Magie & Religion Dans L'afrique Du Nord - 1909
Magie & Religion Dans L'afrique Du Nord - 1909
Magie & Religion Dans L'afrique Du Nord - 1909
L’AFRIQUE DU NORD
PAR
EDMOND DOUTTÉ
ALGER
TYPOGRAPHIE ADOLPHE JOURDAN
IMPRIMEUR-LIBRAIRE-ÉDITEUR
9, Place de la Régence, 9
1909
Livre numérisé en mode texte par :
Alain Spenatto.
1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.
http://www.algerie-ancienne.com
Hommage de reconnaissance.
EDMOND DOUTTÉ.
SYSTÈME DE TRANSCRIPTION
DES NOMS ARABES EN FRANÇAIS
PRÉFACE
Ce livre est né d’un cours ; il en a sans doute les dé-
fauts, c’est-à-dire un caractère hâtif, causé par la nécessité
d’avoir, à heure fixe, une opinion ferme sur un sujet donné ;
nous voudrions qu’il eût aussi les qualités qu’on attend d’un
enseignement public, c’est-à-dire la clarté et la précision.
L’idée générale de cet enseignement était l’application
aux phénomènes religieux observés dans l’Afrique du Nord
des théories élaborées depuis un demi-siècle par les ethno-
graphes et spécialement par l’école anthropologique anglais
et par l’école sociologique française. Ces théories nous ont
au moins fourni un groupement nouveau des faits ; peut-
être jugera-t-on que nous avons parfois un peu artificiel-
lement placé ceux-ci dans les cadres de la sociologie mo-
derne ; ou encore que beaucoup des applications proposées
sont en somme fragiles. Nous accepterons ces reproches,
en nous excusant sur l’utilité incontestable d’une systéma-
tisation provisoire ; d’autre part, s’il n’est pas douteux que
beaucoup des théories actuelles devront être vérifiées à bref
délai, nous pensons qu’elles seront remplacées par d’autres
procédant des mêmes principes, inspirées du même esprit et
obtenues par les mêmes méthodes. Nous nous sommes ce-
pendant gardé, autant que nous avons pu, des exagérations,
et nous nous sommes abstenu de faire état des théories qui,
comme celle du totémisme, sont depuis quelques années en
remaniement constant : ajoutons, en ce qui concerne ce cas
spécial, que les explications totémistiques ne s’appliquent
qu’à des civilisations beaucoup moins évoluées que celle
que nous étudions.
On a surtout tenté, jusqu’ici, dans les études de ce genre
2 PRÉFACE
EDMOND DOUTTÉ.
LA SOCIETÉ MUSULMANE DU MAGHRIB
INTRODUCTION(1)
____________________
MAGIE ET RELIGION
DANS
L’AFRIQUE DU NORD
CHAPITRE PREMIER
Magiciens et Devins
_______________
____________________
(1) Voir l’intéressante classification des fraudes et des erreurs, de
Maxwell, Phénomènes psychiques, p. 301.
(2) Hubert et Mauss, Magie, p. 35, 92 ; Mauss, op. laud., in t.
CHAPITRE II
Les rites magiques(1)
____________________
CHAPITRE III
____________________
(1) Voy. le début du h’erz el Andhroûn, passim.
LES SEPT SIGNES 155
Dans les textes imprimés (Et Boûni est autogr.), ils sont
le plus souvent cette forme(4) :
____________________
(1) Cf. supra, p. 112-115.
(2) El Boûni, op, laud, I, p. 109.
170 EXEMPLES DE « DJEDOUEL »
4 14 15 1
9 7 6 12
5 11 10 8
16 2 3 13
____________________
(1) Voy. Mc Gee, op. laud., p. 825-828 ; cpr. les allures scienti-
fiques de l’arithmomancie, infra, p. 379-380. Pour les rapports de la
magie et de le science, voy. infra, p. 332-333
192 LES CARRÉS MAGIQUES
4 9 2
3 5 7
8 1 6
Si dans ce carré on ne considère que les nombres
pairs et qu’on les remplace par des lettres, on obtient :
4 2
8 6
d b
h’ oû
c’est-à-dire le célèbre mot magique badoûh’ dont nous
parlons ailleurs : la somme 15 est encore représentée par
les deux mots magiques ou â h’ (8 + 1 + 6 = 15) et b t’ d (4
+ 9 + 2 = 15) d’où la vogue de ces noms en magie(1). On
fait de ces mots de nombreux talismans : par exemple,
____________________
(1) Cf. supra, p. 129 ; voir sur ces mots magiques El Boûni, op.
laud., IV, p. 4, 183, cf. infra, p. 229.
