La Contingence: Le Maillon Entre L'irréversibilité Du Temps Et Le Mal
La Contingence: Le Maillon Entre L'irréversibilité Du Temps Et Le Mal
La Contingence: Le Maillon Entre L'irréversibilité Du Temps Et Le Mal
LA CONTINGENCE :
LE MAILLON ENTRE L’IRRÉVERSIBILITÉ
DU TEMPS ET LE MAL
דניאל ב
3
INTRODUCTION
Ces trois pôles de la questions son étroitement liés, et pourtant ce qui les
distingue l’un de l’autre est ce par quoi la liaison se fait ; ils sont : le devenir (le
temps), le mal et ce qu’on pourrait appeler nécessité – liberté – contingence
(c'est-à-dire, le « oui ou non »). Ces mots ne sont que des étiquettes, et c’est
pourquoi la question posée plus haut constitue tout le programme du présent
essai ; chaque aspect de cette question est donc un point de départ pour notre
enquête. Mais dans chacun de ces trois cas nous aboutirons à une double
considération : tout d’abord celle du rôle de l’homme comme faisant partie de la
nature et non pas comme point de vue extérieur, et d’autre part celle de la
capacité de l’homme à voir au-delà de lui-même. En rapprochant ces trois
aspects nous espérons aboutir à des conclusions nouvelles.
De cette façon, s’il faut expliciter la manière dont le monde se fait lui-
même à partir de ce qui est déjà fait, ou en d’autres termes, s’il faut désigner un
« faiseur d’espace », c’est certainement du devenir qu’il s’agit.
Le temps dans le sens fort que venons de souligner est foncièrement lié à
l’être, temps comme éternité, comme infini et non comme indéfini ; temps qui
porte sur l’être toute sa charge d’évolution. La « question » de Dieu est ainsi
inévitable si l’homme, avec tout ce qu’il est, désire connaître honnêtement sa
propre nature et celle du cosmos, tous les deux, poussés par le passé et tirés par
le futur ; c’est pourquoi aussi la seule attitude que l’homme peut prendre,
compatible avec le Tout, c’est de « vivre » le temps véritable sans prétendre le
8
« voir » en l’englobant sous son regard. Malgré cela, ce qui fait de l’être humain
ce qu’il doit être et qui constitue aussi son devoir, c’est d’avoir le désir de
parvenir à « percevoir » le temps véritable, en sachant que son observation
n’aura jamais de fin, et qu’elle ne pourra jamais tout couvrir ; et cela reste
valable jusqu’au moment grâce à un événement imprévisible, sans savoir ni le
jour ni l’heure, le vrai infini se révèlera tel qu’il est.
2 Voir l’hymne du soir de la première semaine du temps ordinaire dans la Liturgie des heures.
9
« vivre » son temps. Le mal physique qui atteint l’homme est alors le mal
inévitable, conséquence de l’irréversibilité du temps, et du caractère fini de sa
nature (puisque étant plongé dans le temps véritable, elle est d’une certaine
manière sous l’action de l’éternité, qui est infinie). Le mal moral est aussi la
conséquence d’un empêchement, si ce n’est que là, il sera question d’un
dépassement de la raison par elle-même ; donc, c’est un mouvement qui
franchit la frontière fixée par le déterminisme absolu. Puisque l’ego psychique
ne peut pas être schématisé comme la matière, il peut dans un sens faire
abstraction de toute contrainte.
Ici il est surtout question de respecter tout ce que l’homme est, et même
tout ce qu’il n’est pas, quelle qu’en soit la cause ; partant, nous voulons éviter
toute conception qui prétende englober le mystère dont nous osons à peine
parler. Le mots de notre langage avouent leur limites au fur et à mesure qu’ils
échouent à exprimer ce qu’ils veulent. L’homme avec ce qu’il a de beau, de bon,
de sain, vaut infiniment plus que par ce qu’il a de laid, de méchant et de malade.
Pourquoi donc la mort et la souffrance ?
Certes, nous aurons beau écrire des traités entiers sur ces questions, nous
ne parviendrons jamais au bout, c'est-à-dire à la compréhension de toutes
choses. Mais,…, c’est peut-être là que se trouve justement la réponse ultime,
comme en science, arriver à un résultat négatif, ou même à rien du tout, c’est
déjà un résultat en soi (et donc positif). Arriver à comprendre qu’il n’est pas
possible de comprendre, c’est l’écrasement du fini par l’infini, c’est déjà l’attente
de l’inattendu. Vis-à-vis de la souffrance dans la nature, c’est comme si la voix
qui a dicté toute la création venait nous murmurer doucement à l’oreille :
« pardonne-moi ; un jour tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais
maintenant ce que j’attends de toi c’est ton pardon, pardonne. » Et pardonner
signifie vivre le devenir du temps, sans justifier et sans fuir le mal, mais en
l’assumant, non stoïquement, mais en sachant que c’est la seule porte d’entrée
de l’éternité.
Cette expérience qui est en soi sans consolation, celle de la mort, ne peut
ni être justifiée, ni évitée ; elle peut seulement être surmontée ou bien plutôt
absorbée par une autre expérience.
Une expérience qui soit capable d’absorber celle de la mort, doit être
atroce : elle provoque l’horreur, la répulsion, par sa laideur, sa cruauté. Cette
expérience fut vécue dans l’histoire du cosmos ; étant au-delà de la mort, elle
fut d’ordre divin. Elle fut vécue par un Homme, qui s’étant livré Lui-même aux
griffes de la bête implacable et muette, donna la réponse définitive et complète
11
au problème du mal. Lui, le Bien infini fut maltraité et humilié, et Il n’ouvrit pas
la bouche.
Nous partirons d’une remarque faite par Prigogine (1) : dans la science
classique, le concept de « temps » semble un cadre vide qui n’intervient pas
dans la constitution interne de phénomènes. Le concept de « temps » semble, en
ce sens, oublié ou même méprisé. Or, la science contemporaine commence à
sortir de sa torpeur à l’égard du temps ; elle donne de plus en plus à celui-ci
une signification d’intégration. Pour prendre une comparaison, le temps
ressemble à un lubrifiant dans une machine qui baigne le tout, pour permettre à
celle-ci d’avancer à sa véritable cadence.
Cette question interpelle directement la science (qui fixe son but dans la
connaissance du monde) et la philosophie (qui veut comprendre comment
l’homme parvient à la connaissance du monde). Dans cette première partie
nous allons voir premièrement comment les sciences de la nature ont voulu,
pendant des siècles, échapper à la vision du « temps » comme un opérateur
unidirectionnel ; puis il sera question de reconnaître le vrai sens du devenir
dans le cadre des lois de l nature. Il semble alors qu’il faille changer l’image
d’un monde infini et fermé (c'est-à-dire complet et saisissable à la limite), par
celle d’un monde fini et ouvert (c'est-à-dire qui se fait constamment) et qui
permet à ce dernier de parler du devenir. Le premier modèle s’identifie avec le
déterminisme scientifique, tandis que le deuxième le fait avec la raison qui se
demande comment l’univers se fait à partir de ce qui est fait.
des phénomènes irréversibles ; elles ont modifié non pas seulement le langage
scientifique, mais aussi et surtout la façon dont nous voyons le cosmos. Les
présupposés des modèles théoriques du monde (qui veulent garder la validité
des principes de conservation caractérisant les lois de la nature) ont donné lieu
à beaucoup de polémiques, nous empêchant ainsi d’avoir une vision
unificatrice des lois de la nature ; un exemple de ces présupposés est ce que
Maxwell appela volontiers les « explications partielles ». Cependant, c’est la
science de la nature qui a repéré certains aspects du monde qui se révèlent de
plus en plus comme étant fondamentaux dans la compréhension de celui-ci.
Parmi ces aspects, il est certain que l’opposition symétrie – asymétrie joue à
présent un rôle très important ; c’est la physique3, il faut le dire, qui a engendré
les deux pôles du contraste.
« Ainsi les principes qui seront établis dans ce traité (2) portent sur
d’autres résultats encore plus remarquables, lorsqu’ils sont considérés par des
mentalités pleines de prévenance ; et il faut croire que ceci sera vrai par la
noblesse du sujet, lequel est au-dessus de tout autre dans la nature », écrivait
Galilée en 1638, prévoyant par là ce que Newton dirait dans son Scholium des
Principia (3) :
3 En général à chaque fois qu’on parlera de physique, nous voudrons dire la science de la nature,
étant donné que c’est vraiment la fÝsij qui désigne le cosmos et la science.
