La Disparition Des Lucioles. Réflexions Sur L'acte Photographique
La Disparition Des Lucioles. Réflexions Sur L'acte Photographique
La Disparition Des Lucioles. Réflexions Sur L'acte Photographique
Denis Roche.
La disparition des lucioles
(rflexions sur l'acte
photographique).
d~clic >
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1~ciit<)t1s de l'l~t<)ile.
?herm e~ d e Stabie.f
Denis Roche.
La disparition des lucioles
(rflexions sur l'acte
photographique).
Vlllf DE t'Aiik
llaLIOTHEOUE
DISCOTHi: '-
FAIDHERBE
11-20, Rue Faidherbe
PARIS-Xl
,, 0 1 '1 '
_t!.:O tJ i __
Editions de l'Etoile.
Du mme auteur
Posie
Rcits complets, Seuil, 1963.
Les Ides centsimales de Miss Elanize, Seuil, 1964.
Eros nergumne, Seuil, 1968.
Le Mcrit, Seuil, 1972.
Roman
Louve basse, Seuil, 197 6.
10 x 18 , 1980.
Essais
Carnac ou les msaventures de la narration, Tchou, 1969.
La Libert ou la mort, Tchou, 1969.
Matire premire, L'nergumne, 1976.
Trois pourrissements potiques, L'Herne, 1972.
Littrature
Notre antfixe, Flammarion, 1978.
Dpts de savoir et de technique, Seuil, 1980.
Essais de littrature arrte, Ecbolade, 1981.
Lgendes de Denis Roche, Gris banal diteur, 1981.
Douze photos publies comme du texte, Orange Export Ltd, 1982.
Avertissement.
1. Aller et retour
dans la chambre blanche.
L'autoportrait au dclencheur retardement.
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Quelque part, au long d'un chemin creux qui file comme une longue
veine que les saisons et l'air tide auront dssche travers le paysage encore
une fois en fonction, conscient la fois des visages de ceux qui m'avaient aim
et de ce sang norme pass du pourri au glac et dans lequel je mets mes pas
nouveau, press par le temps, recompos comme aprs chaque destruction, je me
demande ce que je fais encore l marcher lourdement, les bras chargs d'obj ets , chargs d'un corps (comme dans la premire version, non retenue, de
L ouve basse), chargs d'entreprises et de livres, occup, comme dans la rue
Henri-Barbusse ce matin, trouver quelque chose dire de raisonnable, faire
tenir droit mon discours, m'en prendre un peu, toujours un peu aux uns et
a ux autres : cheminer en somme, comme le voyageur qui se hte travers le
crpuscule. (Le temps noircissant sous le fusain des corps, le taillis projet sur
les amants , tout dcapit : l'arbre, l'horizon, la couleur, l'enttement mme
pou rsui vre , le forage vertical d'amour qui est en nous si profond et qui s'lve
de temps en temps trs haut comme un geyser du Wyoming !). M'entendant
mme parler , tentant d'tablir le contact avec les phrases crire, en proie
h nte rmittent jaspinage de la surface profonde, la recherche de la moindre
chose qui permette l'enchanement des ides, l'amorce qui m'amnerait crire
cett e Prface des confins que voici.
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Rebobinons ce premier paragraphe, sa densit, son espce de dveloppement froid, au contraire du jet massif qui caractrise souvent le dbut d'un
texte, n'est pas loin de jouer un rle voisin de celui que tient la fameuse
pointe brise de l'pe de la mmoire . La musique que j'coute en crivant
cela, La Mort de Cloptre de Berlioz, le contrejour blanc que dcoupe en carr
la fentre qui est devant moi, le confinement de l'criture maintenue distance
du sujet (prfacer des photos dont certaines sont prises au dclencheur retardement, avec un texte intitul Aller et retour dans la chambre blanche en
hommage La Chambre rouge de Strindberg) et distance raisonnable de moimme au point qu'il me semble participer, la limite, une bacchanale morne,
tous ces lments confluent comme en une sorte de grand cube de signifiant :
une chambre trs forte o je peux enfin retrouver mon erre, mon style.
Du coup, m'y voici : le voyageur de Blake, dessin de profil,
et qu'une ncessit folle semble pousser en avant au point qu'il
marche grandes foules vers la droite du cadre, o l'on suppose
que tombe la nuit (The Traveller hasteth in the Evening ), est
revenu se placer face au motif, c'est--dire tournant le dos l'objectif, son dos et sa nuque occupant presque toute la largeur du
viseur. C'est l que tout se joue, mauvais plaisants ! Que tout tendra se
The Trmuerhasrerh inrhe
perdre dans un enfoncement mou sag ittal.
Evening.
Quelques mots encore avant d'y aller : je dramatise avec
rpugnance dans cet espace vide, sans dsir. Comment faire pour que vous
compreniez avec quoi je suis en combat ? Seule peut-tre la musique a-t-elle le
pouvoir de rpondre celui que d'autres questionnent muettem ent.
Ce bloc initial d'criture qui court en songe creux depuis les mots Quelque part, au long jusqu' Prface des confins, figurant le bloc limite signifiant , voici qu'il est l comme chambre freide, accs au danger, loge ncessaire
la poursuite. Constitu, il est ce dont s'empare celui qui rve ici d'une explication purement musicale et qui cependant ne peut que s'en retourner par l o il
est venu, voyageur arrivant de face, lentement, en pleine lumire, et plein cadre.
Et du gros cube dont je ne suis que le manieur perdu, puisqu'il est visible que
je ne craindrai jamais de vous montrer ces paragraphes-l (1), il peut s'agir de trouver
le dfaut ou le revers : quand il serait plein (donc c r it compltement),
1. L es m mes qui composent certains dbuts de textes trop compacts, juste a va nt que l'esprit se convainque
en fin qu'i l cre et se laisse aller une fluidi t d'criture plus naturelle, a insi ceux pa r quoi se trouvaient
in augu r s Artaud refa it, tous refaits !, ou plus a nci ennement Thorie 1, extraits (publi da ns Th orie d 'ensemble ) ou enco re le premier texte intitul Louve basse et paru dans le n 1 d'A rt Press.
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Palumbo~
chambre 72.
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on s'en trouverait cart brutalement, comme refoul par ce souffle d' Apocalypse dont il est dit qu' il se lve dans l'inconscient. L'crivain pench derrire son appareil, se redresse comme stupfait, contourne le pied qui porte ce
qui tait autrefois toujours une chambre, et s'en va prendre place au ct de la
femme avec qui il est, comme on dit. Ce qui, du mme coup, lui paratra redit)
quand ils entendront, mme de loin, le dclic particulier que fait son appareil
quand le dclencheur retardement se met en mouvement. Ainsi sera-t-il redit
pour toujours qu'ils taient ensemble.
Quelle trange traverse des chambres : d'abord la froide, qui prcde le
style, puis la forte, qui permet de faire le coup des paules et de la nuque au
rel ; et enfin la blanche, l'intrieur de laquelle nous sommes souriants et
amuss, conscients, ds que l'exprience aura t suffisamment rpte, que le
lieu (c'est--dire ce que montre la photographie) est comme une contrepterie
du moment (autrement dit ce qui se passe quand on prend la photo). Entre
autres. Mais il faut bien que j'utilise mes notes.
Oui : le coup des paules et de la nuque. Il aura fallu que j'attende de
m'tre photographi de dos - ce qui est peut-tre encore plus difficile que de se
prendre en train de faire l'amour et de savoir enfin quoi on ressemble quand
on fait a - pour comprendre en un clair que je ne m'tais jamais imagin en
train d'crire autrement que comme un homme assis devant sa machine crire
mais vu de dos. Un homme qui crit est un homme qui ne peut s'encaisser que
de dos! Du coup, recommencer se photographier de face, comme on avait cru
qu'on tait tant qu'on crivait - tant qu'on ne faisait qu'crire - devenait une
preuve. Alors, l'aller et retour ? Oui sans doute, partir d'une certaine dose de
question (tous ces derniers temps, rpter ses trouvailles, alors qu'il faudrait ne
jamais cesser de courir de droite et de gauche dans ce paysage o tout a perdu
la tte, et l'pe de la mmoire sa pointe brise, comme un dingue au ralenti), il
n'est que trop dangereux pour la figure humaine de prendre la pose toujours de
face ou toujours de dos. Au moment exact o le bras de l'lectrophone abandonne la surface du disque, je quitte le bureau sur lequel je tape la machine,
j'ai un peu de mal me redresser, comme lorsque j'cris longtemps le dos
cambr, et je passe devant : je suis en couleurs, je n'ai ni chaud ni froid mais je
ne suis indiffrent rien puisque je n'cris plus et que je fais au rel la nique.
Avec l'norme cube que fait cette chambre blanche qui ne cesse de grossir
et de nous refouler vers le devant de l'appareil dans son souffle de salaud
apocalyptique : ftus pulss, moi et les miens, nous, nos moments et nos lieux,
comme possds. Eus - on s'est fait avoir. Comprenez-vous alors pourquoi je
su1s ce voyageur qui va et vient, devant, derrire, courant dans le crpuscule
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comme une effigie douteuse (dont on doute), vivant, et avec elle, une sorte
d'odysse permanente du plan semi-rapproch ? Pourquoi je suis ce voyageur
qui fait ses courts allers et retours, droit devant dans la surface profonde de
l'ornire en sang, empruntant sagittalement la fente qui occupe tant notre raideur, oprant de furieuses volte-face, paradant quoi, faisant faire retour tout,
convoquant l'pe non brise et l'horizon o se lve le jour ?
Restera cependant l'norme tour, jou moi et vous, par le moteur de
ces actions : qui donc m'aura fait crire les premires lignes de ce texte en
rupture absolue avec les dbuts habituels, se jouant de moi comme s'il y avait,
derrire, une sorte de dtermination m'obliger quelque dmenti~ mais devant
qui ? Et qui nous rend impossible l'entre vraie d'un rel dans l'autre, le passage d'une chambre blanche de sons et de mots une autre chambre blanche
o nous ne devons la vie qu' la lumire, passant ainsi d'un ensemble de signes
et de caractres typographiques un simple enjeu d'Asa. Mais comment s'en
dfendre ?
C'est un peu comme d'avoir deux usages en s'crivant de la mme faon.
Comme les phylactres qui sont ces sortes d'amulettes que portaient les juifs
du temps de Jsus et que portent encore les juifs orthodoxes et qui sont faites
de petites botes carres, en bois ou en cuir, contenant d'troites bandes de vlin
sur lesquels sont inscrits des versets de la Bible, et qu'ils se fixent aux bras et
au front durant la prire du matin ; tandis que le mme mot, travers diverses
vicissitudes de sens, dsigne aujourd'hui les bulles qu'on met au-dessus des
personnages dans les bandes dessines pour qu'on sache ce qu'ils disent, petite
factie smantique qui permet de transformer le spectateur (de la bande dessine) en lecteur, presque en auditeur des personnages, et vice versa. Simplement :
qui parle en photographie, que veut dire cette icne laconique ? Qui nous
amne en ces lieux, qui nous en prie de vive voix ? N'est-ce donc qu'on ne peut
parler que d'un seul ct de l'appareil photographique, du ct o j'ai, moi,
mon gros cube et mon chemin veineux ? Que voudrait dire le fait qu'on parle
ensemble quand on se photographie au dclencheur retardement ? Sans doute
tait-ce inconsciemment pour fuir ces phylactres muets, ces bulles vides de
leurs mots qui sont les bulles de l'angoisse qui est en moi, que j'tais si souvent
vu de dos, ou simplement surpris mi-chemin du retour vers l'appareil (1), de
telle sorte qu'on ne voie plus sur l'preuve qu'un morceau plus ou moins flou
de mon corps, mais jamais assez haut pour que ma bouche ait pu se trouver
la hauteur du viseur.
1. Dont je n'aurais pas alors entendu le dclic?
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2. Hommage Wittgenstein.
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3. Pour saluer
Manuel Alvarez Bravo.
Dpt de savoir & de technique n 4.
33
>>,
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dit l'ambassade.
Photo cadavre de Diane Arbus suicide le 26 juillet 1971 ovembre 74 : Bravo expose la surexpo de la Mort au Muse
)) avandires implicites)) - <<chelle d'chelles)), 1931 -<<Le
<< Les accroupis )), 1934 mais faudrait traduire autrement dit
10, D.O. Hill, c. 1845; 138, P. Barchan, c. 1925; surtout Bech
hotography at mid-century )), << La Familia del Hombre )), << The
Contretype de<< La renomme endormie)) pour moi, souviens-ta
egard ons noveau, mon amour, la photo de cette femme nue
<<il ne s'agit pas d'entrer mais .de sortir des choses)). Arta
ud - mais oui, dans la haute montagne mexicaine aot 1936
<< Ciguri mourrait s'il n'avait pas moi )) - 2000 cristeros re
tranchs sur les montagnes de .la Colima, mais a
~houe
et
VIENS MON AMOUR GALE L'IL DJJ PHOTOGRAPHE VIENS MON AMOU
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e rgiment Valparaiso assistant la divine liturgie >>~ pho ttes de Cristeros ramenes en trophes >> photo sans men ti
de brume lgre se lve~ ces foutus indiens ont disparu~ s
tuer la chronique de la guerre. Le gnral Jos Maria Me nd
chantait encore en 1969 le vieux Concho Ramos en s 'accompa
Bellocq~
175~
>>~
Bravo
<<
1932~
<<
mani))~
in
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Cr le temps, je faisais des photos, des autoportraits au dclencheur (t ret a rcl clllCnt. Ou, la verticale au-dessus de moi, le reverbre qui est l'angle de la
1 :1ade , ct d'une affiche pour l'exposition Horace Vernet. Je passais la main
1 rs lentement sur les briques uses un peu partout et sur les babines des lions
de pierre. En vain. Sauf que j'ai tu le temps, qu'elle est arrive enfin el que
11 0us avons gagn notre chambre en toute hte travers les couloirs sombres et
d ' serts. Je lui parlais de la surface de l'eau dans la grande vasque devant la
villa, de l'autre ct de la rue qui va au Pincio, et que je devais photographier
deux jours plus tard.
1 tl
ciel sombre et d'ocre fonc o d'normes caisses d'eau de pluie dvalaient dans
un bruit d'enfer les marches au-dessus de la place d'Espagne, bousculant les
azales gantes, crasant ces beaux buissons colors sur les gens qui s'chinaient
progresser dans l'orage. La tourmente syntaxique est celle qui m'occupe et fait
cette glace en moi. L'image et l'aboiement rauque des caisses, c'est pour les
autres.
Je pensai encore ceci
De l'autre ct de Rome, le solei l a llait tomber dans une manche de
brume. Il envoyait un flot de lumire dans la bche et moi, en bas, je tchais de
cadrer cette incongruit de forme et de blancheur dans le viseur de mon appareil.
Froid comme une lu cane.
J'aperus alors quatre serpents noirs pendus aux crocs tubulaires mi-.
hauteur de la partie emmaillote de l'oblisque. La perspective tant trop dforme l o je me trouvais, j'escaladai rapidement les marches de l'glise et, sur le
palier devant le porche, il me sembla tout coup que c'tait bien et que j'tais
avec un peu de chance l'endroit o tout coule pendant des sicles. Une
chance pour le froid, comme pour les interrupteurs avec lesquels, quand on est
crivain, on le gouverne.
Je regardai nouveau les serpents. Nous tions eux et moi du mme
aplomb, et Rome tait le plomb, dessous.
Ils taient coincs, presque gale distance les uns des autres.
Cravats par le fer.
Un certain nombre de fois j'appuyai sur le dclencheur.
Le promenoir des deux amants passe entre eux et moi , l'obli sq ue qui les
dtient, qui ne les aura dtenus que pour moi et mes photos et mon livre, et
moi debout devant le porche ferm cette heure, alors que la nuit romaine
s'amne et foule comme une mousse les toits de laine et de verre, la pierre et le
lait des murs et des femmes.
Anus, sciure froide (toute photographie).
Une nuit d'indit (toute photographie).
Littrature : tout ce que a dit c'est : Tue-t-en ! Tue-t-en !
N'empche : feux, flux, faces froides des lucanes qui, ayant fait volte-face,
vous regardent, vous et moi, nous et toi, qui ne tenons plus en place, agits de
bonds subreptices et de dplacements froces qui nous gareront infailliblement
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hors du cadre des viseurs, hors du temps qui est contenu dans le dclencheur i1
rTt ardement.
Une nuit de rpit.
Je retrouve Franoise et Micheline dans l'appartement, allonges sur le
' t"' tnd lit, lgrement claires par le feu du soir qui va s'opacifiant dans la
V( rire. L'une dort en chien de fusil, l'autre lit, plat sur le dos. Franoise se
rveille et je vois ses yeux qui m'observent. Micheline lve simplement les siens
vrrs moi . Elles ne bougent pas et me regardent. Moi j'avance et je les vois qui
l"'"lndissent dans le viseur de mon appareil bougeant sans bouger et m'aimant
.-;ms me toucher.
Quatre cocons de larves crvent au fond d'un estomac d'orvet qui mourra
plus tard, brandi tout droit debout dans la nuit d'indit, pic raide mort tincel;mt, squoia, gratte-ciel. Phare froid.
( ' 11
Une lucane habitue, ple Caracalla, d'un coup sec de sa pince, le casse
deux.
Personne ne sera l.
Sciure froide.
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jJeau.
Ce dfaut d'intrieur (qui voit l'intrieur de son corps ?), j'y vois la seule
explication raisonnable de ma violence pntrer le corps d'une femme,
crever une surface inluctable qui n'est autre que la mienne; de ma fureur, de
mme, frapper et refrapper du carbone sur du papier; de mon obstination
prsenter tout bout de champ de la pellicule au rel, de l'enrouler de photo en
photo (Tri-X 36 poses), comme le strong sur le rouleau de l'Herms ;
d'agripper ma femmes aux fesses, comme de cadrer l-bas ou de marger ICI.
