Article: La Communication Orale: Un Outil Pour Réfléchir
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La comprhension des enjeux de l'enseignement et de l'apprentissage de la communication orale en classe semble voluer et il devient ds lors pertinent de se questionner sur les paramtres conserver ou ajouter dans le traitement de ce volet de la didactique du franais l'cole. Que devient la communication orale dans l'tat actuel de nos connaissances ? Quelle place lui donne-t-on dans le programme de formation de l'cole qubcoise ? En quoi certaines rponses apportes aux questions prcdentes entranent-elles de nouvelles considrations au sujet de la didactique de la communication orale ? Ce sont l les interrogations qui constituent les points d'ancrage de la rflexion qui suit. La communication orale : C'est si naturel ! Tous les bbs normalement constitus apprennent parler en deux ou trois ans, sans recevoir de cours formels ce sujet, mais bien plutt en coutant les sons signifiants de leur environnement et les effets, positifs ou ngatifs, des sons qu'ils parviennent mettre progressivement. Les parents, bien sr, ont tendance renforcer les ralisations linguistiques adquates, ce qui permet au bb de consolider son bagage linguistique au hasard des contextes et des circonstances. Ainsi, le bb apprend parler de manire informelle, en recrant le langage par lui-mme et sans apprendre les phrases par cur. Lorsque les enfants arrivent la maternelle, les enseignants prennent soin d'assurer un vocabulaire de base chez chacun et d'enrichir l'exprience linguistique de tous l'aide de contextes nouveaux et varis. Mais, au-del de ces premiers apprentissages, qu'est-ce qui est propos aux lves ? La communication orale : a sert changer avec les autres, voyons ! changer adquatement avec les autres implique des connaissances, des habilets et des attitudes qui se situent, pour les plus connues d'entre elles, dans diffrentes dimensions linguistiques et pragmatiques. Sur le plan des dimensions linguistiques, on retrouve, entre autres, l'accent, l'articulation, le choix des mots et la structure des noncs. Sur le plan des dimensions pragmatiques, trois axes principaux sont retenus : la personne qui l'on s'adresse, le sujet dont il est question et le contexte de l'change. Le manque d'espace empche de prciser ces lments. Qu'il suffise de signaler que l'enseignant doit, mme dans un esprit d'enseignement renouvel de l'oral, demeurer attentif ces dimensions dans son travail auprs des lves, rester un modle linguistique, ne pas perdre de vue que la langue orale possde ses rgles particulires (Plessis-Blair) et se rappeler que les lves peuvent laborer leur pense bien davantage l'oral qu' l'crit. La communication orale : a servirait aussi rflchir ? Pour plusieurs auteurs, la fonction la plus fondamentale de la communication orale n'est pas, malgr les apparences, celle d'changer avec les autres, mais plutt celle de s'expliquer le monde soi-mme (Chomsky). Ainsi, Vygotski montre que si les individus, en vieillissant, ont tendance moins parler haute voix, voire arrter compltement, il n'en demeure pas moins que ce langage
Un langage qui se dveloppe et s'enrichit en concepts et en vocabulaire affrent permet une classification de plus en plus sophistique du monde et facilite des nuances de plus en plus fines.
