PI Et Transformation Economie Numerique INPI Interactif

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La proprit

intellectuelle

& la transformation
numrique de lconomie
Regards dexperts

REMERCIEMENTS

avertissement

La ralisation de cet ouvrage fait


suite un appel propositions
lanc linitiative de la direction
des tudes de lINPI destination
des professionnels en proprit
intellectuelle, en vue de recueillir
leur regard dexpert sur les impacts
de la transformation numrique
de lconomie sur la proprit
intellectuelle.

Les propositions dvolution du


droit qui sont prsentes dans cet
ouvrage proviennent des experts
qui ont particip cette rflexion,
elles nengagent ni lINPI ni le
gouvernement et sont destines
alimenter le dbat public dans
une volont de trouver des
mesures permettant damliorer
la comptitivit des entreprises
franaises.

Nous tenons remercier lensemble


des auteurs pour leurs riches
contributions.
Nos remerciements vont galement:
aux membres du jury qui nous
ont aids raliser ce travail difficile
mais ncessaire de slection parmi
les nombreuses propositions reues
sur le sujet: Grard Bigle (barreau de
Paris), Patrick Cocquet (Cap Digital),
Guillaume de La Bigne (ACPI), milie
Gallois (INPI), Gabriel de Kernier
(CNCPI) et Jean-Philippe Muller
(INPI);
Fabrice Claireau (INPI) pour ses
prcieuses remarques.
La coordination et le suivi ditorial
de cet ouvrage ont t assurs par
Fatima Ghilassene, charge dtudes
lINPI et Laurence Joly, directrice
des tudes de lINPI.

PRFACE

par Axelle Lemaire, Secrtaire dEtat charge du Numrique

Notre ambition est de


hisser la France et de la
maintenir au rang des chefs
de file mondiaux en matire
de numrique.

Si, lvidence, nous assistons seulement aux prmices


de la transition de nos socits et conomies vers lre
de la connaissance et de linformation, le gouvernement
na de cesse de soutenir les acteurs privs dans cette
entreprise, tout en rformant et cultivant lesprit
dinnovation au sein mme de lEtat.
Ainsi, au-del des programmes dinvestissements
davenir que nous avons mis en place tels que la
fdration de nos cosystmes travers la French Tech,
notre ambition est de hisser la France et de la maintenir
au rang des chefs de file mondiaux en matire de
numrique.
Une telle conomie de la connaissance exige une
stratgie globale ne pouvant se passer dune proprit
intellectuelle vritablement inaltrable et motrice de
croissance. LINPI, dans ce contexte, dmontre une
fois encore lacuit avec laquelle il aborde les mutations
de notre conomie et de notre temps, et les enjeux
quelles font jaillir, en particulier pour linnovation.

Dans ce mme esprit, je favorise avec tnacit la


reconnaissance dune innovation que lon dit ouverte,
cest--dire cette cocration de valeur ajoute, au sein
dcosystmes cultivant louverture entre les startups
et les grands groupes ou plates-formes, entre les
innovateurs chevronns et les innovateurs sinitiant
la collaboration intgre, que jadmire et ctoie
chaque jour en tant que Secrtaire dEtat charge du
Numrique.
Je salue le travail considrable que reprsente cet
ouvrage o sont rassembls les plus grands spcialistes
qui ont bien voulu livrer leur vision de la transformation
numrique de notre conomie. Mon ambition est
de dfinir un cadre qui permette la circulation des
innovations sans nuire la proprit intellectuelle. Pour
ce faire, nous pouvons envisager de nouvelles rgles, de
nouvelles licences. Aprs tout, limagination est infinie
tout comme nos possibilits en la matire!
Cet ouvrage ne peut contredire la puissance de celle-ci:
merci doffrir ainsi, par ces dix-huit articles de grande
qualit, de la substance aux dbats qui seront les ntres
dans le cadre du projet de loi numrique. Merci de
dresser des jalons pour notre futur dont je souhaite quil
soit aussi surprenant quinconnu En effet, ntes-vous
pas, comme moi, incapables de prdire le contenu de
nos futures innovations, dont vous devinez seulement
quelles seront essentielles pour notre avenir?

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 3

SOMMAIRE
PRFACE
INTRODUCTION

p. 3
p. 6

1 la matire premire de lconomie numrique


1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises : de la gestion la valorisation
des donnes numriques gigantesques
Xavier Pican

p. 11

1.2 La ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour
permettre son adaptation lmergence du Big Data
Nicolas Courtier

p. 23

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?


Marc Schuler, Benjamin Znaty
1.4 Objets connects et proprit intellectuelle
LIdo au secours de la proprit intellectuelle et rciproquement : les cls dune
interdpendance russie ?
Virginie Brunot
1.5 Proprit intellectuelle et interoprabilit des systmes
Didier Adda

p. 41

p. 51
p. 67

2 rpartition et protection des droits de proprit intellectuelle


dans lconomie numrique
2.1 Protection des logiciels lheure du web smantique et des rseaux sociaux : le droit
des brevets est-il toujours adapt ?
Alexandre Lebkiri
2.2 Le temps du logiciel
Statut juridique du logiciel et mthodologie outille par des logiciels danalyse de codes
permettant de le dterminer
Magali Fitzgibbon, Luc Grateau et Guillaume Rousseau

p. 85

p. 93

2.3 Rflexions autour de la cration numrique dans lentreprise : problmatiques


juridiques, enjeux et pistes de rformes
Viviane Gelles, Blandine Poidevin

p. 113

2.4 La ralit virtuelle confronte au droit dauteur


Optimiser la protection des applications de ralit virtuelle
Marie Soulez

p. 123

2.5 Droit dauteur et jeu vido


Paysage conomique et juridique du jeu vido en France et ltranger
Antoine Casanova

p. 135

3 la proprit intellectuelle, un actif immatriel de lconomie


numrique
3.1 La marque dans lconomie numrique
Marie-Emmanuelle Haas
3.2 Cessions de tout ou partie de e-business
Scuriser les transactions par la notion de e-fonds de commerce
Tamara Bootherston
3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix
Lvaluation et le traitement comptable et fiscal des bases de donnes Badwill comptable
et fiscal de lindustrie des bases de donnes
Marc Levieils

p. 155

p. 175

p. 193

4 la proprit intellectuelle lpreuve de lvolution constante


de lconomie numrique
4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation
Julien Pnin

p. 211

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes


Caroline Le Goffic

p. 227

4.3 Mesures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Frdric Bourguet, Cristina Bayona Philippine

p. 239

4.4 Les droits de la proprit intellectuelle et Fab Labs


Quelle gestion des droits de proprit intellectuelle dans les Fab Labs et plateformes ouvertes
de cration numrique : proposition de pistes de rflexion
Sabine Diwo-Allain

p.261

4.5 Les imprimantes 3D et la rvolution numrique : ralit ou fiction ?


Julien Pichon

p. 273

synthse
conclusion

p. 293
p. 311

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 5

INTRODUCTION

par Laurence Joly, directrice des tudes de lINPI

Dans cette conomie


de la connaissance,
la proprit intellectuelle
na peut-tre jamais t
aussi importante.

Depuis plus de trente ans, une profonde transformation


de lconomie sest engage. Cette transformation,
base sur le numrique, cest--dire sur des flux
de donnes, a commenc par rvolutionner ce
quon appelle les TIC, cest--dire les technologies
de linformation et de la communication et, audel des technologies, toutes les activits lies la
communication et linformation ont connu une
rvolution et une profonde remise en cause de leurs
modles conomiques. Des imprimeries aux mdias,
nombre dentreprises ont ferm leurs portes tandis que
de nouveaux acteurs rvolutionnaient les mtiers et
que certains acteurs du secteur russissaient prendre
le train du numrique en marche, seule condition pour
continuer exister.
Une nouvelle socit sest dveloppe, celle de
lconomie de la connaissance, remettant en cause les
processus de production mais galement les modes
de consommation et de vie dune partie toujours
plus importante de la population. Le march devient
facilement mondial et les notions de BtoB et de BtoC
sont de plus en plus permables.
Cette transformation numrique de lconomie sest
poursuivie bien au-del des TIC, en particulier dans le
commerce et les services. Pourtant, alors que 59% des
Franais achtent en ligne, le retard des entreprises
franaises dans le numrique est rgulirement

* www.lenouveleconomiste.fr/entreprises-francaises-transformation-digitalelinquietant-retard-24776

soulign*: 75% des entreprises europennes ont un site


Web mais seulement 65% des entreprises franaises,
30% utilisent les mdias sociaux mais 19% pour les
Franaises.
Tous les spcialistes saccordent dire que nous
sommes dsormais entrs dans une nouvelle re
industrielle, celle de lconomie industrielle numrique.
Aprs, le tourisme, les mdias, les banques, le
commerce, la production de biens de grande
consommation basculent dans le numrique. La notion
dindustrie hybride apparat. Ainsi, lautomobile est de
plus en plus numrique et lon ne sait plus trs bien
si la valeur du vhicule rside dans son quipement
traditionnel (motorisation, carrosserie, etc.) ou dans
tous les composants numriques dont elle est truffe.
Numrique nest pas synonyme de high-tech, toutes
les activits, mme les plus traditionnelles, sont
concernes, et pourtant, les entreprises qui disent avoir
dfini une stratgie numrique ne sont pas majoritaires.
Le numrique apparat comme un levier dterminant
de la comptitivit des entreprises par les conomies
de cots quil peut engendrer, mais surtout parce quil
rvolutionne linnovation.
Dans le monde du numrique, la rapidit de croissance
est au cur des stratgies. Ce qui est important, cest
que lusage dun produit soit adopt trs rapidement
par les consommateurs finaux. La valeur dusage est
plus importante que sa valeur technologique. Le succs
repose moins sur la rapidit de diffusion dune nouvelle
technologie que sur la rapidit de diffusion dun usage,
sur la viralit.
Cela ne signifie pas quil ny a plus de technologies, mais
que la technologie sefface derrire lusage, sauf quand
elle est suffisamment en rupture avec lexistant pour
en faire un argument marketing. On parle dsormais
de moins en moins de technologie de rupture mais de
plus en plus de briques de technologies, cest--dire,
dune manire schmatique, de la combinaison de

technologies existantes un cot moindre. De ce fait,


linnovation technologique apparat moins importante
que la crativit: crativit en matire de design des
produits, crativit dans le marketing, crativit dans les
services rendus par les biens de consommations, bref
dans ce qui est visible pour les utilisateurs.
Crativit et innovation peuvent dailleurs tre
externalises auprs dautres entreprises (innovation
collaborative ou de co-innovation) ou mme auprs des
consommateurs dans une dmarche dopen innovation,
voire totalement externalise en adoptant le modle de
plate-forme. Dune manire radicale, des entreprises
se dveloppent dailleurs uniquement sur ce dernier
modle: dans un modle de plate-forme, crativit,
innovation et cration de valeur sont totalement
externalises.
Cette externalisation, naturelle et quasi-culturelle dans
les start-up, introduit de profonds changements dans
les stratgies commerciales: infidlit aux marques,
communication virale, communauts cratives,
contenus grs par les utilisateurs, culture du freemium
cest--dire modle conomique associant une
offre gratuite, en libre accs, et une offre Premium,
haut de gamme, en accs payant , et dune manire
gnrale, gnralisation dune culture du libre dans
laquelle chacun est libre de reprendre la cration dun
autre pour lamliorer.

Dans sa diversit, la proprit intellectuelle, travers


les notions de marque, de droits dauteur, de traabilit
des contributions et des technologies peut tre un
formidable outil de comptitivit pour les entreprises
dans un contexte numrique. Certes, des points sont
amliorer et certains auteurs de cet ouvrage ne se sont
pas privs de cibler des problmatiques et proposer des
amliorations.
Les articles, rdigs par des experts indpendants,
ont t regroups en quatre grandes thmatiques:
la proprit et la protection des donnes, matire
premire de lconomie numrique, la rpartition et
la protection des droits de proprit intellectuelle,
la proprit intellectuelle comme actif immatriel
de lconomie numrique et, enfin, la proprit
intellectuelle lpreuve de lvolution constante de
lconomie numrique.
la fin de louvrage, une synthse complte ces
vues dexperts et permet de mieux saisir les enjeux
qui se dgagent de cette rencontre entre proprit
intellectuelle et conomie numrique.

Dans ce contexte, la proprit intellectuelle est un levier


complexe. La notion de proprit intellectuelle repose
sur lattribution de droits exclusifs accords sur des
crations intellectuelles. Son rle, dans sa globalit, est
rgulirement remis en cause. Et pourtant, dans cette
conomie de la connaissance, la proprit intellectuelle
na peut-tre jamais t aussi importante. La proprit
intellectuelle est en effet polymorphe. Les droits
quelle confre reposent sur des fonctionnements
extrmement diffrents qui reposent tous sur le mme
contrat social: la diffusion de crations intellectuelles en
contrepartie dun monopole dexploitation dune dure
variable.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 7

la matire premire
de lconomie numrique
1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises : de la gestion la valorisation
des donnes numriques gigantesques
Xavier Pican

p. 11

1.2 La ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour
permettre son adaptation lmergence du Big Data
Nicolas Courtier

p. 23

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?


Marc Schuler, Benjamin Znaty
1.4 Objets connects et proprit intellectuelle
LIdo au secours de la proprit intellectuelle et rciproquement : les cls dune
interdpendance russie ?
Virginie Brunot
1.5 Proprit intellectuelle et interoprabilit des systmes
Didier Adda

p. 41

p. 51
p. 67

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 9

1.1
Limpact du phnomne Big Data
sur les entreprises : de la gestion
la valorisation des donnes
numriques gigantesques
par Xavier Pican

lauteur
Aprs plusieurs annes passes au sein de groupes tels que lInstitut franais du ptrole
(IFP), Canal+ et Thals, Xavier Pican, avocat spcialis en proprit intellectuelle et nouvelles
technologies, dirige en qualit dassoci le dpartement IP/IT du cabinet Lefvre Pelletier et
associs.

Synthse
La monte en puissance exponentielle du phnomne Big Data fait apparatre un certain nombre
de problmatiques juridiques sagissant de lexploitation de la quantit de donnes gnre, la
gestion des risques associs ainsi que de leur conformit la loi informatique et liberts. Surtout,
les donnes numriques deviennent de vritables actifs immatriels ncessitant de sinterroger
sur leur patrimonialisation et donc de leur valorisation.

mots cls : Big Data | loi informatique et liberts |


donnes numriques | base de donnes |
valorisation des donnes | patrimoine immatriel |
protection numrique | droit loubli numrique | open data
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 11

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

Le tact dans laudace


cest de savoir jusquo
aller trop loin.
Jean Cocteau

Prsentation du phnomne Big Data


Apparu sous la plume des analystes du cabinet dtudes amricain Gartner en 2008, le
phnomne Big Data est le fruit dune volution sociale et technologique1. Sociale dabord,
car nous produisons aujourdhui, chaque jour, la mme quantit dinformations que celle que
lhumanit a russi produire de son apparition en 2003. De plus, les individus ont dsormais
en parallle de leur vie relle une vritable vie virtuelle grce notamment aux rseaux sociaux.
Technologique ensuite, car les Big Data sont des ensembles de donnes numriques
extrmement volumineux, dtenus par les socits, les gouvernements ou nimporte
quelle autre organisation et qui sont ensuite analyss en profondeur grce des
algorithmes informatiques permettant ainsi le passage de donnes brutes des donnes
valorises2. Selon cette dfinition, le Big Data se compose de diffrentes catgories de donnes
htrognes qui regroupent la fois des donnes structures et non-structures.
Il convient de ne pas oublier la dimension dynamique du Big Data: les donnes sont traites trs
rapidement et idalement en temps rel, contrairement aux traitements de donnes classiques
qui ne sont effectus quen diffr.
Cette nouvelle forme de traitement massif de donnes est couramment rsume par la fameuse
rgle des 3 V: Volume, Varit, Vlocit3:
volume des donnes ;
varit des donnes et des sources non-structures dont elles sont extraites ;
vlocit en raison de la rapidit de leur traitement.
Ce phnomne dsigne finalement la croissance exponentielle du volume des donnes
disponibles sous forme numrique aussi bien dans les entreprises que sur Internet.
Lintrt pratique du Big Data, en ce quil prsente de nombreuses applications potentielles,
apparat immdiatement: il va permettre dexploiter des donnes jusque-l dormantes, de
faire des corrlations que lhumain naurait pas vues et ainsi aider la prise de dcision dans
un environnement o linformation est un atout stratgique. Toutefois, si certaines de ces
applications sont vertueuses, les risques de drives sont extrmement nombreux4. Le plus
surprenant est que cette ambivalence se manifeste souvent dans une mme opration.

1Le Big Data bouscule le droit Laure Marino dans la revue Lamy Droit de limmatriel,
informatique mdias communication n99, dcembre 2013, page 55.
2Dfinition donne par le groupe de travail G27.
3Rgle nonce par le cabinet dtudes Gartner.
4Jeremy Bailenson, Matre de confrence au dpartement communication de luniversit
de Standford a compar le Big Data de lUranium: Like Uranium, it can heat homes
and it can destroy nations.

Quel enjeu conomique?


Le Big Data a provoqu de vritables bouleversements technologiques et organisationnels en
apportant des changements quantitatifs et qualitatifs.
quantitatifs, car le nombre de donnes cres et traites sest dmultipli. On estime
quelles doublent tous les deux ans5 ;
qualitatifs, car le traitement ne porte plus sur des donnes pralablement traites et
organises mais sur des donnes composites et parses.
Les spcialistes saccordent dire que le Big Data sera larme conomique de demain et sarticulera
comme un pivot de la comptitivit. Si rares sont les entreprises qui ont grer des millions de
clients et de commandes au quotidien toutes peuvent tre concernes par lanalyse du Big Data.
En effet, le volume de ces donnes et leur traitement permettent aux entreprises:
d amliorer les stratgies marketing et commerciale, grce une meilleure
connaissance de leur public ;
didentifier des tendances long terme ;
de prdire des comportements ;
dentretenir les relations avec les clients ;
de rduire les cots logistiques ;
de faciliter le recrutement ;
de favoriser la veille concurrentielle.
Le phnomne Big Data est transversal et tend toucher tous les mtiers. Cependant, des
secteurs particulirement sensibles au progrs technologique sont trs impacts par le
phnomne. Par exemple, dans le secteur de la sant, trs rceptif lamlioration de ses
performances oprationnelles et de ses process, la mise en uvre des technologies de gestion
du Big Data pourrait gnrer 300milliards par an de revenus sur la prochaine dcennie. La R&D,
laide la dcision clinique, la prescription et la distribution des mdicaments, et la prvention
des fraudes seraient quelques-unes des catgories qui en bnficieraient.
Dans le secteur public, le Big Data a le potentiel de rduire les cots de 20%, soit environ
300milliards deuros au niveau de lUnion europenne.
Enfin et surtout, la gestion des donnes nombreuses a, ces dernires annes, permis
aux oprateurs de se rapprocher des consommateurs et dadapter leurs dcisions,
leurs offres, aux besoins et aux gots de lutilisateur final, dont la fidlisation apparat
aujourdhui comme un enjeu important. Daprs les analystes de McKinsey, grce
lutilisation effective du Big Data, laugmentation potentielle des marges dexploitations pourrait
atteindre 60%.
Selon le CNRS, le chiffre daffaires du Big Data slevait en 2013 9milliards de dollars. Ce mme
march devrait reprsenter 24milliards de dollars, soit trois fois plus, en 2016.
Dici quelques annes, chacun sera confront au Big Data et les dfis seront les suivants:
les politiques daccs aux donnes et de gestion des risques au regard des lgislations
relatives la protection des donnes caractre personnel ;

5Agefi.com, Limpact conomique majeur du Big Data, 12 juin 2014.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 13

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

ladaptation des technologies et des comptences au Big Data dans le cadre de leur
exploitation ;
la valorisation de ces donnes.

I - Exploitation des donnes numriques


A. Application de la loi n78-17 du 6janvier 1978 relative linformatique,
aux fichiers et aux liberts dite loi informatique et liberts
La mise en uvre du Big Data par les entreprises constitue avant tout une dmarche car les
donnes numriques constituent un actif ncessaire protger. Paralllement se pose la
question de la confiance et de la transparence dans lutilisation de ces donnes et celle de la
protection de la personne qui en est lobjet. Or, les lgislations apparaissent pour linstant trs
inadaptes lencadrement de ce nouveau phnomne.

Prsence de donnes caractre personnel au sein du Big Data


Le droit la protection des donnes caractre personnel, et plus largement au respect de sa vie
prive, est un droit fondamental inscrit larticle 8 de la Convention europenne des droits de
lhomme. En France, le traitement de ces donnes est soumis la loi informatique et liberts du
6janvier 1978 et aux rgles issues de la directive communautaire 95/46/CE du 24octobre 1995
relative la protection des personnes physiques lgard du traitement des donnes caractre
personnel et la libre circulation de ces donnes.
Constitue donc une donne caractre personnel toute information relative une personne
physique identifie ou qui peut tre identifie, directement ou indirectement, par rfrence un
numro didentification ou un ou plusieurs lments qui lui sont propres6.
Eu gard au caractre trs accueillant de cette dfinition, il y a fort parier que les donnes
traites dans le cadre du Big Data entreront dans son champ dapplication. En effet, 70% de ces
donnes sont produites directement ou indirectement par des personnes, consciemment
ou non7, ce qui na rien de surprenant. Les comportements des utilisateurs dInternet vont
permettre des sites tels que Google ou Amazon de capter des informations qui, une fois
croises et traites leur permettent dattirer lesdits utilisateurs vers dautres marchandises et de
guider en consquence leurs achats.
Ds lors, les donnes de Big Data intgreront ncessairement des donnes caractre personnel.
Ensuite, constitue un traitement de donnes caractre personnel toute opration ou tout
ensemble doprations portant sur de telles donnes, quel que soit le procd utilis, et notamment
la collecte, lenregistrement, lorganisation, la conservation, ladaptation ou la modification,
lextraction, la consultation, lutilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute

6Loi informatique et liberts, article 1.


7S. Grumbach, Big Data: the global imbalance!, Confrence Lift France 12,
28septembre 2012.

autre forme de mise disposition, le rapprochement ou linterconnexion, ainsi que le verrouillage,


leffacement ou la destruction8.
Or, le Big Data est justement un systme de traitement instantan dune quantit
gigantesque de donnes. Il sagit de rcuprer dans diverses sources non-structures des
informations sous la forme numrique, de les compiler, de les rapprocher, de les croiser
et enfin de les analyser via des moyens de traitement9.
Ainsi, il ne fait aucun doute que les oprateurs de ce march sont soumis la rglementation
protectrice des donnes caractre personnel, ce qui pourrait tre source de difficults

Application de la lgislation relative


aux donnes caractre personnel
Les donnes caractre personnel dune personne, quel que soit leur volume, ne peuvent tre
traites que si elles sont collectes de manire loyale et licite pour une finalit dtermine,
explicite et lgitime. En outre, les donnes collectes doivent tre adquates, pertinentes et
non-excessives au regard des finalits poursuivies par le responsable de traitement10.
La loi informatique et liberts pose finalement deux exigences:
la dtermination de la finalit du traitement ;
la pertinence et la proportion des donnes collectes au regard de cette finalit.
Le systme de Big Data a pour objectif de runir des informations pertinentes afin den
retirer un avantage conomique. Selon nous, il ne nous semble pas que cette finalit suffise
satisfaire lexigence lgale. Le responsable du traitement devra clairement et spcifiquement
identifier la finalit du traitement quil entreprend.
En matire de Big Data, la collecte de donnes peut avoir plusieurs finalits de traitement. Selon
le groupe de travail G29, il convient de distinguer deux situations:
si les finalits sont lies, il sagit doprations connexes participant la mme finalit
globale de traitement. Cest donc la finalit globale quil sagit de dfinir conformment
aux dispositions lgales prcites ;
si les finalits ne prsentent aucun lien entre elles, chacune delles doit tre suffisamment
dtaille pour permettre lvaluation de la lgitimit et de la proportion de cette collecte et
le cas chant ltablissement de garanties de protection des donnes.
Quant la pertinence et la proportion des donnes collectes, il est certain que les entreprises
vont cibler les informations qui les intressent variant en fonction de leur activit. Toutefois, du
fait de limmensit des informations contenues dans le Big Data, certaines informations non
pertinentes se glisseront ncessairement dans le flot de donnes traites. La responsabilit du
responsable de traitement devra tre amnage et tenir compte de la voracit technologique
du Big Data.

8Loi informatique et liberts, article 2.


9 Cf. note 1.
10Loi informatique et liberts, article 6.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 15

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

En ltat actuel du droit, il sera trs compliqu pour les responsables de traitement de
respecter scrupuleusement la loi informatique et liberts dont le cadre parat trop restreint
face lampleur du Big Data. Il faut donc souhaiter lvolution et ladaptation du droit ce
nouveau phnomne. La difficult tiendra au fait de trouver un quilibre entre protection et
circulation des donnes.

B. Protection et scurit des donnes numriques


Tant le Code pnal que la loi informatique et liberts imposent au responsable du traitement de
prendre toutes prcautions utiles pour assurer la scurit des donnes traites11. Tirant avantage
de ces donnes, cest logiquement au responsable de traitement quincombera la responsabilit
des atteintes qui en rsultent.
De plus en plus, la jurisprudence estime que les responsables de traitements ou les entreprises
qui les emploient sont responsables quand bien mme des mesures de scurits auraient
t mises en place, si celles-ci se sont rvles inefficaces. Il est donc imprieux pour les
entreprises ayant recours au Big Data de se responsabiliser et de se prmunir en mettant
en place des mesures de nature assurer la scurit des donnes.

Mise en place de mesures de protection des donnes


La complexit et la disparit des composants techniques du Big Data ainsi que sa singularit
plaident en faveur du recours de nouvelles comptences expertes appeles dans le jargon
des data scientists, spcialiss dans lingnierie de linformation ou dans les technologies
innovantes12.
Ainsi, les entreprises pourront mettre en place en interne un Big Data Lab ou faire appel un
prestataire externe (de nombreuses entreprises se spcialisent dans la gestion du Big Data) qui
devra sassurer du respect de la scurit et de la protection des donnes13.
Cela suppose une matrise a priori et a posteriori des conditions de traitement de linformation
par la mise en uvre de mesures de protection contre les attaques extrieures, savoir la
cyber-fraude et les atteintes la scurit des donnes caractre personnel, mais aussi plus
paradoxalement, des mesures de contrle de la conformit des traitements la rglementation
en vigueur au sein de lentreprise.
Bien que trs contraignante, cette double exigence de scurit et de contrle simpose sur le plan
conomique, puisquelle conditionne la confiance des oprateurs dans les outils de dfinition de
leur stratgie Big Data. En effet, la qualit et la fiabilit des donnes influent directement sur
lexploitabilit des rsultats de traitement. Pour que les entreprises se lancent dans laventure Big
Data, il est capital quune protection effective et efficace soit mise en place.

11Article 226-17 du Code pnal et article 34 de la loi informatique et liberts.


12Big Data: Comment transformer les masses de donnes brutes en stratgie gagnante!
http://archives. Lesechos.fr/archives/cercle/2013/03/18/cercle_67785.htm
13Cf. note 1.

En outre, il est vident que les contrles effectus a posteriori par la CNIL quant au respect de la
loi de 1978 vont sintensifier sous la pression du phnomne Big Data. Concomitamment, les
sanctions pcuniaires dont le montant peut atteindre 300000 (Google rcemment condamn
150000) prononces par la CNIL devraient se multiplier, ce que les oprateurs devront
prendre en compte dans la dfinition de leur politique numrique, notamment en matire de
scurit et confidentialit des donnes.
Enfin et surtout, sur le plan juridique, cest la condition de licit de cette pratique14 au regard
de la protection des donnes caractre personnel. La problmatique est alors de trouver la
mesure adquate.

La solution de lanonymisation?
Bien des auteurs envisagent lanonymisation comme une solution de compromis entre deux
extrmes, adquat au passage lre du Big Data. En effet, lanonymisation permettrait dviter
les risques au niveau individuel, et paralllement lexploitation de ces donnes, car finalement,
lidentit de la personne objet de la donne importe peu tant quil est possible de lanalyser. Ce
qui intresse Amazon ou Google nest pas lutilisateur en lui-mme mais bien ce quil fait, les
sites Internet quil frquente ou les produits quil consulte.
Toutefois, est-elle vraiment possible? Comme laffirme linformaticien Arving Narayanan de
luniversit de Princeton, lanonymat est devenu algorithmiquement impossible. En effet, le Big
Data permettra sans aucun doute de r-identifier lorigine de la donne anonymise par le biais
de recoupements15. Aussi, lanonymisation nest une solution satisfaisante que dans un premier
temps, faute de mieux, mais devra tre rapidement remplace par un autre moyen. En toute
hypothse, les entreprises ne sauraient se ddouaner du respect des lgislations applicables en
matire de protection des donnes caractre personnel.
Le droit et la technique vont devoir travailler de concert car lun comme lautre isolment devront
tre capables doffrir aux oprateurs Big Data une solution permettant la valorisation optimale
de leurs donnes numriques.

II - Valorisation des donnes numriques


Les donnes sont le carburant de lconomie numrique, le ptrole de lInternet, lor noir des Big
Data16. Cette homlie prononce lors de la confrence le Big Data bouscule le droit tmoigne
de la valeur des donnes numriques. Se pose alors la question de savoir qui appartiennent
vraiment ces donnes et quel est leur statut juridique.

14Big Data: les enjeux juridiques dune volution technologique, Guillaume Seligmann,
avocat associ CVML.
15Big Data: une rvolution qui va transformer notre faon de vivre, de travailler et de
penser, Viktor Mayer-Schnberger et Kenneth Cukier.
16Cf. note 1.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 17

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

A. La proprit des donnes numriques: tat des lieux


et propositions relatives la proprit des donnes numriques
Quel droit pour les individus sur leurs donnes
caractre personnel?
Aujourdhui, les donnes ne sont pas perues, en France comme dans le reste de lEurope,
comme pouvant faire lobjet dune appropriation. Ce sont des informations de libre parcours.
Les personnes physiques nont quun droit personnel sur les donnes prsentant un caractre
personnel, faute de dtention matrielle.
Une proposition de rglement relatif la protection des personnes physiques lgard
du traitement des donnes caractre personnel et la libre circulation des donnes a t
prsente le 25janvier 2012 par la commission europenne. Celle-ci vise enrayer les
divergences nationales quant lapplication de la directive en vigueur, adapter ce droit aux
volutions technologiques rcentes, renforcer la protection des donnes et faciliter leurs
transferts internationaux17. Si ce nouveau corpus est adopt, les particuliers se verront
reconnatre un vritable droit sans en arriver toutefois un droit de proprit stricto
sensu et non plus seulement personnel sur leurs donnes numriques puisque les
entreprises pourront tre tenues de recueillir le consentement exprs des internautes
la collecte et au traitement de leurs donnes18.
Si ladoption de ce texte constituera un avantage pour les particuliers, cela sera tout linverse
pour les entreprises dtentrices dinformations qui souhaitent pouvoir disposer librement dun
droit dutilisation et dexploitation de ces donnes. Il en sera de mme quand, a posteriori,
ces mmes entreprises dcideront dutiliser le volume de donnes collectes et traites dans
le cadre dune utilisation secondaire. Celle-ci sera alors impossible si lautorisation expresse de
linternaute est requise pour chaque utilisation, moins quil soit admis que ce dernier consente
toute utilisation future de ses donnes, mais cela semble contradictoire avec lesprit de la
nouvelle rglementation communautaire.
Nous relevons galement quune partie de la doctrine propose de consacrer un vritable droit de
proprit de lindividu sur ses donnes numriques caractre personnel. Cela sinscrirait dans
la droite ligne de la reconnaissance lgale de son identit numrique19, mais serait incompatible
avec le phnomne Big Data dont le fonctionnement repose justement sur lutilisation des
donnes produites par tout un chacun.

LOpen Data accessible tous


Paralllement, la directive n2003/98/CE du 17novembre 2003 a instaur un rgime de
rutilisation des informations publiques qui alimente trs largement le mouvement douverture

17http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2012:0011:FIN:FR:PDF
18Les nouveaux enjeux juridiques des donnes (Big Data, web smantique et linked data).
Les droits de loprateur de donnes sur son patrimoine numrique informationnel,
Thomas Saint-Aubin, universit Paris I, Revue Lamy Droit de limmatriel n102, mars 2014,
pages 94 et suivantes.
19 Cf. note 18.

des donnes autrement appel lOpen Data20. Ces donnes, principalement communiques
par les pouvoirs publics sont accessibles tous et peuvent librement tre rutilises par
quiconque. Par exemple, on trouve la plateforme data.gouv.fr qui permet aux services publics
de publier des donnes publiques et la socit civile de les enrichir, modifier, interprter en vue
de coproduire des informations dintrt gnral.
Un mouvement similaire sest initi concernant les donnes de sant. Si certains, comme le
collectif Initiative Transparence Sant (ITS), estiment que cette large diffusion aura de nombreux
avantages, notamment au moyen de la diffusion des quelque 1,2milliard de feuilles de soins
enregistres dans le Systme national dinformation interrgimes de lAssurance maladie
(Sniiram), qui permettrait de mieux connatre la sant des Franais, dadapter les politiques de
ltat, de faire des conomies et de reprer les abus tels que les prescriptions inopportunes, que
nous avons pu connatre dans laffaire du Mdiator.
Il nen demeure pas moins quune certaine vigilance simpose. En effet, ces donnes tant
particulirement sensibles, il sagira de trouver lavenir un quilibre entre une utilisation
massive des donnes de sant et la protection de la vie prive. ce titre, le Conseil dtat a trs
rcemment valid, au regard de la loi de 1978, la dmarche de la PME bretonne Celtipharm qui
exploite les feuilles de soins lectroniques de ses patients dans un but pidmiologique21.
Se creuse ainsi un foss entre les donnes personnelles des individus qui seront peut-tre
bientt totalement fermes et les donnes publiques qui elles sont totalement ouvertes.
Au milieu, les oprateurs du Big Data tentent de trouver leur place.

Quels droits pour les oprateurs Big Data?


Les acteurs du march Big Data, savoir les collecteurs, responsables de traitement et dtenteurs
de donnes, dans quelque secteur que ce soit, sont principalement soumis des obligations qui
risquent videmment de se dmultiplier et dvoluer avec le phnomne du Big Data. Il sagit
notamment de lobligation de procder une dclaration des traitements oprs auprs de la
CNIL, de devoirs de confidentialit et de protection du contenu des donnes, de limite quant
la dure dusage des donnes22. De mme, il a t impos aux fournisseurs daccs Internet la
conservation des donnes de nature permettre lidentification de quiconque ayant contribu
la cration du contenu ou de lun des contenus des services dont elle est prestataire23.
Les acteurs du march du traitement de donnes ne se sont pourtant jamais vu reconnatre par
la loi un vritable droit dusage de ces donnes quils sont pourtant tenus de conserver.
Le lgislateur est cependant venu peu peu organiser une stratgie de rservation indirecte des
donnes: secret des affaires, savoir-faire, et droit des producteurs de bases de donnes qui se
rapproche dun droit de proprit en ce quil permet son bnficiaire dinterdire certains usages
des donnes collectes.

20Cf. note 17.


21Conseil dtat Section du contentieux 10e et 9e sous-sections, Dcision du 26 mai 2014 n354903.
22Article 32 de la loi informatique et liberts: art 34-1 III du Code des postes et des
communications lectroniques (article 6 II).
23Loi pour la confiance dans lconomie numrique du 21 juin 2004 (dite LCEN).

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 19

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

La qualification de bases de donnes entrane le bnfice possible du droit des producteurs


de bases de donnes, rgi par les articles L. 341-1 et suivants du Code de la proprit
intellectuelle. Ce droit permet au producteur de la base de donnes de sopposer lextraction
ou la rutilisation dune partie substantielle du contenu de la base, apprcie quantitativement
ou qualitativement, et de sopposer des extractions ou rutilisations de parties mme non
substantielles de la base si celles-ci sont le fruit dactes rpts et systmatiques et excdent
manifestement les conditions dutilisation normale de la base24.
Toutefois, ce qui est important dans le Big Data nest pas tant la structuration des donnes mais
bel et bien les donnes elles-mmes. Cette protection nest donc pas satisfaisante.
Il est toutefois possible de sinterroger sur la pertinence dun droit privatif sur des
donnes dont la valeur rside justement dans leur circulation et leur utilisation par des
tiers. Limpratif est plus de donner un cadre juridique lexploitation des donnes que
de leur trouver un vritable titulaire.
Pour lheure, dfaut de cadre juridique satisfaisant, les oprateurs du Big Data ont peu peu
introduit cette prrogative grce aux mcanismes contractuels.

B. Contractualisation des donnes numriques


Il est vident que les entreprises responsables de traitements ont pour objectif, in fine, de
commercialiser les donnes traites. En effet, une fois linvestissement ralis au profit de ses
propres ventes, lentreprise pourra amortir ses dpenses grce la data montisation. Cest ce
qui a notamment t fait par des entreprises telles que Telephonica UK et Vodaphone en crant
une filiale commune Weve ddie la commercialisation en B to B des donnes recueillies auprs
de leurs 20millions dabonns25.
Cest un fait, les donnes numriques ont acquis une valeur marchande. Or, notre droit est
traditionnellement peu laise avec la commercialisation des biens immatriels. dfaut de
rgime lgal satisfaisant, les oprateurs de ce nouveau march se sont tourns vers ce qui
demeure certainement le meilleur outil de rgulation du commerce en constante volution: le
contrat.
Cette ralit mercantile des donnes numriques sest rcemment illustre dans un arrt rendu
par la chambre commerciale de la Cour de cassation. La haute juridiction a en effet cass larrt
dappel qui avait refus dannuler la vente dun fichier de clientle non-dclar la CNIL au
motif que la loi ne prcisait pas que ce dfaut de dclaration tait sanctionn par la nullit. A
t considr, au visa de larticle 1128 du Code civil, quil ny a que les choses qui sont dans le
commerce qui puissent tre lobjet des conventions et que du fait de labsence de dclaration, le
fichier ntait pas dans le commerce et ds lors, lacte de vente avait un objet illicite26.

24Article L342-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.


25Cf. note 18.
26Pour un droit commercial de lexploitation des donnes caractre personnel
(Com, 25 juin 2013), Recueil Dalloz 2013, p.1844.

Il sera not que le producteur de bases de donnes dispose lui aussi du droit de cder ou
transmettre les droits dextraction et de rutilisation des donnes contenues dans une
base protge au moyen dune licence27.
En contrepartie, lutilisateur des donnes devra classiquement payer un prix.
De plus, lutilisateur sera tenu duser de la base conformment ce qui lui est permis par le
contrat. Il est dont trs important de soigner la rdaction des clauses affrentes en
prcisant notamment le sort des donnes auxquelles lutilisateur accde, la confidentialit
laquelle il est tenu, etc.
tout le moins, il est fort probable que loutil contractuel devienne indispensable la gestion
des donnes numriques et participera irrmdiablement la valorisation de ces dernires.
Demeure cependant la ncessit de trouver un modle de contrat participant cet objectif tout
en garantissant la scurit et lutilisation des donnes en conformit avec les lgislations.

C. Lutilisation du logiciel CRM: outil de rationalisation


Aprs chaque interaction entre les clients et le service comptent dune entreprise, les
informations, individuelles ou gnrales, relatives ces derniers tendent saccrotre de manire
tant quantitative que qualitative.
Eu gard au volume et la complexit des donnes, il y a un vritable besoin des entreprises
de matriser la gestion, la comprhension et linterprtation de ces donnes pour optimiser
les rsultats de traitement. Nous pensons que ce sont des outils tels que les logiciels CRM qui
participeront au traitement et la rationalisation de ces donnes, condition toutefois dtre
adapts lexploitation du Big Data.
Le logiciel CRM est lvolution du fichier client. Il permet en effet a minima de stocker et
de tenir jour la liste des clients mais aussi la gestion et larchivage des contacts avec les
clients (tlphones, e-mails, courriers, runions), le marketing direct (mailings, campagnes
publicitaires de toute nature), lautomatisation et systmatisation du processus de vente,
lanalyse de lactivit (reporting), etc. Lobjectif est doptimiser le traitement et lanalyse des
donnes relatives aux clients et prospects afin de rpondre au mieux leurs attentes. Ainsi, le
logiciel CRM constitue une premire base qui, sous rserve de quelques volutions, permettra le
traitement efficace des donnes Big Data. En effet, cet outil pourrait tre facilement adapt la
gestion des donnes permettant lidentification des tendances, la prdiction des comportements
et lvaluation de leurs besoins actuels et venir.
Toutefois, si la monte du Big Data offre aux entreprises spcialises dans les logiciels CRM une
vritable opportunit de se rendre indispensable dans la gestion du Big Data, celle-ci ne pourra
tre effectivement saisie qu condition pour ces socits de scuriser parfaitement les systmes
de Cloud Computing qui sont les systmes de stockage les plus frquemment utiliss par les
logiciels CRM. Or, il est clair que les consommateurs se montrent encore prudents quant la
sret de cet outil.

27L.342-1 Code de la proprit intellectuelle.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 21

1.1 Limpact du phnomne Big Data sur les entreprises: de la gestion la valorisation des
donnes numriques gigantesques

De mme, les rseaux sociaux qui y sont souvent associs permettent de fidliser les clients
grce une relation plus troite avec eux.

D. Vers un patrimoine numrique:


la patrimonialisation des donnes numriques
Le contour des droits des entreprises dtentrices des donnes traites est encore flou en raison
de labsence de cadre juridique. ce jour, il nest pas possible de parler dune quelconque
proprit des donnes mais dun droit dutilisation ou dexploitation des donnes
numriques. En effet, la reconnaissance dun droit concurrent lentreprise dtentrice
reviendrait priver la personne objet de la donne de son droit de jouissance et inversement.
La logique intrinsque de ce phnomne empche donc de recourir la notion dappropriation.
Thomas Saint-Aubin, chercheur associ luniversit Paris I, propose, juste titre il nous semble,
la notion juridique de patrimoine numrique. Ce patrimoine sentend juridiquement comme
lensemble des biens, des droits et obligations dune personne physique ou morale et
semble convenir la situation du dtenteur de donnes. En effet, celui-ci est soumis et sera
soumis lavenir des obligations, notamment de conservation, de scurit et de confidentialit
des donnes et en contrepartie comporte galement le droit pour la socit dtentrice, sous
certaines rserves prcdemment voques, de les utiliser, de les mobiliser et de les faire
voluer28.
Les entreprises franaises ont saisi limportance du phnomne Big Data et travers le plan Big
Data annonc par le ministre de lconomie dbut juillet2014, ces dernires commencent
organiser la gestion et lorganisation de ces donnes. Parmi les mesures envisages dans
lassurance, Cova, qui chapeaute la MAAF, MMA et GMF, pilote deux projets, lun sur les
donnes des jeunes conducteurs et lautre contre la fraude. Orange va quant elle uvrer pour
constituer une plateforme regroupant les donnes issues des objets connects, tandis que GDF
Suez, accompagn par Alstom et de PME, va travailler sur la ville intelligente, notamment en
centralisant des donnes nergtiques et de transport29.
En conclusion, la monte du phnomne Big Data demande une sensibilisation et une
formation des entreprises et de leurs employs afin non seulement de ne pas endommager
les donnes collectes mais aussi de les exploiter efficacement. Les rflexes acqurir, sils
peuvent tre compars ceux apparus sous lre du Cloud Computing, doivent tre encore plus
prcautionneux compte tenu de la quantit bien plus importante de donnes traites, et donc
ncessairement de risques.

28Cf. note 18.


29http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/07/07/01007-20140707ARTFIG00046-big-datale-plan-de-la-france-pour-concurrencer-les-geants-americains.php

1.2
La ncessaire volution du droit
des producteurs de bases de donnes
pour permettre son adaptation
lmergence du Big Data
par Nicolas Courtier

lauteur
Avocat au barreau de Marseille, spcialiste en droit de la proprit intellectuelle
Docteur en droit
Charg denseignements la facult de droit dAix-Marseille universit et lcole suprieure
dart et de design Marseille-Mditerrane

synthse
Le droit des producteurs de bases de donnes correspond une vision statique des traitements
de donnes qui tend laisser place des traitements dynamiques. Une partie importante de la
cration, de la gestion et du commerce des donnes les plus rcents et les plus innovants nest
pas couvert par ce rgime juridique. Les acteurs de ce secteur peuvent craindre des poursuites,
la fois sur le fondement des rgles de la proprit intellectuelle et du droit commun et, pour
protger le rsultat de leur travail, seules existent les rgles appliques la concurrence dloyale
et le parasitisme. Des propositions dvolutions peuvent tre formules pour adapter le droit des
producteurs de bases de donnes son nouvel environnement technologique et commercial,
en le transformant en un Droit des producteurs et des exploitants de donnes et de bases de
donnes.

mots cls : droit des producteurs de bases de donnes |


droit sui generis | Big Data | mgadonnes | donnes massives|
curation | ensemble informationnel | objet connect |
signaux faibles | rseaux sociaux | analyses prdictives |
Data Mining
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 23

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

Introduction
Le droit des producteurs de bases de donnes est issu de la directive communautaire du
11mars 1996. Il a t introduit dans le droit de la proprit intellectuelle franais par la loi du
1erjuillet 1998 aux articles L 341-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle. Il rpondait
aux besoins des acteurs conomiques du nouveau secteur du numrique de bnficier dun
outil juridique mme de scuriser leurs investissements dans ces infrastructures virtuelles
de stockage de la matire premire de lconomie numrique quest la donne. Sans bases
de donnes, il ny aurait pas eu de commerce lectronique, pour ne citer que cet aspect de
lconomie numrique.
Ces textes correspondaient un degr dvolution technologique des volumes de stockage,
des vitesses de traitement et des capacits de transfert qui ont poursuivi leur progression
jusqu permettre lapparition de nouvelles techniques et de nouveaux services de traitement
de volumes beaucoup plus importants, connus sous le nom, non encore officiellement traduit30,
de Big Data. Comme toute volution technologique, le Big Data induit une interrogation sur la
pertinence de la lgislation existante et lventuelle ncessit de ladapter.
La lgislation existante correspond une vision statique des traitements de donnes, qui
tendent laisser place des traitements dynamiques car les offres fondes sur lanalyse
des donnes vont moins dpendre dans lavenir de la capacit les runir dans des bases
que de savoir les trouver, les identifier, les slectionner et les traiter, le cas chant en
temps rel, dans une masse de donnes disponibles en permanence mais dun volume
considrable. On parle, entre autres, doutils de curation.
Les services et les systmes ddis ce type doprations se dveloppent trs
rapidement, ce qui na pas encore t le cas des outils juridiques placs la disposition
des professionnels pour faire valoir leurs droits.
Lvolution du droit des producteurs de bases de donnes a t marque, au contraire, par un
encadrement strict, sur le fondement principalement de la jurisprudence de la Cour de justice
de lUnion europenne (CJUE). Il ne concerne que ceux pouvant justifier dinvestissements
dans la constitution, la vrification ou la prsentation du contenu dune base de donnes. Les
investissements pour la cration de donnes ne sont pas pris en compte ni la gestion de donnes
et les offres de services sans constitution de bases permanentes.
Le droit qui a t vot pour permettre le dveloppement des bases de donnes sest donc, au
dpart, logiquement concentr sur leur cration mais ne traite pas de leur utilisation autrement
que pour rprimer les usages prohibs. Il en rsulte quune partie importante de la cration,
de la gestion et du commerce des donnes les plus rcents et les plus innovants ne sont pas
couverts par le rgime de la loi du 1erjuillet 1998 car ces traitements de donnes ne passent
pas toujours par la cration de bases de donnes, comme lexploration de donnes ou Data

30Le terme, non encore traduit la date de restitution de larticle, la t par le JORF du
22 aot 2014 par les expressions mgadonnes et donnes massives.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029388087&date
Texte=&categorieLien=id

Mining, qui est un processus danalyse informatique regroupant des mthodes dintelligence
artificielle, dapprentissage automatique et de statistiques dans le but dextraire des informations
comprhensibles dun ensemble de donnes31.
Ces activits se dveloppent sans bnficier dun cadre juridique spcifique et sans
solution pour offrir, dans le primtre de la proprit intellectuelle, une protection aux
rsultats des nouvelles activits des acteurs de ce secteur, pourtant de plus en plus
nombreux, ou au minimum pour carter linscurit juridique dans laquelle ils se trouvent
actuellement quant au choix des donnes quils peuvent utiliser.
Outre la problmatique des donnes personnelles, qui bnficie de beaucoup dtudes et nest
pas le sujet de cet article, les acteurs de ce secteur innovant de traitement de linformation
peuvent craindre des poursuites, la fois sur le fondement des rgles de la proprit intellectuelle
et du droit commun. En revanche, pour protger le rsultat de leur travail, les seuls fondements
susceptibles dtre invoqus sont la concurrence dloyale et le parasitisme.
Sur la base dun tat des lieux de la lgislation, de la jurisprudence existante et des
problmatiques auxquelles sont confronts les acteurs du secteur de la production,
du traitement et de lanalyse des donnes, des propositions dvolutions peuvent tre
formules pour adapter le droit des producteurs de bases de donnes son nouvel
environnement technologique et commercial, en le transformant en un droit des
producteurs et des exploitants de donnes et de bases de donnes.
En effet, lvolution rcente du droit de la proprit intellectuelle, dont principalement le droit
des marques, attnue le caractre privatif de ce droit pour linscrire dans une dimension plus
conomique de rgulation de linformation mise la disposition du consommateur ou du
public. Il peut tre envisag dtendre ce changement, qui na pas encore impact les bases de
donnes, au droit qui les concerne pour lui permettre de sadapter lvolution technologique
du Big Data.
LINPI peut avoir un rle majeur dans cette volution en compltant son offre dune solution
de dclaration, ventuellement dynamique, pour pouvoir prendre en compte le caractre
volutif des bases et des outils innovants de traitement, en les identifiant notamment par
linvestissement ou par loriginalit des structures et systmes de fonctionnement crs pour
leur tre ddis.
Il est donc propos, aprs avoir sommairement rappel la lgislation actuelle en matire de
bases de donnes (I) et dcrit de faon synthtique le phnomne du Big Data (II), de prsenter
les principales techniques danalyse des donnes qui se dveloppent pour traiter la masse
dinformations nouvellement disponibles (III), de dcrire les questions que ces volutions
induisent (IV) ainsi que lvolution rcente de la lgislation et de la jurisprudence dans dautres
domaines (V), pour prconiser une solution pour amnager le cadre lgal des bases de donnes
et la mise en place de nouveaux services par lINPI (VI).

31Faire entrer la France dans la troisime rvolution industrielle: le pari de linnovation #1


Le Big Data, Observatoire de lInnovation de lInstitut de lentreprise, p. 15.
http://www.institut-entreprise.fr/sites/default/files/docs/Big-data.pdf

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 25

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

I - La lgislation actuelle
Le concept de base de donnes est dfini larticle L.112-3 du Code de la proprit intellectuelle
franais, issu de la loi du 1erjuillet 199832, et bnficie de deux rgimes de protection diffrents
et complmentaires, par le droit dauteur et par le droit sui generis des producteurs de bases de
donnes.
Une base de donnes est un recueil duvres, de donnes ou dautres lments
indpendants, disposs de manire systmatique ou mthodique, et individuellement
accessibles par des moyens lectroniques ou par tout autre moyen, et cette dfinition,
dans la directive, concerne les deux rgimes (article 1-2).
Pour quune base de donnes soit protge par le droit dauteur, elle doit satisfaire la condition
pose par la CJUE33 dtre lexpression originale de la libert cratrice de son auteur, ce qui est
complexe dmontrer. La preuve de cette originalit pse sur celui qui sen prvaut et il lui
appartient de dcrire les choix oprs, de les citer et den exposer les motifs doriginalit34.
Les logiciels qui font fonctionner les bases de donnes ont t exclus du champ dapplication
de la directive (considrant n23 article 2) et de la loi de 1998 car ils ont leur propre rgime
juridique.
Trois lments cumulatifs sont exigs dans la dfinition lgale35: la runion dlments
indpendants, ce qui provient de la nature mme de la base de donnes qui est une
compilation, disposs de manire systmatique ou mthodique car, si aucun schma ne
ressort de leur disposition, ils ne forment quune collection, individuellement accessibles par
des moyens lectroniques ou par tout autre moyen.
Pour que le droit dauteur sapplique, il faut que la disposition des lments procde dun
cheminement intellectuel.
Cest donc, dans lesprit de la protection sur le fondement du droit dauteur, le contenant
dune base de donnes qui est protg et non le contenu (considrant n15 et article3.2
de la directive), cette diffrence entre contenant et contenu ayant t consacre par la
jurisprudence36 mme si, bien sr, les lments du contenu peuvent bnficier eux-mmes
dune protection propre, ce qui nest que rarement possible pour de simples donnes.
Bien quil en existe des exemples, y compris rcents37, obtenir la reconnaissance de loriginalit
dune base de donnes est dlicat. Cest lune des raisons pour laquelle tait apparue la ncessit
que soit cre une protection alternative, celle du droit sui generis destin pallier linsuffisance

32Loi n98-536 du 1er juillet 1998 et directive 96/9/CE du 11 mars 1996.


33CJUE, 3e chambre, Football Dataco c/ Yahoo!, aff. C-604/10, 1er mars 2012 (application de
larticle 1.3 de la directive).
34TGI Paris, 3e chambre civile, 13 avril 2010 (Comm. com. lectr. 2010, comm. 84, 4e esp,
note C. Caron).
35La loi de transposition de la directive 96/9 du 11 mars 1996 sur les bases de donnes,
Ph. Gaudrat, RTD Com. 1998, p.598 et p. 4 de ltude.
36Arrt Microfor, Cass., Ass. Pln, 30 oct. 1997, n86-11918. http://www.legifrance.gouv.fr
37Cass. 1re Civ. 13 mai 2014, Xooloo / Optenet. http://www.legalis.net/spip.
php?page=jurisprudence-decision&id_article=4167

de la protection par le droit dauteur et, dj, adapter la lgislation lvolution des
technologies en offrant une protection aux producteurs de bases de donnes. Le droit sui generis
vient en supplment du droit dauteur quil complte.
La directive de 1996 a t transpose dans les articles L.341-1 L.343-4 du Code de la
proprit intellectuelle franais, et larticle L.341-1 indique: Le producteur dune base de
donnes, entendu comme la personne qui prend linitiative et le risque des investissements
correspondants, bnficie dune protection du contenu de la base lorsque la constitution, la
vrification ou la prsentation de celui-ci atteste dun investissement financier, matriel ou
humain substantiel ().
Cette rforme a fait lobjet de dbats sur lintroduction de la notion dinvestissement, plus
proche de la logique anglo-saxonne du copyright que de celle, franaise, de protection par
loriginalit de la cration, avec toute la diffrence que cela induit au regard du titulaire du droit
qui est dailleurs appel producteur dans la loi franaise , notion qui prexistait en proprit
intellectuelle, alors que la directive parlait elle-mme de fabricant, traduction de maker,
notion encore plus industrielle.
La directive visait non seulement les bases lectroniques mais galement les bases nonlectroniques38: son article1.1 est large, indiquant que les bases de donnes sont protges
quelles que soient leurs formes.
Le droit sui generis protge donc linvestissement39 ou plus prcisment ce que les
producteurs peuvent retirer dune base de donnes suite cet investissement.
La directive prcise que son objectif est de protger les fabricants de bases de donnes contre
lappropriation des rsultats obtenus de linvestissement financier et professionnel consenti par
celui qui a recherch et assembl le contenu, donc plutt le retour sur investissement. Trois
caractres dinvestissements sont proposs: financier, matriel et humain. Ils sont
alternatifs, les trois nayant pas tre prouvs chaque fois.
Deux difficults ressortent nanmoins de la jurisprudence, qui est trs restrictive: dune part,
les juges se limitent analyser, souverainement, la valeur conomique des investissements
sans prendre en compte leur rsultat et donc la valeur de lensemble informationnel qui a t
cr40 et, dautre part, ils ne se contentent pas de ces informations conomiques pour juger
de lexistence dun droit des producteurs de bases de donnes mais exigent que leur soit
dabord dmontre lexistence mme de la base de donnes, mettant en uvre des principes
dorganisation et de structuration qui permettent son utilisateur davoir directement accs un
lment individuel au moyen dune slection ou dune indexation particulire41.

38Recueils, bases, banques de donnes, compilations, collections... : lintrouvable notion?


propos et au-del de la proposition de directive europenne, M. Vivant, Recueil Dalloz
1995, p.197.
39A. Lucas, JurisClasseur Proprit Littraire et Artistique, Fasc. 1650 : Droits des
producteurs des bases de donnes, n 40.
40Cass. 1re Civ. 19 juin 2013, Rseau Dleuri / LAgitateur Floral. http://www.legalis.net/spip.
php?page=jurisprudence-decision&id_article=3924 - CA Paris, Ple 5,
15 nov. 2013, Pressimmo on line / Yakaz, Gloobot, MJA. http://www.legalis.net/spip.
php?page=jurisprudence-decision&id_article=4029
41TGI Paris, 3e section, 4e chambre, 21 fvr. 2013, Sarenza / M. X. et autres.
http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3782

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 27

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

La structure na pas tre originale pour que le droit sui generis sapplique mais elle doit au moins
exister (considrant n21 de la directive). Le texte parle effectivement de constitution de base
de donnes, tape cruciale pendant laquelle le contenu est slectionn et mis en forme dans
une infrastructure prcise.
Il y a donc une interaction entre contenu et contenant, selon laquelle si lun nest pas constitu,
lautre ne sera pas reconnu et aucune protection, que ce soit par le droit dauteur ou par le droit
sui generis, ne pourra tre mise en place.
Le texte, bien quil ait pour objectif de protger des investissements, ce qui devrait en faire
un outil juridique tourn vers lavenir, reste corset par sa dmarche lgitimiste fonde sur le
contrle de lorigine de la cration de la base.
La difficult pratique est que cet tat du droit et de la jurisprudence est bouscul par lapparition
du Big Data et des services destins en exploiter la matire car ils permettent daboutir au
mme rsultat pratique et conomique que celui recherch par la constitution dune base de
donnes mais sans avoir passer formellement par cette tape.
Il nest plus ncessairement besoin de puiser dans des infrastructures virtuelles de stockage
pour obtenir linformation qui est disponible dans le Big Data pour celui qui sait aller ly chercher.

II - Lmergence du Big Data


Le Big Data est le nom dun ensemble dvolutions technologiques qui recouvrent
laugmentation de la cration et du volume de stockage accessible de donnes.
Wikipdia, ds le premier paragraphe de larticle sur cette notion, stigmatise ce changement et
dcrit ce service comme une volution par rapport aux bases de donnes: des ensembles de
donnes qui deviennent tellement volumineux quils en deviennent difficiles travailler avec des outils
classiques de gestion de bases de donnes ou de gestion de linformation42.
Entre 2012 et 2013, le volume de donnes changes sur Internet a augment de 81%,
passant de 820 ptaoctets (8,2 x 1017 octets) 1,5 exaoctet (1,5 x 1018 octets). Les seuls
rseaux mobiles ont transport dix-huit fois plus de donnes que le volume global dInternet en
lan 2000 (environ un exaoctet lpoque)43.
Les acteurs conomiques de ce secteur tablent sur une progression continue, avec un taux
de croissance annuel moyen de 20% sur la priode 2014-2018, soit, cette chance,
1,6zettaoctet (1,6 x 1021 octets) de donnes changes, autant quau cours des trente
dernires annes.
Cette explosion du trafic sera galement favorise par laugmentation des capacits en bande
passante. lheure actuelle, lchelle de la plante, la connexion Internet seffectue une

42http://fr.wikipedia.org/wiki/Big_data
43Cisco prvoit une hausse de trafic dans lcosystme Internet, C. Bohic, IT Espresso.fr.
http://www.itespresso.fr/cisco-trafic-ecosysteme-internet-76217.html

vitesse moyenne de 16 Mbit/s. Elle devrait atteindre 42 Mbit/s en 2018. Plus de 55% des lignes
proposeront au moins 10 Mbit/s, avec des moyennes proches de 100 Mbit/s en Core du Sud
et au Japon.
Les outils de traitement voluent en consquence: en 2003, il fallait dix ans et un milliard
de dollars pour squencer les trois milliers de paires de bases du gnome humain. En
2013, ce temps avait t rduit trois jours et le cot trois mille dollars.
Pour les constructeurs automobiles, par exemple, la collecte des donnes sest considrablement
largie en faisant de la voiture un objet connect, une source de donnes. Chez certains, les
ordinateurs de bord connects et intelligents renvoient des informations en temps rel44 qui
sont croises avec celles extraites des commentaires des utilisateurs sur les rseaux sociaux,
mais de simples badges de tlpage fournissent aussi un nombre considrable dinformations
aux socits dautoroutes.
Les donnes objet du Big Data ne sont, bien sr, pas que des donnes commerciales. Pour les
sapeurs-pompiers de Paris, une heure dintervention reprsente quatre mille donnes brutes
(golocalisation, bilan mdical, rapport dopration) et il y a mille trois cents interventions par
jour, dune heure chacune en moyenne, toute lanne, depuis trente ans. Ce corps sestime donc
riche de quarante-huit milliards de donnes archives, catgorises et exploiter45.
Les techniques de traitement de ces donnes bousculent le modle de cration de
valeur, pour amliorer la comptitivit ou lefficacit, par exemple, et dans beaucoup de
domaines tels que le marketing, la sant, le dplacement, la logistique, le recrutement,
le sport
Les outils classiques de traitement des donnes et les outils statistiques sont toujours utiliss
mais, sils sont satisfaisants et utiles pour obtenir des indications par grandes catgories, ils sont
moins efficaces pour bnficier danalyses plus fines fondes sur les signaux faibles extraits
de la masse des donnes ou les comportements observs aux travers des informations fournies
notamment par les objets connects et les rseaux sociaux.
Lorsque les requtes correspondent des informations qui ont t anticipes par les objectifs qui
ont prsid la cration des structures de bases de donnes, les fichiers qui rsultent de simples
extractions sur ces bases prexistantes y rpondent. Cependant, lorsque les questions nont pas
t anticipes, lanalyse des masses de donnes disponibles dans le Big Data permet alors seule
de rpondre directement aux questions ou daffiner les rponses obtenues partir des rsultats
des requtes recueillies en interrogeant les bases de donnes existantes.
Les entreprises sont de plus en plus conscientes de limportance de cette volution46. Par exemple,
lanalyse du comportement des clients ne se limite plus leur attitude envers les produits et les
services de lentreprise, ce qui est relativement facile obtenir par une analyse des ventes ou des

44Comment les Big Data influencent la stratgie de Ford, N. Poggi. http://www.usinedigitale.fr/article/comment-les-big-data-influencent-la-strategie-de-ford.N266144


45http://www.numerama.com/magazine/29369-les-pompiers-de-paris-veulent-exploiterleurs-48-milliards-de-donnees.html?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter
46Big Data: la vision des grandes entreprises, Rapport du CIGREF. http://images.
cigref.fr/Publication/2013-Big-Data-Vision-grandes-entreprises-Opportunites-et-enjeuxCIGREF.pdf

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 29

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

questionnaires de satisfaction. Ces informations doivent en plus tre croises avec une
analyse de linteraction entre loffre de lentreprise et les comportements des clients. Certains
programmes de fidlisation donnent simplement des points en fonction du volume dachat mais
dautres, plus perfectionns, proposent des offres personnalises selon les prfrences et les
habitudes du consommateur, voire rcompensent leurs comportements47.
Ces techniques viennent remplacer les outils prcdemment utiliss danalyse de lopinion des
consommateurs, tels que les sondages, questionnaires de satisfaction ou groupes tests (focus
groups). Lopinion de quelques consommateurs est donc remplace par une analyse globale des
donnes mises, involontairement via les objets connects et volontairement sur les rseaux
sociaux, par lensemble des clients.
Ces outils de traitement permettent dextraire de ces masses de donnes non seulement des
analyses a posteriori, mais aussi et surtout des analyses prdictives.
Ces analyses prdictives existent depuis longtemps et des logiciels de prdiction des ventes
ont t dvelopps ds le milieu des annes 90 en se fondant sur des donnes qui taient
collectes par modem, avant mme que le rseau Internet ne se dveloppe. Cela avait t,
par exemple, mis en place par la presse quotidienne rgionale pour rduire les invendus et les
manques la vente de chaque point de distribution. Mais le Big Data offre un volume bien plus
considrable dinformations que les simples statistiques des points de ventes, mme collectes
quotidiennement.
Face linflation du volume des donnes apportes par le Big Data sont donc apparues des
techniques telles que les nouvelles mthodes de data mining et la curation, qui ont une image
positive, ou des techniques plus contestes telles que le scrapping, fond sur une analyse
dynamique des contenus acquis par des outils informatiques de balayage (crawling), au sujet
desquelles les entreprises ont des attitudes contradictoires.

III - La monte en puissance des techniques innovantes


de traitement des donnes
La curation est la pratique la plus connue. Elle consiste slectionner, ditorialiser et
partager du contenu48.
Cette technique incorpore plusieurs dimensions danalyse et de valorisation des donnes49 qui se
compltent: lexpertise humaine et la mdiation (recherche, tri, validation et choix de contenus
intressants et pertinents), lenrichissement des contenus (avis, recommandations, mises en
perspective), leur mise en scne (prsentation, structuration, valorisation), et leur partage
(rediffusion de linformation, publication).

47Mritez-vous des points et des rcompenses?, M.-E. Fournier. http://affaires.lapresse.


ca/economie/commerce-de-detail/201406/09/01-4774023-meritez-vous-des-points-et-desrecompenses.php
48Guide de la curation (1), les concepts, P. Tran, 14 mars 2011, site 01net. http://pro.01net.
com/editorial/529624/le-guide-de-la-curation-(1)-les-concepts/
49 Diffuser les rsultats de la veille avec les outils de curation: Scoop it, Marie-Laure Malingre
et Alexandre Serres, URFIST Rennes, 25 mars 2014, slide 11. http://www.sites.univ-rennes2.fr/
urfist/ressources/diffuser-les-resultats-de-la-veille-avec-les-outils-de-curation-scoopit

Ces mthodes peuvent entrer en conflit direct avec le droit des bases de donnes
puisquil sagit dagrger des informations qui vont devoir tre extraites du Big Data. Or,
lorsquelles sont contenues dans des bases de donnes, cette extraction peut tre considre
qualitativement ou quantitativement substantielle par le producteur.
Cela est dautant plus vrai lorsquil ne sagit pas de curation, qui induit gnralement une part
de travail humain, mais de scrapping, technique dextraction du contenu de sites Web, via un
script ou un programme, dans le but de le transformer pour permettre son utilisation dans un autre
contexte, par exemple le rfrencement50, qui consiste donc rcuprer automatiquement des
contenus en vue de les rutiliser pour constituer de nouveaux rsultats qui agrgent ceux qui ont
t slectionns mais sans obligatoirement les sourcer par une mention de leur origine ou une
possibilit daccder au support original.
Dans tous les cas, il faut dabord trouver ces donnes en ligne, ce qui passe par lutilisation de
robots (crawling) qui sont la plupart du temps refuss dans les paramtrages des sites, en laissant
nanmoins la possibilit ceux des moteurs de recherche et principalement de Google de passer
autant de fois que ncessaire, ce qui peut tre considr comme une attitude contradictoire vis-vis de la gestion de laccs au contenu des sites.
Mais, dans la plupart des cas, la curation nest pas une action simplement automatique et
reprsente un travail de slection qui sera bas sur un apport intellectuel pour lequel il est
ncessaire denvisager quil puisse faire perdre tout lien entre le rsultat et les donnes qui ont
t utilises, quelle que soit leur source. Un curateur va, pour slectionner des contenus qui
lintressent et pourraient intresser dautres personnes, effectuer lui-mme des investissements
matriels et humains. Sil apporte une vritable valeur ajoute, le curateur ne doit plus risquer
dtre fautif et le rsultat de son travail mrite lui aussi une protection.
Pour analyser de vastes quantits de donnes ou mettre en place les outils qui le
permettent, il est ncessaire de faire appel des Data Scientists, analystes connaissant
la fois les problmatiques techniques et mtiers. Il sagit dune profession qui est
appele se dvelopper et les formations se multiplient51.
La question est donc de savoir quand et pourquoi le lien entre le producteur de bases de donnes
et ses donnes pourra se rompre au profit du curateur ou de celui qui lemploie, parce que les
donnes agrges sont suffisamment nombreuses, retravailles et de sources diffrentes pour
que ce travail cre une nouvelle originalit ou parce que la diffusion de linformation peut primer
si le rsultat est dun intrt collectif suffisant pour imposer cette rupture.
Pour cela, il est intressant dtudier les points de confrontation de ces techniques avec les
rgimes juridiques existants.

50http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_scraping
51http://www.polytechnique.edu/accueil/actualites/polytechnique-lance-la-formationdata-sciences-starter-program--311929.kjsp?RH=1245226736745

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 31

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

IV - La confrontation entre les techniques rcentes


de traitement en masse des donnes et le droit existant
La plupart des rflexions publies portent sur la protection des donnes personnelles, soit pour
sinquiter des consquences du Big Data, soit pour appeler une volution de la lgislation sur la
protection des donnes personnelles pour ne pas bloquer la mise en uvre de ces innovations.
Dans ce second cas, il est propos de ne pas systmatiquement interdire leur utilisation tout en
imposant de nouvelles obligations, adaptes, aux responsables de traitements informatiques,
comme celle de prendre en compte la protection des donnes ds la conception des systmes
(Privacy by Design).
Mais le droit des donnes personnelles nest pas le seul tre concern et le droit des
producteurs de bases de donnes risque dtre lui aussi la fois inadapt pour apporter
une protection aux rsultats des traitements des donnes issues du Big Data et un
obstacle au dveloppement de ces techniques.
Mme si le data mining ou la curation aboutissent ventuellement, bien que pas
systmatiquement, la cration dune nouvelle base de donnes, le fait que leur rsultat soit
totalement diffrent du contenu de chacune des bases de donnes source, dont les donnes
ont t extraites ou utilises les protgent gnralement de tout reproche sur le fondement
du droit dauteur, car ces techniques sintressent aux donnes en elles-mmes et pas aux
infrastructures qui les regroupent et mme pas, la plupart du temps, au rsultat de leffort
intellectuel qui a t fait afin de trouver une logique pour les regrouper.
En revanche, ces techniques se trouvent rgulirement en confrontation avec le droit
sui generis de protection des producteurs de bases de donnes puisque leur essence
mme, qui est de slectionner des contenus pour les agrger de faon structure puis les
rediffuser ou les exploiter autrement, induit quune partie des sources de ces slections
sont des bases de donnes. Les acteurs de ce secteur ressentent donc une inscurit juridique
dans le dveloppement de leurs activits, au regard de ce droit sui generis.
En effet, on peut craindre que ces traitements soient considrs comme une rutilisation
des informations des bases de donnes o ils puisent les informations aprs une extraction.
Larticle L342-1 du Code de la proprit intellectuelle dispose: Le producteur de bases de
donnes a le droit dinterdire:
1/ Lextraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalit ou dune partie
qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu dune base de donnes
sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit;
2/ La rutilisation, par la mise la disposition du public, de la totalit ou dune partie
qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle quen
soit la forme. ().
Cette situation a dabord un effet conomique ngatif car une partie des entreprises qui traitent
de grandes quantits de donnes tudies de faon globale sur Internet se localisent hors
de lUnion europenne, au moins en ce qui concerne leurs collectes de donnes, pour viter
le risque juridique qui existe au sujet de leurs mthodes de travail; ce risque tant rduit ou

inexistant pour la commercialisation du rsultat de ces traitements lorsquil nest plus possible
de les relier aux bases qui ont t utilises. Cest le cas par exemple de beaucoup de data
brokers52. Leur offrir un cadre daction en Europe permettrait de voir se rapatrier celles de ces
activits qui ne seraient plus rprhensibles.
Ces techniques sont aussi confrontes de faon positive au droit des bases de donnes.
Si lensemble informationnel organis par le curateur est original et les donnes obtenues
lgalement, sa nature de base de donnes permettra son producteur de faire ventuellement
valoir son droit dauteur, ou, sil peut caractriser des investissements financiers, matriels ou
humains, de producteur, la difficult tant alors de pouvoir tablir lexistence dune base de
donnes.
En effet, la diffrence avec le travail de constitution dune base de donnes reste nette car, outre
la ncessit de pouvoir justifier en amont quil nexiste pas un lien avec la source des donnes qui
le placerait dans le cadre de linterdiction du droit sui generis, le rsultat de la curation ne pourra
pas toujours lui-mme bnficier de sa protection en raison de la difficult dmontrer que le
rsultat de ces travaux nest pas quune simple compilation ou production de donnes et quil
est organis dans une base.
Il existe une impossibilit pour ce professionnel, mme sil a obtenu ses donnes lgalement, de
revendiquer le droit des producteurs de bases de donnes sil ne peut dmontrer que le rsultat
de lextraction a t prcd de ltape de la constitution dune base dont lexistence est
devenue fugace, quand bien mme il a mobilis des investissements financiers, matriels ou
humains.
Pour contourner au moins en partie ces difficults, les changements rcents intervenus dans
dautres domaines du droit de la proprit intellectuelle suggrent des pistes dvolutions.

V - Les solutions dvolution du cadre lgal la lumire


des changements jurisprudentiels et lgislatifs rcents
Une solution pourrait tre de faire bnficier le droit des bases de donnes, fond sur le droit
dauteur comme sur le droit sui generis, de la logique des volutions rencontres dans dautres
domaines de la proprit intellectuelle, dont, principalement mais pas uniquement, le droit des
marques, qui a connu une volution fondamentale et un vritable changement de paradigme
au travers de la jurisprudence rcente de la CJUE53.
La CJUE a cart lide, pourtant profondment ancre dans lesprit de nombreux dposants,
dun droit privatif absolu du titulaire de la marque, pour le rquilibrer, dans le souci de

52Your Doctor Knows Youre Killing Yourself. The Data Brokers Told Her, S. Petty piece
et J. Robertson. http://www.bloomberg.com/news/2014-06-26/hospitals-soon-seedonuts-to-cigarette-charges-for-health.html; Data brokers: aux tats-Unis, votre vie
prive est en vente http://www.zdnet.fr/actualites/data-brokers-aux-etats-unis-votrevie-privee-est-en-vente-39789295.htm
53CJUE, gr. ch., 23 mars 2010, c-236/08 et C-238/08, Google (JCP G 2010, note 642,
L. Marino; Comm. Com lectr. 2010, Comm. 88, note Ph Stoffel-Munck; RTD eur. 2010,
p 939, obs. E. Treppoz; RLDI 2010/60, n 1980, note L. Grynbaum). CJUE, 22 sept. 2011,
C-323/09, Interflora (Gaz. Pal., 15 fvr. 2012, p. 19 note L. Marino; Prop. Intell. 2012, n 42,
p. 63, obs. G. Bonet).

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 33

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

privilgier la concurrence au travers de la meilleure information possible du consommateur, en


limitant les atteintes la marque celles portant sur sa fonction essentielle qui est de garantir
lorigine du produit ou du service et ventuellement sur ses fonctions de communication, de
publicit et dinvestissement. La CJUE a aussi prcis que ce sont uniquement les atteintes
commises dans le cadre de la vie des affaires qui sont rprhensibles.
Cette volution carte la vision privative absolue du droit des marques, pour les considrer
davantage comme des outils conomiques qui ne doivent pas nuire la libre concurrence et
linformation du consommateur.
Une telle volution se retrouve aussi dans certaines dcisions de jurisprudence rendues en
matire de proprit littraire et artistique, ou encore sur le fondement du droit commun et du
droit de la concurrence.
En matire de contrefaon littraire, par exemple, la jurisprudence a fix des limites au droit
dauteur et a, dans certains cas, accept la rutilisation des uvres par dautres auteurs comme
tant une action autorise et diffrente de la reprise servile qui est, elle, interdite.
La Cour de cassation a jug que la loi ne protge que les uvres et ne sattache pas au
mcanisme intellectuel de leur laboration, que seule une comparaison des lments
intrinsques de deux uvres permet de dterminer si lune constitue ou non une adaptation,
une transformation ou un arrangement illicite de lautre54 et que les motifs tirs du genre, du
mrite ou de lachvement dune uvre sont inoprants pour obtenir la protection du droit
moral si luvre litigieuse, dans le cas despce la suite donne une uvre romanesque par un
autre auteur, naltre pas luvre dont elle est inspire55.
En matire dimage des biens, l sur le fondement du droit commun de la proprit, la
jurisprudence sest fixe, aprs dintenses dbats, sur la libre utilisation de leur image par
des tiers si elle ninduit pas un trouble anormal leur propritaire56, allant lencontre de la
volont de certains de voir reconnatre un droit tendu sur leur bien, incluant le contrle de la
reproduction de son image.
Une volution comparable semble aussi se profiler en droit de la concurrence, en
particulier en ce qui concerne les bases de donnes, rpondant ainsi lanalyse doctrinale
qui laissait prsager que le droit des producteurs de bases de donnes devrait se
confronter au droit de la concurrence57. LAutorit de la concurrence vient trs rcemment
de dcider58, sur le fondement de la thorie des infrastructures essentielles, quune entreprise
qui refuse la vente de sa base de donnes, mme autoproduite, ses concurrents et un prix
raisonnable, bloque laccs au march et est ce titre redevable dune amende. Ici encore,
lintrt conomique a prim sur le droit de proprit.

54Cass. 1re Civ., 23 fvr. 1983, n 81-14731. http://www.legifrance.gouv.fr


55Cass. 1re Civ., 30 janv. 2007, n 04-15543. http://www.legifrance.gouv.fr
56Cass. Ass. Pl., 7 mai 2004, n 02-10450. http://www.legifrance.gouv.fr
57Ch. Caron, Droit dAuteurs et Droit Voisins, Lexis Nexis, 3e d. 2013, p. 582.
58Dcision n 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative des pratiques mises en uvre par la socit
Cegedim dans le secteur des bases de donnes dinformations mdicales.
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/14d06.pdf

Dans la plupart des cas, il sagit dautoriser la reprise dune information pour en faire un
usage diffrent, qui ne porte pas clairement atteinte au titulaire des droits initiaux car il
ne les dtenait pas ou nenvisageait pas de les utiliser dans le but nouvellement poursuivi
ou, en droit de la concurrence, car cette ouverture des donnes est ncessaire au bon
fonctionnement des marchs.
Dans la mme logique, les efforts conomiques de ceux qui apportent des rponses aux
questions ou aux besoins de professionnels ou de consommateurs, par lanalyse de donnes
places la disposition du public, pourraient tre protgs de tout reproche, en labsence de
reprise de la structure dune base, si les donnes sont rutilises pour un objectif diffrent de
celui poursuivi par le producteur de la base dont elles ont t extraites, mme substantiellement,
et si une ou un nombre rduit de bases ne sont pas particulirement vises par lopration.
La condition premire, pour que la rutilisation des donnes soit permise, serait que celui qui
les rutilise ait lui-mme fourni un effort conomique dans le cadre de sa propre activit de
traitement de ces donnes. Cette notion, entendue dans un sens large pour ne pas tre rserve
aux seules entreprises commerciales mais ouverte des acteurs poursuivant dautres finalits,
sinscrirait en cohrence avec le fondement du droit sui generis, qui est linvestissement fourni
par le producteur de la base.
Cette approche prendrait aussi en considration les motifs conomiques poursuivis dun ct
par la base source et de lautre par celui qui rutilise son contenu. Une base peut en effet tre
cre ou rutilise par un tiers dans des objectifs divers: conomique, scientifique, technique,
social, culturel Lorsque les objectifs poursuivis sont diffrents, latteinte aux investissements
fournis par le producteur de la base source est, sinon inexistante, tout le moins ncessairement
limite, comme son prjudice, ce qui peut justifier une exception son monopole. condition
toutefois de ne pas excder une certaine mesure: pour se prvaloir dune telle exception, encore
faudrait-il pouvoir tablir que la technique utilise na pas cibl exclusivement une base de
donnes en particulier, mais se justifie par une analyse ou opration globale, transversale, sur des
donnes de sources diverses. En outre, cette exception ne serait concevable que si les donnes
en question ont t rendues accessibles au public par son producteur ou quil se doit de le faire
en application des rgles de concurrence.
Il sagit, ici aussi, dvoluer en cartant lide dun monopole absolu du droit des producteurs
de bases de donnes pour le considrer comme un outil conomique ddi des usages prcis.
Une telle volution se justifie dautant plus que le droit sui generis est avant tout un droit
vocation conomique, mme sil est inclus dans la proprit littraire et artistique. Il y a en effet
un choix faire, ou au moins un quilibre trouver, entre la protection des investissements et
lintrt de lutilisation des rsultats des techniques danalyse des donnes du Big Data pour
favoriser le dveloppement de ces outils dans lUnion europenne et bnficier des progrs quils
apportent.
Bien sr, il ne sagit pas non plus, au travers de cette volution, de permettre une rutilisation
servile.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 35

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

La CJUE a dj jug, dans sa rponse une question prjudicielle portant sur linterprtation de
larticle 7 de la directive, au sujet doutils proches de ceux utiliss pour les techniques nouvelles
voques ci-avant, quelle ne lautoriserait pas59 en considrant que: () procde une
rutilisation de la totalit ou dune partie substantielle du contenu dune base de donnes protge
par cet article7 ds lors que ce mtamoteur de recherche ddi:
fournit lutilisateur final un formulaire de recherche offrant, en substance, les mmes
fonctionnalits que le formulaire de la base de donnes;
traduit "en temps rel" les requtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche dont est
quipe la base de donnes, de sorte que toutes les donnes de cette base sont explores, et ;
prsente lutilisateur final les rsultats trouvs sous lapparence extrieure de son site internet,
en runissant les doublons en un seul lment, mais dans un ordre fond sur des critres qui
sont comparables ceux utiliss par le moteur de recherche de la base de donnes concerne
pour prsenter les rsultats..
On peut esprer quune analyse a contrario de cette jurisprudence valide la thse qui est ici
propose.
Dans le mme esprit que toutes ces dcisions rendues dans des matires pourtant trs
diffrentes les unes des autres, il serait un obstacle lvolution technologique de ne pas
considrer que les donnes disponibles, y compris lorsquelles sont contenues dans des bases
de donnes, ne sont pas rutilisables lorsque lobjectif de cette rutilisation nest pas de porter
atteinte lobjectif des investissements substantiels qui permettent au producteur de bases
de donnes de bnficier de la protection du droit sui generis, et dans les cas o le but de cette
rutilisation dune partie des donnes places la disposition du public dans le cadre de larticle
L.342-3 du Code de la proprit intellectuelle nest pas concurrent de la base de donnes utilise
et ne poursuit pas le mme objectif.
Il est souhaitable que le droit volue pour moins protger linvestissement de faon rtrospective
et offrir une protection plus prospective, en tudiant latteinte que la rutilisation porte la
valorisation de la base, au moment des faits, abandonnant, ce faisant et ici aussi, la logique
dune proprit privative absolue, fige lors de la cration de la base.
Deux considrants de la directive de 1996 pourraient tre interprts dans ce sens par les
juridictions: (45) considrant que le droit dempcher lextraction et/ou la rutilisation non
autorises ne constitue aucunement une extension de la protection du droit dauteur aux simples
faits ou aux donnes; et (47) considrant que, dans le but de favoriser la concurrence entre
les fournisseurs de produits et de services dans le secteur du march de linformation, la protection
par le droit sui generis ne doit pas sexercer de manire faciliter les abus de position dominante,
notamment en ce qui concerne la cration et la diffusion de nouveaux produits et services prsentant
une valeur ajoute dordre intellectuel, documentaire, technique, conomique ou commercial; que,
ds lors, les dispositions de la prsente directive sont sans prjudice de lapplication des rgles de la
concurrence, quelles soient communautaires ou nationales;.
Cela nest videmment envisageable que dans le cas des bases de donnes mises la disposition
du public ou au profit de celui qui aura contract pour accder une base.

59CJUE, 5e ch., 19 dc. 2013, Innoweb BV, Wegener ICT Media BV, Wegener Mediaventions BV.
http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4072

Une volution lgislative ou jurisprudentielle par un arrt de la CJUE disant pour droit,
comme il en est intervenu en droit des marques, est ncessaire car, mme dans les cas
o le caractre substantiel de lextraction ou de la rutilisation ne pourrait pas tre prouv,
voire bnficierait dun assouplissement de la jurisprudence nationale en matire de droit des
producteurs de bases de donnes, lopration ne serait pas labri dune action fonde sur le
droit commun et principalement sur la sanction de la reprise des efforts du crateur de la base
de donnes en application de la jurisprudence sur le parasitisme.
Dautant plus que la preuve du parasitisme ne se limite pas ltude de la comparaison des
rsultats, il porte aussi sur la nature du travail effectu, qui peut tre vrifie par des oprations
de constat autorises par ordonnance (art 145 du C. proc. civ.).
Des propositions concrtes peuvent tre formules pour permettre une telle volution.

VI - Des propositions concrtes pour mettre en uvre une solution


Cette volution peut intervenir en modifiant les textes applicables et en proposant de nouvelles
solutions via lINPI aux acteurs des marchs.

A. Par une volution du droit


Lvolution ncessaire peut tre prsente par la formulation dune rvision de quelques-uns
des articles du Code de la proprit intellectuelle consacrs au droit dauteur et au droit des
producteurs de bases de donnes, mme si elle ne peut presque certainement intervenir quau
niveau europen, cette volution pouvant tre considre comme contrevenant la directive
de 1996 (considrant n50).
Ces articles pourraient se voir rajouter les termes prsents ici entre crochets, dune part pour
permettre lutilisation des bases de donnes dans les circonstances dcrites ci-dessus, et dautre
part pour offrir une protection aux rponses apportes par le rsultat des oprations de curation
et autres techniques danalyse et de rutilisation de donnes lorsquelles sont effectivement
le fruit de traitements de donnes qui ont ncessit un investissement financier, matriel ou
humain substantiel, sans passer ncessairement par la cration proprement parler dune base
de donnes.
La notion dobjectif conomique ne pourrait tre dvoye par les acteurs conomiques en
restant soumise lapprciation souveraine des juges du fond, qui en dlimiteraient les contours
en la qualifiant dans leurs dcisions.
a rticle L.341-1: Le producteur dune base de donnes [ou dun traitement de
donnes], entendu comme la personne qui prend linitiative et le risque des investissements
correspondants, bnficie dune protection du contenu de la base [ou du rsultat de son
traitement] lorsque la constitution, la vrification ou la prsentation de celui-ci atteste dun
investissement financier, matriel ou humain substantiel. Cette protection est indpendante
et sexerce sans prjudice de celles rsultant du droit dauteur ou dun autre droit sur la base de
donnes ou un de ses lments constitutifs. ;

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 37

1.2 L a ncessaire volution du droit des producteurs de bases de donnes pour permettre
son adaptation lmergence du Big Data

article L.342-1: Le producteur de bases de donnes a le droit dinterdire:


1/ Lextraction, par transfert permanent ou temporaire, de la totalit ou dune partie
qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu dune base de donnes
[ou du rsultat du traitement] sur un autre support [poursuivant le mme objectif
conomique], par tout moyen et sous toute forme que ce soit;
2/ La rutilisation, par la mise la disposition du public, de la totalit ou dune partie
qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base [ou du
rsultat], quelle quen soit la forme [lorsquils poursuivent le mme objectif
conomique]. Ces droits peuvent tre transmis ou cds ou faire lobjet dune licence.
Le prt public nest pas un acte dextraction ou de rutilisation..
article L.342-2: Le producteur peut galement interdire lextraction ou la rutilisation
rpte et systmatique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles
du contenu de la base [ou du rsultat du traitement] lorsque ces oprations excdent
manifestement les conditions dutilisation normale de la base de donnes [ou du rsultat du
traitement et poursuivent le mme objectif conomique]. ;
article L.342-3: Lorsquune base de donnes [ou le rsultat dun traitement de donnes]
est mise la disposition du public par le titulaire des droits, celui-ci ne peut interdire:
1/ Lextraction ou la rutilisation dune partie non substantielle, apprcie de faon
qualitative ou quantitative, [ou ne poursuivant pas le mme objectif conomique],
du contenu de la base [ou du rsultat], par la personne qui y a licitement accs;
2/ Lextraction des fins prives dune partie qualitativement ou quantitativement
substantielle du contenu dune base de donnes non lectronique sous rserve du
respect des droits dauteur ou des droits voisins sur les uvres ou lments incorpors
dans la base;
3/ Lextraction et la rutilisation dune base de donnes dans les conditions dfinies aux
deux premiers alinas du 7 de larticle L. 122-5;
4/ Lextraction et la rutilisation dune partie substantielle, apprcie de faon qualitative
ou quantitative, du contenu de la base [ou du rsultat], sous rserve des bases de
donnes [ou des rsultats] conues des fins pdagogiques et des bases de donnes
[ou des rsultats] ralises pour une dition numrique de lcrit, des fins exclusives
dillustration dans le cadre de lenseignement et de la recherche, lexclusion de
toute activit ludique ou rcrative, ds lors que le public auquel cette extraction et
cette rutilisation sont destines est compos majoritairement dlves, dtudiants,
denseignants ou de chercheurs directement concerns, que la source est indique,
que lutilisation de cette extraction et cette rutilisation ne donnent lieu aucune
exploitation commerciale et quelle est compense par une rmunration ngocie sur
une base forfaitaire.
Toute clause contraire au 1 ci-dessus est nulle. Les exceptions numres par le prsent article
ne peuvent porter atteinte lexploitation normale de la base de donnes [ou du rsultat] ni
causer un prjudice injustifi aux intrts lgitimes du producteur de la base [ou du rsultat].
article L.122-5: Lorsque luvre a t divulgue, lauteur ne peut interdire: () 5/ Les actes
ncessaires laccs au contenu dune base de donnes lectronique pour les besoins et dans
les limites de lutilisation prvue par contrat [ou dans un objectif conomique diffrent de
celui pour lequel la base a t conue et exploite];

Une telle volution des textes peut tre complte par de nouvelles solutions de dclaration des
rsultats des investissements.

B. Par le dveloppement dune offre de dclaration des bases de donnes


et de revendication de leurs objectifs conomiques
Il est ncessaire quune telle volution ne soit pas source dinscurit juridique et, pour cela,
lINPI pourrait dvelopper un outil lectronique de dclaration des bases de donnes pour les
producteurs souhaitant fixer une date certaine de cration avant leur mise disposition soit de
cocontractants, soit du public, et revendiquer les objectifs conomiques poursuivis.
Mme sil ne sagit pas de remplacer lanalyse du juge, qui seul peut qualifier lexistence du
droit dauteur ou du droit de producteur de bases de donnes, et que des services de dpt
de bases performants existent dj60, lexercice davoir dclarer lobjectif conomique dune
base sensibiliserait les producteurs de bases de donnes la collecte, trop souvent nglige, des
justificatifs de leurs investissements financiers, matriels et humains, et permettrait de servir
de support lanalyse du caractre ventuellement abusif de la reprise des donnes dans des
oprations de traitement, si elles poursuivent le mme objectif que celui des producteurs de la
base.
Il sagit de permettre des activits de traitement et danalyse de cohabiter en utilisant
les mmes donnes, comme les classes le permettent pour cantonner leffet des
dpts de marques aux produits et services qui sont viss dans le dpt, ou comme les
revendications fixent le domaine technique vis par linvention protge par le brevet.

60http://www.app.asso.fr/

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 39

1.3
Quelle protection juridique pour
lalgorithme ?
par Marc Schuler et Benjamin Znaty

Les auteurs
Marc Schuler est avocat associ au sein du dpartement proprit intellectuelle du cabinet
Bird & Bird Paris. Il a dvelopp une pratique reconnue dans le secteur de lIT et des mdias
en privilgiant une offre de services globale en matire de soft IP (signes distinctifs, droits
dauteur et droits voisins, bases de donnes). Il intervient ainsi tant en conseil quen
contentieux sur la protection et la dfense de ces actifs ainsi que sur la scurisation de leur
exploitation. Il assiste, dans ce cadre et notamment, des acteurs majeurs du secteur des mdias,
des nouvelles technologies et de linformatique. Il reprsente ainsi en particulier des oprateurs
de services en ligne dans la structuration de leurs activits au regard des responsabilits sousjacentes. Avocat au barreau de Paris, Marc Schuler est titulaire dun DESS en droit du commerce
international et dun LLM en droit des affaires (universit de Reading,GB).
Benjamin Znaty est avocat collaborateur au sein du dpartement NTIC du cabinet Bird & Bird
Paris. Sa pratique est axe sur linformatique et les relations commerciales, avec notamment
le droit de lInternet. Diplm dun LLM spcialis en sciences, technologie et proprit
intellectuelle de luniversit UC Hastings de San Francisco, il est galement titulaire dun master
en droit informatique et multimdia de luniversit Paris II Panthon-Assas et dun master en
droit conomique de luniversit Paris Dauphine.

Synthse
Lalgorithme fait sans doute partie des crations immatrielles les plus valorises de notre
conomie moderne. Il est loutil la base du fonctionnement de la plupart des logiciels et sites
Internet actuels, et sera galement la source du fonctionnement des objets et nouvelles
technologies de demain (objets connects, Big Data). En tant quide, principe ou mthode,
il fait pourtant pour autant partie de ces crations immatrielles ne bnficiant que dune
protection juridique indirecte ou imparfaite. Lobjet du prsent article est danalyser cette
protection juridique telle quelle existe aujourdhui et celle qui sera rendue possible demain,
laube de ladoption du nouveau rgime europen de protection du secret des affaires.

mots cls : algorithme | logiciel | fonctionnalits |


droit dauteur | brevet | secret des affaires | trade secret |
concurrence dloyale
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 41

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?

