Le Henri VIII de Saint-Saens
Le Henri VIII de Saint-Saens
Le Henri VIII de Saint-Saens
Vol. IX - n2 (2011)
Livrets d'opra et patrimoine anglophone
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Thierry Santurenne
Le de SaInt-Saens: entre
affIrmatIon IdoIogIque et IIbert
thtraIe
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WarnIng
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Electronlc reference
Thlerry Santurenne, Le Henr| v/// de Salnt-Saens: entre afflrmatlon ldologlque et llbert thtrale, Revue
//S////S/ e-journal [Onllne|, vol. lX - n2|2011, document 5, Onllne slnce 12 December 2011, connectlon on 03
December 2012. URL: http://llsa.revues.org/4T48; DOl: 10.4000/llsa.4T48
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Revue LlSA/LlSA e-|ournal
La Revue LISA / LISA e-journal. Volume IX n2 / 2011, ISSN 1762-6153
Thierry Santurenne, Le Henry VIII de Saint-Sans : entre affirmation idologique et libert thtrale,
La Revue LISA/ LISA e-journal, Vol. IX n 2/ 2011 : <http://lisa.revues.org/>. ISSN 1762-6153
LISA 2011. Conformment la loi du 11 mars 1957, toute reproduction, mme partielle, par quelque
procd que ce soit, est interdite sans autorisation pralable auprs de lditeur.
Saint-Sans Henry VIII:
Between Ideological Affirmation
and Dramatic Freedom
Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne
(Universit de Marne-la-Valle, France)
Abstract
A late example of French grand opera, Saint-Sans Henri VIII (1883), a setting of the libretto
by Lonce Dtroyat and Armand Silvestre draws from Shakespeares and Fletchers Henry
VIII as well as Caldern de la Barks La Cisma de Inglaterra. Composed and first performed
when the French Republic was trying to assert itself through its policy of separating church and
state policy, the opera reflected the contemporary debate on divorce. Yet, the ideological purpose
of the libretto is nuanced by the composers reliance on specific musical and dramatic formulas.
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Le Henri VIII de Saint-Sans :
entre affirmation idologique
et libert thtrale
Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne Dr. Thierry Santurenne
(Universit de Marne-la-Valle, France)
Thierry Santurenne est agrg de Lettres modernes, docteur en littratures franaise et
compare et historien de la musique. Auteur de nombreux articles sur les rapports
entre littrature et musique, il a publi : LOpra des romanciers. Lart lyrique dans la
nouvelle et le roman (1850-1914) (Paris, LHarmattan, 2007).
e film rcent (2008) de Justin Chadwick The Other Boleyn
Girl ( Deux surs pour un roi ) a remis dans les
mmoires la passion dHenri VIII pour Anne Boleyn
conduisant la mise lcart de Catherine dAragon,
sur le plan priv, et la rupture avec Rome, sur le plan
politique et religieux. Il a aussi montr comment le
cinma renoue parfois avec une outrance lyrique, qui, vrai dire, nest
peut-tre pas la caractristique essentielle du Henri VIII de Saint-Sans,
ouvrage inscrit dans la ligne historicisante du grand opra dont il
prolonge la tradition
1
. Selon Edouard Nol et Edmond Stoullig, la pice
primitive de M. Dtroyat comprenait quatre femmes dHenri VIII sur six : une
par acte !
2
ce qui et certes donn toute reprsentation de lopra les
allures dune visite chez Madame Tussaud... Or la Troisime Rpublique
cherche dans lHistoire loccasion dappuyer une lgitimit toute rcente
et encore mal affermie
3
. Le genre quasi moribond du grand opra
prsente alors lintrt doffrir aux problmes contemporains le reflet des
temps passs, ce qui est prcisment le cas dans cet ouvrage dans lequel
on retrouve les proccupations essentielles de lidologie rpublicaine
telles quelles suscitent le dbat dans lopinion publique au dbut des
1
Premire reprsentation le 5 mars 1883 lOpra de Paris. Livret de Lonce Dtroyat et
Armand Silvestre.
2
Edouard Nol et Edmond Stoullig, Les Annales du Thtre et de la Musique (1883), Paris, G.
Charpentier, 1884, 6.
3
Le comte de Chambord, candidat des lgitimistes, meurt prcisment en 1883.
L
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annes 1880, cest--dire laffirmation de la lacit et, ce qui y est li, le
rtablissement du divorce. On esquivera les interrogations sur la valeur
musicale de cet opra pour examiner ici comment, une fois mis en
musique, louvrage met en pril les prmisses idologiques prsidant la
gense du livret.