qualifi de langage gocentrique par Piaget se transforme, selon Vygotski, en langage intrioris avec l'ge de raison. Comprendre le mieux possible le monde dans lequel nous vivons constitue l'enjeu majeur de la survie de chacun. Un langage qui se dveloppe et s'enrichit en concepts et en vocabulaire affrent permet une classification de plus en plus sophistique du monde et facilite des nuances de plus en plus fines. Chacun devient son locuteur et son propre interlocuteur : aux questions qu'il se pose, il imagine certaines rponses, les vrifie, les rejette ou les retient, selon son exprience et sa comprhension du monde ce moment-l. La communication orale : A u cur du prsent programme d'tude ! Dans le Programme deformation, on peut lire : La langue orale permet au locuteur de prciser ou de nuancer ses ides, ses points de vue ou ses sentiments au cours d'interactions diverses. Elle contribue galement la construction de la pense personnelle grce l'apport d'autrui . Rappelons que les jeunes enfants apprennent parler en construisant par eux-mmes de nouveaux noncs l'aide de bribes de ceux dj entendus en contexte. Dans le Programme, il semble que le pari soit fait qu'il en ira de mme pour la construction d'une pense personnelle : contextes varis et apport d'autrui. Cependant, est-ce suffisant pour permettre l'laboration d'une pense articule ncessaire la poursuite des tudes ? Si l'enfant de cinq ans doit habituellement apprendre lire et crire, il sait dj parler ! Or, il arrive que soient confondues la capacit d'un enfant lire ou crire un court texte, simple dans le choix des mots et dans la teneur du contenu, et sa capacit couter, comprendre et ragir un message oral beaucoup plus complexe. C'est l d'ailleurs l'une des raisons qui expliquent l'engouement de plusieurs pour les travaux de Lipman et sa proposition de faire de la philosophie avec les enfants dans les coles primaires. Faire appel la pense complexe, favoriser les transferts, et ce, par le truchement de la communication orale, voil qui constitue certainement un enjeu majeur du dveloppement de ce volet du franais chez les lves. Si les jeunes enfants sont capables de transferts tels qu'il leur est possible d'apprendre parler en quelques annes, il est difficile de croire qu'ils en seraient incapables lorsqu'il s'agit de transfrer certains concepts et certaines informations d'une discipline une autre. C'est peut-tre l'absence de prcision de l'cole quant ses attentes ce sujet, le peu de temps consacr l'laboration de la pense complexe dans une classe et la prsentation mme des enseignements lors des priodes dvolues une discipline particulire qui amnent les lves considrer les matires comme des ensembles ferms, sans liens vritables entre eux. Le manque de temps dnonc par les enseignants et le nombre d'lves par classe constituent des facteurs contraignants qui obligent les enseignants des choix de questions appelant des rponses rapides et, ce faisant, empchent l'exploration d'un questionnement qui pourrait survenir, mais qui ralentirait l'enseignement des contenus voir d'aprs la planification tablie. Selon Sousa, [les] coles font trs peu appel la pense complexe. [... ] Les cours et les valuations mettent l'accent sur l'acquisition du contenu par une dmarche de rappel " par coeur " et non sur l'analyse et la synthse. Trop souvent, la rptition de la rponse est plus importante que le procd utilis pour trouver cette rponse. Par consquent, les lves et les enseignants se sont habitus composer avec l'apprentissage aux niveaux de complexit les plus bas .