LES CARRÉS MAGIQUES 193
8 6 4 2
4 2 8 6
2 4 6 8
6 8 2 4
____________________
(1) Supra, p. 137-138. Un passage tout à fait semblable dans le
Dalâïl el Khaïrât, d’El Djazoûlî, est signalé par Goldziher, Zauberels-
mente im islamischen Gebet in Noeldeke-Festechrift, 1906, s, p. 318. Je
regrette de n’avoir pas connu cet article à temps pour le citer plus haut,
à propos des incantations ; j’ose espérer que la présente mention répa-
rera cette lacune : la passage se rapportant à notre chap. III se trouve p.
304 à 308.
(2) Voy. E1 Boûni, op. laud., II, p. 69, p. 100, p. 101.
(3) Voy. El Boûni, op. laud., t, p. 47-48.
(4) El Boûni, op. laud., II, p. 101.
196 LES NOMS MAGIQUES
LES NOMS MAGIQUES 197
____________________
(1) Supra, p. 129-130.
(2) Cf. supra, p.73, n. 2.
(3) El Boûni, op. laud., II, p. 70.
198 LES NOMS MAGIQUES
____________________
(1) Coran, sour. VII, v. 179.
(2) Qest’allâni sur Çah’th’ de Boukhâri, x, p. 373-374.
(3) Tirmidhl, Çah’th’, Caire, 1292 H., II, p. 264-265 ; Ibn Mâdja,
Sounan, Caire, 1313, II, p. 228-229 ; on retrouvera de ces listes dans les
commentaires du Coran, p. ex., Khâzin, Loubab et ta’ouîl 1313, II, p.
167 (sub. sour. VII, v.179) ; dans les livres de magie, p. ex., El Boûni,
op. laud., loc. cit. infra, p. 208 ; Ibn et H’adjdj, op. laud.; et dans les
traitée spéciaux (voy. infra, p. 218, n. 6). Plusieurs d’entre elles ont été
traduites dans des ouvrages européens : voy. Reinand, Monuments, II,
p. 18, n. 1 ; p. 21, n. 3 ; Hammer, op. laud., in Mines de l’Orient, p. 160-
162 ; Hughes, Dict. of Islam, s. v. « God », p. 160-162… ; voy. enfin sur
les 99 noms Goldziher, op. laud. in Noeldek. Festschrift, I p. 316-318.
200 LES 99 NOMS DE DIEU
____________________
(1) El Boûni, op. laud. II, p. 44, 47, 48 53.
(2) P. ex.. supra, p. 121, 124,125, 136, etc.
(3) El Boûni, op. laud., I, p. 33. Cpr. Reinaud, Monuments, II, p. 3.
(4) El Boûni, op. laud., I, p. 35.
212 VERTUS DES VERSETS DU CORAN
___________________
____________________
la partie de ce catalogue consacrée à la magie (p. 495-588) donne,
de reste, les indications les plus étendues et en suivant un classement
rationnel. Voy. encore les Prolégomènes d’Ibn Khaldoûn, dont nous
avons cité les principaux passages ; les références données par Goldzi-
her à propos des noms de Dieu, in Noeldeke-Festschrift, II, p. 316-320 ;
de nombreux passages de Reinaud, op. laud., et une note de Tuchmann
sur les ouvrages relatifs aux vertus du Coran, dans Mélusine, IX, p. 225-
226, n. 3.
(1) Coran, sour. XVII, v. 84.
CHAPITRE V
a’ t’ b
dj h z
h’ â ou
Posez la tête de l’épingle sur la première lettre du
djedouel pendant que le malade pose son doigt sur l’en-
droit où il souffre, et récitez sept fois : « Si nous avi-
ons fait descendre ce Coran sur une montagne(3), etc. ...
