Prostitution

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 20

Vive le marxisme-léninisme-maoïsme!

Guerre populaire jusqu'au communisme !

Saïda Menehbi

Sur la prostitution au Maroc

La dépravation dans une société donnée est engendrée par la


nature même de cette société.

Le système capitaliste, système de l'exploitation et de l'injustice


sociale, ne fait que nourrir les différents aspects de
dépravation: débauche, prostitution...

Il est certain que, dans une société de classe, sous un régime


imposé aux masses par le colonialisme, l'impérialisme et pour
le maintien de leurs intérêts politico-économiques, la
prostitution, le vice, la corruption sont des aspects inhérents à
ce système, aspects propagés, encouragés par lui.

Le peuple, sous un pouvoir anti-national, survit à la misère la


plus noire. Alors que les salaires ouvriers et autres sont
stationnaires, le coût de la vie connaît une montée vertigineuse.
Certains produits qui étaient la base de l'alimentation du peuple
deviennent inaccessibles. D'autres encore disparaissent du
marché ou sont vendus d'une manière occulte à des prix
exorbitants.

Ainsi, l'exploitation, la répression, l'humiliation deviennent le


pain quotidien du pauvre.

Le pouvoir réprime férocement toutes les luttes héroïques des


ouvriers qui défendent leurs droits, des paysans qui protègent
leurs terres et des lycéens et étudiants qui préservent leurs
acquis.

Ne seront jamais effacées les réactions enragées du pouvoir des


patrons face aux luttes des ouvriers de Jérada [Après une grève
des mineurs de Jérada, le pouvoir a fait tirer sur les ouvriers en
manifestation où il y eut de nombreux blessés], des lycéens de
Casablanca en 1965 [plusieurs centaines de lycéens et
chômeurs ont été tués dont les boulevards de Casablanca par
les feux de l'armée sur l'ordre de la classe dominante].

Comme ne seront jamais oubliés les massacres dans les lieux


de détentions clandestins de militants marxistes-léninistes
[comme Abdellatif Zeroual mort sous la torture en novembre
1974 à Derb Moulay Cherif] qui ont été convaincus que seule
l'idéologie marxiste-léniniste, idéologie de tous les peuples
exploités, pourra arracher le pays au joug de l'impérialisme et
sa fidèle servante la féodalité locale.

L'Etat au service de la classe dominante utilise toutes ses


possibilités pour maintenir sa domination. Par l'intermédiaire
de rouages administratifs à sa disposition, elle condamne le
peuple et le pille.

Les grands propriétaires terriens arrachent aux paysans leurs


terres par le moyen de la répression et du meurtre, laissant un
nombre illimité de familles sans ressources, leurs enfants
guettés par la faim et l'analphabétisme.

L'histoire n'est plus aux dynasties et il n'appartient plus aux


pseudo-historiens d'écrire l'histoire d'un peuple. Ce sont les
hommes avec leur sang qui la font.

Et elle enregistre la terreur que sème le pouvoir réactionnaire


dans les rangs du peuple par le moyen d'appareils répressifs et
des administrations dites de «justice». Comme elle enregistre
déjà que la haine et le mépris pour ce système policier ne sont
plus dissimulés.

Dans ce climat que nous pouvons qualifier de fasciste, nous ne


pouvons oublier la double exploitation que subit la femme dans
ce pays sous-développé et suiviste.

Cette réalité particulière de la femme marocaine qui regroupe


deux aspects d'exploitation (exploitation par le système au
même titre que l'homme et exploitation par l'homme lui-même)
est un phénomène social engendré forcément et également par
la nature des structures économico-politiques et sociales
existantes.

Il est évident que la femme sous le système patriarcal reste


considérée comme un être subalterne, ne pouvant ni posséder la
terre [dans plusieurs villages marocains la femme n'a pas une
qualité de propriétaire même si légalement la terre lui revient.
Sa terre est toujours administrée soit par son frère, soit par son
mari], ni choisir son mari ou s'en séparer.

