Mme Perreux, Concl. Rapporteur Public Matthias Guyomar
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Conclusions sur Conseil d'État, ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux, req. n°
298348Document InterRevues
Mme Perreux est entrée dans la magistrature en 1990. Elle occupe, depuis
septembre 2002, les fonctions de juge d'application des peines au tribunal de
grande instance de Bordeaux.
À la vérité, lorsqu'un agent public attaque la nomination d'un autre agent sur
un emploi, deux cas de figure sont envisageables. Le premier est celui où le
requérant, sans avoir postulé à cet emploi, avait néanmoins vocation à
l'occuper. Ses conclusions sont alors exclusivement dirigées contre la
nomination. Le second cas - qui est celui de l'espèce - correspond au
contraire à l'hypothèse où le requérant avait présenté sa candidature. Dans
ces conditions, la décision attaquée comporte deux faces : en plein, il s'agit
de la nomination d'un concurrent mais cette nomination révèle
nécessairement, en creux, le refus de nommer le requérant.
Mais cette loi n'est pas applicable aux faits litigieux qui sont antérieurs à son
entrée en vigueur. Par sa décision n° 80-119 L du 2 décembre 1980, le
Conseil constitutionnel a jugé, s'agissant de matière fiscale, que l'attribution
de la preuve relevait du domaine de la loi au motif que « la détermination de
la charge de la preuve affecte les droits et obligations des contribuables et
met ainsi en cause les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités
de recouvrement des impositions »Note de bas de page(6). De manière
générale, la définition d'un régime de preuve constitue une règle de fond et
non une règle de procédure qui serait d'applicabilité immédiate.
N'ignorant pas que la loi du 27 novembre 2008 n'est pas applicable, ratione
temporis, au litige, Mme Perreux invoque le bénéfice des dispositions de la
directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, dont la loi a
assuré, parmi d'autres, tardivement la transposition. Indiquons que le délai
de transposition de cette directive a expiré, en vertu de son article 18, le 2
décembre 2003, soit antérieurement à la date des décisions attaquées. La
requérante vous demande de faire application, à son bénéfice, des règles
relatives à la charge de la preuve que comporte l'article 10 de cette directive
aux termes duquel : « 1. Les États membres prennent les mesures
nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors
qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de
l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance
compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de
prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».
Vous est ainsi posée une nouvelle fois la question de la possibilité d'invoquer
une directive, non transposée à l'issue du délai fixé pour ce faire, à l'appui
d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel. La présente affaire
vous conduit à réexaminer la réponse qu'il convient d'apporter à un moyen
que vous écartez comme inopérant avec constance depuis votre décision
Ministre de l'Intérieur c/ Cohn-BenditNote de bas de page(7).
C'est l'article 189 du traité de Rome, devenu article 249 du TCE, qui définit
les différentes catégories d'actes communautaires : « Le règlement a une
portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est
directement applicable dans tout État membre. La directive lie tout État
membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La
décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu'elle
désigne. Les recommandations et avis ne lient pas ».
Alors qu'une lecture littérale de cet article aurait pu donner à penser que
seuls les règlements avaient un effet direct dans les États membres, la Cour
de justice des Communautés européennes (CJCE) a reconnu qu'une directive
était susceptible de produire des effets directs entre l'État et ses justiciables,
indépendamment de toute mesure interne d'exécution. La Cour a ainsi admis
l'applicabilité directe d'une directive, pour la première fois, dans l'arrêt
Société SACE c/ Ministère des Finances de la République italienne du 17
décembre 1970Note de bas de page(9). Cette orientation a ensuite été
confirmée à plusieurs reprises, notamment par l'arrêt Van Duyn c/ Home
Office du 4 décembre 1974Note de bas de page(10) dont les motifs de
principe méritent d'être cités : « [...] si, en vertu des dispositions de l'article
189, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur
nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que
d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire
d'effets analogues ; il serait incompatible avec l'effet contraignant que
l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation
qu'elle impose, puisse être invoquée par des personnes concernées ;
particulièrement dans le cas où les autorités communautaires auraient, par
directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé,
l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient
empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales
empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du droit
communautaire ; l'article 177 qui permet aux juridictions nationales de saisir
la Cour de la validité et de l'interprétation de tous les actes des institutions,
sans distinction, implique d'ailleurs que ces actes sont susceptibles d'être
invoqués par les justiciables devant lesdites juridictions ; il convient
d'examiner, dans chaque cas, si la nature, l'économie et les termes de la
disposition en cause sont susceptibles de produire des effets directs dans les
relations entre les États membres et les particuliers ».
Si la Cour est allée « au-delà des catégories juridiques formelles »Note de bas
de page(11), comme le relevait l'avocat général Mayras dans ses conclusions
sur cette affaire, c'est pour conférer toute sa portée à « l'effet utile » des
directives. Cette solution s'inscrit en parfaite cohérence avec la jurisprudence
sur l'effet direct du droit communautaire dont l'arrêt fondateur Van Gend en
Loos c/ Administration fiscale néerlandaise remonte au 5 février 1963, selon
lequel le droit communautaire « de même qu'il crée des charges dans le chef
des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans
leur patrimoine juridique ; ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une
attribution explicite en est faite par le traité mais aussi en raison
d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux
particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires ».
Ainsi que le relève le commentaire des Grands arrêts de la Cour de justice
des Communautés européennesNote de bas de page(12) : « Mis à part
l'article 189 al. 2 qui dispose que le règlement est « directement applicable
dans tout État membre », on chercherait vainement dans le traité l'énoncé
formel d'un principe d'applicabilité directe ou d'immédiateté. Un tel principe
devait donc être fondé et défini dans ses conditions d'existence ». L'arrêt de
1963 explicite le fondement de cette applicabilité directe objective : « c'est
dans la notion même de marché communNote de bas de page(13) et dans
ses implications que se trouve le fondement de l'applicabilité directe du droit
communautaire »Note de bas de page(14). Mais cette affirmation n'a pas
pour effet de rendre tous les actes de droit communautaire directement
applicables. Ainsi que l'explique Denys Simon dans son ouvrage Le système
juridique communautaireNote de bas de page(15) : « [...] encore faut-il, pour
qu'une norme communautaire déterminée soit apte à produire un tel effet,
qu'elle remplisse un certain nombre de conditions techniques qui
conditionnent sa faculté à être appliquée par les juridictions nationales ».