Les sources de lopra
Mais pour mieux prendre la mesure des problmes soulevs par
linterprtation de cet Henri VIII, il sagit avant tout dexaminer les
sources avoues du pome : Henry VIII (1613) de Shakespeare et Fletcher,
et La Cisma de Inglaterra (1627) de Caldern. Sans entrer dans le dtail des
emprunts lune et lautre pice et des modifications des lments
emprunts, on se bornera relever quelques choix significatifs pour notre
propos. Une fois pos que Caldern, auteur catholique, se montre critique
envers le schisme et ceux qui en sont responsables, tandis que
Shakespeare prsente lvnement et ses protagonistes sous un jour plus
favorable et nuanc, on prtera attention aux lments suivants :
- Ce qui est limin ou altr : alors que son rle dintrigant auprs du
Roi, notamment en ce qui concerne llimination de Catherine
dAragon, en faisait une figure essentielle des deux pices, Wolsey
disparat. Lambitieux cardinal et dtourn lattention du
personnage dHenri VIII, retir celui-ci la pleine responsabilit de
ses actes et dplac le centre de gravit de lopra qui doit
expressment tre constitu par lenjeu essentiel du divorce du
souverain. Pour lessentiel, limportance des hommes dEglise dans
la pice de Shakespeare est fortement rduite dans le livret, o
Cranmer, archevque de Cantorbry, personnage de sage, fait pour
lessentiel de la figuration dans lopra. Il en va un peu autrement
pour le personnage du Lgat du pape sur lequel on reviendra. A
noter encore quun personnage de bouffon que caractrisait sa
lucidit, dj prsent chez Caldern, tait initialement prvu dans le
livret. Il en fut limin : souci de rduire lambigut ironique quet
apport un tel personnage au propos dramatique ou dsir dliminer
les traces de rminiscences verdiennes trop videntes (Rigoletto...)?
Le personnage limin est rintroduit sur le mode anecdotique dans
le divertissement dans.
- Ce qui est emprunt aux deux pices : le tableau o Henri VIII rompt
avec lautorit du Pape et o Catherine plaide sa propre cause
sinspire des scnes des deux hypotextes o le roi met en dbat (chez
Shakespeare) ou proclame (chez Caldern) linvalidit de son
mariage. Les librettistes concentrent dbat et dcision finale en
faisant de la dcision dHenri VIII de rompre avec la papaut le
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climax dramatique de lacte. Par ailleurs, le livret reprend sans
altration la valorisation de la figure de Catherine dans les deux
pices.
- Ce qui constitue un compromis entre les deux pices : Caldern fait
dAnne Boleyn une intrigante aux sympathies luthriennes, qui
repousse sans scrupules son soupirant Charles, ambassadeur de
France, et nhsite pas empoisonner Catherine dAragon aprs
avoir fait alliance avec Wolsey. La dcouverte par le roi de sa
relation avec Charles aboutit sa condamnation. Chez Shakespeare,
o elle apparat peine, elle est prsente au contraire, dans la
meilleure tradition encomiastique, sous un jour dautant plus
favorable quelle est la mre dlisabeth I. Dans lopra, elle se
montre ambitieuse, mais sans commettre dautre faute que davoir
fait fi de lamour de Don Gomes, ambassadeur dEspagne,
quivalent de Charles dans la pice de Caldern. Son sort est en
suspens chez Saint-Sans, puisque Catherine dAragon renonce
montrer au souverain les lettres compromettantes pour la jeune
femme, ce qui amne aux lvres du souverain sa fameuse rplique
finale : Morte avec son secret ! Mais si japprends jamais / Quon sest
raill de moi, la hache dsormais ! .
Il faut ajouter ces modles linfluence possible de Catherine Howard
(1835) de Dumas pour la constitution du portrait de lambitieuse Anne
Boleyn dautant plus que plusieurs opras aujourdhui oublis ont t
inspirs de cette pice. Et si lAnna Bolena (1830) de Donizetti ne semble
pas avoir aliment linspiration des librettistes de faon sensible, il faut
souligner linfluence du Don Carlos (1867) de Verdi qui, outre les conflits
entre intrts privs et obligations publiques, a inspir plusieurs autres
facettes de lopra dont on peut dire quil constitue la vritable matrice :
mentionnons le tableau du synode qui fond ensemble la scne de
lautodaf, la scne de laffrontement entre Philippe II et lInquisiteur,
ainsi que la scne de la prison envahie par le peuple
4
. On mentionnera
encore la rfrence des lettres compromettantes et, surtout, le traitement
rserv la reine Catherine dont la nostalgie dmarque celle de la reine
lisabeth chez Verdi, ainsi quau personnage dAnne Boleyn, que sa place
de matresse en titre rend cousine de la princesse Eboli.
