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LE COUP MDIATIQUE

Les journalistes font-ils l'vnement ?


Patrick Champagne Publications de la Sorbonne | Socits & Reprsentations
2011/2 - n 32 pages 25 43

ISSN 1262-2966
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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Champagne Patrick, Le coup mdiatique Les journalistes font-ils l'vnement ?, Socits & Reprsentations, 2011/2 n 32, p. 25-43. DOI : 10.3917/sr.032.0025

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Ce qui fait lvnement

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Patrick Champagne

Le coup mdiatique
Les journalistes font-ils lvnement?
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Sagissant de savoir ce qui fait un vnement, il semble logique de dfinir pralablement ce que lon entend par vnement. Cette interrogation lgitime nest toutefois pas sans comporter un pige lorsquil sagit de dfinir, comme cest le cas ici, une notion semi-savante. La notion dvnement fait partie en effet de ces notions qui, comme celles de communaut, de dmocratie, dtat, dopinion publique, etc., sont, au sens durkheimien, non pas des concepts mais des prnotions. Les essais de dfinition acadmique de ce type de notions tendent alors opposer gnralement, faisant couple pistmologique, les nominalistes aux ralistes, cest--dire dune part ceux qui proposent une dfinition consistant rechercher, parmi les dfinitions prexistantes de la notion (dfinitions quils vont chercher dans les dictionnaires, dans la littrature spcialise et mme dans les expressions de sens commun), les points sur lesquels laccord semble se faire afin de proposer une dfinition consensuelle de la notion et, dautre part, ceux qui imposent leur propre dfinition et prtendent ne prendre en compte que la seule ralit sans trop se soucier des notions employes pour la dsigner. Ainsi les nominalistes diront-ils quil y a vnement ds lors que certains critres sont runis tandis que les ralistes chercheront distinguer parmi les faits qui sont, ou non, socialement dsigns comme vnement les seuls vritables vnements selon leur dfinition, pouvant mme accorder le statut dvnement des faits apparemment insignifiants (ils parleront alors dun vnement pass inaperu). Ces deux approches, qui ont en commun de dtruire demble ce quil sagit de comprendre savoir que la dfinition de lvnement est prcisment lenjeu dune lutte, et que cest cette lutte quil importe de prendre pour

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Lvnement comme production collective


La dimension sociale est pourtant quasi consubstantielle la notion dvnement dans son sens le plus gnral. En effet, un vnement est ce qui arrive et qui a une certaine importance pour la socit ou du moins pour certaines catgories de la population. Toute la question est prcisment de savoir: questce qui est important et pour qui? car il existe une infinit de situations et de
1.Sur ce point, voir Patrick Champagne, Lvnement comme enjeu, Rseaux, vol.18, no100, 2000, p.403-426.

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objet , ignorent la diffrence qui existe entre un concept scientifique (comme par exemple les concepts de champ, dhabitus ou de capital symbolique) et une simple notion. Si un concept peut tre dfini librement par lanalyste, cest parce quil sagit dun outil intellectuel, cr par le savant (ou la communaut scientifique), qui doit tout son sens au systme conceptuel lintrieur duquel il sinsre. Une notion est, par contre, un mot qui existe dans le monde social avec des significations variables, qui fait lobjet de luttes de dfinition et dappropriation pour catgoriser la ralit sociale et pour imposer une certaine reprsentation du monde social, afin de produire certains effets sociaux (politiques notamment). La seule dfinition pralable dune notion semi-savante qui soit scientifiquement acceptable est ce quon peut appeler sa dfinition sociale, cest--dire la dfinition qui prend prcisment pour objet la lutte entre diverses catgories dagents pour imposer une signification parmi dautres la notion, une signification qui leur soit favorable. De mme quil faut prendre en compte le fait que, dans le monde social, une notion comme, par exemple, celle dopinion publique est lobjet de luttes pour en imposer une certaine dfinition, lapproche scientifique consistant alors prendre pour objet la lutte symbolique elle-mme et lensemble des acteurs sociaux qui y participent afin de comprendre ce qui fait quune dfinition par exemple celle des sondeurs tend simposer comme seule lgitime, de mme la seule dfinition scientifique de la notion dvnement est celle qui consiste prendre en compte lensemble des acteurs sociaux qui sont en lutte pour imposer une certaine ide de ce quest cens tre un vnement. Autrement dit, ce nest pas lanalyste de dire ce quest et ce que nest pas un vnement: sa tche est de rendre compte de ce qui, un moment donn du temps, dans une socit donne, est socialement considr comme un vnement, cest--dire ce qui mrite une telle dnomination et avec quelles consquences1.

