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Michel Balat
Lhomme et ses Signes, Actes du Congrs de lAIS (1989), Michel Balat, Grard Deledalle, Janice Deledalle-Rhodes eds, Berlin-New York, Moutonde Gruyter, 1992.
Le but de cet article est de "mettre en scne" le surgissement d'une ide, de son point d'origine, jusqu'aux consquences thoriques qui en constituent la premire vrification. L'ide est prsente ici dans le contexte de son origine: il s'agit de la conception du a en smiotique. Dveloppe dans un cadre dductif, elle va connatre inductivement un premier aboutissement dans ses rapports avec la thorie du moi promue par la psychanalyse.
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Michel Balat
Avertissement
Dans cet article sont impliqus des lments qui ne figurent pas habituellement dans des publications "scientifiques". Il sagit de considrations sur ce quil est convenu dappeler la "vie prive". Il m'a sembl pourtant ncessaire de ne pas masquer ce qui est un des rouages du surgissement des infrences abductives. Cet article vise montrer la possibilit de prsenter une ide (ici celle de la nature smiotique du "a") sous toutes ses formes, et donc y compris ds son origine. Je ne pouvais faire autrement que d'assumer le discours en premire personne.
Fantaisie abductive
Etrange journe. Peut-tre nai-je pas rv cette nuit, peut-tre mme nai-je pas rv depuis plusieurs nuits. Au fond jai toujours pens que le rve tait une sorte de remise en place des impressions sensorielles de la journe, une mise en perspective du logos et dans le logos. Si je nai pas rv depuis plusieurs nuits, jai donc accumul un paquet de choses qui sont l, en attente dune criture. Est-ce que lcriture nest pas cela: ce qui permet dinstaller ce que le rve a t impuissant raliser? Vers lge de 4 ou 5 ans, alors que jtais en classe, lcole maternelle, lcole Lamartine, la matresse demande tous les enfants qui taient l de prendre un papier et de dessiner la pluie. A ce moment l jai dcouvert quelque chose, mais je ne sais quoi. Jai prtendu dans ma thse (1991) (pas explicitement) que ctait lorigine de ma question, celle qui me guide dans ma vie: comment peut-on dessiner la pluie? Mais toujours cette chose qui mchappe. Comme psychanalyste, je vois bien quil y a quelque chose saisir chez les autres. Mais l aussi, au moment de saisir cette chose, elle scoule entre mes doigts. En fait je ne me rsous pas accepter que la seule
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ralit que nous puissions trouver soit dans la fulgurance dune parole. Sans doute lesprit de lescalier qui mhabite est-il lorigine de ce doute ou de ce refus. Je puis dire sans mentir que je cherche une rponse ma question depuis plus de quarante ans. Je devrais maintenant en savoir un bout sur tout a, et pourtant je nai jamais eu loccasion de faire le point. Jcris des morceaux, des lambeaux autour de ma question. Mais je ne suis jamais all son coeur. Aujourdhui peut-tre? Il faut que je me laisse aller. Cest--dire oublier ce que je sais dorganis au profit des sdimentations qui restent en moi (mon "tonal"). Ce jour-l, donc, assis prs dun escalier en bois (cest trange, car je ne vois pas o pouvait mener cet escalier - sauf si cest un esprit!) dans une trs grande salle de classe (maintenant elle mapparat rellement immense, mais il est peu probable quil en ait t ainsi), la matresse (son visage mchappe compltement, jai limpression quelle est jeune) me demande (je ne sais si elle a formul la mme demande aux autres; cest probable) de dessiner la pluie (tait-ce bien la formule? je nen sais rien; pleuvait-il ce jour-l? cest possible, jai mme limpression quil en tait ainsi. Javais peut-tre la pluie sous les yeux, devant moi - tiens, l jai une trange impression: jai limpression dtre le dos tourn la porte dentre, mais dtre face elle en observant la pluie qui tombe). Jai sans doute tent de le faire, mais je me suis rendu compte que la pluie a la particularit de laisser visibles les images, alors que les traits au crayon cachent le support. Il me semble que cest ce qui me fait hsiter. Mais ce nest pas seulement cette particularit. En fait la pluie est translucide, ou plutt chaque goutte de pluie - puisque le problme se posait dabord comme a, de manire quasianalytique - est translucide. La pluie, dans son ensemble - mais il me semble maintenant que je nai pas song un seul instant la considrer globalement - est transparente. Jai peut-tre song alors faire une voile gris, peut-tre mme des petits points de crayon afin dallger au maximum la prsence du trait. Mais je me suis heurt quelque chose de plus grave, dont je suis incapable de rendre compte. Quoique le trait soit l pour me faire comprendre quil est au coeur de la question. (Je suis en train de voir que cette question du trait est rcurrente dans mes penses. Depuis quelques annes jcris des choses pas possibles sur linscription des traits et la logique de cette inscription (1990). Jai jamais vraiment compris ce que je disais, tout en sachant que jtais en prsence dun lment fondamental. Mon truc est le suivant: un trait, en somme, ne signifie rien, ne reprsente rien. Imaginons un trait trac sur de la poussire, un trait indcomposable, je veux dire par l tel quaucune analyse ne
