La Présomption D'innocence

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Lille 2 Ecole doctorale n 74

Mmoire soutenu par


Vincent Thiry

Sous la direction
Franoise Dekeuwer-Dfossez

Comportement du dbiteur et procdure de surendettement


























DEA de droit priv Session 1999/2000
1
La prsomption dinnocence
I) Lambivalence de la prsomption dinnocence et les acteurs du procs
pnal
A) Un procs ncessaire
1) La charge de laccusation
a) Le principe
b) Les attnuations et prsomptions de culpabilit
2) La pertinence de laccusation
a) Lindpendance du juge
b) Limpartialit du juge
B) Une innocence antrieure ?
1) Une gradation des mesures coercitives durant la procdure
a) Les diffrentes mesures coercitives
b) La persistance de la coercition dans un Etat de droit
2) Une gradation des garanties durant la procdure
a) Un tranglement progressif des paliers dinnocence
b) Une amlioration progressive des droits de la dfense
II) La protection de la prsomption dinnocence et les spectateurs du procs
pnal
A) Linterdiction de prsenter comme coupable une personne avant
condamnation
1) La rpression des atteintes la prsomption dinnocence
2
a) La diffamation
b) Les mesures pcuniaires
2) La prvention des atteintes la prsomption dinnocence
a) Les mesures de contre-information
b) Le contrle pralable de linformation
B) Le droit dinformer des affaires judiciaires
1) Le droit de relater les procdures judiciaires
a) Les principes
b) Les solutions pratiques
2) Le droit de traiter les affaires judiciaires ?
a) Les principes
b) Les solutions pratiques
3
La justice idale, justice divine, permettrait de punir sur le champ les coupables tout en
pargnant les innocents. Cet idal nest quun idal. La dure ralit, vcue au quotidien par les
policiers et magistrats et par certains mis en cause, en tmoigne. Notre justice est humaine,
trop humaine car elle demande lenteur, patience et rflexion. La justice vritable est lennemie
de la prcipitation. Deux raisons nous en convainquent . Non seulement il faut se prvenir de
punir un innocent mais tout jugement htif command par la vengeance, se risque
linjustice. Entre la constatation de linfraction et le jugement du dlinquant, un dlai
impratif et incompressible simpose. Cette retenue ncessaire au bon fonctionnement de la
justice est assure en droit positif. Le procs, aboutissement de la procdure, concentre et
monopolise inextricablement la peine et la dclaration de culpabilit. Il est la cl de vote du
systme tout entier, la jonction du droit pnal et de la procdure pnale. Corollaire
inluctable, les suspects sont, antrieurement au procs, prservs.
Cette conomie de la rpression est issue de la Rvolution de 1789. A cette poque, est remise
en cause la procdure pnale organise par lordonnance sur linstruction criminelle de 1670.
Des hommes dinfluence dnoncent lirrationalit et la dmesure de la pnalit
1
. Les
intellectuels, notamment les rdacteurs de lencyclopdie sindignent de la procdure secrte,
de lutilisation de la torture comme moyen dinstruction ou de linhumanit des supplices
2
.
Non seulement on rclame un adoucissement de la pnalit, mais aussi, une rationalisation
dans la manire de punir. Cette rationalit doit avoir pour pierre de touche la sentence du juge.
Celle-ci opre une vritable dichotomie entre la priode antrieure o la protection publique
doit tre accorde et la priode postrieure, qui seule peut recouvrir une peine. Dans le trs
fameux Des dlits et des peines , Beccaria affirme : Un homme ne peut tre considr
comme coupable avant la sentence du juge ; et la socit ne peut lui retirer la protection
publique, quaprs quil est convaincu davoir viol les conditions auxquelles elle lui avait t
accorde. Le droit de la force peut donc seul autoriser un juge infliger une peine un
citoyen (). Voici une proposition bien simple : ou le dlit est certain ou le dlit est
incertain : sil est certain, il ne doit tre puni que de la peine fixe par la loi, et la torture est
inutile (). Si le dlit est incertain, nest-il pas affreux de tourmenter un innocent ? Car,

1
Citons quelques noms retenus par Michel Foucault dans surveiller et punir : J. Petion de Villeneuve (Discours la Constituante, archives
parlementaires, t. XXVI, p. 641), A. Boucher dArgis (Observations sur les lois criminelles, 1781, p. 125) ou Lachze (Discours la
Constituante, 3 juin 1791, Archives parlementaires, t.XXVI).
2
Voir par exemple, larticle consacr la Question dans lencyclopdie 1766 (chevalier de Jaucourt) dans recueil de textes et
documents du XVIIIme sicle nos jours , Ministre de lducation nationale de la jeunesse et des sports, centre national de
documentation pdagogique, 1989.
4
devant les lois, celui l est innocent dont le dlit nest pas prouv
3
. Cette suggestion de
Beccaria contient en germe les principes de notre droit pnal contemporain. Elle fonde la
dclaration de culpabilit sur la certitude de la culpabilit. Cest en ce sens que la procdure
pnale, lors de lenqute et linstruction a pour charge de faire toute la lumire . Sans
doute, le rapprochement avec cette phrase bien connue nest-il pasinnocent : Le premier
prcepte tait de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse
videmment tre telle ; cest dire dviter soigneusement la prcipitation et la prvention, et
de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se prsenterait si clairement et si
distinctement mon esprit que je neusse aucune occasion de le mettre en doute
4
. Comme la
vrit mtaphysique, la vrit judiciaire (la culpabilit) ne se laisse gagner quaprs une
priode de doute (la procdure), ou tout jugement est proscrit. Durant cette priode, ce qui est
douteux doit tre considr comme faux. Cette mthode conduit logiquement faire du
jugement, et partant de la peine, lapanage exclusif du procs et faire bnficier les suspects
de la prsomption dinnocence. Tant que la culpabilit nest pas certaine, linnocence doit, au
bnfice du doute, profiter au suspect.
Ce principe cardinal de notre droit pnal a t consacr en 1789 par larticle 9 de la DDHC :
Tout homme tant prsum innocent jusqu' ce quil ait t dclar coupable . Depuis la
loi n2000-516 du 15 juin 2000, le Code de procdure pnale prvoit que Toute personne
suspecte ou poursuivie est prsume innocente tant que sa culpabilit na pas t tablie. Les
atteintes la prsomption dinnocence sont prvenues, rpares et rprimes dans les
conditions prvues par la loi . Ce principe est trs respectable et trs respect. Qui
aujourdhui, dans un Etat de droit oserait le remettre en cause ? Il a mme t rappel dans
deux textes minemment symboliques (la convention .E.D.H. son article 62 et le Code
civil son article 9-1) et les juridictions administratives en font application
5
.
Mais les termes de prsomption dinnocence sont empreints dquivoque car la
prsomption dinnocence nest pas linnocence. Artificialit et prcarit la dfinissent.
La prsomption dinnocence est une innocence artificielle. En effet, on ne peut pas confondre
linnocence avec la prsomption dinnocence car dans le premier cas linnocence se suffit
elle-mme alors que dans le second cas linnocence ncessite le recours une prsomption.
Or quest ce quune prsomption si ce nest un artifice juridique ? Dailleurs, lartificiel,

3
Beccaria, Des dlits et des peines, 1764, XII, De la question ou torture.
4
Descartes, Discours de la Mthode, 1637, seconde partie.
5
Les juridictions administratives appliquent les garanties du procs pnal toutes les mesures de caractre rpressif et en particuliers aux
sanctions administratives. Th. S. Renoux et M. de Villiers : Code constitutionnel, Litec 1994, p. 77-87.
5
lartefact na t-il pas pour fonction de produire une reprsentation illusoire de la ralit ? Dire
de quelquun quil est prsum innocent nest-ce pas insinuer quil est coupable ? Cette
remarque commande des explications. A certains gards, la prsomption dinnocence peut
paratre absurde : une prsomption ne recoupe-t-elle pas le vraisemblable ? Si une
prsomption est un mode de raisonnement juridique en vertu duquel, de ltablissement
dun fait on induit un autre fait qui nest pas prouv
6
nest-il pas paradoxal de fonder la
prsomption dinnocence sur une prsomption de culpabilit ? En effet nest-il pas incohrent
de dire dune personne quelle est prsume innocente parce quelle est mise en cause par la
police et la justice ? Il serait plus cohrent quune personne rellement mise en cause soit
juridiquement prsume coupable. Ainsi, les termes mme de prsomption dinnocence
traduisent dj une certaine forme de culpabilit. Cette ambivalence se manifeste parfaitement
au sacro-saint article 9 de la DDHC. Cette article nonce que tout homme tant prsum
innocent jusqu ce quil ait t dclar coupable. Pourquoi reconnatre quun homme est
artificiellement innocent alors quil lest ncessairement avant son jugement ? Nest-ce pas
reconnatre quil est dj rellement coupable et que son innocence nest que laboutissement
dun artifice juridique ?
Mais la prsomption dinnocence nest pas seulement une innocence artificielle, elle est aussi
une innocence prcaire parce que ncessairement rfragable. A plus ou moins long terme,
lartifice vocation seffacer. Or, on nest (verbe tre, indicatif prsent) jamais prsum
innocent, toujours prsum (verbe prsumer, forme passive) innocent, toujours coupable ou
innocent.
A bien des gards le langage nous trahit car le droit positif peine instaurer une rpression
fonde exclusivement sur le procs. Comme tous les principes, la prsomption dinnocence
se heurte des difficults. Difficults thoriques mais aussi pratiques.
En effet sil est injuste de punir un innocent, nest-il pas injuste dpargner le temps de la
procdure le coupable ? Cette remarque nous conduit apprcier le cot de la prsomption
dinnocence. Quel est le prix de cette certitude judiciaire permettant de bannir, dans la mesure
du possible, les erreurs, cest dire les condamnations dinnocents. Par ce quil y a toujours
derrire un coupable dsign un innocent potentiel, la prsomption dinnocence conduit bien
souvent nier lvidence. Un suspect surpris en flagrant dlit est, la vue des statistiques un
coupable assur. Dans notre droit et jusqu jugement, il est prsum innocent. Il y a sans
doute contradiction entre les chiffres et le principe. Pour les humanistes rien, mme la

6
Lexique de termes juridiques Dalloz.
6
prservation de dangereux dlinquants ne justifie la condamnation dun innocent ? Pourtant la
justice ne commanderait-elle pas de punir moiti un demi coupable ?
Ce problme moral corrobore un problme pratique. Les acteurs du procs pnal et
principalement ceux qui concourent la procdure, notamment les policiers et le juge
dinstruction ne sont-ils pas contraints de recourir une certaine forme de violence pour
produire la vrit ?
Ces difficults sont pineuses. Elles le sont dautant plus que la rpression apparat pour la
socit civile, simple spectatrice au procs pnal, comme une ncessit imprieuse. Plus que
jamais, le droit pnal fait figure de rgulateur social. Dix mille textes dictant des sanctions
pnales et touchant tous les secteurs seraient actuellement en vigueur
7
. Michel Foucault
explicite cette imbrication, apparue au 18
me
,du droit pnal dans notre vie sociale : faire de
la punition et de la rpression des illgalismes une fonction rgulire coextensive la socit ;
non pas moins punir mais punir mieux ; punir avec une svrit attnue peut tre, mais pour
punir avec plus duniversalit et de ncessit, insrer le pouvoir de punir plus profondment
dans le corps social
8
. Or cette forme de rgulation sociale se conjugue bien plus avec
ladministration que la juridiction.
Mais le problme est aussi politique car dans une dmocratie, la justice a des comptes
rendre. Lintensification des contrles exercs par la socit civile rpond une certaine
conception de la dmocratie et Alain cherchant la dfinir se rsigne admettre que ce qui
importe, ce nest pas lorigine des pouvoirs, cest le contrle continu et efficace que les
gouverns exercent sur les gouvernants
9
. Sans doute la publicit des audiences et la mise
jour sur la place publique de certaines affaires sensibles notamment politiques et financires
en est-elle un symptme. Elle a conduit un certain contrle social sur la procdure et le
procs et a amen une amlioration du sort des prsums innocents. Mais il faut se rsigner
faire des spectateurs du procs, cest dire de la socit civile, un alli pour le prsum
innocent car plus que jamais intresse par la justice pnale, la socit civile est-elle prte
payer le prix de la prsomption dinnocence ? Peut-elle accepter quun dangereux criminel,
violeur denfant, soit prsum innocent durant la procdure ? Si Michel Foucault remarque la
solidarit qui sinstaure avec ceux qui subissaient la peine, il arrive aussi que le peuple
apporte son concours au Roi et bien des fois on dut protger contre la foule les criminels
quon faisait lentement dfiler au milieu delle
10
.

7
Selon Alain Tourret. Ass. Nat. 1
re
sance du 9 fvrier 2000, JO du 10 fvrier 2000, p.881.
8
Michel Foucault, Surveiller et punir , dition Gallimard 1999, p. 97-98.
9
Alain, Propos sur les pouvoirs, folio essai Gallimard 1995, n79, p. 213.
10
Michel Foucault, prcit, p. 71.
7
En ralit la justice de lEtat et celle plus informelle et diffuse de la socit civile se
contredisent radicalement. Lune est base sur la rflexion et la mesure, lautre sur le
sentiment et la compassion. Dune certaine manire, (en vertu du principe de prcaution ?) la
socit civile, fidle lopinion (ne parle-t-on pas dopinion publique ?) rfute la certitude
comme fondement de la culpabilit et de manire beaucoup plus pragmatique condamne sur
des probabilits. Ainsi sexplique la discordance entre le temps judiciaire et le temps
mdiatique et les relations difficiles entre le prsum innocent et la socit civile
principalement lorsquune information judiciaire est ouverte
11
.
Indubitablement les difficults occasionnes par la prsomption dinnocence sont concentres
autour de cette ambigut, de ce dysfonctionnement congnital . Nest-il pas profondment
injuste de condamner un innocent qui a les apparences contre lui ? Mais nest-il pas absurde et
injuste de considrer un individu qui a toutes les chances dtre auteur de linfraction
reproche comme prsum innocent ? Parce que tout droit, fusse-t-il de lhomme ou de la
personnalit sexerce au dpens dautrui, le droit (tant) rapport entre des hommes,
multilatral
12
, le droit la prsomption dinnocence, droit de lhomme sexerant
lencontre des autorits publiques, mais aussi droit de la personnalit sexerant lencontre
de la socit civile, nest-il pas un privilge exorbitant ?
La rponse apporte par le droit positif est sans doute positive car le fonctionnement quotidien
de la justice et de la procdure pnale comme moyen de production de la vrit judiciaire,
rend difficilement applicable le principe de la prsomption dinnocence par les acteurs du
procs pnal (I). Ces difficults dapplication rejaillissent sur les relations entre le prsum
innocent et la socit civile et rendent difficiles une protection efficace de la prsomption
dinnocence devant les spectateurs du procs pnal (II).

11
Pour cette raison, la loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, tend
rduire la dure des instructions ;
12
Michel Villey, Le droit et les droits de lhomme, Paris, PUF, Questions , 2
me
d. 1990, p. 153-154.
8
I) Lambivalence de la prsomption dinnocence et les acteurs du procs
pnal
La force de la prsomption dinnocence peut sapprcier deux gards. En premier lieu,
comment la prsomption dinnocence peut-elle tre renverse et donc comment la culpabilit
peut-elle se manifester ? En droit positif, la garantie est certaine car la culpabilit ne peut
ressortir que dune dcision juridictionnelle qui fait ncessairement suite un procs (A)
13
. En
second lieu et au del des fictions juridiques, quel est concrtement son impact ? La difficult
provient de ce que cette garantie est contrarie par les ncessits de la procdure qui imposent
afin de faire toute la lumire et dviter un erreur judiciaire, des mesures coercitives
aveugles touchant coupables et innocents. Ainsi sexplique, dans un Etat de droit,
lintensification des contrles judiciaires sur la procdure. Ambivalence regrettable : ces
contrles destins prserver la prsomption dinnocence discrditent le procs comme pierre
angulaire du systme rpressif, accrditent les mesures coercitives et font douter de
linnocence du prsum innocent (B).
A) Un procs ncessaire
Cest par le procs que la prsomption dinnocence peut tre renverse
14
. Cette rgle est
satisfaisante quand on pense lensemble des garanties qui entourent le procs pnal. Pour

13
Selon le Conseil constitutionnel, larticle 66 de la Constitution, garantit, non pas lexistence dun procs, mais requiert la dcision dune
autorit de jugement pour des mesures qui constituent des sanctions pnales. Dc. n95-360 DC, 2 fvrier 1995 : JO 7 fvrier 1995, p. 2097.
14
Cette affirmation doit tre nuance car certaines contraventions peuvent tre sanctionnes sans saisine de la juridiction de jugement (
dispositions des art. 529 et suivants du Code de procdure pnale relatifs aux dispositions applicables certaines contraventions, certaines
infractions la police des services publics de transports terrestres et certaines infractions au Code de la route). Toutefois le contrevenant
peut provoquer la saisine de la juridiction de jugement sauf si le procureur de la Rpublique dclare lirrecevabilit de sa rclamation
conformment larticle 530-1 alina 1
er
in fine C.P.P. Par ailleurs le droit positif admet de plus en plus frquemment les accords entre lEtat
(ministre public ou administration) et les particuliers afin dviter la saisine de toute juridiction. Ces accords sont problmatiques car ils
dbouchent non pas sur une condamnation pnale mais sur un engagement plus ou moins consenti afin dviter la comparution devant
une juridiction. Ainsi, larticle 6 alina 3 du Code de procdure pnale prvoit que laction publique peut steindre par transaction lorsque
la loi en dispose expressment. Il en est ainsi dans des cas o lexercice de laction publique appartient une administration (par exemple art.
1879 CGI, art. L. 248 liv. proc. fisc. ou art. 350 du Code des douanes). La loi du 23 juin 1999 a, quant elle, instaurer la pratique de la
composition pnale qui peut intervenir entre le procureur de la Rpublique et la personne qui reconnat avoir commis une ou plusieurs
infractions spcialement dsignes part les art. 41-2 et 41-3 du Code de procdure pnale. En change dune extinction de laction publique,
lintress doit excuter des mesures dictes par le magistrat tels quune amende ou un travail non rmunr au profit dune collectivit.
Cette innovation pose le problme de la renonciation la prsomption dinnocence car lintress, mme sil nest pas dclar coupable,
reconnat avoir commis une ou plusieurs infractions. En principe la renonciation la prsomption dinnocence est impossible car le juge
apprcie, en son intime conviction, la valeur des preuves qui lui sont soumises mme laveu. Relativement linjonction pnale, le Conseil
constitutionnel en 1995, avait considr que la sparation des autorits charges de laction publique et des autorits de jugement concourt
la sauvegarde de la libert individuellesque certaines mesures susceptibles de faire lobjet dune injonction pnale constituent des
sanctions pnales. Il a alors estim que le prononc et lexcution de telles mesures mme avec laccord de la personne susceptible dtre
pnalement poursuivie, ne (pouvaient), sagissant de la rpression de dlits de droit commun, intervenir la seule diligence dune autorit
charge de laction publique mais (requraient) la dcision dune autorit de jugement conformment aux exigences constitutionnelles
(Dc. n95-360 DC, 2 fv. 1995 : JO 7 fv. 1995, p. 2097 ; RFD const. 1995, p. 405, note Renoux). Pour cette raison, la composition pnale
issue de la loi du 23 juin 1999 exige lintervention du prsident du tribunal qui est saisi aux fins de validation de la composition. Au regard
de larticle 61 de la convention E.D.H., cette pratique est douteuse car le droit un tribunal impartial ne peut faire lobjet de renonciation
car un tel droit offre une importance capitale et son exercice ne peut dpendre des seuls intresss (Cour. E.D.H. 25 fvrier 1992, Pfeifer
et Planck, srie A, n227,38). De plus, toute renonciation un droit doit tre libre, cest dire non motive par la contrainte (toutefois la
9
rpondre sa dfinition
15
, le procs appelle lintervention de trois acteurs : le demandeur, le
dfendeur et, bien sr, le juge. Au pnal (comme au civil) il revient au demandeur, le
ministre public, de soutenir ses allgations, notamment la culpabilit du mis en cause, par les
moyens de droit et de fait propres les fonder. On dit que pse sur laccusation la charge de la
preuve. Cette rgle, qui est une manifestation de la prsomption dinnocence a pour corollaire
la ncessaire objectivit de celui qui tranche le litige. Le magistrat corrompu qui prjuge de la
culpabilit du mis en cause, dj acquis la thse de laccusation, bafoue le principe de la
charge de la preuve. Ainsi se dessinent deux garanties lies intimement lune lautre
assurant le respect de la prsomption dinnocence lors de la phase de jugement : la charge de
laccusation repose sur le ministre public tandis que la pertinence de laccusation est
apprcie par une juridiction pleinement objective et dsintresse.
1) La charge de laccusation
Parce que tout un chacun est prsum innocent, il revient au ministre public qui reprsente
laccusation et qui est partie principale au procs pnal, dtablir la culpabilit du prvenu ou
de laccus
16
. Si les lments de droit ou de fait savrent insuffisants pour tayer
laccusation, le demandeur sera dbout, le doute profitant laccus. Cette rgle dor de la
procdure pnale doit viter quune personne traduite devant un tribunal ait prouver son
innocence. Elle nest pourtant pas sans inconvnient. En effet, nest-il pas injuste voire
absurde, de relaxer un individu qui est trs probablement coupable de linfraction par simple
manque de preuve ? Cette interrogation est apprcier la lumire des ncessits souvent
imprieuses de la rpression et en considration des difficults rencontres par les enquteurs
dans la recherche des preuves. A la rflexion, la justice commande lgitimement, dans
certaines situations, des amnagements voire des drogations au principe lorsque la
culpabilit des mis en cause nest pas srieusement contestable.

menace dexercer les voies de droit nest pas une violence eu sens de larticle 1111 C.c. ; voir aussi Cour E.D.H., Deweer c/Belgique : Srie
A, n35.) Peut tre doit-on sinterroger sur leffectivit de la renonciation. Certes le prsident intervient mais seulement aux fins de
validation.
15
Selon le lexique de termes juridiques Dalloz, le procs se dfinit comme la difficult de fait ou de droit soumise lexamen dun juge ou
dun arbitre.
16
Il peut aussi saisir un juge dinstruction par un rquisitoire introductif. Selon M. Albertini seulement 7% des affaires sont soumises
linstruction. Ass. Nat., 1
re
sance du 9 fvrier 2000, J.O. 10 fvrier 2000, p. 886.
10
a) Le principe