Fear.fuL symmetry)
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cette vieille ide que le monde n'est qu'une illusion quand, dans une soire entre
amis, ou devant sa belle-sur nue, on dclenche d'un coup sec la fois le flash
qu'on jette sur le monde et la sortie, comme crache par l'appareil, de l'preuve
en couleur qu'on n'a plus qu' coller dans un album ?
La question n'est videmment pas si simple. Une autre vieillerie fait su rface : la reprsentation. Pas celle de Platon, mais l'autre : celle de Czanne , qui
n'est pas non pll\S trs loigne de celle de Gertrude Stein ou de Joyce qui
ramenaient tout cela au mot identit. Entretien toujours rpt du mme
leurre qui fait que tout le monde, parlant de la photographie, en pa rle comme
d'une autre peinture : voyez Delacroix, Walter Benjamin, Moholy-N agy ou
G isle Freund, on en est encore la querelle cule de l'imitation ou non de la
nature, qui fait ou ne fait pas que la photographie est un art, comme la peintu re ou, tout au contraire, pas du tout comme la peinture, etc., etc. Alors qu'il
faut aller fourrer son nez, y voir de plus prs, dans le mom ent o l'action a
lieu, et non pas dans le produit de cette action, ou bien dan s un hybride ambigu
des deux, un multiple gar des deux, rvlateur fou baignant le vent qui
passe - comme lorsqu'on crit certain genre de littrature ( la mienne, disait
Schoenberg, quand on le questionnait sur la musique), da ns un e vaste affai re de
vise et de cadrage (un dpt de savoir & de techniqu e), clans l' effroi du
moment inluctable o l'index recourb et raide va a ppuyer sur le dclencheur
ou lancer en mme temps un clair lectronique (un d pt de savoir & de
technique), dans la brutalit du coup de pou ce qui fa it prog resser un film cran
aprs cran, ce qui est bien ressenti par les mu scl es de la phalange, comme
lorsqu'au bout de quelques paragraphes les six ou se pt doi gts offensifs qui
frappent les touches de l'Herms 3000 commencent sc ra idir lgrement (un
dpt de savoir & de technique), dans ce qui pse entre deux ma ins, tenu
hauteur d'il ou sur le ventre ou bras tendu : dpt de savo ir & de technique, tir crois dans tous les cas, ncessaire affaire de temps et de mort, matire
premire plus prcise qu'aucune thorie de la littrature ne le fut jamais.
Comme ce petit carr de papier imprim en 4 ou 6 langues et qu 'o n ne se lasse
jamais de sortir, en mme temps que le film, du paquet de ca rton marqu
Tri-X.
La question n'est sans doute plus quelle question nous pose une
photo ? , ni qu'est-ce qu'un philosophe peut faire d'une photo ? (rpondons
tout de suite rien ! , comme a le philosophe disparat dans la tra ppeY mais
plutt avec quoi une photographie peut-elle avoir quelque chose faire , ds
lors qu'on la prend ?
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3. Fa brique de leurres.
De la complaisance envers cet incessant va-et-vient peinture/photographie ,
q 11c chacun entretient en soi et que j'ausculte encore en moi comme un mal
l11 ureux (un retour arrire musical), et qui n'est rien d'autre qu'un clich
1. 1 s s~rant tout terrain, en somme fordinaire du critique, je donnerai deux exem1d!'s qui m'ont touch de prs. Comme deux variantes, deux sons de cloche de la
111 tme antienne :
Ce peintre peint un tableau, grand format sinon a ne marche pas, un
1.1ysage mettons. Puis, quand il a fini, il fait venir une femme chez lui, renconll'<~ c dans la rue, la fait se dshabiller et poser devant ledit tableau dress contre
le mur (rappelez-vous : surface contre surface, l'enveloppe du corps face la
( (tuche de peinture tendue entre les bords du cadre). Cela fait, il recule de
q llclques mtres et prend une photo de l'ensemble. Ensuite, d)aprs cette photo,
11 peint un nouveau tableau devant lequel il fera poser une deuxime fois la
1(nme nue pour en tirer encore une autre photo, et ainsi de suite. L'opration
1 nnsiste ainsi peindre un tableau d'aprs une photographie reprsentant une
lemme nue devant un tableau qui, lui-mme, reprsentait une photographie
d' une femme nue devant un tableau : mise en abme, en force, de la photographie dans la peinture, absorption d'une surface par une autre par enfoncements
, . (~ pts ; de moins en moins photographique (pensez la glace qu'on suce) et de
plus en plus picturale en somme, cette surface qui n'en finit plus de se dire
t('lle. (Ceci avait lieu chez un ami, et je me souviens que j'tais trs excit par
l(s photos de la femme : ses seins et son visage surtout, tach de son et qui tait
le visage d'une jeune femme habitue courir les rues et qui aimait a, et qui
gardait encore dans l'atelier, et jusque dans la photo, la fracheur du dehors.)
Cet autre peintre, qui signe avec sa femme de formidables constructions
ruines, fouille avec moi dans une caisse Q ils ont tous les deux pris l'habitude
d'entasser papiers, esquisses, photos de travail, cartes postales, etc. Il me montre
enfin une planche de contacts qui me fascine : sur douze carreaux (j'emprunte
le terme la bande dessine - sur quoi il faudra bien aussi s'expliquer un
.iour), appuy un mur nu dans une pice qui ressemble un souterrain ou
une galerie de peinture entre deux expositions, le voil dans douze positions
diffrentes, debout, accroupi, bras tendu, de dos, assis, couch, dans une pose
avantageuse , et mme une fois absent. D'accord, me dit-il, je te la donne.
Et je ne cesserai pas, crivant depuis quelques jours cette prface, de jeter des
coups d'il cette planche, me posant toutes sortes de questions, m'escrimant
entre autres rflchir sur diffrents handicaps du corps dans toutes ces entre51
prises et qui font que tt ou tard, consciemment ou non (et souvent par le
truchement .de la photographie) ce corps fait retour avec violence et dit avec
insistance quelque chose que nous n'entendons pas et qu'il semble adresser,
comme si de rien n'tait, ce qui le prcde et qui fut fait sans lui.
Voil donc pour cette affaire de leurres qui ne sont l, comme chacun sait,
que pour attirer les vrais canards et les mettre ainsi porte de tir. Mais, su r
la mare o nous sommes ici, le leurre est en quelque sorte comme un dcor de
Fellini : s'y crasent aussi bien les canards que les chasseurs, les barques et les
fusils, les huttes qui sont autour et tout ce qui grenouille aussi.
Cessons donc avec cet a post eriori : que la photographie, aux peintres,
leur tient particulirement, et depuis qu'elle existe, au corps. Et exerons-nous
sur les leurres qui fourmillent chez l'crivain et, puisque c'est le cas ici, chez
l'crivain qui interroge le fait photographique. La question (la mienn e, cf.
supra) tant double : ce que j'essayais d'expliquer hier djeuner mon ami
Bernard, devant nos entrectes grilles (l'une aux chalotes, l'autre sans) au
restaurant du Val-de-Grce, savoir qu'il faut tout de mme s'tonner de la
relation amoureuse tablie depuis des sicles entre la littrature et la peinture et
s'tonner encore plus que, depuis l'invention de la photographie, cette relation
n'ait fait que crotre tandis qu'il ne vient quasiment jamais l'ide d'un crivain d'crire sur la photographie. En d'autres termes : d'o vient que l'crivain
soit si prfacier de peinture et jamais de photographie (affaire de classe ?).
Ensuite, et c'tait ma deuxime interrogation : comme je l'ai dit plus haut,
on ne parle jamais de la photographie que comme d'une autre peinture, ce qui
veut dire bien sr que le critique ou le thoricien, dj bien en de des faits
eux-mmes, appliquent aux deux la mme grille, les mmes arguments (ce
qu'ils voudraient qu'elles soient et que, bien entendu, elles ne sont pas, ni l'une
ni l'autre) et la mme terminologie. Et je disais B. qu'il me paraissait urgent
qu'un ~crivain, prcisment un crivain, y allt voir de plus prs dans ce bizarre
mnage trois que sont en train de former Madame Littrature, Monsieur
Peinture et Miss Photographie en tchant enfin de considrer la Miss en tant
que telle et non travers les lorgnons de Monsieur - franchement qui peut
encore lire une Histoire de l'art sans un ennui mortel : de la peinture, un peu
de sculpture, plus quelques faades ?
Il faudrait d'abord accepter l'ide que la photographie ne soit le dcalque
ou le substitut de rien, qu'elle soit son propre sujet et que ce sujet seul soit son
tude, sa dfinition, sa vise.
Ensuite, son contact, on se forgerait ncessairement un autre il, un
discours nouveau (voyez certaines dispositions d'criture que dploient et entre-
52
ll< 'nnent diffrents peintres ces dernires annes, comme une machine d'intervenion qu 'il convient de garder chauffe ou brise, tout prte parler, questionll('f l'adversaire, provoquer, etc.). Ainsi apparatrait une terminologie frache.
1 ~~ n fin frache. Sans prcdent, sans jurisprudence.
Ainsi un aller et retour, un va-et-vient parlant et cliquetant, s'installerait
('lllre la littrature (non, l'criture) et la photographie (non pas l'preuve mais
k fa it instantan) dont l'allure et le bruit, le vent mme, car a irait vite et il
1:1ud rait bien que chacun suive, relanceraient enfin la vieille balle plus loin.
1
indienne
Regardez : par rapport aux vieillards sous perfusion mentale que nous
: ommes, nous peintres et crivains avec toujours quelque Renaissance ou quelque Naturalisme qui nous mangeote les os, les photographes sont des indiens
qui nous vivent sous le nez, jouent avec prcipitation, cavalant comme il n'est
pas permis au-devant de n'importe quoi, cadrant ou mitraillant avec insolence
t'n somme, captant aussi la moindre image qui passe comme si a n'tait pas de
jeu qu'elle dispart. Ils se trimbalent, sans lourdeur) avec un arsenal international machinique, une fabrique instantans portative et engrangement illimit
(on y reviendra) dont je ne cesse de me demander comment il se fait que a ne
nous laisse pas tous rveurs.
En vrais indiens ils se moquent de Platon comme de l' an quarante,
ils sont tous de parti pris, ne croyant qu'aux appareils individuels et lgers, ils
sont sans histoire, vivant mme en pleine conomie de cueillette et n'ayant
jamais besoin de se baisser pour ramasser. Le photographe est un camlon de
sortie au Paradis : tout lui vient autour, il voit partout, il lui suffit d'ouvrir
l'il, captant et duplicant la fraction de seconde, au millime, o est le
problme ?, le rel, le vrai, l'illusoire, l'ombre porte, le mur du fond qui est
dans le noir, le noir lui-mme, en couleur ou en noir et blanc, rien ne lui
' chappant, tout instant passant transform en instantan reproductible l'infini.
Je vous dis moi que les philosophes sont out. Quelque part quelque drame a eu
lieu : exposition trop brutale la lumire, bain qui aurait mal tourn, flash
aveuglant d'un contradicteur insolent, indiffrence au rvlateur, dieu n'impressionnant jamais ni plaque ni pellicule, etc. ? Il faudrait pouvoir prendre une
photo de groupe et voir ...
Quand j'ai commenc d'crire ce que je dcida i assez vite d'appeler des D pts
de savoir & de technique - dont les Antfixes ne sont qu'un chapi-
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tre - je n'avais qu'une chose en tte : que le partage poesie-prose auquel j'tais
alors affront de manire permanente n'avait aucun intrt et reproduisait seulement des schmas anciens occlusifs et uss, et que la bance mme entre eu x
dans laquelle je m'agitais avec beaucoup de plaisir et de machiavlisme n'tait
qu'un signe de plus que tout a tait us jusqu' la trame, jusqu'au commencement de disparition de la trame, et qu'en somme on voyait le plancher a u
travers, et mme plus ni le plafond, ni les murs, ni les gens qui se seraien t
encore trouvs l-dedans. Curieusement je rvais dj de ce que pourrait tre
une criture (mon criture) maniabilit souveraine et instantane alors que
j'crivais les pomes des Ides centsimales de Miss Elanize) en 1963 donc.
J'imaginai de piquer par milliers de piqres successives, par dizaines de milliers
de piqres rapides et de dure semblable, la ralit des choses et des gens, mais
toujours par d'autres critures interposes, ces critures tant des sortes de perspectives infinies mais retournes sans arrt sur les choses ou les gens chez qui
elles se trouvaient entreposes, retournes sur eux et sur elles et les commentant
n'en plus finir.
J'imaginais, je voyais littralement ce que pourrait tre cette criture nouvelle, par quoi il me semblait que je me placerais par rapport ce qu'on
appelle littrature, comme un photographe se place par rapport la peinture.
Ide qui ne devait que m'effleurer alors, mais avec sa pleine signification, puisque je devais attendre la fin de l'anne 197 5 pour entreprendre de rdiger le
premier dpt et le mois de fvrier 1977 pour en affiner les principes et
crire la premire antfixe. J'obligeai ainsi n'importe quelle criture crire
son tour et cela sous ma commande, comme dverrouille et libre nouveau
d'aller ailleurs et d'y dire autre chose, l'image de cette dfinition du mot
antfixe que j'ai donne en tte de l'une d'elles dans un collectif publi il y a
peu (1) : Antfixe. Ornement de sculpture, ordinairement en terre cuite, qui
dcorait le bord des toits. Sans doute d'invention trusque, les antfixes masquaient l'ouverture des tuiles rondes, mais devinrent rapidement de vritables
statues l'image et la taille des hommes et des femmes du temps.
5. Mise en rafales.
La mthode mise au point tait simple : rpter l'infini, en tant libre
de m'arrter n'importe quel moment, une mme longueur de texte - non pas
1. " Antfixe de Bernard Dufour et Martine Vatin " , in Le Rcit et sa reprsentation , actes du Col loque de
Saint-Hubert , Payot , 1978.
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1111 mme texte) mais un mme nombre de signes, une mme longueur d'criture
d(j faite. De mme, je m'en rends compte maintenant, qu'un appareil photol',raphique ne cre pas une situation ou un geste ou un objet donns, mais, les
,, cadrant, il les oblige, comme lors d'une rptition, exister nouveau et, ce
!:tisant, dire sans doute quelque chose de nettement diffrent de ce qu'ils
disaient avant l'irruption d)en face de l'appareil capteur qui, pourtant, ne met
r n scne qu'un seul rel. Ainsi je dcoupais des lignes qui taient strictement de
la mme longueur, mais chaque fois prises dans des crits diffrents, varis,
littraires ou non; dans des livres, des manuscrits, des correspondances, des
rnanuels, aussi bien que dans des factures de rparations, des dclarations d'impts, des ordonnances mdicales, des actes notaris, des lgendes crites sous des
photos ou imprimes sur des cartes postales, des notations diverses, notes de
travail, journaux intimes, commentaires en marge ; des brochures ou dpliants
publicitaires ; des bribes de conversation enregistres ou bien des morceaux du
l'lot qui sort sans cesse d'autres appareils, de radio ou de tlvision ; des tlgrammes reus ou envoys, des lettres ou des crits pornographiques, des extraits de bibliographies comme on en trouve la fin des livres qui nous intressent, etc. Bref, j'oprai une formidable traverse du miroir que chacun (1)
s'empresse de nous opposer, percutant enfin leur propre regard et leur visage,
rne prcipitant l'intrieur d'eux comme mon enqute indiscrte pntrait au
plus intime leur lieu d'habitation. Car ces chantillons d'criture dont je me
servais, dont je m'emplissais vraiment les yeux, les poumons, ou la langue,
avant d'en projeter les clats du bout des doigts, et de les faire entrer de force
dans .la tendre surface du papier machine, il fallait bien que les personnes sur
qui je faisais porter mes antfixes aillent les chercher au plus profond d'euxmmes, c'est--dire dans les tiroirs de leurs commodes ou de leurs bureaux, sur
leurs tables de nuit, dans leurs bibliothques, sur le haut des armoires, sur des
tagres, derrire des bibelots, dans des albums, dans de vieux carnets spirale
ou sur des carnets souche ou des cahiers, sous des piles de journaux ou de
revues , qu'ils les dcrochent quelquefois des murs ou les sortent tout bonnement
de leurs poches, du portefeuille o c'tait soigneusement pli depuis si longtemps et cach entre deux photos, etc. Et qu'enfin , faisant fi de leur pudeur ou
de l'image peut-tre trompeuse qu'ils nous livraient d'eux, ils prennent le risque
de s'en dpossder quelques jours, quelques semaines, au profit de celui dont ils
savaient bien qu'il leur ferait dire ce qu'ils avaient dj dit, toute leur vie) mais sous
un aspect et dans un rythme nouveaux, et qu'on retiendrait d'eux dsor-
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6. Rpte voir.
A pratiquer ce genre de jeu qui pousse tout en avant, bousculant, rouleau
sur rouleau comme ces balles d'herbe sche qu'un vent amer fait longtemps
cheminer travers le paysage du Texas, empilant tout puis droulant, rembobinant nouveau, on se dit qu'il ne doit pas y avoir de limite, qu'il faut aller
jusqu' s'obliger soi-mme, qu'il faut y passer : poser l'appareil sur le rebord
d'un mur ou sur la table du caf, brancher le dclencheur automatique et aller,
Franoise et moi, se planter devant ; ce qui veut dire aussi s'exposer au viseur
de l'Herms 3000 qui nous tirera le portrait durant quelques journes, quelques
semaines d'un travail itratif puisant parce qu'on s)y sent passer) comme dans
un grand dsespoir d'amour, de ligne de vie en ligne de vie, entre vingt et vingtcinq par page, et qu'on ne reste pas ainsi impunment des deux cts du miroir
se viser et se braquer dessus des optiques aussi impardonnables, sans y
laisser quelque chose, ce quelque chose prcisment qu'aucune autre activit
prcdente n'avait russi sparer de nous et exhiber aussi bien.
1. Expression que j'avais dj utilise pour dsigner les lignes-squences du dpt compos en prface
l'exposition des photos de Manuel Alvarez Bravo fin avril 76 la Photo-galerie.
