Le Tirailleur Marocain Ben Bella
Le Tirailleur Marocain Ben Bella
Le Tirailleur Marocain Ben Bella
Le gnral De Gaulle avait programm en juin 1958 la mise au pouvoir de Ben Bella dans quatre ans, avec lespoir de conserver 70% du ptrole et davoir la main mise sur le Sahara a rvl, dans une mission de radio, Jean Mo qui fut son charg de mission (1958-1960), puis Pdg du groupe ptrolier Elf-Erap (1964-1972). Voici donc une nouvelle pice du puzzle historique algrien dlivre au compte-goutte, dcouverte par hasard. Le casse-tte de lcriture de notre Histoire cause des migraines plusieurs gnrations dalgriens devenus schizophrnes et paranoaques force de se triturer les mninges sur les causes de la dliquescence chronique dun Etat construit par des putschs, impostures, trahisons, forfaitures, mensonges et corruption. Les moudjahiddines authentiques et les militants sincres de la gnration de novembre savent beaucoup de choses mais ne disent rien. Tandis que la gnration post-indpendance perd son temps essayer de dcouvrir et de comprendre les vrits de notre glorieuse rvolution dvoye et de notre identit bafoue, selon les bribes dinformation rcoltes ici ou l. On navait pas prt grande attention aux propos accusateurs de la veuve de Abane Ramdane qui avait dclar la presse que Ben Bella a t fabriqu par les Franais: Naturellement, ce sont les Franais qui lui ont fait cette propagande pour lui donner un nom. Cest partir de l que les Franais ont prpar un prsident pour lAlgrie La France voulait donner un chef la Rvolution algrienne, le plus bte des chefs. Cest la dernire farce que la France nous a faite. (Libert du 8-11-2002) Le personnage du marocain Ben Bella est un lment cl du bclage de lindpendance algrienne trahie par les manigances de De Gaulle et les complots des services secrets coloniaux. Ben Bella hros de guerre franais Ben Bella Mohamed (son vrai nom) dit Ahmed, dit Hemimed, alias Abdelkader Mebtouche, alias Messaoud Meziani, serait n le 25 dcembre 1916 (ou 1918), Maghnia la frontire algro-marocaine. Fils de paysans marocains originaires de Marrakech, Embarek Ben Mahdjoub et SNP Fatma Bent El Hadj, propritaires dun terrain agricole et dun caf fondouk populaire. (1) Appel sous les drapeaux franais en 1937, il effectue son service militaire au 141e Rgiment dInfanterie Alpine (RIA) Marseille o il devint sergent. Fru de football, il joua milieu de terrain dans lquipe des Mitrailleurs 2.15 la saison 39-40. Il figure aussi dans lhistorique des effectifs du club de lOlympique de Marseille pour lequel il ne joua lintgralit que dun seul match officiel, o il marqua un but sur les 9 0 contre le FC Antibes. Ce passage clair dans leffectif de lOM reste ce jour un mystre. (2) Selon sa biographie officielle, il effectua la campagne de France en 39-40 durant laquelle il aurait obtenu une croix de guerre pour avoir abattu un stuka allemand dans le port de Marseille, ce qui reste vrifier.
Dmobilis, il est rappel en 1943 et incorpor, non pas dans un rgiment de tirailleurs algriens, mais au 5e Rgiment de Tirailleurs Marocains (5e RTM), au sein de la 2e Division dInfanterie Marocaine (2e DIM) au grade de sergent-chef, puis dadjudant. Il ctoya dans la campagne dItalie dautres marocains qui vont devenir clbres comme Mohamed Oufkir, Driss Ben Omar El Alami, des tirailleurs tunisiens et des tirailleurs algriens, dont les adjudants Mohamed Boudiaf et Mostefa Ben Boulad, le caporal Krim Belkacem, le sergent Larbi Ben MHidi, Rabah Bitat, etc Le sous-officier Ben Bella, g de 28 ans, avait les qualits des soldats marocains, des guerriers rustiques, solides, courageux et faisant preuve dun attachement infaillible leurs chefs capables dendurer de trs longues marches, en sachant parfaitement bien sadapter aux exigences du combat, particulirement dans la montagne. Ayant un sens inn de la manoeuvre et du terrain, ils possdent une acuit visuelle tonnante, loeil de crcerelle (petit oiseau rapace diurne), leur permettant de distinguer le moindre dplacement adverse. Leur adresse au tir est galement exceptionnelle. Autant de qualits qui vont sexprimer, de faon encore plus clatante quauparavant, dans la campagne dItalie. (3) Ben Bella se distingua par sa