PI Et Transformation Economie Numerique INPI Interactif
PI Et Transformation Economie Numerique INPI Interactif
PI Et Transformation Economie Numerique INPI Interactif
intellectuelle
& la transformation
numrique de lconomie
Regards dexperts
REMERCIEMENTS
avertissement
PRFACE
SOMMAIRE
PRFACE
INTRODUCTION
p. 3
p. 6
p. 11
1.2 La ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour
permettre son adaptation lmergence du Big Data
Nicolas Courtier
p. 23
p. 41
p. 51
p. 67
p. 85
p. 93
p. 113
p. 123
p. 135
p. 155
p. 175
p. 193
p. 211
p. 227
4.3 Mesures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Frdric Bourguet, Cristina Bayona Philippine
p. 239
p.261
p. 273
synthse
conclusion
p. 293
p. 311
INTRODUCTION
* www.lenouveleconomiste.fr/entreprises-francaises-transformation-digitalelinquietant-retard-24776
la matire premire
de lconomie numrique
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises : de la gestion la valorisation
des donnes numriques gigantesques
Xavier Pican
p. 11
1.2 La ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour
permettre son adaptation lmergence du Big Data
Nicolas Courtier
p. 23
p. 41
p. 51
p. 67
1.1
Limpact du phnomne Big Data
sur les entreprises : de la gestion
la valorisation des donnes
numriques gigantesques
par Xavier Pican
lauteur
Aprs plusieurs annes passes au sein de groupes tels que lInstitut franais du ptrole
(IFP), Canal+ et Thals, Xavier Pican, avocat spcialis en proprit intellectuelle et nouvelles
technologies, dirige en qualit dassoci le dpartement IP/IT du cabinet Lefvre Pelletier et
associs.
Synthse
La monte en puissance exponentielle du phnomne Big Data fait apparatre un certain nombre
de problmatiques juridiques sagissant de lexploitation de la quantit de donnes gnre, la
gestion des risques associs ainsi que de leur conformit la loi informatique et liberts. Surtout,
les donnes numriques deviennent de vritables actifs immatriels ncessitant de sinterroger
sur leur patrimonialisation et donc de leur valorisation.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
1Le Big Data bouscule le droit Laure Marino dans la revue Lamy Droit de limmatriel,
informatique mdias communication n99, dcembre 2013, page 55.
2Dfinition donne par le groupe de travail G27.
3Rgle nonce par le cabinet dtudes Gartner.
4Jeremy Bailenson, Matre de confrence au dpartement communication de luniversit
de Standford a compar le Big Data de lUranium: Like Uranium, it can heat homes
and it can destroy nations.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
ladaptation des technologies et des comptences au Big Data dans le cadre de leur
exploitation ;
la valorisation de ces donnes.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
En ltat actuel du droit, il sera trs compliqu pour les responsables de traitement de
respecter scrupuleusement la loi informatique et liberts dont le cadre parat trop restreint
face lampleur du Big Data. Il faut donc souhaiter lvolution et ladaptation du droit ce
nouveau phnomne. La difficult tiendra au fait de trouver un quilibre entre protection et
circulation des donnes.
En outre, il est vident que les contrles effectus a posteriori par la CNIL quant au respect de la
loi de 1978 vont sintensifier sous la pression du phnomne Big Data. Concomitamment, les
sanctions pcuniaires dont le montant peut atteindre 300000 (Google rcemment condamn
150000) prononces par la CNIL devraient se multiplier, ce que les oprateurs devront
prendre en compte dans la dfinition de leur politique numrique, notamment en matire de
scurit et confidentialit des donnes.
Enfin et surtout, sur le plan juridique, cest la condition de licit de cette pratique14 au regard
de la protection des donnes caractre personnel. La problmatique est alors de trouver la
mesure adquate.
La solution de lanonymisation?
Bien des auteurs envisagent lanonymisation comme une solution de compromis entre deux
extrmes, adquat au passage lre du Big Data. En effet, lanonymisation permettrait dviter
les risques au niveau individuel, et paralllement lexploitation de ces donnes, car finalement,
lidentit de la personne objet de la donne importe peu tant quil est possible de lanalyser. Ce
qui intresse Amazon ou Google nest pas lutilisateur en lui-mme mais bien ce quil fait, les
sites Internet quil frquente ou les produits quil consulte.
Toutefois, est-elle vraiment possible? Comme laffirme linformaticien Arving Narayanan de
luniversit de Princeton, lanonymat est devenu algorithmiquement impossible. En effet, le Big
Data permettra sans aucun doute de r-identifier lorigine de la donne anonymise par le biais
de recoupements15. Aussi, lanonymisation nest une solution satisfaisante que dans un premier
temps, faute de mieux, mais devra tre rapidement remplace par un autre moyen. En toute
hypothse, les entreprises ne sauraient se ddouaner du respect des lgislations applicables en
matire de protection des donnes caractre personnel.
Le droit et la technique vont devoir travailler de concert car lun comme lautre isolment devront
tre capables doffrir aux oprateurs Big Data une solution permettant la valorisation optimale
de leurs donnes numriques.
14Big Data: les enjeux juridiques dune volution technologique, Guillaume Seligmann,
avocat associ CVML.
15Big Data: une rvolution qui va transformer notre faon de vivre, de travailler et de
penser, Viktor Mayer-Schnberger et Kenneth Cukier.
16Cf. note 1.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
17http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2012:0011:FIN:FR:PDF
18Les nouveaux enjeux juridiques des donnes (Big Data, web smantique et linked data).
Les droits de loprateur de donnes sur son patrimoine numrique informationnel,
Thomas Saint-Aubin, universit Paris I, Revue Lamy Droit de limmatriel n102, mars 2014,
pages 94 et suivantes.
19 Cf. note 18.
des donnes autrement appel lOpen Data20. Ces donnes, principalement communiques
par les pouvoirs publics sont accessibles tous et peuvent librement tre rutilises par
quiconque. Par exemple, on trouve la plateforme data.gouv.fr qui permet aux services publics
de publier des donnes publiques et la socit civile de les enrichir, modifier, interprter en vue
de coproduire des informations dintrt gnral.
Un mouvement similaire sest initi concernant les donnes de sant. Si certains, comme le
collectif Initiative Transparence Sant (ITS), estiment que cette large diffusion aura de nombreux
avantages, notamment au moyen de la diffusion des quelque 1,2milliard de feuilles de soins
enregistres dans le Systme national dinformation interrgimes de lAssurance maladie
(Sniiram), qui permettrait de mieux connatre la sant des Franais, dadapter les politiques de
ltat, de faire des conomies et de reprer les abus tels que les prescriptions inopportunes, que
nous avons pu connatre dans laffaire du Mdiator.
Il nen demeure pas moins quune certaine vigilance simpose. En effet, ces donnes tant
particulirement sensibles, il sagira de trouver lavenir un quilibre entre une utilisation
massive des donnes de sant et la protection de la vie prive. ce titre, le Conseil dtat a trs
rcemment valid, au regard de la loi de 1978, la dmarche de la PME bretonne Celtipharm qui
exploite les feuilles de soins lectroniques de ses patients dans un but pidmiologique21.
Se creuse ainsi un foss entre les donnes personnelles des individus qui seront peut-tre
bientt totalement fermes et les donnes publiques qui elles sont totalement ouvertes.
Au milieu, les oprateurs du Big Data tentent de trouver leur place.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
Il sera not que le producteur de bases de donnes dispose lui aussi du droit de cder ou
transmettre les droits dextraction et de rutilisation des donnes contenues dans une
base protge au moyen dune licence27.
En contrepartie, lutilisateur des donnes devra classiquement payer un prix.
De plus, lutilisateur sera tenu duser de la base conformment ce qui lui est permis par le
contrat. Il est dont trs important de soigner la rdaction des clauses affrentes en
prcisant notamment le sort des donnes auxquelles lutilisateur accde, la confidentialit
laquelle il est tenu, etc.
tout le moins, il est fort probable que loutil contractuel devienne indispensable la gestion
des donnes numriques et participera irrmdiablement la valorisation de ces dernires.
Demeure cependant la ncessit de trouver un modle de contrat participant cet objectif tout
en garantissant la scurit et lutilisation des donnes en conformit avec les lgislations.
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques
De mme, les rseaux sociaux qui y sont souvent associs permettent de fidliser les clients
grce une relation plus troite avec eux.
1.2
La ncessaire volution du droit
des producteurs de bases de donnes
pour permettre son adaptation
lmergence du Big Data
par Nicolas Courtier
lauteur
Avocat au barreau de Marseille, spcialiste en droit de la proprit intellectuelle
Docteur en droit
Charg denseignements la facult de droit dAix-Marseille universit et lcole suprieure
dart et de design Marseille-Mditerrane
synthse
Le droit des producteurs de bases de donnes correspond une vision statique des traitements
de donnes qui tend laisser place des traitements dynamiques. Une partie importante de la
cration, de la gestion et du commerce des donnes les plus rcents et les plus innovants nest
pas couvert par ce rgime juridique. Les acteurs de ce secteur peuvent craindre des poursuites,
la fois sur le fondement des rgles de la proprit intellectuelle et du droit commun et, pour
protger le rsultat de leur travail, seules existent les rgles appliques la concurrence dloyale
et le parasitisme. Des propositions dvolutions peuvent tre formules pour adapter le droit des
producteurs de bases de donnes son nouvel environnement technologique et commercial,
en le transformant en un Droit des producteurs et des exploitants de donnes et de bases de
donnes.
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
Introduction
Le droit des producteurs de bases de donnes est issu de la directive communautaire du
11mars 1996. Il a t introduit dans le droit de la proprit intellectuelle franais par la loi du
1erjuillet 1998 aux articles L 341-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle. Il rpondait
aux besoins des acteurs conomiques du nouveau secteur du numrique de bnficier dun
outil juridique mme de scuriser leurs investissements dans ces infrastructures virtuelles
de stockage de la matire premire de lconomie numrique quest la donne. Sans bases
de donnes, il ny aurait pas eu de commerce lectronique, pour ne citer que cet aspect de
lconomie numrique.
Ces textes correspondaient un degr dvolution technologique des volumes de stockage,
des vitesses de traitement et des capacits de transfert qui ont poursuivi leur progression
jusqu permettre lapparition de nouvelles techniques et de nouveaux services de traitement
de volumes beaucoup plus importants, connus sous le nom, non encore officiellement traduit30,
de Big Data. Comme toute volution technologique, le Big Data induit une interrogation sur la
pertinence de la lgislation existante et lventuelle ncessit de ladapter.
La lgislation existante correspond une vision statique des traitements de donnes, qui
tendent laisser place des traitements dynamiques car les offres fondes sur lanalyse
des donnes vont moins dpendre dans lavenir de la capacit les runir dans des bases
que de savoir les trouver, les identifier, les slectionner et les traiter, le cas chant en
temps rel, dans une masse de donnes disponibles en permanence mais dun volume
considrable. On parle, entre autres, doutils de curation.
Les services et les systmes ddis ce type doprations se dveloppent trs
rapidement, ce qui na pas encore t le cas des outils juridiques placs la disposition
des professionnels pour faire valoir leurs droits.
Lvolution du droit des producteurs de bases de donnes a t marque, au contraire, par un
encadrement strict, sur le fondement principalement de la jurisprudence de la Cour de justice
de lUnion europenne (CJUE). Il ne concerne que ceux pouvant justifier dinvestissements
dans la constitution, la vrification ou la prsentation du contenu dune base de donnes. Les
investissements pour la cration de donnes ne sont pas pris en compte ni la gestion de donnes
et les offres de services sans constitution de bases permanentes.
Le droit qui a t vot pour permettre le dveloppement des bases de donnes sest donc, au
dpart, logiquement concentr sur leur cration mais ne traite pas de leur utilisation autrement
que pour rprimer les usages prohibs. Il en rsulte quune partie importante de la cration,
de la gestion et du commerce des donnes les plus rcents et les plus innovants ne sont pas
couverts par le rgime de la loi du 1erjuillet 1998 car ces traitements de donnes ne passent
pas toujours par la cration de bases de donnes, comme lexploration de donnes ou Data
30Le terme, non encore traduit la date de restitution de larticle, la t par le JORF du
22 aot 2014 par les expressions mgadonnes et donnes massives.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029388087&date
Texte=&categorieLien=id
Mining, qui est un processus danalyse informatique regroupant des mthodes dintelligence
artificielle, dapprentissage automatique et de statistiques dans le but dextraire des informations
comprhensibles dun ensemble de donnes31.
Ces activits se dveloppent sans bnficier dun cadre juridique spcifique et sans
solution pour offrir, dans le primtre de la proprit intellectuelle, une protection aux
rsultats des nouvelles activits des acteurs de ce secteur, pourtant de plus en plus
nombreux, ou au minimum pour carter linscurit juridique dans laquelle ils se trouvent
actuellement quant au choix des donnes quils peuvent utiliser.
Outre la problmatique des donnes personnelles, qui bnficie de beaucoup dtudes et nest
pas le sujet de cet article, les acteurs de ce secteur innovant de traitement de linformation
peuvent craindre des poursuites, la fois sur le fondement des rgles de la proprit intellectuelle
et du droit commun. En revanche, pour protger le rsultat de leur travail, les seuls fondements
susceptibles dtre invoqus sont la concurrence dloyale et le parasitisme.
Sur la base dun tat des lieux de la lgislation, de la jurisprudence existante et des
problmatiques auxquelles sont confronts les acteurs du secteur de la production,
du traitement et de lanalyse des donnes, des propositions dvolutions peuvent tre
formules pour adapter le droit des producteurs de bases de donnes son nouvel
environnement technologique et commercial, en le transformant en un droit des
producteurs et des exploitants de donnes et de bases de donnes.
En effet, lvolution rcente du droit de la proprit intellectuelle, dont principalement le droit
des marques, attnue le caractre privatif de ce droit pour linscrire dans une dimension plus
conomique de rgulation de linformation mise la disposition du consommateur ou du
public. Il peut tre envisag dtendre ce changement, qui na pas encore impact les bases de
donnes, au droit qui les concerne pour lui permettre de sadapter lvolution technologique
du Big Data.
LINPI peut avoir un rle majeur dans cette volution en compltant son offre dune solution
de dclaration, ventuellement dynamique, pour pouvoir prendre en compte le caractre
volutif des bases et des outils innovants de traitement, en les identifiant notamment par
linvestissement ou par loriginalit des structures et systmes de fonctionnement crs pour
leur tre ddis.
Il est donc propos, aprs avoir sommairement rappel la lgislation actuelle en matire de
bases de donnes (I) et dcrit de faon synthtique le phnomne du Big Data (II), de prsenter
les principales techniques danalyse des donnes qui se dveloppent pour traiter la masse
dinformations nouvellement disponibles (III), de dcrire les questions que ces volutions
induisent (IV) ainsi que lvolution rcente de la lgislation et de la jurisprudence dans dautres
domaines (V), pour prconiser une solution pour amnager le cadre lgal des bases de donnes
et la mise en place de nouveaux services par lINPI (VI).
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
I - La lgislation actuelle
Le concept de base de donnes est dfini larticle L.112-3 du Code de la proprit intellectuelle
franais, issu de la loi du 1erjuillet 199832, et bnficie de deux rgimes de protection diffrents
et complmentaires, par le droit dauteur et par le droit sui generis des producteurs de bases de
donnes.
Une base de donnes est un recueil duvres, de donnes ou dautres lments
indpendants, disposs de manire systmatique ou mthodique, et individuellement
accessibles par des moyens lectroniques ou par tout autre moyen, et cette dfinition,
dans la directive, concerne les deux rgimes (article 1-2).
Pour quune base de donnes soit protge par le droit dauteur, elle doit satisfaire la condition
pose par la CJUE33 dtre lexpression originale de la libert cratrice de son auteur, ce qui est
complexe dmontrer. La preuve de cette originalit pse sur celui qui sen prvaut et il lui
appartient de dcrire les choix oprs, de les citer et den exposer les motifs doriginalit34.
Les logiciels qui font fonctionner les bases de donnes ont t exclus du champ dapplication
de la directive (considrant n23 article 2) et de la loi de 1998 car ils ont leur propre rgime
juridique.
Trois lments cumulatifs sont exigs dans la dfinition lgale35: la runion dlments
indpendants, ce qui provient de la nature mme de la base de donnes qui est une
compilation, disposs de manire systmatique ou mthodique car, si aucun schma ne
ressort de leur disposition, ils ne forment quune collection, individuellement accessibles par
des moyens lectroniques ou par tout autre moyen.
Pour que le droit dauteur sapplique, il faut que la disposition des lments procde dun
cheminement intellectuel.
Cest donc, dans lesprit de la protection sur le fondement du droit dauteur, le contenant
dune base de donnes qui est protg et non le contenu (considrant n15 et article3.2
de la directive), cette diffrence entre contenant et contenu ayant t consacre par la
jurisprudence36 mme si, bien sr, les lments du contenu peuvent bnficier eux-mmes
dune protection propre, ce qui nest que rarement possible pour de simples donnes.
Bien quil en existe des exemples, y compris rcents37, obtenir la reconnaissance de loriginalit
dune base de donnes est dlicat. Cest lune des raisons pour laquelle tait apparue la ncessit
que soit cre une protection alternative, celle du droit sui generis destin pallier linsuffisance
de la protection par le droit dauteur et, dj, adapter la lgislation lvolution des
technologies en offrant une protection aux producteurs de bases de donnes. Le droit sui generis
vient en supplment du droit dauteur quil complte.
La directive de 1996 a t transpose dans les articles L.341-1 L.343-4 du Code de la
proprit intellectuelle franais, et larticle L.341-1 indique: Le producteur dune base de
donnes, entendu comme la personne qui prend linitiative et le risque des investissements
correspondants, bnficie dune protection du contenu de la base lorsque la constitution, la
vrification ou la prsentation de celui-ci atteste dun investissement financier, matriel ou
humain substantiel ().
Cette rforme a fait lobjet de dbats sur lintroduction de la notion dinvestissement, plus
proche de la logique anglo-saxonne du copyright que de celle, franaise, de protection par
loriginalit de la cration, avec toute la diffrence que cela induit au regard du titulaire du droit
qui est dailleurs appel producteur dans la loi franaise , notion qui prexistait en proprit
intellectuelle, alors que la directive parlait elle-mme de fabricant, traduction de maker,
notion encore plus industrielle.
La directive visait non seulement les bases lectroniques mais galement les bases nonlectroniques38: son article1.1 est large, indiquant que les bases de donnes sont protges
quelles que soient leurs formes.
Le droit sui generis protge donc linvestissement39 ou plus prcisment ce que les
producteurs peuvent retirer dune base de donnes suite cet investissement.
La directive prcise que son objectif est de protger les fabricants de bases de donnes contre
lappropriation des rsultats obtenus de linvestissement financier et professionnel consenti par
celui qui a recherch et assembl le contenu, donc plutt le retour sur investissement. Trois
caractres dinvestissements sont proposs: financier, matriel et humain. Ils sont
alternatifs, les trois nayant pas tre prouvs chaque fois.
Deux difficults ressortent nanmoins de la jurisprudence, qui est trs restrictive: dune part,
les juges se limitent analyser, souverainement, la valeur conomique des investissements
sans prendre en compte leur rsultat et donc la valeur de lensemble informationnel qui a t
cr40 et, dautre part, ils ne se contentent pas de ces informations conomiques pour juger
de lexistence dun droit des producteurs de bases de donnes mais exigent que leur soit
dabord dmontre lexistence mme de la base de donnes, mettant en uvre des principes
dorganisation et de structuration qui permettent son utilisateur davoir directement accs un
lment individuel au moyen dune slection ou dune indexation particulire41.
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
La structure na pas tre originale pour que le droit sui generis sapplique mais elle doit au moins
exister (considrant n21 de la directive). Le texte parle effectivement de constitution de base
de donnes, tape cruciale pendant laquelle le contenu est slectionn et mis en forme dans
une infrastructure prcise.
Il y a donc une interaction entre contenu et contenant, selon laquelle si lun nest pas constitu,
lautre ne sera pas reconnu et aucune protection, que ce soit par le droit dauteur ou par le droit
sui generis, ne pourra tre mise en place.
Le texte, bien quil ait pour objectif de protger des investissements, ce qui devrait en faire
un outil juridique tourn vers lavenir, reste corset par sa dmarche lgitimiste fonde sur le
contrle de lorigine de la cration de la base.
La difficult pratique est que cet tat du droit et de la jurisprudence est bouscul par lapparition
du Big Data et des services destins en exploiter la matire car ils permettent daboutir au
mme rsultat pratique et conomique que celui recherch par la constitution dune base de
donnes mais sans avoir passer formellement par cette tape.
Il nest plus ncessairement besoin de puiser dans des infrastructures virtuelles de stockage
pour obtenir linformation qui est disponible dans le Big Data pour celui qui sait aller ly chercher.
42http://fr.wikipedia.org/wiki/Big_data
43Cisco prvoit une hausse de trafic dans lcosystme Internet, C. Bohic, IT Espresso.fr.
http://www.itespresso.fr/cisco-trafic-ecosysteme-internet-76217.html
vitesse moyenne de 16 Mbit/s. Elle devrait atteindre 42 Mbit/s en 2018. Plus de 55% des lignes
proposeront au moins 10 Mbit/s, avec des moyennes proches de 100 Mbit/s en Core du Sud
et au Japon.
Les outils de traitement voluent en consquence: en 2003, il fallait dix ans et un milliard
de dollars pour squencer les trois milliers de paires de bases du gnome humain. En
2013, ce temps avait t rduit trois jours et le cot trois mille dollars.
Pour les constructeurs automobiles, par exemple, la collecte des donnes sest considrablement
largie en faisant de la voiture un objet connect, une source de donnes. Chez certains, les
ordinateurs de bord connects et intelligents renvoient des informations en temps rel44 qui
sont croises avec celles extraites des commentaires des utilisateurs sur les rseaux sociaux,
mais de simples badges de tlpage fournissent aussi un nombre considrable dinformations
aux socits dautoroutes.
Les donnes objet du Big Data ne sont, bien sr, pas que des donnes commerciales. Pour les
sapeurs-pompiers de Paris, une heure dintervention reprsente quatre mille donnes brutes
(golocalisation, bilan mdical, rapport dopration) et il y a mille trois cents interventions par
jour, dune heure chacune en moyenne, toute lanne, depuis trente ans. Ce corps sestime donc
riche de quarante-huit milliards de donnes archives, catgorises et exploiter45.
Les techniques de traitement de ces donnes bousculent le modle de cration de
valeur, pour amliorer la comptitivit ou lefficacit, par exemple, et dans beaucoup de
domaines tels que le marketing, la sant, le dplacement, la logistique, le recrutement,
le sport
Les outils classiques de traitement des donnes et les outils statistiques sont toujours utiliss
mais, sils sont satisfaisants et utiles pour obtenir des indications par grandes catgories, ils sont
moins efficaces pour bnficier danalyses plus fines fondes sur les signaux faibles extraits
de la masse des donnes ou les comportements observs aux travers des informations fournies
notamment par les objets connects et les rseaux sociaux.
Lorsque les requtes correspondent des informations qui ont t anticipes par les objectifs qui
ont prsid la cration des structures de bases de donnes, les fichiers qui rsultent de simples
extractions sur ces bases prexistantes y rpondent. Cependant, lorsque les questions nont pas
t anticipes, lanalyse des masses de donnes disponibles dans le Big Data permet alors seule
de rpondre directement aux questions ou daffiner les rponses obtenues partir des rsultats
des requtes recueillies en interrogeant les bases de donnes existantes.
Les entreprises sont de plus en plus conscientes de limportance de cette volution46. Par exemple,
lanalyse du comportement des clients ne se limite plus leur attitude envers les produits et les
services de lentreprise, ce qui est relativement facile obtenir par une analyse des ventes ou des
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
questionnaires de satisfaction. Ces informations doivent en plus tre croises avec une
analyse de linteraction entre loffre de lentreprise et les comportements des clients. Certains
programmes de fidlisation donnent simplement des points en fonction du volume dachat mais
dautres, plus perfectionns, proposent des offres personnalises selon les prfrences et les
habitudes du consommateur, voire rcompensent leurs comportements47.
Ces techniques viennent remplacer les outils prcdemment utiliss danalyse de lopinion des
consommateurs, tels que les sondages, questionnaires de satisfaction ou groupes tests (focus
groups). Lopinion de quelques consommateurs est donc remplace par une analyse globale des
donnes mises, involontairement via les objets connects et volontairement sur les rseaux
sociaux, par lensemble des clients.
Ces outils de traitement permettent dextraire de ces masses de donnes non seulement des
analyses a posteriori, mais aussi et surtout des analyses prdictives.
Ces analyses prdictives existent depuis longtemps et des logiciels de prdiction des ventes
ont t dvelopps ds le milieu des annes 90 en se fondant sur des donnes qui taient
collectes par modem, avant mme que le rseau Internet ne se dveloppe. Cela avait t,
par exemple, mis en place par la presse quotidienne rgionale pour rduire les invendus et les
manques la vente de chaque point de distribution. Mais le Big Data offre un volume bien plus
considrable dinformations que les simples statistiques des points de ventes, mme collectes
quotidiennement.
Face linflation du volume des donnes apportes par le Big Data sont donc apparues des
techniques telles que les nouvelles mthodes de data mining et la curation, qui ont une image
positive, ou des techniques plus contestes telles que le scrapping, fond sur une analyse
dynamique des contenus acquis par des outils informatiques de balayage (crawling), au sujet
desquelles les entreprises ont des attitudes contradictoires.
Ces mthodes peuvent entrer en conflit direct avec le droit des bases de donnes
puisquil sagit dagrger des informations qui vont devoir tre extraites du Big Data. Or,
lorsquelles sont contenues dans des bases de donnes, cette extraction peut tre considre
qualitativement ou quantitativement substantielle par le producteur.
Cela est dautant plus vrai lorsquil ne sagit pas de curation, qui induit gnralement une part
de travail humain, mais de scrapping, technique dextraction du contenu de sites Web, via un
script ou un programme, dans le but de le transformer pour permettre son utilisation dans un autre
contexte, par exemple le rfrencement50, qui consiste donc rcuprer automatiquement des
contenus en vue de les rutiliser pour constituer de nouveaux rsultats qui agrgent ceux qui ont
t slectionns mais sans obligatoirement les sourcer par une mention de leur origine ou une
possibilit daccder au support original.
Dans tous les cas, il faut dabord trouver ces donnes en ligne, ce qui passe par lutilisation de
robots (crawling) qui sont la plupart du temps refuss dans les paramtrages des sites, en laissant
nanmoins la possibilit ceux des moteurs de recherche et principalement de Google de passer
autant de fois que ncessaire, ce qui peut tre considr comme une attitude contradictoire vis-vis de la gestion de laccs au contenu des sites.
Mais, dans la plupart des cas, la curation nest pas une action simplement automatique et
reprsente un travail de slection qui sera bas sur un apport intellectuel pour lequel il est
ncessaire denvisager quil puisse faire perdre tout lien entre le rsultat et les donnes qui ont
t utilises, quelle que soit leur source. Un curateur va, pour slectionner des contenus qui
lintressent et pourraient intresser dautres personnes, effectuer lui-mme des investissements
matriels et humains. Sil apporte une vritable valeur ajoute, le curateur ne doit plus risquer
dtre fautif et le rsultat de son travail mrite lui aussi une protection.
Pour analyser de vastes quantits de donnes ou mettre en place les outils qui le
permettent, il est ncessaire de faire appel des Data Scientists, analystes connaissant
la fois les problmatiques techniques et mtiers. Il sagit dune profession qui est
appele se dvelopper et les formations se multiplient51.
La question est donc de savoir quand et pourquoi le lien entre le producteur de bases de donnes
et ses donnes pourra se rompre au profit du curateur ou de celui qui lemploie, parce que les
donnes agrges sont suffisamment nombreuses, retravailles et de sources diffrentes pour
que ce travail cre une nouvelle originalit ou parce que la diffusion de linformation peut primer
si le rsultat est dun intrt collectif suffisant pour imposer cette rupture.
Pour cela, il est intressant dtudier les points de confrontation de ces techniques avec les
rgimes juridiques existants.
50http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_scraping
51http://www.polytechnique.edu/accueil/actualites/polytechnique-lance-la-formationdata-sciences-starter-program--311929.kjsp?RH=1245226736745
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
inexistant pour la commercialisation du rsultat de ces traitements lorsquil nest plus possible
de les relier aux bases qui ont t utilises. Cest le cas par exemple de beaucoup de data
brokers52. Leur offrir un cadre daction en Europe permettrait de voir se rapatrier celles de ces
activits qui ne seraient plus rprhensibles.
Ces techniques sont aussi confrontes de faon positive au droit des bases de donnes.
Si lensemble informationnel organis par le curateur est original et les donnes obtenues
lgalement, sa nature de base de donnes permettra son producteur de faire ventuellement
valoir son droit dauteur, ou, sil peut caractriser des investissements financiers, matriels ou
humains, de producteur, la difficult tant alors de pouvoir tablir lexistence dune base de
donnes.
En effet, la diffrence avec le travail de constitution dune base de donnes reste nette car, outre
la ncessit de pouvoir justifier en amont quil nexiste pas un lien avec la source des donnes qui
le placerait dans le cadre de linterdiction du droit sui generis, le rsultat de la curation ne pourra
pas toujours lui-mme bnficier de sa protection en raison de la difficult dmontrer que le
rsultat de ces travaux nest pas quune simple compilation ou production de donnes et quil
est organis dans une base.
Il existe une impossibilit pour ce professionnel, mme sil a obtenu ses donnes lgalement, de
revendiquer le droit des producteurs de bases de donnes sil ne peut dmontrer que le rsultat
de lextraction a t prcd de ltape de la constitution dune base dont lexistence est
devenue fugace, quand bien mme il a mobilis des investissements financiers, matriels ou
humains.
Pour contourner au moins en partie ces difficults, les changements rcents intervenus dans
dautres domaines du droit de la proprit intellectuelle suggrent des pistes dvolutions.
52Your Doctor Knows Youre Killing Yourself. The Data Brokers Told Her, S. Petty piece
et J. Robertson. http://www.bloomberg.com/news/2014-06-26/hospitals-soon-seedonuts-to-cigarette-charges-for-health.html; Data brokers: aux tats-Unis, votre vie
prive est en vente http://www.zdnet.fr/actualites/data-brokers-aux-etats-unis-votrevie-privee-est-en-vente-39789295.htm
53CJUE, gr. ch., 23 mars 2010, c-236/08 et C-238/08, Google (JCP G 2010, note 642,
L. Marino; Comm. Com lectr. 2010, Comm. 88, note Ph Stoffel-Munck; RTD eur. 2010,
p 939, obs. E. Treppoz; RLDI 2010/60, n 1980, note L. Grynbaum). CJUE, 22 sept. 2011,
C-323/09, Interflora (Gaz. Pal., 15 fvr. 2012, p. 19 note L. Marino; Prop. Intell. 2012, n 42,
p. 63, obs. G. Bonet).
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
Dans la plupart des cas, il sagit dautoriser la reprise dune information pour en faire un
usage diffrent, qui ne porte pas clairement atteinte au titulaire des droits initiaux car il
ne les dtenait pas ou nenvisageait pas de les utiliser dans le but nouvellement poursuivi
ou, en droit de la concurrence, car cette ouverture des donnes est ncessaire au bon
fonctionnement des marchs.
Dans la mme logique, les efforts conomiques de ceux qui apportent des rponses aux
questions ou aux besoins de professionnels ou de consommateurs, par lanalyse de donnes
places la disposition du public, pourraient tre protgs de tout reproche, en labsence de
reprise de la structure dune base, si les donnes sont rutilises pour un objectif diffrent de
celui poursuivi par le producteur de la base dont elles ont t extraites, mme substantiellement,
et si une ou un nombre rduit de bases ne sont pas particulirement vises par lopration.
La condition premire, pour que la rutilisation des donnes soit permise, serait que celui qui
les rutilise ait lui-mme fourni un effort conomique dans le cadre de sa propre activit de
traitement de ces donnes. Cette notion, entendue dans un sens large pour ne pas tre rserve
aux seules entreprises commerciales mais ouverte des acteurs poursuivant dautres finalits,
sinscrirait en cohrence avec le fondement du droit sui generis, qui est linvestissement fourni
par le producteur de la base.
Cette approche prendrait aussi en considration les motifs conomiques poursuivis dun ct
par la base source et de lautre par celui qui rutilise son contenu. Une base peut en effet tre
cre ou rutilise par un tiers dans des objectifs divers: conomique, scientifique, technique,
social, culturel Lorsque les objectifs poursuivis sont diffrents, latteinte aux investissements
fournis par le producteur de la base source est, sinon inexistante, tout le moins ncessairement
limite, comme son prjudice, ce qui peut justifier une exception son monopole. condition
toutefois de ne pas excder une certaine mesure: pour se prvaloir dune telle exception, encore
faudrait-il pouvoir tablir que la technique utilise na pas cibl exclusivement une base de
donnes en particulier, mais se justifie par une analyse ou opration globale, transversale, sur des
donnes de sources diverses. En outre, cette exception ne serait concevable que si les donnes
en question ont t rendues accessibles au public par son producteur ou quil se doit de le faire
en application des rgles de concurrence.
Il sagit, ici aussi, dvoluer en cartant lide dun monopole absolu du droit des producteurs
de bases de donnes pour le considrer comme un outil conomique ddi des usages prcis.
Une telle volution se justifie dautant plus que le droit sui generis est avant tout un droit
vocation conomique, mme sil est inclus dans la proprit littraire et artistique. Il y a en effet
un choix faire, ou au moins un quilibre trouver, entre la protection des investissements et
lintrt de lutilisation des rsultats des techniques danalyse des donnes du Big Data pour
favoriser le dveloppement de ces outils dans lUnion europenne et bnficier des progrs quils
apportent.
Bien sr, il ne sagit pas non plus, au travers de cette volution, de permettre une rutilisation
servile.
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
La CJUE a dj jug, dans sa rponse une question prjudicielle portant sur linterprtation de
larticle 7 de la directive, au sujet doutils proches de ceux utiliss pour les techniques nouvelles
voques ci-avant, quelle ne lautoriserait pas59 en considrant que: () procde une
rutilisation de la totalit ou dune partie substantielle du contenu dune base de donnes protge
par cet article7 ds lors que ce mtamoteur de recherche ddi:
fournit lutilisateur final un formulaire de recherche offrant, en substance, les mmes
fonctionnalits que le formulaire de la base de donnes;
traduit "en temps rel" les requtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche dont est
quipe la base de donnes, de sorte que toutes les donnes de cette base sont explores, et ;
prsente lutilisateur final les rsultats trouvs sous lapparence extrieure de son site internet,
en runissant les doublons en un seul lment, mais dans un ordre fond sur des critres qui
sont comparables ceux utiliss par le moteur de recherche de la base de donnes concerne
pour prsenter les rsultats..
On peut esprer quune analyse a contrario de cette jurisprudence valide la thse qui est ici
propose.
Dans le mme esprit que toutes ces dcisions rendues dans des matires pourtant trs
diffrentes les unes des autres, il serait un obstacle lvolution technologique de ne pas
considrer que les donnes disponibles, y compris lorsquelles sont contenues dans des bases
de donnes, ne sont pas rutilisables lorsque lobjectif de cette rutilisation nest pas de porter
atteinte lobjectif des investissements substantiels qui permettent au producteur de bases
de donnes de bnficier de la protection du droit sui generis, et dans les cas o le but de cette
rutilisation dune partie des donnes places la disposition du public dans le cadre de larticle
L.342-3 du Code de la proprit intellectuelle nest pas concurrent de la base de donnes utilise
et ne poursuit pas le mme objectif.
Il est souhaitable que le droit volue pour moins protger linvestissement de faon rtrospective
et offrir une protection plus prospective, en tudiant latteinte que la rutilisation porte la
valorisation de la base, au moment des faits, abandonnant, ce faisant et ici aussi, la logique
dune proprit privative absolue, fige lors de la cration de la base.
Deux considrants de la directive de 1996 pourraient tre interprts dans ce sens par les
juridictions: (45) considrant que le droit dempcher lextraction et/ou la rutilisation non
autorises ne constitue aucunement une extension de la protection du droit dauteur aux simples
faits ou aux donnes; et (47) considrant que, dans le but de favoriser la concurrence entre
les fournisseurs de produits et de services dans le secteur du march de linformation, la protection
par le droit sui generis ne doit pas sexercer de manire faciliter les abus de position dominante,
notamment en ce qui concerne la cration et la diffusion de nouveaux produits et services prsentant
une valeur ajoute dordre intellectuel, documentaire, technique, conomique ou commercial; que,
ds lors, les dispositions de la prsente directive sont sans prjudice de lapplication des rgles de la
concurrence, quelles soient communautaires ou nationales;.
Cela nest videmment envisageable que dans le cas des bases de donnes mises la disposition
du public ou au profit de celui qui aura contract pour accder une base.
59CJUE, 5e ch., 19 dc. 2013, Innoweb BV, Wegener ICT Media BV, Wegener Mediaventions BV.
http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4072
Une volution lgislative ou jurisprudentielle par un arrt de la CJUE disant pour droit,
comme il en est intervenu en droit des marques, est ncessaire car, mme dans les cas
o le caractre substantiel de lextraction ou de la rutilisation ne pourrait pas tre prouv,
voire bnficierait dun assouplissement de la jurisprudence nationale en matire de droit des
producteurs de bases de donnes, lopration ne serait pas labri dune action fonde sur le
droit commun et principalement sur la sanction de la reprise des efforts du crateur de la base
de donnes en application de la jurisprudence sur le parasitisme.
Dautant plus que la preuve du parasitisme ne se limite pas ltude de la comparaison des
rsultats, il porte aussi sur la nature du travail effectu, qui peut tre vrifie par des oprations
de constat autorises par ordonnance (art 145 du C. proc. civ.).
Des propositions concrtes peuvent tre formules pour permettre une telle volution.
1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data
Une telle volution des textes peut tre complte par de nouvelles solutions de dclaration des
rsultats des investissements.
60http://www.app.asso.fr/
1.3
Quelle protection juridique pour
lalgorithme ?
par Marc Schuler et Benjamin Znaty
Les auteurs
Marc Schuler est avocat associ au sein du dpartement proprit intellectuelle du cabinet
Bird & Bird Paris. Il a dvelopp une pratique reconnue dans le secteur de lIT et des mdias
en privilgiant une offre de services globale en matire de soft IP (signes distinctifs, droits
dauteur et droits voisins, bases de donnes). Il intervient ainsi tant en conseil quen
contentieux sur la protection et la dfense de ces actifs ainsi que sur la scurisation de leur
exploitation. Il assiste, dans ce cadre et notamment, des acteurs majeurs du secteur des mdias,
des nouvelles technologies et de linformatique. Il reprsente ainsi en particulier des oprateurs
de services en ligne dans la structuration de leurs activits au regard des responsabilits sousjacentes. Avocat au barreau de Paris, Marc Schuler est titulaire dun DESS en droit du commerce
international et dun LLM en droit des affaires (universit de Reading,GB).
Benjamin Znaty est avocat collaborateur au sein du dpartement NTIC du cabinet Bird & Bird
Paris. Sa pratique est axe sur linformatique et les relations commerciales, avec notamment
le droit de lInternet. Diplm dun LLM spcialis en sciences, technologie et proprit
intellectuelle de luniversit UC Hastings de San Francisco, il est galement titulaire dun master
en droit informatique et multimdia de luniversit Paris II Panthon-Assas et dun master en
droit conomique de luniversit Paris Dauphine.
Synthse
Lalgorithme fait sans doute partie des crations immatrielles les plus valorises de notre
conomie moderne. Il est loutil la base du fonctionnement de la plupart des logiciels et sites
Internet actuels, et sera galement la source du fonctionnement des objets et nouvelles
technologies de demain (objets connects, Big Data). En tant quide, principe ou mthode,
il fait pourtant pour autant partie de ces crations immatrielles ne bnficiant que dune
protection juridique indirecte ou imparfaite. Lobjet du prsent article est danalyser cette
protection juridique telle quelle existe aujourdhui et celle qui sera rendue possible demain,
laube de ladoption du nouveau rgime europen de protection du secret des affaires.
Introduction
Lalgorithme est dfini par le Larousse comme un ensemble de rgles opratoires
dont lapplication permet de rsoudre un problme nonc au moyen dun nombre fini
doprations. Un algorithme peut tre traduit, grce un langage de programmation, en un
programme excutable par un ordinateur.
On dsigne aujourdhui par le vocable algorithme une pluralit de crations
immatrielles dveloppes par les acteurs de lconomie numrique. La valeur que
reprsente un algorithme sillustre bien des gards au sein de cette conomie. On peut penser
en premier lieu aux majors de lInternet, avec en tte Google, que lon associe frquemment
ces fameux algorithmes. chaque modification ou perfectionnement que Google apporte son
algorithme, cest tout le Web qui tremble des consquences en termes de rfrencement. On
se rappelle encore des remous provoqus par lintroduction de lalgorithme Panda pendant
lt 2011, histoire qui tend se rpter tel que rcemment avec lintroduction de la version 4.0
de cet algorithme.
Que ce soit Facebook avec ses algorithmes permettant damliorer la qualit de laffichage du
fil dactualits, ou encore Amazon travers ses algorithmes de recommandation de produits,
jusquaux algorithmes dvelopps par des start-up innovantes apportant des outils vitaux,
comme telle que la publicit cible cette conomie moderne, la quasi-totalit des acteurs
fondent leur modle sur la performance de leurs algorithmes. lheure de la rvolution
du Big Data, il ne fait aucun doute que les entreprises qui tireront leur pingle du jeu seront
celles ayant dvelopp les algorithmes les plus performants et les plus mme dexploiter cette
immense quantit de donnes.
On peut trouver un dnominateur commun tous ces algorithmes: traiter linformation
afin dapporter une solution concrte un problme donn. Linformation est partout
et lalgorithme permet lhomme dinteragir avec cet environnement informationnel. Pour
beaucoup, lInternet 3.0 sera celui des objets connects. Pour autant, il faudra l encore des
algorithmes pour que ces objets fonctionnent: afin danalyser les donnes de trafic et permettre
la voiture connecte de sauto-conduire, afin danalyser les donnes de sant et permettre au
Smartphone de prconiser un rgime sportif, ou bien encore afin danalyser les consommations
alimentaires dune famille et permettre au rfrigrateur connect de sapprovisionner
automatiquement.
Si lon comprend donc facilement son utilit, il reste difficile de concevoir la forme sous
laquelle se matrialise concrtement lalgorithme. Or, cette question est primordiale car
elle a un impact direct sur la question de sa protection juridique.
Il est donc important pour le dveloppeur de lalgorithme de se confronter ds le dbut
du processus de cration la question de sa protection juridique, comme toute cration
immatrielle, afin de parer au risque de dtournement ou dappropriation illicite: dans quelle
mesure le rgime lgal et juridique de la proprit intellectuelle franaise peut-il protger
lalgorithme? Alors que lauteur dune uvre littraire ou artistique jouit de la protection du droit
dauteur ds matrialisation de son uvre et que linventeur dun procd technique brevetable
Cour de cassation a prcis que cet effort personnalis ne peut se dduire du succs ou de
lutilit dun logiciel mais des choix oprs lors de sa conception, tmoignant dun apport
intellectuel propre et dun effort personnalis. Aussi, la preuve de cet apport intellectuel propre
apparat assez complexe dans le cas dun algorithme.
Il apparat ds lors ncessaire que le logiciel intgrant cet algorithme aille au-del de la simple
excution. En ce sens, un arrt rendu le 14novembre 2013 par la Cour de cassation peut tre
utilement mentionn. Dans cette affaire, lditeur dun logiciel de comptabilit reprochait
Microsoft davoir contrefait son logiciel dans la version franaise de la suite Office. Aprs avoir
rappel que les algorithmes et fonctionnalits sont des lments non protgs par le droit
dauteur, la Cour de cassation a refus de reconnatre une quelconque contrefaon en raison de
labsence de fourniture dlments permettant de justifier de loriginalit du logiciel tels que les
lignes de programmation, les codes ou lorganigramme, ou du matriel de conception prparatoire.
Ces jurisprudences dmontrent que la protection de lalgorithme au titre du droit dauteur
par le biais du logiciel ne peut tre considre comme parfaite. Le droit dauteur ne
protge pas le logiciel dans sa globalit: les fonctionnalits dun logiciel dfinies comme
la mise en uvre de la capacit du programme effectuer une tche prcise ou obtenir
un rsultat ne bnficient pas en tant que telles de la protection du droit dauteur ds
lors quelles ne correspondent qu une ide. Cette distinction entre les ides la base du
logiciel et luvre originale que constitue un logiciel, est reprise au 11e considrant de la directive
2009/24 du 23avril 2009 concernant la protection juridique des programmes dordinateur:
Pour viter toute ambigut, il convient de prciser que seule lexpression dun programme
dordinateur est protge et que les ides et les principes qui sont la base des diffrents lments
dun programme, y compris ceux qui sont la base de ses interfaces, ne sont pas protgs par le
droit dauteur en vertu de la prsente directive. En accord avec ce principe du droit dauteur, les ides
et principes qui sont la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne
sont pas protgs en vertu de la prsente directive.
Cette dissociation du logiciel de ses fonctionnalits et algorithmes a une consquence
directe: ds lors quun tiers parviendra extraire lgalement lalgorithme dun logiciel, et
quand bien mme ce logiciel serait protg par le droit dauteur, il sera libre de rutiliser
cet algorithme. Cest dailleurs ce qua rcemment rappel la Cour de justice de lUnion
europenne (CJUE) dans son arrt SAS Institute. Dans cette affaire, la socit SAS Institute
avait dvelopp un logiciel de traitement et danalyse de donnes et une socit concurrente,
WPL, tait parvenue dvelopper un logiciel similaire en tudiant les principes la base du
fonctionnement de ce logiciel. Cette analyse du logiciel semblait parfaitement lgitime dans la
mesure o WPL tait titulaire dune licence dutilisation du logiciel dvelopp par SAS Institute.
De plus, WPL navait pas eu besoin daccder au code source ou de dcompiler le logiciel de
SAS Institute pour copier la fonctionnalit en question et navait donc pas enfreint les termes
de sa licence dutilisation. En application de la Directive, la CJUE rappelle nouveau que ni
la fonctionnalit dun programme dordinateur, ni le langage de programmation et le format de
fichiers de donnes utiliss dans le cadre dun programme dordinateur pour exploiter certaines de ses
fonctions ne constituent une forme dexpression de son programme et ne sont, ce titre, protgs
par le droit dauteur. La question de lappropriation de lalgorithme la base du fonctionnement
dun logiciel protg reste donc entire.
Il est permis dappliquer ce raisonnement aux algorithmes insrs dans des objets
innovants, par exemple lalgorithme lorigine du fonctionnement dune voiture
connecte. Ainsi, lun des brevets dpos par Google pour protger sa voiture automatise
inclut comme revendication premire un: Vhicule autonome, comprenant: () une unit sans
fil configure pour recevoir une instruction de vhicule autonome bas sur les donnes de rfrence;
et, un module de commande configur pour commuter le vhicule dans un mode de fonctionnement
autonome.
Le principal avantage de cette apprhension par le brevet de lalgorithme est que
contrairement au droit dauteur, lalgorithme inclus et dtaill dans la demande de brevet
sera protg au mme titre que linvention qui le renferme.
La protection par le brevet connat nanmoins aussi ses dfauts. Ainsi, cette protection est lie
de manire intrinsque linvention dans laquelle lalgorithme est intgr. Si la solution
semble sduisante pour les algorithmes lorigine du fonctionnement des objets de demain, la
protection par le brevet de lalgorithme purement immatriel, plus proche de la mthode, qui
ne serait pas associ une invention en particulier, semble encore impossible lheure actuelle.