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57
mmtmum, tout l'effort est port dans les extrmits offensives, dans la liaison
que celles-ci - les avant-bras et les mains - entretiennent avec les touches du
clavier, comme au piano, avec plus de violence toutefois cause de la duret des
pices d'acier qu'on dclenche vers le papier, toute cette force tant conjugue
avec une certaine vise que l'esprit opre en mme temps sur la feuille qui se
droule, pour voir s'il ne fait pas d'erreur, et sur l'affolant matriau d'critures
varies dans lequel, comme au laser, il dcoupe de fines lamelles de mme
longueur, avant de les transplanter sur le papier qui tourne au ralenti dans la
machine. QueLle charge!, pour peu qu'on veuille bien prendre conscience qu'elle
est toujours l, remonte au maximum, et pas prte, je vous prie de le croi re , de
tomber en quenouille, d'accepter qu'une dfaite puisse avoir lieu sans qu'aussitt aprs elle se retrouve, j e me retrouve, remont et tendu comme un cble, au
bord de se rompre, au bord que je me casse moi-mme.
Aux prises, vous l'avez devin, avec le Temps & la Mort, occup m'enfoncer toujours plus avant, comme je le disais dj, en guise d'avertissement
mes amis, en tte d' une srie de pomes qui s'appelait Le M crit ( ... et sans
qu'il soit possible personne de m'y suivre ... ), enchanant dsesprment ligne
aprs ligne, page aprs page, de viseur en viseur, photo aprs photo, comme
dans cette course sans cesse retenue qui fait qu'aussitt aprs avoir joui en
faisant l'amour on ne pense qu' remettre a, dj tendu vers ce nouveau moment o la charge, la pleine charge sera encore une fois en jeu, et o courant
devant, brandissant mes machines, en proie des douleurs d'yeux tellement mes
vises se rptent et s'intensifient, au fur et mesure que le rythme s'acclre et
devient plus bruyant, branchant en mme temps des musiques dont il est vident
que je suis de moins en moins le matre, je crie, hors d'haleine qu'il faut
s'arrter, qu'il ne faut plus bouger, qu'il faut mme cesser de respirer, qu'au
besoin on revienne en arrire pour que je m'y retrouve, que je puisse amliorer le cadrage, reprendre tel ou tel mot qui n'est pas le bon, alors que je me
retrouve tout coup comme un idiot parce que je viens de me rendre compte
que de toute faon le ralenti n'existe pas.
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Talmont~
Vende.
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63
Je tape encore ceci : que dsormais seules devraient tre publies les
photos 24 x 36 qui comporteraient tout autour ce cerne vague, noir, mais pas
vraiment compltement noir, et pas de la mme noirceur non plus, pas de la
mme compacit en haut, en bas, gauche et droite, non, le cerne devrait
s'largir, ou s'arrondir, son arte devenir ensuite un peu dme, ou hyperbole,
puis s'tirer comme un cirrus noir, et alors peut-tre faire un coude, une pingle cheveux s'il s'agit d'un photographe qui aurait les bords du visage trs
angulaires, ou bien encore le cerne s'amollirait, deviendrait un halo mou, dans
les marrons sombres et son arrondi serait comme indfini, faon bord de grosse
joue dont la couleur - sur une photo noir et blanc - ne connatrait pas de
solution de continuit vritable avec ce qui ne ferait plus partie du visage du
photographe, le dcor ambiant, ou plutt, dans le cas o la profondeur de
champ serait faible - un myope regardant un photographe en train de prendre
une photo -, l'air tout simplement, l'air ct du photographe. Alors oui, on
verrait ce qu'il voyait, on aurait enfin vu ce qu'on voit vraiment : une Ralit
sarts angles droits, une Ralit rectangle dchu, paralllpipde rectangle
dchu. Et pendant que j'y pense : sans chambre noire, sans chambre claire, sans
chambre blanche ; il n'y a que des envois, rguliers, irrfutables, rgulirement
envoys, renvoys d'un mur l'autre de ce squash sensationnel : lancers, ttes,
reprises, tirs, demi-voles, canonnades, dribbles, acclrations, replis ... Si je tirais
moi-mme mes photos, j'en noircirais le tour. Je me ferais les yeux, je serais
cette femme son affaire .
Une srie de photos : tout ce que je vois autour de moi, dans le champ de
vision qui est le mien quand je tape la machine : gauche, droite, audessus, c'est--dire devant, et puis aussi plus haut, deux mtres du sol tout
autour, en suivant en-dessous l'arc des sourcils.
Et voici ce que je vois : ... un martlement violent, appesanti, ralenti
(plus inquitant alors ?). Quelque chose qui tient du roc en branlement, du
vent qui ne passerait que par saccades, du souffle du rut en train ? Chaque
ligne est trace comme d'une vise, sur le terrain (thodolite, le langage ? Une
affaire d'angles rduite l'horizon, de distances znithales ?), propulsions
sexuelles itratives, insenses, de gauche droite sans arrt, sans jamais s'arrter ? Fabuleuses vises d'nervement et de tension ? Serait-ce l l'explication, le
stigmate illimit de cette interpellation qui n'en finit jamais, de cette sonorit
qui est toujours la mme ? De cette pellicule sans fin qui se droule toujours
la mme vitesse, avec le mme grincement dactylique, la mme frquence. Plus
de mesure, de csure, d'usure, rien d'autre que le galop furieux du souffle
64
rauque raide de tout ( ... ) rien d'autre que ce rythme fornicatoire de cerf encenS'lnt de la tte et rpandant son aigre fumet et sa sueur sous lui, et quand le
mouvement d'en-avant est fini, quand le dclencheur, le rouleau, le clavier, le
lableau qui se cadre, quand tout s'assemble ou s'tablit, quand a sent son bout
de course, a repart nouveau, han, avec le bruit du chariot qu'on relance de la
main, avec le coup du pouce, dj endolori, rpt comme un tic, lecture empor1 'e nouveau pour une ligne raidie de mieux, pour un carreau de comprhension du monde de mieux, un alina, un contact encore, hauteur) langage sans
cesse band, oscillant, n'en pouvant plus, baguant, periscopant les alentours, et
plus raide encore de n'en plus pouvoir ce point ; il faut encore que a y aille,
ne, deux virgules, un hochement, un hachement, un pied encore en avant, on
lalonne dans la terre, il s'agit de bloquer coup sr, une feinte de sexe et on
passe, une fente d'en face et a y est, exhalaison, coup de han nouveau, bute
ontre l'os blanc des marges qu'on nous oppose en bout de piste, rentre encore
du tout en arrire, on plie un peu le buste en arrire, bloquant les paules dans
le crpi du mur pour ne rien perdre de ce qui se droule-l, pour viter le
boug, le flou impossibles quand on tape mais qu'on nous oppose et qu'on nous
pposera toujours, question de contrepoint, alors on monte au filet, on branche
plus sec, le mouvement du pouce s'acclre, la carcasse chrome frmit, chaque entre, le magasin ne dsemplit pas, la machine frapper ne dsemplit pas,
un rouleau est l, une bote noire qui enregistre tout, jusqu'au choc invisible
qu'un rel fait un autre rel sans le lui dire, ou en le lui disant l'oreille
bonne distance ; cho, chariot, cahot, tout reprend sa place, en cale) tension
montant nouveau sous les cylindres mtalliques, les touches couronnes d'alphabet, voil des dparts, voil des entres, les premiers mots sortent comme des
rles, les premires images sont cul cul, moments claquetants , instants cloques - vient ma vie, depuis le temps - ce sont enfin des bandes de mots, -des
bandes de sons et d'images, des bandes de moments creux-clairs et de moments
pleins-sombres, des paragraphes entiers sous-exposs avec de brefs passages surexposs dedans, des cohortes qui dfilent, des bannires de sens et de sentiments,
des dominos qui se pousseraient en avant, des dominos d'apprenti-sorcier se
multipliant l'infini, envahissant les tables, les p~rquets , les vitres des fentres,
mangeant peu peu les contours et les lignes de la Ralit, faisant en sens
inverse le chemin du sens, ridiculisant peut-tre la longue le monde qui s'tait
cru en couleurs, en ~rai, en fin ?, comme un rle alors ?, un seul rle tout
entier ? Vous tes-vous tous inscrits, a-t-on pens, un seul 30e de seconde, que
c'tait l affaire d'quipe, qu'il existait un rle o tous taient inscrits, un
quipage, puisque c'tait aussi affaire de dfil, de poursuite, d'algorythme,
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Je tape encore ceci : que dsormais seules devraient tre publies les
photos 24 x 36 qui comporteraient tout autour ce cerne vague, noir, mais pa
vraiment compltement noir, et pas de la mme noirceur non plus, pas de la
mme compacit en haut, en bas, gauche et droite, non, le cerne devrait
s'largir, ou s'arrondir, son arte devenir ensuite un peu dme, ou hyperbo le,
puis s'tirer comme un cirrus noir, et alors peut-tre faire un coude, une pingle cheveux s'il s'agit d'un photographe qui aurait les bords du visage trs
angulaires, ou bien encore le cerne s'amollirait, deviendrait un halo mou, dans
les marrons sombres et son arrondi serait comme indfini, faon bord de grosse
joue dont la couleur - sur une photo noir et blanc - ne connatrait pas de
solution de continuit vritable avec ce qui ne ferait plus partie du visage du
photographe, le dcor a mbiant, ou plutt, dans le cas o la profondeur de
champ serait faible - un myope regardant un photographe en train de prendre
une photo -, l'air tout simplement, l'air ct du photographe. Alors oui, on
verrait ce qu'il voyait, on aurait enfin vu ce qu'on voit vraiment : une Ralit
sans angles droits, une Ralit rectangle dchu, paralllpipde rectangle
dchu. Et pendant que j'y pense : sans chambre noire, sans chambre claire, sans
chambre blanche ; il n'y a que des envois, rguliers, irrfutables, rgulirement
envoys, renvoys d'un mur l'autre de ce squash sensationnel : lancers, ttes,
reprises, tirs, demi-voles, canonnades, dribbles, acclrations, replis ... Si je tirais
moi-mme mes photos, j'en noircirais le tour. Je me ferais les yeux, je serais
cette femme son affaire .
Une srie de photos : tout ce que je vois autour de moi, dans le champ de
vision qui est le mien quand je tape la machine : gauche, droite, a udessus, c'est--dire devant, et puis aussi plus haut, deux mtres du sol tout
autour, en suivant en-dessous l'arc des sourcils.
Et voici ce que je vois : ... un martlement violent, appesanti, ralenti
(plus inquitant alors ?). Quelque chose qui tient du roc en branlement, du
vent qui ne passerait que par saccades, du souffle du rut en train ? Chaque
ligne est trace comme d'une vise, sur le terrain (thodolite, le langage ? Une
affaire d'angles rduite l'horizon, de distances znithales ?), propulsions
sexuelles itratives, insenses, de gauche droite sans arrt, sans jamais s'arrter ? Fabuleuses vises d'nervement et de tension ? Serait-ce l l'explication, le
stigmate illimit de cette interpellation qui n'en finit jamais, de cette sonorit
qui est toujours la mme ? De cette pellicule sans fin qui se droule toujours
la mme vitesse, avec le mme grincement dactylique, la mme frquence. Plus
de mesure, de csure, d'usure, rien d'autre que le galop furieux du souffle
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,:tuque raide de tout ( ... ) rien d'autre que ce rythme fornicatoire de cerf encen;,mt de la tte et rpandant son aigre fumet et sa sueur sous lui, et quand le
lllOuvement d'en-avant est fini, quand le dclencheur, le rouleau, le clavier, le
Ltbleau qui se cadre, quand tout s'assemble ou s'tablit, quand a sent son bout
de course, a repart nouveau, han, -avec le bruit du chariot qu'on relance de la
111 ain, avec le coup du pouce, dj endolori, rpt comme un tic, lecture empor1l'e nouveau pour une ligne raidie de mieux, pour un carreau de comprhenion du monde de mieux, un alina, un contact encore, hauteury langage sans
l'esse band, oscillant, n'en pouvant plus, baguant, periscopant les alentours, et
plus raide encore de n'en plus pouvoir ce point; il faut encore que a y aille,
11ne, deux virgules, un hochement, un hachement, un pied encore en avant, on
1:donne dans la terre, il s'agit de bloquer coup sr, une feinte de sexe et on
passe, une fente d'.en face et a y est, exhalaison, coup de han nouveau, bute
('Ontre l'os blanc des marges qu'on nous oppose en bout de piste, rentre encore
elu tout en arrire, on plie un peu le buste en arrire, bloquant les paules dans
le crpi du mur pour ne rien perdre de ce qui se droule-l, pour viter le
boug, le flou impossibles quand on tape mais qu'on nous oppose et qu'on nous
opposera toujours, question de contrepoint, alors on monte a u filet, on branche
plus sec, le mouvement du pouce s'acclre, la carcasse chrome frmit, chaque entre, le magasin ne dsemplit pas, la machine frapper ne dsemplit pas,
un rouleau est l, une bote noire qui enregistre tout, jusqu'au choc invisible
qu'un rel fait un autre rel sans le lui dire, ou en le lui disant l'oreille
bonne distance ; cho, chariot, cahot, tout reprend sa place, en caley tension
montant nouveau sous les cylindres mtalliques, les touches couron nes d'alphabet, voil des dparts , voil des entres, les premiers mots sortent comme des
rles, les premires images sont cul cul , moments claquetants, instants cloques - vient ma vie, depuis le temps - ce sont enfin des bandes de mots, des
bandes de sons et d' images, des bandes de moments creux-clairs et de moments
pleins-sombres, des paragraphes entiers sous-exposs avec de brefs passages surexposs deda ns, des cohortes qui dfilent, des bannires de sens et de sentiments,
des dominos qui se pousseraient en avant, des dominos d'apprenti-sorcier se
multipli a nt l'infini, envahissant les tables, les p~rquets, les vitres des fentres,
mangeant peu peu les contours et les lignes de la Ralit, faisant en sens
inverse le chemin du sens, ridiculisant peut-tre la longu e le monde qui s'tait
cru en couleurs, en vrai, en fin ?, comme un rle alors ?, un seu l rle tout
entier? Vous tes-vous tous inscrits, a-t-on pens, un seul 30e de seconde, que
c'tait l affaire d'quipe, qu'il existait un rle o tous taient inscrits, un
quipage, puisque c'tait aussi affaire de dfil, de poursuite, d'algorythme,
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7. Photographier.
Entretien avec Gilles Delavaud.
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Oui . Tout ce que je viens de dire, on peut le dire du cinma, sauf que le
cinma est quand mme encore quelque chose de trs cher, qu'il faut un minimum d'apprentissage et qu'il n'y a pas d'instantan. Il y a captation d'un
ensemble d' instants, sans coup par coup possible. La pellicule photo trente-six
poses, c'est vraiment quelque chose de trs spcial. En tout cas du point de vue
maniaque, a ne marche pas aussi videmment, et le rapport au sexuel n'y est
pas aussi immdiat. La sexualit joue constamment sur la frustration. Ce qui
est le comble du malheur dans le rapport sexuel, c'est qu'il se termine et qu'il
faut penser la fois suivante. La photographie marche vraiment comme cela :
plus on fait de photos, plus on s'aperoit qu'il faut dclencher rapidement,
successivement. Au contraire du film, nettement moins abyssal .
Par contre) il y a aussi la frustration.
Bien sr ! On retrouve les mmes thmes dans l'activit cinmatographique ; mais le cinma est plus dissuasif, un peu plus mou, mme quand c'est
Godard. Chez Godard, on joue sur la rptition de la lenteur et sur le montage.
La grande diffrence entre le cinma et la photographie, c'est le montage. La
photographie, c'est vraiment l'instantan, un lieu de tenue de l'action et du
temps, o le cadrage est instantan. Plus on fait de photos, moins on recadre
ur le ngatif; alors que, plus on fait de cinma, plus on fait du montage.
1. Notre antfixe, coll.
<<
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Ce qui vous intresse, ce qui compte pour vous, c'est la prise de la photo.
Non, parce que cela m'intresse beaucoup moins. De temps en temp_s, sur
une photo donne, j'aimerais pouvoir le faire ; mais cela suppose un apprentissage plutt svre, et puis cela prend trop de temps. Et l'on n'est jamais trahi
par un bon tireur.
Est-ce que quelque chose change si on utilise un Polarod ?
Il n'y a pas de rponse a, sinon que c'est un rve plus fabuleux que de voler,
srement. Prendre l'instantan, le mettre dans sa poche, c'est invraisem-
72
blable. Et le Polarod est fait pour a. En plus, ce qui est curieux, c'est que a
amplifie l'instantan en le rduisant lui-mme, ce qui signe, du mme coup,
son maintenu sexuel qui est, par rapport au temps, l'intraitable mme.
uvre; la rigueur, il peut servir de modle pour l'un de ses propres personnages. Mais, mme dans un journal intime, on n'est pas dedans. Qu'on soit tous
obsds par le besoin de traverser le miroir, d'accord, mais on ne le traverse pas
en crivant, ce n'est pas vrai : le Double, ou l'Autre, en littrature comme en
photographie, a devient au mieux une donne suranne.
Dans les photos que vous avez publies, vous ne vous tes pas photographi" seul, mais avec une femme. Est-ce qu'il vous arrive de vous photographier
tout seul?
Non. Se photographier soi-mme, c'est plutt prouvant. Je ne sais pourquoi, mais c'est ainsi. Dans ce livre, Notre antfixe, le texte portait sur nous
deux, il fallait donc que les photos portent aussi sur nous deux, c'est tout. a
m'est peut-tre arriv deux ou trois fois en dix ans de me photographier moimme seul, mais a ne marche pas, je ne sais pas pourquoi, en tout cas a n'est
ni agrable ni probant (je pense ici la tentative dsespre de Michaux,
dans ses Quatre cents hommes en croix).
74
D'o le montage.
Oui, pour reprendre l o la pnse s'est faite. Qu'on redouble par le
montage.
Vous photographiez et vous crivez. Quel rapport y a-t-il entre ces deux
formes de travail ? Qu'est-ce qui motive chaque activit ? Comment la photographie et l'criture se trouvent-elles runies dans un mme livre ?