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permettrait de le dcomposer en plusieurs traits qui, ds lors pourraient tre mis en rapports et livrer une signification. Le hasard aurait pu parfaitement prsider la constitution de ce trait. Comme trait il se dtache sur un fond, on peut donc bien le remarquer, mais il est proprement insens. Il est bien entendu que je ne parle pas ici de trace, qui est un trait dcomposable. Cest difficile imaginer un trait indcomposable, pourtant il faut bien en arriver l. Si un autre trait survient, tout peut commencer. Imaginons ainsi deux traits, chacun deux indcomposable. Pris ensemble, ils tablissent un rapport. Peu importe maintenant la nature du rapport. Ces deux traits forment un trait dcomposable: chacun des deux tant dans une relation fondamentale - qui savre fondamentale - dappartenance, relation complexe sil en est, multiforme, ouverte. A partir de l, je ne suis pas encore prt aller plus loin. Premiers jalons.) Vers cette poque, une sensation trouble, sans doute la premire occurrence de mes angoisses. Dans un terrain vague ct de lcole, on joue au jeu du mouchoir. Je ne suis pas laise. Je crois que je nai jamais aim les jeux collectifs depuis ce temps. Une chanson, peut-tre, que lon chantait en jouant ce jeu: "Nous nirons plus au bois, les lauriers sont coups. La premire fois que jai cris quelque chose, ctait sur la castration et la reprsentation, en 83. Ctait assez gonfl de ma part, et, en plus, jen suis pas mcontent. Il me vient lide que ce jour de pluie a d tre funeste: je ntais pas comme les autres puisque je ne savais pas dessiner la pluie. Il me semble que mes copains avaient, eux, russi la faire. Je me pose trop de questions. Voil un truc qui me caractrise depuis lge tendre: "Michel, il se pose toujours des questions". Javais chou, le doute commenait, il ne ma plus quitt. Bien entendu, depuis, jai appris le faire tenir tranquille, ne pas menvahir. Jai appris le guider, le rendre utile, crire des trucs grce lui, parler longuement en public (jadore a). "Un doute sur quoi? Sur les choses de la foi et de la providence" (Claudel Paul. Encore un drle de phnomne, ces phrases qui reviennent comme a. Cette phrase est idiote - enfin, en ce qui me concerne. On ne peut douter de ce quon ne connat pas. Jai une autre phrase, symbole et rsum de mes annes de lyce: "La larve trochophore des annlides polychtes ressemble la larve vligre des mollusques lamellibranches"). Au fond je ne sais pas. Btement, je dirais, un doute sur moi. Mais je sais pas trop ce que a veut dire. Poser les questions, a fait bouger les rponses pralables. Je passe ma vie faire bouger les rponses. Lautre jour, mon amie Charlette ma fait remarquer que je prenais toujours les choses a contrario. Bon, elle la pas dit comme a, mais ctait ainsi quelle le voyait. Je men suis sorti par une phrase gentille pour moi: "Je me mfie des vidences". Cest pas tout fait a.
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a devait arriver, je suis hant maintenant par le terme "a". Jai limpression que je ne pourrais pas me passer de lemployer chaque phrase. Vers mes 14 ans, je me souviens avoir vcu a (!) avec le mot "moi". Dans les discussions avec les copains, toujours ce "moi" qui revenait malgr moi. Je nen pouvais plus. Plus je parlais, plus ce "moi" menvahissait. Je me dtestais. Quest-ce que a signifie? Dans un de mes articles jcris que le "a" est li la fonction dnotative (1989). Cest assez audacieux daborder le "a" auquel tant de gens ont rflchi et de dire "cest li la fonction dnotative". Personne ne la jamais dit sous cette forme. Je dois dire que tout le monde sen est bien foutu: je nai reu aucun avis de quiconque sur cette proposition audacieuse. Cest bien fait pour "moi". "a" veut dire "quelque chose". Tiens, je retrouve l ma longue parenthse de tout lheure concernant les traits. Ds quil y a deux traits "a" peut vouloir dire "quelque chose". Je retrouve maintenant le lien entre la fonction dnotative et lhabitude. Dans ma thse, javais prtendu que le caractre de linconscient tait dtre une habitude (au sens philosophique du terme, une manire dtre l dans lvolution). La fonction dnotative est une habitude. Ce jour-l, dans cette salle de classe, jai appris que la fonction dnotative tait une habitude. Et cette habitude, je ne lavais pas en ce qui concerne la reprsentation de la pluie. Etrange journe. Devrais-je renoncer cette ide suivant laquelle la psychanalyse trouve ses fondements dans la smiotique? A priori, rien ne soppose ce rle fondamental de la smiotique: la "psychique" (je crois quil faudrait maintenant se dcider enfin fabriquer ce terme) trouve ses outils dans la physique, dans la smiotique, dans la phnomnologie (la phanroscopie) et la mathmatique. En fait, la question de mes 18 ans tait mal pose (bien moins sincre que celle concernant la pluie). Depuis, jai pu penser que les mathmatiques taient premires. Vieille histoire: Platon, "Que nul nentre ici sil nest gomtre". Mais de la (mal) poser ma permis davoir inventer de nouvelles rponses pour de futures questions. Pour le physicien, le trait est une lettre des mathmatique. Cette vidence aurait dj d mapparatre lors dun cours de physique (je crois que ctait le cours doptique, en licence, dune vieille sorcire aux cheveux gris, laide en faire peur. Sa voix tait la plus belle chose qui se puisse entendre. Je fermais les yeux.) o sinscrivaient au tableau les formules de Maxwell (les yeux sentrouvrent). Ce jour-l jaurais d comprendre; dailleurs, peut-tre estce ce jour-l que jai vraiment compris ce que je dis maintenant (car il nest pas ncessaire quune question soit formule, ni mme quelle le soit sous forme interrogative. Un constat tacite peut bien tre une question; une