On ne peut refermer le chapitre des sources sans voquer tout de
suite le problme pos par le personnage central dHenri VIII, aprs
llimination de Wolsey. Shakespeare et Caldern en proposent tous deux
4
Comme le signalent Flix Clment et Pierre Larousse dans leur Dictionnaire des opras (dition
de 1905, revue et mise jour par Arthur Pougin, rdite par Claude Tchou, collection des
Introuvables, Paris, 2001), la scne du synode rappelle celle du concile dans LAfricaine (1865)
de Meyerbeer.
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un portrait nuanc : chez lAnglais, le souverain volue vers une pleine
conscience des manigances de Wolsey, se montre la fois soucieux
dviter linfluence dstabilisatrice de ltranger et de sassurer une
succession. Chez lEspagnol, Henry VIII est conscient que ses dsirs
personnels ont influ sur ses actes et il va jusqu regretter le schisme, ce
qui le conduit conseiller sa fille Marie Tudor de seulement feindre de
remettre en question la loi de lEglise. Chez Saint-Sans, le personnage est
incontestablement ambigu : en chuchotant quils vivent sous un roi
terrible, impie et tratre , les courtisans mettent ds le premier acte laccent
sur sa cruaut, rendue manifeste par lexcution de Buckingham dont la
reine demande la grce. Chez Shakespeare, cest Wolsey qui est
responsable de cette dcision. Ds lors que la responsabilit de la
condamnation est le seul fait du roi, il apparat comme impitoyable. Bien
entendu, lintrt dramatique de lpisode
5
est dannoncer la fois la
mansutude finale de Catherine et le sort futur dAnne Boleyn. Mais au
prix du noircissement du caractre du roi, ce qui ne sera pas sans
consquence sur la perception du propos idologique de lopra, comme
nous le verrons. Beaucoup de commentateurs ont ainsi une perception
ngative du monarque : dans ses Mmoires dun artiste (1896), Gounod
parle dun pourceau couronn
6
et dans cole buissonnire (1913), Saint-
Sans qualifie lui-mme les manuvres du roi pour savoir la vrit
deffroyables hypocrisies
7
.
Divorce lopra
Toujours est-il que le propos idologique voqu sinscrit dans le
contexte de la mise en place de la lacit, qui permet une rpublique en
voie daffermissement dimposer ses valeurs. Exercice dj effectu par
Saint-Sans avec son Etienne Marcel cr Lyon en 1879, o la figure du
prvt de Paris du XIVe sicle incarne lopposition de la bourgeoisie
parisienne labsolutisme royal
8
. Le compositeur avait des convictions
rpublicaines, tout comme les auteurs du livret, le journaliste Lonce
Dtroyat et le pote parnassien Armand Silvestre. Comme la direction de
lOpra, assure par Vaucorbeil, tait sous la tutelle du Ministre des
Beaux-Arts, fonction assure par Jules Ferry lpoque, on ne stonnera
pas que les principes laques et rpublicains soient au centre de lopra
sous le travestissement historique. Laffranchissement dHenri VIII de
lautorit spirituelle romaine reprsente la dramatisation idale de
5
Il est cependant peru comme une maladresse par Nol et Stoullig, dans les Annales du
Thtre et de la Musique 1883 ainsi que par Clment et Larousse dans le Dictionnaire des opras.
6
<http://www.metronimo.com/fr/memoires-gounod/69.htm>, consult 10/06/2010.
7
Saint-Sans, cole Buissonnire, Paris: Pierre Lafitte, 1913, 118.
8
On consultera ce sujet larticle de Michel Faure Etienne Marcel dans le Dictionnaire de la
musique en France au XIXe sicle, Jol-Marie Fauquet (dir.), Paris : Fayard, 2003, 442.
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laffirmation de lidologie laque. Que ce geste soit accompli par un roi,
importe peu lheure o le principe monarchique steint en France, avec
cela de piquant que par un renversement loquent, la rupture avec
lglise est le fait dun souverain... On se souviendra quau lendemain de
la guerre de 1870, lalliance se noue entre catholiques et monarchistes
et qu dfaut dobtenir la restauration de la monarchie, lEglise profite de cette
priode pour renforcer son emprise sur la socit
9
. Laffirmation de la
Rpublique entrane une raction anticlricale. La guerre scolaire
contemporaine est au centre des enjeux, ce que lon garde le plus
volontiers en mmoire (le 31 aot 1880, les collges jsuites sont ferms),
mais aussi la loi sur le divorce, ce que reflte la rpudiation de Catherine
dAragon par Henri VIII dans lopra.
En effet, les dbats autour de cette loi font rage au moment o
Saint-Sans conoit et compose son ouvrage. Le compositeur se spare
lui-mme de sa femme en 1881. La loi Naquet sur le divorce sera
promulgue peu aprs la cration de lopra, savoir le 27 juillet 1884.