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rponses ce type de question, ce qui laisse une certaine marge dapprciation, et donc de jeu entre les acteurs sociaux qui sont parties prenantes cette lutte symbolique. La naissance dun enfant est, dit-on, un vnement familial (on parle dun heureux vnement) mais qui reste restreint la famille et ses proches, sauf sil sagit dune naissance royale, lvnement devenant alors politique parce que concernant potentiellement un pays entier. Mais au-del de ces usages ordinaires, la notion dvnement est devenue fortement dpendante de lindustrie des mdias. On pourrait presque dire que cette notion est aujourdhui au cur de lactivit journalistique, quelle est inhrente au fonctionnement mme des salles de rdaction, au point quon ne sait plus trs bien si la presse met en une les vnements qui existent indpendamment des journalistes, ou si cest le fait dtre mis en une qui contribue faire ce quon appelle un vnement. En effet, lexistence dun champ journalistique, qui est cens chaque jour faire le tri entre les innombrables dpches dagence afin de livrer aux citoyens (lecteurs, auditeurs et tlspectateurs), en les hirarchisant, les informations les plus importantes et dire ainsi (entre autres) quels sont les faits majeurs qui mritent dtre mis en valeur, ne peut pas ne pas peser sur la dfinition mme de ce quil faut entendre dsormais par vnement et, par l, sur ce qui tend, de fait, tre considr comme tel. Les journalistes ne sont pas de simples intermdiaires se bornant diffuser et commenter des vnements qui existeraient en soi, en dehors deux, et qui seraient aisment saisissables. Les journalistes ont leur propre conception de lvnement qui nest pas celle de lhistorien, de lhomme politique ou du citoyen ordinaire. Ils sont de plus soumis la pression de ceux groupes ou institutions qui, parce quils estiment que cest leur intrt (politique ou conomique), veulent que lon parle deux dans les mdias, en premire page si possible, et tentent, avec laide de conseillers en communication, de faire vnement. On comprend que la notion tende osciller aujourdhui entre limportant et le drisoire, le rel et le fabriqu, le vritable et lartificiel puisque tout, a priori, peut faire vnement pour les mdias, un changement de majorit aux lections lgislatives comme une catastrophe naturelle, la rvlation dun scandale politico-financier mais aussi un lapsus ou un mot de trop prononc par un politicien ou encore la simple sortie dun livre ou dun film dont on organise la promotion commerciale indpendamment de la valeur intrinsque de ces uvres culturelles. Lvnement peut mme tre un fait venir: la presse, comme cest souvent le cas, peut, par exemple, annoncer comme vnement une grve de grande ampleur des transports publics pour le lendemain ou une intervention venir du prsident de la Rpublique.

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Bref, il serait vain de tenter de dfinir en soi ce que seraient les vritables vnements et de leur opposer des vnements factices, monts artificiellement par ou pour les mdias. Ce qui existe, ce sont des informations qui sont ainsi dsignes par ces derniers. Cela revient dire quun vnement est quelque chose que les mdias considrent comme tel. Mais cette dfinition, apparemment tautologique, conduit sinterroger sur le fonctionnement mme du champ journalistique, afin de comprendre comment sengendre ce type particulier dinformation mis en une. Il ne suffit pas quun journal mette en une une information pour que celle-ci devienne un vnement, cest--dire une information qui alimente les conversations, suscite des prises de position, dclenche des ractions dindignation ou dapprobation, provoque des commentaires, entrane des comportements, etc. Il y a vnement lorsque lensemble des mdias qui comptent dans la production de linformation, considre comme crdible (surtout par les dominants socialement), saccordent traiter une information comme telle. Cela signifie quun journaliste, ou mme un journal, ne peuvent pas dcider eux seuls de ce qui doit tre considr comme un vnement: chacun, dans le champ journalistique, y contribue seulement la mesure de la position quil occupe dans cet espace. Mme un quotidien comme Le Monde qui dispose, du fait de sa notorit et de sa rputation de srieux, dun poids suprieur aux autres quotidiens, ne peut imposer lui seul sa vision de linformation et de lvnement lensemble du champ journalistique. Une information ne devient un vnement que lorsquelle est ainsi considre par un grand nombre de journalistes et de mdias. Cela implique une synchronisation et une focalisation minimum des choix de lensemble des journalistes sur un mme sujet, certains mdias et certains journalistes comptant cependant plus que dautres, la presse nationale ayant, par exemple, un poids plus important que celle rgionale, et les mdias audiovisuels plus que la presse crite. Dans la mesure o cette synchronisation et cette focalisation sur une information peuvent tre plus ou moins grandes, lvnement ainsi produit pourra tre plus ou moins important: il existe des degrs dans la transmutation dune information en vnement, depuis linformation faiblement constitue et rapidement vacue de la une des mdias jusquau sujet trait par la quasitotalit des supports du champ journalistique, au mme moment et sur une dure suffisamment longue pour tre vu par lensemble du public (on parle alors, selon les cas, de campagne de presse ou de lynchage mdiatique). Cette synchronisation et cette focalisation peuvent tre objectives lorsquelles ont pour principe la similarit des schmes de perception des journalistes, ces derniers saccordant, souvent spontanment, ou du fait de

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Le public comme producteur cach


ce point de lanalyse, on pourrait penser que lessentiel a t dit, savoir que ce qui est trait par les journaux comme un vnement et qui est plus ou moins considr comme tel nest pas purement arbitraire (les journaux perdraient leur crdit sils mettaient en permanence en une sur 5colonnes, des faits jugs drisoires par leurs lecteurs), mais quinversement lvnement nest pas, le plus souvent, un fait indiscutable qui est simplement constat par

