanson Las^ ti'eballat
(1)
3 dizains de vers dcasyllabes unissonants ABBACCDEED et 2 tornades
DEED
; T. Amat,
p. 369, et Mii.a, Obras, III, 311, d'aprs le Canoner de
de Paris, Bib. Nat., Esp. 225, fol. 128.
(2)
Cobla equivocada fta per mossen Jacme March a mossen P. March.

5ms en lo niig d'una cosia. 1 dizain de vers de 7 syllabes ABBABABABA et
1 tornada BABA [Canoner de Paris, fol. 103 v").
(3)
i\/(g encadenada, mi
g
croada et capcaudada, suivant la terminologie des
Leys d'amors. 5 strophes de 8 A'ers dcasyllabes, 1 tornada de 4. Mila, Pote
hjriq. cat.
p. 22 [Obras, III, 461);
Can. de Paris, fol. 33.
COBLES ET CONCORDAyCES DE JACME MARCH
147
e fora de mesura
(1)
dont l'ide matresse est assez fine. Le pote
ne peut se consoler de l'absence de sa dame qu'en songeant
elle^ et plus il
y
songe, plus augmente sa douleur.
Plus claire est la troisime Un sobrespler m'es vengut per la
veuve
(2).
La beaut de sa dame est cleste et il en loue les per-
fections en des termes emprunts la religion_, l'appelant
mme son Dieu et sa dvotion
, tout comme certains trou-
badours qui ont fait de l'amour un culte et une vritable reli-
gion.
Ces dernires pices dnotent toutes le rimeur attentif et
scrupuleux, et en crivant, en 1371, la demande du Roi, son
Libre de Concordances ["d), ou, plus simplement, son Dictionnaire
de rimes, Jacme March n'a fait que coordonner ses observa-
tions pratiques sur la rime et ses diverses espces. Son travail
avait dj t tent avant lui en Catalogne, mais il a t le
premier classer les rimes par ordre alphabtique :
Pero no vull que-s a mi Jacme MARCII
sia notai que de tt fay me carch,
car ja d'altres n'avien molt tractt.
Mas, al meu seny, yo l'he mes ampliat
e diviset, seguint la dretxa via
del ABC, si com far se dvia,
(MiLA, Ohras, III, 313).
Mais ce qu'il
y
a certainement de plus original dans son ou-
vrage, ce sont les petites pices qu'il a composes pour mieux
faire comprendre ses dfinitions des diffrentes rimes. L'amour
en est l'unique objet et le nom de sa Colomba
y
vo({ue jusqu'
six rimes conscutives et ultrariches. On peut comparer ces
tours de force ceux d'un pote franais du xix^ sicle, Tho-
(1)
Croada capcandada, 5 strophes de 8 vers dcasyllabes, 1 tornada de 4.
Can. de Paris, fol. 48.
(2)
Encadenada capcaupada, 5 str. de 8 vers dcasyllabes, 1 tornada de 4.
Can. de Paris, fol. 44 ; la f^ strophe a t publie, d'aprs le chansonnier ca-
talan de Saragosse, par Mila, Jahrbuch
f.
rom. und eng. Lit. V, 151 [Ohras, III,
315),
et Baselga, Cane, de Zar., 184.
(3)
Voir les extraits qu'en ont publis Cerd
y
Rico, JSotas al canto de Turia,
p. 487, Mila, Rei'ista de Archivas, 1876 [Ohras, III, 290),
Baselga, Cane, de
Zar.,
p. 385. Un exemplaire de cet ouvrage figure dans l'Inventaire de la Bi-
bliothque du roi Martin, sous le n 23.
148 CHAP, I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
dore de Banville^ qui a crit^ lui aussi^ un ingnieux Petit trait
de Posie aprs ses Odes junamhulesqnes. Une telle virtuosit
s'allie mal, il faut bien le reconnatre, avec une passion sincre,
et rien ne saurait mieux prouver que l'amour tait dj devenu,
en Catalogne, vers la fin du xiv^ sicle,
Une admirable matire mettre en limousin.
Ainsi, naturel et parfois gracieux dans ses Contes rimes
,
Jacme March n'a pas su viter l'artifice et l'obscurit, quand il
s'est essay aux genres plus particuliers des troubadours. La
plupart de ses cobles sont des mditations purement morales,
ou, quand elles portent sur l'amour, elles en examinent quelque
aspect subtil et curieux. On sent qu'il a cherch renouveler un
thme depuis longtemps puis, et qu'il s'est conform de tous
points aux nouvelles ides du temps.
IV
L'uvre de Pre March le vieux offre, dans son ensemble,
les mmes caractres que celle de Jacme. Des onze pices qui
nous restent de lui, sept au moins sont consacres l'exposition
d'ides morales. Comme son frre, il moralise jusque dans
quelques-unes de ses posies amoureuses.
Vassal et procureur, pour le royaume de Valence, d'Al-
phonse, marquis de Villena, comte de Ribargora, plus tard duc
de Gandie, il fut vraisemblablement encourag dans ses tenta-
tives potiques par son matre et seigneur. Celui-ci avait, du
reste, comme son pre, l'infant Pierre d'Aragon, le got d'crire
en langue vulgaire et on lui doit un livre intitul Castich e bons
nodritnents qu'il crivit l'occasion du mariage de sa fille et
presque srement d'aprs VEpistola ad quemdam mililem de
cura et modo rei jainiliaris du franciscain Bernhard de Char-
tres
(1).
C'est ce trs haut seigneur qu'il est tenu de servir
,
(1)
A. Morel-Fatio, op. cit.,
p.
109.
PERE MARCH. LE HARNOIS DU CHEVALIER 149
suivant sa propre expression^ et dont il est Thumble sujet )>
(v,
1, 3^ 1253)
que Pre March nous a paru avoir ddi la plus
longue de ses noires rimades, celle que M. Paul Meyer a publie
sous ce titre : Le Harnois du Chei'alier [D. Il la lui prsente
dans le prologue et dans l'pilogue en des termes tels qu'il est
difficile de penser un autre personnage. L'ide de ce pome
allgorique de 1264 vers de six syllabes n'a rien d'original.
Plusieurs crivains, potes ou prosateurs, notamment Ramon
Lull dans son Libre de l'orde de cavayleria^ avaient dj sym-
bolis les vertus humaines dans les diverses pices de l'arme-
ment d'un chevalier. Mais jamais on n'en avait fait une nu-
mration aussi complte. Seize vertus
y
sont reprsentes et
longuement dfinies, et, comme il tait naturel cette poque,
les vertus chrtiennes proprement dites, la foi, la crainte de
Dieu, etc.,
y
tiennent une grande place. Tout dans la vie des
chevaliers doit tre en vue de leur salut et ceux d'entre eux qui
ont revtu le harnois (ju'il nous dcrit ne sauraient tomber
dans l'abme de l'Enfer,
Ans s'en puyan tt dreyt
Sus al sant loc beneyt,
On Jhesucrist ha vida,
Ceyls qu'en aycesta vida
An tal arns portt
E fortment cavalcat
Lo caval que us ay dit.
(v. 1233-1239)
Le Harnois du Chei>alier est suivi, dans le manuscrit de
D. Est. Aguil, d'un autre pome en vers de six syllabes, mais
dont l'auteur est Bernt de S, majordome du roi Pierre IV
d'Aragon. Ses gots potiques ne nous taient connus jusqu'ici
({ue par une lettre du 8 mars 1374, dans laquelle l'infant Joan,
lui transmettant un sirvents de Pre March et la rponse qu'il
y
a faite, lui demande d'crire son tour quelque diti sur
les mmes rimes ou sur d'autres
(2).
C'est prcisment un
March qui, cause des rapports des deux potes, ne peut tre
que Pre lui-mme, (jue Bernt de S adresse son pome. Il
y
(1)
Romania, XX, 579.
(2)
RuBi Y Lluch, Doc, 253.
150 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
fait le rcit d'une vision (vesio)
(1)
o lui apparaissent les diff-
rentes sortes d'amoureux et il
y
dcrit^ sous le voile de l'all-
gorie et l'aide de Rigaut de Barbezieux
(2)^
les trois condi-
tions de l'amour vrai^ la loyaut^ l'humilit et l'esprance.
Malheur ceux qui ignorent c la fine amour
:
E-s aytal uan dizen
que-s Amor res no ual,
no conexen lur mal,
ne lur gran nechligenca.
Donchs, ajats entenenca,
En March, e bon albir,
que vullats retenir
co qu'ay d'amor pausat...
(Ms. Est. Aguil, fol. 14 a).
IjC Mal d'amor est encore une pice de noi'es rimades, mais
en vers octosyllabiques, signe du nom de Pre March. C'est
iun vritable trait sur les moyens de gurir l'amour, qui se
r-attache non pas aux Remdia amori s d'Ovide^ mais plutt
iau Confort ou Remde d'amiuis, pome anonyme crit en
iFrance la fin du xiii^ sicle ou au commencement du xiv
(3).
Le pote s'adresse la femme de Mossn Roger de Castello,
et^ aprs avoir fait son loge et lui avoir prsent ses hommages^
i(l) Ans fayran que-s abreuje
de gran malenconia,
sells en que plaser sia,
ma Uesio ausir...
(Ms. Est. Aguil, fol. 9
yo
a).
(2)
Si pren senblan conort
que feu cell trobador,
qui sofrich per amor,
RiGAUT DE BaRBASIL.,
fin amayre jentil
qui dix, tan fo aclis :
No n'es nul jojj ne autre Paradis
per qu'ieu clones l'esperar ni l'atendre...
{Ibid., fol. 13 a
; cf. Mahn, Werke, III,
37.)
(3)
Hist. litL, XXIX, 486.
LE MAL D'AMOR
151
il lui rappelle la conversation qu'il a eue avec elle_, l'autre ma-
tin^ sur la route de Silgues et de Sorda :
A vos, Madona, qui sabets
tt quan de be sauber deuets,
d'onor, de pretz, de cortesia,
que-s auvets nom e senyoria
de Castello, me recoman,
Eu, Peyres March, que vostre man
suy apparellat de complir,
e pla'a vos que per lo dir,
senes lo fayt, no m'en cresats
;
mas, si d'algun fayt me-s enprats,
vos conexerets que dich uer,
e que suy de vostre plaser
cutxos de far en tota re.
Madona, be crey vos soue
o que dixes, l'autre mati,
quan de Silgues presem cami
per uenir a Sorda menjar...
(Ms Est. Aguil, fol. 20
vo
b, v. 1-17).
Comme elle souffrait depuis deux ans d'un mal profond,
ans symptmes extrieurs, et que personne ne pouvait lui en
dire la cause, adressez-vous Pre March, lui dit son mari
;
il
est aussi savant qu'homme du monde et tout dispos se
rendre agrable aux dames. Pre March l'a interroge, esprant
dcouvrir ainsi la cause de son mal qu'il attribuait d'abord la
perte de quelque parent. Mais elle n'a perdu ni pre ni mre,
ni fille, ni sur. C'est donc un mal intime et pour lequel il ne
peut
y
avoir, puisqu'il s'agit d'une femme, qu'un diagnostic
et un traitement secrets, sans auscultation pralable.
La maladie dont elle est atteinte est un dsir ardent qui ne
peut tre satisfait, et ce dsir n'est autre que l'amour. Il en
rsulte une langueur et une tristesse dans lesquelles on se
complat. L'analyse de ces sentiments et surtout du plaisir
que l'on prouve souffrir de l'amour est sans originalit,
mais non sans finesse. Elle nous intresse d'autant plus chez
152 CHAP. I.

LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
le pre, qu'elle sera reprise par le fils avec une insistance qui
touche presque l'obsession :
Aytal forts dsir es Amor,
nompnar (corr. nompnat) per tt hom egalmen,
e, can lo foch d'amor se pren
a cremar no garda raso,
ne da repaus nulla saso,
tan es lo fort dsir quel ne
de posseir co que no te,
ne pot tener si com dsira.
D'aycell dsir li ve gran ira
languimen, tristor e treball,
car lo cor se fon e defall
pe 1 fort dsir qui 1 te destreg,
e no troba negun deleg
en veser, parlar, ne ausir,
mas que li plats axi languir,
penssan la nuyt, pessan lo dia,
per que pessan, languin, morria,
e'n son morts trop amans per cert.
{Ibid., fol. 21 v a ; v. 110-127).
L'esprance peut sans doute

et il le sait par lui-mme

attnuer le feu d amour ))^ mais surtout chez l'homme, car la
femme, qui il messirait de manifester son dsir, est condam-
ne brler cur et corps .

Il lui conseille donc d'avoir
bon espoir, de ne pas cesser de voir celui qu'elle aime, de lui
parler, si possible. C'est le meilleur remde, dit-il. Parlez-lui
d'amour fine pour le piquer au vif. Regardez-le amoureuse-
ment, l'il de travers et en soupirant... Dites-lui quelque chose
ou demandez-lui s'il est amoureux. Il vous rpondra sans
grande attention des paroles qvii uniront peut-tre son cur
au vtre.

Si elle ne peut pas s'entretenir avec lui, qu'elle
confie son secret quelque damoiselle (dainizella) loyale,
discrte et bonne \ Elle lui contera elle aussi ses peines, et
toutes deux trouveront dans leur compassion mvituelle une
grande consolation, Car povir celui ({ui considre bien le mal
d'amour, il devient un plaisir, s'il sait le bien prendre :
E, qui Le 1 mal d'amor cossira,
plaser es qui be 1 ne sap pendre.
(Ibid., fol. 22 b ;
v. 226-227).
LE MAL D'AMOR 153
Il rengage enfin ne pas aimer longtemps un homme, si
grand qu'il soit ,
dont elle ne saurait pas qu'il l'aime loyale-
et sans mensonge
et lui faire connatre son amour, s'il ne le
connat pas. Qu'elle le quitte promptement, lorsqu'il n'a pas
les mmes sentiments, car il n'appartient pas une femme de
requrir un homme d'amour .

Mais l'homme ne continue
aimer que s'il prouve le contentement parfait (]oy complit}
accord par Amour aux fins amants. Aussi faut-il lui faire
savoir ([ue vous l'aimez. S'il vous envoie un bel anneau pour
vous rappeler son affection, donnez-lui un ruban (cordonet)
qu'il puisse porter sur son bacinet, quand il entreprendra
quelque fait d'armes
,
e vos qu'aurets l'anell en gatge
en senyal que son cor tenets,
aytan com uos lo gardarets
no serets de mal angoxada,
pessan en aycella jornada
que vostr'amich tendrets denan,
per far co que us venra'n talan,
amorosamen e gentil.
(Ibid., fol. 22
yo
b ; v. 284-291).
C'est un conseil sincre et pur (veray e pur), conclut enfin le
pote, pour mieux caractriser le remde qu'il prconise, et il
termine en priant le Saint-Esprit de donner Madona Roger
de Castell tout ce qu'elle peut souhaiter.
Quel tait le chevalier dont cette dame s'tait prise ? Je
ne serais pas tonn que ce ft le pote lui-mme. Le cas d'une
femme amoureuse prenant conseil de celui qu'elle aime sans
qu'il s'en doute a t souvent mis la scne dans le thtre
moderne : il devait former naturellement un des chapitres de
la psychologie erotique du Moyen ge. Il nous montre de toutes
faons que l'amour potique, pour Pre March comme pour
Jacme, n'tait qu'un simple jeu de socit sans importance
auquel les maris eux-mmes se prtaient volontiers, un lgant
badinage de raffins pour qui le flirt tait devenu un art se
suffisant lui-mme.
Il faut attribuer Pre March une autre pice de no<>^es
rimades, bien (ju'elle soit sans indication d'auteur dans le
154 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV SIECLE
manuscrit
(1)
et ne soit spare de la Joyosa Garda de Jacme
March que par un signe alinaire un peu plus important que
les autres. Elle comprend quatre-vingt quatorze vers de six
syllabes^ si l'on fait entrer en ligne de compte les vers 52 et 56
qui manquent certainement et sont peut-ftre l'indice de la-
cunes plus considrables. Le titre qui lui convient est Lo
compte filial de Mossen Pre March.
En voici le dbut :
[M]oii car senyor Namfos,
er vull contar ab uos
coii fay bon seruidor,
quan ha seruit senyor,
ne tengut longamen
. per luy aur ne argen,
ne granda mesios.
E-s es ma' ntencios
de far lo comte tal
que 1 tengren per egual
lots aycells qui 1 veyran.
(Ms. Est. Aguil, fol. 19 v" 6 ;
v. 1-11).
Ce cher seigneur auquel s'adresse l'auteur ne peut tre
qu'Alphonse^ duc de Gandie^ au service duquel Pre March a
t_, comme nous l'avons vu^ pendant prs de quarante ans en
qualit de procureur. Remplac la fin de sa vie dans ses im-
portantes fonctions^ il semble en avoir prouv quelque m-
contentement. Aussi tablit-il moiti riant^ moiti srieuse-
ment^ un tat pevi potique des dpenses et des recettes ([u'il
a effectues pour son matre. Parmi ses dpenses, il place en
premire ligne le temps qu'il a consacr entirement son
matre, sans jamais vouloir accepter les offres plus avanta-
geuses qu'on lui faisait ailleurs. C'est avec lui (ju'il a fait ses
enfances (ah vos me suy crit, v.
35),
qu'il a combattu sur terre
durant toute la dernire guerre, probablement, comme nous
l'avons dit, contre Pierre le Cruel, de 1356
1365,
qu'il a tra-
vers la mer, ce qui ne lui souriait gure. Jl a employ, jusqu'au
dernier sou, plus de 900 florins l'quipement des gens de son
(1)
Ms. Est. Aguil, de Palma (fol. 19
vO-20
v).
COMPTE FiyAL DE MOSSN PERE MARCII 155
matre, car
vous voulez qu'ils aillent Ijieu habills, pour qu'ils
vous fassent honneur :
Qui uolets uostra jen
que uagen bellamen,
per que us facen honranca.
(Ibid., fol. 19
vo
b ;
V. 57-59).
Bref, s'il ne reconnat pas tous ces services, il loignera de
lui ceux qui ont commenc l'aimer du vivant mme de son
pre, et le vieux chevalier-pote lui rap'pelle malicieusement,
la fin de sa lettre, cette parole de l'infant Pierre : Ne te tiens
pas pour satisfait d'un matre qui, ds que tu l'as servi, t'ou-
blie pour un nouveau serviteur :
Ja no t pachs de senyo-
que, com l'ajes seruit,
per nouell seruidor
te meta en oblit.
(Ibid., fol. 20
vo
a ; v. 91-94).
On sait que, le 31 mars 1412, Pre March a abandonn ses
fonctions. Ce jour-l, il obtient du duc de Gandie, en rcom-
pense de ses longs services, le privilge de juridiction civile et
criminelle sur Beniarj et autres lieux
(1).
Les raisons qui jus-
tifiaient cette faveur correspondent assez la plupart de ses
griefs, si bien que la date de son placet peut tre exactement
tablie.
Ces trois pomes offrent la mme facilit un peu banale que
les Dbats et les noires rimades de Jacme March. Mais on n'y
trouve ni la mme vigueur de pense ni le mme coloris de
style. En revanche, les expressions prosaques ou triviales
y
sont moins abondantes.
Les plus remarquables de ses uvres sont certainement
parmi ses posies strophes, ou cohles. Aucune d'elles n'est,
proprement parler, une chanson d'amour. On ne saurait vi-
demment classer dans ce genre la cobla equivocada Blanxa
y
bella n'es la costa
(2)
qu'il a crite en rponse celle de Jacme
(1)
Voy. ci-dessus,
p.
41.
(2)
1 str. de 10 v. de 7 syllabes ABBABABABA, 1 tornada de 4
BABA et 1
cndrea de 4 BABA, Can. de Paris, fol. 104.
156 CHAP. I.

LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
March, Plaisanterie obscne^ amusement de rimeurs utilisant
de la pire faon leur connaissance des homonymes^ et peut-tre
aussi revanche de la chair sur des esprits qui ont trop jou
l'amour pur.
Ce n'est pas le mme reproche que l'on peut faire la pice
Dompna m platz ben arreada [i), malgr un couplet rappelant
quelque peu^ si le texte en est bien tabli^ la sensualit des
premiers troubadours. Elle nous fait connatre^ sous la forme
d'un sirvents manifestement inspir de Bertran de Born
(2)
ou du Moine de Montaudon
(3)
et peut-tre des deux la fois_,
les prfrences du pote^ ses amitis pourrait-on dire^ comme
d'autres sirvents nous rvleront ses haines.
Une autre strophe spara: Dona val tan coin de far mal
s'esta
(4),
se rapporte la femme^ mais pour en exposer^ avec
une relle concision^ les principaux devoirs. En voici les der-
niers vers :
E que be s guard de tot'avinentesa
e d'avol gest e de mal perlamen,
e tema Dieu e 1 marit examea,
e qu'en bondats pensa mais qu'en bellesa.
Quelques-unes des pices qui prcdent^ surtout le Mal
d'amor ou la chanson Dompna m platz, mritent d'tre quali-
fies d'assez gentilles choses . C'est ainsi que s'exprime
le marquis de Santillana^ dans la premire partie de son juge-
ment sui Pre March : Mosen Pero March el viejo, i^aliente
honorable cavallero,
fio assaz gentiles cosas, et il ajoute^ entre
las otras escrwi proi^erbios de grand moralidat
(5).
Ces proverbes de grande moralit se rencontrent presque
chaque vers dans toutes les autres uvres. Ce sont des sir-
vents moraux auxquels conviennent parfaitement les maximes
exprimes en peu de mots, les formules nettes et prcises
comme celles qui rsument la sagesse populaire. Nul genre ne
(1)
5 strophes de 7 vers de 7 syllabes unissonants ABABABA : Mila,
Potes lyriques cat.
p.
24 (Obras, III, 462).
(2)
Bartsch, Chr. prov., 159.
(3)
Raynouard, Choix, III, 451.
(4)
8 vers dcasyllabes ABBACDDC : Mila, Ohras, l. c, p.
23 op. cit.
(5)
Obras ciel marqus,
p. 10.
LES SIRVE>TS DE PERE MARCH 157
semble avoir eu plus de succs la Cour de Pierre IV et de ses
fils. Le Roi lui-mme en a crit plusieurs. Son fils Joan en ayant
reu un de Pre March^ en 1374^ lui rpond sur le mme ton,
fait copier les vers de notre pote et les siens et les communique
ses parents et aux crivains professionnels ou amateurs de
son entourage
(1).
C'est le cadre prfr de l'enseignement
moral auquel tous les lettrs, princes, chevaliers et bourgeois
prtendent se consacrer, ct du clerg dont ils deviennent,
certains gards, les auxiliaires. La morale ne se spare
d'ailleurs pas pour eux de la religion, et la plupart de leurs sir-
vents sont d'inspiration chrtienne ou terminent tout au
moins par des invocations Dieu ou la Vierge, conformment
l'usage de l'cole de Toulouse. Mais on
y
voit poindre dj,
sous l'influence de la philosophie ancienne mieux connue, les
premiers rayons d'une morale humaine qui se suffit elle-mme.
Cekii des sirvents de Pre March, qui a t le plus souvent
copi dans les vieux chansonniers, est une mditation sur la
mort et sur la faiblesse de l'homme qui s'ouvre par ce vers :
Al punt corn tiaix coraence de morir
(2).
Il n'y a pas dans l'an-
cienne posie catalane d'oeuvre plus acheve, o le fond et la
forme soient mieux adapts, o le retour des mmes rimes
chaque strophe contribue davantage ramener l'esprit vers
la mme pense. Pre March ne s'y perd pas dans de subtiles
analyses. Dveloppant un des lieux communs de la morale
chrtienne, il sait lui donner une forme concrte, vivante, vrai-
ment personnelle, malgr quelques ressemblances avec Gau-
celm Faidit
(3),
et en tirer des accents cjui vont au cur et
(1)
RuBi Y Lluch, op. cit.,
p.
252-254.
(2)
Croada unissonant, 8 str. de 8 v. dcasyllabes ABBACDDC, 1 tornada de
4 CDDC et 1 endreade de 4 CDDC : T. Amat, op. cit., p.
371
;
Mila, Jahrb.
/.
rom. u. engl. Lit., V, 137 (Obras, III,
318), Resenya dels ant. poet. cat.,
p.
128
[Ohras, III, 159) ;
Baselga, Cane, de Zar.,
p. 48.
(3)
Cascus hom deu conoisser et entendre
Que riguessa [Corr. riquessa), ni sens ni cortesia,
Que sia el mon, no ns pot de mort dfendre
;
Cal jorn e'om nai comensa a morir,
E qui mais viu plus poigna de fenir
;
Doncs ben es fols cel q'en sa vida s fia,
Si be s pensa de prion sa foillia
;
Car nos es tost lo gentils cors faillitz
D'una valen comtessa Biatritz.
(G. Faydit apud Rayn., Choix, IV, 56).
158 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
atteignent parfois la vraie posie. S'il veut nous montrer que
la mort est invitable et que^ quoi que nous fassions^ nous n'y
chapperons pas^ il crit ces vers clairs et Lien frapps i
Trop es cert fayt que no podem guandir
a la greu Mort e que no
y
val metgia,
fora ne giny, rictat ne senyoria,
e trop incert lo jorn que deu venir,
com, quant ne hon, que tt ernes trespassa
;
e no
y
te prou castell, mur ne fossat
;
e tan leu pren lo nici co 1 cenat,
car tots hem [corr. sem) uns e foijats d'una massa.
(Paris., B N. Esp. 225, fol. 126,v. 9-16).
Mais avec quelle vhmence di<ine d'un prdicateur popu-
laire_, avec quels traits emprunts la vie familire^ la ralit
mme la plus vulgaire^ il s'attacfiie l'indiffrence des homme&
devant la mort :
O vell pudrit, e que poras tu dir,
qui t veus naffrat tt jorn de malaltia ?
Missatge cert es que la Mort t'envia,
e tu no 1 vols entendre ne hoyr,
mas, com a porch qui jats en la gran bassa,
de fanch pudent tu t bolques en peccat,
disen, tractan, fassen tt mal barat,
ab lo cor fal e la ma trop escassa.
{Ibidem, v. 33-40).
Dans la pice ^ est
fal
de mon no l prcsi hun pugcs (i)^ le
pote exprime des ides analogues sur le danger des biens et
des joies de ce monde et sur la ncessit de jienser la mort
et notre salut. Les biens terrestres sont des instruments
dont il faut se servir^ mais qui n'ont pas de valeur pour eux-
(1)
Croada unissonant, 8 str. de 8 vers dcasyllabes ABBACDDC, 1 lornada
de 4 CDDC et 1 endrea de 4 CDDC : Baselga, oj). cit.,
p. 51.
LES SIRVENTS DE PERE MARCH
159
mmes. Ne leur accordons pas trop d'importance et rsistons
nos trois ennemis^ Satan, la chair et le monde :
Que 1 Salan vol ergull, hira, falsia,
la carn menjar e femnes e dormir,
e 1 mon tressaur e pompes e gaudir.
Parduts es l'oms qui voll seguir llur via.
Usem dels bens que Dieus nos ha comes,
entendimen, rayso c franch talan,
degudament, los mandaments guardan,
e cossagrem lo joy que ns ha permes.
(v. 21-28).
Prceptes puiss la
i)ure doctrine du Christianisme, mais
suivis un peu plus loin de quelques commentaires o l'on per-
oit comme un cho affaibli des paradoxes de la morale sto-
cienne temprs par la fameuse thorie des vrfrables :
Reys es lots homs qui per dretura s guia
e ell caytiu qui peccats vol saguir
;
e ell es richs qui domda son dsir,
e paubre ell qui sech o que volria.
Alguns diran que z eu die bell no res,
que l'aur es bos e la dignitat gran
Eu die qu'es ver als qui be n'usaran
qu'esters millor fora c'om no n'agues...
(v. 37-44).
Un tel mlange d'lments chrtiens et paens ne pouvait
qu'tre favorable la diffusion des ides morales par les potes
en langue vulgaire, surtout l'avant-veille de la Renaissance.
Dante n'en avait-il pas donn, le premier, l'exemple le plus
remarquable ?
Les trois autres sirvents se rapportent plus particulire-
ment des questions de morale sociale eL professionnelle.
Le premier, Yo m nierm'ell coin no veu qui hulls ha
(1),
est un
(1)
Croada unissonanl, 7 str. de 8 dcasyllabes ABBACDDC, 1 tornada de
4 CDDC, 1 endrea de 4 CDDC : Can. de Paris, fol. 125 ; Can. de l'Ateneu de
Barcelona, fol. 123
; Baselga. op. cit., p.
46. Nos citations sont empruntes
au Chansonnier de Paris, sauf pour le premier vers, corrig d'aprs celui de
l'Athne de Barcelone.
160 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
'(
dictt ^ suivant l'expression mme de Tauteur, o chacun
prendra ce qui rpond le mieux ses aptitudes afin de devenir
meilleur :
Prengue xascus, segons la su'abtesa,
d'aycest dictt algun milloramen.
(v. 57-58).
Il
y
numre tous les dfauts dont souffrent les hommes. Les
premiers mots de chaque strophe expriment une ide de blme^
une critique^ comme dans une des prcdentes pices ils for-
mulaient un loge. C'est un procd usit aussi chez les trou-
badours^ notamment par le Moine de Montaudon
(1).
A la
manire encore de Peire Cardenal
(2)^
il affecte de commencer
tous les vers d'une strophe par une ngative^ pour mieux en-
glober dans la mme rprobation les diverses classes de la so-
cit qu'il
y
passe en revue :
No ni'asalt d'oni qu'aja us d'elacra,
ne de senyor qu'a tort vulla 1 meu pendre,
ne d'atvocat qui tt plet vol empendre,
ne de vassall que m renye com a qua,
ne servidor altiu ab nessiesa
ne metge foll, no pratich, ni scient,
ne confessor grosser o necligen,
ne gran estt no vulles ab pobresa.
(v. 49-56).
Il indique^ avec la mme nergie de style^ dans la pice Tots
grans senyors qui be vol ai^enir
(3),
quels sont les devoirs du bon
seigneur. C'est la seule des uvres de Pre March qui soit d-
signe^ dans les manuscrits^ sous le titre de siri>entesch. Pour
cette raison et aussi cause du sujet qui
y
est trait, on peut
y
voir les vers qu'il avait composs pour l'infant Joan.
Le dernier sirvents de Pre March Cest qui so
fay
d on H
(1)
Bartsch, Chr. prov., 130.
(2)
Ibid., 170.
(3)
Croada e appariada la meytat, unionant : 7 str. de 8 dcasyllabes
ABBACCDD, 1 tornada de 4 CCDD. (Baselga, op. cil.
p. 53, 381).
LES SIRVEXTS DE PERE MARCH 161
deu seguir dan
(1)
expose ses ides sur l'organisation de la
socit. Il n'y a pas de conservateur plus attach que lui aux
institutions tablies. Il raille ces rformateurs qui^ faisant la
critique de tout ce qui existe, s'imaginent tout savoir et veulent
tout rgenter :
el pauch saben cugen rgne rgir
;
cuiar es mal, sobrecuiar salvatge.
Per foll cuiar se presa 1 pages tan
coni lo burges, e 1 nici co 1 cenat,
e z al pillart co 1 cavalier honrat,
e 1 nan petit se cuyd'estar gegan.
(v. 15-20).
De cette outrecuidance f
sobrecuiar), qui empche les
hommes de rester chacun dans sa sphre, drive le malaise so-
cial. Le monde se compose ncessairement de clercs, cheva-
liers, laboureurs, ouvriers et marchands
(2)
:
Clerchs, cavaliers, lauredors e marchan
e manestral es lo mon ordenat.
Clergues pregonper la comunitat,
e cavaliers la guardon garreian.
Lauredors fan pa, vi e companatge,
e manestrals cansen (A/s causer) per tots fornir.
Li mercader trahon e fan venir
o qu'es mester per diners e bon guatge.
(v. 25-32).
Au-dessus doit se placer un roi, duc ou potentat, bon, ferme
et juste, pourvu d'une grande autorit, et, l'ide est curieuse
et mrite d'tre signale, en lui doivent s'unir toutes les quali-
ts des avitres classes :
Rey deu baver tt bon cor de paratge,
sauber de clerch per los fayts descernir,
cos de pages per tt affany soffrir.

Ffay mal trencar 'ytal rey homenatge !


(v. 41-44).
(1)
Croada unissonant, 5 str. de 8 dcasyllabes ABBACDDC, 1 tornada de
4 CDDC : Can. de Paris, fol. 127
%
; T. Amat, op. cit., p.
372 a publi les
V. 1-8, 25-32, 41-44. Nos citations sont faites d'aprs le Chansonnier de Paris.
(2)
Cf. une page de Sidrach reproduite dans VHist. litt., XXXI, 297. On sait
que le livre de Sidrach figurait dans la bibliothque de P. March.
Am. Pages.

Auzias March.
11
162 CHAP. I. LA POSIE CATALANE AU XIV^ SIECLE
L'examen que nous venons de faire des uvres de Jacme et
de Pre March^

parmi lesquelles plusieurs taient enti-
rement inconnues jusqu' prsent

,
nous permet de mieux
nous rendre compte de la place c|ue ces deux crivains occu-
;pent dans la posie catalane du xiv^ sicle.
Le roi Pierre IV avait le got de la posie franaise et pro-
venale. Ses fils Jean et Martin^ son cousin Alphonse^ marquis
de Villena^ la cultivent aussi ou favorisent son expansion.
. Jacme March^ la Cour ou prs de la Cour, Pre March, dans
le royaume de Valence_, o il introduit un des premiers la langue
limousine, ne font que suivre leur exemple. Ils sont les ouvriers
de l'action morale que les lettrs prtendent exercer sur leur
pays. La littrature ne doit pas tre pour eux un simple passe-
temps, mais un moyen de rformer les murs. On sait que
l'empereur Auguste avait charg Virgile d'inspirer par ses vers
le retour la vie des champs et aux divinits nationales. Pour
les rois et pour les princes ou hauts barons de la Catalogne,
c'est aussi un but utilitaire que doivent se proposer les potes.
Dans leur manifeste aux pays de langue d'oc, les premiers
mainteneurs du Consistoire de Toulouse l'avaient hautement
proclam. Le Roi lui-mme se conforme ce principe et ses
successeurs ne se lassent pas de clbrer les vertus bienfai-
: sants de la science et de la gaie science.
Dans leur uvre, plus importante encore, malgr ses la-
cunes, que celle des autres potes contemporains, Jacme et
Pre March se modlent sur les gots de leurs matres et pro-
tecteurs.
La langue qu'ils emploient est encore le provenal, mais
elle tend visiblement se rapprocher du catalan. Ce sont aussi
les mtres familiers aux troubadours et surtout ceux de l'cole
toulousaine qu'ils utilisent. Mais, pour les no'.'es rimades, lors-
qu'ils applic|uent cette forme au genre narratif proprement dit,
ils subissent le plus souvent l'influence de la France du Nord,
comme dans Joyosa Garda ou dans le Mal d'amor.
Les romans de la Table Ronde ont contribu, avec les der-
nires thories des troubadours codifies par les Leys d'amors,
purer leur conception de l'amour. Mais Jacme March a plus
de penchant pour les jjroblmes curieux et compliqus de la
psychologie amoureuse. Sa dame n'a, en outre, })resque pas de
contact avec la ralit et reste le pur symbole de toutes les par-
JUGEMENT SUR JACME ET PERE MARCH 163
5(
fections. Quant Pre March^ peut-tre uniquement parce
qu'il adopte plus volontiers les formes et l'allure gnrale des
anciens troubadours, il exprime des sentiments plus naturels et
nous prsente de la femme une ide moins abstraite, soit dans
I ses noi'es du Mal d'amor, soit surtout dans sa chanson Dompna
\ m platz ben arreada.
De la posie amoureuse telle qu'ils l'entendent d'ordinaire
la posie morale et didactique, il n'y a qu'un pas. Aussi trai-
tent-ils, avec une prfrence marque et certainement moins
de banalit, les genres srieux. L encore, nous trouvons plus
t de profondeur chez Jacme March, plus de facilit chez Pre
jt
March. Tous deux sont chrtiens et s'attachent nous montrer
la faiblesse de notre nature pour mieux nous faire entrevoir
notre destine immortelle. Mais l'ide de l'humanit avec les
devoirs qui lui sont propres se prcise dj, et la posie devient
pour eux la plus accessible et la plus agrable des leons laques
de morale persohnelle ou sociale.
CHAPITRE II
LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
La littrature franaise et provenale continua se propager
en Catalogne sous les successeurs de Pierre d'Aragon. Son fils
Jean^ qui avait pous Yolande^ fille du duc de Bar^ avait
crit, avant de monter sur le trne^ non pas seulement^ comme
nous Tavons vu, des posies provenales, mais encore des
chansons en langue franaise dont il avait compos lui-mme
la musique
(1).
Devenu roi^ il conserve le got des choses de
France. Il reoit de Paris, en 1388, un office de la Vierge
Marie
(2).
L'anne suivante, Gaston Phbus, comte de Foix,
lui envoie son lire de la Chace
(3).
Il rclame son frre les
Chroniques de Bretagne
(4),
fournit des subsides Fra Joan
Roi de Corella pour prendre Paris ses grades de thologie
(5),
ou demande son beau-frre, Henri de Bar, VO^'ide moralis
de Chrtien Legouais ou Li gois
(6).
De son ct, en 1389,
sa femme se fait prter par le comte de Foix le livre trs
])eau et bon de Guillaume de Machaut
(7).
(1)
Bernt Metgc l'a reprsent, dans le Somni, entour de chiens et por-
tant une rote.
(2)
RuBi Y Lluch, op. cit., p.
354.
(3)
Ibid., p.
356.
(4)
Ibid.,
p.
373.
(5)
Ibid., p. 378.
(6)
Ibid., p.
381. Rubi
y
Lluch attribue encore, tort, cet ouvrage Phi-
lippe de Vitry. Voy. G. Paris, Lilt. franc, au moyen ge, Paris, 1888, in-S",

49.
(7)
Ibid., p. 360.
LE CONSISTOIRE DE BARCELONE 165
C'est aussi au roi Jean que l'on doit l'tablissement Bar-
celone d'un Consistoire de la Gaie Science, sur le modle de
celui de Toulouse,

et c'est une nouvelle raison, la principale
sans doute, pour laquelle il a t surnomm El amador de la
gentileza. Le document
(1)
c{ui nous apprend cette cration
nous intresse plus d'un titre. C'est une commission royale
du 20 fvrier
1393,
qui charge le chevalier Jacme March et le
citoyen de Barcelone, Lluis d'Avers, auteur, lui aussi, d'un
trait de potique intitul Torcirnany, d'organiser une acad-
mie en tenant compte, non seulement de celle de Toulouse,
mais encore des socits similaires de Paris et des autres
villes
(2),
Or l'histoire littraire ne signale l'existence Paris,
la fin du xiv sicle, d'aucune institution de ce genre ; mais
le roi d'Aragon est si bien renseign sur ce qui se passe en
France qu'il est difficile de rejeter purement et simplement
l'indication qu'il nous fournit. Il est possible qu'il
y
ait eu
Paris, avant mme la Court Amoureuse, dite de Charles VI
(3),
un groupement littraire analogue aux puis des villes du
Nord, et c'est lui que le monarque ferait allusion. On a mme
prtendu, sur la foi d'Henri de Villena, qu'il aurait envoy au
roi de France une ambassade officielle afin d'obtenir de lui que
deux des sept mainteneurs de Toulouse vinssent installer
Barcelone un Consistoire semblable au leur
(4).
Ce qu'il est plus facile de connatre avec certitude, ce sont
les motifs de cette fondation. Le Roi les expose longuement.
Reprenant quelques-unes des ides qui avaient anim les fon-
dateurs de l'Acadmie toulousaine, il fait un pangyrique de
la Gaie Science qui ne laisse pas de nous paratre un peu naf et
hyperbolique. Il
y
voit la source de toutes les vertus et de
toutes les joies pour les jeunes gens comme pour les vieillards.
Elle est le palais des murs, la compagne des vertus, la con-
servatrice de l'honntet, la gardienne et l'amie
(5)
la plus
I
(1)
T. Amat, op. cit.,
p. 59.
'
(2)
Positis, inquam, omnia alla facere que alii et Magistri aut prefecti
huic sciencie in civitatibus Parisiens! et Tolose ac aliis civitatibus et locis con-
sueverunt...
(3)
Romania, XX, 417.
(4)
Voy. sur ce point Chabaneau, dans sa note VHist. de Languedoc, X,
180.
(5)
Nous substituons arnica inimica, faute vidente du texte.
166 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
intime de la vertu . On peut l'appeler, d'un seul mot, l'Amour
(amoris vocaholi nominatione atrahirnur). Aussi espre-t-il, en
fondant une acadmie, que ses sujets nobles, chevaliers, ci-
toyens gnreux (cii'es generosi) et autres, qui se sont plu
cultiver cette science
y
feront plus de progrs pour la grande
gloire de Dieu et de la Vierge Marie. Jacme March et Lluis
d'Avers, en raison de leur talent dj prouv, sont nomms
matres et mainteneurs de la Gaie Science et autoriss clbrer
et commmorer par des posies la Vierge Marie, le jour de sa
fte du mois de mars ou le dimanche suivant. Un sceau repr-
sentant la Vierge, l'ange Gabriel et le Saint-Esprit, l'ombre
de l'tendard royal (sub nostri Regalis signi pallio), leur est
accord. Ils ont enfin le droit de juger les pomes, ouvrages
ou ditis (dictamina) qui leur sont prsents, de sceller ceux
(jui en seront dignes et de dcerner des joyaux (jocalia) aux
auteurs les plus habiles.
La premire fte n'eut lieu c[u'en 1395. Les conseillers de
Barcelone firent les frais des rcompenses distribues aux
troubadours et le Roi lui-mme, qui nomme ainsi ceux qui
y
prirent part, se dclare satisfait. Nous ne savons pas quelles
pices furent couronnes, mais, par ce que nous en dit le Roi,
il est permis de croire que la posie srieuse, dans laqvielle
Jacine et Pre March brillaient la mme heure,
y
fut large-
ment reprsente. Ce fut une belle fte, crit le Roi dans une
lettre fort curieuse, du 19 fvrier 1396, aux Conseillers de Bar-
celone
(1),
bien propre faire fuir l'oisivet et apprendre l'art
de ditier savamment et lgamment. Et il a soin de rpter
quel est, suivant lui, le but de la Gaie Science. Les hommes
instruits, dit-il, peuvent sans inconvnient la connatre,
y
prendre plaisir et souvent en tirer profit, car elle est fonde sur
la rhtorique et, par elle, intimement unie la sagesse, sinon
elle a fort peu de valeur .
Mais les magistrats de Barcelone, qui il rappelle ainsi tous
ces souvenirs et demande en mme temps qu'ils renouvellent
cette fte en 1396 et les annes suivantes, se montrent peu en-
thousiastes. Ils dcident, le 15 mars, que tant cause des
grandes et insu])portables charges qui psent sur la cit que
du peu de profit que la dite Gaie Science lui procure, les joyaux
(1)
RuBi Y Lluch, op. cit.,
p.
384.
LES ROIS JEAN I^"" ET MARTIN I^^ 167
ne seront plus donns par la ville^ mais offerts par quiconque
le voudra
(1)
. Rponse^ dirions-nous aujourd'hui, d'une mu-
nicipalit plus soucieuse d'conomies que de belle et bonne
posie.
La mort traoique du Roi, qui survint le 19 mai de la mme
anne, fit abandonner pendant quelque temps tout projet de
nouvelle fte potique. Mais Martin I*^'', qui lui succda et qu'on
a appel VHumain, probablement cause de son penchant
pour l'humanisme, s'effora de favoriser, comme son frre, le
dveloppement de la Gaie Science. Il fit, le l^^" mai 1398, ce que
la ville de Barcelone avait refus de faire : il accorda, sur son
budget ordinaire, une somme de quarante florins destins sur-
tout l'achat des joyaux d'or et d'argent ncessaires. Sa g-
nrosit n'tait subordonne qu' une seule condition, c'est
que le droit de nommer et de rvoquer les mainteneurs de la
Gaie Science (rectores et defensores ac manutenlores prefate
amen seu Gaye scientie) lui appartiendrait entirement. L'ex-
pos des motifs en latin ('2)
qui prcde l'allocation de ce crdit
invoque encore l'exemple de Paris et de Toulouse et reproduit
la plupart des considrants de Jean I^^. La posie,
y
est-il dit
tout d'abord, doit tre cultive dans un but uniquement
moral et didactique, mais on
y
remarque un argument nou-
veau, qui sera un des lieux communs de la Renaissance, c'est
que la littrature est la grande dispensatrice de la gloire. En
revanche, la formule de l'Ecole Toulousaine l'honneur de
Dieu et de la Vierge Marie en est absente. Est-ce pure con-
cidence, ou faut-il
y
voir dj un effet, peut-tre inconscient,
de la culture antique chez un homme qui, tout en conti-
nuant recueillir et l des livres de toutes sortes, mais
surtout religieux
(3),
proposait srieusement au comte d'Urgel,
non seulement de se proccuper de la sant de sa femme, mais
de prendre pour exemples d'amour conjugal Orphe et Tiberius
Gracchus
(4)
? D'autre part, sa librairie nous rvle com-
bien les ouvrages franais tenaient encore de place dans ses
(1)
Ibid.,
p. 385, note.
(2)
T. Amat, op. cit., p.
171.
(3)
RuBi Y Lluch, op. cit., p.
389-4^iG.
(4)
Ibid.,
p.
389.
168 CHAP, II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
lectures, mais, comme le dit, avec un peu d'exagration, D, Ant.
Rubi
y
Lluch, l'influence franaise jette son dernier clat,
avant de disparatre devant le nouvel astre d'Italie
(1)
.
II
Le roi Martin mourut le 31 mai 1410, et, avec lui, s'teignit
la race de ces comtes de Barcelone qui, pendant prs de deux
sicles, avaient favoris ou cultiv eux-mmes la posie vul-
gaire. Sa mort laissa la Catalogne en proie de sanglantes
rivalits ciui se prolongrent mme aprs la sentence du
28 juin
1412, par laquelle le fameux Parlement de Caspe attri-
bua la couronne d'Aragon un tranger, l'infant Fernand de
Castille, plus connu sous le nom de Fernand d'Antequera. Pen-
dant cet interrgne, les crmonies des Jeux Floraux furent
suspendues. Mais un des premiers actes du nouveau roi, avant
mme qu'il et t couronn, fut de signer, le 17 mars 1413,
une ordonnance
(2)
permettant aux mainteneurs du Consis-
toire d'organiser autant de runions qu'ils le voudraient
;
la
plus solennelle devait avoir lieu la Pentecte. Il confirmait,
en outre, l'attribution de quarante florins faite par son prd-
cesseur. Mesure politique destine sans dovite dsarmer les
rsistances que les Catalans opposaient l'lu de Caspe. Il est
vraisemblable qu'elle lui fut conseille par un homme qui a
jou un rle prpondrant dans cette restauration des Jeux
Floraux et auquel sont dus tous les renseignements qui nous
restent sur la troisime phase du Consistoire barcelonais.
Henri de Villena
(1384-1434), petit-fils d'Alphonse, marquis
de Villena et premier duc de Gandie, avait accompagn son
cousin Fernand I^'", quand il vint en Catalogne, ds l'automne
de
1412, prter serment en qualit de comte de Barcelone
(3).
C'tait un rudit et un savant qui poussait plus loin encore
(1)
Ibid.,
p. XXX.
(2)
Cancaner de Paris, Bib. Nat. de Paris, Esp. 225, fol. A.-L.
(3)
E. CoTARELo Y MoRi, Don Enrique de Villena,
p. 39, ziote.
FERNAND I^^ ET HENRI DE VILLEMA 169
que son grand-pre^ suzerain et protecteur de Pre March^ le
got des belles-lettres. F. Prez de Guzmn, son biographe^
assure qu'il comprenait plusieurs langues^ notamment le latin^
l'italien^ le limousin et le franais
(1).
Sa connaissance des
mathmatiques et des sciences naturelles fut remarquable
pour son poque^ et son penchant pour l'alchimie, l'astrologie
et la divination lui valut la rputation de sorcier et de ncro-
mancien.
En fvrier 1414, il assista, avec le marquis de Santillana, au
couronnement du roi Fernand, Saragosse. Cette crmonie
eut un clat inaccoutum. Le Roi s'y fit armer chevalier par
le second duc de Gandie, et, parmi les ftes qui furent donnes
cette occasion, la plus curieuse consista dans une pice all-
gorique, o l'on a voulu voir une des premires manifestations
de l'art dramatique en Espagne
(2).
Sur une tour tait assis
un enfant reprsentant le roi. Autour de lui se tenaient incli-
nes quatre jeunes filles symbolisant les quatre prtendants
la couronne d'Aragon, et, un peu plus loin, quatre autres jeunes
filles figuraient la Justice, la Vrit, la Paix et la Misricorde.
Chacune d'elles chanta un couplet en l'honneur du Roi.
Ces vers, aujourd'hui perdus, n'ont pas t originairement
crits en castillan
(3),
mais en catalan ou plutt en limousin .
On les a attribus tort Henri de Villena et il ne semble pas,
comme le pense de Puymaigre, qu'ils aient pu initier le marquis
de Santillana aux charmes de la iosie. Ce qui n'est pas dou-
teux, c'est cjue, sur sa demande, Henri de Villena a compos
un trait de la gaie science, son Arte de tro<^ar
(4).
Ce code potique, crit Barcelone, tait destin faire
connatre ses compatriotes de la Castille les rgles et les
(1)
lUd.,
p.
19.
(2)
De Puymaigre, La cour litlraire de Don Juan II,
p.
180. Cf. Mila y
FoiNTANALs, Obrtts, VI, 238
;
E. Cotarelo, op. cit., p.
37.
(3)
Alvar Garcia de Santa Maria, qui est l'auteur du rcit du couronnement
de Fernand insr par Jernimo de Blancas, dans ses Coronaciones de los sere-
nissimos reyes de Aragon (Zaragoza, 1641, 4), rapporte qu'il traduisit ces cou-
plets en castillan [torn en palabras castellanas). Cf. Cotarelo, l.c.
M. A. Mo-
rel-Fatio a publi le passage d'Alvar Garcia de Santa Maria dans la Roma-
nia, XXVI, 127.
(4)
Publi par D. Gregorio Mayans dans ses Origenes de la lengua espafiola, en
1737. (Voy. la
2e
dit. de Madrid, 1875, p. 269).
170 CHAP. II, LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
principes de l'art des troubadours. J'ai voulu, dit-il Don?
Inigo Lpez de Mendoza qui il le ddie_, que vous fussiez la
source o puiseraient la lumire et la science ceux qui s'intitu-
lent troubadours^ afin qu'ils le deviennent rellement. Il s'y
est inspir, suivant son propre aveu, des potiques et des
grammaires composes par les Ramon Vidal de Besal, Jofre
de Foix, Berenguer de Noya, Guillem Vedel de Mallorca. Il
y
cite encore les Leys d'amors, le Doctrinal de Ramon Cornet
avec la critique de Jean de Castellnou et il est supposer, bien
qu'il ne les mentionne pas dans les fragments qui nous restent
de son ouvrage, qu'il connaissait aussi le Libre de Concordances
de Jacme March et le Torcimany de Lluis d'Avers, Ce sont
ces traits, ces livres de l'art, comme les appelle Villena, qui,
par son intermdiaire et par celui de la Catalogne, font pn-
trer une seconde fois en Castille la littrature provenale et
rendent les potes espagnols du xv^ sicle largement tribu-
taires des troubadours.
Le but de la posie est encore pour Henri de Villena essen-
tiellement moral et il la considre comme trs utile la vie
civile, mettant fin la paresse et occupant les esprits bien ns
d'honntes investigations
(1)
;>.
Il n'est pas tonnant, ds lors, qu'il ait voulu entourer d'un
apparat extraordinaire ces concours littraires qui recommen-
crent peu aprs son arrive Barcelone, ds qu'il fut la tte-
du Consistoire. Parlant de lui-mme, tantt la premire,
tantt la troisime personne, il nous raconte dans son Arte.
le crmonial observ durant ces solennits. Le passage mri-
terait d'tre cit en entier, s'il n'tait dj bien connu et traduit
en franais par Eugne Baret
(2).
Le jour fix pour la sance du Consistoire, les mainteneurs
et les potes se runissaient au palais qu'habit_ait Henri de
Villena, et, de l, ils partaient en cortge (en corporacion),
prcds des massiers portant les livres de l'art et le registre
des uvres couronnes
(3).
Ils se rendaient la salle capitu-
(1)
Tanto es el provecho que viene desta dotrina la vida civil, quitando
occio, ocupando los generosos ingnies en tan honesta investigacion...
(2)
Les troubadours et leur influence, p.
97-102.
(3)
Il ne s'agit pas, comme le dit D. E. Cotarelo {op. cit., p. 45), du registre
des uvres prsentes au concours et des potes concurrents. La fin de notre
analyse le dmontre suffisamment.
LES JEUX FLORAUX 171i
laire du couvent des Frres Prcheurs dj prpare cet effet
et orne de tapisseries de haute lice. Sur une estrade prenait
place Henri de Villena entour droite et gauche des main-
teneurs ; leurs pieds les secrtaires du Consistoire et plus
bas les niassiers. Le sol tait couvert de tapis. Face l'estrade
tait une double range demi-circulaire de siges sur lesquels
prenaient place les troubadours, et, au milieu de la salle, sur
une espce d'autel couvert de draps d'or taient poss les libres
de l'art et la joya qu'on allait dcerner. Ce n'tait pas, comme
Toulouse, une violette, mais une couronne d'or. Il
y
avait
aussi, droite, un sige rserv pour le Roi qvii, d'ordinaire,
assistait la crmonie, au milieu d'un public nombreux.
Compos sous le roi Jean de deux mainteneurs, le Consistoire
vit augmenter ensuite le nombre de ses membres. Peut-tre
mme, un certain nmoment,
y
en eut-il sept, comme pour
l'i^-cadmie toulousaine. Mais l'poque d'Henri de Villena,
il en comptait quatre, un chevalier, un matre en thologie,
un matre s-lois, et un citoyen honor. Ils taient lus par le
collge des troubadours, mais leur lection tait soumise
:"
l'approbation du Roi.
On faisait silence et alors se levait le matre en thologie qui
prononait un discours avec texte [thema)
(1)
et citations
l'appui, faisant aussi l'loge de la Gaie Science et des sujets mis
au concours, puis il s'asseyait. Un massier invitait alors les
troubadours prsents dvelopper et publier >;
(espandiesen
i puhlicasen) leurs uvres. Chacun d'eux se levait alors et
lisait haute voix ses posies crites sur du papier damass de
diverses couleurs, avec des lettres d'or et d'argent et de belles
enluminures, le mieux que chacun pouvait. La lecture acheve,
chacun remettait son uvre au secrtaire du Consistoire.
>
Il
y
avait ensuite une runion secrte o taient examines
les uvres prsentes. Le secrtaire les relisait et chacun des
mainteneurs signalait les fautes qu'il remarquait, et on les
indiquait en marge. Le joyau tait dcern par les votes du
Consistoire celle qui tait sans fautes ou qui en avait le
moins.
(1)
On appelle ainsi le passage de l'Ecriture qu'un prdicateur prend pour
sujet de son discours.
172 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
Les mainteneurs et les potes se runissaient une seconde
fois en assemble publique suivant le mme crmonial et dans
la mme salle que la premire. L, Henri de Villena ouvrait
la sance par un loge des uvres concurrentes, s'tendant
particulirement sur la pice couronne. Un secrtaire appor-
tait alors la ioya, c'est--dire la couronne d'or, place sur un
diplme en parchemin richement enlumin, sign d'Henri de
Villena et de deux mainteneurs et scell du sceau consistorial.
Le tout tait remis au laurat avec sa composition, copie au
pralable sur le registre du Consistoire, afin tju'elle pt tre
chante et rcite en public.
Cela fait, ils retournaient au Palais en bon ordre, le pole
couronn entre deux mainteneurs. Devant lui tait un page
portant la joya et escort de trompettes et de mnestrels. Au
Palais, on lui offrait du vin et des pices, et il tait ensuite
accompagn jusqu' sa demeure. Et ainsi, ajoute \illena,
tait mise en vidence la supriorit cjue Dieu et la nature ont
donne aux esprits brillants sur les vulgaires. Et les sots ne s'y
aventuraient pas
)>
(
no se atrei'ian los ediotas).
Henri de Villena ne dut pas prsider longtemps les sances
du Consistoire ainsi rorganis, car, la mort de son protec-
teur et ami, le roi Fernand, survenue, comme on sait, le
2 avril 1416, il quitta Barcelone, renonant la vie de courtisan,
et se rfugia Valence pour s'y consacrer ses tudes. Il
y
resta jusqu' la fin de 1417 et
y
composa son second ouvrage,
Los doce trahajos de Hercules, allgorie morale en catalan, sur
les instances du c(
vertueux chevalier Mossn Pero Pardo, sei-
gneur des baronnies d'Albaida et Corbera
(1).
III
Que devint, aprs le dpart d'Henri de Villena, l'Acadmie de
Barcelone ? Aucun docviment ne nous renseigne sur son activit
durant les deux premiers tiers du rgne d'Alphonse V. Ce prince,
(1)
E. CoTARELO, (p. cit., p.
49. Cf. Morel-Fatio, Kat. LU.,
p.
125.
ALPHONSE V DARAGOX
173
qui ne parlait que le castillan, parat n'avoir rellement favoris
la posie qu' Naples o il tait entour d'une vritable cour
d'crivains. Peut-tre mme n'a-t-il pas montr pour le Con-
sistoire barcelonais la mme gnrosit que ses prdcesseurs,
car les rcompenses que mentionnent les chansonniers de Paris,
de Saragosse et de VAteneu de Barcelone
(1)
ont t toutes
offertes par des particuliers. Une pice de Lonard de Sors,
contemporain du notaire-pote Johan Fogassot, lui valut la

goya que poss


(2)
Franci Bussot, citoyen de Barcelone.
Johan Puculull composa, au plus tt en 1453, aprs la prise de
Constantinople, une uvre pour le consistoire de Mossn
Anton Captana, qui avait fait don d'une joya destine la
meilleure posie en l'honneur de la Croix et en faveur de la
croisade contre les Turcs
(3).
Johan Fogassot avait pris part
ce concours
(4),
et il obtient lui-mme, l'anne suivante, une
nouvelle joya pour une posie en l'honneur de la Vierge. C'est
une tole de soie avec un petit vase (gerilla) d'or sur lequel
un rubis tait enchss
(5).
En 1457 enfin, un prix d'ingra-
titude de l'amante )> (una joya de desconaxena de la enamorada)
est institu par En Marti Billet et gagn par le notaire Anthoni
Vallmanya
(6).
Rien ne saurait mieux que ce dernier dtail
nous clairer sur la nature des sujets imposs par les fondateurs
de prix. Les concurrents maudissent d'office la trahison de
leur bien-aime, comme ils chantent ses beauts. Il ne faut pas
s'attendre trouver de l'inspiration dans ces exercices de pure
rhtorique o ne sont exprims que des sentiments de com-
mande.
Si le roi Alphonse V n'a gure pu encourager distance ces
travaux acadmicjues, il semble qu'il en soit autrement du roi
Jean de Navarre, aprs qu'il eut t nomm lieutenant-gnral
du roi d'Aragon. C'est lui qui a d tre cjuelque peu le Mcne
des potes frquentant cette poque le Consistoire barcelo-
(1)
Pour ce dernier, voy. Rev. de bibliog. cal., I, 12-67.
(2)
Baselga, op. cit.,
p.
133.
(3)
MiLA, Resemja,
p.
176 [Ohras, III, 213) ;
la forme PuentuU est une faute
d'impression.
(4)
Rev. de bibliog. cal., I, 15.
(5)
Ibid.,
p.
16.
(6)
MiLA, Resemja,
p.
62 [Obras, III, 197).
1/4 C.H\P. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1340
nais. On peut, du moins, l'induire du rle qui lui est assign
dans une tenson entre Vallmanya et Johan Fogassot
(1). Son
fils, le fameux Don Carlos d'Aragon, prince de Viane, a pu, lui
aussi, les protger, et l'on sait combien il fut regrett par les
l^otes de son temps, notamment par Fogassot.
Enfin les solennits des Jeux Floraux ne se clbrent plus
seulement dans la salle capitulaire du monastre des Frres
Mineurs, ou dans le chur du couvent de Valldonzella, ou
dans toute autre glise : elles ont parfois un cadre plus vaste et
plus fleuri, des jardins o, comme Toulouse, l'on devise
d'amour et de religion. C'est ainsi que, d'aprs une note auto-
graphe du Canoner d'Amor
(2),
le pote Johan Fogassot mit
fin, le 20 janvier 1476, un dbat potique par un jugement
rendu ^( dans le jardin d'En Francesch Morer , C'est aussi, sans
doute, pour se conformer aux pratiques du temps, que Fra Ro-
caberti met la scne de sa Gloria d'Amor dans un jardin
d'amour qu'il dcrit comme un nouvel Eden
(3).
Les Catalans, dit Santillana
(4),
les Valenciens et aussi
quelques Aragonais furent et sont de grands matres dans cet
art
,
c'est--dire dans la Gaie Science. Pour les Catalans, les
origines et les principales phases de ce mouvement littraire
nous sont maintenant connues. Mais nous ne savons pas au
juste quel moment les Valenciens ont commenc imiter les
troubadours. R. Ferrer
y
Bign
(5)
a prtendu voir, dans le
notaire de Valence, Dionis Guiot, dont une pice est inscrite
au Canoner de Paris
(6),
un contemporain de Jacme I^"^. A cette
opinion s'oppose la forme mme des quelques strophes incom-
pltes qui nous restent de lui. Xi les estramps, ni i,"\langue nette-
ment catalane qu'il emploie ne permettent de le fiXre remonter
au-del du deuxime tiers du xv^ si^l^e. Pre ALarch nous
a paru tre, plus juste titre, un des premiers, sin-
)n le pre-
(1)
Rev.de bibl. caL, I, 21.
(2)
Fol. 248. Cf. l'Introduction notre dition crit. d'AuziAS March,
p.
11.
(3)
Cambouliu, Essai sur l'hist. de la litt. cat., p.
110.
(4)
Obras, l. c.
(5)
Esludio hisl. crit. sobre los poetas valencianos de los siglos XIII, XIV
y
XV, p. 20.
(6)
Fol. 124. jReys magniffichs, trop me par causa folla (Obra. figurativa ab
rims estrams en lahor del rey, fta per en Dionis, notari de Valencia) .
A VALENCE 175
mier reprsentant de l'cole < limousine de Valence. Dans
<'ette partie du royaume d'Aragon se fait aussi sentir^ vers la
fin du xiv^ sicle, l'influence de la littrature et des murs
franaises. On sait que le franciscain Francesch Eximeniz.
aprs s'tre fait recevoir matre en thologie par l'Universit
de Toulouse
(1)^
a habit longtemps Valence et ddi son
Cresti Alphonse^ marquis de Viliena et duc de Dnia
(2).
Bien plac^ ])ar consquent^ pour savoir ce qui se passait sur
Jes rives du Turia, il a crit un Libre de les Dones que M. A. Mo-
rel-Fatio a ingnieusement rapproch du Spill de Jacme
Koig
(3).
Parlant, au chapitre li\
,,
des murs dissolues
v;
des
femmes de son temps^ il nous montre les lgantes de l'poque
chantant tout le long du jour en franais (toi jorn ah cani
jrances), et il ajoute ce propos^ un peu plus loin^
ff^e,
sous
Robert d'Anjou^ roi de Naples, les modes franaises s'intro-
duisirent aussi dans son royaume.
-< Les dames de la Cour et de
Ja dite cit voulurent ressembler ces dames franaises qui
y
taient venues, aller en corset et serres comme elles, et danser
tout le jour et boire par les rues et aller chevauchant la ma-
nire des hommes, et embrasser et baiser les hommes devant
tout le monde et toujours, et chanter franais, de la gorge,
ainsi que le font les dames nobles de France, et parler d'amours
et d'namourements, et plaisanter avec les jeunes gens. Xul
doute qu'il n'y ait eu ce moment, Valence comme Barce-
lone, quelques-unes de ces coutumes qu'il qualifie svrement
<le dissolutions franaises -). Presque en mme temps, un va-
lencien d'origine, fra Antoni Canals, de l'ordre des Domini-
cains, traduit le Modus hene iHi^endi faussement attribu
saint Bernard et recommande, dans sa ddicace, un cham-
bellan du roi Martin, de ne lire que des livres approuvs et non
des livres frivoles, comme les fables de Lancelot et de Tristan,
ni le roman de Renard, ni les livres provoquant des dsirs
comme les livres d'amour ou les livres sur l'art d'aimer, le De
\>etula
(4)
d'Ovide, ni les livres inutiles comme les livres de
(1)
RuBi Y Lluch, op. cit., p. 246 sqq.
(2)
T. Amat, op. cit.,
p. 675.
(3)
Rapport sur une mission philologique Valence,
p.
65.
('i) Pome latin de Richard de Fournival, mis sous le nom d'Ovide. Voir Hist.
Litl., XXIX, 456.
176 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
fables et de rondes^ mais des livres dvots, livres de la foi
chrtienne . Il demande enfin que sa traduction soit commu-
nique aux dames de la dite Cour, spcialement aux damoi-
selles, car elles
y
trouveront une matire pleine de toute pure
honntet (car aqui trobaran materia plena de tota pura ho-
nestai)
(1).
Une des premires chansons d'Auzias March
(2)
nous fait
entrevoir l'existence Valence ou dans ses environs, au com-
mencement du xv^ sicle, de ftes potiques o nous reconnais-
sons encore, comme Barcelone, quelques-uns des usages de
la France du Nord et du Midi. C'est ce qu'il appelle les jar-
dins dlitables . Si l'on rapproche de cette expression celle de
jardin de plaisance qu'un auteur anonyme a donne pour
titre un recueil de posies franaises du xv^ sicle
(3),
on peut
se les imaginer comme des runions sur des places publiques
ou dans des jardins et consacres au rcit des grandes gestes,
comme le dit Auzias March lui-mme, ou des lectures po-
tiques. On s'y livrait aussi sans doute ces amusements de
socit drivs de la tenson provenale et qui ont donn nais-
sance la croyance aux cours d'amour
(4).
C'est une dispute
potique de ce genre, ayant eu pour thtre un jardin particu-
lier, que nous avons releve, vers la fin du xv^ sicle, dans les
annales du Consistoire barcelonais. Auzias March s'tait dj
complu, vers la fin de sa vie, ce petit jeu des demandes et
des rponses potiques sur des questions d'amour, et, suivant
l'exemple d'Alinor d'Aquitaine et d'Ermengart de Narbonne,
de grandes dames
y
prirent part avec lui. Na Tecla de Borja, nice
dupapeCalixte III, qui Auzias partit un jeu , a pu prsider de
semblables tournois. Pevit-tre mme une autre potesse, Isabel
Suaris, qui a chang des lettres d'amour avec Mossn Fenollar,
et qu'a chante Simon Pastor, un des auteurs du Canoner
(1)
Documentos ind. del Arch. gen. de Aragon, XIII, 420.
(2)
XIII,
2-4.
(3)
Le Jardin de Plaisance et Fleur de Rethorique, reproduction en fac-simil
de l'd. publie par Ant. Vrard vers 1501 (Socil des anciens textes). Paris,
1910, in-40.
(4)
Voy. G. Paris, Les Cours d'amour du Moyen ge [Journal des sai'ants,
1888, 664-G75, 727-736).
LES CONCOURS DE VALENCE 177
d'amor
(1),
a-t-elle t connue d'Auzias March. Le nom de Suaris
parait avoir t, en effet, pour lui
(2),
comme pour Fenollar
(3),
l'occasion d'un mauvais jeu de mots.
A ct de ces sances, il
y
avait encore des runions plus fa-
milires, que Mil a compares aux modernes tertulias,et o,
Suivant Jacme Roig, qui en fait une description plaisante
(4),
aprs diverses facties, on causait des philosophies du grand
Platon, de Tullius, de Caton, de Dante, de posies et de tra-
gdies .
Enfin, s'il ne s'est pas tabli Valence de Consistoire propre-
ment dit, d'Acadmie semblable celle de Barcelone, des con-
cours potiques
y
ont t organiss, avec plus de succs peut-tre,
ds la premire moiti du x'' sicle. C"'est ainsi qu'un manus-
crit de la Bibliothque de Marseille nous a gard une chanson
indite
(5)
sur l'Immacule Conception pour laquelle un na-
Varrais, Francesch de Mescua, reut une pe dans le chapitre
de la Seu de Valence, en l'anne 1440, au moment o Auzias
March crit ses premires chansons. A la mme poque pa-
raissent se rapporter les Colles ^eles per lo preciors cors de Jhesu
Xrist per alguns homens de Valencia
(6)
du manuscrit de Car-
pentras.
Il
y
a donc eu Valence, dans la deuxime partie de la vie
d'Auzias March, des runions semi-littraires, semi-religieuses,
o quelques chevaliers, mais surtout des bourgeois, notaires
(1)
Fol. 235. Segiu, segiu, aventurs gentils (En lehor de Na Isabel Suaris).
Il
y
dit d'elle :
la donzella Suaris
actoritzant los savis documents,
judicis grans e subtils arguments
qu'ella sab fer als disputants contraris.
(v. 21-24)
(2)
CXXII, 8.
(3)
Valence, Bib. univ.
y
prov. Ms n 92-6-7. Voy. notre description du ms.
G dans l'Introd. l'd. crit. d'Auzias March,
pp.
36-37.
(4)
Spill, 2818-2880.
(5)
Fermant los ulls ait en l'atnor eterna, 5 str. de 8 v. et 1 tornada de 4 (Bib.
de Marseille, Ms. 1095, p. 186).
(6)
La premire Actor de patz tt lausor e honor est compose de strophes
unissonants ABBACCDD. Voy. Lambert, Catalogue des manuscrits de la bi-
bliothque de Carpentras, Carpentras, 1862, in-8, I, 207, et Cambouliu, Essai
sur l'histoire de la litt. catalane, p. 42.
Am. PA(;iS.

Auzia.s March.
12
178 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
OU prtres povir la plupart, cultivent la posie, recherchant
la fois la gloire littraire et les bndictions du Ciel. Tantt ils
continuent l'ancienne chanson d'amour ou traitent doctement,,
et quelquefois lourdement, des subtilits de la science amou-
reuse. Tantt ils chantent les louanges de Dieu, de la Vierge et
des Saints ou discutent en vers des problmes thologiques.
C'est ce dernier genre qui l'emporte dfinitivement durant
tovite la fin du xv^ sicle dans tous les concours potiques qui
ont lieu Valence. La posie acadmique
y
est exclusivement
religieuse. Alors se rvle, pour la premire fois, un vritable
groupement de potes valenciens assez fortement constitu
en face de celui de Barcelone. Les Catalans rpondent d'ailleurs
aux cartels des Valenciens et les Valenciens ceux des Cata-
lans. Les deux provinces n'en forment plus qu'une au point de
vue littraire, mais avec deux centres potiques diffrents et
autonomes.
*
IV
Il n'y a pas de recueil officiel des uvres des potes ayant
pris part aux concours de l'Acadmie de Barcelone ou en ayant
subi directement ou indirectement l'influence. Le Canoner
d'amor de Paris, ceux de Saragosse et de l'Institut d'Estudis
Catalans proviennent d'amateurs qui
y
ont insr sans ordre
chronologique les pices, couronnes ou non, qui rpondaient
leurs gots. Quelque difficile qu'il soit, dans ces conditions,
de savoir quelle poque ils ont crit, autrement que par des
documents d'archives, il convient d'indiquer ceux de ces cri-
vains qui, en dehors de Jacme et de Pre March, ses anctres
lgitimes et ses modles pour ainsi dire ncessaires, ont prcd
Auzias March et agi plus ou moins certainement sur son esprit.
Citons en premire ligne les potes qui, d'aprs les uvres
parvenues jusqu' nous, paraissent tre rests fidles aux for-
mules du code des Leys d'amors ou de ses drivs catalans.
Tous, se conformant la tradition inaugure par le roi Pierre IV
et les potes de son entourage, cultivent de prfrence le sirven-
ts, sous ses diverses formes. 11 ne nous reste de Berenguer de
PRINCIPAUX POTES 179"
Vilarao'ut^ de Mossn Proxida et du Mercader Mallorqui
que
quelques vers contre les femmes cits par Francesch Ferrer,
dans sa compilation du Conort
(1).
L'unique pice de Pre de
Queralt est un maldit contre une femme qu'il appelle Na Fal
Amor et qui il signifie un cong outrageant
(2).
Auzias March
semble avoir connu ces strophes o percent l'irritation et la
jalousie
(3).
Un autre sirvents, attribu Arnau d'Erill et
imit de Guillem de Bergad_, prend partie^ dans des cou-
plets virulents commenant tous par tu traidor, Ramon Roger-
d'Erill, son neveu, qu'il accuse d'avoir mis mal une de ses
filles, religieuse du monastre d'Alguayre
(4).
C'est encore le-
mme genre que traite Pre Galvany dans ses deux strophes
sur le schisme d'Occident
(5).
Ramon avall
(6)
et Trasfort
(7)
dplorent, comme l'avaient fait les anciens troubadours, la-
corruption des diverses classes de la socit et les vices de leur
temps. Enfin le frre Anselm Turmeda excelle, peu prs la
mme poque, clans la posie morale et didactique, et, en 1398,.
crit en catalan et non en latin son Hihre de bons amonestor-
ments (S) :
E no l'he dictt en lati,
Per que lo vell e lo fadr,
E l'estranger e lo cosi
Entendre 1 puguen.
La Vierge Marie n'est gure qu'invoque par ces trois der-
(1)
T. Amat, op. cit.,
p.
229
;
cf. Mila, Obras, III, 332.
(2)
Canoner de Paris, fol. 111
vo.
Sens pus tardar me ve de vos partir, croada
capcaudada, 5 str. de 8 v., 1 tornada de 4.

Mossn P. de Queralt tait un
contemporain du roi Martin. Voir Epistolari del Rey En Marti d'Arag dans
la Revista de la Asociacin artistico-arqueolgica
Barcelonesa
, n 60,
pp.
192, 196.
(3)
Comp. la pice XLII de notre dition.
(4)
Baselga, op. cit., p.
237. Cf. Mila, Obras, III, 336.
(5)
Baselga,
p.
234
;
cf. Mila, l. c, 354.
(6)
Baselga,
p.
234-236
;
Mila, /. c, \12
;
355-356. La pice de R. avall est
suivie d'une strophe avec rponse commenant par ces vers Vostredona's abla-
liva
I
Qui us
fa
esser vocatiu... o l'on reconnat aisment un exercice scolaire
familier aux troubadours.
(7j
Can. de Paris, fol.132 v. Gran carrech han vuy tuyt loni de peratge, croada
unissonant, 5 str. de 8 vers, 1 tornada de 4. Cf. T. Amat.,
p. 631.
(8)
Gallardo, Ensayo, IV, 818. Cf. Mila, l. c, 328-330.
180 CHAP. II. LA POSIE CATALAME DE 1393 A 1430
niers potes. Elle tient plus de place chez fra Bacet et Gabriel
Ferruix. Le premier a mrit d'tre cit par le misogyne
Fr. Ferrer, le second a compos une complainte sur la mort du
roi Fernand d'Antequera
(1)
;
mais ils ont surtout chant
iVotre-Dame, l'un dans une dana
(2),
l'autre dans la pice
Sancta dels sants cjui lui valut la joya
(3).
L'amour profane leur
fournit aussi la matire de c|uelques chansons, mais en trs
petit nombre, parmi lesquelles on peut signaler une Requesta
d'amor tensonada
(4)
de G. Ferruix qui le fit couronner une
autrefois.
De ces deux auteurs il faut rapprocher Arnau March. A peu
prs contemporain de Gabriel Ferruix, puisqu'il a vcu, si l'on
en croit la razo d'une de ses pices
(5),
sous le roi Martin, et, en
tout cas, dans d'entourage de sa femme, la reine Marguerite,
qui a protg les lettres, mme aprs la mort de son mari, il a
crit, lui aussi, une de ses plus belles posies en l'honneur de
Notre-Dame. Plus g
qu'Auzias March et vraisemblablement
son cousin
(6),
il mrite, ee double titre, d'tre tudi de prs.
Il ne nous reste de lui que trois pices compltes et une frag-
mentaire. Deux
appartiennent nettement la posie reli-
gieuse, les autres la posie amoureuse. Encore faut-il ajouter
qu'une de ces dernires, la plus importante, est, comme nous
le verrons, plus philosophique et morale qu'erotique.
La chanson de Notre-Dame: Qui pora dir lo misteri ten nlt{l)
est une glose potique de l'vangile de l'Annonciation. Elle dut
tre compose l'occasion de cette fte qui se clbre le 25 mars
et avec laquelle les premiers mainteneui-s de Barcelone avaient
fait concider leurs assises solennelles. Chaque dizain
y
est
suivi du verset comment. Un peu obscure parfois, elle nous
prsente, vers la fin, un gracieux portrait de la Vierge, rpon-
dant l'ange Gabriel,
Ab cara humil, plassent e agradossa,
L
(1)
MiLA, Pot. hjr. caL, p.
10
;
Obras, III, 448.
^
(2)
Ibid., p.
19
;

p.
458.
(3)
Ibid., p.
10
;

p.
448.
I
(4)
Rei'. de Bibliog. cat., I, 44
;
Mila,
p.
10
;

p.
448.
(5)
Mila, Obras, III, 334.
(6)
Voyez ci-dessus, p.
49-50.
(7)
Baselga, op. cit., p.
19.
ARXAU MARCH
181
malheureusement suivi d'un jeu de mots qui nous choque :
De cors de cor, de boca per so dir :
Ecce ancilla Domini
;
jiat mihi secundum verhum tuum.
Le vers de la natU'itat de J.-C, suivant l'vanoile de saint
Jean^ qui commence par Un novell frui/t exit de la rebaa
(1)
et
comprend douze huitains^ une tornada et une endre^a^ ne res-
semble aucunement aux Nols populaires. 11 n'y a pas de posie
plus savante. La thologie la plus abstruse s'y donne libre car-
rire et
y
prend pour auxiliaire la philosophie d'Aristote,
comme en tmoignent ces vers o il dfinit Dieu :
Un pensament concebut acabat,
Acte perfet, eternal, insensible.
C'est assurment un avant-got de ce que nous offrira bien-
tt la Muse scolastique d'Auzias Mardi.
Dans le septain^ que nous a conserv la codolada de Pre
Torroella
(2),
nous rencontrons le couplet^ obligatoire chez les
potes de l'potjue^ sur le vasselage amoureux. Plus intres-
sante pour nous est sa Cano d'amor tenonada
, bien
qu'il
y
mette aux prises deux abstractions^ l'Entendeinent
(lo seny) et le Cur. L'Entendement reproche au Cur son
orgueil qui le pousse rechercher les honneurs (grans estais)
o il n'a trouv que tristesse et envie. Le Cur rpond qu'il
espre malgr tout et cju'il vaut mieux jouir d'un peu de bonheur
(henanana) que passer sa vie dans la vulgarit. Quelque
grandes souffrances qu'il doive en rsulter pour lui_, il s'engagera
dans l'amour des dames cjui a t, pour tant de hros, la source
de la gloire : Bni soit, ajoute-t-il, l'orgueil qui fit valoir Tris-
tan, Lancelot, le roi Alexandre, et aussi le haut prince Galeot,
Palamde
(3),
Brunehort
(4)
et Agravain
(5),
Agamemnon qui
(1)
Ibid.,
p. 322.
(2)
Ibid.,
p.
187.
(3)
G. Paris, op. cit.,

63.
(4)
Personnage du roman de la Table Ronde Claris et Laris. Cf. ///.s7. liiL,
XXX, 127.
(5)
P. Paris, Les Romans de la Table Ronde, III, 316
;
Hist. litt., XXX, 72,
89, 266.
182 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
commanda les Grecs et conquit tous les grands Troyens. Si
donc^ l'orgueil me fait valoir grce aux dames^il
y
en a eu beau-
^coup d'autres avant moi !
Be hag' erguU qui fech valer Tristany,
e Lanalot, e 1 rey Alaxandri,
de Galeot fait princep atrasi,
Palomides, Brunor e-s Agrauany,
Agamanon fonch dels Grechs capita,
conqueridor de tots los grans Troyans.
Si donchs ergull, migencant dones, fa
valer a me, molts d'altres son abans !
(Paris, B. N. Esp. 225
;
v. 49-56).
Ce dbat^ dont la sentence a t omise sur l'ordre de la reine
Marguerite
(-J-
1422)^
permet de classer Arnau March parmi les
potes moralistes qui ont prcd Auzias. Elle est remarquable
aussi par ses allusions aux romans franais et dnote la faveur
dont ils jouissaient encore^ au dbut du xv sicle^ auprs des
Catalans et des Valenciens.
Mil
(1)
rapporte la mme poque le Testameut d'En Bernt
Serradell de Vich, o est mentionn, ct de Tristan et de
Lancelot, un Gobernal qu'il faut identifier sans doute avec
Guvernal ou Governal^ un autre hros de la Table Ronde
(2).
Des romans bretons procdent aussi les Retgles d'amor, en
prose, que Ton a attribues Domingo Masc, jur de Valence
et vice-chancelier ou chancelier des rois Jean I^'^ et Martin I^^(3).
Ce n'est, en ralit, qu'un fragment de traduction
(4)
du livre
(1)
Obras, III, 352.

La date exacte est 1419. Le texte a t publi par
M. Aguilq, Canoner de les obretes en nostra lengua materna mes divulgades
durant los segles XIV, XV e XVI, Barcelona,1873,
in-4o.
(2)
De Lanalot ni Gobernal, Mai s'es legit... C'est un cuyer de Tristan.
Voy. Le Roman de Tristan par Thomas,
p.p.
J. Bdier, [Socit des Anciens
textes
franais, 1902), in-8, vers 2132 et
p. 34, 35. Cf. La folie Tristan de
Berne,
p.p.
J. Bdier (mme collection, 1907). v. 455 et 459.
(3)
Ferrer y Bign, op. cit., 27
; Mass Torrents, Manuscritos Cat. de la
Bib. de S. M.,
p. 36 ; Morel-Fatio, Kat. Lit., p.
110.
('i) Voici, d'aprs le manuscrit 2. Ll. I de la Bib. du roi d'Espagne Madrid,
fol. 46 v**, les premires lignes de cet ouvrage : De les retgles d'amor.

Ara
vengam a les retgles d'amor. Galter, yo m esforare quet mostre les retgles
d'amor ab gran breuitat, les quais lo rey d'amor, ab la sua propria bocha, dix
encara, don aquelles par escrit a tots amants. Car hun cavalier de Bretanya
INFLUENCE DE LA FRANCE 183
d'Andr le Chapelain^ De arte honesle ainandi, qui contient,
comme Ta dit Gaston Paris
(1),
Je code le plus complet de
Tamour courtois tel qu'on le voit en action dans les romans
de la Table Ronde y). Plusieurs crivains eatalans, et, en parti-,
culier, Auzias March
y
ont puis, comme ncus le verrons,
quelques-unes de leurs ides sur l'amour. Signalons enfin,
comme appartenant la mme zone d'influence
,
le Testament
d'amor, crit aussi en prose par un anonyme, vers la fin du
xv sicle, en lo castell de la Perillosa Guarda
(2)
.
Mais, ds cette poque, quelques crivains songent se lib-
rer de rnorme tribut que la littrature catalane paie depms
longtemps la France. L'auteur de la nouvelle de Frrc-de-
Joie
(3)
refuse de parler franais, quelque belle langue c{ue ce
soit. Bernt Metge, de son ct, abandonne, on l'a vu, les mtres
subtils et complic[us des troubadours pour le genre plus facile,
mais plus prosaque, des noves rimades. Mais Tun et l'autre em-
ploient encore des formes limousines . D'autres, au contraire,
prtendant ne rien entendre l'art de trouver , comme le
pote des Cobles de la divisi del rgne de MaUorca
(4),
se rsi-
gnent n'crire que des couplets grossiers en parler catalan

(algunas copias grosseras en parlar catal), ou, s'ils sont ins-
truits dans la potique provenale, au point cju'ils en devien-
nent les interprtes, comme Llus d'Avers
(5),
ils revendiquent
le droit de le faire en catalan et s'crient firement : Puisque
denientre que ell anas a veure tt sol la selua del rey Artus, e com fos entrt
dins la selua, huna joue fembra, la quai era plena de marauellosa bellesa e
caualchas hun marauellos cauall tota en cabells va exir a carrera a aquell ca-
valier. La quai lo caualler salud encontinent e ella respos-li ab cortesa pa-
Taula... Il est facile de reconnatre dans ce passage le chap. VIII d'Andr
le Chapelain : De regulis amoris.

Nunc ad amoris rgulas accedamus.
Rgulas auiem amoris sub multa tibis, Gualteri, conabor ostendere brevitate,
quas ipse rex amoris are proprio dicitur protulisse et cas scriptas cunctis aman-
tibus direxisse. Nom quidam Britanniae miles dum solus causa videndi Ar-
turum silvam regiam -peragraret... (Andreae Capcllani regii Francorum de
Amore, d. E. Trojel,
p. 295).
(1)
G. Paris, op. cit.,

104.
(2)
Boletin de la Sociedad Arqueolgica Luliana, III, Sept. 1890, p.
289-296.
(3)
Romania, XIII, 275.
(4)
MiLA, Obras, III, 328.
L encore (str. 18 et 19)
se trouvent des
souvenirs du roi Artus et du Roman de Troie.
(5)
Ibid., 295.
184 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
je suis catalan^ je ne dois pas me servir d'une autre langue que
le catalan (car pus jo son catal, no m dech servir d'altra len-
guatje, sin del meu) !

