CAN BATUKAN - Question de L'animal Chez Heidegger Et Deleuze
CAN BATUKAN - Question de L'animal Chez Heidegger Et Deleuze
CAN BATUKAN - Question de L'animal Chez Heidegger Et Deleuze
THESE DE DOCTORAT
FEVRIER 2015
UNIVERSITE GALATASARAY
INSTITUT DES SCIENCES SOCIALES
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
THESE DE DOCTORAT
FEVRIER 2015
ii
PREFACE
Cette recherche a commenc grce mes matres Prof. Melih Baaran et Prof.
Zeynep Direk. Je dois beaucoup leur savoir et sagesse. Pendant sept longues annes
de recherche et dcriture, Mme Direk ma toujours guid vers le bon chemin. Elle a
consacr son temps et attention sur cette tude. Je remercie aussi Prof. Ali Akay pour
ses prcieux conseils sur mes premires esquisses. Sans eux, je ne pouvais jamais
venir jusqu ce point.
A mes grands-parents et Cici .
iii
PREFACE ................................................................................................................................ II
TABLE DES MATIERES .................................................................................................... III
ABREVIATIONS .................................................................................................................... V
LISTE DES FIGURES........................................................................................................... VI
RESUME ............................................................................................................................... VII
ABSTRACT .......................................................................................................................... XII
ZET .................................................................................................................................. XVII
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE HEIDEGGER : ANIMALITE COMME QUESTION ............. 18
CHAPITRE I LA FORMULATION DE LA QUESTION DE LANIMALITE CHEZ
HEIDEGGER ....................................................................................................................... 19
Section I - Lhistoire de lme humaine et de lme animale nest pas simplement
lhistoire de lhumanit et de lanimalit mais lhistoire de la psukh et de
l ousia en gnral ...................................................................................................... 19
Section II - Heidegger retrouve lhistoire de la psukh et de lousia en gnral (1) chez
Aristote et les prsocratiques, (2) dans llaboration du concept du temps ............... 23
Section III - La question de lanimal comme question de lEtre chez Heidegger atteint sa
forme finale dans ltude de la tonalit (Stimmung) ......................................................... 27
CHAPITRE II LOUVERTURE DE LA QUESTION DE LANIMAL DANS LUVRE
DE HEIDEGGER : INTERPRETATIONS PHENOMENOLOGIQUES DARISTOTE .... 30
Section I - Dveloppement de linterprtation fausse ....................................................... 34
Section II - Vers linterprtation authentique ................................................................... 46
Section III - Elaboration du concept du temps ......................................................... 101
CHAPITRE III LANALYSE DE LA TONALITE (STIMMUNG) COMME
LOUVERTURE DE LA CONFIGURATION AUTHENTIQUE DE LA QUESTION DE
LANIMAL ........................................................................................................................ 117
Section I Tonalit ou affection ..................................................................................... 117
Section II - La tonalit fondamentale du Dasein et la pauvret de lanimal .................. 146
Section III La responsabilit du Dasein....................................................................... 163
DEUXIEME PARTIE DELEUZE : STRUCTURES POSSIBLES DE LANIMALITE
................................................................................................................................................ 175
CHAPITRE I LA FORMULATION DE LA QUESTION CHEZ DELEUZE ................. 176
Section I La formulation de Deleuze de la question de lanimal est une formulation
fragmente....................................................................................................................... 176
Section II Lanimalit dans la philosophie deleuzienne nest pas une question mais un
complexe de question-problme ...................................................................................... 182
Section III La question de lanimal chez Deleuze navance pas seulement sur
lontologie mais aussi au-del de lontologie ................................................................. 189
iv
ABREVIATIONS
Martin Heidegger :
CFM
ET
QM
PFP
HCT
IA
BA
A
LT
OHF
Gilles Deleuze :
QP
P
DR
FB
PS
ES
ID
DF
A
MP
B
SPP
SPE
R
LS
N
K
vi
vii
RESUME
Deux grandes figures de la philosophie du XXe sicle de lEurope continentale,
Heidegger et Deleuze furent le sujet de nombreuses tudes. On constate que ces
tudes se concentrent en gnral sur la thorie dun seul philosophe. Or, sur la
question de lanimal, lassertion que les textes de ces deux philosophes possdent des
points de vue communs mrite dtre recherche.
Lappui principal de notre recherche sont les textes qui refltent le
raisonnement sur la question de lanimal des deux philosophes : chez Heidegger,
cest une question particulirement labore dans les notes des cours de 1929/30
Fribourg, pendant un semestre universitaire. Chez Deleuze, elle est traite dans le X e
chapitre des Mille Plateaux (1980) et dans le chapitre IV de Francis Bacon. Logique
de la sensation (1981) dune manire plus fragmente. Pourtant il sera important de
traiter cette question part de ces uvres, dans lintgralit des ces deux philosophes
et de poser les effets aux autres domaines philosophiques. A propos de Heidegger, le
texte des cours de 1929/30 est parmi les premiers textes secouer lanalytique
existentiale dfinie par Etre et Temps (1927) et pouvoir signaler un tournant
(Kehre) dans la philosophie heideggrienne. En ce sens, il est vident que lanimalit
et la question de est-ce que lanimal peut avoir un monde ? devient dterminante
pour la constitution du Dasein. Quant Deleuze, lanimalit tant un antihumanisme
et une possibilit au nom de la ngation de la subjectivit humaine (et de toute
lhistoire de la mtaphysique), est le passe-partout dune rflexion contre Heidegger
dans laquelle il ne peut exister aucune diffrence ontologique pour ltant humain.
Donc, on est en train de discuter ici, la rflexion des deux philosophes sur les mondes
possibles des animaux et les effets de cette possibilit aux fondements de la
philosophie.
Le dbat est intressant aussi puisquil concerne un dpassement du domaine
propre de la philosophie chez Heidegger. Comme une exception lide de
limpossibilit de soutenir la science, lart et lhistoire lintrieur de lanalytique
existentiale, Heidegger se rfre sur la question de lanimal , aux travaux du
biologiste Jacob von Uexkll. On peut lire ce fait comme un dsespoir (au sens de la
pauvret de la philosophie sur ce sujet en gnral qui avait trait toujours lhomme)
et comme une courage (au sens de pouvoir poser la question de la possibilit davoir
un monde propre de lanimal lintrieur de cette thorie dans laquelle lhomme
semble tre privilgi, par une analyse centrale et dtaille quitte risquer
lanalytique du Dasein). Dautre part, Deleuze qui reprsente en ce sens une
antiphilosophie construit sa conception sur la formation de limmanence de la Nature
en entier et sur la possibilit dun logos conu lintrieur de cette immanence afin
de faire natre une philosophie (qui nappartient pas seulement lhomme mais
lentier de la Nature) plus avance. En ce sens, le pouvoir avoir un monde des
animaux est pour Deleuze, un domaine fertile car il permet de dfendre que chaque
vivant et mme les non vivants (par exemple la machine) peuvent contribuer la
production de signification, et ainsi au logos. Ce domaine de multiplicit ne peut
exister quaprs la fin de toute centralisation de lhomme. Ainsi, la ngation
viii
ix
xi
xii
ABSTRACT
Two major figures of the 20th century philosophy of continental Europe,
Heidegger and Deleuze became the subject of numerous studies. We see that these
studies concentrate in general on the theory of only one philosopher. However, on
the question of the animal, the statement that the texts of these two philosophers
contain common points of view deserves being examined.
The main support of our research are the texts which reflect the reasoning on
the question of the animal of the two philosophers: in Heidegger, it is a question
particularly elaborated in the lecture notes of 1929/30 in Freiburg during one
university semester. In Deleuze, it is treated in the chapter X of A Thousand Plateaus
(1980) and in the chapter IV of Francis Bacon: The Logic of Sensation (1981) in a
more fragmented way. Yet, it will be important to treat this question besides these
works, in the wholeness of these two philosophers and to pose the effects to other
philosophical domains. Regarding Heidegger, the text of the lectures of 1929/30 is
among the first texts to shake the existential analytics defined by Being and Time
(1927) and to be able to indicate a turning (Kehre) in the Heideggerian philosophy.
In this sense, it is evident that animality and the question of can the animal have a
world? becomes determinant for the constitution of Dasein. As in Deleuze, being an
anti-humanism and an a possibility in the name of the negation of human subjectivity
(and of all the history of metaphysics), animality is the master key of a reflection
against Heidegger in which there can be no ontological difference for the human
being. Thus, we are discussing here the reflection of the two philosophers on the
possible worlds of animals and the effects of that possibility to the foundations of
philosophy.
The debate is interesting also since it concerns an overtaking of the proper
domain of philosophy in Heidegger. As an exception to the idea of the impossibility
of supporting science, art and history inside the existential analytics, Heidegger
refers on the question of the animal to the studies of the biologist, Jacob von
Uexkll. One can read this fact as despair (in the sense of the poverty of philosophy
which treated always the human, on this subject in general) as well as courage (in the
sense of being capable of posing the question of the possibility of having a proper
world of the animal inside this theory where humans seem to be privileged, with a
central and detailed analysis at the cost of risking Dasein analytics). On the other
hand, Deleuze who represents in this sense an anti-philosophy, constructed his
conception on the formation of the immanence of Nature as a whole and on the
possibility of a logos understood within this immanence in order to give birth to a
more advanced philosophy (which does not belong to man but to Nature as a whole).
In this sense, the power of having a world of animals is for Deleuze, a fertile domain
since it allows to defend that each living being and even the non-living beings (for
example the machine) can contribute to the production of signification, and thus to
logos. This domain of multiplicity can only exist after the end of all centralisation of
man. Therefore, the fundamental negation of the human subjectivity (with perception
xiii
and sensation) and the production of new subjectivities depend on the immediation
of the animal in the thinking of becoming (devenir) which is always
supposed as a mediation inside the ontological hierarchy (stone-plant-animal-humanGod), even implicitly.
The question of the animal which inhabits in the margins of philosophy
seems in fact as a question that has never been properly posed in the course of
history. Therefore, one can say that even today, it is a question that waits to be posed.
As the question of the animal cannot be posed with an anthropological look; just
like the question of man. This is why; the derivative project of Heidegger which he
calls the tentative to turn back to the beginning of thinking, to the first philosophy
seems to be the path to pose the question of the animal in the ontological sense, as
well as for the human. To be able to treat the project of Heidegger in terms of its
elaboration of the animal question, one must do two things: (1) To show how he
treats life and the animal from the beginning of his first lectures in Aristotle and in
the pre-Socratics, and which of the paths he follows subsequently in the analytics of
Dasein; (2) to limit historically his works in terms of the place of animality in
Heidegger.
The importance of the first task is to be able to note that Heidegger had already
grasped in his derivative work, by his initiation on the ontological foundation of
Dasein, that animality cannot be easily isolated of the human, and therefore had
noticed that one must do philosophy in the ambiguity of this limit which unites or
divides these two. Thus, the constitution of Dasein becomes doubtful, not in Being
and Time but two years later in the lectures of 1929/30, on the ambiguity of the
division human-animal. Here, the question of tonality or affection (Stimmung) which
appears in the paragraphs 28 and 44 of Being and Time becomes decisive for Dasein
(by denying reason, conscience, subject and all other metaphysical concept) and for
the animal question (the place of the animal inside the existential analytics or the
question of its being ableness to have a world). The lectures of The Fundamental
Concepts of Metaphysics (1929/30), together with What is Metaphysics? and On
the essence of Ground, are the texts of Heidegger in which the link between
language (logos) and Nature (phusis), and the tentative to return to the first
philosophy appears. Here, for the first time after the constitutive load of Being and
Time, a load of destruction, a hesitation and a possibility of a turn (Kehre) becomes
visible.
On the other hand, in The Fundamental Concepts of Metaphysics, Heidegger
treats for the first time after anxiety (Angst), a second fundamental tonality (boredom
Langeweile) in a profound way. This analysis which can be considered as the shade
of the missing second part of Being and Time, forms a link between the concept of
time and boredom as a fundamental tonality. This link possesses on the one hand
theoretical properties that are complementary for the temporality of Dasein, but
shows in the study of the animal question on the other, the abyssal kinship
between man and animal and expresses the hesitations on the power to build a
world of the human approximately ten years before the World War II. In this respect,
we decided to limit our evaluation on the question of the animal in Heidegger with
his texts between 1919 and 1931, since the development of the animal question
before the turn (Kehre) is a rich subject of research, capable of establishing the
turn. In addition to that, it is interesting in the disposition of the questioning of the
xiv
animal question to see Heidegger referring to biology at the risk of violating the
rules of existential analytics. In this context, we see that the question of the animal
is crucial and opposing to the general opinion, it is a central question in the
commentary of Heidegger. The question of the animal in Heidegger is
overwhelming by its treatment and its content; it reinforces the possibility to interpret
itself as an ontology of life and opens the way to the turn (Kehre). Furthermore, it
possesses a novelty in the history of philosophy by its way of questioning and by the
place it covers. In this sense, the questioning of the question that awaits to be
posed can be considered as the preliminary of the philosophical route which will be
intensified by Deleuze in the concept of becoming-animal (devenir-animal).
This research on Heidegger and Deleuze seeks to demonstrate that the animal
question is inseparable from the human question, thus from the question of
Being; of thinking itself. Formulated as the destruction of all forms of
anthropocentric thinking before itself, Heideggerian thought abandons the idea that
man and animal can be separated with the faculty of reason. Therefore the concept of
Stimmung and from there, the zone of passions and affections attributed mostly to the
animal, to what is of the animal comes forward and makes difficult the
differentiation of animal and man. On the other hand, the novelty of the existential
analytics brought through the temporality of Dasein, makes the human being
different of all the other beings in an ontological way. The difference of Dasein from
Mitsein is not only thinking. Its difference is to pose the question of Being and to
think of the Being. Yet, with the lectures of 1929/30, Heidegger accepts the
following proposition: The contemplation of the Being is based on the study of the
being as being as in Aristotle, thus the animal as an immediation cannot be
neglected. Hence, the question of the animal places itself in the centre of the
problem; the question of if the animal can or cannot have a world put itself on the
agenda as a critical question for Dasein.
By taking advantage of the theory of Uexkll based on poli-subjectivity,
Heidegger, in his thought that does not exclude ambiguity, opens without noticing,
the way of a new thought which will reach its highest point in Deleuze. Just as in
Uexkll, animality is tied to the terms of music in Heidegger and in Deleuze. This is
why, the most important concepts in these analyses are musical terms such as voice,
harmony, tone, frequency. In his first book Empiricism and Subjectivity, Deleuze
already displays the importance of perception and sensation for the constitution of
human subjectivity. It is in fact the beginning of a philosophy that will reject the
anthropocentric thinking, the origin and Occidentalism, absolute concepts and
unchangeable structures. It is not a coincidence that Deleuze begins his study with
the theory of perception. While the transcendence that he sees in the empiricism of
Hume defines how he will oppose to Kants idealism, it also brings the relativity to
human subjectivity and even forms a base on which the poli-subjectivities are
possible for the non-humans. In Deleuze, the imaginality of the concept affirms the
transcendental empiricism because each one of the concepts and its components are
charged of signification by forming a set of infinite connections. The concept
changes according to the points of view and according to the subjects that look since
it is imaginal, that is instead of being completely abstract, it needs perception and
sensation. Thus, the logic of sense shapes inside of an imaginal process, immanently
to the Nature. It is an accidental becoming; it cannot be governed by the pure reason,
by a language or logic that belongs to man. What governs becoming (devenir) is the
xv
unity of chaos and cosmos which makes the transcendence possible inside the plane
of immanence: Chaosmos.
The thought of Deleuze does not suppose a hierarchy among beings as the only
source of creation is the immanence held by Nature. Thus from the beginning, the
question for Deleuze and Guattari is to break the matrixes and the given laws of the
human subjectivity. This can be called an animalism as well as an anti-humanism.
Yet, the formulation of the animal question in Deleuze never becomes visible by way
of forming a theory. It is rather a fragmented formulation, and the parts concerning
the question of the animal reveal themselves in the progression of his thought.
Deleuze starts by perception and sensation in order to shape a counter-argument to
the phenomenologies of Heidegger and of Husserl in addition to the structuralism
which was gradually gaining importance in the 1960s. As a thinking of affects in the
sense of Spinozism can only be attained by the negation of the superiorities attributed
to man by founding them through the faculty of reason. Therefore, this antiphilosophy and anti-humanism in the Nietzschean way supports that philosophy must
be without ground in opposition to Descartes, Hegel, Kant and the Enlightenment.
