Jean-Charles Coulon - Position de These
Jean-Charles Coulon - Position de These
Jean-Charles Coulon - Position de These
d'histoire
Thse pour obtenir le grade de docteur de l'universit de Paris IV - Sorbonne Discipline : tudes arabes et histoire mdivale prsente et soutenue publiquement par Jean-Charles Coulon le 6 juillet 2013 Paris
Jury M. Jean-Patrice Boudet M. Abdallah Cheikh-Moussa M. Ludvik Kalus M. Pierre Lory Mme Catherine Mayeur-Jaouen Professeur, Universit d'Orlans Professeur, Universit de Paris IV Professeur, Universit de Paris IV Directeur d'tude, EPHE Professeur, INALCO
Jean-Charles Coulon
Un carr magique est un carr form de cases contenant chacune un nombre diffrent. La somme des nombres de chaque ligne, chaque colonne et chaque diagonale est identique. C'est en raison de cette disposition harmonieuse (c'est prcisment ce que signifie le terme de wafq qui les dsigne en arabe) qu'on leur attribue des proprits magiques.
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version longue, et les manuscrits plus longs peuvent tre un recueil contenant la version courte ainsi que d'autres uvres sur le mme thme. La deuxime difficult qui se prsenta lors de ces premires investigations fut la prsence d'lments anachroniques galement dans la version courte. De l, deux hypothses s'offrirent nous : soit al-Bn n'est pas mort au dbut du VIIe/XIIIe sicle comme l'affirment les sources et le peu d'informations qui nous soit parvenu au sujet d'al-Bn est faux, soit la version courte du ams al-marif n'est pas de lui, et cette dernire question pose alors le problme de savoir ce qu'al-Bn aurait rellement pu crire. Le projet initial d'diter le texte du ams al-marif et de limiter nos investigations ce seul trait nous sembla alors perdre beaucoup d'intrt au niveau strictement historique et nous poussa reconsidrer aussi bien l'histoire d'al-Bn que de celle du corpus bunianum qu'on lui attribue et dont l'uvre la plus emblmatique (et une des seules dites) est le ams al-marif. Pouss par cette conviction que cerner le ams al-marif ne pouvait se faire qu'avec l'appui des autres textes pouvant constituer le noyau historique de ses uvres nous envisagemes d'diter, sur la base d'un ou plusieurs manuscrits selon nos possibilits matrielles, un corpus plus large et de le confronter toutes les sources identifies possibles qui voquent ou citent al-Bn ou qui purent servir de source d'inspiration aux diffrentes sections du ams al-marif. Orientations Un noyau d'uvres se dgagea, compos d'al-Luma l-nrniyya (La lueur luminescente), Laif al-irt (Les subtilits des indices), Ilm al-hud (La science de la voie droite), Mawqif al-yt (Les tapes des buts) et Hidyat al-qidn (La guidance des aspirants). La comparaison avec le ams al-marif fut fructueuse : elle montrait qu'elles ont t en partie recopies pour constituer la base du clbre grimoire, mais aussi que les nombreux ajouts que l'on ne retrouve pas dans ce noyau historique sont crits dans un style ou traitent de thmes trop diffrents pour tre du mme auteur et s'inscrire dans le mme hritage. Enfin, un sjour Damas nous donna l'opportunit de dcouvrir un manuscrit intitul ams al-marif (appel par commodit ams pour le diffrencier de son homonyme postrieur) dont le texte est radicalement diffrent du ams al-marif classique , tant dans le style que dans les thmes abords, et qui ne contenait aucun anachronisme patent. La comparaison avec les rfrences au ams al-marif que l'on trouve dans le noyau historique nous a convaincu qu'il s'agissait l probablement d'un texte ayant pu tre crit par al-Bn et qui serait l'authentique ams al-marif, un ouvrage de mystique cosmologique trs loign du grimoire magique auquel on l'associe. De l se pose naturellement la question de l'identit d'al-Bn et des raisons qui firent de lui le prte-nom d'une abondante littrature sotrique. Peu de choses