Elle fut longtemps repousse au Palais-Bourbon, accepte en 1882, mais
refuse pendant plusieurs mois par le Snat. La question agite lopinion et
trouve des chos dans lunivers des lettres, comme en tmoignent deux
pices de Victorien Sardou : le 16 fvrier 1880 est joue au Thtre-
Franais sa comdie Daniel Rochat o lon dbat de la ncessit du
mariage religieux, ce qui ne manque pas de mettre en moi les sensibilits
catholiques. La mme anne il cre encore Divorons !, pice dans laquelle
une jeune femme, lasse de son mari et prise dun cousin, attend avec
impatience la promulgation de la loi sur le divorce afin de pouvoir se
remarier. Le problme tait li laffirmation laque puisque dans son
ouvrage Le Divorce (1877), Naquet considrait lindissolubilit du mariage
comme une entrave la libert des non-catholiques. Dtail intressant, Le
Figaro insinuera en mai 1879 que le dput, mari lglise, voulait
imposer sa loi pour pouvoir lui-mme divorcer... On ne peut que songer
Henri VIII sur ce point ! Et lors des dbats la Chambre en fvrier 1881, le
radical Brisson mettra en avant les vexations que le plus fort risquait
dimposer au plus faible pour obtenir son consentement... Et l encore,
comment ne pas songer au sort de Catherine dAragon dans lopra ?
Le livret de lopra est donc bien le produit dune poque dont il
dramatise les proccupations grce un emprunt opportun lHistoire
britannique. Dans son article Lhistoire et la lgende dans le drame
lyrique , recueilli dans cole buissonnire, Saint-Sans laisse entendre ce
que le compositeur dopra peut rechercher avant tout dans lHistoire,
savoir des sentiments et des passions mis en jeu par ce quon appelle des
9
Jacques-Olivier Boudon, Politique et religion sous la Troisime Rpublique , dans Opra et
religion sous la Troisime Rpublique, Jean-Christophe Branger et Alban Ramaut (dir.),
Publications de lUniversit de Saint-Etienne, 2006, 26-27.
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situations
10
. On en retient ce qui importe lair du temps dans la mesure
o il ne sagit pas doffrir un reflet fidle de faits de toute faon
insondables quant aux ressorts et principes. En filigrane est donc
revendique la rcupration idologique qui, de faon significative, ne
tient pas compte de lessor du protestantisme par opposition au
catholicisme. Certes, les principes rpublicains prennent ici le masque
protestant. Sans vouloir en chercher un reflet dans lopra qui se borne
dramatiser la rupture avec le catholicisme, il faut cependant rappeler
lappui important que le protestantisme libral apporte lpoque la
politique scolaire et laque de Jules Ferry. Alors, en fonction des
intentions les plus explicites de ses auteurs, quelle lecture idale peut-
on faire dans cette optique dun livret dopra qui parat ptri de
lidologie la plus manifeste, une fois quon a reconnu dans lintrigue
dinspiration historique la trace des enjeux contemporains ?
Une allgorie de la lacit triomphante ?
Henri VIII est une incarnation de la volont politique confronte
deux tats de la France qui saffrontent comme les hrones de lopra : la
France catholique, dsormais aussi peu fconde en ses principes que les
entrailles de Catherine, et impuissante comme elle saffirmer lheure
o la Rpublique simpose comme gouvernement et comme idologie
face la France nouvelle incarne par Anne Boleyn (significativement,
dans un chur du premier acte, le personnage est associ la France o
elle a vcu), ce qui reprend la signification accorde au personnage rduit
pour lessentiel un symbole chez Shakespeare, une femme laquelle il
convient de sattacher avec passion. Une France qui na pas tout fait
rompu avec les principes anciens comme le symbolisent les traces de
lattachement Gomes, lui-mme associ l ancienne figure du pays
dans la mesure o il est le compatriote de Catherine. Une France qui doit
donc compter avec la rigueur des principes rpublicains affirms par le
souverain jaloux : dans son air du deuxime acte Reine ! Je serai reine
! , la belle Anne chante un peu trop les sductions de la gloire pour ne
pas mriter une leon dhumilit. Quant la France catholique, elle
sefface avec grce de la scne politique sans chercher noise lordre
nouveau. Catherine meurt en brlant les lettres compromettantes pour la
nouvelle souveraine.
Lecture idale , on la dit, un peu trop conforme aux principes de
base. Bien entendu, plusieurs choix faits par les auteurs la corroborent,
commencer par la place rduite concde aux personnages
decclsiastiques : on coupa mme lair du lgat du Pape pour mieux en
faire une simple figure oppose celle du roi, lequel refuse de sentretenir
avec cet ambassadeur lexcommuniant en quelques rpliques sans grand
10
Ibid., 114.