4 « L’espace absolu dans sa propre nature, sans aucune relation avec les choses de l’extérieur,
n’est pas en vain que Prigogine a appelé le temps la dimension oubliée. Mais,
pourrait-on objecter, quand a-t-on oublié le temps ? n’a-t-on pas au contraire
parlé continuellement de lui depuis l’antiquité ?5
rapporte à soi-même » (8). Donc « inquiétude » est « non – quiétude », différence qui est source
de mouvement.
15
Sans doute, il faut tenir compte du fait que cette présentation du temps
est certainement la plus immédiate, et donc celle qui se présente comme la
première à l’esprit. Cet esprit fait certes un effort pour pouvoir saisir le
comportement de la nature, et cet effort est à son tour minimisé par le biais de
la symétrisation des idées (et même des représentation des choses). C’est
pourquoi nous soulignons tout au long de cet exposé qu’une telle conception
du temps est tout à fait dépourvu de signification topologique, et encore elle
empêche la raison de faire l’acquisition d’un véritable devenir dans le monde,
c'est-à-dire d’une authentique évolution créatrice.
Or, cette complexité était (et l’est encore à certains égards) une aspiration
sincère et honnête à décrire la nature, dans la réalité contingente avec laquelle
elle se présente à nos yeux, et pourtant comme nous venons de le faire observer
il y a une certaine impuissance, comme le dit d’Espagnat, à décrire le complexe.
7Autrement dit, toutes les formes d’échange d’énergie que le système en question a avec son
environnement.
17
C’est même une frustration qui naît vis-à-vis de l’acte de prédire ou de prévoir
la conduite des systèmes dynamiques, dont il a été question plus haut.
Prédire signifie dire d’une manière anticipée ce qui n’est pas encore
arrivé dans la durée, et ceci sur la base des données possédées dans le présent
(autrement, au lieu de la prédiction on aurait la prophétie). La prédiction
comporte un double mouvement :
a) un mouvement d’extrapolation qui présuppose la validité du principe
un question dans l’avenir ;
b) un retour au présent, dans lequel on attend l’avenir en vue de
corroborer l’extrapolation première. Cette façon de voir les choses est peut-être
bien trop simple, mais certainement elle montre ce va-et-vient dont il est
question.
8 Ici, macroscopique ne se rapporte pas forcément à l’idée de grandes étendues dans l’espace de
configurations, mais aux systèmes où les effets collectifs de ses parties ne se manifestent pas ;
voir plus bas.
9 C'est-à-dire où il y a un nombre d’éléments constitutifs du système, et qu’en plus du caractère
où le mot « limites » doit être pris dans en sens fort. Donc, autrement dit, le
théorème – H ne suffit pas pour comprendre l’irréversibilité du temps qui est
plus qu’un sens préférentiel, c'est-à-dire cette irréversibilité est aussi un
principe propulseur de nouvelles structures dans les différents niveaux de
description de la nature.
marquant par là une divergence par rapport, non pas tellement à la flèche du
temps mais à l’opérateur – temps, et ceci malgré les conséquences de la théorie
de relativité générale, comme l’expansion universelle, constatée
expérimentalement par Hubble en 1919.
raison, laquelle est à son tour l’un des dispositifs des plus précieux, sinon le
plus précieux en tant qu’instrument de mesure, et c’est certain que le rôle de
l’homme (surtout comme homme de science) est celui de décrire le monde par
ses mesures. Expliciter les limitations générales introduites par les procédés de
mesure (donc, y compris celles de la raison), constitue un des objectifs
fondamentaux de la physique théorique (15).
description ou termes d’un seul niveau fondamental (tel que les points
matériels de Newton, les monades de Leibniz, ou simplement en termes de
protons, neutrons et électrons) implique une conception dans laquelle la notion
de temps, ou comme nous l’avons déjà vu, du devenir, est éliminée. En d’autres
termes, comme souligne Kojève (19), à partir du moment où la question de la
vérité (ou encore de pseudo – vérités comme on le verra plus tard)se pose, elle
soulève nécessairement la problématique du temps dans son rapport avec
l’éternité, ou avec l’intemporel. C’est ainsi certainement que la philosophie de
Kant insiste la première sur le temps comme étant le sens intérieur, intrinsèque
à l’homme, tandis qu’il confère à ce même temps son caractère spatial à la
manière de Newton.
D’une façon très juste, Hegel à son tour fit voir comment la
mathématique pure est parvenue à altérer la compréhension de la nature, en
oubliant que le temps est une dimension, autant que l’est l’espace :
Cette façon de voir les problèmes liés à l’évolution des systèmes fut trop
vite réduite à une conception qui identifiait l’entropie avec l’idée de désordre.
21
Celui-ci étant maximal (ou plus précisément extrémal)12 lorsque l’équilibre est
atteint, cette conception fait paraître le deuxième principe comme un principe
universel d’évolution. Or, dans l’étude de la nature, on peu constater à peu près
le contraire, c'est-à-dire un monde qui s’auto – organise, et qui ainsi va en sens
inverse de l’évolution vers l’état le « plus probable » ; Bergson concevait ainsi le
temps :
C’est ainsi que les trois niveaux de description que nous avons
distingués, à savoir : la dynamique déterministe de Newton – Einstein, la
thermodynamique de Boltzmann, et le niveau des structures cohérentes (la
biosphère)13, devraient tous les trois pouvoir dépasser la différence existante
entre la physique et la métaphysique, et ainsi parvenir à décrire le cosmos
extérieur à l’homme, en tenant compte du fait que celui-ci en fait partie. (23)
Puisque le temps n’est pas une ligne sur laquelle on repasse, l’étude de
celui-ci nous conduira à considérer la question14 de la liberté, et nous montrera
que celle-ci est équivalente à la question : « le temps est-il de l’espace ? »,
exactement de la même façon dont Hegel a posé le temps comme inaccessible à
la mathématique pure (voir plus haut).
la nier.
15 Les exemples en hydrodynamique, ainsi que dans les réactions chimiques de catalyse,
la nature soit compris dans celle-ci (24). Pouvons-nous dire, dès lors, que notre
but est atteint ?
Les trois niveaux dont nous avons parlé plus haut se montrent comme
étant des éléments nécessaires, mais non point suffisants, pour nous empêcher
de succomber à la tentation réductionniste d’un narcissisme absolu, qui consiste
à nous voir nous-mêmes de l’extérieur. Alors, et seulement alors, la
connaissance devient un véritable processus de la raison qui, loin d’être
prédéterminé, est le résultat d’une construction actuelle et continue (25). Mais
encore une fois, ceci n’est pas la solution, et nous verrons plus tard qu’il nous
faudra encore poser un sorte de devenir, dont nous ne saisissons que la trace,
dans une fuite continuelle et captivante. Lorsque Einstein écrivit à la veuve de
Besso, ajoutant à la fin à propos du temps qu’il est « une illusion, néanmoins
persistante », c’était certainement cet échappement constant qui ne nous permet
pas de saisir le tout (même en puissance) auquel il pensait. Pour lui, perler de
probabilités dans la connaissance, c’est la même chose que faire un réduction à
l’ignorance et non pas à l’impossible. Dès lors, la croyance en un Dieu de
rationalité souveraine qui s’identifie avec la nature ne permet plus de parler de
création libre ni de contingence. Autrement dit, Einstein croyait au Dieu de
Spinoza, ce Dieu, Spinoza pense pouvoir le définir :
16 Ici « sens commun » n’est pas forcément le « bon sens » comme affirme naïvement Ch.
Perelman.
17 Un exemple très illustratif, dans le cadre de l’hydrodynamique irréversible se trouve à la
référence (28).
23
Alors il es clair que la symétrie est totale, et que la nature ainsi étudiée n’est
qu’une projection commode pour la pensée, et qui fait aussi de la physique, ou
plutôt de son objet, quelque chose dépourvu de signification réelle ; par
conséquent, l’existence concrète de phénomènes de la nature tend à s’évanouir
ainsi en fumée algébrique19 (31). Ainsi la causalité tend asymptotiquement à
l’identité ; en d’autre termes on a ici la nécessité qui, pour Spinoza (et dans un
sens pour Descartes), était le lien indispensable entre la série des phénomènes
dans le temps et l’unité divine. Sur ce point donc, le présent ne peut se
rapporter qu’au présent (nécessité logique entre la cause et l’effet), et le
caractère agissant du temps est ainsi annulé.20
18 La durée est l’attribut sous lequel nous concevons l’existence des choses créées en tant
qu’elles persévèrent dans leur existence actuelle. Il faudrait comparer avec la conception
cartésienne de la durée : « … nous pensons seulement que la durée de chaque chose est un
mode ou une façon dont nous considérons cette chose en tant qu’elle continue d’être ». C’est là
le connatus de Spinoza (30).