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la concurrence, reconnatre parmi les nombreuses dpches dagence qui tombent chaque jour celles qui pourront ventuellement faire vnement: par exemple, une intervention militaire ltranger ou lannonce de poursuites judiciaires lencontre dun homme politique seront considres, aujourdhui, comme des vnements par lensemble de la presse gnraliste. Mais la synchronisation-focalisation peut avoir t explicitement provoque ou suscite par des agents externes ou internes au champ journalistique. Il est des sujets qui sont explicitement prpars lintention des journalistes par un travail explicite, visant faire en sorte que tous les mdias parlent au mme moment de la mme chose afin, prcisment, de faire vnement (envois simultans de dossiers de presse, organisation de confrences de presse, campagnes de communication, etc.). Enfin, il est des informations que certains mdias lancent, en esprant quelles seront reprises rapidement et simultanment par lensemble de la presse, afin den faire un vnement. Si ce qui peut faire vnement est en partie prvisible, il reste une part dincertitude qui intrigue les journalistes eux-mmes. Ils savent tous par exprience que, comme ils disent, ils ne sont jamais srs que la mayonnaise prenne ni que tel fait mis en une par un support de presse deviendra effectivement un vnement, cest--dire soit considr comme tel par la quasitotalit de la presse, soit parce que dautres faits occupent dj cette place envie et rare, soit parce quil manque quelque chose pour que lensemble de la presse sintresse de concert un mme fait dactualit. Ainsi, par exemple, tel journal essaiera-t-il en vain dattirer lattention de ses confrres sur la famine en thiopie jusqu ce quune intervention militaire amricaine dans ce pays mobilise en quelques heures les mdias sur ce drame. Ou encore, sagissant des risques de transmission lhomme de lencphalopathie spongiforme bovine, il faudra attendre une dclaration aux Communes dun ministre anglais, en mars1996, pour que le risque qui tait connu ds 1990 devienne un vnement et fasse la premire page du Monde et louverture des journaux tlviss.

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les journalistes. Sans doute une tempte exceptionnellement violente entranant dimportants dgts ou des attentats terroristes spectaculaires seront unanimement considrs par tous les mdias comme des vnements qui, dailleurs, relgueront au second plan le reste de linformation. Mais il sagit l de cas limites exceptionnels. Le plus souvent, les rdactions des journaux disposent dune certaine latitude sagissant de savoir ce que, chaque jour, ils vont mettre en une et ce que, par l, ils essaieront dimposer comme vnement du jour compte tenu de leur ligne ditoriale. Or, malgr cette libert de choix laisse aux diffrents mdias, et malgr les diffrences de lignes ditoriales, on constate une relative convergence des diffrents mdias la presse crite, les radios et les tlvisions dans ce quil convient de mettre en exergue parmi les diverses informations du jour. Tout se passe comme si les mdias se concertaient quotidiennement pour savoir quel type dinformation mrite dtre trait comme vnement. Pour comprendre cette sorte dorchestration sans chef dorchestre des diffrents mdias, on peut avancer deux explications. La premire est que les journalistes sont, par ncessit professionnelle, les premiers lecteurs de la presse et tendent avoir un comportement suiviste: il y a une circulation circulaire de linformation, selon la formule de Bourdieu, chaque journal sefforant de parler de ce dont tous les autres mdias parlent, ce qui contribue faire vnement. Cela est particulirement visible dans les journaux tlviss, ceux-ci, quelles que soient les chanes, abordant les mmes sujets presque dans le mme ordre. Un constat similaire peut tre fait sur les newsmagazines dont les couvertures sont souvent identiques, ainsi que sur les titres de une des quotidiens. Mais, et cest une seconde explication, ce panurgisme des journalistes que certains, dans la profession, sont les premiers dnoncer, nest pas d une sorte de perversion des journalistes. Il rsulte en grande partie du fait que les journalistes crivent pour des lecteurs ou font un journal tlvis pour des tlspectateurs. Et en ce domaine, la concurrence, loin de diversifier la production, tend luniformiser: lauditeur qui, le matin, apprend par la radio lexistence de tel scandale sattend en savoir plus en achetant son journal en sortant de chez lui et voir ce que les journaux tlviss en diront le soir. Paradoxalement, lagent qui pse sans doute le plus fortement sur la production de lvnement et qui fait quils sont ce quils sont, cest le consommateur dinformation. Un journal nexiste que sil rencontre un public, cest--dire si linformation quil propose est conforme aux attentes de celui-ci. On pourrait presque dire que les lecteurs votent chaque jour pour une certaine conception de linformation, et par l de lvnement, en achetant leur journal ou en regardant la tlvision. Les journalistes ne sont pas seulement soumis la pression des annonceurs, des

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2.Sur ce point, voir Patrick Champagne, Ltude des mdias et lapport de la notion de champ, dans veline Pinto (dir.), Pour une analyse critique des mdias, Bellecombe-en-Bauges, ditions du Croquant, 2006, p.39-53.