conduite hroque et sa dtermination lors de la fameuse bataille de Monte Cassino. Il aurait t cit quatre fois pour son comportement au combat dont deux fois lordre de larme, seul ou avec son rgiment, le 5e RTA. Ben Bella se voit remettre la Mdaille militaire par le gnral De Gaulle en personne lors dune prise darmes en 1944, peu aprs la libration de Rome, qui consacre lnorme sacrifice des soldats nord-africains en Italie. Il raconte, lui-mme cet pisode particulier de sa rencontre avec De Gaulle: La premire fois que nous nous sommes rencontrs, ctait en avril 1944, en Italie, au nord du Monte Cassino. Il avait insist, contre lavis des Allis, pour que le corps expditionnaire franais participe cette campagne. La plupart des troupes venaient dAfrique du Nord. Jappartenais une unit dlite, le 5e rgiment de tirailleurs marocains (RTM), bas El Malah. Cet hiver-l, le froid fut terrible. Nous progressions dans les montagnes, pied pied, repoussant lennemi la baonnette, la grenade, larme automatique, parfois coups de poignard De Gaulle nous a gratifis dune visite spciale. Il allait, disait-on, dcorer cinq ou six officiers. Moi, le sousoff, je ne me sentais pas concern. Juste avant la crmonie, le colonel me fait chercher : Comment, vous ntes pas prt? Dpchez-vous donc, on vous attend ! De Gaulle, ce jourl, ma remis la mdaille militaire pour faits de guerre exceptionnels. (Tribune publie le 26/10/1995 par Le Monde). On peut lire dans les archives du Journal Officiel ce fait de guerre exceptionnel. (Jo franais du 19-11-1944, Dcret du 9-11-1944 portant concession de mdailles militaires). BEN BELLA MOHAMED, mle 6269, sergent-chef, N R. T. : remarquable de devoir et de courage. Le 31 mai 1944, charg dune mission dangereuse avec une section de premier chelon, la remplie avec succs. Pris sous un violent tir de canon automoteur, sest port au secours dun tirailleur bless. Malgr lintensit du feu ennemi, na pas hsit se reporter en avant pour assurer la liaison devenue prcaire la suite dun bombardement intense et prolong.
Le gnral Alphonse Juin, n Annaba et surnomm lAfricain, commandant de la campagne dItalie, a soulign les brillants tats de service de Ben Bella. Comme beaucoup dautres maghrbins, Ben Bella avait sign pendant la guerre son pacte de fidle serviteur de la France et du gaullisme, linsu de son plein gr. Infiltration et dmantlement de lOrganisation Spciale La guerre termine, Ben Bella, dmobilis en juillet 1945, rentre en Algrie et sengage dans le mouvement nationaliste pas de loup. Il dcrit lui-mme son parcours militant sur le Procs-verbal de son audition tabli le 12 mai 1950 par la police coloniale aprs son arrestation Alger. Etonnement dtaill et prcis, ce PV ressemble trangement un rapport de mission circonstanci. Jai commenc faire de la politique juste aprs ma dmobilisation. Je me suis inscrit aux AML (Amis du manifeste et de la libert) mais je navais aucune fonction particulire ni aucune responsabilit. Aux lections municipales de fin 1945 ou dbut 1946, je me suis prsent sur une liste dunion indpendante. Jai t lu et cest quelques mois aprs cela que jai t sollicit par le PPA pour entrer dans le parti et organiser une section politique Maghnia. (4) Contrairement ce que rapporte plusieurs dictionnaires et biographies sommaires, Ben Bella na jamais contribu la fondation de lOrganisation spciale (OS), mais la rejoint aprs sa cration, dcide par le Congrs du PPA-MTLD en fvrier 1947. Il le confirme lui-mme dans le fameux PV : jai rencontr Madjid. Je le voyais pour la premire fois. Il ma dit dans les grandes lignes ce que le parti attendait de moi. Une organisation paramilitaire, super clandestine venait dtre cre et le parti me mettait la disposition de cette formation Cest au cours de contacts successifs que Madjid ma expliqu le dtail de ma mission. (4) Ce Madjid, dont Ben Bella ne connaissait pas lidentit exacte lpoque, tait Hocine AtAhmed qui devint chef dtat-major de lOS, remplaant Mohamed Belouizdad souffrant de tuberculose. Il fut qualifi dans le PV par Ben Bella dlment trouble et perturbateur. Comment le nom de Ben Bella a-t-il t recommand? Est-ce pour ses comptences militaires par ses anciens compagnons darmes algriens