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C ENTRE
DE
D OCTRINE
D E MPLOI DES
PARIS,
JANVIER
F ORCES, 2007
Affrontement arm des volonts, la guerre engendre toujours la destruction et la souffrance, mais son visage et sa place dans le monde ont chang. Cest dabord lefficacit politique de laffrontement militaire qui a volu, la destruction de lautre savrant souvent une rponse inadapte aux situations conflictuelles. La bataille qui, jusqu une poque rcente, pouvait conduire directement au succs politique nest plus ni suffisante, ni le signe de la victoire ou de lchec final pour les protagonistes. Sa place sest rduite celle dune premire tape, violente et brve, dans le cours gnral de conflits dont la dure stend et pour lesquels ltablissement des conditions du retour la paix devient dcisif. Il faut ensuite conduire la paix. Mais la guerre a aussi chang par lirruption de nouveaux belligrants qui, loigns des logiques militaires traditionnelles, agissent et vivent parmi des populations devenues la fois acteurs et enjeux essentiels. Dsormais au centre des conflits, celles-ci sont un objet de proccupation majeure des forces militaires. Confronte cette mutation, laction militaire volue. La capacit de destruction nest plus largument majeur dun outil qui ne conduit plus directement la ralisation de lobjectif stratgique mais ne fait plus quy participer. Il le fait avec un ensemble dacteurs qui ont tous leur part dans la russite ou lchec et avec lesquels les armes doivent agir et se coordonner.
Larticulation et lobjectif des oprations en sont modifis. Lintervention initiale o la force agit gnralement dans toute sa puissance prpare maintenant une phase de stabilisation qui, cur de lengagement et tape dcisive, se joue essentiellement dans le milieu terrestre. Lobjectif de ce document, fruit dun travail collectif de rflexion au sein de larme de terre, est de prsenter ces volutions essentielles qui touchent profondment des forces terrestres engages sur de nombreux thtres doprations. Au cur des engagements, elles construisent leur pleine efficacit dans le rglement de crises qui se sont loignes des luttes entre Etats pour investir le champ des affrontements au sein des socits. Dans ce nouvel environnement, larme de Terre affirme et met en uvre une double exigence : celle de la puissance et de la matrise de la force.
sommaire
PREMIRE
PARTIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
UN
1 Monde nouveau nouveaux conflits ..................................9 2 Un nouvel emploi de la force...........................................20 3 Un nouveau rle pour le soldat.............................................27
DEUXIME
PARTIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CONDUIRE LENGAGEMENT
Lengagement militaire ne permet plus lui seul de gagner les guerres ; il conduit simplement ltablissement des conditions minimales du succs stratgique qui se dessinent dans la phase de stabilisation, nouvelle phase dcisive des conflits. Fortes dune suprmatie technologique inconteste, les armes occidentales sont confrontes des adversaires qui tirent leur force de la disparit de leurs modes dactions. Les forces armes font la guerre au sein des populations qui en sont devenues des acteurs et des enjeux essentiels. Plus que jamais, les forces terrestres sont au cur dengagements oprationnels qui se concentrent dans les villes et ncessitent des units nombreuses, capables de durer. Citoyen ordinaire dune socit de plus en plus exigeante pour sa scurit, sensible au droit et avide dinformations, le soldat doit dvelopper une grande facult dadaptation. En particulier, il doit possder une aptitude indispensable au dialogue tout en conservant la capacit daffronter les situations extrmes.
premire partie
Longtemps mode habituel de rsolution de conflits marqus par des intrts de puissance et des volonts de conqute, lusage de la guerre est progressivement entr dans un cadre juridique international qui ne reconnat plus lusage de la force comme mode de rglement des diffrends entre tats1. Dans ce cadre nouveau, nos armes interviennent maintenant essentiellement au sein de systmes marqus par le dsordre, la violation du droit ou la menace sur la paix afin de permettre la restauration dun ordre qui passe souvent par celle dun systme social et politique stable. Aussi, alors que dans le pass, les objectifs stratgiques dun conflit dpendaient le plus souvent directement du sort des armes, les rsultats militaires obtenus sur les thtres doprations actuels ne conduisent plus qu ltablissement des conditions minimales pour le succs stratgique. Cependant, dans le monde comme au sein des socits, la guerre est, non seulement apprhende de manire toujours diffrente en fonction de la place quoccupent les nations ou les individus, mais aussi reprsente, voire idalise, selon des schmas de pense divers. Conceptualise de faon rationnelle comme une activit sociale et politique soumise des lois en Occident, la guerre est souvent pense et vcue diffremment ailleurs. Ceci peut avoir des consquences fondamentales dans la dfinition des objectifs politiques dun conflit, y compris au sein dun mme camp, car penser diffremment la guerre cest aussi penser diffremment la victoire.