The thought of ground opposes man and animal; this is why, instead of a search of
ground or origin, Deleuze proposes a nomadic philosophy, a thinking of
becoming which is capable of moving on the surface at an infinite speed.
The idea of a single house, a single origin for philosophy is substituted by the
idea of having an infinity of origins or being without origin. In this sense, the
properties attributed to God and to the masculine side of the human (white man,
soldier, male, civilized man, lawmaker) are replaced by what is feminine (black
man, female, homosexual, nomad, artist, animal), to the nature or the immanence
of the Universe. It is the beginning of the passage to the animality thought:
becoming-intense (devenir-intense), becoming-animal (devenir-animal), becomingimperceptible (devenir-imperceptible). As opposing to Heidegger who seeks to
demolish the groundings of the present ontology in order to establish another,
Deleuze believes in the possibility of a thinking without ground. It is the
affirmation of a logos beyond the logos, language and logic of the human, which
belongs to the Nature as a whole. It is not a question here to bless a certain zone or
territory, to isolate or exclude the rests. On the contrary, it is a deterritorialized
reflection, in permanent movement. Deleuze and Guattari in this sense, see in the
becoming-animal (devenir-animal), the shaman priest who travels without moving.
Likewise, instead of the constructive character of the French thought and the
founding character of the German thought, they favour the English thought which
always seeks for new territories (and inhabit in each of them).
The question of the animal in the form of a question-problem in DeleuzeGuattari appears from the negation of the human subjectivity which begins in
perception and sensation. The question is not treated concretely until the chapter X of
A Thousand Plateaus (1980) and in the chapter IV of Francis Bacon: The Logic of
Sensation (1981). Even though, Deleuze did elaborate animality (1) in perception and
sensation; (2) in language; (3) in temporality and in subjectivity as a whole; that is in
the curvedness of human philosophy and thus ontologically and beyond ontology.
This elaboration also appears in the works and lecture notes on Spinoza and Leibniz:
the reason why we must read the Ethics of Spinoza as an ethology, the connection
between the monads of Leibniz and the machinist of Uexkll or the concept of the
xvi
xvii
ZET
Heidegger ve Deleuze XX. yzyl Kta Avrupas felsefesinin iki byk figr
olarak pek ok aratrmann konusu olmutur. Bu aratrmalarn genelde tek bir
filozofun kuramna younlamakta olduunu grrz. Ancak mesele hayvan
sorusu olduunda kartlklarna ramen her iki filozofun metinlerinin ortak gr
noktalarna sahip olduu iddias aratrlmaya deerdir.
Aratrmamzn birincil dayanak noktas her iki filozofun hayvan sorusu
zerine dnmn yanstan metinlerdir: Heideggerde bu zellikle 1929/30
Freiburg ders notlarnda, bir niversite dnemi boyunca ilenmi bir meseledir.
Deleuzedeyse daha paral olmakla birlikte Bin Yayla (1980) ierisindeki X. blm
ve Francis Bacon. Duyumsamann Mant (1981) ierisinde IV. blmde ele
alnmaktadr. Ancak bu metinlerin yan sra bu sorunun sz konusu iki dnrn
eserlerinin btnnde deerlendirilmesi ve dier felsefi alanlara etkilerinin ortaya
konmas nemlidir. Heidegger asndan 1929/30 ders notlar metni Varlk ve
Zamann (1927) ortaya koyduu varolusal analitiin temelden sarslmasna ve
Heidegger dncesinde bir Dne (Kehre) iaret edebilecek ilk metinlerdendir. Bu
anlamda animalitenin ve hayvann bir dnyas olabilir mi? sorusunun
Heideggerde Daseinn kuruluu asndan belirleyici bir konuma geldii aktr.
Deleuze iinse animalite tpk Heidegger iin olduu gibi bir hmanizm kartl ve
insan znelliinin (ve tm metafizik tarihinin) deillenmesi adna bir imkn olmakla
birlikte insan varolan adna hibir ontolojik farkn konamayaca, bu manada
Heideggere kart bir dnmn kilit unsurudur. Dolaysyla almamzda her iki
filozofun da hayvanlarn olas dnyalar ve bu olasln felsefenin temellerine olan
etkileri zerine dnmn tartyoruz.
Bu tartma Heidegger asndan felsefenin kendi alanndan bir tama
iermesi bakmndan da ilgintir. Heidegger bilimin, sanatn ve tarihin varolusal
analitiin ierisinde konu edilmesinin mmkn olmad dncesine bir istisna
olarak hayvan sorusu balamnda biyolog Jacob von Uexklln almalarna
bavurur. Bu durum hem bir aresizlik (daima insan temel alm olan felsefenin
genel olarak bu konu hakknda yoksul oluu anlamnda) hem de bir cesaret (insan
varolann ayrcalkl grnd bir kuramda hayvann kendine has bir dnya sahibi
olma ihtimalini, Dasein analitiini tehlikeye atma pahasna kapsaml ve merkezi bir
analizde sorabilme) olarak okunabilir. te yandan Deleuze, bu anlamda bir antifelsefeyi temsil eden bir dnr olarak kurgusunu Doann bir btn halinde
ikinlii oluturduu ve bu ikinlik ierisinde kavranacak bir logosun daha ileri bir
felsefeyi (yalnzca insana deil, Doann btnne ait olan) dourabilecei ihtimali
zerine kurar. Hayvanlarn dnya sahibi olabilir olmas Deleuze iin bu anlamda
verimli bir alandr. Zira her bir canlnn, hatta canl olmayanlarn da (rnein
makinenin) anlam retimine, dolaysyla da logosa bir biimde katk verdiini
savunmak mmkndr. Bu okluk alan ancak insann her anlamdaki merkeziliinin
son bulmasyla varolabilir. Dolaysyla insan znelliinin en temelden (alg ve
duyumsamadan balayarak) deillenmesi ve yeni znellik biimlerinin retilmesi
daima rtk de olsa varsaylan ontolojik hiyeraride ortada yer alan hayvann (ta-
xviii
xix
xx
xxi
INTRODUCTION
Daniel W. Graham, The Texts of Early Greek Philosophy, Cambridge : Cambridge University
Press, 2010, partie II, section 15.
I.
II.
III.
En allemand le tome 29/30 de la Gesamtausgabe en 1983, en franais sous les ditions Gallimard en
1992 et en anglais sous Indiana University Press, 1995.
3
Vr. De lessence du fondement in Martin Heidegger, Questions I, Paris : Gallimard, 1968, p.
101.
Gilles Deleuze, Flix Guattari, Capitalisme et Schizophrnie II. Mille Plateaux, Paris : Minuit,
1980, p. 314.
I.
II.
III.
Le devenir-animal
Heidegger une thorie de la perception. (7) Chez Heidegger ltant humain semble
tre privilgi en termes de temporalit. Par contre, nous voyons que pour Deleuze,
tous les tres sont quivalents en termes de temporalit. (8) Les deux philosophes
explorent la thorie dUexkll concernant lanimalit. Cest une grande zone de
voisinage conceptuelle mais aussi de diffrence dinterprtation. (9) Heidegger ne
parle jamais dun logos de la Nature. Or chez Deleuze, ce logos existe. Si lhomme
peut se dfinir de nouveau lintrieur du logos de la Nature, il sera peut-tre
possible datteindre un mode de penser adquat la structure de lUnivers. (10) En
termes de pouvoir atteindre ce mode, Heidegger semble ngliger laccident (parmi
les quatre plissements de lEtre selon Aristote) tandis que Deleuze le met justement
au centre de sa thorie.
La question de lanimal semble tre une question dans la marge de la
philosophie. Ce ntait mme pas une topique avant quelques dcennies. Pourtant,
nous allons montrer que les thses de notre recherche ne sont pas des thses
marginales. Au contraire, elles nous donnent des cls pour mieux comprendre la
fois la philosophie de Heidegger et la philosophie de Deleuze ; elles nous donnent les
cls dune philosophie venir.
Anima Animal
On ne prend pas en considration pour la pense stoque et pour lpicurisme
la question quest-ce que lme au sens gnral ? . Puisquon ne peut construire
un lien entre la question de lEtre et la question de lme que du point de vue des
principes fondamentaux chez les stoques et Epicure. Ici, la force nexiste jamais
sans la matire. Cette force est lme du monde, le Dieu. Toutes les choses sont lies
dans lUnivers et remplies par lme du monde. Cette me donne naissance aux
choses qui ne schappent pas au destin. La premire diffrence entre les stoques et
Hraclite : chez eux le destin est absolu, on ne peut pas le changer. Il est plutt le
destin de laccident. Or chez Platon et Aristote, lexistence de lme de lhomme et
de lanimal est en train dtre interroge. La question de lme et du corps, la
question de la raison et de laffection, la question de lordre et de laccident, la
question de lEtre et du nant : ce sont des questions strictement lies. Nous devons
montrer que cest ainsi.
10
Cest une thse pour les animaux : non pas parce quils sont nos amis ou
parce que nous les possdons mais parce quils ne nous appartiennent pas, parce
quils ne sont pas offerts nous.5 Lanimal, est-il accessible nous comme tant ?
Quelles sont ses zones obscures ? Cette interrogation sur lanimalit est une
interrogation sur tous les vivants puisque lanimal se prsente comme un mdium
entre lhomme et la pierre. Est-ce le monde vgtal, un environnement ? Est-ce
lanimal un ami ? Est-ce quil peut mourir ? Est-il un envoi marchand ? Est-ce quils
ont de lme ? Quelle est notre responsabilit pour les animaux et pour la Nature en
entier ? Qui est responsable de qui ? Est-ce que lhomme a le pouvoir de le dire ?
On va prendre les repas dtenus de plusieurs et des
insenss vont les jeter leau, trangler. Oh justice
divine ! Pourquoi tu ne vois pas les atrocits sur tes
crations ?6
Voyons comment nous les hommes, dfinissons nous-mmes : anthropos
(), ce qui concerne lhomme ou lespce humaine.7 La dfinition grecque
est simple : ltre humain en gnral. Et il est impossible de lier lhomme lanimal
partir de cette dfinition. Cest avec la dfinition latine quon constate une
transformation et multiplication dans le sens du mot homme : Homo, hominis,
masculin : 1. ltre humain (homme ou femme), crature humaine, genre humain,
personne 2. Un homme, un individu, 3. Lui, elle, 4. Homme par excellence, 5. Chef
de maison, citoyen, habitant.8 Homo : lanimal que nous appelons homme. / un
esclave / des mes , colonies dhommes.9
Lanimal que nous appelons homme Ici, lhomme est dfini comme une
espce parmi les animaux, sans quil y ait une expression dsignant la supriorit de
lhomme lanimal. Pourtant, nous voyons que lhomme est dcrit comme un
esclave : supriorit de lhomme lhomme. Li cette dfinition, des mes
Ce trait dunion conjugue lhomme et lanimal, lesprit et la vie, lme et le corps. Il les place sous
le mme joug leffet de joug. Jacques Derrida, Politiques de lamiti, Paris : Galile, 1994, p. 33.
Aussi vr. dans la mme dition Loreille de Heidegger , p. 354-355.
6
Lonard De Vinci, Prophties, trad. Servicen L., Paris : Gallimard, 1942, des abeilles , p. 80.
7
Charles Alexandre, Dictionnaire grec-franais, XIe dition, Paris : Hachette, 1850.
8
Charles Labaigue, Dictionnaire Latin-franais, Paris : Librairie Classique dEugne Belin, 1881.
9
Flix Gaffiot, Dictionnaire Latin-franais, Paris : Hachette, 1934.
11
comme colonies dhommes disent que lhomme possde une vie, une me.
Cependant cette me peut tre soumise, domine. Quant linterprtation moderne,
on voit que la dfinition de lhomme devient de plus en plus lie lanimalit
lintrieur dune hirarchie : homme (980, du lat. hominem, accusatif de homo) :
ltre appartenant lespce animale la plus volue de la Terre, ltre pensant, qui
se distingue de la bte par la raison.10
En partant de ces indices donns par lvolution du langage dans les socits
occidentaux, nous abordons des premires questions dans notre recherche : (1) la
dernire dfinition assume dabord que lhomme fait partie dune espce animale ;
(2) cette espce est suprieure aux autres ; (3) la supriorit de lhomme drive dune
facult spcifique qui lui permet de se distinguer des autres : la raison . Do on
peut mettre en question les ides suivantes : Est-ce que lhomme, un animal ? Sil est
animal, est-il dune espce suprieure ? Sil est dune espce suprieure, est-ce
seulement par la raison (logos) quil se distingue de lanimal ?
Deuximement la question de lme : quest-ce que lme en gnral ? Cest
une question trs ancienne ; beaucoup plus ancienne que lantiquit grecque. Dans
les cultures antiques, lme fut considre comme souffle , comme feu ou
comme vie . Lme ressemble au feu. Dans le polythisme de lInde, le Brahmane
sadresse aux puissances de la Nature. Comme les anciens Persans, ils divinisent le
feu.11 Le Zoroastre difie la lumire et la chaleur.12 Pourtant, ce fut surtout les tribus
nomadiques qui avaient investi le plus sur lanimalit ou lme animale.
Nevill Drury dfinit le chamanisme ainsi : cest une tradition de vision, une
pratique ancienne dusage des diffrentes positions de la conscience qui servent
10
Paul Robert, Le Grand Robert de la Langue Franaise, deuxime dition, Paris Dictionnaire LE
ROBERT, 1992.
11
Pour lhomme de lInde, toute puissance de la nature est vivante et passionne comme elle-mme :
Tout est volont. La grande me (atma) opre par les dieux et anime toutes choses. Il ny a point de
distinction relle entre les puissances. Lme, principe de la vie, est indestructible et ne fait que
changer de condition extrieure. Cette condition son tour, est dtermine par la valeur propre de
chaque me. Alfred Fouille, Histoire de la philosophie, 18e dition, Paris: Librairie Delagrave,
1934, pp. 4-7.
12
Le monde est un mlange du bien et du mal en lutte permanente dans lUnivers. Le bien et le mal
existe dans tout : Ormudz et Ahriman. La puissance dOrmudz (la lumire) est son prvoyance : elle
illumine lavenir. Ahriman ne vit que dans linstant. Ibid., p. 10.
12
construire des affinits entre dieux et images du monde physique. 13 Dans les tribus
chamaniques, soient Asiatiques, soient Amricaines ou Australiens, il existe des
hommes (chamans) quon croit avoir des pouvoirs suprieurs tablir le lien entre
les mes des hommes, de la nature, du monde en entier. Ces hommes, dans le
moment de transfert, slvent un haut degr de concentration et unifient leurs
mes avec lme de leurs mes protectrices afin de rsoudre les problmes dans les
mes des individus de la tribu. Cette me protectrice est souvent une me animale.
Le culte du chamanisme est un systme de pense qui enferme tous les tants en
partant de lhypothse tout tant est vivant et qui affirme la vivacit de tous les
individus (des hommes) de la socit nomade. Le chamanisme explique la vie et le
tout des tants par lme. Cest pourquoi, les scientifiques occidentaux lont appel
animisme .14
Le mot me indique pour les occidentaux, le cur de la pense chamane.
Cest un mot driv de tman au sanskrit, anima 15 au latin, psych 16 en
grec et cn 17 au persan qui ont deux sens principaux : (1) le vivant et (2) lme.
Pourtant le mot anima garde encore une diffrence par rapport psych et
cn qui lui permet douvrir la porte de nouveaux dbats : le mot animal .
Anima est la racine de lanimal ; (1) lanimal est vivant, (2) lanimal a une me.
Cependant, son me est souvent dcrite comme une me sensitive, charnelle .18
Elle soppose la partie spirituelle, rationnelle. Animal est employ souvent par
13
13
opposition lhomme.19 Dans lEcriture Sainte, lorigine du mal dans lhomme est la
partie animale : lhomme animal ne comprend pas ce qui est de Dieu.20 Ce quon
appelle anima donc semble tre conu comme une partie animale dans lhomme
et dans les autres vivants.
Pour les chamans, les pierres, les armes de guerre, les repas et les ornements
aussi avaient une lme. Lme humaine pouvait traverser les hommes, les animaux
et les autres objets par possession.21 Dans le chamanisme, une me peut passer de
lhomme lanimal, de lanimal au vgtal, du vgtal la pierre. 22 Lhomme
chamane avait deux moi : un moi conscient et un fantme comme dit Taylor.
