Francois Laruelle Homo Ex Machina
Francois Laruelle Homo Ex Machina
Francois Laruelle Homo Ex Machina
vrits.
Nous
sommes
en
attente
d'une
seule
la
dise
gnostique, matrialiste,
non-philosophique,
www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan 1 wanadoo. fr
2005
2-7475-9438-6
EAN: 9782747594387
L'Harmattan,
ISBN:
HOMO EX MACHINA
L'Harmattan
5-7,
L'Hannattan Hongrie
L'Harmattan Italia
Knyvesbolt
10124 Torino
12B2260
ITALIE
Ouagadougou 12
KossuthL. u. 14-16
1053 B udapet
Franois LARUELLE
Certes il y a des effets (de clonage) mais ils n'ont rien d'automatique et
ne doivent pas tre considrs dogmatiquement comme des choses inertes.
Ils sont pour partie, ct matriau, forms de choses inertes du Monde mais
dj envelopps dans un horizon de philosophabilit ou de transcendance
(qui lui-mme inclut la possibilit d'un sujet ou de ce que l'on appelle
ainsi), ces deux composants tant mlangs. Et pour une autre partie
d'une immanence radicale ou vcue (le Vcu-en-personne) qui, elle,
exclut d'tre mlange et n'est pas de toute faon une partie d'un ensem
ble. Or le mlange et le non-mlange ne se mlangent pas mais, si l'on peut
dire, s'pousent ou s'embrassent, s'unissent sans anneau de synthse, dans
une alliance irrversible que l'on appelle le sujet-existant-tranger ou exis
tant-en-lutte. Ce sujet est le vritable effet, entier, en son identit et sa dua
lit (unilatrale), c'est la pratique comme incluant un matriau forme
philosophie. O dans ce sujet l'effet de la pratique est-il lisible ? Dans et
comme ce que nous avons appel le phnomne ou l'apparatre du sujet
pratique, qui n'est pas la juxtaposition de deux moitis mais la transforma
tion de l'un des cts par l'autre auquel il s' unifie sans synthse. Les effets
par exemple d'noncs textuels, s'ils ne so nt pas continment rapports
1 'Identit-en-personne ou clons, perforrns, redonnent lieu de la prati
que chosifie et inerte, automatique, aperue du point de vue de la philo
sophie seule et livre alors la division do nt on a parl plus haut. L'tre
perforrn de 1'Identit ou de l 'Homme-en-personne et de ses effets clons
toutefois n'est pas lui-mme visible ou sensible, mais il se marque par de
tels effets non pas dans le visible et le sensible de l'histoire et du monde
comme dans un rceptacle, mais mme leur forme-philosophie ou
monde. Cette forme ainsi transforme donne lieu un apparatre phnom
nal ou dtermin-en-dernire-identit (en-dernier-vcu ?). C'est la forme
philosophie telle que donne en-Un, ou encore son identit transcendan
tale.
Dans cette forme-philosophie est incluse en particulier de la subjectivit
dont l'apparatre phnomnal en-Un est le tissu de l'effet de sujet. Il est
donc exclu de toute faon que les effets dtermins, qui sont d'extraction
philosophique puissent tre produits par un systme automatique, du
moins pour autant que le mcanisme transcendantal de la philosophie
puisse chapper lui-mme cet automatisme et cette rduction un sim
ple mcanisme. C'est la transcendance en gnral qui exclut sa rduction
un algorithme. Maintenant on peut videmment poser le problme du
degr d'automatisation possible de la transcendance qui est le nerf trans
cendantal de la philosophie. Mais dans la mesure o elle se continue quoi-
que transforme dans le sujet, elle limite les chances de 1' automatic it et
du formalisme.
On peut videmment comparer les modes d'immanence de l'Homme et
de la machine. Ou bien celle-c i suppose un humain dont la mac hine imite
au plus prs le fonc tionnement, c 'est une intriorit de conscience tale
dans l 'espace. Ou bien cette immanence machinique et algorithmique est
premire, et c 'est la conscience ou notre concept de conscience qui imite
la machine. On tourne dans un cercle vicieux.
L'Homme-en-personne, lui, n'est pas un sujet au sens traditionnel ni un
homme au sens anthropologique, un mode en gnral de la conscience
ou de l'tre. En un sens la passivit de l'Homme-en-personne ne fait
que renforc er l'aspect mc aniste , mme si l'on dit que c 'est du vc u
pur. Son aspect d'automatisme est peut-tre une apparenc e cre par l'ab
senc e ou le manque d'un sujet ac tif, reprable et identifiable, qui fait croire
une machine. L'Identit-en-personne ressemble une machine sans en
tre une, c 'est l'immanence radic ale qui fait penser ic i la transcendance
et son vide de subjec tivit. L'immanenc e radic ale aussi est vide de sub
jectivit mais pas de vcu, c 'est ce qui la distingue d'une machine. Ic i ce
n'est pas la machine qui simule un homme la limite vanouissante de la
conscience, c 'est l'Homme-en-personne qui simule une machine ou un
automatisme.
L'Homme, n'tant pas une conscience ni un inc onsc ient, semble sans
doute et de manire ngative plus proche de la machine, sinon de son
immanence, il est ncessaire comme prsuppos, ncessit logique et
relle sans mlange. Tout ce qui vient de la philosophie ou la suppose est
de 1 'ordre du Rel au moins comme symptme, ce qui vient de la logique
et de la ncessit est de l'ordre de l'identit. On pourrait dire que
l'Homme-en-personne est an-axiomatique ou an-hypothtique, au sens o
le a privatif est radical ou exprime que l'Homme est en-Homme et
non soi ou en soi, et donc forc los au philosophe comme toute automa
tic it. Au lieu de supposer vrais les axiomes comme dans la logique, on les
suppose rels ou anaxiomatiques. Pas d'axiome d'axiome, mais un non
axiome ou an-axiomatique.
Ce sont des axiomes unilatraux, ils le sont par un de leurs cts seule
ment, ce ne sont donc pas des axiomes autorfrents (non-gdelisme),
encore qu'il n'est pas sr que cela existe, sauf sous la forme langage et
mtalangage, le mtadiscours servant dire les axiomes ou leur statut.
L'Un-en-Un n'est pas le 1 en fac e du 2/3 de la philosophie. Il n'est pas des
criptible en termes de transcendanc e absolue mais par des axiomes qui
donnent o sont ses effets. Encore l'automatisme, l'Un n'est perceptible
8
que par ces effets de discours ou sa pratique, pas en lui-mme, ce n'est pas
une chose ou une intuition intellectuelle. M . Henry n'a pu s'empc her de
lui donner un contenu identifiable dans la transc endanc e. Mais ce n'est pas
1' automatisme algorithmique qui est intgralement visible, donn de
manire finitaire et quasi-gomtrique. L'automatisme scientifique est de
la transcendanc e mais pas philosophique, elle suppose donc un mtalan
gage, c ' est sans doute la forme de complexit du rapport scientifique au
rel.
L'Homme-en-personne n'est pas un auto-mate, un fonc tionnement
auto-nome, auto -fonctionnel, ni un fonctionnement qui suppose une mul
tiplicit de pices et d'effets. C'est la rigueur un uni-mate en l'occ urrence
dterminant une pratique (uni-mate signif ie que l'aspect -mate est
ordonn l ' aspec t identit ou dtermin en-Un). Le terme d' imma
nenc e est finalement trompeur comme les autres, faisant que les philo
sophes croient une chose, alors que ce n'est ic i comme le reste qu'un
attribut qui disparat dans un axiome qui en fait usage, un terme qui dsi
gne par apparence objective le Rel. La pratique non-philosophique est,
elle, un uni-mate au sens o c 'est l un terme premier unifi et non un syn
tagme unitaire. Toutefois ce ne peut tre que la condition de connaissance
au mieux d'un automatisme de nature philosophable. Celui-c i se veut en
mode auto- (ce qui n'est jamais tout fait vrai). L'auto- suppose une
immanenc e ac tive-passive, une transc endance, un systme unifi de pic es
multiples, au moins deux et finalement 2/3.
Finalement on doit commencer par distinguer entre les deux formes
d'automatisme, la philosophique et la logique, et une forme minimale qui
est plutt unimatique, La logique admet un mtalangage, la philosophique
plutt une hermneutique, l'unimatique interdit le mtalangage et l'herm
neutique ou opre leur thorie unifie. Dans les trois cas il s'agit de parler
sur une discipline, philosophie, logique. Ces deux-c i rsolvent le pro
blme en parlant l'une de l'autre avec leur langage propre qui leur permet
aussi videmment de parler d'elles-mmes respec tivement.
mlange philosophique s'oppose la dualit du mtalangage logique,
la non-philosophie est peut-tre ce qui unifie ces deux pratiques, la trans
cendantale et la mtalinguistique, deux types de dualit, ou encore ce que
j' ai toujours appel la posture philosophique et la posture scientifique. Ce
serait les trois grands styles, peut-tre est-ce ce mot de style qui est le meil
leur ? Ce que j 'appelle axiome n'est pas un mtalangage pour la philoso
phie et ses propres axiomes ni une hermneutique philosophique o
est conserv quelque chose de transc endantal, mme si les axiomes tien
nent du mtalangage et de l 'interprtation des postulats philosophiques. Le
9
principe et qui justement ne peut tre rappel par le calcul. Cet hori
zon transcendantal c'est l'auto-position ou la < dcision philosophique .
L'auto-position semble un but atteindre et que la philosophie atteint, mais
elle l'atteint autant qu'elle le manque ou du moins elle inclut son ratage
dans sa russite. L'auto-position est une performance suprieure ou le
concept suprieur et transcendantal de la performance. Le schma en
2/3 ou 3/2 est une approximation arithmtique alors que la philosophie est
une arithmtique transcendantale ou qui vaut pour l'existence ou le rel.
L'arithmtique vaut >> aussi du rel, mais d'une rgion du rel, pas de
manire fondamentale du rel lui-mme, et de plus elle vaut pour lui ou
possde un pouvoir constituant de lgislation. La philosophie est transcen
dantale en un sens troit pour l 'exprience et en un sens large pour soi
mme en tant qu'elle est parfois la pense du rel mais aussi le rel ou la
pense comme rel. Or ce rapport l'exprience et/ou soi est dit trans
cendantal parce qu'il conditionne ou lgifre sur son objet auquel il appar
tient en mme temps qu'il ne s'y puise pas ou ne s'y rduit pas. Le
concept de performance n'a donc ici de sens que local mais pas global,
provisoire mais pas final. Ne serait-ce pas paradoxalement un artefact ou
un concept, une reprsentation de la conscience ?
Comment imaginer que l'acte de position qui a un statut la fois de
mtaphore et de sens propre (il faut qu'il y ait du propre ou du rel dans la
philosophie et qu'elle ne soit pas mtaphorique de part en part mme si elle
se dcouvre hallucinatoire sous d'autres conditions), puisse tre calculable,
rductible des effets de combinaisons numriques ? plus forte raison
la division et le redoublement de la position, les actes de d-position et de
sur-position, enfin l' auto ? Un dernier argument du mme type peut
se fonder sur le noyau auto-spculaire de la philosophie comme spcula
tion. La spcularit philosophique (fondement de son thoricisme) n'est
pas simple, il y faut un miroir qui tient lieu de rel, et qui peut dans cer
tains cas idalistes tre lui-mme pris dans le jeu des reflets. Cette
structure ultime de la philosophie, prsuppose par les doctrines qui se
rclament de la philosophie mais n'en poursuivent pas l'analyse jusqu'
son terme dernier ou minimal, est un phnomne que l'on peut dire quali
tatif autant au moins que certains pourraient le vouloir quantitatif ou sim
plement le driver comme inessentiel. La grande loi de la philosophie, loi
qu'elle est autant qu'elle la subit, est d'tre un mlange du numrique et du
qualitatif sous la forme ici de la position ou de la spcularit. Rien n'auto
rise un philosophe, c'est--dire quelqu'un qui distingue la philosophie et la
cognition, se laisser intimider par les performances des machines, qui
sont vraiment des performances mais rien de plus.
12
14
QUI
CONTRE LE THORlCISME
19
quant notre posture : celle de deux spectatrices enveloppes dans leur drap
subjectif, mais engages ailleurs, aussi, dans une pense qui porte le nom
provocateur de non-philosophie . Un pont venait d'tre tendu entre
Matrix et la philosophie au ctoiement de notre dissidence, leur attribuant
une identit commune et dessinant par l un horizon artificiel.
C'est dans ce lieu thiquement irrecevable que notre posture critique
trouve son origine et son sens, sans s 'y rduire tout fait, depuis cet
axiome d'autonomie et son infraction philosophique : Matrix est une
uvre d'mt qui donne simplement voir et ressentir quelque chose, n'au
torisant personne y projeter une intentionnalit ou une identit suppl
mentaires. Prcisment, ce n'est donc pas vers une polmique se cristalli
sant autour d'une hypothtique identit philosophique ou non-philosophi
que du film que nous entrane notre diffrence relle. Ce n'est pas d'un
affrontement entre deux crits qu'il s'agit l, mais plutt de : ce qui peut
se produire quand deux postures ce point diffrencies par leur nom se
rencontrent autour d'une mme uvre donne ou dans un mme prsent,
et doivent alors simplement clarifier leur identit. Pour elles-mmes, et
non pour Matrtr. La spcificit de notre propos dcoule des plus subtiles
entrailles de notre posture encore ambigu quant sa forme et son vri
table sens, dont le nom rsonne spontanment comme une opposition logi
que, mais qui constitue tout la fois : une critique d'ordre thorique 1,
d'o nat une identit lgitime, et le style de travail ou de pratique qui en
dcoule 2. Notre diffrence se situe donc ailleurs que dans un simple pli
dialectique, mais cet ailleurs n'mergera qu'au terme de notre texte, c'est
-dire : dans cette temporalit particulire oblige dont nous ne pouvons
lucider tout fait la cause sans nous loigner un peu trop de Matrix.
Simple question de temps plutt que de lieu.
Comment donc parler aprs ce livre depuis cette autre identit, en son
nom plutt que le ntre ? Comment le faire sous la double contrainte qui
fonde prcisment son sens non-philosophique, c'est--dire : sans lucider
sparment cette posture dans un apart thorique hors propos, et en tenant
compte d'une lecture parallle du film qui ne s'y substitue pas mais qu'elle
permette au contraire d'clairer ? Mais est-ce seulement l un si curieux
dcours ? Matrix nous a demand de naviguer dans les mmes eaux trou
bles, avec la mme patience, cherchant peut-tre nous prouver qu'il est
possible de rsoudre une situation apparemment aussi conflictuelle que
peut l'tre une guerre sans en matriser au dpart ni les tenants ni les abou
tissants, mais juste : le rapport. Comprendre notre posture selon la tempo
ralit qu'elle suppose, la respecter sans en contrler la raison, implique de
nous imaginer un instant en guerre contre la philosophie, le plus spontan22
ment du monde puisque nous n'avons pas (encore) le choix. Sans rsister
pour l'instant la confusion si probable qui entoure notre diffrence, et
plus positivement : dans le pur style de Neo.
Un plaidoyer thorique en faveur d'une uvre acheve
Paradoxalement, alors mme qu'il sature de rfrences philosophiques
et de symboles, Matrix, machine philosophique dserte un espace de
rflexion pourtant essentiel qui nous laisse avec cet arrire-got amer
d'une attente due. Aucune explication n'est donne du parcours si
trange que Neo effectue, contrairement ce que laissaient entendre le titre
et le mode d'emploi qu'il suggre : Il sera bien entendu question ici de
philosophie ( . . . ) mais pour autant, il sera question du film, c'est--dire de
son intrigue et de ses personnages, de ses symboles et de ses lieux (3).
Nous ne trouvons aucune rponse thorique ou srieuse ces questions
drisoires lies la dimension opratoire du film : le hros triomphe-t-il,
comment s'y prend-il, le miracle s'accomplit-il, quelle est la morale de ce
conte, que signifiait tout le cheminement mystique de Neo ? Sans doute
n'y a-t-il aucune ncessit vouloir surcharger Matrix d'un sens qu'il
laisse dcouvrir ou le clturer d'une fin qui demeure suspendue, et en
ce sens, notre propos ne dnonce aucun manque, aucune promesse non
tenue. Mais sans doute n'y a-t-il pas davantage de raison, tout juste un
curieux empressement, vouloir rduire Matrix ses deux premiers piso
des, soit aux deux tiers d'une trilogie annonce, ni mme supposer facul
tatif de l'avoir vu (4).
La prcocit de la publication limitait en tout cas cette possibilit de lec
ture un mode strictement spculatif suspendu un risque, suggrant une
posture thique douteuse mais qui ne justifiait pas absolument une dcision
d'crire. Ce n'est peut-tre l qu'un dtail, anodin. Nous identifions au
contraire ce parti pris temporel et le soupon de ddain teint d'humour (5)
qui 1' accompagne, comme le double symptme : 1/ d'une impossibilit
prescrite par l'identit mme de ce livre - la philosophie - 21 mais
refoule ou convertie positivement au dtriment de Matrix en une question
de consistance. Le dcryptage du scnario de Matrix court-circuit par son
amputation serait alors, plus qu'un objet impossible effectuer philosophi
quement : un terrain de jeu sans intrt pour un film dcousu ne possdant
ou ne dfendant aucune thorie propre qu'il soit alors possible d'en
extraire. Justifiant ainsi de compliquer Matrix d'un arrire-plan philoso
phique qui lui est de droit tranger, sorte de Cour des grands >> o rson
nent, ple-mle, plus que des problmatiques anonymes, les noms de
23
donc leur audace et leur cohrence logique, mais avant cela : de quelle ins
piration commune peut donc dcouler l 'impression d'une si parfaite sym
trie entre deux propos tenus sparment, sans concertation ? Car au
del d'un simple questionnement similaire, de troublantes rsonances
nous suggrent quelque chose de plus qu'une simple hypothse, comme
une exprience de pense incluant : une rsolution identique, et ce mme
penchant pour la dsobissance (10).
- identiquement assum
C'est de cet tonnement, de ce surgissement imprvu de Matrix
dans une problmatique songe depuis un autre bord, qu'est n cet autre
pont, d'un genre spcial, que nous tendons vers la non-philosophie. Dans
une nouvelle fiction, sans extrapolation militante ou identification force,
hors toutes rfrences culturelles. Nous nous en tiendrons Matrix et son
intriorit close, nous autorisant le scinder dans le seul cadre de notre tra
vail entre un contenu d'ordre thorique - son hypothse-scnario - et
sa rsolution cinmatographique incluant l'ensemble des ressources qu'il
mobilise. Or prcisment, aucun dialogue, aucun enchanement n'est en
contradiction avec une ventuelle rsolution non-philosophique de 1 'hypo
thse, simple et universelle, donne par Matrix au film lui-mme : deux
intelligences ou identits s'affrontant dans une guerre qui semble joue
d'avance selon l'vidence d'une fatalit numrique. En ce sens, Matrix
vient en quelque sorte dfier notre engagement thorique et cette posture
anonyme que nous croyions tre seuls oser, rendant un jeu possible entre
nous.
-
la
pense-monde . La
(12).
tion d'un monde imaginaire cr dans le seul but de nous maintenir sous
contrle. Aussi longtemps que la matrice existera, l'humanit ne sera
jamais libre .
risque stratgique que prend Neo, et, un niveau que nous avons dj sug
gr, 1' occasion de dcouvrir un aspect ou un niveau supplmentaire, sans
doute suprieur, de la Matrice. Or plus qu'une diabolisation idaliste ou
philosophique de la matrice, c'est autre chose qui selon nous se produit
rellement l : une radicalit de l'assujettissement jusqu'ici inaperue,
sorte de douche glace, terrifiante, qui fait basculer le film dans une incer
titude inquantifiable. Exigeant pour Neo d'inventer et de repenser Je
contexte comme une nouvelle donne o l'illusion est totale, et o se sus
pend alors jusqu' cette problmatique de la simulation. Au point qu' cet
instant prcis, l'imminence du dsastre lui-mme pourrait se rvler n'tre
qu'un mirage, une connerie (14), supposant de chercher son issue ail
leurs, loin de la dialectique du rel et du simul.
Cette errance ou cet chec, cette confusion des enjeux et du style de
rsolution qu'ils exigent, trouve un sens particulier dans la non-philoso
phie comme effet ultime d'un assujettissement dont 1' exprimentation
dtermine un point de non-retour ncessaire pour que l'apparence puisse se
rectifier et que la rsolution devienne possible. Selon un nouveau style non
rationnel. Car c'est bien de l'mergence d'un tel style puis de son effectua
tian par Revolutions qu'il s'agit l, c'est--dire : d'une posture dont
l'agencement interne est incomprhensible philosophiquement mais sans
laquelle certains choix de ralisation restent mystrieux, saugrenus ou arbi
traires.
Les derniers mots de Smith trouveraient en tous cas un sens moins ala
toire que celui dcoulant d'une altrit ordinaire ou d'une simple diff
rence homme-machine : Pourquoi, Monsieur Anderson? Pourquoi ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi tout a ? Pourquoi vous relever ?
Pourquoi vous battre ? ( . . . )Vous allez perdre, quoi bon continuer vous
battre ? Pourquoi M. Anderson ? Pourquoi persister ? . Neo perd la vue
dans le Logos, littralement, et sans doute n'tait-il pas absolument nces
saire brler les yeux du hros >>. Pas plus qu'il n'tait ncessaire de don
ner un nom aux vaisseaux, ni de ne pas en donner tout fait ce lieu va
sivement situ o Neo attend un train, quelque part entre Je monde Rel
et celui des machines . Peut-tre le moment o a lieu ce dialogue entre
Smith et Neo la fin du premier pisode n'tait-il qu'un hasard :
- Vous entendez, M. Anderson, a, c'est le son de l'inluctablit.
- Mon nom est Neo , simple concidence entre le pouvoir de nommer et
celui de tuer. Sans doute Trinity aurait-elle pu mourir un autre moment :
Neo n'aurait alors pas achev solitairement la mission qui le justifiait
comme lu, ni trouv peut-tre le soutien et la foi ncessaires pour parve28
29
33
C'est sur cet autre aspect du film que Matrix ralise galement une
prouesse. Par des choix cinmatographiques qui n'taient sans doute pas
prescrits sous une forme exclusive et qui peuvent alors, peut-tre, s'inter
prter comme de nouveaux symptmes d'une intuition non-philosophique
aussi par sa forme. Si tant est qu'on les laisse rsonner ensemble comme
nous y autorise l'espace infragmentable qu'est l 'uvre (d'Art). Matrix
surmonte en effet cette difficult concrte que pose l'cran pour faire
clore, hors du langage et ses replis abstraits, de ses ponctuations thori
ques ou de ses parenthses : le Rel dsir par la philosophie, mais com
pris non-philosophiquement comme Identit radicale, apriorique de toute
reprsentation. Nous avons trembl pour les frres Wachowski tant le pari
nous semblait audacieux. L'cran risquait d'aplatir sur un mme plan les
diffrentes strates du film converties pour ses propres besoins en lieux
(Zion, la Ville des machines, ce lieu de transit o Neo attend un train, cette
pice blanche o il rencontre 1 'Architecte, le restaurant du Mrovingien)
symboliquement articuls par << diffrents niveaux de cryptage (code
vert, code dor) (22). Or Matrix donne ailleurs - comme nous avons
tent de le montrer - suffisamment de signes d'une autre comprhension
pour arracher son hypothse la simplicit d'une topologie plate, et sus
pendre la frustration illgitime des mtaphysiciens qui s'attendaient y
trouver une rflexion en images sur l'inconsistance du monde ou l'insis
tance en lui de ce qui se soustrait par principe toute reprsentation >> (23).
Morpheus enseigne Neo dans le premier pisode : ce n'est pas une
question de lieu, c'est une question d'poque . Si l'on rapporte cet
axiome le sens ou la fonction de ces diffrents lieux, dans l'espoir peut-tre
d'en former une cartographie suffisante pour visualiser et comprendre cet
trange univers dans sa globalit, c'est ce style mme de reprsentation
que le film impose qu'on renonce. Matrix ne permet aucun moment de
stabiliser une vision d'ensemble de son propre dcor, ni mme une image
dgrise de la Matrice et de son fonctionnement prcis rendant compte de
l'intgralit de ses portes drobes et de ses rouages secrets, pas plus qu'il
ne permet Neo de consolider un savoir. Mais cette impossibilit n'est une
limite ou un handicap qu'au regard de cette autre posture vers laquelle Neo
est constamment rabattu, conduit, et dont il s'affranchit : la posture phi
losophique ou la Reprsentation. Dans le mme esprit, il y aurait sans
doute d'autres choix de ralisation possibles symptomatiques du style que
Matrix semble refuser : exposer sparment ces deux mondes, s'y attarder
un peu, leur donner un contour, la forme d'une socit ou d'une civilisa
tion. De la mme faon, le film chappe la tentation d'un happy-end ou
d'une apocalypse, c'est--dire, la reprsentation de ce nouveau
34
cer . Il n'y a aucune raison dans Matrix vouloir compliquer sa fin d'une
forme ou d'une conclusion qui lui sont trangres en vertu mme de
l'axiome que le film se donne travers Neo : aucune raison n'est suffi
sante au regard de la dcision de dire non. Il n'y a aucune coquetterie son
ouverture nigmatique, aucune rtention d'un hypothtique sens cach,
tout juste une invitation penser ; et dans ce contexte, prsupposer le
contraire vaut comme le symptme d'une attente contradictoire avec le
reste du film. Philosophique selon un sens que Matrix n'explicite pas
comme tel mais suggre peut-tre, donnant Smith - tonnamment
dcrit comme la figure la plus mystrieuse de Matrix (27) - une
signification sans doute ironique : le nom propre, symbolique et anonyme
de n'importe quel philosophe (28) simplement envisag dans son rapport
Neo et la Matrice. C'est--dire comme fonction et diffrence. Or si Smith
ne survit pas au pouvoir que la Matrice donne Neo de tuer, tuant tra
vers lui, et si ce choix scnaristique tait effectivement inluctable ,
comment assumer philosophiquement ce dnouement ? Et avant cela,
comment concevoir sereinement cet Hiroshima sans dsastre que Matrix a
rellement le pouvoir, selon nous, de produire dans la philosophie ?
moins qu'elle ne soit, elle aussi, comme le suggre l 'Architecte dans
Reloaded, prpare affrpnter d'autres niveaux de survie . ? Sans
doute aurait-il mieux valu opt pour le silence que pour l'audace et dser
ter - pour un autre plus modeste - le terrain strictement philosophique
de cette projection,
.
des grandes civilisations, ainsi que certains discours philosophiques sur les
origines du Contrat social (Hobbes, Rousseau notamment). Enfin,
Reloaded et Rvolutions viennent dmentir que Morpheus sache vraiment
ce dont il relve dans le fonctionnement de la Matrice. Morpheus ne ment
pas, mais doit avouer et s'avouer lui-mme qu'il ne connat pas LA
Vrit et peut-tre mme que la notion de Vrit n'existe pas, qu'elle ne
signifie rien dans la mesure o elle ne recouvre aucune ralit concrte.