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taient connues de lui. Nous dcouvrmes plusieurs notices biographiques qui avaient t jusque l ignores. Al-Bn serait donc un soufi originaire d'Annaba (ancienne Bne, en Algrie actuelle) qui fut disciple de Abd al-Azz al-Mahdaw (m. 621/1224), le cheikh de l'illustre soufi Ibn Arab (m. 638/1240). Cette direction spirituelle explique l'association que l'on retrouve chez Ibn aldn (m. 808/1406) entre Ibn Arab et al-Bn. Al-Bn se situe, par son matre, dans la ligne des enseignements des mystiques andalousiens Ibn Masarra (m. 319/931) et Ibn Barran (m. 536/1141), connus pour leurs enseignements sotriques. On attribue Ibn Barran des prvisions (prise de Jrusalem en 583/1187) accomplies sur des bases numrologiques. On sait qu'al-Bn s'installa en gypte, sans que l'on ne puisse dterminer combien de temps. Pour certains il aurait ensuite gagn l'Orient avant de revenir et finir sa vie en Ifrqiya, pour d'autres il serait mort au Caire. Nous avons des traces de son activit au Caire jusqu'en 622/1225, date suppose de sa mort, mais cette dernire est sujette caution. Un article d'un chercheur amricain publi il y a un an prsente ces mmes dcouvertes biographiques et parvient des conclusions similaires2. Nous avons pu y ajouter nanmoins deux sources majeures. L'une, tardive, est issue d'un trait sur l'histoire d'Annaba : un habitant de la ville s'intresse alors aux grands hommes qui y naquirent ou y vcurent. L'autre notice est le fruit de Abd al-Ramn al-Bism (m. 858/1545), un auteur prolifique sur les sciences occultes qui ddiait ses traits d'importants notables et les rdigeait dans un style fleuri imitant les codes et la langue de l'adab3 classique. C'est cet individu que l'on peut attribuer une grande partie de la lgende d'al-Bn : il rdigea des commentaires de ses uvres, puisa largement dans celles-ci, rdigea la premire notice hagiographique qui nous soit parvenue (reprise par la suite dans les traits consacrs aux soufis), etc. Nous avons galement constat que les uvres de Abd al-Ramn al-Bism furent mises contribution pour la rdaction du ams al-marif al-kubr, marquant ainsi un tournant dcisif dans la mise en forme du corpus bunianum . Ce fut galement une des limites chronologiques notre investigation de ce corpus. Les traits de Abd al-Ramn al-Bism tablissent un lien vident entre adab et sciences occultes, entre le pouvoir et l'sotrisme. Ce constat permet une approche quelque peu diffrente de la magie en Islam au Moyen ge. En effet, les traits de magie sont souvent tudis selon deux angles diffrents : soit du point de vue de l'hritage hellnistique (c'est le cas principalement de la magie astrale), soit du point de vue du soufisme et de la religion musulmane (c'est le cas de la magie
Cf. Noah Gardiner, Forbidden Knowledge? Notes on the production, transmission, and reception of the major works of Amad al-Bn , Journal of Arabic and Islamic Studies, 12 (2012), p. 81-143. 3 Adab signifie littralement aujourd'hui littrature . Toutefois, ce sens est trop restrictif, il faut entendre par adab une littrature de cour, crite pour une lite politique et intellectuelle et faisant partie de ses codes distinctifs. Adab suppose donc cercles de pouvoir et exclut de facto la plus grande partie de la population.