19 Voir par exemple le résumé que Spinoza fait de la physique dans Éthique II.
20 Voir prop. 30 Eth. II où Spinoza déclare que même Dieu ne peut pas posséder une
Pour dire la même chose d’une autre manière, c’est bien le Tout qui doit
intéresser et la physique et la philosophie, mais sans vouloir dire que Tout
signifie Figé (soit dans l’espace, le temps, la phase, ou n’importe quelle
dimension), et c’est uniquement comme cela que devenir peut être pris dans un
sens fort.
Employant les termes de Levinas (34), cette totalité est brisée dans
l’asymétrie entre le Même et l’Autre ; le Même (i.e. psychologique – contingent
– effort) va vers l’Autre (i.e. phénomènes extérieurs – nécessaires – causalité
extérieure), et pas le contraire23. Outre cette non – équivalence entre le va et le
vient, l’irréversibilité doit s’ancrer dans le rapport entre le Même et l’Autre,
précisément parce que radicalement séparés ; autrement la distance entre eux se
trouverait comblée et alors ce serait le déterminisme spinoziste, et par
conséquent le devenir perdrait toute signification possible. Nous pouvons voir
ainsi à partir de ceci que l’opposition entre déterminisme et devenir n’est
qu’apparente ; il s’agit plutôt de voir que c’est le premier qui dans sa réduction
cache le deuxième. Comment donc faire pour que l’activité de la raison se
trouve prise dans ce devenir ?
Nous venons de voir que l’existence d’un connexion entre les idées et les
choses est indispensable pour que la raison tienne compte d’elle-même en
décrivant le cosmos. Spinoza est le premier à être conscient de ceci (v. prop. 7,
Eth. II), mais malheureusement, cette connexion est une conséquence évidente
21 Effort est compris ici comme une sorte d’intentionnalité à la Husserl, et qui laisse la possibilité
réconciliateur.
23 Pour Levinas, Autre et autrui sont équivalents ; nous voulons ici lui donner un sens plus large.
25
Comme il est dit d’une façon fort juste par Spinoza même, ce que nous
appelons « lois universelles de la nature » est dicté par l’esprit de l’homme et
non pas forcément par la nature elle-même (35) ; néanmoins cet esprit se trouve
indépendant de ces lois, tout en étant lui-même sujet d’une lois nécessaire, En
plus, la connaissance de l’enchaînement des causes (que d’ailleurs nous
ignorons) dans le devenir, dit-il, ne nous est d’aucune utilité pour l’ordonnance
de nos pensées relatives aux choses particulières.
La première remarque s’accorde for bien avec ce qu’on avait déjà dit
auparavant, c'est-à-dire que la physique (ou ce qu’on appelle la science de la
nature) se déploie seulement dans la raison ; toutefois comment, avec ce qui est
fait, reconstituer ce qui se fait ? Voilà une question qui échappe complètement à
la pensée déterministe, qui veut s’intéresser à l’ordonnance de nos pensées
relatives aux choses particulières, sans tenir compte du devenir ; mais, cette
ordonnance hélas se fait elle aussi dans le temps ! Ou en d’autres termes, elle se
fait, c'est-à-dire elle devient.
Ici nous entrons dans la vraie dynamique du temps, celle qui doit
considérer tout le bagage du passé et l’attente de l’avenir, dans la simultanéité
qui s’appelle présent. C’est pourquoi une phrase comme celle-ci :
Voir ceci comme un point de vue pessimiste serait une grave erreur ; le
facteur de surprise, loin de signaler la défaite à venir, marque le possible qui
signifie le total constamment provisoire, jamais identique à lui-même ou
évoluant d’une manière discrète, mais plutôt perpétré et continué.
Est-ce qu’il n’y a pas d’issue possible dans la description du cosmos qui
permette de regarder l’univers tout en tenant compte de l’observateur qui en
fait partie ? Nous savons maintenant qu’une telle question équivaut à celle-ci :
pour pouvoir garder les caractères directionnel et agissant du temps (i.e. du
devenir), donc en opposition avec toute vision « nécessitariste » du monde,
faudra-t-il adopter par conséquent un point de vue purement contingent de
celui-ci ?
Mais on verra plus loin que ceci n’est qu’un côté du problème de la
liberté ; d’autre part il y a aussi cette persistance du devenir. Mais, ne pourrait-
on pas dire qu’on ne soulève rien de nouveau par rapport à ce qu’on a déjà
traité dans la première section ?
autre description qui envisage ce même monde comme purement contingent sans laisser
aucune place à la nécessité.
28
27 Ici nous identifions le modèle avec l’analogie, car nous pensons qu, en effet, l’analogie du bas
de Jacobi peut être exploitée plus systématiquement qu’il ne le fit lui-même ; tout en sachant,
bien entendu, les grandes limitations que toute analogie comporte.
29
autrement, ou pas du tout. Or, savoir ceci n’ajoute et n’enlève strictement rien à
la connaissance actuelle (i.e. présente) de la chose. Autrement dit, il existe une
contingence (de la chose en question) mais dans le passé. Comme nous verrons
plus tard, cette contingence dans le passé ne prend son vrai sens que dans le
devenir.
Plus loin 31 , Spinoza dira que la durée n’ajoute rien à l’existence des
choses (c’est une autre manière de parler de la contingence dans le passe). Ainsi
une différence radicale est établie entre la nécessité première qui dérive de
l’essence (infinie), et de la nécessité seconde (« nécessité contingente ») qui
dérive de la série des causes secondes.
i – 1) Saint – Thomas
Dans le texte qui suit (47) nous pouvons constater que les idées
spinozistes ne sont pas très éloignées de celles de St. Thomas. Ce dernier dit :
Ceci peut sembler fort juste, mais on aurait alors une image assez
restreinte de la science (et surtout de la physique), qui se trouverait
complètement incapable de faire connaissance des événements particuliers ;
tout au plus elle aurait un langage purement statistique, qui n’observerait que
la moyenne des événements, sans garder par conséquent un rapport avec la
réalité physique ; une telle science aurait, semble-t-il, un langage muet. Mais il
faut constater que cette erreur apparente découle d’une part du fait de
considérer les choses, soit comme purement nécessaires, soit comme purement
contingentes ; et d’autre parte de l’ignorance de l’existence de ce qu’aujourd’hui
nous appelons phénomènes stochastiques (qui néanmoins gardent un lien avec
la statistique), c'est-à-dire des phénomènes aléatoires (ce qui ne signifie pas de
hasard).
Comme on l’a souligné plus haut, c’est l’ego psychique de Husserl qui se
présente au point de départ d’une telle genèse ; et à juste titre on doit
constamment questionner nos esprits pour nous rappeler ces trois points de vue.
Il ne faut pas négliger que cet ego psychique est identifié précisément avec
l’âme. Comme Bergson dit aussi à son tour :
ainsi que :
donc les lois « nécessaires contingentes » ont de l’emprise sur ceux-ci ; c’est
pourquoi l’âme les englobe, mais elle-même ne peut être englobée ni par les
réalités psychiques, ni par les réalités chosiques. C’est pourquoi l’affirmation de
Spinoza :
ne tient compte que d’une vision trop simpliste du cosmos et de ses lois36 :
comme on verra plus loin, l’apparition de toute nouvelle structure est exclue.
C’est oublier que
Notons ici que cette façon de voir les choses est évidemment limitée à
l’esprit de l’homme, tout comme le petit « ver vivant dans le sang et qui serait
capable de discerner par la vue les corpuscules du sang, de la lymphe, etc. » (59).
L’ignorance, c’est de l’oubli en puissance.
De cette manière, chaque niveau de réalité est ouvert vers les niveaux
supérieurs, et relativement fermé (tout comme un verre semi – transparent) aux
niveaux inférieurs. Remarquons aussi qu’en agissant ainsi, nous effectuons une
rupture de symétrie. Est-ce là à vrai dire une impasse de la nature ? En tout cas
il est claire que c’est l’ignorance qui devient oubli, et jamais le contraire ; nous
nous pouvons rien y faire, et c’est là une autre manière d’exprimer ce que nous
voulions dire dans la première partie, lorsque nous parlions du caractère
opérant du temps.