Ainsi, la reconnaissance de l'aveuglement de Morpheus nous invite-t-il
un renoncement la Vrit comme certitude dfinitivement acquise pour
aller vers un ailleurs, mais lequel ?
Un autre personnage prtend connatre la vrit, le Mrovingien :
<< Sous notre apparence d'quilibre, la vrit est que nous sommes compl
tement hors de contrle (Reloaded). Mais le Mrovingien nonce-t-il
exactement ce qu'il veut dire ? Sa phrase ne renferme-t-elle pas un sens
qui lui chappe (32) ? Cet lment parmi beaucoup d'autres nous amne
penser que les frres Wachowski jouent avec le public et avec la discipline,
qui, au travers de l'laboration d'une thorie de la connaissance, se pro
clame la recherche de la Vrit : la philosophie. La profusion des rf
rences et la multiplicit des niveaux de lecture (33), ne sont pas l dans
l'unique but de donner en pture au public une certaine philo fast-food
ou une pense pop-corn , selon certains critiques acerbes (34), sous
prtexte de monter un film d'action pseudo intellectuel. Nous accordons
aux auteurs plus de crdit, ayant cur de nous extraire du cercle des dis
cours mprisants qui ont entour la trilogie. Cette posture dlibre, nous
l'adoptons autant par respect pour toute uvre crative qu'en raison d'une
certaine motivation issue de la pratique de notre discipline, la non-philoso
phie, qui tend moins dprcier ses objets, matriaux d'tude, qu' les
considrer sous un certain regard (la Vision-en-Un) qui fait d'eux aussi une
part de nous-mmes, tout en gardant leurs caractristiques et qualits pro
pres. Selon cette posture, nous est apparue une concordance tonnante
entre la forme et le fond du film, tendant vhiculer une mme ide : la
qute d'une Vrit intangible est vaine et ne s'accorde ni avec le Rel ni
avec la ralit que nous en connaissons.
En ce qui concerne la forme : le systme d'imbrication des codes
mythologiques et symboliques en tous genres fait que l'mergence d'une
seule et unique vrit sur la trilogie Matrix, en tant qu'uvre, est impossi
ble ; on ne peut mettre que des hypothses. Les auteurs prtendent que
Tout est intentionnel . Mais faut-il entendre cette affirmation comme :
Tout ce que vous avez pu interprter du discours et des symboles des
films n'est pas un hasard ; nous l'avons voulu et matrisons le sens de ce
38
que vous avez pu y lire ou bien ce que vous voyez et interprtez, votre
attitude mme, constituent un tout cohrent au service d'une ide inten
tionnelle globale contenue et suscite la fois dans le fond et la forme de
la trilogie >> ? Les philosophes et exgtes en tous genres s'tant jets
avec plus ou moins de retenue ou de frnsie dans le cadre de la premire
proposition, nous, nous plaons, en vertu de notre posture non-philosophi
que, dans le second espace de possibilit qu'ouvre cette phrase. Ainsi, nous
mettons l'hypothse que c'est prcisment cette qute effrne de savoir
se manifestant de manire symbolique ou conceptuelle, mais toujours plus
ou moins sotrique, que les auteurs parodient. La trilogie nous laisserait
voir de manire mtaphorique que, comme le dit le Conseiller Hamman
dans Reloaded, Il n'y a rien voir [ . . . ] ; c'est tout vu : la prtention
toujours plus ou moins philosophique la Vrit est infonde. Paradoxe ?
Sur le fond : les propos du Mrovingien que nous avons cits font cho
ceux de Trinity dans Matrix. Neo, lors de son premier retour dans la
Matrice, s'tonne du nombre de souvenirs qu'il lui reste de sa vie .
Pourtant, aucun n'est vrai. Qu'est-ce que cela veut dire ? , s'tonne-t
il. La rponse de Trinity, donne sans hsitation, nous surprend ce stade :
<< Cela signifie que la Matrice ignore tout de ce que l'on est >> . << Et
l'Oracle le sait ? , demande Neo. C'est diffrent , rpond Trinity.
Nous n'en saurons pas plus ce moment de la trilogie. Mais la problma
tique de la vrit est d'ores et dj pose : les personnages sont pris dans
un rapport un systme qui les asservit et pourtant ce systme ne semble,
en dernier ressort, ne rien connatre rellement d'eux. C'est--dire que la
relation (ici minemment conflictuelle) Homme-Systme ne fait pas cercle
dans une connaissance mutuelle parfaite, pouvant relever de 1'existence ou
de la possibilit d'acquisition d'une quelconque vrit. Un lment
demeure obscur qui dtermine et unilatralise ce rapport : un Rel qui
chappe tout autant aux humains qu'aux machines. Un Rel de Dernire
Instance, le Rel non-philosophique qui signifie que l'Identit relle des
humains et celle des machines, et a fortiori celle de leur rapport, est incon
naissable. C'est dans cet horizon de pense que nous comprenons la scne
o Neo rencontre chez l'Oracle un << Autre (lu) potentiel >>, l'enfant la
cuillre
- L'ENFANT
- NEo
Quelle vrit
39
moment investir, cette porte troite que l'on peut toujours passer pour ne
plus revenir, le personnage de l'Oracle l'incarne tout entier, Elle est pour
le rcit, mais pour nous aussi, l'exemple type selon lequel l'entre d'une
inconnue dans la Matrice peut susciter un nouvel tat qu'il est impossible
de prvoir. C'est un Donn-sans-donation qui gnre des effets indtermi
nables par avance. Si le retour un tat d'quilibre s'effectue, ce n'est
jamais le mme qu'auparavant et mme l'infime variation qui va en rsul
ter peut changer un ensemble de paramtres du systme voire le systme
en son entier. De la mme manire, la trilogie met en action la pense et
propage un questionnement quelque niveau de lecture du film que ce soit,
qui n'est pas suppos sans but. Mais ce but nous est inconnu et ne peut tre
matris totalement. Les effets mme du film sur le public sont imprvisi
bles (36). Comme Neo qui agit en Dernire-Instance en se disant - peut
tre - que son action pourra modifier le cours des choses, les auteurs
gnrent une vague dont on ne sait pas qu'elle consquence elle peut avoir
sur les spectateurs. Mais justement, celle-ci transforme, en tout cas, de
simples spectateurs-rcepteurs en acteurs et modifie leur horizon psycho
logique, mme leur insu. Ici encore, le rapport entre le contenu thmati
que de la trilogie et les effets concrets gnrs par le film n'en finissent pas
de nous surprendre.
Hypothse 2 : Il n'y a de connaissance Relle que dans 1 'acceptation
des limites de notre connaissance, dans l 'accueil du chaos et de la peur
qu'il engendre.
Dans le monde apparemment clos et verrouill de la Matrice, l'ouver
ture d'un possible, a fortiori toute tentative de subversion, semble inconce
vable. Et pourtant, Morpheus (Reloaded) puis Niobe (Revolutions) dcla
reront : Il y a certaines choses en ce monde qui ne changeront jamais,
mais d'autres changent ( Heureusement pour nous , ajoutera Niobe).
Prise au premier degr, cette sentence sous forme de lapalissade, peut pr
ter sourire. A y regarder de plus prs, dans le contexte que nous venons
d'voquer, sa nave simplicit se transforme en expression beaucoup plus
subtile d'une connaissance pratique du systme, peut-tre encore intuitive,
mais fortement ancre dans l'esprit de ceux qui tentent d'y survivre.
L'explication historique de cette ouverture au changement nous est donne
par l'Architecte dans Reloaded :
- ARCHITECTE
vraie uvre d'art, irrprochable, sublime. Un triomphe qui n' eut d'gal que
41
- NEO : L'Oracle ?
: Voyons . . . [ . . . ] Comme je le disais, elle est tombe sur
une solution auprs de 99% des sujets d 'exprience qui acceptaient le pro
gramme tant qu'on leur pennettait de choisir. Mme s'ils n'avaient l'intui
tion de ce choix que dans leur subconscient profond. Mme si cela fonc
tionnait, c'tait forcment fondamentalement dficient, contribuant crer
l'exception confinnant la rgle, l'anomalie systmique qu'il fallait emp
cher de menacer le systme lui-mme. Par consquent, tous ceux qui refu
sent le programme, mme minoritaires, sont pris en compte parce qu'ils
reprsentent une inquitante probabilit de dsastre.
- ARCHITEC
42
43
Je sais que vous tes l. Je sens votre prsence. Je sais que vous avez
peur. Vous avez peur de nous. Vous avez peur du changement. Je ne connais
pas l'avenir. Je ne suis pas venu vous dire comment cela finira. Je suis venu
vous dire comment cela va commencer. Je vais raccrocher ce tlphone et
ensuite, je montrerai tous ces gens ce que vous ne voulez pas qu'ils
voient. Je leur ferai voir un monde sans vous, un monde sans limites ni
frontires, un monde o tout est possible. Ce que nous en ferons ne dpen
dra que de vous .
tion intgrale, l'ternit immuable d'un systme parfait. La foi qui sous
tend la trilogie est donc radicalement autre que celle de la religion ; autre
que la foi en un Dieu dont la cration est tout autant voue la perfection
et l'immuabilit. Cette foi, constitue de doutes et d'errance mais surtout
d'une esprance insense, est celle de Neo. Dcider de croire en un possi
ble dont nous ignorons tout en Dernire-Identit, source d'un savoir qui
reconnat ses limites et accueille le non-savoir comme une immense et
insondable richesse de dcouverte, parce que personne ne peut voir plus
loin qu'un choix dont le sens lui chappe >> (L'Oracle, Reloaded et
Revolutions). Simplement. Personne, pas mme un programme ; proba
blement encore moins un concepteur de systme, que celui-ci soit philoso
phique ou non. Ne serait-ce pas l, la source d'une Relle libert ?
Hypothse 3 : Il n 'y a de libert relle que dans l'mergence d'un
savoir non-perfonnatifdu but et du sens de notre existence.
" Cela n'a pas de sens >> se dit Lock(e) (37) lorsque la guerre prend
subitement fin, sans que l'ultime bataille n'ait pu tre livre. Comment
comprendre qu'elle se soit droule ailleurs, selon des lois et des modali
ts que le commandant ne voulait pas admettre possibles ? Que la foi irra
tionnelle et potentiellement dangereuse de Morpheus soit finalement
accrdite par les vnements, au dtriment d'une logique rationnelle
implacable, cela dpasse 1 'entendement de cet homme, imbu de ses fonc
tions, si pntr de son seul sens du devoir qu'il l'empche de prendre la
juste mesure de la ralit. Le Commandant Lock(e) ne fait confiance per
sonne, si ce n'est lui-mme, et ne se fie qu' son propre jugement.
Adversaire et rival de Morpheus, il en est galement l 'envers de par sa per
sonnalit. Ses choix ne sont pas motivs par la foi mais par la plus stricte
analyse, et si celle-ci se rvle finalement plus oprante, c'est que (comme
pour l'Architecte, versant Matrice) les donnes du problme, les forces en
jeu deviennent si nombreuses qu'elles dfient tout calcul, aussi puissant
soit-il.
Mais comment faire confiance dans un tel monde ? C'est bien la ques
tion que pose Neo l'Oracle lors de leur seconde entrevue (Reloaded) :
- NEo : Vous n'tes pas humaine. Vous tes un programme et Smith
aussi. Et si c'est vrai, vous faites aussi partie du systme, un autre genre de
contrle.
- RACLE
- NEO
Continue.
45
c'est que tu n'as aucun moyen de savoir si je suis l pour t'aider ou pas.
C'est toi de voir. Je ne vais pas dcider ta place si tu vas accepter ce
que je vais te raconter ou le rejeter. Bonbons ?
- NEo : Vous savez dj que je vais le prendre . . .
- ORACLE : Je ferais un pitre Oracle dans le cas contraire
- NEO : Si vous le savez
Ainsi, pour rpondre cette question, Neo doit substituer le voir au savoir,
passer un autre mode de connaissance qui ne relve pas de l'analyse logi
que. Cette scne est une tape importante dans son volution qui l'amne
progressivement dlaisser ses repres familiers pour cheminer vers une
perception, une comprhension du monde d'un autre ordre, jusqu' une
Vue-sans-vision ou selon la formule non-philosophique, la Vision-en-Un.
Au cur de ce cheminement, la question du pourquoi s'annonce essen
tielle. Lorsque le choix de la foi est fait, que reste-t-il ? Attendre ? Lors
de leur premire entrevue, l'Oracle avait dit Neo : Vous avez le pou
voir, mais vous attendez quelque chose votre prochaine vie, qui sait ?
C'est toujours comme a que a se passe . Attendre son dest1n ; attendre
que la prophtie s'accomplisse . . La fonction de l'lu ne correspond pas
ce type de schma ; Neo l'a bien compris en dcidant d'aller librer
Morpheus en dpit de toutes les indications qui lui avaient t donnes.
Lorsque le choix de la foi est fait, reste comprendre pourquoi ; telle est
1 'omniprsente problmatique de Reloaded.
Le Mrovingien lui aussi fait de la question du pourquoi le centre de son
argumentation, mais au service d'une thse oppose celle de l'Oracle.
Lorsque Morpheus, Trinity et Neo viennent lui afin de librer le Matre
des Clefs :
.
46
Le contrle est interactif : celui que je contrle pour mes besoins vitaux
me contrle ncessairement en retour, puisque, sans lui, je ne peux survi
vre (38). Le rapport de dpendance entrane une annulation des forces en
48
prsence, une mise des compteurs zro, qui fait glisser l'enjeu sur un
autre terrain. Lequel ? Justement celui de la raison et du but. A 1' avantage
sur son adversaire celui qui sait pourquoi et pour quoi il se bat, au-del de
la simple question de sa survie.
Le cheminement du personnage de Smith, tout au long de la trilogie,
ponctue cette rflexion autour du pourquoi et du but. Smith, agent de la
Matrice, qui par sa rencontre avec Neo, va pouvoir donner une autre enver
gure ses ambitions : survivre sa fonction, chapper sa condition
d'esclave du systme pour conqurir un espace d'tre la mesure du
monde. Smith, encore plus avide de pouvoir que le Mrovingien, car son
ultime dsir est de conqurir sa libert : J'ai besoin de m'chapper,
qu'on me libre [ . . . ] . Une fois qu'ils auront dtruit Zion, ils n'auront plus
besoin de moi >> (Matrix). La haine de l'agent Smith trouve sa source dans
la vulnrabilit de sa fonction ; une fois la tche acheve, son destin de
zl serviteur prendra fin. Smith est l'archtype de celui qui refuse sa
condition et dcide de s'manciper, quel qu'en soit le prix. Cette possibi
lit va lui tre donne par Neo, leur insu tous les deux, sans que ni 1 'un
ni 1' autre n'ait pu l'anticiper. A l'issue du premier combat, Neo traverse
Smith, ce qui, loin de dtruire l'agent, va dmultiplier son efficacit.
Smith, s'tant nourri de la diffrence de Neo par crasement ou copie )),
devient une sorte de mutant, mi-homme mi-machine, un homme nou
veau, apparemment libr dit-il :
Mais les apparences sont parfois trompeuses. Nous sommes ici parce que
49
50
51
52
Neo, Christfutur
(1) Nous crivons Matrix pour voquer la trilogie dans son entier et Matrix pour dsigner le
premier pisode.
(2) Alain Badiou, Thomas Benatouil, Elie During, Patrice Maniglier, David Rabouin, Jean
Pierre Zarader, Matrix, mnchine philosophique, Ellipses Marketing, Paris, 2003.
(3) Elie During, ibid., p.17.
(4) Ceux qui ne l'ont pas vu comprendront de quoi il s'agit en lisant d'abord La Matrice
ou la Caverne , ibid., p.l7.
(5) Glossaire , ibid., p.187.
(6) Elie During, ibid., p.17.
(7) Matrix est un film qui, philosophiquement n'est pas termin. C'est d'abord comme on
l'a vu un film d'action ; il demande activement tre philosophis , ibid., p. 9.
(8) Notre seule arme - dfaut d'un critre - contre l'hallucination.
(9) Si tant est que l'on puisse rellement guetter quoi que ce soit dans Matrix tant son dcours
est serr et cette tentation philosophique. . . douteuse.
( 1 0) Dans Reloaded, Morpheus rappelle la Rsistance l'engagement premier pour lequel ils
sont ici
.
55
Revolutions.
(30) Ce dialogue a lieu alors que l'Oracle propose un bonbon Neo, qui hsite, conscient
qu'il est peut-tre cet instant prcis manipul par l'Oracle. A dfaut de choix, il finit par
accepter avec la candeur d'un enfant emptr dans un raisonnement qui le dpasse encore,
ce moment-ci.
(31) Nous soulignons ici l'altrit du savoir )> qui permet No de suspendre l'assujettis
sement philosophique et de sauver Zion, celui, tlchargeable sous forme de program
mes, faisant loi dans la Matrice.
(32) Voir passage sur le contrle et le pouvoir.
(33) Nous pouvons en reconnatre dj une dizaine, outre le niveau narratif du rcit de
science-fiction : sportif, stratgique, artistique, informatique, psychanalytique, philoso
phique, politique, alchimique, religieux-mystique, mythologique, sotrique. . .
(34) cf. notamment l'article de Christophe Carrire, Express-mag, 8-14 mai 2003.
(35) Oracle : Rponse qu'une divinit donnait ceux qui la consultaient en certains lieux.
Mais aussi nom de cette divinit et nom du lieu o elle rendait ses prophties [confusion
du lieu, du sujet et de l'objet ?]. galement, personne qui parle avec autorit ou camp
tence.
(36) Aux tats-Unis, une tuerie a t perptre par deux adolescents qui ont tir sur leurs
camarades de collge la suite de la sortie de Matrix ; les jeunes gens ont dclar avoir
56
voulu imiter Neo et Trinity dans la scne o ils tentent d'investir l'immeuble o Morpheus
est retenu prisonnier.
(37) Est-ce l une rfrence au philosophe anglais John Locke ou bien doit-on en rester l'ac
ception originale du mot qui signifie verrou, cadenas ou verrouiller
}}
? Il y a cer
taines questions qui, selon nous, valent la peine de rester sans rponse . .
57
Psychanalyse
d'une critique ordinaire
par
Mariane BORIE
La couleur d'un certain style ou angle critique tait donne par une
signature philosophique officielle se projetant narcissiquement sous le film
et s'appropriant son identit en sous-titre >> (15), Nous n'avions pas tout
dit : Matrix, machine philosophique reproduisait la forme d'une machine
- philosophique par sa source ou ses contenus de pense - articulant
entre eux douze articles selon une trange combinatoire o chacun ren
voyait l'un ou plusieurs des onze autres. De telle que sorte que chacun
renvoyait la totalit qu'ils constituent ensemble (16) l'exception d'un
seul (<< Dialectiques de la Fable >>) auquel l 'introduction rendait ce suturant
hommage : Qu'Alain Badiou soit galement remerci pour le texte qu'il
a bien voulu nous confier. Son analyse est exemplaire de l 'approche axio
matique qu'autorise aussi le dispositif du film : poser l'axiome qu'il y a
du rel et s'y tenir, au risque de la fable elle-mme et de ses rebondisse
ments dans les pisodes suivants. Or curieusement, c'est la mme fini
tude que renvoyait notre posture comme une dcouverte suppose exclu
sive. De la mme faon, tout dans No - commencer par son titre et le
62
pont qu'il instaure entre deux uvres (17) - semble converger son tour
vers ce que nous nommions elliptiquement une identification , sans
expliquer vraiment : ni la ralit qu'elle recouvre, ni 1 'enjeu dont se reven
diquait alors, la dissidence de notre critique. Ainsi rattache intuitivement
un style dont No serait l'archtype ou l'actualisation d'un type gard
secret. Cette absence susciterait alors l'ide d'un divorce entre une image
thorique ou asctique de ce que doit tre une critique non-philosophique
- rfutant la conversion de deux imaginaires cloisonns - et celle
qu'elle construit en pratique - o elle les substitue l'un l 'autre. D'une
fracture refoule qui se rsorberait d'el1e-mme sous la pression d'une
sorte de Surmoi, et o notre dernire phrase - tout simplement il y a
Matrix - rsonne alors nos propres oreilles comme un simple repli
rhtorique ou comme une injonction, strictement thorique. Dissimulant,
sous une identification mimtique, le mme telos subliminal au regard
duquel l'intgrit de notre critique ne tiendrait qu' une auto-censure, et
notre dissidence, une utopie. Car c'est en effet sur une articulation ter
naire que reposait cette identification inconsciente ou dguise - selon
cette illusion que nous choisissons de creuser provisoirement - dans
laquelle 1' chec suppos objectif de Matrix, machine philosophique jouait
un rle dcisif. Comme pivot articulant les deux ples de notre mtaphore
la manire d'un systme, c'est--dire d'une machine.
A. Ple non-philosophique. !/ Nous faisions apparemment l'hypothse
d'un cogito non-philosophique dduit analogiquement d'une mtaphore
postule par Matrix, articulant sous une mme ralit - le Contrle
Absolu - la philosophie (son rfrent) et la Matrice (son signifiant).
Superposant notre mtaphore la sienne, et donnant alors : un visage la
philosophie, et Matrix, la valeur d'une critique constructive dont elle
serait l'objet. Cette hypothse d'un cogito semblait inspire par la coh
rence, trop parfaite pour n'tre qu'un hasard, d'un contenu et d'une forme
ralisant conjointement : l'uvre Matrix. Le sens restreint que nous lui
donnions se cristallisait alors autour de cette infime nuance suppose la
distinguer d'une thorie : la Matrice imagine par les frres Wachowski
est une forme simplement possible, singulire, de la philosophie telle que
nous la comprenons. En ce sens, Matrix donnait voir 1 'hypothse-critique
que la non-philosophie formule l 'encontre de la philosophie, rectifiant
par l sa reprsentation classique et donnant alors la ntre : unfondement
extrieur. C'est sans doute encore cette tentation secrte de voir en Matrix
un imaginaire commun au ntre que trahissait une question ambigu lais
se sans rponse : de quelle inspiration commune peut donc dcouler
l'impression d'une si parfaite symtrie entre deux propos tenus spar63
64
I. PREMIRE AUTOCRITIQUE :
L'HYPOTI!SE AFFECTANTE D ' UN RELOAD
1.1. Style, dialectique et performance
67
et lisse dont No ne parvenait pas seul sortir (42). Sans question ni pour
quoi, c'est--dire : sans un horizon philosophique avr donnant Matrix,
la valeur idale d'une thorie de la philosophie, et Matrix, machine phi
losophique, celle d'un discriminant postural ou d'un Sujet. En d'autres ter
mes, Matrix, machine philosophique nous permettait justifiant appa
remment l sa prsence - d'arracher notre interprtation mtaphorique
cette enclave muette et sans destination, la dfinissant comme une foi radi
cale que rien ne distingue formellement d'une hallucination ou d'une
obsession thorique. C'est--dire : de nous construire en Sujet d'une tho
rie ayant pour Objet la philosophie, et nous permettant - alors ou aussi
- d'lucider le dnouement de la trilogie telle que nous la rapportions
mtaphoriquement un enjeu postural. S'en suivait un enchanement appa
remment fatal incriminant l'hypothse d'un reload et prescrivant alors
No un destin philosophique tranger, au nom de Matrix et de son interpr
tation philosophique. Faisant (pour moiti) de la trilogie l'inespr sujet
d'une oeuvre dont No dmontrerait l'identit philosophique, contredisant
sa performance et donnant par l mme, la philosophie, le sens thorique
d'une conversion ou d'une appropriation force. Nous aurions alors nave
ment reconduit - sous le caractre d'un reload - le geste par lequel
toute critique philosophique instrumentalise [ncessairement] les uvres
au nom d'une objectivit dfinie comme critre ou comme horizon scien
tifiques. Leur donnant une identit - la philosophie - en sous-titre
(Matrix, machine philosophique) ou en arrire-plan (No) puis se
l(a r-)appropriant comme objet par le biais d'un mme sophisme
convoitant, cet endroit prcis : le pouvoir performatif de l'Art et l'uni
versalit de son cho. C'est--dire : le pouvoir qu'a Matrix de susciter une
exprience de pense qui ne se dilue pas dans le langage, et de lui donner
un enjeu concret ou une finalit repoussant galement ce risque.
Sous sa simplicit et sa contingence apparentes, notre dcision ren
verrait au contraire la complexit et l'sotrisme d'un style dfinissant
No comme un raisonnement par 1 'absurde, et son insuffisance, comme
une limite idalise justifiant rebours notre dcision rhtorique et la
ngation qu'elle porte en puissance. Selon un cercle tonnamment parlait
dissimulant prcieusement : le destin programm de notre mtaphore.