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formule peut tre une question: "Tel est pris qui croyait prendre" est une question sdimente). La psychique exprimentale considre comme un donn la continuit de lhomme et de lanimal. Vieille histoire l aussi, sauf quil sagit dune rvolution par rapport aux anciens modes de pense. Aristote, Platon font grand cas du fait que "tout homme et un animal" (et pas le contraire), que lhomme est un animal pensant. Ltymologie du terme anglais "man" est aussi rvlatrice de ce point de vue ancien: "man" drive dun terme anglosaxon qui signifie "qui pense". Ainsi la caractristique de lhomme qua animal est ce "qui pense". Cest un trait. Un trait premier. Il en faut un autre pour engager la fonction dnotative: ce trait ne se suffit pas lui-mme. Do cette forte ide du "je", comme trait second. "Je, pense", voil les deux traits engageant ce rapport dappartenance, "je" et "qui pense" appartiennent chacun sa manire cette concatnation des deux traits. (En crivant cela je viens dimaginer quen fait les traductions constituent des rencontres forces de deux histoires: des malentendus, pour parler clair. On sait que le latin "homo" drive dune racine signifiant "n de la terre", de lhumus. Quel malentendu de traduire "homme" et "man" lun par lautre. Sauf considrer lvidence dun objet "homme" sur lequel lunivers entier puisse sentendre, il y a peu de chance de pouvoir trouver un point de jonction autre que de circonstance entre ces deux termes.) Or lexistence mme de ces traits instaurent une discontinuit ds lors que lon veut penser le psychique. (Cest sans doute l une erreur de mthode de la psychologie exprimentale. Erreur symtrique en ce qui concerne les sciences dites "cognitives".) Considrer la nature de ces rapports dappartenance ne saurait se faire uniquement sur ces deux termes, il y faut une rflexion smiotique approfondie, plus gnrale. Lautre jour, je pensais avoir retrouv langoisse du saut dans le langage. Impossible de me souvenir de ce quil y avait "avant". Seul le moment du saut mtait restitu. Ctait trs trange et trs angoissant. Une dcision brutale, prise par je ne sais qui: et tout coup je me constitue. That is the question: Lorsque Apule (1975) crit les Mtamorphoses, cest, bien entendu, la suite dune longue ligne dcrivains de la mtamorphose. Mais au fait, lne Lucius est toujours Lucius, mme comme ne. Cest lide mme, le concept de sujet: ce qui est jet dessous. Le sujet est jet sous ce qui peut se mtamorphoser. Cest la Renaissance quarrive le "moi", fixant une unit dans la diversit des mtamorphoses. Mais a ne rsout pas tant de choses que a. Le "moi" se contente de conceptualiser la sdimentation des mtamorphoses. Car Lucius retrouvant sa forme premire "a t" un ne. Voil le "moi" (jimaginais en lisant Ovide (1985) - toujours
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les mtamorphoses - que la thorie du moi commenait l o se terminait lhistoire de Narcisse. Quelle erreur de sappuyer sur Narcisse, bard dune thorie du "moi". Narcisse est perdument amoureux de lobjet que limage liquide lui prsente, et non de limage elle-mme. Cest dailleurs bien ainsi que le prsente Freud dans sa thorie du narcissisme. A ce propos, Freud sappelait en ralit "Sigismund". Il a vacu le "is" de son nom. Lorsquil a fond sa thorie du narcissisme, proccup de la simplicit du langage, il trouvait que le terme "narcizismus" tait trop lourd - cest Jones qui le rapporte (1975). Il proposait "narcizmus". ? . That "is", the question). La question du sujet est encore autre: il y a toujours du "jet dessous". Mais on ne peut y accder que par autre chose: la reprsentation. Cest lhistoire du signifiant de Lacan. "Il ny a pas de sujet-en-soi". Tiens, au fait, pourquoi ne la-t-il pas dit? Quest-ce qui len empchait? Evidemment, si le sujet est divis, il ne saurait y avoir de "sujet-en-soi". Lintrt de la thorie du moi de la Renaissance est davoir rendue pensable la division du sujet. Dans les mtamorphoses, ce qui se mtamorphose a un caractre daltrit divine. Cest cette altrit que rcupre la thorie du moi au profit du"moi". Mais une division sintroduit entre le "moi" (ce qui jusqualors se mtamorphosait) et le sujet (toujours aussi "jet dessous"). Il "suffira" Freud doprer les distinctions ncessaires lintrieur du moi (l il faut faire attention: il ny a pas chez Freud de distinction entre le "moi" et le "je" - problme de la langue allemande. Cest la lecture attentive de Lacan qui a mis le mieux en lumire cette distinction conceptuelle sinon nominale: le rasoir d'Ockham a divis au lieu de rduire!). La question est donc la suivante: quel tait le statut du langage avant sa premire utilisation? A mon sens il tait simplement possible. Mais dtre une possibilit ne le rendait pas moins rel, la preuve tant son utilisation subsquente. Le pur hasard ne saurait rendre compte de lutilisation si propos des termes en question. Mais lentre dans lactualit de ce qui ntait jusqualors que possible doit tre pense comme un authentique cataclysme. Le possible na plus la mme couleur: en devenant actuel, le langage se prsente sous une autre forme, acquiert de nouvelles fonctions, et, au premier chef, la fonction dnotative. Je prtendrais donc que la constitution du "a" comme fonction dnotative se fait lors du premier exercice en situation de laction verbale. Ds lors tout ce qui, de lopration du langage, ntait que possible devient la fois objet, source et aspiration de lexercice de la parole: objet pensable, source dinspiration, aspiration lancienne paix. Lorsqu 4 ou 5 ans se prsente moi la ncessit de reprsenter la pluie, la peur dune nouvelle exprience de reprsentation ressurgit. Mais cette fois-ci, comme lindique Marx, comme une farce. Car, et ce sera ma
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conclusion, la matresse eut vite fait de me montrer comment, avec une rgle et un crayon, des traits parallles suffisaient bien ce que jimaginais tre une lourde tche. Bni soit-elle davoir t si maladroite.