Par ailleurs, on peut lgitiment se demander si la protection par le brevet de lalgorithme est
opportune. Il faut en mesurer sa consquence directe: le crateur de lalgorithme brevet
est contraint de divulguer au public son algorithme et den figer le fonctionnement. Cette
protection est-elle bien adapte une cration qui doit sans cesse tre actualise pour
ragir la modification de linformation? Les entreprises ont-elles toutes les moyens de
dposer chaque amlioration ou modification de lalgorithme un nouveau brevet? De plus,
est-il certain que les entreprises soient prtes rvler au public leurs prcieux algorithmes?
Lalgorithme est en effet susceptible de mettre en lumire des informations stratgiques sur
le modle conomique de lentreprise. Si lon prend lexemple de lalgorithme boursier, une
banque na pas forcment envie ni mme intrt dvoiler son comportement sur le march
financier.
La proprit intellectuelle, telle quenvisage date en droit franais, nest peut-tre in fine pas la
voie la plus mme de protger lalgorithme qui, bien des gards, sapparente plus un secret
des affaires quun lment de proprit intellectuelle.
Notons enfin que la proposition de Directive ne prvoit pas une infraction spcifique ou un
rgime permettant de sanctionner pnalement la violation du secret des affaires mais laisse cette
prrogative aux tats membres. Cest dailleurs peut-tre la voie que choisira la France si lon en
croit la rcente proposition de loi relative la protection du secret des affaires du 16juillet2014.
Cette proposition cre en effet un nouveau dlit puni de 3 ans demprisonnement et 375000
damende constitu par le fait de prendre connaissance, de rvler ou de dtourner un secret
daffaires.
Cette proposition franaise laisserait envisager une reconnaissance lgale du secret des affaires
en France avant mme ladoption et transposition de la directive lchelle europenne.
Mis part cette reconnaissance pnale, cette proposition reprend par ailleurs lessentiel des
dispositions du projet de directive europenne, notamment sur la dfinition du secret, elle aussi
conforme au trait ADPIC, mais galement les exceptions et mesures de rparation prvues par
le texte europen.
On ne peut donc que se rjouir de cette reconnaissance anticipe par la France dune protection
attendue depuis longtemps, permettant denglober un nombre important dactifs trs prcieux
de lconomie numrique dont la protection par la proprit intellectuelle ntait pas forcment
assure jusqu aujourdhui, comme par exemple lalgorithme
1.4
Objets connects et proprit
intellectuelle
LIdo (lInternet des objets) au secours de la
proprit intellectuelle et rciproquement :
les cls dune interdpendance russie ?
par Virginie Brunot
lauteur
Virginie Brunot est avocat et dirige le dpartement contentieux de la proprit industrielle au
sein du cabinet Alain Bensoussan. Elle assiste et reprsente les clients du cabinet devant les
tribunaux et offices de proprit intellectuelle en matire de contrefaon et de concurrence
dloyale. Coauteure de louvrage Informatique, Tlcoms, Internet (Ed. Francis Lefbvre,
5e d.), elle est charge denseignement en droit des brevets auprs dcoles dingnieurs et
anime des formations professionnelles.
Synthse
Souvent prsent comme le futur dInternet, lobjet connect apparat pour lheure comme un
ovni juridique. Tout la fois instrument et sujet de protection, lobjet connect donne prise des
droits de proprit multiples quil convient dapprhender de manire diffrencie au sein dune
stratgie de protection globale et adapte.
A. Approche technique
Une innovation aux contours mal dfinis
Souvent prsent comme la troisime rvolution de lInternet le Web 3.0 , lInternet des
objets souffre encore dun dfaut de dfinition uniforme, voquant souvent, dans lesprit du
public des notions plus ou moins proches comme lobjet connect, le M2M, la domotique ou
la RFID.
Nicolas Demassieux, directeur dOrange Labs Research dfinit lInternet des objets comme un
cosystme dont la base est un objet auquel une dose de connectivit est ajoute, qui lui permet de
communiquer des donnes pour un service61.
Lobjet connect dsigne, quant lui, lobjet physique dans lequel sont intgrs des
moyens techniques permettant lobjet de contenir, traiter et rmettre des donnes
aux moyens de technologies sans fil.
Ces notions sont distinguer de concepts voisins ou complmentaires auxquelles elles sont
souvent associes ou assimiles.
Le M2M ou Machine to Machine est dfini par lInstitut europen des normes de
tlcommunications (ETSI) comme la communication entre machines avec une intervention
humaine limite, voire absente.
De manire plus large, le Livre blanc Machine To Machine labor en 2006 par la FING,
Syntec Informatique et Orange dfinit le M2M comme lassociation des technologies de
linformation et de la communication (TIC), avec des objets intelligents et communicants,
dans le but de donner ces derniers les moyens dinteragir sans intervention humaine avec
le systme dinformation dune organisation ou dune entreprise62.
Lobjet connect apparat alors comme le rsultat de lvolution du M2M vers lInternet des
objets, rejoignant ainsi la dfinition du M2M par lIdate qui vise les communications entre
61Nicolas Demassieux in Quand lInternet des objets envahit tout... mme la Bourse,
lesechos.fr, 16juillet 2014.
62Livre blanc Machine To Machine, enjeux et perspectives, Orange Business Services, la
Fing et Syntec informatique, juin 2006.
B. Approche conomique
Du simple gadget design lassistance aux personnes dpendantes, le potentiel conomique
li au dveloppement de lInternet des objets est norme. Ainsi, lIdate estime 80milliards le
nombre dobjets connects dans le monde en 2020, contre 15milliards actuellement, ce qui
reprsente une croissance annuelle de 23%.
Formidable dfi technologique et conomique, lInternet des objets est sans doute lun
des piliers de lconomie de demain.
Quils soient issus des tlcommunications, de la fourniture de services ou dinfrastructures,
les gants du secteur ne sy trompent pas, mettant profit leur puissance conomique pour
investir ou racheter les ppites les plus prometteuses mais galement en multipliant les
alliances en vue de se positionner sur la mise en place des standards relatifs aux protocoles
de communication des objets connects. Allseen Alliance, consortium initi par Qualcomm,
regroupe une soixantaine de socits parmi lesquelles Microsoft, Cisco, LG, Symantec ou encore
le franais Legrand; Open Interconnect Consortium (OIC) runit les gants Atmel, BroadCom,
Dell, Intel, Samsung et Wind River; et Google et Apple dveloppent leurs propres protocoles de
communication.
Cette globalisation, lheure o lInternet des objets na pas atteint sa maturit, loin sen faut,
laisse dores et dj percevoir certaines problmatiques auxquelles risquent dtre confrontes
les entreprises:
lintgration au sein de produits traditionnels de solutions lectroniques, logicielles et de
tlcommunication ;
en labsence de normalisation des protocoles de communication, le risque de ne pouvoir
exploiter un produit linteroprabilit limite voire nulle. En cas de norme propritaire,
la ncessit de souscrire des licences pour pouvoir oprer.
Si cette proposition na pas abouti ce jour, les radio-tiquettes sont largement utilises pour
les produits sujets de nombreux vols ou contrefaon, tels que les CD, DVD ou les produits de
luxe, et ces technologies semblent promises un bel avenir: du bton intgrant des puces RFID
encapsules au mdicament dot dun code-barres microparticules, aucun type de produit,
comestible ou non, ne semble pouvoir chapper lexigence de traabilit.
Ainsi, le groupe espagnol Inditex (Zara, Massimo Dutti, Bershka) a annonc le dploiement de la
technologie RFID sur lensemble de ses magasins Zara par lintgration de puces RFID lintrieur
65Flashcode est une marque dpose par lAssociation franaise du multimdia mobile.
66En finir avec la mondialisation anonyme. La traabilit au service des consommateurs
et de lemploi, proposition n4, Yves Jego, mai 2010.
des antivols attachs aux vtements, et si lobjectif annonc est celui de lamlioration de la
gestion des stocks, la socit envisage daller plus loin dans lamlioration de son service client
et la scurit67.
Attach lantivol aujourdhui, intgr au vtement lui-mme demain, lInternet des objets
conduira faire du vtement un vritable objet connect permettant den assurer le suivi, y
compris une fois sorti des stocks, et den assurer lauthenticit.
Indpendamment des difficults lies la gestion des donnes personnelles, qui nest pas ici
lobjet du dbat, le succs de lInternet des objets en tant quinstrument de lutte contre la
contrefaon demeure bien videmment assujetti au cot de sa mise en uvre.
Nanmoins, il ressort de ltude publie dans louvrage LInternet des objets: quels enjeux
pour lEurope?, que le cot dune puce RFID varie de 5 centimes deuros (puce RFID passive)
quelques euros pour une puce active dote dune batterie intgre et dun transmetteur68.
Ainsi est-il possible de dfinir une politique de traabilit adapte la valeur ou la ncessit de
traabilit du produit concern.
71CJUE, C236/08 C238/08, (Google), 23 mars 2010, prec. point 76, curia.europa.eu.
72CJUE, C487/07, (LOreal e.a), 18 juin 2009, point 65. curia.europa.eu
73CJUE C65/12, (Leidseplein Beheer BV), 6 fvrier 2014, point 30 et jurisprudence cite,
curia.europa.eu.
74IBM, WebSphere MQ, Scnarios de tlmtrie: identification par radio frquences (RFID);
Classifying RFID attacks and defenses, Aikaterini Mitrokotsa, Melanie R. Rieback,
Andrew S. Tanenbaum, Springer Science + Business Media, LLC 2009.
Interroge par le Prsident de lOEB sur la question de la brevetabilit des logiciels et les solutions
divergentes des Chambre de recours, la Grande Chambre de recours ne sest pas prononce
estimant, dans un avis rendu en 2010, que les divergences de jurisprudence au fil du temps
constituent un dveloppement normal dans un monde en mutation76.
Nanmoins, il apparat quune protection par le droit des brevets peut tre revendique ds lors
que le programme dordinateur considr est capable de produire, lorsquil est mis en uvre ou
charg sur un ordinateur, un effet technique supplmentaire allant au-del des interactions physiques
"normales" existant entre le programme (logiciel) et lordinateur (matriel) sur lequel il fonctionne77.
Lexigence dun effet technique supplmentaire demeure toutefois indispensable la protection
de linvention. Ainsi, tel nest pas le cas de linvention portant sur un procd daffichage, sur un
cran de tlvision, dune interface interactive ds lors que:
ltape du stockage et de lextraction dinformations nest que la mise en uvre dun
programme informatique, qui nest pas non plus une caractristique brevetable en elle-mme
et la simple rfrence une commande par lutilisateur ne constitue pas une caractristique
technique revendique par le brevet;
linvention na pour objet que laccs de lutilisateur des informations et que la contribution
de linvention au procd et au dispositif permettant daccder ces informations, rside
seulement dans le contenu ainsi rendu visible et sa prsentation en deux fentres successives,
ce qui est en soi exclu de la brevetabilit78.
Lobjet connect semble pouvoir assez aisment contourner lobstacle de leffet
technique supplmentaire requis ds lors que linvention revendique ne se limite pas
la seule mise en uvre du programme mais aboutit un rsultat technique propre.
Alors que la protection par le droit dauteur nat de sa seule cration, la protection par le droit des
brevets ncessite un dpt, engendre des frais et se trouve limite dans le temps.
Cette seconde protection savrera, en pratique, plus large puisquelle permettra de sopposer
lexploitation par un concurrent dun programme qui, sans reprendre le code protg, aboutirait
par des moyens techniques identiques un rsultat technique identique.
Dans ce cas et afin danticiper dventuels conflits ultrieurs, il conviendra de sassurer,
pralablement au dpt de la demande de brevet, de la titularit des droits dauteur sur
le programme et, dfaut, dorganiser la rtrocession des droits patrimoniaux qui leur sont
attachs, tant rappel que sauf cas particulier des employs agissant dans lexercice de leurs
fonctions ou daprs les instructions de leur employeur, les droits appartiennent leur auteur79.
Ainsi, le T-shirt connect capable de dtecter le rythme cardiaque de son utilisateur sera dpos
non seulement pour des vtements mais galement pour les services de collecte, traitement
et transmission de donnes, les services de communications, les appareils mdicaux, voire les
services de sant.
La problmatique se pose de manire accrue lorsque la marque dsigne un no-objet qui,
par dfinition, ne figure pas dans la classification internationale: la protection devra alors
tre concentre sur les fonctionnalits et la finalit de lobjet connect en tenant compte des
recommandations de la Classification, savoir:
Un produit fini est en principe class selon sa fonction ou sa destination. Si la fonction ou
la destination dun produit fini nest mentionne dans aucun intitul de classe, ce produit est
class par analogie avec dautres produits finis comparables figurant dans la liste alphabtique.
Sil nen existe aucun, dautres critres tels que celui de la matire dont il est fait ou celui de son
mode de fonctionnement sont appliqus ;
Un produit fini usages multiples (tel quun combin radio-rveil) peut tre class dans toutes
les classes correspondant lune quelconque de ses fonctions ou de ses destinations90. Dans
la mesure o le primtre de la protection accorde au propritaire de la marque est
fix par ce libell et o, de la mme manire, son obligation dexploitation srieuse de
la marque stend la totalit des produits et services viss, la dtermination du libell
aura une incidence directe sur la validit de la marque, ltendue de sa protection mais
galement le risque de dchance pour dfaut dusage srieux.
Cest ainsi quont t annules par le pass les marques Texto pour dsigner des services de
messagerie crite par tlphone93 ou Arva pour les appareils de dtection et de localisation de
personnes ensevelies94.
La problmatique se posera dans les mmes termes sagissant des no-objets nayant pas
dautre dsignation que la marque qui les identifie.
Enfin, considrer que la marque soit distinctive au moment de son dpt, le succs mme de
la technologie ou du no-objet quelle dsigne pourrait aisment conduire la dgnrescence
de la marque, le signe perdant alors sa fonction didentification dorigine.
Il sera alors indispensable danticiper un tel risque par la mise en place dune stratgie de dfense
de la marque afin dviter sa dgnrescence et la perte des droits sur un signe devenu nom
commun de la technologie ou du no-objet95.
De la mme manire et dans la mesure o la marque correspond galement une norme ou un
standard, se posera la question de la distinction de lusage du signe pour identifier la marque,
rserv et susceptible daction en contrefaon, de lusage identifiant la norme ou le standard,
librement utilisable titre de rfrence ainsi que par toute personne respectant la norme ou le
standard en question.
Un exemple topique est celui de lutilisation du signe NF, la fois une marque protge par
lAfnor et sigle de norme franaise applicable au marquage de produits ou services rpondant
aux normes nationales96.
Ladoption de standards et normes apparaissant indispensable au succs de lInternet des objets,
il est probable que cette problmatique se trouve prochainement sous les feux de lactualit
juridique.
93CA Paris, Ple 5 ch.1, RG n08-02816, 23 septembre 2009; CA Paris, Ple 5 ch.2,
RG n08-02192, 9 octobre 2009, inpi.fr.
94TGI Lyon, ch.10, 15 juillet 2008, inpi.fr.
95CPI art. L714-6; TGI Paris, Ch.3 sect.1, RG n2007/11778, 2 juin 2009; TGI Paris, ch.3 sect.3,
RG n10/09293, 27 janvier 2012, inpi.fr.
96Cass. Com. n09-14436, 4 mai 2010, Legifrance.gouv.fr.
1.5
Proprit intellectuelle
et interoprabilit des systmes
par Didier Adda
Lauteur
Didier Adda est conseil en proprit industrielle, mandataire agr auprs de lOHMI. Il est
titulaire dune matrise de droit priv, dun DESS de gestion (gestion financire - Paris I) et dun
DEA droit des affaires et droit conomique (Paris).
synthse
Linteroprabilit devient une exigence incontournable pour les industriels, fabricants
de matriels et daccessoires, les diteurs, et les prestataires comme pour les clients. Sa
matrialisation se spcifie au travers de catgories juridiques de rfrentiels engendrant
des incidences conomiques propres pour les clients et fournisseurs. Ces spcifications
dinteroprabilit sont objets de proprit intellectuelle. Lattribution et le maintien de la
conformit aux spcifications dinteroprabilit par les fournisseurs voire les clients sont signals
par un marquage sur les produits.
Introduction
Le terme interoprabilit, en anglais interoperability, est un terme technique qui
recouvre la capacit de systmes changer avec dautres. Linteroprabilit fait lobjet de
nombreuses dfinitions surtout centres sur linformatique97 bien que ce terme concerne bien
dautres domaines de la technique. Ainsi, linteroprabilit se retrouve en matire de systmes
complexes de coordination98 ou dinterconnexion99, de connexions entre quipements, au
niveau des pices dtaches
Linteroprabilit nest pas que technique, elle a une connotation juridique. Ce terme
mane aussi des directives europennes et de leur transposition en droit franais. Cette
caractristique a, de plus, une vocation contractuelle notamment au niveau des interfaces
entre produits ou systmes, de la rversibilit au terme notamment de contrats de services
Linteroprabilit juridique concernait initialement la communication des informations
relatives aux donnes entre/sortie pour limiter les cas lgaux de dcompilation100. Dsormais,
linteroprabilit, au sens technique et juridique du terme, favorise les changes entre
systmes ou produits.
Le dictionnaire des termes officiels de la langue franaise101 dfinit linteroprabilit comme tant
la capacit de plusieurs systmes, units ou organismes dont les structures, les procdures et les
relations respectives autorisent une aide mutuelle qui les rend aptes oprer de conserve.
Ds 1991, une directive europenne102 considrait que linteroprabilit peut tre dfinie
comme tant la capacit dchanger des informations et dutiliser mutuellement les informations
changes. En 2009, la directive qui la substitue103 prend dfinitivement en compte le lien
entre interface et interoprabilit en prcisant que cette interconnexion et cette interaction
fonctionnelles sont communment appeles "interoprabilit". Ainsi, linteroprabilit peut tre
dfinie comme tant la capacit dchanger des informations et dutiliser mutuellement les
informations changes. Le Code de la proprit intellectuelle a transpos cette directive.
De plus, ce code 104 prcise les informations essentielles linteroprabilit, savoir la
documentation technique et les interfaces de programmation ncessaires pour permettre un
dispositif technique daccder, y compris dans un standard ouvert, une uvre ou un objet protg
par une mesure technique et aux informations sous forme lectronique jointes, dans le respect
des conditions dutilisation de luvre ou de lobjet protg qui ont t dfinies lorigine. Cette
dfinition a t complte par la loi de 2004105 sur la confiance dans lconomie numrique qui
dfinit le standard ouvert comme un standard accessible tous.
Bien dautres dfinitions existent au travers des organismes de normalisation ou dacteurs privs
fdrateurs de spcifications standards dinteroprabilit106.
Face la prolifration de systmes ferms dans le domaine de linformatique et des tlcoms,
lUnion europenne a lanc en 2007 puis ractiv en 2013 un programme dappui stratgique
en matire de technologies de linformation et de la communication (TIC)107 notamment pour
aider surmonter le manque dinteroprabilit.
La ncessit de disposer dinterfaces stables a amen les informaticiens et les juristes
mettre en uvre des solutions conventionnelles relatives la gestion de linteroprabilit,
base sur les normes existantes.
Linteroprabilit devient une exigence incontournable pour les industriels, fabricants
de matriels et daccessoires, les diteurs, et les prestataires comme pour les clients. Sa
matrialisation se spcifie au travers de catgories juridiques de rfrentiels engendrant
des incidences conomiques propres pour les clients et fournisseurs. Ces spcifications
dinteroprabilit sont objets de proprit intellectuelle. Lattribution et le maintien de la
conformit aux spcifications dinteroprabilit par les fournisseurs voire les clients sont signals
par un marquage sur les produits.
A. Normes dinteroprabilit
Une norme est, selon lOrganisation internationale de normalisation (ISO) et la
Commission lectrotechnique internationale (CEI), un document tabli par consensus et
approuv par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et rpts, des
rgles, des lignes directrices ou des caractristiques, pour des activits ou leurs rsultats,
garantissant un niveau dordre optimal dans un contexte donn. Lintrt des normes
aujourdhui repose sur lharmonisation europenne en coordination avec lorganisation mondiale
de la normalisation (ISO).
Au niveau europen, le Comit europen de normalisation (CEN), parmi les trois organismes de
normalisation108 intervenant dans le domaine des TIC, coordonne les organismes nationaux de
normalisation de lUnion europenne, dont la France avec lAfnor109, mais aussi ceux de la Suisse,
de la Norvge et de lIslande110.
Un nouveau rglement europen de 2012 relatif la normalisation europenne111 renforce
lharmonisation des textes normatifs avec pour principal objectif de favoriser la compatibilit et
linteroprabilit avec dautres produits ou systmes.
A titre dexemple, les particuliers et les entreprises utilisent notamment des formats
informatiques dinteroprabilit comme PDF, SGML, XML... rsultant des travaux de
normalisation112.
Les normes uniquement fonctionnelles prsentent des difficults dapplication technique
pour les industriels ou les diteurs informatiques mais aussi pour les laboratoires de
contrle dans le cadre de la certification de produits. Pour y pallier, des spcificits de tests
se retrouvent de plus en plus souvent intgres aux normes. Actuellement, de nombreux
108
Les trois organismes intervenant dans la normalisation europenne sont le Comit
europen de normalisation (CEN), le Comit europen de normalisation lectrotechnique
(CENELEC) et lInstitut europen des normes de tlcommunication (ETSI). Le CEN et le
CENELEC cooprent troitement avec leurs homologues internationaux, respectivement
lOrganisation internationale de normalisation (ISO) et la Commission lectrotechnique
internationale (CEI).
109Association franaise de normalisation (Afnor).
110Ces trois pays se coordonnent avec le CEM via lAssociation europenne de libre-change
(AELE).
111Rglement n1025/2012 du 4 octobre 2012 relatif la normalisation europenne, entr
en vigueur le 1er janvier 2013 dont notamment le considrant 1.
112Normes relatives linteroprabilit:
- ISO n19005-1: 2005, juillet 2008: format PDF 1.7,
- ISO n8879, 1999: dcrit le langage SGML (Standard Generalized Markup Language)
- ISO n29500, novembre 2008: format Office Open XML
- ISO n10918: Joint Photographic Experts Group (JPEG)
B. Standards dinteroprabilit
Un standard 117 se dfinit comme une Convention fonde sur un consensus plus
restreint que pour la norme, gnralement labor entre des industriels au sein de forums ou de
consortiums.
Lorsquune mthode ou une technologie est adopte par une majorit dindustriels et
dutilisateurs, elle peut devenir un standard notamment si elle fait lobjet dune publication par
un organisme reconnu.
La Commission europenne recommande tous les tats membres daligner leur cadre
dinteroprabilit respectif sur le cadre europen dinteroprabilit dnomm European
Interoperability Framework (EIF).
Les standards propritaires sont accessibles selon certaines rgles mentionnes en gnral dans
un rglement dutilisation ou selon les dispositions dun contrat de licence. Parmi ces standards:
les standards DWG (AutoCAD) dAutodesk ou Zip de PKWare. Citons aussi les codes barres
standardiss ou les catalogues lectroniques de GS1.
Ces standards sont dits ouverts118 quand leurs spcifications techniques sont publiques et
sans restriction daccs ni dutilisation119. La Commission europenne considre ces standards
113
Directive 2010/40/UE du Parlement europen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant
le cadre pour le dploiement de systmes de transport intelligents dans le domaine du
transport routier et dinterfaces avec dautres modes de transport.
114Ordonnance n 2014-697 du 26 juin 2014 relative au dveloppement de la facturation
lectronique.
115Comit franais daccrditation: Le Cofrac, cr en 1994 sous le rgime de la loi du
1erjuillet 1901 a t dsign comme unique instance nationale daccrditation par le dcret
du 19 dcembre 2008, reconnaissant ainsi laccrditation comme une activit de puissance
publique (information extraites du site du Cofrac).
116
Les exigences gnrales pour laccrditation sont fixes dans les normes de la srie
normes EN 45000 et ISO/CEI 17000.
117
Voir le lexique mis en ligne sur le site de lAfnor.
118Article 4 de la Loi n 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans lconomie
numrique.
119
Standards ouverts concernant linteroprabilit manant de:
- OASIS: Organization for the Advancement of Structured Information Standards
- W3C: World Wide Web Consortium
- IETF: Internet Engineering Task Force
- ECMA: European Computer Manufacturers Association
- OMG: Object Management Group
- WS-I: Web Services Interoperability Organisation
120
Discours sur les standards ouverts et linteroprabilit du 10 juin 2010 de Neelie Kroes,
vice-prsidente de la Commission europenne, dans le cadre de lOpen Forum Europe de
Bruxelles (http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-10-300_en.htm?locale=en).
121Internet Protocol.
122
Simple Mail Transfer Protocol.
123Transmission Control Protocol/Internet Protocol.
124
Le rfrentiel gnral dinteroprabilit version 1.0 a t publi le 12 juin 2009.
Cest la version en vigueur.
125Rfrentiel Application billettique commune (ABC). Le projet ABC consiste raliser une
application billettique, commune permettant des utilisateurs disposant de tlphones NFC
dacheter des titres de transport mis par les autorits organisatrices participant au projet.
126
Le Pass Navigo est une carte puce sans contact servant de support un titre de transport
en le-de-France.
mutualis entre utilisateurs avec mise en place dun site pilote chez lun des utilisateurs
pralablement dsign par la communaut des utilisateurs.
128
Mcanisme logiciel de communication entre processus informatiques, souvent utilis
entre une application et un rseau (DGLF, JO du 16 mars 1999 et du 1er septembre 2000,
Termes de lInternet)
129
Larticle 17 du dcret 2009-697 relatif la normalisation prcise que les normes peuvent
tre rendues dapplication obligatoire par arrt sign du ministre charg de lIndustrie
et du ou des ministre(s) intress(s). Indpendamment du dcret susvis, des textes
spcifiques peuvent confrer une norme un caractre obligatoire mais cela suppose
quexiste un contexte spcifique, ne visant que des usages particuliers et des administrs
bien prcis. La liste des normes obligatoires est prcise sur le site de lAfnor.
130
- Normes dans le domaine des technologies de linformation et de la communication
(extrait AFNOR):
- tlphonie mobile: norme GSM ;
- applications de la RFID pour la chane dapprovisionnement - conteneurs de Fret
- Identification des animaux par radiofrquence - Transpondeurs volus - Partie 1:
interface hertzienne ;
- cinma numrique - caractristiques dimage ;
- cartes didentification - cartes circuit intgr.
131International Electrotechnical Commission.
132Union tlgraphique internationale.
133Cf. document sur le site Afnor intitul le droit dauteur, les normes et Internet.
134Article L113-2 du Code de la proprit intellectuelle, alina 3: Est dite collective luvre
cre sur linitiative dune personne physique ou morale qui ldite, la publie et la divulgue
sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs
participant son laboration se fond dans lensemble en vue duquel elle est conue, sans
quil soit possible dattribuer chacun deux un droit distinct sur lensemble ralis.
Commentaires
Uniquement rfrence
Plateforme de tests
Propre chacun
Propre chacun
10
PV de rception de linteroprabilit
A. Normes
La certification de produits en norme suit des rgles trs strictes. Comme il a t vu
prcdemment, les organismes de certification, organisme tiers indpendant, demandent au
Cofrac dtre accrdit pour un domaine de certification sur la base dun dossier par rfrence
la norme ISO 9001 Management de la qualit et aux normes EN 45000 et ISO/CEI 17000
de certification.
Pour certifier, le certificateur accrdit va tablir un rglement de certification avec un
rglement dusage dune marque collective de certification135 conforme larticle L715-1
L715-3 du Code de la proprit intellectuelle. Cette marque collective de certification ne
peut tre dpose que par le certificateur ou par une personne morale prsentant un certain
degr dindpendance qui nest ni fabricant, ni importateur, ni vendeur des produits, telle que
dfinie larticle L715-2 du Code de la proprit intellectuelle. Si cette marque est dpose par
un tiers, seule la dcision de certification en donnera le droit dusage pour le produit certifi.
135Par exemple, UGRA PSO EXPERT est un certificateur de la norme PDF/X (iso: 15930).
La marque NF prsente une particularit car elle englobe plusieurs domaines de certification dont
NF Logiciel. Lors de lattribution par lorganisme de certification mandat par Afnor certification,
lindustriel, lditeur ou le prestataire dont le produit a t certifi disposera comme pour toute
marque collective dun droit dutilisation de la marque gre par le rglement dusage.
Tant que la certification du produit sera maintenue, le fournisseur pourra toujours apposer
sur son produit la marque de certification. En cas de retrait ou de non-renouvellement de
la certification du produit, le fournisseur nest plus doffice licenci et de ce fait ne peut plus
appliquer la marque.
B. Standards
Deux approches existent au niveau dun ventuel marquage de produits interoprables, que le
standard soit propritaire ou ouvert.
En effet, le marquage seffectue en fonction de la nature de la marque et en fonction du
type de constat de conformit.
Autant dans le cadre de la certification normative, la marque se veut collective, autant
dans le cadre des standards, le choix est laiss au dtenteur du rfrentiel. Le dtenteur
du rfrentiel peut dcider que la marque est soit collective, soit propritaire.
De plus, la conformit est contrle soit par un processus de contrle de conformit effectu par
un certificateur, soit dans le cadre dun processus de vrification.
Dans le cadre du contrle de conformit, la marque peut tre collective mais elle ne peut tre de
certification, la certification ne concernant que la conformit aux normes. Ainsi, pour la marque
collective, le constat de la conformit entrane doffice lattribution des droits dusage de la
marque selon les dispositions du rglement dusage, quil y ait contrle de conformit par un
certificateur ou bien vrification par le propritaire du rfrentiel voire autotest avec rsultats
fournis en ligne par le site du propritaire du rfrentiel.
Par contre, si la marque nest pas collective et donc propritaire, seul le propritaire ou le
gestionnaire du rfrentiel peut accorder contractuellement les droits dusage de la marque,
quil y ait eu certification ou vrification.
C. Rfrentiel sectoriel
Il nexiste aucune diffrence entre le marquage dun rfrentiel sectoriel et celui dun standard.
Toutefois, lorsque le rfrentiel est sectoriel et dorigine utilisateur, il est gnralement vrifi
dans le cadre du site pilote.
D. Rfrentiel spcifique
Le marquage des rfrentiels spcifiques savre bien diffrent. Ici, il nexiste pas de
marque relative aux spcifications mais bien un lien dinteroprabilit entre produits
de deux fournisseurs diffrents. Par contre, il apparat important que le fournisseur dont le
produit est interoprable avec un autre puisse le citer sans encombre. En gnral, la ncessit
commerciale de faire rfrence lautre concurrent vite que ledit concurrent se plaigne dtre
cit. Toutefois, le contrat dinteroprabilit entre les deux fournisseurs sert aussi grer les
informations relatives aux rfrences de lautre fournisseur.
Ainsi tout produit non-contrl conforme ou ayant fait lobjet dun retrait de conformit qui est
diffus sous cette marque se trouve tre contrefait.
Conclusion
Linteroprabilit est source dconomie pour les clients. La certification aux normes et
le contrle de conformit pour les standards et les rfrentiels sectoriels sont une garantie de
qualit. Nanmoins, pour la communaut des internautes, la certification ou le contrle de
conformit nentrent pas dans lesprit de la libert daccs et de lchange quils prnent.
Linteroprabilit est devenue une condition incontournable dans le cadre de lconomie
numrique. Sans interoprabilit, peu de chances de communiquer. Nanmoins,
linteroprabilit amne rflchir la proprit des rfrentiels et leur marquage.
Bien sr, la communaut des internautes regarde plus les aspects de gratuit que ceux
de la proprit. Or, seul le propritaire, voire le gestionnaire du rfrentiel, peut veiller la
sauvegarde des droits affrents au rfrentiel, tant au niveau de tentative dappropriation que
de reproduction non-autorise, et permettre ses corrections et volutions.
Le marquage est aussi un aspect important de la garantie de linteroprabilit. Nanmoins, il
reste une incertitude au niveau de la proprit des spcifications des rfrentiels spcifiques.
Cette incertitude peut tre rsolue contractuellement.
Dans le cadre de lconomie numrique, il est regrettable pour les TPE et PME quune
tarification adapte ne leur soit pas accorde au niveau des organismes de normalisation.
En effet, vu la multiplicit des normes auxquelles il faut rpondre, leur cot dacquisition devient
assez consquent.
rpartition et protection
des droits de proprit
intellectuelle dans
lconomie numrique
2.1 Protection des logiciels lheure du web smantique et des rseaux sociaux : le droit
des brevets est-il toujours adapt ?
Alexandre Lebkiri
2.2 Le temps du logiciel
Statut juridique du logiciel et mthodologie outille par des logiciels danalyse de codes
permettant de le dterminer
Magali Fitzgibbon, Luc Grateau et Guillaume Rousseau
p. 85
p. 93
p. 113
p. 123
p. 135
2.1
Protection des logiciels lheure
du web smantique et des rseaux
sociaux : le droit des brevets est-il
toujours adapt ?
par Alexandre Lebkiri
lauteur
Alexandre Lebkiri a dbut sa carrire en R&D dans lindustrie des composants, puis rejoint la
direction des brevets de lINPI o il soccupe notamment des questions lies la protection des
logiciels. Il a ensuite intgr un cabinet de conseils en PI puis occup le poste de responsable
de la PI la direction R&D de Areva NP. Depuis 2006, il est associ-fondateur du cabinet Camus
Lebkiri et par ailleurs professeur associ luniversit Paris 13. Alexandre Lebkiri est ingnieur
diplm de lISEP, docteur en microlectronique et micro-informatique, titulaire dun Master II
en administration des entreprises et dun Master II en droit de la PI, diplm du CEIPI, conseil en
proprit industrielle et mandataire agr auprs de lOEB.
Synthse
Depuis 30 ans, les entreprises ont compris que les dveloppements logiciels pouvaient faire lobjet
dune protection par le droit des brevets en complment de la protection historique offerte par le
droit dauteur. Ainsi, en Europe, lexclusion originelle des programmes dordinateurs en tant que
tels prvue par le lgislateur sest vue progressivement dpasse, prcise ou complte par la
jurisprudence. On pensait ds lors tre arriv une forme de statu quo globalement satisfaisant.
Ctait pourtant sans compter sur lvolution frntique des innovations du monde numrique
qui soulvent de nouvelles questions mesure que les anciennes trouvent leurs solutions;
nous montrerons au travers de trois sujets (web smantique, rseaux sociaux, applications
Smartphone) que la question de la protection des crations numriques par le brevet reste plus
que jamais dactualit.
2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?
Pour lOEB, une invention, quelle que soit sa nature, ne sera pas exclue du droit au brevet si elle
prsente un caractre technique141, ce dernier devant tre apprci indpendamment de toute
rfrence ltat de lart142. Cette position permet dapprcier la notion dexclusion de faon trs
objective en saffranchissant, comme ce fut trop souvent le cas par le pass, de considrations
sur la contribution technique de linvention ltat de lart. Lapprciation de ce test de technicit
devient ds lors relativement souple, le caractre technique pouvant se retrouver tant au niveau
du problme rsolu par linvention que des moyens de mise en uvre de cette invention. titre
illustratif, le simple fait quune mthode soit explicitement mise en uvre par un ordinateur
programm suffit confrer ladite mthode le Graal technique exig. Peu importe la catgorie
de la revendication: il peut sagir dun procd, dun dispositif, dun systme, dun rseau et mme
dun programme dordinateur143 ds lors que la mthode que le programme doit mettre en uvre
est elle-mme technique. Il convient ici de ne pas confondre une revendication de programme
dordinateur qui porte sur les moyens fonctionnels de mise en uvre et une mthode avec les
squences dinstructions de ce mme programme dont la protection relve du droit dauteur.
Force est donc de constater que le champ du brevetable est maintenant trs largement
ouvert au dposant, seules les inventions nayant aucun rapport, aussi faible soit-il, avec
la technique tant exclues de la brevetabilit.
Les conclusions prcdentes pourraient laisser supposer que lOEB dlivre des brevets pour
des inventions dont le caractre technique relve exclusivement de moyens techniques banals
dont lutilisation permettrait, pour le rdacteur de brevet avis, dchapper lexclusion de la
brevetabilit. Il nen est rien. Sil est vrai que ce premier filtre visant exclure certaines crations
logicielles du domaine brevetable ne prsente que peu defficacit, lOEB a introduit un second
filtre, autrement plus pertinent, lors de lapprciation de lactivit inventive (on notera au passage
que les critres de nouveaut et dapplication industrielle sont assez peu utiliss lors de lexamen
des demandes de brevet relatives aux inventions mises en uvre par ordinateur). Pour mmoire,
une invention est considre comme impliquant une activit inventive si, pour un homme
du mtier, elle ne dcoule pas dune manire vidente de ltat de la technique. Il convient
donc de se demander pour chaque revendication dfinissant linvention si, compte tenu de ltat
de la technique, il naurait pas t vident pour un homme du mtier de parvenir lobjet dfini
par cette revendication. Pour apprcier lactivit inventive de la manire la plus objective et
prvisible possible, lOEB a dvelopp depuis de trs nombreuses annes une approche de
rfrence, dite approche problme-solution. Cette approche, dutilisation parfois complexe,
est aujourdhui trs largement prouve et a donn lieu de nombreuses analyses doctrinales et
jurisprudentielles, notamment dans les dcisions des chambres de recours technique de lOEB.
Elle peut se rsumer par la prsence de trois tapes principales:
dterminer la divulgation de ltat de la technique la plus proche, cest--dire la divulgation
qui vise atteindre un objectif semblable ou obtenir les mmes effets que linvention
(tape 1);
tablir le problme technique rsoudre au regard de cette divulgation la plus proche
(tape 2);
examiner si linvention, en partant du problme technique identifi ci-dessus, aurait t
vidente pour lhomme du mtier au regard de lensemble de ltat de la technique (tape 3).
141
Directives relatives lexamen de lOEB, partie G-II-3-6.
142
Dcision Auction Method / Hitachi T258/03, chambre de recours technique de lOEB.
143Article 56 de la Convention sur le brevet europen.
2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?
La magie de cette approche transpose aux cas des inventions mises en uvre par ordinateur
rside dans son efficacit et son objectivit rejeter les inventions dont le caractre technique
consiste exclusivement utiliser des moyens techniques connus, la demande de brevet tentant
subrepticement de protger un objet se trouvant dans des domaines exclus de la brevetabilit.
Pour ce faire, lapprciation de lvidence (cest--dire ltape 3) ne peut reposer que sur
des caractristiques techniques144: ainsi, les caractristiques non-techniques napportant pas
de contribution technique ltat de lart ne sont pas prises en compte lors de lexamen de
lactivit inventive145. Prenons lexemple dune mthode denchres, ou dun site de rencontres
pour clibataires sur Internet dont la mise en uvre entrane lutilisation de moyens techniques:
si ces derniers sont connus, la diffrence entre ltat de la technique et lobjet valu nest donc
pas dordre technique (ici une diffrence purement conomique, financire, matrimoniale ou
intellectuelle) et la revendication sera considre comme dnue dactivit inventive.
144
Directives relative lexamen de lOEB, partie G-VII-6.
145
Dcision Two Identities / Comvik T641/00, chambre de recours technique de lOEB.
146
Dcision G3/08, grande chambre de recours de lOEB.
147
Dcision T453/91, chambre de recours technique de lOEB.
148
Dcision Simulation de Circuit / Infineon Technologies T1227/05, chambre de recours
technique de lOEB.
Tentons dillustrer ce qui prcde au travers de trois sujets que sont les rseaux sociaux, le Web
smantique, ou les applications pour Smartphone.
Les rseaux sociaux sont devenus une industrie part entire, a priori non brevetable
car insuffisamment technique. Nanmoins, une analyse plus fine permet de dmontrer
que ces rseaux lvent certains verrous technologiques, les rendant ligibles la
protection par brevet. Il est entendu que le principe mme dun rseau social nest pas
appropriable au sens du droit des brevets; il en va de mme de crations dont la contribution
est exclusivement commerciale, financire ou intellectuelle. Ainsi, une mthode consistant
dterminer une mtrique visant valuer lefficacit de rseaux sociaux dans le cadre dune
campagne publicitaire sappuie exclusivement sur des diffrences relatives des considrations
de marketing viral (WOM - Word of Mouth Marketing selon la terminologie anglo-saxonne):
ces caractristiques relatives aux mthodes daffaires ne peuvent tre prises en compte pour
apprcier lactivit inventive, de sorte quune telle mthode ne peut faire lobjet dune protection
par brevet.
Dans le mme esprit, une mthode pour offrir, suite la requte dun utilisateur sur un rseau
social, la meilleure traduction possible dun texte donn parmi une pluralit de traductions, sur
la base du vote dutilisateurs, repose uniquement sur une slection effectue par des individus
et relve donc dune contribution purement intellectuelle qui ne peut tre prise en compte pour
lapprciation de lactivit inventive. On notera au passage que ces deux derniers exemples ont
fait lobjet dune protection par brevet aux tats-Unis (cf. infra).
En revanche, lutilisation astucieuse du programme dordinateur Traceroute assurant le
traage de paquets IP dune machine une autre et la golocalisation, un certain niveau
de granularit, dun terminal utilisateur sur un rseau social, est une caractristique
logicielle contribuant indubitablement la rsolution dun problme technique et
intervenant dans lanalyse de lactivit inventive. Il en va de mme de lemploi dinformations
relatives un utilisateur et prsentes sur un rseau social utilises pour enrichir dynamiquement
un message vocal laiss par ledit utilisateur: cest ici lutilisation inventive de donnes
numriques prsentes sur le Web qui permet de rsoudre un problme technique.
voquons maintenant le cas du Web smantique qui mle linformatique, la logique
sans oublier les connaissances linguistiques, et qui constitue une source dinnovations
considrables. La profusion des informations textuelles produites quotidiennement sur la toile
offre des possibilits incroyables en termes dexploitation et de valorisation; son omniprsence
au travers de lutilisation dontologies est devenue un vritable moteur de recherches et
dinnovations. Le cur innovant sous-jacent est cependant le plus souvent purement intellectuel
et serait donc ce titre exclu de la brevetabilit. Il nen est rien fort heureusement. nouveau,
ds lors quun problme technique est rsolu, peu importe quil le soit en tout ou partie
par des considrations non-techniques: lamlioration de laccs des ressources Web
par un systme dannotations (les tags) suggres automatiquement partir dannotations
dj utilises par des utilisateurs selon un mode partag, un nouveau systme de traduction
automatique assiste par ordinateur via lutilisation de lindexation smantique latente
(LSA Latent Semantic Analysis), ou un procd de cration dune base de donnes
dimages interrogeable par son contenu smantique sont autant dinventions ayant fait
2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?
lobjet dun brevet dlivr par lOEB. Dans chacune de ces situations, les caractristiques qui
contribuent la rsolution du problme technique ne sont pas techniques au sens du droit des
brevets et sont cependant prises en compte pour apprcier la non-vidence de linvention au
regard de ltat de la technique.
Sagissant des applications pour Smartphones, ces dernires prsentent une diversit
tant technique que thmatique qui ncessite une valuation au cas par cas de laccs
la brevetabilit. Un affichage ergonomique offert par une liseuse sur un Smartphone
sinspirant des techniques de feuilletage dun livre classique, la scurisation et la
simplification de transactions entre un terminal mobile utilisant une application donne
et un serveur distant, la gestion dynamique de certaines applications mobiles en fonction
de leur utilisation par lutilisateur sont autant de problmes techniques susceptibles
dtre rsolus par des considrations purement logicielles qui seront prises en compte
pour analyser lactivit inventive. A contrario, des applications utilisant avantageusement les
fonctions connues de golocalisation GPS intgres aux Smartphones, par exemple pour mettre
en relation des personnes se trouvant proximit lune de lautre ou pour suggrer lutilisateur
une boutique proche de son terminal, ne seront pas considres comme inventives puisquelles
ne se diffrencient de ltat de lart que par la prsence dun concept abstrait ou commercial.
149
Dcision State Street Bank V. Signature Financial Group.
150
Dcisions Bilski V. Kappos et Alice Corp. V. CLS Bank.
151Article 35 USC 101.
pas t trop loin dans son approche restrictive du champ du brevetable? Les experts du droit des
brevets amricains semblent confiants sur le maintien du caractre brevetable des logiciels: ds
lors que ces derniers rsoudront un problme technique, il est probable quils seront considrs
comme des inventions non-exclues de la brevetabilit. De plus, les dcisions Bilski et Alice
portent uniquement sur des inventions concernant des transactions financires et non
pas sur des inventions dans le domaine logiciel. On ne peut que se rjouir de cette situation.
Pour la premire fois, le traitement des inventions mises en uvre par ordinateur semble en effet
tre sensiblement identique en Europe et outre-Atlantique.
Cette harmonisation, ne dune construction purement jurisprudentielle, est bien
entendu une excellente nouvelle pour les dposants: elle est dautant plus satisfaisante
quon retrouve une pratique trs similaire la pratique europenne aussi bien en Chine
quau Japon.
Conclusion
Tel quinterprt par la jurisprudence, le fait quune invention porte sur un logiciel ne
fait plus obstacle la dlivrance dun brevet; ce type dinvention est ainsi abord avec
les mmes exigences que celles relevant dautres domaines technologiques. Aprs de
nombreux dbats ayant suscit des ractions parfois vives et passionnes, il nest aujourdhui
plus question de supprimer les programmes dordinateurs de la liste des exclusions prvues par
la lgislation franaise et europenne. Au contraire, la loi a t interprte avantageusement
par la jurisprudence, suivant ainsi lvolution constante des technologies logicielles. Au-del,
la perspective dune harmonisation au niveau international au travers dun alignement
des pratiques des offices de brevets sur la pratique europenne apparat comme une
excellente nouvelle la fois pour les inventeurs mais aussi pour les professionnels du
droit de la proprit intellectuelle. Un bmol: la question de la suffisance de description
des inventions logicielles, qui pourrait constituer dans le futur le vritable talon dAchille de ces
inventions: comment en effet satisfaire cette condition prvue par la loi152 au moyen du simple
langage naturel et sans avoir recours au code source (dont seuls de courts extraits sont tolrs
par la loi153), pourtant parfois essentiel la mise en uvre de linvention.
Remerciements
Christophe Lair, US Attorney, Pillsbury Winthrop Shaw Pittman LLP.
2.2
Le temps du logiciel
Statut juridique du logiciel et mthodologie
outille par des logiciels danalyse de codes
permettant de le dterminer
par Magali Fitzgibbon, Luc Grateau et Guillaume Rousseau
LES AUTEURS
Magali Fitzgibbon est juriste proprit intellectuelle de formation, spcialise sur les
problmatiques logicielles. Elle a notamment dvelopp des comptences et une expertise sur
les analyses outilles de la proprit intellectuelle des dveloppements logiciels au sein de la
direction du transfert et de linnovation dInria. Exerant toujours ses fonctions au sein dInria,
elle a t nomme en octobre 2013 directrice du consortium de valorisation thmatique du
numrique CVSTENE.
Luc Grateau est ingnieur en valorisation de la recherche depuis 1993. Il a conduit sa carrire
dans divers organismes oprateurs de la recherche publique: CNRS, universit Paris 6, Inria. Il
sintresse la question de lanalyse de la proprit intellectuelle et de la libert dexploitation
dans les systmes technologiques grand nombre de composants.
Guillaume Rousseau est matre de confrences luniversit Paris Diderot, spcialis dans
les outils et procds de traabilit au sein des processus de dveloppement logiciel.
