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Lille 2 Ecole doctorale n 74
Mmoire soutenu par
Vincent Thiry
Sous la direction Franoise Dekeuwer-Dfossez
Comportement du dbiteur et procdure de surendettement
DEA de droit priv Session 1999/2000 1 La prsomption dinnocence I) Lambivalence de la prsomption dinnocence et les acteurs du procs pnal A) Un procs ncessaire 1) La charge de laccusation a) Le principe b) Les attnuations et prsomptions de culpabilit 2) La pertinence de laccusation a) Lindpendance du juge b) Limpartialit du juge B) Une innocence antrieure ? 1) Une gradation des mesures coercitives durant la procdure a) Les diffrentes mesures coercitives b) La persistance de la coercition dans un Etat de droit 2) Une gradation des garanties durant la procdure a) Un tranglement progressif des paliers dinnocence b) Une amlioration progressive des droits de la dfense II) La protection de la prsomption dinnocence et les spectateurs du procs pnal A) Linterdiction de prsenter comme coupable une personne avant condamnation 1) La rpression des atteintes la prsomption dinnocence 2 a) La diffamation b) Les mesures pcuniaires 2) La prvention des atteintes la prsomption dinnocence a) Les mesures de contre-information b) Le contrle pralable de linformation B) Le droit dinformer des affaires judiciaires 1) Le droit de relater les procdures judiciaires a) Les principes b) Les solutions pratiques 2) Le droit de traiter les affaires judiciaires ? a) Les principes b) Les solutions pratiques 3 La justice idale, justice divine, permettrait de punir sur le champ les coupables tout en pargnant les innocents. Cet idal nest quun idal. La dure ralit, vcue au quotidien par les policiers et magistrats et par certains mis en cause, en tmoigne. Notre justice est humaine, trop humaine car elle demande lenteur, patience et rflexion. La justice vritable est lennemie de la prcipitation. Deux raisons nous en convainquent . Non seulement il faut se prvenir de punir un innocent mais tout jugement htif command par la vengeance, se risque linjustice. Entre la constatation de linfraction et le jugement du dlinquant, un dlai impratif et incompressible simpose. Cette retenue ncessaire au bon fonctionnement de la justice est assure en droit positif. Le procs, aboutissement de la procdure, concentre et monopolise inextricablement la peine et la dclaration de culpabilit. Il est la cl de vote du systme tout entier, la jonction du droit pnal et de la procdure pnale. Corollaire inluctable, les suspects sont, antrieurement au procs, prservs. Cette conomie de la rpression est issue de la Rvolution de 1789. A cette poque, est remise en cause la procdure pnale organise par lordonnance sur linstruction criminelle de 1670. Des hommes dinfluence dnoncent lirrationalit et la dmesure de la pnalit 1 . Les intellectuels, notamment les rdacteurs de lencyclopdie sindignent de la procdure secrte, de lutilisation de la torture comme moyen dinstruction ou de linhumanit des supplices 2 . Non seulement on rclame un adoucissement de la pnalit, mais aussi, une rationalisation dans la manire de punir. Cette rationalit doit avoir pour pierre de touche la sentence du juge. Celle-ci opre une vritable dichotomie entre la priode antrieure o la protection publique doit tre accorde et la priode postrieure, qui seule peut recouvrir une peine. Dans le trs fameux Des dlits et des peines , Beccaria affirme : Un homme ne peut tre considr comme coupable avant la sentence du juge ; et la socit ne peut lui retirer la protection publique, quaprs quil est convaincu davoir viol les conditions auxquelles elle lui avait t accorde. Le droit de la force peut donc seul autoriser un juge infliger une peine un citoyen (). Voici une proposition bien simple : ou le dlit est certain ou le dlit est incertain : sil est certain, il ne doit tre puni que de la peine fixe par la loi, et la torture est inutile (). Si le dlit est incertain, nest-il pas affreux de tourmenter un innocent ? Car,
1 Citons quelques noms retenus par Michel Foucault dans surveiller et punir : J. Petion de Villeneuve (Discours la Constituante, archives parlementaires, t. XXVI, p. 641), A. Boucher dArgis (Observations sur les lois criminelles, 1781, p. 125) ou Lachze (Discours la Constituante, 3 juin 1791, Archives parlementaires, t.XXVI). 2 Voir par exemple, larticle consacr la Question dans lencyclopdie 1766 (chevalier de Jaucourt) dans recueil de textes et documents du XVIIIme sicle nos jours , Ministre de lducation nationale de la jeunesse et des sports, centre national de documentation pdagogique, 1989. 4 devant les lois, celui l est innocent dont le dlit nest pas prouv 3 . Cette suggestion de Beccaria contient en germe les principes de notre droit pnal contemporain. Elle fonde la dclaration de culpabilit sur la certitude de la culpabilit. Cest en ce sens que la procdure pnale, lors de lenqute et linstruction a pour charge de faire toute la lumire . Sans doute, le rapprochement avec cette phrase bien connue nest-il pasinnocent : Le premier prcepte tait de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse videmment tre telle ; cest dire dviter soigneusement la prcipitation et la prvention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se prsenterait si clairement et si distinctement mon esprit que je neusse aucune occasion de le mettre en doute 4 . Comme la vrit mtaphysique, la vrit judiciaire (la culpabilit) ne se laisse gagner quaprs une priode de doute (la procdure), ou tout jugement est proscrit. Durant cette priode, ce qui est douteux doit tre considr comme faux. Cette mthode conduit logiquement faire du jugement, et partant de la peine, lapanage exclusif du procs et faire bnficier les suspects de la prsomption dinnocence. Tant que la culpabilit nest pas certaine, linnocence doit, au bnfice du doute, profiter au suspect. Ce principe cardinal de notre droit pnal a t consacr en 1789 par larticle 9 de la DDHC : Tout homme tant prsum innocent jusqu' ce quil ait t dclar coupable . Depuis la loi n2000-516 du 15 juin 2000, le Code de procdure pnale prvoit que Toute personne suspecte ou poursuivie est prsume innocente tant que sa culpabilit na pas t tablie. Les atteintes la prsomption dinnocence sont prvenues, rpares et rprimes dans les conditions prvues par la loi . Ce principe est trs respectable et trs respect. Qui aujourdhui, dans un Etat de droit oserait le remettre en cause ? Il a mme t rappel dans deux textes minemment symboliques (la convention .E.D.H. son article 62 et le Code civil son article 9-1) et les juridictions administratives en font application 5 . Mais les termes de prsomption dinnocence sont empreints dquivoque car la prsomption dinnocence nest pas linnocence. Artificialit et prcarit la dfinissent. La prsomption dinnocence est une innocence artificielle. En effet, on ne peut pas confondre linnocence avec la prsomption dinnocence car dans le premier cas linnocence se suffit elle-mme alors que dans le second cas linnocence ncessite le recours une prsomption. Or quest ce quune prsomption si ce nest un artifice juridique ? Dailleurs, lartificiel,
3 Beccaria, Des dlits et des peines, 1764, XII, De la question ou torture. 4 Descartes, Discours de la Mthode, 1637, seconde partie. 5 Les juridictions administratives appliquent les garanties du procs pnal toutes les mesures de caractre rpressif et en particuliers aux sanctions administratives. Th. S. Renoux et M. de Villiers : Code constitutionnel, Litec 1994, p. 77-87. 5 lartefact na t-il pas pour fonction de produire une reprsentation illusoire de la ralit ? Dire de quelquun quil est prsum innocent nest-ce pas insinuer quil est coupable ? Cette remarque commande des explications. A certains gards, la prsomption dinnocence peut paratre absurde : une prsomption ne recoupe-t-elle pas le vraisemblable ? Si une prsomption est un mode de raisonnement juridique en vertu duquel, de ltablissement dun fait on induit un autre fait qui nest pas prouv 6 nest-il pas paradoxal de fonder la prsomption dinnocence sur une prsomption de culpabilit ? En effet nest-il pas incohrent de dire dune personne quelle est prsume innocente parce quelle est mise en cause par la police et la justice ? Il serait plus cohrent quune personne rellement mise en cause soit juridiquement prsume coupable. Ainsi, les termes mme de prsomption dinnocence traduisent dj une certaine forme de culpabilit. Cette ambivalence se manifeste parfaitement au sacro-saint article 9 de la DDHC. Cette article nonce que tout homme tant prsum innocent jusqu ce quil ait t dclar coupable. Pourquoi reconnatre quun homme est artificiellement innocent alors quil lest ncessairement avant son jugement ? Nest-ce pas reconnatre quil est dj rellement coupable et que son innocence nest que laboutissement dun artifice juridique ? Mais la prsomption dinnocence nest pas seulement une innocence artificielle, elle est aussi une innocence prcaire parce que ncessairement rfragable. A plus ou moins long terme, lartifice vocation seffacer. Or, on nest (verbe tre, indicatif prsent) jamais prsum innocent, toujours prsum (verbe prsumer, forme passive) innocent, toujours coupable ou innocent. A bien des gards le langage nous trahit car le droit positif peine instaurer une rpression fonde exclusivement sur le procs. Comme tous les principes, la prsomption dinnocence se heurte des difficults. Difficults thoriques mais aussi pratiques. En effet sil est injuste de punir un innocent, nest-il pas injuste dpargner le temps de la procdure le coupable ? Cette remarque nous conduit apprcier le cot de la prsomption dinnocence. Quel est le prix de cette certitude judiciaire permettant de bannir, dans la mesure du possible, les erreurs, cest dire les condamnations dinnocents. Par ce quil y a toujours derrire un coupable dsign un innocent potentiel, la prsomption dinnocence conduit bien souvent nier lvidence. Un suspect surpris en flagrant dlit est, la vue des statistiques un coupable assur. Dans notre droit et jusqu jugement, il est prsum innocent. Il y a sans doute contradiction entre les chiffres et le principe. Pour les humanistes rien, mme la
6 Lexique de termes juridiques Dalloz. 6 prservation de dangereux dlinquants ne justifie la condamnation dun innocent ? Pourtant la justice ne commanderait-elle pas de punir moiti un demi coupable ? Ce problme moral corrobore un problme pratique. Les acteurs du procs pnal et principalement ceux qui concourent la procdure, notamment les policiers et le juge dinstruction ne sont-ils pas contraints de recourir une certaine forme de violence pour produire la vrit ? Ces difficults sont pineuses. Elles le sont dautant plus que la rpression apparat pour la socit civile, simple spectatrice au procs pnal, comme une ncessit imprieuse. Plus que jamais, le droit pnal fait figure de rgulateur social. Dix mille textes dictant des sanctions pnales et touchant tous les secteurs seraient actuellement en vigueur 7 . Michel Foucault explicite cette imbrication, apparue au 18 me ,du droit pnal dans notre vie sociale : faire de la punition et de la rpression des illgalismes une fonction rgulire coextensive la socit ; non pas moins punir mais punir mieux ; punir avec une svrit attnue peut tre, mais pour punir avec plus duniversalit et de ncessit, insrer le pouvoir de punir plus profondment dans le corps social 8 . Or cette forme de rgulation sociale se conjugue bien plus avec ladministration que la juridiction. Mais le problme est aussi politique car dans une dmocratie, la justice a des comptes rendre. Lintensification des contrles exercs par la socit civile rpond une certaine conception de la dmocratie et Alain cherchant la dfinir se rsigne admettre que ce qui importe, ce nest pas lorigine des pouvoirs, cest le contrle continu et efficace que les gouverns exercent sur les gouvernants 9 . Sans doute la publicit des audiences et la mise jour sur la place publique de certaines affaires sensibles notamment politiques et financires en est-elle un symptme. Elle a conduit un certain contrle social sur la procdure et le procs et a amen une amlioration du sort des prsums innocents. Mais il faut se rsigner faire des spectateurs du procs, cest dire de la socit civile, un alli pour le prsum innocent car plus que jamais intresse par la justice pnale, la socit civile est-elle prte payer le prix de la prsomption dinnocence ? Peut-elle accepter quun dangereux criminel, violeur denfant, soit prsum innocent durant la procdure ? Si Michel Foucault remarque la solidarit qui sinstaure avec ceux qui subissaient la peine, il arrive aussi que le peuple apporte son concours au Roi et bien des fois on dut protger contre la foule les criminels quon faisait lentement dfiler au milieu delle 10 .
7 Selon Alain Tourret. Ass. Nat. 1 re sance du 9 fvrier 2000, JO du 10 fvrier 2000, p.881. 8 Michel Foucault, Surveiller et punir , dition Gallimard 1999, p. 97-98. 9 Alain, Propos sur les pouvoirs, folio essai Gallimard 1995, n79, p. 213. 10 Michel Foucault, prcit, p. 71. 7 En ralit la justice de lEtat et celle plus informelle et diffuse de la socit civile se contredisent radicalement. Lune est base sur la rflexion et la mesure, lautre sur le sentiment et la compassion. Dune certaine manire, (en vertu du principe de prcaution ?) la socit civile, fidle lopinion (ne parle-t-on pas dopinion publique ?) rfute la certitude comme fondement de la culpabilit et de manire beaucoup plus pragmatique condamne sur des probabilits. Ainsi sexplique la discordance entre le temps judiciaire et le temps mdiatique et les relations difficiles entre le prsum innocent et la socit civile principalement lorsquune information judiciaire est ouverte 11 . Indubitablement les difficults occasionnes par la prsomption dinnocence sont concentres autour de cette ambigut, de ce dysfonctionnement congnital . Nest-il pas profondment injuste de condamner un innocent qui a les apparences contre lui ? Mais nest-il pas absurde et injuste de considrer un individu qui a toutes les chances dtre auteur de linfraction reproche comme prsum innocent ? Parce que tout droit, fusse-t-il de lhomme ou de la personnalit sexerce au dpens dautrui, le droit (tant) rapport entre des hommes, multilatral 12 , le droit la prsomption dinnocence, droit de lhomme sexerant lencontre des autorits publiques, mais aussi droit de la personnalit sexerant lencontre de la socit civile, nest-il pas un privilge exorbitant ? La rponse apporte par le droit positif est sans doute positive car le fonctionnement quotidien de la justice et de la procdure pnale comme moyen de production de la vrit judiciaire, rend difficilement applicable le principe de la prsomption dinnocence par les acteurs du procs pnal (I). Ces difficults dapplication rejaillissent sur les relations entre le prsum innocent et la socit civile et rendent difficiles une protection efficace de la prsomption dinnocence devant les spectateurs du procs pnal (II).
11 Pour cette raison, la loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, tend rduire la dure des instructions ; 12 Michel Villey, Le droit et les droits de lhomme, Paris, PUF, Questions , 2 me d. 1990, p. 153-154. 8 I) Lambivalence de la prsomption dinnocence et les acteurs du procs pnal La force de la prsomption dinnocence peut sapprcier deux gards. En premier lieu, comment la prsomption dinnocence peut-elle tre renverse et donc comment la culpabilit peut-elle se manifester ? En droit positif, la garantie est certaine car la culpabilit ne peut ressortir que dune dcision juridictionnelle qui fait ncessairement suite un procs (A) 13 . En second lieu et au del des fictions juridiques, quel est concrtement son impact ? La difficult provient de ce que cette garantie est contrarie par les ncessits de la procdure qui imposent afin de faire toute la lumire et dviter un erreur judiciaire, des mesures coercitives aveugles touchant coupables et innocents. Ainsi sexplique, dans un Etat de droit, lintensification des contrles judiciaires sur la procdure. Ambivalence regrettable : ces contrles destins prserver la prsomption dinnocence discrditent le procs comme pierre angulaire du systme rpressif, accrditent les mesures coercitives et font douter de linnocence du prsum innocent (B). A) Un procs ncessaire Cest par le procs que la prsomption dinnocence peut tre renverse 14 . Cette rgle est satisfaisante quand on pense lensemble des garanties qui entourent le procs pnal. Pour
13 Selon le Conseil constitutionnel, larticle 66 de la Constitution, garantit, non pas lexistence dun procs, mais requiert la dcision dune autorit de jugement pour des mesures qui constituent des sanctions pnales. Dc. n95-360 DC, 2 fvrier 1995 : JO 7 fvrier 1995, p. 2097. 14 Cette affirmation doit tre nuance car certaines contraventions peuvent tre sanctionnes sans saisine de la juridiction de jugement ( dispositions des art. 529 et suivants du Code de procdure pnale relatifs aux dispositions applicables certaines contraventions, certaines infractions la police des services publics de transports terrestres et certaines infractions au Code de la route). Toutefois le contrevenant peut provoquer la saisine de la juridiction de jugement sauf si le procureur de la Rpublique dclare lirrecevabilit de sa rclamation conformment larticle 530-1 alina 1 er in fine C.P.P. Par ailleurs le droit positif admet de plus en plus frquemment les accords entre lEtat (ministre public ou administration) et les particuliers afin dviter la saisine de toute juridiction. Ces accords sont problmatiques car ils dbouchent non pas sur une condamnation pnale mais sur un engagement plus ou moins consenti afin dviter la comparution devant une juridiction. Ainsi, larticle 6 alina 3 du Code de procdure pnale prvoit que laction publique peut steindre par transaction lorsque la loi en dispose expressment. Il en est ainsi dans des cas o lexercice de laction publique appartient une administration (par exemple art. 1879 CGI, art. L. 248 liv. proc. fisc. ou art. 350 du Code des douanes). La loi du 23 juin 1999 a, quant elle, instaurer la pratique de la composition pnale qui peut intervenir entre le procureur de la Rpublique et la personne qui reconnat avoir commis une ou plusieurs infractions spcialement dsignes part les art. 41-2 et 41-3 du Code de procdure pnale. En change dune extinction de laction publique, lintress doit excuter des mesures dictes par le magistrat tels quune amende ou un travail non rmunr au profit dune collectivit. Cette innovation pose le problme de la renonciation la prsomption dinnocence car lintress, mme sil nest pas dclar coupable, reconnat avoir commis une ou plusieurs infractions. En principe la renonciation la prsomption dinnocence est impossible car le juge apprcie, en son intime conviction, la valeur des preuves qui lui sont soumises mme laveu. Relativement linjonction pnale, le Conseil constitutionnel en 1995, avait considr que la sparation des autorits charges de laction publique et des autorits de jugement concourt la sauvegarde de la libert individuellesque certaines mesures susceptibles de faire lobjet dune injonction pnale constituent des sanctions pnales. Il a alors estim que le prononc et lexcution de telles mesures mme avec laccord de la personne susceptible dtre pnalement poursuivie, ne (pouvaient), sagissant de la rpression de dlits de droit commun, intervenir la seule diligence dune autorit charge de laction publique mais (requraient) la dcision dune autorit de jugement conformment aux exigences constitutionnelles (Dc. n95-360 DC, 2 fv. 1995 : JO 7 fv. 1995, p. 2097 ; RFD const. 1995, p. 405, note Renoux). Pour cette raison, la composition pnale issue de la loi du 23 juin 1999 exige lintervention du prsident du tribunal qui est saisi aux fins de validation de la composition. Au regard de larticle 61 de la convention E.D.H., cette pratique est douteuse car le droit un tribunal impartial ne peut faire lobjet de renonciation car un tel droit offre une importance capitale et son exercice ne peut dpendre des seuls intresss (Cour. E.D.H. 25 fvrier 1992, Pfeifer et Planck, srie A, n227,38). De plus, toute renonciation un droit doit tre libre, cest dire non motive par la contrainte (toutefois la 9 rpondre sa dfinition 15 , le procs appelle lintervention de trois acteurs : le demandeur, le dfendeur et, bien sr, le juge. Au pnal (comme au civil) il revient au demandeur, le ministre public, de soutenir ses allgations, notamment la culpabilit du mis en cause, par les moyens de droit et de fait propres les fonder. On dit que pse sur laccusation la charge de la preuve. Cette rgle, qui est une manifestation de la prsomption dinnocence a pour corollaire la ncessaire objectivit de celui qui tranche le litige. Le magistrat corrompu qui prjuge de la culpabilit du mis en cause, dj acquis la thse de laccusation, bafoue le principe de la charge de la preuve. Ainsi se dessinent deux garanties lies intimement lune lautre assurant le respect de la prsomption dinnocence lors de la phase de jugement : la charge de laccusation repose sur le ministre public tandis que la pertinence de laccusation est apprcie par une juridiction pleinement objective et dsintresse. 1) La charge de laccusation Parce que tout un chacun est prsum innocent, il revient au ministre public qui reprsente laccusation et qui est partie principale au procs pnal, dtablir la culpabilit du prvenu ou de laccus 16 . Si les lments de droit ou de fait savrent insuffisants pour tayer laccusation, le demandeur sera dbout, le doute profitant laccus. Cette rgle dor de la procdure pnale doit viter quune personne traduite devant un tribunal ait prouver son innocence. Elle nest pourtant pas sans inconvnient. En effet, nest-il pas injuste voire absurde, de relaxer un individu qui est trs probablement coupable de linfraction par simple manque de preuve ? Cette interrogation est apprcier la lumire des ncessits souvent imprieuses de la rpression et en considration des difficults rencontres par les enquteurs dans la recherche des preuves. A la rflexion, la justice commande lgitimement, dans certaines situations, des amnagements voire des drogations au principe lorsque la culpabilit des mis en cause nest pas srieusement contestable.