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choses, la dduction est, dans son fond, une sorte de rflexe (mme si ce rflexe est parfois combien labor!). Une preuve de ce qui est avanc ici peut tre trouve dans les mcanismes dductifs loeuvre dans la logique des machines. La logique dductive tend tre bulbaire! Ainsi, presque paradoxalement, les capacits dductives des machines logiques tend prouver que la dduction nest rien dautre en son fond quune habitude gnrale. En somme, elle ne trouverait pas en elle-mme les moyens de sa propre transformation. On sait depuis Peirce que lui sont troitement lies abduction et induction. "Tout homme est mortel, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel". Le systme transitif dinclusions "mortel homme Socrate" est une sdimentation dhabitudes, et cest en cela que la dduction nous convainc. Toute modification apporte lun des trois termes devra respecter lhabitude. Ainsi, ce que jappelle le "pas dductif" devra-t-il tre conu comme une intgration des ensembles thoriques sdiments, de mme que le systme "mortel homme Dupond" reste convainquant malgr la modification apporte. On comprend alors que lintgration des abductions va toujours concerner quelque chose de plus fondamental que la thorie qui lui a servie dhumus. Ce en quoi les abductions forcent les thories se prsenter nous sous un angle toujours plus fondamental. C'est en cela que nous divergeons quelque peu de la problmatique de Norma Tasca sur les "rapprochements conceptuels" entre psychanalyse et smiotique (1991). Les abductions produites, si l'on peut dire, par ces rapprochements forcent les thories ressaisir les croyances fondatrices qui les supportent (ou, bien mieux, qui les couvrent!). Ceci pourrait tre une indication sur laccs aux fantasmes dans une psychanalyse. Oblig dintgrer au tout (que lon suppose chaque instant relativement cohrent) dune thorie implicite les ides incidentes (einfall) qui en drangent - prcisment - le caractre implicite, lanalysant va devoir aller jusqu produire ces sortes daxiomes que sont les fantasmes. Dduction et obsistence La question la plus difficile traiter est celle des liens entre le caractre gnral des lments prsents dans la dduction et ce que jai appel la sdimentation dhabitudes - que lon doit pouvoir supposer comme quasiment organique. Il semble que Peirce aborde cette question laide de sa spirale et des "thers d'thers" au cours de l'anne 1902. On trouve des rfrences celle-ci dans les Collected Papers en 8.274, 7.370, 8.122n19,et 1.276.
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Dans le 8.274 dat du 12 juin 1902, (Le 8.122 (note 19) est une lettre Royce du 27 mai 1902 o le mme sujet est trait et le 1.276 est de Minute Logic de 1902, ainsi que le 7.370.) il considre la spirale plane dont l'quation en coordonnes polaires est r2 4r + 3 / r 2 = C Cette courbe commence r = 1 et se dveloppe vers l'extrieur jusqu' r = 2, faisant une srie de rvolutions infinie avant d'atteindre r = 2. Puis, dans un mouvement inverse, se dveloppe hors de r = 2 en une infinit de rvolutions entre r = 2 et r = 2 + , aussi petit que soit . Enfin elle finit abruptement r = 3. Il met en scne cette spirale dans ce que nous appelons l'anecdote du chien (cite dans 7.369 sq.). Il nous demande de l'imaginer en train d'crire, assis sa table de travail. Une porte de son bureau donne vers l'extrieur. Son chien arrive et le touche de son nez, ce qui signifie qu'il veut sortir. Peirce se lve automatiquement, hsite - au dehors, un jardin frachement amnag est interdit au chien: il est hors de question pour lui de surveiller l'animal; toutefois son pouse n'est pas loin: elle pourra donc loigner le chien du jardin - et ouvre la porte au chien: il le laisse sortir, referme la porte et retourne son travail. Supposons, nous dit-il, que lorsque le nez du chien me touche, il met des ondes dans la matire de mon corps. Une partie du mouvement est transforme en chaleur - qui est un mouvement de molcules, d'atomes et de corpuscules de cette matire. Mais ces atomes sont rellement des tourbillons dans un ther, induisant des vibrations de cet ther se propageant la vitesse de la lumire. Supposons que cet ther ne soit pas dpourvu de viscosit, ce qui induit des vibrations des atomes propres constituant l'ther. Or ceux-ci sont des tourbillons de l'ther de l'ther, qui induisent des vibrations dans cet ther, une vitesse aussi grande par rapport celle de la lumire que celle-ci l'tait par rapport celle du son. Mais cet ther d'ther est visqueux, et une partie de ces vibrations va tre convertie de la mme manire. Si nous supposons une srie sans fin d'thers sous ces thers, la vitesse des ondes propages augmentant, la srie entire des transformations pourra tre excute en une fraction de seconde. Tout ce mouvement est dynamique: l'esprit n'aura rien faire avec lui. Supposons maintenant que le vecteur radial, donn par le couple (r, ), mesure le temps commenant la limite externe, au moment o le nez du chien touche Peirce. Le mouvement est alors rtrograde vers l'intrieur. Supposons que chaque tour de la spirale reprsente la transformation d'un ther au suivant. A la fin de la priode de temps reprsente par une unit de rayon, cette srie de transformations sera complte.