Selon Mircea Eliade, lme protectrice est en mme temps un exemplaire de la
personnalit secondaire (alter ego) du chamane, de son quivalent psychique la
dimension intrieure.23
La connaissance de lme comporte un sens trs diffrent pour lhomme des
socits primaires, de celui daujourdhui. Ce nest ni lanalyse des problmes
particuliers des vies des individus, ni la rclamation par Dieu dune supriorit et
dune responsabilit propre lhomme, ni la classification des facults de lesprit
afin de valoriser la raison et la morale en dvalorisant les passions et les sensations.
Le chamanisme explique la vie et lexistence par lme. Dans les cultures primitives,
la connaissance de lme est strictement lie au commencement de lUnivers et du
temps. Ce quoi qui est, doit avoir une me ou une substance au-del de son existence
corporelle, car les corps qui nont pas dme ne se touchent pas, ne sunissent pas
(dans le temps et dans lespace). Evidemment, il est possible de penser le contraire.
Sil nexiste pas une telle chose qui sappelle me ; la vie nest quun devenir
19
14
15
26
Giorgio Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, trad. Gayroud J., Paris : Rivages poche /
Petite Bibliothque, 2002, p. 97-98.
27
Par exemple les expriences sur les animaux, les conditions de soutien et de transportation des
animaux, le statut juridique des animaux.
28
Animal Experimentation , in Animal Welfare Issues, page consulte le 27 juin 2010.
http://www.worldanimal.net/wan-resources/animal-welfare-issues
29
Vr. Annexe I - 1 et 5.
16
populeuses sils ne sont pas extermins par les personnels des municipalits.30 La
plupart des pays occidentaux ont dclar quils ont rgl ou interdit ces conduites
cruelles des animaux. Pourtant, les associations protectrices des animaux ne doutent
pas que les oprations ncessaires sont excutes par les gouvernements et les
services secrets dune manire confidentielle. Un autre problme est la
transportation. La condition de transport des animaux de nourriture est affreuse. 31
Quant aux animaux domestiques, ils ne sont pas permis de voyager dans la cabine de
lHomme. Ils voyagent dans la cellule des bagages : emprisonns, au froid, sans
lumire, sans oxygne.32
Animal/Homme
La description ou la dfinition de lanimalit est dun part et essentiellement la
description de lhumanit. Quest-ce que lhomme comme un tant ? Quest-ce que
lanimal comme un tant ? La rponse lune de ces questions suivant la philosophie
occidentale va tre valable aussi pour lautre. Puisque le concept de lanimal est
dfini comme le ngatif ontologique de lhomme ; de mme lanimalit porte le
ngatif des proprits portes par le concept de lhumanit. 33 Cest pourquoi, nous
devons penser lanimalit comme un concept double. EIle est le concept de ltant
dont le ngatif ontologique est lhomme.
Le concept double danimal/homme est ambigu. Cest parce quau cours de
lhistoire de la pense, la diffrence entre lhomme et lanimal ne pouvait jamais tre
exactement dcrite. Lhomme ds le dbut, a pris sur soi-mme, la lutte entre zo et
logos par la dfinition zoon logikon . Si lhomme drive de lanimal, auquel
moment de lhistoire est-ce que nous allons cesser de lui dire animal et lappeler
homme ? Est-ce que le passage de lhomme lanimal, une volution ? Comment
peut-on poser la diffrence ontologique entre les deux ?34
30
Vr. Annexe I - 2, 3, 4.
Vr. Annexe I - 6, le camion de poule.
32
AATA prsente dans son rapport que de 2005 2006, 28 animaux sont morts, 22 blesss, 6 perdus
seulement dans les Etats Unis pendant des voyages en avion. AATA Newsletter , AATA Volume
XXIX, no.3, 2006.
33
Florence Burgat, Animalit in Encyclopdie Universalis, page consulte le 29 juin 2010,
http://www.universalis.fr/encyclopedie/animalite/
34
Vr. Annexe I - 7.
31
17
35
Le mot animal en grec est en rapport avec le concept de la vie (bios/zo). Selon Agamben, la vie
svolue au cours de lhistoire de la pense occidentale comme un concept indterminable et de l, un
concept qui sarticule et se divise sans cesse. Agamben date ce fait quil appelle la division parties
stratgiques (mysterium disiunctionis) lapparition de Peri psyches dAristote comme coordonn
temporel. Sa remarque est importante : ici, Aristote en dfinissant la vitalit des animaux et des
plantes dans des diffrentes manires, ne donne en effet aucune dfinition sur la vie. De plus, il
appelle la forme la plus gnrale de cette vie indfinie comme psych et baptise son tude
gnralement comme ltude dans laquelle lme et le corps ne sont quune substance unique et
compose : la recherche du fondement qui assure lappartenance lEtre de la vie. Agamben,
Louvert. De lhomme et de lanimal, p. 29.
18
19
36
On peut tracer les lignes de ces transformations travers quelques grands moments : 1. Le
judasme, 2. Lhumanisme de Platon, 3. Lpicurisme et le Stocisme, 4. Lhumanisme du noplatonisme et du Christianisme, 5. Lhumanisme de la Renaissance : le rgne de lHomme, 6.
Mcanisme de Descartes et le cartsianisme, 7. Thories de la perception et le matrialisme du XVIII e
sicle, 8. Kant et lidalisme allemand, 9. Darwinisme, 10. Marxisme et le Socialisme, 11. La
phnomnologie dHusserl, 12. Lanalytique du Dasein de Heidegger, 13. Lexistentialisme de Sartre.
37
Vr. Alfred Weber, Histoire de la philosophie europenne, Paris : Librairie Fischbacher, 1925.
20
38
21
On peut dire que les mtaphores anthropomorphiques sont utiles afin de dfinir
cet animal quon essaie systmatiquement de sparer, disoler et dexclure de
lhomme. Par exemple dans son petit livre, LOuvert. De lhomme et de lanimal,
Agamben fait une promenade en partant du Talmud, au sein des mtaphores
danimaux et comment elles se situent dans lhistoire de lhumanit de Bichat Picco
della Miranda, au Linn, Darwin et Uexkll. Il parvient des donnes
importantes sur la rception de soi-mme et de lautre dans lhistoire connue de
lhomme.
41
La vitalit animale que Bichat appelle vie organique (ce qui concerne seulement de la digestion
et de lexcrtion) et la vie animale (mysterium distinctum). Les classifications de Linn, lhomme au
visage dfectueux de Pico della Miranda, la dfinition de lanimal comme un automate, les enfants
sauvages qui a occup les scientifiques pour un temps considrable et enfin le dbat de lvolution de
lhomme (du singe ou non) ; la thorie de Darwin, lUmwelt dUexkll. Tous ces articles constituent
dans un cadre ambigu, une piste afin de comprendre comment lhomme daujourdhui voit la question
de lanimal. (Vr. Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, pp. 28-77)
42
Matthew Calarco, Zoographies : The Question of the Animal from Heidegger to Derrida, NY :
Columbia University Press, 2008, p. 2.
22
Le visage manqu de lhomme de Pico della Miranda comme la manque de lanimal dans
linterrogation.
44
Hominis dignitate. Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, p. 51.
45
Machine anthropologique de lhomme (ibid, p. 51).
46
Dune manire ironique, Linn, dans son uvre avait classifi lhomme comme animal (ibid, p. 52)
47
Une telle qute de limite sans doute prolonge jusqu la thorie de Darwin, mais cest avec lui que
la parent entre lhomme et lanimal est amplement accepte.
23
24
25
CFM p. 50-53. Sur ce sujet, Heidegger se rfre principalement aux fragments dAnaximandre,
dHraclite et de Parmnide.
49
Ici, Heidegger se rfre au livre Zeta et Delta de la Mtaphysique. Quant la question de lessence
vivante, il va se rfrer au livre Thta et Peri psuches De anima)
26
aussi habite dans lessence vivante ; cest--dire dans la psukh . Donc, afin de
relever la diffrence ontologique du Dasein, il va falloir aussi une interrogation
mtaphysique de la vie . (CFM, p. 282) Et surtout celle de lanimal, car il est le plus
proche avoir accs son monde comme un Dasein : lanimal a du monde . De
lanimal ne fait justement pas partie la privation pure et simple du monde (CFM, p.
295).50
Le retour aux origines de philosopher se diffrencie dAristote et des
prsocratiques seulement par lintroduction de la question de lhomme et de lanimal
dans un tout nouvel difice : lEtre-l (Da-sein). Pourquoi et comment est-ce que
lessence de lEtre se montre dans lEtre-l ? Comment peut-on expliquer lontologie
et la temporalit de cet tant ? Est-ce que cet Etre-l a une diffrence ontologique et
temporelle des autres tants ? Voici comment la question de lanimal participe au
jeu : lanimal est ltant qui semble le plus proche ltant humain qui a le pouvoir
davoir son monde. Quelles sont ses units, ses proximits, quelles sont ses
diffrences ? Il est difficile de le dire une fois pour toute car lanimal est un point de
jonction ou de rupture : lanimal/homme. Dans la conception heideggrienne, ce
concept double devient le foyer de lambigut de la question de lEtre : Nous les
hommes, est-ce que nous avons une partie animale ? Eux les animaux, est-ce quils
ont une partie humaine ? Ou bien est-ce que ces zones sont insparablement lies ?
Est-ce que le Da-sein (ltre-humain qui a captur une tonalit fondamentale), par
son capacit dtre formateur de monde, par sa solitude et sa finitude dans son monde
se diffre de lanimal ?
Ces questions arrivent un mme repre : linterprtation du temps . Lacte
de capturer une tonalit fondamentale est ncessairement de structure temporelle et la
question de lEtre ne pourra tre labore que par lontologie et temporalit du
Dasein la fois. Heidegger reconstruit la temporalit du Dasein comme le fondement
de son existence en accdant une interprtation phnomnologique dAristote.
Cette nouvelle projection forme pour le Dasein, la dfinition de la vie . Ce nest
pas la vie biologique mais le mouvement du Dasein dans sa propre temporalit. Voici
50
La logique traite le logos et la psychologie traite la psych. Selon les grecs, la psychologie ntait
pas seulement la science de lme humaine mais celle de la vie au sens gnral. Elle appartenait
lthique comme la science du bios ; la physique comme la science du zoon. Cette ambigut fait
delle une science la fois de lexistence humaine et de la vie naturelle. (LT, p. 29-30)
27
donc les deux moments dans lesquels Heidegger redcouvre lhistoire de la psukh et
de lousia en gnral : (1) retour la vraie philosophie dAristote et des
prsocratiques, (2) llaboration phnomnologique du concept du temps . Nous
devons donc suivre lvolution de ces deux champs avant de faire lanalyse de
lanimalit pour Heidegger.
Section III - La question de lanimal comme question de lEtre chez Heidegger
atteint sa forme finale dans ltude de la tonalit (Stimmung)
CFM est luvre qui tudie la question de lanimal de manire la plus
dtaille : lanalyse de la tonalit (Stimmung) est divise en deux parties dans le texte
des cours rdigs par Heidegger. Le premier parcourt la question quest-ce que la
tonalit , la deuxime donne les traits du rapport entre l ennui profond comme
tonalit fondamentale et les concepts fondamentaux de la mtaphysique.51
Les concepts mtaphysiques ne sont rien que nous
pourrions apprendre. () Nous naurons jamais conu ces
concepts et leur rigueur conceptuelle si nous ne sommes
pas dabord saisis par ce quils doivent concevoir. Leffort
fondamental du philosopher sapplique ce saisissement,
son veil et son maintien. Tout saisissement vient
dune tonalit (Stimmung) et reste en elle. (CFM, p. 23)
Nous pouvons runir ltude de la tonalit comme questionnement de
lanimalit (par linterprtation dAristote) dans les CFM par les hypothses cidessous :
1. Ousia est lessence de ltude de lEtre. Ousia est essentiellement
selon Aristote, la prote ousia . Les tants vivants possdent la
substance complexe : me-corps. Ces deux (le corps et lme) sont
insparables. Cest seulement au niveau de la pense que lun peut les
diviser. Cest pourquoi nous allons appeler lme-corps : la psukh
(comme lousia des tants vivants). Puisque selon Aristote, lme
nexiste pas sans le corps.
51
I. Lveil dune tonalit fondamentale de notre philosopher, II. Linterrogation effective des
questions mtaphysiques qui sont dvelopper partir de la tonalit dennui profond. La question :
quest-ce que le monde.
28
2. La psukh est lessence des tants vivants. Cette essence peut tre de
mme caractre pour chaque tant car chacune delles naissent de la
mme source. Par contre, lunit dme-corps de chacune des essences
(psukh) doit tre unique. Il existe une possibilit infinie (capacit) de
composition et dtre : multiplicit.
3. Nous pouvons parler dune unit et multiplicit dans la phusis.
Lordre et limprvisibilit de la phusis (son cosmos et son chaos)
fonctionne pour les tants vivants aussi bien que les autres tants.
Lordre et limprvisibilit sont tous les deux inclus dans le logos. Ils
forment les deux ensembles, le logos. Chaque psukh possde dune
manire ce logos. Quant aux diffrences, elles ne peuvent tre que
catgoriques.
4. En ce sens, il est possible de parler formellement dune harmonie ou
dune disharmonie parmi des psukhs. Si on prend une certaine
structure comme base, une psukh peut tre dans le ton correct ou
incorrect. Une autre psukh qui est en communication avec une
psukh sur ton ou hors du ton peut avoir lintention de sapprocher ou
sloigner delle par un mouvement relatif. A ce stade, on dit quil
existe un rapport de tonalit entre les psukhs.
5. Lunit de ces rapports peut former une existence commune en
harmonie complte : Mitsein (ou la phusis). Un tant vivant capable
de changer sa propre tonalit en un moment donn (de former son
propre monde) peut attraper une tonalit fondamentale propre soimme en sortant lextrieur de cette existence commune : Dasein ;
ltant solitaire et fini.
Cette dduction est un court extrait du traitement de la question de lanimal
chez Heidegger, ncessairement lie la question de lhomme. Linterprtation de
lexistence humaine dpend de la question de la diffrence entre lhomme et
lanimal. Alors, comment et par quelles tapes allons-nous tenter dlucider la place
de la question de lanimal dans lanalytique du Dasein ?
1. En montrant sur la critique de quels philosophes et coles Heidegger
construit son commentaire dAristote ;
29
montrant
comment
Heidegger
conduit
son
retour
aux
30
52
Afin de fixer la question de lanimal chez Heidegger nous allons nous limiter avec les uvres de
Heidegger de 1919 1931. Les travaux du philosophe pendant cette priode ont t essentiels pour le
dveloppement de son questionnement sur lanimalit.
53
Les recherches de Heidegger sur Aristote commencent partir de 1916 mais il ne se lancerait
vraiment sur ltude dAristote quen 1919. Il donne un premier sminaire dAristote sur les textes
logiques en 1916 (Sminaire avec Engelbert Krebs, 1916, Fribourg). Dj, son intrt sur le concept
du temps avait fait ses preuves. Or sa propre initiation la lecture dAristote ne serait ni par ces
premiers travaux philosophiques ni par son habilitation sur les catgories de Duns Scotus dirig par
Rickert. Vr. aussi le cours exemplaire intitul Le concept du temps dans la science de lhistoire ,
1915 et larticle publi dans Zietschrift fr Philosophie und philosophische Kritik : Le concept du
temps dans la science de lhistoire (Der Zeitbegriffe in der Geschictswissenschaft), Leipzig, 1916.
Pour une liste complte des cours vr. Miles Groth, A Study Bibliography of Heidegger in English
Translation, 2008, p. 155.
54
Tout comme la question de lhomme qui se lie la question de lEtre par son essence. Cf. Martin
Heidegger, Lettre sur lhumanisme in Questions III-IV, trad. Beaufret J., Fdier F., Hervier J.,
Lauxerois J., Munier R., Prau A., Rols C., Paris : Gallimard, pp. 80-83.
31
tudiant
l tant
comme
tant .
Interprt
proprement
(ou
32
philosophie (prote philosophia). Dans les deux sous-sections ci-dessous, nous allons
essayer de dvelopper comment cette critique de Heidegger se fonde sur sa lecture
dAristote, comment il dfinit les principes de la vraie philosophie en partant dune
interprtation phnomnologique dAristote et comment cette interprtation donne
naissance une toute nouvelle mditation sur le concept du temps qui vont toutes
les deux convertir lanimalit en une question essentielle.