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autres journalistes ou de diverses institutions. Ils sont aussi soumis la pression des publics pour lesquels ils produisent et nexistent que dans la mesure o leurs articles sont lus, cest--dire dans la mesure o ils satisfont moins leurs propres attentes que celles de leurs lecteurs. Cest donc un vritable renversement quil convient doprer maintenant en posant que, en ralit, les journalistes fabriquent, avec une marge de jeu sans doute plus faible quils ne le croient, les vnements que leur public leur rclame, les mdias ne faisant, en dfinitive, que mettre en scne les attentes relles ou supposes en permanence mesures aujourdhui par des enqutes de marketing rdactionnel des publics qui les font vivre. En effet, le champ journalistique et, lintrieur de celui-ci, chaque entreprise de presse ne constituent pas autant dunivers clos sur eux-mmes et uniquement livrs leurs jeux internes. Bien au contraire, le champ journalistique est sans doute lun des champs sociaux les moins autonomes parce quil est fortement dpendant de ladhsion de lecteurs qui soutiennent les journaux en les achetant (ou les missions de tlvision ou de radio en les regardant ou les coutant)2. Nombre de journalistes utilisent, pour se justifier de parler de ce dont ils parlent dans leurs journaux, et qui nest pas toujours conforme lide quils peuvent se faire eux-mmes de linformation, la mtaphore de labsorption (Nous ne sommes que des ponges est une expression que lon entend frquemment dans la bouche des journalistes) ou encore celle du miroir (Nous ne sommes que le reflet de la socit). Ces mtaphores dfensives et justificatrices sont, comme toutes les mtaphores, simplistes, mais elles comportent aussi une part de vrit. Les transformations structurelles qui travaillent le monde social agissent, en effet, sur le champ journalistique par la mdiation assez directe de la demande du public en biens journalistiques conformes des attentes qui sont elles-mmes en grande partie induites par ces transformations structurelles (pour donner, entre autres, deux facteurs qui psent fortement par le biais de la demande sur la fabrication de linformation, il y a llvation du taux de scolarit de la population et la restructuration des affiliations politiques et syndicales). Les supports de presse doivent ragir rapidement aux changements de demande venant du public sils veulent se maintenir dans le champ et sont contraints, en permanence, dtre lcoute de la socit sils veulent obtenir ladhsion de leurs lecteurs. Comme le constate un des mdiateurs du

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Le capital journalistique
Les luttes internes au champ journalistique pour imposer une certaine conception de linformation, et par l une certaine reprsentation de ce que lon peut appeler vnement, dpendent du volume et de la structure du capital
3.Thomas Ferenczi, communication orale la journe dtude sur Dontologie et mdiation organise par lassociation Mdia, tlvision et tlspectateurs, octobre1999. 4.Sur la position du Monde dans le champ journalistique, voir Patrick Champagne, Le mdiateur entre deux Monde. Transformation du champ mdiatique et gestion du capital journalistique, Actes de la recherche en sciences sociales, no131-132, mars2000, p.8-29.

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Monde3, le lecteur a des attentes et des souhaits et pense, en fait, tre un client parce quil paie, de sorte que lorsquil nest pas content de son journal (notamment dans les titres sur 5 colonnes la une qui expriment une certaine vision de linformation et de sa hirarchisation), il brandit contre celui-ci larme conomique et menace de se dsabonner ou de ne pas acheter le journal pendant une semaine4. Ce rapport des lecteurs leurs journaux fait que linformation est aussi un march rgi par lconomie, par la loi de loffre et de la demande. Il est constitu de thmes et de sujets ayant une valeur marchande, certains thmes se vendant bien (aujourdhui, le sexe, la dnonciation de la classe politique, etc.) tandis que dautres sont moins porteurs en terme de diffusion (tous les sujets de politique extrieure notamment). Si, par exemple, en confrence de rdaction, tel rdacteur en chef explique ses journalistes quil faut couvrir et mettre en une le mouvement social, ou lpidmie de listrioses ou laffaire de la vache folle, etc., ce nest pas (ou pas seulement) parce quil serait convaincu de limportance en soi de ces sujets mais, plus prosaquement, parce quil a constat que a faisait monter les ventes du journal. Et inversement, sil dcide de ne faire quune brve sur tel conflit international, mme sil dplore cette dcision, cest parce que le sujet est dj sorti de lactualit et nintressera plus les lecteurs, ou parce que lexprience montre que titrer sur ce type dvnements fait chuter les ventes, ou parce que le journal en a dj parl et ne veut pas lasser ses lecteurs ou encore parce quun autre vnement, parfois plus insignifiant et drisoire mais beaucoup plus porteur en terme de ventes (par exemple, laccident de voiture qui cota la vie Lady Diana ou lintroduction en France de programmes de tlralit), fait la une de tous les autres mdias et simpose par l tous les journalistes, en raison des attentes dinformations ainsi suscites auprs des publics.

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5.Voir Patrick Champagne, La double dpendance. Quelques remarques sur les rapports entre les champs politiques, conomique et journalistique, Herms, no17-18, 1995, p.215-229.

