La Maternité Dans Les Oeuvres de Nancy Huston
La Maternité Dans Les Oeuvres de Nancy Huston
La Maternité Dans Les Oeuvres de Nancy Huston
Explicitons l'intitulé dans un premiers temps. Maternité : état, qualité de mère. Mais aussi : fait de
porter un enfant, de lui donner naissance. Telle est la définition que donne l'encyclopédie Hachette du
mot maternité. Il s'agit donc de fixer des repères chronologiques à notre analyse pour tenter d'expliquer
cet "état" dans les oeuvres de Nancy Huston, qui couvre surtout la grossesse, l'accouchement mais aussi
l'éducation de l'enfant désiré ou non (cette petite précision s'impose, nous verrons dans quelles mesures).
La maternité est omniprésente et maquillée de différentes façons dans les oeuvres de la talentueuse
canadienne. C'est une transformation, un bouleversement, un paradoxe de bien et de mal, un noeud
d'avantages et d'inconveniants. En témoignent les forces contraires qui animent Lin et Lara, héroïnes
respectives de La Virevolte et Prodige, ou le bouleversement que connaîtra Saffie, personnage de
L'empreinte de l'Ange. Quels sont les impacts de la maternité sur le corps, sur l'esprit ? Comment cet
état se retrouve t-il au coeur d'une véritable reflexion sociale et philosophique ? Dans quelles mesures
Nancy Huston est-elle impliquée dans cette reflexion ? Nous tenterons de d'apporter des réponses à ces
questions en s'appuyant sur les oeuvres citées.
Nous l'avons vu dans cette première partie, la maternité, surtout à travers l'accouchement et la
grossesse, est dépeinte de manière plutôt brutale et négative. Mais n'oublions pas qu'elle est aussi source
de vie et de bonheur, idée présentes dans les oeuvres.
En effet, l'enfant est le fruit du désir même s'il n'est pas pour autant désiré. Dans L'empreinte de
l'ange, l'acte sexuel entre Raphaël et Saffie se rapproche métaphoriquement d'une belle symphonie. "Il
saît contrôler le déroulement des gestes de l'amour pour en tirer un maximum de beauté, comme dans
une symphonie, agencer, moduler, ne pas attaquer fortissimo mais y parvenir poco a poco, mériter le
paroxysme en tant que culmination naturelle, inéluctable, géniale, du crescendo" (page 34). Bien
évidemment, il s'agit du point de "vue" de Raphaël puisque nous avons vu qu'il n'en est pas de même
pour Saffie. Si la maternité est facilement assimilée au bonheur, c'est qu'elle véhicule nombres d'idées
reçues, sur la grossesse par exemple. "Les femmes sont heureuses pendant la grossesse, se dit-il [...]
elles sont épanouies, radieuses, comblées". Mais ne généralisont pas, cet etat passe aussi par une
transformation du corps source de plaisir et de satisfaction.
"Avec Angela, la grossesse avait été comme neuf mois d'orgasme : une stimulation perpétuelle de
ce centre brûlant de la danse, le long cône vibrant entre sexe et gorge [...] jamais Lin n'avait connu
pareil emerveillement" (page 67). Paradoxalement, la grossesse est également montré sous son angle
positif voir jovial. C'est ce que suggère ce petit passage de La Virevolte. On retrouve ce sentiment avec
la naissance de la seconde fille du couple. Le corps devient musical, à l'image de la passion de Lin "C'est
le chef d'orchestre pour toute la symphonie de votre grossesse" (page 67 également). La maternité se
danse et, est conçue presque comme un Art. Nous sommes ici face à une idée qui marquera l'ensemble
de notre devoir : le rapport création - procréation. Cette idée du corps jouissance est également présente
dans Prodige "Afflux chaud, douche d'interiorité qui inonde soudain mes jambes et le tapis sous moi,
éclaboussant les pédales du piano et les pieds de mon élève. Une surprise une jouissance une surprise"
(page 18). Dans L'empreinte de l'ange, Saffie reconsidère son corps après la rencontre d'Andràs "se tient
nue devant la glace" (page 113). Elle commence enfin à aimer son propre corps et cette amour de soi
retrouvé favorise le contact qu'elle a avec le petit Emil "Elle ne traîte plus son bébé comme un paquet.