Elle a un statut de mineure partant d'hypothèses qui relient sa


situation de tutelle à sa supposée infériorité physique et
intellectuelle ou qui font intervenir des facteurs idéologiques
ou culturels.

La petite fille depuis qu'elle naît dans la famille a déjà son


statut et n'égale pas son frère. Elle est vouée d'abord à servir
ses parents et plus tard son mari.

L'école n'est pas obligatoire et gratuite. La scolarisation d'un


enfant est alors matériellement très difficile. L'idéologie
réactionnaire divulguée et propagée encourage
l'analphabétisme particulièrement pour les femmes. Le
pourcentage des femmes analphabètes est donc très élevé.

Ceci laisse l'esprit de la femme enlisé et ses croyances


arriérées, très loin de la science et de sa rapide évolution. Des
organisations réactionnaires (UFM) [Union des Femmes
Marocaines, organisation réactionnaire au service de l'idéologie
réactionnaire dirigée par des femmes de la grande bourgeoisie]
renforcent chez la femme l'esprit de soumission à l'homme, à
l'idéologie réactionnaire. Ce qui permet son utilisation pour des
desseins politiques précis.

Si la prostituée vend sa chair et subit les pires sévices et


tortures morales, l'ouvrière, elle, vend sa force de travail aux
capitalistes.

Son salaire dérisoire n'est jamais égal à celui de son camarade


ouvrier. La sécurité sociale ne lui est pas assurée : qu'elle soit
en période de grossesse ou de maladie, sa place dans l'usine
n'est plus garantie. Il lui arrive de se retrouver après ce congé
forcé en chômage. En cas d'accident les indemnités sont nulles.

L'interdiction de se syndiquer fait partie des conditions


formulées par le patron. Elle n'acquiert ce droit qu'après de
grandes luttes aux côtés de l'ouvrier.

Mais la femme même économiquement indépendante n'est pas


libre. L'administration de la maison, les décisions matérielles
sont le domaine de l'homme.
Au foyer, la femme élève seule ses enfants et fournit un travail
aliénant et non rémunéré. La société ne lui reconnaît pas la
valeur de ce travail jugé comme obligatoire.

L'image de la femme devient ainsi celle de la ménagère


parfaite: la première éducation de l'enfant, les travaux
ménagers nécessitent pour la société forcément une femme. Le
mari se comporte en dominateur et maître absolu intellectuel et
physique. Il est commun et acceptable que la femme soit battue
par son mari, la fille par son père ou son frère même plus
jeune.

L'utilisation démagogique de la religion permet de renforcer


l'exploitation et l'aliénation de la femme, son asservissement.

Nous n'avons exposé là que quelques traits de la double


exploitation de la femme, peut-être les plus frappants mais en
tout cas pas les seuls.

Notre but n'est pas de faire une analyse théorique sur la


situation de la femme. Nous voulons, sans trop d'ambition, sans
prétendre traiter le problème de tous les côtés, nous pencher sur
le phénomène de la prostitution.

Certaines filles sont poussées à la prostitution parce qu'elles


doivent nourrir leur nombreuse famille, nourrir et scolariser
leurs enfants.

Nous nous sommes trouvées en contact le plus souvent direct


avec des prostituées [Certaines gens, en disant prostituée, y
mettent une nuance de mépris. Nous remettons à ces femmes
victimes de l'exploitation tout le respect qu'elles peuvent
mériter].
Nous avons vu leur milieu alors nous avons voulu montrer au
lecteur en interrogeant les prostituées elles-mêmes l'origine
sociale de ces femmes, les raisons qui les ont jetées pleinement
dans la gueule du loup qui les dévore et finalement comment
réagit le pouvoir anti-national à ce phénomène de la
prostitution, quelles sont les pseudo-solutions qu'il y apporte.

Nous savons bien sûr que celui qui condamne la prostituée la


recherche plus tard après avoir change de face et d'habit.