S'agissant des directives, l'arrêt Van Duyn consacre le critère tiré de « la
nature, l'économie et les termes de la disposition en cause ».
Mais à bien lire l'arrêt, il ne dénie pas tout effet juridique aux directives :
d'une part, il indique que les États membres doivent les mettre en oeuvre «
sous le contrôle des juridictions nationales » et d'autre part, il précise que si «
la solution que doit recevoir la requête du sieur Cohn-Bendit ne peut en
aucun cas être subordonnée à l'interprétation de la directive du 25 février
1964 », c'est « à défaut de toute contestation sur la légalité des mesures
réglementaires prises par le gouvernement français pour se conformer aux
directives arrêtées par le Conseil des communautés européennes ». Pour
citer les commentateurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative
(GAJA)Note de bas de page(18) : « les directives ont donc bien, selon l'arrêt
du Conseil d'État, un effet juridique, mais indirect, médiatisé, à travers les
mesures d'application ».
C'est dans cette mesure qu'il y a 31 ans s'est cristallisée entre la Cour de
Luxembourg et votre juridiction une divergence de jurisprudence quant à
l'effet direct des directives.
Mais vos deux jurisprudences ont notablement évolué depuis cette date. On
peut déduire de ces évolutions respectives que, s'agissant de l'invocabilité
des directives, « la guerre des juges n'a pas eu lieu »Note de bas de
page(25). D'une manière plus générale, si l'on quitte la seule question de
l'effet direct des directives, pour appréhender de manière plus large celle de
l'intensité des effets du droit communautaire, il convient de relever, avec Y.
Galmot et J.-C. BonichotNote de bas de page(26), « l'ébauche d'une
cohérence » entre les jurisprudences de la Cour de Luxembourg et du Conseil
d'État.
Depuis trente ans, vous avez développé, n'hésitant pas à faire preuve
d'ingéniosité, une jurisprudence qui, tout en maintenant le fondement
théorique de l'arrêt Cohn-Bendit, permet d'assurer, dans la majorité des
hypothèses, la pleine effectivité du droit communautaire. S'agissant des
directives, vous avez progressivement multiplié le nombre des cas dans
lesquels elles peuvent être invoquées, par voie d'action comme par voie
d'exception.
Vous avez ainsi admis qu'un requérant puisse se prévaloir d'une directive
contre les mesures réglementaires prises pour son applicationNote de bas de
page(32). Ainsi que le relèvent les chroniqueurs de cet arrêt à l'AJDANote de
bas de page(33), en effectuant, par voie d'action, le contrôle de la légalité
des mesures réglementaires prises pour se conformer aux dispositions d'une
directive au regard des objectifs de celle-ci, l'arrêt se place dans la droite
ligne de la décision Cohn-Bendit qui précisait que les États membres doivent
mettre les directives en oeuvre « sous le contrôle des juridictions nationales
»Note de bas de page(34).
Vous avez ensuite étendu l'invocabilité, par voie d'action, des directives,
contre toutes les mesures réglementaires ultérieures, qu'elles en assurent la
transposition ou simplement qu'elles relèvent de leur champ
d'applicationNote de bas de page(35). Comme l'expliquait O. Dutheillet de
Lamothe dans ses conclusions sur cette affaire : « si les autorités nationales
sont tenues [...] d'adapter leur législation et leur réglementation aux
directives qui leur sont destinées, elles sont a fortiori tenues de ne pas
adopter de dispositions réglementaires qui vont directement à l'encontre
d'une directive ».
Bien plus, vous avez jugé que le pouvoir réglementaire doit s'abstenir de
prendre les mesures d'application d'une loi qui contreviendrait aux
engagements internationaux de la France. Vous avez ainsi jugé, après avoir
relevé que les dispositions de l'article L. 601-4 du code de la santé publique,
en ce qu'elles étendent le champ d'application de la procédure simplifiée
d'enregistrement au-delà des objectifs définis par la directive, sont
incompatibles avec ceux-ci, qu'en ne prenant pas les mesures réglementaires
destinées à permettre la mise en oeuvre de cet article, le gouvernement s'est
conformé, ainsi qu'il y était tenu, aux exigences inhérentes à la hiérarchie
des normes dans l'ordre juridique interne, telles qu'elles découlent de l'article
55 de la ConstitutionNote de bas de page(40).
Mais vous avez également donné corps, à l'occasion de litiges relatifs à des
actes individuels, au contrôle par la voie de l'exception qu'affichaient a
contrario les motifs de votre décision du 22 décembre 1978, des règles
nationales d'exécution au regard des objectifs d'une directive. Votre décision
PalazziNote de bas de page(41) démontre ainsi l'efficacité de l'invocabilité
d'exclusion en annulant un refus de séjour comme privé de fondement légal,
ce refus ayant été pris en application du décret du 28 avril 1981 dont vous
avez constaté l'illégalitéNote de bas de page(42) tenant à la méconnaissance
des objectifs fixés par la directive du 25 février 1964.
Le refus d'opérer un alignement des directives sur les règlements est très
clairement affirmé par l'avocat général Reischl, dans ses conclusions sur la
décision Ratti : « [...] il est certainement inapproprié de parler d'une
applicabilité directe. Ce terme n'est utilisé dans l'article 189 du Traité que
pour les règlements, c'est-à-dire pour la législation communautaire directe
qui peut également créer des rapports juridiques entre les particuliers. Mais
les directives, qui n'engendrent des obligations que pour les États membres
se distinguent clairement des règlements [...] On ne peut donc en aucun cas
affirmer que les directives peuvent également avoir le contenu et les effets
d'un règlement ; les directives peuvent en revanche produire tout au plus des
effets analogues [...] L'essentiel de cet effet consiste dans certains cas, qui
constituent cependant plutôt l'exception, en ce que les États membres qui
n'exécutent pas les obligations que la directive leur impose se voient retirer
la possibilité d'invoquer la situation juridique nationale qui apparaît comme
illégale au regard du droit communautaire, c'est-à-dire que des particuliers
obtiennent le droit de se prévaloir de la directive à l'égard de l'État défaillant
et d'en tirer des droits dont les juridictions nationales doivent tenir compte. À
vrai dire, il conviendrait donc de ne parler dans de tels cas - et cela a toujours
été fait dans la jurisprudence - que d'un effet direct des directives ».