76
77
Mal.
Comment vous sentez-vous quand vous vous apprtez regarder pour la
premire fois de nouvelles photos ?
78
1ion n
les tirages qu'on veut sur chaque planche de contact, c'est beaucoup
loins magique ; l'agrandissement n'a rien d'extraordinaire en soi. Ce qui est
Px lraordinaire, c'est le moment o on voit les 36 ralits successives, dans une
ouvelle vitesse de captation, quivalente celle de la premire prise. Il y a
!'om me une aspiration de l'ensemble, de trombe.
De mise en place ?
De mise en place, oui, mais surtout de mouvement. C'est probablement
dans ce genre de photos qu'on sent le plus la dure et le mouvement, l'allerretour. En ce moment, je suis en train de faire une srie de photos pour une
revue (1 ), avec des autoportraits de dos et de face. C'est--dire que j'enregistre
l'aller vers l'endroit o je prends la photo, la photo qui se prend au moment o
j'y suis, puis la photo qui se prend quand je reviens. J'essaie de prendre l'ensemble temps et espace.
1. Cratis.
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Voil, c'est presque du Cinema. Mais a reste de toute faon de l'instantan parce qu'il y a tellement d'alatoire, d'indfini, que l'imprvu est encore l
quand mme. On ne peut savoir quelle gueule on va avoir; si on est un peu
loin, on n'entend pas le dclic, enfin, on ne sait pas trs bien ce qui se passe
quand on est en train de se prendre avec un dclencheur retardement. D'ailleurs, les grands photographes, ceux qui posent vraiment et accordent beaucoup
d'attention une photo qu'ils vont prendre et installent toute une mise en scne,
ne font jamais de photos avec un dclencheur retardement. Parce qu'ils sentent qu'il y a quelque chose qui va leur chapper, et que ce quelque chose est
trs important. Je crois que l'usage du dclencheur retardement appartient
entirement l'amateur. Ou l'crivain qui, prsentement, prend des risques.
Faire une srie de photos avec l'appareil coll l'il et prendre le temps
de composer, c.e sont deux plaisirs complmentaires ?
Oui, on peut se permettre de composer, parce qu'on fait beaucoup d'instantans. C'est un moment l'intrieur de tous les instantans. Sinon, les gens
qui ne font pas beaucoup d'instantans, qui n'ont pas l'habitude d'armer, de
dclencher, de rarmer, de redclencher, etc., sur des pellicules de 36 poses, je
crois qu'il ne leur viendrait pas l'ide de faire des photos au dclencheur
retardement.
80
81
pa~.
82
mettre d'abord en place dans cette machine capteuse qu'est l'a ppa reil de ph oto,
r ntrane une acuit du regard qui multiplie en somme la regardabiLit du monument. Quand on fait beaucoup de photos, c'est comme a que a foncti onne.
Mettre la machine instantanment devant l'objet, fait qu'on le capte avec un e
;1cuit plus forte. On enregistre dans la fraction de l'instantan une masse d'informations dtailles plus importante que si on le regardait sans la machine.
De plus, le fait , de mettre l'appareil photo tout de suite en action aide pouvoir
regarder quelque chose qu'on a trop vu. C'est trs difficile d'arriver devant la
lour de Pise : on la connat par cur avant de l'avoir vue, et en plus on arrive
en mme temps que des milliers d'autres personnes. Je crois que dans ce cas
prcis, braquer l'appareil photo sur la tour de Pise fait qu'on peut quand mme
la voir. En plus, je dirais qu'il y a une exaltation particulire photographier
m monument que des milliers de gens ont photographi et photographieront .
.J'ai pos la question des photographes professionnels et ils rp.'ont tous
confirm qu'ils prenaient des photos du Sacr-Cur ou de la tour de Pise. Et
qu'ils ne pouvaient pas s'en empcher. C'est donc qu'ils ne sont pas rebuts par
es braquages successifs et massifs. C'est assez trange.
Et on ne sait pas p ourquoi ?
Non, je crois que, par rapport une manie massive et mondiale, le braquage, on ne peut s'en tirer qu'en rebraquant son tour encore plus, sinon on
est foutu. D'ailleurs : j'ai photographi la tour de Pise ...
Pourqu oi prend-on des photos en voyage ? Pour avoir des souvenirs ? Pour
rapporter des f tiches ?
Les gens qui reviennent avec des photos, c'est pour apporter la preuve
qu'ils ont bien t l o ils ont pris la photo. Mais ce n'est pas pour autrui
qu'ils ont besoin de cette preuve, c'est pour eux-mmes.
L e f tiche est une chose) Le souvenir en est une autre). on p eut revenir avec
plein de souvenirs .. .
Mais ce ne sont pas des ftiches. Il faut bien dire que c'est la prise photo
elle-mme qui fonctionne tout entire comme ftiche. L'appareil photographique
ftichise tout : le bruit du dclenchement, le droulement du rouleau, l'action du
rideau, etc. Mais le souvenir n'est pas le ftiche. C'est quand mme une exalta-
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Vous dites que, dans vos photos, vous y passez. La photo a donc rapport avec le temps et avec la mort ?
Dans une photo on y passe au sens populaire du terme, c'est--dir
qu'on y meurt. On se signale l'intrieur de la photo comme faisant partie du
moment qui passe, qui est dtruit, et donc on photographie cette destruction. La
photo est un objet mortifre terrifiant. Je connais des gens qui se sont suicids
en se photographiant tous les matins dans leur glace. Si chaque matin on s
prend en photo dans la glace, on se suicide effectivement un jour.
Peut-tre aussi prend-on des photos parce qu'on voudrait toucher le rel,
ce qui est impossible.
Oui, on veut l'arrter, et comme on ne peut l'arrter, on photographie
tout le temps, c'est--dire le temps entier.
Baudelaire dit que ce qui motive les photographes, c'est l'amour de l'obscnit : contempler sa triviale image.
Oui, il le disait mchamment, car il dtestait les photographes. Moi, je le
dirais amoureusement. Je crois que les photographes sont les gens les plus
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11moureux qui soient ; et qu'on ne devrait pouvOir avOir envers eux que des
rapports amoureux : ce sont les mediums du temps, et de ri en d'autre que du
temps. Les grands photographes devraient connatre une gloire pl us gr<l ndc q uc
les grands peintres pour cette raison-l.
Y a-t-il beaucoup de trs grands photographes ?
Des masses. Dans la collection d'un inconnu qui fait des photos le dimanche en famille, sur la quantit de ses photos, il y a toujours un chef-d'uvre.
Tout le monde peut faire un chef-d'uvre avec de la photo. Mais ils sont
q uand mme rares ! Les peintres ont du mal le reconnatre, ils ne veulent pas
que la photo soit considre comme un art. Il est vrai que la photographie
perturbe les crateurs qui ont affaire avec l'image. Baudelaire a raison de dire
que la photographie est obscne, parce qu'elle triche videmment beaucoup avec
la ralit . Quand on regarde l'agrandissement d'une photo qu'on a faite, a ne
correspond pas ce qu'on a vu, ou trs rarement, c'est autre chose. a met en
tat d'obscnit par rapport au rel , mais c'est un tat d'obscnit qui est prodigieusement fcond.
reco nd, en queL sens ?
A tous les points de vue. On devrait apprendre l'cole, dans les classes
lmentaires, l'usage intensif de la photographie, de l'appareil photographique,
comme on devrait apprendre l'usage de la machine crire. Parce que ce sont
des instruments de captation merveilleux. Il n'y a pas grand chose qui nous
donne dans l'existence l'impression qu'on est en tat de matrise par rapport au
rel et son coulement. Ce sont des machines amoureuses.
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Oui. Il se trouve que les lieux pour moi ont beaucoup d'importance, quels
qu 'ils soient, surtout les lieux anonymes. Les chambres d'htel par exemple sont
des endroits o on capte le plus fortement , de manire trs dnude, ce qui est
uniquement l'espace et ce qui est uniquement le lieu. C'est le plaisir du lieu qui
dclenche l'autoportrait.
D'autant plus que ce sont des instants qui sont pris dj sur un e enclave
du temps, sur un temps de passage.
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9. Brve rencontre.
L 'autoportrait en photographie.
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1 )assage dont on parle ici n'est qu'effleur, peine une entame, et c'est l'espace,
111inuscule parcelle d'occupation banale, mais infinie parcelle, tendue jusqu'
l' ide que toute surface s'y trouve confondue tant le morceau d'espace ici cadr
: 'y trouve comme convaincu. Tremblons, photographes et photographis!, nous
voici entamant nos parcelles de terre et de murets, de champs immenses et de
lisires!, tremblons du peu de temps qui nous est donn, qu'on reoit brutalement en nous, et dans un espace si rduit autour de nous, comme une coagulaI ion du battement de nos corps!
VILLE DE t';.. r .. ,
II.LIOTHEOUE
OISCOl1 .
FAiO!..!fr''. '
f8-20, p,
dans ce que le viseur dcoupe au-del de lui-mme, oprant ainsi tout au long
de l'histoire des prises photos enchanes, une succession d'allers et de retour.\
dan s la chambre blanche - et puis ce que je mettais l, comme un cho sentimental des deux volumes de la j rusalem dlivre~ dans la trs belle dition
franaise de 1808, que je possdais depuis quelques annes, achete pour une
certaine phrase du prfacier propos d'un contraste d'abaissement et de
gloire qui m'avait laiss longtemps mditatif, et pour les quelques lignes de
ddicace qui figuraient sur la page de garde du 1er volume, calligraphies a
l'encre spia : Offert en souvenir Osca r S. de H. son dpart de Colmar ,
par son ami et ancien camarade de collge Ferdinand Catoire. Ce 3 octobre
1829.
Li.
Myself as a small ward~ et non plus world. Nous cheminons lentement
vers le l enfui (la photo comme lettre vole de plus).
L'autoportrait dans le clotre de San Onofrio avait encore dit ceci j'a i
considr videmment le clotre dans sa plus grande dimension puisqu 'il tai 1
rectangulaire et j'ai dit F. que nous allions nous asseoir un bout, dan s
l'entrecolonnement central et que je disposerai mon appareil photo l'autre
bout, bien en face. J'avais l'poque un Zeiss 24 x 36, du type !carex, dont le
dclencheur retardement tait ce qu'il tait, c'est--dire qu'il oprait un dcompte d'une faible quinzaine de secondes, ce qui tait assez peu. F. et l'appareil une fois installs, chaque bout de l'enceinte et l'un visant l'autre comme
au moment o les deux adversaires, dans un tournoi qui pourrait mal fini r,
s'apprtent s'lancer l'un contre l'autre, j'armai le dclencheur, dclenchai el
me prcipitai toutes jambes vers l'emplacement vide et muet que je m'tai s
destin quelques secondes auparavant (ah, ce manque dlimit dans le viseur !) ct de F., fuyant en somme cet vnement qui naissait dans mon dos
et qui s'teindrait face moi si inexorablement. Seulement il s'avra ceci : que
le laps de temps que m'autorisait le dclencheur tait tout juste compris dans le
laps de temps ncessaire un champion de course pied pour franchir la
longueur dudit clotre. J'entendis le dclic alors qu' fond de course j'oprai le
pivotement qui allait me permettre de me retrouver assis sereinement aux cts
de ma compagne. Comme une flche entre les deux paules, pas rat du tout. F.
riait n'en plus finir. Je dus m'y reprendre plusieurs reprises, le match entre
les deux laps se faisant en plusieurs temps. Et j'tais oblig de faire quelque chose
puisque je ne disposais que d'un seul dclencheur, de type non variable
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(-; 1u contraire du splendide Arrow made in Japan dont F.L. m'a fa it cadeau
il y a quelques mois), et d'un seul clotre dont il tait exclu de rduire la
longueur. Je rusai; tirant mon bras au maximum, le corps projet dj vers le
1 ,out de la piste, les pieds comme cals dans des starting-blocks, bref : dispos
< faire la chambre fond , couvrir l'espace de la photo dans un temps donn,
('(' qui vous apparatra comme un simple jeu de mots alors qu'il s'agit de la
dfinition mme de l'impratif photographique et que depuis 10 ans exactement
i1 ne m'a jamais t donn de me retrouver dans des conditions d'autoportrait
lrlles que je puisse me dire : me voil au plus prs de l'enjeu, le temps dont je
dispose et l'espace qu'il me faut couvrir sont exactement la mme chose. L'esp:lce-temps rduit l'tant-l d'un cube de lumire, ou plutt d'un paralllpipde rectangle de lumire : dans la chambre blanche.
Li.
Le collapse de l'espace-temps.
Au regard de la mort, toute photo est un reprage, en mme temps qu'un
<< acte pralable (Scriabine). Mais que serait l'ide mme de mort photogra1,hique ? Qu'est donc cette chose molle et translucide qui va et vient dans
l'cart entre ce reprage-l et l'action reprable dont le propre est qu'elle n'a
jamais lieu ?
Chaque photo faite est une rvolution sans phrase.
J'ai lu dans diffrents manuels de photo et autres dictionnaires photographiques classiques, c'est--dire ceux qui furent labors vers les annes 18801900, que le portrait en photographie pouvait tre dfini comme tant l'ensemble des rayons lumineux rflchis par la personne photographie . Admirable euphmisme qui fait penser ces gens qui prtendent dfinir l'tre en
disant : C'est... , employant ainsi le mot dfini dans sa dfinition, et dont se
moquait si fort Pascal. Qu'auraient-ils pu dire alors de l'autoportrait dont l'absence de dfinition dans les prcis du temps montre bien dans quelle pitre
estime on devait tenir cela ?
Dans les prcis du temps , avez-vous dit ?
W orld is a small room.
Polarod Land.
Terre du photographique, terre du photographi, n'est-ce pas ?
Dans l'autoportrait, il s'agit de s'expliquer indfiniment l'un l'autre,
101
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de toute faon seule la femelle, et par son seul abdomen, Luit. Nous sommes
donc dans le noir d'un paysage qui est dans les tnbres, nous sommes dans un
espace disparu et dans un temps que rien, puisqu'il fait nuit, ne peut montrer.
Et l'un des deux luit, la femelle (autrement dit nous, photographes) se renverse
sur sa feuille, dans les meilleures conditions pour que la source de lumire
exerce son empire sur le capteur ventuel, le mle, autrement dit l'autre que
nous sommes (nous les photographes) : autre qui est dans la nuit, qui est
noir et qui n'a de raison d'tre et de se dplacer, qu'autant que la lumire jaillit
ailleurs , qu'autant qu'elle est visible de l o nous sommes. Voil ce que l'appel
fait : le cheminement du dsir s'entreprend, le grignotage des parcelles de terre
et d'espace commence faire entendre son bruit effroyable, si effroyable, le
mouvement devient l'imptuosit du torrent du monde qui les entrane la
mort , dont je parlais en commenant, mais oui c'est la visite de l'un l'autre,
c'est mme une sorte de Visitation qui s'opre dans le flamboiement d'un cri
qui ressemble un dclic, dans le vol tourbillonnant qui porte le mle amoureux sur les effluves du temps et de l'espace vers sa femelle renverse, jeu
mortel o s'opre la plus extrme concidence : ultime emploi du Narcisse gourverneur des espces et de l'ternelle oscillation sexuelle.
Bien videmment, nous sommes ces animaux lumire, guetteurs et
voyeurs prts tous empourprements. Dans l'autoportrait, le dsir connat sa
lueur la plus localise : disons qu'elle s'y trouve en situation exquise, car il
n'est pas de prise mieux redouble que celle-l. Ainsi, comment ne pas tre
conscient - jusqu' peut-tre la rpulsion ? - que visiter une exposition d'autoportraits photographiques, c'est pouser le dsir que chacun a eu pour soi, c'est
s'entourer de l'embrasement et de l'enveloppement amoureux d'autrui, c'est s'accorder avec lui, avec elle : chaque photo est alors un miroir qui possde toutes
les vertus ensemble du miroir, glace, vitre, sans tain d'un ct ou de l'autre,
dformant ou non, toil, poli, vitre noire, bref cette sorte d'pais lorgnon du
monde qui n e fait aucun cadeau) mais dont la dfinition mme participe de la
plus extrme et de la plus dure des joies : l'tre-soi) avec son ombre porte,
l' tant-L, emport ensemble dans la clameur muette o le soi poursuit son
image inlassablement.
J 'entre dans la pice, j'hsite un peu, surpris devant tout ce luxe d'amour
mis au mur. J'avance au milieu, je reste immobile un moment et j'opre un lent
mouvement tournant, essayant de m'y retrouver : mais oui, a vient, je sens mon
inquitude qui se dissipe, je me sens et je me vois, je m'prouve comme une
chose qui n'a de sens que dans l'ventuel regard de l'autre sur moi. Regardezvous, visiteurs, c'est vous qui tes sur les murs et ce sont eux, les photographes
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photographis, qui s'en viennent dans la salle visiter une exposition d'autoportraits photographiques, un peu inquiets, hsitants sur la conduite tenir, offusqus par tant de narcissisme. Nous y voil : au cur mme de l'acte photographique , car c'en est sans aucun doute, non pas l'un des extrmes (comme la
photo d'un mort sur son lit, ou celle d'un sexe en gros plan, ou celle de
l'horreur la plus crue comme les portraits de suicids - ou bien encore la photo
du paysage, qui est extrme, puisque la premire photo a t la photo d'un
paysage et qu'on peut raisonnablement supposer que la dernire qui sera faite
sera aussi la photo d'un paysage, ou peut-tre d'un visage, ce qui m'a toujours
paru revenir au mme), mais le point nodal.
