FEMMES EN RELIGION, FEMMES ET SPIRITUALITE 2 INTERVIEW DE GERARDA ELYSEE MAMBO Soukri Danache et Souvenance Mystique

Q Qui est Gerarda Elysee ? Comment tes-vous devenue vodouisante ? Quel est votre titre dans le Vodou et quelle communaut appartenez-vous? Gerarda Elysee : Je suis Gerarda Elysee, gonaivienne, ducatrice de formation, partisane du libre penseur la recherche de la sagesse, de lamour et de lumire. Je ne suis pas devenue vodouisante, je suis ne vodouisante. Ma famille ne pratiquait certes pas le vodou, mais quand je fais une rtrospection, ma mre qui tait couturire chantait et dansait tout le temps la maison, il ny avait pas de place pour la colre. Cest elle qui ma appris ma premire chanson sacre et dautres chants mystiques. A ce moment-la, jtais trop jeune pour comprendre quelle mouvrait une porte, puisquelle na jamais de vodou ni de loas. Elle avait une belle voix et est morte 92 ans sans jamais perdre son timbre de voix. Quant a ma grand-mre qui ntait pas vodouisante elle non plus, elle ma appris lhistoire du pays avec les hauts et les bas, le gout du partage, de lamiti et de lindpendance. Quand elle revenait de voyage, elle sillonnait le Nord du pays comme marchande avec ses amies, elle revenait toujours avec une chanson sur les lvres, retroussant sa jupe pour danser : Sen Jak mande regleman, Kan na ye, kan na ye. Elle est morte 103 ans tout en nous disant de ne pas porter de deuil, elle a bien vcu. En gros, je suis le septime dune famille de neuf enfants avec plein de cousins et de cousines, vodouisante sans le savoir. Une fois adulte, jai cherch a mieux me connaitre, connaitre mon entourage et mes grands parents et faire connaissance avec leurs dmembrs (lieux de culte ou centres habituellement frquents par les membres de la famille constituant ainsi une parente largie dans la tradition vodoue) qui ne sont seulement Gonaves ou je suis ne ni Montral ou jai passe ma jeunesse. Une fois bien imbue de ses non-dits qui existent dans presque toutes les familles hatiennes jai pris le chemin du Ginen qui ma ouvert les yeux sur bien des choses. Je suis hounsi a la cour sacre Soukri Danache de tradition Congo et Souvenance Mystique de tradition dahomenne. Je frquente galement la cour sacre Badjo de tradition Naga non en tant que hounsi et jhabite dans une cour sacre, la cour St-Jean-Baptiste, aux Gonaves.

Q . Le vodou est-il une religion ? Si oui, expliquer. Gerarda Elysee : Pour nous, le vodou est plus quune religion qui de par son fondement a faonn toute la mentalit hatienne bien avant la naissance du pays. Il est une tradition, un mode de vie, un moyen de communication et de sociabilit, Il est le pivot culturel qui nous structure en tant que peuple et nation, gnrant une grande cohsion sociale qui pousse la communaut rsister et a lutter contre toute agression visant a perturber lordre normal de toute vie sociale. Cela en fait un excellent outil de rsistance linstar de plusieurs religions contemporaines comme en tmoigne son rle dans la guerre de lindpendance et contre loccupation amricaine. Pour finir, on peut dire que le vodou est une religion a caractre communautaire, social et familial qui nexclut personne quelle que soit sa confession, par exemple : quand on jette de leau pour attirer une grce, on la jette pour tout le monde et non dans un intrt goste. Q. Comment devient-on mambo ? Gerarda Elysee : On nait mambo. On peut tre rclame depuis le sein e sa mre, par exemple, avant mme votre conception, les parents peuvent le voir en rve bien entendu, sils sont croyants, alors on dit que cest un Mystre qui vous rclame. On peut recevoir ce don soit du ct maternel, soit du ct paternel. On peut lobtenir de la part de sa marraine ou dune personne avec qui on a vcu depuis lenfance. Q. Quels sont le rle et les responsabilits de la mambo dans le vodou et dans les cours sacres ? Gerarda Elysee : Elle sert dintermdiaire entre les loas, les invisibles et les chrtiens vivants, les visibles. Cest elle qui a les yeux, c'est--dire, qui a le pouvoir de lire, de gurir, de placer les loas, de consacrer une cour, une maison, etc. Elle est l pour veiller au bien-tre de sa communaut et de ses pitit fey la ou ils se trouvent. Elle est l pour rpartir le bien du mal et redonner confiance a ses pitit fey Selon la responsabilit que lui confre le loa, la mambo peut tre responsable de sa famille- sa famille largie. Dans les cours sacres, la mambo est hounsi, le seul houngan ou mambo, cest le Serviteur. Un fois hors de la cour, elle redevient mambo. Si la cour sacre organise une sortie mystique avec son groupe, la ou les mambos qui laccompagnent nest pas l comme mambo, mais comme hounsi. Q. Quel est le rle de la femme dans le vodou ? Gerarda Elysee : On ne fait pas de personnalit dans le vodou, ds quune femme peut prdire lavenir, peut faire des traitements, ds quelle possde le je , elle peut travailler comme nimporte qui et est trs apprcie par la communaut surtout si elle travaille bien. Une femme peut tre chevauche par Ogou, Bossou, Linglessou ou est Maitresse Erzulie, Mambo Inan, aussi bien quun homme. La femme peut tre responsable dune cour sacre lgal dun homme. A Soukri Danache, cour sacre congo, cest une femme qui est serviteur et Badjo, cour sacre Nago, cest une femme qui travaille avec le serviteur lors des crmonies du 6 janvier, elle est mambo.