Introduction
Lalgorithme est dfini par le Larousse comme un ensemble de rgles opratoires
dont lapplication permet de rsoudre un problme nonc au moyen dun nombre fini
doprations. Un algorithme peut tre traduit, grce un langage de programmation, en un
programme excutable par un ordinateur.
On dsigne aujourdhui par le vocable algorithme une pluralit de crations
immatrielles dveloppes par les acteurs de lconomie numrique. La valeur que
reprsente un algorithme sillustre bien des gards au sein de cette conomie. On peut penser
en premier lieu aux majors de lInternet, avec en tte Google, que lon associe frquemment
ces fameux algorithmes. chaque modification ou perfectionnement que Google apporte son
algorithme, cest tout le Web qui tremble des consquences en termes de rfrencement. On
se rappelle encore des remous provoqus par lintroduction de lalgorithme Panda pendant
lt 2011, histoire qui tend se rpter tel que rcemment avec lintroduction de la version 4.0
de cet algorithme.
Que ce soit Facebook avec ses algorithmes permettant damliorer la qualit de laffichage du
fil dactualits, ou encore Amazon travers ses algorithmes de recommandation de produits,
jusquaux algorithmes dvelopps par des start-up innovantes apportant des outils vitaux,
comme telle que la publicit cible cette conomie moderne, la quasi-totalit des acteurs
fondent leur modle sur la performance de leurs algorithmes. lheure de la rvolution
du Big Data, il ne fait aucun doute que les entreprises qui tireront leur pingle du jeu seront
celles ayant dvelopp les algorithmes les plus performants et les plus mme dexploiter cette
immense quantit de donnes.
On peut trouver un dnominateur commun tous ces algorithmes: traiter linformation
afin dapporter une solution concrte un problme donn. Linformation est partout
et lalgorithme permet lhomme dinteragir avec cet environnement informationnel. Pour
beaucoup, lInternet 3.0 sera celui des objets connects. Pour autant, il faudra l encore des
algorithmes pour que ces objets fonctionnent: afin danalyser les donnes de trafic et permettre
la voiture connecte de sauto-conduire, afin danalyser les donnes de sant et permettre au
Smartphone de prconiser un rgime sportif, ou bien encore afin danalyser les consommations
alimentaires dune famille et permettre au rfrigrateur connect de sapprovisionner
automatiquement.
Si lon comprend donc facilement son utilit, il reste difficile de concevoir la forme sous
laquelle se matrialise concrtement lalgorithme. Or, cette question est primordiale car
elle a un impact direct sur la question de sa protection juridique.
Il est donc important pour le dveloppeur de lalgorithme de se confronter ds le dbut
du processus de cration la question de sa protection juridique, comme toute cration
immatrielle, afin de parer au risque de dtournement ou dappropriation illicite: dans quelle
mesure le rgime lgal et juridique de la proprit intellectuelle franaise peut-il protger
lalgorithme? Alors que lauteur dune uvre littraire ou artistique jouit de la protection du droit
dauteur ds matrialisation de son uvre et que linventeur dun procd technique brevetable

bnficie dune protection par un titre, le crateur de lalgorithme ne semble pouvoir


bnficier que dune protection indirecte et imparfaite.
Ladquation de notre rgime juridique actuel ce type de cration peut tre lgitimement
sujette dbat. Cette question en appelle une autre: celle du secret des affaires. Si le secret des
affaires ne bnficie pas dun rgime juridique propre en droit franais lheure actuelle, cette
donne devrait changer terme, au regard de la proposition de directive europenne publie
par la Commission europenne le 28novembre 2013 et de la rcente proposition de loi dite
Urvoas enregistre la prsidence de lAssemble nationale le 16juillet 2014.

I - LE DROIT DE LA proprit INTELLECTUELLE:


PROTECTION INDIRECTE DE LALGORITHME
La protection de lalgorithme par la proprit intellectuelle semble exclue premire vue.
Au titre du droit dauteur, dune part, lalgorithme, en tant que principe mathmatique, fait
partie du domaine des ides et est donc, comme le veut ladage, de libre parcours.
Au titre du brevet, dautre part, larticle L.611-10 du Code de la proprit intellectuelle exclut
expressment de la brevetabilit les thories scientifiques et les mthodes mathmatiques, mais
galement les programmes dordinateur.
La protection, mme indirecte, de lalgorithme reste nanmoins une ralit. partir de
lintgration de lalgorithme dans un support dtermin, celui-ci peut en effet devenir un lment
protgeable au titre de la proprit intellectuelle.

A. La protection par le droit dauteur de lalgorithme intgr un logiciel


Lalgorithme tel quon le conoit aujourdhui, comme par exemple lalgorithme Google, apparat
in fine assez loign de la mthode mathmatique classique appartenant au domaine des ides.
Dans la plupart des cas, ce que lon dsigne par algorithme est en ralit une cration
intgre au code source dun logiciel protgeable au titre de larticle L.112-2 du Code de
la proprit intellectuelle. La mise en forme de lalgorithme sur un support de programmation
est susceptible de le rendre ligible la protection sur ce fondement.
Toutefois et aux fins de protection, il convient que le logiciel dans lequel est intgr lalgorithme
remplisse la condition doriginalit requise. Le droit dauteur considre classiquement quune
uvre nest protgeable qu partir du moment o elle porte lempreinte de la personnalit
de son auteur. Cependant, depuis larrt Pachot rendu par lAssemble plnire de la Cour
de cassation le 7mars 1986, cette condition doriginalit a t adapte par la jurisprudence
afin dapprhender une uvre utilitaire telle que le logiciel. Aux termes de cet arrt, la Cour
de cassation considre que pour quun logiciel soit protgeable, son code source doit porter
la marque de lapport intellectuel de son auteur. Ainsi, loriginalit du logiciel ne requiert pas
ncessairement quil porte lempreinte dun auteur dtermin mais que lon puisse y voir un
effort intellectuel personnalis. Plus rcemment, dans un arrt en date du 17octobre 2012, la

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 43

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?

Cour de cassation a prcis que cet effort personnalis ne peut se dduire du succs ou de
lutilit dun logiciel mais des choix oprs lors de sa conception, tmoignant dun apport
intellectuel propre et dun effort personnalis. Aussi, la preuve de cet apport intellectuel propre
apparat assez complexe dans le cas dun algorithme.
Il apparat ds lors ncessaire que le logiciel intgrant cet algorithme aille au-del de la simple
excution. En ce sens, un arrt rendu le 14novembre 2013 par la Cour de cassation peut tre
utilement mentionn. Dans cette affaire, lditeur dun logiciel de comptabilit reprochait
Microsoft davoir contrefait son logiciel dans la version franaise de la suite Office. Aprs avoir
rappel que les algorithmes et fonctionnalits sont des lments non protgs par le droit
dauteur, la Cour de cassation a refus de reconnatre une quelconque contrefaon en raison de
labsence de fourniture dlments permettant de justifier de loriginalit du logiciel tels que les
lignes de programmation, les codes ou lorganigramme, ou du matriel de conception prparatoire.
Ces jurisprudences dmontrent que la protection de lalgorithme au titre du droit dauteur
par le biais du logiciel ne peut tre considre comme parfaite. Le droit dauteur ne
protge pas le logiciel dans sa globalit: les fonctionnalits dun logiciel dfinies comme
la mise en uvre de la capacit du programme effectuer une tche prcise ou obtenir
un rsultat ne bnficient pas en tant que telles de la protection du droit dauteur ds
lors quelles ne correspondent qu une ide. Cette distinction entre les ides la base du
logiciel et luvre originale que constitue un logiciel, est reprise au 11e considrant de la directive
2009/24 du 23avril 2009 concernant la protection juridique des programmes dordinateur:
Pour viter toute ambigut, il convient de prciser que seule lexpression dun programme
dordinateur est protge et que les ides et les principes qui sont la base des diffrents lments
dun programme, y compris ceux qui sont la base de ses interfaces, ne sont pas protgs par le
droit dauteur en vertu de la prsente directive. En accord avec ce principe du droit dauteur, les ides
et principes qui sont la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne
sont pas protgs en vertu de la prsente directive.
Cette dissociation du logiciel de ses fonctionnalits et algorithmes a une consquence
directe: ds lors quun tiers parviendra extraire lgalement lalgorithme dun logiciel, et
quand bien mme ce logiciel serait protg par le droit dauteur, il sera libre de rutiliser
cet algorithme. Cest dailleurs ce qua rcemment rappel la Cour de justice de lUnion
europenne (CJUE) dans son arrt SAS Institute. Dans cette affaire, la socit SAS Institute
avait dvelopp un logiciel de traitement et danalyse de donnes et une socit concurrente,
WPL, tait parvenue dvelopper un logiciel similaire en tudiant les principes la base du
fonctionnement de ce logiciel. Cette analyse du logiciel semblait parfaitement lgitime dans la
mesure o WPL tait titulaire dune licence dutilisation du logiciel dvelopp par SAS Institute.
De plus, WPL navait pas eu besoin daccder au code source ou de dcompiler le logiciel de
SAS Institute pour copier la fonctionnalit en question et navait donc pas enfreint les termes
de sa licence dutilisation. En application de la Directive, la CJUE rappelle nouveau que ni
la fonctionnalit dun programme dordinateur, ni le langage de programmation et le format de
fichiers de donnes utiliss dans le cadre dun programme dordinateur pour exploiter certaines de ses
fonctions ne constituent une forme dexpression de son programme et ne sont, ce titre, protgs
par le droit dauteur. La question de lappropriation de lalgorithme la base du fonctionnement
dun logiciel protg reste donc entire.

B. La protection par le brevet de lalgorithme


intgr une invention brevetable
La protection de lalgorithme par le brevet apparat galement premire vue proscrite.
En effet, le Code de la proprit intellectuelle exclut expressment de la brevetabilit
les mthodes mathmatiques et les programmes dordinateurs. Lalgorithme serait alors
exclu de la brevetabilit en amont, lorsquil nest quune mthode mathmatique destine
traiter linformation, mais galement en aval, lorsque cette mthode est intgre et convertie
en un code source et/ou code objet excutable par un ordinateur. Par ailleurs, en tant que tel,
lalgorithme ne possde a priori pas leffet technique ncessaire la brevetabilit de toute
invention. Cette exclusion de brevetabilit lgale des mthodes est strictement applique par les
tribunaux franais qui refusent de reconnatre une brevetabilit des mthodes mathmatiques
ou commerciales.
La brevetabilit de lalgorithme reste nanmoins une ralit lchelle internationale,
au mme titre que lest celle du logiciel, notamment en raison de la pratique amricaine
de brevetabilit qui apparat classiquement plus permissive que la ntre. Beaucoup
dalgorithmes sont actuellement protgs par des brevets dposs aux tats-Unis comme par
exemple PageRank, lun des premiers algorithmes de rfrencement dvelopp par Google
et dpos le 9janvier 1998 par Larry Page.
Cette conception large de la brevetabilit aux tats-Unis a nanmoins volu ces dernires
annes. La position classique de la jurisprudence revenant considrer selon la formule clbre
que tout ce qui, sous le soleil, a t cr par lhomme est brevetable, semble sinflchir. Dans
larrt Bilski c/ Kappos rendu par la Cour suprme le 28juin 2010, une demande de brevet sur
une mthode daffaires permettant de se protger contre les risques de fluctuation de prix des
matires premires a t rejete en partie car fonde sur des algorithmes, ides abstraites et
non-brevetables. Cette jurisprudence a t renforce rcemment aux tats-Unis par larrt Alice
Corp. rendu par la Cour suprme le 19juin 2014, o il tait aussi question dune demande
de brevet portant sur des mthodes financires. Dans larrt Alice Corp, les juges de la Cour
suprme ont rappel expressment que lalgorithme tait une ide abstraite insusceptible de
brevetabilit.
Il nen reste pas moins que comme pour le droit dauteur, la brevetabilit indirecte de
lalgorithme reste admise, notamment si celui-ci est intgr dans une invention ellemme brevetable. Il est ce sujet utile de se rfrer la jurisprudence de lOffice Europen
des Brevets (OEB). Ds 1986, dans laffaire T.208/84, lOEB fit une distinction entre la mthode
mathmatique en tant que telle, insusceptible de brevetabilit, et la revendication ayant
pour objet un procd technique dans lequel cette mthode est utilise. On peut, en outre,
prendre pour exemple la dcision IBM aux termes de laquelle il a t dcid quun programme
dordinateur insr dans un ordinateur peut tre brevet ds lors quil apporte un effet technique
supplmentaire cet appareil. On peut galement citer les dcisions Hitachi (T258/03) et
Microsoft (T424/03) o lOEB sest attache dmontrer en quoi un programme dordinateur
pouvait amliorer techniquement lordinateur dans lequel il est intgr. Pour rsumer la position
de lOEB, un algorithme ou un logiciel peut tre brevetable indirectement condition quil soit
intgr une invention et lui apporte une contribution technique.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 45

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?

Il est permis dappliquer ce raisonnement aux algorithmes insrs dans des objets
innovants, par exemple lalgorithme lorigine du fonctionnement dune voiture
connecte. Ainsi, lun des brevets dpos par Google pour protger sa voiture automatise
inclut comme revendication premire un: Vhicule autonome, comprenant: () une unit sans
fil configure pour recevoir une instruction de vhicule autonome bas sur les donnes de rfrence;
et, un module de commande configur pour commuter le vhicule dans un mode de fonctionnement
autonome.
Le principal avantage de cette apprhension par le brevet de lalgorithme est que
contrairement au droit dauteur, lalgorithme inclus et dtaill dans la demande de brevet
sera protg au mme titre que linvention qui le renferme.
La protection par le brevet connat nanmoins aussi ses dfauts. Ainsi, cette protection est lie
de manire intrinsque linvention dans laquelle lalgorithme est intgr. Si la solution
semble sduisante pour les algorithmes lorigine du fonctionnement des objets de demain, la
protection par le brevet de lalgorithme purement immatriel, plus proche de la mthode, qui
ne serait pas associ une invention en particulier, semble encore impossible lheure actuelle.
Par ailleurs, on peut lgitiment se demander si la protection par le brevet de lalgorithme est
opportune. Il faut en mesurer sa consquence directe: le crateur de lalgorithme brevet
est contraint de divulguer au public son algorithme et den figer le fonctionnement. Cette
protection est-elle bien adapte une cration qui doit sans cesse tre actualise pour
ragir la modification de linformation? Les entreprises ont-elles toutes les moyens de
dposer chaque amlioration ou modification de lalgorithme un nouveau brevet? De plus,
est-il certain que les entreprises soient prtes rvler au public leurs prcieux algorithmes?
Lalgorithme est en effet susceptible de mettre en lumire des informations stratgiques sur
le modle conomique de lentreprise. Si lon prend lexemple de lalgorithme boursier, une
banque na pas forcment envie ni mme intrt dvoiler son comportement sur le march
financier.
La proprit intellectuelle, telle quenvisage date en droit franais, nest peut-tre in fine pas la
voie la plus mme de protger lalgorithme qui, bien des gards, sapparente plus un secret
des affaires quun lment de proprit intellectuelle.

II - LE SECRET DES AFFAIRES: PROTECTION AUTONOME DE LALGORITHME


Lalgorithme est actuellement lune des crations les plus valorises de lconomie
numrique moderne. Or, si la protection de cette cration par la proprit intellectuelle, telle
que lon vient de la prsenter, est encore imparfaite, comment les entreprises peuvent-elles se
prmunir du risque dappropriation illicite? La rponse apparat simple: le secret. Lalgorithme
bien des gards constitue un secret industriel que lentreprise devra protger et faire protger.
Pour beaucoup dindustriels, conserver le secret est bien lunique faon de se protger.
Cela veut-il pour autant dire que lalgorithme ne bnficie daucune protection juridique en tant
que secret? Le vide juridique est un concept assez relatif, le droit commun finissant toujours pas
englober ce qui nest pas couvert par le droit spcial. Or, le secret industriel est un bien qui est

classiquement protg par le droit commun, notamment par le biais de la responsabilit


dlictuelle ou contractuelle en cas dappropriation illicite.
Pour autant, lalgorithme nest quun exemple du nombre croissant de biens immatriels qui
ne sont protgs quimparfaitement par la proprit intellectuelle, et ne bnficient donc pas
dun rgime de protection spciale. La question dun rgime de protection propre au secret
des affaires se posait donc, auquel la Commission europenne a apport une rponse dans
sa proposition de directive du 28novembre 2013 suivie par la proposition de loi Urvoas
enregistre la prsidence de lAssemble nationale le 16juillet 2014.

A. La protection de lalgorithme par le droit commun


Un des moyens classiques offerts lentreprise pour protger son secret est la
contractualisation. Cette contractualisation prendra la forme classique dun accord de
confidentialit. Laccord de confidentialit possde plusieurs avantages. En premier lieu, il
permet de qualifier expressment de secret lalgorithme appartenant lentreprise. La personne
tenue par cet accord engagera alors sa responsabilit contractuelle en dvoilant lalgorithme
objet de la confidentialit, indpendamment de toute faute dans la divulgation de ce secret. Cet
accord de confidentialit peut galement prendre la forme dune clause de confidentialit. Il peut
galement tre judicieux de combiner cet engagement de confidentialit avec une interdiction
dexploitation, cet engagement ayant pour objectif dempcher expressment le partenaire
dutiliser lalgorithme pour son propre compte. Enfin, il convient de prvoir dans un tel accord
que les engagements concerns survivent en tant que de besoin la cessation de celui-ci, ds
lors que cest bien souvent postrieurement cette cessation que le partenaire indlicat peut
tre tent de sapproprier et exploiter la donne confidentielle. Ainsi, dans un arrt rendu par la
cour dappel de Douai le 16avril 2012, un ex-salari ntant rest que deux mois en poste dans
une socit et ayant publi sur son blog des informations sur les mthodes commerciales de
son ex-employeur a t condamn pour violation de la clause de confidentialit vise dans son
contrat de travail.
Cette protection de lalgorithme par la contractualisation ne saurait pour autant remplacer
les autres mesures de prvention que doit prendre lentreprise pour prserver son secret. Des
mesures techniques de protection permettront lentreprise de contrler et de surveiller les
personnes ayant eu accs au secret.
En labsence de contractualisation ou autres mesures de protection prises pour protger son
algorithme, une action en responsabilit dlictuelle reste envisageable. En cas dappropriation
illicite du secret, laction en responsabilit dlictuelle prend classiquement la forme dune action
en concurrence dloyale. La jurisprudence dfinit le parasitisme conomique comme lensemble
des comportements par lequel un agent conomique simmisce dans le sillage dun autre afin
de tirer profit sans bourse dlier de ses efforts et de son savoir-faire. Dans un arrt comportant
des faits similaires ceux de larrt SAS Institute de la CJUE, la cour dappel de Versailles a
reconnu comme agissement parasitaire fautif la socit ayant bnfici du travail danalyse,
des algorithmes et des codes sources du programme [] mme sil nest pas contestable quelle a
procd une rcriture complte de son propre logiciel.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 47

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?

condition donc de parvenir dmontrer une faute dans lappropriation et la rutilisation du


secret par un tiers, laction en concurrence dloyale permet aux tribunaux de sanctionner de tels
agissements. Ainsi, dans larrt Microsoft rendu par la Cour de cassation le 14novembre 2013,
celle-ci rejette certes le moyen du pourvoi fond sur loriginalit du logiciel de comptabilit mais
accepte le second moyen fond sur laction en concurrence dloyale et casse larrt dappel en
rappelant que laction en concurrence dloyale suppose seulement lexistence dune faute.
Enfin, la voie pnale reste envisageable mme sil est souvent difficile de qualifier linfraction ayant
conduit lappropriation illicite du secret. Souvent, limmatrialit qui caractrise le secret, telle
que celle qui caractrise lalgorithme, empchera de retenir des qualifications pnales impliquant
une appropriation physique de la chose. Cest le cas principalement du vol, qui implique la
soustraction frauduleuse de la chose dautrui. La jurisprudence classique en la matire ne permet
de sanctionner le vol qu partir du moment o le secret est stock sur un support matriel, objet
de la soustraction frauduleuse. Cest notamment grce cette interprtation que lon a pu par
exemple condamner le vol dinformations par photocopie. On peut nanmoins observer que
les tribunaux sont de plus en plus enclins condamner le vol dinformations en tant que tel. On
peut citer titre dexemple cet arrt de la cour dappel de Paris du 5fvrier 2014 ayant retenu le
vol de fichiers informatiques alors que le prvenu avait tlcharg des fichiers sur un support
lui appartenant et ce, contrairement au Tribunal de premire instance qui avait exclu cette mme
qualification, en labsence de toute soustraction matrielle de ces documents. Un texte spcial
de droit pnal franais protge certes partiellement le secret, larticle L.1227-7 du Code du travail
sanctionnant latteinte par le salari au secret de fabrique, mais cette infraction propre au droit
du travail ne permettrait nanmoins pas dapprhender un certain nombre de secrets tel que par
exemple lalgorithme, qui nest pas expressment un secret de fabrique.
Il nexiste donc pas lheure actuelle en droit franais une infraction pnale permettant de
sanctionner directement la violation du secret des affaires. Encore un point susceptible dtre
rsolu par la cration dun rgime juridique propre la protection du secret des affaires.

B. La protection de lalgorithme par le futur rgime juridique


de protection du secret des affaires
Bien avant la proposition de directive publie par la Commission europenne le
28novembre2013, larticle 39 du trait ADPIC, inspirant certaines de ses propositions,
reconnaissait dj la ncessit pour les tats signataires de protger les renseignements
non divulgus. Cette proclamation de principe na pour autant pas conduit les principaux
tats signataires adopter un rgime lgal permettant de protger efficacement de tels
renseignements.
Dans son tude dimpact, la Commission illustre la ncessit dadopter une lgislation
europenne sur le secret des affaires en expliquant que 40% des entreprises europennes
sempchent de partager leurs secrets avec des partenaires en raison de leur crainte den
remettre en cause la confidentialit et du risque de divulgation non autorise, ce qui pnalise
aujourdhui linnovation en Europe. Cest en partie pour cette raison que la Commission juge
ncessaire de mettre en place un rgime uniforme de protection du secret des affaires au sein
de lUnion.

La proposition de directive marque une diffrence claire entre la proprit intellectuelle


et le secret des affaires. Lobjet de la directive nest pas de crer un nouveau droit de
proprit intellectuelle mais bien de prvoir un rgime de protection propre au secret des
affaires. Ainsi, le secret des affaires jouirait dsormais dune protection potentiellement aussi
efficace que celle apporte par le Uniform Trade Secret Act aux tats-Unis.
On peut notamment relever de cette proposition, la dfinition du secret des affaires prvue
larticle 2, inspire de la dfinition de laccord ADPIC, qui est mme denglober un algorithme
tenu secret par lentreprise cratrice. Ainsi, le secret des affaires dsigne des informations qui
rpondent aux conditions suivantes: a) elles sont secrtes en ce sens que, dans leur globalit
ou dans la configuration et lassemblage exacts de leurs lments, elles ne sont pas gnralement
connues de personnes appartenant aux milieux qui soccupent normalement du genre dinformations
en question, ou ne leur sont pas aisment accessibles; b) elles ont une valeur commerciale parce
quelle sont secrtes; c) elles ont fait lobjet, de la part de la personne qui en a licitement le contrle,
de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destines les garder secrtes.
Les termes de la directive se voulant volontairement larges permettent dapprhender
potentiellement toute information confidentielle ayant valeur commerciale.
Les articles 3 et 4 dtaillent les conditions dans lesquelles lappropriation dun secret peut tre
illicite ou bien au contraire licite. Certaines hypothses de licit de lappropriation semblent
inspires du Uniform Trade Secrets Act prcit. Les praticiens reconnatront ces dispositions qui
sont presque systmatiquement insres dans les clauses et accords de confidentialit dj
applicables en France, souvent bases sur des modles dentreprises doutre-Atlantique. On
pourra galement retenir de ces articles quaucun monopole lgal nest confr au titulaire du
secret. Les tiers peuvent toujours utiliser le secret quils auront obtenu de manire licite. On peut
penser au dveloppement autonome, objet de larrt SAS Institute, mais galement au reverse
engineering qui restera un moyen licite de sapproprier le secret, dfaut de contrat interdisant
expressment le procd entre les parties.
Certaines exceptions prvues par le texte posent nanmoins plus de questions, comme par
exemple larticle 4(2)(c) prvoyant la licit dune rvlation par les employs ou reprsentants
lgaux du secret dans le cadre de lexercice lgitime de leurs fonctions. On pourrait penser
au contraire que lemploy peut certes tre amen communiquer le secret dans le cadre de
ses fonctions mais reste par principe tenu par une obligation de confidentialit interdisant la
rvlation aux tiers.
Lapport de la directive europenne rside en outre dans les mesures de protection et mesures
de rparation dont pourra bnficier le dtenteur du secret. De faon similaire ce qui est prvu
en matire de contrefaon, le dtenteur dun secret pourra dsormais solliciter des mesures
provisoires et conservatoires destines freiner la divulgation du secret, telle linterdiction de
circulation sur le march ou la suppression de la caractristique mettant le produit en infraction.
Larticle 8 de la proposition prvoit galement une procdure spciale permettant de prserver la
confidentialit des dbats, et donc du secret, lors de linstance procdurale. Enfin, des mthodes
particulires de calcul de dommages et intrts sont prvues, prenant par exemple en compte
les bnfices injustement raliss par le contrevenant ou le montant des redevances qui auraient
t dues si le contrevenant avait demand lautorisation dutiliser le secret en question.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 49

1.3 Quelle protection juridique pour lalgorithme ?

Notons enfin que la proposition de Directive ne prvoit pas une infraction spcifique ou un
rgime permettant de sanctionner pnalement la violation du secret des affaires mais laisse cette
prrogative aux tats membres. Cest dailleurs peut-tre la voie que choisira la France si lon en
croit la rcente proposition de loi relative la protection du secret des affaires du 16juillet2014.
Cette proposition cre en effet un nouveau dlit puni de 3 ans demprisonnement et 375000
damende constitu par le fait de prendre connaissance, de rvler ou de dtourner un secret
daffaires.
Cette proposition franaise laisserait envisager une reconnaissance lgale du secret des affaires
en France avant mme ladoption et transposition de la directive lchelle europenne.
Mis part cette reconnaissance pnale, cette proposition reprend par ailleurs lessentiel des
dispositions du projet de directive europenne, notamment sur la dfinition du secret, elle aussi
conforme au trait ADPIC, mais galement les exceptions et mesures de rparation prvues par
le texte europen.
On ne peut donc que se rjouir de cette reconnaissance anticipe par la France dune protection
attendue depuis longtemps, permettant denglober un nombre important dactifs trs prcieux
de lconomie numrique dont la protection par la proprit intellectuelle ntait pas forcment
assure jusqu aujourdhui, comme par exemple lalgorithme

1.4
Objets connects et proprit
intellectuelle
LIdo (lInternet des objets) au secours de la
proprit intellectuelle et rciproquement :
les cls dune interdpendance russie ?
par Virginie Brunot

lauteur
Virginie Brunot est avocat et dirige le dpartement contentieux de la proprit industrielle au
sein du cabinet Alain Bensoussan. Elle assiste et reprsente les clients du cabinet devant les
tribunaux et offices de proprit intellectuelle en matire de contrefaon et de concurrence
dloyale. Coauteure de louvrage Informatique, Tlcoms, Internet (Ed. Francis Lefbvre,
5e d.), elle est charge denseignement en droit des brevets auprs dcoles dingnieurs et
anime des formations professionnelles.

Synthse
Souvent prsent comme le futur dInternet, lobjet connect apparat pour lheure comme un
ovni juridique. Tout la fois instrument et sujet de protection, lobjet connect donne prise des
droits de proprit multiples quil convient dapprhender de manire diffrencie au sein dune
stratgie de protection globale et adapte.

mots cls : Internet des objets | objet connect | brevet |


marque | modle | traabilit | protection | innovation
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 51

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

I - Internet des objets, objet connect:


tat des lieux et tentative de dfinition
Malgr un engouement vident du public et des mdias et la conscience des enjeux
conomiques phnomnaux quils reprsentent, lInternet des objets et, partant, lobjet
connect demeurent des concepts aux frontires floues tant sur le plan technique que juridique.
En termes de proprit intellectuelle, lobjet connect est un objet complexe donnant
prise de multiples droits de proprit quil convient dapprhender globalement pour
scuriser le dveloppement et lexploitation de lobjet connect.

A. Approche technique
Une innovation aux contours mal dfinis
Souvent prsent comme la troisime rvolution de lInternet le Web 3.0 , lInternet des
objets souffre encore dun dfaut de dfinition uniforme, voquant souvent, dans lesprit du
public des notions plus ou moins proches comme lobjet connect, le M2M, la domotique ou
la RFID.
Nicolas Demassieux, directeur dOrange Labs Research dfinit lInternet des objets comme un
cosystme dont la base est un objet auquel une dose de connectivit est ajoute, qui lui permet de
communiquer des donnes pour un service61.
Lobjet connect dsigne, quant lui, lobjet physique dans lequel sont intgrs des
moyens techniques permettant lobjet de contenir, traiter et rmettre des donnes
aux moyens de technologies sans fil.
Ces notions sont distinguer de concepts voisins ou complmentaires auxquelles elles sont
souvent associes ou assimiles.
Le M2M ou Machine to Machine est dfini par lInstitut europen des normes de
tlcommunications (ETSI) comme la communication entre machines avec une intervention
humaine limite, voire absente.
De manire plus large, le Livre blanc Machine To Machine labor en 2006 par la FING,
Syntec Informatique et Orange dfinit le M2M comme lassociation des technologies de
linformation et de la communication (TIC), avec des objets intelligents et communicants,
dans le but de donner ces derniers les moyens dinteragir sans intervention humaine avec
le systme dinformation dune organisation ou dune entreprise62.
Lobjet connect apparat alors comme le rsultat de lvolution du M2M vers lInternet des
objets, rejoignant ainsi la dfinition du M2M par lIdate qui vise les communications entre

61Nicolas Demassieux in Quand lInternet des objets envahit tout... mme la Bourse,
lesechos.fr, 16juillet 2014.
62Livre blanc Machine To Machine, enjeux et perspectives, Orange Business Services, la
Fing et Syntec informatique, juin 2006.

machines, la machine dsignant ici un objet intelligent fonctionnant de manire indpendante


et nayant quune seule fonction, laquelle est ajoute une brique de connectivit qui la rend
communicante.63
Enfin, lInternet des objets doit tre distingu de la domotique dfinie par le dictionnaire
Larousse comme lensemble des techniques visant intgrer lhabitat tous les
automatismes en matire de scurit, de gestion de lnergie, de communication. Elle se
traduit en pratique par lintgration dappareils au sein dun rseau, filaire ou non, ouvert ou non,
en vue de permettre leur programmation et leur contrle.
Ainsi, si lInternet des objets trouve dans la domotique un champ de dveloppement privilgi,
cette dernire nest quun de ses champs dapplication.
Enfin, la Radio Frequency Identification (RFID) est une technologie didentification par
radiofrquence dfinie par le Centre national RFID comme une technologie didentification
automatique qui utilise le rayonnement radiofrquence pour identifier les objets porteurs dtiquettes
lorsquils passent proximit dun interrogateur. La RFID, qui trouve un essor particulier avec le
dveloppement de lInternet des objets, fonctionne au moyen dun marqueur (radio-tiquette
passive, semi-passive ou active) et dun lecteur permettant de dchiffrer le marqueur.

Proposition de dfinition technique


Rappelant que lInternet des objets constitue, sur le plan technique, une extension du systme
de nommage Internet aux objets, Pierre-Jean Benghozi, Sylvain Bureau et Franoise MassitFolla proposent de dfinir lInternet des objets comme un rseau de rseaux qui permet, via
des systmes didentification lectronique normaliss et unifis, et des dispositifs mobiles sans fil,
didentifier directement et sans ambigut des entits numriques et des objets physiques, et ainsi
de pouvoir rcuprer, stocker, transfrer et traiter, sans discontinuit entre les mondes physiques et
virtuels, les donnes sy rattachant.64
Cette dfinition permet didentifier les diffrents lments constitutifs de lInternet des
objets et, partant, ses proprits:
un rseau de rseaux ;
des systmes didentification lectronique ;
des dispositifs mobiles sans fil ;
des objets physiques ;
des donnes ;
les moyens techniques ayant pour fonction didentifier les objets mais aussi et surtout de
capter, stocker, traiter et transmettre les donnes ainsi recueillies.
Lobjet connect correspond, quant lui, lobjet physique intgrant des moyens
techniques de connectivit lui confrant les fonctionnalits prcites.

63Idate, DigiWorld Yearbook 2013, p.140.


64LInternet des objets: quels enjeux pour lEurope?, Pierre-Jean Benghozi, Sylvain
Bureau, Franoise Massit-Folla, Ed. Maison des sciences de lhomme, 2009.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 53

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

B. Approche conomique
Du simple gadget design lassistance aux personnes dpendantes, le potentiel conomique
li au dveloppement de lInternet des objets est norme. Ainsi, lIdate estime 80milliards le
nombre dobjets connects dans le monde en 2020, contre 15milliards actuellement, ce qui
reprsente une croissance annuelle de 23%.
Formidable dfi technologique et conomique, lInternet des objets est sans doute lun
des piliers de lconomie de demain.
Quils soient issus des tlcommunications, de la fourniture de services ou dinfrastructures,
les gants du secteur ne sy trompent pas, mettant profit leur puissance conomique pour
investir ou racheter les ppites les plus prometteuses mais galement en multipliant les
alliances en vue de se positionner sur la mise en place des standards relatifs aux protocoles
de communication des objets connects. Allseen Alliance, consortium initi par Qualcomm,
regroupe une soixantaine de socits parmi lesquelles Microsoft, Cisco, LG, Symantec ou encore
le franais Legrand; Open Interconnect Consortium (OIC) runit les gants Atmel, BroadCom,
Dell, Intel, Samsung et Wind River; et Google et Apple dveloppent leurs propres protocoles de
communication.
Cette globalisation, lheure o lInternet des objets na pas atteint sa maturit, loin sen faut,
laisse dores et dj percevoir certaines problmatiques auxquelles risquent dtre confrontes
les entreprises:
lintgration au sein de produits traditionnels de solutions lectroniques, logicielles et de
tlcommunication ;
en labsence de normalisation des protocoles de communication, le risque de ne pouvoir
exploiter un produit linteroprabilit limite voire nulle. En cas de norme propritaire,
la ncessit de souscrire des licences pour pouvoir oprer.

C. Incidences en matire de proprit intellectuelle


Sur le plan juridique, il convient donc de distinguer lInternet des objets qui, si lon sen
tient une approche technique, dsigne le rseau de rseaux de lobjet connect qui
dsigne le bien corporel dans lequel sintgrent des actifs incorporels dordre technique,
conomique ou ornemental obissant des rgimes juridiques propres, quil sagisse de
droits dauteur, brevets, marques
Sur ce dernier point et, notamment en ce qui concerne les no-objets, la marque semble
dpasser ici sa fonction essentielle dindication dorigine pose par larticle L711-1 du Code de
la proprit intellectuelle pour devenir le nom du produit lui-mme, ce qui, on le verra plus loin,
nest pas sans poser des difficults juridiques.
Ainsi, en labsence de rgime juridique ad hoc, lobjet connect doit tre apprhend
comme un systme complexe dont les lments constitutifs sont susceptibles dobir
des rgimes de protection distincts voire contradictoires.

En termes de proprit, et notamment de proprit intellectuelle, la consquence principale


de cette complexit et de labsence de rgime juridique propre rside dans le risque de voir les
droits sur lobjet connect dispatchs entre des acteurs diffrents en fonction de ses lments
constitutifs, chaque intervenant tant susceptible de revendiquer des droits au titre de son
apport:
la personne physique ou morale lorigine du projet qui pourra, sauf avoir pris les
mesures adquates, se voir opposer labsence de protection des ides et partant, labsence
de droits;
le concepteur des modules didentification, de rception des donnes;
lditeur du ou des logiciels dintgration et de traitement des donnes;
le producteur de la base de donnes;
les designers, etc.
La multiplicit des acteurs susceptibles, au mieux, de revendiquer des droits sur tout ou partie de
lobjet connect ou de son exploitation et, au pire, den bloquer le dveloppement, impose de
prendre en considration cette dimension ds lorigine du projet afin de contractualiser le plus
en amont possible, la gestion de la confidentialit, la question de la titularit des droits venir et
les modalits dexploitation de ces droits par la mise en uvre:
daccords de confidentialit;
de partenariats;
de cessions de droits;
de licences, ventuellement croises.

En labsence de rgime juridique propre lobjet connect, chacune de ses


composantes est susceptible de faire lobjet dune protection propre impliquant, en
amont du projet:
une rflexion globalise sur lensemble des aspects susceptibles de donner prise
un droit de proprit intellectuelle ;
la contractualisation de la proprit des droits et de leur exploitation.

II - Objet connect, instrument de protection


de la proprit intellectuelle
Rare exemple dinnovation qui embrasse avec autant de complmentarit la proprit
intellectuelle, lobjet connect prsente la particularit dtre tout la fois sujet de
protection couvrant la plupart des champs de la proprit intellectuelle mais galement
un vritable instrument de protection de celle-ci en raison de sa facult assurer la
traabilit et lauthentification des produits.
Ce faisant, lobjet connect est promis un bel avenir ouvrant le champ des possibles en matire
de lutte contre la contrefaon, quil sagisse de produits brevets ou marqus.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 55

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

A. Instrument de traabilit et dauthentification


Les technologies telles que la RFID, le tatouage numrique ou encore le code-barres microparticules permettent de faire de lobjet de consommation courant un objet connect
identifiable et traable.
LInternet des objets apparat comme un vritable instrument de lutte contre la contrefaon
dans tous les secteurs conomiques, de la mode la sant en passant par le BTP ou lagroalimentaire, et cest sans doute l le premier lien avec la proprit intellectuelle.
cet gard, la technologie RFID apparat comme un instrument naturel de lutte contre la
contrefaon: appose ou intgre au produit marqu, la radio-tiquette permet dintgrer
lobjet mme nombre dinformations permettant de sassurer de lidentification,
lorigine et finalement de lauthenticit des produits sur un support de taille minimale.
Dans le mme ordre dide, ltiquette graphique de type Flashcode 65, constitue dun
ensemble de pictogrammes dcodables par un tlphone mobile disposant du lecteur ad hoc,
apparat comme un outil didentification des produits marqus.
Ds 2010, Yves Jgo, dput de Seine-et-Marne, proposait dans son rapport sur La traabilit
au service des consommateurs et de lemploi, la mise en place dune carte didentit des
produits permettant de certifier leur origine afin de lutter contre le phnomne de contrefaon66.
Allant plus loin, le rapport suggrait dintgrer dans la loi le principe de la carte didentit produit
laquelle contiendrait notamment les donnes relatives au propritaire de la marque du produit
concern et les caractristiques gnrales du produit.

Proposition n 4 du rapport sur La traabilit au service des consommateurs


et de lemploi :
Favoriser la mise en place dune carte didentit des produits. Lobjectif est dutiliser les nouvelles
technologies permettant de lire un code sur un produit avec un tlphone portable (...) et davoir
ainsi accs des informations qui ne pourraient gurer sur une tiquette. Ces informations
porteront sur le fabricant et sur le produit. Il pourrait sagir de toutes les informations obligatoires
et des labels facultatifs prsents de faon hirarchise et sans exclure dautres informations.

Si cette proposition na pas abouti ce jour, les radio-tiquettes sont largement utilises pour
les produits sujets de nombreux vols ou contrefaon, tels que les CD, DVD ou les produits de
luxe, et ces technologies semblent promises un bel avenir: du bton intgrant des puces RFID
encapsules au mdicament dot dun code-barres microparticules, aucun type de produit,
comestible ou non, ne semble pouvoir chapper lexigence de traabilit.
Ainsi, le groupe espagnol Inditex (Zara, Massimo Dutti, Bershka) a annonc le dploiement de la
technologie RFID sur lensemble de ses magasins Zara par lintgration de puces RFID lintrieur

65Flashcode est une marque dpose par lAssociation franaise du multimdia mobile.
66En finir avec la mondialisation anonyme. La traabilit au service des consommateurs
et de lemploi, proposition n4, Yves Jego, mai 2010.

des antivols attachs aux vtements, et si lobjectif annonc est celui de lamlioration de la
gestion des stocks, la socit envisage daller plus loin dans lamlioration de son service client
et la scurit67.
Attach lantivol aujourdhui, intgr au vtement lui-mme demain, lInternet des objets
conduira faire du vtement un vritable objet connect permettant den assurer le suivi, y
compris une fois sorti des stocks, et den assurer lauthenticit.
Indpendamment des difficults lies la gestion des donnes personnelles, qui nest pas ici
lobjet du dbat, le succs de lInternet des objets en tant quinstrument de lutte contre la
contrefaon demeure bien videmment assujetti au cot de sa mise en uvre.
Nanmoins, il ressort de ltude publie dans louvrage LInternet des objets: quels enjeux
pour lEurope?, que le cot dune puce RFID varie de 5 centimes deuros (puce RFID passive)
quelques euros pour une puce active dote dune batterie intgre et dun transmetteur68.
Ainsi est-il possible de dfinir une politique de traabilit adapte la valeur ou la ncessit de
traabilit du produit concern.

B. Un substitut la fonction essentielle de la marque?


Indpendamment des problmatiques juridiques lies la gestion des donnes personnelles
ou au droit de la sant notamment, ces technologies permettent, sur le plan du droit de la
proprit intellectuelle, de renforcer, sinon dassurer lidentification dorigine du produit, ce qui
est prcisment lobjet de la marque.
En effet, le Code de la proprit intellectuelle dfinit la marque comme un signe susceptible de
reprsentation graphique servant distinguer les produits ou services dune personne physique ou
morale69 dont la fonction premire et essentielle est de permettre lidentification de lorigine
dun produit ou dun service, comme le rappelle rgulirement la Cour de justice de lUnion
europenne70.

CJCE, pln., C-206/01, Arsenal Football Club plc, 12-11-2002, 58:


La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou lutilisateur final
lidentit dorigine du produit ou du service dsign par la marque, en lui permettant de distinguer
sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance. En effet, pour
que la marque puisse jouer son rle dlment essentiel du systme de concurrence non fauss
que le trait entend tablir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou
services quelle dsigne ont t fabriqus ou fournis sous le contrle dune entreprise unique
laquelle peut tre attribue la responsabilit de leur qualit.

67Zaras tagging system means even faster-fashion, Sarah Morris, Reuters,


15 juillet 2014.
68LInternet des objets: quels enjeux pour lEurope ?, prec.
69CPI art. L.711-1.
70Voir notamment CJCE, C-102/77, 23 mai 1978 (Hoffmann-La Roche), point 7; CJCE,
C-206/01, 12 novembre 2002, (Arsenal Football Club plc), point 48; CJUE, C236/08
C238/08, (Google), 23 mars 2010, curia.europa.eu.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 57

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

Cest prcisment latteinte cette fonction essentielle qui va gnralement permettre au


propritaire de la marque de voir interdire lusage dun signe identique: le titulaire de la marque
ne saurait sopposer lusage dun signe identique la marque, si cet usage nest susceptible de
porter atteinte aucune des fonctions de celle-ci71.
En transformant lobjet physique en objet connect dot dune fonction dauto-identification,
il est possible de sinterroger sur la pertinence du maintien dune telle fonction: devenu
linstrument de son authentification, lobjet connect dlesterait la marque de sa fonction
juridique essentielle pour la rduire un simple objet de marketing.
Le raisonnement ne doit sans doute pas tre pouss jusque-l.
Premirement, si les technologies sans contact telles que la RFID sont de plus en plus accessibles
au public, la marque demeure, contrairement linformation contenue sur ltiquette RFID, le
signe immdiatement visible pour le consommateur.
Deuximement, au-del de la fonction, certes essentielle dindication dorigine, la marque
conserve dautres fonctions justifiant la protection de son propritaire contre dventuelles
atteintes: le titulaire dune marque enregistre est habilit faire interdire lusage par un tiers ()
dun signe identique cette marque pour des produits ou des services identiques ceux pour lesquels
ladite marque a t enregistre, mme lorsque cet usage nest pas susceptible de porter atteinte
la fonction essentielle de la marque, qui est dindiquer la provenance des produits ou services,
condition que ledit usage porte atteinte ou soit susceptible de porter atteinte lune des autres
fonctions de la marque72.
Ainsi, le propritaire de la marque est-il habilit interdire lusage de cette dernire lorsquil est
port atteinte ses fonctions de garantie de qualit du produit ou du service, de communication,
dinvestissement ou de publicit73, fonctions que ne semble pas encore devoir remplir lobjet
connect.
Enfin, si la technologie vient au secours du signe distinctif dans le cadre de la lutte contre
la contrefaon, elle en devient galement la victime74: cest ainsi que, paralllement la
dmocratisation des systmes de radio-tiquetage, se dveloppent les systmes dattaques
ad hoc ainsi quun nouveau march noir, celui du trafic demballages vides ou dtiquettes
permettant dintroduire sur le march des produits contrefaits reconditionns dans un emballage
ou associs une tiquette originale.
Si les technologies classiques telles que les puces passives se voient dores et dj
dpasses par le march de la contrefaon, de nouvelles technologies et, notamment les
puces dites actives, cest--dire les puces lectroniques permettant de transmettre et recevoir
des informations en permanence, pourront apparatre comme des solutions de protection
renforces.

71CJUE, C236/08 C238/08, (Google), 23 mars 2010, prec. point 76, curia.europa.eu.
72CJUE, C487/07, (LOreal e.a), 18 juin 2009, point 65. curia.europa.eu
73CJUE C65/12, (Leidseplein Beheer BV), 6 fvrier 2014, point 30 et jurisprudence cite,
curia.europa.eu.
74IBM, WebSphere MQ, Scnarios de tlmtrie: identification par radio frquences (RFID);
Classifying RFID attacks and defenses, Aikaterini Mitrokotsa, Melanie R. Rieback,
Andrew S. Tanenbaum, Springer Science + Business Media, LLC 2009.

III - Objet connect, sujet de proprit intellectuelle


Objet de lourds investissements en termes de recherche et dveloppement et de marketing,
lobjet connect doit tre apprhend en tant quobjet de proprit intellectuelle protgeable
non seulement sur le plan technique mais galement sur son apparence ou sa dsignation.
Ces modes de protection, originellement penss pour des objets matriels, conduisent
sinterroger sur ladaptabilit de la rglementation actuelle aux spcificits de lInternet des
objets.

A. Protection de la technologie: la recherche dun effet technique


Outre les bases de donnes constitues bnficiant de la double protection du droit dauteur et
du droit sui generis du producteur de base de donnes se pose la question de la protection
des programmes dordinateur mettant en uvre lobjet connect.
Celui-ci pourra faire lobjet dune protection sur le plan technique, soit par le biais de la protection
accorde au logiciel par le droit dauteur, soit par la protection des brevets.

Protection par les brevets


Alors que les entreprises du secteur multiplient, notamment aux tats-Unis, les dpts de
brevets et les rachats de portefeuilles, il est vraisemblable que les objets connects deviendront
rapidement lenjeu dune guerre des brevets sans merci.
Ds lors se pose le problme rcurrent li la protection des programmes informatiques par le
droit des brevets en France et, plus largement, au niveau europen.
En effet, si toute invention est susceptible de faire lobjet dun brevet confrant son titulaire un
droit dexploitation exclusif, encore faut-il que cette dernire constitue une invention brevetable
au sens de la loi, cest--dire quelle constitue une invention nouvelle impliquant une activit
inventive et susceptible dapplication industrielle tant rappel que la Code de la proprit
intellectuelle exclut du champ de cette protection les plans, principes et mthodes dans lexercice
dactivits intellectuelles, en matire de jeu ou dans le domaine des activits conomiques, ainsi que
les programmes dordinateurs75.
Cette exclusion se retrouve galement, au niveau europen, au sein de larticle 52 (2) c) de la
Convention sur le brevet europen.
Pour autant, il convient de rappeler que cette exclusion vise les programmes dordinateurs en
tant que tels et non les produits, dispositifs et procds mis en uvre par un logiciel. Ainsi,
propos dun systme pour la gestion distance de la maintenance dun ensemble dquipements
par une entreprise de maintenance, la cour dappel de Paris a confirm la validit de linvention
mise en uvre par plusieurs programmes dordinateurs.

75CPI art. L611-10.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 59

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

CA Paris, ch. 4 section B, RG n 07/20589, 5-6-2009:


() le fait que les diffrents moyens compris dans la combinaison revendique soient mis en
uvre par un ou plusieurs logiciels, nest ds lors pas un motif dexclusion au sens de larticle
L611-10 prcit, dans la mesure o ce qui est revendiqu est constitu dun ensemble de moyens
techniques combins pour raliser un quipement ayant une structure propre ()

Interroge par le Prsident de lOEB sur la question de la brevetabilit des logiciels et les solutions
divergentes des Chambre de recours, la Grande Chambre de recours ne sest pas prononce
estimant, dans un avis rendu en 2010, que les divergences de jurisprudence au fil du temps
constituent un dveloppement normal dans un monde en mutation76.
Nanmoins, il apparat quune protection par le droit des brevets peut tre revendique ds lors
que le programme dordinateur considr est capable de produire, lorsquil est mis en uvre ou
charg sur un ordinateur, un effet technique supplmentaire allant au-del des interactions physiques
"normales" existant entre le programme (logiciel) et lordinateur (matriel) sur lequel il fonctionne77.
Lexigence dun effet technique supplmentaire demeure toutefois indispensable la protection
de linvention. Ainsi, tel nest pas le cas de linvention portant sur un procd daffichage, sur un
cran de tlvision, dune interface interactive ds lors que:
ltape du stockage et de lextraction dinformations nest que la mise en uvre dun
programme informatique, qui nest pas non plus une caractristique brevetable en elle-mme
et la simple rfrence une commande par lutilisateur ne constitue pas une caractristique
technique revendique par le brevet;
linvention na pour objet que laccs de lutilisateur des informations et que la contribution
de linvention au procd et au dispositif permettant daccder ces informations, rside
seulement dans le contenu ainsi rendu visible et sa prsentation en deux fentres successives,
ce qui est en soi exclu de la brevetabilit78.
Lobjet connect semble pouvoir assez aisment contourner lobstacle de leffet
technique supplmentaire requis ds lors que linvention revendique ne se limite pas
la seule mise en uvre du programme mais aboutit un rsultat technique propre.

Protection par le droit dauteur


Quil fasse ou non lobjet dune protection par le droit des brevets, le code du programme
dordinateur sera lui-mme susceptible de protection par le droit dauteur.
Pour autant, le primtre de la protection nest pas le mme puisque, dans le premier
cas, seront protges les fonctionnalits techniques tandis que dans le second, cest le
programme dans sa prsentation formelle qui sera protg.

76OEB Gde Ch. Rec. G-3/08, 12 mai 2010, epo.org.


77Directives relatives lexamen pratiqu lOffice europen des brevets, partie G,
ch. 2, 3.6.
78TGI Paris, 3 ch. Sec.3, RG n10/08326, 7 juin 2013, inpi.fr.

Alors que la protection par le droit dauteur nat de sa seule cration, la protection par le droit des
brevets ncessite un dpt, engendre des frais et se trouve limite dans le temps.
Cette seconde protection savrera, en pratique, plus large puisquelle permettra de sopposer
lexploitation par un concurrent dun programme qui, sans reprendre le code protg, aboutirait
par des moyens techniques identiques un rsultat technique identique.
Dans ce cas et afin danticiper dventuels conflits ultrieurs, il conviendra de sassurer,
pralablement au dpt de la demande de brevet, de la titularit des droits dauteur sur
le programme et, dfaut, dorganiser la rtrocession des droits patrimoniaux qui leur sont
attachs, tant rappel que sauf cas particulier des employs agissant dans lexercice de leurs
fonctions ou daprs les instructions de leur employeur, les droits appartiennent leur auteur79.

Envisager la protection de la technologie en tenant compte:


d es droits sur les donnes mais galement du droit du producteur de la base
(investisseur) ;
des droits sur les programmes informatiques ;
en cas de dpt de brevet, sassurer de la cession pralable des droits patrimoniaux de
lauteur le cas chant.

Quel champ pour la normalisation?


La question de la protection de la technique au sein des objets connects ne peut tre totalement
clture sans aborder la question sensible de la normalisation et de linteroprabilit.
En effet, le dveloppement des objets connects ne sera un succs qu condition quils soient
interoprables et la majorit des acteurs prnent la mise en place de normes, notamment en
termes de protocoles de communication.
Les consortiums voqus prcdemment, Allseen Alliance et Open Interconnect Consortium,
semblent ce jour privilgier la recherche de standards ouverts.
Nanmoins, il convient de relever que ces consortiums sont le rsultat dalliances entre socits
prives, principalement trangres et potentiellement concurrentes, sur le march de lInternet
des objets.
Ds lors, la coexistence de projets distincts pourrait aboutir la mise en place de standards
concurrents et non-compatibles, contraignant les entreprises choisir entre lune ou lautre des
solutions proposes.

79CPI art. L113-9.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 61

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

B. Protection de lapparence: nouveau terrain de jeu du design industriel


Si la technologie apparat comme essentielle dans lobjet connect, son apparence et la
recherche dun design attractif constituent galement un axe de dveloppement prpondrant
et les acteurs historiques du domaine ne sy sont pas tromps: ds 2004, la socit Violet
dpose la marque et le modle correspondant au nom et la silhouette du plus clbre des
lapins connects, Nabaztag.80
Dans la ligne, la socit Withings multiplie tout la fois des dpts de dessins et modles
et les distinctions des professionnels du design81, tandis que Parrot sassocie au designer star
Philippe Starck pour concevoir ses objets connects.
Lobjet connect nest pas seulement un objet dot de connectivit, il est souvent un noobjet dont le design exemplaire constitue un critre dachat, autant que la technologie quil
contient.
Mais derrire la stratgie de limage se pose celle de la protection juridique de lapparence.
Si le droit dauteur apparat comme la protection de base en ce quil ne ncessite aucune
dmarche de dpt et rsulte de la cration mme, ce rgime de protection peut apparatre
insuffisant dans le cadre dune exploitation industrielle:
difficults de rapporter la preuve dune cration, de la date de cette cration et de la
titularit des droits ;
corollaire des carences ci-dessus, difficults de valoriser lactif quelle reprsente, den
dvelopper la distribution, notamment par le biais de licences
Aussi, lacquisition dun titre de proprit industrielle, quil sagisse dun dpt de dessin et
modle ou dune marque tridimensionnelle peut, certains gards, pallier ces dfaillances, tant
rappel toutefois que, dans tous les cas, les lments techniques ou purement fonctionnels
seront exclus de la protection revendique.

Protection par les dessins et modles


Le choix dun dpt de dessin et modle semble naturel: destin protger lapparence
dun produit, ou dune partie de produit, caractrise en particulier par ses lignes, ses contours,
ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matriaux82, il permet, avec le droit dauteur et en
application de la thorie de lunit de lart, un rgime de double protection, sous rserve de
loriginalit du modle dpos.
Nanmoins et, comme expos prcdemment, il conviendra, pralablement tout dpt, de
sassurer de la titularit ou, dfaut, de lacquisition des droits patrimoniaux de lauteur sur le

80Marque franaise semi-figurative n 3291024; dessin et modle franais n054168.


81Agence pour la promotion de la cration industrielle (APCI) http://www.apci.asso.fr;
IF Design Awards, http://exhibition.ifdesign.de/winner_en.html?ma_id=11084;
Prix du design 2013, Futur en Seine, Cap Digital, http://www.futur-en-seine.fr/fens2013/prixfutur-en-seine-2013-le-palmares/
82CPI art. L511-1.

modle, sauf encourir, de la part de ce dernier, le risque dune action en revendication83, en


annulation84 ou en contrefaon85.

Protection par la marque tridimensionnelle


Indpendamment de la protection par le droit des dessins et modles, lentreprise dsireuse
de protger lapparence de lobjet peut galement tre tente par le dpt dune marque
tridimensionnelle.
En effet, le signe susceptible dtre dpos titre de marque peut tre constitu de formes,
notamment celles du produit ou de son conditionnement ou celles caractrisant un service86.
Lintrt denvisager une telle protection est multiple:
contrairement aux droits dauteur ou dessins et modles, la protection accorde la
marque est indfiniment renouvelable;
droit doccupation et non de cration, la validit de la marque nest pas soumise la
condition doriginalit ou de caractre propre;
enfin, lapprciation de la contrefaon, le cas chant, ne sera pas tablie au regard de
lobservateur averti mais du point de vue du consommateur dattention moyenne,
videmment plus enclin confondre deux modles proches.
Nanmoins, le choix dun dpt de marque tridimensionnelle doit tre envisag avec prudence
ds lors que la forme du signe dpose est indissociable de sa fonction.
En effet, signe distinctif destin identifier les produits ou services dune personne, la validit
dune marque doit tre apprcie au regard de son aptitude distinguer de tels produits ou
services.
Or, la distinctivit dune marque tridimensionnelle est gnralement apprcie de manire assez
stricte, notamment de la pratique de lOffice pour lharmonisation dans le march intrieur
(OHMI) sagissant des demandes de marques communautaires87.
Seront donc naturellement rejetes pour dfaut de distinctivit les demandes denregistrement
portant sur une forme prsentant essentiellement une fonction technique, tant prcis que les
examinateurs apprcient la distinctivit du signe dans son ensemble.
Lobjectif est dviter que les oprateurs conomiques ne puissent sapproprier indment certains
signes qui ne font quincorporer une solution technique et dont lenregistrement en tant que marque
gnerait lutilisation de cette solution technique par dautres entreprises88.

83CPI art. L511-10.


84CPI art. L512-4 c).
85CPI art. L521-1.
86CPI art. L711-1.
87TPIUE ch. 8, T-508/08, (Bang & Olufsen A/S), 6 octobre 2011, curia.europa.eu.
88CJUE, C-337/12 P C-340/12 P, (Pi-Design AG), 6 mars 2014, point 56 et jurisprudence cite,
curia.europa.eu.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 63

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

Ainsi, labsence de caractre distinctif constitue le premier motif de refus denregistrement


ou dannulation dune marque tridimensionnelle, non seulement en France mais galement
ltranger89.
Ces considrations et la volont dtendre le champ de protection du signe au niveau
communautaire ou dans des pays hors Union europenne doivent donc imprativement tre
prises en compte lors de la dcision du mode de protection de lapparence de lobjet connect.

Dterminer la stratgie de protection de lapparence de lobjet connect:


au regard de la forme globale de lobjet incluant les lments techniques ou fonctionnels
apparents;
au regard de la stratgie dextension de la marque au niveau communautaire et
international en tenant compte de lgislation et de la position des Offices comptents
concernant la validit et le champ de protection des marques tridimensionnelles.

C. Protection du nom: protger plus quun produit


La dnomination choisie pour identifier lobjet connect peut bien videmment faire lobjet
dune protection titre de marque.
Pour autant, les spcificits de lobjet connect, voire la cration dun objet jusqualors inexistant,
le no-objet, conduisent sinterroger sur la mise en uvre dune telle protection.

Dfinir le primtre de protection de lobjet connect


Dfinie comme un signe servant distinguer des produits ou des services, la marque rsulte dun
couple signe/produit ou signe/service, et cest sur cette combinaison que stendra le champ de
protection accord son propritaire.
La liste des produits ou services sur lesquels une protection est revendique est dtermine lors
du dpt de la marque au regard de la classification internationale de Nice applique par 65
pays ce jour. Cette classification tablie pour des objets inanims ne tient bien videmment
pas compte de la complexit de lobjet connect qui, au-del de sa nature propre, se caractrise
galement par ses fonctions denregistrement, de stockage, de traitement et de transmission
des donnes.
Ainsi, en matire dobjet connect, le signe na pas vocation identifier un produit ou un service
mais un couple produit/service.
Ds lors, la rdaction du libell de la marque impliquera de repenser la liste des produits et
services dsigner pour englober non seulement lobjet en tant que tel, mais galement ses
fonctionnalits.

89Les marques tridimensionnelles dans la pratique franaise et communautaire,


Franck Soutoul, Jean-Philippe Bresson, magazine de lOMPI, fvrier 2009.

Ainsi, le T-shirt connect capable de dtecter le rythme cardiaque de son utilisateur sera dpos
non seulement pour des vtements mais galement pour les services de collecte, traitement
et transmission de donnes, les services de communications, les appareils mdicaux, voire les
services de sant.
La problmatique se pose de manire accrue lorsque la marque dsigne un no-objet qui,
par dfinition, ne figure pas dans la classification internationale: la protection devra alors
tre concentre sur les fonctionnalits et la finalit de lobjet connect en tenant compte des
recommandations de la Classification, savoir:
Un produit fini est en principe class selon sa fonction ou sa destination. Si la fonction ou
la destination dun produit fini nest mentionne dans aucun intitul de classe, ce produit est
class par analogie avec dautres produits finis comparables figurant dans la liste alphabtique.
Sil nen existe aucun, dautres critres tels que celui de la matire dont il est fait ou celui de son
mode de fonctionnement sont appliqus ;
Un produit fini usages multiples (tel quun combin radio-rveil) peut tre class dans toutes
les classes correspondant lune quelconque de ses fonctions ou de ses destinations90. Dans
la mesure o le primtre de la protection accorde au propritaire de la marque est
fix par ce libell et o, de la mme manire, son obligation dexploitation srieuse de
la marque stend la totalit des produits et services viss, la dtermination du libell
aura une incidence directe sur la validit de la marque, ltendue de sa protection mais
galement le risque de dchance pour dfaut dusage srieux.

Anticiper les risques de remise en cause de la validit


de la marque identifiant lobjet connect
Les problmatiques attaches la marque ne se limitent pas la dtermination de son primtre
de protection.
Ainsi, nombre de marques identifiant les technologies mises en uvre dans le cadre de lInternet
des objets ont fait lobjet de dpt titre de marque. Tel est le cas de RFID, dpose pour
dsigner notamment les tiquettes lectroniques permettant lidentification par radiofrquence
dobjets afin den assurer le suivi et la traabilit, ou encore Flashcode, dsignant les services de
transmission de donnes sur un tlphone mobile.
Cette politique doccupation ne va pas sans poser certaines difficults au plan juridique.
Indpendamment des cas de dpts de marque frauduleux ou destins empcher la
concurrence dutiliser un signe ncessaire lexercice de son activit sauf en monnayer
lusage91, le dpt dune marque identifiant une technologie soulve la question de sa
distinctivit, et donc de sa validit92.

90Classification de Nice, 8e dition, remarques gnrales.


91TGI Paris, ch.3 sect.1, RG n08/15915, 24 mars 2009, inpi.fr.
92TGI Paris, ch.3 sect.2, RG n11/03287, 6 juillet 2012, inpi.fr.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 65

1.4 Objets connects et proprit intellectuelle

Cest ainsi quont t annules par le pass les marques Texto pour dsigner des services de
messagerie crite par tlphone93 ou Arva pour les appareils de dtection et de localisation de
personnes ensevelies94.
La problmatique se posera dans les mmes termes sagissant des no-objets nayant pas
dautre dsignation que la marque qui les identifie.
Enfin, considrer que la marque soit distinctive au moment de son dpt, le succs mme de
la technologie ou du no-objet quelle dsigne pourrait aisment conduire la dgnrescence
de la marque, le signe perdant alors sa fonction didentification dorigine.
Il sera alors indispensable danticiper un tel risque par la mise en place dune stratgie de dfense
de la marque afin dviter sa dgnrescence et la perte des droits sur un signe devenu nom
commun de la technologie ou du no-objet95.
De la mme manire et dans la mesure o la marque correspond galement une norme ou un
standard, se posera la question de la distinction de lusage du signe pour identifier la marque,
rserv et susceptible daction en contrefaon, de lusage identifiant la norme ou le standard,
librement utilisable titre de rfrence ainsi que par toute personne respectant la norme ou le
standard en question.
Un exemple topique est celui de lutilisation du signe NF, la fois une marque protge par
lAfnor et sigle de norme franaise applicable au marquage de produits ou services rpondant
aux normes nationales96.
Ladoption de standards et normes apparaissant indispensable au succs de lInternet des objets,
il est probable que cette problmatique se trouve prochainement sous les feux de lactualit
juridique.

Dposer la marque servant identifier lobjet connect:


en tenant compte, non seulement de la nature du produit mais galement de ses
fonctionnalits et de sa finalit;
en mettant en place une politique de veille et de raction afin dviter tout risque de
dgnrescence du signe dpos.

93CA Paris, Ple 5 ch.1, RG n08-02816, 23 septembre 2009; CA Paris, Ple 5 ch.2,
RG n08-02192, 9 octobre 2009, inpi.fr.
94TGI Lyon, ch.10, 15 juillet 2008, inpi.fr.
95CPI art. L714-6; TGI Paris, Ch.3 sect.1, RG n2007/11778, 2 juin 2009; TGI Paris, ch.3 sect.3,
RG n10/09293, 27 janvier 2012, inpi.fr.
96Cass. Com. n09-14436, 4 mai 2010, Legifrance.gouv.fr.

1.5
Proprit intellectuelle
et interoprabilit des systmes
par Didier Adda

Lauteur
Didier Adda est conseil en proprit industrielle, mandataire agr auprs de lOHMI. Il est
titulaire dune matrise de droit priv, dun DESS de gestion (gestion financire - Paris I) et dun
DEA droit des affaires et droit conomique (Paris).

synthse
Linteroprabilit devient une exigence incontournable pour les industriels, fabricants
de matriels et daccessoires, les diteurs, et les prestataires comme pour les clients. Sa
matrialisation se spcifie au travers de catgories juridiques de rfrentiels engendrant
des incidences conomiques propres pour les clients et fournisseurs. Ces spcifications
dinteroprabilit sont objets de proprit intellectuelle. Lattribution et le maintien de la
conformit aux spcifications dinteroprabilit par les fournisseurs voire les clients sont signals
par un marquage sur les produits.

mots cls : interoprabilit | contrats | normes | standards |


rfrentiels dinteroprabilit
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 67

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

Introduction
Le terme interoprabilit, en anglais interoperability, est un terme technique qui
recouvre la capacit de systmes changer avec dautres. Linteroprabilit fait lobjet de
nombreuses dfinitions surtout centres sur linformatique97 bien que ce terme concerne bien
dautres domaines de la technique. Ainsi, linteroprabilit se retrouve en matire de systmes
complexes de coordination98 ou dinterconnexion99, de connexions entre quipements, au
niveau des pices dtaches
Linteroprabilit nest pas que technique, elle a une connotation juridique. Ce terme
mane aussi des directives europennes et de leur transposition en droit franais. Cette
caractristique a, de plus, une vocation contractuelle notamment au niveau des interfaces
entre produits ou systmes, de la rversibilit au terme notamment de contrats de services
Linteroprabilit juridique concernait initialement la communication des informations
relatives aux donnes entre/sortie pour limiter les cas lgaux de dcompilation100. Dsormais,
linteroprabilit, au sens technique et juridique du terme, favorise les changes entre
systmes ou produits.
Le dictionnaire des termes officiels de la langue franaise101 dfinit linteroprabilit comme tant
la capacit de plusieurs systmes, units ou organismes dont les structures, les procdures et les
relations respectives autorisent une aide mutuelle qui les rend aptes oprer de conserve.
Ds 1991, une directive europenne102 considrait que linteroprabilit peut tre dfinie
comme tant la capacit dchanger des informations et dutiliser mutuellement les informations
changes. En 2009, la directive qui la substitue103 prend dfinitivement en compte le lien
entre interface et interoprabilit en prcisant que cette interconnexion et cette interaction
fonctionnelles sont communment appeles "interoprabilit". Ainsi, linteroprabilit peut tre
dfinie comme tant la capacit dchanger des informations et dutiliser mutuellement les
informations changes. Le Code de la proprit intellectuelle a transpos cette directive.
De plus, ce code 104 prcise les informations essentielles linteroprabilit, savoir la
documentation technique et les interfaces de programmation ncessaires pour permettre un
dispositif technique daccder, y compris dans un standard ouvert, une uvre ou un objet protg

97Les informaticiens parlent dAPI (Application Programming Interface). Les interfaces de


programmation dapplications ont pour objet de faciliter le travail dun programmeur en
lui fournissant les outils de base ncessaires tout travail laide dun langage donn.
Elles constituent des interfaces servant de fondement un travail de programmation
plus pouss (Documentation franaise).
98Cf. Interconnecter lEurope: limportance de linteroprabilit des services de ladministration
lectronique: document de travail de lInterchange of Data between Administrations.
99Rglement (UE) n 321/2013 de la Commission du 13 mars 2013 relatif la spcification
technique dinteroprabilit concernant le sous-systme matriel roulant wagons
pour le fret du systme ferroviaire dans lUnion europenne et abrogeant la dcision
2006/861/CE (texte prsentant de lintrt pour lEEE).
100
Dcompilation ou ingnierie inverse, permet partir du programme informatique
daccder aux sources avec des outils spcifiques.
101Arrt de la dfense du 17 avril 1989. JO du 10 juin 1989.
102Cf. directive du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des
programmes dordinateur (91/250/CEE).
103
Directive 2009/24CE du Parlement europen et du Conseil du 23avril 2009 concernant
la protection juridique des programmes dordinateur.
104Article L331-32 du Code de la proprit intellectuelle.

par une mesure technique et aux informations sous forme lectronique jointes, dans le respect
des conditions dutilisation de luvre ou de lobjet protg qui ont t dfinies lorigine. Cette
dfinition a t complte par la loi de 2004105 sur la confiance dans lconomie numrique qui
dfinit le standard ouvert comme un standard accessible tous.
Bien dautres dfinitions existent au travers des organismes de normalisation ou dacteurs privs
fdrateurs de spcifications standards dinteroprabilit106.
Face la prolifration de systmes ferms dans le domaine de linformatique et des tlcoms,
lUnion europenne a lanc en 2007 puis ractiv en 2013 un programme dappui stratgique
en matire de technologies de linformation et de la communication (TIC)107 notamment pour
aider surmonter le manque dinteroprabilit.
La ncessit de disposer dinterfaces stables a amen les informaticiens et les juristes
mettre en uvre des solutions conventionnelles relatives la gestion de linteroprabilit,
base sur les normes existantes.
Linteroprabilit devient une exigence incontournable pour les industriels, fabricants
de matriels et daccessoires, les diteurs, et les prestataires comme pour les clients. Sa
matrialisation se spcifie au travers de catgories juridiques de rfrentiels engendrant
des incidences conomiques propres pour les clients et fournisseurs. Ces spcifications
dinteroprabilit sont objets de proprit intellectuelle. Lattribution et le maintien de la
conformit aux spcifications dinteroprabilit par les fournisseurs voire les clients sont signals
par un marquage sur les produits.

I - Catgories juridiques dinteroprabilit et apport conomique


Linteroprabilit se dfinit au travers des spcifications fonctionnelles voire techniques. Ces
spcifications de rfrence sont de natures juridiques diffrentes selon leur origine et leur
destination.

105Article 4 de la loi n 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans lconomie


numrique: un standard ouvert sentend de tout protocole de communication,
dinterconnexion ou dchange et tout format de donnes interoprables et dont les
spcifications techniques sont publiques et sans restriction daccs ni de mise en uvre.
106
- Le Comit europen de normalisation (CEN), qui regroupe les organismes de
normalisation des pays de lUnion europenne et de lassociation conomique de libre
change.
- Le Forum OGC (Open Geospatial Consortium) France (FOF): Linteroprabilit est la
capacit des systmes communiquer, changer des donnes, "travailler" ensemble,
sans que lutilisateur ait besoin de connatre les caractristiques spcifiques chaque
systme. Linteroprabilit est base sur lutilisation de standards dfinissant les interfaces
des composants des systmes. Une application connaissant les interfaces standards est
capable dutiliser nimporte quel composant respectant ces standards.
- GS 1, linteroprabilit est laptitude des quipements terminaux (informatiques et
de tlcommunication) fonctionner dune part, avec le rseau et dautre part, avec les
autres quipements terminaux permettant daccder un mme service.
- Pour le ministre de la Culture franais, (systme JOCONDE): cette notion,
linteroprabilit, dsigne la capacit de plusieurs systmes capables communiquer
entre eux, quils soient semblables ou de natures diffrentes. Linteroprabilit
ncessite que les communications obissent des normes.
107
Dcision 1639/2006/CE du Parlement europen et du Conseil, du 24 octobre 2006,
tablissant un programme-cadre pour linnovation et la comptitivit (2007-2013).
(JO L 310 du 9 novembre 2006, p. 1540)

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 69

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

Juridiquement, une catgorisation de ces documents de rfrence (rfrentiel) peut tre


dresse afin didentifier:
les normes publies par un organisme de normalisation ;
les standards propritaires ou ouverts diffuss par des structures prives ou publiques ;
les rfrentiels sectoriels pour amliorer la mise en uvre dune ou plusieurs normes ou
standards manant dentits publiques ou prives ;
les rfrentiels spcifiques destins la connexion entre deux systmes ou deux logiciels
avec les fournisseurs concerns pour rpondre aux besoins de clients.

A. Normes dinteroprabilit
Une norme est, selon lOrganisation internationale de normalisation (ISO) et la
Commission lectrotechnique internationale (CEI), un document tabli par consensus et
approuv par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et rpts, des
rgles, des lignes directrices ou des caractristiques, pour des activits ou leurs rsultats,
garantissant un niveau dordre optimal dans un contexte donn. Lintrt des normes
aujourdhui repose sur lharmonisation europenne en coordination avec lorganisation mondiale
de la normalisation (ISO).
Au niveau europen, le Comit europen de normalisation (CEN), parmi les trois organismes de
normalisation108 intervenant dans le domaine des TIC, coordonne les organismes nationaux de
normalisation de lUnion europenne, dont la France avec lAfnor109, mais aussi ceux de la Suisse,
de la Norvge et de lIslande110.
Un nouveau rglement europen de 2012 relatif la normalisation europenne111 renforce
lharmonisation des textes normatifs avec pour principal objectif de favoriser la compatibilit et
linteroprabilit avec dautres produits ou systmes.
A titre dexemple, les particuliers et les entreprises utilisent notamment des formats
informatiques dinteroprabilit comme PDF, SGML, XML... rsultant des travaux de
normalisation112.
Les normes uniquement fonctionnelles prsentent des difficults dapplication technique
pour les industriels ou les diteurs informatiques mais aussi pour les laboratoires de
contrle dans le cadre de la certification de produits. Pour y pallier, des spcificits de tests
se retrouvent de plus en plus souvent intgres aux normes. Actuellement, de nombreux

108
Les trois organismes intervenant dans la normalisation europenne sont le Comit
europen de normalisation (CEN), le Comit europen de normalisation lectrotechnique
(CENELEC) et lInstitut europen des normes de tlcommunication (ETSI). Le CEN et le
CENELEC cooprent troitement avec leurs homologues internationaux, respectivement
lOrganisation internationale de normalisation (ISO) et la Commission lectrotechnique
internationale (CEI).
109Association franaise de normalisation (Afnor).
110Ces trois pays se coordonnent avec le CEM via lAssociation europenne de libre-change
(AELE).
111Rglement n1025/2012 du 4 octobre 2012 relatif la normalisation europenne, entr
en vigueur le 1er janvier 2013 dont notamment le considrant 1.
112Normes relatives linteroprabilit:
- ISO n19005-1: 2005, juillet 2008: format PDF 1.7,
- ISO n8879, 1999: dcrit le langage SGML (Standard Generalized Markup Language)
- ISO n29500, novembre 2008: format Office Open XML
- ISO n10918: Joint Photographic Experts Group (JPEG)

groupes de travail sectoriels travaillent sur linteroprabilit afin dharmoniser la communication


intelligente entre les systmes, les quipements, y compris pour changer des donnes, des
mtadonnes, des documents, des images afin que leur traitement soit automatis comme
dans le domaine des ITS113 ou de la facturation lectronique114.
Lattribution de la conformit et le contrle du maintien de cette conformit dun produit, quil
sagisse dinteroprabilit ou non, seffectuent dans le cadre de processus de certification par un
certificateur accrdit Cofrac115 aprs vrification de la conformit effectue par un laboratoire
de contrles et dessais, lui aussi accrdit Cofrac116.

B. Standards dinteroprabilit
Un standard 117 se dfinit comme une Convention fonde sur un consensus plus
restreint que pour la norme, gnralement labor entre des industriels au sein de forums ou de
consortiums.
Lorsquune mthode ou une technologie est adopte par une majorit dindustriels et
dutilisateurs, elle peut devenir un standard notamment si elle fait lobjet dune publication par
un organisme reconnu.
La Commission europenne recommande tous les tats membres daligner leur cadre
dinteroprabilit respectif sur le cadre europen dinteroprabilit dnomm European
Interoperability Framework (EIF).
Les standards propritaires sont accessibles selon certaines rgles mentionnes en gnral dans
un rglement dutilisation ou selon les dispositions dun contrat de licence. Parmi ces standards:
les standards DWG (AutoCAD) dAutodesk ou Zip de PKWare. Citons aussi les codes barres
standardiss ou les catalogues lectroniques de GS1.
Ces standards sont dits ouverts118 quand leurs spcifications techniques sont publiques et
sans restriction daccs ni dutilisation119. La Commission europenne considre ces standards

113
Directive 2010/40/UE du Parlement europen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant
le cadre pour le dploiement de systmes de transport intelligents dans le domaine du
transport routier et dinterfaces avec dautres modes de transport.
114Ordonnance n 2014-697 du 26 juin 2014 relative au dveloppement de la facturation
lectronique.
115Comit franais daccrditation: Le Cofrac, cr en 1994 sous le rgime de la loi du
1erjuillet 1901 a t dsign comme unique instance nationale daccrditation par le dcret
du 19 dcembre 2008, reconnaissant ainsi laccrditation comme une activit de puissance
publique (information extraites du site du Cofrac).
116
Les exigences gnrales pour laccrditation sont fixes dans les normes de la srie
normes EN 45000 et ISO/CEI 17000.
117
Voir le lexique mis en ligne sur le site de lAfnor.
118Article 4 de la Loi n 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans lconomie
numrique.
119
Standards ouverts concernant linteroprabilit manant de:
- OASIS: Organization for the Advancement of Structured Information Standards
- W3C: World Wide Web Consortium
- IETF: Internet Engineering Task Force
- ECMA: European Computer Manufacturers Association
- OMG: Object Management Group
- WS-I: Web Services Interoperability Organisation

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 71

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

dinteroprabilit 120 comme le moyen le plus efficace dassurer linteroprabilit tout en


favorisant la concurrence.
La Commission favorise les standards non-normatifs appels Request For Comments (RFC).
Les spcifications de ces standards, reconnues par la communaut Internet, font lobjet de
publications par lIETF (Internet Engineering Task Force), tlchargeables gratuitement. Parmi
ces RFC, citons IP121, SMTP122 ou TCP/IP123.
Il faut aussi citer les rfrentiels labors par les pouvoirs publics, comme le rfrentiel
gnral dinteroprabilit (RGI)124 publi par la Direction gnrale de la modernisation de
lEtat. Le RGI est dfini dans lordonnance n 2005-1516 du 8dcembre 2005 relative aux
changes lectroniques entre les usagers et les autorits administratives et entre les autorits
administratives. Ce rfrentiel est considr par les pouvoirs publics comme un cadre de
recommandations constituant les objectifs atteindre pour favoriser linteroprabilit.
Les industriels, diteurs ou prestataires qui revendiquent la conformit dun produit un
standard vont, selon les conditions dexigence mentionnes dans les spcifications du
rfrentiel, se retrouver soit passer des autotests de conformit sous leur propre responsabilit,
soit demander passer un processus du contrle de la conformit au standard.

C. Rfrentiels sectoriels dinteroprabilit


Les rfrentiels sectoriels, gratuits ou payants, servent complter les normes ou
standards qui apparaissent trop fonctionnels et pas assez techniques pour une utilisation
dans un secteur dactivit ou une zone gographique donns. titre dexemple, le
rfrentiel ABC125 de lAgence franaise pour linformation multimodale et la billettique (AFIMB)
concerne la billettique sur tlphone mobile NFC. Citons galement le RCTIF, le rfrentiel
technique permettant linteroprabilit des pass Navigo126.
Les grands donneurs dordres, les diteurs, les intgrateurs laborent ce type de spcifications
dinteroprabilit en :
 incrmentant de faon oprationnelle les normes ou les standards avec rfrence
auxdites normes ou standards ;
laborant un processus de tests ;
en vrifiant la conformit dans le cadre:

- soit dun contrle de conformit avec certificateur ;

- soit dans le cadre de vrifications contractuelles de la mise en uvre de projet

120
Discours sur les standards ouverts et linteroprabilit du 10 juin 2010 de Neelie Kroes,
vice-prsidente de la Commission europenne, dans le cadre de lOpen Forum Europe de
Bruxelles (http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-10-300_en.htm?locale=en).
121Internet Protocol.
122
Simple Mail Transfer Protocol.
123Transmission Control Protocol/Internet Protocol.
124
Le rfrentiel gnral dinteroprabilit version 1.0 a t publi le 12 juin 2009.
Cest la version en vigueur.
125Rfrentiel Application billettique commune (ABC). Le projet ABC consiste raliser une
application billettique, commune permettant des utilisateurs disposant de tlphones NFC
dacheter des titres de transport mis par les autorits organisatrices participant au projet.
126
Le Pass Navigo est une carte puce sans contact servant de support un titre de transport
en le-de-France.

mutualis entre utilisateurs avec mise en place dun site pilote chez lun des utilisateurs
pralablement dsign par la communaut des utilisateurs.

Ce type de rfrentiel comprend en gnral:


des spcifications y compris dimplmentation de normes et des standards indispensables ;
des spcifications de tests pour vrifier la conformit des produits au rfrentiel ;
dun rglement contractuel engageant les industriels, les prestataires et/ou les utilisateurs
vis--vis du rfrentiel (dfinition, exigences de conformit, engagement de conformit,
volution du rfrentiel, attribution, renouvellement et retrait de conformit, proprit du
rfrentiel et droit dusage du marquage, aspects financiers, marquage des produits) ;
des processus de contrle de conformit intgrant le processus de tests et de dcision de
conformit ou de retrait de conformit ;
dune marque didentification de conformit.
Ces rfrentiels sont grs par le groupe qui les a produits ou lentit qui les publie. Parfois, la
gestion se trouve confie un tiers indpendant public ou priv.
Souvent, linteroprabilit des produits dont la conformit est revendique fait lobjet dun
processus pralable de contrle de conformit similaire la certification de produits, afin que les
industriels, diteurs et prestataires respectent le niveau de conformit exig et le maintiennent
dans le temps. Dans ce cadre, comme dans celui des normes, la certification des produits ne
peut seffectuer que par des organismes accrdits par le Cofrac127. Ces organismes, distincts des
demandeurs de certification (industriel, vendeur, diteur, prestataire), contrlent et attestent
la demande desdits demandeurs quun produit est conforme ou non des caractristiques
dcrites dans le rfrentiel.
Nanmoins, dans le cadre dInternet, certains prfrent lautocontrle.

D. Rfrentiels spcifiques dinteroprabilit


Les rfrentiels spcifiques sont mis en uvre pour rpondre initialement aux besoins
dinterconnexion entre deux progiciels ou deux systmes dun client.
Les diteurs et les intgrateurs laborent ce type de spcifications dinteroprabilit en:
rdigeant un cahier des charges en commun sur la base de besoins mutuels en y intgrant
les besoins du client ;
tablissant des spcifications dinteroprabilit avec un processus de tests de conformit,
dveloppant chacun une demi-interface ;
testant sur une plateforme de tests les demi-interfaces avec ventuellement un ajustement
des spcifications communes qui seffectuera en commun ;
arrtant en commun une version de rfrence comprenant la version des spcifications
de chaque demi-interface avec le progiciel ou le systme de chacun afin de vrifier tout
dysfonctionnement dchanges, en fonction des lments de ladite version de rfrence ;
assurant une maintenance coordonne entre chaque diteur afin que le client ne subisse
pas les consquences des erreurs et des anomalies ;

127Comit franais daccrditation.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 73

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

vrifiant la conformit dans le cadre de tests de maintenance ;


faisant voluer la version de rfrence selon le mme processus dans le cadre de contrat
de maintenance ou de dveloppement spcifique.
Aujourdhui, de plus en plus dditeurs cherchent mettre en place des connecteurs logiciels128
pour supprimer terme les interfaces.
En principe, aucune mise jour ni nouvelle version ne peut tre diffuse sans avoir t teste
au pralable dans lenvironnement de rfrence par le partenaire concern, ni sans laccord
pralable de lautre fournisseur et du client.
En ce qui concerne la diffusion des correctifs, la rgle est un peu diffrente du fait de lurgence
de la rsolution du dysfonctionnement, qui amne intgrer dans le contrat de maintenance
de chacun des diteurs des rgles de gestion de rsolution mutualise concernant les incidents
dinteroprabilit afin que chacun cherche identifier lorigine du dysfonctionnement.

E. Aspects conomiques des rfrentiels dinteroprabilit


Llaboration dun rfrentiel dinteroprabilit, normatif ou non, sa diffusion et sa
valorisation engendrent des cots chez les participants au groupe de travail et chez
lorganisme fdrateur et diteur de rfrentiel. La plupart du temps, ces groupes de travail
runissent des reprsentants de donneurs dordre privs ou publics mais aussi des spcialistes
issus de lindustrie, dditeurs et de prestataires, en direct ou via leurs organismes professionnels,
ainsi que des experts indpendants. Leur participation nest en gnral pas rmunre sauf sil est
fait appel des experts. Ce bnvolat limite malheureusement la participation des TPE et des PME.
Pour les industriels, les diteurs et les prestataires, les rfrentiels, normatifs ou non, engendrent
des cots supplmentaires. La documentation normative est payante. De plus, si les produits
ncessitent des modifications pour rpondre aux exigences des spcifications dinteroprabilit,
la mise en conformit peut prsenter dans certains cas de forts surcots de mise au point
voire dinnovation en termes de R&D. La certification et le contrle de la conformit auprs
dorganismes accrdits engendrent aussi des surcots.
Ces surcots ct fournisseur entranent en gnral une diminution du cot global des projets
chez les clients car il ny a pas de ncessit de dveloppement spcifique. Sajoute aussi un
intrt fort pour le client: la non dpendance vis--vis du fournisseur car linteroprabilit dans
ce cas nest plus spcifique.
Les normes sont publiques mais payantes lexception des normes dites obligatoires
franaises. Lapplication obligatoire dune norme est caractrise par la rfrence la norme
dans un texte rglementaire comme moyen unique de satisfaire aux exigences du texte129.

128
Mcanisme logiciel de communication entre processus informatiques, souvent utilis
entre une application et un rseau (DGLF, JO du 16 mars 1999 et du 1er septembre 2000,
Termes de lInternet)
129
Larticle 17 du dcret 2009-697 relatif la normalisation prcise que les normes peuvent
tre rendues dapplication obligatoire par arrt sign du ministre charg de lIndustrie
et du ou des ministre(s) intress(s). Indpendamment du dcret susvis, des textes
spcifiques peuvent confrer une norme un caractre obligatoire mais cela suppose
quexiste un contexte spcifique, ne visant que des usages particuliers et des administrs
bien prcis. La liste des normes obligatoires est prcise sur le site de lAfnor.

ce jour, malheureusement, en matire dinteroprabilit, il ne semble pas y avoir de normes


obligatoires. Sil y avait des normes obligatoires dinteroprabilit, les industriels, diteurs et
prestataires voire les clients feraient des conomies supplmentaires. De plus, il peut arriver que
certaines normes contiennent un ou plusieurs brevets130. Face cette situation, lISO, lIEC131
et lUIT132 ont tabli des rgles pour rpondre lintroduction des brevets dans les normes: les
rgles RAND (Reasonable and non-discriminatory). Ainsi, lintroduction dun brevet seffectue
en contrepartie de lacceptation par le titulaire du brevet daccorder des licences, en gnral
gratuites, voire dans des conditions raisonnables et non-discriminatoires. La dclaration du
dtenteur des droits de proprit est alors enregistre lISO, lIEC et lUIT.
Les gestionnaires de standards ouverts ou propritaires refusent de transformer leurs standards
en normes pour ne pas les transfrer aux organismes de normalisation et ne pas perdre la
matrise de leur volution. Pour les standards ouverts, ce refus repose aussi sur la volont de
conserver la gratuit de la diffusion et de lutilisation.
Les standards ouverts prsentent partiellement des avantages des logiciels libres. Les
spcifications sont gratuites mais les corrections ou les volutions du rfrentiel ne
peuvent tre apportes que par celui qui gre le rfrentiel.
Les rfrentiels propritaires sont payants au niveau de la documentation, et en gnral
au niveau dune licence dutilisation pour les producteurs, mais parfois aussi pour les
utilisateurs selon le tarif du gestionnaire. Une telle redevance savre utile si le standard
volue en toute compatibilit et quune assistance est apporte ses utilisateurs, condition
que son montant demeure raisonnable.
Les rfrentiels sectoriels gratuits ou payants suivent en gnral les mmes rgles que
les standards.
Les rfrentiels spcifiques quant eux cotent cher dfinir, dvelopper et maintenir
car le prix pour le client est celui de deux dveloppements spcifiques (un par demiinterface avec une maintenance coordonner entre les deux diteurs). Par contre, si
plusieurs clients de chaque diteur ou prestataire ont besoin de disposer de cette interoprabilit
entre les logiciels, la progicialisation (standardisation du spcifique) va favoriser la prennit sil y
a beaucoup de clients et des demandes dvolutions. Ainsi progicialise, loffre dinteroprabilit
passe du prix du dveloppement spcifique un prix de concession de droit dusage de deux
demi-interfaces, nettement moins coteux pour le client.
Linteroprabilit a un cot, mais beaucoup moins consquent que la non-interoprabilit.
Linteroprabilit devient rentable quand elle diminue les charges de lentreprise en
liminant les ressaisies, les doublons de tches de certains traitements. Linteroprabilit

130
- Normes dans le domaine des technologies de linformation et de la communication
(extrait AFNOR):
- tlphonie mobile: norme GSM ;
- applications de la RFID pour la chane dapprovisionnement - conteneurs de Fret
- Identification des animaux par radiofrquence - Transpondeurs volus - Partie 1:
interface hertzienne ;
- cinma numrique - caractristiques dimage ;
- cartes didentification - cartes circuit intgr.
131International Electrotechnical Commission.
132Union tlgraphique internationale.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 75

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

sapprcie, en plus des aspects fonctionnels et ergonomiques, en fonction du cot global


(investissement, maintenance, exploitation) et du retour sur investissement. Linteroprabilit
apparat comme un facteur dconomie lors de la prise en mains dun systme et lors de la
rversibilit de ce systme en fin de contrat.

II - Proprit intellectuelle et interoprabilit


Une interoprabilit repose sur un rfrentiel dinteroprabilit, normatif ou non, et sur un
processus de contrle de la conformit dun produit aux exigences des spcifications contenues
dans ledit rfrentiel.
Les spcifications et leurs ventuels tests lis, ds la validation dune version du rfrentiel, font
lobjet dune publication dans une version donne. Cette documentation, ds son laboration
et avant mme sa publication, ncessite didentifier les droits revenant chacun des
intervenants dans le processus:
de gestion et de direction des travaux dlaboration ;
dcriture ;
ddition ;
dutilisation ;
de correction et dvolution.
Les droits se rvlent diffrents en fonction de la catgorie de rfrentiels dinteroprabilit:
normes dinteroprabilit ;
standards dinteroprabilit ;
rfrentiels sectoriels dinteroprabilit ;
rfrentiels spcifiques dinteroprabilit.
Ces droits sont associs des engagements contractuels formaliss en fonction de cette
catgorisation de rfrentiel.

A. Proprit et droits dutilisation des normes


En matire de normes, les organismes nationaux (comme lAfnor), lorganisme europen
(CEN) ou lorganisme mondial (ISO), qui coordonnent llaboration dune norme, en
deviennent en principe dtenteurs des droits de proprit intellectuelle. Selon lAfnor133, les
organisations de normalisation ont dans leurs missions la protection du droit dauteur tant pour
les normes imprimes que pour les normes sous forme lectronique. Lacquisition dun document
normatif est soumise aux mmes rgles que pour lacquisition dun livre par une entreprise. Cette
acquisition, quelle soit sur support papier ou sur support dmatrialis, nautorise nullement la
duplication de lexemplaire, ni le transfert de fichier lectronique, ni une reproduction partielle.
Toute autre copie ou utilisation se trouve encadre par un contrat de licence. Les seules normes
gratuites sont les normes obligatoires franaises avec des conditions daccs restreint.
Le fait dintgrer des brevets au sein des spcifications ne peut remettre en cause cette
dtention. Comme il a t prcis prcdemment, lintroduction de brevets seffectue en

133Cf. document sur le site Afnor intitul le droit dauteur, les normes et Internet.

contrepartie de lacceptation par le titulaire du brevet daccorder des licences, en gnral


gratuites, voire dans des conditions raisonnables et non-discriminatoires.
Par contre, hormis laspect licence dun ventuel brevet et des limitations des duplications
de lexemplaire acquis de la norme, lutilisation et lapplication des spcifications figurant
dans la norme sont entirement gratuites et ce, afin que les produits mis sur le march
respectent la norme.