38Encore une question qui mériterait un traitement bien plus prolongé ; mais ici nous
comprenons par la limite microscopique le zéro absolu, et par limite macroscopique la vitesse
de propagation de la lumière.
35
39 Ici, « parallèle » est un mot tout aussi inadéquat que dans la proposition 7, Eth. II de Spinoza,
car si bien que le parallélisme dénote une covariance de deux ou de plusieurs choses, il
impliquerait aussi un empêchement à se toucher ; or, nous voudrions souligner que les deux
objets du parallélisme se déplacent ensemble.
40 On pourrait dire, le « sommet », mais comme on le verra dans la section sur le devenir, cet
édifice n’est pas achevé, et l’esprit de l’homme se déplace dans son élan d’évolution.
41 Voilà le paradoxe.
36
et dans cette simultanéité étonnante du présent, on peut dire que d’une manière
figurative les contraires coexistent. Ainsi, cette connaissance pure est au
croisement de l’ignorance et de l’oubli ; ce « faiseur » d’espace est à la jonction
de l’espace à faire, et de l’espace fait. De sorte que le processus de
« coincement » du présent l’amène vers un éclatement dans l’espace et dans
l’oubli.
i – 4) L’éternité.
Le temps (i.e. le présent) est continu par nature ; tout langage est par
contre discret, c'est-à-dire discontinu (aussi bien les langages naturels que les
langages artificiels) (61). Mais, de fait lorsque nous regardons de près ceci, il
37
semble évident que si le langage est discret, c’est parce qu’il obéit à une nature
dont le comportement est « fixé » par la contingence de ses lois.42
42Simplement le caractère fini, limité du corps impose déjà des restrictions à la communication
avec d’autres corps par le moyen d’un langage. Le cerveau fait partie du corps.
38
ii – 1) Spinoza
« Dire » Dieu signifie aussi bien annoncer la définition de Dieu que tenir
compte de la portée d’une telle définition. Ici nous ne faisons aucune distinction
entre Dieu et dieu (64). Dans le second cas, dieu est un mot borné comme tout
mot ayant une signification propre ; par contre, Dieu implique déjà qu’on a
traversé un miroir en disant l’indicible.
Or, nous ne faisons ici aucune distinction entre les deux mots étant
donné que nous allons nous concentrer brièvement sur l’aspect de l’infini qui
apparaît dans la question de Dieu. Il est fort possible que nulle part ailleurs
nous ne puissions trouver une conception de Dieu aussi « tranchante » que celle
qui est donnée par Spinoza (voir sa définition plus haut) : « … un être
absolument infini… » (65) ; une explication vient immédiatement faire le point
justement à l’égard de cet absolument infini. Cette précision signifie que cet être
ne peut pas être limité par une autre chose de la même nature. La proposition
21, Eth. I dit :
Dès lors, puisque l’attribut est infini en son genre ceci se réfère aussi bien à
l’espace qu’au temps (en tant que mode infini). C’est ici qu’on peut faire le lien
avec ce qu’on vient de voir dans la section précédente, c'est-à-dire avec la
nécessité, la contingence et le présent.
échoue en voulant saisir ce qui se glisse entre ses doigts. Pourquoi ? Parce que
éternel n’est pas la même chose qu’éternité. Il y a là une différence d’ordre
ontologique ; c’est pourquoi Spinoza fait de Dieu un être absolument infini.
Alors en conséquence nous invoquons toute la métaphysique de l’être, et
notamment celle de Saint-Thomas, mais pour qui c’est précisément l’être qui se
révèle mystérieux, c’est le mystère même ; et une bonne partie de la Somme
Théologique est consacrée à le montrer.
Donc, la définition spinoziste de Dieu est très loin de définir Dieu ; elle
est à l’origine par contre, d’une vision statique du temps véritable (présent). La
confusion ontologique dont nous parlions plus haut, est ainsi plutôt heureuse,
car de cette façon l’aspect non – cognitif de la substance demeure.
ii – 2) Mysterion.
L’infini est obscur, et tout ce qui est clair est du fini. Lorsque le canon de
l’infini est actionné, il recule ; c’est là le prix qu’il faut payer pour pouvoir
laisser la place à la métaphysique de l’être ; et c’est ce même prix qui a été payé
par Spinoza. Celui-ci a dû dédoubler la connaissance de Dieu (i.e. soit en tant
qu’entendement infini, soit en se finitisant à l’infini), et de même pour le
parallélisme entre les idées et les causes (ou choses)43. Autrement dit, Spinoza
est obligé de sacrifier le temps au profit de l’éternité (67). D’une manière plus
précise, nous dirions que de fait il n’est gardé que le seul temps véritable, c'est-
à-dire le présent ; seulement en confondant éternité et éternel, Spinoza fixe
l’infini en l’identifiant avec l’immuable, et ainsi le temps perd son activité.
De toute façon, dans ce contexte il nous est montré une porte d’entrée à
la connaissance authentique. Malgré le fait que l’âme n’est qu’obscurité pour
elle-même (et ici nous identifions obscurité avec infini), les degrés du savoir
peuvent (et doivent) s’élever dans un mouvement tendant à l’infini comme
connaissance pure. C’est alors que s’effectue un retour à la question du choix,
puisque, comme nous l’avons déjà vu, les chaînes du nécessaire et du
contingent se rencontrent dans l’acte de « choisir », ou dans l’acte de « tricoter »,
bref dans le gouffre de l’infini ; mais c’est là l’activité propre de l’âme. Cette
activité consiste en la connaissance des causes (internes)44 des lois de la nature
(lois divines) 45 ; alors, et uniquement alors nous les saisissons comme des
vérités éternelles. En d’autres termes, l’obéissance fait place à l’amour (68).
Il est clair que toutes ces considérations concernent tous les modes finis,
parce que essentiellement éternels. Par conséquent, nous constatons que
soulever la question du temps, la question du choix, nous ramène
immanquablement à penser à l’éternité, et à la questions de savoir si « dire »
Dieu est souhaitable. Nous avons vu aussi, que dans un système philosophique
comme celui de Spinoza46, englobant ou plutôt ayant la prétention d’englober le
Tout, il y a des « fuites » inévitables. Alors, Dieu ainsi défini, n’a rien de tout
transparent à la raison, il est vie incessante, action, liberté, et portant le mystère
reste ; obscurité, certes, mais bien réelle ! Même l’intellection prétendant boucler
sur elle-même se fuit, s’échappe à elle-même, à cause de l’action du présent, qui
est donc loin d’être figée. Par cette action, l’homme avec tout le cosmos est pris
dans le mouvement de l’éternité, ouvrant ainsi la porte à celui qu’on appelle
Dieu.
Ce qui reste à faire donc, c’est garder le mot Dieu comme l’expression
souverainement imparfaite de ce qu’il veut réellement dire, mais qui pourtant
nous laisse la possibilité de parler du devenir et du choix, aspects tous deux que
nous considérons ci-après.
iii) Le devenir.
L’évidence « saute aux yeux » à présent, qu’il y a une asymétrie entre les
deux chaînes, ou si l’on préfère pour le moment, nous dirons plutôt une
différence. Celle-ci est de l’ordre de l’originaire en deux sens : d’abord en tant
que les point « initiaux » son infiniment éloignés, et en tant que chaque élément
de chaque chaîne est bien défini (ad infinitum). Il y a là le dédoublement de la
connaissance divine chez Spinoza (voir plus haut). Donc, à ce point il est
possible de discerner une différence originaire (n ou c), mais non directionnelle,
ni opérationnelle. Par conséquent, la tension du présent, bien que fondamentale
pour justifier son caractère d’éternité, ne suffit pas. Il faut passer de la
différence statique à l’asymétrie directionnelle, passer du présent au devenir47,
de la tension à l’intention (in – tension). En outre, il nous faudra considérer de
caractère opératoire (temps – opérateur) de cette asymétrie. Celui-ci viendra
aussi d’un passage, mais cette fois-ci de la tension à l’extension (ex – tension) et
qui reste tout de même le saut entre le présent et le devenir.
En résumé, la question que nous devons nous poser est la suivante : entre
les chaînes à l’infini de la nécessité et de la contingence, qui l’emporte sur qui ?;
et encore celle-ci : y a-t-il une différence entre intention et extension ? Dans ces
questions se trouve la clef des caractères directionnel et opérationnel du temps.
La première est une question de l’ordre du quantitatif, alors que la deuxième est
de l’ordre du qualitatif.