Puisque le ministre public doit faire la preuve de linfraction, il doit tablir lexistence des
trois lments qui la constituent : llment lgal, llment matriel et llment moral.
Concernant llment lgal, le ministre public doit viser le texte lgal ou rglementaire sur
lequel il fonde sa poursuite ainsi que la non-disparition de cet lment par leffet de
lamnistie
17
, de labrogation ou de la prescription de laction publique
18
.
Concernant llment matriel, il doit prouver selon linfraction, laction, lomission ou les
circonstances accessoires ou matrielles aggravantes de linfraction.
Enfin, concernant llment moral, il doit prouver selon linfraction, lintention dlictueuse, la
faute dimprudence ou de ngligence aussi bien de lauteur principal que du complice.
Cette charge de la preuve est allge par un principe qui gouverne la thorie de la preuve en
droit pnal : la libert de la preuve. Ainsi, alors quen droit civil, la loi dtermine les modes de
preuves admissibles et leur valeur probante, en droit pnal, tous les modes de preuve sont
admis pourvu quils aient t loyalement recherchs et contradictoirement discuts. La
loyaut dans la recherche des preuves intresse surtout la priode qui prcde le procs,
lenqute et linstruction. Il est cependant important de prciser que laccusation ne pourra
pas, en principe, convaincre un juge par des preuves obtenues par des procds dloyaux. Si
aucune disposition lgale ne permet au juge rpressif dcarter les moyens de preuve produits
par les parties, au seul motif quils auraient t obtenus de faon illicite ou dloyale, il lui
appartient seulement en application de larticle 427 C.P.P den apprcier la valeur probante.
De plus, possibilit est donne au juge de constater une irrgularit et dannuler des actes de
procdure notamment en vertu de larticle 802 C.P.P puisque toute juridiction, y compris la
Cour de cassation, qui est saisie dune demande dannulation ou qui relve doffice une telle
irrgularit peut prononcer une nullit lorsquelle porte atteinte aux intrts de la partie
quelle concerne.
Ces rgles sont fondamentales et tendent garantir le bon droulement de la procdure.
Cette charge de la preuve est une garantie vidente pour le prvenu ou laccus. Traduit
devant un tribunal, il na pas prouver son innocence. Pourtant cette garantie peut, dans
certains cas, enrayer artificiellement la rpression lorsque la preuve de celle-ci est diabolique

17
Crim. 9 juillet 1921, Bull. n 293.
18
Crim. 16 dc. 1964, J.C.P. 1965. II. 14086.
11
et lorsque linfraction nest vraisemblablement pas douteuse. Ainsi, au principe, simposaient
des correctifs.
b) Les attnuations et les les prsomptions de culpabilit
Lexpression de prsomption de culpabilit est volontairement provocante car elle montre
en quoi le principe de la prsomption dinnocence, compris comme charge de la preuve, nest
pas absolu. Ces prsomptions mettent la charge de la partie poursuivie la preuve de son
innocence.
Quelquefois la tche du ministre public est simplement facilite et lon ne peut pas parler de
prsomption de culpabilit.
Concernant llment lgal, il revient la personne poursuivie dinvoquer le fait et le texte
justificatif (comme par exemple la lgitime dfense
19
, sauf si elle lgalement prsume). La
solution est identique quand le prvenu ou laccus soulve limmunit familiale de larticle
311-12 du N.C.P.
20
.
Concernant llment matriel, si pour sa dcharge, le prvenu ou laccus allgue un fait de
nature faire disparatre la matrialit de linfraction, cest lui de rapporter la preuve de ce
fait
21
. Il est important de noter que dans certaines hypothses un procs verbal qui constate
une contravention fait prsumer lexistence de cette infraction et oblige le contrevenant
rapporter la preuve contraire soit par crit soit par tmoins (art.431 et 537 C.P.P). Parfois, la
loi confre mme une force probante aux procs-verbaux jusqu' inscription de faux
22
.
Enfin concernant llment moral, forcment problmatique puisque de nature psychologique,
la preuve est quelquefois inutile puisque le ministre public na qu tablir la matrialit de
linfraction : on parle alors dinfraction matrielle. Dans dautres cas la preuve est facilite
puisque la simple imprudence ou ngligence est suffisante. Dans ces cas, lassouplissement ne
vient pas de la preuve mais de linfraction elle mme. Mais il appartient au prvenu ou
laccus de faire la preuve de la contrainte et sinon de prouver, du moins dinvoquer la
dmence
23
.
Ainsi, et en dpit de la formule jurisprudentielle selon laquelle la partie poursuivante doit
tablir tous les lments constitutifs de linfraction et labsence de tous les lments

19
Crim. 22 mai 1959, Bull. crim n268.
20
Crim. 21 mars 1984, Bull. crim n124.
21
Crim. 5 nov. 1976, Bull. crim. n314.
22
Notamment art. 336 du Code des douanes ou L.237-4 du Code rural.
12
susceptibles de la faire disparatre
24
, les juridictions laissent subsister la charge de la
personne poursuivie la preuve de la quasi totalit des institutions qui lui permettent
damliorer son sort.
De mme et bien souvent la charge de la preuve est allge par des prsomptions de fait
utilises par les magistrats. Les prsomptions permettent de contourner les difficults, voire
les impossibilits de preuve et donc principalement llment moral
25
. Par exemple,
lintention de tuer est induite des indices recueillis : larme utilise, la direction et prcision
du tir, le nombre de coups ports
26
. Pour la Cour de cassation, ces prsomptions de fait sont
compatibles avec la convention europenne des droits de lhomme
27
.
Quelquefois cest le lgislateur lui mme, qui instaure de vritables prsomptions de
culpabilit puisquil appartient la personne poursuivie de prouver son innocence. Ces
prsomptions sont dissmines en droit positif. Quelquefois, llment moral est prsum.
Ainsi larticle 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 relative la libert de la presse considre
comme faite de mauvaise foi toute reproduction dune imputation qui a t juge
diffamatoire . Plus souvent, cest llment matriel de linfraction qui fait lobjet de la
prsomption. Le Code pnal considre comme tabli llment matriel du proxntisme dans
lhypothse o une personne ne peut justifier de ressources correspondant son train de vie
tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement la prostitution ou en tant en
relation avec une ou plusieurs personnes se livrant la prostitution
28
. Une prsomption de
recel est dicte lencontre des personnes qui, ayant autorit sur les mineurs se livrant
habituellement des crimes ou dlits contre les biens, ne peuvent justifier des ressources
correspondant leur train de vie
29
, ou lencontre des personnes qui, en relation avec un ou
plusieurs auteurs de trafic de stupfiants ou encore un ou plusieurs usagers de stupfiants, ne
sont pas en mesure de justifier des ressources correspondant leur train de vie
30
. Larticle 418
du Code des douanes prsume que les marchandises saisies dans le rayon douanier sans titre
de circulation valable ont t introduites en France frauduleusement Le Code de la route,
quant lui, prvoit deux prsomptions de culpabilit aux articles L.21-1 et L.21-2.

23
Crim, 9 dc. 1949, Rev. sc. crim., 1951, p. 305.
24
Crim. 24 mars 1949, Bull. n114.
25
La prsomption est en gnral acquise lorsquil existe un lien troit entre llment moral et llment matriel. Par exemple pour l abus
de confiance : Crim. 4 juillet 1972, B. crim. n 228.
26
Crim. 22 mai 1989, Gabanou : Dr. pn. 1989, comm. n56.
27
Cass. Crim., 26 oct. 1995, Samet : Bull. crim., n328.
28
Art. 225-6 du NCP.
29
Art. 321-6 du NCP.
30
Art. 222-39-1 du NCP.
13
Ce dernier article, issu de la loi du 18 juin 1999 relative la scurit routire a t loccasion
pour le Conseil constitutionnel de prciser sa position relativement aux prsomptions de
culpabilit institues par le lgislateur. Il ressort de la dcision
31
que ,sous rserve de certaines
conditions, ces prsomptions sont conformes au bloc de constitutionnalit et ne sont pas
rserves aux seules contraventions. La Cour E.D.H. qui reconnat que tout systme juridique
connat des prsomptions de fait ou de droit, ne les condamne pas si elles sont enserres
dans des limites raisonnables prenant en compte la gravit de lenjeu et prservant les droits
de la dfense et il revient la Cour de rechercher si le texte portant la prsomption a t
appliqu de manire compatible avec la prsomption dinnocence
32
. Quant la Cour de
cassation, elle a jug que la Convention europenne des droits de lhomme ninterdit pas de
telles prsomptions ds lors que ces dernires rservent la possibilit dune preuve contraire
et laissent entiers les droits de la dfense
33
ou que les prsomptions ne portent pas atteinte
aux droits de la dfense, ni au principe de la prsomption dinnocence
34
.
Ainsi, le lgislateur et les juridictions tentent-ils de concilier le principe de la prsomption
dinnocence avec les exigences et les difficults de la rpression. Il rsulte de nos
dveloppements que le principe de la prsomption dinnocence, entendu comme charge de la
preuve pesant sur le ministre public, nest pas absolu, rencontrant, en pratique de larges
inflexions. Mais les exigences de la rpression ne doivent pas conduire la condamnation
dun innocent. En tout tat de cause, le juge ne peut devenir une chambre denregistrement car
il reste celui qui dclare la culpabilit aprs un dbat contradictoire et dans le respect des
droits de la dfense, les prsomptions de culpabilit tant ncessairement rfragables. Ds
lors, si la charge de la preuve est quelquefois assouplie ou mme renverse, le procs reste en
principe le passage oblig vers la culpabilit. Et ce passage oblig ne peut tre une garantie
pour le justiciable que si le procs est effectivement quitable, impliquant que la juridiction de
jugement apparaisse vritablement comme un tiers au litige opposant le ministre public au
prvenu ou laccus.

31
Dc. N99-411 DC, 16 juin 1999 : JO 19 juin 1999, p. 9018 relative la loi n99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives
la scurit routire et aux infractions sur les agents des exploitants de rseau de transport public de voyageurs.
32
CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France.
33
Crim., 6 nov. 1991 : Bull. crim., n397.
14
2) La pertinence de laccusation
Laccusation profre lencontre du mis en cause, par laccusation, est-elle pertinente ? Il
revient au juge qui a t saisi de se prononcer par voie juridictionnelle sur cette question aprs
avoir apprcier la valeur probante des lments de preuve. Cette intervention judiciaire au
stade ultime de la procdure est videmment une garantie primordiale pour le prsum
innocent car les magistrats du sige prsentent de srieuses garanties dobjectivit. Que penser
de la prsomption dinnocence si le tiers amen se prononcer sur la culpabilit du prvenu
ou de laccus est un alli de laccusation ou dj convaincu de la culpabilit du mis en
cause ? Ny aurait-il pas alors simulacre de procs ? En apparence simple, le problme de
lobjectivit du juge dans lapprhension du litige, est, certains gards, dlicat. Comment
concilier lindpendance des magistrats avec la qualit de fonctionnaire qui appelle en
principe une relation hirarchique au sein de ladministration ? De mme, comment accorder
un regard neuf et impartial lors du jugement, quand ladministration de la justice commande,
au pralable, durant lenqute et linstruction, sur les faits, une multitude dapprciations de la
part dorganes de police ou de justice ?
a) Lindpendance du juge
Pour quun juge soit indpendant, il est ncessaire quil ne soit sous linfluence ni du
lgislateur, ni du gouvernement ni des justiciables. Lindpendance lgard du lgislateur est
assure par larticle 16 de le la D.D.H.C. et par larticle 61 de la C.E.D.H. qui empchent ce
dernier de censurer les dcisions des juridictions et denfreindre par la mme le principe de
sparation des pouvoirs
35
. Lindpendance lgard des justiciables est assure
principalement par lirresponsabilit des magistrats pour les dcisions rendues par eux
36
.
Quant lindpendance lgard du gouvernement, elle est primordiale, car le ministre
public qui est partie au procs pnal est sous lemprise du gouvernement. Sous peine de
consacrer le gouvernement comme juge et partie et de faire du procs et de la prsomption
dinnocence un vritable simulacre, lindpendance du juge vis--vis du gouvernement doit
tre prserve.

34
Crim., 26 oct. 1994, pourvoi nH 94-81.526 D.
35
Dcision du Conseil constitutionnel n87-228 DC du 26 juin 1987. Rec. Cons. Const., p. 38. Rcemment, la Cour dappel de Limoges a,
sur le fondement de larticle 61 de la C.E.D.H. et en dpit dune dclaration conforme du texte la Constitution par le Conseil
constitutionnel, estim quune validation lgislative rtroactive dun acte rglementaire annul pralablement par une juridiction
administrative, portait atteinte au droit un procs quitable. Limoges, 13 mars 2000, D. 2000, I.R. p. 127.
36
Art. L.781-1 du COJ et 11-1 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature.
15
Cette indpendance est garantie, elle aussi, par la Constitution ses articles 64 et 65 et par
larticle 61 de la C.E.D.H. Effectivement pour le juge, la subordination hirarchique qui
caractrise le statut des agents publics, cde le pas lindpendance juridictionnelle
37
car
limpartialit, au sens large, est consubstantielle au pouvoir juridictionnel. Cette situation est
loppos de celle des membres du ministre public puisque ceux-ci sont placs sous la
direction et le contrle de leurs chefs hirarchiques et sous lautorit du garde des sceaux,
ministre de la justice
38
.Ceci nest pas choquant puisque les membres du ministre public
sont parties au procs pnal . Par contre, lindpendance des juges du sige doit tre
prserve, ne pouvant se trouver en situation de subordination lgard dune des parties au
procs. Les juges devant tre labri de toute pression du gouvernement, diverses garanties
ont t accordes. Tout dabord, les magistrats du sige sont inamovibles, en consquence,
le magistrat du sige ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, mme
en avancement
39
. Le Conseil suprieur de la magistrature constitue linstance disciplinaire
des magistrats de carrire et le prsident de la Rpublique et le ministre de la justice
nassistent pas aux sances relatives la discipline des magistrats
40
. De mme concernant
lavancement des magistrats, une commission davancement, qui dresse le tableau
davancement, a t institue
41
. Quant aux promotions de grade ou nomination des fonctions
spcialises, elles seffectuent par dcrets du prsident de la Rpublique aprs avis ou
proposition du Conseil suprieur de la magistrature.
La Cour E.D.H. sanctionne sur le fondement de larticle 61, la subordination des magistrats
au gouvernement. Ainsi ds lors quun tribunal, compte parmi ses membres une personne se
trouvant comme en lespce- dans un tat de subordination de fonctions et de services par
rapport lune des parties, les justiciables peuvent lgitimement douter de lindpendance de
cette personne. Pareille situation met gravement en cause la confiance que les juridictions se
doivent dinspirer dans une socit dmocratique
42
. En ralit, pour apprcier
lindpendance des magistrats, la Cour sassure aussi bien de lindpendance organique et
fonctionnelle qui leur est confre vis--vis de lexcutif, que des apparences dindpendance
quils donnent aux justiciables
43
. A la lumire de la jurisprudence des organes de la

37
Dominique Nolle Commaret, Une juste distance ou rflexions sur limpartialit du magistrat, D. 1998, Chr. p. 262.
38
Article 5 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature. Voir aussi articles 36, 37 et 44 du Code de procdure
pnale.
39
Article 4 de lordonnance du 22 dc. 1958 relative au statut de la magistrature.
40
Article 18 de la loi organique n94-100 du 5 fvrier 1994 relative au Conseil suprieur de la magistrature.
41
Article 34 et suivants de lordonnance du 22dc. 1958 relative au statut de la magistrature.
42
Arrt Sramek c/Autriche, 22 oct. 1984 srie A, n84.
43
Conformment ladage anglo-saxon : Justice must not only be done, it must also be seen to be done .
16
convention, il est certain que les garanties dindpendance accordes au juge pnal dans ses
relations avec le gouvernement sont, en France, conformes la Convention .E.D.H
44
.
b) Limpartialit du juge
Limpartialit sanalyse uniquement partir de celui qui agit donc sans rfrence un
tiers
45
. La subordination du juge lgard dun tiers nest donc pas en cause. Ce qui est en
cause, cest lapprhension partiale ou impartiale du litige par le juge. L encore,
limpartialit du juge eu gard la prsomption dinnocence est fondamentale. Comment
penser quun juge qui prjuge de la culpabilit dun prsum innocent respecte la prsomption
dinnocence ? Au contraire la prsomption dinnocence signifie, afin de rendre effective la
garantie, que le juge prjuge de linnocence du prsum innocent, tout en tant dispos se
laisser convaincre par le ministre public. Cette prescription nest malheureusement pas
toujours respecte, do une jurisprudence abondante largement influence par la Cour E.D.H.
Celle-ci distingue deux types dimpartialit
46
: limpartialit subjective et limpartialit
objective.
Limpartialit subjective doit permettre de dterminer ce que le juge pensait, en son for
intrieur. Comme le note un auteur Son impartialit sous cet angle doit naturellement se
prsumer, la preuve contraire demeurant toujours ouverte. Il va nanmoins de soi que, sauf
circonstances privilgies, cette preuve risque de se heurter aux plus grandes difficults. Pour
ne rien dire de ce quil peut y avoir de dplaisant dans lintrospection souponneuse laquelle
elle contraint
47
. Un arrt rcent montre les limites et les difficults dapplication dun telle
conception de limpartialit
48
.
Limpartialit objective sapprcie indpendamment de la conduite du juge. Comme pour
lindpendance, elle sapprcie au regard de considrations fonctionnelles et organiques mais
aussi psychologiques. Doit ds lors se rcuser, tout juge dont on peut lgitimement craindre
un manque dimpartialit. Ces principes dgags par la Cour EDH dans diverses espces
49
sont venus complter les textes et jurisprudences nationales. Un arrt important est venu

44
Notamment Campbell et Fell c/ R-U, 28 juin 1984 srie A, n46 et Sramek c/Autriche, 22 octobre 1984, prc.
45
Jean Pradel, la notion europenne de tribunal impartial et indpendant selon le droit franais, Rev. science crim. 1990, p. 692.
46
Notamment arrt Piersak, 1
er
oct. 1982, A, n53.
47
Jacques Normand, RTDciv. 1993. p.874.
48
Crim., 11 juin 1998. D. 98, IR. p.218.
49
Notamment arrt Piersack du 1
er
oct.1982 et De Cubber du 26 oct. 1984.
17
affirmer clairement, que le fait quun juge ait pris des dcisions avant le procs ne peut
justifier en soi des apprhensions quant son impartialit
50
. La rponse fluctue en fonction de
la nature des tches dont le juge a eu sacquitter prcdemment. En lespce la Cour a
considr que la prolongation de la dtention ordonne par le juge sur le fondement de lart.
762 de la loi pnale danoise, qui le contraint sassurer de lexistence de soupons
particulirement renforcs, mettait en cause limpartialit de ce mme juge qui ds lors ne
pouvait siger au procs.
Certains textes franais de procdure pnale franaise, suppls par la jurisprudence, assurent
limpartialit du juge. Ainsi la Cour de cassation a admis quil est de principe que les
fonctions dofficier du ministre public et celles de juge sont essentiellement distinctes lune
de lautre et quil existe entre elles dans la mme affaire une incompatibilit absolue
51
.
Certes le Code de procdure pnale ne prvoit quune disposition ce sujet (art.253) mais
celle-ci a t tendue par la Cour de cassation qui na pas hsit lriger en rgle gnrale
52
.
Lexclusion de la juridiction de jugement des magistrats chargs de linstruction est plus
nuance. En principe, comme le laissent entendre les articles 49 alina 2 et 253 du Code de
procdure pnale, un magistrat charg de linstruction ne peut juger au fond. Mais cette
incompatibilit ne sera sanctionne qu la double condition que lacte quil a commis au
cours de linstruction lui permette de se faire une opinion sur la culpabilit et que sa
participation au jugement porte sur le fond de la poursuite
53
. Il est intressant de noter que la
jurisprudence de la Cour de cassation
54
apparat, certains gards, plus protectrice que la
jurisprudence de la Cour EDH qui sest assouplie
55
. De mme, un magistrat ne peut rendre
une dcision l ou il sest dj prononc par dcision juridictionnelle sur ce qui fait
actuellement lobjet du dbat. Ainsi ne peut siger la Cour dassises un magistrat qui, en
qualit de juge civil, a dj port une apprciation sur la culpabilit de laccus raison des
mmes faits
56
. Larticle 137-1 C.P.P. sanctionne peine de nullit, la participation du juge
des liberts et de la dtention provisoire au jugement des affaires pnales dont il a connu.
Mais rien nempche un magistrat de connatre des aspects civils et pnaux dun litige si le
caractre pnal des faits na pas t apprci.

50
Arrt Hauschildt c/Danemark du 24 mai 1989, A, n154, 41.
51
Voir, Jean Pradel, La notion de tribunal indpendant et impartial selon la CEDH. Rev. sc. crim 1990, p. 692.
52
Crim. 15 mars 1960, Bull. crim., n148.
53
Conclusions de J.F. Burgelin sous Ass. Plnire, 6 nov. 1998 D. 1999 Jurisp, p.1.
54
Crim. 8 avril 1992, D. 93, Somm. p. 204, obs. J. Pradel.
55
Notamment arrt Padovani du 26 fv. 1993.
56
Crim., 16 oct. 1991, Bull. n390.
18
La force juridique de la prsomption dinnocence est indniable. Sous rserve de rgles
drogatoires, le ministre public, pour renverser la prsomption doit prouver la culpabilit du
prvenu ou de laccus et convaincre un juge, indpendant et impartial, du bien-fond de ses
allgations. Pourtant, sous peine de faire de la prsomption dinnocence une garantie
purement formelle, lintress est-il antrieurement son procs rellement prserv et
effectivement considr comme un innocent ? La rponse est incertaine.
B) Une innocence antrieure ?
La question peut paratre incongrue. En effet, ne venons nous pas dy rpondre, en affirmant
que seul un procs pouvait renverser la prsomption dinnocence et faire apparatre la
culpabilit ? Pourtant la culpabilit du prsum innocent transparat sous deux aspects.
Formellement, peut-on confondre linnocence avec la prsomption dinnocence ? assurment
non. Linnocence du prsum innocent est non seulement une innocence artificielle mais aussi
une innocence prcaire. Elle ne se confond pas avec une innocence qui dcoule de la nature
des choses. Pour cette raison linnocence du prsum innocent est douteuse. Elle est mme
plus que cela ; elle est paradoxalement un symptme de culpabilit. Concrtement, le prsum
innocent nest pas dans la position dun innocent pur et simple car de graves mesures
coercitives peuvent tre prises son encontre. Ces remarques discrditent le procs comme
pierre angulaire de la justice pnale. Le principe de la prsomption dinnocence tel que nous
lavions envisag cest--dire o le monopole de la dclaration de culpabilit et de la sanction
est concentr autour du procs semble illusoire. En ralit, la dichotomie entre innocence et
culpabilit arbitre lors de la phase de jugement rend imparfaitement compte des subtilits et
des avances de la procdure. A lAssemble Nationale, Madame Lazerges affirmait que le
procs pnal commence aujourdhui ds la garde vue
57
reconnaissant que notre procdure
pnale, entre le tmoin simple, le suspect, le tmoin assist et le mis en examen, instaurait des
paliers et donc une chelle dinnocence. A la rupture apparemment instaure par le procs, il
convient donc de substituer la continuit et la gradation
58
. Cette forme dviction du procs
nest pourtant pas dune injustice flagrante car la gradation de la coercition rpond une
gradation des garanties.