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relief dans le tableau du synode. Par ailleurs, lopra se place sous la
tutelle de lanticlricalisme verdien tel quil saffirme dans Don Carlos,
modle vident avec la rfrence subreptice au peu sympathique Grand
Inquisiteur. Ajoutons qu la fin du tableau du synode, le roi en appelle
au peuple pour lgitimer sa dcision, ce qui est le principe de la
Rpublique. Mais les choses ne sont pas si simples... Son uvre chappe
Saint-Sans, et probablement de faon concerte.
Notons dabord que le dchiffrage propos nest pas explicitement
reconnu par les contemporains qui critiquent souvent la construction
dramatique et notamment ce fameux tableau du synode, gnralement
considr comme ennuyeux, alors quil est le pivot de la pice si on
lexamine sous langle politique et idologique. Edouard Nol et Edmond
Stoullig voquent encore des discussions antiscniques et antimusicales au
premier chef
11
. Le propos idologique ne soulve pas ipso facto
lenthousiasme esthtique ! Mais plus encore, ce sont certaines donnes
qui apparaissent peu compatibles avec ce propos allgorique ou qui
du moins en nuancent fortement la porte. Le caractre du roi pose
problme. Le reprsentant des principes laques fait leffet dune brute
tortionnaire. Qui donc commande quand il aime ? chante-t-il. Mais la
torture morale laquelle il soumet Catherine nen est pas pour autant
bien honorable et Saint-Sans lui-mme prend ses distances par rapport
son personnage. La malheureuse souveraine rpudie attire bien
davantage la sympathie, ce qui peut savrer gnant pour un personnage
reprsentant au premier regard la France catholique et traditionnelle...
Comment venir bout de ces contradictions ?
Les limites dune allgorie
Remarquons tout dabord que les aspects de luvre exhibant
lidologie officielle ont t vite effacs : on supprime le fameux
tableau du synode lors de lExposition universelle de 1889. Cest lanne
o Jules Ferry assure souhaiter la pacification religieuse. Du reste,
lattitude pontificale lencourage en ce sens puisque, en 1885, dans
lencyclique Immortale Dei, Lon XIII a rappel la responsabilit de ltat
et de lglise dans leurs domaines respectifs. Le tableau en question
aurait fait office de provocation dplace, surtout un moment o
lEurope accourt Paris. On le rtablira en 1909, priode brlante en ce
qui concerne la lutte entre lEtat laque et lglise : cette anne-l, une
lettre collective des vques de France dnonce lintolrance religieuse de
lcole publique. Il nempche que luvre montre sa capacit
saffranchir du message idologique initial voulu par le livret pour faire
place aux seuls tourments intimes. Plasticit opportuniste ? On connat la
11
Ibid., 8.
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fameuse (et souvent critique) thse de Jane Fulcher
12
, selon laquelle les
crateurs des grands opras de la premire moiti du XIXe sicle ont bti
leurs ouvrages de faon ce que leur smantisme flou en fasse le reflet
des options idologiques les plus diverses. Cela semble discutable au
niveau des intentions conscientes des crateurs. En revanche, les
reprsentants tardifs de cette esthtique comme Henri VIII ou Le Cid
(1885) de Massenet entendent dlivrer un message clair et univoque dans
un contexte daffirmation politique et idologique : dfense de la lacit
pour Saint-Sans, esprit revanchard pour Massenet. Or ce que dit Gilles
de Van dans son ouvrage Verdi, un thtre en musique sapplique aussi
bien aux ouvrages du compositeur italien qu un musicien comme Saint-
Sans lorsquil dit : La recherche en priorit dun climat motionnel laisse peu
de place au dbat dides complexe ou articul mais donne une rsonance affective
trs grande des attitudes qui, sans tre explicites ni parfois mme trs claires,
rencontrent le consensus du public
13
.
Il faut donc admettre que la volont de faire dun opra le vecteur
dun message idologique quel quil soit reste une opration bien
labile, sinon une vritable gageure - mme sil ne faut pas sous-estimer la
capacit du systme dopposition entre communauts ethniques ou
religieuses
14
reflter facilement tous les conflits sociaux et idologiques,
comme le rappelle Michel Faure
15
propos de Samson et Dalila o
lopposition entre Juifs et Philistins autorise de multiples identifications
aux courants dopinions divergents. Et comment en attendre plus lorsque
lon sait quun des deux librettistes, Lonce Dtroyat, fut au service de
lEmpire, en tant que chef du service militaire de Maximilien, devint
directeur du journal bonapartiste La Libert pour se rallier enfin la
Troisime Rpublique tout en gardant ses convictions initiales ? Puisque
les catgorisations idologiques ne sont pas strictement dfinies en cette
priode daffirmation de la Rpublique, on ne saurait donc exiger des
uvres dart une grande rigueur idologique. Bref, si la Cour est
britannique, lauberge est espagnole : dans le cas dHenri VIII, lattitude
du roi doit tre lue en fonction de la prsence ou non du tableau du
synode. La dcision du souverain de rompre avec Rome allgorise tout au
plus la souverainet de la Rpublique laque et amne considrer son
attitude dans le tableau final comme une simple exigence de fidlit aux
principes rpublicains. Lexcution de Buckingham apparat a posteriori
comme une manifestation dintransigeance dans un contexte dintrigues
12
Le Grand opra en France: un art politique 1820-1870, Paris : Belin, 1988.