48 Et il est évident pour nous en ce moment que l’alternative statique du déterminisme non
seulement ne rend pas compte de ce qui se passe dans la nature, mais encore elle impose sa loi
de restriction à l’esprit de l’homme.
44
a) l’intention, comme rayon sortant de l’ego pur de Husserl (71) avec une
portée aussi dans l’ego psychique (si bien que les rayons d’intentionnalité sont
inhérents au premier uniquement) ;
b) l’intention, comme in – tension, ou ce qui revient au même, la tension
à l’intérieur du présent et qui se trouve à l’origine de l’implosion du temps ;
celle-ci se manifeste para toutes ces quantités variables qui en physique sont
appelées à juste titre variables intensives49 (72). Donc, celles-ci ne sont pas de
l’espace et restent plutôt du côté de la qualité.
Par ailleurs, l’extension est la tension qui se dirige vers l’extérieur, tout
en restant à l’intérieur du temps ; c’est comme l’explosion du présent et qui se
place plutôt du côté de la quantité. Or, dans le présent, l’éternité se conçoit par
la simultanéité parfaite, c’est pourquoi si l’intention et l’extension doivent se
trouver à l’intérieur du présent, ils doivent aussi transparaître le « mécanisme »
de « création » d’espace (qui est quantité).
« La vrai durée, celle que la conscience perçoit, devrait donc être rangée
parmi les grandeurs dites intensives, si toutefois les intensités pouvaient
s’appeler des grandeurs ; à vrai dire, ce n’est pas une quantité, et dès
qu’on essaye de la mesurer, on le substitue inconsciemment de l’espace »
(73).
C’est bien cela qu’on avait voulu dire avec le passage de l’acte à faire à l’espace
fait.
Il doit être assez clair aussi que nous ne prétendons en aucune façon
donner la manière par laquelle le temps est généré, c'est-à-dire la genèse du
temps, car alors nous serions en contradiction avec tout ce qui précède. Pour
donner un appui à ceci remarquons que l’approche qu nous avons suivie pour
parvenir à l’idée du temps véritable est tout à fait exclusive. Ceci veut dire que
c’est en excluant et la nécessité et la contingence pures, puis en en faisant autant
avec la « nécessité – contingente » et la « contingence – nécessaire », et ainsi à
l’infini, que nous sommes parvenus, par passage à la limite, au présent.
49 C'est-à-dire toutes les grandeurs physiques qui gardent la même valeur lorsque la
confirmation spatiale de leur domaine de définition varie. Par exemple, la température T des
corps A et B reste la même, malgré le fait d’unir les deux corps.
45
Pourtant, c’est précisément cette exclusivité qui nous a permis de voir que c’est
quand même à l’intérieur du temps lui-même que la flèche et l’opérateur se
forment ; ou comme cela peut se dire en mathématique, c’est intrinsèquement
que l’opérateur directionnel est généré, celui-ci étant un générateur de
paramètres.
En fait, sa durée c’est de l’espace, et ça parce que pour lui comme pour
quelques médiévaux te temps existe en soi-même, et il n’est ni un corps ni
quelque chose appartenant à un corps, mais plutôt quelque chose qui a une
existence nécessaire en vertu de soi-même (75). Pour nous, la relation causale
est en rapport seulement avec le processus de coincement du présent, mais elle
n’est pas le présent lui-même, car celui-ci fait constamment naître le devenir.
veux »), mais par une absence de contraintes. L’homme se trouve, alors, à la
source même de l’implosion (intention) du temps ; celle-ci est l’irruption brutale
et rapide de l’esprit de l’homme, dans une enceinte qui se trouve à une pression
beaucoup plus faible que la pression du milieu extérieur, tout comme si l’âme
se comportait comme un fluide (l’enceinte serait alors le présent). Mais aussi, et
simultanément, l’homme est au centre de l’explosion du temps, comme la
manifestation vive et soudaine de l’ego psychique vers l’altérité.
D’autre part, cet esprit aura entre ses mains cet instant qu’est le temps,
celui-ci échappant entre ses doigts. Et l’intention et l’extension en sont à
nouveau la cause, car dans l’effort d’étirement, ceux-ci permettent aux yeux de
l’esprit d’entrevoir qu’il n’y a pas de contraintes ; mais par le même effort, une
pression est exercée vers l’intérieur éblouissant ses yeux jusqu’à empêcher tout
regard, si innocent soit-il. Par conséquent, s’il s’agit de répondre à la première
question, de savoir si l’esprit humain est à la source de l’acte de choisir, il
faudra répondre par l’affirmative étant donné que l’intention – extension qu’il
crée vers l’intérieur du « choisir » lui permet de vivre le temps ; et il faudra
aussi répondre par la négative puisque cette même intention – extension qu’il
crée vers l’intérieur l’empêche de voir le temps. Ainsi, le mystère qui apparaît à
l’intellect fait partie de la nature intime du temps ; c’est la coexistence dans la
contradiction de deux principes opposés qui fait place a la dynamique du
devenir.
Si l’on peut dire, c’est ce que l’esprit de l’homme ne peut pas saisir qui
est la cause principale du devenir. Voilà le plus important pour l’être humain ;
c’est ce que son esprit ne peut pas saisir qui l’emporte sur le reste, et ce
déséquilibre lui montre qu’il a une place unique dans la nature de l’acte de
choisir.
iv – 2) Révolution copernicienne.
Même si l’homme sait qu’il doit participer pour que le choix se fasse, il
sait en même temps qu’il ne peut pas en savoir plus, qu’il ne peut pas aller tout
seul au-delà des lois de la nature, comme si elles étaient « assez larges pour
48
s’étendre à tout ce qui est conçu par l’entendement divin » (76). Nous ne
pouvons pas confondre l’éternité et l’indéfini, avec ce qui est éternel et qui est
infini ; voilà encore une raison pour laquelle la philosophie de la nature tient un
discours sur l’apparence des choses matériels. C’est justement au niveau de
celles-ci que, pour la première fois sans doute, la question de pouvoir expliquer
pourquoi tout se passe ainsi, et pas autrement s’est posée.
… Descartes l’avait si bien compris qu’il attribuait à une grâce sans cesse
renouvelée de la Providence la régularité du monde physique, et la
continuation de mêmes effets ; il a construit en quelque sorte une
physique instantanée applicable à un univers dont la durée tiendrait
toute entière dans le moment présent. (77)
Pour sa part, Spinoza identifie la série des phénomènes dans le temps (à vrai
dire, le temps – paramètre), avec l’unité divine dans l’absolu ; et les idées de
Descartes, de Spinoza, ou encore de la science contemporaine, cherchent à
garder à tout prix la nécessité logique entre la cause et l’effet. Le devenir et la
relation causale ont été présentés de manière conjointe ; or, nous l’avons vu,
cela se paye à un prix élevé, le totalitarisme philosophique (on pourrait même
dire métaphysique), le déterminisme.
iv – 3) Du doute à la certitude.
Néanmoins, cet esprit comme nous le voyons, est capable de soulever par
le coin le voile de ce qui est au-delà de lui, bien qu’il soit en deçà de l’horizon ;
ce sont les eschatologies individuelle et universelle qui décrivent l’évolution
créatrice de cet horizon mobile.
Il est vrai que le déterminisme de Spinoza, marqué par les nécessités pure et
contingente se présente comme un « connatus », c'est-à-dire comme un effort
pour subsister ; autrement dit c’est la poussé du passé. Dès lors, tout finalisme
est exclu.
Voici une question bien grave puisque l’on a à traiter d’êtres vivants ! Et
en les divisant, on en arrive forcément au point de ne plus savoir s’il y a de la
vie ou pas. C’est pourquoi les théories dites vitalistes ont « pulvérisé » la finalité
en finalités interne et externe, prétendant par là garder la possibilité aussi bien
de la destinée individuelle que de la destinée cosmique.
Si nous voulons être consistants avec tout ce que nous avons déjà exposé,
ainsi qu’avec l’évidence observationnelle52, nous devons reconnaître que cette
approche vitaliste n’est pas capable d’expliquer le bon fonctionnement de
beaucoup de théories scientifiques déterministes, et déprécie la potentialité de
la raison. Voilà le motif pour lequel Bergson s’écrie :
Certes, le bas doit se rapporter à une jambe, mais cette jambe grandit et la
taille du tricot n’est pas alors absolument définie. Cette sorte d’ambiguïté dans
laquelle se trouve plongé l’esprit de l’homme, ressemble fort à la semi –
52Et sacrifier cette évidence au profit d’une tautologie abstraite, c’est une des aberrations des
plus radicales.