Ces trente dernières années ont en outre permis à la CJCE de limiter les
conséquences juridiques de l'effet direct des directives à tel point que l'on
peut parler d'applicabilité directe partielle, contrairement à celle du
règlement qui est pleine et entière. La Cour a ainsi exclu qu'une directive
puisse, par elle-même, créer des obligations dans le chef d'un particulierNote
de bas de page(48) : les directives, qui ne peuvent être appliquées que dans
les rapports entre l'ÉtatNote de bas de page(49) et les particuliers, sont, par
nature, dépourvues d'effet horizontal. Mais la Cour a également exclu qu'un
État membre puisse se prévaloir, à l'encontre d'un particulier, d'une directive
qu'il n'aurait pas transposée : « l'État membre qui n'a pas pris dans les délais
les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut opposer aux
particuliers le non-accomplissement par lui-même des obligations qu'elle
comporte »Note de bas de page(50). Votre jurisprudence est dans le même
sens : les directives sont dépourvus d'effet vertical descendantNote de bas
de page(51). Ces limites à l'invocabilité des directives découlent de leur
nature même : ainsi que l'explique le juge Pierre Pescatore, dans son article «
L'effet des directives communautaires : une tentative de démythification
»Note de bas de page(52) : « les directives peuvent être invoquées en justice
par les particuliers parce qu'elles sont obligatoires pour les États membres et
en tant que reflet de cette obligation. C'est certainement beaucoup moins
que l'applicabilité directe des règlements qui sont des actes de législation
objectifs, invocables en tant que tels dans tous les rapports juridiques
susceptibles d'être déférés en justice. Les directives par contre ne peuvent
être invoquées judiciairement qu'à l'égard de celui qu'elles concernent, à
savoir l'État, en tant que corollaire de l'obligation qu'elles lui imposent ».
Dans l'ordre juridique communautaire, il n'est pas exagéré d'affirmer que les
États membres doivent être regardés comme ayant tacitement accepté la
jurisprudence de la Cour de justice. S'ils avaient souhaité faire échec à une
interprétation praeter legem de l'article 189 du traité, les États européens
auraient pu saisir l'occasion des traités de Maastricht, d'Amsterdam ou de
Nice pour marbrer dans la lettre du droit primaire l'absence totale d'effet
direct des directives. Il n'en a rien été, y compris à l'occasion de la
renumérotation de l'article 189 devenu article 249 du TCE. Or, nous relevons
que lorsqu'ils ont défini de nouvelles catégories d'actes adoptés dans le
cadre des piliers non communautaires, les auteurs des traités ont pris le soin
de définir expressément les limites de leurs effets juridiques. Dans le cadre
de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, l'article 34 (ex.
article K3Note de bas de page(71)) du TUE définit les différentes mesures que
les États peuvent prendre pour favoriser la coopération au sein du troisième
pilier : il s'agit des positions communes, des décisions-cadres et des
décisions. La définition des décisions-cadresNote de bas de page(72), telle
qu'elle figure au b) du 2 de cet article 34, révèle l'analogie qui existe entre
celles-ci et les directives : « les décisions-cadres lient les États-membres
quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la
compétence quant à la forme et aux moyens ». Mais le b) comporte une
ultime précision selon laquelle « elles ne peuvent entraîner d'effet direct
»Note de bas de page(73). Les États membres ont ainsi souhaité clairement
faire obstacle, s'agissant des compétences non communautarisées, à la
possible transposition de l'interprétation qui avait prévalu dans le domaine
communautaire. Mais, qu'il s'agisse de la traduction d'une résignation face au
« droit accompli » ou d'une réelle adhésion aux constructions de la Cour, le
silence des auteurs du traité d'Amsterdam en ce qui concerne les directives
s'interprète, a contrario, comme une « approbation tacite »Note de bas de
page(74). Le traité modificatif adopté au sommet de LisbonneNote de bas de
page(75) conforte notre position. Le traité constitutionnel avait envisagé de
substituer une nouvelle classification des actes juridiques de l'UnionNote de
bas de page(76) : lois européennes, lois-cadres européennes, règlements
européens et décisions européennes. Cette innovation a été abandonnée
dans le Traité de Lisbonne qui conserve, au futur article 288 du traité sur le
fonctionnement de l'Union, l'actuelle nomenclature des actes juridiques.
L'article 289 introduit néanmoins une nouvelle distinction entre actes
législatifs et non actes non législatifsNote de bas de page(77). Notons que,
de même que, s'agissant des lois-cadres qui correspondaient aux directives,
le constituant s'était abstenu de toute précision sur leur effet direct ou
absence d'effet direct, le traité de Lisbonne est muet sur ce point. De
l'absence de toute réaction contraire des États membres, on peut donc
déduire que l'interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour de justice
s'est incorporée à la lettre de l'article 249 du traité.
Nous ne saurions mieux dire que Bruno Genevois lorsqu'il affirme, dans son
étude précitée à la RFDA, que « le Conseil d'État a abandonné son
appréhension hexagonale du Traité de Rome au profit d'une vision
communautaire ». Outre les évolutions jurisprudentielles dont nous nous
sommes fait l'écho, en témoigne votre pratique du renvoi préjudiciel,
désormais en parfaite harmonie avec les arrêts de la CJCE Cilfit du 6 octobre
1982 et Foto-Frost du 22 octobre 1987 - et tout particulièrement votre
décision Société De Groot en Slot Allium B. V. et autresNote de bas de
page(82) par laquelle, abandonnant votre décision Office national industriel
des céréales (ONIC)Note de bas de page(83), vous avez jugé « qu'alors même
qu'elle ne faisait pas l'objet du renvoi préjudiciel, l'interprétation du traité et
des actes communautaires que la Cour était compétente pour donner en
vertu du a et du b de l'article 234 du TCE s'impose au Conseil d'État ». Ayant
pris toute la mesure de votre fonction de juge communautaire de droit
commun, vous n'hésitez plus à conférer leur pleine portée aux procédures
institutionnalisées de coopération.