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coranique, celle des lettres, des beaux noms de Dieu et de l'utilisation prophylactique du Coran). En ralit, ces deux catgories de magie ne s'opposent pas l'une l'autre : elles connurent leur plein dveloppement des poques diffrentes et ne s'excluent pas. Elles correspondent deux faons diffrentes d'apprhender le savoir. La magie astrale s'est pleinement dveloppe lors de la priode de traduction des uvres grecques et pehlevies en arabe. Les connaissances astrologiques des Grecs, des Indiens, des Msopotamiens taient alors l'honneur. Le concept de Sagesse (rendu par ikma en arabe) servait dsigner cette connaissance mtaphysique du monde transcendant le temps, l'espace et les diffrences culturelles et religieuses. La Sagesse , universelle, tablissait la continuit entre la pense grecque et la pense islamique. C'est cette Sagesse universelle qui est le fondement des uvres d'al-Mar (m. probablement 353/964) sur l'alchimie (Rutbat al-akm : Le degr du Sage) et sur la magie (yat al-akm : Le but du Sage). l'inverse, la magie islamique , s'appuyant sur les secrets des lettres, des nombres, des versets du Coran et des beaux noms de Dieu, s'est pleinement dveloppe conjointement au soufisme confrrique. Cette forme de magie reprend les donnes astrologiques antrieures, mais celles-ci ne passent plus ncessairement par l'intermdiaire d'autorits hellnistiques mais par des rfrences proprement islamiques (Ab Maar, al-Siz, etc. remplacent alors Teucros de Babylone, Dorothe de Sidon, etc.). Ces donnes astrologiques sont par ailleurs souvent rduites aux aspects les plus simples, et renvoyes des correspondances cosmologiques islamiques. Les astres sont par exemple associs des versets coraniques ou des noms divins. La kabbale et la magie juives ont galement donn de nombreux lments cet hritage. L'apparition de cercles pitistes en gypte au VIIe/XIIIe sicle, l'tablissement d'une communaut en Palestine autour de Nahmanide dans la seconde moiti du VIIe/XIIIe sicle et la rdaction du Zohar en al-Andalus la mme poque tmoignent du dynamisme de la mystique cosmologique et sotrique juive cette poque. Il n'est donc pas tonnant de retrouver des lments d'origine juive et des termes hbreux dans le ams al-marif4, expression du syncrtisme inhrent la magie et des changes entre les communauts religieuses. Le ams al-marif tmoigne pleinement de cette volution et de cet hritage multiple : celui de la magie proprement arabe dont le djinn est l'lment central, celui de la magie astrale qui se dveloppa principalement du IIe/VIIIe au VIe/XIIe sicle, celui de la cosmologie soufie d'inspiration noplatonicienne des uvres d'al-Bn, celui de l'exgse sotrique
Les changes taient bien entendu rciproques. Paul Fenton a soulign l'influence qu'exerait le soufisme sur les cercles pitistes gyptiens. N'ayant pas d'accs direct aux sources crites en hbreu, il nous est cependant impossible d'apprcier l'influence des sciences occultes islamiques sur leurs quivalents juifs de la mme poque.
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des beaux noms de Dieu laquelle s'exercrent Ibn Barran, al-azl ou encore Ibn Arab, celui de la magie juive et plus particulirement de sa riche anglologie, celui de la culture de cour et de l'adab, etc. C'est ce caractre encyclopdique du corpus bunianum en gnral et du ams al-marif en particulier qui impose une multiplication des sources et des angles afin de pouvoir le rinscrire dans l'histoire de la pense islamique et d'en saisir les milieux de production et de diffusion. Rsum En introduction, nous cherchons donc faire tat de l'avance des recherches sur la magie, plus particulirement en Islam. La magie s'y rvle un objet politique et les tudes sur le fait magique dans les pays musulmans contriburent forger l'image d'un islam plus permable aux tnbres de la draisonnable magie qu'aux lumires de la raison scientifique. Ce prsuppos colonial, bien qu'il n'ait aucun fondement, a pourtant considrablement influenc les approches sur les sciences occultes en islam : si Lynn Thorndike voyait dans la magie dans la Chrtient latine mdivale les prmices de la science moderne, Manfred Ullmann voyait dans la magie dans l'Islam mdival de langue arabe un frein l'avance des sciences. Certes ces deux magies sont diffrentes, mais les deux approches le sont tout autant. Aussi, la prise de conscience du rapport des chercheurs l'Islam et la magie est le pralable ncessaire pour en dcoloniser les approches, en garder les orientations prometteuses et proposer de nouveaux paradigmes. Dans une premire partie, nous mettons en exergue l'volution du fait magique en Islam travers les sources de langue arabe jusqu' l'poque d'al-Bn. Le fondement de toute tude sur l'Islam est bien entendu le Coran et la tradition prophtique dans la mesure o ces deux corpus sont la base de la civilisation et de la pense islamiques. L'examen de ces corpus montre que le terme de magie est impropre dans la mesure o il recoupe de trop nombreuses pratiques. Ces textes initient, lgitiment ou condamnent des pratiques magiques, proposant donc une base pistmologique et lexicographique qui offrit une grille de lecture aux penseurs islamiques pour apprhender chaque poque de nouvelles pratiques. La littrature arabe des dbuts de l'islam enrichit galement cette base travers les rcits et informations sur les Arabes d'avant l'poque du Prophte ou contemporains. Les informations laisses sur des pratiques ou des figures marquantes, semi-historiques le plus souvent, permettent de comprendre le rapport de ces lites la magie et l'impact social de celle-ci : la magie est perue comme un catalyseur de rvolte contre l'ordre tabli et le terme de sir (magicien) sert alors volontiers qualifier et accuser un rvolt.