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Supposons alors que la srie intrieure des rvolutions de la spirale - qui, au lieu d'tre sans fin, est sans commencement, mais pas en terme de temps - reprsente des oprations gouvernes exclusivement par la causation finale, et donc purement mentales. Supposons encore que, bien que mentales, elles ne sont pas notablement conscientes, du moins jusqu' l'approche de l'extrme limite centrale de la spirale. Dans cette seconde srie de rvolutions l'esprit agit rationnellement, dans la mesure o des actions inconscientes, donc acritiques, peuvent tre appeles ainsi. Au bout du compte, l'extrmit interne de le spirale, arrive ma volont d'ouvrir la porte au chien. Une autre manire de prsenter la chose, en un climax rhtorique: si le chien doit tre dehors, la porte doit tre ouverte; si la porte doit tre ouverte, je dois l'ouvrir. Mais si je dois l'ouvrir, je dois aller elle; si je dois aller elle, je dois marcher; si je dois marcher, je dois tre debout; si je dois tre debout, je dois me lever; si je dois me lever, je ferais mieux de laisser mon stylo. Ici la conscience s'efface. Mais il doit y avoir une srie infinie de telles rationalisations si seulement l'esprit agit rationnellement. N'importe lequel des instants aprs lequel le travail de l'esprit s'est opr, et cet instant, une srie infinie de transformations dynamiques se produiront qui se termineront par le fait que la porte est ouverte. Indpendamment de la ralit de lhypothse concernant les "thers dthers", il nous est prsent ici un modle de ce que peut tre le rapport de "conjonction par limites" entre la catgorie troisime de la pense transuasive et la catgorie seconde de la "phusis" obsistante. Sans tre une preuve, cest une possibilit originale, et cest comme telle quelle nous intresse. Incompossibilit, exhaustivit, contradiction Il y a en fait deux logiques quoi obissent ce quil nous faut bien appeler les sujets de propositions lorsquils se prsentent nous directement comme objets de signes. La premire est celle du vague, lautre, du gnral. Il faudrait en quelques mots expliquer en quoi ces deux logiques nous intressent ici, non sans omettre de signaler que Jean Oury (1991) a dj largement insist sur l'importance de ces deux logiques dans le champ psychanalytique. Un type de dtermination intervient dans la smiose, celle de l'interprtant par l'objet travers le signe. Ces deux types de dterminations sont repris et analyss par Peirce dans le Manuscrit 612 (dat de Novembre 1908) dont nous extrayons les passages suivants (par morceaux; l'ensemble
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de cette partie du manuscrit est cit dans Balat 1991) que nous tenterons d'illustrer par un exemple. Analyse de la premire partie Les deux notions prsentes dans le dbut de ce texte sont l'"incompossibilit" et l'"exhaustivit". Elles concernent les couples de prdicats. Par dfinition les prdicats sont affects des sujets: nous appellerons "a" et "b" les prdicats et "S" le sujet auquel ils sont affects. On sait que, contrairement celle d'Aristote, la logique de Peirce n'est pas une logique de l'existant, c'est--dire qu'un sujet peut revtir les trois modes d'tre que sont l'"originalit", l'"obsistence" et la "transuasion" (parfois appels, respectivement, primit, secondit, tiercit). Dans la mesure o les dfinitions sont logiques, ce qui est le cas dans ce texte, Peirce va caractriser autrement les trois modes d'appartenance en "possibles", "actuels" et "gnraux", correspondant respectivement aux trois modes d'tre indiqus plus haut. Ds lors la dfinition de l'incompossibilit, comme celle de l'exhaustivit, va devoir tre prcise suivant la nature des sujets auquel les prdicats a et b sont affects. L'incompossibilit: a et b seront dits incompossibles si, ils ne peuvent tre possds tous les deux que par quelque chose dont l'tre consiste en une simple possibilit et ne peuvent pas tre actuellement raliss sans quelque restriction, alors que ce qui se produit actuellement sparment, de mme que ce qui est Gnral, i.e. qui permet quelque latitude dans son actualisation peut au plus ne possder que l'un de ces caractres. Donc: - si S est un possible et a et b incompossibles, alors on peut prdiquer la fois a et b S. - si S est un actuel ou un gnral, on peut au plus prdiquer l'un des deux. Ce que nous rsumerons dans le tableau suivant: S a et b Incompossibles possible indiffrent actuel 1 au plus gnral 1 au plus L'exhaustivit: a et b seront dits exhaustifs si, seul ce dont l'tre consiste en quelque chose de Gnral peut ne pas possder l'un ou l'autre d'entre eux, et ce qui est soit Actuel soit simplement Possible doit en possder un.
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Donc: - si S est un gnral et a et b exhaustifs, S peut ne possder ni a ni b. - si S est actuel ou possible, il doit possder au moins l'un d'entre eux. Ce que nous rsumerons dans le tableau suivant: S a et b Exhaustifs possible 1 au moins actuel 1 au moins gnral indiffrent Ds lors, si a et b sont la fois incompossible et exhaustif (i.e. ils sont dits "contradictoires): S a et b Incomp. a et b a et b In. et Ex. Exhaust. possible indiffrent 1 au moins 1 au moins actuel 1 au plus 1 au moins 1 exactement gnral 1 au plus indiffrent 1 au plus Exemples: Soit comme sujet "la pluie" dans trois de ses manifestations: comme possible dans "il peut pleuvoir" (on peut toujours l'imaginer), comme actuelle dans "il a plu" (hier, par exemple) et comme gnral dans "il pleuvra" (quand, je ne le sais encore). Prenons alors, dans un premier temps, a = froid et b = chaud. La pluie a = froid, b = chaud Il peut pleuvoir les deux Il a plu 0 ou 1 Il pleuvra 0 ou 1 On voit donc que a et b sont incompossibles. Ces deux caractres ne sont pas exhaustifs (dans la mesure o la pluie peut tre tide). La ligne correspondant "il peut pleuvoir" nous indique "les deux" car il faut bien que les deux caractres soient prdiqus la fois la pluie pour que, ralise dans une pluie particulire, elle puisse revtir l'un des deux caractres. Si maintenant nous prenons a = froid et b = non-froid, le tableau deviendra: La pluie a=froid, b = non-froid Il peut pleuvoir les deux Il a plu 1