B. Proprit et droits dutilisation de standards


En matire de standards, deux grandes logiques transparaissent: la gratuit et le
paiement de laccs et de lutilisation.
Les standards ouverts sont la proprit de lorganisme qui les diffuse, sauf disposition contraire
entre le dtenteur des droits et le diffuseur du standard. En principe, en matire de standards,
il est fait application des rgles relatives aux uvres collectives savoir que celui qui
coordonne et dirige les travaux et publie le rfrentiel est le propritaire des droits134.
Par contre, si le standard fait rfrence des normes, laccs et lutilisation des normes sont la
charge de lutilisateur du rfrentiel.
En ce qui concerne les standards propritaires, les rgles apparaissent bien diffrentes en dehors
des rgles relatives la dtention des droits, sauf sil est tabli une coproprit au niveau de la
gestion des droits du rfrentiel ou le transfert un gestionnaire tel quun syndicat professionnel,
une administration ou une association.
Lutilisation et lexploitation du rfrentiel peuvent faire lobjet dune redevance la fois en tant
que licence de brevets, prestation dassistance au niveau de loptimisation des spcifications et
action de valorisation du rfrentiel.
Par contre, comme pour les standards ouverts, sil est fait rfrence des normes, laccs et
lutilisation des normes sont la charge de lutilisateur du rfrentiel.

C. Proprit et droits dutilisation des rfrentiels sectoriels


Le rfrentiel sectoriel entre dans les mmes logiques que les standards.
Ce type de rfrentiel se cre souvent linitiative de donneurs dordres avec la participation
des industriels, diteurs et/ou prestataires concerns par le projet. De nombreux montages
peuvent tre tablis pour ce type de rfrentiel. Une coproprit peut tre cre entre les parties
linitiative du rfrentiel. Dans dautres cas, certains rfrentiels ont fait lobjet dune cration
collective dans le cadre dune convention de partenariat entre utilisateurs avec cession des droits
une administration, afin quaucune appropriation par un tiers ne puisse avoir lieu.

134Article L113-2 du Code de la proprit intellectuelle, alina 3: Est dite collective luvre
cre sur linitiative dune personne physique ou morale qui ldite, la publie et la divulgue
sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs
participant son laboration se fond dans lensemble en vue duquel elle est conue, sans
quil soit possible dattribuer chacun deux un droit distinct sur lensemble ralis.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 77

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

D. Proprit et droits dutilisation des spcifications ddies


Dans le cadre de la mise en uvre de la solution mtier compose de plusieurs
progiciels dorigines diffrentes, la ncessit de disposer dinterfaces stables a amen
les informaticiens et les juristes mettre en uvre des solutions contractuelles pour se
garantir contre des non-conformits dinteroprabilit.
Cette approche contractuelle permet dlaborer des spcifications dinteroprabilit pour raliser
des interfaces interoprables (demi-interfaces), pour tester lesdites interfaces et les maintenir
niveau entre les deux diteurs.
Le rfrentiel spcifique prsente des particularits par rapport aux standards. Cette particularit
rsulte notamment des composantes de chaque version du rfrentiel:
spcifications dinteroprabilit ralises en commun avec le client ;
rfrence des normes et des standards ;
jeux de tests dinteroprabilit ;
plateforme de tests ;
rfrence au contrat de concession de droit dusage ;
rfrence au contrat de maintenance liant chaque diteur son client avec processus de
maintenance de linteroprabilit ;
contrat dinteroprabilit entre les deux diteurs pour grer leurs relations contractuelles ;
spcifications techniques de chaque demi-interface ;
chaque demi-interface dans sa version de rfrence aprs rception de linteroprabilit.
Examine composante par composante, la rpartition des droits sanalyse ainsi:
Composantes

Commentaires

Spcifications dinteroprabilit ralises


en commun avec le client

Travail en commun hors des lments de


chaque produit

Rfrence des normes et des standards

Uniquement rfrence

Jeux de tests dinteroprabilit

Uniquement les tests concernant


linteroprabilit tablis en cours

Plateforme de tests

Uniquement les paramtres communs

Rfrence au contrat de concession de droit


dusage

Cit titre de rfrence, et concerne chaque


fournisseur individuellement

Rfrence au contrat de maintenance liant


chaque diteur son client avec processus de
maintenance de linteroprabilit

Cit titre de rfrence, et concerne chaque


fournisseur individuellement

Contrat dinteroprabilit entre les deux diteurs


pour grer leurs relations contractuelles

Sign entre les fournisseurs afin de grer


linteroprabilit

Spcifications techniques de chaque demiinterface

Propre chacun

Chaque demi-interface dans sa version de


rfrence aprs rception de linteroprabilit

Propre chacun

10

PV de rception de linteroprabilit

Constat du client lors de la rception sans


prjuger de la qualit de linteroprabilit au
cours de lexploitation

Ainsi, le rfrentiel fait lobjet de diffrents statuts en fonction de la participation de chacun


chacune de ses composantes.
Les composantes 1 et 3 soulvent un problme de proprit. Bien sr, le 1 et le 3 sont excuts
dans le cadre dune commande du client, nanmoins pour des aspects de responsabilit, le
client ne peut tre considr comme responsable des spcifications.
Il pourrait tre envisag de considrer que la composante 1 malgr tout pourrait tre la proprit
du client en tant que donneur dordre. Il pourrait en tre de mme concernant la composante 3.
Sous une autre approche, il pourrait tre considr que ce document est une ralisation mutuelle
dont les lments sont indissociables du fait de lobjectif de linteroprabilit entranant de ce fait
une coproprit entre les deux fournisseurs mais aussi le client.

III - Marquage de la conformit des spcifications dinteroprabilit


Sil y a ncessit dune certification (norme) ou dun contrle de la conformit (rfrentiel nonnormatif), la conformit, si elle est constate, fait lobjet dune dcision avec possibilit de
marquage des produits certifis.
Le marquage consiste, pour lindustriel, lditeur ou le prestataire, pouvoir, aprs
certification ou contrle de conformit dclar positif, dapposer sur le produit concern
la marque de certification, en gnral un logo avec le domaine de certification.
La conformit rsulte initialement dun contrat pralable li un titre de proprit industrielle.
Le marquage savre diffrent selon les types de rfrentiel et de processus de contrle de la
conformit.

A. Normes
La certification de produits en norme suit des rgles trs strictes. Comme il a t vu
prcdemment, les organismes de certification, organisme tiers indpendant, demandent au
Cofrac dtre accrdit pour un domaine de certification sur la base dun dossier par rfrence
la norme ISO 9001 Management de la qualit et aux normes EN 45000 et ISO/CEI 17000
de certification.
Pour certifier, le certificateur accrdit va tablir un rglement de certification avec un
rglement dusage dune marque collective de certification135 conforme larticle L715-1
L715-3 du Code de la proprit intellectuelle. Cette marque collective de certification ne
peut tre dpose que par le certificateur ou par une personne morale prsentant un certain
degr dindpendance qui nest ni fabricant, ni importateur, ni vendeur des produits, telle que
dfinie larticle L715-2 du Code de la proprit intellectuelle. Si cette marque est dpose par
un tiers, seule la dcision de certification en donnera le droit dusage pour le produit certifi.

135Par exemple, UGRA PSO EXPERT est un certificateur de la norme PDF/X (iso: 15930).

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 79

1.5 P roprit intellectuelle et interoprabilit des systmes

La marque NF prsente une particularit car elle englobe plusieurs domaines de certification dont
NF Logiciel. Lors de lattribution par lorganisme de certification mandat par Afnor certification,
lindustriel, lditeur ou le prestataire dont le produit a t certifi disposera comme pour toute
marque collective dun droit dutilisation de la marque gre par le rglement dusage.
Tant que la certification du produit sera maintenue, le fournisseur pourra toujours apposer
sur son produit la marque de certification. En cas de retrait ou de non-renouvellement de
la certification du produit, le fournisseur nest plus doffice licenci et de ce fait ne peut plus
appliquer la marque.

B. Standards
Deux approches existent au niveau dun ventuel marquage de produits interoprables, que le
standard soit propritaire ou ouvert.
En effet, le marquage seffectue en fonction de la nature de la marque et en fonction du
type de constat de conformit.
Autant dans le cadre de la certification normative, la marque se veut collective, autant
dans le cadre des standards, le choix est laiss au dtenteur du rfrentiel. Le dtenteur
du rfrentiel peut dcider que la marque est soit collective, soit propritaire.
De plus, la conformit est contrle soit par un processus de contrle de conformit effectu par
un certificateur, soit dans le cadre dun processus de vrification.
Dans le cadre du contrle de conformit, la marque peut tre collective mais elle ne peut tre de
certification, la certification ne concernant que la conformit aux normes. Ainsi, pour la marque
collective, le constat de la conformit entrane doffice lattribution des droits dusage de la
marque selon les dispositions du rglement dusage, quil y ait contrle de conformit par un
certificateur ou bien vrification par le propritaire du rfrentiel voire autotest avec rsultats
fournis en ligne par le site du propritaire du rfrentiel.
Par contre, si la marque nest pas collective et donc propritaire, seul le propritaire ou le
gestionnaire du rfrentiel peut accorder contractuellement les droits dusage de la marque,
quil y ait eu certification ou vrification.

C. Rfrentiel sectoriel
Il nexiste aucune diffrence entre le marquage dun rfrentiel sectoriel et celui dun standard.
Toutefois, lorsque le rfrentiel est sectoriel et dorigine utilisateur, il est gnralement vrifi
dans le cadre du site pilote.

D. Rfrentiel spcifique
Le marquage des rfrentiels spcifiques savre bien diffrent. Ici, il nexiste pas de
marque relative aux spcifications mais bien un lien dinteroprabilit entre produits
de deux fournisseurs diffrents. Par contre, il apparat important que le fournisseur dont le
produit est interoprable avec un autre puisse le citer sans encombre. En gnral, la ncessit
commerciale de faire rfrence lautre concurrent vite que ledit concurrent se plaigne dtre
cit. Toutefois, le contrat dinteroprabilit entre les deux fournisseurs sert aussi grer les
informations relatives aux rfrences de lautre fournisseur.
Ainsi tout produit non-contrl conforme ou ayant fait lobjet dun retrait de conformit qui est
diffus sous cette marque se trouve tre contrefait.

Conclusion
Linteroprabilit est source dconomie pour les clients. La certification aux normes et
le contrle de conformit pour les standards et les rfrentiels sectoriels sont une garantie de
qualit. Nanmoins, pour la communaut des internautes, la certification ou le contrle de
conformit nentrent pas dans lesprit de la libert daccs et de lchange quils prnent.
Linteroprabilit est devenue une condition incontournable dans le cadre de lconomie
numrique. Sans interoprabilit, peu de chances de communiquer. Nanmoins,
linteroprabilit amne rflchir la proprit des rfrentiels et leur marquage.
Bien sr, la communaut des internautes regarde plus les aspects de gratuit que ceux
de la proprit. Or, seul le propritaire, voire le gestionnaire du rfrentiel, peut veiller la
sauvegarde des droits affrents au rfrentiel, tant au niveau de tentative dappropriation que
de reproduction non-autorise, et permettre ses corrections et volutions.
Le marquage est aussi un aspect important de la garantie de linteroprabilit. Nanmoins, il
reste une incertitude au niveau de la proprit des spcifications des rfrentiels spcifiques.
Cette incertitude peut tre rsolue contractuellement.
Dans le cadre de lconomie numrique, il est regrettable pour les TPE et PME quune
tarification adapte ne leur soit pas accorde au niveau des organismes de normalisation.
En effet, vu la multiplicit des normes auxquelles il faut rpondre, leur cot dacquisition devient
assez consquent.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 81

rpartition et protection
des droits de proprit
intellectuelle dans
lconomie numrique
2.1 Protection des logiciels lheure du web smantique et des rseaux sociaux : le droit
des brevets est-il toujours adapt ?
Alexandre Lebkiri
2.2 Le temps du logiciel
Statut juridique du logiciel et mthodologie outille par des logiciels danalyse de codes
permettant de le dterminer
Magali Fitzgibbon, Luc Grateau et Guillaume Rousseau

p. 85

p. 93

2.3 Rflexions autour de la cration numrique dans lentreprise : problmatiques


juridiques, enjeux et pistes de rformes
Viviane Gelles, Blandine Poidevin

p. 113

2.4 La ralit virtuelle confronte au droit dauteur


Optimiser la protection des applications de ralit virtuelle
Marie Soulez

p. 123

2.5 Droit dauteur et jeu vido


Paysage conomique et juridique du jeu vido en France et ltranger
Antoine Casanova

p. 135

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 83

2.1
Protection des logiciels lheure
du web smantique et des rseaux
sociaux : le droit des brevets est-il
toujours adapt ?
par Alexandre Lebkiri

lauteur
Alexandre Lebkiri a dbut sa carrire en R&D dans lindustrie des composants, puis rejoint la
direction des brevets de lINPI o il soccupe notamment des questions lies la protection des
logiciels. Il a ensuite intgr un cabinet de conseils en PI puis occup le poste de responsable
de la PI la direction R&D de Areva NP. Depuis 2006, il est associ-fondateur du cabinet Camus
Lebkiri et par ailleurs professeur associ luniversit Paris 13. Alexandre Lebkiri est ingnieur
diplm de lISEP, docteur en microlectronique et micro-informatique, titulaire dun Master II
en administration des entreprises et dun Master II en droit de la PI, diplm du CEIPI, conseil en
proprit industrielle et mandataire agr auprs de lOEB.

Synthse
Depuis 30 ans, les entreprises ont compris que les dveloppements logiciels pouvaient faire lobjet
dune protection par le droit des brevets en complment de la protection historique offerte par le
droit dauteur. Ainsi, en Europe, lexclusion originelle des programmes dordinateurs en tant que
tels prvue par le lgislateur sest vue progressivement dpasse, prcise ou complte par la
jurisprudence. On pensait ds lors tre arriv une forme de statu quo globalement satisfaisant.
Ctait pourtant sans compter sur lvolution frntique des innovations du monde numrique
qui soulvent de nouvelles questions mesure que les anciennes trouvent leurs solutions;
nous montrerons au travers de trois sujets (web smantique, rseaux sociaux, applications
Smartphone) que la question de la protection des crations numriques par le brevet reste plus
que jamais dactualit.

mots cls : brevet | logiciel | exclusion | Europe | USA | Web |


rseau social | smartphone | programme | invention
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 85

2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?

Innover requiert des dpenses de recherche et dveloppement de plus en plus importantes, y


compris dans le domaine de lconomie numrique. Il est ds lors essentiel de pouvoir assurer
un certain retour sur investissement aux entreprises qui les ont engages: le brevet, soit par
lexercice direct dun droit dinterdire soit par le biais de la concession de licence, apparat
comme lun des outils les plus efficaces pour rentabiliser ces efforts de R&D. Depuis 30 ans,
les entreprises ont massivement et progressivement compris que les dveloppements logiciels
pouvaient, sous certaines formes et conditions, faire lobjet dune protection par le droit des
brevets en complment de la protection historique offerte par le droit dauteur. Lexclusion
originelle (et dun autre temps) de la protection des programmes en tant que tels prvue par
la lgislation franaise136 et europenne137 ne fait ainsi plus obstacle la reconnaissance de leur
caractre dinvention, rendant par l mme caduque toute ide de modifications des textes (par
exemple la suppression des programmes dordinateurs de la liste dexclusions).
Cette question de la protection des logiciels par brevet, qui a dj fait couler beaucoup
dencre et suscit des dbats passionns, notamment sur la toile, prsente cependant
une particularit majeure: la rponse volue avec le temps et donc avec la technologie.
Personne ne conteste aujourdhui quun procd industriel pilot par un programme 138
peut prtendre une protection par brevet. Il en va de mme dun procd de compression
dimages139 ou dun procd daffichage140 plus efficace. Quen est-il cependant de la
protection dinnovations plus apparues rcemment, touchant par exemple des secteurs
tels que les rseaux sociaux, le Web smantique ou les applications pour Smartphone?

I - tat des lieux en Europe


Il convient tout dabord de mettre en garde contre deux erreurs trop souvent commises: un
brevet ne peut tre dlivr en Europe ni sur une simple ide (qui reste de libre parcours et ne peut
tre approprie) ni sur une liste de codes sources (et encore moins de codes objets), lexpression
de ces derniers relevant de la protection par le droit dauteur. Seules les fonctionnalits du
logiciel, ventuellement couples du matriel, peuvent faire lobjet dune protection
par brevet.
Les inventions dans le domaine du logiciel, ou inventions mises en uvre par ordinateur selon
la terminologie consacre par lOffice europen des brevets (OEB), sont traites comme toutes
les autres inventions relevant de technologies plus classiques, dans le domaine de la mcanique
ou de la chimie par exemple. Ainsi, pour tre brevetable, une cration logicielle doit rpondre
quatre conditions:
ne pas tre exclue du champ du brevetable ;
tre nouvelle ;
impliquer une activit inventive ;
tre susceptible dapplication industrielle.

136Article L611-10 du Code de la proprit intellectuelle.


137Article 52 de la Convention sur le brevet europen,
138Arrt Schlumberger, cour dappel de Paris, 15 juin 1981.
139
Dcision Vicom T208/84, chambre de recours technique de lOEB.
140
Dcision IBM T935/97, chambre de recours technique de lOEB.

Pour lOEB, une invention, quelle que soit sa nature, ne sera pas exclue du droit au brevet si elle
prsente un caractre technique141, ce dernier devant tre apprci indpendamment de toute
rfrence ltat de lart142. Cette position permet dapprcier la notion dexclusion de faon trs
objective en saffranchissant, comme ce fut trop souvent le cas par le pass, de considrations
sur la contribution technique de linvention ltat de lart. Lapprciation de ce test de technicit
devient ds lors relativement souple, le caractre technique pouvant se retrouver tant au niveau
du problme rsolu par linvention que des moyens de mise en uvre de cette invention. titre
illustratif, le simple fait quune mthode soit explicitement mise en uvre par un ordinateur
programm suffit confrer ladite mthode le Graal technique exig. Peu importe la catgorie
de la revendication: il peut sagir dun procd, dun dispositif, dun systme, dun rseau et mme
dun programme dordinateur143 ds lors que la mthode que le programme doit mettre en uvre
est elle-mme technique. Il convient ici de ne pas confondre une revendication de programme
dordinateur qui porte sur les moyens fonctionnels de mise en uvre et une mthode avec les
squences dinstructions de ce mme programme dont la protection relve du droit dauteur.
Force est donc de constater que le champ du brevetable est maintenant trs largement
ouvert au dposant, seules les inventions nayant aucun rapport, aussi faible soit-il, avec
la technique tant exclues de la brevetabilit.
Les conclusions prcdentes pourraient laisser supposer que lOEB dlivre des brevets pour
des inventions dont le caractre technique relve exclusivement de moyens techniques banals
dont lutilisation permettrait, pour le rdacteur de brevet avis, dchapper lexclusion de la
brevetabilit. Il nen est rien. Sil est vrai que ce premier filtre visant exclure certaines crations
logicielles du domaine brevetable ne prsente que peu defficacit, lOEB a introduit un second
filtre, autrement plus pertinent, lors de lapprciation de lactivit inventive (on notera au passage
que les critres de nouveaut et dapplication industrielle sont assez peu utiliss lors de lexamen
des demandes de brevet relatives aux inventions mises en uvre par ordinateur). Pour mmoire,
une invention est considre comme impliquant une activit inventive si, pour un homme
du mtier, elle ne dcoule pas dune manire vidente de ltat de la technique. Il convient
donc de se demander pour chaque revendication dfinissant linvention si, compte tenu de ltat
de la technique, il naurait pas t vident pour un homme du mtier de parvenir lobjet dfini
par cette revendication. Pour apprcier lactivit inventive de la manire la plus objective et
prvisible possible, lOEB a dvelopp depuis de trs nombreuses annes une approche de
rfrence, dite approche problme-solution. Cette approche, dutilisation parfois complexe,
est aujourdhui trs largement prouve et a donn lieu de nombreuses analyses doctrinales et
jurisprudentielles, notamment dans les dcisions des chambres de recours technique de lOEB.
Elle peut se rsumer par la prsence de trois tapes principales:
dterminer la divulgation de ltat de la technique la plus proche, cest--dire la divulgation
qui vise atteindre un objectif semblable ou obtenir les mmes effets que linvention
(tape 1);
tablir le problme technique rsoudre au regard de cette divulgation la plus proche
(tape 2);
examiner si linvention, en partant du problme technique identifi ci-dessus, aurait t
vidente pour lhomme du mtier au regard de lensemble de ltat de la technique (tape 3).

141
Directives relatives lexamen de lOEB, partie G-II-3-6.
142
Dcision Auction Method / Hitachi T258/03, chambre de recours technique de lOEB.
143Article 56 de la Convention sur le brevet europen.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 87

2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?

La magie de cette approche transpose aux cas des inventions mises en uvre par ordinateur
rside dans son efficacit et son objectivit rejeter les inventions dont le caractre technique
consiste exclusivement utiliser des moyens techniques connus, la demande de brevet tentant
subrepticement de protger un objet se trouvant dans des domaines exclus de la brevetabilit.
Pour ce faire, lapprciation de lvidence (cest--dire ltape 3) ne peut reposer que sur
des caractristiques techniques144: ainsi, les caractristiques non-techniques napportant pas
de contribution technique ltat de lart ne sont pas prises en compte lors de lexamen de
lactivit inventive145. Prenons lexemple dune mthode denchres, ou dun site de rencontres
pour clibataires sur Internet dont la mise en uvre entrane lutilisation de moyens techniques:
si ces derniers sont connus, la diffrence entre ltat de la technique et lobjet valu nest donc
pas dordre technique (ici une diffrence purement conomique, financire, matrimoniale ou
intellectuelle) et la revendication sera considre comme dnue dactivit inventive.

II - La situation est-elle pour autant satisfaisante?


On pensait ds lors tre arriv une forme de statu quo satisfaisant la fois pour les
professionnels du droit de la proprit intellectuelle et pour les crateurs. Ctait pourtant sans
compter sur lvolution frntique des innovations du monde numrique, qui soulvent de
nouvelles questions mesure que les anciennes trouvent leurs solutions.
ce titre, la grande chambre de lOEB a fait montre dune casuistique un peu retorse dans sa
dcision G3/08146 en confirmant lapproche pragmatique problme-solution telle qunonce
plus haut, tout en reconnaissant que les divergences de jurisprudence au fil du temps constituent
un dveloppement normal dans un monde en mutation.
Afin dillustrer ce dernier propos, il est intressant de mettre en regard deux dcisions prises
plus de dix ans dcart par la Chambre de recours de lOEB. Dans une premire dcision datant
de 1994147, la Chambre avait considr comme non-invention un procd logiciel pour concevoir
un circuit intgr semi-conducteur. Dans une seconde dcision148 de 2006, la Chambre a non
seulement considr quun procd logiciel de simulation dun circuit intgr semi-conducteur
possdait un caractre technique mais quau-del, des tapes purement mathmatiques (et
donc non-techniques) devaient tre prises en considration pour valuer lactivit inventive.
La Chambre a donc admis ici de faon explicite que, dans maints secteurs de lindustrie, des
caractristiques non-techniques permettent de rsoudre de nombreux problmes techniques.
Comme nous le verrons par la suite, cette approche consistant prendre en compte non
seulement les caractristiques techniques mais galement les caractristiques non-techniques
contribuant la rsolution du problme technique est essentielle dans des secteurs innovants
ayant connu un essor considrable grce la trs grande capacit de calcul aujourdhui disponible
et au rapprochement entre plusieurs axes de recherche: mathmatiques, intelligence artificielle,
sciences cognitives et sociales, linguistique, smantique dont aucun, pris en tant que tel, ne
peut tre considr comme une contribution technique au sens du droit des brevets.

144
Directives relative lexamen de lOEB, partie G-VII-6.
145
Dcision Two Identities / Comvik T641/00, chambre de recours technique de lOEB.
146
Dcision G3/08, grande chambre de recours de lOEB.
147
Dcision T453/91, chambre de recours technique de lOEB.
148
Dcision Simulation de Circuit / Infineon Technologies T1227/05, chambre de recours
technique de lOEB.

Tentons dillustrer ce qui prcde au travers de trois sujets que sont les rseaux sociaux, le Web
smantique, ou les applications pour Smartphone.
Les rseaux sociaux sont devenus une industrie part entire, a priori non brevetable
car insuffisamment technique. Nanmoins, une analyse plus fine permet de dmontrer
que ces rseaux lvent certains verrous technologiques, les rendant ligibles la
protection par brevet. Il est entendu que le principe mme dun rseau social nest pas
appropriable au sens du droit des brevets; il en va de mme de crations dont la contribution
est exclusivement commerciale, financire ou intellectuelle. Ainsi, une mthode consistant
dterminer une mtrique visant valuer lefficacit de rseaux sociaux dans le cadre dune
campagne publicitaire sappuie exclusivement sur des diffrences relatives des considrations
de marketing viral (WOM - Word of Mouth Marketing selon la terminologie anglo-saxonne):
ces caractristiques relatives aux mthodes daffaires ne peuvent tre prises en compte pour
apprcier lactivit inventive, de sorte quune telle mthode ne peut faire lobjet dune protection
par brevet.
Dans le mme esprit, une mthode pour offrir, suite la requte dun utilisateur sur un rseau
social, la meilleure traduction possible dun texte donn parmi une pluralit de traductions, sur
la base du vote dutilisateurs, repose uniquement sur une slection effectue par des individus
et relve donc dune contribution purement intellectuelle qui ne peut tre prise en compte pour
lapprciation de lactivit inventive. On notera au passage que ces deux derniers exemples ont
fait lobjet dune protection par brevet aux tats-Unis (cf. infra).
En revanche, lutilisation astucieuse du programme dordinateur Traceroute assurant le
traage de paquets IP dune machine une autre et la golocalisation, un certain niveau
de granularit, dun terminal utilisateur sur un rseau social, est une caractristique
logicielle contribuant indubitablement la rsolution dun problme technique et
intervenant dans lanalyse de lactivit inventive. Il en va de mme de lemploi dinformations
relatives un utilisateur et prsentes sur un rseau social utilises pour enrichir dynamiquement
un message vocal laiss par ledit utilisateur: cest ici lutilisation inventive de donnes
numriques prsentes sur le Web qui permet de rsoudre un problme technique.
voquons maintenant le cas du Web smantique qui mle linformatique, la logique
sans oublier les connaissances linguistiques, et qui constitue une source dinnovations
considrables. La profusion des informations textuelles produites quotidiennement sur la toile
offre des possibilits incroyables en termes dexploitation et de valorisation; son omniprsence
au travers de lutilisation dontologies est devenue un vritable moteur de recherches et
dinnovations. Le cur innovant sous-jacent est cependant le plus souvent purement intellectuel
et serait donc ce titre exclu de la brevetabilit. Il nen est rien fort heureusement. nouveau,
ds lors quun problme technique est rsolu, peu importe quil le soit en tout ou partie
par des considrations non-techniques: lamlioration de laccs des ressources Web
par un systme dannotations (les tags) suggres automatiquement partir dannotations
dj utilises par des utilisateurs selon un mode partag, un nouveau systme de traduction
automatique assiste par ordinateur via lutilisation de lindexation smantique latente
(LSA Latent Semantic Analysis), ou un procd de cration dune base de donnes
dimages interrogeable par son contenu smantique sont autant dinventions ayant fait

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 89

2.1 Protection des logiciels lheure du Web smantique et des rseaux sociaux:
le droit des brevets est-il toujours adapt?

lobjet dun brevet dlivr par lOEB. Dans chacune de ces situations, les caractristiques qui
contribuent la rsolution du problme technique ne sont pas techniques au sens du droit des
brevets et sont cependant prises en compte pour apprcier la non-vidence de linvention au
regard de ltat de la technique.
Sagissant des applications pour Smartphones, ces dernires prsentent une diversit
tant technique que thmatique qui ncessite une valuation au cas par cas de laccs
la brevetabilit. Un affichage ergonomique offert par une liseuse sur un Smartphone
sinspirant des techniques de feuilletage dun livre classique, la scurisation et la
simplification de transactions entre un terminal mobile utilisant une application donne
et un serveur distant, la gestion dynamique de certaines applications mobiles en fonction
de leur utilisation par lutilisateur sont autant de problmes techniques susceptibles
dtre rsolus par des considrations purement logicielles qui seront prises en compte
pour analyser lactivit inventive. A contrario, des applications utilisant avantageusement les
fonctions connues de golocalisation GPS intgres aux Smartphones, par exemple pour mettre
en relation des personnes se trouvant proximit lune de lautre ou pour suggrer lutilisateur
une boutique proche de son terminal, ne seront pas considres comme inventives puisquelles
ne se diffrencient de ltat de lart que par la prsence dun concept abstrait ou commercial.

III - Et le reste du monde?


Les tats-Unis ont toujours eu une approche beaucoup plus ouverte que lEurope des
inventions mises en uvre par ordinateur, en ouvrant le champ de la brevetabilit aux
mthodes, notamment conomiques, prsentant un rsultat utile, concret et tangible149, le
caractre technique ntant pas un critre retenu pas lUSPTO (United States Patent and
Trademark Office) et les tribunaux amricains.
Cette approche trs librale a t freine par deux dcisions rcentes de la Cour
suprme150. Difficile de ne voir quune concidence dans le fait que ces deux dcisions
encadrent, quelques annes dintervalle, lentre en vigueur de la nouvelle loi sur les brevets
dite America Invents Act (AIA), signe par le Prsident Obama en 2011 et visant une certaine
harmonisation du systme des brevets, notamment au regard du droit europen. lheure o
les socits innovantes cherchent accder un march mondialis, il est impratif que le
systme international des brevets offre une approche suffisamment cohrente des droits de
brevet dans les grands pays du monde. Mme si cette nouvelle loi naborde pas la question du
champ du brevetable, il est intressant de constater que les deux dcisions susvises ont remis
en cause les inventions relatives aux mthodes daffaires, en particulier lorsque ces dernires
sont dnues de moyens informatiques ou intgrent des moyens techniques insignifiants (un
ordinateur programm, une mmoire). La Cour suprme a ainsi considr par deux fois que ces
inventions ne portaient que sur des ides abstraites qui sont exclues de la brevetabilit selon la
loi amricaine sur les brevets151. En limitant la brevetabilit des mthodes purement financires,
ce revirement ne serait-il pas de nature remettre galement en cause les inventions dans le
domaine du logiciel? En dautres termes, vouloir trop bien faire, la Cour suprme na-t-elle

149
Dcision State Street Bank V. Signature Financial Group.
150
Dcisions Bilski V. Kappos et Alice Corp. V. CLS Bank.
151Article 35 USC 101.

pas t trop loin dans son approche restrictive du champ du brevetable? Les experts du droit des
brevets amricains semblent confiants sur le maintien du caractre brevetable des logiciels: ds
lors que ces derniers rsoudront un problme technique, il est probable quils seront considrs
comme des inventions non-exclues de la brevetabilit. De plus, les dcisions Bilski et Alice
portent uniquement sur des inventions concernant des transactions financires et non
pas sur des inventions dans le domaine logiciel. On ne peut que se rjouir de cette situation.
Pour la premire fois, le traitement des inventions mises en uvre par ordinateur semble en effet
tre sensiblement identique en Europe et outre-Atlantique.
Cette harmonisation, ne dune construction purement jurisprudentielle, est bien
entendu une excellente nouvelle pour les dposants: elle est dautant plus satisfaisante
quon retrouve une pratique trs similaire la pratique europenne aussi bien en Chine
quau Japon.

Conclusion
Tel quinterprt par la jurisprudence, le fait quune invention porte sur un logiciel ne
fait plus obstacle la dlivrance dun brevet; ce type dinvention est ainsi abord avec
les mmes exigences que celles relevant dautres domaines technologiques. Aprs de
nombreux dbats ayant suscit des ractions parfois vives et passionnes, il nest aujourdhui
plus question de supprimer les programmes dordinateurs de la liste des exclusions prvues par
la lgislation franaise et europenne. Au contraire, la loi a t interprte avantageusement
par la jurisprudence, suivant ainsi lvolution constante des technologies logicielles. Au-del,
la perspective dune harmonisation au niveau international au travers dun alignement
des pratiques des offices de brevets sur la pratique europenne apparat comme une
excellente nouvelle la fois pour les inventeurs mais aussi pour les professionnels du
droit de la proprit intellectuelle. Un bmol: la question de la suffisance de description
des inventions logicielles, qui pourrait constituer dans le futur le vritable talon dAchille de ces
inventions: comment en effet satisfaire cette condition prvue par la loi152 au moyen du simple
langage naturel et sans avoir recours au code source (dont seuls de courts extraits sont tolrs
par la loi153), pourtant parfois essentiel la mise en uvre de linvention.
Remerciements
Christophe Lair, US Attorney, Pillsbury Winthrop Shaw Pittman LLP.

152Article L612-25 du Code de la proprit intellectuelle et article 83 de la Convention sur


le brevet europen.
153Article R612-13 du Code la proprit intellectuelle et rgle 49 de la Convention sur le
brevet europen.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 91

2.2
Le temps du logiciel
Statut juridique du logiciel et mthodologie
outille par des logiciels danalyse de codes
permettant de le dterminer
par Magali Fitzgibbon, Luc Grateau et Guillaume Rousseau

LES AUTEURS
Magali Fitzgibbon est juriste proprit intellectuelle de formation, spcialise sur les
problmatiques logicielles. Elle a notamment dvelopp des comptences et une expertise sur
les analyses outilles de la proprit intellectuelle des dveloppements logiciels au sein de la
direction du transfert et de linnovation dInria. Exerant toujours ses fonctions au sein dInria,
elle a t nomme en octobre 2013 directrice du consortium de valorisation thmatique du
numrique CVSTENE.
Luc Grateau est ingnieur en valorisation de la recherche depuis 1993. Il a conduit sa carrire
dans divers organismes oprateurs de la recherche publique: CNRS, universit Paris 6, Inria. Il
sintresse la question de lanalyse de la proprit intellectuelle et de la libert dexploitation
dans les systmes technologiques grand nombre de composants.
Guillaume Rousseau est matre de confrences luniversit Paris Diderot, spcialis dans
les outils et procds de traabilit au sein des processus de dveloppement logiciel.
Coauteur et inventeur de plusieurs logiciels et brevets sur le sujet, il est aujourdhui prsident
cofondateur dAntelink, seul diteur europen sur le march des outils ddis la traabilit
des dveloppements au sein des environnements collaboratifs base de composants logiciels.

synthse
Cet article adresse la question de la matrise juridique du cycle de dveloppement dun logiciel au
XXIe sicle, cest--dire un logiciel dvelopp par plusieurs dizaines de contributeurs travaillant en
collaboration et intgrant plusieurs centaines de composants tiers pour un schma dexploitation
dfini. La rponse cette question constitue un des enjeux centraux de lconomie numrique
de par son impact sur la capacit des acteurs crant de la valeur la capter au sein de chanes
dintgration de plus en plus complexes. Elle fait par ailleurs partie intgrante des enjeux de la
qualit des logiciels selon ltat de lart des processus de dveloppement largement industrialiss
de nos jours.

mots cls : qualit juridique | rutilisation de code |


dveloppement collaboratif | libert dexploitation |
open source | traabilit | outillage | infrastructure de preuve
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 93

2.2 Le temps du logiciel

introduction
La protection du logiciel par le droit dauteur est-elle toujours adapte aux pratiques et aux
enjeux du dveloppement logiciel au XXIe sicle?
Les pratiques de dveloppement collaboratif de logiciel et la rutilisation massive du gigantesque
patrimoine logiciel prexistant, rendues possibles par le dploiement de lInternet et les
nouveaux modes dexploitation quil permet, modifient trs profondment les processus de
dveloppement et dutilisation des logiciels.
Cet article dresse la question de la matrise juridique du cycle de dveloppement dun
logiciel au XXIe sicle, cest--dire un logiciel dvelopp par plusieurs dizaines de contributeurs
travaillant en collaboration et intgrant plusieurs centaines de composants tiers pour un schma
dexploitation dfini. La rponse cette question constitue un des enjeux centraux de
lconomie numrique de par son impact sur la capacit des acteurs crant de la valeur
la capter au sein de chanes dintgration de plus en plus complexes. Elle fait par ailleurs
partie intgrante des enjeux de la qualit des logiciels selon ltat de lart des processus de
dveloppement largement industrialiss de nos jours.
Nous proposons de revenir en premier lieu sur le statut juridique du logiciel et une mthodologie
outille par des logiciels danalyse de code permettant de le dterminer (1). Dans un second
temps, un mode de mise en uvre rcent et innovant sera dcrit, permettant de dmontrer
quil est aujourdhui possible darticuler le droit de la proprit intellectuelle du logiciel, datant
des annes 1980, avec des infrastructures de preuve qui rendent compte de la circulation et de
la dpendance entre actifs logiciels, lchelle mondiale (2).
Nous pensons quaujourdhui les enjeux de gestion du patrimoine immatriel logiciel
rsident moins dans la recherche dune pleine proprit que dans celle du contrle ou de
la matrise de la libert dexploitation des systmes composants logiciels pour capter
une partie de la valeur dusage. La complexit des architectures logicielles et la circulation des
composants lchelle du Web imposent ladoption de mthodologie et doutillage de suivi du
patrimoine logiciel.

I - Une brve histoire du temps du logiciel:


lvolution des modles daffaires
Cet article na pas pour objet dentreprendre une histoire dtaille du logiciel, ou de faire un
catalogue exhaustif des licences logicielles. Ces sujets ont largement t abords dans dautres
sources. Notre objectif est dintroduire les concepts utiles pour la gestion du patrimoine
logiciel au XXIe sicle. Nous nous attarderons plus particulirement sur les problmatiques
juridiques associes cette gestion, comme la libert dexploitation, fonde notamment sur
linteroprabilit juridique des composants logiciels pour un modle dexploitation ou daffaire
donn et, plus gnralement, sur la dfinition prcise du statut juridique dun logiciel.

Une autre ambition de cet article est de fournir un cadre mthodologique outill permettant la
gestion oprationnelle du patrimoine logiciel.
Nous adoptons le parti pris de dfinir le terme logiciel dune manire trs gnrale,
comme un systme composants, cest--dire dinscrire demble le logiciel dans une
problmatique dassemblage et de composants, qui nous parat correspondre le mieux
la ralit du dveloppement logiciel aujourdhui et cette conomie de la contribution qui en
rsulte.
La difficult principale de cette dfinition est que la notion mme de composant logiciel est
relative, lassemblage ralis par les uns pouvant tre le composant dun autre assemblage
de taille et de complexit suprieures. Cependant, un niveau de granularit dfini et donn
des composants, cette dfinition savre particulirement efficace pour assurer la gestion
oprationnelle du patrimoine logiciel comme liste de composants.
Le dveloppement de lInternet sest acclr partir du milieu des annes 90. Il a non
seulement permis lmergence de lconomie numrique, mais aussi profondment modifi
les modes de production et de consommation. Le logiciel et les dispositifs matriels qui les
excutent constituent linfrastructure de cette conomie numrique. Le logiciel, devenu une
matire premire multiforme et circulante, est lui-mme lobjet de changements socitaux quil
a contribu susciter.
De nos jours, les logiciels sont principalement produits de manire collaborative par
des contributeurs travaillant souvent au-del du primtre dune seule entreprise. Ces
contributeurs sont parfois regroups dans de larges communauts de dveloppement de
plusieurs centaines dacteurs. Les modes dexploitation et dutilisation des logiciels se diversifient
eux aussi (Software as a Service, Cloud, logiciel embarqu, distribution propritaire et/ou sous
licence Open Source, etc.), rendant difficile une approche unitaire danalyse. Par ailleurs, toute
personne disposant dune machine connecte au Web peut aujourdhui accder ou modifier le
code source dun corpus sans cesse croissant dapplications ou de composants reprsentant
plus dun milliard de fichiers qui peuvent tre rutiliss.
Il peut en rsulter des objets complexes, parfois de trs grande taille, dont le cycle de vie
ou daccumulation peut se compter en dcennies Par contre, les droits dexploitation
patrimoniaux associs aux lments de cette formidable ressource restent trs
htrognes et parfois contradictoires, interdisant alors une interoprabilit juridique
alors que linteroprabilit technique peut tre ralise. Le regard juridique se retrouve par
ailleurs bien souvent en dcalage avec des concepts techniques voluant rapidement (notion
de gnration automatique de code, par exemple) et qui restent souvent abstraits pour le
juriste. cette complexit sajoute une articulation avec le droit des brevets dinvention qui
peut permettre, dans certaines zones gographiques et sous certaines conditions, de protger
certaines fonctionnalits des logiciels. Ces lments introduisent des restrictions de libert
dexploitation ou des risques juridiques dexploitation quil est ncessaire de savoir apprcier et
matriser.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 95

2.2 Le temps du logiciel

Larticle prsente un rfrentiel paradigmatique dfinissant le statut juridique du logiciel, en tant


quobjet produit de manire collaborative avec rutilisation de composants prexistants, dans
le but dtre exploit selon un modle conomique dfini. La notion de libert dexploitation
dun logiciel comportant des composants tiers est centrale dans cet article.
Une mthodologie est propose pour dfinir, tablir ou dterminer ce statut juridique. Les
possibilits techniques permettent doutiller les phases danalyse des enttes, licences ou
notices juridiques associes aux fichiers de code source. Dautres outils permettent de dcouvrir
lexistence de certaines sources externes de rutilisation de code. Cette mthodologie peut
tre utilise en amont du processus de dveloppement, dans une logique de bonne pratique
de dveloppement et de contrle qualit, ou a posteriori du dveloppement, dans une logique
daudit ou de due diligence, et sintgre de faon concrte et native dans linfrastructure de
preuve de tout diteur ou intgrateur de briques logicielles. Cette intgration dans linfrastructure
de preuve est une avance pour la prise en compte des questions de responsabilit lies la
proprit intellectuelle et la libert dexploitation au sein mme de la chane dintgration.
La chane des droits dans le cycle de production et le cycle de vie du logiciel pouvant tre
retracs, documents et dats de faon certaine, la protection mais aussi la qualit juridique
des dveloppements logiciels sen trouvent renforces. Elles contribuent ds lors pleinement
laccroissement de la valeur des actifs dun patrimoine logiciel, et la capacit des propritaires
capter cette valeur. On peut sattendre ce que cela fasse voluer ltat de lart en ce qui
concerne la qualit juridique: lutilisation des outils permettant de reconstituer la chane des
droits stant dmocratise, on peut raisonnablement sattendre ce que la notion dobligation
de moyens ou de meilleurs efforts, en ce qui concerne la qualification du statut juridique dun
logiciel exploit, distribu ou diffus, atteigne un niveau dexigence plus lev que ce qui pouvait
exister auparavant.
Nous ne dtaillerons pas dans cet article larticulation du droit des logiciels et du droit du brevet
dinvention, ni la protection des algorithmes ou des bases de donnes, qui font lobjet dautres
articles ddis ces sujets dans cet ouvrage.

A. Une industrie rcente, le rattachement du logiciel au droit dauteur,


un rapprochement forc?
Nous daterons ici lorigine de lindustrie du logiciel au dbut des annes 70, lorsquil a t
possible de dissocier la vente du matriel de celle des logiciels mis en uvre avec celui-ci. Le
mtier dditeur de logiciel est ainsi n.
Luniformisation du cadre juridique international associ au logiciel et son rattachement aux
crations de lesprit et aux droits de la proprit littraire et artistique sest opre vers le milieu
des annes 80.
Il a toujours t difficile de trouver un cadre juridique adapt au logiciel en raison de
son caractre dual comprenant dune part un mode de ralisation ou de reprsentation
comprhensible par lhumain, le code source, et dautre part un mode transform en
vue de la mise en uvre par le matriel, code objet ou excutable, incomprhensible par
lhomme. Cette spcificit peut tre gnralise en ce sens que lcart entre ralit technique

offerte par les volutions technologiques et le cadre juridique na cess de se poser. La notion
doriginalit peut tre questionne lorsque le code est produit par un logiciel lui-mme partir de
reprsentations formelles des spcifications. La notion dauteur et de contributeur (committer)
est parfois distingue jusque dans loutil de production et de suivi du dveloppement logiciel
(GitHub par exemple). Les notions de liens liant des composants lors de lexcution du code
peuvent faire dbat et avoir dimportantes consquences juridiques.
Une autre consquence de cet cart est que les catgories attaches aux uvres de la proprit
littraire et artistique, uvres drives, composites, de collaboration, sont des classifications
difficiles utiliser, voire inoprantes ou obsoltes dans les logiciels trs grand nombre de
composants.
Les droits dexploitation patrimoniaux rsultant de cette uniformisation du droit juridique
international sont prsents pour le droit franais dans lencadr ci-dessous.
Le modle dexploitation ou daffaire dominant dans les annes 1980-2000 tait celui de
la distribution du logiciel sous licence propritaire rmunre.
Ce modle suppose une centralisation des droits de proprit intellectuelle sur lensemble
des composants du logiciel, ou lutilisation de composants auxquels sont attaches
des licences qui ne sopposent pas une redistribution sous licence propritaire. La
centralisation des droits est traditionnellement acquise par le contrle des contrats de travail
(dvolution des droits dexploitation lemployeur) et/ou le contrle des contrats de soustraitance avec des socits de prestations de services assurant les dveloppements.
Dans un premier temps la distribution a t ralise sous forme de copies sur un support matriel
(disquettes, CD-ROM, etc.), puis par tlchargement grce lextension spectaculaire du rseau
Internet et des technologies associes (ADSL, fibre optique, etc.).

Les droits dexploitation associs au logiciel


En droit franais, lauteur dun logiciel est titulaire des droits patrimoniaux permettant le
contrle:
de la reproduction permanente ou provisoire de son logiciel en tout ou partie par tout
moyen et sous toute forme que ce soit ;
du chargement, de laffichage, de lexcution, la transmission ou le stockage de son
logiciel ds lors que ces actes ncessitent une reproduction ;
de la traduction, de ladaptation, larrangement ou toute autre modification dun
logiciel et la reproduction du logiciel en rsultant ;
de la mise sur le march titre onreux ou gratuit, y compris la location, du ou des
exemplaires dun logiciel par tout procd sous rserve de la rgle de lpuisement des
droits ;
du droit de corriger les erreurs.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 97

2.2 Le temps du logiciel

Les licences attaches aux crations logicielles sont, dune manire gnrale, une
combinaison de droits dexploitation et dobligations contractuelles reprsentant le
modle dexploitation impos par le titulaire des droits dexploitation. Il en rsulte une
trs grande diversit de licences et dobligations associes. Certains auteurs voquent la
jungle des licences.
La licence tant attribue par le titulaire des droits sur un assemblage ou un composant en
fonction de philosophie ou modles implicites dexploitation de cet assemblage ou de ce
composant pour contrler (ou pas) le devenir de cet assemblage ou de ce composant en tant
que tel. La licence nest, en gnral, pas pense et construite dans une logique de rutilisation
des composants et encore moins dans des logiques daccumulation dun trs grand nombre de
composants prexistants pouvant interoprer juridiquement.
Il en rsulte quil faut vrifier dans les systmes composants, auxquels sont attachs des
obligations dexploitation, quelles ne sont pas contradictoires avec les intentions dexploitation
de lensemble.
Les licences dites libres ou Open Source sont une catgorie de licences conues
comme des contrats dadhsion des modles dexploitation prdfinis pour faciliter
le dveloppement de code en collaboration ou sa rutilisation. Ce concept a t propos
par Don Hopkins puis popularis par Richard Stallman dans le milieu des annes 80, mais
cest le dveloppement de lInternet qui en a assur la trs large diffusion partir du milieu
des annes90. Cest la gnralisation de lutilisation de licences dites libres ou Open Source
(encadr ci-dessous) qui a permis de favoriser le dveloppement collaboratif et la rutilisation de
code en fournissant un cadre permettant de minimiser les cots et dure de ngociation entre
codveloppeurs et ou copropritaires partageant des intentions dexploitation communes.

Les droits dexploitation associs aux licences libres selon la Free Software Foundation
Lutilisateur jouit de quatre liberts :
0/ la libert dexcuter le programme, pour tous les usages ;
1/ la libert dtudier le fonctionnement du programme et de ladapter ses besoins. ;
2/ la libert de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilit aussi
bien de donner que de vendre des copies) ;
3/ la libert damliorer le programme et de distribuer ces amliorations au public, pour en
faire profiter toute la communaut.
Laccs au code source est une condition dexercice des liberts 1 et 3.

B. Dveloppement dInternet: une conomie de la contribution


et changement de paradigme dexploitation
Le dveloppement de lInternet durant les dcennies 80-90 et plus massivement partir de la fin
des annes 90 a galement eu cinq autres consquences majeures:
le dveloppement collaboratif et la contribution distance des dveloppements,
dont loutsourcing, ont t acclrs. Le dveloppement collaboratif est une source de
coproprit. Le contrle de la chane de droits exige une identification des dveloppeurs
et une connaissance des conditions de participation de chaque dveloppeur, notamment
lorsquils ont un employeur titulaire des droits sur leurs contributions ;
les possibilits de stockage ou darchivage ont facilit la mutualisation et
la rutilisation de dveloppements prexistants. La rutilisation de composants
prexistants induit des contraintes de libert dexploitation, car la licence attache un
composant rutilis doit tre compatible avec le schma dexploitation du logiciel (en tant
quassemblage). Aujourdhui, la plupart des logiciels dvelopps font appel lutilisation,
parfois massive, de composants prexistants sous licences libres non contraignantes
(permissives) ;
la mise jour et la maintenance facilite des logiciels sur les machines connectes ;
louverture vers des modes dexploitation sans distribution, en ligne, sous forme
de plateforme logicielle de services. titre dexemple, les dernires versions du
logiciel Photoshop ne sont plus tlchargeables ou distribues sous forme de CDROM,
mais accessibles par le rseau sous forme dun service en ligne en contrepartie dun
abonnement mensuel. De plus en plus de logiciels sont exploits sous forme de services
en ligne ;
lapparition dune industrie de services fonde sur des ditions de logiciels libres.
Dans la situation actuelle, dans laquelle les applications web sur terminaux mobiles ou tablettes
prennent une part croissante, cohabitent plusieurs modles dexploitation, sous licence
propritaire ou libre, par distribution ou sous forme de service en ligne, entre autres. Les acteurs
du domaine, mmes concurrents directs, peuvent collaborer au dveloppement dinfrastructures
ou de commodits dintrt commun (voir ci-dessous lexemple de CyanogenMod).
Dans ce monde ouvert, dans lequel de nombreux contributeurs interagissent pour
dvelopper des logiciels, parfois pendant plusieurs annes ou dcennies, en pouvant
rutiliser un patrimoine prexistant considrable, la simple dfinition du statut juridique
dun logiciel complexe, de mme que la capacit le documenter, relve dun dfi qui ne
peut tre relev sans mthodologie et outillage.

C. Du contrle de la proprit au contrle de la libert dexploitation


En rsum, la notion de proprit en droit de la proprit intellectuelle a toujours t
centrale car lie la notion de monopole dexploitation. Cependant, la notion de proprit
sur un logiciel, au sens du droit dauteur, nest pas suffisante en tant que telle pour
apprhender cet objet.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 99

2.2 Le temps du logiciel

En effet, du fait de ses modalits de production, le logiciel est une accumulation, sur des
temporalits de dveloppement plus ou moins longues, dlments de code ou de spcifications
qui appartiendront pour partie lditeur et pour partie des tiers.
Comme vu prcdemment, ceci est la consquence dune volution des pratiques de
dveloppement qui va dans le sens de son optimisation: aujourdhui, dans la trs grande
majorit des cas, la rutilisation de code tiers prexistant (notamment Open Source)
permet de rduire les cots de dveloppements et de dplacer linvestissement sur
des postes de dpenses plus critiques pour une entit, entreprise ou organisme.
Ainsi, aujourdhui, il nexiste pas denjeu pour une entit dtre titulaire de lintgralit des
composantes dun logiciel. La capacit pour une entit produire un logiciel de qualit rside
galement dans sa capacit capter et gnrer de la valeur par le choix de composants tiers
avec les qualits fonctionnelles et techniques requises.
La consquence, sur le plan du droit de la proprit intellectuelle, est que le droit dauteur
se doit de trouver un cadre juridique qui permette de reconnatre, valoriser et protger
cette capacit capter et gnrer de la valeur dans des logiques dassemblage.
Ce cadre se dfinit de lui-mme en dplaant le curseur du droit dauteur de la notion de
proprit vers la notion de libert dexploitation. Dans cette logique, lenjeu pour une entit
ne situe plus uniquement dans sa capacit prouver sa titularit sur un code, mais
galement (et surtout?) dans sa capacit valuer et matriser la libert dexploitation
dont elle dispose sur son assemblage logiciel.
Cette valuation et cette capacit de matrise font face des difficults qui sont en premier
lieu inhrentes aux modes de productions et dexploitation des logiciels: accumulation dans
le temps de composants tiers, de contributeurs, de contrats (sous-traitance, recherche,
codveloppement, Outsourcing) qui rendent la chane des droits difficile dfinir et retracer.
Elles sont en second lieu lies au cumul possible dautres droits de proprit intellectuelle
opposables au logiciel (brevet ou bases de donnes, par exemple).
La premire consquence est que lvaluation de la libert dexploitation dun logiciel ncessite
en premier lieu de pouvoir adopter une dfinition possible de son statut juridique, qui permette
de reprsenter et dillustrer cette accumulation complexe de facteurs impactant cette libert.

II - le statut juridique dun logiciel et la mthodologie


pour le dterminer
Nous proposons de dfinir ainsi le statut juridique du logiciel154 comme la combinaison de
5 catgories dlments ayant une incidence sur la libert dexploitation de ce dernier:
la nature du logiciel. Le logiciel a-t-il t dvelopp ex nihilo? partir de composants
prexistants, modifis ou pas? Est-il un Fork dun logiciel prexistant?

154
Report on the Proposed IPR Tracking Methodology for Component Based and
Collaboratively Developed Software, Luc Grateau, Magali Fitzgibbon, Guillaume Rousseau,
Stphane Dalmas, http://www.inria.fr/content/download/6143/55776/version/2/file/
Methodologie-d-analyse-IPR.pdf

les titulaires des droits moraux et patrimoniaux ;


les contrats opposables au logiciel. Il peut sagir de contrats de licence, de sous-traitance,
daccord dindivision, de contrat de recherche collaborative ou encore des licences
(notamment libres) rattaches aux composants tiers intgrs dans le logiciel ;
les autres droits de proprit intellectuelle opposables. Il peut sagir de brevets, de bases
de donnes, de logos (notamment ceux dicnes) ou encore de marques (lies au nom
sous lequel le logiciel est diffus ou commercialis, par exemple) ;
les autres lois ou rglementations applicables. Nous pouvons citer titre dexemple des
logiciels dans le domaine biomdical ou dans les systmes embarqus critiques, qui sont
soumis des exigences en termes de certification ou dautorisation de mise sur le march.
Ainsi, la caractrisation des lments prcits permet de faon raisonnable de dfinir le
statut juridique dun logiciel et, par consquent, la marge de manuvre dont son diteur
dispose en termes de libert dexploitation.
Ce statut juridique, une fois document, pourra ensuite tre compar et mis en perspective
par rapport la stratgie dexploitation souhaite pour le logiciel, et valuer ainsi la cohrence
entre les deux. La problmatique de cette cohrence peut ainsi tre modlise par un schma
rsumant les conditions de licensing-in du code des composants prexistants rutiliss, du
code des composants dvelopps ex nihilo pour le logiciel, et les conditions de licensing-out ou
dexploitation.
Ce statut juridique correspond cependant un tat ponctuel et phmre du logiciel dans
son cycle de vie. En effet, le fait que le logiciel soit un objet trs volutif, et que sa libert
dexploitation soit conditionne par des facteurs comme lintgration dun nouveau composant
tiers ou larrive dun nouvel auteur sous un statut donn (salari, stagiaire, sous-traitant?),
signifie que toute modification faite par un dveloppeur du projet peut en modifier le statut
juridique.
Ainsi, il est essentiel de prendre conscience que pour un diteur, matriser le statut
juridique dun logiciel pour son diteur et donc sa libert dexploitation, est une
problmatique rcurrente dans le cycle de vie du logiciel.
Si la temporalit est un lment clef de la problmatique, il en est de mme de la taille de
lobjet logiciel. Les logiciels sont aujourdhui des objets pouvant atteindre un volume de fichiers
important (plusieurs milliers plusieurs dizaines de milliers). Derrire cette taille peut galement
se cacher un nombre de contributeurs potentiellement important.
La problmatique de passage lchelle sur lanalyse se pose souvent, plus encore lorsquun
diteur souhaite avoir un vritable suivi sur la dure du cycle de vie de son produit. Dans ces
conditions, il devient important de sappuyer sur une mthode permettant de dfinir
et de suivre, de faon gnrique et systmatique, le statut juridique dun logiciel. Une
telle mthode peut par ailleurs tre outille, dans une logique de passage lchelle et donc
dindustrialisation des pratiques au sein dune entit. Cest dans cette logique que lInstitut
national de recherche en informatique et en automatique (Inria) a labor une mthodologie
pour la dfinition et le suivi du statut juridique dun logiciel.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 101

2.2 Le temps du logiciel

La mise en uvre dune telle mthodologie fait lhypothse de lexistence de bonnes pratiques
de dveloppement au sein dun projet. Cela signifie que sa mise en uvre intervient en dehors
de tout contexte dans le cadre duquel il existerait des soupons ou des prsomptions fortes de
pratiques volontairement trompeuses ou frauduleuses (par exemple, des pratiques qui viseraient
dissimuler la rutilisation de code tiers en modifiant les mentions lgales dans les enttes des
fichiers). Lexistence de ces bonnes pratiques permet de donner un cadre favorable pour
la mise en uvre dune analyse dans la mesure o un certain nombre dinformations
essentielles, lies lhistorique du dveloppement, pourront tre plus facilement
retraces.
Dans le cas contraire et en cas de prsomption de mauvaises pratiques, lanalyse dun logiciel
rentrerait dans une logique pure et simple daudit juridique. Cette dernire correspond une
dmarche diffrente et sappuie sur des outils qui peuvent tre diffrents eux aussi.
Le plus souvent, ces bonnes pratiques de dveloppement sont naturellement encourages et
dfendues auprs des quipes de dveloppement: indpendamment de leur intrt dun point
de vue juridique (pour retracer un certain nombre dinformations ncessaires lanalyse de la
libert dexploitation dun logiciel), elles contribuent galement et avant tout la qualit du
dveloppement dun logiciel (utilisation dune forge avec droits daccs adquats et identification
claire des diffrents Committers, utilisation doutils de gestion des dpendances, prservation
des mentions lgales dans les enttes des fichiers).
Pour cette raison, et comme nous le verrons plus loin, ce type danalyse juridique nest dailleurs
plus seulement la proccupation des seuls services juridiques dune entit. Il sagit dune
problmatique devenue beaucoup plus transverse qui sinscrit dans la continuit de la qualit du
dveloppement (au sens du gnie logiciel) et des problmatiques de conformit du produit livr
un client (Product Compliance).

Mthodologie de suivi du statut juridique


La mthodologie propose sappuie sur le couplage de trois expertises diffrentes et
complmentaires: une comptence juridique (essentiellement en proprit intellectuelle),
une comptence Licensing ou plus largement sur les modles dexploitation, et une
comptence technique (dveloppement logiciel, architecture, nature des liens entre
composants) reprsentant les dveloppeurs. La logique de cette mthodologie est de
confronter une reprsentation perue par les dveloppeurs une reprsentation dtermine
par des outils, et de travailler sur les carts de reprsentation pour parvenir in fine un statut
juridique en adquation avec les intentions dexploitation.
Cette mthodologie a t pense de faon aussi gnrique que possible, de faon sadapter
dans le plus grand nombre dorganisations possibles mais aussi pour pouvoir sintgrer dans les
processus internes (notamment de dveloppement dune entit) dans des logiques de suivi.

Elle se droule selon des tapes qui sinscrivent dans quatre grandes phases:
1/ une premire phase de prparation de lanalyse, consistant formaliser (ou le cas chant
mettre jour ou rappeler) la description dtaille du logiciel analys et la stratgie
dexploitation valider (tapes 1&2) ;
2/ une seconde phase de collecte de linformation analyser, afin de dfinir le statut juridique
du logiciel (tape 3) ;
3/ une troisime phase danalyse et de correction: les incohrences entre le statut juridique
et la stratgie dexploitation sont identifies, cela permet dvaluer les risques lis et
didentifier, le cas chant, des solutions possibles pour la mise en conformit juridique du
logiciel (tapes 4&5) ;
4/ une fois la prise de risque matrise (ou assume!), le logiciel peut tre packag pour
livraison du produit (tape 6).
Une vue plus dtaille de ces phases et des tapes quelles recouvrent est propose dans le
schma ci-aprs.

Figure 1 : Phases et tapes de la mthodologie de dtermination


du statut juridique dun logiciel

Dfinition de la stratgie
danalyse

Collecte et qualification
des informations

tape 1 Description dtaille du logiciel



(architecture, composants...)
tape 2 Dfinition des intentions
dexploitation
tape 3 Dtermination du statut juridique
tape 4 Identification des problmes
valuation des risques

Analyses/correction
tape 5 Identification de solutions

Mise en uvre
Prparation
de lexploitation

tape 6 Packaging et

dissmination / exploitation

Quelques remarques par rapport aux diffrentes phases et tapes de cette mthodologie telle
que propose:
la formalisation de larchitecture du logiciel et la description de son environnement sont le
point de dpart de cette mthode pour plusieurs raisons. En premier lieu, elles permettent
aux diffrents acteurs de lanalyse davoir une comprhension commune de lobjet analyser.
En effet, cela nest gnralement pas inn, compte tenu de la taille et de la complexit de
certains logiciels, et du fait que certains intervenants dans lanalyse (notamment les juristes)
ne sont pas familiers de lobjet et nont pas ncessairement de comptences techniques.
Larchitecture et la description de lenvironnement, une fois formalises, permettent ainsi de
disposer dun support de discussion visuellement abordable ;

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 103

2.2 Le temps du logiciel

Cette description permettra par ailleurs, lors de la mise en uvre de lanalyse, dtablir
plus facilement les relations entre les donnes de lanalyse et les zone(s fonctionnelles
concernes du logiciel, notamment lorsquun problme est identifi. Dans le cas dusage
DIET, le schma ci-aprs permet de localiser simplement les zones fonctionnelles o se
trouvent les composants tiers sous licence incompatible.
Dans la suite de lanalyse, cette mme description aide mieux visualiser la porte du
problme identifi et lincidence en termes de risque. Dans le cas dusage DIET, nous
pouvons voir que lincompatibilit de licence du composant JuxMem a une incidence
limite, dans la mesure o le module logiciel concern est dcrit comme optionnel pour le
logiciel. En revanche, le problme de compatibilit li composant OmniORB, situ dans le
noyau (une zone fonctionnelle essentielle du logiciel) est davantage problmatique.
un autre point critique de la mise en uvre de cette mthodologie concerne la dfinition
du statut juridique lui-mme et lutilisation doutils pour ce faire. Le principe de cette tape
de la mthodologie consiste croiser le point de vue des personnes (notamment celui des
auteurs du logiciel), appel situation perue avec le point de vue des outils, appel
situation objective. Cette situation perue repose essentiellement sur du dclaratif
et sur ce que les auteurs pensent avoir fait. Elle peut galement reposer sur des
informations brutes de base, comme une liste de contributeurs inscrits sur le projet dune
forge. Elle permet de parvenir un premier niveau danalyse et une premire version du
statut juridique du logiciel.
Cependant, cette situation juridique perue est souvent insuffisante en tant que telle car:
certaines donnes dune quipe de dveloppement peuvent relever dapprciations
parfois subjectives. Cest le cas notamment lorsquil sagit didentifier les auteurs dun
logiciel multiples contributeurs et de saccorder sur la qualit mme dauteur (ce qui peut
tre un point critique, par exemple lorsque certains ont un statut qui fait que les droits
patrimoniaux sur leur contribution chappent par dfaut lditeur) ;
la complexit des processus de dveloppement (temporalit, multiplicit des
intervenants), tels que dcrits en premire partie, rend la traabilit de fait difficile, quand
bien mme le dveloppement dun logiciel est supervis par un chef de projet.
Dans ce contexte, lutilisation doutils permettant de chercher et retracer des informations
fiables dans le code source dun logiciel (origine dun composant, identification de la licence, par
exemple) ou dans un gestionnaire de version (prsence de la contribution dun Committer en
particulier) permet daller au-del de la situation perue et daccder des sources dinformation
diffrentes et surtout, complmentaires. La mise en perspective de la situation perue avec la
situation objective par les outils permet ainsi darriver une qualification relativement fine du
statut juridique dun logiciel.
Cependant, dans ce contexte, il est important de prendre en compte le fait que les outils viennent
en appui dune analyse et en aucun cas pour se substituer ou invalider la situation perue (et
notamment le dclaratif de lquipe de dveloppement). Comme indiqu ci-dessus, lobjectif
est de parvenir un niveau plus fin de qualification des situations, en analysant notamment les
diffrences de perceptions humaines et outilles, et en les documentant. Dans certains cas, le

fait de croiser la situation vue par les outils avec lquipe de dveloppement permettra dcarter
des lments pourtant identifis comme tant risque par les outils.
Par exemple, la situation objective par les outils peut mettre en lumire lexistence dun
contributeur qui navait pas t dclar par lquipe de dveloppement, avec un statut
problmatique dun point de vue de la libert dexploitation. Dans certains cas, il peut
effectivement sagir dun auteur oubli, dans dautres cas, il peut sagir dun contributeur avec un
apport mineur quantitativement mais surtout qualitativement dont le caractre original peut tre
remis en cause. Dans ce dernier cas, le couplage de linformation identifie par loutil et lanalyse de
lquipe de dveloppement permet de documenter le fait que la prsence de la contribution dans
le logiciel prsente a priori un risque trs limit (avec dans labsolu un cot de mise en conformit
potentiellement limit si lditeur souhaitait nanmoins redvelopper cette partie du code).

Figure 2 : Reprsentation de larchitecture modulaire du logicielDIET


DIET CORE

DIET MODULES (All optional)

DIET Core

OmniORB

DIET Dagda

UUID

CeCILL
Mandatory

GNU LGPL
Mandatory

CeCILL
Optional

Specific
Mandatory

DIET Wf

Xerces C++

CeCILL
Optional

Apache v2.0
Mandatory

DIET Examples (All optional)


DIET EX.

DIET Corresp. Module

DIET JuxMem

JuxMem

CeCILL
Optional

CeCILL
Mandatory

CeCILL
Optional

GNU LGPL
Mandatory

DIET BLAS

BLAS

CeCILL
Optional

or

DIET CoRI
CeCILL
Optional

Public Domain
Mandatory
ATLAS

BLAS

BSD
Mandatory

Public Domain
Mandatory

Lgendes

Module name
Licence
Status

DIET Module
External Library

dependence (link)
correspondence
compatibility
unclear licence
incompatibility

DIET Batch

DIET CoRI

CeCILL
Optional

CeCILL
Mandatory

DIET Tau

Tau

CeCILL
Optional

Specific
Mandatory

DIET Multi-MA
CeCILL
Optional

source : Report on the Proposed IPR Tracking Methodology for Component Based
and Collaboratively Developed Software

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 105

2.2 Le temps du logiciel

Un autre exemple intressant peut porter sur des fichiers tiers identifis par un outil,
problmatiques du fait de leur licence, par exemple GNU GPL alors que le logiciel doit tre
distribu sous licence propritaire. Or, dans certains cas et en poussant lanalyse plus loin, il peut
savrer que les fichiers en questions sont effectivement prsents dans larchive de code source
du logiciel, mais ne sont utiliss que pour la compilation de ce dernier (cest le cas notamment
des fichiers de type MakeFile). Cela signifie donc que ces fichiers ne se retrouvent pas dans
lexcutable qui sera distribu au client et que la consquence juridique est que les fichiers ne
sont pas pertinents au titre de lanalyse.
Limportance de croiser ainsi situation perue et situation objective par les outils est par ailleurs
une des raisons qui justifie le couplage dexpertises relevant la fois du technique, du juridique
et du Licensing sur ces analyses. Bien souvent, linterprtation juridique dpendra fortement
dlments techniques ou spcifiques la stratgie dexploitation.
Si le besoin est rel en ce qui concerne le gain de productivit et lindustrialisation des
processus, lenjeu pour les outils venant en rponse consiste dsormais sintgrer de
faon la moins intrusive possible dans les processus de dveloppement et infrastructures
SI existantes dune entit. Il sagit dun impratif pour tenir compte du fait que la
problmatique va au-del dun seul service juridique pour devenir plus transverse une entit.
En plus de venir en appui dune analyse sur une version donne dun logiciel, il sagit comme
nous allons le voir ci-aprs doutiller de faon native la chane dintgration des processus de
production et de livraison des logiciels.

III - LOutillage de suivi juridique du dveloppement


A. Productivit et qualit au sein des processus de livraison
Lutilisation doutils logiciels spcialiss comme ceux permettant lanalyse des licences de
composants, ou de suivi de rutilisation de code prexistant ou dvelopp ex nihilo, rpond
donc plusieurs enjeux face lindustrialisation des processus de dveloppement tels quils ont
t voqus prcdemment. Il est frquent, pour ne pas dire systmatique, dtre face des
logiciels modulaires comprenant plusieurs centaines de composants dont le dveloppement et
la maintenance impliquent plusieurs dizaines de dveloppeurs, voire plusieurs dizaines dentits
diffrentes, chacune tant en charge dun ou plusieurs modules.
Dans la dfinition et la mise jour du statut juridique des logiciels, les outils ont comme premire
mission de permettre ce passage lchelle grce des gains de productivit. On peut citer par
exemple le cas du logiciel Scilab, dvelopp lInria, comprenant environ 20000 fichiers, soit
environ 2millions de lignes de code. La premire tude interne, en 2006, a ncessit 6 mois de
travail dune juriste plein temps, pendant lesquels chaque fichier a t dit la main et
analys. Larrive en 2008 doutils dits Licence Checker, gratuits de surcrot, comme Fossology
(http://fossology.org), permet de ramener le temps danalyse 5 jours. Les outils les plus rcents
couplent plusieurs outils dextraction dinformations avec des interfaces ddies la gestion des
rapports danalyse. Ils permettent de ramener le temps ncessaire la ralisation dune
analyse comparable en termes de qualit juridique moins dune journe. On compte ce

jour moins dune dizaine de socits ditant des outils ddis la gestion et lextraction des
listes de composants, des informations juridiques et techniques associes. titre dexemple
on reprsente figure 3 une des interfaces du logiciel Antepedia Reporter, dvelopp par le seul
diteur europen sur ce march, quil convient de rapprocher de la figure 2 afin de comprendre
le rle des interfaces avances pour mettre en uvre efficacement la mthodologie prcdente
ds lors quil sagit de manipuler plusieurs centaines de composants.
Dans cette figure, le logiciel est reprsent spatialement sous forme dun ensemble de
rectangles, chacun reprsentant un composant. La couleur de chaque rectangle correspond
un tat dadquation du statut juridique du composant avec le schma dexploitation envisag
(en gris, la licence attache au composant nest pas connue, en vert, la licence attache au
composant est compatible avec le schma dexploitation, en orange le composant a un statut
demandant une tude plus approfondie ou une validation juridique, en rouge, le composant a
un statut incompatible avec le schma dexploitation envisag).
Certains outils sappuient sur des bases de connaissances contenant une part significative du
corpus mondial des projets de dveloppement logiciels distribus sous licence libre. Ces outils
permettent de vrifier lintgrit des composants ainsi que la qualit des informations relatives
ces composants.

Figure 3 : Reprsentation des lments dune version dun logiciel par le


logiciel Antepedia Reporter

Copyright 2014 Antelink SAS, CC-BY-NC-ND.

Chaque couleur correspond un tat de compatibilit de chacun des composants reprsents


avec le modle dexploitation envisag.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 107

2.2 Le temps du logiciel

In fine, les outils dploys au sein des quipes de dveloppement, ou au sein de structures
transversales ad hoc selon la gouvernance et les entits concernes, contrle qualit par
exemple, permettent de capitaliser linformation au sein de bases de connaissances
internes constituant la mmoire du patrimoine logiciel de lentreprise. Ils sont aujourdhui
incontournables pour les acteurs ditant ou intgrant des logiciels pour documenter et
outiller les processus de livraison de ces briques dans une chane dintgration de plus en
plus complexe.

B. Traabilit des apports contributifs originaux


Les quipes de dveloppement utilisent systmatiquement des outils de gestion des
versions de leurs codes sources. Ces outils permettent principalement dviter, ou tout du
moins de grer les conflits pouvant survenir lors de ldition simultane de sections du code
source par des dveloppeurs distincts. Ils permettent galement lensemble de lquipe de
suivre les dveloppements en cours, et le cas chant de lier certaines modifications du code
source la correction de bugs ou lachvement dune tche ayant pour objet le dveloppement
dune nouvelle fonctionnalit. Ces outils sont particulirement pertinents du point de vue de
lanalyse du statut juridique des bases de code, car ils permettent didentifier a posteriori sur de
longues priodes de temps les contributeurs au code source. Ds lors quils sont coupls des
outils danalyse statistique, il devient possible de mesurer la production de code source originale.
Il devient alors possible de mesurer quantitativement les apports des diffrents auteurs (figure 4)
et de remonter aprs une analyse juridique des ayants-droits associs aux diffrents auteurs en
fonction notamment de leurs statuts salariaux (figure 5).

Figure 4: Poids relatifs des apports contributifs originaux


des diffrents auteurs dun logiciel en fonction du temps
de dveloppement

Copyright 2014 Antelink SAS, CC-BY-NC-ND.

Chaque zone de couleur correspond un auteur diffrent.

Figure 5 : Poids relatifs des apports contributifs originaux des


diffrents dtenteurs des droits patrimoniaux dun logiciel en
fonction du temps de dveloppement

Copyright 2014 Antelink SAS, CC-BY-NC-ND.

Plusieurs innovations rcentes issues des laboratoires dInria et de luniversit Paris Diderot
permettent de passer lchelle du corpus Open Source mondial et de dfinir des mtriques
robustes dans le sens o elles garantissent loriginalit des apports pris en compte quels que
soient les lieux de production tudis. titre dexemple, la figure6 page suivante reprsente
sur un ensemble de plusieurs dizaines de milliers de projets Open Source les apports contributifs
originaux de certains des plus grands contributeurs industriels (en violet les organisations
industrielles identifies, en bleu les projets de dveloppement du corpus Open Source). On peut
y voir sans ambigut la complexit du maillage entre les projets de dveloppements logiciels
et les acteurs dveloppant en collaboration des logiciels. Bien quils soient pour la plupart en
concurrence les uns par rapport aux autres, cela montre quel point les modalits de captation
de la valeur sont en train de se dplacer.
La figure 7 montre les principales socits contribuant au projet CyanogenMod, un systme
dexploitation pour terminaux Android, illustrant la participation dentreprises concurrentes
au dveloppement dune commodit dintrt commun. Ces informations sont extraites
automatiquement des outils de suivi de dveloppement. Elles sont ici intgres lchelle des
entreprises pour plus de lisibilit, mais les outils peuvent reprsenter les contributions de chaque
dveloppeur. Il est aujourdhui facile de savoir qui contribue dans un projet de dveloppement, o
dans le code et quand, ou encore de voir comment un composant circule et par qui il est rutilis.
Ces outils permettent une visualisation des contributions diffrentes chelles, de celle du fichier
celle de lensemble du patrimoine accessible, dont celui de lentreprise sil a t trait par les
outils, et celle du corpus mondial Open Source aujourdhui accessible et trait.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 109

2.2 Le temps du logiciel

Figure 6: Graphe des relations entre projets de dveloppement en


collaboration (bleu) et entreprises contribuant ces projets

Copyright 2014 Antelink SAS, CC-BY-NC-ND.

La taille des projets est proportionnelle une mtrique de production originale de code, celle

des entreprises proportionnelle leur contribution relative aux projets.


Figure 7: Principales entreprises contribuant au projet
open source CyanogenMod

Copyright 2014 Antelink SAS, CC-BY-NC-ND.

C. Les enjeux stratgiques de la normalisation et de la standardisation


Il y a presque dix ans, le projet europen QualiPSo avait mis en avant les difficults quil avait pour
faire rfrence lune ou lautre des licences libres que les projets utilisaient. La multiplication des
versions de ces licences, notamment au sein des grandes familles avec par exemple la dizaine de
versions diffrentes des licences GNU GPL, est un vrai facteur de risque dans la dtermination du
statut juridique dun logiciel si elle nest pas prise en compte. Une initiative lance initialement
au sein de la communaut FOSSBazaar, puis reprise par la fondation Linux, a initi un gros travail
de standardisation des acronymes des principales licences libres (http://spdx.org). La plupart
des outils ont aujourdhui repris ces dfinitions comme rfrence, faisant du rfrentiel spdx un
standard de fait.
De manire plus gnrale, ce march qui tait initialement celui de laudit des actifs immatriels,
volue rapidement vers celui de la livraison au sein de chanes dintgration mondialises.
Au-del des gains de productivit, facteur incontournable de ladoption des outils pour
la dfinition du statut juridique des bases de code, ces outils deviennent prpondrants
en tant qulments structurants de la chane de responsabilit entre fournisseurs et
intgrateurs. Il est maintenant courant que les grands donneurs dordres de la commande
publique, ou les grands intgrateurs, imposent la fourniture de listes qualifies des briques/
composants livres. terme, ces outils sintgreront part entire dans les systmes de preuve
qui existent dj dans le cadre des solutions dentiercement, ou plus gnriquement dans le
cadre des procdures de dpt lgal.

CONCLUSION
Les pratiques de dveloppement et les modles dexploitation des logiciels ont considrablement
volu depuis le milieu des annes 80. Lessor du dveloppement collaboratif et/ou de la
rutilisation du patrimoine mondial disponible aujourdhui grce Internet ont dplac
les enjeux de contrle de proprit vers des enjeux de contrle de la libert dexploitation
des composants tiers rutiliss ou intgrs. Si le cadre juridique du droit dauteur et de
la proprit littraire et artistique reste adapt pour la gestion des droits patrimoniaux, la
complexit des logiciels, leur taille et la circulation massive des composants entre applications
ncessitent de nouveaux outils de gestion du patrimoine logiciel dans lentreprise. Le statut
juridique propos ici est le paradigme central permettant dassurer le suivi de cette
libert dexploitation et la dtermination des chanes de responsabilit. La mthodologie
prsente et le dveloppement de loutillage spcialis rendent possible la dtermination de ce
statut juridique et la gestion amliore du patrimoine de lentreprise et de la partie du patrimoine
mondial quelle est susceptible dintgrer.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 111

2.3
Rflexions autour de la cration
numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux
et pistes de rformes
par Viviane GELLES et Blandine POIDEVIN

les auteurs
Viviane Gelles, avocat au barreau de Lille, chroniqueur rgulier darticles relatifs au droit des
technologies publis notamment dans diffrentes revues des ditions Jurisclasseur, Expertises,
La Gazette, legipme.com, Village-justice.com, etc. Elle a commenc sa carrire professionnelle
en tant que responsable valorisation en milieu universitaire. Elle est galement titulaire du CEIPI
Marques, Dessins et Modles. Elle anime galement des confrences et formations internes en
droit de la proprit intellectuelle et accompagne diffrents professionnels dans la rdaction de
contrats ce sujet.
Blandine Poidevin, avocat aux barreaux de Lille et Paris, chroniqueur rgulier darticles relatifs
au droit de linformatique et du multimdia publis notamment dans la revue Expertises, elle a
ralis plusieurs chapitres du Dictionnaire permanent droit de lInternet et droit des affaires sur
ces questions. Paralllement, elle est charge denseignement depuis 1997 en droit du commerce
lectronique luniversit de Lille et dans diffrentes coles de commerce et dingnieurs. Ses
domaines dactivit sont la proprit intellectuelle, le droit de linformatique et des technologies,
des donnes personnelles, dInternet et du commerce lectronique et le droit du sport. Le
cabinet de Matre Blandine Poidevin est inscrit au Registre des reprsentants dintrts de la
Commission europenne.

synthse
Luvre numrique, qui reste une notion difficile cerner, emprunte ses principes de protection
diffrents types duvres. Or, elle est souvent cre par des salaris dans le cadre de lexcution
de leur contrat de travail. Lapplication distributive des diffrents rgimes juridiques propres
chaque composant de luvre semble difficilement adapte aux ralits socio-conomiques.
Pour assurer plus de scurit juridique dans lexploitation de ces uvres numriques, une
modification des textes et des pratiques nest-elle pas ncessaire?

mots cls : oeuvre salarie | salari auteur |


cration salarie| oeuvre collective | oeuvre multimdia
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 113

2.3 R
 flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes

introduction
La forme actuelle du droit dauteur est issue de la loi du 11 mars 1957155 sur la proprit littraire
et artistique.
Il sagissait, daprs les motifs du projet de loi qui sera adopt, de codifier la jurisprudence qui
sest cre depuis un sicle et demi en matire de droit dauteur et fixer en un texte dfinitif le dernier
tat de la doctrine franaise en ce domaine; rpondre galement aux besoins quont prouvs les
crateurs intellectuels dtre protgs en tenant compte des conditions techniques et conomiques
nouvelles et aussi des nouvelles formes dart surgies depuis la lgislation rvolutionnaire.
Depuis la codification, droit constant, de la proprit intellectuelle initie en 1992156, cest
dsormais larticle L111-1 du Code de la proprit intellectuelle qui dfinit la nature des droits
dauteur: Lauteur dune uvre de lesprit jouit sur cette uvre, du seul fait de sa cration, dun
droit de proprit incorporel exclusif et opposable tous. Ce droit comporte des attributs dordre
intellectuel et moral, ainsi que des attributs duvres patrimoniales, qui sont dtermins par les Livres
I et III du prsent code.
Cest ensuite sous linfluence du droit communautaire, et notamment de la directive n 2001-29
du 22 mai 2001 relative lharmonisation de certains aspects du droit dauteur et des droits
voisins dans la socit de linformation, que le droit franais de la proprit littraire et artistique,
par la voie notamment de la loi dite DADVSI n 2006-961 du 1er aot 2006, sest saisi des enjeux
attachs aux nouvelles technologies de linformation.
Dans ce contexte, lune des problmatiques prioritaires qui proccupe les entreprises
est celle de linscurit juridique affectant la cration, par leurs salaris, duvres
numriques.
La notion duvre numrique nexiste pas en tant que telle dans le droit positif. Elle recouvre
pourtant dans la pratique une ralit omniprsente. Des traditionnels sites Internet aux
applications de ralit augmente en passant par les crations issues des Fab Labs ou les jeux
vido, la majorit des uvres produites aujourdhui au sein des entreprises comprend une
dimension numrique. Mme les crations les plus traditionnelles sont dsormais exposes
lunivers de linteractivit: un personnage cre par un graphiste prendra vie lors de sa migration
sur le Web lorsquil deviendra anim, un texte sera enrichi par des liens renvoyant dautres
contenus numriques, etc.
La notion duvre numrique se situe la frontire entre luvre logicielle, luvre
audiovisuelle et la base de donnes, pour se rapprocher de ce que lon appelle galement
luvre multimdia.
Luvre numrique ne peut tre confondue en tant telle avec luvre logicielle, mme si, par
exemple, un site Web ne peut tre cr et consult qu laide doutils logiciels, dans la mesure
o lesdits logiciels restent des instruments et non la finalit poursuivie par le crateur.

155
Loi n57-298 du 11 mars 1957 sur la proprit littraire et artistique.
156
Loi n92-597 du 1er juillet 1992 relative au Code de la proprit intellectuelle.

Diffrents arrts font pourtant concider la qualification de jeu vido interactif avec celle de
logiciel157.
Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrt Cryo du 25 juin 2009158, rappelait que le jeu vido
est une uvre complexe qui ne saurait tre rduite sa seule dimension logicielle, quelle que soit
limportance de celle-ci. Cette dcision a t expressment confirme par un arrt de la cour
dappel de Paris du 26 septembre 2011159.
La notion se rapproche galement de celle de base de donnes, dfinie larticle L112-3 du
Code de la proprit intellectuelle comme un recueil duvres de donnes ou dautres lments
indpendants, disposs de manire systmatique ou mthodique, et individuellement accessibles par
des moyens lectroniques ou par tout autre moyen.
Dans la mesure o le site Internet fournit un contenu prsent comme un ensemble dlments
auxquels linternaute peut accder selon les principes de navigation retenus par le crateur
du site concern, la jurisprudence a eu loccasion de considrer, sur cette base, que le site
dannonces demplois propos par la socit Cadre Emploi dans laffaire Keljob, constituait bien
une base de donnes au sens de larticle prcit du Code de la proprit intellectuelle160.
Luvre numrique emprunte galement certaines caractristiques luvre
audiovisuelle, en prsentant galement des lments textuels associs des aspects
sonores et visuels.
Le dveloppement du Streaming renforce encore les similitudes entre les uvres dont il sagit,
en abolissant, au moins partiellement, la distinction qui les opposait communment tenant au
critre dinteractivit qui avait pu conduire, par le pass, la jurisprudence refuser la qualification
duvre audiovisuelle une uvre multimdia161.
La Cour de cassation a galement eu loccasion de souligner la spcificit de luvre multimdia
dans un arrt du 28 janvier 2003162 en retenant labsence dun dfilement linaire des squences,
lintervention toujours possible de lutilisateur pour en modifier lordre, et la succession, non de
squences animes dimages, mais de squences fixes pouvant contenir des images animes
au sujet de CD-ROM de vulgarisation artistique ne pouvant, en consquence, sassimiler des
productions audiovisuelles.
En dfinitive, luvre numrique correspond bien la dfinition duvre multimdia
propose par le Livre blanc du Groupe de travail audiovisuel et multimdia de ldition:
toute uvre de cration incorporant sur un mme support un ou plusieurs lments
suivants: texte, son, images fixes, images animes, programmes informatiques, dont la
structure et laccs sont rgis par un logiciel permettant linteractivit163.

157CA de Caen, 19 dcembre 1997 et Ccass. Ch. Crim. 21 juin 2000.


158Ccass. 1re Ch. Civ. 25 juin 2009. n07-20.387.
159CA Paris. 26 septembre 2011. Ple 5. Ch. 12.
160TGI Paris. 5 septembre 2001. 3e Ch. 1re Section.
161CA Versailles. 18 novembre 1999.
162Ccass. 1re Ch. Civ. 28 janvier 2003. n 00-20.294.
163
Livre blanc du Groupe de travail audiovisuel et multimdia de ldition 1994, SNE,
questions juridiques relatives aux uvres multimdia.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 115

2.3 R
 flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes

Le problme est quil nexiste ce jour aucun rgime juridique propre luvre
numrique ou multimdia, et que cette dernire emprunte ses principes de protection
diffrents types duvres.

I - Luvre numrique cre par des salaris:


un rgime de protection complexe
A. Le principe de lindiffrence du contrat de travail
Larticle L111-1 du Code de la proprit intellectuelle dispose que Lexistence ou la conclusion
dun contrat de louage douvrage ou de service par lauteur dune uvre de lesprit nemporte pas
drogation la jouissance du droit reconnu par le premier alina, sous rserve des exceptions prvues
par le prsent code.
Cest donc bien sr la tte de lauteur, personne physique, que naissent ds la cration les droits
exclusifs qui lui sont reconnus par le Livre I du Code de la proprit intellectuelle.
La jurisprudence a un temps sembl hsitante sur la question. Ainsi, dans un arrt du
5octobre 1989, la cour dappel de Paris164, a admis quil est constant que le contrat de travail
consenti un crateur salari entrane la cession des droits patrimoniaux dauteur son employeur.
La mme anne, la cour dappel de Paris a encore retenu quayant t pay par ses salaires pour
la cession de son droit pcuniaire sur une uvre qui ntait que lexcution de son contrat de travail,
lauteur nest pas fond demander une indemnisation ce titre165.
Les juges appliquent dsormais avec plus de rigueur les rgles prvoyant lindiffrence
du contrat de travail sur la titularit des droits. Les dcisions sont ainsi nombreuses qui
consacrent ce principe166.
La rgle trouve naturellement sappliquer un salari crant des sites Internet. Le tribunal
de commerce de Lyon, dans une ordonnance de rfr du 22 octobre 2001, rappelait que
conformment larticle L111-1, il est de jurisprudence constante que lexistence dun contrat
de travail nemporte aucune drogation la jouissance des droits dauteur qui naissent sur la tte
du salari, mme si luvre est cre en excution des directives de lemployeur. Des dcisions
similaires sont rendues pour des salaris crateurs dune uvre audiovisuelle167.
Ainsi, lauteur salari reste titulaire de ses droits dauteur malgr le contrat de travail qui
le lie son employeur.

164CA Paris. 5 octobre 1989. Jurisdata n025280.


165CA Paris. 20 avril 1989. RIDA. Janvier 1990, page 317.
166Ccass. Ch. Com. 28 avril 2004 Ccass. 1re Ch. Civ. 12 avril 2005.
167TGI Strasbourg. 16 novembre 2001. 2e Ch. Com. www.legalis.net.

B. Le rgime drogatoire des logiciels


En revanche, par drogation au principe ainsi expos, le crateur salari dun logiciel voit
ses droits patrimoniaux dvolus son employeur.
Ainsi, larticle L113-9 du Code de la proprit intellectuelle dispose que Sauf dispositions
statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation
crs par un ou plusieurs employs dans lexercice de leurs fonctions ou daprs les instructions de
leur employeur sont dvolus lemployeur qui est seul habilit les exercer.
Lexception ainsi amnage comporte des contours bien dfinis.
Tout dabord, elle ne concerne que les logiciels crs aprs le 1er janvier 1986.
Ensuite, elle ne vise aucunement les droits moraux de lauteur salari qui ne peut, en application
de cet article, se voir imposer un quelconque transfert de ceux-ci.
Enfin, la rgle ainsi prvue ne sapplique quaux parties du logiciel entrant dans la dfinition,
donne par la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection
juridique des programmes dordinateurs dfinis comme les programmes sous toute forme que
ce soit, y compris ceux qui sont incorpors au matriel, en ce compris galement des travaux
prparatoires de conception aboutissant au dveloppement dun programme, condition quils
soient de nature permettre la ralisation dun programme dordinateur un stade ultrieur.
Luvre audiovisuelle est galement lobjet de dispositions particulires pour ce qui
concerne la titularit des droits.
Ainsi, en application de larticle L113-7 du Code de la proprit intellectuelle, Ont la qualit
dauteur dune uvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui ralisent la cration intellectuelle
de cette uvre. Sont prsums, sauf preuve contraire, coauteurs dune uvre audiovisuelle ralise
en collaboration: 1/ Lauteur du scnario; 2/ Lauteur de ladaptation; 3/ Lauteur du texte parl;
4/ Lauteur des compositions musicales avec ou sans paroles spcialement ralises pour luvre;
5/ Le ralisateur. Lorsque luvre audiovisuelle est tire dune uvre ou dun scnario prexistants
encore protgs, les auteurs de luvre originaire sont assimils aux auteurs de luvre nouvelle.
Toutefois, la qualit de salari des auteurs susceptibles dintervenir dans la cration dune uvre
audiovisuelle est indiffrente, aucune drogation ntant, ce titre, amnage.
tant la fois un logiciel, une uvre audiovisuelle ou une uvre de lesprit classique,
luvre numrique, dans sa diversit, est soumise des rgimes juridiques diffrents
susceptibles de coexister au sein dune mme uvre.
titre dexemple, le dveloppement dun site Internet ncessite la fois un travail de ralisation
graphique et ditoriale soumis aux rgles gnrales issues de larticle L111-1 du Code de la
proprit intellectuelle, mais galement des dveloppements logiciels destins permettre

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 117

2.3 R
 flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes

linteractivit et la navigation qui relveront, pour leur part, des amnagements prvus larticle
L113-9 du Code de la proprit intellectuelle.
Dans ce contexte, il apparat ncessaire de sinterroger sur les diffrentes mesures juridiques et
pistes de rflexion susceptibles de crer des conditions plus favorables aux entreprises et salaris
intervenant dans le secteur du numrique, et adaptes aux ralits socio-conomiques.