(jusqu’à la fin de la sourate) ». Si la douleur persiste,
recommencez en changeant de lettre jusqu’à ce qu’elle
se calme(4).
_____________________
(1) Cf. supra, p. 228, n. 8.
(2) Soyoût’i, op. laud., p. 65.
(3) Coran, sour. LIX, v. 21.
(4) Soyoût’i, op. laud., p. 96.
230 THÉRAPEUTIQUE MAGIQUE
____________________
(1) Soyoût’i, Rah’ma, p. 104-105.
(2) Soyoût’i, op. laud., p. 115-116. Ces djedouel ce contiennent
que dis lettres on des formules religieuses. — Cf. p. 165, remède contre
la fièvre tierce.
THÉRAPEUTIQUE MAGIQUE 233
____________________
(1) Soyoût’i, op. laud., p. 174-175.
(2) Supra, p. 192-229. - Les deux djedouel sont formés l’un de
chiffres et l’autre de lettres. Autour du second est le verset 6 de la sou-
rate CXIV du Coran: « A côté du bonheur est l’adversité ».
(3) Soyoût’i, op. laud., p. 177. - C’est toujours du b t’ d, ou â h’.
TRANSITION DE LA MAGIE À LA MÉDECINE 235
vous arrosez votre lit avec cette eau et vous êtes sûr de
dormir tranquille cette nuit là(1).
[Contre les sauterelles]. — « Exauce-nous, ô
T’oût’yâïl, mot qui signifie en arabe « je ressuscite les
ossements ». Ce mot, écrit sur de l’argile et enterré dans
un champ, le préserve des sauterelles »(2). — Prenez un
lundi au lever du soleil une baguette de limonier et écri-
vez dessus la sourate El Djinn(3), puis avancez-vous à
l’endroit où il y a le plus de sauterelles et frappez en di-
sant : « Au nom de Dieu, par Dieu, de Dieu, pour Dieu,
pas de vainqueur autre que Dieu, il n’y a de force et de
puissance qu’en Dieu; partez, par l’ordre de Dieu qui
m’a créé et qui vous a créées », et vous jetez la baguette
au milieu des sauterelles, qui s’en vont, si Dieu le per-
met(4).
Il ne suffit pas de se garder des bêtes : l’homme
pour l’homme est plus dangereux que les fauves.
[Contre les voleurs]. — Écrivez la sourate El Bou-
roûdj(5) sept fois avec le kâtem de kh f dj (..............) et
entourez-le avec le verset qui dit : « Nous avons fait des-
cendre l’avertissement et nous sommes ses gardiens »(6).
Confectionnez ce talisman au lever du soleil dans le si-
gne de la Balance. C’est un protecteur puissant(7).
____________________
(1) Soyoût’i, op. laud. p. 184.
(5) El Boûni, op. laud., III, p. 59.
(3) Sour. LXXII.
(4) Soyoût’i, op, laud., p. 222. Autres animaux nuisibles, p. 221-
223.
(5) Sour. LXXV.
(6) Coran XV, v. 9.
(7) Ibn et H’âdjdj, op. laud., p. 69.
CONTRE LES VOLEURS 239
____________________
(1) Coran, sour. LIV, v. 46.
(2) Ibn et H’âdjdj, op. laud., p. 24.25.
TALISMANS POUR LA GUERRE 241
242 TALISMANS POUR LA GUERRE
18 11 16
13 15 17
14 19 12
[Évasion d’un prisonnier]. — C’est un paragraphe
de la khanqat’iriya(3). Dessinez sur la terre de
_____________________
(1) Voy. pour un exemple Deporter, Extrême sud de l’Algérie,
Alger, 1890, p. 840. Les exemples sont innombrables : Il y en a dans
l’histoire de chaque révolte algérienne.
(2) al Boûni, op. laud, I, p. 87.
(3) Cf. supra, p. 98 seq.
244 DÉLIVRANCE DES PRISONNIERS
(3)
____________________
(1) Coran, sour. XLVIII, V. 1-3.
(2) Sour. LXVII.
252 POUR FAIRE VENIR L’ABSENT
____________________
(1) Sour. LXVII.