menace dexercer les voies de droit nest pas une violence eu sens de larticle 1111 C.c. ; voir aussi Cour E.D.H., Deweer c/Belgique : Srie A, n35.) Peut tre doit-on sinterroger sur leffectivit de la renonciation. Certes le prsident intervient mais seulement aux fins de validation. 15 Selon le lexique de termes juridiques Dalloz, le procs se dfinit comme la difficult de fait ou de droit soumise lexamen dun juge ou dun arbitre. 16 Il peut aussi saisir un juge dinstruction par un rquisitoire introductif. Selon M. Albertini seulement 7% des affaires sont soumises linstruction. Ass. Nat., 1 re sance du 9 fvrier 2000, J.O. 10 fvrier 2000, p. 886. 10 a) Le principe
Puisque le ministre public doit faire la preuve de linfraction, il doit tablir lexistence des trois lments qui la constituent : llment lgal, llment matriel et llment moral. Concernant llment lgal, le ministre public doit viser le texte lgal ou rglementaire sur lequel il fonde sa poursuite ainsi que la non-disparition de cet lment par leffet de lamnistie 17 , de labrogation ou de la prescription de laction publique 18 . Concernant llment matriel, il doit prouver selon linfraction, laction, lomission ou les circonstances accessoires ou matrielles aggravantes de linfraction. Enfin, concernant llment moral, il doit prouver selon linfraction, lintention dlictueuse, la faute dimprudence ou de ngligence aussi bien de lauteur principal que du complice. Cette charge de la preuve est allge par un principe qui gouverne la thorie de la preuve en droit pnal : la libert de la preuve. Ainsi, alors quen droit civil, la loi dtermine les modes de preuves admissibles et leur valeur probante, en droit pnal, tous les modes de preuve sont admis pourvu quils aient t loyalement recherchs et contradictoirement discuts. La loyaut dans la recherche des preuves intresse surtout la priode qui prcde le procs, lenqute et linstruction. Il est cependant important de prciser que laccusation ne pourra pas, en principe, convaincre un juge par des preuves obtenues par des procds dloyaux. Si aucune disposition lgale ne permet au juge rpressif dcarter les moyens de preuve produits par les parties, au seul motif quils auraient t obtenus de faon illicite ou dloyale, il lui appartient seulement en application de larticle 427 C.P.P den apprcier la valeur probante. De plus, possibilit est donne au juge de constater une irrgularit et dannuler des actes de procdure notamment en vertu de larticle 802 C.P.P puisque toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie dune demande dannulation ou qui relve doffice une telle irrgularit peut prononcer une nullit lorsquelle porte atteinte aux intrts de la partie quelle concerne. Ces rgles sont fondamentales et tendent garantir le bon droulement de la procdure. Cette charge de la preuve est une garantie vidente pour le prvenu ou laccus. Traduit devant un tribunal, il na pas prouver son innocence. Pourtant cette garantie peut, dans certains cas, enrayer artificiellement la rpression lorsque la preuve de celle-ci est diabolique
17 Crim. 9 juillet 1921, Bull. n 293. 18 Crim. 16 dc. 1964, J.C.P. 1965. II. 14086. 11 et lorsque linfraction nest vraisemblablement pas douteuse. Ainsi, au principe, simposaient des correctifs. b) Les attnuations et les les prsomptions de culpabilit Lexpression de prsomption de culpabilit est volontairement provocante car elle montre en quoi le principe de la prsomption dinnocence, compris comme charge de la preuve, nest pas absolu. Ces prsomptions mettent la charge de la partie poursuivie la preuve de son innocence. Quelquefois la tche du ministre public est simplement facilite et lon ne peut pas parler de prsomption de culpabilit. Concernant llment lgal, il revient la personne poursuivie dinvoquer le fait et le texte justificatif (comme par exemple la lgitime dfense 19 , sauf si elle lgalement prsume). La solution est identique quand le prvenu ou laccus soulve limmunit familiale de larticle 311-12 du N.C.P. 20 . Concernant llment matriel, si pour sa dcharge, le prvenu ou laccus allgue un fait de nature faire disparatre la matrialit de linfraction, cest lui de rapporter la preuve de ce fait 21 . Il est important de noter que dans certaines hypothses un procs verbal qui constate une contravention fait prsumer lexistence de cette infraction et oblige le contrevenant rapporter la preuve contraire soit par crit soit par tmoins (art.431 et 537 C.P.P). Parfois, la loi confre mme une force probante aux procs-verbaux jusqu' inscription de faux 22 . Enfin concernant llment moral, forcment problmatique puisque de nature psychologique, la preuve est quelquefois inutile puisque le ministre public na qu tablir la matrialit de linfraction : on parle alors dinfraction matrielle. Dans dautres cas la preuve est facilite puisque la simple imprudence ou ngligence est suffisante. Dans ces cas, lassouplissement ne vient pas de la preuve mais de linfraction elle mme. Mais il appartient au prvenu ou laccus de faire la preuve de la contrainte et sinon de prouver, du moins dinvoquer la dmence 23 . Ainsi, et en dpit de la formule jurisprudentielle selon laquelle la partie poursuivante doit tablir tous les lments constitutifs de linfraction et labsence de tous les lments
19 Crim. 22 mai 1959, Bull. crim n268. 20 Crim. 21 mars 1984, Bull. crim n124. 21 Crim. 5 nov. 1976, Bull. crim. n314. 22 Notamment art. 336 du Code des douanes ou L.237-4 du Code rural. 12 susceptibles de la faire disparatre 24 , les juridictions laissent subsister la charge de la personne poursuivie la preuve de la quasi totalit des institutions qui lui permettent damliorer son sort. De mme et bien souvent la charge de la preuve est allge par des prsomptions de fait utilises par les magistrats. Les prsomptions permettent de contourner les difficults, voire les impossibilits de preuve et donc principalement llment moral 25 . Par exemple, lintention de tuer est induite des indices recueillis : larme utilise, la direction et prcision du tir, le nombre de coups ports 26 . Pour la Cour de cassation, ces prsomptions de fait sont compatibles avec la convention europenne des droits de lhomme 27 . Quelquefois cest le lgislateur lui mme, qui instaure de vritables prsomptions de culpabilit puisquil appartient la personne poursuivie de prouver son innocence. Ces prsomptions sont dissmines en droit positif. Quelquefois, llment moral est prsum. Ainsi larticle 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 relative la libert de la presse considre comme faite de mauvaise foi toute reproduction dune imputation qui a t juge diffamatoire . Plus souvent, cest llment matriel de linfraction qui fait lobjet de la prsomption. Le Code pnal considre comme tabli llment matriel du proxntisme dans lhypothse o une personne ne peut justifier de ressources correspondant son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement la prostitution ou en tant en relation avec une ou plusieurs personnes se livrant la prostitution 28 . Une prsomption de recel est dicte lencontre des personnes qui, ayant autorit sur les mineurs se livrant habituellement des crimes ou dlits contre les biens, ne peuvent justifier des ressources correspondant leur train de vie 29 , ou lencontre des personnes qui, en relation avec un ou plusieurs auteurs de trafic de stupfiants ou encore un ou plusieurs usagers de stupfiants, ne sont pas en mesure de justifier des ressources correspondant leur train de vie 30 . Larticle 418 du Code des douanes prsume que les marchandises saisies dans le rayon douanier sans titre de circulation valable ont t introduites en France frauduleusement Le Code de la route, quant lui, prvoit deux prsomptions de culpabilit aux articles L.21-1 et L.21-2.
23 Crim, 9 dc. 1949, Rev. sc. crim., 1951, p. 305. 24 Crim. 24 mars 1949, Bull. n114. 25 La prsomption est en gnral acquise lorsquil existe un lien troit entre llment moral et llment matriel. Par exemple pour l abus de confiance : Crim. 4 juillet 1972, B. crim. n 228. 26 Crim. 22 mai 1989, Gabanou : Dr. pn. 1989, comm. n56. 27 Cass. Crim., 26 oct. 1995, Samet : Bull. crim., n328. 28 Art. 225-6 du NCP. 29 Art. 321-6 du NCP. 30 Art. 222-39-1 du NCP. 13 Ce dernier article, issu de la loi du 18 juin 1999 relative la scurit routire a t loccasion pour le Conseil constitutionnel de prciser sa position relativement aux prsomptions de culpabilit institues par le lgislateur. Il ressort de la dcision 31 que ,sous rserve de certaines conditions, ces prsomptions sont conformes au bloc de constitutionnalit et ne sont pas rserves aux seules contraventions. La Cour E.D.H. qui reconnat que tout systme juridique connat des prsomptions de fait ou de droit, ne les condamne pas si elles sont enserres dans des limites raisonnables prenant en compte la gravit de lenjeu et prservant les droits de la dfense et il revient la Cour de rechercher si le texte portant la prsomption a t appliqu de manire compatible avec la prsomption dinnocence 32 . Quant la Cour de cassation, elle a jug que la Convention europenne des droits de lhomme ninterdit pas de telles prsomptions ds lors que ces dernires rservent la possibilit dune preuve contraire et laissent entiers les droits de la dfense 33 ou que les prsomptions ne portent pas atteinte aux droits de la dfense, ni au principe de la prsomption dinnocence 34 . Ainsi, le lgislateur et les juridictions tentent-ils de concilier le principe de la prsomption dinnocence avec les exigences et les difficults de la rpression. Il rsulte de nos dveloppements que le principe de la prsomption dinnocence, entendu comme charge de la preuve pesant sur le ministre public, nest pas absolu, rencontrant, en pratique de larges inflexions. Mais les exigences de la rpression ne doivent pas conduire la condamnation dun innocent. En tout tat de cause, le juge ne peut devenir une chambre denregistrement car il reste celui qui dclare la culpabilit aprs un dbat contradictoire et dans le respect des droits de la dfense, les prsomptions de culpabilit tant ncessairement rfragables. Ds lors, si la charge de la preuve est quelquefois assouplie ou mme renverse, le procs reste en principe le passage oblig vers la culpabilit. Et ce passage oblig ne peut tre une garantie pour le justiciable que si le procs est effectivement quitable, impliquant que la juridiction de jugement apparaisse vritablement comme un tiers au litige opposant le ministre public au prvenu ou laccus.
31 Dc. N99-411 DC, 16 juin 1999 : JO 19 juin 1999, p. 9018 relative la loi n99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives la scurit routire et aux infractions sur les agents des exploitants de rseau de transport public de voyageurs. 32 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France. 33 Crim., 6 nov. 1991 : Bull. crim., n397. 14 2) La pertinence de laccusation Laccusation profre lencontre du mis en cause, par laccusation, est-elle pertinente ? Il revient au juge qui a t saisi de se prononcer par voie juridictionnelle sur cette question aprs avoir apprcier la valeur probante des lments de preuve. Cette intervention judiciaire au stade ultime de la procdure est videmment une garantie primordiale pour le prsum innocent car les magistrats du sige prsentent de srieuses garanties dobjectivit. Que penser de la prsomption dinnocence si le tiers amen se prononcer sur la culpabilit du prvenu ou de laccus est un alli de laccusation ou dj convaincu de la culpabilit du mis en cause ? Ny aurait-il pas alors simulacre de procs ? En apparence simple, le problme de lobjectivit du juge dans lapprhension du litige, est, certains gards, dlicat. Comment concilier lindpendance des magistrats avec la qualit de fonctionnaire qui appelle en principe une relation hirarchique au sein de ladministration ? De mme, comment accorder un regard neuf et impartial lors du jugement, quand ladministration de la justice commande, au pralable, durant lenqute et linstruction, sur les faits, une multitude dapprciations de la part dorganes de police ou de justice ? a) Lindpendance du juge Pour quun juge soit indpendant, il est ncessaire quil ne soit sous linfluence ni du lgislateur, ni du gouvernement ni des justiciables. Lindpendance lgard du lgislateur est assure par larticle 16 de le la D.D.H.C. et par larticle 61 de la C.E.D.H. qui empchent ce dernier de censurer les dcisions des juridictions et denfreindre par la mme le principe de sparation des pouvoirs 35 . Lindpendance lgard des justiciables est assure principalement par lirresponsabilit des magistrats pour les dcisions rendues par eux 36 . Quant lindpendance lgard du gouvernement, elle est primordiale, car le ministre public qui est partie au procs pnal est sous lemprise du gouvernement. Sous peine de consacrer le gouvernement comme juge et partie et de faire du procs et de la prsomption dinnocence un vritable simulacre, lindpendance du juge vis--vis du gouvernement doit tre prserve.
34 Crim., 26 oct. 1994, pourvoi nH 94-81.526 D. 35 Dcision du Conseil constitutionnel n87-228 DC du 26 juin 1987. Rec. Cons. Const., p. 38. Rcemment, la Cour dappel de Limoges a, sur le fondement de larticle 61 de la C.E.D.H. et en dpit dune dclaration conforme du texte la Constitution par le Conseil constitutionnel, estim quune validation lgislative rtroactive dun acte rglementaire annul pralablement par une juridiction administrative, portait atteinte au droit un procs quitable. Limoges, 13 mars 2000, D. 2000, I.R. p. 127. 36 Art. L.781-1 du COJ et 11-1 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature. 15 Cette indpendance est garantie, elle aussi, par la Constitution ses articles 64 et 65 et par larticle 61 de la C.E.D.H. Effectivement pour le juge, la subordination hirarchique qui caractrise le statut des agents publics, cde le pas lindpendance juridictionnelle 37 car limpartialit, au sens large, est consubstantielle au pouvoir juridictionnel. Cette situation est loppos de celle des membres du ministre public puisque ceux-ci sont placs sous la direction et le contrle de leurs chefs hirarchiques et sous lautorit du garde des sceaux, ministre de la justice 38 .Ceci nest pas choquant puisque les membres du ministre public sont parties au procs pnal . Par contre, lindpendance des juges du sige doit tre prserve, ne pouvant se trouver en situation de subordination lgard dune des parties au procs. Les juges devant tre labri de toute pression du gouvernement, diverses garanties ont t accordes. Tout dabord, les magistrats du sige sont inamovibles, en consquence, le magistrat du sige ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, mme en avancement 39 . Le Conseil suprieur de la magistrature constitue linstance disciplinaire des magistrats de carrire et le prsident de la Rpublique et le ministre de la justice nassistent pas aux sances relatives la discipline des magistrats 40 . De mme concernant lavancement des magistrats, une commission davancement, qui dresse le tableau davancement, a t institue 41 . Quant aux promotions de grade ou nomination des fonctions spcialises, elles seffectuent par dcrets du prsident de la Rpublique aprs avis ou proposition du Conseil suprieur de la magistrature. La Cour E.D.H. sanctionne sur le fondement de larticle 61, la subordination des magistrats au gouvernement. Ainsi ds lors quun tribunal, compte parmi ses membres une personne se trouvant comme en lespce- dans un tat de subordination de fonctions et de services par rapport lune des parties, les justiciables peuvent lgitimement douter de lindpendance de cette personne. Pareille situation met gravement en cause la confiance que les juridictions se doivent dinspirer dans une socit dmocratique 42 . En ralit, pour apprcier lindpendance des magistrats, la Cour sassure aussi bien de lindpendance organique et fonctionnelle qui leur est confre vis--vis de lexcutif, que des apparences dindpendance quils donnent aux justiciables 43 . A la lumire de la jurisprudence des organes de la
37 Dominique Nolle Commaret, Une juste distance ou rflexions sur limpartialit du magistrat, D. 1998, Chr. p. 262. 38 Article 5 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature. Voir aussi articles 36, 37 et 44 du Code de procdure pnale. 39 Article 4 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature. 40 Article 18 de la loi organique n94-100 du 5 fvrier 1994 relative au Conseil suprieur de la magistrature. 41 Article 34 et suivants de lordonnance du 22dc. 1958 relative au statut de la magistrature. 42 Arrt Sramek c/Autriche, 22 oct. 1984 srie A, n84. 43 Conformment ladage anglo-saxon : Justice must not only be done, it must also be seen to be done . 16 convention, il est certain que les garanties dindpendance accordes au juge pnal dans ses relations avec le gouvernement sont, en France, conformes la Convention .E.D.H 44 . b) Limpartialit du juge Limpartialit sanalyse uniquement partir de celui qui agit donc sans rfrence un tiers 45 . La subordination du juge lgard dun tiers nest donc pas en cause. Ce qui est en cause, cest lapprhension partiale ou impartiale du litige par le juge. L encore, limpartialit du juge eu gard la prsomption dinnocence est fondamentale. Comment penser quun juge qui prjuge de la culpabilit dun prsum innocent respecte la prsomption dinnocence ? Au contraire la prsomption dinnocence signifie, afin de rendre effective la garantie, que le juge prjuge de linnocence du prsum innocent, tout en tant dispos se laisser convaincre par le ministre public. Cette prescription nest malheureusement pas toujours respecte, do une jurisprudence abondante largement influence par la Cour E.D.H. Celle-ci distingue deux types dimpartialit 46 : limpartialit subjective et limpartialit objective. Limpartialit subjective doit permettre de dterminer ce que le juge pensait, en son for intrieur. Comme le note un auteur Son impartialit sous cet angle doit naturellement se prsumer, la preuve contraire demeurant toujours ouverte. Il va nanmoins de soi que, sauf circonstances privilgies, cette preuve risque de se heurter aux plus grandes difficults. Pour ne rien dire de ce quil peut y avoir de dplaisant dans lintrospection souponneuse laquelle elle contraint 47 . Un arrt rcent montre les limites et les difficults dapplication dun telle conception de limpartialit 48 . Limpartialit objective sapprcie indpendamment de la conduite du juge. Comme pour lindpendance, elle sapprcie au regard de considrations fonctionnelles et organiques mais aussi psychologiques. Doit ds lors se rcuser, tout juge dont on peut lgitimement craindre un manque dimpartialit. Ces principes dgags par la Cour EDH dans diverses espces 49 sont venus complter les textes et jurisprudences nationales. Un arrt important est venu
44 Notamment Campbell et Fell c/ R-U, 28 juin 1984 srie A, n46 et Sramek c/Autriche, 22 octobre 1984, prc. 45 Jean Pradel, la notion europenne de tribunal impartial et indpendant selon le droit franais, Rev. science crim. 1990, p. 692. 46 Notamment arrt Piersak, 1 er oct. 1982, A, n53. 47 Jacques Normand, RTDciv. 1993. p.874. 48 Crim., 11 juin 1998. D. 98, IR. p.218. 49 Notamment arrt Piersack du 1 er oct.1982 et De Cubber du 26 oct. 1984. 17 affirmer clairement, que le fait quun juge ait pris des dcisions avant le procs ne peut justifier en soi des apprhensions quant son impartialit 50 . La rponse fluctue en fonction de la nature des tches dont le juge a eu sacquitter prcdemment. En lespce la Cour a considr que la prolongation de la dtention ordonne par le juge sur le fondement de lart. 762 de la loi pnale danoise, qui le contraint sassurer de lexistence de soupons particulirement renforcs, mettait en cause limpartialit de ce mme juge qui ds lors ne pouvait siger au procs. Certains textes franais de procdure pnale franaise, suppls par la jurisprudence, assurent limpartialit du juge. Ainsi la Cour de cassation a admis quil est de principe que les fonctions dofficier du ministre public et celles de juge sont essentiellement distinctes lune de lautre et quil existe entre elles dans la mme affaire une incompatibilit absolue 51 . Certes le Code de procdure pnale ne prvoit quune disposition ce sujet (art.253) mais celle-ci a t tendue par la Cour de cassation qui na pas hsit lriger en rgle gnrale 52 . Lexclusion de la juridiction de jugement des magistrats chargs de linstruction est plus nuance. En principe, comme le laissent entendre les articles 49 alina 2 et 253 du Code de procdure pnale, un magistrat charg de linstruction ne peut juger au fond. Mais cette incompatibilit ne sera sanctionne qu la double condition que lacte quil a commis au cours de linstruction lui permette de se faire une opinion sur la culpabilit et que sa participation au jugement porte sur le fond de la poursuite 53 . Il est intressant de noter que la jurisprudence de la Cour de cassation 54 apparat, certains gards, plus protectrice que la jurisprudence de la Cour EDH qui sest assouplie 55 . De mme, un magistrat ne peut rendre une dcision l ou il sest dj prononc par dcision juridictionnelle sur ce qui fait actuellement lobjet du dbat. Ainsi ne peut siger la Cour dassises un magistrat qui, en qualit de juge civil, a dj port une apprciation sur la culpabilit de laccus raison des mmes faits 56 . Larticle 137-1 C.P.P. sanctionne peine de nullit, la participation du juge des liberts et de la dtention provisoire au jugement des affaires pnales dont il a connu. Mais rien nempche un magistrat de connatre des aspects civils et pnaux dun litige si le caractre pnal des faits na pas t apprci.
50 Arrt Hauschildt c/Danemark du 24 mai 1989, A, n154, 41. 51 Voir, Jean Pradel, La notion de tribunal indpendant et impartial selon la CEDH. Rev. sc. crim 1990, p. 692. 52 Crim. 15 mars 1960, Bull. crim., n148. 53 Conclusions de J.F. Burgelin sous Ass. Plnire, 6 nov. 1998 D. 1999 Jurisp, p.1. 54 Crim. 8 avril 1992, D. 93, Somm. p. 204, obs. J. Pradel. 55 Notamment arrt Padovani du 26 fv. 1993. 56 Crim., 16 oct. 1991, Bull. n390. 18 La force juridique de la prsomption dinnocence est indniable. Sous rserve de rgles drogatoires, le ministre public, pour renverser la prsomption doit prouver la culpabilit du prvenu ou de laccus et convaincre un juge, indpendant et impartial, du bien-fond de ses allgations. Pourtant, sous peine de faire de la prsomption dinnocence une garantie purement formelle, lintress est-il antrieurement son procs rellement prserv et effectivement considr comme un innocent ? La rponse est incertaine. B) Une innocence antrieure ? La question peut paratre incongrue. En effet, ne venons nous pas dy rpondre, en affirmant que seul un procs pouvait renverser la prsomption dinnocence et faire apparatre la culpabilit ? Pourtant la culpabilit du prsum innocent transparat sous deux aspects. Formellement, peut-on confondre linnocence avec la prsomption dinnocence ? assurment non. Linnocence du prsum innocent est non seulement une innocence artificielle mais aussi une innocence prcaire. Elle ne se confond pas avec une innocence qui dcoule de la nature des choses. Pour cette raison linnocence du prsum innocent est douteuse. Elle est mme plus que cela ; elle est paradoxalement un symptme de culpabilit. Concrtement, le prsum innocent nest pas dans la position dun innocent pur et simple car de graves mesures coercitives peuvent tre prises son encontre. Ces remarques discrditent le procs comme pierre angulaire de la justice pnale. Le principe de la prsomption dinnocence tel que nous lavions envisag cest--dire o le monopole de la dclaration de culpabilit et de la sanction est concentr autour du procs semble illusoire. En ralit, la dichotomie entre innocence et culpabilit arbitre lors de la phase de jugement rend imparfaitement compte des subtilits et des avances de la procdure. A lAssemble Nationale, Madame Lazerges affirmait que le procs pnal commence aujourdhui ds la garde vue 57 reconnaissant que notre procdure pnale, entre le tmoin simple, le suspect, le tmoin assist et le mis en examen, instaurait des paliers et donc une chelle dinnocence. A la rupture apparemment instaure par le procs, il convient donc de substituer la continuit et la gradation 58 . Cette forme dviction du procs nest pourtant pas dune injustice flagrante car la gradation de la coercition rpond une gradation des garanties.