Votre décision GestasNote de bas de page(84) constitue une autre illustration
de la complète assimilation de la responsabilité qui vous incombe dans le
respect de la règle communautaire et la garantie de son application
uniforme. Après avoir rappelé que l'autorité qui s'attache à la chose jugée
s'oppose à la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique dans
les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la
décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitiveNote de
bas de page(85), vous avez fait exception à cette règleNote de bas de
page(86) en admettant que la responsabilité de l'État puisse être engagée
dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une
violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des
droits à des particuliers. Cette solution souligne la part que vous prenez
désormais dans la protection des droits subjectifs des ressortissants
communautaires.
Mais tout change si vous vous placez du point de vue des titulaires des droits.
Il s'agit de l'approche retenue, depuis l'origine, par la Cour de Luxembourg et
tout vous conduit à la faire vôtre aujourd'hui, afin d'assurer le plus
efficacement possible le plein respect des règles communautaires. Cette
approche repose sur la spécificité de la construction communautaire dont les
mécanismes affectent non seulement les États mais aussi leurs
ressortissants, sur l'idée même de Communauté dont l'existence dépend
autant sinon plus des citoyens justiciables que des autorités nationales. C'est
cette idée que formule, en des termes évocateurs, l'arrêt Van Gend en Loos
du 5 février 1963 en rappelant que les sujets de ce « nouvel ordre juridique »
sont « non seulement les États membres mais également leurs ressortissants
» pour en déduire que « le droit communautaire, indépendant de la
législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef
des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans
leur patrimoine juridique ». Cette logique est parfaitement décrite par Denys
Simon, dans son ouvrage précité : « [...] en imposant des obligations aux
États membres, les traités font naître, par une sorte d' « effet réflexe », des
droits au profit des individus qui doivent pouvoir exiger que le respect des
obligations souscrites par les États membres soit assuré par les tribunaux
nationaux ».
Admettre, dans les conditions ci-dessus définies, l'effet direct d'une directive,
respecte, en deuxième lieu, parfaitement la logique juridique. La
détermination de l'effet d'une norme dépend des destinataires de la règle
posée. S'agissant des directives, il convient de bien distinguer les débiteurs
de l'obligation de faire que sont les États-membres des destinataires finaux
de la règle qui peuvent être les particuliers. Lorsque la directive pose un droit
à leur profit, que celui-ci est défini de manière claire, complète, précise et
inconditionnelle et que l'État a manqué à son obligation de transposition, les
particuliers tirent de leur qualité de destinataire de la règle la faculté de s'en
prévaloir devant le juge. Et s'ils peuvent l'invoquer à l'encontre de l'État, c'est
précisément en raison de sa qualité d'obligé. Mais le caractère exclusif de
cette qualité implique que ce droit subjectif ne peut être invoqué qu'à son
encontre. C'est pourquoi l'effet direct ne peut être que vertical ascendant.
Par nature, il ne pourra jamais être ni vertical descendant ni horizontal.
Devant vos sous-sections réunies, nous avions constaté les limites des outils
de contrôle dont dispose le juge de l'excès de pouvoir lorsqu'il est soutenu
devant lui qu'une décision administrative est empreinte de discrimination,
sauf à ce que l'élément qui révèle l'existence de la discrimination alléguée
ressorte clairement des pièces du dossier. C'est ainsi que, dans votre
décision El HaddiouiNote de bas de page(107), vous avez annulé la
délibération du jury du concours interne d'officier de la police nationale parce
qu'il ressortait « des pièces du dossier que, lors de l'entretien d'évaluation
qui était au nombre des épreuves d'admission subies par M. El Haddioui, le
jury lui a posé plusieurs questions portant sur son origine et sur ses pratiques
confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse »Note de bas de
page(108). Mais de telles flagrances sont peu fréquentes.
S'agissant de la lutte contre les discriminations, le droit international et, en
particulier, le droit européen ont constitué de puissants aiguillons. L'approche
française de la question reposait traditionnellement sur le principe d'égalité
de traitement.
Mais il n'est pas toujours aisé pour les victimes d'un comportement
discriminatoire, par nature inavouable, d'en rapporter la preuve. Idem est
non esse et non probari. L'appréhension juridique en général, et judiciaire en
particulier, des discriminations pose donc au premier chef la « question de la
preuve »Note de bas de page(118).
Dans ces conditions, nous estimons qu'eu égard tant à la rigueur des
exigences qui s'attachent au principe à valeur constitutionnelle de l'égalité
de traitement qu'aux difficultés particulières propres à la caractérisation
d'une discrimination, il vous appartient, à l'instar de ce qu'a su faire le juge
judiciaire, de faire évoluer spontanément vos règles jurisprudentielles
relatives à l'administration de la preuve.
Vous utilisez les pouvoirs dont vous disposez dans la conduite de l'instruction
pour faire participer le défendeur à l'établissement des preuves. Comme
l'explique Bernard Pacteau, dans son article précité : « [...] en pratique, ses
silences sont mis à son débit ; ses réticences à s'expliquer et à participer à
l'instruction du procès se transforment en charges contre lui ; son
impuissance, ou en tout cas sa carence, font présumer le bien-fondé des
prétentions, allégations et revendications du demandeur ». En constitue une
illustration le mécanisme de l'acquiescement implicite du défendeur aux faits
exposés par le requérant, aujourd'hui codifié à l'article R. 612-6 du code de
justice administrative.
C'est au fil des affaires dont vous serez saisis qu'il vous appartiendra de
préciser concrètement la marche à suivre. Comment traduire, dès
aujourd'hui, ces nouvelles modalités s'agissant du cas particulier des
décisions qui touchent, comme dans la présente affaire, au recrutement ou à
la promotion professionnelle ? Dès lors que le requérant apportera un
faisceau d'éléments de faits faisant naître une présomption de discrimination,
l'administration devra en défense apporter les éléments vous permettant de
vous assurer que la décision contestée est justifiée par la prise en compte
des seuls capacités, aptitudes et mérites des intéressés. Cela vous conduira
pour la première fois, dans pareille configuration, à devoir peser les mérites
respectifs du bénéficiaire de la décision attaquée et de ceux dont la
candidature n'a pas été retenueNote de bas de page(136).