ou marocains de la campagne dItalie? O par un autre biais. Seul At-Ahmed est aujourdhui en mesure de rpondre cette question. La propagande coloniale de lpoque avait fait un tapage mdiatique sur le rle-cl de Ben Bella prsent la fois comme cerveau et chef du commando de lattaque de la Poste dOran dans la nuit du 4 au 5 avril 1949, qui rapporta plus de trois millions de francs. Cette version continue tre reprise de nos jours par les mdias et des livres dhistoire. Il nen est rien. Cest encore Ben Bella lui-mme qui le reconnat : Cest au cours dune runion de ltatmajor de lOS, Alger, que Madjid nous a fait connatre lintention du parti dattaquer la poste dOran, pour se procurer de largent Il ma charg de trouver sur place, Oran, un local o nous pourrions en toute quitude mettre sur pied le plan de ralisation dune telle
opration A plusieurs reprises, je vous ai parl de lattaque main arme perptre contre la poste dOran. Je viens de vous dire quil sagissait dune manifestation de lOS, que ce coup de force avait t tent pour satisfaire aux exigences des trublions politiques du M.T.L.D. Je vais donc par le dtail vous dire tout ce que je sais sur cet attentat. (4) Ben Bella affirme quil na jamais t question quil fasse partie du commando, ni mme AtAhmed: Pour ma part, je devais rejoindre Alger deux ou trois jours avant la date et revenir Oran par le train de jour qui arrive quinze heures. Madjid, lui, devait rentrer Alger la veille, en prenant le train qui part dOran vingt-deux heures environ. Ces consignes ont t scrupuleusement respectes et le 5 avril vers 13h je suis arriv Oran Cest par le journal du soir Oran-Soir que jai connu le montant du vol et appris certains autres dtails. Je devais reprendre le train du soir pour rendre compte de ma mission Madjid Ds le matin, jtais rentr Alger par le train de la veille, au soir, jai pris contact avec Madjid auquel jai rendu compte de ma mission. L, se terminait mon rle. Par la suite, jai appris par Madjid lui-mme que largent avait t transport chez Boutlelis o le dput Khider devait en prendre livraison Le produit du vol a t entirement vers au MTLD par Khider (4) Le commando dattaque de la Poste tait compos de Djelloul (Bakhti) Nemiche employ la poste dOran, Ahmed Bouchaib, Boudjemaa Souidani, Mohammed Ali Khider ( ne pas confondre avec le dput du mme nom), Omar Haddad et dautres militants. Khider fut charg par Lahouel de se rendre Oran pour transporter la somme Alger. Conscient de lenjeu, Khider utilisa sa voiture parlementaire, toujours protge par la cocarde bleu, blanc, rouge pour accomplir sa mission. Largent fut vers la trsorerie du Parti. La police ne connatra les vritables auteurs, que bien plus tard (5) Quelques semaines aprs cette spectaculaire opration, Ben Bella se retrouve propuls la tte de lOS la faveur de la crise berbriste qui provoqua une purge au sein du MTLD et la mise lcart dAt-Ahmed et des kabyles. Le chef national de lOS, Madjid, est pass au berbrisme et le parti, en la personne de Khider, ma charg de moccuper de lOS en juillet-aot 1949 Cest lui et lui seul que je rendais compte de lactivit de la formation paramilitaire. Cest de lui et de lui seul que je recevais les directives et les consignes. Aucune dcision grave, aucune rforme importante ntait prise sans en rfrer au dput Khider. Cest dailleurs lui, qui, chaque mois, me remettait les fonds ncessaires la rtribution des permanents de lOS. (4) Durant la courte chefferie de Ben Bella, lOS nentreprendra aucune action importante. Et le temps que Ben Bella connaisse tous les rouages de lorganisation, lOS fut dmantele au printemps 1950. La plupart des responsables de lOS entreront en clandestinit, mais Ben Bella, chef dEtatmajor de lOS, fut apprhend le 12 mai 1950 dans son refuge Alger Il navait pas pris la prcaution de changer de domicile alors que lalerte tait chaude. (5) Avant son limogeage, Ait Ahmed avait rdig une brochure intitule Lattitude du militant devant la police, dfinissant le comportement en cas darrestation pour conserver le secret sur lexistence de lOS, de ses membres et les caches darmes. Ben Bella na donc pas respect ces consignes et sest mis tout de suite table en livrant toute lorganisation.