(2) Ces deux recettes sont extraites de Moh’ammed Ibn el H’âdjdj
el Kobîr, Tâdj et Mouloûk oua Dorrat el ‘Anouâr, Caire, 1316, p. 141-
146.
(3) Sour. LXXXVI.
(4) Cf. supra, p. 189.
(5) El Boûni, op. laud, I, p. 85.
LA MAGIE DE L’AMOUR 253
____________________
(1) El Boûni, op. laud., I, p. 34.
(2) El Boûni, op. laud., I, p. 42. Cpr. dans Ibn Khaldoûn, Prolégo-
mènes, trad. de Slane, le talisman pour avoir de l’influence sur l’esprit
du prince.
L’ENTRÉE CHEZ LES GRANDS 259
____________________
(1) Sour. LXXII.
(2) Supra, P. 96.
(3) Ce terbt’ et le précédent sont tirés d’Ibn et H’adjdj, op. laud.,
p. 96. — Voir d’autres exemples de terbî’ dans Delphin, Textes d’arabe
parlé, p. 125-126; dans Ibn et H’adjdj, op. laud., p. 58-63, grand terbî’
avec obstacles divers (grenouilles, cafards, tortues, petits insectes,
bruits de ferraille, nègre terrible), puis moyen d’empêcher le trésor de
se changer en sable, en charbon, etc. ; dans le livre du géomancie du
cheikh Zenati cité infra, p. 378, aux pages 20-21.
(4) Sur le teqçîç voy. encore Delphin, Textes d’arabe parlé, p.
311, p. 333; Desparmet, Arabe dialectal, 2e période, p. 176-177.
274 POUR FABRIQUER DES PIÈCES DE MONNAIE
____________________
(1) Ibn el H’âdjdj, op. laud., p. 9. Le texte est défectueux et ma
traduction c’en ressent, particulièrement dans la conjuration.
(2) El Boûni, op. laud. II, p. 68.
284 POUR ALLUMER L’INCENDIE
____________________
(1) Toutes ces pratiques sont rapportées par Abou Bekr ‘Abdes-
salâm ben Choaib, Croyances populaires chez, les indigénes algériens,
in Bull. Soc. Géog. Oran, avril-juin 1906 p. 170-174. Cf. Moulières,
Maroc inconnu, II, p. 52 seq., p. 499 seq.
(2) Recueilli à Mlliana.
POUR DÉNOUER L’AIGUILLETTE 295
____________________
____________________
(1) Recueilli à Merrâkech. Autres rites dans Edmond Doutté,
Merrâkech, p. 390-391.
CHAPITRE VI
La divination inductive
_______________
____________________
(1) Bouché-Leclercq, op. laud. p. 107-110.
CHAPITRE VIII
La divination intuitive
_______________
____________________
(1) Qast’allâni, op. laud., VIII, p. 400.
(2) Ibn Khaldoûn, op. laud., I, p. 209.
(3) Id., p. 211. Cf. supra, p. 338.
(4) L’étude des prophètes et des prophéties (djafr, natlâhim, etc...)
est en dehors du cadre de ce volume. — Decourdemanche, Sur quel-
ques pratiques de divination chez les Arabes, in Rev. Trad. pop., XXI, p.
66-73, est une traduction d’une version turque des Prolégomènes d’Ibn
Khaldoûn, dont nous avons cité les principaux passages relatifs à la di-
vination.
CHAPITRE IX
du mort est tenu dans ce cas de jeter une pierre sur le lieu
du crime quand il en passe à proximité »(1).
Pour curieuse et intéressante que soit cette coutume,
qu’il serait du reste utile de réobserver avec détails, elle
ne saurait cependant être donnée comme générale où sur-
tout comme liée nécessairement à l’édification d’un tas de
pierres : les kerkoûr sont nombreux où il n’est pas question
de vengeance et même où la vengeance a été consommée
et où l’on continue quand même à jeter une pierre ; enfin
je me suis laissé dire par des informateurs marocains, sans
avoir toutefois pu le vérifier directement, que les membres
de la famille même du meurtrier jetaient une pierre aussi
bien que les autres sur le kerkoûr et il est évident qu’ils ne
s’intéressent aucunement à la vengeance.