II - Vers une modification des textes et pratiques pour assurer


la scurit juridique des exploitants duvres numriques.
A. Une application distributive
Lune des solutions envisageables, afin de scuriser le rgime juridique applicable aux
uvres numriques, pourrait consister dans lapplication distributive, aux diffrents
composants de luvre multimdia, des rgimes juridiques propres chacun de ses
composants.
Cest la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrt Cryo qui a retenu, sagissant dun
jeu vido, quil sagissait dune uvre complexe qui ne saurait tre rduite sa seule dimension
logicielle, quelle que soit limportance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est
soumise au rgime qui lui est applicable en fonction de sa nature.
Dans cette hypothse, une socit dveloppant une uvre numrique appliquerait le rgime
du logiciel ceux de ses salaris ayant la qualit de programmeurs et tant lorigine des
composantes logicielles de luvre numrique ralise.
Elle appliquerait, en corollaire, ses salaris lorigine de crations graphiques, textuelles ou
encore musicales, les rgimes de droit commun sappliquant ces matires.
Cest lanalyse faite par la cour dappel de Paris, dans son arrt prcit du 26 septembre 2011,
dans lequel elle prcise que sa partie logicielle est rgie par le droit dauteur spcial du logiciel et
les autres aspects du jeu, notamment ses aspects audiovisuels, graphiques et sonores, par les rgles
gnrales du droit dauteur.
Il sagira ds lors pour lemployeur didentifier chacun des auteurs ayant particip la cration
de luvre numrique considre, et de qualifier les crations des diffrents auteurs afin de leur
appliquer le rgime juridique correspondant.
Si lemployeur pourra bnficier, vis--vis des auteurs lorigine des crations logicielles, de
lamnagement en sa faveur organis par larticle L113-9 du Code de la proprit intellectuelle
telque ci-dessus expos, il en sera diffremment des rapports nouer avec les auteurs des
lments textuels, graphiques ou sonores soumis aux rgles de cession formalistes de larticle
L131-3 du Code de la proprit intellectuelle qui dispose que La transmission des droits de
lauteur est subordonne la condition que chacun des droits cds fasse lobjet dune mention

distincte dans lacte de cession et que le domaine dexploitation des droits cds soit dlimit quant
son tendue et sa destination, quant au lieu et quant la dure.
Cette disposition est dinterprtation stricte 168 et doit tre combine avec le principe
dinterdiction de la cession de droits portant sur des uvres futures prvu larticle L131-1
du Code de la proprit intellectuelle, et doit conduire lemployeur proposer aux salaris la
conclusion rgulire de contrats de cession sur les uvres, ralises le plus souvent par voie
davenants au contrat de travail.
Cette interdiction a parfois fait lobjet de la part de la jurisprudence dune certaine souplesse
dinterprtation, en admettant la validit de clauses prvoyant la cession duvres futures
limite dans le temps et ne restreignant pas excessivement la libert de cration de lauteur169
ou prvoyant la cession automatique de droit de proprit littraire et artistique au fur et mesure
de la production dventuels travaux170.
Toutefois, une intervention lgislative venant consacrer les assouplissements ainsi
envisags serait lune des pistes envisager pour faciliter la mise en uvre par
lemployeur dune politique accessible de gestion des droits de proprit intellectuelle
de ses salaris.
Dans la pratique, il est, en effet frquent de constater que de nombreuses entreprises ne
procdent pas de la sorte et quelles sexposent, ce faisant, une inscurit juridique indniable
susceptible non seulement de leur faire courir des risques contentieux, mais galement de
les affaiblir dans un contexte international dans lequel rares sont les partenaires ressortissant
dautres tats tre dots dune lgislation telle que celle qui sapplique en France.

B. Le recours luvre collective


Une autre solution doit tre recherche dans la mise en uvre du rgime juridique applicable
luvre collective.
Luvre collective est, en effet, dfinie larticle L113-2 du Code de la proprit intellectuelle
comme luvre cre sur linitiative dune personne physique ou morale qui ldite, la publie et la
divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs
participant son laboration se fond dans lensemble en vue duquel elle est conue, sans quil soit
possible dattribuer chacun deux un droit distinct sur lensemble ralis.
Il sagit l, pour lentreprise souhaitant exploiter une uvre numrique, dtre titulaire ab initio,
cest--dire ds lorigine des droits dauteur sur luvre cre, et dtre ainsi dispens de la
conclusion de contrats de cession avec les diffrents salaris intervenus dans le processus de
cration, ds lors que, en application de larticle L113-15 du code prcit, une telle uvre est,
sauf preuve contraire, la proprit de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle
elle est divulgue, cette personne tant ainsi investie de droit de lauteur.

168CA Versailles. 13 fvrier 1992 Ccass. 1re Ch. Civ. 18 dcembre 1979.
169Ccass. 1re Ch. Civ. 19 janvier 1970.
170Ccass. 1re Ch. Civ. 4 fvrier 1986.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 119

2.3 R
 flexions autour de la cration numrique dans lentreprise :
problmatiques juridiques, enjeux et pistes de rformes

C. La cration dun statut ad hoc


De nombreuses voix slvent, par ailleurs, pour demander la dfinition et la cration dun statut
juridique ad hoc pour les uvres numriques.
Il en est ainsi, par exemple, des conclusions prises par la Mission parlementaire sur le rgime
juridique du jeu vido en droit dauteur, ayant abouti au dpt dun rapport par Monsieur le
dput Patrice Martin-Lalande, prsent le 24 septembre 2013.
Diffrents obstacles se dressent pourtant dores et dj sur la route dune telle cration
spcifique. Parmi eux figure, principalement, la difficult dlaborer une dfinition univoque de
luvre numrique qui bnficierait du rgime spcifique ainsi cr.
Rares sont dailleurs les tats avoir opt pour un tel choix.
titre dexemple, les tats les plus actifs dans le domaine du jeu vido (tels que les tats-Unis, le
Japon et le Canada) ont choisi, rappelle le dput Patrice Martin-Lalande dans son rapport, le plus
souvent le rattachement de ce type duvre numrique au rgime juridique en vigueur pour les
catgories duvres dj existantes (logiciel ou uvre audiovisuelle principalement).

D. Une rforme globale du droit dauteur


Resterait la piste dune rforme en profondeur du systme franais privilgiant un rquilibrage
des droits en faveur des employeurs, une harmonisation des rgles applicables toutes les
uvres, quelle que soit leur nature, voire mettant en uvre ces deux aspects.
Il sagirait de remettre en cause lesprit mme qui a guid le lgislateur dans le choix des
rgles applicables au droit de la proprit littraire et artistique, marqu non seulement par
une protection particulirement leve des intrts de lauteur mais galement par la place
particulire qui avait t accorde aux logiciels en raison de leur poids conomique dans la
ralit des entreprises. En raison de la permabilit des contours entre les diffrentes
uvres en prsence, qui tendent progressivement lavnement dune uvre globale,
ncessairement numrique, le rgime juridique spcifique rserv aux seuls logiciels ne
se justifie plus.
La solution dfendue par les auteurs consisterait, au vu de ce qui prcde, dans labolition
des rgimes spcifiques qui jalonnent le Code de la proprit intellectuelle (uvre de
lesprit classique, uvre logicielle, uvre audiovisuelle, base de donnes, etc.) au
profit du retour un rgime unique.
Le rgime associ cette uvre unique prvoirait, vis--vis des tiers, une prsomption de
titularit en faveur de lemployeur, inspire par celle prvue en matire de dessins et modles.
Seule la contestation par lauteur lui-mme des droits allgus par lexploitant de luvre
pourrait remettre en cause cette prsomption.

En parallle, il reviendrait lemployeur de formaliser, sur un modle unique, la cession des droits
qui lui serait consentie par ses salaris, quelles que soient leurs missions et la nature des uvres
quils auraient cres.
La suppression de linterdiction de cession des uvres futures dans les rapports contractuels
issus du contrat de louage douvrage permettrait, en parallle, de fluidifier la formalisation des
contrats de cession de droits.
Il pourrait galement tre intressant de distinguer, linstar de ce qui se fait pour les agents
publics, lhypothse dune exploitation commerciale de luvre par lemployeur de lutilisation
en interne de la cration. Dans le premier cas, la mise en place dun dispositif dintressement
des salaris concerns sur la base des recettes tires de lexploitation de luvre pourrait tre
envisage, mme sil serait recr, ce faisant, une nouvelle distinction entre les salaris

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 121

2.4
La ralit virtuelle confronte
au droit dauteur
Optimiser la protection des applications
de ralit virtuelle
par Marie Soulez

lauteur
Avocat depuis 2006, Marie Soulez dirige le dpartement contentieux de la proprit intellectuelle
du cabinet Alain Bensoussan. Elle est en charge notamment des actions civiles et pnales en
contrefaon de droits dauteur et de droits voisins et de la mise en place de stratgies de
protection de linnovation. Coauteure de louvrage Informatique, Tlcoms, Internet
(Ed. Francis Lefbvre), elle est charge denseignement auprs dcoles dingnieurs et anime
des formations professionnelles.

synthse
Le dveloppement des technologies immersives, dites de ralit virtuelle ou ralit
de synthse, touche lensemble des secteurs conomiques. La ralit virtuelle tend
considrablement le champ du domaine des possibles et a une forte valeur stratgique. La
dfinition de son statut lgal permet den optimiser la protection, tant en phase de conception
et de dveloppement quen phase dexploitation.

mots cls : ralit virtuelle | ralit de synthse |


technologie immersive | droit dauteur | protection | innovation
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 123

2.4 L a ralit virtuelle confronte au droit dauteur

I - Statut lgal et rgime de protection applicable


Ludique et culturel pour certains, fondamental pour les autres, le dveloppement des
technologies immersives, dites de ralit virtuelle ou encore ralit de synthse, touche
aujourdhui lensemble des secteurs conomiques, de lindustrie traditionnelle aux services la
personne, en passant par lurbanisme, la culture, les mdias, le jeu vido ou encore le domaine
de la sant.
Si les brevets se multiplient, les titans du numrique tels que Google, Microsoft ou encore Sony
investissent des millions deuros cette fin, les applications de ralit virtuelle doivent galement
tre apprhendes sur le terrain du droit dauteur, systme de protection naturel de cette uvre
protiforme.

A. Dfinition
Approche terminologique
La ralit virtuelle est la reconstitution sur support numrique dun environnement
immersif.
Sous lappellation ralit de synthse, prfre celle de ralit virtuelle par la Commission
gnrale de terminologie et de nologie, elle est dfinie comme un environnement cr laide
dun ordinateur et donnant lutilisateur la sensation dtre immerg dans un univers artificiel171.
Cest pourtant bien sous lappellation ralit virtuelle que doit tre apprhende cette
technologie, cet oxymore consacrant lide de la sensation du rel dans un univers virtuel.
En effet, les techniques de la ralit virtuelle sont fondes sur linteraction en temps rel avec un
monde artificiel, laide dinterfaces comportementales permettant limmersion "pseudo-naturelle"
de(s) lutilisateur(s) dans cet environnement. Ce monde artificiel est imaginaire ou une simulation de
certains aspects du monde rel172.
Ds 1997, alors que la ralit virtuelle semblait encore relever du domaine de la science-fiction,
lAmerican Dialect Society qui dtermine chaque anne The Word of the Year (le mot de
lanne) retient parmi les mots pertinents, virtual (virtuel, ou de synthse) quelle associe
lexpression virtual reality (ralit virtuelle, ou ralit de synthse), rendant ainsi hommage
lmergence dune nouvelle technologie.
Elle est augmente lorsquelle ressort de la superposition dimages de synthse des
images relles et elle est fusionne lorsquelle aboutit une confusion du rel et du
virtuel.

171
JORF n93 du 20 avril 2007, Vocabulaire de linformatique.
172P. Fuchs. Les interfaces de la ralit virtuelle. Ed. Interfaces, les journes de Montpellier,
1996, cit par Ralit Virtuelle et Formation: Conception dEnvironnements Virtuels
Pdagogiques, D. Lourdeaux, cole des Mines de Paris.

Approche technique
La ralit virtuelle constitue une technologie complexe difficile dfinir. Ses finalits, ses
applications concrtes et les techniques sur lesquelles elle repose sont intimement imbriques.
La technologie repose sur deux concepts cardinaux: limmersion et linteraction.
Elle permet limmersion dun usager dans un univers sensoriel de synthse par linteraction entre
des lments virtuels et un cadre rel sur lequel les premiers se superposent.
Les perceptions gnres par la technologie de la ralit virtuelle peuvent tre non seulement
visuelles mais galement auditives, olfactives voire tactiles ou gustatives, la simulation de ralit
augmentant logiquement dans la mme mesure que le nombre de sens mobiliss chez lutilisateur.
La crdibilit dun systme de ralit virtuelle repose avant tout sur une coordination parfaite
entre les lments virtuels et rels, coordination visuelle et surtout temporelle. Limmersion de
lusager doit en effet tre pseudo-naturelle. Lunivers sensoriel dans lequel il est projet se doit
dtre sinon rel du moins crdible, ce qui exclut le moindre dcalage.
La fusion des lments composant le dcor de ralit virtuelle se fait par le biais dune interface
informatique ou de priphriques permettant de capturer les mouvements ou les instructions
de lutilisateur et de les traduire dans lespace sensoriel gnr.

Approche juridique
Lapplication de ralit virtuelle qui runit et intgre des composants multiples
sapparente une uvre multimdia173.
En tant quuvre multimdia, et linstar des jeux vido, les applications de ralit virtuelle
doivent en consquence tre apprhendes comme des uvres complexes qui, sans
pouvoir tre rduites leur composante logicielle, imposent que chaque lment se voit
appliquer le rgime juridique qui lui est propre en fonction de sa nature mais galement de son
caractre rel ou virtuel.

Cass. civ. 1, 25 juin 2009, RG 07/20387


Le jeu vido est une uvre complexe qui ne saurait se rduire sa seule dimension logicielle.
Chacune de ses composantes est soumise au rgime qui lui est applicable en fonction de sa nature.

En effet, la partie virtuelle de lapplication est constitue dlments qui, sous rserve de leur
originalit, peuvent donner prise du droit dauteur: crits, dessins, graphiques, compositions
musicales, autant de crations protges. cette premire couche protgeable sajoute
lapprhension du rel, par exemple uvre dart ou encore cration architecturale, dont lusage
par le biais de lapplication de ralit virtuelle pourrait quivaloir lexploitation dune uvre.

173
Informatique, Tlcoms, Internet, Ed. Francis Lefebvre, 5e Ed., chapitre IV
Multimdia.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 125

2.4 L a ralit virtuelle confronte au droit dauteur

Surtout, le logiciel qui permet la fusion du rel et du virtuel peut tre une uvre de lesprit
originale, quil sagisse dun Software autonome ou dun Middleware permettant linteraction
entre plusieurs applications et la fusion du virtuel et du rel. ce titre, il est protg par le droit
du logiciel indpendamment des autres lments.
Cette perception diffrencie de luvre entrane une application distributive des rgimes
juridiques.

B. Primtre de la protection
Dans une cration de ralit virtuelle coexistent ainsi des uvres de nature diffrente,
telles que des uvres littraires, musicales, graphiques, audiovisuelles, des logiciels, des
bases de donnes. Comme luvre multimdia, elle se caractrise par son caractre numrique
et par linteractivit existant entre ses diffrents composants, permettant lutilisateur de
naviguer de lun lautre.
Pour bnficier de la protection par le droit dauteur, lapplication de ralit virtuelle prise dans
sa globalit doit obir au critre impratif doriginalit, apprcie au regard de lempreinte de la
personnalit de lauteur. Elle sera alors protge de faon unitaire.
En outre, chaque cration la composant, prise de faon indpendante, est susceptible de
bnficier de la protection par le droit dauteur.
En toute hypothse, quil soit fait une apprciation unitaire de lapplication de ralit virtuelle
ou dune apprciation distributive, chaque lment la composant se verra appliquer le rgime
juridique qui lui est propre.

Absence de protection des ides et des principes


Les ides et principes abstraits la base du processus cratif sont exclus de son champ
dapplication. Lide mme de la reproduction du parcours de lexposition dun muse, la
virtualisation dun circuit automobile ou dun voyage dans lespace est ds lors insusceptible
dappropriation.
De mme, les concepts, qui sont un ensemble dlments intellectuels, ides, connaissances,
mthodes, plus ou moins abstraits et plus ou moins formaliss, chappent une protection par
le droit de la proprit intellectuelle.
Le concept gnral des applications de ralit virtuelle et leurs objectifs, ludiques, culturels,
industriels ou encore mdicaux, ne peuvent ds lors bnficier daucun systme de protection,
sous rserve de dmontrer que leur conception reprsente un travail susceptible dtre protg
contre la concurrence dloyale.
Cest donc dans la formalisation de lide et la mise en uvre du concept dunivers virtuel
que doit tre recherche la protection par le droit dauteur.

Confrontation du rel et du virtuel


Les lments virtualiss susceptibles dtre protgs doivent tre distingus selon deux
grandes catgories:
les crations prexistantes du rel qui sont virtualises ;
les crations originales dveloppes spcifiquement pour les besoins de lapplication
de ralit virtuelle.
Ainsi, au nombre des lments prexistants susceptibles dtre reproduits se trouvent, sans que
cette liste soit exhaustive:
les uvres cinmatographiques et autres uvres consistant dans des squences animes
dimages, sonorises ou non ;
les uvres photographiques ;
les compositions musicales ;
les uvres de dessin, de peinture, darchitecture.
Si ces lments rpondent au critre doriginalit, ils bnficient de la protection du droit dauteur.

La virtualisation du parcours dune exposition


Une application de ralit virtuelle qui aurait pour finalit de permettre lutilisateur de
dcouvrir le parcours dune exposition reproduit nombre duvres prexistantes. Bien
entendu, les uvres dart exposes donnent prises au droit dauteur, mais galement le
titre de lexposition et son catalogue, voire le parcours de lexposition, la jurisprudence ayant
dj considr quune exposition pouvait tre qualifie duvre de lesprit.
En effet, par un arrt du 25 mai 1988, la cour dappel de Paris a considr propos dune
collection de voiture (collection Schlumpf), que si une runion de voitures dans un muse
ne saurait se voir reconnue la protection accorde par le droit dauteur, luvre, ne de
leur initiative [des frres Schlumpf] et de leur volont affirme, doit mriter, en elle-mme, la
protection judiciaire ncessairement inhrente une uvre de lhomme qui porte tmoignage
dune poque dtermine ou dun gnie crateur174.

ces lments du rel doivent tre ajouts la charte graphique, lorganisation des rubriques, ou
encore les logotypes, images et textes de lapplication qui, sous rserve de leur originalit, sont
susceptibles dtre protgs par le droit dauteur.

Mise en uvre logicielle


Les logiciels originaux sont protgs par le droit dauteur, la loi et la jurisprudence
dterminant prcisment les lments considrs comme faisant partie intgrante du logiciel
des autres lments, lesquels ne peuvent bnficier dune protection que sils constituent une
uvre en tant que telle.

174CA Paris, 25 mai 1988: D. 1988. 542, note Edelman.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 127

2.4 L a ralit virtuelle confronte au droit dauteur

La protection par le droit dauteur est applicable:


au programme lui-mme;
au matriel de conception prparatoire.

Dir. 91/250/CEE 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes


dordinateurs. Considrant n 7
Le terme "programme dordinateur" vise les programmes sous quelque forme que ce soit, y
compris ceux qui sont incorpors au matriel ; que ce terme comprend galement les travaux
prparatoires de conception aboutissant au dveloppement dun programme, condition quils
soient de nature permettre la ralisation dun programme dordinateur un stade ultrieur.

ce titre, le programme qui permet la confrontation du rel et du virtuel est protg par le droit
dauteur en tant que logiciel.
De mme, les interfaces logiques ou dinterconnexion qui sont des parties du programme
assurant linterconnexion et linteraction de tous les lments du logiciel et du matriel
avec dautres logiciels et matriels ainsi quavec les utilisateurs afin de permettre le plein
fonctionnement de ceux-ci sont protgeables.
En revanche, les interfaces graphiques homme-machine ne bnficient pas des rgles de
protection applicables au logiciel, linterface graphique dun programme dordinateur pouvant
toutefois bnficier, sous rserve doriginalit, de la protection par le droit dauteur de droit
commun.

CJUE 22 dcembre 2010, aff. C-393/09, Bezpel


Linterface utilisateur graphique ne permet pas de reproduire ce programme dordinateur,
mais constitue simplement un lment de ce programme et quil sensuit que cette interface
ne constitue pas une forme dexpression dun programme dordinateur au sens de larticle1er,
paragraphe 2, de la directive 91/250 et que, par consquent, elle ne peut bnficier de la
protection spcifique par le droit dauteur sur les programmes dordinateurs en vertu de cette
directive .

II - Mesures pratiques pour acqurir les droits, prserver


et optimiser la protection
La perception diffrencie de chaque lment composant lapplication de ralit virtuelle
entrane une application distributive des rgimes juridiques, source dinscurit, non-rsolue en
droit franais.
Or, cette contrainte dicte le schma contractuel dacquisition des droits et la stratgie
dacquisition des droits et de protection de lapplication qui doit tre mise en uvre.

A. Acqurir les droits


Consquence de la qualification distributive
Compte tenu de la qualification distributive applicable, chaque composant identifi se voit
appliquer le rgime qui lui est propre.
Dune part, lditeur doit bnficier son profit une cession des droits attachs chaque
composante de luvre de ralit virtuelle, quils aient t crs par des prestataires externes ou
des salaris (sous rserve de lexception logicielle). En effet, aux termes de larticle L. 111-1 du
Code de la proprit intellectuelle, cest lauteur personne physique qui a ralis la cration qui
est investi des droits dauteur, ni le contrat de travail ni le contrat de commande nemportant
drogation ce principe.
Dautre part, en cas dintgration dune uvre prexistante, comme cest le cas lorsque
lapprhension du rel entrane la reproduction duvres protges (tableaux, sculptures,
uvres architecturales, etc.), lditeur doit obtenir des titulaires de droits les droits propres lui
permettre de reproduire puis diffuser ces uvres.
Lditeur dune application de ralit virtuelle doit en consquence organiser son profit la
cession des droits patrimoniaux lui permettant de reproduire et de diffuser lapplication en
toutes ses composantes, virtuelles et relles.

Composantes de la virtualisation
La rgle est invariable: les droits dauteur demeurent lauteur de la cration.
Le titulaire originaire des droits dauteur sur une uvre est lauteur de cette uvre, cest--dire
la personne physique qui a fait un apport personnel dans le processus de cration de luvre175.
Il en est ainsi mme si luvre a t cre en excution dun contrat de commande ou mme
dun contrat de travail, et ce, mme si la cration de luvre entre dans la mission principale du
salari/auteur.
Il ny a en effet juridiquement aucune corrlation entre le fait pour un diteur dapplication
de ralit virtuelle de financer la ralisation dune cration, dont il est lorigine de lide, et
lattribution des droits de proprit intellectuelle, dont lauteur demeure investi, sauf cession
expresse par contrat.
La seule drogation concerne les lments logiciels crs par les informaticiens salaris.
Aux termes de larticle L.113-9 du Code de la proprit intellectuelle, les droits de proprit
intellectuelle sur les logiciels sont dvolus automatiquement lemployeur sous rserve que les
conditions de cration du logiciel permettent daffirmer que le logiciel a t cr par le salari
dans lexercice de ses fonctions ou sur instruction de lemployeur.

175CPI, Art. L. 111-1.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 129

2.4 L a ralit virtuelle confronte au droit dauteur

Il existe toutefois un cas o les droits des auteurs peuvent natre directement sur lditeur
de lapplication de ralit virtuelle, savoir lhypothse de luvre collective176. Pour quune
application de ralit virtuelle soit une uvre collective, il faut donc que lditeur qui en a pris
linitiative et lexploite sous son nom en assure aussi la conception globale, et donc que lapport
des diffrentes personnes intervenant llaboration de luvre se limite lexcution dune
tche particulire.
Il nest pas possible de disposer par contrat quune uvre sera collective. Aussi, mme si la
jurisprudence a dj qualifi une uvre multimdia duvre collective177 et si une telle solution a
le mrite duniformiser le rgime juridique des diffrentes composantes, il est recommand tout
diteur dune application de ralit virtuelle dobtenir des diffrents auteurs ayant particip au
processus cratif une cession de leurs droits, quil sagisse de salaris ou de prestataires externes.

Identification des risques


Lapplication distributive des rgimes juridiques applicables chaque composante de
lapplication de ralit virtuelle est source dinscurit juridique. Pour chaque type dauteur
salari, il convient dapprcier si ces crations relvent du domaine du logiciel ou des autres
uvres pour dterminer si une cession de droits doit intervenir. Or, que se passe-t-il lorsquun
dveloppeur informatique est amen dans lexercice de ses fonctions procder des
ralisations graphiques indpendantes du logiciel? Les droits patrimoniaux sur le logiciel seront
dvolus lditeur de lapplication lorsque les droits sur le graphisme demeureront la proprit
du dveloppeur.
Peut-tre un jour le lgislateur tiendra-t-il compte de cette complexit pour tablir dans le Code
de la proprit intellectuelle des rgles permettant de garantir le respect des droits des diteurs
des uvres multimdia et luniformisation des rgimes juridiques applicables aux diffrentes
crations.
Notamment, il pourrait tre imagin un rgime proche de celui du producteur de vidogramme,
et notamment un rgime spcifique de dvolution des droits des acteurs de la cration.

Composantes relles
Si la reproduction du rel entrane la reproduction dans une application de ralit virtuelle
duvres prexistantes, il convient de faire application du rgime juridique de luvre
composite. Luvre composite (ou drive) est une uvre dans laquelle est incorpore une
uvre prexistante sans que lauteur de cette dernire nintervienne. Luvre composite est la
proprit de son auteur178.
Nanmoins, pour exploiter une uvre composite, son auteur doit au pralable obtenir les
autorisations ncessaires de lauteur de luvre prexistante, dite uvre premire.

176CPI, Art. L. 113-2.


177CA Versailles 18 novembre 1999, Lgipresse 2000, n170, p. 51, note Tafforeau.
178CPI, Art. L. 113-4.

Lauteur de luvre premire dtermine la porte de lautorisation dexploitation de son


uvre quil consent lauteur de luvre seconde en termes de dure, de support, dtendue
territoriale et de destination179. Il nest pas possible de le contraindre.
Il est en consquence primordial que la porte de lautorisation dexploitation donne par le
titulaire des droits sur luvre prexistante couvre le champ de lexploitation envisage de
lapplication de ralit virtuelle, et surtout permette de procder aux ventuelles adaptations
ncessaires son incorporation dans lapplication de ralit virtuelle.
Selon la nature de lapplication de ralit virtuelle, devront notamment tre cds les droits
dadaptation suivants:
retouche ou dtourage des photographies;
modification des qualits sonores;
colorisation des lments audiovisuels;
traduction des composantes textuelles;
dcoupe des uvres architecturales.

Le schma contractuel: cration dune application de ralit virtuelle et acquisition


des droits
Une application de ralit virtuelle qui aurait pour finalit de permettre lutilisateur de
dcouvrir le parcours dune exposition ncessite lintervention de plusieurs auteurs. Pour
chaque composant, il convient dorganiser une cession de droits dauteur qui permette
de le reproduire en sa version originale ou modifie puis de lexploiter conformment la
destination envisage de lapplication de ralit virtuelle.
Pour les crations ralises par des prestataires externes:
cession des droits patrimoniaux quel que soit le type duvre, uvre traditionnelle ou
logiciel;
respect du droit moral (nom, respect de luvre).
Pour les crations ralises par les salaris:
cession des droits patrimoniaux pour les uvres traditionnelles, en pratique par
linsertion dune clause dans le contrat de travail;
respect du droit moral pour tout type duvre.
Pour les crations prexistantes:
cession des droits patrimoniaux quel que soit le type duvre, uvre traditionnelle ou
logiciel, sauf si luvre est tombe dans le domaine public;
respect du droit moral (nom, respect de luvre).

179Cass.Civ 1 9 fvrier 1994 1 n 91-20525.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 131

2.4 L a ralit virtuelle confronte au droit dauteur

B. Protection des droits


Coexistence du droit dauteur et de la proprit industrielle
Les applications de ralit virtuelle constituent un actif et un patrimoine intellectuel quil est
essentiel de protger en tant que tel.
Le droit dauteur protge les uvres de lesprit originales quels quen soient le genre, la forme
dexpression, le mrite ou la destination180. La protection dune uvre par le droit dauteur
ncessite la runion de trois conditions cumulatives:
une forme dexpression;
susceptible dtre qualifie duvre de lesprit;
ayant un caractre original;
sans quaucun dpt pralable ne soit ncessaire.
La protection par le droit dauteur trouve application nonobstant lexistence de brevet ou de
dessins et modles, ces diffrents rgimes de protection ntant pas exclusifs les uns des autres.
Notamment, sont brevetables, les inventions nouvelles impliquant une activit inventive et
susceptibles dapplication industrielle181. Or, une innovation qui sappuie en tout ou partie sur
un logiciel est susceptible dtre protge par un brevet. En effet, un procd ne peut tre priv
de brevetabilit pour le seul motif quune ou plusieurs de ses tapes sont ralises par un ordinateur
devant tre command par un programme182.
Ont t admises au bnfice de la protection par le brevet les inventions de logiciels, reposant
sur des logiciels qui produisent un effet technique supplmentaire. Il en est ainsi lorsque leur
mise en uvre sur un ordinateur produit un effet technique supplmentaire allant au-del des
interactions physiques "normales" entre programme (logiciel) et ordinateur (matriel)183.
Ds lors, associs aux priphriques permettant de capturer les mouvements, tels que les
capteurs sensoriels, lintgralit des lments composant lapplication de ralit virtuelle et
notamment le logiciel pourrait tre protge par le brevet.
Pour bnficier de cette protection, les innovations devront satisfaire trois conditions:
tre nouvelles;
manifester une activit inventive;
avoir une application industrielle.

180CPI, Art. L. 112-1.


181Art. L.611-10.1.
182CA Paris 15 juin 1981, PIBD 1981, n 185, III, p. 175.
183OEB Ch.recours techniques, 1er juillet 1998, IBM, 10/1999, p. 60.

Optimisation de la protection
Compte tenu de la valeur essentielle des applications de ralit virtuelle pour les entreprises qui
investissent massivement en recherche et dveloppement, il est conseill de mettre en uvre
des moyens de protection complmentaires:
dpt probatoire;
charte graphique juridique;
traabilit;
piges et mesures techniques de protection;
confidentialit.
Ces diffrentes actions sinscrivent dans une dmarche prventive.
Lobjectif est de permettre aux diteurs dapplication de ralit virtuelle de disposer dlments
propres dmontrer:
la date de cration des applications et de leurs versions successives;
leur paternit sur les crations;
lventuelle reproduction par un tiers non-autoris.

Le synopsis
Avant de diffuser au public une application de ralit virtuelle, il convient de sassurer de:
disposer de lintgralit des droits sur les lments prexistants ;
avoir acquis lintgralit des droits sur les lments crs;
dans lhypothse o lapplication est associe un priphrique, avoir examin
lopportunit dun dpt de brevet et la brevetabilit de linvention;
avoir procd un dpt probatoire;
avoir mis en place des mesures de traabilit, des piges et des mesures techniques
de protection.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 133

2.5
Droit dauteur et jeu vido
Paysage conomique et juridique du jeu vido
en France et ltranger
par Matre Antoine Casanova

lauteur
Antoine Casanova est avocat au barreau de Paris et intervient spcifiquement en droit des
nouvelles technologies et en proprit intellectuelle. Antoine Casanova a galement une activit
denseignant et dauteur darticles pour des revues juridiques spcialises. Il est aussi (et surtout)
un grand amateur de jeux vido.

Synthse
Le jeu vido est un secteur en pleine expansion conomique et mutation technologique. Malgr
ses 40 ans dexistence, ce type duvre na toujours pas un rgime permettant dassurer une
relle scurit juridique pour les acteurs du secteur. Il pourrait tre opportun que le droit franais
se rapproche des droits trangers en la matire en assurant aux diteurs et studios la titularit
des droits dauteur.

mots cls : jeux vido | droit dauteur | logiciel |


uvre multimdia | uvre complexe | rgime distributif |
joueur crateur | droit compar
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 135

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

I - Gense et histoire (abrge) du jeu vido


Il est difficile de dater la cration du jeu vido. Pour certains, le jeu vido est invent en 1952 par
Alexander Douglas, un tudiant de Cambridge ayant programm un jeu de morpion dnomm
OXO sur lun des premiers ordinateurs britanniques.
Pour dautres, la date retenir est plutt 1958 avec le jeu Tennis for Two cr par Willy
Higinbotham afin de distraire les visiteurs du laboratoire national de Brookhaven (tat de New
York) lors de journes portes ouvertes, ou encore 1962 avec Steve Russel qui dtourne un
calculateur du MIT et programme un jeu dnomm Space War184.
Dans tous les cas, ces dates ne peuvent tre retenues qu titre de gense du jeu vido puisquil
sagissait avant tout de dmonstrations et dessais sans intention de commercialisation.
Il faudra attendre 1972 pour voir apparatre la premire commercialisation dun jeu vido avec le
fameux Pong cr par Nolan Bushnell et mis en service dans un caf californien.
Lanne suivante, Nolan Bushnell cre la socit Atari, entreprise mythique du secteur du jeu
vido, qui sera la premire socit commercialiser une console de jeu destine aux tlviseurs
(1975). Il sagit de la premire rvolution du mode de consommation du jeu vido.
En effet, le jeu vido nest ds lors plus rserv aux bars, cafs et salles darcade mais se
consomme dsormais chez soi devant son tlviseur. Ce mode de consommation du jeu vido ne
changera plus jusqu sa seconde rvolution: larrive de lInternet grand public et le jeu en ligne.
Lexplosion de lInternet 2.0 et la rvolution numrique ont profondment modifi le
secteur des produits culturels et ludiques, et particulirement le secteur du jeu vido qui
a connu et connat encore une volution fulgurante.
Dune part, lamlioration des technologies a multipli les possibilits des machines et
donc les possibilits graphiques des jeux vido. Dautre part, Le dveloppement du haut
dbit, de lInternet 2.0 et plus rcemment des quipements portables (smartphones et
tablettes) ont profondment modifi les comportements des consommateurs en matire
de jeu vido.
Aujourdhui, les consommateurs de jeux vido font plus que jouer sur leur console ou leur
ordinateur. Ils communiquent et interagissent en ligne avec dautres joueurs afin damliorer
leur progression au sein du jeu (par exemple le fameux don de vie que les accros au jeu Candy
Crush connaissent bien), forment des communauts, partagent leurs expriences, informations
et rsultats sur les rseaux sociaux.
Certains jeux vido permettent mme aux utilisateurs daller plus loin et de devenir eux-mmes
crateurs dlments utilisables dans le jeu (personnages, personnalisation dobjets, cration de
niveaux, etc.).

184Rapport dinformation du Snat n852 du 18 septembre 2013 au nom de la commission


des affaires conomiques (1) et de la commission de la culture, de lducation et de la
communication (2) par le groupe de travail sur les jeux vido, par Messieurs les snateurs
Andr Gattolin et Bruno Retailleau.

II - Un secteur conomique singulier


Le jeu vido est galement trs singulier dun point de vue conomique.
Il sagit dun secteur conomique entirement mondialis, tant du point de vue de la
production que de la consommation, le continent africain restant toutefois encore en retrait
par rapport lAmrique du Nord, lEurope et lAsie185.
Sil est mondialis, le march du jeu vido nen reste pas moins trs cloisonn du fait de la
multiplication des supports et de ses modes de consommation extrmement diversifis.
Le march du jeu vido peut ainsi se subdiviser en fonction du support du jeu (PC, consoles
de salon, smartphones et tablettes lectroniques) mais galement en fonction des catgories
de jeux dont une liste exhaustive ne saurait tre ralise (citons par exemple les jeux daventure,
de stratgie en temps rel ou par tour, de simulation de course ou de sport, de rflexion),
chacune delle pouvant disposer dun public propre.
En plus dtre un march extrmement cloisonn, il sagit en outre dun march
hyperconcurrentiel186 clat en une multiplicit dacteurs allant des gants de ldition tels que
lamricain Electronic Arts ou le franais Ubisoft une multitude de studios de dveloppement
relevant gnralement de la catgorie des PME voire des TPE, dissmins la surface du globe.
En matire de jeux vido, le dveloppement est ralis par ce que la pratique appelle un
studio, soit une entit rassemblant les comptences ncessaires la cration du jeu dans
sa composante technique (logiciel) et artistique (graphisme, scnario, musique).
Dans ce secteur conomique, le terme diteur dsigne plutt lacteur conomique qui
assure la production du jeu, cest--dire le financement de sa ralisation puis sa fabrication
et sa commercialisation.
La frontire qui existait autrefois entre ces deux acteurs conomiques est de plus en plus remise
en cause dans la pratique.
En effet, les gants de ldition du jeu vido disposent maintenant trs souvent de leurs propres
studios, quils soient intgrs au sein de leur structure ou quil sagisse de filiales.
Certains studios sont galement devenus diteurs de leurs propres jeux. Cest
particulirement vrai pour une nouvelle catgorie de jeux vido, les jeux sociaux, qui ont vu le
jour avec lexplosion des rseaux sociaux et qui utilisent principalement ce vecteur de diffusion
ainsi que les smartphones et tablettes. Gnralement, les jeux sociaux se caractrisent par un
cot de dveloppement technique plus faible que les autres jeux, permettant aux studios les
ayant crs de sautoproduire.
Les jeux sociaux ont connu un trs fort dveloppement ces dernires annes avec notamment de
grands succs comme Farmville 2, dvelopp et dit par la socit Zynga, qui annonait fin 2012
comptabiliser 40 millions de joueurs mensuels et 8 millions de joueurs quotidiens pour ce seul titre.

185Op. cit.
186
Les guerres conomiques des jeux vido, ParisTech Review, 13 mars 2012.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 137

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

Le dveloppement des rseaux sociaux et des supports mobiles de type smartphones ou


tablettes lectroniques a galement entran le dveloppement dun nouveau modle
conomique relatif au jeu vido: le freemium.
Dans ce modle conomique, lutilisation du jeu est gratuite mais le joueur se voit proposer
des options payantes, gnralement dun faible montant, lui permettant de progresser plus
rapidement dans le jeu ou de dbloquer des options.
Le nombre de jeux vido proposs sous le modle conomique du freemium sur les
plateformes de tlchargement dapplications destination des smartphones et tablettes
lectroniques est en constante augmentation. Le montant de la dpense moyenne effectue
par les utilisateurs de ce type de jeu vido est galement en augmentation187.
Malgr la crise conomique actuelle, le secteur conomique du jeu vido reste globalement un
secteur en croissance.
Ainsi, pour lanne 2013, le chiffre daffaires mondial gnr par lindustrie du jeu vido est
estim 66 milliards deuros, dont 2,6 milliards deuros pour la France188. Pour lanne 2016, les
estimations avancent un chiffre daffaires mondial denviron 80 milliards deuros.
Ces chiffres ne doivent pas pour autant cacher la fragilit du secteur, notamment pour les petits
acteurs, diteurs ou studios, qui survivent difficilement. Ainsi, plusieurs dizaines dentreprises
franaises du secteur ont dpos le bilan courant 2013 dont la mythique socit Atari, devenue
franaise aprs son rachat par la socit Infogrames Entertainment en 2001189.
Malgr limportance de ce secteur conomique dans lequel la France compte plusieurs
acteurs de premier rang au niveau mondial, le droit franais a le plus grand mal tablir un
rgime juridique stable, gage dune relle scurit juridique pour les acteurs du secteur.

III - Un rgime juridique source dinscurit


Le jeu vido existe depuis maintenant presque un demi-sicle et si le droit franais ne sest pas
dsintress de la question de son rgime juridique, notamment au regard du droit dauteur,
aucun rgime juridique adapt na pour autant pu tre dgag.

A. Le jeu vido est une uvre


Pour prtendre la protection par le droit dauteur, toute cration doit rpondre deux critres
principaux. Elle doit tout dabord se manifester par une expression apparente et tangible et
ensecond lieu tre originale. Cette condition doriginalit nest pas expressment mentionne
par le Code de la proprit intellectuelle comme condition de la protection, la diffrence
de nombreux droits trangers qui la mentionnent expressment. Cette condition existait

187Cf. note 184.


188
Livre blanc 2013 le jeu vido en France lments cls 2013, publi par le Syndicat
national des jeux vido et se basant notamment sur une tude de lIDATE du mois de
novembre 2013.
189Cf. note 184.

toutefois avant la loi du 11 mars 1957 sur la proprit littraire et artistique, de sorte que mme
aprs la promulgation de cette loi, il a toujours t considr par la jurisprudence qu dfaut
dtre originale, une cration ne pouvait prtendre la protection offerte par le droit dauteur190.
La jurisprudence dfinit classiquement loriginalit comme le reflet ou lempreinte de la
personnalit de lauteur sur son uvre191.
Larticle L 112-2 du Code de la proprit intellectuelle donne une liste des crations susceptibles
dtre considres comme une uvre de lesprit et donc pouvant tre protges par le droit
dauteur sous rserve dtre originales.
Le jeu vido ne figure pas dans cette liste. Toutefois, cette liste nest pas limitative, de sorte
cela na jamais t considr comme remettant en cause la possibilit pour un jeu vido dtre
protg par le droit dauteur. Cette possibilit a dailleurs t admise depuis longtemps par la
Cour de cassation192.
Cependant, le rgime de droit dauteur applicable une uvre peut dpendre de la catgorie
laquelle elle est rattache. Ainsi, le rgime juridique applicable une uvre audiovisuelle diffre
de celui applicable une uvre logicielle.
La question de savoir dans quelle catgorie duvre le jeu vido doit tre class a donc son
importance.
La difficult du droit dauteur apprhender le jeu vido provient de ce quil sagit
dune cration protiforme compose dlments logiciels, de bases de donnes mais
galement dlments visuels et audio.
La jurisprudence a donc connu de nombreuses hsitations quant au rattachement du jeu vido
une catgorie duvre dtermine permettant ainsi de fixer le rgime juridique devant lui tre
appliqu.

B. Le jeu vido dabord assimil une uvre logicielle


Cest tout dabord la composante logicielle qui la emport sur les autres. En 1997, la cour
dappel de Caen a ainsi considr que cest le logiciel qui apparat comme spcifique et primordial
dans le produit complexe quest le jeu vido et celui-ci doit en consquence bnficier de la protection
particulire accorde aux logiciels193. La Cour de cassation suivra galement cette analyse dans
un arrt du 21 juin 2000194.
Luvre logicielle rpond un rgime particulier, notamment dans le cas duvre logicielle
ralise par les salaris dune socit.

190Cass. Ass. Plen., 7 mars 1986.


191CA Paris, 24 novembre 1988 et Cass. Civ. 1re, 17 fvrier 2004.
192Cass. Ass. Plen., 7 mars 1986, n 84-93.509 Atari Inc. c/ Valadom et Cass. Ass. Plen.,
7 mars 1986, n85-91.465 Williams Electronics Inc c/ Claudine T. et socit Jeutel.
193CA Caen, 19 dcembre 1997 Annie T. c/ Valrie A..
194Cass. Crim, 21 juin 2000, n 99-85.154.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 139

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

Selon larticle L 111-1 du Code de la proprit intellectuelle Lauteur dune uvre de


lesprit jouit sur cette uvre, du seul fait de sa cration, dun droit de proprit incorporelle
exclusif et opposable tous.
La jurisprudence en tire pour consquence que la conclusion dun contrat de travail par lauteur
dune uvre ne suffit pas droger la rgle voulant que ce soit lauteur de luvre qui jouisse
des droits dauteur relatifs son uvre195.
En matire de logiciel, cette rgle connat une drogation majeure. Selon larticle L 113-9
du Code de la proprit intellectuelle, lorsquun logiciel est cr par un salari dans le
cadre de lexercice de ses fonctions ou suivant les instructions de son employeur, les
droits dauteur reviennent directement lemployeur sauf stipulation contraire du contrat
de travail.
La cration dun jeu vido ncessite lintervention dune multitude de personnes apportant
chacune leur pierre ldifice en fonction de leurs comptences (dveloppeurs, scnaristes,
graphistes, etc.). Si ces diffrentes personnes sont des salaris du studio, la qualification du jeu
vido en logiciel a pour consquence directe de permettre au studio dtre propritaire sans
formalit particulire des droits dauteur relatifs au jeu vido cr grce ces diffrents apports
et crations.
Si, au contraire, le jeu vido nest pas qualifi duvre logicielle, le rgime spcifique prvu par
larticle L 113-9 du Code de la proprit intellectuelle ne sapplique pas et, en consquence,
le studio de dveloppement doit contracter une cession de droit avec chaque personne ayant
contribu au jeu et dont le travail est susceptible dtre qualifi duvre.

C. Le rejet de luvre audiovisuelle au profit de luvre multimdia


Si le jeu vido a une composante logicielle dont limportance est indniable, il diffre
nanmoins des autres types de logiciels en ce que sa dimension audiovisuelle revt une
prpondrance au moins quivalente.
En effet, pour de trs nombreux jeux vido, il apparatrait difficile de rduire la composante
audiovisuelle au simple accessoire de la composante logicielle. Le jeu vido peut-il pour autant
tre considr comme une uvre audiovisuelle?
Luvre audiovisuelle se distingue des autres uvres par son rgime qui est spcifique.
Luvre audiovisuelle est ainsi lgalement prsume tre une uvre de collaboration,
cest--dire une uvre laquelle plusieurs auteurs ont concouru et qui en ont la proprit
commune (article L 113-3 du Code de la proprit intellectuelle).
Concernant luvre audiovisuelle, larticle L 113-7 du Code de la proprit intellectuelle fixe
la liste prsume de ses auteurs et donc de ses propritaires (le ralisateur, le scnariste, etc.).
Selon larticle L 112-2 6 du Code de la proprit intellectuelle, une uvre audiovisuelle se dfinit
comme une uvre consistant en des squences animes dimages, sonorises ou non.

195Cass. Civ. 1re, 16 dcembre 1992, n91-11.480.

Aucun des lments de la dfinition donne par larticle L 112-2 6 du Code de la proprit
intellectuelle nest a priori incompatible avec le jeu vido. Cependant, la jurisprudence
a toujours considr que le caractre interactif dune uvre tait incompatible avec la
qualification duvre audiovisuelle196.
Or, la principale diffrence entre un jeu vido et un film consiste bien en lintervention du joueur
qui nest pas spectateur mais acteur de luvre. De ce fait, la jurisprudence a eu tendance
qualifier les jeux vido duvres multimdia.
Dans la clbre affaire Cryo, la cour dappel de Paris a ainsi considr que le jeu vido ne relevait
pas de la catgorie des uvres audiovisuelles mais tait une uvre multimdia qui ne se rduit
pas au logiciel qui permet son excution197.
Le rejet de la qualification du jeu vido en uvre audiovisuelle exclut par consquent lapplication
de son rgime particulier.
La qualification du jeu vido en uvre multimdia na pas permis pour autant de scuriser
le rgime juridique applicable au jeu vido.
Dune part, luvre multimdia ne figure pas dans la liste de larticle L 112-2 du Code de la
proprit intellectuelle et, dautre part, la jurisprudence na jamais rellement esquiss les
contours dun rgime juridique applicable ce type duvre.
Enfin, la jurisprudence a par la suite passablement complexifi la question en qualifiant le
jeu vido duvre complexe et en posant le principe dun rgime distributif198.

D. uvre complexe rgime plus que complexe


Lorsquune catgorie duvre na pas de rgime particulier, il convient de lui appliquer les rgles
de droit commun prvues par le Code de la proprit intellectuelle.
Concernant la question de la titularit des droits dauteur dune uvre cre par plusieurs
personnes, comme cest souvent le cas en matire de jeux vido, le Code de la proprit
intellectuelle distingue deux types duvres: luvre de collaboration et luvre collective.
Luvre de collaboration, dj voque ci-dessus, est la proprit commune des auteurs ayant
concouru sa cration.
Une uvre est qualifie de collective lorsquelle est cre linitiative dune personne, physique
ou morale, et que sa cration ncessite la contribution dune pluralit dauteurs, chacune des
contributions se fondant dans lensemble en vue duquel elle est conue (article L 113-2 du Code
de la proprit intellectuelle).

196CA Paris, 28 avril 2000 confirm par Cass. Civ. 1re, 28 janvier 2003, n00-20.294.
197CA Paris, 3e chambre section B, 20 septembre 2007, RG n07/01793.
198Cass. Civ. 1re, 25 juin 2009, n07-20.387.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 141

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

La cration dun jeu vido ncessite lintervention dune pluralit de comptences graphiques et
techniques. Il tait ds lors possible danalyser ces diffrentes interventions en des contributions
visant se fondre dans lensemble que formera le jeu vido finalis.
La qualification du jeu vido en uvre collective semblait donc la plus vraisemblable et
certainement la solution la plus simple. Cest dailleurs ainsi que de nombreux acteurs du
domaine considraient le jeu vido.
Pourtant dans un important arrt du 25 juin 2009, la Cour de cassation en a dcid autrement199.
Dans son arrt Cryo, la Cour de cassation relve que le jeu vido est une uvre complexe
qui ne saurait tre rduite sa seule dimension logicielle, quelle que soit limportance de
celle-ci. La Cour de cassation en conclut que chacune des composantes du jeu vido est
soumise au rgime de droit dauteur qui lui est applicable selon sa nature.
La Cour de cassation a donc tranch en faveur dun rgime distributif, faisant ainsi cohabiter
le rgime de luvre logicielle pour la composante logicielle du jeu, le rgime de luvre
audiovisuelle pour les cinmatiques, le rgime de luvre musicale pour la musique mais
galement, le cas chant, le rgime spcifique des bases de donnes ou encore le rgime de
droit commun pour toutes les composantes qui ne relvent pas dune catgorie duvre dote
dun rgime spcifique.
Cette solution a t depuis reprise par la cour dappel de Paris dans un arrt du
26septembre2011200 o elle nonce que le jeu vido est une uvre complexe dont chaque
composant est soumis un rgime propre.
Si la jurisprudence qualifie le jeu vido duvre complexe, il faut reconnatre quelle entend lui
dessiner un rgime la hauteur de cette qualification. Malheureusement pour le secteur du jeu
vido, ce rgime distributif ne rgle aucun des problmes poss par le jeu vido en matire de
droit dauteur.
Pour les professionnels du secteur, cette solution aboutit finalement complexifier encore
plus la problmatique relative au droit dauteur applicable au jeu vido. Elle nest donc
absolument pas fonctionnelle puisquelle revient augmenter encore un peu plus linscurit
juridique en la matire.
Il est ds lors parfaitement impossible de sen satisfaire pour un secteur conomique pesant
plusieurs dizaines de milliards deuros au niveau mondial, dont 2,6 milliards rien que pour le
march franais201.

199Op. cit.
200CA Paris, Ple 5, Chambre 12, 26 septembre 2011, Nintendo c/ Absolute Games.
201Cf. note 188.

E. Une composante particulire: la musique


Finalement, le seul mrite de cette solution jurisprudentielle est davoir mis en exergue
la composante particulire quest la musique non spcialement compose pour le jeu
vido, laquelle semble effectivement appeler ce que son rgime propre lui soit appliqu,
comme cest dj le cas en matire duvre audiovisuelle.
Ds 2007, toujours dans laffaire Cryo, la cour dappel de Paris avait point la particularit de la
musique dans le jeu vido202.
La cour dappel avait alors relev, propos de compositions musicales appartenant des auteurs
adhrents de la Sacem et reproduites au sein dun jeu vido, que celles-ci ne se fondaient pas
dans lensemble que formait le jeu vido et quil tait possible dattribuer au compositeur ses
droits distincts sur luvre musicale.
Cette particularit des compositions musicales reproduites dans les jeux vido a galement t
releve par les diffrents rapports rendus en la matire.
Ainsi, dans son rapport du 30 novembre 2011, le Dput Patrice Martin-Lalande prconisait
dappliquer au jeu vido le rgime de luvre de collaboration avec une attribution de la qualit
dauteur base sur les fonctions occupes lors du processus de cration, notamment celle lie
la composition musicale spcialement ralise pour le jeu203.
Philippe Chantepie, dans son rapport du 27 fvrier 2013, prconisait galement que la
composition musicale suive son rgime propre et non celui propos pour le jeu vido204.
Il est vrai qu la diffrence des autres composantes du jeu vido, les musiques composant
la bande originale peuvent tre aisment diffrencies du jeu en lui-mme, et ce tout
particulirement lorsquelles nont pas t composes spcialement pour le jeu vido.
Les compositions musicales peuvent en outre faire lobjet dune exploitation commerciale
totalement spare du jeu vido dans lequel elles ont t reproduites.
Il semble donc quil ny ait pas dobstacles lapplication du rgime des uvres musicales aux
compositions musicales incorpores dans un jeu vido.

202Cf. note 197.


203Rapport de Monsieur le dput Patrice Martin-Lalande pour la mission parlementaire
sur le rgime juridique du jeu vido en droit dauteur, 30 novembre 2011.
204Rapport de Monsieur Philippe Chantepie, Un rgime de proprit littraire et
artistique de la cration salarie dans le secteur du jeu vido, 27 fvrier 2013.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 143

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

IV - Le cadre juridique du jeu vido ltranger


Dans son rapport du 30 novembre 2011, Patrice Martin-Lalande invitait relativiser limpact
de linscurit juridique relative au rgime juridique applicable au jeu vido en matire de droit
dauteur dans le cadre de la comptitivit des acteurs franais sur le march mondial.
Il nen demeure pas moins quun rgime juridique clair, prcis et surtout non fluctuant ne nuirait
pas la comptitivit des acteurs franais sur le march mondial.
Un tour dhorizon du droit tranger permet de relever que les autres pays connaissent
galement des difficults qualifier le jeu vido, mais qu la diffrence du droit franais,
ils disposent de rgles relativement claires quant la titularit des droits dauteur en la
matire.

A. Canada
Grce une politique fiscale trs intressante, avec notamment un crdit dimpt avantageux,
le Canada est devenu un lieu incontournable de la cration de jeu vido. De nombreux acteurs
majeurs du secteur sy sont implants, notamment le franais Ubisoft205.
Le droit canadien en matire de droit dauteur relatif au jeu vido nest pas pour linstant
dfinitivement fix. En effet, en droit canadien, le jeu vido peut relever de deux catgories
duvres206.
Il peut relever de la catgorie dnomme Collective Work, qui dsigne une cration consistant
en plusieurs parties distinctives ralises par une pluralit dauteurs, ce qui peut tre rapproch
de luvre de collaboration du droit franais.
Le jeu vido peut galement relever de la catgorie des Works of Joint Authorship, qui dsigne
les crations ralises par une pluralit dauteurs dont les contributions ne sont pas distinctes les
unes des autres, ce qui correspond schmatiquement luvre collective franaise.
Pour donner droit la qualit dauteur dune uvre qualifie de Works of Joint Authorship, la
contribution doit tre significative ou substantielle, ce qui en matire de jeu vido peut donner
lieu de nombreuses interprtations et revient obliger les juridictions oprer au cas par cas.
Il convient en outre de noter que certaines cours canadiennes ajoutent une condition la
reconnaissance de la qualit dauteur dune uvre dnomme Works of Joint Authorship
consistant en la volont partage des auteurs de crer conjointement luvre. Cette question
peut se rvler extrmement dlicate traiter en matire de jeu vido.
En droit canadien, linstar de la situation franaise, la question de la catgorie duvre
laquelle appartient le jeu vido est donc loin dtre rgle.

205
Le Canada, eldorado des dveloppeurs franais de jeux vido, Chol Woitier,
3 avril 2013 sur www.lefigaro.fr.
206
The legal status of video games: comparative analysis in national approaches, Andy
Ramos, Laura Lopez, Anxo Rodriguez, Tim Meng et Stan Abrams, WIPO, 29 juillet 2013.

Cependant, le droit canadien avantage la personne morale qui finance la cration du jeu
vido: les auteurs salaris ne sont pas propritaires de leur uvre, sauf en cas de stipulation
contraire de leur contrat de travail. Cette rgle est donc lexacte oppose de la rgle franaise
en la matire.
Cette rgle scurise donc les studios de dveloppement et les diteurs qui sont ainsi assurs de
ne pas voir lexploitation du jeu vido dont ils ont financ la ralisation bloque par un dsaccord
avec lun de leurs salaris ayant particip sa cration.
En rsum, au Canada, si la catgorie duvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
clairement tablie, les rgles en matire de dvolution des droits dauteur assurent une certaine
scurit juridique aux studios de dveloppement et aux diteurs. La situation chez son voisin
dAmrique du Nord nest pas trs diffrente.

B. tats-Unis
Aux tats-Unis, la catgorie de luvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
dtermine et dpend entirement de la prdominance de lune de ses diffrentes
composantes (logicielle, graphique, audiovisuelle).
Les diffrentes composantes du jeu vido se verront appliquer le rgime juridique
applicable la composante dominante. Cest donc lapplication du principe qui veut que
laccessoire suive le principal.
Par exemple, dans le cas o la composante logicielle est considre prdominante, le jeu vido
sera class dans la catgorie des programmes dordinateurs (Computer Programs). Il peut
galement relever dautres catgories comme les uvres visuelles (Visual Artworks) ou encore
les uvres audiovisuelles (Audiovisual Work)207.
En pratique, cette incertitude sur la catgorie duvre laquelle appartient le jeu vido nest pas
source dinscurit juridique quant la titularit des droits dauteur sur le jeu vido cr.
En effet, aux tats-Unis, si les droits dauteur appartiennent en principe son auteur, il en va
autrement dans le cas o luvre rpond aux conditions du Work Made for Hire.
En matire de Work Made for Hire, il faut distinguer la cration ralise par un employ ou de
celle ralise par un tiers via un contrat de commande.
Schmatiquement, lorsque la cration a t effectue par un salari, les droits dauteur
appartiennent lemployeur sauf sil en a t expressment convenu autrement.
linstar du droit canadien, cette disposition du Copyright Act est trs favorable et
scurisante pour les studios de dveloppement et les diteurs en car elle limite grandement
les risques de blocage de lexploitation de luvre.

207Cf. note 206.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 145

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

En matire de contrat de commande, la situation est lgrement plus complexe et moins


scurisante pour les studios et les diteurs: luvre ne se verra appliquer le rgime du Work
Made for Hire que sil sagit dune uvre relevant de lun des neuf cas lists la section 101
du Copyright Act.
Les cas de la liste pouvant ventuellement sappliquer au jeu vido sont les contributions
une uvre collective (Contributions to a Collective Work) ou encore les parties duvres
audiovisuelles (Part of a Motion Picture or other Audiovisual Work). Au regard du Copyright Act,
le jeu vido peut tre enregistr en tant quuvre audiovisuelle si cette composante est plus
importante que les autres, notamment la composante logicielle, mais cette hypothse nest pas
la plus frquente.
Aux tats-Unis, le terme Collective Work dsigne les crations contenant des contributions qui
ont t assembles pour former un ensemble (Work Containing Contributions that Have Been
Assembled into a Collective Whole).
En consquence, dans le cas o un diteur ou un studio viendrait faire intervenir sur un
projet de jeu vido un prestataire en freelance, le rgime du Work Made for Hire nest pas
automatique.
Aux tats-Unis, si la question de la catgorie duvre laquelle appartient le jeu
vido est tout aussi complexe quen France, le rgime du Work Made for Hire, qui
sappliquera pour la majorit des cas, assure tout de mme aux studios et aux diteurs le
bnfice dune certaine scurit juridique quant la titularit des droits dauteur sur les
contributions des diffrents intervenants.

C. Japon
En droit japonais, la Cour suprme a jug en 2002 que les jeux vido relevaient de la catgorie
des uvres cinmatographiques. Toutefois, le rgime des uvres cinmatographiques fait
lobjet de plusieurs adaptations concernant les jeux vido.
De plus, la composante logicielle dun jeu vido peut tre protge en tant quuvre littraire.
Cependant, cette protection se limite au code source du logiciel ( lexclusion du langage de
programmation et des algorithmes), sous rserve quil soit original.
En consquence, en droit japonais, le jeu vido peut faire lobjet dune qualification
distributive entre uvre cinmatographique et uvre littraire pour la partie logicielle208.
La solution japonaise est donc proche de la solution franaise dgage par larrt Cryo.
linstar des pays de copyright, le droit japonais considre que lorsque luvre est cre par
un salari dans le cadre de ses fonctions, luvre appartient lemployeur si ce dernier publie
luvre sous son nom et que le contrat de travail ne contient pas de stipulations contraires.

208Cf. note 206.

D. Allemagne
En droit allemand, le jeu vido fait galement lobjet dune distribution entre sa composante
logicielle et sa composante audiovisuelle.
La composante logicielle est considre comme relevant de la catgorie des crations de la
parole.
La composante audiovisuelle peut tre protge en tant que film mais cette protection ncessite
quun certain degr de crativit et doriginalit soit reconnu la cration. Dans le cas contraire,
la composante audiovisuelle du jeu vido sera protge en tant quimages animes.
Concernant les logiciels, le droit allemand prvoit que lorsque le logiciel est cr par un salari dans
le cadre de ses fonctions, les droits dauteur appartiennent exclusivement lemployeur, sauf si le
contraire a expressment t convenu. La particularit du droit allemand est que cette rgle est
galement applique en cas de contrat de commande (ce qui nest pas le cas en droit franais).
Cette rgle extrmement favorable aux studios de dveloppement est toutefois limite la
composante logicielle puisquen matire duvres audiovisuelles, le droit allemand ne prvoit
pas de transfert automatique des droits dauteur au profit de lemployeur ou du commanditaire
dune uvre.
Concernant la composante audiovisuelle, les studios doivent donc se prmunir de tout risque de
blocage de lexploitation des contributions des diffrents intervenants en contractant avec eux
une cession de leurs droits dauteur.
Le droit allemand nest donc pas totalement exempt dinscurit juridique pour les studios de
dveloppement et les diteurs.

V - Quel pourrait tre le droit franais de demain


concernant les jeux vido
Le rapport de Monsieur le dput Patrice Martin-Lalande remis en 2011 ne contenait aucune
proposition prcise sur la question du rgime juridique du jeu vido. Tout juste une proposition
consistant faire inscrire le jeu vido dans la liste des uvres de larticle L 112-2 du Code de la
proprit intellectuelle209. Le rapport remis par Monsieur Philippe Chantepie fin 2013, reprenait
galement cette proposition.
Linscription du jeu vido dans la liste de larticle L 112-2 du Code de la proprit intellectuelle
relve plus dun acte symbolique de reconnaissance que de lintrt juridique stricto sensu (ce
que relve dailleurs Patrice Martin-Lalande dans son rapport).
En tout premier lieu, la possibilit pour un jeu vido dtre protg par le droit dauteur na jamais
rellement fait dbat et est expressment reconnue par la jurisprudence depuis 1986210. Il faut

209Cf. note 203.


210Cf. note 192.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 147

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

galement rappeler que le jeu vido fait dj lobjet dune dfinition lgale. Il sagit dune
dfinition finalit fiscale puisquelle figure larticle 37 de la loi n2007-309 du 5 mars 2007
qui est relatif au crdit dimpt jeu vido.
Selon cet article, le jeu vido se dfinit comme tout logiciel de loisir mis la disposition du public
sur un support physique ou en ligne intgrant des lments de cration artistique et technologique,
proposant un ou plusieurs utilisateurs une srie dinteractions sappuyant sur une trame scnarise
ou des situations simules et se traduisant sous forme dimages animes, sonorises ou non. On
pourrait avancer lintrt dautonomiser le jeu vido par rapport aux autres catgories duvres,
notamment le logiciel, mais cela a dj t ralis par la Cour de cassation dans son arrt Cryo211.
Dans son rapport, Monsieur Chantepie constatait quun consensus entre les diffrents acteurs
du secteur ntait pas possible tant leurs positions respectives taient irrconciliables. Il
tait galement relev que la mise en place dun rgime juridique propre au jeu vido ntait
finalement plus souhaite par les acteurs du secteur212.
La solution jurisprudentielle consistant faire application distributive en fonction des
diffrentes composantes du jeu vido est rellement trop complexe.
Cette solution cre une inscurit juridique en ce quelle rend particulirement dlicate pour les
professionnels du secteur la question de la dtermination de la dvolution des droits dauteur
en la matire.
Cette complexit implique pour les acteurs du secteur la ncessit dune gestion juridique du
problme, ce que de nombreux acteurs ne peuvent financirement supporter compte tenu
de leur taille rduite et de limpratif dimpliquer toujours plus de moyens financiers dans la
production et le dveloppement, afin de suivre lvolution technologique du secteur et rester au
contact dun march extrmement mouvant et dlicat apprhender.
Les principaux pays producteurs de jeux vido (tats-Unis, Canada et Japon) connaissent les
mmes difficults et hsitations que le droit franais quant la qualification du jeu vido et la
catgorie duvre laquelle le rattacher, mais dans ces droits trangers, cette difficult na pas
de rpercussion sur la question de lattribution des droits dauteur.
La raison en est simple. Ces droits disposent tous dun ensemble de rgles prvoyant que
les droits dauteur dune uvre cre par un salari dans le cadre de ses fonctions ou par
un freelance dans le cadre dun contrat de commande appartiennent lemployeur ou au
commanditaire.
Le droit amricain, canadien et japonais font en sorte de doter le preneur de risques
(cest--dire le studio ou lditeur) des droits dauteur, ce qui limite fortement le risque de
blocage et prennise lexploitation commerciale du jeu vido.
La protection de linvestisseur na jamais t la relle priorit du droit dauteur franais
qui (sur)protge les auteurs.

211Cf. note 198.


212Cf. note 204.

Peut-tre est-il temps pour le droit dauteur franais de prendre conscience que la cration
duvre a dsormais, au moins pour certains secteurs comme celui du jeu vido, une finalit
plus commerciale quartistique. Peut-tre est-il tout simplement temps pour le droit dauteur
franais dentrer dans le XXIe sicle.
Concernant le jeu vido, le droit dauteur franais pourrait se rapprocher dun tat plus
scurisant pour les investisseurs, comme il la dj fait en matire de logiciel. La mme
rgle que celle prvue par larticle L 113-9 du Code de la proprit intellectuelle en matire de
logiciel pourrait tre envisage, cest--dire considrer quen matire de jeu vido, les droits
dauteur appartiennent lemployeur toutes les fois que la cration a t ralise par le salari
dans le cadre de ses fonctions.
Compte tenu de son caractre particulier, la musique non compose spcialement pour le jeu
vido semble devoir tre traite part selon les rgles spcifiques relatives ce type duvre.
Cest dailleurs dj le cas en matire duvre audiovisuelle, et rien ne semble impliquer quil
faille traiter le jeu vido diffremment de luvre audiovisuelle sur ce point.
Ces lgers amnagements ne suffiront pas rendre les acteurs franais plus attractifs et
comptitifs sur le march international. Cependant, ils pourront contribuer scuriser
les investisseurs sur une question primordiale touchant lexploitation de lobjet de leurs
investissements.
Cette scurisation ne pourra pas faire de mal ce secteur conomique dans lequel la France,
malgr ses belles russites, encore tout gagner et ce dautant plus quapparaissent de
nouvelles problmatiques concernant le secteur.

VI - La problmatique des contributions des joueurs-crateurs


Avec le dveloppement des technologies et lamlioration des moyens de connexion
Internet, le statut du joueur de jeu vido a volu. Le joueur ne se contente plus
simplement de jouer devant son tlviseur de salon.
Dsormais, le joueur partage en ligne et en direct ses exploits et ses rsultats, communique
avec les autres joueurs avec qui il forme des communauts et peut galement devenir lui-mme
crateur de contenus, ce qui impacte les questions de droit dauteur.
Deux hypothses doivent tre distingues selon que la contribution cratrice des joueurs est
totalement extrieure la volont de lditeur du jeu vido ou si, au contraire, elle a t voulue
par ce dernier et quen consquence le jeu vido intgre les outils permettant au joueur de crer
du contenu supplmentaire.
Dans les deux cas, un droit dauteur ne pourra tre reconnu au profit du joueur-crateur que
dans le cas o sa contribution remplit les conditions de protection, notamment la condition
doriginalit.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 149

2.5 D
 roit dauteur et jeu vido

La seconde hypothse est un phnomne en fort dveloppement, les diteurs de jeux vido
ayant pris conscience de lattractivit que cette possibilit de contribution reprsente pour le
public actuel.
Lintrt pour les diteurs est galement conomique car ils ont juridiquement la
possibilit de sapproprier les diffrentes contributions et crations issues de cette source.
Il convient de rappeler que pour pouvoir utiliser le jeu vido, lutilisateur ne conclut pas un contrat
de vente avec lditeur mais se fait uniquement concder par ce dernier une licence dutilisation,
et ce mme dans le cas o le jeu serait fix sur un support physique.
En pratique, ce contrat de licence se forme au moment o lutilisateur voit apparatre la fentre
conditions dutilisation, ne la lit pas (comme toute personne raisonnable se trouvant face un
nouveau jeu vido dcouvrir) et clique sur le fameux bouton jaccepte.
Afin dobtenir les ventuels droits dauteur qui pourraient trouver sappliquer aux
contributions des joueurs, il suffit lditeur dintroduire dans les conditions de licence
dutilisation un transfert des droits en question son profit.
En droit amricain, la situation est similaire celle du droit franais sur cette question
relativement nouvelle. Les contrats de licence prvoient quasiment systmatiquement le
transfert des droits relatifs la contribution dun joueur au profit de lditeur du jeu vido.
la diffrence du droit franais, il serait mme possible au regard du droit amricain de
considrer que le transfert des droits dauteur pourrait intervenir au profit de lditeur sans clause
crite en ce sens dans les conditions de licence.
Il sagirait alors dune licence implicitement consentie par le joueur-crateur au profit de lditeur
sur sa contribution. Cette licence se dduirait de la volont manifeste du joueur daugmenter le
contenu du jeu en ralisant sa contribution partir des outils mis sa disposition213.
Malgr cette possibilit, il est tout de mme prfrable pour lditeur de prvoir expressment
un transfert des droits son profit dans les conditions dutilisation de la licence quil consent
lutilisateur.
Les diteurs amricains le prvoient dailleurs trs souvent dans leurs conditions de licence.
Les acteurs franais le font galement. Le droit franais napprhende pour linstant pas
spcifiquement ce phnomne, ce qui na rien de gnant dun point de vue conomique
et semble mme souhaitable, son apprhension par le jeu des conditions de licence tant
parfaitement suffisante.

213Cf. note 206.

la proprit intellectuelle,
un actif immatriel de
lconomie numrique
3.1 La marque dans lconomie numrique
Marie-Emmanuelle Haas
3.2 Cessions de tout ou partie de e-business
Scuriser les transactions par la notion de e-fonds de commerce
Tamara Bootherston
3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix
Lvaluation et le traitement comptable et fiscal des bases de donnes Badwill comptable
et fiscal de lindustrie des bases de donnes
Marc Levieils

p. 155

p. 175

p. 193

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 153

3.1
La marque dans lconomie
numrique
par Marie-Emmanuelle Haas

lauteur
Marie-Emmanuelle Haas est avocate au barreau de Paris, expert auprs du centre darbitrage
et de mdiation de lOrganisation mondiale de la proprit intellectuelle (OMPI ). Pionnire du
droit des noms de domaine, elle a dvelopp une pratique du droit de la proprit intellectuelle
et du droit du numrique reconnue, elle est rfrence dans The Legal 500, Paris 2014, dans
la catgorie proprit intellectuelle: boutiques. Son champ daction couvre la fois les
procdures denregistrement de droits de proprit intellectuelle, le conseil, le prcontentieux
et le contentieux.

synthse
Dans le monde du numrique, exister signifie tre visible. Lenjeu de la visibilit est majeur et
la marque est au cur de cette problmatique. Le dfi est de conjuguer harmonieusement le
monde dit rel et le monde du numrique en conservant la marque au cur du systme de
protection avec les autres droits de proprit intellectuelle. Il sagit aussi de dfendre la marque
dans cet univers, cest lenjeu de la rputation numrique.
Protection, usage et valorisation de la marque dans lconomie numrique.

mots cls : marque | nom de domaine | Internet |


rfrencement | protection | territoire | exploitation | dfense |
scurit | mot-cl
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 155

3.1 L a marque dans lconomie numrique

INTRODUCTION
Le monde du numrique (du latin numerus: nombre) est organis partir des nombres, les
donnes circulant de faon code selon un systme binaire. La technologie est le moteur de ce
systme et elle repousse sans cesse les frontires de cet univers, mobile par essence.
Le volume croissant des donnes disponibles et le caractre plantaire du phnomne
sont les deux principales caractristiques du monde du numrique dans lequel nos
socits et nos conomies se dveloppent.
Le village plantaire cr par le Web a sa langue avec le langage html, et ses protocoles de
communication. Cette image du village plantaire est la fois une ralit et une illusion. Cest
une ralit en ce sens que linformation mise en ligne est disponible partout dans le monde, sans
autres restrictions que celles mises en place par les tats, ou que celles dues aux diffrences de
langue entre les pays et aux diffrences de systmes juridiques entre les tats.
Ce phnomne est trs clair dans le domaine des marques, car la protection est fonction du pays
denregistrement ou dusage de la marque.
Le droit des marques contribue donc rtablir les frontires sur le Web et conduit
segmenter les stratgies.
La capacit dinnovation est la cl, pour tous les acteurs. Cette capacit peut tre de diverse
nature, pas seulement technologique. Grce au numrique, de nouveaux modles conomiques
voient le jour. Des activits traditionnelles comme la presse migrent vers le numrique, le
commerce lectronique se dveloppe sans cesse et de nouveaux modes de vente apparaissent.
La boutique, quand elle existe, devient lun des maillons de la chane, directement relay par les
sites web et les diffrents rseaux sur lesquels la marque est prsente. La marque est au cur
du systme, elle est le dnominateur commun, llment fdrateur qui se dcline dans
le monde du Web et du numrique en noms de domaine et en mots cls.
Les deux modes daccs un site sont lusage de son adresse, cest--dire de son nom de
domaine, ventuellement enregistr parmi les favoris, et la requte par mot-cl sur les moteurs
de recherche.
La puissance du Web rejaillit sur les noms de domaine, trs bien protgs en France, ds lors
quils sont exploits et quils ne dcrivent pas purement et simplement lobjet du site. Ils sont
des actifs valoriss au bilan, comme la marque.
Les deux enjeux sont, dune part la visibilit, qui conditionne le trafic sur le site et son audience
et, dautre part, la scurit des donnes de lentreprise et de ses clients, qui est un facteur de
confiance et de prennit. La rputation numrique de la marque est aussi un nouvel enjeu
de communication.
LInternet volue vite et constamment, ce qui signifie que les solutions, y compris
juridiques, doivent tenir compte de cette volution. Pour voluer harmonieusement et

efficacement, elles doivent reposer sur un socle clair et solide, capable de relier le monde
dit rel au monde du numrique.
Ce socle est le droit de la proprit intellectuelle, dont le droit des marques, cr la fin du
xixe sicle et qui na cess dvoluer depuis pour permettre aux acteurs conomiques de crer
leur primtre de visibilit et de protection sur le march. Si le numrique malmne la marque,
elle reste au cur du systme.
Cest pourquoi le point de dpart est lanalyse de la place de la marque dans le monde du
numrique, puis du binme marque et nom de domaine. (I)
Les questions classiques de la gestion, la cration, la protection, lexploitation et la dfense des
droits sont ensuite abordes travers le prisme du numrique. (II)
Dans ce monde en volution, existe-t-il un outil juridique permettant de remdier la difficult
de trouver un nom qui nest pas dj utilis et protg au bnfice dun tiers? La ncessit de
favoriser le dveloppement de lconomie numrique doit-elle conduire limiter la protection
des marques, avec lexemple du rfrencement payant sur Google? (III)

I - La place de la marque dans le monde du numrique


A. Comparaison marques et noms de domaine
La marque est un lment verbal et/ou figuratif, voire une odeur ou un son, destin tre associ
un produit ou un service, le dsigner. Cest pourquoi lorsque lon dpose une marque, il
est demand de rdiger la liste de ces produits et services, selon une certaine nomenclature
et une rpartition dans 45 catgories, dites classes de produits et services. La fonction la plus
importante de la marque est didentifier lorigine du produit ou du service, cest--dire son
fabricant ou son fournisseur. Elle est ainsi la garantie que le produit ou le service dsign par la
marque aura le niveau de qualit attendu du fabricant ou du fournisseur, selon sa rputation.
La marque a trois caractristiques:
la distinctivit par rfrence aux produits et services quelle dsigne et qui est une
condition de sa validit, avec lexemple de la marque CHOCOLAT valable et protgeable
pour les vtements en classe 25, mais pas pour le chocolat ou la confiserie en classe 30 ;
le primtre de protection, en termes dactivit, qui est fonction des produits et
services dsigns lenregistrement, cest le principe dit de spcialit, avec
lexception de la marque de renomme, dont la protection en termes de produits et
services est largie aux produits et services non viss son enregistrement, ou encore
lexception de la marque notoire ;
la protection gographique, qui est territoriale puisque la marque est protge
dans le pays de son enregistrement ou de son usage pour les pays qui protgent
la marque dusage, soit essentiellement les pays anglo-saxons, et avec lexception de la
protection de la marque notoire qui est protge mme si elle nest pas enregistre; cest
pourquoi la marque franaise est protge en France et la marque communautaire est
protge dans tous les pays de lUnion europenne.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 157

3.1 L a marque dans lconomie numrique

La consquence est que des marques identiques ou trs proches dsignant des produits et
services distincts, comme par exemple deux marques Chocolat, lune pour les vtements et
lautre pour les services de garde denfants, peuvent coexister dans un mme pays, tandis que
dans des pays diffrents, mme voisins, des marques identiques ou trs proches, telles que deux
marques Chocolat dsignant des vtements, peuvent ne pas appartenir un mme titulaire.
La fonction technique dadressage du nom de domaine en fait sa particularit et le diffrencie
de la marque.
chaque nom de domaine correspond ladresse dun ordinateur, dite adresse IP (Internet
Protocol), compose uniquement de chiffres. Cest parce quil est plus facilement mmorisable
que la seule suite de chiffres de ladresse IP que le nom de domaine a t cr. Le systme
de rsolution des adresses qui fait le lien entre ladresse IP et le nom de domaine est le DNS
(Domain Name System).
Le nom de domaine tant une adresse, il fait partie de lURL (Uniform Resource Locator), qui
est ladresse dune ressource, par exemple dun site, sur le World Wide Web, selon lexemple de
ladresse http://www.inpi.fr:
http dsigne le protocole de communication;
www signifie que lon est sur le World Wide Web;
inpi.fr est le nom de domaine, le .fr tant lextension, en lespce, le ccTLD (Country
Code TopLevel Domain) attribu la France.
Le titulaire du nom de domaine inpi.fr peut demander la cration de sousdomaines qui
dclinent son nom de domaine, selon lexemple marque.inpi.fr. Cela permet dattribuer des
adresses distinctes sans avoir enregistrer un autre nom de domaine. Il peut aussi crer une
messagerie lectronique: [email protected], ou [email protected].
Cest parce que les machines ne reconnaissent quun seul nom de domaine que ce dernier est
unique. Cela aboutit la rgle dite du premier arriv premier servi, ou encore du premier
arriv, seul servi, ainsi qu un phnomne de raret.
Ce systme est gr par lICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers),
organisme amricain qui est li par des contrats avec les registres (Registries) en charge
de la gestion des diffrentes extensions, eux-mmes lis des bureaux denregistrement ou
Registrars. Lenregistrement dun nom de domaine rsulte dune cascade de contrats, dont
le dernier est le contrat entre le titulaire et le bureau denregistrement.
Pour dmultiplier les possibilits denregistrement de noms de domaine, diffrentes catgories
dextensions ont t cres, chacune tant gre par un registre qui tablit ses propres conditions
denregistrement et assure la gestion technique et administrative des noms de domaine
enregistrs sous son extension, avec la gestion de la base de donnes de ces noms de domaine,
dite base Whois (who is). Pour le .fr, le registre est lAssociation franaise pour le nommage
internet en coopration (AFNIC)214. Cette fonction est relaye par les bureaux denregistrement.

214
www.afnic.fr

Les donnes techniques et administratives de chaque nom de domaine figurent dans lextrait
Whois tenu par le registre, en particulier les informations sur son titulaire, ses dates de cration
et dexpiration.
Ces bases de donnes ne sont pas toutes librement accessibles, et de trs nombreux registres
permettent denregistrer un nom de domaine sans dvoiler lidentit du titulaire sur lextrait
Whois.
Cest la rgle sous le .fr pour les personnes physiques, pour des raisons de protection des
donnes personnelles. Une procdure de divulgation de ces donnes est disponible pour le
.fr.
Les diffrentes catgories dextensions sont:
les gTLDs (Generic Top-Level Domains) avec les .com, .net, .org, .info, .biz,
.pro, etc. il existait 22 extensions avant le programme de cration de nouveaux TLDs
ouvert le 12 janvier 2012, et 110 millions de .com fin 2013 ;
les ccTLDs (Country Code TopLevel Domains), ou codes pays ou encore noms de domaine
gographiques, qui sont attribus aux diffrents territoires identifis par un code deux
lettres qui est celui de la norme ISO 3166-1, avec par exemple le .fr pour la France
(2801 843 au 31 aot 2014), le .es pour lEspagne ;
les sTLDs (Sponsored TopLevel Domains) avec par exemple le .asia, .coop,
.museum, .cat, .mobi, .post, .jobs, .tel, .travel, .xxx, .edu,
.int, .mil, .gov, qui ont t crs sur proposition faite lICANN et sont pour la
plupart soumis des conditions dligibilit ;
les IDNs (Internationalized Domain Names), ou noms de domaine accentus, dsormais
disponibles sous la majorit des extensions, y compris le .fr ;
les nouveaux TLDs, dont la cration a t annonce en 2008 et ouverte en 2012, qui
aboutit la cration de nouvelles extensions chaque semaine depuis le dernier trimestre
2013. Au total, 1 400 extensions215 vont tre cres dici fin 2015, et 378 taient
dfinitivement acceptes au 28 aot 2014 le processus devrait tre finalis fin 2015.
Elles sont regroupes en trois catgories:

- TLDs gographiques: .paris, .toulouse, .alsace, .berlin, .hamburg,
.london, .bzh, .nyc, .koeln, .ruhr, etc. ;

- TLDs communautaires: .green, .eco, .peace, .gay, .leclerc, etc. ;

- TLDs gnriques: .shop, .ski, .free, .music, .food, .sport, etc. ;

- TLDs marques: .canon, .hitachi, .hermes, .taobao, etc.
Accessible dans le monde entier, le nom de domaine est apprhend diffremment dans chaque
pays.
Le droit des noms de domaine est n en France de la jurisprudence, au milieu des annes 1990.
La premire dcision qui a reconnu le droit sur le nom de domaine a t rendue le 29 juin 1999
par le Tribunal de grande instance du Mans, dans laffaire Oceanet216. Depuis, le lgislateur est

215
1 930 dossiers ont t dposs initialement: 911 pour lAmrique du nord, 675 pour
lEurope, 24 pour lAmrique du sud, 17 pour lAfrique et 303 pour la zone Asie-Pacifique
(source www.newgtlds.icann.org).
216 TGI Le Mans, 1re ch., 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet, RG n98/02878.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 159

3.1 L a marque dans lconomie numrique

intervenu et les noms de domaine rattachs au territoire franais, dont essentiellement le .fr,
sont rgis par le Code des postes et communications lectroniques (C. P et CE, art. L.45 L. 45-8,
art. R.20-44-38 R. 20-44-47), selon des dispositions entres en vigueur en 2011.

B. Le choix du nom et du mode de prsence en ligne


Le choix du nom
La difficult essentielle en matire de protection est commune aux marques et aux noms
de domaine: choisir et exploiter un nom disponible, cest--dire un nom qui nappartient
pas dj un tiers.
Dans lunivers des marques, il existe une autre condition: choisir un terme distinctif pour
lactivit considre. Lorsque le terme retenu nest pas ou est trs peu distinctif, il est dusage
de lui ajouter un lment figuratif, par exemple une calligraphie ou un logo. Cet lment confre
alors la marque un caractre distinctif et permet son enregistrement.
En cas de contentieux avec un tiers, cela ne veut pas dire quil sera possible dempcher ce tiers
dutiliser le mme nom ou un nom proche. La protection portera sur lensemble et surtout sur
le visuel.
Sur le Web, le trafic tant la cl, les noms de domaine les plus priss sont les termes qui
dsignent le produit ou lactivit, les plus courants. En raison de la rgle dite du premier arriv,
premier servi, les termes les plus populaires sont en gnral dj enregistrs.
Le concurrent qui veut utiliser le mme nom quun tiers peut ventuellement lenregistrer sous
une autre extension, ou bien faire le choix dun terme gnrique proche ou quasi identique, ou
avec des variantes telles que lajout dun tiret, le choix dun pluriel ou lajout dun autre terme lui
aussi gnrique. Pour carter tout risque de mise en cause de la responsabilit de lintress pour
concurrence dloyale, le site doit avoir trs clairement sa propre identit.
La premire affaire qui a port sur cette situation a oppos les noms de domaine boistropicaux.
com et bois-tropicaux.com, exploits pour des sites consacrs la vente de bois tropicaux.
La cour dappel de Douai a dbout le demandeur premier en date et la contraint la
coexistence217. Cette position est majoritaire218.

Le choix du mode de prsence en ligne


Le choix du nom doit tre associ au choix du type de site sur lequel il sera exploit et dont il
pourra constituer ladresse principale.

217 CA Douai, 1re chambre, 9 septembre 2002, Michel P., Socit Codina c/ Association
Le Commerce du Bois, RG n 01/05664: JurisData n2002-187494.
218 Voir la chronique annuelle Un an de jurisprudence franaise sur les noms de domaine
publie sous ce titre de 2009 2011 et sous le titre Un an de droit franais des noms de
domaine depuis 2011, par Marie-Emmanuelle Haas dans la revue Proprit Industrielle
(2009, par. 26 29; 2010, par. 33 37; 2011, par. 23; 2012, par. 14; 2013, par. 10 13; 2014,
par. 15).

Ce choix est fonction de lactivit et du projet, de son importance, de sa dure, du public et des
pays cibls.
Les principales catgories de sites sont:
le site carte de visite, peu coteux qui donne simplement des donnes de contact ;
le site vitrine, qui fait connatre lentreprise, donne les informations essentielles et des
donnes de contact ;
le site institutionnel des administrations ou des grands groupes, destin communiquer
auprs dun trs large public sur des fonctions et des valeurs ;
le site de commerce lectronique, boutique en ligne avec prsentation de produits ou de
services et fonction dachat en ligne ;
le site communautaire, avec essentiellement les rseaux sociaux ;
le blog, pour informer et entretenir le lien ;
le mini-site, ddi un produit ou un vnement.
La cration dun site peut tre associe la cration dune application. Parfois, seule une
application est cre. Son nom doit lui aussi tre protg.
Limportance du projet pour lentreprise permet de dimensionner le budget et de dfinir la partie
qui sera affecte la stratgie marques et noms de domaine, pour scuriser le choix du nom,
le protger, encadrer son usage, le dfendre et contribuer ainsi crer de la valeur. Il sagit de
raisonner en termes dinvestissement.
La programmation du site inclut les techniques de rfrencement sur les termes cls, qui
intgrent bien entendu les marques. La marque est donc clairement au cur du processus ds
la cration du site.
Au stade de la rdaction du contenu, le mode de citation et dusage de la marque doit aussi tre
trait avec attention par les juristes car il conditionne la possibilit de justifier par la suite dun
usage dit srieux de la marque.

C. Le rfrencement par la marque


Laccs un site se faisant majoritairement via des requtes sur les moteurs de recherche, le site
doit figurer sur la premire page des rsultats, et de prfrence en haut de cette page.
Le rfrencement est la technique utilise pour sassurer cette prsence.
Il existe deux types de techniques pour rfrencer un site partir de la requte dun
internaute selon un mot-cl, qui peut tre une marque:
le rfrencement naturel ;
le rfrencement payant.
Le rfrencement naturel rsulte du mode de programmation du site. Le mot-cl figure
dans les balises de rfrencement du code source du site. Les techniques de rfrencement

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 161

3.1 L a marque dans lconomie numrique

naturel sont sophistiques et voluent sans cesse, notamment pour sadapter aux volutions de
lalgorithme de rfrencement de Google.
Des acteurs choisissent de se rfrencer, sans autorisation, partir de la marque dun
concurrent. Cette pratique est parfois le fait de nouveaux entrants sur le march qui cherchent
acqurir de la visibilit et de laudience sur Internet rapidement et moindres frais.
Cela est en gnral sanctionn, sur le terrain de la contrefaon de marque ou de la
concurrence dloyale ou parasitaire219.
Le rfrencement naturel a aussi donn lieu une pratique dnomme le spamindexing,
qui consiste utiliser diverses techniques de rfrencement naturel pour djouer les rgles
dindexation des moteurs de recherche et optimiser abusivement le rfrencement sur certains
termes, qui peuvent tre des marques de tiers. La difficult dans ce type de situation est de
prouver le caractre abusif du rfrencement. Pour rsoudre cette difficult, il faut alors faire
appel des techniciens. dfaut de preuves suffisantes, car il nest pas aisment dtectable, le
Tribunal de grande instance a rejet une action en responsabilit pour rfrencement abusif dans
une affaire qui concernait la multiplication de pages rfrences sous des noms de domaine
reprenant la marque du demandeur220.
Le rfrencement payant est apparu au dbut des annes 2000. Il est domin par le service
Adwords de Google, qui consiste acheter des mots-cls utiliss sur des espaces consacrs la
publicit. En change de lachat de mots-cls, lannonceur obtient la mise en ligne dune
annonce comportant un lien vers son site, qui saffiche dans une rubrique dsormais
appele Annonces situe droite des rsultats du rfrencement naturel, ou audessus.
Les acteurs concerns sont:
la plateforme de vente, de gestion du mot-cl et de diffusion de lannonce dans un espace
rserv il sagit aujourdhui de Google ;
lannonceur, qui achte le mot-cl et rdige lannonce associe au mot-cl qui sera mise
en ligne par la plateforme ;
linternaute, qui utilise des mots-cls pour rdiger sa requte dans la barre de recherche de
Google et qui va ventuellement cliquer sur une annonce gnre par le service Adwords ;
les ventuels titulaires de droits sur le nom choisi comme mot-cl.
Le rfrencement payant a engendr un important contentieux, sur la responsabilit de
lannonceur qui a achet le mot-cl et aussi sur la responsabilit du moteur de recherche, en
lespce, Google.

219CA Paris, ple 5, 2e ch. 20 janv. 2012, SARL Livesyncro, SARL Midprod c/ St Microsoft
Corporation, RG n10/18800; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 19 dcembre 2013,
W. SAS c/ Cybercartes SA, RG n11/16545.
220TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 6 dcembre 2013, M-A Cosmtiques SARL, Mme M-A. M.,
Mme I. M. c/ M. G. C., Mme L. K. et M. F. P., RG n12/03847.

Ce dbat a concern la France et dautres pays dEurope, dont le Royaume-Uni, lAllemagne, les
Pays-Bas et lAutriche, qui ont chacun saisi la Cour de justice de lUnion europenne (CJUE)221.
Il a t jug que le moteur de recherche ne fait pas un usage de la marque, et quil a un rle
purement technique, automatique et passif lempchant davoir connaissance des donnes
quil stocke, pour bnficier du rgime dexemption de responsabilit accord aux prestataires
techniques. Il doit retirer les donnes ds quil a connaissance de leur caractre illicite. En cas
de litige, il appartient donc au juge national didentifier si le moteur de recherche a ou non un
rle actif. En cas de rle passif, sa responsabilit est carte. Si son rle est qualifi dactif, sa
responsabilit peut tre engage. Sagissant de lannonceur, cest au juge national dapprcier
si lusage mis en cause porte atteinte la fonction de garantie dorigine de la marque. Il lui
appartient didentifier si la publicit ne permet pas ou permet seulement difficilement
linternaute de savoir si les produits ou les services viss par lannonce proviennent du titulaire
de la marque ou dune entreprise conomiquement lie celui-ci ou, au contraire, dun tiers.
La vente de mots-cls constitue la principale source de revenus de Google, et gnre un chiffre
daffaires valu 1,4 milliard deuros en France pour 2012222.
Il sagit donc dun enjeu conomique important, tant pour Google que pour les titulaires de
marques et les annonceurs.
Suite aux dcisions rendues par la CJUE le 23 mars 2010, Google a modifi les rgles dutilisation
de son service publicitaire Adwords en Europe pour autoriser lachat dun mot-cl constituant
la marque dun concurrent, ds lors que ce mot-cl et donc cette marque nest pas repris dans
le titre ou dans le texte de lannonce associe au mot-cl achet par le concurrent. Reprenant
lanalyse de la CJUE, ces cas de figure sont considrs comme excluant tout risque de confusion.
Le propritaire dune marque qui estime quun risque de confusion prjudiciable existe malgr
tout peut bien entendu agir en justice. charge pour lui de convaincre le juge de ce risque.
Pour les autres cas, Google a mis en place une procdure en ligne de notification des
atteintes aux marques. Il appartient chaque titulaire de suivre cette procdure pour
demander la cessation de rfrencements abusifs.
Lacteur conomique qui na pas de marque, mais qui peut faire valoir un droit sur sa
dnomination sociale, son nom commercial ou encore un nom de domaine, ne pourra pas
bnficier de la procdure de notification de Google. Il devra donc mettre en demeure le tiers
indlicat de cesser ses pratiques et, si ncessaire, agir en justice.

221CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, Google France, Google Inc. c/ Louis Vuitton
Malletier, C237/08, Google France Sarl c/ Viaticum SA, Luteciel Sarl, C238/08, Google
France c/ Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) Sarl, P-A. T., B.
R., Tiger Sarl; CJUE, 26 mars 2010, aff. C-91/09, Eis.de GmbH c/ BBY Vertriebsgesellschaft
mbH; CJUE, 8 juill. 2010, aff. C-558/08, Portakabin Ltd et Portakabin BV c/ Primakabin
BV; CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora Inc. et Interflora British Unit c/ Marks &
Spencer Plc et Flowers Direct Online Ltd.
222 Ferran B., Plus dun milliard deuros pour Google en France, 2013, www.lefigaro.fr,
Mdia, High-tech & Web. www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/12/18/0100720131218ARTFIG00324-le-chiffre-d-affaires-annuel-de-google-france-estime-a-14-milliardd-euros.php?print=true.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 163

3.1 L a marque dans lconomie numrique

De nombreuses dcisions ont t rendues en France. Si les solutions adoptes depuis les
dcisions de la CJUE sont pour la plupart dfavorables aux titulaires de marques, certaines ont le
mrite de faire droit aux demandes de titulaires de droits223. Ce dbat, complexe, illustre lenjeu
de la visibilit sur le Web.