Initiatives gnreuses, mais qui ne trouvent encore que peu


d'imitateurs. Les premiers potes du xv^ sicle restent les
esclaves d'une mode plusieurs fois sculaire. Leur langue est
essentiellement provenale^ quelque grandissant qu'y soit le
nombre des catalanismes, et ils se conforment toujours^ pour
les genres et les mtres^ aux prceptes de l'Ecole Toulousaine.
Ils ne font exception que pour une forme nouvelle_, celle de la
ballade
(1),
mais sous l'influence des potes franais, Guillaume
de Machaut et Oton de Granson, et du recueil des Cent bal-
lades
(2).
Andreu Febrer
(3)
et Luis de Yilarasa
(4)
nous en
ont laiss quelques spcimens d'une bonne facture, clairs et
sobres, o manciue malheureusement toute spontanit.
Mais la ballade n'tait pas faite pour retenir longtemps l'es-
prit d'un peuple peu enclin la frivolit. L'attention des Cata-
lans ne tarde pas se tourner vers d'avitres rgions (|ue la
France. De l'Est, c'est--dire de l'Italie, affluent de nouveaux
rayons de lumire qui vont rajeunir les vieux thmes dfrachis
et font entrevoir en mme temps aux intelligences avides de
science les trsors jusque-l ignors de l'antiquit classic^ue.
(1)
Le planh provenal, plant en Catalogne, devient aussi la complania, par
imitation de la complainte des potes franais, surtout d'Oton de Granson
(cf. Romania, XIX, 403-448)
;
mais le changement ne porte, proj^rement
parler, que sur le titre du genre (T. Amat,
p. 629
;
Mila, Obras, III, 448, 450,
453).
(2)
Le chansonnier B dcrit par Mil {Pot. lyr., 10
; Obras, III, 449), ren-
ferme 22 pices franaises dont plusieurs ballades de Machaut et de Granson
et une franaise, aussi, de Mossn Jachm Scriva : Hoies, oies', mon cuer, ce que
vueil dire. Pre Torroella cite aussi, dans sa compilation Tant mon voler, un
couplet de Xartier (Alain Chartier) dont la Belle dame sans merci sera traduite
en catalan par Francesch Oliver, Mexaut et Miser Oto (Baselga, op. cit., 185,
188, 196). On sait aussi combien ces trois auteurs taient apprcis par le
marquis de Santillana.
(3)
Mila, Pot. lijr., 7 [Ohras, III, 445).
(4)
T. Amat, op. cit., 666.Les cinq ballades du Canoner de Paris (fol. 136 v-
138 v) sont sans envoi [tornada], comme celles de Machaut et composes seu-
lement de trois huitains.
INFLUENCE DE L ITALIE 185
Dante^ Ptrarque et Boccace^ cette admirable trinit litt-
raire, sont d'autant mieux accueillis en Catalogne et Valence
qu'ils ont subi eux-mmes l'ascendant de la Provence et conti-
nuent encore, en un sens, la tradition des troubadours. Ils
rpondent avissi aux proccupations morales des crivains de
ces pays et leur apparaissent tout d'abord, non pas tant comme
des potes ou des lettrs, que comme des philosophes et des
moralistes c|u'ils admirent pour l'lvation de leurs penses
(1),
Sans cloute saint Vicent Ferrer blme ceux qui prfrent Vir-
gile, Ovide et Dante la Bible
(2)
;
mais cela mme prouve la
haute estime que l'on a dj cette poque pour le pote floren-
tin. M. Farinelli
(3)
croit percevoir un cho de son Nessun
jnaggior chlore dans un passage du Libre de Fortuna de Bernt
Metge
(4),
crit en 1381. Mais peut-tre n'est-ce, aprs tout, que
le simple commentaire d'une pense commune Boce et
saint Thomas et d'o est sortie transfigure la sentence mme
de Dante. Il est, au contraire, incontestable c[ue Bernt Metge
a compos peu aprs la mort de Jean I^^ (13!)6) le Sommi, o,,
sous prtexte de rsoudre le problme de l'immortalit de
l'me, il reprend le Songe de Scipion, dcrit l'Enfer de Virgile
avec des rminiscences dantesques et reproduit ensuite servile-
ment la diatribe du Corbaccio de Boccace contre lesfemmes(5).De
Ptrarque, il traduit Grislidis et dclare, dans sa lettre prface
Madona Ysabel de Guimera, qu'il a pour ses uvres une
singvdire affection
(6).
Le dominicain de Valence, Antoni
(1)
C'est aussi l'avis de M. A Farinelli, dans ses substantielles tudes Dante
in Ispagna nell'et mdia, p. 2, 23, 34
;
Sulla fortuna del Petrarca in Ispagna,
p.
8
;
Note sulla fortuna del Corbaccio nella Spagna mdivale,
p.
1.
(2)
R. Chabas, Esludio sobre los sermones Valencianos de San Vicente Ferrer,
dans Rev. de Arch., Bihl.
y
Mus., t. VII, 1902, p.
135.
(3)
Dante in Ispagna,
p.
31.
(4)
MiLA, Ohras, III, 386.
(5)
A. Farinelli, Dante in Espagna,
p.
26
; Sulla fortuna del a Corbaccio ,
pp.
6-11.
(6)
Hisioria de Valter e de la pacient Griselda escrila en llati per Francesch
Petrarcha e arromanada per Bernai Metge, Barcelona, 1883, in-4, p.
2.
186 CHAP. II. LA POSIE CATALAr^E BE 1393 A 1340
Canals^ imite encore son pome latin Africa dans le Rahona-
ment jet entre Scipi Afric e Anibal
(1)
et ddie son ouvrage
Don Alfonso d'Araoon_, duc de Gandie^ c'est--dire^ trs pro-
bablement, au protecteur mme de Pre March et d'autres
lettrs du temps.
Le roi Martin aime aussi la littrature italienne. Les Corts de
Catalogne^ c[ui le savent, invocjuent parfois l'autorit de P-
trarque en matire de politique et citent, dans un mmoire
qu'elles prsentent, le 45 avril 1405, une de ses penses sur le
devoir des rois
(2).
Son livre prfr semble cependant tre la
D'inn Comdie et il se plat en vocjuer certains passages,
comme la fable de la Sibylle qu'il rappelle, non sans quelque
malice, dans une lettre du 20 fvrier 1408, au gouverneur gn-
ral de la Catalogne, Mossn Guerau Alemany de Cervello
(3).
Le premier pote catalan chez qui nous trouvons une trace
certaine des Rime de Ptrarque est Lorenz Mallol. Nous avons
de lui une chanson religieuse, Sobre l pus ait de tots los cims d'un
arbre, adresse aux sept seigneurs du Consistoire . Mil
(4)
et Chabaneau
(5)
sont d'accord pour dclarer qu'il ne peut tre
cjuestion du Consistoire de Barcelone, puisque, d'aprs Villena,
il ne comptait que quatre mainteneurs. Il ne s'agirait donc
que du Consistoire de Toulouse, et Chabaneau en conclut que
la pice a t crite vers 1350. Mais d'abord Villena n'crivait
qu'en 1417, c'est--dire vingt ans aprs la fondation du Consis-
toire barcelonais, et il est possible que son organisation ait t,
ses dbuts, semblable celle de Toulouse. Au surplus, on ne
voit pas pourquoi cette posie, mme si elle s'adresse aux main-
teneurs de Toulouse, daterait de 1350 et non pas, ce qui nous
parat plus probable, de la veille mme de l'oviverture des Jeux
Floraux de Barcelone, c'est--dire de 1391, comme le pense
finalement Mil lui-mme.
C'est aussi, suivant novis, dans les dernires annes du
xiv^ sicle, que doit se placer l'imitation incontestable que
Lorenz Mallol nous a laisse de la canzone de Ptrarque S'il
(1)
A. Morel-Fatio, Kat. Lit., 125.
(2)
MiLA, Obras, III, 501.
(3)
RuBi Y Lluch, op. cit., 442.
(4),
Obras, III, 161, 323,, 501.
,(5)
Hisi. de Lang^ X, 207.
JORDI DE SE>'T JORDI, AN'DREU FEBRER 187
dissi mai. Son escondit Molt de vetz dompna m suij presentatz
(1
)
ne saurait gure remonter plus haut, si l'on songe que Ptrarque
n'est mort qu'en 1374 et que ses posies en langue vulgaire ne
se sont pas rpandues de son vivant.
I Deux autres potes catalans ont fait de plus larges emprunts
alla posie italienne. Ce sont Jordi de Sent Jordi et Andreu
Febrer. L'un appartenait la maison du roi Alphonse V d'Ara-
gon en 1416 et 1417 et tait dj mort en 1454
(2)^
au moment
o Santillana crit sa Lettre au conntable de Portugal
;
l'autre achevait sa traduction de la Dudne Comdie, en 1428,
une poque o Auzias March commenait peine rimer
(3).
Tout porte donc croire qu'ils taient plus gs que lui, et
cependant ces trois chevaliers ont eu en partie la mme des-
tine. Attachs la personne d'Alphonse
\,
le premier^ en
qualit de chambrier, le second d'algutzir, le troisime de vassal
et de grand fauconnier^ quand le Roi eut recueilli le fief de
Gandie, la mort du second duc^ ils ont pris part la premire
expdition d'Alphonse V en Sardaigne et en Corse^ en l'an-
ne 1420
(4).
On peut donc admettre que des relations se sont
tablies entre eux^ soit la Cour du Roi^ soit dans les cam-
pagnes qu'il a entreprises contre les Gnois^ ou peut-tre mme
en Italie.
Jordi et Febrer n'ont pas t seulement de vrais compagnons
d'armes, ils ont eu aussi les mmes gots littraires. Tous les
deux continuent frquenter les troubadours et ils ne conoi-
vent gure d'autre forme artistique que la leur pour exprimer
les sentiments les plus tendres et les affections les plus vives.
Aussi gardent-ils encore dans leurs posies la langue et les pro-
cds potiques de la Provence. L'un d'entre eux, Andreu Fe-
brer, trouve cependant quelque charme, nous l'avons vu, la
ballade et lit encore les romans franais. A son avis, la Cour de
(1)
T. Amat, p. 359.
(2)
Mass Torrents, Obres potiques de Jordi de Sant Jordi, p.
vi-ix.
(3)
C. Vidal y Valenciano, La Comedia de Dant Allighier {de Florena],
tratislatada de rims vulgars toscans en rims i>ulgars cathalans, per N'Andreu
Jebrer, Barcelona, 1878, in-8*'.
(4)
Rev. de bibliog. cat., I, 136. Voy. < i-dessus, p.
66.
188 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
son protecteur, le comte de Cardona, ressemble celle du roi
Artus et la comtesse, sa femme, vaut mieux qu'Iseult :
Val mays qu'Isolt ne Serena la blancha
(1).
Jordi de Sent Jordi imite, lui aussi, traduit mme les trou-
badours. On a remarc[u que ses Enuigs sont inspirs du Moine
de Montaudon
(2).
Il en est de mme, suivant nous, de la
Kspara No m'agratd'hom{3),et,ce qui est plus inattendu, une
de ses strophes, celle que lui attribue Pre Torroella, James gua-
sany tant en re, n'est qu'une simple version catalane de Peire
Cardenal
(4).
Mais l'Italie exerce sur ces deux auteurs un irrsistible
attrait, et, dans leurs posies conformes aux Leys d'aniors, ils
enchssent peut-tre leur insu quelques ides de Dante
ou quelques vers de Ptrarque. Le sens profondment moral
de la Divine Comdie, les penses religieuses, politiques et phi-
losophiques dont elle est seme, tout contribuait en faire
pour les lettrs du Moyen ge une uvre utile rpandre. De
l ride cju'eut Andreu Febrer de traduire pour les catalans
cette profonde allgorie, dj gote la Cour, et o, suivant
ses propres expressions, Dante traite de la peine et punition
des vices, de leur purification
(
purgaci) et pnitence, des m-
rites et des rcompenses de la vertu . Sa traduction est si
fidle, si exactement calque sur le texte c[u'un homme com-
ptent entre tous, M. Arturo Farinelli, la tient pour la meilleure
t{ui ait t faite avant celles des romantiques
(5).
Febrer com-
posa d'autres uvres que Santillana qualifie de remarquables
(notables). Ce sont des chansons d'amour et surtout des sir-
vents la manire des troubadours, dont on a publi quelques
spcimens et o apparaissent quelques rminiscences de Dante
(1)
MiLA, Pot. lyr., 29
;
Obras, III, 467.

On sait que Geoffroy de Mont-


mouth, empruntant ce dtail l'Enide, fait apparatre les Sirnes pendant le
voyage de Brutus, d'o est sorti le fameux Roman de Brut. Cf. P. Paris, op. cit.
I, 40.
(2)
J. Mass Torrests, op. cit.,
p.
46.
(3)
Cf. Bartsch, Chrest. prov., 130.
(4)
Be m tenc per jol e per musuit (Pavn. Occil.,
p. 306). Cf. Chabaneav, Rev..
des long, romanes., 1882,
1, p. 250.
(5)
Dante in Isp., 32.
PTRARQUE ET JORDI DE SENT JORDI 189
rvles par Mil
(1)
et par M. Farinelli
(2).
Remarquons aussi
qu'il a connu Ptrarque. Sa chanson Si'n lo mon
fos gentilesa
perduda
(3),
o il numre les dames de la Cour du comte de
Cardona_, offre la mme allure que certaines parties du Trionfo
d'amore et du Trionfo dlia
fama,
et on a dj observ
(4)
que
deux vers de son sirvents Sobre l pus naut alament nous fait
penser au trait De Remediis utriusque fortunse.
Des Rime de Ptrarque s'est avissi inspir Jordi de Sent
Jordi. Personne ne conteste plus que sa fameuse Cano d'op-
posits ne soit une paraphrase et parfois une traduction du son-
net CIV : Pace non troi'o e non ho da
far
guerra. Il
y
dveloppe
le mme thme que Ptrarque^ notant minutieusement et
parfois avec un luxe de dtails vraiment excessif^ toutes les
sensations contraires qu'il prouve^ toutes les situations con-
tradictoires dans lesquelles il se trouve plac. Les troubadours
et les trouvres avaient dj dpeint le trouble^ la folie o nous
jette l'amour
(5),
Mais nul^ avant Ptrarque^ n'avait dcrit,
avec autant de force, ni avec la mme richesse d'expression, la
mlancolie qui en rsulte. On peroit encore un cho de ces
plaintes dans d'autres pices de Jordi de Sent Jordi, dans sa
Dana escondit, dans son Enyorament^eteniin dans son Comjat.
C'est celui des premiers Ptrarquistes catalans qui a le mieux
rivalis avec son modle et en a reproduit avec le plus de net-
tet les sentiments et les images caractristicjues.
Enfin les ouvrages de Boccace que Bernt Metge avait fait
connatre n'taient pas les seuls rpandus en Catalogne cette
poque. Ds 1429, s'achevait, en effet, une traduction anonyme
du Decameron, qui vient d'tre publie
(6).
(1)
Ohras, III, 502.
(2)
L. c, 33.
(3)
MiLA, Pot. lijr., 28 ; Obras, III, 467.
(4)
Farinelli, Sulla fort, del Petr. in Isp.,
p.
17.
(5)
P. Meyer, Rapports de la posie des trouvres Ui^ec celle des troubadours, in
Romania, XIX, 7.
(6)
JoHAN BoccACi, Decameron. Traducci catalana (1429),
publicada per
J. Mass Torrents, New-York, 1910,
in-4o {Bib., hispanica, XIX).
190 CHAP. II. LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
VI
En mme temps qvie les ouvrages de Dante, Ptrarque et
Boccace pntrent en Catalogne, le got de Tantiquit classique
s'y dveloppe. On n'avait eu jusque-l que de vagues extraits
des crivains grecs et latins. On cherche maintenant les mieux
connatre, d'abord sous l'impulsion de Jean I^^ et de Mar-
tin I^-, ensuite et surtout, durant l'activit littraire d'Auzias
March, avec le concours d'Alphonse Y d'Aragon. En dehors de
l'espagnol Henri de Villena, qui sjourna cependant plusieurs
annes Barcelone et Valence, plusieurs catalans contribuent,,
par leur imitation ou traduction des classiques latins, ra-
mener les esprits vers la Rome d'autrefois. En eux on sent,,
avant la Renaissance proprement dite, les premiers frissons
de la fivre de l'rudition qui caractrisera cette poque
(1).
Pre Saplana, traduit, avant 1375, la Consolatio de Boce, Ni-
colas Quils le De Officiis de Cicron, un anonyme les Hrodes-
d'Ovide, Mossn Anton Vilaragut les tragdies de Snque..
Bernt Metge imite, de son ct, certaines parties de l'Enide.
Enfin Antoni Canals, dominicain et professeur de thologie
Valence de 1390
1398,
qui a vulgaris^ comme nous l'avons
vu, un trait moral attribu saint Bernard et mis profit
V Africa de Ptrarque, arromance encore le De Providentia
de Snque et les Facta diclaque memorahilia de Valre Maxime,,
dont il n'admire pas tant les rcits merveilleux et extraordi-
naires cjue les exhortations la vertu. Il ddie ces deux der-
nires traductions, l'une Mossn Ramon Boil, gouverneur de
Valence, de 1393 1406, l'autre Jacme d'Aragon, vcjue de
la mme ville, de 1369 1396.
Antoni Canals meurt en 1419. Mais, aprs lui, fleurissent
encore Valence la Thologie et les Belles-Lettres. L'ensei-
gnement thologique
y
est donn dans la Seu par les soins du
(1)
Voy. A. RuBi Y Lluch, El renacimienlo clsico en la lit. cal.,
p.
21 et suiv.
Cf. Morel-Fatio, Kat. Lit.,
p. 103, 104, 121, 114.
LA FAMILLE DES MARCHS 191j
Chapitre (1).
D'autre part, il s'y organise, ds 1412, une Ecole
des Arts et de Grammaire
(2),
d'o sortira plus tard l'Uni-
versit. Son succs est si grand qu'il faut agrandir quelques
annes aprs l'difice primitif et qu'en 1424, les jurs allouent
cent florins par an un pote, Maestro Guillen Veneciano,
c'est--dire de Venise, pour lire ou expliquer, comme il l^avait
fait dj auparavant, les potes qui lui seraient dsigns. Cette
anne-l, le Manual de Concells de la cit spcifie que ses lec-
tures auront lieu chaque jour, mme les jours de fte, et porte-
ront alternativement sur l'Enide de Virgile et la Consolation
de Boce
(3).
Tel est l'tat des lettres en Catalogne et Valence vers 1430,
l'poque o Auzias March commence crire.
Les potes provenavix et franais continuent s'imposer
l'attention des Catalans, malgr les rsistances de c[uelques-
uns d'entre eux. On adopte leurs genres et leurs thmes
;
on
imite leurs procds
;
on les traduit mme quelquefois. Il se
produit une nouvelle floraison de la chanson d'amour
;
mais
par ses qualits natives la race catalane suit plus spontanment
les tendances didacticjues et moralisatrices qui s'taient mani-
festes dans la littrature provenale, partir du xiii^ sicle.
A cette expansion de la culture franaise au sud des Pyr-
nes, la famille des Mardis, chez qui le got de la posie est
considr comme un de ses plus beaux titres de noblesse, a pris
une part prpondrante, peut-tre dj avec Bartholomeu, mais
srement avec Jacme, Pre et Arnau. La fondation du Consistoire
de Barcelone lui est due en partie, et Valence devient bientt,,
grce elle, un foyer potique plus actif et plus brillant que
celui de Barcelone.
C'est dans ce milieu particulirement bien prpar pour les
(1)
M. Velasco y Santos, op. cit., p.
13.
(2)
Ibid., p.
18.
(3)
Continuant loablement per cascuns dias, axi fainers com de festes, per
alternats dies, la lectura dels libres de Yirgli Eneydos del Boeci de Consolaci.
>-
Cit par M. Velasco, op. cit.,
p. 22, note.
192 CHAP. II. LA POSIE CATALA>,E DE 1393 A 1430
comprendre que sont apports^ vers la fin du xiv^ sicle^ les
ouvrages des trois grands crivains italiens, inspirs eux aussi
des troubadours. Aussitt ils sont l'objet de la faveur publique.
On recherche avidement dans les pages de Dante, de Ptrarque
ou de Boccace ce que l'on demandait alors la plupart des au-
teurs^ des rgles de conduite, des maximes de sagesse, des
exemples difiants. Tantt ils fournissent quelques traits isols,
quelques formules saisissantes : tantt leur esprit souffle pour
ainsi dire travers les nouvelles posies, mme les plus con-
formes aux prescriptions de l'Ecole Toulousaine.
Au contact de l'Italie se prcise et grandit le besoin de se
retremper aux sources de la culture grco-romaine. Si l'anti-
quit n'est pas encore tudie pour elle-mme, les traductions
qu'on donne d'abord des auteurs latins, puis des auteurs grecs,
n'en annoncent pas moins les approches de la Renaissance.
Mais la Scolastique et la Thologie dominent encore les
intelligences. Le Thomisme triomphe et les Dominicains vont
partout rpandant la doctrine du matre, s'efforant de conci-
lier le Dogme et Aristote. Nul, mme parmi les chevaliers et les
lacs, ne peut se soustraire cet empire de la pense.
C'est sous ces influences qu'a mri le talent d'Auzias Mardi.
Aprs les essais encore un peu timides et secondaires de ses
prcurseurs, il va rimer son tour comme l'ont fait ses parents
et construire une uvre o il laissera entrevoir, plutt qu'il
n'exposera, le meilleur de sa science et de son exprience.
TROISIME
PARTIE
Les uvres d'Auzias March
CHAPITRE
PREMIER
DIVISION DES UVRES D AUZIAS MARCH. SENS GENERAL
DE SES POSIES AMOUREUSES
Nous avons tudi les origines paternelles et la vie d'Auzias
March. Tuvre de ses prdcesseurs et la socit littraire o
il vcut : voyons ce que fut le pote.
Il nous reste de lui cent vingt-huit posies ou dictais, comme
il les appelle lui-mme dans la pice XXXIX Qui ho es trist
de mos dictais no cur, dont l'diteur de 1543 et ses successeurs
ont fait la prface de toute l'uvre. On a pris l'habitude de les
dsigner du nom de chansons
(1),
et ce terme n'est pas inexact^
si l'on songe qu'il tait appliqu par les troubadours au genre
noble par excellence
(2).
Et pourtant quelques rserves sont
ncessaires. La chanson tait compose, suivant les Leys
d'amors, d'un nombre dtermin de strophes bien rimes. Or
(1)
Canticas, dans l'd. 1539, Canlos, en 1555, et Cants en 1560,
ainsi que
dans les ditions du xix^ sicle.
(2)
A. Jeanroy, La posie provenale au M. A, dans Revue des Deux-Mondes,
1"
fv. 1903, p.
661.
Am. Paoks.

Auzias March.
13
l'94 CHAP. I. LES UVRES DAUZIAS MARCH
il
y
a, dans Auzias March^ plusieurs pices de longueur variable
et beaucoup d'autres vers libres ou estramps. Les unes et les
autres ont un caractre didactique bien marqu et ne mritent
gure qu' cause des sujets levs qui
y
sont traits le titre de
chansons. On peut les comparer cet gard aux deux ensenha-
jnens constitus par une codolada et une pice de noires rimades
qui terminent notre dition et qu'il est manifestement impos-
sible de comprendre dans le genre de la chanson.
En outre, quelques posies, qui ont l'amour pour sujet, appar-
tiennent ce genre de sirvents qui prit en Catalogne le nom
de maldit et o excellrent les Masdovelles. C est dans cette
catgorie que rentre la pice XLII Vos qui saheu de la tortra
l costuDi o Avizias March prend partie une courtisane de bas
tage. Mais il semble bien qu'on ait employ aussi
(1)
le mot de
sirvents pour toute posie identique par la forme la chanson,
mais dont le fond tait moral et didactique, si bien que la plu-
part des uvres morales d'Auzias March devraient tre appe-
les des sirvents.
Enfin les Demandes
(2)
et la Resposta
(3)
qu'il a adresses
quelques beaux esprits de son temps, vers la fin de sa vie, se
conformant ainsi un usage qui s'tait gnralis en Espagne,
comme le prouve le Cancionero de Baena, et, d'autre part, ies
ptres au roi d'Aragon
(4)
sont des uvres de circonstance qui
ne sauraient prtendre avi titre de chanson, quelque place qu'y
tienne l'amour.
Ce n'est donc pas sans raison que certains diteurs ont sim-
plement appel obres les pices d'Auzias March. Le nom gnral
de posies leur convient cependant davantage, et nous rserve-
rons le terme de chanson celles qui remplissent vritablement
les conditions du genre.
Suivant quel ordre examinerons-novis les posies de notre
auteur ?
Dans une prcdente tude
(5)
nous avons essay de montrer
l'utilit qu'il
y
a pour la critique classer les pices d'Auzias
(1)
Voy. ci-dessus,
p. 136.
(2)
CXXIV, CXXV.
(3)
CXXVI.
(4)
CVMI, CXXII et CXXII bis.
(5)
Sur la chronologie des posies d'Auzias March (Romania, XXXVI, 203).
LEUR DIVISION EN QUATRE GENRES
195
-Nlarch suivant leur ordre chronologique^ et c'est cet ordre que
nous avons adopt dans notre dition. Mais, maintenant
qu'il
s'agit d'apprcier son uvre, il nous faut
y
introduire des divi-
sions systmatiques et revenir au principe des anciens diteurs.
Les groupes que nous distinguerons, sans abandonner d'ailleurs,
au sein de chacun d'eux, le principe du classement chronolo-
gique, mais de faon qvie le rapprochement des pices fasse
mieux apparatre leur identit foncire, nous permettront de
dgager la personnalit essentielle de notre auteur, son origi-
nalit quelle qu'elle soit.
Cette classification doit comprendre un aussi grand nombre
de divisions que possible, afin de mieux cadrer avec la ralit.
Il ne serait pas exact, par exemple, de partager les posies
d'Auzias March en deux groupes seulenaent, Obres d'amor et
Ohres morals, comme l'a fait, en 1546, Hyerony Figueres. On
ngligerait ainsi les planhs ou les posies sur la mort de sa dame,
ainsi que la posie religieuse Puys que sens tu qui nous rvlent
certains cts de son talent. Pour la mme raison nous rejette-
rons celle de 1543-45, encore incomplte parce qu'elle omet ce
dernier pome religieux ou spirituel
, suivant
l'expression
du xvi^ sicle.
La division en quatre genres adopte par les diteurs,
en
1539, 1555 et 1560, nous parat donc prfrable. Il est certain
que l'Amour, la Mort, la Morale et la Religion constituent
les
quatre thmes principaux qu'Auzias March a dvelopps
avec
le plus de complaisance. Mais nous nous sparerons de ces di-
teurs en plaant les posies sur la Mort immdiatement
aprs
les posies amoureuses. C'est ce qu'avait fait l'diteur de 1543-
45,
suivant en cela l'indication des manuscrits et comprenant
sans doute que le pote a voulu trs probablement, la manire
de Ptrarque, chanter sa dame morte aprs l'avoir chante
vivante. Il est tout naturel, du reste, qu'il soit amen par la
mort de son amie se consacrer plus particulirement
au genre
moral et relioieux.
II
Je commencerai donc l'examen des crits d'Auzias March
196 CHAP. I. LES UVRES d'auZIAS MARCH
par ses posies amoureuses qui composent prs des quatre cin-
quimes de son uvre.
Ce sont des chansons d'amour et des pomes, voire mme
des dissertations potiques sur l'amour ou ayant trait l'amour.
Tantt il
y
fait l'loge de sa dame ou plus souvent il se plaint
des souffrances que lui cavise l'affection c[u'il a pour elle, tan-
tt il traite doctement des caractres et des espces de l'amour,
passant d'ailleurs insensiblement du genre lyrique au genre
didactique, au point cju'on ne peut gure savoir que par la
forme dans quelle province du Gay Saber on s'aventure.
C'est cependant par des chansons d'amour proprement dites
qu'il a dbut dans l'art des vers. La plupart d'entre elles ont
pour devise Plena de seny ou Lir entre carts, et ces expressions
ne peuvent se rapporter qu' la mme personne. L'ensemble
forme une intrigue, et, si on les lit dans l'ordre o nous les
avons classes d'aprs les manuscrits et cju'on les rapproche de
celles qui sont adresses soit Amor, so'il FolV Aiuor^ ou dont
les tornades commencent par d'autres pseudonymes, on s'aper-
oit que l'auteur a eu, au moins dans les deux premiers tiers
de son uvre, l'intention d'en former un tout.
Pour mieux apprcier l'ide matresse qui les relie, il ne sera
pas inutile d'en donner auparavant une analyse sommaire
pice par pice. Le sens est d'ailleurs sovivent obscur ou flot-
tant. En jetant ainsi sur chacune d'elles un coup d'il prlimi-
naire, nous fixerons mieux leur vritable signification et nous
en comprendrons mieux les secrets rapports.
Le pote renonce aux vains songes d'autrefois, ses plai-
sirs passs. Il voudrait mme en chasser le sovivenir qui ne fait
qu'aviver sa douleur actuelle (I). Mais cette douleur ne lui fera
point abandonner l'amour de son amie (aymia), pourvu
qu'elle lui en sache gr ds qu'elle le connatra. D'ailleurs plus
son corps maigrit de douleur, plus il se sent apte contempler
le vritable amour . Il implore seulement un peu du pain
dont se nourrit sa dame (II). Qu'elle le secoure, car il brle
d'un feu latent que rien ne manifeste au dehors, mais qu'il croit
connu d'elle, sans qu'il ait besoin de le lui dire (HI). Ce qu'il
aime en elle, ce sont ses cjualits morales et ce n'est ni la sen-
sualit ni le Corps, mais l'Entendement, qui elle donne sa-
tisfaction (IV). Il a, de peur des mdisants, cach son amour,.
LES POSIES AMOUREUSES
197
consentant mme paratre fou ses semblables_, mais il espre
que son appel sera entendu (V). Hlas ! Quelles que soient ses
qualits de loyal et discret amant^ sa dame reste indiffrente
(VI). Il continuera nanmoins l'aimer ternellement sans en
tre rcompens (VIT).
Dsespr de ne pas trouver dans la femme Tamour noble et
fidle^ il veut renoncer au gai savoir et l'amour des dames et
e consacrer au service de la Vierge Marie (VIII).
Il est en proie la folie^ des dsirs contradictoires et appelle
la Mort son secours (IX). Amour a triomph de lui et de ses
facults, faisant de l'Entendement son conseiller, de la Volont
on alguazil, et supprimant en lui la Mmoire (X). Puisqu'il
n'a plus rien esprer, il ne lui reste plus qu' mourir (XI).
Tout le mal vient de sa timidit, car il n'ose dclarer son amour.
Mais dfaut de dclaration, un geste le fera connatre (XII).
Personne ne lui rend amour pour amour. C'est une passion
inextinguible et sa dame ne tardera pas savoir qu'on peut
inourir d'amour (XIII). Voil cinq ans qu'il aiine et rien au
monde n'a pu satisfaire ses dsirs. Il ne se souciera donc plus
de rien ici-bas (XIV). Il se plaint de la froideur de son amie
et de l'injustice d'Amour qui s'acharne sur lui, alors que sa
dame ne le regarde mme pas (XV). Sa dame l'a regard, mais
il craint qu'elle ne reste impassible sa douleur (XVI). Son
amour restera incompris et sans rcompense, puisqu'il ne le
dclare mme pas (XVII). Amour lui a rvl ses grands se-
crets, et il est seul en connatre le plaisir pur et durable
(XVIII). Il craint le refus de sa dame et lui demande de se fier
plus l'amoureux muet et timide qu' l'audacieux (XIX). Il
espre qu'elle compatira sa douleur, ds qu'elle pourra con-
natre son amour, et qu'elle lui en saura gr (XX). Il mourra si
elle ne rpond pas bientt son affection (XXI)., si elle ne
seconde pas ses efforts vers l'amour pur (XXII).
Il nomme enfin sa dame par son prnom de Thrse. Elle
joint la Ijeaut physique la plus ])arfaite l'intelligence la plus
fine (XXIII).
Mais voil que les dsirs impurs du fol amour le tourmentent,
et il supplie sa dame de lui pardonner en raison de la con-
fiance qu'il a en elle (XXIV). Il souhaite qu'elle l'aime
encore d'un amour pur et ne lui sache point gr de l'avoir
attire un matin dans les plaisirs sensibles (XXV). Il dplore
1&8 CHAP. I, LES UVRES DAUZIAS MARCH
la corruption de son temps et ne sait comment louer sa dame
dignement : aussi s'abstient-il de le faire (XXVI). Il souffre
perptuellement, soit qu'il la dsire^ soit qu'il ait peur de lui
adresser la parole (XXYII). Rien ne l'empchera de tomber
publiquement dans les rets d'Amour (XXVIII). Il veut s'loi:
oner de sa dame pour ne pas succomber (XXIX).
Et^ en effet^ les trois posies suivantes (XXX-XXXII)^
sont des sirvents oii il n'est plus question de l'amour. D'autres
penses le proccupent. Il clbre d'abord le courage devant la
mort et le mpris du monde et de la fortune, sans faire aucune
allusion sa dame, sans mme la nommer par sa devise. Puis,
aprs avoir dcrit les caprices de la Fortune ou dissert sur le
Mrite et la Vertu, il s'adresse encore Lis entre chardons pour
lui renouveler l'expression de son dsir incessant et de sa dou-
leur imprissable.
Revenant entirement la chanson d'amour, il dclare de
nouveau Pleine de sens l'affection honnte et pure qu'il a
conue pour elle et dont la source inpuisable est l'esprit
(XXXIII). Pourquoi lui laisse-t-il encore ignorer l'amour qui
le torture ? (XXXIV). Il en vient dtester l'amour qui est sa
vie mme, parce qu'il l'a cru inaccessible (XXXV). Il implore
la mort, appelle, puis refuse la piti de sa dame et c'est cjuand
il n'en parle pas que se rvle le mieux l'existence en lui des
souffrances de l'amour (XXXVI). Il est coupable de ne pas lui
avoir dvoil son amour et il se complat dans la douleur que
lui cause cette affection non partage. Il
y
voit la condition
mme de son bonheur (XXXVII). Si elle connat son amour
dont l'objet est infini, quelle lui montre celui qu'elle prouve
en retour. Il a tout fait pour le mriter, mais elle veut qu'il vive
et meure la fois (XXXVIII). Au milieu de ses douleurs se
cache le plaisir de se plaindre et celui de l'amour vrai. 11 sou-
haite que Dieu fasse connatre sa dame que son amour l'a
mis toute extrmit (XXXIX).
Dans les posies qui suivent, le pote se montre nous, tantt^
cdant aux tentations du fol amour, tantt faisant de nou-
veaux efforts pour rester au service de l'amour pur. Quelques-
unes seulement onl pour devise Plena de Seny ou Lir entre
carts. Certaines sont de vritables sirvents personnels ou tnal-
dits.
L'Amour el la Haine luttent en lui et il fait des vieux pour
LES POSIES AMOUREUSES 199'
le triomphe de la Haine qui se rapproche plus de la Raison (XL).
Il dnonce les vices de son temps et vante la crainte de la mau-
vaise renomme^ se plaignant de ne plus pouvoir goter les
mmes plaisirs qu'autrefois (XLI). Il attaque ensuite avec vio-
lence les pratiques malhonntes en matire d'amour d'une
certaine Na Monbohi (XLII).
Il a honte de l'amour qu'il a prouv juscjue-l et voit^ dans
ce sentiment^ un symptme du fol amour (XLIII). Il supplie
sa dame de lui faire savoir ce qu'elle et Amour ont dcid de
lui (XLIV). Il
y
a trois sortes d'amour : le corporel ou bestial^
l'humain ou mixte, et l'intellectuel ou anglique. C'est de ce
dernier cju'il est anim et c'est lui qui triomphe de la Mort
(XLV). Il est prt prouver par la mort l'intensit de son
amour (XLVI). Mais sa dame prouve des dsirs charnels et
il exprime son mcontentement l'gard de sa dame et de Fol
Amour (XLVII). Elle revient de meilleurs sentiments et il
jure de l'aimer jusqu' la fin de ses jours (XLVIII). Amour lui
fait endurer des maux tranges, lui inspirant dsir et crainte
en mme temps. Il est tout entier en son pouvoir
(XLIX). Son
intelligence ne contemple cjue les qualits divines de sa dame
et il souhaite assez de loisir pour ne pas faire autre chose. C'est
son esprit et son bienveillant accueil qui la font aimer (L). Qu'elle
ne l'accule pas la mort par son ddain, mais qu'elle le laisse
vivre pour qu'il continue la louer (LI). Il redoute dj l'in-
constance de l'amour (LU). Pouss
par des dsirs contradic-
toires, il demande que sa clame soit
honnte et malhonnte ^
la fois (LUI). Joie et douleur, esprance et peur, audace et
crainte, telles sont les passions que lui impose l'amour (LIV).
L'esprance l'abandonne. X pour l'amour et profondment
amoureux, il souffre de ne pas tre aim (LV). Il est heureux
et souhaite que son bonheur puisse durer (LVI).
La mort peut tre quelquefois, comme pour Caton d'L tique,
le moyen de conserver les plus hautes vertus morales (LVIl).
Il ne peut se rsoudre abandonner sa dame cjue nul ne sau-
rait mieux louer cfue
lui et qu'il aimera sans espoir d'un amour
infini et ternel (LVlll). Pour chapper un pril, il s'expose-
un autre. La peur de perdre sa dame en se donnant la mort
le pousse implorer sa piti et essuyer un refus ([ui lui sera
mortel (LIX). Si son me est satisfaite, son corps se rvolte,,
mais il luttera avec confiance contre lui, avec l'aide de Dieu et
200 GHAP. I. LES UVRES d'aUZIAS MARCH
de sa dame (LX). Il renonce mourir, mais condamne son en-
tendement la douleur, parce que sa dame ne peut avoir pour
lui qu'un amour impur et grossier (LXI). Bien qu'elle soit
intelligente et possde une grande honntet, elle reste indiff-
rente l'amour infini cju'il a pour elle et il se plaint encore de
Fol Amour (LXII). Il regrette le temps o il souffrait au ser-
vice d'Amovir. Le mal d'aimer n'est autre que la connaissance
et le dsir d'un Ijien qui nous fait dfaut, et il se repent d'avoir
injustement accus Amour d'ingratitude (LXIII). Incompris
de sa dame c}ui ne voit ni la nature ni la force de son amour, il
cesse d'aimer et se prpare la mort (LXIV).
La Colre et l'Amour se disputent son cur. Son salut ne
peut tre que dans un autre amour et il se rjouit que les maux
de la vieillesse puissent ds maintenant le soustraire la servi-
tude de Fol Amour (LXV). Un nouvel amour, plus fort encore
que le prcdent, s'est empar de lui un Vendredi-Saint. Il
souhaite qu'il soit partag (LXVI). Son me dsire ne faire
qu'un avec celle de sa dame et il brle d'amour pour son esprit
sans savoir encore quels sont ses sentiments (LXVII). Il sert
volontairement le plus puissant et le plus svre des seigneurs
et voil pourquoi il ne tolre en lui que les penses les plus
nobles (LXVIII). Nul n'a ressenti })lus cjue lui l'amour et ses
douleurs, A la vue de sa dame il se trouble et la peur l'empche
de parler. Amour est injuste son gard (LXIX). Amour lui
inspire des sentiments contradictoires et lui refuse la rcom-
pense qu'il mrite, parce c[u'il ne voit point clair en lui (LXX).
Sa dame ne sait point rsister aux dsirs de la chair, et les
femmes, en gnral, sont incapables d'atteindre l'amour du-
rable. Aussi renonce-t-il les aimer et maudit-il le temps de
ses folles amours (LXXI).
Et, de fait, il consacre la posie (jui suit l'loge de Jsvis-
Christ. Comment louer d'aprs ses mrites cet Etre ternel en
cjui rside toute perfection, ce Juste qui a tendu son empire
toute la terre, sans avoir recours aux biens de la Fortune ?
Puis, repris par l'amour, il dclare en parler sans exagra-
tion. Il en aime jusqu'aux souffrances, car il s'y mle toujours
cjuelqu plaisir, et il ne veut point gurir des plaies qu'il fait.
C'est se couvrir de gloire que d'aimer autrui pour ses vertus,
suivant celui des trois amours qui est imprissable (LXXIII).
LES POSIES AMOUREUSES 201
Il souffre de songer que sa dame^ comme d'ailleurs lui-mme,
n'agit plus par rflexion, mais par instinct (LXXIV).
Nous ne trovivons plus dsormais la devise Plena de Seny ni
Lir entre caris, mais Amor Amor et plus souvent FolVAmor. Un
tout petit nombre de pices prsentent encore cependant des
pseudonymes analogues aux premiers, Senyal de h, Mon derrer
h et Bell'ah bon seny.
Il ne peut qu'aimer et penser l'amour. Chacun suit le plai-
sir le plus conforme sa nature. Nous voici revenus aux temps
du paganisme o les dsirs taient diviniss. C'est Vnus qui
a le plus de serviteurs. Diane, quoique clbre, compte peu
de fidles (LXXV). Puiscju'il n'est pas aim de sa dame, o
trouvera-t-il le bonheur ? La vie n'a plus de prix pour lui. On
ne saurait avoir pour aucune femme un amour fond sur la
vertu (LXXVI). Un regard de sa dame pourra seul le consoler
et il s'en contentera (LXXVII). On ajoutera foi ses paroles
si, sur le point de mourir, il dvoile les maux et les faux biens
de Fol Amour (LXXVIII). Bless mort par la dernire flche
d'or d'Amour, il ne voit chez les autres et surtout chez sa dame
f[ue des plaies superficielles produites par des flches d'argent
ou de plomb, comme celles de Fol Amour (LXXIX). Il attend
depuis seize ans la rcompense de son amour (LXXX). Sa
dame est orgueilleuse, insensible ses souffrances (LXXXI).
Ni l'exprience ni le jugement ne sauraient lui rvler comment
prendra fin cette situation (LXXXII). Affaibli par Amour, il
ne saurait lui rsister (LXXXIII). Il en vient ne plus aimer,
car l'amour ne peut vivre c[ue par un autre amour et nul n'est
capable son poque de comj)rendre son affection. D'autre
]jart, la honte et la peur l'ont empch de la manifester et il a
t tenu pour un amant grossier et sans intelligence. Aussi
a-t-il blanchi avant l'ge et proclame-t-il Amour impuissant
ou ingrat (LXXXIV). Dieu le prserve des maux de Fol
Amour (LXXXV) !
Tout tonn de vivre encore malgr l'ingratitude de sa
dame, il continue l'aimer parce qu'elle lui fait accomplir des
progrs dans la voie du bien (LXXXVI). Parmi les trois formes
de l'amour dont le pote veut rvler les secrets, il prouve
l'amour spirituel malheureusement ddaign par les femmes.
De l tous ses tourments (LXXXVII). Du dans ses esprances
par sa dame c{ui ne rpond point son affection, il se refuse
202 CHAP. I. LES UVRES d'aUZIAS MARCH
dornavant tout nouvel amour et se dfie de Fol Amour
o
il ne trouve pas les mmes plaisirs qu'autrefois et dont il con-
nat maintenant les douleurs (LXXXVIII). Ce n'est que par
sa. dame qu'il atteindra le souverain bien, mais il faut que leurs
volonts soient parfaitement unies et qu'elles s'lvent vers lui
ensemble et d'un commun accord. Jaloux de Dieu mme, si
elle a pour lui un grand amour, il ne peut souffrir qu'elle soit
heureuse ou malheureuse sans lui (LXXXIX), Rien n'est plus
triste que de se rappeler le bonheur d'autrefois en un temps de
misre et il ne prvoit pas d'autres plaisirs pour l'avenir,
moins cju'il ne se donne un autre entendement et de nouvelles
habitudes, ce qui est impossible de son vivant. Le jeu et les
femmes ne rservent que dceptions (XC). Il regrette l'insta-
bilit et les vicissitudes d'Amour (XCI).
Aprs la mort de sa dame sur laquelle il verse des larmes
potiques dans les six pices suivantes, il traite d'autres sujets
que l'amour. Mais il revient encore de temps en temps son
thme favori.
Ses griefs contre Fol Amour sont les mmes et le temps n'a
pas adouci ses souffrances (XCVIII). S'il n'est plus l'amou-
reux
d'autrefois, c'est qu'il n'a trouv dans les femmes que des
tres changeants (XCIX).
Il aime Belli au bon sens d'une folle affection qui stimule son
dsir
et affaiblit son intelligence. Il en est tout boulevers.
Tout
son bonheur est auprs d'elle (CI). 11 a suffisamment d-
crit
autrefois les secrets de l'amour. Maintenant il n'y a plus
en lui qu'amour corporel et il en montre les divers effets (Cil).
Le bonheur est dans l'amour pur qui n'est autre que le
triomphe de la raison sur nos apptits infrieurs, et le roi
Alphonse V, C|ui il s'adresse, montre mievix cjue tout autre
comment on peut la fois aimer et garder intacte sa raison
(CVIII).
Il avait renonc l'amour, mais la vue de hh/n ernicr
bien, en qui l'esprit domine l'apptit, iLs'est rsign souffrir
de nouveau pour elle tous les maux d'autrefois (CIX).
Il ne veut aimer que la Vierge, tant les autres amours le
rendent malheureux (CX).
Il a dit un adieu ternel l'amour, et il en souffre en mou-
rir. Il ne peut adresser ses vers ni Amour qui il ne parle
LES POESIES AMOUREUSES 203^
plus depuis longtemps, ni une dame, car il n'en est pas qui
s'aperoive de sa tristesse (CXI).
Oblig de renoncer Amour, auquel il tenait par-dessus
tout, il souffre, mais sa souffrance est tempre par un plaisir.
Toutefois, pour rester digne du nom qu'il porte, il quittera le
monde sans regret (-CXIV).
Dsespr de n'avoir pas trouv une me qui rpondt la
sienne, il s'est abandonn l'amour impur contre qui sa raison
ne peut plus rien et que tout homme doit redouter jusqu' sa
mort (CXV).
Impuissant rsister l'horrible dsir que lui inspire Amour,
il aime sa dame et la dteste la fois. En lui luttent l'amour
et la colre, mais l'amour l'emporte, et il s'y abandonne,
quelque danger qu'il
y
ait le faire (CXVI).
L'amour qui subsiste en lui, ce n'est ni l'amour bestial, ni
l'amour anglique, mais celui qui est propre l'homme et
rsulte la fois de l'me et du corps, c'est--dire l'amour
mixte. Aprs s'tre port tantt vers le corps, tantt vers
l'me, il finit par n'tre plus qu'une simple habitude intellec-
tuelle, absolument dsintresse (CXVII).
S'il recherche le plaisir d'aimer, c'est parce qu'il tient ce
qu'il
y
a de plus profond dans notre cur) l'amour de soi.
Mais tandis que l'amour de soi est permanent chez l'homme,
l'amour de la femme est passager et variable. Sa puissanc
n'est due qu' l'habitude (CXVIII).
Ce qu'il aime aujourd'hui en sa dame, ce n'est point ce c[u'il
peut voir ou toucher, mais l'expression de son corps pris dans
son entier, son attitude (gest). Aussi ne tient-il pas en tre
aim (CXIX).
II se dcide ne plus songer l'amour et peu peu Amour
perdra tout pouvoir sur lui. La vertu qu'il manifestera ne sera
pas pure tendance, mais habitude, et le plaisir honnte sera
toujours sa disposition. Il prie la Vierge Marie de l'aider
considrer ce monde comme un lieu d'exil (CXX).
Il est difficile de se dfaire promptement des tendances ciui
rsultent d'habitudes invtres, afin d'acqurir les vertus
opposes (CXXI).
Il demande au roi Alphonse V un faucon pour cju'il puisse
oublier la chasse la galanterie et l'amour (CXXII). Dans une
seconde rdaction de la mme pice, plus longue que la prc-
204 CHAP. I. LES UVRES d'aUZIAS MARCH
dente, il ajoute qu' Naples se trouve la femme capable d'un
amour autre que l'amour sensuel, et c'est Lucrce d'Alagno,
digne objet de l'affection du Roi. Ils sont rares ceux cjui con-
naissent l'amour humain, participant la fois de l'me et du
corps (CXXII bis).
Il
y
a trois espces d'amour, si l'on en considre la fin

riionnte, l'utile et l'agrable. Il commence par le corps, puis
l'me s'y mle troitement au point qu'on ne saurait distin-
guer leur rle respectif. S'il se complat encore dans les pen-
ses d'amour, c'est pour d'autres motifs qu'auparavant
(CXXIII).
Son ge l'a fait renoncer l'amour. Mais est-ce par chastet
cjue Johan Moreno lui rsiste ? (CXXIV).
Il demande Na Tecla, nice du pape Calixte III, de trancher
le dbat qui s'est lev entre ses yeux et ses oreilles sur ce
point : Vaut-il mieux la voir ou l'entendre ? (CXXV).
A une demande de Mossn Fenollar, il rpond c{ue les c[ue-
relles des amants ont pour cause la crainte c[ue chacun a de
voir l'autre attir par d'autres qualits et que l'amour ne se
transforme en amiti (CXXYI).
On voit cjue les incidents de la vie amoureuse du pote ne
sont ni trs nombreux ni varis. C'est un roman, mais o l'ana-
lyse psychologique tient plus de place que l'intrigue. C'est plu-
tt la confession des efforts douloureux qu'a faits l'auteur
pour atteindre le vritable amour.
Sa passion, telle qu'elle rsulte de ses chansons d'amour, pr-
sente deux aspects et donne lieu deux thmes gnraux.
Dans un grand nombre de pices, surtout dans les premires,
il exprime son affection inconnue de tous, mme de celle qui
en est l'objet. Comme dans le clbre sonnet d'Arvers, il chante
Un amour ternel en un moment conu,
et, comme lui, il pourrait ajouter :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai d le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
LES POESIES AMOUREUSES
205
De l ses griefs^ ses lamentations contre Amour qui ne fait
souffrir que lui^ contre sa dame insensible l'attrait qu'exer-
cent sur lui ses qualits intellectuelles et morales. Il crie l'in-
justice^ puisqu'il aime sans tre aim^
contrairement aux lois
mmes de l'amour, et il rpte souvent qu'une telle ingalit
ne tardera pas, si elle dure, le pousser la mort.
Dans les autres posies, il en arrive vite accuser sa dame de
ne pas lui tmoigner un amour aussi constant et aussi pur que
le sien. D'incessantes tentations s'offrent lui et le font ou
tout au moins risquent de le faire retomber dans les plaisirs
dangereux de Fol Amour, et ce sont encore pour le pote de
novivelles occasions de souhaiter la mort.
La monotonie de ces lgies, o les mmes
sentiments sont
exprims avec une insistance qui touche
parfois la manie, est
interrompue de temps en temps par
quelques pomes d'un
caractre diffrent. L'auteur dpit contre
l'amour
y
renonce
un instant et s'abstient mme d'en parler pour aborder des
sujets purement moraux ou religieux. Plus loin, c'est 1
amour
pur qu'il abandonne, s'adressant alors soit
l'Amour propre-
ment dit, soit mme Fol Amour. Ce sont donc des envoles
vers les hautes sphres de la rehgion et de la morale o s'pa-
nouit la forme suprme de l'Amour, ou, au contraire, des chutes
dans les basses jouissances de la passion.
Enfin il disserte pesamment
et l, mais en
particulier
vers la fin de son uvre, sur les trois genres
d'amour et en dis-
cute l'origine et la nature. Au contraire, les pices de circons-
tance, par lesquelles nous avons termin
notre revue de ses
posies amoureuses, sont de simples
amusements,
des jeux
d'esprit sur certains points de casuistique
amoureuse.
Le ca-
ractre en est moins grave et elles se
rattachent
moins facile-
ment pour le fond au reste de l'uvre.
En un mot, si nous avons bien compris le sens
parfois un
peu sibyllin des chansons d'Auzias March, nous
y
trouvons,
aussitt aprs l'aveu de l'amour
purement
intellectuel qu il
professe pour sa dame, de frquentes
plaintes sur les souf-
frances que lui fait endurer Amour. Les unes viennent de ce
que ses sentiments ne sont ni partags, ni mme
connus
;
les
autres de ce que la liaison des deux
amants n'est pas assez
206 CHAP. I. LES UVRES d'auZIAS MARCH
vertueuse^ et il accuse sa dame de Tentraner parfois recher-
cher les plaisirs gostes et vicieux de l'amour sensuel.
Cette affection innocente ou coupable fut-elle relle et quelle
part de sincrit est-il possible d'y dcouvrir ? C'est ce qu'il
importe maintenant de nous demander.
'
1
CHAPITRE II
XES AMOURS D AUVIAS M \RCH ET SES IDEES SUR LES FEMMES
L'amour est le thme prfr d'Au/.ias Mardi el lui-mme a
soin de nous dire que l'analyse et l'expression de ce sentiment
Tont proccup avant toute autre chose. C'est une science dont
il veut approfondir les secrets et enseigner les rgles. Il est diffi-
cile, nous dit-il, de savoir ce qu'est l'amour, quelle en est l'ori-
gine et quels sont ses effets, ^ui e-, don v,qae
fa (1).
Combien
peu nombreux, ajoute-t-il
(2),
sont ceux qui le connaissent
'
Aussi, mieux instruit que les autres amoureux, a-t-il la prten-
tion de leur indiquer les prceptes de cet art
(3).
Il en rvlera
les mystres dans une nouvelle >< Apocalypse :
No si' alg que los dits meus reprove
dels grans secrets qu'Amor cobr'ab sa capa.
De tots aquells puch fer Apochalipsi :
yo defallint, Amor far eclipsi.
(LXXXVII, 327-330).
Le mme sujet avait t trait maintes fois avant lui et nous
verrons qu'il n'est peut-tre pas impossible, quelle que soit
(1)
CXXIII, 70.
(2)
O quant son pochs qui d 'amor han saber !
(CXXII ks, 41).
{3)
Per mon sentir rgles n'he dat e art
als amadors freturans de saber.
(LXXI, 27-28).
208 CHAP. II. LES IDES DAUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
son originalit, de retrouver dans sa conception de l'amour
quelques traits emprunts ses devanciers. Mais, avant de
butiner dans les vieux auteurs, un pote qui chante l'amour a
regard plus prs de lui, cherchant son bien en des fleurs moins
lointaines. Avant d'crire des chansons et de clbrer l'amour
courtois, il a connu les plaisirs inconsidrs et les garements
de la jeunesse
(1).
Mme quand il exalte les beauts de l'amour
pur, les femmes ont pour lui d'incontestables attraits qui ne le
laissent pas indiffrent. Elles ont t, de toutes faons, une
source d'inspiration laquelle il a puis dans certaines limites
qu'il convient de rechercher. Ses chansons ressemblent un peu
ces lettres d'amour que feuillette avec avidit la curiosit
contemporaine. Ce sont des documents intimes l'aide des-
quels il est intressant de dgager la physionomie des femmes
qui lui ont fourni l'occasion de composer en vers.
La plupart de ses chansons sont ddies Plena de Seny,
qu'il appelle aussi Lir entre carts, pour vanter en mme temps
que sa sagesse la puret de ses murs, compare ainsi celle
de la Sulamite dans le Cantique des Cantiques
(2).
Mais nous ne
savons que par la pice XXIII Lexant a part l'estil dels troha-
dors, quelle femme se cachait sous l'un et l'autre signal , et,
comme cette chanson souvent cite est de nature nous clairer
sur le caractre de l'amour qu'Auzias Mardi prouve pour sa
dame, il sera utile d'en donner auparavant la traduction :
Laissant part le style des troubadours
qui, dans leur ardeur, outrepassent la vrit,
et, faisant abstraction de mon vouloir affect
4 pour qu'il ne nie trouble pas [torh], je dirai ce que je trouve en vous.
Toutes mes paroles, pour ceux qui ne vous auront point vue,
seront insuflisantes, car ils n'y ajouteront point foi
;
et, si ceux qui vous verront ne regardent pas en vous,
8 leur me aura de la peine me croire.
(1)
Molt he tardt en descobrir ma falta
per joventut que m neg 'speriment !
(VI, 1-2).
(2)
Sicut lilium inter spinas, sic arnica mea inter filias [Cant. Cantic, II,
2)
LOGE DE THRSE
209
La vision de l'homme stupide n'est pas assez obscurcie
qu'il ne juge votre corps pour noble.
Il ne le connat pas comme celui qui est subtil.
12 Oui, il en sait le teint, mais non la trame.
Tout ce qui appartient au corps, sans participer
de l'esprit, l'homme grossier le connat bien.
Votre teint et votre taille, il peut bien les percevoir,
16 mais dj pour le maintien, il ne pourra en bien parler.
Tous nous sommes grossiers en ce qui concerne le pouvoir d'expliquer
ce que mrite un honnte et beau corps.
Des jeunes gens nobles, bons savants, l'ont requis,
20 et, affams, il leur a fallu jener.
Votre intelligence fait ce qu'un autre ne peut pas,
car elle sait gouyerner la multitude des subtilits.
En vous s'endort la paresse accomplir toute espce de bien.
24 Si vous n'tes point vierge, c'est que Dieu a voulu qu'il sorte de vous une caste.
A peine a-t-elle suffi pour vous la bonne pte
que Dieu garda afin d'en faire des femmes singulires.
Il en a fait assez de trs sages et trs bonnes,
28 mais la perfection dame Thrse l'exprimente.
Elle a en soi si grande connaissance
qu'il n'y a rien qu'elle ne connaisse entirement.
Sa beaut aveugle l'homme qui la prie
;
32 aux entendeurs son entendement sert de pture.
Les Vnitiens ne gouvernent pas
aussi pacifiquement que votre intelligence ne gouverne
les subtilits (car l'entendre vous nourrit)
36 et le mouvement impeccable de votre beau corps.
Tout homme instruit prouve un si grand plaisir
et est si occup vous entendre
que le dsir corporel ne peut s'tendre
40 jusqu'au vilain vouloir, mais reste comme mort.
Lis entre chardons, ma puissance ne va pas
jusqu' pouvoir vous faire une couronne invisible.
Vous la mritez, car celle qui est visible
44 ne doit point se poser l o il
y
a miracle.
C'est la seule fois que notre pote nomme ainsi la dame par-
faite laquelle il adresse ses posies les plus soignes.
Il est impossible de savoir qui fut cette Thrse et mme si
Am. Pages.

Auzias Mardi. 14
210 CHAP, II. LES IDES d'aUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
elle a vritablement exist. Tout ce qui a t crit son sujet
n'est que fantaisie pure. Le premier qui en ait parl est Luis Car-
roz de Vilaragut, bailli gnral du royaume de Valence^ dans
son Prologue . la copie des uvres du pote excute, comme on
sait
(1),
sur sa demande, en 1546. Voici le portrait qu'il en
fait. C'est le canevas c[ue broderont plus tard les autres bio-
graphes.
Le dit chevalier Mossen Ausias ^larch fut le trs
affectionn serviteur de dona Teresa Bou, dame (dama) va-
lencienne, aussi noble cjue vertueuse, honnte et sage, comme
le montrent les uvres faites pour son sercwe et en son honneur^
Il fut son serviteur, et durant sa vie et aprs sa mort il. crivit
la majeure partie du prsent livre o l'on verra les plus ac-
complies et parfaites amours honntes cjue jamais chevalier
ait prouves et dcrites.
En dehors des renseignements puiss, de l'aveu mme de
l'auteur, dans les uvres du pote, cette biographie rudimen-
taire renferme deux assertions tout fait douteuses, sinon
inexactes. Carroz affirme tout d'abord que le nom patrony-
mique de cette Thrse tait Bou. Mais comment l'a-t-il appris
quatre-vingt sept ans aprs la mort du pote et alors que ce
dernier avait, suivant la rgle de l'amour courtois, observ la
plus grande discrtion et dsign par des senyals les femmes
que clbrent ses posies ? Cette rgle s'imposait d'autant plus
que Lis entre chardons tait marie, comme nous l'apprend son
adorateur lui-mme, jouant sur le mot casta dans cet loge un
peu singulier :
Verge no sou, perqu Deu ne voich casta.
Nous pourrions encore admettre, sous rserves, l'indication
de Carroz, si nous ne savions que dans la pice Vos qui sabeu
de la tortra l costum (XLII,
42),
Auzias nomme une certaine Na
Monbohi. Il est infiniment probable que Carroz n'a vu dans ce
nom, qu'il crit d'ailleurs avec raison Monbohi et non Monhoy,
qu'une dformation de Bou, nom de famille trs rpandu Va-
lence, et qu'il a confondu la dona Teresa de la pice XXIII
avec la Na Monbohi de la pice XLII. Cela est si vraisemblable
cjue la plupart des biographes postrieurs, et, notamment,,
(1)
Voir rintrod. notre d. critique,
pp.
28-31.
f
NA MONBOHI
211
Amador de los Rios
(1),
mettant en lumire
pour
ainsi
dire
l'origine du rapprochement
opr par Carroz,
accoleront
dsor-
mais au nom de Thrse,
tantt celui de Bou,
tantt
celui
de
Monboy.
Or l'examen le plus
superficiel de la pice Vos qui sabeu
ne
permet aucunement
d'identifier ainsi Dona
Teresa
et Na
Monbohi ou Monboy. C'est une violente satire, un maldit
viru-
lent contre une entremetteuse
experte
dont les dfauts
physiques et moraux nous sont dpeints la manire
de l'cole
rahste. En voici, dans leur texte catalan
qui, comme le latin,
peut braver l'honntet, les vers les plus expressifs.
Il lui reproche d'abord de s'tre livre
un marchand, aprs
avoir
tt de la chair noble d'un chevaher, et nous fait, ce
propos, un portrait peu flatteur du rival qui l'a sans doute
supplant :
Sa fa es gran ab la vista molt losca
;
SOS fonaments son de lagost o mosca.
Cert no mereix drap vendre de Florena.
Puis il ajoute, s'adressant Na Monbohi elle-mme
:
Vostre cos leig per drap es baratat
;
vostre servir es bo sols pera dida.
... Car vostre cors es de veri replet
6 mostren-ho vostres pels fora mida,
car, si us jaquiu vostra barba criada,
e la us toleu, puys, ab los pels dels braos,
poran s'en fer avantatjosos laos,
prenint perdiu o tortra o bequada.
Quant hoyreu : Alcavota provada !
responeu tost, que per vos ho diran..
(XLII, 14-16, 23-24, 27-34).
C en est assez. Il nous faut dcidment renoncer reconnatre
la belle Thrse sous l'image repoussante de l'ignoble Na
Monbohi.
C'est encore une hypothse peu fonde que nous prsente
Carroz,
lorsqu'il ajoiite que Thrse tait une

dame valen-
(1)
Hist. crit. de la lit. essp., VI, 489, 495.
212 CHAP. II. LES IDES d'aLZIAS MARCH SUR LES FEMMES
cienne . Rien dans les uvres du pote auxquelles il se rfre
ne nous autorise l'affirmer.
II
Nous ne pouvons donc rien dire de la femme qu'a chante
Auzias March^ sinon qu'elle s'appelait Thrse et qu'elle tait
un modle de perfection. Mais^ dfaut de dtails plus abon-
dants, voyons si elle nous apparat sous des traits prcis, avec
un visage qui respire la vie. Contemplons, avec l'aide du pote
parlant de BeW ah bon seny, dont la physionomie ressemble,
s'y mprendre, celle de Lir entre caHs,
c
celle qu'il aime, qui
elle est, quels en sont les mrites qui am, qui es, qnt- val
(1).
C'est une chose singulire qu'il n'ait donn d'elle, dans ses
nombreuses posies, que des descriptions vagues et incom-
pltes. Au point de vue physique, elles se bornent quelques
traits pars dont aucun n'est vraiment caractristique. Elle a
un beau corps
;
sa beaut est blouissante. Le pote l'affirme
assez souvent
(2).
Une seule fois il parle de son teint blanc et de
ses yeux noirs, et encore en termes tels que des doutes subsis-
tent sur le bien fond de l'interprtation
(3).
Le corps et la voix
sont faibles et les paroles rares
(4).
En revanche, si ces caractres
sont susceptibles, suivant lui, de frapper l'attention du vul-
gaire, il en est un qui n'est sensible qu'aux gens
o
subtils
(5)
et auquel Auzias March attache la plus grande importance.
C'est le geste, lo gest, c[ue Montemayor, dont il faut toujours se
dfier, confond avec le visage et traduit inexactement par l'es-
pagnol
rostro . Le geste, comme tout mouvement, a son prin-
cipe, suivant les scolastiques, dans l'me mme dont il est
(1)
CI, 33-34.
(2)
XXIII, 18, 31, 36; CIX, 5.
(3)
LVIII,
9-12. Il ne parle ailleurs (III, 15
;
XXIII, 12, 15)
que de sa color,
sans prciser.
(4)
Cil, 13-14, 38.
(5)
XXIII, 16.
[
LE PORTRAIT DE SA DAME 213
comme Texpression
(1).
^ oil pourquoi il loue le maintien,
la dmarche, le port impeccable de sa dame
(2).
Il va mme
jusqu' dire, dans un de ses pomes, que c'est tout ce qu'il aime
en elle
(3).
C'est pour la mme raison que le mouvement des
yeux, lo gest dels ulls, est aussi significatif
(4),
et que, dous
d'une puissance mierveilleuse, ils atteignent le cur de l'homme,
mme travers une cuirasse . S'il implore un regard de son
amie, c'est parce qu'manant de son me, suivant la doctrine
bien connue des troubadours, il ira, par une sorte de transfu-
sion qu'il compare non sans trivialit au coulage de la lessive,
mouvoir son propre cur
(5).
Le tableau reste nanmoins un peu flou. Il
y
reproduit un
idal de convention, le type de la femme consacr par le Moyen
ge. Sa dame est, comme pour les autres potes du temps, un
tre ple, frle, sans formes et presque maci. C'est un per-
sonnage de fantaisie qu'il aime plus par la tte que par le cur,
et il nous dit lui-mme :
Mon esperit contemplant se contenta
e dintre si una persona forja.
D'ella no pens braos, mans, peus ne gorja.
Solament vull d'ella tan clara pensa
que res de mi no 1 fos cosa scrta,
abta
y
sabent, e d'amor fos estreta,..
(LXXXVII, 231-237).
En fait, ce qui l'intresse chez sa dame, ce n'est pas tant son
corps que son esprit, et il insiste davantage sur ses qualits in-
tellectuelles et morales que sur ses charmes extrieurs.
-
La premire vertu qu'il considre en elle est l'Intelligence
ou l'Entendement, lo seny, l'entendre, l'enteniment. D'o la
(1)
Et ideo oportet quod creatura corporalis a spirituali moveatur . Saint
Thomas, Sum. TIieoL, I, 110, 1.
(2)
XXIII, 36. Cf. III, 15
; XII, 8, 43 ; XXXIII, 11
;
CI, 13, 45
;
CIX, 5.

Le mot gest a le mme sens chez Pre March :


E que be s guard de tt' avinentesa
e d'avol gest e de mal perlamen...
(Mil, Obras, III, 462).
(3)
CXIX, 87.
(4)
CXVI, 73, 115, 121.
(5)
Cil, 9. 25, 42.
214 CHAP. II. LES IDES DAUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
devise Plena de seny qu'il lui dcerne ds le dbut. Deux dames
reprsentant l'une le Corps, l'autre l'Entendement, se sont
offertes
sa vue. Il a choisi l'Entendement en qui est la source
du souverain bien :
Si le monde peut renfermer un bien parfait,
c'est par moi [dit l'Entendement), que l'homme atteint le souverain bien,
et qui sans moi conserve l'esprance
est fou ou sot ou terriblement grossier.
Plus l'entendement est clair,
plus grand est le plaisir qui en drive.
Science subtile est la pense subtile
pour qui de fins aliments ne la laisse point jener.
(IV, 49-56).
Sa dame possde. prcisment cette finesse intellectuelle, con-
dition du bonheur. En elle vit tout un peuple de penses subtiles
et dlicates qu'elle gouverne avec dextrit et cjui sont sa seule
nourriture
(1).
C'est pour cela qu'il la chrit, il est conquis
par son entendement :
L'enteniment per lo vostr'es conquist...
;
(XXII, 19).
Vostr'esperit es aquell qui m conquista...
;
(L, 43).
et il la proclame, en un mot, la joie de son entendement, lo
goig de mon entendre
(2).
La seconde vertu de sa dame est la chastet, l'honntet du
cur :
o que yo am de vos es vostre seny
e los estats de vostra vida casta.
Molt no deman, car mon desig no basta
sin en o que honestat ateny...
(XXXIII, 5-8).
et cette puret qu'exprime Lir entre carts, la seconde devise qu'il
(1)
XXIII, 33-35. Cf. IV, 56
(2)
LVIII, 6. Cf. LXXI, 17-20.
LES QUALITS DE SA DAME
215
applique sa Thrse, est comme raccompagnement
ncessaire
de son intelligence et de sa raison :
Puys la que am creem qu'es la mellor
ab niolt gran seny e honestat de cor...
(LXII, 10-11).
Peu importe d'ailleurs que sa dame soit marie et qu'elle ait
des enfants, comme l'avoue Auzias March. N'est-il pas con-
vaincu, avec tous les potes de l'poque et sans qu'il ait besoin
de le dire, que le vritable amour ne se rencontre qu'en dehors
du mariage ?
Si nous ajoutons ces compliments les pithtes banales de
noble
(1)
et bonne
(2)
dont il gratifie parfois sa belle,
nous connatrons, dans ce qu'il a d'essentiel, l'loge qu'il en
fait. Mais ses mrites lui paraissent tels qu'il la considre
comme un Dieu terrestre et qu'il va mme jusqu' l'adorer, au
risque d'tre accus d'idoltrie :
A vos ador, sin m'en repreneu.
Dexau a mi carrech de consciena.
En tant estrem es ma gran benvolena
que vos confs per un terrenal Deu
(3).
(XXXVII, 37-40).
La perfection de l'objet aim soutient pour ainsi dire et jus-
tifie celle de l'amant. Plus une femme l'emporte sur les autres
par sa beaut physique et morale, plus elle rend meilleur celui
qui la contemple. L'attrait qu'exerce son esprit, par l'interm-
diaire du corps, sur l'esprit de l'amant, fait que ce dernier aspire
s'identifier elle.
Per molt amar en altre mi tresport,
si qu'esser pens tt la person'aquella...
(LIV, 21-22).
Lo pensament dels amadors cogita
si que un cors fa dels dos qui molt s 'amen.
Los esperits dins en aquells se clamen
com u'n lo cors de l'altre no habita...
(LXVII, 17-20).
(1)
VII, 30
;
XXIII, 10.
{2)
XXIII, 23, 27.
(3)
Cf. XXXVI, 25, 32
; L, 17-18.
216 CHAP. II. LES IDES DAUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
Il n'a en vue que ses vertus :
Nostr'esperit sols bns e virtuts guarda,
quant solament usa de sa natura,
amant per si aquella creatura
que les virtuts als vicis li son guarda
(LXXIII, 53-56).
Ce qu'il dsire d'elle^ c'est son amour, non le plaisir sensible :
Dlit no sent la vostra carn tocan,
tant mon voler del vostr'es desijs...
(LXXVIII, 25-26).
C'est qu'en effet chacun aime en l'autre ce qui lui ressemble :
Casc requer e vol a son semblant
;
(XIII,
9).
Cascun semblant a son semblant esguarda
;
(XX,
25).
et Auzias March est port par sa nature aimer sa dame :
L'enteniment e calitat s'acorden
amar a vos en qui es llur semblana :
(XXXIV, 37-38).
Per vos amar fon lo meu naximent...
;
(LVIII,
30).
Toute mdaille a son revers. Les vertus par lesquelles le
pote s'est senti attir vers sa dame ont leur contre-partie. De
l, aprs l'loge, la critique r aprs le dithyrambe et la chanson,
le maldit ou tout au moins le sirvents. Les plaintes que susci-
tent les dfauts de sa dame tiennent mme la plus grande place
dans son uvre. Ce sont eux qui le dsesprent et lui font
souhaiter mille fois la mort.
Deux griefs principaux sont fornuds contre elle. 11 lui re-
proche, en premier lieu, de ne pas Lainier, de rester insensible
son amour pur dont elle ne s'aperoit mme pas :
No se als fats com no Is fon de prsent
en fer que vos d'amar haguesseu cura...
(LVIII, 31-32).
CE qu'il leur reproche 217
Cette ingalit^ contraire aux lois de l'amour qui exigent une
bienveillance rciproque^ cette injustice soulve chez lui de
frquentes rclamations.
Il la blme^ d'autres fois, de ne pas prouver pour lui le vri-
table amour et de le faire retomber par ses charmes physiques
dans les errements et les folies de sa jeunesse. C'est l'ternel
reproche de l'honime la femme, d'Adam Eve qu'il accuse
de l'avoir entran dans sa faute :
Si com Adam prs mal del vedat gust,
com sa muUer li mostr mal cami,
dient : Adam, mengem d'aquest boci,
e semblarem a Deu qui es tt just ,
ne pren a mi, car mon seny ha cregut
la voluntat fent li promissi
que be'nservint aconsegria d
que per null temps tal no fon conegut.
(VII, 49-56).
Plena de seny, yo vull e Deu dispensa
que per amor yo fenesca mos jorns
;
mas, si m'escap, per null temps dar torns
per dona qu'en ver'amor se defensa.
(XXII, 41-44).
Ce qui manque le plus aux femmes, c'est la fermet et la
constance en matire d'amour pur
(1)
:
Car fermetat de dona
y
es mester !
(VIII, 39).
Cette inconstance a pour origine leur inintelligence foncire,
c'est--dire leur nature trop affective, o l'apptit tient plus
de place que la raison, et c'est tort que l'on prtend les aimer
pour leurs vertus :
O FoU'Amor, malament se arrisca
qui per virtuts vol amar nuUa dona.
Sa calitat
y
'1
lloch la fan ser bona,
car en rah quai sera la que
y
visca ?
(LXXVI, 41-44).
(1)
Voy., sur le mme sujet, toute la pice LXXI qui devient, vers la fin, une
vritable satire contre les femmes.

^Cf. CXXII, 20 : Totes son carn


y
en
carn es lur cabal , et CXXII bis, 25-27.
218 CHAP, II, LES IDES DAUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
Assats a mi es causa descuberta,
que pur'amor no pot en dona caure.
(LXXXVII, 267-268).
Et il ne se lasse pas de les conjurer de mettre fin son sup-
plice en l'aimant sans aucun dsir sensuel. Cette ternelle ten-
tation qu'elles exercent sur lui l'irrite et il se rpand en invec-
tives contre elles. Il leur en veut de leur faiblesse et de la
sienne^ et l'on peroit dans cette misogynie les cris de la sen-
sualit contenue grand peine et finalement dchane. C'est
pour cela qu'aprs avoir adress ses hommages Plena de
Seny et Lir entre carts, il se tourne du ct d'Amour (Amor,
Amor) et mme de Fol Amour
(0
FoU'Amor) pour en numrer
tous les tourments.
Ainsi Auzias Mardi avait imagin la femme comme un tre
thr;, purement rationnel et raisonnable. Il la parait de tous
les dons de la Divinit et voyait en elle la source d'motions
clestes. Elle devait tre l'auxiliaire et le but de ses efforts
vers la perfection et, pour ainsi dire, l'initiatrice du souverain
bonheur.
Ce rve naf et grandiose s'est vite dissip. Sa dame est une
crature plus belle, plus intelligente que les autres, mais in-
capable, comme elles, de se contenter des joies suprieures que
donnent la science et l'adoration muette et respectueuse dont
il l'entoure. C'est une nature sensuelle, passionne, qui aime
descendre jjarfois de son empyre potique et goter aussi
l'amour terrestre. Le pote rsiste d'abord ses sductions,
mais ne tarde pas
y
succomber, puis, honteux et repentant,
revient l'amour spirituel .
Que l'on considre les devises Mon derrer h, Senyal de h,
Bell'ah bon seny comme se rapportant la mme dame que
Plena de seny et Lir entre carts, ou, ce qui est plus probable,
comme dsignant d'autres femmes, qu'il ait crit ses posies
n l'honneur d'une seule amie ou de plusieurs, ce sont toujours
les mmes louanges et les mmes reproches. Il nous remet sur-
tout sous les yeux les raisons qu'il a de se plaindre et de souffrir
d'avoir assign comme fin sa vie l'amour de la femme. L
rside la principale cause de son incurable mlancolie.
LUCRCE d'aLAGNO 219
III
Une seule femme trouve grce ses yeux vers la fin de sa vie.
Il est vrai qu'elle n'est pas en Espagne, en de du Phare de
Valence )), mais par del les mers, Naples
(1).
C'est la ma-
tresse du roi Alphonse V d'Aragon, la belle Lucrce d'Alagno.
La passion que le Roi a pour elle ne trouLle aucunement sa
raison. Nul ne montre mieux que lui la possibilit de la science
pure rgnant en souveraine dans l'esprit humain :
Vos, Mon Senyor, haveu sciena vera,
y
els apetits mais a vos no contrasten,
Mostrau a molts, qui u saben e no u tasten,
si 1 passionat ha la rah sancera !
(CVIII, 101-104).
Quant Lucrce, elle est l'exemple de tout bien :
Aquesta es l'exemple de tt b.
Qui sera donch qui la puga' stimar ?
E rey valent se jaqueix rahonar,
mas, dona tal, en maravella v !
(CXXII his, 33-36).
Si merveilleux que ce soit, en effet^ Auzias March a cru, avec
Pre Torroella et les auteurs du Cancionero de Stuniga, Juan
de Tapia, Juan de Andjar et Carvajal, la puret de l'affec-
tion qui unissait le Roi la sduisante
Napolitaine. Les m-
moires ou les correspondances du temps
prouvent que cette
opinion tait gnralement partage
(2).
Imaginaire ou rel,
cet amour

platonique tait Inen fait pour exciter l'enthou-
(1)
CXXII his. 29-30.
(2)
Voir notre tude sur la Chionol. dea posies cl' A. M., dans Romania,
XXXVI, 213, 217.
l
220 CHAP. II. LES IDES d'aUZIAS MARCH SUR LES FEMMES
siasme de notre pote, surtout aprs ses expriences malheu-
reuses. Aussi ne tarit-il pas en loges sur l'un et l'autre amant :
Un fenix hom dona semblant requer
e Deu permet que Amor aquests juny...
(Ibid., 37-3S),
et, pour mieux caractriser la nature de leur liaison, il nous fait
voir, dans Yendrea, le Roi en contemplation devant sa clame,,
comme en prsence de Dieu :
Dona, que vos haveu sovint davant,-
satisfaent vostres senys e rah.
(Ibid., 77-78).
Lvicrce d'Alagno prend dj, avec Auzias March, la physio-
nomie de ces Italiennes qui, l'poque de la Renaissance, furent
les amies des princes et des artistes. On sait qu'elles se plai-
saient entendre les dclarations d'amour idal que leur adres-
saient les potes, et leur loggia tait le rendez-vous des beaux
esprits passionns de musique et de philosophie
(1).
A ces femmes savantes et chastes, qui se piquaient de
connatre les belles choses et reprsentaient plus ou moins
parfaitement l'idal conu par Auzias March, s'oppose l'impu-
dique Na Monbohi. C'est une entremetteuse en qui le pote a
voulu incarner l'amour grossier et vnal. Deux traits sont
relever dans son portrait. Elle est velue et compare une nour-
rice qui allaite son enfant, probablement parce qu'elle a les
seins accuss et pendants. Ce symbole de la maternit, qui
prendra plus tard tant d'importance dans les peintures de la
Vierge elle-mme, est, pour Avizias March, comme pour ses
contemporains, un des signes de la laideur
(2).
Na Monbohi est
(1)
Voy. E. RoDOCANACHi, La femme italienne l'poque de la Renaissance,
p.
281.
(2)
Un pote italien du xvi^ sicle, Niccolo Campani, cit par E. Rodocanach
[Grande Rei'ue, XXXIV, 15 juin 1905, p. 538),
reprsente encore la femme
laide poilue et avec des seins pendants, comme on le voit aux chvres . Dj,
au XIV sicle, l'auteur anonyme du Facet catalan lui donnait un corps de
chvre [Romania, XV, 220 b], tandis qu'il attribue la femme belle de si pe-
tites mamelles
Qu'en la ma d'un pauc infant
Cabrien molt verayamant. [Ibid., 209 a).
LA FEMME LEGITIME
221
tout le contraire de la femme blanche, dlicate et sans
poitrine
qu'il a dpeinte sous le nom de Thrse. Loin de pouvoir la
confondre, comme on Ta prtendu jusqu' prsent, avec Lir
entre caris, on pourrait dire, suivant une expression familire
qu'elle lui sert de repoussoir.
Des deux femmes qui ont t unies lui par les liens du ma-
riage, Auzias March ne dit rien, pas plus d'ailleurs que des ser-
vantes-matresses qu'il a eues du vivant et aprs la mort des
premires. Les enfants que lui ont donns les unes et les autres
prouvent cependant qu'il ne s'est point content de deviser
avec elles de l'amour idal. Il avoue lui-mme, dans la pre-
mire rdaction de son ptre au Roi et Lucrce d'Alagno,
qu'il prouve pour le beau sexe des ardeurs qui n'ont rien d'im-
matriel :
Tant quant a o recapte Is donar !
(CXXII,
21).
Mais le rle d'une pouse ou d'une servante est d'assurer en
silence la perptuit de la race et de vaquer aux occupations
du mnage
(1).
C'est ainsi qu'il nous les montre encore, dans
un passage fort obscur, prenant soin du chevalier brave aux
approches de la mort
(2).
Mais elles n'ont gure hant son esprit,
quand il courtisait les Muses. Tout au plus pourrait-on en
souponner l'influence dans la peinture qu'il nous fait des
tourments de l'amour physique ou dans les jugements svres
qu'il porte sur les femmes en gnral.
Parmi toutes ces figures de femmes, celles qui ont le plus de
relief sont celles de Lucrce d'Alagno et de Na Monbohi. Ce
sont des images concrtes, de vritables portraits. Il n'en est
pas de mme de Thrse, ni d'aucune des dames qu'a clbres
Auzias March sous ses divers senyals. Il ne nous en offre nulle
part une forme complte et dfinitive. Ce sont deux ou trois
traits, toujours les mmes, une srie d'attitudes dont on ne
fait, quand on les runit, qu'un profil vague, une sorte de schme
abstrait sans vie et sans couleur.
Devons-nous en conclure qu'il s'agit dans ces posies de
(1)
LXXI, 103-104.
(2)
XXX, 16.
222 CHAP. II. LES IDES d'aITZIAS MARCH SUR LES FEMME&.
l'amour de la Sagesse ou du souverain Bien plutt que de l'af-
fection pour une personne humaine ? Certes, une telle interpr-
tation se prsente d'elle-mme l'esprit, quand on lit certaines
analyses psychologiques obscures et compliqvies, o, seules,
la tornada et la devise nous ramnent dans le monde rel.
Nous avons envie de lui crier avec Molire :
Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature !
D'aussi subtiles dclarations ne sauraient convenir qu' des
abstractions potiques, non des femmes vivantes.
Mais, outre que le pote donne une de ses dames le prnom
de Thrse, qui, diffrent en cela de celui de Batrice et de
Laure, n'a rien de symbolique, et reconnat qu'elle est marie,

ce qui semble bien indiquer qu'il ne s'agit pas d'une


dame
potique purement imaginaire, il fait allusion un fait mys-
trieux qui se serait accompli certain matin
(1)
et ne laisse
aucun doute sur l'existence de relations relles entre les deux
amants.
Enfin, aprs tre rest longtemps sans s'occuper
d'amour,
c'est--dire sans crire en vers, il ne sait plus qui
adresser sa chanson, une des dernires qu'il ait crites :
No se a qui adre mon parlament
perqu'es lonch temps no m parl ab Amor,
e don'al mon no sent de ma tristor...
(CXI, 41-43).
Ses amours potiques ne furent donc pas une simple fiction..
La proccupation qu'il manifeste de mettre cette pice sous
le patronage d'une nouvelle dame, qui aurait accept, au pra-
lable, ses hommages, nous indique quelle part eurent ls femmes
dans son uvre. Dsireux de suivre la tradition tout autant
que d'analyser ses propres sentiments, il a t le vassal, le
troubadour amoureux d'une ou plusieurs dames auxquelles il
a ddi ses posies et dont quelques traits ont pu lui servir
composer le type de la femme dsirable. Mais des souvenirs
littraires lui ont fait plus d'une fois sans doute oublier l'objet
(1)
XXV, 38.
SES AMOURS POTIQUES 223'
premier de ses descriptions. Son amour est souvent
activit
d'esprit ou mieux fantaisie d'rudit plus que sensibilit.
Plu-
sieurs des formules qu'il emploie pour dpeindre la beaut de
sa dame, comme pour exprimer le culte qu'il lui a vou, rap-
pellent certains thmes et certaines formes d'art dont le succs,
s'tait dj affirm avec clat en Catalogne
et en Italie.
CHAPITRE III
LES POESIES AMOUREUSES. AUZIAS MARCH ET LES
TROUBADOURS
Auzias March se proposait de faire uvre d'art plus encore
que d'enregistrer les battements de son cur. Comment en
aurait-il t autrement l'poque et dans le milieu o il tait
n
?
Nous avons vu que son oncle Jacme avait t un des fon-
dateurs de l'Acadmie de Barcelone et avait, par got autant
que pour donner l'exemple,
compos des posies la manire
des Franais et des Provenaux.
Avec son pre, Pre March le
vieux, et son cousin Arnau, l'influence du Consistoire Barce-
lonais s'tait tendue jusque dans le royaume de Valence o
ils avaient contribu
introduire les procds de l'Ecole Tou-
lousaine. Tous les crivains du temps se livraient d'ailleurs
des exercices
potiques, fabriquaient des chansons d'amour en
ouvriers
consciencieux et habiles, plus proccups d'apphquer
les recettes des Leys d'amors que d'interprter leurs propres
sentiments.
Les formes provenales ou limousines, comme on
disait
Valence, moins nombreuses cependant qu'au moment
o crivaient
Cerveri de Girona et mme Ramon LuU, abon-
daient encore dans leur langue potique, toujours diffrente
de celle de la conversation ou de la prose. En un mot, il s'agis-
sait pour tout pote de rivaliser avec les troubadours en les
imitant.
Cette tradition
s'imposait Auzias March. Il s'y est con-
form ds ses premires uvres en demandant aux potes de
l'amour,
Franais et Provenaux, les secrets de leur talent. Il
serait superflu
de dmontrer cette parent, si elle n'avait t
OPINIONS
SUR CE POINT
225
conteste
ou tout
au moins
singulirement
restreinte
par la
plupart des critiques catalans ou castillans
qui se sont occups
de notre auteur.
Acceptant trop
aisment
cette ide
rpandue
depuis le xvie
sicle que la posie
amoureuse
d'Auzias
March
drivait de celle
de Ptrarque,
ils ont nglig ses sources les
plus rapproches.
J. M.
Quadrado
(1)
ne dit rien des trouba-
dours et croit
mme, quels que soient les rapports du pote cata-
lan avec le chantre
de Laure,
son entire originalit.
Le savant
M. Mil
y
Fontanals, interrog
en
1857, par Eugne Baret, qui
allait publier la premire dition de son ouvrage : Les Troubadours
et leur influence sur la littrature du Midi de l'Europe, affirme
tout
d'abord, mais non sans quelques rserves
prudentes,
qii'Auzias March
n'a pas imit les Provenaux
(2).
Puis, dans
une
seconde lettre
(3)
Eugne Baret et par une note de ses
Troi'adores en
Espana
(4),
il modifie un peu son opinion. Tout
en dclarant de nouveau qu'il est difficile de dcider si Auzias
March
a tudi les Provenaux, la forme des comparaisons lui
parat tre sensiblement la mme de part et d'autre, et, pour
le fond, les posies en vers libres, les estramps du pote valen-
cien,
surtout ceux qui traitent des sujets moraux, lui rappel-
lent les troubadours. Enfin sa Resenya dels antichs poetas cata-
lans,
publie en
1865, signale, parmi les lectures d'Auzias March,
les romans franais, au moins ceux du cycle breton^ et aussi
quelques uvres des anciens provenaux
(5).
Bref, Mil d-
couvre^ dans Auzias March, mesure qu'il le lit davantage, des
traces de plus en plus marques de la posie courtoise conven-
tionnelle venue de France. Evolution intressante noter et
qui prouve avec quelle bonne foi procdait toujours Mil
y
Fontanals. Presque la mme poque, Amador de los Ri'os
(6)
nous ramne uniquement Ptrarcjue. J. Rubi y Ors
(7)
(1)
Museo Balear,
1875, p.
134.
(2)
La lettre de Mil Baret figure dans la troisime dition, Paris, 1867,
p.
410. La premire dition avait pour titre Espagne et Provence. Etudes sur la
lia. du Midi de l'Europe, Paris, 1857.
(3)- EuG. Baret, op. cit.,
3^
dit.,
p.
410.
(4)
ire
dition, 1861, p.
487
; Ohras, II, 516.
(5)
P. 144
; Ohras, III, 177.
(6)
Hist. crit. de la lit. espr, VI, 494.
(7)
Ausias March
y
su poca
(1882), p. 10.
Am. Pagi^s.

Auzias March. 15
226 CHAP. III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
adopte, en somme, l'opinion de Mil, mais lui reproche cepen-
dant de n'avoir pas marqu assez nettement les diffrences cjui
sparent Auzias March des potes occitaniques. Pour D, Mar-
celino Menndez
y
Pelayo
(1),
on a vainement cherch rat-
tacher son platonisme erotique aux chansons des provenaux ).
Enfin le dernier historien de la littrature catalane, D. AnI.
RuLi
y
Lluch
(2),
admet bien l'influence de la Provence sur
Auzias March, mais il Tappelle, avec une insistance qui diminue
grandement la porte de son aveu, le plus original entre les
potes les plus originaux de tous les temps, originalisimo entre
los ms originales poetas de los siglos
(3),
et nagure encore il
ajoutait cju'il est un pote vraiinent personnel et trs original,
un poeta verament personal
y
originalissim
(4).
A force de rpter ces assertions, on les a crues inattaquables et
elles ont trouv un cho trop complaisant, mme en Allemagne
(5).
Cependant la principale raison invoque par leurs auteurs s'va-
nouit, si on l'examine de prs. Elle est tire du dbut de la
chanson XXIII que nous avons traduite plus haut :
Lexant a part l'estil dels trobadors
qui, per escalf, trespassen veritat...
(v. 1-2).
Cette dclaration a paru tre une attaque contre tous les
troubadours sans exception, alors qu'elle vise uniquement
ceux qui outrepassent la vrit dans l'loge de leur dame. Et
le pote catalan ajoute, en effet, pour mieux s'opposer eux,
qu'il se contentera de dcrire, sans exagration aucune, les
beauts de la sienne :
E, sostrahent mon voler affectt
per que no m torb, dire 1 que trob en vos.
(V. 3-4).
(1)
Hisloria de las ideas estticas en Espana
(1883),
I, 393.
(2)
Sumario de la hist. de la lit. espanola
(1901), p
82.
(3)
El renacimienlo clsico en la lit. catalana
(1889), p.
34.
(4)
Doc. per la cultura cat. mig-eval
(1908), p. xxxii.
(5)
O. Denk, Einfiihrung in die Geschichte der altcatalanischen Litteratur
(1893), p.
385.
SON ACCORD AVEC EUX
227
Cela est si peu une preuve du ddain qu'il
professe
pour les
troubadours que le trait leur est em])runt
(1). C'est un de leurs
lieux communs. Chacun d'eux ne se vante-t-il
pas d'tre le
seul

ne dcerner que des louanges mrites la femme qu'il
aime
? Nous avons relev le mme thme chez
Arnaut de Ma-
reuil :
D'aisso sai grat als autres trobadors
Que quascus pliu en sos digz, et afia
Que sa domna es la genser que sia
;
Sitt s'es fais lurs digz, laus e mercei,
Qu'entre lurs guaps passa segurs mos vers...
(Rayn., Choix, III,
213).
Raimon de Miraval dit son tour :
Tug li trobador engal,
Segon que an de saber,
Lauzon domnas per plazer,
E non guardon cui ni quai;
Mas qui trop mais que no val
Lauza si dons, fai parer
Qu'esquerns es e non ren al
;
Mas ieu n'ai cauzida tal
Qu'om non pot dire mas ver,
Si doncs non dizia mal...
{Ibid., 361).
Rien ne serait plus facile que de dcouvrir
ailleurs
(2)
cette
mme ide que les autres
troubadours
prodiguent leurs
dames des loges excessifs.
(1)
C'est un sentiment analogue, plusieurs fois exprim par les troubadours,
que nous trouvons dans la pice XXII, 1-4
:
Callen aquells qui d'amor han parlt
e dels passats deliu tots lurs escrils,
en mi pensant meteu-los en oblits :
en mon csguart deg's enamorat.
(H) Non die fenchas ni laus cum suelh , dit encore Guillem de Cabestany
{Rayn., Choix, III,
112)
;
" Car am mielhs e pus temcns
de totz los autres trobadors >>
ajoute Peire Bremon Ricas Novas. (Ray.n., Choix, V, 299).
228 CHAP. III.
-
AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
Mais le pole lui-mme^ loin de faire fi du Gaij Saher, n'hsite
pas reconnatre qu'il en a feuillet les ouvrages et s'en fait
mme un titre de gloire .
Per mais parls he tret saber e cura
de retenir lo foch d'amor sens fum,
e per ao he cartejat voliim
d'aquell saber que sens amor no dura
(1).
(V, 17-20).
Parmi ces auteurs qu'il a lus et auxquels il a emprunt
la connaissance des lois de l'amour et la dogmatique sentimen-
tale, telle qu'elle fut constitue au Moyen ge, certains appar-
tiennent la France du Nord. Disons-en quelques mots avant
d'examiner ce qu'il doit rellement aux troubadours.
Le premier des crivains de l'antiquit qu'ait cits Auzias
March est Ovide cju'il qualifie de preux et dont il loue
''
le
dit et les prches )/ :
Ovidi 1 prous dix qu'amor es crescuts
per altr'amor demostrant sa factura.
Verdader fon son dit e sos presichs...
(VII, 19-21).
Mais, chose curieuse, on chercherait en vain une ide de ce
genre dans les diffrents pomes d'Ovide. C'est qu'Auzias March
l'a puise dans une des nombreuses imitations que suscita, en
France, son Ars amatoria et qui contriburent au dveloppement
de la conception mdivale de l'amour. On en tira entre autres
une sorte de livre de civilit, connu sous le titre de Facetus et
attribu Jean de Garlande, qui ne tarda pas passer les Pyr-
nes et fut traduit ou longuement paraphras en catalan, au
xiv^ sicle
(2).
Or le texte latin prsente, vers la fin (v. 385-
438),
aprs les conseils d'Ovide sur l'art d'aimer, quelques ides
sur l'amiti empruntes pour la plupart, comme nous le ver-
rons, Cicron et Aristote, et qui semblent avoir inspir
le passage d' Auzias March. En voici les plus caractristiques
:
(1)
Cf. VIII, 6.
(2)
M. Alf. Morel-Fatio en a publi pour la premire fois le texte latin et
l'imitation catalane dans Romania, XV, 192-235.
LA LITTRATURE
FRANAISE
229
Fidus in adversis ostenditur omnis amicus,
Si tune dsistt, falsificatur amor.
Quilibet inspiciat cui conjungatur amico,
Qui sit propitius nocte dieque sibi.
Providus ejusdeni doctrine querat amicum,
Artis et officii commoditate parem...
[Romania, XV, 233
;
v. 395-400).
D'autres allusions montrent qu'il connaissait les histoires,
racontes dans les Mtamorphoses, de Pyrame et de Thisbc
(1),
de Mde et de Jason
(2),
de Thse et d'Ariane
(3),
de Lyn-
ce
(4),
et enfin de Tantale
(5),
plutt d'aprs VOvie moralis
de Chrtien Legouais, depuis longtemps introduit en Cata-
logne
(6),
que d'aprs le pome latin. Quelques-uns de ces hros
y
sont considrs, avec tout le Moyen ge, comme de parfaits
amants ou d'innocentes victimes de l'amour. D'autres four-
nissent matire des comparaisons connues.
Il a lu aussi, ou tout au moins entendu lire durant ses en-
fances ') ou dans les
'(
jardins dlitables -) qui l'avaient tant
charm autrefois les grandes gestes
(7),
et, particulirement,
les merveilleux rcits du Roman de Troie
(8)
que les clercs de
son temps prfraient, dit-il, au Brviaire, et o Benot de
Sainte-More nous reprsente une cit fodale remplie de che-
valiers galants et de dames courtoises. On sait que la version
latine qu'en avait faite Guido dlie Colonne
(9),
ds le xiii'^ sicle,
(1)
IX, 15-16.
(2)
LI, 25.
{3)
LI, 26.
(4)
XXVI, 45.
(5)
XXXI, 42
;
CIV, 226.
(6)
Voy. ci-dessus, 2^
part., ch. ii,
p.
164.
(7)
XIII, 3-4
;
Cf. XLIII, 22
;
LVI, 16.
(8)
Pren m'en ax
... com lo clerch fahent de festes cerca
en li Troy, Uexant lo Breviari.
(C. 57,
59-60).
(9)
A. Morel-Fatio, Kat. Lit., 115. Cf. Romania, 1, 390 ; J. Mass Torrents,
Manuscrits cal. de la B. A', de Madrid, Barcelone, 1896, in-8,
p.
93
;
et B. San-
visENTi, / primi iuflussi, p.
389.