13
Gilles de Van, Verdi. Un thtre en musique, Paris : Fayard, 1992, 184.
14
Systme dopposition essentiel dans la dramaturgie du grand opra. Voir La Juive (1835)
dHalvy ou Les Huguenots (1836) de Meyerbeer.
15
Michel Faure, LInfluence de la socit sur la musique, Paris, LHarmattan, coll. Univers musical,
2008.
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de cour, de sorte que les courtisans, montrs comme obsquieux par
les didascalies et usant dun ton mielleux , prennent lallure de
reprsentants de lopposition, finalement moins clairs que le peuple qui
soutient le roi grands cris lorsquil rompt avec lautorit pontificale
16
.
laudition du finale, on peut alors songer la phrase que Gambetta
prononce en aot 1877 lors de la crise lie lattitude autocratique du
prsident Mac-Mahon : Quand la France aura fait entendre sa voix
souveraine, il faudra se soumettre ou se dmettre ... Mais il est loisible de
penser par ailleurs la dimension autoritariste (et laque) du jacobinisme
revendiqu par un bonapartisme en dclin, dont Lonce Dtroyat trouve
peut-tre exprimer ainsi une part de lidal, si lon se souvient que le
prince Jrme, dit Plon Plon , tait anticlrical et dmocrate.
Vers une morale dinspiration chrtienne
Cela dit, si le contexte politique est mis en retrait au profit du seul
drame intime, la figure du souverain ptit dcidment dune apparence
gnante de cruaut. Or la valorisation des qualits morales de Catherine
dAragon, reprsentante du catholicisme, maintient peut-tre de faon
paradoxale le discours idologique du drame tout en permettant celui-
ci de dpasser ses principes premiers au profit dune plus grande
universalit du propos. Dans la scne finale, la reine se refuse livrer au
roi les lettres qui compromettraient dfinitivement Anne Boleyn, en une
attitude conforme aux principes moraux chrtiens, dans le respect dune
des trois vertus thologales, savoir la charit. La Rpublique rcupre
son compte les valeurs chrtiennes pour fonder sa propre morale. Certes,
lpoque, conformment au dogme laque de la libre-pense, il nest de
bon rpublicain quadversaire dclar de lEglise. Mais il faut se souvenir
que, dans la ligne de Victor Cousin et Charles Renouvier, les
anticlricaux de la Troisime Rpublique ont cherch tablir un courant
spiritualiste fond sur une morale aux fondements non religieux.
La volont affirme de rompre avec le substrat religieux de la
morale nempche pas dans les faits que la foi laque entretient bien des
similitudes avec le dogmatisme chrtien autant quavec les qualits
spirituelles attendues du catholique. Cette absence de solution de
continuit entre la tradition morale chrtienne et laffirmation
spiritualiste laque est tout fait sensible lorsquon considre lattitude de
lanticlrical Jules Simon. Dans le contexte des dbats sur la lacit
scolaire des annes 1880 et 1881 (expulsion des jsuites, limination des
membres du clerg du Conseil Suprieur de lInstruction publique,
imposition dune instruction morale et civique...), il dclare quon na pas
le droit dimposer une doctrine quelconque, en mettant ainsi laccent sur
les excs dun nouveau dogmatisme spirituel, et va jusqu blmer, contre
16
Le journal Le Cri du Peuple est dailleurs fond par Jules Valls en 1883.