Toutes ces arrestations en chane -environ 500- opres en mars-avril-mai 1950, amenrent le dmantlement de lOS et la saisie dun nombreux matriel: mitraillettes, chargeurs, pistolet, cheddite, cordon bickford, mche lente, dtonateurs, amorces, grenades de modles varis, postes metteurs radio, documents, manuels militaires. LAdministration avait des preuves concrtes de lexistence organique de lOS, de son armement, de sa structure hirarchique et de sa subordination troite au PPA-MTLD. (5) Evasion rocambolesque Les quatre procs collectifs de lOrganisation Spciale qui se sont tenus de janvier 1951 mars 1952 ont t loccasion de mettre en valeur Ben Bella et surdimensionner son rle par rapport aux autres responsables (At-Ahmed, Boudiaf, Ben Tobbal, Ben Boulad, Bitat, Ben MHidi, Didouche, ). La presse coloniale brosse un portrait flatteur de Ben Bella comme Chef de lOrganisation. Sur les 363 militants arrts, 252 seront jugs, mais la justice franaise tient protger les tratres, en imposant le huis clos par un jugement de la Cour dappel: Tous les membres de lassociation paramilitaire ne sont pas actuellement hors dtat de nuire et poursuivent leurs activits. Quil importe en consquence de ne pas permettre, par un dbat public, aux malfaiteurs non encore arrts de se rendre exactement compte de ce qui a pu tre dcouvert par nos services de police, ni de ce qui a t rvl par les prvenus, dune part, , dautre part, pour viter que des vengeances ne soient excuts contre les prvenus ou leurs familles. (6) Les responsables de lOS en fuite ne sauront donc pas, au moment du procs, jusqu quel point Ben Bella les avait dnonc et dvoil tous les ressorts de lorganisation. Deux ans aprs son arrestation, peine le procs tait-il termin et lavait condamn huit ans de prison, que Ben Bella svade miraculeusement en avril 1952 de la prison de Blida, do il parvient gagner tranquillement Le Caire via Marseille, Paris et la Suisse. Cette vasion est voque dans le livre dun cousin de Abane Ramdane: Evasion rocambolesque de Ben Bella de la prison militaire de Blida en 1952 arrange par les autorits coloniales en change de sa coopration. Cet pisode opaque de litinraire militant de Ben Bella lui sera svrement reproch par ses camarades de lOS et du MTLD, notamment par Abane Ramdane qui laccusera davoir trahi en livrant toute lOrganisation la police franaise sans avoir subi la moindre violence. (7) Pour Yacef Saadi, la compromission de Ben Bella ne fait aucun doute. Troublante vasion ! Chez les anciens on en parle encore. Ben Bella svade, qui plus est de la prison de Blida. lpoque o il tait prsident de la Rpublique, un ancien inspecteur principal de la DST, Mohand Ousmer le connat fort bien. Il nhsitera pas rpandre des informations sur lvasion de Ahmed Ben Bella de cette prison de Blida dont il disait quelle avait t plus ou moins arrange pour permettre ce dernier darriver au Caire et ne pas manquer la grande effervescence populaire qui avait envahi les rues la faveur de la dposition du roi Farouk par les officiers libres. Mais le plus important dans les propos de lancien officier de la DST, cest la version quil donne quand il affirme que parmi les gens qui composaient la dlgation extrieure du MTLD cette poque-l, Ben Bella avait t retourn par les services spciaux franais souffrant alors dun manque critique de renseignements sur la nouvelle direction politique de lgypte des militaires. (8)
Au Caire, Ben Bella ne perd pas de temps et cest par lentremise du major Fathi Dib, chef des services secrets gyptiens quil est prsent Nasser, gagne sa confiance et se met son service au nom du panarabisme. Lhistoriographie coloniale est trs romance : Ben Bella voyage beaucoup entre lgypte et le Maroc, alors en pleine effervescence, lItalie et lEspagne. Il chappe de peu des attentats organiss par les services secrets franais (une bombe est dpose dans son bureau du Caire; un agent des services secrets tente de labattre dans le hall dun htel) et gagne une rputation de baraka. (9) Cet exil au Caire de Ben Bella, Khider et At-Ahmed, en qualit de reprsentants extrieurs du MTLD, leur octroie une participation honorifique dans le Comit Rvolutionnaire dUnit et dAction (C.R.U.A.) cr en mars 1954. Mais il ne leur permettra pas de figurer dans la liste du Groupe de 22, runis Alger le 25 juin 1954, qui dcideront du principe du dclenchement de la rvolution arme et dlgueront cette initiative un groupe de six militants: Boudiaf, Ben Boulad, Ben MHidi, Didouche, Bitat et Krim, qui deviendront les six chefs historiques fondateurs du FLN. Lintgrit de ces hommes ne fait aucun doute puisque la prparation et le dclenchement des oprations militaires du 1er Novembre, qui a branl le pouvoir colonial, seffectueront dans le plus grand secret, auquel mme les trois exils du Caire nauront pas accs. Cest Roger Wybot, lui-mme qui lexplique. Directeur du Bureau Central de Renseignements et dAction (BCRA) lors de la seconde guerre mondiale, puis Directeur de la Surveillance du Territoire (DST) de 1944 1959, il est entre autres, Commandeur de la Lgion dhonneur, Commandeur du Ouissam Alaouite (Maroc), Grand Officier du Nicham Iftikar (Tunisie). Mitterrand, ministre de lIntrieur, me fait tlphoner aussitt ce jour-l par son directeur de cabinet adjoint, qui se lance dans une longue tirade accusatrice : - Vous savez ce qui se passe en Algrie ? Cest proprement incroyable ! Des lments trangers, venus de lextrieur, viennent dy dbarquer pour fomenter des troubles et provoquer une vritable rbellion. Cest absolument inadmissible ! Comment se fait-il que vous nayez pas prvu cette action trangre ? La DST na pas fait son travail. Je le laisse parler sans linterrompre puis, lorsquil arrive au bout de son discours indign, je rplique froidement : - Jai le sentiment dun lger malentendu. Tout dabord, pour ma part, je ne crois pas une intervention trangre. Lexplication est trop commode. Que des fonds, des armes, soient parvenus dailleurs, cest probable. Mais cest en Algrie mme que le mouvement de rvolte sest dvelopp, structur, entran. Ce nest pas Le Caire qui est pass laction, mais le CRUA. A ce propos, je vous suggre de vous reporter mon rapport de mars 1954. Tout ce qui arrive aujourdhui y tait annonc, les chefs de la rbellion nomms, les effectifs, mthodes, intentions, plans analyss. Ce document complet, il est sur le bureau du ministre de lIntrieur depuis cinq mois.