Une note en margo d'une pice de Vall-


manya, dans le Canoner d'Amor de Paris, cite la version de Guido de Co-
lumpnes (T. Amat, Dicc, 641).
230 CHAP. III. *AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
avait t traduite en catalan en 1367 et qu'il en existait d'au-
tres textes espaonols drivs^ eux aussi, du franais.
Mais c'est surtout la matire de Bretagne qu'il demande,
comme Jacme et Arnau March^ la peinture de l'amour cour-
tois. Le Lancelot est le seul roman del Table Ronde qu'il cite i
E Lanalot hac en axnor tal astre
que fon request
i^er dona qu'en o morta...
(XV, 27-28),
mais d'autres uvres du mme cycle et mme des popes,
qui avaient obtenu presque autant de succs en Cataloone,
durent aussi attirer son attention
(1).
Le De Amore d'Andr le
Chapelain lui ofl'rit enfin un expos plus systmatique des rgles
de l'amour tel qu'il avait t conu partir du xii^ sicle.
De toutes ces lectures publiques ou prives il a gard, non
pas seulement les ides sur l'amoui-, le type idal et chevale-
resque de l'amant, mais une expression caractristique, l'pi-
thte pique de douce France o nous retrouvons un cho
pntrant de l'admiration qvi'excitrent en lui les chansons de
geste :
En ser content casc ha esperana
e follament aquell dlit espra,
car los llidons vol trobar tn figuera
e talls morischs cerca'n la dola Frana !
(C, 145-148).
Au contraire, un seul vers (CXVIII,
91),
o il montre
ciue
la cheville de Florinde, svirnomme La Cava par les Arabes,
fut pour l'Espagne ce cju'avait t pour Rome, suivant le mot
fameux de Pascal, le nez de Cloptre, rappelle la littrature
espagnole
proprement dite, les romances du dernier roi wisi-
goth Don Rodrigo
(2)
et la domination musulmane sur la
Pninsule.
(1) Mos fets d'amor ab los Romans acoiden
que foren nis que los escrits no posen...
(LXXIII, 5-6)
(2)
Mme allusion dans Jacme Roig, Spill, 7209.

Le rcit des amours de


Don Rodrigo et de la mauvaise femme se trouve dans la Coronica del rey Ro-
derico, cap. clxv.
LA POSIE
PROVENALE
II
231
Mais
celle des
littratures
modernes qui a exerc la plus pro-
fonde
influence
sur Auzias March comme sur ses
prdcesseurs,
est la posie
provenale.
Nous en avons dj
indiqu
quelques
preuves. Il convient
maintenant de
rechercher,
d'une
manire
plus prcise, jusqu'
quel point il a t un
imitateur des trou-
badours.
C'est
d'abord une
vrit pour ainsi dire a
priori
qu'aucun
des
auteurs de cette
poque ne saurait
tre
parfaitement
ori-
^inal. M. A. Jeanroy (1)
a fait observer,
avec
beaucoup
de rai-
Ton,
qu'au Moyen ge la mthode de
l'autorit
s'impose,
non
pas'seulement la
philosophie
et la
thologie,
mais
encore
la posie et dans
toutes les
manifestations
artistiques.
Tous
les potes, surtout
parmi ceux
qui font
partie de
corporations
comme celles de
Toulouse
et de
Barcelone
ou
qui
gravitent
autour d'elles,
s'attachent crire
suivant des
rgles
communes,
conformment des modles
obhgatoires.
On ne
peut
donc
connatre Auzias
March sans
avoir dress
une
liste au
moins
sommaire de ses
emprunts au
trsor
provenal
o
tous
ses
contemporains se
piquaient
de
puiser
pleines
mams.
Parmi les quelques
livres
que
mentionne
l'inventaire
de ses
biens situs Valence,
deux
se
rapportaient,
nous
l'avons
vu
(2),
au Gay Saber, et l'un
d'entre eux, en
parchemin,
com-
menait par ses mots
: Mestre
Miquel de la Tor es de la
Gaya
Sciencia.
Peut-tre
est-ce
le
chansonnier,
aujourd'hui
perdu,
o ce notaire de
Nmes,
doubl
d'un
troubadour,
^^ait
re-
cueilH bon nombre
d'oeuvres
de ses
prdcesseurs (3).
Mme
si cet incipit vise un
autre de
ses
ouvrages
sur
les
vies
des
troubadours, il noxis
apprend
qu'Auzias
March a lu
les
biogra-
phies de la plupart des
potes
provenaux
de la
priode
cias-
(1)
Origines de la posie lyrique en France,
2^ d.,
p.
303.
(2)
Ci-dessus, p.
114.
(3)
CiiABANEAU.
dans Hist. de Lang., X, 212.
232 CHAP. III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
sique
(1),
ainsi que celle de Peire Cardenal par lequel terminait
Miquel de la Tor et qui marque dj le dbut de la dcadence.
Comment^ ds lors^ ne pas admettre qu'il a pouss plus loin
sa Curiosit^ alors surtout qu'il dclare lui-mme avoir feuillet
maint volume du Gay Saber ? Dans la bibliothque de son
pre figuraient aussi un Canoner prescfue srement provenal,
ainsi que le Briviari d'amor de Matfre Ermengau de Bziers.
On ne peut douter qu'Auzias Mardi a consult chez ce dernier
le prilleux trait de l'amour selon la doctrine des anciens
troubadours o
qui n'est qu'un vaste recueil d'extraits de chan-
sons provenales
(2).
De tous les troubadours anciens et modernes, Arnaut Daniel
et Pau de Bellviure sont cependant les seuls cju'il ait nomms.
Il les met en bonne place dans le martyrologe de l'amour, sur
lequel il rve sans doute d'tre inscrit son tour. A l'un la
passion a fait perdre la parole, l'autre la raison.
Mil
y
Fontanals
(3),
entran malgr lui par une tradition
plusieurs fois sculaire rattacher notre pote l'Italie, sup-
pose c^u'il n'a connu Arnaut Daniel que par le clbre passage
de l'Enfer
(4)
o Dante place le troubadour prigourdin au-
dessus de Guiraut de Bornelh. Cette hypothse ne serait accep-
table que si l'on sparait les vers d'Auzias March de leur
contexte o il affirme que l'Amour l'a rendu muet.

Ne criez
pas au miracle, ajoute-t-il. Rappelons-nous ce qui est arriv
Arnaut Daniel et d'autres potes qui ne sont plus. L'Amour
ne leur a-t-il pas t la parole ?
Amor li plau que perda lo parlar.
Envers alguns ao miracle par,
mas si ns miembram d'En Arnau Daniel
e de aquells que la terra Is es vel,
sabrem Amor vers nos que pot mostrar...
(XLIX, 24-28).
(1)
Barbieri, Dell' origine dlia poesia riinata, pub. dal cav. G. Tiraboschi,
Modne, 1790. Voy. la prface et
p.
120.
(2)
Hist. lin., XXXII,
p.
40.
(3)
Trovad. en Esp.,
fe
d. p. 487 ;
2^ d., Obras, II,
p.
516.
(4)
XXVI, 120 et suiv.
ARNAU DANIEL
ET PAU DE BELLVIURE 233
C'est un thme frquent dans la posie provenale, mais sur
lequel Arnaut Daniel insiste plus particulirement dans deux
de ses pices, rptant plusieurs reprises qu'Amour lui com-
mande de se taire :
... enqueram sent de la flama
D'Amor quim manda
Que mon cor non espanda.
(A. Daniel, d. Canello, 103).
Arnautz ama e no di nems,
C'Amors l'afrena la gauta,
Que fols gabs no laill comorda.
(Ibid., 105).
Un autre rapprochement s'impose nous entre Arnaut Da-
niel et Auzias March, Le troubadour, voulant exprimer l'tat
de folie dans lequel l'a mis l'amour, s'crie dans la tornada
d'une de ses pices :
leu sui Arnautz qu'amas rav:\ra
E chatz la lebre ab lo bou
E nadi contra suberna.
{Ibid., 109).
Ptrarque, le premier, a imit ce passage dans le
son. CLXXVII :
Ed una cerva errante e fuggitiva
Caccio con un bue zoppo e' nfermo e lento
(1).
Mais c'est plutt aux vers d'Arnaut Daniel
qu'Auzias a
pens, quand il a crit cette tornada :
Lir entre carts, ab milans ca la ganta
y
ab lo branxet la lebre corredora.
Assats al mon cascuna' s vividora,
e mon pits flach lo Passi de Rams canta
(2).
(LXIV, 25 28).
(1)
Cf. Sest. VIII : E col bue zoppo andrem cacciando l'aura...
(2)
Lis entre chardons, je chasse la pie avec les milans, et avec le petit
braque le livre agile. Chacun de ces animaux vivra encore assez, tandis que
ma faible poitrine chante la Passion du Dimanche des Rameaux.

234 CHAP. III. AtJZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
Ce n'est pas non plus par ou- dire qu'Auzias March a connu
Pau de Bellviure, ce troubadour catalan qui a probablement
vcu au xiv^ sicle avant Pre March. Il nous reste de lui une
chanson et surtout un curieux neuvain que nous a conserv
Francesch Ferrer dans son Conort, recueil des couplets catalans
ou provenaux contre les femmes^ les mieux faits pour nous
aider
leur rsister. Voici cette strophe d'aprs le Canoner
d'amor :
Per fenibra fo Salamo enganat,
Lo Rey Daviu e Samsso exament.
Lo payr' Adam ne trenc 1 mandament
;
Aristotil ne fou com ancantat,
E Virgili fou pendut per la ter,
E Sent Johan perde lo cap per llor,
E Ypocras mon' per llur barat.
Donchs, si avem per doues folleiat,
No [he] smayar tenir tal companyia.
(B. N. Paris, Esp. 225, fol. 163).
L est^ sans aucun doute^ l'origine du souvenir mu et spi-
rituel
la fois qu'Auzias March adresse son compatriote,,
devenu fou la suite de ses folies pour les femmes :
En recort es aquell Pau de Bellviure
que per amar sa dona torn foU.
(LI, 27-28).
D'Arnaut Daniel Pau de Bellviure deux sicles environ se
sont couls. Auzias March ne doit pas avoir ignor les nom-
breux troubadours qui ont crit durant cette longue priode,
et, s'il ne les nomme pas, il n'en est pas moins possible de re-
trouver leur influence aussi bien dans ses thmes que dans la
faon dont il les a dvelopps.
L'amour courtois
(1)
a pris de trs bonne heure chez les
potes du Moyen ge le caractre d'un service analogue celui
(1)
Nous avons suivi dans ses lignes gnrales l'expos qu'en a fait M. J. An-
GLADE dans ses Troubadours, Paris, 1908,
pp.
74-99.
LE VASSELAGE AMOUREUX
235
du vassal vis--vis de son souverain. Pour tre amoureux^ il
faut tre rhomme-lioe d'une dame ou de l'Amour et s'enoaoer
par un serment remplir des obligations dtermines. Ce
vas-
selage amoureux
,
qui semble avoir pris naissance chez les
troubadours provenaux, se trouve chez Auzias March
(1),
C'est ainsi qu'il raille ceux qui, portant sur leur cu la devise
d'Amour, leur seigneur, le connaissent sans le sentir et s'ton-
nent de ses faits et gestes (XV,
16, 49-52). Il dclare ensuite,
aux symptmes qu'il prouve, cjue son seigneur. Amour, tient
ses engagements, alors que lui voudrait bien kii fausser obis-
sance :
Senyor es meu ;
Amor ferma Is contractes.
E si posqus l'obediena tolre...
(XLIII, 24-25).
S'adressant plus loin l'Amour, il lui crie :
Lexa 1 vassall qui no t vol per senyor !
(LXXIV, 38).
Puisque l'Amour ne le veut pas pour vassal, dit-il ailleurs
(XIV,
9),
il se dcide courir les aventures, tre un de ces
chevaliers errants dont Fauriel a dit que pour faire preuve
de bravoure, de force et d'intrpidit, ils allaient chercher au
loin des opprims protger et des prils braver
(2)
.
Enfin toutes ces ides d'amour chevaleresque constituent
l'unique fond d'une pice certainement inspire par une chan-
son en partie indite
(3)
de Peire Ramon de Toulouse. Pour rendre
la relation des deux textes plus manifeste, je crois utile de les
placer en regard l'un de l'autre, quelque altr et mutil que
soit celui du pote provenal :
(1)
Voy. E. Wechssler, Frauendienst und Vassalitt, dansZeilsch. fur fr.
Spr.
und Lit., XXIV, I
(1902), p.
159-190, et, du mme auteur. Bas Kuliurprohlem
des Minnesangs, Halle, 1909, passim.
(2)
Ilist. de la posie provenale, Paris, 1846, in-8, I, 533.
(3)
M. J. Anglade me fait remarquer, au moment o je corrige les preuves,
que les trois dernires strophes de cette chanson ont t publies par C. Appel,
Provenz. Ined.,
p.
248-249.
236 chap. iii. alzias :\iarcii et les troubadours
Peire Ramo.n de Tolosa
Si com l'enfas qu'es alevatz petitz
En cort valen et honratz del seingnor,
Pois, quant es grans, s'en part e quer meillor,
4 No'l pot trobar, ten se per escarnitz,
Vol s', n tornar, non a tan d'ardimen
;
Aital son eu que m parti follamen
De leis cui ren merce, si m vol sofrir
8 Que venjament en prenda' 1 no delir.
Venjar s'en pot de nii qu'er' afolitz
;
Mais hom qu'es fols, so dizion li auctor,
Non er jujatz tro que lo ten be iror,
12 Del mal qu'il fai n'es per raison punitz
;
Mas quan n'es fors, er jujatz si
'1
mespren,
O si' 1. enanz avia faiz faillimen.
E s'el fis anc, ben vos die ses mentir
16 E' 1 sap lo ver, faz om toz temps languir.
Ben o pot far e tt sera grazi[t]s.
Lo mais, l'afan, la pena, la dolor
Suffr'eu en pais, e senblara m petitz [doussor
?],
20 Mais il gart sei, qu'ai seu bon pretz floritz.
Vos non eschai e non es auinen
De totz mais faitz qu'il prenda venjamen.
Mais val pe

Dieu e mielz fai a grazir,
24 E sel qu'il prent en ual mais per seruir.
Eu ualgra mais per seruir, e garitz
M'agra merces, pieta(te)tz et amor.
Somilies tant [de
?]
sa grant ricor
28 Qu'il mandes chai salut en breu escritz !
E sui trop (o) fol, quant ai tal pensamen .1
Qu'il mandes chai, man [mas
?]
sofra'n solamen
'
Tt [Tornar
?]
uer le? [leis
?],
mains ionchas obezir
32 Tt son coman, si I platz uiure o morir.
Per son coman no fo mort ni traitz
qu'eu parti de la flor
36 De tt lo mon que m'auia noiritz.
Puois m'en parti, fui en tal marrimen,
Don fora mort, si nos fos jauzimen
Q'atent merces, per cho qu'ai dpartir
40 Me dis ploran : Deus te lais reuenir !
(Rayn., Choix, V, 326, pour les v. 1-16
;
B. N. Paris, fr. 854, fol. 86 y, et fr.
12473, fol.
70,
pour le reste).
PEIRE
RAMON
DE TOLOSA
AuziAS
March
No m pren axi com al petit vaylet
qui va cercant sonyor qui festa 1
faa,
tenint-lo calt en lo temps de la glaa
4 e fresch d'estiu, com la calor se met,
preant molt poch la valor del senyor
e concebent
desalt de sa manera,
vehent molt clar que t mala carrera
8 de cambiar son estt en major.
Com se far que visca sens dolor
(1),
tenint perdut lo b que posseya ?
Clar e molt b ho veu, si n(o) ha follia,
12 que may por tenir estt millor.
Donchs que far, puix altre b no 1
resta,
sin
plorar lo b del temps
perdut ?
Vehent
molt clar per si ser decebut,
16 may trobar qui 1 faa millor festa.
Yo son aquell qui 'n lo temps de tempesta,
quant les mes gcnts festegen
prop los fochs
e pusch haver ab ells los propris jochs,
20 vaig sobre neu, descal, ab nua testa,
servint senyor qui jams fon vassall
ne 1 vench esment de fer may homenatge.
En tt leig fet hagu lo cor salvatge :
24 solament diu que bon guard no m fall.
Plena de seny, leigs desigs de mi tall.
Erbes no s fan maies en mon ribatge
;
sia ents, com dins en mon coratge
28 los pensaments no m devallen
avall.
23T
(LXVIII).
La dame que loue Auzias March a eu partage,
nous l'avons
vu, non pas seulement la beaut,
mais encore les plus hautes
qualits
intellectuelles et morales. Il en vante
surtout l'enten-
(1)
Cette deuxime strophe manque dans les manuscrits et figure pour la
premire fois dans l'd. 1555 de Juan de Resa (Voir l'Introd.
not. d. crit.
p. 70). La comparaison avec les passages
correspondants de Peire
Ramon
prouve qu'elle n'est pas apocryphe.
238 CHAP. III. ALZIAS MARCH ET LES inOUBADOURS
dment^ le sens ,
la connaissance (VII, 22, XXV,
37) ou
sagesse, et ce sont ces mmes qualits, le sens
(1),
1'
en-
senhamens
(2),
la conoissensa
(3)
cfu'exaltent les trouba-
dours. Il implore sa merci (V, 26). De son corps il clbre le
maintien gracieux, mais par dessus tout la puissance des yeux,
parce qu'il en mane, comme pour Aimeric de Pegulhan
(4),
Uc Brunet
(5)
et tant d'autres, un fluide mystrieux qui, pn-
trant dans le cur de l'amant,
y
allume
'(
une flamme sans
feu
(6),
c'est--dire le vritable amour (CI, 25). Aussi dsire-
t-il d'elle un regard bienveillant (CXVI,
73).
La discrtion est la premire vertu exige de l'amant, et
Auzias March se dfie des mdisants, des lauzengiers
ffu'il
appelle mais parlers
(7)
(V, 17-20) ou eiwejosos (I, 44
;
VII, 44 :
XCVII,
44). C'est que Plenade seny ou Lir entre carts est une
femme marie, comme le veut la convention. Longtemps mme,
par timidit, il est vrai, plus que par discrtion, il n'ose pas d-
clarer son amour sa dame, et, comme Arnaut de Mareuil
(8)
ou Gui d'Uisel
(9),
il l'adore en silence, sans rien lui demander.
(1)
R. DE Barbezieux : Vielha de sen e de laus . (Mahn, Werke, III, 40).
(2)
Arn. de Mareuil : L'ensenhamentz e'I pretz e la valors. (Rayn,
Choix,lU, 212).
(3)
Le Moine de Montaudon :
Be m lau d'amor quar m'a donat talen
De lieys on es pre:z e sens e beutatz,
Ensenhamens, conoissensa e solatz.
(Rayis-., Choix, III, 450).
Cf. G. RiQuiER, cit par J. Anglade, Le tr. G. Riquier,
p.
248.
(4)
Quar li iiuelh son drogonian , etc. (Matfre Ermengau, repmrt d'oni.,
II, 490).
(5)
Rayn., Choix, III, 315.
(6)
Sens fum continuu foch
,111, 5 ;
Cf. V, 18
;
XVIII, 11.
(7)
E ben sapchatz que Malparl[\er[s\
Esta enaissi con rarchier[s],
Que trai e naffra ab son qairel...
[Cour d'amour in Rev. des lang. Rom., XX, 275).
Ara diran li mal parlier...
[Brev. d'amor, II, 439).
(8)
Fauriel, Ilinl. de la pos. pro'^>., II, 47. Cf. Rayn., Choix, III, 215. Ai-
meric de Pegulhan dplore aussi le mutisme dont il est afflig en prsence
de sa dame (Mahn, Ged. III, 189).
(9)
Rayn., Choix, III, 379.
LA DISCRTION. LA PATIENCE 239
au point qu'elle lit ses crits o il n'est })arl que d'elle et ne s'y
reconnat pas :
Plena de seny, per no esser entesa,
la mi' amor por' scapar sens merit,
e sab-me greu com no haureu demerit,
per mon parlar no faent-la us palesa
(1).
(XVII, 57-60).
N'a-t-il pas la patience qui convient aussi l'amoureux par-
fait ? Il tient, la manire de Folquet de Marseille
(2)
ou de
Gaucelm Faidit
(3),
le compte des annes coules depuis qu'il
attend vainement la rcompense qu'en bonne justice Amour
doit lui donner (XIV, 18
;
LV, 35
;
LXXX,
8)
: et, de mme
que, Guillem de Cabestany dit sa dame que, s'il avait fait
pour Dieu ce qu'il a fait pour elle, il entrerait vivant au Pa-
radis :
S'ieu per crezensa
Estes vas Dieu tan fis,
Vius ses falhensa
Intrera en Paradis...
(Rayn., Choix, III, 125)
;
de mme Auzias March s'crie :
car, si Is treballs bagus soferts per Deu,
cors gloris fora'n lo rgne seu...
(VII, 58-59).
Nul n'a insist plus que lui sur ces travaux ,
sur ces pas-
sions de l'amour. S'il veut, par exemple, nous reprsenter le
trouble o le jette l'affection pour sa dame, il nous dpeint le
mutisme dont il souffre en sa prsence, et, surtout, les tats
(1)
Ce dernier vers n'a pas t compris, parce qu'on a fait de la us (illam vo-
bis) un seul mot signifiant louange . Cf. XIX, 41-44
;
XXXIV, 25
;
XXXVII,
25-32; XXXVIII,
1-4.
(2)
Mahn, Werke, I, 327.
(3)
Q'en breu aura environ de .VII. ans
qem fetz amar...
(Cit par N. Scarano, Studj di Filol. Rom., VIII, 333).
240 CHAP. III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
contradictoires^ sensations ou sentiments^ ou, comme il le dit
lui-mme, les ;( contrastes )>, les tendances contraires entre les-
quelles son me est partage.
Il dsire ce dont il dsespre, obtient ce qu'il ne souhaite
mme pas, veut et ne veut pas (XIX,
10, 15, 40). Il dcouvre
en lui-mme, comme les parfaits amants,
Ira dins pau e turment molt alegre,
lum clar e bell ab si portant tnbres :
aquests contrasts los fins amadors senten.
(XLV, 11-13).
Deux autres exemples entre mille :
Tt nuu me trob vestit de grossa manta
(1).
(LXIV,
21).
Yo creni d'ivern e d'estiu tremoli
(2).
(LXXXIV, 24).
Et ce sont des variations du mme genre, le mme emploi
de Tantithse, qui font la beaut de quelques-unes de ses
uvres, notamment des pices Perqu m'es toit et Per lo cami
de mort he cercat vida, o il russit nous dpeindre, avec une
vigueur peu commvine, les gots et les dgots que lui inspire
le fol amour.
Il connaissait peut-tre la fameuse pice contraires Tots
jorns aprench de son compatriote Jordi de Sent Jordi et ])las
srement le sonnet de Ptrarque dont elle est imite, Pace non
irovo e non ho da jar guerra. Son pre mme avait us du pro-
cd
(3).
Mais quelques-uns des traits que nous avons cits
semblent se rapporter davantage aux troubadours. Il suffit,
pour s'en assurer, de les comparer aux nombreux exemples
(1)
E trobim nutz, e m truep vestitz. (Anonyme, Appel, Chrest.,
1
d.,
p. 82).
(2)
B. DE Ventadorn :
Que l'iverns me sembla flor
e la neus verdura. '
(Bartsch, Chrest.,
50).
(3)
Dans sa pice la plus connue Al puni c'om naix comence de morir.
LES PASSIONS DE l'aMOUR. LES CONTRASTES 241
d'antithses recueillis par MM. P. Meyer
(1)
et N. Searano
(2)
dans la posie provenale antrieure Ptrarque. C'est l
qu'Auzias March nous parat en avoir_, comme Ptrarque lui-
mme, puis tout au moins l'ide premire. ?se le reconnat-il
pas de la faon la plus nette dans cette strophe qui se termine
par ses oppositions prfres :
Dels mais d'amor que trobadors han dit
no'n se pus fort que son gran mudament :
lo ferai estt no dura longament,
seguint aquell un novell apetit.
Fahent jaquir o que vol hom seguir,
mon apetit vol o que no volgui.
Volent amar, ladonchs yo avorri,
e, no volent, ami sens consentir. (XCI, 33-40).
Ajoutons enfin qu'un vers de la pice Perqu m'es toit :
Ahir e am molt e mescladament...
(3)
(LXX, 38).
qui rappelle VOdi et aino de Catulle, permettrait mme de re-
monter plus haut, si cette concidence n'tait pas unique.
Une seule fois, il commence une de ses chansons (Lo temps
es tal) par une description du printemps, qui n'a certes pas la
grce de celles de ses devanciers. Elle offre bien avec elles
quelques ressemblances de dtail
(4),
mais on ne saurait
y
voir
(1)
Romania, XIX, 7-11.
(2)
Op. cit., p. 310.

Notez surtout ce devinalh anonyme, cit plus haut :


Suy e no suy, fuy e no fuy
;
e vuelh mi mal et am autruy
;
e trobim nutz em truep vestitz
;
et ai pro rams senes razitz
;
e nom movi e corri fort
;
e nom conort nim desconort...
(Appel, Chresi.,
pp.
82-83).
(3)
Cf. CXVI, 16
;
CXVII, 20.
(4)
Comp. l'allusion un peu singulire qu'il fait (LXIV, 5)
au chant des cor-
beaux et des hrons ces vers de Peire Rogier :
Al chan d'auzel comensa ma chanzos,
Quant aug chantar las guantas e Is aigros.
(N. ScARANO, op. cit.
p.
311).
Le chant mlancoHque du rossignol [Ihid., 7-8) l'a moins bien inspir que les
troubadours.
Am. Pages.

Auzias March.
16
242 CHAP. III. AU7,IAS MARCH ET LES TROUBADOURS
une trace de leur influence^ s'il n'y opposait, comme Bernart
de Ventadorn
(1)
ou G. de Cabestany
(2),
le ddain de sa
dame l'instinct qui pousse les animaux les uns vers les autres
l'poque du renouveau.
Le contraste le plus souvent exprim, celui que notre pote
ne cesse pas de mettre en lumire, parce qu'il
y
trovive un motif
de consolation, c'est la coexistence du plaisir et de la douleur
ou plutt l'existence du plaisir dans la douleur. Certes ce thme
a t connu de l'antiquit, mais il ne semble pas qu'Auzias
le lui ait pris directement. Il a d lire, ailleurs que chez les
troubadours, l'analyse psychologique de cet tat
(3),
mais il
n'a pas pu ne pas le remarquer aussi dans leurs uvres, tant
il
y
tient de place
(4).
Nous savons, d'autre part, c[ue son pre avait dj chant
le doux mal d'aimer en un long pome d'inspiration franco-
provenale
(5).
C'est le sujet de la chanson Qui no es trist, place au dbut
de toutes les ditions partir de 1543, mais on le trouve dans
la plupart de ses autres posies. Ce sentiment complexe, qu'il
a dcrit en vritable philosophe, est une des clefs de son uvre.
On peut en reconstituer sans grande peine les diffrents l-
ments.
L'amour pur tel qu'il le conoit est douleur et joie tout la
fois.
Il est douleur, parce qu'il fait violence la nature humaine,,
compose d'une me et d'un corps :
Puys arma
y
cors donen esser a l'home,
prop de forat es entr'ells lo complaure...
(XLV, 57-58).
(1)
Rayn, Choix, III, 70.
(2)
Mahn, Werke, I, 116.
(3)
Voy. plus loin, p.
299.
(4)
N. ScARANo [op. cit., p. 274) a cit quelques-uns des troubadours qui ont
exprim cette ide. En voici d'autres : Arnaut de Mareuil, Uc Brunet
(Rayn., Choix, III, 220, 315) ; Giraud d'Espagne, de Toulouse (Ibid., V^
169) ;
RiGAUT DE Barbezieux {Brev. d'am., II,
p. 486; v. 29286 et suiv.).
(5)
GuiLL. DE Machaut enseigne dans Confort d'ami (titre dont Fr. Ferrer
tirera probablement celui de Conort) que les peines mmes de l'amour sont
agrables et qu'il vaut mieux souffrir et aimer que vivre sans souffrance et sans
amour.

LES DOULEURS DE l'aMOUR


243
Auzias March a senti lui aussi

sa vie nous l'a montr de
reste

l'aiguillon de la chair :
Mas tanb se que la carn a sperons !
(XLVII,
19),
et il s'est livr en lui de vritables batailles que le corps a ga-
gnes (XLV^
66).
Il souffre si l'esprit l'emporte sur les sens
;
il souffre encore si les sens triomphent de l'esprit. Que faire ?
Lir entre carts, ma voluntat se gira
tant que yo us vuU honesta
y
deshonesta.
(LUI, 41-42).
C'est le duel de l'amour physique et de l'amour spirituel dont
il sera le vaincu, quel que soit le vainqueur.
Cruel dilemme, dont il ne pourrait sortir que si sa dame con-
sentait
l'aimer du mme amour que lui, et s'ils ralisaient,
malgr leurs corps, la fusion intime de leurs mes (XLV, 93-94)!
Mais sa dame est comme l'Eve de la Bible
(1).
Quelles que
soient ses qualits natives et sa noblesse, malheurevisement
amoindries dans le monde o elle vit
(2),
elle refuse de suivre
le pote dans les rgions thres de l'amour pur.
De l ses maldictions, ses plaintes continuelles, o nous
retrouvons les ides favorites de Marcal)run et de Peire Car-
denal :
l'' Contre Amour, qui il reproche, dans toutes les pices
dont la tornada commence par Amor Amor, ou par FolV
Amor, tantt la faiblesse, tantt la dloyaut, le plus souvent,
avec les troubadours qu'il a soin d'invoquer, l'inconsistance :
Amor, Amor, vostre poder es manch
o de sensgrat esser podeu replat...
(LXXXIV, 57-58).

O FoirAmor, consciencia m remou


que diga Is mais de vos c lo fais b...
(LXXVIII, 57-58).
(1)
Voy. ci-dessus,
p.
217.
(2)VII, 29-32.
244 CHAP. III. AVZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
Dels mais d'amor que trobadors han dit
no'n se pus fort que son gran mudament.
Lo ferm estt no dura longament,
seguint aquell un novell apetit...
(XCI, 33-36).
2
Contre sa dame, qu'il englobe parfois dans la mme r-
probation que Fol Amour, parce qu'elle l'aime d'une affection
encore impure. Aussi va-t-il juscju' l'appeler son ennemie :
O FoU'Amor, de vos no son content,
e ja molt menys dels fets de la que am...
(XLVII, 41-42).

Plena de seny, yo vull e Deu dispensa


que per amor yo fenesca mos jorns
;
mas, si m'escap, per null temps dar torns
per dona qu'en ver
'
amor se defensa.
(XXII, 41-44).

Lir entre carts, tant vos am purament


que m'es dolor com no m poreu amar,
sin d'amor que solen praticar
los amadors amant comunament.
(LXI, 41-44).

A vos yo tem aytant com enemich.


(1)
(LXXXV, 18).
3**
Contre l'inconstance des femmes en matire d'amour pur
et leur sensualit :
Amor, Amor, aquells son decebuts
qui'n joch de daus
y
dones han lur b...
-
O FoU'Amor, malament se arrisca
qui per virtuts vol amar nulla dona...
(2
(XC, 57-58).
(LXXVI, 41-42).
(1)
Cf. RiAMBAU d'Aurenga :
Que farai donc ? Amarai ma enemia ?
(Mahn, Werke, I, 68).
(2)
Cf. B. DE Ventadorn :
De las domnas mi dezesper
;
Jamais en lor no m fiarai...
(Rayn., eiioLr, III, 69).

De donas m'es veiaire


Que gran fallimen fan
Per so, quar no son guaire
Amat li fin amant... (Ibid.,
85).
SES
MALDICTIONS
^^^

Maldich lo temps que fuy menys de


conseil,
dones
amant
mes que a mi mateix...
(LXXI,
105-106).
Amor me fon tostemps
descominal
per yo amar per bon desig e bell.
Dona del mon no vol cor ne
cervell
(1)
:
Hon sera, hon, la que no s troba tal ?
(CXXII Us, 25-28).
40
Contre le monde,
qui va de mal en pis, et dont il veut d-
noncer
les vices
(XLI),
s'attaquant
surtout
l'amour
vnal,
dans la pice
Vos qui sabeu de la
tortra l costum et
dans
maints
autres
passages
aussi
caractristiques
:
Si fossem
nats vos e yo 'ntre Is antichs,
lay quant amor
amant se
conqueria,
sens
praticar alguna
maestria...
Axi s conquer en aquest temps
aymia :
Cobles e lays,
dances e bon saber
lo dret
d'amor no poden
conquerer...
(2)
(VII, 25-27).
(VIII, 5-7).
Dsesprant
enfin de
triompher
des
injustices
d'Amour,
de
l'inconstance
de la
femme
et de la
bassesse
de son
sicle, il ne
lui reste plus qu'
mourir,
et mille fois
(3)
il dclare
solennelle-
ment que sa
dernire
heure a sonn,
comme
l'avaient
fait deja
avant lui tant de
troubadours
dcourags,
eux
aussi, de
pour-
suivre un idal
inaccessible
ou
d'aimer
une
princesse
trop
lointaine.
(1)
Cf. LXXI, 101 :
Lur cap no val perqu no
y
ha
cervell.
(2)
Cf.
GUIRAUT DE
BORNELH :
leu vi qu'om
prezava
chansos
E que plasia tresc'e lays,
Mas eras vei, pus que hom
s'estrays
Desolatz ni de fagz
gensors...
(Rayn.,
Lex. I, 380).
Voir aussi une strophe de Bertran
Albaric cite par P.
Meyer,
Bib. de l'Ec.
des Chartes, XXX, 655.
(.3)
VII, 40 ;
XIII, 44 ;
XXI, 43-44,
etc.
246 CHAP, III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
D'autres fois il renonce Tamour des femmes pour celui de
la Vierge Marie
(1)
ou implore sa merci
(2)
afin de faire cesser
en lui le mal qui le torture.
Mais Tamour est aussi joie. C'est une douleur dlitable
(XIX^ 6
;
XCVIII, 59). A ses maux se mle quelque plaisir.
Il
y
tient mme tant de place qu il prfre sa tristesse
et sa langueur toute autre satisfaction (XXXIX^ 25-28).
Aprs rnumration des peines amoureuses, voici les biens qui
aident les supporter, la paix aprs la guerre, la vrit aprs
l'erreur (LX,
4) (3).
Par l'exaltation qu'il produit dans notre vie affective,
l'amour est le principe des plus nobles vertus.
Plena de seny. vullau vos acordar
com per amor venen grans sentiments*...
(X, 41-42),
s'crie Auzias March, et il reprend son tour cette thorie du
pouvoir ennoblissant de l'amour dont Sordel et Montanhagol
(1)
Per sa bondat, prech la Verge Maria
qu'en son servir cambie mon voler,
mostrant-me clar com han perdut carrer
los qu'en amor de les dones han via.
Cf. CiGALA :
(VIII, 41-44).
Gloriosa sainta Maria,
eus prec e'us clam merce que'us plaia
lo chanz que mos cors vos prsenta
;
e s'anc iorn chantei de foUia
ni fis coblas d'amor savaia,
ar vueill virar tota m'ententa
e chantar de vostr' amor fina,
qu'autr' amors no vueill que'm vensa...
(Appel, Prov. inedita, 184).
Mme opposition entre l'amour inconstant, passager, et le culte de la Vierge
dans un chant royal en l'honneur de Marie (P. Heyse, Romanische inedita,
1856, p. 165).
(2)
ex, 41-44.
(3)
G. Faidit :
Anz sui per vos en tal error
cum aquel qu'a mal de calor...
(Mahn, Ged., n 102).
LES JOIES DE l'amour
247
nous offrent l'expression potique la plus nette
(1),
mais qui a
des origines bien plus lointaines. Avec eux et leurs successeurs,
il reconnat qu'il s'opre chez les amoureux de telles transfor-
mations que le sot devient savant eL l'avare libral :
Amor ha fet dels seus bons servidors,
del pech sabent
(2)
e franch del pus escas...
(L, 23-24).
C'est qu'il
y
a au fond de cet amour la recherche consciente
d'un idal suprme d'intelligence et de bont qui prend chez
Auzias March, comme chez ses prdcesseurs, un caractre
religieux. Il nous donne un avant-got des joies qui nous atten-
dent au Paradis. Aussi sa dame est-elle pour lui, comme nous
l'avons vu, l'objet d'un vritable culte. C'est un Dieu dont la
contemplation est la source du bonheur :
Vos, Dona, sou mon Deu e mon dlit.
(LUI, 25).
Mais ces effets bienfaisants ne proviennent pas de toute
espce d'amour. Le gai savoir , cette science dont la posses-
sion confre la vraie flicit, a appris notre pote que, si
Amour dispose de trois flches pour atteindre les hommes
(3),
(1)
J. CouLET, Le trouh. Guilliem Montanhagol,
p.
49 ss. Cf. Anglade, G. Ri-
^uier, p.
252.
(2)
N'At de Mons :
Sapchon li fin ayman
Que per amor si fan
Elh pec saben e cert.
Elh cobe franc de cor...
[BreP. d'am., II, 433-434).
(3)
Los colps d'Amor son per trs calitats
e veure s pot en les flexes que fir,
perque Is ferits son forats de sentir
dolor del colp segons seran plagats.
D'or e de plomb aquestes flexes son
e d'un metall que s'anomen' argent.
(LXXIX, 9-14).
248 CHAP. III.

AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
il leur assigne aussi trois tages dans son Palais^ c'est--dire
trois affections diffrentes. Ceux qui une flche de plomb a
inocul le poison agrable
(1)
de l'amour charnel sont admis
dans la partie infrieure de l'htel d'Amour
;
ceux qui ont
t percs d'une flche d'argent gotent, au second tage, les
plaisirs naturels et utiles de l'amour conjugal
;
les autres,
enfin, en qui une flche d'or a vers les joies i(
honntes
de
l'amour anglique ou cleste occupent l'tage suprieur. Si
cette allgorie du Palais d'Amour emprunte la chanson c-
lbre de Guiraut de Calanso
(2)
est peine indique dans
Auzias March, il n'en est pas de mme de la division de l'amour
en trois espces, l'honnte, l'agrable, ou le mixte et l'utile que
symbolisent les trois flches. Il en fait l'objet de plusieurs de
ses chansons et de ses dissertations amoureuses
(3).
De l'amour
honnte seulement procdent les m.otions les plus hautes et
des sentiments tout fait religieux. L'unique diffrence entre
le troubadour et le pote catalan est que la flche d'acier de
l'un est devenue chez l'autre une flche d'argent, sans doute
parce qu'au xv<2 sicle, la veille de la Renaissance, l'amour
dans le mariage qu'elle reprsentait tait moins ddaign
qu'auparavant. Peut-tre enfin faut-il voir, dans la descrip-
tion faite par Auzias Mardi de l'amour agrable qui
subordonne encore les vertus et l'intelligence de la femme
'(
l'acte charnel,
Dins en l'ostal
(4)
que Venus lo alleuja,
totes virtuts e seny de la persona
son desijats en servitut de l'acte...
(XLV, 38-40),
(1)
Untada fon de una gran dolor...
(LU, 27).
Dans le Roman de la Rose la dernire flche, Faux semblant, que le dieu
d Amour dcoche Guillaume de Lorris est aussi trempe dans un doulx
oignement .
(2)
Rayn., Choix, III, 391. Cf. O. Dammann, Die allegorische Canzone des
Guiraut de Calanso : A leis cui am de cor e de saber. Les caractres distinc-
tifs de ces trois parties de l'amour ne paraissent pas avoir t assez nette-
ment marqus.
(3)
XLV, LXXI.II, LXXIX, LXXXVII, 95, XCII, 11-70, XCIII, 45-48,
CXVII, 168, CXXII bis, 52, CXXIII, 28-32, CXXVII, 239-256, CXXVIII,
56-57.
(4)
Cf. CXVII, 73.
GUIRAUT DE CALANSO ET GUIRAUT RIQUIER 249
une allusion au commentaire que Guiraut Riquier
(1)
a crit
de la pice de Guiraut de Calanso et o il nous montre, avec
le mme ralisme, que le :< fait
(2),
c'est--dire l'union sexuelle,
amne ncessairement la disparition de l'amour
(3).
Ce qui est certain, c'est qu'Auzias March est, avec Guiraut
Riquier et les troubadours postrieurs, contre la conception
que se faisaient de l'amour les Guilhem d'Aquitaine et mme
les Bernart de Ventadorn. Moraliste plus que pote, il ne veut
pas de leur amour purement dlitable et sensuel, du tiers
infrieur d'amour . C'est cette passion et ses pangyristes
d'autrefois qu'il a pens lorsqu'il a crit dans la pice Tt en-
tenent, qui est un vritable trait sur les diffrentes espces
d'amour :
D'aquest voler los trobadors escriuen
e per aquest dolor mortal los toca.
(LXXXVII, 41-42).
Ainsi donc Auzias March est comme imprgn des doctrines
de l'amour courtois, et il frquente volontiers les lieux com-
muns auxquels s'taient complu les potes en de et au del
des Pyrnes, mais au dsir charnel qu'avaient chant les pre-
miers troubadours, il prfre l'amour pur tel que l'avaient
expos les derniers reprsentants de la posie provenale.
III
Avec ces ides si particulires sur l'amour, Auzias March
devait naturellement emprunter la Provence la forme po-
(1)
Mahn, Werke, IV, 210-232.
(2)
Lo faitz, per que mor l'amors (v. 526). Cf. Anglade, op. cit., p.
255.
(3)
Ide trs voisine dans Auzias, LVIII, 43, et surtout dans la tornada sui-
vante o il fait une allusion bien nette aux troubadours :
Lir entre carts, molts trobadors han dit
que 1 b d'amor es al comenament.
Yo dich qu'esta prop del contentament,
d'aquell ho dich qui mor, desis: finit.
(LV, 41-44).
250 CHAP. III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
tique laquelle elles taient, pour ainsi dire, attaches, et le
langage qui servait les exprimer.
Et, en effet, nous trouvons d'abord chez lui le souci d'art
par lequel se sont toujours distingus les troubadours. Mais il
n'est pas partout aussi sensible. Ses uvres les plus limes, les
plus polies, sont ses chansons proprement dites. Malheureuse-
ment ce sont aussi les plus obscures, et cette obscurit ne tient
pas toujours la dose de philosophie scolastique qu'il a, comme
nous le verrons, incorpore au vieux fond provenal. Il veut
parfois, et de propos dlibr, s'loigner du vulgaire et n'crire
que pour les initis. Admirateur d'Arnaut Daniel comme Dante
et Ptrarque, il a donn beaucoup plus que ces derniers dans
le mme travers. Bon nombre de ses chansons prsentent le
langage quelque peu sibyllin qu'affectaient les amateurs de
la posie ferme, du trobw ;/u<;. Comme eux il sacrifie aussi
la rime et aux jeux de mots la nettet et la suite des ides. Ce
dsordre est sans doute destin a rendre plus manifeste l'tat
de folie rsultant de l'amour, et, quoiqu'il nous dise lui-mme
qu'il n'est pas un effet de l'art,
Lija mos dits mostrans pensa torbada,
sens algun art exits d'hom fora seny...
(XXXIX, 5-6),
il faut
y
voir un procd purement artistique, un artifice qu'il
a t le seul parmi les potes catalans des xiv^ et xv^ sicles
adopter et qui lui a valu la rputation, en partie mrite, de
pote nigmatique
(1).
Les genres qu'il a cultivs taient tous connus des trouba-
dours. Il en a trouv les modles dans leurs posies et les rgles
dans les Leys d'amors qui eurent, nous le savons, tant de succs
en Catalogne. Il ne semble pas que ses chansons aient t faites
pour tre chantes, quelque got qu'il ait eu pour la musique.
Certaines se prteraient cependant la mlodie, comme, par
exemple, la pice refrain No m fall recort del temps tau d-
litas, une des plus gracieuses du recueil, et il n'est pas tonnant
<ju' l'poque o son uvre tait lue et commente dans toute
j[l) A. Morel-Fatio, Kat. lit.,
p.
79.
LA FORME 251
l'Espagne, on ait eu l'ide de mettre en musique quelques-unes
de ses strophes
(1).
Parmi les autres posies relatives l'amour, ni les maldits
o il attaque l'amour vnal, ni les eslratnps n'offrent un carac-
tre de relle nouveaut. Il fait seulement un usage plus frquent
des vers libres, sans doute parce qu'ils convenaient davantage
l'expos de ses ides morales et philosophiques, et il les ter-
mine tous par des mots accentus sur l'avant-dernire syllabe.
Il en est de mme, comme nous l'avons montr ailleurs
(2),
pour quelques-unes de ses pices huitains et pour tous bs
dizains. On n
"y
rencontre que des rimes fminines. C'est par
l qu'il se spare de la Provence pour se rapprocher de l'Italie.
Aprs Jacme March et Arnau March il cultive aussi la ten-
son. Mais il ne la distingue pas tout d'abord de la chanson et
fait dialoguer, dans deux chansons tensonnes
(3),
tantt
l'Entendement avec le Corps, tantt son Cur avec lui-mme.
Plus tard, dans les dernires annes de sa vie, sous l'influence
probable des rimeurs de la Cour de Juan 'II, o les tensons pro-
venales dsignes par le nom de Pregunlas taient fort la
mode
(4),
il crit deux demandes et rpond une troisime sur
des points de casuistique amoureuse.
Notons toutefois qu'il s'carte lgrement de la tradition
dans les longs pomes didactiques en dizains isols (coblas
soltas) et sans tornada, rimant en ABBACDDCEE. Encore
faudrait-il
y
voir, d'aprs Mil
(5),
faisant apparemment allu-
sion aux formules analogues de Jacme March
(6)
et de Ferrant
Manuel
(7),
un prcdent tabli par les troubadours les plus
(1)
Sur les
madrigaux
d'Auzias March mis en musique par Pre Albert
Vila en 1561 et par Joan Brudieu en 1585, voy. l'intressante tude de Felip
Pedrell, dans VAnuari de VInstitut d'estudis catalans, 1907, p.
408-413.
(2)
Voir l'Introd. not. d. crit.,
p.
152.
(3)
IV ;
LU.
(4)
Voir le Cancionero de Baena, et Puymaigre, La Cour litt. de Don Juan II,
I, 121 et suiv.
(5)
Resenya, p.
153 (Obras, III, 186).

Il
y
a, chez Folquet de Marseille
(Rayn., Choix, III, 156),
des dizains plus compliqus encore, en ABBACBB
AA.
(6)
Voy. ci-dessus, p. 146, note 1.
(7)
Cane, de Baena, I,
p.
277.
252 CHAP, III. ALZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
rcents^ dont quelques-vins appartenant la Castille . Une
seule fois^ il abandonne tout fait les mtres des troubadours
pour adopter Varte mayor des Castillans dans sa brve
de-
manda ))
Johan Moreno^ Ab molta rah me desenamore, mais
il
y
retrouve^ sans le savoir^ un type de vers que la France du
Nord avait mis en honneur ds le xiii^ sicle
(1).
Partout ailleurs ce ne sont que strophes de dcasyllabes
ordinaires et rarement d'octosyllabes^ unissonants, capcaudats,
croals, etc,^ tous parfaitement conformes la technique de
TEcole Toulousaine. Il n'est pas jusqu'au jeu quelque peu
puril des allitrations qu'avaient dfini les Leys (I^ 186) sous
le nom de rims derwatius, dont on ne trouve un spcimen dans
la spara Si m demanau lo greu turment que pas.
Quant au style^ il nous rappelle chacjue instant celui des
troubadours. Mil
(2)
lui-mme n'hsite pas reconnatre leur
ressemblance pour la forme des comparaisons. La plupart
y
sont^ en effet^ composes de deux parties. L'une^ commenant
d'ordinaire par Axi com ceJl, Si coin, Si col, etc.^ pose^ ds le dbut
de la strophe, le terme objectif du rapport. C'est une chose,
un tre, un fait qui offre quelque analogie avec la situation ou
les sentiments du pote. La seconde, place la fin de la mme
strophe ou dans la strophe suivante, continue par ces mots
Axi m'ha prs ou Pren m'enaxi, et dcrit les motions mmes
qu'il prouve, ses tats subjectifs. L'image, comparaison ou
mtaphore, ne fait pas corps avec l'ide
;
elle la prcde et la
prpare. Souvent une seule ne suffit pas
; ce sont trois et quatre
faits concrets dont chacun est comme le symbole figur de ses
dispositions intimes. Ce procd, driv de la posie latine et
assez frquent chez les troubadours, a pris, avec Auzias March_^
une plus grande extension, mais le tour
y
est plus grave, com-
pass, moins gracieux. La matire de ces comparaisons n'est
d'ailleurs ni trs noble, ni trs varie. Plus sovivent encore que
(1)
A. Morel-Fatio, L'arte mayor et l'hendcasyllabe,
p. 3 (Extrait de la Ro-
mania, XXIII). Cf. Hisl. litL, XXIII, 580.
(2)
Trovadores en Esp.,
ire
d.,
p. 487 {Obras, II, 516). Mil rapproche des
vers X, 1-16 d'Auzias March une comparaison de Peire Espagnol (Rayn.,
Choix, V, 314) et ajoute que le pote catalan dveloppe plus que les proven-
aux. Le fait est quelquefois exact, mais les ides exprimes par P. Espagnol
n'ont aucun rapport avec celles d'Auzias.
LE STYLE 253
le Roi et le vassal_, le marin
(1)^
le mdecin, le malade, le
vieillard, Termite, le condamn mort, etc., en font les frais.
Mais, quelles qu'elles soient, elles produisent sur le lecteur,
pour peu qu'il connaisse les troubadours, l'impression du dj
vu
.
En revanche, le caractre le plus saillant de la langue d'Au-
zias March est d'tre nettement catalane. Pour la premire
fois, la posie d'au-del des Pyrnes renonce l'idiome pro-
venal. Et cependant nous dcouvrons
et l quelques restes
de l'ancienne langue littraire. L'exemple le plus curieux est
celui que nous offrent les vers :
E fin' amor de mi s partr breument,
E si com fais drut cercar dlit.
(VIII, 3-4).
L'expression de fais
drut, -< faux amant , se rencontre dans
Gaucelm Faidit
(2)
et probablement chez d'autres troubadours.
(1)
Pren m'enaxi com al patr qu'en platja
t sa gran nau e pens' haver castell.
Veent lo cel esser molt clar e bell,
creu fermament d'un 'ancor' assats haja.
E sent venir sopts un temporal
de tempestat e temps incomportable :
leva son juhi que, si molt es durable,
cercar los ports mes qu'aturar li val.
(II, 1-8).
Cf. FOLQUET DE LuNEL :
E pren m'en cum al marinier,
quant s 'es empenhs en auta mar
per esperansa de trobar
lo temps que mais dezir'e quier,
e quant es en mar prionda,
mais temps e braus sa nau sobronda
tant quel perilh non pot gandir,
ni pot remaner ni fugir.
{Quant beulatz, Ed. Eichelkraut)
(2)
Qu'ieu non ai ges tal coratge,
Cum li fais drut an
Que van galian,
Per qu'amors torna en soan.
(Rayn., ChoLr, III, 284).
254 CHAP. III. AUZIAS MARCH ET LES TROUBADOURS
Elle n'tait plus comprise en Catalogne au xvi^ sicle et a
donn lieu, chez les copistes et les diteurs d'Auzias March,
aux interprtations les plus fantaisistes. D'autres mots gardent
le sens un peu spcial qu'ils avaient dans la posie provenale,
par exemple tart et apercehiit
(1)
(V, 24 ; LXXI,
65). On re-
trouve encore quelques formes provenales er (X,
21);,
enquer
(XCVII, ll),a}/cell {XYU,Al),cesi{U,
32),
k ct de leurs qui-
valents catalans, et une seule fois, la prposition de aprs le
comparatif : pus fort dolor d'aquesta (XIII,
20) (2).
Ainsi l'on peut dire des posies amoureuses d'Auzias March
ce qu'on a dit du Canzoniere de Ptrarque
(3)
: l'imitation des
troubadours
y
clate de toutes parts, non pas que les passages
que nous avons cits soient ncessairement la source unique
et directe des vers correspondants de notre auteur, mais parce
qu'il connaissait srement des textes trs analogues. Il s'tait
si bien assimil la posie provenale qu'il ne pouvait, et pour
le fond et pour la forme, que la continuer. Il a voulu tre un
pote la manire de Guiraut Riquier ou de tel autre trouba-
dour moraliste. Il
y
a sans doute plus de dlicatesse, plus de
couleur, moins de scheresse dans ses modles. Mais, quelle
que soit la diffrence des talents et des langues, malgr la di-
versit des temps et des lieux, on croit parfois, en lisant le
pote catalan, avoir sous les yeux quelque chansonnier pro-
venal. En un mot, c'est un troubadour attard.
Et pourtant il serait impossible d'apprcier compltement
Auzias March, si on ne voyait en lui qu'un dernier rayon de la
posie provenale. Son talent est plus complexe, son uvre
plus profonde.
(1)
Cf. FOLQUET DE MARSEILLE :
Sitt me sxii a tart aperceubutz.
(Bartsch., Chr., 119).
(2)
Cf. Bertran Carbonel :
Aisi co am pus finamen
de negun autre aymador...
Car enaisi engan' aquel la gen
pus sotilmen d'autre enganador...
(Appel, Pyop. Ined.,
p. 57, 61)
(3)
GiDEL, Les troubadours et Ptrarque, Angers, 1857, in-8,
p.
103.
CONCLUSION
255-
Auzias March aspire, nous l'avons dit, aux dlices de l'amour
pur, mais il se sent aussi attir vers des plaisirs moins nobles.
C'est un homme tiraill en sens contraires, qui souffre de l'im-
possibilit de satisfaire les tendances opposes de sa double
nature. De l cette mlancolie, ce rel mcontentement de
soi-mme qui assombrit ses posies plus que celles des autres
troubadours.
Son uvre est en mme temps plus scientifique, et, partant,
plus abstraite et plus aride. Il ne se contente pas de dcrire les
effets de l'amour en pote amoureux de belles images et de
rimes sonores. Quelque soin qu'il apporte la forme, on sent
que le fond est encore ce qui importe le plus Auzias March..
Il analyse ses passions comme un psychologue habitu
scruter les mobiles du cur humain, comme un philosophe-
recherchant mthodiquement quelle est l'essence et quelles
sont les diverses modalits de l'amour.
C'est par ces deux caractres qu'il s'loigne des troubadours
de la priode classique et qu'il dpasse mme ceux de la dca-
dence.
Est-ce bien l que rside son originalit ?
CHAPITRE IV
LES POSIES AMOUREUSES
(
Sldle
)
. RAPPORTS d'aUZIAS MARCH
AVEC DA>"TE ET PETRARQUE
De la Provence l'Italie il n'y a qu'un pas. En tudiant l'in-
luence qu'ont d exercer les Italiens sur Auzias March nous
ne quitterons pour ainsi dire pas la posie des troubadours o
est contenu en germe tout l'art de Dante et de Ptrarque. Ces
affinits secrtes ne semblent pas avoir chapp aux potes
catalans. Vers la fin du xiv^ sicle^ Lorenz Mallol imite, dans
des strophes encore demi-provenales, une canzone de P-
trarque
(1).
Mais c'est surtout durant le premier tiers du
xv^ sicle que la Catalogne tourne ses yeux du ct de l'Italie.
Alphonse V d'Aragon entreprend la conqute du royaume de
Naples et invite ses compatriotes en mettre mieux profit les
richesses artistiques et littraires. Vers 1429, la Divine Comdie,
lue depuis longtemps la Cour d'Aragon, est traduite par un
autre provenalisant, un algutzir du Roi, Andreu Febrer.
11 a pour compagnon d'armes Jordi de Sent Jordi qui feuillette
son tour les Rime de Ptrarque et en reproduit quelques anti-
thses dans une de ses chansons la mode provenale.
On sait aussi qu'Auzias March avait guerroy en Sardaigne
contre les Gnois, en 1420. D'autre part, ses relations avec le
Magnanime, dont il avait t le grand fauconnier Valence
et cjui il continuait fournir, aprs la reddition de >saples,
des animaux pour la chasse, son allusion aux Tables Eugubines
(1)
Voy. ci-dessus, p.
186.
l
DANTE 257
rcemment dcouvertes prs de Prouse, ses ptres au nouveau
roi napolitain^ Lucrce d'Alagno et au bouffon royal^ Mossn
Borra, tout prouve que, s'il n'a pas connu par lui-mme l'Italie^
il tait du moins au courant de ce qui s'y passait et s'intres-
sait mme aux premires manifestations de la Renaissance.
Il est naturel^ ds lors^ que cet admirateur des romans fran-
ais et des chansons provenales ait subi l'attrait de la Muse
italienne.
En vain, a dit un minent critique espagnol, a-t-on voulu
rattacher son platonisme erotique aux chansons des proven-
aux. L'amour trs raffin, quintessenci^ mtaphysique et
abstrait d'Auzias March vient directement de la Vila jS uoi>a
et du Corii'wio, et quelque peu du Canzoniere de Ptrarque. Le
gnie d'Auzias le poussait davantage vers le premier, bien qu'il
ait fait profession et tir vanit d'imiter le second. Il ne nous
est pas possible de souscrire entirement ce jugement que for-
mulait, en 188.'), D. M. Menndez
y
Pelayo (I). Certes Auzias a
d se sentir plus attir par la gravit philosophique de Dante^
et nous lui dcouvrirons peut-tre aussi, notre tour, plus de res-
semblances avec l'amant de Batrice qu'avec celui de Laure.
Mais on rapprocherait en vain de ses posies la \ ita Nuova et
le Conviio. La description que nous offre le premier de ces
ouvrages, ainsi d'ailleurs que les Canzoni, de l'amour idal, des
maux et des langueurs o il jette celui qui le ressent, avait t
faite maintes et maintes fois par les troubadours
(2),
et c'est
eux que Dante en avait emprunt directement, ou par l'in-
termdiaire des potes du dolce stil nuovo, les principaux l-
ments. C'est eux aussi que s'tait adress Auzias March et
il en avait rapport des traits si prcis et si particuliers qu'on
ne saurait douter, encore une fois, malgr l'autorit inconteste
de D. M. Menndez
y
Pelayo, qu'il les ait recueillis sur le sol
mme de la Provence. Quant aux ides
philosophiques du
Convwio, elles ne peuvent avoir inspir l'analyse minutieuse
({ue fait Auzias des passions de l'ame humaine dans ses chan-
(1)
Ilist. de las ideas esllicas n Espana, I, 393.
(2)
Voy. A. Jeanroy, Grande Encyclopdie, art. Dante, p.
893.
C'est aussi
l'opinion d'ART. Farinelli (Appunti su Dante in Jspagna, p. 37)
et il ajoute
qu'il a de la peine croire qu'Auzias March ait connu la Vila Nuova ni un quel-
conque des opra minora de Danle.
Am. Pages.

Auzias March.
>
^258 CHAP. IV. DANTE^ PETRARQUE ET AUZIAS MARCH
sons d'amour, et, s'il
y
a, sur d'avitres points de doctrine, une
parent indiscutable entre les deux potes, cela tient unique-
ment la communaut des sources auxquelles ils ont puis,
c'est--dire la scolastique.
D. M. Menndez
y
Pelayo ne dit rien de la Diidne Comdie.
C'est cependant le seul ouvrage de Dante qu'Auzias March
ait connu avec certitude, puisqu'il le cite dans ces vers :
bon' amor a qui Mort no triumpha,
segons lo Dant historia recomta.
(XLV, 89-90).
'.
bon amour, dont la Mort ne triomphe pas. suivant l'his-
toire que raconte le Dante.

Ce passage mal compris jus-
qu'ici, cause du texte fautif in amor... qu'en ont donn tous
les diteurs, ne se rapporte pas, comme on l'a dit
(1),
l'pisode
de Francesca di Rimini. Il ne saurait
y
tre question que de la
Comdie mme, de cette histoire qui nous raconte com-
ment l'union de Dante et de Batrice a pu persister aprs la vie
terrestre. C'est un effet du vritable, du bon amour, de cette
amiti parfaite, dans laquelle, ajoute le pote, une mme me
gouverne deux corps , Citation intressante qvii nous rvle
le sens profond c[u'attribuait Auzias March la Dii'ine Comdie.
Elle tait essentiellement pour lui le rcit de l'affection pure
et rciproque que Dante et Batrice s'taient voue. C'est la
mme interprtation qu'aboutit M. Jeanroy, lorsqu'il dit de
la Divine Comdie et de son immortel auteur que l'ide de
son amour toujours vivant pour Batrice plane sur tout le
pome
(2).

h'Etifer est celle de ses trois parties cjui semble avoir laiss
le plus de traces chez le pote catalan. Dsespr, il dclare,
dans la chanson Colguen les gents, qu'il renonce toute joie.
Il veut vivre avec les morts auxquels il ressemble plus qu'aux
(1)
B. Sanvisenti, 1 piimi influssi diDatUe,
p.
387 et A. Farinelli, op, cit.,
p.
37.
(2)
Op. cit., p.
896.
LA DIVISE COMDIE
259
vivants et interroger^ comme le grand Alighieri^ les mes infer-
nales :
e vaja yo los spulcres cercant,
interrogant animes infernades,
e respondran, car no son companyades
d'altre que mi en son continuu plant.
(XIII, 5-8).
Cette plainte continuelle
que font entendre les mes de
l'enfer rappelle bien < les clameurs dsespres, les plaintes des
damns qui, suivant Dante
{Inf., l, 115-117), rclament
grands cris une seconde mort .

Un peu plus loin, il compare


les tourments du gant Tityos, qu'il appelle Tixion par une
trange confusion, ceux qu'il endure lui-mme. Or on sait
<[ue Dante avait plac ce gant autour du puits de l'Enfer
[Inf.
XXXI,
124), la suite, il est vrai, de Virgile qui fait, lui
aussi, comme d'ailleurs Lucrce, une ample description de son
supplice et qu'Auzias March a peut-tre connu directement.
Les allusions au fleuve Lth (Cil,
139), et surtout l'Ach-
ron, cette rivire de mort
(1)
qu'il franchit, chaque jour
pour fuir les rigueurs de sa dame semblent bien avoir la
mme origine.
Deux souvenirs du Purgatoire mritent d'tre relevs. C'est
d'abord Caton d'Utique qui reprsente pour Auzias March,
comme pour Dante (I, 71-75), le courage contre la mort et
l'amour de la libert
(2),
E de ao Cato mostr cami
e li mes nom s de la libertat.
(LVII, 5-6).
Puis, notre pote, parlant de l'amour, nous dit combien il
est difficde d'en gravir l'pre cte (II,
40),
songeant sans
doute
la montagne escarpe sur laquelle s'engagent pni-
])lement Virgile et Dante, leur sortie de l'Enfer (Pu/-^., III,
46).
(1)
Passe penant un riu de mort lo dia...
(LXXXVI,
9).
(2)
A. Farinelli [l. c), a dj signal ce rapprochement. Snquc, Ep.
LXXXII, et Saint Augustin cit par Saint Thomas, Sum. Th., 215, II-II,
2,
expriment la mme ide.
260 CHAP. IV. DANTE^ PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
Enfin le Paradis renferme une comparaison dj imagine
par Aristote
(1)
et saint Thom-as
(2)^
d'o sortira le clbre
argument de l'ne de Buridan. C'est celle d'un homme plac
entre deux aliments et subissant deux impulsions gales et con-
traires :
Intra due cibi distanti, e moventi
D'un modo, prima si morria di fam,
Che liber 'uomo l'un recasse a' denti...
[Par., IV, 1).
Auzias March commence aussi par elle une de ses plus belles
chansons ;
Ax com cell qui desija vianda
per apagar sa perillosa fam,
6 vu dos poms de fruyt en un bell ram,
e son desig egualment los demanda...
(IV, 1-4).
Notons que, dans la mme pice (v. 9-13), il se compare la
mer battue par deux vents contraires, comme Dante l'avait dj
fait
{Inf.,
V. 29
,
Piirg., XXXII,
115) (3).
C'est encore Dante {Par., VIII,
3, 34-39)
(4)
c[ui semble lui
avoir rvl le troisime ciel o sjournent les bienheureux cjui
ont t amoureux sur la terre (XIV, 30).
Mais ce qu'Auzias March a d admirer le plus dans la Divine
Comdie, ce sont les doctrines philosophic{ues et thologiques
c{ui en sont comme la base
;
c'est l'art avec lequel Dante
y
a mis
en vers la Somme Thologique de saint Thomas. Le pote italien
y
suit, en effet, le Docteur anglique comme un lve suit son
matre, et il en rsume les thories avec une telle fidlit que la
lecture de la Somme est l'introduction ncessaire certains de
(1)
De clo, II, 13.
(2)
S. Th., I-II, 13, 6.
(3)
Mme rapprochement dans A. Farinelli, l. c.
(4)
Cf. le premier vers de la Canzone :
Voi che intendendo il tcrzo ciel movete.
Saint Thomas avait dj distingue trois cieux, Sum. Th., I, 68, 4
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
261
ses chants. Ce mrite, peu apprci de nos jours
(1),
faisait, au
fontraire, le rgal des lettrs du xv^ sicle. Aucune tentative de
posie scientifique n'avait obtenu un aussi vif succs. Elle hanta
sans doute l'imagination d'Auzias March et il s'effora, lui
aussi, comme nous le montrerons, de couvrir d'un vtement
potique les arides abstractions de l'Ecole.
Ce caractre didactique de l'uvre d'Auzias March par lequel
il se rapproche de Dante avait t entrevu au xvi^ sicle, mais il
ne tarda pas tre nglig. On continua le comparer Dante,
mais plutt pour le faire valoir que pour le faire comprendre.
Ses ressemblances avec Ptrarque finirent par devenir l'unique
objet de l'attention gnrale
;
on ne vit plus en lui qu'un ptrar-
quiste, que dis-je ? le Ptrarque catalan ovi tout au moins
< Valencien .
Cette ide s'impose maintenant encore avec une autorit in-
discute. Il est temps d'examiner quels sont ses titres de crance.
II
Il est curieux de constater que Juan Boscn, le premier imita-
teur espagnol d'Auzias March, plus grand imitateur encore des
Italiens, n'a considr notre pote que comme un descendant
des Provenaux et n'a rien dit de ses rapports avec Ptrarque,
bien connu cependant de son ami Garcilaso et de lui-mme. Le
passage o il met cette opinion mrite d'tre cit parce qu'il a
t, notre avis, l'origine d'une singulire confusion qui a dur
plusieurs sicles, et a fait prendre au problme littraire qui nous
occupe un aspect inattendu. On sait que Boscn a ddi la
duchesse de Soma le second livre de ses posies. Dans l'ptre-
prface qu'il lui crit, il montre comment il a t amen com-
poser la manire des Italiens, puis, recherchant qui a com-
menc user de l'hendcasyllabe, il ajoute : Ptrarque fut le
premier qui, dans cette province (l'Italie), acheva de le mettre au
point, et, depuis, il
y
est rest et
y
restera, je crois, pour tou-
jours. Si nous revenions en arrire, Dante en fit un trs bon
(1)
Voy. Pierre-Gauthiez, Dante, Paris, 1908, in-8, p.
261.
262 CHAP. IV. DAXTE^ PETRARQUE ET ATJZIAS MARCH
emploi, mais autrement que Ptrarque. A l'poque de Dante et
un peu auparavant fleurirent les Provenaux dont les uvres^
par la faute de leurs contemporains, sont en peu de mains. De
ces Provenaux sortirent plusieurs excellents auteurs catalans.
Le meilleur d'entre eux est Auzias March. Desios Proenales sa-
lieron miichos authores eccelentes catalanes. De los quales el mas
ecelente es Osias March
{]).
i) Ces quelc[ues phrases prtaient h
l'quivoque. L'auteur semblait faire d'Auzias March un contem-
porain de Dante. Des lecteurs superficiels ne manqurent pas
d'en conclure tout naturellement qu'il avait tout au moins pr-
cd Ptrarque. Aussi, ds qu'apparut peu aprs
(2)
la premire
dition complte des uvres d'Auzias March, quektues-uns
voulurent-ils voir en lui un des modles du pote italien.
Il tait d'autant plus facile de flatter ainsi l'amour-propre
national qu'on ne savait plus au juste, au milieu des affirma-
tions contradictoires venant de toutes parts, quelle poque
avait vcu notre pote. En 1555, Juan de Resa reproduisait
dans son dition une biographie suffisamment exacte le faisant
vivre sous le rgne d'Alphonse le Magnanime et le pontificat de
Calixte III. Mais, ds 1562, Diego de Fuentes parlait de lui
comme d'un auteur trs ancien non moins renomm en son
temps que Franois Ptrarque dans le ntre, en nuestros tiem-
pos
(3)
, et, en 1579, le matre de Cervantes, Juan Lpez de
Hoyos prtend que, suivant les plus rudits de ses contempo-
rains, Ptrarque lui a pris ses penses les plus dlicates
(4).
La thse de l'imitation d'Auzias March par Ptrarque eut ds
lors ses partisans et ses adversaires. Les premiers furent long-
temps les plus nombreux. Citons parmi eux, outre Lpez de Hoyos
et Diego de Fuentes, Luis Tribaldos de Toledo, Beuter
(5),
Vi-
cente Mariner, les italiens Pomponio Torelli
(6)
et Giacopo An-
(1)
Las ohras de Boscan, Barcelona, Caries Amoros, 18 fvrier 1543, in-4*
fol. 19.
(2)
Le 22 dcembre 1543, chez le mme imprimeur. Voy. l'Introd. not. d.
crit. p.
62.
(3)
Las ohras de... Mossen Ausias March... iraduzidas..., por Jorge de Mon-
TEMAYOR, Saragosse, 1562. Cf. l'Introd. not. d. crit.,
p.
91.

Fr. Pelayo.
Briz a imprim en otros tiempos, dans son dition de 1864, p.
VII.
(4)
Dans la traduction Montemayor et Romani, imprime en 1579.
(5)
Cits par V. Mariner.
(6)
Traltato del debito del CavalUera, Parma, 1596, 4, p.
118.
PTRARQUE
ET AUZIAS
MARCH
265
tonioBuoni,
le
portuoais
Odoardo
Gomez
(1),
Diego de Saave-
dra
(2)
etc
Euoenio de
Salazar,
dans sa Sili'a de poesia, le place-,
rsolument
ava^nt
Ptrarque (3).
Vicente
Mariner,
qui a traduit
en
distiques
latins
toutes les
uvres
d'Auzias
March, est, a vrai,
dire, fort
embarrass.
On lui a
dit
qu'il tait
contemporain
de
J-acme le
Conqurant.
Ptrarque
a donc pu
l'imiter.
Bien mieux,
ne lui a-t-on pas
rapport
qu'
Florence
ou
possdait,
crites de
la main mme de
Ptrarque,
des
posies
d'Auzias
Mardi
?
Cela
lui suffit, et, aussitt,
il ajoute
qu'il a bien pu
les copier lors cl un
voyage Lombez
dans
les
Pyrnes !
Mais,
d'autre
part, Juan
de Resa affirme
qu'Auzias
March a
vcu au
milieu de
xve sicle-
du temps de
Calixte
III. A qui
ajouter
foi ?
Dcidment
con-
clut-il navement,
il est
bien
difficile
de
savoir la
vente (4).
Ainsi, faute
d'esprit
critique,
la
plupart
des
crivains
du:
xviie sicle voient dans
notre
auteur
l'inspirateur
de
Ptrarque,,
jusqu' ce qu'un
diteur
du
Canzoniere,
Alessandro
Tassom,.
raillant ceux
qui veulent
faire
d'Auzias
March
une
antiquaille
d'Eo-ypte
,
mette fin leurs
anachronismes.
Aprs
lui, J. Ko-
driguez
(5),
Fr. de
Sarmiento (6),
et
Ant.
Snchez
(7)
se ren-^
dent
l'vidence.
.
A la fin du
xvine sicle la
discussion
est
close.
Mais, en
dehors
de Tassom,
qui s'est
efforc
d'tablir
quelques
rapprochements
entre
Ptrarque
et
Auzias
March,
tous
s'en
sont
tenus
dans
les
deux
camps des
affirmations
gratuites
ou
de
purs
racontars.
III
Il faut
arriver la
deuxime
moiti
du
xixe sicle
pour trou^
ver en
Espagne un
essai de
dmonstration,
avec
preuves
al ap-
(1)
Cit,
ainsi que Buoni,
par
A.hssandro
Tassoni,
Rime di Fr.
Pelrarca...
con le
considerazioni
ri.edute e
ampUaie,
Modne, 1711,
m-4,
p.
xxii.
(2)
Repblica
Literaria, 1670, p.
32.
^
3 Cit par A. F.k......
ap. .U, p. 46,
d'-P-^--H.o.Jn.a,o,
IV, m
(4)
Vincentii
Marinerii
VakrUini
opra omnia,
Tournay, 1633, 8 ,
p.
51^
suiv. (Cf. l'Introd. not. d.
crit.
, p.
93).
(5)
Biblioleca
Valentiria, 1747,
4,
p.
68.
, ,.
j A 177=i
(6)
Memorias
para la hisl.
de la poesia
y
polas
espanoles,
Madrid,
177o,
^^
^l''pLl?CastelUnras
anieriores al siglo XV,
Madrid, 1779,
I, 56,
note 151.
264 CHAP. IV. DANTE^ PETRARQUE ET AXJZIAS MARCH
pui;, de rinfluence de Ptrarque sur Auzias March. Il est l'uvre
d'Amador de los Rios
(1)
et ne porte que sur les chansons
d'amour traduites en castillan par Georges de Montemayor.
Plus complet que Tassoni, Amador de los Ri'os envisage cepen-
dant les mmes exemples^ mais tous deux sans aucun effort
pour en faciliter le contrle, avec des rfrences insuffisantes.
C'est une raison de plus pour en faire une tude attentive,
mais en suivant le classement de notre dition.
XIII. CoLGUEN LES CENTS AB ALEGRIA FESTES.
Cette chanson^ dit Amador, a une certaine saveur ptrar-
quiste, sans expliquer en quoi ni pourciuoi.

Nous
y
avons
signal plus haut au moins une allusion incontestable la
DU'ine Comdie.
XV. Sl'PRES CRANS MALS UN BE M SERA CUARDAT.
Les vers 17-32 sont une rminiscence ptrarquiste, dit encore
Amador.

On en pourrait dire autant de la plupart des stro-
phes d'Auzias March. Il
y
reproche sa dame sa froideur et son
indiffrence. Que de potes en ont fait autant sans avoir jamais
lu Ptrarque !
XXIII.
Lexant a PART l'estil dels trobador^.
Amador est ici plus prcis. Auzias March imite, dit-il, les deux
premiers vers du sonnet 224 :
Cara la vita e dopo lei mi pare
Vera onest, che'n bella donna sia,
dans les vers suivants, dont il souligne le
2^
et le
3^
:
Tots som grossers en poder explicar
o que mereix un bell cos e honest.
Jovens gentils, bons sabents, l'an request,
e, famejants, los cov endurar.
(v. 17-20).
(1)
Hist. crit. de la lit. esp., VI, 496-523.
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH 265

Le pote italien exprime cette ide que l'honneur doit tre


plus cher aux dames que la vie, et il s'tonne que Lucrce ait eu
besoin du fer pour mourir. La douleur seule aurait d lui suffire.
Pour le pote catalan nul n'a jamais su quel cas il faut faire de
la beaut et de la puret corporelle (cos honest) d'une dame. Si
Thrse n'a point cette puret, parce qu'elle est marie, elle-
n'en est pas moins digne d'tre aime pour ses vertus intellec-
tuelles et morales. Les vers de Ptrarque n'ont certainement
pas la mme subtilit.
XXXIX.

Qui no es trist de mos dictats no cur.
Tassoni rapproche les vers :
Traure no pusch de mon enleniment
que sia cert e molt pus bell partit
sa tristor gran que tt altre dlit,
puys hi recau delits languiment.
(v. 25-28).
de ces vers du sonnet 141
Pur mi consola che languir per lei
Meglio che gioir d'altra...
[Fera Stella...).
5.
Tassoni et Amador les comparent aussi aux suivants :
Che, s'altro amante pi destra fortuna.
Mille piacer non vaglion un tormento.
(Son. 195
(1).
J' mi riv^tC...),
... Togliendo anzi per lei sempre trar guai,
Che cantar per qualunque...
(Son. 255.
/'
mi soglio...),

Les deux thmes ne concordent aucunement. Celui d'Au-


zias March est plus gnral. C'est le plaisir dans la tristesse sou-^
(1)
Amador indique le son. 196,
qui ne contient rien de semblable.
1
266 CHAP. IV. DANTE, PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
vent exprim, nous l'avons vvi, pai* les troubadours et aussi par
Ptrarque. Celui de Ptrarque est la prfrence des maux que
lui cause sa dame aux plaisirs qui pourraient lui venir d'une
autre. On rencontre trs frquemment la mme ide chez les
troubadours. Tassoni cite lui-mme ces deux vers d'Arnaut de
Mareuil :
E plais li mais morir per vos
Que per autra viure ioios.
6.
LVI. Ma voluntat amant-vos se contenta.
Le v. 17 :
Lo meu dlit no cap en nulla testa
rappelle de prs ,
suivant Amador, cet autre du sonnet 261 :
Mio ben non cape in intelletto umano.
[Levommi il mio.,.).
La ressemblance est relle. Mais il faut remarquer c[ue P-
trarque dit de son bonheur qu'il ne saurait tre compris de l'in-
telligence humaine, tandis qu'Auzias, parlant de son plaisir,
prtend qu'il est seul l'prouver et que nul autre homme,
nulle autre tte n'en est capable.
7.
LXV. No SO GOSAT EN DEMANAR MERC.
Les vers 1-4 offrent, d'aprs Amador, des traits connus d'imi-
tation ptrarquiste, mais nous ne voyons pas en cjuoi ils vo-
quent plus cjue les autres le souvenir du Canzoniere.
8.
Il rapproche ensuite les v, 25-28 :
No se remey potent mi consolar,
si altr' amor nova no conseguesch.
O tu, Amor, colp vell guareix ab fresch
o de aquell me vulles bandonar.
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
26T
de ce passage de Ptrarque :
Dall'un si scioglie e lega ail' altro nodo :
Cotale ha questa malizia rimedio,
Corne d'asse si trae chiodo con chiodo.
{Trionf. d'Am., II, 64-66).
L'ide est banale^ et il serait trange qu'Auzias March ait eu
besoin de l'emprunter Ptrarque. Quant l'expression, elle
est trs diffrente dans les deux potes.
9.
LXVI. AlGU .no pot h AVER EX si PODER.
P. Torelli
(
l)semble tre le premier qui ait relev l'troite re-
lation de la tornada avec le sonnet 3 de Ptrarque, mais elle a
d tre remarque, ds
1543,
quand, bouleversant l'ordre des
manuscrits et essayant peut-tre d'imiter le classement du Can-
zoniere, l'diteur a plac au troisime rang le chanson Alg no
pot.
Ptrarque raconte qu'il est devenu amoureux un vendredi
saint, alors que, tout chrtien ne devant songer qu' la prire, il
tait sans dfense :
Era
'1
giorno ch'al Sol si scoloraro
Per la piet del suo Fattore i rai
;
Quando i' fui preso, e non me ne guardai....
Tempo non mi parea da fer riparo
Contr'a' colpi d'Amor...
Il en a t de mme pour Auzias March qui s'crie :
Amor, Amor, lo jorn que l'Ignoscent
per b de tots fon post en lo pal,
vos me fers, car yo m guardava mal,
pensant que 1 jorn me fora deffenent.
(v. 41-44).

Ressemblance trs frappante, mais qui ne peut que nous


inspirer des soupons sur la ralit des sentiments d'Auzias
March. Il est vrai que Dante s'tait pris de Batrice un jeudi
(1)
Op. et loc. cit.
268 CHAP. IV. DANTE^ PTRAUQUE ET AUZIAS MARCH
saint et Boccace de Fianimetta un samedi saint
(1).
Dsireux de
symboliser lui aussi les dbuts doviloureux de son amour en les
plaant durant la semaine de la Passion,, le pote catalan devait
ncessairement rpter un de ses trois prdcesseurs italiens.
10.
LXVIII. No M PREN Axi COM AL PETIT VAYLET.
Amador prtend c{ue les vers 17-24 sont le dveloppement de
la pense exprime par Ptrarque dans le sonnet 279 :
O servito a signor crudele e scarso
;
Ch' arsi quanto 'I mio foco ebbi davante...
(Sento l'aura,..).
La comparaison d'Amour un seigneur cruel et avare se re-
trouve seule dans le texte d'Auzias March, et nous avons vu
qu'elle est due^ pour cette mme pice, l'influence directe des
troubadours, et, en particulier, de Peire Ramon de Tovilouse.
11.
XCYII.

Si per null temps cregu ser amador.
Tassoni
(p.
530) croit voir dans la strophe Enquer esta une imi-
tation de ce passage du sonnet 230 :
Ne credo ch'uom di dolor mora.
(L'ardente nodo....).
Or, chose curieuse, rien ne correspond proprement parler
dans Auzias March la pense de Ptrarcjue. C'est que Tassoni
a considr, non pas le texte catalan, mais la traduction tout
fait inexacte c[u'en avait donne Romani :
No creo que puede ningun dolor niatar,
Pues no mat tan gran dolor a mi.
(1)
E. J. Delcluze, Dante Alighieri ou la posie amoureuse, Paris, 1857,
in-12, I, 132.
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH 269'
12.
CI. Lo VISCAH QUE S TROBa'n AlEMANYA.
Deux imitations nous sont signales, Tune par Tassoni et
Amador, Tautre par Amador seul.
La premire concerne les v. 13-16. Le pote_, qui aurait cru
pouvoir jurer tre assez fort pour se dfendre victorieusement
contre un homme arm, a t vaincu par une faible femme.
L'ide est banale et se rencontre bien, en effet, dans Ptrarque :
Ella mi prese
;
ed io, ch'arei giurato
Difendermi da uom coperto d'arme,
Con parole e con cenni fui legato.
(Trionf. d'Am., II, 91-93).
13.
La seconde est beaucoup moins certaine. Nous ne voyons,
dans cette tornada :
Bell'ab bon seny, tt es poca faena
al meu affany veure vos luny estar,
car prop de vos res no m pot mal temps dar
e luny de vos no trob res bo sens
p
na.
(v. 49-52),
qu'un simple rapport d'ides avec ces deux vers de la canzone 8 i
Fugge al vostro apparire angoscia e noja
;
E nel vostro partir tornano insieme...
(Perch la i^ita...).
14.
CIL QuAL SEr'aQUELL que FORA iii MATEIX.
Tassoni et Amador rapprochent les vers 175-176
Car por gentil v de notable cor
que t fort mur a tots fets desleals.
270 CHAP, IV. DANTE^ PETRARQUE ET AUZIAS MARCH
de ces vers du sonnet 51 :
Vergogna ebbi di me ; ch'al cor gentile
Basta ben tanto...
(Del mar tirreno,..)-

Il
y
a loin de la distinction entre la por i'ilana et la por
gentil qu'tablit Auzias March et la honte qvie fit prouver
Ptrarque^ tout occup de Laure^ sa chute dans un ruisseau.
15.
On peut en dire autant des vers 229-230 :
Car la rah contrasta l'apetit
e l'apetit n'obeheix la rah,
qu'Amador compare ce vers du sonnet 80 :
La voglia e la ragion combattuto anno...
(Lasso, ben so...).

Cette opposition entre l'apptit et la raison est une ide


philosophique emprunte saint Thomas^ Suin. Th., l, So, 1.
Ainsi^ des quinze rapprochements institus par Tassoni et
Amador de los Rios trois au plus
(6, 9, 12)
sont concluants.
Tous les autres^ quand ils ne portent pas uniquement sur la
traduction^ nous montrent de simples rencontres verbales ou
des rapports d'ides drives d'une mme source provenale ou
scolastique. C'est ce dernier genre que se rattachent quelques
-analogies releves par nous et dont voici deux exemples :
CXIII.

La vida 's breu e l'art se mostra longa.
Ce vers et les suivants :
L'esperiment defall en tota cosa
;
l'enteniment en lo mon no reposa
;
al juhi d'hom la veri al s'allonga,
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH 271
font penser au dbut de la canzone 8 dj cite :
Perch la vita brve
E l'ingegno paventa ail' alta impresa
;
N di lui, n di lei molto mi fido...
Ces deux textes sont inspirs tous les deux, mais des degrs
diffrents, du premier des Aphorismes d'Hippocrate, si souvent
cit : Vita hrevis, ars vero longa, occasio autem prseceps, experi-
mentum periculosiun, judiciuni difficile...
CXVI.

Cert es de mt que no m'en cal fer compte.
Le V. 310,
Sobre neu veig maravellosa flania,
peut tre mis en regard de cet autre de la Sextine 2 :
Vedrem ghiacciare il foco, arder la neve...
[Giovene donna.,.).
C'est une nouvelle preuve de la relation commune d'Auzias
March et de Ptrarque avec les troubadours chez qui abondent
les antithses de ce genre.
On pourrait multiplier ces rapprochements sans obtenir des
rsultats plus satisfaisants, susceptibles de mriter vraiment
Auzias March le titre de Ptrarque de l'Espagne dont on
l'a pompeusement affubl. Aussi est-ce avec quelque raison
qu'avant et aprs l'tude d'Amador de los Ros tant d'excellents
sprits n'ont admis qu'avec regret l'imitation de Ptrarque par
Auzias March, mais sans avoir fait une critique minutieuse et
directe des faits sur lesquels s'tait fonde au cours des sicles la
tradition contre laquelle ils se sont levs. C'est un peu de cet
embarras que trahit le livre rcent de M. Bernardo Sanvisenti.
Imbu des ides brillamment exposes par J. M. Quadraao et re-
prises, avec quelques variations, par J. Rubi
y
Ors, M. Me-
nndez
y
Pelayo et J. Rubi
y
Lluch, il n'a d lire qu'assez tard le
travail d'Amador de los Rios dont les apparences de rigueur
scientifique lui ont fait impression

et il soutient la fois
l'absolue originalit d'Auzias March et sa parent avec P-
272 CHAP. IV. UA.NTE^ PETRARQUE ET AUZIAS MARCH
trarque. Mthode de conciliation qui a le grand avantage de
contenter tout le monde. Mais il ne reste pas longtemps dans
cette attitude si commode et reprend malgr lui position dans
Tun des camps adverses en fournissant aux partisans de l'imita-
tion un nouvel argument qui d'ailleurs a bien du les surprendre.
On sait que Ptrarque joue parfois avec le nom de Laure.
M. Sanvisenti croit avoir dcouvert deux badinages de ce genre
dans les posies d'Auzias Mardi. Tous les deux porteraient^ non
sur le jDrnom^ mais sur le nom patronymiciue de sa dame, Boy.
suivant les uns, Bou, suivant les autres :
entre amor aB oy desacordant...
(XL, 30).
diu que menjant carn de Bou o de llebra...
(1)
(CXIX, 72).
Le malheur est que le nom de Monbohi ou Monhoy dont, au
xvi^ sicle, on a fait tort Bou et Boy, et qui ne figure qu'une
fois dans les uvres du pote, ne s'appliquait aucunement sa
dame, comme nous l'avons dmontr. On se demande, en outre,
pourquoi il l'aurait appel tantt Bou, tantt Boy, moins que
M. Sanvisenti ne voie encore l quelque jeu de mots qui nous
chappe tout fait.
M. A. Farinelli est plus consquent et moins clectique. On ne
peut pas, d'aprs lui, rejeter les conclusions avixquelles est
arriv Amador de los Bios. Il croit encore, mais plutt par ou-
dire, qu'Aiizias March a connu et imit Ptrarque. Il signale
cependant, lui aussi, mais en passant, un autre thme commun
Ptrarque et Auzias March
(2).
C'est la description du prin-
temps que nous offre le dbut de la pice Lo temps es tal. Elle lui
parat provenir de Ptrarque. Mais, si nous relisons les sonnets
10 et 270, nous remarquons c{ue leurs traits de ressemblance
avec la chanson d'Avizias sont dus des modles identiques cfui
ne sont, ici encore, que les troubadours.
Il semble enfin qu'Auzias March ait aussi imit Ptrarque en
chantant sa dame pendant sa vie et aprs sa mort, in <^'ita ecl in
morte, et, toutefois, il a pu concevoir cette ide sous
l'influence
(1)
Op. cit.,
p.
387.