57
Ass. Nat. 1
re
sance du 10 fvrier 2000, JO 2000 11 fvrier 2000, p. 878.
58
Celles-ci sont mme reconnues larticle prliminaire III alina 2 du Code de procdure pnale qui dispose que Les mesures de
contrainte dont cette personne (le prsum innocent) peut faire lobjetdoivent tre strictement limites aux ncessits de la procdure,
proportionnes la gravit de linfraction reproche et ne pas porter atteinte la dignit de la personne .
19
1) Une gradation de la coercition durant la procdure
Dans notre procdure pnale, la coercition semble couvrir deux fonctions. En premier lieu,
elle apparat comme un invitable moyen denqute et dinstruction. En effet comment faire
surgir la vrit sans violenter les apparences dhonntet et de probit de la dlinquance ? En
second lieu, elle apparat comme un succdan de peine lorsque la culpabilit semble
invitable. Nest-il pas moralement acceptable de punir moiti un demi coupable ? Lies
lune lautre, ces deux fonctions de la coercition instaurent inexorablement une gradation de
la violence pendant la procdure. A cet gard, certains dploreront la parent de notre systme
rpressif avec lordonnance de 1670 sur linstruction criminelle car sous son empire la
dmonstration nobissait pas un systme dualiste vrai ou faux mais un systme de
gradation continue : un degr atteint dans la dmonstration formait dj un degr de
culpabilit et impliquait par consquent un degr de punition. Le suspect en tant que tel,
mritait toujours un certain chtiment ; on ne pouvait tre innocemment lobjet dune
suspicionQuand on tait parvenu un certain degr de prsomption, on pouvait donc
lgitimement mettre en jeu une pratique qui avait un rle double : commencer punir en vertu
des indications dj runies ; et se servir de ce dbut de peine pour extorquer la vrit
manquante
59
. La double nature des mesures coercitives pralables au procs est indubitable :
sy mlent acte dinstruction et lment de punition. Ainsi, malgr la volont affiche, dans un
Etat de droit, de rationaliser la rpression en ne conservant que la peine, sanction postrieure
au procs et inflige au dlinquant en rtribution des infractions quils commettent
60
, notre
procdure pnale renferme un panel significatif de mesures coercitives.
a) Les diffrentes mesures coercitives
Diffrentes mesures coercitives peuvent tre diligentes par des autorits policires et
judiciaires dans le cadre dune procdure pnale. Ces mesures judiciaires, qui ne doivent pas
tre confondues avec les mesures de police administrative, sont dissmines principalement
dans le Code de procdure pnale. Elles permettent dentendre, et de retenir (ou de dtenir) un
individu.

59
Michel Foucault, prc., p. 52-53.
60
Lexique de termes juridiques Dalloz.
20
Dans le cadre des enqutes de flagrance ou prliminaires, la police peut appeler ou convoquer
toutes personnes si les ncessits de lenqute (art. 62 et 78 C.P.P.) lexigent
61
. Les
personnes concernes sont tenues de comparatre afin de dposer (enqute de flagrance) ou
dtre auditionnes (enqute prliminaire) et leur identit peut tre contrle (art. 78-2 C.P.P).
Si les personnes concernes ne satisfont pas leur obligation avis en est donn au procureur
de la Rpublique, qui peut les contraindre comparatre par la force publique (art. 62 al. 2 et
78 al. 1 C.P.P.). Mais en principe, elles ne peuvent tre retenues que le temps strictement
ncessaire leur audition (art. 62 al. 5 et 78 al. 2 C.P.P.).
Lorsquune information est ouverte, le juge dinstruction peut faire citer toutes les
personnes dont la dposition lui parat utile (art. 101 C.P.P.). Les personnes cites sont
tenues de comparatre, de prter serment et de dposer. Si les personnes ne comparaissent pas,
le juge dinstruction peut, sur les rquisitions du procureur de la Rpublique, les y contraindre
par la force publique (art. 109 C.P.P.). De plus, elles sexposent une amende de 25 000
francs
62
. Si cela savre ncessaire, le juge dinstruction peut aussi dlivrer un mandat de
comparution qui a pour objet de mettre la personne lencontre de laquelle il est dcern en
mesure de se prsenter devant le juge la date et lheure indique par le mandat
63
(art. 122
al. 2 C.P.P.) . Le magistrat peut aussi procder, non plus de simples auditions, mais de
vritables interrogatoires ou confrontations lgard de certaines personnes (art. 114 al. 1
C.P.P.). A cette fin, il peut dcerner un mandat damener qui est lordre donn par le juge la
force publique de conduire immdiatement la personne lencontre de laquelle il est dcern
devant lui (art. 122 al. 2 C.P.P.), voire un mandat darrt (art. 122 al. 5 C.P.P.).
Les rgles du Code de procdure pnale permettent aussi aux enquteurs et instructeurs de
retenir ou de dtenir un individu indpendamment des auditions, dpositions ou
interrogatoires. La rtention peut tre conscutive un contrle didentit si lintress
refuse ou se trouve dans limpossibilit de justifier de son identit (art. 78-3 C.P.P.). Elle a
lieu sur place ou dans un local de police et doit permettre une vrification didentit. Si la
personne interpelle maintient son refus de justifier de son identit ou fournit des lments
didentit manifestement inexacts (art. 78-3 C.P.P.), les oprations de vrification peuvent
donner lieu la prise dempreintes digitales ou des photographies. La personne qui fait
lobjet dune telle mesure ne peut tre retenue plus de quatre heures non plus que le temps
strictement ncessaire ltablissement de lidentit. Autre forme de rtention, la garde vue

61
Signalons aussi larticle 61 C.P.P, applicable dans le cadre de lenqute de flagrance, qui dispose que Lofficier de police judiciaire peut
dfendre toute personne de sloigner du lieu de linfraction jusqu la clture de ses oprations .
62
Article 413-15-1 C.P.
21
est une mesure couramment pratique durant les enqutes de flagrance ou prliminaires
64
. Elle
permet aux enquteurs de garder des individus leur disposition, dans un local de la police,
pendant une dure qui ne peut en principe excde 24 heures. Toutefois la garde vue peut
tre prolonge pour un nouveau dlai de 24 heures au plus (art. 63 et 77 C.P.P.).
Exceptionnellement, en matire de terrorisme (art. 706-23 C.P.P.) ou de trafic de stupfiants
(art. 706-29 C.P.P.), une nouvelle prolongation de 48 heures peut tre accorde. Durant
linstruction, le magistrat instructeur peut astreindre un individu une ou plusieurs obligations
numres par lart. 138 C.P.P. Peut lui tre interdit de quitter certaines limites territoriales,
de sabsenter de son domicile, de recevoir ou de rencontrer certaines personnes. Par contre,
peut lui tre impos de se prsenter priodiquement certains services ou certaines autorits
dsigns par le juge ou encore dinformer le magistrat de tout dplacement au del des limites
territoriales dlimites pralablement par le juge. Quant la dtention provisoire, elle est la
mesure la plus grave qui peut tre prise lencontre dun individu au cours dune procdure
pnale puisquelle entrane une incarcration de lintress pendant tout ou partie de
linformation. Elle fait en principe suite un mandat de dpt qui est lordre donn par la
juridiction au chef de ltablissement pnitentiaire de recevoir et de dtenir la personne (art.
122 al. 4 C.P.P.).
Lensemble de ces mesures portent, dans leur principe, atteinte la libert et la sret des
individus. Elles semblent, pour la plupart, en complte contradiction avec le principe de la
prsomption dinnocence tel que nous lavons pralablement envisag. En effet de la simple
audition pratique lors dune enqute prliminaire et qui peut appeler lintervention de la
force publique, la dtention ordonne lors de linstruction, lintress est contraint de
collaborer voire ouvertement mis en cause. La gradation de la coercition est donc bien une
donne fondamentale de la procdure pnale. Si la situation du tmoin se rapproche de celle
de linnocent, la personne place en dtention provisoire est, elle, bien plus proche du
condamn. Cet tat de droit est pourtant entrin par des textes minemment protecteurs des
droits et liberts fondamentaux : le bloc de constitutionnalit et la convention E.D.H. Au
niveau constitutionnel, le Conseil constitutionnel reconnat la ncessit de concilier les
liberts constitutionnellement reconnues et les besoins de la recherche des auteurs des

63
Il semble cependant que les dispositions des art. 109 et 110 C.P.P. excluent lutilisation du mandat de comparution par le juge
dinstruction.
64
Elle est pratique exceptionnellement lorsquune information est ouverte et linitiative de lofficier de police judiciaire lorsque les
ncessits de lexcution dune commission rogatoire lexigent (art. 153 C.P.P.).
22
infractions afin de protger la scurit des personnes et des biens
65
. Selon certains auteurs le
Conseil naurait jamais critiqu le principe de la garde vue au regard des exigences
constitutionnelles
66
. Cette remarque vaut aussi pour la dtention provisoire. Au niveau
conventionnel, la convention E.D.H. admet explicitement la garde vue (art. 5. 1. c) et la
dtention provisoire (art. 5. 3) qui sont des mesures profondment attentatoires aux liberts
individuelles, et ne semble pas remettre en cause, dans leur principe, les prrogatives
policires et judiciaires dont nous avons fait mention.
b) La persistance de la coercition dans un Etat de droit
Dans un Etat de droit, la coercition durant la procdure peut paratre profondment choquante.
Aussi, la tendance actuelle va-t-elle dans le sens dune amlioration significative des droits
des prsums innocents.
Au principe de la libert de la preuve inscrit larticle 427 C.P.P. mais qui sapplique devant
toutes les juridictions mme dinstruction, rpond le principe de loyaut dans ladministration
de la preuve. Ce principe de loyaut irrigue de plus en plus notre procdure pnale. Il se
traduit au niveau lgislatif par une amlioration des conditions de rtention et de dtention
mais aussi, au niveau jurisprudentiel, par le respect de certains principes dans ladministration
de la preuve.
Ainsi dune manire gnrale, les conditions de rtention et de dtention se sont amliores.
La torture est interdite et le Code pnal rprime svrement les atteintes arbitraires la libert
ou lintgrit corporelle des tmoins, suspects ou prvenus. La loi du 4 janvier 1993
(modifie et complte par celles du 24 aot 1993 et du 15 juin 2000) a octroy la personne
garde vue un certain nombre de garanties et davantages. Ainsi, toute personne garde
vue peut faire prvenir par tlphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un
membre de sa famille (art. 63-2 C.P.P.)
67
. Elle peut faire lobjet dun examen mdical soit sa
demande soit la demande dun membre de sa famille. Le certificat mdical qui est vers au
dossier doit notamment se prononcer sur le maintien en garde vue. Dsormais, lorsquil est
indispensablede procder des investigations corporelles internes sur une personne garde
vue, celles-ci ne peuvent tre ralises que par un mdecin requis cet effet (art. 63-5

65
Cons. const. dcis. n80-127 DC, 19 et 20 janvier 198, cons. n. 62 ; Rec. Cons. const., p. 15.
66
Th. S. Renoux et M. de Villiers, Code constitutionnel, note sous art. 66.
23
C.P.P.). Lenregistrement audiovisuel des gardes vue qui avait t envisag par le
Parlement dans le cadre de la loi renforant la protection de la prsomption dinnocence et les
droits des victimes, na t finalement rserv quaux seuls cas des mineurs
68
. La situation des
dtenus semble stre amliore. Les personnes soumises la dtention provisoire la subissent
dans une maison darrt (art. 714 C.P.P.) et sont en principe places au rgime de
lemprisonnement individuel de jour et de nuit (art. 716 C.P.P.). Sauf prescription contraire
prise en vertu de larticle 145-4 al. 1
er
C.P.P, les personnes places en dtention provisoire
peuvent avec, lautorisation du juge dinstruction, recevoir des visites sur le lieu de dtention
(art. 145 al. 2 C.P.P.). Le magistrat ne peut refuser un permis de visite un membre de la
famille de la personne dtenue, lexpiration dun dlai dun mois compter du placement en
dtention, que par une dcision crite et spcialement motive (art. 145-4 al. 3 C.P.P.)
susceptible dun recours devant le prsident de la chambre de linstruction (art. 145-4 al. 4
C.P.P.). De mme, les prvenus peuvent crire tous les jours et sans limitation toute
personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne, sous rserve des dispositions
contraires ordonnes par le magistrat saisi du dossier de linformation (art. D. 65 C.P.P.).
Des textes rcents
69
reconnaissent notamment limportance de lhygine et de lorganisation
sanitaire, des activits physiques et sportives et de lintervention socio-ducative au sein des
centres de dtention. Il est significatif et symbolique de noter que les infractions la
discipline, qui peuvent conduire un enfermement dans une cellule amnage ou des
moyens de coercition en cas de fureur ou de violence grave (art. 726 C.P.P.), ne sont plus
considres comme des mesures dordre intrieur et sont susceptibles dtre dfres au juge
de lexcs de pouvoir
70
. Par ailleurs la loi n2000-516 du 15 juin 2000 a modifi la
formulation de larticle 149 C.P.P. puisquune indemnit est accorde (et non plus peut tre
accorde ) la personne ayant fait lobjet dune dtention provisoire au cours dune
procdure termine son gard par une dcision de non-lieu, de relaxe ou dacquittement
devenue dfinitive, afin de rparer le prjudice moral et matriel quelle a subi cette
occasion
71
.

67
Un droit similaire est reconnu lart. 78-3 C.P.P. la personne qui fait lobjet dune vrification didentit.
68
Larticle 4 VI de lordonnance 2 fvrier 1945 dispose dsormais que Les interrogatoires des mineurs placs en garde vue viss
larticle 64 du code de procdure pnale font lobjet dun enregistrement audiovisuel .
69
Le dcret n98-1099 du 8 dc. 1998 et le dcret n99-276 du 13 avril 1999.
70
CE, 17 fvrier 1995, Marie : J.C.P. 1995. II. 22426, note Lascombes et Bernard.
71
Pourtant la Cour E.D.H., dans les affaires Englert et Nolkenbockhoff c/ Allemagne du 25 aot 1987, Srie A n123 (Berger n87, 88) , a
considr que le refus dimposer au Trsor les frais ncessaires et daccorder une rparation pcuniaire pour dtention provisoire ne
sanalysait pas en une peine, ni en une mesure assimilable une peine. Les juridictions allemandes navaient ainsi inflig aux inculps
aucune sanction : elles avaient, sans plus, refus dobliger les collectivits les indemniser. Il ny avait donc pas violation de larticle 62. La
solution est transposable au remboursement des frais et dpens (affaire Lutz c/ Allemagne Berger n86). Voir cependant affaire Minelli c/
Suisse du 25 mars 1983, Srie A n62 (Berger n85).
24
Le principe de loyaut permet aussi aux tribunaux dcarter un moyen de preuve ds lors que
celui-ci a t obtenu soit en violation du respect d la vie prive, soit par provocation, soit
au dtriment des droits de la dfense. En dfinitive, la Chambre criminelle carte du dbat
judiciaire, comme les autres chambres de la Cour de cassation, les lments de preuve obtenus
de manire illicite
72
. Dans ce domaine, une analyse de la jurisprudence est difficile mais il
semble que le principe de loyaut sapplique avec fermet durant linstruction et avec plus de
souplesse durant lenqute. Par contre, lorsque la preuve est administre par un simple
particulier le principe est, semble t-il, inapplicable puisque la Chambre criminelle a admis
quune partie civile communique au juge dinstruction des enregistrements obtenus au prix
dune infraction pnale
73
.
Mais la situation des mis en cause est encore trs prcaire et marque les limites du principe de
loyaut. En tmoigne la condamnation rcente de la France par la Cour E.D.H. dans laffaire
Selmouni pour torture en raison de graves svices perptrs par des policiers lors dune
garde vue
74
. Il convient aussi de se remmorer laffaire Tomasi o la Cour E.D.H. avait
condamn la France pour traitement inhumain et dgradant lors dune garde vue. Ainsi,
a-t-on pu crire que la garde vue a fait figure de zone dombre de la procdure pnale
franaise
75
. Si les drives policires ne sont pas toujours aussi extrmes, elles sont
apparemment frquentes. Comme le note une avocate, Je nai jamais rencontr de personne
qui mait dit quelle avait t frappe pendant la garde vue, mais jai vu des hmatomes. Les
gens se plaignent le plus souvent davoir t brutaliss pendant linterpellation
76
. Les
traumatismes subis sont bien plus psychologiques que purement physiques car la plupart des
gens ignorent compltement ce quest une garde vue et ils sont effrays lide de rester
enferms sans savoir ce qui va leur arriver
77
. La Cour de cassation tait plus ou moins
complice de ces drives, considrant que les rgles lgales encadrant la garde vue ntaient
pas prescrites peine de nullit et leur inobservation ne saurait par elle-mme entraner la
nullit des actes de procdure lorsquil nest pas dmontr que la recherche et ltablissement
de la vrit sen sont trouvs vicis fondamentalement
78
. Si la jurisprudence rcente semble

72
Pour la position de la Chambre sociale, Soc. 20 nov. 1991, D. 1992, p. 73, concl. Chauvy. Pour la position de la Chambre commerciale,
Com, 27 nov. 1991, D. 1992, p. 122, concl. Jol.
73
Crim. 6 avril 1993, J.C.P. 1993. II. 22144 note Rassat.
74
Cour E.D.H., 28 juillet 1999, Le Monde 29 juillet 1999.
75
Le Monde 1
er
mars 2000.
76
Me Esther Dandjinou, Le Monde 1
er
mars 2000, p. 12.
77
Me Batrice de Vareilles-Sommires, Le Monde 1
er
mars 2000, p. 12.
78
Crim. 10 oct. 1968, J.C.P. 1969. II. 15741 note Mayer.
25
stre assouplie
79
, la situation reste inquitante quand on sait que plus de 400 000 gardes vue
sont ordonnes chaque anne
80
.
La situation en dtention provisoire est, elle, bien plus prcaire et lurgence est dintroduire le
droit en prison et dinstaurer une indispensable transparence dans ce monde clos. La
commission Canivet
81
la mis en lumire : le dtenu est un tre sans statut, sans droit et
soumis aux dcisions arbitraires de ladministration pnitentiaire
82
. Les textes que nous
avons mentionns ne doivent pas faire illusion. La situation des dtenus doit plutt sapprcier
au regard de la surpopulation carcrale et du maigre budget de ladministration pnitentiaire
83
.
Le nombre des prsums innocents incarcrs est effarant puisquils reprsentent environ 40%
des dtenus, cest dire plus de 20 000 personnes malgr des lois de plus en plus librales,
notamment celle du 30 dcembre 1996. La dtention provisoire est frquemment prsente
comme une forme attnue de la torture et de la fameuse question pratique sous lAncien
Rgime. Certains juges dinstruction lutiliseraient comme un moyen pour obtenir des
aveux
84
.
Cette rsistance rencontre une radication de la coercition, cest dire la lutte contre
larbitraire et au renforcement des garanties accordes aux prsums innocents est
significative.
Lapprofondissement de lEtat de droit serait-il un obstacle au bon droulement des enqutes
et instructions ? Vouloir la vrit ne conduit-il pas tolrer la violence ? Dun certain point de
vue, la rponse est positive car un lien subtil uni assurment violence et vrit
85
. La violence
policire et judiciaire nest donc pas seulement une peine injuste frappant des personnes qui
ne sont pas encore juges, elle est aussi une manire de faire clater la vrit. On comprend
alors les difficults qui sattachent lradication de cette forme darbitraire et sa persistance
dans un Etat de droit.
2) Une gradation des garanties durant la procdure

79
Crim. 24 nov. 1998, Droit pnal, jurisp. 138.
80
Selon le Monde du 1
er
mars 2000, il y aurait eu, en France, en 1999, 426 851 gardes vue.
81
En septembre 1999, la ministre de la justice a charg la commission Canivet de rflchir sur un contrle externe des prisons. Le rapport lui
a t remis le 6 mars 2000.
82
Libration 1
er
mars 2000, p. 16.
83
Selon Madame le garde des Sceaux, le taux doccupation des prisons serait de 110 120%. Ass. Nat. 2
me
sance du 10 fvrier 2000, J.O.
11 fvrier 2000, p. 987. Selon le Quid 1999, le budget de ladministration pnitentiaire tait en 1998 de 7,01 milliards de francs.
84
Selon M. Devedjan reprenant le rapport de M. Truche, la pratique est courante. Ass. Nat. 1
re
sance du 10 fvrier 2000, J.O. 11 fv. 2000,
p. 962.
26
Pourtant, notre systme rpressif nest ni arbitraire ni dune profonde injustice. En effet, la
gradation des peines durant la procdure, rpond la gradation des garanties car non
seulement les textes de procdure pnale assurent un tranglement progressif des paliers au
sein de la prsomption dinnocence et jusquau procs, mais cet tranglement saccompagne
dune amlioration progressive des droits de la dfense.
a) Un tranglement progressif des paliers dinnocence
La prsomption dinnocence nest pas une priode uniforme et statique. Elle est au contraire
une priode protiforme et dynamique. En son sein, trois paliers dinnocence peuvent tre
distingus : le simple tmoin et parmi les suspects la personne lencontre de laquelle il
existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction
(ou la personne contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu elle ait pu
participer comme auteur ou complice la commission dune infraction) et la personne
lencontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable
quelle ait pu participer comme auteur ou complice la commission dun infraction.
Le simple tmoin est la personne lencontre de laquelle il nexiste pas dindice faisant
prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction. Pour cette raison, sa qualit
de prsum innocent peut tre conteste. Durant lenqute, il peut uniquement tre entendu ou
auditionn et ne peut plus tre plac en garde vue, mme en cas denqute de flagrance
86
.
Par contre, il peut faire lobjet dun contrle didentit et le cas chant dune vrification
didentit parce quil est susceptible de fournir des renseignements utiles lenqute en cas
de crime ou dlit (art. 78-2 C.P.P.). Durant linstruction, sa seule obligation est de
tmoigner.
La personne lencontre de laquelle il existe des indices faisant prsumer quelle a commis
ou tenter de commettre une infraction peut, dans le cadre dune enqute de flagrance ou
prliminaire, tre place en garde vue (art. 63 et 77 C.P.P) et ce titre reste la disposition
des enquteurs pendant 24 ou 48 heures. Elle peut aussi faire lobjet dun contrle didentit
car il existe des indices faisant prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une