Coauteur et inventeur de plusieurs logiciels et brevets sur le sujet, il est aujourdhui prsident
cofondateur dAntelink, seul diteur europen sur le march des outils ddis la traabilit
des dveloppements au sein des environnements collaboratifs base de composants logiciels.
synthse
Cet article adresse la question de la matrise juridique du cycle de dveloppement dun logiciel au
XXIe sicle, cest--dire un logiciel dvelopp par plusieurs dizaines de contributeurs travaillant en
collaboration et intgrant plusieurs centaines de composants tiers pour un schma dexploitation
dfini. La rponse cette question constitue un des enjeux centraux de lconomie numrique
de par son impact sur la capacit des acteurs crant de la valeur la capter au sein de chanes
dintgration de plus en plus complexes. Elle fait par ailleurs partie intgrante des enjeux de la
qualit des logiciels selon ltat de lart des processus de dveloppement largement industrialiss
de nos jours.
introduction
La protection du logiciel par le droit dauteur est-elle toujours adapte aux pratiques et aux
enjeux du dveloppement logiciel au XXIe sicle?
Les pratiques de dveloppement collaboratif de logiciel et la rutilisation massive du gigantesque
patrimoine logiciel prexistant, rendues possibles par le dploiement de lInternet et les
nouveaux modes dexploitation quil permet, modifient trs profondment les processus de
dveloppement et dutilisation des logiciels.
Cet article dresse la question de la matrise juridique du cycle de dveloppement dun
logiciel au XXIe sicle, cest--dire un logiciel dvelopp par plusieurs dizaines de contributeurs
travaillant en collaboration et intgrant plusieurs centaines de composants tiers pour un schma
dexploitation dfini. La rponse cette question constitue un des enjeux centraux de
lconomie numrique de par son impact sur la capacit des acteurs crant de la valeur
la capter au sein de chanes dintgration de plus en plus complexes. Elle fait par ailleurs
partie intgrante des enjeux de la qualit des logiciels selon ltat de lart des processus de
dveloppement largement industrialiss de nos jours.
Nous proposons de revenir en premier lieu sur le statut juridique du logiciel et une mthodologie
outille par des logiciels danalyse de code permettant de le dterminer (1). Dans un second
temps, un mode de mise en uvre rcent et innovant sera dcrit, permettant de dmontrer
quil est aujourdhui possible darticuler le droit de la proprit intellectuelle du logiciel, datant
des annes 1980, avec des infrastructures de preuve qui rendent compte de la circulation et de
la dpendance entre actifs logiciels, lchelle mondiale (2).
Nous pensons quaujourdhui les enjeux de gestion du patrimoine immatriel logiciel
rsident moins dans la recherche dune pleine proprit que dans celle du contrle ou de
la matrise de la libert dexploitation des systmes composants logiciels pour capter
une partie de la valeur dusage. La complexit des architectures logicielles et la circulation des
composants lchelle du Web imposent ladoption de mthodologie et doutillage de suivi du
patrimoine logiciel.
Une autre ambition de cet article est de fournir un cadre mthodologique outill permettant la
gestion oprationnelle du patrimoine logiciel.
Nous adoptons le parti pris de dfinir le terme logiciel dune manire trs gnrale,
comme un systme composants, cest--dire dinscrire demble le logiciel dans une
problmatique dassemblage et de composants, qui nous parat correspondre le mieux
la ralit du dveloppement logiciel aujourdhui et cette conomie de la contribution qui en
rsulte.
La difficult principale de cette dfinition est que la notion mme de composant logiciel est
relative, lassemblage ralis par les uns pouvant tre le composant dun autre assemblage
de taille et de complexit suprieures. Cependant, un niveau de granularit dfini et donn
des composants, cette dfinition savre particulirement efficace pour assurer la gestion
oprationnelle du patrimoine logiciel comme liste de composants.
Le dveloppement de lInternet sest acclr partir du milieu des annes 90. Il a non
seulement permis lmergence de lconomie numrique, mais aussi profondment modifi
les modes de production et de consommation. Le logiciel et les dispositifs matriels qui les
excutent constituent linfrastructure de cette conomie numrique. Le logiciel, devenu une
matire premire multiforme et circulante, est lui-mme lobjet de changements socitaux quil
a contribu susciter.
De nos jours, les logiciels sont principalement produits de manire collaborative par
des contributeurs travaillant souvent au-del du primtre dune seule entreprise. Ces
contributeurs sont parfois regroups dans de larges communauts de dveloppement de
plusieurs centaines dacteurs. Les modes dexploitation et dutilisation des logiciels se diversifient
eux aussi (Software as a Service, Cloud, logiciel embarqu, distribution propritaire et/ou sous
licence Open Source, etc.), rendant difficile une approche unitaire danalyse. Par ailleurs, toute
personne disposant dune machine connecte au Web peut aujourdhui accder ou modifier le
code source dun corpus sans cesse croissant dapplications ou de composants reprsentant
plus dun milliard de fichiers qui peuvent tre rutiliss.
Il peut en rsulter des objets complexes, parfois de trs grande taille, dont le cycle de vie
ou daccumulation peut se compter en dcennies Par contre, les droits dexploitation
patrimoniaux associs aux lments de cette formidable ressource restent trs
htrognes et parfois contradictoires, interdisant alors une interoprabilit juridique
alors que linteroprabilit technique peut tre ralise. Le regard juridique se retrouve par
ailleurs bien souvent en dcalage avec des concepts techniques voluant rapidement (notion
de gnration automatique de code, par exemple) et qui restent souvent abstraits pour le
juriste. cette complexit sajoute une articulation avec le droit des brevets dinvention qui
peut permettre, dans certaines zones gographiques et sous certaines conditions, de protger
certaines fonctionnalits des logiciels. Ces lments introduisent des restrictions de libert
dexploitation ou des risques juridiques dexploitation quil est ncessaire de savoir apprcier et
matriser.
offerte par les volutions technologiques et le cadre juridique na cess de se poser. La notion
doriginalit peut tre questionne lorsque le code est produit par un logiciel lui-mme partir de
reprsentations formelles des spcifications. La notion dauteur et de contributeur (committer)
est parfois distingue jusque dans loutil de production et de suivi du dveloppement logiciel
(GitHub par exemple). Les notions de liens liant des composants lors de lexcution du code
peuvent faire dbat et avoir dimportantes consquences juridiques.
Une autre consquence de cet cart est que les catgories attaches aux uvres de la proprit
littraire et artistique, uvres drives, composites, de collaboration, sont des classifications
difficiles utiliser, voire inoprantes ou obsoltes dans les logiciels trs grand nombre de
composants.
Les droits dexploitation patrimoniaux rsultant de cette uniformisation du droit juridique
international sont prsents pour le droit franais dans lencadr ci-dessous.
Le modle dexploitation ou daffaire dominant dans les annes 1980-2000 tait celui de
la distribution du logiciel sous licence propritaire rmunre.
Ce modle suppose une centralisation des droits de proprit intellectuelle sur lensemble
des composants du logiciel, ou lutilisation de composants auxquels sont attaches
des licences qui ne sopposent pas une redistribution sous licence propritaire. La
centralisation des droits est traditionnellement acquise par le contrle des contrats de travail
(dvolution des droits dexploitation lemployeur) et/ou le contrle des contrats de soustraitance avec des socits de prestations de services assurant les dveloppements.
Dans un premier temps la distribution a t ralise sous forme de copies sur un support matriel
(disquettes, CD-ROM, etc.), puis par tlchargement grce lextension spectaculaire du rseau
Internet et des technologies associes (ADSL, fibre optique, etc.).
Les licences attaches aux crations logicielles sont, dune manire gnrale, une
combinaison de droits dexploitation et dobligations contractuelles reprsentant le
modle dexploitation impos par le titulaire des droits dexploitation. Il en rsulte une
trs grande diversit de licences et dobligations associes. Certains auteurs voquent la
jungle des licences.
La licence tant attribue par le titulaire des droits sur un assemblage ou un composant en
fonction de philosophie ou modles implicites dexploitation de cet assemblage ou de ce
composant pour contrler (ou pas) le devenir de cet assemblage ou de ce composant en tant
que tel. La licence nest, en gnral, pas pense et construite dans une logique de rutilisation
des composants et encore moins dans des logiques daccumulation dun trs grand nombre de
composants prexistants pouvant interoprer juridiquement.
Il en rsulte quil faut vrifier dans les systmes composants, auxquels sont attachs des
obligations dexploitation, quelles ne sont pas contradictoires avec les intentions dexploitation
de lensemble.
Les licences dites libres ou Open Source sont une catgorie de licences conues
comme des contrats dadhsion des modles dexploitation prdfinis pour faciliter
le dveloppement de code en collaboration ou sa rutilisation. Ce concept a t propos
par Don Hopkins puis popularis par Richard Stallman dans le milieu des annes 80, mais
cest le dveloppement de lInternet qui en a assur la trs large diffusion partir du milieu
des annes90. Cest la gnralisation de lutilisation de licences dites libres ou Open Source
(encadr ci-dessous) qui a permis de favoriser le dveloppement collaboratif et la rutilisation de
code en fournissant un cadre permettant de minimiser les cots et dure de ngociation entre
codveloppeurs et ou copropritaires partageant des intentions dexploitation communes.
Les droits dexploitation associs aux licences libres selon la Free Software Foundation
Lutilisateur jouit de quatre liberts :
0/ la libert dexcuter le programme, pour tous les usages ;
1/ la libert dtudier le fonctionnement du programme et de ladapter ses besoins. ;
2/ la libert de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilit aussi
bien de donner que de vendre des copies) ;
3/ la libert damliorer le programme et de distribuer ces amliorations au public, pour en
faire profiter toute la communaut.
Laccs au code source est une condition dexercice des liberts 1 et 3.
En effet, du fait de ses modalits de production, le logiciel est une accumulation, sur des
temporalits de dveloppement plus ou moins longues, dlments de code ou de spcifications
qui appartiendront pour partie lditeur et pour partie des tiers.
Comme vu prcdemment, ceci est la consquence dune volution des pratiques de
dveloppement qui va dans le sens de son optimisation: aujourdhui, dans la trs grande
majorit des cas, la rutilisation de code tiers prexistant (notamment Open Source)
permet de rduire les cots de dveloppements et de dplacer linvestissement sur
des postes de dpenses plus critiques pour une entit, entreprise ou organisme.
Ainsi, aujourdhui, il nexiste pas denjeu pour une entit dtre titulaire de lintgralit des
composantes dun logiciel. La capacit pour une entit produire un logiciel de qualit rside
galement dans sa capacit capter et gnrer de la valeur par le choix de composants tiers
avec les qualits fonctionnelles et techniques requises.
La consquence, sur le plan du droit de la proprit intellectuelle, est que le droit dauteur
se doit de trouver un cadre juridique qui permette de reconnatre, valoriser et protger
cette capacit capter et gnrer de la valeur dans des logiques dassemblage.
Ce cadre se dfinit de lui-mme en dplaant le curseur du droit dauteur de la notion de
proprit vers la notion de libert dexploitation. Dans cette logique, lenjeu pour une entit
ne situe plus uniquement dans sa capacit prouver sa titularit sur un code, mais
galement (et surtout?) dans sa capacit valuer et matriser la libert dexploitation
dont elle dispose sur son assemblage logiciel.
Cette valuation et cette capacit de matrise font face des difficults qui sont en premier
lieu inhrentes aux modes de productions et dexploitation des logiciels: accumulation dans
le temps de composants tiers, de contributeurs, de contrats (sous-traitance, recherche,
codveloppement, Outsourcing) qui rendent la chane des droits difficile dfinir et retracer.
Elles sont en second lieu lies au cumul possible dautres droits de proprit intellectuelle
opposables au logiciel (brevet ou bases de donnes, par exemple).
La premire consquence est que lvaluation de la libert dexploitation dun logiciel ncessite
en premier lieu de pouvoir adopter une dfinition possible de son statut juridique, qui permette
de reprsenter et dillustrer cette accumulation complexe de facteurs impactant cette libert.
154
Report on the Proposed IPR Tracking Methodology for Component Based and
Collaboratively Developed Software, Luc Grateau, Magali Fitzgibbon, Guillaume Rousseau,
Stphane Dalmas, http://www.inria.fr/content/download/6143/55776/version/2/file/
Methodologie-d-analyse-IPR.pdf
La mise en uvre dune telle mthodologie fait lhypothse de lexistence de bonnes pratiques
de dveloppement au sein dun projet. Cela signifie que sa mise en uvre intervient en dehors
de tout contexte dans le cadre duquel il existerait des soupons ou des prsomptions fortes de
pratiques volontairement trompeuses ou frauduleuses (par exemple, des pratiques qui viseraient
dissimuler la rutilisation de code tiers en modifiant les mentions lgales dans les enttes des
fichiers). Lexistence de ces bonnes pratiques permet de donner un cadre favorable pour
la mise en uvre dune analyse dans la mesure o un certain nombre dinformations
essentielles, lies lhistorique du dveloppement, pourront tre plus facilement
retraces.
Dans le cas contraire et en cas de prsomption de mauvaises pratiques, lanalyse dun logiciel
rentrerait dans une logique pure et simple daudit juridique. Cette dernire correspond une
dmarche diffrente et sappuie sur des outils qui peuvent tre diffrents eux aussi.
Le plus souvent, ces bonnes pratiques de dveloppement sont naturellement encourages et
dfendues auprs des quipes de dveloppement: indpendamment de leur intrt dun point
de vue juridique (pour retracer un certain nombre dinformations ncessaires lanalyse de la
libert dexploitation dun logiciel), elles contribuent galement et avant tout la qualit du
dveloppement dun logiciel (utilisation dune forge avec droits daccs adquats et identification
claire des diffrents Committers, utilisation doutils de gestion des dpendances, prservation
des mentions lgales dans les enttes des fichiers).
Pour cette raison, et comme nous le verrons plus loin, ce type danalyse juridique nest dailleurs
plus seulement la proccupation des seuls services juridiques dune entit. Il sagit dune
problmatique devenue beaucoup plus transverse qui sinscrit dans la continuit de la qualit du
dveloppement (au sens du gnie logiciel) et des problmatiques de conformit du produit livr
un client (Product Compliance).
Elle se droule selon des tapes qui sinscrivent dans quatre grandes phases:
1/ une premire phase de prparation de lanalyse, consistant formaliser (ou le cas chant
mettre jour ou rappeler) la description dtaille du logiciel analys et la stratgie
dexploitation valider (tapes 1&2) ;
2/ une seconde phase de collecte de linformation analyser, afin de dfinir le statut juridique
du logiciel (tape 3) ;
3/ une troisime phase danalyse et de correction: les incohrences entre le statut juridique
et la stratgie dexploitation sont identifies, cela permet dvaluer les risques lis et
didentifier, le cas chant, des solutions possibles pour la mise en conformit juridique du
logiciel (tapes 4&5) ;
4/ une fois la prise de risque matrise (ou assume!), le logiciel peut tre packag pour
livraison du produit (tape 6).
Une vue plus dtaille de ces phases et des tapes quelles recouvrent est propose dans le
schma ci-aprs.
Dfinition de la stratgie
danalyse
Collecte et qualification
des informations
Analyses/correction
tape 5 Identification de solutions
Mise en uvre
Prparation
de lexploitation
tape 6 Packaging et
dissmination / exploitation
Quelques remarques par rapport aux diffrentes phases et tapes de cette mthodologie telle
que propose:
la formalisation de larchitecture du logiciel et la description de son environnement sont le
point de dpart de cette mthode pour plusieurs raisons. En premier lieu, elles permettent
aux diffrents acteurs de lanalyse davoir une comprhension commune de lobjet analyser.
En effet, cela nest gnralement pas inn, compte tenu de la taille et de la complexit de
certains logiciels, et du fait que certains intervenants dans lanalyse (notamment les juristes)
ne sont pas familiers de lobjet et nont pas ncessairement de comptences techniques.
Larchitecture et la description de lenvironnement, une fois formalises, permettent ainsi de
disposer dun support de discussion visuellement abordable ;
Cette description permettra par ailleurs, lors de la mise en uvre de lanalyse, dtablir
plus facilement les relations entre les donnes de lanalyse et les zone(s fonctionnelles
concernes du logiciel, notamment lorsquun problme est identifi. Dans le cas dusage
DIET, le schma ci-aprs permet de localiser simplement les zones fonctionnelles o se
trouvent les composants tiers sous licence incompatible.
Dans la suite de lanalyse, cette mme description aide mieux visualiser la porte du
problme identifi et lincidence en termes de risque. Dans le cas dusage DIET, nous
pouvons voir que lincompatibilit de licence du composant JuxMem a une incidence
limite, dans la mesure o le module logiciel concern est dcrit comme optionnel pour le
logiciel. En revanche, le problme de compatibilit li composant OmniORB, situ dans le
noyau (une zone fonctionnelle essentielle du logiciel) est davantage problmatique.
un autre point critique de la mise en uvre de cette mthodologie concerne la dfinition
du statut juridique lui-mme et lutilisation doutils pour ce faire. Le principe de cette tape
de la mthodologie consiste croiser le point de vue des personnes (notamment celui des
auteurs du logiciel), appel situation perue avec le point de vue des outils, appel
situation objective. Cette situation perue repose essentiellement sur du dclaratif
et sur ce que les auteurs pensent avoir fait. Elle peut galement reposer sur des
informations brutes de base, comme une liste de contributeurs inscrits sur le projet dune
forge. Elle permet de parvenir un premier niveau danalyse et une premire version du
statut juridique du logiciel.
Cependant, cette situation juridique perue est souvent insuffisante en tant que telle car:
certaines donnes dune quipe de dveloppement peuvent relever dapprciations
parfois subjectives. Cest le cas notamment lorsquil sagit didentifier les auteurs dun
logiciel multiples contributeurs et de saccorder sur la qualit mme dauteur (ce qui peut
tre un point critique, par exemple lorsque certains ont un statut qui fait que les droits
patrimoniaux sur leur contribution chappent par dfaut lditeur) ;
la complexit des processus de dveloppement (temporalit, multiplicit des
intervenants), tels que dcrits en premire partie, rend la traabilit de fait difficile, quand
bien mme le dveloppement dun logiciel est supervis par un chef de projet.
Dans ce contexte, lutilisation doutils permettant de chercher et retracer des informations
fiables dans le code source dun logiciel (origine dun composant, identification de la licence, par
exemple) ou dans un gestionnaire de version (prsence de la contribution dun Committer en
particulier) permet daller au-del de la situation perue et daccder des sources dinformation
diffrentes et surtout, complmentaires. La mise en perspective de la situation perue avec la
situation objective par les outils permet ainsi darriver une qualification relativement fine du
statut juridique dun logiciel.
Cependant, dans ce contexte, il est important de prendre en compte le fait que les outils viennent
en appui dune analyse et en aucun cas pour se substituer ou invalider la situation perue (et
notamment le dclaratif de lquipe de dveloppement). Comme indiqu ci-dessus, lobjectif
est de parvenir un niveau plus fin de qualification des situations, en analysant notamment les
diffrences de perceptions humaines et outilles, et en les documentant. Dans certains cas, le
fait de croiser la situation vue par les outils avec lquipe de dveloppement permettra dcarter
des lments pourtant identifis comme tant risque par les outils.
Par exemple, la situation objective par les outils peut mettre en lumire lexistence dun
contributeur qui navait pas t dclar par lquipe de dveloppement, avec un statut
problmatique dun point de vue de la libert dexploitation. Dans certains cas, il peut
effectivement sagir dun auteur oubli, dans dautres cas, il peut sagir dun contributeur avec un
apport mineur quantitativement mais surtout qualitativement dont le caractre original peut tre
remis en cause. Dans ce dernier cas, le couplage de linformation identifie par loutil et lanalyse de
lquipe de dveloppement permet de documenter le fait que la prsence de la contribution dans
le logiciel prsente a priori un risque trs limit (avec dans labsolu un cot de mise en conformit
potentiellement limit si lditeur souhaitait nanmoins redvelopper cette partie du code).
DIET Core
OmniORB
DIET Dagda
UUID
CeCILL
Mandatory
GNU LGPL
Mandatory
CeCILL
Optional
Specific
Mandatory
DIET Wf
Xerces C++
CeCILL
Optional
Apache v2.0
Mandatory
DIET JuxMem
JuxMem
CeCILL
Optional
CeCILL
Mandatory
CeCILL
Optional
GNU LGPL
Mandatory
DIET BLAS
BLAS
CeCILL
Optional
or
DIET CoRI
CeCILL
Optional
Public Domain
Mandatory
ATLAS
BLAS
BSD
Mandatory
Public Domain
Mandatory
Lgendes
Module name
Licence
Status
DIET Module
External Library
dependence (link)
correspondence
compatibility
unclear licence
incompatibility
DIET Batch
DIET CoRI
CeCILL
Optional
CeCILL
Mandatory
DIET Tau
Tau
CeCILL
Optional
Specific
Mandatory
DIET Multi-MA
CeCILL
Optional
source : Report on the Proposed IPR Tracking Methodology for Component Based
and Collaboratively Developed Software
Un autre exemple intressant peut porter sur des fichiers tiers identifis par un outil,
problmatiques du fait de leur licence, par exemple GNU GPL alors que le logiciel doit tre
distribu sous licence propritaire. Or, dans certains cas et en poussant lanalyse plus loin, il peut
savrer que les fichiers en questions sont effectivement prsents dans larchive de code source
du logiciel, mais ne sont utiliss que pour la compilation de ce dernier (cest le cas notamment
des fichiers de type MakeFile). Cela signifie donc que ces fichiers ne se retrouvent pas dans
lexcutable qui sera distribu au client et que la consquence juridique est que les fichiers ne
sont pas pertinents au titre de lanalyse.
Limportance de croiser ainsi situation perue et situation objective par les outils est par ailleurs
une des raisons qui justifie le couplage dexpertises relevant la fois du technique, du juridique
et du Licensing sur ces analyses. Bien souvent, linterprtation juridique dpendra fortement
dlments techniques ou spcifiques la stratgie dexploitation.
Si le besoin est rel en ce qui concerne le gain de productivit et lindustrialisation des
processus, lenjeu pour les outils venant en rponse consiste dsormais sintgrer de
faon la moins intrusive possible dans les processus de dveloppement et infrastructures
SI existantes dune entit. Il sagit dun impratif pour tenir compte du fait que la
problmatique va au-del dun seul service juridique pour devenir plus transverse une entit.
En plus de venir en appui dune analyse sur une version donne dun logiciel, il sagit comme
nous allons le voir ci-aprs doutiller de faon native la chane dintgration des processus de
production et de livraison des logiciels.
jour moins dune dizaine de socits ditant des outils ddis la gestion et lextraction des
listes de composants, des informations juridiques et techniques associes. titre dexemple
on reprsente figure 3 une des interfaces du logiciel Antepedia Reporter, dvelopp par le seul
diteur europen sur ce march, quil convient de rapprocher de la figure 2 afin de comprendre
le rle des interfaces avances pour mettre en uvre efficacement la mthodologie prcdente
ds lors quil sagit de manipuler plusieurs centaines de composants.
Dans cette figure, le logiciel est reprsent spatialement sous forme dun ensemble de
rectangles, chacun reprsentant un composant. La couleur de chaque rectangle correspond
un tat dadquation du statut juridique du composant avec le schma dexploitation envisag
(en gris, la licence attache au composant nest pas connue, en vert, la licence attache au
composant est compatible avec le schma dexploitation, en orange le composant a un statut
demandant une tude plus approfondie ou une validation juridique, en rouge, le composant a
un statut incompatible avec le schma dexploitation envisag).
Certains outils sappuient sur des bases de connaissances contenant une part significative du
corpus mondial des projets de dveloppement logiciels distribus sous licence libre. Ces outils
permettent de vrifier lintgrit des composants ainsi que la qualit des informations relatives
ces composants.
In fine, les outils dploys au sein des quipes de dveloppement, ou au sein de structures
transversales ad hoc selon la gouvernance et les entits concernes, contrle qualit par
exemple, permettent de capitaliser linformation au sein de bases de connaissances
internes constituant la mmoire du patrimoine logiciel de lentreprise. Ils sont aujourdhui
incontournables pour les acteurs ditant ou intgrant des logiciels pour documenter et
outiller les processus de livraison de ces briques dans une chane dintgration de plus en
plus complexe.
Plusieurs innovations rcentes issues des laboratoires dInria et de luniversit Paris Diderot
permettent de passer lchelle du corpus Open Source mondial et de dfinir des mtriques
robustes dans le sens o elles garantissent loriginalit des apports pris en compte quels que
soient les lieux de production tudis. titre dexemple, la figure6 page suivante reprsente
sur un ensemble de plusieurs dizaines de milliers de projets Open Source les apports contributifs
originaux de certains des plus grands contributeurs industriels (en violet les organisations
industrielles identifies, en bleu les projets de dveloppement du corpus Open Source). On peut
y voir sans ambigut la complexit du maillage entre les projets de dveloppements logiciels
et les acteurs dveloppant en collaboration des logiciels. Bien quils soient pour la plupart en
concurrence les uns par rapport aux autres, cela montre quel point les modalits de captation
de la valeur sont en train de se dplacer.
La figure 7 montre les principales socits contribuant au projet CyanogenMod, un systme
dexploitation pour terminaux Android, illustrant la participation dentreprises concurrentes
au dveloppement dune commodit dintrt commun. Ces informations sont extraites
automatiquement des outils de suivi de dveloppement. Elles sont ici intgres lchelle des
entreprises pour plus de lisibilit, mais les outils peuvent reprsenter les contributions de chaque
dveloppeur. Il est aujourdhui facile de savoir qui contribue dans un projet de dveloppement, o
dans le code et quand, ou encore de voir comment un composant circule et par qui il est rutilis.
Ces outils permettent une visualisation des contributions diffrentes chelles, de celle du fichier
celle de lensemble du patrimoine accessible, dont celui de lentreprise sil a t trait par les
outils, et celle du corpus mondial Open Source aujourdhui accessible et trait.
La taille des projets est proportionnelle une mtrique de production originale de code, celle
CONCLUSION
Les pratiques de dveloppement et les modles dexploitation des logiciels ont considrablement
volu depuis le milieu des annes 80. Lessor du dveloppement collaboratif et/ou de la
rutilisation du patrimoine mondial disponible aujourdhui grce Internet ont dplac
les enjeux de contrle de proprit vers des enjeux de contrle de la libert dexploitation
des composants tiers rutiliss ou intgrs. Si le cadre juridique du droit dauteur et de
la proprit littraire et artistique reste adapt pour la gestion des droits patrimoniaux, la
complexit des logiciels, leur taille et la circulation massive des composants entre applications
ncessitent de nouveaux outils de gestion du patrimoine logiciel dans lentreprise. Le statut
juridique propos ici est le paradigme central permettant dassurer le suivi de cette
libert dexploitation et la dtermination des chanes de responsabilit. La mthodologie
prsente et le dveloppement de loutillage spcialis rendent possible la dtermination de ce
statut juridique et la gestion amliore du patrimoine de lentreprise et de la partie du patrimoine
mondial quelle est susceptible dintgrer.
2.3
Rflexions autour de la cration
numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux
et pistes de rformes
par Viviane GELLES et Blandine POIDEVIN
les auteurs
Viviane Gelles, avocat au barreau de Lille, chroniqueur rgulier darticles relatifs au droit des
technologies publis notamment dans diffrentes revues des ditions Jurisclasseur, Expertises,
La Gazette, legipme.com, Village-justice.com, etc. Elle a commenc sa carrire professionnelle
en tant que responsable valorisation en milieu universitaire. Elle est galement titulaire du CEIPI
Marques, Dessins et Modles. Elle anime galement des confrences et formations internes en
droit de la proprit intellectuelle et accompagne diffrents professionnels dans la rdaction de
contrats ce sujet.
Blandine Poidevin, avocat aux barreaux de Lille et Paris, chroniqueur rgulier darticles relatifs
au droit de linformatique et du multimdia publis notamment dans la revue Expertises, elle a
ralis plusieurs chapitres du Dictionnaire permanent droit de lInternet et droit des affaires sur
ces questions. Paralllement, elle est charge denseignement depuis 1997 en droit du commerce
lectronique luniversit de Lille et dans diffrentes coles de commerce et dingnieurs. Ses
domaines dactivit sont la proprit intellectuelle, le droit de linformatique et des technologies,
des donnes personnelles, dInternet et du commerce lectronique et le droit du sport. Le
cabinet de Matre Blandine Poidevin est inscrit au Registre des reprsentants dintrts de la
Commission europenne.
synthse
Luvre numrique, qui reste une notion difficile cerner, emprunte ses principes de protection
diffrents types duvres. Or, elle est souvent cre par des salaris dans le cadre de lexcution
de leur contrat de travail. Lapplication distributive des diffrents rgimes juridiques propres
chaque composant de luvre semble difficilement adapte aux ralits socio-conomiques.
Pour assurer plus de scurit juridique dans lexploitation de ces uvres numriques, une
modification des textes et des pratiques nest-elle pas ncessaire?
2.3 R
flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes
introduction
La forme actuelle du droit dauteur est issue de la loi du 11 mars 1957155 sur la proprit littraire
et artistique.
Il sagissait, daprs les motifs du projet de loi qui sera adopt, de codifier la jurisprudence qui
sest cre depuis un sicle et demi en matire de droit dauteur et fixer en un texte dfinitif le dernier
tat de la doctrine franaise en ce domaine; rpondre galement aux besoins quont prouvs les
crateurs intellectuels dtre protgs en tenant compte des conditions techniques et conomiques
nouvelles et aussi des nouvelles formes dart surgies depuis la lgislation rvolutionnaire.
Depuis la codification, droit constant, de la proprit intellectuelle initie en 1992156, cest
dsormais larticle L111-1 du Code de la proprit intellectuelle qui dfinit la nature des droits
dauteur: Lauteur dune uvre de lesprit jouit sur cette uvre, du seul fait de sa cration, dun
droit de proprit incorporel exclusif et opposable tous. Ce droit comporte des attributs dordre
intellectuel et moral, ainsi que des attributs duvres patrimoniales, qui sont dtermins par les Livres
I et III du prsent code.
Cest ensuite sous linfluence du droit communautaire, et notamment de la directive n 2001-29
du 22 mai 2001 relative lharmonisation de certains aspects du droit dauteur et des droits
voisins dans la socit de linformation, que le droit franais de la proprit littraire et artistique,
par la voie notamment de la loi dite DADVSI n 2006-961 du 1er aot 2006, sest saisi des enjeux
attachs aux nouvelles technologies de linformation.
Dans ce contexte, lune des problmatiques prioritaires qui proccupe les entreprises
est celle de linscurit juridique affectant la cration, par leurs salaris, duvres
numriques.
La notion duvre numrique nexiste pas en tant que telle dans le droit positif. Elle recouvre
pourtant dans la pratique une ralit omniprsente. Des traditionnels sites Internet aux
applications de ralit augmente en passant par les crations issues des Fab Labs ou les jeux
vido, la majorit des uvres produites aujourdhui au sein des entreprises comprend une
dimension numrique. Mme les crations les plus traditionnelles sont dsormais exposes
lunivers de linteractivit: un personnage cre par un graphiste prendra vie lors de sa migration
sur le Web lorsquil deviendra anim, un texte sera enrichi par des liens renvoyant dautres
contenus numriques, etc.
La notion duvre numrique se situe la frontire entre luvre logicielle, luvre
audiovisuelle et la base de donnes, pour se rapprocher de ce que lon appelle galement
luvre multimdia.
Luvre numrique ne peut tre confondue en tant telle avec luvre logicielle, mme si, par
exemple, un site Web ne peut tre cr et consult qu laide doutils logiciels, dans la mesure
o lesdits logiciels restent des instruments et non la finalit poursuivie par le crateur.
155
Loi n57-298 du 11 mars 1957 sur la proprit littraire et artistique.
156
Loi n92-597 du 1er juillet 1992 relative au Code de la proprit intellectuelle.
Diffrents arrts font pourtant concider la qualification de jeu vido interactif avec celle de
logiciel157.
Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrt Cryo du 25 juin 2009158, rappelait que le jeu vido
est une uvre complexe qui ne saurait tre rduite sa seule dimension logicielle, quelle que soit
limportance de celle-ci. Cette dcision a t expressment confirme par un arrt de la cour
dappel de Paris du 26 septembre 2011159.
La notion se rapproche galement de celle de base de donnes, dfinie larticle L112-3 du
Code de la proprit intellectuelle comme un recueil duvres de donnes ou dautres lments
indpendants, disposs de manire systmatique ou mthodique, et individuellement accessibles par
des moyens lectroniques ou par tout autre moyen.
Dans la mesure o le site Internet fournit un contenu prsent comme un ensemble dlments
auxquels linternaute peut accder selon les principes de navigation retenus par le crateur
du site concern, la jurisprudence a eu loccasion de considrer, sur cette base, que le site
dannonces demplois propos par la socit Cadre Emploi dans laffaire Keljob, constituait bien
une base de donnes au sens de larticle prcit du Code de la proprit intellectuelle160.
Luvre numrique emprunte galement certaines caractristiques luvre
audiovisuelle, en prsentant galement des lments textuels associs des aspects
sonores et visuels.
Le dveloppement du Streaming renforce encore les similitudes entre les uvres dont il sagit,
en abolissant, au moins partiellement, la distinction qui les opposait communment tenant au
critre dinteractivit qui avait pu conduire, par le pass, la jurisprudence refuser la qualification
duvre audiovisuelle une uvre multimdia161.
La Cour de cassation a galement eu loccasion de souligner la spcificit de luvre multimdia
dans un arrt du 28 janvier 2003162 en retenant labsence dun dfilement linaire des squences,
lintervention toujours possible de lutilisateur pour en modifier lordre, et la succession, non de
squences animes dimages, mais de squences fixes pouvant contenir des images animes
au sujet de CD-ROM de vulgarisation artistique ne pouvant, en consquence, sassimiler des
productions audiovisuelles.
En dfinitive, luvre numrique correspond bien la dfinition duvre multimdia
propose par le Livre blanc du Groupe de travail audiovisuel et multimdia de ldition:
toute uvre de cration incorporant sur un mme support un ou plusieurs lments
suivants: texte, son, images fixes, images animes, programmes informatiques, dont la
structure et laccs sont rgis par un logiciel permettant linteractivit163.
2.3 R
flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes
Le problme est quil nexiste ce jour aucun rgime juridique propre luvre
numrique ou multimdia, et que cette dernire emprunte ses principes de protection
diffrents types duvres.
2.3 R
flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes
linteractivit et la navigation qui relveront, pour leur part, des amnagements prvus larticle
L113-9 du Code de la proprit intellectuelle.
Dans ce contexte, il apparat ncessaire de sinterroger sur les diffrentes mesures juridiques et
pistes de rflexion susceptibles de crer des conditions plus favorables aux entreprises et salaris
intervenant dans le secteur du numrique, et adaptes aux ralits socio-conomiques.
distincte dans lacte de cession et que le domaine dexploitation des droits cds soit dlimit quant
son tendue et sa destination, quant au lieu et quant la dure.
Cette disposition est dinterprtation stricte 168 et doit tre combine avec le principe
dinterdiction de la cession de droits portant sur des uvres futures prvu larticle L131-1
du Code de la proprit intellectuelle, et doit conduire lemployeur proposer aux salaris la
conclusion rgulire de contrats de cession sur les uvres, ralises le plus souvent par voie
davenants au contrat de travail.
Cette interdiction a parfois fait lobjet de la part de la jurisprudence dune certaine souplesse
dinterprtation, en admettant la validit de clauses prvoyant la cession duvres futures
limite dans le temps et ne restreignant pas excessivement la libert de cration de lauteur169
ou prvoyant la cession automatique de droit de proprit littraire et artistique au fur et mesure
de la production dventuels travaux170.
Toutefois, une intervention lgislative venant consacrer les assouplissements ainsi
envisags serait lune des pistes envisager pour faciliter la mise en uvre par
lemployeur dune politique accessible de gestion des droits de proprit intellectuelle
de ses salaris.
Dans la pratique, il est, en effet frquent de constater que de nombreuses entreprises ne
procdent pas de la sorte et quelles sexposent, ce faisant, une inscurit juridique indniable
susceptible non seulement de leur faire courir des risques contentieux, mais galement de
les affaiblir dans un contexte international dans lequel rares sont les partenaires ressortissant
dautres tats tre dots dune lgislation telle que celle qui sapplique en France.
168CA Versailles. 13 fvrier 1992 Ccass. 1re Ch. Civ. 18 dcembre 1979.
169Ccass. 1re Ch. Civ. 19 janvier 1970.
170Ccass. 1re Ch. Civ. 4 fvrier 1986.
2.3 R
flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes
En parallle, il reviendrait lemployeur de formaliser, sur un modle unique, la cession des droits
qui lui serait consentie par ses salaris, quelles que soient leurs missions et la nature des uvres
quils auraient cres.
La suppression de linterdiction de cession des uvres futures dans les rapports contractuels
issus du contrat de louage douvrage permettrait, en parallle, de fluidifier la formalisation des
contrats de cession de droits.
Il pourrait galement tre intressant de distinguer, linstar de ce qui se fait pour les agents
publics, lhypothse dune exploitation commerciale de luvre par lemployeur de lutilisation
en interne de la cration. Dans le premier cas, la mise en place dun dispositif dintressement
des salaris concerns sur la base des recettes tires de lexploitation de luvre pourrait tre
envisage, mme sil serait recr, ce faisant, une nouvelle distinction entre les salaris
2.4
La ralit virtuelle confronte
au droit dauteur
Optimiser la protection des applications
de ralit virtuelle
par Marie Soulez
lauteur
Avocat depuis 2006, Marie Soulez dirige le dpartement contentieux de la proprit intellectuelle
du cabinet Alain Bensoussan. Elle est en charge notamment des actions civiles et pnales en
contrefaon de droits dauteur et de droits voisins et de la mise en place de stratgies de
protection de linnovation. Coauteure de louvrage Informatique, Tlcoms, Internet
(Ed. Francis Lefbvre), elle est charge denseignement auprs dcoles dingnieurs et anime
des formations professionnelles.
synthse
Le dveloppement des technologies immersives, dites de ralit virtuelle ou ralit
de synthse, touche lensemble des secteurs conomiques. La ralit virtuelle tend
considrablement le champ du domaine des possibles et a une forte valeur stratgique. La
dfinition de son statut lgal permet den optimiser la protection, tant en phase de conception
et de dveloppement quen phase dexploitation.
A. Dfinition
Approche terminologique
La ralit virtuelle est la reconstitution sur support numrique dun environnement
immersif.
Sous lappellation ralit de synthse, prfre celle de ralit virtuelle par la Commission
gnrale de terminologie et de nologie, elle est dfinie comme un environnement cr laide
dun ordinateur et donnant lutilisateur la sensation dtre immerg dans un univers artificiel171.
Cest pourtant bien sous lappellation ralit virtuelle que doit tre apprhende cette
technologie, cet oxymore consacrant lide de la sensation du rel dans un univers virtuel.
En effet, les techniques de la ralit virtuelle sont fondes sur linteraction en temps rel avec un
monde artificiel, laide dinterfaces comportementales permettant limmersion "pseudo-naturelle"
de(s) lutilisateur(s) dans cet environnement. Ce monde artificiel est imaginaire ou une simulation de
certains aspects du monde rel172.
Ds 1997, alors que la ralit virtuelle semblait encore relever du domaine de la science-fiction,
lAmerican Dialect Society qui dtermine chaque anne The Word of the Year (le mot de
lanne) retient parmi les mots pertinents, virtual (virtuel, ou de synthse) quelle associe
lexpression virtual reality (ralit virtuelle, ou ralit de synthse), rendant ainsi hommage
lmergence dune nouvelle technologie.
Elle est augmente lorsquelle ressort de la superposition dimages de synthse des
images relles et elle est fusionne lorsquelle aboutit une confusion du rel et du
virtuel.
171
JORF n93 du 20 avril 2007, Vocabulaire de linformatique.
172P. Fuchs. Les interfaces de la ralit virtuelle. Ed. Interfaces, les journes de Montpellier,
1996, cit par Ralit Virtuelle et Formation: Conception dEnvironnements Virtuels
Pdagogiques, D. Lourdeaux, cole des Mines de Paris.
Approche technique
La ralit virtuelle constitue une technologie complexe difficile dfinir. Ses finalits, ses
applications concrtes et les techniques sur lesquelles elle repose sont intimement imbriques.
La technologie repose sur deux concepts cardinaux: limmersion et linteraction.
Elle permet limmersion dun usager dans un univers sensoriel de synthse par linteraction entre
des lments virtuels et un cadre rel sur lequel les premiers se superposent.
Les perceptions gnres par la technologie de la ralit virtuelle peuvent tre non seulement
visuelles mais galement auditives, olfactives voire tactiles ou gustatives, la simulation de ralit
augmentant logiquement dans la mme mesure que le nombre de sens mobiliss chez lutilisateur.
La crdibilit dun systme de ralit virtuelle repose avant tout sur une coordination parfaite
entre les lments virtuels et rels, coordination visuelle et surtout temporelle. Limmersion de
lusager doit en effet tre pseudo-naturelle. Lunivers sensoriel dans lequel il est projet se doit
dtre sinon rel du moins crdible, ce qui exclut le moindre dcalage.
La fusion des lments composant le dcor de ralit virtuelle se fait par le biais dune interface
informatique ou de priphriques permettant de capturer les mouvements ou les instructions
de lutilisateur et de les traduire dans lespace sensoriel gnr.
Approche juridique
Lapplication de ralit virtuelle qui runit et intgre des composants multiples
sapparente une uvre multimdia173.
En tant quuvre multimdia, et linstar des jeux vido, les applications de ralit virtuelle
doivent en consquence tre apprhendes comme des uvres complexes qui, sans
pouvoir tre rduites leur composante logicielle, imposent que chaque lment se voit
appliquer le rgime juridique qui lui est propre en fonction de sa nature mais galement de son
caractre rel ou virtuel.
En effet, la partie virtuelle de lapplication est constitue dlments qui, sous rserve de leur
originalit, peuvent donner prise du droit dauteur: crits, dessins, graphiques, compositions
musicales, autant de crations protges. cette premire couche protgeable sajoute
lapprhension du rel, par exemple uvre dart ou encore cration architecturale, dont lusage
par le biais de lapplication de ralit virtuelle pourrait quivaloir lexploitation dune uvre.
173
Informatique, Tlcoms, Internet, Ed. Francis Lefebvre, 5e Ed., chapitre IV
Multimdia.
Surtout, le logiciel qui permet la fusion du rel et du virtuel peut tre une uvre de lesprit
originale, quil sagisse dun Software autonome ou dun Middleware permettant linteraction
entre plusieurs applications et la fusion du virtuel et du rel. ce titre, il est protg par le droit
du logiciel indpendamment des autres lments.
Cette perception diffrencie de luvre entrane une application distributive des rgimes
juridiques.
B. Primtre de la protection
Dans une cration de ralit virtuelle coexistent ainsi des uvres de nature diffrente,
telles que des uvres littraires, musicales, graphiques, audiovisuelles, des logiciels, des
bases de donnes. Comme luvre multimdia, elle se caractrise par son caractre numrique
et par linteractivit existant entre ses diffrents composants, permettant lutilisateur de
naviguer de lun lautre.
Pour bnficier de la protection par le droit dauteur, lapplication de ralit virtuelle prise dans
sa globalit doit obir au critre impratif doriginalit, apprcie au regard de lempreinte de la
personnalit de lauteur. Elle sera alors protge de faon unitaire.
En outre, chaque cration la composant, prise de faon indpendante, est susceptible de
bnficier de la protection par le droit dauteur.
En toute hypothse, quil soit fait une apprciation unitaire de lapplication de ralit virtuelle
ou dune apprciation distributive, chaque lment la composant se verra appliquer le rgime
juridique qui lui est propre.
ces lments du rel doivent tre ajouts la charte graphique, lorganisation des rubriques, ou
encore les logotypes, images et textes de lapplication qui, sous rserve de leur originalit, sont
susceptibles dtre protgs par le droit dauteur.
ce titre, le programme qui permet la confrontation du rel et du virtuel est protg par le droit
dauteur en tant que logiciel.
De mme, les interfaces logiques ou dinterconnexion qui sont des parties du programme
assurant linterconnexion et linteraction de tous les lments du logiciel et du matriel
avec dautres logiciels et matriels ainsi quavec les utilisateurs afin de permettre le plein
fonctionnement de ceux-ci sont protgeables.
En revanche, les interfaces graphiques homme-machine ne bnficient pas des rgles de
protection applicables au logiciel, linterface graphique dun programme dordinateur pouvant
toutefois bnficier, sous rserve doriginalit, de la protection par le droit dauteur de droit
commun.
Composantes de la virtualisation
La rgle est invariable: les droits dauteur demeurent lauteur de la cration.
Le titulaire originaire des droits dauteur sur une uvre est lauteur de cette uvre, cest--dire
la personne physique qui a fait un apport personnel dans le processus de cration de luvre175.
Il en est ainsi mme si luvre a t cre en excution dun contrat de commande ou mme
dun contrat de travail, et ce, mme si la cration de luvre entre dans la mission principale du
salari/auteur.
Il ny a en effet juridiquement aucune corrlation entre le fait pour un diteur dapplication
de ralit virtuelle de financer la ralisation dune cration, dont il est lorigine de lide, et
lattribution des droits de proprit intellectuelle, dont lauteur demeure investi, sauf cession
expresse par contrat.
La seule drogation concerne les lments logiciels crs par les informaticiens salaris.
Aux termes de larticle L.113-9 du Code de la proprit intellectuelle, les droits de proprit
intellectuelle sur les logiciels sont dvolus automatiquement lemployeur sous rserve que les
conditions de cration du logiciel permettent daffirmer que le logiciel a t cr par le salari
dans lexercice de ses fonctions ou sur instruction de lemployeur.
Il existe toutefois un cas o les droits des auteurs peuvent natre directement sur lditeur
de lapplication de ralit virtuelle, savoir lhypothse de luvre collective176. Pour quune
application de ralit virtuelle soit une uvre collective, il faut donc que lditeur qui en a pris
linitiative et lexploite sous son nom en assure aussi la conception globale, et donc que lapport
des diffrentes personnes intervenant llaboration de luvre se limite lexcution dune
tche particulire.
Il nest pas possible de disposer par contrat quune uvre sera collective. Aussi, mme si la
jurisprudence a dj qualifi une uvre multimdia duvre collective177 et si une telle solution a
le mrite duniformiser le rgime juridique des diffrentes composantes, il est recommand tout
diteur dune application de ralit virtuelle dobtenir des diffrents auteurs ayant particip au
processus cratif une cession de leurs droits, quil sagisse de salaris ou de prestataires externes.
Composantes relles
Si la reproduction du rel entrane la reproduction dans une application de ralit virtuelle
duvres prexistantes, il convient de faire application du rgime juridique de luvre
composite. Luvre composite (ou drive) est une uvre dans laquelle est incorpore une
uvre prexistante sans que lauteur de cette dernire nintervienne. Luvre composite est la
proprit de son auteur178.
Nanmoins, pour exploiter une uvre composite, son auteur doit au pralable obtenir les
autorisations ncessaires de lauteur de luvre prexistante, dite uvre premire.
Optimisation de la protection
Compte tenu de la valeur essentielle des applications de ralit virtuelle pour les entreprises qui
investissent massivement en recherche et dveloppement, il est conseill de mettre en uvre
des moyens de protection complmentaires:
dpt probatoire;
charte graphique juridique;
traabilit;
piges et mesures techniques de protection;
confidentialit.
Ces diffrentes actions sinscrivent dans une dmarche prventive.
Lobjectif est de permettre aux diteurs dapplication de ralit virtuelle de disposer dlments
propres dmontrer:
la date de cration des applications et de leurs versions successives;
leur paternit sur les crations;
lventuelle reproduction par un tiers non-autoris.