Les membres de lorganisation sabstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir la menace ou lemploi de la force, soit contre lintgrit territoriale ou lindpendance politique de tout tat, soit de tout autre manire incompatible avec les buts des Nations Unies (Charte des Nations Unies Article 2, 4)
12 LA STABILISATION, D'AUJOURD'HUI
Succdant la priode de prparation et la dcision, trois grandes phases d'un mme continuum caractrisent l'engagement des forces dans un conflit arm : l'intervention, la stabilisation et la normalisation. Elles comportent toutes, dans des proportions diffrentes et variables, des moments de coercition, de matrise de la violence, de haute et de basse intensit. 121 - Lintervention, une phase indispensable Par lintroduction dune force arme dans une aire gographique donne, cette phase vise gnralement imposer un ordre temporaire en employant la force pour vaincre la violence et le chaos. Phase de la prpondrance du militaire sur le diplomate, lintervention est, gnralement, le temps de la confrontation arme, parfois de haute intensit, contre un adversaire le plus souvent identifi. Les objectifs y sont habituellement dfinis avec clart : une victoire militaire, larrt de combats entre belligrants ou le dploiement russi des forces sur le thtre. Le droulement de cette phase influe profondment sur la suite des oprations, car les choix retenus (modes daction, moyens employs) ont des consquences durables dans les phases ultrieures. En outre, si la russite de cette phase ouvre la porte au succs stratgique, un chec entrane logiquement celui de lopration et devient synonyme de dfaite politique. Aussi, une force arme qui sy engage doit pouvoir simposer face tout adversaire susceptible de sopposer son action. Elle doit disposer des moyens qui lui permettent datteindre des objectifs militaires dfinis en fonction des buts stratgiques de lopration, mme si cest bien en fonction de ces derniers que la phase dintervention doit tre prpare et conduite.
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Un pays n'est pas conquis et pacifi quand une opration militaire y a dcim les habitants et courb toutes les ttes sous la terreur ; le premier effroi calm, il germera dans la masse des ferments de rvolte que les rancunes accumules par l'action brutale de la force feront crotre encore. Le meilleur moyen pour arriver la pacification est d'employer l'action combine de la force et de la politique. Il faut nous rappeler que nous ne devons dtruire qu' la dernire extrmit, et, dans ce cas encore, ne dtruire que pour mieux btir Chaque fois que les incidents de guerre obligent l'un de nos officiers agir contre un village ou un centre habit, il ne doit pas perdre de vue que son premier soin, la soumission des habitants obtenue, sera de reconstruire le village, d'y crer un march, d'y tablir une cole. C'est de l'action de la politique et de la force que doit rsulter la pacification du pays et l'organisation lui donner plus tard. L'action politique est de beaucoup la plus importante. Elle tire sa plus grande force de l'organisation du pays et de ses habitants. Gnral Gallieni Instructions fondamentales du 22 mai 1898.
122 - La stabilisation, nouvelle phase dcisive Dans cette phase du conflit, il sagit de consolider lordre transitoire impos prcdemment en diminuant puis en contenant la violence afin de permettre tous de sengager sur le chemin de la paix. Cest, pour lensemble des acteurs, le temps de la complexit et de la gestion des contraires o il faut tout la fois rpondre aux urgences du court terme et aux ncessits du long terme dans un pays boulevers jusquau plus profond de lui-mme. La prsence des forces armes est essentielle pour accompagner et soutenir ceux qui oeuvrent linstallation dune paix durable. Cependant, linverse de la phase prcdente, les objectifs y sont rarement dfinis avec prcision, mme sil sagit, dune manire gnrale, de restaurer la stabilit par une matrise gnrale de la zone et de permettre le retour la confiance entre les protagonistes. Cette phase doit poser les bases dune reconstruction de lEtat pour laquelle la force militaire oeuvre en coordination troite avec son environnement afin de mettre en cohrence lensemble des lignes doprations. Agissant sur celles-ci au ct d acteurs non militaires dont limportance va croissante, les forces armes y peuvent tenir le rle principal (oprations militaires, scurit gnrale), ntre quen soutien (ordre public, restauration de lEtat, actions humanitaires, environnement) ou nagir quindirectement (justice, soutien conomique, diplomatie). Mais il sagit aussi de reconstruire la nation. Sur tous les thtres et au-del des structures politiques et conomiques, ce sont bien le rejet de liens sculaires et le bouleversement des fondements sociaux que dvoilent les dchirements ethniques, religieux ou culturels. Avec dautres, les forces armes doivent aider panser les plaies et rebtir une vision commune, condition ncessaire au retour vers la paix. La phase de stabilisation est la phase dcisive dune opration militaire ; laction dcisive y est conduite au sol, au cur des socits humaines. Les forces armes y tablissent
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123 - La normalisation, phase du retour la paix Grce la stabilit relative obtenue et aux bases ncessaires la reconstruction de lEtat et de la nation, la normalisation est la phase de mise en place et daffermissement dun systme politique, juridique et social durable et accept par les protagonistes du conflit. Le succs de cette phase suppose de bien comprendre que la normalit rtablir est, le plus souvent et dans la plupart de ses dimensions, fort diffrente de la normalit telle quelle est comprise au sein des
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les conditions du succs stratgique. La phase de stabilisation dpend pour une large mesure dune prparation qui, associant les multiples acteurs, dbute ds la conception de lopration et permet de russir la transition dune phase lautre, car celle-ci oriente profondment la suite du conflit. Son succs ou son chec se jouent le plus souvent dentre.