85
Dun autre point de vue, la rponse est ngative car la violence vicie la vrit en la dnaturant.
86
Cest la loi du 15 juin 2000 qui, en modifiant lart. 63 C.P.P. a interdit le placement en garde vue dun simple tmoin lors dun enqute
de flagrance (cette interdiction tait dj acquise lors de lenqute prliminaire). Elle assure la conformit des rgles de procdure pnale
larticle 5 de la convention E.D.H.
27
infraction (art. 78-2 C.P.P.). Si une information est ouverte, le tmoin assist, cest dire la
personne lencontre de laquelle il existe des indices rendant vraisemblable quelle ait pu
participer comme auteur ou complice la commission dune infraction, peut tre auditionne
par le juge dinstruction
87
. En aucun cas, elle ne peut tre place sous contrle judiciaire ou
en dtention provisoire (art. 113-5 C.P.P.).
Seule la personne mise en examen, contre laquelle existent des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable quelle ait pu participer comme auteur ou complice la commission
dune infraction, peut tre interroge par le juge dinstruction ou confronte avec dautres
parties (art. 114 C.P.P.). En principe, elle reste libre mais si les ncessits de linstruction
lexigent ou si une mesure de sret simpose (art. 137 C.P.P.), elle peut tre astreinte une
ou plusieurs obligations du contrle judiciaire ou, exceptionnellement, place en dtention
provisoire. Le contrle judiciaire ne peut tre ordonn que si la personne encourt une peine
demprisonnement correctionnel ou une peine plus grave (art. 138 C.P.P.) alors que la
dtention provisoire ne peut tre ordonne ou prolonge que lorsque deux conditions se
trouvent runies. La personne susceptible dtre place en dtention provisoire doit encourir
une peine criminelle ou une peine correctionnelle dune dure gale ou suprieure trois ans
88
ou stre soustraite volontairement aux obligations du contrle judiciaire. De plus, la
dtention provisoire ne peut tre ordonne ou prolonge que dans le cadre de larticle 144
C.P.P. qui dlimite le cas des recours la dtention provisoire. Celle-ci peut notamment tre
envisage si elle constitue lunique moyen de conserver des preuves ou des indices matriels,
si elle permet de prvenir une pression sur tmoins ou une concertation frauduleuse ou encore
si elle permet de mettre fin linfraction (ou dempcher son renouvellement) ou un trouble
exceptionnel et persistant lordre public.
A travers ces exemples significatifs, se dgage donc un tranglement des paliers qui renvoie
une hirarchie au sein de lchelle dinnocence. Rsultant des rgles de fond du Code de
procdure pnale, cet tranglement rsulte aussi des garanties organiques et procdurales qui
sont accordes aux prsums innocents. Plus les atteintes la libert et la sret des

87
Lart. 113-4 C.P.P. emploie le terme audition mais peut tre sagit-il dinterrogatoire ou de confrontation (le terme confront est
utilis larticle 113-3 C.P.P.) quand on songe au renvoi partiel opr par lart. 113-3 C.P.P. larticle 114 et 114-1C.P.P. De plus, lart. 152
alina 2 issu de la loi 516-2000 du 15 juin 2000 retient les termes dinterrogatoires et de confrontations du tmoin assist.
88
Toutefois larticle 143-1 2 alina 2 prvoit une drogation en matire correctionnelle
28
individus sont pnibles, plus le contrle de lautorit judiciaire, gardienne de la libert
individuelle selon larticle 66 de la constitution, est soutenu
89
.
Si quelques missions lmentaires et primaires de police judiciaire sont laisses linitiative
des particuliers (art. 73 C.P.P.) et des agents de police, les enqutes sont menes par les
officiers de police. Eux seuls peuvent exiger une vrification didentit, une rtention dans un
local de police ou une garde vue. De mme, ils sont seuls comptents, lexclusion des
agents, en matire de perquisitions et saisies. Signalons aussi que seuls les officiers de police
peuvent dfendre toute personne de sloigner du lieu de linfraction jusqu clture des
oprations (art. 61) ou appeler et entendre toutes personnes susceptibles de fournir des
renseignements sur les faits et les objets et documents saisis lors dune enqute de flagrance
(art. 62 alina 1
er
).
Le procureur de la Rpublique, membre de lautorit judiciaire
90
assure, lui, une mission de
contrle et de direction de ces enqutes
91
. Aussi, lorsque les mesures sont particulirement
attentatoires la libert et la sret des individus, il doit tre imprativement et
immdiatement inform. Tel est le cas lorsquune rtention dans un local de police est
ordonne
92
ou lorsquune garde vue est prononce
93
. Dans ces hypothses, le magistrat peut
dcider de mettre fin la mesure tout moment et le Conseil constitutionnel exige que
lautorit judiciaire exerce un contrle rel, effectif et complet afin quil lui revienne
dapprcier de faon concrte la ncessit de telles mesures
94
. En matire de garde vue,
le dlai maximum de 48 heures partir duquel lindividu est dfr au parquet est conforme
lexigence de larticle 53 de la convention E.D.H
95
. qui impose que toute personne arrte ou
dtenue (dans les conditions prvues au paragraphe 1c) soit aussitt traduite devant un juge ou
un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires
96
. Lorsquune
information est ouverte, le contrle et la direction de la police judiciaire sont assurs par le

89
Voir aussi Th. S. Renoux et M. de Villiers. Code constitutionnel, note sous article 66.
90
Cons. const., dcis. n. 93-326 DC, 11 aot 1993 : JORF, 15 aot, p. 11599, cons. n. 4.
91
Cet tat de droit a t renforc par la loi 2000-516 du 15 juin 2000 puisque la section 2 du chapitre 1
er
du titre 1
er
est intitule dispositions
relatives au contrle de lautorit judiciaire sur la police judiciaire .
92
Cependant pour une vrification didentit le procureur nest pas obligatoirement avis puisque larticle 78-3 C.P.P. prvoit que lintress
est aussitt avis de son droit de faire aviser le procureur de la Rpublique.
93
La loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes a modifi les article 63
et 77 C.P.P qui disposaient qu la suite dun placement en garde vue (lofficier de police judiciaire) en informe dans les meilleurs dlais
le procureur de la Rpublique . Dsormais, lofficier de police judiciaire est tenu dinformer le magistrat ds le dbut de la garde vue .
94
Cons. const., dcis. n. 92-307 DC, 25 fvrier 1992 : Rec. Cons. const., p. 48, cons., p. 48, cons. n. 15 et 16.
95
Signalons que la prolongation supplmentaire de la garde vue en matire de terrorisme ou de trafic de stupfiant (art. 706-23 et 706-29
C.P.P.) ncessite lautorisation dun magistrat.
96
Par contre, et en dpit dune dcision de la Cour de cassation (Crim. 3 juillet 1980, Bull. crim. 213, p. 556), il est douteux que le procureur
de la Rpublique rponde aux exigences dindpendance lgard de lexcutif poses par la Cour E.D.H. et puisse ds lors tre considr
comme un magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires.
29
juge dinstruction. Celui-ci peut dcerner mandat la police judiciaire (art. 122 et suivants
C.P.P.) ou requrir par commission rogatoire tout officier de police (art. 151 et suivants
C.P.P.). Si pour les ncessits de lexcution dune commission rogatoire, le policier ordonne
une garde vue, le juge dinstruction doit tre inform ds le dbut de la mesure (art. 154
C.P.P.). Les actes les plus graves de linstruction sont rservs aux magistrats. Par exemple
les officiers de police ne peuvent, en principe, pas procder aux interrogatoires et
confrontations des personnes mises en examen, des tmoins assists ou des parties civiles (art.
152 alina 2 C.P.P.). Le contrle judiciaire ne peut, quant lui, tre ordonn que par le juge
dinstruction (art. 138 et 137-2 C.P.P.) ou ventuellement par le juge des liberts et de la
dtention (art. 137-2 alina 2 C.P.P.). Depuis la loi 516-2000 du 15 juin 2000, le placement en
dtention provisoire est soustrait la comptence du juge dinstruction et est confi un
nouveau magistrat du sige ayant rang de prsident, de premier vice-prsident, ou de vice
prsident du tribunal de grande instance : le juge des liberts et de la dtention. Il est saisi
par ordonnance motive du juge dinstruction, qui lui transmet le dossier de la procdure
accompagn des rquisitions du procureur de la Rpublique (art. 173-1 alina 4 C.P.P.). La
libert tant le principe, le juge dinstruction nest pas tenu de statuer par ordonnance lorsquil
ne suit pas les rquisitions du procureur de la Rpublique tendant au prononc dune mesure
de contrle judiciaire (art. 137-4 2 C.P.P.). Paralllement, lorsque le magistrat instructeur est
saisi de rquisitions du procureur de la Rpublique tendant au placement en dtention
provisoire (ou la prolongation de la dtention), il ne statue pas par ordonnance lorsquil ne
transmet pas le dossier de la procdure au juge des liberts et de la dtention (art. 137-4 1
C.P.P.). Par contre, le procureur de la Rpublique, lorsquil na pas t fait droit sa
demande, peut saisir directement la chambre de linstruction (art. 137-5 C.P.P.). Le placement
en dtention provisoire est fortement contrl par les juridictions dinstruction du second
degr puisque lordonnance est susceptible dappel notamment sur le fondement de larticle
187-1 C.P.P. qui organise le rfr-libert . Cette procdure permet la personne mise en
examen de demander au prsident de la chambre de linstruction dexaminer immdiatement
son appel, cest dire de statuer au plus tard le troisime jours ouvrable suivant la demande,
sans attendre laudience de la chambre de linstruction. De plus, la personne qui forme le
recours prvu par larticle 187-1 C.P.P. peut demander ce quil soit directement examin par
la chambre de linstruction. Il est alors statu au plus tard, au vu des lments du dossier, le
cinquime jour ouvrable suivant la demande (art. 187-2 C.P.P.).
30
Manifestement la procdure pnale assure un tranglement progressif des mises en cause et
corrlativement des mesures coercitives. Les garanties accordes lors du prononc dune
mesure de garde vue sapparentent difficilement avec celles accordes lors dun placement
en dtention provisoire. Non seulement les conditions de fond sont diffrentes mais le juge
des liberts et de la dtention, magistrat du sige, est plus port vers la protection de la libert
et de la sret des individus quun membre du ministre public.
b) Une amlioration progressive des droits de la dfense
Ltranglement des mesures coercitives et des mises en cause se conjugue avec une
amlioration progressive des droits de la dfense durant la procdure. Effectivement, la mise
en cause plus prononce dune personne lors dune enqute ou dune instruction se traduit
consquemment par la reconnaissance son gard de droits nouveaux. Ainsi et
paradoxalement, il est quelquefois avantageux dtre ouvertement mis en cause afin de
bnficier de prrogatives plus marques. Pour cette raison, le Code de procdure pnale
interdit au juge dinstruction dentendre comme tmoin, une personne contre laquelle il existe
des indices graves ou concordants davoir particip linfraction dont il est saisi, et qui
devrait tre mise en examen (art. 105 C.P.P.). De mme toute personne nommment vise par
un rquisitoire introductif et qui nest pas mise en examen, ne peut pas tre entendue comme
tmoin mais seulement comme tmoin assist (art. 113-1 C.P.P.). Lopportunit dun
franchissement de seuil au sein de lchelle dinnocence est quelquefois laisse linitiative
du prsum innocent qui doit opr un choix : mieux faut-il tre prserv dune mise en cause
trop nergique ou se voir confrer de nouveaux droits ? Ainsi, une personne nommment
vise par une plainte ou mise en cause par la victime nest pas ncessairement entendue
comme tmoin assist, sauf si elle en fait la demande (art. 113-2 C.P.P.). Pareillement, un
tmoin assist peut tout moment de la procdure demander au juge dinstruction tre mis
en examen (art. 113-6 C.P.P.). Afin dapprcier lamlioration progressive des droits de la
dfense durant la procdure, il convient de se reporter aux trois seuils dinnocence que nous
avons pralablement dgags : le tmoin, le gard vue et le tmoin assist, le mis en
examen.
Le tmoin ne dispose pas, lors des investigations, de prrogatives particulires. Il est vident,
parce quil nest pas arrt ou dtenu mais seulement retenu le temps strictement ncessaire
son audition, quil na pas tre inform des raisons de son arrestation ou de toute accusation
31
porte contre lui. Ntant pas souponn, il ne peut tre assist dun avocat ni devant les
enquteurs ni devant le magistrat instructeur.
La personne garde vue ou le tmoin assist disposent de droits plus affirms qui doivent
leur tre rappels soit par lofficier de police judiciaire (art. 63-1 C.P.P.) soit par le juge
dinstruction (art.113-3 alina 2 C.P.P.). Dsormais, la garde vue semble en conformit avec
les dispositions de larticle 52 de la convention E.D.H. nonant que toute personne arrte
doit tre informe dans le plus court dlaides raisons de son arrestation et de toute
accusation porte contre elle puisque le Code de procdure pnale prvoit que toute
personne place en garde vue est immdiatement informe par un officier de police
judiciaire de la nature de linfraction sur laquelle porte lenqute (art. 63-1 C.P.P.). Le
tmoin assist est inform ds la premire audition du rquisitoire introductif, de la plainte ou
de la dnonciation (art. 113-4 C.P.P.). Le gard vue et le tmoin assist peuvent tre assists
dun avocat. La loi 2000-516 du 15 juin 2000 autorise lentretien de la personne garde vue
avec un avocat ds le dbut de la garde vue ainsi qu lissue de la vingtime heure (art.
63-4 alina 1
er
C.P.P.)
97
. Quant au tmoin assist, il bnficie du droit dtre assist dun
avocat ( art. 113-3 alina 1
er
C.P.P.). Lors dune garde vue les entretiens avec un avocat ne
peuvent excder trente minutes et celui-ci se borne des observations crites qui sont jointes
la procdure. Quant au tmoin assist, il peut tre assist par son avocat lors de chaque
audition ou confrontation. Celui-ci est convoqu au plus tard cinq jours ouvrables avant
laudition par lettre recommande avec demande davis de rception (art. 114 alina 2 C.P.P.).
Lavocat du gard vue doit tre inform par un officier ou un agent de police judiciaire de la
nature de linfraction recherche (art. 63-4 alina 3 C.P.P.) tandis que lavocat du tmoin
assist dispose dun privilge que na pas son client : il a accs au dossier. La procdure est
mise sa disposition quatre jours ouvrables au plus tard avant la premire audition. Aprs la
premire audition, la procdure est mise tout moment sa disposition durant les jours
ouvrables, sous rserve des exigences de bon fonctionnement du cabinet dinstruction (art.
114 alina 3 C.P.P.). Lavocat, aprs la premire audition, peut mme se faire dlivrer tout ou
partie des pices et actes du dossier et transmettre une reproduction des copies son client.
Par contre, seules les copies des rapports dexpertise peuvent tre transmises par lavocat ou
le tmoin assist des tiers pour les besoins de la dfense (art. 114 alina 4, 5 et 6 C.P.P.).

97
Selon larticle 63-4 alina 6 le dlai est de 36 heures en cas dassociation de malfaiteurs, de proxntisme, dextorsion de fonds aggravs
ou dinfraction commise en bande organise. Selon larticle 63-4 dernier alina, le dlai est de 72 heures lorsque la garde vue est soumise
des rgles particulires de prolongation (garde vue ordonne sur le fondement de larticle 706-23 ou 706-29 C.P.P).
32
Enfin, le tmoin assist peut exiger du juge dinstruction une confrontation avec la ou les
personnes qui le mettent en cause (art. 113-3 C.P.P.).
La personne mise en examen est encore plus troitement associe linstruction que le tmoin
assist. Lors de la premire comparution devant le juge dinstruction, le magistrat lui fait
connatre expressment chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels il envisage une mise
en examen (art. 116 C.P.P.). La mise en examen ne peut, ds lors, intervenir qu lissue de la
premire comparution. Bien sr, les dispositions de larticle 114 C.P.P. sont applicables. Le
mis en examen peut se faire assister dun avocat qui peut accder librement au dossier sous
rserve du bon fonctionnement du cabinet dinstruction. Si le mis en examen est plac en
dtention provisoire, le juge ne peut, en aucun cas, interdire au dtenu de communiquer avec
son dfenseur mme lorsque quest prescrite une interdiction de communiquer en vertu de
larticle 145-4 ou lorsquune mesure disciplinaire est prononce. En effet toutes
communications et toutes facilits compatibles avec les exigences de la discipline et de la
scurit de la prison sont accordes aux personnes mises en examen, prvenus et accuss pour
lexercice de leur dfense (art 716 al. 2 C.P.P.).
Mais plus que le tmoin assist, le mis en examen est dsormais un auxiliaire du juge
dinstruction. Il peut dsormais saisir le juge dinstruction dune demande crite et motive
tendant ce quil soit procd tout acte qui lui parat ncessaire la manifestation de la
vrit (art. 82-1 C.P.P.). Le mis en examen peut, par exemple, demander que soit procd
son interrogatoire
98
, laudition dun tmoin, une confrontation ou un transport sur les
lieux. Il peut aussi demander au juge dinstruction que soit ordonn une expertise (art. 156
alina 1
er
C.P.P.), une contre-expertise (art. 167 alina 3 C.P.P.) ou mme un examen mdical
ou mdico-psychologique (art. 81 alina 8 C.P.P.). Le juge dinstruction qui entend ne pas
faire droit la demande, doit rendre une ordonnance motive. Faute par le juge davoir
statu dans le dlai dun mois, la partie peut saisir directement le prsident de la chambre de
linstruction (art. 81 alina 11 C.P.P). Celui-ci, dans les huit jours de la rception du dossier,
doit dcider, par une ordonnance non susceptible de recours, sil y a lieu ou non de saisir la
chambre de linstruction (art. 186-1 C.P.P.)
99
. Lors des interrogatoires, confrontations ou
auditions les avocats des parties peuvent poser des questions ou prsenter de brves
observations (art. 120 alina 1
er
in fine) mais il revient au juge dinstruction de dterminer

98
Larticle 82-1 alina 3 prvoit qua lexpiration dun dlai de quatre mois depuis sa dernire comparution la personne mise en examen qui
en fait la demande doit tre entendue par le juge dinstruction..
33
lordre des interventions et dy mettre fin. Il est significatif de noter que la loi n2000-516 du
15 juin 2000 a tendu non seulement la possibilit des demandes dactes complmentaires
dinstruction, la liste des demandes dactes complmentaires dinstruction ntant plus
limitative (voir ancien art. 82-1) mais aussi le rle des avocats lors des interrogatoires,
auditions ou confrontations puisque la rdaction du nouvel article 120 C.P.P. est plus librale
que celle de lancien article 120 C.P.P. En ralit, depuis lentre en vigueur du Code de
procdure pnale, les droits des parties et notamment du mis en examen nont cess de
stendre lors de linstruction
100
. Lappel des dcisions du juge dinstruction est aujourdhui
assez largement ouvert. A ct de lappel form sur le fondement de larticle 186-1 C.P.P., le
mis en examen peut faire appel des ordonnances du juge dinstruction prvues par diverses
dispositions lgales comme par exemple celle rendues sur la recevabilit dune constitution de
partie civile (art. 87 C.P.P.) ou sur la comptence de la juridiction (art. 186 alina 3 C.P.P.).
Signalons aussi que depuis les lois n93-2 du 4 janvier 1993 et n93-1013 du 24 aot 1993, le
mis en examen a le droit de soulever les nullits commises au cours de linformation voire au
stade de lenqute (art. 170 et 173 alina 3 C.P.P.).
Incontestablement, la procdure pnale, dans sa phase antrieure au procs nest pas une zone
de non-droit. Certes le prsum innocent est mis en cause et ventuellement dtenu ou
incarcr mais au fil des avances de lenqute et de linstruction les garanties et les contrles
se multiplient. En ralit, il nous semble que les rgles de la prsomption dinnocence
tmoignent dun subtil quilibre entre coercition et protection. Le degr de coercition rpond
toujours et de manire quasi-proportionnelle au degr de culpabilit ventuelle afin
dpargner les probables innocents des mesures les plus graves, telles une garde vue, une
mise en examen ou une dtention provisoire. Paralllement, toute intensification dans la
coercition saccompagne automatiquement, pour celui qui en fait lobjet, dune attribution
significative de prrogatives et de garanties nouvelles afin dviter tout nouveau
franchissement de seuil ou toute nouvelle mesure coercitive. Le procs nchappe pas cette
logique et bien des gards, il napparat que comme un aboutissement o la logique de la
procdure est pousse son terme. Sans doute doit-on retenir une conception dilate du
procs, en affirmant comme Madame Lazerges que le procs pnal commence aujourdhui