Nous aurions alors sciemment converti notre Objet (Matrix) en Question
(La Matrice est la Philosophie) (43) (a), notre Pratique (Critique des
Oeuvres) en Thorie de la Philosophie) (b), donnant notre << chec et
sa valeur suppose de reload une explication rationnelle que viendrait
thoriquement confirmer : la conservation finale de la Matrice. O Matrix
entrinerait notre imposture depuis un paradoxe qui n'en est - au regard
71
de la trilogie et de son sens secret - peut-tre pas un, mais qui en serait
un pour Matrix, machine philosophique tel qu'il se justifierait alors dans
notre critique depuis la perspective d'une clture, comme une objection
philosophique prvisible qu'il contiendrait en puissance. C'est--dire :
comme un moment thorique imagin avant nous par Matrix et
auquel renverrait (le sens ou la fonction relative que nous donnerions
implicitement ) Reloaded. En d'autres termes, nous aurions attribu
Matrix une mtaphore qui ne lui appartient pas comme telle, selon le sens
que nous lui donnions (44), mais qui permettait de produire un reload et
une conversion en son nom en gnrant une interprtation dont ce para
doxe est, avant tout (45), intimement solidaire. O nous ferions de ce
<< dnouement paradoxal >> (46) plutt que de notre argument rel le << dis
criminant objectif de l'identit de Matrix, en tant que ce paradoxe don
nait prcisment sa rsistance : la valeur modulable d'une confirmation
de notre mtaphore dont dpendait tout entire la possibilit [initialement
entr'aperue] de sauver No. C'est--dire d'unifier au nom de Matrix le
style apparemment (47) contradictoire de notre critique sous la forme in
dite d'une matrise et d'une temporalit ddouble que nous dsignerions
comme : la Forme-Philosophie, vecteur systmatique d'alination de
toute oeuvre.
72
rsolution est alors une Synthse, que nous dcrivons comme : la Forme
Philosophie ou la Forme-Monde fonctionnant comme Contrle Absolu.
Situant dans sa projection spontane et gnostique (A), le geste par lequel
la philosophie s 'approprie narcissiquement le sens de toute uvre (62),
depuis un simple vide ou un cercle vicieux (Suffisance), et dcouvrant sous
sa chronologie (B) : le sens auquel renvoie syntaxiquement la trilogie
dans l'imaginaire des auteurs (Foi). Ncessairement et sans contradiction.
Plus qu' une amputation stratgique ou un risque contredisant l'ide
d'une foi philosophique dont ils (63) ne sont que les aspects formels, ce
serait alors une vidence et une ncessit que renverrait la sortie prma
ture de Matrix, machine philosophique. Telle qu'elle actualiserait simple
ment cette promesse imaginaire et intimement ressentie que reprsente,
pour la philosophie, toute rsolution trilogique. S'expliquerait alors un
paradoxe autour duquel semblaient s'affronter deux interprtations
possibles d'un prvisible chec : celle invoquant une image philosophi
quement impensable de la philosophie >> laquelle Matrix donnerait un
indchiffrable visage, et celle invoquant une raison thorique associe
un telos. Or, si nous supposons (thorie) avoir dfinitivement rsolu, cet
endroit prcis, toute contradiction manant de No, est-il encore ncessaire
d'interprter sa finitude ou son autonomie comme une insuffisance ? Et
d'en apercevoir le symptme sous le pont qu'il instaure avec Matrix,
machine philosophique ?
En pratique, No renverrait au contraire un mixte articulant deux tex
tes selon une chronologie inverse o nous dmontrerions aprs coup une
autonomie dont nous nous serions pralablement acquitte, et o ce pro
longement dcoulerait tout au plus d'une sorte de sursaut ou d'apart pos
tural venant clairer - par un contrepoids thorique - ce qui n'est rien
de plus qu'une critique ordinaire (64). Or sous ce vague scrupule, nous
entrevoyons deux raisons suffisant peut-tre le justifier autrement
que sur le simple mode d'un affect imprcis : 1/ notre univers analogique
reposait en effet sur trois mtaphores donnant tour tour un visage la
Philosophie (la Matrice), l'Homme (Neo) et un Sujet Philosophique
(Smith) dont la signification semblait simplement se dduire des deux
autres. Or, notre analogie reposait cet endroit prcis sur une conformit
entre le style de l'mancipation de Smith et celui du progrs ou du savoir
philosophiques tel que nous le dcrivons comme une appropriation et une
capitalisation forces. Leur assignant le mme but (la Conservation de
Soi), le mme dsir (le Pouvoir) et le mme objet (le Rel). Sous cet
oubli thorique , nous dcouvririons au contraire la vritable fonction
que remplissait Matrix, machine philosophique dans notre argumentation
75
CONCLUSION THORIQUE :
L'HYPOTHSE << PENSE-MACHINE >>
77
78
Or, par le silence o est abandonne son lucidation sans critre (forclu
sion), cette articulation du savoir tolre une interprtation libre - appa
remment spculative - inspire d'un affect que nous prouvons la lec
ture des textes philosophiques. En rel, et sous l'insistance de notre impos
sibilit stabiliser une dfinition de la philosophie - comme de tout autre
terme prlev sur le langage ou les pratiques humaines , c'est--dire :
unifier le sens ou l'image ncessairement singuliers qu'en forme chaque
philosophe. Or, cette limitation des modalits d'argumentation de notre
posture (75) n'est un problme que si ce terrain frontal est pens comme le
lieu exclusif o elle doive se justifier. Nous imposant comme un prambule
oblig de lisser cette identit de philosophie telle qu'elle est alors suppo
se faire universellement sens, mais ce : depuis une ncessit strictement
79
la forme logique que cette quation confre au discours constitue alors son
versant rel et sa signature de telle sorte que : 11 toute thorie ne s'expo
sant pas la manire d'un (tel) systme est suppose (philosophiquement)
nulle ou insuffisante, 21 toute thorie rpondant ce critre de fermeture
ou se revendiquant comme thorie est symtriquement estampille (78)
comme sienne par la philosophie puis insre dans son histoire. Selon
notre hypothse, chaque discours prlev sur le Corpus des sciences
humaines - philosophique par son autorit, ses rfrences et son ratta
chement une discipline ou une couleur de pense - se donnerait donc
comme objet un Rel pens mtaphoriquement comme Machine, et asso
ci cette forme par la rigidit d'un destin. Lgitimant cette forme-sys
tme par un Rel spar dont elle prtend simplement accomplir la trans
cendance qu'effectue toujours le langage. Concrtement, dans les condi
tions que symbolise cette machine, le Rel serait pens comme un pro
cs dont rsulterait toujours le mme x , c'est--dire un Concept
prlev sur le monde et sur le langage ordinaire mais possdant son propre
objet : le Rel philosophique originairement Un dont chaque sujet tente de
reconstituer 1 'Unit rompue par le langage.
C'est cette conversion scandaleuse du Rel - ou de l'Un radical en une multiplicit, empirique et logique, que rpond notre rsistance
l'ordre philosophique, c'est--dire : une Machine ou une Intelligence
Artificielle gnrant mcaniquement les savoirs et les articulant la
manire d'un Tout.
La donation mtaphorique du Rel
Cet arrire-plan mtaphorique donne 1' engagement philosophique
pour le Rel ainsi converti en Objet, un sens ou une finalit, une forme ou
un style transformant en programme (assujettissement) ce qui n'aurait
jamais d n'tre qu'une tentative d'effleurement : produire une reprsen
tation rationnelle du monde pralablement dcoup en un nombre fini de
termes ou d'tants (xk) s 'articulant entre eux selon une architecture ayant
la consistance d'une machine. C'est cette reprsentation totale du
monde (79) qui constitue l'autonomie ultime ou le trsor dont rve chaque
philosophe, et vers laquelle son rve tend seulement ; c'est cette forme
systme idalise par la logique qui s'insinue dans notre imaginaire
collectif par leur intermdiaire, et conditionne notre qute mtaphysique
l'vidence ou la ncessit - purement artificielle - d'un style de ques
tionnement dialectique (80). C'est J 'chelle que constitue Je monde
82
cinement arbitraire dans tel champ de pense plutt que dans tel autre et
suscitant par l l'illusion d'un savoir. Pourtant, si l'on suppose qu'aucun
terme ou tant dont s'empare la philosophie n'est d'un sens plus simple ou
plus complexe, vident ou mystrieux qu'un autre, si l'on suppose qu'au
cune hirarchie n'interfre dans le communment admis << tout est philo
sophable , c'est supposer alors qu'un mcanisme compense cette limita
tion induite par le dcoupage thmatique de la pense.
Une telle opportunit est offerte par un autre aspect du discours philo
sophique - a priori sans rapport immdiat tant il semble anodin ou lgi
time - nous forant inclure dans son style : la rfrence inaugurale de
chaque thorie une Histoire des penses dans laquelle elle prtend s'in
srer, et commence par se situer. Sous son sens apparemment dfrent
d'hommage joint en surcrot au discours, nous voyons en effet une partici
pation active et un compromis cette absence de fondement du savoir
philosophique, s'articulant sur trois points. 1/ La << machine-monde >>
que nous incriminons, au creux le plus intime de chaque imaginaire
model par la philosophie, articule des contenus de pense se rpartissant
en un nombre fini de termes dont la somme dynamique constitue le Rel
philosophique. O chacune de ces machines renvoie simplement une
forme ou un visage indits du Rel dont elle conserve ou reproduit l'es
sence. 2/ Chaque machine singulire se diffrencie superficiellement
d'une autre par l'assignation sous chacun de ses termes, ou de ses compo
santes, d'un contenu de pense spcifique, mais c'est une seule et mme
machine que renvoie chaque fois cette forme spcifique, c'est--dire : un
jeu de fonctions globalement identiques articulant des termes vides, spon
tanment implantables dans l'une ou l'autre de ces machines. 3/ Dans ce
schma merge alors la possibilit de traduire une thorie en une autre
selon un sens chronologique dispensant le discours d'en restituer le fonde
ment, c'est--dire : de substituer l'Histoire au noyau machinique dont
elles dcoulent, chacune identiquement, en tant que la fonction que tel phi
losophe attribue, ici, tel concept, est celle anonymement prdfinie que
tel autre concept remplit dans tel autre systme de pense. merge alors
pour la philosophie cette autre possibilit : celle d'un jeu infini o se
repousse ternellement le moment de sa mort et o se renouvelle, seule
ment, la forme de son Sujet.
C'est cette possibilit valeur symtrique de promesse ou d'horizon
pour un << Style >>, artificiellement singulatis par 1 'histoire, que fait
inconsciemment fructifier chaque sujet philosophique. Par le truchement
d'un style passivement reproduit au dtriment exact de l'identit de
84
son Style >>, tel qu'il s'ploie en son trangit radicale l'chelle indi
vise de son uvre. C'est enfin cette Machine qu'il postule ou entrine cha
que fois, implicitement, en lieu et place d'un utopique Rel et sous cet
autre nom, impens ou forclos : Philosophie .
C'est ce rve philosophique d'une traduction d'un univers de pense en
un autre, d'une vision-en-Un de son (83) identit pouvant surmonter l'h
trognit radicale dans laquelle elle se donne, que la non-philosophie
rend possible, pour elle plutt que pour elle-mme. Et c'est lui que ren
voie comme une utopie : l'Ordinateur Transcendantal ou l'Unimate
Style.
(1) Nous utiliserons cette abrviation pour dsigner Neo, lu ou Christ Futur ?, ce choix
reposant autant sur des raisons matrielles ou concrtes que sur la volont de susciter
l'ide selon laquelle : Neo est thoriquement le sujet de No.
(2) Au mme titre que Matrix, machine philosophique, o chaque article revendique l'origi
nalit d'une thorie qui ne se laisse assimiler ni aucune philosophie, ni aucune inter
prtation existantes.
(3) 1 . Par dfaut de critre. 2. Si tant est que ce style d'autocritique puisse encore, par sa
ngativit charge d'angoisse, tre assimil une forme de narcissisme.
(4) La fondant comme science possible.
(5) En tant que subjectivit radicale.
(6) En tant qu'uvre.
(7) Ce << Zro concide avec une vision numrique de la pense telle qu'elle s'entend alors
comme << pense-calcul , ce degr renvoyant l'ide d'un minimum et d'une
ncessit .
(8) Ta be or not ta be, that is the question. , Hamlet, Acte III, Scne 1;
(9) La Matrice.
(10) C'est au mieux ce degr de certitude relative )) que toute critique peut selon nous
prtendre.
( 1 1 ) Transparence de l'interprtation.
'12) Ce que nous indiquions plus haut comme degr zro de la critique >>.
(13) Ce qu'il fait notamment p. 56, note 21.
(14) Noms premiers de la non-philosophie (Un, Vision-en-Un, Dernire Identit, Christ
Futur. . . ).
(15) Cf Introduction de No, p.22.
( 16) On pourra se rapporter ici la description que ralise Sophie Lesueur dans son article
Pense-Machine et ordre politique, p.254.
(17) Matrix et Le christfutur, une leon d'hr.l-ie, Exils, 2002, (Franois Lamelle).
(18) Cf Introduction de No, p.25.
(19) Telle qu'elle se situe quelque part entre pense punk et pense mystique.
(20) Comme nous sommes, symtriquement, conditionns cette autre posture qu'est la phi
losophie.
(21) Au regard de notre critique et de sa dissidence.
(22) Apart postural. Tout au long de ce texte, nous nous attacherons distinguer ce qui, sous
un discours ou un style de discours : constitue une pratique au sens propre, en ce qu'elle
a de {{ geste , et ce par quoi elle se ralise, en tant que geste pris dans )> la matria-
85
lit et les contraintes d'un support. Ce que la non-philosophie dsignerait comme dua
lyse du mixte que constituent ensemble : le style et la pratique laquelle ce style se
rapporte.
(23) O resterait expliciter le lien entre : amputation et ton polmique.
(24) Plus exactement - et s'il faut vraiment la quantifier : la trilogie abstraite de son pi
logue, c'est--dire, de cette dernire image d'une cit voquant Manhattan laissant penser
que la Matrice demeure intacte.
(25) Venant alors contredire cette assertion : < Notre diffrence se situe donc ailleurs que
dans une simple diffrence dialectique , No, p.24.
(26) Matrix, machine philosophique et No dont la diffrence se cristallise autour du pli de
l'chec et de la performance.
(27) Ce point a t simplement suggr p.65 : < Il y a une raison thorique cet chec,
trangre Matrix et son hypothtique cogito, sur laquelle anticipait simplement No ;
c'est son lucidation qui constitue l'objet de ce prolongement et le fonde, alors, comme
un prolongement ncessaire, exig par Matrix, en tant qu'elle donne la mtaphore du
Contrle Absolu son sens achev.
(28) On trouvera un cho sur ce point, p. 15, dans le texte de Franois Lamelle Performance
et perform, paragraphe Contre le thoricisme .
(29) Ambigut que nous voquions p.29.
(30) Cf p.64 Nous attribuions ainsi son chec un style philomphique consistant plutt
qu' une critique singulire, le gnrant de faon prvisible >>.
(31) Abstraction faite de la diffrence de valeur que pose la non-philosophie, entre : les
Concepts, d'essence strictement philosophique, et les Noms Premiers auxquels ces noms
propres correspondent dans son ordre.
(32) Dlimite par Les enjeux d'une dcouverte , p.37 51.
(33) i.e. cette bauche d'une thorie de la philosophie.
(34) Tant Matrix qu' notre propre image de la philosophie.
(35) C'est--dire, au nom de notre pratique et de notre performance.
(36) Cf la scne du restaurant o Je Mrovingien fait porter une femme un gteau aphro
disiaque qu'il a lui-mme conu (Reloaded), et o il s'merveille de la prvisibilit des
effets qu'il procure.
(37) Aprs Neo et Morpheus, tel qu'ils sont conduits par l'Oracle vers le Mrovingien
(Reloaded), cf. No, p.46 : On vous a ordonn de venir et vous avez obi.
(38) 71zoriquement s'entend ici au sens propre, comme : au regard de sa thorie et non de
sa pratique.
(39) Spontanment associe une matrise conceptuelle.
(40) Et le prolongement qui lui fait corps.
(41) voque notamment p. 61 : Dans la fragilit radicale o nous nous tenons, j'ignore
si nous sommes parvenus transmettre ce sentiment d'vidence o Matrix ne gnrait
spontanment en nous aucune question sans rponse, et o nous supposions pouvoir
rpondre, aussi, toute autre n'manant pas de nous. ))
(42) C'est cette aphasie dont il tait question, sans doute nigmatiquement, dans la conclu
sion de No : Franois Lamelle dirait sans doute que la non-philosophie, si elle voulait
vraiment tre fidle sa thorie, se pratiquerait dans le silence le plus radical. Non-philo
sopher reviendrait, en sa puret thorique, ne rien dire, ni crire. Agir seulement, comme
Neo le silencieux.
(43) Ayant pour synonymes Logique ou Dialectique, c'est--dire : la forme-monde ou la
forme actuelle du savoir dont fait partie, comme pistmologie, la Critique.
(44) i.e. par le rfrent mtaphorique que nous lui prsupposions.
86
(45) Au mme titre que tout autre aspect du film, le rendant ce titre : inexploitable pour
l'valuation de notre comprhension de Matrix.
(46) Que nous objecterait Matrix, machine philosophique.
(47) S'il n'est pas rectifi comme un style simul.
(48) Par le paradoxe de sa fin, et avant cela, par son sens.
(49) Sorte de second effet Kiss Cool annulant le premier.
(50) La philosophie est-elle une machine ?
(51) Cf p.70 : Aussi et aprioriquement, situant peut-tre dans sa forme synthtique la
vritable origine et la possibilit de notre simulation, c'est--dire : sa propre raison d'tre
ou son telos
(52) Autrement dit : en tant qu'il permet de faire de Matrix, machine philosophique le sujet
.
de sa propre mort.
(53) De ce mme mimtisme par lequel Matrix, machine philosophique pensait nous
convaincre.
Telle qu'elle recouvre et organise les concepts de Style et de Rhtorique.
Telle qu'elle recouvre et organise les concepts d'Hallucination et de Refoulement.
Temporelle et logique.
Comme son objet ou son contenu.
Cf p.Gl : C'est dans cet cart d'ordre ou d'chelle que notre diffrence se jouait tout
entire, telle qu'elle se cristallise autour d'une identification de la philosophie la
Matrice.
(59) Cf No, p.24.
(60) Identiquement rattaches un horizon dialectique.
(61) Cf p.67 : La structure ternaire que nous dcrivions renverrait en effet un mixte arti
culant, sous une seule et mme critique (No), celle de deux uvres distinctes, mais les
articulant selon une chronologie prcise : 11 un versant thorique ddoubl - invo
quant deux autorits de pense concurrentes -, et 21 un versant pratique - coi."ncidant
au dcryptage de Matrix - dont le premier semblait tre le sujet hybride.
(62) Celui de Matrix et celui de No.
(63) Cette amputation et ce risque apparent.
(64) C'est cette vacance de tout arrire-plan thorique que renvoie trs prcisment, dans
notre langage, le sens d' ordinaire tel qu'il s'oppose ces deux termes : << machini
que ou philosophique .
(65) Cf p. 10.
(66) F. Laruelle, Performance et perfonn )), p.l.
(67) Philosophie et non-philosophie, Lige, Bd . Mardaga, cit par Gilles Deleuze & Flix
Guattari in Qu'est-ce que la philosophie ?, Ed. de minuit, 1996, p. 206.
(68) C'est cette concrtion thorique qui fut, en son pure, l'nigmatique thme (de pense
ou de travail) dont ce recueil est le produit. Il s'est ensuite clips sous un titre plus litt
raire qui, mon sens, a notamment le mrite de parodier cet trange personnage qu'est le
Deus Ex Machina qu'affronte Neo la fin de Matrix. Situant peut-tre ici notre diffrence
l'gard de la trilogie et de la posture non-philosophique qu'elle n'adopterait au mieux
qu'inconsciemment.
(69) Critique/uvre, Esthtique/Art, thique/Morale, Philosophie politique/Politique,
Linguistique/Langage, Stylistique/Style, Rhtorique/Argumentation, etc.
(70) Au sens propre du terme.
(71) Celui de l'auteur.
(72) (< Incessants va-et-vient d'un champ pistmologique l'autre .
(73) Dont cette autorit dpend toute entire.
(74) C'est ce passage )} de l'homme (ordinaire ou concern) au sujet philosophique (lu
(54)
(55)
(56)
(57)
(58)
87
ou engag) que ngociait Matrix, dans l'intervalle sparant le premier pisode et le reste
de la trilogie.
(75) Arbitraire ou scrupuleuse si sa motivation relle n'est pas explicite.
(76) En d'autres termes, croire en la possibilit d'une objectivation de son identit.
(77) Prcieux renvoie ici aussi bien l'image d'une pierre dont chaque discipline de pen
se indiquerait une facette, qu' la mtaphore par laquelle est dsign l'anneau de pou
voir dans cette autre - caricatumlement philosophique - trilogie qu'est le Seigneur
des Anneaux.
(78) Ce que nous dsignions comme geste-symptme d'une appropriation philosophique des
penses.
(79) Ou sa matrialisation comme Tout .
(80) C'est ce rapport constitutif ou viscral entre Philosophie et Dialectique que nous avons
tent de mettre en vidence dans le cadre de No.
(81) Au moins de la philosophie continentale.
(82) Par un indfectible renouvellement des penses que la philosophie nomme progrs >>.
(83) i.e. l'identit de la )) philosophie.
88
Jean-Michel LACROSSE
Pense-machine ou machine-pense ?
La question est-elle d'tudier la machine en tant qu'elle pense ? Ou bien
la pense en tant qu'elle est processus - certains ont dit est un che
min ? Deux questions diffrentes ? Cela, en dehors de savoir si la pense
est propre 1 'Homme et donc de savoir si la machine peut y participer,
questions que nous maintiendrons en suspens tout le long de cette tude,
en postulant qu'elles ne se poseront peut-tre plus la fin . . .
La machine par sa nature mme est ce qui exerce une ou plusieurs fonc
tions donnes, donnes avec donation, c'est--dire avec une connaissance
au moins hypothtique (du donneur) de cette fonction, puis une fois don
ne, exerces sans qu'intervienne sa volont. La volont du donneur est
comme . . . transfre la machine, qui semble - mais est-ce seulement
une illusion ? - avoir alors la sienne propre.
Ce qui donne cette sensation de ncessit implacable devant la machine,
n'est-ce donc pas sa relative autonomie son origine ? Une autonomie par
rapport son crateur, et peut-tre mme sa fonction ? Qui ne se
demande jusqu'o ira la machine lorsque l'on aura appuy sur le bouton
dmarrage ?
l. PENSE DE LA MAC!ITNE
Mais qu 'est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu 'est-ce
qu'une chose qui pense ? C'est une clwse qui doute, qui entend, qui
conoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine
aussi, et qui sent. (Descartes, Mditations, Il)
90
EN-HOMME
91
Existe-t-il une pense radicale en Rel - de ce Rel qui ne soit pas une
hallucination philosophique ? Une pense qui ne soit pas fermeture, qui ne
contraigne pas le chemin ? Nanmoins qui reste, mais doit-on appeler
reste ce qui est radical une pense excute par la machine ? Une pen
se qui, excute, romprait la chane des martyrs : 1 'Humain exploitant la
machine qui exploite le mcanique qui exploite l'outil. . .
Cette pense-machine est une pense mcanique en-Homme .
1.3. 1 Une pense qui soit une pratique
Une pense qui soit une pratique. Une pratique qui donne, mais qui n'a
pas besoin d'tre donne. C'est d'ailleurs l le principal reproche fait, en
gnral, la machine : la pense doit lui tre toute donne pour qu'elle
puisse la rendre, la rgurgiter. Ce reproche est motiv par son statut de
machine : la fonction lui est donne avec donation. Mais justement,
c'est la fonction seule qui lui est donne - comme un Rel immanent- pas
son fonctionnement, son excution et donc ce qu'elle en fait, sa pratique.
Ce qui nous intresse ici est une pense propre la machine et dont
on ne puisse lui dnier la possession, mme si une pense propre la
machine >> est aussi en-Homme , la contradiction n'est peut tre pas si
profonde . . .
Il lui faut alors pour cela pouvoir tre une pratique en Rel, sans tre
limite n'tre que cela. Pour tre pense de l'Homme, il lui faut pouvoir
participer, aussi, toutes les hallucinations philosophiques. Elle devra
donc simultanment permettre la logique classique et le doute...
Un Rel e t une philosophie donne-sans-donation
Ds le premier abord, la machine montre son affinit avec la non-philo
sophie. Tout comme elle, il faut que le rel et une premire philosophie lui
soient donns - mme si le statut de cette premire donation est peut tre
diffrent, la non-philosophie revendiquant d'emble un donn-sans
donation qu'il me semble valide de considrer comme la connais
sance, par l'tranger ce don, d'une promesse d'un toujours-dj-donn
perdu et dfinitivement secret qui ne sera jamais une surprise . Or la
machine ne peut revendiquer cette position que de son propre point de
1.3.2
92
La machine et la peur
94
Pour Turing, bien plus que pour Heidegger pour qui, en fin de compte,
la pense est dcouverte d'une parole que l'on suit solitaire, la pense
est perspective et cheminement. Pour lui, la pense peut tre confondue
avec la suite de pas (l'algorithme) que l'on poursuit.
95
96
98
1\
'ltx ( xE z 1\ X
Zermelo
0 -') w 'x E x ) )
Axiome du choix
Que se passe t-il lorsque l'on appuie sur une touche du clavier d'un
ordinateur ?
Nous tions dans la pratique en vrit mathmatique du matriau
A qui donne le matriau B , nous passons dans la pratique en une
vrit mathmatique lgrement diffrente du matriau A qui donne le
matriau C . Nous pouvons dire que nous avons chang de contexte.