D. Le territoire
LInternet nest pas sans frontires, bien au contraire. Ces dernires rsultent tout simplement
de la langue du site, de lextension, par exemple lorsquil sagit dun ccTLD (.fr, .es, etc.),
des pays identifis dans un menu droulant sur la page daccueil, de la monnaie de paiement et
des lieux de livraison proposs pour les sites de commerce en ligne, des adresses postales des
succursales, etc.
La gestion du site doit donc prendre en compte chaque pays cible pour y vrifier, par exemple,
la disponibilit de la marque, et la protger dans ce pays. Bien entendu, la recherche doit
galement porter sur les noms de domaine, sous les principales extensions gnriques et
sous les extensions nationales des pays cibles, en vue de leur enregistrement selon une
stratgie dfinir. La faon de procder cette recherche et lanalyse des rsultats exigent des
connaissances juridiques pointues et un savoir-faire particulier.
Pour les titulaires de marques protges en France, la contrefaon ne peut tre reproche
que si le site mis en cause sur lequel la marque est reproduite ou imite est destin au
public de France, cest--dire au public situ en France224.
Laffaire Nutri-Riche illustre bien cette situation. Le groupe LOral a t assign en justice
pour contrefaon de la marque Nutri-Riche, protge en France. En effet, sur le site
web o Lancme vendait son produit de beaut, les pages destines la clientle franaise
prsentaient le produit sous le nom de Nutri-Intense, alors quil tait prsent sous la marque
Nutri-Riche sur les pages destines aux autres pays. Il a t jug que, bien quaccessible
aux internautes depuis la France, cette mention de la marque Nutri-Riche ne visait pas le
public franais et ne constituait donc pas un acte dexploitation sur le territoire franais pouvant
constituer un acte de contrefaon en France225.

223Cass. com., 29 nov. 2011, pourvoi n10-26969, SA Suza International France c/ SA


Professional Computer Associs France; CA Paris 13 juillet 2012, ple 1, 4e ch, st Lucheux
C/st Go Assurances, RG 11/18674; TGI Paris 3 ch; 2 sect., 18 janvier 2013, st Fidealis,
Mr P. O. c/ st L Agence des dpts numriques, RG 11/00309; CA Paris, ple 1, 2 ch.,
21 mars2013, SARL Kaspersky Lab France c/ SAS Eptimum, RG n12/11107;TGI Paris, 3 ch.
2 sect., 21 juin 2013, S&P Trading SAS (Gold by Gold), RG 11/05600; CA Paris, ple 5, 5 ch.,
5 septembre 2013, SA Enterparticuliers.com c/ st Les ditions Neressis, RG n11/08142;
CA Nancy, 25 novembre 2013, Mr S.G. c/ st Comptoir de lOr et st Comptoir National de
lOr, RG 12/02125; CA Colmar, 1re ch., 4 dcembre 2013, SAS Optical Center c/ SAS Cactus,
RG n13/04769: JurisData n2013-028293; TGI Paris, 6 dcembre 2013, M-A Cosmtiques
SARL c, Mme M-A M., Mme I.M. c/ M. G.C., Mme L.K. et M. F.P., RG 12/03847; TGI Paris,
20 dcembre 2013, st Comptoir de lOr c/ st de Diffusion de Magasin (SODIMA),
RG 11/09761.
224Cass. com., 9 mars 2010, Pneus Online Suisse c/ Delticom, pourvoi n08-16752; Cass. com.,
13 juillet 2010, Vuitton c/ Google, pourvoi n06-20230; Cass. com., 23 novembre 2010,
Axa c/ Google, pourvoi n07-19543;Cass. com., 7 dcembre 2010, Vuitton c/ eBay, pourvoi
n09-16811; Cass. com., 29 mars 2011, Maceo c/ eBay, pourvoi n10-12272; Cass. com.,
20 septembre 2011, eBay c/ Marith et Franois Girbaud, pourvoi n10-16569; Cass. com.,
3 mai 2012 (3 arrts), eBay c/ Christian Dior Couture, eBay c/ Louis Vuitton Malletier et
eBay c/ SA Parfums Christian Dior, pourvois n11-10.507, 11-10.505, 11-10.508; Cass. com.,
12 fvrier 2013, MM. X. et Y., sts Coutellerie la Granove et Atelier du couteau diffusion
c/ St Consorzio Maniago et Lionsteel, pourvoi n11-25914.
225Cass. com. 10 juillet 2007, st Buttress BV et autre c/ st LOral produits de Luxe France
et autres, pourvoi n05-18.571.

Au niveau communautaire, la question du territoire peut tre aborde la mesure de


lInternet grce au trs profond processus dharmonisation des lgislations nationales
des 28 pays de lUnion europenne, conu la fin des annes 1980226. Il a t suivi de
la cration de la marque communautaire en 1993227, titre unitaire protg dans tous les
pays de la Communaut. Ce processus a t appliqu au monde de lInternet, avec la cration
et le lancement de lextension .eu ddie lUnion europenne, initie par le rglement (CE)
n733/2002 du Parlement et du Conseil du 22 avril 2002 concernant la mise en uvre du
domaine de premier niveau .eu. Tous ces textes ont eu pour vocation commune de favoriser
la cration du march intrieur europen.

II - Le mode dorganisation, la protection, lexploitation


et la dfense des droits
A. Organisation: coopration entre les quipes marketing,
informatique et juridique
Lquipe marketing est le pivot de lorganisation. Elle dfinit les besoins en termes de
communication et donc de noms, de pays, de supports de communication. Sur cette base,
lquipe en charge de lquipement informatique et des outils de communication affecte les
ressources, les scurise et, si ncessaire, les adapte. Quant aux juristes, ils ont pour mission de
sassurer du choix dun nom disponible pour lactivit concerne et dans les pays cibls. Cette
tche est de plus en plus complexe, car les registres sont encombrs, et les territoires cibls sont
de plus en plus vastes. Ils ont aussi la mission de protger ce nom, de suivre son exploitation
et de le dfendre, pour contribuer crer de la valeur, la marque et le nom de domaine tant
valoriss lactif du bilan.
La phase juridique du processus est fondamentale et doit tre conduite selon des modalits
claires, tant en termes de dlais que de budgets, afin dviter les prises de risques inutiles et
prjudiciables.

B. La protection par le droit de la proprit intellectuelle


Pour identifier les moyens de protection, plusieurs critres doivent tre analyss:
le nom est-il vocateur ou arbitraire et sans aucun lien avec lactivit qui va tre exerce
pour identifier la possibilit et le moyen de le protger?
le nom estil nouveau ou estil dj utilis par lentit, voire protg et dans ce cas
comment pour asseoir le projet sur lexistant?
quelle va tre la porte gographique du projet et de lusage pour dterminer la porte
gographique de la protection?
quel sera le type de site pour valuer le risque?
quelle est la dure prvisible de lusage pour identifier le besoin et le moyen de protection?

226
Directive 89/104/CE du Conseil du 21dcembre 1988, rapprochant les lgislations des
tats membres sur les marques.
227
Le rglement (CE) no 40/94 du Conseil du 20 dcembre 1993 sur la marque
communautaire.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 165

3.1 L a marque dans lconomie numrique

quel est le budget global du projet et quelle est la part de ce budget affecte la protection
du nom et des autres signes didentification tels que le logo pour optimiser les ressources?
Si le choix dun terme descriptif ou trs vocateur est privilgi car il favorise laudience, il
nest pas possible de se lapproprier, ce qui veut dire quil ne sera pas possible dempcher les
concurrents dutiliser ce mme terme ou un terme proche dans la plupart des cas. Ce choix est
trs frquent.
Mme, et surtout dans ce cas, la diffrenciation doit se faire: par le visuel du site, le logo, les
couleurs et la charte graphique, par exemple. De plus en plus de marques crent leur propre
univers visuel, destin les identifier et exprimer leurs valeurs.
Ces lments sont fondamentaux. Ils sont protgs par le droit dauteur sils ont une certaine
originalit. Les logos utiliss sur le site peuvent aussi tre dposs et protgs comme marque.
Pour quelle soit efficace, la protection par les marques suppose de:
choisir une marque disponible ;
rendre le soin et le temps de dfinir le plus prcisment possible la dsignation des
produits et services pour lesquels elle sera exploite, court et moyen terme, car
cela dterminera son primtre de protection en termes dactivits ;
identifier le titulaire en cohrence avec lorganisation de lentreprise ou du groupe ;
largir la protection aux pays cibles, le plus tt possible ;
prvoir et organiser en amont lusage qui en sera fait.

C. La protection par les noms de domaine


Pour les noms de domaine, la stratgie de protection doit prendre en compte le nom choisi et
les extensions: .com, .net, .fr, .eu, etc.
Les stratgies denregistrement ont le plus souvent deux grandes orientations:
une stratgie de dfense des marques: lobjectif de cette stratgie consiste enregistrer
les noms de domaine correspondant aux marques dans les pays o la marque est
protge et/ou dans dautres pays. Lenregistrement de ces noms de domaine contribue
loptimisation de la prsence de lentreprise sur lInternet et la valorisation des marques;
une stratgie doccupation: cette stratgie est plus large car elle consiste enregistrer
un nom de domaine dans le but dempcher des tiers de lutiliser et de favoriser le
rfrencement. Les noms de domaine concerns sont des variations proches des marques,
par exemple pour enregistrer les variantes intgrant des erreurs dorthographe.
Pour une entreprise franaise, les extensions de base sont a minima le .com, le .net et le
.fr. tant europenne, cette entreprise a aussi intrt enregistrer son nom en .eu.
Sagissant des nouveaux TLDs, la stratgie denregistrement peut tre dfinie selon deux critres:
extensions pertinentes, car en relation avec lactivit ;

extensions susceptibles dintresser toute entit ou personne physique, telles que le


.email, et susceptibles dtre enregistres par un tiers titulaire de droits sur une marque
identique qui aurait lui aussi notifi et bloqu sa marque.
Cette stratgie peut tre mise en uvre en association avec la dclaration des marques
verbales les plus importantes auprs dune centrale des marques, la TMCH (Trademark
Clearing House) pour un ou cinq ans, afin de participer aux priodes de lancement des
nouvelles extensions et de bnficier du systme de notification de la marque aux
tiers candidats lenregistrement dun nom de domaine identique la marque. Cette
dclaration peut tre associe un abonnement un service de blocage des marques auprs
des principaux acteurs (DONUTS/United Ltd), afin dempcher les tiers denregistrer un nom de
domaine identique la marque sous lune de leurs extensions.

D. La protection par les solutions de scurit


La culture du partage du Web ne doit pas conduire ngliger la question de la scurit, qui est
un aspect fondamental de la construction dune stratgie numrique.
Les bonnes pratiques commencent par lorganisation de la gestion des noms de domaine. Elles
doivent ensuite tre largies aux solutions techniques disponibles sur le march pour scuriser
ladressage et la transmission des donnes.

Lorganisation de la gestion des noms de domaine


Le choix du bureau denregistrement nest pas anodin, et doit offrir des garanties suffisantes de
professionnalisme et de scurit financire et technique.
Il est conseill de ne pas multiplier les bureaux denregistrement, pour avoir une vision globale
du portefeuille de noms de domaine. Il est galement indispensable de sassurer de la fiabilit
technique de linfrastructure du bureau denregistrement.
Les fonctions doivent tre clairement rparties au sein de la structure pour identifier qui
enregistre les noms de domaine, quel nom, selon quelles donnes Whois et quelles adresses
de serveurs. La responsabilit des renouvellements et de la gestion technique et administrative
doit tre clairement attribue.
La gestion des mots de passe aux plates-formes de gestion des noms de domaine fait partie
des bonnes pratiques mettre en place. Ces mots de passe doivent tre centraliss et ntre
divulgus quaux personnes qui en ont lusage, avec un engagement de confidentialit. Ils
doivent tre modifis ds le dpart de lune des personnes les connaissant.
Ladresse lectronique du contact administratif est utilise par les bureaux denregistrement et
les registres pour envoyer les avis de renouvellement et, dune faon gnrale, pour les besoins
de la gestion des noms de domaine. Cette adresse doit donc tre attribue de prfrence
au service concern, selon lexemple [email protected], pour perdurer et tre accessible par les
responsables, sans problme d aux contraintes daccs des messageries personnelles.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 167

3.1 L a marque dans lconomie numrique

Le recours aux solutions techniques


Il existe des moyens techniques permettant de scuriser:
les noms de domaine ;
le site, tant au niveau de son contenu quau niveau du flux des donnes y transitant.
Pour le nom de domaine, lobjectif est dempcher quun tiers modifie abusivement les donnes
Whois, notamment le nom du titulaire ou ladresse des serveurs. Il est possible de demander
son bureau denregistrement de bloquer ses noms de domaine (selon les extensions), pour
empcher toute modification du Whois et empcher le changement des adresses de serveurs
DNS, qui sont les adresses des serveurs sur lesquels le nom de domaine est install. La mention
Registry Lock apparat alors sur le Whois.
Pour le site ou par exemple la messagerie, les risques dattaque se situent aux deux phases
successives de recherche de ladresse, puis daccs aux donnes. La phase de recherche de
ladresse IP se fait par interrogation successive de serveurs de faon hirarchique, avec pour
commencer le serveur racine gr par lICANN, qui renvoie au serveur du registre en charge de
lextension, lui-mme charg de renvoyer vers les serveurs du bureau denregistrement.
note228 - note229

Phase 1

1/ Requte lance par linternaute de son ordinateur


ou autre support (de type http://www.nomtest.fr).
La requte est envoye au serveur DNS de son FAI.
Ce dernier dclenche alors une srie de requtes afin
de trouver ladresse IP finale correspondant au nom
de domaine recherch.

O est www.nomtest.fr?

2/ Interrogation des serveurs racines (qui


connaissent toutes les extensions, et uniquement
ces dernires) pour connatre les serveurs de
lextension.

O est le .fr?
Le .fr est sur les serveurs de lAfnic

3/ Interrogation des serveurs faisant autorit sur


lextension (ceux de lAFNIC, qui ne connaissent que
les noms en .fr) pour connatre les serveurs du
nom de domaine.

O est <nomtest.fr> ?
<nomtest.fr> est sur les serveurs du
bureau denregistrement

4/ Interrogation des serveurs faisant autorit sur le


nom de domaine (ceux du bureau denregistrement
identifi sur le Whois) pour connatre ladresse IP.

O est www.nomtest.fr?
Ladresse IP est: 127.1.2.3229

Phase 2

5/ Mise en communication directe entre le poste


client et le serveur web, via le modem230 du FAI.

228Cet exemple est fantaisiste et ne correspond aucun nom de domaine.


229
Le modem est intgr dans la box fournie par le FAI.


change de donnes entre
linternaute et le serveur web

O est.fr
2

Serveur DNS
du FAI

serveurs racine grs


sous le contrle de
lICANN
3

4
1
serveurs de lextension

Question
Rponse

h.root-servers.net.
a.root-servers.net.
j.root-servers.net.
f.root-servers.net.
b.root-servers.net.
l.root-servers.net.
g.root-servers.net.
d.root-servers.net.
m.root-servers.net.
i.root-servers.net.
c.root-servers.net.
e.root-servers.net.
k.root-servers.net.
g.ext.nic.fr.
d.nic.fr.
f.ext.nic.fr.
e.ext.nic.fr.
d.ext.nic.fr.

O est.fr
serveurs faisant autorit,
donnent ladresse IP

ns1.regyyy.net.
ns2.regyyy.net.

(serveurs du bureau denregistrement


identifis sur le whois)

Modem/poste client
Adresse IP fournie
par le FAI

Serveur web / adresse IP


communique en 4

O est.fr
Appareils connects
au modem

Lenjeu de la phase 1 est dtre certain daccder au site officiel, et non pas une copie.
Lenjeu de la phase 2 est galement dtre certain daccder au site officiel via son serveur, et
non pas dtre drout vers un autre serveur et vers un autre site qui peut tre une copie du site
officiel, et dempcher le piratage des donnes transmises via le site ou la messagerie.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 169

3.1 L a marque dans lconomie numrique

Le service DNSSEC (Domain Name System Security Extension) a t cr pour renforcer la


scurit du systme de rsolution des adresses du DNS de la phase 1. Il permet de lutter contre
des pratiques de dtournement du trafic de certains sites vers des sites leur ressemblant sy
mprendre pour rcuprer des donnes de contact, ou simplement pour sapproprier le trafic.
Le phishing ou hameonnage, qui consiste voler des donnes didentification bancaires, est
trs rpandu.
Le service DNSSEC permet de scuriser les donnes changes entre les serveurs DNS. Cest
un protocole de communication entre serveurs qui vrifie que les donnes sont diriges vers
le serveur dclar. Si le serveur cible nest pas celui qui a t dclar, les donnes ne sont pas
transmises.
La phase 2 est galement sensible: les divers outils techniques de scurisation qui lui sont
associs voluent. Les donnes transmises peuvent tre scurises par cryptage avec le certificat
SSL. Les sites quips de ce systme ont une adresse https, et un cadenas peut apparatre
dans la barre dadresse. Ce certificat est install sur de nombreux sites de vente en ligne.
Il est indispensable de faire appel aux services dun professionnel de la scurit du Web pour
identifier les mesures mettre en place.

E. Lexploitation et la dfense des droits


Un nom bien choisi et bien protg doit tre exploit et dfendu pour acqurir de la
valeur.
Cela suppose de:
suivre lusage de la marque et du nom de domaine pour quil corresponde au primtre
de protection de la marque, et conserver des preuves dusage dates;
veiller ce que tous les noms de domaine soient activs, en organisant notamment les
redirections;
c rer des adresses de messagerie lectronique partir du nom de domaine
correspondant au nom de lentreprise ou une de ses principales marques, selon la
stratgie de communication, et abandonner les messageries en hotmail, wanadoo
gmail ou autres, car ladresse de messagerie est aussi une signature de lentreprise;
ne pas tolrer lenregistrement de noms de domaine par des agents, distributeurs, entits
tierces, composs du nom de lentreprise ou de lune de ses marques, et dfinir une charte
claire denregistrement et dusage des noms de domaine par les diffrents partenaires ou
intervenants;
mettre en place la surveillance des nouveaux enregistrements de marques et de
noms de domaine, et identifier quelle autre surveillance du Web serait ncessaire;
mettre par exemple en place des surveillances des rseaux sociaux, des sites de commerce
en ligne et des achats de motscls, pour connatre les usages de la marque par les tiers
sur le Web et agir, entre autres et si ncessaire, contre les usages diffamants;
dfinir une stratgie de dfense des droits et faire opposition aux demandes
denregistrements de marque, et mettre en place des actions de surveillance ou de
rcupration des noms de domaine exposant un risque de piratage sur le Web;

dfinir une stratgie de dfense de la rputation numrique de la marque, ce qui


suppose de surveiller le Web, car les actions en diffamation doivent par exemple tre
engages dans les trois mois suivant la mise en ligne.

III - Quelle volution?


La masse toujours plus importante de donnes, et notamment de marques et de noms de
domaine, est lune des principales caractristiques de la situation actuelle. Peut-on la contrler?
Comment agir pour prserver les quilibres et pour lutter contre le piratage des marques sur
Internet tout en favorisant linnovation? Les procdures contre le piratage des marques par
les noms de domaine ont t inities la fin des annes 1990. Si elles nont pas enray le
phnomne, elles permettent dy remdier.
Sagissant du rfrencement, la situation est diffrente. Cette activit est lucrative pour
Google, et Amazon a annonc fin aot 2014 le dveloppement de son activit publicitaire
par la vente de mots-cls230. Il est propos dexaminer la situation en prenant en compte les
modles conomiques des diffrents acteurs, et en particulier de Google, pour dterminer si la
coexistence entre sites officiels des marques et sites de tiers rfrencs partir de ces marques
sur les pages de rsultats est inluctable.

A. Une solution aux enregistrements inactifs de marques


et de noms de domaine et la question du nombre
La premire question est celle du nombre: de combien de marques et de noms de domaine a-ton besoin? Cest cette question que tentent de rpondre les conomistes quand ils abordent
la question de la rentabilit des droits de proprit intellectuelle, tant au niveau dun tat quau
niveau dune entreprise.
Les marques et les noms de domaine inexploits encombrent les registres et sont
statiques, alors que le numrique est mobile.
Favoriser la radiation des marques et des noms de domaine inexploits pendant une
certaine priode pourrait tre lune des rponses ce problme.
La possibilit dagir directement devant lInstitut national de la proprit industrielle (INPI)
pour demander des preuves dusage de la marque dun tiers serait une solution envisageable,
avec pour sanction la radiation totale ou partielle de la marque dfaut de preuves ou en cas
de preuves insuffisantes. Cette possibilit existe pour la marque communautaire devant
lOffice des marques communautaires (Office pour lharmonisation du march intrieur
ou OHMI). Elle est prvue par les articles 56 et 57 du rglement (CE) n207/2009 du
26fvrier 2009.
En matire de noms de domaine en .eu, le rglement (CE) n874/2004 de la Commission
du 28 avril 2004 tablissant les rgles de politique dintrt gnral relatives la mise en uvre

230Eylan J. avec IDG NS, Amazon prpare une plate-forme de publicit en ligne
concurrente de Google Adwords, www.lemondedelinformatique.fr, 2014.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 171

3.1 L a marque dans lconomie numrique

et aux fonctions du domaine de premier niveau .eu et les principes applicables en matire
denregistrement identifie labsence dusage du nom de domaine pendant les deux ans suivant
son enregistrement comme un indice de lenregistrement de mauvaise foi231. Labsence dusage
du nom de domaine pourrait conduire sa radiation, voire son transfert un tiers. Cela suppose de
dfinir quel usage est pris en compte puisque de trs nombreux noms de domaine sont redirigs vers
une autre adresse. Il demeure que labsence de tout usage est une ralit.

B. Rpartir les rles et les responsabilits en tenant compte


des modles conomiques
Lenjeu tant global et notamment europen, cest la lumire des textes
communautaires que la situation peut tre aborde.
En 1988, la directive 89/396/CE rapprochant les lgislations des tats membres sur les marques
puis la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite directive sur le commerce lectronique ont
eu pour objectif de dvelopper le march intrieur. Depuis 1988, la directive dharmonisation
du droit des marques prvoit que la protection confre par la marque enregistre, dont le but
est notamment de garantir la fonction dorigine de la marque, est absolue en cas didentit entre
la marque et le signe, et entre les produits ou services232. Depuis 2008, ce texte a t mis au
conditionnel: La protection confre par la marque enregistre, dont le but est notamment de
garantir la fonction dorigine de la marque, devrait tre absolue en cas didentit entre la marque et
le signe et entre les produits ou services. Lobjectif reste le mme: accorder une protection forte
la marque, pour prserver sa fonction de garantie de lorigine des produits et services mis sur
le march, aujourdhui via le Web.
La lutte contre le piratage de la marque par les noms de domaine a t engage trs tt, ds les
annes 1990. Le NSI (Network Solutions Inc) en charge de la gestion des sept gTLDs (Generic
Top-Level Domains) historiques depuis 1993 (.com, .edu, .gov, .int, .net,
.org, .mil) a dfini ds 1995 une politique de gestion des litiges offrant la possibilit de
notifier un diffrend pour demander la suspension du nom de domaine mis en cause dans
lattente du rglement du diffrend. Il sagissait de bloquer le nom de domaine pour viter son
transfert un tiers par le titulaire mis en cause. Ce systme a t repris par les procdures qui ont
pris le relais. Il en est un des avantages majeurs.
Sur linitiative du dpartement du commerce amricain et de son livre blanc du 5 juin 1998, une
procdure extra-judiciaire destine rgler les litiges a t cre via lICANN. Lobjectif a t de
rgler rapidement et moindres frais les litiges, le plus souvent internationaux, entre marques
et noms de domaine, en demandant soit le transfert, soit la radiation du nom de domaine.
Adopte le 26 aot 1999, la procdure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy)
fonctionne avec succs depuis lors.

231
3. La mauvaise foi au sens du paragraphe 1, point b), peut tre dmontre quand: () b) le
nom de domaine a t enregistr pour empcher le titulaire dun nom sur lequel un droit est
reconnu ou tabli par le droit national et/ou communautaire, ou un organisme public,
de traduire ce nom en un nom de domaine correspondant, pour autant que: () ; II) le nom
de domaine nait pas t utilis dune faon pertinente dans les deux annes au moins qui
suivent la date denregistrement.
232Considrant n 10, la directive de 1988 a t codifie par la directive 2008/95/CE du
22octobre 2008 dsormais en vigueur, qui reprend cette disposition son considrant
n 11.

En revanche, lusage de la marque dautrui comme motcl par le systme Adwords, apparu au
dbut des annes 2000, a t accept la condition que la marque ne soit pas reprise dans le
titre et le texte de lannonce. En cas de litige, cest au juge dapprcier sil existe un risque de
confusion pour linternaute, qui engage la responsabilit de lannonceur. Le moteur de recherche
nest pas responsable si son rle est rest passif.
Il nest pas certain que cette analyse soit favorable aux internautes, qui risquent dtre induits
en erreur et de se trouver dsorients par les rsultats proposs. Le risque est aussi une certaine
pollution des pages de rsultats.
Dans ses dcisions, la CJUE fait rfrence linternaute moyen, sans le dfinir, pour raisonner
sur le risque de confusion et la contrefaon de marque. Elle dit aussi que le rfrencement naturel
est gratuit, alors que le rfrencement par achat de mots-cls est payant.
Qui est cet internaute moyen? Est-il si bien inform sur les diffrents modes de rfrencement?
Rien nest moins sr. Par ailleurs, il est inexact daffirmer que le rfrencement naturel est gratuit
pour lannonceur: un bon rfrencement naturel exige de faire en permanence appel des
professionnels du rfrencement, dont les services sont bien entendu payants.
Si lconomie numrique a besoin des moteurs de recherche pour se dvelopper, les
titulaires de marques ne doivent pas pour autant tre contraints daccepter que leurs
concurrents utilisent leurs marques comme mots-cls sur Internet en les achetant aux
moteurs de recherche pour se positionner leurs cts dans la page de rsultats gnre
par une requte sur la marque. Est-ce lgitime et loyal?
Pour carter sa responsabilit, Google affirme que son service Adwords fonctionne avec un
logiciel de proposition et de gestion des mots-cls qui correspondent aux requtes les plus
frquentes des internautes, et que ces donnes ne sont pas intgres par Google mais par
les utilisateurs. Pourquoi Google a-t-il choisi de configurer son systme de cette faon? Cette
solution technique met en uvre le modle conomique choisi, elle ne peut pas tre neutre. Le
modle conomique choisi est de simplifier et de standardiser pour grer automatiquement la
masse des donnes entres par les utilisateurs, dans un but de rentabilit et au dtriment des
titulaires de marques233.
Cet espace est un espace publicitaire. Cest ainsi quil est conu par Google. En tmoigne le libell
des services de la classe 35 de ses marques Adwords en vigueur en France depuis 2002234, limit
la diffusion de publicits pour le compte de tiers ou la diffusion publicitaire pour des tiers
par lintermdiaire de lInternet. Ce primtre de protection a t considrablement largi avec
la marque communautaire Adwords n10385052 dpose le 22 novembre 2011, protge

233
Haas, M.-E., Adwords: le dbat nest pas clos, Proprits intellectuelles, 2013, 47.
234
Marque communautaire Adwords n2724672 dpose le 5juin2002 en classe 35 pour la
diffusion de publicits pour le compte de tiers, suivie de la marque franaise
n06 3 469 535 dpose le 14 dcembre 2006 pour la diffusion publicitaire pour des tiers
par lintermdiaire de lInternet, de la marque communautaire n9971276 dpose le
15juin 2011 pour la diffusion de publicits pour le compte de tiers.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 173

3.1 L a marque dans lconomie numrique

cette fois en classes 35, 36, 38, 41 et 42 avec, en classes 35 et 42, un libell trs clairement
orient sur le marketing en ligne235.
Les services informatiques slectionns en classe 42 concernent par exemple des services de
suivi et optimisation de la performance et de lefficacit de sites internet, campagnes de marketing
en ligne et performance de la recherche par mot-cl236.
Cette activit publicitaire et marketing nest pas celle dun prestataire technique bnficiant
dune exonration de sa responsabilit raison des informations stockes la demande dun
destinataire de ces services, au sens de la loi n2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance
dans lconomie numrique237.
Le systme dporte sur les titulaires de droits la mission de surveiller lusage de leurs
droits et dagir en cas de ncessit. Des procdures de notification en ligne se sont
multiplies a posteriori pour permettre aux titulaires de droits de faire cesser un abus. La
difficult est que ce positionnement a conduit juger acceptable lachat comme mot-cl
de la marque dun concurrent pour tre rfrenc ses cts, ds lors que la marque ne
figure ni dans le titre ni dans le texte de lannonce. Le rsultat concret est pourtant que le
site de ce tiers peut ainsi se positionner sur lespace que le titulaire de la marque sest cr sur le
Web ses propres cots, grce ses investissements, son savoir-faire, son travail et celui
de ses quipes et de son prestataire de rfrencement, etc.
La marque dun concurrent nest pourtant pas un lieu de localisation comme la pu ltre
autrefois le nom dune rue ou dun quartier ddi une activit, comme par exemple la rue des
cordonniers ou la rue des drapiers.
Les sites des moteurs de recherche sont conus comme des espaces publics, librement
accessibles, lobjectif tant de maximiser le trafic en crant un espace ouvert. Ces espaces ont
une fonction fondamentale de signalisation et daiguillage du trafic sur le Web vers les ressources
recherches par linternaute. Ces ressources doivent tre localisables selon des rgles claires
et loyales pour les diffrents acteurs de faon favoriser rellement le dveloppement de
lconomie numrique dans un intrt commun.

235Classe 35 services de publicit et de promotion; services de conseils et dinformation dans


le domaine commercial; services e-marketing commercial; conseils en marketing daffaires,
savoir analyse du trafic sur Internet, fourniture dtudes de marketing, services danalyse
et de compte rendu dans le domaine du marketing en ligne, services de marketing commercial
sous la forme du dveloppement de messages publicitaires diffuss sur lInternet. Google
met donc disposition des outils destins optimiser ses services Adwords.
236Classe 42 fourniture de lutilisation temporaire de logiciels non tlchargeables en ligne
destins la production de programmes de marketing en ligne; fourniture de lutilisation
temporaire de logiciels non tlchargeables en ligne pour lanalyse et le compte rendu du
trafic sur lInternet et de lutilisation de mots-cls, pour lanalyse de lefficacit du marketing
sur des sites internet, et pour la recherche et la visualisation dtudes de marketing; services
informatiques, savoir, services dassistance lis la gestion de campagnes de marketing
en ligne; () fourniture de services dapplication (ASP), savoir, proposant des logiciels pour
suivre lactivit et la gestion de sites internet, de surveillance, suivi et optimisation de
la performance et de lefficacit de sites internet, campagnes de marketing en ligne et
performance de la recherche par mot-cl.
LCEN, article 6. I.-1 et .2: 1. Les personnes dont lactivit est doffrir un accs des services de
237
communication au public en ligne informent leurs abonns de lexistence de moyens techniques
permettant de restreindre laccs certains services ou de les slectionner et leur proposent au
moins un de ces moyens. () 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, mme titre
gratuit, pour mise disposition du public par des services de communication au public en ligne,
le stockage de signaux, dcrits, dimages, de sons ou de messages de toute nature fournis par
des destinataires de ces services.

3.2
Cessions de tout ou partie
de e-business
Scuriser les transactions par la notion
de e-fonds de commerce
par Tamara Bootherstone

Lauteur
Avocate au barreau de Paris.
Titulaire dun master en droit des affaires option distribution et consommation.
Titulaire dun certificat de droit europen.
Grante du cabinet Bootherstone Avocat, intervenant en droit des affaires et droit de la
proprit intellectuelle.

Synthse
Lorsquun rachat de tout ou plusieurs lments dun site e-commerce est envisag, lopration
peut, sous certaines conditions, sanalyser comme une vritable cession de fonds de commerce,
entranant des consquences juridiques lourdes et pas toujours anticipes par les parties. Do
lintrt de connatre ces rgles et les conditions dans lesquelles elles sappliquent, pour scuriser
la transaction et en tirer profit.

mots cls : cession dactifs e-commerce |


cession de e-business | cession de fonds de commerce |
enjeux | modalits | e-clientle | droits dauteur | marques |
noms de domaines
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 175

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

Introduction
La crativit en matire dconomie numrique et les exploitations qui en dcoulent sont
vertigineuses et protiformes.
Elles sont parfois organises, mises en valeur et valorises, notamment par la mise en place
dune stratgie de proprit intellectuelle.
Elles sont, le plus souvent, des lectrons libres et rpondent aux impratifs et aux opportunits
de linstant.
Il en va de mme des oprations de cession portant sur ce nouvel or noir, les parties faisant
preuve, l aussi, dune crativit pragmatique centre sur le rachat dlments cibls quelles
pressentent porteurs dinnovations, de potentiels et, terme, demplois et de bnfices.
Il peut sagir de reprendre une activit entire, un site internet, ou bien seulement un ou plusieurs
lments tels que nom de domaine, les droits de proprit intellectuelle (droits sur une charte
graphique, marque, brevet, base de donnes), ou encore le fichier clients.
Les entreprises intresses concluent alors diffrents contrats, pas toujours nomms ou parfois
mal nomms, souvent sans prendre la mesure des consquences ou des enjeux de ce quelles
signent.
Or:
si la cession dun seul lment dactif bien prcis ne pose en gnral pas de problme (
condition toutefois de respecter les exigences juridiques requises en matire de contrats
de vente, avec les spcificits propres llment acquis) ;
la question se complique lorsque plusieurs lments sont cds en mme temps, ce
qui sera le plus souvent le cas dans une transaction portant sur la cession dun site de
e-business.
En pareil cas, les entreprises doivent veiller identifier sil sagit effectivement dune
vritable cession de fonds de commerce, sous peine de sexposer certains risques allant du
redressement fiscal la nullit de lopration, lacte de cession de fonds de commerce devant
respecter des exigences particulires (I).
Les juges reconnaissant dsormais lexistence juridique dun e-fonds de commerce, il est
important pour les entreprises de connatre les critres retenus en la matire (II).
Le critre essentiel tant lexistence dune clientle propre, les droits de proprit
intellectuelle peuvent jouer un rle tout fait essentiel car ils constituent prcisment
des lments de ralliement de la clientle (III).
Une fois admis que les rgles propres la cession de fonds de commerce sappliquent la
cession de e-fonds de commerce, on peut se poser la question de la protection ainsi accorde,
notamment au regard des spcificits du e-fonds de commerce, afin de faire voluer les rgles en
la matire et dorganiser une meilleure protection des transactions (IV).

En conclusion nous voquerons le caractre franais des rgles exposes et la possibilit


de choisir la loi applicable la transaction, afin dcarter, le cas chant, leur application
(conclusion).

I - Quelques rgles propres la cession de fonds de commerce


Lobjet du prsent chapitre nest pas de passer en revue toutes les rgles applicables la
cession de fonds de commerce mais simplement de signaler celles qui doivent tre prises en
considration dans les oprations de ventes de tout ou partie de e-business.

A. Enregistrement de la promesse unilatrale de cession


La premire rgle est que, en vertu de larticle 1840 A du Code gnral des impts, une
promesse unilatrale de cession de fonds de commerce doit tre enregistre dans les dix
jours de son acceptation par le bnficiaire, et ce, sous peine de nullit.
La question applique notre problmatique prsente un intrt vident puisquelle peut
permettre, le cas chant, de sortir dun engagement contractuel quon ne souhaite plus
honorer et crant ainsi un facteur dinscurit juridique.
Bien que les juges naient pas eu finalement se prononcer, cet argument a dj t soulev.
Une entreprise avait promis de vendre une autre entreprise un certain nombre dlments
dun site internet parmi lesquels les marques et codes daccs, la clientle attache aux marques
et les logiciels permettant le fonctionnement du service offert aux internautes. Lacte navait
pas t enregistr, les parties ne pensant pas, lorigine, effectuer une cession de fonds de
commerce. Lentreprise bnficiaire de la promesse avait lev loption dachat dans les dlais,
mais son promettant ne souhaitait plus vendre ou plus aux conditions convenues. Assigne
en excution de la promesse, le promettant a soulev la nullit de cette dernire au motif quil
sagissait en ralit dune cession de fonds de commerce et que lacte, qui navait pas t
enregistr, tait donc nul.
On imagine aisment la dconvenue et la perte sche des frais engags par lentreprise
bnficiaire (et accessoirement par ses investisseurs), et, linverse, la satisfaction de lentreprise
promettant de pouvoir sortir ainsi dune promesse de vente, ayant par exemple trouv entretemps un acheteur au double du prix initialement convenu (TGI Paris, 1re chambre, 1re section,
10 mai 2000, Socit Clarisse c/Socit J. Coulon et associs).

B. Information des salaris


Dans le mme ordre dide, et avec la mme sanction, savoir la nullit de lacte de cession, la
loi n2014-856 du 31juillet 2014 relative lconomie sociale et solidaire imposera dsormais
( compter du 2novembre 2014) de consulter les salaris en cas de projet de cession dun fonds
de commerce (comme en cas de cession de la majorit des parts sociales de la socit). Cette
nouvelle disposition sapplique non seulement aux socits dans lesquelles existe un comit

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 177

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

dentreprise, mais galement celles ayant moins de 50 salaris. Elle peut donc trouver
sappliquer dans le cas qui nous occupe et cre ici encore un risque dinscurit juridique dont il
faut tenir compte.

C. Mentions obligatoires de lacte


Par application de larticle L 1411 du Code de commerce:
I. Dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce, consentie mme sous
condition et sous la forme dun autre contrat ou lapport en socit dun fonds de commerce,
le vendeur est tenu dnoncer:
1/ le nom du prcdent vendeur, la date et la nature de son acte dacquisition et le prix de
cette acquisition pour les lments incorporels, les marchandises et le matriel;
2/ ltat des privilges et nantissements grevant le fonds;
3/ le chiffre daffaires quil a ralis durant les trois exercices comptables prcdant celui
de la vente, ce nombre tant rduit la dure de la possession du fonds si elle a t
infrieure trois ans;
4/ les rsultats dexploitation raliss pendant le mme temps;
5/ le bail, sa date, sa dure, le nom et ladresse du bailleur et du cdant, sil y a lieu.
II. Lomission des nonciations cidessus prescrites peut, sur la demande de lacqureur forme
dans lanne, entraner la nullit de lacte de vente.
Le texte est on ne peut plus clair.
Il est pourtant assez rare de voir ces informations portes dans un acte de cession ou
dacquisition de site internet ou de tout ou partie dlments dactifs dun e-business, et
particulirement les comptes sociaux des trois derniers exercices.
En effet, en cette matire, les lments retenus pour la fixation du prix ne portent pas tant ou
pas seulement sur le chiffre daffaires que sur dautres critres comme le taux de frquentation,
le nombre dabonns, les revenus publicitaires, le fichier clients ou bien encore le nom de
domaine.
cet gard, on rappellera lacheteur limportance de faire mentionner dans lacte les
lments ayant servi dterminer son consentement pour le prix convenu, sous peine de
ne pouvoir faire annuler la vente en cas de modification de lun de ces critres.
Pour mmoire, on citera cet arrt de la cour dappel de Paris du 20 mars 2003 (CA Paris, 5e
ch. B, 20 nov. 2003, SARL CD dition c/ SA Creanet) qui a refus dannuler la vente dun site
internet achet lpoque 1798000francs (environ 350000euros) et dont la frquentation
avait trs largement chut aprs la vente, au motif que le taux de frquentation du site navait
pas t prcis dans lacte de vente et ne constituait ds lors pas, selon les juges, un lment
dterminant du prix ou de la vente en cause.
La nullit pour omission des mentions requises par larticle L141-1 du Code de commerce
dans lacte de cession de fonds de commerce nest pas automatique ici. Le juge regardera
en particulier si les lments manquants ont t ou auraient pu tre dterminants de
lacquisition et, si tel est le cas, annulera la transaction.

On entrevoit donc ici aussi un facteur dinscurit juridique permettant lune ou lautre des
parties dchapper ses obligations, et mettant lautre en difficult.

D. Reprise des contrats de travail


Par application de larticle L1224-1 du Code du travail, les contrats de travail des salaris attachs
un fonds de commerce, en cours au jour de la vente, sont transfrs de plein droit lacqureur
dudit fonds.
Transpos notre problmatique, le risque juridique est double: non seulement lacqureur se
verra contraint de reprendre des salaris dont il navait pas ncessairement prvu le cot, mais
il devra qui plus est faire face un risque de procdures prudhomales pour licenciement sans
cause relle et srieuse sil savisait de licencier les salaris suivant le fonds, tout licenciement
motiv par le changement demployeur tant dclar sans cause relle et srieuse.

E. Non-reprise des autres contrats


Les autres contrats (sauf le contrat dassurance des locaux, le cas chant, et les contrats
ddition, dans certaines conditions) ne sont pas transmis de plein droit loccasion dune
cession de fonds.
En effet, il ne sagit pas ici de la reprise de lactivit par une cession des acquisitions des titres
de la socit qui lexploite, mais bien dun changement de mains de lactivit entre personne
juridiques distinctes.
Aussi, il faut lister prcisment dans lacte les contrats que lon souhaite reprendre, sous peine de
ne pas pouvoir en bnficier. Lexemple le plus parlant en matire dconomie numrique
est celui du contrat dhbergement, ou encore des contrats de rfrencement du site.
Mais on peut penser galement aux contrats dexploitation de droits dauteur sur certains
visuels ou contenus du site, tout comme aux contrats de licence qui, dans certains cas,
sont essentiels la poursuite de lactivit concerne.
cet gard, il faudra penser prendre connaissance lavance des dispositions prvues par les
contrats en cause en cas de transfert, car celui-ci ncessite souvent laccord du cocontractant.

F. Cession des droits de proprit intellectuelle avec le fonds?


Les marques, brevets ou bien encore le droit des producteurs sur les bases de donnes
sont des lments incorporels et, en tant que tels, font partie du fonds de commerce et
devraient tre cds automatiquement en mme temps que lui.
Ici encore, cela peut donner lieu des remises en question des actes signs, le cessionnaire
tentant par exemple de requalifier lacte en acte de cession de fonds de commerce afin de
bnficier, pour le mme prix, du transfert des droits de proprit industrielle. Lorsquon sait la
valeur de certaines marques ou de certains brevets, largument peut en effet sduire.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 179

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

Un temprament doit cependant tre apport ici, la jurisprudence exigeant gnralement


que la marque ou le brevet soit cit(e) dans lacte de cession pour accepter sa cession
en mme temps que le fonds, et ce du fait de lobligation de constater toute cession de
marque par un crit.
Nanmoins, la question se posera ou pourra se poser si dautres lments de lacte peuvent
venir tayer la volont implicite dinclure ou linverse dexclure ces lments de lopration,
ou si une clause prvoit de faon gnrale la cession de la marque alors que plusieurs sont
attaches et exploites dans le cadre du fonds de commerce cd.

G. Le risque fiscal
Enfin, et sans vouloir tre exhaustif, les entreprises doivent aussi prendre en compte le risque
fiscal, la cession de fonds de commerce faisant lobjet de plusieurs dispositions particulires en
la matire.

Droits de mutation
Dabord, en application de larticle 719 du Code gnral des impts, les mutations de proprit
titre onreux de fonds de commerce ou de clientle sont soumises un droit denregistrement
dont les taux varient par pallier en fonction du prix de la vente de lachalandage, de la cession du
droit au bail et des objets mobiliers ou autres servant lexploitation du fonds.
Lorsque la transaction porte sur plusieurs millions deuros, limpt peut tre consquent.
Une cession de marque ou de brevet, si elle entrane une cession de clientle, pourra dailleurs
tre impose de la mme faon.
De mme, ladministration fiscale impose de manire identique la cession de site internet en se
fondant sur larticle 720 du Code gnral des impts, qui prvoit que les impositions prvues
larticle 719 sont tendues toute convention titre onreux. Cela permet une personne
dexercer une profession, une fonction ou un emploi occup par un prcdent titulaire, mme
lorsque ladite convention conclue avec ce titulaire ou ses ayants cause ne saccompagne pas
dune cession de clientle (les droits sont alors exigibles sur toutes les sommes dont le paiement
est impos, du chef de la convention, sous quelque dnomination que ce soit, au successeur,
ainsi que sur toutes les charges lui incombant au mme titre).

Solidarit fiscale de lacheteur


Pendant trois mois compter de la dclaration de la vente du fonds de commerce
ladministration fiscale, il existe une solidarit fiscale entre lacheteur et le vendeur pour le
paiement de limpt sur le revenu affrent aux bnfices raliss pendant la dernire anne, de
limpt sur les socits pour le dernier exercice, de la taxe dapprentissage, et ce dans la limite
du prix de cession.

Pour pouvoir poursuivre entre les mains du repreneur les dettes fiscales du cdant,
ladministration fiscale peut ainsi avoir intrt requalifier une opration de cession dlments
dactifs dun e-business ou dun site internet en vritable cession de fonds de commerce.
Dans le mme ordre dide, la cession dun fonds de commerce est soumise des formalits de
publicit et le prix de cession est obligatoirement squestr, afin de permettre aux cranciers
du cdant de former opposition sur le prix de vente pour les crances impayes au jour de la
cession, selon une procdure organise par le Code de commerce.
Si le prix nest pas squestr et que le cessionnaire la intgralement vers au cdant (ce qui
sera le plus souvent le cas lorsque les parties nont pas conscience de procder la cession dun
vritable fonds de commerce), le cessionnaire peut tre amen payer les cranciers du cdant,
concurrence du prix de cession.
L encore, les cranciers du cdant ont un intrt vident tenter de faire requalifier lopration
en cession de fonds de commerce.

II - Les critres du e-fonds de commerce


Avant de savoir si la cession des lments envisage peut tre ou non assimile une cession
de fonds de commerce, il faut savoir ce quon entend par fonds de commerce et si cela peut
sappliquer une entreprise exclusivement online, avec lexistence dune notion distincte ou
non de e-fonds de commerce, de fonds de commerce lectronique, ou bien encore de
fonds de commerce virtuel.

A. Dfinition du fonds de commerce


Il nexiste aucune dfinition lgale du fonds de commerce. Le Code de commerce se
contente de lister certains lments pouvant le composer, savoir, notamment, lenseigne et
le nom commercial, le droit au bail, la clientle et lachalandage, le mobilier commercial, le matriel
ou loutillage servant lexploitation du fonds, les brevets dinvention, les licences, les marques,
les dessins et modles industriels, et gnralement les droits de proprit intellectuelle qui y sont
attachs (article L142-2).
Les juges ont tent den donner une dfinition. Saisis dun litige, ce seront eux qui, au final,
dcideront si oui ou non il y a fonds de commerce, puisquils ne sont pas lis par la qualification
que donnent les parties leurs actes.
ce jour, il est gnralement admis quun fonds de commerce est une universalit
compose dun ensemble de biens meubles corporels (le matriel, loutillage) et
incorporels (droit au bail, clientle, doits de proprit intellectuelle) attachs lexercice
de lactivit commerciale dans le but dattirer une clientle.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 181

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

B. Application au e-fonds de commerce


Cette dfinition pose, certains se sont demand si cette notion pouvait tre transfre au
commerce lectronique, qui est dfini par la loi pour la confiance dans lconomie numrique
adopte le 21 juin 2004 comme lactivit conomique par laquelle une personne propose
ou assure distance et par voie lectronique la fourniture de biens ou de services (on notera
dailleurs ici que les dveloppements qui suivent ne sappliquent donc pas des activits on-line
qui ne seraient pas commerantes au sens du Code de commerce).
La rponse nest pas vidente, surtout lorsque le commerce en cause est intgralement
dmatrialis, et dans la mesure o un certain nombre dlments font dfaut, comme le droit
au bail ou bien encore le matriel ou les quipements dexploitation.

Peu de jurisprudence
Il nexiste pas encore? une jurisprudence trs abondante sur la question. On peut dire que
les juges ont dabord t rticents reconnatre lexistence dun vritable e-fonds de commerce,
principalement au motif que, outre labsence de droit au bail et de biens meubles corporels, un
e-fonds de commerce ne disposerait pas dune clientle propre, cest--dire, une clientle
stable, personnelle, certaine et licite.
Au dtour dun arrt de 2006 se prononant sur la question de savoir si la cration dun site
de vente en ligne par un franchiseur portait atteinte lexclusivit territoriale dans un secteur
dtermin accord au franchis, la Cour de cassation a ainsi commenc en indiquant que la
cration dun site internet nest pas assimilable limplantation dun point de vente dans le secteur
protg, excluant de facto quun site internet puisse avoir une clientle propre.
Bien que refusant de reconnatre lexistence dune clientle propre dans le cas qui leur tait
soumis, certains magistrats ont pourtant accept indirectement la possibilit quune telle
clientle existe.
Cest ainsi que dans son arrt prcit du 10 mai 2000, le tribunal de grande instance de Paris,
bien que ne stant finalement pas prononc en tant que tel sur la question, avait tout de mme
voqu le fait que lattribution du droit de proprit sur la clientle tait susceptible dtre discute,
de mme que lexistence du fonds de commerce au motif que le trafic tait le fruit dun contrat
pass avec France Tlcom dont (le cessionnaire, ndla) navait aucunement la matrise, et quil tait
conventionnellement prvu, au cas o France Tlcom refuserait son agrment, que le transfert serait
considr comme nul et non avenu. A contrario, si le cessionnaire avait eu la matrise de ce trafic,
lattribution du droit de proprit sur la clientle naurait pas pu tre questionne.
De mme, dans un arrt du 2 juillet 2010, la cour dappel de Poitiers a implicitement reconnu la
possibilit dune clientle attache un e-fonds de commerce.
Dans cette affaire, lacqureur du site Actua.Mobiles.fr avait assign son vendeur pour vice du
consentement au motif que le trafic du site avait t surestim, et avait tent de faire requalifier
lopration en cession de fonds de commerce pour en demander lannulation au motif du dfaut

des mentions requises par larticle L 141-1 du Code de commerce. La Cour na pas fait droit
sa demande de requalification en indiquant que les internautes du site en cause tant renvoys
vers des sites partenaires qui, linverse du site concern, procdaient des ventes, ce dernier
ne disposait pas dune clientle propre. Si le site avait procd directement des ventes, une
clientle propre aurait pu exister.

Dbats autour de la clientle


Les difficults retenir lexistence dune clientle propre proviennent de plusieurs arguments qui
peuvent aujourdhui tre trs largement rfuts.
Dabord, certains sont tents de soutenir que la clientle ne serait pas propre au
e-commerant du fait de lexistence dintermdiaires pour accder aux sites tels que lhbergeur,
le fournisseur daccs Internet, voire les moteurs de recherches et les rfrenceurs. Cependant,
le cyber-consommateur qui passe commande sur le site na connaissance ni du fournisseur
daccs, ni de lhbergeur, qui jouent donc un rle indiffrent dans le choix du client au moment
de son acte dachat. La rponse est srement un peu diffrente vis--vis des moteurs de
recherches et des rfrenceurs, mais ceux-ci nont pas davantage de clientle propre et jouent
le rle que joue lemplacement dun commerce traditionnel, un bon rfrencement quivalent
bon emplacement, au regard de lachalandage.
Ensuite, dautres soutiennent que lachat sur Internet est trs dpersonnalis. Le client y est
plutt la recherche dun bien particulier que dun commerant particulier, la comparaison des
produits et des services tant rendue bien plus facile et plus rapide en ligne. La fidlisation de
lacheteur, qui est un facteur de constitution dune relle clientle, serait ainsi beaucoup plus
difficile sur Internet.
Or, de nombreux sites peuvent dmontrer quils connaissent bien mieux leurs clients et leurs
habitudes dachats que dans le commerce traditionnel, lachat y tant fortement personnalis,
notamment du fait des systmes de recueil dinformations dachats lors de la consultation du
site et du processus de commande, de lutilisation des fameux cookies et de la constitution de
fichiers incorporant des lments de e-marketing.
Par ailleurs, les efforts de mise en place de programmes de fidlisation et de services de nature
se dmarquer et donner confiance la e-clientle ont prouv leur efficacit paiement en
ligne fiable, conditions gnrales de vente respectueuses des lois en vigueur, livraison gratuite,
etc. La clientle satisfaite est plus encline rpter son exprience dachat auprs de tels sites
plutt qu procder une nouvelle recherche de produits ou services similaires sur un moteur
de recherches.
En ralit, lheure du Big Data et des fichiers clients ngocis prix dor, notamment en raison
du nombre de donnes rcoltes sur les habitudes dachat qui font dfaut dans le commerce
traditionnel, on ne peut raisonnablement soutenir que le e-commerant ne peut rapporter la
preuve dune clientle propre.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 183

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

cet gard, il convient encore de faire tat dun point non ngligeable: si la clientle doit tre
propre au site internet en cause, elle doit aussi tre licite. Il faudra notamment bien penser au
respect des obligations de dclaration auprs de la Commission nationale de linformatique et
des liberts (CNIL) conformment la loi du 6 janvier 1978, dite loi informatique et liberts, sur
la protection des donnes personnelles.
La Cour de cassation vient dailleurs de le rappeler dans un arrt o elle a annul le transfert
dun fichier clients ne respectant pas ces dispositions, au motif que celui-ci tait illicite et quil ne
pouvait tre dans le commerce (Cass. Com. 25 juin 2013, n12-17.037).
En conclusion, chaque fois quune opration de cession dlments dun site internet et plus
forte raison dun site internet entier comportera la cession dune clientle, il conviendra, par
prudence, de se demander si lon nest pas en train dacqurir un vritable fonds de commerce.
La rponse sera gnralement positive, mme sil faut tout de mme rserver lhypothse de la
seule cession dun fichier clients: celle-ci ne constitue pas la cession dun fonds de commerce
car, sans autre lment cd, il ne sagit pas dune universalit permettant lexercice dune
activit, dfinition retenue, nous lavons vu, pour le fonds de commerce.

III - Le rle des droits de proprit intellectuelle


Lexistence dune clientle propre tant dterminante de lexistence dun e-fonds de
commerce mais pas suffisante, les droits de proprit intellectuelle apparaissent comme
un facteur complmentaire important pour faire pencher la balance vers la qualification
de fonds de commerce.
En effet, quil sagisse de lidentit graphique du site, de ses logos, des icnes de ses applications,
ou bien encore de ses marques, ces lments appels signes distinctifs ont prcisment pour
vocation de rallier la clientle. Ils permettent linternaute satisfait de son exprience
dachat sur un site donn de pouvoir la ritrer en tant assur de retrouver le mme
vendeur et les mmes garanties de qualit.
Nous en voulons pour preuve supplmentaire labondante jurisprudence en matire
dinterdiction de lutilisation de marques comme mots cls par les services payants de publicit
sur les moteurs de recherches.
Ainsi, en prsence dune cession de droits dauteur sur les lments graphiques et dune
cession de marque, surtout si la marque se confond avec le nom de domaine, il pourra
tre dbattu que la clientle et les lments ncessaires lexploitation que sont la
marque et lidentit graphique constituent un vritable fonds de commerce.
Compte tenu de ces lments, il conviendra dtre particulirement vigilant sur la stratgie de
proprit intellectuelle du vendeur en amont de la vente, mais aussi sur la mention prcise des
lments cds dans la transaction constatant lopration et le respect des rgles applicables
la cession de fonds de commerce.

A. Vrifier lexistence et la validit des droits


Sagissant de la stratgie de proprit intellectuelle en amont, pas toujours optimise, il faudra
sassurer de la titularit et de la validit des droits en cause. Plus la stratgie sera organise en
amont, et plus la clientle pourra identifier et donc ritrer son exprience dachat, plus il sera
ais de dmontrer lexistence dune clientle propre.

Charte graphique et contenu: droits dauteur


Il faut surtout sassurer ici que les droits dauteur portant sur les lments graphiques du site et
son contenu ditorial appartiennent bien au cdant. On rappellera cet gard que la ralisation
de ces lments graphiques peut en effet tre le fait dune multitude dintervenants et de cas de
figures: agence web ayant cr le site, salaris graphistes du cdant, freelance, amis, etc. Pour
tous, il faudra sassurer de la cession valable de leurs droits au profit du cdant avant que celui-ci
puisse les cder au repreneur.
En effet, la simple existence dun contrat de commande, de travail, de prestations, nemporte
pas cession des droits dauteur si celle-ci nest pas expressment prvue.

Les marques
Pour les marques, la situation peut paratre plus aise dans la mesure o elles ne peuvent exister
quaprs un dpt auprs dun office de proprit industrielle (lInstitut national de la proprit
industrielle, pour la France), et o il est possible de vrifier quun tel dpt existe en consultant
par exemple la base de donnes gratuite mise disposition cet effet par lINPI (http://basesmarques.inpi.fr).
Encore faut-il le faire.
Il convient alors de sassurer que le dpt est bien au nom du cdant et non celui de son
dirigeant en qualit de personne physique, que la marque est bien dpose pour les produits et
services pour lesquels elle est exploite quelle est bien en cours de validit et quune recherche
dantriorit a bien t effectue avant son dpt. Un audit pralable est impratif afin de
dterminer si cet actif important de lentreprise pourra tre exploit et dfendu conformment
aux attentes de lacqureur.

B. Mentionner prcisment les droits cds


On a rappel quen cas de cession de fonds de commerce, les contrats et les droits de
proprit intellectuelle ne sont pas transmis de facto lacqureur. Il faudra donc bien
identifier les lments cds et, surtout, respecter les formes requises en matire de
cession de ces lments particuliers.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 185

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

Les droits dauteur


Il sera impratif de procder dans lacte, la cession des droits dauteur sur lensemble des
lments protgs ce titre, conformment aux dispositions prvues cet gard par le Code de
la proprit intellectuelle, en particulier les articles L131-1 et suivants, en prcisant notamment
la dure, le territoire ncessairement le monde entier en matire dInternet , les droits cds
et les exploitations autorises.

Les marques
Il faudra penser bien identifier les marques, idalement par leur numro et non uniquement
par leur nom ou leur reprsentation. En effet, si les marques sont des lments incorporels et,
comme tels, sont en principe comprises dans les lments composant le fonds et cdes doffice
en mme temps que lui, la loi exige que leur transmission soit constate par crit.
La jurisprudence exige en effet que la (ou les) marque(s) cde(s) avec le fonds fasse(nt) lobjet
dune mention expresse dans lacte de cession sous peine de nullit (par exemple, Cass. Com.
29 janvier 2002).
Force est de constater que cette mention fait souvent dfaut, notamment dans le cadre des
plans de cession dentreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. Mais aussi dans les
cas o un mme signe est dpos titre de plusieurs marques et dans plusieurs pays, seule
lindication du signe tant vis, mais pas les rfrences de chaque marque.
On notera aussi que le fonds de commerce tant une universalit permettant lexercice
dune activit, toutes les marques exploites par une entreprise ne sont pas obligatoirement
ncessaires lexercice de lactivit cde.
Il faudra enfin penser faire publier le transfert de marque(s) au Registre national des marques
afin de le rendre opposable aux tiers.

IV - Une protection incomplte


Une fois admis que les rgles propres la cession de fonds de commerce sappliquent bien
au e-fonds de commerce, on peut se demander si cette qualification apporte une protection
suffisante, outre le fait non ngligeable de scuriser la transaction en vitant des risques
dannulation, et de pouvoir anticiper et inclure lexact cot des diffrents risques juridiques
encourus dans lconomie gnrale de lopration.
La rponse est ngative.
En effet, bien que les rgles aient le mrite dtre bien dfinies et dtre protectrices des parties,
certaines spcificits du e-fonds de commerce ne sont pas prises en compte et ncessitent
ce stade une vigilance accrue des entreprises concernes. Et pourquoi pas une modification des
textes applicables, ou en tous cas de leur interprtation par les magistrats.

Les spcificits communment admises du e-fonds de commerce par rapport au


fonds de commerce traditionnel tiennent essentiellement deux lments: le contrat
dhbergement, indispensable lexploitation du efonds de commerce, et le nom de
domaine, qui nexistent ni lun ni lautre dans le commerce traditionnel.

A. Le contrat dhbergement
Ce contrat est indispensable lexploitation du e-fonds de commerce, un peu la manire du
contrat de bail commercial pour le commerce traditionnel.
Le contrat dhbergement permet en effet de stocker physiquement les donnes
indispensables au fonctionnement du site internet, un peu comme le contrat de bail
permet au commerant traditionnel de stocker ses marchandises.
En matire de cession de fonds de commerce, il existe des dispositions protectrices du
commerant pour lui permettre de cder son droit au bail au repreneur de son fonds de
commerce sans que le bailleur ne puisse sy opposer.
Par ailleurs, parmi les mentions obligatoires devant figurer dans un acte de cession de fonds de
commerce en application de larticle L 141-1 du Code de commerce, on trouve le bail, sa date,
sa dure, le nom et ladresse du bailleur et du cdant, sil y a lieu.
Or lquivalent nexiste pas pour le contrat dhbergement, dans lequel figure souvent une
clause ncessitant laccord de lhbergeur en cas de cession du contrat un repreneur.
La jurisprudence devrait-elle assimiler le contrat dhbergement au contrat de bail commercial,
ou du moins le traiter de faon identique en cas de cession du site internet?
ce jour, la rponse tend plutt vers la ngative. Car linverse du bail commercial, qui porte
sur les locaux o les marchandises sont stockes mais aussi sur le lieu o elles sont vendues,
crant ainsi un lien avec la clientle, le contrat dhbergement est, quant lui, transparent
pour la clientle.
En cas de refus de transfert par lhbergeur, et compte tenu du trs grand nombre dhbergeurs,
il existe des solutions alternatives qui nimpacteront pas la clientle du site dans la plupart des
cas. Un tel refus pourra entraner une indisponibilit du site pour une priode plus ou moins
longue, avec un prjudice de perte de chiffre daffaires qui devra et le plus souvent pourra tre
rpar par des dommages et intrts. Mais la clientle ne sera pas pour autant perdue comme
elle le serait en cas de refus de transfert du bail pour un point de vente traditionnel, puisquelle
pourra ultrieurement retrouver sans difficult le site internet la mme adresse.
Il faudra donc bien prendre soin dexposer les conditions du contrat dhbergement dans lacte
et den organiser la cession au profit du repreneur. Il faudra aussi vrifier cet gard les clauses
et les modalits de rversibilit qui portent sur la faon dont le contenu du site est restitu en
cas de transfert un autre hbergeur.
La question se pose dans des termes tout autres pour le nom de domaine.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 187

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

B. Le nom de domaine
Dfinition dans la charte de nommage du .fr
En France, le nom de domaine est dfini par la charte de nommage de la zone .fr tablie par
lAssociation franaise pour le nommage internet en coopration (AFNIC) de la faon suivante:
Identifiant Internet. Un nom de domaine est constitu de plusieurs lments, chacun compos de
caractres (correspondant par exemple au nom dune socit, dune marque, dune association, dun
particulier). Les lments sont spars les uns des autres par un point. Llment le plus droite
correspond un domaine de premier niveau (.fr, .de, .ca, .jp, .net, .com...). Le DNS (Domain Name
System) assure la correspondance nom de domaine / adresse IP.
Pour le e-commerant et la clientle, il correspond deux besoins: il est ladresse du point de
vente en ligne, dans le sens du lieu o trouver et acheter les produits et services; il est aussi
le nom du point de vente permettant le ralliement de la clientle.
Le nom de domaine rsulte du nom que donnera lexploitant du site internet ladresse IP
identifiant le site. Le nom en question devra tre unique (deux sites ne pouvant techniquement
pas porter le mme nom), et aura une extension gographique dpendant du pays qui aura
fourni le service de nommage. En France, cette mission est confie lAFNIC, chaque entit
responsable dune zone gographique tant amene dfinir des rgles propres la zone de
nommage concerne.
L encore, le nom de domaine est absolument indispensable au e-fonds de commerce. Et l
encore, rien nest prvu pour garantir le transfert au profit du repreneur, sans mention spcifique
dans lacte de vente.
Pour pouvoir bnficier dun nom de domaine en .fr, la charte franaise pose certaines
conditions. Elles sont principalement lies au territoire, par la ncessit soit davoir une adresse
en France, ou dtre titulaire dune marque franaise ou europenne.
Larticle 10 prvoit ensuite que le titulaire dispose du nom de domaine quil a enregistr pendant
toute sa dure de validit dans le respect des termes de la charte de nommage. Lenregistrement,
lutilisation et lexploitation dun nom de domaine relvent de la seule responsabilit de son titulaire
prvoyant encore un droit de reprise et dun droit de premption au profit de lAFNIC sil
apparat ncessaire de rcuprer le nom de domaine pour des raisons imprieuses et indique enfin
que la mission exerce par lAFNIC ne lui confre aucun droit de proprit intellectuelle sur les noms
de domaine.
Larticle 15.3 autorise le transfert du nom de domaine, qui interviendra selon une procdure
technique quil convient de connatre afin de bien rdiger la clause relative au transfert du nom
de domaine dans lacte de cession, mais qui ne ncessite, sur le fond, que laccord des deux
parties.
La cession est donc possible, mais elle nest pas forcment incluse dans la cession du e-fonds de
commerce puisquun nom de domaine peut tout fait faire lobjet dune cession isole.

Le nom de domaine nest pas un droit de proprit intellectuelle


Le nom de domaine, pour important quil soit, nest pas un droit de proprit intellectuelle.
lorigine, il ne bnficiait pas dune protection particulire.
Devant limportance prise par cet lment dcisif de ralliement de la clientle dans un contexte
de dveloppement ultra-acclr et dmocratis du e-commerce, les magistrats ont tout
dabord reconnu sa valeur patrimoniale pour lentreprise numrique, notamment au niveau
communautaire (CEDH 18 sept. 2007, req. no 25379/04, JCP 2008. I. 158, no 1, obs. Caron;
RTD civ. 2008. 503, obs. Revet; D. 2009. Somm. 1992, obs. Trfigny). Aujourdhui, les magistrats
lassimilent de faon quasi unanime lenseigne et au nom commercial du commerant
traditionnel (par exemple: CA Paris, 18 oct. 2000 : RJDA 2001, n521. TGI Paris, 27 juill. 2000,
Market Call c/MilleMercis: www.juriscom.net).
Cette assimilation est intressante au regard de la question qui nous proccupe car le nom
commercial et lenseigne font partie des lments viss par larticle L142-2 du Code de
commerce comme faisant partie des lments du fonds de commerce. Elle reste nanmoins
insuffisante.

Inscription du nom de domaine sur lextrait k-bis


La reconnaissance du nom de domaine, au mme titre que le nom commercial et lenseigne,
a t renforce par la possibilit quont dsormais les entreprises devant sinscrire au registre
du commerce et des socits de dclarer un nom de domaine par tablissement, au moment
de leur immatriculation ou en cours dexploitation. Les noms de domaines ainsi dclars
apparaissent ds lors sur lextrait k-bis (article R123-38 et R123-53 du Code de commerce).
Encore peu utilise par les entreprises, cette facult est pourtant une petite rvolution, mme
si des questions pratiques se posent puisquaucune procdure de mise jour ou de suivi nest
prvue ce qui conduira par exemple des situations o des noms de domaines ne seront, en
ralit, plus exploits.
On peut nanmoins dsormais prouver avec certitude la date du dbut dexploitation et
dutilisation dun nom de domaine en produisant un extrait k-bis.
Pour autant, ce premier pas ne semble pas suffisant.
En France comme au niveau international, une vritable reconnaissance du nom de domaine par
le droit de la proprit intellectuelle ainsi que la mise en place dun systme permettant de suivre
la proprit et lexploitation des noms de domaines la faon des bases de donnes et registres
tenus par lINPI pour les marques assureraient une meilleure scurit juridique en la matire.
De telles mesures permettraient galement de lutter en partie contre un autre phnomne et
flau international de lconomie numrique contre lequel le droit de la proprit intellectuelle,
qui est par dfinition territorial, est totalement dmuni: celui des cyber-squatteurs.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 189

3.2 Cessions de tout ou partie de e-business

De mme, linscription du nom de domaine dans les lments devant imprativement tre lists
dans lacte de cession du fonds de commerce au titre de larticle L 141-1 du Code de commerce
ainsi quun droit automatique au transfert du nom de domaine en cas de cession du efonds
de commerce ( la manire du droit au bail commercial) permettraient dinscrire dfinitivement
la reconnaissance du nom de domaine comme lment dterminant, indispensable et, en
labsence de bail commercial, spcifique au e-fonds.

Conclusion
En droit franais, la notion de e-fonds de commerce et le respect des rgles propres la cession
dun tel fonds peuvent effectivement servir scuriser les transactions portant sur plusieurs
lments dactifs dun site ecommerce, la ncessit de dmontrer une clientle propre tant
le critre essentiel.
Les droits dauteur sur la charte graphique et le contenu du site ainsi que la cession des marques
pourront contribuer retenir cette notion de e-fonds de commerce, en consolidant lexistence
dune clientle propre et de moyens ncessaires lexploitation de lactivit.
Il faudra procder certains amnagements pratiques des textes, concernant par exemple les
formalits denregistrement qui doivent avoir lieu, pour le commerce traditionnel, la recette
comptente au lieu o est situ le fonds on sadressera celle du ressort du domicile ou du
sige du vendeur en cas de e-fonds de commerce.
Il faudra continuer procder une rdaction mticuleuse de lacte de cession, dans la mesure
o la cession de e-fonds de commerce nentrane pas la transmission automatique des contrats,
notamment les contrats dhbergement et de rfrencement, pourtant ncessaires lactivit
et o aucune mention spcifique relative ces contrats nest requise dans les actes de cession.
Mme chose encore pour le nom de domaine, seule vritable spcificit du e-fonds de
commerce, qui nest pas davantage transfr de plein droit avec le e-fonds. Un changement des
rgles applicables peut ici tre suggr pour amliorer la scurit juridique des oprateurs et pour
lutter plus efficacement contre les cyber-squatteurs.
Enfin, il convient de noter que cette construction du fonds de commerce est spcifiquement
franaise, mme sil existe quelques exceptions, comme par exemple la Belgique.
Il faudra donc veiller prciser que le droit applicable est le droit franais dans les contrats
impliquant un lment dextranit, si bien sr on souhaite y tre soumis.
En matire contractuelle, les parties ont effectivement la possibilit de choisir le droit applicable
et pourraient ds lors vincer les rgles dcrites ci-avant en dsignant le droit dun autre tat.
dfaut de prcision, et sous rserve de lapplication de rgles de droit international priv
notamment en matire fiscale, le droit franais devrait tre applicable chaque fois que le
vendeur aura son sige social en France, et ce, par application de la convention 80/934/CEE du

19juin1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dite convention de Rome, qui
prvoit qu dfaut de choix, le contrat est rgi par la loi du pays avec lequel il prsente les liens
les plus troits, cest--dire, en principe, avec le pays o la partie qui doit fournir la prestation
caractristique (en lespce, celle du vendeur) a sa rsidence habituelle.
Beaucoup doptions restent donc ouvertes aux oprateurs, le tout tant dagir en connaissance
de cause.

BIBLIOGRAPHIE
Galloux J.-C., La promesse de vente portant sur un certain nombre dlments composant un
fonds de commerce de messagerie tlmatique est-elle assimilable une promesse de vente
portant sur ce fonds de commerce?, Communication Commerce lectronique, 2000, 10,
comm. 102.
Stoffel-Munck P., La frquentation dun site internet nest-elle pas une qualit naturellement
dterminante de son acquisition?, Communication Commerce lectronique, 2004, 12, comm.
159.
Verbiest T., Le fonds de commerce lectronique: vers une reconnaissance juridique?,
Communication Commerce lectronique, 2008, tude 10.
Mendoza-Caminade A., La notion de fonds de commerce lpreuve de lInternet: faut-il
admettre le fonds de commerce lectronique?, Mlanges en lhonneur de Philippe le Tourneau,
Paris: Dalloz, 2008.
Stoffel-Munck P., Decocq G., Lavnement du fonds de commerce lectronique, La Gazette
du Palais, 2009.
Desgens-Pasanau G., Notion de fonds de commerce et Internet, JurisClasseur Entreprise
Individuelle, 2014, fasc 1080.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 191

3.3
Actif immatriel : dis-moi ton usage
et je te dirai ton prix
Lvaluation et le traitement comptable
et fiscal des bases de donnes
Badwill comptable et fiscal de lindustrie
des bases de donnes
par Marc Levieils

Lauteur
Marc Levieils est conseil en proprit industrielle, associ du cabinet Regimbeau, responsable du
dpartement Contrats & Valorisation.
Article rdig avec la collaboration de Maxime Legrand, ancien lve de lENS, diplm de lIEP de
Paris, agrg dconomie et gestion, prsident fondateur du groupe Project Education.

Synthse
Constatant les difficults persistantes apprhender la valeur des actifs immatriels dans les
systmes comptables et les divergences entre les dfinitions comptables et les dfinitions
juridiques de certains de ces actifs, cet article prsente lclairage du juriste en proprit
intellectuelle sur ces questions conomiques au travers de lexemple des bases de donnes, et
propose dutiliser les dfinitions juridiques, lanalyse des contrats et la mthode conomique
pour clarifier lidentification des actifs immatriels et la circulation de valeur au sein de
lentreprise.

mots cls : actifs immatriels | traitement comptable|


immobilisation | base de donnes | contrat |
mthodes dvaluation
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 193

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

Introduction
Les actifs immatriels ont la caractristique de pouvoir impacter simultanment le compte
de rsultat et le bilan. Ainsi, exploiter une base de donnes, cest amliorer son taux de
transformation sur un site marchand (pour contribuer laugmentation du chiffre daffaires, par
exemple), mais aussi grer un lment patrimonial disposant dune valeur propre pouvant tre
lou des partenaires et/ou cristalliser une partie du savoir-faire de lentreprise
Dans le cours effrn des affaires, o lon surveille lvolution des rsultats mois aprs
mois, la composante patrimoniale des actifs immatriels est trs souvent oublie. Les
outils comptables apparaissent par ailleurs mal adapts cet exercice qui consiste traduire la
fois lvolution du patrimoine (dans le bilan) et le cours des affaires (dans le compte de rsultat).
Les rgles comptables traduisent ces dilemmes oscillant entre la primaut donne la fiabilit
des comptes (qui se traduira par une rticence reconnatre la valeur patrimoniale des actifs
immatriels) et la primaut donne la pertinence des comptes, qui rendra possible lactivation.
Cest ce qui ressort notamment des analyses compares des rgles dactivations des actifs
immatriels au sein mme de lUnion europenne.

Figure 1 : Extrait de la comptabilit des marques en France,


en Allemagne et selon les rgles de lIASC (International Accounting
Standards Committee)
Socits

IAS 38

France Allemagne

Capitalisation
des marques
cres en interne

Impossible

ventuellement
possible

Impossible

Fiabilit

Pertinence

Fiabilit

Possible en thorie
Difficile en pratique

Possible et
Possible en thorie
largement pratique Difficile en pratique

Fiabilit

Pertinence

Fiabilit

20 ans

Pas
damortissement

Amortissement
court

Fiabilit/Pertinence

Pertinence

Fiabilit

Affectation des marques


dans le cadre de lcart
de premire consolidation

Amortissement

Source : extrait de la comptabilit des marques en France, en Allemagne et selon les rgles de lIASC
Herv Stolowy et al. Association Francophone de Comptabilit Comptabilit Contrle Audit 2001/1 Tome 7

Ces dbats, issus de la doctrine comptable, schangent aujourdhui dans un contexte


de modifications profondes des chanes de valeur provoques notamment par
linterventiondu numrique dans toutes les composantes de lconomie, et en particulier
par la conscration des modles dactivits sappuyant sur lexploitation massive de bases
de donnes. Prs de 65% de la valeur des 100 entreprises cotes de premier plan correspond de

limmatriel (66% chez Veolia, 82% chez Nokia, 93% chez Vinci). La valeur totale du capital
immatriel de ces entreprises est suprieure au PIB de la France.
Or, les bases de donnes, en tant quactifs immatriels, ne sont encore que partiellement et
imparfaitement prises en compte par les rgles comptables. Daprs une tude dErnst & Young,
seuls 34% du capital immatriel de ces entreprises sont inscrits au bilan238.
Nous examinerons donc, tout dabord, en quoi cet tat de fait nest que la consquence de
la difficult gnrale des modles comptables intgrer lensemble htrogne des actifs
immatriels, dont les bases de donnes ne sont quun cas particulier.
La prsentation et lanalyse dune dcision de lAutorit europenne des marchs financiers
(European Securities and Markets Authority ou ESMA) concernant la contestation de
limmobilisation dune base de donnes nous permettront de mettre en vidence les dcalages
ainsi crs entre la ralit conomique et ses traductions comptables et juridiques.
Nous nous proposerons ensuite de considrer des dfinitions juridiques sous-jacentes la
plupart des actifs immatriels, considrant que cette grille danalyse ancienne et prouve
peut constituer une base utile la vrification du respect des exigences comptables en ce qui
concerne lidentification des actifs et leffectivit de leur contrle par lentreprise.
Reste la question de la valeur de chacun des actifs, et nous insisterons cet gard sur
limportance de lanalyse des contrats, outils de circulation de la valeur et du risque.

I - Les carts de valeur entre la valeur relle


et la valeur comptable
La part croissante des actifs immatriels dans la valeur globale des entreprises est un fait
aujourdhui communment soulign qui marque lempreinte de plus en plus profonde
de lconomie de la connaissance dans nos socits. Cependant, cet tat de fait,
gnralement admis, nest encore quimparfaitement pris en compte dans nos systmes
juridiques, comptables et fiscaux.
Lexamen des ratios Book to Market ou Price to Book est, cet gard, rvlateur. Ces ratios
mesurent lcart entre la valeur comptable (In the Book) et la valeur de march (Price on the
Market) tels quils peuvent facilement tre mesurs pour les socits cotes en bourse.

quation 1 : Ratios Book to Market et Price to Book


Book to Market =

Valeur Comptable
Valeur de March

Price to Book =

Valeur de March
Valeur Comptable

238 Cf. Capital immatriel, son importance se confirme - Analyse du poids du capital
immatriel dans la valeur dune centaine dentreprises cotes europennes
Ernst & Young - Alexis Karklins-Marchay - 2008 http://www.ey.com/Publication/
vwLUAssets/0108_Etude_Capital_Immateriel/$file/0108_Etude_Capital_Immateriel.pdf

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 195

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

Selon linterprtation que les analystes financiers donnent communment cette quation, un
ratio Book to Market suprieur 1 dnote une sous-valuation de la valeur de march de
lentreprise et un ratio infrieur 1 une survaluation (et inversement pour le ratio Price to
Book).
Les tendances observes ces dernires annes montrent laccentuation de cet cart entre les
valeurs mesures sur le march et les valeurs enregistres dans les livres de compte notamment
pour les valeurs dites technologiques ou, plus prcisment, ayant une forte intensit de
recherche et dveloppement (R&D). Cet cart ne peut sexpliquer uniquement par un
phnomne spculatif de march.
Socits

Capitalisation boursire (en $)

Price to Book

Technicolor

1 960 000 000

16,48

Valeo

7 470 000 000

3,14

Iliad (Free)

12 630 000 000

6,29

Renault

19 090 000 000

0,84

Orange

30 130 000 000

1,64

Amazon

165 040 000 000

15,70

Facebook

175 590 000 000

10,13

IBM

192 110 000 000

11,06

Google

402 220 000 000

4,05

Apple

569 800 000 000

4,72

Source Yahoo Finances Juillet 2014

Les adaptations des normes comptables, en particulier avec la rforme des normes
internationales IFRS en 2005, nont pas permis de rsoudre ce hiatus qui nuit dautant
plus la pertinence des tats financiers que le rle des actifs immatriels est aujourdhui
essentiel dans la chane de cration de valeur239.
Les rgles fiscales franaises sont, cet gard, illustratives du dilemme: comptabiliser
immdiatement en charges et satisfaire lexigence de fiabilit des comptes ou permettre
limmobilisation et identifier la dcision dinvestissement. Ainsi, selon les termes de larticle 236
du Code gnral des impts: [] les dpenses de fonctionnement exposes dans les oprations de
recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de lentreprise, tre immobilises ou dduites
des rsultats de lanne ou de lexercice au cours duquel elles ont t exposes.
Selon ces dispositions et en application de larticle 212-3 du rglement du comit de la
rglementation comptable n2014-03, les cots engags lors de la phase de dveloppement
peuvent tre comptabiliss lactif (immobiliss), la condition quils se rapportent des
projets nettement individualiss, ayant de srieuses chances de russite technique et de

239 Cf. Penetrating the Book-to-Market Black Box: The R&D Effect - Baruch Lev and Theodore
Sougiannis - 1999.

rentabilit commerciale240. Lentreprise dispose donc dune option qui lui permet, sous certaines
conditions, de capitaliser ses investissements en R&D.
On voit ainsi que linformation vhicule dans la comptabilit de lentreprise, investissement
et russite identiques, pourra tre diffrente selon les choix oprs. La prise en compte de ces
informations par le march en sera dautant plus dlicate241.

II - Les actifs immatriels: un ensemble htrogne


Cette difficult est accentue par le fait que le capital immatriel de lentreprise nest pas
un ensemble homogne rpondant une dfinition unique, suivant des rgles de droit
semblables et apprhendes par la comptabilit dune seule et unique manire.
Pour montrer la difficult dune dfinition consensuelle des actifs intangibles, considrons les
exemples amricain et franais. Pour les services fiscaux amricains, il existe six catgories:
brevets, inventions, formules, processus, dessins, modles et savoir-faire ;
copyrights et droits dauteur ;
marques de fabrique et marques commerciales ;
franchises, licences et contrats ;
mthodes, programmes, systmes, procdures, tudes, estimations, prvisions, listes
clients, donnes techniques ;
autres: rseaux de relations, main-duvre regroupe, arrangement juridique ou financier.
Cette dernire catgorie est videmment la plus difficile dfinir et quantifier, mais ce
nest certainement pas la moins importante.
Dans le Plan comptable franais (1982), on ne trouve pas de dfinition des immobilisations
incorporelles, si ce nest pour prciser quelles ne sont... ni corporelles ni financires. La liste en
est la suivante:
frais dtablissement (compte 201): ce sont les frais rattachs des oprations qui
conditionnent la cration ou le dveloppement de lentreprise, mais dont le montant
ne peut tre rapport des productions de biens ou services dtermins. Ils sont
amortissables au maximum en cinq ans ;
frais de recherche et de dveloppement (compte 203): ils ne doivent tre considrs
comme un actif (et non comme des charges de lexercice) que de faon tout fait
exceptionnelle ;
concessions et droits similaires: brevets, licences, marques, procds, droits et valeurs
similaires (compte 205); dans cette rubrique figurent aussi les logiciels crs usage
interne ou pour la clientle, quand leur prix peut tre dissoci du matriel informatique ;
fonds commercial (compte 207) et droit au bail (compte 206) ;
investissements de cration artistique (compte 204): concerne certaines professions
comme les crateurs de collections et les diteurs...

240En revanche, les cots engags lors de la phase de recherche doivent dans tous
les cas tre comptabiliss en charge. Cf. BOI-BIC-CHG-20-30-30-20120912 - BIC Distinction entre lments dactif et charges - Drogation aux principes gnraux
de dtermination des actifs et dcision de gestion - Dpenses de recherche et
dveloppement, de conception de logiciels, de cration de site internet et de brevets
et marques dvelopps en interne.
241Cf. La Mesure comptable des marques (chapitre 2.1) lisabeth Walliser Vuibert
Octobre 2001.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 197

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

La comparaison de ces deux listes montre bien la difficult de lexercice consistant identifier
les actifs incorporels. Par exemple la clientle, qui est une valeur rsiduelle dans le systme
comptable franais, est considre sous langle de son support (base de donnes) par les
fiscalistes amricains.
chaque actif sa dfinition, ses modes dexploitation et ses rgles comptables et fiscales.
Cette htrognit, si elle permet de manire pragmatique dapprhender des objets
conomiques diffrents, cre cependant beaucoup de confusions quant lidentification des
actifs immatriels concerns, leur mode dexploitation et lvaluation des risques qui y sont
attachs.
Diffrentes rgles sappliquent en ce qui concerne le cur des actifs immatriels de lentreprise,
et notamment des brevets, des marques, des logiciels, des sites internet et autres noms de
domaine:
sur le plan fiscal, les frais de dpt de brevets peuvent, au choix de lentreprise, soit tre
traits comme des charges dductibles, soit tre immobiliss (article 236 du CGI)242 ;
 Les dpenses engages pour crer en interne des () marques, () ne peuvent pas tre
distingues du cot de dveloppement de lactivit dans son ensemble. Par consquence ces
lments ne sont pas comptabiliss en tant quimmobilisations incorporelles. Il en est de mme
pour les cots engags ultrieurement relatifs ces dpenses internes243 ;
sur le plan fiscal, les frais de dveloppement de logiciels et de sites internet244 peuvent, au
choix de lentreprise, soit tre traits comme des charges dductibles, soit tre immobiliss
(article 236 du CGI). Le plan comptable gnral distingue par ailleurs les logiciels usage
commercial et les logiciels usage interne ;
sur le plan fiscal, les cots de rservation dun nom de domaine ne sont inscrits lactif
que lorsque lentreprise a choisi dinscrire lactif en tant quimmobilisation incorporelle
lensemble des cots ligibles engags au titre de la phase de dveloppement et de
production du site internet luimme245 ;
dans le cadre dune acquisition, les actifs incorporels acquis peuvent tre immobiliss.
Cette prsentation synthtique nous permet de mettre en vidence les points suivants:
On notera, tout dabord, que les objets apprhends par le droit comptable et le
droit fiscal ne correspondent pas aux dfinitions donnes par le droit de la proprit
intellectuelle. En effet, si du point de vue juridique, les brevets, les marques et les noms de
domaine sont dfinis et rgis en tant que tels par des dispositions lgales246, ni les logiciels ni les
sites internet ne font lobjet de dispositions lgales spcifiques permettant de les dfinir.

242
Voir galement rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du
5 juin 2014 relatif au plan comptable gnral (article 212-3,2).
243Rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du 5 juin 2014 relatif
au plan comptable gnral (article 212-3,3).
244
Voir galement rglement du Comit de la rglementation comptable n 2014-03 du
5 juin 2014 relatif au plan comptable gnral (article 611-1 611-5) et (article 612-1 612-4)
245Cf. BOI-BIC-CHG-20-30-30-20120912 - BIC - Distinction entre lments dactif et chargesDrogation aux principes gnraux de dtermination des actifs et dcision de gestionDpenses de recherche et dveloppement, de conception de logiciels, de cration de site
internet et de brevets et marques dvelopps en interne.
246Respectivement articles L. 611-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle, L. 711-1
et suivants du Code de la proprit intellectuelle et L. 45 et suivants du Code des postes
et des tlcommunications lectroniques.

Les logiciels ont t classs, par la directive europenne du 14 mai 1991 n91/250/CEE
dans la catgorie des uvres littraires au sens de la Convention de Berne pour la
protection des uvres littraires et artistiques. Ils sont donc soumis aux rgles du droit
dauteur247. Les sites internet ne sont, notre connaissance, pas dfinis en tant quobjets de
droit, sinon les considrer comme des uvres composites au sens du droit dauteur. Les
catgories ainsi cres dans leur grand pragmatisme par le droit comptable et le droit fiscal ne
trouvent pas de correspondances directes dans le droit de la proprit intellectuelle.
On remarquera, en outre, que ces derniers doivent (1) tre identifiables (2) tre contrls par
lentreprise et (3) produire des avantages conomiques futurs, selon les critres utiliss par
les diffrentes normes comptables pour dfinir les actifs incorporels. L o le juriste pourra
considrer que lexistence dun droit (de marque, par exemple) tablit de manire non
contestable pour son titulaire ou son concessionnaire, le respect de toutes ces conditions (ou
tout du moins des deux premires) et permet de distinguer ledit actif de lentit conomique qui
lexploite (fut-il immatriel), les fiscalistes et comptables y verront, eux, lexistence dun droit de
proprit, ce qui npuise pas le dbat248.
On remarque galement que, du point de vue comptable et/ou fiscal, les circonstances
lorigine de lentre de lactif immatriel dans le patrimoine de lentreprise sont
dterminantes pour ce qui concerne la possibilit de capitaliser, ou non, certains de ces
actifs. Par exemple, une marque acquise pourra faire lobjet dune activation (pour le
cot dacquisition), alors quune marque cre en interne ne sera pas immobilise.
Une autre distinction dterminante se fera suivant que lactif participera, ou non, une activit
de dveloppement et pourra alors tre immobilis (sous des conditions par ailleurs prcises),
alors quun actif immatriel cr en interne dans le cadre de lexploitation courante ne pourra
pas toujours ltre.
On le voit, les critres mis en uvre par les comptables et les fiscalistes ne sappuient pas
sur les dfinitions juridiques et gnrent des distinctions (suivant les objets, les conditions de
cration, etc.) qui ne sinscrivent plus ncessairement dans la logique conomique qui motivera
une dcision dinvestissement: prsent que les investissements immatriels ont acquis une
reconnaissance conomique, il leur reste acqurir une reconnaissance comptable, pour que lon
puisse vritablement parler dactifs conomiques immatriels249.
Le cas particulier des bases de donnes illustre parfaitement ces dbats et les difficults faire
voluer les systmes comptables et juridiques de manire coordonne.

247 Articles L.111-1 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.


248 Cf La mesure comptable des marques prcit pages 93 et suivantes.
249 La mesure comptable des marques prcit - page 33.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 199

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

III - Le cas particulier des bases de donnes


Larticle L. 112-3 du Code de la proprit intellectuelle (CPI) dfinit une base de donnes
comme un recueil duvres, de donnes ou dautres lments indpendants, disposs de manire
systmatique ou mthodique, et individuellement accessibles par des moyens lectroniques ou par
tout autre moyen. Le mme Code confre lauteur dune base de donnes originale le bnfice
de la protection de ses droits dauteur et son producteur, entendu comme la personne qui
prend linitiative et le risque des investissements correspondants, une protection sur le contenu
de la base de donnes lorsque la constitution, la vrification ou la prsentation de celui-ci atteste
dun investissement financier, matriel ou humain substantiel250.
Nous rappelons, par ailleurs, quune donne isole a une forme, conventionnelle (donc banale)
car, par dfinition elle doit pouvoir tre comprise instantanment, pour pouvoir faire lobjet de
traitement. Les donnes lmentaires ne sont donc pas susceptibles dappropriation et restent
de libre parcours.
Le droit ne protge donc pas les donnes en tant que telles, mais bien les donnes
structures, ou sommes des donnes slectionnes, vrifies et prsentes de manire
spcifique, le plus souvent en association avec des outils informatiques eux-mmes
spcifiques (logiciels de base de donnes, moteurs de recherche, sites internet, services
web, etc.)
Les droits des producteurs de bases de donnes tels quils ont t organiss dans
la directive communautaire de 1996251 sont essentiellement destins protger les
investissements humains, financiers, matriels que peuvent ncessiter la production de
bases de donnes dont on sait aujourdhui limportance dans lconomie de la connaissance.
Les modles conomiques de socits aussi importantes que Google, Facebook ou Amazon sont
fonds sur lexploitation dimmenses quantits de donnes utilises dans le cadre de services
innovants et/ou de dmarches marketing toujours plus sophistiques.
Dans ce contexte, les bases de donnes ne sont plus simplement une des rsultantes de lactivit
de lentreprise, constitues au fur et mesure des changes avec ses partenaires ou dans le
cadre de sa R&D et qui ne peuvent pas tre distingues du cot de dveloppement de lactivit
dans son ensemble252, mais galement un carburant que lentreprise doit se procurer ou se
constituer en investissant, en louant ou en acqurant de la technologie, du savoir-faire et des
donnes.
Ces changements ne sont encore pris en compte, dans le champ comptable et fiscal, que de
manire imparfaite et partielle.
Sous langle technologique, les investissements affects aux dveloppements de nouveaux
systmes dinformation, dans le cadre desquels peut sinscrire la constitution dune base de
donnes spcifique, pourront rpondre aux dfinitions comptables permettant de bnficier de

250 Articles 341-1 et suivants CPI.


251 Directive 96/9/CE du Parlement europen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la
protection juridique des bases de donnes transpos en droit franais par la loi n 98-536 du
1er juillet 1998.
252 Article 212-3-3 du rglement n 2014-03 du 5 juin 2014 relatif au plan comptable gnral.

loption de larticle 236 CGI et tre immobiliss. Le traitement spcifique respectivement apport
aux logiciels et aux sites internet par les dispositions des articles 611-1 et suivants et 612-1 et
suivants du rglement relatif au plan comptable gnral est, a priori, de nature tre appliqu
aux bases de donnes associes, la dissociation de ces objets techniques tant, dans les faits,
parfois difficile raliser (un site internet pouvant, par exemple, communment sappuyer sur
une base de donnes regroupant lessentiel de son contenu).
Cependant, le raisonnement comptable change ds lors que les mmes objets technologiques
sont abords, non pas du point de vue de leur conception, mais du point de vue de leur utilisation
comme cela est gnralement le cas notamment pour les bases de donnes marketing le
raisonnement comptable change.

IV - Lexemple dune base de donnes de recrutement


La question sest pose de manire exemplaire dans une affaire soumise lEuropean Securities
and Markets Authority loccasion de laquelle cette dernire a refus la prise en compte dune
base de donnes dans le bilan dune entreprise car [the] candidate database costs were not
distinguishable from the costs of developing the business as a whole et que la base devait tre
considre comme similaire par nature une liste de clients253.
Lentreprise concerne tait spcialise dans le recrutement, et en particulier dans le recrutement
de profils internationaux. Pour raliser ses prestations de service auprs de ses clients, elle
sappuyait sur une base de donnes regroupant lensemble des informations relatives aux
candidats potentiels, cette base de donnes ayant t constitue en interne.
Estimant que cette base de donnes satisfaisait, en tant quactif immatriel gnr en interne,
aux critres dactivation des normes comptables applicables254, cette socit la immobilise
la valeur de ses cots de production. Il est prcis que ces cots de production comprenaient
les cots internes et externes relatifs lidentification, la collecte dinformations relative aux
candidats et leur recrutement. Pour information, dans cette espce, la proportion des cots de
collecte dinformations tait plus importante que celle relevant des cots de dveloppements
techniques de la base de donnes ellemme.
lappui de sa dcision dactivation, lentreprise arguait que cette base de donnes ntait pas
destine grer ses clients mais le fonds de candidats qui pouvait tre propos, et quil ne
sagissait donc pas dune liste de clients255; la nature des dpenses engages pour la production
de la base de donnes tait par ailleurs nettement distinguable des autres dpenses engages
dans le dveloppement de lactivit de lentreprise et, ce titre, conforme aux critres des
normes IAS.