A dire vrai, il y a beaucoup plus de femmes hounsi que dhommes, les femmes saffirment beaucoup plus ouvertement que les hommes comme ginen ces temps-ci. Serait-ce un signe du temps ? On parle de plus en plus dans les ouvrages de spiritualit de lavnement dune re nouvelle fortement domine par la femme. Serait-ce une concidence que notre constat corrobore une telle assertion ? Q. Quest-ce que la foi pour un vodouisant ? Comment se manifeste-t-elle ? Gerarda Elysee : La foi pour un vodouisant cest la croyance quil a dans son Ginen qui est pour lui comme le Tout Puissant, le Crateur. Pour le vodouisant qui a la foi, le seul fait de jeter une goutte deau pour une croyante contribue grandement amliorer son sort. Cest pourquoi mme si on requiert une grce pour quelquun, cette personne doit son tour ritrer sa demande avec la mme ferveur. En un mot, la profession de foi se manifeste dans lesprit qui nous guide, qui est le maitre de notre tte, en rfrence au service tte. Q. Un vodouisant est-il un athe ? Si oui, pourquoi ? Gerarda Elysee : Un vodouisant ne peut pas tre un athe. En plus de croire au ginen comme un franc Ginen , il lui arrive de croire non seulement au catholicisme, mais mme il respecte la confession, la croyance de tout individu et ne pratique pas la chasse aux sorcires comme lont fait certaines religions. La tradition tant fort probablement antrieure bien des religions qui veulent simposer par la force, par peur ou par haine, sur ordre de leur Dieu dAmour. Q. Pourquoi les loas sont-ils reprsents par des icones chrtiennes ? Gerarda Elysee : Les loas sont souvent reprsents par des icones chrtiennes parce que le vaudou hatien a vu le jour au temps de la colonie alors que les esclaves navaient pas le droit dexercer leur culte librement. Ils ont du recourir a la ruse utilisant paroles et images des colons pour la survivance de leur culte, une autre forme de marronnage. Ainsi le vodou a pu survivre lesclavagisme, loccupation et au rejet organis dans tout le pays par lglise catholique. Comme la religion chrtienne lavait fait avec les religions antiques et surtout la religion romaine, le vodou la fait avec le christianisme pour survivre. Les langues africaines ont t volontairement de leur crmonie ainsi que certains rituels, mais le parler est demeur et tait utilise notamment dans des crmonies de grande envergure ou dordre conspiratif. Q. Quelle est en gnral lattitude du public envers les mambos? Gerarda Elysee : Trs mitige ; lattitude du public est a limage du pays. Selon que la mambo est cultive ou aise elle sera trs respecte, cest une question de personnalit- plus la personnalit est forte, plus respectueuse sera lattitude du public. En bon hatien, lattitude du public est un coup deau chaude un coup deau froide. Il y a des personnes qui nous considrent comme des sages, des doyennes, des conseillres. Et en gnral quand on fte, le public vient en grand nombre nous supporter et nous aider. Les gens borns, les fanatiques nous prennent pour des suppts de Satan, du diable. Il y en a qui vont jusqu' diaboliser nos hros nationaux a cause de la Crmonie du Bois-Caman. Quant aux adeptes du protestantisme, leur attitude face aux vodouisants rappelle malheureusement celle de Hitler face aux juifs et celle de Trujillo face aux hatiens vivant dans les territoires que nous avons du cder la Dominicanie sous pressions amricaine lors de loccupation. Ils font tout pour cacher leur origine vodouisante et ils iraient mme jusqu' excuter tous les vodouisants du pays sils en avaient le