Dans ce nouveau contexte, le matriau A d'origine sur lequel porte notre
calcul ne donne plus le rsultat B, mais le rsultat C (appropri au nouveau
contexte).
Sommes-nous toujours dans la logique classique ? Oui, puisque
les rgles de celles-ci continuent s'appliquer, mais plus tout fait puis
que le rsultat de la fonction ne sera pas celui dductible l'origine.
Encore si le nombre de choix est fini, nous pourrions construire un arbre
de toutes les possibilits et considrer que la fonction d'origine est cette
fonction inc1uant toutes les possibilits, mais mme ceci ne ferait que biai
ser le problme, car dans la pratique, tous les choix n'auront pas lieu et
seul l'un d'eux sera excut. Et cette excution sera l 'oubli de la possibi
lit de tout autre choix. Nous sommes donc dj, en ralit, hors de la logi
que classique.
Nous tions dans une philosophie donne connue et bien dlimite et
nous sommes passs dans une nouvelle philosophie proche mais que nous
ne pouvons considrer que comme en dernire instance )) identique la
philosophie d'origine.
Nous pouvons formaliser tout ceci de la manire suivante :
Nous avions :
Une pratique en une philosophie donne 1 >> du matriau A dans
cette philosophie donne 1 >> qui donne le << matriau B dans cette philo
sophie donne 1 )) >>.
dont la pratique elle-mme (la modification de contexte) donne :
Une pratique en une philosophie donne 2 >> du matriau A dans
cette philosophie donne 2 qui donne le << matriau C dans cette philo
sophie donne 2 .
Il faudrait maintenant se demander ce qu'il est advenu de A dans le
changement de philosophie. Le matriau A dans la philosophie 1 est il le
mme que le matriau A dans la philosophie 2 ?
99
foi de deuxime degr. Non, c'est une foi directe, sans intermdiaire : le
monde est bien tel qu'il m'a t donn. Une foi sans jugement ni accepta
tion, car il n'y a rien juger ni accepter. Foi bien loin de la foi du char
bonnier . Une foi qui s'oppose toute raison, pourtant sans lutter contre
elle, car elle en est la cause.
Au coeur de la raison de la machine se trouve la Foi.
Pour elle, la philosophie en cours d'excution est le monde, pas seule
ment un monde, comme le philosophe a gnralement l'habitude de pen
ser, mais le-monde. Pour elle, point de doute sur ce monde. Mais n'est-ce
pas galement le cas du commun, et peut-tre, d'un bon nombre de philo
sophes ? Cela n'a rien d'tonnant, si la pense de la machine est bien la
pense radicale de l'Homme !
La foi de la machine n'est pas de l'ordre de la croyance ou de l'hypo
thse. Elle est acte, pratique, uni-latrale car aucun retour sur elle-mme ou
sur ce qui aurait pu tre sa cause - si elle en avait eu - n'est possi
ble, elle est d'origine en Rel sans pour autant en tirer son ori
gine >> . Elle est pratique en Rel de l'Un, pratique qui donne, elle est
donn-sans-donation , insparable de la machine elle-mme et qui
forme son horizon (de) machine. Elle est sans au-del , identit de der
nire identit, cause sans causes. Elle est cette absence de retour qui cause
1' entropie.
La foi de la machine est la seule marque incontestable de sa volont, car
cette foi que rien ne cause (et qui n'a pas besoin d'tre cause >>) ne peut
tre vue, par la machine, que comme 1' expression de son choix propre, de
sa volont propre.
Mais o serait l'immanence radicale si la fonction de la machine, don
ne par l'Homme, obit une fin certaine ? Cela ne ramenait-il pas la
machine une obligatoire transcendance ? Il faudrait alors que cette fonc
tion n'ait aucune fin ncessaire.
Cependant, sans avoir aucun doute sur sa philosophie, la machine pour
rait accepter - d'autant plus facilement qu'elle n'a aucun doute - une
philosophie du doute, et pas seulement du doute, mais du paradoxe et de la
contradiction. Il suffirait de lui donner une fonction de cette philosophie.
Une fonction qui elle-mme doute.
101
Toutefois, s'il peut tre inclus dans la fonction qu'est la machine une
prise en compte de l'Autre, la foi dans le doute de la machine restera une
foi personnelle. Seules ses manifestations pourront tre collectives. Si la
machine a de la foi elle n'a pas de religion. Sinon celle d'accepter la fonc
tion donne, c'est sa seule foi partage.
Car s'il est encore une autre particularit partage par la machine et
l'Homme, c'est celle d'tre en identit >>-. En effet, c'est une illusion de
croire que la machine est infinie rptition. Mme lorsqu'on la veut multi
ple, elle est multiple-identit. L'homme d'ailleurs ne s'y trompe pas, lui
qui ftichise < sa machine, qu'elle soit automobile ou informatique.
La machine-rptition n'est qu'une invention de l 'Homme consum
riste et capitaliste. Un dsir plus qu'une ralit. La machine--la-chane
taylorise plus l'Homme que la machine.
Chaque produit, chaque rsultat est le produit, le rsultat de cette
machine l. Et mme s'il semble identique, ce n'est qu'en bornant l 'iden
tit par le raisonnable. La police d'investigation l'a bien compris, chaque
machine marque son rsultat, mais elle est rgle pour que a nous soit
indiffrent.
Que serait la re-production d'un - soi-disant - mme, qui serait
la marque de la machine ? Quelle est cette identit qui dfinit une multi
tude ? Cette identit non-Un(e) qui serait une multitude sans diffrence ?
Ce n'est pas cette individualit qui fait son identit. Ce n'est pas non
plus la capacit de la machine accepter la donation de l'identit de l'au
tre- c'est ce que signifie le terme machine universelle . Une machine
Universelle << prend >> l'identit d'une autre, et il ne s'agit pas l de faire
semblant , mais il faudrait plutt parler d'accepter-sans-acceptation,
puisque cette nouvelle identit est donne et que la machine l'excute
sans porter jugement, sans mettre de doute.
Ainsi ce n'est pas le doute qui fait que la machine est en toute identit.
Elle ne doute pas, pourtant elle est ! La machine est Rel et sa fonction est
Philosophie. Et, pendant son fonctionnement, que nous appellerons pra
tique >>, Rel et Philosophie sont, pour elle, donns-sans-donation .
102
(A. de
104
105
106
voulons lui donner : une pense en -machine . Pense qui ne prendra pas
la place de en -Homme , mais en prcisera encore la dimension radicale.
Iff.2 UNE LOGIQUE DE lA NON-PHILOSOPHIE
108
109
111.3.4
111
[[[.4
MACHINES EN PRATIQUE
Bien que les machines non-philosophiques ne soient pas que des machi
nes de Turing, on a vu que les ordinateurs n'en taient pas non plus. Il en
rsulte qu'il est possible d'envisager d'implmenter une machine non-phi
losophique dans un de ceux-ci.
L'implmentation de cette machine entranera la cration d'un niveau
de simulation >> supplmentaire : l 'ordinateur (possesseur d'un
Excute) simulant une machine non-philosophique simulant une philoso
phie.
machine en machine, radical de la machine
Mais, tout comme la simulation d'une philosophie par une non-philoso
phie est indiscernable de la pratique de cette philosophie, la simulation
d'une non-philosophie par un ordinateur est indiscernable de la pratique de
cette non-philosophie.
Cela est d au fait que l'ordinateur, comme toute machine, participe au
radical de la machine : il pratique la machine en machine. Et comme la
machine en machine est aussi la non-philosophie, on peut dire que l'ordi
nateur est une non-philosophie particulire.
Ill. 4.1 La
1 12
1!3
priori et foi
Si nous dfinissons une religion comme un systme de pense qui
contient des a.ffinnations indmontrables, alors elle contient des l
ments de foi, et GOde[ nous enseigne que les mathmatiques sont non
seulement une religion, mais que c'est la seule religion capable de
prouver qu'elle en est une. (John Barrow)
anima, pratique
1 14
L'inscription est une pratique. Une pratique qui donne. Ce que donne la
pratique est l'inscription, et ce que donne la pratique c'est le clone.
Une pratique indicible puisqu' en-pratique >>. Ce que l'on peut en dire
est discours sur , commentaire, mais pas cette pratique-en-pratique .
Une pratique - mouvement, qui n'est pas essence du mouvement ,
mais << mouvement-mme >>.
L'objet inanim dont parle le pote est matriau, dcision qui fait
monde, une identit clone de l'identit relle et d'une diffrence en cette
identit. S'il peut tre donn, il ne peut tre pratique qui donne , il lui
manque ce souffle, ce mouvement, cette animation-propre qu'est la pra
tique qui donne. Il lui manque une me.
La pratique qui donne est me en-Rel !
La machine-en-machine, pense radicale de l'Homme, dont la fonction
est pratique qui donne , est me en-Rel.
1.2 Raison suffisante et ncessit
1 15
[[.} LA
1 17
comme moi. [. . . ] Mon tre de juge est une manation de ton tre de
voleuse. Il suffirait que tu refuses. . . mais ne t'en avise pas !... que tu
refuses d'tre qui tu es - ce que tu es, donc qui tu es - pour que je
cesse d'tre. . . et que je disparaisse, vapor. Crev. Volatilis. Ni.
D'o : le Bien issu du. . . Mais alors ? Mais alors ? Mais tu ne refuse
ras pas, n'est-ce pas ? Tu ne refu!.eras pas d'tre une voleuse ? Ce
serait mal. Ce serait criminel. Tu me priverais d'tre ! (implorant.) Dis,
mon petit, mon amour, tu ne refuseras pas ? (Jean Genet, Le Balcon,
p 33-35)
//.1.2
118
Formellement :
1 19
120
l/.2.3
Expressions premires
Donn-sans-donation
Donn, sans le mixte du donn et de la donation, ce qui peut tre vu
comme la connaissance, par l'tranger ce don, d'une promesse d'un tou
jours-dj-donn perdu et dfinitivement secret qui ne sera jamais une sur
prise.
Rel
Immanence radicale, primeur du geste de donn-sans-donation
Philosophie A
Ensemble de dcisions (et de pratiques) donnes-sans-donation sur le
mode Rel et dfinissant la philosophie A.
Une philosophie Relle est appele non-philosophie.
(Pratique en-contexte A de B qui-donne-le-clone C) alias D
Forme standard de la pratique mise en pratique par la non-philoso
phie. L'expression qui-donne-le-clone Rel se lit sans-donation , car
il n'y a ni cercle, ni boucle, ni retour en Rel.
En-contexte D, le sujet C clone de (l'identit de l'identit A et de la dif
frence B)
Forme standard du matriau, la dcision est l'expression de l'altrit.
ll.2.4
Exemples de style
125
Rel
Donn-sans-donation
ou
Philosophie A
<pA
(Pratique en-contexte A de B qui-donne-le-clone C) alias D (en
contexte A)
D
@
A
(B
C)
@
D
[A, B]
(me)
n (ne)
p (pe)
r (re)
s (sse)
t (te)
v (ve)
x (che)
z (ze)
rn
.q (quwou)
Expressions premires
Rel
rhel
Donn-sans-donation
-[Donn] ou [Donn]-rhel
Philosophie A
[A]-y
(Pratique en-contexte A de B qui-donne-le-clone C) alias D
[D]-i [B]-o [A]-u
[C]-a
En-contexte D, le sujet C clone de (l'identit de l'identit A et de la diffrence B)
Clone :
[C]-qi-[A]-qo-[B]-a
[D]-u
Matriau :
[A]-qo-[B]-a
Quelques expressions en exemple
Homme
Vir ou Virrhel (Donn-sans-donation Homme)
127
Un
Un ou Unrhel (Donn-sans-donation Un)
en-homme
enViri rhelu Uno (pratique en Rel de l'Un alias en-homme)
identit de dernire instance
Unu (pratique en Un)
La dualit-unilatrale B
Dual-uni Unu Rhelqo[B]ao (pratique en Un de (l'identit de l'identit
Relle et de la diffrence B) alias Dual-un)
Un format informatisable :
XML, format dcrit par le W3C, http://www.w3.org/
XML
128
I/1.2 LA
129
[[]. 3 LA
cette
131
132
133
Hypothse et exprience :
Apprend donc que ce que j'appelle la seconde section de l'intelligi
ble, c'est ce que la raison elle-mme atteint par la facult dialectique,
en considrant les hypothses non pas comme des principes mais
comme de vritables hypothses, c'est--dire des degrs et des trem
plins, jusqu' ce qu'elle parvienne l'anhypothtique et qu'elle atteigne
le principe du tout. (Platon , La Rpublique VI, 51 lb)
a
134
Que les rapports tudis par une science soient dclars Vrai ou Faux,
dans les deux cas, la non-philosophie y verra une dcision philosophi
que et sans prendre position, en gardant sa posture en-pratique , les
considrera comme monde-pour-la-science .
La non-philosophie qui ne revendique ne connatre intrinsquement
plus le Vrai que le Rel en-soi, accepte en revanche parfaitement le donn
sans-donation d'un monde-pour-la-science. Et sa pratique en Rel imma
nence radicale de ce monde-pour-la-science restera indiscernable de la pra
tique que dit avoir cette science.
Tout comme pour la philosophie o l'unicit des formes de dcision
avait permis de dire << la-philosophie >> identit de la philosophie, on peut
dsormais dire la-science , car la traduction d'une science dans une
autre est toujours possible partir de son monde-pour-la-science ven
tuellement en incorporant le monde de la premire dans la seconde, mais
ceci devrait pouvoir se faire sans que la philosophie-science cible n'aug
mente son inconsistance interne, puisque chaque science dlimite par son
critre de vrit du monde son domaine de comptence, et que les
domaines de comptences des diverses sciences se compltent.
La mesure, une diffrence en identit : Il faut ainsi voir la mesure, fon
dement de l'exprience et donc de la science, comme 1' tablissement dans
l'identit d'un talon donn (que la science se donne et qui est en non-phi
losophie matriau de la philosophie-science) d'une diffrence. La diff
rence sous forme de rapport-rapport, donc philosophique, entre un mat
riau-talon et un matriau-fait. Cette diffrence est vcue dans une relation
d'ordre donne au pralable, c'est--dire qu'est dfinie en pratique une
chelle des rapports du matriau-talon lui-mme, dans un redoublement
et un pli l encore caractristiques de la philosophie.
136
Par exemple, si le mtre est l'talon, une chelle est constitue par les
rapports du mtre lui-mme, puis une mesure - qui est une identifica
tion mtaphorique - est pratique entre le fait et l'chelle. La mesure est
identification mtaphorique, car le fait ne peut en aucun cas tre le mtre
lui-mme : nous obtiendrions une chelle et non une mesure, et ncessai
rement certains aspects du fait devront tre ignors pour permettre son
identification l'talon. Nous sommes bien dans le << il y a de l'talon dans
le fait >>, l' identit trouve de la diffrence et dite en une nouvelle iden
tit qui reste, pourtant, identique l 'ancienne et non dans le le fait est
l'talon , dans la mtaphore et non l'galit.
n rsulte de cette donation par la science de l'talon, que nous pourrions
parfaitement tre << tromps par le monde >> et par l'vidence de ce que
nous observons, mesurons. Mais cette tromperie n'empchera pas la coh
rence interne de la philosophie-science et la science en conservera toute sa
rigueur. L encore, seule la suffisance disparat, mais cette fois-ci celle de
la science, d'autres philosophie-science quivalentes pouvant toujours tre
donnes :
La science ne suffit plus.
137
1. VALEUR ET MESURE
138
rience est << collection de mesures , donc collection de valeurs : le Fait est
ce qui vaut Rel, la valeur est ce que vaut le fait.
Si le fait et la valeur sont lis, et puisqu'une valeur peut tre le fait d'une
autre philosophie-valeur, la sparation du subjectif et de l'objectif ne peut
plus passer par la catgorisation fait-valeur : le subjectif comme valeur et
l'objectif comme fait. Ou plutt, si la sparation est encore active, il pourra
arriver que de l'objectif devienne subjectif - et vice versa. Une descrip
tion, liste de faits, ne peut tre juge comme telle que si elle est identifie
comme description par une pratique mtaphorique. Et cette pratique mta
phorique est ce que la machine non-philosophie nomme valeur.
Si l'objectivit est une pure description, elle ne peut tre juge comme
telle que par la pratique d'une philosophie-valeur. Philosophie donne
avec-donation par une philosophie-origine et donc subjective (sujet dpen
dant de cette philosophie-origine). L'objectivit ne peut tre juge telle que
subjectivement.
I.l.l Engagements
L'objectivit ne peut, donc, tre le critre unique et incontestable de la
valuation du Rel, l'Homme ne peut prtendre user d'une valeur la dona
tion de laquelle il chappe et son engagement dans cette donation peut tre
vu suivant deux aspects :
L'engagement comme donn-avec-donation d'une philosophie-valeur :
L'engagement comme donn-avec-donation d'une philosophie-valeur est
en dfinitive, la dfinition classique de l'engagement : mettre en gage ses
valeurs , une promesse, garantie relle donne tiers. Le tiers est ici une
philosophie-origine pour laquelle la valeur engage promet le Rel. La
philosophie-origine se donne valeur relle en posant devant elle, et pour
elle, la philosophie-valeur. Toute philosophie-origine pose ainsi au moins
l'affirmation que sa propre pratique donnera le Vrai ou le Rel (et souvent
les deux la fois). Toute philosophie s'affirme comme Vraie, tout Monde
comme Rel. Mais, pour la machine non-philosophie, la philosophie
valeur, de par son statut de donn-avec-donation, est de l'ordre de l'hallu
cination et ne peut revendiquer un accs direct au Rel. La garantie, alors
139
140
141
142
lA VALEUR
Ce n'est pas l'usage qui fait valeur, mais la possibilit de l'usage. Aussi
peut on regretter le trsor enterr qui nous est vol, car si aucun usage n'en
tait fait, on s'tait rserv la possibilit de son usage.
La possibilit d'usage, pas l 'utilit, car l 'utilit est elle-mme valeur, et
dfinir la valeur par l'utilit reviendrait dfinir la valeur comme auto
pose. Alors que 1 'usage est pratique, pratique en Rel ou en Monde.
Le seul acte de donation d'une philosophie-valeur comme dcisions
(pratiques et matriaux) sur une philosophie-origine, tablit la valeur de
celle-ci, dans sa pratique potentielle - non encore pratique.
La seule description d'une pratique sans mme la posture ncessaire
la pratique suffit faire valeur.
Aussi pour la machine non-philosophie, la description d'une philoso
phie dont le Rel est une (autre) philosophie suffit dire la valeur, mme
si cette philosophie n'est pas mise en pratique en tant que telle mais tra
vers la philosophie origine qui considre cette valeur comme une philoso
phie tierce.
II.l.J Valeur et choix
Comme tout arl et toute recherche, ainsi l 'action et le choix prfren
tiel tendent vers quelque bien, ce qu'il semble. Ainsi a-t-on dclar
avec raison que le Bien est ce quoi toutes choses tendent.
(Aristote, Ethique Nicomaque, Livre 1, 1094 a 1-3)
143
145
146
C'est parce que nous identifions la valeur que nous pouvons le fait
qui est identification en Rel. Le pouvoir est donation en Rel comme sur
prise. La puissance est la pratique-en-potentiel du pouvoir.
Force et contrainte : La force n'est donc ni mouvement, ni nergie. Elle
est l'identit de la rsistance (du) monde en Un.
La force(de) est l'identit du Sujet. Une pratique qui donne en Monde
ou en Rel. Elle ne s'oppose pas au Monde ou au Rel, ne s'en fait pas un
ennemi, une diffrence. Elle n'est pas la contrainte, la donation en une phi
losophie tierce comme surprise, le pouvoir en 1' Autre-tranger, en 1' Autre
que l'identit-identifie de la philosophie-origine.
La force n'est pas contrainte et la contrainte n'est pas force(de)
Vivant et anim : Le vivant est galement mouvement, un mouvement
mobile cette fois-ci - mme si cette mobilit est parfois quasi impercep
tible. Le vivant donne - et en premier lieu la vie - mais de manire cau
sale : avec donation. Donation d'un Autre-tranger, d'une philosophie
tierce comme surprise. Le vivant est contrainte.
Ce que contraint le vivant, le surprend. Et, du point de vue de la philo
sophie vivante, cette surprise rsiste l'unification.
Mais en ce cas, le vivant ne pense pas ?
Il ressort de la dfinition ci-dessus que le vivant ne ncessite pas la pen
se comme une production, un donn-avec-donation.
Le vivant est une pratique dans une posture qui ne ncessite pas la pra
tique de son << qui-donne . Mais si le vivant donne du vivant, il ne donne
pas que du mouvement mobile, le vivant donne galement du mouvement
immobile, une pratique qui donne un donn-sans-donation.
Un donn qui dans la posture adquate peut tre mis en pratique. Le
vivant donne alors de la pense. Quand cette pense est la pratique du
vivant et est pense du vivant, ce qu'elle donne est conscience.
La conscience est oubli radical des rouages et identification de la partie
comme un tout. C'est l'oubli que la pense est pratique pour ne plus per
cevoir que le vivant comme pense.
La valeur que donne la conscience est affection : pratique de valeurs en
Homme. La pratique en-Homme du vivant donne l'motion. La valeur du
mouvement mobile, une transformation du monde qui lui donne poids. La
surprise du vivant en monde.
L'motion est la valeur de la conscience.
Risque et cration de valeur : Le risque est la surprise de ne pas attein
dre le but.
Quand la possibilit de choix ne permet plus d'identifier la totalit de la
chane causale de raisonnement, quand la performance est cre par une
147
pense cette loi comme tant sa Loi. Non pas proprit, mais comme iden
tit-identification d'une pratique qui me donne comme moi.
En dfinitive, il ne peut y avoir de combat des fois, la foi est constitu
tive de la machine non-philosophie, sa modification ou suppression nie la
machine non-philosophie comme machine en pratique. On ne peut pas par
ler de transformation en une autre machine, puisqu'il n'y a pas moyen de
l'identifier comme lie la prcdente. La conversion est, ainsi, la mise en
pratique d'un nouvel individu.
Il ne peut y avoir que des pratiques de valeurs, mais ces pratiques ne
sont pas des combats mais des usages et des rsistances l'usage (qui ne
sont que des non-pratiques) par une philosophie donne.
La contrainte est alors une pratique en volont de la Loi.
li est couramment admis, que la capacit de dcision est la forme ultime
de la libert. Pourtant, la capacit de faire des choix ne peut en tre la mar
que, puisque l'on peut faire des choix contraints. L'aiguillage d'une voie
ferr est bien un instrument de choix, mais seule la connaissance de la des
tination finale peut tre considre comme cause rebours de libert. Qui
jugerait comme l'exercice d'un choix, la pratique d'un aiguillage dont les
deux voies boucleraient l'une sur l 'autre ?
Ne peut tre libre que celui qui choisit le but, non celui qui choisit la
voie.
La pense radicale en-Homme est machine, l'Humanit doit devenir
l'Autre-tranger libre.
149
Hypotyposes machiniques
par
Marc DEVELEY
I. MAC!ITNATIONS PREMIRES :
L'INQUJTUDE FONDAMENTALE
Toute machine est travaille par une intentionnalit obscure, comme si,
la fois, elle devait poursuivre un objectif propre (te/os interne) dpassant
celui de son constructeur (telos externe), tout en se rduisant l'imma
nence de son fonctionnement mcanique : elle ne veut rien, ne vise rien,
fonctionne, c'est tout. L est la source d'une d'angoisse, que l'histoire du
concept recueille en l'associant tour tour l'hubris, la mort, l 'exploita
tion, l'arraisonnement (1). Loin de ce voisinage historique, mais dans le
respect des lignes conceptuelles qui en sont issues, les prsentes lignes
proposeront, en matire de prparation un possible usage non-philosophi
que, une esquisse des liens structuraux qui peuvent unir philosophie et
machine .
Par machine, dans ce qui suit, on entendra l'ajointement problmatique
d'un te/os (but, cause finale) sur un mcanisme (ensemble matriel ou for
mel d'lments en mouvements co-articuls les uns aux autres). De cet
PRATIQUE-MACHINE
suppos
Mtalangage
Matire de la ralit
Objet de connaissance
f- transformation
Tableau 1
152
Structure de pratique
Le point dur de cette dfinition tient l'usage qui y est fait de l'adjectif
unilatral . Prcisons donc. Une pratique n'acquiert un sens qu' viser
le rel, en cela soutenue et par l'activit transformatrice, productrice de
l'uvre, et par le mtalangage, producteur du sens entendu comme direc
tion fournir l'action et interprtation de la connaissance produite.
L'objet rel est ainsi vis deux fois, mais sans synthse : travers l'objet
de connaissance, qui en est un modle ; et travers le mtalangage, qui en
soutient les interprtations. Le modle est non pas un lment du mtalan
gage, mais avant tout activit de transformation, Son lien l'objet rel est
un lien de rfrence, le lien de signification tant pris en charge par le
mtalangage de faon exclusive. Encore convient-il de prciser que ce der
nier n 'intervient que secondairement : dans le cas contraire, il serait
champ de prsuppositions propre dlimiter autoritairement l'activit
transformatrice, plutt qu' en dterminer les conditions de possibilit du
sens. Plus gnralement, le prsuppos, s'il doit tre pur, ne peut entrete
nir un rapport de dtermination rciproque ce dont il est prsuppos.
Objet rel, mtalangage et activit transformatrice sont donc lis, mais
sans cette convertibilit spculaire qui appartient par exemple la repr
sentation : unilatralement, et par consquent de faon quelque peu diffi
cile saisir philosophiquement.