253 ESMA Decision ref EECS/0112-01 Capitalisation of intangible assets - 1 October 2011
extrait du 12th Extract from the EECSs Database of Enforcement Octobre 2012.
254 IAS 38
255 Dont limmobilisation serait prohibe par le paragraphe 63 des rgles IAS 38: Les marques,
notices, titres de journaux et de magazines, listes de clients gnrs en interne et autres
lments similaires en substance ne doivent pas tre comptabiliss en tant quimmobilisations
incorporelles. Nous citerons galement le paragraphe 64 des rgles IAS 38: Les dpenses
pour gnrer en interne les marques, les notices, les titres de journaux et de magazines, les listes
de clients et autres lments similaires en substance ne peuvent pas tre distingues du cot
de dveloppement de lactivit dans son ensemble. Par consquent, ces lments ne sont pas
comptabiliss en tant quimmobilisations incorporelles.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 201

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

Ces arguments et les circonstances de fait nont pas emport ladhsion de lautorit qui a
notamment considr que la base de donnes tait similaire en substance une liste de
clients et quelle ne pouvait par consquent pas prtendre au statut dactif immatriel.
Cette dcision tmoigne de cette rsistance de lapproche comptable face aux volutions des
nouveaux schmas conomiques au cur desquels se placent les bases de donnes. Cette
rsistance ne semble pourtant pas insurmontable 256 et tient, notre sens, beaucoup aux
dissonances que lon peut observer entre les raisonnements juridiques et comptables appliqus
ces objets.
Ainsi, dans notre exemple, le juriste notera que lessentiel de la valeur revendique de la
base de donnes tait attach la phase de collecte. Or, il est dsormais de jurisprudence
constante de refuser le bnfice de la protection au producteur dune base de donnes qui
ne justifie dinvestissements substantiels quattachs la phase de collecte des donnes257. Si
lon sattachait aux conditions de protections juridiques de la base de donnes, lentreprise ne
pouvait donc inscrire en compte ladite base que pour une valeur modique: (1) soit que les cots
de collecte aient t exclus de la valeur immobilisable (2) soit que lon considre labsence de
droit privatif de lentreprise sur cet actif ( dfaut de dmontrer le caractre substantiel des
investissements). Les considrations relatives la valeur de lactif considr et en particulier
la nature des droits dont pouvait disposer la socit en cause nous semblent donc plus
dterminantes que celles attaches la nature de la base de donnes elle-mme.

V - Les catgories dactifs immatriels


Cet exemple illustre nouveau linadaptation des classifications utilises en comptabilit pour
apprhender les actifs immatriels en gnral, et les bases de donnes en particulier. Dans ce
contexte, la cration de nouvelles catgories comme celles qui ont t dfinies pour les logiciels
et les sites internet ne nous semble pas tre une bonne mthode, en ce quelle ajoute ces
dissonances et vient brouiller des qualifications juridiques plus anciennes et dsormais bien tablies.
Si lon examine le mcanisme de prise en compte des productions de lentreprise par le droit de la
proprit intellectuelle, on peut considrer que chaque production, pour atteindre une existence
juridique et tre ds lors susceptible dexprimer une valeur conomique propre, doit tre, en tout
ou partie, objet dun droit de proprit, exclusivement ou cumulativement avec dautres, qui
permettra de dterminer son primtre, son titulaire et le cas chant sa valeur. Cette rduction
des productions de lentreprise linventaire des droits de proprit intellectuelle quelle peut
revendiquer est la premire tape dans une dmarche qui vise dterminer le patrimoine de
lentreprise, ses actifs.

256 On notera notamment que de nombreuses rvisions des standards IFRS ont t ces
dernires annes dans le sens dune reconnaissance toujours plus large de la valeur des
actifs immatriels. Cf. Les actifs immatriels, leur traitement comptable et fiscal - Patrick
PINTEAUX, Revue Tertiaire n110 Janvier 2004.
257 Rcemment, CA Paris 15 novembre 2013 12/06905: Quil sen dduit que la socit
Pressimmo On Line se doit de rapporter la preuve dinvestissements humains et financiers
spcifiques qui ne se confondent pas avec ceux quelle consacre la cration des lments
constitutifs du contenu de sa base de donnes et des oprations de vrification,
purement formelle, pendant cette phase de cration consistant les collecter auprs de
professionnels et les diffuser tels que recueillis de ses clients; xx citant notamment
les dcisions de la Cour de justice des communauts europennes du 9novembre 2004
(affaire The British HorseracingBoardLtd/William Hill Organization Ltd).

Figure 2 : Dmarche de proprit intellectuelle Transformation


des productions de lentreprise en actifs de proprit intellectuelle

Rsultats de R & D

Actifs PI

tudes techniques

droits dauteur

plans de conception
cahiers des charges

protection des bases de


donnes

logiciels

brevets

documentations

marques, noms de domaine

tudes commerciales

savoir-faire : procdures
internes (confidentialit,
marquage de documents, etc.)

designs, graphismes
produits, procds,
plans de production
etc.

contrats
dessins et modles
etc.

Cette tape est pourtant largement ignore dans le cadre des analyses financires. Dans un
rcent rapport258 concernant lapplication des normes IFRS 3 (relatives au traitement comptable
des regroupements dentreprise), lESMA constate, cet gard, que, dune part, 86% des
regroupements font apparatre un goodwill259 reprsentant environ 54% du prix pay, mais que,
dautre part, 24% des regroupements dentreprises ne font pas ressortir dactifs immatriels
distingus du goodwill. Et dans ce cadre, il est prcis que, dune manire gnrale, la description
des facteurs constituant le goodwill est faite de copier-coller standards napportant pas
dinformations spcifiques. On voit donc que linformation concernant la valeur des actifs de
lentreprise que lon nintgre pas dans les livres comptables ne se retrouve pas, ou seulement de
manire lacunaire, loccasion doprations de cession ou de rapprochements dentreprises260.
De la mme manire les catgories dactifs immatriels que lon peut trouver dans les
rglementations nationales ou encore dans les tudes doctrinales tmoignent de ces dcalages.
Nous reprendrons simplement et, titre dexemple, la classification de Pierrat261 qui identifie six
de ces catgories:
les droits et quasi-droits: droits de proprit (brevets, marques, droits dauteur, dessins
et modles, etc.), les concessions ou licences dorigine tatique (quotas, autorisations,
licences, etc.), les contrats, les savoir-faire ;

258Review on the application of accounting requirements for business combinations in


IFRS financial statements ESMA Report - ESMA/2014/643 16 juin 2014
259cart dacquisition reprsentant la diffrence entre la valeur dachat et la valeur
conomique de lentreprise justifi par les avantages futurs attendus par lacheteur
(conomie dchelle, extension du territoire marketing, etc.).
260Ce mme rapport nous enseigne que The most common intangibles recognised
by issuers included in the review were customer-related (58%) and marketing-related
intangibles (54%) for which there is usually no observable market.
261
Martory Bernard, Pierrat Christian, La gestion de limmatriel: valuation et pilotage,
Collection Les livres de lentreprise, 281 pages, Nathan, 1996.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 203

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

les actifs incorporels matrialisables: logiciels et bases de donnes considrs comme des
actifs qui ne sont pas a priori dfinis par un document ayant une force juridique quelconque,
mais qui peuvent cependant tre protgs et quil est possible de transmettre dans le cadre
dune cession individualise ;
les actifs incorporels exploitables: fichiers clients, catalogues, rseaux de distribution
dfinis comme des lments sur lesquels lentreprise na pas demprise juridique, mais qui
sont identifiables et dont lexploitation permet de dgager des revenus ;
les structures: les structures organisationnelles, les systmes dinformation, les rseaux ;
les valeurs incorporelles rsiduelles: le goodwill ;
les rvlateurs dactifs incorporels: la part de march, par exemple.
Le juriste sera tent de regrouper lensemble de ces catgories en deux rubriques: les
objets supports de droit, et les autres, non apprhends par le droit et relevant de la thorie
conomique. Dans la premire catgorie, les droits de proprits et les quasi-droits, bien sr, en
notant que les contrats doivent faire lobjet dun traitement spcifique, comme nous le verrons
plus loin.
Les logiciels et les bases de donnes, pour ce qui concerne les actifs incorporels
matrialisables bnficient, comme nous lavons vu, des protections par le droit dauteur
et/ou le droit du producteur de base de donnes, mais aussi indirectement par le brevet,
la marque et gnralement tous les droits de proprit intellectuelle disponibles. Ils ne
prsentent donc pas de caractristiques propres susceptibles de les distinguer dautres objets de
nature technologique, ni du point de vue juridique, ni du point de vue conomique.
Les actifs incorporels exploitables et les structures ne rsistent pas plus lanalyse, soit il sagit de
base de donnes, de crations protges par le droit dauteur ou dobligations constates dans
des contrats et sont prendre en compte dans notre inventaire des actifs immatriels, soit ils
natteignent pas le niveau dexigence impos par chacun de ces rgimes de protection, auquel
cas ils seront rangs dans la rubrique des valeurs incorporelles rsiduelles, ou ignors.
On le voit, les catgories que recherche le comptable et/ou le fiscaliste existent, elles sont
dans le droit. Le droit de la proprit intellectuelle nous offre la fois les dfinitions et la
granularit de lanalyse conduire. Il ne rsout cependant pas directement les questions de
la valeur affecter ces actifs. Cette difficult intrinsque des actifs immatriels est illustre par
la dfinition suivante qui les caractrise par le fait quils appartiennent un ensemble dlments
susceptibles dtre isols, de composants qui possdent des relations entre eux, or ces lments
momentanment isols peuvent, leur tour, tre considrs comme des sous-systmes, ce qui veut
dire que les lments ou composants entrent dans la mme catgorie que les ensembles auxquels ils
appartiennent.262 Et la valeur de ces lments semble circuler de lun lautre, au grand dsarroi
du comptable.
Ces difficults, concernant la valeur et son affectation au sein du rseau des actifs
immatriels dont dispose lentreprise, peuvent trouver des rponses, dune part, dans
lapplication dune mthode dvaluation transparente telle que celle dfinie dans la norme
ISO 10668263 (dfinissant les exigences pour lvaluation montaire dune marque) et,

262 Christian Deleuze cit par lisabeth Walliser Prcit.


263 NF ISO 10668 valuation dune marque - Exigences pour lvaluation montaire dune
marque - Oct. 2010.

dautre part, dans la prise en compte du contexte dexploitation des actifs immatriels
considrs, cest--dire de son usage.
Nous retrouvons ici les dbats conomiques du xviiie sicle sur la dtermination du prix dun
bien et lopposition entre valeur dchange et valeur dusage.
Il ny a rien de plus utile que leau, mais elle ne peut presque rien acheter; peine y a-t-il moyen de
rien avoir en change. Un diamant, au contraire, na presque aucune valeur quant lusage, mais on
trouvera frquemment lchanger contre une trs grande quantit dautres marchandises. Adam
Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.
La valeur na dautre mesure que le besoin ou le dsir des contractants balanc de part et dautre, et
nest fixe que par laccord de leur volont. Turgot, Rflexions sur la formation et la redistribution
des richesses, 1766.
La valeur dusage est caractristique dun individu ou dun groupe technique comme une
entreprise, tandis que la valeur dchange dpend des autres et de la valeur quils peuvent
accorder la mme chose. Lopposition entre les deux notions nest pas frontale, mais
dialectique: il ny a dchange que parce quon accorde une utilit, donc une valeur dusage,
la chose obtenue; tandis que lusage peut aussi impliquer un change, en amont ou en aval.
La valeur dusage dpend de lutilisateur et des circonstances, en fonction de ses capacits
physiques, de ses connaissances, de son souhait prsent, de ses anticipations futures, de sa
situation, de son organisation (dans le cas dun groupe), etc.
La valeur dusage tient galement compte des usages productifs que lutilisateur peut faire: cela
met en place des chanes de valeur dusage, en fonction des processus disponibles.
Ainsi, chacun peut avoir sa propre valeur dusage selon ses gots et les circonstances dans
lesquels il se trouve, mais seule la valeur dchange (quon appelle aussi le prix) est observable.
La valeur dchange sera dtermine en cas de cession de lactif immatriel; la valeur dusage
permettrait dinspirer la normalisation comptable et fiscale.
Un des apports essentiel de la norme ISO 10668 figure dans son paragraphe 3.6 qui
pose que pour la ralisation de lvaluation montaire dune marque, les paramtres
financiers, mercatiques (marketing) et juridiques doivent tre pris en compte simultanment,
lesdits paramtres faisant partie intgrante de lvaluation globale. Lvaluation montaire
dune marque doit tre ralise sur la base des rsultats obtenus partir de lanalyse des aspects
financiers, mercatiques (marketing) et juridiques. Cette approche globale, dont lexigence peut
tre gnralise lvaluation de lensemble des actifs immatriels, contribue renforcer la
cohrence des analyses et amliore quantitativement et qualitativement linformation produite
sur lentreprise. Elle permet notamment dapprhender le patrimoine de lentreprise dune
manire systmatique et ainsi dintgrer lensemble des actifs immatriels dans lanalyse de la
chane de valeur.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 205

3.3 Actif immatriel : dis-moi ton usage et je te dirai ton prix

Concernant le contexte dexploitation, cest lanalyse dtaille des contrats qui savrera
dterminante.

VI - Limportance du champ contractuel


La grille danalyse propose par lapproche comptable et fiscale laisse, comme nous lavons vu,
des zones dincertitude et cre des difficults au moment dincorporer dans le patrimoine de
lentreprise, de nouveaux objets devenus essentiels lconomie contemporaine, tels les bases
de donnes.
Cette grille a, par ailleurs, le dfaut de sappuyer essentiellement sur la dtermination de
la catgorie dactif considr, ou des conditions pratiques de cration (projet R&D) ou
dacquisition, pour en dduire le traitement comptable et/ou fiscal appliquer, plutt que de
procder lanalyse des conditions dexploitation telles quelles peuvent ressortir des statuts
mmes de lentreprise ou des contrats relatifs ces actifs qui organisent la circulation de valeurs
et de risques au sein de lentreprise ou entre lentreprise et ses partenaires.
titre dexemple, prenons la situation dune entreprise dont les statuts dfinissent lobjet social
en le limitant strictement lexploitation dun ou plusieurs actifs immatriels en sa possession
(brevets, marques, savoirfaire, etc.). Dans cette situation, les actifs en question, quelle que
soit leur nature ou leur condition de cration, apparatront insparables de lentreprise, sauf
la dissoudre et ne pourront, notre sens, en aucun cas, satisfaire aux conditions habituelles
dactivation.
De la mme manire, on pourra trouver dans un contrat de cession ou dans un contrat de
licence des conditions visant la cessibilit du contrat ou des rserves relatives la jouissance
paisible ou au primtre dexploitation qui pourront avoir des consquences significatives sur la
valeur de lactif objet de ces contrats ou sur la valeur patrimoniale de ces contrats eux-mmes,
encore une fois quelle que soit la nature de lactif considr.
Dans cet univers juridique que reprsente lentreprise, si les actifs immatriels sont des
composants qui possdent des relations entre eux, ce qui rend leur rduction comptable
toujours dlicate, ce sont les contrats qui, ncessairement, organisent ces relations et nous
permettent de clarifier la circulation de valeur toujours sous-jacente lexploitation dactifs
immatriels.
Rduits aux droits de proprit intellectuelle et organiss par les contrats qui dfinissent
leurs conditions dexploitation, les actifs immatriels et notamment les bases de donnes
peuvent alors trouver leur juste place dans le patrimoine de lentreprise, au mme titre
que les actifs corporels.

Conclusion
Ce travail de clarification est important car le traitement comptable de ces investissements
essentiels au fonctionnement de lconomie numrique dtermine largement le comportement
des acteurs concerns. Ainsi, pour ce qui concerne les bases de donnes, limpossibilit dactiver
les investissements parfois considrables que reprsentent ces actifs, en particulier dans le
domaine du e-commerce, ne permet pas le dveloppement dapproche forte valeur ajoute,
qui valorise les bases de donnes mais se heurte au march noir des donnes, achetes ou
loues en grande quantit et vil prix. Ainsi, la production dune base de donnes qualifies
et cibles, ncessitant des traitements technologiquement sophistiqus et coteux, se trouve
dfavorise par rapport lacquisition massive de donnes brutes.
Il est donc important de rapprocher les hommes du chiffre et les hommes du droit, dans lesprit
qui a prsid llaboration de la norme ISO 10668 relative lvaluation dune marque, pour
quaprs leur reconnaissance conomique et leur reconnaissance comptable lon puisse, par
un vritable retour aux sources, redcouvrir la nature juridique des actifs immatriels.

BIBLIOGRAPHIE
Pierre J.-L., Fiscalit de la recherche de la proprit industrielle et des logiciels. Paris: Efe, 2011.
Walliser E., La Mesure comptable des marques, Paris: Vuibert, 2001.
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INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 207

la proprit intellectuelle
lpreuve de lvolution
constante de lconomie
numrique
4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation
Julien Pnin

p. 211

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes


Caroline Le Goffic

p. 227

4.3 Mesures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique
Frdric Bourguet, Cristina Bayona Philippine

p. 239

4.4 Les droits de la proprit intellectuelle et Fab Labs


Quelle gestion des droits de proprit intellectuelle dans les Fab Labs et plateformes ouvertes
de cration numrique : proposition de pistes de rflexion
Sabine Diwo-Allain
4.5 Les imprimantes 3D et la rvolution numrique : ralit ou fiction ?
Julien Pichon

p. 261
p. 273

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 209

4.1
Lconomie du droit dauteur
face aux dfis de la numrisation
par Julien Pnin

Lauteur
Julien Pnin est professeur dconomie luniversit de Strasbourg. Il est directeur adjoint du
Bureau dconomie thorique et applique (Beta, UMR CNRS 7522). Ses recherches portent sur
linnovation ouverte et ses liens avec la proprit intellectuelle, le brevet dinvention notamment.
Il a publi de nombreux articles de recherche sur ce sujet dans des revues internationales
dconomie et de gestion. Ses enseignements la facult des sciences conomiques et de
gestion de luniversit de Strasbourg portent sur lconomie et la gestion de linnovation et de la
proprit intellectuelle. Il est responsable du master conomie et Management de linnovation.

synthse
Les volutions technologiques (numrisation, Internet, imprimantes 3D) bouleversent lquilibre
entre incitation et diffusion permis par le droit dauteur. Nous montrons en particulier que
les rgles de droit dauteur telles quelles existent aujourdhui peuvent paradoxalement tre
source dinefficience conomique dans lconomie numrique. Nous proposons alors quatre
pistes dvolution pour le systme de droit dauteur afin de ladapter au mieux lconomie
numrique.

mots cls : proprit intellectuelle | droit dauteur | incitation |


cration numrique | industries cratives | numrisation
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 211

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

Introduction
Dans un article de 2013, Greenstein et al. dressent un agenda des recherches entreprendre
suite aux modifications induites par le passage lconomie numrique. Parmi les pistes
voques, lune leur parat centrale: il convient de repenser les rgles du droit dauteur,
en particulier pour tenir compte des nouvelles manires de crer. Cest cette piste que
nous nous proposons dexplorer dans cet article dans lequel (1) nous montrerons que lquilibre
entre incitation et diffusion instaur par la distribution de droits de proprit intellectuelle aux
auteurs est fragilis par lintroduction de nouvelles technologies de reproduction et de diffusion
des uvres de lesprit et; (2) nous analyserons les modifications ventuelles quil conviendrait
dapporter aux rgles de droit dauteur pour mieux ladapter aux nouvelles ralits numriques.
Lide que les rgles de droit peuvent et mme doivent voluer nest pas forcment partage
par tout le monde. Dans la ligne des enseignements de John Locke, pour les tenants dune
vision de la proprit intellectuelle base sur le droit naturel, il est naturel, cest--dire normal,
que les auteurs soient propritaires de leurs crations de lesprit. Ce nest pas une question
defficience conomique ou de justice distributive, mais simplement un droit naturel. Dans
cette optique, le droit dauteur est en quelque sorte atemporel, grav dans le marbre. Les rgles
de droit dauteur ne dpendent pas du contexte conomique, politique ou technologique. Les
auteurs sont naturellement propritaires de leurs crations, quelles que soient les poques et
les technologies.
rebours de cette vision, les conomistes ont dvelopp une vision fonctionnaliste du droit,
cest--dire quils pensent que le droit remplit des fonctions, notamment celle damliorer le
bien-tre conomique des individus. Nous reviendrons plus en dtail sur le rle conomique
du droit dauteur dans la partie suivante. ce stade, il suffit dinsister sur une consquence
essentielle de cette vision: les rgles de droit ne sont pas graves dans le marbre. En effet, la
manire dont le droit remplit sa fonction dpend du contexte. Lorsque ce dernier change, le droit
peut donc tre amen voluer afin de sadapter aux nouvelles conditions. En somme, pour
les conomistes, les rgles de droit ne sont pas immuables. Elles doivent voluer sous peine de
devenir inefficientes. En particulier, en ce qui concerne le droit dauteur, il semble vident que
les mmes rgles ne peuvent pas sappliquer de la mme faon aujourdhui, lre dInternet,
que dans le pass, avant Internet, la photocopie ou encore limpression. Les volutions
technologiques impliquent dadapter les rgles de droit dauteur.
Il est dailleurs intressant de remarquer que les rgles de droit ont volu rgulirement dans
le pass, tmoignant du pragmatisme des lgislateurs qui, souvent de manire inconsciente,
adoptent une vision fonctionnaliste du droit. Lawrence Lessig relate en 2004 un exemple
emblmatique de cette vision: le cas de la proprit foncire aux tats-Unis et de larrive
des premiers avions. La constitution amricaine dfinit la proprit foncire non pas en
deux, mais en trois dimensions. Cest--dire quun propritaire possde non seulement
le terrain, mais galement tout ce quil y a dessous (si lon y trouve du ptrole, il appartient
au propritaire du terrain) et tout ce quil y a dessus, jusquau ciel. Naturellement, la
constitution amricaine a t rdige une poque o laviation nexistait pas encore. Mais
au milieu du xxe sicle, les premiers vols transcontinentaux ont fait leur apparition. Avec eux

arrivrent videmment les premiers procs entre propritaires terriens et compagnies ariennes,
les premiers demandant aux seconds de les indemniser pour avoir le droit de survoler leur
proprit. Une application stricte du droit donne bien videmment raison aux propritaires
terriens. Mais, en contrepartie, une telle interprtation ne va pas forcment dans le sens de
lintrt gnral car elle risque dempcher le dveloppement dune technologie extrmement
bnfique conomiquement (laviation). Lorsquelle a t saisie de ce cas, la Cour suprme
amricaine a tranch en faveur de la modification de la loi afin de lamnager pour tenir compte
au mieux du nouveau contexte et de lexistence de laviation264.
Un second exemple dune interprtation fonctionnaliste du droit, cette fois dans le domaine
de la proprit intellectuelle, est fourni par larrive des premiers magntoscopes, la fin des
annes 1970. Bien connue, laffaire opposa Universal (cest--dire lindustrie dHollywood)
et Sony, le premier reprochant au second de favoriser la copie, et donc la violation des droits
dauteurs. nouveau, une interprtation stricte du droit donne raison Hollywood. Enregistrer
un film sans laccord des ayants droit revient ne pas respecter leur proprit intellectuelle.
Dun autre ct, cette application du droit ne va pas forcment dans le sens de lintrt gnral
puisquelle risque dentraver le dveloppement dune technologie trs forte valeur ajoute pour
les consommateurs, savoir les magntoscopes. Lorsquelle a t saisie, la Cour suprme sest
nouveau prononce en faveur de ladaptation des rgles de droit afin de les accommoder au
contexte, une trs courte majorit. En 1984, la Cour suprme a en loccurrence introduit un
droit la copie prive, prenant ainsi acte du formidable potentiel de cette nouvelle technologie
pour les consommateurs, et du besoin de faire voluer les systmes de proprit intellectuelle.
Le mme droit a t introduit en France en 1985. Outre le fait que cet exemple historique reflte
la perfection les consquences dune vision fonctionnaliste du droit, il montre galement que
lmergence dune nouvelle technologie favorisant la circulation des uvres de lesprit ne se fait
pas toujours au dtriment des fournisseurs de contenu, les producteurs de film ayant ralis des
bnfices considrables en vendant des cassettes vido dans les annes 1980, et ensuite des
DVD.
Les rgles de droit, et en ce qui nous concerne les rgles de droit dauteur, doivent
donc sadapter au contexte, en particulier technologique, sous peine de devenir source
dinefficience conomique. Les arguments que nous allons dvelopper ci-aprs soutiennent
que la numrisation des uvres de lesprit et Internet appellent une adaptation importante
du systme de droit dauteur. Dans la partie suivante, nous rappelons la raison dtre du droit
dauteur pour les conomistes. Nous montrons ensuite en quoi les volutions technologiques
de ces deux dernires dcennies bouleversent lquilibre entre incitation et diffusion. Dans la
dernire partie, nous proposons enfin des pistes dvolution des rgles du droit dauteur pour
que ce dispositif institutionnel corresponde davantage aux besoins de nos conomies modernes.

264
Larrt de la Cour suprme prcise que: The doctrine has no place in the modern
world. The air is a public highway, as congress has declared. Where that not true, every
transcontinental flight would subject the operator to countless trespass suits. Common
sense revolts at the idea. To recognize such private claims to the airspace would clog these
highways, seriously interfere with their control and development in the public interest.
United States vs. Causby, US 328 (1946)

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 213

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

I - La raison dtre conomique du droit dauteur:


rsoudre le dilemme incitation-diffusion
Pour les conomistes, les rgles de droit dauteur doivent contribuer accrotre lefficience
conomique en quilibrant les incitations crer et la diffusion des uvres de lesprit (Plant,
1934; Hurt et Schuchman, 1966; Landes et Posner, 1989; Lvque et Mnire, 2003;
Benhamou et Farchy, 2009). Les rgles de droit dauteur forment ainsi un compromis: il est
important daccorder une exclusivit aux auteurs car cela accrot leurs incitations investir du
temps et des ressources dans la cration; mais il est galement important que cette exclusivit
soit limite dans le temps (en France, la protection par droit dauteur est aujourdhui de 70 ans
aprs la mort de lauteur) afin que les consommateurs puissent bnficier lchance du droit
dune diffusion gratuite des uvres.

A. Du ct des incitations
En labsence de droits formels de protection, la copie est souvent facile et peu coteuse,
induisant un problme de bien public connu des conomistes: sil est collectivement souhaitable
dinvestir dans la cration, les acteurs individuels nont pas intrt le faire car ils ne pourront
pas en retirer de bnfices, les autres acteurs de lconomie se comportant en passagers
clandestins, bnficiant des uvres sans avoir payer. Au final, en labsence dintervention
publique, il se cre un dficit dincitation investir dans la cration des uvres de lesprit par
rapport loptimum.
Pour remdier ce problme, ltat peut intervenir soit en sponsorisant directement la cration,
soit en mettant en place des droits de proprit intellectuelle qui permettent doffrir une
exclusivit aux crateurs, et ainsi de rsoudre partiellement le problme dappropriation (Arrow,
1962). En thorie, le droit dauteur offre un monopole dexploitation aux crateurs. Sur
la figure1, le prix de march est Pc et le surplus des crateurs est nul (voir ngatif en tenant
compte des cots fixes) en labsence de droit dauteur. Mais avec le droit dauteur, le crateur
peut fixer un prix de monopole Pm largement suprieur Pc et ainsi raliser un surplus gal la
surface du triangle gris. En permettant aux crateurs de fixer un prix plus lev, le droit dauteur
doit donc accrotre les incitations investir dans la cration.
Il est important de prciser que lorsque la thorie conomique parle dincitations, il
sagit au moins autant (voire davantage) des incitations pour les investisseurs (banques,
maisons de disques, producteurs, maisons ddition, etc.) que pour les auteurs. En effet,
une littrature abondante a mis en avant limportance des motivations intrinsques pour les
crateurs, en particulier le fait quune perspective de profit nest le plus souvent pas ncessaire,
et parfois mme tre contre-productive, pour les inciter consacrer du temps et des ressources
leurs crations (Amabile et al., 1986; Frey, 1997). Cela ne signifie pas quil ne soit pas juste
de leur assurer une rmunration, mais simplement que cette rmunration naccrot pas ou
peu leurs incitations (cest davantage une question de justice distributive que defficience). La
question des incitations se pose donc surtout pour les investisseurs conomiques, cest-dire les acteurs qui doivent investir afin de donner une valeur conomique aux crations de
lesprit par exemple la maison de disques qui investit pour produire et distribuer un disque. Ce
sont surtout ces investisseurs qui ont besoin de protection intellectuelle pour sassurer un retour
sur investissements sans lequel ils ninvestiraient pas.

Figure 1 : Les effets incitatifs du droit dauteur et la perte sche


de monopole

a
Surplus des crateurs
si droit dauteur

pm

pc

Perte sche de bien-tre


provenant du droit dauteur

Cm

D-1

Q
qm

qc

Note: en labsence de droit dauteur, le prix de march (Pc) pour une uvre de lesprit tend
vers son cot marginal (p = cm). Le surplus des crateurs est alors nul. Avec droit dauteur, les
crateurs sont en situation de monopole et peuvent ainsi fixer un prix tel que le cot marginal
soit gal la recette marginale (Rm = cm). Le prix sera alors Pm, largement au-dessus du cot
marginal, et le surplus des crateurs sera gal la surface en gris. Une telle situation induit
cependant une perte sche de bien-tre, gale la surface du triangle en bleu, par rapport la
situation concurrentielle.

B. Du ct de la diffusion
Paralllement aux problmes dincitations, la question de la diffusion des uvres cres est
galement essentielle. En effet, deux proprits des uvres de lesprit la rendent centrale.
En premier lieu, les uvres de lesprit ont gnralement un cot marginal trs faible une fois
saisies sur un support matriel (DVD, CD, cl USB, disque dur, cloud, etc.). Or, un rsultat
standard de la thorie conomique est que le prix optimal sur un march, celui qui maximise
le surplus social, est toujours gal au cot marginal. Tout prix suprieur au cot marginal
induit une perte sche de bien-tre, cest--dire quil empche la ralisation de transactions
mutuellement avantageuses. Sur la figure 1, lorsque le prix est gal au cot marginal, le
surplus social est gal la surface du triangle acpc. Mais si le prix est gal pm, le surplus
social nest alors plus gal qu la surface abdpc (le surplus des consommateurs est gal la
surface abpm et le surplus des crateurs la surface du carr pmbdpc). La perte sche de bientre, cest--dire la diffrence entre les deux, est ainsi gale la surface du triangle en bleu.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 215

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

Autrement dit, lefficience dans la diffusion des uvres de lesprit commande que ces dernires
soient changes leur cot marginal. Lorsque ce dernier est faible, voire proche de 0, le prix
optimal doit donc tre la gratuit. Tout prix suprieur au cot marginal rduit lefficience.
En offrant une exclusivit aux crateurs, le droit dauteur est donc de ce point de vue source
dinefficience conomique. Cest pour cela quil reste limit dans le temps.
En second lieu, la cration est un processus cumulatif, et les crateurs de demain
sappuieront sur les crations daujourdhui. Toute uvre nouvelle, mme la plus radicale,
sinspire dune manire ou dune autre duvres qui lont prcde. Cest la mtaphore des
paules de gants. Il est ainsi optimal, pour ne pas entraver ce processus cumulatif, que
les uvres de lesprit, une fois cres, puissent tre rutilises par les crateurs du futur. On
retrouve ici lexplication conomique dune caractristique fondamentale du droit dauteur: ce
dernier ne protge que lexpression des uvres de lesprit. Sil nest ainsi pas possible de copier
lidentique une chanson, un tableau ou un livre, il est possible de sen inspirer afin de crer une
autre uvre originale. Le droit dauteur nentrave ainsi pas, en thorie, le processus cumulatif
de cration.

C. Le dilemme incitation-diffusion
Il est immdiat que lefficience en matire dincitation et lefficience en matire de diffusion
sopposent. On retrouve l une contradiction bien connue entre efficience dynamique et
efficience statique (Schumpeter, 1942). long terme, lefficience dynamique implique que les
incitations crer soient importantes, cest--dire quil y ait beaucoup de nouvelles uvres dans
le futur. Elle commande ainsi daccorder des droits exclusifs forts aux investisseurs, rduisant la
diffusion des uvres une fois cres. A court terme, lefficience statique implique a contrario que
la diffusion des uvres de lesprit soit la plus large possible, cest--dire que tout le monde puisse
bnficier des uvres dj cres au meilleur prix, rduisant ainsi les incitations investir pour
les produire. Il y a donc clairement un dilemme entre incitation et diffusion. Dans la littrature,
on parle galement du dilemme dArrow, du nom de celui qui a t le premier formaliser ce
problme en 1962.
Il revient aux rgles de droit dauteur de concilier au mieux ces deux positions, et
dessayer de parvenir un compromis entre efficience statique et efficience dynamique.
Pour ce faire, le systme de droit dauteur accorde un monopole dexploitation aux crateurs.
Mais cette exclusivit reste limite dans le temps et ne porte que sur lexpression des uvres.
Au final, lanalyse conomique du droit dauteur insiste sur limportance dquilibrer
deux lments antagonistes. Il est important de tenir compte la fois des incitations et de
la diffusion des uvres. Ngliger lun de ces deux aspects ne peut que rduire lefficience du
systme.

II - Le droit dauteur face aux bouleversements induits


par lconomie numrique
La manire dont les rgles de droit dauteur arbitrent entre incitation et diffusion dpend du
contexte et, en particulier, du contexte technologique. Avant linvention de limprimerie, la
question du droit dauteur ntait pas centrale puisque la copie tait extrmement coteuse et

difficile raliser. Avant linvention du magntoscope et des techniques modernes de copie,


la question du droit la copie prive ntait pas pertinente. Elle lest devenue au tournant des
annes 1980, et le droit a d voluer pour en tenir compte. De mme, les bouleversements
induits par la numrisation des uvres de lesprit et leur diffusion instantane et
quasiment gratuite sur Internet vont invitablement obliger les rgles de droit de
proprit intellectuelle sadapter. Nous insistons ici sur trois consquences majeures du
passage lconomie numrique pour le systme de droit dauteur.

A. Incitations et culture de la copie gratuite


Un premier lment, largement document dans tous les mdias, a trait la question
des incitations. Les nouvelles technologies facilitent la copie illgale et rduisent
potentiellement les incitations investir dans la cration. Une raction immdiate est donc
de dire que ladaptation du droit dauteur lconomie numrique doit forcment passer par
un renforcement du droit pour restaurer le compromis prcdent (par la mise en place de DRM
Digital Rights Management ou de dispositifs de type Hadopi, par exemple). Or, sil est clair
que dans certains secteurs, la culture de la copie peut affecter durablement les incitations
investir dans la cration, il est nanmoins important de temprer les risques. La plupart des
tudes empiriques sur la question ne permettent pas de conclure une causalit ngative
significative entre copie illgale et incitations crer. Le cas de lindustrie musicale a,
par exemple, fait lobjet de nombreuses tudes, et deux tendances se dgagent: dun ct,
la numrisation et Internet ont fait diminuer significativement le revenu des majors de la
musique (Rob et Waldfogel, 2006); dun autre ct, cela ne semble pas se traduire par une
rduction de lactivit musicale, ni mme de la diversit des crations (Waldfogel, 2012).
Il semble en effet que les incitations crer dans un grand nombre de secteurs peuvent
rester leves mme en labsence de droits de proprit formels. En premier lieu il faut
souligner que si la numrisation rend lappropriation plus difficile et peut rduire les perspectives
de bnfices, elle diminue galement les cots de production et de distribution des
uvres de lesprit. Ce second effet peut parfois lemporter sur le premier et faire en sorte
que les incitations crer restent leves (dautant que les motivations des crateurs sont
souvent fortement intrinsques). En second lieu, lanalyse conomique a mis en avant plusieurs
explications au fait que les incitations investir dans la cration peuvent rester leves, voire
augmenter, lorsque les possibilits dappropriation directe sont faibles (Liebowitz et Watt,
2006; Lahiri et Dey, 2013). Peitz et Waelbroeck (2006) insistent par exemple sur les effets
positifs du sampling, qui peut in fine rendre les copies illgales profitables aux producteurs.
Dune manire plus gnrale, Raustiala et Sprigman (2012) mettent en vidence un
grand nombre de secteurs trs cratifs dans un contexte o les crateurs peuvent
difficilement se protger via des droits formels. Ils sintressent par exemple aux cas de
la grande cuisine, de la haute couture, des arts de la rue, de la magie, etc. Dans lensemble
de ces secteurs, le fait quil soit trs difficile dobtenir des droits de protection intellectuelle ne
semble pas affecter plus que cela la dynamique crative. Dans le prolongement de leurs travaux,
Fauchart et al. (2014) analysent les mcanismes incitatifs dans ces secteurs Low IP Regime,
et montrent notamment que lexistence de normes informelles, la possibilit de mobiliser des
actifs complmentaires tels que la marque par exemple, ou encore la possibilit de raliser des
performances live, difficiles copier lidentique, peuvent permettre aux crateurs de bnficier
de leur cration mme en labsence de droit dauteur.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 217

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

La rponse au passage lconomie numrique doit donc tre prudente. Il nest pas
forcment pertinent de vouloir prserver tout prix des rgles de droit dauteur qui sont
devenues obsoltes. En particulier, les nouvelles technologies numriques font quil est
devenu presque impossible et irraliste de vouloir empcher la copie illgale. Il est alors
fondamental de prendre en compte la question de la mise en uvre (enforcement)
du droit dauteur dans lconomie numrique. Imposer une rgle ne signifie en effet pas
quelle sera applique. En labsence de moyens de mise en uvre formels, la question de la
lgitimit de la rgle devient ainsi critique. Dans un environnement o il est techniquement trs
difficile dempcher les comportements de passagers clandestins, ladhsion des individus la
norme est essentielle pour la faire respecter. Lorsque la norme est juge lgitime et lorsque
les individus y adhrent largement, la transgression est alors moins frquente. Il faut
donc faire en sorte que les internautes jugent les rgles de droit dauteur lgitimes afin que soit
accept le principe de rmunration des crateurs. Plusieurs expriences (certes toujours trs
contextualises et pas forcment gnralisables) montrent que les consommateurs sont
en effet prts payer (de petites sommes) pour accder aux contenus numriques mme
lorsquils ont la possibilit dy accder gratuitement.
La lgitimit du systme de droit dauteur est un problme central dans lconomie
numrique. Une grande majorit des internautes jugent ce systme illgitime et nhsitent ainsi
pas le transgresser. Et les mesures de rtorsions prises contre les pirates ne contribuent pas
restaurer la lgitimit du systme, au contraire. Elles sont ainsi doublement inefficaces. Il est
donc primordial de rendre le systme de droit dauteur plus quilibr et plus juste afin de
le relgitimer aux yeux des utilisateurs. Cela ne passe videmment pas par labandon du droit
dauteur et la culture du tout gratuit, mais plutt par un accommodement radical des rgles du
droit dauteur au contexte numrique, comme nous le verrons dans la dernire partie.

B . Le cot croissant de la perte sche de monopole.


Consquence moins mdiatise mais probablement aussi importante sur les incitations que celle
de la copie non autorise: la numrisation des uvres sur Internet a radicalement rduit
le cot marginal, qui est, rappelons-le, le cot de reproduction des uvres de lesprit (le
cot de production dune unit additionnelle). En effet, pour la premire fois dans lhistoire de
lhumanit, le cot marginal de production de certaines uvres (celles qui sont numrises) est
nul, en tout cas ngligeable. Pensons, par exemple, au cot de reproduction dune chanson mise
en ligne sur Internet. Pour pouvoir copier cette chanson, un internaute a besoin dun ordinateur
et dune connexion internet. Or, ces deux lments sont des cots fixes, cest--dire quils ne
dpendent pas du nombre de chansons tlcharges. Le seul cot variable, celui qui dpend de
la quantit, est le prix de llectricit ncessaire pour faire fonctionner lordinateur le temps de
tlcharger la chanson, donc un cot quasiment nul.
Une consquence fondamentale de cette rduction du cot marginal est laugmentation
ceteris paribus de la perte sche de monopole induite par le droit dauteur. En effet, un
rsultat bien connu de la microconomie est que la perte sche dun monopole est une fonction
dcroissante du cot marginal de production. Cest--dire que plus ce dernier est faible, plus
la perte sche lie un monopole est importante (voir figure 2). Lapplication immdiate de
ce rsultat au droit dauteur est que la perte sche induite par le droit dauteur a aujourdhui

significativement augment du fait de la numrisation. Lintuition est la suivante: lorsque le cot


marginal baisse, le surplus social potentiel gnr par une uvre augmente car, ceteris paribus,
cette uvre peut tre consomme par plus de monde. Par exemple, le faible cot daccs
certaines uvres sur Internet a clairement permis des millions de consommateurs daccder
des chansons et des films auxquels ils nauraient pas pu avoir accs sinon. Mais en offrant une
exclusivit son titulaire et en lui permettant de fixer un prix lev, le droit dauteur soppose
cette augmentation potentielle de bien-tre. Le droit dauteur entrane ainsi un cot li la
non-diffusion des uvres de lesprit, alors mme que leur cot marginal nul commande une
diffusion large.

Figure 2 : Perte sche de monopole et cot marginal


P

Perte sche de bien-tre


provenant si Cm=c1
pm1
pm2

Perte sche de bien-tre


provenant si Cm=c2
Cm=c1

Cm= c2

D-1
Q

qm1 qm2
Note: lorsque le cot marginal diminue, par exemple passe de c1 c2, la quantit change
par le monopoleur augmente (passe de qm1 qm2), le prix affich diminue (passe de Pm1 Pm2)
et la perte sche de monopole saccrot. Sur le graphique lorsque le cot marginal est gal
c1 la perte sche est gale la surface du triangle en vert et lorsque le cot marginal est de
c2, elle est gale la surface du triangle en rouge, qui est bien suprieure celle du triangle
vert. Mathmatiquement, la relation inverse entre cot marginal et perte sche de monopole
sobserve facilement avec une courbe de demande linaire telle que D(p) = b ap et une fonction
de cot marginal constante telle que Cm = c (ce qui correspond bien au cas de la figure). Dans
ce cas, la perte sche de monopole est gale (b ac)2 / 16a et est bien dcroissante avec c.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 219

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

Le tableau 1, tir de Pnin (2013), prsente un exemple numrique permettant dillustrer ce


lien entre perte sche de monopole et cot marginal. Il illustre le cas dun disque pour lequel la
demande est la suivante: 1million de fans sont prts payer jusqu 100euros chacun pour
lacheter (cest leur prix de rserve); 10millions damateurs du style de musique dans lequel
volue le groupe sont prts payer 10euros pour en faire lacquisition; 1milliard damateurs de
musique sont prts payer 1euro (ils sont curieux, mais pas fans); le reste du monde, 5milliards
de personnes, a un prix de rserve nul. Si le disque est protg par droit dauteur, on suppose que
le prix de monopole fix par son distributeur est de 15euros. Dans une conomie pr-Internet,
le cot marginal, ou cot de reproduction du disque, est gal 5euros. Dans une conomie
internet, ce cot marginal est nul. On constate alors aisment que la baisse de cot marginal
provoque par le passage lconomie numrique induit une augmentation significative de la
perte sche lie au monopole. Cette perte sche provient essentiellement du fait que le droit
dauteur empche laccs au disque pour lensemble des consommateurs qui ntaient pas prts
payer une somme importante.

Tableau 1 : Perte sche induite par le droit dauteur et cot marginal,


un exemple numrique (tir de Pnin, 2013)
Amateurs Curieux Reste du

Nombre Fans 10 1 monde
dindividus
1 million millions million 5 milliards

Prix de
rserve ()


SC si droit
Cas 1
dauteur :
Prix
= 15
conomie
pr-internet

SC si pas droit
CM = 5
dauteur :
Prix = 5

SC si droit
Cas 2
dauteur :
conomie
Prix
= 15
numrique
post-internet SC si droit
CM = 0
dauteur :
Prix = 0

100

10

1 0

SC SP SS PSM

85* 0 0 0
85
10
95
50
95

50

145 0 145

85 0 0 0
85
15
100
1100
100

100

1000

1200 0 1200

Note: en millions deuros; CM = cot marginal; SC = surplus des consommateurs;


SP = surplus des producteurs; SS = surplus social; PSM = perte sche de monopole; le tableau
se lit de la manire suivante: le chiffre 85* sexplique par le fait quun million de consommateurs
est prt payer un disque 100euros, mais ils le paieront 15euros. Par consquent, le surplus
dgag par ce million de consommateurs est de 100millions moins 15millions.
En somme, la numrisation des uvres de lesprit a mcaniquement contribu accrotre
le cot du droit dauteur pour les consommateurs. Aujourdhui, la perte sche lie au droit
dauteur est plus leve que jamais. Et, bien entendu, cette perte est dautant plus leve que
la dure du droit dauteur est importante. Ainsi, il est tonnant de constater que lensemble des
politiques conomiques qui ont t mises en uvre dans les pays dvelopps pour rpondre au

dfi numrique (Hadopi, les DRM, etc.) ne tiennent absolument pas compte de cet effet sur la
diffusion. Il semble bien que les questions dincitations ont pris le pas sur celles lies la diffusion
dans les mdias grand public.

C. Lentrave la cration par recombinaison


Une troisime consquence importante de la numrisation des uvres de lesprit a trait la
manire dont la cration sopre dans lconomie numrique. Dans lconomie pr-Internet,
la cration par recombinaison lidentique duvres existantes est difficile car les moyens
techniques ne permettent pas de faire des copier-coller (c/c). Le droit dauteur nentrave pas
la cration par recombinaison puisquil protge uniquement lexpression dune uvre, cest-dire quil empche les c/c lidentique. Ds lors quun crateur ne fait que sinspirer dune
uvre sans la copier lidentique, il ne viole pas le droit dauteur. Autrement dit, du fait de la
difficult et du cot lev pour faire des c/c, le droit dauteur ne fait pas obstacle au processus
cumulatif de cration dans lconomie pr-Internet. Les crateurs peuvent sinspirer librement
des crateurs du pass sans risque de violation de droit dauteur.
Or, une caractristique importante de lconomie numrique est de rendre les c/c duvres
existantes la fois faciles, rapides et peu coteux. En effet, les crations numriques sont
souvent une combinaison (un c/c) duvres existantes. La numrisation a ainsi induit de
nouvelles manires de crer en combinant directement des uvres sans les modifier
significativement. Cest le principe des mash-up, remix, etc. (Lessig, 2008). Un individu
peut ainsi prendre des bouts de chansons, les combiner entre elles et avec des scnes de
films pour donner naissance une uvre originale. Peu importe la qualit artistique de ces
nouvelles manires de crer, il reste que cest bien l une activit de cration. Et surtout que
le droit dauteur constitue un obstacle cette activit, la reproduction lidentique duvres
protges sans lautorisation de layant droit tant bien videmment interdite. Lune des grandes
diffrences entre lconomie pr-Internet et lconomie numrique rside donc dans le fait que
le droit dauteur peut aujourdhui entraver la cration, du moins celle qui passe par la
recombinaison lidentique duvres existantes.
Cette nouvelle manire de crer en faisant des c/c duvres existantes est une tendance lourde
de lconomie numrique. Elle sinscrit dans ce que certains auteurs appellent les contenus
gnrs par les utilisateurs (User generated contents, von Hippel, 2005). Cest, en quelque
sorte, le prolongement dautres secteurs du phnomne du logiciel libre qui a merg dans les
annes 1980. Et qui a dailleurs d saffranchir du systme de droit dauteur bas sur lexclusivit,
en le dtournant pour crer les licences libres de type Copyleft (Pnin, 2011). Les licences
Creative Commons ont galement t cres partir du constat que lexclusivit confre par le
droit dauteur pouvait tre nfaste la cration numrique.
Von Hippel (2005) parle ainsi de dmocratisation de linnovation pour mettre en avant le fait
que, grce aux nouvelles technologies, les utilisateurs sont de plus en plus souvent au
cur de lactivit crative. Lawrence Lessig (2008), de son ct, distingue les consommateurs
passifs qui ne dsirent que consommer des uvres (couter de la musique, regarder des films,
etc.) des consommateurs actifs qui, eux, dsirent utiliser des uvres existantes en les combinant
pour en crer de nouvelles (combiner plusieurs chansons pour en crer une nouvelle, combiner

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 221

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

plusieurs scnes de films, etc.). Ici, le point essentiel se situe nouveau dans le fait que le droit
dauteur peut faire obstacle cette activit de cration par recombinaison en empchant les
utilisateurs actifs de rutiliser les contenus dont ils ont besoin.
Lentrave faite au processus de cration par recombinaison est dautant plus vraisemblable que
nous assistons aujourdhui une prolifration des droits, ce qui implique quil est souvent difficile
didentifier les ayants droit, et donc de ngocier un droit daccs avec eux. Le droit dauteur
sobtient en effet par dfaut. Il nest pas ncessaire de le demander. partir du moment o une
uvre est diffuse, son crateur bnficie dun droit dauteur sur cette uvre, quil se souhaite
ou non. Au final cela induit une situation de prolifration des droits, et risque dentraner ce que
les conomistes appellent des situations de tragdie des anticommuns, notamment lorsque la
multiplication des droits exclusifs sur une ressource unique entrane une sous-utilisation de cette
ressource par rapport loptimum (Heller, Eisenberg, 1998; Pnin, 2013).
Imaginez par exemple quun individu souhaite crer un objet numrique en mlangeant
plusieurs scnes de films et chansons trouvs sur Internet. Cet individu doit en thorie obtenir
lautorisation de lensemble des ayants droit, ce qui suppose de les identifier, de ngocier
avec eux et de les indemniser. Lincertitude quant la libert dexploitation est ici norme. La
prolifration des ayants droit multiplie les cots de transaction et les risques de hold-up,
de litige si un ayant droit a t oubli. Au final, il est probable que ce crateur renoncera
son projet, ou le mnera dans lillgalit, sans avoir pris la peine de ngocier une permission,
comme cela arrive le plus souvent aujourdhui sur Internet. Dans tous les cas, cette situation est
conomiquement inefficiente. On peut remarquer que ce problme de prolifration des droits
a mcaniquement entran la cration de socits de gestion collective (comme la Sacem, en
France) dont le rle est justement de faciliter laccs aux contenus cratifs. Mais ces socits, si
elles peuvent contribuer rendre le problme moins prgnant, ne contribuent pas le rsoudre
la racine.

III - Quels changements apporter au droit dauteur


pour ladapter lconomie numrique?
Les rgles de droit dauteur rsultent dun compromis. Elles doivent tenir compte des
besoins de diffrents types dacteurs de lconomie: les crateurs et les consommateurs.
Les premiers souhaitent tre protgs mais ont galement besoin de pouvoir accder aux uvres
du pass afin de les rutiliser pour crer dans le futur. Les seconds souhaitent pouvoir bnficier
dun maximum duvres au meilleur prix. Lobjectif du lgislateur doit donc tre de construire
un systme de rgles de droit quilibr qui prenne en compte les besoins de lensemble de
ces acteurs. Pour ce faire, nous distinguons au moins quatre pistes dvolutions qui
permettraient dquilibrer ces diffrents besoins dans lconomie numrique.

A. Rduire la dure du droit patrimonial


Dans le systme de droit franais, le droit moral li au droit dauteur a une dure infinie.
Notre propos nest pas ici de modifier cette dure. En revanche, le droit patrimonial (les droits
conomiques) a une dure limite dans le temps afin que squilibrent incitation et diffusion,

comme cela a t dit plus haut. Or, la dure du droit patrimonial na cess daugmenter ces
dernires dcennies pour tre aujourdhui de 70 ans aprs la mort de lauteur. Une telle dure
nest pas adapte au contexte de lconomie numrique pour au moins deux raisons:
Premirement, cette dure entrane une perte sche de bien-tre norme pour les
consommateurs. Une uvre cre aujourdhui par un artiste qui vivrait encore 50 ans sera
ainsi protge par monopole pendant 120 ans. Des gnrations entires de consommateurs
devront payer un prix de monopole pour y accder. Dans une conomie o le cot marginal
de production tend vers 0 du fait de la numrisation, la perte sche de bientre induite par
ce monopole est ainsi gigantesque. Mcaniquement, une rduction de la dure du droit
patrimonial doit alors permettre de rduire le montant de la perte sche et permettre
aux consommateurs de bnficier lgalement des effets de la rduction du cot marginal
des uvres numrises. Deuximement, une telle dure contribue vraisemblablement
dlgitimer le droit dauteur aux yeux des utilisateurs. Comment en vouloir au consommateur
qui naccepte pas de payer au prix fort des uvres (chansons, films, etc.) cres il y a plusieurs
dcennies et qui sont de surcrot trs facilement accessibles illgalement et gratuitement sur
Internet? Un raccourcissement radical de la dure du droit dauteur serait un moyen dindiquer
aux utilisateurs que leurs besoins sont pris en compte et contribuerait ainsi les faire plus
facilement adhrer la norme, et accepter de payer pour accder aux contenus protgs.
Vu la multiplicit des effets et la complexit du problme, il est bien videmment impossible de
calculer la dure de vie optimale du droit patrimonial. Nanmoins, il nous semble quune dure
largement infrieure celle daujourdhui, par exemple vingt ans aprs la diffusion publique de
luvre, contribuerait accrotre significativement le bien-tre. Une dure de vingt ans signifierait
que toutes les uvres diffuses avant 1994 seraient aujourdhui librement et gratuitement
tlchargeables sur Internet. Quel gain ce serait l pour les consommateurs! Et quelle manire
de rendre le systme plus lgitime aux yeux de ses utilisateurs! Peut-on vraiment penser quune
telle rduction se ferait au dtriment des incitations? Les exemples des secteurs dans lesquels
la proprit formelle est peu prsente laissent penser que non (Raustiala et Sprigman, 2012;
Fauchart et al., 2014).

B. Obliger les crateurs senregistrer pour bnficier dun droit dauteur


Avec le systme actuel, le droit patrimonial sobtient par dfaut ds lors que lauteur diffuse
publiquement son uvre. Cela ne fut pas toujours le cas. Par le pass, par exemple aux tatsUnis, les crateurs devaient senregistrer pour bnficier dun copyright. Pourquoi alors ne
pas envisager un retour vers un tel systme, dans lequel le droit moral serait automatique, mais
o les crateurs devraient senregistrer en ligne pour bnficier dun droit patrimonial? Par le
pass, il semble que le seul obstacle ce principe denregistrement ait t dordre matriel. Ce
problme nexiste plus aujourdhui avec les progrs des technologies de communication, qui
permettent aisment aux auteurs denregistrer et de stocker leurs uvres numriques.
Dune manire gnrale, un systme dans lequel un droit dexclusion nat de manire
automatique et dans lequel les auteurs dsireux de ne pas bnficier de ce droit doivent prendre
des mesures pour y renoncer (par exemple en utilisant des licences libres ou des Creative
Commons) peut sembler curieux. Il serait tout aussi intuitif, voire plus intuitif, de faire en sorte

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 223

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

que la norme par dfaut soit la non-exclusivit, et que les auteurs dsireux dobtenir un droit
exclusif dexploitation senregistrent. Aprs tout, lobtention dun tel droit peut se rvler trs
profitable pour les auteurs. Il nest donc pas anormal de leur demander un effort minimal pour en
bnficier. Un tel renversement aurait le mrite de rduire radicalement la prolifration des droits,
et donc de rduire lincertitude quant la libert dexploitation de nouvelles uvres. Il serait ainsi
certainement bnfique la cration numrique. Trs rapidement, les crateurs qui rutilisent
des uvres pourraient en vrifier la disponibilit et, si besoin, accder aux coordonnes des
ayants droit sur une plateforme ddie, comme cela se fait dj pour les marques et les brevets.

C. Rendre payante lobtention du droit patrimonial


Lobtention du droit patrimonial est aujourdhui gratuite. Pourquoi ne pas instaurer une
redevance raisonnable que les ayants droit devraient rgler afin de bnficier dune exclusivit,
comme cela existe dj par exemple pour les brevets? En effet, la science conomique a depuis
longtemps montr que lun des avantages les plus importants du prix est dobliger les individus
faire des choix. Un consommateur prend ses dcisions en comparant lutilit marginale dun
produit avec son prix. Cest la mme chose avec les utilisateurs du systme de droit dauteur. Les
crateurs comparent lutilit marginale davoir un droit dauteur avec le cot dobtention dun
tel droit. Si cest gratuit, il est alors probable quil y aura prolifration des droits dans lconomie.
Rendre lobtention du droit patrimonial payante serait ainsi une manire efficace de rduire
la prolifration des droits dauteurs dans lconomie et de limiter lincertitude sur la libert
dexploitation. Cela permettrait de faire en sorte que seules les uvres juges conomiquement
rentables fassent lobjet dun droit patrimonial.

D. Instaurer une distinction entre utilisateurs passifs et actifs


Dans lconomie numrique, lactivit cratrice sest dmocratise. Nimporte quel individu
possdant un ordinateur et un accs internet peut crer des objets numriques en combinant
des uvres existantes. Le droit dauteur ne doit pas faire obstacle cette activit crative. Une
manire originale dadapter les rgles de droit dauteur ce nouvel environnement numrique
est de faire la distinction entre lutilisation active et lutilisation passive, comme le propose
Lessig (2008). Un utilisateur passif doit naturellement obtenir laccord de layant droit avant de
pouvoir utiliser une uvre. En revanche, un utilisateur actif pourrait bnficier dune exemption
et utiliser une uvre sans laccord des ayants droit. Une compensation pourrait tre prvue pour
les crateurs (sur un principe quivalent celui de la Sacem, par exemple) assurant ainsi que
les crateurs touchent une rmunration minimale. Lintrt est ici dempcher les titulaires de
droits de faire obstacle la cration future en dcouplant le droit la rmunration des auteurs
avec le droit dexclusion. En effet, comme le rappelle magistralement Lessig: A free culture
supports and protects creators and innovators. It does this directly by granting intellectual
property rights. But it does so indirectly by limiting the reach of those rights, to guarantee that
followon creators and innovators remain as free as possible from the control of the past. A free
culture is not a culture without property, just as a free market is not a market in which everything
is free. The opposite of a free culture is a permission culture, a culture in which creators get to
create only with the permission of the powerful, or of the creators from the past. (Lessig L., Free
Culture, Penguin Press HC, 2004, p. 15)

Lactivit crative peut difficilement se dvelopper dans un environnement o tout est contrl.
Les crateurs doivent pouvoir rutiliser leur guise les uvres existantes. Cette rgle permettant
lutilisation active dune uvre serait ainsi lquivalent dans lconomie numrique de la rgle
plus gnrale qui dit que seule lexpression de luvre est protge par le droit dauteur, et
que les crateurs peuvent sinspirer librement du contenu. Or, dans lconomie numrique, le
contenu et lexpression convergent, rendant invitable la mise en place de mesures drogatoires
pour les utilisateurs actifs.

Conclusion
Les volutions technologiques rcentes, et peut-tre plus encore celles venir, rendent obsolte
le systme de droit dauteur tel quil existe aujourdhui. Dans de nombreuses industries
culturelles, la numrisation et Internet ont dj rduit le cot marginal zro (ainsi que le cot
fixe de production), obligeant repenser le rle du droit dauteur. Cette volution est loin dtre
termine. Jeremy Rifkin (2014) prdit lmergence imminente dun monde o la production
et la distribution seront soumises la rgle du cot marginal nul dans lensemble des secteurs
conomiques, notamment cause de la gnralisation des imprimantes 3D. Lemley (2014)
explique que la proprit intellectuelle sera devenue parfaitement inutile dans un tel monde, o
la raret aura disparu. Desai et Maglioca (2013) parviennent la mme conclusion.
Sans arriver des conclusions aussi extrmes, notre objectif ici tait dalerter sur limportance de
rformes en vue dadapter les rgles de droit dauteur au monde daujourdhui et de demain. Les
mesures que nous avons proposes ici ne sont pas exemptes de problme. Il sera notamment
souvent compliqu de distinguer consommation active et passive mais toutes les exemptions
sont sujettes ce type de problmes. Raccourcir la dure du droit patrimonial pnalisera
bien videmment les auteurs dont le succs arrive tardivement. Rendre lobtention du droit
patrimonial payant peut pnaliser certains crateurs indpendants si les montants ne restent
pas raisonnables. Il nous apparat cependant que, dans lensemble, ces mesures sont largement
plus adaptes lconomie numrique que les rgles de droit dauteurs telles quelles existent
aujourdhui. Elles permettraient de favoriser la rutilisation des uvres numriques, seraient
extrmement bnfiques pour les consommateurs, tout en ne rduisant pas significativement
les incitations investir. Certes, certaines parties y perdraient (les majors de la musique, par
exemple), mais il est important de garder lesprit que le systme de droit dauteur est bas sur
un compromis et quil est ainsi, par dfinition, un second best. Un systme de rgles de droit
dauteur qui satisferait toutes les parties est une illusion.

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INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 225

4.1 Lconomie du droit dauteur face aux dfis de la numrisation

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4.2
Contrefaon dans le cadre de
limpression 3D : responsabilits
et remdes
par Caroline Le Goffic

Lauteur
Ancienne lve de lcole normale suprieure (rue dUlm), Caroline Le Goffic a obtenu un DEA
en droit de la proprit littraire, artistique et industrielle, puis un doctorat en droit, luniversit
Panthon Assas (Paris II). Elle est depuis 2010 matre de confrences luniversit Paris Descartes,
o elle codirige le Master 2 Droit des activits numriques. Auteur de nombreux articles en
droit de la proprit intellectuelle, Caroline Le Goffic est responsable de la chronique trimestrielle
Marques au Journal de droit de la sant et de lassurance maladie (JDSAM). Elle est galement
lauteur de deux ouvrages: La protection des indications gographiques (France, Union
europenne, tats-Unis), Litec, coll. IRPI, 2010 (il sagit dune version remanie de sa thse de
doctorat ayant obtenu le prix de thse IRPI 2010), et Droit des activits numriques, cocrit avec
Luc Grynbaum et Lydia Morlet-Hadara (Dalloz, 2014).

Synthse
La prsente contribution a pour objet danalyser les rles et les responsabilits respectifs des
diffrents acteurs de limpression 3D au regard de la contrefaon potentielle des divers droits
de proprit intellectuelle. Cette opration suppose une comprhension prcise du rle jou
par chacun dans la chane de limpression 3D, et une application adquate des rgles lgales et
jurisprudentielles pertinentes. Sont envisags ensuite divers remdes possibles au phnomne
de la contrefaon dans le cadre de limpression 3D.

mots cls : impression 3D | proprit intellectuelle |


contrefaon | responsabilit | intermdiaires |
mesures techniques de protection
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 227

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

Introduction
Formidable rvolution technologique, limpression 3D est en pleine expansion. Au fur et
mesure que la technologie se dmocratise et que les imprimantes personnelles deviennent
abordables pour un plus grand nombre de personnes, ce sont les modes de production et les
habitudes de consommation qui sont vous voluer. En effet, limpression 3D permettra
bientt chacun de fabriquer, dupliquer, personnaliser, rparer ou remplacer tout objet de son
choix, sans quitter son domicile et de manire quasi instantane.
Mais ces bienfaits vidents ne doivent pas faire oublier que limpression 3D est, en mme temps,
porteuse de dangers pour les titulaires de droits de proprit intellectuelle. Allons plus loin:
la diffrence dautres technologies telles que la numrisation de contenus audio ou vido qui
permettaient de contrefaire droits dauteur et droits voisins, cette technologie rvolutionnaire
de fabrication additive est la premire offrir la possibilit de contrefaire simultanment
tous les droits de proprit intellectuelle (droit dauteur, dessins et modles, marques,
brevets, voire topographies de semi-conducteurs).
Devant ce constat, il importe donc de dfinir et de qualifier prcisment les diffrents actes
potentiellement illgaux susceptibles dtre accomplis par les diffrents acteurs qui interviennent
dans la chane de limpression 3D. Or, lanalyse rvle la multiplicit et la grande diversit de
ces acteurs. En effet, on peut distinguer non moins de douze catgories dacteurs concerns par
limpression 3D. Ce sont, par ordre dintervention dans le processus dimpression:
les concepteurs de logiciels de cration assiste par ordinateur (CAO);
les crateurs de fichiers CAO;
les utilisateurs qui mettent en ligne ces fichiers ou des liens permettant de les obtenir;
les hbergeurs de fichiers;
les diteurs de sites de fichiers CAO;
les concepteurs de logiciels peer-to-peer (P2P);
les moteurs de recherche indexant, voire suggrant des liens vers les fichiers CAO;
les utilisateurs qui tlchargent ces fichiers;
les utilisateurs qui impriment les uvres;
les vendeurs dobjets imprims;
les fabricants et vendeurs dimprimantes 3D;
et enfin les fournisseurs de services dimpression 3D.
Le nombre et le caractre htrogne de ces acteurs invitent sintresser au rle exact
jou par chacun dans le processus de limpression 3D pour qualifier juridiquement les
actes accomplis conformment aux rgles lgales et jurisprudentielles en vigueur. En
dautres termes, il est ncessaire dtudier les responsabilits des acteurs de limpression 3D (I).
Une fois cette opration mene bien, il conviendra ensuite de proposer des mesures de nature
rendre effective la protection des droits de proprit industrielle devant les dfis de limpression
3D, cest--dire denvisager les remdes, prventifs comme rpressifs, la contrefaon par
limpression 3D (II).

I - Les responsabilits des acteurs de limpression 3D


Afin dapprhender les responsabilits respectives des diffrents acteurs de limpression 3D, on
distinguera les contrefacteurs directs (A) des contrefacteurs indirects (B), prcisant que cette
qualification est susceptible de varier selon le droit de proprit intellectuelle en cause.

A. Les contrefacteurs directs


Au titre des contrefacteurs directs potentiels, on peut identifier les crateurs de fichiers CAO
reproduisant des objets protgs (1), les internautes mettant en ligne des fichiers CAO protgs
(2), les internautes tlchargeant ces fichiers (3), les utilisateurs imprimant des objets protgs
en 3D (4) et les vendeurs dobjets protgs imprims en 3D (5).

Les crateurs de fichiers CAO reproduisant des objets protgs


Que la cration des fichiers CAO soit effectue laide dun scanner tridimensionnel ou dun
logiciel de cration assiste par ordinateur, lauteur dun fichier CAO sera contrefacteur au
sens du droit dauteur ds lors quil reproduira ou adaptera une uvre protge sans
lautorisation de lauteur. En effet, ces actes sont prohibs par larticle L. 122-4 du Code de la
proprit intellectuelle. Toutefois, il pourra bnficier de lexception de copie prive sil remplit les
conditions restrictives poses larticle L. 122-5 du mme Code, cest--dire si la copie, ralise
partir dune source licite, est destine lusage strictement priv du copiste, et ne constitue
pas une copie dune uvre dart destine tre utilise pour des fins identiques celles pour
lesquelles luvre originale a t cre265.
En revanche, en droit de la proprit industrielle, la simple reproduction dun objet
protg dans un fichier CAO ne peut tre qualifie de contrefaon. En effet, le droit des
dessins et modles et celui des brevets exigent la fabrication dun objet, ce que ne
saurait constituer la simple cration dun fichier immatriel. On ne saurait davantage
qualifier de contrefacteurs indirects les crateurs de fichiers CAO, le seul acte de cration du
fichier ne pouvant constituer un acte de fourniture de moyens tant que ce fichier nest pas
communiqu un tiers.

Les internautes mettant en ligne des fichiers CAO protgs


Sagissant des crateurs de fichiers CAO, le droit dauteur permet sans aucun doute de qualifier
de contrefacteurs les responsables de la mise en ligne de fichiers CAO protgs. Cet acte
constitue en effet une reproduction ou communication au public dune uvre protge.
En revanche, le droit de la proprit industrielle est plus rfractaire la qualification de ces
internautes de contrefacteurs directs. En droit des dessins et modles, la contrefaon
est dfinie comme la fabrication ou lutilisation dun produit incorporant un dessin
ou modle, ce que ne ralise pas la simple mise en ligne dun fichier CAO. On peut
toutefois se demander si la mise en ligne dun fichier CAO ne constitue pas une offre dun

265
Sur les difficults dapplication de lexception de copie prive limpression 3D, cf.: Le
Goffic C., Vivs-Albertini A., Limpression 3D et les droits de proprit intellectuelle,
Proprits intellectuelles, 2014, 50, p. 24.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 229

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

dun produit incorporant un dessin ou modle, acte galement qualifi de contrefaon par
larticle L. 513-4 du Code de la proprit intellectuelle. notre sens, la rponse doit tre ngative
dans la mesure o, comme prcdemment, le fichier CAO nest pas un produit, concept
entendu au sens corporel du terme par la loi.
Pour les mmes raisons, la mise en ligne dun fichier CAO nest pas susceptible de constituer
une contrefaon directe de brevet. En revanche, certaines conditions, cette mise en ligne
pourrait constituer un acte de fourniture de moyens de contrefaire. Dans un arrt rendu
le 12fvrier2008266, que lon peut transposer au cas de limpression 3D, la Cour de cassation
a ainsi estim que la fourniture de plans et notices permettant linstallation dune invention
brevete tait un acte de contrefaon, que le fournisseur connaisse ou pas lexistence du brevet.
Encore faut-il, que ledit fournisseur connaisse le caractre apte et destin la mise en uvre des
moyens fournis, ce qui ne soulvera gure de difficults dans le cas dinternautes mettant en
ligne des fichiers CAO spcifiquement destins limpression dobjets.

Les internautes tlchargeant des fichiers CAO protgs


En droit dauteur, le tlchargement non autoris de fichiers CAO protgs est constitutif
de contrefaon par reproduction au sens de larticle L. 122-4 du Code de la proprit
intellectuelle. Ici, les internautes ne pourront pas sabriter derrire lexception de copie
prive, la source de la copie tant illicite. En outre, le tlchargement dun fichier CAO
protg est aussi de nature entraner lapplication de larticle L. 336-3 du Code de la proprit
intellectuelle, qui prvoit la sanction du titulaire de laccs Internet en cas de ngligence de sa
part dans la scurisation de sa connexion.
linverse, comme dans les deux hypothses prcdentes, le simple tlchargement dun fichier
CAO nest pas susceptible de constituer un acte de contrefaon en droit des dessins et modles
et en droit des brevets, faute de fabrication dun objet tangible.

Les utilisateurs imprimant des objets protgs en 3D


Le doute nest pas permis en lespce: tant en droit dauteur quen droit des dessins et
modles et des brevets, limpression non autorise dun objet protg est, en principe, un
acte de contrefaon. Il sagit en effet dun acte de reproduction dune uvre de lesprit (article
L. 122-4 du Code de la proprit intellectuelle), de fabrication dun produit incorporant un dessin
ou modle (article L. 513-4 du Code) ou de fabrication dune invention brevete ou utilisation
dun procd brevet (article L. 613-3). Ces qualifications valent, de surcrot, que limpression
3D soit ralise lidentique ou avec des variantes, car le droit dauteur voit la contrefaon
apprcie selon les ressemblances et non selon les diffrences; le droit des dessins et
modles prend pour critre limpression visuelle densemble; quant au droit des brevets, il est
indiffrent lexistence de variantes dexcution, ds lors quaucun rsultat industriel nouveau
nest obtenu.

266Cass. com., 12 fv. 2008, PIBD, 2008, 872, III, 237.

Mais la difficult est que tous ces actes connaissent des exceptions qui sont susceptibles
de sappliquer limpression dobjets en 3D.
En droit dauteur, il sagira de lexception de copie prive, dont on a rappel ci-dessus
les conditions, ou encore de lexception de rencontre fortuite, laquelle semble cependant
difficilement applicable dans un univers numrique qui favorise la diffusion et donc la
connaissance des uvres.
En droit des dessins et modles, si lexception de rencontre fortuite nexiste pas. On trouve
en revanche deux exceptions susceptibles de sappliquer limpression dun objet: les
actes accomplis titre priv et non commercial, exception proche de la copie prive ceci prs
quelle ne requiert pas la licit de la source, ce qui en tend considrablement le champ, et
les reproductions des fins denseignement ou dillustration, exception qui peut notamment
trouver sappliquer dans le cadre dun Fab Lab.
En droit des brevets, de manire trs similaire, le Code de la proprit intellectuelle exclut
du champ de la contrefaon les actes accomplis dans un cadre priv et des fins non
commerciales, ainsi que les actes accomplis titre exprimental.
Quant au droit des marques, dont il na jusquici pas t question, il est galement susceptible
de sappliquer, notamment dans le cas o limpression 3D dun objet reproduirait ou
imiterait une forme protge par une marque tridimensionnelle. La qualification de
contrefaon suppose toutefois, en application de la jurisprudence de la Cour de justice
de lUnion europenne267, que lusage soit accompli dans la vie des affaires (ce qui exclut
toute impression strictement prive) et titre de marque, cest--dire pour dsigner des produits
ou services identiques ou similaires ceux dsigns par la marque (hormis le cas des marques
renommes). Cette dernire condition conduit sinterroger sur le changement de destination
dun objet: quid, par exemple, de limpression dune bouteille transforme en lampe?

Les vendeurs dobjets imprims en 3D


nen point douter, la vente non autorise dobjets protgs imprims en 3D est
contrefaisante, quel que soit le droit de proprit intellectuelle en cause. Selon les droits,
il sagira dune distribution duvres protges, dune offre et mise dans le commerce dobjets
incorporant un dessin ou modle (article L. 513-4 du Code de la proprit intellectuelle), dune
offre et mise dans le commerce dinventions brevetes (article L. 615-1 du Code) ou encore
dune offre la vente de marchandises prsentes sous une marque contrefaisante (article
L. 716-10). Prcisons, propos des brevets, que si la vente mane dune personne autre que
le fabricant de lobjet, la qualification de contrefaon suppose la connaissance du caractre
contrefaisant de lobjet.
Si le cas des contrefacteurs directs soulve relativement peu de difficults, celui des
contrefacteurs indirects est en revanche plus complexe.

267CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal, Rec., I-10273; Proprits intellectuelles 2003,
7, p. 200, obs. G. Bonet; D. 2003, p. 755, note P. de Cand; Revue trimestrielle de droit
commercial. 2003, p. 415, obs. M. Luby; RJDA 2003/3, p. 195, chron. J. Passa; Gaz. Pal.
14 mai 2003, 135, p. 6, obs. C. Vilmart.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 231

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

B. Les contrefacteurs indirects


Au titre des contrefacteurs indirects potentiels, on trouvera les diteurs de logiciels CAO et
Peer-to-Peer, les plateformes et sites de tlchargement de fichiers CAO, les auteurs de liens
hypertexte vers ces fichiers, les fabricants et vendeurs dimprimantes et scanners 3D et enfin les
fournisseurs de services dimpression en 3D. La responsabilit de chacun de ces acteurs pose
question.

Les diteurs de logiciels CAO et P2P


Sil est vident que les diteurs de ces logiciels ne sont pas des contrefacteurs directs, on peut
en revanche se poser la question de lapplication, leur encontre, de larticle L. 335-2-1 du
Code de la proprit intellectuelle, qui sanctionne la mise disposition dun logiciel
manifestement destin la contrefaon.
Concernant les logiciels CAO tels que SketchUp, la disposition ne devrait pas pouvoir tre
applique, la finalit premire de ces outils ntant pas la contrefaon.
En revanche, avec les logiciels peer-to-peer tels que BitTorrent, il est envisageable dappliquer
larticle L. 335-2-1 du Code, comme la fait la Cour de cassation propos du logiciel de
streaming RadioBlogClub dans un arrt du 25 septembre 2012268. La loi nimpose en effet
pas que les logiciels en cause soient exclusivement destins la contrefaon; ils peuvent
avoir dautres fonctions licites que le partage non autoris duvres. Notons, en outre, que
lutilisation dun logiciel de peer-to-peer des fins illicites peut donner lieu lapplication
de larticle L. 336-1 du Code de la proprit intellectuelle, selon lequel lorsquun logiciel est
principalement utilis pour la mise disposition illicite duvres ou dobjets protgs par un droit de
proprit littraire et artistique, le prsident du tribunal de grande instance, statuant en rfr, peut
ordonner sous astreinte toutes mesures ncessaires la protection de ce droit et conformes ltat
de lart.

Les plateformes et sites de tlchargement de fichiers CAO


La difficult rside ici dans la qualification juridique de ces acteurs intermdiaires tels que
Thingiverse ou TurboSquid, qui fournissent aux internautes des fichiers CAO tlcharger,
au regard de la Loi pour la confiance dans lconomie numrique (LCEN). Sont-ils diteurs ou
hbergeurs au sens de larticle 6 de ce texte? De leur qualification dpend un rgime
spcifique de responsabilit: droit commun pour les diteurs, responsabilit allge pour
les hbergeurs, qui ne seront responsables de la prsence de contenus contrefaisants qu
condition que cette prsence leur ait t notifie et quils naient pas agi promptement pour
rendre inaccessibles les contenus en cause.

268Cass. crim., 25 sept. 2012, RLDI 2012/88, 2935, obs. L. Costes; RLDI 2013/89, 2959, obs.
O. Pignatari; Proprits intellectuelles 2013, 46, p. 80, obs. A. Lucas.

Cest la Cour de justice de lUnion europenne qui, dans un arrt Google Adwords du
23 mars 2010269, a donn le critre permettant de qualifier un prestataire dhbergeur:
est hbergeur le prestataire qui na pas jou un rle actif de nature lui confier une
connaissance ou un contrle des donnes stockes. Ds lors, la qualification des plateformes
et sites de tlchargement dpendra du rle actif ou passif de chacun par rapport aux contenus
stocks. En pratique, il est videmment conseiller aux plateformes de se cantonner un rle
passif afin de bnficier du statut dhbergeur. Cest dailleurs ce statut que revendiquent la
plupart des acteurs intermdiaires de limpression 3D. Ce rgime de responsabilit allge sera
utilement complt par des clauses de garantie faisant peser sur les internautes la responsabilit
dventuels actes de contrefaon.
Ajoutons que sur le terrain du droit des brevets, les plateformes et sites de tlchargement
qui nont pas connaissance des contenus stocks ne pourront davantage se voir qualifis de
contrefacteurs par fourniture de moyens, dans la mesure o ils nauront pas connaissance du
caractre apte et destin la mise en uvre dinventions brevetes, au sens de larticle L. 613-4
du Code de la proprit intellectuelle, dj voqu.

Les auteurs de liens hypertexte vers des fichiers CAO


Rendu le 13 fvrier 2014270 par la Cour de justice de lUnion europenne, larrt Svensson
permet de faire le dpart entre les liens hypertextes licites et les liens illicites. Si, par principe, les
liens hypertexte ne constituent pas une communication un public nouveau au sens du droit
dauteur et chappent donc au monopole des titulaires de droits (du moins lorsquils redirigent
vers des contenus licites), les liens qui permettent de contourner des mesures de restriction
prises par le site o se trouve luvre protge sont en revanche illicites. Ds lors, sera
contrefacteur lauteur dun lien hypertexte permettant daccder un fichier CAO auquel laccs
est normalement restreint, par exemple si le fichier se trouve sur une plateforme qui rserve
laccs ses abonns.
Les liens hypertexte menant vers des contenus illicites sont, au contraire, contrefaisants.
Cela peut sappliquer aux internautes auteurs des liens comme aux moteurs de recherche
redirigeant leurs utilisateurs vers des contenus quils indexent. Cest ainsi que dans un
arrt du 12 juillet 2012271, la Cour de cassation a considr que la mise disposition de
liens menant vers des contenus illicites par le service Google Suggest constituait une
fourniture de moyens caractrisant la complicit de contrefaon de droit dauteur.

269CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08, C-237/08 et C-238/08 (3 arrts), Revue Lamy droit de
limmatriel, 2010/61, n 1919, note C. Castets-Renard; D. 2010, p. 885, obs.
C. Manara; D. 2010, p. 1971, obs. P. Trfigny-Goy; D. 2011, p. 911, obs. S.Durrande; Revue
trimestrielle du droit europen, 2010, p. 939, chron. E. Treppoz; P. Stoffel-Munck,
Communication commerce lectronique, 2010, comm. 88; C. Caron, Communication
commerce lectronique, 2010, comm. 70.
270CJUE, 13 fvr. 2014, Svensson, aff. C466/12, Revue Lamy droit de limmatriel, 2014/102,
n3371, obs. E. Derieux; Communication commerce lectronique, 2014, comm. 34,
C.Caron.
271Cass. Civ. 1re, 12 juill. 2012, Gaz. Pal. 25-26 juill. 2012, n208, p. 9, comm. C. Le Goffic;
Revue Lamy droit de limmatriel 2012/85, n2851, obs. L. Costes; D. 2012, p.2345, obs.
J. Larrieu; Revue Lamy droit de limmatriel 2012/87, n2905, comm. G.Gomis;
Proprits intellectuelles, n45, p. 413, obs. J.-M. Bruguire, 2012; Proprits
intellectuelles, n45, p.416, obs. A. Lucas, 2012; D. 2012, p. 2852, obs. P.Sirinelli.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 233

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

Les fabricants et vendeurs dimprimantes et scanners 3D


On peut aisment exclure les fabricants et vendeurs de matriels dimpression et de
scanners 3D dune ventuelle qualification de contrefacteurs indirects, et ce pour les deux
raisons suivantes:
Dune part, on ne peut considrer que ces acteurs sont complices des potentiels actes de
contrefaon ventuellement commis par les utilisateurs des matriels, car larticle 121-7 du Code
pnal exige, cette fin, une assistance apporte sciemment la commission du dlit. De plus,
la jurisprudence de la Cour de cassation272 exige une volont de participer linfraction, ce qui
nest videmment pas le cas.
Dautre part, on ne peut davantage considrer que les fabricants et vendeurs dimprimantes
et de scanners 3D sont contrefacteurs par fourniture de moyens au sens du droit des brevets,
dans la mesure o larticle L. 613-4 alina 2 du Code de la proprit intellectuelle prcise
expressment que la fourniture de moyens est exclue lorsque les moyens en question sont des
produits qui se trouvent couramment dans le commerce (except dans le cas o leur fourniture
saccompagne dincitations commettre des actes de contrefaon, ce qui nest videmment pas
le cas des distributeurs de matriels dimpression 3D).

Les fournisseurs de services dimpression en 3D


Cette dernire catgorie est plus problmatique. Elle regroupe les fournisseurs de services
dimpression 3D distance tels que Sculpteo ou Shapeways, et les officines dimpression 3D en
libre-service telles que Top Office ou certains magasins Auchan.
Concernant les prestataires de services dimpression 3D distance, on peut sans doute
transposer dans le domaine du droit dauteur, la jurisprudence Wizzgo273, par laquelle la cour
dappel de Paris a estim que la socit qui enregistrait des programmes tlviss pour le compte
dinternautes commettait des actes de contrefaon par reproduction et communication au
public duvres protges. De mme, en droit des dessins et modles comme en droit des
brevets, le prestataire qui imprime en 3D des objets protgs pour le compte de clients
accomplit bien les actes de fabrication prohibs par le Code de la proprit intellectuelle.
cet gard, la Cour de cassation a prcis trs clairement que la qualit de sous-traitant nest pas
exclusive de celle de fabricant274. En matire de droit des marques, le prestataire se livrera
galement un acte de contrefaon par reproduction, dans la vie des affaires. Il convient
donc nouveau de recommander ces prestataires dinsrer dans leurs conditions
gnrales et contrats des clauses de garantie leur permettant de se retourner contre les
clients en cas de contrefaon275.

272Cass. Crim., 9 nov. 1999, n98-87275.


273CA Paris, 14 dc. 2011, Revue Lamy Droit de LImmatriel 2012/78, n2592, obs. L. Costes.
274Cass. Com., 13 nov. 2013, n12-14803 et 12-15449.
275
Sur ces clauses, cf. Le Goffic C., Vivs-Albertini A., Limpression 3D et les droits de
proprit intellectuelle, Proprits Intellectuelles, 2014, 50, p. 24.

Concernant les officines dimpression 3D en libre-service, dans le domaine du droit


dauteur, on peut transposer la clbre jurisprudence Rannou-graphie276, dans laquelle
la Cour de cassation avait affirm que le copiste est celui qui, dtenant dans ses locaux le matriel
ncessaire la confection de photocopies, exploite ce matriel en le mettant la disposition de ses
clients. Lofficine sera donc considre, sur le terrain du droit dauteur, comme contrefacteur,
ds lors que les utilisateurs copieront en 3D des uvres protges.
En revanche, sur le terrain du droit des brevets, il sera difficile de considrer que les
officines sont des contrefacteurs. En effet, la fourniture des moyens de contrefaire ne sera
pas retenue, les moyens en cause tant des produits qui se trouvent couramment dans le
commerce (hormis le cas, peu probable, o les exploitants de lofficine inciteraient les clients
la contrefaon).
Les rles et les responsabilits respectifs des diffrents acteurs de la chane de limpression 3D
ayant t tablis, il convient denvisager, plus brivement, les remdes la contrefaon par cette
technologie.

II - Les remdes la contrefaon par limpression 3D


Deux pistes mritent ici dtre explores: la protection technique des fichiers 3D (A) et la
responsabilisation des intermdiaires techniques (B).

A. La protection technique des fichiers 3D


Comme les fichiers musicaux ou vido, les fichiers CAO peuvent faire lobjet de dispositifs
techniques de protection destins permettre aux titulaires de droits de proprit intellectuelle
den contrler la diffusion et la copie.
En matire de droit dauteur, ces mesures techniques de protection sont dfinies par larticle
L. 331-5 du Code de la proprit intellectuelle comme toute technologie, dispositif, composant
qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, empche ou limite les utilisations non autorises
par les titulaires dun droit dauteur ou dun droit voisin du droit dauteur dune uvre, autre quun
logiciel, dune interprtation, dun phonogramme, dun vidogramme ou dun programme. Dans
un arrt Nintendo277 en date du 23 janvier 2014, la Cour de justice de lUnion europenne a
prcis quau sens de la directive Droit dauteur et droits voisins dans la socit de linformation,
la notion de mesure technique efficace est susceptible de recouvrir des procds techniques
consistant quiper le support contenant luvre protge dun dispositif de reconnaissance
en vue de sa protection contre des actes non autoriss par le titulaire du droit dauteur, et den
quiper galement les appareils portables ou les consoles destins assurer laccs ces jeux et
leur utilisation. On peut ainsi imaginer que les fichiers CAO soient non seulement eux-mmes
assortis de dispositifs de protection, mais aussi que les imprimantes 3D, puissent vrifier
que les utilisateurs sont bien autoriss procder aux impressions.

276Cass. Civ. 1re, 7 mars 1984, JCP 1985, II, 21351, obs Plaisant R.; Revue trimestrielle de droit
commercial, 1984, p. 677, note Franon A.
277CJUE, 23 janv. 2014, Nintendo, aff. C-555/12, Revue Lamy droit de limmatriel 2014/101,
n3342, obs. L. Costes; Revue Lamy droit de limmatriel 2014/102, n3402, obs.
B. Galopin, et n3403, obs. A. Lefvre; CCE 2014, comm. 26, C. Caron.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 235

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

Toutefois, lutilisation de ces mesures techniques de protection dans le cadre de


limpression 3D soulve trois questions essentielles.
En premier lieu, leur efficacit est sujette discussion. Forts de lexprience du format .mp3
et des jeux vido, les observateurs prdisent le dveloppement de dispositifs de contournement
qui rendraient ces mesures de protection en grande partie inefficaces.
En deuxime lieu, la faisabilit mme de la protection des fichiers 3D par des techniques
de marquage, tatouage ou empreinte numrique telles que le fingerprinting ou le
watermarking suppose concrtement la constitution, par les titulaires de droits, leurs ayants
droit ou dventuelles socits de gestion collectives, de bases de donnes rpertoriant les
uvres et objets susceptibles dtre contrefaits par limpression 3D (voir, en ce sens, le rapport
Lescure). Ce chantier considrable devra tre entrepris par les acteurs de limpression 3D en vue
dune bonne rgulation de la gestion des droits.
En troisime lieu, il sera impratif de vrifier la compatibilit de toutes les mesures
techniques de protection avec les impratifs de concurrence et dinteroprabilit. Larticle
L. 331-5 du Code de la proprit intellectuelle prcise en effet que les mesures techniques
ne doivent pas avoir pour effet dempcher la mise en uvre effective de linteroprabilit.
Larticle L. 331-32 prvoit cette fin que tout diteur de logiciel, tout fabricant de systme
technique et tout exploitant de service peut, en cas de refus daccs aux informations essentielles
linteroprabilit, demander la Hadopi de garantir linteroprabilit des systmes et des services
existants, dans le respect des droits des parties, et dobtenir du titulaire des droits sur la mesure
technique les informations essentielles cette interoprabilit. Il restera donc voir comment la
Hadopi remplira ce rle, et quel sera lquilibre trouv entre une juste protection des uvres et
une saine concurrence entre les acteurs de limpression 3D.
ct du recours aux mesures techniques de protection, un autre type de remde, sans doute
prfrable, consiste en la responsabilisation des intermdiaires techniques de limpression 3D.

B. La responsabilisation des intermdiaires techniques de limpression 3D


Face lampleur de la menace pour les droits de proprit intellectuelle dans le cadre de
limpression 3D, un second remde consiste responsabiliser les intermdiaires techniques,
et en particulier les plateformes de stockage de fichiers 3D prts tre imprims. Des
initiatives ont dj vu le jour en ce sens, certains acteurs de limpression 3D tels que Sculpteo
cooprant dores et dj avec les ayants droit et socits de gestion collective, notamment la
socit des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP). Il sagirait de dvelopper
cette collaboration, en incitant galement les titulaires de droits de proprit industrielle
accepter les mesures techniques de protection proposes par les plateformes. On peut citer
cet gard un intressant arrt rendu le 21 juin 2013 par la cour dappel de Paris278, par lequel
les juges ont estim que pouvait leur tre imput la faute des titulaires de droits le refus de
souscrire la technologie Content ID propose par la plateforme YouTube, qui portait sur un
outil de reconnaissance de contenus partir dempreintes.

278CA Paris, 21 juin 2013, D. 2013, p. 2493, obs. J.Larrieu; Gaz. Pal. 31 oct. 2013, n304, p. 18,
note L. Marino; Revue Lamy droit de limmatriel 2013/95, n3166, obs. L. Costes;
Proprits intellectuelles. 2013, n49, p. 83, obs. J.-M. Bruguire.