Heidegger annonce lre dune nouvelle interrogation en partant de ltude du
terme mtaphysique en 1929.58 Publi en 1927, Greisch accepte Etre et Temps
comme le centre de gravit de la priode o le concept de phnomnologie est
interrog et trace une limite par-l (1910-1929). Cette limitation quelle soit
cohrente pour une tude sur lET, parait insuffisante eu gard notre recherche
puisque la question de lanimalit est examine dune manire sous-entendue comme
une question dans les ouvrages de Heidegger ds le dbut des annes 1920. La
question de lanimalit concerne dune part la priode de la phnomnologie
avant 1929 et dautre part la priode de la mtaphysique qui souvre
manifestement aprs 1928. 59 L animalit se prsente ainsi comme un point de
jonction de lre dune transformation dans la pense heideggrienne : le passage de
linterrogation de la phnomnologie linterrogation de la mtaphysique. 60 Sans
tablir une limite temporale, Jean-Franois Courtine sappuie dans son tude,
spcifiquement sur la dtermination des concepts de phnomnologie et de
mtaphysique . Dans son tude sur linterprtation phnomnologique de Husserl
Heidegger, il souligne la difficult de pouvoir faire une telle interprtation dans sa
propre voie lintrieur de latmosphre actuelle de la philosophie. 61 Pour la
58
Les annes de 1910 1919 marquent pour Heidegger la priode des uvres de jeunesse. Cest aprs
cette priode que dans les cours et textes crits pendant la priode de Fribourg (1919-1923) et de
Marbourg (1923-1928), linterprtation dun concept se montre : la phnomnologie . Ce concept
apparat remarquablement dans les titres de la plupart des cours jusquen 1928. Pourtant, cette annel, il est remplac par un autre : mtaphysique . Quest-ce que la mtaphysique ? Profess le 24
juillet 1929 Marbourg comme leon inaugurale. Jean Greisch, Ontologie et temporalit, Paris :
P.U.F., 1994, p. 3.
59
Avec lET, la question a eu la possibilit de souvrir mais reste en rserve cause de lexigence de
linterrogation qui doit se fonder sur le concept du Dasein . Quoique les cours sous titre de CFM se
lancent quelques mois aprs QM, au premier semestre de 1929.
60
Eliane Escoubas, Questions heidggeriennes, Paris : Editions Hermann, 2010.
61
Lopposition entre la philosophie analytique et la phnomnologie de ce jour est en contraste avec
lopposition entre les travaux quon peut nommer aujourdhui comme philosophie analytique en
gnral et la philosophie continentale (la thorie critique, lexistentialisme, le fminisme, lidalisme
allemande, lhermneutique, post-structuralisme et la phnomnologie). Cest pourquoi, lintention
capitale de Courtine est de faire retourner la question sa struktur propre en examinant les
33
Cours : Interprtations phnomnologiques sur des textes choisis dAristote sur lontologie et
Logique (1922, second semestre)
Sminaire : Haut scolastique et Aristote pour le niveau lev (1924, second semestre)
34
fondamentale qui sera pose dans ET (1927) et PFP (1927), cest--dire l analyse
du Dasein avec larticle Le concept du temps (1924) et la prsentation des
cours sous-titre de lHistoire du concept du temps (1925). En dfinissant ltre
humain comme ltre-l (Da-sein), Heidegger contribue linterprtation dAristote
de la question de lEtre dune manire phnomnologique en liant la question de
lEtre la question du temps par une thorie nouvelle. En ce sens, linterprtation
heideggrienne dAristote est fondamentale pour la question de lanimal.
Section I - Dveloppement de linterprtation fausse
La critique de Kant et du no-kantisme travers les transformations de la
rception dAristote partir de lge mdivale et la thologie Chrtienne est un
choix dlibr pour Heidegger.64 Par la rinterprtation de Kant et du no-kantisme
de la philosophie dAristote, il critique la formation sous forme dune objection
pistmologique Aristote.65 Plus clairement cest le problme de la constitution
de lpistmologie et de la thorie de la science par les no-kantiens comme une
discipline philosophique . Suivant cette discipline, la Critique de Kant est vue
comme luvre qui fonde les sciences mathmatiques de la Nature comme thorie de
la science et qui dtruit lancienne mtaphysique et la vaine spculation.
M. Heidegger critique particulirement la rduction de la philosophie
dAristote comme philosophie non-critique et son aperception comme un
reprsentant de la mtaphysique nave par le positivisme et le no-kantisme.66 Selon
lui, cette situation avait une grande influence sur la conscience moderne et culturelle
de lpoque. Or, Heidegger saisit un intrt entre Kant et Aristote partir de
lexistence du monde extrieur. Ce qui les spare, cest quAristote a vu le savoir
Prsentation : Dasein et Etre vrai selon Aristote, Ethique Nicomaque livre VI (1924)
35
70
Selon
67
Ibid., p. 5.
Ibid., p. 6.
69
Ibid., p. 7.
70
Ibid., p. 7.
71
Parmi les reprsentants de cette branche de la philosophie, Heidegger cite son matre Husserl comme
le seul philosophe qui a pu vraiment comprendre et dpasser luvre de Brentano. Ibid., p. 7-8.
68
36
a.
science au sens moderne jusqu Descartes. Cest depuis Descartes que la notion de
la psychologie sest transforme dune manire caractristique : une science ne pas
de lme comme une substance mais de ses manifestations psychiques qui se donnent
dans lexprience intrieure.72 De l, les sciences naturelles ont pntr un domaine
qui est traditionnellement celui de la philosophie.73
Parmi les reprsentants de cette sorte de philosophie, Heidegger cite John
Locke et J.S. Mill. Chez lempirisme anglais marqu par la grande tradition de
Galile et de Newton74, la vie psychique est tudie par le moyen des mthodes des
sciences naturelles. En rsultat, la psychologie devient psychologie de la
physiologie ; lesprit devient lobjet des sciences naturelles. La tche de la
psychologie, sous linfluence de lempirisme anglais et en montant jusqu
Descartes - est conue comme une science de la conscience. 75 Cette nouvelle
psychologie, selon Heidegger, est devenir dans la seconde moiti du XIX e sicle, la
science fondamentale de la philosophie elle-mme.76
Les positivistes ne sont pas exempts de cette critique, surtout Auguste Comte.
Heidegger dfinit le positivisme de celui-ci comme une science qui a pour but de
former une sociologie par les mthodes des sciences naturelles btir une thorie
gnrale de lhomme et des relations humaines. 77 Il condamne aussi le nokantisme de Hermann Cohen et son cole (LEcole de Marbourg) pour la
redcouverte de Kant dans la philosophie de la science, par un retour la conscience
mais sous forme de thme de la psychologie scientifique conception restreinte de
72
Martin Heidegger, History of the Concept of Time, trad. Kisiel T., IN : University of Indiana
Press, 1985, p. 15.
73
Ibid., p. 15.
74
Ibid., p. 14.
75
Ibid., p. 15.
76
Ibid., p. 15.
77
Ibid., p. 16.
37
Kant. 78 Selon Heidegger, cest Dilthey qui russit faire une vraie critique du
positivisme par son appel une mthode indpendante pour les sciences humaines.
Dilthey a vu limpossibilit de la transposition de la mthode des sciences naturelles
en sciences humaines. Il savait que la tche de concevoir les disciplines historiques
philosophiquement ne pouvait tre atteinte que si on reflte la ralit qui est le thme
actuel dans ces sciences, lobjet et arrive exposer la structure fondamentale de
cette ralit quil appelle la vie .79 Il critique pareillement Windelband et Rickert.
Ces deux se sont consacrs aux initiations de lEcole de Marbourg et de Dilthey en
les transformant une clarification thorique de la science. Ils ont ensuite rduit ces
travaux une mthodologie vide.80 Tel est, affirme-t-il, la situation de la philosophie
la deuxime moiti du XIXe sicle.
b.
Ibid., p. 16.
Ibid., p. 17.
80
Ibid., p. 17.
81
Heidegger cite Goethe et Humboldt comme des penseurs qui ont employ le mot en ce sens. (PFP,
p. 21)
79
38
82
39
c.
Le mcanisme du XVIIe sicle au sens gnral, vise rduire tous les phnomnes physiques des
chocs entre particules ayant des proprits mcaniques trs simples. La consquence philosophique de
cette doctrine scientifique fut la thorie de lanimal-machine de Descartes et lhomme-machine de La
Mettrie. Doctrine d'aprs laquelle il existe en chaque tre vivant un "principe vital", distinct la fois
de l'me pensante et des proprits physico-chimiques du corps, gouvernant les phnomnes de la
vie , le vitalisme est thortis par Barthez et de Bordeu, reprise par Bichat pendant le XVIII e sicle.
84
La destruction commence par la critique de la philosophie comme science et de la philosophie
comme vision du monde ds la deuxime moiti du XIX e sicle. Elle va en arrire avec Kant et
40
Le retour ltude propre (vraie) de lEtre ne sera possible que par cet acte.
Lobjectif est de reprendre la question ou la forme du questionnement tel quelle tait
dans lantiquit grecque. Cela nest possible pour le philosophe quen remmenant
dans le langage, la constitution de la question et toutes les notions qui la forment un
stade pr-mtaphysique . Cest pourquoi, la cause de Heidegger est clairement de
re-prendre ou de re-tirer les changements (diffrences) que les figures constitutives
de la philosophie, cest--dire Hegel, Kant et Descartes comme philosophes des
Lumires et fondateurs de la science moderne, les commentateurs dAristote de lge
mdivale ; Suarez, Thomas dAquin, Duns Scot et Augustin (haut moyen ge),
jusquaux ruines de la philosophie grecque (lpicurisme et le stocisme, scepticisme
et le no-platonisme) ont produit pendant plus de seize sicles et de retourner aux
formes primaires de la philosophie grecque antique en son entiret.
Dautre part, cest en mme temps la manire que le concept de la temporalit
doit tre ncessairement conu ou bien la forme de la constitution de la question sur
lEtre et le Temps qui est oubli selon Heidegger mais qui attend un jour tre
rappel (d-couvert). A ce point, le concept de la temporalit devient fondamental
dans le sens o il appartient tous les tants mais nest pas le mme pour tous les
tants .
85
philosophie dAristote ; fausses interprtations dAristote du positivisme et du nokantisme : M. Heidegger trouve deux raisons pour cette erreur : (1) la fausse
interprtation des problmes fondamentaux de la mtaphysique ; (2) le problme de
la classification des uvres dAristote. A ce point, il souligne lerreur de lire les
uvres dAristote selon le systme de la scolastique sans le savoir. (BA, p. 121)
lidalisme allemand jusqu' Descartes et le bas scolastique. Son objectif est datteindre la propre
interprtation dAristote et des prsocratiques en remmenant lordre historique vers le
commencement . Ce mouvement au retour est une tentative de penser sur le concept du temps .
Dans ce mouvement, il existe un dpassement vers larrire ou un fondamentalisme, un enserrement,
un oubli (amnsie) conscient qui schappe de lacception liner et progressive de lhistoire. Pour
une part, cest la destruction ou ngation de lhistoricit moderne crite du point de vue progressiste et
ses origines philosophiques.
85
Il ajoute les topiques qui manquent dans lET sur la critique de lontologie mdivale dans Les
problmes fondamentaux de la phnomnologie (1927) : Thomas dAquin, Duns Scot et Suarez en
continuant la critique de Kant et du no-kantisme sous forme danalyse prparatoire la nouvelle
interrogation du concept du temps.
41
42
est
tout puissant.
relation du prdicat
avec le sujet
Figure 1.1
Homme
perception
Animal
x
sujet
x
chose
Figure 1.2
43
d.
La critique de Descartes
Pendant la scolastique, le pouvoir a t toujours chez Dieu mme si lhomme a
t son mdiateur parmi les tants dans le monde. Dans ce modle, lhomme a t au
centre de la formule triple : Dieu homme animal et autres tants.86 Or, lide des
Lumires a fait dcouler une conviction commune : la supriorit de lhomme. Ainsi
la formule a chang en transfrant tout pouvoir lhomme : Homme animal les
autres tants. Cest principalement le centre de gravit de cette formule modifie que
Heidegger interroge dans les CFM.
En dfinissant sa mthode comme le degr le plus haut de lhabilit
humaine, Descartes dit : Toute la mthode consiste dans lordre et dans la
disposition des objets sur lesquels lesprit doit tourner ses efforts pour arriver
quelques vrits.
87
concept de ratio . Pour lui, lhomme des Lumires ramne graduellement les
propositions embrasses et obscures de plus simples, et ensuite partir de lintuition
de ces dernires pour arriver, par les mmes degrs la connaissance des
autres.88Ainsi, il vise arriver aux effets en partant des preuves les plus simples,
pas pas. Lapprivoisement de lesprit par la mthode scientifique : clairement le
plus haut degr de la capacit humaine. La mthode est ncessaire dans la recherche
de la vrit (rgle quatrime), cest la proprit discernante de lhomme. Ltre
humain chez Descartes se spare des autres comme ltre vivant qui a la direction de
lesprit. Cette diffrence assure son tre comme le seul tant pouvoir chercher la
86
Ici, la proprit qui distingue lhomme de lanimal nest pas la raison mais la foi (dtre choisi).
Ren Descartes, Rgles pour la direction de lesprit, Paris : Poche, 2002, rgle cinquime.
88
Ibid., rgle cinquime.
87
44
45
e.
La critique de la scolastique
Sur
la
thse
de
lontologie
mdivale,
Heidegger
examine
trois
Aristote navait pas considr le monde extrieur comme un problme en lui-mme. Or, la
connaissance du monde extrieur chez Kant et Descartes est un problme pour la science. Chez Kant
et Descartes, on constate que la question dAristote est remplace par quest-ce qui est le sujet qui
pense et qui connait ? (intellectio). Pour cette raison-ci dit Heidegger, Descartes navait pas besoin
de la question de louverture de ltant quil appelle ltant intramondain . (ET, 21) Ainsi,
toute la recherche se concentre sur la raison humaine (intellectio).
46
91
La scolastique fait encore une distinction : distinctio rationis pura et distinctio rationis ratiocinata.
La diffrence entre les deux est que la premire est opre par moi seul ; elle est pure en termes de son
rapport avec la chose. Tandis que la deuxime est une distinction raisonne par la chose ; cest--dire
ce qui sobjecte. (PFP, p. 124)
92
Chez Dieu, lexistence appartient la res. Son essence est son existence. Tandis que pour le cr, la
cause de son effectivit ne rside pas en lui-mme. Heidegger considre ce principe comme la
prfiguration de la raison suffisante chez Leibniz.
47
93
sous forme de
prote
Chez Heidegger cette vie ne sera pas une vie biologique mais une exi-stence .
La langue est lorgane sonore de lhomme et de lanimal. La relation entre logos (rendre
manifeste ce qui est en train de se dire) et tonalit (Stimmung) chez lhomme et chez lanimal
commence par la langue.
94
48
spcifiques suivant le ou bien les concepts attachs. Cette configuration peut changer
dun langage un autre, dune priode de la civilisation une autre ou dun type de
discours un autre. Par les traductions des textes antiques (en arabe et au latin) aussi
bien que par les interprtations fausses dAristote et les prsocratiques (les
interprtations de la scolastique, de Descartes et de Kant, la philosophie comme
science et la philosophie comme vision-du-monde), einai , le verbe tre en
grec a perdu son double sens (prdicat et copule) en tant rduit un seul (loubli du
sens double). Linterprtation de Heidegger souligne limportance de ces
changements ou transformations que les concepts antiques ont subi pendant plus de
deux millnaires. Or le verbe tre donne-t-il un sens supplmentaire lEtre hors
de son simple tancet ? Si lEtre se dit par le langage (sous forme de discours,
logos), quelle est la forme originale de son articulation ?
La forme originale du mot tre est le fondement de la dtermination
ontologique de ce que Heidegger appelle monde .95 Comment employons-nous au
XXIe sicle le mot tre ? Est-ce le ntre, apte la forme originale ? La question
qui lie en grec les deux questions en gnral sont ti to einai (quest-ce que
lEtre ?) et ti to on (quest-ce que ltant ?). Heidegger asserte lhypothse de
lomission de la question de lEtre par la philosophie depuis la priode hellnistique.