50
La raison, avec tout l’univers fait un passage d’« équilibriste » sur le fil
du temps véritable, tendu entre les poteaux du finalisme et du déterminisme ;
accident fatal survenant à l’esprit de l’homme, dès que celui-ci se considère hors
de danger, sur l’un de deux poteaux, alors qu’il est encore sur le fil ; il lâche la
barre, cause de son équilibre, provoquant la chute irrémédiable.
51
« Les bêtises son nécessaires53 au monde ; c’est sur elles qu’il est fondé ;
sans les bêtises rien ne se passerait ici-bas. On sait ce qu’on sait. » (80)
Par rapport aux dernières lignes de la dernière section, on dirait que ces bêtises
correspondent clairement aux mirages consistant à croire que l’on se trouve sur
l’un des poteaux (du finalisme radical ou du déterminisme).
Par expérience, nous savons tous que de là est né un certain malaise, car
notre intellect semble avoir ramé à contre courant de la nature. Une conception
comme celle que nous venons de citer sur la bêtise, se réfère de même à l’erreur
et au mal en général, et elle est une conception purement esthétique du mal.
Nous envisagerons ici le mal comme la clôture résultant de l’interaction
défectueuse entre les niveaux de réalité, compte tenu de ce que toutes les lignes
de la rationalité et de l’ordre dans l’univers, tout le plan de la création et son
accomplissement, convergent vers l’être humain comme homme qui se pose la
question de Dieu et comme homme de science, et dépendent aussi de sa
destinée. Cette clôture peut être considérée aussi comme une sorte
d’interférence qui empêche l’esprit de voir les rapports entre les niveaux de
réalité tels que nous les avons présentés ci-dessus ; c'est-à-dire que ni la
fermeture vers le niveau inférieur, ni l’ouverture vers le niveau supérieur, ne
semblent plus très évidentes54. Ainsi l’édifice de Polanyi risque d’être soupé en
Comme exemple, pensons à l’homme lui-même qui prétend remplacer Dieu, croyant que lui-
54
Cette double illusion conduit à ce qu’on appelle le mal moral56, mal qui
dès l’origine se trouve attaché à l’esprit de l’homme. C’est pourquoi ce dernier
cherchera dans une « toda ciencia trascendiendo » (au-dessus de toute science),
ce qui le fera sortir définitivement du Même frustré vers l’Autre ouvert. Nous
allons voir comment l’esprit va trouver là la clé de voûte de l’édifice des
niveaux de réalité.
Et nous nous abstenons de donner une définition de celui-ci, ou de n’importe quelle sorte de
56
plutôt comme affirmation, en vue de toute ce qui a été exposé jusqu’à présent ;
comment pourrions-nous parler du choix suivi d’un point d’exclamation, du
libre arbitre, ou encore du devenir, s’il n’y avait pas justement les possibilités
aussi bien de la vérité que de l’erreur ?
Par ailleurs, nous avons déjà dit plus haut que l’esprit de l’homme n’est
pas par nature voué à l’erreur sauf quand il ne le sait pas ; et c’est pourquoi,
certes, la vérité (comme devenir au moins) doit l’emporter sur l’erreur (comme
symétrie imposée de l’extérieur). Néanmoins, la problématique de la source
d’interférence reste intacte, après tout cela. Donc, nous considérons que la
clôture existe, non pas comme simple hypothèse ontologique (car cela serait une
pure illusion), mais tout au moins comme fait observationnel ; nous allons
puiser, dans la mesure du possible, dans les sources du devenir et de la
contingence des lois de la nature, et ainsi voir les effets d’une telle
interférence.57
et
57Ici il faudrait faire la distinction entre mal moral et mal physique ; mais en vue du
développement ultérieur, nous préférons mettre cette distinction en évidence au fur et à mesure
que le texte avance.
54
« Dieu, par un art merveilleux, tourne tous les défauts de ces petits
mondes au plus grand ornement de son grand monde. C’est comme dans
ces inventions de perspective où certains beaux dessins ne paraissent que
confusion, jusqu’à ce qu’on les rapporte à leur vrai point de vue, ou
qu’on les regarde par le moyen d’un certain verre ou miroir. C’est en les
plaçant et s’en servant comme il faut qu’on les fait devenir l’ornement
d’un cabinet. Ainsi les déformités de nos petits mondes se réunissent en
beauté dans le grand, et n’ont rien qui s’oppose à l’unité d’un principe
universel infiniment parfait ; au contraire, ils augmentent l’admiration de
sa sagesse, qui fait servir le mal au plus grand bien. » (84)
De nouveau, les défauts font partie du décor, sauf qu’ici, comme il fallait s’y
attendre, dans le « principe universel infiniment parfait », Leibniz montre le
finalisme radical de son système. Il n’est pas moins étonnant de constater que
les deux conceptions, de Plotin et de Leibniz, ne diffèrent essentiellement pas,
étant foncièrement esthétiques.
Il nous semble que d’une manière honnête, Spinoza veut fuir cette façon de voir
les choses, prenant le bien comme attitude de non – reconnaissance du mal ; et
c’est pourquoi qu’on pourrait faire chez lui une identification assez étroite entre
l’erreur et le mal, les deux étant produits de l’imagination. Mais encore une fois,
le devenir est écarté par un coup de balai et caché en - dessous du tapis. Spinoza
fait ainsi une omission majeure.
Il faut ès lors, selon nous, renoncer à donner une définition du mal, qui
montrerait du doigt la cause de celui-ci ; mais par contre, il faut absolument que
notre discours à son égard soit cohérent avec le comportement du cosmos,
lequel inclut l’ego psychique comme une réalité interne, avec tous ses rayons
d’intentionnalité. Voilà la raison pour laquelle nous pensons que l’erreur se
rapporte au mal, mais seulement comme point de départ (non cause) de ce
dernier.
55
i – 2) Le mal moral.
« le mal est une privation par accident, d’une perfection due » (86).
Donc, le mal moral serait une sorte d’enlèvement de quelque chose (comme
caractéristique) qui aurait dû se trouver à sa place et qui n’y est pas d’une
manière aléatoire. Aléatoire ne veut pas dire arbitraire ; c’est justement
l’accident, qui comme l’infini dans la définition spinoziste de Dieu, laisse un
arrière – goût de mystère ; dès lors, cette définition ne prétend pas être
englobante. D’ailleurs, Saint-Thomas même a évité tout au long de son œuvre
de parler du mal (et surtout du mal physique) ; et comme nous le voyons, à
partir du moment où il en parle, il se trouve d’une certaine manière « obligé »
de le faire d’une façon esthétique ; pourquoi ?
Il faut souligner toutefois que par là, nous n’établissons pas une loi
universelle et parfaite, à la manière de Leibniz, mais justement le contraire,
c'est-à-dire une absence de contraintes. Avec cela, nous venons de constater la
vision radicalement différente que nous devons avoir du comportement de
l’esprit de l’homme pris dans la dynamique du devenir. Bien entendu, des mots
comme « perfection » et « due » ne doivent pas êtres pris à la lettre sans courir
le danger de mécomprendre58 la pensée de Saint-Thomas. Comme nous allons
le voir après, sa définition du mal semble être adéquate en grande partie pour
ce qui concerne le mal moral, mais certainement pas pour le mal physique.
58On reconnaît que « mécomprendre » est un abus du mot « méprendre », toutefois il rend plus
emphatique ce que nous voulons signifier par « se tromper ».
57
La vérité toute seule est une demi – obscurité, une pseudo – vérité ! C’est la
raison principale pour laquelle l’esprit est voué à l’échec dès le début s’il se
boucle sur lui-même et n’ose pas se pencher sur l’abîme de l’amour, seule
connaissance qui mérite ce nom.
Il n’est pas étonnant d’être frappé par ces images, quand on pense l’âme
comme l’idée d’un corps (à la manière de Spinoza). Le fait de posséder une idée
erronée du corps, bien qu’elle puisse se trouver à l’origine d’un mal moral, met
certainement en relief ce grand bien qu’est la liberté ; mais attention, nous ne
voulons pas dire par là que le mal moral a un bien comme fin, car on tomberait
à nouveau dans le piège de l’esthétique, piège du dualisme manichéen qui nie
le devenir.
i – 3) Le mal physique.