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toute attente, la conception dun enseignement moral sans fondement
religieux... Saint-Sans lui-mme ntait pas exempt de ces contradictions
apparentes : Romain Rolland, dans le portrait quil en fait dans Musiciens
daujourdhui, rappelle les propos de ce musicien athe, dclarant dans son
essai Problmes et Mystres (1894) que les vertus chrtiennes ne sont pas
sociales . Mais lcrivain souligne aussi, autant propos des principes
spirituels que des conceptions esthtiques de lhomme : Il veut que
lesprit ait le droit de changer ; au besoin de se tromper. Lesclavage dune vrit
impose lui semble pire quune erreur sincre, commise librement
17
. Les
choses ne sont donc pas aussi tranches quelles le paraissent, et lopra
de Saint-Sans parat ainsi mettre laccent sur une certaine continuit
dans laffirmation de principes moraux essentiels, dans la mesure o,
pour citer encore Romain Rolland, Saint-Sans cherche dans la Nature
seule les bases dune morale et dune socit
18
. Et du reste, dix ans aprs la
cration dHenri VIII, dans son roman Le Mannequin dosier, Anatole
France, observateur toujours lucide de son temps, insistera sur labsence
de clivage rel entre morale laque et morale chrtienne lorsquil fait dire
son hros M. Bergeret : Vous ntes spars des clricaux que par des
opinions. Vous navez pas une morale opposer leur morale, pour cette raison
quil ne coexiste point en France dun ct une morale religieuse et de lautre ct
une morale civile
19
. Lattitude de Catherine dAragon apparat en
dfinitive comme un vritable modle spirituel pour Henri VIII, symbole
un peu embarrassant, impos par le projet dramatique, dune Rpublique
laque montre comme trop violente et rigide. Mais les reprsentants de
la lacit rpublicaine ne croient-ils pas la perfectibilit indfinie de
lhomme par un enseignement clair ? Il vaut mieux sappuyer sur ce
principe car les didascalies de la cinquime scne du premier acte,
constitue par un dialogue du couple royal, voquent le ton hypocrite et
la feinte bonhomie du roi, qui regardera froidement le cadavre de
Catherine la fin de louvrage... Le premier acte sachve par ces paroles :
Ddaigneux de lamour, il rgne par leffroi . Cela ne revient-il pas dire
que laffirmation souveraine de la Rpublique et de son principe laque
doit trouver son quilibre ?
Le palimpseste verdien
En fait, il semble plus juste de considrer lusage matriciel du Don
Carlos de Verdi comme le vritable arbitre dans la dlicate interprtation
du discours de cet opra et le moyen de saccommoder dune dimension
idologique finalement aussi encombrante que compromettante pour la
prennit de louvrage bien plus affirm dun point de vue de
17
Romain Rolland, Musiciens daujourdhui, Paris : Hachette, 1908, 89.
18
Ibid., 89.
19
Anatole France, Le Mannequin dosier, Paris : Le Livre de Poche, 169.
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lengagement politique, Etienne Marcel ne fut significativement jamais
repris Paris. La dispositio musico-dramatique dHenri VIII rgie par le
palimpseste verdien lui assure paradoxalement lessentiel de son
indpendance par rapport des principes mis prioritairement en avant
par les seules intentions du livret. On a beaucoup glos sur lacadmisme
de Saint-Sans en matire de composition lyrique. Disons plutt que cest
un habile rcuprateur de formes : au moment o le compositeur et ses
librettistes conoivent Henri VIII, le Don Carlos de Verdi est une uvre un
peu oublie en France o elle na pas t reprise depuis 1869. Sen inspirer
tait cohrent sur le plan idologique dans la mesure o le musicien
italien y revendiquait clairement son anticlricalisme. Certes, Saint-Sans
recycle un opra qui adoptait le moule surann propos par une
esthtique en dclin, mais, avec le concours de ses librettistes, il ladapte
en fait assez habilement en exploitant sa manire les lignes de force de
la composition de Verdi de faon donner une rsonance nouvelle aux
formes adoptes par son modle. Ainsi, en se gardant de dmarquer
laffrontement priv entre Philippe II et le Grand Inquisiteur, Saint-Sans
vite de se mesurer trop ouvertement au gnie dramatique verdien, mais
surtout il dplace laltercation entre pouvoir politique et pouvoir
religieux dans la sphre publique, avec lavantage de faire intervenir le
peuple propos, comme lexige la nouvelle donne dmocratique du
moment. Cette recontextualisation sinspire de la scne de lautodaf o
Verdi montrait la fois lcrasement politique dune minorit, celle des
Flamands revendicateurs (et protestants !), et loppression exerce par le
catholicisme : le tableau du synode renverse ces perspectives en montrant
un catholicisme dfait et un unanimisme politique et triomphaliste de
bon aloi et si dans la scne de la prison Don Carlos, le peuple, toujours
imprvisible, courbe lchine sous linjonction de lglise, dans Henri VIII,
il a le bon got de se soumettre au chef dtat sans prendre la figure du
monstre socialiste redout par la bourgeoisie rpublicaine. Quoi quil en
soit, on est pass du tableau objectif des travers de lalliance entre
ltat et lglise voulu par Verdi une affirmation dmonstrative qui
semble renouer avec les clats sans nuances des premiers opras
patriotiques du matre de Bussetto. Et comment stonner quon se
dbarrasse au passage de toute dimension transcendante ? Il nest pas de
spiritualisme laque qui tienne, aucune Voix den haut ne se fait entendre
in fine, la malheureuse Catherine devant compter sur ses propres forces
terrestres pour susciter la compassion il est amusant de constater que le
plus consensuel Massenet, attentif exploiter les frissons de la religiosit,
nhsitera pas, quant lui, faire entendre la voix de Saint Jrme dans
Le Cid...