Quels sont les éléments de fait qu'avance Mme Perreux à l'appui de ses
allégations selon lesquelles sa candidature aurait été écartée en raison de
ses responsabilités syndicales?
Elle évoque ensuite le contexte dans lequel le refus litigieux est intervenu. Un
faisceau de circonstances, dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée,
plaide en faveur de ses allégations (voyez pour les conséquences à tirer
d'une réunion de circonstances, Sieur Lévy précité). Il s'agit respectivement
de la connaissance par l'administration de ses responsabilités syndicales
(déléguée de la section du Syndicat de la magistrature au TGI de Bordeaux),
du triple refus opposé à ses candidatures à l'ENM ainsi que des modalités
particulières du processus de nomination (notamment les nombreuses
prorogations des délais de candidature) et enfin de l'avis favorable à sa
nomination du directeur de l'ENM recueilli en vertu de l'article 10 du décret
du 21 décembre 1999. Selon cet avis en date du 25 avril 2006, « après un
examen attentif des candidatures [...] Mme Perreux présente le profil requis
pour occuper ces fonctions. Le parcours diversifié et l'expérience confirmée
dans des fonctions pénales et à l'application des peines de ce magistrat me
paraissent constituer des atouts importants pour la qualité de la formation
dispensée aux auditeurs de justice ».
Ajoutons que Mme Dunand a produit devant vous des observations qui
attestent de sa motivation personnelle et confortent notre appréciation
s'agissant de ses qualités professionnelles.
Mais vous devez tenir le vôtre. C'est à vous seul que revient la charge de
faire respecter le principe de légalité, y compris lorsque pèse sur la décision
attaquée devant vous une présomption de discrimination. C'est à cette fin
que nous vous avons invité à aménager, sans attendre l'application de la loi
du 27 mai 2008, les règles d'administration de la preuve. Si les éléments de
contexte sont pertinents pour caractériser une présomption de
discrimination, le juge de l'excès de pouvoir doit s'en tenir à l'appréciation de
la légalité intrinsèque de la décision attaquée. L'instruction de cette affaire
nous a conduit à forger notre conviction : nous pensons, au vu des
justifications objectives apportées par le ministre de la Justice, que, pris
isolément, le refus de nommer Mme Perreux à l'ENM que révèle l'arrêté du 29
août 2006 n'est empreint, en tant que tel, d'aucune discrimination syndicale.
Vous jugerez, si vous nous suivez, que le choix effectué par le ministre de la
Justice doit être regardé, compte tenu des qualités respectives de deux
candidates en lice, comme sans lien avec la discrimination alléguée. Dans ces
conditions, l'arrêté du 29 août 2006 n'est pas entaché d'erreur de droit, pas
davantage, eu égard aux considérations qui précèdent, qu'il n'est entaché
d'erreur manifeste d'appréciation. Dans la configuration dans laquelle se
présente le litige, le rejet du moyen d'erreur de droit qui a vous conduit à
exercer un contrôle entier s'agissant de la comparaison des deux
candidatesNote de bas de page(144) emporte a fortiori celui tiré de l'erreur
manifeste à avoir nommé Mme Dunand sur le poste litigieux.
Si vous nous suivez, vous rejetterez les conclusions dirigées contre l'arrêté du
29 août 2006 ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à
l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Annexe
Mme Perreux
Considérant que, dès lors que les conclusions de Mme Perreux dirigées contre
le décret du 24 août 2006 sont irrecevables, l'intervention du Syndicat de la
magistrature au soutien de ces conclusions est également irrecevable ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de ses allégations,
Mme Perreux se fonde sur des éléments de fait, tenant tant à la qualité de sa
candidature qu'à des procédures antérieures de recrutement à la fonction de
chargé de formation pour l'application des peines à l'École nationale de la
magistrature, pour soutenir que cette candidature aurait été écartée en
raison de ses responsabilités syndicales connues de l'administration ; que ces
éléments de fait sont corroborés par une délibération en date du 15
septembre 2008 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et
pour l'égalité, que cette dernière a entendu verser au dossier de la procédure
en application de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 ; que, si ces
éléments peuvent ainsi faire présumer l'existence d'une telle discrimination,
il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison
produits en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice que la
décision de nommer Mme Dunand plutôt que Mme Perreux au poste de
chargé de formation à l'École nationale de la magistrature repose sur des
motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates ;
que la préférence accordée à la candidature de Mme Dunand procédait en
effet d'une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux
magistrates et des appréciations que comportait l'avis motivé en date du 10
avril 2006 établi, conformément à l'article 12 du décret du 21 décembre 1999
régissant les emplois de l'École nationale de la magistrature, en vigueur à la
date de la décision attaquée, par la commission de recrutement mise en
place par l'école ; qu'elle était également en correspondance avec les
critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par l'école,
tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l'équipe pédagogique,
ainsi qu'aux capacités linguistiques requises par ses missions
internationales ; que, dans ces conditions, ce choix, même s'il n'était pas
celui du directeur de l'école, dont l'avis était prescrit par l'article 10 du même
décret, doit être regardé comme ne reposant pas sur des motifs entachés de
discrimination ; que, dès lors, il n'est pas entaché d'erreur de droit ;
Décide :
----------
(6) V. pour des illustrations dans votre jurisprudence notamment CE, sect.,
29 juill. 1994, Société Prodes International, Lebon 390Document
InterRevues ; CE, sect., 20 juin 2003, SA Etablissements Lebreton, Lebon
273Document InterRevues.
(7) CE, ass., 22 déc. 1978, Lebon 524. V. not. CE 3 mars 1982, Mathe,
Lebon T. 540 et 724Document InterRevues ; CE 13 déc. 1985, Zakine, Lebon
T. 448, 515, 740 et 750Document InterRevues ; CE 28 sept. 1998, Ferrari,
Lebon T. 801 et 1142Document InterRevues.
(9) Après un arrêt du 6 oct. 1970, Franz Grad, relatif aux décisions prises
sur le fondement du 4e alinéa de l'article 189.
(10) Voir également CJCE 26 févr. 1975, Bonsignore ; CJCE 28 oct. 1975,
Ruttili ; CJCE 8 oct. 1976, Royer.