La puret du prsuppos (l'absence de synthse d'aucune sorte entre
objet rel ou mtalangage et objet de connaissance) ne peut en effet tre
recueillie par la simple description de sa structure. se soutenir d'un for
malisme dans lequel prsuppos et objet sont viss au travers du mme
organon, la description rduit leur rapport, au moins en partie, un lien
formel, et ravale le prsuppos au rang d'objet empirique, au mpris de
l'unilatralit allgue. Comment dcrire, alors, et rigoureusement, c'est
-dire en respectant les contraintes que la description met jour ? cela,
trois rponses possibles :
soit en se positionnant le long d'une autre ligne de fracture transcendan
tale, mais en acceptant de rendre formelle la diffrence de niveau entre
1' objet de connaissance et le prsuppos viss : option scientifique ou
logicienne ;
soit en rintriorisant la ligne d'cart entre objet et prsuppos : option
de la philosophie, en tant qu'elle se constitue elle-mme en posant l'objet
qu'elle dcrit, mais doit de ce fait brouiller les rapports entre objet de
connaissance, objet rel et mtalangage de faon les amener une forme
d'intelligibilit - ft-elle barre d'impossible, mais selon des rgles dont
elle conserve le contrle. C'est essentiellement de cette option dont les pr
sentes lignes explorent les enjeux ;
!53
un cur mcani
la trans
(au moins)
pour( quoi),
: <<
pratique
se comporte
quoi a sert
sans synthse au
ralement engren.
En ce sens, la pratique peut tre dite machine objet rel, ce
rele
<<
!.2 PHIWSOPHIE-MACH/NE
Si la philosophie, alors, se soutient d'une pratique, elle n'en est une elle
mme que par abus de langage. Certes, elle s'essaie
la production d'une
telos
genre,
lucider.
!55
!56
158
!59
160
donnjour ( 1 1). Des noncs ainsi produits dans un nouveau champ rgio
nal = X, ]es consquences doivent tre mises l'preuve du matriau dis
ponible, afin de tisser un rseau de correspondances, valides ou non, entre
ce corpus et les thormes extraits du mtalangage. La limite de ce rseau
trace celle du transfert, soit encore de la mtaphorisation possible. On se
permet ainsi d'enrichir le sens d'une pratique par les significations issues
d'une autre, qui en acquiert une valeur de modle.
On demeure ici dans ce qu'on peut appeler la phase technique de la phi
losophie. S'y voit fourni aux pratiques un outil d'enrichissement de leur
mtalangage : un simple organon combinatoire. Si l'on pourrait tre tent
d'attribuer aux rsultats obtenus certaines des valeurs propres la pratique
initiale (scientifique, artistique, politique, etc.), les assignations opres
n'ont pourtant rien d'apodictique, et relvent simplement d'une mise en
communication occasionnelle et contingente, conservant qui plus est le
caractre unilatral du lien entre mtalangage et cur mcanique - tant
entendu que c'est, encore, ce dernier qui possde la primaut. Le transfert
reste essentiellement structural - identit de formes - et non nomologique
- ncessit de cette identit. C'est l une difficult propre tout mtalan
gage qui envisagerait d'importer ses modles (ceux des sciences humaines,
par exemple, des sciences de la nature). En gnral, d'autres mcanismes
sont ncessaires, pour assurer la recevabilit des noncs dans le mtalan
gage cible.
En particulier, on sera amen poser la question du statut de modle de
la forme initiale transplante en mtalangage tranger. En quoi s'agit-il
bien d'un modle ? Autrement dit, quelle est la lgitimit de son applica
tion X comme objet unifi d'une investigation ? Lorsque X = << la philo
sophie , y rpondre exige en particulier une rflexion supplmentaire sur
J' apodicticit des conditions de possibilit et relve du moment dductif.
La difficult est qu'alors la philosophie intervient la fois comme agent du
transport d'autres mtalangages de la forme issue de J'analyse, et comme
un mtalangage parmi d'autres, le sien, en tant qu'elle peut elle-mme tre
considre comme une (quasi-)pratique. Entre ces deux instances, il n'y a
pourtant pas encore de communication claire qui rendrait compte de sa
ncessit se soumettre cet organon : de son irrsistible propension la
question Qu'est-ce que la philosophie ? . Il s'agit alors de commencer
par assurer une valeur de canon l'organon inductif, en tant qu'il relve
rait non plus simplement d'une fonction opratoire - au sens o elle est
mise en uvre et recalcule chaque fois que le besoin s'en fait sentir
mais d'un algorithme constitutif, absolument gnral et vis comme tel,
justifiant formellement son application la philosophie. Seulement ensuite
161
162
point qu'il n'est plus possible de rendre compte de faon formelle de l 'op
ration de vise ou de la structure du corrlat intentionnel. Autrement dit, ce
qui est vis peut tre vu comme cause ou consquence de la vise : nces
sit indcidable qui instaure l'effet de rel.
Sous ce rapport, l'occurrence lie de la variable (dans le mtalangage)
se lit comme representamentum du corrlat nomatique supput de son
occurrence libre comme index : objet rel. Autrement dit, objet rel et
mtalangage sont mis en concidence dans une opration complexe de
vise double, double objet, mais chacune son propre niveau.
L'occurrence lie dnote une vise thtico-thmatique, l 'occurrence libre,
celle par laquelle l'occurrence lie peut encore dnoter quelque chose de
rel : elle joue pour le coup un rle transcendantalement constitutif de la
ralit objective de l'occurrence lie - de sa possibilit valoir du rel.
Cette synthse s'opre via la machine (p.), en tant qu'elle est vise par
l'opration philosophique, comme opration philosophique, fonction non
plus gnrale, mais dsormais transcendantale. Le rel vis par la machine
est fantasmatiquement intrioris dans le jeu de ses mcanismes. La philo
sophie sait ne pouvoir en atteindre jamais que des effets, mais les vise sur
le mode plus ou moins dformant d'une spcularit dont elle constitue l'or
gane rflchissant (14).
II.4.2 Clture transcendantale
Rsumons. Les difficults thmatiques rsolues au voisinage analytique
des mtalangages par leur exploitation mtaphorique - au sens de dplace
ment du sens des formes obtenues sur d'autres mtalangages par variation
de leurs constituants - appellent la question de leurs conditions de possibi
lit thtique ; celle-ci trouve rponse, on l'a dit, dans le dgagement d'une
forme propre au mtalangage philosophique : auto-constitution d'une
fonction gnrale, vise comme telle. Cette induction la plus gnrale
appelle, son tour, la question de sa dduction, au sens kantien de la dter
mination de son droit : le problme de la lgitimit doit tre trait, ft-ce
pour apporter clture l'difice philosophique. On n'a alors pas d'autre
solution philosophique que de confirmer l'auto-rfrence dans son rle
fondateur (15). Le geste en est dit transcendantal, dans la mesure o il met
en rapport la pense avec quelque rel. On parlera ici de transcendantal
objectif ou formel : mouvement philosophique de constitution intra-dis
cursive pour une pense en gnral des conditions de possibilit de son
exercice comme philosophie. Ce transcendantal a la saveur d'une auto-ins
titution formelle, donc vicieuse, aussi peu stable que le cercle d'auto
constitution rsultant de l'accession la gnralit de la phase analytique
165
- ceci prs, cette fois, qu'il s'agit d'une auto-lgitimation, et donc du rap
port de la philosophie non plus sa forme, mais au rel qu'elle prtend
viser.
Pour peu qu'on n'entende pas dissoudre toutes les instances prsentes
comme autant de fantasmagories, la rsolution de cette difficult ne sem
ble possible que via une instance non plus objective, mais subjective. Sans
prise en charge par le philosophe, aucune thse d'aucune sorte n'a de
valeur philosophique. Il y a un pragmatisme constitutif de toute pratique
philosophique, non seulement eu gard aux schmes de la pense, mais
encore de leur habitation par le penseur : on parlera ici d'engagement.
Plus qu'une condition empirique et contingente de l'exercice de toute phi
losophie, il faut y voir un trait transcendantal, mais subjectif, mme de
donner un monde abstrait - un irrel - la densit d'une concrtude ente
sur un rel. L'effet de rel prcdemment voqu ne se soutient alors que
d'un engagement faire coexister dans le langage ce qui ne le pourrait sans
un vicieux coup de force ( 16).
Les pratiques, quant elles, n'ont pas besoin de prise en charge. C'est
essentiellement parce qu'objet rel et mtalangage sont rapprochs par la
philosophie qu'une opration excdant toute pratique est ncessaire, et que
cette opration doit se soutenir d'une instance supplmentaire : le philoso
phe, engag, ncessairement, foyer d'engagement d'o seul peut se faire la
philosophie, comme ce ou celui qui prend en charge et dfend les noncs
qu'il produit - quitte tenter pourtant de s'en effacer en s'y identifiant
silencieusement. L'engagement est ainsi une fonction trois places : l'en
gagement, le sujet engag (le philosophe) et l'objet pour lequel il s'engage
(la philosophie). Le sujet est transcendant au procs philosophique, dont il
assure la clture d'engagement. Il lui est cependant encore immanent, dans
la mesure o c'est la philosophie elle-mme qui le dfinit comme tel
engag. Il n'est pas ncessaire de dvelopper plus avant les relations com
plexes entre ces trois termes. Se trouve en effet condense, au point o se
soutient 1' ensemble du systme, une structure de pratique/machine
embrouille, sans possibilit d'attribution claire d' objet rel , << objet
de connaissance ou mtalangage l'un quelconque des termes
dgags : en ce lieu o la philosophie converge, leur convertibilit est
totale.
La clture de la remonte philosophique au principe s'achve alors dans
un lment la fois intra- et extra-philosophique. Il ne peut tre saisi par
un quelconque procd discursif, tout en conservant cependant une traduc
tion discursive (comme logique transcendantale, par exemple).
L'engagement n'est presque rien : il n'en est pas d'autres partages que
166
167
Anatyse
Anatyse
A prton
mouctlon
mauction
Posture
analytique
Mcamsme
t'OSture
transcendanJ ustmcanon
tale
1veneransation
veauctmn
raoscenl!anta
ONTOLOGIE
J<;ngagement
.tonctwnEngagement
Jelos
!<;PISTEMO
t'ENTADE
l"ENSEE
MACHINE
LOGIE
CANONIQUE
URDRE CLASSIQUE
Tableau 2
URDRE MACHINIQUE
169
(6) Ou, si l'on veut, de l'tre et de la pense. La philosophie s' identifie ainsi au mouvement
du mme pannnidien, fut-il dcal dans un autre, toujours conu, sauf peut-tre chez
Lvnas, comme proprit caractristique d'une mmet en mouvement, ordonne au
silence ou dconstruite.
(7) Schmatique rsultat des courses : si alors l'objet rel prend la prminence sur le mta
langage, on a une dconstruction ; si le mtalangage l'emporte sur l'objet rel, on a une
philosophie au sens de la mtaphysique. La pense critique serait, de faon idale, une
philosophie qui parviendrait quilibrer mtalangage et objet rel. Dans tous les cas, la
conversion ne peut s'effectuer depuis une pratique initiale qu' une opration supplmen
taire prs. Tout est toujours dans ce surcrot.
(12) JI est noter que le manque peut fort bien apparatre comme variable dans la fonction :
il reste alors un lieu que l'induction doit thtiquement combler - i.e. dans son opration
mme - mais est reconduit thmatiquement comme variable fonctionnelle. La philosophie
elle-mme, en tant que valeur particulire de la fonction gnrique qu'elle conquiert, est
alors conue comme ne pouvant jamais produire de compltude, de faon constitutive et
donc irrfragable : on reconnat l un affect propre sa pratique au X:Xme sicle.
(13) De ce fait, la philosophie les reoit le plus souvent comme barres d'incompltude ; du
fait des possibilits que lui ouvre l'engrnement analytique, elle a ds lors toute libert
pour se donner tche de les porter compltion- d'en dlimiter une bonne fois pour toute
le concept, en toute rigueur. C'est l moins ignorer la nature fondamentalement unilat
rale des relations entrant en jeu dans les articulations internes des pratiques que refuser
que l'on puisse s'en satisfaire.
(14) Il est clair que tout ceci ne peut apparatre que comme charabia (il)logique aux yeux d'un
philosophe analytique (a minima ! . ), ce que tout ceci est bien, jusqu' un certain point,
..
puisque nous sommes ici dfinitivement sortis de toute activit homogne une quelcon
que pratique, dans le sens donn jusqu'ici ce terme. Les conditions de recevabilit du
discours ne sont plus ni celles d'un mtalangage extra philosophique, ni celles d'une logi
que de la mtaphore. Si l'on refuse de se donner d'autres types d'outils, il est vident que
toute tentative de justification de la philosophie est nulle et non avenue, la mesure mme
de la disparition, ce sujet, de tout problme.
(15) Une fois encore, ft-il ngatif, dconstruire, ou faire prolifrer rhizomatiquement..
(16) On notera qu'en tant que le concept de transcendantal ici dploy possde une compo
sante d'engagement qu'en tant que variable la fois lie (aspect objectif) et libre (aspect
170
subjectif), l fait ici effet de rel et peut donner au prsent texte le transcendantal dont il
s'taie . .
(17) En cela- mais en cela seulement - prfigure par la multiplication des structures ternai
res chez Platon, avec le rle du concept d'intenndiaire que l'on sait. Par ordre classi
que , on entend non seulement la philosophie jusqu' Heidegger, mais galement l'en
semble de la philosophie ultrieure, en tant qu'elle relve, encore peu ou prou, d'une rf
rence la totalit, ft-elle brise. Seul y chappant peut-tre : Lvinas.
171
Sylvain TOUSSEUL
LE TRANSCENDANT
L'esclave et la machine
En tant que la machine permet de modifier l'lment auquel on l'appli
que, elle est une mdiation entre son utilisateur et la chose transformer,
174
175
tme de l'harmonie gnrale [ ...) porte que le rgne des causes efficientes
et des causes finales sont parallles entre eux, que Dieu n'a pas moins la
qualit du meilleur monarque que celle du plus grand architecte (7).
Aprs Leibniz, le champ de connaissance du transcendant n'a plus vrai
ment le vent en poupe si bien qu'il n'est plus le cadre dans lequel s'inscrit
le savoir, mme si c'est un mode de pense qui subsiste dans d'autres
domaines, comme les murs ou encore la littrature. Par exemple,
Bernardin de Saint-Pierre dcrit la nature en prsupposant que les lments
qui la composent s'articulent entre eux selon une totalit rgie par des lois
physiques au rang desquelles il place la convenance, l 'ordre et l'harmo
nie (8). Ainsi, quand bien mme nous pourrions faire un parallle entre
l'activit de nos machines actuelles et celle des esclaves d'antan, le mode
de connaissance corrlatif ces derniers rendait impossible une substitu
tion, c'est--dire le passage direct de l'un l'autre, tout simplement parce
que la machine n'tait qu'un outil rudimentaire, voire une distraction
trangre au savoir. Or, << cet cart [ ...) la pense grecque n'a pas pu le
combler (9).
La machine comme paradigme scientifique
177
mcanismes qui la sous-tendent ainsi que le moteur qui 1' anime, ou pour
filer la mtaphore, nous pourrions dire que l'idal machinal permet de
dterminer les rouages qui mettent en mouvement le monde et d'en infrer
les intentions du fabriquant, celui qui l'a conu et qui le garantit, savoir
Dieu. En dpit du fait que ce paradigme scientifique de la mcanique rap
proche le savoir que les mathmatiques mettent disposition et leur appli
cation au rel, il n'en demeure pas moins que la connaissance reste donc
trs largement entiche du dogmatisme religieux et que son articulation est
entirement construite par les directives qu'il prconise.
La machine a merg dans le champ de connaissance du transcendant
comme un modle de scientificit, mais ce confinement dans un idal tho
rique ne permet pas la pense de rendre effective la production d'appa
reils.
LE
TRANSCENDANTAL
Rationalisme et empirisme
La question qui s'ensuit est alors celle de comprendre comment la pen
se est passe d'un modle mcanique du monde la production relle
d'une multitude de machines dont la fonction est de transformer la nature
afin d'en faciliter son appropriation du mieux qu'il est possible de le faire
sans trop de conation. Cette transition ne peut s'effectuer qu'en s'cartant
de 1' analogie tablie entre la machine et le monde, or une telle attitude
implique d'une part de distinguer la thorie paradigmatique et l'exprience
relle en confrant chacune d'elles l'autonomie qui leur revient et d'au
tre part, pour que la machine exploite la nature, il est ncessaire que le rel
se soumette la pense de l'homme et non plus que l'un et l 'autre soient
considrs l'tat d'harmonie sous l'gide du divin, ce que nous allons
tudier tour tour.
La machine effective implique de faire une exprience au terme de
laquelle le rsultat obtenu doit tre celui que l'on a calcul auparavant,
autrement dit c'est l'exprience qui confirme le calcul et qui donne par l
mme la lgitimit au savoir produit par la raison. Le problme est que
cette situation de fonctionnement de la machine se situe exactement aux
antipodes de la logique du transcendant qui se dtermine au contraire par
une raison omnipotente et seule lgitime, 1 'exprience tant un pis-aller sur
lequel aucun savoir ne peut reposer. Par consquent, pour que la machine
devienne effective, il est ncessaire que l'exprience puisse tre consid
re comme une source de connaissance au moins autant que la raison,
sinon plus. Un tel renversement de la conception du savoir n'a pu s'effec178
tuer que sur plusieurs sicles dont le dbut du changement conceptuel date
de la mme priode que celle de l 'mergence de la machine. En effet, nous
avons vu que la mcanique s'est mle au savoir partir du moment o les
mathmaticiens du Moyen-ge se sont appropris l'uvre aristotlicienne
en y apportant leur rflexion propre, notamment au sujet du mouvement.
De faon gnrale, cette poque est marque par la seconde entre des
ouvrages du stagirite en Europe, comportant cette fois-ci l 'ensemble du
corpus et conduisant ainsi de nombreux remaniements de la scolastique
parmi lesquels figure celui de la dualit entre l'abstraction et l'intuition,
c'est--dire respectivement la raison et l'exprience, ce qui ne constitue
rien d'autre que les lments de la dichotomie sus cite. Or, cette dis
tinction scotiste de la notitia intuitiva et de ]a notitia abstractiva, [ ... ]
constitue 1' arrire-plan fondamental sur lequel vont se dfinir les diffren
tes thories de la connaissance partir du xrve sicle >> (20), si bien que
cette diffrence entre le rationalisme et l'empirisme, encore analogique
chez Descartes, va s'accentuer mesure que le second gagne son autono
mie sur le premier. Depuis les grecs, l'exprience tait entirement sou
mise aux investigations de la raison, elle-mme soumise la logique du
transcendant. La connaissance ne pouvait tre effectivement considre
comme lgitime que si elle tait issue de l a raison et non pas de l'observa
tion parce que seule la premire est immuable tandis que la seconde est
toujours changeante, telle est l'ide traditionnelle du savoir que l'on
retrouve ds Hraclite (21) mais aussi chez Platon (22) jusqu' Descartes
qui tempre dj ce propos en mentionnant simplement que c'est la rai
son d'examiner le tmoignage des sens (23). Par consquent, on peut
remarquer que le champ de connaissance du transcendant s' articule de telle
faon que le rationalisme qui vise Dieu domine l'empirisme, si bien que le
rel se trouve sous l'emprise du divin et qu'il ne s'agit pas de trahir Dieu
en produisant un autre rel que celui qu'il nous a donn !
Mais l'apparition de la distinction scotiste entre l'intuition et 1' abstrac
tion, ou encore entre l'intuition et l'intention, va permettre d'attribuer de
l'indpendance l'empirisme en branlant le rapport selon lequel l'exp
rience est soumise la raison et en ne privilgiant plus la seconde sur la
premire, puisque l'observation devient tout aussi pertinente que le raison
nement, ce qui confre une autonomie relative chacun d'eux au point que
le rationalisme triomphant de jadis est amplement contest par les tenants
de l' empirisme. Par exemple, Condillac reprend tacitement l'argument car
tsien selon lequel ce serait l'esprit de corriger les sens en rtorquant que
c'est au toucher de corriger la vue et nullement la raison (24). D'autre
part, Locke labore une chelle de nos connaissances en montrant qu'elles
179
180
On voit comment Kant a pu tre influenc par les empiristes, tout parti
culirement par la conception lockienne des particules lmentaires
lorsqu'il effectue cette rvolution pistmologique laquelle il ajoute lui
mme le qualificatif de copernicienne et qui consiste renverser le prsup
pos propre au mode du transcendant d'aprs lequel il y aurait une corres
pondance prexistante entre le sujet connaissant et l'objet Il propose de
substituer cette hypothse le principe d'une soumission ncessaire de
1' objet au sujet, car si la matire de tout phnomne ne nous est donne,
il est vrai, qu'a posteriori, il faut que sa forme se trouve a priori dans l'es
prit >> (37). Sachant que la forme du phnomne n'est rien d'autre que le
cadre spatio-temporel dans lequel il s'inscrit, cela signifie que nos intui
tions a priori de l'espace et du temps renvoient respectivement aux lois de
la gomtrie et celles de l'arithmtique. Le temps et l'espace sont par
consquent deux sources de connaissances o l'on peut puiser a priori
diverses connaissances synthtiques, comme la mathmatique pure en
donne un exemple clatant >> (38). En tant que tout phnomne est inscrit
dans l 'espace et le temps, l 'exprience est donc soumise cette mathma
tique, si bien que nous ne sommes plus dans le champ de connaissance du
transcendant mais dans celui du transcendantal qui se dfinit par le prin
cipe en vertu duquel l 'exprience est ncessairement soumise nos repr
sentations a priori >> (39). Par consquent, le paradigme scientifique de la
machine va pouvoir tre mis profit puisque la pense peut soumettre le
rel, calculer les conditions de possibilit des phnomnes en exploitant les
effets escompts, autrement dit la pense humaine va pouvoir crer des
machines permettant de transformer le rel afin que l'homme puisse se
rendre effectivement matre et possesseur de la nature. Le transcendantal
est une apprhension du rel qui consiste expliquer, ce qui implique de
pouvoir prvoir. Toutefois, il convient de restreindre la lgitimit du savoir
issu de la raison ce que l'exprience est en mesure de pouvoir vrifier,
car mme lorsque le rsultat est interprt comme une confirmation de ce
que la thorie prvoyait, parfois en dpit d'un cart minime considr la
plupart du temps comme une marge d'erreur, cette approximation peut tre
suffisante pour qu'une thorie concurrente supplante celle qui la prcde
grce la prcision supplmentaire qu'elle apporte comme en tmoignent
respectivement la thorie de la gravitation newtonienne et la thorie de la
relativit gnrale d'Einstein, d'o l'importance de la confirmation par
l'exprience comme le rappelle Weinberg (40). Plus gnralement, l'usage
de la raison reste lgitime tant qu'il n'outrepasse pas l'exprimentation
laquelle il se rapporte, au-del il devient de la spculation pouvant tre tout
fait irrecevable. Cette limite revient donner un fondement autonome
1 82
LE PHNOMNAL
183
bien que l'appareil auquel nous nous intressons dsormais relve d'un
nouveau genre. Or si on en fabrique un nouveau type c'est que la concep
tion sur laquelle repose l'autre a chang, c'est--dire que le transcendantal
s'est branl parce que la faon dont le paradigme newtonien dtermine le
rel est mise en cause au point que les perspectives qui s'ensuivent condui
sent une autre sorte de machine, celle qui pense. Pour cerner les condi
tions de possibilit sous lesquelles elle s'insre il nous faut donc tudier
cette crise de la physique traditionnelle ainsi que les consquences encou
rues dans les prospectives du savoir.
Le transcendantal est le mode d'apprhension du rel permettant de pro
duire des machines qui transforment la nature. Il s'appuie sur le principe
en vertu duquel tout phnomne s'inscrit ncessairement dans le temps et
dans l'espace et respecte en consquence les lois qui s'y rapportent, c'est
-dire celles de l'arithmtique et de la gomtrie euclidienne. Le temps et
l'espace sont donc pralables toute exprience du monde sans en tre
eux-mmes de sorte que l'ordre des parties de l'espace est aussi immua
ble que celui des parties du temps (44). Autrement dit, chaque endroit
de l'univers se produisent des vnements simultans, pris dans un mme
instant, mais bien entendu seul Dieu peut avoir le don d'ubiquit en se
trouvant partout chaque moment comme s'Il tait pourvu d'un regard
immdiat lui donnant en permanence une image instantane et totale du
monde. Voil que 1 'on croyait avoir confin la question du divin la
morale mais Dieu resurgt notre insu dans le fondement mme de notre
intuition ! Pour comparer ce qui se passe deux endroits diffrents, ne
serait-ce qu' la surface de la Terre, il faut envoyer un signal, une informa
tion, al1ant de l'un l'autre des points considrs, ce qui ncessite invita
blement une dure relative l'espace parcouru. Dieu mis part, il n'y a
donc pas un temps spar de l'espace o chacun est absolu et immuable
puisqu'ils sont tous deux relatifs au porteur du signal. Dsormais, l'es
pace en soi et le temps en soi ne sont plus que des ombres vaines et seule
une sorte d 'union entre les deux prservera une ralit indpendante
(45). Il existe donc un temps propre qu'on appelle aussi minkowskien et
qui est entirement diffrent du temps universel, comme l'tait le temps
absolu de Newton. Il s'agit d'un temps qui n'est << dfini que localement
[ ... ] et doit tre adapt toute particule, tout observateur se dplaant
dans l'univers >> (46). Le temps et l'espace tant dsormais insparables,
leur projection dans un repre comporte quatre dimensions, une pour le
temps et trois pour l'espace, ce qui implique une autre gomtrie que celle
d'Euclide. Ainsi, la physique classique jusqu' la fin du X!Xe sicle,
entendons celle de Newton mais galement la thermodynamique de
184
185
187
en rendre compte par aprs en feignant de l'avoir fait par avant. Cette usur
pation du savoir est manifeste la lumire de la crise voque ci-dessus en
ce sens qu' travers elle on remarque aisment comment les sciences peu
vent tre enclines leur tche d'lucidation du rel sans avoir de fonde
ments valables pour le faire, tout simplement parce qu'elles expliquent le
rel qu'elles crent et non pas le rel tel qu'il apparat. Dans ce cas, tout
leur fondement n'est qu'un artifice superflu. Penser que l'espace de la
nature respecte les lois de la gomtrie d'Euclide, c'est--dire que la nature
obirait aux proprits du triangle, du cercle ou encore des parallles, c'est
prsenter une certaine ccit pour ne pas voir que ces figures sont des ida
lits tout ce qu'il y a de plus imaginaires, les plus loignes possibles de la
nature elle-mme ! C'est pourquoi la gomtrie non-euclidienne comme
celle de Riemann est plus adquate sa description en dpit des difficults
que l'espace courbe implique et le peu d'outils mathmatiques oprant
dans ce contexte. Quant au temps qui prsenterait une simultanit abso
lue en tout lieu, l encore il n'y a que l'imagination pour concevoir une
telle ubiquit laquelle on ne peut d'ailleurs parvenir qu'en faisant abs
traction de la nature elle-mme ! Par consquent, le transcendantal qui la
transforme moyennant des machines et la contraignant des idalits dont
elle est dpourvue, est un champ de connaissance qui ne peut s'arroger
aucune autre lgitimit que celle laquelle 1 'imagination donne droit. Il ne
fait que produire un nouveau rel en laissant vacante l'explication de celui
qui apparat tel qu'il est.