Le gouvernement a chang mais ce rapport, jai rappel son existence en juillet. Ce nest pas ma faute si vous nen avez rien fait et si vous ne savez mme pas ce quil y a dedans ! (10) On ne peut tre plus clair. La DST savait tout depuis le rapport de mars 1954, lorsque Ben Bella apprend son intgration au CRUA Elle avait rappel son existence en juillet aprs la cration du groupe des 22 et des six historiques le 25 juin Mais ce nest pas Le Caire qui est pass laction, parce que Ben Bella ignorait tout des prparatifs du dclenchement de la Rvolution. Le dtournement de lavion de Ben Bella Lakhdar Ben Tobbal, dcd le 23 aot 2010, a affirm que la seule contribution de Ben Bella, est davoir annonc le dbut de linsurrection aux autorits gyptiennes au lendemain du 1er Novembre. Pour Mahfoud Benoune, anthropologue et historien lautoproclam zam de la Rvolution algrienne na finalement jamais jou de rle dterminant, ni dans son dclenchement, ni dans son droulement, ni dans sa victoire finale. La mise lcart de Ben Bella concide trangement avec le dsarroi des services de renseignement franais pris de vitesse par les rebelles algriens qui aboutira lapothose du Congrs de le Soumam runi le 20 aot 1956 au cur de la Kabylie, qui consacre la naissance du Comit de coordination et dexcution (CCE) organe central de la direction du FLN, compos de cinq membres (Larbi Ben Mhidi, Abane Ramdane, Benyoucef Benkhedda, Krim Belkacem, Saad Dahlab). Ben Bella vivra trs mal sa mise lcart et en gardera une rancune et une haine tenace Abane Ramdane au point de dclarer la chane qatarie El Djazira, en 2002, que le Congrs de la Soummam, clbr grand bruit, a, en vrit, fait dvier la Rvolution des objectifs tracs le 1er novembre. Tout en accusant Abane Ramdane de trahison. Les services franais ont alors imagin une opration de grande envergure pour remettre en selle Ben Bella. Le 22 octobre 1956, lavion marocain dAir Atlas conduisant Ben Bella, Khider, Boudiaf et At Ahmed de Rabat Tunis est dtourn et contraint de se poser Alger. La presse titrera la une sur le dtournement de lavion de Ben Bella. Qui a averti les services franais du plan de vol? LHistoire le dira peut-tre un jour. Lorsquun journaliste gyptien a voqu en 2008 des complicits marocaines dans le dtournement de lavion, Hocine Ait Ahmed a vivement dmenti alors que Ben Bella na toujours pas ragi. La photo prise leur descente davion est trs expressive. Boudiaf, At-Ahmed, Khider et Lacheraf sagitent et regardent dans tous les sens, ne comprenant pas encore ce qui leur arrive. Alors que Ben Bella reste lcart droit, immobile, au garde--vous fixant lobjectif du photographe comme sil savait exactement ce qui se passait. La veuve de Abane Ramdane voque cette anecdote tonnante qui lui a t raconte par Boudiaf lui-mme. Sur le bitume de laroport, Mohamed Boudiaf tenait un porte-documents entre les mains. Un gendarme sest avanc vers lui, le lui a pris pour le remettre Ahmed Ben
Bella. ce moment-l, un flash a crpit pour immortaliser linstant Pour faire croire que cest Ben Bella le premier dirigeant. Ben Bella et ses compagnons vont passer six annes de dtention en France. Le prestige personnel du prisonnier Ben Bella ne cesse alors de crotre. En 1958, il est dsign comme vice-prsident du premier Gouvernement Provisoire de la Rpublique algrienne (GPRA). Son nom est martel sans cesse en toute occasion pour conditionner lopinion publique. Le gnral de Gaulle, lors dune fameuse confrence de presse tenue le 11-04-1961, voque le chef du FLN alors quaucune question ne lui avait t pose son sujet : Quelquun mavait pos une question au sujet de Ben Bella, je crois, nest-il pas vrai ?, dclenchant un clat de rire gnral des journalistes dans la salle qui ont apprci la subtilit. (11) Il poursuit : je ne cache pas que beaucoup de gens men parlent (de Ben Bella) jen ai parl avec le prsident Bourguibajai fait des communications au sujet de qui nous parlons au Roi du Maroc (Mohamed V) et aussi son fils (Hassan II) dautres encore qui men ont entretenu. Le gnral explique quune fois le cessez le feu obtenu Ben Bella et ses compagnons de rbellion seront