Le synopsis
Avant de diffuser au public une application de ralit virtuelle, il convient de sassurer de:
disposer de lintgralit des droits sur les lments prexistants ;
avoir acquis lintgralit des droits sur les lments crs;
dans lhypothse o lapplication est associe un priphrique, avoir examin
lopportunit dun dpt de brevet et la brevetabilit de linvention;
avoir procd un dpt probatoire;
avoir mis en place des mesures de traabilit, des piges et des mesures techniques
de protection.
2.5
Droit dauteur et jeu vido
Paysage conomique et juridique du jeu vido
en France et ltranger
par Matre Antoine Casanova
lauteur
Antoine Casanova est avocat au barreau de Paris et intervient spcifiquement en droit des
nouvelles technologies et en proprit intellectuelle. Antoine Casanova a galement une activit
denseignant et dauteur darticles pour des revues juridiques spcialises. Il est aussi (et surtout)
un grand amateur de jeux vido.
Synthse
Le jeu vido est un secteur en pleine expansion conomique et mutation technologique. Malgr
ses 40 ans dexistence, ce type duvre na toujours pas un rgime permettant dassurer une
relle scurit juridique pour les acteurs du secteur. Il pourrait tre opportun que le droit franais
se rapproche des droits trangers en la matire en assurant aux diteurs et studios la titularit
des droits dauteur.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
185Op. cit.
186
Les guerres conomiques des jeux vido, ParisTech Review, 13 mars 2012.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
toutefois avant la loi du 11 mars 1957 sur la proprit littraire et artistique, de sorte que mme
aprs la promulgation de cette loi, il a toujours t considr par la jurisprudence qu dfaut
dtre originale, une cration ne pouvait prtendre la protection offerte par le droit dauteur190.
La jurisprudence dfinit classiquement loriginalit comme le reflet ou lempreinte de la
personnalit de lauteur sur son uvre191.
Larticle L 112-2 du Code de la proprit intellectuelle donne une liste des crations susceptibles
dtre considres comme une uvre de lesprit et donc pouvant tre protges par le droit
dauteur sous rserve dtre originales.
Le jeu vido ne figure pas dans cette liste. Toutefois, cette liste nest pas limitative, de sorte
cela na jamais t considr comme remettant en cause la possibilit pour un jeu vido dtre
protg par le droit dauteur. Cette possibilit a dailleurs t admise depuis longtemps par la
Cour de cassation192.
Cependant, le rgime de droit dauteur applicable une uvre peut dpendre de la catgorie
laquelle elle est rattache. Ainsi, le rgime juridique applicable une uvre audiovisuelle diffre
de celui applicable une uvre logicielle.
La question de savoir dans quelle catgorie duvre le jeu vido doit tre class a donc son
importance.
La difficult du droit dauteur apprhender le jeu vido provient de ce quil sagit
dune cration protiforme compose dlments logiciels, de bases de donnes mais
galement dlments visuels et audio.
La jurisprudence a donc connu de nombreuses hsitations quant au rattachement du jeu vido
une catgorie duvre dtermine permettant ainsi de fixer le rgime juridique devant lui tre
appliqu.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
Aucun des lments de la dfinition donne par larticle L 112-2 6 du Code de la proprit
intellectuelle nest a priori incompatible avec le jeu vido. Cependant, la jurisprudence
a toujours considr que le caractre interactif dune uvre tait incompatible avec la
qualification duvre audiovisuelle196.
Or, la principale diffrence entre un jeu vido et un film consiste bien en lintervention du joueur
qui nest pas spectateur mais acteur de luvre. De ce fait, la jurisprudence a eu tendance
qualifier les jeux vido duvres multimdia.
Dans la clbre affaire Cryo, la cour dappel de Paris a ainsi considr que le jeu vido ne relevait
pas de la catgorie des uvres audiovisuelles mais tait une uvre multimdia qui ne se rduit
pas au logiciel qui permet son excution197.
Le rejet de la qualification du jeu vido en uvre audiovisuelle exclut par consquent lapplication
de son rgime particulier.
La qualification du jeu vido en uvre multimdia na pas permis pour autant de scuriser
le rgime juridique applicable au jeu vido.
Dune part, luvre multimdia ne figure pas dans la liste de larticle L 112-2 du Code de la
proprit intellectuelle et, dautre part, la jurisprudence na jamais rellement esquiss les
contours dun rgime juridique applicable ce type duvre.
Enfin, la jurisprudence a par la suite passablement complexifi la question en qualifiant le
jeu vido duvre complexe et en posant le principe dun rgime distributif198.
196CA Paris, 28 avril 2000 confirm par Cass. Civ. 1re, 28 janvier 2003, n00-20.294.
197CA Paris, 3e chambre section B, 20 septembre 2007, RG n07/01793.
198Cass. Civ. 1re, 25 juin 2009, n07-20.387.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
La cration dun jeu vido ncessite lintervention dune pluralit de comptences graphiques et
techniques. Il tait ds lors possible danalyser ces diffrentes interventions en des contributions
visant se fondre dans lensemble que formera le jeu vido finalis.
La qualification du jeu vido en uvre collective semblait donc la plus vraisemblable et
certainement la solution la plus simple. Cest dailleurs ainsi que de nombreux acteurs du
domaine considraient le jeu vido.
Pourtant dans un important arrt du 25 juin 2009, la Cour de cassation en a dcid autrement199.
Dans son arrt Cryo, la Cour de cassation relve que le jeu vido est une uvre complexe
qui ne saurait tre rduite sa seule dimension logicielle, quelle que soit limportance de
celle-ci. La Cour de cassation en conclut que chacune des composantes du jeu vido est
soumise au rgime de droit dauteur qui lui est applicable selon sa nature.
La Cour de cassation a donc tranch en faveur dun rgime distributif, faisant ainsi cohabiter
le rgime de luvre logicielle pour la composante logicielle du jeu, le rgime de luvre
audiovisuelle pour les cinmatiques, le rgime de luvre musicale pour la musique mais
galement, le cas chant, le rgime spcifique des bases de donnes ou encore le rgime de
droit commun pour toutes les composantes qui ne relvent pas dune catgorie duvre dote
dun rgime spcifique.
Cette solution a t depuis reprise par la cour dappel de Paris dans un arrt du
26septembre2011200 o elle nonce que le jeu vido est une uvre complexe dont chaque
composant est soumis un rgime propre.
Si la jurisprudence qualifie le jeu vido duvre complexe, il faut reconnatre quelle entend lui
dessiner un rgime la hauteur de cette qualification. Malheureusement pour le secteur du jeu
vido, ce rgime distributif ne rgle aucun des problmes poss par le jeu vido en matire de
droit dauteur.
Pour les professionnels du secteur, cette solution aboutit finalement complexifier encore
plus la problmatique relative au droit dauteur applicable au jeu vido. Elle nest donc
absolument pas fonctionnelle puisquelle revient augmenter encore un peu plus linscurit
juridique en la matire.
Il est ds lors parfaitement impossible de sen satisfaire pour un secteur conomique pesant
plusieurs dizaines de milliards deuros au niveau mondial, dont 2,6 milliards rien que pour le
march franais201.
199Op. cit.
200CA Paris, Ple 5, Chambre 12, 26 septembre 2011, Nintendo c/ Absolute Games.
201Cf. note 188.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
A. Canada
Grce une politique fiscale trs intressante, avec notamment un crdit dimpt avantageux,
le Canada est devenu un lieu incontournable de la cration de jeu vido. De nombreux acteurs
majeurs du secteur sy sont implants, notamment le franais Ubisoft205.
Le droit canadien en matire de droit dauteur relatif au jeu vido nest pas pour linstant
dfinitivement fix. En effet, en droit canadien, le jeu vido peut relever de deux catgories
duvres206.
Il peut relever de la catgorie dnomme Collective Work, qui dsigne une cration consistant
en plusieurs parties distinctives ralises par une pluralit dauteurs, ce qui peut tre rapproch
de luvre de collaboration du droit franais.
Le jeu vido peut galement relever de la catgorie des Works of Joint Authorship, qui dsigne
les crations ralises par une pluralit dauteurs dont les contributions ne sont pas distinctes les
unes des autres, ce qui correspond schmatiquement luvre collective franaise.
Pour donner droit la qualit dauteur dune uvre qualifie de Works of Joint Authorship, la
contribution doit tre significative ou substantielle, ce qui en matire de jeu vido peut donner
lieu de nombreuses interprtations et revient obliger les juridictions oprer au cas par cas.
Il convient en outre de noter que certaines cours canadiennes ajoutent une condition la
reconnaissance de la qualit dauteur dune uvre dnomme Works of Joint Authorship
consistant en la volont partage des auteurs de crer conjointement luvre. Cette question
peut se rvler extrmement dlicate traiter en matire de jeu vido.
En droit canadien, linstar de la situation franaise, la question de la catgorie duvre
laquelle appartient le jeu vido est donc loin dtre rgle.
205
Le Canada, eldorado des dveloppeurs franais de jeux vido, Chol Woitier,
3 avril 2013 sur www.lefigaro.fr.
206
The legal status of video games: comparative analysis in national approaches, Andy
Ramos, Laura Lopez, Anxo Rodriguez, Tim Meng et Stan Abrams, WIPO, 29 juillet 2013.
Cependant, le droit canadien avantage la personne morale qui finance la cration du jeu
vido: les auteurs salaris ne sont pas propritaires de leur uvre, sauf en cas de stipulation
contraire de leur contrat de travail. Cette rgle est donc lexacte oppose de la rgle franaise
en la matire.
Cette rgle scurise donc les studios de dveloppement et les diteurs qui sont ainsi assurs de
ne pas voir lexploitation du jeu vido dont ils ont financ la ralisation bloque par un dsaccord
avec lun de leurs salaris ayant particip sa cration.
En rsum, au Canada, si la catgorie duvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
clairement tablie, les rgles en matire de dvolution des droits dauteur assurent une certaine
scurit juridique aux studios de dveloppement et aux diteurs. La situation chez son voisin
dAmrique du Nord nest pas trs diffrente.
B. tats-Unis
Aux tats-Unis, la catgorie de luvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
dtermine et dpend entirement de la prdominance de lune de ses diffrentes
composantes (logicielle, graphique, audiovisuelle).
Les diffrentes composantes du jeu vido se verront appliquer le rgime juridique
applicable la composante dominante. Cest donc lapplication du principe qui veut que
laccessoire suive le principal.
Par exemple, dans le cas o la composante logicielle est considre prdominante, le jeu vido
sera class dans la catgorie des programmes dordinateurs (Computer Programs). Il peut
galement relever dautres catgories comme les uvres visuelles (Visual Artworks) ou encore
les uvres audiovisuelles (Audiovisual Work)207.
En pratique, cette incertitude sur la catgorie duvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
source dinscurit juridique quant la titularit des droits dauteur sur le jeu vido cr.
En effet, aux tats-Unis, si les droits dauteur appartiennent en principe son auteur, il en va
autrement dans le cas o luvre rpond aux conditions du Work Made for Hire.
En matire de Work Made for Hire, il faut distinguer la cration ralise par un employ ou de
celle ralise par un tiers via un contrat de commande.
Schmatiquement, lorsque la cration a t effectue par un salari, les droits dauteur
appartiennent lemployeur sauf sil en a t expressment convenu autrement.
linstar du droit canadien, cette disposition du Copyright Act est trs favorable et
scurisante pour les studios de dveloppement et les diteurs en car elle limite grandement
les risques de blocage de lexploitation de luvre.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
C. Japon
En droit japonais, la Cour suprme a jug en 2002 que les jeux vido relevaient de la catgorie
des uvres cinmatographiques. Toutefois, le rgime des uvres cinmatographiques fait
lobjet de plusieurs adaptations concernant les jeux vido.
De plus, la composante logicielle dun jeu vido peut tre protge en tant quuvre littraire.
Cependant, cette protection se limite au code source du logiciel ( lexclusion du langage de
programmation et des algorithmes), sous rserve quil soit original.
En consquence, en droit japonais, le jeu vido peut faire lobjet dune qualification
distributive entre uvre cinmatographique et uvre littraire pour la partie logicielle208.
La solution japonaise est donc proche de la solution franaise dgage par larrt Cryo.
linstar des pays de copyright, le droit japonais considre que lorsque luvre est cre par
un salari dans le cadre de ses fonctions, luvre appartient lemployeur si ce dernier publie
luvre sous son nom et que le contrat de travail ne contient pas de stipulations contraires.
D. Allemagne
En droit allemand, le jeu vido fait galement lobjet dune distribution entre sa composante
logicielle et sa composante audiovisuelle.
La composante logicielle est considre comme relevant de la catgorie des crations de la
parole.
La composante audiovisuelle peut tre protge en tant que film mais cette protection ncessite
quun certain degr de crativit et doriginalit soit reconnu la cration. Dans le cas contraire,
la composante audiovisuelle du jeu vido sera protge en tant quimages animes.
Concernant les logiciels, le droit allemand prvoit que lorsque le logiciel est cr par un salari dans
le cadre de ses fonctions, les droits dauteur appartiennent exclusivement lemployeur, sauf si le
contraire a expressment t convenu. La particularit du droit allemand est que cette rgle est
galement applique en cas de contrat de commande (ce qui nest pas le cas en droit franais).
Cette rgle extrmement favorable aux studios de dveloppement est toutefois limite la
composante logicielle puisquen matire duvres audiovisuelles, le droit allemand ne prvoit
pas de transfert automatique des droits dauteur au profit de lemployeur ou du commanditaire
dune uvre.
Concernant la composante audiovisuelle, les studios doivent donc se prmunir de tout risque de
blocage de lexploitation des contributions des diffrents intervenants en contractant avec eux
une cession de leurs droits dauteur.
Le droit allemand nest donc pas totalement exempt dinscurit juridique pour les studios de
dveloppement et les diteurs.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
galement rappeler que le jeu vido fait dj lobjet dune dfinition lgale. Il sagit dune
dfinition finalit fiscale puisquelle figure larticle 37 de la loi n2007-309 du 5 mars 2007
qui est relatif au crdit dimpt jeu vido.
Selon cet article, le jeu vido se dfinit comme tout logiciel de loisir mis la disposition du public
sur un support physique ou en ligne intgrant des lments de cration artistique et technologique,
proposant un ou plusieurs utilisateurs une srie dinteractions sappuyant sur une trame scnarise
ou des situations simules et se traduisant sous forme dimages animes, sonorises ou non. On
pourrait avancer lintrt dautonomiser le jeu vido par rapport aux autres catgories duvres,
notamment le logiciel, mais cela a dj t ralis par la Cour de cassation dans son arrt Cryo211.
Dans son rapport, Monsieur Chantepie constatait quun consensus entre les diffrents acteurs
du secteur ntait pas possible tant leurs positions respectives taient irrconciliables. Il
tait galement relev que la mise en place dun rgime juridique propre au jeu vido ntait
finalement plus souhaite par les acteurs du secteur212.
La solution jurisprudentielle consistant faire application distributive en fonction des
diffrentes composantes du jeu vido est rellement trop complexe.
Cette solution cre une inscurit juridique en ce quelle rend particulirement dlicate pour les
professionnels du secteur la question de la dtermination de la dvolution des droits dauteur
en la matire.
Cette complexit implique pour les acteurs du secteur la ncessit dune gestion juridique du
problme, ce que de nombreux acteurs ne peuvent financirement supporter compte tenu
de leur taille rduite et de limpratif dimpliquer toujours plus de moyens financiers dans la
production et le dveloppement, afin de suivre lvolution technologique du secteur et rester au
contact dun march extrmement mouvant et dlicat apprhender.
Les principaux pays producteurs de jeux vido (tats-Unis, Canada et Japon) connaissent les
mmes difficults et hsitations que le droit franais quant la qualification du jeu vido et la
catgorie duvre laquelle le rattacher, mais dans ces droits trangers, cette difficult na pas
de rpercussion sur la question de lattribution des droits dauteur.
La raison en est simple. Ces droits disposent tous dun ensemble de rgles prvoyant que
les droits dauteur dune uvre cre par un salari dans le cadre de ses fonctions ou par
un freelance dans le cadre dun contrat de commande appartiennent lemployeur ou au
commanditaire.
Le droit amricain, canadien et japonais font en sorte de doter le preneur de risques
(cest--dire le studio ou lditeur) des droits dauteur, ce qui limite fortement le risque de
blocage et prennise lexploitation commerciale du jeu vido.
La protection de linvestisseur na jamais t la relle priorit du droit dauteur franais
qui (sur)protge les auteurs.
Peut-tre est-il temps pour le droit dauteur franais de prendre conscience que la cration
duvre a dsormais, au moins pour certains secteurs comme celui du jeu vido, une finalit
plus commerciale quartistique. Peut-tre est-il tout simplement temps pour le droit dauteur
franais dentrer dans le XXIe sicle.
Concernant le jeu vido, le droit dauteur franais pourrait se rapprocher dun tat plus
scurisant pour les investisseurs, comme il la dj fait en matire de logiciel. La mme
rgle que celle prvue par larticle L 113-9 du Code de la proprit intellectuelle en matire de
logiciel pourrait tre envisage, cest--dire considrer quen matire de jeu vido, les droits
dauteur appartiennent lemployeur toutes les fois que la cration a t ralise par le salari
dans le cadre de ses fonctions.
Compte tenu de son caractre particulier, la musique non compose spcialement pour le jeu
vido semble devoir tre traite part selon les rgles spcifiques relatives ce type duvre.
Cest dailleurs dj le cas en matire duvre audiovisuelle, et rien ne semble impliquer quil
faille traiter le jeu vido diffremment de luvre audiovisuelle sur ce point.
Ces lgers amnagements ne suffiront pas rendre les acteurs franais plus attractifs et
comptitifs sur le march international. Cependant, ils pourront contribuer scuriser
les investisseurs sur une question primordiale touchant lexploitation de lobjet de leurs
investissements.
Cette scurisation ne pourra pas faire de mal ce secteur conomique dans lequel la France,
malgr ses belles russites, encore tout gagner et ce dautant plus quapparaissent de
nouvelles problmatiques concernant le secteur.
2.5 D
roit dauteur et jeu vido
La seconde hypothse est un phnomne en fort dveloppement, les diteurs de jeux vido
ayant pris conscience de lattractivit que cette possibilit de contribution reprsente pour le
public actuel.
Lintrt pour les diteurs est galement conomique car ils ont juridiquement la
possibilit de sapproprier les diffrentes contributions et crations issues de cette source.
Il convient de rappeler que pour pouvoir utiliser le jeu vido, lutilisateur ne conclut pas un contrat
de vente avec lditeur mais se fait uniquement concder par ce dernier une licence dutilisation,
et ce mme dans le cas o le jeu serait fix sur un support physique.
En pratique, ce contrat de licence se forme au moment o lutilisateur voit apparatre la fentre
conditions dutilisation, ne la lit pas (comme toute personne raisonnable se trouvant face un
nouveau jeu vido dcouvrir) et clique sur le fameux bouton jaccepte.
Afin dobtenir les ventuels droits dauteur qui pourraient trouver sappliquer aux
contributions des joueurs, il suffit lditeur dintroduire dans les conditions de licence
dutilisation un transfert des droits en question son profit.
En droit amricain, la situation est similaire celle du droit franais sur cette question
relativement nouvelle. Les contrats de licence prvoient quasiment systmatiquement le
transfert des droits relatifs la contribution dun joueur au profit de lditeur du jeu vido.
la diffrence du droit franais, il serait mme possible au regard du droit amricain de
considrer que le transfert des droits dauteur pourrait intervenir au profit de lditeur sans clause
crite en ce sens dans les conditions de licence.
Il sagirait alors dune licence implicitement consentie par le joueur-crateur au profit de lditeur
sur sa contribution. Cette licence se dduirait de la volont manifeste du joueur daugmenter le
contenu du jeu en ralisant sa contribution partir des outils mis sa disposition213.
Malgr cette possibilit, il est tout de mme prfrable pour lditeur de prvoir expressment
un transfert des droits son profit dans les conditions dutilisation de la licence quil consent
lutilisateur.
Les diteurs amricains le prvoient dailleurs trs souvent dans leurs conditions de licence.
Les acteurs franais le font galement. Le droit franais napprhende pour linstant pas
spcifiquement ce phnomne, ce qui na rien de gnant dun point de vue conomique
et semble mme souhaitable, son apprhension par le jeu des conditions de licence tant
parfaitement suffisante.
la proprit intellectuelle,
un actif immatriel de
lconomie numrique
3.1 La marque dans lconomie numrique
Marie-Emmanuelle Haas
3.2 Cessions de tout ou partie de e-business
Scuriser les transactions par la notion de e-fonds de commerce
Tamara Bootherston
3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix
Lvaluation et le traitement comptable et fiscal des bases de donnes Badwill comptable
et fiscal de lindustrie des bases de donnes
Marc Levieils
p. 155
p. 175
p. 193
3.1
La marque dans lconomie
numrique
par Marie-Emmanuelle Haas
lauteur
Marie-Emmanuelle Haas est avocate au barreau de Paris, expert auprs du centre darbitrage
et de mdiation de lOrganisation mondiale de la proprit intellectuelle (OMPI ). Pionnire du
droit des noms de domaine, elle a dvelopp une pratique du droit de la proprit intellectuelle
et du droit du numrique reconnue, elle est rfrence dans The Legal 500, Paris 2014, dans
la catgorie proprit intellectuelle: boutiques. Son champ daction couvre la fois les
procdures denregistrement de droits de proprit intellectuelle, le conseil, le prcontentieux
et le contentieux.
synthse
Dans le monde du numrique, exister signifie tre visible. Lenjeu de la visibilit est majeur et
la marque est au cur de cette problmatique. Le dfi est de conjuguer harmonieusement le
monde dit rel et le monde du numrique en conservant la marque au cur du systme de
protection avec les autres droits de proprit intellectuelle. Il sagit aussi de dfendre la marque
dans cet univers, cest lenjeu de la rputation numrique.
Protection, usage et valorisation de la marque dans lconomie numrique.
INTRODUCTION
Le monde du numrique (du latin numerus: nombre) est organis partir des nombres, les
donnes circulant de faon code selon un systme binaire. La technologie est le moteur de ce
systme et elle repousse sans cesse les frontires de cet univers, mobile par essence.
Le volume croissant des donnes disponibles et le caractre plantaire du phnomne
sont les deux principales caractristiques du monde du numrique dans lequel nos
socits et nos conomies se dveloppent.
Le village plantaire cr par le Web a sa langue avec le langage html, et ses protocoles de
communication. Cette image du village plantaire est la fois une ralit et une illusion. Cest
une ralit en ce sens que linformation mise en ligne est disponible partout dans le monde, sans
autres restrictions que celles mises en place par les tats, ou que celles dues aux diffrences de
langue entre les pays et aux diffrences de systmes juridiques entre les tats.
Ce phnomne est trs clair dans le domaine des marques, car la protection est fonction du pays
denregistrement ou dusage de la marque.
Le droit des marques contribue donc rtablir les frontires sur le Web et conduit
segmenter les stratgies.
La capacit dinnovation est la cl, pour tous les acteurs. Cette capacit peut tre de diverse
nature, pas seulement technologique. Grce au numrique, de nouveaux modles conomiques
voient le jour. Des activits traditionnelles comme la presse migrent vers le numrique, le
commerce lectronique se dveloppe sans cesse et de nouveaux modes de vente apparaissent.
La boutique, quand elle existe, devient lun des maillons de la chane, directement relay par les
sites web et les diffrents rseaux sur lesquels la marque est prsente. La marque est au cur
du systme, elle est le dnominateur commun, llment fdrateur qui se dcline dans
le monde du Web et du numrique en noms de domaine et en mots cls.
Les deux modes daccs un site sont lusage de son adresse, cest--dire de son nom de
domaine, ventuellement enregistr parmi les favoris, et la requte par mot-cl sur les moteurs
de recherche.
La puissance du Web rejaillit sur les noms de domaine, trs bien protgs en France, ds lors
quils sont exploits et quils ne dcrivent pas purement et simplement lobjet du site. Ils sont
des actifs valoriss au bilan, comme la marque.
Les deux enjeux sont, dune part la visibilit, qui conditionne le trafic sur le site et son audience
et, dautre part, la scurit des donnes de lentreprise et de ses clients, qui est un facteur de
confiance et de prennit. La rputation numrique de la marque est aussi un nouvel enjeu
de communication.
LInternet volue vite et constamment, ce qui signifie que les solutions, y compris
juridiques, doivent tenir compte de cette volution. Pour voluer harmonieusement et
efficacement, elles doivent reposer sur un socle clair et solide, capable de relier le monde
dit rel au monde du numrique.
Ce socle est le droit de la proprit intellectuelle, dont le droit des marques, cr la fin du
xixe sicle et qui na cess dvoluer depuis pour permettre aux acteurs conomiques de crer
leur primtre de visibilit et de protection sur le march. Si le numrique malmne la marque,
elle reste au cur du systme.
Cest pourquoi le point de dpart est lanalyse de la place de la marque dans le monde du
numrique, puis du binme marque et nom de domaine. (I)
Les questions classiques de la gestion, la cration, la protection, lexploitation et la dfense des
droits sont ensuite abordes travers le prisme du numrique. (II)
Dans ce monde en volution, existe-t-il un outil juridique permettant de remdier la difficult
de trouver un nom qui nest pas dj utilis et protg au bnfice dun tiers? La ncessit de
favoriser le dveloppement de lconomie numrique doit-elle conduire limiter la protection
des marques, avec lexemple du rfrencement payant sur Google? (III)
La consquence est que des marques identiques ou trs proches dsignant des produits et
services distincts, comme par exemple deux marques Chocolat, lune pour les vtements et
lautre pour les services de garde denfants, peuvent coexister dans un mme pays, tandis que
dans des pays diffrents, mme voisins, des marques identiques ou trs proches, telles que deux
marques Chocolat dsignant des vtements, peuvent ne pas appartenir un mme titulaire.
La fonction technique dadressage du nom de domaine en fait sa particularit et le diffrencie
de la marque.
chaque nom de domaine correspond ladresse dun ordinateur, dite adresse IP (Internet
Protocol), compose uniquement de chiffres. Cest parce quil est plus facilement mmorisable
que la seule suite de chiffres de ladresse IP que le nom de domaine a t cr. Le systme
de rsolution des adresses qui fait le lien entre ladresse IP et le nom de domaine est le DNS
(Domain Name System).
Le nom de domaine tant une adresse, il fait partie de lURL (Uniform Resource Locator), qui
est ladresse dune ressource, par exemple dun site, sur le World Wide Web, selon lexemple de
ladresse http://www.inpi.fr:
http dsigne le protocole de communication;
www signifie que lon est sur le World Wide Web;
inpi.fr est le nom de domaine, le .fr tant lextension, en lespce, le ccTLD (Country
Code TopLevel Domain) attribu la France.
Le titulaire du nom de domaine inpi.fr peut demander la cration de sousdomaines qui
dclinent son nom de domaine, selon lexemple marque.inpi.fr. Cela permet dattribuer des
adresses distinctes sans avoir enregistrer un autre nom de domaine. Il peut aussi crer une
messagerie lectronique: [email protected], ou [email protected].
Cest parce que les machines ne reconnaissent quun seul nom de domaine que ce dernier est
unique. Cela aboutit la rgle dite du premier arriv premier servi, ou encore du premier
arriv, seul servi, ainsi qu un phnomne de raret.
Ce systme est gr par lICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers),
organisme amricain qui est li par des contrats avec les registres (Registries) en charge
de la gestion des diffrentes extensions, eux-mmes lis des bureaux denregistrement ou
Registrars. Lenregistrement dun nom de domaine rsulte dune cascade de contrats, dont
le dernier est le contrat entre le titulaire et le bureau denregistrement.
Pour dmultiplier les possibilits denregistrement de noms de domaine, diffrentes catgories
dextensions ont t cres, chacune tant gre par un registre qui tablit ses propres conditions
denregistrement et assure la gestion technique et administrative des noms de domaine
enregistrs sous son extension, avec la gestion de la base de donnes de ces noms de domaine,
dite base Whois (who is). Pour le .fr, le registre est lAssociation franaise pour le nommage
internet en coopration (AFNIC)214. Cette fonction est relaye par les bureaux denregistrement.
214
www.afnic.fr
Les donnes techniques et administratives de chaque nom de domaine figurent dans lextrait
Whois tenu par le registre, en particulier les informations sur son titulaire, ses dates de cration
et dexpiration.
Ces bases de donnes ne sont pas toutes librement accessibles, et de trs nombreux registres
permettent denregistrer un nom de domaine sans dvoiler lidentit du titulaire sur lextrait
Whois.
Cest la rgle sous le .fr pour les personnes physiques, pour des raisons de protection des
donnes personnelles. Une procdure de divulgation de ces donnes est disponible pour le
.fr.
Les diffrentes catgories dextensions sont:
les gTLDs (Generic Top-Level Domains) avec les .com, .net, .org, .info, .biz,
.pro, etc. il existait 22 extensions avant le programme de cration de nouveaux TLDs
ouvert le 12 janvier 2012, et 110 millions de .com fin 2013 ;
les ccTLDs (Country Code TopLevel Domains), ou codes pays ou encore noms de domaine
gographiques, qui sont attribus aux diffrents territoires identifis par un code deux
lettres qui est celui de la norme ISO 3166-1, avec par exemple le .fr pour la France
(2801 843 au 31 aot 2014), le .es pour lEspagne ;
les sTLDs (Sponsored TopLevel Domains) avec par exemple le .asia, .coop,
.museum, .cat, .mobi, .post, .jobs, .tel, .travel, .xxx, .edu,
.int, .mil, .gov, qui ont t crs sur proposition faite lICANN et sont pour la
plupart soumis des conditions dligibilit ;
les IDNs (Internationalized Domain Names), ou noms de domaine accentus, dsormais
disponibles sous la majorit des extensions, y compris le .fr ;
les nouveaux TLDs, dont la cration a t annonce en 2008 et ouverte en 2012, qui
aboutit la cration de nouvelles extensions chaque semaine depuis le dernier trimestre
2013. Au total, 1 400 extensions215 vont tre cres dici fin 2015, et 378 taient
dfinitivement acceptes au 28 aot 2014 le processus devrait tre finalis fin 2015.
Elles sont regroupes en trois catgories:
- TLDs gographiques: .paris, .toulouse, .alsace, .berlin, .hamburg,
.london, .bzh, .nyc, .koeln, .ruhr, etc. ;
- TLDs communautaires: .green, .eco, .peace, .gay, .leclerc, etc. ;
- TLDs gnriques: .shop, .ski, .free, .music, .food, .sport, etc. ;
- TLDs marques: .canon, .hitachi, .hermes, .taobao, etc.
Accessible dans le monde entier, le nom de domaine est apprhend diffremment dans chaque
pays.
Le droit des noms de domaine est n en France de la jurisprudence, au milieu des annes 1990.
La premire dcision qui a reconnu le droit sur le nom de domaine a t rendue le 29 juin 1999
par le Tribunal de grande instance du Mans, dans laffaire Oceanet216. Depuis, le lgislateur est
215
1 930 dossiers ont t dposs initialement: 911 pour lAmrique du nord, 675 pour
lEurope, 24 pour lAmrique du sud, 17 pour lAfrique et 303 pour la zone Asie-Pacifique
(source www.newgtlds.icann.org).
216 TGI Le Mans, 1re ch., 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet, RG n98/02878.
intervenu et les noms de domaine rattachs au territoire franais, dont essentiellement le .fr,
sont rgis par le Code des postes et communications lectroniques (C. P et CE, art. L.45 L. 45-8,
art. R.20-44-38 R. 20-44-47), selon des dispositions entres en vigueur en 2011.
217 CA Douai, 1re chambre, 9 septembre 2002, Michel P., Socit Codina c/ Association
Le Commerce du Bois, RG n 01/05664: JurisData n2002-187494.
218 Voir la chronique annuelle Un an de jurisprudence franaise sur les noms de domaine
publie sous ce titre de 2009 2011 et sous le titre Un an de droit franais des noms de
domaine depuis 2011, par Marie-Emmanuelle Haas dans la revue Proprit Industrielle
(2009, par. 26 29; 2010, par. 33 37; 2011, par. 23; 2012, par. 14; 2013, par. 10 13; 2014,
par. 15).
Ce choix est fonction de lactivit et du projet, de son importance, de sa dure, du public et des
pays cibls.
Les principales catgories de sites sont:
le site carte de visite, peu coteux qui donne simplement des donnes de contact ;
le site vitrine, qui fait connatre lentreprise, donne les informations essentielles et des
donnes de contact ;
le site institutionnel des administrations ou des grands groupes, destin communiquer
auprs dun trs large public sur des fonctions et des valeurs ;
le site de commerce lectronique, boutique en ligne avec prsentation de produits ou de
services et fonction dachat en ligne ;
le site communautaire, avec essentiellement les rseaux sociaux ;
le blog, pour informer et entretenir le lien ;
le mini-site, ddi un produit ou un vnement.
La cration dun site peut tre associe la cration dune application. Parfois, seule une
application est cre. Son nom doit lui aussi tre protg.
Limportance du projet pour lentreprise permet de dimensionner le budget et de dfinir la partie
qui sera affecte la stratgie marques et noms de domaine, pour scuriser le choix du nom,
le protger, encadrer son usage, le dfendre et contribuer ainsi crer de la valeur. Il sagit de
raisonner en termes dinvestissement.
La programmation du site inclut les techniques de rfrencement sur les termes cls, qui
intgrent bien entendu les marques. La marque est donc clairement au cur du processus ds
la cration du site.
Au stade de la rdaction du contenu, le mode de citation et dusage de la marque doit aussi tre
trait avec attention par les juristes car il conditionne la possibilit de justifier par la suite dun
usage dit srieux de la marque.
naturel sont sophistiques et voluent sans cesse, notamment pour sadapter aux volutions de
lalgorithme de rfrencement de Google.
Des acteurs choisissent de se rfrencer, sans autorisation, partir de la marque dun
concurrent. Cette pratique est parfois le fait de nouveaux entrants sur le march qui cherchent
acqurir de la visibilit et de laudience sur Internet rapidement et moindres frais.
Cela est en gnral sanctionn, sur le terrain de la contrefaon de marque ou de la
concurrence dloyale ou parasitaire219.
Le rfrencement naturel a aussi donn lieu une pratique dnomme le spamindexing,
qui consiste utiliser diverses techniques de rfrencement naturel pour djouer les rgles
dindexation des moteurs de recherche et optimiser abusivement le rfrencement sur certains
termes, qui peuvent tre des marques de tiers. La difficult dans ce type de situation est de
prouver le caractre abusif du rfrencement. Pour rsoudre cette difficult, il faut alors faire
appel des techniciens. dfaut de preuves suffisantes, car il nest pas aisment dtectable, le
Tribunal de grande instance a rejet une action en responsabilit pour rfrencement abusif dans
une affaire qui concernait la multiplication de pages rfrences sous des noms de domaine
reprenant la marque du demandeur220.
Le rfrencement payant est apparu au dbut des annes 2000. Il est domin par le service
Adwords de Google, qui consiste acheter des mots-cls utiliss sur des espaces consacrs la
publicit. En change de lachat de mots-cls, lannonceur obtient la mise en ligne dune
annonce comportant un lien vers son site, qui saffiche dans une rubrique dsormais
appele Annonces situe droite des rsultats du rfrencement naturel, ou audessus.
Les acteurs concerns sont:
la plateforme de vente, de gestion du mot-cl et de diffusion de lannonce dans un espace
rserv il sagit aujourdhui de Google ;
lannonceur, qui achte le mot-cl et rdige lannonce associe au mot-cl qui sera mise
en ligne par la plateforme ;
linternaute, qui utilise des mots-cls pour rdiger sa requte dans la barre de recherche de
Google et qui va ventuellement cliquer sur une annonce gnre par le service Adwords ;
les ventuels titulaires de droits sur le nom choisi comme mot-cl.
Le rfrencement payant a engendr un important contentieux, sur la responsabilit de
lannonceur qui a achet le mot-cl et aussi sur la responsabilit du moteur de recherche, en
lespce, Google.
219CA Paris, ple 5, 2e ch. 20 janv. 2012, SARL Livesyncro, SARL Midprod c/ St Microsoft
Corporation, RG n10/18800; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 19 dcembre 2013,
W. SAS c/ Cybercartes SA, RG n11/16545.
220TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 6 dcembre 2013, M-A Cosmtiques SARL, Mme M-A. M.,
Mme I. M. c/ M. G. C., Mme L. K. et M. F. P., RG n12/03847.
Ce dbat a concern la France et dautres pays dEurope, dont le Royaume-Uni, lAllemagne, les
Pays-Bas et lAutriche, qui ont chacun saisi la Cour de justice de lUnion europenne (CJUE)221.
Il a t jug que le moteur de recherche ne fait pas un usage de la marque, et quil a un rle
purement technique, automatique et passif lempchant davoir connaissance des donnes
quil stocke, pour bnficier du rgime dexemption de responsabilit accord aux prestataires
techniques. Il doit retirer les donnes ds quil a connaissance de leur caractre illicite. En cas
de litige, il appartient donc au juge national didentifier si le moteur de recherche a ou non un
rle actif. En cas de rle passif, sa responsabilit est carte. Si son rle est qualifi dactif, sa
responsabilit peut tre engage. Sagissant de lannonceur, cest au juge national dapprcier
si lusage mis en cause porte atteinte la fonction de garantie dorigine de la marque. Il lui
appartient didentifier si la publicit ne permet pas ou permet seulement difficilement
linternaute de savoir si les produits ou les services viss par lannonce proviennent du titulaire
de la marque ou dune entreprise conomiquement lie celui-ci ou, au contraire, dun tiers.
La vente de mots-cls constitue la principale source de revenus de Google, et gnre un chiffre
daffaires valu 1,4 milliard deuros en France pour 2012222.
Il sagit donc dun enjeu conomique important, tant pour Google que pour les titulaires de
marques et les annonceurs.
Suite aux dcisions rendues par la CJUE le 23 mars 2010, Google a modifi les rgles dutilisation
de son service publicitaire Adwords en Europe pour autoriser lachat dun mot-cl constituant
la marque dun concurrent, ds lors que ce mot-cl et donc cette marque nest pas repris dans
le titre ou dans le texte de lannonce associe au mot-cl achet par le concurrent. Reprenant
lanalyse de la CJUE, ces cas de figure sont considrs comme excluant tout risque de confusion.
Le propritaire dune marque qui estime quun risque de confusion prjudiciable existe malgr
tout peut bien entendu agir en justice. charge pour lui de convaincre le juge de ce risque.
Pour les autres cas, Google a mis en place une procdure en ligne de notification des
atteintes aux marques. Il appartient chaque titulaire de suivre cette procdure pour
demander la cessation de rfrencements abusifs.
Lacteur conomique qui na pas de marque, mais qui peut faire valoir un droit sur sa
dnomination sociale, son nom commercial ou encore un nom de domaine, ne pourra pas
bnficier de la procdure de notification de Google. Il devra donc mettre en demeure le tiers
indlicat de cesser ses pratiques et, si ncessaire, agir en justice.
221CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, Google France, Google Inc. c/ Louis Vuitton
Malletier, C237/08, Google France Sarl c/ Viaticum SA, Luteciel Sarl, C238/08, Google
France c/ Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) Sarl, P-A. T., B.
R., Tiger Sarl; CJUE, 26 mars 2010, aff. C-91/09, Eis.de GmbH c/ BBY Vertriebsgesellschaft
mbH; CJUE, 8 juill. 2010, aff. C-558/08, Portakabin Ltd et Portakabin BV c/ Primakabin
BV; CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora Inc. et Interflora British Unit c/ Marks &
Spencer Plc et Flowers Direct Online Ltd.
222 Ferran B., Plus dun milliard deuros pour Google en France, 2013, www.lefigaro.fr,
Mdia, High-tech & Web. www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/12/18/0100720131218ARTFIG00324-le-chiffre-d-affaires-annuel-de-google-france-estime-a-14-milliardd-euros.php?print=true.
De nombreuses dcisions ont t rendues en France. Si les solutions adoptes depuis les
dcisions de la CJUE sont pour la plupart dfavorables aux titulaires de marques, certaines ont le
mrite de faire droit aux demandes de titulaires de droits223. Ce dbat, complexe, illustre lenjeu
de la visibilit sur le Web.
D. Le territoire
LInternet nest pas sans frontires, bien au contraire. Ces dernires rsultent tout simplement
de la langue du site, de lextension, par exemple lorsquil sagit dun ccTLD (.fr, .es, etc.),
des pays identifis dans un menu droulant sur la page daccueil, de la monnaie de paiement et
des lieux de livraison proposs pour les sites de commerce en ligne, des adresses postales des
succursales, etc.
La gestion du site doit donc prendre en compte chaque pays cible pour y vrifier, par exemple,
la disponibilit de la marque, et la protger dans ce pays. Bien entendu, la recherche doit
galement porter sur les noms de domaine, sous les principales extensions gnriques et
sous les extensions nationales des pays cibles, en vue de leur enregistrement selon une
stratgie dfinir. La faon de procder cette recherche et lanalyse des rsultats exigent des
connaissances juridiques pointues et un savoir-faire particulier.
Pour les titulaires de marques protges en France, la contrefaon ne peut tre reproche
que si le site mis en cause sur lequel la marque est reproduite ou imite est destin au
public de France, cest--dire au public situ en France224.
Laffaire Nutri-Riche illustre bien cette situation. Le groupe LOral a t assign en justice
pour contrefaon de la marque Nutri-Riche, protge en France. En effet, sur le site
web o Lancme vendait son produit de beaut, les pages destines la clientle franaise
prsentaient le produit sous le nom de Nutri-Intense, alors quil tait prsent sous la marque
Nutri-Riche sur les pages destines aux autres pays. Il a t jug que, bien quaccessible
aux internautes depuis la France, cette mention de la marque Nutri-Riche ne visait pas le
public franais et ne constituait donc pas un acte dexploitation sur le territoire franais pouvant
constituer un acte de contrefaon en France225.
226
Directive 89/104/CE du Conseil du 21dcembre 1988, rapprochant les lgislations des
tats membres sur les marques.
227
Le rglement (CE) no 40/94 du Conseil du 20 dcembre 1993 sur la marque
communautaire.
quel est le budget global du projet et quelle est la part de ce budget affecte la protection
du nom et des autres signes didentification tels que le logo pour optimiser les ressources?
Si le choix dun terme descriptif ou trs vocateur est privilgi car il favorise laudience, il
nest pas possible de se lapproprier, ce qui veut dire quil ne sera pas possible dempcher les
concurrents dutiliser ce mme terme ou un terme proche dans la plupart des cas. Ce choix est
trs frquent.
Mme, et surtout dans ce cas, la diffrenciation doit se faire: par le visuel du site, le logo, les
couleurs et la charte graphique, par exemple. De plus en plus de marques crent leur propre
univers visuel, destin les identifier et exprimer leurs valeurs.
Ces lments sont fondamentaux. Ils sont protgs par le droit dauteur sils ont une certaine
originalit. Les logos utiliss sur le site peuvent aussi tre dposs et protgs comme marque.
Pour quelle soit efficace, la protection par les marques suppose de:
choisir une marque disponible ;
rendre le soin et le temps de dfinir le plus prcisment possible la dsignation des
produits et services pour lesquels elle sera exploite, court et moyen terme, car
cela dterminera son primtre de protection en termes dactivits ;
identifier le titulaire en cohrence avec lorganisation de lentreprise ou du groupe ;
largir la protection aux pays cibles, le plus tt possible ;
prvoir et organiser en amont lusage qui en sera fait.
Phase 1
O est www.nomtest.fr?
O est le .fr?
Le .fr est sur les serveurs de lAfnic
O est <nomtest.fr> ?
<nomtest.fr> est sur les serveurs du
bureau denregistrement
O est www.nomtest.fr?
Ladresse IP est: 127.1.2.3229
Phase 2
change de donnes entre
linternaute et le serveur web
O est.fr
2
Serveur DNS
du FAI
4
1
serveurs de lextension
Question
Rponse
h.root-servers.net.
a.root-servers.net.
j.root-servers.net.
f.root-servers.net.
b.root-servers.net.
l.root-servers.net.
g.root-servers.net.
d.root-servers.net.
m.root-servers.net.
i.root-servers.net.
c.root-servers.net.
e.root-servers.net.
k.root-servers.net.
g.ext.nic.fr.
d.nic.fr.
f.ext.nic.fr.
e.ext.nic.fr.
d.ext.nic.fr.
O est.fr
serveurs faisant autorit,
donnent ladresse IP
ns1.regyyy.net.
ns2.regyyy.net.
Modem/poste client
Adresse IP fournie
par le FAI
O est.fr
Appareils connects
au modem
Lenjeu de la phase 1 est dtre certain daccder au site officiel, et non pas une copie.
Lenjeu de la phase 2 est galement dtre certain daccder au site officiel via son serveur, et
non pas dtre drout vers un autre serveur et vers un autre site qui peut tre une copie du site
officiel, et dempcher le piratage des donnes transmises via le site ou la messagerie.
230Eylan J. avec IDG NS, Amazon prpare une plate-forme de publicit en ligne
concurrente de Google Adwords, www.lemondedelinformatique.fr, 2014.
et aux fonctions du domaine de premier niveau .eu et les principes applicables en matire
denregistrement identifie labsence dusage du nom de domaine pendant les deux ans suivant
son enregistrement comme un indice de lenregistrement de mauvaise foi231. Labsence dusage
du nom de domaine pourrait conduire sa radiation, voire son transfert un tiers. Cela suppose de
dfinir quel usage est pris en compte puisque de trs nombreux noms de domaine sont redirigs vers
une autre adresse. Il demeure que labsence de tout usage est une ralit.
231
3. La mauvaise foi au sens du paragraphe 1, point b), peut tre dmontre quand: () b) le
nom de domaine a t enregistr pour empcher le titulaire dun nom sur lequel un droit est
reconnu ou tabli par le droit national et/ou communautaire, ou un organisme public,
de traduire ce nom en un nom de domaine correspondant, pour autant que: () ; II) le nom
de domaine nait pas t utilis dune faon pertinente dans les deux annes au moins qui
suivent la date denregistrement.
232Considrant n 10, la directive de 1988 a t codifie par la directive 2008/95/CE du
22octobre 2008 dsormais en vigueur, qui reprend cette disposition son considrant
n 11.
En revanche, lusage de la marque dautrui comme motcl par le systme Adwords, apparu au
dbut des annes 2000, a t accept la condition que la marque ne soit pas reprise dans le
titre et le texte de lannonce. En cas de litige, cest au juge dapprcier sil existe un risque de
confusion pour linternaute, qui engage la responsabilit de lannonceur. Le moteur de recherche
nest pas responsable si son rle est rest passif.
Il nest pas certain que cette analyse soit favorable aux internautes, qui risquent dtre induits
en erreur et de se trouver dsorients par les rsultats proposs. Le risque est aussi une certaine
pollution des pages de rsultats.
Dans ses dcisions, la CJUE fait rfrence linternaute moyen, sans le dfinir, pour raisonner
sur le risque de confusion et la contrefaon de marque. Elle dit aussi que le rfrencement naturel
est gratuit, alors que le rfrencement par achat de mots-cls est payant.
Qui est cet internaute moyen? Est-il si bien inform sur les diffrents modes de rfrencement?
Rien nest moins sr. Par ailleurs, il est inexact daffirmer que le rfrencement naturel est gratuit
pour lannonceur: un bon rfrencement naturel exige de faire en permanence appel des
professionnels du rfrencement, dont les services sont bien entendu payants.
Si lconomie numrique a besoin des moteurs de recherche pour se dvelopper, les
titulaires de marques ne doivent pas pour autant tre contraints daccepter que leurs
concurrents utilisent leurs marques comme mots-cls sur Internet en les achetant aux
moteurs de recherche pour se positionner leurs cts dans la page de rsultats gnre
par une requte sur la marque. Est-ce lgitime et loyal?