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l'inverse, lorsque les califes impulsrent les traductions d'ouvrages grecs, pehlevis, msopotamiens ou d'autres langues, les sciences occultes (astrologie, alchimie, talismanique, etc.) furent assimiles la Sagesse universelle, apanage des Sages et d'une lite. Le mcnat des lites politiques fit du Sage un soutien des cercles de pouvoir. Ces magiciens grecs rpondent d'autres appellations que les magiciens arabes de la littrature. Ainsi, Herms Trismgiste est un Sage (Trismgiste est littralement traduit en arabe par le Triple par la sagesse ), Balns (= Apollonius de Tyane) est un faiseur de talismans (ib alilasmt ou mualsim)... Le qualificatif de akm (sage) suit souvent le nom de ces autorits grecques ou indiennes. De cet apport naquirent au IVe/Xe sicle plusieurs corpus qui influencrent durablement le dveloppement de la magie. Le corpus birien, attribu bir b. ayyn, traite essentiellement d'alchimie, mais brasse en ralit des thmes beaucoup plus larges, incluant l'art talismanique. Le corpus waiyyien, attribu Ibn Waiyya, se prsente comme des traductions arabes de traits nabatens sur divers sujets. L'ouvrage emblmatique de ce corpus, al-Fila lnabaiyya (L'agriculture nabatenne) traite en plusieurs endroits des talismans et plusieurs figures de magiciens lgendaires y sont voques, mais d'autres uvres dites de ce corpus traitent galement de ce thme. Enfin, un groupe de pense connu sous le nom d'Iwn al-af ( les Frres de la Puret ) rdigea un ensemble d'ptres traitant de tous les domaines du savoir de leur poque. Inspirs par le noplatonisme et la pense pythagoricienne, la dernire de leur ptre est intgralement consacre la magie et constitue un panorama du savoir magique leur poque. Le IVe/Xe sicle reprsente alors un tournant. Le procs et l'excution du mystique al-all en 309/922 constitue tout un symbole : les accusations de magie son encontre tmoignent de cette assimilation de la mystique une forme de magie. Nous pouvons observer un phnomne similaire avec d'importants mystiques antrieurs auxquels furent galement attribues des connaissances frisant la magie comme l-Nn al-Mir (m. 246/861) ou Sahl al-Tustar (m. 283/896). Tous trois inspirrent al-Bn qui mentionne leurs noms dans ses uvres. Il faut toutefois comprendre que s'ils traitent de la qute du plus sublime nom de Dieu, la tradition islamique a galement dvelopp une lgende noire des noms divins, c'est--dire des rcits o ces noms sont utiliss mauvais escient. C'est le cas de la lgende de Anq, une fille qu'auraient eu Adam et ve et qui aurait drob cette dernire les noms divins que Dieu aurait enseigns Adam et elle en aurait us pour pratiquer la sorcellerie. De mme des figures du chiisme comme alMura b. Sad (m. 119/737) avaient la rputation de connatre le plus sublime nom de Dieu pour les chiites et d'tre de subversifs magiciens pour les sunnites. Cette ambivalence se retrouve particulirement dans l'al-Andalus du IVe/Xe sicle avec les
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figures d'Ibn Masarra, un mystique condamn par le pouvoir en place, et al-Mar, auteur de la yat al-akm dans laquelle sa magie, avant tout fonde sur les hritages grecs, indiens et msopotamiens, intgre des donnes religieuses et mystiques dans son discours. Les sources des IVe/Xe-Ve/XIe sicles montrent alors que la magie fait pleinement partie de la vie des sphres de pouvoir et qu'elle suscite un grand intrt. L'volution de la magie vers l'exgse sotrique du Coran et des noms divins s'accentue toutefois avec al-azl (m. 505/1111) : bien qu'il ft inspir par l'pistmologie d'Ibn Sn (Avicenne, m. 428/1037), al-azl souhaitait rhabiliter la prire comme seule source de pouvoir efficace ici-bas. Sa remise en cause du carr magique ne fut toutefois pas suivie car on lui attribua des loges des pouvoirs de ces carrs, ouvrant la voie au plein dveloppement de cette pratique sous son autorit. La magie astrale ne disparut pas pour autant : al-Sirr al-maktm (Le secret cach) attribu Far al-Dn al-Rz (m. 606/1210) se situe dans la droite