Nous savons également que celui qui juge la petite fille de 15


ans trouvée saoule sur les trottoirs de la ville, celui-là même a
mis sur sa table bien garnie son coûteux apéritif.

Notre méthode a été très simple. Nous avons opté pour


l'entretien libre. Aucun questionnaire n'a été établi au préalable.
Le plus souvent, les femmes n'attendaient pas qu'on leur pose
des questions pour nous entretenir de leurs problèmes et de
leurs préoccupations.

Nous avons eu avec elles de longues discussions sur leur genre


de vie, leur niveau de vie, ce qu'elles gagnent en moyenne et ce
qu'elles dépensent.

Nous n'avons nullement voulu les influencer dans ce qu'elles


disent. Nous avons traduit le plus authentiquement possible ce
qu'elles nous ont raconté. Nous avons toujours suivi leurs idées
et retenu l'essentiel.

Il est certain que ce nombre de femmes dont nous donnerons


les propos ne sont pas seules à qui nous avons parlé. Nous en
avons contacte d'autres avant et après. Mais les problèmes de
beaucoup d'entre elles, tout en étant spécifiques, se
ressemblent.

Nous n'avons pas voulu répéter des choses même dites par des
personnes différentes. En tout cas, nous ne prétendons pas
avoir fait une enquête ni avoir contacté toutes les prostituées.
Notre méthode n'est sûrement pas totalement scientifique. Nous
sommes encore loin de l'analyse sociologique.

Entre nous et ces fermes s'est établie une grande sympathie.


Nos petites questions ne les ont pas frustrées. Mais nous les
avons vu réagir face à d'autres gens, refusant de reconnaître
qu'elles se prostituaient. Quand nous avons rencontré des cas
pareils, nous n'avons jamais insisté.

70 % des fermes qui se trouvent dans les prisons pratiquent la


prostitution.

Leur âge se situe entre 17 et 40 ans. Presque toutes sont


analphabètes, quelques-unes d'entre elles ont fréquenté les
premières années de l'école. Nous nous sommes adressées à
celles-ci car nous pensons que la condition de prostituée est
l'une des conditions les plus dures et les plus avilissantes.

Elle vend son corps, n'est pas toujours payée et subit assez
fréquemment de grandes humiliations et des tortures physiques.
La société lui fait perdre jusqu'à sa qualité d'être humain. Les
prostituées sont traitées comme des chiens qu'il faut abattre.

Ces femmes qui se prostituent non parce qu'elles ont choisi ce


métier mais parce qu'elles y ont été forcées, qui sont-elles ?
dans quel milieu socio-culturel sont-elles nées ?

Parmi les femmes contactées, nous avons distingué deux


catégories qui, quoique différentes, ne s'opposent pas.
Ensemble, elles font partie du lumpen-prolétariat et sont
exploitées au même niveau.

La première catégorie est formée par celles qui pratiquent la


prostitution depuis un âge très bas 13-14 ans. Elles sont nées
généralement dans des familles pauvres, le père illettré et sans
travail, la mère chargée de faire vivre les enfants.

Très vite, il a fallu à ces filles gagner leur vie et même faire
vivre leur famille. Elles sont ainsi englouties, face au manque
d'emploi, par le rouage de la rue, de la prostitution ou du vol.
Parfois l'autorité absolue du père les pousse à fuir la maison
paternelle, la ville natale même.

Quelques-unes se retrouvent dans des centres de rééducation de


délinquants juvéniles mais là non plus, elles ne restent pas
longtemps. Le manque de formation pédagogique et culturelle
des surveillants, l'ignorance même de ce que devrait être leur
rôle et surtout leur comportement envers ces jeunes filles après
leur premier délit font que ces dernières sont très mal traitées.
Les filles comme les garçons d'ailleurs sont conduits au bâton
et à la trique.