(11) Dans l'arrêt précité Société SACE, la Cour relevait qu'il « convient de
considérer non seulement la forme de l'acte en cause mais encore sa
substance ainsi que sa fonction dans le système du traité ».
(20) Ainsi définie par les auteurs de l'article précité : « les dispositions de
la directive servent, dans un premier temps, à écarter le droit national qui lui
est contraire puis s'y substituent pour combler la lacune ainsi créée ».
(28) En ce sens, not., CJCE 10 avr. 1984, Van Colson et Kamann ; CE, sect.,
22 déc. 1989, Ministre du Budget c/ Cercle militaire mixte de la Caserne
Mortier, Lebon 260Document InterRevues ; CE 8 déc. 2000, Commune de
Breil-sur-Roya, Lebon 581Document InterRevues : « il appartient aux
autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d'exercer les
pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en lui donnant, dans tous les cas où
celle-ci se trouve dans le champ d'application d'une règle communautaire,
une interprétation qui soit conforme au droit communautaire » ; CE 1er avr.
2009, Communauté urbaine de Bordeaux, société Kéolis, à paraître au
LebonDocument InterRevues.
(35) V. pour une telle hypothèse 7 déc. 1984, Fédération française des
sociétés de protection de la nature, Lebon 410Document InterRevues, selon
laquelle les autorités nationales « ne peuvent légalement édicter des
dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par
les directives ».
(38) CE, ass., 28 févr. 1992, Lebon 80Document InterRevues, dans laquelle
vous avez jugé illégales des décisions ministérielles réglementaires prises sur
le fondement de dispositions réglementaires prises en application d'une loi
incompatible avec les objectifs d'une directive communautaire.
(39) CE, sect., 3 déc. 1999, Lebon 379Document InterRevues, par laquelle
vous avez censuré l'erreur de droit du ministre chargé de la chasse à s'être
fondé sur des dispositions législatives incompatibles avec la directive du 2
avril 1979 pour refuser d'exercer, dans le respect des objectifs de cette
directive, la compétence réglementaire qu'il tenait d'autres dispositions du
code rural.
(42) Pour avoir omis de prévoir des garanties comparables pour le cas des
refus de renouvellement de titre de séjour.
(46) V. pour une autre illustration CE, sect., 20 mai 1998, Communauté de
communes du Piémont-de-Barr, Service des eaux et de l'assainissement du
Bas-Rhin, Lebon 201Document InterRevues.
(47) Selon Denys Simon, « [...] les normes auxquelles est reconnu un effet
direct jouissent d'une justiciabilité renforcée qui correspond à leur
applicabilité substitutive ».
(48) CJCE 26 févr. 1986, Marshall ; CJCE 14 juill. 1994, Facini Dori.
(60) V. Tribunal Supremo, ch. sociale, 13 juill. 1991, qui expose de façon
très didactique, avant de l'appliquer, la jurisprudence de la CJCE. V., par ex.,
Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décis. du 5 juill. 1997 : RJ 1997. 6151 ;
Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décision du 20 févr. 1998 : RJ 1998. 604 ;
Tribunal Supremo (Sala de lo Contencioso-Administrativo), décis. du 12 déc.
2002, RJ 2003. 36 ; Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décision du 27 mars
2009, JUR 2009. 169539.
(63) Foster v. British Gas. Foster v. British Gas Plc (HL) [1991] 2 A.C. 306.
(65) Cass. Italie 7 oct. 1981, Ministre des Finances c/ Société Cartiere
Timavo.
(67) Consiglio Stato, sect. VI, arrêt du 14 avr. 2008, n° 1596. Ces solutions
s'appuient notamment sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-
ci a reconnu entre autres : le devoir du juge national de ne pas appliquer une
norme de droit interne incompatible avec le droit communautaire; le devoir
qui s'impose non seulement au juge, mais aussi à l'administration publique,
de se conformer au droit communautaire et le fait que les directives
bénéficient de l'effet direct à l'encontre de l'État dès lors qu'elles contiennent
des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises.
(68) Notamment Civ. 1re, 23 nov. 2004, pourvoi n° 03-10.636, Bull. civ.
2004, n° 280, s'agissant de la directive du 16 févr. 1998 visant à faciliter
l'exercice de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où
la qualification a été acquise ; Com. 7 juin 2006, pourvoi n° 03-15.118, Bull.
civ. 2006 IV, n° 136.
(69) Civ. 2e, 3 avr. 2003, pourvoi n° 01-21.266, Bull. civ. 2003, n° 101
s'agissant de la directive du 5 avr. 1993, dont la Cour relève qu'elle «
n'affecte pas la compétence des États membres d'organiser leur régime
national de sécurité sociale ».
(74) Pour reprendre les termes de Marcel Waline, dans son article sur « Le
pouvoir normatif de la jurisprudence » qui décrit ainsi l'hypothèse d'une «
réception implicite de la règle jurisprudentielle par le législateur » : «
l'absence complète de réaction de ceux qui avaient l'initiative des lois signifie
que l'interprétation du droit objectif donné par la jurisprudence ne leur a pas
paru choquante ou, si l'on veut, suffisamment choquante pour justifier une
réaction ».
(75) Dans lequel ne figurent plus les décisions cadres.
La loi-cadre européenne est un acte législatif qui lie tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.
La décision européenne est un acte non législatif obligatoire dans tous ses
éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que
pour ceux-ci.
(77) V. sur ce point J. Roux, Les actes : un désordre ordonné ?, Europe, juill.
2008.
(92) Selon Henri Savoie, dans ses conclusions sur l'arrêt Tête.
(99) Ce qui vise les décisions individuelles, les décisions collectives et les
décisions d'espèce.
(100) Un délai supplémentaire de trois ans n'était octroyé que pour la mise
en oeuvre des dispositions relatives à la discrimination fondée sur l'âge et le
handicap.
(105) Yves Galmot l'affirmait, dans ses conclusions sur la décision Tochou
(CE, sect., 22 avr. 1966, Lebon 279Document InterRevues) : « la charge de la
preuve n'existe pas ».
(106) V. par ex. CE 28 sept. 2005, S.A. Carto-Rhin et Me Mulhaupt, Lebon
T. 1124Document InterRevues.
(122) Ainsi que le rappelle votre décision Paisnel (CE 4 juill. 1962, Lebon T.