Pour carter sa responsabilit, Google affirme que son service Adwords fonctionne avec un
logiciel de proposition et de gestion des mots-cls qui correspondent aux requtes les plus
frquentes des internautes, et que ces donnes ne sont pas intgres par Google mais par
les utilisateurs. Pourquoi Google a-t-il choisi de configurer son systme de cette faon? Cette
solution technique met en uvre le modle conomique choisi, elle ne peut pas tre neutre. Le
modle conomique choisi est de simplifier et de standardiser pour grer automatiquement la
masse des donnes entres par les utilisateurs, dans un but de rentabilit et au dtriment des
titulaires de marques233.
Cet espace est un espace publicitaire. Cest ainsi quil est conu par Google. En tmoigne le libell
des services de la classe 35 de ses marques Adwords en vigueur en France depuis 2002234, limit
la diffusion de publicits pour le compte de tiers ou la diffusion publicitaire pour des tiers
par lintermdiaire de lInternet. Ce primtre de protection a t considrablement largi avec
la marque communautaire Adwords n10385052 dpose le 22 novembre 2011, protge
233
Haas, M.-E., Adwords: le dbat nest pas clos, Proprits intellectuelles, 2013, 47.
234
Marque communautaire Adwords n2724672 dpose le 5juin2002 en classe 35 pour la
diffusion de publicits pour le compte de tiers, suivie de la marque franaise
n06 3 469 535 dpose le 14 dcembre 2006 pour la diffusion publicitaire pour des tiers
par lintermdiaire de lInternet, de la marque communautaire n9971276 dpose le
15juin 2011 pour la diffusion de publicits pour le compte de tiers.
cette fois en classes 35, 36, 38, 41 et 42 avec, en classes 35 et 42, un libell trs clairement
orient sur le marketing en ligne235.
Les services informatiques slectionns en classe 42 concernent par exemple des services de
suivi et optimisation de la performance et de lefficacit de sites internet, campagnes de marketing
en ligne et performance de la recherche par mot-cl236.
Cette activit publicitaire et marketing nest pas celle dun prestataire technique bnficiant
dune exonration de sa responsabilit raison des informations stockes la demande dun
destinataire de ces services, au sens de la loi n2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance
dans lconomie numrique237.
Le systme dporte sur les titulaires de droits la mission de surveiller lusage de leurs
droits et dagir en cas de ncessit. Des procdures de notification en ligne se sont
multiplies a posteriori pour permettre aux titulaires de droits de faire cesser un abus. La
difficult est que ce positionnement a conduit juger acceptable lachat comme mot-cl
de la marque dun concurrent pour tre rfrenc ses cts, ds lors que la marque ne
figure ni dans le titre ni dans le texte de lannonce. Le rsultat concret est pourtant que le
site de ce tiers peut ainsi se positionner sur lespace que le titulaire de la marque sest cr sur le
Web ses propres cots, grce ses investissements, son savoir-faire, son travail et celui
de ses quipes et de son prestataire de rfrencement, etc.
La marque dun concurrent nest pourtant pas un lieu de localisation comme la pu ltre
autrefois le nom dune rue ou dun quartier ddi une activit, comme par exemple la rue des
cordonniers ou la rue des drapiers.
Les sites des moteurs de recherche sont conus comme des espaces publics, librement
accessibles, lobjectif tant de maximiser le trafic en crant un espace ouvert. Ces espaces ont
une fonction fondamentale de signalisation et daiguillage du trafic sur le Web vers les ressources
recherches par linternaute. Ces ressources doivent tre localisables selon des rgles claires
et loyales pour les diffrents acteurs de faon favoriser rellement le dveloppement de
lconomie numrique dans un intrt commun.
3.2
Cessions de tout ou partie
de e-business
Scuriser les transactions par la notion
de e-fonds de commerce
par Tamara Bootherstone
Lauteur
Avocate au barreau de Paris.
Titulaire dun master en droit des affaires option distribution et consommation.
Titulaire dun certificat de droit europen.
Grante du cabinet Bootherstone Avocat, intervenant en droit des affaires et droit de la
proprit intellectuelle.
Synthse
Lorsquun rachat de tout ou plusieurs lments dun site e-commerce est envisag, lopration
peut, sous certaines conditions, sanalyser comme une vritable cession de fonds de commerce,
entranant des consquences juridiques lourdes et pas toujours anticipes par les parties. Do
lintrt de connatre ces rgles et les conditions dans lesquelles elles sappliquent, pour scuriser
la transaction et en tirer profit.
Introduction
La crativit en matire dconomie numrique et les exploitations qui en dcoulent sont
vertigineuses et protiformes.
Elles sont parfois organises, mises en valeur et valorises, notamment par la mise en place
dune stratgie de proprit intellectuelle.
Elles sont, le plus souvent, des lectrons libres et rpondent aux impratifs et aux opportunits
de linstant.
Il en va de mme des oprations de cession portant sur ce nouvel or noir, les parties faisant
preuve, l aussi, dune crativit pragmatique centre sur le rachat dlments cibls quelles
pressentent porteurs dinnovations, de potentiels et, terme, demplois et de bnfices.
Il peut sagir de reprendre une activit entire, un site internet, ou bien seulement un ou plusieurs
lments tels que nom de domaine, les droits de proprit intellectuelle (droits sur une charte
graphique, marque, brevet, base de donnes), ou encore le fichier clients.
Les entreprises intresses concluent alors diffrents contrats, pas toujours nomms ou parfois
mal nomms, souvent sans prendre la mesure des consquences ou des enjeux de ce quelles
signent.
Or:
si la cession dun seul lment dactif bien prcis ne pose en gnral pas de problme (
condition toutefois de respecter les exigences juridiques requises en matire de contrats
de vente, avec les spcificits propres llment acquis) ;
la question se complique lorsque plusieurs lments sont cds en mme temps, ce
qui sera le plus souvent le cas dans une transaction portant sur la cession dun site de
e-business.
En pareil cas, les entreprises doivent veiller identifier sil sagit effectivement dune
vritable cession de fonds de commerce, sous peine de sexposer certains risques allant du
redressement fiscal la nullit de lopration, lacte de cession de fonds de commerce devant
respecter des exigences particulires (I).
Les juges reconnaissant dsormais lexistence juridique dun e-fonds de commerce, il est
important pour les entreprises de connatre les critres retenus en la matire (II).
Le critre essentiel tant lexistence dune clientle propre, les droits de proprit
intellectuelle peuvent jouer un rle tout fait essentiel car ils constituent prcisment
des lments de ralliement de la clientle (III).
Une fois admis que les rgles propres la cession de fonds de commerce sappliquent la
cession de e-fonds de commerce, on peut se poser la question de la protection ainsi accorde,
notamment au regard des spcificits du e-fonds de commerce, afin de faire voluer les rgles en
la matire et dorganiser une meilleure protection des transactions (IV).
dentreprise, mais galement celles ayant moins de 50 salaris. Elle peut donc trouver
sappliquer dans le cas qui nous occupe et cre ici encore un risque dinscurit juridique dont il
faut tenir compte.
On entrevoit donc ici aussi un facteur dinscurit juridique permettant lune ou lautre des
parties dchapper ses obligations, et mettant lautre en difficult.
G. Le risque fiscal
Enfin, et sans vouloir tre exhaustif, les entreprises doivent aussi prendre en compte le risque
fiscal, la cession de fonds de commerce faisant lobjet de plusieurs dispositions particulires en
la matire.
Droits de mutation
Dabord, en application de larticle 719 du Code gnral des impts, les mutations de proprit
titre onreux de fonds de commerce ou de clientle sont soumises un droit denregistrement
dont les taux varient par pallier en fonction du prix de la vente de lachalandage, de la cession du
droit au bail et des objets mobiliers ou autres servant lexploitation du fonds.
Lorsque la transaction porte sur plusieurs millions deuros, limpt peut tre consquent.
Une cession de marque ou de brevet, si elle entrane une cession de clientle, pourra dailleurs
tre impose de la mme faon.
De mme, ladministration fiscale impose de manire identique la cession de site internet en se
fondant sur larticle 720 du Code gnral des impts, qui prvoit que les impositions prvues
larticle 719 sont tendues toute convention titre onreux. Cela permet une personne
dexercer une profession, une fonction ou un emploi occup par un prcdent titulaire, mme
lorsque ladite convention conclue avec ce titulaire ou ses ayants cause ne saccompagne pas
dune cession de clientle (les droits sont alors exigibles sur toutes les sommes dont le paiement
est impos, du chef de la convention, sous quelque dnomination que ce soit, au successeur,
ainsi que sur toutes les charges lui incombant au mme titre).
Pour pouvoir poursuivre entre les mains du repreneur les dettes fiscales du cdant,
ladministration fiscale peut ainsi avoir intrt requalifier une opration de cession dlments
dactifs dun e-business ou dun site internet en vritable cession de fonds de commerce.
Dans le mme ordre dide, la cession dun fonds de commerce est soumise des formalits de
publicit et le prix de cession est obligatoirement squestr, afin de permettre aux cranciers
du cdant de former opposition sur le prix de vente pour les crances impayes au jour de la
cession, selon une procdure organise par le Code de commerce.
Si le prix nest pas squestr et que le cessionnaire la intgralement vers au cdant (ce qui
sera le plus souvent le cas lorsque les parties nont pas conscience de procder la cession dun
vritable fonds de commerce), le cessionnaire peut tre amen payer les cranciers du cdant,
concurrence du prix de cession.
L encore, les cranciers du cdant ont un intrt vident tenter de faire requalifier lopration
en cession de fonds de commerce.
Peu de jurisprudence
Il nexiste pas encore? une jurisprudence trs abondante sur la question. On peut dire que
les juges ont dabord t rticents reconnatre lexistence dun vritable e-fonds de commerce,
principalement au motif que, outre labsence de droit au bail et de biens meubles corporels, un
e-fonds de commerce ne disposerait pas dune clientle propre, cest--dire, une clientle
stable, personnelle, certaine et licite.
Au dtour dun arrt de 2006 se prononant sur la question de savoir si la cration dun site
de vente en ligne par un franchiseur portait atteinte lexclusivit territoriale dans un secteur
dtermin accord au franchis, la Cour de cassation a ainsi commenc en indiquant que la
cration dun site internet nest pas assimilable limplantation dun point de vente dans le secteur
protg, excluant de facto quun site internet puisse avoir une clientle propre.
Bien que refusant de reconnatre lexistence dune clientle propre dans le cas qui leur tait
soumis, certains magistrats ont pourtant accept indirectement la possibilit quune telle
clientle existe.
Cest ainsi que dans son arrt prcit du 10 mai 2000, le tribunal de grande instance de Paris,
bien que ne stant finalement pas prononc en tant que tel sur la question, avait tout de mme
voqu le fait que lattribution du droit de proprit sur la clientle tait susceptible dtre discute,
de mme que lexistence du fonds de commerce au motif que le trafic tait le fruit dun contrat
pass avec France Tlcom dont (le cessionnaire, ndla) navait aucunement la matrise, et quil tait
conventionnellement prvu, au cas o France Tlcom refuserait son agrment, que le transfert serait
considr comme nul et non avenu. A contrario, si le cessionnaire avait eu la matrise de ce trafic,
lattribution du droit de proprit sur la clientle naurait pas pu tre questionne.
De mme, dans un arrt du 2 juillet 2010, la cour dappel de Poitiers a implicitement reconnu la
possibilit dune clientle attache un e-fonds de commerce.
Dans cette affaire, lacqureur du site Actua.Mobiles.fr avait assign son vendeur pour vice du
consentement au motif que le trafic du site avait t surestim, et avait tent de faire requalifier
lopration en cession de fonds de commerce pour en demander lannulation au motif du dfaut
des mentions requises par larticle L 141-1 du Code de commerce. La Cour na pas fait droit
sa demande de requalification en indiquant que les internautes du site en cause tant renvoys
vers des sites partenaires qui, linverse du site concern, procdaient des ventes, ce dernier
ne disposait pas dune clientle propre. Si le site avait procd directement des ventes, une
clientle propre aurait pu exister.
cet gard, il convient encore de faire tat dun point non ngligeable: si la clientle doit tre
propre au site internet en cause, elle doit aussi tre licite. Il faudra notamment bien penser au
respect des obligations de dclaration auprs de la Commission nationale de linformatique et
des liberts (CNIL) conformment la loi du 6 janvier 1978, dite loi informatique et liberts, sur
la protection des donnes personnelles.
La Cour de cassation vient dailleurs de le rappeler dans un arrt o elle a annul le transfert
dun fichier clients ne respectant pas ces dispositions, au motif que celui-ci tait illicite et quil ne
pouvait tre dans le commerce (Cass. Com. 25 juin 2013, n12-17.037).
En conclusion, chaque fois quune opration de cession dlments dun site internet et plus
forte raison dun site internet entier comportera la cession dune clientle, il conviendra, par
prudence, de se demander si lon nest pas en train dacqurir un vritable fonds de commerce.
La rponse sera gnralement positive, mme sil faut tout de mme rserver lhypothse de la
seule cession dun fichier clients: celle-ci ne constitue pas la cession dun fonds de commerce
car, sans autre lment cd, il ne sagit pas dune universalit permettant lexercice dune
activit, dfinition retenue, nous lavons vu, pour le fonds de commerce.
Les marques
Pour les marques, la situation peut paratre plus aise dans la mesure o elles ne peuvent exister
quaprs un dpt auprs dun office de proprit industrielle (lInstitut national de la proprit
industrielle, pour la France), et o il est possible de vrifier quun tel dpt existe en consultant
par exemple la base de donnes gratuite mise disposition cet effet par lINPI (http://basesmarques.inpi.fr).
Encore faut-il le faire.
Il convient alors de sassurer que le dpt est bien au nom du cdant et non celui de son
dirigeant en qualit de personne physique, que la marque est bien dpose pour les produits et
services pour lesquels elle est exploite quelle est bien en cours de validit et quune recherche
dantriorit a bien t effectue avant son dpt. Un audit pralable est impratif afin de
dterminer si cet actif important de lentreprise pourra tre exploit et dfendu conformment
aux attentes de lacqureur.
Les marques
Il faudra penser bien identifier les marques, idalement par leur numro et non uniquement
par leur nom ou leur reprsentation. En effet, si les marques sont des lments incorporels et,
comme tels, sont en principe comprises dans les lments composant le fonds et cdes doffice
en mme temps que lui, la loi exige que leur transmission soit constate par crit.
La jurisprudence exige en effet que la (ou les) marque(s) cde(s) avec le fonds fasse(nt) lobjet
dune mention expresse dans lacte de cession sous peine de nullit (par exemple, Cass. Com.
29 janvier 2002).
Force est de constater que cette mention fait souvent dfaut, notamment dans le cadre des
plans de cession dentreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. Mais aussi dans les
cas o un mme signe est dpos titre de plusieurs marques et dans plusieurs pays, seule
lindication du signe tant vis, mais pas les rfrences de chaque marque.
On notera aussi que le fonds de commerce tant une universalit permettant lexercice
dune activit, toutes les marques exploites par une entreprise ne sont pas obligatoirement
ncessaires lexercice de lactivit cde.
Il faudra enfin penser faire publier le transfert de marque(s) au Registre national des marques
afin de le rendre opposable aux tiers.
A. Le contrat dhbergement
Ce contrat est indispensable lexploitation du e-fonds de commerce, un peu la manire du
contrat de bail commercial pour le commerce traditionnel.
Le contrat dhbergement permet en effet de stocker physiquement les donnes
indispensables au fonctionnement du site internet, un peu comme le contrat de bail
permet au commerant traditionnel de stocker ses marchandises.
En matire de cession de fonds de commerce, il existe des dispositions protectrices du
commerant pour lui permettre de cder son droit au bail au repreneur de son fonds de
commerce sans que le bailleur ne puisse sy opposer.
Par ailleurs, parmi les mentions obligatoires devant figurer dans un acte de cession de fonds de
commerce en application de larticle L 141-1 du Code de commerce, on trouve le bail, sa date,
sa dure, le nom et ladresse du bailleur et du cdant, sil y a lieu.
Or lquivalent nexiste pas pour le contrat dhbergement, dans lequel figure souvent une
clause ncessitant laccord de lhbergeur en cas de cession du contrat un repreneur.
La jurisprudence devrait-elle assimiler le contrat dhbergement au contrat de bail commercial,
ou du moins le traiter de faon identique en cas de cession du site internet?
ce jour, la rponse tend plutt vers la ngative. Car linverse du bail commercial, qui porte
sur les locaux o les marchandises sont stockes mais aussi sur le lieu o elles sont vendues,
crant ainsi un lien avec la clientle, le contrat dhbergement est, quant lui, transparent
pour la clientle.
En cas de refus de transfert par lhbergeur, et compte tenu du trs grand nombre dhbergeurs,
il existe des solutions alternatives qui nimpacteront pas la clientle du site dans la plupart des
cas. Un tel refus pourra entraner une indisponibilit du site pour une priode plus ou moins
longue, avec un prjudice de perte de chiffre daffaires qui devra et le plus souvent pourra tre
rpar par des dommages et intrts. Mais la clientle ne sera pas pour autant perdue comme
elle le serait en cas de refus de transfert du bail pour un point de vente traditionnel, puisquelle
pourra ultrieurement retrouver sans difficult le site internet la mme adresse.
Il faudra donc bien prendre soin dexposer les conditions du contrat dhbergement dans lacte
et den organiser la cession au profit du repreneur. Il faudra aussi vrifier cet gard les clauses
et les modalits de rversibilit qui portent sur la faon dont le contenu du site est restitu en
cas de transfert un autre hbergeur.
La question se pose dans des termes tout autres pour le nom de domaine.
B. Le nom de domaine
Dfinition dans la charte de nommage du .fr
En France, le nom de domaine est dfini par la charte de nommage de la zone .fr tablie par
lAssociation franaise pour le nommage internet en coopration (AFNIC) de la faon suivante:
Identifiant Internet. Un nom de domaine est constitu de plusieurs lments, chacun compos de
caractres (correspondant par exemple au nom dune socit, dune marque, dune association, dun
particulier). Les lments sont spars les uns des autres par un point. Llment le plus droite
correspond un domaine de premier niveau (.fr, .de, .ca, .jp, .net, .com...). Le DNS (Domain Name
System) assure la correspondance nom de domaine / adresse IP.
Pour le e-commerant et la clientle, il correspond deux besoins: il est ladresse du point de
vente en ligne, dans le sens du lieu o trouver et acheter les produits et services; il est aussi
le nom du point de vente permettant le ralliement de la clientle.
Le nom de domaine rsulte du nom que donnera lexploitant du site internet ladresse IP
identifiant le site. Le nom en question devra tre unique (deux sites ne pouvant techniquement
pas porter le mme nom), et aura une extension gographique dpendant du pays qui aura
fourni le service de nommage. En France, cette mission est confie lAFNIC, chaque entit
responsable dune zone gographique tant amene dfinir des rgles propres la zone de
nommage concerne.
L encore, le nom de domaine est absolument indispensable au e-fonds de commerce. Et l
encore, rien nest prvu pour garantir le transfert au profit du repreneur, sans mention spcifique
dans lacte de vente.
Pour pouvoir bnficier dun nom de domaine en .fr, la charte franaise pose certaines
conditions. Elles sont principalement lies au territoire, par la ncessit soit davoir une adresse
en France, ou dtre titulaire dune marque franaise ou europenne.
Larticle 10 prvoit ensuite que le titulaire dispose du nom de domaine quil a enregistr pendant
toute sa dure de validit dans le respect des termes de la charte de nommage. Lenregistrement,
lutilisation et lexploitation dun nom de domaine relvent de la seule responsabilit de son titulaire
prvoyant encore un droit de reprise et dun droit de premption au profit de lAFNIC sil
apparat ncessaire de rcuprer le nom de domaine pour des raisons imprieuses et indique enfin
que la mission exerce par lAFNIC ne lui confre aucun droit de proprit intellectuelle sur les noms
de domaine.
Larticle 15.3 autorise le transfert du nom de domaine, qui interviendra selon une procdure
technique quil convient de connatre afin de bien rdiger la clause relative au transfert du nom
de domaine dans lacte de cession, mais qui ne ncessite, sur le fond, que laccord des deux
parties.
La cession est donc possible, mais elle nest pas forcment incluse dans la cession du e-fonds de
commerce puisquun nom de domaine peut tout fait faire lobjet dune cession isole.
De mme, linscription du nom de domaine dans les lments devant imprativement tre lists
dans lacte de cession du fonds de commerce au titre de larticle L 141-1 du Code de commerce
ainsi quun droit automatique au transfert du nom de domaine en cas de cession du efonds
de commerce ( la manire du droit au bail commercial) permettraient dinscrire dfinitivement
la reconnaissance du nom de domaine comme lment dterminant, indispensable et, en
labsence de bail commercial, spcifique au e-fonds.
Conclusion
En droit franais, la notion de e-fonds de commerce et le respect des rgles propres la cession
dun tel fonds peuvent effectivement servir scuriser les transactions portant sur plusieurs
lments dactifs dun site ecommerce, la ncessit de dmontrer une clientle propre tant
le critre essentiel.
Les droits dauteur sur la charte graphique et le contenu du site ainsi que la cession des marques
pourront contribuer retenir cette notion de e-fonds de commerce, en consolidant lexistence
dune clientle propre et de moyens ncessaires lexploitation de lactivit.
Il faudra procder certains amnagements pratiques des textes, concernant par exemple les
formalits denregistrement qui doivent avoir lieu, pour le commerce traditionnel, la recette
comptente au lieu o est situ le fonds on sadressera celle du ressort du domicile ou du
sige du vendeur en cas de e-fonds de commerce.
Il faudra continuer procder une rdaction mticuleuse de lacte de cession, dans la mesure
o la cession de e-fonds de commerce nentrane pas la transmission automatique des contrats,
notamment les contrats dhbergement et de rfrencement, pourtant ncessaires lactivit
et o aucune mention spcifique relative ces contrats nest requise dans les actes de cession.
Mme chose encore pour le nom de domaine, seule vritable spcificit du e-fonds de
commerce, qui nest pas davantage transfr de plein droit avec le e-fonds. Un changement des
rgles applicables peut ici tre suggr pour amliorer la scurit juridique des oprateurs et pour
lutter plus efficacement contre les cyber-squatteurs.
Enfin, il convient de noter que cette construction du fonds de commerce est spcifiquement
franaise, mme sil existe quelques exceptions, comme par exemple la Belgique.
Il faudra donc veiller prciser que le droit applicable est le droit franais dans les contrats
impliquant un lment dextranit, si bien sr on souhaite y tre soumis.
En matire contractuelle, les parties ont effectivement la possibilit de choisir le droit applicable
et pourraient ds lors vincer les rgles dcrites ci-avant en dsignant le droit dun autre tat.
dfaut de prcision, et sous rserve de lapplication de rgles de droit international priv
notamment en matire fiscale, le droit franais devrait tre applicable chaque fois que le
vendeur aura son sige social en France, et ce, par application de la convention 80/934/CEE du
19juin1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dite convention de Rome, qui
prvoit qu dfaut de choix, le contrat est rgi par la loi du pays avec lequel il prsente les liens
les plus troits, cest--dire, en principe, avec le pays o la partie qui doit fournir la prestation
caractristique (en lespce, celle du vendeur) a sa rsidence habituelle.
Beaucoup doptions restent donc ouvertes aux oprateurs, le tout tant dagir en connaissance
de cause.
BIBLIOGRAPHIE
Galloux J.-C., La promesse de vente portant sur un certain nombre dlments composant un
fonds de commerce de messagerie tlmatique est-elle assimilable une promesse de vente
portant sur ce fonds de commerce?, Communication Commerce lectronique, 2000, 10,
comm. 102.
Stoffel-Munck P., La frquentation dun site internet nest-elle pas une qualit naturellement
dterminante de son acquisition?, Communication Commerce lectronique, 2004, 12, comm.
159.
Verbiest T., Le fonds de commerce lectronique: vers une reconnaissance juridique?,
Communication Commerce lectronique, 2008, tude 10.
Mendoza-Caminade A., La notion de fonds de commerce lpreuve de lInternet: faut-il
admettre le fonds de commerce lectronique?, Mlanges en lhonneur de Philippe le Tourneau,
Paris: Dalloz, 2008.
Stoffel-Munck P., Decocq G., Lavnement du fonds de commerce lectronique, La Gazette
du Palais, 2009.
Desgens-Pasanau G., Notion de fonds de commerce et Internet, JurisClasseur Entreprise
Individuelle, 2014, fasc 1080.
3.3
Actif immatriel : dis-moi ton usage
et je te dirai ton prix
Lvaluation et le traitement comptable
et fiscal des bases de donnes
Badwill comptable et fiscal de lindustrie
des bases de donnes
par Marc Levieils
Lauteur
Marc Levieils est conseil en proprit industrielle, associ du cabinet Regimbeau, responsable du
dpartement Contrats & Valorisation.
Article rdig avec la collaboration de Maxime Legrand, ancien lve de lENS, diplm de lIEP de
Paris, agrg dconomie et gestion, prsident fondateur du groupe Project Education.
Synthse
Constatant les difficults persistantes apprhender la valeur des actifs immatriels dans les
systmes comptables et les divergences entre les dfinitions comptables et les dfinitions
juridiques de certains de ces actifs, cet article prsente lclairage du juriste en proprit
intellectuelle sur ces questions conomiques au travers de lexemple des bases de donnes, et
propose dutiliser les dfinitions juridiques, lanalyse des contrats et la mthode conomique
pour clarifier lidentification des actifs immatriels et la circulation de valeur au sein de
lentreprise.
Introduction
Les actifs immatriels ont la caractristique de pouvoir impacter simultanment le compte
de rsultat et le bilan. Ainsi, exploiter une base de donnes, cest amliorer son taux de
transformation sur un site marchand (pour contribuer laugmentation du chiffre daffaires, par
exemple), mais aussi grer un lment patrimonial disposant dune valeur propre pouvant tre
lou des partenaires et/ou cristalliser une partie du savoir-faire de lentreprise
Dans le cours effrn des affaires, o lon surveille lvolution des rsultats mois aprs
mois, la composante patrimoniale des actifs immatriels est trs souvent oublie. Les
outils comptables apparaissent par ailleurs mal adapts cet exercice qui consiste traduire la
fois lvolution du patrimoine (dans le bilan) et le cours des affaires (dans le compte de rsultat).
Les rgles comptables traduisent ces dilemmes oscillant entre la primaut donne la fiabilit
des comptes (qui se traduira par une rticence reconnatre la valeur patrimoniale des actifs
immatriels) et la primaut donne la pertinence des comptes, qui rendra possible lactivation.
Cest ce qui ressort notamment des analyses compares des rgles dactivations des actifs
immatriels au sein mme de lUnion europenne.
IAS 38
France Allemagne
Capitalisation
des marques
cres en interne
Impossible
ventuellement
possible
Impossible
Fiabilit
Pertinence
Fiabilit
Possible en thorie
Difficile en pratique
Possible et
Possible en thorie
largement pratique Difficile en pratique
Fiabilit
Pertinence
Fiabilit
20 ans
Pas
damortissement
Amortissement
court
Fiabilit/Pertinence
Pertinence
Fiabilit
Amortissement
Source : extrait de la comptabilit des marques en France, en Allemagne et selon les rgles de lIASC
Herv Stolowy et al. Association Francophone de Comptabilit Comptabilit Contrle Audit 2001/1 Tome 7
limmatriel (66% chez Veolia, 82% chez Nokia, 93% chez Vinci). La valeur totale du capital
immatriel de ces entreprises est suprieure au PIB de la France.
Or, les bases de donnes, en tant quactifs immatriels, ne sont encore que partiellement et
imparfaitement prises en compte par les rgles comptables. Daprs une tude dErnst & Young,
seuls 34% du capital immatriel de ces entreprises sont inscrits au bilan238.
Nous examinerons donc, tout dabord, en quoi cet tat de fait nest que la consquence de
la difficult gnrale des modles comptables intgrer lensemble htrogne des actifs
immatriels, dont les bases de donnes ne sont quun cas particulier.
La prsentation et lanalyse dune dcision de lAutorit europenne des marchs financiers
(European Securities and Markets Authority ou ESMA) concernant la contestation de
limmobilisation dune base de donnes nous permettront de mettre en vidence les dcalages
ainsi crs entre la ralit conomique et ses traductions comptables et juridiques.
Nous nous proposerons ensuite de considrer des dfinitions juridiques sous-jacentes la
plupart des actifs immatriels, considrant que cette grille danalyse ancienne et prouve
peut constituer une base utile la vrification du respect des exigences comptables en ce qui
concerne lidentification des actifs et leffectivit de leur contrle par lentreprise.
Reste la question de la valeur de chacun des actifs, et nous insisterons cet gard sur
limportance de lanalyse des contrats, outils de circulation de la valeur et du risque.
Valeur Comptable
Valeur de March
Price to Book =
Valeur de March
Valeur Comptable
238 Cf. Capital immatriel, son importance se confirme - Analyse du poids du capital
immatriel dans la valeur dune centaine dentreprises cotes europennes
Ernst & Young - Alexis Karklins-Marchay - 2008 http://www.ey.com/Publication/
vwLUAssets/0108_Etude_Capital_Immateriel/$file/0108_Etude_Capital_Immateriel.pdf
Selon linterprtation que les analystes financiers donnent communment cette quation, un
ratio Book to Market suprieur 1 dnote une sous-valuation de la valeur de march de
lentreprise et un ratio infrieur 1 une survaluation (et inversement pour le ratio Price to
Book).
Les tendances observes ces dernires annes montrent laccentuation de cet cart entre les
valeurs mesures sur le march et les valeurs enregistres dans les livres de compte notamment
pour les valeurs dites technologiques ou, plus prcisment, ayant une forte intensit de
recherche et dveloppement (R&D). Cet cart ne peut sexpliquer uniquement par un
phnomne spculatif de march.
Socits
Price to Book
Technicolor
16,48
Valeo
3,14
Iliad (Free)
6,29
Renault
0,84
Orange
1,64
Amazon
15,70
10,13
IBM
11,06
4,05
Apple
4,72
Les adaptations des normes comptables, en particulier avec la rforme des normes
internationales IFRS en 2005, nont pas permis de rsoudre ce hiatus qui nuit dautant
plus la pertinence des tats financiers que le rle des actifs immatriels est aujourdhui
essentiel dans la chane de cration de valeur239.
Les rgles fiscales franaises sont, cet gard, illustratives du dilemme: comptabiliser
immdiatement en charges et satisfaire lexigence de fiabilit des comptes ou permettre
limmobilisation et identifier la dcision dinvestissement. Ainsi, selon les termes de larticle 236
du Code gnral des impts: [] les dpenses de fonctionnement exposes dans les oprations de
recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de lentreprise, tre immobilises ou dduites
des rsultats de lanne ou de lexercice au cours duquel elles ont t exposes.
Selon ces dispositions et en application de larticle 212-3 du rglement du comit de la
rglementation comptable n2014-03, les cots engags lors de la phase de dveloppement
peuvent tre comptabiliss lactif (immobiliss), la condition quils se rapportent des
projets nettement individualiss, ayant de srieuses chances de russite technique et de
239 Cf. Penetrating the Book-to-Market Black Box: The R&D Effect - Baruch Lev and Theodore
Sougiannis - 1999.
rentabilit commerciale240. Lentreprise dispose donc dune option qui lui permet, sous certaines
conditions, de capitaliser ses investissements en R&D.
On voit ainsi que linformation vhicule dans la comptabilit de lentreprise, investissement
et russite identiques, pourra tre diffrente selon les choix oprs. La prise en compte de ces
informations par le march en sera dautant plus dlicate241.
240En revanche, les cots engags lors de la phase de recherche doivent dans tous
les cas tre comptabiliss en charge. Cf. BOI-BIC-CHG-20-30-30-20120912 - BIC Distinction entre lments dactif et charges - Drogation aux principes gnraux
de dtermination des actifs et dcision de gestion - Dpenses de recherche et
dveloppement, de conception de logiciels, de cration de site internet et de brevets
et marques dvelopps en interne.
241Cf. La Mesure comptable des marques (chapitre 2.1) lisabeth Walliser Vuibert
Octobre 2001.
La comparaison de ces deux listes montre bien la difficult de lexercice consistant identifier
les actifs incorporels. Par exemple la clientle, qui est une valeur rsiduelle dans le systme
comptable franais, est considre sous langle de son support (base de donnes) par les
fiscalistes amricains.
chaque actif sa dfinition, ses modes dexploitation et ses rgles comptables et fiscales.
Cette htrognit, si elle permet de manire pragmatique dapprhender des objets
conomiques diffrents, cre cependant beaucoup de confusions quant lidentification des
actifs immatriels concerns, leur mode dexploitation et lvaluation des risques qui y sont
attachs.
Diffrentes rgles sappliquent en ce qui concerne le cur des actifs immatriels de lentreprise,
et notamment des brevets, des marques, des logiciels, des sites internet et autres noms de
domaine:
sur le plan fiscal, les frais de dpt de brevets peuvent, au choix de lentreprise, soit tre
traits comme des charges dductibles, soit tre immobiliss (article 236 du CGI)242 ;
Les dpenses engages pour crer en interne des () marques, () ne peuvent pas tre
distingues du cot de dveloppement de lactivit dans son ensemble. Par consquence ces
lments ne sont pas comptabiliss en tant quimmobilisations incorporelles. Il en est de mme
pour les cots engags ultrieurement relatifs ces dpenses internes243 ;
sur le plan fiscal, les frais de dveloppement de logiciels et de sites internet244 peuvent, au
choix de lentreprise, soit tre traits comme des charges dductibles, soit tre immobiliss
(article 236 du CGI). Le plan comptable gnral distingue par ailleurs les logiciels usage
commercial et les logiciels usage interne ;
sur le plan fiscal, les cots de rservation dun nom de domaine ne sont inscrits lactif
que lorsque lentreprise a choisi dinscrire lactif en tant quimmobilisation incorporelle
lensemble des cots ligibles engags au titre de la phase de dveloppement et de
production du site internet luimme245 ;
dans le cadre dune acquisition, les actifs incorporels acquis peuvent tre immobiliss.
Cette prsentation synthtique nous permet de mettre en vidence les points suivants:
On notera, tout dabord, que les objets apprhends par le droit comptable et le
droit fiscal ne correspondent pas aux dfinitions donnes par le droit de la proprit
intellectuelle. En effet, si du point de vue juridique, les brevets, les marques et les noms de
domaine sont dfinis et rgis en tant que tels par des dispositions lgales246, ni les logiciels ni les
sites internet ne font lobjet de dispositions lgales spcifiques permettant de les dfinir.
242
Voir galement rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du
5 juin 2014 relatif au plan comptable gnral (article 212-3,2).
243Rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du 5 juin 2014 relatif
au plan comptable gnral (article 212-3,3).
244
Voir galement rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du
5 juin 2014 relatif au plan comptable gnral (article 611-1 611-5) et (article 612-1 612-4)
245Cf. BOI-BIC-CHG-20-30-30-20120912 - BIC - Distinction entre lments dactif et chargesDrogation aux principes gnraux de dtermination des actifs et dcision de gestionDpenses de recherche et dveloppement, de conception de logiciels, de cration de site
internet et de brevets et marques dvelopps en interne.
246Respectivement articles L. 611-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle, L. 711-1
et suivants du Code de la proprit intellectuelle et L. 45 et suivants du Code des postes
et des tlcommunications lectroniques.
Les logiciels ont t classs, par la directive europenne du 14 mai 1991 n91/250/CEE
dans la catgorie des uvres littraires au sens de la Convention de Berne pour la
protection des uvres littraires et artistiques. Ils sont donc soumis aux rgles du droit
dauteur247. Les sites internet ne sont, notre connaissance, pas dfinis en tant quobjets de
droit, sinon les considrer comme des uvres composites au sens du droit dauteur. Les
catgories ainsi cres dans leur grand pragmatisme par le droit comptable et le droit fiscal ne
trouvent pas de correspondances directes dans le droit de la proprit intellectuelle.
On remarquera, en outre, que ces derniers doivent (1) tre identifiables (2) tre contrls par
lentreprise et (3) produire des avantages conomiques futurs, selon les critres utiliss par
les diffrentes normes comptables pour dfinir les actifs incorporels. L o le juriste pourra
considrer que lexistence dun droit (de marque, par exemple) tablit de manire non
contestable pour son titulaire ou son concessionnaire, le respect de toutes ces conditions (ou
tout du moins des deux premires) et permet de distinguer ledit actif de lentit conomique qui
lexploite (fut-il immatriel), les fiscalistes et comptables y verront, eux, lexistence dun droit de
proprit, ce qui npuise pas le dbat248.
On remarque galement que, du point de vue comptable et/ou fiscal, les circonstances
lorigine de lentre de lactif immatriel dans le patrimoine de lentreprise sont
dterminantes pour ce qui concerne la possibilit de capitaliser, ou non, certains de ces
actifs. Par exemple, une marque acquise pourra faire lobjet dune activation (pour le
cot dacquisition), alors quune marque cre en interne ne sera pas immobilise.
Une autre distinction dterminante se fera suivant que lactif participera, ou non, une activit
de dveloppement et pourra alors tre immobilis (sous des conditions par ailleurs prcises),
alors quun actif immatriel cr en interne dans le cadre de lexploitation courante ne pourra
pas toujours ltre.
On le voit, les critres mis en uvre par les comptables et les fiscalistes ne sappuient pas
sur les dfinitions juridiques et gnrent des distinctions (suivant les objets, les conditions de
cration, etc.) qui ne sinscrivent plus ncessairement dans la logique conomique qui motivera
une dcision dinvestissement: prsent que les investissements immatriels ont acquis une
reconnaissance conomique, il leur reste acqurir une reconnaissance comptable, pour que lon
puisse vritablement parler dactifs conomiques immatriels249.
Le cas particulier des bases de donnes illustre parfaitement ces dbats et les difficults faire
voluer les systmes comptables et juridiques de manire coordonne.
loption de larticle 236 CGI et tre immobiliss. Le traitement spcifique respectivement apport
aux logiciels et aux sites internet par les dispositions des articles 611-1 et suivants et 612-1 et
suivants du rglement relatif au plan comptable gnral est, a priori, de nature tre appliqu
aux bases de donnes associes, la dissociation de ces objets techniques tant, dans les faits,
parfois difficile raliser (un site internet pouvant, par exemple, communment sappuyer sur
une base de donnes regroupant lessentiel de son contenu).
Cependant, le raisonnement comptable change ds lors que les mmes objets technologiques
sont abords, non pas du point de vue de leur conception, mais du point de vue de leur utilisation
comme cela est gnralement le cas notamment pour les bases de donnes marketing le
raisonnement comptable change.
253 ESMA Decision ref EECS/0112-01 Capitalisation of intangible assets - 1 October 2011
extrait du 12th Extract from the EECSs Database of Enforcement Octobre 2012.
254 IAS 38
255 Dont limmobilisation serait prohibe par le paragraphe 63 des rgles IAS 38: Les marques,
notices, titres de journaux et de magazines, listes de clients gnrs en interne et autres
lments similaires en substance ne doivent pas tre comptabiliss en tant quimmobilisations
incorporelles. Nous citerons galement le paragraphe 64 des rgles IAS 38: Les dpenses
pour gnrer en interne les marques, les notices, les titres de journaux et de magazines, les listes
de clients et autres lments similaires en substance ne peuvent pas tre distingues du cot
de dveloppement de lactivit dans son ensemble. Par consquent, ces lments ne sont pas
comptabiliss en tant quimmobilisations incorporelles.
Ces arguments et les circonstances de fait nont pas emport ladhsion de lautorit qui a
notamment considr que la base de donnes tait similaire en substance une liste de
clients et quelle ne pouvait par consquent pas prtendre au statut dactif immatriel.
Cette dcision tmoigne de cette rsistance de lapproche comptable face aux volutions des
nouveaux schmas conomiques au cur desquels se placent les bases de donnes. Cette
rsistance ne semble pourtant pas insurmontable 256 et tient, notre sens, beaucoup aux
dissonances que lon peut observer entre les raisonnements juridiques et comptables appliqus
ces objets.
Ainsi, dans notre exemple, le juriste notera que lessentiel de la valeur revendique de la
base de donnes tait attach la phase de collecte. Or, il est dsormais de jurisprudence
constante de refuser le bnfice de la protection au producteur dune base de donnes qui
ne justifie dinvestissements substantiels quattachs la phase de collecte des donnes257. Si
lon sattachait aux conditions de protections juridiques de la base de donnes, lentreprise ne
pouvait donc inscrire en compte ladite base que pour une valeur modique: (1) soit que les cots
de collecte aient t exclus de la valeur immobilisable (2) soit que lon considre labsence de
droit privatif de lentreprise sur cet actif ( dfaut de dmontrer le caractre substantiel des
investissements). Les considrations relatives la valeur de lactif considr et en particulier
la nature des droits dont pouvait disposer la socit en cause nous semblent donc plus
dterminantes que celles attaches la nature de la base de donnes elle-mme.
256 On notera notamment que de nombreuses rvisions des standards IFRS ont t ces
dernires annes dans le sens dune reconnaissance toujours plus large de la valeur des
actifs immatriels. Cf. Les actifs immatriels, leur traitement comptable et fiscal - Patrick
PINTEAUX, Revue Tertiaire n110 Janvier 2004.
257 Rcemment, CA Paris 15 novembre 2013 12/06905: Quil sen dduit que la socit
Pressimmo On Line se doit de rapporter la preuve dinvestissements humains et financiers
spcifiques qui ne se confondent pas avec ceux quelle consacre la cration des lments
constitutifs du contenu de sa base de donnes et des oprations de vrification,
purement formelle, pendant cette phase de cration consistant les collecter auprs de
professionnels et les diffuser tels que recueillis de ses clients; xx citant notamment
les dcisions de la Cour de justice des communauts europennes du 9novembre 2004
(affaire The British HorseracingBoardLtd/William Hill Organization Ltd).
Rsultats de R & D
Actifs PI
tudes techniques
droits dauteur
plans de conception
cahiers des charges
logiciels
brevets
documentations
tudes commerciales
savoir-faire : procdures
internes (confidentialit,
marquage de documents, etc.)
designs, graphismes
produits, procds,
plans de production
etc.
contrats
dessins et modles
etc.
Cette tape est pourtant largement ignore dans le cadre des analyses financires. Dans un
rcent rapport258 concernant lapplication des normes IFRS 3 (relatives au traitement comptable
des regroupements dentreprise), lESMA constate, cet gard, que, dune part, 86% des
regroupements font apparatre un goodwill259 reprsentant environ 54% du prix pay, mais que,
dautre part, 24% des regroupements dentreprises ne font pas ressortir dactifs immatriels
distingus du goodwill. Et dans ce cadre, il est prcis que, dune manire gnrale, la description
des facteurs constituant le goodwill est faite de copier-coller standards napportant pas
dinformations spcifiques. On voit donc que linformation concernant la valeur des actifs de
lentreprise que lon nintgre pas dans les livres comptables ne se retrouve pas, ou seulement de
manire lacunaire, loccasion doprations de cession ou de rapprochements dentreprises260.
De la mme manire les catgories dactifs immatriels que lon peut trouver dans les
rglementations nationales ou encore dans les tudes doctrinales tmoignent de ces dcalages.
Nous reprendrons simplement et, titre dexemple, la classification de Pierrat261 qui identifie six
de ces catgories:
les droits et quasi-droits: droits de proprit (brevets, marques, droits dauteur, dessins
et modles, etc.), les concessions ou licences dorigine tatique (quotas, autorisations,
licences, etc.), les contrats, les savoir-faire ;
les actifs incorporels matrialisables: logiciels et bases de donnes considrs comme des
actifs qui ne sont pas a priori dfinis par un document ayant une force juridique quelconque,
mais qui peuvent cependant tre protgs et quil est possible de transmettre dans le cadre
dune cession individualise ;
les actifs incorporels exploitables: fichiers clients, catalogues, rseaux de distribution
dfinis comme des lments sur lesquels lentreprise na pas demprise juridique, mais qui
sont identifiables et dont lexploitation permet de dgager des revenus ;
les structures: les structures organisationnelles, les systmes dinformation, les rseaux ;
les valeurs incorporelles rsiduelles: le goodwill ;
les rvlateurs dactifs incorporels: la part de march, par exemple.
Le juriste sera tent de regrouper lensemble de ces catgories en deux rubriques: les
objets supports de droit, et les autres, non apprhends par le droit et relevant de la thorie
conomique. Dans la premire catgorie, les droits de proprits et les quasi-droits, bien sr, en
notant que les contrats doivent faire lobjet dun traitement spcifique, comme nous le verrons
plus loin.
Les logiciels et les bases de donnes, pour ce qui concerne les actifs incorporels
matrialisables bnficient, comme nous lavons vu, des protections par le droit dauteur
et/ou le droit du producteur de base de donnes, mais aussi indirectement par le brevet,
la marque et gnralement tous les droits de proprit intellectuelle disponibles. Ils ne
prsentent donc pas de caractristiques propres susceptibles de les distinguer dautres objets de
nature technologique, ni du point de vue juridique, ni du point de vue conomique.
Les actifs incorporels exploitables et les structures ne rsistent pas plus lanalyse, soit il sagit de
base de donnes, de crations protges par le droit dauteur ou dobligations constates dans
des contrats et sont prendre en compte dans notre inventaire des actifs immatriels, soit ils
natteignent pas le niveau dexigence impos par chacun de ces rgimes de protection, auquel
cas ils seront rangs dans la rubrique des valeurs incorporelles rsiduelles, ou ignors.
On le voit, les catgories que recherche le comptable et/ou le fiscaliste existent, elles sont
dans le droit. Le droit de la proprit intellectuelle nous offre la fois les dfinitions et la
granularit de lanalyse conduire. Il ne rsout cependant pas directement les questions de
la valeur affecter ces actifs. Cette difficult intrinsque des actifs immatriels est illustre par
la dfinition suivante qui les caractrise par le fait quils appartiennent un ensemble dlments
susceptibles dtre isols, de composants qui possdent des relations entre eux, or ces lments
momentanment isols peuvent, leur tour, tre considrs comme des sous-systmes, ce qui veut
dire que les lments ou composants entrent dans la mme catgorie que les ensembles auxquels ils
appartiennent.262 Et la valeur de ces lments semble circuler de lun lautre, au grand dsarroi
du comptable.
Ces difficults, concernant la valeur et son affectation au sein du rseau des actifs
immatriels dont dispose lentreprise, peuvent trouver des rponses, dune part, dans
lapplication dune mthode dvaluation transparente telle que celle dfinie dans la norme
ISO 10668263 (dfinissant les exigences pour lvaluation montaire dune marque) et,
dautre part, dans la prise en compte du contexte dexploitation des actifs immatriels
considrs, cest--dire de son usage.
Nous retrouvons ici les dbats conomiques du xviiie sicle sur la dtermination du prix dun
bien et lopposition entre valeur dchange et valeur dusage.
Il ny a rien de plus utile que leau, mais elle ne peut presque rien acheter; peine y a-t-il moyen de
rien avoir en change. Un diamant, au contraire, na presque aucune valeur quant lusage, mais on
trouvera frquemment lchanger contre une trs grande quantit dautres marchandises. Adam
Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.
La valeur na dautre mesure que le besoin ou le dsir des contractants balanc de part et dautre, et
nest fixe que par laccord de leur volont. Turgot, Rflexions sur la formation et la redistribution
des richesses, 1766.
La valeur dusage est caractristique dun individu ou dun groupe technique comme une
entreprise, tandis que la valeur dchange dpend des autres et de la valeur quils peuvent
accorder la mme chose. Lopposition entre les deux notions nest pas frontale, mais
dialectique: il ny a dchange que parce quon accorde une utilit, donc une valeur dusage,
la chose obtenue; tandis que lusage peut aussi impliquer un change, en amont ou en aval.