pouvoir. Fort heureusement, on commence a identifier ces jours-ci non seulement des pasteurs, mais encore des adeptes protestants qui font montre de plus grande intelligence et de plus de lumire, des gens clairs qui nous peroivent avec respect et considration. En conclusion, plus les gens sont borns, plus ils voient le monde divise entre le Bon Dieu et le Diable. Plus ils sont ouverts, plus ils cherchent comprendre ce quest la religion vodoue. Cest dautant vrai quavant lindpendance il y avait deux tendances religieuses : les catholiques, proches des colons et les vodouisants proches de la masse des esclaves Q. Note-t-on une volution de la mentalit par rapport a la pratique du vodou ?, moins de prjugs et de tabous ? Gerarda Elysee : Depuis la cration de ZANTRAY (zanfan tradisyon ayisyen) en 1987 qui a mont des associations de vodouisants a travers le pays, les mentalits ont beaucoup change vis--vis du vodou, il y a moins de prjugs, surtout chez les jeunes. Il y en a qui sont a la recherche de leur Danti de leur dmembr tant en Hati quen diaspora. Ils appellent pour poser des questions sur les loas, sur les rves, ils nont pas peur de poser des questions et de chercher comprendre, Presque toutes les couches de la socit ont leur mot dire sur le vodou, leur apprciation du vodou sans crainte de se faire traiter de Satan ni dtre brules vives dans les feux de lenfer ou excommunies par le clerg catholique. Il faut aussi souligner que depuis prs de trente ans une bonne partie de llite tant intellectuelle quconomique participe ouvertement aux crmonies et festivits vodoues. On peut donc affirmer avec force quune nette volution, une volution significative, sest opre dans les mentalits par rapport au vodou qui tend saffirmer de plus en plus comme un patrimoine culturel incontournable. Q. Les jeunes femmes modernes, les professionnelles affirment elles davantage leur appartenance au vodou ? Manifestent elles la volont de poursuivre les traditions de leurs aines et a devenir mambo leur tour ? Gerarda Elysee : Depuis plus dune vingtaine dannes, on a vu la cration dassociations vodoues a travers le pays. Cest ainsi quaprs avoir t membre fondatrice de Zantray, jai fond avec un groupe damis, en 1998, la Fondation Danti dont jassume la prsidence jusqu' prsent. Il y a ASBA dans le BasArtibonite. Il y a donc travers le dpartement toute une prolifration dassociations vodoues prsides par des femmes. Lors des ftes champtres Seau dEau, la Plaine du Nord et Limonade, elles occupent entirement ces lieux en faisant des tournes mystiques avec leurs groupes. On les reconnait facilement parce quelles sont trs bien habilles portant leurs robes de vodouisants et leurs foulards, bagues aux doigts, une pour chaque loa sans crainte dtre regardes de travers. Et quand elles organisent leurs ftes traditionnelles dans leur hounfor, Elles envoient de plus en plus des cartes dinvitation avec leur emblme et rares sont les associations qui sont absentes lors de telles festivits. Cest ainsi dans les cours sacres comme Souvenance et Soukri o lon rencontre de plus en plus de jeunes femmes professionnelles qui viennent faire leur service tte. Elles sont de plus en plus nombreuses chercher leurs racines, poursuivant ainsi le chemin de leurs aines soit comme mambo, soit pour saffirmer comme hatienne vodouisante et cela sans contrainte aucune.

Q. Quel message souhaitez-vous adresser aujourdhui ? Gerarda Elysee : Au public en gnral, aux femmes et aux jeunes en particulier, je vous invite a accepter inconditionnellement autrui sans prjugs de classe, ni de couleur ni de religion en vue de construire un monde meilleur, un monde de partage et dentraide, un monde de lumire et damour, un monde dunit o nous ne faisons quun et o chacun se soucie des conditions de vie dun chacun.