renvoys Rabat. Il ne prononcera jamais un autre nom que celui de Ben Bella. Et il en parle avec cette condescendance et cette suffisance du gnral qui a dcor le sergent-chef indigne Monte Cassino en 1944. Dans cette confrence mmorable, De Gaulle rsume les grandes lignes de sa stratgie dindpendance pour lAlgrie tout en veillant la sauvegarde des intrts franais, notamment concernant une souverainet partage sur le Sahara, les essais nuclaires et le ptrole. A lentendre parler on comprend vite quel point lenjeu est trop important pour laisser les algriens dcider seuls de la construction de leur Etat et du choix de leurs dirigeants. Pour De Gaulle, lAlgrie, malgr sa rvolution et ses martyrs, ne sera pas lexception africaine qui on peut accorder une indpendance sans contrle. Le message est trs clair, comme la rvl Jean Mo. Cest bien De Gaulle et le pouvoir colonial qui ont conditionn et prpar Ben Bella depuis bien longtemps et dcid quil serait le 1er Prsident algrien. Ce ntait donc ni Nasser, ni Hassan II, ni Boussouf et encore moins Boumediene. Dmantlement du GPRA aprs lOS Quand on revoit le parcours de Ben Bella, on comprend encore mieux aujourdhui pourquoi et comment le GPRA et les 3B (Boussouf, Ben Tobbal, Belkacem Krim) ont t balays dun revers de la main par De Gaulle en quelques semaines. Tous les scnarios quon nous a fait avaler depuis lindpendance savrent faux et dulcors. Lintronisation de Ben Bella la tte du FLN et de lEtat a certes t faite manu militari, au pas de charge, mais les ficelles taient tires ailleurs. On peut revoir les images darchives de lpoque qui montrent bien que ni Ben Bella, ni Boumediene navaient la carrure pour renverser eux seuls les Boussouf, Krim, Ben Tobbal, Ben Khedda, Boudiaf, At-Ahmed, etc Dautres infiltrs sactivaient dans lombre pour mener bien le plan colonial. (12)
Boumediene, lEtat-Major Gnral (EMG), le clan dOujda et larme des frontires, encadre par les dserteurs de larme franaise (DAF), ont excuts les ordres de De Gaulle, avec le consentement de Nasser, Bourguiba et Hassan II. Lorsquen Mars 1962 les accords dvian sont signs, Ben Bella, libr et rentr en Algrie se spare de ses co-dtenus et provoque immdiatement le dmantlement total du GPRA et des structures issus de 8 ans de guerre, des tats-majors des wilayas, du multipartisme fond sur des dcennies de militantisme, etc De la mme faon quil avait provoqu le dmantlement de lOS quelques mois seulement aprs avoir pris son commandement. Ce sont dsormais les structures extrieures cres Oujda et Ghardimaou (arme des frontires encadre par les DAF, le MALG et la Scurit Militaire dirigs par des marocains , fonctionnaires du Maroc) qui viendront grer lEtat colonial, en remplaant les franais. (13) Ferhat Abbas, intellectuel idaliste et romantique, aigri par son viction de la prsidence du GPRA avait fait lerreur fatale de cautionner la prise de pouvoir par Ben Bella en le rejoignant Tlemcen. Il le regrettera amrement un an plus tard lorsquil sera emprisonn au Sahara. A la fois candide et amer, il avouera dans un livre quil avait apport sa caution historique et morale un homme quil ne connaissait pas: Je connaissais trs peu Ben Bella. Ce que je savais de lui, je lavais appris par des tiers Le Dr Lamine Debaghine me mit en garde contre Ben Bella Abane Ramdane me fit un portrait peu flatteur du futur prsident de la Rpublique en me disant Cest Ben Bella qui dnona notre Organisation Spciale, lOS Le mme avertissement me fut donn par Boudiaf Sa renomme a t cre de toutes pices par les gyptiens, les franais et les marocains La vrit est que Ben Bella a t le dmolisseur de lunion nationale ralise durant les combats La mdaille militaire quil a gagne Cassino sous les ordres du gnral Juin na pas, dans le destin de lAlgrie, le poids dune seule goutte de sang de nos chouhada. Voil ce que retiendra notre Histoire. Les lucubrations de lancien prsident de la rpublique ne changeront rien la vrit. (14) Le rgne destructeur de Ben Bella prit fin le 19 juin 1965, aprs avoir balis le terrain pour une prise totalitaire du pouvoir par Boumediene mi-chemin entre le nassrisme