La valeur dusage dpend de lutilisateur et des circonstances, en fonction de ses capacits
physiques, de ses connaissances, de son souhait prsent, de ses anticipations futures, de sa
situation, de son organisation (dans le cas dun groupe), etc.
La valeur dusage tient galement compte des usages productifs que lutilisateur peut faire: cela
met en place des chanes de valeur dusage, en fonction des processus disponibles.
Ainsi, chacun peut avoir sa propre valeur dusage selon ses gots et les circonstances dans
lesquels il se trouve, mais seule la valeur dchange (quon appelle aussi le prix) est observable.
La valeur dchange sera dtermine en cas de cession de lactif immatriel; la valeur dusage
permettrait dinspirer la normalisation comptable et fiscale.
Un des apports essentiel de la norme ISO 10668 figure dans son paragraphe 3.6 qui
pose que pour la ralisation de lvaluation montaire dune marque, les paramtres
financiers, mercatiques (marketing) et juridiques doivent tre pris en compte simultanment,
lesdits paramtres faisant partie intgrante de lvaluation globale. Lvaluation montaire
dune marque doit tre ralise sur la base des rsultats obtenus partir de lanalyse des aspects
financiers, mercatiques (marketing) et juridiques. Cette approche globale, dont lexigence peut
tre gnralise lvaluation de lensemble des actifs immatriels, contribue renforcer la
cohrence des analyses et amliore quantitativement et qualitativement linformation produite
sur lentreprise. Elle permet notamment dapprhender le patrimoine de lentreprise dune
manire systmatique et ainsi dintgrer lensemble des actifs immatriels dans lanalyse de la
chane de valeur.
Concernant le contexte dexploitation, cest lanalyse dtaille des contrats qui savrera
dterminante.
Conclusion
Ce travail de clarification est important car le traitement comptable de ces investissements
essentiels au fonctionnement de lconomie numrique dtermine largement le comportement
des acteurs concerns. Ainsi, pour ce qui concerne les bases de donnes, limpossibilit dactiver
les investissements parfois considrables que reprsentent ces actifs, en particulier dans le
domaine du e-commerce, ne permet pas le dveloppement dapproche forte valeur ajoute,
qui valorise les bases de donnes mais se heurte au march noir des donnes, achetes ou
loues en grande quantit et vil prix. Ainsi, la production dune base de donnes qualifies
et cibles, ncessitant des traitements technologiquement sophistiqus et coteux, se trouve
dfavorise par rapport lacquisition massive de donnes brutes.
Il est donc important de rapprocher les hommes du chiffre et les hommes du droit, dans lesprit
qui a prsid llaboration de la norme ISO 10668 relative lvaluation dune marque, pour
quaprs leur reconnaissance conomique et leur reconnaissance comptable lon puisse, par
un vritable retour aux sources, redcouvrir la nature juridique des actifs immatriels.
BIBLIOGRAPHIE
Pierre J.-L., Fiscalit de la recherche de la proprit industrielle et des logiciels. Paris: Efe, 2011.
Walliser E., La Mesure comptable des marques, Paris: Vuibert, 2001.
Le Lamy Droit de linformatique et des rseaux / sous la dir. de Vivant M., d. Lamy, 2010.
Le Lamy Droit du numrique / sous la dir. de Vivant M., d. Lamy, 2013.
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dune marque, ditions Afnor, 2010.
Martory B., Pierrat C., La Gestion de limmatriel: valuation et pilotage, Paris: Nathan, coll. Les
Livres de lEntreprise, 1996.
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Lev B., Sougiannis T., Penetrating the Book-to-Market Black Box: The R&D Effect, Journal of
Business Finance & Accounting, 2003.
ESMA, Review on the application of accounting requirements for business combinations in IFRS
financial statements, Paris, 16 juin 2014, rapport ESMA/2014/643.
la proprit intellectuelle
lpreuve de lvolution
constante de lconomie
numrique
4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation
Julien Pnin
p. 211
p. 227
4.3 Mesures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Frdric Bourguet, Cristina Bayona Philippine
p. 239
p. 261
p. 273
4.1
Lconomie du droit dauteur
face aux dfis de la numrisation
par Julien Pnin
Lauteur
Julien Pnin est professeur dconomie luniversit de Strasbourg. Il est directeur adjoint du
Bureau dconomie thorique et applique (Beta, UMR CNRS 7522). Ses recherches portent sur
linnovation ouverte et ses liens avec la proprit intellectuelle, le brevet dinvention notamment.
Il a publi de nombreux articles de recherche sur ce sujet dans des revues internationales
dconomie et de gestion. Ses enseignements la facult des sciences conomiques et de
gestion de luniversit de Strasbourg portent sur lconomie et la gestion de linnovation et de la
proprit intellectuelle. Il est responsable du master conomie et Management de linnovation.
synthse
Les volutions technologiques (numrisation, Internet, imprimantes 3D) bouleversent lquilibre
entre incitation et diffusion permis par le droit dauteur. Nous montrons en particulier que
les rgles de droit dauteur telles quelles existent aujourdhui peuvent paradoxalement tre
source dinefficience conomique dans lconomie numrique. Nous proposons alors quatre
pistes dvolution pour le systme de droit dauteur afin de ladapter au mieux lconomie
numrique.
Introduction
Dans un article de 2013, Greenstein et al. dressent un agenda des recherches entreprendre
suite aux modifications induites par le passage lconomie numrique. Parmi les pistes
voques, lune leur parat centrale: il convient de repenser les rgles du droit dauteur,
en particulier pour tenir compte des nouvelles manires de crer. Cest cette piste que
nous nous proposons dexplorer dans cet article dans lequel (1) nous montrerons que lquilibre
entre incitation et diffusion instaur par la distribution de droits de proprit intellectuelle aux
auteurs est fragilis par lintroduction de nouvelles technologies de reproduction et de diffusion
des uvres de lesprit et; (2) nous analyserons les modifications ventuelles quil conviendrait
dapporter aux rgles de droit dauteur pour mieux ladapter aux nouvelles ralits numriques.
Lide que les rgles de droit peuvent et mme doivent voluer nest pas forcment partage
par tout le monde. Dans la ligne des enseignements de John Locke, pour les tenants dune
vision de la proprit intellectuelle base sur le droit naturel, il est naturel, cest--dire normal,
que les auteurs soient propritaires de leurs crations de lesprit. Ce nest pas une question
defficience conomique ou de justice distributive, mais simplement un droit naturel. Dans
cette optique, le droit dauteur est en quelque sorte atemporel, grav dans le marbre. Les rgles
de droit dauteur ne dpendent pas du contexte conomique, politique ou technologique. Les
auteurs sont naturellement propritaires de leurs crations, quelles que soient les poques et
les technologies.
rebours de cette vision, les conomistes ont dvelopp une vision fonctionnaliste du droit,
cest--dire quils pensent que le droit remplit des fonctions, notamment celle damliorer le
bien-tre conomique des individus. Nous reviendrons plus en dtail sur le rle conomique
du droit dauteur dans la partie suivante. ce stade, il suffit dinsister sur une consquence
essentielle de cette vision: les rgles de droit ne sont pas graves dans le marbre. En effet, la
manire dont le droit remplit sa fonction dpend du contexte. Lorsque ce dernier change, le droit
peut donc tre amen voluer afin de sadapter aux nouvelles conditions. En somme, pour
les conomistes, les rgles de droit ne sont pas immuables. Elles doivent voluer sous peine de
devenir inefficientes. En particulier, en ce qui concerne le droit dauteur, il semble vident que
les mmes rgles ne peuvent pas sappliquer de la mme faon aujourdhui, lre dInternet,
que dans le pass, avant Internet, la photocopie ou encore limpression. Les volutions
technologiques impliquent dadapter les rgles de droit dauteur.
Il est dailleurs intressant de remarquer que les rgles de droit ont volu rgulirement dans
le pass, tmoignant du pragmatisme des lgislateurs qui, souvent de manire inconsciente,
adoptent une vision fonctionnaliste du droit. Lawrence Lessig relate en 2004 un exemple
emblmatique de cette vision: le cas de la proprit foncire aux tats-Unis et de larrive
des premiers avions. La constitution amricaine dfinit la proprit foncire non pas en
deux, mais en trois dimensions. Cest--dire quun propritaire possde non seulement
le terrain, mais galement tout ce quil y a dessous (si lon y trouve du ptrole, il appartient
au propritaire du terrain) et tout ce quil y a dessus, jusquau ciel. Naturellement, la
constitution amricaine a t rdige une poque o laviation nexistait pas encore. Mais
au milieu du xxe sicle, les premiers vols transcontinentaux ont fait leur apparition. Avec eux
arrivrent videmment les premiers procs entre propritaires terriens et compagnies ariennes,
les premiers demandant aux seconds de les indemniser pour avoir le droit de survoler leur
proprit. Une application stricte du droit donne bien videmment raison aux propritaires
terriens. Mais, en contrepartie, une telle interprtation ne va pas forcment dans le sens de
lintrt gnral car elle risque dempcher le dveloppement dune technologie extrmement
bnfique conomiquement (laviation). Lorsquelle a t saisie de ce cas, la Cour suprme
amricaine a tranch en faveur de la modification de la loi afin de lamnager pour tenir compte
au mieux du nouveau contexte et de lexistence de laviation264.
Un second exemple dune interprtation fonctionnaliste du droit, cette fois dans le domaine
de la proprit intellectuelle, est fourni par larrive des premiers magntoscopes, la fin des
annes 1970. Bien connue, laffaire opposa Universal (cest--dire lindustrie dHollywood)
et Sony, le premier reprochant au second de favoriser la copie, et donc la violation des droits
dauteurs. nouveau, une interprtation stricte du droit donne raison Hollywood. Enregistrer
un film sans laccord des ayants droit revient ne pas respecter leur proprit intellectuelle.
Dun autre ct, cette application du droit ne va pas forcment dans le sens de lintrt gnral
puisquelle risque dentraver le dveloppement dune technologie trs forte valeur ajoute pour
les consommateurs, savoir les magntoscopes. Lorsquelle a t saisie, la Cour suprme sest
nouveau prononce en faveur de ladaptation des rgles de droit afin de les accommoder au
contexte, une trs courte majorit. En 1984, la Cour suprme a en loccurrence introduit un
droit la copie prive, prenant ainsi acte du formidable potentiel de cette nouvelle technologie
pour les consommateurs, et du besoin de faire voluer les systmes de proprit intellectuelle.
Le mme droit a t introduit en France en 1985. Outre le fait que cet exemple historique reflte
la perfection les consquences dune vision fonctionnaliste du droit, il montre galement que
lmergence dune nouvelle technologie favorisant la circulation des uvres de lesprit ne se fait
pas toujours au dtriment des fournisseurs de contenu, les producteurs de film ayant ralis des
bnfices considrables en vendant des cassettes vido dans les annes 1980, et ensuite des
DVD.
Les rgles de droit, et en ce qui nous concerne les rgles de droit dauteur, doivent
donc sadapter au contexte, en particulier technologique, sous peine de devenir source
dinefficience conomique. Les arguments que nous allons dvelopper ci-aprs soutiennent
que la numrisation des uvres de lesprit et Internet appellent une adaptation importante
du systme de droit dauteur. Dans la partie suivante, nous rappelons la raison dtre du droit
dauteur pour les conomistes. Nous montrons ensuite en quoi les volutions technologiques
de ces deux dernires dcennies bouleversent lquilibre entre incitation et diffusion. Dans la
dernire partie, nous proposons enfin des pistes dvolution des rgles du droit dauteur pour
que ce dispositif institutionnel corresponde davantage aux besoins de nos conomies modernes.
264
Larrt de la Cour suprme prcise que: The doctrine has no place in the modern
world. The air is a public highway, as congress has declared. Where that not true, every
transcontinental flight would subject the operator to countless trespass suits. Common
sense revolts at the idea. To recognize such private claims to the airspace would clog these
highways, seriously interfere with their control and development in the public interest.
United States vs. Causby, US 328 (1946)
A. Du ct des incitations
En labsence de droits formels de protection, la copie est souvent facile et peu coteuse,
induisant un problme de bien public connu des conomistes: sil est collectivement souhaitable
dinvestir dans la cration, les acteurs individuels nont pas intrt le faire car ils ne pourront
pas en retirer de bnfices, les autres acteurs de lconomie se comportant en passagers
clandestins, bnficiant des uvres sans avoir payer. Au final, en labsence dintervention
publique, il se cre un dficit dincitation investir dans la cration des uvres de lesprit par
rapport loptimum.
Pour remdier ce problme, ltat peut intervenir soit en sponsorisant directement la cration,
soit en mettant en place des droits de proprit intellectuelle qui permettent doffrir une
exclusivit aux crateurs, et ainsi de rsoudre partiellement le problme dappropriation (Arrow,
1962). En thorie, le droit dauteur offre un monopole dexploitation aux crateurs. Sur
la figure1, le prix de march est Pc et le surplus des crateurs est nul (voir ngatif en tenant
compte des cots fixes) en labsence de droit dauteur. Mais avec le droit dauteur, le crateur
peut fixer un prix de monopole Pm largement suprieur Pc et ainsi raliser un surplus gal la
surface du triangle gris. En permettant aux crateurs de fixer un prix plus lev, le droit dauteur
doit donc accrotre les incitations investir dans la cration.
Il est important de prciser que lorsque la thorie conomique parle dincitations, il
sagit au moins autant (voire davantage) des incitations pour les investisseurs (banques,
maisons de disques, producteurs, maisons ddition, etc.) que pour les auteurs. En effet,
une littrature abondante a mis en avant limportance des motivations intrinsques pour les
crateurs, en particulier le fait quune perspective de profit nest le plus souvent pas ncessaire,
et parfois mme tre contre-productive, pour les inciter consacrer du temps et des ressources
leurs crations (Amabile et al., 1986; Frey, 1997). Cela ne signifie pas quil ne soit pas juste
de leur assurer une rmunration, mais simplement que cette rmunration naccrot pas ou
peu leurs incitations (cest davantage une question de justice distributive que defficience). La
question des incitations se pose donc surtout pour les investisseurs conomiques, cest-dire les acteurs qui doivent investir afin de donner une valeur conomique aux crations de
lesprit par exemple la maison de disques qui investit pour produire et distribuer un disque. Ce
sont surtout ces investisseurs qui ont besoin de protection intellectuelle pour sassurer un retour
sur investissements sans lequel ils ninvestiraient pas.
a
Surplus des crateurs
si droit dauteur
pm
pc
Cm
D-1
Q
qm
qc
Note: en labsence de droit dauteur, le prix de march (Pc) pour une uvre de lesprit tend
vers son cot marginal (p = cm). Le surplus des crateurs est alors nul. Avec droit dauteur, les
crateurs sont en situation de monopole et peuvent ainsi fixer un prix tel que le cot marginal
soit gal la recette marginale (Rm = cm). Le prix sera alors Pm, largement au-dessus du cot
marginal, et le surplus des crateurs sera gal la surface en gris. Une telle situation induit
cependant une perte sche de bien-tre, gale la surface du triangle en bleu, par rapport la
situation concurrentielle.
B. Du ct de la diffusion
Paralllement aux problmes dincitations, la question de la diffusion des uvres cres est
galement essentielle. En effet, deux proprits des uvres de lesprit la rendent centrale.
En premier lieu, les uvres de lesprit ont gnralement un cot marginal trs faible une fois
saisies sur un support matriel (DVD, CD, cl USB, disque dur, cloud, etc.). Or, un rsultat
standard de la thorie conomique est que le prix optimal sur un march, celui qui maximise
le surplus social, est toujours gal au cot marginal. Tout prix suprieur au cot marginal
induit une perte sche de bien-tre, cest--dire quil empche la ralisation de transactions
mutuellement avantageuses. Sur la figure 1, lorsque le prix est gal au cot marginal, le
surplus social est gal la surface du triangle acpc. Mais si le prix est gal pm, le surplus
social nest alors plus gal qu la surface abdpc (le surplus des consommateurs est gal la
surface abpm et le surplus des crateurs la surface du carr pmbdpc). La perte sche de bientre, cest--dire la diffrence entre les deux, est ainsi gale la surface du triangle en bleu.
Autrement dit, lefficience dans la diffusion des uvres de lesprit commande que ces dernires
soient changes leur cot marginal. Lorsque ce dernier est faible, voire proche de 0, le prix
optimal doit donc tre la gratuit. Tout prix suprieur au cot marginal rduit lefficience.
En offrant une exclusivit aux crateurs, le droit dauteur est donc de ce point de vue source
dinefficience conomique. Cest pour cela quil reste limit dans le temps.
En second lieu, la cration est un processus cumulatif, et les crateurs de demain
sappuieront sur les crations daujourdhui. Toute uvre nouvelle, mme la plus radicale,
sinspire dune manire ou dune autre duvres qui lont prcde. Cest la mtaphore des
paules de gants. Il est ainsi optimal, pour ne pas entraver ce processus cumulatif, que
les uvres de lesprit, une fois cres, puissent tre rutilises par les crateurs du futur. On
retrouve ici lexplication conomique dune caractristique fondamentale du droit dauteur: ce
dernier ne protge que lexpression des uvres de lesprit. Sil nest ainsi pas possible de copier
lidentique une chanson, un tableau ou un livre, il est possible de sen inspirer afin de crer une
autre uvre originale. Le droit dauteur nentrave ainsi pas, en thorie, le processus cumulatif
de cration.
C. Le dilemme incitation-diffusion
Il est immdiat que lefficience en matire dincitation et lefficience en matire de diffusion
sopposent. On retrouve l une contradiction bien connue entre efficience dynamique et
efficience statique (Schumpeter, 1942). long terme, lefficience dynamique implique que les
incitations crer soient importantes, cest--dire quil y ait beaucoup de nouvelles uvres dans
le futur. Elle commande ainsi daccorder des droits exclusifs forts aux investisseurs, rduisant la
diffusion des uvres une fois cres. A court terme, lefficience statique implique a contrario que
la diffusion des uvres de lesprit soit la plus large possible, cest--dire que tout le monde puisse
bnficier des uvres dj cres au meilleur prix, rduisant ainsi les incitations investir pour
les produire. Il y a donc clairement un dilemme entre incitation et diffusion. Dans la littrature,
on parle galement du dilemme dArrow, du nom de celui qui a t le premier formaliser ce
problme en 1962.
Il revient aux rgles de droit dauteur de concilier au mieux ces deux positions, et
dessayer de parvenir un compromis entre efficience statique et efficience dynamique.
Pour ce faire, le systme de droit dauteur accorde un monopole dexploitation aux crateurs.
Mais cette exclusivit reste limite dans le temps et ne porte que sur lexpression des uvres.
Au final, lanalyse conomique du droit dauteur insiste sur limportance dquilibrer
deux lments antagonistes. Il est important de tenir compte la fois des incitations et de
la diffusion des uvres. Ngliger lun de ces deux aspects ne peut que rduire lefficience du
systme.
La rponse au passage lconomie numrique doit donc tre prudente. Il nest pas
forcment pertinent de vouloir prserver tout prix des rgles de droit dauteur qui sont
devenues obsoltes. En particulier, les nouvelles technologies numriques font quil est
devenu presque impossible et irraliste de vouloir empcher la copie illgale. Il est alors
fondamental de prendre en compte la question de la mise en uvre (enforcement)
du droit dauteur dans lconomie numrique. Imposer une rgle ne signifie en effet pas
quelle sera applique. En labsence de moyens de mise en uvre formels, la question de la
lgitimit de la rgle devient ainsi critique. Dans un environnement o il est techniquement trs
difficile dempcher les comportements de passagers clandestins, ladhsion des individus la
norme est essentielle pour la faire respecter. Lorsque la norme est juge lgitime et lorsque
les individus y adhrent largement, la transgression est alors moins frquente. Il faut
donc faire en sorte que les internautes jugent les rgles de droit dauteur lgitimes afin que soit
accept le principe de rmunration des crateurs. Plusieurs expriences (certes toujours trs
contextualises et pas forcment gnralisables) montrent que les consommateurs sont
en effet prts payer (de petites sommes) pour accder aux contenus numriques mme
lorsquils ont la possibilit dy accder gratuitement.
La lgitimit du systme de droit dauteur est un problme central dans lconomie
numrique. Une grande majorit des internautes jugent ce systme illgitime et nhsitent ainsi
pas le transgresser. Et les mesures de rtorsions prises contre les pirates ne contribuent pas
restaurer la lgitimit du systme, au contraire. Elles sont ainsi doublement inefficaces. Il est
donc primordial de rendre le systme de droit dauteur plus quilibr et plus juste afin de
le relgitimer aux yeux des utilisateurs. Cela ne passe videmment pas par labandon du droit
dauteur et la culture du tout gratuit, mais plutt par un accommodement radical des rgles du
droit dauteur au contexte numrique, comme nous le verrons dans la dernire partie.
Cm= c2
D-1
Q
qm1 qm2
Note: lorsque le cot marginal diminue, par exemple passe de c1 c2, la quantit change
par le monopoleur augmente (passe de qm1 qm2), le prix affich diminue (passe de Pm1 Pm2)
et la perte sche de monopole saccrot. Sur le graphique lorsque le cot marginal est gal
c1 la perte sche est gale la surface du triangle en vert et lorsque le cot marginal est de
c2, elle est gale la surface du triangle en rouge, qui est bien suprieure celle du triangle
vert. Mathmatiquement, la relation inverse entre cot marginal et perte sche de monopole
sobserve facilement avec une courbe de demande linaire telle que D(p) = b ap et une fonction
de cot marginal constante telle que Cm = c (ce qui correspond bien au cas de la figure). Dans
ce cas, la perte sche de monopole est gale (b ac)2 / 16a et est bien dcroissante avec c.
Prix de
rserve ()
SC si droit
Cas 1
dauteur :
Prix
= 15
conomie
pr-internet
SC si pas droit
CM = 5
dauteur :
Prix = 5
SC si droit
Cas 2
dauteur :
conomie
Prix
= 15
numrique
post-internet SC si droit
CM = 0
dauteur :
Prix = 0
100
10
1 0
SC SP SS PSM
85* 0 0 0
85
10
95
50
95
50
145 0 145
85 0 0 0
85
15
100
1100
100
100
1000
1200 0 1200
dfi numrique (Hadopi, les DRM, etc.) ne tiennent absolument pas compte de cet effet sur la
diffusion. Il semble bien que les questions dincitations ont pris le pas sur celles lies la diffusion
dans les mdias grand public.
plusieurs scnes de films, etc.). Ici, le point essentiel se situe nouveau dans le fait que le droit
dauteur peut faire obstacle cette activit de cration par recombinaison en empchant les
utilisateurs actifs de rutiliser les contenus dont ils ont besoin.
Lentrave faite au processus de cration par recombinaison est dautant plus vraisemblable que
nous assistons aujourdhui une prolifration des droits, ce qui implique quil est souvent difficile
didentifier les ayants droit, et donc de ngocier un droit daccs avec eux. Le droit dauteur
sobtient en effet par dfaut. Il nest pas ncessaire de le demander. partir du moment o une
uvre est diffuse, son crateur bnficie dun droit dauteur sur cette uvre, quil se souhaite
ou non. Au final cela induit une situation de prolifration des droits, et risque dentraner ce que
les conomistes appellent des situations de tragdie des anticommuns, notamment lorsque la
multiplication des droits exclusifs sur une ressource unique entrane une sous-utilisation de cette
ressource par rapport loptimum (Heller, Eisenberg, 1998; Pnin, 2013).
Imaginez par exemple quun individu souhaite crer un objet numrique en mlangeant
plusieurs scnes de films et chansons trouvs sur Internet. Cet individu doit en thorie obtenir
lautorisation de lensemble des ayants droit, ce qui suppose de les identifier, de ngocier
avec eux et de les indemniser. Lincertitude quant la libert dexploitation est ici norme. La
prolifration des ayants droit multiplie les cots de transaction et les risques de hold-up,
de litige si un ayant droit a t oubli. Au final, il est probable que ce crateur renoncera
son projet, ou le mnera dans lillgalit, sans avoir pris la peine de ngocier une permission,
comme cela arrive le plus souvent aujourdhui sur Internet. Dans tous les cas, cette situation est
conomiquement inefficiente. On peut remarquer que ce problme de prolifration des droits
a mcaniquement entran la cration de socits de gestion collective (comme la Sacem, en
France) dont le rle est justement de faciliter laccs aux contenus cratifs. Mais ces socits, si
elles peuvent contribuer rendre le problme moins prgnant, ne contribuent pas le rsoudre
la racine.
comme cela a t dit plus haut. Or, la dure du droit patrimonial na cess daugmenter ces
dernires dcennies pour tre aujourdhui de 70 ans aprs la mort de lauteur. Une telle dure
nest pas adapte au contexte de lconomie numrique pour au moins deux raisons:
Premirement, cette dure entrane une perte sche de bien-tre norme pour les
consommateurs. Une uvre cre aujourdhui par un artiste qui vivrait encore 50 ans sera
ainsi protge par monopole pendant 120 ans. Des gnrations entires de consommateurs
devront payer un prix de monopole pour y accder. Dans une conomie o le cot marginal
de production tend vers 0 du fait de la numrisation, la perte sche de bientre induite par
ce monopole est ainsi gigantesque. Mcaniquement, une rduction de la dure du droit
patrimonial doit alors permettre de rduire le montant de la perte sche et permettre
aux consommateurs de bnficier lgalement des effets de la rduction du cot marginal
des uvres numrises. Deuximement, une telle dure contribue vraisemblablement
dlgitimer le droit dauteur aux yeux des utilisateurs. Comment en vouloir au consommateur
qui naccepte pas de payer au prix fort des uvres (chansons, films, etc.) cres il y a plusieurs
dcennies et qui sont de surcrot trs facilement accessibles illgalement et gratuitement sur
Internet? Un raccourcissement radical de la dure du droit dauteur serait un moyen dindiquer
aux utilisateurs que leurs besoins sont pris en compte et contribuerait ainsi les faire plus
facilement adhrer la norme, et accepter de payer pour accder aux contenus protgs.
Vu la multiplicit des effets et la complexit du problme, il est bien videmment impossible de
calculer la dure de vie optimale du droit patrimonial. Nanmoins, il nous semble quune dure
largement infrieure celle daujourdhui, par exemple vingt ans aprs la diffusion publique de
luvre, contribuerait accrotre significativement le bien-tre. Une dure de vingt ans signifierait
que toutes les uvres diffuses avant 1994 seraient aujourdhui librement et gratuitement
tlchargeables sur Internet. Quel gain ce serait l pour les consommateurs! Et quelle manire
de rendre le systme plus lgitime aux yeux de ses utilisateurs! Peut-on vraiment penser quune
telle rduction se ferait au dtriment des incitations? Les exemples des secteurs dans lesquels
la proprit formelle est peu prsente laissent penser que non (Raustiala et Sprigman, 2012;
Fauchart et al., 2014).
que la norme par dfaut soit la non-exclusivit, et que les auteurs dsireux dobtenir un droit
exclusif dexploitation senregistrent. Aprs tout, lobtention dun tel droit peut se rvler trs
profitable pour les auteurs. Il nest donc pas anormal de leur demander un effort minimal pour en
bnficier. Un tel renversement aurait le mrite de rduire radicalement la prolifration des droits,
et donc de rduire lincertitude quant la libert dexploitation de nouvelles uvres. Il serait ainsi
certainement bnfique la cration numrique. Trs rapidement, les crateurs qui rutilisent
des uvres pourraient en vrifier la disponibilit et, si besoin, accder aux coordonnes des
ayants droit sur une plateforme ddie, comme cela se fait dj pour les marques et les brevets.
Lactivit crative peut difficilement se dvelopper dans un environnement o tout est contrl.
Les crateurs doivent pouvoir rutiliser leur guise les uvres existantes. Cette rgle permettant
lutilisation active dune uvre serait ainsi lquivalent dans lconomie numrique de la rgle
plus gnrale qui dit que seule lexpression de luvre est protge par le droit dauteur, et
que les crateurs peuvent sinspirer librement du contenu. Or, dans lconomie numrique, le
contenu et lexpression convergent, rendant invitable la mise en place de mesures drogatoires
pour les utilisateurs actifs.
Conclusion
Les volutions technologiques rcentes, et peut-tre plus encore celles venir, rendent obsolte
le systme de droit dauteur tel quil existe aujourdhui. Dans de nombreuses industries
culturelles, la numrisation et Internet ont dj rduit le cot marginal zro (ainsi que le cot
fixe de production), obligeant repenser le rle du droit dauteur. Cette volution est loin dtre
termine. Jeremy Rifkin (2014) prdit lmergence imminente dun monde o la production
et la distribution seront soumises la rgle du cot marginal nul dans lensemble des secteurs
conomiques, notamment cause de la gnralisation des imprimantes 3D. Lemley (2014)
explique que la proprit intellectuelle sera devenue parfaitement inutile dans un tel monde, o
la raret aura disparu. Desai et Maglioca (2013) parviennent la mme conclusion.
Sans arriver des conclusions aussi extrmes, notre objectif ici tait dalerter sur limportance de
rformes en vue dadapter les rgles de droit dauteur au monde daujourdhui et de demain. Les
mesures que nous avons proposes ici ne sont pas exemptes de problme. Il sera notamment
souvent compliqu de distinguer consommation active et passive mais toutes les exemptions
sont sujettes ce type de problmes. Raccourcir la dure du droit patrimonial pnalisera
bien videmment les auteurs dont le succs arrive tardivement. Rendre lobtention du droit
patrimonial payant peut pnaliser certains crateurs indpendants si les montants ne restent
pas raisonnables. Il nous apparat cependant que, dans lensemble, ces mesures sont largement
plus adaptes lconomie numrique que les rgles de droit dauteurs telles quelles existent
aujourdhui. Elles permettraient de favoriser la rutilisation des uvres numriques, seraient
extrmement bnfiques pour les consommateurs, tout en ne rduisant pas significativement
les incitations investir. Certes, certaines parties y perdraient (les majors de la musique, par
exemple), mais il est important de garder lesprit que le systme de droit dauteur est bas sur
un compromis et quil est ainsi, par dfinition, un second best. Un systme de rgles de droit
dauteur qui satisferait toutes les parties est une illusion.
Bibliographie
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4.2
Contrefaon dans le cadre de
limpression 3D : responsabilits
et remdes
par Caroline Le Goffic
Lauteur
Ancienne lve de lcole normale suprieure (rue dUlm), Caroline Le Goffic a obtenu un DEA
en droit de la proprit littraire, artistique et industrielle, puis un doctorat en droit, luniversit
Panthon Assas (Paris II). Elle est depuis 2010 matre de confrences luniversit Paris Descartes,
o elle codirige le Master 2 Droit des activits numriques. Auteur de nombreux articles en
droit de la proprit intellectuelle, Caroline Le Goffic est responsable de la chronique trimestrielle
Marques au Journal de droit de la sant et de lassurance maladie (JDSAM). Elle est galement
lauteur de deux ouvrages: La protection des indications gographiques (France, Union
europenne, tats-Unis), Litec, coll. IRPI, 2010 (il sagit dune version remanie de sa thse de
doctorat ayant obtenu le prix de thse IRPI 2010), et Droit des activits numriques, cocrit avec
Luc Grynbaum et Lydia Morlet-Hadara (Dalloz, 2014).
Synthse
La prsente contribution a pour objet danalyser les rles et les responsabilits respectifs des
diffrents acteurs de limpression 3D au regard de la contrefaon potentielle des divers droits
de proprit intellectuelle. Cette opration suppose une comprhension prcise du rle jou
par chacun dans la chane de limpression 3D, et une application adquate des rgles lgales et
jurisprudentielles pertinentes. Sont envisags ensuite divers remdes possibles au phnomne
de la contrefaon dans le cadre de limpression 3D.
Introduction
Formidable rvolution technologique, limpression 3D est en pleine expansion. Au fur et
mesure que la technologie se dmocratise et que les imprimantes personnelles deviennent
abordables pour un plus grand nombre de personnes, ce sont les modes de production et les
habitudes de consommation qui sont vous voluer. En effet, limpression 3D permettra
bientt chacun de fabriquer, dupliquer, personnaliser, rparer ou remplacer tout objet de son
choix, sans quitter son domicile et de manire quasi instantane.
Mais ces bienfaits vidents ne doivent pas faire oublier que limpression 3D est, en mme temps,
porteuse de dangers pour les titulaires de droits de proprit intellectuelle. Allons plus loin:
la diffrence dautres technologies telles que la numrisation de contenus audio ou vido qui
permettaient de contrefaire droits dauteur et droits voisins, cette technologie rvolutionnaire
de fabrication additive est la premire offrir la possibilit de contrefaire simultanment
tous les droits de proprit intellectuelle (droit dauteur, dessins et modles, marques,
brevets, voire topographies de semi-conducteurs).
Devant ce constat, il importe donc de dfinir et de qualifier prcisment les diffrents actes
potentiellement illgaux susceptibles dtre accomplis par les diffrents acteurs qui interviennent
dans la chane de limpression 3D. Or, lanalyse rvle la multiplicit et la grande diversit de
ces acteurs. En effet, on peut distinguer non moins de douze catgories dacteurs concerns par
limpression 3D. Ce sont, par ordre dintervention dans le processus dimpression:
les concepteurs de logiciels de cration assiste par ordinateur (CAO);
les crateurs de fichiers CAO;
les utilisateurs qui mettent en ligne ces fichiers ou des liens permettant de les obtenir;
les hbergeurs de fichiers;
les diteurs de sites de fichiers CAO;
les concepteurs de logiciels peer-to-peer (P2P);
les moteurs de recherche indexant, voire suggrant des liens vers les fichiers CAO;
les utilisateurs qui tlchargent ces fichiers;
les utilisateurs qui impriment les uvres;
les vendeurs dobjets imprims;
les fabricants et vendeurs dimprimantes 3D;
et enfin les fournisseurs de services dimpression 3D.
Le nombre et le caractre htrogne de ces acteurs invitent sintresser au rle exact
jou par chacun dans le processus de limpression 3D pour qualifier juridiquement les
actes accomplis conformment aux rgles lgales et jurisprudentielles en vigueur. En
dautres termes, il est ncessaire dtudier les responsabilits des acteurs de limpression 3D (I).
Une fois cette opration mene bien, il conviendra ensuite de proposer des mesures de nature
rendre effective la protection des droits de proprit industrielle devant les dfis de limpression
3D, cest--dire denvisager les remdes, prventifs comme rpressifs, la contrefaon par
limpression 3D (II).
265
Sur les difficults dapplication de lexception de copie prive limpression 3D, cf.: Le
Goffic C., Vivs-Albertini A., Limpression 3D et les droits de proprit intellectuelle,
Proprits intellectuelles, 2014, 50, p. 24.
dun produit incorporant un dessin ou modle, acte galement qualifi de contrefaon par
larticle L. 513-4 du Code de la proprit intellectuelle. notre sens, la rponse doit tre ngative
dans la mesure o, comme prcdemment, le fichier CAO nest pas un produit, concept
entendu au sens corporel du terme par la loi.
Pour les mmes raisons, la mise en ligne dun fichier CAO nest pas susceptible de constituer
une contrefaon directe de brevet. En revanche, certaines conditions, cette mise en ligne
pourrait constituer un acte de fourniture de moyens de contrefaire. Dans un arrt rendu
le 12fvrier2008266, que lon peut transposer au cas de limpression 3D, la Cour de cassation
a ainsi estim que la fourniture de plans et notices permettant linstallation dune invention
brevete tait un acte de contrefaon, que le fournisseur connaisse ou pas lexistence du brevet.
Encore faut-il, que ledit fournisseur connaisse le caractre apte et destin la mise en uvre des
moyens fournis, ce qui ne soulvera gure de difficults dans le cas dinternautes mettant en
ligne des fichiers CAO spcifiquement destins limpression dobjets.
Mais la difficult est que tous ces actes connaissent des exceptions qui sont susceptibles
de sappliquer limpression dobjets en 3D.
En droit dauteur, il sagira de lexception de copie prive, dont on a rappel ci-dessus
les conditions, ou encore de lexception de rencontre fortuite, laquelle semble cependant
difficilement applicable dans un univers numrique qui favorise la diffusion et donc la
connaissance des uvres.
En droit des dessins et modles, si lexception de rencontre fortuite nexiste pas. On trouve
en revanche deux exceptions susceptibles de sappliquer limpression dun objet: les
actes accomplis titre priv et non commercial, exception proche de la copie prive ceci prs
quelle ne requiert pas la licit de la source, ce qui en tend considrablement le champ, et
les reproductions des fins denseignement ou dillustration, exception qui peut notamment
trouver sappliquer dans le cadre dun Fab Lab.
En droit des brevets, de manire trs similaire, le Code de la proprit intellectuelle exclut
du champ de la contrefaon les actes accomplis dans un cadre priv et des fins non
commerciales, ainsi que les actes accomplis titre exprimental.
Quant au droit des marques, dont il na jusquici pas t question, il est galement susceptible
de sappliquer, notamment dans le cas o limpression 3D dun objet reproduirait ou
imiterait une forme protge par une marque tridimensionnelle. La qualification de
contrefaon suppose toutefois, en application de la jurisprudence de la Cour de justice
de lUnion europenne267, que lusage soit accompli dans la vie des affaires (ce qui exclut
toute impression strictement prive) et titre de marque, cest--dire pour dsigner des produits
ou services identiques ou similaires ceux dsigns par la marque (hormis le cas des marques
renommes). Cette dernire condition conduit sinterroger sur le changement de destination
dun objet: quid, par exemple, de limpression dune bouteille transforme en lampe?
267CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal, Rec., I-10273; Proprits intellectuelles 2003,
7, p. 200, obs. G. Bonet; D. 2003, p. 755, note P. de Cand; Revue trimestrielle de droit
commercial. 2003, p. 415, obs. M. Luby; RJDA 2003/3, p. 195, chron. J. Passa; Gaz. Pal.
14 mai 2003, 135, p. 6, obs. C. Vilmart.
268Cass. crim., 25 sept. 2012, RLDI 2012/88, 2935, obs. L. Costes; RLDI 2013/89, 2959, obs.
O. Pignatari; Proprits intellectuelles 2013, 46, p. 80, obs. A. Lucas.
Cest la Cour de justice de lUnion europenne qui, dans un arrt Google Adwords du
23 mars 2010269, a donn le critre permettant de qualifier un prestataire dhbergeur:
est hbergeur le prestataire qui na pas jou un rle actif de nature lui confier une
connaissance ou un contrle des donnes stockes. Ds lors, la qualification des plateformes
et sites de tlchargement dpendra du rle actif ou passif de chacun par rapport aux contenus
stocks. En pratique, il est videmment conseiller aux plateformes de se cantonner un rle
passif afin de bnficier du statut dhbergeur. Cest dailleurs ce statut que revendiquent la
plupart des acteurs intermdiaires de limpression 3D. Ce rgime de responsabilit allge sera
utilement complt par des clauses de garantie faisant peser sur les internautes la responsabilit
dventuels actes de contrefaon.
Ajoutons que sur le terrain du droit des brevets, les plateformes et sites de tlchargement
qui nont pas connaissance des contenus stocks ne pourront davantage se voir qualifis de
contrefacteurs par fourniture de moyens, dans la mesure o ils nauront pas connaissance du
caractre apte et destin la mise en uvre dinventions brevetes, au sens de larticle L. 613-4
du Code de la proprit intellectuelle, dj voqu.
269CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08, C-237/08 et C-238/08 (3 arrts), Revue Lamy droit de
limmatriel, 2010/61, n 1919, note C. Castets-Renard; D. 2010, p. 885, obs.
C. Manara; D. 2010, p. 1971, obs. P. Trfigny-Goy; D. 2011, p. 911, obs. S.Durrande; Revue
trimestrielle du droit europen, 2010, p. 939, chron. E. Treppoz; P. Stoffel-Munck,
Communication commerce lectronique, 2010, comm. 88; C. Caron, Communication
commerce lectronique, 2010, comm. 70.
270CJUE, 13 fvr. 2014, Svensson, aff. C466/12, Revue Lamy droit de limmatriel, 2014/102,
n3371, obs. E. Derieux; Communication commerce lectronique, 2014, comm. 34,
C.Caron.
271Cass. Civ. 1re, 12 juill. 2012, Gaz. Pal. 25-26 juill. 2012, n208, p. 9, comm. C. Le Goffic;
Revue Lamy droit de limmatriel 2012/85, n2851, obs. L. Costes; D. 2012, p.2345, obs.
J. Larrieu; Revue Lamy droit de limmatriel 2012/87, n2905, comm. G.Gomis;
Proprits intellectuelles, n45, p. 413, obs. J.-M. Bruguire, 2012; Proprits
intellectuelles, n45, p.416, obs. A. Lucas, 2012; D. 2012, p. 2852, obs. P.Sirinelli.
276Cass. Civ. 1re, 7 mars 1984, JCP 1985, II, 21351, obs Plaisant R.; Revue trimestrielle de droit
commercial, 1984, p. 677, note Franon A.
277CJUE, 23 janv. 2014, Nintendo, aff. C-555/12, Revue Lamy droit de limmatriel 2014/101,
n3342, obs. L. Costes; Revue Lamy droit de limmatriel 2014/102, n3402, obs.
B. Galopin, et n3403, obs. A. Lefvre; CCE 2014, comm. 26, C. Caron.
278CA Paris, 21 juin 2013, D. 2013, p. 2493, obs. J.Larrieu; Gaz. Pal. 31 oct. 2013, n304, p. 18,
note L. Marino; Revue Lamy droit de limmatriel 2013/95, n3166, obs. L. Costes;
Proprits intellectuelles. 2013, n49, p. 83, obs. J.-M. Bruguire.
Enfin, la responsabilisation des intermdiaires passe enfin par la possibilit pour les
tribunaux de prononcer des mesures dinjonction leur encontre en cas de contrefaon,
et ce indpendamment de leur qualification de contrefacteurs. Le Code de la proprit
intellectuelle offre en effet aux titulaires de droits la possibilit de demander aux juges de
prendre des mesures lencontre de tiers autres que les contrefacteurs (essentiellement les
hbergeurs et les moteurs de recherche) pour remdier aux actes de contrefaon. Ces rgles sont
particulirement intressantes dans les cas o les auteurs de la contrefaon sont difficilement
identifiables ou apprhendables, par exemple parce quils oprent depuis ltranger. En droit
dauteur, la loi du 12 juin 2009 a prcisment introduit dans le Code de la proprit
intellectuelle une procdure spcifique la contrefaon sur Internet. Cette procdure est
rgie par larticle L. 336-2, selon lequel en prsence dune atteinte un droit dauteur ou un
droit voisin occasionne par le contenu dun service de communication au public en ligne, le tribunal
de grande instance, statuant le cas chant en la forme des rfrs, peut ordonner la demande
des titulaires de droits sur les uvres et objets protgs, de leurs ayants droit, des socits de
perception et de rpartition des droits () ou des organismes de dfense professionnelle (), toutes
mesures propres prvenir ou faire cesser une telle atteinte un droit dauteur ou un droit voisin,
lencontre de toute personne susceptible de contribuer y remdier condition toutefois
que ces mesures soient strictement ncessaires la prservation des droits279 (on connat en
effet les positions de la Cour de justice de lUnion europenne280 et de la Cour europenne des
droits de lHomme281 quant au filtrage et au blocage des contenus). Cest ainsi que, dans un
arrt du 12 juillet 2012282, la Cour de cassation a reproch aux juges du fond de ne pas avoir
appliqu cette disposition au service Google Suggest, alors que les mesures sollicites par les
demandeurs (la suppression des termes "Torrent", "Megaupload" et "Rapidshare" des suggestions
proposes sur le moteur de recherche ainsi que celle des suggestions associant ces termes aux
noms dartistes et/ou aux titres dalbums ou de chansons, ndla) tendaient prvenir ou faire
cesser [les atteintes au droit dauteur] par la suppression de lassociation automatique des motscls avec les termes des requtes, de la part des socits Google qui pouvaient ainsi contribuer y
remdier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux. Plus encore, cette disposition
a t mise en uvre pour la premire fois en rfr par un jugement du tribunal de grande
279Cons. Const., dcision 2009-580 DC du 10 juin 2009, JCP G 2009, II, 101, note
J.-P. Feldman; Petites Affiches 2009, n125, p. 7, note F. Chaltiel; D. 2009, p. 1770, note
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282Cass. Civ. 1re, 12 juil. 2012, Gaz. Pal. 25-26 juil. 2012, n208, p.9, comm. C. Le Goffic;
Revue Lamy droit de limmatriel, 2012/85, n2851, obs. L. Costes; D. 2012, p. 2345,
obs. J. Larrieu; Revue Lamy droit de limmatriel, 2012/87, n2905, comm. G.Gomis;
Proprits intellectuelles, 2012, n45, p. 413, obs. J.-M. Bruguire; D. 2012, p. 2852, obs.
P. Sirinelli.
instance de Paris en date du 28 novembre 2013283. Dans cette dcision trs remarque, longue
de 46 pages, le tribunal a ordonn aux fournisseurs daccs internet en France dempcher
laccs, partir du territoire franais, des sites de streaming illgal parmi lesquels Dpstream.tv
et Fifostream.tv, et a ordonn plusieurs moteurs de recherche dempcher sur leurs services
lapparition de toute rponse renvoyant vers ces sites.
La question se pose nanmoins, lorsque de telles mesures sont ordonnes, de savoir qui
doit supporter les cots du blocage. Sagit-il des ayants droit, comme la estim le tribunal
de grande instance de Paris dans la dcision prcite (ce qui a conduit un appel des ayants
droit sur ce point), ou bien des oprateurs et intermdiaires techniques? Dans les conclusions
quil a rendues dans laffaire UPC, lavocat gnral Cruz Villaln estimait que le cot pouvait
tre mis la charge des intermdiaires, hormis le cas o une mesure en particulier devait
savrer disproportionne eu gard sa complexit, son cot et sa dure. Dans pareil cas, il
conviendrait dapprcier si le fait de mettre ledit cot, en tout ou en partie, la charge du titulaire
des droits est une mesure susceptible de rtablir la proportionnalit284. La Cour de justice ne
sest malheureusement pas explicitement prononce sur ce point. Elle indique toutefois, dans
larrt UPC285, que les injonctions de blocage adresses aux fournisseurs daccs Internet
restreignent la libert dentreprise de ceux-ci puisquelles les obligent prendre des mesures
qui sont susceptibles de reprsenter un cot important, davoir un impact considrable sur
lorganisation de leurs activits ou de requrir des solutions techniques difficiles et complexes.
Pour autant, selon la Cour, de telles injonctions ne portent pas atteinte la substance
mme du droit la libert dentreprise des fournisseurs daccs internet, dans la mesure
o ces derniers doivent pouvoir choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux
adaptes aux ressources et aux capacits dont ils disposent et qui soient compatibles avec
les autres obligations et dfis auxquels ils doivent faire face dans lexercice de leur activit,
et dans la mesure o, pouvant sexonrer de leur responsabilit en prouvant quils ont pris
toutes les mesures raisonnables, ces intermdiaires ne sont pas tenus de faire des sacrifices
insupportables. Il semble donc bien que les frais affrents aux mesures de blocage puissent tre
mis la charge des intermdiaires techniques.
Conclusion
En conclusion, limpression 3D posera sans aucun doute dimportants dfis aux titulaires de
droits de proprit intellectuelle dans les annes venir. Il incombera tous les acteurs de
la chane, crateurs comme utilisateurs, intermdiaires comme consommateurs finaux, de
construire un difice respectueux des diffrents droits fondamentaux en jeu: droit de proprit,
libert dexpression, libert du commerce et dindustrie, et libert de la concurrence.
Avocats, juristes et magistrats apporteront sans nul doute leur pierre respective cet difice.