Ceci ne peut que pousser ces enfants du peuple à fuir une


seconde fois et à se réfugier dans les endroits les plus
misérables. Les filles se dirigent vers des individus, des
maquereaux qui les exploitent matériellement et sexuellement,
certaines vivent sur les trottoirs de la ville, aux portes des
cafés, subsistant par le moyen du vol, de la prostitution ou de
petits commerces dérisoires.

Ces femmes se sont un peu prostituées par habitude à la suite


de connaissances malsaines. Elles y étaient vouées sous un
régime qui prépare à la jeunesse soit la drogue et l'alcool, soit
la prison et la torture pour ceux qui ont choisi de lutter contre
lui.

La plupart d'entre elles (il n'y a pas de règle générale) n'ont


jamais été mariées. Violées très souvent à un âge assez précoce,
la peur de la honte dans la société fait changer leur vie. Nous
avons pu recueillir les propos de quelques prostituées de cette
catégorie, celles que nous avons jugées les plus représentatives.

Leïla, 20 ans [Leïla a commencé à se prostituer à l'âge de 12


ans, elle est terriblement abîmée. Son visage est rayé d'une
grande cicatrice qui n'enlève rien bien sûr à sa sympathie. Elle
a été franche et confiante envers nous] : «Mon père était
mokkaden [représentant du pouvoir central au niveau du
quartier]. J'étais petits lorsque ma mère est morte. Il s'est
remarié. Sa femme était méchante. Elle me battait ainsi que
mes sept frères. A l'âge de 10 ans, je l'ai blessée au visage avec
un couteau. Emmenée au commissariat je fus envoyée par le
Makhzen [pouvoir central] au Centre [Maison où sont mis les
jeunes enfants après un premier délit commis avant 15 ans. Ils
y sont comme en prison]. De là je me suis enfuie. J'étais trop
battue».

Fatima, 19 ans : «Mes parents sont très pauvres. Mon père est
tailleur [Le père de Fatima est tailleur populaire. Son gain est
très réduit ou presque nul]. Mes soeurs sont employées comme
bonnes chez des riches».

Aïcha, 19 ans : «Mes parents sont morts. Je suis restée seule


avec mes sept petits frères. J'étais vierge quand j'ai commencé
à sortir. J'ai eu un enfant avec un garçon qui savait tout».

Najat, 17 ans : «Mes parents sont pauvres et divorcés. Je ne les


vois jamais. J'ai été élevée par une tante très pauvre. J'ai été
violée à 15 ans par un garçon que j'ai abandonné. Depuis je vis
seule».

Daouia, 20 ans : «Mon père est fou, ma mère est mendiante.


J'ai deux petits enfants. je ne suis pas mariée. Je pique des
petites choses à manger. Je sors avec n'importe qui. Je voulais
me tuer. J'en ai marre de cette vie». [Daouia nous a montré son
poignet. Elle a tenté de se couper les veines avec un rasoir à
plusieurs reprises. Elle nous parlait en pleurant. Nous étions
très émues]

Attouche, 45 ans :«Mes parents sont misérables à la campagne.


Je les ai quittés. J'ai deux enfants. Je ne connais pas leur père».

Zoubida, 38 ans : «Mes parents ont de l'argent, mais ne me


donnent rien. Mon mari est mort. Je me saoulais avec lui.
Maintenant qu'il est mort, je n'ai plus d'argent pour continuer à
boire. J'ai deux enfants».

Faitha, 27 ans : «Mes parents sont à la campagne; à peine s'ils


arrivent à vivre. Mon mari est mort et m'a laissé 5 enfants. Ma
belle-famille m'a chassée».

Khadija , 30 ans : «Ma famille est très pauvre. On ne trouve


rien à manger à la maison. Je me suis enfuie à l'âge de 10 ans.
J'ai été violée. J'ai deux enfants».

Nous avons observé ces femmes alors qu'elles nous parlaient.


Ce sont des fermes très abîmées. Les cicatrices rayent leur
visage, leurs bras. Certaines nous ont montré leur ventre
traversé par de grandes cicatrices.