57 Ass. Nat. 1 re sance du 10 fvrier 2000, JO 2000 11 fvrier 2000, p. 878. 58 Celles-ci sont mme reconnues larticle prliminaire III alina 2 du Code de procdure pnale qui dispose que Les mesures de contrainte dont cette personne (le prsum innocent) peut faire lobjetdoivent tre strictement limites aux ncessits de la procdure, proportionnes la gravit de linfraction reproche et ne pas porter atteinte la dignit de la personne . 19 1) Une gradation de la coercition durant la procdure Dans notre procdure pnale, la coercition semble couvrir deux fonctions. En premier lieu, elle apparat comme un invitable moyen denqute et dinstruction. En effet comment faire surgir la vrit sans violenter les apparences dhonntet et de probit de la dlinquance ? En second lieu, elle apparat comme un succdan de peine lorsque la culpabilit semble invitable. Nest-il pas moralement acceptable de punir moiti un demi coupable ? Lies lune lautre, ces deux fonctions de la coercition instaurent inexorablement une gradation de la violence pendant la procdure. A cet gard, certains dploreront la parent de notre systme rpressif avec lordonnance de 1670 sur linstruction criminelle car sous son empire la dmonstration nobissait pas un systme dualiste vrai ou faux mais un systme de gradation continue : un degr atteint dans la dmonstration formait dj un degr de culpabilit et impliquait par consquent un degr de punition. Le suspect en tant que tel, mritait toujours un certain chtiment ; on ne pouvait tre innocemment lobjet dune suspicionQuand on tait parvenu un certain degr de prsomption, on pouvait donc lgitimement mettre en jeu une pratique qui avait un rle double : commencer punir en vertu des indications dj runies ; et se servir de ce dbut de peine pour extorquer la vrit manquante 59 . La double nature des mesures coercitives pralables au procs est indubitable : sy mlent acte dinstruction et lment de punition. Ainsi, malgr la volont affiche, dans un Etat de droit, de rationaliser la rpression en ne conservant que la peine, sanction postrieure au procs et inflige au dlinquant en rtribution des infractions quils commettent 60 , notre procdure pnale renferme un panel significatif de mesures coercitives. a) Les diffrentes mesures coercitives Diffrentes mesures coercitives peuvent tre diligentes par des autorits policires et judiciaires dans le cadre dune procdure pnale. Ces mesures judiciaires, qui ne doivent pas tre confondues avec les mesures de police administrative, sont dissmines principalement dans le Code de procdure pnale. Elles permettent dentendre, et de retenir (ou de dtenir) un individu.
59 Michel Foucault, prc., p. 52-53. 60 Lexique de termes juridiques Dalloz. 20 Dans le cadre des enqutes de flagrance ou prliminaires, la police peut appeler ou convoquer toutes personnes si les ncessits de lenqute (art. 62 et 78 C.P.P.) lexigent 61 . Les personnes concernes sont tenues de comparatre afin de dposer (enqute de flagrance) ou dtre auditionnes (enqute prliminaire) et leur identit peut tre contrle (art. 78-2 C.P.P). Si les personnes concernes ne satisfont pas leur obligation avis en est donn au procureur de la Rpublique, qui peut les contraindre comparatre par la force publique (art. 62 al. 2 et 78 al. 1 C.P.P.). Mais en principe, elles ne peuvent tre retenues que le temps strictement ncessaire leur audition (art. 62 al. 5 et 78 al. 2 C.P.P.). Lorsquune information est ouverte, le juge dinstruction peut faire citer toutes les personnes dont la dposition lui parat utile (art. 101 C.P.P.). Les personnes cites sont tenues de comparatre, de prter serment et de dposer. Si les personnes ne comparaissent pas, le juge dinstruction peut, sur les rquisitions du procureur de la Rpublique, les y contraindre par la force publique (art. 109 C.P.P.). De plus, elles sexposent une amende de 25 000 francs 62 . Si cela savre ncessaire, le juge dinstruction peut aussi dlivrer un mandat de comparution qui a pour objet de mettre la personne lencontre de laquelle il est dcern en mesure de se prsenter devant le juge la date et lheure indique par le mandat 63 (art. 122 al. 2 C.P.P.) . Le magistrat peut aussi procder, non plus de simples auditions, mais de vritables interrogatoires ou confrontations lgard de certaines personnes (art. 114 al. 1 C.P.P.). A cette fin, il peut dcerner un mandat damener qui est lordre donn par le juge la force publique de conduire immdiatement la personne lencontre de laquelle il est dcern devant lui (art. 122 al. 2 C.P.P.), voire un mandat darrt (art. 122 al. 5 C.P.P.). Les rgles du Code de procdure pnale permettent aussi aux enquteurs et instructeurs de retenir ou de dtenir un individu indpendamment des auditions, dpositions ou interrogatoires. La rtention peut tre conscutive un contrle didentit si lintress refuse ou se trouve dans limpossibilit de justifier de son identit (art. 78-3 C.P.P.). Elle a lieu sur place ou dans un local de police et doit permettre une vrification didentit. Si la personne interpelle maintient son refus de justifier de son identit ou fournit des lments didentit manifestement inexacts (art. 78-3 C.P.P.), les oprations de vrification peuvent donner lieu la prise dempreintes digitales ou des photographies. La personne qui fait lobjet dune telle mesure ne peut tre retenue plus de quatre heures non plus que le temps strictement ncessaire ltablissement de lidentit. Autre forme de rtention, la garde vue
61 Signalons aussi larticle 61 C.P.P, applicable dans le cadre de lenqute de flagrance, qui dispose que Lofficier de police judiciaire peut dfendre toute personne de sloigner du lieu de linfraction jusqu la clture de ses oprations . 62 Article 413-15-1 C.P. 21 est une mesure couramment pratique durant les enqutes de flagrance ou prliminaires 64 . Elle permet aux enquteurs de garder des individus leur disposition, dans un local de la police, pendant une dure qui ne peut en principe excde 24 heures. Toutefois la garde vue peut tre prolonge pour un nouveau dlai de 24 heures au plus (art. 63 et 77 C.P.P.). Exceptionnellement, en matire de terrorisme (art. 706-23 C.P.P.) ou de trafic de stupfiants (art. 706-29 C.P.P.), une nouvelle prolongation de 48 heures peut tre accorde. Durant linstruction, le magistrat instructeur peut astreindre un individu une ou plusieurs obligations numres par lart. 138 C.P.P. Peut lui tre interdit de quitter certaines limites territoriales, de sabsenter de son domicile, de recevoir ou de rencontrer certaines personnes. Par contre, peut lui tre impos de se prsenter priodiquement certains services ou certaines autorits dsigns par le juge ou encore dinformer le magistrat de tout dplacement au del des limites territoriales dlimites pralablement par le juge. Quant la dtention provisoire, elle est la mesure la plus grave qui peut tre prise lencontre dun individu au cours dune procdure pnale puisquelle entrane une incarcration de lintress pendant tout ou partie de linformation. Elle fait en principe suite un mandat de dpt qui est lordre donn par la juridiction au chef de ltablissement pnitentiaire de recevoir et de dtenir la personne (art. 122 al. 4 C.P.P.). Lensemble de ces mesures portent, dans leur principe, atteinte la libert et la sret des individus. Elles semblent, pour la plupart, en complte contradiction avec le principe de la prsomption dinnocence tel que nous lavons pralablement envisag. En effet de la simple audition pratique lors dune enqute prliminaire et qui peut appeler lintervention de la force publique, la dtention ordonne lors de linstruction, lintress est contraint de collaborer voire ouvertement mis en cause. La gradation de la coercition est donc bien une donne fondamentale de la procdure pnale. Si la situation du tmoin se rapproche de celle de linnocent, la personne place en dtention provisoire est, elle, bien plus proche du condamn. Cet tat de droit est pourtant entrin par des textes minemment protecteurs des droits et liberts fondamentaux : le bloc de constitutionnalit et la convention E.D.H. Au niveau constitutionnel, le Conseil constitutionnel reconnat la ncessit de concilier les liberts constitutionnellement reconnues et les besoins de la recherche des auteurs des
63 Il semble cependant que les dispositions des art. 109 et 110 C.P.P. excluent lutilisation du mandat de comparution par le juge dinstruction. 64 Elle est pratique exceptionnellement lorsquune information est ouverte et linitiative de lofficier de police judiciaire lorsque les ncessits de lexcution dune commission rogatoire lexigent (art. 153 C.P.P.). 22 infractions afin de protger la scurit des personnes et des biens 65 . Selon certains auteurs le Conseil naurait jamais critiqu le principe de la garde vue au regard des exigences constitutionnelles 66 . Cette remarque vaut aussi pour la dtention provisoire. Au niveau conventionnel, la convention E.D.H. admet explicitement la garde vue (art. 5. 1. c) et la dtention provisoire (art. 5. 3) qui sont des mesures profondment attentatoires aux liberts individuelles, et ne semble pas remettre en cause, dans leur principe, les prrogatives policires et judiciaires dont nous avons fait mention. b) La persistance de la coercition dans un Etat de droit Dans un Etat de droit, la coercition durant la procdure peut paratre profondment choquante. Aussi, la tendance actuelle va-t-elle dans le sens dune amlioration significative des droits des prsums innocents. Au principe de la libert de la preuve inscrit larticle 427 C.P.P. mais qui sapplique devant toutes les juridictions mme dinstruction, rpond le principe de loyaut dans ladministration de la preuve. Ce principe de loyaut irrigue de plus en plus notre procdure pnale. Il se traduit au niveau lgislatif par une amlioration des conditions de rtention et de dtention mais aussi, au niveau jurisprudentiel, par le respect de certains principes dans ladministration de la preuve. Ainsi dune manire gnrale, les conditions de rtention et de dtention se sont amliores. La torture est interdite et le Code pnal rprime svrement les atteintes arbitraires la libert ou lintgrit corporelle des tmoins, suspects ou prvenus. La loi du 4 janvier 1993 (modifie et complte par celles du 24 aot 1993 et du 15 juin 2000) a octroy la personne garde vue un certain nombre de garanties et davantages. Ainsi, toute personne garde vue peut faire prvenir par tlphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille (art. 63-2 C.P.P.) 67 . Elle peut faire lobjet dun examen mdical soit sa demande soit la demande dun membre de sa famille. Le certificat mdical qui est vers au dossier doit notamment se prononcer sur le maintien en garde vue. Dsormais, lorsquil est indispensablede procder des investigations corporelles internes sur une personne garde vue, celles-ci ne peuvent tre ralises que par un mdecin requis cet effet (art. 63-5
65 Cons. const. dcis. n80-127 DC, 19 et 20 janvier 198, cons. n. 62 ; Rec. Cons. const., p. 15. 66 Th. S. Renoux et M. de Villiers, Code constitutionnel, note sous art. 66. 23 C.P.P.). Lenregistrement audiovisuel des gardes vue qui avait t envisag par le Parlement dans le cadre de la loi renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, na t finalement rserv quaux seuls cas des mineurs 68 . La situation des dtenus semble stre amliore. Les personnes soumises la dtention provisoire la subissent dans une maison darrt (art. 714 C.P.P.) et sont en principe places au rgime de lemprisonnement individuel de jour et de nuit (art. 716 C.P.P.). Sauf prescription contraire prise en vertu de larticle 145-4 al. 1 er C.P.P, les personnes places en dtention provisoire peuvent avec, lautorisation du juge dinstruction, recevoir des visites sur le lieu de dtention (art. 145 al. 2 C.P.P.). Le magistrat ne peut refuser un permis de visite un membre de la famille de la personne dtenue, lexpiration dun dlai dun mois compter du placement en dtention, que par une dcision crite et spcialement motive (art. 145-4 al. 3 C.P.P.) susceptible dun recours devant le prsident de la chambre de linstruction (art. 145-4 al. 4 C.P.P.). De mme, les prvenus peuvent crire tous les jours et sans limitation toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne, sous rserve des dispositions contraires ordonnes par le magistrat saisi du dossier de linformation (art. D. 65 C.P.P.). Des textes rcents 69 reconnaissent notamment limportance de lhygine et de lorganisation sanitaire, des activits physiques et sportives et de lintervention socio-ducative au sein des centres de dtention. Il est significatif et symbolique de noter que les infractions la discipline, qui peuvent conduire un enfermement dans une cellule amnage ou des moyens de coercition en cas de fureur ou de violence grave (art. 726 C.P.P.), ne sont plus considres comme des mesures dordre intrieur et sont susceptibles dtre dfres au juge de lexcs de pouvoir 70 . Par ailleurs la loi n2000-516 du 15 juin 2000 a modifi la formulation de larticle 149 C.P.P. puisquune indemnit est accorde (et non plus peut tre accorde ) la personne ayant fait lobjet dune dtention provisoire au cours dune procdure termine son gard par une dcision de non-lieu, de relaxe ou dacquittement devenue dfinitive, afin de rparer le prjudice moral et matriel quelle a subi cette occasion 71 .
67 Un droit similaire est reconnu lart. 78-3 C.P.P. la personne qui fait lobjet dune vrification didentit. 68 Larticle 4 VI de lordonnance 2 fvrier 1945 dispose dsormais que Les interrogatoires des mineurs placs en garde vue viss larticle 64 du code de procdure pnale font lobjet dun enregistrement audiovisuel . 69 Le dcret n98-1099 du 8 dc. 1998 et le dcret n99-276 du 13 avril 1999. 70 CE, 17 fvrier 1995, Marie : J.C.P. 1995. II. 22426, note Lascombes et Bernard. 71 Pourtant la Cour E.D.H., dans les affaires Englert et Nolkenbockhoff c/ Allemagne du 25 aot 1987, Srie A n123 (Berger n87, 88) , a considr que le refus dimposer au Trsor les frais ncessaires et daccorder une rparation pcuniaire pour dtention provisoire ne sanalysait pas en une peine, ni en une mesure assimilable une peine. Les juridictions allemandes navaient ainsi inflig aux inculps aucune sanction : elles avaient, sans plus, refus dobliger les collectivits les indemniser. Il ny avait donc pas violation de larticle 62. La solution est transposable au remboursement des frais et dpens (affaire Lutz c/ Allemagne Berger n86). Voir cependant affaire Minelli c/ Suisse du 25 mars 1983, Srie A n62 (Berger n85). 24 Le principe de loyaut permet aussi aux tribunaux dcarter un moyen de preuve ds lors que celui-ci a t obtenu soit en violation du respect d la vie prive, soit par provocation, soit au dtriment des droits de la dfense. En dfinitive, la Chambre criminelle carte du dbat judiciaire, comme les autres chambres de la Cour de cassation, les lments de preuve obtenus de manire illicite 72 . Dans ce domaine, une analyse de la jurisprudence est difficile mais il semble que le principe de loyaut sapplique avec fermet durant linstruction et avec plus de souplesse durant lenqute. Par contre, lorsque la preuve est administre par un simple particulier le principe est, semble t-il, inapplicable puisque la Chambre criminelle a admis quune partie civile communique au juge dinstruction des enregistrements obtenus au prix dune infraction pnale 73 . Mais la situation des mis en cause est encore trs prcaire et marque les limites du principe de loyaut. En tmoigne la condamnation rcente de la France par la Cour E.D.H. dans laffaire Selmouni pour torture en raison de graves svices perptrs par des policiers lors dune garde vue 74 . Il convient aussi de se remmorer laffaire Tomasi o la Cour E.D.H. avait condamn la France pour traitement inhumain et dgradant lors dune garde vue. Ainsi, a-t-on pu crire que la garde vue a fait figure de zone dombre de la procdure pnale franaise 75 . Si les drives policires ne sont pas toujours aussi extrmes, elles sont apparemment frquentes. Comme le note une avocate, Je nai jamais rencontr de personne qui mait dit quelle avait t frappe pendant la garde vue, mais jai vu des hmatomes. Les gens se plaignent le plus souvent davoir t brutaliss pendant linterpellation 76 . Les traumatismes subis sont bien plus psychologiques que purement physiques car la plupart des gens ignorent compltement ce quest une garde vue et ils sont effrays lide de rester enferms sans savoir ce qui va leur arriver 77 . La Cour de cassation tait plus ou moins complice de ces drives, considrant que les rgles lgales encadrant la garde vue ntaient pas prescrites peine de nullit et leur inobservation ne saurait par elle-mme entraner la nullit des actes de procdure lorsquil nest pas dmontr que la recherche et ltablissement de la vrit sen sont trouvs vicis fondamentalement 78 . Si la jurisprudence rcente semble
72 Pour la position de la Chambre sociale, Soc. 20 nov. 1991, D. 1992, p. 73, concl. Chauvy. Pour la position de la Chambre commerciale, Com, 27 nov. 1991, D. 1992, p. 122, concl. Jol. 73 Crim. 6 avril 1993, J.C.P. 1993. II. 22144 note Rassat. 74 Cour E.D.H., 28 juillet 1999, Le Monde 29 juillet 1999. 75 Le Monde 1 er mars 2000. 76 Me Esther Dandjinou, Le Monde 1 er mars 2000, p. 12. 77 Me Batrice de Vareilles-Sommires, Le Monde 1 er mars 2000, p. 12. 78 Crim. 10 oct. 1968, J.C.P. 1969. II. 15741 note Mayer. 25 stre assouplie 79 , la situation reste inquitante quand on sait que plus de 400 000 gardes vue sont ordonnes chaque anne 80 . La situation en dtention provisoire est, elle, bien plus prcaire et lurgence est dintroduire le droit en prison et dinstaurer une indispensable transparence dans ce monde clos. La commission Canivet 81 la mis en lumire : le dtenu est un tre sans statut, sans droit et soumis aux dcisions arbitraires de ladministration pnitentiaire 82 . Les textes que nous avons mentionns ne doivent pas faire illusion. La situation des dtenus doit plutt sapprcier au regard de la surpopulation carcrale et du maigre budget de ladministration pnitentiaire 83 . Le nombre des prsums innocents incarcrs est effarant puisquils reprsentent environ 40% des dtenus, cest dire plus de 20 000 personnes malgr des lois de plus en plus librales, notamment celle du 30 dcembre 1996. La dtention provisoire est frquemment prsente comme une forme attnue de la torture et de la fameuse question pratique sous lAncien Rgime. Certains juges dinstruction lutiliseraient comme un moyen pour obtenir des aveux 84 . Cette rsistance rencontre une radication de la coercition, cest dire la lutte contre larbitraire et au renforcement des garanties accordes aux prsums innocents est significative. Lapprofondissement de lEtat de droit serait-il un obstacle au bon droulement des enqutes et instructions ? Vouloir la vrit ne conduit-il pas tolrer la violence ? Dun certain point de vue, la rponse est positive car un lien subtil uni assurment violence et vrit 85 . La violence policire et judiciaire nest donc pas seulement une peine injuste frappant des personnes qui ne sont pas encore juges, elle est aussi une manire de faire clater la vrit. On comprend alors les difficults qui sattachent lradication de cette forme darbitraire et sa persistance dans un Etat de droit. 2) Une gradation des garanties durant la procdure
79 Crim. 24 nov. 1998, Droit pnal, jurisp. 138. 80 Selon le Monde du 1 er mars 2000, il y aurait eu, en France, en 1999, 426 851 gardes vue. 81 En septembre 1999, la ministre de la justice a charg la commission Canivet de rflchir sur un contrle externe des prisons. Le rapport lui a t remis le 6 mars 2000. 82 Libration 1 er mars 2000, p. 16. 83 Selon Madame le garde des Sceaux, le taux doccupation des prisons serait de 110 120%. Ass. Nat. 2 me sance du 10 fvrier 2000, J.O. 11 fvrier 2000, p. 987. Selon le Quid 1999, le budget de ladministration pnitentiaire tait en 1998 de 7,01 milliards de francs. 84 Selon M. Devedjan reprenant le rapport de M. Truche, la pratique est courante. Ass. Nat. 1 re sance du 10 fvrier 2000, J.O. 11 fv. 2000, p. 962. 26 Pourtant, notre systme rpressif nest ni arbitraire ni dune profonde injustice. En effet, la gradation des peines durant la procdure, rpond la gradation des garanties car non seulement les textes de procdure pnale assurent un tranglement progressif des paliers au sein de la prsomption dinnocence et jusquau procs, mais cet tranglement saccompagne dune amlioration progressive des droits de la dfense. a) Un tranglement progressif des paliers dinnocence La prsomption dinnocence nest pas une priode uniforme et statique. Elle est au contraire une priode protiforme et dynamique. En son sein, trois paliers dinnocence peuvent tre distingus : le simple tmoin et parmi les suspects la personne lencontre de laquelle il existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction (ou la personne contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu elle ait pu participer comme auteur ou complice la commission dune infraction) et la personne lencontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable quelle ait pu participer comme auteur ou complice la commission dun infraction. Le simple tmoin est la personne lencontre de laquelle il nexiste pas dindice faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction. Pour cette raison, sa qualit de prsum innocent peut tre conteste. Durant lenqute, il peut uniquement tre entendu ou auditionn et ne peut plus tre plac en garde vue, mme en cas denqute de flagrance 86 . Par contre, il peut faire lobjet dun contrle didentit et le cas chant dune vrification didentit parce quil est susceptible de fournir des renseignements utiles lenqute en cas de crime ou dlit (art. 78-2 C.P.P.). Durant linstruction, sa seule obligation est de tmoigner. La personne lencontre de laquelle il existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction peut, dans le cadre dune enqute de flagrance ou prliminaire, tre place en garde vue (art. 63 et 77 C.P.P) et ce titre reste la disposition des enquteurs pendant 24 ou 48 heures. Elle peut aussi faire lobjet dun contrle didentit car il existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une
85 Dun autre point de vue, la rponse est ngative car la violence vicie la vrit en la dnaturant. 86 Cest la loi du 15 juin 2000 qui, en modifiant lart. 63 C.P.P. a interdit le placement en garde vue dun simple tmoin lors dun enqute de flagrance (cette interdiction tait dj acquise lors de lenqute prliminaire). Elle assure la conformit des rgles de procdure pnale larticle 5 de la convention E.D.H. 27 infraction (art. 78-2 C.P.P.). Si une information est ouverte, le tmoin assist, cest dire la personne lencontre de laquelle il existe des indices rendant vraisemblable quelle ait pu participer comme auteur ou complice la commission dune infraction, peut tre auditionne par le juge dinstruction 87 . En aucun cas, elle ne peut tre place sous contrle judiciaire ou en dtention provisoire (art. 113-5 C.P.P.). Seule la personne mise en examen, contre laquelle existent des indices graves ou concordants rendant vraisemblable quelle ait pu participer comme auteur ou complice la commission dune infraction, peut tre interroge par le juge dinstruction ou confronte avec dautres parties (art. 114 C.P.P.). En principe, elle reste libre mais si les ncessits de linstruction lexigent ou si une mesure de sret simpose (art. 137 C.P.P.), elle peut tre astreinte une ou plusieurs obligations du contrle judiciaire ou, exceptionnellement, place en dtention provisoire. Le contrle judiciaire ne peut tre ordonn que si la personne encourt une peine demprisonnement correctionnel ou une peine plus grave (art. 138 C.P.P.) alors que la dtention provisoire ne peut tre ordonne ou prolonge que lorsque deux conditions se trouvent runies. La personne susceptible dtre place en dtention provisoire doit encourir une peine criminelle ou une peine correctionnelle dune dure gale ou suprieure trois ans 88 ou stre soustraite volontairement aux obligations du contrle judiciaire. De plus, la dtention provisoire ne peut tre ordonne ou prolonge que dans le cadre de larticle 144 C.P.P. qui dlimite le cas des recours la dtention provisoire. Celle-ci peut notamment tre envisage si elle constitue lunique moyen de conserver des preuves ou des indices matriels, si elle permet de prvenir une pression sur tmoins ou une concertation frauduleuse ou encore si elle permet de mettre fin linfraction (ou dempcher son renouvellement) ou un trouble exceptionnel et persistant lordre public. A travers ces exemples significatifs, se dgage donc un tranglement des paliers qui renvoie une hirarchie au sein de lchelle dinnocence. Rsultant des rgles de fond du Code de procdure pnale, cet tranglement rsulte aussi des garanties organiques et procdurales qui sont accordes aux prsums innocents. Plus les atteintes la libert et la sret des