283TGI Paris, rf., 28 nov. 2013, Revue Lamy droit de limmatriel, 2013/99, n3294, obs.
L. Costes; Revue Lamy droit de limmatriel, 2014/101, n3307, comm. W.Duhen;
Proprits intellectuelles, 2014, n50, p. 91, obs. J.-M. Bruguire.
284Conclusions rendues le 26 nov. 2013, dans laff. C314/12.
285CJUE, 27 mars 2014, UPC, aff. C-314/12, D. 2014, p. 823, obs. P. Allaeys; RLDI 2014/103,
n3417, obs. L.Costes, pts. 48 53.
4.3
Mesures techniques de protection
et contrle des droits dans
lconomie numrique
par Frdric Bourguet et Cristina Bayona Philippine
Les auteurs
Frdric Bourguet est avocat au barreau de Paris depuis 1999. Il a cr en 2010 un cabinet de
niche ddi la proprit intellectuelle et aux nouvelles technologies. Auteur de nombreuses
publications, membre de diverses associations spcialises, formateur et confrencier, il
contribue activement la construction doctrinale et jurisprudentielle en la matire.
Cristina Bayona Philippine, avocate aux barreaux de Paris et de Colombie et charge
denseignement, collabore ses cts depuis 2010.
Synthse
Le droit de la proprit intellectuelle est confront aux technologies nouvelles de reproduction
numrique qui touchent dsormais la production industrielle traditionnelle. Limit par sa
territorialit et un temps normatif dcal, il na dautre solution que de sallier des solutions
techniques de traabilit, intgres aux uvres protges ou leurs supports, afin de contrler
les risques de contrefaon. Cela soulve nanmoins des questions essentielles de respect des
liberts individuelles et conomiques.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
INTRODUCTION
Les bouleversements apports par lconomie numrique et la vitesse du changement que celleci impose dans la manire de penser la fabrication, la production, la commercialisation et la
consommation des biens et des services ont conduit les industriels imaginer diffremment la
protection de leurs crations et innovations.
Avec la gnralisation dInternet et des rseaux sociaux en ligne, accessibles tous et en tous
lieux, les pratiques de commercialisation et de diffusion des uvres ont t bouleverses.
De nouveaux marchs se sont ouverts, de nouveaux produits ont vu le jour et de nouvelles
mthodes de commercialisation rvolutionnent quotidiennement non seulement lconomie
traditionnelle mais galement lconomie numrique, toujours instable. La nouvelle terminologie
trs gnrationnelle de la dmatrialisation rvle la complexit du modle trouver, entre
commerce de limmatriel et communauts du tout gratuit.
Dans les annes 1990 et 2000, gnration Internet oblige, les secteurs de ldition musicale
et audiovisuelle ont vu apparatre toutes sortes de technologies de partage en ligne (non
autoris) duvres protges, directement dusager usager (tel le Peer-to-Peer), et donc
sans intermdiaire physique. La technologie numrique, vecteur du tout gratuit grce
des modles conomiques nouveaux, a permis de contourner les systmes existants de
protection des droits dauteur et de toucher un nombre croissant dutilisateurs, copistes
en puissance. Producteurs, diteurs, distributeurs et auteurs, dont lactivit est rmunre par
les droits dauteur, se sont alors retrouvs dans limpossibilit objective de grer et contrler la
circulation dmatrialise de ces uvres.
La contrefaon de droits dauteur, voire dautres droits de proprit intellectuelle (le
brevet, notamment), par le biais de la dmatrialisation, a ainsi pris une place toujours
plus grande et incontrlable dans le monde numrique. Le piratage286, mme de bonne
foi, sest institutionnalis.
Au-del de la contrefaon dans le march de laudiovisuel, dautres secteurs de lconomie
ont t frapps par le dveloppement acclr de nouvelles technologies numriques, qui ont
facilit la diffusion via Internet ou dautres modes de diffusion dmatrialise. Selon le Comit
national anti-contrefaon (CNAC)287, la contrefaon, notamment numrique, frappe
aujourdhui tous les secteurs dactivit et tous les types dentreprises, quelle que soit leur
taille. Sont particulirement touchs des secteurs conomiquement sensibles: mdicaments,
cosmtiques, produits phytosanitaires, pices automobiles, montures de lunettes, jouets,
produits multimdias et produits agroalimentaires288.
286 Les possibilits dchange ou daccs aux contenus offertes par Internet ont permis le
dveloppement de pratiques portant atteinte la proprit littraire et artistique, diverses
par les technologies quelles utilisent, et souvent regroupes sous le terme gnrique de
piratage; P. Lescure. Mission Acte II de lexception culturelle, contribution aux
politiques culturelles lre numrique, 2013, p. 30.
287
Le Comit national anti contrefaon a t cr en 1995. Il est intgr par les fdrations
industrielles et artistiques, les associations professionnelles, les entreprises et les
administrations concernes par le respect des droits de proprit intellectuelle.
www.contrefacon-danger.com
288
Selon le guide Mettre en uvre les solutions dauthentification des produits manufacturs,
labor par le ministre de lconomie et le Comit national anti-contrefaon.
www.entreprises.gouv.fr/files/files/guides/guide-pratique-authentification.pdf
Ltat a dabord ragi de manire trs classique, en lanant des campagnes de sensibilisation au
respect des droits dauteur et dnonant la copie pirate. Depuis quelques annes, le lgislateur
a adapt le cadre juridique existant, en prvoyant de nouvelles sanctions ou en durcissant celles
existantes, au niveau civil comme pnal, et en offrant de meilleurs moyens didentification
des rseaux de contrefaon. Bien que freines par linternationalisation du phnomne, des
poursuites ont t engages ou des sanctions prises contre les sites proposant de telles facilits
de partages non autoriss.
Malgr la baisse considrable du nombre des infractions et des sites pirates, dans de nombreux
pays, la solution exclusivement juridique restait insuffisante et ladoption de solutions techniques
prventives sest impose, provoquant des dbats sur leur licit.
Ainsi, en 1995, le Livre Vert sur le droit dauteur et les droits voisins dans la socit de
linformation289 insistait sur la ncessit dimaginer des systmes techniques didentification des
actes contrefaisants, plus spcifiquement des techniques de tatouage et dautomatisation de
la gestion des droits dauteur: Il parat ncessaire de mettre en place ces systmes et prvoir leur
acceptation au niveau international si lon veut que la socit de linformation ne se fasse au
dtriment des ayants droit.
Avec le trait OMPI adopt en 1996290 sest pose la question de la protection prventive
des uvres ds leur cration, et invitation tait ainsi faite aux lgislateurs communautaires
et nationaux de se pencher sur le sujet. Cest avec la directive europenne du 22 mai 2001
sur lharmonisation de certains aspects du droit dauteur et des droits voisins dans la socit de
linformation291 que ces mesures techniques ont fait, pour la premire fois, en Europe, lobjet
dun encadrement juridique spcifique. Selon la directive, si la protection de la proprit
intellectuelle ne ncessite aucun concept nouveau, les rgles actuelles en matire de droit dauteur
et des droits voisins devront tre adaptes et compltes pour tenir dment compte des ralits
conomiques telles que lapparition de nouvelles formes dexploitation.
Ce rgime juridique spcifique aux mesures techniques a t transpos dans le droit franais
par la loi n2006-961 du 1er aot 2006 et intgr au Code de la proprit intellectuelle (articles
L.331-5 et suivants). Il demeure toutefois encore assez mconnu des acteurs de lindustrie.
Les industriels ont pourtant eux aussi recours la technique comme moyen de protection
prventive, instaure en amont de la mise en circulation de leurs produits. Lintgration de
dispositifs techniques de traabilit ou de gestion des droits leur permet thoriquement
de pallier la dmatrialisation des contenus et la dmultiplication des flux, dauthentifier
lorigine des produits, et deffectuer un suivi et un contrle efficace de la chane de
fabrication et distribution en cas de besoin.
289
Livre Vert de la Commission europenne du 19 juillet 1995 sur le droit dauteur et les
droits voisins dans la socit de lInformation: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/
FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:51995DC0382&from=FR
290Trait OMPI du 20 dcembre 1996: www.wipo.int/treaties/fr/text.jsp?file_id=295168
291
Le texte complet de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 est disponible sur le site:
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32001L0029
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
292
DGCIS. Atelier des ples de comptitivit. La DGCIS et la lutte contre la contrefaon.
16 mars 2012. http://competitivite.gouv.fr/documents/commun/Documentation_poles/
Ateliers_poles/16-03-2012/atelier-poles-PI-16-03-2012-contrefacon.pdf
293
Sur les diffrents procds dimpression: M. Berchon, Limpression 3D, Paris: Eyrolles,
2013, p. 17-34.
294Parmi les sites les plus visits: Thingiverse, Sculpteo, Shapeways.
295Pour plus dillustrations sur les objets imprims grce la technique 3D:
www.3dnatives.com/news/
grand public et le perfectionnement trs rapide de cette technologie font craindre une
dmultiplication des reproductions non autorises des crations et inventions diverses protges
par un droit dauteur, une marque ou un brevet. Chacun de nous, avec un matriel de moins
en moins coteux et de plus en plus performant, peut facilement passer du statut de simple
copiste priv (la copie usage priv tant autorise par exception) celui de vritable usine
de fabrication miniature.
Pour ces nouvelles pratiques, les dispositifs techniques existants ne sont cependant plus
suffisants pour garantir aux titulaires de droits (de proprit intellectuelle) une protection
contre de nouveaux types de contrefaon, notamment lis la technologie 3D, peu
dtectables, oprables domicile, et facilits par des cots, un matriel et un besoin despace
trs limits. Lconomie de la contrefaon professionnelle et organise est susceptible dvoluer
vers une micro-conomie individuelle, sans structure complexe et donc moins reprable. Ce
phnomne dindividualisation nest dailleurs pas lapanage du secteur de la contrefaon, mais
touche dans son intgralit.
Do la ncessit dtudier des systmes spcifiques et nouveaux de gestion et de contrle de la
chane de production et de commercialisation, qui ressemble aujourdhui davantage un cercle
centrifuge qu une chane.
Toutefois, comme toujours, lusage de mesures techniques de protection prventive doit se
faire dans le respect de la lgalit et, plus prcisment, des grands principes garants des liberts
dans les dmocraties. La seule prvention de la contrefaon, monopole dexception une
concurrence librale, lgitime-t-elle de systmatiser et dtendre la traabilit des produits et
services en amont de leur commercialisation et en labsence de faits de contrefaon avrs, par
linsertion de mesures techniques de protection toujours plus larges? Ce traage ne risquet-il pas ainsi de porter une atteinte disproportionne certaines liberts: droit de copie
prive, interoprabilit, libre change, libert de concurrence loyale? Le principe mme de
lusage de ces techniques de traabilit fait donc logiquement dbat.
Lexercice des droits de proprit intellectuelle, monopole lgitime rcompensant
linvestissement des crateurs et inventeurs, nest toutefois quune exception la vision librale
actuelle des rgles de concurrence en Occident, et ne doit donc pas pour autant constituer
un frein aux liberts, certes non-absolues mais lgitimes, octroyes aux citoyens et au droit
de commercer: circulation, change, expression, droit loubli, etc. La traabilit systmatique
comme rponse aux risques de contrefaon en amont de toute mise sur le march ne saurait
remettre en cause cet quilibre fragile entre concurrence loyale, principes fondamentaux et
monopole intellectuel.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Elles sont souvent accompagnes par des mesures techniques dinformation 296 relatives
luvre originale concerne (auteur, titulaire, conditions dexploitation autorises, etc.).
Le Code reconnat deux fonctions aux MTP:
dune part, empcher toute personne non autorise daccder une uvre protge par
le droit dauteur;
dautre part, contrler lexploitation et lutilisation de luvre, quelle soit intgrale ou
partielle, et plus particulirement le droit de reproduction.
En particulier, larticle L. 331-7 dispose: les titulaires des droits, qui recourent aux mesures
techniques de protection dfinies larticle L. 331-5, peuvent leur assigner pour objectif de limiter
le nombre de copies (). Les dispositions de cet article peuvent, dans la mesure o la technique le
permet, subordonner le bnfice effectif de ces exceptions un accs licite une uvre () et veiller
ce quelles naient pas pour effet de porter atteinte son exploitation normale ni de causer un
prjudice injustifi aux intrts lgitimes du titulaire de droits sur luvre ou lobjet protg.
Retenons donc, au terme de cette lecture littrale, lquilibre dlicat prserver, au regard du
droit copie prive.
Le droit de copie prive est en ralit une exception au droit dauteur, le principe
demeurant donc lexigence dune autorisation de lauteur. ce titre, la copie prive est donc
dinterprtation stricte et ne peut donc constituer un obstacle de principe aux MTP, comme on
pourrait le penser. Linstauration de MTP qui porteraient atteinte ce droit dexception en posant
des limites techniques certaines reproductions nest donc pas illicite en soi. En revanche,
ces limitations ne doivent pas empcher un exercice normal du droit de copie prive par ses
bnficiaires, ce qui amne considrer que, pour tre garanti, ce droit ne doit pas lui-mme
faire lobjet dun usage abusif, au sens de cet article L.331-7.
Pour parvenir aux objectifs recherchs par le lgislateur, diverses mesures techniques ont
t adoptes.
Les premires mesures techniques apparatre incorporaient des systmes de marquage
par numro de srie ou tatouage numrique. Les techniques de marquage par numro de
srie, aujourdhui trs courantes, permettent un suivi de lobjet ds sa fabrication jusqu sa
rception par le consommateur final. Le tatouage numrique permet, quant lui, dincorporer
des informations luvre de faon imperceptible et permanente afin dassurer son
authentification ainsi que lidentification de son auteur, de sa source, voire de ses autorisations
dexploitation. Les tatouages les plus courants sont (1) le watermarking297, qui consiste
en linsertion dans luvre mme dun filigrane dinformations relatives celle-ci, et (2) le
fingerprinting, qui est une application enrichie du watermarking insrant notamment un
296
Larticle L.331-11 du Code dlimite le type dinformations concernes: On entend par
information sous forme lectronique toute information fournie par un titulaire de droits qui
permet didentifier une uvre, une interprtation, un phonogramme, un vidogramme,
un programme ou un titulaire de droit, toute information sur les conditions et modalits
dutilisation dune uvre, dune interprtation, dun phonogramme, dun vidogramme
ou dun programme, ainsi que tout numro ou code reprsentant tout ou partie de ces
informations.
297
Le watermarking doit tre suffisamment imperceptible pour ne pas dtriorer le
support, tout en permettant quil soit dcel mme aprs un traitement du support ou
une copie de luvre.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
298
Guide pratique CNAC, Pour mettre en uvre les solutions dauthentification des produits
manufacturs, d. 2010.
299
Ce sont des particules de petites tailles prsentant des particularits de rponse spectrale
quand elles sont soumises des rayonnements ad hoc, CNAC, op. cit., p. 15.
300
Selon la CNAC, op. cit., le RFID permet dembarquer des informations didentification dans
une tiquette lectronique (ou tag) lisible distance, appose sur le produit lui-mme ou son
contenant. La performance de la technologie rside dans la difficult de copie lidentique du
tag et des dinformations contenues.
301P. Lescure, op. cit.
Pour leur part, les titulaires des droits dauteur peuvent galement faire appel des
systmes de gestion numrique des droits.
Les Digital Rights Management Systems (DRMS)
Les DRMS (ou systmes de gestion numrique des droits) permettent de grer la distribution
des contenus numriques et ses flux financiers.
Ils reposent la fois sur la gestion dune base de donnes qui contient les informations
ncessaires pour identifier le contenu et les titulaires des droits sur une uvre en
circulation, et sur la gestion des autorisations (licences) qui organisent les modalits
dexploitation de luvre.
titre dillustration, on pourra citer le logiciel dachat de contenus iTunes dApple, qui gre
les droits des fichiers audio de format AAC (Audio Advanced Coding) grce une technologie
spcifique nomme FairPlay. Ainsi, un fichier reconnu de iTunes seul contient des DRM dfinissant
notamment le nombre de supports (ordinateur, CD, etc.) sur lesquels le fichier peut tre copi.
Il se peut que les DRMS nutilisent pas de mesures techniques de protection, mais
simplement des mesures dinformation. Cette gestion des droits de luvre en circulation
est donc ncessairement associe aux organisations de gestion collective de droits (dauteur,
principalement) qui organisent la circulation des uvres et leur rmunration. Une fois lauteur
identifi, le processus de rmunration en chane senclenche.
Les mesures techniques de protection face larrive de la technique 3D
Comme il a t prcis, les MTP ont suivi les volutions technologiques pour offrir un contrle
toujours plus efficace de lutilisation de luvre et limiter ainsi la circulation, dmatrialise ou
non, de copies non autorises.
Or, avec la dmocratisation des scanners 3D302 et des imprimantes 3D, au rapport
qualit-prix de plus en plus attractif, et la facilit daccs du public des laboratoires
de fabrication numrique 303, les perspectives de reproduction individuelle quasimanufacturire prennent une ampleur inespre et lon imagine volontiers combien il
sera difficile de contrler ces pratiques une telle chelle.
Cette nouvelle technique de fabrication fait peser de nouvelles menaces de perte dexploitation
et de gestion sur les titulaires des droits dauteur et les industriels. La violation industrielle de
droits de proprit intellectuelle, lchelle de lindividu, risque den tre accentue et met
en danger plusieurs secteurs sensibles de lconomie, et notamment lindustrie manufacturire,
jusque-l moins touche que lindustrie numrique.
302
Sur le fonctionnement dun scanner 3D: Imprimer en 3D avec la MAKERBOT , Paris:
Eyrolles, 2013, p. 163-214.
303
Le concept de laboratoires de fabrication, plus connus comme Fab Labs, est n
aux tats-Unis vers la fin des annes 1990. Il sagit despaces ddis la cration et
linnovation, avec un accs public des outils de fabrication numrique.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Au-del, prcisment, cest le consommateur mme, attir au premier abord par cette
perspective de libert technique, qui risque de souffrir des consquences, linstar des secteurs
musicaux et vidos, dont loffre sest malheureusement resserre et appauvrie du fait dune
rentabilit menace. titre dexemple, faute de pouvoir distinguer loriginal dune copie ou
vrifier correctement la chane de distribution, il sera bien plus ais quavant dtre tromp
ou de se tromper en achetant une pice dtache prsente comme dorigine, et en ralit
contrefaisante, fabrique moindre cot et sans respecter les contraintes et les normes de
production, ou tout simplement les caractristiques techniques invisibles de la pice originale.
Au-del mme de ces risques, cest tout le march de luvre concerne qui chappera ainsi
lauteur et aux exploitants, supposs tirer dun contrle minimal des reproductions, une
rentabilit leur investissement. Lindustriel pourrait alors mme se faire imputer la paternit
dquipements dfectueux ou en sur-fabrication et voir ainsi sa responsabilit engage, tandis
que le consommateur subirait potentiellement divers types de prjudices, matriels, financiers,
voire mme physiques.
Il semble donc indispensable dtablir un systme de gestion des droits permettant de
suivre le circuit 3D, partir tant des fichiers de conception 3D eux-mmes que des
matriels de scannage et dimpression. De fait, le contenant peut tre plus aisment marqu
et trac que le contenu dmatrialis.
Cela peut tre accompli par diverses mesures techniques de protection, de manire cumulative,
afin de garantir lefficacit de la traabilit et permettre aux titulaires de droits davoir le libre
contrle des conditions daccs leurs uvres, de leur exploitation, et den toucher les bnfices
lgitimes.
Pourquoi ne pas rflchir, par exemple, la cration dune socit de gestion collective des
uvres reproductibles par limpression 3D ou dautres technologies capables de dmatrialiser le
contenant mme, et non plus seulement le contenu, dans le secteur manufacturier notamment.
Cet organisme soccuperait de la cration dune base de donnes rpertoriant les uvres et les
objets concerns.
Dautres mesures techniques, telles que linsertion de systmes de contrle et dinteroprabilit
dans les scans et imprimantes mmes, afin dempcher limpression des fichiers non autoriss,
sont envisageables.
quotidiennement dans nombre de bulles high-tech riches dun trop-plein doffres techniques
concurrentes, incompatibles et en ralit peu viables.
La normalisation, ainsi que le secteur des tlcoms (entre autres) le vit depuis dj longtemps,
en facilitant des interoprabilits et des volutions matrises, permet dencadrer les offres
technologiques autour de grands principes volutifs, en ne noyant pas le consommateur
sous un trop-plein de systmes techniques illisibles ou la fiabilit non prouve qui faussent
tout autant la concurrence et le libre usage que le monopole intellectuel.
Afin daider les entreprises apprhender leurs propres besoins en matire de traabilit et
dauthentification et rationnaliser le march, la commission de normalisation AFNOR 304
Performance des outils de protection contre la contrefaon a dit en dcembre 2012 la
norme NF ISSO 12931 sur les Critres de performance des solutions dauthentification contre la
contrefaon de biens matriels305.
Cette norme, destine aux entreprises de toutes tailles, prvoit des critres et une mthodologie
dvaluation de la performance des MTP utiliss pour tablir lauthenticit dun bien matriel
pendant son cycle de vie.
La norme permet lentreprise qui souhaite mettre en place une solution fiable de
protection contre la contrefaon de trouver le compromis idal entre son besoin de
protection, dune part, et les possibilits techniques offertes par le march, dautre part.
Elle lui permet ainsi dvaluer la pertinence des solutions proposes.
Toutefois, limportance grandissante des mesures techniques de protection dans lconomie
numrique na pas seulement conduit une premire vague de normalisation, mais a galement
amen le lgislateur imaginer un cadre de protection lgale de ces MTP mmes, afin de
prvenir et sanctionner les abus, et notamment leur contournement.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Lalina 2 du mme article prcise que: ces mesures techniques sont rputes efficaces
lorsquune utilisation vise au mme alina est contrle par les titulaires des droits grce
lapplication dun code daccs, dun procd de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute
autre transformation de lobjet de la protection ou dun mcanisme de contrle de la copie qui atteint
cet objectif de protection.
Ds lors, logiquement, lalina 3 nonce que un protocole, un format, une mthode de cryptage,
de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens
du prsent article.
Les considrants de la directive 2001/29/CE suggrent que ce critre defficacit, exig pour
que les mesures techniques soient reconnues par notre droit comme licites et protectrices, fait
davantage rfrence lutilisation adquate de celles-ci par les titulaires de droits qu un
quelconque niveau de protection quantifiable de ces mesures.
En effet, lautorisation lgale de lusage de MTP de traabilit a dabord pour objectif de protger
les droits dauteur sur luvre et non doffrir au titulaire des droits un systme de verrouillage
potentiellement absolu, lusage incontrl.
Pour tre reconnue efficace, la mesure technique doit accomplir sa fonction telle que prvue
dans le cadre normal de sa mise en place. Elle nassurera ainsi un rle de protection qu
condition que le titulaire de droits, en linstallant, ait bien entendu protg ses droits et exerc
un contrle lgitime. Autant de qualificatifs qui appellent la mesure.
Aussi, pour tre licite, la mesure technique doit tre clairement et exclusivement destine
assurer la protection dune uvre protge par un droit de proprit. La licit des
mcanismes techniques est donc lie lexistence dun droit protgeable.
titre dillustration, dans un arrt Nintendo306 du 23 janvier 2014 mettant en cause la
prsence de mesures techniques de contrle et de limitation sur les consoles de jeu, la Cour
de justice de lUnion europenne a prcis la notion de mesure technique efficace au sens de
la directive 2001/29/CE. Selon la Cour, cette notion est susceptible de recouvrir des mesures
techniques consistant quiper dun dispositif de reconnaissance non seulement le support
contenant luvre protge (un CD, par exemple) en vue de sa protection contre des actes non
autoriss par le titulaire du droit dauteur, mais galement les appareils ou consoles utilisant ces
supports et indispensables pour laccs ces jeux et leur utilisation.
Les informations de traabilit intgres luvre
Au-del des dispositifs de protection strictement techniques, les informations intgres une
uvre, relatives notamment lauteur, au contenu et aux modes autoriss de diffusion de
luvre en question, font elles-mmes lobjet dune protection lgale.
Larticle L.331-11 protge ainsi en ces termes les informations intgres luvre pour faciliter
sa traabilit: Les informations sous forme lectronique concernant le rgime des droits affrents
une uvre (), sont protges dans les conditions prvues au prsent titre, lorsque lun des lments
307CA Paris, ple 5, ch.12, 26 sept. 2011, Revue Lamy droit de limmatriel, 2011/76, n2507.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Objet et source de protection, tournes vers les titulaires de droits, les MTP soulvent nanmoins
des questions, sagissant des limites de leur utilisation, ds lors quelles saffranchissent parfois
des limites et exceptions grevant les droits de proprit intellectuelle et les rgles dune
concurrence quilibre.
Elle a t transpose de manire relativement fidle dans le droit franais par la loi n2007-1544
du 29 octobre 2007.
Ces dispositions, associes des rformes internes de lorganisation judiciaire (souvent plus
culturelles que matrielles, ce qui est aussi apprciable), offrent de nouveaux moyens aux
titulaires de droits pour remonter et sanctionner les rseaux de contrefaon, mais galement
obtenir une rparation plus raliste de leur prjudice: saisies-contrefaon tendues, droit
linformation, rfrs facilits, bases de calcul du prjudice largies, etc.
Les juridictions spcialises ont su, depuis cette transposition, faire une application large de ces
dispositions nouvelles, sans pour autant rformer inutilement certaines pratiques ayant fait leurs
preuves. Les praticiens franais et europens se satisfont aujourdhui de la mise en uvre de
nouvelles mesures ainsi dictes ou renforces, mais il nentre pas dans notre propos danalyser
ici le dtail de ces actes.
En revanche, dans les secteurs des nouvelles technologies, dont la dmatrialisation est
une caractristique majeure, il est extrmement difficile, voire impossible, de contrler la
contrefaon et surtout de rassembler a posteriori les preuves ncessaires, pour diverses
raisons objectives: dmatrialisation des contenus, voire des contenants, dmultiplication des
sources de diffusion des contrefaons (Internet, fichiers numriques, etc.), circuits illimits de
commercialisation et, l nest pas le moindre des problmes, acceptation gnrationnelle du
phnomne, tout le moins tant que les intresss ne sont pas eux-mmes entrs dans la ralit
dun circuit conomique exigeant financements et rentabilit.
Ds lors, la technique connaissant beaucoup moins de frontires que le droit, limit pour encore
longtemps des tentatives tardives dharmonisation, la rponse ne pouvait tre uniquement
juridique ou limite un cadre territorial.
Linsertion de mesures techniques prventives est donc une ncessit dans lindustrie
du XXIe sicle. Les secteurs de lindustrie musicale et cinmatographique, de limpression 3D
ou encore des objets connects, qui connaissent une croissance exponentielle et fonctionnent
souvent sans presque aucun contenu matrialis, sont rvlateurs de la ncessit de pouvoir
tracer tant les contenus que les contenants (supports, pices dtaches, matriels de
reproduction, etc.).
Certains pourront cependant comparer lessor du march de ces MTP celui des moyens de
surveillance vido qui explose dans nos villes, au dtriment de nos liberts fondamentales daller
et venir mais sous la justification de ncessits scuritaires. Dautres y verront une importance
disproportionne et injustifie donne aux droits de proprit intellectuelle, au dtriment du
droit de la concurrence.
Or, tout nest jamais aussi tranch que certains esprits un peu trop radicaux laffirment.
Cependant, il est vrai quen tentant de freiner la facilit des actes de contrefaon numrique, les
MTP bloquent aussi certaines liberts de reproduction pourtant accordes, titre dexception,
aux utilisateurs, telle lexception de copie prive.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Parmi ces tiers intresss, on peut limaginer: Hadopi. En cas dchec de ces concertations,
lHadopi, autorit administrative ddie au contrle de la diffusion des uvres et la protection
des droits sur Internet313, peut tre saisie par toute personne bnficiaire de lexception de
copie prive, ou toute personne morale agre reprsentant les bnficiaires de lexception, de
tout litige concernant des mesures techniques supposes entraver lexercice effectif de ladite
exception314.
LHadopi doit alors favoriser la conciliation, ainsi que le prvoit larticle L.331-35 du CPI. En cas
dchec, elle peut enjoindre aux titulaires de droits de mettre fin des mesures techniques de
protection non conformes cet article.
Les prcisions apportes par la Cour de justice de lUnion europenne dans larrt Nintendo
et les autres arrts susviss pourront servir de guide au juge national charg dapprcier la
pertinence et ladquation de telle ou telle mesure tel ou tel secteur, et notamment si dautres
mesures, moins contraignantes pourraient causer moins dinterfrences avec les activits des
tiers ou de limitations de ces activits, tout en apportant une protection comparable pour les droits
du titulaire. Selon la Cour de justice, il est pertinent de tenir compte, notamment, des cots
relatifs aux diffrents types de mesures techniques, des aspects techniques et pratiques de leur mise
en uvre ainsi que de la comparaison de lefficacit de ces diffrents types de mesures techniques
en ce qui concerne la protection des droits du titulaire, cette efficacit ne devant pas, toutefois,
tre absolue. La juridiction nationale peut galement examiner la frquence avec laquelle ces
dispositifs, produits ou composants sont effectivement utiliss en mconnaissance du droit dauteur
ainsi que la frquence avec laquelle ils sont utiliss des fins qui ne violent pas ledit droit.
La rationalisation et lquilibre des MTP dans le secteur des impressions 3D
Avec la dmocratisation et la dmatrialisation de nouvelles technologies, telle limpression 3D,
qui appellent la mise en place de mesures techniques de contrle prventives, lquilibre entre
les droits des titulaires (droit dauteur, droits de brevet, etc.) sur leur cration, et le droit la
copie prive des utilisateurs, risque dtre perturb une chelle plus grande encore que ce que
le secteur de lindustrie musicale et vido a laiss apparatre pour linstant.
Ce ne sont plus seulement les contenus dmatrialiss, mais bien les matires et produits
physiques eux-mmes qui seront bientt reproductibles lchelle individuelle, linfini,
qualit gale et cots comptitifs. Ce sont donc lconomie et lindustrie traditionnelles qui
sont aujourdhui confrontes ce phnomne.
dfaut de pouvoir srieusement prtendre assurer la traabilit de ces produits, matires
ou contenus circulant de manire invisible, les industriels et manufacturiers se penchent
logiquement vers la traabilit du contenant, du support et/ou des diffrents appareils de
reproduction.
Il parat donc opportun de sinterroger sur la pertinence dadopter un systme de gestion
de droits (Digital Right Management) propre aux scanners et imprimantes 3D, offrant la
313
La mission de lHadopi est dfinie larticle L. 331-13 du Code de la proprit intellectuelle.
314Pour plus dinformation sur comment saisir lHadopi : www.hadopi.fr/en/node/714
315
G. Courtois, LImpression 3D: chronique dune rvolution juridique annonce,
Revue Lamy Droit de lImmatriel, 2013, 99, Dcembre 2013, p. 78.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
316
Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991:http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/
LexUriServ.do?uri=CELEX:31991L0250:FR:HTML
317Pour plus de prcisions: Y. Gaubiac, Interoprabilit et droit de proprit intellectuelle,
Revue internationale du droit dauteur janv., 2007, n211; et C.Caron, Linteroprabilit au
service de la libre concurrence, Communication commerce lectronique, n 1, janvier 2012,
comm. 2.
318
Larrt Magill est lorigine de la thorie des facilits essentielles. CJCE, 6avril 1995,
aff. C-241/91 et C-242/91, Radio Telefis Eireann: Rec. CJCE 1995, I, p. 743, concl. C.Gulmann.
B.Edelman, Larrt Magill: une rvolution?: D.1996, chron. p. 119; D. affaires 1996, p. 127,
obs. G.Bonet; Revue trimestrielle de droit commercial, 1995, p. 606, obs. A.Franon;JCP G
1995, I, n3883, obs. M.Vivant; JDI 1996, p.530, obs. M.-A. Hermitte.
cumulatives319: (1) le refus daccs la source doit faire obstacle lapparition dun produit
nouveau pour lequel existe une demande; (2) aucune raison objective ne doit justifier ce refus
et (3) le refus doit avoir pour consquence une atteinte grave la concurrence et/ou une
rservation du march.
Ces mmes critres pourraient sappliquer lusage des mesures techniques de
protection ayant comme seul objectif le cloisonnement dun march.
On comprend donc que cette recherche dun quilibre entre lusage de la technique et les rgles
de la concurrence puisse paralllement encourager le phnomne de normalisation320, dont
lobjectif est, avant tout, dharmoniser les technologies au bnfice des consommateurs, et de
faciliter la circulation des marchandises et des services par la mise en place dune procdure de
standardisation et de validation transparente et simplifie.
Ainsi par exemple, dans le domaine des livres numriques, la Commission europenne a engag
une rflexion sur la mise en place dun standard commun qui simposerait lensemble des
acteurs du domaine afin dassurer linteroprabilit entre les plateformes et les instruments de
lecture321.
Plus encore, le lgislateur a habilit lHadopi se prononcer sur des litiges concernant
linteroprabilit. Ainsi, si la mesure technique de protection entrave linteroprabilit
de systmes techniques ou de services, lHadopi peut tre saisie par lexploitant exigeant
linteroprabilit et souhaitant obtenir les informations essentielles sa mise en uvre 322. Ce
recours cette autorit doit faciliter ladoption des solutions qui permettront de raliser lquilibre
subtil entre la satisfaction des aspirations du public et le respect des droits des auteurs323. LHadopi
sest vue octroyer un pouvoir de sanction en cas de non respect de ses dcisions de
conciliation permettant de donner accs aux informations essentielles linteroprabilit.
Aussi, par dcision motive, la Haute autorit peut infliger une sanction pcuniaire applicable
en cas dinexcution de ses injonctions ou en cas de non respect des engagements faits par
les parties. Elle doit apprcier limportance du dommage caus aux intresss au regard de la
situation de lorganisme ou de lentreprise sanctionn et de la ritration des pratiques contraires
linteroprabilit.
Il reste donc faire en matire de rglementation, afin de trouver cet quilibre, aujourdhui
comme demain
319CJCE, 29avril 2004, aff. C-418/01, IMS Health c/ NDC Health01: Rec. CJCE 2004, I,
p. 5039, concl. Tizzano; D.2004, p. 2366, note F. Sardain; Communication commerce
lectronique, 2004, comm. 69, obs. C.Caron; Proprit industrielle, 2004, comm. 56,
obs. P.Kamina; Proprits intellectuelles, 2004, n12, p. 821, obs. V.-L. Bnabou. La
thorie des facilits essentielles a galement t mise en application dans une affaire
Microsoft, TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Comm. CE: JOUE n C 269,
10 nov. 2007,p. 45- V. Behar-Touchais, tre interoprable ou ne pas tre: telle est la
question! Voir notamment Georges Bonet, Le point sur lapplication de larticle 82
(ex-art. 86) CE en matire de proprits intellectuelles, Aprs larrt IMS de la Cour de
justice du 29 avril 2004 (1), Revue trimestrielle du droit europen, 2004, p. 691.
320
F. Bourguet et A. Vives-Albertini, Normalisation et droits de proprit intellectuelle: la
difficile cohabitation, Proprits intellectuelles, 2012, oct.2012, n45.
321
Lescure P., op. cit.
322
Sur la procdure suivre pour saisir lHadopi: www.hadopi.fr/hadopi-vous/
questions-dinteroperabilite-comment-saisir-l-hadopi. Les rgles dorganisation et de
fonctionnement de lHadopi sont dfinies aux articles R.331-2 R.331-46 du Code de la
proprit intellectuelle.
323P. Sirinelli, Interoprabilit, Proprits intellectuelles, juillet 2006, 20, p. 239.
4.3 M
esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
CONCLUSION
Au-del de la ncessit de dvelopper les moyens techniques de tracer et identifier les chanes
de contrefaon, notre expos montre combien il est tout aussi important de considrer aussi ces
moyens techniques comme des objets de droit devant, eux-mmes tre sujets rglementation
et contrles, tant le risque dabus ou de dtournement est rel et potentiel.
La notion dquilibre entre les objectifs lgitimes viss par ces mesures techniques,
savoir la protection des titulaires de droits et de leurs crations dans des marchs
numriques et dmatrialiss, et les objectifs tout aussi prioritaires des exceptions
auxdits droits, des liberts individuelles et des rgles de concurrence, est tout fait
fondamentale dans la rflexion actuelle, qui doit surtout sinstaller dans la dure.
Comme cela est soulign par les diffrents observateurs institutionnels du secteur (Rapport
Lescure, Hadopi, services de lutte contre la contrefaon, etc.), il parat indispensable
damliorer constamment les conditions demploi de ces solutions de traabilit et
didentification.
Plusieurs hypothses de travail ont dj t mises: clarifier les articulations entre MTP et rgles
de droit concernes, notamment en matire de copie prive, dinteroprabilit et de droit de
la concurrence; augmenter les pouvoirs des autorits de rgulation (quil sagisse de lHadopi
ou, par exemple, du CSA), notamment pour assurer linformation des consommateurs, et
faciliter leur saisine; surveiller et poursuivre les abus de position dominante lis linstauration
de telles mesures. Lune des plus importantes, notre sens, est sans doute dinstaurer un
organisme de gestion collective des droits numriques, charg de grer lexploitation des
uvres dmatrialises, assurant ainsi strictement les objectifs de protection des uvres et
de rmunration de leurs auteurs, mais dans un cadre visible et contrlable par les autorits de
rgulation, dont le travail de contrle et de dlimitation des MTP serait ainsi facilit.
En revanche, au regard des risques lis au dveloppement de nouvelles technologies, et
notamment limpression 3D, il serait illusoire, sauf vouloir revivre lexprience de lindustrie
musicale, de croire que lefficacit des MTP pourrait tre relle si aucune limite ntait pose,
de manire pragmatique et quilibre, un absolutisme trop idologique des rgles de libre
concurrence et des exceptions aux droits de proprit intellectuelle. Leffet risquerait dtre
dailleurs parfaitement contraire aux objectifs viss par ces rgles et exceptions, qui doivent
continuer tre gouvernes par le bon sens et lintrt des consommateurs, au regard des
ralits dune poque.
4.4
PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS
Quelle gestion des droits de proprit
intellectuelle dans les Fab Labs et plateformes
ouvertes de cration numrique : proposition
de pistes de rflexion
par Sabine Diwo-Allain
Lauteur
De formation scientifique et technique, Sabine Diwo-Allain travaille depuis une quinzaine
dannes dans linnovation et le transfert de technologie, relation entreprises/recherche. Dabord
dans un Centre rgional pour le transfert de technologie (CRITT) spcialis en biotechnologie
et lutte biologique, puis comme charge de mission innovation Angers Technopole. Dans ce
cadre, elle accompagne les entreprises (PME et grands groupes) dans leurs projets dinnovation
individuels et collaboratifs en partenariat avec la recherche publique. Aprs une formation en
proprit intellectuelle, elle a obtenu le Certificat danimateur en proprit intellectuelle (CAPI) en
2011. Agre par lINPI pour la ralisation de pr-diagnostic en proprit intellectuelle, elle appuie
galement la ngociation daccord de consortium de recherche et dveloppement dans le cadre
de projets collaboratifs de ples de comptitivit.
Synthse
Aprs avoir dfini la notion de Fab Lab et les principes des plateformes ouvertes de cration
numrique, larticle prsente ses utilisations potentielles la fois pour les crateurs
indpendants, les particuliers et les entreprises. Au travers dexemples pratiques, larticle
analyse ensuite comment les droits de proprit intellectuelle peuvent tre appliqus. Quelques
recommandations destines aux partenaires et promoteurs du Fab Lab (ou plateforme ouverte)
sont prsentes afin de leur permettre de sensibiliser et grer les droits de proprit intellectuelle
au sein de la plateforme.
Les Fab Labs sont des plateformes ouvertes de cration numrique permettant le libre accs
des logiciels de conception et des machines de fabrication commande numrique. Ouvertes
au grand public, aux coles et aux tudiants, elles peuvent galement tre utilises par des
inventeurs indpendants, des auto-entrepreneurs ou des entreprises des fins de prototypage
rapide ou de fabrication de petites sries. Cet article sappuie sur la rflexion mene en interne
loccasion dun projet de Fab Lab.
Bases sur les principes de la communaut des savoirs et de lapprentissage par les pairs,
ces plateformes peuvent-elles pour autant saffranchir totalement des droits de proprit
intellectuelle? Les droits de proprit intellectuelle sappliquent-ils aux crations issues
des Fab Labs? Comment les grer dans le cadre des Fab Labs? Faut-il diffrencier les crations
ralises par des particuliers et celles ralises par des entreprises? Telles sont les questions que
se posent les partenaires initiateurs des Fab Labs.
Aprs avoir dfini la notion de Fab Lab et les principes des plateformes ouvertes de cration
numrique, nous prsenterons leurs utilisations potentielles la fois pour les crateurs
indpendants, les particuliers et les entreprises. Nous analyserons alors, au travers dexemples
pratiques, comment le droit de la proprit intellectuelle peut tre appliqu.
Enfin nous mettrons une srie de recommandations destines aux partenaires et promoteurs
du Fab Lab ou plateforme ouverte afin de leur permettre de sensibiliser les utilisateurs et grer
au mieux les droits de proprit intellectuelle au sein de la plateforme.
lapprentissage par lexprimentation. Cette ouverture au public doit tre gratuite (ou en
change de services) et pendant au moins une partie de la semaine ;
le Fab Lab doit adhrer la charte dont les principes sont prsents en encadr ;
elles doivent se doter de machines et de process identiques, une liste minimum est
requise;
elles doivent participer au rseau des Fab Labs, avec entre autres la diffusion et le partage
des plans et projets, et faire partie dune communaut de partage des connaissances.
Ainsi, larticle L613-5 du CPI prvoit que les droits confrs par le brevet ne stendent pas: a) Aux
actes accomplis dans un cadre priv et des fins non commerciales. b) Aux actes accomplis titre
exprimental qui portent sur lobjet de linvention brevete
Et en matire de droit dauteur, larticle L.122-5 du CPI stipule que lorsque luvre a t
divulgue, lauteur ne peut interdire: () Les copies ou reproductions ralises partir dune source
licite et strictement rserves lusage priv du copiste et non destines une utilisation collective,
lexception des copies des uvres dart destines tre utilises pour des fins identiques celles
pour lesquelles luvre originale a t cre et des copies dun logiciel autres que la copie de
sauvegarde tablie dans les conditions prvues au II de larticle L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des
reproductions dune base de donnes lectronique.
Lun des enjeux pour les gestionnaires et utilisateurs de plateforme de cration numrique
est donc bien de pouvoir diffrencier dans quel cadre se situe la cration numrique
(exprimentation, fins prives, fins commerciales) afin de pouvoir lever les ambiguts,
respecter les droits de proprit intellectuelle antrieurs, et permettre la protection des crations
et inventions ralises au sein du Fab Lab.
ateliers et formation: pour apprendre aux utilisateurs bien matriser la conception sur
logiciel et la fabrication laide des machines ;
location de machines sur rendez-vous: les utilisateurs peuvent rserver une machine
afin de raliser un objet, un prototype. Si cette rservation est payante (location), les
utilisateurs ne sont pas obligs de laisser leur documentation projet la communaut. En
gnral, les utilisateurs doivent avoir suivi une formation avant de pouvoir utiliser la (ou
les) machine(s) ;
l ocation de lespace pour prototypage sur rendez-vous: ce service nest pas
disponible dans tous les Fab Labs. Il permet une entit (particulier, cole ou entreprise)
de privatiser le Fab Lab pendant quelques heures ou une journe afin de mener bien
un projet (prototypage rapide, par exemple). Dans certains Fab Labs, les animateurs
sont disposition du locataire et peuvent mme signer un accord de non-divulgation.
Dans dautres Fab Labs, lanimateur est prsent si besoin, mais sans spcialement
accompagner lutilisateur. La plupart du temps, une formation payante aura t
propose et dispense en amont de la location ;
services et conseils: certains Fab Labs vont encore plus loin et mettent disposition
des utilisateurs payants (entreprises, crateurs, coles) non seulement leurs moyens
techniques, mais galement les comptences et expertises de leurs animateurs sous
forme de prestations de services pour concevoir et fabriquer des objets, prototypes, ou
mini-sries.
Ces diffrents types de services sont une forme de rponse la dualit voire lopposition
qui existe entre le libre accs une communaut (grand public, tudiants, coles, etc.) des
fins dapprentissage et de communaut de connaissance, et la privatisation de ces lieux (et
parfois des comptences des animateurs) pour des entreprises des fins de prototypage rapide
dinventions ou de crations qui pourront faire lobjet de dpt de titre de proprit industrielle
(dessins et modles, brevets, etc.), voire des fins de fabrication de petites sries qui seront
commercialises.
Pour autant, cette segmentation de services est-elle pour autant suffisante pour que la gestion
de la proprit intellectuelle soit intgre la gestion des Fab Labs?
conclusion
Toutes les plateformes de cration numrique ne sont pas forcment labellises Fab Lab, mais
la rflexion conduite ici peut galement sappliquer ces plateformes ds lors quelles accueillent
diffrents types de publics.
Mme si les Fab Labs sont bass sur le principe de la communaut des savoirs et de
lapprentissage par les pairs, ils ne peuvent pour autant saffranchir des droits de proprit
intellectuelle. Ainsi, les crations ralises et les inventions mises au point dans les Fab Labs
peuvent faire lobjet de protections au titre de la proprit intellectuelle. Les Fab Labs se doivent
galement de respecter les droits de proprit intellectuelle antrieurs aux crations et inventions
ralises en leur sein.
Nous avons voqu plusieurs pistes dactions pour permettre cette prise en compte aux
animateurs et gestionnaires de Fab Labs.
Cependant, la question de la responsabilit (Fab Lab vs utilisateur) en cas de contrefaon reste
ouverte. Les Fab Labs seront-ils considrs, au mme titre que les plateformes de stockage de
fichiers 3D, comme des intermdiaires techniques susceptibles dtre qualifis de contrefacteurs
indirects? Il conviendra pour les animateurs et les gestionnaires de Fab Labs de surveiller et suivre
la jurisprudence actuelle et venir, a dfaut dune lgislation spcifique.
Sources
http://fablab.fr/projects/project/charte-des-fab-labs/
http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/fablab/wiki/
www.fabfoundation.org/fab-labs/
Fabien Eychenne, Fab Labs: tour dhorizon, Fing, 2011 (http://fing.org/?Tour-d-horizon-des-FabLabs)
http://fablab-lannion.org
www.pingbase.net/fablab
Code de la proprit intellectuelle
www.juritravail.com/maitre-filipetti-avocats-isabelle/Actualite/marques/Id/143151
Remerciements
Yoann Digue pour la fourniture de documents et rfrences, la confrontation de nos points de
vue sur des exemples et sa relecture; Christophe Angot pour sa relecture.
4.5
LES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION
NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?
par Julien Pichon
Lauteur
Julien Pichon dbute sa carrire dans lindustrie des tlcommunications et de laronautique.
Il travaille successivement dans deux grands cabinets de CPI. Il rejoint le cabinet Camus-Lebkiri
en novembre 2011. Intervenant en droit des brevets luniversit de Marne-la-Valle (Master 2
Patrimoine immatriel), diplm du Conseil en proprit industrielle (CEIPI) et mandataire agre
auprs de lOffice europen des brevets (OEB).
Synthse
Les imprimantes 3D connaissent actuellement un grand retentissement dans la presse. Les
premires applications catalysent de grands espoirs (la ralisation de prothses dans le domaine
mdical) et de grandes frayeurs (la production darmes feu). laube de nouveaux usages, les
prdictions sur limpact de cette technologie sont nombreuses. Le prsent article propose trois
scnarios se droulant dans un avenir proche (2021). Lexercice consiste se projeter dans des
problmatiques lies lexercice du droit, notamment de la proprit intellectuelle. Chacun des
trois scnarios peut tre abord indpendamment des deux autres.