ligne de la yat al-akm. Le parcours magique s'avrait toutefois bien plus complexe : pour al-awbar (floruit premire moiti du VIIe/XIIIe sicle), l'initiation magique ne passait pas seulement par l'tude des Grecs et des Indiens mais aussi par l'tude de traits de magie et de mystique de la tradition juive et par l'tude de textes islamiques. La description de cet hritage historique permet de mieux saisir le personnage d'al-Bn et la constitution du corpus qu'on lui attribue. Ainsi, dans une seconde partie, nous revenons sur la biographie et l'hagiographie d'al-Bn. Il apparat que Abd al-Ramn al-Bism est l'individu qui permet de comprendre en partie l'incroyable postrit d'al-Bn. Il faut nanmoins resituer al-Bn dans le milieu mystique de l'poque, et particulirement du milieu dans lequel volua Abd al-Azz al-Mahdaw. Les points de convergence avec Ibn Arab sont nombreux, mais les deux cheikhs se diffrencient nettement dans leurs approches, expliquant en quoi l'un est devenu le modle du cheikh soufi, alors qu'alBn demeure au mieux un saint ayant reu des grces divines , au pire un magicien sditieux. l'inverse, Ab l-asan al-il (m. 656/1258), fondateur de la confrrie soufie iliyya, est connu pour ses invocations (azb) circonstancies visant obtenir des grces divines particulires. Il n'est toutefois pas associ aussi clairement un corpus d'uvres magiques et demeure une figure essentielle de saintet. C'est donc dans le corpus des uvres d'al-Bn que nous pouvons trouver des lments expliquant cette rputation de magicien. L'immense corpus bunianum pose des problmes historiques majeurs. Afin de dgager un noyau historique nous avons dpouill les notices bibliographiques consacres al-Bn ainsi que les mentions et citations de ses uvres dans les sources mdivales. Un groupe d'une quinzaine d'uvres se dgagea alors, compos d'une part d'un groupe qui peut authentiquement tre
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attribu al-Bn sans trop de risque d'erreur, et un groupe rassemblant les uvres qui lui furent trs tt fautivement attibues. Ces deux groupes contriburent la rdaction du ams al-marif. Ce processus de formation n'avait jusqu'alors pas t analys dans une perspective historique. L'histoire du corpus bunianum se poursuit cependant et nous nous employmes largir nos investigations aux commentaires du corpus bunianum . En effet, une grande partie des uvres qui enrichirent ce corpus est faite de commentaires ou de versions commentes des uvres du noyau historique et plus particulirement d'al-Luma l-nrniyya. Cela explique le succs de cette uvre et les nombreuses mentions que l'on trouve dans les sources mdivales. Abd al-Ramn al-Bism en rdigea lui-mme un volumineux commentaire. Ces exgses furent de toute vidence mises contribution pour la rdaction du ams al-marif al-kubr, la version longue du ams al-marif, rdige selon toute vraissemblance vers la fin du IXe/XVe - dbut Xe/XVIe sicle. La recherche contemporaine avait galement exploit un recueil d'ptres dites sous le nom d'al-Bn, le Manba ul al-ikma (La source des fondements de la sagesse), dont notre analyse codicologique, historique et textuelle montre qu'il se compose exclusivement de traits apocryphes plus ou moins anciens (le seul dont nous avons des manuscrits clairement dats n'apparat pas avant le Xe/XVIe sicle). L'analyse historique permet donc de montrer l'tat de ce corpus au Moyen ge et son volution pendant la priode. Nous pouvons alors tenter d'valuer l'influence qu'il exera sur la tradition magique et les penseurs islamiques. Le corpus bunianum se retrouve dans de nombreuses uvres. La magie coranique reprend de nombreux passages tant du ams al-marif que d'autres uvres, notamment Laif al-irt. C'est cette dernire uvre qui dfinit notamment la mdecine spirituelle (al-ibb al-rn). Alors que ce terme dsignait depuis le IIIe/IXe sicle une hygine de vie afin d'expurger l'me de ses mauvais penchants, elle devient une prophylaxie utilisant les carrs magiques, les lettres de l'alphabet et les versets coraniques pour gurir tant les maladies corporelles que