Alors parlons de ce point nodal :
J'ai prouv la mme sensation, exactement la mme, les deux fois o il
m'a t donn de feuilleter - je devrai dire de brasser - l'ensemble des autoportraits rassembls en vue de l'exposition prsente (1). D'abord dans les bureaux
de la conservation Beaubourg, et ensuite au sige des ditions Herscher. Cette
sensation, jamais ressentie ailleurs, c'est--dire au contact d'un autre genre de
photographies, au vu d'une autre exposition ou d'un autre livre, tait la suivante : nous sommes en prsence d'une double tension parfaitement vidente ,
qui fait qu'en mme temps que le photographi s'assemble au centre de son
dispositif, dcid remplir sa fonction, ses obligations en quelque sorte, qu'il s'y
imagine rsolu, en proie cette intense invasion de la lumire et de l'espace par
la forme et l'tre, qu'il s'y centre, qu'il s'y cible, plein cadre, tmoin et sujet
de sa propre Annonciation (Je est un autre, mais qui a rintgr son emploi
premier) : on le sent, du mme coup, agit d'une sorte de fureur de dbordement, d'une hystrie brutale et vulgaire, que rien n'arrterait n'est-ce pas, et qui
dit ceci : Comment y chapper ? . L'autoportrait photographique en appelle
toute la capacit d'chappement que chacun retient gnralement en lui, s'efforant toujours de se contenir et de bloquer son tant-l en position de plus
grande occupation de l'espace cadr par le viseur. Assis face l'objectif, pris en
buste ou de loin dans un paysage, mis en scne ou instantan , femme nue ou
portraits multiples en couleurs, il semble bien que cet aller et retour dans la
chambre blanche ne se fasse pas sans mal. Et cette mise mal commande
ceci, que tout coup la lumire de la chambre devient aveuglante, que ses murs
nous paraissent prts se rapprocher pour nous broyer, qu'elle a bien l'air
d'tre suspendue au-dessus du vide, que quelque chose d'horrible va y arriver
(l' acte pralable du crime, encore une fois), bref qu'il faut imprativement
1. Autoportraits photographiques, Centre Georges-Pompidou, juillet 1981.
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brisant aussi l'espace inopin qui tait entre nous, toutes choses qu'il faut bien
dire que la photo russit galement, un autre registre qui dpend tout autant
de la joie que du vol, de la beaut que de la cruaut de l'acte anonyme : l au
moins nous tions trois, socit tout coup de vers luisants nous seuls, en
congrs comme disent pudiquement les historiens d'art qui dcrivent des dieux
copulant, socit photographique l'image de l'amour plusieurs o l'on ne
sait exactement qui prend qui, puisque chacun regarde l'autre et que la dcoupe
qui s'est ainsi faite dans le rel ne dsigne rien d'autre qu'un acte d'amour sans
signature vritable.
En mme temps que les photographis se font photographies, l'amour et le
mal font une partie de bras de fer : il n'y a plus dans la salle immense qui
contient la chambre blanche elle-mme, que les volutes de fume des cigares
et des lampes, personne ne parle car il est vident que la concentration des
spectateurs ne doit rien laisser au hasard des bruits et des cris, que leur regard
doit se faire aussi iJ!tense que la lutte insense qui va se jouer ici dans un e
tension folle qui ne va jamais dsigner autre chose que la probabilit de son
puisement, car le jeu de l'autoportrait en photo veut qu'il s'puise en luimme, force d'avoir fait jouer sa mise en abyme illimite. Le mal, c'est la
guerre qui en tiendra le rle. Quant l'amour, le metteur en scne est oblig de
chercher : voyons, qui en aura l'toffe, quel acteur s'y rvlera ? Il faut quel qu'un qui ait un maximum de prsence, n'est-ce pas ?
Comment y chapper ?
Brve rencontre o chacun va s'aider de ce qu'il peut : miroir, vtements ,
entourage, dfiguration, masque, draperies, crasements contre des parois, dcoupages en srie, planche de contacts rptitions, squences, photo de travers ,
visage hors-cadre, mise en scne, photomontage, prsence de tiers, prsence du
sexe , tirages diffus, petit format, etc.
De toute faon, quel que soit l'artifice ou la peur, la volont d'invention
(qu'est-ce que je pourrais bien faire, quoi personne d'autre n'aurait pens ?
ou simplement le plaisir d'en faire partie, il reste ceci : nous sommes ici, dans
cet endroit prcisment, en contre-bas de cette digue construite il y a si longtemps. Le ciel est blanc, couvert, avec des nuages plus ou moins noirs qui sont
immobiles. Nous avons laiss la voiture sur cette espce de leve qui spare la
terre basse de l'tendue d'eau verte et grise qu'on ne voit plus. Nous savons
qu'il reste peine une heure de jour, que la lumire dcline visiblement, alors
nous nous htons, surveills d'assez loin par un gardien mais qui a compris que
nous voulions, cet instant, tre seuls. Nous nous dirigeons vers les restes d'un
temple, trs l'cart de l'ensemble du site archologique proprement dit. Il y a
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suffisamment encore de rayons qui passent entre les masses noires du ciel de
111ousson pour que des ombres rayent comme il faut le so l tou 1 ;lUI our des
poteaux de pierre qui soutenaient autrefois plusieurs tages de bois qui d cv ;t icnl
r tentir des cris et des rires des jeunes moines astreints aux crmon ics ;wl our
d s dagobas voisines. Il n'y a plus que la pierre et le sol, avec qu elqu es arbres
pas trs grands. Et puis la douceur de l'air en fin de journe qui contras te ~w c c
la chaleur qu'a absorbe la terre durant l'aprs-midi. Je dispose l'a ppa reil
photo sur son trpied, peu prs 30 cm du sol et je m'accroupis derrire pour
voir dans le viseur ce qui se passe : je cadre sur l'ensemble, d'abord un peu de
!erre, puis les deux marches de pierre envahies par les herbes folles, le soubassement de briques qui supporte les quelques colonnes de pierre sans ornement
qui sont encore debout. Derrire, un beau flamboyant, comme il y en a quelques-uns dissmins sur les collines alentour. Je mets au point, j'ouvre au maximum, j'ai conscience de la proximit du gardien, mais surtout de son silence. F .
s'est place juste au-del des marches d'accs au temple, de dos. Je distingue un
peu gauche, l'ombre que je projette quand je me mets debout. Je lui dis de ne
plus bouger et j'actionne le dclencheur retardement, puis je me mets debout
et je regarde devant moi, la fois le temple et F. et mon ombre qui va vers eux.
Je ne bouge plus, je sens les secondes qui passent et l'air sur nous tous. Le
dclic a lieu. Je dis alors F. de se tourner vers moi . Je rarme l'appareil et je
tourne nouveau la vis du dclencheur retardement qui est en acier et qui a
la forme d'une seringue. Je dis F. : Ne bouge pas, reste exactement comme
a, je vais venir ct de toi et je te tiendrai par la taille en tournant le dos
l'appareil . Je vrifie d'un coup d'il que tout est bien en place, je dclenche le
mcanisme, je fais le tour de l'appareil dont j'entends l'espce de bruit nervant
qu'il produit, et je m'avance dans le champ, heureux comme je le suis chaque
fois dans ces cas-l. Je me dirige vers F. l'endroit prvu, l o je me suis vu
et comme je l'ai dit. Quant F., elle est dj dans la photo , elle ne bouge pas,
elle ne me regarde mme pas venir. Elle sait que je suis l. On n'entendra pas
le dclic, parce que ce minuscule bruit qui dispose tout le temps de son droit de
vie et de mort est hors de porte. Nous restons donc en place, F. et moi , plus
longtemps que le temps de la prise ne l'exigerait. Nous avons largement dpass
le temps de notre photo.
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Une chose qui me parat intressante dans l'auto-portrait, c'est l'allerretour. On entre dans la photo, c'est--dire qu'on se dbarrasse de ce rle du
photographe ou de l'crivain et l'on va - dans le champ, prcisment - et dans
le champ d'observation, on redevient totalement un personnage, avec le dclencheur automatique. On n'est plus du tout l'auteur. On devient uniquement le
personnage puisqu'on ne sait plus du tout comment on va tre dans la photo.
Surtout quand il y a un retardateur de pose. Au bout de trente secondes on ne
sait vraiment plus du tout o l'on est, donc on est devenu totalement un personnage et rien d'autre. Et puis on sait quand mme qu'au bout de trente secondes,
quand la photo aura t prise, on reviendra l'appareil. Il y a une notion
comme a, purement visuelle, d'aller-retour l'intrieur qui me parat intressante, qui n'existe pas du tout dans la littrature et dans la peinture, mme si
l'on fs:tntasme dessus depuis toujo urs.
C'est toujours des photos d'endroits, ce sont des traces de lieux. Comme
dans les discours funraires des Dogons. Quand un Dogon meurt , des personnages qui assistent son enterrement improvisent un chant qui ne fait que raconter les diffrents endroits o est pass le mort, rien d'autre. C'est uniquemen t
une localisation rptitive chante. Mes photos jouent un peu comme a. Ce ne
sont jamais que des lieux. Mes lgendes le disent clairement : Tel jour, te l
endroit, chambre numro tant, tel htel. .
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Je crois que n'importe quelle photo est une propagande ou pour le sujet
ou pour le genre. Par exemple les photos de Notre Antfixe sont des propagandes amoureuses. Quand on fait des photos pittoresques, ce sont des propagandes
pittoresques, quand on fait des photos de 68 ce sont des photos de propagande
politique. Par dfinition on propage. La photo propage un regard, une situation, un moment, etc.
a fonctionne toujours de manire purement autobiographique. Je ne
cherche pas faire dire quelque chose une photographie que je prends, je
prends une photo parce que j'ai envie d'en prendre une cet endroit en me
disant Tiens, il faut que j'aie a quelque part dans mes archives. ou Tiens,
ici on devrait faire un auto-portrait au dclencheur automatique. C'est tout. Je
les agrandis, je les colle dans des albums, les unes aprs les autres, dans un
ordre absolument chronologique.
Je ne connais pas de photographe professionnel qui ne soit pas aussi un
voyeur sexuel... et ftichiste. Le comble du ftichisme en photographie c'est
l'invention du Polarod. Ce qui est ftichiste ce n'est pas de prendre une photo
au millime de seconde, c'est la rptition de la prise photographique, c'est d'en
prendre 36 d'affile au millime de seconde. C'est l o le ftichisme joue.
Exactement comme la ftichisation sexuelle qui fait que quand on est en train
de faire l'amour on ne rve qu' une chose, c'est de le refaire une autre fois. La
photographie fonctionne exactement de la mme faon. On ne trouve aucune
satisfaction dans le fait de prendre une photo, on ne trouve sa satisfaction que
dans la dure et la rptition de la prise photographique.
Quand on prend des photos, on mitraille - des rouleaux de 36 poses.
Aprs, les photographes en slectionnent une ou deux, qu'ils agrandissent et
qu'ils exposent. Il y a une ncessit absolue de passer de la prise rptitive
d'instantans, avec tout ce que cela suppose, une slection. Quand un photographe mitraille un sujet, il se passe quelque chose de bien prcis qui consiste
pour le photographe rpter quelque chose et rpter non pas tel ou tel
sujet, mais rpter la prise de ce sujet, puis il slectionne une photo et partir
du moment o cette photo est slectionne, agrandie, expose et regarde comme
telle, c'est--dire comme chef-d'uvre, cette photo son tour devient captatrice.
La chose est renvoye comme miroir au regardeur de la photo et ce qui se passe
ce moment-l, c'est une masse galement rptitive d'impressions, de sentiments, de cultures, de rflexes conditionns, etc. qui tient un autre langage que
celui que tenait le photographe quand il prenait ses photos rptes.
Quand on regarde des photos publies en tant que chef-d'uvres, on a
toujours l'impression que ce chef-d'uvre a t prmdit. Or c'est totalement
114
faux. Quand on voit les planches de contacts de grands photogra phes, pl a nches
d'o ont t extraites prcisment les photos exposes, on s'aperoit fin a lement
que le photographe a tout voulu sauf peut-tre ce chef-d'uvre, en tout cas
depuis une priode rcente. Depuis la guerre, c'est plus du tout comme a que
a se passe. On ne peut plus braquer un appareil photo sur un sujet bien
dtermin comme Weston quand il faisait des nus dans les annes 30. Je crois
que c'est vraiment fini. On peut raliser la mme photo mais on ne la prmdite pas autant.
antfixe
115
von( sans en acheter. Je crois que la manipulation de photographies joue exactemnt sur le mme dsir. ce n'est pas par hasard. Dans les librairies, il y a beaucoup
de livres de photos. Il y a des livres compltement idiots, il y en a d'autres qui sont
fabuleux, mais on les feuillette de la mme faon.
Et l'intrigue ?
Non, c'est pareil parce qu'il y a le photographe : le regard du photographe est tout le temps dans n'importe quelle photo galement hros, a c'est
vident. Il suffit de regarder des photos de btiments, les plus figes qui soient,
par exemple les photos de Walkers Evans et l'on se rend compte de a. Il y a
aussi, de la mme manire que dans les autres photos, une hrosation du sujet
extrme.
Ce que Notre Antfixe et chacun de ces textes-l racontent, c'est la vie de
quelqu'un, c'est tout, rien d'autre. Quand je dis que c'est le chant gnral des
gens et des choses, c'est exactement ce que je veux faire. C'est faire chanter
toute l'criture qui se trouve chez quelqu'un. Faire chanter les gens, les faire
chanter autrement. Parce qu'on les fait beaucoup chanter mais on ne fait pas chanter
leur individualit, leur singularit. Il y a toutes sortes de gens dans les
116
.. Antfixes que j'cris. N'importe qui est susceptible d'une Antfix e . Mon
11rgence est vraiment l-dedans. C'est--dire faire chanter tout le monde el n'im1 )Orle qui, de mme que tout le monde et n'importe qui prennent des photos.
(:'est pareil. Tout le monde a droit a et tout le monde chante comme un
perdu, encore faut-il l'entendre.
Ce procd-l - de dcoupage et d'empilement - privilgie tout, tout le
temps, dans tous les textes qui sont chez quelqu'un. Valorisant, totalement,
pour n'importe quelle chose crite. J'prouve une ncessit vraiment forcene de
mu ltiplier l'infini du vcu tout le temps, tout le temps sans arrt, comme la
photographie le fait, exactement.
C'tait aussi excitant de Jaire jouer diffrents types de littratures ensemble.
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As-tu l'impression qu'il y a dans Notre Antfixe des choses quz se martlent?
Oui, srement. Il y en a qui se martlent d'elles-mmes sans qu'on en soit
parfaitement conscient en faisant la slection des lignes, et puis je me suis rendu
compte (et je crois que ce n'est pas sans rapport avec ce besoin de musicaliser
un peu l'existence) qu'il tait invitable d'avoir des leitmotive dedans, c'est-dire une ligne qui revienne de temps en temps. Que tout d' un coup une moiti
d'une de ces lignes soit le dbut d'une autre ligne ; en faisant ces chevauchements, je voulais voir deux choses : partir de quel seuil de rgularit et de
rptition le souvenir commenait jouer chez le lecteur ; et la deuxime chose ,
c'tait de faire la preuve pour le lecteur, de bien lui montrer que les lignes
choisies taient relles, rellement choisies dans des textes, c'est pour a que de
temps en temps l'une de ces lignes brusquement continue et c'est alors que la
narration s'installe de manire tellement perdue que le lecteur est bien oblig
de se rendre compte que ces lignes sont prises dans des textes, des textes qui ont
un sens, un contexte, une vidence complte. Et puis c'est agrable, a fait jouer
tout d'un coup, de faon extrmement perceptible au lecteur, son plaisir de
retrouver une narration. Donc, de temps en temps, je lui montre que c'est une
ventualit, que c'est possible. A partir du moment o il capte a comme une
ventualit de plaisir et d'agrment pour lui je peux revenir au rythme normal.
Tu te souviens des performances de Warhol quand il plaait des magntophones dans un lieu, ensuite il changeait d'endroit, et faisait intervenir d'autres
contextes.
Oui, mais il ne faut pas trop le faire, sinon l'effet se perd. Il faut le faire
intervenir juste assez pour que les gens se rendent compte qu'il y a cette possibilit-l et puis c'est tout. Si on l'installe en tant que narration elle-mme, bon,
il n'en sort plus rien.
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Un certain nombre de femmes ayant tent l'exprien ce du cin ma pornographique disaient que l'exprience tait avilissante pour elles, ne leur apportait
absolument rien.
Cyniquement, je dirai que c'est leur problme. Cette question-l, ce qui en
ressort mon avis, c'est que c'est une lutte mort. Je crois qu'aller voir un
film porno, se mettre crire ou parler la radio, simplement regarder
vraiment que\que chose : il faut franchir, et il faut franchir mme si les autres
ne franchissent pas. Donc c'est vraiment une lutte. C'est du corps corps.
Alors, bien entendu, il y a des gens l-dedans qui n'arrivent pas franchir cet
tat et qui se retrouvent dpossds. Parce que c'est l'un ou l'autre. Ou on le
franchit et l'on s'approprie ce que l'on regarde, ou on le franchit pas et l'on est
dpossd. Mais une femme qui a joui dans un film porno et qui s'est sentie
dsapproprie a quand mme eu le dsir d'aller y jouir, d'une certaine faon
elle a aussi franchi cette tape.
Pourquoi?
C'tait rond.
Propos recueillis par Alain Pomarde.
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D.R.
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1. Dans l'immense tourbillon barbare qui roule les uns sur les autres les
effets de cration, dans cet emportement qui tourne en rond, creux dirais-je
(ce qui oblige les artistes et les crivains affirmer leur production en termes de
densit et d'occupation), les arts, qui ont, comme on sait, affaire au vieux
dieu lare de la Reprsentation, ne s'en vont pas ensemble l o le tourbillon les
mne. Dans la bousculade, j'incline penser que ce qui va avec et autour de la
peinture, c'est--dire l' Art, se prcipite, soumis l'esprit du tourbillon, vers
l'extrieur, vers la lvre en somme. Et puis il y a la photographie, peinture
des pauvres comme on disait dj vers 1870, ou encore art moyen, qui
rsiste quelque part et s'affiche du ct du puits central, du ct de l'os. Soit la
lvre, donc, de la machine. Soit son os.
2. Ce n'est pas sans raison, dans cette histoire de lvre et d'os - de
peinture et de photographie,. - que c'est surtout du ct de la peinture qu'on
trouve le plus grand nombre d'artistes suicids ou mystiques, ce qui revient un
peu au mme. La dportation vers l'extrieur aurait t alors trop forte. La
rupture intervenant aprs une sorte de trs long arrt de contemplation
(Rothko/Rquichot, par exemple).
