Ramuz - Raison D'être
Ramuz - Raison D'être
Ramuz - Raison D'être
Ramuz
Raison d'être
IMPRIMERIES RÉUNIES S. A. LAUSAIli<ME.
// (t étf' tiré de cet ouvrage
RAISON dETRE /
par
C;F. RAMUZ
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Il n'y a pas que nous, sans doute, et ce n'est pas
que notre sort, à nous, soit différent dans ses débuts.
La casquette de collégien avec l'olive verte et
blanche, le haut mur dominant la place du marché,
et cette église wesleyenne (si c'est bien le mot, qui
nous intriguait), voilà qui ne confère point à ces
années de vie inconsciente, ou demi-consciente, une
grande originalité.
Nous aussi sommes venus à la vie par les livres,
et si on indique ces commencements, c'est par simple
scrupule chronologique, et parce qu'on voudrait, s'en
tenant au fait, l'envisager du moins dans sa totalité.
Heures de collège que je mets ici, nous autres nés
de père et de mère vaudois, — moi qui suis du Gros
de Vaud par mon père, et de CuUy et Lutry par
ma mère, — quel dépaysement tout de même, quand
— 1'-^ —
ils nous ont mis à Virjy^ile, à Homère et à Xénophon!
Quel dépaysement, d'abord ! Traverser les siècles,
cette
d'une nourriture, contraire, vous semblait-il, à
grande faim que vous vous sentiez quand même, mais
un soir d'été et d'aller
qui était de partir sournoisement
à l'embouchure de la Venoge avec
une tente, et une
vieille marmite de campement, et une hache, et de
quoi construire un radeau.
pourtant.
Tel ce certain Ulysse, dites-vous bien
par-
N'auriez-vous pas, peut-être, pu sentir qu'il y a
modèle aussi de radeau
tout des Venoges, et quel beau
en
vous auriez trouvé, au chant, je crois, cinquième,
je ne sais combien de centaines de vers K Seulement
vidu.
li y a ce prot^rès (qui est quelquefois un recul, à
cause qu'il vous prive de l'extrême confiance en soi
que vous valait l'absence de tout point de compa-
raison), il y a ce progrès qu'on se voit dépendant,
enchaîné d'en bas comme l'arbre, issu non du hasard
d'une naissance, mais d'un sol, déterminé ainsi dans
tous ses actes, dans tous ses gestes : on tâchera de
préciser plus loin, on ne veut dire ici que situp.
On
s'est donc tourné vers là-bas, le lac est remonté,
de cette sorte-là —
et quant à l'autre discipline, l'in-
tellectuelle, là aussi conflits de méthodes, importation
là aussi, professeurs venus tantôt d'Allemagne, tantôt
de France, là aussi ; et, si c'est trop nous demander,
sans doute, que d'avoir une science « originale», du
moins serait-il bon, à un âge où on ne peut encore
choisir, que l'enseignement qu'on donne à nos étu-
diants présentât plus d'unité.
Les exemples de nos défaites ne manquent pas.
Toutes que nous avons bâti sur rintelligence,
les fois
Mais toute volonté est foi, c'est dire que la foi leur
manquait. Et la foi leur manquait parce qu'ils la
situaient mal.
— :« —
La vie venait, d'ailleurs, les soucis, les enfants, le
train-train du ménage, et le fatal bien-être, celui du
coin du feu et des pantoufles chaudes; heureusement
pour eux, quelques-uns s'y sont consolés ; l'estime
qu'on leur doit, pourtant, est en raison inverse de la
accommodait à merveille.
ses racines chez nous, s'en
On nous répétait: «l'Allemagne au nord, l'Italie au
sud »... la suite se devine.
Ce qu'il
y dedans de plus clair, pourtant,
avait là
c'est que nous avons jusqu'ici beaucoup trop aimé
l'imprécision. Autre manière de nous consoler. J'en
reviens à nos utopies. Quand la réalité déçoit, on se
barricade dans l'irréel. On revendique ce qu'on appelle
ses droits à l'existence, quand on n'est plus capable
de les affirmer. D'une désillusion à l'autre, nous en
étions venus à la pure abstraction. Et là se marque
bien aussi ce qu'il y a de profondément inartiste
(qu'on me passe le mot, mais je n'en vois pas d'au-
tre), dans la race, hostile d'instinct à toute /or/w^, et
qui pourtant ne parviendra à prendre conscience
d'elle que dans la forme, et par la forme, mais qui
ne veut pas le voir. Nous n'avons peut-être le
livres, c'a été pour s'en moquer. Ils ont des sociétés
dramatiques, il y a des diseurs de monologues, il y a
avec sincérité.
Mais, nous, nous ne pourrions alors que passer outre.
Déjà ressort le lac, et, à nous, il nous faut la vie.
Déjà descend comme une vague, d'en haut les co-
teaux de Lavaux, un vent tiède apportant le parfum
de la vigne en fleurs. Ils vont, ils sont sur leurs che-
mins, ils claquent du fouet, ils poussent aux roues.
Nous, nous aimons toute la vie; nous l'aimons mieux
d'être périssable, nous l'aimons d'autant plus qu'elle
nous a plus fait souffrir. Nous ne revendiquons
point contre elle cette sorte de droit à la renier, au-
quel d'autres prétendent, sous prétexte qu'elle n'a
point tenu ses promesses; pour nous, elle a tenu
toutes ses promesses, plus encore que ses promesses.
Nous l'avons acceptée avant; nous l'acceptons encore
après. Et tout ce qu'elle contient nous intéresse. Ici
la voie ferrée est construite sur une digue serrant
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élroilemenl !<• rivai^e, empii'lant rrirriic sur le lac, «'t
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Clin av«»r aiilour des pieds un tout [lelit carré de
terre comme sous les soldats de plorid), et là font
marcher le soufflet à soufre ou, levant le bras, tapent
sur les éclialas à coups de maillet, — uiairitenaiil, ils
crie, et j'ai cela qui m'entre en moi par tous les po-
res, — et je sais que je ne pourrai plus écrire que
d'une façon, qui sera la sienne, et qu'entre mille
fut créée, —
et il fallait qu'ils fussent deux, mais ils