Les majuscules sont de M. Sanvisenti.
(2)
Op. cit.,
p. 51, note.
PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
273
des Provenaux. On sait^ en effet^ que Gavaudan
(1)^
Pons de
Capduelh
(2)^
Aimeric de Pegulhan
(3)
et ijlusieurs autres^
crivirent des chansons funbres^ des planhs, en l'honneur de
leur dame.
IV
Si donc nous recherchons dans Auzias March^ comme on Ta
fait jusqu'ici^des thmes manifestement emprunts Ptrarque^
des passages pour ainsi dire calqus sur ses Rime, il faut avouer
qu'ils se rduisent presque rien. Deux ou trois traits prouvent
simplement qu'il a connu Ptrarque. Quant aux autres rapports
d'ides ou de forme^ ils proviennent de ce que les deux auteurs
ont puis aux mmes sources, et ils inettent en lumire non le
Ptrarquisme d'Auzias March, mais, au contraire, sa dpen-
dance vis--vis de la posie provenale. Il reprsente mme par
rapport Ptrarque un retour assez marc[u vers l'amour ver-
tueux, purement spirituel, qu'avaient chant les troubadours de
la dcadence. Ptrarque s'efforce de s'affranchir du Moyen ge:
il est la fois un chrtien trs convaincu et un humaniste hostile
la Scolastique, trs pris des beauts de la forme paenne.
Auzias March, au contraire, reste presque entirement un
homme du Moyen ge, bien qu'il ait vcu longtemps aprs P-
trarque, l'aurore de la Renaissance. Ptrarque annonce
l'avenir, Auzias March nous ramne au pass. C'est un retarda-
taire.
Ces diffrences se manifestent avec plus de nettet, ds que
l'on compare leur plastique de la femme et leur conception de
l'amour.
Ptrarque a clbr les perfections physiques de Laure
presque l'gal de ses qualits intellectuelles et morales. Sans
doute, le portrait qu'il nous en fait reste encore un peu vague.
Mais il nous dit cependant que ses yeux sont noirs, ses dents
blanches, ses cheveux blonds, ses paules belles. Il aime la voir
(1)
Rayn., Choix, III, 167.
(2)
Ibid.,
p. 189.
,(3)
Ibid.,
p.
428.
Am. Pages.

Auzias March.
^8
274 CHAP. IV. DANTE^ PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
s'asseoir parmi Therbe comme une fleur ^ ou presser sur son
sein candide un vert rameau
(1)
. Une fois mme, il l'aperoit
nue dans une source o elle se tenait l'heure o le soleil est le
plus ardent . La baigneuse lui jette de l'eau la figure, et il
s'enfuit
<(.
comme un cerf solitaire^ errant de fort en fort
(2)
.
Quelque peu caractristiques que soient ces traits, ils sont
plus prcis, plus objectifs et surtout plus nombreux que ceux
qu'Auzias March attribuait sa Thrse. A peine savons-nous
d'elle qu'elle avait un corps maci, une voix douce, des yeux
ardents, une dmarche, un maintien, des gestes empreints de la
plus havite noblesse. Toutes les autres beauts de sa personne
novis sont soigneusement caches. 11 ne veut pas voir, il passe
sous silence tout ce qui peut inspirer de coupables penses. Elle
est belle, et cela doit suffire un cur pntr des ardeurs imima-
trielles et pudic{ues de l'amour honnte, proccup d'acqurir
la vertu parfaite dont elle lui parat tre la personnification.
A ce fantme indistinct et sans contours correspond chez Au-
zias March l'expression de dsirs qui n'ont rien de charnel. Ce
qu'il voudrait d'elle, c'est son intelligence laquelle tend la
sienne. Il rclame, comme les troubadours, sa merci , c'est--
dire un amour aussi pur, aussi exempt de sensualit que le sien
(3).
Un regard lui suffirait, pourvu qu'il l'assurt de sa bien-
veillance et lui ft connatre cette rciprocit d'affection qui
doit tre pour lui le suprme bonheur. Ptrarque, au contraire,,
rve parfois de possder Laure tout entire. Pygmalion et En-
dymion ont t plus heureux que lui
(4),
et il voudrait tre seul
avec elle une seule nuit et que jainais ne vnt l'aurore
(5)
. Il
reconnat, il est vrai, dans d'autres pices plus nombreuses, que
l'amour de Laure a supprim en lui toute pense mauvaise, tout
entranement corporel
(6).
Ces deux tendances, ces deux formes de l'ainour ont coexist
chez Ptrarque et chez Auzias Mardi. Ils sont l'un et l'autre
d'une complexion trs amoureuse et en mme temps trs dsi-
(1)
Son. 127. Amor ed io.
(2)
Canz. 1, Nel dolce tempo.
(3)
A. March, XXV, 3 ; LIX, 39
; LXI, 25 ; LXV, 1, etc.
(4)
Son.
58, Quando giunse
; S; xt.
7, Non ha tanti.
(5)
Scxt 1, A qualunque
(G) Voy. Son. 64, Io ainai sempre
; el 121, Le slelle.
LE PTRARQUISME d'auZIAS MARCH
275
reux de raliser la perfection morale dont leur dame est le sym-
bole. C'est par l qu'ils se rejoignent vritablement. Nul n'a
exprim avec plus de force que Ptrarque le bienheureux mar-
tyre que produit en l'hontme cette double nature, les incerti-
tudes, les angoisses, les alternatives d'espoir et de crainte par o
passe l'me d'un amoureux qui aspire possder, travers l'en-
veloppe phmre, mais sduisante, du corps fminin, l'intelli-
gence qui l'anime. C'est de ces chants dsesprs qu'Auzias
March s'est inspir en homme qui, cherchant raliser vrai-
naent l'idal rv, est irrit par les obstacles que lui oppose non;
seulement son temprament, mais encore celui de la femme qu'il
aime. 11 dplore ses propres faiblesses, mais plus encore peut-
tre l'inconstance, les trahisons de sa dame, qui, loin d'exercer
sur lui une influence purement morale, rveille ses elsirs sen-
suels et le fait retomber dans les dlices empoisonnes du fol
amour )>. L'ide de ce calvaire de l'amour pur que l'homnie et la
femme ne peuvent gravir qu'ensemble et sur lequel ils tombent
l'un par la faute de l'autre, est l'origine profonde du lyrisme
de Ptrarque. C'est aussi d'elle que drive la posie d'Auzias
March. On sent, chez les deux crivains, une irrmdiable
tristesse : ils aiment se redire eux-mmes les raisons qu'ils
ont de se plaindre et de souffrir. Mais, dans Ptrarque, les
vraies causes en sont caches sous les voiles d'une langue riche,
colore, o l'on dcouvre dj, ct de l'influence des trouba-
dours, celle de Virgile et des lgiaques latins. Auzias March en
donne une vision plus claire, mais moins concrte. C'est un
pessimiste qui observe avec complaisance les douleurs de l'amour
et en expose les diffrentes vicissitudes dans une forme sou-
vent abstraite, aride et scolastique.
Bref, Auzias March nous apparat trs loign du chantre de
Laure par le style, en prenant ce mot dans son sens le plus large.
C'est cependant par l qu'on a prtendu les rapprocher, sous le
prtexte futile qu'il en a reproduit quelques dtails. En fait,
nous n'y trouvons ni l'abondance des ornements mythologiques,
ni surtout le sentiment de la nature que Ptrarque associe ses
joies et ses douleurs et par lequel il innove ou plutt revient
<
la voie royale du naturel et du sinqile
(1)
)>. Le Ptrar([uismc
(1)
A. Jeanroy, La posie piw. au M. A.{Re^'. des Deux Mondes, l^'' fv. 1903,
p. 691).
l
276 CKAP. IV. DANTE, PTRARQUE ET AUZIAS MARCH
d'Auzias March porte sur le fond plutt que sur la forme. Il a
voulu dpeindre en vers^ l'exemple du pote italien^ les contra-
dictions dans lesquelles vit l'homme^ l'ternelle tentation qui le
porte vers le pch et l'ternel attrait qu'exerce sur lui la vertu.
Jamais ces conditions tragiques de l'existence n'ont t inieux
aperues que par ces lettrs qui, la veille de la Renaissance,
s'efforaient de concilier avec l'asctisme chrtien les tendances
paennes de leur nature terrestre. Ptrarque et Auzias March
ont senti vivement ces difficults, elles ont inspir leurs chants,
mais l'un les a exprimes en artiste raffin, en pote amoureux
des belles images et des sentiments dlicats
; l'autre, plus res-
pectueux de la tradition et plus savant, en a fait, l'aide du
vocabulaire et du rpertoire potiques des troubadours, une
analyse plus sche, mais plus approfondie, o la Scolastique et
la Philosophie tiennent toujours, comme parfois dans l'uvre
de Dante, la place principale.
CHAPITRE V
LES POSIES AMOUREUSES (suite). LEURS SOURCES SCOLASTIQUES
ET PHILOSOPHIQUES : SAINT THOMAS ET ARISTOTE
La posie s'est toutes les poques inspire et proccupe de
la science et de la philosophie. Rien de plus naturel. Les no-
tions rationnelles et les problmes mtaphysiques, comme les
sentiments, ont leurs racines au plus profond de notre esprit. La
science et Tart, puisant la mme source, doivent exprimer les
mmes ides, chacune par les moyens qui lui sont propres. Par la
science, l'homme dgage les conditions et les lois fondamentales
de l'existence et les tradiiit en formules exactes et abstraites
;
par l'art, il les manifeste d'une manire sensible, en ne s'adres-
sant pas tant la raison qu'au cur et aux sens
(1).
Le dsir
d'exposer musicalement et potiquement la vrit, comme
l'avaient fait de nombreux potes moralistes ou didactiques du
Moyen ge jusqu' Dante, est vident chez Auzias March. Mais
s'il songe unir la posie la science et la philosophie, deux
puissances qui son poque sont encore confondues, c'est qu'il
ne veut pas se contenter de clbrer les plaisirs frivoles et les
tourments phmres des passions. L'amour est pour lui une
science, un art qui a ses rgles prcises et ses lois. Ce qu'il pr-
tend en faire connatre, ce sont les secrets qu'il lui a rvls,
c'est ce qu'il
y
a en lui d'ternel, l'aspiration qu'il implique vers
l'Absolu et l'Infini avec ses dfaillances invitables. A cet gard,
sa posie est dj scientifique ou plutt philosophique, au sens
o l'on prend d'ordinaire ce mot quand on l'applique des
])otes comme Alfred de Vigny ou Leconte de Lisle. Dans ses
(1)
Voy. Taine, Philosophie de l'art,
3^
d., Paris, 1879,
in-18,
p.
72.
278 CHAP. V, POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
chansons d'amour proprement dites^ il cache souvent sous un
!brillant tissu de symboles^ dans la musique du verbe potique,
les vrits que lui montre la psychologie de son temps. Mais il est
une autre forme de posie scientifique dans les uvres d'Auzias
March, C'est celle dont ses dissertations sur l'Amour et ses
pomes moraux ou religieux nous offrent les exemples les plus
remarquables. L'auteur, soucieux comme tous ses prdcesseurs
et ses contemporains 4'enscignement moral et mme de prdi-
cation, ne craint pas de formuler en vers quasi-mnmotech-
niques les principes philosophiques qui l'intressent et dont la
connaissance importe le plus au genre humain.
Avi xvi^ sicle, ce caractre de haute gravit lui avait t re-
connu par toiis les diteurs qui le qualifiaient de profond philo-
sophe )). A la mme poque, un chanoine de Barcelone, Luis
Juan Vileta, professevir de philosophie l'Universit, qui avait
d] comment plusieurs ouvrages d'Aristote, exerait son ru-
dition et sa pntration philosophiques l'interprter savam-
ment, mais il ne nous est rien rest de son travail. De son ct,
l'vque d'Osma, Honorato Juan, disciple de Lviis Vives, le fai-
sait servir, dit-on, l'instruction de son royal lve Don Carlos,
fils de Philippe II. Dans les sicles suivants, ce ct de son ta-
lent a t tout fait nglig. On ne considre plus en lui qvie le
pote erotique, ou, plus exactement, le rival de Ptrarque. Quel-
ques critiques contemporains, tels que D. M. Menndez
y
Pelayo
et D. A. Rubi
y
Lluch, mentionnent cependant les tendances
scolastiques de son uvre, mais sans prciser aucunement. Le
premier, Mgr J, Torras
y
Bages, vque de Vich, en a nettement
mis en lumire la source principale dans un excellent chapitre de
sa Tradici Catalana
(1).
Mais il est possible de le complter et
de reconstituer en quelque sorte la doctrine philosophique dissi-
mule dans les uvres d'Auzias March, en commenant par ses
posies amoureuses.
I
On se rappelle que les tudes d'Auzias March nous ont sembl
;(1) Barcelone, 1892, in-8,
pp.
533-574.
l'antiquit classique 279
avoir t trs compltes pour un laque tel que lui. Il est vrai
que^ bien avant le xv sicle^ l'instruction s'tait dj rpandue
hors du clerg et que la plupart des seigneurs possdaient quel-
que teinture des sept arts. Auzias March a certainement cultiv
la musique qui lui fournit plusieurs de ses mtaphores. Parmi les
sciences sculires, la mdecine, plus encore que la musique, est
pour lui matire de frquentes comparaisons
(1).
Hippocrate
et ses Aphorismes lui taient familiers. Il lui doit le dbut de la
pice La vidas breu
(2)
et il signale d'aprs lui
(3)
les divers
signes de la mort :
Dels vuit senyals mortals qu'Ypocras posa
no'n vu alg e sa vida s'abreuja...
(CXIX, 65-66).
De Galien, il a retenu, comme tout le Moyen ge, la thorie de
l'humeur ou de l'humidit radicale
(4)
et celle des quatre temp-
raments
(5).
La premire lui fournit l'occasion de rapprocher
hotno de humor pour une raison physiologique facile com-
prendre :
L'home no pot ser al mon vividor,
si de humor mal sera netejat :
lo bo
y
el mal conserven la calor
d'hom radical que sens ells es guastat.
Axi d'amor qui lo seu mal no sent
no pot en ell sa passi durar...
(LXIII, 57-62).
Aux potes latins, il demande aussi quelques ides. Il cite
(1)
En voici quelques exemples extraits des posies amoureuses seulement :
m, 1-16, XXXVII, 9-16, XLIV, 1-8, LIX, 1-8, LXVI, 25-28, LXIX, 49-56,
C, 37-40, CI, 1-8, etc.
(2)
Voy. ci-dessus
p.
271. Il
y
avait une Expositio primi Alforismi Ypocra-
tis , dan la bibliothque d'Arnaud de Villeneuve (Rei>. de Archivos, an-
ne 1903, p. 189).
(3)
Aphorismi, III, 49.
(4)
Ad tertium dicendum quod ad humidum radicale intelligitur pertinere
totum id in quo fundatur virtus speciei
;
quod si substrahatur, restitui non
potest... (Saint Thomas, S. Th., I, 119, 1. Cf. cette phrase de l'Elucidah : La
humiditat radical que rema en la razitz {Lex. Rom., V, 30).

Auzias dit
ailleurs (CXI,
38)
que le sang est une des humeurs ncessaires de l'organisme.
(5)
XCIV, 17-20.
280 CHAP, V. POESIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
Ovide^ nous l'avons vu^ mais sans en avoir connu autre chose
qu'une imitation. Je ne crois pas non plus qu'il ait puis dans son
Art d'aimer cette opinion sviivant laquelle la maigreur est une
condition indispensable de l'amour
(1)
: Argut et macies ani-
mum... {A. A, 1,729-733). On la retrovive dansle Roman de la Rose
et dans la Clef
d'Amours
(2)
et elle tait trop rpandue l'poque
d'Auzias March pour qu'il ait eu besoin d'aller la prendre dans
VArs Amatoria. En revanche^ il semble avoir lu Virgile qu'il ne
nomme pas. h' Enide avait t^ on le sait, l'objet de lectures
publiques Valence un peu avant qu'il ne se mt crire. La
chanson Pren m'enaxi nous offre une premire rminiscence
virffilienne dans les vers
Menys que lo peix es en lo bosch trobat
e los leons dins l'aygu' han lur sojorn...
(II, 17-18),
qu'on peut rapprocher du passage bien connu :
Ante levs ergo pascentur in there cervi,
Et frta destituent nudos in litore pisces...
(Eglog., I, 59-60).
L'ide du gant Tityos et de son supplice dveloppe dans la;
pice Colguen les gents lui a t suggre par Dante, mais la
description qu'il en fait est de Virgile {En., VI, 592-600). Enfin,
les souvenirs mythologiques de la pice Qui es aquell qui en
amor paraissent provenir la fois de Virgile et d'Ovide.
Quelque nombreux que soient les auteurs latins qui ont, dans
(1)
Lo poch dormir magres'al cos m'acosta
;
dobla m l'enginy per contemplar Amo
.
Lo lors molt gras, trobant-se dormidor,
no pot dar pas en aquest' aspra costa.
(II, 37-40).
Cf. CVII, 87-88.
(2)
Ern. Langlois, Origines et Sources du Roman de la Rose,
p.
82. Saint
Thomas avait dit que, par le jene et l'abstinence, l'esprit s'lve plus aisment
la contemplation du sublime (5.
Th., II-II, 147, 1.).
l'antiquit classique 281
rantiquit_, dcrit les caprices de la Fortune, on peut rapprocher
d'Horace
(1)
ces devix vers :
No recordant sa propria natura
qu'es l'ait baxar e lo baix muntar ait.
(XXXI, 5-6).
Il est possible qu'il ait connu ces potes par des extraits, par
des citations insres dans quelque recueil encyclopdique, dans
une des compilations que renfermait la bibliothque de son pre.
C'est plus probablement encore dans un de ces livres ou dans un
Bestiaire qu'il a puis un trait d'hrosme purement lgendaire,
attribu au castor par les naturalistes de l'Antiquit. Juvnal,
le premier, en a fait l'objet d'une singulire comparaison. Cl-
brant le retour de son ami Catulle, le pote raconte qu'il n'a
chapp au naufrage qu'en faisant jeter la mer ses effets les
plus prcieux,
Imitatus castora qui se
Eunuchum ipse facit, cupiens evadere damno
Testiculi : adeo medicatum intelligit inguen !
(Sat., XI f, 34-36).
Silius Italicus (XV,
484),
compare lui aussi au castor Has-
drubal abandonnant son butin l'ennemi qui le poursuit, et ce
merveilleux exemple d'instinct est encore rapport dans le livre
provenal sur Las naturas d'alcus auzels e d'alcunas bestias
(2).
Mais il semble qu'Auzias Mardi se soit plutt inspir de Juvnal
dans le passage suivant :
Si col castor caat, per mort estorre,
tirant ab dents part de son cors arranca,
per gran instint que natura li dna :
sent que la mort li porten aquells membres...
(XXIV, 25-28).
(1)
Prasens (Fortuna) vel imo tollere de gradu
Mortale corpus, vel superbos
Vertere funeribus triumphos.
{Carm., I, xxxv, 2-4).
(2)
Bartsch, Chrest., 328. L'Arioste a repris plus tard la mme compa-
raison dans son Orl.
fur.,
XXVII, str. 57.
282 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
Rien ne prouve que son allusion Phdre et Hippolyte pro-
vienne d'une des tragdies de Snque
(1).
Mais il a certaine-
ment subi l'influence directe ou indirecte de ses doctrines philo-
sophiques. On sait, en effet, que plusieurs opuscules apocryphes
circulaient au Moyen ge sous le couvert du philosophe ro-
main
(2).
Il le nomme dans deux de ses posies morales (CVI,
161, CXII, 227), mais on retrouve la mme inspiration dans la
chanson Alguns passais o il fait, comme Dante, l'loge de
Caton d'L tique. Voici, d'autre part, comment il a paraphras la
clbre pense Ira furor
hrevis :
Si com a l'hom frenetich l'es molt greu,
quant a fer mal se vol esser levt,
lo fort ligam que li hauran post,
y
el mal no sent fins la follia veu,
ne pren a mi quant so torbat per ira...
(LUI, 33-37).
L'inspiration de la Bible, laquelle il a emprunt la devise Lir
entre carts, se rencontre aussi quelquefois. Le dbvit de la pice
Ceri'o ferit no desija la font est une traduction du Psaume XLI,
2 : Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum : ita
desiderat anima mea... Une autre pice Maleyt lo jorn que m
fon
donada s'ida commence par le verset bien connu Pereat dies
in qua natus sum
du livre de Job (III, 3).

L'Evangile, son
tour, lui fournit quelques traits })our l'loge qu'il fait de Jsus
dans la pice Pahor no ?)i sent que Sohreslaus nie vena. Il se com-
pare ailleurs saint Pierre, victime comme lui des passions de
l'amour et coupable des pires erreurs
(3)
:
Hoit he dir que, per esser pus franch
a perdonar Sent Per' als peccadors,
Deu permet que vengus en errer
mostrant-li com lo sancer pot ser manch
;
tt enaxi de mi Deus ha perms
que am e tal que no s gose b dir...
(CXI, 105-110).
(1)
Voy. ci-dessus,
p.
190.
(2)
Cf. Haurau, Notices et ExtraUs de quelques manuscrits latins de la Bib.
Nat., l, 233-234, II, 202, V, 176 ;
M. Schiff, La bibl. du marquis de Santi-
lane,
p.
102-103.
(3)
Voir la mme allusion dans le Facet (Romania, XV, 219; v. 1629-1634).
LITTRATURE RELIGIEUSE. LE CONTEMPTUS 283
Les martyrs
(1),
et, notamment saint Paul, dont il rapporte
le ravissement au ciel,
Si com Sant Pau Deu li sostragu l'arma
del cors, per que vs divinals misteris...
(XVIII, 33-34),
ont aussi pour lui des points de comparaison.
Il met d'autres fois encore contribution les Vies des Saints.
C'est ainsi qu'il fait saint Franois d'Assise une allusion subtile
qui ne semble gure avoir t comprise des diteurs et des tra-
ducteurs.

Ma volont, dit Auzias March, a tant obi l'amour
que je ne souffrirai point de sa dangereuse plaie, povirvu que la
renomme ne s'en teigne jamais, comme pour saint Franois
qui s'est dpouill de la sienne :
Tant mon voler amor ha obeyt
que no m dolr sa perillosa plaga,
si per null temps la fama no s'apaga,
com Sent Francesch de la sua jaquit,
(LUI, 21-24).
Saint Franois avait renonc aux honneurs et fait vu d'hu-
milit, et cette renonciation mme, dit notre pote, fut pour lui
l'origine de la gloire
(2).
Jamais, en effet, rputation ne fut
plus grande que celle du Poverlo qui Dante a consacr tout
le XI^ chant du Paradis.
Mais l'une des uvres qui ont exerc le plus d'influence sur
lui durant sa jeunesse est le Rhythmus de Contemptu mundi,
petit pome attribu Saint Bernard. 11 le cite lui-mme sous le
nom de Contemptus dans son second Ensenhamen
(3)
et recon-
nat qu'il n'en a compris toute la porte qu' la fin de sa vie.
Mais il l'imite certainement dans une de ses premires posies,
prcdant en cela notre Villon qui en a reproduit aussi quelques
(1)
XVIII,
25-28.
(2)
Cf. P. Gratien, Saint Franois d'Assise, Paris, 1910, pet. in-8,
p.
13.
{3)
CXXVIII, 2.
284 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
ides et surtout le mouvement dans la clbre ballade sur les
Dames du temps jadis :
Die, ubi Salomon, olim tam nobilis ? Hon es l'enginy d'Aristotil trobat,
Vel ubi Samson est, dux invincibilis ? d'Origenes, Seneca e Plat ?
Vel pulcher Absalon, vultu mirabilis ? Qui mostrarem semblant al fort Sams?
Vel dulcis Jonathas, multum amabilis ? Hon es tan bell com Absalon trobat ?
Quo Csar abiit celsus imperio ? Linceus fon qui res no l'escapava
Vel Dives splendidus, totus in prandio ? que no fos vist per sa vista suptil :
Die, ubi Tullius, clarus eloquio ? dins en la niar veya de millers mil :
Vel Aristoteles summus ingenio ? lo viure llur mes que 1 prsent durava.
(MiGNE, Pair, lut., CLXXXIV, 1315). (XXVI, 41-48).
On peut saisir l tout le procd d'Auzias March. Il mcidifie
de faon sensible le contenu et l'ordre des ides de son modle,
comme il Ta dj fait pour le troubadour Peire Ramon de Tou-
louse, Mais il en garde volontiers l'esprit, et quelques expres-
sions reviennent sous sa plume par le sourd travail des rminis-
cences. Critiquant, la manire des Provenaux, les murs
corrompues de son sicle, parce qu'il est incapable d'apprcier
et de pratiquer l'amour pur que sa dame elle-mme ddaigne, il
se rappelle plus ou moins obscurment quelques vers du pome
stoco-chrtien sur la vanit des Ijiens terrestres et il les adapte
immdiatement son sujet. Son imitation ne va pas, on le voit,,
sans quelque indpendance.
II
Mais l'auteur favori d'Auzias March, celui envers qui il a con-
tract les dettes les plus importantes est saint Thomas. La plu-
part des ides fondamentales et presque toute la substance de
ses posies, mme amoureuses, en manent directement. Il ne
le nomme pas, mais ce n'est pas dans l'intention de dissimuler
ses emprunts. La Sojuiue Thologique tait encore son poque
l'encyclopdie que tout homme instruit tait tenu de possder,
o taient concilis, dans la synthse la plus harmonieuse, la
raison et la foi, la nature et la grce, l'intelligible et le sensible,.
SAINT THOMAS
285
l'idal et le rel. L'Ange de l'Ecole exerait sur tous les esprits
une vritable
domination. Ds 1309,
l'assemble capitulaire des
Frres-Prcheurs,
tenue Saragosse, avait dcrt que la doc-
trine du
vnrable docteur frre Thomas d'Aquin tait la
plus
susceptible d'tre enseigne avec fruit dans les Univer-
sits
(!)_,
et, Valence mme, les Dominicains avaient t char-
gs
(2),
le 30 mars 1345,
d'organiser des lectures publiques de
Thologie. Saint Vicent Ferrer, qui avait suivi ces leons,
avant de se rendre Lrida, Toulouse et Paris pour
y
achever
ses tudes, tait tellement convaincu de la vrit du Thomisme
qu'il soutint pubhquement Rome cette
proposition que la
Somme Thologique de saint Thomas tait entirement vraie.
(3)
On sait, d'autre part, qu'Auzias March et saint Vicent Ferrer
sigrent l'un et l'autre aux Corts de 1415
(4).
Nul doute, par
consquent, qu'Auzias March n'ait t vers dans les thories
les plus accrdites de son temps. Les avait-il tudies dans
quelque Universit ? Cela est peu probable. Mais on peut avan-
cer qu'il avait lu tout au moins la Somme de saint Thomas. Un
des ouvrages de sa bibhothque, que nous avons dcrit sous le
n^
7,
commence par une allusion au De Anima d'Aristote,
comme beaucoup de livres de scolastique. La plupart de ses
autres livres et aussi ceux de son pre traitent de philosophie, de
morale ou de religion. Certains, comme le De Regimine de
Gilles de Rome, crit la requte de PhiHppe III, ne font que
reprendre, propos du
gouvernement des princes, les ides
mmes de saint Thomas sur le Souverain Bien, la Vertu et les
Passions.
Si Auzias March a fait appel saint Thomas pour l'expos de
ses ides en matire d'amour, c'est que ce sentiment n'a,
ses
yeux, rien de frivole. C'est un tat profond de la nature hu-
maine dont il ne veut pas seulement
dcrire les principales ma-
nifestations. Il est pour lui, comme pour tous les troubadours
(1)
J. ToRRAs Y Bages, op. cit., p.
408.
(2)
M. Velasco y Santos, op. cit.,
p.
13.
(3)
J. Torras y Bages, op. cit.,
p.
409.
(4)
Voir ci-dessus, p.
64.
286 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUE5
de la dcadence^ l'objet d'une science et d'un art qui en codifie
les prceptes :
Per mon sentir rgles n' he dat e art
als amadors freturans de saber...
(LXXI, 27-28).
Il prtend remonter ses causes^ en dgager l'essence et les dif-
frentes espces :
En amor veig dues difficultats
una'n saber qui es, dTion v, que fa...
(CXXIII, 69-70).
La Philosophie est.ncessairement l'auxiliaire de telles spcu-
lations. Guiraut Riquier
y
avait eu recours, mme en dehors de
ses posies morales et didactiqvies. Sa conception de l'amour est
celle d'un moraliste
(1),
et mme d'un psychologue. Il le dfinit
et en montre mthodiciuement les trois formes. Il en est de mme
de N'At de Mons et probablement aussi de Cerveri de Girona. Mais
c'est surtout en Italie qvie la posie s'est vraiment mise, avec
le dolce stil nuovo, l'cole de la Philosophie. Guido Guinicelli
fait passer de l'Universit de Bologne dans sa chanson Amor e
cor gentile les ides philosophiques et scientifiques du temps.
L'Intelligence, dit M. Ad. Bartoli
(2), y
prdomine l'excs sur
la fantaisie '). De lui procdent les potes toscans de la nouvelle
cole, Dino Frescobaldi, Guido Orlandi, Cino da Pistoia, Guido
Cavalcanti et enfin Dante Alighieri. Leurs posies ressemblent
parfois de vritables traits o sont minutieusement dcrits les
sentiments humains et exaltes les plus nobles vertus de l'me.
De ces potes philosophes Auzias March n'a connu que le der-
nier, le plus grand de tous, qu'on a appel le Saint Thomas de la
posie. C'est de lui, encore une fois, plutt que de Ptrarciue, qu'il
va tenter de se rapprocher en revtant de formes potiques et
populaires les vrits spiritvielles admises depuis le xiii^ sicle et
auxquelles il s'efforce de rester fidle. Mais, de mme c[ue
(1)
J. Anglade, op. cit.,
p.
254 et suiv.
(2)
Storia dlia Letieratwa Ituliana, 287.

Voir aussi II. Hauvette, Litt.
ital.,
p.
79 et suiv.
ARrSTOTE 287
Dante avait complt saint Thomas par Aristote dans la plupart
de ses ouvrages^ de mme Auzias March puise tantt dans la
Somme Thalogique^ tantt aussi^ quoique moins frquemment^
dans l'Ethique Nicomaque. C'est ce dernier livre qu'il de-
mande quelques-uns de ses argviments et les lments naturels
de sa thorie dvi Bonheur et de son explication du monde. Rien
de plus lgitime d'ailleurs que ce passage de l'un l'autre au-
teur, puisque la philosophie de saint Thomas n'est qu'vin essai
de conciliation de la foi chrtienne avec le rationalisme aristot-
lique. 11 vante dj le gnie (Venginy) d'Aristote dans une de
ses posies amoureuses (i'I
;
il cite mme le livre VI de son
Ethique dans son dernier Ensenhamen :
D'ao pus larch no parlar.
Lo gran philosof vos acs
qui n'ha tocat e no dessus.
Tt larch en l'Eiica ho diu,
en lo sise, temps ha que u viu
;
yo m'acort b com hi esta...
(CXXVIII, 156-161).
Mais il ne s'en tient pas de simples allusions passagres et
comme de pures rfrences. On retrouve partout en lui l'esprit
et parfois mme la lettre du pripattisme.
Cela est vrai de ses chansons d'amour, comme nous allons le
voir. Cela est plus vrai encore de ses posies morales et surtout
de ses ensenhamens. il semble avoir voulu rpondre, en compo-
sant ces dernires uvres, l'invitation du prince de Viane,
avec lequel, suivant une tradition assez vraisemblable, il entre-
tenait des relations d'amiti. Il nous reste, en effet, une curieuse
lettre de D. Carlos d'Aragon
:(
tous les vaillants lettrs de l'Es-
pagne)^
(2)
par laquelle il les engage exposer dans un trait en
langue vulgaire les doctrines de VEthique, de YEconomique et de
la Politique d'Aristote en les mettant d'accord avec la foi chr-
tienne. Cette circulaire est postrieure la traduction castillane
que le prince avait faite, vers 1457, de YEthique Nicomaque,
(1)
XXVI, 41
;
Cf. CVI, 143, 237.
(2)
Doc. ind. del Arch. gen. de la Cor. de Arag., XXVI, 13. Cf. G. Desdevises
DU Dezert, D. Carlos d'Aragon,
pp.
416-419.
288 CHAP. V, POSIES AMOUREUSES, SOURCES SCOLASTiQUES
d'aprs la version latine de Lonard d'Arezzo et ddie son
oncle le roi d'Alphonse V Aragon. C'est le mme dsir de vulga-
riser les thories morales d'Aristote qui anime bon nombre des
posies d'Auzias Mardi. On peut mme affiriner que certaines
d'entre elles constituent un effort pour raliser le vu du
pri-
mognit d'Aragon.
Quelque difficile qu'il soit de distinguer dans son uvre,
cause de leur troite parent, les ides qui lui viennent de saint
Thomas et celles qu'il doit Aristote, il est possible de recon-
natre en maints endroits l'influence immdiate du Stagirite. Il
nous arrivera peut-tre mme de rapporter la Somme des
passages qu'il a emprunts directement VElhique ou tel ou
tel autre ouvrage du Philosophe
, mais il suffira, pour la d-
monstration de notre thse, de prouver cjue certaines de ses
penses ne peuvent dcouler que d'Aristote lui-mme.
III
L'homme est, pour Auzias March comme pour saint Tho-
mas
(1),
un tre intermdiaire entre l'animal et l'ange. Il res-
semble l'un par son corps, l'autre par son me. C'est pour-
quoi il
y
a, nous le verrons bientt, trois espces d'amour, comme
il
y
a trois manires d'tre auxquelles nous pouvons participer :
Lo qui amor per trs parts ha sentit
toca de tt, d'angel, e d'hom e brut...
(CXXIII, 29-30).
Mais, si l'me peut subsister par elle-mme, elle est ici bas
troitement unie un corps dont elle est la forme et avec le-
quel elle constitue un coiTipos
(2),
nn compost (LXXXVII,
80,
(1)
J'ai consult, pour l'expos des passions suivant Saint Thomas, Jour-
dain, La philosophie de Saint Thomas d'Aquin, Paris, 1858, 2 vol. in-8,

et,
quelquefois aussi, J. Gardair, Philos, de Saint Thomas, Les Passions et la i'O-
lont, Paris, 1892, in-12.
(2)
Manifestum est quod homo non est anima tanlum, sed aliquid compo-
situm ex anima et corpore (S. Th., I, 75, 4).
UNION DE l'aME ET DU CORPS
289
CXXIII_, 40). C'est elle qui est le principe, non pas seulement
de
la pense, mais encore de la vie corporelle et du mouvement.
Aussi notre pote loue-t-il l'intelligence de sa darne parce
qu'elle gouverne un peuple de penses subtiles et imprime
son beau corps un impeccable mouvement :
Venecians no lian lo rgiment
tan paciffich com vostre seny regeix
suptilitats que l'entendre us nodreix
e del cors bell sens colpa I mouiment...
(1)
(XXIII, 33-36).
C'est que l'me est prsente tout le corps et pntre en
mme temps dans chacune de ses parties
(2),
en sorte que
l'ablation d'un membre ne peut aucunement la faire prir, pas
plus qu'un dplaisir ne saurait mettre fin l'amour qui occupe
l'me tout entire :
Axi com es en nos l'anima tota,
en tt lo cors e tota'n cascun membre
;
tallant alg, no cal per ao tembre
que per aquell ella romanga rota :
la mi 'amor es en lo tt d'aquesta...
(CXVI, 131-135),
C'est dans cette union troite de l'me et du corps que rside,
suivant Auzias March, la cause mme de son malheur, de son
impuissance raliser l'amour pur. De l aussi son dsir tant de
fois exprim et jamais satisfait de se donner la mort

L'arma coman a Deu lo qui l'ha fta,
lexant lo cors desastruch per malastre,
Ja no li plau de sos volers lo rastre,
puys ab dolor viu per ell, no discreta...
(LXXVI, 29-32).
Ni la connaissance sensible, ni 1 amour lui-mme ne pour-
raient se produire, si l'me et le corps n avaient pas d'troits
rapports. C'est par l'intermdiaire du corps que l'me reoit
l'impression des objets extrieurs. C'est par l'intermdiaire des
(1)
Cf. LXI, 22.
(2)
Unde oportet animam esse in toto corpore, et in qualibet ejus parte...
Unde non dividitur per accidens, scilicet per divisionem quantitatis... [S. Th.
I, 76, 8).
A:.:. Pages.

Anzics Mardi. 19
290 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
yeux, comme Tont bien compris les troubadours, que l'amour
s'introduit dans l'me humaine.
Per nostres ulls l'hom d'est' amor s'enflama...
(LXXXVII, 131).
Lo gest dels ulls e de aquells la forma
fet han en mi passi molt estranya,
per l'apetit que lot per carn se guanya
ab altre molt que d'opini s forma...
(CXVI, 121-124).
Les espces sensibles, qvi'admettait saint Thomas avec toute
la scolastique et auxquelles nous avons vu Auzias March faire
une allusion assez obscure
(1),
tablissent cette communication
entre le monde extrieur et nous.
Si nous considrons maintenant l'me en elle-mme, dans ses
proprits les plus hautes, dans sa vie intellectuelle, nous trou-
vons l'Entendement et la Volont par lesquels elle se distingue
du corps, et la Mmoire, qui garde encore des objets les images
sensibles, mais dont l'Entendement dgage peu peu les espces
intelligibles. Ces trois facults que Ramon Lull compare aux
trois personnes en Dieu
(2),
et qui, suivant Dante, acquirent
plus de subtilit aprs la mort
(3),
Auzias March nous les repr-
sente, dans une de ses plus intressantes chansons, comme trois
cits invincibles appartenant au mme roi. Un soldat valeureux
s'en empare enfin, aprs un vif combat, puis il laisse la tte de
deux d'entre elles, comme vassal, leur ancien seigneur, condi-
tion qu'il renonce la troisinae et en perde mme le souvenir.
7est ainsi qu'Amour a triomph des trois puissances de son
me
(4).
Il a pris ensuite pour conseiller son Entendement, pou\
(1)
Voy. ci-dessus, p.
213.
(2)
Hist. Lia.,
XXIX, 109.
(3)
Mem^oria, intelligenzia, e voluntade.
In atto moto pi che prima acute.
[Purg., XXV, 83-84).
(4)
Un imitateur d'Auzias, Pre Seraf, dira plus tard :
Los trs poders que l'esperit procura,
Enteniment, memoria
y
voluntat,
Guian aquell ab tanta potestat
Qu'en llur parer tt son poder atura.
[Obras poet., d. Barcelone, 1840, p. 47).
LES TROIS FACULTES 291
alo;uazil sa volont, et il lui dfend d'user dsormais et mme de
se souvenir de sa Mmoire qu'il lui a ravie :
Los trs poders qu'en l'arma son me fora
;
dos m'en jaqueix, de l'altr 'usar no gos...
De fet que fuy a sa merc vengut,
l'Enteniment per son conseller prs,
e mon Voler per alguazir l'a mes,
dant f casc que may sera sabut
en lur merc lo company membrar,
servint casc lealment son offici,
si qu'alg d'ells no sera may tan nici
qu'en res constrast que sia de amar.
(X, 23-24; 33-40).
Ailleurs encore (XXVII^ J^-8), Auzias March reproduit la
mme division, mais substitue la Mmoire l'Imagination. On
sait^ en effet,
^I^e,
pour Aristote et pour saint Thomas, elles sont
intimement unies.
Si l'amour lui enlve, avec la Mmoire ou l'Imagination,
l'usage de la parole (X, 43-44) et le fait paratre innocent
,
c'est qu'il s'adresse plus particulirement aux deux facults
proprement spirituelles, l'Intelligence et la Volont.
Par r Intelligence, l'homme recherche la vrit, par la Volont,
il aspire au bien ou au plaisir
(1)
:
La Voluntat a b
y
a dlit salta,
l'Enteniment sol entendre 1 ver mana.
(C, 187-188).
A la fois intelligent et dou de volont, l'homme sait donc
pourquoi il veut. C'est la caractristique de l'inclination hu-
maine, ce par quoi la volont se distingue de l'apptit purement
corporel et bestial
(2)
:
Axi com so compost de molts contraris,
ma voluntat e l'apetit son varis...
{CXVI, 149-150).
(1)
Cf. CXI, 29-30.
^2)
Cf. CXVII, 49-50.
292 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
L'Amour sera prcisment dfini cette volont bonne, cons-
ciente d'elle-mme et de sa fin
(1)
:
Volenters acte de b es dit...
Aqueir amor que s diu voluntat bona.
(IV, 47).
(XLV, 25).
Dans cet amour la volont suit toujours la connaissance. Non
seulement Auzias March dclare qu'en lui la Volont et la Rai-
son s'accordent pour aimer Plena de Seny :
Ma Volentat ab la Rah s'envolpa
e fan acort la qualitat seguint,
(II, 33-34),
mais plac entre deux dames, comme le personnage imaginaire
d'Aristote, saint Thomas et Dante, entre deux mets galement
apptissants, il a choisi celle que l'Entendement lui a indique
comme la plus digne d'tre aime. C'est l'Entendement,
ajoute-t-il, qui triomphe de la sensualit. Bien que le premier
mouvement ne soit point en lui, c'est cependant lui qu'il ap-
partient de dcider : il est le guide assur de la Volont. Qui donc
murmurerait contre lui, alors que la Volont, par cjui l'action
s'excute, le reconnat pour seigneur, et, si elle discute avec lui,
se guide finalement sur ses indications ?

EU es qui ven la sensualitat.
Si b no es en ell prim mouiment,
en ell esta del tt lo jutjament :
cert guiador es de la Voluntat.
Qui es aquell qui encontra d'ell reny,
que Voluntat, par qui 1 fet s'excuta,
l'atorch senyor, e, si ab ell disputa,
a la perfi se guia per son seny ?
(IV, 33-40).
(1)
Cf. Cerveri :
Hom ditz amors de so qu'es volontatz
Que ven d'azaut...
et N'At de Mons :
Amors es volontatz...
Ces deux passages, cits par M. J. Anglade, op. cit.,
p. 258, peuvent tre
LES PASSIONS SUIVANT SAINT THOMAS 293
La volont est donc subordonne la raison
(1).
C'est pour-
quoi Auzias March^ aprs maints troubadours, associe TAmour
et la Connaissance (VII,
22),
et croit incapables d'aimer ceux
qui sont dnus d'intelligence.
Quelque dtermine qu'elle soit en apparence par ces soUicita-
tions,la Yolont,que saint Thomas et Auzias Mardi
(2)
appellent
aussi l'apptit rationnel, demeure libre, suivant le pote aussi
bien que suivant l'auteur de la Somme, chaque fois que l'homme
se dcide avec pleine connaissance entre deux ou plusieurs
partis. La libert ne disparat que dans l'apptit sensitif, quand
la raison, loin de les dominer, est asservie aux passions
(3).
IV
La thorie de la volont et de l'apptit nous introduit au
cur mme de la conception thomiste des passions dont les
rapprochs de cet autre du Breviari d'amor :
Per qu'ieu die tt premieiramen
A la demanda responden
Dels davan digz enamoratz,
Qu'amors es bona voluntatz...
(Rayn., Lex., I, 516).
Amor, quo yeu ay dit desus,
Es bona voluntat, ces plus,
Plazers, affectio de bes...
[Brev. d'amor, I, 25; v. 579-581).
Tous ont pour origine cette dfinition de l'amour par Aristote et saint Tho-
mas : Amare est velle alicui honum [S. Th., I-II, 26, 4).
(1)
Si ergo intellectus et voluntas considerentur secundum se, sic intellec-
tus eminentior invenitur... [S. Th., I, 82, 3).

Intellectus est prior volun-
tate . (Ibid., art. 2). Duns Scot soutenait la thse contraire : Voluntas est su-
perior intellectu.
(2)
Appetitus sensitivus et appetitus rationalis, id est voluntas, sunt duae
potenti (S. Th., I, 80, 2).

Si l'apetit rahonable s'agreuja


del cobejs seguir no 's maravella...
(LXXXVII, 111-112).
(3)
In quantum ratio manet libra, et passioninonsubjecta, in tantum vo-
luntatis motus, qui manet, non ex necessitate tendit ad hoc ad quod passio in-
clint
; et sic aut motus voluntatis non est in homine, sed sola passio domina-
tur
;
aut si motus voluntatis sit, non ex necessitate sequitur passionem {S.
Th., MI, 10, 3).
294 CHAP. V. POESIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
posies amoureuses d'Auzias March sont comme rillustration.
L'apptit sensitif est l'inclination qui pousse l'me^ sous l'in-
fluence de la perception extrieure^ soit rechercher ce qui
plat aux sens ou viter ce qui leur est nuisible^ soit ragir
contre tout obstacle la poursuite du bien ou la fuite du mal.
De l deux sortes d'apptits^ l'apptit concupiscible^ l'apetit
cobejs
_,
comme dit Auzias March, qui nat dans l'me quand
l'objet se prsente unicjuement comme cause de plaisir ou de
peine, et l'apptit irascible, l'apetit irs
)),
qui se produit lorscjue
des obstacles empchent d'atteindre le bien et d'viter le mal.
C'est ce qu'expose notre pote, en prenant pour exemple
l'amour fond sur le plaisir, dans la strophe suivante :
Qui de amor delitabl' es tocat,
y
en son voler esperana no sent,
e son dlit es tt en lo prsent,
del cobejs es vist passionat.
Mas qui dolor, com no's amat, sofir
y
ab gran desig altr'amant vol haver,
en lo irs es fundat son voler :
esper e por lo fan pus fort sentir...
(CXXIII, 9-16).
Cette irascibilit n'est d'ailleurs qu'une consquence de
l'amour, de l'inclination primitive. La colre, dit-il, tire sa
puissance de l'amour :
Ira d'Amor li v la senyoria...
(LXX, 15).
Sous ces deux genres de l'apptit se classent les passions par-
ticulires c{ui sont, pour saint Thomas et Auzias March, comme
elles le seront plus tard pour Descartes, des tats affectifs essen-
tiellement rattachs au corps et comprennent la fois des l-
ments corporels et spirituels.
C'est ainsi que l'amour, avec tous les tats qui en drivent,
prend naissance dans le corps et devient ensuite commun
l'me et au corps :
Comen al cors e puys se fa com
per dos esguarts e per hu contador...
(CXXIII, 55-56).
l'amour, les passioiss concupiscibles 295
L'amour a donc comme deux faces ou deux fins
(
dos es quarts
)
,
l'une tourne vers le dedans^ l'autre vers le dehors. Suivant celle
des deux qui l'emporte^ l'amour est honnte ou malhonnte^ et
l sera prcisment la cause des tourments de notre pote en
qui^ soit par sa faute^ soit par celle de sa dame^ le ct impur de
la passion ne disparatra jamais compltement. D'abord, dit-il,
le corps est subordonn l'me et par lui l'me prouve un tel
amour. Si l'me s'en fatigue, le corps perd sa puissance, et, de la
mme faon, l'esprit perd le pouvoir d'aimer. Souvent l'homme
connat trs clairement qui de l'me ou du corps
y
contribue le
plus, mais plus souvent encore, il ne sait pas o rside l'amour,
((uel est dans le compos l'lment qui le porte aimer davan-
tage :
Primerament lo cors li es subdit
e per ell es l'anima'n tal voler.
Si'n fastig v, lo cors pert son poder :
axi mateix pert d'amor l'esperit.
Moites veus es que l'hom coneix b clar
quai mes hi fa l'anima o lo cos,
e mes del temps hom no sab en que s pos,
quai del compost lo mou en mes amar.
(CXXIII, 33-40).
Cette double nature de la passion est aussi l'origine des innom-
brables contrastes, des antithses o se complat son lyrisme,
la manire des Provenaux et de Ptrarque.
Toutes les passions ont leur source dans l'amour qui en est le
principe premier, qu'elles appartiennent l'apptit de concu-
piscence ou l'apptit d'irascibilit. Aussi allons-nous voir les
onze passions distingues par saint Thomas trouver leur place
dans l'analyse mme que fait Auzias March des sentiments que
lui inspire sa dame.
Parmi les passions de concupiscence nous rencontrons, aprs
l'amour, qui a t accompagn ncessairement d'un premier
])laisir indtermin, le dsir du bien absent
(1)
dont il nous
(1)
LVIII, 41-44
; LXI, 40.
296 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
explique les causes ds le dbut si souvent mal compris de la
chanson
Alt e amor d'on gran desig s'engendra...
tni,i).
Puis vient le plaisir proprement dit^ la joie ou la dlectation
qui rsulte de la possession tranquille de l'objet aim,
[lo] sobresalt qui m vc de vos, m'aymia...
(Il, 14).
lo gran dlit
(1)
qu'es en lo sols voler
d'aquell qui es amador verdader
e ama si, vehent s'en tal volena...
(XXXIX, 38-40).
Il dit de ce plaisir qu'il est l'achvement de la vie,
Eli es aquell qui nostra vid' acaba,
(LXXXVIII,
2).
traduisant ainsi la fameuse pense d'Aristote
(2)
suivant la-
quelle le plaisir achve l'acte et en est comme la fleur.
A ces trois passions s'opposent, quand sa dame ne rpond pas
son amour ou qu'il ne trouve chez d'autres qu'amour vnal ou
toute autre forme du pch, la haine, oy, l'aversion ou la fuite,
avorrirnent [a<>>orrint, XL, 18, 20),
et la tristesse, tristor (XXXIX,
23,
LXXXVIII,
3,
etc.), ou la douleur, dolor.
La haine et l'aversion sont l'objet d'une analyse complte
dans la chanson Cell qui d'altruy reh enuig e plaer. Le pote
commence prouver pour sa dame une passion contraire la
raison (v. 43). Voil pourquoi il sent son amour se transformer
en haine, sa bienveillance en malveillance (v.
8^ 10). Il songe
fuir sa prsence
(3),
afin de la dtester plus srement :
E tt primer que s lunv de sa presena...
(XL,
5).
(1)
C'est le bonheur, 5ai[jtovia, summum bonum. Cf. XXXII, 40.
(2)
Eth. Nie, X, 4, 1174 b, 23.
(3)
L'ide de la fuite est dj exprime dans la pice XXIX, 5,

Elle est
LA HAINE d'aprs ARISTOTE 297
Il ne s'agit que de lui dans le dbut de cette piee^ tout im-
personnel qu'il soit et inspir directement d'Aristote pour quel-
ques-uns de ses traits
(1),
Cette influence est encore plus sensible
dans l'numration qui suit des causes de la haine. L'amiti
pour Aristote, l'amour pour saint Thomas et pour Auzias March,
a une triple condition : le bien, le plaisir et l'intrt. Suivant
notre auteur, d'accord sur ce point avec Aristote seulement,
puisque saint Thomas a nglig d'en parler tout au moins dans
sa Somme, les causes de la haine sont aussi au nombre de trois.
Ce sont l'injustice ou le mal (iniquitat), le dplaisir (desalt) et
le dommage (dan)
(2).
Arrivant enfin son propre cas, il nous
montre la lutte acharne ({ue se livrent dans son me l'Amour et
la Haine (v, 25-40). L'Amour en sort encore vainqueur, mais
avec l'appui du mauvais dsir (joli voler). Saint Thomas s'tait
dj demand, propos de la haine, utrum. odium sit fortius
quam amor
(3),
si bien que la mme chanson nous offre la fois
des traces de YEthique Nicomaque et de la Somme de Thologie.
Il panche enfin dans le maldit Vos qui sabeu la haine que
lui inspire l'amour mercenaire de Na Monbohi. Son devoir, a-t-il
jointe celle de l'aversion dans les vers suivants :
E, si remey a ma dolor trobs,
fora content, car yo n desig exir :
los vostres fets me fan vos avorrir,
e no s pot fer que ab vos pratics.
Mon partiment no pusch bn acabar.
(LXV, 17-21).
(1)
Aristote dveloppe des ides analogues : Eth. Nie, IX, 3, 1165 b, 32. Le
regret {tto;, desiderium) dont parle Aristote dans Eth. Nie, II, 4, 1105 b,
23, est exprim par le mot enyorament (v. 8). Deux autres passages de la mme
pice, XL, 20 et 21, ont t suggrs par Elh. Nie, IX, 8, 1168 a, 30, 1169 a,
13
;
VIII, 14, 1161 b, 16 sqq.
(2)
Eth. Nic.,YU,3, 1156 a, 34 sqq. ; 5,1157 a, 14; IX, 3,1165 ft,l. Les
Leys d'amors font le mme rapprochement : Ayssi cum de peccat se podon
segre trs cauzas malas, colpa, pena e dampnatges, trs autras eau 'as mot
bonas se podon segre de be, so's assaber : cauza honesta, contraria a colpa
;
cauza deleytabbla, contraria a pena
;
cauza utils, contraria a dampnatge.
(Hist. de Long., X, 194).
(3)
5. Th., I-II, 29, 4.
298 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLaSTIQUES
dclar dans la pice prcdente^ est de dnoncer, de < maudire
)
les vices dont souffre son poque :
Donchs lo maldir no deu ser en oblit,
puys que virtut mostra l'hom vicis...
(XLI, 27-28).
Mais la passion autour de laquelle gravite pour ainsi dire
toute l'uvre d'Auzias March est la douleur. Il n'est pas une
de ses posies amoureuses cjui n'en exprime quelc[ue aspect.
Elle rpand sur elles une sombre mlancolie, une morne tris-
tesse
(1)
analogue celle qui caractrise Cino da Pistoia selon
M. Bartoli
(2).
Mais elle tait dj chez les potes provenaux,
et c'est eux, autant qu' Dante et Ptrarque, qu'Auzias
March en a demand l'ide premire, tandis que saint Thomas
lui en fournit les principales variations.
La premire cause en est son amour mme et l'impossi-
bilit d'en satisfaire toutes les aspirations
(3).
Une seconde
consiste dans le terrible refus
(4)
;'
cfue
lui oppose sa dame et
qui l'empche de raliser la bienveillance rciproque, condition
de l'amour
(5).
C'est enfin sa propre nature c|ui le fait succomber
l'attrait de l'amour sensuel.
Un des inodes les plus remarquables de la douleur provient de
la mmoire. Le souvenir d'un plaisir peut engendrer la tristesse
et le dgot, quand on n'est plus dans la mme dispostion d'es-
prit cju'au moment o on l'a prouv pour la premire fois. Tel
est prcisment le thme par lec[uel dbute le livre d'Auzias
March. Il nous en inontre immdiatement l'esprit ainsi que
linspiration dominante. Elle est due, ici encore, saint Thomas
dont le passage suivant exprime exactement les mmes ides :
Si vero consideretur delectatio, proiit est in menioria, et non in
actu, sic per se nata est causare sui ipsiiis sitim et desiderium,
(1)
Le mot est de M. A. Morel-Fatio : F. de Herrera, L'hymne sur Lpante,.
p. 9.
(2)
Storia, IV, 117. Cf. Hauvette, op. cit.,
p. 80.
(3)
Amor vel appetitus boni est causa doloris [S. Th., I-II, 36, 3).
(4)
XIX, 19.
(5)
Quod autem est contra inclinalionem alicujus, nunquani advenit ei
nisi per actionem alicujus fortioris : et ideo potestas major ponitur esse causa
doloris ab Augustino [S. Th., I-II, 36, 4).
LA DOULEUR ET LE PLAISIR 299
quando scilicet hoino redit ad illarn dispositionem in qua erat sibi
delectahile quod prseteriit; si vero immutatus sit ah illa disposi-
tione, memoria delectationis non caust in eo delectationem, sed
fastidium, sicut vleno evistenti memoria cihi [\.\. Converti au
bien, dcid dire adieu aux vains plaisirs d'autrefois, notre
pote met profit les remarques du Docteur Anglique : il
souffre de se rappeler ces satisfactions imaginaires. Chacune
d'elles lui cause maintenant un vif regret, une vritable dou-
leur
(2)
:
Fora millor ma dolor soferir
que no mesclar poca part de plaer
entr'aquells mais qui m giten de saber !
Com del penst plaer me cov' exir,
las, mon dlit dolor se converteix !
Doble s l'afany aprs d'un poch repos,
si co 1 malalt qui per un plasent ms
tt son menjar en dolor se nodreix.
(I, 25-32).
En sens inverse, de la douleur peut sortir le plaisir. C'est un
motif trs ancien que l'on fait remonter Homre et aux tra-
giques grecs, mais cjui a trouv dans Platon, Aristote, Snque
et saint Augustin son expression la plus nette
(3).
Auzias March
l'a connu par les troubadours, peut-tre aussi par Ptrarque et
surtout par saint Thomas. C'est la mlancolie des amants et
des potes, dit M. Ribot
(4),
qui consiste se complaire dans sa
propre souffrance et la savourer comme un plaisir . On sent
que la prsence du plaisir dans la souffrance, ce sentiment de
douceur qui tempre les douleurs les plus amres, a surpris notre
pote-philosophe. Il en est comme ravi et semble justifier par
lui le long gmissement qu'exhalent ses posies.
On peut distinguer dans cet tat deux linents principaux.
(1)
S. Th., I-II, 33, 2.
(2)
La pice XC No s maraf^ell dveloppe plus longuement les mmes ides.
(3)
Fr. Bouillier [Du plaisir et de la douleur, Paris, 2^ d., 1877, pp.
133-
150) a cit les passages les plus caractristiques de ces auteurs.
(4)
Psychologie des sentiments, Paris, 1908, in-8, 7^
d., p.
64.
300 CHAP, V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
Il
y
a d'abord un plaisir secret au sein des afflictions et Ton
prouve du charme gmir et pleurer :
Alguna part e molta es trobada
de gran dlit en la pensa del trist...
(XXXIX, 9-10).
C'est aussi ce que lui rpond son Cur qui il reproche ses
plaintes et ses cris dans la chanson Clatnar no s deu qui mal cerca
e l troha.

Rsigne-toi la mort^ lui dit-il.



Non^ rpond le
Cur^ elle me priverait du seul plaisir qui me reste^ celui de me
lamenter

Car, yo morint, tt mon dlit morr...
(LU, 18).
Les larmes et les gmissements adoucissent la tristesse^ dit
saint Thomas
(1)^
parce qu'en manifestant la douleur au dehors
ils la diminuent et aussi parce que l'homme triste sent vague-
ment^ en raison de l'union de l'me et du corps^ que l'expression
extrieure de la douleur convient son tat
(2).
Ce sont surtout les douleurs de l'amour qui procurent notre
pote cette singulire dlectation^ au point qvi'il voudrait aug-
menter sa souffrance afin d'accrotre son plaisir. Plus on aime,
plus on souffre et plus on prouve de plaisir. Telle est la gense
de cette douleur dlitable (XIX,
6),
de ce sentiment com-
plexe dont il examine les degrs successifs dans sa chanson
No pens algi que m'allarch en paraules :
Poch es amant qui dolor lo turmenta
si que volg'us menyscabar (= manquer) de aquella.
Dins la dolor es una maravella,
que no se com lo dlit s'i prsenta.
Dolor d'amor a mi tant no turmenta
qu'exir volgus de son amargs terme...
(LXXIII, 13-16, 17-18).
(1)
S. Th., MI, 38, 2.
(2)
Cette explication a t reprise par le cartsien Pourchot, d'aprs Bouil-
LiER, op. cit.,
p.
148. M. Ribot dclare {op. cit.,
p. 65)
qu'il ne la comprend pas.
LES PASSIONS IRASCIBLES 301
S'il se complat dans sa douleur et refuse toute consolation
(conort), c'est cju'il prouve du plaisir penser sa dame et que
ce souvenir mle de la joie ses larmes. C'est aussi qu'il peroit
en mme temps l'affection vertueuse et indfectible qu'il a pour
elle. Saint Thomas avait dj exprim les mmes ides. Auzias
March les formule d'une manire plus explicite :
No es al mon tan gran dlit de pensa
com lo pensar en la person' amada...
Dins si mateix vu gran gloria junta
qui de amor b ne mal no espra,
altre amant ab voluntat sancera,
per ses virtuts, sens passi conjunta.
Nostr'esperit sols bns e virtuts guarda,
quant solament usa de sa natura,
amant per si aquella creatura,
que les virtuts als vicis li son guarda...
(LXXIII, 29-30, 49-56.)
En d'autres termes^ la conscience de la supriorit de son
amour et de la douleur qui en est la consquence est accompa-
gne d'un surcrot d'activit qui est un plaisir. M. Ribot n'ex-
plique pas autrement ce qu'il appelle le plaisir de la douleur.
Auzias March analyse aussi les passions de l'apptit irascible,
les mouvements que suscite en lui tout ce qui est contraire sa
nature ou plutt son amour.
C'est d'abord l'espoir qui a pour conditions^ ou^ suivant son
expression^ pour chelons^ l'amour^ le plaisir et le dsir,
Esper vinent per tots aquests graons...
(III,
2).
L'amour et le dsir sont, en effet, une cause d'espoir. Pour
302 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCO L ASTIQU K
esprer un bien futur^ il faut l'aimier d abord, le dsirer eu-
suite
(1).
Aussi espre-t-il malgr tout tre aim de sa dame :
Esser no pusch d'esperana lant,
car yo us desig segons mon major b...
(LXXXIX, 9-10).
Le dsespoir suppose le dsir comme l'esprance,
Car pas desig sens esperan' haver,
tal passi jams home sostench.
Per as damnais nostre Deu la retench,
sols per aquells qui moren sens esper...
(XXII, 5-8).
Mais il faut, en outre, que l'exprience fasse ressortir l'impos-
sibilit d'atteindre le bien souhait. Tous ces lments, mis en
lumire par saint Thomas
(2),
sont runis dans les vers suivants :
Qui es r hom viu tal dolor sufertant
que desig o de que se dsespra ?
Aytant es greu que no par cosa vera
desijar o de qu'es dsesprant.
No so'nganat de mon mal estament :
lot quant pratich tornar me sent en dan.
Menys de poder me trob havent lo gran,
car no m'esfor per mostrar mon talent.
Mon primer mal es mon esperdiment...
(XIX, 9-17).
'(
Je me trouve avoir le grain, c'est--dire l'acte, dit le pote
la fin de la strophe, car je ne fais aucun effort povir manifester-
ma faim. Cette comparaison de la graine avec l'acte tait fami-
lire la scolastique. Pour montrer soii infortune, il dclare
d'abord qu'il dsire ce qu'il ne peut pas atteindre, ensuite qu'il
a l'acte sans la puissance, puisqu'aucun effort ne rvle sa
tendance, ce ({ui est anormal conformment aux principes
d'Aristote. En d'autres termes, il dsire ce qu'il ne peut pas
avoir et il a ce qu'il ne dsire pas,
a
(1)
Non enim est spes nisi de bono desideralo et amato (S. T/\ I-II, 40, 7),
(2)
S. Th., I-II, 40, 4.
LE DSESPOIR. LA CRAINTE 303
Ajoutons qu'un des effets du dsespoir est^ d'aprs saint Tho-
mas
(1)^
l'abattement^ une vritable stupeur. Voil pourquoi
notre pote se reprsente dans la mme pice (v. 41-42) comme
muet, changeant de couleur et craintif.
Lorsque le mal futur est difficile vaincre ou viter il en
rsulte deux autres passions, la crainte ou la peur c{ui nous
pousse nous en loigner et l'audace par laquelle on l'attaque.
Non seulement Auzias March distingue ces deux penchants
aprs saint Thomas, mais il introduit aussi dans le premier
quelques-unes des multiples subdivisions de son matre.
Il craint d'abord parce qu'il se reprsente sa faiblesse person-
nelle. C'est Verubescentia, la crainte de l'insuccs qui l'empche
d'avouer sa dame tout l'amour qu'il a pour elle :
Per no poder mi enardir
en passions d'amor mostrar...
(XII, 39-40).
Il redoute ensuite le blme. C'est la verecundia dont il exa-
mine trois formes
(2)
: le dsir de la bonne renomme (XLI), qui,
suivant Aristote, est une condition du bonheur
(3),
la bonne
honte ou la pudeur
(4)
que lui fait prouver l'amour grossier
(XLII) et dont il dcrit les manifestations (XLIII, 9-24), et la
mauvaise honte, wiciosa vergonya, c'est--dire la peur de bien
faire par un trop grand souci de l'opinion d'autrui. Il men-
tionne cette dernire dans une pice sur le mrite et la vertu
L'orne pel mon no muntan gran valer qui est une vritable mo-
saque de penses et d'expressions aristotliciennes
(5).
(1)
S. Th., MI, 37, 2.
(2)
Guiraut Riquier en distinguait jusqu' cinq. Cf. J. Anglade, op. cit.,
p.
278.
(3)
Saint Thomas la met au-dessus des lichesses
(5. Th. II-II, 73, 2 et
3).
(4)
Pudicitia a pudore dicitur, qui videtur idem esse verecundiai
(
S. Th.,
II-II, 151, 4).
(5)
Le valer, valoir, mrite, dignit
, est
l'ia dont il est question Eth. Nie,
V, 6, 1131 a, 26.

Les v. 2-5 cnumrent, d'aprs Eth. Nie, I, 3, 1095 b, 32 sqq,


les principales conditions du bonheur, bns =
ttXotov, tinatge gran = fj-(k^it'.i
,
et mettent la vertu, bondat =
pTr^v, au-dessus des autres. Ces dernires
ne valent que par l'usage qu'on en fait et peuvent tre cause de malheurs,
Eth. Nie, I, 1, 1094 b, 17
;
IV, 4, 1122 a, 17 sqq. Le v. 9 offre une image em-
304 CHAP, V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
La crainte ou la peur proprement dite est un des sentiments le
plus souvent exprims par Auzias March. Il a peur de succomber
au mal^ c'est--dire aux attraits physiques de sa dame. C'est
pour lui la crainte suprme,
La gran pahor que m toi ser delits.
(XXIX,
8).
Un autre mal imminent qu'il ne peut pas prciser, parce que
son intelligence ne connat que le gnral et non le particulier
(1)
(v.
11),
lui ins]iire le mme tat :
La mia por d'alguna causa mou...
(XXXVII,
1).
Dans une autre chanson Qui sin joli o le jriot por est sou-
vent rpt, comme pour mieux en marquer l'ide matresse, il
dcrit encore d'autres formes de la peur : la peu." de la mauvaise
fortune, por de la mala sort (v.
24),
et la peur de la mort, por de
prunte kVEth.Nic, 11,1,1103 6, 9. Aprs avoir montr que la vertu exige, pour
tre acquise, que nous agissions conformment elle, que la pratique est in-
dispensable, Aristote ajoute qu'onnedevient joueur de lyre qu'en jouant de la
lyre. Les expressions des v. 14-15 pobre de hns, d'avilat linatge, arreus
correspond nt aux mots Trava'!ayr,-, ouayvrji; [Eth. Nie, I,
9, 1099 b,
4), opY^va
{Ib. I, 9, 1099 6, 1).

Le v. 16 rappelle la distinction d'Aristote entre la vertu


morale ou thique, rsultant de la subordination habituelle des passions la
raison, et la vertu intellectuelle : Eth. Nie, II, 4, 1105 b, 25 et 5, 1106 b, 16.

Les V. 25-28 exposent la thorie pripatticienne, souvent invoque par


Auzias (Cf. XXI, 11, 17-22), de la vertu miheu entre deux extrmes
; les v. 29-
32, la distinction entre la libralit et l'avarice : Eth. Nie, II, 7, 1107 b,
6.-

Enfin les v. 31-34 sont inspirs de cette ide que les vertus et les vices ne sont
pas des puissances (Eth. Nie, II, 4, 1106 a, 6; les dispositions ne suffisent
pas pour tre vertueux, pas plus que les dons artistiques pour tre bon pote
{Ibid., VI, 4, 1140 a, 6 sqq.),
(1)
... Singulare in rbus materiahbus intellectus noster directe et primo
cognoscere non potest... Unde intellectus noster directe non est cognoscitivus
nisi universalium (S. Th., I, 86, 1).
LA PEUR 305
mort (v. 25-32)
(1).
Mais cette dernire peut disparatre par
crainte d'un mal plus grand :
Por de pijor a molts fa pendre mort
per esquivar mal esdevenidor...
(LVII, 1-2).
et il cite^ aprs saint Thomas
(2)
et Dante, l'exemple de Caton
d'Utique qui s'est suicid pour viter la servitude.
Il dpeint enfin avec les dtails les plus minutieux les effets
physiques de la frayeur qvi'il prouve en prsence de sa dame :
la pleur, le tremblement et le mutisme. Ces phnomnes
avaient dj t numrs par saint Thomas. La description
qu'en donne aprs lui notre Auzias mrite d'tre cite : elle ne
manque ni de vie, ni de couleur :
Mos sentimients son axi altrais,
quant la que am mon uU pot divisar,
que no m'acort si so'n terra ne mar
y
els membres luny del cor tinch refredats.
Si 1 trob en part on li pusca res dir,
yo crit alg per que ah ell m'escs
aquesta por, per qu'ella no m refus,
crehent mon mal de mala part venir.
'
No trob en mi poder dir ma tristor
e de ao ne'n surt un gran dbat.
Le meu Cor diu que no n'es enculpat,
car del parlar la Lengua n'es senyor.
La Lengua diu qu'ella b ho dira,
mas que la por del Cor fora li toi,
que sens profit esta corn parlar vol.
e, si ho fa, que balbucitar.
Per esta por vana la pensa' st,
sens dar conseil per execuci.
No es senyor en tal cas la Rah :
l'orgue del cors desbaratat esta.
La ma no pot suplir en lo seu cas
;
mou-se lo peu, no sabent lo perqu
;
tremolament per tots los membres v,
per que la sanch acorre al pus lias.
(LXIX, 25-32, 41-56).
(1)
5. Th., I-II, 42, 2.
(2)
S. Th., II-II, 215, 2.
Am. Pages.

Auzias March.
20
306 CHAP. V. POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
L'audace qu'il nomme ardiment (LXIX,
35)
et qu'il oppose
la crainte (tembre) sous le nom de /iar (LIV,
42),
prsente plu-
sieurs espces. La plus rare est le courage contre la mort. C'est le
sujet de la pice Vengut es temps que sera conegut o l'on re-
marqvie encore l'influence certaine de VEthique Nicomaque
(1)
et de la doctrine suivant laquelle le courage est un milieu entre
la lchet et la tmrit.
La colre est une tendance agressive comme l'audace et que
l'homme ressent, quand le mal est prsent et qu'il a immdiate-
ment lutter contre lui. Auzias March l'prouve surtout contre
lui-mme, quelque amour qu'il ait pour sa propre personne,
parce qu'il dcouvre en lui de mauvais dsirs. L'homme ra-
tionnel qui est en lui peut, en effet, s'irriter, comme l'a montr
saint Thomas
(2),
contre l'homme sensible, pour le punir, pour le
chtier chaque fois qu'il le mrite. C'est le sujet de la chanson
Ahtaldoloro il analyse, dans un passage dj cit
(3)
un
des
principaux effets de la colre qui est de troubler notre rai-
son et de nous rendre fous
(4),
comme l'avait dj dit Snque.
De mme le fol amour suscite en lui la colre, et ces deux pas-
sions luttent l'une contre l'autre au point qu'il ne sait laquelle
des deux l'a emport (LXV). Mais un des plus curieux effets de
sa colre contre sa dame est prcisment de mettre mieux en
relief l'amour qu'il a pour elle :
Quant ira s mor, amor de mi s desterra...
(CXVI, 29).
(1)
III, 10,
1115 b, 17.Les v. 13-16, qui sont trs obscurs, prennent un sen&
acceptable si on les rapproche de l'Eih. Nie, III, 9, 1115 a, 29, o Aristote sou-
tient que la forme la plus belle du courage consiste affronter les prils de la
guerre, mais que cependant celui qui supporte une longue maladie fait aussi
preuve de courage. D'o l'ide d'Auzias que c'est en face de la mort que se r-
vle le couard,
quand il voit auprs de lui des femmes qui le veillent ou le
soignent .

Il en est de mme des v. 17 et suivants, qui sont une paraphrase


de VElh. Nie, III, 10., 1115 b, 28 sqq.

Les v. 31-32 reproduisent une thorie


sur la vertu dj mentionne (voy. ci-dessus,
p. 303, n. 5).
Remarquons
toutefois l'inspiration stocienne du v. 36, et, au v. 55, le commentaire d'une
sentence de Virgile devenue proverbiale : Audentes jortuna juvat [En. X, 278).
(2)
S. Th., I-II, 46, 7.
(3)
Voyez ci-dessus, p.
282.
(4)
Cf. XLV, 99.
Unde ira inter cteras passiones manifestius impedit
iudicium rationis [S. Th., I-II, 48, 3). A l'influence de saint Thomas il faut
joindre sans doute celle de Snque dont on connat le mot : Ira furor brevis.
LE VOCABULAIRE SCOLASTIQUE
307
Ce rapport de la colre et de l'amour avait t dj signal
dans la Somme de Thologie
(1).
Il n'est pas jusqu' certains faits prcis dont on ne puisse re-
trouver la source premire dans tel ou tel passage de la grande
encyclopdie mdivale. C'est ainsi que voulant montrer qu'il
abandonne les plaisirs passagers de l'amour pour de plus du-
rables, Auzias March se compare un philosophe ancien qui
avait renonc ses richesses afin de mieux se consacrer l'ac-
quisition de la vertu :
Pren m'enaxi com aquell philosof,
qui, per muntar al b qui no s pot perdre,
les perdedors lana en mar profunda,
crehent aquells l'enteniment torbassen...
(XVIII, 41-44).
Ce philosophe n'est autre que le cynique Crats qui saint
Thomas
(2)
attribue ce beau geste, d'aprs saint Jrme.
La langue mme qu'emploie notre pote est assez souvent
emprunte la philosophie. Les pages qui prcdent en renfer-
ment de nomibreux exemples. Il serait facile de citer d'autres
expressions techniques, telles que qualitat (II, 34, XXXIV, 37
;
LXXYI,
43),
loch (LXXVI,
43),
en se (LXXI,
93),
pritn mo-
tiu (LXXI,
95),
primer mouiment (LXI,
40),
dret natural (LU,
46),
etc. La plupart des catgories d'Aristote, sa distinction de
l'acte et de la puissance, de la matire et de la forme, quelques
principes de sa physique (XX,
33, XLVII, 1-4), sa psychologie
et toute sa morale ont laiss comme un cho dans ses premires
uvres.
Toutes ces connaissances n'ont certes pas t puises direc-
tement dajis Aristote : il n'en a lu srement que VEthique Ni-
comaque et encore dans quelque traduction latine. Il ne semble
pas, en effet, avoir pu utiliser la traduction castillane du prince
de Viane qui ne fut compose, on le sait, que dans les dernires
annes de sa vie. Ses chansons d'amour et surtout deux posies
morales crites la mme poque et dont, pour cette raison,
iiuus avons montr immdiatement les sources, paraphrasent
(1)
Ferventius cor mutatur ad removendum impedimenluni rei amala-, ut
sic fervor ipse amoris per iram crescat et magis sentiatur {S. Th., l-Il, 48, 2).
(2)
S. Th., II-II, 186, 3.
308 CHAP. V.

POSIES AMOUREUSES. SOURCES SCOLASTIQUES
dj et traduisent quelquefois mot pour mot certains passages
du Stagirite. Mais son pripattisme procde essentiellement de
saint Thomas. La Somme a t son livre de chevet plus encore
que VEthique. Aux multiples preuves cjue nous en avons don-
nes^ on peut en ajouter une autre, plus incontestable encore,
tire de la connaissance de Tavenir comme d'un ternel prsent
attribue Dieu par Auzias March
(1),
conformment saint
Thomas.
La thorie thomiste des passions est certainement l'me de
ses posies amoureuses. Nous les
y
avons sans peine reconnues
toutes avec les traits particuliers cjue leur assigne l'Ange de
l'Ecole. Il en a prouv et dcrit tous les modes suivant la
mthode et la terminologie de la scolastique. Aussi n'est-ce pas
tant ses sentiments propres qu'il analyse cjue les affections hu-
maines dont saint Thomas avait fait la partie la plus impor-
tante, sinon la plus profonde, de la vie psychologique. S'ils res-
tent encore intressants pour nous, malgr le caractre artificiel
et froid des exercices de rhtorique auxquels ils donnent lieu,
c'est non seulement qu'il nous les reprsente, d'aprs saint
Thomas, accompagns de phnomnes physiologiques, les tra-
duisant et les manifestant au dehors, mais aussi parce que, sui-
vant encore un prcepte de la Somme
(2),
il les rend plus intelli-
gibles et plus vivants par des images, comparaisons ou mta-
phores, qui en font, avec le langage rythm et rim, toute la
posie.
(1)
LU, 9-13.
(2)
S. Th., I, 84, 7.
CHAPITRE YI
L AMITI SUIVANT ARISTOTE ET LA CONCEPTION DE L AMOUR
DU XII^ SICLE jusqu' AUZIAS MARCH
De toutes les passions chantes par notre pote Tamour est la
plus forte et la plus dveloppe. Elle est le principe de sa vie
morale et le centre de presque toute son uvre. Il est donc n-
cessaire d'tudier ce sentiment en lui-mme. Pour bien le com-
prendre^ il faudra le rattacher ses vritables origines^ voir en-
suite quelle volution il a subie jusqu' Auzias March^ noter
enfin les traits caractristiques qu'il a pris avec lui.
Loin de remonter des posies de notre auteur leurs sources
prochaines suivant la mthode analytique adopte dans les cha-
pitres prcdents, nous nous placerons rsolument au sein mme
de la doctrine la plus lointaine d'o on puisse les faire driver

et qui n'est autre que celle d'Aristote



et de l nous descen-
drons par voie de synthse jusqu'au xv^ sicle, en signalant,
chemin faisant, la dette immense contracte par les potes, et, en
gnral, par les thoriciens de l'amour, envers la philosophie
pripatticienne. Ce sera la contrepartie et pour ainsi dire la
contrpreuve des recherches auxquelles nous nous sommes li-
vr.
Ce n'est pas par sa thorie de l'amour, mais par celle de
l'amiti qu'Aristote a influ sur le Moyen ge. Cette prfrence
s'explique d'abord par la place prpondrante ([u'occupe
l'amiti dans VEthique Nicomaque, un des ouvrages les plus lus
310 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'amOUR AU MOYEN AGE
et le plus souvent cits. Il lui consacre deux livres entiers et la
relie trs troitement sa conception du bonheur. Il ne parle^ au
contraire^ de l'amour que par allusion et par occasion. L'amiti
est pour lui la premire des affections et l'amour n'en est
qu'une espce infrieure. L'une est un sentiment profond qui
s'attache la vertu, ce qu'il
y
a de plus essentiel et de plus
durable dans l'homme, l'autre est une passion qui a pour objet
la beaut, c'est--dire une qualit accidentelle et passagre.
Religieux et chevaleresque, le Moyen ge devait tre attir par
l'analyse d'un sentiment aussi constant et aussi pur.
L'homme, dit Aristote, est vm animal sociable
;
il lui faut,
pour tre heureux, vivre en socit avec ses semblables, avoir
une famille, faire partie d'un Etat
;
mais il a surtout besoin
d'amis, dans la prosprit plus encore que dans l'infortune, le
bonheur n'tant parfait qu' cette condition. Nous recherchons
principalement des amis vertueux ou plutt un seul ami rali-
sant comme nous ou s'eforant de raliser le mme idal de
bont. Platon avait fait de l'amour l'aspiration vers le beau ab-
solu et lui avait donn pour objet l'universel. Aristote considre,
au contraire, l'amiti proprement dite, la otXta k-uaip'.xr, comme
une union personnelle, comme l'attachement c{ui lie deux per-
sonnes l'une l'autre en raison de leurs qualits
(1).
Aristote distingue cependant trois sortes d'amiti cjui rpon-
dent aux trois espces d'aimable
(2)
: le bien, l'agrable et
l'utile. Au premier rang se place l'amiti fonde svir la vertu.
Elle seule considre le bien qui est dans l'ami. En aimant la
vertu avec laquelle, suivant la vue originale du philosophe,
l'homme vertueux ne fait qu'un, on aime son tre mme, ce qui
le constitue essentiellement (xaO' axv). Au contraire, si l'amiti
repose sur l'intrt ou sur le plaisir, il n'est aimable et aim que
par accident [y.azi auijicOTjX;).
L'amiti vertueuse enveloppe dans sa perfection les autres
formes. Les amis bons et honntes sont ncessairement
utiles
parce qu'ils s'encouragent au bien, et agrables parce cju'ils
prouvent du plaisir vivre ensemble. C'est mme
cause de
leur ressemblance avec l'amiti de vertu que les autres amitis
mritent d'tre appeles comme elles le sont.
(1)
Eth. Nie. VII, 4, 1156 b, 7.