3. Tant qu'on y est, autre chose sur la toile, le peintre divise l'espace
(voyez Poussin, ou Tintoret). Que fait le photographe ? Il cadre. Non : il
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dcoupe l'espace. Le photogra phe dcoupe du rel, ce qui veut dire qu 'ava nt
1out il vacue le reste , ce qui ta it a utour. C'est don c bien a : il recentre, il
rnobilise vers l'intrieur, il comble la mdull a . D 'o ce t effet de rajout de
se ns, il rend vrai le rel. T a ndi s qu e le peintre fabriqu e pa rtir de quelque
('hose, autour de quoi il n'y a ura it rien eu : son sujet n'est amput de rien. Il va
de proche en proche. Son ta bleau fait tache d'huile. Voyez Pollock, ou Viallat,
ou Erro, c'est pareil. C'est un risque.
4. On comprend les tentatives des photographes de faire comme si en
imitant la peinture. a a toujours t un chec, aprs l'explosion de la photographie impressionniste (Lumire ou Stieglitz) : les photogrammes ,
rayogrammes et autres schadographies ont fait long feu du ct de l'absLrait vague, du ct en quelque sorte d'une peinture abstraite dsamorce. Heureusement pour eux, Man Ray (ce qui veut dire l'homme rayon, ne l'oublions pas), Christian Schad et Raoul Hausmann s'illustreront ailleurs.
5. Donc le photographe recentre.
Il faudrait pouvoir savoir ce qui se passerait si c'tait aujourd'hui que la
peinture tait invente. Oui, si elle n'avait jamais exist et s'il tait possible
qu'elle existt d'un seul coup, avec tous ses pinceaux et toutes ses huiles, qu'estce qu e Les p eintres ch oisiraient de reprsenter ?
P a rce que, pour ce qui est de la photographie, on sait ce qui s'est pass
quand son usage est sorti du domaine exprimental. La socit immonde se
rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le mtal...
L'amour de l'obscnit, qui est aussi vivace au cur naturel de l'homme que
l'amour de soi-mme, ne laisse pas chapper une si belle occasion de se satisfaire. (Baudelaire.) Voyez les cadavres, voyez les corps nus et leur sexe. Les
hommes, dirait-on , avaient t privs de quelque chose, depuis plusieurs dizaines de milliers d'annes qu'ils reprsentaient et qu'ils peignaient (et c'est
tir au cordeau depuis la grotte de Pech-Merle jusqu' la chapelle Rothko
Houston). D'o vient que la photographie a affaire ce point et si vite l'acte
sexuel et au corps des morts ? Et avec quelle avidit ! La guerre de Crime
d'abord , puis celle de Scession. Et, farcissant le tout , emmls aux bras pourris
qui sortent des talus et aux ventres blancs gonfls et couverts de mouches,
dfil ent les nus de Braquehais et de Rejl ander. Comme si de rien n'tait (enfin
dba rrasss des pudeurs de l'Art ?) , on s'en donne cur joie (mais quoi,
alors ?) ...
a n 'tait qu'une question.
6. L'arrive de Dada sur la scne artistique principale (l'avant-garde)
concide trs prcisment avec le moment o se posent avec le plus d'acuit tous
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les problmes qui traitent des questions de reprsentation en art. C'est le point
culminant du dilemme photographique : la photographie a-t-elle ou non a Inventer quelque chose qui lui soit propre, de faon n'avoir plus dsormais se
demander ce qui est plus vrai : le rel qu'elle photographie ou la photo qu'elle
en donne ?
Anticipant ainsi sur ce que dira bientt Brecht, qui dplorait que la photographie, pour l'essentiel, en soit toujours vouloir faire la preuve de ce
qu'elle peut techniquement faire .
La photographie, son apparition brusque face l'art, pose tout en termes
de sujet. Elle fournit mme les sujets peindre : Delacroix s'inspire de
photos qu'il a faites, Courbet et Ingres peindront directement d'aprs les splendides photos ' acadmiques (de nus) que Julien de Villeneuve leur Loue (la
srie des Ateliers de Courbet et la Grande Odalisque d'Ingres) : d'aprs
nature en somme.
Puis vient le deuxime temps : la photographie singe la peinture - ou vice
versa - et dans les deux cas, cela donne de l'impressionnisme : affaire de grossissement du grain ou, si l'on prfre : la lumire comme agent grossissant.
Et enfin, la grande question, que s'emploieront rgler, quelque part au
bord de la mer, Braque et Picasso : la peinture, dbarrasse de la question du
sujet (Picasso crira beaucoup plus tard, en 1939 : la photographie est venue
point nomm pour librer la peinture de toute anecdote, de toute littrature et
mme du sujet... Les peintres ne devraient-ils pas profiter de leur libert reconquise pour faire autre chose ? ) devient ou ne devient pas abstraite, fait circuler
ses offres de couleur, dplace la question du vrai en abandonnant absolument
l'imitation ou la non-imitation du rel. Avec - c'est l qu'interviennent les deux
compres de tout l'heure - une sorte de manire ultime de s'en mordre les
doigts, avec fatalisme et tristesse : et les voil, en plein cubisme, collant (le mot
est lch) des morceaux de journaux ou des allumettes (Picabia, en surparodiant
la chose, mettra plus tard, sur un paysage en forme de phallus transversal, des
plumes), juste comme a, pour marquer qu'au dpart de l'aventure, dans le fond
monotone et glaireux de cette histoire d'huile, de couleurs et de toile de jute, il
y avait le rel, le ralisme, le naturel et les choses : LA VERITE D'AVANT ....
7. Juste avant la guerre de 1914, cubistes et futuristes photographient
tour de bras : on fait du flou, on grossit, on dcompose, on fait du flou
tourbillonnant, on pose au hasard des objets quelconques sur les plaques sensibles, bref on se prpare la guerre, qui inventera, c'tait couru, les observateurs : as du clich, cachs le plus souvent dans de faux troncs d'arbres. On ne
pouvait rver terrain plus inquitant, plus ambigu, pour que se trouvent enfin
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invents des procds nouveaux, agents, avant toute chose, de pagaille le collage et le photomontage.
8. a se passe donc vers 1917, chacun s'en voulant l'inventeur Ernst,
/\rp, Hausmann, Heartfield, etc. Peu importe. Ce qui est certain c'est qu e le
collage (que de subtils et rassurants exgtes distinguent solennellement du papier coll) dmarre : ce n'est plus seulement un rappel thorique qu'on met
quelque part dans un tableau pour surfaire du rel~ a devient un nouvel instrument de cration en soi, et tout ce qui se trouvera, par son fait, pos comme
lechnique, comme graphisme, n'aura d'autre rle, d'autre consquence, qu'un
renforcement conscient, dlibr, cumulatif, dominant, effectif du BEAU. Voyez
la suite, jusqu' Motherwell compris : le collage ne dit rien d'autre que la
puissance d'engendrement de l'motion esthtique au-del de tout matriau et de
tout systme de confrontation matrielle. Couleurs, dcoupes, chevauchements,
agencements hasardeux tudis, sens dans lequel cela doit se regarder ; tout est
fait pour crer entre l'objet regard et le regardeur cet espce de temps blanc
que seul le regardeur peut occuper par un curieux effet mtonymique du sentiment d'absence. Le collage, quintessence de l'objet artistique abstrait, en est en
quelque sorte l'avatar sur-reprsentatif. Je dirais que le collage est la parodie
(non la pitrerie, ce qui jouerait en sens inverse) de la peinture abstraite, son
prolongement augmentatif : son thtre. D'ailleurs la suite de l'histoire le montrera bien : le collage tait bien le bout de la piste, mais d'une piste faite
seulement d'objets matriels pleins et distincts, isolables et encadrables. Aprs,
c'est--dire en allant plus loin, on sera oblig de passer au conceptuel, au
gestuel , et autre body art. Le tourbillon dont je faisais tat au dbut de ce
texte travaille plein rgime : du sujet rpt on est pass l'objet de la
montre ; de l'objet, on passera l'ide, pour en revenir - sait-on jamais ~ au
corps, l'effort, la prouesse, la performance, mais dans l'ide continue
d'exaltation du beau, du beau impressif .
Dans cette affaire de '::ollage, personne n'est jamais tromp. L'esthte
parle l'esthte, personne ne sera ici la dupe de l'autre. Ils changent du m me.
Arp, Motherwell, Rauschenberg.
8 bis. Dans cette opration , quelques-uns, bien entendu , se sont mis hors
jeu. Ils se sont placs en observateurs des observateurs . Puisque tout le
monde se trouvait si bien de parler le mme langage, puisque observateurs et
observateurs de l'observation s'en donnaient cur joie f orce de se savoir
dedan s~ il parut convenable certains d'en sortir, de rompre cette ronronnante
circulation l'aise, et de ne montrer que ce qu'ils voulaient montrer (notez le
redoublement), c'tait que les autres s'adressaient les uns aux autres dans des
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termes de reconnaissance tels que ce code ferm, heureux, bien en main allait
casser et bientt montrer son ventre blanc pourri, que ce ressassant bavardage
d'absence colore colle et contrecolle, on allait le mettre distance~ comme un
chafaudage dplac, comme un chevalet retourn. Ne pas le quitter des yeux,
mais en rompre le cercle communicant, crer de la parole, obliger l'uvre d'art
ou pas d'art (on peut dj en imaginer l'au-del) surdoubler sa parole :
faire dire du vrai au vrai. En plus.
C'est a le photomontage.
8 ter. Synthse : le collage est un assemblage (c'est le terme anglosaxon, plus juste) d'lments diffrents dont l'ensemble une fois compos n'met
plus de leon, n'met que du tableau. Il n'y a qu'assemblage de morceaux
dans un but esthtique, sans que les lments constituants soient porteurs, chacun sparment, d'un message, d'une explication, d'un texte suffisamment
sens - ou d'une photographie, ce qui revient au mme. D'o le fait que le
meilleur collage, son nec plus ultra) sera toujours le papier dcoup de Matisse ou le papier dchir de Motherwell, (l'effet recherch tant en quelque
sorte augment par l'adjonction de peinture ou de couleur - d'huile ou de
crayon). Le collage sera videmment, hormis une concomitance de lieux et de
personnes, la moins dadaste des solutions, car le collage n'est rien moins, quel
que soit le colleur, qu'une manire de rassurer le march.
Le photomontage, cet gard, oprera un prodigieux rebondissement :
devant l'effet de surface produit par le collage, il cre la surprise. Il n'est pas pas encore - passible du march. C'est la grande affaire : il a quelque chose
dire qui est ceci : l'Art ne contient pas tout ce que l'Art savait dire. Et ce n'est
pas un hasard si Dada se pointe sur la question de la photo ( la suite du
futurisme italien, mais avec un tout autre usage - et c'est sans doute sur ce
court espace d'annes, 6 ou 7 pas plus - que la photographie aura t affaire
d'avant-garde) : il choisit de ne chercher faire parler que ce qui parlait dj.
Heartfield, Hausmann, Hoch et les autres assembleront des morceaux de photos
qui, chacune (chaque photo d'origine), chacun (chaque morceau) dj racontaient une histoire ou un fait, ou une personne.
Et ce nouvel ensemble assembl (rvolution !) dira quelque chose d'autre,
de nouveau, de plus.
C'est bien a : on va tromper le sens des constituants. C'est dans la photo
et dans l'exposition - dans la manifestation, la prestation, l'exhibition, la montre
donc - que Dada fera son chemin, irrversiblement. On dit bien de quelque
chose qui pourrit, que a travaille. Dada fera tout travailler : jusqu' ce
que a tombe du fil.
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Preuve que la leon de Heartfield a encore de l'air, que son coup de ciseau face
l'hyne des guerres et aux mufles hitlriens, que sa violence et son emportement de colleur d'affiches entt portent encore en eux l'universalit d'une
leon.
Et cela cinquante ans aprs l'invention du photomontage par un jeune
allemand qui s'appelait Helmut Herzfeld et eut le front - le furieux ! - d'angliciser son nom en pleine guerre de 14-18, john Heartfield dtournant son propre
nom, se diffamant comme si de rien n'tait, ou plutt parce que quelque chose
tait : l'hyne des guerres que livrent aux faibles les puissants et qui poussrent
un beau jour de 1917 le jeune Herzfeld se photomonter lui-mme pour
devenir son double, le jeune Heartfield, dans cette tenue bleue particulire
qu'tait alors la salopette des monteurs. Et voil pourquoi on l'appela DadaMonteur.
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photo. Son double accessit brillant. A preuve sans doute le fait, aussi) que ce qui
est exploit dans ce type d'image c'est avant tout l'artifice, le pch reconnaissable et toujours exhib de la mise en scne : la photo de film c'est le triomphe
apprci de l'accessoire et l'on pourrait trs souvent aller jusqu' dire que plus
on voit que c'est faux sur la photo, et plus c'est qu'on pense que le film est
grand - donc vrai (c'est le cas surtout chez Hitchcock). Ainsi le mythe sera-t-il
toujours rejoint : ce que ce genre de photographie de film dit, c'est qu'A va
Gardner cesse de vieillir jamais, alors que - au contraire d'une photo instantane - ce n'est pas simplement d'un arrt pouvantable du temps qu'il s'agit,
mais de l'immobilisation voulue de la plus belle histoire d'amour que je me sois
raconte son sujet. Non pas dans le temps de sa vie, marchant en le sachant
vers le temps de sa laideur et de sa mort, mais dans le moment de temps o elle
n'aura jamais que le mme ge, que la mme beaut, et moi, l-dedans, me
rptant l'infini, je me repais de cet accs admirable.
En mal de bonheur
Si j'ai tenu (serait-ce que je m'en excuse dj ?) parler d'une photographie de film d'Hitchcock (Vertigo) et d'une autre de Mankiewicz (The Rarefoot Contessa) c'est que sur elles deux il y avait dire, tandis qu'ici (Cane with
the Wind de David O. Selznick et Victor Fleming) on ne peut constater que des
absences, stupfiant tout commentaire : o est le film, si l'on veut que cela soit
une photo de film ; et o serait la photographie si l'on croit un seul instant que
a pourrait en tre une ? En somme, il me semble que nous nous trouvons ici
devant le non-exemple absolu, ce qu)un philosophe bien sr ne pourrait admettre, et en prsence de quelque chose qu'un photographe (o est-il ? qui a jamais
dit qu'il avait t l ?) a russi ni faire, ni montrer. Car ce n'est ni de l'arrt
mortel du temps (une photographie extraite d'un film - et qui pourtant porte
un numro, le S.I.P.-1 08-P-494) ni de la prise instantane de temps, ce que
serait une simple photographie. Avec, dans ce dernier cas, tout ce cinma de
cadrage que se fait toujours le photographe.
Au fond, on se demande ici ce qui a bien pu s'abolir pour qu'on en arrive
l : rien d'autre qu'une rptition infinie mais dpasse du bonheur. Le
bonheur de revivre du bonheur (voil le cinma), comme l'effroi repoussant de
s'en approprier un bout (la photographie), voil bien ce qui se trouve d'emble
exclu ici. Autant en a emport le temps, mais de quoi ? Vivien Leigh est bien l
(elle est morte) et Clark Gable aussi (il est mort) et il ne se passe rien, mme pas
quelque chose qui aurait eu lieu, c'est--dire le souvenir de l'action admira134
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ble du film et des visages et des corps qui s'y sont aims notre image. Alors,
serait-ce qu'il peut exister une labellisation maximum du bonheur o le bonheur, force de se rpter, disparatrait pour toujours ? De tant de pellicules
tournes, de vtements enfils, de bouches bouleversantes qu'on touche de sa
propre bouche et de torses qu'on aura presss contre soi, de tant de vises, de
cadrages, d'crans et de projections, voil dmontr par ce seul document muet
qu'il n'en a rien t, et que le torrent de bonheur fou qu'aura t ce film peut
n'tre plus que du souvenir.
Un coin de scne d'opra sans chant, sans corps et sans musique o, trs
longtemps aprs) je viendrais et pleurerais.
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13. La rptition.
Photo de nu et photo de sexe.
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.iamais dit ici que l'aller et retour indfini et illimit : retour, c ho, renvo i de
l'esprit, joute double sens, dont le trac se lime sur lui-mme pour ne la isse r
en fin de compte que la douleur vertigineuse de la trajectoire ra inu re mort.
Dans cette foule d'tres seuls qu'on rpte temps perdu , le sil ence es t
ostensible, la rflexion est amorphe, le visage est perdu lui a ussi : toul se ra
toujours trop vu pour tre vraiment pris. Pour un peu je me dira is qu e la
boucle est boucle entre la premire image que Niepce n'arrivait pas fix er el
qu'il ne pouvait que contempler s'vanouissant, et cet homme ou cette femm e
qui on aura impos silence et lumire ce point que leur perte sera devenue un
objet matriel ternel.
Le regard d'Orphe
Quel est ce mouvement qui prend nos ides et les jette dans cette espce
de flou denique (Michel Leiris) ds lors qu'on est l, quelque part, observer, balayer d'un regard nerv le corps nu d'une femme ? Quel est ce mouvement qui s'empare de nos corps, les tend, les met en palier, en tat la fois
pesant (grave, remu, ancr durement) et lger (arien, gracieux, dou enfin de
munificence et de joie), ds lors qu'on est l, quelque part, observer, balayer
d'un regard nerv le corps nu d'une femme ? Quel est ce mouvement qui ne
cesse jamais, cette oscillation rptition lente mais infinie, inaltrable, jamais
satisfaite, qui enfle en nous, qui nous fait marcher, auquel on se laisse prendre
chaque fois, mouvement qui est une merveille de prcision et de russite, qui
nous atteint et nous prouve alors qu'il ne se consomme jamais, qu 'il ne lui
arrive jamais rien, mouvement simplement qui sert de demeure douce, mais
oblige, tout photographe, mouvement la fois d'illusion et d'exorcisme vers
quoi nous revenons intervalles de temps rguliers ; parce que nous ne pouvons
pas faire autrement, ds lors qu'on est l, quelque part, observer, balayer
d'un regard nerv le corps nu d'une femme ?