« Ou bien Dieu veut supprimer les maux, mais il ne le peut pas. Ou bien
il ne le peut ni le veut … S’il le veut et ne le peut pas, il est impuissant, ce
qui est contraire à sa nature. S’il le peut et ne le veut pas, il est mauvais,
ce qui est également contraire à sa nature. S’il ne le veut ni le peut, il est à
la fois mauvais et faible, c'est-à-dire qu’il n’est pas Dieu … Mais s’il le
veut et le peut, ce qui seul convient à ce qu’il est, d’où vient donc le mal,
et pourquoi ne le supprime-t-il pas ? » (88)
faisant ainsi allusion bien entendu au libre arbitre donné à l’homme. C’est dans
l’affront que le mal physique59 fait à la liberté des individus que se trouve la
source de la révolte.
« Mais vous insisterez et direz, que si les hommes font le mal par une
nécessité de la nature, ils sont justifiables ; mais vous n’expliquerez pas
ce que vous voulez conclure de là. Voulez-vous dire que Dieu ne peut
s’irriter contre eux ou qu’ils sont dignes de la béatitude, c'est-à-dire de la
connaissance et de l’amour de Dieu ? Si vous posez le premier point,
j’accorde entièrement que Dieu ne s’irrite pas, mais que toute arrive
selon son décret ; mais je nie que, à cause de cela, tous doivent atteindre
la béatitude ; les hommes, en effet, peuvent être excusables et cependant
ne pas jouir de la béatitude, mais souffrir mille maux. Un cheval, en effet,
est excusable d’être un cheval et non pas un homme : mais, néanmoins, il
doit être un cheval et non pas un homme. Celui qui devient enragé par la
morsure d’un chien est excusable, mais l’on a pourtant le droit de
l’étrangler. Et celui, enfin, qui ne peut gouverner ses désirs ni les
maîtriser par la peur des lois est justifiable en raison de sa faiblesse, mais
il ne peut cependant pas jouir de la tranquillité de l’âme, de la
connaissance et de l’amour de Dieu, et il périt nécessairement. » (90)
Ainsi nous pouvons comprendre dans un certain sens comment il se fait que les
hommes souffrent, les faisant alors devenir excusables, et cependant cela ne les
empêchera pas de souffrir mille maux ! C’est là la révolte qui pousse Spinoza à
refuser toute finalité et toute interprétation esthétique telle que celles de
Leibnitz ou de Malebranche (91) pour qui il vaut mieux admettre les défauts,
que de violer les lois générales.
Soulignons encore une fois que le mal n’est pas causé par le devenir
(donc le temps comme flèche et comme opérateur). Néanmoins, il est vrai que
beaucoup des processus irréversibles de la nature atteignent, bien sûr, l’homme
dans son corps malgré lui ; ces processus comportent le plus souvent non
seulement le caractère unidirectionnel, mais aussi les anomalies, les défauts, les
« dislocations » et singularités, découvertes à partir desquelles, par les moyens
psycho – physiques bien connus, résulte une douloureuse blessure dans l’ego
total de l’homme. Dans la forme, donc, d’une évolution qui peut même devenir
désordonnée, et qui fait partie de la nature, l’esprit de l’homme qui n’est pas
entièrement soumis à ces lois, et la nature physique du corps contraint à cette
forme se rencontrent. Le premier pleure sur lui-même, mais aussi sur la seconde.
C’est « logique » que tout cela plonge l’homme dans la plus grande
consternation ; il n’est plus question pour lui de demander « comment cela se
passe-t-il ? », mais il ose définitivement demander « pourquoi ? ».
saisi, déchiqueté et avalé un être grand et sans prix, un être qui à lui seul
vaut toute la nature et toutes ses lois. » (93)
Le mal est donc bien greffé sur le présent ; on ne peut ni ignorer, ni oublier le
mal, aussi bien moral que physique. Or, nous avons déjà longuement considéré
le fait que c’est le présent qui est à juste titre le temps véritable, à travers lequel
l’homme communie avec l’éternité constamment fuyante à son esprit. C’est par
ce biais-là que le terrain de la transcendance doit être assez éclairé et assez fort
pour résister à toutes les pressions qui s’exercent sur lui. Cette porte d’entrée au
niveau de réalité dépassant la raison (c'est-à-dire ce à quoi tend son
eschatologie) ne peut remplir son rôle dans l’âme, que « … si la lumière qui
l’éclaire est proportionnée à la vigueur et à la culture de l’esprit qui la possède.
Si elle n’est pas nourrie selon cette sage mesure, à peine peut-elle échapper à la
ruine » (95) ; ainsi, le point de vue esthétique du mal, commenté dans la section
précédente, met le bien en évidence non pas que cela soit son but, mais parce
que ce mal échoue, comme il fallait s’y attendre, écrasé par le bien. En d’autres
termes, le mal se voit comme une véritable caricature du bien ; le fini,
infiniment, est une image grossière et faussée de l’infini. L’oubli et l’ignorance
sont anéantis par la connaissance ; la nécessité et la contingence son écrasées
par l’éternité ; la justice par l’amour.
« L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une
méditation non de la mort, mais de la vie » (97)
60Ici « ignorance » n’est pas employé dans le sens de la contingence pure, mais plutôt dans celui
de l’incertitude.
61
Freud dit que l’illusion n’est pas la même chose que l’erreur, car ce qui
est propre à la première est d’être sortie des désirs de l’homme ; pour lui, le vrai,
pour vaincre, doit avoir une force. Par conséquent, le discours freudien explicite
le rôle de l’inconscient, pour qui il y a une disjonction entre la vérité et
l’analyste, tandis que pour Spinoza la force de l’idée vraie est intrinsèque. Mais,
malgré cette différence ils s’attachent à la même origine, à savoir, que le terme
de l’illusion recouvre en même temps et l’erreur et la nécessité.
ii – 1) Freud.
L’un des désirs les plus profond de l’homme est celui de pouvoir « voir »
la mort ; c'est-à-dire, pouvoir la saisir, de même que l’apparition de la vie, ou sa
naissance ; moments, tous deux, qui restent cachés à son esprit. De même que le
temps véritable, la mort ne demande pas à être vue mais vécue. C’est un des
faits des plus cruels de la nature. Nous n’avons aucune expérience de la mort, et
pourtant nous savons qu’elle existe, et que nous devrons passer par une telle
expérience. Pourtant, d’une certaine façon, chacun est persuadé dans son
inconscient 61 de sa propre immortalité ; il est vrai, comme le fait remarquer
Freud, que nous préférons mille fois voir la mort comme un fait hasardeux, loin
de la nécessité (98) ; néanmoins la disparition d’un être aimé est « ipso facto »
reconnue comme irremplaçable. La pensée freudienne déduit de là d’une
manière trop précipitée que toute recherche d’un au-delà, d’une forme de
multiplicité de vie, est fiction, alors que les grandes religions sont les premières
à reconnaître la mort comme un événement de la vie. Voir le mal comme un
sentiment de culpabilité, à cause d’un « parricide » commis par l’humanité
primitive (où Dieu le Père aurait été « tué ») est déjà imposer un principe
d’équilibre au temps véritable, l’empêchant ainsi d’avoir un devenir.
61Les réflexions qui suivent se font autour de la pensée freudienne notamment à la référence
(98).
62
une attitude fort stoïcienne. « Si vis pacem, para bellum » c’est vrai, pourvu que
la paix et la guerre ne soient pas pris avec le même poids ; autrement on tombe
dans un équilibre (par opposition des forces égales) annihilant. Seulement alors
l’adage peut être remplacé par : « Si vis vitam, para mortem ».
Dans ce qui précède, seuls les aspects qui entourent la mort sont abordés.
Ainsi donc, dans la mort comme dans l’infini véritable, un mystère est contenu :
« ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2
Co. 4, 18) (101)
En effet, le provisoire est d’une manière imagée le déjà vécu, ainsi que ce qui est
à vivre ; or, vivre c’est l’éternité. La mort serait donc (sans pour autant vouloir
la définir) ce « mal suprême » qui consisterait en l’éclatement du présent sous
l’action de la nécessité et de la contingence, de l’intention et de l’extension ; cet
éclatement permettrait l’engloutissement définitif de l’être et de l’existence dans
l’éternité. C’est la fin du voyage de l’équilibriste, arrivé à la nécessité ; bref, c’est
la réalisation totale du spinozisme. Remarquons que ce « mal suprême » n’est
que le passage ou le saut périlleux à l’éternité, et non pas l’éternité même ; c’est
pourquoi la mort62 est détruite, écrasé par l’infini véritable et absolu.
celui-ci doit surtout être sauvé de son repli maladif sur lui-même, lequel a des
effets aliénants sur son rapport au reste de la création. L’aliénation de l’homme
est donc la conséquence imminente, dès que celui-ci succombe à la tentation de
considérer l’univers comme bouclant sur soi, s’organisant et s’expliquant en soi,
par soi et pour soi.
ii – 2) Mystique.