Pour expliquer ces rites nous allons avoir recours,
suivant notre méthode habituelle, à l’ethnographie et
voir s’il n’existe pas chez les peuples primitifs des
exemples du jet ou du dépôt de pierres dans lesquels le
sens de cette pratique serait plus évident qu’il ne l’est
aujourd’hui chez nos musulmans de l’Afrique du Nord.
Or il en est précisément ainsi: en maints pays sauvages
ou barbares les voyageurs ont observé que les indigènes
quand ils arrivent à un col se frottent avec des feuilles,
des branches, des morceaux de bols, des pierres et jettent
ces objets sur un tas qui se trouve dans le col. Quand on
____________________
(1) Trumelet, Français dans le désert, 2e éd., 1885. p. 88.
L’auteur dit que nâd signifie aussi agonie : nous ajoutons que, d’après
les dictionnaires arabes, l’idée de « sang répandu » est aussi dans cette
racine, ce qui rend un peu osée l’assertion que nous avons avancée dans
Merrâkech, p. 61, n. 1.
428 L’EXPULSION DU MAL
disant qu’il est fréquenté par les esprits, par les djinns,
que ceux-ci cherchent à jouer de mauvais tours aux
voyageurs et qu’on les éloigne en leur jetant des pier-
res en même temps qu’on murmure quelque formule
pieuse. Mais même encore dans ce cas, si le souvenir
de l’individu assassiné ou mort à cet endroit se perd, il
peut arriver que le kerkoûr et gherîb, le « tas de pierres
de l’étranger » devienne le kerkoûr de Sidi Gherîb, con-
sidéré comme un saint personnage et telle est peut-être
l’origine d’innombrables Stdi Gherîb répandus dans
toute l’Afrique du Nord et qui ont tous deux caractéris-
tiques : la première, c’est la modestie de leur sanctuaire,
simple kerkoûr, h’aouch ou h’aouît’a ; la deuxième c’est
qu’on ne sait jamais absolument rien de leur personne ou
de l’époque à laquelle ils auraient vécu(1).
Mais Une fois le tas de pierres transformé en mara-
bout, une fois le jet de pierre transformé en rite annexe
du pèlerinage au marabout, comment s’expliquera-t-on
ce rite ? il cessera d’être conçu comme un rite magique
d’expulsion du mal et sera interprété, comme une sorte
d’offrande qu’on accompagne d’une prière, c’est-à-dire
le plus souvent d’une demande ; le saint étant une per-
sonne, on ne peut que s’adresser à lui que sous la forme
supplicatoire. C’est le passage du procédé magique à la
____________________
(1) On voit que malgré les critiques dirigée, contre cette manière
de voir par Dussaud, Matérialisation de la prière, in Bull. et Mém. Soc.
Anthr. Paris, 8 mai 1906, p. 215-216, nous persistons à croire qu’il est
possible de trouver une explication commune aux kerkoûr-marabouts
et kerkoûr-tumuli. Nous n’avons pas dit que l’on de ces rites était l’is-
lamisation de l’autre, mais qu’ayant tous deux des origines communes,
ils avaient été islamisés tous deux, sous que cela implique qu’ils aient
suivi exactement la même évolution.
LE RITE DU CLOU 435
____________________
(1) Cf. supra, p.103 séq. En ce sens, il sera juste de dire, comme le
fait Dussaud, op. laud., p. 218-219, que le dépôt d’un ex-voto quelcon-
que est une matérialisation de la prière, à condition que cette expression
n’impliqua pas l’antériorité chronologique de la prière. — Toutefois il
reste à expliquer pourquoi le vœu est suspensif et pourquoi la représen-
tation figurée n’est déposée au sanctuaire qu’après la guérison. Ce point
est obscur, il faut l’avouer : nous nous proposons d’y revenir en parlant
plus tard des marabouts. Voy. infra, la suggestion de la p. 478.
CHAPITRE X
Le Sacrifice.