Elles sont toujours battues, soit par les hommes avec qui elles
entretiennent une relation plus ou moins stable, et qui, sous
prétexte de les protéger, les exploitent ; soit par ceux qui les
arrêtent. Parfois des tentatives de suicide laissent leurs
tatouages.

Les prostituées que nous avons contactées, formant la 2ème


catégorie, sont issues de la petite-bourgeoisie. [Des femmes de
la grande bourgeoisie des villes se prostituent également bien
qu'elles soient mariées. Mais le mari est une sorte de paravent
pour elles. Ces femmes n'arrivent presque jamais en prison.
Leur milieu, la corruption, les protègent].

Elles sont nées dans des familles où le père travaille et n'est pas
chômeur ou ouvrier. Quelques-unes ont fréquenté l'école
primaire et même les premières années du secondaire.

Mais à la suite de l'échec scolaire qui se produit vu la politique


anti-populaire et colonialiste suivie dans le domaine de
l'enseignement, la seule issue qui reste à ces filles, leur
dernière chance est le mari. Il est presque toujours imposé par
le père.

La mère comme la fille n'ayant pas à formuler leur avis suivant


la loi de la société réactionnaire. Ce partenaire choisi par le
père ne satisfait pas toujours les voeux de la fille : soit il est
très vieux et riche et la discordance est sentimentale, soit il
n'est pas assez riche pour réaliser les aspirations bourgeoises de
sa femme.

Il est évident que là ne sont pas les seules raisons possibles


d'une discorde. La belle-mère joue un rôle négatif dans ces
ménages plutôt boiteux. Elle fait de la ferme une bonne à tout
faire et, en cas de révolte, le divorce tout comme le mariage est
imposé.
Toutes les prostituées de cette catégorie sont des femmes
divorcées ou fuyant le foyer conjugal. Elles ont toutes des
enfants à charge, la maison paternelle devenant une sorte de
prison, elles se donnent à la prostitution. L'attrait de l'argent, le
besoin font d'elles des prostituées d'un rang plus élevé. Elles
fréquentent les grands hôtels et les cafés chics.

Ces femmes nous ont appris l'arrivée d'un grand nombre de


Séoudiens qui viennent gaspiller l'argent du peuple séoudien
dans le pays du «soleil et des femmes».

Ces femmes habillées des dernières créations de mode


deviennent les compagnes et les esclaves de ces derniers qui ne
sont pas avares quand il s'agit de satisfaire leur besoin sexuel
refoulé (ils donnent 300 à 500 DH la nuit et plus).

Nous savons même que des femmes mariées se sont vues


attirer par l'argent. Plusieurs ménages petits-bourgeois se sont
disloqués, la femme abandonnant son mari, voire son travail de
petite fonctionnaire pour gagner de l'argent.

Chama, 20 ans : «Je suis d'une famille aisée. Mon père


travaille. Nous n'avons besoin de rien à la maison. Tous mes
frères sont scolarisés. Moi j'ai fréquenté toutes les classes du
primaire mais je n'ai pas continué à cause de ma maladie. Mon
père m'a obligée à me marier avec un homme âgé que je n'aime
pas. Je me suis enfuie. Il ne veut toujours pas divorcer».

Khadija, 23 ans :«Mon père était résistant. Il a sa pension avec


quelques maisons qu'il loue. J'ai un seul frère qui chômait et
qui a finalement regagné les CMI [Compagnie Mobile
d'Intervention, l'équivalent des C.R.S]. Je lui envoie toujours
de l'argent pour qu'il y reste. Je viens de divorcer parce que
mon mari ne me donne pas tout l'argent que je lui demande. Il
me soupçonne aussi. J'ai une petite fille que j'adore et que je
gâte beaucoup».

Fatima, 17 ans : «Par cupidité, pour l'argent, mes parents m'ont


obligée à me marier avec un homme riche. Plus tard, mon père
est mort et ma mère est restée avec 7 enfants à sa charge. Le
plus grand a 10 ans. Mon mari a refusé de donner de l'argent à
ma mère. Je suis partie de chez moi. J'ai rencontré une amie qui
m'a montré contrent gagner de l'argent».