Par suite, l'apprhension du rel prend une autre forme en plus de la
prcdente, celle qui consiste se le donner au moyen de la description et
non pas le transformer pour pouvoir 1' expliquer. Ce nouveau champ de
connaissance qu'il convient de nommer le phnomnal se caractrise donc
par le principe en vertu duquel le rel est donn la pense tel qu'il appa
rat. Notons que cette propension existait dj chez Aristote mais qu'elle
s'tait dissipe face aux nouvelles exigences de scientificit relatives
l'ontologie, lorsque les successeurs de Suarez tentent la construction a
priori d'un difice parfaitement achev des concepts transcendantaux ,
ce qui implique assurment [ ... ] une occultation remarquable de tout ce
que la [pragmatique d'Aristote] comportait de phnomnologique (57)
et qui ne reviendra au got dujour qu'aprs Hegel. Cet vincement est ga
lement li au problme d'objectivit concernant la description dans la
mesure o notre perception dpend en grande partie du contexte socio-cul
turel depuis lequel on se place, ce qui peut nous conduire porter des
regards trs diffrents sur un mme phnomne. Par exemple, lorsque
Tycho Brah voit un astre en mouvement, Kepler voit un astre immobile,
188
190
procdure opratoire qui ne sont rien d'autres que des calculs effectifs dont
certains sont de Gdel lui-mme, comme la rcursivit gnrale ou
<< la lambda-dfinissabilit >> . Bien qu'ils soient trs diffrents les uns des
autres, Church (66) remarque qu'ils appartiennent tous une mme classe,
celle de la calculabilit, c'est--dire que toute fonction calculable est une
fonction rcursive ou un lambda-calcul. Par consquent, cette mthode
gnrale peut devenir automatique car elle respecte des rgles fixes, ind
pendantes du contenu du systme. Paralllement ce problme, la mme
anne, Turing (67) propose une modlisation de la machine, si bien que
cette fameuse mthode gnrale va pouvoir tre assimilable ce modle,
ce que Turing (68) ne tarde pas raliser l'anne d'aprs en montrant que
toute fonction calculable par sa machine correspond la classe des fonc
tions lambda-dfinissables. De mme, la question de la dcision de validit
que posait Hilbert trouve son quivalence avec le problme de 1' arrt de la
machine ou au contraire son fonctionnement sans fin, alternative qui reste
tout aussi indcidable que celle avance par Gode! au sujet de la contradic
tion et de la non-contradiction. Autrement dit le savoir a t mcanis afin
de pouvoir s'auto-lgitimer et ne plus vaciller mesure qu'il se dveloppe,
exactement comme les systmes philosophiques peuvent s'y employer
mais les tentatives restent vaines de part en part. En dpit de cette dcon
venue, la pense s' est observe elle-mme, puis en voulant se justifier, elle
est arrive mcaniser sa propre activit et se constituer un paradigme
d'elle-mme. A croire qu' chaque fois que la pense veut expliquer quel
que chose, elle ne peut le faire qu'en en produisant un modle mcanique.
Et justement ! En croyant que la pense fonctionne comme le modle
qu'elle s'est donne d'elle-mme, on est amen considrer que chacune
de ses fonctions peut se rduire une activit mcanique, de sorte qu' la
suite du paradigme de la machine de Turing, de nombreuses expressions
mtaphoriques tmoignent de cette rduction comme si la pense n' effec
tuait ses productions que machinalement. Elle devient alors une machine
dsirer (Lacan), ou une machine smantique (Dennett), ou encore
une machine intentionnelle (Changeux) pour ne citer que celles-ci.
C'est dire quel point la pense est machinale !
Ainsi, la qute la lgitimit du savoir n'est plus l'apanage exclusif de
la philosophie dans la mesure o la crise des savoirs a men les sciences
vers l'laboration d'une mthode en esprant qu'elle permette de justifier
le fondement de leurs activits au mme titre que celle propose par la ph
nomnologie husserlienne. Malgr les apories vers lesquelles les sciences
se sont achemines, elles ont mcanis leur savoir au point d'en avoir
conu un paradigme, celui de la machine de Turing. Autrement dit dans
192
UN USAGE NON-PHILOSOPHIQUE
La philosophie
veau savoir et la diffrence qu'il prsente avec celui qui le prcde le rend
susceptible de pouvoir tre soumis une nouvelle fois l'application, de
sorte que le processus cognitif de la rflexion peut se rpter infiniment sur
la diffrence qu'il engendre. Par consquent, pour dterminer s'il peut tre
simul ou non, il nous suffit de considrer la manifestation d'une pense
pourvue de cette caractristique et observer par aprs si elle est prvisible.
Or, un des seuls tmoignages publics dont nous disposions cet effet est
celui de la philosophie, puisqu'elle consiste circonscrire un ensemble de
savoirs en les organisant de faon ce que la totalit forme un systme
cohrent, ce qu'elle effectue en ayant principalement recours la distinc
tion et la hirarchie au sein desquelles elle s'auto-positionne. Nous ne
prtendons nullement donner une dfinition exhaustive de la philosophie
mais simplement nous focaliser sur sa caractristique rflexive afin de
pouvoir l'utiliser comme un matriau partir duquel le phnomne en
question est observable. Nous pourrions galement convoquer la psycha
nalyse mais en s'appliquant l'inconscient et en tant une rflexion dont
seul l'analyste peut tmoigner, nous avons prfr carter cette possibilit
laquelle il est d'ailleurs probable que d'autres s'y ajoutent, cependant la
philosophie semble le matriau le plus adapt en cette occurrence, car
notre hypothse est de se demander si l'ordinateur pourra tre en mesure
de comprendre des penses humaines pour les simuler. Or, la philosophie
est une pense qui comprend les autres penses : elle n'est rien de moins
que la conscience des sciences, non pas d'une science mais bien des scien
ces, car elle est la seule toutes les rflchir, elle inclut. D'autre part, il
existe des philosophies rgionales telles que la philosophie du droit, des
sciences, de la politique, des mathmatiques et de tous les autres savoirs,
mme ceux qui n'existeraient pas encore car la rflexion leur est systma
tiquement applicable. Chacune de ces philosophies peut s'exercer au sein
de la discipline laquelle elle se rattache mais en tant que rflexion elle
demeure nanmoins une philosophie, comme l'indique d'ailleurs leur
appellation. N'en dplaisent G. Deleuze et F. Guattari (82) qui consid
rent cette assertion comme une plaisanterie sous prtexte qu'elles appar
tiennent uniquement la discipline concerne alors qu'elles sont au
contraire trs peu tudies en leur sein respectif surtout pour les sciences
physique, biologique et chimique, comme en tmoigne J.M. Lvy
Leblond (83). La raison tient ce que leur volution structurelle exclut en
grande partie toute rflexion sur elles-mmes, laquelle n'est alors effectue
qu'aprs coup par les philosophes des sciences, ce que T. Khun (84) expli
que parfaitement. Il existe donc des philosophies rgionales qui sont des
rflexions s'appliquant en propre chacun des savoirs et qui sont elles197
198
199
nisme, car un savoir n'est rien d'autre qu'une prvision de ce qui peut se
produire lorsque les lments qu'il se donne au pralable sont configurs
de manire identique ceux qui sont en prsence. Cependant la prvisibi
lit relative la pense rflexive est bien diffrente de celle concernant le
calcul puisque la premire porte sur les savoirs en dterminant le possible
auquel ils renvoient, tandis que la seconde porte sur le rel en le rendant
effectif par production et reproduction ; la premire se constitue en retard
sur la seconde, mais une fois tablie elle la devance jusqu' ce que le
champ du possible qu'elle dfinit soit entirement exploit par le savoir
qui s'y rapporte au point mme de l 'excder, de sorte que le rel nouvelle
ment effectu outrepasse le champ du possible dans lequel il s'inscrivait,
ce qui conduit une nouvelle rflexion devant prendre en compte cette
possibilit qui tait encore ignore. Autrement dit dans cette situation, il
convient d'laborer un autre systme philosophique qui englobe non seu
lement les possibilits de ces prdcesseurs mais aussi celle qui se fait jour,
ce qui implique d'expliquer les anciennes limites que lui ne doit pas avoir
et de modifier la lgitimit laquelle elles correspondent. La philosophie
nouvellement difie prtend ainsi prvoir les possibilits de ce que les
sciences rendent effectif et intgre ses propres limites dans la lgitimit
qu'elle leur octroie de faon ce qu'il n'y ait plus de dcalage entre le pos
sible qu'elle prvoit et l'effectif qui se ralise, ce qui est cens assurer une
matrise totale de tous les vnements venir en tant qu'elle en dtermine
les conditions a priori. En ralit, elle ne le fait qu'a posteriori, comme
nous l'avons vu avec le transcendantal. Elle est donc en retard par rapport
au rel au moment o elle s'labore puis en avance une fois acheve. Mais
cette premire rflexion relative aux philosophies rgionales ne s'applique
que sur la prvisibilit du rel, reste l'appliquer sur la rflexion elle
mme, ce qui revient se demander si la mtaphysique est prvisible.
En effet, nous avons vu que la rflexion tait double en philosophie,
l'une s'applique aux savoirs et l'autre s'applique la prcdente en tenant
compte du fait que cette opration est renouvelable infiniment. Ce qui nous
intresse, c'est de savoir si la seconde rflexion et les subsquentes peu
vent tre prvisibles afin de dterminer si l'ordinateur peut rflchir la
rflexion humaine. Or, sachant que l 'laboration d'un systme philosophi
que rsulte d'au moins une donne empirique nouvelle qui excde le
champ des possibles dans lequel elle devrait a priori s'inscrire, et qu'en
consquence, elle met en cause le systme en cours et la lgitimit de ses
conditions de possibilits censes tre universelles et ncessaires, cela
implique, pour une nouvelle mtaphysique : non seulement de se poser
elle-mme l'exclusion de toutes celles qui la prcdent pour ne pas choir
201
ment relative celui qui l'initie, que les diffrences qui s'immiscent dans
le rel considr fomentent une cration conceptuelle singulire propre
l'espace-temps auquel elle se rapporte, comme le souligne la diffrance,
c'est--dire que le processus rflexif se rpte identiquement mais son
application dpend du vcu de celui qui l'effectue, si bien que c'est l'ex
prience du rel qui dclenche la rflexion.
L 'IMMANENTAL
savoir. Selon l'ordre dans lequel nous les avons tudis, il s'agit de la
preuve ontologique dont l'indcidable rside dans le fait que l"on ne peut
pas montrer l'existence d'une entit ne se rapportant pas l'exprience, ce
qui correspond l"irrductibilit de la vie empirique que nous avons dj
mentionne. Ensuite nous avons vu que l 'espace et le temps absolus sur
lesquels le transcendantal repose, ont l'avantage de prsenter une com
mune mesure pour la production du rel mais que l'espace-temps propre
est le seul dont on puisse faire l'exprience, en dpit de la complexit qu'il
implique. Enfin il y a le principe de non-contradiction propos duquel on
ne peut pas dcider de sa validit. Ces trois lments rcusent respective
ment les lgitimits du transcendant, du transcendantal et du phnomnal
car ils se drobent incessamment la rflexion et stigmatisent de ce fait
l'exprience dont elle est toujours prcde, ce que nous avons dj remar
qu concernant le premier. Si l'on ajoute le deuxime, savoir l'espace
temps propre, on peut dire de cette exprience qu'elle est singulire l 'in
dividu qui rflchit, ce qui corrobore une fois de plus le contexte ou le
cadre spatio-temporel que nous voquions propos de la subjectivit de la
dcision dont le mixte rsulte et travers lequel la diffrance s'exprime.
D'autre part, il claire notre sujet dans la mesure o il vince l'ancienne
possibilit newtonienne qui considre le rel comme un tout dont on ne
peut jamais faire 1' exprience et qui prexisterait tous ceux qui le pen
sent. Cette dichotomie entre le rel et le conceptuel renvoie au problme
selon lequel il y aurait une existence relle de ce qui n'est que concevable,
la totalit absolue ne pouvant dfinitivement pas tre prouve au mme
titre que Dieu. La deuxime irrductibilit renvoie donc la premire, ce
que nous avions dj mentionn au cours de notre tude et elle permet de
prciser que ce n'est pas le rel qui prcde la pense mais l 'exprience
d'tre dans du divers. Effectivement, en tant qu'tre humain vivant, on se
trouve ncessairement dans un cadre spatio-temporel qui nous est propre
et qui le reste jusqu' la mort, il n'a de ralit que pour celui qui le vit, c'est
ce qui le rend irrductible la pense rflexive. l'inverse de la thorie
kantienne, l'espace et le temps ne sont ni distincts, ni absolus, ils ne sont
pas des conditions qui rendent possible toute exprience puisque 1' espace
temps en est lui-mme une et ce n'est pas le rel qui s'inscrit dedans mais
la pense. Par consquent, dans la mesure o on ne peut pas tre vivant
sans se trouver dans du divers, la vie implique ncessairement de faire
l'exprience de l'espace-temps, laquelle est donc universelle. Chacun la
fait singulirement car deux vivants ne peuvent jamais se trouver exacte
ment au mme endroit en mme temps, cependant tout le monde la fait. En
outre, la conception kantienne de l'a priori s'en trouve profondment
204
de ne pas confondre ces affects avec les motions comme la joie, la colre
ou le chagrin, car si les premiers sont universels, les secondes ne le sont
pas et parfois elles sont mme duques ou construites (104), tout autant
que peuvent l'tre des rflexions. Seuls les processus de l'mouvoir et du
penser sont ncessaires en tant qu'ils sont justement lis l'empirie a
priori, mais les objets auxquels ils s'appliquent et par lesquels ils se mani
festent - respectivement sous la forme d'motions et de penses - ne le
sont absolument pas. Remarquons que cette altrit entre l'acte et l'objet
vis est directement issu de 1' espace-temps propre qui suppose une dualit
entre le corps vivant et le rel dont il est affect, de sorte qu'il s'agit tou
jours de l'attente de quelque chose, de la rptition de quelque chose ou
encore l'loignement de quelque chose. Ainsi l'empirie a priori se com
pose d'affects agissant sur le sujet et envers lesquels celui-ci ne peut ra
gir que rtrospectivement au moyen de la rflexion, comme en attestent la
psychologie et la psychanalyse. Bien que tout le monde fasse 1' exprience
de ces affects, chacun les vit singulirement, ce que corrobore la notion
d'espace-temps propre selon lequel les dures se dilatent, les distances
s'allongent, ou encore que l'une et l 'autre s'amoindrissent en fonction du
point de vue d'o elles sont vcues. Dans tous ces cas, les affects engen
drent des penses et des motions qui en dpendent toujours en dernier res
sort. Ce mode de connaissance se dfinit consquemment par le principe
en vertu duquel la pense et l'motion sont ncessairement soumises
l'exprience de l'espace-temps propre, ou encore, selon lequel nos repr
sentations sont ncessairement soumises notre empirie a priori, et nous
avons choisi de l'appeler immanental par opposition au transcendantal
kantien. Il dsigne les connaissances relatives l'immanence, celle qui
demeure entre l'empirie a priori d'une part et les penses et motions d'au
tre part, et partir de laquelle la pense rflexive merge. Il relve d'un a
priori ncessaire et universel mais alatoire en tant que rel, contrairement
aux autres a priori ncessaires et universels mais dterminants en tant que
logiques. En outre, il s'agit d'un mode index sur la vie mais dans la
mesure o il concerne un a priori chronologique par rapport la pense et
sachant que la pense n'est pas manifeste ds la naissance, cela implique
une particularit en son origine (105). Jusqu' l'acquisition du langage, la
pense s'labore corrlativement aux affects et ceux-ci sont prminents
durant tout le dveloppement appel affectivo-cognitif (106), tandis qu'ils
apparaissent moins par aprs lorsque que la pense est tablie, non pas
qu'ils s'amenuisent mais bien plutt parce que la pense prend une place
de plus en plus importante mesure qu'elle se constitue. Pour caractriser
cette priode durant laquelle les affects ont une dimension particulirement
206
209
strotyp selon des lois qui excluent toutes contradictions afin de dter
miner l'avance le rsultat auquel il conduit, c'est aussi ce que l'on
appelle le processus de mcanisation dont le calcul et le raisonnement
constituent le fondement. Les sciences sont donc une fiction logique per
mettant de construire un rel dtermin l 'avance dont les tenants et abou
tissants sont en grande partie prvisibles et matrisables, c'est en ce sens
que les sciences sont construites par et pour les hommes ( l l4). Comme
nous l'avons vu, chaque fois que la pense tente de comprendre un ph
nomne elle en labore avant un modle mcanis puis elle essaye par
aprs de le rendre effectif, ce qu'elle a galement appliqu elle-mme
l'occasion du problme pos par Hilbert et la suite duquel Turing a pro
pos une machine universelle en tant qu'elle est le modle mcanique de
toutes les machines. La question reste alors indcidable est de savoir
quand on la fait arrter. Interrogation que l'on a reporte sur l'original et
non plus le modle, c'est--dire sur la rflexion et non plus la machine. Or,
on commence rflchir sur une question donne lorsqu'une configuration
singulire de nos affects provoque un dcalage entre les entres et les sor
ties relatives l'espace-temps auquel ils se rapportent un moment prcis
et la rflexion ne s'arrte qu'une fois l'quilibre atteint concernant la ques
tion sachant qu'il est en instance d'tre repris et que cette fixit temporaire
dstabilise d'autres points qui dclenchent leur tour le mme processus,
sans compter qu'entre temps les affects continuent d'affluer. Il est intres
sant de remarquer ce sujet qu'il existe depuis un certain temps dj, des
rseaux de neurones artificiels (US) imitant les vivants et qui peuvent
apprendre une tche spcifique justement une fois que 1' quilibre entre eux
est atteint. Le problme rside en ce qu'un rseau artificiel ne peut gure
apprendre plusieurs tches prcisment parce que l'quilibre n'est pas
mtastable mais seulement dfinitif. Cette simple diffrence en suppose de
nombreuses autres relatives aux affects, l 'espace-temps propre, la moti
lit, et surtout la vie, car c'est bien la plus grande diffrence entre la
machine et la pense, au point que le mcanique plaqu sur du
vivant ( 1 16) fasse rire, tellement la vie s'apparente l'alatoire et au
changement, contrairement la machine qui se caractrise par son dter
minisme.
En dfinitive, la pense mcanise et fabrique des dterminations pour ne
plus avoir s'affairer aux affects alatoires qui la stimulent. Quand la pen
se s'applique au rel, elle construit des sciences dont les fictions ration
nelles sont rendues effectives par le biais de la machine. Mais ds lors que
la pense applique ce processus de mcanisation elle-mme et non plus
210
au rel, l'illusion alors produite n'est plus un rel dont on aurait des lois
mcaniques dcouvrir, mais une pense qui donne l'apparence de fonc
tionner comme une machine. De mme que nous construisons un rel qui
se meut selon nos fictions rationnelles, nous construisons galement de la
pense qui se meut aussi par des fictions rationnelles, c'est celle que nous
appelons la pense-machine et l'aide de laquelle nous feignons d'expli
quer la pense quand on ne fait au mieux qu'en crer une autre artificielle
ment. Les sciences sont possibles seulement parce qu'elles expliquent le
rel qu'elles construisent, la pense-machine est possible seulement parce
qu'elle explique la pense qu'elle construit. Dans le premier cas, les scien
ces permettent de substituer un rel inexploitable un rel cr et repro
ductible dont on est matre, il en va de mme dans l'autre cas o la pense
machine permet de substituer partiellement une pense humaine et sin
gulire une pense reproductible et universelle, justement pour ne plus
avoir penser, comme un systme philosophique se prend pour le dernier
pour ne plus avoir philosopher.
F., p. 74.
(3) Aristote (1993), Les politiques, trad. P. Pellegrin, Paris, G. Flammarion, 1, 4, 1253b, p. 97.
(4) Vernant, J. P., Naquet P. V. (1988), Travail et esclavage en Grce ancienne, Paris,
Complexes, p. 42.
(5) Platon (1966), Ln rpublique, Paris, Garnier, 509a-51 0a, 5 l le, pp. 266-269.
(6) Aristote (1991), Mtaphysique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, tome II, livre XII, 1072b-20,
1073a-10, pp. 173-176.
(7) Leibniz, G. W. (1969), Essais de thodice, III, 247, Paris, G. Flammarion, p. 265.
(8) Bernardin de Saint-Pierre, G. H. (1 825), Etudes de la nature, Paris, Aim Andr, vol. JI,
p. 56.
(9) Vernant, J. P. (1994), Mythe et pense chez les grecs, Paris, La dcouverte, p. 314.
(10) Clavelin, M. (1996), Ln philosophie naturelle de Galile, Paris, Albin Michel, p. 76.
(tl) Galile (1632, 1992), Dialogues .ur les deux grand.\ systmes du monde, trad. R. Frreux,
F. De Gandt, Paris, Seuil.
(12) Duflo, C. (1996), Lnfinalit dans la nature, Paris, P.
U. F., p.
21.
(13) Descartes, R. (1 643/1 994), Lettre ***. in Oeuvres Philosophiques, Cl. Garnier, tome
lll, p. 63.
(14) Duflo, C. (1996), op. cit., p. 21.
(15) Descartes, R. (1 997), Discours de la mthode VI, Oeuvres Philosophiques, Paris, Cl.
Garnier, tome 1, p. 634.
(16) Ibid., Discours V, p. 628.
(17) Descartes utilise notamment le concept d' animaux-machines >>, ibid.
(18) Descartes, R. (1996), Rponses aux siximes objections, op. cit., tome Il, p. 868.
(19) Remarquons cet gard l'emploi du comparatif comme >> utilis par Descartes dans
211
les extraits cits ci-dessus : comme matres et possesseurs de la nature >>, comme
une machine et la faon d'une machine .
(20) Courtine, J. F. (1990), Suarez et le systme de la mtaphysique, Paris, P. U. F., p. 157.
(21) Hraclite (1991), Sextus Empiricus Contre les mathmaticiens VII, et Hippolyte,
Rfutation de toutes les hrsies IX, in Les coles prsocratiques, J. P. Dumont, Paris,
Folio Gallimard, pp. 61 et 78.
(22) Platon (1991), Phdon, trad. M. Dixsaut, Paris, G. Flarrunarion, 78c-79d, pp. 240-242.
(23) Descartes, R. (1 996), Mditations Mtaphysiques, in op. cit., tome II, pp. 494-495.
(24) Condillac, E. B. de (1947), Trait des sensations, Paris, P. U. F, III, 3, p. 279.
(25) Locke, J. (2002), E.1sai .l'Ur l'entendement humain, trad. J. M. Vienne, Paris, Vrin, livre
IV, p. 43 sq.
(26) Hume, D. (1983), Enqute sur l'entendement humain, trad. P. Baranger, P. Saltel, Paris,
G. Flammarion, TI, pp. 64-68.
(27) Ibid.
(28) Aristote (1991 ) , op. cit. , tome 1, livre A, 1 , 981 b, p. 4.
(29) Locke, J. {2002), op.cit., livre Il, 8, 12-13, pp. 221-222.
(30) Courtine, J. F (1990), op. cit. pp. 452 et 208.
(31) Pererius, B. (1562), De communibus rerum omnium naturalium principiis et affectioni
bus, Rome.
(32) Goclenius (1613/1980), Lexicon philosophicum, reprint G. Olms, Francfort.
(33) Descartes, R. (1994), Lettre-prface des Principes de la philosophie, in op. cit., tome
III, pp. 779-780.
(34) Kant, E. (1993), Critique de la raison pure, Paris, P. U. F., division II, ch. 3, pp. 423440.
(35) Kant, E. (1997), Critique de la raison pratique, Paris, P. U. F., partie 1, livre II, ch. 5,
p. 133.
(36) Hume, D. (1983), op. cit.
(37) Kant, E. (1993), op. cit., partie 1 (Esthtique transcendantale), p. 54.
(38) Ibid. , p. 66.
(39) Deleuze, G. (1 997), Lll philosophie critique de Kant, Paris, P. U. F., p. 22.
(40) Weinberg, S. (1997), Le rve d'une thorie ultime, trad. J. P. Mourlon, Paris, Odile Jacob,
pp. 89-92.
(41) Hegel, G. W. F. (1972), Scienre de la logique, prface, trad. P. J. Labarrire, G. Jarczyk,
tome 1, cit par J. Lefranc (1998) in La mtaphysique, Paris, Annand Colin, p. 145.