Cf. L. Dugas, L'amiti antique,


p.
190.
(2)
Sur le cpiXr^Tv, voir Eth. Nie, VIII, 2,
1155 b, 19.
l'amiti suivant aristote 311
Les conditions de Tamiti
(1)
se rapportent donc surtout
l'amiti vritable en qui on trouve runi ce qu'il
y
a de meilleur
dans les autres.
C'est une bienveillance (suvotct) ou sympathie : elle consiste
vouloir du bien aux autres^ et cette volont implique un
choix rflchi (itpoapEa'.) entre les personnes dans lequel on
n'est guid que par l'intrt, le plaisir ou la vertu. Elle n'est
point une passion aveugle ni fatale.
En outre, la bienveillance doit tre active et pratique. Le
passage de la bienveillance l'amiti proprement dite, de l'in-
tention l'acte, suppose la vie en commun, l'habitude de vivre
ensemble (t <rj^-?;v). Voil pourquoi la volont d'tre amis
peut tre prompte venir, mais l'amiti ne l'est point [Eth.
Nie, VIII,
3,
1156 b, 31).
De l aussi le danger de l'absence, de
la sparation, qui finit, la longue, par dtruire l'amiti.
Enfin, la condition essentielle de la tstXa est d'tre une bien-
veillance rciproque (vxitfXr.ai;) et rciproquement connue.
La raison exige, en effet, que celui qui aime soit aim et aime de
la mme manire et tout autant cju'il est aim. Une amiti doit
tre paye de retour. Le dsintressement ne peut tre que le
rsultat de l'habitude et le couronnement de l'amiti.
Aristote insiste sur cette condition. L'amiti qui se fonde sur
la vertu n'est qu'une estime mutuelle. Elle tend, comme la jus-
tice, tablir entre les personnes un rapport d'galit ('(rcTTr)?
tpiXTr,;, Eth. Nie, IX,
8,
1168
, 8).
L'amiti entre gaux est
par consc[uent au premier rang ;
elle suppose les mmes gots,
les mmes habitudes et les mmes gards. Il faut qu'il
y
ait
entre les deux amis non seulement identit d'affection (6ixvo:a),
mais encore galit d'affection au sens mathmatique du mot.
Pour qu'il en soit ainsi, le mrite moral, c'est--dire le droit
tre aim doit tre le mme de part et d'autre. La justice rgle,
suivant Aristote, les clauses du pacte amical. L'amiti a son
code et ses lois rigoureuses.
Aristote est ainsi amen tudier les causes de dissentiment
t de rupture qui peuvent survenir entre amis. Toutes les rcri-
minations, toutes les brouilles ont la mme origine, la violation
de l'galit. Elle ne peut se produire dans l'amiti de verbu.
(1)
Eth. Nie, VIII, 2
;
IX, 4.
312 CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOUR AU MOYEN AGE
puisqu'elle repose sur une galit de bienveillance et d'affection.
Voulant galement le bien l'un de l'autre, les deux amis n'ont
rien se reprocher. Elle est donc essentiellement stable (,aovi[xo<;),
indissoluble, comme la vertu mme, et inattaquable (oiXjTO),
au dessvis des soupons et de la calomnie, parce qu'elle est faite
de confiance rciproque. Il peut arriver toutefois qu'on ait
attribu son ami une vertu cju'il n'a pas ou c|u'il ait cess
d'avoir une vertu qu'il possdait rellement. Dans ce cas, il faut
l'aider devenir meilleur, ou, s'il est radicalement mauvais, se
sparer de lui.
Les amitis d'intrt et de plaisir sont plus sujettes se dis-
soudre. La premire est une sorte de transaction commerciale.
Chacune des deux parties en prsence croit toujours donner
plus cju'elle ne reoit. C'est l que les plaintes, les reproches ne
cessent d'clater. La seconde ne comporte aucun engageinent,
et, ds que les deux amis cessent d'tre agrables l'un l'autre,
ils se sparent.
Cette analyse pntrante et dlicate de l'amiti n'a jamais t
dpasse, ni mme gale. Aristote a eu le mrite, comme l'a
montr M. Dugas
(1),
de dgager l'amiti de l'amour encore con-
fondus chez Platon. Avec lui l'amiti prend conscience d'elle-
mme, devient un ddoublement et un redoublement de notre
tre, parce qu'il ralise comme une seule et mme me en deux
personnes
(2)
et fait d'un ami un autre nous-mme.
Aristote a servi de modle tous les moralistes postrieurs
dans leurs thories de l'amiti. Les Epicuriens et les Stociens
profitent de ses observations, lors mme qu'ils s'loignent le
])lus de lui. Les uns ramnent l'amiti d'intrt, les autres
l'amiti de vertu toutes les formes de l'amiti. Cicron, plus
rudit que philosophe, puise pleines mains,sinon dans YEthique
Niconiaque, du moins dans le uEpl odxz de Thophraste
(3)
et en fait la substance de son De Amicitia. Il
y
soutient encore
que la vertu est le lien des grandes mes, le principe de la vri-
table amiti, et, de mme, il oppose, dans le De Officiis,
Vhonnt'te
l'utile. Quelques-unes de ses ides passent ensuite chez saint
(1)
Op. cit.,
p.
132.
(2)
Ma 'li'J'/jri O'jo acfjiaT'.v Ivo'.xoaa. (Diog. Laert., Aristote, X, 11).
(3)
Zeller, Die Philosophie der Griechen,
2'e
Aufl. Theil II, Abt. 2
(1862)^
p.
692.
L AMITI APRS ARISTOTE 313
Ambroise pour qui l'amiti est aussi une vertu et tient, dans son
trait Des Dei'oirs. une place presque aussi considrable que
dans les morales antiques
(1).
Mais, mesure que les sentiments chrtiens de la charit et de
l'amour de Dieu font pkis de progrs dans le monde, un idal de
vertu tout intrieure se substitue aux vertus sociales du paga-
nisme. L'amiti lective des anciens perd de son importance et
n'est plus cultive avec la mme ardeur. Sur le Christ se reporte
la plus grande part de l'affectivit humaine. C'est lui qui aime
la crature et qui est aim* d'elle, et, dans cette amiti spiri-
tuelle, l'homme trouve une des conditions de son salut. Il n'est
pas seulement beau, convenable de l'aimer : notre devoir est
d'tre tout lui. C'est dans cet esprit que, vers le milieu du
XI i^ sicle, un abb anglais Aelred crit, sous le titre De Spiri-
tuali Amicitia, un trait o les ides de Cicron sont adaptes
au Christianisme et qui a t traduit en franais par Jean de
Meun (2).
II
11 semble que ce soit aussi ce moment que la doctrine aristo-
tlique de l'amiti, en s'incarnant non seulement dans les
croyances religieuses du Moyen ge, mais encore dans ses tho-
ries potiques ou philosophiques, donne naissance une nou-
velle conception de l'amour dont s'inspire dsormais la posie.
Le sentiment paen de l'amiti, l'union intime de deux mes que
comporte l'amiti parfaite d'Aristote tend se confondre de
nouveau avec l'amour, mais avec un amour pur, qui n'a pas la
volupt pour fin.
Depuis longtemps, la femme, qiie les Grecs avaient maintenue
dans le gynce, est sortie de l'isolement ;
elle s'entretient avec
d'autres hommes que son mari. Elle trouve autour d'elle l'occa-
sion d'exercer la puissance de ses charmes. Si elle a pous le
(1)
Thamin, Saint Ambroise et la Morale chrtienne au IV^ sicle,
p.
230.
(2)
Langlois, op. cit., p.
115. Cf. Thamin, op. cit.,
p.
182.
314 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
baron qu'on lui a donn en mariage pour des raisons politiques,
par intrt de familles, elle suscite chez d'autres des sentiments
plus dlicats qui flattent son amour-propre. A l'amour conjugal
se superpose ainsi l'amour courtois, qui ressemble, dans ses deux
aspects principaux, l'amiti d'Aristote, mais une amiti entre
homme et femme.
Est-ce sous l'influence de la philosophie pripatticienne que
ces murs nouvelles se sont introduites en Europe, ou bien faut-
il admettre qu'elle n'est venue qu'aprs coup renforcer pour
ainsi dire un usage dj tabli et en faciliter la thorie ?
Cette seconde hypothse nous parat la plus probable dans
l'tat actviel de nos recherches sur ce sujet. On sait que la thorie
de l'amour courtois a t expose au xii^ sicle dans ses lignes
gnrales
;
mais l'mancipation de la femme qui l'avait
rendue possible s'tait produite bien auparavant
(1).
Sous l'in-
fluence d'Alinor d'Aquitaine, de sa fille, Marie de Champagne,
d'Ermengart de Narbonne et d'autres grandes dames, s'intro-
duisent dans les hautes classes de la socit fodale les principes
de l'amour chevaleresque
(2).
C'est une science avec des rgles
t des prceptes, des matres et des disciples, qui est l'objet de
tous les entretiens dans le monde des chteaux et des palais.
Mais, la mme poque, la philosophie morale d'Aristote com-
mence aussi se rpandre un peu partout, autrement que par
l'expos qu'en avait fait Cicron dans quelques-uns de ses ou-
vrages. Outre YEthica vtus qu'il
y
a lieu de croire antrieure aux
sicles de la scolastique
(3),
on lit Avicenne et Gazli dont les
systmes manent du pripattisme
(4).
Le prestige de plus en
plus grand dont jouit Aristote fait qu'on lui emprunte volon-
tiers tout ce qui peut contribuer tayer une doctrine. C'est
ainsi que Guillaume, vque d'Auxerre, cite frquemment les
Ethiques dans sa Somme
(5).
Il est tout naturel ds lors qu'on
ait voulu voir dans les deux livres de l'Ethique Nicomaque sur
l'amiti, sinon un Art d'aimer, du moins un recueil de penses
fines, aussi vraies de l'amour que de l'amiti.
(1)
Langlois, op. cit.,
p.
3.
(2)
G. Paris, Journal des Savants, 1888, p. 669, 672.
(3)
Jourdain, Recherches sur les trad. latines d'Aristote, p. 76.
(4)
X. RoussELOT, GuiU. de Paris [Dict. philos, de Franck, 1885, p. 660).
{5)
Jourdain, op, cit.,
p.
32.
L AMITIE ET L AMOUR COURTOIS 315
Mais^ avant de se rpandre dans le monde, l'amiti d'Aristotc
a encore inspir les clercs et les religieux. Qu'on feuillette le beau
livre de VAmiti chrtienne, crit par le secrtaire mme d'Ali-
nor d'Aquitaine^ l'archidiacre Pierre de Blois
(1),
et le commen-
taire de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques
{2),
et l'on
verra combien de traits ils ont emprunts l'Ethique Nico-
maque. C'est d'aprs elle, et sans qu'ils la citent expressment,
qu'ils dpeignent l'amiti monacale
(3)
ou l'amour divin
comme les sentiments les plus libres et les plus purs, qui unis-
sent intimement les mes entre elles. Du clotre ou de l'Eglise les
ides d'Aristote passrent naturellement dans la socit mon-
daine et dans les runions potiques. Elles servirent dfinir
l'amour courtois comme elles avaient aid caractriser les
affections des religieux et des moines
(4).
Ce fut une premire
scularisation d'Aristote qui dut commencer, encore une fois.
dans l'entourage d'Alinor d'Aquitaine. On n'ignore pas quelles
troites relations cette reine de France, puis d'Angleterre, eut
avec les potes de son temps. C'est dans les cercles littraires de
l'poque c[ue naquit vraisemblablement l'ide d'appliquer
l'amour les thories d'Aristote sur l'amiti. Les potes et le?
grandes dames, pris d'idalisme^ et voulant prcher d'exemple
contre la passion brutale et purement sensuelle, imaginent une
amiti amoureuse, une sorte de flirt dont la fin dernire seule-
(1)
MiGNE, Pair., CCVII, 871.
(2)
Ibid., CLXXXIV, 407.
(3)
Voy. MoNTALEMBERT, Les Moines d'Occident, 2^ d., 1868, in-8, I,
pp.
LXXXV cil,
(4)
M. Alfred Jeanroy a signal, dans une page trs suggestive (Histoire
de la langue et de la littrature franaise, pub. sous la dir. de L. Petit de Julle-
A'iLLE, I, 374); les lments paens et chrtiens de l'amour courtois. Une telle
conception, dit-il, qui divinise la passion, la rend inviolable et sa'cre, est fort
peu chrtienne dans son principe, et surtout dans ses consquences
;
et pourtant
elle ne pouvait natre que dans des mes tout imprgnes de christianisme.
Si nos ides sur l'influence de l'Ethique Nicomaque sont exactes, de l'anti-
quit driverait, par l'intermdiaire de l'amiti, le caractre libre de l'amour
fond, comme elle, sur un choix raisonn, et, aussi, sa divinisation et son exal-
tation. Ce qui serait proprement chrtien, c'est l'assimilation de l'amour
l'amiti, une union presque uniquement spirituelle, c'est le sacrifice de tout
sentiment intress ou tout au moins la subordination de tout plaisir sensible.
Comme l'amiti pour Aristote, l'amour est, au Moyen ge, non seulement une
vertu, mais le principe de toutes les vertus.
316 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
ment est le plaisir^ et, aussi, un amour amical qui a pour unique
mobile la vertu. D'un ct, c'est l'amour adultre, mais idalis
et comme transfigur
;
de l'autre, l'amour pur. Le premier cor-
respond l'amiti de plaisir; le second, l'amiti de vertu.
Toute la posie du Moyen ge nous offre dsormais le spec-
tacle de ces deux Amours se disputant l'empire des esprits et
des curs.
Il est remarquer, en effet, que c'est partir du xii^ sicle
que les mots amiti et amour ont t employs l'un pour
l'autre, avec plus de frquence tout au moins qvi'auparavant
(1),
et, en particulier, par les potes qui vcurent auprs d'Alinor
et de ses imitatrices. De mme certains dogmes de la morale
potique des troubadours, l'amour est un principe de perfec-
tion, la perfection de l'amant est en raison directe de celle de
l'aim , semblent avoir t dvelopps avec plus de complai-
sance
(2).
La connaissance et la mesure
,
qualits essen-
tiellement pripatticiennes, sont aussi nettement exiges des
vrais amants. Mais ce ne sont l que des indices. Une preuve
plus indiscutable de l'influence de l'amiti aristotlicienne nous
est offerte par la fameuse chanson allgorique de Guiraut de
Calanso compose en 1204. Le sujet est connu. Le Palais de
l'Amour comprend trois tages. Le tiers infrieur que le pote
a plus particulirement en vue est l'amour charnel. Il triomphe
(1)
Le nombre des exemples augmente mesure que l'on va du xii^ au
xiii^ sicle. Voici ceux que
j
'ai recueillis : Bernart de Ventadorn, Peire Rogier,
Roman de Jaufre (Bartsch, Chr. prov., 51, 79, 249) ; N'Uc de Brundel, Ri-
chard [Rigaut] de Barbezieux (G. Bertoni, Canz. prov.,
p. 74, 87) ;
Bernart
Tortitz, Bertran Carbonel (Appel, Prov. Ined.,
p. 42, 71).
(2)
Peire d'Alvernhe :
Bon 'amors a un usatge
col bos aurs quan ben es fis,
que s'esmera de bontatge
qui ab bontat li servis.
E cresatz c'amistatz
cascun jorn meillura
;
meilluratz et amatz
es cui jois aura.
(Bartsch, Chr. prov., 75).
GUIRAUT DE CULANSO. ANDR LE CHAPELAIN 317
des princes^ ducs et marquis, comtes et rois, et ne suit point la
raison, mais la volont pure, c'est--dire Tapptit :
per so car vens princes, ducs e marques,
comtes e reis, e lai on sa cortz es,
non sec razo, mas plana voluntat...
Le second tiers est l'amour des parents ou plutt l'amour
conjugal dont les vertus sont franchise et merci :
Al segon tertz taing franquez' e merces.
Le troisime tiers ou l'tage suprieur est de si grande ri-
chesse qu'il lve son royaume sur le ciel :
El sobeiras es de tan gran rictat
que sobrel cel eissaussa son rgnt.
On a vainement cherch
(1)
l'origine de ce symbolisme dans
les descriptions de la Cour d'amour ou de Vnus imagines par
les potes ou les prosateurs de l'antiquit latine et du Moyen
ge. Si le cadre leur appartient, le contenu est d'Aristote. C'est
de lui que drive la division des trois amours. L'amour inf-
rieur est l'amiti qui a sa source dans le plaisir
;
l'amour in-
termdiaire rpond l'amiti d'intrt,

c'est le mariage de
raison, le seul admis sous le rgime fodal
;

enfin, l'amour su-


prieur c[uivaut l'amiti vertueuse.
Nous ne croyons pas que Guiraut de Calanso ait donn le signal
de cette identification des trois degrs de l'amour avec les trois
espces d'amiti distingues par Aristote. Mais son allgorie
n'en est pas moins intressante un double titre. Elle tablit
comme un lien intellectuel entre l'jimiti antique et l'amour
chevaleresque, un trait d'union entre la philosophie grecque et
la posie du Moyen ge.
Le trait De arte honeste amandi d'Andr le Chapelain nous
fournit une autre preuve de l'action exerce par les thories
d'Aristote sur la posie courtoise du xii^ sicle. Il a t rdig.
(1)
O. Dammann, Die allegorische Canzone des Guiraut de Calanso, p.
12
et suiv.
318 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
suivant Gaston Paris
(1),
vers 1220. et renferme^ comme en un
code, tous les prceptes de l'art d'aimer appliqus dans les Ro-
mans de la Table Ronde. Or, nous trouvons l aussi trois degrs
de l'amour, l'amour pur, Amor purus, qui consiste dans la con-
templation de l'esprit et l'affection du cur ,
l'amour mixte,.
Amor mixtus, qui ne considre, au contraire, que le plaisir de la
chair et prend fin avec le dernier acte de Vnus (et in extremo
Veneris opre terminatur
)
(2).
Enfin, un autre chapitre traite De
amore per pecuniam acquisiio. Cette division de l'amour corres-
pond encore celle de l'amiti suivant Aristote, mais l'amour
qui a pour objet le plaisir est mis au-dessus de l'amour int-
ress
(3).
Cet amour mixte est prcisment celui qu'Auzias March re-
prochera aux anciens troubadours. Il inspire aussi les romans
franais depuis Chrtien de Troies jusqu' M^^^ de Scudry. Le
plaisir en est la conclusion, mais il ne doit arriver, comme dira
Magdelon dans les Prcieuses Ridicules, qu'aprs les autres
aventures . Les beaux sentiments
y
ont leur part. En cela, il
est suprieur l'amour intress qui en vient de but en blanc
l'union conjugale et prend justement le roman par la queue .
C'est l'amour potique et raffin par opposition l'amour Ijour-
geois et marchand . Mais son rgne ne tarde pas tre troubl.
Sous l'influence de l'Inquisition, aprs la dfaite des Albigeois,
grce aussi aux progrs constants des ordres religieux, son im-
moralit devient manifeste. La plupart des potes, ses sujets les
plus fidles, s'insurgent contre lui. Guilhem Montanhagol,
(1)
Op. cit., p.
672.
(2)
Andre Capellani regii Francorum DE AMORE libri trs, d. Trojel,
p.
182 : Vos tamen ignorare non credo, quod amor quidam est purus, et qui-
dam dicitur esse mixtus. Et purus quidem amor est, quf omnimoda dilectio-
nis affectione duorum amantium corda coniung:it. Ilic autem in mentis con-
templatione cordisque consistit affectu... Hic quidem amor est, quem quili-
bet, cuius est in amore propositum, omni dbet amplecti virtute. Amor enim
iste sua semper sine fine cognoscit augmenta et eius exercuisse actus nemi-
nem pnituisse cognovimus... Mixtus vero amor dicitur ille, qui omni carnis
delectationi suum pra-stat effectum et in extremo Veneris opre terminatur...
(3)
Andr le Chapelain ajoute, au livre II, ch. v : De notilia mutui amoris,
(p.
251
)
: jNihil enim est magis amantibus necessarium quam indubitatc cog-
noscere, qualis sit erga eos coamantis affectio.

C'est le principe mme de la


thorie d Aristote, si souvent invoqu par Auzias.
LES TROIS AMOURS 319
Sordel^ B. Zorgi et beaucoup d'autres cherchent se plier
strictement l'orthodoxie chrtienne. Ils ne transforment pas^
comme on l'a dit
(1),
l'amour traditionnel en un amour pure-
ment idal. Ils rservent simplement leurs hommages et leurs
prires la plus haute des divinits de l'amour, l'amour chaste
devant lequel ils s'taient contents jusque-l de s'incliner. C'est
alors que l'allgorie de Guiraut de Calanso prend un sens qu'elle
n'avait sans doute pas dans la pense de son auteur. L'imagina-
tion se plat
y
retrouver, comme au thtre, le Paradis, la
Terre et l'Enfer, avec les trois modes d'amour correspondants.
L'amour charnel qu'avaient cherch ennoblir les potes en le
faisant prcder de longues pratiques sentimentales et galantes
n'est plus un dieu. On mascula le dieu, dit M. Antoine Tho-
mas
(2),
et on put alors brler sans crainte et sans scrupules de
l'encens sur ses autels : l'amour chevaleresque tait trouv.

L'opration parat avoir t moins sanglante. On applique
l'amour les procds de la scolastique. Les diffrentes espces
en sont nettement distingues, et l'amour sensuel, que les
potes avaient chant jusque-l, est prcipit dans l'Enfer, o
Dante ira bientt interroger ses victimes.
Cette damnation ne devient dfinitive que lorsque les doc-
trines d'Aristote sont vritablement entres dans les murs et
que l'amour potique n'est plus qu'une amiti vertueuse. Fran-
cesco da Barberino, commentant en latin quelques vers malheu-
reusement non retrouvs du Moine de Montaudon, atteste que
cette confusion tait consciente et voulue au xiii sicle. Qui
me prouvera, dit le Moine de Montaudon
(3),
qu'il est illicite
d'aimer une dame comme un vrai ami ? Si j'aime mon ami pour
moi-mme, je ne l'aime pas vritablement
;
si je l'aime pour lui
seul, je l'aime vritablement
;
si je l'aime et pour lui et pour moi,
je l'aime encore
;
mais si je l'aime pour moi et contre lui, alors je
le hais. Aussi j'aimerai ma dame pour moi, afin que, dans l'esp-
(1)
Cf. J. CouLET, Le troubadour G. Montanhagol, p.
50.
(2)
Francesco da Barberino,
p.
54.
(3)
Nous empruntons M. Ant. Thomas (Franc, da Barberino,
p. 109) la
traduction de ce passage o est analys le degr suprieur de l'amour, l'amour
pur et en quelque sorte divin.

Il a dfini l'amour humain licite ,


mixte,
comme un milieu entre l'amour divin et l'amour bestial et illicite . [Ibid.,
p.
51 et 81).
320 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
rance de lui plaire^ je m'carte du vice et m'attache la vertu^ et
puisse ainsi mener une vie agrable
;
je l'aimerai pour elle^ c'est-
-dire cjue j'honorerai et que j'exalterai son nom et sa rputa-
tion, et que je serai le gardien de son honneur, comme si c'tait
l'honneur de mon ami. Et si par hasard la fragilit humaine fait
natre en moi quelque dsir drgl, je triompherai de ce dsir
par la force de son amour, et je crois que ce sera une plus grande
preuve de vertu d'avoir des dsirs et de les rprimer que de ne
pas en avoir ,
On chercherait en vain un expos plus complet de l'amour
considr comme un moyen de perfectionnement mutuel. C'est
la conception mme de VEthique Nicomaque que s'taient as-
simile les potes provenaux du xii^ et du commencement du
xiii^ sicle. A l'poque de Barberino, elle est tellement entre
dans les murs qu'on n'en souponne plus la vritable ori-
gine.
Les philosophes du xiii^ sicle eurent, eux aussi, comme il
tait naturel, une grande part dans la diffusion des ides d'Aris-
tote sur l'amiti. L'exposition de VEthique est autorise dans
l'Universit de Paris en 1215. Robert Greatheat, de Lincoln, la
traduit son tour
(1).
Frdric II de Sicile, grand amateur de
posie et de science, s'entoure de troubadours et d'une vritable
acadmie philosophique o l'on tudie Aristote et son commen-
tatevir par excellence Averros. A Palerme s'allume un foyer de
posie en langue vulgaire au souffle de la philosophie et de la
lyrique provenale. L'amour en est le thme unique, mais il
s'adresse une Madonna abstraite
(2),
la Vertu, la Science
ou plutt cette dame que Dante appellera, soixante ans plus
tard, la fille de l'Empereur de l'Univers, la Philosophie.
Albert-le-Grand et saint Thomas commentent ensuite
l'Ethique Nicomaque et exposent fidlement, d'aprs le Philo-
sophe, les principes de l'amiti. Mais ses ouvrages ne sont pas
uniquement
pour eux matire exgse. Ils en incorporent en-
core la substance dans leurs traits dogmatiques, constituant
avec elle une sorte de pripattisme chrtien.
Albert-le-Grand
veut expliquer par exemple comment les
(1)
Jourdain, op. cit.,
p. 76, 177.
(2)
Bartoli, op. cit., II, ch. vu. Cf. Vossler, Die philosophischen Griind'
lagen zum sssen neuen Stil
, p.
13-14.
LES DOCTRINES PHILOSOPHIQUES 321
anges peuvent aimer Dieu pour lui-mme et par dessus toutes
choses. Il invoque, pour le dmontrer, le De Amicitia de Ci-
cron et la distinction, un peu voile et incomplte, qui
y
est
contenue, des trois amitis fondes, l'une sur le plaisir (delecta-
hile), l'autre sur l'utile (utile) et la troisime sur l'honnte
(honestum). A cette dernire, dans laquelle l'ami est aim pour
lui-mme (propter se), peut tre compar l'amour des anges
pour Dieu. Quant l'autorit d'Aristote, qui est cependant le
vritable auteur de cette division, elle ne sert qu' fortifier celle
de Cicron
(1).
Saint Thomas n'a fait nulle part une tude particulire de
l'amiti. 11 la considre comme un mode de l'amour. C'est
l'amour qui est la passion fondamentale, et il lui consacre trois
questions dans sa Somme de Thologie. La nature, les causes et
les effets en sont examins tour tour avec une grande abon-
dance de rfrences Aristote et surtout aux viii^ et ix*^ livres
de VEthique.

C'est Aristote, nous le savons, qu'il emprunte
cette proposition : Amare est celle alicui honum : d'o les expres-
sions i'oluntas bona, ou simplement voluntas, par lesquelles
l'amour sera dsign plus tard. Partant de bi,il distingue deux
amours : l'amour de concupiscence et l'amour d'amiti. Le pre-
mier consiste vouloir le bien pour soi, l'autre le vouloir pour
autrui, et cette seconde forme correspond exactement l'amiti
i'ertueuse d'Aristote. L'amiti utile et l'amiti agrable consti-
tuent, au contraire, l'amour de concupiscence
(2).
Si la premire cause de l'amour est son objet, c'est--dire le
bien, la seconde en est la similitude, qu'Aristote appelait ga-
lit
(3).
C'est une bienveillance mutuelle
(4),
On aime son ami
(1)
Preterea dicit TuUius in De Amicitia quod triplex est amicitia. Que-
dam enim fundatur super delectabile, et quedam super utile, et qucdam super
honestum. Illa autem amicitia que fundatur super honestum diligit propter se
amicum, et super omnia que sunt utilia et delectabilia. Ergo multo magis
videtur quod anglus sic potueiit diligere Djum,

Item philosophus in
libro de amicitia : perfecta est que bonorum amicitia et secundum virtutcm
similium
; sed non est perfecta nisi diligat propter se et super omnia. Ergo
multo magis sic potuit anglus diligere Dciun. (Summa de quatuor coequeuis,
I, 5, 17 : De dilectione angeli).
(2)
S. Th., MI, 26, 4 ;
II-II, 23, 1, 5.
(3)
K Similitudo est causa amoris [S. Th., I-II, 27, 3).
(i) Mutua benevolcntia [S. Th., II-II, 23, 1).
Am. pAOr.

Auzias Man h.
21
322
CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOUP AU MOYEN' AGE
parce qu'on a dcouvert en lui ce qu'on aime en soi-mme^ parce
qu'on s'aime soi-mme. La troisime cause est enfin la connais-
sance, laquelle saint Thomas attache, comme nous l'avons \n,
la plus grande importance dans la formation de l'amour.
L'amant se complat dans le spectacle de cette image de lui-
mme C[ui n'est autre que l'aim.
L'amour produit l'union, l'identification de l'amant et de
l'aim, si bien que, comme l'avait dj dit Aristote, ils ont les
mmes dsirs, se rjouissent et s'attristent des mmes choses.
Ils aboutissent une sorte d'inhrence (inhaesio), une posses-
sion mutuelle. Un autre effet de l'amour est l'extase par laquelle
on tend sortir de soi en pensant exclusivement celui qu'on
aime ou encore en cherchant lui faire du bien. Le zle ou la
jalousie en est encore une consquence, puisqu'on veut ncessai-
rement loigner de son ami tout ce qui s'oppose son bien.
Une telle passion ne peut que perfectionner et amliorer celui
qui l'prouve, mais, si elle a pour objet un bien qui ne lui con-
vient pas, elle l'amoindrit et le blesse
(1).
Bref, elle est le prin-
cipe de tovite action.
Le grand adversaire de saint Thomas, Duns Scot, appelle
aussi du nom d'amour les diffrentes formes de l'amiti aristo-
tlicienne et tablit les mmes distinctions fondamentales
(2).
Jean de Galles, au contraire, dans un recueil de penses morales
connu sous le nom de Summa Collationum, et dont Pre Mardi
possdait un exemplaire, cite plusieurs extraits de Cicron et
d'Aristote sur l'amiti proprement dite et ses diverses es-
pces.
La mme doctrine est expose dans le livre du Trsor de Bru-
netto Latino qui faisait aussi partie del librairie de Pre March.
L'amiti de vertu
y
devient la veraie amisti dfinie la boue
volentez envers aucun par achoison de lui r Puis viennent
l'amisti qui est par profit et l'amisti qui vient par dlit .
Mais, ct de cette division de l'cimiti directement extraite
de VEthique Nicomaque, nous trouvons ds descriptions de
l'amour qui la reproduisent encore l'insu de Brunetto. Ainsi
(1)
Amor ergo boni convenientis est perfectivus, et meliorativus amantis
;
amor autem boni quod non est conveniens amanti, est lsivus et deteriorati-
vus amantis... {S. Th., I-II, 28, 5).
(2)
In lib., II, Sent. DisL, V,
q.
2 (d. Wadding, t. VI,
p. 538).
BRUNETTO LATINO. LE ROMAN DE LA ROSE 323
ramour conjugal
y
est dfini avec les mmes caractres que
ramiti d'intrt : Et lamor qui est entre le mari et sa feme
est amor naturel, et est plus ancienne que cel qui est entre les
citeiens ; et en ceste amor est grans profiz, porce que l'uevre de
l'orne est diverse de cel de la feme, et ce que ne puet faire li uns,
si le fait li autres
;
et ainsi chevissent lor afaire
(1)
. De mme
l'amour charnel n'est autre que l'amiti de plaisir qu'il dcrit en
ces termes : Cil qui t'aime por son dlit, fait aussi comme li
tiercelez de sa femele, qui maintenant que il a fait sa volent
charnelment, il s'enfuit au plus tost que il puet, et j plus ne
l'aime
;
mais il avient maintefoiz que amor les seurprent si fort
que il n'ont nul pooir de soi meismes, ainz abandonent et cuer et
cors l'amor d'une feme, et en ceste manire perdent il lor sens,
si que il ne voient gote, si comme Adans fit por sa femo
(2)
...
)/
Ainsi, au milieu du xiii sicle, les expositions scientifiques
de la philosophie d'Aristote penchent elles-mmes, avec Albert-
le-Grand et surtout saint Thomas, vers la confusion de l'amiti
et de l'amour. Cette tendance est plus marque dans la vulgari-
sation qu'en a donne Brunetto Latino.
Deux interprtations s'y mlent pour ainsi dire : 1 une, sa-
vante, dfinit les trois amitis, comme l'avait fait Aristote,
l'autre en fait trois formes de l'amour, la manire de Guiraut
de Calanso et d'Andr le Chapelain.
III
La posie de la fin du xiii^ sicle reprend, en France et en
Italie, cette seconde conception et va en tirer des dveloppe
ments tout fait inattendus dont on ne comprend le sens pro-
fond que si on les rattache comme des consquences leur vri-
table principe.
En France, la deuxime partie du Roman de la Rose continue
l'Art d'aimer que Guillaume de Lorris avait laiss inachev. On
a signal l'incohrence de son plan, l'amalgame des lments les
(1)
Li livres dou Trsor,
p.
315,
(2)'lbid.,
p.
431.
324 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'amOUR AL" InIOYEN AGE
plus divers qu'y a entasss son auteur Jean de Meun. Ces d-
fauts tiennent sans aucun doute ce qu'il avait entre les mains
non pas seulement de multiples ouvrages, comme l'a montr
M. Langlois, mais encore des extraits d'aviteurs analogues ceux
de Jean de Galles, o les morceaux devaient tre classs soit par
matires, soit peut-tre par ordre alphabtique. L'amour et
l'amiti
y
voisinaient ncessairement. C'est pourquoi tout le
dbut
(1)
leur est consacr et le parallle mme de la jeunesse et
de la vieillesse qu'on
y
remarque ne constitue pas une vraie di-
gression, si on se rappelle cjue l'amiti de plaisir, suivant Aris-
tote, est celle des jeunes gens et l'amiti d'intrt celle des
vieillards.
Jean de Meun veut nous montrer la Raison cherchant ins-
pirer l'amant l'amour d'elle-mme. Elle dfinit d'abord l'amour
d'aprs Andr le Chapelain, puis en dcrit les trois espces :
l'amour qui n'a en vue c[ue le plaisir, la folle amour cju'il ca-
ractrise de la mme faon que Brunetto Latino, ensuite l'amour
de vertu, la vraye amour, qui faict le parfait homme et dont
l'objet est Jsus Christ et la Vierge Marie, enfin l'amour con-
jugal qui a pour fin la continuation de l'espce. A ce propos,
Raison met en garde l'amant contre l'amour vnal qui n'est
qu'une varit du prcdent. Comme l'amant ne semble pas
avoir compris la leon et ne sait pas s'il doit aimer ou har, la
Raison lui fait encore ung sermon et lui expose, cette fois
d'aprs Cicron, la distinction entre l'amiti vertueuse qu'il
appelle encore bonne amour
,
l'amour de grant convoitise et
de gaing et l'amour naturelle qui porte aussi les hommes
que les bestes se reproduire.
Le pote, ne se doutant pas qu'il a dj trait le mme sujet
sous une autre rubrique, conclut enfin, aprs d'autres digressions
sur la Fortune, la Charit et la Justice, que le mieux pour
l'amant serait d'aimer la Raison, vrai principe de l'amiti et de
l'amour :
Neporquant si ne voil-ge mie
Que tu demores sans amie
;
Met, s'il te plaist, a moi t'entente,
Suis-ge pas ble dame et gente,
Digne de servir un prodomme ?
(V. 5818-5822, d. Mon, II, 83).
(1)
Le roman de la Rose, d. Mon, Paris, 1814, 4 vol. pet. in-4, t. II,
pp.
8-88,.
V. 4242-5924.
G. RIQUIER. LE BREVIARI D'AMOR 325
Vers 1280^
Guiraut Riquier
commente la chanson de Guiraut
de Calanso et devine aisment, sous le voile de l'allgorie, les
trois espces
d'amours qui
y
sont dcrites : l'amour cleste,
l'amour naturel et l'amour charnel :
L'un' es celestials,
E l'autra naturals,
L'autra carnals, so m par.
{Als subtils, V.
119-121
;
Mahn, Werke, IV,
p. 213).
L'amour naturel n'est pas seulement l'amour des parents
pour leurs enfants ;
c'est aussi l'amour conjugal qui a pour prin-
cipe le dsir de propager l'espce et d'accrotre l'hritage par
l'union de deux fiefs. C'est pourquoi Brunetto Latino et Jean de
Meun en avaient fait un amour intress, une amiti d'mtrt.
Guiraut de Calanso, ayant sans doute en vue les transactions et
les luttes dont le mariage tait la cause, avait dit que ses vertus
propres sont
franchise et merci . Guiraut Riquier,
son tour,
commence par le confondre avec l'amour du genre humam, puis,
serrant de plus prs le texte de son auteur, considre les procs
t les guerres que suscite
l'augmentation du patrimoine (v. 136-
155).
Il est inutile d'ajouter qu'en bon moraliste comme la plu-
part de ses contemporains
il mprise l'amour charnel, accepte
l'amour naturel parce que Dieu l'a command ,
mais que
l'amour cleste est l'objet de toutes ses prfrences, car il
y
voit
la condition de la perfection morale et du bonheur
parfait
(1).
L'auteur d'une des
rdactions des Leys d'amors
numre plus
tard les mmes
varits de l'amour dans cette dfinition :
Amors es bona voluntatz,
Plazers et deziriers de be,
E desplazers del mal que ve.
La bona
voluntatz est l'amour honnte, le plazrs l'amour
agrable et le deziriers de be l'utile
(2).
Le Breviari d'amor, que Pre March comptait
aussi parmi ses
livres, est un trait d'amour plac ds le dbut sous la protection
(1)
Voy. J. Anglade, op. cit.,
p.
255.
.(2)
IlisL de Lang., X, 194.
326 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
de Dieu. L'amour
y
est dfini scientifiquement la manire de
saint Thomas et il n'y est question que des genres d'amour sur
lesquels s'exerce la Providence divine. Dans le tableau o ils
sont reprsents et qui nous offre le plan mme du livre^ le
diable se tient derrire Jsus-Christ et l'amour charnel n'y a
aucune place. Ce plan parat M. P. Meyer
(1)
artificiel et in-
cohrent. Nous croyons que ces dfauts sont moins sensible^ si
on l'interprte la lumire de la division ternaire de l'amour.
L'arbre gnalogique de l'amour a trois racines : la racine
centrale qui est Dieu mme est l'amour vritable^ veraya amor,
plac aussi entre les deux autres amours dans le Roman del
Rose. Sur la racine gauche qui part de l'Eglise, sont trois m-
daillons^ l'amour des enfants, l'amour de mle et de femelle,,
c'est--dire l'amour conjugal et le droit de nature
(2).
La racine
droite sort de Jsus-Christ et porte trois autres indaillons qui
sont, en allant de bas en haut, l'amour des biens terrestres
;
l'anaour de Dieu et du prochain et le droit des gens. Ces deux ra-
cines latrales nous paraissent reprsenter respectivement
l'amiti de plaisir et l'amiti d'intrt. Les trois racines commu-
niquent d'ailleurs entre elles et symbolisent l'union en Dieu de
l'Eglise et de Jsus-Christ. C'est ainsi que, dans le systme
d'Aristote, l'amiti vertueuse enveloppe dans sa perfection les
deux autres formes de l'amiti. Mais on peut faire un bon ou un
mauvais usage de l'amour des dames. De l les citations en sens
contraire des troubadours dans le Trait prilleux qui termine
le livre. Son aviteur, Matfre Ermengau, rapporte toutefois de
prfrence les posies qui exaltent les vertus bienfaisantes de
l'amour, restant encore sur ce point d'accord avec ses prd-
cesseurs.
En Italie, la science et la philosophie provoquent un mouve-
ment potique analogue, presque la mme poque. Les toscans
Guittone d'Arezzo et Chiaro Davanzati font de la chanson un
genre philosophique. Le premier versifie des syllogismes
;
le se-
cond expose en vers quelques-unes des notions de la scolastique
rgnante. Lui aussi chante svirtout l'amour pur, suprasensible,.
(1)
Hist. litL, XXXII, 23.
(2)
AuziAS March l'invoque LU, 46 ; CIV, 17
;
CXII, 161.
LE DOLCE STIL NUOVO 327
qui a pour objet le Christ et le distingue la fois de l'amour
conjugal et de Tamour charnel
(1).
Si nous passons de la Toscane Bologne, Tcole du dolce stil
nuovo prsente les mmes caractres scientifique et mystiq\ie.
Son fondateur, Guido Guinicelli, disserte doctement de l'amour
et de ses causes* (Con gran disio pensando lungamente)
(2)
ou
applique Tamour cette pense d'Aristote sur l'amiti qu'elle
est une vertu et la source mme de toutes les qualits morales et
sociales (Al cor gentil ripara sempre amore)
(3).
La Toscane suit l'exemple de la Romagne. Les potes
y
conti-
nuent la manire de Guinicelli. Guido Orlandi se demande ce qu
sont la nature et les espces de l'amour. Dans un sonnet Guido
Cavalcanti (Onde si moi'e ed onde nasce Amore)
(4)
il pose
propos de l'amour, recherchant dans quelles catgories il peut
entrer, toutes les questions familires la scolastique. Un autre
sonnet (Pi ch'amistate intera nulla i'ale) deinande quel est le
plus fort des trois amours, du naturel, du commun ou du charnel,
et par amour naturel il faut entendre ce que saint Thomas
appelle dilectio naturalis
(5),
l'amour suprieur, l'affection d-
sintresse que l'ange et l'homme peuvent prouver p^our Dieu
et pour la nature commune que chacun d'eux ralise. De son
ct, Guido Cavalcanti rpond au sonnet d'Orlandi par une
chanson presque aussi savante.
Tous ces potes se complaisent donc dans la mtaphysique de
l'amouc. Tous ou presque tous voient aussi dans la femme une
vierge idale (gioi^inelta), ou, comme Cino da Pistoia, un ange
venu sur la terre pour symboliser toute vertu. Elle est l'objet de
l'amour le plus pur, de celui que, suivant saint Thomas, les
anges ont les uns pour les autres-.
Les uvres de Dante Alighieri se conforment cette tradi-
tion. Ce sont les mmes problmes sur l'amour traits avec le
mme appareil scolastique, mais rendus plus vivants par des
(1)
C'est le thme longuement dvelopp dans la chanson Molti lungo tempo
nno, cit par Vossler, op. cit.,
p.
49. f. Ant. d'Ancona e Comparetti,
Rim. Volg., III,
p. 89.
(2)
Bartoli, Crestomatia dlia poesia ital. del periodo dlie origini, Turin, 1882,
in-8,
p.
142.
(3)
Ibid.,
p.
143.
(4)
Bartoli, Storia dlia Lett. It., IV, 34.
(5)
S. Th., I, 60, 4 et 5.
328 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
images sensibles. Toutefois^ ses matres sur ce point ne sont pas
seulement Guinicelli et les potes du Stil nuovo : il puise encore
son inspiration dans Aristote^ Cicron et saint Thomas. Partout,
nous retrouvons leur conception de l'amiti vertueuse ou de
l'amour intellectuel. La Viia nuoi'a nous reprsente, suivant
M. d'Ancona
(1),
les trois phases par lesciuelles est pass
l'amour de plus en plus pur de Dante pour Batrice. Mais la
Divine Comdie nous parat exprimer, avec plus de force encore,
une autre distinction d'ailleurs analogue, celle des trois amours
c}ue symbolisent les trois mondes de la damnation, de la pni-
tence et de la batitude. Le pote
y
a dcrit avec leurs traits
multiples les trois degrs de l'amour esquisss par Guiraut de
Calanso, Guiraut Riquier, Chiaro Davanzati, Guido Orlandi et
Brunetto Latinb. Ne correspondent-ils pas d'ailleurs aux trois
formes de l'apptit
(2)
? Par l'apptit naturel ou instinctif,
l'homme tend irrsistiblement la satisfaction de ses besoins
infrieurs. C'est la passion fatale, l'amour jaloux, imprieux,
inluctable :
Amor, ch'a nuU' amato amar perdona...
[Inf.,
V, 34).
L'ajiptit sensitif, qui a son mobile dans les choses externes,
peut tre asservi au corps ou en triompher, suivant que la raison
obit ou commande. C'est l'amour essentiellement humain et
volontaire, participant donc de la raison, par lequel l'homme
poursuit le bien avec trop ou trop peu de vigueur ou s'attache
avec modration aux biens secondaires
(3).
C'est le vestibule de
l'amour vrai,la Philosophie ou la Sagesse qui affranchit l'homme
de ses passions, le Purgatoire avant le Ciel. Enfin l'apptit in-
tellectuel ou rationnel qui n'a en vue que la pense
;
c'est l'amour
parfait, anglique, contemplatif, cpii est l'objet de la Thologie,
et a pour fin le Paradis et la Batitude absolue
(4).
L'homme
runit en lui ces divers genres d'affections et c'est pourcjuoi
(1)
Cf. A. Jeanroy, Dante [Grande Encyclopdie)
,
p.
891.
(2)
Saint Thomas, 5. Th., MI, 26, 1.
(3)
Purg., XVII, 32.
(4)
Purg., XVIII, 16.
DANTE^ BOCCACE ET PETRARQUE 329
l'amour peut tre la semence de toute vertu et de toute uvre
qui mrite chtiment :
Quinci comprender puoi, ch' esser conviene
Amor sementa in voi d'ogni virtute,
E d'ogni operazion, che merta pne.
(Purg., XVII, 35).
C'est qu'il ne s'adresse ni la beaut ni la vertu prises abso-
lument, comme le voulait Platon, mais Batrice, qui, sem-
blable son amant, le soutient dans la voie de la perfection,
conformment aux lois de l'amiti aristotlicienne. Je m'effor-
ais, dit-elle, de te maintenir dans ces dsirs qui te menaient
aimer le bien au del duquel plus rien n'est dsirable {Purg.,
XXXI,
8).
Boccace nous dit aussi, presque dans les mmes termes que
Cino da Pistoia, qu'une de ses jeunes hrones, Lucrezia, parais-
sait non une chose humaine, mais divine, tout nouvellement
descendue du paradis
(1).
Le Filocolo nous offre, d'autre part,
les trois espces bien connues de l'amour : Amore di tre ma-
nire, per le quali tre tutte le cose sono amate. Alcuna per la
virt deir vno, alcuna per la potentia dell'altro, seconde che la
cosa amata
,
e similmente l'amante : la prima dlie quali tre
si chiama amore onesto : questo 'I buono il diritto e'I leale
amore : il quale da tutti deue esser preso... Il secondo chia-
mato amore per diletto, e questo quello, al quai noi siamo
soggetti. Questi e'I nostro Dio. Costui adoriamo : Costui pre-
ghiamo : In costui speriamo, che sia il nostro contentamento,
e ch' egli interamente possa i nostri disij fornire... Il terzo
amor per vtilit
;
di questo il mondo piu che d'altro ri-
pieno...
(2)

L'amour chant par Ptrarque n'est plus matire dvelop-
pements philosophiques. Il n'en expose ni les origines, ni les
espces comme ses prdcesseurs. C'est un sentiment qu'il
prouve et qu'il analyse en lui-mme sans avoir recours ni la
(1)
...Lucrezia nominata, la quale di tante e tali maravigliose bellezze co-
piosa si vedea, che non cosa umana, ma divina parea, nuovamente del paradiso
discesa: e cheeratutta piena di senno... (J. Boccace, L'f/rtano, Parma, 1841,
in-8, p. 21).
(2)
Il Filocolo, Firenze, 1594, in-8, livre V,
7^ question,
p.
464.
330 CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOUR AU MOYEN AGE
seolastique, ni l'allgorie. Nous n'en trouvons pas moins dans
son Canzoniere l'influence des troubadours et des potes du dolce
stil nuovo, et, par leur intermdiaire^ celle d'Aristote^ quelque
peu de sympathie qu'il ait eue pour lui. La description de la
beaut morale de Laure qui est anglique^ de sa bienveillance^
de sa haute intelligence^ de son charme bienfaisant^ nous ra-
mne aux doctrines potiques issues de VEthique Nicomaque.
Mais son affection pour elle se mlent des lments terrestres,,
sensuels, qu'il lui est impossible d'liminer
(1);
et, en fervent
chrtien qu'il est encore, malgr son humanisme, il souffre de
ne pas pouvoir satisfaire d'une manire complte son dsir de
perfection.
Laissant de ct d'autres potes
(2)
ou prosateurs
(3)
du
xiv^ sicle qui reproduisent, quelquefois sans le savoir, les ides
d'Aristote, mais n'ont vraisemblablement exerc sur Auzias
March aucune action directe ni indirecte, nous arrivons au
pote catalan aprs un long dtour travers les avenues obscures
qui mnent son uvre. L'volution du sentiment de l'amiti
laquelle nous avons ainsi assist va nous permettre de mieux
comprendre et de prciser la conception qu'il s'est faite de
l'amour.
Avec Aristote, l'amiti a t distingue des autres sentiments,
et, en particulier, de l'amour. Tandis que l'amour est rduit
un simple besoin fatal et purement physique, l'amiti est volon-
taire et se rattache aux aspirations les plus hautes. Elle est
une condition de la vertu et du bonheur. Cette notion traverse
peu prs intacte toute l'antiquit grco- latine. Recueillie
par le Moyen ge, elle subit, au contraire, des mtamorphoses
qui la rendent presque mconnaissable. L'amiti se rapproche
de l'amour jusqu' se confondre avec lui, et l'on applique
celui-ci tout ce qu' Aristote avait crit de celle-l. Cette
runion est d'autant plus facile que l'amiti offre, ave
(1)
Voy. la canz., /Vo pensando.
(2)
Citons entre autres Jakes d'Amiens qui, dans son Art d'amours, dfinit
tvoi^ sortes d'amour et d'amiti, dont la dernire correspond l'amiti ver-
tueuse, et cite, au v. 500, le tmoignage d'Aristote. Cf. Hist. liit., XXIX, 486.
(3)
Principalement Jehan Le Bel (j- 1370). Voir son Ars d'amour, de v^Ux e
de honeurt, publi par Jules Petit, Bruxelles, 1867-69, in-8, t. I,
pp.
17 et 21.
AUZTAS MARCH 33t
ses varits, de quoi satisfaire les esprits du temps avides de
distinctions subtiles. Potes et penseurs s'en emparent tour
tour. Sous sa forme suprieure, elle est, pour les potes, partir
du XII sicle, sinon le principe, du moins l'un des lments pr-
pondrants de l'amour courtois, vritable amiti intellectuelle
entre un chevalier et sa dame dsireux de se perfectionner mu-
tuellement. Les philosophes et les thologiens
y
voient, de leur
ct, le type de l'amour pur, dsintress, de Dieu pour la cra-
ture, de la crature pour le Crateur et des anges les uns pour les
autres. De l sortira, avec Spinoza, la doctrine de l'amour intel-
lectuel de Dieu
(1),
et, avec Fnelon, celle du Quitisme
(2).
En
outre, la posie mdivale, qui se plat aux allgories, installe
les trois amitis dans le palais du Dieu Amour ou de Vnus. Mais
l'amiti de plaisir, identifie avec l'amour charnel ou le fol
amour , ne tarde pas en tre dloge. Elle devient une puis-
sance infernale, alors que l'amiti vertueuse, la suite d'Albert-
le-Grand et de saint Thomas, est anglise par- l'Ecole du
dolce stil nuoi'o et place dans le Ciel. Ainsi s'achve cette cu-
rieuse adaptation aux ides chevaleresques et religieuses d'une
thorie d'Aristote dont on retrouA'e encore maintes traces en
Italie
(3),
mme chez les Platonisants de la fin du xv sicle et
du xvi sicle.
IV
Cette conception aristotlicienne et chrtienne de l'amour

qu'on a, semble-t-il, trs souvent confondue avec celle de
l'amour platonique

domine toutes les posies amoureuses
d'Auzias March. Il la doit d'abord quelc{ues troubadours de la
priode classique,mais surtout ceux de la dcadence, puis saint
Thomas, Dante et mme Ptrarque dont il suit l'inspiration
(1)
Rev. Philosophique, XXVI, 253-254.,
(2)
Dans ses Instructions et avis, Fnelon indique les sources du pur amour
et fait appel au tmoignage des anciens . Les paens taient charms,
dit-il, de cette belle ide de la vertu et de l'amiti sans intrt.
(3)
Voy. RoDocANAcm, op. cit.,
p.
299-301.
332 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'amOUR AU MOYEN AGE
gnrale. Certaines de ses descriptions ou expressions font penser
aussi ncessairement l'ouvrage d'Andr le Chapelain qui,
nous Tavons vu, avait t traduit en Catalogne ds la fin du
XIV sicle. Aristote enfin lui en a fourni lui-mme quelques
traits, mais il n'a compris son Ethique qu' la faon de ses
prdcesseurs, leur pripattisme christianis lui en ayant par-
fois cach la vritable porte
(1).
Auzias March s'est propos, nous l'avons vu, de constituer la
science de l'amour. Il ne veut pas seulement en dcrire les pas-
sions, en faire la psychologie, majs encore la mtaphysique, non
pas tant, il est vrai, dans ses chansons soumises des rgles de
versification trs compliques, que dans ses estranips, dans ses
pices de vers libres, plus prosaques, mais mievix appropries
l'expression des ides morales et philosophiques. Le Gay Saber
tel qu'il l'entend doit rester grave, enseigner aux profanes ce
qu'est Amour, d'o il vient et ce qu'il fait (CXXIII, 70). Ses
premiers estramps Fantasiani Amor a tni descobre nous appren-
nent, en effet, qu'Amour lui a rvl ses grands secrets. Seul il
en connat la nature et les effets. Si, dit-il (XVIII, 17-22),
Amour tait une substance raisonnable, c'est--dire un homme,
un seigneur rcompensant le bien et punissant le mal, je serais
ses yeux le phnix des (amants) les meilleurs
(2)
car, moi seul,
j'ai abandonn le mlange de bons et de laids dsirs (qui cons-
titue l'amour humain) . Seul il a fait l'exprience de l'amour
vrai. Plusieurs martyrs de l'amour ont eu la mme rvlation
par une sorte de grce divine, quelque ignorants qu'ils fussent,
et cause de leurs aptitudes naturelles. Aussi les savants eux-
mmes ont-ils de la peine comprendre la faveur dont il a t
l'objet, bien qu'il en ft digne, et le traitent-ils de fou :
Axi primors Amor a mi rvla
tais que Is sabents no basten a compendre,
e, quant ho dich, de mos dits me desmenten,
dant a parer que folles coses parle...
(XVIII, 53-56).
(1)
On peut en dire autant du bachelier Alfonso de la Torre qui, presque la
mme poque, ddiait D. Juan de Beamonte, prieur de San Juan, en Navarre,
sa Vision dlectable. Il
y
expose, dans la seconde partie, la morale d'Aristote
telle que l'avait conue Saint Thomas, et, notamment (Ed. Rivadeneyra,
XXXVI,
383), la distinction scolastique des trois vies.
(2)
Cf. CXXII bis, 41.
4
NATURE ET DIVISIONS DE l'aMOUR
333
L'amour n'est point une substance^ un tre^ mais un accident,
une qualit de l'tre et on ne peut en juger que par ses effets.
Suivant la partie de l'homme d'o il mane, il diffre en quan-
tit et en qualit, en force et en perfection :
Accident es Amor e no substana
(1),
e par sos fets se dn'a nos conexer.
Quant es ne quai ell se dn'a parexer,
segons d'on part ax sa fora lana...
(XCII, 191-194).
C'est, en effet, un des principes fondamentaux de cette science
qu'il
y
a trois espces d'amour. L'un drive de l'me : c'est
l'amour pur, honnte
;
l'autre, de l'union de l'me et du corps,
c'est l'amour agrable, mixte
;
le troisime enfin provient uni-
quement du corps, c'est l'amour utile. Auzias March se spare
ainsi de quelques-uns de ses prdcesseurs, philosophes ou potes,
en faisant dpendre de l'me et du corps l'amour agrable et
surtout en le plaant au second rang conformment Aristote,
au-dessus de l'amiti d'intrt ou de l'amour utile. Il est en-
core d'accord sur ce point avec Andr le Chapelain pour qui
le dlectable est aussi la fin de l'amour mixte
(2)
et est
rang immdiatement aprs l'amour pur. Cette ressemblance est
d'autant plus remarquable que notre pote, reprsentant ces
trois amours par trois flches, comme Guiraut de Calanso, adopte
aussi la dernire, la plus grossire, celle de plomb, pour symbo-
liser l'amour agrable
(3).
Elle ne peut s'expliquer que parce
c(u'il considrait la recherche de l'utile comme l'objet d'un ins-
tinct issu de l'me infrieure, de l'me vgtative, tandis que le
plaisir suppose la sensation et l'me sensitive.
Quoi qu'il en soit, cette division des trois amours lui tient au
cur. Il
y
revient sans cesse, mme dans ses chansons funbres
et dans ses posies morales et didactiques, s'attachant en va-
rier l'expression. Une seule fois, il a recours une allgorie, aux
(1)
Mme ide chez Cinq da Pistoia {Ma io clico ch' Amor non ha sustanza)
et chez Dante, Vita nuova, d. H. Cochin, p.
110.
(2)
Cette particularit a chapp D. J. Torras y Bages, op. cit., p.
558,
qui croit tort qu'Auzias March appelle amour mixte celui auquel saint Tho-
mas donne pour objet l'utile.
(3)
LXXIX, 9-28.
334 CHAP. VI. AKISTOTE E LAMOUR AU MOYEN AGE
trois flches classiques de l'amour. Le reste du temps^ il la for-
mule en un style prcis^ plus sec^ mais moins obscur que celui
des chansons.
Voici^ par exemple^ comment il les numre :
Trs amors son per on amadors amen :
l'u es honest e l'altr'es delitable
;
del ter me call qu'es lo profit amable...
(LXXXVII, 5-7).
Ces trois amours conviennent plus s])cialement, lun l'Ange,
l'autre l'homme, le troisime l'animal, mais l'homme peut
les prouver tous :
Lo qui d'amor per trs parts ha sentit
toca de tt, d'angel, e d'hom e brut...
(CXXIII, 29-30).
Le long pome Tt entenent amador ini entenga nous en offre
une description minutieuse, approfondie, qui a le mrite de nous
dvoiler certaines doctrines poticjues du Moyen ge.
Il carte tout d'abord d'un seul mot l'amour intress, parce
qu'il ne comporte pas d'affection rciproque :
Del ter me call qu'es lo profit amable,
per que Is amats lurs amants no reamen...
(LXXXVII, 7-8).
Si l'homme, compos d'une me et d'un corps, peut aimer,
son me et son corps pris part sont aussi capables d'amour :
Esser b pot que l'hom simplament ame
d'arma sens cors e ab lo cors sens arma.
Amant virtut hom de tal amor s'arma,
y
el cors es cert que d'un b:ut voler brame.
(Ibid., 45-48).
Mais ce qu'aime l'amant par intrt
,
ce n'est pas tant
son ami <jue son bien propre :
Ax com es l'amant per inters
a son amich del quai gran b H v :
ell am aquell e mes son propi b...
(CXXIII, 49-51).
I
L AMOUR MIXTE 335
Sous le nom d'amour utile, il comprend l'instinct de nutrition
qui se manifeste ds notre naissance par le besoin de tter
(CXXVIII, 372-381). C'est aussi l'instinct de reproduction
{Ibid., 435 et suiv.), l'amour de l'espce commun tous les
animaux et qui tait considr au Moyen ge comme la fin
unique du mariage. De l probablement le rang infrieur c[u'il
lui assigne. On sait d'ailleurs que le mariage tait aussi destin
accrotre la fortune. Peut-tre enfin faisait-il rentrer dans le
mme genre d'affections l'amour mercenaire ou vnal C{u'il a
critiqu comme l'avait fait Andr le Chapelain, et l'on se rap-
pelle ses violentes invectives contre Xa Monbohi.
Son analyse porte principalement sur les deux autres formes
de l'amour. Elles seules prsentent des degrs diffrents l'affec-
tion, la bienveillance rciproque, condition impose par Aristote
l'amiti.
L'amour mixte [ainor mixte, CXVII,
151),
appel aussi hu-
main (homenivol) ou agrable (delitahle), provient de l'union de
l'me et du corps. C'est vm dsir ml (<y'oler mesclat) qui dure
autant que leur accord :
Ladonchs ells junts mesclat voler componen
que dura tant com d'aquell se consonen...
(LXXXVII, 19-20).
C'est un tat confus o l'entendement a peu de part,
Tal voler naix en part per ignorana...
Qui n'es plagat la rah t molt fosca...
[Ibid., 21, 168).
un feu aveugle [cech foch,
Ibid.,
174),
par opposition l'amour
spirituel qu'il qualifie de feu perptuel et sans fume (sens
fum
continuu foch,
III,
5). C'est, en un mot, le fol ou faux amour. Son
objet est le plaisir pour le plaisir, la dlectation de la chair qui
nat du contentement des sens et qui disparat quand les sens
sont satisfaits. On reconnat aisment celui qu'a dfini Andr le
Chapelain : Mixtus vero amor dicitur ille qui omni carnis delecta-
tLoni suum prslat effectiun et in exlremo l'eneris opre termma-
tur
(1).
(1)
Op. cit., p.
182.
336 CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOtR AU MOYEN AGE
C'est lui que chantent les troubadours et il est l'orio-ine de
leurs souffrances mortelles :
D'aquest voler los trobadors escriuen
e per aquest dolor mortal los toca..,
(LXXXVII, 41-42).
Il ne saurait^ en effet^ satisfaire ni l'me qui aspire l'infini^
ni le corps entran par l'me mme s'lever au-dessus de sa
nature. L'me se laisse attirer par les plaisirs du corps et le
corps aspire de son ct aux plaisirs de l'esprit. La chair veut
voler, dit Auzias March, et l'me se poser terre :
La carn volar vol e l'arma s'aterra.
(Ibid., 89).
Explication subtile et profonde des passions et de leur carac-
tre insatiable. Le plaisir de Vnus ne se produit que si l'me et
le corps restent d'accord tout en se stimvilant l'un l'autre. L'me
tend l'infini et le corps suit cette impulsion. De son ct, l'me
retenue par le corps vite tout excs.
Ce qui fait la dure de l'amour mixte, c'est prcisment l'in-
fluence secrte que l'amour spirituel, honnte, exerce sur
l'homme. Il est comme la pierre philosophale qui donne de la
valeur ce qui n'en a pas :
Aquest' amor es philosofal pedra
que lia hon eau o que res no val medra...
(Ibid., 159-160).
Mais l'accord de l'me et du corps reste toujours prcaire.
Fatigus ou oublieux de leur rle, ils cherchent l'emporter l'un
sur l'autre. Ainsi disparat l'amour mixte. Alors l'apptit con-
cupiscible et l'apptit irascible se font sentir clans l'homme avec
les passions qui en drivent (CXXIII, 9-16).
Le cur honnte lui-mme prouve souvent les joies et
les tourments que l'amour rserve ses sujets et le pote nous
dpeint en quekjues traits intressants le trouble intellectuel qui
les accompagne (LXXXVII, 165-168), le dsir ardent, la fureur
<jui pousse l'amoureux dlaisser, l'cole de \nus, la vie con-
L AMOUR HONNTE
337
templative^ la pure thorie^ pour la vie active ou, plus
exacte-
ment, pour
;-
l'acte sexuel :
Los escolans, de qui Venus es mestre,
lo contemplar jaquexen, prenints l'acte.
(Ibid., 175-176).
L'amour honnte qu'Auzias March dsigne encore
par les
expressions caractristiques d'amiti pure (amistana
para
XCII,
29),
d'amiti vritable fi^erdader' ainistat,
XCIII,
14),
n'est pas une passion, une maladie, une fivre {jehra,
LXXXVII
190). C'est un tat purement psychologique dont la cause est
hors de l'amant, mais qui a pour objet c les vertus et la sao-esse
incarnes pour ainsi dire dans l'aim.
Le pote le dfinit, avec tous les scolasticjues et tous les Dotes
depuis le xiii^ sicle, une volont bonne (henevolentia)
:
Aqueir amor que s diu voluntat bona
6 solament esguarda part honesta.
(XLV,
25-26).
Comme l'amiti vertueuse d'Aristote, il exige trois
conditions
essentielles : le mrite de l'aim, la commune volont de l'amant
et de l'aim, et le plaisir intime {l'ait secret) qui en rsulte. Les
voici mthodiquement numres :
Vostra valor m'ha en amor emps,
e lo voler que m sembla qu'es tt meu,
e l'ait secret que fer compte no s deu,
car forat fuy d'aquest foch ser encs.
Si la valor vostra
y
el voler fall,
ab ells mesclat lo meu ait finar.
Mentres vullau e valgau no morr :
d'aquestes trs pedres fa mon fermall...
(LXXXV, 41-48.)
L'amant, (jui s'est affranchi de tout dsir charnel (XVIIL
5-8),
s'imagine vivre entirement hors du corps. Sa pense n'est
souille par aucun dsir sensuel, quand il peroit la beaut phy-
sique de sa dame. Ce qu'il considre en elle, par son Entende-
ment, ce sont ses qualits les plus personnelles et les plus intimes.
Il ne songe ni ses bras, ni ses mains, ni ses pieds, ni sa
Am. Pages.

Auzia.s Mardi.
22
338 CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOUR AU 3IOYEN AGE
gorge . Il n'est amoureux que de sa pense qu'il voudrait aussi
subtile^ aussi lucide que la sienne :
Solament vuU d'ella tan clara pensa
que res de mi no 1 fos cosa scrta,
abta
y
sabent e d'anior fos estreta,
lo contrafer prengus en gran ofensa...
(LXXXVII, 235-238).
Il ne s'attache cju' ses vertus^ au bien qu'elle ralise en elle
et qui est son tre mme. C'est ce prix que l'amour sera infini^
ternel, toujours en progrs, sans dfaillance possible :
Axi amor l'esperit meu arrapa
e no
y
acuU la maculada pensa,
e pero sent lo dlit que no s cansa,
si que ma carn la ver'amor no m torba...
(XVIII, 37-40).
C'est une flamme pure, sans fume
,
une lumire qui
s'oppose au
feu obscur et aux tnbres de l'amour mixte et
humain.
Une autre condition essentielle de cet amour est la bien-
veillance rciprociue
et rciproquement connue. Les deux amis
doivent se
ressembler en voulant galement le bien, non pas le
bien en soi contempl par Platon dans un monde idal, mais le
bien l'un de l'autre, x xdTw yaGv^ le bien pour chacun, avait
dit Aristote. On ne peut pas aimer pour elles-mmes les vertus
que possde une dame : on aime ncessairement la fois les.
vertus et la dame. La sagesse abstraite
(/wpiax/) n'est point son
fait :
Quais son aquells qu'amor honest los force
amar per si virtuts en una dona ?
B son yo cert que tots la volen bona.
Per que 1 dlit de l'hom durar s'esforce,
no'n se alg que spart lo senta...
(LXXXVII, 151-155).
On n'aime un ami vertueusement que parce qu'il est en toutes
choses comme la rgle et la mesure (wtjTTcp xavwv xa; ja-cpov^
Elh. iYtc, III, 0,
1113 a, 33).
Mais il faut (jue l'ami connaisse
CONDITIONS DE l'amOUR PUR
339
et partage tous les sentiments de son ami. Aussi le pote d-
clare-t-i'l Plena de seny :
L'amor que us he tendria per ofesa,
si tal semblant en vos no paregus.
Ma voluntat en si tal carrech porta,
que no sera sens la vostra contenta...
(V, 35-38).
Cette jjLvoia^ cet accord est de toute justice : c'est une loi >;
de l'amour. C'est parce qu'elle est viole et que sa dam.e n'a pas
pour lui la mme bienveillance qu'il ne cesse de se plaindre. Son
affection pour elle dpend de celle qu'elle aura pour lui
(1)
:
Durar no pot, si no m'es fet gran frau,
trencant Amor de natura costums...
O Deu, perqu Amor es desegual,
que no consent que vostre voler cresca
per que lo meu per negun temps peresca,
si b no m sent quant me venr'aquest mal ?
(XXI, 25-26, 29-32).
Et^ comme toujours^ il menace de se donner la mort^ si sa
dame lui refuse sa bienveillance (henvolenca).
Quant au plaisir secret que lui cause cet attachement mutuel,
nous savons avec quel soin il s'efforce d'en cacher les manifes-
tations, non pas seulement pour dpister les jaloux, mais en-
core parce qu'une affection purement intellectuelle rclame en
quelque sorte l'impassibilit absolue. Mais c'est une condition
difficilement ralisable, dclare Auzias March, en raison de
l'union de l'me et du corps :
Ladonchs lo foch d'amor b no s'amaga
e Los meus ulls pblich lo manifesten...
(LXXXVII, 271-272).
Ces mmes rapports du physique et du moral l'exposent
aussi chaque instant aux tentations de l'amour humain. C'est
un autre aveu utile retenir. Ma chair, dit-il, incline telle-
(1)
Cf. XXXVII, 25-26
;
XCIV, 99 :
Gran es o poch l'amador segons l'altre.
340 CHAP. VI. ARISTOTE ET LAMOUR AU MOYEN AGE
ment vers le plaisir que je soupire aprs toute femme qui me
plat, cherchant la possder sans fin... Quant ma raison_, je
la perdrais volontiers_, si elle me fait observer que je pourrais
perdre l'amour (LXXXVII, 245-247, 249-250). Aussi faut-il
renoncer aimer les femmes d'un amour pur :
Assats a mi es causa descuberta
que pur 'amor no pot en dona caure...
(LXXXVII, 267-268).
A cette imperfection dont il souffre correspond naturelle-
ment celle de la femme qui lui cause aussi de vifs tourments.
N'est-elle pas compose, comme lui, d'une me et d'un corps et
sujette aimer autre chose que la vertu ? C'est pourquoi il
faut ajouter aux passions que nous avons analyses la jalou-
sie
(1)
qui est un effet ncessaire de l'amour. C'est le besoin de
lutter contre tout ce qui s'oppose au bien de notre ami
(2).
La femme, tre charnel, a des dsirs charnels.
Totes son carn
y
en carn es lur cabal...
(CXXII, 20).
D'une intelligence moins vigoureuse, moins lucide que
l'homme, comme le croyait dj saint Thomas
(3),
plus inca-
pable encore, suivant maints troubadours et Boccace, de r-
sister ses dsirs, elle manque de la fermet et de la constance
ncessaires l'amour pur
(4).
C'est une raison de plus invoque
par Auzias March pour expliquer son impuissance raliser
l'amiti spirituelle qui exige des deux parts perfection et bonne
volont.
L'origine profonde de la douleur qu'Auzias March exprime
pour ainsi dire chaque vers est donc dans la nature de l'me
humaine ncessairement unie un corps dont elle est la forme.
(1)
CXVI, 71-80
;
CXXII bis, 68
;
CXXVI.
(2)
Zelus, quocumque modo sumatur, ex intensione amoris provenit...
Quum igitur amor sit quidam motus in amatum,... intensus amor qurit ex-
cludere omne id quod sibi rpugnt. (Saint Thomas, S. Th., I-II, 28, 4).
(3)
S. Th., II-II, 149, 4 ; 165, 2.

Aristote voyait aussi dans la femme un
tre incomplet, qui n'a pas atteint son entier dveloppement.
(4)
VIII, 39
;
XIII, 55 ;
XXII, 12 et suiv.
DIFFICULTS DE l'aMOUR PUR 341
ncessairement condamne par l mme retomber dans les
plaisirs de l'amour mixte. L'homme n'est pas seulement un
corps asservi l'instinct, ni une me pure et simple qui risque-
rait de nous lever trop haut. C'est un compos d'esprit et de
corps. Son amour ne peut pas tre un fait purement intellec-
tuel tel qu'en prouverait un pur esprit ou un ange. C'est un
sentiment o le corps a, quoi ([ue nous fassions, une importante
part.
L'homme ne peut pas toujours faire l'ange, pas plus qu'il ne
doit faire la bte. Qu'il se contente d'tre un homme complet !
Aquell qui sent d'esperit pur' amor
per angel pot anar entre les gents.
Qui d'arma
y
cos junts ateny sentiments
coni perfet hom sent tota la sabor.
(CXXII bis, 53-56).
La thorie de l'amour conduit donc notre pote, dans une
de ses dernires posies, aux mmes rsultats que l'analyse de
ses passions, une morale qui n'est plus purement asctique
et dont un souffle paen tempre dj le christianisme ardent.
Nous sommes au terme des variations auxquelles donna lieu,
au Moyen ge, la thorie de l'amiti vertueuse d'Aristote con-
ue comme l'idal de l'amour entre deux personnes de sexe
diffrent. A partir de la dcouverte de Platon, avec Marsile
Ficin et les platonisants de l'Italie, ce sentiment entrera dans
une phase nouvelle.
Par un travail obscur, souterrain, dont nous saisissons
peine quelques traces ds le xii*^ sicle, l'poque classique des
troubadours, l'amiti aristotticienne est devenue un lment
intgrant de l'amour chant par les potes. Cette synthse de
l'amiti vertueuse et de l'amour semble acheve au dbut du
xiii^ sicle, au moment o la posie prend en Provence un ca-
ractre moral et que l'amour devient, pour la plupart des
potes, un principe de vertu. L'amiti d'Aristote avec ses con-
ditions et ses diffrentes espces inspire dsormais les .l?-/.s'
fl'aimer. La Philosophie et la Thologie font comme la jKjsie.
Albert-le-Grand et saint Thomas recourent la mme doctrine
pour expliquer l'amour rcij)roque de Dieu et de l'homme et
342 CHAP. VI. ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
l'affection qui unit les anges les uns aux autres et Dieu mme.
Cette conception mystique ragit son tour sur la posie et
rajeunit^ en Italie, le style potique. Sous son influence, la
femme devient une crature parfaite, un ange descendu sur
la terre. Dante et Ptrarcjue lui-mme prouvent pour elle un
amour thr qui n'a presque plus l'ien d'humain.
Pendant ce temps le culte de la Vierge Marie est plus que ja-
mais en honneur parce qu'elle symbolise les mmes ides de
puret. Sept bourgeois de Toulouse s'associent pour rimer ses
louanges. La Catalogne adopte, avec leur code potique et
leur Acadmie, l'esprit qui les anime. C'est aussi r'poc[ue o
l'amour chaste fait de nouveaux miracles. La Provence, l'Ita-
lie et la Catalogne clbrent l'envi le touchant exemple qu'en
ont donn deux jeunes poux, Delphine et Elzar de Sabran.
Le vieux Pre March, qui se pique, kii et les siens, de gai sa-
voir, place son fils sous la protection du gentilhomme pro-
venal rcemment canonis.
On comprend ds lors comment Auzias March devait tre
tent par le rve que tout chevalier avait fait avant lui. Est-il
possible d'prouver pour une femme jeune et belle une affec-
tion parfaitement pure, oi n'entrerait rien de sensuel, et qui
n'aurait pour mobile chez les deux amants que le dsir de s'en-
courager mutuellement par le spectacle de leurs propres per-
fections ? Une telle gageure n'avait rien de chimrique pour
les hommes du Moyen ge. De mme qu'ils cherchaient
transformer en or le mtal le plus vil, ils prtendaient faire de
l'union de l'homme et de la femme une liaison spiritvielle, d-
gage de tout alliage, semblable celle que, d'aprs Aristote,
les amis vertueux doivent avoir l'un pour l'autre ds ici-bas,
semblable aussi l'amour rciproque cfue
les lus de Dieu res-
sentiront, suivant la doctrine chrtienne, durant la vie future.
Au dbut du xv^ sicle, cette thorie est depuis longtemps
fixe dans ses lignes gnrales. Auzias March la trouve un peu
partout, non pas tant dans les romans bretons, bien qu'il les
ait cependant connus
(1),
cjue dans Andr le Chapelain et chez
les troubadours. Dante et Ptrarque lui en offent aussi une
expression, plus philosophique chez l'un, plus humaine chez
(1)
Voy. ci-dessus,
p.
230.
AUZIAS MARCH PSYCHOLOGUE DE l'aMOUR 343
l'autre. Toutes ces influences se combinent en lui dans des
proportions diffrentes. Aux troubadours il emprunte le voca-
bulaire et les thmes anciens et nouveaux. S'il ne les a pas
tous dvelop]>s, il les a tous indiqus et pour ainsi dire
effleurs. C'est un troubadour rudit qui se plat traduire
dans une langue plus sonore^ mais plus rude, les ides po-
tiques et l'es sentiments des Provenaux.
Mais ce n'est pas seulement un pote. C'est aussi un philo-
sophe la manire de Dante, qui imagine d'appliquer l'ana-
lyse de son ainour les procds et les principes de la scolas-
tique. Puisque l'amour est ,une science, il prtend la traiter
scientifiquement. Or, o trouver sur ce point comme sur tous
les autres la vrit utile connatre, sinon dans la Somme, et,
par elle, dans Aristote, dont saint Thomas a t l'interprte
chrtien le plus profond et le plus systmatique ? Rien de plus
earactristique cet gard que ses chansons : c'est, adapte
aux thmes des troubadours, la pure doctrine thomiste, non
seulement de la passion en gnral, mais encore de toutes les
passions particulires. Amoureux intellectuel, il raisonne ses
motions plus qu'il ne les sent, les transforme en ides, et ces
ides sont celles de l'Ange de l'Ecole. Le procd sent la
longue l'artifice. Lorsqu'on Ta grand peine dcouvert, sous
te voile du trohar dus, qui rend cette psychologie subtile plus
inaccessible encore, il n'y a qu'un seul mot qui puisse traduire
l'impression qu'il produit : c'est une industrieuse mosaque,
ou, plus exactement encore, un bouquet de fleurs qui ont pouss
un peu partout en France, en Provence et en Italie, mais le
miel est de saint Thomas et d'Aristote. Il ne s'est pas, en effet,
content d'utiliser la Somme dont il tait imbu : il a eu le mrite
de remonter parfois Aristote lui-mme et d'emprunter son
Ethique des traits prcis que saint Thomas ne pouvait pas lui
fournir. Cet appel de l'Aristote chrtien l'Aristote paen
n'est pas encore le fait d'un homme de la Renaissance. Mais il
est dj l'indice d'un esprit nouveau.
Il en est de mme de sa thorie de l'amour telle qu'elle ressort
de ses chansons et des pomes didactiques o elle est plus
clairement expose et en quelque sorte commente. Ida-
liste comme ses prdcesseurs, il
y
fait un aveu qui rend
son uvre plus humaine, ses ternelles lamentations plus tou-
344 CHAP. VI.

ARISTOTE ET l'aMOUR AU MOYEN AGE
chantes, sinon moins monotones. C'est que l'amour purement
intellectuel conu par les thologiens et les potes est difficile-
ment ralisable, parce qu'une affection humaine ne peut pas
exister sans quelques conditions physiques si faibles qu'on le
voudra. Aristote disait qu'il n'est possible l'homme qu' de
rares moments de vivre de la vie divine. De l le combat tra-
gique qui s'engage, chez Auzias March, entre ses passions et
l'idal qu'il veut atteindre. Par l il se rapproche de Ptrarque,
tout en restant encore fidle la lettre, sinon l'esprit du
Moyen ge. Il revient en fait la vritable doctrine d'Aristote
et mme de saint Thomas, pour qui il n'y a pas en ce monde de
forme sans matire, et, par consquent, pas de vertu ni de
bonheur en dehors du compos, c'est--dire de l'union de l'me
et du corps. Le Docteur Anglique ajoute mme que l'amour
spirituel ne peut exister qu'au Ciel, les anges seuls tant relle-
ment capables de le ressentir parmi les cratures. Il n'est donc
pas tonnant qu'Auzias March manifeste quelques doutes
l'gard de la possibilit d'une amiti parfaite entre l'homme
et la femme
(1).
L est pour lui, comme sans doute pour
quelques-uns de ses prdcesseurs, l'origine de ses dsen-
chantements et de son incurable tristesse. C'est pour la mme
raison qu'il professe le mpris des femmes incapables de com-
prendre les beauts de l'amour pur. Deux amants, le roi Al-
phonse d'Aragon et sa matresse, Lucrce d'Alagno, trouvent
cependant grce ses yeux
;
il loue l'affection chaste qui les
unit. Mais son loge parat n'tre qu'une pure flatterie. Ce
qui est un indice moins quivoque des murs contemporaines
et semble dmontrer qu'il a pris son parti de cette imperfec-
tion universelle, c'est que, dans la mme pice
(2),
il se dclare
prt prouver au sexe faible qu'il n'a rien d'un amoureux
contemplatif et transi.
Nous ne sommes donc plus l'ge hroque de l'amour pur.
Cette illusion, qui avait fait la noblesse morale des temps passs,
(1)
M. Em. Faguet croit que ce genre d'amiti est trs rare, mais qu'il
peut cependant exister et se maintenir dans certaines conditions. [De l'Ami-
ti, Paris, 14? d., s. d. pet. in-12,
pp.
74-87).
(2)
CXXII, 20-22.
AVEUX d'auzias march 345
commence se dissiper. On aura beau, la fin du xv siclC;,
recourir Platon pour infuser une vie nouvelle cette doc-
trine issue en partie d'Aristote. C'est une religion qui meurt.
On n'en redit plus les hymnes que par snobisme et le sourire
aux lvres.
CHAPITRE VII
LES POESIES SUR LA MORT DE SA DAME
L'amour intellectuel qu'Auzias March s'est efforc d'prou-
ver ne pouvait que survivre la personne cjui lui avait donn
naissance. Le dsir de le rendre aussi pur que possible n'tait-il
pas une garantie de sa continuation par del la vie prsente ?
Il n'est donc pas tonnant qu'aprs la mort de sa dame notre
pote l'ait encore chante dans six lgies ou posies de deuil
que certains diteurs ont appeles Chansons de Mort )>, bien
qu'en fait elles aient pour la plupart l'allure et la longueur des
pomes didactiques sur l'amour.
Elles vont^ dans notre dition, du n*^ XCII au n XCVII,
et prsentent, comme nous le verrons, une suite parfaitement
logique. Ce sont les seules posies funbres. On a rang parfois,
sous la mme rubrique, les pices quant es joli et Cohrir no
pusch, mais elles ne s'adressent pas, comme les prcdentes,
sa dame disparue et traitent un sujet purement moral, la
crainte de la mort.
Auzias March, en clbrant sa dame, ou, comme il le dit lui-
mme, ^on amie
(1),
ne fait encore que suivre la tradition
inaugure par les troubadours provenaux. On se rappelle les
planhs de Gavavidan, de Pons de Capduelh et d'Aimeric de Pe-
gulhan
(2).
Pons de Capduelh nous montre, un des premiers,
(1)
XCII, 179
;
XCIV, 87.
(2)
Rayn., Choix, III, 167, 189, 428.
LES TROUBADOURS,
DANTE ET PTRARQUE 347
la mort ne se laissant pas attendrir par la grce, la beavit et
la jeunesse de sa dame et la lui ravissant sans piti. De tous
les malheureux, dit-il, je suis celui qui a la plus grande douleur
et souffre grief tourment. C'est pourquoi je voudrais mourir,
et il me serait agrable celui qui me tuerait, puisque je suis si
dsespr... Je ne puis qu'abandonner toute joie et je prends
dsormais cong du chant, car les plaintes, les pleurs et maints
soupirs du cur m'ont mis pour elle dans un angoissant mar-
tyre.
Des Italiens, Lanfranco Cigala
(1)
et Bonifazio Calvo
(2)
expriment aussi en provenal leurs douloureux regrets. Mais
tous, provenaux d'origine ou d'emprunt,
manifestent leur
douleur brivement et avec violence. C'est la mme apostrophe
la cruelle, la tratesse Mort, la mme renonciation
toute
joie future, la mme rvolte contre toute ide de consolation.
Tous annoncent le caractre de cleste apothose que prendra
ce nouveau genre de posie avec les potes du dolce stil nuom
et surtout avec Dante et Ptrarque. Ils se
reprsentent dj
leur dame au Paradis, couronne
parmi les Vierges et loue
par les Anges. C'est la mme scne qui succde, dans la \
ita
Nuowa
(3),
aux visions terribles dont Dante est assailli prs du
lit o Batrice vient d'expirer. Un songe la lui fait voir enleve
du Ciel par un chur d'Anges qui chantent
Hosanna et ftent
son retour. Presque aussi chrtienne est la deuxime
partie
du Canzoniere de Ptrarque. Jamais pote n'a lev de monu-
ment plus vaste la mmoire de sa dame. Xon seulement il la
place
au milieu des anges, prenant son essor aux pieds de son
Seigneur
(
Son. 299),
mais il la suit dans sa
nouvelle
destine
et s'entretient avec elle. C'est une communion
idale, une sorte
de prlude l'ternelle runion en laquelle il espre
fermement.
Aprs le dsespoir qu'exprime la
premire pa^rtie, sa pense
plane au-dessus du monde comme
rassrne.
Auzias March procde des
troubadours, dans ses chansons
amoureuses, et, moins essentiellement,
des potes italiens. Ils
sont aussi ses matres, les uns et les autres, en ce qui concerne
les chanson funbres. Mais, s'il leur en a pris l'ide, il lui
(1)
Appel, Prov. Ined.,
p.
183.
(2)
Rayn., Choix, III, 4'i6.
(3)
XXIII, d. II. Cochin,
p.
9'i.
348 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
tait impossible de les suivre dans les mmes rgions thres.
La passion que lui avait inspire sa dame n'avait sans doute
pas t toujours assez pure pour qu'il juget biensant de la
batifier et de lui ouvrir lii-mme les portes du Paradis. Les
chansons de Mort prennent donc avec lui un caractre nou-
veau qu'il importe de mettre en lumire.
II
Auzias March ne nous donne que peu de dtails sur la mort
de sa matresse. Rien ne nous faisait pressentir un tel malheur.
Tandis que Ptrarque nous montre la mort planant sur la tte
de Laure et exprime en de beaux vers ses mortelles angoisses,
bien avant qu'elle ne succombe, notre pote semble avoir t
surpris. Ces mains, dit-il (les mains des Parques), qui jamais
ne pardonnrent, ont dj rompu le fil qui retenait votre vie
;
vous tes sortie de ce monde au moment que les Destins
avaient secrtement fix
,
Segons los Fats en secret ordonaren.
(XCII,
4).
Sur ses derniers instants, peine une ou deux indications.
Il se reproche de ne pas tre mort avec elle, de ne pas s'tre
tu lorsqu'il la vit approcher de la mort et qu'elle s'cria en
pleurant : Ne m'abandonnez pas, souffrez de ma souffrance !

Enquer esta que vida no fini,
com prop la mort yo la viu acostar,
dient, plorant : No vuUau mi lexar
; ,
hajau dolor de la dolor de mi !
(XCVII, 17-20).
Quand, ajoute-t-il, je vis son esprit s'loigner de son corps
et que je lui donnai un dernier et froid baiser,
e li doni lo derrer besar iret,
(XCV, 46).
ANALYSE DE SA DOULEUR 349
je reconnus par moi-mme qu'Amour n'a pas le droit de me
faire assister ce spectacle sans me briser le cur.
Ce dernier baiser^ unique marque de tendresse dont il soit
rest trace dans son oeuvre^ prouve bien que son affection
admettait quelques faveurs matrielles. Dans son dsespoir^
il ne saurait rien nous cacher.
Sa douleur ne comporte pas cependant de grands clats.
L'esprit
y
tient plus de place que le cur. Il souffre^ mais sans
cesser de s'analyser froidement. Il craint mme de ne pas
s'abandonner assez la souffrance^ accusant son cur charnel
d'tre plus dur que l'acier^ puisqu'il reste encore en vie aprs
leur sparation :
Mon cor de carn es pus fort que l'acer,
puys ell es viu
y
entre nos es dpart !
(XCV, 43-44).
Le prsent et l'avenir n'ont pour lui aucun charme. Il ne lui
reste plus cjue le pass :
De mos trs temps me resta lo que fon...
(XCV,
36).
Mais cette vocation du bonheur d'autrefois se borne peu
de chose. Deux ou trois traits imprcis lui suffisent pour un
thme que d'autres potes ont dvelopp avec tant d'abon-
dance.
Tout ce qu'il voit^ tout ce qu'il sent lui rappelle sa bien-
aime :
Tt quant yo veig e sent dolor me torna,
dant-me recort de vos qui tant amava...
(XCII, 5-6).
Le moindre objet lui ayant appartenu rveille sa douleur :
Si res yo veig d'ella, dolor me dna,
e, si 'n defuig, par que d'ella m'aparte.
(XCIV, 89-90).
Mais aucune image concrte^ aucun fait particulier n'est
CHAP. VII. POESIES SUR LA MORT DE SA DAME
plac SOUS nos regards. Ce sont des cadres vides, des catgo-
ries scolastiques que chacun de nous peut remplir sa guise :
Lo temps e loch ab lo dit la va senyalen
segons en ells dlits o dolors foren,
e sn-ne tais que la m demostren trista,
altres, e molts, mostrants aquell' alegra
;
e pas dolor com jams li fiu greuge,
e volgr' ao ab la mia sanch rembre !
(XCIV, 91-96).
Quels sont ces vnements et ces lieux qui lui rappellent
ainsi les joies et les tristesses de son amante ? Dans quelles
circonstances lui a-t-il fait de la peine ? Le pote catalan se
refuse satisfaire notre curiosit.
Avec quel luxe .de dtails, qui en font presque un pote ro-
mantique, Ptrarque nous fait, au contraire, parcourir les rues
d'Avignon o il rencontrait autrefois sa bien-aime, les prome-
nades o Laure le saluait affectueusement, les bords du Rhne
o elle se baignait
(1)
! A Vaucluse, tout est plein de son sou-
venir. Les rochers, les arbres, les sources, les grottes lui mon-
trent partout la jeune femme sous la forme d'une nymphe ou
d'une divinit. Les rossignols semblent pleurer avec lui celle
c{u'il pleure
(2),
Et cependant la nature est, en ralit, indiff-
rente sa douleur. Le Printemps renat, les arbres s'pa-
nouissent. L'air, l'eau et la terre sont pleins d'amour
;
tout
tre anim se reprend aimer. Mais pour moi, hlas ! revien-
nent les soupirs les plus graves que tire du fond de mon cur
celle qui en emporta les clefs au Ciel ! Et les chants des oise-
lets, et les plaines qui fleurissent, et la suave dmarche des
belles et honntes dames, tout cela n'est qu'un dsert peupl
de btes cruelles et sauvages! (Son. 269).
C'est aprs avoir lu ces posies vivantes et images qu'on
peut convenir, avec J. M. Quadrado, qu'Auzias March n'a pas
imit Ptrarque au sens propre du mot. Il est vrai que le mme
critique a prtendu le comparer Lamartine. Qu'on relise le
Lac et l'on verra que si le chantre de Graziella rivalise avec
(1)
Voy. A. Mzires, Ptrarque,
p.
132-134.
(2)
Son. 270.
SES REGRETS 35t
celui de Laure^ il n'y a presque rien de commun entre les
strophes o le pote franais, associant la nature sa tristesse,
se plaint de l'ternelle fugacit de toutes choses, et les couplets
le plus souvent abstraits et raisonneurs du pote catalan.
Ici encore Auzias March se rapproche plutt de Dante que
de Ptrarque. Mais l-es incidents sont encore moins nombreux
dans sesCanonsde Mort que dans la -yUanuova.Ce qui les rem-
plit, c'est la peinture d'une douleur intrieure qui se concentre
pour flinsi dire en elle-mme pour mieux se contempler. Le
souvenir mme des vertus de sa dame ne le proccupe pas.
Elle morte, rien ici-bas ne saurait plus mriter son attentio" :
En ella fon complit lo meu dport
;
ella finint, lo mon per mi feneix..,
PCCV, 59-60).
Ce qu'il regrette, c'est l'amiti qui le liait elle :
Ma fort dolor no basta fer voler
que l'amistat fos estada no res,
ans so content d'aquella que fos mes,
si b tritor per aquella sofer...
(XCIII, 21-24).
Ce qu'il pleure, c'est l'me-sur sans laquelle il ne peut
apprcier aucun bien, ni goter aucun plaisir :
No preu los bns que yo sol posseesca,
car plaent res home sol no pratica.
(XCII, 151-152).
mort, s'crie-t-il enfin, tu es l'ennemi mortel de l'amour,,
puisque tu spares les curs unis :
Tu est d'amor son enemich mortal,
fahent partir los coratges units !
III
(XCV, 69-70).
La perte de son amie est pour notre pote-philosophe un
nouveau prtexte scruter les nioljiles de l'amour qu'il lui
352 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
avait vou. Avec Auzias Marcb^ tout finit par des chansons,
mais elles sont philosophiques.
Nul pote, on s'en souvient, n'a clbr avec plus de persv-
rance les douleurs agrables de Tamour. La mort est comme
Tamour. Les souffrances c^u'elle cause offrent en elles-mmes
un charme pntrant qui en est une premire consolation. 11
y
a du plaisir au fond de la tristesse, et c'est pourquoi elle ne
disparat pas promptement. Dans ma douleur, dit le pote
ds le dbut de sa premire posie funbre, si l'on cherchait
avec soin, on trouverait qu'il s'y insinue du plaisir.
Se trobar que dlit s'i contorna.
Elle durera donc, puisqu'elle a un soutien, car sans plaisir,
il n'est pas, mon avis, de douleur supportable (XCIl, 7-10).
C'est un thme qu'il dveloppe encore plus longuement dans
la pice suivante o il lui consacre jusqu' six huitains cons-
cutifs (XCIII, 49-96). Le bien qui se cache sous son mal est
prcisment le souvenir de leur amiti (v. 21-24). C'est le seul
bien qui lui reste, puisque (par la mort de son amante) tous
ses sens ont perdu leur satisfaction (v. 56).
Si jamais deuil fut compatible avec la raison, ce sera,
ajoute-t-il, celui qui m'afflige en ce moment. Le plaisir ml
de saveur aigre que j'y prends est tel que je n'ai point le cou-
rage de dsirer un autre bien. Jamais rire ne me plut comme
ces pleurs :
Riure jams no m plach tant com est plor.
Rien ne me parat aussi doux que ces larmes (XCIII, 65-70).
Ce plaisir, il l'prouve chaque fois qu'il revoit par la pense
les diffrents vnements de la vie de sa dame. Plaisir imagi-
naire, songe qui n'est que fume ct du mal qu'est leur
sparation ! Mais qu'importe ? Il est heureux quand il dort,
et malheureux lorsqu'il veille (v. 88).
Ailleurs enfin le pote revient sur ce contraste, sur cette
apparente antinomie d'une affliction dans laquelle peut s'en-
fermer une secrte douceur, et conclut en nous livrant cette
fois toute sa pense : Un lger plaisir est ressenti en mme
temps que ma douleur. Oui, j'prouve une joie, quand mon
LA DOUCEUR DES LARMES 353
cur soviffre^ en songeant pour qui et d'o me vient ma dou-
leur
,
Pensant per qui ne d'on ma dolor vc...
(XCV, 25-27).
C'est prcisment la mme explication qu'Aristote a donne
du plaisir qui se glisse dans la tristesse et dans les larmes.
<c
Dans le deuil et les lamentations, dit-il
(1),
il
y
a encore un
certain plaisir. Le chagrin vient de la sparation, mais on trouve
du charme se souvenir de l'ami perdu, le voir en quelque
faon, se rappeler ses actions et toute sa personne.

Un autre motif de consolation, plus efficace peut-tre, est
la survivance en lui, aprs la mort de sa dame, de l'amour d-
sintress qu'il prouvait pour elle.
De son vivant il s'y mlait des dsirs sensuels qui en ternis-
saient l'clat. Sa mort l'a pur, et le pote, reprenant une image
({ue les troubadours avaient dj fournie Ptrarque, le com-
pare l'or fin que le feu a purifi de tout alliage :
Axi com l'or, quant de la mena 1 traen,
esta mesclat de altres metals sutzeus,
e, mes al foch, en fum s'en va la liga,
lexant l'or pur, no podent se corrompre,
axi la Mort mon voler gros termena...
L'honest voler en mi roman sens mescla.
(XCIV, 25-32
(2).
Le grain, dit-il encore, n'est plus avec la paille :
... lo gra no's ab la palla.
(XCII, 222).
Ces lments impurs sont les deux autres amours, l'amour
mixte et l'amour charnel.
zi'o lAT, o-p/c'.v, TjOov/"' o'/ K) ijiav ;a67'. y.y.1 opv ttw /.Tvov, /.a-,
itpaxT,
y.oi\ O'.rj^
-?/
(Rht. I, 11-12).
(2)
Cf. XCII, 183-185.
Am. Packs.

Auzias Mardi.
23
354 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
Celui-ci^ qui n'a son princijDe que dans le corps^ ne saurait
tarder prir, puisque, sa dame morte, il n'a plus rien dsirer :
Aquell voler qu'en ma carn sola s causa,
si no es mort, no tardar que muyra...
(XCII, 41-42).
Plus de saint, plus de fte, dit-il assez plaisamment :
Fallint lo sant, defall la sua festa...
(XCII, 214).
Il n'a plus dsormais redouter les rvoltes de la chair
(XCIV,
118)
pour le corps de sa dame qu'il dclare avoir tant
aim
(XCVI,
10),
reconnaissant par l quel attrait physique
sa beaut avait exerc sur lui.
L'autre amour, qui drive de l'me et du corps, se main-
tiendra plus longtemps, puisqu'il touche l'esprit fait pour
l'ternit :
L'altre, per qui dol continuu m'abuyra,
si m defalleix, no sera sens gran causa.
EU pot ser dit voler concirpiscible,
e sol durar, puys molt de l'arma toca,
mas fall per temps, car virtut no invoca...
(Xeil, 43-47}.
Quant l'amour honnte et vertueux, il ne saurait dispa-
ratre d'un
cur noble , la mort de l'aime :
En cor gentil amor per mort no passa.
(XCII, 11).
Puisque son me est immortelle et qu'elle est l'unique objet
de son affection, nul ne pourra s'tonner qu'il continue la
chrir et
y
trouver un encouragement :
D'aquest' amor am aquella qu'es morta
e tement am tt quant es de aquella.
L'esperit viu. Donchs, quina maravella
que am aquell' e res tant no m conforta !
(XCII, 185-188).
l'amiti brise 355
D'o vient donc que le pote ne cesse de se lamenter^ alors
que la mort de sa dame lui a rvl la puret et la constance de
son affection ? Ce ne sont que plaintes analogues celles qu'il
faisait entendre dans ses posies amoureuses. La Mort lui ar-
rache les mmes cris que l'Amour. D'aucuns ont dit que la
mort est amre. Ils peuvent l'affirmer ceux qui en gotent la
saveur et qui peroivent par eux-mmes ou par autrui com-
bien puissante et longue est sa douleur. Je ne la crains pas pour
moi^ mais je l'ai redoute pour autrui. Puisqu'elle fut cruelle,
cju'elle n'ait plus piti de moi ! Qui est terre n'a point peur
de tomber plus bas. A esprer, j'ai perdu l'esprance. spa-
ration douloureuse, perdurable, qui me fait souffrir autant
que le diable (XCII, 141-150).
C'est cette sparation, c'est la rupture de l'amiti qui l'af-
flige. L est, encore une fois, la vraie cause de sa douleur :
Quant ymagin les voluntats unides
y
el conversar sparais per a sempre,
pensar no pusch ma dolor haja tempre.
Mes passions no trob gens aflaquides,
e, si per temps elles passar havien,
vengut es temps que comenar devien.
(XCII, 115-120).
Il est ballott de la douleur mle de joie qu'il dcrivait tout
l'heure cette douleur profonde, et, ses penses, nous dit-il
dans une de ses plus belles comparaisons, s'lvent et s'abais-
sent tour tour comme les nuages sous la pousse du vent :
Mes voluntats mos pensaments aporten
avall
y
amunt, si com los nuvols l'ayre.
(XCII, 121-122).
Est-ce ([ue la mort, aprs avoir spar les corps, empche-
rait les mes de s'unir ?
Comme un archer qui, d'un seul coup, a tu deux oiseaux et
bless un troisime, la mort l'a atteint dans ses trois biens.
Deux sont dj morts : l'utile et Vagrable
;
le troisime, Vhon-
356 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
nle, est demi-mort. C'en serait fait de lui si le Ciel ne venait
son aide :
E, si l'honest perdes del Cel recs,
mos darrers jorns serien ja fenits...
(XCIII, 47-48).
Il n'est pas possible que la mort mette fin leur sympathie,
leur bienveillance rciproque. Leurs mes faites l'une pour
l'autre doivent se runir avec le secours d'en haut.
IV
L'amour d'Auzias March a survcu sa dame_, plus nette-
ment chaste qu'auparavant, exempt dsormais de tout lment
impur.
Jusque-l notre pote reste fidle la tradition des trouba-
dours et des potes italiens. Mais voici o il se spare d'eux
pour tirer de sa conception de l'amour-amiti une consquence
tout fait imprvue.
Aimer une femme d'amour pur, surtout quand elle n'est
plus l, c'est chose dont ses prdcesseurs s'taient contents.
Mais un amour auquel l'aime ne rpond pas par un amour
gal n'est pas possible. Aristote l'a dit : l'amiti vertueuse
implique une bienveillance rciproque et rciproquement con-
nue. Voici, ds lors, la difficult qu'imagine notre pote. Il lui
tait facile, du vivant de sa dame, de savoir si elle partageait
son amour. Que faire, maintenant cju'elle est morte ? Qui le
renseignera sur ses dispositions d'outre-tombe ? Son amie
l'aime-t-elle encore, et, s'il en est ainsi, comment raliseront-ils
la vie commune d'o dpend l'existence mme de leur affec-
tion ?
Cruelle nigme, bien digne de tenter un esprit amoureux de
subtiles penses !
Il est vrai que nous devons faire remonter Aristote encore
1 ide premire de ce curieux problme de tlpathie amou-
reuse. On sait, en effet, qu'il se demande, dans son Ethique
IL ESPERE LA REVOIR 357
JSicomaque, si les morts participent aux joies et aux douleurs
des vivants^ comme ils l'ont fait pendant leur vie. Prtendre,
<lit-il
(1),
que le sort de nos enfants et de nos amis ne nous int-
resse en aucune faon (aprs notre mort) serait une assertion
trop dplaisante et trop contraire aux opinions reues
, et il
recherche quelle influence peuvent avoir sur la flicit de
l'homme, aprs sa mort, les destines de ses descendants et de
ses amis. Comme il n'admet pas l'immortalit personnelle, il
i-onclut au doute sur ce point. Mais Auzias March, qui lui pr-
tait probablement, avec saint Thomas
(2)
et d'autres inter-
prtes, la croyance la survivance de l'me aprs la dissolution
-du corps, ne pouvait que trancher ce doute dans le sens de la
jossibilit pour les amis de rester fidles l'un l'autre et de
communiquer malgr la mort.
Cette esprance est la seule raison qu'il a de vivre. S'il
pouvait supposer, dit-il, que leur amour a pris fin et s'il per-
dait l'esprance de regarder, lui vivant, dans l'au-del (car
l'amiti exige la prsence, la confrontation, la conversation
(corn'ersar)), rien ne retiendrait son me dans son corps
;
Si 'n nostr 'amor pens esser fi venguda
e dell pert esperana de veure,
sin que tost vinch en ao descreure,
l'arma'n lo cors no fora retenguda...
(XCII, 231-234).
Mais que ne meurt-il tout de suite ? Ne serait-ce pas le
meilleur moyen de se runir son aime et de connatre ses
intentions ?