87 Lart. 113-4 C.P.P. emploie le terme audition mais peut tre sagit-il dinterrogatoire ou de confrontation (le terme confront est utilis larticle 113-3 C.P.P.) quand on songe au renvoi partiel opr par lart. 113-3 C.P.P. larticle 114 et 114-1C.P.P. De plus, lart. 152 alina 2 issu de la loi 516-2000 du 15 juin 2000 retient les termes dinterrogatoires et de confrontations du tmoin assist. 88 Toutefois larticle 143-1 2 alina 2 prvoit une drogation en matire correctionnelle 28 individus sont pnibles, plus le contrle de lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle selon larticle 66 de la constitution, est soutenu 89 . Si quelques missions lmentaires et primaires de police judiciaire sont laisses linitiative des particuliers (art. 73 C.P.P.) et des agents de police, les enqutes sont menes par les officiers de police. Eux seuls peuvent exiger une vrification didentit, une rtention dans un local de police ou une garde vue. De mme, ils sont seuls comptents, lexclusion des agents, en matire de perquisitions et saisies. Signalons aussi que seuls les officiers de police peuvent dfendre toute personne de sloigner du lieu de linfraction jusqu clture des oprations (art. 61) ou appeler et entendre toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits et les objets et documents saisis lors dune enqute de flagrance (art. 62 alina 1 er ). Le procureur de la Rpublique, membre de lautorit judiciaire 90 assure, lui, une mission de contrle et de direction de ces enqutes 91 . Aussi, lorsque les mesures sont particulirement attentatoires la libert et la sret des individus, il doit tre imprativement et immdiatement inform. Tel est le cas lorsquune rtention dans un local de police est ordonne 92 ou lorsquune garde vue est prononce 93 . Dans ces hypothses, le magistrat peut dcider de mettre fin la mesure tout moment et le Conseil constitutionnel exige que lautorit judiciaire exerce un contrle rel, effectif et complet afin quil lui revienne dapprcier de faon concrte la ncessit de telles mesures 94 . En matire de garde vue, le dlai maximum de 48 heures partir duquel lindividu est dfr au parquet est conforme lexigence de larticle 53 de la convention E.D.H 95 . qui impose que toute personne arrte ou dtenue (dans les conditions prvues au paragraphe 1c) soit aussitt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires 96 . Lorsquune information est ouverte, le contrle et la direction de la police judiciaire sont assurs par le
89 Voir aussi Th. S. Renoux et M. de Villiers. Code constitutionnel, note sous article 66. 90 Cons. const., dcis. n. 93-326 DC, 11 aot 1993 : JORF, 15 aot, p. 11599, cons. n. 4. 91 Cet tat de droit a t renforc par la loi 2000-516 du 15 juin 2000 puisque la section 2 du chapitre 1 er du titre 1 er est intitule dispositions relatives au contrle de lautorit judiciaire sur la police judiciaire . 92 Cependant pour une vrification didentit le procureur nest pas obligatoirement avis puisque larticle 78-3 C.P.P. prvoit que lintress est aussitt avis de son droit de faire aviser le procureur de la Rpublique. 93 La loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes a modifi les article 63 et 77 C.P.P qui disposaient qu la suite dun placement en garde vue (lofficier de police judiciaire) en informe dans les meilleurs dlais le procureur de la Rpublique . Dsormais, lofficier de police judiciaire est tenu dinformer le magistrat ds le dbut de la garde vue . 94 Cons. const., dcis. n. 92-307 DC, 25 fvrier 1992 : Rec. Cons. const., p. 48, cons., p. 48, cons. n. 15 et 16. 95 Signalons que la prolongation supplmentaire de la garde vue en matire de terrorisme ou de trafic de stupfiant (art. 706-23 et 706-29 C.P.P.) ncessite lautorisation dun magistrat. 96 Par contre, et en dpit dune dcision de la Cour de cassation (Crim. 3 juillet 1980, Bull. crim. 213, p. 556), il est douteux que le procureur de la Rpublique rponde aux exigences dindpendance lgard de lexcutif poses par la Cour E.D.H. et puisse ds lors tre considr comme un magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires. 29 juge dinstruction. Celui-ci peut dcerner mandat la police judiciaire (art. 122 et suivants C.P.P.) ou requrir par commission rogatoire tout officier de police (art. 151 et suivants C.P.P.). Si pour les ncessits de lexcution dune commission rogatoire, le policier ordonne une garde vue, le juge dinstruction doit tre inform ds le dbut de la mesure (art. 154 C.P.P.). Les actes les plus graves de linstruction sont rservs aux magistrats. Par exemple les officiers de police ne peuvent, en principe, pas procder aux interrogatoires et confrontations des personnes mises en examen, des tmoins assists ou des parties civiles (art. 152 alina 2 C.P.P.). Le contrle judiciaire ne peut, quant lui, tre ordonn que par le juge dinstruction (art. 138 et 137-2 C.P.P.) ou ventuellement par le juge des liberts et de la dtention (art. 137-2 alina 2 C.P.P.). Depuis la loi 516-2000 du 15 juin 2000, le placement en dtention provisoire est soustrait la comptence du juge dinstruction et est confi un nouveau magistrat du sige ayant rang de prsident, de premier vice-prsident, ou de vice prsident du tribunal de grande instance : le juge des liberts et de la dtention. Il est saisi par ordonnance motive du juge dinstruction, qui lui transmet le dossier de la procdure accompagn des rquisitions du procureur de la Rpublique (art. 173-1 alina 4 C.P.P.). La libert tant le principe, le juge dinstruction nest pas tenu de statuer par ordonnance lorsquil ne suit pas les rquisitions du procureur de la Rpublique tendant au prononc dune mesure de contrle judiciaire (art. 137-4 2 C.P.P.). Paralllement, lorsque le magistrat instructeur est saisi de rquisitions du procureur de la Rpublique tendant au placement en dtention provisoire (ou la prolongation de la dtention), il ne statue pas par ordonnance lorsquil ne transmet pas le dossier de la procdure au juge des liberts et de la dtention (art. 137-4 1 C.P.P.). Par contre, le procureur de la Rpublique, lorsquil na pas t fait droit sa demande, peut saisir directement la chambre de linstruction (art. 137-5 C.P.P.). Le placement en dtention provisoire est fortement contrl par les juridictions dinstruction du second degr puisque lordonnance est susceptible dappel notamment sur le fondement de larticle 187-1 C.P.P. qui organise le rfr-libert . Cette procdure permet la personne mise en examen de demander au prsident de la chambre de linstruction dexaminer immdiatement son appel, cest dire de statuer au plus tard le troisime jours ouvrable suivant la demande, sans attendre laudience de la chambre de linstruction. De plus, la personne qui forme le recours prvu par larticle 187-1 C.P.P. peut demander ce quil soit directement examin par la chambre de linstruction. Il est alors statu au plus tard, au vu des lments du dossier, le cinquime jour ouvrable suivant la demande (art. 187-2 C.P.P.). 30 Manifestement la procdure pnale assure un tranglement progressif des mises en cause et corrlativement des mesures coercitives. Les garanties accordes lors du prononc dune mesure de garde vue sapparentent difficilement avec celles accordes lors dun placement en dtention provisoire. Non seulement les conditions de fond sont diffrentes mais le juge des liberts et de la dtention, magistrat du sige, est plus port vers la protection de la libert et de la sret des individus quun membre du ministre public. b) Une amlioration progressive des droits de la dfense Ltranglement des mesures coercitives et des mises en cause se conjugue avec une amlioration progressive des droits de la dfense durant la procdure. Effectivement, la mise en cause plus prononce dune personne lors dune enqute ou dune instruction se traduit consquemment par la reconnaissance son gard de droits nouveaux. Ainsi et paradoxalement, il est quelquefois avantageux dtre ouvertement mis en cause afin de bnficier de prrogatives plus marques. Pour cette raison, le Code de procdure pnale interdit au juge dinstruction dentendre comme tmoin, une personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants davoir particip linfraction dont il est saisi, et qui devrait tre mise en examen (art. 105 C.P.P.). De mme toute personne nommment vise par un rquisitoire introductif et qui nest pas mise en examen, ne peut pas tre entendue comme tmoin mais seulement comme tmoin assist (art. 113-1 C.P.P.). Lopportunit dun franchissement de seuil au sein de lchelle dinnocence est quelquefois laisse linitiative du prsum innocent qui doit opr un choix : mieux faut-il tre prserv dune mise en cause trop nergique ou se voir confrer de nouveaux droits ? Ainsi, une personne nommment vise par une plainte ou mise en cause par la victime nest pas ncessairement entendue comme tmoin assist, sauf si elle en fait la demande (art. 113-2 C.P.P.). Pareillement, un tmoin assist peut tout moment de la procdure demander au juge dinstruction tre mis en examen (art. 113-6 C.P.P.). Afin dapprcier lamlioration progressive des droits de la dfense durant la procdure, il convient de se reporter aux trois seuils dinnocence que nous avons pralablement dgags : le tmoin, le gard vue et le tmoin assist, le mis en examen. Le tmoin ne dispose pas, lors des investigations, de prrogatives particulires. Il est vident, parce quil nest pas arrt ou dtenu mais seulement retenu le temps strictement ncessaire son audition, quil na pas tre inform des raisons de son arrestation ou de toute accusation 31 porte contre lui. Ntant pas souponn, il ne peut tre assist dun avocat ni devant les enquteurs ni devant le magistrat instructeur. La personne garde vue ou le tmoin assist disposent de droits plus affirms qui doivent leur tre rappels soit par lofficier de police judiciaire (art. 63-1 C.P.P.) soit par le juge dinstruction (art.113-3 alina 2 C.P.P.). Dsormais, la garde vue semble en conformit avec les dispositions de larticle 52 de la convention E.D.H. nonant que toute personne arrte doit tre informe dans le plus court dlaides raisons de son arrestation et de toute accusation porte contre elle puisque le Code de procdure pnale prvoit que toute personne place en garde vue est immdiatement informe par un officier de police judiciaire de la nature de linfraction sur laquelle porte lenqute (art. 63-1 C.P.P.). Le tmoin assist est inform ds la premire audition du rquisitoire introductif, de la plainte ou de la dnonciation (art. 113-4 C.P.P.). Le gard vue et le tmoin assist peuvent tre assists dun avocat. La loi 2000-516 du 15 juin 2000 autorise lentretien de la personne garde vue avec un avocat ds le dbut de la garde vue ainsi qu lissue de la vingtime heure (art. 63-4 alina 1 er C.P.P.) 97 . Quant au tmoin assist, il bnficie du droit dtre assist dun avocat ( art. 113-3 alina 1 er C.P.P.). Lors dune garde vue les entretiens avec un avocat ne peuvent excder trente minutes et celui-ci se borne des observations crites qui sont jointes la procdure. Quant au tmoin assist, il peut tre assist par son avocat lors de chaque audition ou confrontation. Celui-ci est convoqu au plus tard cinq jours ouvrables avant laudition par lettre recommande avec demande davis de rception (art. 114 alina 2 C.P.P.). Lavocat du gard vue doit tre inform par un officier ou un agent de police judiciaire de la nature de linfraction recherche (art. 63-4 alina 3 C.P.P.) tandis que lavocat du tmoin assist dispose dun privilge que na pas son client : il a accs au dossier. La procdure est mise sa disposition quatre jours ouvrables au plus tard avant la premire audition. Aprs la premire audition, la procdure est mise tout moment sa disposition durant les jours ouvrables, sous rserve des exigences de bon fonctionnement du cabinet dinstruction (art. 114 alina 3 C.P.P.). Lavocat, aprs la premire audition, peut mme se faire dlivrer tout ou partie des pices et actes du dossier et transmettre une reproduction des copies son client. Par contre, seules les copies des rapports dexpertise peuvent tre transmises par lavocat ou le tmoin assist des tiers pour les besoins de la dfense (art. 114 alina 4, 5 et 6 C.P.P.).
97 Selon larticle 63-4 alina 6 le dlai est de 36 heures en cas dassociation de malfaiteurs, de proxntisme, dextorsion de fonds aggravs ou dinfraction commise en bande organise. Selon larticle 63-4 dernier alina, le dlai est de 72 heures lorsque la garde vue est soumise des rgles particulires de prolongation (garde vue ordonne sur le fondement de larticle 706-23 ou 706-29 C.P.P). 32 Enfin, le tmoin assist peut exiger du juge dinstruction une confrontation avec la ou les personnes qui le mettent en cause (art. 113-3 C.P.P.). La personne mise en examen est encore plus troitement associe linstruction que le tmoin assist. Lors de la premire comparution devant le juge dinstruction, le magistrat lui fait connatre expressment chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels il envisage une mise en examen (art. 116 C.P.P.). La mise en examen ne peut, ds lors, intervenir qu lissue de la premire comparution. Bien sr, les dispositions de larticle 114 C.P.P. sont applicables. Le mis en examen peut se faire assister dun avocat qui peut accder librement au dossier sous rserve du bon fonctionnement du cabinet dinstruction. Si le mis en examen est plac en dtention provisoire, le juge ne peut, en aucun cas, interdire au dtenu de communiquer avec son dfenseur mme lorsque quest prescrite une interdiction de communiquer en vertu de larticle 145-4 ou lorsquune mesure disciplinaire est prononce. En effet toutes communications et toutes facilits compatibles avec les exigences de la discipline et de la scurit de la prison sont accordes aux personnes mises en examen, prvenus et accuss pour lexercice de leur dfense (art 716 al. 2 C.P.P.). Mais plus que le tmoin assist, le mis en examen est dsormais un auxiliaire du juge dinstruction. Il peut dsormais saisir le juge dinstruction dune demande crite et motive tendant ce quil soit procd tout acte qui lui parat ncessaire la manifestation de la vrit (art. 82-1 C.P.P.). Le mis en examen peut, par exemple, demander que soit procd son interrogatoire 98 , laudition dun tmoin, une confrontation ou un transport sur les lieux. Il peut aussi demander au juge dinstruction que soit ordonn une expertise (art. 156 alina 1 er C.P.P.), une contre-expertise (art. 167 alina 3 C.P.P.) ou mme un examen mdical ou mdico-psychologique (art. 81 alina 8 C.P.P.). Le juge dinstruction qui entend ne pas faire droit la demande, doit rendre une ordonnance motive. Faute par le juge davoir statu dans le dlai dun mois, la partie peut saisir directement le prsident de la chambre de linstruction (art. 81 alina 11 C.P.P). Celui-ci, dans les huit jours de la rception du dossier, doit dcider, par une ordonnance non susceptible de recours, sil y a lieu ou non de saisir la chambre de linstruction (art. 186-1 C.P.P.) 99 . Lors des interrogatoires, confrontations ou auditions les avocats des parties peuvent poser des questions ou prsenter de brves observations (art. 120 alina 1 er in fine) mais il revient au juge dinstruction de dterminer
98 Larticle 82-1 alina 3 prvoit qua lexpiration dun dlai de quatre mois depuis sa dernire comparution la personne mise en examen qui en fait la demande doit tre entendue par le juge dinstruction.. 33 lordre des interventions et dy mettre fin. Il est significatif de noter que la loi n2000-516 du 15 juin 2000 a tendu non seulement la possibilit des demandes dactes complmentaires dinstruction, la liste des demandes dactes complmentaires dinstruction ntant plus limitative (voir ancien art. 82-1) mais aussi le rle des avocats lors des interrogatoires, auditions ou confrontations puisque la rdaction du nouvel article 120 C.P.P. est plus librale que celle de lancien article 120 C.P.P. En ralit, depuis lentre en vigueur du Code de procdure pnale, les droits des parties et notamment du mis en examen nont cess de stendre lors de linstruction 100 . Lappel des dcisions du juge dinstruction est aujourdhui assez largement ouvert. A ct de lappel form sur le fondement de larticle 186-1 C.P.P., le mis en examen peut faire appel des ordonnances du juge dinstruction prvues par diverses dispositions lgales comme par exemple celle rendues sur la recevabilit dune constitution de partie civile (art. 87 C.P.P.) ou sur la comptence de la juridiction (art. 186 alina 3 C.P.P.). Signalons aussi que depuis les lois n93-2 du 4 janvier 1993 et n93-1013 du 24 aot 1993, le mis en examen a le droit de soulever les nullits commises au cours de linformation voire au stade de lenqute (art. 170 et 173 alina 3 C.P.P.). Incontestablement, la procdure pnale, dans sa phase antrieure au procs nest pas une zone de non-droit. Certes le prsum innocent est mis en cause et ventuellement dtenu ou incarcr mais au fil des avances de lenqute et de linstruction les garanties et les contrles se multiplient. En ralit, il nous semble que les rgles de la prsomption dinnocence tmoignent dun subtil quilibre entre coercition et protection. Le degr de coercition rpond toujours et de manire quasi-proportionnelle au degr de culpabilit ventuelle afin dpargner les probables innocents des mesures les plus graves, telles une garde vue, une mise en examen ou une dtention provisoire. Paralllement, toute intensification dans la coercition saccompagne automatiquement, pour celui qui en fait lobjet, dune attribution significative de prrogatives et de garanties nouvelles afin dviter tout nouveau franchissement de seuil ou toute nouvelle mesure coercitive. Le procs nchappe pas cette logique et bien des gards, il napparat que comme un aboutissement o la logique de la procdure est pousse son terme. Sans doute doit-on retenir une conception dilate du procs, en affirmant comme Madame Lazerges que le procs pnal commence aujourdhui
99 La Cour de cassation considre que les motifs pour lesquels les juridictions dinstruction estiment devoir rejeter une demande dactes complmentaires dinstruction, relevant dune question de pur fait, sont souverainement apprcis par celles-ci et chappent au contrle de la Cour de cassation. Crim. 25 mars 1997 : Bull. crim. n118. 100 Dailleurs, la section 5 du chapitre I du titre I de la loi 2000-516 du 15 juin 2000 sintitule : Dispositions tendant les droits des parties lors de linstruction . 34 ds la garde vue 101 . Cette conception dilate du procs, si elle ne peut tre accueillie quavec enchantement dans un Etat de droit, nest pourtant pas dnue deffets pervers. Elle discrdite le procs comme pierre angulaire de la rpression. La culpabilit nest-elle pas apprcie par les policiers et les magistrats durant la procdure ? le contrle didentit, le placement en garde vue, la mise en examen et mme de manire plus informelle la dtention provisoire ne ncessitent-ils pas lapprciation dune culpabilit probable du prsum innocent ? la rponse se trouve dans les articles du Code de procdure pnale (art. 78-2, 63, 77, 80-1 102 , 144 C.P.P.) mais aussi dans quelques dcisions significatives. A propos, dun pourvoi en cassation contre un arrt de la Chambre daccusation de la Cour de Paris qui avait confirm lordonnance dun juge dinstruction ayant rejet une demande de mise en libert, la Chambre criminelle, constatant pourtant que le demandeur se prvalait dune violation de la prsomption dinnocence, la juridiction dinstruction ayant nonc que des indices srieux de culpabilit sont en ltat runis , rejette le pourvoi estimant que la chambre daccusation ne sest pas prononc sur la culpabilit de linculp mais a seulement relev des charges existant contre lui 103 . De mme, pourquoi considrer comme la Cour de cassation 104 quun magistrat qui sest prononc sur les demandes de mise en libert aurait une apprhension impartiale du litige sil venait apprcier la culpabilit du prsum innocent ? Pourtant, nest-il pas juste que seules les personnes lencontre desquelles existent des indices faisant prsumer quelle ont commis ou tenter de commettre une infraction puissent tre places en garde vue ? Nest-il pas juste que seules les personnes lencontre desquelles existent des indices graves ou concordants rendant vraisemblable quelles aient pu participer comme auteur ou complice la commission dune infraction puissent tre places en dtention provisoire ? Ne pouvant radiquer la coercition, il a fallu la dlimiter, la circonscrire afin surtout dpargner les innocents. Aussi, la violence ascendante des mesures coercitives a pour corollaire la ncessaire discrimination des coupables des innocents. La discrimination assure par les gardiens de la libert individuelle et par les conseils des parties est le compromis ralis entre dun ct la violence des recherches et de lautre la punition des coupables et la protection des innocents. Cette administration de la justice tend effectivement rconcilier les deux exigences fondamentales et contradictoires de la procdure pnale : prserver les
101 Prc. 102 On peut remarquer, outre les modifications de fond apportes larticle, la substitution des termes indices faisant prsumer ceux d indices rendant vraisemblable car ils donnaient le sentiment dune violation flagrante de la prsomption dinnocence. Mais seul le champ lexical a chang. 103 Crim. 4 janvier 1990, Bull. crim. n5, arrt Cisse. 104 Crim. 8 avril 1992, D. 1993, Somm. p. 204, obs. J. Pradel. 35 innocents de lerreur policire et judiciaire et punir les coupables le plus tt possible. La peine imbrique inextricablement dans linstruction est certes pralable au procs mais nest que progressive et fortement contrle par les magistrats, gardiens de la libert individuelle. Le droit positif napporte finalement comme solution la contradiction fondamentale quune conciliation. Larticle 1 er III du C.P.P. disposant que les mesures de contraintes dont (le prsum innocent) fait lobjet sont prises sur dcision ou sous le contrle effectif de lautorit judiciaire. Elles doivent tre strictement limites aux ncessits de la procdure, proportionnes la gravit de linfraction reproche et ne pas porter atteinte la dignit de la personne en est la parfaite illustration. Par cela, le droit positif dplace le centre de gravit du procs. Il faut percevoir leffet pervers des dispositions qui prservent les innocents et garantissent lintervention judiciaire avant le jugement : elles dsignent les coupables et accrditent leur culpabilit. Elles permettent, certes dexclure les innocents des mesures coercitives mais dsignent a contrario les coupables avant leur procs. Le fait que la plupart des personnes poursuivies soient effectivement condamnes est certes profitable aux innocents, mais de facto, apparat comme prjudiciable aux coupables, dsigns avant toute condamnation. Comment penser quune personne lencontre de laquelle il existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction , place en garde vue sous le contrle du procureur de la Rpublique, et ce titre assurant le respect de la libert individuelle, poursuivie par un tel magistrat, mise en examen par un juge dinstruction, juge du sige, signifiant quil existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable quelle ait pu participer, comme auteur ou complice la commission dune infraction, place en dtention provisoire par le juge des liberts et de la dtention et renvoye devant la juridiction de jugement, puisse tre innocente ? Les poursuites engages par le procureur de la Rpublique, certes accusateur mais aussi, et de plus en plus protecteur, ne sont-elles pas trs probablement fondes ? Comment ne pas considrer une ordonnance de renvoi comme un jugement de condamnation quand linstruction nest plus, aujourdhui, le bras arm de laccusation mais une phase de la procdure o doit clater la vrit (art. 81 alina 1 er C.P.P.) et o le mis en examen dispose quasiment dun droit la vrit (art. 82-1 et 186-1 C.P.P.) 105 ? Comment la juridiction de jugement peut-elle ne pas tre juge de la confirmation quand une pluralit dapprciations
105 La crainte ressentie de voir se transformer le cabinet dinstruction en une espce de tribunal secret, o dj le procureur requiert et o plaident les dfenseurs (Doc. parl. Ass. nat. III, 1955-1956, n4255, p. 87) nest, aujourdhui, pas sans fondement. 36 judiciaires attestent dune culpabilit inluctable 106 ? Lindpendance et limpartialit, non pas personnelles mais institutionnelles, des magistrats du sige sont en cause. Ainsi, au fil de la procdure, la prsomption dinnocence, qui ne renvoie plus un doute avr rayonne par son artificialit : plus une personne est prsume innocente, plus elle est coupable. Elle apparat alors comme un privilge exorbitant. Doit-on alors stonner des relations souvent conflictuelles quentretiennent prsums innocents et socit civile ?