99
La Cour de cassation considre que les motifs pour lesquels les juridictions dinstruction estiment devoir rejeter une demande dactes
complmentaires dinstruction, relevant dune question de pur fait, sont souverainement apprcis par celles-ci et chappent au contrle de la
Cour de cassation. Crim. 25 mars 1997 : Bull. crim. n118.
100
Dailleurs, la section 5 du chapitre I du titre I de la loi 2000-516 du 15 juin 2000 sintitule : Dispositions tendant les droits des parties
lors de linstruction .
34
ds la garde vue
101
. Cette conception dilate du procs, si elle ne peut tre accueillie
quavec enchantement dans un Etat de droit, nest pourtant pas dnue deffets pervers. Elle
discrdite le procs comme pierre angulaire de la rpression. La culpabilit nest-elle pas
apprcie par les policiers et les magistrats durant la procdure ? le contrle didentit, le
placement en garde vue, la mise en examen et mme de manire plus informelle la dtention
provisoire ne ncessitent-ils pas lapprciation dune culpabilit probable du prsum
innocent ? la rponse se trouve dans les articles du Code de procdure pnale (art. 78-2, 63,
77, 80-1
102
, 144 C.P.P.) mais aussi dans quelques dcisions significatives. A propos, dun
pourvoi en cassation contre un arrt de la Chambre daccusation de la Cour de Paris qui avait
confirm lordonnance dun juge dinstruction ayant rejet une demande de mise en libert, la
Chambre criminelle, constatant pourtant que le demandeur se prvalait dune violation de la
prsomption dinnocence, la juridiction dinstruction ayant nonc que des indices srieux
de culpabilit sont en ltat runis , rejette le pourvoi estimant que la chambre daccusation
ne sest pas prononc sur la culpabilit de linculp mais a seulement relev des charges
existant contre lui
103
. De mme, pourquoi considrer comme la Cour de cassation
104
quun
magistrat qui sest prononc sur les demandes de mise en libert aurait une apprhension
impartiale du litige sil venait apprcier la culpabilit du prsum innocent ?
Pourtant, nest-il pas juste que seules les personnes lencontre desquelles existent des
indices faisant prsumer quelle ont commis ou tenter de commettre une infraction puissent
tre places en garde vue ? Nest-il pas juste que seules les personnes lencontre
desquelles existent des indices graves ou concordants rendant vraisemblable quelles aient pu
participer comme auteur ou complice la commission dune infraction puissent tre places
en dtention provisoire ?
Ne pouvant radiquer la coercition, il a fallu la dlimiter, la circonscrire afin surtout
dpargner les innocents. Aussi, la violence ascendante des mesures coercitives a pour
corollaire la ncessaire discrimination des coupables des innocents. La discrimination assure
par les gardiens de la libert individuelle et par les conseils des parties est le compromis
ralis entre dun ct la violence des recherches et de lautre la punition des coupables et la
protection des innocents. Cette administration de la justice tend effectivement rconcilier les
deux exigences fondamentales et contradictoires de la procdure pnale : prserver les

101
Prc.
102
On peut remarquer, outre les modifications de fond apportes larticle, la substitution des termes indices faisant prsumer ceux
d indices rendant vraisemblable car ils donnaient le sentiment dune violation flagrante de la prsomption dinnocence. Mais seul le
champ lexical a chang.
103
Crim. 4 janvier 1990, Bull. crim. n5, arrt Cisse.
104
Crim. 8 avril 1992, D. 1993, Somm. p. 204, obs. J. Pradel.
35
innocents de lerreur policire et judiciaire et punir les coupables le plus tt possible. La
peine imbrique inextricablement dans linstruction est certes pralable au procs mais
nest que progressive et fortement contrle par les magistrats, gardiens de la libert
individuelle. Le droit positif napporte finalement comme solution la contradiction
fondamentale quune conciliation. Larticle 1
er
III du C.P.P. disposant que les mesures
de contraintes dont (le prsum innocent) fait lobjet sont prises sur dcision ou sous le
contrle effectif de lautorit judiciaire. Elles doivent tre strictement limites aux ncessits
de la procdure, proportionnes la gravit de linfraction reproche et ne pas porter atteinte
la dignit de la personne en est la parfaite illustration. Par cela, le droit positif dplace le
centre de gravit du procs. Il faut percevoir leffet pervers des dispositions qui prservent les
innocents et garantissent lintervention judiciaire avant le jugement : elles dsignent les
coupables et accrditent leur culpabilit. Elles permettent, certes dexclure les innocents des
mesures coercitives mais dsignent a contrario les coupables avant leur procs. Le fait que la
plupart des personnes poursuivies soient effectivement condamnes est certes profitable aux
innocents, mais de facto, apparat comme prjudiciable aux coupables, dsigns avant toute
condamnation.
Comment penser quune personne lencontre de laquelle il existe des indices faisant
prsumer quelle a commis ou tenter de commettre une infraction , place en garde vue
sous le contrle du procureur de la Rpublique, et ce titre assurant le respect de la libert
individuelle, poursuivie par un tel magistrat, mise en examen par un juge dinstruction, juge
du sige, signifiant quil existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable
quelle ait pu participer, comme auteur ou complice la commission dune infraction, place
en dtention provisoire par le juge des liberts et de la dtention et renvoye devant la
juridiction de jugement, puisse tre innocente ?
Les poursuites engages par le procureur de la Rpublique, certes accusateur mais aussi, et de
plus en plus protecteur, ne sont-elles pas trs probablement fondes ? Comment ne pas
considrer une ordonnance de renvoi comme un jugement de condamnation quand
linstruction nest plus, aujourdhui, le bras arm de laccusation mais une phase de la
procdure o doit clater la vrit (art. 81 alina 1
er
C.P.P.) et o le mis en examen dispose
quasiment dun droit la vrit (art. 82-1 et 186-1 C.P.P.)
105
? Comment la juridiction de
jugement peut-elle ne pas tre juge de la confirmation quand une pluralit dapprciations

105
La crainte ressentie de voir se transformer le cabinet dinstruction en une espce de tribunal secret, o dj le procureur requiert et o
plaident les dfenseurs (Doc. parl. Ass. nat. III, 1955-1956, n4255, p. 87) nest, aujourdhui, pas sans fondement.
36
judiciaires attestent dune culpabilit inluctable
106
? Lindpendance et limpartialit, non pas
personnelles mais institutionnelles, des magistrats du sige sont en cause.
Ainsi, au fil de la procdure, la prsomption dinnocence, qui ne renvoie plus un doute avr
rayonne par son artificialit : plus une personne est prsume innocente, plus elle est
coupable. Elle apparat alors comme un privilge exorbitant. Doit-on alors stonner des
relations souvent conflictuelles quentretiennent prsums innocents et socit civile ?

106
Pour cette raison, il serait impossible de faire appel devant la chambre daccusation, des ordonnances de renvoi du juge dinstruction. Le
prvenu se prsenterait devant le tribunal avec un prjug plus dfavorable. Brouchot, rev. sc. crim. 1957, p. 107. Pour un exemple de
37
II) La protection de la prsomption dinnocence et les spectateurs du procs
pnal
Lambivalence de notre systme rpressif, formellement fond sur le procs mais
incontestablement tourn vers la procdure, est source de tensions entre les prsums
innocents et les spectateurs du procs pnal qui, plus que jamais, en raison de limportance du
droit pnal dans notre socit, sont intresss par le fonctionnement de notre justice pnale.
En effet, comment assurer la primaut du procs et prserver les prsums innocents des
remontrances de la socit civile quand une procdure pnale engage est dj le signe dune
culpabilit naissante ? Cette interrogation marque indubitablement les limites de la protection
de la prsomption dinnocence devant les spectateurs du procs pnal : notre droit peut
sanctionner les atteintes grossires la prsomption dinnocence, lorsque lindividu est
prsent explicitement comme coupable avant condamnation (A) mais il ne peut, sous peine
de se contredire, condamner des atteintes plus subtiles notamment lorsque la libert
dexpression napparat que comme le support des imperfections de la procdure pnale (B).
A) Linterdiction de prsenter une personne comme coupable avant condamnation
Parce que seule une condamnation pnale, rsultante dun procs, peut renverser la
prsomption dinnocence et faire apparatre la culpabilit, un individu ne peut pas,
antrieurement, tre coupable dune infraction. En ralit, la culpabilit relle ne concide
jamais avec la culpabilit juridique puisque celle-ci est ncessairement retarde par le procs
et la condamnation qui en dcoule ventuellement. A cet gard, lartifice de la prsomption
dinnocence est patent. Il lest encore plus quand on songe aux symptmes de culpabilit que
dgage la procdure pnale. De ce point de vue, le jugement pnal est bien plus un jugement
dclaratif quun jugement constitutif. Ainsi sexpliquent les nombreuses atteintes portes
linnocence des prsums innocents. Pourtant la rgle est stricte et tend garantir le monopole
du procs dans la rpression : une personne ne doit pas tre prsente comme coupable avant
condamnation. Cette rgle repose sur un double fondement : il est non seulement faux (ce qui
nous venons de le voir, est discutable) mais aussi prjudiciable (ce qui est moins discutable)
de poser la culpabilit dun prsum innocent. Ainsi, lindpendance de la justice doit tre
prserve et la dignit des personnes protge. Evidemment la protection sefface lorsque la

jugement de confirmation : en pratique, le juge de jugement a tendance, pour ne pas dsavouer le juge dinstruction condamner une peine
38
prsomption est renverse. En effet, en dehors des textes qui prvoient un champ
dapplication spcifique, la protection de la prsomption dinnocence steint par leffet dune
dcision de condamnation. Mais quelle dcision de condamnation ? Relativement larticle 9-
1 C.c, la Cour de cassation a considr que seule une dcision irrvocable faisait
disparatrela prsomption dinnocence
107
. Il faut semble-t-il en dduire quun appel
interjet ou quun pourvoi en cassation form aprs une dcision de condamnation ne font pas
disparatre la prsomption dinnocence. Postrieurement la dcision irrvocable, la
culpabilit peut tre largement commente sous rserve dune certaine forme de droit loubli
pour le dlinquant
108
. La protection de la prsomption dinnocence sorganise non seulement
autour dun arsenal rpressif afin de sanctionner le fautif mais aussi autour dun systme
prventif car lessentiel est dviter une diffusion de linformation errone.
1) La rpression des atteintes la prsomption dinnocence
Le terme de rpression ne doit pas tre compris dans son sens juridique puisque nous
envisagerons, certes, un infraction pnale, la diffamation mais aussi les mesures pcuniaires
qui peuvent tre prononces par le juge. Notons cependant que les dommages-intrts
sontfonds sur la rparation du prjudice moral qui laisse une grande marge
dapprciation au juge. La tentation apparat ainsi de faire jouer aux dommages-intrts le rle
dune sanction davantage que celui dune rparation
109
.
a) La diffamation

au moins gale la dure de la dtention provisoire.
107
Cass. 1
re
civ. 12 nov. 1998, Le point c/ Patrick Poivre dArvor. D. 1998, I.R. p. 265. Lgipresse mai 1999, III-58. Peu avant, le TGI de
Paris avait considr que le bnfice de larticle 9-1 C.c ne pouvait plus tre invoqu ds quune sanction mme non dfinitive, avait t
prononce par une juridiction de jugement. Le tribunal avait cependant retenu lapplication de larticle 1382 C.c en reconnaissant le droit
pour un individu de ne pas tre prsent comme ncessairement coupable tant quil na pas t irrvocablement condamn. TGI Paris, 13 mai
1998, J.-M. Deperrois c/ Socit Hachette-Filipacchi, Lgipresse nov. 1998, III-155
108
Le TGI de Paris avait reconnu le droit loubli dune personne, dont Paris-Match avait publi la photographie suivie du qualificatif de
criminelle , alors qu elle avait t condamne depuis plus de dix ans et quelle venait de se rinsrer. Paris-Match avait t condamn
40000 francs de dommages et intrts. TGI Paris, 20 avr. 1983, J.CP. 1985. II. 20434, n. R. Lindon. La Cour de cassation a pourtant exclu le
bnfice du droit loubli en raison de la notorit des faits bien que datant de 40 ans. Civ. 1
re
, 20 nov. 1990, JCP. 1992. II. 21908, n. J.
Ravanas. Plus rcemment, la Cour dappel de Montpellier a considr que le droit loubli ntait pas absolu et quil appartenait au juge de
se prononcer en fonction des circonstances de lespce en tenant compte du droit du journal dapporter une information libre, complte et
objective mais galement de la gravit relative des faits, du temps coul depuis leur commission, ainsi que des efforts de rinsertion des
personnes anciennement condamnes, ds lors quayant purg leur peine, elles peuvent lgitimement sopposer au rappel de leurs actes
passs, si un tel rappel ne rpond aucune ncessit dordre thique, historique ou scientifique. Cour dappel de Montpellier, 8 avril 1997,
Lindpendant du Midi c/ N. Besse. Lgipresse mai 1998, I-52.
109
Patrick Auvret, Les sanctions du non-respect de la prsomption dinnocence par les journalistes, G.P. 1995. 3. p. 1053.
39
La diffamation est une notion indpendante et extrieure la prsomption dinnocence
110
.
Pourtant, lheure actuelle, elle reprsente la seule sanction pnale de porte gnrale
rprimant le non-respect de la prsomption dinnocence. Effectivement, la diffamation ne
protge pas, proprement parler, la prsomption dinnocence. Elle est une infraction au droit
de la presse prvue larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse. Cet
article dispose que Toute allgation ou imputation dun fait qui porte atteinte lhonneur ou
la considration de la personne ou du corps auquel le fait est imput est une diffamation .
Linfraction est punie dune amende de 80 000 francs
111
. Elle est conforme larticle 10 de la
convention E.D.H. qui protge la libert dexpression car la Cour E.D.H. admet que cette
libert nest pas absolue
112
. Dailleurs la Cour de cassation a jug, sur le fondement de
larticle 102 de la convention E.D.H. la conformit de lincrimination la convention en
considrant que la libert dexpression pouvait tre soumise certaines conditions,
restrictions ou sanctions prvues par la loi et qui constituent des mesures ncessaires dans une
socit dmocratique
113
. La diffamation se distingue de linjure qui est, selon lalina 2 de
larticle 29 Toute expression outrageante, termes de mpris ou invective qui ne renferme
limputation daucun fait . Seule la diffamation est protectrice de la prsomption dinnocence
car la violation de cette dernire ncessite limputation dun fait prcis : la commission dune
infraction avant condamnation.
La rpression est largement ouverte puisque lincrimination protge autant les personnes
physiques que morales
114
. Lallgation ou limputation dun fait prcis peut ntre
quindirecte et rsulte dune reproduction. Par exemple, le fait que larticle contenant des
imputations diffamatoires reprenne textuellement une dpche de lAFP ne constitue pas une
excuse absolutoire
115
. De mme, limputation dun fait dtermin et prcis entre dans le
champ dapplication de larticle 29 mme si elle est prsente sous une forme interrogative
116
ou semi-interrogative
117
. La forme ngative nexclut pas non plus la diffamation
118
, ni mme
la forme dubitative ou conditionnelle
119
. Mme une insinuation peut tre diffamatoire car

110
Laction en diffamation a une cause diffrente de laction pour atteinte la prsomption dinnocence prvue par larticle 9-1 du Code
civil. TGI Paris, 11 mars 1998, Lgipresse 1998, I-89.
111
Notons que cest la loi n2000-516 du 15 juin 2000 qui modifie larticle 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse en
remplaant les mots dun emprisonnement de six mois et dune amende de 80 000 francs, ou de lune de ses deux peines seulement par
les mots dune amende de 80 000 francs .
112
Arrt du 26 nov. 1991, Sunday times, srie A n27.
113
Cass. crim. 13 juin 1993 : Bull. crim. n217.
114
Cass. crim. 12 oct. 1976 : Bull. crim. n287.
115
TGI Paris, 3 juillet 1997 : Lgipresse 1997, I-51.
116
Cass. crim. 21 fv. 1967 : Bull. crim. n76.
117
Cass. crim. 18 nov. 1892 : DP 1894, 1, 139.
118
Paris, 1
er
juin 1960 : Gaz. Pal. 1960. 2. 142.
119
Cass. crim. 20 juin 1946 : Gaz. Pal. 1946. 2. 178.
40
selon lart. 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute expression qui contient limputation dun
fait prcis et dtermin, de nature porter atteinte lhonneur ou la considration de la
personne vise, constitue une diffamation, mme si elle est prsente sous une forme
dguise, dubitative ou par voie dinsinuation
120
. Par exemple constituent des cas de
diffamation le fait de dire que quelquun a fait lobjet dune condamnation
121
. Par ailleurs,
contrairement larticle 9-1 C.c, larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 nexige pas que les
faits allgus ou imputs fassent lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire. De
mme, la publicit nest pas, contrairement larticle 9-1 C.c, une condition dapplication de
la diffamation puisque la diffamation non publique (cest dire non ralise par les moyens
prvus larticle 23 de la loi) est rprime larticle R.621-1 du Code pnal par une
contravention de premire classe.
Par contre, parce que la loi du 29 juillet 1881 protge la libert de la presse, les conditions de
mise en uvre de la responsabilit pnale sont draconiennes. Tout dabord, la poursuite
pnale ncessite la plainte pralable de la personne diffame
122
. Paralllement, le dsistement
du plaignant ou de la partie poursuivante a pour effet darrter la poursuite commence
123
.
Ensuite, la citation en justice doit rpondre aux exigence de larticle 53 (de la loi du 29 juillet
1881) et notamment prciser et qualifier le fait incrimin et indiquer le texte de loi applicable
peine de nullit de la poursuite. Enfin, le dlai de prescription est extrmement bref, puisque
laction publique et laction civile se prescrivent aprs trois mois rvolus compter du jour o
linfraction a t commise ou du jour du dernier acte dinstruction ou de poursuite sil en a t
fait
124
. Linterruption du dlai de prescription, avant lengagement des poursuites est, lui
aussi, strictement dlimit puisque seules des rquisitions aux fins denqute sont
interruptives de prescription
125
. La loi n93-2 du 4 janvier 1993 a apport une innovation
protectrice de la prsomption dinnocence puisqu en cas dimputation portant sur un fait
susceptible de revtir une qualification pnale, le dlai de prescription prvu par larticle 65
est rouvert ou court nouveau, au profit de la personne vise, compter du jour o est
devenue dfinitive une dcision pnale intervenue sur ces faits et ne la mettant pas en
cause
126
.

120
Cass. crim. 3 juillet 1996 : Lgipresse 1997, n139, III, p. 19.
121
Cass. crim. 15 oct. 1985 : JCP 1986. IV. 5.
122
Art. 48 de la loi du 29 juillet 1881. Cass. crim. 22 mai 1990 : Bull. crim. n211.
123
Art. 49 de la loi du 29 juillet 1881.
124
Art. 65 alina 1
er
de la loi du 29 juillet 1881.
125
Art. 65 alina 2 de la loi du 29 juillet 1881.
126
Art. 65-2 de la loi du 29 juillet 1881.
41
Une difficult rside dans ladmission de lexception de vrit qui, en principe, est admise. En
effet, sil est admis que la preuve du fait diffamatoire est un fait justificatif qui anantit
linfraction, comment rapporter la preuve de ce fait sans corner la prsomption dinnocence ?
Larticle 35 c (de la loi du 29 juillet 1881) apporte une solution puisquil impose un sursis
statuer obligatoire lorsque, lors dune action en diffamation, la preuve de la vrit des faits est
lgalement interdite et que les faits considrs comme diffamatoires sont lobjet de poursuite
commences, soit la requte du ministre public, soit sur plainte du prvenu
127
. Ces
hypothses sont marginales et nintressent vraisemblablement pas la protection de la
prsomption dinnocence car, en principe, si les faits incrimins comme diffamatoires font
lobjet dune simple enqute ou dune instruction, le sursis statuer nest que facultatif. Le
juge pourra lenvisager, en dehors des fondements de la loi du 29 juillet 1881, dans le cadre
dune meilleure administration de la justice afin dapprcier la responsabilit du prvenu de
diffamation. Un tel sursis est pourtant quasiment systmatiquement rejet car lintress
doitdisposer, au moment o lcrit diffamatoire est rendu public, des lments de nature
rapporter la preuve de lintgralit des faits rapports, sans attendre du rsultat dune autre
procdure les lments de nature lexonrer de sa responsabilit
128
. Ainsi, le TGI de Paris
avait estim que tout organe de presse ou dinformation doit, au moment o il porte la
connaissance du public des faits susceptibles de mettre en cause une personne dans des
conditions diffamatoires, disposer des preuves de ses allgations. Il ne saurait attendre, de
lissue de lenqute pnale en cours, les lments de conviction qui lui font dfaut pour
dmontrer la vrit des faits diffamatoires ou justifier de sa bonne foi
129
. De plus, la preuve
de la vrit, pour produire son effet absolutoire, doit tre complte et absolue et couvrir les
imputations dans tous leurs lments et dans toute leur porte
130
. Pour cette raison, les
dcisions qui retiennent la vrit du fait diffamatoire sont rarissimes. De mme, il arrive que
les tribunaux rejettent une demande de sursis statuer, considrant que latteinte la
prsomption dinnocence, commise ds la publication de larticle incrimin nest pas
susceptible dtre rtroactivement efface par un jugement de condamnation
131
. Par cette
dernire dcision, on peroit la difficile intgration du mcanisme de lexception de vrit
dans le droit de la prsomption dinnocence. Lartifice de la prsomption dinnocence na-t-il
pas vocation transcender la vrit puisque mme les coupables doivent pouvoir en
bnficier ?