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journalistique que les agents de ce champ peuvent mobiliser dans cette lutte. Parce quun journal est indissociablement un bien conomique (il a un certain cot et doit se vendre) et un bien symbolique (il doit produire lui-mme le besoin de ce bien, tre peru comme indispensable, tre attendu chaque jour, etc.), le capital journalistique est constitu, dans des proportions variables, par deux espces de capital diffrentes. Il y a, dune part, le capital conomique, qui est ncessaire la vie de lentreprise de presse et permet galement dagir dans les luttes internes au champ (par exemple par le rachat dentreprises concurrentes, par des investissements technologiques permettant de produire des journaux plus rapidement, par la mise en place de maquettes plus attrayantes, par le nombre de journalistes, etc.). Il y a, dautre part, le capital symbolique que le mdia a russi accumuler, cest--dire sa crdibilit, sa notorit dans le domaine de linformation, son anciennet, sa renomme, le srieux et la qualit qui sont reconnus dans le champ journalistique mais aussi lextrieur de celui-ci ses analyses et ses commentaires. Il va de soi que le capital conomique comme le capital symbolique sont galement indispensables, toute entreprise de presse devant faire preuve dun minimum de crdibilit dans son travail de production de linformation afin davoir un lectorat minimum et donc les ressources conomiques ncessaires pour payer la fabrication ainsi que la diffusion du journal, et pour assurer les investissements indispensables son dveloppement5. Ces deux espces de capitaux entrent dans des combinaisons variables selon les supports de presse et le type de publication, le poids de chacune de ces espces de capitaux dans le capital global dun journal tant variable selon la position du mdia dans le champ. Si lon considre, lintrieur du champ journalistique, le sous-champ constitu par les mdias qui produisent linformation gnrale, on voit que la presse populaire grand tirage dautrefois (le France Soir de Pierre Lazareff qui tirait plus dun million dexemplaires au dbut des annes 1960) ou, aujourdhui, la tlvision sont des mdias puissants conomiquement du fait de leur grand pouvoir de diffusion alors que la presse dite de rfrence (incarne par Le Monde mais aussi par Libration et dans une moindre mesure par Le Figaro) est puissante moins par sa diffusion ou par sa puissance conomique (la plupart des quotidiens dinformation gnrale sont aujourdhui en difficult) que par son capital symbolique (sa crdibilit) et sa capacit imposer les problmatiques du jour, les thmes dactualit, les problmes de socit, bref les vnements.

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La conception de linformation et la ligne ditoriale des diffrents mdias dpendent ainsi des attentes des publicsquils visent. Les journalistes dcident de ce quils peuvent mettre en ouverture de leur quotidien ou de leur journal tlvis partir de la connaissance quils ont progressivement acquise du march de linformation, des expriences passes du journal et de ses concurrents directs, des bons coups dont toute la rdaction se souvient (et aussi des coups manqus, et donc ne pas renouveler), cest--dire des choix plbiscits (ou non) par leur public. Si cette relation entre diversit des mdias et diversit des publics nest pas nouvelle, ce qui, par contre, est nouveau et tend peser sur la dfinition contemporaine de lvnement, cest que les mdias audiovisuels dominent dsormais (conomiquement et en terme de puissance de diffusion) la presse crite, y compris la presse de rfrence comme on le voit, entre autres indices, dans les transformations, rptition, de maquette et de ligne ditoriale des quotidiens nationaux (Le Monde surtout, mais aussi Libration et Le Figaro). Il existait, jusquen 1980, une sparation marque entre la presse de rfrence et la presse populaire, chacune ayant sa conception de lvnement. La presse srieuse parvenait imposer, au moins aux milieux sociaux les plus levs, une certaine vision de lvnement qui tait fortement lie la vie politique. Cette conception tait galement, en partie, celle des mdias audiovisuels publics qui cherchaient se librer des pressions gouvernementales et sefforaient dadopter une conception de linformation proche de celle de la presse juge la plus professionnelle. Lapparition de chanes prives et la privatisation de TF1 ont eu pour effet de soumettre la quasi-totalit de linformation audiovisuelle la logique conomique de laudimat et la recherche du plus grand public possible, ce qui nest pas sans consquences sur la production de linformation. Dsormais, il y a vnement lorsque les mdias audiovisuels dcident, pour des raisons complexes (professionnelles mais aussi conomiques), que telle information constitue un vnement et doit tre traite comme tel (cest--dire faire louverture des journaux tlviss, susciter des reportages ad hoc dans les missions magazines, provoquer des invitations de personnalits mises en cause dans des missions dinformation, tre le sujet de talk-shows ou mme dmissions de varits, etc.). Lvnement est ainsi quelque chose qui doit ncessairement avoir t vu la tl. Pour quil y ait vnement, il faut des images spectaculaires ou mouvantes ou tranges ou peu banales. Le passage la tlvision tant dj, en soi, bien souvent, un vnement, les mdias crits sont contraints, et cela de plus en plus, de suivre les mdias audiovisuels. De sorte que les mdias audiovisuels ont contribu

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Un vnement irrsistible
Laffaire dite du RER D est exemplaire du processus de fabrication quasi automatique de lvnement par le champ journalistique. Il sagit dune jeune femme qui, cherchant attirer lattention de son compagnon qui la dlaissait, va inventer une agression subie dans le RER D: elle aurait t prise partie, le jeudi 8juillet 2004, par des Maghrbins et des Africains qui lui auraient lacr son jean, coup des mches de cheveux, trac des croix gammes sur le ventre, auraient profr des insultes antismites et jet terre le bb quelle avait avec elle. Indign, son compagnon lui dit daller porter plainte au commissariat, ce quelle fait le lendemain, le vendredi 9juillet, pour ne pas avoir avouer son mensonge. Et cette histoire, qui aurait d rester circonscrite au couple, va staler dans lensemble des mdias pendant trois quatre jours. Tout commence par les mdias par une dpche de lAFP, le samedi 10juillet, 19h42, qui relate le contenu de la plainte. Ds 21h50, le ministre de lIntrieur ragit par un communiqu condamnant lagression; 22h10 cest la prsidence de la Rpublique qui diffuse son tour un communiqu. Il faut dire que la veille, le vendredi 9juillet, le prsident de la Rpublique avait