Sans doute, rpond en somme Auzias March, Mais o la


rejoindre ? Au Paradis ? Au Purgatoire ? Ou en Enfer ?
Il me
faut attendre pour mourir que je sache o elle est.
Quoique
les morts ne reviennent point en ce monde,
j'aurai de ses nou-
velles avant de mourir. Cela s'est dj fait. Ce n'est donc point
(1)
Eih. Nie, I, 11, 1101 a, 21.

C'est donc tort que M. Dugas, op. cit.,


p. 380, fait un grief Aristote de ne pas se demander si l'amiti doit sur-
vivre la mort . Saint Thomas admet son tour (5.
Th., I-II, 4, 8)
que les
amis auront plaisir se retrouver dans la batitude cleste et qu'ils en jouiront
nsemble.
(2)
Jourdain, Philo, de Saint Thomas, I, p.
304.
358 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
grande merveille si, dans cet espoir, mes sentiments attendent
(pour se manifester) (XCII, 235-238).
Estai es ja ! Cela s'est dj fait ! Il est probable que le pote
fait ici une nouvelle allusion la Dne Comdie. Il veut com-
muniquer avec sa dame aprs sa mort, comme Dant a pu le
faire avec Batrice.
11 s'adresse d'abord Dieu. Piti, mon Dieu ! Mais je ne
sais de quoi te prier, sinon de m'accueillir o est ma dame. Ne
tarde gure me vouloir dans l'autre monde (dell), puisque
mon esprit se replie vers l'endroit o est le sien. Quant mon
corps, avant que je finisse ma vie, je veux qu'il gise troite-
ment enlac au sien. Amour les a frapps d'une incurable
blessure
;
la Mort les a spars : il est juste qu'elle les runisse.
Ainsi, au jour du Jugement, quand nous prendrons chair et os,
nous nous partagerons ple-mle nos corps (XCII, 241-250).
Dieu n'a pas exauc son dsir. Quel tre surnaturel lui dira
la vrit sur le sort de son amie ? O la rencontrera-t-il ? Sera-
ce dans un lieu de souffrance ou de joie ? Et, s'ils n'taient pas
runis, ce serait pour eux la perptuelle sparation ! (XCIII,
1-8). Puisque Dieu ne veut point accder sa prire, il invoque
maintenant la Vierge, celle qu'avec plusieurs troubadours
(1)
et
Ptrarque
(2)
il appelle la mre et la fille de Dieu, et la supplie
de laisser l'me de son amie revenir ici-bas pour qu'elle lui
fasse connatre son sjour :
A Tu, qui est mare
y
fiUa de Deu,
suplique molt, puys ell no m vol ohir,
qu'en aquest mon s'arma pusca venir,
per que m'avis hon es l'estatge seu.
(XCIII, 97-100).
Son seul souhait est que Dieu la place au Ciel, au milieu des
Saints (XCIV, 128
;
XCII,
239),
et, si elle est au Purgatoire
pour quelques fautes non rpares, que ses pchs lui ne l'em-
pchent pas d'entrer au Paradis ! (XCIV, 129-132).
La Vierge Marie reste sourde ses deux requtes. Ses an-
goisses augn>entent. Il n'a plus dsormais qu' voquer l'me
(1)
Cf. J. Anglade, op. cit.,
p.
288.
(2)
Canz. 29, ^t^. 4, v. 8.
SES DOUTES. SON DESESPOIR 359
mme de son amie. Qu'elle obtienne de Dieu la faveur de re-
tourner sur la terre pour lui dire au milieu de quels esprits elle
vit (XCV, 29-32).

toi^ esprit^ s'crie-t-il^ si mes bonnes
actions peuvent te servir^ je donnerai mon sang pour ta joie
infinie. Viens moi de jour ou de nuit, et fais-moi savoir s'il
faut prier pour toi (XCV, 73-76).
Un nouveau doute le torture. Serait-elle en Enfer ? La
grande douleur, que nulle langue ne saurait exprimer^ de
l'homme qui se voit mort et ne sait o il ira ! Il ignore si son
Dieu le voudra auprs de lui ou s'il l'ensevelira dans l'Enfer I
Semblable est le tourment que ressent mon esprit ne sachant
pas ce que Dieu a ordonn de vous, car votre malheur ou votre
bonheur sera aussi le mien. Quoi qu'il vous arrive, j'en subirai
le contre-coup (XCVI, 1-8).
Mais quoi bon implorer Dieu pour son amie ? Son avenir
est ds maintenant fix. Si elle est au Ciel, c'est un bonheur
inexprimable
;
si en enfer, ma prire est inutile :
Si es al Cel, no s pot lo b 'spremir
;
si en Infern, enfoll es mon pregar !...
Que Dieu, en ce cas, anantisse mon esprit
;
que mon tre
retourne au nant, surtout si c'est par ma faute qu'elle se
trouve en pareil lieu (XCVI, 19-23).
Ses appels ritrs tant rests vains, il se rsigne, d'une part,
ignorer o est sa bien-aime, et, d'autre part, bien qu'on doive
l'accuser de peu d'amour, conserver la vie par crainte de
l'Enfer. Les Saints eux-mmes n'ont-ils pas eu peur de mou-
rir ?
Qui es lo sant qui de mort no dupt ?
Il continuera donc verser des larmes en se rappelant la vie
et la mort de sa dame et vivra loign de ses semblables, en
vritable reclus (XCVII, 49-50, 59-60).
Combien nous sommes loin de l'espoir, ou, mieux encore, de
la certitude qui anime les devanciers d'Auzias March dans le
genre de la chanson de deuil ! Pour eux, la chre morte habite
les rgions clestes.
Belle dame, dil l^'lrarfnle, le dernier
360 CHAP. VII. POSIES SUR LA MORT DE SA DAME
d'entre eux^ tu as dormi un court sommeil. Maintenant tu t'es
rveille parmi les esprits lus^ l o l'me s'unit son Cra-
teur (Son. 283). Batrice et Laure rapparaissent leurs
amants^ se flicitent d'avoir conquis le bonheur ternel et leur
font entrevoir les radieuses perspectives du Paradis.
De telles esprances ne pouvaient avoir leur origine que
dans le sentiment de la nature spirituelle, immatrielle, de
leur amour. Comment auraient-ils pu songer retrouver leur
matresse dans le Ciel, s'ils ne l'avaient respecte ici-bas et si
leur union n'tait pas reste honnte et pure ?
Avec Auzias March, la femme a perdu quelque peu de son
caractre anglique. A la suite d'Aristote et de saint
Thomas, le pote met en elle, comme dans l'homme, toutes les
passions qui drivent de l'troite union de l'me et du corps
dans la vie prsente. Il lui reproche son inconstance, son inca-
pacit de s'lever jusqu'aux sublimits de l'amour pur. Il
l'accuse parfois d'exercer sur lui une influence pernicieuse, de
lui inspirer des sentiments blmables, de l'entraner mme
des actes dshonntes. Ainsi s'expliquent les doutes qui l'obs-
dent sur le salut de sa matresse et ses regrets d'avoir pu con-
tribuer sa damnation.
La mort de sa dame inspire donc Auzias March une nuance
de douleur qu'aucun pote ne semble avoir exprime avant lui.
Dante et Ptrarque se consolent la pense de la batitude que
gote leur bien-aime et ont foi dans leur runion future au
sein de l'ternelle flicit. Auzias March dsespre de continuer
dans l'au del l'amiti, l'uvre de perfectionnement mutuel
(,u'il avait commerce i-<i-b:is. Malheiireusemenl sa douleur se
rpand en nnalyses tro]) souvent s>'cl;es et profaques. Elle
1 DUS loissc fro'f's, quelques efforts qu'elle lasse pour nous
apiiover. C'est une conception intellectuelle plus qu'un senti-
ment. Il pleure sa matresse morte comme il l'a aime vi\ante,
en philosophe et en penseur plus encore qu'en pote vritable-
ment
amoureux ou attrisi.
CHAI ITRE VIII
LES POESIES MORALES El RELIGIEUSES
Priv de la contemplation de l'tre aim^ averti aussi ptr
les premires atteintes de la ^ieillesse^ Auzias March cherche
dans la posie morale et religieuse une consolation et une pr-
paration la mort. C'tait d'ailleurs un usage frc{uent parmi
les troubadours. Beaucoup avaient clbr Dieu et la Vierge
la fin de leur vie. L'amour qu'ils chantaient n'tait-il pas une
vertu, une dvotion mystique qui devait les amener insensi-
blement aux genres poticjues les plus graves ? Il est vrai que^
ds la premire priode de son activit littraire, Auzias March
avait compos des sirvents moraux semblables ceux de son
pre, et, surtout, de Jacme March, et cjue, plus tard, quand sa
Muse aura pris un ton plus sentencieux et plus philosophique,
le sentiment de l'amour, encore mal teint, jettera quelques
nouvelles flammes
(1).
Mais il n'en est pas moins certain que les
uvres de sa vieillesse, presque toutes celles qui, dans les ma-
nuscrits, suivent ses Chansons de Mort, rvlent un got plus
prononc pour la philosophie morale et parfois mme un besoin
de prdication nettement caractris.
La tendance moraliser rgne partout son poque, mme
chez les potes. En Catalogne, comme en Castille, parmi les
potes de la cour de Juan II, l'amour cde souvent le pas la
morale, la politique et mme la thologie. Les sujets mo-
raux sont puiss indiffremment aux sources chrtiennes ou
jjrofanes. De toutes parts ce ne sont que mditations sur la
caducit des faux biens, la fragilit de la vie, le mpris des ri-
chesses, l'inconstance de la fortune. Snque est devenu pro-
(1)
Voir ce qu'il dit lui-mme de ces retours sa premire manire, Cil, 37-
40, CIX, 17, CXI, 42.
362 CHAP. VIII. . POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
phte en son pays. Il inspire plusieurs potes du Cancionero
de Baena
(1)
et le marquis de Santillana
(2)^
avant mme qu'il
ne soit traduit^ la demande du roi Juan II de Castille^ par
Tvque de Burgos^ Alonso de Cartagena
(3).
En Catalogne cir-
culent depuis longtemps^ comme nous l'avons vu^
(4)
les ver-
sions de ses ouvrages authentiques ou apocryphes. Le roi
Alphonse V le Magnanime se plat lire les Lettres Lucilius.
Mais Aristote dispute Snque la suprmatie intellectuelle
au del des Pyrnes. La version latine de l'Ethique Nico-
maque, de la Politique et de V Economique par Leonardo Bruni
d'Arezzo^
y
obtient un grand succs malgr les critiques
d'Alonso de Cartagena^ qui semble prfrer l'interprte ita-
lien l'anglais Robert de Lincoln
(5).
Fray Diego de Belmonte
met aussitt en castillan cette nouvelle traduction
(6).
Le Libro-
de Casso Fortuna
de fray Lope de Barrientos
(7)
traite^ d'aprs
la scolastique pripatticienne, la question du libre arbitre. Au
moment mme o Auzias Mardi crit ses chansons d'amour.,
l'archiprtre de Talavera, Alfonso Martinez de Toledo r-
prouve en prose, comme l'avait fait en vers l'archiprtre de
Hita, l'amour mondain et les excs du fol amour
(8).
Alfonso de Madrigal, vque d'Avila, crit son Tractado del
Amor del Amiiia et prouve ailleurs que l'amour est nces-
saire l'homme, como al orne es nescesario amar
(9).
On va
mme jusqu' mettre en vers castillans les ouvrages d'Aris-
tote
(10).
(1).
F. Prez de Guzmn s'criait, propos de son ami, l'vque de Burgos :
Il est mort ce nouveau Snque dont j'tais le Lucile ! (Gallardo^ Ensayo,
II, 252).
(2)
Voir, notamment, le Dilogo de Bias contra Fortuna.
(3)
ScHiFF, op, cit.,
p.
126.
(4)
Voir ci-dessus,
p.
190. Cf. Schiff, op. cit., p. 125.
(5)
C'est du moins ce qu'il est possible d'infrer des Memorias de la real Aca-
demia de la Historia, Madrid, 1821, t. VI, p. 467, notes 13, 14, 15. AUi se v
que la ocasion de la disputa fu haber tomado D. Alonso la defensa de otra ver-
sion anterior de las Eticas hecha por un ingls...
(6)
Ihid., Notes, 16, 17.
( 7)
Amador de LOS Ries, op. cit., VI, p.
286-287.
(8)
Amador de los Ries, op. cit., VI,
p.
277.
(9)
Ihid., p.
293.

Le dernier ouvrage a t publi par A. Paz


y
Mlia dans
ses Opsculos literarios de los siglos XJV XVI.
(10)
On lit, dans l'inventaire de la bibliothque du Prince de Viaiie (Bofa-
LA LITTRATURE MORALE AU XV^ SIECLE 363
Tous les crivains, prosateurs et potes, se proccupent de
concilier la morale paenne avec les principes de la morale
chrtienne, Aristote et Sncjue avec les Pres de l'Eglise, et
surtout avec saint Thomas que Santillana place ct de
saint Augustin
(1),
C'est le dsir de faire servir les maximes de
la sagesse anticjue l'ducation morale de ses contemporains
qui pousse le prince de Viane, non seulement traduire une
seconde fois en castillan l'Ethique d'Aristote, d'aprs la version
de Lonard, mais aussi demander tous les vaillants lettrs
d'Espagne qu'ils composent un livre de morale o les thories
grecques seraient mises d'accord avec les vrits de la religion
chrtienne
(2).
Ce projet d'adaptation d'Aristote au Christia-
nisme n'annonce pas encore, comme on l'a dit
(3),
l'esprit de
la Renaissance. 11 consiste simplement vulgariser l'uvre de
saint Ihomas, que connaissait tout particulirement D. Carlos
d'Aragon, et mettre la porte de tous un catchisme de mo-
rale individuelle et sociale, en langue vulgaire. Quoic[ue la
lettre du prince n'ait t envoye qu'aprs son dcs (1461)
par son secrtaire et ami. Fernando de Bolea, il est possible
que ses intentions aient t connues de son entourage long-
temps auparavant. 11 serait donc permis de croire ciu'Auzias
March, li avec lui, comme on l'a toujours prtendu, non sans
de fortes prsomptions, a crit sur ses instances, sinon tous
ses pomes moraux didactiques, tout au moins les deux der-
niers, qui ont l'allure des ensenhamens de la Provence
(4),
et
sont une exposition plus populaire de la morale d'Aristote su-
bordonne la religion et la foi.
On peut donc distinguer dans ses dix-sept uvres morales,
d'une part, les sirvents proprement dits, composs presque
tous dans la premire priode de sa vie littraire et o sont
traits diffrents lieux communs de la morale de son temps
(5),
RULL, Doc. ind. del Arch. de Aragon, XXVI, p. 260) : Item un libre de Philoso-
phia de Aristotil en mtros. Cf. Catalogue de la Bih. de M. Ricardo Heredia, 1. 11^
1892, Paris, in-8, p. 151, n 1880.
(1)
Ohras del Marqus, p.
302.
(2)
Voir plus haut,
p.
287.
(3)
Desdevises du Dezert, op. cit., p.
416.
(4)
CXXVII, CXXVIII.
(5)
XXX, XXXI, XXXII, XLI, LVII, LXXXII, CIV, CVII, CXII, CXIV,
CXXI.
364 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
et_, d'autre part^ les posies philosophiques^ caractre nette-
ment didactique^ qui marqurent la fin de sa carrire et dont
quelques-unes^ en particulier celle qui commence par Lo lot
es poch o per que treballam, sont de vritahles dissertations
(1).
Mais^ comme on trouve dans les unes et les autres des ides
communes et les mmes inspirations, nous en ferons l'objet
d'une tude unique o seront indiqus tout d'abord les prin-
cipes gnraux de la Morale, suivant Auzias March, sa doctrine
de la fin dernire de l'homme, puis nous jetterons un coup
d'oeil sur les vertus et les vices contre lesquels il a mis en garde
les hommes, enfin nous aborderons sa thorie de la grce et
des vertus surnaturelles d'aprs la pice Puys que sens tu (CV),
et les diffrents thmes religieux ou spirituels qu'il a effleurs
plutt que dvelopps dans d'autres pomes.
La morale est povir Auzias March, comme pour Aristote, la
recherche du bonheur [henavirana, C,
206,
flicitt, CXII,
57)
ou du souverain bien. Mais il
y
a deux sortes de biens pour un
chrtien tel que lui, le bien terrestre, propre la vie prsente,
et le bien cleste. Quoique l'un et l'autre le proccupent, il
s'attache plus volontiers nous montrer quel doit tre ici-bas
le but de nos efforts.
Quel est le bien de l'homme, lo h de l'honi, se demande-t-il
en divisant son sujet, comme pour un trait ou un sermon,
ds le dbut de la pice Lo tt es poch :
d'ao deu esser dit
que es lo b per vera openi
;
et il ajoute avec soin qu'il ne parlera que du bonheur humain.
(1)
cm, CiV, CVI (Lo tt es poch), CXIII, CXXVII, CXXYIII.
LE BONHEUR 365
laissant la Thologie le soin de dterminer en quoi consistera
la batitude dans l'autre vie :
tant quant hom sent ab anima e cos
e tant quant sent ab lo cors solament
;
e tant quant sent ab mer enteniment
del b celest, d'aquell yo res no pos...
(CVI, 85-88).
Tout le monde dsire le bonheur^ mais la plus grande diver-
gence se manifeste dans les opinions quand il s'agit de le dfinir.
Auzias March passe en revue dans maintes pices, non sans
quelque dsordre au moins apparent et avec des rptitions
qui en rendent la lecture parfois pnible, les principales fins
que les hommes recherchent et o ils placent tort le bien su-
prme. Il examine ensuite les thories morales des savants,
procdant en somme, au moins dans une pice, suivant la
mthode particulire Aristote.
Il fait d'abord entre les plaisirs une distinction plus simple
que celle d'Epicure
(1)
entre les dsirs. II
y
a deux sortes de
plaisirs : les uns sont naturels et ncessaires et servent la
conservation de l'espce comme le manger et le boire auxquels
il fait de simples allusions et l'instinct de reproduction (CVI,^
338 . CXXVIII,
435),
les autres sont imaginaires et ne reposent
que sur l'opinion. Ce sont les richesses, les honneurs et la gloire r.
Diversitats de dlit en l'hom son.
[H]a n'i alguns necessariament
;
naturals son, la specia sostinent
;
altres, que m pens que natura no Is don,
mas son per hom d'openi'stimats,
les quais per si no han nulla valor...
(CVI, 17-22).
Les richesses et les honneurs ne sont })as recherchs pour
eux-mmes. L'argent n'est aim cjue pour l'estime (estima)
(fu'on lui accorde (CVI,
24) (2).
Il plaint les avares, jeunes gens
ou vieillards, qui meurent pour amasser de l'argent et perdent
(1)
DioG. Laert., X, 149.
(2)
Eth. Nie, I, 3, 1096 a, 5 ; 5, 1097 a, 27.
3G6 CHAP. VIII.
-
POSIES MORALES ET RELIGIETSES
ainsi les plaisirs que leur offre la vie (CVI^ 35-36^ 390). L'amour
des richesses pousse mme au vol^ dit Auzias March^
a riques gents serveix la roberia
(1),
(C, 102),
aux pires violences^ avait dj dit Aristote
(2).
Dans une autre pice (CIII) il a dvelopp quelques lieux
communs d'inspiration stocienne sur le mme sujet et montr
<]ue les richesses ne font ni le bonheur^ ni le souverain bien (lo
major dlit, CI 11^ b, lo gran dlit, CI 11^ 58).
Les er mines et
les martres^
y
dit-il^ ne garantissent pas plus contre le froid que
la peau de renard ou d'agneau. Il n'est point ncessaire de re-
vtir en t du tercenil
(3),
et, pour dormir, il n'est aucunement
besoin d'un lit d'une mollesse extrme. Nous obtenons vite et
peu de frais tout ce qui nous est indispensable, mais c'est le
dsir qui renchrit les choses
i)
(CIII, 17-22).
L'honneur n'est pas non plus la fin dernire que l'homme
puisse se proposer. Tant vaut l'homme qui honore, tant vaut
l'honneur, rpte Auzias March aprs Aristote, dans un pas-
sage o l'on sent encore l'influence directe de VEthique Nico-
inaque
(4).
Le bon honneur, dit-il, ne satisfait pas l'homme de
bien
;
c'est de son acte qu'il se rjouit, non de l'honneur que
lui valent les gnuflexions d'autrui. Si l'honneur est un bien,
c'est pour celui qui honore et non pour l'honor. Il n'est, pour
ce dernier, que le signe du bien, et, si le bien fait dfaut, l'hon-
neur est chose folle que l'homme de bien, mprise entirement.
Je ne crois pas qu'il soit bon celui cjui se glorifie d'un tel bien

(CIV, 105-112)
(5).
Car en senyal de virtut es honor,
conclut-il encore ailleurs (CVI,
23),
(1)
Cf. CVI, 341-342.
(2)
Elh. Aie, I, 3, 1096 a, 8.
(3)
Cf. Snque : Nihilo me feliciorem credam quod niihi molle erat amicu-
lum, quod purpura convivis meis substernetur... Nihilo miserius ero, si lassa
cervix mea in manipulo fni acquiescet... (De vit. beat., XXV).
(4)
Eih. Nie, I, 3, 1095 a, 23.
(5)
Cf. CIV, 280, CVI, 417.
l'honneur 367
Il
y
a un faux et un vritable honneur. Le faux est celui ([ue
dcernent les hommes; le vrai n'est, pourrait-on dire, afin de
caractriser la thorie d'Aristote et celle d'Auzias March, que
la splendeur et la rcompense (premi) de la vertu (CVI, 28).
Le premier se confond avec la rputation recherche par les
vaniteux, par tous ceux qui font le bien par intrt ou osten-
siblemient (CVI, 57-72, 347). Ce sont des hypocrites [parencers,
XXX,
17),
ou, ajoute Auzias March avec l'Evangile, des s-
pulchres blanchis
(1)
:
Spulcre son hon res leig no pareix.
(CVI, 72).
C'est ce dsir de la gloire qui fait affronter la mort quelques
hommes et les pousse des actes tmraires (XXX, 15-25),
qui
inspire aux autres le got de la science et de la musique, de la
force et de la beaut corporelles.
Hu vol ser dit franch ardit pe 1 com,
altr' en saber creu esser son cabal,
altr' en virtut del cos o bell cantar...
(CVI, 347-349) (2).
Et, cependant, ce sont l des biens prissables ou pour les-
quels les animaux sont mieux partags :
De fortitud lo bou ha mes potena
;
de temprament los ocells en florexen.
Per hun no res estime la bellesa,
en poch temps eau e molt poch la s'en porta,
e son poch fruyt als folls amants comforta.
La sanitat mal poch la ns te defesa.
(C, 107-112).
Il faut nanmoins compter sur le dsir de la bonne renomme
et sur la honte. Ce sont des sentiments puissants auxquels il
convient parfois de faire appel (XLI).
J^a sant elle-mme est un bien qui n'a rien d'absolu. Il nest
(1)
S. Math., XXIII, 27 : Similes sepulcris dealbatis.
(2)
Cf. CVI, 357.
368 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
trouv tel que par les malades
(1)^
comme la richesse pour les
pauvres^ et le moindre mal nous en prive (C, 112).
La mme divergence d'opinions n'existe point en ce qui
concerne les plaisirs du corps. C'est qu'ils sont^ en effet, le fon-
dement de notre existence. De l l'impossibilit d'y renoncer
(CVI, 377-384). Mais ils sont, d'une part, communs l'animal
et l'homme
(2),
tandis que le vrai bien doit tre propre
l'homme :
Qui 'n aquest mon de ser hom se contenta
cerque dlits que sa natura vulla,
lexant als bruts los camps e lur despuUa,
e SOS dlits no Is acurt ne Is d' mpenta...
(C, 61-64).
D'autre part, ils sont borns et si parfois ils ne sauraient nous
satisfaire, c'est que l'me d'o ils drivent en mme temps que
du corps les voudrait infinis :
Sobresvolguts nostr' arma'n habit v
e vol n'eccs per sa'nfinida part.
En terme son e de lur terme Is part
;
fer-los vol grans
;
natura no u sost...
(CVI, 381-384).
Le seul bien qui se rapporte l'homme, celui cjui est son acte
propre, son o'xelov 'pyov [propria ohra, C, 71, lo h qui propi es
e seu, CVI,
270),
est dans la satisfaction de l'esprit. C'est la
connaissance pure ou la sagesse :
Lo dlit d'hom en l'entendre s'assenta,
quant veritat per aquell es sabuda.
En tal dlit sa sciencia
y
ajuda,
mas no's complit sens voluntat consenta.
En b obrar cosa de b
y
eleta,
e que dlit prenga'n la sua obra,
tt quant es d'hom fa sa propria obra :
si u fa per Deu, sa vida es perfeta...
(C, 65-72).
(1)
C, 197-198, CVI, 354.

Cf. Eth. Nie, I, 2, 1095 a, 24


(2)
Elh. Nie, I, 10, 1099 b, 32.
LA VERTU 369
Sauf ce dernier trait, qui_, comme nous le verrons, procde
de saint Thomas, c'est la pure thorie d'Aristote
(1).
L'exercice
de l'intelligence est la fonction propre de l'homme. Mais ce
bien, cette vertu, dont dpend le bonheur de l'homme, ne doit
pas seulement tre une uvre intelligente : il faut aussi qu'elle
ait t l'objet d'un acte de volont, d'un choix
(irpcaipsui)
(2).
Pour Auzias March, comme pour le Stagirite, l'activit pu-
rement contemplative peut seule donner un plaisir stable, qui
ne soit ni une gnration ,
ni un mouvement (C, 73-75)
(3).
Ce plaisir est l'panouissement naturel, la fleur de l'acte, de
l'activit intellectuelle :
EU la compleix, sens ell no's saborosa
(4).
(C, 131).
Mais on ne peut cependant pas dire que l'homme vertueux
prouve du plaisir, s'il est plong dans la plus cruelle infortune.
Il est absurde de prtendre, dit Aristote, qu'un homme
tendu sur la roue ou afflig des plus grands maux soit encore
heureux, s'il est vertueux, Il en est de mme pour Auzias
March :
On es dolor la virtut no s'engasta.
(C, 132).
Si la vertu est la condition primordiale du bonheur, il en
est de secondaires sans lesquelles il ne saurait exister pro-
prement parler. Il faut que tous les biens, ceux du corps,
comme ceux qui proviennent de l'union de l'me et du corps,
soient donns pour que l'homme jouisse du bonheur. Les hon-
neurs, les dignits, les richesses sont comme les accessoires
(arreus) de la bont et de la vertu (XXXII, 15).
C'est l'union
(1)
Et/i. iVic, X, 7, 1177 a, 12 sqq.
(2)
Elh. Nie, II, 3, 1105 a, 28.
(3)
Eth. Nie., VII, 11
; X, 4.
(4)
Cf. CVI, 209-210. Eth. Nie, X, 4, 1174 b. 31.
Am. Pages.

Auzias Marrh. 24
370 CKAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
de tous ces biens corporels et spirituels qui constitue le souve-
rain bonheur :
Los quais com son units en una cosa,
aquella es de l'hom benavirana...
(C, 205-206).
L'examen des thories des savants nous conduira la mme
conclusion. Semblable au hros du pome de Sully Prudhomme
sur le Bonheur, Auzias March repasse en sa mmoire les leons
de la sagesse humaine et tente de traduire en vers, aprs Lu-
crce et avant le pote franais, les rsultats de leurs mdita-
tions sur le bonheur.
Plusieurs
philosophes, dit-il, ont conclu dans leurs crits
cjue le bien peut tre l'utile, l'agrable et l'honnte, et que tout
ce qui est dshonnte ne peut tre bon hors de contestation.
Le bien honnte entrane les deux autres avec lui, et c'est par
lui qu'on obtient le plaisir parfait. De mme il aboutit au profit
maximum celui qui n'abandonne point le chemin de la raison
(CVI, 89-96). Cette distinction et ces ides, empruntes Aris-
tote et que nous avons rencontres propos de l'amour, l'am-
nent se demander dans ciuelle partie de l'homme ce bien
rside, ce cju'il doit faire pour l'obtenir^ ce qu'il gagne le pos-
sder et
comment il consent le perdre pour peu de chose
,
E hon esta en l'home assegut,
e que deu fer per conseguir tal d,
e qu'en ateny per sa possessi,
e com per poch lo vol haver perdut.
(CVI, 109-112).
Il rapporte ce propos les opinions de Platon, d'Aristote,,
d'Epicure et des Stociens, notamment de Snque, mais sans
observer l'ordre chronologique qu'il semble, certains endroits,
ne pas connatre exactement (CVI, 237).
Le bien est tel, dit Auzias March, qu'il n'y a ni mur, ni
rempart qui empche le dsir de l'homme de se porter vers lui.
Par sa puissance et sans avoir son contentement, il l'attire
lui et n'a pas besoin d'une autre excitation (CVI, 137-140).
On reconnat cet expos un des principes du Stocisme sui-
A. MARCH HISTORIEN DE LA PHILOSOPHIE
371
vant lequel chaque tre trouve en lui-mme les principes de
son amour pour lui-mme. C'est Tinclination naturelle des tres
conserver leur propre constitution
(1).
De ce bien^ ajoute Auzias March^ les savants Stociens ont
dit que celui qui le possde ne peut pas tomber dans la tris-
tesse :
E d'ell han dit savis Estocians
(2)
que 1 qui l'ateny no pot caur'en tristor...
(CVI, 141-142).
On sait, en effet,
^l^e,
suivant les Stociens, l'homme ver-
tueux est parfaitement heureux, mme s'il est soumis aux pires
supplices.

Erreur, riposte Auzias Marc'h, au nom d'Aristote,
le bien ne peut pas tre aussi puissant, tendre si loin ses
mains :
Lo Philosoph ao pren per error,
dient d'aquest no'stendre tant ses mans.
(CVI, 143-144).
Les Platoniciens, qu'Auzias March ne nomme pas, mais
l'allusion est transparente, placent leur tour le Souverain
Bien dans la contemplation des Ides, dans l'intuition de la
Vrit et de la Beaut suprmes :
Alguns han dit qu'en les coses mo!t grans
lo contemplar d'elles la veritat
es aquest b, mas axi han errt...
(CVI, 145-147).
D'autres enfin le font rsider dans la pratique de la vertu :
Altres han dit qu'en les virtuts usans...
(CVI,
148).
Ce sont encore les Stociens, bien que notre pote semble
y
voir une doctrine nouvelle.
(1)
Cf. Cic. De Fin., III, 16 ;
Diog. Laert., VIII, 85
; Sn., EplsL, 121.
(2)
Cf. le prov. Estoci = stocien. On a lu tort Escocians et attribu
Duns Scot une doctrine qui lui est inconnue.
372 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
Tous ont dit vrai^ conclut Auzias March^ mais aucun enti-
rement :
Tots han dit ver e no cascuns per si...
(CVI, 149).
et il expose^ avec Aristote, que le bien de l'homme consiste
la fois dans l'exercice de rintelligence et dans la subordination
de l'apptit la raison^ dans les vertus intellectuelles et dans
les vertus morales :
Lo b de l'hom en dues parts se pren,
quant veritat l'enteniment entn
e l'apetit a rah consenti...
(CVI, 150-152).
Le pote continue en montrant que Snque exagre encore
quand il soutient que la vertu^ par elle-mme, suffit rendre
rhomme heureux et que les biens extrieurs (los bns forans)
n'y peuvent ajouter que trs peu de chose, pas mme un demi-
liard, ou, comme dit Auzias March, pas mme un demi-
pougeois :
Mas lo qui Is ha del sobir no t,
per ells haver, la part de mig pugs...
(CVI, 163-164)
(1).
L'expression est jolie : mais la manire dont Aristote et
Snc[ue sont opposs l'un l'autre est plus curieuse encore.
On objecte avix pripatticiens qu'ils suspendent l'homme
entre le bien et le mal par leur thorie des biens extrieurs,

Mais Snque, rplique Auzias Mardi, l'a plac entre


eau
et feu, sans froid ni chaud, c'est--dire dans un tat d'ind
ff-
rence et d'apathie :
^
entre b
y
mal l'hom fa estar penjant :
entr'aygua
y
foch, sens fret o calt l'ha mes
(CVI, 159-160).
(1)
Cf. CXXVIII, 365.

Snque (Epist. XCII), rapporte ainsi l'opinion


d'Antipater : Antipater quoque, inter magnos sect hujus auctores, aliquid
se tribuere dixit externis, sed exiguum admodum.
LE PLAISIR
373
Comme la prcdente, cette comparaison lui a t suggre
par Snque
(1).
Enfin le souverain bien n'est pas le plaisir, comme l'a pr-
tendu Epicure :
Picurus dix ell esser lo dlit...
(CVI, 197).
Auzias March rfute cette opinion en se plaant encore au
point de vue d'Aristote. Le plaisir n'est que la consquence du
bien, non le bien mme : c'est le signe de l'activit parfaite
(CVI, 198, 209-210)
(2).
On reconnat aussi le souverain bien
ce qu'il met l'accord entre toutes les parties de l'tre
(3).
Quant Platon, il a soutenu que le plaisir (corporel) n'est ni
bon ni utile, mais son opinion a t trs combattue
(4)
:
Plat volch dir que bo ni cominal
no es dlit, naas hach molts enemichs...
(CVI, 233-234).
Ses adversaires les plus ardents furent les Epicuriens qui
admirent, au contraire, qu'il n'y a pas d'autres plaisirs que
ceux de la chair [dlit carncd, rfio-r}^ t^c axpx;). Mais, en der-
nier lieu, vint son disciple mme, c'est--dire Aristote, qui
anantit ces \ aines opinions, prouva par des raisons videntes
la sienne propre et spara le bon du mauvais plaisir :
Picurians posaren coni inichs,
que 1 b de l'hom era'n dlit carnal.
Mas derrer vench son dexeble mateix
qui anull vanes openions,
e del que dix don' vidents rahons,
e 1 bon dlit de l'avol divideix...
(CVI, 235-240).
(1)
Frigidum, inquit, aliquid, et calidum novimus
;
inter utrumque tepi-
dum est
;
si aliquis beatus est, aliquis miser
;
aliquis nec miser, nec beatus.

(Ep. XCII).
(2)
Cf. C, 70.

Eth. Nie, I, 9, 1099 a, 13.


(3)
Cf. CVI, 196, 216. Cette ide que l'homme de bien vit constanter sibi,
en parfait accord avec lui-mme, a t emprunte par les Stociens Aristote,
Eth. Nie, I, 13, 1102 b, 16 ;
Eth. Eud., VII, 7.
(4)
Philbe, 53 C sqq. ; Rp., IX, 585 D.
374 CHAP. VIII. POESIES MORALES ET RELIGIEUSES
Ainsi se termine ce chapitre d'histoire de la philosophie o
Aristote tient la premire place et triomphe toujours des autres
philosophes. Nul doute qu'Auzias March ait connu directe-
ment Aristote et Snque. Pour Platon et Epicure^ il ne semble
en avoir lu que des extraits dans quelque recueil analogue
celui de Jean de Galles. De l probablement le dsordre assez
sensible qui caractrise cette revue des opinions sur le bonheur
et le plaisir.
II
Si le bonheur rsulte de l'activit de la partie rationnelle de
l'me^ en d'autres termes^ de la vertu^ il faut rechercher main-
tenant d'une manire plus prcise ce qu'est la A^ertu^ suivant
Auzias March^ et analyser les principales vertus et les vices
opposs.
La vertu ne peut tre que l'habitude du bien. Il ne suffit
pas^ en effet, qu'il
y
ait dans l'homme des dispositions natu-
relles
;
elles doivent encore passer l'acte. Les dons artistiques
ne font pas eux seuls le bon pote (XXXII, 9-12, 33-34). On
ne devient joueur de lyre qu'en jouant de la lyre
(1).
La su-
bordination de l'apptit la raison, du corps l'me, ncessite
des efforts constants pour transformer notre nature. Les bonnes
et les mauvaises habitudes sont des habits dont on ne peut plus
se dvtir (C, 153-176, CXXI, 7). Les vices des peuples rsultent
eux aussi d'habitudes, et, si quelque homme
y
fait exception,
la rgle reste la mme. Une hirondelle n'annonce pas l't
(2)
:
Un oronell l'estiu no denuncia..
(CIV, 256).
La vertu est, de plus, un milieu entre deux extrmes. Pour
tre parfaite, une action doit atteindre la mesure convenable,
viter le trop et le trop peu. Cette proposition d'Aristote est
(1)
Eth. Nie, VI, 4, 1140 a, 6 sqq ; I, 6, 1098 a, 11.
(2)
Eth. Nie, I, 1098 a, 18.
DFINITIONS DE LA VERTU. LE SAGE 375
souvent invoque par Aiizias Maroh
(1).
En voici l'expression
la plus nette :
Car la virtut en lo mig loch se met
6 los estrems per vicis abandona...
(XXX, 31-32).
Ainsi le courage est un milieu entre la lchet et la tmrit
(XXX^ 17-32), la libralit entre l'avarice et la prodigalit
(CIV, 225-228).
Mais ce juste milieu est difficile dterminer. Il exige, pour
tre aperu, le concours de la volont et de l'intelligence :
E lo mig b no conexem,
per qu'es amagat en loch fosch,
e veig a tt hom esser losch
per a poder-lo divisar.
Hom pot b del mig disputar
;
entendre s pot, mas no sentir
;
no's conegut, mils se pot dir.
Abasta 1 nom tan solament
e que l'obrant sia volent.
Virtut lo cor mes que 1 cap vol.
Lo mig de la eos' ab que sol
obrar virtut que s diu moral
es punt tan sobtil que no
y
val
vista de home previst...
(CXXVni, 22-35).
On peut connatre la loi gnrale et ignorer le cas particulier
auquel elle s'applique. Cette diffrence entre la thorie et la
pratique est cause de bien des erreurs, suivant Auzias March
comme suivant Aristote
(2)
:
O quant son pochs qui de gnerai rgla
sapien f r als fets singulars rgles...
(CIV, 273-274).
Il exprime encore fiquemmeiiL celle ide de l'Ethique
(1)
XXXII, 26-28
;
LXXII, 13,15
;
CVII, 77
;
CXIII, 23.
{2)
Eth. Nic.Wn, 5, 1146 b, 35 sqq.
376 CHAP, VIII. POESIES MORALES ET RELIGIEUSES
Nicomaque
(1)
que le sage seul est la norme et le critrium de
la vertu
(2)
:
Qui jutjar si aquest b pot ser
sin aquell qui es tt virtus ?
(CVI, 189-190).
Lui seul peut prononcer des jugements en ce qui concerne
le bien et le mal, dit notre disciple d'Aristote, mais il ajoute, en
chrtien, c^u' Dieu seul il appartient de dcider en appel :
Eli es [la] rgla en tal fet :
a son juhi es hom constret,
e lo recs es sol a Deu...
(CXXVIII, 419-421).
Il
y
a chez le sage deux sortes de vertus, les vertus thiques
ou morales qui rsultent de l'empire exerc par notre raison
sur nos apptits et nos penchants (XXXII, 16
;
CXII,
189) et
les vertus intellectuelles ou contemplatives qui sont l'exercice
mme de notre conscience ou la sagesse.
On sait qu'au chapitre septime du livre II de VEthique
Nicomaque, Aristote numre les vertus morales. Presque
toutes celles qu'il distingue sont cites par Auzias March, quel-
ques-unes mme font l'objet principal de certaines posies. Le
courage est analys dans le sirvents Vengut es temps que sera
conegut
;
la libralit dans le pome CIV sur l'honneur mondain
(225-228)
;
la magnanimit dfinie (CVI, 477). Il tudie l'amour
de l'honneur et l'honneur sous leurs diverses formes, dans deux
pomes (CIV, 95-176, CVI passirn), la honte (XLI), l'indigna-
tion (XLII, CIV, 233). Quant la justice et l'amiti, il les
regarde comme des conditions importantes du bonheur.
L'homme de bien doit prendre plaisir et aimer accomplir
des actes de vertu. Tel n'est pas, suivant Auzias March, celui
qui se contente d'tre, aux yeux du monde, courageux, libral,
prudent et juste, et il nonce ainsi en un seul vers quatre des
qualits de l'honnte homme :
Ardit e franch, prudent, justicier...
(CVI, 49).
(1)
Eth. Nie, I.
(2)
Cf. CVI, 269-270, 280.
VERTUS THIQUES
377
Parmi les vertus morales, il en est une laquelle il attache
le plus haut prix, c'est le courage contre la mort. Dans cette
prfrence reparat le chevalier sous le commentateur d'Aris-
tote. Deux sirvents (XXX, LVII) et deux pomes moraux
{CVII, CXII) traitent ce sujet et prsentent un intressant
parallle entre la morale paenne et la morale chrtienne.

Les preux, dit-il en substance dans le premier des sirvents,
se rvlent les armes la main, et c'est en face de la mort que
l'on dcouvre le couard. Ni le lche ni le tmraire ne sont ver-
tueux : celui-l seul mrite ce titre qui sacrifie sa vie pour un
grand bien et dans l'intrt de tous. Le mpris du monde et
de la fortune est, avec l'obissance la loi, le meilleur moyen
de rester ferme devant la mort.

Dans le second, il oppose
Caton qui se donna la mort sous prtexte de prouver sa libert,
mais en ralit, son avis, par crainte de la servitude ou de la
honte
(1),
Jsus-Christ qui, sur la croix, triomphe de ses bour-
reaux par sa fermet, et il loue ceux qui sacrifient leur vie pr-
sente pour mriter la vie ternelle. Enfin les deux pomes, dont
l'un est une ptre Antoni Tallander, plus connu sous le nom
de Mossn Borra, bouffon d'Alphonse V, et l'autre une longue
invocation la Mort, exposent cette ide que le sage, dtach
ds ici-bas des plaisirs corporels, ne redoute pas la mort.
Cette peur que les sens ont de la mort et les raisons qu'on
fait valoir contre elle, tous les crits des anciens en sont
remplis. C'est pourquoi je ne dis pas les maux par lesquels
elle nous mine, ni les consolations (conforts) auxquelles l'homme
vertueux a recours dans ce cas. Je ne rapporte pas non plus
ce que j'ai lu dans Snque
(2)
et dans beaucoup d'autres
gestes (gestes), car il fortifie le cur de l'homme contre la
mort...
Yo no rcit ne coses per mi lestes
de Seneca e moites altr.es gestes,
que 1 cor de l'hom contra mort fortifica...
(CXII, 226-228).
(1)
Cf. Saint Thomas : Sed quandoque aliquis ex timor servitutis vel igno-
mini exponit se morti, sicut Augustinus in 1 de Civ. Dei, cap. 24, narrt de
Catone, qui, ut non incurreret Csaris servitutem, morti se tradidit. (S. Th.,,
11-11,125,2.
(2)
Presque dans tous les ouvrages de Snque et dans beaucoup de lettres
378 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
Ces ides dont se contentaient les anciens ne suffisent pas,
d'autant plus que le sage, de l'aveu mme d'Aristote
(1),
jouit
de plaisirs purs qui. lui font aimer la vie plus qu'aux autres :
Quai ser' aquell que la mort mes l'agreuje,
o qui'n virtuts morals volch son b mtre,
donant-li mes que 1 mon no pot prometre,
viure sens por, assegurat de greuje,
o qui'n dlits sensuals molt abunda,
ab altres molts honors grans e riqueses
mescladament ab dolors entorn meses,
d'hon torn atrs le qui molt s'i profunda ?
Yo prech a tots que m vullau d'affany traure :
a quai d'aquests la mort deu mes desplaure ?...
(CXII, 271-280).

A cette question notre pote n'hsite pas rpondre avec


Aristote :
Donchs, puix dlit major lo savi prenga
en son obrar, per conseguent en viure,
en major grau de dolor deu assiure
que 1 menys perdent e menys dlit atenga...
(CXII, 285-288).
C'est qu'en effet le sage qui met tout son Lien en lui-mme
voit, l'heure de la mort, tout son bien disparatre.
E qui dins si e per si actes obra,
vinent la mort, tt lo seu b vu perdre...
(CXII, 345-346).
Cette critique de la sagesse antique, faite du point de vue
chrtien, se termine, comme il est naturel, par cette affirma-
tion que seule l'esprance en Dieu et en l'a vie future peut nous
rassurer efficacement contre la mort (CXII, 349-31;)0).
st exprime l'ide du mpris de la mort. Mais il semble que ce soit se
Conaolaiiones (Consolatio ad Helviam, ad Marciam, ad Polybium) qu'Auzias
March fasse allusion, en juger par le mot conjorts du v. 225.
(1)
Eth. Nie, III, 12, 1117 b, 9. Cf. Saint Thomas, S. Th., III, 46,6.
VERTUS INTELLECTUELLES 379
Les vertus intellectuelles^ sagesse^ science et intelligence^ ne
sont pas longuement dcrites par Auzias March, mais opposes
plusieurs fois l'ignorance et la folie. Nous en avons cepen-
dant relev une dfinition prcise dans les vers 65-68 de la
pice C dj cits. Une autre allusion nous est offerte par le
vers :
L'honi que virtut ab sol entendre toca...
(CIV, 265).
Cette science nous fait connatre l'avenir, mais imparfaite-
ment, et soustrait notre vie la Fortune et au Hasard {For-
iuna
y
Cas, LXXXII,
8).
Nous lui devons aussi la dmonstra-
tion de l'existence de Dieu :
Esser un Deu l'enteniment ho mostra,
en lo restant es mester la f nostra...
(CXIII, 129-130).
Mais ces vertus peuvent exister sans vertu morale, car Tes-
prit peut connatre la vrit et en faire un mauvais usage.
Mieux vaudrait, en somme, la vertu morale, qui implique
d'ailleurs la prudence, que ces habitudes d'esprit tournes uni-
quement vers les hauteurs mtaphysiques. C'est ce savoir pur
qu'Aristote reproche Socrate d'avoir confondu avec la vertu.
Auzias March en fait aussi la critique, sur un ton familier, dans
son dernier Ensenhamen :
Car, per saber en gran eccs,
sens lo voler b arreglat,
tal hom [es] sabent e malvat.
E valgra mes que fos grocer,
car no aguera tant poder
d'exir en obra de malfet !
Saber indiferent se met,
car no termena l'om a b...
(CXXVIII, 674-681).
C'est le commentaire de cette ide d'Aristote que la science
peut tre mise indiffremment au service du hien ou du mal
(1).
(1)
Eth. Nie, V, 1, 1129 a, 11.
380 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
C'est encore VEthique Nicomaque qu'Auzias March em-
prunte sa thorie du vice. Puisque_, dit-il^ la vertu nous re-
commande au plaisir
et aux biens^ pourquoi la vertu nous d-
plat-elle, tandis que le vice nous charme ? La volont s'lance
vers le bien et le plaisir
;
rentendement ne demande qu' en-
tendre la vrit. Mais nous ne voulons pas goter cet aliment,
car il n'offre au dbut aucune saveur (C, 185-190). En d'au-
tres termes, comment l'homme qui connat positivement le
bien fait-il le mal ?
La volont, qui va au bien par un mouvement naturel (a h
y
a dlit salta), ne tend au mal que parce que la raison est dans
l'ignorance ou dans l'erreur. Voil pourquoi Auzias March
consacre l'ignorance et la faiblesse humaines tout le pome
CXI II : La ida' s. breu e l'art se mostra longa, o, aprs avoir
traduit le pfemier aphorisme d'Hippocrate, il s'inspire de
VEthique Nicomaque
(1),
comme l'avait dj fait saint Tho-
mas
(2),
pour rpondre la mme question.
Nous ne connaissons par notre entendement ni Dieu en lui-
mme
(3),
ni les choses dans leur individualit, ni nous-mmes.
Nous ignorons jusqu' notre me, sujet de notre connais-
sance
(4).
L'entendement est tellement domin par l'apptit
et la passion qu'il prend le faux pour le vrai et le mal pour le
bien :
Puys l'apetit a si l'entendre s porta
tant que lo ver en falsia li torna...
Afecci l'entendre desordena
;
tots som estrets ab aquesta cadena...
(CXIII, 91-92, 99-100).
Dieu lui-mme est pris d'un rire homrique la vue des
contradictions dans lesquelles s'agite l'homme :
Ja veig cstar a Deu pl de rialles,
vehent com som a nos mateixs contraris...
(CXIII, 171-172).
(1)
Eth. Nie, III, 1,1110 b, 27.
(2)
S. Th., I-II, 77, 2
(3)
Saint Thomas rpte aussi souvent que l'intelligence humaine est inca-
pable de saisir l'essence de Dieu (iS. Th., I, 12,1).
(4)
La connaissance de Dieu prcde aussi pour saint Thomas celle de
l'homme. La premire partie de la Somme traite de Dieu, la seconde de
l'homme.
LE VICE 381
Plusieurs vers bien frapps nous montrent l'homme voulant
le mal^ parce qu'il le prend pour le bien :
Lo mal volem, cuydant que b gran sia...
(CXIII,
175).
Par d'loquentes apostrophes et quelques images saisis-
santes_, le pote-philosophe met en relief la vanit de notre sa-
voir et de nos efforts. Qui peut connatre le sort que les Des-
tins assignent l'homme ? C'est un navigateur qui s'avance
la nuit, sans boussole ni carte, dpourvu de pilote, dans le
canal des Flandres
(1)
:
Qui pot saber que d'ell los Fats ordenen,
quant, com e bon finar los seus dies ?...

EU va de nit sens bruxola o carta,


menys de pilot, en la canal de Flandes...
(CXIII, 201-202
; 205-206).
Cependant il arrive parfois qu'on agit contrairement ce
que l'on sait. Auzias March explique encore cette anomalie,
la manire d'Aristote et de saint Thomas
(2),
par la distinction
de deux sciences de la conduite humaine, l'une universelle,
l'autre particulire. On sait bien que tel genre d'acte est mau-
vais
;
mais on ne sait pas, en fait, que tel acte particulier est
de ce genre. L'ignorance ou l'erreur porte sur l'espce particu-
lire ou sur le fait singulier. De l cet aveu :
Yo se lo b, mas fas lo mal,
perqu l'entench en gnerai,
no'n singular.
Lo mal he volgut praticar
;
sabut e sentit [1'] he molt clar,
y
el b'n confus...
^
(CXXVII, 352-357).
Mais comment abandonner de gat de c<rur le plaisir qui
(1)
La Manche, que les Anglais appellent encore Channel. On sait que
des marchands de France frtaient des navires catalans pour le voyage de
Flandre, (Desdevises du Dezert, dans Hist. gn., III,
500)^
(2)
S. Th., I-II, 77, 2.
382 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
accompagne le vice ? C'est une tche de nature nous faire
reculer que l'acquisition de la vertu contraire. Il faut pour cela,
non seulement comprendre le mal_, mais encore en souffrir, de
'faon que la douleur s'oppose au plaisir (CXXI, 57-88).
Nombreux sont les vices ou les pchs signals par notre
pote propos des vertus qu'il recommande ou dcrit. Certains
rappellent bien la peinture qu'Aristote avait faite des quatre
ges. C'est ainsi qu'il s'tonne de ce qu' son poque les jeunes
gens avares et cupides sont tenus en haute estime :
No's deshonrat per ser avar l'hom jove
e que passas Tantalus en cobea...
(CIV, 225-226).
Aux savants il oppose les ignorants, aux vertueux, sains
d'esprit, les fous, les mchants, ol ctaiJXot (Aristote), insani
(Stociens). L'ignorance, l'incontinence, l'intemprance, l'ava-
rice et l'orgueil nous sont dpeints (CVI, 289-352) avec des
traits pris au Stagirite.
Une de ses plus longues posies. Qui ne per si, nous prsente
un tableau nergique et hardi des vices de son temps, une satire
morale et sociale o, sous la forme facile des estramps, il re-
prend quelques-uns des thmes de Peire Cardenal. L se re-
trouve, plus encore qu'ailleurs, ce fonds de pessimisme commun
la plupart des troubadours et cju'on a fait remonter avec assez
de vraisemblance l'hrsie albigeoise
(1).
Il s'attaque d'abord aux prlats, aux papes et aux rois.
Personne, dit-il, ne remplit son office. Ne sais-je pas que les
prlats (Dieu pardonne mes soupons
!),
c[ue les papes et les
rois, jusqu'au fonctionnaire le plus infime, font ce cjui leur plat
et non pas ce qu'ils doivent ? Dieu qu'il faut aimer par inten-
tion premire est ador et honor de seconde intention
(2)
(CIV, 12-16).
Plus loin, voici quelques traits l'adresse des seigneurs : On
ne peut trouver c{u'en soi ou en Dieu la rcompense de la vertu,
a dit Auzias March. Le monde n'accorde que faux honneur ou
vaines richesses. Ici-bas, ajoute-t-il, n'ayant rien craindre
(1)
VossLER, op. cit., p.
3-4.
(2)
Ces expressions sont de saint Thomas (5.
Th., I-II,
1,6).
PRINCIPAUX VICES 383
de Dieii^ les hommes commetlent leurs forfaits. Aucun chti-
ment ne leur est visiblement inflig et dj les rois ne pu-
nissent plus les puissants, parce qu'ils ont besoin d'eux et
les redoutent quelque peu. De mme que le loup dvore la
brebis et le taureau norme pat en scurit les herbages, de
mme les rois excutent les pauvres et non ceux qui ont des
ongles (CIV, 49-56).
Ce qui le choque le plus, ce sont les passions honteuses, la
sodomie de certain chevalier, peut-tre du justicia Gimnez
Cerdn c|ue la reine Marie d'Aragon avait destitu pour ses
murs inavouables
(1)
:
Si l'hom hagus per leig fet vituperi,
que far' aquell cavalier sodomita,
havent prs grau d'eccellent Tiril home,
y
aquell jaqueix, volent costum de fembra ?
D'alguns sabem aquest pecat orrible ;
no veig senyal qu'honor los sia tolta...
(CIV, 169-174).
Les hommes se montrent beaucoup plus svres pour les
femmes, ajoute non sans malice notre auteur, bien que levir
nature soit pour elles une excuse.
Quelques strophes particulirement vigoureuses appellent
sur eux la maldiction du ciel. Par quel miracle Dieu se ven-
gera-t-il de tous ces hommes qui pchent contre nature ?
Quand se montrera-t-il pour punir sur cette terre les puissants,
les avares, les chevaliers qui commercent et les lches ? Tout
le monde flatte l'audacieux et lui cde le pas. Nul n'est son
rang, ni rois, ni sujets. Ce n'est point la raison qui ordonne
l'unix ers. Nul n'y prendra place s'il espre que le bon ordre
y
(1)
Voir Revista critica de hist.
y
lit., III, 35 et Revista de Archivas, aot et
sept. 1897.

Juan de Mena blme aussi


los maculados del crimen nefando
de humana razn en todo contrarios...
[Laher., CI),
384 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
rgne. Il en est de lui comme de la table de Proiise
(1)^
o l'on
ne voit point d'ordre, mais une ternelle confusion :
No contraf la taula de Perua
;
orde no
y
es, mas enor sempiterna...
(CIV, 247-248).
Ailleurs il compare aux pices de l'chiquier la populace
(pohls, CVI,
447^ sourde et muette en prsence de l'honnte
homme qu'elle n'apprcie point selon ses mrites, car elle place
le bien dans l'honneur et l'argent :
Poble yo dich a reys, peons e roch,
duch, cavalier, juriste, menestral,
havents per b l'openi gnerai
qu'en la honor e diners tt b toch...
(CVI, 449-452).
III
Dans la vie prsente, l'homme peut, par ses facults natu-
relles, participer au bonheur, soit en soumettant ses tendances
la raison, soit par l'exercice de son intelligence. Ce sont l
ses fins terrestres. Mais il a aussi, suivant Auzias March, une
fin surnaturelle qui consiste dans la vision de Dieu et laquelle
il ne peut pas arriver par ses seules forces et sans un secours
particulier venu d'en haut.
Aristote et saint Thomas ont t jusqu' prsent ses princi-
paux guides, tous les deux contribuant lui faire connatre
la vrit. Il va maintenant ne se trouver qu'en prsence de
l'Ange de l'Ecole. La raison fait silence
;
la parole est la foi.
Ce n'est pas que pour Aristote l'homme ne puisse pas se rap-
procher de Dieu, s'lever au-dessus des choses humaines et
(1)
Voir, sur cette allusion aux tables Eugubines, notre article de la Ro-
mania, XXXVI, 211.
LES VERTUS THOLOGALES
385
vivre en quelque sorte d'une vie divine et immortelle
(1).
Mais
cette immortalit est toute impersonnelle et Dieu reste ja-
mais inaccessible dans sa majest solitaire. Le vrai bonheur
pour le chrtien doit tre dans la possession mme de Dieu par
l'me tout entire. Aristote n'a donc fait qu'entrevoir la bati-
tude. Avec lui nous n'atteignons que le seuil du Paradis. Saint
Thomas, qui le complte sur ce point
(2)
comme sur tant d'au-
tres, va nous conduire au cur de la patrie cleste.
Le souverain bien (sohiran dlit, CXII,
56),
dit nettement
Auzias Mardi, la flicit qui rsulte de la possession des vertus
morales nous conduit prs du Ciel; elle ne nous
y
fait pas en-
trer, mais nous n'y entrons pas sans elle
:
Flicitt per propi nom li'n sobra,
e fa que nos prop lo Cel nos arrima,
no ns hi fa'ntrar, mas no
y
entram sens ella...
(CXII, 57-59).
La sagesse humaine, la vie philosophique qui peut tre
prise pour fin devient moyen par rapport la vie aposto-
lique ou religieuse :
Ax com lo qui s'aparella
a fer vida philosofal,
e vol puys l'apostolical,
perqu li apar pus alta
e d'aquest mon se desalta,
puys tant l'abelleix lo Cel,
de si mateix hach bon zel
y
en virtuts morals mes fi,
aprs gir lo seu cami
en celestial virtut...
(CXXVIII, 547-557).
Aux vertus morales conniies par les paens (CXII, 321-330)
et mme aux vertus intellectuelles sur lesquelles Auzias Mardi
n'insiste "pas particulirement et qui semblent consister sur-
tout dans la dmonstration rationnelle de l'existence de Dieu
(CXIII, 129),
il faut ajouter les vertus thologales, car c'est
(1)
Eth. Nic.;X, 7,
1177 b, 31 sqq.
(2)
S. Th., MI, 4, 2.
Am. PagIs.

Auzias Muicit.
25
386 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
Dieu qui est notre fin suprme, en vue de laquelle la vie ter-
restre n'est qu'un moyen :
Lo quai es fi e lo prsent es via...
(CXII, 405).
Pour atteindre cette fin surnaturelle nous avons besoin de
vertus surnaturelles, appeles aussi thologales, parce qu'elles
descendent de Dieu par l'intermdiaire de la grce. Elles seules
continuent pour ainsi dire l'uvre des vertus naturelles et
nous prparent la vue directe et la jouissance intime de
Dieu
(1).
Ces vertus sont la Foi, l'Esprance, et, au-dessus d'elles, la
Charit, l'amour de Dieu, source profonde de la perfection sur-
naturelle de l'me et qui subsistera seule dans le ciel (alli) :
F, Caritat
y
Esperana ns hi porten
(2),
mas F roman
y
Esperan'a la porta,
car la rah alli no les comporta.
Creure no cal o que Is ulls se deporten,
menys esperar o que prsent se mostra.
Mas fruyrem Deu qui tant esperavem
;
per caritat amarem qui amaveni.
Ao sera tota gloria nostra
EUa's la fi e les altres son via
;
sens ella's foll qui'n Deu espra
y
fia...
(CXII, 411-420).
Pour tre vraiment courageux en face de la mort, nous sa-
vons qu'il ne faut pas seulement la vertu morale, comme le
croyaient les Anciens, mais encore la vertu thologale :
Per esser l'hom contra mort anims,
l'es obs virtut teulogal e moral...
(CVII, 65-66).
(1)
Saint Thomas : Virtutes theologic sufficienter nos ordinant in finem
supernaturalem, secundum quamdam inchoationem, quantum scilicet ad
ipsum Deum immdiate
;
sed oportet quod per alias virtutes infusas perfi-
ciatur anima circa alias res, in ordine tamen ad Deum (S. Th., I-II, 63, 8).
(2)
Notons les rimes drivatives des quatre premiers vers de ctte strophe.
APPELS A MARIE. CHANSON SPIRITUELLE
387
La grce nous est ncessaire, si nous voulons accomplir les
prceptes de la loi divine^ aimer Dieu plus que nous-mmes et
par dessus toutes choses. Mais elle ne supprime pas entirement
notre libert. Il faut que Thomme coopre Toeuvre de sa des-
tine :
Graci' ateny aquell qui no atura
en la error sin tant com ignora...
(CVIII, 49-50).
Les vertus thologales et la grce nous amnent l'unique
posie religieuse proprement dite qu'ait crite Auzias March.
C'est une prire Dieu en estramps, qui commence par ces mots i
Puys que sens tu aigu a tu no hasta et qu'on a intitule, au
xvi" sicle, cantica, puis canto ou cant spiritual. Elle date de
la fin de sa vie. Le pote dit lui-mme qu'il a voulu la composer
avant sa mort,
ans que la Mort lo procs a mi cloga...
(CV,
11).
Mais d'autres pices, mme parmi celles de la premire
p-
riode, offrent un caractre religieux, tout au moins dans les
tornades o il invoque la Vierge (VIII, 41-44
;
CX, 41-44
;
CXX, 129-132), tantt pour qu'elle dtourne sur elle l'amour
qu'il prouve pour sa dame, tantt pour que son amie morte
puisse communiquer avec lui, le plus souvent afin
que Marie
soit son avocate auprs de Dieu. C'est elle qu'il demande la
Foi (CVII,
84). Il la supplie d'obtenir pour l'es pcheurs la mi-
sricorde divine. N'est-elle pas le plus gracieux trait d'union
entre la Terre et le Ciel ?
Mare de Deu, tu est aquell' escala
ab que 1 peccat lo Paradis escala...
(CXIII, 251-252).
Dans la pice Puys que sens lu il s'adresse Dieu lui-mme
pour qu'il lui accorde la grce l'heure de la mort. C'est le
morceau le plus inspir, le plus soutenu qui nous reste d'Anzias
March. Malgr l'emphase avec laquelle il exprime parfois sa
terreur de l'ternelle damnation, on sent une me rellement
388 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
aux prises avec le redoutable problme de la mort. C'est le
testament potique d'un disciple de saint Thomas.
Il implore la grce divine ;
mais^ pour la mriter^ il faudrait
des efforts dont il est incapable. Que Dieu l'aide quitter le
monde et changer sa nature corrompue par le pch !
Aide-moi, mon Dieu
;
mais ma prire est folle, car tu ne
secours que celui qui s'aide lui-mme. Mais tu ne saurais man-
quer ceux qui viennent toi, comme le prouvent tes bras
{grands ouverts). Que ferai-je, moi qui ne mrite point d'tre
aid, puisque je ne fais point, je l'avoue, tous les efforts pos-
sibles.

Pardonne-moi si je te parle en insens


;
mes paroles
proviennent de ma souffrance. J'ai peur de l'Enfer vers lequel
je fais route. Je veux rebrousser chemin et je ne change point
de direction. Mais il me souvient que tu rcompensas le bon
larron, et, autant qu'on peut le savoir, ses uvres ne s'y pr-
taient gure. Ton esprit souffle o il veut. Aucun homme
vivant ne sait ni comment ni pourquoi (CV, 19-32).
(c Aide-moi, mon Dieu, car sans toi je ne puis me mouvoir,
parce que mon corps est plus que paralys. Les mauvaises habi-
tudes sont en moi si invtres que la vertu n'a plus pour moi
qu'une saveur amre (CV, 49-52).
Aide-moi, mon Dieu, puisque tu vois en moi si grande
hte. Je suis au dsespoir si tu examines mes dmrites et je
suis inquiet de ce que ma vie se prolonge... (CV, 99-101).
Le pote traduit en des formules concises et vigoureuses sa
conception de la nature de Dieu et de la destine humaine :
Tu est la fi hon totes fins termenen
e no es fi, si en tu no termena.
Tu est lo b hon tt altre s mesura
e no es bo qui a tu, Deu, no sembla.
Al qui t complau tu aquell Deu nomenes...
(1)
(CV, 105-109).
(1)
Saint Thomas explique en quel sens le nom de Dieu peut tre attribu
aux cratures : Est nihilominus communicabile hoc nomen, Deus, non se-
cundum suam totam significationem, sed secundum aliquid ejus per quam-
dam similitudinem, ut dii dicantur qui participant aliquid divinuin per simi-
litudinem,
secundum illud Psalm. 81, 6 : Ego dixi, dii estis. Il semble bien
que ce soit cette parole du Psalmiste qu'Auzias fait allusion.
PRIRE A DIEU. LA GRACE 389
Lne comparaison approprie fait mieux comprendre com-
ment Dieu est la fin suprme :
Si coii los rius a la mar tots acorren,
axi les fins totes en tu s'en entren...
(CV, 133-134).
Ce qu'il rclame, c'est la charit. Il veut aimer Dieu et non
le craindre :
Puys te conech, esfora m que yo t'ame.
Vena Tamor a la por que yo t porte...
(CV, 135-136).
N avec de bons penchants, il a fauss sa nature. Que Dieu
l'aide la redresser ! Revenant sur les thmes qu'il a dj d-
velopps dans ses posies morales, il ne sollicite de Dieu ni les
biens de la nature, ni ceux de la Fortune, mais seulement cette
impulsion que le premier moteur communique toute crature
et d'o naissent les bonnes uvres (CV, 151).
Que Dieu descende en lui, comme il l'a fait pour de plus cou-
pables ! Sa foi vacille
, son esprance tremble .
Catholich so, mas la f no m'escalfa...
(CV, 185).
C'est que ses sens et son corps font obstacle son esprit.
Des doutes l'obsdent. Le problme de la prdestination et
de la prescience divines le tourmente, et il le pose avec la plus
grande fermet
(1)
:
Tu m'as cr pour que je sauve mon me et peut-tre sais-
tu dj qu'il en sera autrement. Dans ce cas, pourquoi donc
me crais-tu, puisc{ue la connaissance que tu as eue de mon sort
tait infaillible. Rends mon tre au nant, je t'en supplie, car
il vaut mieux pour moi que l'ternelle prison obscure. Je com-
prends que tu aies consenti dire de Judas qu'il aurait t bon
qu'il ne ft pas n homme
(2)
(CV, 193-200).
(1)
Saint Thomas, S. Th., I, 14,13.
(2)
Saint Math., Evang., XXVI, 24 : Va; autem homini illi per quem Fi-
lius hominis tradetur
;
bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille.
390 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
Il consent expier dans son corps sa grande erreur. Pourvu
que Dieu raffermisse en lui la Foi et TEsprance, la Charit ne
lui manquera pas.
Il attend avec impatience le jour o il versera les douces
larmes de contrition )), de parfait repentir. Pour le moment ce
ne sont que des larmes amres d'attrition
(1),
qui provien-
nent de la crainte du chtiment plus que de l'amour de Dieu.
Mais heureusement les unes prcdent les autres et
y
prpa-
rent :
Puys son cami e via per les altres.
(CV, 224).
Ainsi s'achve par une distinction subtile de la thologie,
mais sous laquelle se cache une esprance^ cette oraison ryth-
me, cette uvre de contrition
_,
comme dira plus tard Ro-
meu Lull. C'est une confession parfois touchante que nous fait
l'auteur de ses faiblesses. Elle nous meut et nous intresse plus
que ses dissertations froides et impersonnelles, purement didac-
tiques, sur l'amour ou sur le bonheur. C'est l seulement qu'il
est vraiment pote et manifeste quelque personnalit.
Les posies morales et la posie religieuse que nous venons
d'analyser se compltent. Les unes dfinissent le bonheur ter-
restre qu'elles font dpendre de l'exercice des facults hu-
maines
;
l'autre la batitude ternelle laquelle conduit la
pratique des vertus thologales. Elles offrent, non pas un trait
suivi de philosophie, mais les lments pars d'une morale ra-
tionnelle et d'une thologie rvle que nous avons rapprochs
et prsents dans un expos systmatique pour mieux en jnon-
(1)
La contrition est le regret d'avoir offens Dieu, l'attrition celui que
causent les pchs et surtout la crainte d'tre puni. C'est une contrition im-
parfaite. Saint Thomas (S. Th., III, suppl. 1, 2 et
3),
dit que la premire est
une crainte filiale, la seconde une crainte servile, et il dclare que l'attrition
conduit la contrition parfaite : Attritio dicit (ducit
?)
accessum ad perfec-
tam contritionem.
l'esprit chrtien et l'esprit paen 391
trer rorigine. La philosophie qui tenait dj une place impor-
tante dans les prcdentes uvres devient ici prpondrante.
Si, dans ses sirvents du dbut et dans sa satire sur l'honneur
mondain, il a t un pote moraliste, dveloppant des lieux
communs ou peignant avec quelque malveillance les murs de
son poque, ses pomes sur le Bien et le Bonheur sont d'un phi-
losophe moraliste, dsireux de rpandre, sous une forme versi-
fie et plus accessible aux profanes, les vrits de la science.
Cette science est essentiellement encore celle d'Aristote, dont
il est tellement imbu qu'il ne peut rien penser ni rien crire
qui n'ait une saveur pripatticienne. Son systme est le ratio-
nalisme d'Aristote mitig de Stocisme et subordonn la
thologie de saint Thomas.
Brunetto Latino et Dante avaient dj rsum en langue
vulgaire les mmes conceptions. Auzias March diffre d'eux
par un sentiment plus profond des difficults que soulve le
problme de la destine humaine. La proccupation du salut
prend chez lui, la veille de la Renaissance, un caractre plus
aigu.
Aristote avait conu la nature humaine comme double,,
compose d'un corps et d'une me troitement unis, mais qu'il
convient de subordonner l'un l'autre. Or, si, de l'aveu mme
du philosophe, l'homme est parfois impuissant raliser cette
fin, parce que le corps rsiste l'me, comme la matire la
forme, il n'en est pas moins vrai que le bonheur est la rcom-
pense pour ainsi dire ncessaire de la vertu, de tous ceux qui
cherchent dans la science un noble et agrable emploi de leur
pense. La vie selon la nature et suivant la raison est belle et
bonne. Il veut qu'elle soit pleine, acheve, panouie
(1).
La
vertu est avant tout harmonie, ordre et mesure. Toutes les
parties de notre tre doivent tre coordonnes et satisfaites.
Les Stociens dissocient les premiers cette admirable syn-
thse. Auzias March emprunte Snque quelques-unes de ses
ides sur le mpris des honneurs et des richesses. Avec lui il
s'efforce de se dtacher du monde pour vivre d'une vie toute
spirituelle et intrieure.
Mais Jsus vient son tour complter cette uvre de re-
noncement aux biens terrestres en plaant le bonheur, non dans
le royaume du monde, comme la morale hellnique, mais dans
(1)
L. Oll-Laprune, Essai sur la morale d'Aristote,
p.
312.
392 CHAP. VIII. POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
celui de Dieu. La nature est dcidment mauvaise en nous
comme hors de nous. Le chrtien doit souffrir dans son me et
dans son corps^ extirper de son tre tout ce qui peut Lempcher
de s'unir Dieu.
La tche de l'homme est devenue plus pnible et plus E^rdue.
Aussi les Pres de l'Eglise travaillent-ils rapprocher la philo-
sophie grecque et la doctrine chrtienne. Cette conciliation se
continue au Moyen ge et aboutit^ avec saint Thomas^ une
doctrine qui rintgre dans l'humanit toutes les manifesta-
tions de la vie k sous la loi de la religion
(1).
Mais^ vers la fin du Moyen ge, sous l'influence de l'antiquit
demi retrouve_, le trouble renat dans les mes. On en vient
se demander si le renoncement la vie extrieure et aux sens
est possible, si le pch n'est pas le fond de la nature humaine,
et c'est alors que la thorie de la grce par laquelle p'eut tre
rgnr et sanctifi le pcheur prend toute son importance.
C'est ce tourment que Luther prouvera au plus haut point et
qu'exprime dj Auzias March. C'est cette angoisse qui assom-
brit toute son uvre et nous la rend plus sympathique. Je
suis catholique, s'crie-t-il, mais la foi ne m'chauffe point,
refroidie qu'elle est par la froideur de mes sens... Une des deux
parties de mon tre, l'esprit, se
i)orte en toute hte vers le
Paradis, mais l'autre partie, mes sens, se cramponnant elle,
l'empche d'avancer (CV, 185-186, 189-190). Aussi fait-il des
appels ritrs la misricorde et la grce divines. Il dplore,
la manire de Pascal, l'impuissance de sa nature abandonne
elle-mme, l'insuffisance de ses lumires naturelles. Tout
attrist
de n'avoir pu raliser l'amour pur, ni du vivant, ni
aprs la mort de sa dame, il souffre encore des obstacles qui
s'opposent
son bonheur prsent et futur,
La flicit que lui avait promise l'auteur de YEthique Ni-
comaque, c'tait la vie terrestre dans sa plnitude et dans sa
perfection, avec les pures joies de l'amiti et la contemplation
de la pense en elle-mme. Le christianisme a troubl cet opti-
misme,
cet eudmonisme
confiant, en considrant l'esprit de
renoncement et de sacrifice comme la condition du vrai
bonheur et eh le faisant dpendre moins de l'homme que de
Dieu,
(1)
E. BouTROux, Questions de morale et d'ducation, Paris, 1895, in-12,
p.
30.
CHAPITRE IX
INFLUENCE D AUZIAS MARCH SUR LES LITTERATURES
CATALANE ET CASTILLANE
Nous avons parcouru les uvres d'Auzias March en nous
efforant d'en dvoiler les origines vritables et le sens profond.
De cet examen il nous reste cette impression qu'il fut essen-
tiellement un troubadour^ mais un troubadour philosophe en
qui se dveloppe^ mesure qu'il avance en ge^ un got de
plus en plus exclusif pour la posie didactique, morale et reli-
gieuse. Aristote et saint Thomas sont, avec les potes de la
Provence, ses matres principaux. C'est chez eux qu'il faut
chercher la clef de presque tovites ses nigmes. L'inspiration
de Dante et de Ptrarque n'a t qu'accessoire, et, s'il les a
connus, ce qui ne fait d'ailleurs aucun doute, il ne les a pas
vraiment imits. Il ne peut surtout pas tre appel un Ptrar-
quiste. On retrouve peine dans ses posies un ou deux traits
rellement emprunts au Canzoniere. Les autres ressemblances
tiennent ce que le pote italien et le pote catalan ont eu des
inodles communs.
Il est ncessaire de savoir maintenant quelle place il occupe
dans la littrature, et quelle influence il a eue sur ses contem-
porains et sur ses successeurs. Ont-ils suivi quelques-unes des
voies qu'il avait, sinon ouvertes, du moins considrablement
largies ?
Les potes de son temps semblent ne pas lui avoir mnag
les tmoignages de sympathie. Le marcjuis de Santillana lui
394
CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
rend^ la fin de sa vie^ un hommage qui Ta certainement flatt^
s'il a pu le connatre. D'autres lui sont venus d'ailleurs. Les
demandes en Catalogne_, les preguntas en Castille^ tablissent
entre les potes d'un mme pays ou des pays voisins^ des rela-
tions frquentes. A ces changes de politesses est d sans doute
l'emploi par Auzias March^ devenu vieux, des vers d'arte mayor
dans une courte demanda Johan Moreno :
Ab molta rah me desenamore...
(CXXIV,
1).
C'est la premire fois, semble-t-il, que ce mtre, dont useront
bientt les potes des deux langues dans les concours de Va-
lence, apparat .en Catalogne.

Mon matre et seigneur
,
lui
rpond, sur le mme rythme, son ancien cuyer, devenu tu-
diant.

Une nice du pape Calixte TII, Na Tecla de Borja,.
rpondant une autre question, dclare son tour qu'il est

le plus entendu des potes. Des crivains de l'Aragon et de


la Navarre prennent part, eux aussi, ces joutes littraires.
Le navarrais Francesch de Mescua avait dj t couronn
dans un concours de posie religieuse. Mossn Fenollar ayant
adress plus tard une demande Auzias March en ces termes :.
Vos, Magnfich, que sou molt avist,
l'aragonais Rodrigo Diez rpond de son ct cet logieux
cartel. On peut se demander enfin s'il
y
a eu quelques rapports
entre notre pote-philosophe et son concitoyen Jacme Roig, le
futur satiriste du Spill. Mais rien ne permet de l'affirmer, bien
que leurs uvres procdent du mme esprit d'dification et
constatent l'impossibilit de trouver, en dehors de la Vierge
Marie, la femme vraiment pure, celle qui est comme un lis au
milieu des pines, sicut lilium inter spinas
(1).
Nous ignorons ce que devinrent, aprs la mort d'Auzias
March, les deux cahiers de ses posies. Mais il est certain que
Francesch Ferrer, qui avait pris part, en 1444, la dfense de
Rhodes par les Franais et les Catalans unis contre les Turcs,,
fut un des premiers les utiliser. Le pote raconte, dans son
(1)
J. Roig, Spill, d. Chabs,
p.
33.
EN CATALOGNE AU XV^ SIECLE 395-
Conort
(1),
que, fatigu d'entendre plusieurs chevaliers clbrer
leurs dames, il a quitt le palais du Roi, Il s'est endormi dans
le plus profond dcouragement, lorsque ])lusieurs potes an-
ciens ou contemporains se prsentent lui et le consolent en
disant du mal des femmes. Le Roi le sait, fait emprisonner
ces mdisants
,
mais Boccace et Cerveri de Girona inter-
viennent et obtiennent leur grce. Parmi ces potes misogynes
figure Auzias March, qui vient naturellement rciter la strophe
la plus virulente de son malclit contre Na Monbohi :
Quant hoireu, Alcavota provada ! ..,
(XLII, 33-40).
Pre Torroella, majordome du prince de Viane, puis attach
la Cour de Jean II d'Aragon, a t le contemporain de l'au-
teur du Conort. L'un et l'autre se moquent d'un prtre apostat
qui prtendait faire le galant
(2).
Mais il est probable que Tor-
roella a survcu Fr. Ferrer, puisqu'il le cite dans une de ses
uvres
(3).
C'est une pice de noves rimades o, suivant le
procd mme de Fr. Ferrer, sont transcrites et commentes
les strophes de plusieurs troubadours provenaux, de trois
potes franais, Alain Chartier, Machaut et Oton de Granson,
d'un grand nombre de catalans parmi lesquels Auzias March et
Francesch Ferrer, et enfin de quelques castillans. Toutes ces
strophes dfinissent ou dcrivent l'amour et ses tourments..
Celle d'Auzias March est la premire de la chanson :
Alt e amor d'on gran desig s'engendra...
(III,
1).
Ces maux de l'amour ont ncessairement amen Pre Tor-
roella attaquer les femmes dans sa fameuse posie castillane^.
Quien bien amando persigue, une de celles qui ont eu, cette
poque, le plus de succs.
L'influence avoue pour la premire fois des potes franais
et castillans ne change rien aux thmes qui restent encore ceux
(1)
T. Amat, op. cit.,
p. 229.
(2)
Cane, de Zar., fol. 118.
(3)
Ihid., fol. 191 v.
396 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS RIARCH
des troubadours et d'Auzias Mardi. Mais l'expressiou de cer-
tains d'entre eux se rapproche trop de celle que lui avait donne
le pote valencien pour qu'on ne le considre pas comme une
des sources d'inspiration de Pre Torroella. C'est ainsi qu'il
reproduit^ par exemple, l'ide du plaisir de la souffrance
presque dans les mmes termes :
Dins ma dolor dlit se companyava,
yo no se com qu'Amor sap aquest' art.
(Canz. de Zar. fol. 177).
La citation d'une strophe d'Auzias March et ces ressem-
blances de fond et de forme sont-elles les seules preuves qu'on
puisse invoquer en faveur de la parent spirituelle des deux
potes ? Ici se pose un curieux problme d'histoire littraire.
Torres Amat, sur les indications de Tastu, avait attribu
Pre Torroella -deux pices du Canoner de Paris anonymes,
mais places entre deux de ses uvres authentiques. Or Mil
y
Fontanals
(1)
a remarqu qu'une de ces pices intitule
Complanta de la Mort est compose de morceaux d'Auzias
March
(fet
de trossos de Ausias March). Ce jugement, formul
en ces cjuelques mots et sans autres prcisions, n'a rien d'exa-
gr. On pourra s'en convaincre par la confrontation des deux
textes qui n'a jamais t faite, notre connaissance :
AuziAS March
XCIII
E, si totstemps en continuu no plor,
de mon recort aquella no m partesch,
ans vuU que 1 dol me leixque, si 1 jaquesch
76 mon sentiment vull que muyra, si mor.
Puix que dlit a ma dolor segueix,
ingrat ser, si ella no m'acost.
Tal sentiment de mal e b compost,
80 temps minva 1 mal e lo b tots jorns creix.
(1)
Resemja,
p.
166
;
Obras, III, 201.
UN PLAGIAT ANONYME
Un gran dlit en ma pensa s nodreix,
quant algun fet sens la mort d'ella pens.
Quant me percep, de dolor no m defens,
84 pensant que mort per tostemps nos parteix.
Aquest dlit la pensa 1 fa e 1 pert.
Foch es mon mal e mon b sembla fum
;
en aquest cas de somni t costum,
88 b sent durment e mal quant so despert.
Yo no puch dir que no sia dsert
de tt dlit, quant morta l'imagin.
De nii mateix m'espant, quant yo m'affin
92 pensant sa mort, e m par que no'n so cert.
Tal mudament he vist en temps tan breu
que 1 qui m volgu voler a mi no pot,
ne sent, ne vu, n'enten, si 1 dich mon vot
;
96 e tt es b, puix es obra de Deu.
A Tu, qui est mare
y
filla de Deu,
suplique molt, puis ell no m vol oyr
qu'en aquest mon s'arma pusca venir,
100 per que m'avis bon es l'estatge seu.
Voici maintenant les strophes attribues
Torrlla
COMPLANTA DE LA MORT
Yvo, car fill, continuu per tu plor,
e plorar, e d'aquell no m partesch.
No vull que 1 dol me leixque, si 1 jaquesch
;
4 mon sentiment vull que muyre, si mor.
Membre m de tu, la dolor no m perteix.
Ingrat ser, si a tu no m'acost
7 tal sentiment de mal e b compost.
Temps he mon mal e lo plor en mi creix.
La tu'amor en aquella repens.
Quant me percep, de dolor no m deffens
;
11 aquella mort da mi no s deperteix.
Aquest despler ma pensa 1 fa e 1 port.
Ffoch es mon mal e mon b semble fum;
14 en aquest cars de sompni t costum.
B sent turment, e mal, quant so despert.
Yvo, no dich que no sia dsert
de tt dlit quan te mort ymagin.
18 De mi mateix m'espant, quant yo m'afin
pensant ta mort, e m par que no son corl.
Tal mudament he vist en temps tan brcu
21 que I qui m volgu voler a mi no pol.
397
398 CHAP. IX.

I>iFLUENCE d'aUZIAS MAUCH
ToRNADA
Ne sent, ne m vu, n'enten, si li dich mot.
Arbitre m fall, d'on estich tt remot.
Ab tu fos yo qui fuhi pare teu !
25 Mes tt es b, pus es obra de Deu !
Endrea
Mare de Deu, humil verge Maria,
ab genoUs flechs prostrat, estes per terra,
merce t reclam he t suplich nit e dia
30 que l'enamicli no li puixa fer guerra.
Canoner de Paris (Bib. Nat. Esp. 225, fol. 57).
Si cette pice tait imputable Pre Torroella, il serait non
pas un imitateur d'Auzias March^ mais un plagiaire sans ver-
gogne. Heureusement tous les chansonniers connus jusqvi' pr-
sent s'accordent lui laisser l'anonymat
(1).
Il faut donc nous
rsigner ne voir dans ce pre qui, pour pleurer son fils, d-
marque peine les vers de notre auteur, qu'une victime obscure
cle la vanit littraire lui rendant encore hommage en le pillant.
Auzias March s'tait distingu de ses prcdesseurs par l'ap-
pareil scolastique dont il avait pour ainsi dire recouvert les
vieux thmes de la lyrique provenale et par un usage plus fr-
quent des vers blancs oii estramps.
Quelques-uns de ses successeurs immdiats, Barcelone et
Valence, suivirent ces exemples.
Maints potes du Canoner d'amor, tels que Figueres
(2),
chantent leurs dames dans un style plus digne d'tudiants en
thologie que de vritables amants. Notons aussi que leurs
devises se rapprochent parfois beaucoup de celles qu'Auzias
March donnait sa Thrse :
Mos liris blanchs, del mon reliquiari,
s'crie Blay Seselles (fol. 116).

Dona de seny ,
dit Roqua-
fort (fol. 135 v*^).
(( Archiu de seny ,
rplique Vallmanya
.(fol. 139 et 157 v) en parlant de la Vierge. Dans un parallle
(1)
Rei>. de bibliog. cat., I, 46.
(2)
T. Amat,
p.
251.
LES CONCOURS POTIQUES DE VALENCE 399
entre la femme honnte et la malhonnte^ P. Johan de Masdo-
velles crit encore :
Dona qui t plena de seny la testa...
(Fol. 133
yo).
Mais c'est dans la posie morale en vers libres ou rimes que
5e manifeste le plus leur rudition intempestive. En Dionis
Guiot, notere de Valence^ tale dans un loge du roi d'Ara-
gon
(1),
ses connaissances scientifiques et littraires. La na-
ture naturante
s'y rencontre avec les plantes, Cicron, Tite
Live, Vgce, etc. Mestre Ferrando Metge faisant ses dbuts
devant le Consistoire de Barcelone par une pice contre la
Fortune adverse )), cite lui aussi ses auteurs :
D'est' adversans alguns duptes engruna
lo gran Albert, en lo segon dels Fisichs.
Los prosseguints dels Infaels la Suna,
vells filosoffs e molts dels matefisichs
ffort be repren, pus ella, la quai pena
es temporal, de gran be privativa,
no n'ha res dit, ab tt qu'en tal fahena
es Deu prsent e causa perfectiva.
{Can. de Paris, B. N. Esp. 225, fol. 158).
La posie, on le voit, n'a rien gagn se faire plus scientifique
encore qu'avec Auzias March.
Ce n'est pas, il est vrai, l'unique caractre qu'elle prend la
fin du xv^ sicle. Si on continue dplorer les trahisons, les
desconexences des femmes, et vanter les charmes de l'amour
honnte en catalan, en espagnol et mme en italien, les pr-
frences des auteurs vont cependant la posie religieuse.
C'est surtout Valence que se concentre le mouvement
littraire. L sont organiss depuis longtemps des concours
de posie en l'honneur de la Vierge et des saints auxquels
prennent part Catalans et Castillans
(2).
On tait revenu, du
vivant mme d'Auzias March, aux traditions du Consistoire
(1)
Can- de Paris, B. N. Esp. 225, fol. 124.
(2)
Voir dans Ferrer y Bign, op. cit., la liste trop souvent grossie de ces
divers potes du xv^ sicle.
400 CHAP. IX, INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
de Toulouse. Un peu aprs sa mort, une demande adresse
par le frre Pre Marti'nez aux troubadours (als trobadors) de
Valence
(1),
nous rvle encore l'existence^ dans cette ville^
d'une vritable cole potic^vie analogue celle de Barcelone.
Les potes catalans et valenciens s'interrogent d'ailleurs les
uns les autres et s'efforcent de rsovxdre les mmes nigmes en
la sala de Valencia . Roquafort^ matre en thologie^ un des
mainteneurs de Barcelone^ et Francesch Ferrer rpondent
la question de Marti'nez.
Mais c'est en 1474 que le culte de Marie suscite un nombre
considrable de concurrents. Luis Despuig^ matre de Muntesa
et vice-roi du royaume de Valence_, promet celui qui louera
le mieux la Vierge, en n'importe quelle langue, une pice de
drap de velours suffisante pour un jupon . Quarante auteurs
se disputent le prix : tous sont reconnus dignes, mme les plus
mdiocres, des honneurs de l'impression dans un livre qui passe
pour avoir t le premier imprim en Espagne
(2).
Nous re-
trouvons l les vers d'arte mayor dont Auzias March nous a
offert le premier exemple en Catalogne. Les posies castillanes
y
voisinent avec les catalanes. C'est, comme l'a dit Ticknor
(3),
une preuve positive que le castillan commenait tre connu
et cultiv sur les bords de la Mditerrane . En 1482 et 1487,
les potes sont encore invits louer l'Immacule Conception,
en
1488, saint Christophe. Notons seulement la varit des
joyas de 1487, au nombre de quatre : une fleur (racine de Jess),
un rubis, une carte de navigation et une caisse de massepain.
On habillait le gagnant en 1474, on le nourrit quelques annes
plus tard. Toutes ces uvres sont construites sur le mme type
et rptent mmes ides et mmes expressions.