1077), le juge administratif dirige seul l'instruction des affaires.
(128) Que nous citons à nouveau : « toute personne qui s'estime victime
d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction
compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces
éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en
cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination
».
(132) Qui aménage, dans les mêmes termes, la charge de la preuve pour
les litiges portés devant le juge du travail en application des deux premiers
alinéas de l'article L. 122-46 du code du travail relatifs au harcèlement sexuel
au travail et du deuxième alinéa du nouvel article L. 122-49 relatif au
harcèlement moral au travail.
(136) Ainsi que le relève Gwénaëlle Calvès, dans son article précité : « le
jugement de comparaison [...] est inhérent à toute caractérisation d'une
situation de discrimination ».
(137) La Haute autorité avait été saisie, le 22 juin 2006, d'une réclamation
du Syndicat de la magistrature relative aux rejets des candidatures
successives de Mme Perreux.
(138) Sénat-débats du 5 mars 2006.
Une nouvelle étape dans l'Europe des juges(1), L'effet direct des directives
devant la juridiction administrative françaiseCommentaire d'auteur
6. En premier lieu, l'une des idées qui la sous-tendent, qui veut que les
règlements n'aient pas à être adoptés sous le pavillon des directives, n'est
bonne qu'en apparence.
Il n'a jamais été question pour les institutions de l'Union européenne, de
prendre des mesures d'applicabilité directe sous forme de directives, en ce
sens que même les dispositions claires, inconditionnelles et inflexibles des
directives doivent être transposées dans les États membres à l'issue de la
période transitoire qui naît de l'adoption de la directive et qui s'achève avec
l'expiration du délai de transposition.
Surtout, ce ne sont que certaines des dispositions des directives qui sont
rédigées d'une manière telle qu'elles ne laissent pas de marge aux États
membres. Directive et règlement ayant une même valeur normative, on peut
accepter que, à l'intérieur d'un cadre offrant des alternatives aux États pour
atteindre certains objectifs, certaines prescriptions leur soient imposées, sans
qu'il soit nécessaire de passer par l'adoption d'un règlement à cette fin - ce
qui simplifie grandement la présentation de textes souvent touffus : en
France, le Conseil constitutionnel a bien admis que des dispositions de nature
réglementaire puissent figurer dans la loi ! De même qu'il existe, malgré la
lettre du traité, des règlements qui ne sont pas une source immédiate de
légalité car nécessitant des mesures intermédiaires de mise en oeuvreNote
de bas de page(8), il peut y avoir, à l'intérieur de certaines directives, des
dispositions qui n'admettent pas de marge de manoeuvre quant au résultat à
atteindre par les États membres : c'est alors uniquement sur la manière
d'atteindre cet objectif (par voie constitutionnelle, législative ou
réglementaire) que l'enveloppe « directive » laisse une liberté aux États.
Comme cela avait été relevé dès 2006Note de bas de page(11), le texte
même du traité sur l'Union européenne tel qu'applicable depuis l'entrée en
vigueur du traité d'Amsterdam et jusqu'à celui de Lisbonne laissait entendre,
par un a contrario, que ses auteurs reconnaissaient le bien-fondé de
l'interprétation donnée par la Cour à l'ancien article 249 CE - lequel n'a au
demeurant pas été modifié depuis 1957 pour faire échec à la jurisprudence
Van Duyn, comme le « constituant » européen aurait pu le faireNote de bas
de page(12). En effet, dans la mesure où le b) du paragraphe 2 de l'article 34
UE, reprenait, pour les décisions-cadres, la définition que l'ancien article 249,
alinéa 3, CE donnait aux directives, et précisait en outre que les décisions-
cadres n'avaient pas d'effet direct, on pouvait en déduire que cet effet était
inhérent aux directives communautaires.
Il n'est pas possible qu'une institution demande aux pouvoirs publics que les
textes soient intelligibles sans elle-même satisfaire à cette exigence dans sa
fonction juridictionnelle. Or la complexité du mécanisme de l'exception
d'illégalité savamment mis en place par la décision Cohn-Bendit et les
contorsions auxquelles le justiciable devait se plier pour bénéficier des droits
conférés par une directive étaient aux antipodes de l'objectif de lisibilité de la
règle juridique : rien n'était plus difficile par exemple que de restituer
l'acrobatique jurisprudence d'assemblée Tête du 6 février 1998Note de bas
de page(14) aux étudiants en L2 de droit. Au demeurant, tirée à l'extrême de
ses possibilités avec la décision Tête où la jurisprudence a été écartée
comme contraire à une directive communautaire, l'exception d'illégalité se
heurte à un angle mort dans le cas de figure improbable de l'affaire Perreux,
où il n'existe aucune norme écrite ou principe jurisprudentiel pouvant être
écarté pour que, en pratique, la requérante puisse bénéficier des règles de
preuve favorable reconnues par la directive à qui se prétend victime d'une
discrimination syndicale.
En outre, le Conseil d'État était pour le moins isolé dans sa lecture de l'article
288 TFUE, de sorte que, loin de favoriser un dialogue des juges, la singularité
de la jurisprudence Cohn-Bendit avait la tonalité d'un dialogue de sourds.
Après quelques hésitations pour certaines d'entre elles, toutes les juridictions
des États membres, y compris la Cour de cassation françaiseNote de bas de
page(15), reconnaissent désormais un effet direct aux dispositions claires,
inconditionnelles et inflexibles des directives. Si besoin était, elles peuvent
trouver un appui dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme qui s'est prononcée en faveur d'un tel effetNote de bas de page(16).
Depuis sa décision Loi pour la confiance dans l'économie numérique du 10
juin 2004, le Conseil constitutionnel a reconnu qu'une directive pouvait
comporter des dispositions inconditionnelles et précises - à charge pour le
juge « ordinaire » d'en déduire alors qu'elles sont d'effet direct. Le Conseil
d'État lui-même se penche désormais sur le degré de précision des directives
pour apprécier la manière dont il convient d'exercer le contrôle de la
constitutionnalité des actes réglementaires de transpositionNote de bas de
page(17).