Il nous suffira de considérer encore un cas qui échappe à tout schème pré
– établi par un dualisme naïf. Nous avions parlé du mal moral et du mal
physique ; aussi nous avions vu que presque toujours le mal physique se fait
accompagner par le mal moral (étant donné l’extension cosmique du corps).
Est-il donc possible d’envisager un mal purement physique sans aucune
conséquence pour l’ego psychique ? Cela heurte nos esprits car, comment la
scission pourrait-elle se faire entre le corps et l’âme, tout en restant dans le
vivant ? Il nous semble tout d’abord qu’une telle perspective ne pourrait
s’appliquer qu’à un végétal ou à un minéral, pour qui les maux physiques
semblent n’avoir aucune conséquence morale.
Pour l’être humain, nous l’avons vu, ou bien il se replie sur lui-même par
un mouvement narcissique, ou bien il « vit » son cosmos dans l’eschatologie du
devenir. Dans la première branche de l’alternative se trouvent les définitions
esthétiques du mal, ainsi que leur partenaire, la fuite ; c’est là les deux mirages
qui font courir l’homme s’abreuver à une source imaginaire. La seconde est
celle d’une science dépassant toutes les limites du savoir totalitaire ; or, telle est
la science permettant la possibilité du mal physique sans le mal moral. La cause
en est que le dépassement de l’ego psychique par lui-même lui permet de
transcender les lois de la nature contingente, devenant ainsi presque
entièrement libre, quoique son corps soit toujours soumis à ces lois. Il ne faut
pas pour cela prétendre que le corps est la cause de la chute de l’âme ; c’est
l’union de l’âme et du corps qui fait l’homme, et son esprit se place au plus haut
niveau de la création, et c’est pourquoi le mal s’attachera bien plus à ce dernier
qu’à n’importe quelle autre chose.
n’est pas évident du tout, surtout dans le contexte de la philosophie, laquelle est
une activité intellectuelle visant à comprendre les sujets et les objets de la
connaissance, ainsi que la connaissance même. Mais ceci n’est pas évident dans
le contexte de la physique à cause des lois de la nature justement.
Soulignons-le encore une fois63, c’est l’univers même qui nous crie de
toutes ses forces, par son comportement, qu’il est en devenir et qui nous porte
par là la porte d’entrée vers cette science dépassante :
« Je pénétrai où je ne savais
et je demeurai ne sachant
toute science dépassant. » (105)
63 Car c’est là que se trouve le noyau de cet essai, et bien au-delà de celui-ci, de toute la
Dans ces deux attitudes nous trouvons à chaque fois une certaine forme
de dépassement de la raison, mais qui, au lieu de conduire à la connaissance
véritable, se convertit en instrument de désordre. C’est ce type de mal subtil
qu’on trouve fréquemment dans les domaines technologique et moral,
lorsqu’une pseudo – explication ou une pseudo – vérité, parée du prestige
scientifique, cause un désordre profond.
66
C’est seulement avec cette attitude, avec ce langage-là que nous pourrons
parler de beauté, de béatitude, de salut. C’est alors que les modes matériel et
non – matériel conjugueront le même verbe : aimer (107).
67
Ce savoir ne sachant
est de si haute puissance
que les sages raisonnant
jamais ne le peuvent vaincre,
car leur savoir n’atteint pas
à comprendre sans comprendre,
toute science dépassant.
__________________________
68
CONCLUSION
Une chose est certaine, l’irréversibilité du temps est beaucoup plus qu’un
simple aspect de la nature ; c’est là, sans doute, l’origine de la distinction entre
le nécessaire et le contingent, entre le passé et le futur, entre l’oubli et
l’ignorance. Nous avons même vu comment l’espace est une sorte de trace
laissée par le temps. Partant, nous sommes obligés de reconnaître un sens fort
au temps ; sens qui est plus fort qu’on ne le pensait auparavant. C’est pourquoi
nous avons parlé tout au long de cet essai du temps véritable, le temps
paramètre étant une simple projection spatiale de celui-ci. Ce temps véritable
est chargé de la concomitance qui le fait communier avec l’éternité, avec la
Connaissance, étant ainsi une sorte de « violation » constante des lois de la
nature.
BIBLIOGRAPHIE
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physical sciences, W.H. Freeman and Co., San Francisco, 1980.
(2) GALILÉE, G., Dialogue on the two chief world systems, from the
Cambridge illustrated history of the World’s science by ROMAN, C.I.,
Cambridge, 1983.
(5) ARISTOTE, Phys., VIII, 251 b 27 ; Physique (V – VIII) tome second, Les
belles lettres, Paris, 1931.
« …, e per Ø crÕnoj p§qoj ti kin¿sewj »
« …, puisque le temps est une affection du mouvement ».
(10) RUELLE, D., TAKENS, F., On the nature of turbulence, Comm. Math.
Phys., vol. 20, pp. 167 – 192, 1971.
(24) ibid.
(28) POMPOSO, A., Detailed insight into the Couette – Taylor instability,
Thèse de doctorat, U.L.B., Bruxelles, 1985.
(31) BERGSON, H., Essai sur les données immédiates de la conscience, P.U.F.,
Paris, 1959.
(32) ibid.
(33) MARITAIN, J., Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Desclée de
Brouwer, 1963 ; p. 373.
(34) LEVINAS, E., Totalité et infini, essai sur l’extériorité, Martinus Nijtoff
Publishers, The Hage, 1984.
72
(38) MOREAU, J., Spinoza et le spinozisme, P.U.F., Coll. « que sais-je ? », 1977,
pp. 108 – 120.
(47) S. THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, prima pars qu. 86, art. 3.
(56) TORRANCE, T.F., Divine and contingent order, Oxford University Press,
1981.
(60) cf. (47), qu. 10, art. 1 (citation de BOÈCE – 5 de consol. (prose 6)).
(61) LADRIÈRE, J., L’articulation du sens, les éditions du Cerf, Paris, 1984.
(64) NGO – TIENG – HIEN CRAHAY, Dire ou ne pas dire Dieu, série « la
philosophie aujourd’hui », Université de Liège, 1982.
(68) Nous citons textuellement Spinoza, dans le TTP, note marginale (p. 838)
op. cit.
(69) BERGSON, H., Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit. (p.
1189).
(70) ibid.
(85) WESLEY, CH., The poetical works of John and Charles Wesley; édité par
G. Osborn, Londres, 1868 – 72. Wesleyan Methodist Conference Office,
vol. III, p. 36.
(87) PASCAL, B., Pensées, coll. livre de poche, Paris, 1972, 582, p. 266.
(93) DOSTOIEVSKI, F., L’idiot, volo. II, coll. le livre de poche, pp. 145 – 146.
(94) ibid.
(95) MARIE EUGENE DE L’E.J., Je veux voir Dieu, éd. du Carmel, Tarascon B.
– du – Rh., 1956, p. 200.
(97) SPINOZA, B. de, Éthique IV, op. cit., prop. 67, p. 547.
(102) FREUD, S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot,
Paris, 1977 ; p. 58.
(106) CAMUS, A., L’homme révolté, coll. idées, Gallimard, 1951 (p. 25 et seq.).
Y si lo queréis oír,
consiste esta suma ciencia,
en un subido sentir
de la divinal Esencia;
es obra de su clemencia
hacer quedar no entendiendo,
toda ciencia trascendiendo.
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77
Introduction 5
Conclusion. 68
Bibliographie. 70
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78
N.B. Étant donné que le texte originel de cette thèse était un texte imprimé,
celui-ci et la transcription digitale actuelle ne coïncident pas forcément, tout
spécialement en ce qui concerne la pagination. Autrement, on a essayé de
respecter autant que possible tous les détails de la première présentation, même
en restant conscients qu’à l’heure actuelle on aurait traité certains sujets
différemment. Hélas, la force des années et des longues heures réfléchies oblige
à des changements de langage et, parfois, de fond ; c’est là une lois d’évolution
spirituelle. Néanmoins, l’essentiel des idées, c'est-à-dire le noyau de concepts
demeure sans altérations.