On
y
sent partout la froideur, la monotonie, aucun art, mais
beaucoup d'artifice. En se mettant ainsi uniquement au service
de la religion, sous la direction du bon abb Mossn Bernt
Fenollar, un disciple pourtant d'Auzias March, qui avait or-
ganis le certmen de 1474, la posie catalane se condamnait
elle-mme
une irrmdiable dchance.
(1)
Voir l'Introduction not. d. crit.
p. 38.
(2)
Voir Les Trohes en lahors de la Verge Maria, publ. par Fr. Marti Grajales.
(3)
Hist. de la lilt. espagnole (trad. Magnabal), I, 307.
ROMEU LULL
401
C'est aussi l'inipression que laisse la lecture du Jardinet
d'orats. Le titre mme de jardinet de fous indique suffisam-
ment qu'en 1486^ l'poque o fut compos ce recueil_, les so-
lennits potiques importes de Toulouse n'taient plus prises
au srieux. On raillait les plaisirs innocents que gotaient les
potes dans les jardins fleuris, dans les delitables orts
vants
par Auzias March.
Romeu Lvill
("ir
1484) est le principal de ces derniers trouba-
dours de la Catalogne. Pote facile, il subit, lui aussi, plus en-
core cjue Pre Torroella, l'ascendant d'Auzias March. Il suffit
de lire les premiers vers de ses chansons d'amour pour se con-
vaincre immdiatement que son admiration pour lui est alle
jusqu' l'imitation.
Fantasiant Amor a mi descobre...
(XVIII,
1).

Si'n algun temps me clam sens rah...


(CXX,
1).
avait dit le vieux pote valencien ds le dbut de deux posies,
dont l'une dcrit la nature et les effets de l'amour vrai et l'autre
fait allusion aux douleurs passes, qui sont pour lui des joies
en comparaison de ses maux prsents.
Le pote barcelonais reprend les mmes ides, en juger par
les titres et les premiers vers qui suivent
(1)
:
Cobles de Romeu Lull de bon proceheix amor
:
Fantesian molt sovint en Amor...

Obra de Romeu Lull. TrobauL-se fortunat en amor, loa e


comenda aquell :
Si'n na^un temps d'amor me so clamt...
J^ouant ailleurs, sur l'invitation du comte d'Oliva, la dame
Na Francina Rossa, il crit
(2)
:
Quant mes la mir trbe m los sentiments
;
noves laors tarden la mia ma...
(1)
MiLA, Resemja, 188
;
Obras, III, 227.
(2)
Jardinet d'Orals, pub.
p.
Fr. Pelay Briz, Barcelona, 1869, 4,
p.
51.
Am. Pages.

Auzias March. 20
402 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
Auzias March avait dit de Plena de Seny :
E vos loant no m trob la boc' amarga,
ne tart la ma com de vos vnll escriure...
(LI, 43-44).
Dans une autre pice, Si'n temps passai hagues hagut conexer^
Romeu Lull s'inspire, pour la premire strophe, du dbut de la
chanson VI d'Auzias March. Quant la troisime, elle offre les
vers suivants :
Si 1 temps perdut, lo millor que tnia,
Dones amant, oblidant mi mateix,
Hagus yo mes, com fa qui Deu serveix,
(
D'ellas fugint, dir pot qu'en bon punt neix),
Gloria gran l'anima 1 Sol hauria...
(Jard.,
p. 121).
C'est la reproduction d'un thme provenal qu'avait dj uti-
lis notre pote avec des expressions parfois assez voisines
(VII, 57-64).
Vengut es temps qu'en amor dar terme...,
ainsi commence une de ses chansons de mort, comme pour Au-
zias March un de ses sirvents.
Enfin,
1'
obre contrita en vers estramps, dont voici les pre-
miers vers :
De boc'a dens, prostrat, estich en terra
;
levar no m puch, si ajuda no m dones...
{Jard.,
p. 123),
est un abrg de la chanson religieuse ou spirituelle d'Auzias
March. Ce sont les mmes ides et parfois les mmes termes :
Ajude m, Deu
; no vuUes que mes perda
;
clam te merc qu'a penedir m'en dugues...
[Ihid.).
Comme son prdcesseur, il demande la grce et le repentir et
se reproche lui-mme sa tideur :
Gran dlit prench que m fassa tal requesta
;
Christi so, volria exercitar la.,.
(/fe.,p.l24).
AU XVI SICLE 403
Qti%>n rapproche ces vers de ceux que nous avons cits ou tra-
duits au chapitre prcdent, et l'on n'hsitera pas affirmer
que, si Romeu Lull est digne, comme le croyait Mil
(1),
d'tre
compar Auzias Mrch', c'est surtout parce qu'il en est un
cho, bien faible, il est vrai, et incomplet.
II
Avec le xvi^ sicle l'influence d'Auzias March va atteiadre
son apoge et s'tendre peu peu de la Catalogne la Castille
et jusqu'en Portugal.
A Barcelone, d'abord, Johan Bosch, plus connu sous son
nom castillan de Juan Boscn,peut bien abandonner sa langue
maternelle pour celle de la Cour, ses posies n'en contiennent
pas moins, comme nous le verroas, des lments emprunts
Auzias March, dont son ami Garcilaso et lui ont connu les
uvres bien avant leur publication.
A Valence, la langue castillane est dfinitivemet implante.
Le limousin n'est plus qu'un dialecte dont on se sert dans les
concours d posie religieuse. Encore faut-il noter dans ce genre'
le noiabre de plus en plus croissant de pices crites en cas-
tillan
(2).
La plupart des crivains se piquent de louer la Vierge
dans les deux langues. Seul, ou presque seul, Juan Fernndez de
Heredia
(-|-1549) (3)
compose en catalan des chansons erotiques
la manire d'Auzias March, al modo de las de Ausias March en
(1)
Resenya,
p.
189
;
Ohras, III, 228.
(2)
J. M. PuiG ToRRALVA
y
F. Mart Grajales, Estudio histrico-critico
de los poetofi valencianos de los siglos XVI, XVII
y
XVIII. Valencia, 1883,
petit in-4.
(.3) Ses oeuvres
as temporales como espirituales ont t iniprinies Va-
lence, chez Joan Mey, 1562, in-8. Cf. F. Cerda y Rico, Notas al canto de Turia,
d. 1802. [.. .328.
404 CHAP. IX. INFLUENCE d'aVZIAS MAHCH
lengua lemosina. Il l'a certainement imit, comme le prouve cette
strophe d'ailleurs indio;ne du modle :
Amor no s pot clamar de mi en res :
que no aja fet en mi quant ha pogut
en fer me torts, per on so conegut
per ell qui so, com ell per mi qui es ?
Yo comportant
y
ell fent, puix he fet mes,
guanye l'onor qu'ell per mi ha perdut.
Y axi s veura Testt d'on es caygut,
y
on so assumpt, soffrint sos desplaers.
Be crech qu'Amor, si en lo comte cayguera
de be tan gran, que nunca mal me fera.
(Ed. Valencia, 1562, fol. 143).
Mais, Valence et Barcelone, on se proccupe dsormais
d'imprimer ou de traduire les uvres d'Auzias March plutt
que de les imiter. C'est une autre manire de lui rendre hom-
mage.
Nous avons retrac ailleurs
(1)
l'histoire de cette publication.
Rappelons simplement que le valencien Baltasar de Romani a
fait connatre le premier, ds 1539, de nombreux extraits de ses
posies accompagns d'une traduction en vers castillans. Un des
protecteurs de Boscn, l'amiral de Naples, Fernando Folch de
Cardona les lit, et, saisi d'admiration, veut les connatre toutes.
Sur ses ordres, on recherche tout ce qu'a crit Auzias March.
Trois copies, dont une seule complte, en sont excutes de
1540 1543. Elles fournissent le texte de la premire dition
proprement dite parue Barcelone en 1543 et rimprime peu
aprs en 1545.
Valence ne veut pas rester en arrire dans la glorification
d'un de ses meilleurs crivains. Sur l'initiative de son bailli.
Luis Carroz de Vilaragut, on amende en 1546 les prcdentes
ditions, mais ce travail sans grande valeur reste heureusement
indit. Quelques parcelles en sont cependant recueillies par
Juan de Resa dans son dition pviblie en 1555 Valladodid,
au cur mme de la vieille Castille. En 1560, une nouvelle
dition parat Barcelone, toujours sous les avispices de Folch
de Cardona. Mais c'est la dernire qui ait vu le jour avant le
xix-^ sicle.
(1)
Introd. notre d. crit.,
pp.
55-78.
PERE SERAFi 405
Une fois r])andues un peu partout, ses uvres ne semblent
])lus offrir pour les Catalans le mme attrait. Ils les lisent, mais
ne lui demandent gure leurs motifs d'inspiration. A vrai dire,
ils le comprennent de moins en moins. On prouve le besoin de
le commenter, et c'est quoi s'emploie vers 1565 un savant pro-
fesseur de philosophie de 1 Lniversit de Barcelone, le chanoine
D. Luis Juan Vileta.
Pre Serafi et Jfian Pujol sont les deux potes catalans du
XVI sicle en qui la lecture de ses uvres ait laiss une im-
pression durable et manifeste.
Serafi, peintre et pote la fois, pour mieux ressembler sans
doute Michel-Ange, n'exprime pas seulement dans la premire
partie de son uvre
(1)
les lieux communs de l'amour conven-
tionnel : il
y
moralise aussi quelquefois en un style moins philo-
sophique, il est vrai, mais par contre, moins vigoureux que
celui d'Auzias March, Le reste est consacr des sujets presque
uniquement religieux. Cette division en posies erotiques et
spirituelles est un premier emprunt au pote valencien qu'il
avait lou dans un sonnet-prface l'dition de 1560. Il le loue
encore dans son propre recueil paru en 1565, et le place ct
de Dante et de Ptrarque :
Ausias March qu' Spanya tant prospra
nos ha mostrat per obres niolt eletes
que par a ells mereix portar corona...
(Son. XXI, Trs son latins,
p. 17).
Toute son ambition semble avoir consist parfois moder-
niser Auzias March, transposer pour ainsi dire en sonnets, qua-
trains et tercets, les chansons et les huitains du vieux pote.
Gantant del gran Poet' Ausias March
Quant dix d'amors ab destra fantasia.
(Puix l'astre cant.,
p. 42).
On le retrouve presque chaque ])age de son libre de A mors.
Le sonnet Vull comenar ah i'eu de amor quexosa rappelle nette-
ment les strophes de la chanson Qui no es Insl. Le troisime,
(1)
Obras poeticas, de Pre Serafi. Barcelona, Joseph Torner, 1840, in-4.
Quelques-unes ont t imprimes sous le titre de Canons de Pre Serafi .
Barcelona, La Ilustraci Catalana (s. d.), pet. in-4.
406 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
Ojan aquells que s^'er' amor los tira
(p.
S) fait penser la pice
Hoyu, hoyu lots los qui h amats. Un madrigal Fortuna m'a portt
en tal estrem
(p. 30),
un autre sonnet Ya
fuy
gran temps et sur-
tout la chanson en quatrains Pztr s'ostre cant, sont de vraies
mosaques d'ides et de vers d'Auzias. S'il pleure la mort d'une
dame {Obra en mort de una sehora,
p. 46),
il prend son devan-
cier le principal motif de ses chansons de mort. La stira a la
oontrarietat de les temporades Quant pens
y
mir als jets del
temps prsent reproduit au dbut les thmes et les expressions
mmes de la pice Qui ne per si d Auzias March, et, vers la fin,
sa thorie de l'amour bestial par opposition l'amoui' noble :
L'anior dels mes es inracional,
Que sols al cos procuran lo dlit,
Amor gentil tenen en gran despit
;
Son enfangats d'un amor bestial.
(P. 38).
De mme_, le capitol moral : Qui vol segur passar aquesta
i'f^/^ commence par abrger son Cant spiritual et s'achve par
quelques phrases de ses chansons d'amour.
Mais on ne retrouve pas chez Serafi la sombre tristesse o se
complat le pote de Valence. C'est une mlancolie plus douce,
qui n'a rien de tragique. Les mtres plus courts qu'il emploie,
l'exemple des castillans (l),cotttribtient Iwi enlever un peu de
sa gravit. Ce n'est plus la hanson provenale, c'est presque la
chansonnette. On sent mme dans telle ou telle de ses Canos
(De un dsesprt de amor .

Qui vol ohir la gesta...) l'in-
fluence des chansons populaires de l'Espagne. D'autres. modles
tels que Ptrarque et les potes italiens de la Renaissance l'am-
nent enfin faire une part plus grande, dans quelques-unes de
ses uvres, au sentiment del atiire, et^ si ses analyses psycho-
logiques sont ])lus superficielles que celles d'Auzias' March, elles
n'en ont pas du moins l'aridit.
.Joan Pujol a moins de grce. C'est un crivain un peu fruste.
Son pome pique sur Lpante supporte difficilement la lecture.
Il a eu toutefois le mrite de mieux comprendre Auzias March
|1)
Il tombe au&si dans la trivialit et le mauvais got du temps. C'est ainsi
qu'il dit
(p. 35) en parlant de sa femme :
Acompanyat b ma costeUa cara...
JOAN PUJOL 407
f[ue la plupart de ses contemporains. Frapp de Tinexactitude
des traducteurs castillans Romani et Montemayor^ il imagine
un songe^ Visio en somni. Auzias Mardi lui apparat et prononce
lui-mme contre eux un vrai rquisitoire. Joan Pujol a crit^
d'autre part^ un commentaire en vers de quekjues-unes de ses
strophes. Ses cinci
gloses dnotent chez ce prtre, imbu de
scolastique et de thologie, une interprtation gnralement
fidle de la pense du matre. Mais son style reste toujours plat
ovi banalement emphatique
(1).
Il n'y a plus de potes originaux en Catalogne la fin du
xvi^ sicle. On n'imite mme plus Auzias March. Deux maestri,
Pre Albert Vila et Joan Brudieu, se contentent de le mettre en
music{ue
(2).
Enfin, au dbut du xvii*^ sicle, un descendant du chevalier-
pote de Valence, Pedro Ausias March, de Cervera, crit en
l'honneur du bienheureux Ramon de Penyafort un sonnet
(3)
du plus mauvais got, o Neptune fraternise avec la Trinit

et, un peu plus tard, en 1615, le chanoine Gernim Ferrer de


Guissona chante la bienheureuse Thrse de Jsus sur les ry-
thmes dont Auzias Mardi s'tait servi pour sa Thrse
(4)
!
Avec Joan Pujol, et ces deux pitres versificateurs, prit dans
le prosasme et dans le manque de convenance la Muse Catalane
issue du Gay Saber. Ainsi prend fin, dans sa propre patrie, l'in-
fluence de celui cju'un autre catalan, Francesch Fontanella, con-
sidrera bientt comme le meilleur des anciens potes catalans
et comme le pre des modernes
(5)
:
Com a fenix dels antics,
Com a pare dels modems.
(1)
Voir Introduction notre d. critique,
pp.
103-111.
ff
(2)
Voir Felip Pedrell, Dos msichs cinchcentisles catalans, cantors d'Ausias
March (Anuari de l'Institut d'Estudis catalans, 1907, pp.
408-413).
(3)
T. Amat, op. cit.
p.
365.
(4)
Cant del canonje Gernim Ferrer de Guissona a la beata Mare Teresa de
Jsus a la imitaci
y
estil dels cants o octavas del antich catal Ausias March
fecundissim
y
lgant poeta . Voir la strophe qu'en cite Mil, Resenya, 192
;
Obras, III, 232.
(5)
Cit par D. A. Bastero, La crusca provenzale. Roma, 1724, in-fol.,p. 78.
408 CHAP. IX. INFLUENCE
d'aUZIAS MARCH
III
Boscn est le premier pote castillan qui ait pris Auzias Mardi
pour modle^ avant mme que l'imprimerie en ait multipli les
exemplaires.
Un de ses homonymes, probablement son pre,
avait, dans la seconde moiti du xv^ sicle, particip des ten-
sons avec les potes catalans de l'poque
(1)
et compos mme
deux danzas d'amour
(2). C'est par son intermdiaire que
Boscn dut avoir connaissance des posies d'Auzias March, tout
au moins de celles cju'avaient recueillies les chansonniers ex-
cuts
Barcelone la fin du xv^ sicle ou au commencement du
xvie.
On sait qu'en 1526 il rsolut, sur les conseils de l'ambas-
sadeur vnitien Andra Navagiero, qu'il avait rencontr Gre-
nade, de composer la manire des Italiens, al modo italiano. Son
ambition tait d'acclimater en Espagne, comme l'avaient dj
tent, mais sans succs, Micer Francisco Imprial, Juan de
Villalpando
et le marcjuis de Santillana, les genres et les mtres
Italiens,
surtout l'hendcasyllabe. Il insiste sur ce dernier point
dans sa lettre la duchesse de Soma par laquelle s'ouvre le
second livre de ses uvres. Les Provenaux que ses contempo-
rains lisent trop peu son avis, et, leur suite, Dante et P-
trarque,
ont employ ce rythme.
Des Provenaux, dit-il, sorti-
rent un grand nombre d'auteurs catalans du })lus grand mrite
{eccelenles).\:.e
meilleur d'entre eux est Auzias March, et, si je
me mettais
maintenant faire son loge, je ne serais pas prt
de revenir
mon sujet . Ce qu'il voit donc chez Auzias March,
ce n'est pas l'imitateur de Ptrarque, mais le continuateur des
Provenaux.
S'il l'imite, c'est surtout pour l'usage qu'il a fait
du
dcasyllabe
qu'il semble confondre entirement avec l'hen-
dcasyllabe
italien.
Que le troubadour catalan ait emprunte
(1)
Rev. de bibliog. cat., I, 20.
(2)
Cane, de Zar., fol. 271.
JUAN BOSCAN 409
quelques dtails au pote italien^ ce n'est pas pour lui dplaire^
mais il n'en souffle mot.
En fait^ Auzias March avait crit quelques pices de vers
llanos, de dcasyllabes fminins dont ]e mot final porte l'ac-
cent sur l'avant-dernire syllabe
(1).
C'est une des formes de
l'hendcasyllabe, celle o le premier hmistiche se termine
avec la quatrime syllabe toujours accentue. Boscn l'em-
ploiera frquemment^ mais n'ira pas jusqu' exclure de ses
sonnets ou de ses chansons toute riraie masculine^ comme l'avait
fait dans plusieurs de ses oeuvres, le pote catalan, sur le
modle de Dante et de Ptrarque. C'est aussi, croyons-nous,
l'exemple d'Auzias March et peut-tre mme de Romeu Lull,
autant que celui de Bernardo Tasso, qui a engag Boscn
crire en vers blancs son pome de Leandro
y
Hero : mais
cette initiative n'a pas eu grand succs en Espagne
(2).
Ses sonetos et ses canciones du second livre
(3)
qu'il oppose
aux redondiUas du premier prsentent d'autres preuves de son
admiration pour Auzias March.
On sait qu'en tte de ses manuscrits figure la chanson Axi
com cell qu'en lo somni s dlita. Plus que toutes les autres, elle
fut admire par Boscan, car il
y
puise le sujet de sept sonnets
diffrents.
Voici, pour cette pice, d'une part, l'indication des strophes
qu'il paraphrase dans l'ordre mme de l'original, et, d'autre
part, les premiers vers de chacune de ses gloses :
(1)
Voy. ci-dessus
p.
251 et l'Introd. not. d. ciit.
pp.
152 et suiv.
(2)
TiCKNOR, op. cit., II, 20.
(3)
Contrairement ce que soutient D. M. Menndez
y
Pelayo [Antologia^
XIII, 261), nous ne trouvons aucune trace d'Auzias March dans les premires
uvres de Boscn, ni dans Mar de Amor, ni dans sa Conversion. Tout ce qu'on
peut affirmer, c'est que cette dernire procde de la mme inspiration que la
Chanson Spirituelle du pote valencien.
'4(10 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
AuziAS March Boscan
l"str. Axicom cell qu'en lo somni Como aquel que en sonar gusto recibe..
s dlita.,.
(Son. LXVIII, d. Knapp,
p. 209).
Pensando en lapasado, de raedroso...
(Son. LXIX,
p. 209).
2* Al temps passt me trobe I Como el triste quexnuerte esta juzgado.,
granamor... ) (Son. LXXI, p. 210).
3 Plagus a Deu que mon pen- \ O si acabase mi pensar sus dias...
sar fos mort....
j
(Son. LXXII,
p. 211).
Dulce sonar
y
dulce congoxarme
(1)...
(Son.LXI, p. 205).
4^ Fora niillor ma dolor sofe- Si en mitad del dolor tener memoria...
rir... (Son. LXXXVI,
p. 218).
5 Com l'ermit qu'enyorament Soy como aquel que vive en el desierto.
no 1 creix... (Son. LXXXVI,
p. 212).
La seconde pice que lui offraient les manuscrits Pren m'en-
axi com al patr qu'en platja ne lui a fourni que. la matire du
sonnet :
Como el patron que en golfo navegando...
(Son. LXX, p. 210).
Un autre sonnet de Boscan commence par ces vers :
Oid, oid los hombres
y
las gentes
Vn caso nuevo que'n amar s'offrece :
Amor en mi con su deleyte cree,
Mientra mas maies tengo,
y
mas prsentes.
(Ed. 1543, Jol. 22).
C'est le mme mouvement, et, en partie aumoins^l^s mmes
expressions qu'offre le dbut de la chanson d'Auzias :
(1)
M. Menndez
y
Pelayo [Ibid., 306) voit dans ce sonnet une imitation du
sonnet 75 de Bembo, Sogfio che dolcemente m'hai furalo, qui n'a, suivant nous,
qu'un rapport lointain avec les ides exprimes par Boscn.
JUAN BOSCAN ET GARCILASO DE LA VEGA 411
Hoyu, hoyu, tots los qni b aniats,
e planyeu mi', si dech esser plangut...
(XIX, 1-2).
Nous trouvons encore (jnelqvies vestiges du lr()ul>adour ca-
talan dans les sonnets A u;ica de ainor et No es tiempo ya. Le
premier tercet de l'un et le second de l'autre rappellent sa fa-
meuse chanson Qui no es trist (v. 1-4, 43-44). D'autres sonnets,
Mas mientras mas (1^ et
2
tercets), Aunhien no
fiiy (2tercet),
Querelle me de \'os (2 quatrain), peuvent tre compars respec-
tivement aux vers VII, 37-40, XI, 1-8, et VII, 28-32.
Il doit aussi
au grand catalan, matre d'amour , comme il
l'appelait lui-mme,
al grande catalan, d'amor maestro...
Aosias March, que en su verso pudo lanto.
(Ed. 1543, fol.
154),
Ih distinction bien connue des trois amours
(1),
et, notamment,
la thorie de l'amour honnte corres|)ondant assez exactement
celle que Baldassre CasLi<i.lione avait expose dans son Co?"^e-
^lano
(2).
Lorsque son ami Garcilaso mourut, il crivit un sonnet l-
<iiaque o il exprime, comme Auzias March l'avait fait pour sa
dame, le dsir de le revoir :
Bien pienso yo que si poder tuvieras
De mudar algo lo que esta ordenado,
En tal caso de mi no te olvidras.
Que, quisieras honrar me con tu lado,
O, lo mnos, de mi te despidieras,
O, si esto no, despues por mi tornras.
(Son. XCII, p. 221).
Boscn a donc t, pour le fond, l)eau'oup plus encore que
(1)
Boscn l'exprime en ces vers :
Razon junt lo honesto
y
deleytable,
Y de cstos dos naci lo provechoso,
Mostrando bien de do engeudrado fu...
(Son. LXXVII, Otro i>iempo Ziore,;
p..
'213).
(2)
Le seul passage que j'en connaisse est cit par A. Coster {Fernando de
Tlerrera,
p. 124). Il
y
reprend la thorie de l'amour fond sur le plaisir telle que
l'avait dfinie Andr le Chapelain.
412 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
pour la forme^ tributaire d'Auzias Mardi. On ne voit d'ordinaire
en lui que Timportateur en Espagne de la littrature italienne.
Il est^ de plus^ notre avis^ la continuateur de l'cole limou-
sine , et, en mettant la mode^ parmi les potes espagnols, l'imi-
tation et les gloses d'Auzias March, il a tabli entre le vievix
pote catalan et la posie castillane moderne un trait d'union
incontestable.
Il est certain que c'est par Boscn que Garcilaso de la Vega a
connu Auzias March. Tout ne devait-il pas, suivant le prcepte
de la sagesse antique, tre commun entre amis aussi troite-
ment lis^ qui voulaient raliser l'amiti parfaite [el amistad per-
fta) (1)
? Les principaux diteurs des uvres de Garcilaso
(2)
ont relev la plupart des passages qu'il a imits du pote valen-
cien. En voici ufi autre qui parat leur avoir chapp :
Quien sufrir tan spera mudanza
Del bien al mal ? O corazon cansado !
Esfuerza en la miseiia de tu estado...
(Son. IV).
Auzias March avait dit :
Cor malastruch, enfastijat de viure...
com soferrs los mais qui t son davant...
Acuyta t donchs a la Mort que t'espra !...
(XI, 2, 4-5).
Mais Garcilaso ne procde pas comme Boscn dans ses imita-
tions. Ce n'est pas tant la substance de ses chansons qu'il em-
prunte au pote catalan que des traits isols, des images prises
en elles-mmes. Boscn commente le pote catalan; c'est un
esprit la suite. Garcilaso est plus original et ne demande
Auzias que quelques penses vives ou brillantes qu'il enchsse
dans ses sonnets comme des perles dans de vritables uvres
d'art.
Imites par les deux premiers poles castillans qui, au
xvi^ sicle, avaient rintroduit en Espagne les genres italiens,
les uvres compltes d'Auzias Mardi furent publies en mCme
(1)
Garcilaso de la Vega, Epist. a Boscn, v. 9.
(2)
Fr. Sanchez (Ofcras de... Garci Lasso de la Vega, Madrid, 1600, pet, in-i2]
pp.
78
yo,
81
yo,
83; F. de Herrera [Ohras de Gard Lasso... Sevilla, 1580,
in-40) p_ 196; Th. Tamayo de Vargas {Obras de Garcilaso, Madrid, 1622),
p.
9vo,14.
A LA COUR d'eSPAGNE 413
temps et par les mmes presses que les leurs. On. s'habitue ds
lors ne plvis sparer le pote catalan et les potes italiens. On
le compare Ptrarque et Dante avec lesquels il passe pour
avoir voulu rivaliser. On ne tarde pas le mettre mme au-des-
sus d'eux
(1).
C'est un auteur la mode. Un humaniste italien^
Lilio Gre;rorio Giraldi se fait^ ds 1548, l'cho de cet enthou-
siasme et, l'dition de 1545 tant dj puise, demande un
de ses amis d'Espagne une copie manuscrite de ses uvres
(2).
La Cour elle-mme partage cet engouement. Honorato Juan,
vque d'Osma, prcepteur du prince Don Carlos, explique les
beauts d'Auzias March son royal lve
(3).
Le cardinal de
Granvelle, archevque de Besanon, ministre de Philippe II,
en a toujours un exemplaire sur lui
(4).
On le commente dans
des lectures publiques
(5).
La traduction de Romani est rim-
prime en 1553, et ne fait qu'augmenter le nombre de ses admi-
rateurs
(6).
(1)
Hierony Figueres, en 1546, dans le prologue aunianuscrit qu'il a excut
pour le compte de L. Carroz de Vilaragut. Voir l'Introduction notre di-
tion,
p.
30.
(2)
Cf. l'Introd. notre d.,
pp.
19-20.
(3)
F. Cerda y Rico, op. cit., p.
283.
(4)
EscoLANo, op. cit., 1, 1, 14,
fol. 91.
(5)
Cf. Almudver : .... los Castellans han treballat de entendrel, fent lo
en achademies publiques llegir. (Prface au Procs de les Olives : cf. Notas al
canto de Turia, d. 1802, p. 424).
(6)
Nicolas Espinosa, dans la Segunda parte de Orlando (Saragosse, 1555,
in-40), se fait l'cho de cette admiration :
Mira el Romani como sostiene
Aosias March fundado en Limosino
Y la sobrada gloria que le viene
D'auer nos allanado aquel camino,
Trae al Mantuano,
y
le conuiene
Con la Spanola lengua,
y
su destino,
La obra le acortaua principiada,
Que fuera con razon celebrada.
Mira Honorato luan como s'estiende
Su tama, sii valor, su gentileza,
Y con l'ingenio raro en si comprende
Lo que mas escondio naturaleza.
Mira
'1
Ispcro Rey que del aprende,
luntando con Minerua fortaleza,
Valencia subira por este solo
A la sphera cleste del gran Polo.
[Cant. XV ; d. Anvers, 1557, p. 75v).
414 CHAP. IX.

ijxfl;tjence d'auzias march
Ses uvres sont rdites, en 1555, l'usage des Castillans.
C'est le chapelain mme du roi Philippe II qui s'en charge. Il ne
nglige rien pour le mettre la porte de ses compatriotes. Un
vocabulaire copieux, sinon toujours exact, est plac la suite
du texte
(1).
Un autre courtisan, le pote Jorge de Montemayor,
qui l'avait imit, ds 1542, dans sa Diana
(2),
le tradviit de nou-
veau en vers en 1560, et le prsente transform sous un lgant
habit l'espagnole. Sa version obtient un vif succs et est rim-
prime une premire fois ds 1562. Un esprit humoristiqvie,
Hiernimo Arbolanche, prtend bien en 1566 c[ue personne ne
compTend rien aux vers du pote, et que tout en eux drive de
Ptrarqu^e
(3).
Mais on ne fait gure attention ces propos jugs
sans importance. Le niatre de Cervantes, le grave Juan Lpez
de Hoyos, dclare mme que, de l'avis des plus fins lettrs,
Ptrarque a pris Atizias March un grand nombre de ses con-
(^
Voir rintrod- notre cL crit.,
pp.
67-74.
(2.)
La prose et les vers de ce roman pastoral, qui a t traduit en franais en
1578, et d'o est sortie, avec VAstre d'Honor d'Urf, toute la littrature pr-
cieuse du XVI i^ sicle, nous offrent des^souvenirs manifestes d'Auzias Marjch.
Citons, entre autres, cette paraphrase de la ppsie Axi com cell qui 'nlo somni
s dlita : Hay memoria mia (enemiga demi descanso) no os ocuparades mejor
en; hazerme oluidar desgastos prsentes, que en ponerme delante los ojos con-
tentes passades ?... (Los iefe h'6/os fie iaDjANA^-Valencia, 1602, pet. in-12,
p. 6). De mme, ces vers de Montemayor :
Tan fiiera voy de mi como el danante
que haze a qualquier son un mouimiento.
reproduisent cette comparaison d'Auzias March':
Si col danant segueix a l'esturieBA .
e mostra b haver pooh sentiment,
si per un temps danarostit bulht...
{Ibid.,
p. 9),
(VIII, 10-12)
(3)
Ni se hacer versos que ninguno entienda
Como Ausas Marc, en lengua lemosina
;
Que cosa suya no hay, que no descienda
De aquella vena de Petrarca fina
;
Que si l trata de Amor, de aquella suerte
El otro,
y
por lo mismo de la Muette.
(Gallaroo, En.sayo, I, 259).
DIEGO HUKTADO DE MENDOZA 415
cepts les plus dlicats
(1)
? En un mot, TEspaone tout entire
est sous le charme.
Pendant ce temps, les potes suivent l'exemple de Garcilaso
et de Boscii;. Diego Hurtado de Mendoza, dont une ptre figu-
rait dj dans la premire dition de leurs uvres, s'adonne
comme eux l'imitation de l'Italie et d'Auzias March. Il lui
arrive mme quelquefois de marcher svir les brises de ses de-
vanciers, de gloser dans de nouveaux sonnets les mmes pices
que Boscn et de retraduire comme Garcilaso certaines images
particulires leurmodle commun. C'est ainsi) qu'il commente
encore en trois sonnets la pice laquelle Boscn en avait dj
consacr sept, comme si le sens des strophes catalanes ne lui.
avait pas paru assez nettement lucid :
AuziAs March Diego Hurtado
DE Mendoza
1'^
str. Axicom cell qu'en lo somni Como el hombre que huelga de sonar...
s dlita... (Ed. Rivadneyra,
p. 82).
2 Al temps passt me trobe Como el triste que muerte es condenado-
gran amor... (Ed. Rivad.,
p. 82).
3 Plagus a Deu que mon pen- Si fuese muerto ya mi pensamiento.
sar fos mort... (Ed. Rivad, p. 83).
(1)
Dans l'Avis (Parecer) qui prcde la troisime dition de la trad. Monte-
mayor (1579). Cette lgende a t prise au srieux. Elle a.eu pendant prs de
deux sicles ses partisans et ses adversaires, contribuant certainement main-
tenir fixe sur le pote catalan l'attention du public. Gonalo de Argot r
MoLiNA (El Conde Lucanor, Sevilla, 1575,
in-4o,
p.
96vO)
y
croit entirement..
L'expression la plus ridicule en est donne, vers 1577, dans une posie de Fray
Toms Quixada, qui sert de prface au Pclegrino curioso, de Bartholom de
Villalba
y
Esta fia :
Tanbien lleua su buena sobardada
Don Gaspar [Corr. Baltasar) Romani -porque [ha] 'emprendido
traduzir conl, pluma mal cortada
Osias March divino, si lo ha habido
;
mas es copia muy tosca
y
muy pesada
la que nota [que] Petrarca habia seguidor;
la verdad es que l sigui Petrarca
y
de Ausias March es. todo cuaato abarca
[Soc. de bibliof. esp., Madrid, 1886,
in-8o,
t. I, p. 32).
416 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
Deux autres chansons d'Auzias March :
Colguen les gents ab alegria testes..
.
(XIII),
Ja de amor tebeu jams yo sia...
(LXVIl
se transforment^ avec Diego de Mendoza, en deux sonnets :
Cuando las gentes van todas buscando
(1)...
(Son. XLI, d. Madrid, 1877, in-S,
p. 28).
Tibio en amores no sea yo jams...
(Ed. Rivad,
p. 83),
C'est encore Auzias March qui a inspir une de ses stances :
Amor, amor, quien de tus glorias cura,
Busqu el aire
y
aprite lo en la mano
;
Conocer el placer cmo es liviano,
Y el pesar cmo es grave
y
cunto dura...
Enfin, il lui emprunte aussi quelques comparaisons, comme
l'avait dj fait Garcilaso.
Auzias March avait dit :
Amor, Amor, un habit m'e tallat
de vostre drap, vestint me l'esperit.
En lo vestir molt ample l'e sentit,
e fort estret, quant sobre mi's estt.
(LXXVII, 25-28).
Garcilaso reprend la mme pense en ces termes
(2)
:
Amor, Amor, un hbito he vestido
Del pano de tu tienda bien cortado :
Al vestir le halle ancho
y
holgado :
Pero despues estrecho
y
desabrido.
(Son. XXVII, 1-4).
(2)
Voir un autre texte du mme sonnet dans Gallardo, Ensayo, IV, 1279.
(1)
Ce sonnet est insr sous la rubrique Osias March dans un manuscrit,
Voir J. Mass Torrents, Manuscr. Catal. de la Bib. de S. M., Barcclona, 1888.
in-40, p. 33.
AUTRES IMITATEURS
417
Diego de Mendoza rpte son tour dans une cancin
(1)
:
Como una vestidura
Ancha
y
dulce al vestir,
y
la salida
Estrecha,
y
desabrida,
Ansi es Amor...
(Ed. Rivadeneyra,
p. 53).
D'autres potes de la mme cole, Hernando de Acuna et
Gutierre de Cetina, s'exercent eux aussi paraphraser quelques
couplets du pote catalan. Le sonnet du premier:
Como aquel que la muerte esta prsente...
(Ed. Madrid, P. Madrigal, 1591, fol.
102),
est un dveloppement de la strophe :
Si com aquell qui es veri douant...
(XXVII, 17-24).
Gutierre de Cetina offre matire des rapprochements plus
nombreux. La premire pice d'Auzias March, plusieurs fois
commente par Boscu et Diego de Mendoza_, ne lui a inspir
qu'un seul sonnet :
El triste recordar del bien pasado...
(Gallardo, Ensayo, II, 427).
Un autre sonnet :
Temor de mayor mal algunos suele...
[Ihid., 418).
est une traduction libre de la pice LVII : Por de pijor a molts
fa
pendre mort.
Mais ce n'est pas tout. Les premiers vers des sonnets :
Como enferme quien ya mcdico cierto...
El tiempo es tal que cualquier fiera agora...
(Gallardo, Ens., 11,412, 413).
(1)
Cite par Tamayo de Vargas, op. cit., p.
14.
Am. Pages.

Auzias March.
27
418
CHAP. IX. IIVFLUENCE d'auZIAS MARCH
annoncent des traductions des pices LIX et LXIV. Enfin un
de ses madrigaux Ay ! que contraste fiero
[Poetas se<^>illanos de los
s. XVI ij XVII, Paris,. 1867, in-12, p. 224),
est une imitation
certaine de la pice Clar es e molt a tots los amadors.
L'Ecole de Salamanque n'a pas nglig non plus le pote ca-
talan. Un passage de sa fameuse traduction commente du Can-
tique des Cantiques prouve que Fray Luis de Le on avait lu et
mdit ses chansons d'amour. FI dit, propos des versets 8 et 9
du cliap. II Vox dilecti mei, etc., que l'amour produit chez les
hommes des effets extraordinaires. Ceux qui ne l'ont pas
prouv ne peuvent pas
y
croire ou crient au miracle. Voil
pour([uoi les auteurs qui parlent de l'amour sont mal entendus
et passent pour des rveurs ou des extravagants. C'est pour-
quoi, ajoute-t-il, Un pote ancien et bien-aim de notre nation a
dit avec raison au dbut de ses chansons
(1)
:
No vea mis escritos quien no es triste,
6 quien no ha estado triste en tiempo alguno.
(Ed. Rivad.,
p,
258).
Ce sont assez exactement traduits les premiers vers de la
pice Qui no es trist par laquelle commenait le recueil des po-
sies compltes d'Auzias March au xvi^ sicle.
A Salamanque aussi, le clbre professeur de l'Universit,
Francisco Snchez de las Brozas, revoit en 1580 une traduction
en vers de l'aragonais Juan Cristbal Calvete de Estrella, mais
ne tarde pas
y
renoncer. Il nous est rest cependant quelques
strophes de sa version
(2)
: elle sui d'assez prs le texte, malgr
le soin avec lequel il l'a rime.
Enfin, le principal reprsentant de l'Ecole Svillane, Fer-
nando de Herrera, s'inspire encore frquemment des chansons
d'Auzias March dans ses uvres d'amour. Ptrarque est une
de ses clefs, a dit M. A. Morel-Fatio
(3)
;
March est l'autre.

Jugement dont la parfaite exactitud'C me parat dmontre ds
le premier sonnet du pote de Sville. Il
y
combine pour ainsi
(1)
Cette allusion m'a t indique par M. A. Morel-Fatio.
(2)
Rei'. de Archwos, III
(1899), p. 366. Cf. l'Introd. not. d. crit.
p.
100.
(3)
Fernando de Herrera, L'hymne sur Lpante, publi et comment par
A. Morel-Fatio, Paris, 1893,
in-4o,
p.
14.
FERNANDO DE HERRERA
419
dire en une synthse en apparence indissoluble des lments
emprunts^ les uns au dbut du Canzoniere, les autres la
chanson d'Auzias March cite par Fray Luis de Len. Comme
Ptrarque, d'abord, il dplore la vaine erreur
, l'garement
de
son premier amour soumis la tyrannie des sens
;
comme Au-
zias March, il conseille ensuite ceux qui ne connaissent
point
les tristesses de Tamour de ne point couter ses lamentations :
Quien sabe, i v
'1
rigor de su tormento
;
si alcana sus hazanas en mi llanto,
muestre alegre semblante mi memoria.
Quien no, huya, no escuche mi lamento;
que para libres aimas no es el canto
de quien sus danos cuenta por vitoria.
(Ed.Sevilla,1619,4o,p.l).
Quant l'obscurit et la tristesse qui assombrissent
comme un voile toutes ses posies, c'est Ptrarque
quien a tiss
la trame, mais Auzias March l'a complique par son inextri-
cable srie de douleurs agrables, de plaisirs douloureux et de
dsespoirs mls d'esprance.
Aprs Herrera, la fin du xvi- sicle,et, pendant la premire
moiti du xvii, quelques potes connaissent encore Auzias
March, mais sans qu'il laisse dans leurs uvres des traces bien
marques de son influence. Lope de Vega, qui semble avoir
donn parfois dans les subtilits du conceptisme
(1)
et gotait
peut-tre pour cette raison notre pote, loue en tout cas la chas-
tet de ses vers
(2),
Quevedo, le plus brillant des crivains de
cette cole, va mme, suivant une tradition fort vraisemblable,
jusqu' traduire quelques-unes de ses strophes
(3).
Mais on ne
s'efforce plus comme autrefois de lui drober quelque compa-
raison ou quelque mtaphore. Luis Tribaldos de Toledo a beau
prtendre prouver par des arguments nouveairx qu'il a vcu du
temps de Jacme I^^^ le Conqurant, c'est--dire bien avant P-
(1)
TicHNOR, op. cit., ll, 57.
(2)
Castisimos son aquello versos que escribi Ausas March en lengua le-
mosina, qpie tan mal
y
sin entenderlos Montemayor traduj. Cit par Qua-
drado, op. cit., p. 267.
(3)
Voir rintrod. notre d. crit.,
pp.
59 et 101.
420 CHAP. IX. INFLUENCE d'aUZIAS MARCH
trarque. Cette thse hardie ne rveille pas l'attention du pu-
blic. Seul^ un pote latin d'une rare fcondit^ Vicente Ma-
riner
(1)^
y
voit une raison de plus de se livrer son passe-temps
favori et traduit Auzias Mardi tout entier en distiques lgants,
mais peu fidles. Des ecclsiastiques le commentent^ attirs sur-
tout par le caractre scolastique et moralisateur de ses posies.
Mais ni le texte^ partir de 1560^ ni les anciennes versions^
partir de 1579, ne sont rimprims.
Un pote portugais, Manoel de Faria
y
Sousa (1590-1649),
qui crit, il est vrai, le plus souvent en castillan, le place encore,
pour la posie amoureuse, au-dessus de Garcilaso, de Camoens
et de Ptrarque
(2),
et il l'imite aussi quelque peu
(3).
Mais, avec la seconde moiti du xvii^ sicle, il n'exerce plus
aucune autorit sur les esprits. Il n'est plus dsormais que le
rgal des rudits, et l'on n'crit plus sur lui que des articles bio-
graphiques ou bibliographiques.
Introduit en Castille par les premiers italianisants du
xvi<^ sicle, recherch ensuite parce qu'il avait t, suivant les
uns, le modle, suivant les autres, l'imitateur de Ptrarque,
Auzias Mardi perd du terrain au moment mme oi la posie
lyrique est gagne dfinitivement au Ptrarquisme. Il ne bnficie
pas de la victoire laquelle il a pourtant contribu, de Boscn
Herrera.
C'est la dfaveur en Castille, tout comme un peu auparavant
en Catalogne, dans sa seconde comme dans sa premire patrie.
Elle tient des causes gnrales. C'est d'abord le discrdit o
est tombe la littrature chevaleresque. Cervantes, en raillant
les livres de chevalerie, a ruin la croyance en l'amour pur.
(1)
Opra omnia, Turnoni, 1633, in-8,
p. 512.
(2)
Fuente de Aganipe, Madrid, 1644-46, t. I, Advertencias ...,

3. Cf. Ibid,
Discurso acerca de los versos ...,

6.

M. Menndez
y
Pelayo a cit de lui
dans son Antologia (XIII, 297) un autre loge o il appelle Auzias la gala
de los poetas amorosos .
(3)
C'est du moins ce qu'assure Juan Antonio Mayans, dans une lettre
Cerd
y
Rico, du 27 mai 1780, dont le regrett J. Serrano
y
Morales nous a
communiqu les lignes suivantes : Se honr con traducir Ausias March,
Faria en la
2'^^
parte de Aganipe, pag. 34, c.
2,
pag. 63 (sic). rsous n'avons
pas pu contrler cette affirmation, mais Gallardo, Jnsayo, II, 994, a publi
un sonnet Bien piiede amov hacer lo que quisiere qui la rend fort vraisemblable.^
CAUSES DE SON DISCREDIT ^1
Batrix est devenue Dulcine )>, a dit Victor Hugo
(1).
Le che-
valier Auzias doutait dj des vertus de sa Thrse. Les lecteurs
de Don Quichotte n'y croient plus
(2).
D'autre part^ la dcadence de la scolastique^ commence la
.fin du xv^ sicle avec la Renaissance
(3),
ne devient manifeste
qu'au dbut du xvii sicle. On conteste l'autorit d'Aristote.
Il est hors de doute qu'Auzias March, le profond philosophe
,
chez qvii les lecteurs du xvi^ sicle aimaient lire l'expos po-
pulaire des doctrines en vogue, devait perdre de son prestige, au
fur et mesure qu'elles taient abandonnes.
Des causes plus particulires chacun des deux royaumes,
runis l'un l'autre par Ferdinand le Catholique, interviennent
aussi.
En Catalogne, on crit de moins en moins clans la langue ma-
ternelle, et les uvres de cette poque rvlent, quand on les
examine de prs, l'invasion de murs et d'expressions nouvelles.
Les potes anciens, avec les finesses de leur langue littraire ou
limousine , sont peu compris. Auzias Mardi devient tranger
son propre pays.
En Castille, les sympathies C[u'avait excites Boscn dimi-
nuent mesure que la langue nationale s'affine et prend une
tournure plus gracieuse et plus souple. Herrera le qualifie lui-
mme, non sans quelque ddain, d'tranger par la langue {es-
trangero de la leiigua)
(4),
tout en voulant le disculper. Un
reproche semblable pouvait tre fait, plus forte raison,
Auzias March, qui avait crit dans une langue plus rude encore,
alourdie par des comparaisons mal incorpores la pense et
la phrase, seme d'expressions vulgaires et parfois triviales. Cela
ne manqua pas. Sa langue est inculte
(5)
finit par dire l'his-
torien Mariana, refltant sans aucun doute le jugement port
(1)
Philosophie, II, William Shakespeare, Paris, 1882, in-8, p. 85.
(2)
On sait qu'aprs la publication de Don Quichotte les livres de chevalerie
ne furent presque plus rimprims en Espagne. Voir E. Babet, op. cit., p. 359.
(3)
A. BoNiLLA Y San Martin, Luis Vipes
y
la jilosofia del Renacimiento,
Madrid, 1903, in-S,
p. 565.
(4)
Obras de Garcilasso de la Vega con anotaciones de F. de Herrera, Sevilla,
1580, in-40,
p. 78. Cf. A. CosTER, op. cit.,
p.
276.
(5)
Sermo incomplus, acutus tamen, multis quesententiarum et ingenii lumi'
nibus illustris (De rbus hispani, lib. XXIII, cap. III),
422 CH.4P. IX. INFLUENCE D AUZIAS MARCH
sur le pote catalan par tous les lettrs contemporains dsireux
de doter l'Espagne d'un langage et d'un style aussi lgants et
aussi relevs que ceux de l'Italie.
L'admiration dont Auzias March avait t l'objet pendant
plus d'un sicle fait place dsormais un oubli immrit. Il
n'en sortira qu'au moment o ses principaux matres, les
troubadours^ auront attir de nouveau l'attention du puMic,
l'poque du romantisme.
CONCLUSION
L'u\Te d'Auzias March est la plus importante, la plus com-
plte et la plus fconde qu'ait produite la posie catalane issue
de l'Ecole toulousaine.
Nous avons pens que le seul moyen de le connatre et de
l'apprcier tait de le replacer dans sa famille ci\ ile et litt-
raire, de remonter aussi loin que possible dans l'tude de ses-
origines paternelles et de ses sources intellectuelles.
Sa biographie et celle de ses prdcesseurs s'imposaient d'au-
tant plus qu'il a t comme le dernier anneau d'une chane
d'hommes qui ont tous jou un rle marquant dans l'histoire
politique ou potique de leur pays. Certaines traditions s'taient
depuis longtemps implantes chez ses anctres qui, s'ajoutant
l'hrdit, constituaient des influences auxquelles il lui tait
difficile de se soustraire. 11 suffit de jeter les yeux sur cette
longue suite d'-ascendants ou de collatraux chevaliers ou eccl-
siastiques lettrs, comprenant les Pre, les Jacme, les Berenguer
et les .Amau March, pour reconnatre qu'il a t vraiment levir
hritier et a prouv le dsir et presque le besoin de leur ressem-
bler, non seulement comme homme, mais encore comme cri-
vain.
Soldat d'vm grand courage comme la plupart de ses parents,
Auzias March a combattu avec l'infant Pierre pourle roi d'Aragon,
contre les Gnois et les Cherguiotes pour la suprmatie catalane
dans la Mditerrane. Seigneur de Beniarj, fauconnier d'Al-
phonse V durant quelques annes, il a gr son domaine et IcC
vnerie royale avec l'activit que Pre March avait mise au ser-
vice du marquis de Villena, premier duc de Gandie. Autant
qu'on peut en juger travers des actes notaris et des pices de
]rocdure, il a t un administrateur zl et mthodique. Il est
fier surtout du nom qu'il porte, heureux de s'asseoir sur les
424 CONCLUSION
plus hauts bancs dans les Corts auxquelles il prend part^ jaloux
enfin de ses prrogatives politiques ou seigneuriales.
Ces traits de caractre sont comme les lments que sa race a
dposs en lui. Ses aeux, chevaliers attachs la personne des
rois d'Aragon ou des ducs royaux
, dominent encore son exis-
tence politique.
Sa vie prive ne rpond pas sa vie publique. Il tait d'un
naturel facile s'mouvoir, d'une complexion amoureuse dont
il s'est vant lui-mme. Quoique mari, il a eu des matresses
moins intellectuelles et moins chastes que Pleine de sens ou Lis
entre chardons. Plusieurs de ses uvres en font foi. Mais d'autres
aventures moins potiques encore, des liaisons ancillaires qu'il
a avoues in extremis, prouvent qu'il a ressenti toutes les mo-
tions de l'amour," mme les plus vulgaires.
Il a donc parl de ce sentiment en pleine connaissance de
cause, et cela peut contribuer sauvegarder quelque peu son
originalit de pote erotique.
Parmi ses anctres, certains avaient contribu rallumer en
Catalogne le flambeau de la posie provenale aprs Cerveri de
Girona. Il n'est pas certain que Mossen Bortholmieu Marc, ad-
joint Guilhem Molinier pour la rdaction des Leys d'amors,
ait appartenu sa famille et servi d'intermdiaire entre les
potes de Toulouse et ceux de Barcelone. Mais nous savons
combien Jacme et Pre March, son oncle et son pre, ont con-
tribu propager, au sud des Pyrnes, l'influence de la littra-
ture franaise et provenale et les rgles de la nouvelle cole.
Les rois d'Aragon et leurs parents, les comtes de Ribagora, cul-
tivent ou aiment tout au moins les lettres. Tout ce qui vient de
France continue avoir pour eux et pour leur entourage un
parfum incomparable de grce et de distinction.
Jacme March tient une place prpondrante dans cette re-
naissance potique. Un des premiers, il imite ds 1365 dans des
contes rimes, dans des noi>es rimades, crites la manire des
lais bretons, les romans de la Table Ronde. Les dbats, quelques
sirvents moraux et des chansons d'amour nous ramnent la
Provence. Autant ses nouvelles sont faciles lire, de style
simple, presque populaire et de premier jet, autant ses autres
uvres dnotent la recherche savante, les efforts, souvent heu-
reux, dans le choix et dans l'agencement des rimes. La France du
Midi, avec son art subtil et raffin, l'emporte en fin de compte
LES PREDECESSEURS D AUZIAS MARCH 425
sur la France du Nord. On le voit bien dans son Dictionnaire de
rimes
oi les rgles svres et rigoureuses des troubadours sont
docilement acceptes.
Mmes inspirations et mmes genres chez Pre March. Lui
aussi est un pote de veine fluide dans ses nouvelles rimes-.
Mais ses autres posies, amoureuses ou morales, quoique plus
travailles, gardent encore un peu de leur aisance et de leur
clart. C'est surtout un pote moraliste, naturel et vigoureux
la fois, qui sait exprimer en des traits incisifs et nerveux des
lieux communs de morale gnrale, des sentences bien faites
pour se graver dans la mmoire.
Ces potes chevaliers suivent dj quelques-uns des procds
de l'Ecole de Toulouse. Sans doute, leurs cobles sont pour la
plupart conformes aux rgles nonces dans les Leys d'amors.
Mais ils empruntent en fait aux anciens troubadours des xii^ et
xiii^ sicles une partie de leurs thmes. Ils continuent louer
la beaut et les mrites de leurs dames, se plaindre de leur
froideur, et clbrer les vertus moralisatrices de l'amour. Ils
prtendent surtout rendre la morale accessible et agrable
tous, comme l'avaient fait d'ailleurs maints provenaux, mais
ce n'est ni la morale scolastique, ni encore moins la morale reli-
gieuse. Aprs l'amour courtois, leur religion principale est l'hon-
neur et la gloire, la morale de la chevalerie ou des honntes
gens , comme on dira au xvii sicle, qui se subordonne la
rgle chrtienne sans se confondre avec elle.
Ce fut au chevalier Jacme March et un bourgeois de Barce-
lone, Lluis d'Avers, que le roi Jean I^^" confia, en 1393,
le soin
de crer dans la capitale de la Catalogne une Acadmie analogue
celle de Toulouse. Certains potes catalans la considraient
comme ncessaire, si l'on en juge par les envois qu'ils avaient
faits, en de des Pyrnes, au premier consistoire du Gay saher.
On en adopte les crmonies et les principaux statuts. La posie
n'est pas seulement encourage pour ses effets civilisateurs :
elle doit servir surtout la glorification de la Vierge. Mais, soit
que la mort des premiers mainteneurs ait dsorganis l'insti-
tution peine ne, soit plutt, comme nous l'avons vu, que les
conseillers de Barcelone n'aient pas voulu en faire les frais, elle
ne semble pas avoir persist longtemps.
Une seconde tentative est faite en 1414 par Henri de Villeua,
426 CONCLUSION
Elle n'a pas donn de rsultats plus durables. Aprs lui, les
potes se runissent de temps en temps, Barcelone et Va-
lence, dans des jardins analogues ceux de Toulouse, proposent
des prix, formulent des questions auxquelles il faut rpondre
pQti<juement
;
mais il n'y a pas, durant la premire moiti du
XT^ sicle, d'Acadjiie proprement dite, d'organisation vrai-
ment officielle. Nous possdons le recueil des posies couronnes
Toulouse. Aucun recueil du mme genre n'existe pour la Cata-
logne. Les Canoners qui nous restent sont des compilations
faites ponr des particuliers.
Certes, il ne faut pas regretter que l'imitation de la France
soit reste incomplte sur ce point. Les concours acadmiques,.
avBC leurs joyas et autres fleurs potiques, n'ont suscit dans
notre Midi que de ples et monotones versificateurs. La posie
s'y trane, aux xiv^ et xv^ sicles, dans d'insipides composi-
tions. C'est la strilit et la mdiocrit littraire son plus haut
degr. 11 en aurait t de mme en Catalogne, si les pratiques de
l'Ecole Toulousaine s'y taient implantes de meilleure heure.
Elle
y
aurait perdu l'intressante floraison potique qui carac-
trise la fin du xiv^ et la premire moiti du xv^ sicle.
A ce moment, les lettres, encourages par tous les rois qui se
succdent sur le trne d'Aragon, cultives par de grands sei-
gneurs comme les Mardis, Andreu Febrer, Jordi de Sent Jordi,
Masdovelles, etc. sont dans des conditons plus favorables en
Catalogne qu'en Languedoc. L est une des raisons de leur
succs. Il faut ajouter que la nation catalane, qui aspire l'h-
gmonie parmiles Etats Mditerranens, prtendavoir sa littra-
ture comme les autres peuples, et, si elle emploie encore le pro-
venal, c'est qu'il est en quelque sorte la langue internationale
de la posie. Son rgne est d'ailleurs vivement attaqu et ne
tardera pas prendre fin, prcisment avec Anzias March.
Arnau March parat nanmoins avoir subi, un des premiers,
l'influence des Jeux floraux. Sa can de Nostra Dona r-
pond bien leur programme habituel. 11 s'attache au genre pu-
rement religieux, sans abandonner cependant les sujets pr-
frs de ses parents. Il reste, en outre, fidle la Provence une
poque o, les uvres de Dante, Ptrarque et Boccace, se r-
pandant un peu partout, auraient fait oublier les troubadours,
si on n'y avait retrouv leurs thmes pour ainsi dire transfi-
gurs. Dante et Boccace seront bientt traduits et Ptrarque
AUZIAS MARCH POETE DE l\4MOUR 427
imit. Les Catalans reconnaissent en eux, sous une forme plus
riche et plus colore, la tradition provenale qu'ils s'efforcent de
rajeunir, et ils s'imposent surtout leur attention, quand leur
roi veut annexer 1 Aragon une portion de l'Italie.
Vers 1430, Auzias Mardi s'est propos de continuer l'uvre
lyri([ue et morale de ses prdcesseurs, mais en la raffinant et en
l'approfondissant, et de plus, en rendant dfinitif l'abandon,
commenc par d'autres, du vocabulaire provenal que les
potes catalans avaient affect d'employer jusque-l.
Il a eu, en effet, le mrite de nationaliser la langue potique,
ralisant ainsi entirement le vu que Lluis d'Avers avait for-
mul la fin du sicle prcdent. S'il reste encore dans ses chan-
sons quelques expressions provenales, d'ailleurs bien rares,
ce ne sont qu'archasmes de copiste ou licences potiques, 11 est
vraiment le premier qui on puisse donner le titre de trouba-
dour catalan.
Cette rvolution dans la forme n'empche pas son uvre
d'tre encore essentiellement provenale dans son fond et dans
son contenu.
Pote de l'amour ou pote moral, il fait entendre les mmes
requtes et les mmes plaintes, reprenant les doctrines de
l'amour courtois avec toutes les variations dont les avaient en-
richies les troubadours de la dcadence. Il croit aux vertus enno-
blissantes et bienfaisantes de l'amour. Il exagre la critique
aussi bien que la louange ds femmes. Ce sont les mmes impr-
cations contre le relchement des murs dans la socit con-
temporaine.
Les moyens artistiques mis en uvre dans ses premires po-
sies, les plus travailles de tovites, ressemblent aussi ceux de
ses modles. Toujours rimes et rythmes avec un soin minu-
tieux, elles prsentent les mmes mtaphores, ou, tout au moins,
les comparaisons
y
ont le mme air de famille. Elles se succdent
les unes aux antres, chacjue strophe en exprimant une nouvelle,
indpendantes en apparence du motif principal auquel il est,
dans certains cas, souvent malais de les rattacher. Enfin, ses
chansons ne s'adressent qu' des esprits cultivs et exige^nt pour
tre comprises un vritable travail. Elles man((uent de
spim-
tanit, et le pote semble jjrendre ])laisir se cacher. L ob-
scurit est un de ses tlfants les plus graves, qu'il tient de son
428 CONCLUSION
matre Arnaut Daniel, et de beaucoup d'autres anciens trou-
badours. Ses pices sont souvent des nigmes qui laissent l'es-
prit du, quand il en a trouv le mot. On lui en veut d'avoir
pris l'attitude du Sphinx pour n'exprimer que des lieux com-
muns.
Si sa posie parat parfois se distinguer de celle des trouba-
dours, c'est qu'il en a supprim les lments objectifs pour n'en
retenir en quelque sorte que les ides. Ni les qualits physiques
de sa dame^ ni la nature extrieure ne le proccupent. Tout ce
qui fait pour nous le charme de la chanson provenale et des
Rime de Ptrarque est systmatiquement nglig. C'est l'esprit
ou mme l'ide, non la personne de sa daine qu'il aime et nous
dcrit. Le renouvellement du printemps, le chant des oiseaux
et les flevirs ne- tiennent pour ainsi dire aucune place dans ses
compositions.
C'est qu'il a voulu tre dans toutes ses posies, amoureuses,
funbres ou morales, un pote-philosophe, analyser des tats
d'me plus que des situations, des sentiments plus que des sen-
sations, des ides plus que des motions. L est son origina-
lit. C'est par l qu'il a prtendu renouveler les thmes tant re-
battus par ses devanciers. Provenaux ou Catalans.
D'autres avant lui, Folquet de Marseille, les potes du dolce
stil nuoi>o, Dante lui-mme avaient fait de la chanson, comme
on l'a dit
(1),
une province de la mtaphysique -^, appliquant
la peinture de l'amour les procds de la scolastique. Mais nul
n'avait eu l'ide de mettre en vers, tantt sous une forme
image, tantt dans leur nudit abstraite, la psychologie tho-
miste des passions de l'amour et les doctrines morales extraites
par l'Ecole de VElliique Nicomaque et des ouvrages post-
rieurs. Aucun surtout n'avait tent de s'adresser Aristote lui-
mme pour recouvrir d'un vtement potique ses ides sur le
Bien, la Vertu ou le Bonheur, ou lui emprunter sans le citer
quelques traits destins sans doute fortifier telle ovi telle de
ses opinions, afin de la faire accepter plus srement des clercs
et des initis.
Celui des potes scolastiques dont il se rapproche le plus est
l'auteur de la Dis'ine Comdie. Il a connu et admir ce pome
o la philosophie et la thologie sont partout prsentes et il s'en
(1)
M. Jeanroy, Rev. des Deux-Mondes,
le'
fv. 1903, p.
689.
AUZIAS MARCH POETE-PHILOSOPHE 429
est inspir. Comme Dante^ il a une prdilection pour l'Ange de
l'Ecole^ bien qu'il ne le nomme pas, et, comme lui, il tire de
la Somme les analyses psychologiques et la plupart des ides
qui forment la base de son uvre. Par l, il se rattache vrai-
ment ritalie. Il est plus prs de Dante et de ses prdcesseurs
que de Ptrarque en qui la Scolastique avait rencontr un de ses
premiers et plus ardents adversaires.
Philosophe, il l'est, d'abord, mais d'une faon discrte et pour
ainsi dire subconsciente, dans ses Chansons d'Amour. Au pre-
mier coup d'il, on n'aperoit que leur parent avec la posie pro-
venale. Mais, qu'on les examine de plus prs et peu peu se
rvle toute la terminologie thomiste. Puis, ce sont les princi-
pales passions reprsentes avec les caractres que leur prte le
Docteur Anglique. Il n'y a presque pas un des traits par o il
peint l'amour et ses drivs qu'on ne puisse, en cherchant bien^
retrouver dans quelque coin de l'immense difice thologique.
Les Cants d'amor d'Auzias March sont la psychologie de saint
Thomas mise au service de la lyrique provenale par un trou-
badour tellement imbu de scolastique que ses conceptions en
sont le plus souvent comme des rminiscences ou des applica-
tions.
Philosophe, il l'est plus nettement dans ses pomes sur
l'amour et dans ses lgies sur la mort de sa dame, o, un des
premiers, il s'est affranchi, pour mieux disserter, des rgles un
peu troites de la chanson, et, plus qu'aucun provenal, des en-
traves de la rime. Mais ici interviennent, pour expliquer sa doc-
trine de l'amour et ses diverses espces, non seulement saint
Thomas, pour qui l'amiti vertueuse d'Aristote et l'amour ang-
lique ne font qu'un, mais encore bon nombre de potes ou de
thoriciens de l'amour courtois qui avaient, la manire de
Guiraut de Calanso ou d'Andr le Chapelain, appropri aux
murs de la Chevalerie les thories de YEthique Nicomaque sur
l'amiti.
Philosophe, il l'a t encore et surtout dans ses posies mo-
rales sur le Courage, la Crainte de la Mort, le Bonheur, le Mrite
et la Vertu. Si parfois il s'en tient des lieux communs, ainsi
que l'avaient fait ses anctres Jacm.e et Pre March, dans
d'autres pices, il est un vulgarisateur de la morale d'Aristote,
concilie
avec le Christianisme,
suivant le formule de saint
Thomas et du prince de Viane. Mais l o il est entirement.
430'
coNCLu&iorsr
sinon un penseur, du moins un historien de la philosophie, c'est
lorsqu'il expose et critique du poimt de vue d'Aristote les prin-
cipales thories sur le Bien et le Bonheur. Sa posie devient alors
vritablement scientifique et didactique.
Philosophe, doubl cette fois d'un thologien, Auzias March
l'est enfin dans son unique posie religieuse o il traite les plus
graves problmes de la Prescience divine et de la Grce, peu
prs comme le faisaient, la Cour de Castille, certains potes du
Cancionero de Baena. Ce n'est pas la chanson religieuse, conforme
aux prceptes de l'Ecole de Toulouse, le cantique ou l'hymne,
dont Arnau March nous a laiss quelques spcimens. C'est une
mditation sous forme de prire, une confession qui prsente un
Lel accent de vrit et une telle lvation que Romeu Lull, cher-
chant l'imiter la fin du xv^ sicle, ne pourra qu'en reproduire
les principales beauts.
C'est le couronnement de son uvre, o le pote nous montre,
sous se& diverses faces, notre double nature s'efforant, mais en
vain, de raliser l'amour pur, la perfection intellectuelle et la
charit chrtienne. Nul n'a eu un sentiment plus vif des misres
de l'homme, retenu ici-bas par le corps, appel par son me
une vie suprieure. De l toutes les tristesses. d'Auzias March
;
de l son pessimisme raisonneur et pntrant. On n'en com-
prend la vritable origine que si on ne le regarde pas comme
un hritier pur et simple de la posie provenale, mais encore
comme un penseur qui la frquentation d'Aristote et sa propre
exprience ont montr la difficult de raliser dans notre vie
l'idal de saintet que propose le Christianisme.
Auzias March est un noble devenu clerc, un seigneur qui ne
s'est pas seulement nourri de romans et de chansons, mais de la
science peu prs telle qu'on la connaissait de son temps, et en
a rapport une notion plus complte et plus vraie de la nature
humaine. Ce n'est pas encore un homme de la Renaissance, ni
un humaniste, mais il laisse l'impression d'un esprit qui l'di-
fice intellectuel et social du Moyen ge ne suffit dj plus.
Ce qui fait l'originalit et le mrite mme d'Auzias March est
aussi la source de ses imperfections. En transportant la philo-
sophie dans la chanson
provenale, il est arriv superposer les
subtilits de la scolastique aux raffinements lgants de l'amour
courtois. C'est le trohar dus plus compliqu, la posie ferme
double tour. On ne peut que regretter quil n'ait pas voulu
APPRCIATION GNRALE 431
crire pour le vulgaire )-. Quand il a pris pour modle^ non paf
Arnaut Daniel^ mais tout autre troubadour moins alambiqu^ .
il a prouv, par exemple dans la chanson Ao infall recorl,et dans
quelques autres uvres de sa premire manire, que la posie
catalane pouvait rivaliser avec celle des Provenaux. Le mai
est qu'il a trop souvent recherch les formes d'art les plus con-
tournes, et son obscurit a fini par lui nuire auprs des lecteurs
modernes avides de lumire et de simplicit.
Il tait cependant capable d'crire avec clart. Ses pomes
didactiques ou purement philosophiques, mme ceux qui sont
rimes suivant les formules un peu triques des Leys d'amors,
prsentent souvent, trop souvent mme, la prcision de la pro&e
la plus scientifique. Si ses raisonnements sont parfois mal or-
donns, ses ides difficiles suivre, il a su exprimer avec nettet
quelques-unes des conceptions les plus profondes de la philo-
phie scolastique ou pripatticienne. Mais on n'y trouve gure
plus les symboles dont il les avait revtues dans la chanson.
L'uvre reste trop abstraite et d'une trop grande scheresse
potique. Si bien que l o Auzias March est pote, il est diffi-
y
cilement comprhensible, et, l o il est accessible tous, il
tombe dans le prosasme.
Tel a t Auzias March, avec ses qualits que je me suis efforc
de mettre en vidence, et ses dfauts que je n'ai pas essay de
dissimuler. Il ne semble pas qu'il ait t, dans toute la force du
terme, un pote original. Il a manqu d'imagination cratrice.
Cela tient en partie la race catalane, essentiellement positive
et amoureuse du rel. Voil povirc[uoi elle n'a fait que rpter, en
fait d'amour, parfois avec talent, mais sans un accent de relle
sincrit, la vieille chanson provenale, La posie philosophique,
qui demande pkis de rigueur et plus d'exactitude, aurait pu lui
convenir davantage, et c'est ce qu'avait compris Auzias March,
mais il n'a pas svi se crer, comme Dante, un style susceptible de
donner sa pense l'ternit des belles choses.
C'est un pote incomplet, mais un grand pote , a dit
M. Mil
y
Fontanals (Ij, un de ceux qui, en Espagne, l'ont jug
le plus impartialement, sans l'indulgence excessive qu'entrane
parfois le patriotisme littraire. C'est, sans doute, le plus remar-
(1)
Resenya,
p.
198 (Obras, III, 238).
432
CONCLUSION
quable des potes catalans^ mais, si nous le comparons aux cri-
vains de toutes les nations vraiment dous du gnie potique, il
doit tre plac parmi les poetae minores, qui, dans quelques-unes
de leurs uvres ou dans un grand nombre de vers, s'lvent au-
dessus d'eux-mmes et rencontrent la vraie beaut.
Par les plus claires de ses posies la faon provenale, il a
exerc une influence considrable, non seulement sur ses succes-
seurs en Catalogne, mais encore sur la plupart des ciselevirs de
sonnets castillans au xvi^ sicle. On a pris plaisir lire et
imiter en lui surtout le pote de l'amour, mais il mrite encore
d'tre tudi pour les ides morales et philosophiques qu'il a su
exprimer parfois avec bonheur et toujours dans une langue
bien catalane, sonore, cadence et vigoureuse.
^T3
POUR LE COMMENTAIRE D'AUZIAS MARCH
TABLE DES POESIES ANALYSEES OU MENTIONNES ET DES VERS CITES
EXPLIQUS OU TRADUITS
Les chiffres romains dsignent les pices
; les chiffres arabes en caractres gras
indiquent les \'ers, les autres les pages.
I.

196, 299, 409-10,


414-5, 417
;
1-4, 74,
5,
335, 25-32, 299, 44, 238.
II.

196, 410
; 14, 296,
17-8, 280, 32, 254, 33-4,
292, 34, 307, 37-40, 280,
40, 259.
III.

196 ; 1, 296, 395,
1-16, 279, 2,301, S, 238,
15,
212-3.
IV,

196, 251
;
1-4, 260,
33-40, 47, 292, 49-56,
214.
V.

197 : 17-20, 228,
238, 18, 238, 24, 254, 26,
238, 35-8, 339.
VI.

197
;
1-2, 107,
26-
30, 33-6, 101.
VII.

197
; 4, 61, 19-21,
228, 22, 238, 293, 25-7,
245, 28-32, 411, 29-32,
243, 30, 215, 37-40, 411,
40, 245, 44, 238, 49-56,
217, 57-64, 402, 58-9,
239.
VIII.

197
;
3-4, 253, 5-7,
245,6, 228, 9-12, 61,
10-
2, 414, 39, 217, 340,
41-
4, 246, 387.
IX.
197
;
15-6, 229.
X.

197
; 13, 98, 16, 69,
21, 254, 23-4, 290-1, 29-
32, 69, 33-40, 291, 41-2,
246, 43-4, 291.
XI.

197
;
1-8, 411, 2,
4-
5, 412.
XII.

197
; 8, 213. 39-40,
303, 43, 213.
XIII.

197
; 258, 264, 416
;
1, 60, 3-4, 60, 229, 5-8,
259, 9, 216, 20, 254, 44,
245, 55, 340.
XIV.

197
; 18, 239, 30,
61, 260.
XV.

197
;
7-8, 105, 16,
235, 17-32, 264, 27-8,
230, 49-52, 235.
XVI.

197.
XVII.

197
; 47, 254, 49,
69, 57-60, 239.
XVIII.

197, 332, 401
;
5-8,
337, 11, 238, 17-22, 332,
25-8, 33-4, 283, 37-40,
338,41-4,307,53-6,332.
XIX.

197, 406
;
1-2, 411,
6, 246, 300, 9-17, 302,
10, 15, 240, 19, 298, 40,
240, 41-2, 303, 41-4, 239.
XX.

197
; 25, 216, 32,
61, 33, 307.
XXI.

197 ; 11, 17-22. .304,
25-6, 29-32, 339, 43-4,
245.
XXII.

197
;
1-4, 227, 5-8,
302, 12 et suiv., 340, 19,
214, 41-4, 217, 244.
XXIII.

197 ;
208-10
;
1-4,
226, 10, 215, 12, 15-6,
Am. Pag;: Auzias Marche
28
434
POUR LE COMMENTAIRE D AUZIAS MARCH
212, 17-20, 264-5, 18,
212, 23, 27, 215, 31, 212,
33-5, 214, 33-6, 289, 36,
212-3.
XXIV.

197 ;
25-8, 281.
XXV.

197 ; 2.50, 431
; 3,
274, 37, 238, 38,
222.
XXVI.

198 : 41, 287, 41-8,
284, 45,
229.
XXVII.

198
;
1-8, 291,
17-
24,
417.
XXVIII.
198.
XXIX.

198 ; 5, 296, 8,
304.
XXX.

198, 306, 363, 377
;
13-16, 306, 15-25, 367,
16, 221, 17, 306, 367,
17-
32, 375,
31-2, 306, 59-60,
.55.
XXXI.

198, 363 ;
5-6, 281,
42,
229.
XXXII.

198, 303, 363
;
2-5,
9,303,9-12,
61,374,14-
6, 304, 15, 369, 16, 376,
25-8, 304, 26-8, 375,
31-
4, 304, 33-4, 374, 40, 296.
XXXIII.

198 ;
5-8, 214, 11,
213.
XXXIV.

198 ; 25, 239, 37,
307, 37-8, 216.
XXXV.
198.
XXXVI.

198 ; 25, 32,
215.
XXXVII.
198 ; 1, 304, 9-16,
279, 25-6, 339, 25-32,
239, 37-40, 215.
XXXVIII.

198 ;
1-4, 239.
XXXIX.

198, 242, 405,
418-
9 ; 1, 193, 1-4, 411, 5-6,
250,
9-10, 300, 23, 296,
25-8, 246, 265, 38-40,
296,
43-4, 411.
XL.
198-9, 296-7
; 5,
296, 8,
296-7, 16, 18, 20,
296, 20, 21, 297, 30, 272.
43, 296.
XLI.

199, 245, 303, 363,
367, 376 ;
27-8, 298.
XLII.

96, 194, 199, 245,
297, 303, 376 ;
14-6,
23-
4,27-34,211,33-40,395,.
42, 210.
XLIII.

199 ;
9-24, 303, 22,
229, 22-3, 60, 24-5, 235..
XLIV.

199 ;
1-8, 279.
XLV.

199, 248 ;
11-13,
240, 25, 292, 25-6, 337,
38-40. 248, 57-8, 242,.
89-90, 258, 185-188, 69.
XLVI.

199 ; 1-8, 61.
XLVII.

199 ; 1-4, 307, 19,
243, 41-2, 244.
XLVIII.

199.
XLIX.

199 ;
24-8, 232.
L.

199 ;
17-8, 215,
23-
4, 247, 43, 214.
LL 199
;
25-6, 229, 27-8,
234, 43-4, 402.
LU.

199, 251,300 ; 9-13,
308, 18, 300, 27, 248, 46,.
307, 326.
LUI.

199, 306
;
21-4, 283,
25, 247, 33-7, 282, 306,
41-2, 243.
LIV.

199, 304 ;
21-2, 215,
24-32, 304, 42, 306.
LV.

199
; 35, 239, 41-4,
249.
LVI.

199 ;
11-12, 61, 16,
229 ; 17,
266.
LVII.

199, 363, 377, 417
;
1-2, 305, 5-6, 259.
LVIII.

199 ;
1-4, 105, 6,
214, 9-12, 212, 29, 58,
30-2, 216, 41-4, 295, 43,
249.
LIX.

199,
417-8
;
1-8,279,
39,
274.
LX.
199-200 ;4, 246,
31-
2,
59.
LXI,

200 ; 22, 289, 25,
274, 40, 295, 307, 41-4,
244.
LXII.

200 ;
10-11, 215.
LXIII.

200 ;
57-62, 279.
LXIV.

200, 241, 417-8,; 21,
240, 25-8, 233.
TABLE
DES
POESIES
ANALYSES
435
LXV.
200, 306
; 1, 274, 1-
4, 266, 17-21, 297, 25-8,
266.
LXVI.
200
; 25-8, 279, 41-
4, 267.
LXVII.
200
; 17-20, 215.-^
LXVIII.
200, 237, 4irrl'-4,
59, 17-24, 268.
LXIX.
200, 418
; 25-32..
305, 35, 306, 41-66,
305,
49-56, 279.
LXX.
200, 240
; 15, 294.
LXXI.
200,217; 17-20,214,
27-8, 207, 286, 33, 69, 65,
254, 93, 95, 307, 101,245,
103-4, 88, 221, 105-6,
245.
LXXII.
200, 282
; 13, 15,
375.
LXXIII.
200, 248, 300-1
; 5,
60, 5-6, 230, 13-18,
300,
29-30, 49-56,
301, 53-6,
216.
LXXIV.
201
; 38, 235.
LXXV.
201, 280.
LXXVI.
201
; 29-32, 289, 41-
2,244,41-4,217,43,307.
LXXVII.

201.
LXXVIII.
201
; 25-6,
216, 57-
8, 243.
LXXIX.
201, 248
; 9-14, 247,
9-28, 333.
LXXX.
201
; 8, 239.
LXXXI.
201.
LXXXII.
201, 363
; 8, 379.
LXXXIII.
201.
LXXXIV.
201
; 24, 240, 56, 86,
57-8, 243.
LXXXV.
201
; 18, 244, 41-8,
337.
.LXXXVI.
201, 252; 9, 259.
LXXXVII.
201,33'. ;5-8,
334, 19-21, --^rj, 25-8,
416-7, 29-30,
288, 41-2,
249, 336, 45-8,
334, 89,
336, 95, 248, 111-2, 293,
131, 290, 151-5,
338,
159-160, 165-8, 336, 168,
335,174,335,175-6,190,
337, 231-7,
213, 235-8,
338,267-8,218,340.271-
2,339,327-330,207,331-
4, 61.
LXXXVIII.
201-2
; 2-3, 296.
LXXXIX.
202
; 1-2,
282, 9-10,
302.
XC.

- 202, 299
; 57-8, 244.
XCI.
202
; 33-6, 244.
XCII.
108
;
4-6, 348-9, 7-8,
352, 11, 354, 11-70, 248,
29, 337, 41-7,
354, 116-
122, 141-150,
355, 151-2,
351,179,346,183-5,353,
185-8,
354, 191-4,
333,
214, 354,222,353,231-4,
357, 235-9, 241-250, 358.
XCIII. 1-8,
358, 14, 337, 21-
4, 352, 45-8, 248, 47-8,
356, 49-96,
56, 65-70,
352, 73-80,
396, 81-100,
397,88,3.52,97-100,358.
XCIV.
17-20,
279, 25-32,
353, 87, 346, 89-96, 349,
99,339,
118, 35'i,
128 32,
358.
XCV.
25-7, 353, 29-32,
359, 36, 43-4, 349, 46,
348, 59-60, 69-70, 351,
73-6, 359.
XCVI.
1-8, 359, 10, 354,
19-23, 359.
XCVII.
17, 254, 17-20,
348,
17-24, 268, 44, 238, 49-
50, 59-60, 359.
XCVIII.
202, 240
; 25, 69, 69,
246.
XCIX.

202.
C.
206
; 37-40, 279,
57,
59-60, 229, 61-4, 368, 65-
8, 379, 65-72,
71, 368,
73-5, 369, 107-12, 367,
108, 61, 112, 368, 131-2,
369, 145-8, 2;J0. 153-76.
374, 185-90, 3S(), 187-8.
291, 197-8, 368, 205-6,
370.
436
POUR LE COMMENTAIRE D AUZIAS MARCH
CI.

202
;
1-8, 279, 13,
213, 13-6, 269, 25, 238,
33-4, 212, 45, 213, 49-52,
269.
CIL
_
202
; 9, 213. 13-4,
212, 17-24, 61, 25, 213,
37-40, 361, 38, 212, 42,
213, 105-10, 282, 139,
259, 175-6, 269, 229-30,
270.
cm.

364, 366 ; 5,
17-22,
58,
366.
CIV.

363-4, 382, 406
;
12-
6, 382, 17, 326, 49-56,
383, 95-176, 376, 105-12,
366, 169^74, 383, 225-6,
382,
225-8, 375-6, 226,
229,233, 376, 247, 109,
247-8,384,256,374,273-
4,375,265,379,280,366.
CV.

364,387,402-3,406;
11, 387, 19-32, 49-52,
99-101, 105-9, 388,
133-
4, 151, 185, 389, 185-6,
189-90, 392, 193 200,
389, 224, 390.
CVI.

364, 376 ;
17-22,
365, 23, 366, 24, 365, 28,
367, 35-6, 366, 49, 376,
57-72, 367, 85-8, 365,
89-96, 109-12, 137-40,
370,141-8,371,143,287,
149-52, 159-60, 372, 161,
282, 163-4, 372, 189-90,
376, 196-8, 373, 209-10,
369, 373, 216, 373, 233-
40, 373, 237, 287, 370,
269-70, 376, 270, 368,
280, 376, 289-352, 382,
338, 365, 341-2, 366,
347-9,367,354,368,357,
367, 377-84, 381-4, 368,
390, 417, 366, 447, 449-
52, 384, 477, 376.
CVII.

109, 346, 363, 377
;
65-6, 386, 77, 375, 84,
387, 87-8, 280.
CVIII.

109, 194, 202
;
49-
50, 387, 101-4, 219.
CIX.

202
; 5,
212-3,
17,
361.
ex.

202
;
41-4, 246, 387.
CXI.
202-3
;
29-30, 291,
38, 279, 41-3, 222, 42,
361.
CXII.

346, 363-4, 377
;
9-12, 54, 56-9, 385, 161,
326, 189, 376, 226-8, 377,
227, 282, 251-2, 117,
271-80, 285-8, 378,
345-
6, 349-90, 378, 405,
411-
20, 386, 421-2, 117.
CXIII.

364, 380
;
1-4, 270-1
23, 375, 91-2, 99-100,
380, 129-30, 379, 171-2,
380, 175, 201-2, 205-6,
381, 251-2, 387.
CXIV.

203, 363 ; 88, 58.
CXV.

203.
CXVI.

203 ; 29, 306, 71-80,
340, 73, 213, 238, 115,
121, 213, 121-4,290, 131-
5, 289, 149-50, 291, 310.
271.
CXVII.

203 ; 49-50, 291,
151, 335, 168, 248, 201,
105.
CXVIII.

203 ; 91, 230.
CXIX.

203
; 1, 282, 65-6,
279,72, 272, 87, 213.
CXX.
203, 401
; 129-32,
387.
CXXI.

203, 363
; 7, 374,
57-88, 382.
CXXII.

- 109, 194, 203
;
17-
24, 110, 20, 217, 340, 20-
22, 344, 21, 221.
CXXII bis.

109, 194, 204
; 13,
72, 18-20, 95, 25-7, 217,
25-8, 245, 29-30, 219,
31, 110, 33-6, 219, 37-8,
220, 41, 207, 332, 52,
248, 53-6, 341, 68, 340,
77-8, 220.
TABLE DES POESIES ANALYSEES 437
CXXIII.

204
;
9-16, 294, 336,
28-32, 248, 29-30, 288,
334, 33-40, 295, 40, 289,
49-51, 334, 69-70, 286,
70, 207, 332, 55-6, 294.
CXXIV.

194, 204, 251-2.
CXXIV.

111
; 1, 394.
CXXV.

194, 204, 251.
CXXV.

111, 394.
CXXVI.

194, 204, 251.
CXXVI.

111, 340, 394.
CXXVII.
363-4
;
239-56, 248,
352-7, 381.
CXXVIII.