Dcouvrir le sens originel de lEtre serait la redcouverte de la vraie philosophie
(comme ontologie). Sa recherche sur Aristote et sur les prsocratiques a pour but
donc, de d-couvrir le sens originel de la philosophie qui a t couvert par la
tradition. (A, 3, p. 27) Linterrogation de la vraie signification deinai est le premier
pas du questionnement de lEtre ou du questionnement de lEtre sous forme d tant
comme tant . Heidegger tudie lide du commencement chez les
prsocratiques et chez Aristote en faisant quatre divisions sur la formulation de la
question de lEtre :
1. La priode o la question de ltre du monde est pose (les
prsocratiques),
2. La priode o la question de ltre du Dasein humain est pose en
radicalisant la question de ltre du monde (Socrate, Platon, Aristote),
95
49
Martin Heidegger, Basic Concepts of Ancient Philosophy, trad. Rojcewicz, IN : Indiana Univ.
Press, 1993, p. 17.
97
Martin Heidegger, Parmenides, trad. Schuwer A., Rojcewicz R., IN : Indiana Univ. Press, 1992 p.
7
50
(CFM, p. 50) La dfinition de Heidegger nest pas exactement la mme. Lui, il essaie
de faire retourner la phusis son sens originel o natre, se former et crotre sont
compris dune manire gnrale :
Mais cest la croissance en tant que cet avoir-lieu au
milieu des changements du saisons et compltement
domin par lui, au milieu du change du jour et de la nuit,
au milieu de la progression des astres, au milieu de la
tempte et de lorage, au milieu des lments dchans.
Tout cela ensemble et en une fois, cest le Crotre. (CFM,
p. 50)
Phusis comme crotre ainsi, doit tre conu dans le sens de ltre en gnral,
sous forme du questionnement de ltre. Selon lexpression prsocratique Peri
Phuses ou Historia Peri Phuses, la phusis fut conu en quatre sens probables :
(1) matire primordiale (prote hyl); (2) se former (crotre) ; (3) matire primordiale
et se former ; (4) origine (naissance), se former (crotre) et fin (mort).98 Mme si sa
dfinition semble plus proche la deuxime et la troisime, Heidegger vise
enfermer toutes les quatre ensembles.
Phusis comme : matire primordiale
crotre
origine (naissance)
fin (mort)
Phusis est le rgne gnral de ltant. Logos de lhomme est ce qui est
toujours dj prononc sur la phusis (sortie du rgne de ltant). Cependant le logos
de la phusis nest pas ce qui est toujours dj prononc sur la phusis . Il est
diffrent de ce de lhomme. Logos propre de la phusis est son ordre (cosmos) et son
dsordre (chaos). Ce logos et phusis souvent se mlent : Phusis est lharmonie en
retrait. Logos est ce qui lamne tre manifeste. Alors, lanimal est-il un lment de
la phusis ? Lhomme est-il un lment de la phusis ? Dans ce haut degr de
gnralit, est-il possible de traiter la phusis dune manire objective ou subjective ?
Pour Heidegger, il ne sera pas possible de retenir le haut degr de gnralit ni dans
la philosophie de Kant, ni de Descartes, ni des scolastiques puisque (1) la dfinition
de la ralit objective de Kant supprime le sens de ltre du prdicat. Ainsi le double
98
Gerard Naddaf, The Greek Concept of Nature, NY : State University of New York, 2005, p. 1725.
51
sens de lEtre qui rside dans cette dfinition gnrale de la phusis chez les
prsocratiques est couvert. LEtre du prdicat (la nature en entier=phusis) et lEtre de
la copule (le sens de la nature=logos) sont rduits dans lEtre de la copule : la ralit
objective devient ralit actuelle. Dans cette thorie, lhomme devient le sujet de
toute ralit objective ainsi que le rel devient effectif (tre-l). (2) Chez Descartes,
le monde , dfini res extensa (substance corporelle par lextensio) et lme de
lhomme comme res cogitans impliquent une division et opposition absolue entre
phusis et logos . Ainsi, il est impossible de penser la phusis au sens quadruple.
La substantialit infinie du Dieu et la substantialit active du Je voile le sens double
de lEtre. (3) Lide scolastique propose toujours une distinction afin de sparer
leffectivit de ltre cr de lessentialit. La phusis est rduite leffectivit spar
de lessence divine. Le rapport de sujet et dobjet y est encore prsent. La phusis est
conue sans logos immanent ; ainsi le double sens de ltre est rduit ltre de la
copule.
En posant la question de phusis, dune manire gnrale (en enfermant
toutes les quatre) selon Heidegger, les prsocratiques posent la question de lEtre
sous forme de lenchanement ci-dessous : quest-ce qui est en train de natre
autour de nous ? , quest-ce qui change vraiment ? , quest-ce que ce
monde qui change vraiment ? , quelle est lessence de ce monde qui change
vraiment ? La question du monde habite ici, la question de lanimal habite ici.
i.
52
peut tre un tant parmi ces tants ?99 La rponse est triple : par lindtermin, hors
du conflit des opposs, illimit ou inpuisable. La question du monde se lie ainsi
aux concepts de phusis et de cosmos dans la formule de la substance indfinie
( apiron ) : ce qui est indtermin, sans oppos et inpuisable. 100 Elle est la
substance de tout tant ; elle est linfinit laquelle chacun des tants qui existent
lintrieur du devenir se lie. Pourtant, elle est en mme temps vivante.101 Elle est cet
tre dans chacun.102
Fondements lintroduction de lapiron : La naissance et
la mort ne finit jamais car ce que les tants viennent dtre
est interminable.103
Chez Anaximandre, la question du monde (phusis) se montre comme : ce
qui est lorigine est un tant parmi les tants . (BA, p. 44) Apiron est la matire fine
qui environne les terres et les mers. Elle est la substance indfinie (matire
primordiale). Elle est le commencement de tout, fin de tout. (origine et fin). Donc
Apiron est selon Anaximandre, ce Logos qui rside partout dans la phusis. Avec le
concept de lapiron Anaximandre essai de rendre les quatre sens de la phusis la
fois en liant le crotre, lorigine et la fin la matire primordiale.
99
53
Mme si cette thorie ne concide pas exactement avec celle de Heidegger, elle
lui donne les traces dune prontologie du Dasein puisquelle affirme le
commencement . Elle laffirme par la gnralisation de la question du monde .
Elle marque aussi la corrlation entre la question de ltre et la question du temps :
Dans son interprtation sur la cration de lUnivers et du moment de lexistence du
monde, Anaximandre distingue le devenir, cest--dire ce qui est temporel (tant), de
lEtre. Chaque lment (lair, leau, la terre et le feu) est en opposition lun lautre.
Cet tat dtre en opposition donne la rgle du changement dans lUnivers : devenir
(quelque chose antrieur toute opposition). 104 Tout scoule selon la rgle du
changement. Ainsi, ltant est marqu par le temps. Il est sur le temps .105
ii.
dans
la
vrit
( aletheia ).
Sa
pense
doit
renfermer
aussi
104
Ibid., p. 44.
Seulement apiron , la seule substance infinie et lme cratrice peu exister avant
lexistence. Elle est le souverain. Elle encadre notre monde : mondes dans tous les dimensions. Elle
est hors de tout monde et encore les enferme. (BA, p. 44-45)
106
En partant de lide Dieu ne change pas. Dieu est tout. , Parmnide dduit que ce quon appelle
le changement (alloiusthai) nest pas autre chose quune apparence, une croyance (doxa). Il ny a
ni mort, ni devenir. LEtre ne peut ni natre de soi-mme, ni dtre n du Nant. Donc, seul existe
lEtre ternel. Tout est permanent puisquil est rempli de ltant, puisque ltant touche ltant . Il
est sans mouvement, sans commencement, sans fin. Il se trouve soi-mme, en restant le mme, en
demeurant dans ce reste. (Parmnide, Sur la Nature ou sur ltant, trad. Cassin B., Paris : Poche,
1998, Aletheia, 25-28) Donc, cest lEtre unique qui est absolument sans mouvement et ternel.
105
54
LEtre unique existe, cest tout ce quil fait comme penser et tre sont la
mme chose . 107 Le chemin qui mne vers le non-tre est inconnaissable puisque
personne (ceux qui existent) ne peuvent pas le penser. Quant ltre, ils le
connaissent et pensent par lexistence. La premire partie du Pome implique
lquivalence de trois choses : vrit (aletheia), rflexion (logos) et Etre (einai).
Cependant, par lEtre, il existe aussi une dtermination du temps , manque par
les interprtes. Elles sont la mme : lunit du chemin chez Parmnide. (BA, p. 5556)
Dtermination
relle
= > temporelle
triple du temps
idale
[tant]
[ide de ltant]
mtaphysique = > super temporelle [Etre]
Figure 1.3
Selon la premire partie, la corrlation entre les trois (aletheia logos einai)
semble tre constitue (existentiellement et temporellement). Or, la deuxime partie
pose limmutabilit de lEtre unique en opposition avec lindterminabilit de la
phusis . (BA, p. 58) Cest pourquoi la Nature (lexistence relle) est dcrite
comme une spirale qui tourne autour de lEtre.108 Elle tourne autour de lEtre vers
linfini, sans lavoir touch.
107
55
109
Martin Heidegger, Parmenides, trad. Schuwer A., Rojcewicz R., IN : Indiana University Press,
1992, p. 50-57.
110
Heidegger, Parmenides, p. 131-134.
56
entre aletheia logos einai peut rendre les multiples chemins de la phusis un
(existentiellement et temporellement). (BA, p. 58)
En somme, selon Heidegger la question de la vrit (aletheia) chez Parmnide
est maltraite par la scolastique, par Descartes et Kant. Elle sest transforme un
caractre de calcul et de contrle (erreur de la civilisation moderne de lhomme).
Ainsi la question de la vrit devint la question de certitude. Donc, le problme du
monde (phusis) a t voil par loubli de lquivalence de trois : vrit (aletheia),
rflexion (logos) et Etre (einai). Ainsi dit Heidegger, ni laletheia, ni le logos ni la
phusis nont t proprement conu par la philosophie. En consquence, la question
de lhomme et de lanimal na pas pu tre pose proprement.
iii.
Cosmos nexprime pas lordre de la nature, ni la nature ordonne. Cosmos, ornement fine dans
le langage commun des grecs symbolisait pour les philosophes de Milet un stade dordre atteint aprs
une certaine priode de devenir. Or, le cosmos dHraclite est ternel. Il est en mouvement permanent,
dynamique comme un flux. Il contient le chaos .
57
Nature (Logos) est le principe de tout (ta panta). Il gouverne tout. Ainsi dit
Heidegger, larch dHraclite nest pas le feu, mais le Logos. Quant au feu, il nest
pas larch mais le symbole du Logos. (BA, p. 49) 112 Cosmos comme lordre de
lUnivers (ou bien du monde) ainsi se diffre de la phusis . La vrit se forme
lintrieur de la phusis, dans la lutte des opposs. Quant lharmonie (cosmos), elle
abrite le chaos. LEtre se dit alors dans cette harmonie de lindterminabilit. LEtre
est le cosmos qui existe dans le chaos. (fr. B30)
Le monde (cosmos) est le plus beau des tas rpandus au
hasard. ( B124)
Comme chez Anaximandre et Parmnide, la question du monde est la question
de lEtre chez Hraclite. La question de lEtre ( einai ) se cache dans la parole
(Logos). Quest-ce qui peut poser la question du monde ? Ce qui possde un
monde . Et, qui est-ce qui possde un monde chez Hraclite ? Ce qui fume : la
psukh. (BA, p. 50). Lme (psukh) est le lien de tout tant vivant avec le Logos.
Puisque lme est feu (Logos) ; chaque tant se grille selon la mesure de son
existence. Ce feu est son existence aussi bien que sa destruction.113
Qui fume ? Chaque chose selon son existence. 114 Nous
sommes et nous ne sommes pas. (fr. B49a).
Lme consume le corps, elle le brle comme le feu. Logos comme le principe
des tants est sous forme de psukh dans chaque tant vivant. Selon la lecture
dHraclite de Heidegger, aletheai est n de cette affinit entre le logos et la
psukh . (BA, p. 50) Chaque corps vivant vit le temps, tant lintrieur du
devenir. Cest pourquoi le devenir est la premire vrit, la vraie essence, le temps
lui-mme. (BA, p. 51) Dans ce devenir, le Logos de ltant souvre et se couvre en
mme temps. Voici le non-tre ontologique dHraclite : psukh ce qui fait
les tants accessible leur Etre (multiplicit de sens) (BA, p. 50) par la lutte ternelle
dans laquelle ltre et le non-tre se mlent (vie et mort).
112
58
115
59
iv.
118
Thomas Sheehan, Heidegger, Aristotle and Phenomenology , Philosophy Today, Et, 1975, p.
88.
119
Ibid.
60
comme un tout
(ltant)
ltant divin
(deion) 121
Figure 1.5
Vr. Aristote, Mtaphysique, trad. Duminil M.-P., Jaulin A., Paris : Flammarion, 2008, (Z, 1028a
30-35), Aristote, De lme trad. Bods R., Paris : Flammarion, 1993, (B4 415b13).
121
QM, p. 20.
61
le plus haut. (QM, p. 21) Pourtant, cette interrogation chez Aristote navance pas
seulement sur la catgorie premire : ousia , elle nest pas une interrogation un
seul plissement. Elle navance non plus sur les catgories, sur la recherche des
catgories de ltant. Selon M. Heidegger, le questionnement de ltant comme
tant dAristote est une interrogation quatre plissements. Le premier pli est-ce des
catgories de ltant (kategoriai), le deuxime ce de leffectivit (energeia/dunamis),
le troisime ce de la vrit (aletheia) et le quatrime ce de laccident (sumbebekos).
(A, p. 26)
Ltant (to on)
Catgories
Energeia / dunamis
(10 niveaux)
Vrai et faux
(logique)
Accident
(sumbebekos)
Structure de la langue
Figure 1.6
Laquelle est le vrai visage de lEtre ? Pouvons-nous traiter une de ces tages en
le sparant des autres, comme la vraie face de lEtre ? La question pour Heidegger
stend dans lET comme si le visage de lEtre est un : aletheai : Deux autres
(catgories, energeia/dunamis) fonctionnent au-dessous. Mais partir des cours de
CFM, la question commence se tourner vers le deuxime plissement
(energeia/dunamis) concernant la question de lhomme et de lanimal. A lenqute de
retourner au double sens deinai et denfermer les quatre sens de la phusis,
lenchanement de Heidegger devient de plus en plus visible : 1. Quest-ce qui est en
train de natre autour de nous ? 2. Quest-ce qui change vraiment ? Le vrai
mouvement est le mouvement de lEtre mais si cest un mouvement cach ? 3.
Quest-ce que ce monde qui se cache vraiment ? 4. Quelle est lessence de ce
monde qui change vraiment ?
62
122
63
124
Le mot zoon est utilis dans la Mtaphysique, dans deux sens : pour dsigner lanimal sauvage
et pour dsigner lhomme. (BA p. 124)
64
b.
Nous avons antrieurement tabli que la cause initiale de tous les mouvements sans exception,
c'est le principe qui se meut soi-mme, tout en restant immobile; car nous avons dmontr que ce qui
donne en premier lieu le mouvement doit tre soi-mme dans l'immobilit. Aristote, Trait sur le
principe gnral du mouvement dans les animaux , in Jules Barthlemy Saint-Hilaire, Psychologie
dAristote, Paris : Dumont, 1847, 698b.
65
126
Otto Pggeler, Heidegger Today , The Southern Journal of Philosophy, Volume 8, Issue
4, 1970, pp. 273-308.
127
Ibid., p. 7.
128
Franoise Dastur, Heidegger. La question du logos, Paris : Vrin, 2007, p. 67.
129
Ibid., p. 71.
66
dtour au lieu dun tre tout droit marque la possibilit dune unit entre lET et les
CFM.