Le premier scnario voque les consquences de la copie prive de masse de fichiers CAO.
Le deuxime scnario voque la responsabilit dun Fab Lab.
Le troisime scnario voque les problmatiques de protection dobjets modulaires et gnriques
au moyen dimprimantes 3D.
Le vrai progrs,
cest une tradition
qui se prolonge.
Michel Crpeau
Introduction
Les politiques et les juristes sont soucieux dencadrer et daccompagner le progrs technique,
les mutations technologiques et les nouveaux usages pour organiser une socit qui prserve
les droits de chacun. Une socit dans laquelle chacun pourra prendre pleinement sa place
tout en respectant les droits des tiers. Nous tirons les enseignements du pass pour prvenir
lavenir. Nous pouvons rappeler ici les mots de Jean-Marc Mousseron en ouverture de son
ouvrage Inventer: Le droit () est un ensemble doutils de construction de la vie sociale et de la vie
conomique en particulier.
Nous perptuons une tradition en ladaptant aux changements; lesprit des lois, lui, reste le
mme.
Lternel retour
Bien quil nous soit difficile de prdire quels seront les impacts dune dmocratisation de lusage
des imprimantes 3D, resituons quelques lments de contexte des innovations ayant permis de
reproduire une chose pour clairer le champ des possibles.
Limprimerie a permis une vritable opportunit de diffuser les lettres au sein de socits
parses, multipolaires et multiculturelles. Joseph Nicphore Nipce apportera sa pierre ldifice
en inventant le premier procd de photographie. Limage se dmultiplie alors linfini pour
nous offrir une mme empreinte visuelle. Puis, Thomas Edison, sourd et isol, invente le procd
permettant danimer ces images: le cinma! Les bobines circulent, les cultures se mlangent
encore un peu plus. Les genres, les styles, les personnalits des auteurs se confondent et
sinspirent. Chacun apporte sa patte et sa griffe pour nous offrir sa propre exprience visuelle.
Depuis, les procds de gravure de support physique et les principes de numrisation ont
permis de diffuser tout type duvre: texte, musique, image et vido. Dabord chez nous, la
maison, et puis sur nous, dans nos appareils nomades. Internet a achev de contribuer diffuser
largement un ventail de produits culturels dans nos socits dont chacun semble reconnatre
que leur salut sera immatriel.
Il est de ce paradoxe remarquable que les inventions les plus spectaculaires ont t voues
la recopie, la reproduction, la diffusion lidentique ou au partage de la chose. Et notons
inversement que la diffusion et la reproduction dune chose ont permis leur tour de favoriser
la crativit sur la chose.
Un cercle vertueux semble stre constitu entre la cration et la reproduction, si bien que
ces deux aspects composent les deux hmisphres crbraux dune socit en progrs.
Le copieur imit, limitation copie
Cest comme si tout avait commenc sur un malentendu, une ambigut syntaxique qui se serait
propage dans nos esprits cratifs. Le copieur dsigne tout aussi bien lentit pensante
organisant la copie que la machine capable de reproduire les caractristiques dfinissant
lentit copie. Voici donc un malentendu bien confortable nos consciences qui nous autorise
penser que notre responsabilit engage dans lacte de copie est repousse au-del du bout
de nos doigts, l o se trouve la machine capable.
chaque innovation, lhistoire semble tre la mme, les courbes se superposent. La rpercussion
sur le grand public est prcde de mois ou dannes pendant lesquelles linnovation est porte
par des applications militaires ou spcifiques dans lindustrie. Elle se perfectionne ainsi. Ensuite,
le savoir-faire des industriels se capitalise, les procds se matrisent et se rationalisent. Les prix
baissent enfin. Il existe une version pro amliore et une version grand public allge.
Bienvenue Monsieur Marketing. Les premires reproductions font dbat. On encadre le champ
des possibles, voire on lgifre. Laccs aux moyens de reproduction est largi. La technologie se
diffuse. Loriginal est copi, la copie ressemble loriginal, la copie devient loriginal. Le produit
et ses versions sont alors largement rpandus et laissent mme quelques retardataires sur le
march lapanage de quelques surprises innovantes challengeant les prcurseurs.
Alors quen est-il de larrive des imprimantes 3D dans nos socits? Ouvrent-elles une nouvelle
brche? Perptuent-elles un cycle qui semble nous jouer une musique bien connue?
Pralablement, notons que cette technologie semble prometteuse la lecture de certains
articles pariant sur de nombreuses amliorations de lexistant et sur les possibilits qui semblent
promises chacun.
En second lieu, notons cet autre phnomne (probablement encore sous-estim): la prise
en main de loutil par lutilisateur qui saura concevoir, recopier et adapter un modle 3D.
Aujourdhui, si un personnel non qualifi est capable de modifier une photographie, monter un
film, produire une chanson, diter un livre ou monter un meuble, pourquoi ne saurait-il pas,
terme, manipuler un logiciel ddition 3D? Quels en seront les impacts dans nos socits? Nos
usages?
Si des analogies avec la rcente rorganisation de lindustrie musicale semblent nous aiguiller
vers des solutions comparables en termes de remdes juridiques, il subsiste une particularit de
limpression 3D: celle dune convergence des quatre pivots de la proprit intellectuelle: le droit
dauteur, les dessins et modles, le brevet et les marques.
Crativit, copie, originalit, plagiat, nouveaut, combinaison, caractre propre,
assemblage, composition, distinctivit et inventivit sont dsormais autant de faces dun
mme prisme pour apprcier le droit naissant ou prexistant sur un objet imprim partir
dune imprimante 3D.
Larticle qui suit se propose de visiter trois fictions se droulant dans un avenir proche et den
tirer quelques enseignements non exhaustifs de lensemble des problmatiques juridiques
qui peuvent se dgager dune dmocratisation des imprimantes 3D dans la socit. Les trois
histoires sont indpendantes et peuvent tre abordes dans nimporte quel ordre de lecture.
Les projections juridiques de cet article ne sont que pures extrapolations de son auteur.
Les mentions fausses ou les suppositions juridiques non fondes sur un texte de loi actuel
sont mentionnes explicitement par une annotation.
Une brve histoire de lavenir
Nous sommes le mercredi 15 novembre 2021. Les imprimantes 3D sont dsormais
rpandues chez les Franais. Ces dernires annes ont favoris lmergence dun march
important et un vritable engouement pour ces produits tant donn les derniers progrs
raliss dans ce domaine.
Sur le plan marketing, trois volutions ont permis de dmocratiser ce produit auprs dun large
public: la rapidit dimpression sest terriblement amliore, les prix des consommables a enfin
chut et les logiciels ddition de modles et la configuration des machines se sont simplifis.
Sur le plan de la technologie, les derniers modles dimprimantes 3D ont lev les derniers verrous
techniques: les taux dchec des pices fabriques sont matriss, limpression de modles creux
et complexes est ralisable partir dune imprimante domestique, les coloris et les matriaux
proposs constituent une large gamme de choix et de possibilits lutilisateur, et enfin, les
finitions des pices se sont nettement amliores, les effets de bords et leffet de strate peuvent
tre supprims par la plupart des machines 3D moyennant une dernire tape configurer.
Certaines imprimantes 3D proposent un module de revtement relativement efficace, par
exemple par lajout dun engobe, dun vernis ou encore dun mail.
Avant, les imprimantes 3D ctait juste le fun. Aujourdhui, cest un outil dveil pour les enfants
et de crativit pour les adolescents. Pour les adultes, cest quasiment le nirvana: papa rpare
et bricole, maman dcore et se prend rver douvrir une petite boutique. Tout ceci pour le
plus grand plaisir du portefeuille, puisque limprimante 3D nous permet de faire de petites et de
grandes conomies.
Les imprimantes 3D sont prsentes dans un foyer sur cinq. Il existe un Fab Lab pour
25000 habitants Paris. En moyenne, 2millions de pices sont fabriques chaque anne
en le-de-France.
Mercredi 15 novembre 2021, Daniel Fabucci, reprsentant France de MUCCI, organise une
petite fte dans son service. La Monture SunWesh324 est en tte des tlchargements du
site FabStore lanc par un consortium de fabricants de lunettes. 30000 tlchargements
au mois doctobre. Il faut dire que le systme de fixation des branches permettant de les
rendre interchangeables et le systme de clippage des verres sont reconnus comme trs
astucieux et plaisent beaucoup. MUCCI a russi son pari incroyable et rcolte les fruits dune
stratgie coteuse au dpart. Cette marque est propulse fer de lance de lconomie
optidigitale325 et montre comme un exemple dune conversion russie dans ce
domaine.
Daniel Fabucci sait que le business de la SunWesh est trs prometteur. Il fallait y penser! La
monture est compltement modulaire: une branche verte, une autre bleue, et une monture
de verres fuchsia. Dessiner-Colorer-Fabriquer-Monter, presque un jeu denfant pour toute une
gnration de jeunes qui ont mordu lhameon. Les verres se clippent en un coup de pouce, la
fixation est solide et discrte. MUCCI met disposition sur son site internet les dimensions des
verres compatibles qui sont devenus un standard pour les fabricants de verres.
MUCCI a vu ses ventes exploser et sassure dun monopole consolid par trois brevets qui
cerclent ce systme modulaire. Un avantage est que ce systme est compatible avec une
fabrication au moyen dune imprimante 3D de premier prix. Cest toute la vertu dune
simplicit de fabrication allie au gnie dune fixation discrte et solide.
Le problme est bien l: la simplicit de fabrication! Chacun connat quelquun dans son
entourage qui a une imprimante 3D de premier prix qui peut vous les fabriquer moyennant
une poigne deuros, cest--dire le cot de la matire premire. Certains internautes proposent
laccs leur machine via des forums et sites dannonces. Cest une forme de vente la sauvette
numrique.
Daniel Fabucci est bien renseign. Il sait que, selon le droit des brevets, la fabrication dun
objet protg par un brevet chez soi et dans un cadre priv est autorise (quelle quen
soit la source). Les analogies en droit des dessins et modles et en droit des marques restent
vraies pour cette exception de lusage priv dun objet fabriqu chez soi. Daniel Fabucci se pose
324
Modle fictif dune paire de lunettes.
325Appellation fantaisiste dsignant un secteur n dune branche de loptique et du
numrique.
encore la question: quest-ce quun usage priv? Lorsquun ami vous loue ou prte son
imprimante 3D? Ou encore quil vous change de bons et loyaux services?
En ce qui concerne le droit dauteur, la fabrication chez soi dun objet obtenu illicitement
est interdite. Cette interdiction est la base des principaux outils juridiques permettant dviter
la copie prive de masse, notamment appliqu (en thorie) pour viter la copie illgale de titre
musicaux ou de films.
cet gard, Daniel Fabucci prend galement des prcautions juridiques et dclare tous
les fichiers 3D et plans 2D et 3D produits par ses services auprs dune socit de gestion
de droits dauteurs de fichiers 3D.
Daniel Fabucci pense que la gestion des droits dauteurs sur les pices 3D nest pas simple,
car on plonge dans un millefeuilles de droits. En effet, la composition des lunettes,
ladaptation ou la modification des branches et des coloris pour dfinir sa propre paire modulaire
relvent de la dcision de lusager. Lusager peut ainsi devenir crateur de sa propre paire, il
opre des choix et des modifications et sa personnalit sexprime dans le modle conu. Il y a
bien, lorigine, un droit dauteur sur les branches seules et la monture seule, mais il vient se
superposer un autre droit dauteur: celui de lassembleur-adaptateur qui cre un modle surmesure rpondant ses besoins ou ses envies. Notons que le simple choix de branches, dune
monture, de verres et de leur couleur ne fait pas ncessairement natre un droit dauteur (crer,
cest faire des choix, mais choisir naboutit pas ncessairement une cration).
On croit revivre le cauchemar des samples musicaux: crer une uvre partir dune autre
uvre, est-ce de la copie ou de la cration? Les deux mon gnral. Peut-on laisser libre cet
exercice au nom de la cration?
Outre le cas des lunettes de MUCCI, cest bien l que lusage des imprimantes 3D nous surprend
le plus: dans la combinaison, lassemblage de diffrentes sources. Les fameux mash-up de
plans 3D326 en sont le point culminant puisquils permettent de crer des objets bizarrodes
et parfois terriblement ingnieux partir de plusieurs fichiers CAO327. Les dernires fonctions
disponibles sont salues par la presse: partir de deux fichiers, loutil redimensionne et trouve
automatiquement les surfaces les plus compatibles pour combiner deux fonctions supportes
par chaque objet. Rappelez-vous des premiers modles sortis: le cendrier-bougeoir, la
tlcommande-tui, ou encore la bouteille-essuie-tout328. Aujourdhui cette fonction est trs
souvent employe par le consommateur.
Un appel tlphonique du service de veille sonne comme une douche froide. On informe Daniel
Fabucci des donnes publies par lObservatoire numrique mondial (ONM) 329. Lune dentre
elles ressort: lexplosion du nombre de sources prsentes sur FABTorrent (site bas Paris et
rfrenant des liens sur la Toile pour le tlchargement de fichiers CAO). En tte des liens
consults, on retrouve celui qui mne au fichier du modle SunWesh. Son modle phare
est ainsi illgalement tlcharg via des hbergeurs situs hors des frontires franaises.
326Cette fonction est une spculation technologique qui nexiste pas aujourdhui.
327Conception assiste par ordinateur (CAO).
328Ces produits nexistent (malheureusement) pas encore.
329Cet observatoire nexiste pas ce jour.
Le prodige et le monstre
ont les mmes racines.
Victor Hugo
Le site FABTorrent est diteur de contenu mais nest pas considr comme un hbergeur de
contenu de fichiers CAO, et pour cause, il nen hberge pas. Ce site pose un problme de
nombreux acteurs qui nosent pas attaquer le site au risque de ne plus y tre rfrenc du tout.
Car ce site, trs consult, propose des liens mais cest galement une vitrine pour les marques.
Rendez-vous compte: le site FABTorrent, cette petite fleur qui a clos la Halle Fressinet avec une
subvention publique et des moyens dtat, ridiculise aujourdhui le serpent politique qui se mord
la queue. Certes, leur premier succs est davoir dvelopp de nombreux outils numriques sur
le transfert de fichiers selon leurs trois piliers: scurit, intgrit, rapidit. Mais personne ne les
a vus arriver sur le terrain de ldition et de lexpertise numrique en ligne. Dernire dclaration
de son fondateur: Nous employons 450 personnes dans le domaine numrique, si nous fermons
nous rouvrirons ailleurs, il faudra apprendre vivre avec nous.
Il est confiant, puisque de nombreux autres sites existants aujourdhui permettent les changes
de fichiers Peer-to-Peer en plein cur de lEurope sans pour autant tre menacs de fermeture.
Aujourdhui, les politiques savent que larsenal juridique rpressif peut faire fuir certains diteurs
hors des frontires franaises au dtriment de lemploi. Ces derniers drainent une partie de
leur flux de visites via ldition de liens de fichiers en y incluant des notices, des avis et des
conseils dexperts, et en remontant les commentaires de chacun. Ce site est devenu un des plus
consults. Il est avant tout une rfrence technique trs apprcie du public.
Daniel Fabucci avait pressenti un virage difficile pour la marque aprs laffaire des craquages
de protection eDRM330 des fichiers CAO. En revanche, il navait pas prvu limpact du nombre de
tlchargements illgaux de ces montures et limportance du manque gagner pour la marque.
Le rapport dtude juridique sur des poursuites ventuelles du site FABTorrent laisse envisager
que ce dernier risque tout de mme une condamnation, bien quaucun acte de contrefaon nait
t ralis. Pour un site, le fait dditer sciemment des liens manifestement destins mettre
disposition du public de faon non autorise des uvres protges est puni par la loi (art. L3352-1 CPI). Se greffe videmment le dispositif pnal de larticle 121-7 du Code pnal qui sanctionne
la complicit intentionnelle dans la commission dun dlit.
Selon Daniel Fabucci, mme si lactivit de ce site est problmatique, il reste une vitrine
pour la marque et un vivier de jeunes designers dont il ne souhaite pas se couper. Cest un
outil trs pris par les jeunes concepteurs qui souhaitent se faire remarquer dans les meilleurs
classements dobjets tlchargs. Lobjectif est de pntrer un march et de conclure aprs.
a nous rappelle lpoque o ces jeunes artistes mettaient leurs vidos humoristiques en ligne
sur une plateforme vido pour se faire embaucher par une chane du cble, ou encore ces
330
DRM est un terme aujourdhui utilis et signifie Digital Rights Management. Laffaire
du craquage des eDRM na en revanche pas eu lieu.
jeunes dveloppeurs la crativit explosive postant leur dernire application sur la Pole
Store331. On a vu des gamins btir de vritables empires du jeu partir de succs fulgurants
ports par leurs premires applications.
Des talents se rvlent chaque jour sur la Toile, et Daniel les cherche. Il a pour coutume de dire:
Soit vous subissez les assauts des nouveaux crateurs en perdant peu peu vos marchs, soit
vous vous immiscez dans le socle des outils qui permettent de librer cette cration pour en esprer
quelques fruits.
Internet rvle une norme capacit faire clore les meilleurs musiciens, les meilleurs
dveloppeurs, et maintenant les meilleurs designers. Cette facult na pas chapp aux plus
tmraires qui peuvent tester en temps rel le succs de leur design auprs de leur communaut.
Cest galement un indicateur du vivier actif pour les marques qui nhsitent pas reprer les
meilleurs candidats. Daniel Fabucci en a pleinement conscience: certains talents peuvent clore
au hasard dune rencontre heureuse (Pierre Cardin pour Philippe Stark), dautres grce une
brche technologique rencontrant un march au bon moment (Bill Gates). Aujourdhui, Daniel
Fabucci va chercher les nouveaux Ora-to332 qui proposent les produits les plus tendances du
Web et qui challengent les marques sur leur propre terrain de jeu.
Cest ce qui a motiv Daniel Fabucci proposer il y a quelques annes la maison mre la
marque closion, dont le concours du mme nom rcompense les meilleures crations dans
le domaine du design optique sur le Web. Les talents sont partout, nous avons les meilleures
optiques pour les reprer Daniel Fabucci samuse avec la presse avec ses formules chocs.
Cependant, il sait que le pige se referme tout doucement. Pour qui va passer MUCCI en se
lanant dans une procdure en contrefaon lencontre de FABTorrent? Eux qui ont tant
profit de lindustrie numrique pour asseoir leur nouveau positionnement grce la libration
du partage. Cest presque devenu une marque de fabrique pour MUCCI. Aujourdhui leur
cte sympathie auprs du public est immense, leur image est trs attractive et respecte en
termes dmulation crative et dinnovation. Jamais une entreprise navait pous autant sa
communaut en la librant et en la dcomplexant. Aujourdhui, MUCCI nest pas un acteur
comme les autres dans le domaine optique.
Emprunter la voie juridique permettrait une action court terme, avec une trs forte
probabilit de gain pour MUCCI face FABTorrent. En revanche, le risque moyen
terme est norme: le drfrencement de tous ses modles, et une perte de positions
stratgiques pour la marque qui a opt pour le virage numrique. Et ne soyons pas nafs,
les modles seront tlchargs depuis un autre continent. Il sera dans ce contexte impossible
de poursuivre qui que ce soit dans cette bataille en obtenant une dcision efficace et applicable.
Daniel Fabucci en tire trois enseignements importants.
Stratgique: une conception trop simple peut se rvler difficile protger.
La conception dobjets tels que la monture SunWesh est facilement reproductible par un
particulier grce une imprimante 3D domestique de premier prix. Lun des risques est de voir
331
Site fictif dont le nom est inspir de lApple Store.
332Ce designer sest notamment fait remarquer en dessinant de nombreux objets
imaginaires de grandes marques.
se rpandre les contrefaons couvertes sous ltendard de la copie prive sans moyen juridique
efficace pour exercer le droit. Linnovation de ses montures modulaires sest retourne contre
MUCCI. Un systme plus complexe ncessitant lintervention dun tiers spcialiste aurait
pu permettre dimpliquer une responsabilit dans la chane de fabrication ou de distribution
et dobtenir un droit (droit dauteur, de marque ou brevet ou de dessins et modles) qui soit
applicable efficacement auprs dun tribunal.
Juridique: le droit dauteur est lunique rempart contre la copie prive de masse mais son
exercice reste compliqu mettre en uvre.
En droit dauteur, un fichier obtenu illicitement ne peut prvaloir son acqureur de lexception
de la copie prive. La personnalisation de la fabrication dune uvre fait natre une multitude
dauteurs sur des uvres hybrides rendant lexercice du droit encore plus complexe.
Financier: le manque gagner caus par la dmocratisation des imprimantes 3D et la
multiplication de leur usage dans le cadre priv doit tre compens par un systme de
rtributions de droits.
Daniel a le sentiment dtre entr dans lHistoire avec un succs destime dont le manque
gagner financier a permis de dynamiser limage de la marque. Aujourdhui, il est bien incapable
de mesurer si la balance conomique est positive ou ngative. Faut-il penser un nouveau modle
conomique? Par exemple, par la cration dune taxe spcifique sur les imprimantes 3D usage
domestique et sur certains consommables destins la fabrication dobjets 3D?
Ce mme mercredi 15 novembre 2021, Daniel Fabucci dcide dinscrire MUCCI sur la liste des
industriels signataires dune proposition soutenue par lopposition politique. Cette proposition
donne les grandes lignes dune organisation dorganismes de collecte et de redistribution de
droits sur les fichiers CAO tlchargs et scanns. Une particularit de cette proposition est
quelle utilise les classifications des brevets, des marques et des dessins et modles pour
organiser la rtribution des droits perus aux industriels.
Ce que Daniel ne sait pas encore, cest que lopposition propose un mode de redistribution de
ces droits aux industriels selon une spcificit qui ne rendra pas MUCCI ligible.
Ce que Michel ignore, cest que la porte dun brevet est dfinie par les revendications
et que la contrefaon se juge par les ressemblances et non par les diffrences entre un
produit et les caractristiques dune revendication. Or ces dernires revendications prcisent
le dimensionnement dune sphre bicouche comportant une cavit creuse en fonction dune
densit souhaite de la balle. Malheureusement, ceci est reproduit par limprimante 3D qui se
base sur un fichier CAO identique aux balles originales des SPIXON.
Notons tout dabord quen mettant disposition ses machines et en conseillant les
usagers sur la ralisation de leur pice, Michel peut tre considr comme fournisseur
de moyens pour la mise en uvre dune invention protge par voie de brevet. Il peut
donc tre considr comme un acteur dans un acte de contrefaon.
ce titre, sa responsabilit ne peut tre mise en cause que sil a connaissance de lexistence dun
droit de brevet sur la pice reproduite par sa machine. En faisant signer un engagement dun
client imposant ce dernier de signaler tout droit existant, il scuriserait sa position.
En revanche, en fabriquant lui-mme des balles de golf pour faire gagner du temps ses clients
(quils aient command ou non des balles puisquil devance un besoin), il nest plus uniquement
un fournisseur de moyen: il fabrique et vend un produit contrefaisant. La connaissance de
lexistence dun droit de brevet sur lobjet fabriqu nest alors plus une condition pour mettre en
cause sa responsabilit.
Dans le cas prsent, Michel est contrefacteur en droit des brevets, quil ait pris
connaissance ou non de la mention Patented ainsi que du numro de brevet. Il risque
de se voir interdire toute production de balles SPIXON et de payer une somme forfaitaire
calcule sur le manque gagner de la marque SPIXON et des bnfices raliss. Par
ailleurs, les balles fabriques par les imprimantes 3D tant de plus mauvaise qualit que
les SPIXON dorigine, il risque de payer une somme base sur le prjudice limage de la
marque SPIXON.
Michel rvasse en regardant les lvres de Thierry bouger. Outre les motifs quil propose dinscrire
la surface de ses balles, il se pose la question du droit dauteur naissant sur la conception
dune balle de golf. La forme de la surface extrieure rpond des normes de la Fdration de
golf ainsi que son poids, tandis que la forme de son intrieur est uniquement dicte par des
contraintes techniques. Il ny a donc a priori pas de droit dauteur sur cette balle puisque les choix
de conception ne relvent pas des choix de lauteur. La balle ne porte pas la personnalit de
lauteur. Voici donc un exemple dun objet ralis par une imprimante 3D nayant pas fait natre
de droit dauteur mais qui est protg par un (ou des) titre(s) de brevet(s). La marque SPIXON,
si elle engageait une action en contrefaon, devrait donc utiliser uniquement ses brevets. Cette
petite digression de Michel sera interrompue plus tard par une intervention de Thierry.
Cependant, Thierry relve une autre particularit du Fab Lab tenu par Michel: ses locaux sont
diviss en deux pices. Jusque-l, rien dincroyable, dirait Michel.
Tu es responsable de
ce que tu as apprivois.
Antoine de Saint-Exupry
Michel occupe la pice principale, dans laquelle il opre trois machines en fonction des contrats
de commandes et de lassistance quil offre ses clients dans la boutique. Il loue lautre pice,
lannexe, un gestionnaire de machines 3D.
Les machines prsentes dans lannexe sont toutes automatiques. Huit machines Plug & Play.
Il suffit de lire les grands panneaux daide pour sen tirer tout seul, et de suivre pas pas les
principales tapes pour configurer la machine. Chaque machine est quipe dun lecteur de carte
bancaire pour conclure laffaire. Les niveaux de consommables sont rgulirement contrls
par le gestionnaire qui assure la maintenance. Ce mme gestionnaire assure galement la
maintenance de diffrentes machines dissmines dans toute lle-de-France, et notamment
dans de nombreux hypermarchs.
Thierry semble stre bien renseign sur la responsabilit dun Fab Lab dans les actes de
contrefaon dobjets protgs reproduits et dont le fichier a t acquis illicitement. Il a lu
un article dans la presse qui semble affirmer que de nombreuses poursuites engages par des
industriels face des Fabs Labs soucieux de faire respecter leur droit de proprit intellectuelle
aboutissent, juste titre, auprs des tribunaux franais. En effet, en ce qui concerne le droit
dauteur, le copiste (le Fab Lab) et lusager (le client) souhaitant raliser un produit partir dun
modle 3D ne sont dans notre cas pas la mme personne. La reproduction pour un usage priv
dun objet 3D nest donc pas autorise (lexception de la copie prive en droit dauteur ne peut
tre invoque sauf possder soi-mme une imprimante 3D).
Michel reprend Thierry en lui prcisant quil sest organis de diffrentes manires. En ce qui
concerne lusage des machines automatiques, il ralise des contrats de mise disposition
dun lieu avec une socit externe. Il prcise dans le bail de location ne pas intervenir lors de
la ralisation dune impression et ne pas rentrer lui-mme dans le local qui est gr par le
gestionnaire de cette socit. En effet, seul le service de maintenance rentre dans le local pour
changer les consommables lors de ses venues.
Michel poursuit: Tout est expliqu sur de grands panneaux au-dessus des machines: choix du
consommable, configuration des ttes, transfert du fichier FAO, choix de la rsolution, il ny a plus
qu insrer sa CB et le tour est jou. Mais bien heureusement, les gens qui viennent pour les machines
automatiques, finissent par rentrer dans ma boutique lorsquils souhaitent aboutir un peu plus
leur objet. Cest donnant-donnant comme arrangement, mais on ne peut tout de mme pas me
reprocher ce qui se fait ct.
336
La dfinition actuelle du copiste concerne notamment les reprographes mais pas les
gestionnaires de Fab Labs.
337
Les attaches connectes ne sont pas spcifiquement un produit ayant une dfinition
ce jour.
Rappelons que:
les objets dfinissent la nature de ce que lon protge et la porte de la protection de
linvention (les objets sont dfinis dans les revendications dun brevet) ;
le critre dactivit inventive est un critre examin par les offices de brevets lors dune
procdure de dlivrance ou de contrefaon (est-ce que lhomme de lart338 reproduirait
linvention en combinant au moins deux solutions de ltat de lart?).
Le cas des attaches connectes (comportant des capteurs configurer) est un bon exemple
puisquelles sont utilises par les examinateurs pour dtruire lactivit inventive des inventions
portant sur de nombreuses applications dobjets connects. Exemple, lhomme de lart, en
combinant une attache connecte et un capteur dhumidit aboutit, selon lexaminateur, une
station mtorologique domestique.
La modularit des objets daujourdhui repose sur une sparation des fonctions ergonomiques,
mcaniques et lectroniques. La modularit est donc souvent invoque par les examinateurs
des offices de brevets comme une connaissance gnrale de lhomme de lart pour combiner
naturellement diffrentes fonctions. Lhomme de lart 2.0 pense modulaire, il est capable de
changer de domaine technique pour combiner des solutions tiroirs.
De toute manire, les spcialistes le remarquaient dj: le critre dactivit inventive dans les
brevets est plus subjectif que le critre de nouveaut (lun des trois critres de brevetabilit). Ce
critre na cess de fluctuer avec le temps, les jurisprudences et les technologies. Sa dfinition
se raffine. Par exemple, en France, lapprciation du critre dactivit inventive concernant les
inventions dans le domaine de linformatique a volu en dix ans de temps dans les annes
2000.
La vritable innovation des imprimantes 3D est peut-tre l: rendre des objets du quotidien
modulaires, customisables lenvi selon lhumeur (lectronique, batterie, botier, ergonomie,
etc.). La rencontre des objets connects avec les imprimantes 3D a t explosive pour les
CPI339. Cest un peu tenter de protger lappareil capable de tout et que lon peut coupler avec
nimporte quel objet.
Les CPI sont partags sur la stratgie adopter: dfinir un objet de porte large sans dfinir
la destination du produit ou restreindre la porte de lobjet en y prcisant son application. En
outre, le CPI tente de multiplier les objets dans une mme demande de brevet au risque de ne
pas satisfaire le critre dunit dinvention (CPI - L.612-4) ou le critre limitant le nombre dobjets
indpendants pouvant tre revendiqus dans une mme catgorie (CPI - R.612-17-1).
Se rvolter ou sadapter
Cet aprs-midi, Amandine Masle reoit son ami et client Damien Lucas. Cette fois, elle ne va pas
lui dire quil a pris des couleurs: il rentre le teint gris. Cest le dirigeant de METTALO, entreprise
franaise dans le secteur des jouets, et plus particulirement dans le domaine du modlisme. Il
vient lui signifier quil ne pourra pas honorer ses dernires factures, il en est dsol. La marque est
338
Lhomme de lart est une fiction juridique notamment utilise dans les raisonnements
dactivit inventive pour valuer la brevetabilit dune invention.
339CPI est lacronyme Conseil en proprit industrielle.
La situation est grotesque: METTALO se regarde mourir. Les revendeurs trangers du moteur
de la RotoTurbo ne semblent pas atteignables et ne sont pas inquits. Ils ne peuvent subir
aucune contre-offensive ou rpression sur le sol franais. Les plans CAO sont tlchargeables en
version numrique et les moteurs sont envoys par colis, mais les douanes sont dpasses par
ces composants seuls dont il est difficile didentifier la fonction.
Limprimante 3D offre au particulier la possibilit de concevoir lui-mme la carrosserie et les
pices du modle de la voiture. lui de composer ensuite la voiture en assemblant les diffrentes
pices et en y intgrant le moteur. Cest ludique, tout papa adore a. Mais il reproduit in fine
lobjet du brevet.
Amandine Masle tente de rconforter son ami Damien. Elle lassure: elle a protg ce qui
tait protgeable. Cest bien la combinaison des pices et du moteur qui provoquait un effet
technique.
Et puis, le brevet ne doit pas tre lunique arme de guerre pour conqurir et prserver un march.
Le particulier enfreint a priori le droit dauteur en tlchargeant illgalement un fichier numrique
CAO dfinissant la forme des pices de la voiture.
Damien Lucas tire trois enseignements de son aventure.
conomique: la dmocratisation des imprimantes 3D va restructurer le march et
favoriser lmergence de nouveaux acteurs et dun nouveau modle conomique.
Philosophique: une relocalisation de la production de certains biens laisse imaginer une
nouvelle socit. Damien imagine un nouveau monde dans lequel chacun produit son chelle
grce des Fab Labs de quartier et des moyens de production accessibles. Lespace industriel du
bien de consommation semble se redessiner. Certes, le gros uvre et les hautes technologies
restent dans la grand ville, mais pour le reste, une micro-industrie de quartier est ne.
Juridique: les imprimantes 3D, comme dautres innovations, pourraient dplacer le seuil
dapprciation dactivit inventive. Dans certains domaines o lhomme de lart est par
exemple capable daboutir des objets hybrides dont une partie peut tre fabrique par une
imprimante 3D.
Mais cela est-il propre larrive des imprimantes 3D? Certainement pas. titre dexemple,
on peut citer le secteur automobile, qui a d faire face larrive de nombreuses applications
sur smartphones ralisant des fonctions daide la conduite. De nombreux acteurs dans le
domaine automobile ont alors vu des documents de brevets dapplications pour smartphone
constituer des antriorits leurs inventions, bien que ces applications ne soient pas ralises
par un composant du vhicule.
340
Grenelle fictif.
341Plan fictif.
342Cre par larrangement de Strasbourg (1971), la classification internationale des
brevets (CIB), est un systme hirarchique de symboles indpendants de la langue
pour le classement des brevets et des modles dutilit selon les diffrents domaines
technologiques auxquels ils appartiennent.
343Institue par larrangement de Nice (1957), la classification de Nice est une classification
internationale de produits et de services aux fins de lenregistrement des marques. Elle
permet de dterminer dans quels secteurs les marques sont dposes.
344Institue par larrangement de Locarno (1968), la classification de Locarno est une classification
internationale utilise aux fins de lenregistrement des dessins et modles industriels.
synthse
synthse
Propositions
Informer les entreprises des enjeux du Big Data, notamment sur la ncessit de nommer
un responsable de traitement de donnes, un Data Officer (ou directeur des donnes)
et de se doter de nouvelles comptences, les Data Scientists. Proposition de directive du
25 janvier2012 pour faire adapter le droit des donnes lre du numrique et visant
renforcer et harmoniser la protection des droits des personnes sur leurs donnes personnelles
au niveau europen.
Proposition
Pour certains experts, il apparat ainsi ncessaire de faire voluer le droit des producteurs
de bases de donnes vers le droit des producteurs et exploitants de bases de donnes.
Une des pistes possibles est de rapprocher ce droit du droit des marques en associant le
monopole accord un objectif conomique. Il sagirait dinstaurer un droit doccupation
sur une activit conomique au mme titre quune marque confre un droit doccupation
sur des produits et des services et non un monopole absolu. La dsignation de la finalit
conomique remplacerait ici celle de produits et services exige pour le dpt dune marque.
Une telle volution permettrait de faire cohabiter des activits diffrentes mais utilisant
les mmes donnes. Pour ce faire, il apparat ncessaire de mettre en place un registre de
bases de donnes classes selon la finalit conomique, et daccorder une protection visant
lexploitation des donnes.
III - Lalgorithme
Lalgorithme, mthode mathmatique permettant un traitement en temps rel de volumes
considrables de donnes, ne bnficie pas de rgime de protection directe. Sous certaines
conditions, une application indirecte du droit dauteur ou des brevets est possible. Ces conditions
sont trs strictes. Le droit dauteur peut sappliquer lorsque lalgorithme est intgr un logiciel.
Notons que seule lexpression gnrale dun programme est protge. Les lments concourant
synthse
cette expression ne sont pas protgeables isolment. La rutilisation dun algorithme par un
tiers ne peut donc tre interdite.
Contrairement au droit amricain qui accorde la protection aux mthodes mathmatiques,
la protection par le brevet est exclue en Europe, sauf sil sagit dun algorithme intgr une
invention brevetable, auquel cas on retrouve une protection indirecte par le brevet.
Lalgorithme ne bnficie pas de rgime de protection directe. Il sagit dune mthode
mathmatique relevant de la catgorie des secrets daffaires, notion non dfinie juridiquement.
Les inventeurs de ses mthodes ont gnralement recours aux contrats pour valoriser et assurer
la confidentialit de leurs mthodes.
Proposition en cours de discussion
En raison de cette insuffisance de protection de lalgorithme, un projet de directive, inspir
des accords ADPIC, a t dpos par la commission europenne, visant crer un rgime de
protection sui generis propre aux secrets daffaires.
Propositions
L a cration dune norme obligatoire manant dun organisme international et
indpendant imposant lobligation de concder des licences gratuites ou des
conditions respectant les rgles RAND est trs attendue par les entreprises.
Mettre en place un tarif prfrentiel pour les PME et TPE afin de leur faciliter laccs ces
rfrentiels souvent trop onreux.
VI - Luvre numrique
Une des caractristiques de la cration lre de lconomie numrique est limbrication
complexe de plusieurs contributions concourant la cration dune uvre. Cela reflte lessor
du dveloppement collaboratif. Luvre numrique est un ensemble complexe duvres,
chacune tant soumise un rgime juridique qui lui est propre. Luvre numrique est souvent
rapproche de luvre logicielle, de luvre audiovisuelle ou encore de luvre multimdia.
Le logiciel est un assemblage de plusieurs composants ou de briques supposant une pluralit
de contributeurs et donc une pluralit dayants droit. La cration dune uvre numrique induit
par consquent la ncessit de matriser le cycle juridique de son dveloppement, en retenant
qu lre du numrique, la question de la libert dexploitation des droits est plus importante
que celle de la titularit.
Le logiciel est soumis au droit dauteur et se voit appliquer un droit du logiciel sui generis lorsque
sa cration a eu lieu dans le cadre dun contrat de travail, en vertu duquel les droits patrimoniaux
sont automatiquement dvolus lemployeur.
En principe, luvre logicielle est exclue du champ de la brevetabilit. Nanmoins, cette
exclusion originelle du logiciel du domaine des brevets a t nuance par la jurisprudence.
En effet, la jurisprudence admet la protection par le brevet sil en rsulte un effet technique.
Cest le cas des inventions mises en uvre par un programme dordinateur. lheure du Web, la
protection par le brevet a t accorde des solutions permettant la traduction automatique de
contenus ou facilitant laccs aux ressources Web, ou encore des logiciels de scurisation ou
de simplification de transactions entre terminaux et services distants.
Cette protection accorde par les juges peut sembler satisfaisante pour les programmeurs. Ce
nest cependant pas tout fait le cas puisquil sagit dune protection jurisprudentielle consacre
au cas par cas. Un revirement de jurisprudence tant toujours possible, une intervention du
lgislateur en vue de consacrer cette protection est ncessaire.
La protection de principe par le droit dauteur du logiciel a une incidence sur la valorisation des
actifs immatriels de lentreprise. Le logiciel, class dans les uvres littraires et artistiques,
ne trouve pas de traduction montaire dans le bilan de lentreprise, linverse des bases de
donnes.
synthse
Le droit dauteur trouve son fondement dans un compromis qui permet de faire converger des
intrts a priori opposs: incitation et diffusion des uvres. Lconomie numrique a boulevers
cet quilibre. Les nouvelles technologies impliquent par consquent la ncessit dadapter
les rgles du droit dauteur aux nouvelles manires de crer ainsi quaux nouveaux modes de
diffusion. Il convient en effet de tenir compte de la baisse notoire du cot de la cration induit par
la numrisation et qui pose la question de la lgitimit du droit dauteur dans un environnement
qui permet une diffusion quasi gratuite des uvres.
Propositions
Lquilibre entre incitation et diffusion peut tre rtabli par la mise en place de deux mesures.
La premire mesure serait de diminuer la dure des droits patrimoniaux. Cette solution, trs
dbattue au niveau europen, na pas emport lunanimit.
La seconde mesure consisterait rendre lobtention du droit dauteur payant en instaurant
lobligation pour les auteurs denregistrer leurs crations.
VII - Limpression 3D
Le dveloppement continu de lconomie numrique aura constamment pour effet de mettre
lpreuve le droit de la proprit intellectuelle. En effet, les nouvelles technologies ont vocation
interroger le droit de proprit intellectuelle dune part sur sa lgitimit et dautre part sur sa
capacit garantir leffectivit des droits noncs. La technologie de limpression 3D illustre
ce questionnement permanent induit par la transformation numrique de lconomie. Cette
technologie dite rvolutionnaire est aussi porteuse de danger pour les crateurs. Alors quelle
facilite la reproduction des uvres, elle tend, par la multiplication des acteurs quelle implique,
rendre difficile la lutte contre la contrefaon.
Propositions
Pour accompagner son dveloppement, des pistes de solutions sont proposes:
favoriser le dveloppement et lutilisation des mesures techniques de protection afin
dempcher la copie, sous rserve de ne pas entraver le principe dinteroprabilit des
systmes et sans porter atteinte aux liberts individuelles ;
responsabiliser les intermdiaires en mettant leur charge lobligation de tenir un
registre de fichier 3D et sensibiliser les Fab Labs la proprit intellectuelle ;
accorder aux juges la possibilit de prononcer des injonctions lencontre des
contrefacteurs.
synthse
Articles
Sujet, dfinition
DPI concerns
Article 1.1
Impact du Big Data
Xavier Pican
Article 1.2
Adaptation du droit des
producteurs de bases de
donnes lmergence
du Big Data
Nicolas Courtier
Article 1.3
Quelle protection
juridique pour
lalgorithme?
Marc Schuler,
Benjamin Znaty
Enjeux
Recommandations
synthse
Articles
Sujet, dfinition
DPI concerns
Article 1.4
Les objets connects
Virginie Brunot
Article 1.5
Linteroprabilit
des systmes
Didier Adda
Article 2.1
La protection du logiciel
par le brevet
En Europe :
Principe : exclusion originelle de la
protection du logiciel par le brevet
Exception : la jurisprudence admet la
protection par le brevet sil existe un
effet technique.
Alexandre Lebkiri
Droit dauteur
Brevets
Directive de 1991 et 2009
Loi de 2004
Logiciel
Brevet
Enjeux
Recommandations
Identifier en amont:
les diffrents composants de luvre
susceptibles de faire lobjet dun droit de
proprit intellectuelle et dterminer leurs
rgimes juridiques respectifs ;
rgler par contrat les droits de proprit
intellectuelle en jeu.
synthse
Articles
Sujet, dfinition
DPI concerns
Article 2.2
La protection du logiciel
par le droit dauteur
Le droit dauteur
Magali Fitzgibbon
Luc Grateau
Guillaume Rousseau
Article 2.3
Rflexion autour de la
cration numrique dans
lentreprise
Droit dauteur
Droit du logiciel
Droit des bases de donnes
Droit de luvre audiovisuelle
Droit dauteur
Droit du logiciel
Droit des bases de donnes
Droit de luvre audiovisuelle
Brevet
Viviane Gelles
Blandine Poidevin
Article 2.4
Protection des
applications de ralit
augmente
Marie Soulez
Article 2.5
Droit dauteur
et jeux vido
Antoine Casanova
Rgime distributif
Enjeux
Recommandations
synthse
Articles
Sujet, dfinition
DPI concerns
Article 3.1
La marque dans
lconomie numrique
La marque
Marie-Emmanuelle Haas
Article 3.2
Le e-fonds de commerce
Tamara Bootherstone
Article 3.3
valuation et traitement
comptable et fiscal des
bases de donnes
Marc Levieils
Article 4.1
Lconomie du droit
dauteur face aux dfis
de la numrisation
Julien Pnin
Droit dauteur
Enjeux
Recommandations
Lconomie numrique permet la diffusion quasigratuite et instantane des uvres. Les tudes
dmontrent que cela na pas dincidence sur la
cration mais a fait diminuer les revenus des maisons
de disques.
La numrisation diminue les cots de production et de
distribution.
Se pose ainsi la question de la lgitimit du droit
dauteur face un compromis de dpart dsquilibr.
synthse
Articles
Sujet, dfinition
DPI concerns
Article 4.2
La contrefaon dans le
cadre de limpression 3D
Tous
Tous
Tous
Tous
Caroline Le Goffic
Article 4.3
Mesures techniques
de protection et
contrle des droits dans
lconomie numrique
Frdric Bourguet
Cristina Bayona Philippine
Article 4.4
Proprit intellectuelle
et Fab Labs
Sabine Diwo-Allain
Article 4.5
Les imprimantes 3D et la
rvolution numrique:
ralit ou fiction?
Julien Pichon
Enjeux
Recommandations
Remdes proposs:
mesures techniques de protection condition de
ne pas empcher linteroprabilit des systmes;
responsabilisation des intermdiaires impliquant la
tenue dun registre de fichiers 3D;
accorder aux juges la possibilit de prononcer des
injonctions lencontre des contrefacteurs.
Instaurer:
une TVA sur les objets fabriqus par imprimantes
3D?
une taxe sur les imprimantes domestiques pour
pallier les consquences des impressions ralises
dans le cadre de lusage priv?
une taxe sur les imprimantes automatiques
industrielles (type fonctionnement photomaton)?
une taxe sur les imprimantes 3D des Fab Labs
dans lesquels une assistance technique peut tre
fournie?
dfinir un mode redistribution des taxes selon
les classifications internationales (CIB pour les
brevets, de Nice pour les marques et Lucarno)
pour les D&M?
Conclusion
Le numrique a eu pour effet de perturber lquilibre suppos exister dans les rapports entre
les agents conomiques. La justification originelle de la proprit intellectuelle reposait sur
un paradigme rvolu. Ce postulat de base sappuyait sur un modle conomique dans lequel
lauteur ou linventeur crait de faon isole et lentreprise produisait des biens et services
standardiss et destins des consommateurs passifs. Or, le numrique a modifi la position et
le rle des agents conomiques dsormais relis les uns aux autres dans un march de rseaux.
De nouvelles manires de crer, de diffuser et de consommer se sont imposes, entranant
une volution des enjeux lis la proprit intellectuelle. Aujourdhui, la cration est souvent
collaborative et se ralise au sein des entreprises.
La transformation numrique de lconomie a ouvert une nouvelle re, celle de la multitude:
multitude des donnes, multitude des sources, multitude des contributions et composants
concourant la ralisation dune uvre, multitude des canaux de diffusion. En effet, ce
phnomne de multitude sobserve tous les niveaux de lactivit conomique.
conclusion
duvre multimdia et une application distributive des droits de proprit intellectuelle. Cette
qualification est dfavorable aux investisseurs que sont les studios de jeux vido. Cest pourquoi,
il est prconis de faire voluer le droit dauteur franais dans le sens dun rapprochement avec
le droit canadien, amricain ou japonais qui sans avoir arrt une qualification claire du jeu vido,
ont fait le choix dencourager les investisseurs pour lesquels existe une prsomption de titularit
des droits patrimoniaux.
Avertissement
Les tudes publies dans le cadre de cette collection sont le rsultat
de travaux de rflexion indpendants. Les conclusions, propres leurs auteurs, nengagent pas lINPI.
La proprit
intellectuelle
& la transformation
numrique de lconomie
Regards dexperts
Le numrique rvolutionne linnovation dans tous les secteurs dactivit, de lindustrie traditionnelle aux activits
de service.
Dans le cadre de sa mission daccompagnement des entreprises, lINPI a lanc un appel contributions pour
recueillir le point de vue dexperts autour des problmatiques lies la proprit intellectuelle dans le numrique
telles que les objets connects, le Big Data, la protection des algorithmes, les bases de donnes, limpression 3D et
dune manire gnrale, de la cration dans un contexte numrique.
Les dix-huit articles slectionns dans cet ouvrage vont contribuer nourrir le dbat national. Au-del du cercle des
experts de la proprit intellectuelle, il est essentiel que cet ouvrage alimente la discussion avec les entreprises afin
de les accompagner dans cette mutation de lconomie et de leur permettre damliorer leur comptitivit.
www.inpi.fr
ISBN
978-2-7323-0009-2 (broch)
978-2-7323-0010-8 (PDF)