Sousa souligne que, si l'on ne peut enseigner penser aux lves, il est certainement possible de leur apprendre organiser les contenus afin de faciliter un traitement plus complexe. Il suggre de revenir l'utilisation d'un modle fort connu, mais souvent mal compris : celui de la taxonomie du dveloppement cognitif de Bloom. Rappelant les six niveaux de cette taxonomie, qui vont du moins complexe au plus complexe et qui sont : la connaissance, la comprhension, l'application, l'analyse, la synthse et l'valuation, Sousa spcifie que la hirarchie de la complexit n'est pas immuable et [qu'jun individu peut facilement circuler de l'un l'autre pendant un exercice d'une certaine dure . D'aprs cet auteur, la taxonomie de Bloom demeure l'un des outils les plus utiles pour amener les lves, et particulirement les plus lents, des niveaux de rflexion levs. La communication orale : Un outil de rflexion l'cole ? Simard crit : Dans l'enseignement-apprentissage, la langue est utilise tant l'oral qu' l'crit. On a tendance spontanment penser surtout l'crit quand il est question des tudes. Il ne faut pas oublier cependant qu'une trs grande partie des discours produits l'cole, chez les enseignants et chez les lves, se ralise sous forme orale . Dans le cadre d'une recherche sur l'oral comme intermdiaire dans la lecture littraire, Chemla et Dreyfus montrent que des lves de cinq et six ans qui on fait la lecture, par chapitre ou squence, d'un roman sans illustration peuvent se remmorer d'une semaine l'autre le passage antrieur du roman, couter un nouveau passage ou encore donner une explication collective du passage lu. Les chercheures notent que cette pratique ncessite de la part de l'enseignante des conduites d'tayage trs contrles de la parole des enfants. EUes permettent la rpartition prcise et trs individualise des tours de parole par les formes d'adresse, l'enchanement des rpliques et leur validation, la rgulation de l'coute et de la parole, un travail important sur le lexique par le jeu des reformulations et de la mise en rseaux des diffrentes lectures . Chemla et Dreyfus observent qu'une activit de ce genre favorise le dveloppement des comptences discursives orales, lesquelles [... ] s'laborent tout au long de l'interaction dans l'effort de restitution du rcit et de ngociation du sens du rcit entendu. [L'activit] permet galement de travailler des comptences de prise de parole et d'coute : prendre sa place dans la succession des tours de parole, complter l'nonc prcdent, le reformuler, rester dans le thme, poser une question, provoquer un dplacement... Elle suscite aussi une transformation du rapport au langage lui-mme et le dveloppement de comptences mtalangagires prcises . Ces chercheures qualifient d' oral rflexif cet oral qui sert comprendre, prciser sa pense, comparer les interprtations, et c'est bien l, selon elles, un oral constitutif de l'apprentissage, voire un rvlateur possible des processus d'apprentissage. Chemla et Dreyfus soutiennent que la clarification progressive du contrat didactique (on est l pour s'aider, en parlant ensemble, comprendre l'histoire et la faire sienne) permet aussi l'lve d'identifier clairement le rle du langage dans cette situation et, ventuellement, d'largir ainsi son rapport au langage en gnral . Tout comme l'indique le titre du collectif auquel ces chercheures participent, il s'agit d'un oral pour apprendre, d'un oral pour se construire. Ce qui demeure porteur dans cette manire relativement nouvelle d'aborder l'oral, c'est l'adquation qu'on peut y voir avec une dfinition de la communication orale en termes d'changes dyna-
miques entre un locuteur et un interlocuteur, en termes de construction dialogique en constant remodelage ou rajustement, ce qui tient compte bien davantage du mdium lui-mme que ces contextes figs que sont les prsentations orales prpares l'avance. Si l'cole d'aujourd'hui, par le truchement de son programme de formation, tend prparer les citoyens de demain une plus grande mobilit d'emploi et la capacit de s'ajuster rapidement des contextes varis l'aide de macro-comptences potentiellement transfrables ou du moins relativement adaptables de nouveaux contextes, l'oral rflexif parait ds lors un moyen explorer plus minutieusement.