La prise photographique est, on le sait, la reproduction , on peut mme
dire la reprsentation de la prise sexuelle, l'une et l'autre prises renvoya nt une
ide plus gnrale, plus agressive aussi, de prdation . M ai s le regard sexuel
inclut l'ide avec laquelle joue tout dsir : l'identification a bsolue l'objet
convoit, sa pntration, son enfermement dans un -soi qui va de rvolution en
rvolution, comme si le dsir d'identification se devait , reboucl l'infini , son
propre mouvement panique. Quand je regarde le corps nu d' une femme pa rce
que nous allons faire l'amour, je n'ai de cesse d'all er vers elle , d'aller en ell e, en
somme de m'envoyer, comme on le dit , en elle. Le ra pport sexuel , on le sait, est
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la vulve est partout reprsente parce qu'~lle est regarde comme symbole et
non comme chose vue. Voyez Vronse.
Au fond, qui regarde le sexe d'une femme nue, cuisses ouvertes, a affaire
Mduse, l'effigie terrible, la chevelure de serpents, ce visage qui est une
bouche sans mensonge et sans vrit, bouche d'ombre mortelle, visage en
abme, regard dvisag. On n'en peut plus : on est muet et mort. Quiconque
regarde Mduse est chang en pierre. On connat la perennit du mythe et ses
nombreux avatars : la femme de Loth qui voulut regarder l'interdit Orphe se
retournant sur l'objet de son voyage en Enfer, regard amoureux qui n'en pouvait plus, etc. Selon les lgendes, Mduse tait la beaut mme, mais Athna,
par jalousie, l'avait transforme en ce monstre horrible que l'on sait. L'objet de
la convoitise est renvers en objet d'horreur fatal. Seul Posidon avait pu l'approcher et s'accoupler avec elle, Posidon, dieu de la mer, personnification fconde des eaux-mres, c'est--dire de l'au-del du sexe de la femme. On sait
aussi que Perse devait utiliser une ruse pour l'affronter qui devrait en faire le
patron des photographes : il se servit comme d'un miroir de son bouclier poli et
ainsi il n'eut plus craindre le regard terrible du monstre. Qu'annonce donc
l'ange, sinon l'oubli, l'vanouissement du sexe de la Vierge, et qu'une fcondation va avoir lieu, qu'enfin la phase inluctable du rapport sexuel n'existe plus.
Le regard est rompu, il n'est pas ncessaire de regarder le sexe d'une femme
nue, cu isses ouvertes, au moment o l'on cherche la pntrer, il n'y a plus
chercher l'entre. Il n'y a plus que le dehors et le dedans, et aucune surface
entre : Mduse n'avait jamais exist.
Revenons Orphe. C'est par un serpent (encore) qu'Eurydice, fille
d'Apol lon et donc hritire de beaut, est mordue et tue. Et c'est par la musiqu e (encore) que son mari, Orphe, va charmer les dieux infernaux. Les
potes, dit Pierre Grimal, rivalisent d'imagination pour dpeindre les effets de
cette musique divine : la roue d'Ixion cesse de tourner, la pierre de Sisyphe
reste en quilibre d'elle-mme, Tantale en oublie d'avoir faim et soif, etc. Il
n' est pas jusqu'aux Danades qui ne se soucient plus de remplir leur tonneau
perc. Les dieux infernaux mettent une condition la restitution d'Eurydice :
c'est qu'Orphe ne se retourne pas pour regarder sa femme, tant que durera
leur remonte. Orphe se met en route, une fois accept le march, mais ne
pourra se retenir de porter son regard en arrire. Et Grimal dit exprssement :
Eurydice s'vanouit et meurt une seconde fois . Voil tabli une fois pour
toutes le schma de tous les regards qui s'en prendront l'interdit, car, il faut le
rpter, seul est regardable le symbole, mais jamais la chose elle-mme. Orphe,
inconsolable, sera mis mort par les femmes thraces et dchir.
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bou-
C'est lui l'explication des tex tes qui entretient l'air mort.
Je pourrais trouver un moyen de renvoyer ici la digression sur le pitre
des bouches quoi nous aurions affaire dans l'effort de perce du sens, ds
que se pose la question d'crire - c'est--dire comme ici. O justement se pose
la question, en commenant d'crire, qu'il n'y a pas de sens.
Qu'il n'y a pas de sens.
Il n'y a rien.
Qu'un sexe. Qu'une seule photo de sexe que je regarde et qui est plus
immobile qu'aucune photo de matire inerte, de corps mort, de paysage d'hiver
tir trop noir, de mur salptr en pleine nuit avec un temps de pose d'au moins
une heure, ne le sera jamais.
Qu'un rien seul sexe.
J'aurais tant voulu dire : non sans sens. Mais non : sans sens du tout.
Plus blet que lui-mme, plus aphone, une photo toute seule, plus blet que
a, aphone, plus hbt qu'un tu, que a, non, il n'y a pas.
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Comment est-ce que je peux dire a et en mme temps l'appeler quaranti me rugissant ? Besoin d'en remettre ?, fureur de faire droit malg tout
l'ordinaire du corps ?, risible hiatus ?, peur pourrie devant l'inaltrable impriti e ?, une pousse de conviction atone, mon cher ?, qu 'est-ce que vous allez
chercher, vous disant en chemin que c'est bien de ma littrature de faire comme
a ? O est celui qui peut faire tenir quoi que ce soit, en somme faire s'exprimer un sens quel qu'il soit, quelque hoc d'ide, quelque rise, quelqu'dit hors
de l'uvre de sommeil gnral du monde, devant a ?, devant une seule photo
de sexe de femme en gros plan, maquill ou pas, gyptiaque ~ donc tout
revtu qu'il ft ?
Point d'interrogation. Point d'interrogation sans appel.
Suor Angelica.
A Joan Sutherland mourant sur disque Decca, le chur crie :
Turris davidica ! Salve Maria !
Rien n'y fait au Il n'y a rien. Qu'un sexe. Donc qu'un rien seul sexe.
Ce sexe oblong, gutturalement muet, blet d'hbtude, sans feinte : on
chante ct, le sens du monde est un -coup.
Essayez de retrouver l' tre-l dans le problme suivant : Vous tenez
la main une photo reprsentant la vulve d'une femme que vous ne connaissez
pas et vous regardez la photo en vous disant que c'est la photo d'une vulve
q ue ... etc.
Il n'y a rien .
C'est comme les quarantimes rugissants .
L'absolu rugissement dbraill d'une absence insense de la mtaphore.
C'est lui l'explication des textes qui entretient l'air mort.
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comment se peut-il qu'on n'ait pas encore relev cette particularit ?). Prcisons : le photo-reporter surveille des actions tandis qu'elles tournent autour de
leur constitution, constitution qui ne connatra sa ralisation qu'une seule fois,
une fois trs courte, qui sera la fraction de seconde correspondant la photo qui
en sera, ou qui n'en sera pas, faite. Au fond, c'est ce que dit ce photographe :
non pas l'action qu'elle aura regarde, mais la photo qu'elle en aura vue. Le
photo-reporter n'est le photographe que de la photo, unique le plus souvent,
qu'il en aura tire. On peut gloser longtemps, par contre, sur ce qui se passerait
si cette photo n'tait jamais prise : les actions regardes connatront une acm
sans futur, une acm voue la dispersion, au plissement, l'extinction des
feux . Au dmembrement (voyez les photos de Cartier-Bresson : toutes fractions
de temps prcdant un dfait, une dfection, un effritement). On touche donc
cette ide que ces photos ont affaire au maximum, chose qu'on ne touchera du
doigt qu'avec toutes les aides ncessaires, toutes les ruses possibles. Qui font que
le photo-reporter ne craint rien et ose tout : il voit tout, y compris ce qui est
au-del du cadre de son viseur. Il scrute toutes les indcisions de l'ensemble des
actions , des mouvements, des gestes, des mimiques comme s'il mettait le rel en
face de lui en position d'tre le leurre gnral, universel dont lui, le photographe, sera le seul dcouvrir l'original. Il est celui qui saura donner le baiser au
mon stre.
Le terrain parcellaire le plus excitant, qui aura le plus de chances de
runir les conditions de cette mise en leurre : la rue, le trottoir, le paysage, le
champ de bataille donc. Endroits o les gens procdent le plus gnralement au
dmarrage de leurs actions d'clat, parce qu'ils y passent, s'y affrontent, s'y
dfont, s'y tuent mme. Ils s'en approchent masqus - ne serait-ce que parce
qu ' il s sont derrire leur appareil de regard, et qu' ce titre l'action sauvage, la
plu s sauvage, ignorera cette approche d'un tre qui se sera masqu de sa propre
apparence elle, revtu donc de la probabilit qu'elle - cette action - ait lieu
dans l'instant suivant. On est l avec un type de photographie qui est en abme
de la nature. La photo la plus russie ne sera jamais alors que la dpouille, le
masque mort, d'une action qui, elle, se sera montre avec son visage dcouvert.
Troupe de lucioles averties. Lucioles occupes leur clairage intermittent,
survolant basse altitude les garements des curs et des esprits du temps
contemporain. Tic-tc muet des lucioles vagabondes, petits clairages brefs,
presque toujours de mme dure et de mme intensit (disons : 25oc 8 pour
tre sr, mme s'il y a un lger flou, quitte rattraper au labo une sousexposition ou une sur-exposition intempestive, un cadrage dejet ou trop zoom
sur l'instant, va savoir. .. ), avec adjonction d'un moteur qui fera du regard atten-
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l. Irving Penn, Worlds in a Small Room, Secker & Warburg, Londres 1980.
150
avant, des photos que les reporters, les correspondants, les occasionnels, les free
lance, les baroudeurs avaient accumules sur tous les terrains possibles. Il a, a
c'est sr, cass le thorax moteur qui disait tout le temps : Attention ! , qui
tournait comme un phare perturbateur (comme dans la nouvelle de Kipling). Il
a cass le mcanisme du l o dont je parlais et qui est le label de libert du
photo-journalisme. Il a cass la constante de guet, le balayage scopique, l'attente
de l'instant idal qui dirait tout. Oui, en somme, il se fait remettre sa place,
Irving Penn, il restitue l'homme qu'il photographie son opacit et, du mme
coup, par la mme photo, il se fait remettre lui-mme son anonymat. L' empreinte ne peut plus avoir lieu, faute d'asprits, faute de profondeur de champ,
faute d'action. Ses personnages ont chapp une fois pour toutes au jeu combinatoire des diagonales de l'action qui, seul, pouvait avoir affaire l'acm photographique et, de ce fait, la prdiction de l'instant.
Worlds in a Small Room. Des mondes dans une petite pice. Room , dit
Penn, n'importe quelle pice d'habitation, mais aussi bien une chambre o ses
sujets poseront debout ou couchs, retourns la clart cubique de la chambre
blanche dont j'ai si souvent parl ailleurs et qui me fera prfrer ici, dans cette
Disparition des lucioles, les photos carres , prises au 6 x 6 - o le processus
photographique se carre au plus serr.
Depuis 1948, date laquelle Penn photographie les Indiens du Prou,
l'auteur de ces souvenirs de diverses prsences physiques comme il le dit luimme n'a cess de parcourir les pays les plus varis avec son camion et sa
tente-studio, avec comme seul programme de photographier des hommes et des
femmes sans environnement, sans paysage, sans vnement - le contraire du
photo-reportage - , obsd par l'ide que les seuls accessoires indispensables
taient constitus par une toile de fond sans dcor et la lumire du nord (celle
qui rvle tous les dtails sans rien dire ?). Il fait entrer dans son studio des
enfants de Cuzco, des femmes de Crte, des noires aux seins nus du Dahomey,
un couple de jeunes maris gitans, un groupe de Hell's Angels de San Francisco, des Berbres, des danseuses de Goulimine (entirement voiles), une franaise nue qui sert de modle un sculpteur, des guerriers masqus de NouvelleGuine. Penn dit trs joliment : Le studio tait devenu, pour chacun de nous,
une sorte de rgion neutre. Ce n'tait plus leur maison, puisque j'avais introduit
dans leur existence cet enclos tranger; et ce n'tait pas non plus ma maison,
puisque j'tais visiblement venu d'ailleurs et mme de trs loin. Et il parle de
limbes propos de ce lieu para-normal, ambigu, qu'il croit innocent, mais
qui ritre partout o il travaille cette absence inoue de ce l-o dont je
signalais plus haut la prminence propos du photo-reportage. Dans ces
151
limbes sociales (sans socit, sans famille, sans nation, sans langue limbo en anglais veut aussi dire oubli), tout disparat et il me semble
mme que les gens eux-mmes que photographie Penn n'ont plus de sens (seul
le nu parisien, vu de dos, modle idalis d'artiste conventionnel, chappe <1
cette thorie gnrale de l'oubli photographique, mais on comprend pourquoi il
est l, seul de son espce), qu'ils sont sans objet, rejets dans l'antique - comme
autrefois on faisait des portraits en studio, du photographe ambulant qui photographiait mon trisaeul dans un village de Haute-Ardche jusqu'aux portraits
retouchs du studio Harcourt de notre enfance - mme quand Penn prend les
Hell's Angels, il en fait des prdications du pass, rien d'autre. Tous ces gens
sont hors-ge, donc hors-temps et sans lieu ni date. De mme qu'ils n'ont pas
de nom, ils n'ont qu'un aspect : ils sont renvoys l'effigie photographique ,
devenus icnes laconiques leur tour.
Oui : icnes laconiques.
Voyez comme, de temps en temps, en plus petit, en pages de gauche le
plus souvent, Penn se fait photographier en photos de tournage, en photos
de plateau , pris tout coup dans le champ de ses limbes si bien prvues ,
occup organiser les positions des uns et des autres. Ces photos, ces aparts
photographiques signs Lisa Fonssagrives-Penn ne sont pas les tmoignages les
moins mouvants de l'entreprise de Penn que je considre ici, une fois pour
toutes, comme l'quivalent universaliste de la tentative d'August Sander
(pour les gens d'Allemagne) ou d'Atget (pour les rues de Paris).
Il faudrait reprendre inlassablement cette histoire de limbes parer
qu'elle redouble cette affaire d' aller et retour dans la chambre blanche qui
me hante depuis si longtemps et laquelle je n'aurai cess d'avoir affaire tout
au long de ce livre et de ces photos de moi et de Franoise, arpenteurs amoureux
de nos lieux et de notre entrecroisement, petite danse itrative l'gal des
parcours oscillants de la musique contemporaine et de nos modernes chorgraphies, essayant de reprer l'infini, de rpter l'infini le repre qui est notre
bivouac quotidien, suspendus aux parois du temps et du lieu, plaqus aux
surfaces dans lesquelles nous nous dplaons sans cesse, cheminant comme le
voyageur immobile de Blake, faisant les cent pas, aller-et-retour, clic-clac, aller
et retour, clic-clac, aller et retour. Allez ! Allez, dit l'homme qui s'apprte
crier : Moteur ! et qui, dans le mme temps va exiger qu'on ne parle plus ,
qu'on se taise enfin pour que l'homme et l'Art enfin fassent leur apparition ,
comme si de rien n'tait, simplement parce que c'est de a qu'il s'agit, qu'il faut
que les icnes laconiques que nous sommes, et que nous rvons d'tre, paraissent et ne se perdent plus.
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rapportait Sciascia propos du journaliste Leo Longanesi , clbre pour ses mots
d'esprit et qui aurait dit au moment o les bombardiers amricains se lanaient
massivement sur les villes italiennes : Ils sont en train de dtruire les originaux des photographies 1900.
On commence bien entendre les craquements. Tous gmissements et
feux l'unisson, soumis la comprhension des multitudes (le style des multitudes appartient la photographie de masse). Et en plus : J ' ai tout ! , s'crie
celui qui contemple l'horizon dans le viseur de son a ppa reil.
Je crie : J'ai tout ! , en rega rdant les miennes, m es photos.
Il faut que je vous parle.
Je propose ici ceci : Roland Barthes, vous n'aviez pa s compris, pas voulu
voir ceci : avec la photographie, nous sommes en prsence du premier vrac de
l'histoire de l'homme.
Si l'homme veut bien le voir comme a : qui fait des milliers de photos,
fait des milliers d~ Antigone, des milliers de petits dfis personnels l'gard dr
milliers de petits Etats. C'est une pluie qui les cingle.
Autant de photos de fois qu'on veut.
Des fois, des photos. Attention : rien croire, ni faire croire. Ce vrac-LI
constitue le plus insouponn dmenti la Foi .
Une photo dit : des fois que ... . Photo gale une fois.
Toute photo est un rcpiss de la libert.
Pourquoi n'avez-vous pas parl de libert ? P a rce que vous ne vouli ez
pas parler de style ?
J'aimerais entendre ceci d'une bouche : permtsswn accorde d'chapper
au style! Se ferait aussitt entendre une dflagration, dont le son ne pourrait
tre dfini ni par le critique, ni par le synthtiseur, ni par l'Histoire, puisque
cette dflagration aurait t la premire du genre et que son timbre, la porte
de son ballant, son accs aux tnbres ne pourraient tre rapports rien de
connu . Ce serait le bruit que fait quelqu e chose de muet qui s'arrte d'un seul
coup . Souvenez-vous que vous avez crit : Je ne sais plus quel linguiste a dit
ceci de trs beau et de trs troublant : Chacun de nous ne parle qu'une seule
phrase que, seule, la mort peut interrompre. (1)
1. R o land Barthes , L e Grain de la voix .
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f.
g.
h.