nations intervenantes. Comme pour la phase prcdente de stabilisation, ce succs suppose quil ait t profondment rflchi avant mme lintervention. On ne sort bien dune crise que si on y est bien entr. Le retrait progressif de la force arme au profit des autorits lgitimes, des forces locales de scurit et des acteurs non militaires marque la russite dfinitive de lopration militaire. Alors que dans le pass, la ralisation des objectifs stratgiques dun conflit dpendait troitement du sort des armes, les rsultats militaires obtenus sur les thtres doprations actuels conduisent seulement ltablissement des conditions du succs stratgique. Pralable la poursuite de lopration, la phase dintervention doit aboutir un succs tactique indispensable, tre conduite en fonction des buts stratgiques et permettre une transition harmonieuse vers la phase suivante. La phase de stabilisation est la phase dcisive. Les forces militaires y agissent en coordination troite avec leur environnement et restaurent la stabilit par une matrise gnrale de la zone. Cette phase permet dtablir les conditions pour la ralisation de lobjectif stratgique et prcde une phase de normalisation qui est celle du retour la paix.
13 - DE
ASYMTRIQUES
Forme immmoriale de la guerre, le combat du faible contre le fort prend dornavant une importance accrue car, durablement installes dans une posture de supriorit oprationnelle, les armes occidentales sont de plus en plus confrontes des formes nouvelles de conflits, que Clausewitz qualifiait dj de petites guerres et doivent pouvoir sengager dans des formes diffrentes de conflits.
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Forme traditionnelle des conflits arms, ces conflits peuvent tre qualifis de conventionnels. Ils mettent en uvre des armes institutionnelles qui poursuivent des buts de mme nature et utilisent des moyens et des modes daction similaires. Leur diffrence essentielle rside dans la diffrence de puissance entre les belligrants et les consquences quelle peut entraner. Les conflits symtriques opposent des adversaires comparables et ne sont pas exempts du risque de dfaite. Aussi, mis part le dveloppement dune stratgie de dissuasion qui interdit la confrontation arme, lintrt de chaque protagoniste potentiel est de rechercher la supriorit son profit, cest dire de crer une dissymtrie qui puisse lui assurer la victoire et lui permettre, ainsi, dentrer en conflit avec toutes les chances de succs. Les conflits dissymtriques mettent aux prises des adversaires de mme nature mais de capacits ingales sur le plan militaire. Ils offrent de grandes chances de succs au belligrant le plus puissant. Cependant, la plupart des conflits ne se terminant plus de manire officielle par une capitulation ou un armistice, les guerres se poursuivent sur un mode diffrent. Aussi, sauf prendre fin rapidement par une victoire accepte par tous, un tel conflit conduit souvent le plus faible sorienter vers une forme asymtrique qui constitue sa seule chance de lemporter dans son combat contre le fort. 132 - Les conflits asymtriques Dans un conflit asymtrique, lun des belligrants se place dlibrment dans un domaine diffrent de celui o son adversaire possde une supriorit manifeste et met laccent sur la disparit totale de nature des moyens et des modes daction. Dans un tel conflit, dont la forme se nourrit largement de la suprmatie technologique ou matrielle dun des protagonistes, lobjectif du belligrant qui sy adonne est la transformation de la domination oprationnelle de son adversaire en impuissance ou en vulnrabilits. Ainsi, il met en valeur ses propres facteurs de supriorit dautant plus forts quils sont matriellement,
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psychologiquement et moralement loigns de ceux de son adversaire. La supriorit militaire des armes occidentales devrait susciter des ripostes de plus en plus asymtriques. Il parat cependant ncessaire de distinguer deux types dasymtrie qui impliquent les forces armes de manire diffrente :