106 Pour cette raison, il serait impossible de faire appel devant la chambre daccusation, des ordonnances de renvoi du juge dinstruction. Le prvenu se prsenterait devant le tribunal avec un prjug plus dfavorable. Brouchot, rev. sc. crim. 1957, p. 107. Pour un exemple de 37 II) La protection de la prsomption dinnocence et les spectateurs du procs pnal Lambivalence de notre systme rpressif, formellement fond sur le procs mais incontestablement tourn vers la procdure, est source de tensions entre les prsums innocents et les spectateurs du procs pnal qui, plus que jamais, en raison de limportance du droit pnal dans notre socit, sont intresss par le fonctionnement de notre justice pnale. En effet, comment assurer la primaut du procs et prserver les prsums innocents des remontrances de la socit civile quand une procdure pnale engage est dj le signe dune culpabilit naissante ? Cette interrogation marque indubitablement les limites de la protection de la prsomption dinnocence devant les spectateurs du procs pnal : notre droit peut sanctionner les atteintes grossires la prsomption dinnocence, lorsque lindividu est prsent explicitement comme coupable avant condamnation (A) mais il ne peut, sous peine de se contredire, condamner des atteintes plus subtiles notamment lorsque la libert dexpression napparat que comme le support des imperfections de la procdure pnale (B). A) Linterdiction de prsenter une personne comme coupable avant condamnation Parce que seule une condamnation pnale, rsultante dun procs, peut renverser la prsomption dinnocence et faire apparatre la culpabilit, un individu ne peut pas, antrieurement, tre coupable dune infraction. En ralit, la culpabilit relle ne concide jamais avec la culpabilit juridique puisque celle-ci est ncessairement retarde par le procs et la condamnation qui en dcoule ventuellement. A cet gard, lartifice de la prsomption dinnocence est patent. Il lest encore plus quand on songe aux symptmes de culpabilit que dgage la procdure pnale. De ce point de vue, le jugement pnal est bien plus un jugement dclaratif quun jugement constitutif. Ainsi sexpliquent les nombreuses atteintes portes linnocence des prsums innocents. Pourtant la rgle est stricte et tend garantir le monopole du procs dans la rpression : une personne ne doit pas tre prsente comme coupable avant condamnation. Cette rgle repose sur un double fondement : il est non seulement faux (ce qui nous venons de le voir, est discutable) mais aussi prjudiciable (ce qui est moins discutable) de poser la culpabilit dun prsum innocent. Ainsi, lindpendance de la justice doit tre prserve et la dignit des personnes protge. Evidemment la protection sefface lorsque la
jugement de confirmation : en pratique, le juge de jugement a tendance, pour ne pas dsavouer le juge dinstruction condamner une peine 38 prsomption est renverse. En effet, en dehors des textes qui prvoient un champ dapplication spcifique, la protection de la prsomption dinnocence steint par leffet dune dcision de condamnation. Mais quelle dcision de condamnation ? Relativement larticle 9- 1 C.c, la Cour de cassation a considr que seule une dcision irrvocable faisait disparatrela prsomption dinnocence 107 . Il faut semble-t-il en dduire quun appel interjet ou quun pourvoi en cassation form aprs une dcision de condamnation ne font pas disparatre la prsomption dinnocence. Postrieurement la dcision irrvocable, la culpabilit peut tre largement commente sous rserve dune certaine forme de droit loubli pour le dlinquant 108 . La protection de la prsomption dinnocence sorganise non seulement autour dun arsenal rpressif afin de sanctionner le fautif mais aussi autour dun systme prventif car lessentiel est dviter une diffusion de linformation errone. 1) La rpression des atteintes la prsomption dinnocence Le terme de rpression ne doit pas tre compris dans son sens juridique puisque nous envisagerons, certes, un infraction pnale, la diffamation mais aussi les mesures pcuniaires qui peuvent tre prononces par le juge. Notons cependant que les dommages-intrts sontfonds sur la rparation du prjudice moral qui laisse une grande marge dapprciation au juge. La tentation apparat ainsi de faire jouer aux dommages-intrts le rle dune sanction davantage que celui dune rparation 109 . a) La diffamation
au moins gale la dure de la dtention provisoire. 107 Cass. 1 re civ. 12 nov. 1998, Le point c/ Patrick Poivre dArvor. D. 1998, I.R. p. 265. Lgipresse mai 1999, III-58. Peu avant, le TGI de Paris avait considr que le bnfice de larticle 9-1 C.c ne pouvait plus tre invoqu ds quune sanction mme non dfinitive, avait t prononce par une juridiction de jugement. Le tribunal avait cependant retenu lapplication de larticle 1382 C.c en reconnaissant le droit pour un individu de ne pas tre prsent comme ncessairement coupable tant quil na pas t irrvocablement condamn. TGI Paris, 13 mai 1998, J.-M. Deperrois c/ Socit Hachette-Filipacchi, Lgipresse nov. 1998, III-155 108 Le TGI de Paris avait reconnu le droit loubli dune personne, dont Paris-Match avait publi la photographie suivie du qualificatif de criminelle , alors qu elle avait t condamne depuis plus de dix ans et quelle venait de se rinsrer. Paris-Match avait t condamn 40000 francs de dommages et intrts. TGI Paris, 20 avr. 1983, J.CP. 1985. II. 20434, n. R. Lindon. La Cour de cassation a pourtant exclu le bnfice du droit loubli en raison de la notorit des faits bien que datant de 40 ans. Civ. 1 re , 20 nov. 1990, JCP. 1992. II. 21908, n. J. Ravanas. Plus rcemment, la Cour dappel de Montpellier a considr que le droit loubli ntait pas absolu et quil appartenait au juge de se prononcer en fonction des circonstances de lespce en tenant compte du droit du journal dapporter une information libre, complte et objective mais galement de la gravit relative des faits, du temps coul depuis leur commission, ainsi que des efforts de rinsertion des personnes anciennement condamnes, ds lors quayant purg leur peine, elles peuvent lgitimement sopposer au rappel de leurs actes passs, si un tel rappel ne rpond aucune ncessit dordre thique, historique ou scientifique. Cour dappel de Montpellier, 8 avril 1997, Lindpendant du Midi c/ N. Besse. Lgipresse mai 1998, I-52. 109 Patrick Auvret, Les sanctions du non-respect de la prsomption dinnocence par les journalistes, G.P. 1995. 3. p. 1053. 39 La diffamation est une notion indpendante et extrieure la prsomption dinnocence 110 . Pourtant, lheure actuelle, elle reprsente la seule sanction pnale de porte gnrale rprimant le non-respect de la prsomption dinnocence. Effectivement, la diffamation ne protge pas, proprement parler, la prsomption dinnocence. Elle est une infraction au droit de la presse prvue larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse. Cet article dispose que Toute allgation ou imputation dun fait qui porte atteinte lhonneur ou la considration de la personne ou du corps auquel le fait est imput est une diffamation . Linfraction est punie dune amende de 80 000 francs 111 . Elle est conforme larticle 10 de la convention E.D.H. qui protge la libert dexpression car la Cour E.D.H. admet que cette libert nest pas absolue 112 . Dailleurs la Cour de cassation a jug, sur le fondement de larticle 102 de la convention E.D.H. la conformit de lincrimination la convention en considrant que la libert dexpression pouvait tre soumise certaines conditions, restrictions ou sanctions prvues par la loi et qui constituent des mesures ncessaires dans une socit dmocratique 113 . La diffamation se distingue de linjure qui est, selon lalina 2 de larticle 29 Toute expression outrageante, termes de mpris ou invective qui ne renferme limputation daucun fait . Seule la diffamation est protectrice de la prsomption dinnocence car la violation de cette dernire ncessite limputation dun fait prcis : la commission dune infraction avant condamnation. La rpression est largement ouverte puisque lincrimination protge autant les personnes physiques que morales 114 . Lallgation ou limputation dun fait prcis peut ntre quindirecte et rsulte dune reproduction. Par exemple, le fait que larticle contenant des imputations diffamatoires reprenne textuellement une dpche de lAFP ne constitue pas une excuse absolutoire 115 . De mme, limputation dun fait dtermin et prcis entre dans le champ dapplication de larticle 29 mme si elle est prsente sous une forme interrogative 116 ou semi-interrogative 117 . La forme ngative nexclut pas non plus la diffamation 118 , ni mme la forme dubitative ou conditionnelle 119 . Mme une insinuation peut tre diffamatoire car
110 Laction en diffamation a une cause diffrente de laction pour atteinte la prsomption dinnocence prvue par larticle 9-1 du Code civil. TGI Paris, 11 mars 1998, Lgipresse 1998, I-89. 111 Notons que cest la loi n2000-516 du 15 juin 2000 qui modifie larticle 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse en remplaant les mots dun emprisonnement de six mois et dune amende de 80 000 francs, ou de lune de ses deux peines seulement par les mots dune amende de 80 000 francs . 112 Arrt du 26 nov. 1991, Sunday times, srie A n27. 113 Cass. crim. 13 juin 1993 : Bull. crim. n217. 114 Cass. crim. 12 oct. 1976 : Bull. crim. n287. 115 TGI Paris, 3 juillet 1997 : Lgipresse 1997, I-51. 116 Cass. crim. 21 fv. 1967 : Bull. crim. n76. 117 Cass. crim. 18 nov. 1892 : DP 1894, 1, 139. 118 Paris, 1 er juin 1960 : Gaz. Pal. 1960. 2. 142. 119 Cass. crim. 20 juin 1946 : Gaz. Pal. 1946. 2. 178. 40 selon lart. 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute expression qui contient limputation dun fait prcis et dtermin, de nature porter atteinte lhonneur ou la considration de la personne vise, constitue une diffamation, mme si elle est prsente sous une forme dguise, dubitative ou par voie dinsinuation 120 . Par exemple constituent des cas de diffamation le fait de dire que quelquun a fait lobjet dune condamnation 121 . Par ailleurs, contrairement larticle 9-1 C.c, larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 nexige pas que les faits allgus ou imputs fassent lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire. De mme, la publicit nest pas, contrairement larticle 9-1 C.c, une condition dapplication de la diffamation puisque la diffamation non publique (cest dire non ralise par les moyens prvus larticle 23 de la loi) est rprime larticle R.621-1 du Code pnal par une contravention de premire classe. Par contre, parce que la loi du 29 juillet 1881 protge la libert de la presse, les conditions de mise en uvre de la responsabilit pnale sont draconiennes. Tout dabord, la poursuite pnale ncessite la plainte pralable de la personne diffame 122 . Paralllement, le dsistement du plaignant ou de la partie poursuivante a pour effet darrter la poursuite commence 123 . Ensuite, la citation en justice doit rpondre aux exigence de larticle 53 (de la loi du 29 juillet 1881) et notamment prciser et qualifier le fait incrimin et indiquer le texte de loi applicable peine de nullit de la poursuite. Enfin, le dlai de prescription est extrmement bref, puisque laction publique et laction civile se prescrivent aprs trois mois rvolus compter du jour o linfraction a t commise ou du jour du dernier acte dinstruction ou de poursuite sil en a t fait 124 . Linterruption du dlai de prescription, avant lengagement des poursuites est, lui aussi, strictement dlimit puisque seules des rquisitions aux fins denqute sont interruptives de prescription 125 . La loi n93-2 du 4 janvier 1993 a apport une innovation protectrice de la prsomption dinnocence puisqu en cas dimputation portant sur un fait susceptible de revtir une qualification pnale, le dlai de prescription prvu par larticle 65 est rouvert ou court nouveau, au profit de la personne vise, compter du jour o est devenue dfinitive une dcision pnale intervenue sur ces faits et ne la mettant pas en cause 126 .
120 Cass. crim. 3 juillet 1996 : Lgipresse 1997, n139, III, p. 19. 121 Cass. crim. 15 oct. 1985 : JCP 1986. IV. 5. 122 Art. 48 de la loi du 29 juillet 1881. Cass. crim. 22 mai 1990 : Bull. crim. n211. 123 Art. 49 de la loi du 29 juillet 1881. 124 Art. 65 alina 1 er de la loi du 29 juillet 1881. 125 Art. 65 alina 2 de la loi du 29 juillet 1881. 126 Art. 65-2 de la loi du 29 juillet 1881. 41 Une difficult rside dans ladmission de lexception de vrit qui, en principe, est admise. En effet, sil est admis que la preuve du fait diffamatoire est un fait justificatif qui anantit linfraction, comment rapporter la preuve de ce fait sans corner la prsomption dinnocence ? Larticle 35 c (de la loi du 29 juillet 1881) apporte une solution puisquil impose un sursis statuer obligatoire lorsque, lors dune action en diffamation, la preuve de la vrit des faits est lgalement interdite et que les faits considrs comme diffamatoires sont lobjet de poursuite commences, soit la requte du ministre public, soit sur plainte du prvenu 127 . Ces hypothses sont marginales et nintressent vraisemblablement pas la protection de la prsomption dinnocence car, en principe, si les faits incrimins comme diffamatoires font lobjet dune simple enqute ou dune instruction, le sursis statuer nest que facultatif. Le juge pourra lenvisager, en dehors des fondements de la loi du 29 juillet 1881, dans le cadre dune meilleure administration de la justice afin dapprcier la responsabilit du prvenu de diffamation. Un tel sursis est pourtant quasiment systmatiquement rejet car lintress doitdisposer, au moment o lcrit diffamatoire est rendu public, des lments de nature rapporter la preuve de lintgralit des faits rapports, sans attendre du rsultat dune autre procdure les lments de nature lexonrer de sa responsabilit 128 . Ainsi, le TGI de Paris avait estim que tout organe de presse ou dinformation doit, au moment o il porte la connaissance du public des faits susceptibles de mettre en cause une personne dans des conditions diffamatoires, disposer des preuves de ses allgations. Il ne saurait attendre, de lissue de lenqute pnale en cours, les lments de conviction qui lui font dfaut pour dmontrer la vrit des faits diffamatoires ou justifier de sa bonne foi 129 . De plus, la preuve de la vrit, pour produire son effet absolutoire, doit tre complte et absolue et couvrir les imputations dans tous leurs lments et dans toute leur porte 130 . Pour cette raison, les dcisions qui retiennent la vrit du fait diffamatoire sont rarissimes. De mme, il arrive que les tribunaux rejettent une demande de sursis statuer, considrant que latteinte la prsomption dinnocence, commise ds la publication de larticle incrimin nest pas susceptible dtre rtroactivement efface par un jugement de condamnation 131 . Par cette dernire dcision, on peroit la difficile intgration du mcanisme de lexception de vrit dans le droit de la prsomption dinnocence. Lartifice de la prsomption dinnocence na-t-il pas vocation transcender la vrit puisque mme les coupables doivent pouvoir en bnficier ?