et le stalinisme. De Gaulle tenta vainement de faire librer son protg en dpchant Alger plusieurs missaires. Ben Bella le confirmera en 1995 : Du fond de ma prison, jai appris que de Gaulle tait intervenu auprs de Boumediene, par la voix de Jean de Broglie, alors secrtaire dEtat, pour que jaie la vie sauve. (Le Monde du 26/10/1995) Aprs 15 annes de dtention, Ben Bella a t libr par Chadli Bendjedid en 1980. Il sexile en Europe o il cre en 1982 un parti politique dopposition, le Mouvement pour la dmocratie en Algrie (MDA). Il revient Alger en 1990 la faveur de louverture politique et repart aussitt aprs lassassinat de Boudiaf en juin 1992, comprenant enfin que son retour au pouvoir est plus quimprobable, dangereux. Depuis, il faisait le tour de ses amis (France, Maroc, Egypte, Irak, Libye, URSS, Cuba, ), mangeant tous les rteliers. Hassan II, Khadafi, Saddam Hussein, etc, lont aid accumuler des richesses et des biens immobiliers. Il possderait un chteau et un appartement en Suisse, ainsi que divers biens en Algrie, France, Maroc, Belgique, Espagne,
Son compatriote et complice Bouteflika nhsite pas lhonorer chaque occasion, comme lors des funrailles nationales organises lattention de son pouse Zohra Sellami, dcde le 23 mars 2010 lge de 67 ans Paris o elle se faisait soigner tout en rsidant lhtel Crillon aux frais de lEtat algrien. Aujourdhui, Ahmed Ben Bella a 94 ans et rside en permanence Alger, son tat de sant ne lui permettant plus de voyager. La stratgie dinfiltration de De Gaulle et la DST Ben Bella ntait pas le seul infiltr manipul par le systme colonial. Cest Roger Wybot, patron de la DST, qui explique cette stratgie dinfiltration et la mthode quil a utilise contre le FLN. Je dveloppe mon systme dinfiltration des rseaux du FLN par des agents nous. Les hommes que nous glissons dans le dispositif adverse, souvent des postes subalternes, nous les aidons conqurir progressivement de limportance au sein de la rbellion. Nous leur permettons par exemple de passer des armes, de largent pour le FLN. Leurs convois clandestins sont protgs par la DST alors que les transports darmement dautres chefs fellagas sont bloqus, saisis. Avec notre accord et la complicit de larme franaise, nos agents FLN montent galement des oprations bidon, de manire se couvrir de gloire aux yeux de ltat-major du Caire et de Tunis. Chaque fois, nous organisons tout nous-mmes pour rendre le coup de main rebelle totalement crdible. Au fur et mesure, nous dblayons le terrain devant eux. Leurs camarades se font prendre, leurs chefs jouent galement de malchance. Ce qui leur permet de grimper dans la hirarchie clandestine, de remplacer ceux que nous choisissons dliminer. Certains de ces agents doubles vont atteindre les plus hauts chelons dans ltat-major FLN. Il nous est arriv de manipuler des chefs et des chefs adjoints de willayas () Grce ce noyautage de ladversaire, jai pu tenir jour, ds la premire minute, tout lorganigramme de la rbellion, surtout en mtropole. Ds quun attentat FLN est commis, je sais qui la perptr. Si je veux en arrter les auteurs, je nai quun signe faire. () Mais ce qui mintresse, ce nest pas tellement dapprhender quelques terroristes algriens. La plupart du temps, je les laisse courir un peu, en les surveillant discrtement, enregistrant leurs contacts, leurs cachettes. Ma tactique cest de lancer, de temps autre, de vastes coups de filet dcapitant partiellement leur organisation. Volontairement, je laisse toujours chapper quelques proies que je fais filer. Jattends que les willayas dmanteles se reconstituent avec du sang neuf, puis je frappe nouveau. Ce qui me permet, tout moment, de contrler ltat major ennemi, parfois den dresser les chefs les uns contre les autres. Par exemple, lors de certaines arrestations massives, jpargne les lments les plus durs, mais de manire faire peser sur eux un climat de suspicion. Leurs amis se posent des questions, stonnent quils aient pu schapper si facilement. Ils seront dnoncs comme indicateurs de police par les agents doubles que jai mis en place moi-mme, et se feront liminer comme tratres (10)