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Il pleuvra 0 ou 1 On voit qu'alors froid et non-froid sont bien contradictoires. En passant, nous sommes confronts plusieurs possibilits: - si S est possible et a et b contradictoires, et si S a effectivement les deux caractres (comme dans le cas froid-non-froid), on dira que S est indfini par rapport aux deux caractres - si S est gnral et a et b contradictoires, et si S possde la fois les deux caractres on dira que S est indtermin par rapport ces deux caractres. Cela tant le cas, n'importe quel Sujet Gnral, un Sujet tant tout ce concernant quoi on peut faire ou proposer une assertion, s'il ne possde aucun de ces deux caractres on dit qu'il est Indtermin par rapport eux, tandis que s'il en possde un mais pas les deux, on dit qu'il est Dtermin sous ce rapport. Si une simple Possibilit possde les deux caractres, on dit qu'elle est Indfinie par rapport eux. Analyse de la deuxime partie. Les prdicats, ici, ce sont l, m et n tels qu'ils sont inhrents (ou prdicables) aux diffrents sujets, respectivement L, M et N. Imaginons derrire ces lettres gnrales le signe, o M serait l'objet O, L le representamen R, et N l'interprtant I. Ds lors m, l, et n seraient les diffrentes formes que "revtiraient" respectivement l'objet, le representamen et l'interprtant. Les conditions sont 1, que L possde le caractre l, 2, que l'tat de choses existant est d'une telle sorte que tous les tats de choses plus spcifiques en lesquels L devrait possder le caractre l, serait un tat de choses dans lequel N possderait le caractre n, 3, que l'tat de choses actuel est tel que toutes les fois que la seconde condition ne serait pas remplie N ne serait pas n, 4, que l'tat de choses actuel est tel que toutes les fois que la troisime condition serait remplie, l'tre m de M entranerait l'tre l de L, et 5 que l'tat de choses actuel est tel que si la quatrime condition n'tait pas remplie l'tre m de M n'entranerait pas l'tre l de L, dans n'importe lequel de ces trois cas et dans aucun autre je ne dirai que N est dtermin en accord avec l'tre m de M. Nous pourrions illustrer cela l'aide d'un exemple. Imaginons la situation suivante: une fort - prenons celle de Bondy, o, suivant le dicton, "derrire
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chaque arbre se cache un bandit" -, un passant, un arbre - donc un bandit -, un nonc: "la bourse ou la vie". Le caractre n du passant N est de sacrifier sa bourse et/ou sa vie, celui, m, du brigand M est de vouloir la bourse et de pouvoir ter la vie, celui, l, de l'assertion "la bourse ou la vie", L, est d'tre un nonc en situation. 1 L possde le caractre l 1)- L a le caractre l, autrement dit, ce n'est pas une simple proposition, mais un signe engag dans une smiose actuelle, une proposition asserte, avec ses caractristiques d'assertion de proposition, dont nous avons donn les grands traits. Nous retrouvons ici la primaut du representamen (premier sujet d'une relation triadique authentique): quelles que soient les conditions qui vont suivre, elles auront toutes partie lie au representamen, sans lui, pas de signe. 2 l'tat de choses existant est d'une telle sorte que tous les tats de choses plus spcifiques en lesquels L devrait possder le caractre l, serait un tat de choses dans lequel N possderait le caractre n 2a)- Toute spcification de cet tat de choses aboutirait au mme rsultat: tout nonc L correspondrait la perte voque pour le passant. Ici se pose un problme: que signifie "tat de chose plus spcifique"? C'est, notre sens, une des cls de la smiotique peircienne. Un representamen n'est tel que d'tre rptable, autrement dit il doit pouvoir fonctionner comme representamen dans diverses "occurrences" (ce dernier terme est mis entre guillemets dans la mesure o le representamen peut se prsenter nous comme un pur possible), ou, mieux, dans divers "tats de choses". Un representamen est un "dj-l", condition de ne pas donner "dj" ni "l" plus d'actualit qu'il n'est ncessaire: il est "dj-l" comme possible! La spcification d'un "tat de choses" n'est autre que le fait que l'tat de choses de dpart peut tre plus dtermin encore dans sa gnralit (car n'oublions pas que nous sommes ici dans le monde des signes, c'est--dire celui d'une certaine gnralit). Si ces dterminations supplmentaires devaient laisser le caractre l L, nous dit Peirce, alors N possderait encore le caractre n. Cette condition exprime donc le "fait" suivant: aussi loin que la phrase est prononce dans les conditions indiques - ou dans des conditions plus spcifiques - le passant perd la bourse ou (vel) la vie. Notons que cette condition, qui est la deuxime dans l'ordre, concerne les rapports du representamen et de l'interprtant (ici, probablement, le caractre dynamique de l'interprtant), ce qui nous indique que les conditions "suivent" l'volution de la smiose, qui est R premier, I, second et O, troisime.
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3 l'tat de choses actuel est tel que toutes les fois que la seconde condition ne serait pas remplie N ne serait pas n 2b)- S'il n'en tait pas ainsi, alors il est clair que le passant ne souffrirait pas ce qu'il souffre. En effet, la situation acquiert son plein poids de ce que le passant par concidence ne perd pas sa bourse ce moment-l ni ne tombe victime d'un mal naturel. C'est un codicille affect la condition 2a. En fait, il s'agit pour Peirce de ne pas utiliser la notion d'"implication", qui est une notion de logique, mais de la dcrire dans la situation de la smiose. Dire que la seconde condition n'est pas remplie signifie qu'il y aurait un tat de choses plus dtermin dans lequel L possderait le caractre l et dans lequel N ne possderait pas le caractre n. La condition 3 nous dit qu'alors N ne serait pas n (dans la situation primitive, actuelle,bien entendu). C'est une condition de "futur". Nous retrouvons l le caractre futur de l'interprtant que ne doit pas nous masquer les traits actuels qu'il possde comme interprtant dynamique. 4 l'tat de choses actuel est tel que toutes les fois que la troisime condition serait remplie, l'tre m de M entranerait l'tre l de L 3a)- De plus, il faut penser que l'nonc est produit non pas comme au thtre l'est une rptition, mais qu'il a t provoqu par la volont qu'a le brigand de possder effectivement la bourse du passant, lie la facult qu'il s'attribue de lui ter ventuellement la vie. En bon logicien, Peirce nous fait comprendre que la troisime condition prsuppose les deux autres: si la troisime condition est remplie, alors, ou bien la seconde condition est remplie ou elle ne l'est pas. Si elle est remplie, L,l et N,n se prsentent ensemble dans les tats de choses ventuellement plus dtermins que l'tat actuel. Si elle ne l'est pas, alors N n'est pas n (puisque la troisime l'est). Quant la premire, si elle n'est pas remplie, alors la deuxime condition tombe et N n'est pas n, si elle est remplie; alors N est n. Mais quelle que soit la suite donne l'histoire, c'est--dire, l'interprtation effective qui en est faite, il nous faut bien supposer que "quelque chose" a entran la production de L,l. En somme il y a "de" l'objet (qui est un sujet M possdant un caractre m). Le verbe "entrane" est la traduction du terme anglais "entail" dont la dcomposition fait apparatre l'ide de "mettre la queue, la suite". Dans son utilisation mtaphorique (c'est--dire, par sdimentation, dans sa signification usuelle), il quivaut "implique". Mais il semble que Peirce, dans tout ce texte, vite de prsupposer la connaissance de l'opration logique de l'implication, ce qui explique les grandes prcautions qu'il prend dans la dfinition de ses conditions. En somme M,m inclut dans sa succession L,l car "ce qui est premier pour nous ne l'est pas ncessairement dans le monde". Mme si