Provisoirement du moins, elle a rejoint la cohorte des parents adonnés au pouponnage" (page 114).
Nous sommes donc dans une description positive de l'état maternel qui passe par une transformation
jouissive du corps de la mère.
Nous pouvons à présent réfléchir sur le ou plutôt les rôles de la mère vis-à-vis de l'enfant. Premier
constat : elle est un soutien, en mesure d'apporter de l'aide sur les doutes et les questions qui taquinent
l'enfant dés son plus jeune âge. N'oublions pas qu'il s'agit d'une voix féminine et par conséquent, plus
douce, plus sereine. Ainsi, on retrouve dans La Virevolte plusieurs questions existencielles et notemment
sur la mort "Est ce que je vais mourir maman ?" (page 42) "Et toi tu vas mourir maman ? ". La mère
est un modèle, une source de savoir et d'envol que l'on a peur de perdre. Une de ses fonctions est donc
de rassurer son enfant "Si tu restes pas je vais faire un mauvais rêve" dit Angela à sa mère (page 48).
La mère est presque invincible. C'est en tout cas l'image qu'elle transmet d'elle même et que se forge les
enfants. Elle est une source vitale "Vis, ma petite ! sois forte" dit Lara à sa fille dans Prodige. Lara est
indispensable à la survie de la petite Maya ne serait-ce que par son soutien spirituelle. Une sorte de
connexion entre la mère et la fille "Je t'aime et je te sauverai ! Tu verras. Je t'ai donné la vie, je ne
permettrais pas qu'on te la reprenne" (page 26).
Essayons de dépasser le texte. La maternité est un sujet vaste qui défie les lois du simple "réèl". Nous
verrons en quoi il se dresse entre fiction et réalité et nous étudierons l'implication de Nancy Huston sur
ce thème et dans les oeuvres de manière générale.
"Je vois mieux aujourd'hui qu'à l'époque de Journal de la création à quel point le réel est imprégné
d’imaginaire. Parce qu’il y a un aller-retour. La limite entre les deux est très floue" dira Nancy Huston.
En effet, autant dans La Virevolte que dans L'empreinte de l'Ange, revient sans cesse cette impression
de se trouver dans un conte, une fable. Dans le premier, on trouve "Faites l'amour avec cet homme et,
en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il y aura un bébé vivant et gigotant sous vos yeux" (page
26). Replacée dans son contexte, cette phrase ressemble presque à une recette pour faire "pousser les
bébés". C'est une référence au conte. On trouve par exemple "buvez ceci et votre queue de poisson se
transformera en une paire de jambe humaine" (page 26 également). On se laisse séduire par le petit
côté "secret de grand mère" que proposent ses expressions. Tout ce qui entoure la naissance d'Angela
relève du miracle et de l'impossible pour Derek et Lin "c'est incroyable se dit lin; c'est impossible"
(toujours page 26). Ils sont rapidement dépassés par les évènements "Ils ont du mal à croire qu'un jour,
en plus de toutes ses autres capacités miraculeuses, Angela va apprendre à parler". Etre mère semble
encré dans une conception fantastique de la vie, il n'est pas facile de le réaliser, d'en prendre conscience
"Alors c'est réèllement vrai. Même quand elle n'est pas là, Lin est toujours maman pour Angela. C'est
absolument serieux, pas une comédie du tout" (page 44). Dans L'empreinte de l'ange, on trouve
également cette idée de recette miracle pour faire "pousser les bébés". Page 72 "Mystère insondable, se
dit Raphaël. Le mélange de nous deux. Moi, plus Saffie, plus une pinçée de miracle, égalent...toi". Ce
thème de l'imaginaire fait partie intégrante de la vie de la romancière canadienne. Elle qui mène une vie
"hautement anormale" selon ses propres mots "entre réalité et imaginaire. Elle dira dans un entretien
"Etre seule du matin au soir ici et ne vivre qu’avec des personnes imaginaires, vous trouvez cela
normal?". Si Nancy Huston s'insère dans ce thème, elle est également présente dans le reste de l'oeuvre,
à travers l'image de la mère, statut qu'elle connaît bien.