1.
k.
mort de la mre ;
rdaction et publication de La chambre claire;
dans ce livre il n'y a pratiquement que des portraits et uniquement vus de
.face ;
surtout des portraits d'homosexuels, ou d'enfants mles, ou des photos
faites par des homosexuels ;
les seules femmes reprsentes comme sujets principaux tant, dans l'ordre : des religieuses, des ngresses, comme vous dites, une mongolienne,
la Reine Victoria entirely unaesthetic (Virginia Woolf, comme par hasard), Marceline Desbordes-Valmore que vous qualifiez de niaise ;
une seule femme est pargne : la mre de Nadar, substitut de la mre de
l'auteur, puisque Nadar est, selon vous, le plus grand photographe du
monde , et que la seule femme digne de La chambre claire est votre mre,
photographie dans un jardin d'hiver, et que, parce que c'est la seule digne
d'tre regarde, vous ne la montrerez pas. Douloureuse absence de visage;
ralit intraitable est l'expression qui revient le plus souvent dans votre
livre;
vous tes renvers par une voiture, rue des coles ;
la premire chose que j'entends dire est que vous tes tomb sur la face et
que votre visage n'est plus qu'une plaie;
un ami commun me raconte ses visites l'hpital et me dit qu'il ne supportait pas ce geste que vous aviez envers les tuyaux par lesquels la vie
vous arrivait encore, et qui semblait dire : dbranchons donc, ce n'est
plus la peine ;
qui me fait penser au a n'tait donc que a d'Amiel aprs sa dcouverte de la sexualit ;
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l.
m.
n.
o.
p.
q.
r.
s.
t.
u.
v.
w.
x.
y.
z.
Avant d'en arriver l'objet mme de ce texte, qui est de vous parler de la
disparition des lucioles, il me faut encore vous raconter deux choses. La premire concerne mes retrouvailles il y a quelques jours avec un ensemble de
photos que j'avais faites en octobre 1977 Saint-Jean-d'Angly, en Charente-
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nave, ne serait-ce que pour voir ce qu'il en sortirait, le rapport que la photo
entretient la fois avec le temps et avec la mort. C'tait comme une sorte de jeu
simple : il s'agissait de prendre exactement la mme photo - mme sujet, mme
endroit, mme cadrage, mme objectif, mme moment de la journe - mais
spares par un laps de temps de plusieurs annes. Je l'avais d'abord fait
Narbonne (deux photos de nu de Franoise, au mme stade du dshabillage et
dans la mme chambre du mme htel), puis je le fis Rome (avec un sujet
inanim, la Fontaine des abeilles, du Bernin, prs de la via Veneto), enfin
Ostie (Franoise sur les marches du Capitole, six ans d'intervalle), puis en
d'autres endroits de l'Italie centrale. Enfin Venise, o j'avais dcid de refaire
la photo de la pancarte indiquant la direction de la tombe d'Ezra Pound, dans
le cimetire de San Michele qui est, comme vous le savez, sur une le, en
direction de Burano. J'y allais dbut octobre, il y a bientt trois mois. J'avais
emport un contact de la premire photo prise le 9 janvier 197 5, et nous nous
retrouvmes devant la pancarte prs de sept annes plus tard, le 1er octobre
1981. Je pris la deuxime photo, avec une sorte de trouble plat ) sans moi
particulier, tout juste un sentiment d'irrgularit de doubler ainsi le rel, de
l'activer sans succs, dans ce champ de repos o rien de ce qu'on croit ne peut
tre en tat d'excitation, simplement proccup par des problmes techniques :
lumire, cadrage, angle de prise de vue, et un peu de cette rserve laquelle on
se sent tenu parce qu'on a faire dans un lieu o la perptration des images
parat toujours ressentie comme un sacrilge ou, tout le moins, comme une
incongruit.
Plus tard, c'est--dire maintenant , tandis que je vous cris, j'observe les
deux photos cte cte : je remarque que la deuxime a gagn en feuillage (en
haut de la photo, de grandes retombes de peupliers, et sur le ct, le lierre qui
s'est entortill autour du poteau qui porte la pancarte indicatrice), mais que par
contre des arbres ont disparu, dans le fond, en fait une range de quatre cyprs
qui ont d mourir eux aussi et qu'on a enlevs. Du coup, on aperoit le mur
blanc de tombes paritales devant lequel deux femmes sont penches sur une
inscription. Il y a une chelle mtallique au centre, derrire l'arbre; et puis, le
poteau mtallique qui porte des crochets, droite de la photo, semble avoir t
dplac. Rien d'autre. Quoi d'autre ? Un jour viendra peut-tre o j'exposerai
ces doubls tranges dans quelque galerie bien claire, deux par deux, jumelant les temps, les rendant en somme incestueux, pour un temps) l'espace
d'une exhibition, peut-tre aussi l'espace d'un livre, pour les faire durer plus
longtemps, pour qu'on ait conscience de ces interruptions du temps o je ne fais
qu'oprer des mariages de substitution.
161
Je me dis aussi que ces photos sont comme des postillons de la mmoire,
un lger bombardement arien qui prcde chacun de nous dans le courant de
sa phrase infinie, au-del de la mort des autres (renvoi de la mort de Pasolini
votre propre mort, de celle de Pound la mienne, indiquant retardement la
date d'une autre indication de sa tombe), lger bombardement humide r.epris
indfiniment dans le cadre inabouti de visages aims, de face, obsd par leur
bouche surimprime aux autres, l'humidit qui est en elle, s'abmant sur ellemme pour toujours dans l'humidit plus gnrale de la tombe. Dans cet
amnios o se retrouvent ces deux photos vnitiennes, dans un lieu entour d'eau
de mer, d'un coup de talon je me propulse nouveau, fbrilement, pour retrouver la chaleur du monde au-dessus, la recherche de l'eau de surface des
photographies. Depuis, je me dis, parce que je l'ai dit une fois pour toutes au
retour de Venise, que chaque photo prise est une pope de l'humide, o flottent, allant et venant au gr du courant, les lgendes que j'inscris sans cesse :
telle date, tel endroit... telle date, tel endroit... telle date, tel endroit. ..
(On ne peut concevoir ici d' ides intermdiaires, au sens o Montesquieu les entendait : Pour bien crire, il faut sauter les ides intermdiaires .
Il n'y a pas d'chappatoire possible la destine de l'image photographique qui
est d'tre positionne d'emble, on ne peut imaginer de transition - une transaction comme une autre du style - entre deux prises successives, sans doute parce
que le photographe ne sait pas exactement ce que seront ses photos avant
d'avoir devant les yeux la planche de contacts correspondante. Pas d'ellipse donc
dans le saisissement du rel, seule une sorte de contraction d'lments pourrait
quivaloir alors une stylistique de la prcipitation ou du raccourci littraire.
Que voudrait dire une phrase comme celle-ci : Pour bien photographier, il
faut sauter les images intermdiaires >> ?)
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petits animaux lumire. Il n'y en a plus que trois ou quatre, mais c'est
suffisant. On reste l, sans rien dire, on les regarde, on tourne avec elles dans la
nuit noire et blanche, il fait doux comme toujours dans cette rgion en t et
l'air est bon respirer malgr la chaleur de la journe. Finalement les dernires
lucioles s'en vont, ou elles disparaissent purement et simplement. Je me dis que
c'est normal puisqu'aprs tout ce n'est que leur lumire qu'on voit, rien d'autre.
Jus te ce petit signal qui dit, pour rien, juste pour elles, pour savoir o elles sont
et comment elles peuvent se retrouver : lumire-extinction ... lumire-extinction ...
lumire-extinction ...
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23 mars 1981 (lun di) . - J'ai laiss Franoise et Micheline sur la terrasse
du Sphynx Hou se qui est gauche de cette espce de place en forme d'ovale
dform ou s'arrtent les autobus qui viennent du Caire. Je traverse la place
poussireuse qui est vide parce que c'est l'heure du djeuner, je passe ct
d'un enfant qui fait ses besoins accroupi ct du petit muret de ciment qui
dlimite une sorte de rond-point central et j'entre dans un des magasins de
souvenirs qui bordent la place droite, donc du ct o prend la rampe qui
permet d'accder la grande Pyramide. Je parle longuement avec le propritaire de la boutique. Je lui .explique que je cherche small pyramids in clay ...
You know, just "clay", or "mud" if you prefer. .. , mais il n'en a pas et il me dit
que je n'en trouverai nulle part. Il me montre des tas de pyramides en plastique, en pltre color, en albtre surtout, mais je lui dis que a ne m'intresse
pas et je ressors par une porte qui est ct de la caisse et qui donne directement sur l'ensemble des Pyramides. Il y a une chelle devant moi. J'hsite une
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4 avril 1981 (samedi). - Nous passons la fin de l'aprs-midi sur le plateau, du ct de la pyramide de Mykrinos. La lumire est idale. Nous avons
march dans le sable vers le sud, en direction de Saqqarah et nous nous arrtons sur la pente d'une grande dune, sur l'un des trajets que parcourent quequefois les cavaliers au moment du crpuscule et qu'on devine contre-jour sur
les crtes. Nous sommes seuls, loin des horse-men , des camel-men , des
watch-men , des government-men , etc. La lumire est douce et, carte postale en main, je cherche l'endroit exact d'o la vue est prise. Finalement nou s
trouvons l'endroit prcis : on a devant soi toutes les pyramides de Guizeh, elles
semblent mme s'tre ramasses ensemble pour mieux tenir dans le viseur. J e
brandis la carte du bout de la main gauche et, de la main droite, je prends la
photo qui s'impose. Ensuite, avec nos quatre appareils photographiques, nou s
formons diffrentes combinaisons de photo dans la photo , perspectives, profondeur de champ drgle, grand angle, etc. Il commence faire frais et la
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lumire baisse. Je finis en prenant en photo le Mamiya juch sur son trpied
dont j'ai cart les pieds en forme de pyramide. Puis on se dpche de rentrer
en passant derrire la pyramide de Khops pour prendre la rampe qui descend
au Mena House Hte/y et o j'ai repr une enseigne dont il ne reste que le
support de fer en forme de cur, mi-hauteur du rez-de-chausse d'un immeuble abandonn. Un peu avant d'y arriver, je contourne en marchant vite un
groupe de Franais qui parlent avec animation. Au moment o je passe leur
hauteur, j'entends distinctement cette phrase : L'exprience nous a montr,
avec des oprations ponctuelles prcises, comme celle de la Baie des Cochons,
que ... Et le reste se perd. A la hauteur du cur de fer, je me retourne et la
photo est bien l, telle que je l'avais vue le matin en passant dans l'autre sens.
Alors je la cadre telle qu'elle est, sans rien changer. Au centre du cur, il y a
un bout de papier jaune qui tient encore et sur lequel je lis Kodak . Je sais
qu'on ne le verra pas sur le tirage. Mais je trouve a drle quand mme.
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On raconte que la belle Parvati, dpite par les querelles qui opposaient
son pre son propre poux, Shiva, s'tait prcipite dans un brasier. Shiva
accourut mais ne russit qu' dgager des flammes le corps carbonis de sa
bien-aime. Il rsolu~ nanmoins de le transporter jusque sur le mont Kalasa,
sjour favori de la desse. Mais en cours de route le corps brl de Parvati se
dfaisait par morceaux entiers qui tombaient sur les chemins et, finalement, son
sexe lui-mme se spara des restes de l'abdomen et s'effondra sur la rive gauche
de la rivire Bagmat1 en un lieu o s'lve aujourd'hui, en mmoire de cette
chute divine, un temple pyramidal qui n'a pas, semble-t-il, son pareil au
monde.
On dit aussi que la pyramide est considre, dans la mystique tantrique,
comme le symbole fminin de l'engendrement. En tout cas, ce temple est consacr Guhyeshwari) qui veut dire en npalais : Dame de l'Intime Secret.
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graphie, un lment cumul , qui a donc affaire avec le volume, ce qui est
normal, et un lment trombe, qui n'a affaire ni avec l'espace ou le volume,
ni avec la surface et je crois, finalement, que la trombe s'affaire l-dedans
elle seule, et que le affaire avec, ainsi priv du caractre obligatoire que je
lui souponnais, n'tait pas une condition sine qua non de la photographie.
Poursuivons. J'ai dvelopp par ailleurs (1) quelques ides concernant la
notion de surface, d'cran, donc de volume et de cumul - j'avais mme crit,
propos de ce que j'imaginais avoir partie lie entre la photo et l'criture, que,
dans ces deux cas, il s'agissait de faire au rel sa peau : surfaces imprimantes
de la machine crire et de l'appareil photo, enroulements de bobines dans l'un
comme dans l'autre, vises et marges, cadrages et carbones, etc. Reste crire ce
qu'il en est, dans le mot cumul, de ce qui touche la saturation, car il ne
saurait tre question qu'une photo soit prise si, d'une faon ou d'une autre, le
rel n'est pas venu dans le viseur s'y accumuler, s'y mettre en charge jusqu' la
remplir ras bord, jusqu' s'y trouver complet, achev, dfini : donc satur.
Autrement dit : qu'il s'y trouve, instantanment, puis. Mme chose en ce qui
concerne l'criture : mise en tension entre les bras, entre les mains qui vont la
taper - comme la photo tape le rel et lui emprunte perte - rameutage de
signes, charges successives jusqu' quilibre de l'accord qui permettra enfin,
alors, son coulement vers le bout des doigts, et son impression sur la page, sa
carbonisation fructueuse.
Voil pour le cumul .
Reste la trombe .
Je ne me dfais pas de la sensation que cette trombe remplit assurment,
face au rel (le paysage infatigable qui murmure), une fonction de feinte. Observez comme une trombe parcourt un sol, une srie de reliefs dont le commun
dnominateur renverra toujours un horizon, donc un plan, comment elle y
avance aveuglment, paraissant sur le qui-vive, prte, chaque instant (l'instantan ?), djouer celui qui la braque du regard ou de l'objectif, ne serait-ce
que pour tre, un autre instant (l'instantan suivant ?) en mesure de lui
chapper. Cache-cache puisant lui aussi : l'observation - des fins de capture,
non ? - de quelque chose de trs impressionnant et qui vient vers nous en
feintant du corps comme au foot, ou semble tout coup vous attendre midistance, prt ngocier son attaque selon ce qu'il attend que vous fassiez
(comme dans La Dfense Loujine, de Nabokov), la surveillance constante
laquelle il faut se livrer devant de pareilles ventualits, et aussi sourdement,
1.
184
quelque part en soi, l'ide que tout a n'est pas normal, que nous voil embarqus dans une invraisemblable histoire de trombe en train de se balader moqueusement dans le viseur d'un appareil de photo que j'ai ostensiblement braqu l-dessus dans les premires lignes de ce texte : qui la faute ? Et ne
dirait-on pas brusquement que nous voil dans la surface de rparation ?
De qui est-ce la faute ? Qui a fait une main ?
Est-ce parce que je joue sur les mots depuis deux pages qu'en face on
s'applique ce point donner)'impression qu'on veut me djouer ?
Comment s'en sortir ? Ecrire, une nouvelle fois, qu' on en reparlera
n'arrangera rien. Je ne me dfais toujours pas de la sensation qu'au moment o
le rel se rassemble jusqu' emplir la surface o il va se trouver photographi,
nous nous mettons en position de rencontrer un endroit de cette surface qu'on peut, pourquoi pas, appeler la surface de rparation - quelque chose
qui est de l'ordre de l'impardonnable. De la faute. De la main. Trop prs du
but pour qu'on passe dessus, ou qu'on laisse jouer, selon la rgle bien connue
de l'avantage.
A ce point-l de l'action, o tout le monde retient son souffle, o la
trombe n'en peut plus de ce qui la fait tenir, o l'oprateur prend conscience
que c'est le moment, et o de ce fait il accentue les appuis de sa machine
capteuse, en se l'crasant au besoin sur la figure, voyez comme le paysage prend
un autre air, comme lui aussi semble se carrer diffremment et comme il
s'arrte, et comme dj ses parties s'assemblent, prtes monter sur le papier
qu'on aura mis dessus. Tout le monde est suspendu, bien rparti autour de la
surface de rparation, au tir qui va se faire.
185
Table.
187
Pages
11
25
33
39
47
59
69
87
97
1O. Le rideau dchir........... ................ ........................ .... ................................ ............... .... .. . .............. .... .. .......... 111
Entretien avec Alain Pomarde, Art prsent n 8, printemps 1979.
11. Vers la table de montage...
Prface John Heartfield, Photomontages antinazis) Le Chne, 1978.
123
188
13. La rptition...
. .. .................................................................................................................. .
Cahiers de la photogra phie no 4, dcembre 1981.
137
153
167
181
189
Rien n'est plus grave que l'acte photographique. Pour un crivain, s'y livrer c'est signer chaque fois un dpart d'orgueil. C'est
aussi abandonner tout bout de champ les simulacres et les stratgies, chapper la contrainte des persuasions, la subtilit obligatoire des enchanements. j'ajouterais mme : au savoir-Jaire, si je
n'tais sr du contraire, sr qu'il s'agit l d'un leurre qu'on rajoute
tous les jours au dbat sous une forme diffrente. Tout gain de libert
(et .chaque instantan photographique en gagne) va de pair avec une
augmentation de savoir-Jaire. C'est a qui fait le style. Et c'est le
vertige prouv leur course commune, au sursaut qu'ils font sur
l'abme, qui dfinit bien sr cet art.
D'o l'importance accorde tout au long de ce livre - par le
biais d'approches voulues aussi diversifies que le sont l'essai, l'interview, la fiction , le journal intime, ou encore une srie de photos
commentes comme autant de schmas pensifs - la prise photographique elle-mme, moment de sensation perdue qui dit textuellement ceci : toute photo est une intelligence qu'puise une lumire.
Les lucioles disparaissent peu peu, cantonnes dans quelques
rduits occasionnels de la nature. Mais tandis que ces charmants
animaux lumire se font rares, nous autres photophores prenons le
relais. La fabrication des photos ne laisse rien dans l'ombre, et surtout pas l'instant de folie pure qu'abrite le dclenchement de la
photo.
Devant la gravit de telles certitudes, l'crivain que je suis est
renvoy la solitude, l'angoisse, la pnombre de sa dure. Mais
la beaut aussi, circulant entre elles et lui, qui valait bien le voyage.
Chaque photo rpte la phrase de Proust : Nous disions
aprs, la mort, aprs, la maladie, aprs, la laideur, aprs, l'avanie.
On verra bien.
Denis Roche