127
TGI Paris, 27 mai 1997 : Lgipresse 1997, I-118.
128
Jean-Yves Dupeux, note sous TGI Paris, 16 dc. 1994, D. 1997, sommaires comments, p. 89.
129
TGI Paris, 10 juin 1996, Lgipresse 1997, I-85.
130
Cass. crim. 16 mars 1948 : JCP 1948. II. 4431, note A. Colombini.
42
En dehors de la diffamation, dautres dispositions rpriment le fait pour un individu de
prsenter une personne comme coupable avant condamnation, mais devant une juridiction ou
une autorit susceptible dy donner suite. La difficult centrale rside dans la ligne de partage
dlimiter entre le droit pour les particuliers de saisir un tribunal rpressif en tant
logiquement convaincus de la culpabilit du prvenu ou de laccus, le droit voire le devoir
dalerter dune infraction
132
et les constitutions malfaisantes de parties civiles ainsi que les
dnonciations diffamantes. Le droit positif autorise la poursuite pour dnonciation
calomnieuse, incrimination prvue larticle 226-10 du Code pnal, quand lintress
connaissait la fausset des faits imputs au moment de la plainte ou stait port partie civile
dans lintention de nuire. Le Code de procdure pnale autorise
133
le tribunal correctionnel,
saisi par citation directe et qui prononce la relaxe du prvenu, condamner, sur rquisition du
procureur de la Rpublique, la partie civile au paiement dune amende civile dont le montant
ne saurait excder 100 000 francs. Une disposition similaire
134
donne le droit au juge
dinstruction, sur rquisition du procureur de la Rpublique, de prononcer contre la partie
civile, la suite dun ordonnance de non-lieu et dune constitution de partie civile abusive et
dilatoire, une amende dont le montant ne saurait excder 100 000 francs et qui est garantie par
la consignation fixe en application de larticle 88 du Code de procdure pnale
135
.
b) Les mesures pcuniaires
A ct des mesures purement rpressives, le prsum innocent peut obtenir des
ddommagements pcuniaires. La voie la plus emprunte est celle de la diffamation en vertu
du principe selon lequel laction civile en rparation du dommage caus par une infraction
appartient tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage caus par linfraction
136
.
Cependant le Code civil larticle 9-1 alina 1
er
, depuis 1993
137
, dispose que chacun a la
droit au respect de la prsomption dinnocence . Lalina 2 du texte permet au juge,
lorsquune personne est avant toute condamnation prsente publiquement comme coupable

131
TGI Paris, 5 janvier 1994, Gazette du Palais 6 septembre 1994.
132
Larticle 40 alina 1
er
du Code de procdure pnale ndicte aucune obligation pour les particuliers (contrairement aux autorits, officiers
publics ou fonctionnaires) de dnoncer une infraction. Il sagit simplement pour eux dun droit et dune facult.
133
Article 392-1 du Code de procdure pnale (modifi par la loi n2000-516 du 15 juin 2000).
134
Article 177-2 du Code de procdure pnale (issu de la loi n2000-516 du 15 juin 2000).
135
Article 88-1du Code de procdure pnale (modifi par la loi n2000-516 du 15 juin 2000).
136
Article 2 alina 1
er
du Code de procdure pnale.
137
Loi n93-2 du 4 janvier 1993 a ensuite t modifie par la loi n93-1013 du 24 aot 1993 puis par la loi n2000-516 du 15 juin 2000.
43
de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire, dallouer des dommages
et intrts
138
. Le juge peut conjuguer cette mesure avec linsertion dune rectification ou la
diffusion dun communiqu
139
. La loi n2000-516 du 15 juin 2000 a largi le champ
dapplication du texte puisque peut sen prvaloir toute personne ds lors quelle est prsente
publiquement comme coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction
140
.
Mme les personnes qui ne sont pas places en garde vue ni mises en examen ou qui ne font
pas lobjet dune citation comparatre en justice, dun rquisitoire du procureur de la
Rpublique ou dune plainte avec constitution de partie civile peuvent fonder leur action sur
larticle 9-1 C.c. Notons cependant que la diffamation dispose dun champ dapplication plus
large puisquelle nest ni suspendue une allgation ou une imputation publique de
culpabilit, la diffamation non publique tant rprime, ni lexistence dune enqute ou
dune instruction. De plus, il appartient au demandeur dapporter la preuve quil se trouve
dans lun des cas prvus par larticle 9-1 du code civil pour se prvaloir du droit au respect de
sa prsomption dinnocence
141
. A cet gard, on peut penser quil est parfois difficile de
rapporter la preuve dune enqute prliminaire ou mme dune instruction. Par contre,
contrairement la diffamation, larticle 9-1 C.c nadmet pas lexception de vrit comme
fait justificatif . En ce sens, il peut apparatre comme une voie de droit moins dangereuse
pour le prsum innocent et logiquement mieux adapte au respect de la prsomption
dinnocence. La prescription de larticle 9-1 C.c est calque sur celles des infractions de
presse puisque les actions fondes sur une atteinte au respect de la prsomption dinnocence
commise par lun des moyens viss larticle 23 se prescriront aprs trois mois rvolus
compter du jour de lacte de publicit
142
.
Du fait de ces courtes prescriptions, invitablement, se pose la question de lapplication des
rgles de droit commun de la responsabilit civile dlictuelle soumise la prescription
trentenaire. Comme le signalait dj un auteur avis en 1993, Lexprience montre quil ny
aura pas longtemps avant quun plaideur, par incomptence ou inadvertance, oublie
dinterrompre la prescription trimestrielle prvue larticle 65-1 de la loi du 29 juillet, et tente
de faire valoir que latteinte la prsomption dinnocence constitue galement une faute civile
sur le fondement de larticle 1382 du Code civil
143
. Le problme de lapplication des rgles

138
Par exemple, TGI Paris, 14 fv. 1996 : Juris-Data n041115.
139
Par exemple, TGI Paris, 15 nov. 1995 : Juris-Data n047973.
140
Larticle 9-1 C.c nexige cependant pas que la procdure denqute ou dinstruction soit mene par les autorits franaise. TGI Paris, 1
er
juin 1993, n105, I, p. 117.
141
Paris, 17 fv. 1999, Villeneuve c/ SNC le Parisien, Lgipresse avril 1999, I-40.
142
Art. 65-1 de la loi du 29 juillet 1881.
143
Christophe Bigot, Les modifications rcentes du droit de la presse, Gaz. Pal. du 26 aot 1993, p. 1066.
44
de la responsabilit civile la presse sapprcie la lumire dune des finalits de la loi du 29
juillet 1881. Selon un auteur, cette loi assurerait relativement la libert dexpression un
systme juridique clos se suffisant lui mme arbitrant une fois pour toutes, les intrts en
prsence, y compris les intrts civils et enlevant du mme coup larticle 1382 une portion
de sa comptence diffuse
144
. Dailleurs cette comptence diffuse est problmatique au
regard de la jurisprudence de la Cour E.D.H. qui nadmet de restriction lgale la libert
dexpression que suffisamment constante, certaine, prcise et prvisible. A ce sujet un dbat
jurisprudentiel sest engag entre la Cour dappel de Paris et la Cour de cassation. Selon la
juridiction du fond, en matire de presse, il convient, certes dappliquer, mais de restreindre
lapplication des rgles de droit commun aux comportements abusifs dune certaine gravit ou
portant atteinte des intrts fondamentaux
145
. Selon la haute juridiction, la limitation du
champ dapplication de larticle 1382 C.c. en matire de presse ne peut tre restreinte
certains cas limitativement numrs et constitue un refus dapplication de la loi
146
. Cette
position a t confirme, sur renvoi, par la Cour dappel de Versailles
147
. Cependant la
responsabilit civile de droit commun na pas vocation protger la prsomption dinnocence.
Si elle est, en principe
148
, applicable en matire de presse, la responsabilit civile ne doit pas
avoir pour effet dluder les courtes prescriptions dictes par les articles 65 et 65-1 de la loi
du 29 juillet 1881
149
. Ainsi, lorsquune action intente dans le cadre de la responsabilit civile
de droit commun a pour cause une allgation ou une imputation dun fait prcis portant
atteinte lhonneur ou la considration de la personne, le juge est tenu de requalifier laction
et le cas chant de constater la prescription
150
. Doit-on retenir une solution identique
lorsquune action fonde sur la responsabilit civile aurait pu ltre sur larticle 9-1 C.c. ?
Comme un auteur, il nous semble que ce serait manifestement tenter de saffranchir des
rgles procdurales destines protger la libert de la presse que de fonder uneaction sur
larticle 1382 du Code civil, simplement pour chapper aux rgles de prescription
151
,
dautant que larticle 9-1 C.c apparat comme un texte spcial protgeant la prsomption
dinnocence. Il faut sans doute se rapporter au TGI de Paris estimant quil ne peut tre exclu

144
Jean Carbonnier, Le silence et la gloire, D. 1951. Chron. 119.
145
Paris, 19 nov. 1990, Lgipresse n79, p. 16.
146
Cass. 2
me
civ. 5 mai 1993, D. 1994, somm. p. 194.
147
Versailles, 17 mai 1995, D. 1997, somm. p. 73.
148
Le TGI de Paris ne semble pas dcid suivre la solution propose par la Cour ce cassation. En 1997, il retient quil ne peut tre exclu
quele rgime gnral de la responsabilit civile, prvu larticle 1382 du Code civil soit applicable en matire de presse et ddition. Cest
alors la condition que la publication litigieuse constitue un abus de la libert dexpression caractris soit par une dnaturation ou une
falsification des faits, soit par une ngligence grave dans la vrification des information, traduisant un mpris flagrant pour la recherche de la
vrit ou une intention malveillante . TGI Paris, 29 oct. 1997, Lgipresse 1998, I-25.
149
On considre a priori que la prescription dicte par larticle 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 ne concerne pas les actions bases sur la
responsabilit civile et visant rprimer une atteinte la prsomption dinnocence. La solution nous semble pourtant incertaine.
150
Parmi de nombreuses dcisions, Cass. 2
me
civ. 9 dc. 1999, Lgipresse 2000, I-52.
151
Christophe Bigot, note prcite.
45
que, indpendamment des dispositions de la loi de 1881 ou des textes relatifs la protection
de la vie prive et de la prsomption dinnocence, le rgime gnral de la responsabilit
civile, prvu par larticle 1382 du code civil, soit galement applicable en matire de presse et
ddition
152
. Ainsi, il est vident que larticle 1382 C.c. na quun intrt rsiduel voire nul
pour les prsums innocents
153
.
Mais en dehors de la presse, le principe de la responsabilit civile peut-il tre un alli de la
prsomption dinnocence ? Une affaire rcente particulirement instructive, nous rvle le
lien intime qui unit le droit limage la prsomption dinnocence
154
. Elle concernait une
cliente de supermarch dont le passage la caisse avait dclench un signal dalarme antivol.
Alert, un agent de scurit lui avait demand douvrir son sac et de lui remettre son manteau
dans lequel il dcouvrit un cygne en plastique dune valeur de cinquante francs. La cliente
assigna la socit exploitant le supermarch en dommages-intrts en raison du traitement
subi. Dboute en premire instance, elle obtint satisfaction devant la Cour dappel. Celle-ci
constate que le supermarch a viol larticle 73 du Code de procdure pnale qui autorise
toute personne apprhender lauteur dun crime ou dun dlit flagrant puni dune peine
demprisonnement car il a port atteinte limage de probit de lintress en lui causant un
dficit de considration et lui accorde 3000 francs au titre des dommages-intrts sur le
fondement de larticle 1382 C.c. Comme le remarque lannotatrice, ce qui tait
principalement reproch aux dirigeants du supermarch, ctait davoir procd la fouille en
public, sans aucune discrtion, car ces circonstances taient de nature engendrer la mfiance
voire le mpris des autres clients lgard de la cliente qui faisait lobjet de la fouille . Ce
droit limage aurait un double fondement, le droit la dignit et le droit la prsomption
dinnocence. Cette affaire montre la vocation gnrale de larticle 1382 C.c. protger
limage de la personne et travers elle sa prsomption dinnocence
155
.
2) La prvention des atteintes la prsomption dinnocence
A bien des gards, la violation de la prsomption dinnocence napparat dangereuse pour le
prsum innocent quau cas de publicit du forfait. Le champ dapplication de larticle 29 de

152
TGI Paris, 29 oct. 1997, prcit.
153
Ceci nous semble encore plus vrai aujourdhui car le champ dapplication de larticle 9-1 alina 2 du Code civil vient dtre tendu par la
loi n2000-516 du 15 juin 2000. Une atteinte la prsomption relve gnralement de la diffamation ou (et) de larticle 9-1 alina 2 du Code
civil.
154
Cass. 2
me
civ. 1
er
avril 1999, jurisp. p. 387, note Danile Mayer. On peut signaler une jurisprudence reconnaissant le droit limage dune
personne dtenue dans une prison. La juridiction retient que la privation de la libert daller et venir nimplique nullement que limage de la
personne, en tant que dtenue, soit expose, sans son accord, aux regards des lecteurs, dans le seul intrt commercial de lentreprise. Paris,
29 novembre 1994, Lgipresse 1994, III-176.
46
la loi du 29 juillet 1881 et celui de larticle 9-1 C.c en tmoignent. La publicit du mfait
conditionne lapplication de ces deux textes. Par l, il faut comprendre que la violation de la
prsomption dinnocence na pas tant pour origine la faute en elle-mme que sa publicit.
Aussi, afin dviter la propagation de la nouvelle inexacte, le droit positif prvoit des mesures
de contre-information et de manire plus nergique un contrle de linformation la source.
a) Les mesures de contre-information
Les mesures de contre-information visent lutter contre les campagnes de dsinformation
qui prsentent maladroitement les personnes aux prises avec la justice comme coupables des
faits qui leur sont reprochs. Diverses ripostes juridiques sont possibles.
Larticle 9-1 C.c. dont nous avons dj fait mention et qui donne la possibilit au juge
dallouer des dommages-intrts en cas de violation de la prsomption dinnocence dispose
que lorsquune personne est, avant toute condamnation prsente publiquement comme
coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction judiciaire, le juge peut,
mme en rfrprescrire toutes mesures telles que linsertion dune rectification ou la
diffusion dun communiqu, aux fins de faire cesser latteinte la prsomption dinnocence,
et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte . Prcisons
que la possibilit dinsrer une rectification est une innovation de la loi n2000-516 du 15 juin
2000
156
. Contrairement larticle 9 C.c protecteur de la vie prive, larticle 9-1 C.c envisage
la procdure de rfr comme une procdure autonome, quasiment de droit commun puisque
celle-ci nest pas subordonne lurgence. On avait fait remarquer que les limites de larticle
9-1 C.c pouvaient tre aisment contournes, dans lhypothse o ses conditions dapplication
ntaient pas runies. Comme le notait un auteur en 1994, lorsquune personne mise en
cause estimera que les conditions du 2
me
alina de larticle 9-1 du Code civil risquent de ne
pas tre remplies, elle se placera sur le terrain de larticle 809 du Code de procdure
civile
157
. En effet cet article libre des contraintes nonces larticle 9-1C.c puisquil
dispose que le prsident peut toujours mme en prsence dune contestation srieuse,
prescrire en rfr les mesures conservatoires ou de remise en tat qui simposent, soit pour
prvenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite . Il
est vident quune violation de la prsomption dinnocence constitue bien souvent un trouble

156
En ralit, elle ne fait que reprendre les termes de la loi du n93-2 du 4 janvier 1993.
157
Patrick Auvret, Le droit au respect de la prsomption dinnocence, JCP G 1994, I, 3802.
47
manifestement illicite qui autorise le juge des rfrs prescrire une mesure de contre-
information. Dailleurs, larticle 9-1 C.c disposait que les mesures ordonnes sur ce
fondement ltaient sans prjudice des autres mesures pouvant tre prescrites en application
du nouveau Code de procdure civile. La solution actuelle, la lecture de la nouvelle
rdaction de larticle 9-1 C.c issue de la loi n2000-516 du 15 juin 2000 nest pas assure.
Non seulement toute rfrence aux mesures prescrites en application du nouveau Code de
procdure civile a disparu, mais le juge des rfrs semble dsormais asseoir sa comptence
exclusivement sur larticle 9-1 C.c puisquen vertu de cette article le juge peut, mme en
rfr, prescrire toutes mesures . Les mesures voques expressment cest dire linsertion
dune rectification et la diffusion dun communiqu ne constituent qu une liste indicative.
Pourtant, il nous semble que la comptence gnrale dattribution du juge des rfrs fonde
sur larticle 809 NCPC conserve, encore aujourdhui, son attrait et son importance pour les
prsums innocents. Concernant les mesures de contre-information spcifiquement voques
par larticle 9-1 C.c cest dire linsertion dune rectification ou la diffusion dun
communiqu, elles ne sont pas limites la publication concerne comme le disposait
lancien article 9-1 C.c. Le juge peut donc prescrire la publication dun communiqu dans un
priodique diffrent de celui qui est lorigine de linformation. En outre, les termes
publications concernes relevaient dune rdaction maladroite, laissant supposer que seule
la presse crite tait concerne lexclusion de la presse audiovisuelle
158
. Soulignons que
linsertion ou la diffusion destine faire cesser latteinte la prsomption dinnocence se
ralise au frais de la personne physique ou morale responsable de cette atteinte.
Larticle 13 de la loi du 29 juillet 1881 ne protge pas prcisment la prsomption
dinnocence mais prvoit un droit de rponse pour toute personne nomme ou dsigne dans
un journal ou priodique lorsquelle a t mise en cause. La mise en cause, qui ne ncessite
pas dimputation malveillante ou dapprciation dfavorable, est certainement ralise
lorsque la personne est prsente comme coupable dune infraction avant sa condamnation.
Lintress, pour faire connatre ses explications ou ses protestations peut introduire une
action en insertion force qui se prescrit aprs trois mois, compter du jour o la publication
a lieu, si le directeur de la publication ne fait pas droit sa demande. De mme, toute
personne nomme ou dsigne dans un journal ou un crit priodique, loccasion de
poursuites pnales peut galement exercer laction en insertion force, dans le dlai de trois

158
Hlne Bureau, note prcite. Pour un exemple dapplication de larticle 9-1 C.c laudiovisuel. TGI Paris, 7 juillet 1993 : JCP G 1994,
II, 22306 note Dupeux et Bigot.
48
mois compter du jour o la dcision de non-lieu dont elle fait lobjet est intervenue et celle
de relaxe ou dacquittement la mettant expressment ou non hors de cause est devenue
dfinitive
159
. On remarquera le lien de filiation de cette disposition avec larticle 65-2,
dailleurs issu de la mme loi. En rgle gnral, ce droit de rponse, nexclut pas les autres
mesures de contre-information. Par contre, larticle 13 de la loi de 1881 ne sapplique pas
aux services de communication audiovisuelle
160
et reste limit aux crits imprims.
Cest larticle 6 de la loi du 29 juillet 1982 qui accorde un droit de rponse toute personne
physique ou morale dans le cas o des imputations susceptibles de porter atteinte son
honneur ou sa considration aurait t diffuses dans le cadre dune activit de
communication audiovisuelle . La demande dexercice du droit de rponse doit tre
prsente dans les trois mois suivant celui de la diffusion du message contenant limputation
qui la fonde. Toutefois, la manire le larticle 13 in fine et 65-2 de la loi du 29 juillet 1881,
le dlai est rouvert pour la mme dure, lorsqu loccasion de poursuites pnales, ont t
diffuses dans le cadre dune activit de communication audiovisuelle des imputations
susceptibles de porter atteinte lhonneur ou la rputation dune personne physique ou
morale
161
.
Le Code de procdure pnale prvoit, quant lui, deux dispositions aux articles 177-1 et 212-
1 qui permettent aux juridictions dinstruction, juge dinstruction et chambre de linstruction
dordonner des publications judiciaires la suite dun non-lieu
162
. Ces dispositions ne
sanctionnent pas une atteinte la prsomption dinnocence mais parent aux insuffisances de
linformation. En effet, le public est souvent abondamment inform de la mise en cause dune
personne durant linstruction. Inversement, un non-lieu est trs souvent pass sous silence.
Aussi, ces deux articles tentent de rtablir un quilibre. La publication judiciaire peut tre
demande par le bnficiaire du non-lieu ou avec son accord par le ministre public. Elle peut
aussi tre ordonne doffice par le juge dinstruction ou la chambre de linstruction avec
laccord de la personne concerne. Dans lhypothse o nest pas fait droit la demande, le
juge dinstruction doit rendre une ordonnance motive susceptible dappel devant la chambre
de linstruction. Quant la chambre de linstruction, elle doit rendre une dcision motive. Il
appartient aux juridictions dinstructions conformment aux alina 2 des articles 177-1 et 212-
1 de dterminer la teneur de la contre-information diffre. Si le Code de procdure pnale est

159
Article 13 dernier alina de la loi du 29 juillet 1881.
160
Paris, 27 nov. 1979 : DP 1980. 2. 155, note Nast.
161
Art. 6 alina 5 de la loi du 29 juillet 1982.
162
Ces deux dispositions ont t rformes par la loi n2000-516 du 15 juin 2000.
49
muet sur ce point, il semble que les frais rsultant de la publication sont la charge de
lEtat
163
.
La loi n2000-516 du 15 juin 2000 a ajout un alina 2 larticle 11 C.P.P. afin dviter la
propagation dinformations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin un trouble lordre
public . A cette fin, le procureur de la Rpublique peut, doffice et la demande de la
juridiction dinstruction ou des parties, rendre publics des lments objectifs tirs de la
procdure ne comportant aucune apprciation sur le bien-fond des charges retenues contre
les mises en cause .
Les garanties apportes par ces publications sont prcieuses pour le prsum innocent
puisquelles doivent rtablir la vrit judiciaire, savoir labsence de condamnation.
Malheureusement elles sont insuffisantes car leur retentissement mdiatique est moindre et le
mal est souvent dj fait. Les garanties vritables ne sont pas celles qui assurent une contre-
information mais celle qui empchent la diffusion de linformation prjudiciable.
b) Le contrle pralable de linformation
En droit positif, le contrle pralable de linformation est assur par la procdure de rfr qui
permet un contrle a priori de la libert dexpression. Plutt que de laisser le mal se
rpandre ou produire tous ses effets, pratiquement irrparables, ne vaut-il pas mieux, comme
cest le cas avec laction en rfr, lorsquil apparat trs grave et vident, dy mettre
exceptionnellement et avec toutes les garanties dune procdure judiciaire immdiatement un
terme ?
164
. Le rfr de droit commun est notamment institu larticle 809 du NCPC
qui autorise le prsident du tribunal, mme en prsence dune contestation srieuse,
prescrire en rfr les mesures conservatoires ou de remise en tat qui simposent, soit pour
prvenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Depuis la loi n2000-516 du 15 juin 2000, larticle 9-1 C.c autorise le juge, mme en rfr,
prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser latteinte la prsomption dinnocence. Doit-
on en conclure que le recours larticle 809 du NCPC est dsormais exclu pour les prsums
innocents ? une rponse positive ne nous apparat pas fonde car elle impliquerait, au
pralable, une dlimitation procdurale stricte de la notion datteinte la prsomption