ves, le dveloppement de ce qu'il a t convenu d'appeler ci-dessus un oral rflexif, c'est--dire un oral dont le caractre instrumental est mis de l'avant comme outil de verbalisation de la comprhension et de l'apprentissage. Chez les lves, l'utilisation d'un oral rflexif exige un engagement dans la dmarche d'appropriation des savoirs, et ce, bien au-del d'une relative mmorisation. Elle favorise chez eux l'tablissement de liens, d'explications, de justifications, entre leurs reprsentations actuelles et le dsquilibre provoqu par les avances de l'enseignant, dans le but de recrer un nouvel quilibre. En ce sens, l'utilisation d'un oral rflexif fait appel aux comptences des lves et leur capacit les rinterprter dans un nouveau contexte. Dans un tel mode d'oral rflexif, la comprhension par l'lve des enjeux de la communication orale va bien au-del de ses dimensions purement linguistiques, pour mettre en vidence la composante pragmatique du langage. Ce contexte place l'lve en situation frquente d'autovaluation, tant sur le plan cognitif que sur le plan mtacognitif. Ainsi, Maingain et Dufour soutiennent que l'lve est amen, selon les situations d'apprentissage, dvelopper sa rflexion cognitive quant l'analyse du contexte o la comptence est mobilise, quant la famille de situations implique ou encore quant l'adaptation de la comptence la situation, la tche, aux finalits et aux destinataires. En ce qui concerne la rflexion mtacognitive, Maingain et Dufour ajoutent : Elle concerne la conscience que l'lve a de ses propres activits cognitives dans le cadre d'une tche qu'il est en train d'effectuer ou qu'il a effectue. Cette prise de conscience peut aller jusqu' l'explicitation de ses dmarches, au jugement de ses productions, la rgulation de ses processus mentaux par l'apprenant lui-mme . Rflexion donc de l'lve sur sa propre manire de penser, et ce, l'aide d'une communication orale faite haute voix ou intriorise ; une communication orale utilise comme outil d'apprentissage.
Professeure, Dpartement des sciences de l'ducation, Universit du Qubec Trois-Rivires
On comprend, ds lors, que ce qui est attendu de l'enseignant exige de lui la capacit amorcer le dialogue sur un savoir particulier avec ses lves, maintenir leur intrt et instaurer un contexte qui favorise la mthode dialectique par laquelle les lves sont amens questionner, argumenter, tablir des liens logiques, raisonner par et pour eux-mmes partir des reprsentations qui sont les leurs. Parler ensemble pour s'aider mieux comprendre, aller plus loin dans le questionnement, rflchir ensemble voix haute. Dans le mme ordre d'ides, Simard rappelle qu'au-del de son rle de modle linguistique, l'enseignant doit tenir compte de diverses conduites langagires. Il indique qu'au coeur du travail didactique de l'enseignant se trouvent des interactions verbales qui concernent plus directement la formulation et l'laboration des savoirs. Certaines sont davantage magistrales [...]. D'autres ont un caractre plus maeutique et consistent dialoguer avec l'lve de manire faire progresser ses savoirs en fonction de ce que rvlent ses dires sur ses modes de raisonnement et sur ses propres conceptualisations . Les composantes de la communication orale mentionnes dans l'actuel programme de formation montrent que ce volet du franais est vu dans un contexte rsolument interactif duquel devraient merger les ajustements faire et les stratgies dvelopper qui s'y rapportent. En dfinitive, il est demand l'enseignant d'organiser et d'animer des situations d'apprentissage qui favorisent, chez les l-
Bibliographie
M.-T. Chemla et M. Dreyfus, L'oral intermdiaire dans la lecture littraire en cycle 2. tude d'un moment de lecture-feuilleton , dans J.-C. Chabane et D. Bucheton (dir.), Parler et crire pour penser, apprendre et se construire, Paris, PUF, 2002. N. Chomsky, Le langage et la pense, Paris, Payot, 1990. M. Lipman, A l'cole de la pense, Bruxelles, De Boeck (Pdagogies en dveloppement), 1996. A. Maingain et B. Dufour, sous la direction de G. Fourez, Approches didactiques de l'interdisciplinarit, Bruxelles, De Boeck, 2002. P. Perrenoud, Dix nouvelles comptences pour enseigner, 3* dition, Paris, ESF. 2002. G. Plessis-Blair, N'a-t-on jamais enseign la communication orale l'cole > . , Qubec franais, n 94 (t 1994). C. Simard, Langue et acquisition des savoirs, les comptences langagires dans les disciplines scolaires , Qubec franais, n 123 (automne 2001). D. A. Sousa, Un cerveau pour apprendre, Montral, Chenelire/McGrawHill, 2002. L. S. Vygotski, Thought and Language, Massachusetts, M.I.T. Press, 1962.