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l'objet est produit par la smiose, il n'en est pas moins vrai qu'il l'est comme dterminant le representamen. Il est bien troisime dans le dveloppement de la smiose, comme objet connu, mais il est ce qu'il est en lui-mme lorsqu'il est encore inconnu (mais, bien entendu pas "inconnaissable" puisque l'enqute smiotique va nous permettre de le connatre). Cela signifie que l'objet que le representamen nous prsente n'est pas l'objet immdiat (qui dpend du representamen et, donc, de l'interprtant), mais l'objet dynamique qui est ce qu'il est et que la smiose constitue pour nous comme tant ce qui la dtermine. 5 l'tat de choses actuel est tel que si la quatrime condition n'tait pas remplie l'tre m de M n'entranerait pas l'tre l de L 3b)- Si, enfin, le brigand pouvait se contenter de "flinguer" le passant pour lui prendre la bourse, il n'aurait pas produire l'nonc en question: il nous faut donc supposer qu'il n'en est pas ainsi et que la situation voque doit comporter de la part du brigand le respect scrupuleux de la loi du plus fort. Nouveau codicille. Si la quatrime condition n'est pas remplie, c'est qu'il y a un cas o la troisime est remplie - avec les consquences que nous avons vues - sans que M,m entrane L,l. Bien entendu, la ngation porte du "entrane" - et c'est pour cela que nous avions pris nos prcautions concernant le verbe "entrane" -, c'est--dire que M,m peut coexister avec L,l, mais sans qu'il y ait une ide de successivit. On voit bien ici quel point cette ide de successivit est prgnante dans la position de l'objet dans la smiose. dans n'importe lequel de ces trois cas et dans aucun autre je ne dirai que N est dtermin en accord avec l'tre m de M Mais cette condition exprime le fait que la troisime condition ne peut tre remplie sans que M,m entrane L,l, ce qui exprime le lien indissoluble entre les trois composantes que sont L,l, M,m et N,n. Logique du vague, logique du gnral Nous voyons donc en action ici la fois le caractre dfinitionnel du vague (appel ici possible) et du gnral et de leur action dans le cadre de la smiose. La dtermination travers le signe est une dtermination interprtante: cest la position de linterprtant et la contrainte qui pse sur lui, qui sont les objets spcifiques des deux logiques du vague et du gnral. Si un signe est vague, linterprtant est contraint lenqute smiotique. Sil est gnral, la contrainte est attnue: lui est substitu un choix. En somme, tout ce qui nous apparat est toujours relativement dtermin, car il
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y a toujours quelque actualit dans la perception (y compris dans le rve). Mais ce qui nous apparat peut tre totalement dtermin (pure obsistence) ou partiellement indtermin (gnral), entirement dfini (pure monade) ou partiellement indfini (vague). Il est clair que la pure obsistence ou la pure possibilit sont des virtualits thoriques, des concepts-limites. Cela ne les rend pas inutiles si lon considre, par exemple, les fruits du travail de Danielle Roulot sur la "secondit pure" et la schizophrnie (1991). Nous considrerons ici quun sujet nous apparatra comme vague ou comme gnral. Quil soit vague, et donc indfini par rapport certains prdicats, et nous avons complter la dtermination ou la dfinition du sujet par lenqute smiotique. Quil soit gnral, et donc indtermin par rapport certains prdicats, et lenqute sarrte l, comme en attente dune nouvelle impulsion. La logique du vague est la dynamique de la smiose, celle du gnral, sa statique. Toute science combine sa manire le vague et le gnral. Gnrale dans ses propositions, la physique - pour prendre un cas dcole - est vague dans ses dveloppements. Lapparition dune contradiction travers un fait, une exprience, est la rvlation dlments contradictoires possibles dans la thorie: cest lindice de son caractre vague. Lexprience de Michelson et Morley plaait les physiciens devant une contradiction: la vitesse relative de la lumire manant du soleil est c v et la vitesse relative de cette lumire est c. Lapparition de cette incompossibilit des prdicats "c v" et "c" affects dans le cadre de la mme thorie la vitesse de la lumire du soleil obligea les physiciens mener lenqute sur les fondements de leur science. Ainsi peut-on dire que le possible nous apparat dans sa puret sous forme dune contradiction (prdicats incompossibles) affectant un sujet. La rsolution de la contradiction ou de l'incompossibilit est un des objets de lenqute smiotique dans les sciences. Et cest bien ainsi que Freud nous prsente lhypothse du "a". Le a est vague Nous pouvons maintenant nouer lensemble du propos autour de cette question du "a". 1. Le modle de la spirale de Peirce a pour effet de montrer comment, dans la continuit de la pense se noue thoriquement llment obsistant. Aussi petit que soit son " ", il existe toujours des lments de la pense aussi proche que lon veut de la dtermination physique. Le processus qui permet de remonter vers cette dtermination est infini: il laisse donc
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toujours un reste dont la structure, nous indique Peirce, est considrer comme rationnelle puisquon peut toujours rationnellement aller toujours un peu plus loin vers cette limite par dfinition inatteignable. Envisager cette dtermination physique comme celle dun organisme permet de penser le a dans son caractre pulsionnel. Rappelons en effet que Freud considrait toujours le concept de pulsion comme un concept limite entre soma et psych. En quelque sorte tout ce qui du psychique, en de de ce " ", enveloppe le somatique apparat bien comme une dtermination des penses futures. 2. Tout ce qui est pos "autour" de la limite somatique a le caractre dune sdimentation dhabitudes, seule manire de penser en termes volutionnaires le continuum somato-psychique. Ceci ne rsout en rien le problme de la conscience, mais permet de penser en termes de rationalit (de "structure" dirait Lacan) cet humain enracin dans lhumus quest le a. 3. Premire mergence par contact avec lobsistence somatique, le a se rvle bien comme le lieu o se forge la fonction habituellement appele dnotative. Il est par lui-mme lindice le plus clair dun effet de lorganisme sur la psych. 4. Le a est vague puisque tout ce qui apparat dans la conscience se donne comme dveloppement de ses effets, constituant les dterminations suivantes de ce qui tait encore largement indfini. La caractristique essentielle du a sur la plan catgoriel est sa possibilit. La gnralit appartient la conscience, le vague, au a. Ceci ne signifie pas, bien entendu, que des lments de la conscience ne soient vagues.