Laccs la vie nest pas direct mais implique
ncessairement un dtour, au sens o, comme Heidegger
lexpliquait dj dans SZ, nous avons oprer une
rduction privative de notre propre niveau
dexprience, cest--dire de lexistentialit elle-mme
afin de trouver un accs la simple vie. (SZ, 10)130
Gadamer prcise que le but principal de loccupation de Heidegger concernant
Aristote est un but critique et destructif. Bien que ce fait ne ft pas clair au dbut des
annes 1920, il pense quaujourdhui, cest assez vident pour tout le monde.131 Par
contre, il existe aussi des chercheurs qui pensent que Heidegger na jamais
abandonn son interprtation primaire dAristote, drivant de son priode de
jeunesse. Notamment selon Sheehan, Kisiel et Farrell Krell, la philosophie
heideggrienne peut se laisser lire comme une philosophie selon une conception
continuiste qui suit Aristote. Cette lecture de Heidegger est parmi les plus rcentes ;
elle sest tablie aprs les publications successives des cours du philosophe (cest-dire la IIe partie de la Gesamtausgabe) partir de 1975 et sa digestion par les
chercheurs.
Mme si Sheehan savance vers une toute autre direction, il essai de montrer
lui aussi que Heidegger ne sest jamais rompu avec la voie dAristote et quil est
possible de concevoir ses uvres suivant une continuit apte celle-l. Pour
dfendre une telle assertion de continuit, il a fallu dabord que les critures du jeune
Heidegger montent en surface. Avant 1975, trs peu de ces textes ont t publis et
par consquent, il tait presque impossible de commenter sur le Heidegger davantET. Lexistence dune certaine influence dAristote sur Heidegger tait indiscutable,
mais le comment et le jusqu o a rest indtermin. Dans son article intitul
Heidegger, Aristotle and Phenomenology , Sheehan dclare que lindtermination
de cet effet est lie avec linapparition de lnigme du fondement aristotlicien
chez Heidegger dont il date de 1919-1952. 132
130
Ibid.
Hans-Georg Gadamer, Les chemins de Heidegger, trad. Grondin, Paris : Vrin, 2002, La
thologie de Marbourg , p. 41.
132
Thomas Sheehan, Heidegger, Aristotle and Phenomenology , Philosophy Today, Et, 1975, p.
87.
131
67
Pendant cette priode, mme si les cours de Fribourg (1916-23) nont pas t
publis et le Nachlasse na pas t ouvert aux chercheurs, la publication des cours de
1925-26, Logik : Die Frage Nach der Wahrheit suffit montrer la fondamentalit de
leffet invisible ou cach dAristote 133 sur lET.
134
Sur le logos apophantique dans le Peri Hermeneias et sur laletheia dans la Mtaphysique Thta
10.
134
Sheehan, Heidegger, Aristotle and Phenomenology , p. 88.
135
Vr. Sheehan T. The Original Form of Sein und Zeit (1979), Heideggers Early Years
(1981), Movement and Destruction of Ontology (1981), On the Way to Ereignis (1983),
Heideggers Philosophy of Mind (1984), Time and Being 25-27 (1984).
136
Theodore Kisiel, The Genesis of Heideggers Being and Time, CA : University of
California Press, 1995.
137
Sries de conversations de Pggeler avec Heidegger (1959-1963), in op. cit., p. 229.
138
Cit par Pggeler in op. cit., p. 230.
68
139
Ibid., p. 230.
Ibid., p. 230-31.
141
David Farrell Krell, Daimon Life: Heidegger and Life-Philosophy, IN : Indiana University Press,
1992, Prface, xii.
142
Ibid., p. 58.
143
Ibid., p. 50-51.
140
69
144
Ibid., p. 59-60.
Pggeler, op. cit., p. 277.
146
Didier Franck, Heidegger et le Christianisme, Paris : P.U.F., 2004, p. 109.
147
Vr. ibid., p. 118.
148
Ibid.
145
70
149
150
71
Ctait peut-tre exactement ce que voulait Heidegger. Vr. sur ce sujet : Jean-Franois Courtine,
Phenomenology and/or Tautology in Reading Heidegger, d. Sallis J., IN : Indiana University
Press, 1993, p. 241-58.
152
Pour Aristote, la question de lenergeia et du dunamis est une question de on (de
ltant). Cette question de ltant est une question en qute de leinai (de lEtre) ( A., p. 40)
comme nous avons dj montr dans la section prcdente. Ainsi, la question de ltant se
montre ncessairement selon Heidegger comme ltude de l tant comme tant sous
forme de lUn et du multiple. Pourtant, le on (la question de lEtre) pour sa diversit, a
lunit de lanalogie. (A., p. 51) Il risque de tomber dans la marge de la ressemblance
comme cest le cas pour la philosophie antique et toutes les philosophies qui la suivent.
(Ibid.) Il faut bien dfinir ce que sont les tants ( ens ) et la diffrence ontologique
parmi eux. Alors, afin de scarter de l aporie la plus dure de philosopher, lontologie
de la vie nous oblige de prciser la diffrence entre la pierre, le vgtal, l animal et
lhomme.
153
La force est arkh, le commencement. Cest le point de dpart pour un mouvement
(kinesis). (A. p. 75) Larkh de la vie sappelle la psych : le commencement du
mouvement vital par oreksis (appetit) : se nourrire, se crotre, etc. Donc, pour ltant
vivant, la force est psych (la quiddit de la force de la vie). Quen est -il de la quoddit ?
72
73
Ibid. p. 1.
74
75
157
La question de lanimal se montre sous la diffrentiation (1) entre la vie et non -vie, (2)
parmi les multiples modes de la vie. Lontologie de la vie sunit par la psych (tout tant
vivant possde une psych) et se diffrencie par le logos (tout tant vivant ne possde pas
un logos). Les diffrences ontologiques de la vie peuvent tre fixes sur trois zones : la
zone de pierre/vgtal, la zone de vgtal/animal et la zone de lanimal/homme. La
premire zone divise ltant sur le plan de la psych, la deuxime sur le plan de la
sensation et la troisime sur le plan du logos. Pour la question de lanimal, cest la
troisime zone qui nous intresse. Pourtant, les deux premires aussi sont dj lintrieur
du dbat comme chaque zone sajoute la postrieure : (1) dire que le vgtal se
diffrencie de la pierre par la kinesis est dire en effet lhomme, lanimal et le vgtal se
diffrencient de la pierre par la kinesis ; (2) lanimal se diffrencie du vgtal par
laisthesis (percevoir) : lhomme et lanimal se diffrencient du vgtal par laisthesis ;
(3) et ultimement, lhomme se diffrencie de lanimal par le logos. (Se-mouvoir non
seulement au sens de changement de lieu, mais au sens de lingestion de la nourriture, de la
croissance et de la dgnrescence. A., p. 128)
76
Vie
(psych)
kinesis
vgtal
kinesis +
aisthesis
kinesis +
aisthesis +
logos
?
animal
?
homme
Non-vie
Energeia / dunamis
Figure 1.7
77
78
158
79
lhomme.160 Deuxime critique pour Heidegger : lopinion que les animaux nont pas
le pouvoir de communiquer est en train de saffaiblir de plus en plus aujourdhui.
Hayes donne deux exemples sur les travaux rcents sur les corneilles. Suivant ces
exemples cits galement par Berreby et Grandin, la corneille peut avoir la vraie
comprhension. Hayes fait ce dbat travers une valuation de la philosophie de
Heidegger sur le problme de la vie animale.161 Un autre chercheur clbre sur ce
sujet est Temple Grandin. Dans son uvre, Grandin montre en effet que les
mammifres et les oiseaux peuvent avoir des sentiments et affections et ils peuvent
mmes les partagent avec nous.162 Seulement, les animaux ne peuvent pas avoir des
motions mixtes : car selon Grandin, les animaux ne sont pas ambivalents.163 Cest
pourquoi ils se diffrent de nous par leurs innocence .164 Aujourdhui, on ne peut
pas sparer lanimalit de lhomme par la vie sociale. Nous savons que mme les
serpents ont une vie sociale. Dans lavenir, peut-tre il sera mme possible
dobserver la vie sociale des unicellulaires.
Dans son livre Through Our Eyes Only? The Search for Animal
Consciousness, M. Dawkins vise questionner ce que nous entendons des
160
Par exemple, pour le Brahmanisme lme de lhomme et lme de lanimal nont pas une vraie
diffrence. Comme elles sont dune mme essence, les brahmanistes ont le mme respect et amour
pour tous les vivants. Le polythisme de lInde, de Brahmanisme sadresse aux puissances de la
nature. Le feu est divinis comme chez les anciens Persans (la religion de Zoroastre). Pour lhomme
de lInde, toute puissance de la nature est vivante et passionne comme soi-mme : Tout est volont.
La grande me (atma) opre par les dieux et anime toutes choses. Il ny a point de distinction relle
entre les puissances. Lme, principe de la vie, est indestructible et ne fait que changer de condition
extrieure. Cette condition son tour, est dtermine par la valeur propre de chaque me. Les
brahmanistes croient la transmigration des mes qui implique la doctrine de la vie universelle : le
respect et lamour de tous les tres anims. Alfred Fouille, Histoire de la philosophie, 18e dition,
Paris: Librairie Delagrave, 1934, pp. 4-7.
Pour les civilisations anciennes, la recherche sur lme faisait partie de la vie quotidienne. Seulement,
ce sont des pratiques qui ont perdu le sens originel paralllement laccroissement du niveau de
lurbanisation. Ce lien qui est manqu dans la dure de la vie est reconstruit dans les cultes de la mort.
Pour lhomme primitif, il ny a pas de diffrence entre lhomme et lanimal parce quil ne dfinit pas
lhomme comme meta logon. Pour lui, le devenir-animal de lhomme ou le devenir-homme de
lanimal ntait pas quelque chose de choquant. Lide que les capacits de lanimal ne sont pas
infrieures celles de lhomme tait un fait. (Lucien Lvy-Bruhl, Lme primitive, Paris : P.U.F.
1927, d. 1963, p. 30) Lvy-Bruhl souligne que pour les chamans, lhomme est en harmonie complte
avec la physis. Il possde la mme psych que les autres tants vivants. Son logos est le logos de la
physis. La question de lanimal fut donc la mme question que la question de lhomme sur le mme
plan que les prsocratiques. (Ibid., p. 37)
161
Josh Hayes, Heideggers Fundamental Ontology and the Problem of Animal Life in PhaenEx
2, no.2 (fall/winter), 2007, p. 42-43.
162
Temple Grandin, Animals in Translation, NY : Scribner, 2005, p. 88.
163
Ibid., pp. 88-89.
164
Tout comme ltre humain enfant et ltre humain autiste. Selon Grandin, qui est elle-mme une
autiste, le cerveau dun autiste fonctionne comme ce dun enfant ou dun animal. Ibid., p. 90.
80
165
Marian Stamp Dawkins, Through our eyes only ? The Search for Animal Consciousness,
Oxford: OUP Oxford, 1998, p. 2.
166
Lexprience de Jean Henri Fabre. Ibid., p. 151.
167
Ibid., pp. 183-87, pp. 210-12.
168
Ibid., pp. 249-53.
169
Ibid., pp. 275.
170
James L. Gould Carol G. Gould, The Animal Mind, NY: Freeman and Company, 1994, voir
surtout pp. 75-98 et pp. 191-214.
81
c.
Dasein
Pour certains critiques, la recherche qui va natre sous forme dune nouvelle
ontologie se base sur linterprtation heideggrienne dAristote. Kisiel souligne
limportance de la dcouverte du sens dousia de Heidegger, en le transformant une
82
Kisiel, The Genesis of Heideggers Being and Time, CA : Berkeley, pp. 229-230.
Vr. Courtine, Heidegger et la phnomnologie, et Jean-Luc Marion, Dieu sans ltre, Paris :
P.U.F., 1991.
173
Greisch, Ontologie et temporalit, p. 34.
172
83
phnomnologique
sous
la
description
dune
phnomnologie
hermneutique .177
Lhypothse du jeune Heidegger de fonder la pense aristotlicienne sur la
dfinition de lousia (de la Mtaphysique) et sur la dfinition de la psukh (de De
anima) comme ltant-vivant li lousia ncessite une contemplation sur la vie en
gnrale. Cest l, le point de jonction de ltre humain et de ltre animal. 178
174
Selon Greisch, Dilthey est le penseur qui a influenc Heidegger le plus sur la contemplation de la
vie . Ibid. p. 30.
175
En 1921-22 : vr. ibid. p. 30.
176
Greisch, p. 31.
177
Greisch, p. 37.
178
Comme le savait Husserl : ltre psychique . Vr. Edmund Husserl, The Encyclopaedia
Britannica article esquisse A : Psychological Phenomenology as pure psychology , 1927, trad.
Sheehan T. in Psychological and Transcendental Phenomenology and the Confrontation with
84
i.
La dfinition du monde
Dans lET, Heidegger donne quatre dfinitions au concept du monde . Deux
179
85
dtre du Dasein est fixe par ces mondes qui lentourent (mondes ambiants). Le
monde du Dasein est donc sa manire dtre (tonalit) maintenu ontologiquement
(dans sa mondanit). Ltre dun tre-au-monde est dsign par son proccupation,
comme tonalit fondamentale. Ainsi, lexcution dune affaire par ltre-au-monde
dtermine sa tonalit : relation du Dasein et son monde. Ainsi, dans une perspective
continuiste, selon la dfinition du monde , Heidegger de lET fonde
insparablement Dasein et son mondanit (Wirklichkeit). Sans son monde (ce
o ), le Dasein est inexistant. Sans le Dasein (ce qui ), son monde (Umwelt) est
inexistant. Cest un phnomne unitaire qui ne se divise que par des moments
structuraux. Un tre--cot dun tant nomm Dasein et dun autre tant nomm
monde nexiste pas. Le monde du Dasein est son orientation sur ltre- .
Seulement lui est capable de toucher un tant sous-la-main lintrieur du monde.
Or, dans une perspective de coupure, on peut bien commenter que la mondanit du
Dasein de lET se constitue encore lintrieur dune rflexion sur lEtre et pas
dune rflexion sur le monde .181
Dans les CFM, la dfinition du concept du monde de Heidegger volue.
Soulign par Dastur et par Balazut, Heidegger passe progressivement dun concept
transcendantal un concept cosmologique du temps.182 Le cadre de cette volution
est troitement li la Kehre. Heidegger des CFM dfinit le monde dabord au
sens antique, gnral comme : cet tant en entier et son entiret.
Etre non pas seulement a et l, pas seulement non plus
chaque endroit, tout lun aprs lautre, mais tre partout
chez soi, cela veut dire : tre tout moment et, surtout en
entier. Cet en entier et son entiret, nous lappelons le
monde. Nous sommes, et dans la mesure o nous sommes,
nous attendons toujours quelque chose. Nous sommes
toujours appels par quelque chose en tant quentier. Cet
en entier est le Monde. (CFM, p. 22)
181
Il faut bien prciser ici, ce que cest la facticit de la vie. Les cours de 1921-22 sur Aristote nous
informent que ce nest pas pour Dasein, la vie biologique qui est la facticit mais son existence : la
dfinition thortico-psychologique de homo animal rationale pousse le problme de lexistence vers
une prconception mal dirig et le soumet. (IA, p. 72) La facticit du Dasein alors, pour le Heidegger
de 1921-22 nest pas le mme avec la survenance factuelle de lanimal (ou de la pierre, du vgtal).
Pourtant, ce nest quen 1927 que la facticit propre au fait du Dasein inclut ltre-au-monde dun
tant intramondain, mais dun tant capable de se comprendre comme li en son destin ltre de
ltant qui luit fait encontre lintrieur de son propre monde. (ET, 14)
182
Avec rfrence Eugen Fink et Friedrich von Herrmann. Jol Balazut, Lhomme, lanimal et
la question du monde chez Heidegger , Klesis-Revue Philosophique, 2010, no.16, p. 8.
86
183
87
voyons que cest un problme dlicat. Comment est-ce quon peut dcider lequel
tant peut avoir un monde et lequel ne peut pas ?
Dans les CFM, Heidegger pose deux significations de phusis chez
Aristote : 1) La signification de la phusis quand il dit science de la phusis (pistme
physika) ; cest--dire ltude de la vie, lme, apparatre/disparatre, mouvementlieu-temps, vide, Premier Moteur. Cette signification dsigne la question de ltant
en entier et au bout du complte du divin (sans une conscience religieuse) (CFM, p.
60). 2) La signification de la phusis comme ousia ; lessence de ltant et son
tre : phusis comme rgne de ce qui rgne, ce qui dtermine ce qui rgne comme
ltant. Ensuite, le gnie de Messkirsch montre que les deux significations comme
deux directions de linterrogation de phusis incluses dans la signification unitaire
de phusis sont explicitement runies par Aristote. Pourtant, la question de comment
faire cette interrogation et dans quelle mesure reste ouverte.