Naïma, 26 ans : «Mes parents sont aisés et habitent une petite


ville côtière. Ils m'ont mariée à un homme et j'ai découvert plus
tard qu'il était déjà marié. Mon mari travaille en France. J'ai
refusé d'aller avec lui et l'autre femme. J'ai commencé à sortir
avec les filles. Mon beau-père s'est rendu compte et a porté
plainte contre moi. Je me suis enfuie de ma ville natale. J'habite
un hôtel. Je fréquente surtout les Séoudiens. J'ai un enfant».

Fouzia, 25 ans : «Mes parents sont morts. J'ai été élevée par
une famille aisée. Ils m'ont obligée à me marier. Ma belle-
famille me considérait comme une bonne à tout faire. Après
une dispute avec mon mari et sa famille, je me suis enfuie à
Casablanca. Mon mari a divorcé plus tard. Je n'ai pas
d'enfants».

Pour ces femmes, nous avons remarqué que, contrairement aux


autres, elles ne sont pas abîmées. Toutes, très coquettes, n'ont
aucune cicatrice sur le visage ou les bras. Quelques-unes
parlaient français et anglais. La plupart d'entre elles paient
l'école à leurs enfants. Elles gagnent relativement mieux que
les autres et ne sont pas «très vieilles dans le métier» comme
elles disent.
Nous avons après essayé de les amener à répondre sans poser
clairement la question à notre deuxième grand point. Nous
voulions savoir pourquoi elles se prostituaient et ne cherchaient
pas à faire autre chose, travailler par exemple.

Nous avons voulu savoir ce qu'elles disent pour montrer


pratiquement ce que nous avons annoncé théoriquement. Nous
savons qu'il est très difficile, voire impossible, de trouver du
travail dans notre pays économiquement arriéré.

Il n'y a pas d'usines de transformations des matières premières.


Le pays reste un marché pour les produits fabriqués de
l'Occident et des USA.

Nos matières premières sont exportées brutes, pillées par les


sociétés capitalistes qui nous les revendent à des prix
exorbitants.

Le but est de ne pas laisser se développer en nombre la classe


ouvrière qui sera à la tête de tout changement social radical.

Le chômage se multiplie de plus en plus. L'émigration aussi.

Donc ces femmes même si elles cherchent du travail, n'en


trouveront pas, et c'est ce qui se passe d'ailleurs. Elles n'ont pas
de qualification ou de formation pour des travaux même
manuels.

Seules les familles de la grande bourgeoisie leur ouvrent


parfois les portes de leur maison pour y être femme de ménage.
Mais combien de fois travaillent-elles sans être payées et
finissent par se retrouver au chômage. Pour cette question,
nous n'avons pas distingué entre les prostituées des deux
catégories. Toutes ces femmes ont besoin d'argent pour vivre
ou aider leurs parents à vivre.

Presque toutes ont des enfants à élever et à scolariser, mais


toutes n'y arrivent pas. Nous verrons, à travers ce qu'elles
diront, que rien ne leur est garanti, que la vie est trop chère,
que l'exploitation est accablante. Nous verrons également
pourquoi ces femmes vendent ce qu'elles ont de plus cher, leur
corps, non par vice comme disent certains, mais par nécessité.

Saâdia, 20 ans : «Pour vivre. Si je trouve un mari qui dépense


pour moi, je cesse. Quand je vais chez mon père et sa femme, il
faut que je sois bien habillée et que je porte des bracelets en or.
Mon père croit que je travaille. Travailler où ? Chez des riches?
Ils te font travailler comme une bête et te donnent deux sous».

Fatima, 19 ans : «Pour donner de l'argent à mes parents pauvres


et à mon frère qui se saoule. Travailler ? où ? je n'ai pas été à
l'école. Je ne sais rien faire».

Radia, 16 ans : «Pour faire vivre mon enfant et entretenir la


maison et mon copain. Je n'ai pas trouvé de travail».