363-4
; 2, 283, 22-
35, 375, 56-7, 248, 156-
61, 287, 320-29, 60, 365,
372, 372-81, 335, 419-21,
376, 435 et, suiv., 335,
365, 547-57, 385,
674-
81, 379.
INDEX ALPHABTIQUE
Abdalla, 92 n.
Abenchaer, alias Cina, 78.
Abenciiaer, alias Follu (Juhe),78.
Abou-Fars, roi de Tunis, 68.
Absalon, 284.
Acadmie. Voy. Barcelone, Toulouse.
Achron. 259.
AcunA (Ilernando de), 417,
Adam, 217, 234, 323.
Ador, 8, 100.
Aelhed, 313.
Agamemnon, 181, 182.
Agravain, 181, 182.
Agualad.a (Ramon), notaire, 8, 34.
Aguil (Angel), 115 n.
Aguil (Est.), 5, 11, 135, 149.
AiMEitrc DE Pegulhan, 238, 273,
346.
Alagno (Lucrce d'), 109, 110, 204,
219, 220, 221, 257, 344.
Albaida, 172.
Albert-le-Gra.nd, 125, 127, 320,
323, 331, 341, 399.
Ai-bertano di Brescia, 45 n.
Alcoy, 7, 54, 98, 99.
Albufera, 70.
Alcanlera, 101, 119.
Ai-EMANY de Cervell (Gucrau),
186.
Alexandre, 140, 181, 182.
Alfachs, 66.
Alfal, 79.
Alfarrati, alqucria, 8, 25 n.
Alfonso (Leonor), 72.
Alfo.nso (Rodrigo), 72.
Alfonso (Ysabel), 72.
Alguaire, 18.
Alguayre (Monastre d'), 179.
Alicante, 32.
Alinor
d'Aquitaine, 176, 314, 315,
316.
Alix Alfaqvj, 38.
Allemagne, 226.
Almenab (Pre d'), 101.
Almoynes, 8.
Almudver, 413 n.
Als (Ramon d'), 19 n., 20 n.
Alphonse (l'infant), fils de Jacme II
dAragon, 126.
Alphonse II, d'Aragon,
124.
Alphonse III, roi d'Aragon, 20, 22,
23, 132 n.,
Alphonse V, d'Aragon, III de Va-
lence, Le Magnanime, 9, 19, 40 n.,
64, 65, 66, 67, 69, 70, 73, 75, 76, 82,
84, 85, 95, 98, 109, 110, 120, 172,
173, 187, 190, 194, 202, 203, 219.
256, 262, 288, 344, 362, 377, 423.
Alphonse,
marquis de Villena,comte
de Ribagora et de Dnia,
1^"^
duc
de Gandie, 8,
31-38, 54, 55, 63, 79,
105, 113 n., 132, 133, 148, 154, 162,
168, 175, 186, 423, 424.
Alphonse,
2 duc de Gandie, fils du
prcdent, 41, 42, 43, 64, 69, 169,
424.
Amadob de LOS Rios (J.), 225,264,
265, 268, 269, 270, 271, 272.
Amat (Torres), 3 n., 30 n., 146, 396.
Amors (Caries), 262 n.
Ancona (Aless. d'), 328.
440 INDEX ALPHABETIQUE
Andr le Chapelain, 183, 230, 317,
318, 323, 324, 332, 333, 335, 342,
411 11., 429.
Andjak (Juan de), 219.
Anglade (J.), 125, 235 n., 236 n.,
238 n., 292.
Angleterre, 29, 36.
Antich (Auzias), 92.
Antich (Bernt), 104 n.
Antipaie:r, 372 n.
Apocabijise, 207.
Arabes (Les), 100, 125, 230. VoirMores,
Sarrasins.
Arag (Lois d'), 65.
Arampriiny, 2 n., 3, 17, 19, 20, 21,
22, 23, 27, 31, 34, 35, 43, 48 n., 51,
93, 98, 118, 119, 120.
Arbolanche (Hierninio, 414.
Arens (Baronnie d'), 36.
Argoe y Moltna (Gonalo de),
415 n.
Ariane, 229.
Arioste (L'), 281 n.
Aristote, 63, 97, 105, 121, 181, 192,
228, 234, 260, 278, 284, 285, 287,
288, 291-293, 296, 297, 299, 302,
303, 304 n., 306-324, 326-328, 330-
333, 335, 337, 338, 340-345, 353,
357 n., 360, 362-367, 369-379, 382,
384, 385, 391, 393, 421, 428-430.
Arnaud de Villeneuve, 25, 279 n.
Arnaut Daniel, 232, 233, 234, 428,
431.
Arnaut de Mareuil, 227, 238,
242 n., 266.
Arras, 113.
Arrayana (Johan), 104 n.
Ars hene moriendi, 115.
Artus (Le roi), 134, 183 n.
Arvers, 204.
At de Mons (N'), 124, 247 n., 286,
292 n.
Avers (Lluis d'), 29, 165, 166, 170,
183, 425, 427.
AviCENNE, 314.
Avignon, 350.
Ayora, 64.
Ayxa, femme de Mahommat Ro-
ayal, 82.
Azut d'En Carroz, 7.
Azut (azuteta) d'En March,
7, 100.
B
Bacet (Fra), 180.
Bages (Berenguer), 50.
Balaguer, 43, 44, 45, 63.
Ble (Concile de), 91.
Banville (Th. de), 148.
Barbieri, 232 n.
Barcelone, 15, 35, 49, 60, 65, 67, 71,
93, 106, 118-120, 166, 168, 169,
175, 176, 190, 278, 398,
403-405
;
Acadmie ou Consistoire de , 29.
137, 165, 168, 170-173, 176, 180,
186, 191, 224, 231, 399, 400,
424-426
Comtes de , 123
;
Couvent des
Frres-Prcheurs de

, 171
;
Jochs
Florals de, 3, 168, 174, 186.
Baret (Eugne), 170, 225.
Barrientos (Fray Lope de), 362.
Bartoli (Ad.), 127, 285, 298.
Bastero (A.), 407 n.
Batalla (Bartholom), notaire, 11.
Bayrent (chteau de), 32 n.
Beamonte (Juan de), prieur de San
Juan, 332 n.
BATRICE, 222, 257, 258, 328, 347,
358, 360, 421.
BATRix d'Arborea, 66.
BDiER (J.), 182 n.
Bellavista (Guillem de), 17.
Bellot (Jacnie), 103 n.
Bellviupe (Pau de), 133, 232, 234.
Belmonte (Fray Diego de), 362.
Belsa (Pre), 8, 9, 11, 80, 81, 90, 92,
104.
Beneni, 82.
Beniarj, 7, 8, 31, 34 n., 37, 38, 40,
41, 42,43, 45, 50, 51, 56, 69, 73, 76,
77, 78, 80, 82, 92, 94, 97, 98, 99,
100, 102, 103, 104 n., 118, 121, 155,
423.
Benia, 102.
Beniopa, 35.
INDEX ALPHABETIQUE 441
Beniquineyna, 14.
Benot de Sainte-More, 229.
Berbrie, 114. Voyez Mores.
Berenguer, de Gandie, 103 n.
Berenguer de Noya, 170.
Bergada (Guillem de), 124, 179.
Bernart de Ventadorn, 240, 242,
244 n., 249, 316 n.
Bernart Tortitz, 316 n.
Berniiard de Chartres, 148.
Bernia, alqueria. Voy. Vernia.
Bernia, Berniza, rivire, 7, 8, 99.
Bertoni (G.), 316 n.
Bertran Albaric, 245 n.
Bertran Carbonel, 124, 254 n.,
316 n.
Bertran de Born, 138, 156.
Bestiaire, 281.
Beuter, 262.
Bible (La), 185, 243, 282.
Bihlia rimada e en romans, 125.
Billet (En Marti), 173.
Blanch (Johan), 129.
Blanes, 10.
Blanes (Joffre de), 94 n., 104, 116,
118, 119.
Blanes (Vidal de), 91.
Bleguer (Caat), 78.
BoccACE, 185, 189, 190, 192, 268, 329,
340, 395, 426.
BocE, 132, 185, 191.
Bofarull (Francisco de), 23 n.
BoFARULL (Manuel de), 2 n., 65 n.
Bofarull (P. de), 15.
BoiL (Lois de), 79.
Boil (Mossn Ramon), 190.
BoLEA (Fernando de), 363.
Bologne, 127, 286, 327.
Bonifacio, 66 n., 67.
BoNiFAzio Calvo, 347.
BoNiLLA Y San Martin (A.), 421 n.
BoRAY (Garcia de), 84.
BORJA Y DE CaRRO DE ViLARAGUT
(Angela), 1 n.
BoRRA (Mossn). Voy. allander.
BoRRULL Y ViLANovA (Fr. Xavicr,)
2, 110 n.
BoscAN (Juan), 261, 403, 404, 408-
412, 415, 417, 420, 421.
BoT (Bernardo de), notaire, 7.
Bou (Baltasar), 89.
Bou (Pre), 101.
Bou (Teresa), 210, 211, 272.
Bougie, 37.
BouiLLiER (Fr.), 299 n., 300 n.
BouTRoux (Em.), 392 n.
BoYL (Agns), 103 n.
BoYL (Felip), 103 n.
Bretagne (Matire de), 230.
Breviari, 45 n., 229 n.
Breviari d'omor, 46 n., 62, 125, 293,
325.
Brudieu (Joan), 251 n., 407.
Brunehort, 181, 182.
Brunetto Latino, 46 n., 47 n., 48,
62, 322, 323, 324, 325, 328, 391.
Brut (Roman de), 188 n.
BuoNi (Giac. Ant.), 263.
Buridan, 260.
Bussot (Franci), 173.
c
Cabanyelles (Pre), 89.
Cabestany (Guillem de), 124, 227,
239, 242.
Cabrera (Bernt de), 28.
Cabrera (Bernt Johan de), 85.
Cabrera (Johan de), 41, 50.
Cabrera (Vicomtesse de), 28.
CagHari, 19, 28.
Calatrava (Le matre de), 33.
Calders (Bernt de), 20.
Calixte III, pape, 110, 111, 176, 204,
262, 263, 394.
Callosa (Chteau de), 36.
Calvete de Estrella (Juan Crist-
bal), 418.
Calvi, 66.
Cambridge, 36.
Camoens, 420.
Campani (Niccolo), 220 n.
Canal d'En Bnites (La), 73 n.
Canals (Antoni), 175, 186, 190.
Canrionero de Baena, 194, 362, 430.
442
INDEX ALPHABETIQUE
Cancionero de Stitniga, 219.
Canoner d'Amor, 173, 174, 398.
Canoniques de reys, 47 n.
Cantique des Cantiques, 208, 315.
Captana (Mossn Anton), 173.
CardonA (Comte de), 188, 189.
Cardon.\ (Berenguer), notaire, 10,
104 n., 116.
Cardona (Ramon de), 22.
Cardona. Voy. F01.CH DE Cardona.
Carlos d'Aragon, prince de Viane,
46 n., 61, 71, 76 n., 80, 82, 83, 95,
174, 287, 307, 362 n., 363, 395, 429.
Carlos (Don), fils de Philippe II, 278
413.
Carpentras, 133, 177.
Carro (Carroz) de Vilaragut
(Luis), 1 n., 210, 211, 404, 413 n.
Cartagena (Alonso de), vque de
Burgos, 362.
Carvajal, 219.
Casalanz, 36.
Caspe (Parlement de), 40, 168.
Castella (Jacme), neveu de Pei'e
March V, 41.
Castella (Ramon), seigneur de Be-
niarj, 8, 42.
Castella (Ramon), 64 n.
Castelldefels, 118.
Castellnou (Jean de), 131, 170.
Castell, 151.
Castellv (Pre de), 117.
Castiglione (Baldassre), 411.
Cast de Muncada, 5.
Catala, cuyer, 112, 116.
Catherine de Lancastre, 64.
Caton (Dionysius), 177.
Caton d'Utique, 199, 259, 282, 305,
377.
Catulle, ami de Juvnal, 281.
Catulle, pote, 241.
Cava (La), 230.
Cavalcanti. V. Guido Cavulcanti.
Cenpey (Guerau), 104 n.
Cent Ballades, 184.
Centella.s (Blanca de), chtelaine de
Sitjar, 19; 20.
CiiDA Y Rico (Fr.), 2, 11, 12, 420 n.
Cerdan (Gimnez), 383.
Cret, 2 n.
Ceriol (Pre), notaire, 37.
Cervera, 12 n., 407.
Cervera (Guillem de), 124, 126.
Cervantes, 262, 414, 420.
Cerver de Girona, 124, 126, 224,
286, 292 n., 395, 424.
CSAR, 140, 284, 377 n.
Cestars (Aymon de), 135.
Cetina (Gutierre de), 417.
Chabaneau (C), 165, 186.
Chabas (Roque), 14, 24 n., 25.
Charlemagne, 134, 140.
Charles VII, roi de France, 66.
Charles d'Aragon. Voy. Carlos
d'Aragon.
Chartier (Alain
),
184 n., 395.
Chastel d'Amour, 134.
Chergui, 67 n., 68, 69, 75.
Cherguiotes (Les), 422.
Chiaro Davanzati, 326, 328.
Chrtien de Troies, 318.
Chrtien Legouais, 164, 229.
Christine de Pisan, 138 n.
Chroniques de Bretagne, 164.
Chroniques des rois de France, 134.
CicRON, 177, 185, 228, 284, 312, 313,
314, 321, 322, 324, 328, 399.
CiFRE (Constana), 6, 39.
CiFRE (Francesch), 39.
CiNO da Pistoia, 286, 298, 327, 329,
333 n.
Claris et Laris, 181.
Clef d'Amours [La], 280.
Clopatre, 230.
Clermont (Auvergne), 114.
Closts (Ramon), 104 n.
Cohles de la divisi del regjie de Mal-
lorca, 183.
CoLL (Marti), notaire, 103 n.
CoLONNA (Egidio), 46 n., 48.
CoMi (En), 132 n.
Comtes de Barcelone. Voy. Barce-
lone.
Confort ou Remde d'amours, 150.
Constance, femme de Frdric de
Sicile, 34.
INDEX ALPHABETIQUE 443
'Constance, femme de Jacme II de
Majorque, 132.
Constance, fille de Manfred de Si-
cile, 15.
CoNSTANA, femme de Jacme March I,
^26,
31 n.
Constantinople, 173,
Corbera, 15, 172.
Corella, 82.
Cornet (Ramon de), 131, 170.
Cots. Voy. Mont, Morella, Segorb,
Valence.
Corse (La), 66, 67, 69, 75, 187.
CosTER (A.), 411 n.
Cosiums de Espanya, 114.
Cotalba, 37, 63 ; Couvent de Saint
.Jrme de, 37, 41, 45, 63, 89, 92,
93.
COTARELO Y MoRI (E.), 170 11.
Cour d'amour, 238 n.
Court Amoureuse, 165.
CozoNDO (Caat), 103.
CozoNDO (Hamet), 103 n.
CozoNjJo (Maymo), 103 n.
Crats, 307.
Creus (Teod.), 30 n.
CuUera, 22 n., 50.
CvRA (Galceran), 72.
ahrugada (Guillem Berenguer), 67.
avall (Ramon), 179.
oT (Ali), 78.
urm, 55, 81, 82, 399.
D
Dalmau (Bartholomeu), notaire, 50.
Dalmau (Jacme), 103Ln.
Dalmau (Francesch), notaire, 40,
44, 57 n., 103 n.
Dante (Alighieri), 121, 127, 128, 177,
185, 188, 190, 192, 232, 250,
256-
262, 267, 277, 280, 282, 283, 286,
287, 290, 292, 298, 305. 319, 320,
327, 328, 331, 333, 342, 343. 347,
351, 358, 360, 391, 393, 405, 408,
409, 413, 426, 428, /i29, 431.
Daroca, 21.
David, 234.
Daviny (En Domingo), 116, 117.
De dilectio e carital, 45 n.
De humiliiate
(?)
de Saint Grgoire,
45 n.
De notes e proser de cant de Sanla Ma-
ria, 45 n.
Delcluze (E. J.j, 268 n.
Deiphine de Glandenez, 57.
Delphine de Sabran (La Bienheu-
reuse), 57, 342.
Dnia, 32, 35, 36, 41, 43, 69, 70, 80,
104 u.
Denk (O.), 226 n.
Descartes, 294.
Desdevises du Dezert, 381 n.
Desplugues, 30.
Desplugues (Francesch), 37.
Desplugues (Guillemona), 31 n.
Despuig
(?)
(Esteban), notaire, 25 n.
Despuig (Luis), 400.
Dezpla (Jacme), 82.
DlAN, 201.
Diccionari e fhrs de cobles, 47 n.
Diego de Fuentes, 2, 262.
DiEz Daug, de Aux, (.Jacme), 82.
DiEz (Rodrigo), 394.
DiNO Frescobaldi, 286.
Djerba, 68.
Dolce stil nuoi'o, 127, 327, 328, 330,
331, 342, 347, 428.
Doi.Ms (Hugo), 72.
Dominicains (Les), 125, 192, 285.
Doria (Brancaleone), 35.
Dormi secure, 46 n.
Du Gange, 18 n.
Dugas (L.), 312, 357 n.
DuGUEscLiN (Bertrand), 32, 33.
Dulcine, 421.
E
Ecole de Toulouse. Voy. Consistoire.
Elche, 32.
Elzar de Sabba.n. Voy. Saint El-
ZF.AR.
Empuries (Ramou d'), 44.
Endvmion, 27'j-
Ei-iriuKi-, 365, 370, 373, 374.
444
INDEX ALPHABETIQUE
Epicuriens (Les), 312, 373.
Erill (Arnau d'), 179.
Erill (Ramon Roger d'), 179.
Ermengart de Narbonne, 176, 314.
EscoLANO (Gaspar), 2.
EspiNOSA (Nicolas), 413 u.
Estocians, 371. Voy. Stociens.
Etablissements de Saint-Louis, 78.
Ethica vtus, 314.
Eugubines (Tables), 109, 256, 384 n.
Evangelis e exemples del Novell Tes-
tament, 45 n.
Evangile (L'), 282, 367.
Eve, 217, 243.
Exacutori [Excitatori ?)
de penssa a
Deu, 45 n.
Exal. Voy. Xal.
Examenon, Exameron, 45 n.
Exemplari, 46 n.
Exemples de la S. Escriptura, 45 n.
ExiMENiz (Francesch), 115, 175.
ExiMENO (Micer Francesch), 79.
Exposicid dels VII psalms, 115.
Exposicions dels Salms, 114.
Facet, Facetus, 135, 228, 282.
Faguet (Em.), 344.
Fara y Sousa (Manoel de), 420.
Farinelli (Arturo), 185, 188, 189,
257 n., 272.
Fauriel (C), 235.
Febrer (Andreu), 184, 187, 188, 256,
426.
Febrer (Jaume), 22 n.
Feliu de la PEfiA, 22, 30, 69.
Fnelon, 331.
Fenollar (Bernt), 111, 177, 204,
394, 400.
Ferdinand le Catholique, 421.
Fernand I**^ d'Antequera, roi
d'Aragon, 30, 43, 64, 168, 169, 172,
180.
Fernandez (Allons), 132 n.
Fernandez de Heredia (Juan), 403.
Ferrandez (Pre), 117.
Ferrer (Francesch), 50, 179, 180,
234, 242, 394, 395, 400.
Ferrer de Guissona (Gernim),
407.
Ferrer y Bign (Rafal), 3, 174,
399 n.
Ferruix (Gabriel), 180.
FlAMMET'JA, 268.
Figueres, 398.
FiGUERES (Hierny), 1, 2 n., 195,
413 n.
Flandres (Les), 381.
Florence, 211.
Florinde, 230.
Flors del Gaij Saber. Voy. Lsys
d'amors.
FoGASsoT (Johan), 173, 174.
FoLGH DE Cardona (Femando), 404.
Folqueris (Pre), notaire, 21.
FOLQUET DE LuNEL, 253 D.
Folquet de Marseille, 124, 239,
251 n., 254 n., 428.
Font d'en Carro, 82.
FoNTANELLA (Franccsch), 407.
Foyos, 50.
France (La), 36, 61, 78, 131, 136, 228,
230,315,323, 343,424,425.
Francesco da Barberino, 319, 320.
Francina (Na), esclave d'Auzias, 95.
116.
Frdric de Luna, 68, 69.
Frdric IT, roi de Sicile, 34, 320.
Frre de Joie, 135, 183.
Frondino e Brisona, 135.
Fu.MEYT, 78.
G
Gabriel (L'Ange), 180.
Gay Saber, Gaie Science, 29, 30, 114,
115, 124, 130, 135, 165, 166, 167,
171, 174, 196, 228, 231, 232, 332,
407, 425.
Galeot, 181, 182.
Galice (La), 32.
Galien, 279.
Gallacii (Johan de), 84.
Gallardo (B. J.), 420 n.
INDEX ALPHABETIQUE
445
Galter, Gualterius, 182, 183.
Galvany (Pre), 179.
Gandie, 7, 8, 12 n., 14, 15, 31-33, 34 n,
36-38, 41, 42, 44, 50, 51, 54, 65, 67,
69, 70, 72, 73, 75-80, 83, 97-100,
103, 106, 111, 116, 187.
Garcia (Anthoniiis), 104 n.
Garcilaso de la Vega, 261, 403,
411, 412, 415, 416, 420.
Gardair (J.), 288 n.
Garrigas (Bernt de), notaire, 34.
Gasc (Na Yolant), 101.
Gaucelm Faidit, 157, 239, 246 n.,
253.
Gautier. Voy. Galer.
Gavaudan, 273, 346.
Gazali, 314.
Gnes, 66, 68.
Gnois (Les), 19, 22, 67, 68, 187,
256, 423.
Geoffroy de Montmoutii, 188 n.
Gesici, 20 n.
Gestes, 229.
GiL DE Vidaure (Teresa), 16 n.
GiL (Pre), 38 n.
GiL Polo (Gaspar), 2, 69.
Gilles de Rome, 46 n., 285.
Giraldi (Lilio Gregorio), 413.
Giraud d'Espagne de Toulouse,
242.
Gobernal, Governal, Guvernal,
182.
Godefroy de Bouillon, 134.
Gomez (Odoardo), 263.
Gralla (Jacme), 30.
Granvelle (Cardinal de), arche-
vque de Besanon, 413.
Graziella, 350.
Grenade, 408.
Guergues. Voy. Chcrgui.
Gui d'Uisel, 238.
Gui Nantull, 126.
GuiDO Cavalcanti, 127, 286, 327.
Guido delle Colonne, 229.
GuiDO GuiNicELLi, 127, 286, 327,
328.
GuiDO Orlandi, 286, 327, 328.
GuiLHEM d'Aquit.\ine, 249.
Guillaume, vque d'Auxerre, 314.
Guillaume II, vicomte de Nar-
bonne, 66.
Guillaume de Lorris, 248 n., 323.
Guillaume de Machaut, 164, 184,
242 n., 395.
Guillem Vedel de Mallorca, 170.
Guillen Veneciano (Maestro), 191.
Guimera (Madona Ysabel de), 185.
GuioT (Dionis), 174, 399.
Guiraut de Bornelh, 232, 245 n.
GuiRAUT de Calanso, 248, 249, 316,
317, 319, 323, 325. 328, 333, 429.
Guiraut Riquier, 124, 125, 238 n.,
249, 254, 286, 303 n., 325, 328.
GuiRON LE Courtois, 134.
GuiTTONE d'AREzzo, 127, 326.
Guyenne (La), 36.
H
Hanapes (Nicolas de), 46 n.
Haurau, 282 n.
Henri de Bar, 164.
Henri III de Castille, 64.
Hercule, 139.
Hermengaud de Sabran, comte
d'Ariano, 57.
Herrera (Fern. de), 412 n., 418, 419,
420, 421.
Heyse (P.), 246 n.
HippocRATE, 234, 270, 279, 380.
HiPPOLYTE, 282.
HiTA (L'archiprtrc de), 362.
Homre, 299.
Horace, 281.
HoYos (Juan Lpez de), 262, 414.
Hue Faidit, 130.
Hugo (Victor), 421.
Iglesias, 19.
Image du Monde, 47 n.
Imprial (Micer Francisco), 408.
Innocent III, pape, 'i5 n., 46 n., 49,
Inquisition (L'), 125, 129.
Instiluci de art de cavalieria, 47 n.
ISEULT, 188.
446 INDEX ALPHABETIQUE
Italie (L'), 67, 68, 109, 187, 188, 223,
232, 251, 256, 257, 261, 323, 331,
341-343, 415, 422, 427, 429.
Jacme d'Aragon, vque de Va-
lence, 190.
Jacme I*^' le Conqurant, 14, 15,
17, 24 n., 31, 51, 54, Cl, 123, 124,
263, 419.
Jacme II, roi d'Aragon, 17-21, 24, 55,
126, 131.
Jacme de Majorque (L'infant),
132 n.
Jacme II de Majorque, 132.
Jacme le Malheureux, comte d'Ur-
gel, 43, 44.
Jacmena
(?),
103 n.
Jakes d'Amiens, 330 n.
Janer (Joan), chambellan, 29.
Jardinet d'orats, 401.
Jason, 229.
Jean XXI, pape, 47 n.
Jean de Galles, 47 n., 48, 62, 322,
324, 374.
Jean de Garlande, 228.
Jean de Meun, 313, 324, 325.
Jean de Werden, 46 n.
Jean
1er,
j-oi d'Aragon, 29, 30, 33, 36,
48, 61, 134, 136, 137, 149, 157, 162,
164, 167, 171, 182, 185, 190,
Jeanne de Naples, 67.
Jeanroy (Alfred), 231, 258, 315 n.
Jehan le Bel, 330 n.
Jess, 400.
JSUS, Jsus-Christ, 282, 324, 326,
327, 377, 391.
Joan (L'infant). Voy. Jean I^'', roi
d'Aragon.
Joan (Francs), 11.
Joan del Pobo, trsorier, 9.
Job (Le livre de), 282.
Jochs Florals. Voy. Barcelone.
Jofue de Foixa, 170.
Johan (Pcre), 94 n.
Jolia (Andreu), notaire, 72.
JONATHA'4, 284.
Jordi de Sent Jordi,
187, 188, 189,
240, 256, 426.
Jourdain (Ch.), 288 n.
Jovades de Na Maria, 79.
Juan (Honorato), vque d'Osma,
278, 413.
Juan II, roi de Castille, 251, 361, 362..
Juan II, roi de Navarre,
8, 9, 69, 76,
80, 84, 85, 173, 395.
Jucar (Le), 102.
Juifs d'Aragon (Les), 21, 125.
JuLiA (Mossn), 91 n., 114.
JuLiA (Mossn Miquel), 116.
JUVNAL, 281.
K
Kerkenah. Voy. Chergui,
I
Lamartine, 350.
Lambert, 177.
Lanceloi, 134, 175, 181, 182, 230.
Lancelot du Lac, 142.
Lanfranco Cigala, 246 n., 347.
Langlots (Ern.), 324.
Las naturas, d'alcus auzels e d'alcunas
bestias, 281.
Laure, 222, 225, 257, 270, 273-275,
330, 348, 351, 360.
Leconte de Lisle, 277.
Len (Fray Luis de), 418, 419.
Lonard d'Arezzo, 288, 363.
Lrida, 21, 30, 62 n., 136, 285.
Lth, 259.
Lejjs d'amors, 129, 130, 136, 146, 162,
170, 188, 193, 224, 250, 252, 297 n.,
325, 424, 425, 431.
Libre de Memories de la ciitiat e rgne
de Valencia, 11, 23, 98.
Limousine (Ecole, Langue, Posie),
111, 123, 169, 175, 183, 224, 412.
Livre de l'Ordre de la Chevalerie, 27.
Lombez, 263.
LoPEz (Adam), ciiyer d'Auzias,
103 n.
Lopiz (Adam), fauconnier, 82.
INDEX ALPHABETIQUE 447
LORQUA (Johan de), notaire, 8.
Llabrs (Gabriel), 5, 11, 119 n.
Llibre apellai Cidratus, 46 n.
LUhre de Cilurgie {Clergie) apellai
Cidrat, 47 n.
LuciLius, 362.
Lucrce, dame romaine, 265.
Lucrce, pote latin, 370.
LucREziA, 329.
LPEZ DE Mendoza (Inigo). Voy.
SA?yTILLANA.
LuLL (Ramon), 47 n., 48, 114, 115,
124, 126, 127, 149, 224, 290.
LuLi. (Romeu), 390, 401, 402, 403,
409, 430.
Luther, 392.
LUYS d'IxER, 5.
Lynce, 229, 284.
II
Madrigal (Alonso de), vque
d'Avila, 362.
Magdelo.n, personnage de Molire,
318.
Mahomet, 81, 82.
Majorque, 66.
Malferit (Jacme de), 102, 103.
Mallol (Lorenz), 186, 256.
Manche (La), 381 n.
Manfred, roi de Sicile, 15.
Manual de Concells, 191.
Manuel (Ferrant), 251.
Marc (Bortholmieu), 130, 131, 424.
Marcabrun, 243.
March (Aldona), fille de Johan
March, 34, 41, 43, 64.
March (Alphonse), 85.
March (Anthonia), 50.
March (Arnau), jiislicia civil de Va-
lence, 8, 25.
March (Arnau I), 41, 50.
March (Arnau II), pote, 41, 43, 49,
50, 180, 182, 191, 224, 230, 251,
426, 430.
March (Bartholomeu), 26, 41, 191.
March (Bartholomeu), d'Oliva, 50.
March (Berenguer), jur de Valence,
23, 24.
March (Berenguer I), chanoine de
Valence, 10, 21, 23, 24, 26, 35, 46.
March (Berenguer II), matre dfr
Muntesa, 24, 26, 30, 39, 45 n., 48,
49, 114.
March (Berenguer), de Tarragone,
15, 24.
March (Felip), 94, 116, 117.
March (Francs), 11.
March (Francesch), justicia civil de
Valence, 23 n.
March (Francesch), citoyen de Bar-
celone, fils de Pre March V, 34,
118.
March (Francesch), fils d'Auzias, 85,
89, 93, 108,
March (Gerni), 119 n., 120.
March (Gualba), 41.
March (Guerau), 41.
March (Guillem), 22.
March (Guillemona de), 30.
March (Jacme), combattant de Bi-
var (1245),
22 n.
March (Jacme), fils de Ramon
March, 48.
March (Jacme I), 21-26, 27 n., 31,
35, 101.
March (Jacmot, Jacme II), pote,
3 n., 26-29, 31, 32, 34, 43, 47-49,
65, 133, 135, 138, 141-148, 155,
162, 163, 165, 166, 170, 191, 224,
230, 251, 361, 424, 425, 429.
March (Jacme), dput de la Gn-
ralit de la Catalogne, 30.
March (Jacme), seigneur d'Aram-
pruny, fils de Pre March V, 34,
118, 119.
March (Jacme), huissier d'Al-
phonse V, 19 n., 41.
March (Jaumc), jur de Valence,
2.',
March (Jaume), du xvi^ sicle, 22.
March (Johan), fils de Pre March V,
34, 38, 39, 40, 64, 101.
March (Johan), fils d'Auzias, 94, 104,
112.
448 INDEX ALPHABETIQUE
March (Johana), femme de Jacme
March d'Arampruny, 118.
March (Johana), fille d'Aiizias, 94,
116, 118.
March (Leonor), 35, 41.
March (Lle), 48 n.
March (Luis) , neveu de Pre March V,
41.
March (Luis), 19 n.
March (Marti), 23 n.
March (Pedro Ausias), de Cervera,
407.
March (Pre I), notaire du roi d'Ara-
gon, 14-17, 124.
March (Pre II), secrtaire-greffier
du roi d'Aragon, 17, 18.
March (Pre III), trsorier et con-
seiller des rois d'Aragon, 6,
18-24.
March [Pericd, Pre IV), trsorier,
6,
21-24, 26, 35.
March (Pre V, major dicrum), pote,
4, 7, 8, 10, 24 n., 26, 29; 31-36, 38-
40, 42, 44-46, 48-50, 55, 56, 58, 63,
69, 79, 86, 97, 101, 112, 113, 115,
118, 119, 131-133, 135-137, 148-
151, 153-157, 160, 162, 163, 106,
169, 174, 191, 213 n., 224, 234, 322,
325, 342, 361, 423-425, 429.
March (Pre VI, junior],
6, 35, 38,
40-
43, 48 n., 56 n., 101, 118.
March (Pre VII), fils d'Auzias, 93,
94, 116.
March (Peyrona), 35, 40, 41, 56,
57 n., 58, 73, 87, 88, 119.
March (Ramon), 15.
March (Ramon), seigneur d'Aram-
pruny, 48 n.
Mauch (Yolanda de), femme de Bo-
nafocam de Vallebrera, 37.
March (Yolanda), fille de Johan
March, 34, 41, 43.
March (Yolanda), fille de Ramon
March, 48 n.
March de Pina, notaire, 79.
Marchus, 14 n.
Marcius, 14 n.
Marc (J. de), 14 n.
Marguerite, reine d'Aragon,
49, 50.
180, 182.
Maiia, femme de Pre March III, 21.
Maria de Luna; reine d'Aragon, 49.
Marian'a (Juan de), 421.
Marie, femme d'Alphonse V d'Ara-
gon, 9, 64, 67, 84, 103, 110, 383.
Marie de Champagne, 314.
Mariner (Vicente), 262, 263, 420.
Marques, 14.
Marques (Pre), notaire, 17 n.
Marseille (Bibhothque de), 177.
Marsile Ficin, 341.
Marta, esclave d'Auzias,
94, 95, 116,
117.
Mart (Castellana), 94.
Mart (Constana), 94, 104 n.
Mart, cuyer, 116.
Mart (Francesch), 91, 94 n.
Mart (Ramon), 125.
Martin l'^i'.roi d'Aragon,
11,30,38 n.,
40, 49, 147 n., 162, 167, 168, 175,
179, 180, 182, 186, 190.
Martnez (Bonifacio), 4 n.
Martnez de Toledo (Alfonso), ar-
chiprtre de Talavera, 362.
Martnez (Pre), 400.
Martorell (Damiata), 81, 88.
Martoreli. (Francesch de), 81, 88.
Martorell (Galceran), 89.
Martorell (Isabel de), femme d'Au-
zias March, 80, 81, 88, 90, 92, 108.
Martorell (Jammot), 81, 89.
Masc (Domingo), 182.
Masdovelles, 194, 426.
Masdovelles (P. Johan de), 399.
Mass Torrents (J.), 1 n., 30 n.,
189 n., 416 n.
Mataplana (Hugo de), 124.
Mateu (Johan), 172.
Matfre Ermengau, 46 n., 48, 62,
125, 134, 232, 238 n., 326.
Mayans y Siscar (J. Ant.), 2, 11, 12,
420 n.
Mde, 229.
Mliadus, 134.
Mmorial de la Audiencia de Palma
de Mallorca,
5, 56.
INDEX ALPHABETIQUE
449
Mena (Juan de), 383 n.
Mendoza (Diego Hurtado de), 415-
417.
Menndez y Pelayo (M.), 226, 257,
258, 271, 278, 409 n., 410 n., 420 n.
Mercadeu (Berenguer), 83.
Mercader (Juan), 10.
Mercader Mallorqu (Lo), 179.
Mescua (Francesch de), 177, 394,
Metge (Bernt), 133, 135, 136, 183,
185, 189, 190.
Metge (Mestre Fcrrando), 399.
Mey (Joan), 403 n.
Meyer (Paul), 31, 149, 241, 245 n.,
326.
Michel-Ange, 405.
MiLA. Y FoNTANALs (Manucl), 3, 128,
133, 177, 182, 186, 189, 225, 226,
232, 251, 396, 403, 431.
Milanais (Les), 68.
MiLLAs (Elisen de), 48 n.
Minerve, 413 n.
MiQUEL DE LA ToR (Mcslrc), 114,
231, 232.
MiRET Y Sans (.Joaquim), 20 n.
Moine de Montaudon (Le), 156,
160, 188, 238 n., 319.
Molire, 222, 318.
MoLiNiER (Guilhem), 130, 424.
MoNBOiii (Na), 96, 199, 210, 211,
220, 221, 272, 297, 335, 395.
MONBOY. Voy. MoNROIli.
MoNCADA (Guillem Ramon de), 40.
MoNPALAU (Johan de), 72, 104.
MoNTAGXJT (Johan de), 101, 119.
MoNTALEMBERT (Ch. de), 315 n.
MoNTANHAGOL (Guilhcm), 124, 246,
318.
MoNTEMAYOR (J. dc), 2, 212, 262 n.,
407, 414, 415, 419.
Mont (Corts de), 30, 35, 36, 84.
Monteioy, 90.
Montpellier, 25.
MoNYO (Francesch), 101.
MoRATA (Johan), 72.
Morel-Fatio (Alfred), 11, 112 n.,
175, 228, 298 n., 418.
Morella (Corls de), 85.
Moreno (.Johan), 111, 116, 204, 252,
39^.
MoRER (En Francesch), 174.
Mores de Berbrie (Les), 37 ;

de
Grenade, 20 n.
MuNA (Barthomeu), 103 n.
Mlntaner (Ramon),
126, 132.
Muntesa (Ordre de), 19, 27, 30, 48, 49,
114, 400.
Murvedre, 27 n., 29, 32, 137, 1.38.
l\
Najera, 33, 69.
Naples, 65, 82, 83, 75, 109, 173, 204,
219, 256.
Navagiero (Andra), 408.
Negre (Johan), ccuyer, 64 n.
Ngre (Marti), 116.
Neptune, 407.
Nioa, 80, 89, 102.
Nmes, 231.
Novellet (En), 132 n.
o
Obrador y Bennassar (Mateu),
114 n., 126 n.
Oliva, 50, 73 n., 78.
Oi.ivA (Comte d'), 401.
Oliver (Bernt), 45 n.
Oliver (Francesch), 184 n.
Ordinacions de la Iglesia, 46 n.
Origfne, 284.
Orphe, 167.
Ortiz (.J. Mariano), 2.
OroN DE Granson, 184, 395.
Ovide, 175, 185, 190, 228, 280.
Oxiord. 36.
Pages (Am.), 3 n., 129 n.
Palamde, 181, 182.
Palazol (Berenguer de), 124.
Palerme, 320.
Palma, prs dc Gandie,
8, 36, 37, 99,
100.
Am. Pages.

Auzias Alarch. 29
450 INDEX ALPHABETIQUE
Palma de Malloica, 5, 11, 115.
Pardines, 8, 31, 40, 42, 69, 73, 76-80,
97, 98 n., 118, 121.
Paido (Mossn Pero), 172.
Paudo de la Casta (Pre), 92.
Paris (Gaston), 183, 318.
Paris, 164, 165, 167, 285 ;
Universit
de, 62, 320.
Parques (Les), 348.
Pascal (Biaise), 230, 392.
Pastor (Simon), 176.
Paz y MLiA (Ant.), 4, 26, 34, 45 n.,
48 n., 50, 55, 56, 63 n., 131, 362.
Pedrall.s, 27, 28.
Pedrcgiier, 81. 90,
91.
Pedrell (Felip), 251- n., 407 n.
Pedro, conntable de Portugal, 39,
111.
Peire Bremon Ricas Novas, 227.
Peire Cardenal, 114, 160, 188, 232,
243, 382.
Peire Espacmol, 252 n.
Peire Ramon de Tolosa, 235, 236,
237 a., 268, 284.
Peire Rogier, 241 n., 316 n.,
Pelayo Briz (Fr.), 262 n.
Penyafor'i (Ramon de), 125, 407.
Pres de l'Eglise (Les), 363, 392.
Prez (Johan), 9.
Prez de Guzman (P.), 169, 362 n.
Perillosa Guarda, 183.
Periz de Fozes (Thomas), 129.
Prouse, 109, 257, 384.
Perpignan, 49.
Perteoas (D' J. Rodrigo), 4, 9.
Petit (Jules), 330 n.
PfItrarque, 185, 186,
188-190, 192,
195, 225, 233, 240, 241, 250, 254,
256, 257,
261-276, 278, 286, 295,
298, 329, 331, 342, 344, 347, 348,
350, 351, 353, 358-360, 393, 405,
406, 408, 409, 413-415, 418-420,
426, 428, 429.
Phdre, 282.
Philippe II, roi d'Espagne, 112, 413,
414.
Philippe III, roi de France, 285.
Philippe de Vitky, 164 n.
Pikerus (Gaston), comte do Foix,.
164.
Pierre II d'Aragon, 124.
Pierre, comte d'Urgel, 30.
PrERRE d'Aragon (L'infant), 15,.
17 n.
Pierre d'Aragon (L'infant), comte
de Rihagora,
8, 32 n., 131, 132,.
148, 155, 424.
Pierre d'Aragon (L'infant), duc de
Noto, 68, 69, 423.
Pierre IV te Crmonieux, roi'
d'Aragon, 6, 11, 19 n., 20-24,
27,
29, 32, 33, 36, 45, 61, 71, 128, 132,.
133, 136, 137, 142, 149, 157, 162,.
164.
Pierre de Bi.ois, 315.
Pierre d'Espagne, 47 n.
Pierre-Gauthiez, 261 n.
Pierre t e Cruel, roi de Caslille, 32,.
33, 138, 154.
Pmoan (J.), 5, 65.
Pise (Rpublique de), 19.
Platon, 177, 284, 299, 310, 312, 329,.
331, 338, 341, 345, 370, 374.
Platoniciens (Les), 371.
Pompe, 140.
Pons (Lluch), notaire, 57 n., 72..
Pons de Capduelu, 273, 346.
Ponza, 84.
Pop, 38.
PoRTOGiL (Agns de), 103.
Portugal (Le), 403.
PouRciioT, 300 n.
Prcieuse (Littrature), 414 n..
Prince de Galles, 32, 33.
Prince ]Noir. ^oyez Prince de
Galles.
Procs de les Oln>es, 413 n.
Prodtcus de Cos, 139.
Provenaux (Les). Voy. Troubadours..
Proxida (Isabel de), 99.
Proxida (Mossn), 179.
Puculull (Johan), 173.
Pugekiol, notaire, 8, 9.
PujOL (Jean), 405-407.
Pygmalion, 274.
Pyrame, 229.
INDEX ALPHABETIQUE 451
o
QuADRADO (J. Maria), 3, 225, 271,
350, 419 n.
Quaestiones de Anima, 46 n.
Que la persona rlca salvar no s pot,
46 n.
QuERALT (Guerau de), 133.
QuERALT (Pre de), 179.
Querquens. Voy. Chergui.
Questiones de la anima e del cos,
46 n.
QuEVEDO (Fr. de), 419.
QuiLS (xNicolas), 190.
QuiNTAVAL (.Jayme de), 25 n.
QuixADA (Fray Toms), 415 u.
K
Rafal d'en Siscar (Lo), 50.
Rafol, 80, 88, 89, 102.
Raimon de Miraval, 227.
Ramo (Francesch Jharoni), 2 n.
Rebollet (Chteau de), 82.
Rgnier (Mathurin), 95.
Renaissance (La), 109, 159, 190, 220,
248, 257, 273, 276, 343, 363, 391,
406, 421, 430.
Renard {Roman de), 11.
Reparlimientos de los reinos de Mal-
lorca, Valencia
y
Cerdena, 14, 15,
16, 90, 124,
Resa (.Juan de), 2, 237 n., 262, 263,
404.
Retgles d'amor, 182.
Rhodes, 394.
Rhne (Le), 350.
Rhythmus de Contempla Mundij 62,
283, 284.
Riambau d'Aurenga, 244 n.
Ribagora (Comte de), 69.
RiBALTA (Juan de), 110.
RiBELLEs (Elvira de), 101, 119.
RiBELLES (Gaspar de), 5.
RiBERA (Rodrigo). 2, 19, 24, 27, 28.
RiBOT (Th.), 299, 300 n., 301.
Richard de Fourmval, 175.
RiGAUT DE Barbezieux, 150, 238,
316 n.
RiMiNi (Francesca di), 258.
RiPOLL (Elionor ou Leonor de), 34,
40, 41, 45, 50, 55, 56, 57 n., 67, 72,
87, 101.
RiPOLL (Fr. Jehan), seigneur du Ge
novs, 37.
RiPOLL (Pre de), 101, 119.
Robert d'Anjou, roi de iNaples, 175..
RoBERT Greatheat, de Lincoln,.
320, 362.
RocABERT (Le vicomte), 142.
RocABERT (Felip Dalmau de), 1331
RocABERT (Fra), 174.
RocABERTi (Guillem Galceran de)>
28.
RocH.\BERTi (Dalmau de), 131.
RoAYAL (Ali), 82.
RoAYAL (Caat), 82.
RooAYAL (Mnhommat), 82.
RoDocANAcni (E.), 220 n.
Rodrigo (Don), roi wisigoth, 230.
rodrguez
(j.),
263.
Roger de Castell, 150.
Roger de Castell (Madona), 151,.
153.
Roi de Corella (Fra Joan), 164.
Roi DE Corell.a (Johan de), cou-
sin de Pre March V, 41.
RoiG (Jacme), 2 n., 59 n., 89, 17S
177, 394.
Roiz DE Corella (Johan), gouver-
neur de Valence, 83.
Roland, 140.
Romagne (La), 327.
Roman de Jaufre, 316 n.
Roman de la Ro'ie, 280.
Roman de Troie, 183 n., 229.
Roman i (Baltasar de), 40'i, 407, 413,
415 n.
Romasrt (En), 132 n.
Rome, 190, 230, 285.
RoMEU (Jacme), 79, 101.
RoMEU (Johan), 45 ii., 49.
RoQUAFouT (Johan), 398, 400.
RosELL (Pai), notaire, 10, 92.
Rossa (Na Francina), 401.
452 INDEX ALPHABETIQUE
RossEi.L (G.), 126 n.
RoviRA (Pre), 89.
RuBERT (Francesch), notaire, 99.
RuBi Y Lluch (Ant.), 48 n., 128,
136, 164 n., 168, 226, 271, 278.
RuBi Y Ors (J.), 1 n., 3, 4 n., 23,
65, 225, 271.
RuBioLS (Pre), 10, 79, 101.
Saavedra Fajardo (Diego de), 263.
Sabrugada, dominicain, 125.
Saez (Fray Liciniano), archiviste,
7 n., 8 n.
Saint Alexis, 57.
Saint Ambroise, 45 n., 313.
Saint Augustin, 259 n., 299, 363,
377.
Saint Bernard, 175, 190, 283, 315.
Saint Bonaventure, 125.
Saint Christophe, 400.
Saint Elzar de Sabran, 57, 342.
Saint Franois d'Assise, 132, 283.
Saint-Georges (Ordre de), 49.
Saint Grgoire, 45 n.
Saint Isidore de Svilt.e, 47 n.
Saint Jean, 234.
Saint Jrme, 45, 307 ;
Couvent de
Saint Jrme. Voy. Cotalba.
Saint Marc, 98 n., Chapelle

de la
Seu de Valence, 10, 25, 35, 41, 50,
93, 116, 120.
Saint-Martin, paroisse de Valence, 38.
Saint Mathieu, 389 n.
Saint Paul, 283.
Saint Pierre, 282.
Saint Silvestre, 46 n.
Saint Thom.vs d'Aijuin, 115, 125,
127, 185, 259 n., 260, 270, 280 n.,
284, 285, 287, 288, 290-295, 297-
303, 305-308, 320-323, 326, 327,
328, 331-333, 340, 341, 343, 344,
357, 360, 363, 369, 377, 378, 380,
382, 384-386, 388-393, 428, 429.
Saint Valrien, 57.
-Saint Vicent Ferrer, 64, 111, 185,
285.
Sainte Ccile, 57.
Salamanque, 418
; Ecole de

, 418.
Salazar (Eugenio de), 263.
Salmarius (Johannes), 103 n.
Salomon, 234, 284.
Salleri, 46 n.
Salut d'amour, 134.
S.\mp);r (Hipp. de), 2 n., 48.
Samson, 234, 284.
San Cucufat dei Valls, 131 n.
;
Corts
de , 66.
San Matheu, 49.
Sanchez (Ant.), 263.
Sanchez de ias Brozas (Fr.), 412 n.,
418.
San (Gabriel), 10.
San (.Jehan), notaire, 87, 92, 104 n.
Sandoval (Beatiiu de), 5.
Santaf (Nicolau), 98.
Saniillana (Marquis de), 38, 39, 53,
95, 111, 133, 156, 169, 174, 184 n.,
188, 362, 363, 393, 408.
Sanvisenti (B.), 271, 272.
Saplana (Fr. Pre), 132 n., 190.
Saragosse, 38, 169, 285.
Sarola (Francesch), 9.
Sardaigne (La), 19, 20, 22, 40, 66, 67,
69, 120, 126, 132, 256.
Sarrasins (Les), 14, 16, 42, 55, 76, 80,
81, 89, 103.
Sarmieno ivr. de), 263.
Sav.i-Lopez (P.), 127 n.
Scar.^no (N.), 241.
ScHJFF (M.), 282 n.
Schisme d'Occident (Le), 179.
Scolastique (La), 181, 192, 258, 276,
428, 429.
ScoRNA (Bernt de), 90, 92.
ScoRNA (Castellana), 91.
ScoRNA (Constana, Castella), 81, 82,
90, 91, 102.
ScoRNA (Damiata), 91, 114.
.Sc:ORNA (Johana), femme d'Auzias
March, 90, 91, 92, 93, 94, 102, 104,
116.
SroT (Duns), 293 n., 322, 371.
ScRivA (Mossn Jachme), 184 n.
ScuDRY
(Mlle
de), 318.
INDEX ALPHABETIQUE 453
Secundum quod dicit Filosopus in se-
cundo de Anima, 115.
Segorb (Corts de), 49.
SNQUE, 62, 105, 190, 259 n., 282,
284, 299, 306, 361, 362, 363, 366 n.,
370, 372, 373, 374, 377, 391.
Seraf (Pcre), 290 n., 405, 406.
Sereno, Sirne?, 188.
Sermojs dvminicals, 46 n.
Serradell de Vich (Bernnt), 182.
Serrano y Morales (J.), 420 n.
Seseli.es (Blay), 398.
Sete Saisis, 135.
Sville (Ecole de), 418.
Sibylle (La), 186.
Sicile (La), 34, 66, 75, 109. 127.
Sidrach, 46 n., 47 n., 48, 62.
Silgucs, 151.
SiLius Italicus, 281.
Siurcs, 20 n.
Sochate, 379.
S (Benial de), 33, 133, 135, 149.
SoLER (Pre de), mdecin, 38.
SoMA (Duchesse de), 261, 408.
Sorda, 151.
SoRDEL, 124, 246, 318.
Sors (Lonard de), 173.
Spano (Anthonius), 103 n.
Spinoza, 331.
Streye (Mossn Anlhoni), prtre,
117.
Stociens (Les), 306, 312, 370, 371,
373, 382, 391.
Stocisme, 159, 370, 391.
Sl'aris (Isabel), 176, 177.
Sulamite (La), 208.
Sur.i.Y Prud HOMME, 370.
Siimari de rgles de dret, 47 n.
Suna. Voy. una.
T
Table Bonde (Le livre de la), 134.
Table Ronde (Romans de la), 162,
181-183, 318, 342, 424.
Taine (Henri), 13, 276 n.
Tallander (Antoni), 109, 257, 377.
TAMAYODEVARc:As(Th.),412n.,4l7n.
Ta.ntale, 229, 382.
Tapia (Juan de), 219.
Tasso (Bernardo), 409.
Tassoni (Alessndro), 263-266, 268-
270.
Tastit (Joseph), 11, 112 n., 131 n.,
396.
Tecla de Borja (i\a), 111, 176, 204,
394.
Teruel, 21.
Tesaurus paupenim, 47 n.
Testament d'umor, 183.
Thopiirasie, 312.
Thf.hse, 197, 209-212, 215, 221, 222,
265, 274, 398, 407, 421.
Thrse ni: Jsus (La bienh.), 407.
Thse, 229.
Thisb, 229.
Thomas (Antoine), 319.
Thomas d'Irlande, 47 n., 48, 62.
TiBERirs Gracciti's, 167.
TicKNOR (G.), 400.
TiRABOscHi (G.), 114 n., 232 n.
TiTE-LVE, 399.
TiTYos, 259, 280.
TixioN, 259.
ToLSA E DE MuNCADA ( Angcla)
,5,
87.
ToLSA (Johan), 5.
ToRELLi (Pomponio), 262, 267.
ToRNER (Joseph), 405 n.
ToRRAs Y Bages (J.), 278, 333 n.
ToRRE (Alfonso de la), 332 n.
ToRRELLA (Auzias), 94, 116.
ToRRELLA (Guillem de), 133, 135.
ToRRELLA (Jaume), 10.
ToRREs Y Reyet (J.), 3, 17 n., 20 n.,
21, 48 n.
ToRROELLA (Pcrc), 181, 188, 219,
395, 396, 397, 398, 401.
Toitose, 32.
Toscane (La), 127, 326, 327.
Toulouse, 60, 129, 285 ;
Acadmie ou
Consistoire'dc, 29, 128, 129, 131,
132, 157, 162, 165, 167, 184, 186,
192, 224, 231, 252, 342, 400, 401,
423-426; 430 ;
Jardin des Augus-
tincs de , 129, 174 ;
Universit
de , 175.
t54
INDEX ALPHABETIQUE
Trahella, 80, 89, 102.
TRA^'STAMARE (Heuri de), 32, 33.
Trasfort, 179.
Trsor de la lengua francesa, 47 n.
Tribaldos de Toledo (Luis), 262,
419.
Trilles, 37.
Tristan, 134, 175, 181, 182.
Trohar dus, 250, 343, 430.
Troubadours (Les], 123, 125, 129,
132, 134-136, 139, 142, 148, 156,
157, 162, 163, 170, 171, 174, 185,
188, 189, 192, 193, 224-225, 274,
.285, 290, 295, 316, 320, 326, 330,
340, 343, 346, 347, 358, 361, 382,
393, 408, 422,
424-431.
Trouvres (Les), 189.
"
Tudela, 76.
TuLLIL'S, Voy. ClCRON.
Turcs (Les), 394 ;
Croisade contre les
, 173.
Turmeda (Auselm), 179.
u
rUc Brunet, 238, 242 n.
Vc n'E Bruxdei., 316 n.
Ufa de Gandie, 82.
LTguccione, 47 n.
LTguti, 47 n.
Ulsinelles (Bernai de), 23.
Urf (Honor d'), 414 n.
V
Valence, 31, 35, 45, 49-51, 55, 60, 61,
70, 75, 78, 82, 83, 91-93, 98, 99,
102, 104, 106, 110, 111, 116, 118,
119, 121, 162, 172, 175-177, 185,
1:90, 191, 210, 219, 224, 231, 285,
-394, 398-400, 403, 404, 406, '.07,
413, 426. Corts de64, 85, 285
;
Couvent des Prcheurs de , 31,
33
;
Eglise Saint-Thomas de
,
92, 112
; La Seu de, 177, 190.
Valire Maxime, 190.
Valladolid, 404.
Valldonzella, 174.
Vallebrera (Bonai'ocani de), 37,
Vallebrera (Bonanat de), 48 n.
Vallespir, 2 n.
Vallmanya (Anthoni), 173, 174,
229 n., 398.
Vaucluse, 350.
Vega y de Sentmanat (J. de), 12 ii-
Vega (Lope de), 419.
Vfgce, 399.
Velasco y Santos (Mijruel), 3,
Vnitiens (Les), 209, 289.
VNUS, 201, 248, 317, 318, 331, 335,
336, 337.
Vrard (Ant.), 176 n.
Verdaguer (Fr.), 73.
Veriier (Lo loch del), 39.
Vernia, alqueria, 8, 36, 40, 42, 69,
73, 79, 97, 98 n., 121.
Vernia, rivire. Voy. lernia.
ViAAK (Prince de). Voyez Carlos
d'AitACON.
Vich, 18.
ViCH (Galceran de!, 99.
ViciANA (Martin de), 99.
Vida de Sent Sih'csivc (Part de la),
46 n.
Vidal de Besalxj (Ramon), 53, 123,
124, 130, 134, 170.
Vierge Marie (La), 177, 180, 197,
202, 203, 220, 246, 324, 342, 358,
361, 387, 394, 398, 400, 403, 425.
Vigny (Alfred de), 277.
ViLA (Pre Albert), 251 n., 407.
Vilajoyossa, 103 n.
ViLAPLANA (Guillem), notaire, 103 n.
Vn.ARAGUDA (Na), 67.
Vilaragut (Mossn Anton), 190.
ViLARAGUT (Berenguer de), 67, 179.
Vilarasa (Luis de), 184.
Viljvrig (Alamanda de), 39,
64.
ViLARiG (Bernt de), 39.
ViLARiG (Guillem de), 39.
ViLARiG (Joffre de), 39.
ViLARiG
(
Yolanda de), lemme de Je-
han Mardi, 34, 39, 64 n., 101.
ViLANOVA (Elionor de), 83, 84.
ViLANovA (Francesch de), 84.
ViLANOVA (Pre de), 38.
IMDEX ALPHABETIQUE 455
ViLARNAU (Arnau de), 19.
ViLEiA (Luis Juan), 278, 405.
ViLi.Ai.BA Y EsTANA M^aith. de),
41 n.
ViLLALPANDO (Juaii dc), 408.
ViLLF.NA (Henri dc), 69, 105, 108-172,
175, 186, 190, 425.
Villon (Franois), 283.
Vi.nyoi.es (Micer Narcis), 101.
Virgile, 100, 162, 185, 188 n., 190,
191, 234, 259, 275, 280, 306 n.
Vives (Luis), 278, 421 n.
Vives (Pre), 38 n.
Weciissler (E.), 235 ii.
Xabea. 37, 41, 43
Xuu,, 81, 82.
Xal, 80, 81, 102.
Xativa, 44, 79, 103 n., 104 n.
Xnophon, 139.
Yiiayue, more de Beniarj, 83.
Yolande, fille du duc de Bar, 164.
Yoi.ANT, esclave d Auzias March,
116, 117.
Y'vANT (liarthomeu), 102.
Y'vARs (Jean Lluoas), 11.
Yvo, 397.
ZoRGi (B.), 319.
ZuRiTA (G.), 34, 65 n.
H^"l
TABLE DES MATIERES
PREMIRE PARTIE
Auzias March et sa famille
Pages
Ava>:t-Propos
vu
Bibliographie
xv
CHAPITRE PREMIER
LES SOURCES DE LA BIOGRAPHIE d'aUZIAS MARCH ET DE SA FAMILLE
I.

Insuffisance des notices biographiques sur Auzias March, du xvi^


au xix^ sicle. Le prolech du manuscrit de Luis Carroz de Vilaragut
(1546) et la Vida del Poeta de Diego de Fuentes (1562). Autres contri-
butions de Gaspar Escolano
(1610), Rodrigo Ribera (1726) et Fr.
Cerd
y
Rico (1778).

Documents utiliss ou publis par R. Ferrer


y
Bign
(1873), J. Torres
y
Reyet
(1879), J. Rubi
y
Ors
(1882),
Am. Pages
(1888), Ant. Paz
y
Miia, Rodrigo Pertegs, Gabriel Lla-
brs
(1901), J. Pijoan
(1903) 1
II.

Sources nouvelles auxquelles on a eu aussi recours pour la pr-


sente biographie : Madrid, Academia de la Historia, Archiva Histrico
Nacional, Archii'o del Duqite de Osuna
;
Valence, Archiva gnerai del
reyno, Arch. de la Curia Eclesistica, Arch. Metropolitano, Arch. nata-
rial, Colegio del Palriarca
;
Gandie, Archiva municipal ;
Barcelone,
Archiva gnerai de Aragon ; Palma de Majorque, Arch. de la Audien-
cia
;
Paris, Bibliothque Nationale, Bib. Mazarine
;
Cheltenham, Bib.
de sir Th. Phillipps 6
III.
-
Ncessit de rapprocher la vie et l'uvre, l'homme et l'crivain.
Ce que devrait tre la biographie d'Auzias March 12
CHAPITRE II
ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MAKCH. HISTOIRE DK SA FAMILLE
I.

Le premier anctre connu. Pre March I, bnficiaire de la rparti-


lion de Gandie (12'i9). Possibilit de l'identifier avec un notaire pu-
blic de Barcelone. Origine catalane de la famille March 11
458
TABLE DES MATIERES
Pages
II.

Pre March II
(1298),
greffier du roi Jacme II.

Pre MarchlII,
matre des comptes et conseiller de Jacme II, conseiller d'Alphonse
III et de Pierre IV, acquiert en 1322 le chteau d'Arampruny,
-r 1338. Un de se; enfants Peiic, Pre March IV, matre des
comptes de Pierre IV
17
III.

Les Mardis de Valence.

Parent probable avec les prcdents.


Jacme I parat avoir succd Peric.

Le chanoine Berenguer
March I (-]- 1341),
fondateur de la chapelle Saint-Marc dans la Seu de
Valence
22
CHAPITRE III
ORIGINES PATERNELLES d'aUZIAS MARCH. HISTOIRE DE SA FAMILLE {Suite\.
LES POTES JACME MARCH, PERE MARCH LE VIEUX ET ARNAU MARCH
I,

Jacme March II, arm chevalier en 1360 par Pierre IV. Rcit de
son investiture. Huissier du roi. Prend part au sige de Murvedre en
1365. Ses relations avec son frre Pre March V et l'infant d'Aragon
(1385).
Il est charg, en 1393, avec Lluis d'Avers, d'organiser, Bar-
celone, le Consistoire de la Gaya Sciencia.

Un autre Jacme March


(III) dput de la Catalogne 26
II.

Pre March V, vassal et procureur d'Alphonse, marquis de Vil-


lena, duc de Gandie (1399). Prend part avec lui la guerre contre
Pierre le cruel, roi de Castille, (1356-1365). Le marquis de Villena et
Pre March faits prisonniers Najcra (1367). Son sjour Gandie. Il
ddie un sirvents l'infant Jean d'Aragon.Ses deux mariages. L'an
de ses enfants, Jacme March IV, devient seignevir d'Arampruny.
Autres enfants du premier lit : Francesch, Johan. De son second ma-
riage av^c Leonor Ripoll naissent Peyrona sourde-muette e Auzias
March. Comment il gre le intrts du duc de Gandie et les siens
propres. On l'appelle Pre March le vieux (el viejo) pour le distinguer
de son petit fils. Pre March le jeune (el jos>en), fils de Johan March.
Le partage de ses biens 31
JII.

Pre March le vieux rdige son testament (1410).


Quitte (1412)
le service du duc de Gandie qui lui octroie la juridiction civile et
criminelle sur Beniarj, Pardines et Vernia. Confirmation de ce pri-
vilge (1413). Meurt Balaguer
(7
juin 1413). Inventaire de ses biens
et de sa bibliothque
40
IV. Berenguer March, matre de Muntesa (1382),
arm chevalier
(1399). Ses gots littraires. Arnau March III, pote, contemporain
de la reine Marguerite (1409-1422), cousin probable d'Auzias March.

Arbre gnalogique d'Auzias March. Caractre des Mardis 48


CHAPITRE IV
ENl-ANCE ET JEUNESSE d'aUZIAS MARCH
I.

Sa naissance Gandie vers 1397. Comment il est possible de fixer
TABLE DES MATIERES 459
Pa-res
cette date. Origine du prnom Auzias. Saine El/.ar (.liizias) de Sa-
hran 54
II.

Enfance et adolescence d'Auzias March. L'ducation d'un da-
moiseau (donzell) au xv^ sicle. Les exercices physiques. Les romans
de chevalerie. L'instruction Valence. Caractre moral et mnmo-
technique de l'enseignement. Le Rhythmus de contemptu muridi. Les
Corts de 1415. Saint Vicent Ferrer 58
III.

Sa jeunesse. Arm chevalier en 1418 ou 1419. Participe en 1420
l'expdition contre la Sardaigne et la Corse. Le sige de Calvi. Lettre
de la reine Marie Auzias March (7
fvrier 1422).Sa conduite hroque
l'assaut de l'le des Guergues (Chergui) en aot 1424. En rcom-
pense de ces services militaires le roi Alphonse V lui confirme le pri-
vilge de juridiction civile et criminelle sur Beniarj, Pardines et Ver-
nia, le droit du trzain, et le mre et mixte empire 64
IV.

Auzias March est mis par le roi, en 1426, la tte de son office de
fauconnerie de Valence. Nature de ses fonctions. Sa livre. Son
amour de la chasse. Accusation porte contre lui. Il cesse ses fonc-
tions et retourne Gandie, assagi par l'exprience 70
CHAPITRE V
l'ge mur, la vie publique d'auzias march
I.

Auzias March, retir Gandie, exerce ses prrogatives de seigneur


fodal. Le roi de Navarre, Juan d'Aragon, lui confirme la juridiction
de Beniarj, mais en rservant les droits de la ville de Gandie. Me-
sures que prend le seigneur de Beniarj contre certains de ses serfs.
Contestations qui s'lvent entre la ville de Gandie et Auzias March.
II fait appel au roi de Navarre. Le prince de Viane, Don Carlos, de-
vient duc de Gandie (20 aot 1439) 75
II.

Trs jaloux de son autorit et des honneurs qui lui sont dus, Au-
zias March reoit l'hommage de ses vassaux musulmans de la valle
de Xal (1439). Sa fermet. Autre hommage seigneurial dont il est t-
moin Pedreguer (1443).
Transaction consentie par Jacme Diez
Daug, procureur du prince de Viane (1444). Il envoie au roi Alphonse,
Naples, des faucons et des chiens de chasse (1443-44). Procs aux-
quels il est ml
80
III.

Auzias March prend part aux Cots de 1435, 1436 et 1446 84


CHAPITRE VI
LA VIE PRIVE d'auzias MARCH
I.

Charg de la curatelle de sa sur Poyroiia


(-;-
l'i72), il administre
ses biens. Il pouse en 1437 Isalx'l de Mirtmcll. Son fils Francesch.
Mort d'Isahcl (25 septembre l 't'.i'J) 87
460 TABLE DES MATIERES
Pages-
II.

Auzias March pouse Johana Scorna (26 fvrier 1443). Impor-
tance de sa dot. Le mnage s'installe Valence vers 1451. Mort de
Johana Scorna (1454)
reste probablement sans enfants 90
III.

Unions irrgulires d'Auzias March. Ses btards. Les revanches


du fol amour .

Les trois aspects de la vie sentimentale du pote . . 94


CHAPITRE VII
LA FORTUNE d'aUZIAS MARCTI. SES PREMIERES POESIES
I,

Le patrimoine. La seigneurie de Beniarj, Pardines et Vernia,
fief inalinable. Sa maison de Gandie. Biens mobiliers provenant de
ses parents.

Comment il exploite son domaine. L'agriculture. Les


plantations de canne sucre.Le irapig de Beniarj. Travaux d'irriga-
tion. Tu'azut d'En March. Diffrents procs relatifs la succession
de son pre et de sa mre 97
IL

Biens dotaux. Les lieux de Rafol, Trahella et Nia dans la valle


de Xal. Incidents auxquels donne lieu leur gestion.

Divers autres
revenus.

Auzias March administrateur attentif et mthodique de


ses ressources. La richesse, condition du bonheur 102:
III.

Auzias March consacre la posie les loisirs que lui procure la


fortune. Caractre de ses premires oeuvres 106-
CHAPITRE VIII
LA VIEILLESSE d'aUZIAS MARCH. SES DERNIERES POESIES
I.

Vers 1445, la posie d'Auzias March prend un caractre plus mo-


ral. La vieillesse avec ses infirmits et ses chagrins. Renseignements
biographiques qu'on peut extraire des dernires uvres. Les tables
Eugubines . Son ami Antoni Tallander, alias Mossn Borra, bouf-
fon du roi. Eptre au roi Alphonse le Magnanime et Lucrce d'Ala-
gno. Portrait qu'il
y
fait de lui-mme. Son entourage et sa rputa-
tion 108
IL

La maison d'Auzias March Valence. La k salle . Les armoiries


de Pre et d'Auzias March. Les autres pices du rez-de-chausse. La
chambre d'Auzias March. Quelques-uns de ses livres. Ses enfants
;
ses cuyers ; ses esclaves
112"
III.

Testaments et codicille d'Auzias March. Sa mort


(3
mars 1459).
Sa succession. Joffre de Blancs, excuteur testamentaire. Difficults
auxquelles donne lieu son hritage. Intervention de ses frres Jacme,
seigneur d'Arampruny, et Francesch, de Barcelone. Contestation
des hritiers de sa sur Peyrona 116
IV.

Caractre d'Auzias March. Ses deux natures 120


TABLE DES MATIERES 461
DEUXIME PARTIE
L'uvre littraire des prdcesseurs d'Auzias March
CHAPITRE PREMIER
LA POSIE CATALANE DU XIV^ SIECLE A LA FONDATION DE l'aCADMIE
DE BARCELONE (1393)
Pages
I.

A la fin du xiii^ sicle, la langue de la posie et celle de la prose dif-


frent en Catalogne : le parler limousin ou provenal et le catalan.
Succs qu'y obtiennent les thmes des troubadours de la dcadence.
Guillem de Cervera, Cerveri de Girona, Ramon Lull. La posie mo-
rale et religieuse. Evolution analogue de la posie en Italie sous l'in-
fluence de la philosophie et de la tho' ogie : le dolce stil niiovo 123
II.

Avec le xiv sicle, partir de Pierre IV d'Aragon (1335-1387),


commence la posie catalane proprement dite. Elle s'efforce, mais
sans
y
aboutir entirement, d'abandonner le provenal. Influence du
Consistoire du Gay Saber de Toulouse. Les potes du royaume d'Ara-
gon prennent part ses concours.Les Leys d'amors rdiges par Gui-
Ihem Mohnier et Bortholmieu Marc. On doit peut-tre ce dernier
leur introduction en Catalogne. Relations des potes de Toulouse avec
la Catalogne. Dalmau de Rocaberti et Jean de Castellnou
;
l'infant
Pierre, comte de Ribagora, et Ramon de Cornet.
Pau de Bell-
viure, Jacme March, Pre March, Bernt Metge, Guillem de Torrella,
Bernt de S, Guerau de Queralt. Deux courants d'imitation. La lit-
trature franaise et les romans bretons inspirent surtout les noves ri-
mades ; de la posie provenale drivent les cobles, c'est--dire la
chanson d'amour et le sirventesch 128
III.

Jacme March. Activit httraire du fondateur de l'Acadmie de


Barcelone. Le Dbat entre Honor e Dlit (1365) ;
la Questi sobre lo de-
pertiment de l'estiu de l'ivern ;
Joyosa Garda (1370) ;
les Cobles de
Fortuna ;
ses chansons d'amour ;
Le Libre de Concordances (1371).
Sa
Colomba ' -^ '
IV.

Pre March le vieux. Le Harnois du chevalier ddi probable-


ment au marquis de Villena, comte de Ribagora. Le Mal d'amor et
Madona Roger de Castell. Le Compte final de Mossn Pre
March . Ses chansons d'amour, assez gentilles choses
;
ses sirven-
ts,
proverbes de grande moralit
;. Sa supriorit dans la posie
morale.

Les caractres de la posie amoureuse et morale chez
Jacme et Pre March 148
CHAPITRE II
LA POSIE CATALANE DE 1393 A 1430
I.

La littrature franaise et provenale en Catalogne sous le rgne


de Jean I^ Motifs qui inspirent la fondation Barcelone d'un consis-
462
TABLE DES MATIERES
Page
toire de la Gaya Sciencia (1393), l'exemple de Toulouse et d'autres
villes de France. La science et l'amour; les louanges la Vierge Marie.
Jacme March et Lluis d'Averso nomms matres et mainteneurs de la
Gaie Science. Premire fte en 1395. Les conseillers de Barcelone re-
fusent, ds 1396, les subsides ncessaires pour les joyas.

Le roi
Martin P'' favorise son tour la Gaie Science (1398). La littrature et
la gloire. L'humanisme et l'Italie 164
IL

Fernand d'Antequera et Henri de Villena restaurent (1414) les


jeux floraux. El Arte de troi'cir de Villena. Apparat extraordinaire
qu'il donne ces crmonies littraires. Les livres de l'Art . La
joya . A la mort d.i roi Fernand, Villena se retire Valence 168
III.

Alphonse V d'Aragon parat avoir nglig le Consistoire de Bar-


celone. Il est remplac par des organisations prives. Les jardins
d'amour Barcelone. Les modes et la littrature franaises Va-
lence. Les jardins dlitables suivant Auzias March. Les premiers
concours littraires 172
IV.

Potes antrieurs Auzias March. Berenguer de Vilaragut, Mos-


sn Proxida, le Mercader Mallorqui , Pre de Queralt : leurs sirven-
ts contre les femmes. Autres sirvents d'Arnau d'Erill, Pre Gal-
vanv, Ramon avall et Trasfort. Le Llibre de bons amoneslaments-
d'Anselm Turmeda. La posie amoureuse et religieuse chez Fra Bacet
et Gabriel Ferruix. Les posies d'Arnau Maicii 1 amour, la religion,
la scolastique, les romans franais.

Influence de la littrature fran-


aise sur Bernt Serradell de Vich ;
Domingo Masc traducteur du
De Ainore d'Andr le Chapelain
;
le Testament d'amor.

Premires
tentatives de raction contre l'influence franaise. La ballade : Luis
de Vilarasa 178
V.

Influence de l'Italie. Succs grandissant de Dante, Ptrarque et


Boccace.

Bernt Metge, Antoni Canals, le roi Martin, Lorenz
Mallol. Jordi de Sent Jordi et Andreu Febrer, compagnons d'armes
d'Auzias March, attachs comme lui la personne du roi. Ils sont en-
core fidles la France tout en s'inspirant de l'Italie 185
VI.

Conclusion.

Etat des lettres en Catalogne et Valence au mo-


ment o Auzias March commence crire. La France et la Provence
s'imposent encore emnme temps que l'Italie. L'antiquit traduite
ou commente. La Thologie Valence
;
triomphe du Thomisme. . . . 190
TROISIEME PARTIE
Les uvres d'Auzias March
CHAPITRE PREMIER
DIVISION DES UVRES d'aUZIAS MARCH. SENS GNiIAL DE SES
POrSIES AMOUREUSES
I.

- Le nom de chanson ne convient pas toutes les uvres d'Auzias
TABLE DES MATIERES 463
Pages
March, mais uniquement aux chansons d'amour proprement dites,
conformes aux Leys d'aninis. Nous appellerons posies m
ses diverses
uvres quelque genre qu'elles appartiennent. Quatre sources d'ins-
piration : L'Amour, la Mort, la Morale et la Relioion
193
II.

Les posies amoureuses comprennent essentiellement des chan-


sons, et des pomes didactiques sur l'amour, vritables dissertations
en vers. Ncessit d'en indiquer le contenu pour mieux en apercevoir
l'enchanement.

Analyse sommaire de chacune des posies sur
l'amour.

Elles forment un roman sans intrigue, o les incidents
sont de simples prtextes l'analyse psychologique. Trois thmes
principaux : souffrances de l'amour pur que le pote est seul prou-
ver
;
plaintes contre sa dame, et, en gnral, contre les femmes, inca-
pables d'une affection uniquement intellectuelle
; nature de l'amour
et ses diffrentes espces 195
CHAPITRE II
LES AMOURS d'aUZIAS MARCH ET SES IDEES SUR LES FEMMES
I.

Le pote se propose d'exposer l'origine, la nature et les effets de


l'amour. C'est une science dont il a d emprunter quelques lments
sa propre exprience.

Eloge de sa dame Plena de Seny et Lir entre


carts. Signification de ces devises. La chanson Lexant a part o il la
dsigne par son prnom de Teresa . On a joint tort ce prnom le
nom de famille Bou ou Monbohi . Origine de cette erreur. Le mal-
dit Vos qui sabeu 207
II.

Portrait de sa dame. Au point de vue physique, il se borne une


vague esquisse. Sa beaut, son teint, ses yeux, sa voix
; importance
du geste ou du maintien, de la dmarche et du regard. C'est le type
fminin du Moyen ge.

Au point de vue moral, deux qualits prin-


cipales : la finesse intellectuelle et la chastet ou l'honntet du cur
;
son mariage
;
sa perfection est la raison et l'objet de son amour.

Ses dfauts. Indiffrente l'amour pur, elle le fait retomber dans le


fol amour 212
III.

Autres femmes dcrites par Auzias March. Lucrce d'Alagno


et Na Monbohi. L'une reprsente la femme savante et chaste, l'Ita-
lienne de la Renaissance, l'autre l'amour mercenaire.

Rle qu'il at-


tribuait la femme lgitime.

Sa Thrse n'est pas une pure abs-


traction
219
CHAPITRE III
LES POSIES AMOUREUSES. AUZIAS MARCII ET LES TROUBADOURS
I. Auzias March s'est-il propos de rivaliser, comme ses anctres,
avec les Troubadours ? Opinions de J. M. Quadrado, M. Mil
y
Fon-
tanals, J. Amador de los Ros, M. Menndez
y
Pelayo, Ant. Rubi
y
464 TABLE DES MATIERES
Pages
Lluch. On a tir du dbut de la chanson Lexanl a part l'esiil dels Iro-
hadors un argument contre l'imitation des Troubadours par Auzias
March. Ce passage leur est, au contraire, manifestement emprunt.
Auzias March reconnat lui-mme qu'il a lu les ouvrages du Gay
Saher.

Autres exemples de l'influence de la littrature de la France.

L'Espagne ne lui a iourni qu'un seul trait : La Cava


22'i:
II.

Preuves de l'imitation des Troubadours. Caractre de la posie au


Moyen ge. Livres provenaux d'Auzias March et de son pre. Il cite
Arnaut Daniel et Pau de Bellviure dont il a connu directement les
uvres. Les Thmes provenaux : La thorie de l'amour courtois.
Le vasselage amoureux. Auzias March innitateur de Peire Ramon de
Toulouse. Qualits qu'il loue chez sa dame. La discrtion. Les mais
parlers et les lauzengiers . La patience. La dure de l'amour. Les
passions de l'amour et leurs effets. Les contrastes. Le Printemps. Le
plaisir et la douleur.

Les douleurs de l'amour pur. Ses maldictions


contre le fol amour et contre sa dame ou les femmes en gnral. Ses
attaques contre les murs du temps.

Les joies de l'amour. La
douleur dlitable . Les effets bienfaisants de l'amour. C'est un prin-
cipe de vertu. Trois espces d'amour. Le Palais et les flches de
l'amour : Guiraut de Calanso, Guiraut Riquier
231
III.

La Forme. Le trohar dus. Les genres des Leys d'amors. Usage


plus frquent des vers libres ou estramps et des rimes fminines. Les
tensons et les demandas. Les coblas soltas. Presque partout le dca-
syllabe et rarement l'octosyllabe agencs suivant les prceptes de
l'Ecole de Toulouse.
Le style : les comparaisons
;
leur peu de va-
rit.

La langue, nettement catalane pour la premire fois, pr-


sente trs peu de termes provenaux. Auzias March est un trouba-
dour attard
249
CHAPITRE IV
les posies amoureuses [suite), rapports d'auzias march
avec DANTE ET PTRARQUE
I.

Auzias March a subi l'attrait de l'Italie. A-t-il connu Dante ? Opi-


nion de M. Menndez
y
Pelayo. h&Dii'ine Comdie cite une fois. R-
miniscences de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis 256
II.

Auzias March passe surtout pour avoir imit Ptrarque. On a


mme cru qu'il avait prcd et inspir Ptrarque. Origine de cette
lgende. Ses partisans et ses adversaires 261
III.
Le Ptrarquisme d'Auzias March.

A. Tassoni et J. Amador de
los Rios prtendent dmontrer les emprunts qu'Auzias March a faits
Ptrarque. Examen critique de ces rapprochements. Trois concluants,
douze non probants. Autres exemples. Arguments nouveaux de B.
.Sanvisenti : leur peu de valeur
26J
IV.

Diffrences profondes entre Auzias March et Ptrarque et pour
le fond et pour le style. Leur ressemblance porte essentiellement sur
la tristesse que leur font prouver les tendances contradictoires de
leur nature
, , . . 273
TABLE DES MATIERES 465
CHAPITRE V
LES POSIES AMOUREUSES (suite)
.
LEURS SOURCES SCOLASTIQUES ET PHILOSOPHIQUES : SAINT THOMAS ET ARISTOTE
Pages
Caractre philosophique el didactique des posies d'Auzias March.
Mgr J. Torras
y
Bages
277
I.

Souvenirs classiques d'Auzias March : Hippocrate, Galiei, Virgile,


Horace, Juvnal, Snque le philosophe. La Bible, l'Evangile, Saint
Franois d'Assise, le Rhijthmus de conlempiu inundi attribu saint
Bernard. Les procds d'imitation d'Auzias March 278
IL

Saint Thomas est son grand inspirateur. Succs de la Somme
Tliologique son poque : Ses tudes et ses lectures sclastiques. En
Provence et en Italie les procds de la scolastique avaient t appli-
qus par les potes la peinture de l'amour. Dante, Saint Thomas
de la posie . A saint Thomas Auzias ajoute Aristot lui-mme et
surtout VEthiquc Xicomaque. La traduction de Lonard d'Arczzo et
le prince de Viane 284
III.

Les principes gnraux de la psychologie de Saint Thomas sont


exposs par Auzias March.

La nature de l'homme. L'me et le
corps. Le compos >i. L'animisme. L'union de l'me et du corps. La
connaissance ; les espces sensibles. Les trois facults intellectuelles :
Entendement, Volont, Mmoire ou Imagination. Nature de la vo-
lont. L'apptit rationnel. L'amour suppose un choix rflchi et libre
de la volont 288
IV.

La thorie des passions suivant saint Thomas et suivant Auzias


March. L'apptit concupiscible et l'apptit irascible. Les passions,
tats affectifs, corporels et spirituels la fois. Consquences de leur
double nature.

Les passions concupiscibles : l'amour, source de
'
toutes les passions. Le plaisir, le dsir, la joie ou dlectation Aux-'
quelles s'opposent la douleur, l'aversion et la tristesse. Quelques
traits emprunts Arislote. Importance de l'analyse de la douleur ou,
tristesse. Ses causes. Sens profond de la premire chanson A.ci coin
cell qu'en lo somni " dlita. Le plaisir de la douleur, thme principal
d'Auzias March
;
^^3
V.

Les passions irascibles. I/espoir (le dsespoir), la crainte ou la
;
peur ;
le blme, ses trois formes. La crainte de la mauvaise renom
^
mce. Autres traits pris direclcmeut Aristot. La pleur, le tremble-
ment et le mutisme en prsence de sa dame ;
l'audace, l colre et
l'amour. Le cynique Crats.

La terminologie scolasliquc.
La
psychologie thomiste des passions est l'medes poesifcs amoureuses

d'Auzias March
..........'. ....;. 301
CHAPITRE VI
.
l'amiti suivant ARISTOTE ET LA CONCEPTION D^L AHOR
DU Xll-^ SICLE jusqu' AUZIAS
MARCH
I.

Influence de la thorie d'Aristote sur l'amiti au Moyen ge. Im-


Am. Pages.

Auziofi March.
30
4e'6
TABLE DES MATIERES
ra.'PS
poilaiice de telle docliine. Les rapports de l'amilic avec le bonheur.
C'est l'allachemcnt de deux personnes fond sur leurs qualits
propres. Trois sortes d'amitis : l'amiti de vertu, l'amiti de plaisir,
l'amiti d'intrt. L'amiti vertueuse implique les deux autres. C'est
une bienveillance rciproque et rciproquement connue, une estime
mutuelle. vSeule elle est durable et ralise une seule et mme me en
deux corps.
Thophrasle el Cicron. Saint Ambroise. Aelred et le
De spirituali amicitia (xii*' sicle)
IL

Au XII- sicle, semblc-t-il, a coninncnc se rpandre la doctrine


d'Aristotc. L'amour est confondu avec l'amiti et en prend les carac
tres. L'mancipation de la Icmme. On puise dans l'Ethique ISiro-
maque non seulement les lments de l'amiti religieuse et de l'amour
divin, mais encore les principes de l'amour courtois.Les mots amiti et
amour sont pris l'un pour l'autre. L'amour, principe de perfection. La
connaissance et la mesure . La chanson allgorique de Guiraut de
Calanso. Les trois tages du Palais de l'Amour sont les trois degrs de
l'amiti. Au xiii*' sicle, le trait d'Andr le Chapelain reproduit la
mme division. L'amour pur, l'amour mixte, l'amour mercenaire. Les
potes chantent d'abord l'amour mixte, puis l'abandonnent pour
l'amour pur, sous l'influence de l'Inquisition : Montanhagol, le Moine
de Montaudon.

La philosophie et la thologie difient de leur ct


une doctrine de l'amour en se servant encore d'Aristotc. Averros et
Frdric II de Sicile, Albert-le-Grand, saint Thomas, Duns Scot.
Brunetto Latino et les deux interprtations, philosophique et po-
tique, d'Aristotc
III.

A la fin du xiu^ sicle et au xiv^ sicle la posie en France et en


Italie s'inspire d'Aristotc.

En France, la deuxime partie du Ro-


man de la Rose. L'amiti et l'amour et leurs degrs. La Raison. Gui-
raut Riquier, sou commentaire de Guiraut de Calanso. N'At de Mons.
Le Breviari d'Amor. Les trois racines de l'amour.

En Italie, union
troite de la posie et de la philosophie en Toscane, Bologne. Le
Dolce stil nuovo. Les espces de l'amour. La femme anghse. Dante,
les trois amours et la Divine Comdie. La Nature, la Philosophie, la
Thologie. Boccace : le Filocolo et VUrbano. Ptrarque, rebelle la
scolastique, subit indirectement l'influence d'Aristotc.

Ce que de-
viendra plus tard la doctrine de l'amour pur constitue par les potes
et les philosophes
IV.
Auzias March recueille ces diverses interprtations et en tire sa
conception de l'amour. L'amour est une science. II en recherche la na-
ture et les effets. Sa division en trois espces est l'objet presque cons-
tant de ses posies. L'amour intress. L'amour mixte ou humain,
chant par les troubadours et dcrit par Andr le Chapelain, rsulte
de l'union de l'me et du corps. De l son caractre insatiable et pr-
caire. L'amour honnte ou amiti pure prsente le? mmes qualits
et requiert les mmes conditions que l'amiti vertueuse d'Aristotc.
Difficult de raliser l'accord parfait qu'il exige, soit par la faute de
sa dame, soit par la sienne propre. L'imperfection de la femme.
L'amour pur rserv l'ange.

Aveux d'Auzias March. Le rgne de


I amour courtois touche sa fin
309
313
323
331
TABLE DES MATIRES
467
CHAPITRE VII
LES l'OSlES SUR LA MORT DE SA DAME
I.

Survivance de lannour d'Auzias March aprs la mort de sa dame.


De l ses six posies de deuil. Les plants ou planhs dans la posie pro-
venale : Gavaudan, Pons de Capduelh, Aimeric de Peorulhan
; Lan-
franio Cigala, Ponifazio Calvo. Viitables apothoses chez Dante et
Ptrarque. Les Canzoni in morte dl Lama. Caractre nouveau des
posies funbres d'Auzias Mardi
340
IL
Rien ne faisait prvoir la moit de sa dame. Peu de dtails sur s.i
lin. Le dernier baiser. Douleur sans clats. Le souvenir de la morte :
aucun fait prcis. Diffrence entre Ptrarque, Auzias March et La-
martine. Il est proccup par l'analyse de sa douleur. Regrets que lui
inspire l'amiti passe
3'i8
III.
-
Caractre philosophique des rflexions que lui suggre la mort de
sa dame. Le plaisir qui se mle sa douleur. La douceur des larmes.
Contraste expliqu par Aristote. Autre motif de consolation : la per-
sistance de son amour dsintress. S'il continue pleurer, c'est qu'il
craint que la sparation de leurs mes ne mette lin leur amiti 351
IV.

Son amour, qui persiste, est-il partag ? Besoin qu'il a de com-


muniquer avec l'me de la dfunte. Origine probable de ce thme
dans Aristote. La Mort seule pourrait les rejoindre. Mais o se rever-
raient-ils ? Au Paradis ? Au Purgatoire ? En Enfer ? Il implore Dieu,
la Vierge, puis l'me mme de son amie.

Ces doutes sur la destine


de sa dame dans l'au del distinguent Auzias March de ses prdces-
seurs provenaux et italiens
3.'i6
CHAPITRE VIII
LES POSIES MORALES ET RELIGIEUSES
Les dernires uvres d'Auzias March sont presque toutes morales ou re-
ligieuses. Caractre moralisateur des crivains contemporains en Es-
pagne. Influence prpondrante de Snque et d'Aristote. Conciliation
d'Aristote et du Christianisme : le prince de Viane. Les principales
posies morales d'Auzias March 361
I.

La morale d'Auzias March. Elle est la recherche du bonheur et


du bien.

Opinions vulgaires sur le Bien Suprme. Diffrents dsirs


et plaisirs. Les richesses, les honneurs et la gloire. Inspiration sto-
cienne et pripatticienne. Le dsir de la bonne renomme et la honte.
La sant. Les plaisirs corporels. L'intelligence, fonction propre de
l'homme, source des plaisirs stables. La vertu, condition suprme du
bonheur, mais ncessit d'un cortge de biens secondaires.

Exa-
men des thories des savants sur le Bonheur. Auzias March, historien
de la philosophie. Comparaison avec Sully Prudhomme. Platon, Aris-
tote, Epicure, les Stociens [Estocians). Auzias March se place au
point de vue mme d'Aristote pour critiquer Platon et les successeurs
d'Aristote
30'!
468 TABLE DES MATIERES
Pages
II.

Les veilus et les vices suivant Au^ias March. La vertu, habitude


du bien
;
milieu entre deux extrmes. Diffrence entre la thorie et la
pratique
;
le sage, critrium de la vertu. Vertus thiques et vertus in-
tellectuelles. Le courage contre la mort
;
ptre Antoni Tallander.
Snqc. Insuffisance de la sagesse antique. L'esprance en Dieu et en
la vie future. La vertu n'est pas science pure.

Le vice. Ignorance et
faiblesse de l'homme. Comment on peut faire le mal tout en connais-
sant le bien. Les principaux vices de son temps. Peire Cardenal. Les
prlats, les papes, les rois, les seigneurs
; la sodomie. Le dsordre so-
'
/
cial
; , . .
"374
III.
La religion d'Auzias March. l'in surnaturelle de l'homme. La
vie apostolique et religieuse au-dessus de la vie philosophique. Le
vertus thologales : Foi, Esprance, Charit. La Grce. Les invoca-
tions la Vierge dans plusieurs posies, et la chanson religieuse Puya
que sens tu. Prire Dieu. Il implore son secours. L'atrilion et la con-
trition ,384
L'esprit chrtien et l'esprit paen semblent dj en dsaccord chez Au-
zias March, avant la Renaissance 390
CHAPITRE IX
l.NFLVENCE d'aUZIAS MAUCU SUR LES LITTERATURES CATALANE ET CASTILLANE
I.

Hommages dont Auzias March est l'objet de son vivant. Le mar-


quis de Santillana, Na Tecla de Boija, Mossn FenoUar, Johan Mo-
reno. Au xv*" sicle, son influence en Catalogne. Citations de Fran-
ccsch Ferrer et Pre Torroella. Un anonyme le plagie dans une Com-
plania de la Mort. La scolastique chez quelques-uns de ses successeurs.

La posie religieuse Valence : les Concours potiques. La deman-


da de Fra Pre Martinez aux troubadours de Valence . Les Con-
cours de 1474, 1482, 1487, 1488. Dcadence de la posie. Le Jardinet
d'Orals-
A Barcelone, Romeu Lull imite ses divers genres de posies. 393
IL
Au xvi sicle, son oeuvre est lue et imite dans toute l'Espagne,
En Catalogne, Barcelone, Juan Boscn l'imite le premier dans des
sonnets castillans
;
Valence, .le. limousin ne se^-t gure plus qu'aux
louanges de la Vierge. Fernndez de Ileredia seul rappelle la manire
d'Auzias March. Publication d'extraits avec traduction des uvres
d'Auzias March par Baltasar de Romani. Les ditions de Barcelone,
1543, 1545, 1560, sous l'impulsion de Fern. Foich de Cardona. Pre
Serafi reprend, avec moins de profondeur et de vigueur, les thmes
d'Auzias March. Joan Pujol le glose en strophes prosaques et
lourdes. Il est mis en musique. Il est nglig partir du xvii^ sicle. . . 403
III. En Castillo, Juan Boscn
imitateur de l'Italie et d'Auzias March.
Chansons qu'il a paraphrases. Les trois amours. Les vers blancs du
Lf/!<//(/. Garcilaso lui prend plusieurs comparaisons.

Honorato.
Juan et soii lve D. Carlos
;
le cardinal de Granvolle
; l'dition de
1 555 par Juan do Resa.
;
la Diana de Jorge de Montemayor et sa tra-
I
TABLE DES MAlHES 469
duction d'Auzias March. On le met au-dessus de Dante et de P-
trarque.

Diego Hurtado de Mendoza, Hernando de Acuna, Gu-
tierre de Cetina l'imitent leur tour.

A Salamanque, Fray Luis de


Len le cite, Fr. Snchez de las Bro/as le traduit.

A Sville, Fer-
nando de Ilerrera le combine avec Ptrarque.

- Lope de Veofa
;
Fr. de Quevedo ; Vicente Mariner, sa traduction latine (16.33) ;
Ma-
noel de Faria
y
Sousa
^t08
Causes de la dfaveur dont Auzias March est l'objet dans toute l'Es-
pagne du xvii^ au xix^ sicle
'i"-0
CONCLUSION
Les prdcesseurs d'Auzias March. Auzias March pote de l'amour.
Auzias March pote-philosophe. Apprciation gnrale 423
Poun LE COMMENTAIRE d'Auzias March. Table des posies
analyses ou mentionnes et des vers cites, expliqus ou traduits. 433
Index Alphabtique 439
Table des matires 457
SAINT-AMAND (chER).

IMPRIMERIE BUSSIRE.
^1
CORRECTIOxNS ET ADDITrONS
XII, note, ligne 2, lire : de Auzias Mardi, (tu lieu de : cI'Aii/.ias Mardi.
2,
note, 1. 3, lire : molt, au lieu de : mol.
'1, note I, l.
3,
lire : haber los, au lieu de : habcr;i lo>.
.'>,
1. 16, lire : mossn.
72,
dernire ligne, lire : n'a pas hsit.
7^,
1. 6, mette: une virgule entre l'imaginar el, qn'allrc.
79,
dernire ligne, lire : plaidait, au li>-a dr : la|)iilait.
90,
I. i4, lire : a t.
i83, notes, 1
7,
lire : tibi.
208, 1. (),
lire : fume, au lieu de : feu.
239,
I. 12, supprime: la virgule entre de mmo ipio el. (uillcni.
'')8, I. 12, mettez une virgule aprs mixte.
2.59, I. 18-19, Ole: la virgule aprs franchit ri mftlr:-la aprs dame.
270,
dernire ligne, lire : vcritat.
272, I.
17,
lire : appele.
29'>, 1. 2'i, lire : de, au lieu de : del.
.M)3, note
5,
lire : ^a.
317,
titre courant, lire : Galanso,
397,
1. 21, lire : Torroella.
(Jii'on me permette enfin de signaler ici quelques autres corrections mon
Introducci a Pedici cri lien de les obres de Aii:ias Mardi :
P. 'SS, 1. i3, lire : reimprs, nu Heu de : rcimpresa.
I*. i65, i. 2^,
lire : \'.\ sentit.
P.
176,
La posie Molt he tardt /?<;(/<,' au fol. 73 du ms. M.
P. 180, mette: X avant la porsie Si com liun rcy et \U avant Si com riclat.
AS Bibliotlieque de l'cole
162 ratique des hautes
B6 tudes. Section des
fasc.194
sciences historiques
et philologiques
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