Enfin, la responsabilisation des intermdiaires passe enfin par la possibilit pour les
tribunaux de prononcer des mesures dinjonction leur encontre en cas de contrefaon,
et ce indpendamment de leur qualification de contrefacteurs. Le Code de la proprit
intellectuelle offre en effet aux titulaires de droits la possibilit de demander aux juges de
prendre des mesures lencontre de tiers autres que les contrefacteurs (essentiellement les
hbergeurs et les moteurs de recherche) pour remdier aux actes de contrefaon. Ces rgles sont
particulirement intressantes dans les cas o les auteurs de la contrefaon sont difficilement
identifiables ou apprhendables, par exemple parce quils oprent depuis ltranger. En droit
dauteur, la loi du 12 juin 2009 a prcisment introduit dans le Code de la proprit
intellectuelle une procdure spcifique la contrefaon sur Internet. Cette procdure est
rgie par larticle L. 336-2, selon lequel en prsence dune atteinte un droit dauteur ou un
droit voisin occasionne par le contenu dun service de communication au public en ligne, le tribunal
de grande instance, statuant le cas chant en la forme des rfrs, peut ordonner la demande
des titulaires de droits sur les uvres et objets protgs, de leurs ayants droit, des socits de
perception et de rpartition des droits () ou des organismes de dfense professionnelle (), toutes
mesures propres prvenir ou faire cesser une telle atteinte un droit dauteur ou un droit voisin,
lencontre de toute personne susceptible de contribuer y remdier condition toutefois
que ces mesures soient strictement ncessaires la prservation des droits279 (on connat en
effet les positions de la Cour de justice de lUnion europenne280 et de la Cour europenne des
droits de lHomme281 quant au filtrage et au blocage des contenus). Cest ainsi que, dans un
arrt du 12 juillet 2012282, la Cour de cassation a reproch aux juges du fond de ne pas avoir
appliqu cette disposition au service Google Suggest, alors que les mesures sollicites par les
demandeurs (la suppression des termes "Torrent", "Megaupload" et "Rapidshare" des suggestions
proposes sur le moteur de recherche ainsi que celle des suggestions associant ces termes aux
noms dartistes et/ou aux titres dalbums ou de chansons, ndla) tendaient prvenir ou faire
cesser [les atteintes au droit dauteur] par la suppression de lassociation automatique des motscls avec les termes des requtes, de la part des socits Google qui pouvaient ainsi contribuer y
remdier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux. Plus encore, cette disposition
a t mise en uvre pour la premire fois en rfr par un jugement du tribunal de grande

279Cons. Const., dcision 2009-580 DC du 10 juin 2009, JCP G 2009, II, 101, note
J.-P. Feldman; Petites Affiches 2009, n125, p. 7, note F. Chaltiel; D. 2009, p. 1770, note
J.-M. Bruguire; D. 2010, p. 2045, obs.L. Marino; Revue trimestrielle de droit civil, 2009,
p. 754, obs. T. Revet; Revue trimestrielle de droit commercial, 2009, p. 730, note
F. Pollaud-Dulian; RSC, 2010, p. 415, obs. A. Cappello.
280CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10, Scarlet c./ SABAM, Communication commerce
lectronique, 2012, comm. 63, A. Debet; Communication commerce lectronique2012,
tude 3, A. Neri; Gaz. Pal. 2012, n46, p.20, obs. L. Marino; Revue Lamy droit de
limmatriel 2012/79, n. 2622, comm. C. Castets-Renard; Proprits intellectuelles
2012, n42, p. 47, obs. V.-L. Bnabou; D. 2012, p. 2347, obs. P. Trfigny; Proprits
intellectuelles 2012, n45, p.346, obs. V.-L. Bnabou; D. 2012, p. 2851, obs. P.Sirinelli;
et CJUE, 16 fv. 2012, aff. C-360/10, Netlog, Communication commerce lectronique,
2012, comm. 63, A. Debet; Revue Lamy droit de limmatriel, 2009/81, n2699, comm.
E. Derieux; Europe 2012, comm. 159, M. Meister; D. 2012, p. 2347, obs. P. Trfigny;
Proprits intellectuelles, 2012, 45, p. 346, obs. V.-L. Bnabou; D. 2012, p. 2851, obs.
P. Sirinelli.
281CEDH, 18 dc. 2012, Yildirim c./ Turquie, Revue Lamy droit de limmatriel 2013/92,
n3067, obs. L. Lalot; Communication commerce lectronique, 2013, comm. 77,
A. Debet; Communication commerce lectronique, 2013, tude 14, J.-P. Margunaud
282Cass. Civ. 1re, 12 juil. 2012, Gaz. Pal. 25-26 juil. 2012, n208, p.9, comm. C. Le Goffic;
Revue Lamy droit de limmatriel, 2012/85, n2851, obs. L. Costes; D. 2012, p. 2345,
obs. J. Larrieu; Revue Lamy droit de limmatriel, 2012/87, n2905, comm. G.Gomis;
Proprits intellectuelles, 2012, n45, p. 413, obs. J.-M. Bruguire; D. 2012, p. 2852, obs.
P. Sirinelli.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 237

4.2 Contrefaon dans le cadre de limpression 3D : responsabilits et remdes

instance de Paris en date du 28 novembre 2013283. Dans cette dcision trs remarque, longue
de 46 pages, le tribunal a ordonn aux fournisseurs daccs internet en France dempcher
laccs, partir du territoire franais, des sites de streaming illgal parmi lesquels Dpstream.tv
et Fifostream.tv, et a ordonn plusieurs moteurs de recherche dempcher sur leurs services
lapparition de toute rponse renvoyant vers ces sites.
La question se pose nanmoins, lorsque de telles mesures sont ordonnes, de savoir qui
doit supporter les cots du blocage. Sagit-il des ayants droit, comme la estim le tribunal
de grande instance de Paris dans la dcision prcite (ce qui a conduit un appel des ayants
droit sur ce point), ou bien des oprateurs et intermdiaires techniques? Dans les conclusions
quil a rendues dans laffaire UPC, lavocat gnral Cruz Villaln estimait que le cot pouvait
tre mis la charge des intermdiaires, hormis le cas o une mesure en particulier devait
savrer disproportionne eu gard sa complexit, son cot et sa dure. Dans pareil cas, il
conviendrait dapprcier si le fait de mettre ledit cot, en tout ou en partie, la charge du titulaire
des droits est une mesure susceptible de rtablir la proportionnalit284. La Cour de justice ne
sest malheureusement pas explicitement prononce sur ce point. Elle indique toutefois, dans
larrt UPC285, que les injonctions de blocage adresses aux fournisseurs daccs Internet
restreignent la libert dentreprise de ceux-ci puisquelles les obligent prendre des mesures
qui sont susceptibles de reprsenter un cot important, davoir un impact considrable sur
lorganisation de leurs activits ou de requrir des solutions techniques difficiles et complexes.
Pour autant, selon la Cour, de telles injonctions ne portent pas atteinte la substance
mme du droit la libert dentreprise des fournisseurs daccs internet, dans la mesure
o ces derniers doivent pouvoir choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux
adaptes aux ressources et aux capacits dont ils disposent et qui soient compatibles avec
les autres obligations et dfis auxquels ils doivent faire face dans lexercice de leur activit,
et dans la mesure o, pouvant sexonrer de leur responsabilit en prouvant quils ont pris
toutes les mesures raisonnables, ces intermdiaires ne sont pas tenus de faire des sacrifices
insupportables. Il semble donc bien que les frais affrents aux mesures de blocage puissent tre
mis la charge des intermdiaires techniques.

Conclusion
En conclusion, limpression 3D posera sans aucun doute dimportants dfis aux titulaires de
droits de proprit intellectuelle dans les annes venir. Il incombera tous les acteurs de
la chane, crateurs comme utilisateurs, intermdiaires comme consommateurs finaux, de
construire un difice respectueux des diffrents droits fondamentaux en jeu: droit de proprit,
libert dexpression, libert du commerce et dindustrie, et libert de la concurrence.
Avocats, juristes et magistrats apporteront sans nul doute leur pierre respective cet difice.

283TGI Paris, rf., 28 nov. 2013, Revue Lamy droit de limmatriel, 2013/99, n3294, obs.
L. Costes; Revue Lamy droit de limmatriel, 2014/101, n3307, comm. W.Duhen;
Proprits intellectuelles, 2014, n50, p. 91, obs. J.-M. Bruguire.
284Conclusions rendues le 26 nov. 2013, dans laff. C314/12.
285CJUE, 27 mars 2014, UPC, aff. C-314/12, D. 2014, p. 823, obs. P. Allaeys; RLDI 2014/103,
n3417, obs. L.Costes, pts. 48 53.

4.3
Mesures techniques de protection
et contrle des droits dans
lconomie numrique
par Frdric Bourguet et Cristina Bayona Philippine

Les auteurs
Frdric Bourguet est avocat au barreau de Paris depuis 1999. Il a cr en 2010 un cabinet de
niche ddi la proprit intellectuelle et aux nouvelles technologies. Auteur de nombreuses
publications, membre de diverses associations spcialises, formateur et confrencier, il
contribue activement la construction doctrinale et jurisprudentielle en la matire.
Cristina Bayona Philippine, avocate aux barreaux de Paris et de Colombie et charge
denseignement, collabore ses cts depuis 2010.

Synthse
Le droit de la proprit intellectuelle est confront aux technologies nouvelles de reproduction
numrique qui touchent dsormais la production industrielle traditionnelle. Limit par sa
territorialit et un temps normatif dcal, il na dautre solution que de sallier des solutions
techniques de traabilit, intgres aux uvres protges ou leurs supports, afin de contrler
les risques de contrefaon. Cela soulve nanmoins des questions essentielles de respect des
liberts individuelles et conomiques.

mots cls : loi traabilit | contrefaon |


mesures techniques de protection | numrique |
nouvelles technologies | impression 3D | droits dauteur |
copie prive
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 239

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

INTRODUCTION
Les bouleversements apports par lconomie numrique et la vitesse du changement que celleci impose dans la manire de penser la fabrication, la production, la commercialisation et la
consommation des biens et des services ont conduit les industriels imaginer diffremment la
protection de leurs crations et innovations.
Avec la gnralisation dInternet et des rseaux sociaux en ligne, accessibles tous et en tous
lieux, les pratiques de commercialisation et de diffusion des uvres ont t bouleverses.
De nouveaux marchs se sont ouverts, de nouveaux produits ont vu le jour et de nouvelles
mthodes de commercialisation rvolutionnent quotidiennement non seulement lconomie
traditionnelle mais galement lconomie numrique, toujours instable. La nouvelle terminologie
trs gnrationnelle de la dmatrialisation rvle la complexit du modle trouver, entre
commerce de limmatriel et communauts du tout gratuit.
Dans les annes 1990 et 2000, gnration Internet oblige, les secteurs de ldition musicale
et audiovisuelle ont vu apparatre toutes sortes de technologies de partage en ligne (non
autoris) duvres protges, directement dusager usager (tel le Peer-to-Peer), et donc
sans intermdiaire physique. La technologie numrique, vecteur du tout gratuit grce
des modles conomiques nouveaux, a permis de contourner les systmes existants de
protection des droits dauteur et de toucher un nombre croissant dutilisateurs, copistes
en puissance. Producteurs, diteurs, distributeurs et auteurs, dont lactivit est rmunre par
les droits dauteur, se sont alors retrouvs dans limpossibilit objective de grer et contrler la
circulation dmatrialise de ces uvres.
La contrefaon de droits dauteur, voire dautres droits de proprit intellectuelle (le
brevet, notamment), par le biais de la dmatrialisation, a ainsi pris une place toujours
plus grande et incontrlable dans le monde numrique. Le piratage286, mme de bonne
foi, sest institutionnalis.
Au-del de la contrefaon dans le march de laudiovisuel, dautres secteurs de lconomie
ont t frapps par le dveloppement acclr de nouvelles technologies numriques, qui ont
facilit la diffusion via Internet ou dautres modes de diffusion dmatrialise. Selon le Comit
national anti-contrefaon (CNAC)287, la contrefaon, notamment numrique, frappe
aujourdhui tous les secteurs dactivit et tous les types dentreprises, quelle que soit leur
taille. Sont particulirement touchs des secteurs conomiquement sensibles: mdicaments,
cosmtiques, produits phytosanitaires, pices automobiles, montures de lunettes, jouets,
produits multimdias et produits agroalimentaires288.

286  Les possibilits dchange ou daccs aux contenus offertes par Internet ont permis le
dveloppement de pratiques portant atteinte la proprit littraire et artistique, diverses
par les technologies quelles utilisent, et souvent regroupes sous le terme gnrique de
piratage; P. Lescure. Mission Acte II de lexception culturelle, contribution aux
politiques culturelles lre numrique, 2013, p. 30.
287
Le Comit national anti contrefaon a t cr en 1995. Il est intgr par les fdrations
industrielles et artistiques, les associations professionnelles, les entreprises et les
administrations concernes par le respect des droits de proprit intellectuelle.
www.contrefacon-danger.com
288
Selon le guide Mettre en uvre les solutions dauthentification des produits manufacturs,
labor par le ministre de lconomie et le Comit national anti-contrefaon.
www.entreprises.gouv.fr/files/files/guides/guide-pratique-authentification.pdf

Ltat a dabord ragi de manire trs classique, en lanant des campagnes de sensibilisation au
respect des droits dauteur et dnonant la copie pirate. Depuis quelques annes, le lgislateur
a adapt le cadre juridique existant, en prvoyant de nouvelles sanctions ou en durcissant celles
existantes, au niveau civil comme pnal, et en offrant de meilleurs moyens didentification
des rseaux de contrefaon. Bien que freines par linternationalisation du phnomne, des
poursuites ont t engages ou des sanctions prises contre les sites proposant de telles facilits
de partages non autoriss.
Malgr la baisse considrable du nombre des infractions et des sites pirates, dans de nombreux
pays, la solution exclusivement juridique restait insuffisante et ladoption de solutions techniques
prventives sest impose, provoquant des dbats sur leur licit.
Ainsi, en 1995, le Livre Vert sur le droit dauteur et les droits voisins dans la socit de
linformation289 insistait sur la ncessit dimaginer des systmes techniques didentification des
actes contrefaisants, plus spcifiquement des techniques de tatouage et dautomatisation de
la gestion des droits dauteur: Il parat ncessaire de mettre en place ces systmes et prvoir leur
acceptation au niveau international si lon veut que la socit de linformation ne se fasse au
dtriment des ayants droit.
Avec le trait OMPI adopt en 1996290 sest pose la question de la protection prventive
des uvres ds leur cration, et invitation tait ainsi faite aux lgislateurs communautaires
et nationaux de se pencher sur le sujet. Cest avec la directive europenne du 22 mai 2001
sur lharmonisation de certains aspects du droit dauteur et des droits voisins dans la socit de
linformation291 que ces mesures techniques ont fait, pour la premire fois, en Europe, lobjet
dun encadrement juridique spcifique. Selon la directive, si la protection de la proprit
intellectuelle ne ncessite aucun concept nouveau, les rgles actuelles en matire de droit dauteur
et des droits voisins devront tre adaptes et compltes pour tenir dment compte des ralits
conomiques telles que lapparition de nouvelles formes dexploitation.
Ce rgime juridique spcifique aux mesures techniques a t transpos dans le droit franais
par la loi n2006-961 du 1er aot 2006 et intgr au Code de la proprit intellectuelle (articles
L.331-5 et suivants). Il demeure toutefois encore assez mconnu des acteurs de lindustrie.
Les industriels ont pourtant eux aussi recours la technique comme moyen de protection
prventive, instaure en amont de la mise en circulation de leurs produits. Lintgration de
dispositifs techniques de traabilit ou de gestion des droits leur permet thoriquement
de pallier la dmatrialisation des contenus et la dmultiplication des flux, dauthentifier
lorigine des produits, et deffectuer un suivi et un contrle efficace de la chane de
fabrication et distribution en cas de besoin.

289
Livre Vert de la Commission europenne du 19 juillet 1995 sur le droit dauteur et les
droits voisins dans la socit de lInformation: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/
FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:51995DC0382&from=FR
290Trait OMPI du 20 dcembre 1996: www.wipo.int/treaties/fr/text.jsp?file_id=295168
291
Le texte complet de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 est disponible sur le site:
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32001L0029

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 241

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Au cours de la dernire dcennie, ces mesures techniques se sont amliores et diversifies,


en fonction des produits et des marchs. Les dispositifs permettent dsormais le traage et le
contrle du produit tout au long de son cycle de vie, de la production lachat du produit fini.
Ainsi, la Direction gnrale de la comptitivit de lindustrie et des services (DGCIS) invite les
industriels suivre le parcours de prvention292 :
Afin de lutter contre le risque de contrefaon, lensemble du cycle de vie dun produit doit
tre pris en considration selon les principes suivants:
marquer, pour pouvoir assurer une traabilit et tre en mesure de prouver lauthenticit ;
prvoir les points et les moyens dauthentification ;
dfinir les rles, informer, coordonner.
ce jour, ladoption des techniques de marquage permet dassurer un systme de traabilit
relativement fiable et dempcher ou de freiner les actes contrefaisants plus ou moins
reprables aux stades de la sous-traitance; dtournements au moment de la fabrication,
du conditionnement, du transport ou de la livraison; et mme fraudes sur les systmes
dauthentification.
Aujourdhui, en amont du secteur musical et audiovisuel dmatrialis et des services drivs, ce
sont les industries manufacturires traditionnelles qui sont elles-mmes touches avec larrive
de nouveaux systmes de fabrication qui bouleversent la gestion traditionnelle de la traabilit
des produits et le contrle des droits des crateurs industriels. Limpression tridimensionnelle
sinscrit dans ces volutions rcentes. Cette technique permet la fabrication automatise
simple dun objet par duplication fidle (do lide dimpression) et lutilisation dune
technique dite additive. Limprimante duplique, couche de matriau par couche de matriau
(gnralement un agglomr), un objet qui prend forme au fur et mesure de la solidification
desdites couches293. Les informations sur lobjet dupliquer sont initialement contenues dans
des fichiers numriques de conception par ordinateur (CAO). Ces fichiers peuvent parfois mme
tre tlchargs sur des sites294 conus pour favoriser leur partage et donc la duplication, par
tout un chacun, linstar des sites de partage de fichiers musicaux ou vidos, dj bien connus.
Les avantages de cette nouvelle technologie sont nombreux et incontestables. Elle offre la
possibilit de fabriquer et dupliquer toutes sortes de choses, de simples objets de dcoration et
petits gadgets, mais aussi pices dtaches davions, dispositifs mdicaux, armes, maisons, et
mme du produit vivant295. Et cette technologie entre progressivement chez le particulier ou
le petit commerant, comme lordinateur individuel dans les annes 80.
Comme toute technologie nouvelle en avance sur tout encadrement juridique,
limpression 3D peut cependant aisment tre dtourne et favoriser la copie massive
et non autorise, moindre cot, de toutes sortes de produits originaux. La cration de
rseaux de partage des fichiers CAO sur Internet, laccessibilit du matriel dimpression par le

292
DGCIS. Atelier des ples de comptitivit. La DGCIS et la lutte contre la contrefaon.
16 mars 2012. http://competitivite.gouv.fr/documents/commun/Documentation_poles/
Ateliers_poles/16-03-2012/atelier-poles-PI-16-03-2012-contrefacon.pdf
293
Sur les diffrents procds dimpression: M. Berchon, Limpression 3D, Paris: Eyrolles,
2013, p. 17-34.
294Parmi les sites les plus visits: Thingiverse, Sculpteo, Shapeways.
295Pour plus dillustrations sur les objets imprims grce la technique 3D:
www.3dnatives.com/news/

grand public et le perfectionnement trs rapide de cette technologie font craindre une
dmultiplication des reproductions non autorises des crations et inventions diverses protges
par un droit dauteur, une marque ou un brevet. Chacun de nous, avec un matriel de moins
en moins coteux et de plus en plus performant, peut facilement passer du statut de simple
copiste priv (la copie usage priv tant autorise par exception) celui de vritable usine
de fabrication miniature.
Pour ces nouvelles pratiques, les dispositifs techniques existants ne sont cependant plus
suffisants pour garantir aux titulaires de droits (de proprit intellectuelle) une protection
contre de nouveaux types de contrefaon, notamment lis la technologie 3D, peu
dtectables, oprables domicile, et facilits par des cots, un matriel et un besoin despace
trs limits. Lconomie de la contrefaon professionnelle et organise est susceptible dvoluer
vers une micro-conomie individuelle, sans structure complexe et donc moins reprable. Ce
phnomne dindividualisation nest dailleurs pas lapanage du secteur de la contrefaon, mais
touche dans son intgralit.
Do la ncessit dtudier des systmes spcifiques et nouveaux de gestion et de contrle de la
chane de production et de commercialisation, qui ressemble aujourdhui davantage un cercle
centrifuge qu une chane.
Toutefois, comme toujours, lusage de mesures techniques de protection prventive doit se
faire dans le respect de la lgalit et, plus prcisment, des grands principes garants des liberts
dans les dmocraties. La seule prvention de la contrefaon, monopole dexception une
concurrence librale, lgitime-t-elle de systmatiser et dtendre la traabilit des produits et
services en amont de leur commercialisation et en labsence de faits de contrefaon avrs, par
linsertion de mesures techniques de protection toujours plus larges? Ce traage ne risquet-il pas ainsi de porter une atteinte disproportionne certaines liberts: droit de copie
prive, interoprabilit, libre change, libert de concurrence loyale? Le principe mme de
lusage de ces techniques de traabilit fait donc logiquement dbat.
Lexercice des droits de proprit intellectuelle, monopole lgitime rcompensant
linvestissement des crateurs et inventeurs, nest toutefois quune exception la vision librale
actuelle des rgles de concurrence en Occident, et ne doit donc pas pour autant constituer
un frein aux liberts, certes non-absolues mais lgitimes, octroyes aux citoyens et au droit
de commercer: circulation, change, expression, droit loubli, etc. La traabilit systmatique
comme rponse aux risques de contrefaon en amont de toute mise sur le march ne saurait
remettre en cause cet quilibre fragile entre concurrence loyale, principes fondamentaux et
monopole intellectuel.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 243

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

I - PROTECTION ET GESTION DE LA TRACABILITE PAR LES MESURES TECHNIQUES


La directive communautaire du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects du droit
dauteur et des droits voisins dans la socit de linformation prcise dans son Considrant47:
Lvolution technologique permettra aux titulaires de droits de recourir des mesures techniques
destines empcher ou limiter les actes non autoriss par les titulaires dun droit auteur, de
droits voisins ou du droit sui generis sur une base de donnes. Le risque existe, toutefois, de voir
se dvelopper des activits illicites visant permettre le contournement de la protection technique
fournie par ces mesures ().
Cette considration a anticip la ralit actuelle. ce jour, il existe diverses mesures techniques
de protection destines assurer la traabilit des droits dans lconomie numrique (A). Mais
lvolution technologique profitant aussi aux contrefacteurs, ces mesures sont elles-mmes
objet de protection (B).

A. Les mesures techniques comme source de protection


Prsentation des dispositifs techniques de protection
Les dispositifs techniques sont apparus comme un moyen de pallier les carences du droit
dauteur dans la socit de linformation qui se dessinait alors, face lusage dtourn des
avances technologiques par les contrefacteurs eux-mmes. Ils sont eux-mmes lobjet
dvolutions et damliorations permanentes et comprennent des mesures techniques de
protection et des systmes de gestion numrique des droits.
Les mesures techniques de protection (MTP)
Le Code de la proprit intellectuelle intgre les mesures techniques de protection en son article
L. 331-5: Les mesures techniques efficaces destines empcher ou limiter les utilisations
non autorises par les titulaires dun droit dauteur ou dun droit voisin du droit dauteur
dune uvre, autre quun logiciel, dune interprtation, dun phonogramme, dun vidogramme
ou dun programme sont protges dans les conditions prvues au prsent titre. On entend
par mesure technique au sens du premier alina toute technologie, dispositif, composant qui, dans
le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prvue par cet alina. Ces mesures
techniques sont rputes efficaces lorsquune utilisation vise au mme alina est contrle par les
titulaires de droits grce lapplication dun code daccs, dun procd de protection tel que le
cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de lobjet de la protection ou dun mcanisme
de contrle de la copie qui atteint cet objectif de protection. Un protocole, un format, une mthode
de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure
technique au sens du prsent article. ()
Les MTP regroupent donc toutes les technologies, dispositifs ou composants destins
tracer, empcher ou limiter des utilisations non autorises par les titulaires des droits.

Elles sont souvent accompagnes par des mesures techniques dinformation 296 relatives
luvre originale concerne (auteur, titulaire, conditions dexploitation autorises, etc.).
Le Code reconnat deux fonctions aux MTP:
dune part, empcher toute personne non autorise daccder une uvre protge par
le droit dauteur;
dautre part, contrler lexploitation et lutilisation de luvre, quelle soit intgrale ou
partielle, et plus particulirement le droit de reproduction.
En particulier, larticle L. 331-7 dispose: les titulaires des droits, qui recourent aux mesures
techniques de protection dfinies larticle L. 331-5, peuvent leur assigner pour objectif de limiter
le nombre de copies (). Les dispositions de cet article peuvent, dans la mesure o la technique le
permet, subordonner le bnfice effectif de ces exceptions un accs licite une uvre () et veiller
ce quelles naient pas pour effet de porter atteinte son exploitation normale ni de causer un
prjudice injustifi aux intrts lgitimes du titulaire de droits sur luvre ou lobjet protg.
Retenons donc, au terme de cette lecture littrale, lquilibre dlicat prserver, au regard du
droit copie prive.
Le droit de copie prive est en ralit une exception au droit dauteur, le principe
demeurant donc lexigence dune autorisation de lauteur. ce titre, la copie prive est donc
dinterprtation stricte et ne peut donc constituer un obstacle de principe aux MTP, comme on
pourrait le penser. Linstauration de MTP qui porteraient atteinte ce droit dexception en posant
des limites techniques certaines reproductions nest donc pas illicite en soi. En revanche,
ces limitations ne doivent pas empcher un exercice normal du droit de copie prive par ses
bnficiaires, ce qui amne considrer que, pour tre garanti, ce droit ne doit pas lui-mme
faire lobjet dun usage abusif, au sens de cet article L.331-7.
Pour parvenir aux objectifs recherchs par le lgislateur, diverses mesures techniques ont
t adoptes.
Les premires mesures techniques apparatre incorporaient des systmes de marquage
par numro de srie ou tatouage numrique. Les techniques de marquage par numro de
srie, aujourdhui trs courantes, permettent un suivi de lobjet ds sa fabrication jusqu sa
rception par le consommateur final. Le tatouage numrique permet, quant lui, dincorporer
des informations luvre de faon imperceptible et permanente afin dassurer son
authentification ainsi que lidentification de son auteur, de sa source, voire de ses autorisations
dexploitation. Les tatouages les plus courants sont (1) le watermarking297, qui consiste
en linsertion dans luvre mme dun filigrane dinformations relatives celle-ci, et (2) le
fingerprinting, qui est une application enrichie du watermarking insrant notamment un

296
Larticle L.331-11 du Code dlimite le type dinformations concernes: On entend par
information sous forme lectronique toute information fournie par un titulaire de droits qui
permet didentifier une uvre, une interprtation, un phonogramme, un vidogramme,
un programme ou un titulaire de droit, toute information sur les conditions et modalits
dutilisation dune uvre, dune interprtation, dun phonogramme, dun vidogramme
ou dun programme, ainsi que tout numro ou code reprsentant tout ou partie de ces
informations.
297
Le watermarking doit tre suffisamment imperceptible pour ne pas dtriorer le
support, tout en permettant quil soit dcel mme aprs un traitement du support ou
une copie de luvre.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 245

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

numro identifiant lauteur, lutilisateur ou lappareil chaque accs ou reproduction de luvre,


et dont lempreinte varie chaque reproduction, permettant ainsi didentifier chaque tape et
maillon dune ventuelle chane de contrefaon.
Par la suite, des procds fonds sur des moyens de cryptographie ont t adopts afin
dassurer le brouillage des contenus diffuss en les rendant flous, illisibles ou inaudibles en cas
de reproduction, pour ceux qui chercheraient ne pas sacquitter du prix daccs ces contenus,
notamment en ligne.
Or, trs classiquement, au fur et mesure que ces MTP ont volu, les techniques de
contournement aussi.
Cela a conduit au dveloppement de nouvelles techniques aux objectifs plus larges, audel de la gestion des droits de proprit intellectuelle par leurs titulaires, et prtendant
assurer une protection accrue du consommateur par lintgration de dispositifs techniques
scuriss plus intrusifs destins, en cas de contrefaon, vrifier les responsabilits du fabricant
du produit dorigine et de la chane de commercialisation.
Ces dispositifs ont t catgoriss par le CNAC selon divers niveaux de protection :
les premiers dispositifs font partie du marquage classique et sont destins
lidentification du produit. Ils sont contrlables par nos cinq sens, tels les hologrammes
(le plus connu du grand public), les encres ou films variables298 et la numrotation
individuelle ;
d autres dispositifs, de niveau intermdiaire, doivent, pour tre utiliss des fins
dauthentification, tre ajouts au marquage classique et contiennent des lments
scuriss, contrlables laide dun outil extrieur. Cest le cas des marquages numriques,
des nanoparticules299 et de lidentification par radiofrquences300 (Radio Frequency
Identification ou RFID) ;
enfin, dautres dispositifs plus volus, contrlables exclusivement en laboratoire viennent
complter ce panel de protections possibles. Les marqueurs de ces dispositifs peuvent
tre ajouts au produit ou tre intrinsques son environnement dorigine. Ainsi, les plus
courants sont les marqueurs biologiques et les marqueurs ADN.
Cependant, lefficacit de ces dispositifs dpend fortement de la mise en place dun systme
efficace de gestion et de contrle de cette traabilit par les intresss. Dans la pratique, les
industriels cumulent les MTP en fonction des produits et des marchs. Associ une stratgie
de gestion rflchie, lemploi de MTP permet de lutter contre les modes volutifs de contrefaon,
mais peut aussi tre utile pour combattre les dtournements dun produit dorigine de son circuit
commercial normal vers les marchs gris ou parallles301.

298
Guide pratique CNAC, Pour mettre en uvre les solutions dauthentification des produits
manufacturs, d. 2010.
299
Ce sont des particules de petites tailles prsentant des particularits de rponse spectrale
quand elles sont soumises des rayonnements ad hoc, CNAC, op. cit., p. 15.
300
Selon la CNAC, op. cit., le RFID permet dembarquer des informations didentification dans
une tiquette lectronique (ou tag) lisible distance, appose sur le produit lui-mme ou son
contenant. La performance de la technologie rside dans la difficult de copie lidentique du
tag et des dinformations contenues.
301P. Lescure, op. cit.

Pour leur part, les titulaires des droits dauteur peuvent galement faire appel des
systmes de gestion numrique des droits.
Les Digital Rights Management Systems (DRMS)
Les DRMS (ou systmes de gestion numrique des droits) permettent de grer la distribution
des contenus numriques et ses flux financiers.
Ils reposent la fois sur la gestion dune base de donnes qui contient les informations
ncessaires pour identifier le contenu et les titulaires des droits sur une uvre en
circulation, et sur la gestion des autorisations (licences) qui organisent les modalits
dexploitation de luvre.
titre dillustration, on pourra citer le logiciel dachat de contenus iTunes dApple, qui gre
les droits des fichiers audio de format AAC (Audio Advanced Coding) grce une technologie
spcifique nomme FairPlay. Ainsi, un fichier reconnu de iTunes seul contient des DRM dfinissant
notamment le nombre de supports (ordinateur, CD, etc.) sur lesquels le fichier peut tre copi.
Il se peut que les DRMS nutilisent pas de mesures techniques de protection, mais
simplement des mesures dinformation. Cette gestion des droits de luvre en circulation
est donc ncessairement associe aux organisations de gestion collective de droits (dauteur,
principalement) qui organisent la circulation des uvres et leur rmunration. Une fois lauteur
identifi, le processus de rmunration en chane senclenche.
Les mesures techniques de protection face larrive de la technique 3D
Comme il a t prcis, les MTP ont suivi les volutions technologiques pour offrir un contrle
toujours plus efficace de lutilisation de luvre et limiter ainsi la circulation, dmatrialise ou
non, de copies non autorises.
Or, avec la dmocratisation des scanners 3D302 et des imprimantes 3D, au rapport
qualit-prix de plus en plus attractif, et la facilit daccs du public des laboratoires
de fabrication numrique 303, les perspectives de reproduction individuelle quasimanufacturire prennent une ampleur inespre et lon imagine volontiers combien il
sera difficile de contrler ces pratiques une telle chelle.
Cette nouvelle technique de fabrication fait peser de nouvelles menaces de perte dexploitation
et de gestion sur les titulaires des droits dauteur et les industriels. La violation industrielle de
droits de proprit intellectuelle, lchelle de lindividu, risque den tre accentue et met
en danger plusieurs secteurs sensibles de lconomie, et notamment lindustrie manufacturire,
jusque-l moins touche que lindustrie numrique.

302
Sur le fonctionnement dun scanner 3D: Imprimer en 3D avec la MAKERBOT , Paris:
Eyrolles, 2013, p. 163-214.
303
Le concept de laboratoires de fabrication, plus connus comme Fab Labs, est n
aux tats-Unis vers la fin des annes 1990. Il sagit despaces ddis la cration et
linnovation, avec un accs public des outils de fabrication numrique.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 247

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Au-del, prcisment, cest le consommateur mme, attir au premier abord par cette
perspective de libert technique, qui risque de souffrir des consquences, linstar des secteurs
musicaux et vidos, dont loffre sest malheureusement resserre et appauvrie du fait dune
rentabilit menace. titre dexemple, faute de pouvoir distinguer loriginal dune copie ou
vrifier correctement la chane de distribution, il sera bien plus ais quavant dtre tromp
ou de se tromper en achetant une pice dtache prsente comme dorigine, et en ralit
contrefaisante, fabrique moindre cot et sans respecter les contraintes et les normes de
production, ou tout simplement les caractristiques techniques invisibles de la pice originale.
Au-del mme de ces risques, cest tout le march de luvre concerne qui chappera ainsi
lauteur et aux exploitants, supposs tirer dun contrle minimal des reproductions, une
rentabilit leur investissement. Lindustriel pourrait alors mme se faire imputer la paternit
dquipements dfectueux ou en sur-fabrication et voir ainsi sa responsabilit engage, tandis
que le consommateur subirait potentiellement divers types de prjudices, matriels, financiers,
voire mme physiques.
Il semble donc indispensable dtablir un systme de gestion des droits permettant de
suivre le circuit 3D, partir tant des fichiers de conception 3D eux-mmes que des
matriels de scannage et dimpression. De fait, le contenant peut tre plus aisment marqu
et trac que le contenu dmatrialis.
Cela peut tre accompli par diverses mesures techniques de protection, de manire cumulative,
afin de garantir lefficacit de la traabilit et permettre aux titulaires de droits davoir le libre
contrle des conditions daccs leurs uvres, de leur exploitation, et den toucher les bnfices
lgitimes.
Pourquoi ne pas rflchir, par exemple, la cration dune socit de gestion collective des
uvres reproductibles par limpression 3D ou dautres technologies capables de dmatrialiser le
contenant mme, et non plus seulement le contenu, dans le secteur manufacturier notamment.
Cet organisme soccuperait de la cration dune base de donnes rpertoriant les uvres et les
objets concerns.
Dautres mesures techniques, telles que linsertion de systmes de contrle et dinteroprabilit
dans les scans et imprimantes mmes, afin dempcher limpression des fichiers non autoriss,
sont envisageables.

La normalisation des mesures techniques de protection


Le panel des mesures techniques thoriquement envisageables est sans limites et ne peut
tre aisment harmonis. chaque secteur, chaque produit, chaque mode de reproduction
ses MTP. Or, le risque dune explosion incontrle du march des MTP mettrait cependant en
danger lquilibre ncessaire avec le respect des liberts individuelles comme de concurrence, de
circulation ou dexpression. La contrefaon doit tre certes combattue, mais sans que les armes
prennent le dessus sur les liberts garanties aux consommateurs. Ce risque de dpassement
existe cependant, comme pour tout march naissant, et tout un chacun peut le vivre

quotidiennement dans nombre de bulles high-tech riches dun trop-plein doffres techniques
concurrentes, incompatibles et en ralit peu viables.
La normalisation, ainsi que le secteur des tlcoms (entre autres) le vit depuis dj longtemps,
en facilitant des interoprabilits et des volutions matrises, permet dencadrer les offres
technologiques autour de grands principes volutifs, en ne noyant pas le consommateur
sous un trop-plein de systmes techniques illisibles ou la fiabilit non prouve qui faussent
tout autant la concurrence et le libre usage que le monopole intellectuel.
Afin daider les entreprises apprhender leurs propres besoins en matire de traabilit et
dauthentification et rationnaliser le march, la commission de normalisation AFNOR 304
Performance des outils de protection contre la contrefaon a dit en dcembre 2012 la
norme NF ISSO 12931 sur les Critres de performance des solutions dauthentification contre la
contrefaon de biens matriels305.
Cette norme, destine aux entreprises de toutes tailles, prvoit des critres et une mthodologie
dvaluation de la performance des MTP utiliss pour tablir lauthenticit dun bien matriel
pendant son cycle de vie.
La norme permet lentreprise qui souhaite mettre en place une solution fiable de
protection contre la contrefaon de trouver le compromis idal entre son besoin de
protection, dune part, et les possibilits techniques offertes par le march, dautre part.
Elle lui permet ainsi dvaluer la pertinence des solutions proposes.
Toutefois, limportance grandissante des mesures techniques de protection dans lconomie
numrique na pas seulement conduit une premire vague de normalisation, mais a galement
amen le lgislateur imaginer un cadre de protection lgale de ces MTP mmes, afin de
prvenir et sanctionner les abus, et notamment leur contournement.

B. Les mesures techniques comme objet de protection


La Directive europenne n2001/29/CE du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit dauteur et des droits voisins dans la socit de linformation aujourdhui transpose en
droit franais, prvoyait dj un rgime spcifique de protection des mesures techniques. Ce
rgime encadre la protection des mesures en tant que moyens de traabilit, sous la condition
que leur efficacit soit tablie et que latteinte qui leur est porte le soit directement ou par la
mise disposition des moyens pour faciliter leur contournement.

Le critre de lefficacit des mesures techniques de protection


Nous lavons soulign, larticle L.331-5 du CPI alina 1 du Code de la proprit intellectuelle
dfinit les mesures techniques de protection comme tant les mesures techniques efficaces
destines empcher ou limiter les utilisations non autorises par les titulaires (..).

304Plus dinformation sur lAssociation franaise de normalisation sur le site:


www. afnor.org.
305Norme NF ISO 12931 2012. Disponible sur le site: www.iso.org/iso/fr/catalogue_
detail?csnumber=52210

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 249

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Lalina 2 du mme article prcise que: ces mesures techniques sont rputes efficaces
lorsquune utilisation vise au mme alina est contrle par les titulaires des droits grce
lapplication dun code daccs, dun procd de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute
autre transformation de lobjet de la protection ou dun mcanisme de contrle de la copie qui atteint
cet objectif de protection.
Ds lors, logiquement, lalina 3 nonce que un protocole, un format, une mthode de cryptage,
de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens
du prsent article.
Les considrants de la directive 2001/29/CE suggrent que ce critre defficacit, exig pour
que les mesures techniques soient reconnues par notre droit comme licites et protectrices, fait
davantage rfrence lutilisation adquate de celles-ci par les titulaires de droits qu un
quelconque niveau de protection quantifiable de ces mesures.
En effet, lautorisation lgale de lusage de MTP de traabilit a dabord pour objectif de protger
les droits dauteur sur luvre et non doffrir au titulaire des droits un systme de verrouillage
potentiellement absolu, lusage incontrl.
Pour tre reconnue efficace, la mesure technique doit accomplir sa fonction telle que prvue
dans le cadre normal de sa mise en place. Elle nassurera ainsi un rle de protection qu
condition que le titulaire de droits, en linstallant, ait bien entendu protg ses droits et exerc
un contrle lgitime. Autant de qualificatifs qui appellent la mesure.
Aussi, pour tre licite, la mesure technique doit tre clairement et exclusivement destine
assurer la protection dune uvre protge par un droit de proprit. La licit des
mcanismes techniques est donc lie lexistence dun droit protgeable.
titre dillustration, dans un arrt Nintendo306 du 23 janvier 2014 mettant en cause la
prsence de mesures techniques de contrle et de limitation sur les consoles de jeu, la Cour
de justice de lUnion europenne a prcis la notion de mesure technique efficace au sens de
la directive 2001/29/CE. Selon la Cour, cette notion est susceptible de recouvrir des mesures
techniques consistant quiper dun dispositif de reconnaissance non seulement le support
contenant luvre protge (un CD, par exemple) en vue de sa protection contre des actes non
autoriss par le titulaire du droit dauteur, mais galement les appareils ou consoles utilisant ces
supports et indispensables pour laccs ces jeux et leur utilisation.
Les informations de traabilit intgres luvre
Au-del des dispositifs de protection strictement techniques, les informations intgres une
uvre, relatives notamment lauteur, au contenu et aux modes autoriss de diffusion de
luvre en question, font elles-mmes lobjet dune protection lgale.
Larticle L.331-11 protge ainsi en ces termes les informations intgres luvre pour faciliter
sa traabilit: Les informations sous forme lectronique concernant le rgime des droits affrents
une uvre (), sont protges dans les conditions prvues au prsent titre, lorsque lun des lments

306CJUE, 23 janv. 2014, C-555/12.

dinformation, numros ou codes est joint la reproduction ou apparat en relation avec la


communication au public de luvre () quil concerne.

Les atteintes aux mesures techniques de protection


Le lgislateur a en partie anticip lexplosion du march des dispositifs permettant de contourner
les MTP.
Larticle L.335-3 du CPI, sanctionne tant les atteintes directement lies au contournement des
MTP, que celles rendues possibles indirectement par la mise disposition de moyens visant ce
contournement.
Dune part, est passible dune amende de 3750euros le fait de porter sciemment atteinte
une mesure technique efficace, afin daltrer la protection dune uvre au moyen dun
dcodage, dun dcryptage ou de toute autre intervention directe destine contourner,
neutraliser ou supprimer un tel mcanisme de protection ou de contrle.
Dautre part, est galement sanctionn (six mois demprisonnement et de 30000euros
damende maximum) le fait de procurer ou proposer des moyens conus ou
spcialement adapts pour porter atteinte une mesure technique efficace. Il sagit
principalement: (1) de la fabrication ou importation dune application technologique, dun
dispositif ou dun composant,; (2) de sa dtention en vue de vente, prt ou location; (3) de la
fourniture dun service cette fin; et (4) de lincitation lusage.
On sarrtera utilement sur un arrt de la cour dappel de Paris du 26septembre 2011307, relatif
cette question de mise disposition de moyens. Dans cette espce, plusieurs socits ont t
condamnes pour avoir mis sur le march (par importation et commercialisation), sur le territoire
national et titre onreux, des moyens conus spcialement pour contourner des mesures
techniques de protection mises en place par le groupe Nintendo sur leurs consoles Nintendo DS
et destines prvenir la copie non autorise des jeux Nintendo.
Il sagissait ici de dispositifs appels linkers qui se prsentaient sous la forme dune carte, au
format et la connectique identiques ceux des cartes de jeux authentiques Nintendo DS, et
qui permettaient dy enregistrer des jeux vido contrefaits disponibles sur Internet. En pratique,
une fois insr dans la console, le linker est peru par la console comme une carte de jeu
authentique. Sans ce dispositif intermdiaire, les jeux contrefaits, disponibles uniquement sous
une forme dmatrialise sur Internet, ne seraient daucune utilit.
Ces mesures techniques sont donc protgeables en tant que telles par le droit commun,
indpendamment des droits de proprit intellectuelle quelles visent protger, et par exemple
par la voie dactions en responsabilit, en concurrence dloyale ou parasitaire, et par la voie
pnale sanctionnant la violation.

307CA Paris, ple 5, ch.12, 26 sept. 2011, Revue Lamy droit de limmatriel, 2011/76, n2507.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 251

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Objet et source de protection, tournes vers les titulaires de droits, les MTP soulvent nanmoins
des questions, sagissant des limites de leur utilisation, ds lors quelles saffranchissent parfois
des limites et exceptions grevant les droits de proprit intellectuelle et les rgles dune
concurrence quilibre.

II - MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION: UN QUILIBRE DLICAT


ENTRE LUTTE CONTRE LA CONTREFAON ET RESPECT DES LIBERTS
Le Rapport Lescure, paru fin 2013, dnonait les atteintes lutilisation des biens numriques,
lies linsertion croissante et systmatique de MTP, dans des domaines o les droits
de proprit intellectuelle ne trouvent pas ou plus sappliquer, et qui aboutissent des
rappropriations de biens libres dusage, tombs dans le domaine public ou supposs faire
lobjet dune concurrence libre308.
En effet, depuis linsertion de ces MTP dans le systme franais de droit dauteur, une ventuelle
disproportion entre ladoption des mesures techniques de protection et lexercice des certains
droits, comme la copie prive et la libert de la concurrence loyale, fait dbat.

A. MTP et proprit intellectuelle: entre dfense et blocage des droits


Lintgration des mesures techniques, rponse indispensable aux
limites de la protection politique et juridique de la contrefaon
Lide, quavant tout fait de contrefaon identifi, les titulaires de droits puissent dcider
relativement librement de prendre des mesures techniques de protection de manire unilatrale,
potentiellement attentatoires certaines liberts et principes, demande rflexion et appelle
plusieurs observations, aujourdhui comme demain.
Depuis plusieurs annes, ltat, agissant en tant que puissance publique responsable dun
quilibre conomique non fauss, a dvelopp les politiques de lutte contre la contrefaon,
phnomne dont les effets destructeurs sur notre conomie ont t depuis longtemps reconnus.
De manire administrative et politique, le CNAC rpond en partie cette volont, malgr une
orientation trop prononce vers le droit douanier et la dfense des marques, au dtriment de la
contrefaon de brevets, qui a pourtant un impact conomique bien suprieur celle des autres
titres de proprit intellectuelle.
Les moyens de rpression existent donc et se sont amliors depuis dix ans.
Aprs une longue priode de maturation, la Directive 2004/48 du 29 avril 2004, relative au
respect des droits de proprit intellectuelle, a repris parfois littralement les dispositions
vellitaires des accords ADPIC309, dans le but de dvelopper et dharmoniser les mesures,
procdures et sanctions disposition des titulaires et utilisateurs, ncessaires pour assurer le
respect des droits de proprit intellectuelle.

308P. Lescure, op. cit.


309Pour plus dinformation sur laccord ADPIC (Aspects de proprit intellectuelle qui touchent
le commerce), voir le site: www.wto.org/french/docs_f/legal_f/27-trips_01_f.htm

Elle a t transpose de manire relativement fidle dans le droit franais par la loi n2007-1544
du 29 octobre 2007.
Ces dispositions, associes des rformes internes de lorganisation judiciaire (souvent plus
culturelles que matrielles, ce qui est aussi apprciable), offrent de nouveaux moyens aux
titulaires de droits pour remonter et sanctionner les rseaux de contrefaon, mais galement
obtenir une rparation plus raliste de leur prjudice: saisies-contrefaon tendues, droit
linformation, rfrs facilits, bases de calcul du prjudice largies, etc.
Les juridictions spcialises ont su, depuis cette transposition, faire une application large de ces
dispositions nouvelles, sans pour autant rformer inutilement certaines pratiques ayant fait leurs
preuves. Les praticiens franais et europens se satisfont aujourdhui de la mise en uvre de
nouvelles mesures ainsi dictes ou renforces, mais il nentre pas dans notre propos danalyser
ici le dtail de ces actes.
En revanche, dans les secteurs des nouvelles technologies, dont la dmatrialisation est
une caractristique majeure, il est extrmement difficile, voire impossible, de contrler la
contrefaon et surtout de rassembler a posteriori les preuves ncessaires, pour diverses
raisons objectives: dmatrialisation des contenus, voire des contenants, dmultiplication des
sources de diffusion des contrefaons (Internet, fichiers numriques, etc.), circuits illimits de
commercialisation et, l nest pas le moindre des problmes, acceptation gnrationnelle du
phnomne, tout le moins tant que les intresss ne sont pas eux-mmes entrs dans la ralit
dun circuit conomique exigeant financements et rentabilit.
Ds lors, la technique connaissant beaucoup moins de frontires que le droit, limit pour encore
longtemps des tentatives tardives dharmonisation, la rponse ne pouvait tre uniquement
juridique ou limite un cadre territorial.
Linsertion de mesures techniques prventives est donc une ncessit dans lindustrie
du XXIe sicle. Les secteurs de lindustrie musicale et cinmatographique, de limpression 3D
ou encore des objets connects, qui connaissent une croissance exponentielle et fonctionnent
souvent sans presque aucun contenu matrialis, sont rvlateurs de la ncessit de pouvoir
tracer tant les contenus que les contenants (supports, pices dtaches, matriels de
reproduction, etc.).
Certains pourront cependant comparer lessor du march de ces MTP celui des moyens de
surveillance vido qui explose dans nos villes, au dtriment de nos liberts fondamentales daller
et venir mais sous la justification de ncessits scuritaires. Dautres y verront une importance
disproportionne et injustifie donne aux droits de proprit intellectuelle, au dtriment du
droit de la concurrence.
Or, tout nest jamais aussi tranch que certains esprits un peu trop radicaux laffirment.
Cependant, il est vrai quen tentant de freiner la facilit des actes de contrefaon numrique, les
MTP bloquent aussi certaines liberts de reproduction pourtant accordes, titre dexception,
aux utilisateurs, telle lexception de copie prive.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 253

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Lexception de copie prive menace par les MTP?


Si les mesures techniques de protection permettent de contrler lutilisation des uvres circulant
sur les rseaux, dans le souci de garantir les droits des auteurs, leur utilisation gnralise ne
risque-t-elle pas de porter prjudice lexercice des droits des utilisateurs?
La loi prvoit ainsi une srie dexceptions au droit dauteur qui permettent aux utilisateurs
duvres protges denfreindre lgalement le droit de lauteur, sous certaines conditions
limitatives. Parmi ces exceptions, la copie prive310 autorise un utilisateur reproduire une
uvre originale, condition que cette reproduction ne soit exploite, par le copiste, que dans
le cadre restreint du cercle de famille ou damis. En matire logicielle, lquivalent de cette
exception est mme limit une seule copie.
Or, typiquement, la mise en place de MTP sur les uvres protges ou leur support
permet certes dassurer une traabilit desdites uvres, mais permet galement de
limiter, voire interdire leur reproduction. Lexemple des limitations techniques insres dans
les CD, empchant leur duplication mme titre priv, est particulirement connu.
Larticle L. 331-7 du CPI, transposant larticle 6-4 de la directive 2001/29, prcise que les
mesures techniques de protection ne doivent pas priver les bnficiaires des exceptions prvues
par les textes (dont la copie prive), de leur exercice effectif. En particulier, larticle L.331-5
prcise: les mesures techniques ne peuvent sopposer au libre usage de luvre ou de lobjet
protg dans les limites des droits prvus par le prsent code, ainsi que de ceux accords par les
dtenteurs des droits.
On notera toutefois que les exceptions lgales ne sappliquent quaux supports physiques et
aux modes de diffusion linaires (de type radio, tlvision, etc.), et non aux services en ligne
(de type vido la demande), ce qui pousse les observateurs rclamer dj une extension
de ces exceptions ces nouveaux modes de consommation, condition de trouver le moyen
acceptable de contrler ces diffusions dmatrialises.
Le respect de cet quilibre entre MTP et efficacit des exceptions est contrl par lHadopi
(article L. 331-31 du CPI), en fonction des moyens limits octroys et dune ralit du terrain
plus nuance.
Lexception de copie prive ne connat donc pas, en principe, de limites lgales.
La Cour de cassation, dans un arrt Mulholland Drive311, a toutefois t amene
examiner la licit des mesures techniques de protection prvues par la directive
2001/29, dans ce contexte. La Cour, pragmatique, a pos des limites cette exception,
en considrant que la licit dune atteinte lexploitation normale de luvre (et donc aux
exceptions) devait sapprcier au regard des risques inhrents au nouvel environnement
numrique.

310Articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la proprit intellectuelle.


311Cass. 1re civ., 28 fvrier 2006, n05-15.824, 05-16.002: www.courdecassation.fr/
jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/05_16.002_8777.html

En lespce, le producteur, lditeur et le distributeur du DVD du film Mulholland Drive de David


Lynch avaient appos des MTP sur le DVD. Un particulier avait achet le DVD et souhait en faire
une copie sur une cassette vido VHS pour un usage priv, mais stait heurt aux mesures
techniques rendant la copie impossible. Invoquant le droit de copie prive et agissant au nom
de lintrt collectif des consommateurs, il demandait en justice linterdiction de ces mesures
techniques et linterdiction de la commercialisation dun DVD jug surprotg.
La cour dappel, infirmant un jugement de premire instance, avait condamn le producteur,
lditeur et le distributeur du DVD et interdit lutilisation des mesures techniques, considrant
que celles-ci taient incompatibles avec lexception de copie prive.
La Cour de cassation avait cass et annul larrt de la cour dappel, sur ces motifs: Attendu,
que lexception de copie prive (), ne peut faire obstacle linsertion dans les supports sur
lesquels est reproduite une uvre protge, de mesures techniques de protection destines
en empcher la copie, lorsque celleci aurait pour effet de porter atteinte lexploitation normale
de luvre, laquelle doit sapprcier en tenant compte de lincidence conomique quune telle
copie peut avoir dans le contexte de lenvironnement juridique.
En lespce, la Cour a considr quil tait essentiel dassurer aux titulaires de droit une
exploitation pleine et entire de leur uvre, sous forme de DVD, afin de permettre
lamortissement des cots de production cinmatographique. Ce souci conomique est ici
apprci au regard dun environnement numrique particulirement sujet aux risques de
reproduction non autorise, et justifie latteinte ainsi porte lexception de copie prive,
considr dans ce cadre comme la source dabus de reproduction au-del du cercle priv.
La cour dappel de renvoi, suivant la Haute Cour dans un arrt du 4 avril 2007, avait prcis que la
copie prive dune uvre ntait pas un droit mais bien une exception, donc dinterprtation
limitative. Ainsi tait affirme la ncessit de contrler le strict respect du cadre priv de la
reproduction et la possibilit, en cas de contrle impossible ou illusoire dans un cadre numrique
dmatrialis, dinstaller des MTP portant atteinte au droit de copie prive.
nouveau saisie par ce mme utilisateur, la Cour de cassation, dans un arrt du 19 juin 2008312,
a encore jug que la facult de raliser une copie prive dun DVD ne constituait pas en soi
une caractristique essentielle du contrat de vente. Cette allgation du demandeur tendait
faire attribuer cette exception un caractre trs absolu. La suppression de cette facult par
linsertion de MTP ntait donc pas un motif recevable pour invoquer lannulation de la vente.
Cette jurisprudence marque la conscration des mesures techniques au dtriment
de labsolutisme de lexception de copie prive, au regard de lincidence conomique
nouvelle que cette exception peut avoir sur les titulaires de droits.
Comment, dsormais, concilier ces impratifs apparemment contraires?
Une premire solution est suggre par larticle L.331-7 du CPI qui dispose: Les titulaires de
droits qui recourent aux mesures techniques de protection (). Ils sefforcent de dfinir ces mesures
en concertation avec les associations agres de consommateurs et les autres parties intresses.

312Cass. 1re civ., 19 juin 2008, n05-15.824, 05-16.002

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 255

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Parmi ces tiers intresss, on peut limaginer: Hadopi. En cas dchec de ces concertations,
lHadopi, autorit administrative ddie au contrle de la diffusion des uvres et la protection
des droits sur Internet313, peut tre saisie par toute personne bnficiaire de lexception de
copie prive, ou toute personne morale agre reprsentant les bnficiaires de lexception, de
tout litige concernant des mesures techniques supposes entraver lexercice effectif de ladite
exception314.
LHadopi doit alors favoriser la conciliation, ainsi que le prvoit larticle L.331-35 du CPI. En cas
dchec, elle peut enjoindre aux titulaires de droits de mettre fin des mesures techniques de
protection non conformes cet article.
Les prcisions apportes par la Cour de justice de lUnion europenne dans larrt Nintendo
et les autres arrts susviss pourront servir de guide au juge national charg dapprcier la
pertinence et ladquation de telle ou telle mesure tel ou tel secteur, et notamment si dautres
mesures, moins contraignantes pourraient causer moins dinterfrences avec les activits des
tiers ou de limitations de ces activits, tout en apportant une protection comparable pour les droits
du titulaire. Selon la Cour de justice, il est pertinent de tenir compte, notamment, des cots
relatifs aux diffrents types de mesures techniques, des aspects techniques et pratiques de leur mise
en uvre ainsi que de la comparaison de lefficacit de ces diffrents types de mesures techniques
en ce qui concerne la protection des droits du titulaire, cette efficacit ne devant pas, toutefois,
tre absolue. La juridiction nationale peut galement examiner la frquence avec laquelle ces
dispositifs, produits ou composants sont effectivement utiliss en mconnaissance du droit dauteur
ainsi que la frquence avec laquelle ils sont utiliss des fins qui ne violent pas ledit droit.
La rationalisation et lquilibre des MTP dans le secteur des impressions 3D
Avec la dmocratisation et la dmatrialisation de nouvelles technologies, telle limpression 3D,
qui appellent la mise en place de mesures techniques de contrle prventives, lquilibre entre
les droits des titulaires (droit dauteur, droits de brevet, etc.) sur leur cration, et le droit la
copie prive des utilisateurs, risque dtre perturb une chelle plus grande encore que ce que
le secteur de lindustrie musicale et vido a laiss apparatre pour linstant.
Ce ne sont plus seulement les contenus dmatrialiss, mais bien les matires et produits
physiques eux-mmes qui seront bientt reproductibles lchelle individuelle, linfini,
qualit gale et cots comptitifs. Ce sont donc lconomie et lindustrie traditionnelles qui
sont aujourdhui confrontes ce phnomne.
dfaut de pouvoir srieusement prtendre assurer la traabilit de ces produits, matires
ou contenus circulant de manire invisible, les industriels et manufacturiers se penchent
logiquement vers la traabilit du contenant, du support et/ou des diffrents appareils de
reproduction.
Il parat donc opportun de sinterroger sur la pertinence dadopter un systme de gestion
de droits (Digital Right Management) propre aux scanners et imprimantes 3D, offrant la

313
La mission de lHadopi est dfinie larticle L. 331-13 du Code de la proprit intellectuelle.
314Pour plus dinformation sur comment saisir lHadopi : www.hadopi.fr/en/node/714

possibilit de contrler la reproduction dobjets tridimensionnels protgs au titre du


droit dauteur315.
Ce systme permettrait notamment de crer un registre des uvres tridimensionnelles, qui
sinscrirait comme une formalit obligatoire ou automatique dans le circuit de limpression 3D.
Dans ce registre, le titulaire de droits sur luvre pourrait, outre sassurer une surveillance de la
chane de production, dterminer un montant maximal des copies imprimables.

B. Mesures techniques et respect du droit de la concurrence


Un quilibre prcaire entre utilit des MTP et primaut
des rgles de concurrence
Depuis lavnement du numrique, des problmes de compatibilit ou dinteroprabilit de
fichiers, de logiciels et de matriels apparaissent sans cesse. titre dillustration, revenons
lexemple du systme iTunes Music Store dApple. Les utilisateurs de ce service ne peuvent
couter leurs morceaux quasiment que sur des matriels numriques Apple.
Ainsi, ds lors que des uvres peuvent tre verrouilles par ce type de mesures techniques,
mme sil ne sagit que de mesures de traabilit et non de blocage, la question se pose de
la possibilit de les diffuser sur les divers supports de lecture du march. Le risque est donc
lapparition de problmes de cloisonnement ou dincompatibilits.
Ds lors, larticle L.331-5 du CPI dispose: Les mesures techniques ne doivent pas empcher
la mise en uvre effective de linteroprabilit, dans le respect du droit dauteur. Les fournisseurs
de mesures techniques donnent laccs aux informations essentielles linteroprabilit dans les
conditions dfinies au 1 de larticle L.331-31 et larticle L331-32.
La solution nest bien videmment pas de demander aux industriels de renoncer au
dveloppement et lusage de procds techniques, qui sont eux-mmes un march. Il serait
en revanche plus lgitime et protecteur dexiger de leur part avec un degr defficacit dans
lexigence, qui nexiste pas ce jour laccs certains de ces supports techniques.
Dans cette perspective, encore faudra-t-il examiner dans quelle mesure cette exigence peut
tre effective sans pour autant porter atteinte certains secrets ou informations confidentielles
desdits industriels, producteurs ou utilisateurs de MTP.
La concurrence peut galement tre fausse en raison du cot des technologies de
marquage. cet gard, les PME nont pas le mme accs ces dispositifs que les grands
groupes industriels, qui matrisent ainsi ce march et sassurent ainsi une protection, et donc
une rentabilit accrues.
Prenons lexemple particulirement illustratif de linteroprabilit, impratif technologique lgal
largement handicap par lessor des MTP.

315
G. Courtois, LImpression 3D: chronique dune rvolution juridique annonce,
Revue Lamy Droit de lImmatriel, 2013, 99, Dcembre 2013, p. 78.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 257

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

Interoprabilit des systmes grevs de MTP


La protection des uvres par limplmentation de mesures techniques de protection peut avoir
pour effet indirect de limiter leur interoprabilit, en particulier dans le cas des systmes et
solutions logicielles.
ce jour, le lgislateur na pas donn de dfinition lgale prcise de linteroprabilit. Cependant,
le 12e considrant de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991 concernant la
protection juridique des programmes dordinateur 316, apportait une premire approche de
linteroprabilit des programmes dordinateur, en affirmant que cette interconnexion
et interaction fonctionnelle {entre les lments des logiciels et des matriels, ndla} sont
communment appeles interoprabilit; que cette interoprabilit peut tre dfinie comme
tant la capacit dchanger des informations et dutiliser mutuellement les informations
changes.
Ainsi, linteroprabilit peut tre dfinie comme la capacit quont deux lments
dentrer en contact grce des fonctionnalits diffrentes mais compatibles, dchanger
des informations et de permettre un fonctionnement dtermin, en fonction de ces
informations changes317.
Larticle L.331--5 du CPI dispose: Les mesures techniques ne doivent pas empcher la mise en
uvre effective de linteroprabilit, dans le respect du droit dauteur. Les fournisseurs de mesures
techniques donnent laccs aux informations essentielles linteroprabilit dans les conditions
dfinies au 1 de larticle L.331-31 et larticle L331-32.
La question se pose alors encore du juste quilibre trouver, pour une technique qui peut tre
utilise comme mesure de protection des titulaires des droits, mais ne doit pas cependant
entraver les rgles de concurrence loyale ni freiner lapparition de nouvelles technologies? Dans
quelle mesure lutilisation des MTP, frein potentiel linteroprabilit et une concurrence
ouverte, peut-elle constituer un abus de position dominante de la part doprateurs non
seulement titulaires de droits, mais galement matres dun march technologique nouveau?
Dune manire gnrale, notre droit national comme unioniste vise protger lintrt
conomique gnral et la concurrence contre les abus de position dominante. Ces rgles sont
confortes par la jurisprudence et la recherche de standardisation des technologies.
La thorie des facilits essentielles, construction jurisprudentielle, vise protger la
concurrence dabus de position dominante fonds sur lappropriation de technologies
dites essentielles 318. En la matire, la CJUE a caractris labus par trois conditions

316
Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991:http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/
LexUriServ.do?uri=CELEX:31991L0250:FR:HTML
317Pour plus de prcisions: Y. Gaubiac, Interoprabilit et droit de proprit intellectuelle,
Revue internationale du droit dauteur janv., 2007, n211; et C.Caron, Linteroprabilit au
service de la libre concurrence, Communication commerce lectronique, n 1, janvier 2012,
comm. 2.
318
Larrt Magill est lorigine de la thorie des facilits essentielles. CJCE, 6avril 1995,
aff. C-241/91 et C-242/91, Radio Telefis Eireann: Rec. CJCE 1995, I, p. 743, concl. C.Gulmann.
B.Edelman, Larrt Magill: une rvolution?: D.1996, chron. p. 119; D. affaires 1996, p. 127,
obs. G.Bonet; Revue trimestrielle de droit commercial, 1995, p. 606, obs. A.Franon;JCP G
1995, I, n3883, obs. M.Vivant; JDI 1996, p.530, obs. M.-A. Hermitte.

cumulatives319: (1) le refus daccs la source doit faire obstacle lapparition dun produit
nouveau pour lequel existe une demande; (2) aucune raison objective ne doit justifier ce refus
et (3) le refus doit avoir pour consquence une atteinte grave la concurrence et/ou une
rservation du march.
Ces mmes critres pourraient sappliquer lusage des mesures techniques de
protection ayant comme seul objectif le cloisonnement dun march.
On comprend donc que cette recherche dun quilibre entre lusage de la technique et les rgles
de la concurrence puisse paralllement encourager le phnomne de normalisation320, dont
lobjectif est, avant tout, dharmoniser les technologies au bnfice des consommateurs, et de
faciliter la circulation des marchandises et des services par la mise en place dune procdure de
standardisation et de validation transparente et simplifie.
Ainsi par exemple, dans le domaine des livres numriques, la Commission europenne a engag
une rflexion sur la mise en place dun standard commun qui simposerait lensemble des
acteurs du domaine afin dassurer linteroprabilit entre les plateformes et les instruments de
lecture321.
Plus encore, le lgislateur a habilit lHadopi se prononcer sur des litiges concernant
linteroprabilit. Ainsi, si la mesure technique de protection entrave linteroprabilit
de systmes techniques ou de services, lHadopi peut tre saisie par lexploitant exigeant
linteroprabilit et souhaitant obtenir les informations essentielles sa mise en uvre 322. Ce
recours cette autorit doit faciliter ladoption des solutions qui permettront de raliser lquilibre
subtil entre la satisfaction des aspirations du public et le respect des droits des auteurs323. LHadopi
sest vue octroyer un pouvoir de sanction en cas de non respect de ses dcisions de
conciliation permettant de donner accs aux informations essentielles linteroprabilit.
Aussi, par dcision motive, la Haute autorit peut infliger une sanction pcuniaire applicable
en cas dinexcution de ses injonctions ou en cas de non respect des engagements faits par
les parties. Elle doit apprcier limportance du dommage caus aux intresss au regard de la
situation de lorganisme ou de lentreprise sanctionn et de la ritration des pratiques contraires
linteroprabilit.
Il reste donc faire en matire de rglementation, afin de trouver cet quilibre, aujourdhui
comme demain

319CJCE, 29avril 2004, aff. C-418/01, IMS Health c/ NDC Health01: Rec. CJCE 2004, I,
p. 5039, concl. Tizzano; D.2004, p. 2366, note F. Sardain; Communication commerce
lectronique, 2004, comm. 69, obs. C.Caron; Proprit industrielle, 2004, comm. 56,
obs. P.Kamina; Proprits intellectuelles, 2004, n12, p. 821, obs. V.-L. Bnabou. La
thorie des facilits essentielles a galement t mise en application dans une affaire
Microsoft, TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Comm. CE: JOUE n C 269,
10 nov. 2007,p. 45- V. Behar-Touchais, tre interoprable ou ne pas tre: telle est la
question! Voir notamment Georges Bonet, Le point sur lapplication de larticle 82
(ex-art. 86) CE en matire de proprits intellectuelles, Aprs larrt IMS de la Cour de
justice du 29 avril 2004 (1), Revue trimestrielle du droit europen, 2004, p. 691.
320
F. Bourguet et A. Vives-Albertini, Normalisation et droits de proprit intellectuelle: la
difficile cohabitation, Proprits intellectuelles, 2012, oct.2012, n45.
321
Lescure P., op. cit.
322
Sur la procdure suivre pour saisir lHadopi: www.hadopi.fr/hadopi-vous/
questions-dinteroperabilite-comment-saisir-l-hadopi. Les rgles dorganisation et de
fonctionnement de lHadopi sont dfinies aux articles R.331-2 R.331-46 du Code de la
proprit intellectuelle.
323P. Sirinelli, Interoprabilit, Proprits intellectuelles, juillet 2006, 20, p. 239.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 259

4.3 M
 esures techniques de protection et contrle des droits dans lconomie numrique

CONCLUSION
Au-del de la ncessit de dvelopper les moyens techniques de tracer et identifier les chanes
de contrefaon, notre expos montre combien il est tout aussi important de considrer aussi ces
moyens techniques comme des objets de droit devant, eux-mmes tre sujets rglementation
et contrles, tant le risque dabus ou de dtournement est rel et potentiel.
La notion dquilibre entre les objectifs lgitimes viss par ces mesures techniques,
savoir la protection des titulaires de droits et de leurs crations dans des marchs
numriques et dmatrialiss, et les objectifs tout aussi prioritaires des exceptions
auxdits droits, des liberts individuelles et des rgles de concurrence, est tout fait
fondamentale dans la rflexion actuelle, qui doit surtout sinstaller dans la dure.
Comme cela est soulign par les diffrents observateurs institutionnels du secteur (Rapport
Lescure, Hadopi, services de lutte contre la contrefaon, etc.), il parat indispensable
damliorer constamment les conditions demploi de ces solutions de traabilit et
didentification.
Plusieurs hypothses de travail ont dj t mises: clarifier les articulations entre MTP et rgles
de droit concernes, notamment en matire de copie prive, dinteroprabilit et de droit de
la concurrence; augmenter les pouvoirs des autorits de rgulation (quil sagisse de lHadopi
ou, par exemple, du CSA), notamment pour assurer linformation des consommateurs, et
faciliter leur saisine; surveiller et poursuivre les abus de position dominante lis linstauration
de telles mesures. Lune des plus importantes, notre sens, est sans doute dinstaurer un
organisme de gestion collective des droits numriques, charg de grer lexploitation des
uvres dmatrialises, assurant ainsi strictement les objectifs de protection des uvres et
de rmunration de leurs auteurs, mais dans un cadre visible et contrlable par les autorits de
rgulation, dont le travail de contrle et de dlimitation des MTP serait ainsi facilit.
En revanche, au regard des risques lis au dveloppement de nouvelles technologies, et
notamment limpression 3D, il serait illusoire, sauf vouloir revivre lexprience de lindustrie
musicale, de croire que lefficacit des MTP pourrait tre relle si aucune limite ntait pose,
de manire pragmatique et quilibre, un absolutisme trop idologique des rgles de libre
concurrence et des exceptions aux droits de proprit intellectuelle. Leffet risquerait dtre
dailleurs parfaitement contraire aux objectifs viss par ces rgles et exceptions, qui doivent
continuer tre gouvernes par le bon sens et lintrt des consommateurs, au regard des
ralits dune poque.

4.4
PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS
Quelle gestion des droits de proprit
intellectuelle dans les Fab Labs et plateformes
ouvertes de cration numrique : proposition
de pistes de rflexion
par Sabine Diwo-Allain

Lauteur
De formation scientifique et technique, Sabine Diwo-Allain travaille depuis une quinzaine
dannes dans linnovation et le transfert de technologie, relation entreprises/recherche. Dabord
dans un Centre rgional pour le transfert de technologie (CRITT) spcialis en biotechnologie
et lutte biologique, puis comme charge de mission innovation Angers Technopole. Dans ce
cadre, elle accompagne les entreprises (PME et grands groupes) dans leurs projets dinnovation
individuels et collaboratifs en partenariat avec la recherche publique. Aprs une formation en
proprit intellectuelle, elle a obtenu le Certificat danimateur en proprit intellectuelle (CAPI) en
2011. Agre par lINPI pour la ralisation de pr-diagnostic en proprit intellectuelle, elle appuie
galement la ngociation daccord de consortium de recherche et dveloppement dans le cadre
de projets collaboratifs de ples de comptitivit.

Synthse
Aprs avoir dfini la notion de Fab Lab et les principes des plateformes ouvertes de cration
numrique, larticle prsente ses utilisations potentielles la fois pour les crateurs
indpendants, les particuliers et les entreprises. Au travers dexemples pratiques, larticle
analyse ensuite comment les droits de proprit intellectuelle peuvent tre appliqus. Quelques
recommandations destines aux partenaires et promoteurs du Fab Lab (ou plateforme ouverte)
sont prsentes afin de leur permettre de sensibiliser et grer les droits de proprit intellectuelle
au sein de la plateforme.

mots cls : Fab Lab | plateforme | cration numrique |


proprit intellectuelle | brevet | droits dauteur | libre accs |
droits antrieurs
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 261

4.4 PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS

Les Fab Labs sont des plateformes ouvertes de cration numrique permettant le libre accs
des logiciels de conception et des machines de fabrication commande numrique. Ouvertes
au grand public, aux coles et aux tudiants, elles peuvent galement tre utilises par des
inventeurs indpendants, des auto-entrepreneurs ou des entreprises des fins de prototypage
rapide ou de fabrication de petites sries. Cet article sappuie sur la rflexion mene en interne
loccasion dun projet de Fab Lab.
Bases sur les principes de la communaut des savoirs et de lapprentissage par les pairs,
ces plateformes peuvent-elles pour autant saffranchir totalement des droits de proprit
intellectuelle? Les droits de proprit intellectuelle sappliquent-ils aux crations issues
des Fab Labs? Comment les grer dans le cadre des Fab Labs? Faut-il diffrencier les crations
ralises par des particuliers et celles ralises par des entreprises? Telles sont les questions que
se posent les partenaires initiateurs des Fab Labs.
Aprs avoir dfini la notion de Fab Lab et les principes des plateformes ouvertes de cration
numrique, nous prsenterons leurs utilisations potentielles la fois pour les crateurs
indpendants, les particuliers et les entreprises. Nous analyserons alors, au travers dexemples
pratiques, comment le droit de la proprit intellectuelle peut tre appliqu.
Enfin nous mettrons une srie de recommandations destines aux partenaires et promoteurs
du Fab Lab ou plateforme ouverte afin de leur permettre de sensibiliser les utilisateurs et grer
au mieux les droits de proprit intellectuelle au sein de la plateforme.

I - QUEST-CE QUUN FAB LAB?


A. Principes et historique
Un Fab Lab (abrviation de Fabrication Laboratory) est une plateforme ouverte qui permet aux
crateurs, au grand public, aux tudiants, mais galement aux entreprises dutiliser des outils
numriques pour concevoir et produire des objets en 3D, intgrant ou non de llectronique.
lorigine, le premier Fab Lab a t cr aux tats-Unis en 2001 au sein du MIT (Massachusetts
Institute of Technology), dans le cadre dun laboratoire interdisciplinaire de recherche. Lobjectif
de ce Fab Lab est de sensibiliser et former les tudiants aux outils de conception et fabrication
numrique et de favoriser les rflexions et changes autour de projets partags.
Le concept de Fab Lab, port par le MIT, a peu peu essaim travers le monde, via une charte
partage. La carte collaborative Fab Labs on Earth recense actuellement (juillet 2014) plus de
300 sites.
Pour pouvoir bnficier de lappellation Fab Lab, les plateformes de cration
numrique doivent rpondre au cahier des charges suivant:
elles doivent tre ouvertes: un Fab Lab a pour but de rendre accessible tous la
technologie, laccs aux machines, pour permettre chacun de tester, dessayer, de
devenir crateur, auteur, de technologie. Le principe mme du Fab Lab est de permettre

lapprentissage par lexprimentation. Cette ouverture au public doit tre gratuite (ou en
change de services) et pendant au moins une partie de la semaine ;
le Fab Lab doit adhrer la charte dont les principes sont prsents en encadr ;
elles doivent se doter de machines et de process identiques, une liste minimum est
requise;
elles doivent participer au rseau des Fab Labs, avec entre autres la diffusion et le partage
des plans et projets, et faire partie dune communaut de partage des connaissances.

La charte des Fab Labs


Quest-ce quun Fab Lab ?
Les Fab Labs sont un rseau mondial de laboratoires locaux qui dopent linventivit en
donnant accs des outils de fabrication numrique.
Que trouve-t-on dans un Fab Lab ?
Les Fab Labs partagent le catalogue volutif dun noyau de capacits pour fabriquer (presque)
nimporte quel objet, permettant aux personnes et aux projets dtre partags.
Que fourni le rseau des Fab Labs ?
Une assistance oprationnelle, dducation, technique, financire et logistique au-del de ce
qui est disponible dans un seul laboratoire.
Qui peut utiliser un Fab Lab ?
Les Fab Labs sont disponibles comme une ressource communautaire, qui propose un
accs libre aux individus autant quun accs sur inscription dans le cadre de programmes
spcifiques.
Quelles sont vos responsabilits ?
scurit : ne blesser personne et ne pas endommager lquipement ;
fonctionnement : aider nettoyer, maintenir et amliorer le Lab;
connaissances : contribuer la documentation et aux connaissances des autres.
Qui possde les inventions faites dans un Fab Lab ?
Les designs et les procds dvelopps dans les Fab Labs peuvent tre protgs et vendus
comme le souhaite leur inventeur, mais doivent rester disponibles de manire ce que les
individus puissent les utiliser et en apprendre.
Comment les entreprises peuvent utiliser un Fab Lab ?
Les activits commerciales peuvent tre prototypes et incubes dans un Fab Lab, mais elles
ne doivent pas entrer en conflit avec les autres usages, elles doivent crotre au-del du Lab
plutt quen son sein, et il est attendu quelles bnficient leurs inventeurs, aux Labs, et aux
rseaux qui ont contribu leur succs.
Source: http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/fablab/wiki/

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 263

4.4 PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS

B. Matriel et logiciels disponibles dans un Fab Lab


La liste de base recommande par le MIT comporte les machines suivantes:
dcoupeuse laser: pour dcouper des pices dans du bois, des panneaux de particules, du
cuir, du carton, pour marquer ces matriaux, pour graver ;
imprimante 3D: pour fabriquer des pices complexes, paisses partir de plastique ou de
bioplastique, permet galement la cration de moules ou de maquettes ;
fraiseuse commande numrique: pour sculpter des objets complexes dans des matriaux
pais comme le bois ou des matriaux mtalliques ;
dfonceuse numrique: mmes utilisations que la fraiseuse mais en plus puissant et donc
utilise dans un espace scuris ;
dcoupe vinyle: pour dcouper du papier, de la cartonette, du vinyle, certains tissus, pour
dcouper galement les films de cuivre pour les circuits imprims.
La liste du MIT comporte galement des recommandations pour les logiciels de modlisation
3D, les logiciels de dessin et de modlisation 2D, ainsi que les logiciels associs aux machines
(imprimantes 3D, fraiseuses, dfonceuses, dcoupe et impression vinyle, dcoupe laser). Ces
prconisations vont dans le sens du libre avec majoritairement des logiciels libres ou en open
source.
Notons que cette liste de base volue rgulirement. titre dexemple limprimante 3D
nest entre dans la liste que dbut 2011.
Selon les Fab Labs, on peut galement trouver des machines complmentaires:
dcoupeuse plasma: pour dcouper du mtal ;
machines coudre et broder numriques ;
atelier dlectronique: pour intgrer de petites cartes lectroniques programmables ;
routeur CNC: pour dcouper et usiner des plaques de bois et de mousse de trs grands
formats ;
machines pour prototyper des circuits imprims ;
scanneur 3D.

C. Positionnement des Fab Labs au regard des droits de proprit intellectuelle


Comme lindique la charte, les Fab Labs sont bass sur les principes de louverture, de
laccessibilit et de lapprentissage par les pairs. Les utilisateurs doivent prendre part la
capitalisation des connaissances. On est dans le principe de la co-construction, du partage
de linvention, lesprit de linnovation ascendante cest--dire de linnovation ralise par les
utilisateurs eux-mmes.
Toutefois, la charte prcise clairement que les crations et les processus dvelopps
dans un Fab Lab peuvent tre protgs par son auteur ou inventeur, mais doivent rester
utilisables par les individus. Ds lors, les Fab Labs semblent se positionner dans quelques-unes
des exceptions du droit de la proprit intellectuelle: lutilisation des fins personnelles ou des
fins de recherche.

Ainsi, larticle L613-5 du CPI prvoit que les droits confrs par le brevet ne stendent pas: a) Aux
actes accomplis dans un cadre priv et des fins non commerciales. b) Aux actes accomplis titre
exprimental qui portent sur lobjet de linvention brevete
Et en matire de droit dauteur, larticle L.122-5 du CPI stipule que lorsque luvre a t
divulgue, lauteur ne peut interdire: () Les copies ou reproductions ralises partir dune source
licite et strictement rserves lusage priv du copiste et non destines une utilisation collective,
lexception des copies des uvres dart destines tre utilises pour des fins identiques celles
pour lesquelles luvre originale a t cre et des copies dun logiciel autres que la copie de
sauvegarde tablie dans les conditions prvues au II de larticle L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des
reproductions dune base de donnes lectronique.
Lun des enjeux pour les gestionnaires et utilisateurs de plateforme de cration numrique
est donc bien de pouvoir diffrencier dans quel cadre se situe la cration numrique
(exprimentation, fins prives, fins commerciales) afin de pouvoir lever les ambiguts,
respecter les droits de proprit intellectuelle antrieurs, et permettre la protection des crations
et inventions ralises au sein du Fab Lab.

D. Gouvernance et animation du Fab Lab


La plupart des Fab Labs ont un statut associatif. On remarque une grande diversit dans les
gouvernances et promoteurs de Fab Labs, lie la fois aux types de partenaires initiateurs,
aux sources de financement et au public vis. Beaucoup de Fab Labs reoivent la fois des
financements privs et des financements publics.
Certains Fab Labs sont adosss des laboratoires universitaires ou dcoles dingnieurs et visent
en particulier les tudiants. Dautres sappuient sur des associations de vulgarisation scientifique,
avec des financements publics et visent plus particulirement le grand public et pro amateur.
Dautres enfin, cherchent dvelopper le prototypage rapide pour les entreprises et start-up, et
cherchent sautofinancer par le dveloppement des prestations.
Lanimateur ou Fab Manager a un poste polyvalent: accueil du public, organisation dateliers,
de formations, maintenance et rparation des machines, appui aux utilisateurs Il doit
galement contribuer la dynamique du rseau Fab Lab travers le monde et lanimation de
la communaut dutilisateurs afin de favoriser les changes et la coopration.

E. Types de services proposs


La diffrenciation des services offerts et de laccessibilit aux diffrents types de public permet
de rpondre en partie cette ambivalence. Ainsi ltude ralise en 2011 par Fabien Eychenne
(Fab Labs: tour dhorizon), diffrencie cinq types de services.
Open Lab: il sagit de journes ouvertes tous o chacun peut gratuitement sessayer
utiliser telle ou telle machine. Dans certains Fab Labs, si des personnes ralisent des
prototypes lors dun Open Lab, les projets doivent tre documents et reverss la
communaut ;

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 265

4.4 PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS

ateliers et formation: pour apprendre aux utilisateurs bien matriser la conception sur
logiciel et la fabrication laide des machines ;
location de machines sur rendez-vous: les utilisateurs peuvent rserver une machine
afin de raliser un objet, un prototype. Si cette rservation est payante (location), les
utilisateurs ne sont pas obligs de laisser leur documentation projet la communaut. En
gnral, les utilisateurs doivent avoir suivi une formation avant de pouvoir utiliser la (ou
les) machine(s) ;
l ocation de lespace pour prototypage sur rendez-vous: ce service nest pas
disponible dans tous les Fab Labs. Il permet une entit (particulier, cole ou entreprise)
de privatiser le Fab Lab pendant quelques heures ou une journe afin de mener bien
un projet (prototypage rapide, par exemple). Dans certains Fab Labs, les animateurs
sont disposition du locataire et peuvent mme signer un accord de non-divulgation.
Dans dautres Fab Labs, lanimateur est prsent si besoin, mais sans spcialement
accompagner lutilisateur. La plupart du temps, une formation payante aura t
propose et dispense en amont de la location ;
services et conseils: certains Fab Labs vont encore plus loin et mettent disposition
des utilisateurs payants (entreprises, crateurs, coles) non seulement leurs moyens
techniques, mais galement les comptences et expertises de leurs animateurs sous
forme de prestations de services pour concevoir et fabriquer des objets, prototypes, ou
mini-sries.
Ces diffrents types de services sont une forme de rponse la dualit voire lopposition
qui existe entre le libre accs une communaut (grand public, tudiants, coles, etc.) des
fins dapprentissage et de communaut de connaissance, et la privatisation de ces lieux (et
parfois des comptences des animateurs) pour des entreprises des fins de prototypage rapide
dinventions ou de crations qui pourront faire lobjet de dpt de titre de proprit industrielle
(dessins et modles, brevets, etc.), voire des fins de fabrication de petites sries qui seront
commercialises.
Pour autant, cette segmentation de services est-elle pour autant suffisante pour que la gestion
de la proprit intellectuelle soit intgre la gestion des Fab Labs?

II - QUELQUES EXEMPLES CONCRETS POUR ILLUSTRER COMMENT


LES DROITS DE PROPRIT INTELLECTUELLE PEUvenT SAPPLIQUER
AU SEIN DUN FAB LAB, ET identifier les QUESTIONS
quILS SOULVENT
De manire pratique, notre rflexion sappuie sur une srie dexemples fictifs, mais concrets
pour nous permettre danalyser les droits de proprit intellectuelle antrieurs la cration qui
pourraient tre mis en jeu, ainsi que les titres de proprit industrielle susceptibles de sappliquer
la cration ou lobjet produit.

A. Cration dune petite srie des fins de commercialisation


par un artiste indpendant
Imaginons un artiste qui ayant cr une sculpture originale en bois, par exemple, souhaiterait
la reproduire en petite srie, limite, numrote. Il trouverait dans un Fab Lab tous les outils
pour scanner sa pice originale, la numriser, en tirer un fichier de commande de fabrication
numrique et la reproduire en petite quantit. Selon les principes du droit dauteur, lartiste
possde ds la cration de luvre des droits dauteur la fois moraux (dont le droit au respect
de son nom et de sa qualit et le droit au respect de son uvre) et patrimoniaux (droits
dexploitation).
Selon les principes des Fab Labs, si cette reproduction assiste numriquement est
ralise en Open Lab avec lappui dautres personnes, cet artiste devrait renoncer
la partie patrimoniale de ses droits dauteur et accepter de laisser ses plans la
communaut pour permettre la reproduction de luvre.
Toutefois, larticle L.122-5 du CPI prvoit que: Lorsque luvre a t divulgue, lauteur ne peut
interdire: Les copies ou reproductions ralises partir dune source licite et strictement rserves
lusage priv du copiste et non destines une utilisation collective, lexception des copies des
uvres dart destines tre utilises pour des fins identiques celles pour lesquelles luvre
originale a t cre.
Lartiste pourrait-il sopposer aux principes du Fab Lab ce titre ?
Un dpt de dessins et modles sur la cration pralable sa reproduction numrique pourrait-il
tre oppos la reproduction par dautres utilisateurs de Fab Labs?
A contrario, si ces reproductions sont ralises lors dune location du Fab Lab ou dune
prestation de service par le Fab Lab, le mme artiste naurait pas renoncer ses droits
dauteurs patrimoniaux. Lapplication du droit dauteur parat plus simple ds lors quil y a
contractualisation.
On voit ici, la difficult mettre en uvre la question des droits dauteur lors de la reproduction
numrique dobjets dart, ainsi que limportance de linformation et de la sensibilisation des
utilisateurs et animateurs aux droits de la proprit intellectuelle.
Il convient donc dtre extrmement prudent et danalyser au cas par cas lobjectif de la
reproduction, ses conditions et son commanditaire.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 267

4.4 PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS

B. Reproduction dun objet technique des fins personnelles


Prenons lexemple dun consommateur, bricoleur averti, qui souhaitant rparer un appareil
lectromnager, utilise le Fab Lab pour numriser une pice casse et la reproduire en bon tat.
Dans le cas o cette pice serait protge par un brevet, on peut penser que sa reproduction
via une impression 3D ne constitue pas une contrefaon dans la mesure o les droits confrs
par le brevet ne stendent pas aux actes accomplis dans un cadre priv et des fins non
commerciales.
Toutefois, le principe des Fab Labs et de lapprentissage par les pairs vient lencontre de cette
exception du cadre priv, puisque les plans de fabrication de lobjet reproduit sont censs tre
mis disposition de la communaut.
L encore, la privatisation du Fab Lab ou dune des machines permet de limiter le risque de
contrefaon car lutilisateur naura pas laisser ses plans la communaut.
Lors des sances dOpen Lab, la premire difficult pour le Fab Lab et lutilisateur est donc de
savoir si cette pice est protge ou non par un titre de PI. Pour le Fab Lab, la seconde difficult
est de savoir si cette fabrication est unique, destine des fins prives ou bien destine un
usage commercial.
Ainsi, afin dviter dtre complice involontaire de contrefaon, plusieurs recommandations
peuvent tre faites ce sujet pour les gestionnaires de Fab Labs:
nautoriser la reproduction dune pice technique que dans le cadre dune location du Fab
Lab ou dune machine, sans documentation;
en cas de reproduction en Open Lab, faire vrifier ou vrifier sil existe un ou des titres de
proprit industrielle affrent(s) lobjet reproduit. Ce qui peut savrer dans la pratique
bien difficile mettre en uvre puisque le principe de louverture sans rendez-vous,
empche danticiper ce type de situation;
par dfaut, certains Fab Labs font signer une dclaration lutilisateur, dans laquelle est
stipule que la pice dtache nest plus disponible chez le fabriquant, renversant ainsi la
charge de la preuve.
Derrire cet exemple, on touche du doigt la question de la responsabilit: dans un Fab
Lab, qui est responsable de la contrefaon si elle est avre? Lutilisateur, qui a soit amen
des plans contrefaits, soit utilis les moyens du Fab Lab pour raliser ces plans et ensuite
contrefaire un produit? Ou bien la gouvernance du Fab Lab, qui a mis disposition des moyens
permettant la contrefaon?
Cette question nest pas sans rappeler le dbat sur la responsabilit des fournisseurs daccs
internet par rapport aux tlchargements illgaux de fichiers audiovisuels

C. Prototypage rapide pour une entreprise ou une start-up


Plaons nous maintenant dans le cas dune entreprise, une PME par exemple, qui loue pour
la journe le Fab Lab, voire les services de lanimateur, afin de prototyper un objet, une
pice technique, ou raliser une petite srie. Selon la charte des Fab Labs, cette entreprise
peut demander le secret et faire signer un accord de non divulgation. Elle nest pas oblige
de documenter sa conception pour la communaut et peut dposer les titres de proprit
industrielle quelle jugera ncessaire pour la protection et lexploitation de sa cration/invention.
Le contrat faisant loi entre les parties, il serait opportun dassortir le contrat de location du
Fab Lab et la prestation de service de lanimateur, de clauses spcifiques relatives la gestion
de la Proprit Intellectuelle, afin de scuriser lentreprise dans le dveloppement et la
commercialisation de sa nouvelle conception.
La question des droits de proprit intellectuelle savre beaucoup plus complexe dans le cas
dune start-up utilisant le Fab Lab en libre accs lors de ses premiers dveloppements. Les coinventeurs pourront-ils par la suite dposer des titres de proprit industrielle? La conception sur
une plateforme publique des premiers prototypes et la mise disposition de la documentation
la communaut ne constituent-elles pas une auto-divulgation empchant par la suite le dpt
dune demande de brevet? Cette divulgation pouvant tre mondiale puisque les Fab Labs
constituent un rseau international.
Dans le cadre dune cration esthtique, le dpt dun dessin et modle serait peut-tre
envisageable car il existe un dlai de grce (dun an maximum) permettant le dpt aprs la
divulgation. Encore faut-il que le crateur puisse financer rapidement une fabrication en srie
suffisante pour rpondre son march naissant, avant que sa future clientle nait reproduit par
elle-mme dans un Fab Lab la cration en question
Pour les start-up, il sagit l dune vraie difficult puisque la recherche de financements (leve
de fond) pour le dveloppement de lentreprise sappuie la plupart du temps sur le patrimoine
intellectuel de la start-up, matrialis par ses dpts de titres de proprit industrielle.

III - QUELQUES RECOMMANDATIONS AUX GESTIONNAIRES


ET ANIMATEURS DE FAB LABs
Ces diffrents cas de figure illustrent la complexit de la gestion des droits de proprit
intellectuelle au sein des Fab Labs, notamment lors des Open Labs. Une analyse point par point
serait ncessaire pratiquement chaque cas.
Cependant quelques pistes daction peuvent tre proposes afin dintgrer ces questions de PI
dans la gestion du Fab Lab.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 269

4.4 PROPRIT INTELLECTUELLE ET FAB LABS

A. Diffrencier les types de services proposs et contractualiser


lors de la location ou prestation de service
Comme nous lavons vu prcdemment, la segmentation des services proposs par
certains Fab Labs permet de diffrencier les modes de gestion de la proprit intellectuelle.
Cette segmentation de services, assortie de tarification, peut galement tre assortie de
recommandations ou rgles en matire de proprit intellectuelle. Ainsi, une location de
machine, de lespace entier et une prestation de service peuvent donner lieu un contrat
dans lequel seront stipuls les engagements de confidentialit, de non-divulgation de la part
du Fab Lab, et la non-obligation de laisser la documentation du projet la disposition de la
communaut. Laccs un Open Lab pourrait tre assorti dune charte dutilisation incluant
quelques principes et rgles de proprit intellectuelle.

B. Former son personnel la proprit intellectuelle


Dans la pratique, lanimateur (ou Fab Manager) est une personne cl du dispositif, la fois
animateur au contact du public, formateur, technicien ou prestataire de services, animateur de
rseau Renforcer ses comptences dans le domaine de la proprit intellectuelle permettrait
de le sensibiliser ces enjeux, et lui permettrait de mieux accompagner les diffrents publics sur
ces questions.

C. Mettre disposition des bases de donnes de plans


et de modles qualifies dun point de vue de la proprit intellectuelle
La documentation laisse la communaut est un des principes fondateurs des Fab Labs. Mais
qui est responsable si, dans la documentation, on trouve des plans de fabrication dobjets
(techniques ou esthtiques) protgs par des titres de proprit industrielle ou des droits
dauteurs?
Il serait donc ncessaire dindiquer sur les documents laisss la communaut lauteur ou la
provenance, la date, et sils sont libres de droits. Certains Fab Labs utilisent la licence Creative
Commons ces fins. Dautres moyens peuvent tre imagins.

D. Sensibiliser les utilisateurs la proprit intellectuelle


Enfin, on pourrait imaginer mettre en place des animations au sein des Fab Labs pour sensibiliser
les utilisateurs (tudiants, start-up, grand public, auto-entrepreneurs, etc.) aux principes de la
proprit intellectuelle.

conclusion
Toutes les plateformes de cration numrique ne sont pas forcment labellises Fab Lab, mais
la rflexion conduite ici peut galement sappliquer ces plateformes ds lors quelles accueillent
diffrents types de publics.
Mme si les Fab Labs sont bass sur le principe de la communaut des savoirs et de
lapprentissage par les pairs, ils ne peuvent pour autant saffranchir des droits de proprit
intellectuelle. Ainsi, les crations ralises et les inventions mises au point dans les Fab Labs
peuvent faire lobjet de protections au titre de la proprit intellectuelle. Les Fab Labs se doivent
galement de respecter les droits de proprit intellectuelle antrieurs aux crations et inventions
ralises en leur sein.
Nous avons voqu plusieurs pistes dactions pour permettre cette prise en compte aux
animateurs et gestionnaires de Fab Labs.
Cependant, la question de la responsabilit (Fab Lab vs utilisateur) en cas de contrefaon reste
ouverte. Les Fab Labs seront-ils considrs, au mme titre que les plateformes de stockage de
fichiers 3D, comme des intermdiaires techniques susceptibles dtre qualifis de contrefacteurs
indirects? Il conviendra pour les animateurs et les gestionnaires de Fab Labs de surveiller et suivre
la jurisprudence actuelle et venir, a dfaut dune lgislation spcifique.