être initié aux desseins de Dieu ; chassant par son cri les
mauvais génies de la nuit, il est le symbole mystique de
la lumière et de la vie(1) ». Au reste suivant la sainteté
du marabout, les moyens du sacrifiant, la solennité de la
cérémonie, l’importance du but poursuivi par le fidèle,
les victimes varient de l’humble volaille au bœuf, bien
rarement au chameau dans l’Afrique du Nord. Pour l’Aïd
et Kébîr, la victime par excellence dans le rite de Mâlik
est le mouton ou la brebis ; pour Ech Châfi’î, c’est le cha-
meau ; L’orthodoxie admet en outre la chèvre, le bouc, le
bœuf, la vache(2). La victime doit être pure, bien portante,
vigoureuse, exempte de tares(3) ; à Bâb el Oued on lave les
poules dans la mer avant de les égorger(4) ; quant à la vic-
time de l’imâm à l’Aïd el Kebîr, elle a un caractère plus
sacré que celle des autres fidèles ; elle doit être exempte
des moindres tares, de sexe mâle, de pelage blanc(5). Dès
qu’elle a été choisie, la victime doit être consacrée au
sacrifice sanglant par ces paroles : « Je consacre à Dieu
cette victime ! » ou autres paroles analogues(6).
____________________
(1) Cf. Goldziher, Islâm. et Pars., in Rev. Hist. Relig., XLIII, p.
190 ; Karppe, Zohar, p. 79.
(2) Khelil, op. laud., trad. Perron, II, p. 167-171 ; Qast’allâni, op.
laud., VIII, p. 302-303. Le bœuf était la victime la plus considérée chez
les anciens arabes, cf. Lagrange, op. laud., p. 254.
(3) Voir l’énumération de ces tares dans Khelil, loc. cit.
(4) Bonnefont, op. laud., p. 201.
(5) Khelil, op. laud., II, p. 170-191.
(6) Khelil, op. laud., II, p.177 : car contrairement à ce que pensait
Smith (sacrifice totémique) « la victime n’arrive pas nécessairement au
sacrifice avec une nature religieuse définitivement achevée ; et sont les
rites du sacrifice qui la lui confèrent » (Hubert et Mauss., Sacrifice, loc.
cit., p. 183).
CONTINUITÉ DES RITES SACRIFICIELS 465
tous les pays et qui a été bien étudié par les ethnographes
modernes(1) ; le sacrifice étant accompli, la maison se
trouve habitée par un génie protecteur.
Il est possible qu’à l’origine on ait à cet effet sacri-
fié des titres humains et même qu’on les aient emmurés
dans l’édifice que l’on construisait : en tout cas les lé-
gendes où un homme, souvent l’architecte, est tué après
avoir construit un monument(2) s’expliquent sans doute
par l’idée du sacrifice de construction. Une semblable
légende avait cours à Alger sur l’ancienne porte Bab-
Azzoûn : on dit que le souverain d’Alger qui la fit bâtir,
fit enterrer dessous un kabyle nommé ‘Azzoûn(3). Dans
toute l’Afrique du Nord, il est encore d’usage à notre
époque, quand on construit une maison, d’égorger une
victime, le plus souvent un mouton, et de la manger avec
les ouvriers, soit quand on commence, soit quand on ter-
mine la maison, soit à ces deux moments(4). Quand Mou-
laye Ismaïl eut fini de faire construire le palais de Méqui-
nez « il en fit la dédicace par le sacrifice d’un loup qu’il
égorgea à minuit sous la principale porte, au milieu de
laquelle il fit enterrer la teste de cet animal par quelques
____________________
(1) Voy. les références rassemblées par Margate, Dialecte de
Tlemcen, p. 282, n. 2 ; on peut y ajouter Tylor, Civ. Prim., I, p. 122;
Strack, Das Blut im Glaub. und Abergl., Munich, 1900, p. 32-48. Bur-
dik, Foundation Rites, New York, s. d. (1902 ?) ne nous est pas connu.
(2) Cf. René Basset, Les Alixares de Grenade et le château de
Khaouarnaq, in Rev. Afric., I, 1906, p. 22-86.
(3) Cpr Marçais, loc. cit.
(4) On manque d’une description détaillée de ce sacrifice dans
l’Afrique du Nord. Pour l’Orient, nous avons une description détaillée
du sacrifice de le tente et de la maison dans Jaussen, L’immolation chez
les nomades à l’E. de la mer Morte, in Rev. Bibl., Janvier 1906, p. 93-
94, 96-98 ; voy. encore Schwally, in Noaldecke-Festschrift, I, p.124.