Aristote ne dit rien, ou plutt rien ne nous est transmis sur
la faon dont Aristote pense dans leur unit, ces deux
directions de linterrogation doublement oriente et dans
quelle mesure, justement, cette interrogation constitue de
faon unitaire le philosopher proprement dit. (CFM, p. 61)
Le chemin qui va vers le questionnement du monde passe par l. Pour
Heidegger, ce quAristote a crit, rassembls au fil conducteur de trois disciplines
(logique, physique, thique) au premier sicle prchrtien sont insparablement lis
la meta ta physika puisque ce rassemblement ne reflte pas lessence de la
philosophie dAristote qui doit tre conue sous le titre de prote philosophia . Ce
qui exprime une connaissance qui souvre ltant en entier nest pas la meta ta
physika, mais la prote philosophia. Cest pourquoi, le terme mtaphysique ne
contient pas le vritable problme sur le monde. (CFM, p. 66-67) Il reste plutt
superficiel, en soi confus. (CFM, p. 72) Ainsi, Heidegger se met clairement hors de
ce rassemblement en soulignant que la signification traditionnelle du mot
mtaphysique doit tre limine pour pouvoir retourner la vraie philosophie par
lanalogie dun tant spcifique, cest--dire du Dasein, dans le questionnement triple
(monde-finitude-solitude). La vraie mtaphysique (prote philosophia) exprime une
connaissance qui souvre ltant en entier. (CFM, p. 91) Lexpression en entier
88
est le terme qui contient le vritable problme le problme qui somme toute, doit
dabord tre pos et ne peut tre liquid de faon telle quon reprendrait diverses
opinions de la tradition. (CFM, p. 92)
Reprenons : quest-ce qui a le pouvoir avoir un monde ? Lhomme ?
Lanimal ? Les deux la fois ? Pour Heidegger, avoir un monde veut dire tre
configurateur de monde et cest seulement le Dasein qui le peut. Mme si ce nest
pas explicitement dcrit, le Dasein est ltre-humain car selon la dfinition de
Heidegger, il nexiste pas un autre tant qui se dit lEtre-l. Pourtant, ltre humain
nest pas lEtre-l pour toujours ; Dasein est temporel. Donc, il sagit de la libration
du Dasein en lhomme. (CFM, p. 259) Il marque selon Heidegger, lexistence dun
tant ontologico-temporel : tant qui possde la vie non seulement dune manire
biologique mais aussi dune manire diffrente ; onto-logique : cest--dire dune
manire dtre li au logos.184
Si lhomme est un animal rationale 185 comment on va dterminer la
diffrence entre lhomme et lanimal sous la question du monde ? Selon le Heidegger
de 1926, rationale de animal rationale nappartient pas lanimalitas si
lhomme et lanimal ne sont pas tous les deux rationale ou si tous les deux ne
sont pas animalitas. (BA, p. 216-7) Voici lambigut de lhomme : genus divis en
deux comme animale et rationale. Avoir un monde est ontiquement futil mais
ontologiquement, il prsente un problme. Heidegger dfinit en 1929, dans les CFM,
une connexion trs interne entre phusis, logos et lhomme : lhomme arrache au
184
Cest exactement ce que Heidegger dcouvre chez Hraclite : le monde nest pas
seulement la totalit des tants puisquil na pas un caractre ontique mais onto -logique. Il
est une manire dtre (li au logos). Pourtant, il dnonce la formule selon le rapport
linguistique entre tre et souffle : ceux qui possdent la vie (bios, zo) sous forme
de la psych (anima-l), ont lexistence (donc un monde). Pour lui, avoir la vie nest pas
lquivalent davoir un monde. Vr. la sous-section: Dcouverte du sens originel chez
Hraclite .
185
Zoon logon ekhon chez Aristote : lanimal qui possde le logos. Lessence de
lhomme dtermin par les grecs comme zoon logon ekhon dfinit lhomme comme ltant qui a
le mot parce quil est n sa propre manire de soi-mme dans lmergence (physis). Selon
Heidegger, la traduction romaine animal rationale (de zoon lanimal, de logos ratio), aussi avec
le grec tardif a doublement dform le sens propre : zo nest pas seulement la vie au sens moderne
(de la biologie), donc zoon nest pas seulement vivant au sens physiologique. Zoon est lmergence,
louverture de soi. Deuximement, logos nest pas seulement ratio, cest--dire raison, mthode,
calcul, certitude et contrle mais aussi signification, langage et ambguit. Vr. Martin Heidegger,
Parmenides, trad. Schuwer, Rojcewicz, IN : Indiana University Press, 1992, p. 68, Ontology The
Hermeneutics of Facticity, trad. Van Buren, IN: Indiana University Press, p. 21, sur la traduction
errone du logos voir aussi CFM, p. 441.
89
retrait et dans le logos, la phusis qui tend se retirer. (CFM, p. 56) Ainsi, le mot
aletheia qui est aussi ancien que la philosophie elle-mme se donne comme une
co-appartenance trs intime lexprience fondamentale de la phusis en tant que
telle. Ainsi, Heidegger des CFM interprte la phusis comme le rgne en tant que
tel, comme dploiement essentiel et loi de ce qui est en question , ce qui toujours
se forme et sefface, ce qui ne vient pas de la rflexion propre de lhomme et non pas
comme ce qui rgne en son rgne et ce qui menace constamment lhomme : ce
qui vient de soi-mme, de son propre Logos .186 Il dclare que ces deux dfinitions
sont cte cte et maintiennent dans le questionnement qui senquiert
fondamentalement du rgne de ltant en entier : la philosophie (CFM, p. 58). Cette
diffrence de voix avec le Heidegger de lET dtermine crucialement lanalyse des
CFM qui tend vers une rflexion sur le concept du monde travers le problme de
pouvoir avoir un monde de lhomme et de lanimal.
Chez Aristote, lanimal se distingue du vgtal par laisthesis. Mme sil ne
bouge pas, il peroit : il a le toucher et le saisir. L o il y a une perception, il y aura
plaisir et douleur. De l, lanimal acquiert lapptit pour quelque chose (quest le
mlange des diffrentes plaisirs et douleurs). Heidegger annonce, selon son
interprtation dAristote, que le Dasein humain est ltre-vivant gntiquement le
plus proche aux diverses possibilits de lentendement. Le mode dEtre de lhomme
est dtermin le plus par le savoir ou lentendement.187 Lentendement appartient
lanimal aussi, dune certaine manire, mais pas compltement. Lanimal est limit
par cette clture. Il a le mme mode dEtre que lhomme mais certaines formes de
cette modalit ne lui sont pas ouvertes.
90
91
ii.
(tre-l), exister-l. 190 Dou dtre onto-logique , Dasein se spare de tous les
autres tants. Cest la proclamation dune diffrence ontologique .191 Lessence du
Dasein rside dans sa nouvelle ontologie de la vie : existence . 192 Le Heidegger
189
Comme c'est le cas chez Descartes. En rduisant le logos de lhomme la ratio , il dduit que
mme les facults de lme sauf la raison sont mcaniques. Vr. le sous-section : La critique de
Descartes . Vr. aussi Lanimal-machine de Descartes (Descartes, Discours de la mthode, partie V,
Paris : Messidor/Editions Sociales, 1984) et Lhomme-machine de La Mettrie comme postulat
lacception de la psych comme alogon .
190
Jzef Maria Bochenski, La philosophie contemporaine en Europe, trad. Vaudou F., 1947, 2e d.
1951, p. 141.
191
Courtine appelle cette diffrence ontologique, en partant de linfluence dHusserl :
lintentionnalit comprise comme comportement. Courtine, La cause de la phnomnologie, p.
13-14.
192
Lessence du Dasein rside dans son existence et sexplique toujours par cette existence. Seul le
fait dexister doit toujours faire comprendre la question de lexistence : cette comprhension est
appele existentielle (existentiell). Bochenski, La philosophie contemporaine en Europe, p. 141.
92
des CFM ne fait que daffirmer la dfinition de lET, mais cette fois selon un plan
comparatif entre la pierre, lanimal et ltre humain sans omettre le mot homme :
Nous appelons ltre de lhomme Dasein, dans un sens encore dterminer la
diffrence de ltre-l de la pierre. (CFM, p. 103)
La tonalit (Stimmung) qui est dfini dans la constitution existentiale du L de
lET en 1927, comme le fait dtre dispos (ET, 29) est prserv deux ans plus tard
dans les CFM, mais cette fois laccent est sur tre li au monde au lieu dtre un
caractre dtre du Dasein. La tonalit fait partie de ltre de lhomme comme
possibilit et mode : la tonalit est l et nest pas l (CFM, p.103, 105). Dans le
parler, il est question dabord de ltre-au-monde de lhomme.193 Ayant la parole
(logos), Dasein est capable de, a le pouvoir de former une dtermination sur les
autres tants, et par ceci, il a le pouvoir de les avoir dans son monde propre. Le nontre du Dasein est un pouvoir : le Nant. Il est un tant qui a son tre-au-monde li
son existence dans son quotidiennet et son temporalit. Il se trouve dans soi-mme.
Il saperoit souvent dans ce quil est avec. Pourtant Dasein possde une ambigut
fondamentale : temporalement, il est configurateur de monde (se lie avec lEtre) ou
sans monde (absent). Cette existence interchangeable fait de lui une zo
extraordinaire : configurateur de monde / tre sans monde, vivant sans vie. Dans
lanalyse propre du Dasein comme tant, deux lments sont importants : (1) le
comment et par quoi de linterprtation de lEtre ; (2) le comment et par quoi de
linterprtation du Temps. Les guises constitutives cooriginaires de lEtre-le-L sont
laffection (tonalit) et la comprhension qui sont dtermins par le parler (logos).
(ET, 28)
Dasein est donc ltant qui est expos comme ltre-au-monde [In-der-Weltsein]. ( Le concept du temps , 1924) Les dterminations dtre du Dasein doivent
tre aperues et comprises sur la base de la constitution dtre que Heidegger appelle
ltre-au-monde. (ET, .12) Il analyse la constitution de ltre-au-monde, comme le
point de dpart de lanalytique du Dasein selon un triple perspectif :
Le au-monde : li lide de monde et mondanit.
193
Martin Heidegger, Le concept du temps profess Marbourg, 1924, dans Cahier de lHerne :
Heidegger, 1983, d. Haar M., Paris : Editions de lHerne, p. 39.
93
194
94
iii.
95
ncessairement temporels. Mais dans quelle manire ? Aristote avait dfini lhomme
comme zoon logon ekhon , cest--dire lanimal qui possde le logos. Alors, il
assumait la mme forme de mouvement pour lhomme. Il assumait une mme forme
de substance pour lanimal et lhomme. Ce fut la consquence de la substance
premire (ousia) qui leur donne la vie sous le rapport de la psukh (anima). Ainsi,
il expliqua la vitalit de lhomme et de lanimal par la mme chose : la psukh .
Or, il les avait spars sous le rapport de pouvoir avoir le logos .
Ce qui spare dans ltude de lhomme et de lanimal, la pense de Heidegger
de la pense dAristote est lhypothse que lhomme (Dasein) possde une vitalit
au-del de la vitalit biologique ou une existence . Suivant cette hypothse, la
vitalit biologique nest plus le mouvement (kinesis) mais la stabilit (stanza) car la
vitalit de lanimal, mme si elle lui donne un mouvement sous forme
denergeia/dunamis, ne fait pas de lui un configurateur de monde. Selon la thse de
Heidegger, lanimal est un tant vivant qui est pauvre en monde ; mme sil reste
des lacunes dans la dtermination de la zone animal/homme (le problme de pouvoir
avoir le logos de lanimal), Heidegger reste fidle pour la plupart dans lanalytique
existentiale la formulation ci-dessous :
Dasein
Mitsein
vitalit biologique
96
Ex-sistere
sistere198
mouvement
stabilit
configurateur de monde
sans monde ou
pauvre en monde
Figure 1.8
Heidegger veut rompre avec ces dfinitions traditionnelles et laborer une conception de
lhomme dans son entier. Cest pourquoi il laisse aussi de ct les notions de corps et desprit au profit
de celle dexistence, qui se dit aussi en allemand Existenz. Mais il prend ce terme dans son sens
tymologique, qui signifie sortir (ex) de limmobilit, le verbe sistere voulant dire arrter, tenir ferme,
et exsistere ayant comme premier sens en Latin surgir, sortir de terre, apparatre avant davoir le sens
dexister. Franoise Dastur, Autour de la phnomnologie , Art Philosofia, Sminaire de 14-15
avril 2007, Cannes. Ex-sistere : Dasein, cest ltant que nous disons quil existe. Cest--dire exsistit, quil est dans lessence de son tre, le fait de sortir hors de soi-mme sans toutefois
sabandonner. CFM, p. 524.
199
Elisabeth de Fontenay est un des prcurseurs souligner limportance des cours des CFM pour la
question de lanimal et pour lintgralit des uvres de Heidegger. Cf. Elisabeth de Fontenay, Le
silence des btes : la philosophie lpreuve de lanimalit, Paris : Fayard, 1998, pp. 925-947.
97
iv.
Tonalit fondamentale
Heidegger dfinit deux tonalits fondamentales qui peuvent tre prises par le
Dasein : angoisse et ennui profond. Quand lune de ces deux est prise par le Dasein,
on dit quil est ton . Quand le Dasein les chappe, il est inton . Lexistence
du Dasein rside sur la prise de tonalit fondamentale car sans elle, il reste sansmonde (mort). Ainsi, la vie (nouvelle ontologie de la vie) du Dasein se lie la
tonalit propre. Sans la tonalit fondamentale, il reste sans-monde ou bien pauvre en
monde (dans son quotidiennet) comme lanimal. Ayant pris la tonalit propre, il
rappelle son monde (Umwelt) et se transforme de nouveau en ltre-au-monde
(devient configurateur de monde). Bien entendu, cette transformation nest pas
200
Heidegger ne mentionne pas directement les textes dAristote sur les animaux. Pourtant, cela ne
veut pas dire quil nattribue pas une importance la question de lanimal. Pour lui, la question de
lanimal, comme la question de lhomme, est lie principalement ltude de ltant comme tant
sous le titre de la question de lEtre . Car lorigine de cette question rside la question de lEtre
(to on). Afin de poser proprement la question de lanimal, il fallait poser dabord la question de
physis et de logos sous le titre de la question de lEtre. La formulation de la question de lEtre
comme ltude de ltant comme tant sappuie cette structure essentielle.
Les textes secondaires sont ceux qui tudient la physis, la vitalit (lorganisme surtout lanimal) et
ses parties (organes). Physique, Petits traits dhistoire naturelle, De la gnration et de la
corruption, Parties des animaux, Histoire des animaux, Marche des animaux, Du mouvement des
animaux, Gnration des animaux.
98
201
Par exemple, le suicide des chevaux qui ont perdu la jument, des chiens qui ont perdu leur matre.
99
v.
100
essentiel pour Heidegger parce quil permet de former une ontologie de la vie.
Lanalytique du Dasein forme une thorie dont lontologie de la vie monte une
nouvelle dimension. Mme si la question est formule dune manire claire et
ouverte pour ltant humain, elle reste ambigue pour lanimal puisque la recherche
sur la diffrence ontologique entre lhomme et lanimal donne des rsultats
contradictoires. En passant par les tapes (1) du dveloppement de linterprtation
fausse, (2) de la dcouverte du sens originel chez les prsocratiques et chez Aristote,
(3) de la recherche vers une ontologie de la vie et (4) de la construction dune
nouvelle ontologie de la vie dans louverture de la question de lanimal chez
Heidegger, cette ambigut, la question de lanimal reste fondamentale pour
lanalytique du Dasein. Juste un petit mouvement peut changer la thorie
compltement.
En renonant une par une, toute thorie moderne et mdivale de lontologie,
Heidegger retrouve le commencement de la question de lEtre chez les
prsocratiques et linterrogation authentique chez Aristote, dans llaboration dune
ontologie de la vie . Parce que la philosophie premire commence par ltude de
l ousia en gnral dans la Mtaphysique et avance par ltude de la prote
entelekheia dans le De anima, ce qui lie clairement lhistoire de lhumanit et de
lanimalit lhistoire de la psukh et de lousia en gnral. Ainsi, nous avons
remarqu que la question de lhomme et de lanimal ne sont pas spares ni chez
Aristote, ni chez Heidegger. Cest plutt une seule question qui lie lhomme et
lanimal. Le commentaire propre dAristote pour aujourdhui ncessite une
contemplation sur la vie en gnrale : la jonction de ltre humain et de ltre animal.