Sources
http://fablab.fr/projects/project/charte-des-fab-labs/
http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/fablab/wiki/
www.fabfoundation.org/fab-labs/
Fabien Eychenne, Fab Labs: tour dhorizon, Fing, 2011 (http://fing.org/?Tour-d-horizon-des-FabLabs)
http://fablab-lannion.org
www.pingbase.net/fablab
Code de la proprit intellectuelle
www.juritravail.com/maitre-filipetti-avocats-isabelle/Actualite/marques/Id/143151

Remerciements
Yoann Digue pour la fourniture de documents et rfrences, la confrontation de nos points de
vue sur des exemples et sa relecture; Christophe Angot pour sa relecture.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 271

4.5
LES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION
NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?
par Julien Pichon

Lauteur
Julien Pichon dbute sa carrire dans lindustrie des tlcommunications et de laronautique.
Il travaille successivement dans deux grands cabinets de CPI. Il rejoint le cabinet Camus-Lebkiri
en novembre 2011. Intervenant en droit des brevets luniversit de Marne-la-Valle (Master 2
Patrimoine immatriel), diplm du Conseil en proprit industrielle (CEIPI) et mandataire agre
auprs de lOffice europen des brevets (OEB).

Synthse
Les imprimantes 3D connaissent actuellement un grand retentissement dans la presse. Les
premires applications catalysent de grands espoirs (la ralisation de prothses dans le domaine
mdical) et de grandes frayeurs (la production darmes feu). laube de nouveaux usages, les
prdictions sur limpact de cette technologie sont nombreuses. Le prsent article propose trois
scnarios se droulant dans un avenir proche (2021). Lexercice consiste se projeter dans des
problmatiques lies lexercice du droit, notamment de la proprit intellectuelle. Chacun des
trois scnarios peut tre abord indpendamment des deux autres.
Le premier scnario voque les consquences de la copie prive de masse de fichiers CAO.
Le deuxime scnario voque la responsabilit dun Fab Lab.
Le troisime scnario voque les problmatiques de protection dobjets modulaires et gnriques
au moyen dimprimantes 3D.

mots cls : imprimante 3D | relocalisation | contrefaon|


protection | brevet | droit dauteur | marque |
dessins et modles | classification de Nice | Locarno |
Classification internationale des brevets (CIB) |
DRM (Digital Rights Management) | marquage lectronique|
cadre priv | copie prive | responsabilit | intermdiaire |
chmage | taxe | golf | lunettes | modlisme | revendication |
objet connect
INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 273

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

Le vrai progrs,
cest une tradition
qui se prolonge.
Michel Crpeau

Introduction
Les politiques et les juristes sont soucieux dencadrer et daccompagner le progrs technique,
les mutations technologiques et les nouveaux usages pour organiser une socit qui prserve
les droits de chacun. Une socit dans laquelle chacun pourra prendre pleinement sa place
tout en respectant les droits des tiers. Nous tirons les enseignements du pass pour prvenir
lavenir. Nous pouvons rappeler ici les mots de Jean-Marc Mousseron en ouverture de son
ouvrage Inventer: Le droit () est un ensemble doutils de construction de la vie sociale et de la vie
conomique en particulier.
Nous perptuons une tradition en ladaptant aux changements; lesprit des lois, lui, reste le
mme.
Lternel retour
Bien quil nous soit difficile de prdire quels seront les impacts dune dmocratisation de lusage
des imprimantes 3D, resituons quelques lments de contexte des innovations ayant permis de
reproduire une chose pour clairer le champ des possibles.
Limprimerie a permis une vritable opportunit de diffuser les lettres au sein de socits
parses, multipolaires et multiculturelles. Joseph Nicphore Nipce apportera sa pierre ldifice
en inventant le premier procd de photographie. Limage se dmultiplie alors linfini pour
nous offrir une mme empreinte visuelle. Puis, Thomas Edison, sourd et isol, invente le procd
permettant danimer ces images: le cinma! Les bobines circulent, les cultures se mlangent
encore un peu plus. Les genres, les styles, les personnalits des auteurs se confondent et
sinspirent. Chacun apporte sa patte et sa griffe pour nous offrir sa propre exprience visuelle.
Depuis, les procds de gravure de support physique et les principes de numrisation ont
permis de diffuser tout type duvre: texte, musique, image et vido. Dabord chez nous, la
maison, et puis sur nous, dans nos appareils nomades. Internet a achev de contribuer diffuser
largement un ventail de produits culturels dans nos socits dont chacun semble reconnatre
que leur salut sera immatriel.
Il est de ce paradoxe remarquable que les inventions les plus spectaculaires ont t voues
la recopie, la reproduction, la diffusion lidentique ou au partage de la chose. Et notons
inversement que la diffusion et la reproduction dune chose ont permis leur tour de favoriser
la crativit sur la chose.

Un cercle vertueux semble stre constitu entre la cration et la reproduction, si bien que
ces deux aspects composent les deux hmisphres crbraux dune socit en progrs.
Le copieur imit, limitation copie
Cest comme si tout avait commenc sur un malentendu, une ambigut syntaxique qui se serait
propage dans nos esprits cratifs. Le copieur dsigne tout aussi bien lentit pensante
organisant la copie que la machine capable de reproduire les caractristiques dfinissant
lentit copie. Voici donc un malentendu bien confortable nos consciences qui nous autorise
penser que notre responsabilit engage dans lacte de copie est repousse au-del du bout
de nos doigts, l o se trouve la machine capable.
chaque innovation, lhistoire semble tre la mme, les courbes se superposent. La rpercussion
sur le grand public est prcde de mois ou dannes pendant lesquelles linnovation est porte
par des applications militaires ou spcifiques dans lindustrie. Elle se perfectionne ainsi. Ensuite,
le savoir-faire des industriels se capitalise, les procds se matrisent et se rationalisent. Les prix
baissent enfin. Il existe une version pro amliore et une version grand public allge.
Bienvenue Monsieur Marketing. Les premires reproductions font dbat. On encadre le champ
des possibles, voire on lgifre. Laccs aux moyens de reproduction est largi. La technologie se
diffuse. Loriginal est copi, la copie ressemble loriginal, la copie devient loriginal. Le produit
et ses versions sont alors largement rpandus et laissent mme quelques retardataires sur le
march lapanage de quelques surprises innovantes challengeant les prcurseurs.
Alors quen est-il de larrive des imprimantes 3D dans nos socits? Ouvrent-elles une nouvelle
brche? Perptuent-elles un cycle qui semble nous jouer une musique bien connue?
Pralablement, notons que cette technologie semble prometteuse la lecture de certains
articles pariant sur de nombreuses amliorations de lexistant et sur les possibilits qui semblent
promises chacun.
En second lieu, notons cet autre phnomne (probablement encore sous-estim): la prise
en main de loutil par lutilisateur qui saura concevoir, recopier et adapter un modle 3D.
Aujourdhui, si un personnel non qualifi est capable de modifier une photographie, monter un
film, produire une chanson, diter un livre ou monter un meuble, pourquoi ne saurait-il pas,
terme, manipuler un logiciel ddition 3D? Quels en seront les impacts dans nos socits? Nos
usages?
Si des analogies avec la rcente rorganisation de lindustrie musicale semblent nous aiguiller
vers des solutions comparables en termes de remdes juridiques, il subsiste une particularit de
limpression 3D: celle dune convergence des quatre pivots de la proprit intellectuelle: le droit
dauteur, les dessins et modles, le brevet et les marques.
Crativit, copie, originalit, plagiat, nouveaut, combinaison, caractre propre,
assemblage, composition, distinctivit et inventivit sont dsormais autant de faces dun
mme prisme pour apprcier le droit naissant ou prexistant sur un objet imprim partir
dune imprimante 3D.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 275

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

Larticle qui suit se propose de visiter trois fictions se droulant dans un avenir proche et den
tirer quelques enseignements non exhaustifs de lensemble des problmatiques juridiques
qui peuvent se dgager dune dmocratisation des imprimantes 3D dans la socit. Les trois
histoires sont indpendantes et peuvent tre abordes dans nimporte quel ordre de lecture.
Les projections juridiques de cet article ne sont que pures extrapolations de son auteur.
Les mentions fausses ou les suppositions juridiques non fondes sur un texte de loi actuel
sont mentionnes explicitement par une annotation.
Une brve histoire de lavenir
Nous sommes le mercredi 15 novembre 2021. Les imprimantes 3D sont dsormais
rpandues chez les Franais. Ces dernires annes ont favoris lmergence dun march
important et un vritable engouement pour ces produits tant donn les derniers progrs
raliss dans ce domaine.
Sur le plan marketing, trois volutions ont permis de dmocratiser ce produit auprs dun large
public: la rapidit dimpression sest terriblement amliore, les prix des consommables a enfin
chut et les logiciels ddition de modles et la configuration des machines se sont simplifis.
Sur le plan de la technologie, les derniers modles dimprimantes 3D ont lev les derniers verrous
techniques: les taux dchec des pices fabriques sont matriss, limpression de modles creux
et complexes est ralisable partir dune imprimante domestique, les coloris et les matriaux
proposs constituent une large gamme de choix et de possibilits lutilisateur, et enfin, les
finitions des pices se sont nettement amliores, les effets de bords et leffet de strate peuvent
tre supprims par la plupart des machines 3D moyennant une dernire tape configurer.
Certaines imprimantes 3D proposent un module de revtement relativement efficace, par
exemple par lajout dun engobe, dun vernis ou encore dun mail.
Avant, les imprimantes 3D ctait juste le fun. Aujourdhui, cest un outil dveil pour les enfants
et de crativit pour les adolescents. Pour les adultes, cest quasiment le nirvana: papa rpare
et bricole, maman dcore et se prend rver douvrir une petite boutique. Tout ceci pour le
plus grand plaisir du portefeuille, puisque limprimante 3D nous permet de faire de petites et de
grandes conomies.
Les imprimantes 3D sont prsentes dans un foyer sur cinq. Il existe un Fab Lab pour
25000 habitants Paris. En moyenne, 2millions de pices sont fabriques chaque anne
en le-de-France.

scnario N1: Les lunettes modulaires face la copie prive

Qui aime bien ses


lunettes mnage
sa monture.
Francis Blanche

Mercredi 15 novembre 2021, Daniel Fabucci, reprsentant France de MUCCI, organise une
petite fte dans son service. La Monture SunWesh324 est en tte des tlchargements du
site FabStore lanc par un consortium de fabricants de lunettes. 30000 tlchargements
au mois doctobre. Il faut dire que le systme de fixation des branches permettant de les
rendre interchangeables et le systme de clippage des verres sont reconnus comme trs
astucieux et plaisent beaucoup. MUCCI a russi son pari incroyable et rcolte les fruits dune
stratgie coteuse au dpart. Cette marque est propulse fer de lance de lconomie
optidigitale325 et montre comme un exemple dune conversion russie dans ce
domaine.
Daniel Fabucci sait que le business de la SunWesh est trs prometteur. Il fallait y penser! La
monture est compltement modulaire: une branche verte, une autre bleue, et une monture
de verres fuchsia. Dessiner-Colorer-Fabriquer-Monter, presque un jeu denfant pour toute une
gnration de jeunes qui ont mordu lhameon. Les verres se clippent en un coup de pouce, la
fixation est solide et discrte. MUCCI met disposition sur son site internet les dimensions des
verres compatibles qui sont devenus un standard pour les fabricants de verres.
MUCCI a vu ses ventes exploser et sassure dun monopole consolid par trois brevets qui
cerclent ce systme modulaire. Un avantage est que ce systme est compatible avec une
fabrication au moyen dune imprimante 3D de premier prix. Cest toute la vertu dune
simplicit de fabrication allie au gnie dune fixation discrte et solide.
Le problme est bien l: la simplicit de fabrication! Chacun connat quelquun dans son
entourage qui a une imprimante 3D de premier prix qui peut vous les fabriquer moyennant
une poigne deuros, cest--dire le cot de la matire premire. Certains internautes proposent
laccs leur machine via des forums et sites dannonces. Cest une forme de vente la sauvette
numrique.
Daniel Fabucci est bien renseign. Il sait que, selon le droit des brevets, la fabrication dun
objet protg par un brevet chez soi et dans un cadre priv est autorise (quelle quen
soit la source). Les analogies en droit des dessins et modles et en droit des marques restent
vraies pour cette exception de lusage priv dun objet fabriqu chez soi. Daniel Fabucci se pose

324
Modle fictif dune paire de lunettes.
325Appellation fantaisiste dsignant un secteur n dune branche de loptique et du
numrique.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 277

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

encore la question: quest-ce quun usage priv? Lorsquun ami vous loue ou prte son
imprimante 3D? Ou encore quil vous change de bons et loyaux services?
En ce qui concerne le droit dauteur, la fabrication chez soi dun objet obtenu illicitement
est interdite. Cette interdiction est la base des principaux outils juridiques permettant dviter
la copie prive de masse, notamment appliqu (en thorie) pour viter la copie illgale de titre
musicaux ou de films.
cet gard, Daniel Fabucci prend galement des prcautions juridiques et dclare tous
les fichiers 3D et plans 2D et 3D produits par ses services auprs dune socit de gestion
de droits dauteurs de fichiers 3D.
Daniel Fabucci pense que la gestion des droits dauteurs sur les pices 3D nest pas simple,
car on plonge dans un millefeuilles de droits. En effet, la composition des lunettes,
ladaptation ou la modification des branches et des coloris pour dfinir sa propre paire modulaire
relvent de la dcision de lusager. Lusager peut ainsi devenir crateur de sa propre paire, il
opre des choix et des modifications et sa personnalit sexprime dans le modle conu. Il y a
bien, lorigine, un droit dauteur sur les branches seules et la monture seule, mais il vient se
superposer un autre droit dauteur: celui de lassembleur-adaptateur qui cre un modle surmesure rpondant ses besoins ou ses envies. Notons que le simple choix de branches, dune
monture, de verres et de leur couleur ne fait pas ncessairement natre un droit dauteur (crer,
cest faire des choix, mais choisir naboutit pas ncessairement une cration).
On croit revivre le cauchemar des samples musicaux: crer une uvre partir dune autre
uvre, est-ce de la copie ou de la cration? Les deux mon gnral. Peut-on laisser libre cet
exercice au nom de la cration?
Outre le cas des lunettes de MUCCI, cest bien l que lusage des imprimantes 3D nous surprend
le plus: dans la combinaison, lassemblage de diffrentes sources. Les fameux mash-up de
plans 3D326 en sont le point culminant puisquils permettent de crer des objets bizarrodes
et parfois terriblement ingnieux partir de plusieurs fichiers CAO327. Les dernires fonctions
disponibles sont salues par la presse: partir de deux fichiers, loutil redimensionne et trouve
automatiquement les surfaces les plus compatibles pour combiner deux fonctions supportes
par chaque objet. Rappelez-vous des premiers modles sortis: le cendrier-bougeoir, la
tlcommande-tui, ou encore la bouteille-essuie-tout328. Aujourdhui cette fonction est trs
souvent employe par le consommateur.
Un appel tlphonique du service de veille sonne comme une douche froide. On informe Daniel
Fabucci des donnes publies par lObservatoire numrique mondial (ONM) 329. Lune dentre
elles ressort: lexplosion du nombre de sources prsentes sur FABTorrent (site bas Paris et
rfrenant des liens sur la Toile pour le tlchargement de fichiers CAO). En tte des liens
consults, on retrouve celui qui mne au fichier du modle SunWesh. Son modle phare
est ainsi illgalement tlcharg via des hbergeurs situs hors des frontires franaises.

326Cette fonction est une spculation technologique qui nexiste pas aujourdhui.
327Conception assiste par ordinateur (CAO).
328Ces produits nexistent (malheureusement) pas encore.
329Cet observatoire nexiste pas ce jour.

Le prodige et le monstre
ont les mmes racines.
Victor Hugo

Le site FABTorrent est diteur de contenu mais nest pas considr comme un hbergeur de
contenu de fichiers CAO, et pour cause, il nen hberge pas. Ce site pose un problme de
nombreux acteurs qui nosent pas attaquer le site au risque de ne plus y tre rfrenc du tout.
Car ce site, trs consult, propose des liens mais cest galement une vitrine pour les marques.
Rendez-vous compte: le site FABTorrent, cette petite fleur qui a clos la Halle Fressinet avec une
subvention publique et des moyens dtat, ridiculise aujourdhui le serpent politique qui se mord
la queue. Certes, leur premier succs est davoir dvelopp de nombreux outils numriques sur
le transfert de fichiers selon leurs trois piliers: scurit, intgrit, rapidit. Mais personne ne les
a vus arriver sur le terrain de ldition et de lexpertise numrique en ligne. Dernire dclaration
de son fondateur: Nous employons 450 personnes dans le domaine numrique, si nous fermons
nous rouvrirons ailleurs, il faudra apprendre vivre avec nous.
Il est confiant, puisque de nombreux autres sites existants aujourdhui permettent les changes
de fichiers Peer-to-Peer en plein cur de lEurope sans pour autant tre menacs de fermeture.
Aujourdhui, les politiques savent que larsenal juridique rpressif peut faire fuir certains diteurs
hors des frontires franaises au dtriment de lemploi. Ces derniers drainent une partie de
leur flux de visites via ldition de liens de fichiers en y incluant des notices, des avis et des
conseils dexperts, et en remontant les commentaires de chacun. Ce site est devenu un des plus
consults. Il est avant tout une rfrence technique trs apprcie du public.
Daniel Fabucci avait pressenti un virage difficile pour la marque aprs laffaire des craquages
de protection eDRM330 des fichiers CAO. En revanche, il navait pas prvu limpact du nombre de
tlchargements illgaux de ces montures et limportance du manque gagner pour la marque.
Le rapport dtude juridique sur des poursuites ventuelles du site FABTorrent laisse envisager
que ce dernier risque tout de mme une condamnation, bien quaucun acte de contrefaon nait
t ralis. Pour un site, le fait dditer sciemment des liens manifestement destins mettre
disposition du public de faon non autorise des uvres protges est puni par la loi (art. L3352-1 CPI). Se greffe videmment le dispositif pnal de larticle 121-7 du Code pnal qui sanctionne
la complicit intentionnelle dans la commission dun dlit.
Selon Daniel Fabucci, mme si lactivit de ce site est problmatique, il reste une vitrine
pour la marque et un vivier de jeunes designers dont il ne souhaite pas se couper. Cest un
outil trs pris par les jeunes concepteurs qui souhaitent se faire remarquer dans les meilleurs
classements dobjets tlchargs. Lobjectif est de pntrer un march et de conclure aprs.
a nous rappelle lpoque o ces jeunes artistes mettaient leurs vidos humoristiques en ligne
sur une plateforme vido pour se faire embaucher par une chane du cble, ou encore ces

330
DRM est un terme aujourdhui utilis et signifie Digital Rights Management. Laffaire
du craquage des eDRM na en revanche pas eu lieu.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 279

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

jeunes dveloppeurs la crativit explosive postant leur dernire application sur la Pole
Store331. On a vu des gamins btir de vritables empires du jeu partir de succs fulgurants
ports par leurs premires applications.
Des talents se rvlent chaque jour sur la Toile, et Daniel les cherche. Il a pour coutume de dire:
Soit vous subissez les assauts des nouveaux crateurs en perdant peu peu vos marchs, soit
vous vous immiscez dans le socle des outils qui permettent de librer cette cration pour en esprer
quelques fruits.
Internet rvle une norme capacit faire clore les meilleurs musiciens, les meilleurs
dveloppeurs, et maintenant les meilleurs designers. Cette facult na pas chapp aux plus
tmraires qui peuvent tester en temps rel le succs de leur design auprs de leur communaut.
Cest galement un indicateur du vivier actif pour les marques qui nhsitent pas reprer les
meilleurs candidats. Daniel Fabucci en a pleinement conscience: certains talents peuvent clore
au hasard dune rencontre heureuse (Pierre Cardin pour Philippe Stark), dautres grce une
brche technologique rencontrant un march au bon moment (Bill Gates). Aujourdhui, Daniel
Fabucci va chercher les nouveaux Ora-to332 qui proposent les produits les plus tendances du
Web et qui challengent les marques sur leur propre terrain de jeu.
Cest ce qui a motiv Daniel Fabucci proposer il y a quelques annes la maison mre la
marque closion, dont le concours du mme nom rcompense les meilleures crations dans
le domaine du design optique sur le Web. Les talents sont partout, nous avons les meilleures
optiques pour les reprer Daniel Fabucci samuse avec la presse avec ses formules chocs.
Cependant, il sait que le pige se referme tout doucement. Pour qui va passer MUCCI en se
lanant dans une procdure en contrefaon lencontre de FABTorrent? Eux qui ont tant
profit de lindustrie numrique pour asseoir leur nouveau positionnement grce la libration
du partage. Cest presque devenu une marque de fabrique pour MUCCI. Aujourdhui leur
cte sympathie auprs du public est immense, leur image est trs attractive et respecte en
termes dmulation crative et dinnovation. Jamais une entreprise navait pous autant sa
communaut en la librant et en la dcomplexant. Aujourdhui, MUCCI nest pas un acteur
comme les autres dans le domaine optique.
Emprunter la voie juridique permettrait une action court terme, avec une trs forte
probabilit de gain pour MUCCI face FABTorrent. En revanche, le risque moyen
terme est norme: le drfrencement de tous ses modles, et une perte de positions
stratgiques pour la marque qui a opt pour le virage numrique. Et ne soyons pas nafs,
les modles seront tlchargs depuis un autre continent. Il sera dans ce contexte impossible
de poursuivre qui que ce soit dans cette bataille en obtenant une dcision efficace et applicable.
Daniel Fabucci en tire trois enseignements importants.
Stratgique: une conception trop simple peut se rvler difficile protger.
La conception dobjets tels que la monture SunWesh est facilement reproductible par un
particulier grce une imprimante 3D domestique de premier prix. Lun des risques est de voir

331
Site fictif dont le nom est inspir de lApple Store.
332Ce designer sest notamment fait remarquer en dessinant de nombreux objets
imaginaires de grandes marques.

se rpandre les contrefaons couvertes sous ltendard de la copie prive sans moyen juridique
efficace pour exercer le droit. Linnovation de ses montures modulaires sest retourne contre
MUCCI. Un systme plus complexe ncessitant lintervention dun tiers spcialiste aurait
pu permettre dimpliquer une responsabilit dans la chane de fabrication ou de distribution
et dobtenir un droit (droit dauteur, de marque ou brevet ou de dessins et modles) qui soit
applicable efficacement auprs dun tribunal.
Juridique: le droit dauteur est lunique rempart contre la copie prive de masse mais son
exercice reste compliqu mettre en uvre.
En droit dauteur, un fichier obtenu illicitement ne peut prvaloir son acqureur de lexception
de la copie prive. La personnalisation de la fabrication dune uvre fait natre une multitude
dauteurs sur des uvres hybrides rendant lexercice du droit encore plus complexe.
Financier: le manque gagner caus par la dmocratisation des imprimantes 3D et la
multiplication de leur usage dans le cadre priv doit tre compens par un systme de
rtributions de droits.
Daniel a le sentiment dtre entr dans lHistoire avec un succs destime dont le manque
gagner financier a permis de dynamiser limage de la marque. Aujourdhui, il est bien incapable
de mesurer si la balance conomique est positive ou ngative. Faut-il penser un nouveau modle
conomique? Par exemple, par la cration dune taxe spcifique sur les imprimantes 3D usage
domestique et sur certains consommables destins la fabrication dobjets 3D?
Ce mme mercredi 15 novembre 2021, Daniel Fabucci dcide dinscrire MUCCI sur la liste des
industriels signataires dune proposition soutenue par lopposition politique. Cette proposition
donne les grandes lignes dune organisation dorganismes de collecte et de redistribution de
droits sur les fichiers CAO tlchargs et scanns. Une particularit de cette proposition est
quelle utilise les classifications des brevets, des marques et des dessins et modles pour
organiser la rtribution des droits perus aux industriels.
Ce que Daniel ne sait pas encore, cest que lopposition propose un mode de redistribution de
ces droits aux industriels selon une spcificit qui ne rendra pas MUCCI ligible.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 281

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

scnario N2: un FAB LAB responsable de ses balles de golf


Pour quelques poignes deuros chaque nuit
Ce mme mercredi 15 novembre, dans un Fab Lab situ au 15 rue du Bon-Droit, Thierry
Lestienne, un client, discute avec Michel, le grant, qui est aux manettes ce matin dune
imprimante 3D dernier cri. Cest la SmashFlow 3000333, une merveille! Cette machine permet
notamment de fabriquer des objets complexes en 3D et de raliser naturellement des objets en
poly-matriau. La discussion va bon train et Michel le reconnat: il navait pas vu venir le succs
de la commercialisation de ses balles de golf customises. Il est content de son investissement,
les finitions sont propres, les formes creuses matrises. Chaque soir, il ralise lui-mme davance
plusieurs centaines de balles qui se vendent toutes. Elles sont originales et trs bon march.
Michel a rcupr le fichier CAO dune balle de golf dernier cri: la SPIXON334. Cette dernire
est creuse et comporte des spcificits de conception lintrieur pour optimiser le cot
de production en utilisant deux matriaux sur deux couches. Michel ignore que sur les
botes originales des SPIXON, il est inscrit Patent Pending WO335.
Certes, les balles de Michel nont pas la mme longvit quune SPIXON dorigine, mais au golf,
chacun sait quune balle finit tt ou tard par se perdre.
La SmashFlow 3000 est une machine dimpression 3D atypique car elle permet la conception
de parties moules et de parties conues par injection de matire dune mme pice. De fait, le
temps de conception est nettement amlior. Chez Michel, une balle de golf SPIXON est conue
en peine une poigne de minutes. En plus, il est possible dinscrire des motifs personnaliss
avec une encre fluorescente sur sa surface extrieure. Cest fun et pratique. Cest dailleurs ce qui
a permis Michel dappter ses premiers clients sur cet objet. Il a mis en vitrine quelques balles
tests avec des mentions sorties de sa propre imagination (Hit Me, Fais-moi dcoller, etc.),
des citations ou encore des petits dessins.
Michel est capable den produire douze quinze par heure avec une machine. En programmant
sa machine le soir, pendant la nuit, il arrive produire une centaine de balles ce qui reprsente
entre3 000 et4 000 euros de chiffre supplmentaire chaque mois.
Concernant ces balles de golf, Michel prcise Thierry quon ne pourra de toute manire
pas lattaquer car ce ne sont pas vraiment les mmes balles que les originales protges.
En effet, elles sont fabriques diffremment des SPIXON dorigine. Un golfeur lui avait dj dit
ceci: Vos balles tiennent moins bien dans la dure car elles ne suivent pas la mme mthode de
fabrication quune balle normale. Leur look est identique mais leur longvit est moindre.
Pour Michel cela signifie que leur reproduction nenfreint pas de droit de brevet sur la balle
puisque ce nest, in fine, pas le mme produit. La preuve: elles ont des tenues mcaniques
diffrentes!

333Ce modle dimprimante 3D nexiste pas.


334
SPIXON est une marque imaginaire.
335
Mention prcisant quun droit de brevet protge le produit marqu.

Ce que Michel ignore, cest que la porte dun brevet est dfinie par les revendications
et que la contrefaon se juge par les ressemblances et non par les diffrences entre un
produit et les caractristiques dune revendication. Or ces dernires revendications prcisent
le dimensionnement dune sphre bicouche comportant une cavit creuse en fonction dune
densit souhaite de la balle. Malheureusement, ceci est reproduit par limprimante 3D qui se
base sur un fichier CAO identique aux balles originales des SPIXON.
Notons tout dabord quen mettant disposition ses machines et en conseillant les
usagers sur la ralisation de leur pice, Michel peut tre considr comme fournisseur
de moyens pour la mise en uvre dune invention protge par voie de brevet. Il peut
donc tre considr comme un acteur dans un acte de contrefaon.
ce titre, sa responsabilit ne peut tre mise en cause que sil a connaissance de lexistence dun
droit de brevet sur la pice reproduite par sa machine. En faisant signer un engagement dun
client imposant ce dernier de signaler tout droit existant, il scuriserait sa position.
En revanche, en fabriquant lui-mme des balles de golf pour faire gagner du temps ses clients
(quils aient command ou non des balles puisquil devance un besoin), il nest plus uniquement
un fournisseur de moyen: il fabrique et vend un produit contrefaisant. La connaissance de
lexistence dun droit de brevet sur lobjet fabriqu nest alors plus une condition pour mettre en
cause sa responsabilit.
Dans le cas prsent, Michel est contrefacteur en droit des brevets, quil ait pris
connaissance ou non de la mention Patented ainsi que du numro de brevet. Il risque
de se voir interdire toute production de balles SPIXON et de payer une somme forfaitaire
calcule sur le manque gagner de la marque SPIXON et des bnfices raliss. Par
ailleurs, les balles fabriques par les imprimantes 3D tant de plus mauvaise qualit que
les SPIXON dorigine, il risque de payer une somme base sur le prjudice limage de la
marque SPIXON.
Michel rvasse en regardant les lvres de Thierry bouger. Outre les motifs quil propose dinscrire
la surface de ses balles, il se pose la question du droit dauteur naissant sur la conception
dune balle de golf. La forme de la surface extrieure rpond des normes de la Fdration de
golf ainsi que son poids, tandis que la forme de son intrieur est uniquement dicte par des
contraintes techniques. Il ny a donc a priori pas de droit dauteur sur cette balle puisque les choix
de conception ne relvent pas des choix de lauteur. La balle ne porte pas la personnalit de
lauteur. Voici donc un exemple dun objet ralis par une imprimante 3D nayant pas fait natre
de droit dauteur mais qui est protg par un (ou des) titre(s) de brevet(s). La marque SPIXON,
si elle engageait une action en contrefaon, devrait donc utiliser uniquement ses brevets. Cette
petite digression de Michel sera interrompue plus tard par une intervention de Thierry.
Cependant, Thierry relve une autre particularit du Fab Lab tenu par Michel: ses locaux sont
diviss en deux pices. Jusque-l, rien dincroyable, dirait Michel.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 283

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

Tu es responsable de
ce que tu as apprivois.
Antoine de Saint-Exupry

Michel occupe la pice principale, dans laquelle il opre trois machines en fonction des contrats
de commandes et de lassistance quil offre ses clients dans la boutique. Il loue lautre pice,
lannexe, un gestionnaire de machines 3D.
Les machines prsentes dans lannexe sont toutes automatiques. Huit machines Plug & Play.
Il suffit de lire les grands panneaux daide pour sen tirer tout seul, et de suivre pas pas les
principales tapes pour configurer la machine. Chaque machine est quipe dun lecteur de carte
bancaire pour conclure laffaire. Les niveaux de consommables sont rgulirement contrls
par le gestionnaire qui assure la maintenance. Ce mme gestionnaire assure galement la
maintenance de diffrentes machines dissmines dans toute lle-de-France, et notamment
dans de nombreux hypermarchs.
Thierry semble stre bien renseign sur la responsabilit dun Fab Lab dans les actes de
contrefaon dobjets protgs reproduits et dont le fichier a t acquis illicitement. Il a lu
un article dans la presse qui semble affirmer que de nombreuses poursuites engages par des
industriels face des Fabs Labs soucieux de faire respecter leur droit de proprit intellectuelle
aboutissent, juste titre, auprs des tribunaux franais. En effet, en ce qui concerne le droit
dauteur, le copiste (le Fab Lab) et lusager (le client) souhaitant raliser un produit partir dun
modle 3D ne sont dans notre cas pas la mme personne. La reproduction pour un usage priv
dun objet 3D nest donc pas autorise (lexception de la copie prive en droit dauteur ne peut
tre invoque sauf possder soi-mme une imprimante 3D).
Michel reprend Thierry en lui prcisant quil sest organis de diffrentes manires. En ce qui
concerne lusage des machines automatiques, il ralise des contrats de mise disposition
dun lieu avec une socit externe. Il prcise dans le bail de location ne pas intervenir lors de
la ralisation dune impression et ne pas rentrer lui-mme dans le local qui est gr par le
gestionnaire de cette socit. En effet, seul le service de maintenance rentre dans le local pour
changer les consommables lors de ses venues.
Michel poursuit: Tout est expliqu sur de grands panneaux au-dessus des machines: choix du
consommable, configuration des ttes, transfert du fichier FAO, choix de la rsolution, il ny a plus
qu insrer sa CB et le tour est jou. Mais bien heureusement, les gens qui viennent pour les machines
automatiques, finissent par rentrer dans ma boutique lorsquils souhaitent aboutir un peu plus
leur objet. Cest donnant-donnant comme arrangement, mais on ne peut tout de mme pas me
reprocher ce qui se fait ct.

Un dialogue sinstalle entre les deux hommes.


Thierry: Eh bien, il semble que si, on pourrait te le reprocher. La jurisprudence donne
une dfinition du copiste (reprographes et gestionnaires de Fab Labs)336. On cherchera
savoir qui bnficient les ventes ralises par les machines automatiques. Il semble
que le loyer que tu tires de la location de lannexe te permette de bnficier dun revenu.
Par ailleurs, par la connexit des locaux, tu le reconnais toi-mme, certains clients entrant
initialement dans lannexe arrivent chez toi puisque tes services sont dans le prolongement
de la mme activit.
Oui mais cest un gain indirect dans les deux cas!
Peu importe.
Je prends soin de contrler auprs de mes clients que les objets raliss sur mes machines
nenfreignent pas de droits existants en leur faisant signer une dcharge. Cependant, je ne
peux pas tout contrler. Quant aux machines du local d ct, je ne peux pas contrler
ce qui est ralis par les gens, je ne peux pas me ddoubler.
Si tu ne veux pas assumer la responsabilit des productions des machines dont tu tires un
profit, ne les loue pas un gestionnaire dimprimantes 3D mais des lavomatiques, par
exemple, rien ne ten empche.
Alors, je ne drainerais pas autant de clients.
CQFD.
Penses-tu que toutes ces imprimantes automatiques 3D et scanneurs 3D que lon voit
clore face aux caisses des hypermarchs peuvent de la mme manire mettre en cause
les grants de la grande distribution en tant que bailleurs?
Normalement oui.
Quelle est la diffrence avec moi?
Ce nest pas vident didentifier le copiste. En revanche, lhypermarch ou le bailleur des
locaux touchera bien un revenu du fruit de la production de ces machines, il devrait tre
impliqu dans lacte de contrefaon.
Quel juge acceptera de dsigner un grant de grande surface comme un copiste? Cest
la mort du progrs. Jai limpression quon passe plus de temps chercher des coupables
qu favoriser lessor dune technologie. On va crever, non?
Allez, il est 11 heures, je dois y aller, tu me mettras dix balles de golf avec a, merci.
Ainsi Michel sexpose un risque: celui dtre poursuivi pour des actes de contrefaon en
droit dauteur concernant les machines automatiques de lannexe sans pouvoir contrler
les objets reproduits et sans pouvoir exiger une dcharge des clients en tant que bailleur.
Michel tire trois enseignements de cette discussion.
Juridique: le grant dun Fab Lab est un pivot dans lexercice des droits de proprit
intellectuelle et doit prendre de nombreuses prcautions. Comment connatre tous les droits
protgeant un objet? Les imprimantes 3D concernent une large gamme de produits, et chaque
opration avec un nouveau client ncessiterait une nouvelle recherche. Cest chronophage et
non rmunrateur. Bien souvent, le client est galement ignorant des droits de PI existants.

336
La dfinition actuelle du copiste concerne notamment les reprographes mais pas les
gestionnaires de Fab Labs.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 285

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

Entrepreneurial: crer son Fab Lab requiert un certain investissement financier et


comporte un risque juridique important. Le grant dun Fab Lab doit assurer la qualit, le
suivi et le renouvellement de ses machines. Il doit suivre les avances techniques et se former
pour que son expertise soit toujours pertinente.
Taxer les machines 3D ou les consommables pourrait savrer une solution permettant
dattnuer la prise de risque des intermdiaires et de simplifier la gestion des droits. Michel pense
quil faudrait crer deux rgimes selon le type de machines 3D du commerce: les automatiques,
de type Photomaton, ne requrant pas ou peu dassistance (call center ou assistance web), et
les machines sous contrle dun personnel dans un lieu destin cet usage.
Michel a remarqu que les imprimantes 3D automatiques sont souvent couples aux scanners
3D. Un service deux en un qui permet la reproduction dun original et qui ne peut pas tre
contrl. Les scanners CAO sont galement trs priss pour recueillir le fichier CAO numrique.
Certaines socits de collecte de droits sorganisent mais les questions des rtributions causent
de nombreux dbats. Michel na pas davis particulier sur cette question. Il remarque cependant
que les principaux objets reproduits sont des biens domestiques, des jouets, des jeux et des
pices de mobilier.
Social: les grants de Fab Lab peuvent avoir un intrt se syndiquer auprs dun lobby
pour dfendre leurs droits et mutualiser leurs actions juridiques.

scnario N3: des voitures dont on ne sait piloter la protection


Lobjet non volant non identifi
Il est 14 heures ce mme mercredi 15 novembre et Amandine Masle, conseillre en PI, a donn
ce matin une confrence trs attendue devant des professionnels de la proprit industrielle.
Intitule Anticiper le Modular Design, quelle protection choisir?, cette confrence portait sur
les protections des inventions reposant sur les nouvelles conceptions dobjets imprims en 3D
intgrant de llectronique.
Cette mthode de conception permettant de dissocier lenvironnement lectronique dun
produit mcanique conu par une imprimante 3D en un geste fait couler beaucoup dencre.
Les industriels ont vite compris lun des intrts de la technologie des imprimantes 3D: offrir
des produits modulaires dont lergonomie et le design sont dfinis par le client. Ils peuvent
tre fabriqus, adapts, personnaliss simplement par le consommateur partir dune
telle imprimante. En vendant un botier comprenant une lectronique, une mmoire, des
capteurs (pression, humidit, temprature, vitesse, inertie, position, sonore, optique, etc.) et
ventuellement une motorisation selon le produit, on pouvait fabriquer presque nimporte quoi.
En somme, on offrirait une modularit exceptionnelle au consommateur capable dintgrer et
de configurer ce petit botier magique.
Dans sa confrence, Amandine Masle voquait les premires applications nes du Modular
Design. On se rappelle que lune dentre elles nous a marqus dans les annes 2018-2020:
Les attaches connectes337 qui permettent dintgrer une puce dans un petit bti mcanique
ralis au moyen dune imprimante 3D. On configure ses dimensions, ses couleurs, son mode
de fixation (pince, crochet, pattes dassemblage, etc.) ainsi que la configuration des capteurs
utiliss. Ce petit gadget a rvolutionn lunivers des objets connects. On clippe son module
un objet et on active les capteurs appareills un appareil mobile ou une box internet.
Vous pouvez ainsi surveiller que votre frigo est ferm et la bonne temprature, prvenir dun
cambriolage, ou connatre le taux dutilisation du vlo de votre enfant.
Mais cest essentiellement le domaine des jouets et des jeux qui a vu les plus grands
changements. En dix ans, quasiment tous les acteurs majeurs du secteur ont t branls par
de nouveaux arrivants prsentant une offre modulaire, tendance, rpondant des souhaits
de crativit et de moments de convivialit familiaux. Dsormais, les enfants conoivent avec
leur parent. Ils apprennent manier des interfaces CAO lcole. Figurant depuis peu parmi les
options du baccalaurat, la CAO des imprimantes 3D est value selon trois critres: ingniosit
de la solution du modle, paramtrage du logiciel et optimisation et ralisation (contrle de la
machine, finitions, etc.).
Ce qui perturbe de nombreux acteurs et conseillers en PI est la dfinition des objets protger
dans les demandes de brevets dinvention, et la dfense du critre dactivit inventive, qui
semble voluer.

337
Les attaches connectes ne sont pas spcifiquement un produit ayant une dfinition
ce jour.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 287

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

Rappelons que:
les objets dfinissent la nature de ce que lon protge et la porte de la protection de
linvention (les objets sont dfinis dans les revendications dun brevet) ;
le critre dactivit inventive est un critre examin par les offices de brevets lors dune
procdure de dlivrance ou de contrefaon (est-ce que lhomme de lart338 reproduirait
linvention en combinant au moins deux solutions de ltat de lart?).
Le cas des attaches connectes (comportant des capteurs configurer) est un bon exemple
puisquelles sont utilises par les examinateurs pour dtruire lactivit inventive des inventions
portant sur de nombreuses applications dobjets connects. Exemple, lhomme de lart, en
combinant une attache connecte et un capteur dhumidit aboutit, selon lexaminateur, une
station mtorologique domestique.
La modularit des objets daujourdhui repose sur une sparation des fonctions ergonomiques,
mcaniques et lectroniques. La modularit est donc souvent invoque par les examinateurs
des offices de brevets comme une connaissance gnrale de lhomme de lart pour combiner
naturellement diffrentes fonctions. Lhomme de lart 2.0 pense modulaire, il est capable de
changer de domaine technique pour combiner des solutions tiroirs.
De toute manire, les spcialistes le remarquaient dj: le critre dactivit inventive dans les
brevets est plus subjectif que le critre de nouveaut (lun des trois critres de brevetabilit). Ce
critre na cess de fluctuer avec le temps, les jurisprudences et les technologies. Sa dfinition
se raffine. Par exemple, en France, lapprciation du critre dactivit inventive concernant les
inventions dans le domaine de linformatique a volu en dix ans de temps dans les annes
2000.
La vritable innovation des imprimantes 3D est peut-tre l: rendre des objets du quotidien
modulaires, customisables lenvi selon lhumeur (lectronique, batterie, botier, ergonomie,
etc.). La rencontre des objets connects avec les imprimantes 3D a t explosive pour les
CPI339. Cest un peu tenter de protger lappareil capable de tout et que lon peut coupler avec
nimporte quel objet.
Les CPI sont partags sur la stratgie adopter: dfinir un objet de porte large sans dfinir
la destination du produit ou restreindre la porte de lobjet en y prcisant son application. En
outre, le CPI tente de multiplier les objets dans une mme demande de brevet au risque de ne
pas satisfaire le critre dunit dinvention (CPI - L.612-4) ou le critre limitant le nombre dobjets
indpendants pouvant tre revendiqus dans une mme catgorie (CPI - R.612-17-1).

Se rvolter ou sadapter
Cet aprs-midi, Amandine Masle reoit son ami et client Damien Lucas. Cette fois, elle ne va pas
lui dire quil a pris des couleurs: il rentre le teint gris. Cest le dirigeant de METTALO, entreprise
franaise dans le secteur des jouets, et plus particulirement dans le domaine du modlisme. Il
vient lui signifier quil ne pourra pas honorer ses dernires factures, il en est dsol. La marque est

338
Lhomme de lart est une fiction juridique notamment utilise dans les raisonnements
dactivit inventive pour valuer la brevetabilit dune invention.
339CPI est lacronyme Conseil en proprit industrielle.

en cessation de paiement et en redressement, la liquidation vient dtre prononce dans un


toll mdiatique. Trois tentatives de sauvetage dArnal MonteHammot avec des partenaires
internationaux (asiatique, amricain et allemand) nont pas suffi sauver la marque franaise.
Damien Lucas a annonc dans la presse: La rvolution des imprimantes 3D aura eu notre peau,
ce sont plus de 200 emplois qui partent en fume.
Damien Lucas reproche demi-mot son amie Amandine Masle le fait que ses produits
disposent de protections inadaptes puisquils subissent de plein fouet des reproductions et
des contrefaons sans quil puisse agir. Premier produit en ligne de mire: le RotoTurbo, un
modle rduit de voiture vendu en kit et dont le moteur est devenu un standard chez tous les
revendeurs, au-del mme des frontires franaises. METTALO a des brevets franais mais na
pas cherch tendre ses brevets ltranger pour des raisons de cots.
Voil la situation: METTALO na cess de perdre des parts de march dans son secteur. De plus,
les ventes de ces modles se sont effondres brusquement ces derniers mois. Aujourdhui, on
se fait livrer le moteur de la RotoTurbo par un simple achat sur le Web via un site hberg
ltranger. Laccs au fichier CAO numrique de lensemble des pices nest pas difficile obtenir
en fouillant un peu la Toile. Certains sont mme accessibles sur le site fournissant le moteur en
question. Certains revendeurs vous livrent mme les consommables ncessaires la ralisation
du modle avec le moteur.
METTALO, qui ralise lessentiel de sa marge sur les pices de modlisme, subit de plein fouet
cette nouvelle offre.
Amandine Masle explique que les dessins et modles dposs protgent bien la carrosserie des
voitures et que le droit dauteur protge la forme des pices et la carrosserie galement. Les
brevets protgent le tout: la voiture comprenant sa carrosserie, ses pices, son moteur, et mme
la tlcommande.
Notons quil est difficile de reprocher un fournisseur de moteurs de prciser quil est compatible
avec des pices METTALO.
Au niveau des brevets, les objets protgs dans les demandes de brevets concernent des voitures
de modlisme ou des kits de montage. Le procd de montage et le procd de fabrication ne
sont pas protgs.
Les titres de brevet empchent thoriquement un concurrent de vendre lensemble du kit
(moteur, pices et carrosserie plastique). Damien Lucas se demande quoi sert un tel brevet
dans un monde ou le kit est obtenu par diffrents intermdiaires (en France et ltranger) et
par diffrents modes daccs (voie postale et tlchargement). Mme si un concurrent pouvait
tre poursuivi pour la fourniture de moyens de mise en uvre de contrefaon (cest--dire dune
partie uniquement du produit protg), il resterait difficile saisir et le particulier qui assemble le
tout bnficierait de lexception de la copie prive en droit des brevets.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 289

4.5 L ES IMPRIMANTES 3D ET LA RVOLUTION NUMRIQUE : RALIT OU FICTION ?

La situation est grotesque: METTALO se regarde mourir. Les revendeurs trangers du moteur
de la RotoTurbo ne semblent pas atteignables et ne sont pas inquits. Ils ne peuvent subir
aucune contre-offensive ou rpression sur le sol franais. Les plans CAO sont tlchargeables en
version numrique et les moteurs sont envoys par colis, mais les douanes sont dpasses par
ces composants seuls dont il est difficile didentifier la fonction.
Limprimante 3D offre au particulier la possibilit de concevoir lui-mme la carrosserie et les
pices du modle de la voiture. lui de composer ensuite la voiture en assemblant les diffrentes
pices et en y intgrant le moteur. Cest ludique, tout papa adore a. Mais il reproduit in fine
lobjet du brevet.
Amandine Masle tente de rconforter son ami Damien. Elle lassure: elle a protg ce qui
tait protgeable. Cest bien la combinaison des pices et du moteur qui provoquait un effet
technique.
Et puis, le brevet ne doit pas tre lunique arme de guerre pour conqurir et prserver un march.
Le particulier enfreint a priori le droit dauteur en tlchargeant illgalement un fichier numrique
CAO dfinissant la forme des pices de la voiture.
Damien Lucas tire trois enseignements de son aventure.
conomique: la dmocratisation des imprimantes 3D va restructurer le march et
favoriser lmergence de nouveaux acteurs et dun nouveau modle conomique.
Philosophique: une relocalisation de la production de certains biens laisse imaginer une
nouvelle socit. Damien imagine un nouveau monde dans lequel chacun produit son chelle
grce des Fab Labs de quartier et des moyens de production accessibles. Lespace industriel du
bien de consommation semble se redessiner. Certes, le gros uvre et les hautes technologies
restent dans la grand ville, mais pour le reste, une micro-industrie de quartier est ne.
Juridique: les imprimantes 3D, comme dautres innovations, pourraient dplacer le seuil
dapprciation dactivit inventive. Dans certains domaines o lhomme de lart est par
exemple capable daboutir des objets hybrides dont une partie peut tre fabrique par une
imprimante 3D.
Mais cela est-il propre larrive des imprimantes 3D? Certainement pas. titre dexemple,
on peut citer le secteur automobile, qui a d faire face larrive de nombreuses applications
sur smartphones ralisant des fonctions daide la conduite. De nombreux acteurs dans le
domaine automobile ont alors vu des documents de brevets dapplications pour smartphone
constituer des antriorits leurs inventions, bien que ces applications ne soient pas ralises
par un composant du vhicule.

pilogue: La gestion des droits, une certaine classe


Enfin, ce mercredi 15 novembre est un jour important pour Serge Champion, alors ministre de
lconomie numrique. Aprs les questions lassemble du matin, il prsentera son grand projet:
Le Grenelle du numrique340. Sous-titr Il faut sauver nos emplois, ce projet sannonce
comme un ptard mouill selon les journalistes du FIBARO.
La hausse de la TVA numrique sur les objets fabriqus par des imprimantes 3D est lune des
nombreuses mesures de ce plan341 dont il est le dfenseur.
Le ministre va devoir batailler durement, car la plupart de ses dtracteurs souhaiteraient laisser libre
la collecte des droits par des socits de gestion de droits rglementes. Mais celles-ci tardent se
mettre en place, cest un bourbier.
La solution TVA est conteste. Tout dabord, la TVA ne se baserait que sur les quantits produites
sans distinction des domaines traits. Ensuite, elle concernerait exclusivement les particuliers. Les
entreprises telles que les Fab Labs ne seraient pratiquement pas impactes par cette mesure.
Une alternative propose par lopposition repose sur une taxe trois niveaux:
une taxe sur les imprimantes 3D domestiques pour pallier les consquences des impressions
ralises dans le cadre de lusage priv ;
une taxe sur les imprimantes 3D automatiques industrielles (fonctionnant comme des Photomaton) ;
une taxe sur les imprimantes 3D des Fab Labs dans lesquels une assistance technique peut
tre fournie.
Sajoutant ces trois taxes, une trs lgre taxation des consommables permet dchelonner les
redevances des impressions selon les utilisations. Mais le politique est soucieux de rendre cette
technologie comptitive en France car elle est prometteuse, et la taxe maintenue minime.
Enfin, la rtribution des droits se ferait selon une quote-part du chiffre daffaires des entreprises
ralisant des objets dans les catgories suivantes:
objets de certaines classes de la section A de la Classification internationale des brevets
(CIB)342: Ncessits courantes de la vie, dont notamment les classes suivantes de cette
section 7, 8, 17, 19, 20, 21, 22, 28 ;
objets de la classe 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 28, 39 de la Classification de
Nice343 pour le droit des marques ;
objets des classes 6, 7, 8, 9, 11, 19, 20, 21, 22, 30 de la Classification de Locarno344 en ce
qui concerne les droits des dessins et modles.
On note que les lunettes ne sont pas intgres dans ces classes. Laprs-midi risque dtre mouvement.

340
Grenelle fictif.
341Plan fictif.
342Cre par larrangement de Strasbourg (1971), la classification internationale des
brevets (CIB), est un systme hirarchique de symboles indpendants de la langue
pour le classement des brevets et des modles dutilit selon les diffrents domaines
technologiques auxquels ils appartiennent.
343Institue par larrangement de Nice (1957), la classification de Nice est une classification
internationale de produits et de services aux fins de lenregistrement des marques. Elle
permet de dterminer dans quels secteurs les marques sont dposes.
344Institue par larrangement de Locarno (1968), la classification de Locarno est une classification
internationale utilise aux fins de lenregistrement des dessins et modles industriels.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 291

synthse

par Fatima Ghilassene, charge dtudes lINPI

Les liens entre lconomie numrique et la proprit intellectuelle ne se rduisent pas la


question de savoir si la proprit intellectuelle constituerait un frein ou un levier pour lconomie
numrique. Les deux sujets sont intrinsquement lis. La proprit intellectuelle se rvle tre
une des composantes de lconomie numrique en tant tout la fois un actif immatriel et un
instrument de protection au service de la stratgie des acteurs conomiques.
Lconomie numrique a fait merger de nouveaux concepts et consacr son propre vocabulaire
pour dsigner ce qui constitue sa matire premire les donnes , et les moyens dexploitation
de cette ressource. Les activits de lconomie numrique sappuient sur un ensemble doutils
et de concepts sans lesquels aucune activit nest possible. Ce sont notamment le Big Data, les
algorithmes, les objets connects ou encore linteroprabilit des systmes.
Le Big Data dsigne des ensembles de donnes numriques extrmement volumineux
dtenus par les diffrents acteurs conomiques. Lobjectif du Big Data est de runir toutes
les informations pertinentes permettant aux entreprises den tirer un avantage conomique.
Le traitement en temps rel de ces informations permet notamment de raliser des analyses
prdictives grce une meilleure connaissance du client. Le Big Data reprsente donc pour les
entreprises un outil de marketing stratgique dans la mesure o le traitement de ces donnes
massives et parses leur permet dadapter leur offre aux besoins du consommateur dont le
comportement est tudi de manire continue. Deux notions cls caractrisent donc le Big
Data: exploitation de donnes brutes et massives et traitement en temps rel.
Ces donnes brutes sont analyses et traites par des algorithmes. Un algorithme est un
ensemble de rgles opratoires ou dinstructions dont lexcution permet de rsoudre des
problmes pralablement noncs au moyen dun nombre fini doprations. Il sagit de
mthodes mathmatiques capables de traiter de faon instantane et pertinente des donnes
numriques. Le Big Data est aliment par diffrents canaux dont on peut citer les bases de
donnes appartenant aux acteurs conomiques et les objets connects.
Les bases de donnes sont des infrastructures de stockage de donnes numriques. Elles
correspondent une vision statique et cloisonne, tant au niveau de lexploitation de leurs
contenus que de leur apprhension par le droit de la proprit intellectuelle.
Les objets connects sont des objets physiques dans lesquels sont intgres des informations
leur permettant de contenir, traiter et transmettre des donnes au moyen de techniques sans
fils. Lobjet connect est donc caractris par sa capacit transmettre des informations
dautres systmes, ce qui en fait une des sources du Big Data. Les objets connects touchent
diffrents domaines tels que lautomobile, llectromnager, voire les vtements. En effet, lobjet
connect peut tout simplement tre le vtement auquel est intgre une tiquette RFID jouant
un rle dauthentification au service de la marque, outil stratgique dans lconomie numrique.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 293

synthse

Le nombre dentreprises dont le modle conomique sappuie sur lexploitation de donnes


massives ou qui intgrent cette exploitation des donnes dans leur activit de base est en
constante augmentation. Le capital immatriel des entreprises est par consquent de plus
en plus important. Plus de 65% de la valeur des cent premires entreprises cotes en bourse
correspond un actif immatriel.
Les marques, les brevets et les droits des producteurs de bases de donnes font partie intgrante
de ce quon peut appeler le e-fonds de commerce des entreprises. Celui-ci na pas de dfinition
lgale mais la jurisprudence a dj eu loccasion de prciser que dans la mesure o les droits
de proprit intellectuelle concourent la captation dune clientle propre, personnelle et
stable, ceux-ci constituent des lments de ralliement qui appuient lexistence dun fonds de
commerce. La cession dun e-fonds de commerce devrait donc entraner la cession des droits de
proprit intellectuelle qui lui sont lis.
Si la contrefaon de la marque ncessite une vigilance permanente dans lconomie
traditionnelle, lconomie numrique lui donne de lampleur et diversifie ses formes. Ainsi,
lconomie numrique confronte la marque de nouveaux enjeux travers des utilisations
nouvelles sous forme de mots cls pour orienter le trafic sur le Net. Ces nouvelles utilisations
sont rendues possibles grce aux fameux Adwords consistant utiliser la marque dun tiers
sous forme de mots cls. Ces Adwords permettent doccuper lespace publicitaire dun tiers en
piratant sa marque. Lconomie numrique a par ailleurs donn naissance au cybersquattage,
pratique consistant enregistrer un nom de domaine correspondant une marque afin de
profiter de sa notorit. Ces comportements incitent les entreprises adopter une stratgie
doccupation et de dfense de leurs marques en dposant celles-ci en tant que noms de
domaines.
Le droit de la proprit intellectuelle est ainsi une composante importante de lconomie
numrique. Il demeure un instrument de protection que la transformation numrique de
lconomie met lpreuve et appelle complter afin que les investissements des entreprises
en matire de cration numrique puissent tre scuriss.

Le droit de la proprit intellectuelle, un outil de protection


insuffisant, voire dpass par lconomie numrique
I - Le Big Data
Les enjeux du Big Data dpassent le champ de la proprit intellectuelle. Le Big Data a de
nombreuses applications potentielles. Alors que les applications principales servent la stratgie
des entreprises, dautres peuvent au contraire tre sources de drives. Ainsi, le Big Data met
la charge des entreprises une double responsabilit consistant concilier leurs objectifs
conomiques avec:
le respect de la loi sur les donnes personnelles, impliquant dune part une obligation de
loyaut dans la collecte des donnes, et dautre part une obligation de licit de la finalit
de leur traitement;
la scurisation des donnes exploites (obligation de rsultat).

Propositions
Informer les entreprises des enjeux du Big Data, notamment sur la ncessit de nommer
un responsable de traitement de donnes, un Data Officer (ou directeur des donnes)
et de se doter de nouvelles comptences, les Data Scientists. Proposition de directive du
25 janvier2012 pour faire adapter le droit des donnes lre du numrique et visant
renforcer et harmoniser la protection des droits des personnes sur leurs donnes personnelles
au niveau europen.

II - Le droit des producteurs de bases de donnes


Le droit des producteurs de bases de donnes est issu de la loi du 1er juillet 1998 transposant
une directive europenne du 11 mars 1996. Lobjectif de la directive tait de scuriser les
investissements dans les infrastructures de stockage de donnes numriques. Le droit des
producteurs de bases de donnes tait justifi par une vision statique, cest--dire rduite au
simple stockage de donnes. Ce droit nest plus pertinent lre du Big Data dans la mesure o
celui-ci traduit une vision dynamique de lutilisation des donnes. Le Big Data, grce aux outils
de curation que sont les algorithmes, permet de traiter en temps rel des donnes parses. La
loi du 1er juillet 1998 ne protge que la production de bases de donnes et non la gestion des
donnes. Ainsi, le monopole octroy aux producteurs de bases de donnes peut porter atteinte
au principe de libre concurrence. En effet, certaines activits tant principalement assises sur
lexploitation de donnes, il est possible dempcher un concurrent potentiel dentrer sur le
march en le privant de donnes indispensables son dveloppement.

Proposition
Pour certains experts, il apparat ainsi ncessaire de faire voluer le droit des producteurs
de bases de donnes vers le droit des producteurs et exploitants de bases de donnes.
Une des pistes possibles est de rapprocher ce droit du droit des marques en associant le
monopole accord un objectif conomique. Il sagirait dinstaurer un droit doccupation
sur une activit conomique au mme titre quune marque confre un droit doccupation
sur des produits et des services et non un monopole absolu. La dsignation de la finalit
conomique remplacerait ici celle de produits et services exige pour le dpt dune marque.
Une telle volution permettrait de faire cohabiter des activits diffrentes mais utilisant
les mmes donnes. Pour ce faire, il apparat ncessaire de mettre en place un registre de
bases de donnes classes selon la finalit conomique, et daccorder une protection visant
lexploitation des donnes.

III - Lalgorithme
Lalgorithme, mthode mathmatique permettant un traitement en temps rel de volumes
considrables de donnes, ne bnficie pas de rgime de protection directe. Sous certaines
conditions, une application indirecte du droit dauteur ou des brevets est possible. Ces conditions
sont trs strictes. Le droit dauteur peut sappliquer lorsque lalgorithme est intgr un logiciel.
Notons que seule lexpression gnrale dun programme est protge. Les lments concourant

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 295

synthse

cette expression ne sont pas protgeables isolment. La rutilisation dun algorithme par un
tiers ne peut donc tre interdite.
Contrairement au droit amricain qui accorde la protection aux mthodes mathmatiques,
la protection par le brevet est exclue en Europe, sauf sil sagit dun algorithme intgr une
invention brevetable, auquel cas on retrouve une protection indirecte par le brevet.
Lalgorithme ne bnficie pas de rgime de protection directe. Il sagit dune mthode
mathmatique relevant de la catgorie des secrets daffaires, notion non dfinie juridiquement.
Les inventeurs de ses mthodes ont gnralement recours aux contrats pour valoriser et assurer
la confidentialit de leurs mthodes.
Proposition en cours de discussion
En raison de cette insuffisance de protection de lalgorithme, un projet de directive, inspir
des accords ADPIC, a t dpos par la commission europenne, visant crer un rgime de
protection sui generis propre aux secrets daffaires.

IV - Les objets connects


Rappelons que les objets connects sont des objets physiques dots de technologies sans fils
leur permettant de contenir, traiter et transmettre des donnes dautres objets similaires.
On parle aussi dInternet des objets (IDO), la mise en rseaux dobjets via Internet. Les objets
connects sont lune des grandes sources du Big Data puisquils transmettent sur le Net des
informations en continu.
LInternet des objets na pas de rgime juridique propre mais leur protection fait appel une
application distributive des droits de proprit intellectuelle. Alors que la protection par le
brevet est accorde pour leffet technique dun programme dun ordinateur, le droit dauteur
protge lexpression du programme dordinateur. Le droit des dessins et modles sapplique
lapparence esthtique des objets. Sous certaines conditions, une marque tridimensionnelle peut
tre dpose pour protger la forme de lobjet.
Cette application distributive dicte par limbrication de diffrents composants entrant dans la
constitution dun objet connect suppose par ailleurs une pluralit de crateurs susceptibles de
revendiquer des droits sur un objet connect. Par ailleurs, se pose la question de linteroprabilit
des systmes.

V - Linteroprabilit des systmes


Linteroprabilit dcrit la capacit des systmes changer entre eux. Cest ce qui permet
linterface entre les diffrents systmes. Linteroprabilit est une condition incontournable au
fonctionnement de lconomie numrique. Actuellement, cette interoprabilit donne lieu une
prolifration de rfrentiels sectoriels et ferms. Ce sont en gnral des normes propritaires
payantes, trop coteuses pour les PME.

Propositions
L a cration dune norme obligatoire manant dun organisme international et
indpendant imposant lobligation de concder des licences gratuites ou des
conditions respectant les rgles RAND est trs attendue par les entreprises.
Mettre en place un tarif prfrentiel pour les PME et TPE afin de leur faciliter laccs ces
rfrentiels souvent trop onreux.

VI - Luvre numrique
Une des caractristiques de la cration lre de lconomie numrique est limbrication
complexe de plusieurs contributions concourant la cration dune uvre. Cela reflte lessor
du dveloppement collaboratif. Luvre numrique est un ensemble complexe duvres,
chacune tant soumise un rgime juridique qui lui est propre. Luvre numrique est souvent
rapproche de luvre logicielle, de luvre audiovisuelle ou encore de luvre multimdia.
Le logiciel est un assemblage de plusieurs composants ou de briques supposant une pluralit
de contributeurs et donc une pluralit dayants droit. La cration dune uvre numrique induit
par consquent la ncessit de matriser le cycle juridique de son dveloppement, en retenant
qu lre du numrique, la question de la libert dexploitation des droits est plus importante
que celle de la titularit.
Le logiciel est soumis au droit dauteur et se voit appliquer un droit du logiciel sui generis lorsque
sa cration a eu lieu dans le cadre dun contrat de travail, en vertu duquel les droits patrimoniaux
sont automatiquement dvolus lemployeur.
En principe, luvre logicielle est exclue du champ de la brevetabilit. Nanmoins, cette
exclusion originelle du logiciel du domaine des brevets a t nuance par la jurisprudence.
En effet, la jurisprudence admet la protection par le brevet sil en rsulte un effet technique.
Cest le cas des inventions mises en uvre par un programme dordinateur. lheure du Web, la
protection par le brevet a t accorde des solutions permettant la traduction automatique de
contenus ou facilitant laccs aux ressources Web, ou encore des logiciels de scurisation ou
de simplification de transactions entre terminaux et services distants.
Cette protection accorde par les juges peut sembler satisfaisante pour les programmeurs. Ce
nest cependant pas tout fait le cas puisquil sagit dune protection jurisprudentielle consacre
au cas par cas. Un revirement de jurisprudence tant toujours possible, une intervention du
lgislateur en vue de consacrer cette protection est ncessaire.
La protection de principe par le droit dauteur du logiciel a une incidence sur la valorisation des
actifs immatriels de lentreprise. Le logiciel, class dans les uvres littraires et artistiques,
ne trouve pas de traduction montaire dans le bilan de lentreprise, linverse des bases de
donnes.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 297

synthse

Le droit dauteur trouve son fondement dans un compromis qui permet de faire converger des
intrts a priori opposs: incitation et diffusion des uvres. Lconomie numrique a boulevers
cet quilibre. Les nouvelles technologies impliquent par consquent la ncessit dadapter
les rgles du droit dauteur aux nouvelles manires de crer ainsi quaux nouveaux modes de
diffusion. Il convient en effet de tenir compte de la baisse notoire du cot de la cration induit par
la numrisation et qui pose la question de la lgitimit du droit dauteur dans un environnement
qui permet une diffusion quasi gratuite des uvres.

Propositions
Lquilibre entre incitation et diffusion peut tre rtabli par la mise en place de deux mesures.
La premire mesure serait de diminuer la dure des droits patrimoniaux. Cette solution, trs
dbattue au niveau europen, na pas emport lunanimit.
La seconde mesure consisterait rendre lobtention du droit dauteur payant en instaurant
lobligation pour les auteurs denregistrer leurs crations.

VII - Limpression 3D
Le dveloppement continu de lconomie numrique aura constamment pour effet de mettre
lpreuve le droit de la proprit intellectuelle. En effet, les nouvelles technologies ont vocation
interroger le droit de proprit intellectuelle dune part sur sa lgitimit et dautre part sur sa
capacit garantir leffectivit des droits noncs. La technologie de limpression 3D illustre
ce questionnement permanent induit par la transformation numrique de lconomie. Cette
technologie dite rvolutionnaire est aussi porteuse de danger pour les crateurs. Alors quelle
facilite la reproduction des uvres, elle tend, par la multiplication des acteurs quelle implique,
rendre difficile la lutte contre la contrefaon.

Propositions
Pour accompagner son dveloppement, des pistes de solutions sont proposes:
favoriser le dveloppement et lutilisation des mesures techniques de protection afin
dempcher la copie, sous rserve de ne pas entraver le principe dinteroprabilit des
systmes et sans porter atteinte aux liberts individuelles ;
responsabiliser les intermdiaires en mettant leur charge lobligation de tenir un
registre de fichier 3D et sensibiliser les Fab Labs la proprit intellectuelle ;
accorder aux juges la possibilit de prononcer des injonctions lencontre des
contrefacteurs.

synthse

Articles

Sujet, dfinition

DPI concerns

Article 1.1
Impact du Big Data

Le Big Data: ensemble de donnes


numriques extrmement volumineux
et en croissance exponentielle dtenu
par les acteurs conomiques.

Droit des producteurs de bases de


donnes

Xavier Pican

Droits dexploitation des donnes


personnelles

Donnes brutes analyses et traites


grce aux algorithmes.

Article 1.2
Adaptation du droit des
producteurs de bases de
donnes lmergence
du Big Data

Le droit des producteurs de bases de


donnes issu de la loi de juillet 1998 +
directive du 11mars1996.

Nicolas Courtier

Objectif: scuriser linvestissement


dans les infrastructures de stockage des
donnes numriques.

Article 1.3
Quelle protection
juridique pour
lalgorithme?

Lalgorithme: ensemble des rgles


opratoires dont lapplication permet
de rsoudre un problme nonc au
moyen dun nombre fini doprations.

Marc Schuler,
Benjamin Znaty

Le monopole octroy aux


producteurs de bases de donnes
peut porter atteinte la libre
concurrence en empchant un
concurrent potentiel dentrer
sur le march en le privant de
donnes indispensables son
dveloppement. Cf: donnes
assimiles aux infrastructures
essentielles.

Secret des affaires (mthodes


mathmatiques)
A priori aucun car pas de protection
directe

Enjeux

Recommandations

Lobjectif du Big Data: runir des informations


pertinentes pour en tirer un objectif conomique.
Le Big Data est donc un outil de marketing stratgique
pour les entreprises. Il permet le traitement en temps
rel de donnes parses, une analyse prdictive grce
une meilleure connaissance du client, permettant
ainsi dadapter loffre ses attentes.

Informer les entreprises sur les enjeux du Big Data:


Ncessit pour les entreprises de nommer un
responsable du traitement des donnes, les Data
Officers et de se doter de nouvelles comptences, les
Data Scientists.

Nombreuses applications potentielles, certaines


vertueuses, dautres pouvant prsenter un risque de
drive.
Double responsabilit des entreprises, concilier cet
objectif avec:
respect de la loi sur les donnes personnelles:
obligation de loyaut dans la collecte et licit de
la finalit du traitement ;
obligation de rsultat de la scurisation des
donnes.
Droit non pertinent lre du Big Data car le droit
des producteurs de bases de donnes est adapt
une vision statique, cest--dire au stockage des
donnes, alors que le Big Data correspond une
ralit dynamique, puisquil sagit dun traitement en
temps rel de donnes numriques parses issues
de diffrentes sources avec des outils de curation
(algorithmes). La loi de 1998 est dpasse car elle ne
couvre pas la protection de la gestion des donnes.

Protection indirecte par:


le droit dauteur de sa mise en forme intgre au
logiciel. Cette protection est insuffisante car seule
lexpression dun programme dordinateur est
lobjet de la protection, il ny a pas de protection
des lments concourant cette expression,
qui ne sont pas protgeables isolment. La
rutilisation dun algorithme ne peut donc tre
interdite ;
exclusion de la protection par le brevet en Europe
car il sagit de mthodes mathmatiques, mais
protection accorde aux tats-Unis. En Europe, la
brevetabilit est possible si elle est intgre une
invention brevetable. Ex: objets connects.
protection par la contractualisation, accords de
confidentialit et sur le terrain de la concurrence
dloyale.

Proposition de directive du 25 janvier 2012 pour faire


adapter le droit sur les donnes personnelles lre
du numrique et visant :
renforcer la protection des droits des personnes
sur leurs donnes personnelles ;
harmoniser la rglementation sur les donnes
personnelles au niveau europen.

Faire voluer le droit des producteurs de


bases de donnes en droit des producteurs et
exploitants de bases de donnes.
Rapprocher ce droit du droit des marques en
associant le monopole accord un objectif
conomique.
Objectif : faire cohabiter des activits diffrentes
utilisant les mmes donnes mais ayant une
finalit conomique diffrente.
Mettre en place un registre de bases de
donnes, classes en fonction de la finalit
conomique et accorder une protection la
gestion des donnes.
Crer un rgime de protection sui generis
propre au secret des affaires.
En attente dadoption du projet de directive sur la
protection du secret daffaires inspire des accords
ADPIC.
Une proposition de loi sur la reconnaissance lgale du
secret daffaires a t dpose le 16 juillet 2014.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 301

synthse

Articles

Sujet, dfinition

DPI concerns

Article 1.4
Les objets connects

Objet connect: objet physique dans


lequel sont intgrs des moyens
permettant lobjet de contenir, traiter
et transmettre des donnes au moyen
de techniques sans fil.

Pas de rgime juridique propre,


application distributive de rgimes
de protection distincts.

Virginie Brunot

Internet des objets: rseau de M2M


(machine machine).

Article 1.5
Linteroprabilit
des systmes

Interoprabilit = capacit des systmes


changer entre eux
(ex: objets connects).

Didier Adda

Permet linterface entre les systmes.

Article 2.1
La protection du logiciel
par le brevet

En Europe :
Principe : exclusion originelle de la
protection du logiciel par le brevet
Exception : la jurisprudence admet la
protection par le brevet sil existe un
effet technique.

Alexandre Lebkiri

Apprciation large de lexistence dun


effet technique par la jurisprudence.
Aux tats-Unis, le caractre technique
du logiciel nest pas un critre de
brevetabilit. Mais la jurisprudence
amricaine a exclu du champ du brevet
des mthodes mathmatiques pour
dfaut de caractre technique.
Harmonisation de la protection des
inventions ralises par ordinateur
au niveau international grce la
jurisprudence.

Droit dauteur
Brevets
Directive de 1991 et 2009
Loi de 2004

Logiciel
Brevet

Enjeux

Recommandations

Pluralit de crateurs susceptibles de revendiquer


des droits sur lobjet. Pluralit de droits. Problme
dinteroprabilit.

Identifier en amont:
les diffrents composants de luvre
susceptibles de faire lobjet dun droit de
proprit intellectuelle et dterminer leurs
rgimes juridiques respectifs ;
rgler par contrat les droits de proprit
intellectuelle en jeu.

Les objets connects sont:


des instruments de protection de la PI (tiquettes
RFID, marquages: la technique au service de la
marque en jouant le rle dauthentification des
objets dorigine) ;
sujets de protection: protection par le brevet de
leffet technique dun programme dordinateur,
par le droit dauteur de lexpression du
programme et le design pour le modle (marque
tridimensionnelle).

Il y a une prolifration de systmes ferms (rfrentiels


sectoriels, standards, spcifiques), normes payantes
reprsentant un cot important pour les entreprises.
Pas de norme obligatoire.

Crer une norme manant dun organisme


indpendant et des tarifs pour les PME/TPE.
Mettre en place une norme selon les rgles RAND,
imposant lobligation de concder des licences
gratuites ou un prix raisonnable.

Linteroprabilit des systmes est une condition


incontournable du fonctionnement de lconomie
numrique.

Protection prtorienne et casuistique tenant compte


des volutions technologiques et notamment
de lmergence des rseaux sociaux, du Web
Smantique, des applications sur smartphones.

Consacrer sur le plan lgislatif cette harmonisation


des pratiques des offices et jurisprudentielles au
niveau europen et international.

Exemples : extension de la protection par le brevet aux


solutions permettant :
la traduction automatique des contenus ou un
meilleur accs aux ressources Web ;
les logiciels facilitant la lecture de contenus sur
Smartphone, logiciels de scurisation ou de
simplification des transactions entre terminal et
serveur distant.
Problme : un revirement de jurisprudence tant
possible, existe une incertitude juridique.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 303

synthse

Articles

Sujet, dfinition

DPI concerns

Article 2.2
La protection du logiciel
par le droit dauteur

Un logiciel: un systme plusieurs


composants, un assemblage de
plusieurs composants.

Le droit dauteur

Magali Fitzgibbon
Luc Grateau
Guillaume Rousseau

Une des caractristiques de la cration


lre numrique est limbrication parfois
complexe de plusieurs contributions
concourant la cration dune uvre.
Cest lessor du dveloppement
collaboratif du logiciel.

Article 2.3
Rflexion autour de la
cration numrique dans
lentreprise

Luvre numrique ou uvre


multimdia toute uvre de cration
incorporant sur un mme support un
ou plusieurs lments suivants : texte,
son, images fixes, images animes,
programmes informatiques, dont la
structure et laccs sont rgis par un
logiciel permettant linteractivit .

Droit dauteur
Droit du logiciel
Droit des bases de donnes
Droit de luvre audiovisuelle

Illustration de luvre numrique,


uvre multimdia apprhende comme
une uvre complexe.

Droit dauteur
Droit du logiciel
Droit des bases de donnes
Droit de luvre audiovisuelle
Brevet

Jeu vido: uvre complexe compose


de logiciels, bases de donnes et
dlments audiovisuels (luvre
audiovisuelle est prsume uvre
de collaboration). Mais en raison du
caractre interactif, la jurisprudence
considre le jeu vido comme une
uvre multimdia.

Pas de rgime spcifique:


application des diffrents rgimes
auxquels sont soumis ses
composants

Viviane Gelles
Blandine Poidevin

Article 2.4
Protection des
applications de ralit
augmente
Marie Soulez

Article 2.5
Droit dauteur
et jeux vido
Antoine Casanova

Rgime distributif

Enjeux

Recommandations

Matrise du cycle juridique du dveloppement dun


logiciel quand existent une pluralit de crateurs et
une pluralit de briques de cration.

Les entreprises doivent se doter doutils leur


permettant de:
contrler la libert dexploitation des
composants intgrs leurs propres crations ;
suivre la chane des droits et des responsabilits
en jeu.

Dans lconomie numrique, le plus important nest


pas la titularit des droits mais la libert dexploitation
du logiciel.

Cas de luvre cre par le salari


Luvre numrique rapproche soit de luvre
logicielle, de luvre audiovisuelle ou encore de
luvre multimdia.
Principe : si luvre est cre par un salari, les droits
dauteur appartiennent au salari.
Exception : rgime drogatoire pour le logiciel
sagissant des droits patrimoniaux, le droit des bases
de donnes et de luvre audio-visuelle).
Consquence : le titulaire des droits est dans certains
cas le salari (droit commun) et dans dautres
lemployeur (droit du logiciel). Cette situation est
source dinscurit juridique pour lemployeur.

uvres complexes, objets dune application


distributive de diffrents rgimes.
Incertitude juridique pour lentreprise qui sera titulaire
des droits que de certains composants de luvre
uniquement.

Rgime complexe crant une inscurit juridique pour


les investisseurs : les studios et diteurs.

1/ Application distributive des rgimes juridiques


propres chacun des composants de luvre.
2/ Recours luvre collective.
3/ Cration dun rgime ad hoc spcifique luvre
numrique.
4/ Rforme globale du droit dauteur avec la
suppression des rgimes drogatoires et le retour
au rgime unique en prvoyant :
une prsomption de cession des droits
patrimoniaux au profit de lemployeur en
vertu du contrat de travail dans lequel le
salari consent cette cession ;
une rmunration proportionnelle aux
recettes dexploitation de luvre (ex. secteur
de la mode).

Recommandations destination des entreprises :


1/ organiser par contrat la cession :
des droits antrieurs (pour la rutilisation des
uvres prexistantes) ;
des droits sur les lments nouvellement
crs par les salaris.
2/ tudier lopportunit de dposer un brevet si
un des composants rpond aux critres dune
invention brevetable.

Instaurer un rgime juridique semblable celui


en vigueur au Canada, tats-Unis, Allemagne et
Japon, pays dans lesquels le jeu vido est galement
considr comme une uvre complexe mais avec
un rgime juridique favorable aux investisseurs pour
lesquels existe une prsomption de titularit des
droits sauf clause expresse contraire dans le contrat
de travail.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 305

synthse

Articles

Sujet, dfinition

DPI concerns

Article 3.1
La marque dans
lconomie numrique

Protection, usage et valorisation de la


marque dans lconomie numrique.

La marque

Marie-Emmanuelle Haas

Article 3.2
Le e-fonds de commerce
Tamara Bootherstone

Article 3.3
valuation et traitement
comptable et fiscal des
bases de donnes
Marc Levieils

Article 4.1
Lconomie du droit
dauteur face aux dfis
de la numrisation
Julien Pnin

Adwords: utilisation de la marque dun


tiers sous forme de mots cls pour
orienter le trafic.

Pas de dfinition lgale du e-fonds


de commerce. E-fonds de commerce
consacr par la jurisprudence (CA
Poitiers 2 juillet 2010): lexistence dune
clientle propre, personnelle et stable.
Les DPI constituent des lments de
ralliement de la clientle qui appuient
lexistence de fonds de commerce.

Tous les DPI

Hausse de modles conomiques


sappuyant sur lexploitation de donnes
massives. La part de lactif immatriel
augmente: plus de 65% de la valeur
des 100 premires entreprises cotes en
bourse correspond un actif immatriel,
mais demeure sous-valu sur le plan
comptable.

Droit des bases de donnes et


logiciel

Lconomie numrique a boulevers


lquilibre entre incitation et diffusion
des uvres (numrisation, Internet,
imprimantes 3D).

Droit dauteur

Spcificit du e-fonds de commerce:


le contrat de bail remplac par le
contrat dhbergement et le nom
de domaine.

Enjeux

Recommandations

Dans lenvironnement numrique se pose le problme


des Adwords.

Les entreprises doivent adopter une stratgie


doccupation et de dfense de leurs marques en
dposant leurs marques en noms de domaines
+ les juristes et le marketing devraient travailler
ensemble.

Piratage de la marque par les noms de domaine


Adwords pour occuper lespace publicitaire du titulaire
de la marque.

Les marques, brevets, les droits de producteurs de


bases de donnes sont des lments incorporels qui
font partie du e-fonds de commerce.

En cas de cession dun e-fonds de commerce, prciser


dans le contrat de cession les droits de proprit
intellectuelle ainsi que les contrats (hbergement,
noms de domaine) compris dans la cession.

En cas de cession du e-fonds de commerce, il y a


normalement aussi cession des contrats mais la
jurisprudence exige que cette cession soit formule de
manire express dans lacte de cession.

Le logiciel protg par le droit dauteur est class dans


les uvres littraires et artistiques.
La valeur des bases de donnes est sous-value dans
le bilan des entreprises alors que la part des actifs
immatriels dans la valeur des entreprises augmente.

Les volutions technologiques impliquent dadapter


les rgles du droit dauteur afin de tenir compte
des nouvelles manires de crer. Les rgles du droit
dauteur forment un compromis permettant de
rsoudre le dilemme incitation et diffusion. Lincitation
concerne les investisseurs (banques, maisons de
disques, producteurs, maisons ddition).

Mettre en place une norme internationale de mthode


dvaluation des actifs immatriels sur le modle de la
norme ISO 10668, mthode dvaluation montaire
dune marque.

Ncessit de rquilibrer le systme du droit dauteur


pour lui redonner sa lgitimit.
Les pistes de solution:
rduire la dure du droit patrimonial;
obliger les crateurs senregistrer pour bnficier
du droit dauteur;
rendre lobtention du droit dauteur payant.

Lconomie numrique permet la diffusion quasigratuite et instantane des uvres. Les tudes
dmontrent que cela na pas dincidence sur la
cration mais a fait diminuer les revenus des maisons
de disques.
La numrisation diminue les cots de production et de
distribution.
Se pose ainsi la question de la lgitimit du droit
dauteur face un compromis de dpart dsquilibr.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 307

synthse

Articles

Sujet, dfinition

DPI concerns

Article 4.2
La contrefaon dans le
cadre de limpression 3D

Limpression 3D: procd de fabrication


rvolutionnaire / technologie de
fabrication additive

Tous

Le DPI est fond sur un principe de


territorialit, la protection confre
tant nationale, or limpression 3D
permet la duplication des objets partout
dans le monde. Il sagit dun moyen de
reproduction sans frontire.

Tous

Dfinition des Fab Labs: lieu ouvert


au public, avec mise disposition de
machines telles que les imprimantes 3D,
de fichiers numriques et de matriaux.

Tous

Illustration des enjeux juridiques


que posera limpression 3D par trois
situations fictives.

Tous

Caroline Le Goffic

Article 4.3
Mesures techniques
de protection et
contrle des droits dans
lconomie numrique
Frdric Bourguet
Cristina Bayona Philippine

Article 4.4
Proprit intellectuelle
et Fab Labs
Sabine Diwo-Allain

Article 4.5
Les imprimantes 3D et la
rvolution numrique:
ralit ou fiction?
Julien Pichon

Enjeux

Recommandations

Porteur de dangers pour les titulaires des droits car


facilite la contrefaon: multiplicit et diversit des
acteurs.

Remdes proposs:
mesures techniques de protection condition de
ne pas empcher linteroprabilit des systmes;
responsabilisation des intermdiaires impliquant la
tenue dun registre de fichiers 3D;
accorder aux juges la possibilit de prononcer des
injonctions lencontre des contrefacteurs.

Ncessit dadopter des MTP pour empcher la copie.


Problme: risque dempcher linteroprabilit des
systmes et de menacer le droit la copie prive.
Comment concilier lobjectif de lutte contre la
contrefaon et celui de la protection des liberts
individuelles?

Encadrer sur le plan lgal lutilisation des mesures


techniques de protections de manire assurer la
protection des DPI sans porter atteinte:
aux liberts individuelles, notamment au droit la
copie prive ;
au principe de libre concurrence en empchant
linteroprabilit des systmes et en favorisant des
situations de position dominante ;
augmenter les pouvoirs des autorits de rgulation
(Hadopi ou CSA) en matire dinformation des
consommateurs et de prvention des abus de
position dominante.

Un des acteurs intermdiaires dans la reproduction


dobjets par des imprimantes 3D.

Les consquences de la copie prive de masse


de fichiers CAO.
La responsabilit dun Fab Labs.
Problmatiques de protection dobjets modulaires
et gnriques au moyen dimprimante 3D.

Sensibiliser les utilisateurs des Fab Labs la PI.


Former leur personnel la PI et les informer sur
leur responsabilit en cas de contrefaon.

Instaurer:
une TVA sur les objets fabriqus par imprimantes
3D?
une taxe sur les imprimantes domestiques pour
pallier les consquences des impressions ralises
dans le cadre de lusage priv?
une taxe sur les imprimantes automatiques
industrielles (type fonctionnement photomaton)?
une taxe sur les imprimantes 3D des Fab Labs
dans lesquels une assistance technique peut tre
fournie?
dfinir un mode redistribution des taxes selon
les classifications internationales (CIB pour les
brevets, de Nice pour les marques et Lucarno)
pour les D&M?

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 309

Conclusion

par Fatima Ghilassene, charge dtudes lINPI

Le numrique a eu pour effet de perturber lquilibre suppos exister dans les rapports entre
les agents conomiques. La justification originelle de la proprit intellectuelle reposait sur
un paradigme rvolu. Ce postulat de base sappuyait sur un modle conomique dans lequel
lauteur ou linventeur crait de faon isole et lentreprise produisait des biens et services
standardiss et destins des consommateurs passifs. Or, le numrique a modifi la position et
le rle des agents conomiques dsormais relis les uns aux autres dans un march de rseaux.
De nouvelles manires de crer, de diffuser et de consommer se sont imposes, entranant
une volution des enjeux lis la proprit intellectuelle. Aujourdhui, la cration est souvent
collaborative et se ralise au sein des entreprises.
La transformation numrique de lconomie a ouvert une nouvelle re, celle de la multitude:
multitude des donnes, multitude des sources, multitude des contributions et composants
concourant la ralisation dune uvre, multitude des canaux de diffusion. En effet, ce
phnomne de multitude sobserve tous les niveaux de lactivit conomique.

La multitude des sources dinformations


Les entreprises bnficient dune croissance exponentielle des sources dinformations sur les
consommateurs et ce, grce lmergence du Big Data qui repose sur une utilisation massive
de bases de donnes et le dveloppement des objets connects. Lexploitation de ces donnes
sappuie sur des algorithmes de plus en plus sophistiqus pour les trier de faon pertinente. Alors
que la protection des producteurs de bases de donnes appelle une volution vers un droit
des exploitants de bases de donnes, celle de lalgorithme, mthode mathmatique, attend sa
conscration dans une future loi sur la protection du secret daffaires.

La multitude des contributions la cration


Luvre numrique rsulte gnralement de lexcution dun contrat de travail et de la
combinaison de plusieurs contributions, chacune soumise un rgime juridique distinct
(logiciel, bases de donnes, images, graphiques). En labsence dun statut juridique ad hoc,
la jurisprudence a dabord rapproch luvre numrique de luvre logicielle ou de luvre
audiovisuelle ou encore de luvre multimdia. Ces hsitations de la jurisprudence dans la
qualification de luvre numrique sont source dinscurit juridique pour lemployeur. En
effet selon la qualification retenue et le rgime appliqu chacun des composants, les droits
patrimoniaux appartiendront lemployeur ou au salari, ce qui peut entraner in fine une
ingalit de traitement entre les diffrents salaris contributeurs qui seront titulaires ou non des
droits patrimoniaux selon la nature de leur contribution.
Le jeu vido illustre un cas dapplication de luvre numrique. Le jeu vido a dabord t
assimil luvre audiovisuelle et par consquent qualifie duvre de collaboration. Mais en
raison du caractre interactif de luvre, la jurisprudence a finalement retenu la qualification

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 311

conclusion

duvre multimdia et une application distributive des droits de proprit intellectuelle. Cette
qualification est dfavorable aux investisseurs que sont les studios de jeux vido. Cest pourquoi,
il est prconis de faire voluer le droit dauteur franais dans le sens dun rapprochement avec
le droit canadien, amricain ou japonais qui sans avoir arrt une qualification claire du jeu vido,
ont fait le choix dencourager les investisseurs pour lesquels existe une prsomption de titularit
des droits patrimoniaux.

La multitude des canaux de diffusion de la cration


Grce la numrisation, le consommateur dispose de diffrentes voies daccs aux uvres. En
effet, Internet permet dacheter le support physique de luvre, de tlcharger lgalement ou
illgalement luvre ou tout simplement dcouter ou de lire sans transfert de fichier, cest-dire en streaming. Le corollaire de cette extension des voies de diffusion est la baisse significative
des cots de production de luvre qui conduit sinterroger sur la pertinence de la dure de
protection des droits patrimoniaux accorde par le droit dauteur.

la Multitude des acteurs


Larrive sur le march des imprimantes 3D ajoute la facilit daccs aux uvres quelles soient
dsormais physiques ou numriques, celle de la multiplication des acteurs intermdiaires entre le
crateur et le consommateur. Se pose la question du niveau de responsabilit de ces diffrents
intermdiaires (fabricants, vendeurs, plates-formes, hbergeurs, diteurs) que le lgislateur
doit dfinir. Si les entreprises sont encourages utiliser les mesures techniques de protection,
le lgislateur est galement appel encadrer lutilisation de ces mesures techniques afin de
garantir les liberts publiques et le principe de libre concurrence.

la Multitude des rles de la proprit intellectuelle


Au-del du monopole dexploitation ou du droit doccupation accord par le titre de proprit
industrielle, la proprit intellectuelle constitue un actif immatriel de plus en plus prpondrant
dans le patrimoine des entreprises, bien quencore largement sous-valu dans le bilan des
entreprises.
La fonction traditionnelle attribue la marque est de garantir lorigine du produit quelle
dsigne. Mais dans lconomie numrique, la marque a dvelopp de fait dautres fonctions. En
effet, sur le Web, la marque est au cur de nombreux litiges opposant les titulaires de marques
et ceux de noms de domaines. La marque est devenue un outil stratgique du net utilis pour
dtourner la clientle attache une marque par la technique des Adwords ou pour profiter de
la notorit dune marque (cybersquatting).
Cette transformation de lconomie par le numrique a conduit les experts sollicits dans
cet ouvrage formuler un certain nombre de recommandations. Certaines dentre elles sont
destines au lgislateur, dautres aux entreprises.

Les recommandations destination du lgislateur


Sensibiliser les entreprises aux enjeux du Big Data et leur responsabilit quant au
respect de la loi informatique et liberts.
Faire voluer le droit des producteurs de bases de donnes vers un droit des exploitants
des bases de donnes pour tenir compte du phnomne du Big Data, en le rapprochant
du droit des marques.
Mettre en place un rgime juridique propre luvre numrique prvoyant une
dvolution des droits patrimoniaux lemployeur/investisseurs (studios, diteurs) et
une rmunration consquente du salari, afin de tenir compte du nouveau contexte
de la cration.
Encadrer lutilisation des mesures techniques de protection afin de veiller au respect
des liberts individuelles et de linteroprabilit des systmes pralable la libert de
concurrence par ladoption dune norme internationale standard dinteroprabilit.
Rexaminer la dure de protection des uvres et lopportunit dinstaurer une
obligation de dpt pour acqurir les droits dauteur.
Favoriser la mise en place dune norme internationale facilitant lvaluation des actifs
immatriels sur le modle de la norme ISO 10668, mthode dvaluation de la marque.
Dfinir le degr de responsabilit de lensemble des intermdiaires impliqus dans
le processus de diffusion des uvres et mettre leur charge lobligation de tenir un
registre de fichiers 3D et de contrler leur libert dexploitation.
S ensibiliser les utilisateurs et former le personnel des Fab Labs la proprit
intellectuelle.

Les recommandations destination des entreprises


Nommer un responsable du traitement des donnes personnelles et se doter de Data
Scientits afin de faire face aux enjeux du Big Data.
Se doter doutils de gestion des droits de proprit intellectuelle afin de matriser la
chane des droits des diffrentes contributions et composants dune uvre.
Systmatiser le recours au contrat, linstrument par excellence de scurisation des
changes afin de rgler les droits de proprit intellectuelle en jeu.
Adopter une stratgie de dfense et doccupation de leur marque sur le Web
conjuguant le dpt dun nom de domaine et celui de la marque associe.
Encourager une collaboration en amont entre les services juridique et marketing de
lentreprise afin danticiper les conflits ventuels.

INPI La proprit intellectuelle et la transformation numrique de lconomie 313

Avertissement
Les tudes publies dans le cadre de cette collection sont le rsultat
de travaux de rflexion indpendants. Les conclusions, propres leurs auteurs, nengagent pas lINPI.

La prsente publication est une dition hors commerce.

Illustrations : Getty Images - Akindo


Ralisation : Sabine Lesn
Achev dimprimer le 10 septembre 2015
sur les presses de limprimerie Friedling Graphique
68170 Rixheim - France
Dpt lgal ISBN n 978-2-7323-0009-2 (broch)
n 978-2-7323-0010-8 (PDF)
1re dition
Printed in France
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992,
complts par la loi du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication
est strictement interdite sans lautorisation expresse de lditeur.

INPI Institut national de la proprit industrielle www.inpi.fr

La proprit
intellectuelle

& la transformation
numrique de lconomie
Regards dexperts

Le numrique rvolutionne linnovation dans tous les secteurs dactivit, de lindustrie traditionnelle aux activits
de service.
Dans le cadre de sa mission daccompagnement des entreprises, lINPI a lanc un appel contributions pour
recueillir le point de vue dexperts autour des problmatiques lies la proprit intellectuelle dans le numrique
telles que les objets connects, le Big Data, la protection des algorithmes, les bases de donnes, limpression 3D et
dune manire gnrale, de la cration dans un contexte numrique.
Les dix-huit articles slectionns dans cet ouvrage vont contribuer nourrir le dbat national. Au-del du cercle des
experts de la proprit intellectuelle, il est essentiel que cet ouvrage alimente la discussion avec les entreprises afin
de les accompagner dans cette mutation de lconomie et de leur permettre damliorer leur comptitivit.

www.inpi.fr

ISBN
978-2-7323-0009-2 (broch)
978-2-7323-0010-8 (PDF)

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