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promouvoir un nouveau type dvnement que lon peut appeler, sans que cela soit pour autant un plonasme, lvnement mdiatique. Il est possible dillustrer cette dfinition contemporaine de lvnement dans sa dimension mdiatique partir de lanalyse rapide de deux cas dvnements qui permettent de marquer les limites extrmes des cas qui peuvent dsormais se rencontrer. Le cas de la fausse agression dune jeune femme dans le RER D, qui a suscit une intense activit journalistique avant que la supercherie ne soit dcouverte, constitue lexemple de lvnement produit, pour lessentiel, par le fonctionnement du champ journalistique. linverse, lvnement constitu par la mdiatisation dune action spectaculaire en faveur de la lutte contre linscurit routire illustre le cas de ces vnements fabriqus de toutes pices par une entreprise de communication, avec la collaboration plus ou moins active des mdias eux-mmes. Entre ces deux cas extrmes, on trouve tous les intermdiaires possibles, la manifestation de rue constituant un cas intressant en ce sens que, sil est vrai que lon manifeste entre autres pour passer la tl et pour susciter des articles dans la presse crite, donc pour faire vnement, il reste que runir plusieurs milliers de manifestants dans la rue ne se dcrte pas et suppose lexistence dun rel mouvement social.

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prononc un discours sur la lutte contre le racisme Chambon-sur-Lignon, ce qui na pas t sans crer, pour la perception de ce qui aurait pu rester un fait divers marginal, ce quon peut appeler un effet de contexte. Les radios vont reprendre tout de suite la dpche et faire tat des ractions des autorits politiques. Le lendemain, dimanche, outre les radios, ce sont les tlvisions qui traitent abondamment cette agression, interrogent des personnalits politiques et des autorits religieuses qui, toutes, expriment leur condamnation de cet acte odieux. Le lundi matin, toute la presse crite met en une cette agression et les diverses ractions dindignation quelle suscite. Le mardi, les mdias font tat de certains doutes des enquteurs et, le mercredi, ils rendent compte des aveux de la jeune fille et disent, pour sexcuser auprs de leurs lecteurs, avoir t tromps. Toutefois, on peut se demander pourquoi ce qui aurait pu tre peru par les journalistes comme une banale agression par une bande dimbciles, qui na pas eu finalement de consquences graves (la jeune fille na pas t blesse, et pour cause), a pu tre construit comme vnement majeur par lensemble du champ journalistique. Ce vritable emballement mdiatique doit quelque chose au contexte et au rcit invent par la jeune femme, rcit qui a fonctionn comme un vritable pige journalistes, celui-ci contenant nombre dingrdients dont ils sont preneurs, une priode de lanne (le mois de juillet) o linformation tourne au ralenti: les problmes de scurit dans les RER, les bandes de banlieues, lantismitisme, lagression dune jeune mre, un bb maltrait et des tmoins de la scne qui laissent faire et nosent pas se signaler (et pour cause), etc. Cest que le rcit de la jeune femme doit en ralit beaucoup aux squences qui font lordinaire dune partie de linformation et que celle-ci a en quelque sorte renvoy, comme en miroir, aux journalistes leur vision de linformation. Il y a aussi les prises de position des responsables politiques qui, par leur condamnation prcipite, attestaient la fois lauthenticit des faits et leur gravit du point de vue des autorits. Les faits eux-mmes auraient pu donner lieu une simple brve en page intrieure (les faits ntant pas encore vrifis par lenqute de police et les consquences de lagression ntant pas dramatiques); par contre, les ractions immdiates des autorits au plus haut niveau constituaient, pour des journalistes fortement lis au milieu politique, un signe de limportance que les responsables politiques attachaient ce fait-divers. Les journalistes ne pouvaient qutre incits en faire un vnement important. Mais les responsables politiques pouvaient-ils eux-mmes ne pas ragir une agression caractre antismite rvle le jour mme dun discours du prsident de la Rpublique consacr la lutte contre le racisme? Tout tait en place pour que, sans que personne ne le veuille, le rcit de lagression mobilise les mdias et fasse vnement.