Le fils du gnral de Gaulle avait rapport dans son dernier livre Mon pre De Gaulle, une confidence tonnante et lourde de sens faite par son pre : Nous avons laiss 140.000 harkis infiltrs dans les rangs de lALN. Lakhdar Ben Tobbal confirme ce chiffre et la dgradation de la situation depuis le retour au pouvoir du gnral De Gaulle. Dans un chapitre indit de ses Mmoires, non encore publies intgralement, il rvle qu partir de 1958 des djounoud faits prisonniers acceptaient de se joindre lennemi. On ne peut mme pas dire quils taient lobjet de pressions directes puisque, pour des groupes de cinquante soixante hommes arms, un seul Franais suffisait pour en prendre la tte. Vers les annes 1959-1960, on comptait 160.000 Algriens arms, combattant du ct de larme franaise Cela se passait partout, dans les villes, les campagnes, les montagnes. Dans ces rgions, lALN, avec ses djounoud et ses moussebiline, ne comptait pas plus de 30.000 hommes qui devaient faire face aux 500.000 soldats franais et aux 160.000 auxiliaires algriens Ceux qui quittaient les rangs taient plus nombreux que ceux qui les rejoignaient. On assistait des faits absolument nouveaux, des ralliements de groupes entiers de lALN larme franaise des units de lALN finirent par se replier sur elles-mmes. Les coups quelles recevaient et les pertes de plus en plus frquentes quelles subissaient avaient fait que les hommes staient mis sinterroger sur eux-mmes, sur ceux qui auraient pu sinfiltrer dans leurs rangs pour renseigner lennemi. Le doute et la suspicion avaient commenc semparer des esprits. (15) Le devoir de mmoire La facilit dinfiltration coloniale et des trahisons maghrbines ont en fait pris leurs racines durant les deux guerres mondiales lorsque des liens troits de fureur, de sang et de baroud se sont nous entre les officiers franais et les tirailleurs de lArme dAfrique. Il faut remonter aux diffrentes campagnes, notamment la fameuse bataille de Monte Cassino, mene par le Corps Expditionnaire Franais, pour comprendre comment se sont forgs chez des soldats algriens, marocains, tunisiens, sngalais, lamour du drapeau franais, la fiert du devoir accompli, la loyaut et le dvouement leurs chefs au dtriment de leur propre pays. Ils ont subi un vritable lavage de cerveau dans une poque trouble et complexe du 20e sicle domine par le colonialisme, le nazisme, le fascisme, le stalinisme, limprialisme qui glorifiaient la supriorit de lhomme Blanc et semaient la terreur. Enrls de force ou engags volontaires, les jeunes maghrbins et africains sortaient de leurs conditions de paysans pauvres et illettrs pour dcouvrir subitement le pouvoir des armes, de lordre et la discipline militaires. Le ralisateur algrien Rachid Bouchareb a rveill les consciences en ralisant un film exceptionnel, Indignes, sorti en 2006, qui retrace cette pope des soldats indignes de lArme dAfrique. (16) Les officiers franais dlite, qui ont commands les goumiers et les tirailleurs seront ensuite verss dans les services secrets (DST, SDECE, Service Action, 11e choc, ). Ils navaient aucun mal recruter ou retourner leurs compagnons darmes maghrbins, leurs enfants ou leurs petits-enfants, et les convaincre de trahir leurs pays en dfendant la mre-patrie de nos anctres les Gaulois.
Par contre, les combattants qui ont manifest un esprit rebelle intact et un attachement viscral la dfense de leur terre lorsque leur vritable patrie les a appels au devoir, seront vite neutraliss ou assassins. Cela explique aussi lacharnement des services franais carter sournoisement mais nergiquement la revendication berbriste, en encourageant le panarabisme nassrien, toutvenant idologique o nimporte qui pouvait se fondre. Que des marocains et tunisiens aient particip la guerre de libration, cest une excellente chose, tout comme les maghrbins lont fait pour combattre le nazisme durant la seconde guerre mondiale. Mais quils accdent aux plus hautes responsabilits de lEtat algrien par limposture et le mensonge en cachant leur vritable identit dans les conditions que lon sait, cest une grave anomalie historique qui continue de persister en 2010.