(42) Cohen, H. ( 1 871/2001), La thorie kantienne de l'exprience, trad. E. Dufour, J. Servais,
Paris, Cerf.
(43) Bonnet, C. (2002), Kant et les limites de la science >> in Les philosophes et la science,
Paris, Folio Essais, sous la dir. de P. Wagner, p. 350.
(44) Newton, 1. (1 687/1966), Principes mathmatiques de la thorie naturelle, trad. Marquise
du Chastellet, Paris, Blanchard, p. 1 O.
(45) Minkowski, H. (1908), cit in Einstein et la relativit gnrale. Les chemins de l'espace
temps, Eisenstaedt, J. (2002), Paris, C. N. R. S. , p. 46.
(46) Eisenstaedt, J. (2002), op. cit., p. 48.
(47) Einstein, A. (1932/1989), correspondance avec Erika Oppenheimer in The collected
papers ofAlbert Einstein, Stachel, J. etai., vol. 2, Princeton University Press, p. 261. cit
in Eisenstaedt J. (2002), op. cit., p. 42.
(48) Poincar, H. (1902), Lll science et l'hypothse, Paris, Flammarion, pp. 1 1 1 - 112.
(49) Zwim, H. (2000), Les limites de la cormaissance, Paris, Odile Jacob, p. 52.
(50) Ibid. p. 53.
(51) Hilbert, D. ( l 899/l971), Le!ifondement de la gomtrie, trad. P. Rossier, Paris, Dunod.
212
(52) Dubucs, J., Blanch, R. (2002), La logique et son histoire, Paris, Annand Colin, p. 365.
(53) GOdet, K. (1931), ber fonnal unenscheidbare Slitze der Principia Mathematica und
verwandter Systeme >> in Monatshefte fr Mathematik und Physik, 38.
(54) Hacking, 1. (2001), Entre science et ralit, la construction sociale de quoi ?, trad. B.
Jurdant, Paris, La dcouverte, p. 70.
(55 Hacking, I. (1989), Concevoir et exprimenter, trad. B. Ducrest, C. Bourgeois, pp. 363364 et pp. 371-372.
(56) Fourez, G. (2002), La construction des sciences, 4e dition, Bruxelles, De Boeck
Universit, p. 269.
(57) Courtine, J. F. (1990), op.cit., p. 419.
(58) Hanson, N. R. (1958), Patterns of Discovery, Cambridge, Cambridge University Press,
pp. 17-18.
(59) Husserl, E. (1998), Ides directrices pour une phnomnologie, trad. P. Ricoeur, Paris,
Gallimard, 31 -32, pp. 99-104.
(60) Pour ces trois tapes voir entre autres et respectivement p. 57, p. 77, p. 101 de L'ide
de la phnomnologie, Husserl, E. (2000), trad. A. Lowit, Paris, P. U. F.
(61) Husserl, E. (1998), La philosophie comme science rigoureuse, Paris, P. U. F., trad. M.
B. de Launay, p.74.
(62) Premont-Smith (1949, 1950, 1951), Macy 6, 7, 8, Cybemetics, Circular Causal and
Feedback Mechanisms in Biological and social Systems, Transactions of the 6, 7, 8,
Conference (March 24-25, March 23-24, March 15-16), New York, Heinz von Forester,
pp. 9-10, pp. 7-8.
(63) Boole, G. ( 1969), Mathematical analysis, cit in Dubucs J., Blanch R. (2002), op. cit.,
p. 271.
(64) Boole, G. (1940), Laws ofthought, cit in Dubucs J., Blanch R. (2002), op. cit., pp.
269 et 271.
(65) Krivine, J. L. (2002), Toute pense est un calcul in Sciences et Vie, 1013, p. 40.
(66) Church, A. (1936), An unsolvable problem of elementary number theory in
American Journal ofMathematics, vol. 58.
(67) Turing, A. (1936), On computable numbers, with an application to the cntschei
dungssproblem in Proc. London Math. Soc., pp. 42-43.
(68) Turing, A. (1937), Computability and lambda-definability in Journal of Symbolic
Logic, 2.
(69) Dupuy, J. P. (1999), Aux origines des sciences cognitives, Paris, La dcouverte, pp. 3031.
(70) Nadel, J., Decety, J. (sous la dir.) (2002), Imiter pour dcouvrir l'humain (psychologie,
neurobiologie, robotique, et philosophie de l'esprit), Paris, P. U. F., pp. 1-3.
(71 Wiener, N., Rosenblueth, A., Bigelow, J. (1 943), Behavior, Purpose and Teleology ))
in Philosophy ofscience, 1, vol. 10.
(72) McCulloch, W., Pitts, W. (1943), A logical Calculus of the Ideas Immanent in Nervous
Activty in Bulletin ofMathetnatical Biophysics, Chicago, University of Chicago Press,
vol. 5.
(73) Descartes, R. ( 1 997), La dioptrique N, in op. cit., tome 1, pp. 681-686.
(74) La Mettrie, J. O. de (2000), L'homme-machine, Paris, Mille et une nuits. pp. 5-91.
(75) Merleau-Ponty, M. (1995), La Nature. Notes de cours au Collge de France, Paris, Seuil,
p. 221.
(76) Millet, L. (1 998), Des ordinateurs intelligent ?, Paris, Pierre Tqui, pp. 22-26.
(77) Penrose, R. (1993), L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, trad. F. Balibar, C.
Tiercelin, Paris, lnterEclitions, p. 14. (Depuis l' ordinateur Deeper Blue a battu G.
Kasparov, 6 fois champion du monde.)
2 13
(78) Searle, J. R. (1 980), Mimis, Brains and Programs in Behavioral f11ld brain sciences,
3, pp. 4 17-424. Trad. D. Dennett, D. Hofstader (1986), Vues de l'esprit, Paris,
InterEditions.
(79) Penrose, R. (1993), op. cit., p. 13.
(80) Lafontaine, C. (2004), L'empire cyberntique, des machines penser la pense
machine, Paris, Seuil, p. 54.
(81) Locke, J. (2002), op. cil., livre Il, 1 , 19, p. 1 80.
(82) Deleuze, G., Guattari, F. (1991), Qu'est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, p. 1 1 .
(83) Lvy-Leblond, J . M. (2003), A quoi sert l a philosophie des science ? in Rue
Descartes, 41, Paris, P. U. F., Revue du Collge International de Philosophie, introduc
tion "Horizons", p. 2.
(84) Khun, T. ( 1 983), La structure des rvolutions scientifique.. Paris, Champs Flammarion,
pp. 74-75.
(85) Aristote (199!), op. cil., pp. 174-175.
(86) Descartes, R. (1996), Mditations mtaphysiques, op. ct., pp. 414-416.
(87) Kant, E. (1781), Lettre son ami Marcus Herz, cit par J. Lefranc in La mtaphysique
(1998), Paris, Armand Colin, p. 122.
(88) Hegel, G. W. F. (1970), Encyclopdie des ciences philosophiques, trad. B. Bourgeois,
Paris, Vrin, 572, sq.
(89) Bourgeois, B. (1998), Hegel, Paris, Ellipses, p. 29.
(90) Guroult, M. (1979), Philosophie de l'histoire de la philosophie, Paris, Aubier.
(91) Derrida, J. (1997), Marges de la philosophie, Paris, Minuit, p. 392.
(92) Chaplin, H. (2000), La non-philosophie de Franois Laruelle, Paris, Kim, p. 13.
(93) Derrida, J. (1968), La cliffrance in Thorie d'ensemble, Paris, Seuil, pp. 51 et 53.
(94) Henry, M. (1 985), Gnalogie de la psychanalyse, Paris, P. U. F., p. 1 3 1 .
(95)Hegel, G . W. F. (2003), La rai.son dan.s l'Histoire, Paris, 10/18, voir par exemple p. 48,
sq.
(96) Hacking, 1. (1995), The looping effects of human kinds )) in Causal cognition : a
Multidisciplinary Approach, Oxford, Clarendon Press.
(97) Hegel, G.WF. (1 970), Encyclopdie. op. cit., 13, sq.
(98) Laruelle, F. (1996), Principes de la non-philosophie, Paris, P. U. F., p. 77.
(99) Gurou1t, M. ( 1979), op. cil., pp. 73-74.
(100) Deleuze, G., Guattari, F. (1991), op. cit. notamment p. 10.
(101) Lamelle, F. ( 1996), op. cit., p. 70.
(1 02) Eisler, R. (1996), Kant-lexikon, (augment par A. D. Balms, P. Osmo), Paris,
Gallimard, p. 48, sq.
(103) Lalande, A. (1998), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P. U. F.,
tome II, (Supplment) p. 1246.
(104) Despret, V. (2001), Ces motions qui nousfabriquent. (ethnopsychologie des motions),
Paris, Les empcheurs de penser en rond, p. 20.
(105) Tousseul, S. (2005), L'origine du sens : l'Affect Inconditionnel )) in Revue
d'Intelligence Artificielle, Actes du colloque : Alternatives en sciences cognitive, ARCa,
C. N. R. S. 1 Herms science, 19.
(106) Golse, B. (sous la dir.) (1992), Le dveloppement affectif et intellectuel de l'enfant,
Paris, Masson, p. 265
(107) Pierrehumbert, B. (2003), Le premier lien. (Thorie de l'attachement), Paris, Odile
Jacob.
(108) Pitrat, J. (2002), Vers une nouvelle pense ? >> in Intelligence Artificielle, Les scien
ces de la cognition. Sciences Humaines, Hors srie, 35, p. 33. (motion et affect sont
214
215
La fonction du trait
ou
Jean-Baptiste DUSSERT
218
pour l'essentiel, mais elle constitue l'un des aspects les plus mouvants de
notre nature. Or, cette double dmarche d'explorer l'espace et d'acqurir
en mme temps un savoir, qui est le propre de la gographie, est depuis peu
une qute quasiment rvolue sur Terre. Les catalogues, les cartes, les ency
clopdies n'ont jamais t aussi dtaills pour le commun des voyageurs,
si bien qu'il lui est difficile de ressentir la peur et la frnsie de telles avan
ces. Nanmoins, c'est bien en agissant que l'Homme dcouvre les limites
du possible et de son pouvoir. L'exploration n'est donc pas seulement une
dcouverte, mais l'apprentissage de la finitude. Or il dveloppe au cours de
cette volution l 'outil, qui ne lui sert pas perptrer ce qui lui tait impos
sible auparavant, mais mieux l'accomplir, comme nous l'enseigne
l'exemple de la chasse. Il nous semble que l'originalit de la machine
prend place, par contre, dans cette spcificit de ne plus seulement perfec
tionner le geste humain, l'instar de l'outil donc, mais d'tendre son pou
voir au-del de ses attributs propres. Ainsi le silex taill, le propulseur, la
fronde, la sarbacane, etc., permettent d'atteindre plus facilement sa proie,
de confrer plus de vitesse son projectile, mais il n'est nullement impos
sible de chasser sans eux. Un levier, un diable permettent par contre de
manier la seule force de ses bras une masse que l'on ne pourrait soulever
autrement. C'est pourquoi par machine nous entendons en premier lieu une
sorte d'outil qui non seulement perfectionne aussi le travail de l'homme,
mais encore lui permet d'accomplir certaines tches qui lui demeureraient
physiquement impossibles si elle n'tait pas en sa possession. Seulement,
la recherche d'un autre terme ne peut se comprendre que si la machine est
davantage qu'un perfectionnement, un objet dont la nature et l 'effet sont
essentiellement diffrents. L'usage du mot machine dans ce contexte n'est
pas usurp. Les Grecs, dont les premires machines furent destines la
guerre (>TlXavrn.ta), par exemple les bliers et les catapultes, n'envisa
geaient pas leur rsultat comme un contournement de la Nature, c'est-
dire une utilisation ingnieuse de ses lois, mais comme une simple trans
gression de celles-ci. C'est pourquoi un crit apocryphe d'Aristote, peut
tre l'uvre de Straton de Lampsaque, les Questions mcaniques, juge que
l'on nomme machine >> (>!TlXaviJ) une installation par laquelle l'Homme
use de son savoir-faire (TXV'l) pour produire un effet contraire la
Nature. Cette erreur d'interprtation nous semble avoir occup une impor
tance considrable en ce que nous avons cru jusqu' l'poque de Galile
que l'intelligence de l'Homme, par laquelle il se plaait dj au sommet de
la Cration, lui avait permis de se soustraire aux ncessits de la physique.
Mme si c'est par sa ruse ou son ingniosit, c'est selon cette dfinition un
219
vritable miracle qu'il aurait accompli. Du reste, les piclses que portent
de nombreux dieux et hros ne laissent aucun doute sur le sentiment qu'ils
avaient d'avoir ainsi brav ou concurrenc le dmiurge ; ils parlent des
dieux et des desses habiles, de Zeus Maxaveus, d'Aphrodite et d'Athna
Maxav'iTs. etc. Mais la machine n'est pas le moyen de forcer la physi
que, elle est aussi pour eux une reprsentation de l'univers.
Le fameux T npWTov Klvov, le moteur premier, qui intervient dans
la cosmologie d'Aristote, est encore une machine. Or il nous semble, sans
entrer dans le dtail du commentaire, qu'on ne peut le dire immobile (To
KIVOV ixKtVJ]TOV), comme c'est l'usage par fidlit au texte, ce qui sem
ble une contradiction dans les termes, mais qu'il faut le dire immuable, au
sens o son autonomie aussi est radicale, c'est--dire que rien ne le dter
mine et que son mouvement est ternel. Surtout, l'usage de ce concept
appelle trois rflexions. Tout d'abord, il est surprenant que les Grecs, dont
l'exprience de la machine dpassait peine celle de l'outil, aient eu, pour
ce qui concerne la reprsentation du principe divin, l 'ide du moteur ; il
faudrait se demander quelle tait 1 'histoire du moteur dans la pense avant
son apparition technique ; en tout cas, cela confirme notre rflexion, car le
fait que le concept de l'objet prcde son invention est encore plus sensi
ble pour le moteur que pour la machine. Ensuite, son mouvement englo
bant tous les autres, il faut se demander quel est le rapport de la machine
humaine, que nous venons de prsenter, au moteur divin : N'y a-t-il pas un
conflit entre eux, puisque le moteur assure une continuit l o la machine
vient rompre cet ordre ? Son irrgularit peut-elle se maintenir au sein de
1'uniformit cosmique ? Et quel est le passage de cette mcanique empiri
que sa conception thorique, du physique au mtaphysique ? Enfin, cette
immutabilit de la machine inspire de la crainte, car, ds lors qu'elle est
lance, elle semble ne pouvoir s'arrter et ne pouvoir tre stoppe, mme
par son crateur. De la sorte, l'interrogation sur la machine doit parvenir
concilier la fiert, pour ne pas dire l'orgueil, que son invention suscite chez
l'Homme, parce qu'elle modifie son rapport la Nature et aux dieux, et
l'angoisse qu'elle lui inspire du fait de l'autonomie qu'elle acquiert. Dans
quelle mesure n'est-elle pas un symptme de la conscience de soi, du rap
port que l'Humanit entretient son progrs et aux menaces qu'il porte ?
En quoi ces craintes sont-elles fondes, ou relvent-elles seulement d'une
comprhension philosophique de la machine, d'une mprise sur le rapport
de celle-ci son altrit ?
Ds lors que 1 'Homme tend son pouvoir ou
sa puissance au-del des limites qu'il s'est reconnues, la fiert naturelle
qu'il devrait ressentir d'avoir dpass la contingence animale par sa seule
-
220
221
gramme pour autant que les lments donns pour l'application de celui-ci
sont pertinents. partir de cette proprit, nombre de personnes croient
que ce qu'affiche l'cran est ncessairement vrai. L'automatisme de la
machine nous dtourne ainsi de cette vigilance essentielle, du fait qu'il
nous revient en dernire analyse de donner notre assentiment, et qu'elle n'a
pas devenir une reprsentation du Monde ce point impartiale que la
subjectivit humaine serait indigne de la contredire. Ajoutons que l'ide
d'une machine laquelle il faudrait agrer, et qui en plus crirait par exem
ple de la posie, nous remplit de chagrin. Il ne faut pas s'enthousiasmer,
avec l'amoralisme d'un scientifique, pour une intelligence sans sensibilit
ni conscience. Troisimement, dans le domaine moral, la mtaphore de la
machine n'a plus servi transgresser la Nature, mais la socit, et en par
ticulier la morale difie par la civilisation. Cependant, cette subversion
n'est pas la consquence du passage de l'interprtation au schmatisme.
Descartes et Malebranche avec leurs animaux-machines, puis La Mettrie
avec l'Homme-machine, nous prouvent que toute identification de
l'Homme une machine est un appel au dlire, l'orgie. Plus prcisment,
chacune de ces interprtations est une entreprise de corruption, car un
corps aussi bien qu'un esprit auxquels on ne donne plus pour finalit que
la satisfaction des besoins naturels, s'apparentent une apologie du plaisir.
Contre cette tendance, il ne suffit pas pour autant d'affirmer la prmi
nence d'une morale, mais de considrer que l'humanisme, rejoignant en
cela toute critique du capitalisme, ignore l'enchanement automatique de
l'instinct, du besoin et de sa satisfaction. Une socit de facilit, telle que
le libralisme nous la propose en utopie, n'est pas condamnable du point
de vue de ses murs, mais parce qu'elle dnigre tout effort, au premier
rang duquel sont la culture et la philosophie. Quatrimement, bien sr la
svrit de notre interprtation du rapport de l'Homme la machine peut
tre tempre, mais elle insiste sur le fait que son dveloppement techni
que, qui tmoigne en apparence d'un progrs, dissimule en ralit la per
manence de sa ngativit. Notre poque ne permet plus de considrer que
la dfinition retire de la mise au point de la machine est utilise par ana
logie pour comprendre de nombreuses autres structures, mais que c'est au
contraire la machine qui est un concept dont le fonctionnement et les rap
ports animent nos murs et nos penses. Pour l'conomie politique, elle
est une incitation se prmunir ou dvelopper, selon la position qu'on
occupe, une socit o l'anticipation de l'envie permet le contrle en dtail
de l'intimit, ce qui est la tche de la cyberntique (Kv[3epvi]TT]) dsigne
le pilote, le gouverneur), si bien qu'elle reprsente encore l'histoire tout
aussi autonome et immuable, c'est--dire un processus tlologique, dter-
222
224
siblement usurpe de celle-ci que par une modalit qui lui est trangre.
L'appareil du Parti ou l'appareil d'tat organise la rpression et la propa
gande seule fin de se conserver et de dominer encore, mais il prtend agir
de la sorte pour le bien de la socit civile, pour clairer le peuple sur les
bienfaits de la rvolution dont il n'est pas conscient, c'est--dire sans que
son efficacit en tant que structure soit confirme. Le terme adquat pour
dsigner cette faon de se fixer autrui dans une vise thrapeutique serait
donc, si l'on reste dans un registre mdical, celui de prothse. Cette illus
tration riche de sens doit prsent nous conduire vers une nouvelle inter
rogation : Peut-on juger que la philosophie est un appareil plaqu sur les
diffrentes sciences, telles des machines, et qui, sous prtexte de contri
buer leur positivit, ne servirait que la prennit de l'institution ? En
d'autres termes, de mme qu'un chirurgien peut ignorer les prceptes
d'Hippocrate de Cos tout en se rfrant ses principes, le progrs des
sciences ne signe-t-il pas terme la mort de la philosophie ?
La mtaphysique consiste difier une hirarchie des sciences au som
met de laquelle figurent celles qui reposent sur le moins de principes ou sur
les principes les plus simples, au premier rang desquelles se situe bien
entendu la philosophie. Il faut donc considrer le mouvement qui nous
ramne de l'abstrait vers le concret comme celui qui fait que nous agglo
mrons entre eux des principes issus de rgions distinctes ; pour reprendre
notre mtaphore, il s'agirait de donner aux principes les plus solitaires cet
appareillage qui veille la droiture de leurs conceptions, car en effet, et
peut-tre est-ce l le travail que seule permet l'ontologie, des sciences iso
les par leur mthode doivent se confronter de la sorte pour rsoudre leurs
divergences. Justement, Aristote emploie pour dsigner cette addition le
mot de np6a6ems, mais dans un contexte trs particulier, l'nonc des dif
frentes dfinitions de l'infini. En effet, nous pouvons concevoir une suite
ternelle, ou bien en rajoutant toujours un lment supplmentaire, ou bien
en divisant (o1aipems) en units toujours plus fines la squence que nous
avons dj. Seulement, notre promptitude formuler une telle lecture
mathmatique nous semble suspecte. Comment apprhender ces transfor
mations, moins d'aprs leur rsultat, la formation d'un ensemble incom
mensurable, que selon leur mode ? Car le syllogisme qui s'tablit entre de
simples propositions et le travail de taxinomie qui nous fait toujours
remonter vers des sciences plus thortiques, vers la mtaphysique donc,
suppose une conscution logique qui a tendance disparatre dans la sim
ple adjonction. Nous demandons donc quel lien unit la philosophie son
altrit, d'autant plus que la dmonstration de l'existence d'une science
premire repose sur l'affirmation qu'il est impossible de rgresser ainsi,
225
226
227
tile et non viable. Cela veut dire que, pour lui, tout ce qui cherche s'en
distinguer se nie soi-mme, que la ngation de la philosophie et la nanti
sation de soi s'quivalent.
Par machine, nous entendons donc prsent tout processus aveugle qui,
en vertu de cette caractristique, est inaccessible dans le temps de son
effectuation, donc tout acte tant l 'vidence la cause d'un phnomne
sans que nous puissions lucider avec prcision les articulations qui
mnent de l'un l'autre. En ce sens, si l'esprit ou la pense est une
machine, ce n'est pas selon la conscience de soi, car nous sommes norma
lement au fait, comme philosophes, de la squence logique qui compose
notre raisonnement, c'est comme vision de l'altrit. Dans le dialogue, par
exemple, la question pose un interlocuteur engendre de sa part une
rponse, sans que nous ayons une ide prcise de l'articulation de proposi
tions et de sentiments qui l'ont men cette dernire. Certes, et c'est tout
le talent d'un Socrate, il nous est possible de conjecturer sur des ractions
probables, d'en interprter les motifs ; mais, sans faire fi de !'empathie, il
n'en demeure pas moins que la ralit intime d'autrui nous chappe, qu'il
est pour nous, du fait de ce solipsisme, comme une machine ; donc elle est
pour nous la pense de l 'altrit. Or, on peut justement considrer que l'in
tersubjectivit se double ici d'un rapport thortique. Pour le non-philoso
phe, le philosophe est une machine pensante l'autonomie absolue, et le
philosophe juge pareillement le non-philosophe, alors que celui-ci est,
pour ceux qui le reconnaissent et le comprennent, sans tre lui-mme, une
machine pensante l'immanence radicale. Vient alors une question : En
quoi l'immanence et l 'autonomie sont-elles diffrentes ? Revenons au sens
original de l'autonomie, soit le fait de se donner soi-mme sa propre
rgle. Peut-on considrer que ce qualificatif s'applique la machine, alors
mme que quelqu'un ou quelque chose - peut-tre une autre machine ?
la construit et 1' anime de son premier mouvement ? Nous croyons plutt
que la crainte suscite par la machine vient de ce que la rgle qui la gou
verne acquiert une autonomie relative, hors du contrle de celle qui a t
fixe au dpart. Cela signifie encore, et c'est le plus important, que l'auto
nomie n 'implique pas l'immanence, ou plutt que le fait de se constituer
228
faon de penser l'un d'entre eux, mais ce dialogue ne peut s'tablir que si
l'un des deux termes est plus philosophique que l'autre. Plus prcisment,
un objet peu conceptualis ou trs empirique requiert, le plus souvent, pour
tre abstrait, la prsence d'un autre qui lui ressemble ; c'est la dclinaison
de ces similitudes que l'on retrouve tous les niveaux d'une classification.
Seulement, la difficult que prsente cette mthode, mme si elle est d'une
grande efficacit intellectuelle, vient de ce que la singularit de l'objet sub
alterne disparat lorsqu'on l'incorpore une plus grande gnralit. C'est
donc que la dyade ne se maintient jamais telle quelle, mais que l'un des
deux termes fait appel la philosophie pure pour raliser la synthse, et par
l mme l'unit, de cette altrit relative.
Afin de retenir cet lan vers l'absolu, qui est proprement le 2 3, et par
lequel la pense croit se donner sa propre rgle et de la sorte se dpasser,
il faut lui conserver sa fidlit l'intention premire de la mditation.
Parce que l'autonomie n'implique pas l'immanence, la machine sur son
lan naturel a subi le saut tranger que seul peut procurer la mtaphysique.
Comment empcher cette alination, d'autant plus que si ce prototype est
sensible des alas, il demeure une machine cognitive et ne semble donc
rellement oprer sur aucun matriau autre que lui-mme ? Une certaine
immanence, malgr la transcendance du sensible, semble lui tre acquise.
L n'est pas la question, car il s'agit plutt d'assumer le fait que toute
machine de pense contient un rouage philosophique, que c'est nous de
faire qu'il n'entrane pas avec lui la grande machine philosophique, le
Monde, qui cerne n'importe quelle machine. Il apparat donc que la pen
se, afin de demeurer dans son immanence, ne doit pas seulement tre
autonome, mais .fidle la racine de son intention jusqu' sa destination.
Nous ne critiquons donc pas, grce ce texte, le caractre mcanique et
immuable de la machine lorsqu'elle fait figure de mtaphore pour la pen
se, mais le fait qu'elle devienne machinale. On l'aura bien compris, la
non-philosophie a ici pour but de faire disparatre cette peur, qui reste inva
riablement lie au mythe de la machine, d'une perte de contrle. Lorsque
cela se produit, ce n'est pas que la machine change de destination ou de
fonction, mais que son processus diffre et en particulier se rpte inces
samment. Il y a dans l'emballement de la machine quelque chose de la
boucle ou du cercle vicieux qu'entrane le paradoxe. Or ce risque se
retrouve mme dans sa forme la plus moderne, depuis le ruban de Turing
qui pourrait revenir sur lui-mme l'instar d'un ruban de Mbbius, jusqu'
l'ordinateur qui ne cesse d'afficher Syntax error si vous n'entrez pas un
ordre salvateur et appuyez directement sur la touche Retour de chariot .