127 TGI Paris, 27 mai 1997 : Lgipresse 1997, I-118. 128 Jean-Yves Dupeux, note sous TGI Paris, 16 dc. 1994, D. 1997, sommaires comments, p. 89. 129 TGI Paris, 10 juin 1996, Lgipresse 1997, I-85. 130 Cass. crim. 16 mars 1948 : JCP 1948. II. 4431, note A. Colombini. 42 En dehors de la diffamation, dautres dispositions rpriment le fait pour un individu de prsenter une personne comme coupable avant condamnation, mais devant une juridiction ou une autorit susceptible dy donner suite. La difficult centrale rside dans la ligne de partage dlimiter entre le droit pour les particuliers de saisir un tribunal rpressif en tant logiquement convaincus de la culpabilit du prvenu ou de laccus, le droit voire le devoir dalerter dune infraction 132 et les constitutions malfaisantes de parties civiles ainsi que les dnonciations diffamantes. Le droit positif autorise la poursuite pour dnonciation calomnieuse, incrimination prvue larticle 226-10 du Code pnal, quand lintress connaissait la fausset des faits imputs au moment de la plainte ou stait port partie civile dans lintention de nuire. Le Code de procdure pnale autorise 133 le tribunal correctionnel, saisi par citation directe et qui prononce la relaxe du prvenu, condamner, sur rquisition du procureur de la Rpublique, la partie civile au paiement dune amende civile dont le montant ne saurait excder 100 000 francs. Une disposition similaire 134 donne le droit au juge dinstruction, sur rquisition du procureur de la Rpublique, de prononcer contre la partie civile, la suite dun ordonnance de non-lieu et dune constitution de partie civile abusive et dilatoire, une amende dont le montant ne saurait excder 100 000 francs et qui est garantie par la consignation fixe en application de larticle 88 du Code de procdure pnale 135 . b) Les mesures pcuniaires A ct des mesures purement rpressives, le prsum innocent peut obtenir des ddommagements pcuniaires. La voie la plus emprunte est celle de la diffamation en vertu du principe selon lequel laction civile en rparation du dommage caus par une infraction appartient tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage caus par linfraction 136 . Cependant le Code civil larticle 9-1 alina 1 er , depuis 1993 137 , dispose que chacun a la droit au respect de la prsomption dinnocence . Lalina 2 du texte permet au juge, lorsquune personne est avant toute condamnation prsente publiquement comme coupable
131 TGI Paris, 5 janvier 1994, Gazette du Palais 6 septembre 1994. 132 Larticle 40 alina 1 er du Code de procdure pnale ndicte aucune obligation pour les particuliers (contrairement aux autorits, officiers publics ou fonctionnaires) de dnoncer une infraction. Il sagit simplement pour eux dun droit et dune facult. 133 Article 392-1 du Code de procdure pnale (modifi par la loi n2000-516 du 15 juin 2000). 134 Article 177-2 du Code de procdure pnale (issu de la loi n2000-516 du 15 juin 2000). 135 Article 88-1du Code de procdure pnale (modifi par la loi n2000-516 du 15 juin 2000). 136 Article 2 alina 1 er du Code de procdure pnale. 137 Loi n93-2 du 4 janvier 1993 a ensuite t modifie par la loi n93-1013 du 24 aot 1993 puis par la loi n2000-516 du 15 juin 2000. 43 de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire, dallouer des dommages et intrts 138 . Le juge peut conjuguer cette mesure avec linsertion dune rectification ou la diffusion dun communiqu 139 . La loi n2000-516 du 15 juin 2000 a largi le champ dapplication du texte puisque peut sen prvaloir toute personne ds lors quelle est prsente publiquement comme coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction 140 . Mme les personnes qui ne sont pas places en garde vue ni mises en examen ou qui ne font pas lobjet dune citation comparatre en justice, dun rquisitoire du procureur de la Rpublique ou dune plainte avec constitution de partie civile peuvent fonder leur action sur larticle 9-1 C.c. Notons cependant que la diffamation dispose dun champ dapplication plus large puisquelle nest ni suspendue une allgation ou une imputation publique de culpabilit, la diffamation non publique tant rprime, ni lexistence dune enqute ou dune instruction. De plus, il appartient au demandeur dapporter la preuve quil se trouve dans lun des cas prvus par larticle 9-1 du code civil pour se prvaloir du droit au respect de sa prsomption dinnocence 141 . A cet gard, on peut penser quil est parfois difficile de rapporter la preuve dune enqute prliminaire ou mme dune instruction. Par contre, contrairement la diffamation, larticle 9-1 C.c nadmet pas lexception de vrit comme fait justificatif . En ce sens, il peut apparatre comme une voie de droit moins dangereuse pour le prsum innocent et logiquement mieux adapte au respect de la prsomption dinnocence. La prescription de larticle 9-1 C.c est calque sur celles des infractions de presse puisque les actions fondes sur une atteinte au respect de la prsomption dinnocence commise par lun des moyens viss larticle 23 se prescriront aprs trois mois rvolus compter du jour de lacte de publicit 142 . Du fait de ces courtes prescriptions, invitablement, se pose la question de lapplication des rgles de droit commun de la responsabilit civile dlictuelle soumise la prescription trentenaire. Comme le signalait dj un auteur avis en 1993, Lexprience montre quil ny aura pas longtemps avant quun plaideur, par incomptence ou inadvertance, oublie dinterrompre la prescription trimestrielle prvue larticle 65-1 de la loi du 29 juillet, et tente de faire valoir que latteinte la prsomption dinnocence constitue galement une faute civile sur le fondement de larticle 1382 du Code civil 143 . Le problme de lapplication des rgles
138 Par exemple, TGI Paris, 14 fv. 1996 : Juris-Data n041115. 139 Par exemple, TGI Paris, 15 nov. 1995 : Juris-Data n047973. 140 Larticle 9-1 C.c nexige cependant pas que la procdure denqute ou dinstruction soit mene par les autorits franaise. TGI Paris, 1 er juin 1993, n105, I, p. 117. 141 Paris, 17 fv. 1999, Villeneuve c/ SNC le Parisien, Lgipresse avril 1999, I-40. 142 Art. 65-1 de la loi du 29 juillet 1881. 143 Christophe Bigot, Les modifications rcentes du droit de la presse, Gaz. Pal. du 26 aot 1993, p. 1066. 44 de la responsabilit civile la presse sapprcie la lumire dune des finalits de la loi du 29 juillet 1881. Selon un auteur, cette loi assurerait relativement la libert dexpression un systme juridique clos se suffisant lui mme arbitrant une fois pour toutes, les intrts en prsence, y compris les intrts civils et enlevant du mme coup larticle 1382 une portion de sa comptence diffuse 144 . Dailleurs cette comptence diffuse est problmatique au regard de la jurisprudence de la Cour E.D.H. qui nadmet de restriction lgale la libert dexpression que suffisamment constante, certaine, prcise et prvisible. A ce sujet un dbat jurisprudentiel sest engag entre la Cour dappel de Paris et la Cour de cassation. Selon la juridiction du fond, en matire de presse, il convient, certes dappliquer, mais de restreindre lapplication des rgles de droit commun aux comportements abusifs dune certaine gravit ou portant atteinte des intrts fondamentaux 145 . Selon la haute juridiction, la limitation du champ dapplication de larticle 1382 C.c. en matire de presse ne peut tre restreinte certains cas limitativement numrs et constitue un refus dapplication de la loi 146 . Cette position a t confirme, sur renvoi, par la Cour dappel de Versailles 147 . Cependant la responsabilit civile de droit commun na pas vocation protger la prsomption dinnocence. Si elle est, en principe 148 , applicable en matire de presse, la responsabilit civile ne doit pas avoir pour effet dluder les courtes prescriptions dictes par les articles 65 et 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 149 . Ainsi, lorsquune action intente dans le cadre de la responsabilit civile de droit commun a pour cause une allgation ou une imputation dun fait prcis portant atteinte lhonneur ou la considration de la personne, le juge est tenu de requalifier laction et le cas chant de constater la prescription 150 . Doit-on retenir une solution identique lorsquune action fonde sur la responsabilit civile aurait pu ltre sur larticle 9-1 C.c. ? Comme un auteur, il nous semble que ce serait manifestement tenter de saffranchir des rgles procdurales destines protger la libert de la presse que de fonder uneaction sur larticle 1382 du Code civil, simplement pour chapper aux rgles de prescription 151 , dautant que larticle 9-1 C.c apparat comme un texte spcial protgeant la prsomption dinnocence. Il faut sans doute se rapporter au TGI de Paris estimant quil ne peut tre exclu
144 Jean Carbonnier, Le silence et la gloire, D. 1951. Chron. 119. 145 Paris, 19 nov. 1990, Lgipresse n79, p. 16. 146 Cass. 2 me civ. 5 mai 1993, D. 1994, somm. p. 194. 147 Versailles, 17 mai 1995, D. 1997, somm. p. 73. 148 Le TGI de Paris ne semble pas dcid suivre la solution propose par la Cour ce cassation. En 1997, il retient quil ne peut tre exclu quele rgime gnral de la responsabilit civile, prvu larticle 1382 du Code civil soit applicable en matire de presse et ddition. Cest alors la condition que la publication litigieuse constitue un abus de la libert dexpression caractris soit par une dnaturation ou une falsification des faits, soit par une ngligence grave dans la vrification des information, traduisant un mpris flagrant pour la recherche de la vrit ou une intention malveillante . TGI Paris, 29 oct. 1997, Lgipresse 1998, I-25. 149 On considre a priori que la prescription dicte par larticle 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 ne concerne pas les actions bases sur la responsabilit civile et visant rprimer une atteinte la prsomption dinnocence. La solution nous semble pourtant incertaine. 150 Parmi de nombreuses dcisions, Cass. 2 me civ. 9 dc. 1999, Lgipresse 2000, I-52. 151 Christophe Bigot, note prcite. 45 que, indpendamment des dispositions de la loi de 1881 ou des textes relatifs la protection de la vie prive et de la prsomption dinnocence, le rgime gnral de la responsabilit civile, prvu par larticle 1382 du code civil, soit galement applicable en matire de presse et ddition 152 . Ainsi, il est vident que larticle 1382 C.c. na quun intrt rsiduel voire nul pour les prsums innocents 153 . Mais en dehors de la presse, le principe de la responsabilit civile peut-il tre un alli de la prsomption dinnocence ? Une affaire rcente particulirement instructive, nous rvle le lien intime qui unit le droit limage la prsomption dinnocence 154 . Elle concernait une cliente de supermarch dont le passage la caisse avait dclench un signal dalarme antivol. Alert, un agent de scurit lui avait demand douvrir son sac et de lui remettre son manteau dans lequel il dcouvrit un cygne en plastique dune valeur de cinquante francs. La cliente assigna la socit exploitant le supermarch en dommages-intrts en raison du traitement subi. Dboute en premire instance, elle obtint satisfaction devant la Cour dappel. Celle-ci constate que le supermarch a viol larticle 73 du Code de procdure pnale qui autorise toute personne apprhender lauteur dun crime ou dun dlit flagrant puni dune peine demprisonnement car il a port atteinte limage de probit de lintress en lui causant un dficit de considration et lui accorde 3000 francs au titre des dommages-intrts sur le fondement de larticle 1382 C.c. Comme le remarque lannotatrice, ce qui tait principalement reproch aux dirigeants du supermarch, ctait davoir procd la fouille en public, sans aucune discrtion, car ces circonstances taient de nature engendrer la mfiance voire le mpris des autres clients lgard de la cliente qui faisait lobjet de la fouille . Ce droit limage aurait un double fondement, le droit la dignit et le droit la prsomption dinnocence. Cette affaire montre la vocation gnrale de larticle 1382 C.c. protger limage de la personne et travers elle sa prsomption dinnocence 155 . 2) La prvention des atteintes la prsomption dinnocence A bien des gards, la violation de la prsomption dinnocence napparat dangereuse pour le prsum innocent quau cas de publicit du forfait. Le champ dapplication de larticle 29 de
152 TGI Paris, 29 oct. 1997, prcit. 153 Ceci nous semble encore plus vrai aujourdhui car le champ dapplication de larticle 9-1 alina 2 du Code civil vient dtre tendu par la loi n2000-516 du 15 juin 2000. Une atteinte la prsomption relve gnralement de la diffamation ou (et) de larticle 9-1 alina 2 du Code civil. 154 Cass. 2 me civ. 1 er avril 1999, jurisp. p. 387, note Danile Mayer. On peut signaler une jurisprudence reconnaissant le droit limage dune personne dtenue dans une prison. La juridiction retient que la privation de la libert daller et venir nimplique nullement que limage de la personne, en tant que dtenue, soit expose, sans son accord, aux regards des lecteurs, dans le seul intrt commercial de lentreprise. Paris, 29 novembre 1994, Lgipresse 1994, III-176. 46 la loi du 29 juillet 1881 et celui de larticle 9-1 C.c en tmoignent. La publicit du mfait conditionne lapplication de ces deux textes. Par l, il faut comprendre que la violation de la prsomption dinnocence na pas tant pour origine la faute en elle-mme que sa publicit. Aussi, afin dviter la propagation de la nouvelle inexacte, le droit positif prvoit des mesures de contre-information et de manire plus nergique un contrle de linformation la source. a) Les mesures de contre-information Les mesures de contre-information visent lutter contre les campagnes de dsinformation qui prsentent maladroitement les personnes aux prises avec la justice comme coupables des faits qui leur sont reprochs. Diverses ripostes juridiques sont possibles. Larticle 9-1 C.c. dont nous avons dj fait mention et qui donne la possibilit au juge dallouer des dommages-intrts en cas de violation de la prsomption dinnocence dispose que lorsquune personne est, avant toute condamnation prsente publiquement comme coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire, le juge peut, mme en rfrprescrire toutes mesures telles que linsertion dune rectification ou la diffusion dun communiqu, aux fins de faire cesser latteinte la prsomption dinnocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte . Prcisons que la possibilit dinsrer une rectification est une innovation de la loi n2000-516 du 15 juin 2000 156 . Contrairement larticle 9 C.c protecteur de la vie prive, larticle 9-1 C.c envisage la procdure de rfr comme une procdure autonome, quasiment de droit commun puisque celle-ci nest pas subordonne lurgence. On avait fait remarquer que les limites de larticle 9-1 C.c pouvaient tre aisment contournes, dans lhypothse o ses conditions dapplication ntaient pas runies. Comme le notait un auteur en 1994, lorsquune personne mise en cause estimera que les conditions du 2 me alina de larticle 9-1 du Code civil risquent de ne pas tre remplies, elle se placera sur le terrain de larticle 809 du Code de procdure civile 157 . En effet cet article libre des contraintes nonces larticle 9-1C.c puisquil dispose que le prsident peut toujours mme en prsence dune contestation srieuse, prescrire en rfr les mesures conservatoires ou de remise en tat qui simposent, soit pour prvenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite . Il est vident quune violation de la prsomption dinnocence constitue bien souvent un trouble
156 En ralit, elle ne fait que reprendre les termes de la loi du n93-2 du 4 janvier 1993. 157 Patrick Auvret, Le droit au respect de la prsomption dinnocence, JCP G 1994, I, 3802. 47 manifestement illicite qui autorise le juge des rfrs prescrire une mesure de contre- information. Dailleurs, larticle 9-1 C.c disposait que les mesures ordonnes sur ce fondement ltaient sans prjudice des autres mesures pouvant tre prescrites en application du nouveau Code de procdure civile. La solution actuelle, la lecture de la nouvelle rdaction de larticle 9-1 C.c issue de la loi n2000-516 du 15 juin 2000 nest pas assure. Non seulement toute rfrence aux mesures prescrites en application du nouveau Code de procdure civile a disparu, mais le juge des rfrs semble dsormais asseoir sa comptence exclusivement sur larticle 9-1 C.c puisquen vertu de cette article le juge peut, mme en rfr, prescrire toutes mesures . Les mesures voques expressment cest dire linsertion dune rectification et la diffusion dun communiqu ne constituent qu une liste indicative. Pourtant, il nous semble que la comptence gnrale dattribution du juge des rfrs fonde sur larticle 809 NCPC conserve, encore aujourdhui, son attrait et son importance pour les prsums innocents. Concernant les mesures de contre-information spcifiquement voques par larticle 9-1 C.c cest dire linsertion dune rectification ou la diffusion dun communiqu, elles ne sont pas limites la publication concerne comme le disposait lancien article 9-1 C.c. Le juge peut donc prescrire la publication dun communiqu dans un priodique diffrent de celui qui est lorigine de linformation. En outre, les termes publications concernes relevaient dune rdaction maladroite, laissant supposer que seule la presse crite tait concerne lexclusion de la presse audiovisuelle 158 . Soulignons que linsertion ou la diffusion destine faire cesser latteinte la prsomption dinnocence se ralise au frais de la personne physique ou morale responsable de cette atteinte. Larticle 13 de la loi du 29 juillet 1881 ne protge pas prcisment la prsomption dinnocence mais prvoit un droit de rponse pour toute personne nomme ou dsigne dans un journal ou priodique lorsquelle a t mise en cause. La mise en cause, qui ne ncessite pas dimputation malveillante ou dapprciation dfavorable, est certainement ralise lorsque la personne est prsente comme coupable dune infraction avant sa condamnation. Lintress, pour faire connatre ses explications ou ses protestations peut introduire une action en insertion force qui se prescrit aprs trois mois, compter du jour o la publication a lieu, si le directeur de la publication ne fait pas droit sa demande. De mme, toute personne nomme ou dsigne dans un journal ou un crit priodique, loccasion de poursuites pnales peut galement exercer laction en insertion force, dans le dlai de trois
158 Hlne Bureau, note prcite. Pour un exemple dapplication de larticle 9-1 C.c laudiovisuel. TGI Paris, 7 juillet 1993 : JCP G 1994, II, 22306 note Dupeux et Bigot. 48 mois compter du jour o la dcision de non-lieu dont elle fait lobjet est intervenue et celle de relaxe ou dacquittement la mettant expressment ou non hors de cause est devenue dfinitive 159 . On remarquera le lien de filiation de cette disposition avec larticle 65-2, dailleurs issu de la mme loi. En rgle gnral, ce droit de rponse, nexclut pas les autres mesures de contre-information. Par contre, larticle 13 de la loi de 1881 ne sapplique pas aux services de communication audiovisuelle 160 et reste limit aux crits imprims. Cest larticle 6 de la loi du 29 juillet 1982 qui accorde un droit de rponse toute personne physique ou morale dans le cas o des imputations susceptibles de porter atteinte son honneur ou sa considration aurait t diffuses dans le cadre dune activit de communication audiovisuelle . La demande dexercice du droit de rponse doit tre prsente dans les trois mois suivant celui de la diffusion du message contenant limputation qui la fonde. Toutefois, la manire le larticle 13 in fine et 65-2 de la loi du 29 juillet 1881, le dlai est rouvert pour la mme dure, lorsqu loccasion de poursuites pnales, ont t diffuses dans le cadre dune activit de communication audiovisuelle des imputations susceptibles de porter atteinte lhonneur ou la rputation dune personne physique ou morale 161 . Le Code de procdure pnale prvoit, quant lui, deux dispositions aux articles 177-1 et 212- 1 qui permettent aux juridictions dinstruction, juge dinstruction et chambre de linstruction dordonner des publications judiciaires la suite dun non-lieu 162 . Ces dispositions ne sanctionnent pas une atteinte la prsomption dinnocence mais parent aux insuffisances de linformation. En effet, le public est souvent abondamment inform de la mise en cause dune personne durant linstruction. Inversement, un non-lieu est trs souvent pass sous silence. Aussi, ces deux articles tentent de rtablir un quilibre. La publication judiciaire peut tre demande par le bnficiaire du non-lieu ou avec son accord par le ministre public. Elle peut aussi tre ordonne doffice par le juge dinstruction ou la chambre de linstruction avec laccord de la personne concerne. Dans lhypothse o nest pas fait droit la demande, le juge dinstruction doit rendre une ordonnance motive susceptible dappel devant la chambre de linstruction. Quant la chambre de linstruction, elle doit rendre une dcision motive. Il appartient aux juridictions dinstructions conformment aux alina 2 des articles 177-1 et 212- 1 de dterminer la teneur de la contre-information diffre. Si le Code de procdure pnale est
159 Article 13 dernier alina de la loi du 29 juillet 1881. 160 Paris, 27 nov. 1979 : DP 1980. 2. 155, note Nast. 161 Art. 6 alina 5 de la loi du 29 juillet 1982. 162 Ces deux dispositions ont t rformes par la loi n2000-516 du 15 juin 2000. 49 muet sur ce point, il semble que les frais rsultant de la publication sont la charge de lEtat 163 . La loi n2000-516 du 15 juin 2000 a ajout un alina 2 larticle 11 C.P.P. afin dviter la propagation dinformations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin un trouble lordre public . A cette fin, le procureur de la Rpublique peut, doffice et la demande de la juridiction dinstruction ou des parties, rendre publics des lments objectifs tirs de la procdure ne comportant aucune apprciation sur le bien-fond des charges retenues contre les mises en cause . Les garanties apportes par ces publications sont prcieuses pour le prsum innocent puisquelles doivent rtablir la vrit judiciaire, savoir labsence de condamnation. Malheureusement elles sont insuffisantes car leur retentissement mdiatique est moindre et le mal est souvent dj fait. Les garanties vritables ne sont pas celles qui assurent une contre- information mais celle qui empchent la diffusion de linformation prjudiciable. b) Le contrle pralable de linformation En droit positif, le contrle pralable de linformation est assur par la procdure de rfr qui permet un contrle a priori de la libert dexpression. Plutt que de laisser le mal se rpandre ou produire tous ses effets, pratiquement irrparables, ne vaut-il pas mieux, comme cest le cas avec laction en rfr, lorsquil apparat trs grave et vident, dy mettre exceptionnellement et avec toutes les garanties dune procdure judiciaire immdiatement un terme ? 164 . Le rfr de droit commun est notamment institu larticle 809 du NCPC qui autorise le prsident du tribunal, mme en prsence dune contestation srieuse, prescrire en rfr les mesures conservatoires ou de remise en tat qui simposent, soit pour prvenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Depuis la loi n2000-516 du 15 juin 2000, larticle 9-1 C.c autorise le juge, mme en rfr, prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser latteinte la prsomption dinnocence. Doit- on en conclure que le recours larticle 809 du NCPC est dsormais exclu pour les prsums innocents ? une rponse positive ne nous apparat pas fonde car elle impliquerait, au pralable, une dlimitation procdurale stricte de la notion datteinte la prsomption
163 Circulaire gnrale du 1 er mars 1993. 164 Emmanuel Derieux, Rfr et libert dexpression, JCP G, I, p. 413. 50 dinnocence. Dautant que le champ dapplication des deux textes est fondamentalement diffrent. De plus larticle 9-1 C.c autorise le juge des rfrs intervenir mais seulement aux fins de faire cesser une atteinte la prsomption dinnocence et non pas dans une perspective prventive comme le prvoit larticle 809 du NCPC. Cependant latteinte la prsomption dinnocence est envisage par les tribunaux plutt comme un trouble manifestement illicite que comme un dommage imminent. Par exemple, provoque un trouble manifestement illicite latteinte porte par un ouvrage la prsomption dinnocence 165 . Quoiquil en soit, larticle 809 du NCPC conserve son intrt pour les personnes allguant une violation de leur prsomption dinnocence et ne pouvant se prvaloir de larticle 9-1 C.c. Le contrle a priori de la libert dexpression a t contest par certains comme ne rpondant pas au contrle a posteriori soit-disant exig par larticle 11 de la D.D.H.C. qui prvoit que la libre communication des penses et des opinions est un des droits les plus prcieux de lHomme : tout Citoyen peut donc parler, crire, imprimer librement, sauf rpondre de labus de cette libert, dans les cas dtermins par la loi . De mme, la pertinence et le fondement rglementaire des dispositions du NCPC sont critiqus au regard de larticle 102 de la convention E.D.H. qui nadmet de restrictions la libert dexpression que prvues par la loi et ncessaires dans une socit dmocratique. Pourtant, les tribunaux nont pas hsit se prononcer en rfr dans cette matire. Le TGI de Paris a considr que la procdure de rfr tait compatible avec larticle 10 de la convention E.D.H. car elle comportait la facult pour la victime dobtenir par une procdure durgence la cessation du trouble et les mesures de remise en tat indispensables 166 . La juridiction ajoute quen rpondant cet objectif lgitime, la procdure de rfrsatisfait aux exigences de prvisibilit et de ncessit de la norme restrictive de la libert dexpression . Lapplication stricte de larticle 809 du NCPC la libert dexpression a cependant t conteste, notamment par la Cour dappel de Paris, celle-ci relevant que le respect du principe de valeur constitutionnelle de la libert dexpression limite les pouvoirs du juge des rfrs dapporter des restrictions ce principeaux seuls cas exceptionnels o aucune autre disposition napparat de nature protger la personne vise contre une agression dont les consquences seraient sans cette mesure, au moins en partie irrmdiables 167 . Pourtant la Cour de cassation avait auparavant considr que viole larticle 809 alina 1 er , en ajoutant au texte une condition quil ne
165 Civ. 2 me , 19 fv. 1992 : Bull. civ. II, n61. TGI Paris, 13 oct. 1997, D. 1998, jurisp. p. 154. Paris, 6 avril 2000, Lgipresse 2000, III-94. 166 TGI Paris, 13 oct. 1997, D. 1998, jurisp. p. 154. 51 prvoit pas un arrt, qui, pour refuser de prendre des mesures dinterdiction dun film, relve que latteintene constitue pas un trouble de gravit exceptionnelle, seul de nature justifier des mesures restrictives de la libert dexpression 168 . En pratique, la violation de la prsomption dinnocence, commandant lintervention du juge des rfrs, rsulte dune diffamation. A cet gard, la Cour de cassation avait admis que seules des mesures rapidement prononces et ncessairement proches par leur nature dune dcision sur le fond, mais qui ont le caractre provisoire peuvent viter que se dveloppent les consquences prjudiciables de la diffamation 169 . Larticulation de la diffamation avec cette procdure nergique qui permet au juge dordonner de multiples mesures tels que linterdiction pure et simple dun crit ou dune diffusion, des retraits gnraux ou partiels, des reports de diffusion ou des avertissements donns aux lecteurs, sest pose en jurisprudence. Dans lhypothse o les faits incrimins constituent lune des infractions dfinies par la loi du 29 juillet 1881, la saisine du juges des rfrs est-elle interdite ? La Cour dappel de Paris a rpondu par la ngative 170 . Le demandeur laction est-il contraint de respecter les formalits de larticle 53 de la loi du 29 juillet 1881 relatives la citation en justice lorsquil porte sa demande devant le juge des rfrs ? Dans la mesure o les faits sanalysent en une diffamation publique envers un ministre, larticle 46 de la loi du 29 juillet 1881 qui porte interdiction la juridiction civile de connatre de laction civile en rparation dun tel dlit, fait-il obstacle la comptence du juge des rfrs ? A ces deux questions, le TGI de Paris a rpondu par la ngative 171 . En ralit, il semble que lexigence dune intervention judiciaire immdiate transcende tous les obstacles juridiques 172 . Comme le retient le TGI de Paris, lobjet de la procdure de rfr tend seulement au prononc des mesures provisoires immdiatement ncessaires pour prvenir la ralisation dun dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite . Pourtant, les dispositions de larticle 55 de la loi du 29 juillet 1881, qui accordent au prvenu de diffamation un dlai de dix jours aprs la signification de la citation, pour faire loffre de preuve des faits allgus, se sont rvles problmatiques. La Cour de cassation avait estim en 1992 qu aucune mesure ne peut tre fonde en rfr sur ce que les allgations dun journal seraient dvidence diffamatoires sans que le dfendeur ait dispos dun dlai de 10 jours prvus larticle 55 de
167 Paris, 26 fv. 1992 : JCP G 1993. II. 22022, note Galloux. 168 Civ. 1 re , 21 juillet 1987 : Gaz. Pal. 1987. 2. 577. 169 Cass. 2 me civ. 5 fv ; 1992, JCP G 1992, IV, 1009. 170 Paris, 6 avril 2000, Lgipresse 2000, III-94. 171 TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit. 172 Jean-Franois Burgelin, note sous TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit. 52 la loi du 29 juillet 1881 pour en rapporter la preuve 173 . Dans deux affaires mdiatiques 174 , lune concernant la publication du livre Laffaire Yann Piat, des assassins au cur du pouvoir , lautre la publication du livre Autopsie dune fraude lectorale , le juge des rfrs a procd en deux temps afin dassurer un ncessaire quilibre entre la protection des droits de la personnalit et le principe valeur constitutionnelle de la libert dexpression assure par les dispositions dordre public de la loi du 29 juillet 1881. Dans un premier temps, le juge des rfrs a fait immdiatement application des dispositions des articles 808 ou 809 du NCPC, lui permettant soit de prendre toutes mesures que justifie lexistence dun diffrent soit de faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans un second temps, il a renvoy une audience ultrieure afin de prserver le respect des droits de la dfense et lesprit de la loi du 29 juillet 1881. Signalons enfin que dans un but protecteur de la libert dexpression, la loi n2000-516 du 15 juin 2000 a rintroduit un article 64 dans la loi du 29 juillet 1881 disposant que lorsque ont t ordonnes en rfr des mesures limitant par quelque moyen que ce soit la diffusion de linformation, le premier prsident de la Cour dappel statuant en rfr peut, en cas dappel, arrter lexcution provisoire de la dcision si celle-ci risque dentraner des consquences manifestement excessives .