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Lvnement fabriqu
Cest une situation inverse qui est illustre par la mdiatisation dune campagne contre linscurit routire. Les faits remontent au 16mai 2003. Ce jour-l, la presse crite et les journaux tlviss rendent compte de la mobilisation de jeunes, tudiants et bnvoles, contre la violence routire. On peut voir dans les journaux tlviss des collgiens qui, debout et recueillis, observent une minute de silence dans leur classe lintention des victimes de la route; on voit aussi dans les jardins du Luxembourg Paris, un lch de 7500 ballons qui symbolisent les 7500 morts de la route chaque anne ainsi que 500 jeunes allongs sur les pelouses pour reprsenter les 500 blesss chaque jour sur les routes. En clture de cet vnement, on peut voir les ministres de lIntrieur, des Transports et de lducation nationale venir prendre la parole devant ces jeunes, apparemment motivs. Ce type dvnement est banal, et aurait d le rester sauf que, quelques jours plus tard, les mmes mdias rvlent que les jeunes gens allongs sur les pelouses, qui taient censs tre des tudiants et des militants trs motivs pour soutenir cette campagne contre linscurit routire, que ces jeunes gens qui, interrogs par le journaliste de France 2, disaient tre l parce quils navaient pas envie de mourir sur la route, taient en ralit, en grande partie, des figurants, des intermittents du spectacle recruts par une agence de casting, pays 23euros pour leur prestation de deux heures. Ds le 21mai, des figurants, constitus en association, rvlent la supercherie dans un communiqu envoy diffrents mdias. Le communiqu est repris sur Internet, sur le site dobservatoire des mdias Acrimed le mme jour. Le 22mai, Libration sort laffaire sur une colonne. Le 23mai, le journal tlvis de France2 consacre un sujet laffaire et enfin le 25mai, lmission Arrt sur images de Daniel Schneidermann voque brivement les faits. La presse crite, qui avait largement rendu compte de lvnement initial, ne sera pas en reste pour voquer la supercherie. Cette histoire, qui a donn lieu, dans un documentaire, un dmontage minutieux par les figurants lorigine de la rvlation de laffaire6, est, par sa banalit mme, intressante dans la mesure o elle agit comme une sorte danalyseur du fonctionnement ordinaire du champ journalistique et des pressions qui sexercent sur celui-ci. En effet, ce qui est rvlateur, cest prcisment le fait que ce type de mise en scne ne pose pas problme et aurait d rester
6.La Non-Affaire ou Quand les publicitaires font de linformation, documentaire crit et ralis par Didier Inowlocki, produit par Zala TV, 38mn, disponible en ligne sur le site de partage de vidos Dailymotion: http://www.dailymotion.com/video/x3jygo_la-nonaffaire_politics.

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invisible en tant que mise en scne. Sauf que certains des figurants qui avaient t recruts pour participer, leur avait-on dit, un clip musical, estimant avoir t tromps, ont dclench un processus qui a permis de voir les coulisses de ce qui tend tre la fabrication ordinaire de linformation. Pour le tlspectateur, lvnement lorigine de laffaire pourrait se rsumer ainsi: une association a dcid de faire des actions afin de sensibiliser les jeunes au problme des accidents de la route ; les mdias ont librement estim que ces actions taient importantes et devaient donner lieu des articles dans la presse crite et des squences dans les journaux tlviss. Le documentaire montre quune partie au moins de la fabrication de linformation ne correspond pas cette reprsentation. Il y est rappel que le thme de la lutte contre linscurit routire na pas surgi de rien. Cest un des thmes prioritaires retenus en 2002 par le prsident de la Rpublique Jacques Chirac (avec, entre autres, la lutte contre le cancer), un thme trs fdrateur limage de la position en surplomb des luttes partisanes que le nouvel lu entendait occuper durant son quinquennat. Suscitant indignation et dsolation, les accidents de la route et les mesures prises pour les viter furent des thmes largement traits par les mdias au cours des dix mois qui ont suivi lannonce prsidentielle (trois articles en moyenne par jour dans la presse, selon le documentaire). La date de lvnement ntait pas non plus le fruit du hasard: en effet, le 16mai 2003 tait publi un rapport intermdiaire sur linscurit routire, la ministre de la Recherche ouvrant par ailleurs un colloque au Collge de France sur le thme La recherche contre la violence routire; ce mme jour tait en outre clbr le vingtime anniversaire de la cration de la Ligue contre la violence routire. Cest cette dernire qui tait linitiatrice des crmonies visant sensibiliser lopinion publique dont lhistoire des figurants du jardin du Luxembourg. Ce qui est prsent par les journalistes comme tant une information de la journe, objectivement constate, est en fait, pour une large part, le rsultat de stratgies russies de communication de diverses institutions et acteurs sociaux qui pensent tirer profit de la mdiatisation de leur cause. Il est, par ailleurs, significatif que le recours une agence comme Publicis-conseil pour organiser lvnement en cause nait pas sembl poser problme aux diffrentes parties prenantes, comme si cette pratique tait devenue naturelle force dtre banale. Il y avait pourtant l une confusion qui est fortement dnonce par les journalistes (au moins dans les runions-dbats auxquelles ils participent) entre information et communication. Que des acteurs sociaux et des institutions recourent des stratgies de communication plus ou moins sophistiques (dossiers de presse, actions dclat, mobilisation