Malika, 23 ans :«Ma mère a été gravement malade. Il fallait


beaucoup d'argent pour son opération. Je voulais qu'elle soit
sauvée. Je continue à lui acheter les médicaments. C'est très
cher. Si je travaille, je ne gagnerai pas autant d'argent.»

Saïda, 17 ans : «Je dépense ce que je gagne pour moi-même. Je


dois me faire belle et m'habiller bien pour gagner de l'argent».

Aziza, 17 ans : «Je donne de l'argent à ma mère, pour elle et


pour les enfants. Je n'ai pas cherché de travail, je suis sûre de
ne pas en trouver».
Zoubida, 26 ans :«Je paie la pension de mon fils 200 DH par
mois. Je veux qu'il soit instruit. C'est mon seul espoir dans la
vie. Rien à faire d'autre. Je suis condamnée à continuer. Si Dieu
le veut, il me sauvera en me donnant un travail ou un mari».

Micha, 20 ans : «Je n'ai pas d'enfants. Mas parents n'ont pas
besoin de moi et même je ne leur donnerai rien. Si je travaille
je ne gagnerai pas plus de 25 DH par semaine alors que faire
avec : payer le loyer ? Acheter des habits ? Donner à mon ami à
manger ?»

Amina, 40 ans :«J'ai deux enfants, je dois les nourrir. Je


travaille dans une usine, je gagne 100 DH par semaine, mais ça
ne me suffit pas. J'ai besoin d'être gaie de temps en temps,
d'oublier les problèmes».

Aida, 30 ans : «Pour vivre et pour boire. Je ne peux pas me


passer d'alcool».

Zohra, 42 ans : «Je travaille chez des gens. L'argent qu'ils me


donnent ne me suffit pas, à moi et aux enfants. La vie est trop
chère. Pour manger rien du tout, il faut beaucoup d'argent».

Hadda, 36 ans : «J'ai six enfants. Je travaille comme


saisonnière dans une usine de conserves, je ne gagne presque
rien. Ce n'est pas suffisant. Les enfants mangent beaucoup».

Yamina, 19 ans: «J'ai deux enfants et sept frères. Je donne de


l'argent à mes parents. Je faisais de petits commerces (kif,
vente de tissus).Trop de dépenses, je ne gagne rien. En allant
avec des hommes, j'arrive à combler un peu».

Face a tous ces problèmes que nous voyons à travers ce que


nous disent ces femmes, le problème de la scolarité, celui des
soins médicaux, celui de la cherté de la vie et bien d'autres
encore, que fait le pouvoir anti-national ? Nous pouvons
annoncer la réponse : rien sinon la répression.

Que rencontrent les filles mères de 17 ans sinon le refus et le


mépris de la société ? Que deviennent ces enfants sinon à leur
tour des délinquants ?

En étant démagogique, il est facile d'affirmer que la


prostitution n'existe pas, que la guerre est déclarée contre la
débauche et la délinquance. En effet, la guerre est déclarée,
mais contre le peuple, les enfants du peuple et l'avant-garde
consciente et militante.

Ce sont les enfants du peuple qui se retrouvent derrière les


barreaux alors que les véritables criminels sont ceux qui
laissent nos richesses minérales et humaines être spoliées par
les trusts et les sociétés capitalistes. Ce sont ceux qui exécutent
les militants nationaux-démocratiques.

Le pouvoir encourage la drogue et l'alcool pour détourner la


conscience populaire et la remettre sur leur compte. Nous
savons qui permet l'ouverture des maisons closes, qui détruit
les maisons populaires du centre de Casablanca pour construire
sur leurs ruines les grands hôtels de débauche et de
prostitution.

Nous savons également qui fréquente les Club Méditerranée,


endroits favoris de la bourgeoisie pourrie. En tout cas, ce ne
sont pas ces femmes qui, nous le répétons, vendent leur chair
pour vivre et faire vivre leur famille tant bien que mal. Ces
femmes sont condamnées à des mois de prison. Elles sortent et
y retournent car aucune solution n'est trouvée à ces problèmes
vitaux.