Vers une induction conclusive: placer le "a" dans son rapport au "moi"
Ainsi le "a" apparat comme ce qui, jet dessous, anime nos smioses conscientes. Bien entendu, toujours prsent au long de la chane smiosique, il est toujours l, ne se contentant pas de donner son "erre" la smiose. Ds lors, dans son insistance, dans lunit quil impose la smiose, il se prsente comme le creuset o tout objet de signe vient se constituer, mais comme la conditions mme dune unit de ce que nous appellerons le "penser". Car nous savons avec Peirce que lobjet est linvariant de la smiose conue comme reprsentance dobjets. Avec le a nous pouvons poser lhypothse, suivant ainsi Lacan aprs Freud, dun sujet "de" linconscient, dun sujet pulsionnel, toujours prsent dans la smiose, constamment reprsent par les representamens qui la constituent. La
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formule de Lacan "un signifiant est ce qui reprsente le sujet pour un autre signifiant" est la comprhension minimale et profonde de ce quil y a toujours du a dans laccs ce que nous appelons le monde externe. Nous ne pouvons penser la smiose sans ce "a" qui donne la cl de ce que celleci a de dnotatif. On peut comprendre alors en quoi le "moi" se distingue du sujet de linconscient. Sa position est lie au fait quil faut bien quelque image reprsentative de cette unit insistante du sujet de linconscient dans la smiose. Elment reprsentatif, le moi, mme sil assume lvidence des fonctions vitales comme reprsentation, nest pas au coeur du processus qui nat dans le a: il nen est quun piphnomne. Assurant la permanence rcurrente dune unit problmatique, le moi est, dans le monde des ides, de constitution rcente. La thorie antique des mtamorphoses nest-elle pas l pour nous indiquer la dette quil a envers la reprsentation? On sait que Lacan a produit une thorie du moi en mettant son origine au stade du miroir (Wallon aprs Freud!) et rendant ainsi tributaire sa constitution dun autrui qui est la perception de limage dans le miroir, comme aussi bien dun autre proche de lenfant (cf. la notion de "transitivisme"). Unit factice ds lorigine, le moi est bien la sdimentation de notre ignorance et de nos erreurs. Coup, donc, de toute source somatique, le moi ne saurait tre partie prenante de la fonction dnotative du moins en tant que fonction. Accompagnant toutefois nos penses, peuttre est-il au coeur de cette autre fonction fondamentale nomme par Peirce "fonction connotative". En tout tat de cause, nous pouvons considrer que le moi occupe une place centrale dans la fonction iconique, alors que le a se situe du ct de la fonction indiciaire. Car si la smiose est sociale dans son essence, les lments spatio-temporels auquel elle fait appel dans son actualit sont des lments de la personne propre, dans sa vague singularit, dans son tre-l, son obsistence. L'image qu'est fondamentalement le moi plutt les couches d'images qui le constituent - est la premire sdimentation des expriences actuelles. Bien entendu, il nous faut mettre en perspective ces expriences, c'est--dire les considrer aussi comme des expriences sdimentes de l'espce. C'est ainsi que Lacan, par exemple, faisait un rapprochement avec la fonction de leurre de l'image de l'autre dans le dveloppement de l'espce, citant le cas de maturations sexuelles ncessitant l'image (voire le leurre d'une image) de l'autre (1966). Ds lors, sans tre partie prenante directement de la fonction dnotative, on voit bien que le moi joue un rle important dans cette fonction vitale qu'est la reproduction pour le dveloppement de l'espce. Il n'est pas possible, dans le cadre de cet article de pousser plus loin ces
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dveloppements. Mais il me semble avoir montr comment, la suite du processus dductif indiqu plus haut, il y avait place pour ce que j'appelle ici une induction, c'est--dire, la vrification de la consistance de ce que les abductions avaient permis de mettre jour et que les dductions permettaient d'intgrer un cadre thorique form.
Rfrences
Apule (1975). L'ne d'or ou les mtamorphoses. Paris: Gallimard. Balat, Michel (1989). "Logique du vague et psychanalyse" in S, 1(4). Vienne. - (1990). "L'espace-temps du lgisigne" in Recherches smiotiques/Semiotic Inquiries. Quebec. ( paratre) - (1991). Des fondements smiotiques de la psychanalyse. Paris: Mridiens-Klincksieck ( paratre). Freud, Sigmund (1966). Essais de psychanalyse. paris: Payot. Jones, Ernest (1975). La vie et l'oeuvre de Sigmund Freud, t. 3. Paris: PUF. Lacan, Jacques (1966). Ecrits. Paris: Seuil. Oury, Jean (1991). "Logique du vague et logique du fantasme" dans cet ouvrage. Ovide (1985). Les mtamorphoses ,t. 1. Paris: Les belles lettres. Peirce, Charles Sanders (1931, 1958) Collected Papers, Volumes I to VI edited by Charles Hartshorne and Paul Weiss and Volumes VII and VIII by Arthur W. Burks. Cambridge: Harvard University Press. Roulot, Danielle (1991). "Secondit pure et schizophrnie" dans cet ouvrage. Tasca, Norma (1991). "Psychanalyse et smiotique" dans cet ouvrage.