163
Circulaire gnrale du 1
er
mars 1993.
164
Emmanuel Derieux, Rfr et libert dexpression, JCP G, I, p. 413.
50
dinnocence. Dautant que le champ dapplication des deux textes est fondamentalement
diffrent. De plus larticle 9-1 C.c autorise le juge des rfrs intervenir mais
seulement aux fins de faire cesser une atteinte la prsomption dinnocence et non pas
dans une perspective prventive comme le prvoit larticle 809 du NCPC. Cependant
latteinte la prsomption dinnocence est envisage par les tribunaux plutt comme un
trouble manifestement illicite que comme un dommage imminent. Par exemple, provoque
un trouble manifestement illicite latteinte porte par un ouvrage la prsomption
dinnocence
165
. Quoiquil en soit, larticle 809 du NCPC conserve son intrt pour les
personnes allguant une violation de leur prsomption dinnocence et ne pouvant se prvaloir
de larticle 9-1 C.c.
Le contrle a priori de la libert dexpression a t contest par certains comme ne rpondant
pas au contrle a posteriori soit-disant exig par larticle 11 de la D.D.H.C. qui prvoit que
la libre communication des penses et des opinions est un des droits les plus prcieux de
lHomme : tout Citoyen peut donc parler, crire, imprimer librement, sauf rpondre de
labus de cette libert, dans les cas dtermins par la loi . De mme, la pertinence et le
fondement rglementaire des dispositions du NCPC sont critiqus au regard de larticle 102
de la convention E.D.H. qui nadmet de restrictions la libert dexpression que prvues par
la loi et ncessaires dans une socit dmocratique. Pourtant, les tribunaux nont pas hsit
se prononcer en rfr dans cette matire. Le TGI de Paris a considr que la procdure de
rfr tait compatible avec larticle 10 de la convention E.D.H. car elle comportait la
facult pour la victime dobtenir par une procdure durgence la cessation du trouble et les
mesures de remise en tat indispensables
166
. La juridiction ajoute quen rpondant cet
objectif lgitime, la procdure de rfrsatisfait aux exigences de prvisibilit et de
ncessit de la norme restrictive de la libert dexpression . Lapplication stricte de larticle
809 du NCPC la libert dexpression a cependant t conteste, notamment par la Cour
dappel de Paris, celle-ci relevant que le respect du principe de valeur constitutionnelle de la
libert dexpression limite les pouvoirs du juge des rfrs dapporter des restrictions ce
principeaux seuls cas exceptionnels o aucune autre disposition napparat de nature
protger la personne vise contre une agression dont les consquences seraient sans cette
mesure, au moins en partie irrmdiables
167
. Pourtant la Cour de cassation avait auparavant
considr que viole larticle 809 alina 1
er
, en ajoutant au texte une condition quil ne

165
Civ. 2
me
, 19 fv. 1992 : Bull. civ. II, n61. TGI Paris, 13 oct. 1997, D. 1998, jurisp. p. 154. Paris, 6 avril 2000, Lgipresse 2000, III-94.
166
TGI Paris, 13 oct. 1997, D. 1998, jurisp. p. 154.
51
prvoit pas un arrt, qui, pour refuser de prendre des mesures dinterdiction dun film, relve
que latteintene constitue pas un trouble de gravit exceptionnelle, seul de nature justifier
des mesures restrictives de la libert dexpression
168
.
En pratique, la violation de la prsomption dinnocence, commandant lintervention du juge
des rfrs, rsulte dune diffamation. A cet gard, la Cour de cassation avait admis que
seules des mesures rapidement prononces et ncessairement proches par leur nature dune
dcision sur le fond, mais qui ont le caractre provisoire peuvent viter que se dveloppent les
consquences prjudiciables de la diffamation
169
. Larticulation de la diffamation avec cette
procdure nergique qui permet au juge dordonner de multiples mesures tels que
linterdiction pure et simple dun crit ou dune diffusion, des retraits gnraux ou partiels,
des reports de diffusion ou des avertissements donns aux lecteurs, sest pose en
jurisprudence. Dans lhypothse o les faits incrimins constituent lune des infractions
dfinies par la loi du 29 juillet 1881, la saisine du juges des rfrs est-elle interdite ? La Cour
dappel de Paris a rpondu par la ngative
170
. Le demandeur laction est-il contraint de
respecter les formalits de larticle 53 de la loi du 29 juillet 1881 relatives la citation en
justice lorsquil porte sa demande devant le juge des rfrs ? Dans la mesure o les faits
sanalysent en une diffamation publique envers un ministre, larticle 46 de la loi du 29 juillet
1881 qui porte interdiction la juridiction civile de connatre de laction civile en rparation
dun tel dlit, fait-il obstacle la comptence du juge des rfrs ? A ces deux questions, le
TGI de Paris a rpondu par la ngative
171
. En ralit, il semble que lexigence dune
intervention judiciaire immdiate transcende tous les obstacles juridiques
172
. Comme le
retient le TGI de Paris, lobjet de la procdure de rfr tend seulement au prononc des
mesures provisoires immdiatement ncessaires pour prvenir la ralisation dun dommage
imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite . Pourtant, les dispositions de
larticle 55 de la loi du 29 juillet 1881, qui accordent au prvenu de diffamation un dlai de
dix jours aprs la signification de la citation, pour faire loffre de preuve des faits allgus, se
sont rvles problmatiques. La Cour de cassation avait estim en 1992 qu aucune mesure
ne peut tre fonde en rfr sur ce que les allgations dun journal seraient dvidence
diffamatoires sans que le dfendeur ait dispos dun dlai de 10 jours prvus larticle 55 de

167
Paris, 26 fv. 1992 : JCP G 1993. II. 22022, note Galloux.
168
Civ. 1
re
, 21 juillet 1987 : Gaz. Pal. 1987. 2. 577.
169
Cass. 2
me
civ. 5 fv ; 1992, JCP G 1992, IV, 1009.
170
Paris, 6 avril 2000, Lgipresse 2000, III-94.
171
TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit.
172
Jean-Franois Burgelin, note sous TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit.
52
la loi du 29 juillet 1881 pour en rapporter la preuve
173
. Dans deux affaires mdiatiques
174
,
lune concernant la publication du livre Laffaire Yann Piat, des assassins au cur du
pouvoir , lautre la publication du livre Autopsie dune fraude lectorale , le juge des
rfrs a procd en deux temps afin dassurer un ncessaire quilibre entre la protection des
droits de la personnalit et le principe valeur constitutionnelle de la libert dexpression
assure par les dispositions dordre public de la loi du 29 juillet 1881. Dans un premier temps,
le juge des rfrs a fait immdiatement application des dispositions des articles 808 ou 809
du NCPC, lui permettant soit de prendre toutes mesures que justifie lexistence dun diffrent
soit de faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans un second temps, il a renvoy une
audience ultrieure afin de prserver le respect des droits de la dfense et lesprit de la loi du
29 juillet 1881. Signalons enfin que dans un but protecteur de la libert dexpression, la loi
n2000-516 du 15 juin 2000 a rintroduit un article 64 dans la loi du 29 juillet 1881 disposant
que lorsque ont t ordonnes en rfr des mesures limitant par quelque moyen que ce soit
la diffusion de linformation, le premier prsident de la Cour dappel statuant en rfr peut,
en cas dappel, arrter lexcution provisoire de la dcision si celle-ci risque dentraner des
consquences manifestement excessives .

173
Cass. 2
me
civ. 5 fv. 1992, prcit.
174
TGI Paris, 13 oct. 1997, prcit ; Paris, 6 avril 2000, prcit.
53
B) Le droit dinformer des affaires judiciaires
Une protection parfaite de la prsomption dinnocence lgard des spectateurs du procs
pnal est un leurre car les textes dont nous avons fait mention ont un champ dapplication
limit, tant suspendus un fait gnrateur : une dclaration de culpabilit. Or
paradoxalement cet lment dclencheur est insuffisamment protecteur de la prsomption
dinnocence ds lors que ne peut tre interdit aux particuliers et singulirement aux
journalistes de relater les procdures voire de traiter les affaires judiciaires.
1) Le droit de relater les procdures judiciaires
Les spectateurs du procs pnal peuvent-ils relater les procdures judiciaires ? Peuvent-ils
exposer au grand jour les dfauts de notre procdure pnale ? Ont-ils le droit de violer
impunment et indirectement la prsomption dinnocence ?
a) Les principes
Deux problmes doivent tre rsolus.
Relater les procdures judiciaires, viole-t-il la prsomption dinnocence ?
Expliquons nous. Par exemple, ne pas dire expressment dune personne quelle est coupable
mais informer quelle est mise en examen, cest--dire quun juge protecteur de la libert
individuelle, par ailleurs conscient des ventuelles rpercussions mdiatiques de sa dcision,
a, aprs dbat, estim que des indices graves ou concordants rendaient vraisemblables, par
elle, la commission dune infraction, porte-t-il atteinte la prsomption dinnocence ? La
rponse cette question ne peut qutre ambivalente. Elle doit tre comprise la lumire de
nos dveloppements sur les relations entretenues entre le prsum innocent et les acteurs du
procs pnal. De fait, la violation de la prsomption dinnocence est consomme. Nest-il pas
avis de conclure, a fortiori si un placement en dtention provisoire est dcid par ailleurs,
parce que la prsomption dinnocence est un intervalle prcaire et ncessairement rfragable,
que cette personne est coupable ? De droit, la violation de la prsomption dinnocence
nexiste pas. Un mis en examen est prsum innocent et, trs logiquement, le prsenter
comme tel ne viole pas la prsomption dinnocence.
54
Une violation, en fait de la prsomption dinnocence peut-elle fonder une interdiction de
relater les procdures judiciaires ?
Pour deux raisons, la rponse doit tre ngative. La premire raison est purement logique. Par
exemple condamner pour violation de la prsomption dinnocence un journaliste qui na fait
que rendre compte dune mise en examen, viole la prsomption dinnocence. En effet, il est
absurde de reconnatre formellement le procs comme seul capable de renverser la
prsomption dinnocence et ensuite de condamner pour violation de la prsomption
dinnocence, le simple informateur dune mise en examen. La seconde raison est juridique. Le
droit de relater les procdures judiciaires est fond sur une super libert (Louis Favoreu),
sur un droit fondamental de notre systme juridique : la libert dexpression.
La libert dexpression est protge au niveau constitutionnel par larticle 11 de la D.D.H.C.
qui dispose que La libre communication des penses et des opinions est un des droits les
plus prcieux de lHomme . Le principe du droit la libre expression est mis en avant par
plusieurs textes lgislatifs et notamment la loi du 29 juillet 1881 qui dispose son article 1
er
que limprimerie et la librairie sont libres et la loi du 30 septembre 1986 qui dispose, elle
aussi, son article 1
er
que la communication audiovisuelle est libre . Au niveau
conventionnel, larticle 10 de la convention E.D.H. stipule que Toute personne droit la
libert dexpression . Ce droit ne peut tre soumis certaines formalits, conditions ou
sanctions que prvues par la loi, ncessaires dans une socit dmocratique et poursuivant un
des buts lgitimes numrs larticle 102. La Cour E.D.H a par ailleurs jug que la
ncessit dune quelconque restriction lexercice de la libert dexpression devait tre
tablie de manire convaincante
175
.
La limitation des mesures protectrices de la prsomption dinnocence nest donc pas un
garement du droit positif. La violation, en fait, de la prsomption dinnocence ne peut
fonder linterdiction de relater les procdures judiciaires. Au contraire, relater les procdures
judiciaires apparat aujourdhui comme un droit.
b) Les solutions pratiques
Les deux problmes thoriques que nous venons daborder se traduisent en pratique. Si toute
procdure pnale est dj un symptme de culpabilit et viole ipso facto la prsomption
dinnocence peut-on interdire de relater les procdures judiciaires ? A supposer une rponse
55
ngative, linterdiction peut-elle trouver son fondement dans une autre disposition,
particulirement le secret de linstruction ?
Relater une procdure pnale ne viole pas en droit la prsomption dinnocence du prsum
innocent mais trahit en fait sa culpabilit. Devant ce dilemme, comment les tribunaux ont-ils
ragi ? Fallait-il statuer en droit ou en fait ?
Relativement larticle 9-1 C.c, interdisant de prsenter publiquement une personne comme
tant coupable de faits faisant lobjet dune enqute ou dune instruction, la jurisprudence a
rpondu clairement. Dans laffaire qui amena la Cour de cassation formuler sa position de
principe, la Cour dappel de Rouen avait se prononcer sur une ordonnance de rfr prise
par un magistrat du Tribunal de grande instance de Dieppe sur le fondement de larticle 9-1
C.c aprs quun journaliste ait publi des articles relatifs aux circonstances dune affaire ainsi
qu la mise en examen de deux individus
176
. Pour infirmer lordonnance, la juridiction retient
que lon ne peut reprocher un journaliste de la presse crite davoir port la connaissance
du public les circonstances dans lesquelles sinscrivent ncessairement les indices graves et
concordants qui ont dtermin la mise en examen ds lors que les articles parus ne
comprennent aucun dveloppement prsentant les intresss comme confondus par les
lments dinvestigation runis par les journalistes, ni aucune considration de droit ou de fait
posant en pralable que la culpabilit des intresss ait dj t tablie. La Cour de cassation
rejette le pourvoi form et affirme que latteinte la prsomption dinnocence contre
laquelle larticle 9-1 C.c. instaure une protection consiste prsenter publiquement comme
coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pnalement
177
. Par ailleurs, la
Haute juridiction retient que des crits qui ne contiennent pas de conclusions dfinitives
manifestant un prjug tenant pour acquise la culpabilit, ne portent pas atteinte la
prsomption dinnocence.
Dans la ligne de cette dcision, se dessine un courant en jurisprudence. Ds lors que celui qui
sest exprim sur lenqute ou linstruction na pas prjug de la culpabilit du mis en cause
mais a simplement relat objectivement et sans aucun parti pris, la prsomption dinnocence
nest pas viole. Par exemple Un article de presse qui constitue le rcit dune enqute
policire, qui fait tat des dngations farouches des mis en cause, qui ne prsente pas
publiquement les demandeurs comme coupable avant condamnationmais laisse augurer au
contraire dun difficile dbat de fond, et qui ne cherche pas persuader les lecteurs de la

175
Sunday times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979, Srie A n30.
176
Rouen, 20 sept. 1993, JCP G 1994, II, n22036, note C. Bigot et J.-Y. Dupeux.
56
culpabilit des demandeurs, ne peut tre considr comme ayant port atteinte la
prsomption dinnocence
178
. Par contre, si lintress a communiqu aux lecteurs ou aux
tlspectateurs sa conviction de la culpabilit, par lemploi de lindicatif ou par labsence de
rserve dexpression, le droit est viol. Par exemple un article qui ne se borne pas faire tat
de la mise en examen dune personne mais souligne le crdit qui doit tre donn
laccusation en indiquant que les dclarations reproduites font froid dans le dos et insiste
sur la gravit de l affaire en renforant limpression manifeste de culpabilit de lintress,
prsent comme figurant au nombre des personnalits tombes au champ du dshonneur
public, viole la prsomption dinnocence
179
. Cette jurisprudence nintresse pas que larticle
9-1 C.c, elle concerne aussi le dlit de diffamation.
Pourtant, certaines dcisions dissidentes retiennent une violation de larticle 9-1 C.c ou une
violation de larticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 lorsque des journalistes ne font que porter
la connaissance du public les dernires volutions, les derniers soubresauts dune procdure
pnale et en ne prsentent pas lintress comme coupable avant condamnation. Le TGI de
Paris considrait en 1993 que limputation dune mise examen porte incontestablement
atteinte lhonneur et la considration de la personne vise, en ce qu elle implique la
commission dune infraction
180
. La mme juridiction admettait rcemment quimputer
quelquun dtre poursuivi devant une juridiction pnale est une allgation qui porte atteinte
son honneur et sa considration, et revt donc un caractre diffamatoire
181
. Ces dcisions
marquent, encore une fois les difficults dintgration de la diffamation dans le droit de la
prsomption dinnocence. Mais dans le cadre dun contentieux sur lapplication de larticle 9-
1 C.c, la Cour dappel de Montpellier a considr que prsenter comme indubitable la
comparution dune personne devant la Cour dassises et ne prsenter aucune rserve ni nuance
sur lincrimination pnale envisage par le ministre public alors que lintress ntait au
moment de la publication quen garde vue, viole la prsomption dinnocence
182
. Ces
dcisions sont instructives. Comment laffirmation de la comparution dun individu devant un
tribunal pourrait-elle porter atteinte la prsomption dinnocence ou constituer une
diffamation si cette comparution ne traduisait pas un certain degr de culpabilit ? Ces
dcisions accrditent la thse selon laquelle la justice pnale est bien plus continue et
graduelle, que ne le laisse penser la dichotomie juridique innocence/culpabilit instaure par

177
Cass. 1
re
civ. 6 mars 1996, D. 1997, sommaires comments, p. 72.
178
TGI Paris, 15 oct. 1997, Lgipresse 1998, I-37.
179
Pour un exemple : TGI Paris, 27 mai 1998, Lgipresse 1998, I-150.
180
TGI Paris, 10 dc. 1993, Droit pnal, n132, p.8.
181
TGI Paris, 10 dc. 1999, Lgipresse 2000, I-68.
182
Montpellier, 7 avril 1997, Lgipresse, I-22.
57
le procs. Pourtant, suite larrt de la Cour de Montpellier, la Cour de cassation a cass la
dcision en considrant quen se dterminant ainsi, alors que lcrit litigieux ne contenait
pas de conclusions dfinitives manifestant un prjug tenant pour acquise la culpabilit, la
Cour dappel a viol le texte susvis (larticle 9-1 C.c)
183
. Cette dernire solution est en
conformit avec le formalisme et lorthodoxie juridique.
Si la prsomption dinnocence ne peut fonder linterdiction de relater les procdures
judiciaires, le principe du secret de linstruction, lui, le peut-il ?
Le principe du secret des enqutes et des instructions commande, aujourdhui, le droulement
des recherches policires et judiciaires. Historiquement, il est issu de la procdure inquisitoire,
procdure apparue postrieurement la procdure accusatoire la fin de lpoque romaine et
ractive par les juridictions ecclsiastiques au 13
me
sicle. Dans un systme inquisitoriale,
on estime ncessaire de prserver le secret dun enqute afin que la personne souponne ne
puisse organiser sa dfense comme on organise son insolvabilit
184
. Aujourdhui encore, le
secret des enqutes et des instructions est cens prserver lefficacit et la clrit des
investigations au dtriment des droits de la dfense.
Larticle 11 du Code de procdure pnale dispose que la procdure au cours de lenqute et
de linstruction est secrte. Toute personne qui concourt cette procdure est tenue au secret
professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code
pnal . Ainsi, viole le secret de linstruction, le magistrat instructeur auteur de rvlation de
faits relatifs une instruction en cours mme si les faits relats avaient dj fait lobjet de
divulgation
185
. Pareillement, lorsque linstruction est termine et que le prvenu comparat
devant le tribunal, le juge dinstruction peut tre entendu comme tmoin sur des faits relatifs
cette procdure, mais ne peut, sous peine de violer le secret de linstruction, rvler des faits
objet dune autre procdure
186
. Les policiers sont, eux aussi, tenus au secret. Par exemple, les
disposition de larticle 11 C.P.P. sont applicables aux agents de police ou aux fonctionnaires
des services de lidentit judiciaire
187
. Les autorits publiques qui ne concourent pas la
procdure ne sont pas soumises au secret de linstruction mais larticle 62 de la convention
E.DH. qui ne saurait empcher (ces autorits) de renseigner le public sur les enqutes

183
Cass. 19 oct. 1999, Lgipresse dc. 1999, III.
184
Patrick Auvret, Le journalise, le juge et linnocent, Rev. sc. crim. 1996, p. 625.
185
Rennes, 7 mai 1979 : JCP G 1980. II. 19333, note Chambon.
186
Crim. 5 nov. 1903 : DP 1904. 1. 25, note Le Poittevin.
187
Crim. 14 mars 1962 : Bull. crim. n134. Crim. 13 mai 1991 : Bull. crim. n200.
58
pnales en cours, requiert quelles le fassent avec toute la discrtion et toute la rserve que
commande la prsomption dinnocence
188
.
Par ailleurs, le principe du secret de linstruction cantonne strictement la publicit des
audiences durant linstruction puisquil justifie le rejet dun demande daudience publique
devant le juge des liberts et de la dtention et devant la chambre de linstruction quand la
publicit est de nature entraver les investigations spcifiques ncessites par
linstruction (art. 145 al. 4 et 199 al. 2 C.P.P.). Pourtant lincrimination de violation du secret
de linstruction ne concerne que les personnes qui concourent la procdure. Les journalistes,
qui ne concourent pas la procdure, peuvent donc librement relater les procdures au stade
de lenqute et de linstruction. Ne sont tenues au secret de linstruction que les personnes
qui concourent la procdure ; tel nest pas le cas des journalistes quel que puisse tre
lapprofondissement de leurs investigations
189
. Le droit de relater les procdures judiciaires
est rendu possible, en droit positif, travers diverses dispositions qui assurent la publicit des
dbats. Les articles 306, 400, 512 et 535 du Code de procdure pnale posent le principe de la
publicit des dbats. Ce principe ne peut tre contourn que pour de trs srieuses raisons tel
quun danger pour lordre public ou pour les murs justifiant de procder huis clos car il
nest pas seulement une garantie pour le justiciable, il en est galement une pour le juge dont
il assure lautorit. Signalons toutefois que les audiences ne peuvent tre filmes
190
.
Contrairement aux audiences de jugement, les audiences se droulant durant linstruction ne
sont pas publiques puisque la procdure au cours de lenqute et de linstruction est
secrte . Aujourdhui, cette rgle est conteste. Devant le juge des libert et de la dtention
lorsquun placement en dtention provisoire est envisag (art. 145 al. 4 C.P.P.) ou devant la
chambre daccusation (art. 199 al. 2), si la personne majeure mise en examen ou son avocat
en fait la demande, le dbata lieu en audience publique . Le recul du secret traduit une
amlioration du sort des prsums innocents car la publicit est indniablement la garantie
dune bonne justice. Cependant, si la publicit des dbats est indniablement la garantie dune
bonne justice bnfique au prsum innocent, nest-elle pas le vecteur des atteintes la
prsomption dinnocence puisquelle expose, au grand jour, les dfauts de notre procdure
pnale ? Ce problme nous rvle lambigut de la publicit des procdures pnales, certes
facteur de protection de la prsomption dinnocence mais aussi facteur de violation de cette
prsomption. Voil pourquoi la publicit des audiences durant linstruction nest pas de droit