173 Cass. 2 me civ. 5 fv. 1992, prcit. 174 TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit ; Paris, 6 avril 2000, prcit. 53 B) Le droit dinformer des affaires judiciaires Une protection parfaite de la prsomption dinnocence lgard des spectateurs du procs pnal est un leurre car les textes dont nous avons fait mention ont un champ dapplication limit, tant suspendus un fait gnrateur : une dclaration de culpabilit. Or paradoxalement cet lment dclencheur est insuffisamment protecteur de la prsomption dinnocence ds lors que ne peut tre interdit aux particuliers et singulirement aux journalistes de relater les procdures voire de traiter les affaires judiciaires. 1) Le droit de relater les procdures judiciaires Les spectateurs du procs pnal peuvent-ils relater les procdures judiciaires ? Peuvent-ils exposer au grand jour les dfauts de notre procdure pnale ? Ont-ils le droit de violer impunment et indirectement la prsomption dinnocence ? a) Les principes Deux problmes doivent tre rsolus. Relater les procdures judiciaires, viole-t-il la prsomption dinnocence ? Expliquons nous. Par exemple, ne pas dire expressment dune personne quelle est coupable mais informer quelle est mise en examen, cest--dire quun juge protecteur de la libert individuelle, par ailleurs conscient des ventuelles rpercussions mdiatiques de sa dcision, a, aprs dbat, estim que des indices graves ou concordants rendaient vraisemblables, par elle, la commission dune infraction, porte-t-il atteinte la prsomption dinnocence ? La rponse cette question ne peut qutre ambivalente. Elle doit tre comprise la lumire de nos dveloppements sur les relations entretenues entre le prsum innocent et les acteurs du procs pnal. De fait, la violation de la prsomption dinnocence est consomme. Nest-il pas avis de conclure, a fortiori si un placement en dtention provisoire est dcid par ailleurs, parce que la prsomption dinnocence est un intervalle prcaire et ncessairement rfragable, que cette personne est coupable ? De droit, la violation de la prsomption dinnocence nexiste pas. Un mis en examen est prsum innocent et, trs logiquement, le prsenter comme tel ne viole pas la prsomption dinnocence. 54 Une violation, en fait de la prsomption dinnocence peut-elle fonder une interdiction de relater les procdures judiciaires ? Pour deux raisons, la rponse doit tre ngative. La premire raison est purement logique. Par exemple condamner pour violation de la prsomption dinnocence un journaliste qui na fait que rendre compte dune mise en examen, viole la prsomption dinnocence. En effet, il est absurde de reconnatre formellement le procs comme seul capable de renverser la prsomption dinnocence et ensuite de condamner pour violation de la prsomption dinnocence, le simple informateur dune mise en examen. La seconde raison est juridique. Le droit de relater les procdures judiciaires est fond sur une super libert (Louis Favoreu), sur un droit fondamental de notre systme juridique : la libert dexpression. La libert dexpression est protge au niveau constitutionnel par larticle 11 de la D.D.H.C. qui dispose que La libre communication des penses et des opinions est un des droits les plus prcieux de lHomme . Le principe du droit la libre expression est mis en avant par plusieurs textes lgislatifs et notamment la loi du 29 juillet 1881 qui dispose son article 1 er que limprimerie et la librairie sont libres et la loi du 30 septembre 1986 qui dispose, elle aussi, son article 1 er que la communication audiovisuelle est libre . Au niveau conventionnel, larticle 10 de la convention E.D.H. stipule que Toute personne droit la libert dexpression . Ce droit ne peut tre soumis certaines formalits, conditions ou sanctions que prvues par la loi, ncessaires dans une socit dmocratique et poursuivant un des buts lgitimes numrs larticle 102. La Cour E.D.H a par ailleurs jug que la ncessit dune quelconque restriction lexercice de la libert dexpression devait tre tablie de manire convaincante 175 . La limitation des mesures protectrices de la prsomption dinnocence nest donc pas un garement du droit positif. La violation, en fait, de la prsomption dinnocence ne peut fonder linterdiction de relater les procdures judiciaires. Au contraire, relater les procdures judiciaires apparat aujourdhui comme un droit. b) Les solutions pratiques Les deux problmes thoriques que nous venons daborder se traduisent en pratique. Si toute procdure pnale est dj un symptme de culpabilit et viole ipso facto la prsomption dinnocence peut-on interdire de relater les procdures judiciaires ? A supposer une rponse 55 ngative, linterdiction peut-elle trouver son fondement dans une autre disposition, particulirement le secret de linstruction ? Relater une procdure pnale ne viole pas en droit la prsomption dinnocence du prsum innocent mais trahit en fait sa culpabilit. Devant ce dilemme, comment les tribunaux ont-ils ragi ? Fallait-il statuer en droit ou en fait ? Relativement larticle 9-1 C.c, interdisant de prsenter publiquement une personne comme tant coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction, la jurisprudence a rpondu clairement. Dans laffaire qui amena la Cour de cassation formuler sa position de principe, la Cour dappel de Rouen avait se prononcer sur une ordonnance de rfr prise par un magistrat du Tribunal de grande instance de Dieppe sur le fondement de larticle 9-1 C.c aprs quun journaliste ait publi des articles relatifs aux circonstances dune affaire ainsi qu la mise en examen de deux individus 176 . Pour infirmer lordonnance, la juridiction retient que lon ne peut reprocher un journaliste de la presse crite davoir port la connaissance du public les circonstances dans lesquelles sinscrivent ncessairement les indices graves et concordants qui ont dtermin la mise en examen ds lors que les articles parus ne comprennent aucun dveloppement prsentant les intresss comme confondus par les lments dinvestigation runis par les journalistes, ni aucune considration de droit ou de fait posant en pralable que la culpabilit des intresss ait dj t tablie. La Cour de cassation rejette le pourvoi form et affirme que latteinte la prsomption dinnocence contre laquelle larticle 9-1 C.c. instaure une protection consiste prsenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pnalement 177 . Par ailleurs, la Haute juridiction retient que des crits qui ne contiennent pas de conclusions dfinitives manifestant un prjug tenant pour acquise la culpabilit, ne portent pas atteinte la prsomption dinnocence. Dans la ligne de cette dcision, se dessine un courant en jurisprudence. Ds lors que celui qui sest exprim sur lenqute ou linstruction na pas prjug de la culpabilit du mis en cause mais a simplement relat objectivement et sans aucun parti pris, la prsomption dinnocence nest pas viole. Par exemple Un article de presse qui constitue le rcit dune enqute policire, qui fait tat des dngations farouches des mis en cause, qui ne prsente pas publiquement les demandeurs comme coupable avant condamnationmais laisse augurer au contraire dun difficile dbat de fond, et qui ne cherche pas persuader les lecteurs de la
175 Sunday times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979, Srie A n30. 176 Rouen, 20 sept. 1993, JCP G 1994, II, n22036, note C. Bigot et J.-Y. Dupeux. 56 culpabilit des demandeurs, ne peut tre considr comme ayant port atteinte la prsomption dinnocence 178 . Par contre, si lintress a communiqu aux lecteurs ou aux tlspectateurs sa conviction de la culpabilit, par lemploi de lindicatif ou par labsence de rserve dexpression, le droit est viol. Par exemple un article qui ne se borne pas faire tat de la mise en examen dune personne mais souligne le crdit qui doit tre donn laccusation en indiquant que les dclarations reproduites font froid dans le dos et insiste sur la gravit de l affaire en renforant limpression manifeste de culpabilit de lintress, prsent comme figurant au nombre des personnalits tombes au champ du dshonneur public, viole la prsomption dinnocence 179 . Cette jurisprudence nintresse pas que larticle 9-1 C.c, elle concerne aussi le dlit de diffamation. Pourtant, certaines dcisions dissidentes retiennent une violation de larticle 9-1 C.c ou une violation de larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 lorsque des journalistes ne font que porter la connaissance du public les dernires volutions, les derniers soubresauts dune procdure pnale et en ne prsentent pas lintress comme coupable avant condamnation. Le TGI de Paris considrait en 1993 que limputation dune mise examen porte incontestablement atteinte lhonneur et la considration de la personne vise, en ce qu elle implique la commission dune infraction 180 . La mme juridiction admettait rcemment quimputer quelquun dtre poursuivi devant une juridiction pnale est une allgation qui porte atteinte son honneur et sa considration, et revt donc un caractre diffamatoire 181 . Ces dcisions marquent, encore une fois les difficults dintgration de la diffamation dans le droit de la prsomption dinnocence. Mais dans le cadre dun contentieux sur lapplication de larticle 9- 1 C.c, la Cour dappel de Montpellier a considr que prsenter comme indubitable la comparution dune personne devant la Cour dassises et ne prsenter aucune rserve ni nuance sur lincrimination pnale envisage par le ministre public alors que lintress ntait au moment de la publication quen garde vue, viole la prsomption dinnocence 182 . Ces dcisions sont instructives. Comment laffirmation de la comparution dun individu devant un tribunal pourrait-elle porter atteinte la prsomption dinnocence ou constituer une diffamation si cette comparution ne traduisait pas un certain degr de culpabilit ? Ces dcisions accrditent la thse selon laquelle la justice pnale est bien plus continue et graduelle, que ne le laisse penser la dichotomie juridique innocence/culpabilit instaure par
177 Cass. 1 re civ. 6 mars 1996, D. 1997, sommaires comments, p. 72. 178 TGI Paris, 15 oct. 1997, Lgipresse 1998, I-37. 179 Pour un exemple : TGI Paris, 27 mai 1998, Lgipresse 1998, I-150. 180 TGI Paris, 10 dc. 1993, Droit pnal, n132, p.8. 181 TGI Paris, 10 dc. 1999, Lgipresse 2000, I-68. 182 Montpellier, 7 avril 1997, Lgipresse, I-22. 57 le procs. Pourtant, suite larrt de la Cour de Montpellier, la Cour de cassation a cass la dcision en considrant quen se dterminant ainsi, alors que lcrit litigieux ne contenait pas de conclusions dfinitives manifestant un prjug tenant pour acquise la culpabilit, la Cour dappel a viol le texte susvis (larticle 9-1 C.c) 183 . Cette dernire solution est en conformit avec le formalisme et lorthodoxie juridique. Si la prsomption dinnocence ne peut fonder linterdiction de relater les procdures judiciaires, le principe du secret de linstruction, lui, le peut-il ? Le principe du secret des enqutes et des instructions commande, aujourdhui, le droulement des recherches policires et judiciaires. Historiquement, il est issu de la procdure inquisitoire, procdure apparue postrieurement la procdure accusatoire la fin de lpoque romaine et ractive par les juridictions ecclsiastiques au 13 me sicle. Dans un systme inquisitoriale, on estime ncessaire de prserver le secret dun enqute afin que la personne souponne ne puisse organiser sa dfense comme on organise son insolvabilit 184 . Aujourdhui encore, le secret des enqutes et des instructions est cens prserver lefficacit et la clrit des investigations au dtriment des droits de la dfense. Larticle 11 du Code de procdure pnale dispose que la procdure au cours de lenqute et de linstruction est secrte. Toute personne qui concourt cette procdure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pnal . Ainsi, viole le secret de linstruction, le magistrat instructeur auteur de rvlation de faits relatifs une instruction en cours mme si les faits relats avaient dj fait lobjet de divulgation 185 . Pareillement, lorsque linstruction est termine et que le prvenu comparat devant le tribunal, le juge dinstruction peut tre entendu comme tmoin sur des faits relatifs cette procdure, mais ne peut, sous peine de violer le secret de linstruction, rvler des faits objet dune autre procdure 186 . Les policiers sont, eux aussi, tenus au secret. Par exemple, les disposition de larticle 11 C.P.P. sont applicables aux agents de police ou aux fonctionnaires des services de lidentit judiciaire 187 . Les autorits publiques qui ne concourent pas la procdure ne sont pas soumises au secret de linstruction mais larticle 62 de la convention E.DH. qui ne saurait empcher (ces autorits) de renseigner le public sur les enqutes
183 Cass. 19 oct. 1999, Lgipresse dc. 1999, III. 184 Patrick Auvret, Le journalise, le juge et linnocent, Rev. sc. crim. 1996, p. 625. 185 Rennes, 7 mai 1979 : JCP G 1980. II. 19333, note Chambon. 186 Crim. 5 nov. 1903 : DP 1904. 1. 25, note Le Poittevin. 187 Crim. 14 mars 1962 : Bull. crim. n134. Crim. 13 mai 1991 : Bull. crim. n200. 58 pnales en cours, requiert quelles le fassent avec toute la discrtion et toute la rserve que commande la prsomption dinnocence 188 . Par ailleurs, le principe du secret de linstruction cantonne strictement la publicit des audiences durant linstruction puisquil justifie le rejet dun demande daudience publique devant le juge des liberts et de la dtention et devant la chambre de linstruction quand la publicit est de nature entraver les investigations spcifiques ncessites par linstruction (art. 145 al. 4 et 199 al. 2 C.P.P.). Pourtant lincrimination de violation du secret de linstruction ne concerne que les personnes qui concourent la procdure. Les journalistes, qui ne concourent pas la procdure, peuvent donc librement relater les procdures au stade de lenqute et de linstruction. Ne sont tenues au secret de linstruction que les personnes qui concourent la procdure ; tel nest pas le cas des journalistes quel que puisse tre lapprofondissement de leurs investigations 189 . Le droit de relater les procdures judiciaires est rendu possible, en droit positif, travers diverses dispositions qui assurent la publicit des dbats. Les articles 306, 400, 512 et 535 du Code de procdure pnale posent le principe de la publicit des dbats. Ce principe ne peut tre contourn que pour de trs srieuses raisons tel quun danger pour lordre public ou pour les murs justifiant de procder huis clos car il nest pas seulement une garantie pour le justiciable, il en est galement une pour le juge dont il assure lautorit. Signalons toutefois que les audiences ne peuvent tre filmes 190 . Contrairement aux audiences de jugement, les audiences se droulant durant linstruction ne sont pas publiques puisque la procdure au cours de lenqute et de linstruction est secrte . Aujourdhui, cette rgle est conteste. Devant le juge des libert et de la dtention lorsquun placement en dtention provisoire est envisag (art. 145 al. 4 C.P.P.) ou devant la chambre daccusation (art. 199 al. 2), si la personne majeure mise en examen ou son avocat en fait la demande, le dbata lieu en audience publique . Le recul du secret traduit une amlioration du sort des prsums innocents car la publicit est indniablement la garantie dune bonne justice. Cependant, si la publicit des dbats est indniablement la garantie dune bonne justice bnfique au prsum innocent, nest-elle pas le vecteur des atteintes la prsomption dinnocence puisquelle expose, au grand jour, les dfauts de notre procdure pnale ? Ce problme nous rvle lambigut de la publicit des procdures pnales, certes facteur de protection de la prsomption dinnocence mais aussi facteur de violation de cette prsomption. Voil pourquoi la publicit des audiences durant linstruction nest pas de droit
188 Cour. E.D.H. Allenet de Ribemont c/ France du 7 aot 1996, A 308, Berger 698. 189 TGI Nancy, 11 oct. 1994, Lgipresse 1994, n119, I, p.24. Comme les journalistes, la partie civile ne concoure pas la procdure. Crim. 9 oct. 1978 : D. 1979, IR. 118. 59 et reste suspendue la demande de la personne mise en examen. Voil pourquoi le secret de linstruction est, en un sens, reconnu comme un alli de la prsomption dinnocence. Cette situation est paradoxale car le secret de linstruction, dans la procdure inquisitoire, prjudicie aux droits de la dfense. La libert de rendre compte des procdures est-elle sans limite ? Non, quelques dispositions parcellaires empchent la reproduction servile dans la presse de pices dune procdure pnale. Dautres protgent la dignit des personnes mises en cause par la justice. Comme nous lavons dit, le secret de linstruction ne concerne ni la partie civile ni les journalistes. La jurisprudence a pourtant largit la rpression par lintermdiaire du dlit de recel de violation du secret de linstruction. Sur ce point, la Cour de cassation a rappel que seule une chose et non une information pouvait tre susceptible de recel 191 . Pour condamner des journalistes de ce chef, la Haute juridiction a retenu quil importait peu que les circonstances du dlit, dont provenait lobjet naient pas t entirement dtermines, ds lors que lexistence du dlit tait constat par les juges du fond et que les prvenus avaient connaissance de lorigine dlictueuse des documents, par eux, dtenus 192 . Cependant, quand rien ne permet dexclure lhypothse dune simple transmission orale des informations en cause par des personnes non soumises au secret de linstruction comme le mis en examen ou le tmoin, la relaxe simpose. En labsence de tout lment prouvant que le journaliste tenait ses informations du juge dinstruction, il y lieu de relaxer ce dernier de violation du secret de linstruction 193 . Par ailleurs, larticle 2 de la loi du 2 juillet 1935 interdit de publier, avant dcision judiciaire, toute information relative des constitutions de parties civiles en application de larticle 85 C.P.P. De mme, la loi sur la presse dicte des interdits. Selon larticle 38 alina 1 er il est interdit de publier les actes daccusation et tous les autres actes de procdure criminelle ou correctionnelle avant quils aient t lus en audience publique . Cette disposition a t loccasion dune application rcente aprs la publication par le journal Libration dun article reproduisant plusieurs extraits de procs verbaux daudition et dinterrogatoire dune personne mise en examen ainsi que la conclusion dun rapport dexpertise 194 . Larticle 38