psychiques. Longtemps considre comme de la mdecine prophtique par les historiens de la mdecine, nous tentons nanmoins de montrer que la mdecine spirituelle se diffrencie de la mdecine prophtique tant dans sa mthode que dans son contenu. ct de cet hritage, le corpus bunianum fut naturellement l'objet de condamnations. Nous trouvons notamment sous la plume d'Ibn Taymiyya (m. 728/1328), d'al-ib (m. 790/1388), d'Ibn al-ab (m. 776/1375) ou d'Ibn aldn des condamnations claires de certaines uvres d'al-Bn. Mais l'analyse de ces passages montre galement que ces auteurs furent plus sensibles aux commentaires des uvres d'al-Bn qu'aux uvres d'alBn elles-mmes. C'est pourtant Ibn aldn qui fut longtemps une des principales
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sources sur al-Bn. Enfin, il est possible d'valuer plus largement l'impact du corpus bunianum travers l'inscription de la magie dans les champs juridique, politique et pistmologique. Le droit islamique s'affine nettement concernant l'emploi de la magie et les cas spcifiques dont tmoignent les fatwas permettent d'apprcier le rle des pratiques inities par le corpus bunianum . La ddicace de nombreux objets magiques ou de grimoires des souverains ou des notables tmoigne galement de l'intgration de la magie la mise en scne du pouvoir. Enfin, la classification de la magie dans les ouvrages bibliographiques s'est galement profondment modifie. Aprs avoir apprci la formation de ce corpus et l'impact de ces textes dans l'histoire de la pense islamique entre le VIIe/XIIIe et le IXe/XVe sicle, nous nous sommes engag dans l'analyse de la tradition textuelle du ams al-marif. Celle-ci offre des indices sur son contexte et son milieu de production et de rception. En effet, les manuscrits du ams al-marif portent la marque de son utilisation : annotations, marque-pages, corrections marginales et rorganisation du texte sont autant d'lments qui donnent une ide des lectures et usages qui en taient faits. Le contenu peut tre analys selon plusieurs axes. Tout d'abord l'hritage de la thologie, de l'exgse et de la littrature mystique est trs prsent. Il tmoigne de la volont vidente du compilateur de prsenter un texte aussi recevable que possible dans une dmarche religieuse et plus particulirement mystique. Le noyau historique des uvres d'al-Bn en constitue certes la base, mais l'examen critique du texte dvoile des emprunts des ouvrages mystiques comme la Risla d'al-Quayr, des traits de science des lettres comme la Rislat al-urf attribue Sahl al-Tustar, mais aussi des ouvrages mystiques plus tardifs de l'sotrisme syrien du VIIe/XIIIe sicle ou du soufisme maghrbin de la mme poque. ct de ces ouvrages mystiques, la thologie, les recueils de hadith et l'exgse coranique ont galement fourni un matriau dense. Ces sources sont articules de faon introduire de faon thmatique d'abord les lments les plus conformes une image pure de la religion avant d'en dvelopper les aspects les plus sotriques. Le second aspect marquant du ams al-marif est son contenu proprement magique . La magie et la kabbale juive ont ce titre donn de nombreux lments dans la mesure o l'on retrouve des noms d'origine juive dans les pratiques magiques de l'ensemble du bassin mditerranen. Le Sefer Raziel et les ouvrages de Nahmanide semblent avoir eu un impact essentiel sur le dveloppement des lments magiques dans le ams al-marif. La magie astrale tant juive que musulmane a galement t mise contribution et conforme avec les prceptes de la science des lettres : par exemple, si Ibn Masarra avait constat que les lettres de l'alphabet taient vingt-huit, comme les mansions lunaires, le ams al-marif tablit