En effet, la mère est l'héroïne, malheureuse ou non, des romans de Nancy Huston. Notons que dans
La virevolte comme dans L'empreinte de l'ange et Prodige, le texte s'ouvre sur l'image de la mère : Lin
donne naissance à Angela, Saffie attend patiemment qu'on lui ouvre la porte Rue de Seine, et Sofia est la
mère de Lara. Lin, comme son amie Rachel, n'a pas de mère. Pas de mère, pas de douceur "elle
n'avaient aucun instinct pour s'occuper de leurs corps parce que leurs corps avaient toujours été
manipulés par des femmes sans tendresse" (page 25). La présence de la relation mère-fille est
récurrente. C'est en cela que l'on reconnaît la "patte" littéraire de Nancy Huston. Il s'agissait
probablement pour la romancière de chasser ses demons en y introduisant quelques éléments d'ordre
autobiographique. L'interéssée dira : "Dans La virevolte, je me suis efforcée de me mettre à la place
d'une mère qui abandonne ses enfants. Ecrire permet de tout voir en face...". La maternité est source
d'un dilemne, qui reflète l'enfance de notre créatrice "Paradoxalement, j’ai à remercier ma propre mère
de son geste de folie [elle a quitté le foyer familial lorsqu’elle était enfant], parce que c’est sûr qu’il n’y
aurait pas eu cette œuvre d’art-là s’il n’y avait pas eu cet élément de vie massif." Nancy Huston s'est
donc servi de ses experiences en tant qu'instrument littéraire "C’est depuis que je suis mère que j’écris
bien, je trouve. En voyant grandir mes enfants, j’ai vu émerger des individus à partir de presque rien, et
ça, c’est passionnant". D'ailleurs, la canadienne est une des rares auteurs a revendiquer son identité de
mère. Et même si, comme elle l'écrit dans Le dilemme de la romamancière, "l'écriture est réputée
difficilement conciliable avec la maternité" Nancy Huston en a fait l'instrument de sa réussite.
La maternité est traîtée de façon quasi-similaire dans les oeuvres de Nancy Huston, à savoir
transformation du corps et de l'esprit, de façon tantôt négative tantôt positive. Le sujet revêt néanmoins
une forme différente dans chacune de ses productions. Dans La Virevolte, c'est l'histoire d'un dilemne.
Un dilemne qui oppose création et procréation. Lin est tiraillée par des pensées "interdites" pour une
mère, en l'occurence un choix entre sa famille et l'Art, sa passion. C'es un sujet de reflexion pour toutes
les mères qui se sentent un jour frustrées dans leur vie familiale, qui prend rapidement le pas sur leur
passions et leurs envies. D'après une enquête sur les oeuvres de Nancy Huston, La virevolte est d'ailleurs
le livre préféré des femmes. Dans Prodige, l'accent est mis sur la rivalité mère-fille et la jalousie
"interdite" de Lara, envers sa fille Maya. Dans L'empreinte de l'ange, c'est le brusque changement de
comportement de Saffie à l'égard du petit Emil qui retiens notre attention. Pour terminer, citons une
nouvelle fois la créatrice elle même, puisque Nancy Huston , nous l'avons vu, est très impliquée dans ses
romans "La maternité ne draine pas, toujours et seulement, les forces artistiques; elle les confère aussi"
nous dit la romancière. Voila une phrase qui résume de brillante façon son entreprise et met un peu plus
en relief le parallèle entre la mère et la créatrice.