190 Sous rserve de larticle 1 er de la loi n85-699 du 11 juillet 1985 autorisant lenregistrement audiovisuel ou sonore quand cet enregistrement prsente un intrt pour la constitution darchives historiques de la justice. 191 Crim. 3 avril 1995 : Bull. crim. n. 142 ; JCP G 1995, 22429, note Derieux. 192 Crim. 13 mai 1991, prcit. 193 TGI Paris, 18 janvier 2000, Lgipresse 2000, I-46. 194 Crim. 22 juin 1999, Droit pnal fvrier 2000, p. 16. Pour une autre application rcente : TGI Paris, 28 juin 1999, Lgipresse 2000, I-135. 60 alina 3 qui interdisait la publication par tous moyens des circonstances dun crime et dun dlit, aprs avoir t dclar contraire larticle 10 de la convention E.D.H. par la Cour dappel de Paris 195 , a t abrog par la loi du n2000-516 du 15 juin 2000. Deux nouveaux dlits ont t instaurs par cette loi aux article 35 ter I et 35 quater de la loi du 29 juillet 1881, afin de prserver, non pas la prsomption dinnocence, mais la dignit de personnes impliques dans des procdures pnales. Ainsi, il est dsormais interdit de raliser sans laccord de lintress, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel quen soit le support, de limage dune personne identifie ou identifiable mise en cause loccasion dune procdure pnale mais nayant pas fait lobjet dun jugement de condamnation et faisant apparatre soit que cette personne porte des menottes ou entraves soit quelle est place en dtention provisoire. Est aussi prohib la diffusion par quelque moyen que ce soit et quel quen soit le support, de la reproduction des circonstances dun crime ou dun dlit lorsque cette production porte gravement atteinte la dignit dune victime et quelle est ralise sans laccord de cette dernire. Ces deux dlits sont punis de 100 000 francs damende. 2) Le droit de traiter les affaires judiciaires ? Si les spectateurs du procs peuvent indubitablement, sous quelques rserves, rendre compte des procdures pnales, peuvent-ils se substituer la justice ? la devancer ? la contredire ? Peuvent-ils, impunment, violer ouvertement la prsomption dinnocence ? a) Les principes Afin de devancer ou de contredire la justice pnale, les particuliers et singulirement les journalistes disposent-t-ils du droit denquter ? Ce droit nest inscrit expressment dans aucun texte. Cependant, la lumire dun avis non publi de la Cour E.D.H. datant du 23 octobre 1981, le droit de rechercher des informations serait tacitement inclus dans larticle 10 196 . Dailleurs, selon un auteur, le texte (de larticle 10) se suffit lui mme. Comment en effet recevoir et communiquer des informations et des ides si les autorits publiques peuvent galement faire obstacle leur libre recherche : supprimer la libert de rechercher des informations et les ides, cest videmment paralyser le droit de les recevoir et de les
195 Paris, 18 septembre 1997, D.1998, somm. 83. 196 F. Hondius, La libert dexpression et dinformation en droit europen, Conseil de lEurope, 1984, p. 5. 61 communiquer 197 . La libert denquter est assure pour les journalistes par le droit au secret des sources : qui cite ses sources les tarit 198 . Larticle 109 C.P.P prvoit que tout journaliste entendu comme tmoin sur des informations recueillies dans lexercice de son activit, est libre de ne pas en rvler lorigine . Quant la Cour E.D.H., trs protectrice de la presse, qui selon elle joue un rle minent dans une socit dmocratique, la protection des sources journalistiques est lune des pierres angulaires de la libert de la presse 199 . Mais comment les spectateurs du procs peuvent-ils devancer la justice sans violer son indpendance ? Assurment, les spectateurs ne peuvent, sans violer lindpendance de la justice, prsenter un prsum innocent comme coupable ou innocent avant condamnation, sauf considrer deux justices indpendantes (celle des acteurs et celle de spectateurs) ou dconsidrer celle des spectateurs. De plus, comment les spectateurs du procs peuvent-ils devancer ou contredire radicalement la justice pnale en prsentant un prsum innocent comme coupable sans violer la prsomption dinnocence ? Assurment les spectateurs ne peuvent, sans violer la prsomption dinnocence, prsenter comme certaine la culpabilit dun homme alors que laffaire est pendante devant un tribunal, si la prsomption dinnocence signifie que tout homme nest pas coupable tant quil na pas t jug coupable par un tribunal. A la limite (et en thorie), si lon considre la prsomption dinnocence comme une priode autonome qui ne se confond ni avec linnocence ni avec la culpabilit, prsenter un prsum innocent comme innocent avant quil nait t jug, viole la prsomption dinnocence ! Il faut en ralit repenser le problme la lumire dautres considrations et spcialement une : lartificialit de la prsomption dinnocence. Le prsum innocent, nest juridiquement ni coupable ni innocent or il est rellement coupable ou innocent. Les spectateurs, avant que la justice ne se prononce dans des dlais parfois trs longs puisque la prsomption dinnocence ne steint que par un jugement irrvocable, nont-ils pas droit la vrit ? nont- ils pas le droit de dire la vrit ? nont-ils pas le droit de connatre la vrit ? De mme, aprs que la justice se soit prononc nont-ils pas droit, au nom de la vrit, de contredire la vrit judiciaire parce que, dun sens, condamnation et culpabilit ne se recoupent pas forcment 200 ?
197 R. Pinto. Cit par Grard Cohen-Jonathan, la convention E.D.H. article par article, p. 374. 198 Formule dEmmanuel Derieux, Secret des sources dinformation, Lgipresse 2000, III-12. 199 CEDH, 27 mars 1996, Affaire Goodwin c/ Royaume-Uni, Lgipresse n132-III, p. 70, note Derieux. 200 Notamment en raison du principe de lopportunit des poursuites. 62 La libert dexpression permet-elle, avant ou aprs le procs, de contredire la vrit judiciaire ? La rponse est incertaine car si cette libert dexpression est un des droits les plus prcieux de lhomme, elle nest pas absolue. Larticle 102 de la convention E.D.H. stipule que la libert dexpression peut tre restreinte afin dassurer la protection de la rputation ou des droits dautrui ou pour garantir lautorit et limpartialit du pouvoir judiciaire. Or, nous lavons dit, prsenter un prsum innocent comme coupable avant condamnation est rprhensible et rprim en droit positif. Pourtant, peut-on condamner un individu au nom de labus du droit de sexprimer lorsque, tous les lments produits au dbat laissent penser quil dit la vrit ? Le problme est pineux. Il lest encore plus si lon considre que les spectateurs du procs ont un droit la vrit. Nont-ils pas droit linformation ? Le droit linformation suppose que soit port librement la connaissance du public tout fait qui prsente un intrt pour la vie collective 201 Le droit linformation nest pas expressment reconnu au sein du bloc de constitutionnalit mme si le Conseil constitutionnel a consacr directement la valeur constitutionnelle de la libert de communication 202 . Comme le note un auteur, dans la conception librale on sest content pendant longtemps de mettre laccent sur la libre diffusion mais la seule raison de lmission cest dtre reue 203 . Or la libert de la presse prend ncessairement la forme du devoir de renseigner lopinion publique sur les faits de socit et la vie collective 204 .Cest davantage le systme europen de protection qui consacre ce droit et entend la libert de la presse comme le droit linformation du public. Larticle 10 de la convention E.D.H. reconnat que le droit la libert dexpression comprend la libert dopinion et la libert de recevoir ou de communiquer des informations ou des ides et la Cour estime que paralllement la fonction des mdias consistant communiquer les informations, sajoute le droit du public den recevoir 205 . Ainsi, la Cour E.D.H. affirme quil incombe aux mdias de communiquer des informations et les ides sur les questions dont connaissent les tribunaux comme sur celles dautres secteurs dintrt public 206 . Limportance de linformation du public qui, civilement, borne le droit au respect de la vie prive est rappele par certaines juridictions. Le TGI de Nanterre affirmait en 1997 que la protection institue par larticle 9 du code civil peut tre limite par les ncessits de linformation du public sur
201 Patrick Auvret, Droit du public linformation, Lgipresse 2000, II-33. 202 Cons. const. 27 juillet 1982, n82-141 DC : Rec. Cons. const. 48. 203 Grard Cohen-Jonathan, La C.E.D.H. article par article, article 10, p. 365. 204 Patrick Auvret, prcit. 205 Arrt Lingens du 8 juillet 1986, Srie A n103. 206 Arrt Sunday times, prcit. 63 un vnement dactualit 207 . Par contre, la publication de faits relatifs la vie privequaucun vnement dactualit ne rend lgitime est fautive 208 . Plus rcemment, la Cour dappel de Versailles reconnaissait que les besoins de la lgitime information du public autorisela presse faire tat des faits qui relvent normalement de la sphre de lintimit de la vie prive mais qui se trouvent troitement associs un vnement dactualit 209 . Limprieuse ncessit dinformer le public, notamment dans les affaires de sant publique, ne lgitime-t-elle pas dans certaines hypothses, une atteinte la prsomption dinnocence ? En rsum, le droit la libre expression et linformation permettent-ils de contrevenir la prsomption dinnocence et le cas chant lindpendance du pouvoir judiciaire ? Si oui, quelles conditions ? b) Les solutions pratiques Les spectateurs du procs et singulirement les journalistes peuvent-ils devancer la justice ou mme la contredire ? les tribunaux rpondent, en principe, par la ngative non seulement pour garantir lautorit et limpartialit du pouvoir judiciaire mais aussi pour dfendre la protection de la rputation ou des droits dautrui. La Cour E.D.H. sest prononce plusieurs reprises sur la compatibilit du droit la libre expression et du droit linformation avec le droit de garantir lindpendance et lautorit du pouvoir judiciaire. Dans laffaire Sunday times de 1979 210 , labsorption dun mdicament par des femmes enceintes fut la cause de graves malformations de leurs enfants la naissance. Alors que le fabriquant et le distributeur taient poursuivis en justice par les parents, le journal Sunday times prpara un dossier trs complet qui fut interdit la publication par application de la notion de contempt of Court car il amenait le public prjuger de lissue de laffaire judiciaire en cours. Dans laffaire Observer et Guardian 211 , les autorits ordonnrent linterdiction provisoire de ne pas publier dinformations issues du livre Spycatcher afin de protger les droits de lAttorney Gnral dans sa position de plaideur en attendant le procs au fond, lequel visait le grief de divulgation dinformations confidentielles. Dans ces deux espces, la
207 TGI Nanterre, 13 janvier 1997, Lgipresse 1997, I-107. 208 TGI Nanterre, 20 oct. 1999, Lgipresse 2000, I-46. 209 Versailles, 9 mars 2000, D. 2000, I.R. 210 Cour E.D.H. 26 avril 1979, Srie A n30. 64 Cour E.D.H. a approuv la position des autorits britanniques en se fondant sur la ncessaire garantie de lautorit et de limpartialit du pouvoir judiciaire. A propos de laffaire Worm, la Cour E.D.H a certes considr 212 que les restrictions la libert dexpression autorises au 2 de larticle 10 pour garantir lautorit et limpartialit du pouvoir judiciaire ne permettent pas aux Etats de limiter toutes les formes de dbat public sur des questions en cours dexamen par les tribunauxLes comptes rendus de procdures judiciaires, y compris les commentaires contribuent faire connatre (les questions dont connaissent les tribunaux) et sont donc parfaitement compatibles avec lexigence de publicit de laudience nonce larticle 61 de la conventionCependant, comme tout un chacun, les personnalits connues, sont en droit de bnficier dun procs quitableLes journalistes doivent sen souvenir qui rdigent des articles sur des procdures pnales en cours, car les limites du commentaires admissibles peuvent ne pas englober des dclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de rduire les chances dune personne de bnficier dun procs quitable ou de saper la confiance du public dans le rle tenu par les tribunaux dans ladministration de la justice pnale . Par ailleurs la Cour reconnat la place centrale occupe par larticle 6, qui consacre le principe primordial de la prminence du droit et remarque que les Etats contractants sont en droit de tenir compte de considrations se rapportant la protection du rle fondamental des tribunaux dans une socit dmocratique. Enfin, la Cour retient que si lon shabitue au spectacle de pseudo-procs dans les mdias, il peut en rsulter, long terme, des consquences nfastes la reconnaissance des tribunaux comme les organes qualifis pour juger de la culpabilit ou de linnocence quant une accusation en matire pnale . Le Code pnal, quant lui, rprime la publication, avant lintervention de la dcision juridictionnelle dfinitive, de commentaires tendant exercer des pressions en vue dinfluencer les dclarations des tmoins ou les dcisions des juridictions dinstructions ou de jugement 213 . Il rprime aussi le fait de chercher jeter le discrdit, publiquement, par actes, paroles, crits ou images de nature porter atteinte lautorit de la justice ou son indpendance 214 . Larticle 35 ter II issu de la loi n2000-516 du 15 juin 2000, punit dsormais soit le fait de publier ou de commenter un sondage dopinion, ou tout autre consultation, portant sur la culpabilit dune personne mise en cause loccasion dune
211 Cour E.D.H. 26 novembre 1991, Srie A, n216. 212 CEDH, 29 aot 1997, Worm c/ Autriche, Lgipresse 1997, III-154. 213 Art. 434-16 alina 1 er du Code pnal. 214 Art. 434-25 du Code pnal. 65 procdure pnale ou sur la peine susceptible dtre prononce son encontre soit le fait de publier des indications permettant davoir accs ces sondages ou consultations. Ces textes et dcisions sanctionnent linfluence abusive des mdias sur le fonctionnement de la justice. Mais plus que le contenu de linformation, cest sa porte qui est sanctionne. Par contre, latteinte la prsomption dinnocence devrait tre constitue ds lors quun individu est prsent comme coupable avant condamnation. Larticle 9-1 C.c nest pourtant applicable quau cas de prsentation publique. Mais latteinte la prsentation dinnocence prvue larticle 9-1 C.c est difficilement conciliable avec la libert dexpression ou le droit linformation qui ne peuvent paralyser son application car latteinte sapprciant la date de la publication, elle nest pas susceptible dtre rtroactivement efface par lventuelle condamnation ultrieure de la personne mise en cause 215 . Cette remarque ne vaut pas pour la diffamation car lexception de bonne foi ou de vrit peut toujours tre rapporte. Dailleurs, prcision importante, il semble dsormais possible au prvenu de diffamation de prouver sa bonne foi ou la vrit des faits diffamatoires en produisant devant le tribunal des pices obtenues en violation du secret de linstruction car le principe suprieur, de valeur constitutionnelle, des droits de la dfense doit conduire admettre que la libre production, dans un procs, de pices crites, ds lors quelles ne sont pas trangres la cause, est tout aussi essentielle que la libert de paroleEn outre, lapplication du principe du droit la libert dexpressionexige galement de permettre au journaliste daccomplir sa mission, et de pouvoir en rpondre, le cas chant, devant le tribunal sans sexposer une poursuite du fait de lexercice de sa dfense 216 . Lexception de bonne foi est un fait justificatif qui permet au prvenu, souvent journaliste, dchapper une condamnation pnale lorsquil tablit, que par ses allgations ou imputations, il a poursuivi un but lgitime, tranger toute animosit personnelle, quil a crit ou parler en se conformant un certain nombre dexigences et notamment le srieux de lenqute et la prudence dans lexpression. La lgitimit du but poursuivi et le srieux de lenqute permettent-ils de devancer les tribunaux et de prsenter comme coupable une personne non condamne ? La rponse est en principe ngative. Selon la Cour de cassation le droit dinformer le public dfini par larticle 10 de la convention E.D.H. ne saurait justifier une diffamation ds lors que cette disposition assortit la
215 TGI Paris, 25 janvier 1999, Lgipresse 2000, I-70. 66 libert de devoirs parmi lesquels figure la protection de la rputation et des droits dautrui 217 . Le TGI de Paris a jug, quant lui, que lorsque des journalistes ou des crivains font le choix de porter sur la place publique les lments dune procdure judiciaire en cours, sans attendre le rsultat de celle-ci, il doivent sentourer de prcautions particulires analogues celles qui dictent la dmarche du juge lui mme, notamment lorsquil sagit de mettre en cause des particulierssous peine de porter gravement atteinte la prsomption dinnocence et de compromettre irrmdiablement lhonneur et la considration dautrui 218 . En calquant la dmarche des journalistes sur celle du juge, la juridiction cantonne strictement la libert dexpression. Pourtant la jurisprudence est indcise car lextrme vivacit du ton ou des inexactitudes nempchent pas ladmission de la bonne foi si lintrt social de linformation emporte la conviction du juge 219 . A propos de laffaire du sang contamin la Cour dappel de Paris retient que le journaliste avait le devoir dinformer le public, celui-ci tant en droit de connatre le rsultat des investigations 220 . Selon la Cour, cest la constatation de ce motif lgitime qui emporte la disparition de lexigence de prudence dans lexpression et autorise la relaxe du journaliste prvenu de diffamation. Plus radicalement, propos dune intrigue de rseaux internationaux de blanchiment de largent de la drogue, la mme juridiction affirme que compte tenu de la gravit des faits et de leur importance particulire, le fait justificatif de la bonne foi nest pas ncessairement subordonn la prudence dans lexpression de la pense 221 . Mais la bonne foi est ncessairement subordonne une enqute srieuse du journaliste car le premier devoir de la profession rside dans la vrification des informations 222 . Dans laffaire du sang contamin dj voque, la Cour dappel de Paris, pour relaxer le prvenu, retient quil sest incontestablement livr une enqute minutieuse et approfondie. De mme, le bnfice de la bonne foi doit tre accord au journaliste qui a produit de trs nombreux documents tablissant que son enqute, mettant en cause les activits dun banquier suisse, a t srieuse et minutieuse 223 . Lexception de vrit, comme la demande de sursis statuer visant attendre le rsultat dune autre procdure judiciaire pour apprcier la culpabilit du prvenu, est pratiquement systmatiquement rejete par les tribunaux car la preuve de la vrit doit tre complte,
216 TGI Paris, 2 octobre 1998, Lgipresse 1998, III-152. Voir aussi laffaire du Canard enchan et la dcision de la Cour E.D.H le 21 janvier 1999. Lgipresse 1999, II-34. 217 Crim. 6 oct. 1992, Gaz. Pal. 19-20 mars 1993, p. 27. 218 TGI Paris, 21 nov. 1997, Droit pnal fvrier 1998, Chronique, p. 7. 219 Paris, 5 dc. 1989 : D. 1990. IR. 3. 220 Paris, 14 dc. 1993, D. 1995, sommaires comments p. 272. 221 Paris, 10 mai 1994, D. 1995, sommaires comments, p. 272. 222 Paris, 12 oct. 1989 : Gaz. Pal. 1989. 2. Panor. 292. 223 Civ. 2 me , 15 janvier 1997, Lgipresse 1997, I-50. 67 absolue et couvrir les imputations dans tous leurs lments et dans toute leur porte. Cette jurisprudence est comprhensible. Admettre la vrit des imputations ou allgations diffamatoires violant la prsomption dinnocence, viole la fois la prsomption dinnocence et limpartialit du pouvoir judiciaire. Pourtant, nous devons faire mention de la jurisprudence des Irlandais de Vincennes . Dans cette affaire, larticle litigieux, ayant donn lieu une action en diffamation, se fondait sur des documents confidentiels, notamment une note rdige par un conseiller du prsident de la Rpublique et un long procs verbal tabli par deux policiers de la Direction de la surveillance du territoire (D.S.T.). Le tribunal retient exceptionnellement la vrit du fait diffamatoire 224 . La partie civile, implique dans une procdure pnale nayant pas aboutie, faisait valoir que la vrit des faits diffamatoires tait subordonne une condamnation judiciaire dfinitive. Le tribunal constate que labsence de poursuite lencontre de la partie civile ne constitue pas lun des cas numrs larticle 35 de la loi sur la presse et permettant de faire la preuve de la vrit des faits diffamatoires et ne signifie aucunement que le comportement prt lintress nait jamais exist . Par ailleurs, linaction du parquet ou linertie du juge dinstruction, peuvent sopposer la poursuite et au jugement de lauteur dun comportement rprhensible qui ne saurait donc tirer un brevet dinnocence de son impunit . Ce jugement, confirm en appel, est fondamental car la dcision constate une vrit de linformation qui va au-del de la vrit judiciaire et mme la contredit 225 .
224 TGI Paris, 17 sept. 1992, D. 1994, sommaires comments, p. 194. 225 Thierry Massis, note sous TGI Paris, 17 sept. 1992, prcit.
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