188
Cour. E.D.H. Allenet de Ribemont c/ France du 7 aot 1996, A 308, Berger 698.
189
TGI Nancy, 11 oct. 1994, Lgipresse 1994, n119, I, p.24. Comme les journalistes, la partie civile ne concoure pas la procdure. Crim.
9 oct. 1978 : D. 1979, IR. 118.
59
et reste suspendue la demande de la personne mise en examen. Voil pourquoi le secret de
linstruction est, en un sens, reconnu comme un alli de la prsomption dinnocence. Cette
situation est paradoxale car le secret de linstruction, dans la procdure inquisitoire,
prjudicie aux droits de la dfense.
La libert de rendre compte des procdures est-elle sans limite ? Non, quelques dispositions
parcellaires empchent la reproduction servile dans la presse de pices dune procdure
pnale. Dautres protgent la dignit des personnes mises en cause par la justice.
Comme nous lavons dit, le secret de linstruction ne concerne ni la partie civile ni les
journalistes. La jurisprudence a pourtant largit la rpression par lintermdiaire du dlit de
recel de violation du secret de linstruction. Sur ce point, la Cour de cassation a rappel que
seule une chose et non une information pouvait tre susceptible de recel
191
. Pour condamner
des journalistes de ce chef, la Haute juridiction a retenu quil importait peu que les
circonstances du dlit, dont provenait lobjet naient pas t entirement dtermines, ds lors
que lexistence du dlit tait constat par les juges du fond et que les prvenus avaient
connaissance de lorigine dlictueuse des documents, par eux, dtenus
192
. Cependant, quand
rien ne permet dexclure lhypothse dune simple transmission orale des informations en
cause par des personnes non soumises au secret de linstruction comme le mis en examen ou
le tmoin, la relaxe simpose. En labsence de tout lment prouvant que le journaliste tenait
ses informations du juge dinstruction, il y lieu de relaxer ce dernier de violation du secret de
linstruction
193
.
Par ailleurs, larticle 2 de la loi du 2 juillet 1935 interdit de publier, avant dcision judiciaire,
toute information relative des constitutions de parties civiles en application de larticle 85
C.P.P. De mme, la loi sur la presse dicte des interdits. Selon larticle 38 alina 1
er
il est
interdit de publier les actes daccusation et tous les autres actes de procdure criminelle ou
correctionnelle avant quils aient t lus en audience publique . Cette disposition a t
loccasion dune application rcente aprs la publication par le journal Libration dun
article reproduisant plusieurs extraits de procs verbaux daudition et dinterrogatoire dune
personne mise en examen ainsi que la conclusion dun rapport dexpertise
194
. Larticle 38

190
Sous rserve de larticle 1
er
de la loi n85-699 du 11 juillet 1985 autorisant lenregistrement audiovisuel ou sonore quand cet
enregistrement prsente un intrt pour la constitution darchives historiques de la justice.
191
Crim. 3 avril 1995 : Bull. crim. n. 142 ; JCP G 1995, 22429, note Derieux.
192
Crim. 13 mai 1991, prcit.
193
TGI Paris, 18 janvier 2000, Lgipresse 2000, I-46.
194
Crim. 22 juin 1999, Droit pnal fvrier 2000, p. 16. Pour une autre application rcente : TGI Paris, 28 juin 1999, Lgipresse 2000, I-135.
60
alina 3 qui interdisait la publication par tous moyens des circonstances dun crime et dun
dlit, aprs avoir t dclar contraire larticle 10 de la convention E.D.H. par la Cour
dappel de Paris
195
, a t abrog par la loi du n2000-516 du 15 juin 2000.
Deux nouveaux dlits ont t instaurs par cette loi aux article 35 ter I et 35 quater de la loi
du 29 juillet 1881, afin de prserver, non pas la prsomption dinnocence, mais la dignit de
personnes impliques dans des procdures pnales. Ainsi, il est dsormais interdit de raliser
sans laccord de lintress, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel quen soit le
support, de limage dune personne identifie ou identifiable mise en cause loccasion dune
procdure pnale mais nayant pas fait lobjet dun jugement de condamnation et faisant
apparatre soit que cette personne porte des menottes ou entraves soit quelle est place en
dtention provisoire. Est aussi prohib la diffusion par quelque moyen que ce soit et quel
quen soit le support, de la reproduction des circonstances dun crime ou dun dlit lorsque
cette production porte gravement atteinte la dignit dune victime et quelle est ralise sans
laccord de cette dernire. Ces deux dlits sont punis de 100 000 francs damende.
2) Le droit de traiter les affaires judiciaires ?
Si les spectateurs du procs peuvent indubitablement, sous quelques rserves, rendre compte
des procdures pnales, peuvent-ils se substituer la justice ? la devancer ? la contredire ?
Peuvent-ils, impunment, violer ouvertement la prsomption dinnocence ?
a) Les principes
Afin de devancer ou de contredire la justice pnale, les particuliers et singulirement les
journalistes disposent-t-ils du droit denquter ? Ce droit nest inscrit expressment dans
aucun texte. Cependant, la lumire dun avis non publi de la Cour E.D.H. datant du 23
octobre 1981, le droit de rechercher des informations serait tacitement inclus dans larticle
10
196
. Dailleurs, selon un auteur, le texte (de larticle 10) se suffit lui mme. Comment en
effet recevoir et communiquer des informations et des ides si les autorits publiques peuvent
galement faire obstacle leur libre recherche : supprimer la libert de rechercher des
informations et les ides, cest videmment paralyser le droit de les recevoir et de les

195
Paris, 18 septembre 1997, D.1998, somm. 83.
196
F. Hondius, La libert dexpression et dinformation en droit europen, Conseil de lEurope, 1984, p. 5.
61
communiquer
197
. La libert denquter est assure pour les journalistes par le droit au secret
des sources : qui cite ses sources les tarit
198
. Larticle 109 C.P.P prvoit que tout
journaliste entendu comme tmoin sur des informations recueillies dans lexercice de son
activit, est libre de ne pas en rvler lorigine . Quant la Cour E.D.H., trs protectrice de
la presse, qui selon elle joue un rle minent dans une socit dmocratique, la protection
des sources journalistiques est lune des pierres angulaires de la libert de la presse
199
.
Mais comment les spectateurs du procs peuvent-ils devancer la justice sans violer son
indpendance ? Assurment, les spectateurs ne peuvent, sans violer lindpendance de la
justice, prsenter un prsum innocent comme coupable ou innocent avant condamnation,
sauf considrer deux justices indpendantes (celle des acteurs et celle de spectateurs) ou
dconsidrer celle des spectateurs.
De plus, comment les spectateurs du procs peuvent-ils devancer ou contredire radicalement
la justice pnale en prsentant un prsum innocent comme coupable sans violer la
prsomption dinnocence ? Assurment les spectateurs ne peuvent, sans violer la prsomption
dinnocence, prsenter comme certaine la culpabilit dun homme alors que laffaire est
pendante devant un tribunal, si la prsomption dinnocence signifie que tout homme nest pas
coupable tant quil na pas t jug coupable par un tribunal. A la limite (et en thorie), si lon
considre la prsomption dinnocence comme une priode autonome qui ne se confond ni
avec linnocence ni avec la culpabilit, prsenter un prsum innocent comme innocent avant
quil nait t jug, viole la prsomption dinnocence !
Il faut en ralit repenser le problme la lumire dautres considrations et spcialement
une : lartificialit de la prsomption dinnocence. Le prsum innocent, nest juridiquement
ni coupable ni innocent or il est rellement coupable ou innocent. Les spectateurs, avant que
la justice ne se prononce dans des dlais parfois trs longs puisque la prsomption
dinnocence ne steint que par un jugement irrvocable, nont-ils pas droit la vrit ? nont-
ils pas le droit de dire la vrit ? nont-ils pas le droit de connatre la vrit ? De mme, aprs
que la justice se soit prononc nont-ils pas droit, au nom de la vrit, de contredire la vrit
judiciaire parce que, dun sens, condamnation et culpabilit ne se recoupent pas forcment
200
?

197
R. Pinto. Cit par Grard Cohen-Jonathan, la convention E.D.H. article par article, p. 374.
198
Formule dEmmanuel Derieux, Secret des sources dinformation, Lgipresse 2000, III-12.
199
CEDH, 27 mars 1996, Affaire Goodwin c/ Royaume-Uni, Lgipresse n132-III, p. 70, note Derieux.
200
Notamment en raison du principe de lopportunit des poursuites.
62
La libert dexpression permet-elle, avant ou aprs le procs, de contredire la vrit
judiciaire ? La rponse est incertaine car si cette libert dexpression est un des droits les plus
prcieux de lhomme, elle nest pas absolue. Larticle 102 de la convention E.D.H. stipule
que la libert dexpression peut tre restreinte afin dassurer la protection de la rputation ou
des droits dautrui ou pour garantir lautorit et limpartialit du pouvoir judiciaire. Or, nous
lavons dit, prsenter un prsum innocent comme coupable avant condamnation est
rprhensible et rprim en droit positif. Pourtant, peut-on condamner un individu au nom de
labus du droit de sexprimer lorsque, tous les lments produits au dbat laissent penser quil
dit la vrit ? Le problme est pineux. Il lest encore plus si lon considre que les
spectateurs du procs ont un droit la vrit. Nont-ils pas droit linformation ? Le droit
linformation suppose que soit port librement la connaissance du public tout fait qui
prsente un intrt pour la vie collective
201
Le droit linformation nest pas expressment reconnu au sein du bloc de constitutionnalit
mme si le Conseil constitutionnel a consacr directement la valeur constitutionnelle de la
libert de communication
202
. Comme le note un auteur, dans la conception librale on sest
content pendant longtemps de mettre laccent sur la libre diffusion mais la seule raison de
lmission cest dtre reue
203
. Or la libert de la presse prend ncessairement la forme du
devoir de renseigner lopinion publique sur les faits de socit et la vie collective
204
.Cest
davantage le systme europen de protection qui consacre ce droit et entend la libert de la
presse comme le droit linformation du public. Larticle 10 de la convention E.D.H.
reconnat que le droit la libert dexpression comprend la libert dopinion et la libert de
recevoir ou de communiquer des informations ou des ides et la Cour estime que
paralllement la fonction des mdias consistant communiquer les informations, sajoute
le droit du public den recevoir
205
. Ainsi, la Cour E.D.H. affirme quil incombe aux mdias
de communiquer des informations et les ides sur les questions dont connaissent les
tribunaux comme sur celles dautres secteurs dintrt public
206
. Limportance de
linformation du public qui, civilement, borne le droit au respect de la vie prive est rappele
par certaines juridictions. Le TGI de Nanterre affirmait en 1997 que la protection institue
par larticle 9 du code civil peut tre limite par les ncessits de linformation du public sur

201
Patrick Auvret, Droit du public linformation, Lgipresse 2000, II-33.
202
Cons. const. 27 juillet 1982, n82-141 DC : Rec. Cons. const. 48.
203
Grard Cohen-Jonathan, La C.E.D.H. article par article, article 10, p. 365.
204
Patrick Auvret, prcit.
205
Arrt Lingens du 8 juillet 1986, Srie A n103.
206
Arrt Sunday times, prcit.
63
un vnement dactualit
207
. Par contre, la publication de faits relatifs la vie
privequaucun vnement dactualit ne rend lgitime est fautive
208
. Plus rcemment, la
Cour dappel de Versailles reconnaissait que les besoins de la lgitime information du
public autorisela presse faire tat des faits qui relvent normalement de la sphre de
lintimit de la vie prive mais qui se trouvent troitement associs un vnement
dactualit
209
.
Limprieuse ncessit dinformer le public, notamment dans les affaires de sant publique,
ne lgitime-t-elle pas dans certaines hypothses, une atteinte la prsomption dinnocence ?
En rsum, le droit la libre expression et linformation permettent-ils de contrevenir la
prsomption dinnocence et le cas chant lindpendance du pouvoir judiciaire ? Si oui,
quelles conditions ?
b) Les solutions pratiques
Les spectateurs du procs et singulirement les journalistes peuvent-ils devancer la justice ou
mme la contredire ? les tribunaux rpondent, en principe, par la ngative non seulement pour
garantir lautorit et limpartialit du pouvoir judiciaire mais aussi pour dfendre la protection
de la rputation ou des droits dautrui.
La Cour E.D.H. sest prononce plusieurs reprises sur la compatibilit du droit la libre
expression et du droit linformation avec le droit de garantir lindpendance et lautorit du
pouvoir judiciaire.
Dans laffaire Sunday times de 1979
210
, labsorption dun mdicament par des femmes
enceintes fut la cause de graves malformations de leurs enfants la naissance. Alors que le
fabriquant et le distributeur taient poursuivis en justice par les parents, le journal Sunday
times prpara un dossier trs complet qui fut interdit la publication par application de la
notion de contempt of Court car il amenait le public prjuger de lissue de laffaire judiciaire
en cours. Dans laffaire Observer et Guardian
211
, les autorits ordonnrent linterdiction
provisoire de ne pas publier dinformations issues du livre Spycatcher afin de protger les
droits de lAttorney Gnral dans sa position de plaideur en attendant le procs au fond,
lequel visait le grief de divulgation dinformations confidentielles. Dans ces deux espces, la

207
TGI Nanterre, 13 janvier 1997, Lgipresse 1997, I-107.
208
TGI Nanterre, 20 oct. 1999, Lgipresse 2000, I-46.
209
Versailles, 9 mars 2000, D. 2000, I.R.
210
Cour E.D.H. 26 avril 1979, Srie A n30.
64
Cour E.D.H. a approuv la position des autorits britanniques en se fondant sur la ncessaire
garantie de lautorit et de limpartialit du pouvoir judiciaire.
A propos de laffaire Worm, la Cour E.D.H a certes considr
212
que les restrictions la
libert dexpression autorises au 2 de larticle 10 pour garantir lautorit et limpartialit
du pouvoir judiciaire ne permettent pas aux Etats de limiter toutes les formes de dbat public
sur des questions en cours dexamen par les tribunauxLes comptes rendus de procdures
judiciaires, y compris les commentaires contribuent faire connatre (les questions dont
connaissent les tribunaux) et sont donc parfaitement compatibles avec lexigence de publicit
de laudience nonce larticle 61 de la conventionCependant, comme tout un chacun,
les personnalits connues, sont en droit de bnficier dun procs quitableLes journalistes
doivent sen souvenir qui rdigent des articles sur des procdures pnales en cours, car les
limites du commentaires admissibles peuvent ne pas englober des dclarations qui
risqueraient, intentionnellement ou non, de rduire les chances dune personne de bnficier
dun procs quitable ou de saper la confiance du public dans le rle tenu par les tribunaux
dans ladministration de la justice pnale . Par ailleurs la Cour reconnat la place centrale
occupe par larticle 6, qui consacre le principe primordial de la prminence du droit et
remarque que les Etats contractants sont en droit de tenir compte de considrations se
rapportant la protection du rle fondamental des tribunaux dans une socit dmocratique.
Enfin, la Cour retient que si lon shabitue au spectacle de pseudo-procs dans les mdias, il
peut en rsulter, long terme, des consquences nfastes la reconnaissance des tribunaux
comme les organes qualifis pour juger de la culpabilit ou de linnocence quant une
accusation en matire pnale .
Le Code pnal, quant lui, rprime la publication, avant lintervention de la dcision
juridictionnelle dfinitive, de commentaires tendant exercer des pressions en vue
dinfluencer les dclarations des tmoins ou les dcisions des juridictions dinstructions ou de
jugement
213
. Il rprime aussi le fait de chercher jeter le discrdit, publiquement, par
actes, paroles, crits ou images de nature porter atteinte lautorit de la justice ou son
indpendance
214
. Larticle 35 ter II issu de la loi n2000-516 du 15 juin 2000, punit
dsormais soit le fait de publier ou de commenter un sondage dopinion, ou tout autre
consultation, portant sur la culpabilit dune personne mise en cause loccasion dune

211
Cour E.D.H. 26 novembre 1991, Srie A, n216.
212
CEDH, 29 aot 1997, Worm c/ Autriche, Lgipresse 1997, III-154.
213
Art. 434-16 alina 1
er
du Code pnal.
214
Art. 434-25 du Code pnal.
65
procdure pnale ou sur la peine susceptible dtre prononce son encontre soit le fait de
publier des indications permettant davoir accs ces sondages ou consultations.
Ces textes et dcisions sanctionnent linfluence abusive des mdias sur le fonctionnement de
la justice. Mais plus que le contenu de linformation, cest sa porte qui est sanctionne.
Par contre, latteinte la prsomption dinnocence devrait tre constitue ds lors quun
individu est prsent comme coupable avant condamnation. Larticle 9-1 C.c nest pourtant
applicable quau cas de prsentation publique. Mais latteinte la prsentation dinnocence
prvue larticle 9-1 C.c est difficilement conciliable avec la libert dexpression ou le droit
linformation qui ne peuvent paralyser son application car latteinte sapprciant la date de
la publication, elle nest pas susceptible dtre rtroactivement efface par lventuelle
condamnation ultrieure de la personne mise en cause
215
. Cette remarque ne vaut pas pour la
diffamation car lexception de bonne foi ou de vrit peut toujours tre rapporte. Dailleurs,
prcision importante, il semble dsormais possible au prvenu de diffamation de prouver sa
bonne foi ou la vrit des faits diffamatoires en produisant devant le tribunal des pices
obtenues en violation du secret de linstruction car le principe suprieur, de valeur
constitutionnelle, des droits de la dfense doit conduire admettre que la libre production,
dans un procs, de pices crites, ds lors quelles ne sont pas trangres la cause, est tout
aussi essentielle que la libert de paroleEn outre, lapplication du principe du droit la
libert dexpressionexige galement de permettre au journaliste daccomplir sa mission, et
de pouvoir en rpondre, le cas chant, devant le tribunal sans sexposer une poursuite du
fait de lexercice de sa dfense
216
.
Lexception de bonne foi est un fait justificatif qui permet au prvenu, souvent journaliste,
dchapper une condamnation pnale lorsquil tablit, que par ses allgations ou
imputations, il a poursuivi un but lgitime, tranger toute animosit personnelle, quil a crit
ou parler en se conformant un certain nombre dexigences et notamment le srieux de
lenqute et la prudence dans lexpression. La lgitimit du but poursuivi et le srieux de
lenqute permettent-ils de devancer les tribunaux et de prsenter comme coupable une
personne non condamne ? La rponse est en principe ngative.
Selon la Cour de cassation le droit dinformer le public dfini par larticle 10 de la
convention E.D.H. ne saurait justifier une diffamation ds lors que cette disposition assortit la

215
TGI Paris, 25 janvier 1999, Lgipresse 2000, I-70.
66
libert de devoirs parmi lesquels figure la protection de la rputation et des droits
dautrui
217
. Le TGI de Paris a jug, quant lui, que lorsque des journalistes ou des
crivains font le choix de porter sur la place publique les lments dune procdure judiciaire
en cours, sans attendre le rsultat de celle-ci, il doivent sentourer de prcautions particulires
analogues celles qui dictent la dmarche du juge lui mme, notamment lorsquil sagit de
mettre en cause des particulierssous peine de porter gravement atteinte la prsomption
dinnocence et de compromettre irrmdiablement lhonneur et la considration dautrui
218
.
En calquant la dmarche des journalistes sur celle du juge, la juridiction cantonne strictement
la libert dexpression. Pourtant la jurisprudence est indcise car lextrme vivacit du ton ou
des inexactitudes nempchent pas ladmission de la bonne foi si lintrt social de
linformation emporte la conviction du juge
219
. A propos de laffaire du sang contamin la
Cour dappel de Paris retient que le journaliste avait le devoir dinformer le public, celui-ci
tant en droit de connatre le rsultat des investigations
220
. Selon la Cour, cest la constatation
de ce motif lgitime qui emporte la disparition de lexigence de prudence dans lexpression et
autorise la relaxe du journaliste prvenu de diffamation. Plus radicalement, propos dune
intrigue de rseaux internationaux de blanchiment de largent de la drogue, la mme
juridiction affirme que compte tenu de la gravit des faits et de leur importance particulire,
le fait justificatif de la bonne foi nest pas ncessairement subordonn la prudence dans
lexpression de la pense
221
. Mais la bonne foi est ncessairement subordonne une
enqute srieuse du journaliste car le premier devoir de la profession rside dans la
vrification des informations
222
. Dans laffaire du sang contamin dj voque, la Cour
dappel de Paris, pour relaxer le prvenu, retient quil sest incontestablement livr une
enqute minutieuse et approfondie. De mme, le bnfice de la bonne foi doit tre accord
au journaliste qui a produit de trs nombreux documents tablissant que son enqute, mettant
en cause les activits dun banquier suisse, a t srieuse et minutieuse
223
.
Lexception de vrit, comme la demande de sursis statuer visant attendre le rsultat dune
autre procdure judiciaire pour apprcier la culpabilit du prvenu, est pratiquement
systmatiquement rejete par les tribunaux car la preuve de la vrit doit tre complte,

216
TGI Paris, 2 octobre 1998, Lgipresse 1998, III-152. Voir aussi laffaire du Canard enchan et la dcision de la Cour E.D.H le 21
janvier 1999. Lgipresse 1999, II-34.
217
Crim. 6 oct. 1992, Gaz. Pal. 19-20 mars 1993, p. 27.
218
TGI Paris, 21 nov. 1997, Droit pnal fvrier 1998, Chronique, p. 7.
219
Paris, 5 dc. 1989 : D. 1990. IR. 3.
220
Paris, 14 dc. 1993, D. 1995, sommaires comments p. 272.
221
Paris, 10 mai 1994, D. 1995, sommaires comments, p. 272.
222
Paris, 12 oct. 1989 : Gaz. Pal. 1989. 2. Panor. 292.
223
Civ. 2
me
, 15 janvier 1997, Lgipresse 1997, I-50.
67
absolue et couvrir les imputations dans tous leurs lments et dans toute leur porte. Cette
jurisprudence est comprhensible. Admettre la vrit des imputations ou allgations
diffamatoires violant la prsomption dinnocence, viole la fois la prsomption dinnocence
et limpartialit du pouvoir judiciaire. Pourtant, nous devons faire mention de la jurisprudence
des Irlandais de Vincennes . Dans cette affaire, larticle litigieux, ayant donn lieu une
action en diffamation, se fondait sur des documents confidentiels, notamment une note
rdige par un conseiller du prsident de la Rpublique et un long procs verbal tabli par
deux policiers de la Direction de la surveillance du territoire (D.S.T.). Le tribunal retient
exceptionnellement la vrit du fait diffamatoire
224
. La partie civile, implique dans une
procdure pnale nayant pas aboutie, faisait valoir que la vrit des faits diffamatoires tait
subordonne une condamnation judiciaire dfinitive. Le tribunal constate que labsence de
poursuite lencontre de la partie civile ne constitue pas lun des cas numrs larticle 35
de la loi sur la presse et permettant de faire la preuve de la vrit des faits diffamatoires et ne
signifie aucunement que le comportement prt lintress nait jamais exist . Par ailleurs,
linaction du parquet ou linertie du juge dinstruction, peuvent sopposer la poursuite et
au jugement de lauteur dun comportement rprhensible qui ne saurait donc tirer un brevet
dinnocence de son impunit . Ce jugement, confirm en appel, est fondamental car la
dcision constate une vrit de linformation qui va au-del de la vrit judiciaire et mme la
contredit
225
.

224
TGI Paris, 17 sept. 1992, D. 1994, sommaires comments, p. 194.
225
Thierry Massis, note sous TGI Paris, 17 sept. 1992, prcit.

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