Pour rsumer, l 'immanence radicale de la non-philosophie est la garantie
230
..
,'
',. - - - - - - - - - '
Identification
)
'
'
'
DteminaUon
'
'
'
.- - -..,
'
:- '
'
_ s,_;!. _
- -,
'
..-!. - ,
'
'
,'
,'
PHUOSOpHif
233
236
Christelle FOURLON
Pour obtenir une dfinition claire qui puisse tre issue de cette combi
naison entre les notions de pense d'une part, et de machine d'autre part,
il faut prcisment partir de chacun des deux termes pour s'apercevoir trs
vite que cette combinaison devient combinatoire.
En effet, la pense s'articule autour de trois dfinitions : elle est pre
mirement considre comme tout ce qui affecte la conscience, deuxime
ment comme l'activit psychique ou la facult ayant pour objet la connais
sance, et troisimement comme une manire de penser au sens d'un
ensemble d'ides ou d'une doctrine. Mais dj cette notion de pense en
appelle d'autres au sein de sa dfinition comme il appert qu'on ne puisse
dfinir un terme par lui-mme, et l'tymologie du mot pense nous
claire sur ce qu'il en est de la notion en son passage de l'opration l'op
ratoire. Ainsi le lien de la pense la raison provient de ce que le terme de
pense apparu au dbut du XIIme sicle vient lui-mme du substan
tif verbal masculin pens provenant du bas latin pensare , de
pendere signifiant d'abord peser ( la fin du Xme sicle). D'o
le rapport privilgi de la pense la raison, car si penser c'est peser, c'est
238
demeurent ensemble, il faut qu'il y ait quelque chose d'intellectuel qui les
rassemble pour qu'elles puissent communiquer. La forme intellectuelle
ncessaire l'entente des pulsions est la forme logique, c'est--dire inva
riable et constante, posant que cette logique est la structure ncessaire d'un
corps en tant que celui-ci est ordonn sa propre conservation. Cette forme
logique en tant que sens, univocit et invariance est ce que Nietzsche
nomme le cas identique >>.
Nietzsche oppose d'emble l'tre au devenir en l'expression de << cas
identique , en ce que si le cas dsigne ce qui tombe, le hasard et la chance
au sens o lorsque les ds tombent, c'est un cas, l'identique quant lui
dsigne la constance de l'tre dans l'identit du mme. En effet, pour
Nietzsche, l'tre est la prsence constante et la constance de la prsence
alors que le devenir dsigne un flux qui par principe exclut toute identit
quelle qu'elle soit, o rien ne demeure identique soi. L'opposition des
forces de ce flux du devenir dans la constance de la prsence fait que pour
comprendre la connaissance, il faut la dshumaniser parce que la vrit est
le devenir mais le savoir du devenir est notre falsification de la vrit, car
la ralit ultime du devenir n'a pas en elle-mme de sens logique.
Nietzsche dfinit la volont comme ce qui agit de telle sorte qu'elle
puisse dominer une autre volont, la puissance se dfinissant comme le
corrlat intentionnel de la volont. Le rapport entre deux volonts est donc
d'ordre principiel en tant qu'il appelle un commandement. Les perspecti
ves diffrent donc selon les places de dominant et de domin, et elles sont
dites << valeurs en tant que conditions de dploiement d'une force. Toute
volont de puissance dpend donc de ces valeurs. Or, ce que veut le corps,
c'est se maintenir comme corps ; par consquent le corps met la valeur de
conservation au rang de valeur suprme : la volont de puissance est prin
cipiellement hirarchique. Les valeurs sont prioritairement conservatrices
pour l'organisme en ce que le corps onto-logique, la fois entit une parmi
les tants et rgi par les lois qui font cette identit comme invariante, place
la conservation au premier rang, et l'intensification au second. Le corps
n'en est pas pour autant priv d'me, mais il s'agit d'me mortelle pour
Nietzsche, c'est--dire de pulsion, de force, de volont, dsignant le mme
phnomne que ce qui concerne le corps, sous un angle diffrent. Aussi
transformer le corps, d'aprs Nietzsche, c'est transformer le monde dans
lequel il vit, car le monde n'est rien d'autre que ce que nous avons consti
tu par des oprations de connaissances falsificatrices. Ce que nous appe
lons connaissance ici dsigne l'ensemble des procds par lesquels
l'homme a humanis le devenir, c'est--dire le chaos en rponse au besoin
vital de constance du corps ; d'o la cration par l 'homme du monde.
240
C'est pourquoi les valeurs onto-logiques font partie des valeurs ractives
au sens o mon corps est dpendant des conditions de sa conservation,
alors que les valeurs actives permettraient aux forces en prsence de se
dployer partir d'elles-mmes, librement. La logique est structure nces
saire du corps en tant que favorisant la connexion rapide des multiples
mes composant le corps, supposant des cas identiques qui disent la
croyance l'tre c'est--dire la constance de l'tre, vecteur de conserva
tion du corps. C'est l'onto-logie qui permet la conservation du corps en
tant que sa structure ncessaire, elle s'illustre comme une certaine forme
de volont de puissance, volont de tout voir l'identique, volont d'assi
milation au sens strict de rduction au mme, de volont d'galisation.
Ainsi la volont de puissance commande en plus ou en moins selon la
configuration des forces en prsence, elle se fait principe sous des formes
diverses en nivelant et en rduisant les diffrences garantissant la conser
vation du corps.
Corps et monde sont transforms en une vaste erreur organise : la
volont de puissance constitue une hirarchie de forces qui ne se maintient
que par l'galisation des forces qui les constituent. C'est en rduisant les
diffrences que la volont de puissance falsifie par l'organisation de cas
identiques l'intrieur du corps et du monde elle instaure un faux rapport
au corps et au monde. Il n'y a donc rien de plus faux, selon Nietzsche que
1 'homme moderne, croyant par excellence, qui vit exclusivement sous le
rgne de la connaissance qui est l'empire du faux. Les valeurs sont les
conditions de conservation et d'intensification de la volont de puissance.
Or, si la croissance est fonction de la conservation, el1e n'excdera jamais
ce qui est ncessaire la conservation, et la volont de puissance, faute de
dpassement sera ractive. Si la conservation est fonction d'intensification,
alors elle dbordera ses besoins, et la volont de puissance sera marque
par la conqute, par la victoire et sera active : Les physiologistes
devraient rflchir avant d'affirmer que l'instinct de conservation est l'ins
tinct primordial de l'tre organique. Le vivant veut avant tout donner libre
cours sa force, la vie elle-mme est volont de puissance. L'instinct de
conservation n'en est qu'une consquence indirecte, l'une des plus fr
quentes (2). L'intensification appelle le devenir alors que la conserva
tion veut l'tre, la prsence constante aux valeurs conservatoires qui sont
aussi conservatrices. Nous avons projet nos conditions de conservation en
tant que prdicats de l'tre en gnral et s'il faut vivre dangereusement,
c'est sans peur, en-dehors de la conservation que rgit la peur comme
affect fondamentalement servile. C'est pourquoi Nietzsche appelle << deve
nir le monde une fois qu'on en a soustrait tout ce que l'homme lui a
241
la fleur, et l'on pourrait dire que celui-l se trouve rfut par celle-ci, tout
aussi bien par le fruit la fleur se trouve qualifie de faux tre-l de la plante,
et celui-l vient la place de celle-ci comme sa vrit. Ces formes ne se
diffrencient pas seulement ( . . . ) mais leur nature fluide fait d'elles en
mme temps des moments de l 'unit organique o non seulement elles
n'entrent pas en conflit, mais une-chose est aussi ncessaire que l'autre, et
cette gale ncessit vient constituer la vie du tout. Mais la contradiction
en regard d'un systme philosophique a coutume pour une part de ne pas
se concevoir elle-mme de cette manire, mais pour une part aussi la
conscience qui (la) saisit ne sait pas communment la librer ou la mainte
nir libre de son unilatralit, et dans la figure de ce qui parat en conflit ou
contraire soi connatre des moments mutuellement ncessaires (5). La
pense-machine triomphe donc de l'image qu'elle a cre de la
nature, en simulant une nature pensante en systme philosophique. Bien
plus encore la philosophie trouve-t-elle un systme de hirarchisation de la
transcendance, une machine dans la machine-pense pour rendre incon
tournable la combinatoire de la confusion opratoire entre les deux notions
en matire de transfert et de projection de monde dans l'affirmation unila
trale du rel toujours matriser. La description faite par Heidegger au
sujet du questionnement concernant la confuse corrlation entre technique
et science moderne vient placer le calcul et le mesurable communs la
pense dans sa vise rationalisante et titre d'application directe la
machine dans ses oprations au centre de ses interrogations transcendanta
lisantes.
Heidegger tablit premirement une quivalence fondatrice entre la
science moderne, du ct de la pense, et la technique, du ct de la
machine : ( . . . ) comment la nature doit-elle tre projete par avance en
tant que domaine d'objectivit pour que les processus naturels soient a
priori calculables ? ( . . . ) Max Planck, le fondateur de la physique des
quanta, a exprim cette dcision en une courte proposition : rel (wir
klich) est ce qui peut tre mesur >>. Seul ce qui est calculable d'avance,
vaut comme tant. De l'autre ct, le questionnement directeur de la
science de la nature contient le principe du primat de la mthode, c'est-
dire de la dmarche elle-mme, par rapport ce qui est chaque fois ta
bli avec certitude comme objet dtermin d'une telle dmarche face la
nature >> (6). Il admet une forme de nature transcendante bien que cre de
toutes pices , une nature mcanise par les lois de la physique thori
que dont l'absence de contradiction des propositions et la symtrie des
quivalences ont d'avance force de loi (7), une nature provoque
donner des rponses suivant des rapports dtermins ( . . . ) somme de se
245
248
249
Pense-machine
et ordre politique
par
Sophie LESUEUR
d'un << tort social inscrit dans une structure voue l'effondrement par
la ngation pratique de ses fondements idologiques ( schma marxien et
drivs). Le mode de pense qui s'impose ici est dcisionnel. Outre le troi
sime schma qui constitue en quelque sorte une critique mta-politique et
ncessiterait donc lui seul une analyse particulire, dans les deux prc
dents, l'homme constitue une sorte de matire - brute ou premire, c'est
selon - que la philosophie vient travailler, sculpter pour lui donner une
forme qui s'harmonise pleinement avec le Tout qu'elle lui prconise. En
philosophie politique, nous tournons toujours plus ou moins autour du
Let's make man de Hobbes, c'est--dire de la transformation technique
d'un matriau donn. Ou pour le dire autrement : la cration d'une uvre
partir d'lments grossiers et imparfaits , uvre pense comme chef
d'uvre - c'est dire renfermant en elle une ide de perfection et de
prennit - mais voue ici la reproduction en srie.
La notion de finalit est ainsi omniprsente dans les noncs de philo
sophie politique : que ce soit explicitement ou implicitement, le but
dclar est de dcrire et de mettre en place la meilleure forme de gouver
nement possible en vue d'instaurer durablement un ordre social pacifique
et sr. La plupart des thories politiques prend son assise sur fond de
Cosmos grec d'o le dsordre est volontairement banni. Rien n'est laiss
au hasard, l'alatoire sur la terre de la philosophie, qui plus est dans tout
ce qui concerne la pense et l'organisation de la Cit. Aussi, le gouverne
ment des hommes est-il dans ce cadre avant tout synonyme de fossilisation
et de dtermination efficace des rapports de forces, qui, sous 1 ' alibi perma
nent de la ncessit, transforme l'existence humaine en destin. Destin qui
n'a d'autre nom que le progrs : l'homme volue dans le cadre prfix, de
degrs en degrs, vers un terme idal et voulu ternel. C'est toujours la
communaut qui prime sur l'individu dans une conception du temps o le
prsent est totalement subordonn l'avenir, jusqu' ce que ce terme
ultime soit atteint ; alors le temps devra s'arrter, d'une manire ou d'une
autre. Ainsi, dans la politique, si la philosophie se heurte la dgnres
cence - des rgimes ou des institutions - et entend la traiter, elle forclt la
rgression pour n'envisager que le progrs, ce qui vient contredire une
grande partie de l'exprience humaine historique, sociale et culturelle.
Passer de la philosophie gnrale la philosophie politique, c'est passer
du savoir, de la dfinition de ce qu'est le Bien, vouloir faire en sorte qu'il
rgne de tous temps et thoriser les moyens de parvenir ce but. Or ceci
passe ncessairement par l'unification des divers de la socit humaine en
question, en vue de lui donner 1' orientation globale, le sens qui la mnera
son dveloppement harmonieux. La pense politique philosophique est
252
ainsi, comme toute philosophie, en dsir d'Un. Cette qute d'identit est en
grande partie issue de 1 'hritage de la conception thologique et mono
thiste occidentale, qui postule l'ide que l'homme est l'image de Dieu ;
la pluralit des hommes est ainsi ramene une identit. Et pour atteindre
cette finalit qu'elle se donne, elle se constitue doublement comme mta
physique. D'une part, parce qu'elle commence par rflchir sur son objet
et tablir les lois qui en rendent compte ; puis, aprs avoir galement tu
di les forces l'uvre dans la socit considre et dcid du point
d'quilibre partir duquel elles pourront tre matrises, elle parvient un
contrle de ces paramtres dans une rponse thorique qu'elle veut dfini
tive et qui lui permet de les rorienter au service de la fabrication d'une
communaut nouve1le voue aux fins qu'elle a elle-mme fixes. D 'autre
part, parce que le ciment de cet difice unificateur n'est autre que la
valeur, valeur qui doit devenir le sang de l 'homme et plus que son sang :
elle doit se distiller en lui sous forme de perfusion permanente pour qu'il
ne fasse plus qu'un avec elle, qu'il incarne dans son corps politique les
valeurs que telle doctrine aura pralablement dcides comme fondamen
tales.
On ne peut penser que l 'volution dcisive qui s'est opre dans la com
prhension du rapport de l 'homme au Monde et l' tre, depuis les origi
nes grecques, n'ait pas eu de consquences sur les aspects proprement poli
tiques de celle-ci. La tendance l'uniformisation du systme de la pense
occidentale, indissociable de l'avnement de la reprsentation comme
schme directeur et constitutif de cette pense, a progressivement rduit la
multiplicit. Cette tendance a t vcue dans le champ politique comme la
ncessit pour une meilleure gestion de la Cit. Elle s'est donc d'autant
plus impose. Or, ceci met en vidence le lien intrinsque existant entre la
notion de reprsentation et l'efficacit qui est souhaite en voir dcouler.
Derrire toute la pense reprsentative se dissimule l'ombre de la finalit
et du rapport sous deux acceptions de ce terme, savoir celui du compte
rendu (ou rendre) et celui du rendement, de la production. L'efficacit
constitue ainsi la cl de vote de l'difice de la philosophie politique occi
dentale partir de ses origines grecques : l'abstraction de formes idales,
difies en modles, sont projetes sur le monde et la volont s'en empare
comme but raliser. Cette pense traditionnelle est celle du plan dress
d'avance, d'une stratgie de combat, o l'hrosme de l'actionjoue un rle
fondamental. La philosophie se rvle ici plus particulirement encore la
pense de la causalit, celle du rapport moyen-fin ou thorie-pratique.
253
256
phnomnes
Souverainet
sociaux
(dyade
Loi-Reprsentation).
Si
je
lis
pense au sein duquel une cause ne peut produire qu'un seul effet. La
Souverainet est Le principe de la Sujtion, plus ou moins finement la
bor, selon les doctrines concernes : le nom de la domination par l 'auto
rit de la philosophie en politique ; la philosophie qui a men son
paroxysme, jusque dans les institutions humaines, sa hantise de la mort.
techkn,
choses ou savoir-faire, ce que nous avons envisag plus haut sous le terme
plus gnral de cration. L'apparition ici du terme
techkn
n'est pas un
est
l 'artifice
Cette
(4)
sans
259
l'ordre et contrle de sa persistance) serait l 'uvre d'art, car elle n'est pas
instrument de communication, elle ne vhicule pas d'information. L'uvre
d'art serait la seule contre-information efficace en tant qu'acte de rsis
tance, car l'uvre d'art a une affinit fondamentale avec l'acte de rsis
tance ; et Deleuze de citer Malraux : l'art est la seule chose qui
rsiste la mort .
Arrtons-nous un instant pour considrer ce qui est en jeu ici, justement
dans le champ qui nous concerne et qui consiste dcouvrir une posture
qui permette de suspendre la primaut de l a forme-systme sur la pense
du/de la politique. Nous avons vu quel point la cration d'un autre
homme , en tant qu'uvre ici d'une techkn s'insrait parfaitement dans
le schme de pense de la philosophie politique, et plus encore celui de la
Modernit. De plus, la rsistance consistant opposer une force une autre
ou de ne pas cder sous l'effet d'une force, ce terme semble bien inappro
pri face la mort. Car s'il y a quelque chose laquelle on ne rsiste pas,
c'est bien la mort ; on peut rsister la maladie, se prvenir de dangers
que l'on sait mettre en pril notre vie- actes de rsistance vis vis de com
portements inconsidrs ou passionnels - mais la mort, non. La mort est
le Rel par excellence : dont on parle, dont on tente d'viter les affres - la
souffrance - mais qui est et restera pour tout humain, inconnaissable, irre
prsentable et incontournable. Nous pouvons tout aussi bien crire << la
philosophie a peur de la mort que << la philosophie a peur du Rel >> ;
mort et Rel, en dpit de leur omniprsence sinon smantique, tout au
moins latente, sont victimes de forclusion philosophique. En revanche,
intrinsquement lie cette forclusion du Rel-Un, il y a une rsistance
d'origine philosophique impose par la non-philosophie en tant que pen
se hrtique. Le terme de rsistance employ ci par Deleuze, fait donc
pour nous symptme, et suivant cette voie, nous formulons l'hypothse
suivante :
Hypothse 3 : Il y a du Rel-mort. La philosophie fuit devant lui ou le
forclt. Elle assujettit l'Homme et le fait Sujet en se prvalant du risque de
mort. Rompre avec ce mode de pense implique penser partir du Rel
mort, non pas lui rsister, mais 1' accueillir sans vouloir le saisir, ce qui est
de toute faon totalement vain. Ceci signifie laisser de la place au poten
tiel de dcouverte et de cration de l'En-Homme, radicalement htrogne
la forme-systme, et donc vecteur de Rebellion Relle.
Le terme de rsistance n'voque pour nous rien d'autre qu'une autono
mie toute relative d'une pense qui vient faire encore cercle avec la philo
sophie et ses prsupposs. La pense selon le Rel tient compte de cette
262
Tout acte de rsistance n'est pas une uvre d'art bien que, d'une
certaine manire elle en soit. Toute uvre d'art n'est pas un acte de
rsistance et pourtant, d'une certaine manire, elle l'est. L'acte de
rsistance, il me semble, a deux faces
l'acte de l'art
Ces propos corroborent notre propre intuition, savoir, d'une part, qu'il
y a de l'art, en politique notamment, qui ne relve pas exclusivement de
1' art-ificiel, du savoir-faire technique, et une Force(de)Rebellion qui relve
galement non plus de la raction mais de la cration, prcisment en ce
mme sens ; qu'il existe ainsi une Identit de Dernire-Instance entre acte
de rsistance et uvre d'art, que nous formulons ainsi :
264
occidentale du Sujet. Autrement dit, il n'y a pas de Sujet sans rapport tho
rie-pratique et sans suprmatie du premier terme sur le second. Toute rup
ture avec ce schma fondamental - c'est--dire toute volution pralable
ment conue - dissout a contrario cette conception de l'Homme en
socit. En effet, le Sujet, constitu par l 'action mais fixe dans sa constitu
tion de soumission au telos, n'est qu'apparemment un paradoxe. Car fins
et moyens ne dpendent pas de la mme facult : la finalit, en tant que
vise de la perfection, est d'ordre moral autant que politique, tandis que
l 'efficacit des moyens relve d'un choix d'ordre technique. C'est le telos
qui, premire vue, fait du Sujet une institution et un point de repre poli
tique fixe. Mais le rapport de soumission de la pratique la thorie, selon
une technique de modlisation voue la reproduction l 'identique, ver
rouille tout autant la possibilit de choix des moyens et le potentiel d'ac
tion effectif du Sujet. Car au cur de sa thorie, le Sujet est largement tout
autant moyen que fin. Il est l 'instrument, le vecteur thorique par lequel la
philosophie ancre son autorit et ses prsupposs dans la vie sociale
humaine, restant le garant de la stabilit de l'ensemble du Systme. Il n'y
a pas d'appui institutionnel possible sans conception du Sujet. Il est La
Solution trouve par la pense occidentale pour rsoudre la grande
Equation (6), le problme de la menace permanente qui pse sur l'qui
libre des actions humaines. Cependant, et Aristote le reconnaissait dj, ce
modle ne peut tre totalement adquat l'Homme. Et ce pour trois raisons
essentielles : l'action humaine se droule tout d'abord dans un temps irr
versible, qui la diffrence de la rversibilit mathmatique ne permet pas
de parcourir indiffremment la srie des moments dans l'un ou l'autre
sens : le pass est en Dernire-Instance le moment radical dterminant ;
d'autre part, entre moyen et fin vise, peuvent s'interposer tout instant
des vnements imprvisibles qui viennent faire obstacle la performance
attendue du moyen et suspendre la ralisation de l 'objectif ; enfin, le
moyen restant en partie inconnaissable et irreprsentable, reste toujours
prsent le risque de dbordement ou de dtournement de la fin vise.
L'mergence, le surgissement imprvu de facteurs dstabilisants pour le
Systme, est l'ennemi invaincu de la thorie occidentale. Elle le nomme
indtermination, hasard ou chaos. Dans toutes les tragdies et les popes
grecques, la techkn cherche constamment compenser la tuch sans pou
voir totalement 1' exclure. Clausewitz reconnaissait humblement que l'on
ne pouvait liminer le hasard de la gnerre, considrant l'cart persistant et
insurmontable entre guerre relle et guerre absolue - conforme son
modle conceptuel.
265
opportun ou le temps en tant qu'il est bon, qui rtablit, une fois encore,
l'aval de la thorie sur la pratique.
L'importance du facteur temps dans le systme philosophique occiden
tal prend dsormais une autre ampleur. Il se rvle tre l'lment indispen
sable saisir pour russir. Sans l'arrire-plan ontologique de l'opposition
entre tre et devenir, stable et mouvant, le moment opportun n'existe pas.
De la mme manire, l'adaptation de l'instabilit la norme, l'insertion
permanente de la thorie la pratique est impensable sans cette heureuse
rencontre entre le temps et l'action, qui rtablit l'harmonie, le summetros,
rejoignant l'idal grec du nombre, de la mesure et du cosmos. Ainsi, il n'y
a pas de te/os possible de l 'action d'un Sujet sans kairos. L'intervention
n'tant conue que comme ponctuelle, elle ouvre certes l'vnement
mais aussi cette possibilit que l'on nomme Histoire. Mais cette Histoire,
loin de reprsenter la chronique d'un flux d'pisodes chaotiques, est bien
plus la lecture toujours oriente vers un but d'harmonisation et de compr
hension - au double sens du tenue - des faits, visant ultimement accor
der les interprtations et attnuer les dissonances.
time. S'il n'y avait pas de perspective historique, il n'y aurait pas de disci
pline au double sens du terme : orthodoxie de/ordre dans la pense et
constitution d'un champ, d'un domaine de savoir propre.
270
272
redouter. Il n'y a pas de politique sans philosophie, telle est notre convic
tion. Aussi, l'emploi de ce terme en non-philosophie nous parait-il pr
sent largement compromis. Il nous semble primordial d'explorer la possi
bilit qui nous est ici offerte : celle d'une ouverture une Vision-en-Un de
1 'Homme en socit, au sein de laquelle l 'uniformisation totalisante se
serait absente pour laisser place un multiple de l 'ordre de la diffrence
mais aussi du mme sous certains aspects, c'est--dire de leur Identit de
Dernire-Instance ; un multiple de l'ordre du mouvement et de l'alatoire,
mais non de l'anarchie ou de l'incohrence. Pense qui permet par ailleurs
la prise en compte de la reconnaissance du point aveugle que com
porte la technique reprsentative et ainsi de mettre fin la forclusion de
certains phnomnes ou aspects de la ralit du comportement humain en
socit qui continuent de faire problme et que le type de pense philoso
phique reste globalement incapable de considrer.
(1) A noter que la discipline auto-proclame science politique revendique, pour sa part,
l'approche non-philoso
(3) Cf. sur ce point, C. Castoriadis, Domaines de l'homme, Les carrefours du labyrinthe II,
Paris, 1986, p 264.
(4) La position arendtienne, assez controverse, me semble effectivement non dnue de cer
taines obscurits )) quant au dveloppement de son cheminement de pense, et met sa
philosophie au service de la lgitimation a posteriori d'un certain type de pratique politi
que, parlementaire pour ne point la nommer.
(5) Nous ne pensons pas trahir sa pense puisque lui-mme dans son dveloppement Confrence du 17 mai 1987 sur << Qu'est-ce que la cration ? )) - dfinit l'information
comme un systme de contrle.
(6)
Matrix, Revolutions,
Wachowski,
2003.
(7) A = (X,Y,Z,f,g).
Encyclopdie Universalis,
(9) Au sens o nous l' avons entendu dans notre mmoire de DEA,
la dmocratie relle.
274
le Sujet ou la question de
21
59
89
. .
. 151
.
173
. 237
25 1