Mais par ailleurs, Don Carlos est lopra de Verdi o se font le
mieux entendre, et avec le plus de nuances, les contradictions et les
dchirements de lindividu dans sa confrontation avec les exigences
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publiques. la lumire verdienne, revoyons en appel la cause de ce
malheureux Henri VIII : son air Qui donc commande quand il aime est un
pastiche vident de lair de Philippe II Elle ne maime pas dans lequel le
roi vieillissant mdite dun ton lancinant sur sa solitude affective, en
voquant la fois la douleur des premires dceptions et la perspective
de sa mort. Le texte et la musique de lair chant par son homologue
anglais mettent plutt laccent sur son ardeur et sa vitalit : cruel sans
doute, mais ardent, voire juvnile et dsireux de reconnaissance
sensuelle. Vivre, exil de soi-mme, ayant des caprices pour loi , chante-t-il.
Voil qui vient pour le coup conforter la lecture allgorique initiale : le
pouvoir et la France, sa matresse, doivent vivre en accord parfait, sans
les dissensions, les atermoiements et les dchirures des passions
politiques, travesties ici en passions charnelles. Mais tandis que Philippe
II se rachte dans le quatuor du quatrime acte de Don Carlos en
regrettant davoir malmen lisabeth, Henri VIII prte le flanc la
critique en faisant preuve de violence morale dans le finale de lopra.
Quitte cder en termes de compassion et de regret, le volontarisme
rpublicain saccommode bien dune attitude blmable pour autant
quelle se fonde dans une thermodynamique des passions puisant dans
lhritage rvolutionnaire sa force dimpulsion. Cest aussi reconnatre
limportance des passions personnelles dans la mene des affaires
sociales.
En revanche, le personnage de Catherine dAragon hrite sans
grands changements du profil musico-dramatique dlisabeth. On
retrouve dans sa dfense, pendant la scne du synode, et son air du
dernier acte ( O cruel souvenir ) lthos nostalgique et douloureux de la
reine dEspagne. Il lui revient dassumer le rle de bouc missaire
supportant les consquences du dferlement des passions et des tensions
de toutes sortes. Cest l un principe majeur de la dramaturgie lyrique du
XIXe sicle qui, en une sorte de compensation disculpante, valorise les
victimes sacrifies aux exigences idologiques de lheure. Du reste, en
tant qupouse, Catherine doit reflter les vertus un peu masochistes
attendues de la femme marie, quelle ait dfendre une morale
dinspiration religieuse ou bien laque. Mais la suite dlisabeth, sa
nostalgie et son sacrifice final montrent assez que la femme ne peut tre
sur la scne le dfenseur nergique dune cause, par exemple celle du
catholicisme : son obligation dendosser lessentiel de la dimension
motive de luvre nen peut faire un vritable adversaire dialectique. Ici,
les soupirs exhalant sa nostalgie reprsentent une tendance rgressive,
certes honorable en tant que contrepoids aux forces ravageuses du
dynamisme laque, mais tmoignant, comme dans Don Carlos, de
limpuissance lutter contre le cours des choses. Il ne reste la femme
qu rester confine dans le hors-temps de la vertu bourgeoise dont on
a rappel quelle transcendait toute notion de religion ou de lacit. Mais
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de faon plus gnrale, cela ne rappelle-t-il pas que ce sont les souffrances
et les sacrifices imposs lhumanit au cours de son Histoire qui
mritent avant tout lattention ? Puisque lessentiel de la dimension
motionnelle de louvrage est concentr sur le personnage de Catherine,
que son parcours dramatique et sa caractrisation musicale assimilent la
figure christique, le pessimisme verdien face une Histoire qui broie les
tres semble contaminer insidieusement lopra de Saint-Sans.
Lhumanisme chrtien, contenu dans les formes dramatiques et, surtout,
dans la musique, estompe la porte des enjeux initiaux de louvrage dont
il transcende le message idologique simpliste.
On a pu prendre toute la mesure des difficults que soulve la
lecture idologique dune uvre telle que Henri VIII, caractristique des
proccupations de son temps mais regimbant se conformer tout fait
la doxa laque. Au terme du parcours, il semble lgitime de penser que,
loin dtre le pendant du conformisme idologique, lacadmisme de
Saint-Sans, rput peu novateur en matire dart lyrique, apparat
paradoxalement comme une conscience suprieure des ressources
offertes par les formes musico-dramatiques en matire d ouverture de
propos et dambigut fconde.
Bibliographie slective
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Rpublique , dans Opra et religion sous la Troisime Rpublique, Jean-
Christophe Branger et Alban Ramaut (dir.), Publications de lUniversit
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FAURE Michel, LInfluence de la socit sur la musique, Paris : LHarmattan,
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Belin, 1988.
SAINT-SANS Camille, cole Buissonnire, Paris : Pierre Lafitte, 1913.