FONCTION RELIGIEUSE DU SACRIFICE 489
____________________
(1) Dans la fin de ce chapitre, j’ai suivi trois pages de mon Merrâ-
kech, p. 105-108, où l’on trouvera ces idées exposées avec un peu plus
de développements.
CHAPITRE XI
plantes vertes, des branches que l’on jette sur les terras-
ses des maisons ou sur les tentes et que l’on y laisse se
dessécher ; dans certaines régions on plante des branches
vertes en terre; ailleurs on fait aux bestiaux une litière de
plantes vertes ; on s’offre du lait et des tiges de palmier
nain dont ou mange le cœur : l’année sera ainsi douce
comme lait ou verte comme le palmier nain. Car les bran-
ches vertes contiennent les jeunes forces de la végétation
et les transmettent aux hommes et aux bêtes. L’influence
fortifiante et fertilisante exercée sur les bestiaux et les
hommes par les végétaux verts est une croyance très gé-
nérale et dont on connaît de nombreux exemples chez les
peuples demi-civilisés et dans le folklore européen(1).
D’une façon générale les évènements de l’année
tout entière sont, croit-on, influencés par tout ce qui se
passe pendant l’Ennâïr ; aussi se souhaite-t-on ce jour-
là une bonne année, tout comme on le fait à ‘Achoûrâ(2).
Aussi ce jour-là encore se rassasie-t-on le plus complè-
tement possible, car celui qui ne se rassasie pas alors ne
sera pas rassasié de l’année(3). Toutefois le premier jour
on ne mange que des produits végétaux ; on se gave de
____________________
(1) Voy. Manahardt, Baumkultus, dans le chapitre de « Malbaum
», 161-190 ; en particulier, p. 163, un rite identique à celui qui nous oc-
cupe ; cf. la riche collection de références de Frazer sur le même sujet,
Golden Bough, I, p. 189-196 ; cpr. S. Reinach, Cultes, mythes et relig.,
I, p.177-178. Cf infra, p. 555.
(2) Sur les points critiques des périodes magiques et religieuses,
points tels que les évènements qui s’y produisent engagent la suite de
la période, voy. Hubert, Représentation du temps dans la religion et la
magie, p. 14 et les références données par cet auteur.
(3) Desparmet, op. laud., p.133. Cf. supra, p. 530.
546 RITES DE RENOUVELLEMENT
_______________
CONCLUSION(1)
____________________
(1) La remarque est de Brunetiére. Voy. la référence et l’expli-
cation que tente de cette contradiction apparente Michaut, Époque …
pensée de Pascal, p. 156, n. 1.
(2) C’est pour expliquer l’effort intérieur de l’homme vers le …
que les chrétiens élaborèrent le mythe de la chute originelle …. soute-
nant que
L’homme est un dieu déchu qui se souvient des cieux, … qu’ils
relièrent Dieu à leur dieu intérieur.
(3) Cf. Michaeli, Le Dieu intérieur, 8e, 140 p., Montauban, avec
entre autres, ses références à Renan. Cpr Boutroux, Science et religion
p. 197-198; belle citation de Goethe. p. 75-76.
ADDENDA
INTRODUCTION.............................................................5
CHAPITRE PREMIER — Magiciens et Devins............27
CHAPITRE II — Les rites magiques..............................58
CHAPITRE III — Les incantations ou rites oraux.......103
CHAPITRE IV — Les talismans ou rites figurés..........143
CHAPITRE V — Les fins pratiques de la magie...........220
CHAPITRE VI — Magie, Science et Religion..............307
CHAPITRE VII — La divination inductive...................351
CHAPITRE VIII — La divination intuitive...................384
CHAPITRE IX — Les forces sacrées et leur transmission...419
CHAPITRE X — Le Sacrifice.......................................450
CHAPITRE XI — Les débris de l’antique magie :
le carnaval..............................................................496
CHAPITRE XII — Les débris de l’antique magie :
fêtes saisonnières et rites naturistes........................541
CONCLUSION..............................................................597
ADDENDA....................................................................606
TABLE DES MATIÈRES..............................................607