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de relations, pression financire passant par les budgets de publicit, etc.) en direction des mdias pour peser sur la fabrication de linformation est une chose, mais que les journalistes soient un lment explicite dun dispositif de communication dment organis en est une autre. Dans le premier cas, les journalistes se font en quelque sorte piger alors que, dans le second, ils participent en connaissance de cause un dispositif destin piger, non les journalistes, mais le public de lecteurs et de tlspectateurs. Le reporter de France2, interrog lorsque laffaire clate, dira quil tait juste venu pour faire des images. Il est vrai que le prsident de cette agence de communication, ric Giuly, avait occup antrieurement des fonctions importantes dans le secteur de linformation (celles de prsident de lAgence France Presse en 1999-2000 et de directeur gnral dAntenne2 en 1991-1992), ce qui semble indiquer lexistence dune certaine porosit, pour ne pas dire une osmose, entre le secteur de linformation et celui de la communication. Lagence Publicis-conseil a t contacte et mandate, pour organiser les diverses oprations, par La Ligue contre la violence routire qui avait manifestement lassurance que cet vnement serait couvert par les grands mdias (on imagine mal que ces diverses oprations aient t organises pour le seul public, limit, qui y assisterait directement). La protestation des figurants, cinq jours aprs lopration, et surtout le fait que les mdias aient t quasiment contraints de la rendre publique, parce que leur communiqu avait t relay par le site Acrimed sur Internet, qui est un nouvel espace public plus ouvert, moins contrl par le champ journalistique et qui permet de briser le monopole de diffusion dont disposent les grands mdias, permet de jeter un rapide coup dil sur un aspect de la fabrique de ce que lon nomme vnement. On observe une vritable division du travail entre une pluralit dacteurs ayant chacun leur rle et contribuant pour une part au rsultat final qui sappelle vnement. Il y avait, en effet, dans le cas prsent, le gouvernement qui dlguait en quelque sorte la Ligue contre la violence routire le soin de prendre en charge la production de lvnement; la Ligue qui, son tour, dlguait lopration mdiatique une agence spcialise dans la communication; les tudiants de lcole suprieure de commerce de Paris qui avaient t pressentis pour jouer les tudiants concerns par la violence routire, mais qui firent dfection; lagence Publicis-conseil qui, pour que les oprations planifies aient bien lieu comme prvu, avait fait recruter des figurants par une agence de casting ; lagence de casting qui fournissait les figurants demands ; le Snat qui finanait lopration (les responsables de lagence de casting expliqueront aux figurants recruts quils ne pourront

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pas les payer au black trenteeuros comme prvu parce que le Snat payait lopration); les mdias, enfin, qui sont alerts (convoqus?) pour faire des images. Pour que la crdibilit des journalistes, qui sont censs rendre compte librement de linformation, et celle des responsables de lopration, qui sont censs avoir t lgitimement mdiatiss, ne soient pas trop compromises par ces rvlations sur un vritable coup mont de toutes pices, une communication de crise sera labore et mise en uvre par les diffrents acteurs concerns: le ministre de lIntrieur affirmera quil nest pour rien dans cette histoire, bien que ces oprations aient donn lieu des discours politiques; la Ligue se dira salie et consterne par cette duperie, bien quelle ait trouv normal de confier la cration et lorganisation de lvnement une agence de communication (et tout donne penser que la Ligue naurait pas eu cette raction indigne, si laffaire navait pas t rendue publique); le prsident de Publicis-conseil, ds lors que laffaire est devenue publique, va reconnatre que ses services ont commis une erreur en sous-traitant une agence de casting le recrutement de figurants et dclarera que des mesures seront prises pour que ce type derreur, lavenir, ne se reproduise plus (la responsable de lerreur, qui sera licencie, ne voyait pourtant, quant elle, comme seul problme dans cette affaire que le fait que tous les figurants naient pas t bien informs de ce quon attendait deux, autrement dit que le problme tait simplement un mauvais briefing); le directeur de lcole suprieure de commerce de Paris affirmera quil nexistait aucun accord ferme entre la Ligue et son cole pour que les tudiants participent lopration (mais, en soi, il navait rien trouv redire la demande et au fait que des tudiants de son cole soient ainsi mobiliss). Quant aux journalistes du journal tlvis de France2, ils vont rendre compte brivement de laffaire et laisser entendre quils ont t pigs. Ils passeront un extrait dinterview avec lun des figurants, interview qui navait pas t diffuse initialement et qui tait reste dans les rushs parce quelle ne correspondait pas ce qui tait attendu par le journaliste: linterview avait alors dclar quil tait l pour largent, propos bizarres qui auraient d alerter la rdaction. Les responsables de lagence de casting qui ont fourni les figurants dclareront fermement quils ne sont pas responsables de linformation et que leur rle sest born fournir la prestation quon leur avait demande. Le directeur de lagence de casting, aprs avoir affirm quil ny avait pas de magouille derrire cette histoire, ajoutera que lopration avait donn lieu des images magnifiques et trs potiques, quil faisait beau, que le bon Dieu tait avec nous mais que le JT, cest pas moi, donc adressez-vous et demandez leur.

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7.On pourra ajouter ces rflexions celles du sociologue Dominique Marchetti. Voir, par exemple, La division du travail journalistique et ses effets sur le traitement de lvnement. Lexemple du scandale du sang contamin, dans Ivan Chupin et Jrmie Nollet, Journalisme et dpendances, Paris, LHarmattan, coll.Cahiers politiques, 2006, p.141-159.

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Ainsi, mme lvnement hyperfabriqu, type dvnement qui va se multiplier sous leffet des transformations du champ journalistique, prsente une certaine objectivit parce quil est produit par nombre dacteurs qui font, chacun en ce qui le concerne, leur travail de manire professionnelle: comme on la vu dans le cas des accidents de la route, il y avait le gouvernement qui avait dcid dune politique, les associations qui lapprouvaient, les communicateurs qui taient chargs de concevoir une opration spectaculaire pour attirer les journalistes, les agences de casting qui fournissaient les figurants, les journalistes qui venaient seulement faire de belles images, les prsentateurs qui invitaient les responsables venir sexprimer, mais aussi les tlspectateurs intresss par le spectacle que leurs journaux tlviss leur proposent, les responsables des rdactions des journaux tlviss qui consultent les courbes daudience livres quotidiennement par les instituts de sondage, les responsables des chanes qui nomment les directeurs de linformation, etc.7.

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