Enfin, le refus de l'effet direct des directives n'était pas sans poser, au sein
même de la jurisprudence administrative, d'insolubles contradictions, à deux
égards. En plein contentieux d'abord, et notamment en contentieux fiscal, la
mise à l'écart des dispositions de portée générale « en tant qu'elles ne
prévoient pas » l'avantage octroyé par voie de directive et réclamé par le
contribuable conduisait en pratique le juge à reconnaître un droit à bénéficier
des dispositions de la directive - l'affaire Cabinet Revert et Badelon l'avait
bien montré dès 1996 à propos d'un texte ne comportant pas une
exonération fiscale figurant dans la 6e directive TVANote de bas de page(18).
Devant le juge de l'excès de pouvoir, la circonstance que le justiciable ait
assorti ses conclusions d'une demande d'injonction revenait en pratique à
des résultats comparables à ceux qui auraient résulté de l'effet direct : il
suffit à cet égard de songer aux célèbres contentieux formés par une
ressortissante portugaise tendant à son intégration dans le corps des
directeurs d'hôpitauxNote de bas de page(19). Dans ces hypothèses, il n'y a
pas qu'un simple effet d'exclusion du droit français : les droits conférés par
les dispositions précises et inconditionnelles d'une directive viennent se
substituer au droit national.
12. L'effet direct ne peut naître qu'une fois passé le délai de transposition (tel
était le cas dans l'affaire Perreux, les États membres ayant en principe
jusqu'au 2 décembre 2003 pour se conformer aux prescriptions de la
directive 2000/78/CE), et uniquement pour les dispositions des directives
présentant une précision normative suffisante, dépourvues de flexibilité,
c'est-à-dire ne laissant pas de marge d'appréciation aux États quant au
résultat à atteindre.
15. Ainsi, au titre de l'invocabilité d'exclusion (qui n'était pas en cause dans
l'affaire Perreux), l'existence d'une marge de manoeuvre n'empêche pas le
juge national de vérifier que les dispositions ou règles jurisprudentielles
nationales sont dans la « fourchette » admise par une directive
européenneNote de bas de page(27).
16. Si tel est bien le cas, il appartient alors au juge, au titre de l'invocabilité
de « transfusion » (D. Simon), et même dans les litiges entre particuliersNote
de bas de page(28), de donner lorsque cela est possible aux dispositions
nationales ou aux principes jurisprudentiels une interprétation qui se
rapproche du résultat que les dispositions dépourvues d'effet direct d'une
directive tendent à atteindre - c'est la jurisprudence bien connue Cercle
militaire mixte de la caserne Mortier du 22 décembre 1989 du Conseil
d'ÉtatNote de bas de page(29).
***
(3) L'on rappellera qu'en revanche la Cour a fait sienne la théorie de « l'acte
clair » rappelée par la décision Cohn-Bendit et dégagée dès 1964 par le
Conseil d'État.
(5) « Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un
acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et
inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais
impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».
(8) V. par ex., pour des règlements laissant une marge de manoeuvre aux
États membres : CJCE, ord., 5 mai 2009, Atlantic Dawn, aff. C-372/08 P (pt 36)
; TPI, ord., 9 janv. 2007, Lootus Teine Osaühing, aff. T-127/05 (pt 47).
(9) Il est à cet égard certain que la décision Perreux ne remet pas en cause la
suprématie de la Constitution française telle qu'elle a été affirmée dans les
affaires Association Avenir de la langue française (CE 30 juill. 2003, Lebon
347 ; AJDA 2003. 2156, obs. J.-M. PontierDocument InterRevues ; Europe,
févr. 2004, comm. P. Cassia et E. Saulnier n° 30 ; CE 27 juill. 2006, Lebon
379Document InterRevues) : invitée à faire au cas par cas application des
dispositions d'effet direct d'une directive, sous peine d'annulation,
l'administration reste incompétente pour prendre, par voie réglementaire, les
mesures de transposition qui relèvent du domaine de la loi.
(10) La Cour juge de manière constante, d'une part, que « l'obligation pour
un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le
résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante imposée
par l'article 249, troisième alinéa, CE et par la directive elle-même [qui]
s'impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre
de leurs compétences, les autorités juridictionnelles » (v. par ex. : CJCE 7
sept. 2004, Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, aff. C-
127/02, pt 65), et d'autre part, que « en vertu d'une jurisprudence constante
développée à propos de l'article 10 CE (...) le devoir des États membres, en
vertu desdites dispositions, de prendre toutes mesures générales ou
particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du droit
communautaire s'impose à toutes les autorités des États membres, y
compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles »
(v. par ex. : CJCE 27 oct. 2009, Land Oberösterreich, aff. C-115/08, pt 138).
(14) CE, ass., 6 févr. 1998, Tête, Lebon 30Document InterRevues, concl. H.
Savoie ; JCP 1998. II. 1223, note P. Cassia ; CJEG 1998. 283, note P. Subra de
Bieusses.
(15) V. par ex. : Crim. 21 févr. 1994, Ochtman Herbert, Bull. civ. n° 74, p.
159.
(16) CEDH 30 mai 2005, Bosphorus c/ Turquie, § 93.
(26) Alors que les stipulations des conventions internationales classiques qui
sont dépourvues d'effet direct ne sont pas invocables devant le juge (CE,
sect., 23 avr. 1997, GISTIDocument InterRevues), les dispositions du droit de
l'UE imprécises et conditionnelles peuvent déployer des effets de droit autres
que celui de substitution, et demeurent donc invocables en justice.
(27) V. par ex. CJCE 19 sept. 2000, Linster, aff. C-287/98, points 35 à 38 :
RFDA 2003. 568, note O. DubosCommentaire d'auteur ; CJCE 7 sept. 2004,
Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, aff. C-127/02 (pts 66 à
69).
(28) CJCE 5 oct. 2004, Pfeiffer, aff. C-379/01 à C-403/01 (pt 119) ; R. Boffa, La
force normative des directives non transposées, in C. Thibierge (dir.), La force
normative, LGDJ, 2009. 323, spéc. p. 332.
(30) Pour reprendre les termes de : CE, sect., 3 déc. 1999, Association
ornithologique et mammalogique de Saône-et-LoireDocument InterRevues :
GAJA, 17e ed., n° 105GAJA1720090105.