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les correspondances entre les lettres, les mansions lunaires, les noms des entits spirituelles qui les reprsentent et les rpartit galement selon les douze signes du Zodiaque. Les sept plantes sont associes aux sept jours de la semaine et aux sept versets de la premire sourate ou aux sept lettres absentes de cette mme sourate, dveloppant une lecture astrologique de certains versets coraniques. L'anglologie ainsi prsente est difficile retracer : si des noms sont d'origine juive, grecque ou msopotamienne, la langue arabe fut galement la base de nombreux noms et dtourna la symbolique de noms prexistants. La langue arabe est galement exploite dans le cadre des carrs magiques : alors qu'ils se composent, thoriquement, de nombres arrangs de manire harmonieuse, le ams al-marif propose des carrs imitant le style des carrs magiques mais contenant des lettres spares formant des noms divins ou des mots magiques. Enfin, un long passage est consacr l'alchimie et la prparation de l'or. L'ensemble de ces aspects permet d'affirmer que le ams al-marif n'est pas un simple ouvrage de mystique sotrique, mais bien une compilation sur les sciences occultes et la magie. Enfin, un dernier aspect doit retenir l'attention. Si la langue arabe est essentielle dans le discours du ams al-marif tant comme vecteur de sens que comme systme symbolique, ce grimoire est galement intimement li la culture de cour en langue arabe. Tout d'abord nous y retrouvons des lments essentiels de la pense politique islamique mdivale. Des figures comme Salomon, son vizir af b. Baraiy ou le prophte maudit Balaam, ne sont pas que des personnages mythiques mais aussi des archtypes politiques. La prsentation des anges, des djinns ou du cosmos reprend le vocabulaire et le modle de la hirarchie idalise des cours princires. La comparaison avec la littrature au sens large donne galement des pistes de rflexion : les chroniques historiques, les rcits de la littrature d'adab sur les califes ou encore les Mille et une nuits contiennent de nombreux lments pouvant clairer des aspects du ams al-marif. La comparaison avec les traits de biensance montre galement que les substances employes ou certains processus de fabrications ressemblent beaucoup ceux qui caractrisaient des cours princires ou califales d'autres poques. Sans pouvoir transposer ces conclusions d'une poque l'autre, elles offrent de nouvelles pistes de recherche sur le rapport de la magie au pouvoir et sur les destinataires de cette littrature. Enfin, bien que souvent taxe de populaire, les objectifs de cette magie ne permettent en rien de dterminer ce caractre prtendment populaire. Au contraire, les hommes de cour pourraient tre les premiers bnficiaires de cette magie. La formation du corpus bunianum permet donc une large rflexion sur la magie en Islam. Le vocabulaire visant voquer la magie est vaste et le terme de sir
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qui lui est associ est rarement utilis pour qualifier une magie assume. Al-Bn est rput faire de la smiy et non du sir, et cette diffrence tempre nettement la condamnation dont la magie est l'objet dans la jurisprudence islamique. Au contraire, comme l'affirme le tardif kprzde (m. 968/1561), smiy viendrait des termes hbreux sm et yah et signifierait le nom de Dieu 5 . Une telle tymologie fait du magicien usant des lettres arabes et des beaux noms de Dieu l'hritier de toute la tradition sotrique judo-chrtienne. C'est en ce sens qu'il faut comprendre cette tradition magique : elle repose sur une l'ide qu'une connaissance intime du divin permet d'inflchir le destin en sa faveur tout en s'inscrivant dans la volont de Dieu et non en rbellion contre l'ordre divin. Cette analyse de l'histoire du fait magique en Islam au Moyen ge est suivie de l'dition critique d'une partie du corpus bunianum .
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- Volume 4 : recueil de traits authentiquement ou fautivement attribus al-Bn qui ont t utiliss ou mentionns dans la composition du ams al-marif (prcd d'une introduction prsentant les manuscrits mis contribution) 1. ams al-marif wa-laif al-awrif (ams) 2. Laif al-irt f l-urf al-ulwiyyt 3. Mawqif al-yt f asrr al-riyt 4. Hidyat al-qidn wa-nihyat al-wiln 5. Qabs al-iqtid il wafq al-sada wa-nam al-ihtid il araf al-siyda 6. al-Muntaab al-raf al-asn 7. al-Laif al-tis 8. Ma y fiy 1872 9. Maqa min ams al-fq li-Abd al-Ramn al-Bism