Ces femmes sont exploitées à tous les niveaux. Dans leur vie,
et même quand elles sont arrêtées.

Nous n'avons sûrement pas besoin de dire combien la


corruption est d'usage au Maroc. Pour avoir un papier d'état
civil, il faut corrompre, pour scolariser un enfant, pour se tirer
d'affaire aussi.

Nous laissons ces femmes parler. Ce qu'elles disent nous


montrera bien jusqu'à quel point le système est corrompu,
combien l'administration mise en place pour rendre «justice»
est injuste, et surtout ce qu'elles diront montrera clairement ce
que les masses populaires endurent en plus de la misère et de la
répression. Pour ce problème de corruption, nous n'avons pas
posé de question.

Les femmes nous en ont parlé car cela leur tenait à coeur. Il est
certain que celles qui n'ont rien à donner ne donnent, rien,
«acceptent les risques du métier», passent leurs peines et
sortent.

«Mon ami a donné 4 000 DH. Lui est sorti, moi non».

«Une fille était avec nous. Elle est riche et possède une voiture.
Elle a donné une grosse gourmette. Nous l'avons vue. Elle est
sortie».

«J'ai donné deux bagues en or juste pour les petits services


qu'on me rendant : acheter des cigarettes, avertir ma famille».

«J'ai proposé de donner 500 DH et être relâchée. Ce n'était pas


suffisant Je n'ai pas pu donner plus».
«Moi je voulais donner 500 DH au début et 500 DH après ma
sortie. Mais je n'avais pas de garantie à présenter».

«Moi je n'ai pas été arrêtée pour prostitution. Ils m'ont mise,
une autre fille et moi, à la place de deux filles prostituées car
leurs familles à elles ont donné de l'argent».

«Moi donner ? Et combien ? je n'ai rien. Je passe ce que je


passe et je dors.»

Nous jugeons que ce que nous avons recueilli là est suffisant.


Nous n'avons pas besoin d'aller plus loin autrement nous
risquons de tomber dans des répétitions de propos et ainsi de
lasser le lecteur. Nous ne pouvons au milieu de tout ceci
oublier les conditions dans lesquelles vivent ces femmes en
prison.

Nous voulions aussi interroger ces femmes sur leurs


aspirations, ce qu'était pour elles l'avenir. Mais à travers nos
discussions avec elles, nous avons remarqué que c'était très
flou pour elles l'avenir, que leur seul salut est de trouver un
mari qui les fasse vivre, elles et leurs enfants.

Néanmoins, nous avons saisi qu'il y a une certaine conscience


spontanée qui germe et se forme. Elles savent généralement qui
sont leurs ennemis. Elles réalisent que l'Etat est «pourri et
injuste» selon leurs propres termes, mais elles ne savent pas
quelles solutions il faut y apporter.

«Que veux-tu, c'est ça la vie».

Elles se confient au temps, pensant que ce dernier, en dehors de


toute action, pourra changer quelque chose. Mais nous avons
senti une grande haine et un grand mépris pour ceux qui les
exploitent, ceux qui ne leur «foutent pas la paix».

En conclusion, nous pensons que toutes ces femmes, nous


voulons dire, la femme en général, ne pourra connaître un
changement dans sa situation de double exploitation que si, une
fois la conscience de classe acquise, elles oeuvrent pour un
changement radical de la société et pour l'édification d'une
société socialiste qui remettra à la femme des droits effectifs,
l'égalité totale avec l'homme, son rôle à jouer dans la
production, sa participation à la vie politique de son pays.

La libération de la femme est partie intégrante de la libération


de toute la société.

Cette tâche ne revient pas à l'homme seulement ou à la femme,


mais à toute la société et à sa tête la classe ouvrière en coalition
avec la paysannerie.

Vous aimerez peut-être aussi