Quoique le commentaire propre dAristote ainsi pour aujourdhui requiert encore un
autre devoir : la rinterprtation du concept du temps. Ce concept doit tre reconu
puisque cest lui qui domine la nouvelle ontologie de la vie de Heidegger. La
question de lanimal, sous-titre de la grande question (question de lEtre) atteint sa
forme finale dans ltude de la tonalit (Stimmung) bas sur la rinterprtation du
concept du temps pour ltant vivant et spcifiquement ltant vivant humain ; cest-dire le Dasein.
101
202
Il existe trois textes principaux qui concernent le concept du temps chez Heidegger : la confrence
de Marbourg sur Le concept du temps (1924), les lectures sous titre de Prolgomne lhistoire
du concept du temps (1925) et le livre Etre et Temps (1927) qui a t rdig depuis 1925.
203
Surtout Bergson, Kierkegaard, Einstein, Newton et Herbig, mais aussi Simmel, Scaliger, Petau et
Bilfinger.
102
204
103
temps ternel, il faut que nous commencions de lternit.209 Au-del, si ce que nous
appelons ternit nest pas une infinit vide comme chez les grecs ( aie ) mais
le Dieu lui-mme qui ne peut tre conu que par la foi, alors les thologues devaient
bien savoir le sujet du temps.210 Or, si on pense cette question philosophiquement,
il faut contempler sur ce qui est ternel ( ainios ) et jamais ( gia panta ).
Est-ce que ce qui est ternel est la fois le jamais , ce qui ne mne nulle
part ? Ou bien, est-ce quil faut interprter ici le panta comme toujours ou tout
le temps ? Mme si lternit du temps soit un commencement, elle ne peut pas tre
un commencement. Mme si elle soit une fin, elle ne peut pas tre une fin. Son
commencement est sa fin, sa fin est son commencement. Ramen son fondement
antique, la rponse de la question ne peut pas tre donne uniquement pour lUnivers
matriel. Mme si elle est donne, ce nimpliquerait quun commencement ou une
fin seulement pour le matriel car ce que Heidegger veut faire est de poser la
question du temps pour lentier de lUnivers : tous les tants en vue de lessence de
lEtre , mais dans la constitution du Dasein comme temporalit spcifique.
La temporalit ternelle du vivant ne peut pas tre liner puisque chaque
psych est une chelle particulire du temps. Elle permet de se prolonger, se dissiper,
se condenser ou de saccourcir dans un moment dfini. Or, en niant le temps liner
(objectif), Heidegger ne dfend pas un temps subjectif. Ce quil impose nest pas le
temps liner pour les autres tants vivants mais une mobilit temporelle propre au
Dasein. Ainsi, la temporalit du Dasein se diffrencie de la temporalit des autres
vivants par la mobilit. Le temps ne peut jamais tre stable pour Dasein car la
stabilit est sa mort. La mort est son immobilit dans le temps (dans son tancet).
Par sa structure, Dasein est ltant qui peut tre avant et aprs le prsent (devant et
derrire) mme si sa vie biologique reste au prsent. Cest le mouvement temporel
cr par ltre-l de lEtre-l (du Dasein) et de son ne pas tre-l (absence). Dasein
dont ltancet et temporalit est unique doit tre en mme temps li temporellement
2. Dans le corps principal qui suit cette introduction, la question du Temps se pose
lintrieur de la question de lHomme ; ce qui dtermine lET.
Thomas Sheehan, The Original Form of Sein und Zeit , Journal of British Society of
Phenomenology, Vol. 10, no. 2, May 1979, pp.78-83.
209
Cela a t lpoque, le problme principal de la physique moderne : Est-ce quil y a un
commencement pour la temporalit de lUnivers? Est-ce quon peut parler dune pr-temporalit ou
post-temporalit ?
210
Sheehan, The Original Form of Sein und Zeit , p.78.
104
avec lentier des tants ; mais avec une diffrence existentielle. Donc, il se spare
existentiellement de ltre-avec de lanimal par sa mobilit dans le temps.
b.
Concept du temps modifi selon les exigences de lanalytique du
Dasein
Etre dans le temps chez Aristote doit avoir une dure limite. Ceux qui sont
infinis nexistent pas dans le temps.211 Cest--dire que ceux qui sont dans le temps
sont ceux qui ont un nombre et une mesure lintrieur du temps, qui sont entours
par le temps. La finitude est donc le seul critre pour une chose dtre dans le
temps.212 Le temps nexisterait pas sil ny avait pas aucun tant vivant (psukh).
Sans les psychs, il ny aurait pas de temps mais seulement du changement (kinesis).
Puisque mme si le changement ne dpend pas des psychs, sans eux, il ny aurait
personne compter ce qui change.213 Donc, Aristote lui-mme exige certainement
une unit entre ltre de ltant vivant et la temporalit.
Cependant, la finitude de ltant vivant selon Heidegger nimplique pas que
tous les tants vivants peuvent avoir le pouvoir de compter le temps car (1) le
mouvement (kinesis) de tous les tants-vivants nest pas le mme ; (2) le changement
qui comporte le temps nimplique pas toujours une vraie existence . La
temporalit comme tre du Dasein traite le concept du temps dune manire intgrale
avec ltant vivant comme chez Aristote mais en donnant lhomme en plus, une
diffrence ontologique sous forme de Da-sein . Mme si elle se forme autour du
changement (kinesis), la conception dAristote reste stable par rapport celle de
Heidegger puisque la dernire exige un changement propre au Dasein : la
temporalit.
Lexistence est dans ltre-en-ce-moment. (Das Dasein ist
in der Jeweiligkeit).214
211
Le temps nest pas le mouvement lui-mme ou le changement lui-mme. Il est ce dans quoi le
mouvement, le changement et toutes choses qui changent existent . Car il y a de mouvements
multiples tant quil y a un seul temps. David Ross, Aristotle, London : Routledge, 1923, 6e d. 1995,
p. 91-92. Cf. Aristote, Physique, Paris : Flammarion, 1999, livre IV, 11, 9-28.
212
Ursula Coope, Time for Aristotle, Physics IV.10-14, Oxford University Press : NY, 2005, p. 1434.
213
Ibid., pp. 159-163.
214
Heidegger, Le concept du temps profess Marbourg, 1924, in Cahier de lHerne :
Heidegger, p. 41.
105
215
Cf. Charlotta Weigelt, The Logic of Life : Heideggers Retreival of Aristotles Concept of
Logos, Akademitryck AB Edsbruk : Stockholm, 2002, p. 191-193.
216
Chez Aristote la psych est dfini comme lentelekheia premire. Vr. Alexei Chernyakov, The
Ontology of Time: Being and Time in the Philosophies of Aristotle, Husserl and Heidegger,
Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 2002, p.103.
217
Logos comme kinesis et logos comme apophansis. Vr. Weigelt, The Logic of Life p. 134-5,
147-9.
218
Franoise Dastur, Heidegger et la question du temps, Paris: P.U.F., 1990, p. 101.
106
219
Lekstase elle-mme doit tre certes bien tre vu comme un mouvement de dpassement, cest-dire comme lillimitation de la transcendance et comme louverture de lindtermin. Pourtant en
mme temps, elle nest pas une ouverture en elle mme, indtermine, mais elle dploie la dimension
de lavenir, cest--dire de la possibilit en gnral. Cest donc la structure horizontale de la
temporalit qui rend possible louverture du Dasein ltre et ltant. in ibid., p. 101.
220
Avec les notes des cours Marbourg en 1925, Prolgomnes lhistoire du concept du temps, ce
texte de 1924 Le concept du temps (Der Bergriff der Zeit), avec quelques modifications forme le corps
de Sein und Zeit en 1927. Ce qui est remarquable, cest que Heidegger ne traite pas dans
Prolgomnes lhistoire du concept du temps, les textes mtaphysiques mais la Phusika dAristote.
Puisque la question la question de lEtre comme question mtaphysique nest pas principalement
lobjet de la philosophie de la nature ou la philosophie seconde mais celle de la prote philosophia. Or
ici, Heidegger traite le concept du temps du point de vue de la psych.
107
221
108
c.
La temporalit du Dasein
Linterprtation temporelle est la mise en vidence de la possibilit de la
Ibid, p. 101.
109
apophantique. (ET, 68) Le Dasein se jette la-venir (lavenir en tant quadvenir-soi). Pour que son tre-en-question soit possible, il a besoin dune ouverture. La
temporalit ne se temporalise pas constamment partir de lavenir authentique car
le Dasein nest pas toujours lui-mme. Il peut tre parfois absent, il peut parfois ne
pas tre authentique. Mais quand il est authentique, Dasein se laisse ad-venir : cest
son mode ekstatique (en tant que tonalit fondamentale). Lavenir authentique, cest
le devancement. Le en-avant-de-soi : Dasein se jette en avant de soi quand il est
authentique : cest son temporalit propre. Dasein est attentif soi : lavenir
authentique a le caractre de sattendre. Il sattend. Cest pourquoi dans le
devancement, il y a un tre-pour-la-mort plus originaire que dans lattente
proccupe de celle-ci : la finitude du Dasein. Le mode ekstatique de cet tre prsent
Il se dvoile si nous lui comparons la mme extase considre selon le mode de
la temporalit authentique. Le Dasein comme ltre-jet na pas une temporalit
linere. Son instant, cest le prsent tenu dans la temporalit authentique au sens actif
en tant quekstase : mobilit du Dasein dans le temps [mouvement temporel sous
forme dtre au prsent ou ne pas tre au prsent (absence) de ltre-l]
linstant
pass
avenir
Figure 1.9
Le prsent instable dsigne lchappe rsolue. Il est ainsi jet dans son
isolement. Heidegger appelle lEtre-t authentique (qui est dans le pass) la
rptition. Lekstase (chappe) de loubli a le caractre dun dsengagement form
soi-mme devant l t le plus propre. Pass comme souvenir, avenir comme
projeter se mettent en contact dans ltancet du Dasein qui permet davoir une
exprience pr-subjective et pr-objective de la diffrence et rptition. La
temporalit du Dasein se temporalise ainsi par son affection fondamentale soit dans
loubli (sattendre), soit dans le devancement (se trouver). Sa temporalit comme
diffrence et rptition donne la possibilit de louverture. Sa temporalit et
mondanit se montrent sparment mme si elles sont insparables de lune de
110
Dasein
tre-jet
avenir
Figure 1.10
111
d.
La temporalit du Mitsein
Le temps du Mitsein sexpose dans son ontologie (comme cest le cas pour le
227
La mort ne peut tre fixe que dans une orientation privative sur le Dasein. (ET, 49)
Ltre-jet dans la mort se dvoile lui plus originellement et instamment dans laffection de
langoisse. (ET, 50)
228
112
229
Langoisse est mort au sens existential. Langoisse est angoisse devant la mort . Le Dasein se
rvle ainsi comme ltre par qui la mort vient au monde. Pourtant chez Heidegger la mort nest pas
au sens de dcder (un vcu du dcs) en opposant la vie. Elle est lie lexistence : ds que nous
sommes l, elle est aussi l. Vr. Julien Pieron, Angoisse et mort dans Sein und Zeit , in Bulletin
dAnalyse Phnomnologique, IV 5, 2008.
230
Ibid.
231
Avoir un monde unit le Dasein lEtre : ce fut la thorie de Heidegger jusquau tournant
(Kehre) de sa pense.
232
Sheehan, Heideggers Early Years , p. 14.
113
Revenons au commencement : (1) La question de lanimal est une question de physis . Sil ne
fait pas partie de la physis , il ne peut pas tre . (2) Cest une question de psych . Si lanimal
na pas de psych , il ny a aucun problme puisquil sera impossible de le comparer avec
lhomme. Sil a une psych , alors lanimal devient comparable lhomme. (3) Cest une question
de logos . Si lanimal na aucun logos , il ne peut jamais avoir le pouvoir davoir un monde.
Mais sil possde au moins un type de logos, il pourra au moins la possibilit de pouvoir avoir un
monde. (4) Finalement, en somme de ce trois facteurs, cest une question de monde . Si lanimal
na aucun monde, le problme est rsolu. Il na pas de monde, donc il ne peut jamais tre
configurateur de monde sous forme de Mitsein. Or, sil possde un monde mme dune manire
limite, il pourra au moins la possibilit dtre configurateur de monde .
234
Heidegger, Le concept du temps profess Marbourg, 1924, in Cahier de lHerne :
Heidegger, 1983, p. 41.
235
Ibid., p. 37.
236
Cest pourquoi, lontologie et la temporalit du Dasein sont insparables.
237
La question de ce quest le temps nous a conduit considrer ltre-l (Dasein), si par tre-l nous
entendons ltant que nous connaissons comme vie humaine en son tre (in seinem Sein). Cet tant,
114
115
3e proprit.
Ibid.
244 e
4 proprit.
245 e
5 proprit.
246 e
6 proprit.
247 e
7 proprit.
248
Vr. les cas des animaux qui vivent avec les hommes ds la naissance.
249
Finalement, lexistence du Dasein ne se rvle pas avec lobservation. Son existence est sa relation
avec le soi-mme. Or, ce que nous essayons de trouver cette manire singulire ici est la vie
quotidienne (8e proprit). Si lexistence du Dasein est ferme lobservation, ce peut tre le cas aussi
pour le Mitsein. Car le Mitsein concerne par son pouvoir avoir un monde en privation, la question du
243
116
117
250
Mme si ce nest pas le cas selon lui, pour Agamben, le langage de Heidegger semble avancer
paradoxalement vers cette ouverture.
251
Greisch, Ontologie et temporalit, p. 176. La traduction du terme est controverse. Dans ldition
de Vzin, Stimmung est traduit par tonalit . Martineau prfre affection . Vr. ET et Martin
Heidegger, Etre et Temps, trad. Vzin F., Paris : Gallimard, 1986.
252
Vr. Marc Richir, Affectivit in Encyclopdia Universalis (Page consult le 29 juin 2010),
http://www.universalis.fr/encyclopedie/affectivite/
118
linterprtation fausse de Heidegger 253 , la psych nest pas lobjet des sciences
naturelles, ni de la psychologie comme science de la conscience, ni de la sociologie
btir une thorie gnrale de lhomme et des relations humaines (critique de la
philosophie comme science). La vraie philosophie ne peut pas tre relative ltat
actuel des hommes, elle est mancipe de toute ralit. Elle doit sapprocher au
domaine de laffectivit et de la tonalit humaine (critique de la philosophie comme
vision-du-monde). Lhomme nest pas ds le commencement de sa constitution, sujet
et conscience car la perception ne peut pas tre identifie lexistence. La ralit
objective nimplique pas la ralit actuelle (critique de Kant et du no-kantisme).
Mme si Kant propose de distinguer radicalement affects et passions de lhomme, sa
thorie ne permet pas de distinguer la tonalit/affectivit de la subjectivit humaine.
Ce quil vise nest autre quune domestication de laffection sans prvoyant la
possibilit dune raison affecte . 254 Selon Heidegger, lintelligence humaine ne
peut pas tre simplifie par le concept de ratio en purant toute affectivit
animale (critique de Descartes) comme affections obscures et penses confuses. La
question de conjonction ou de disjonction entre tonalit/affectivit et subjectivit est
invalide puisque la tonalit est insparable du Dasein et de son monde tout en
participant la zone dindiscernabilit danimal/homme.
Avec lanalytique existentiale, Heidegger renonce en effet la dgradation de
lanimal et des autres tants vivants par le pathos : tre passif, endormi, mort. Tous
ces adjectifs signalent le conflit interne de la psych humaine : partie animale
(sauvage, indisciplin, irraisonnable) et partie humaine (docile, instruit, raisonnable).
Ces passions indsirables de lhomme dont on avait tent deffacer de lentit
accept Homme font galement partie du Dasein qui affirme son existence dans
lambigut fondamentale de son tre, sans rduisant le problme lopposition
homme-animal.
Tonalit (Stimmung) est lhumeur ou latmosphre que le Dasein se trouve
dans : cest son affection non affecte. La tonalit est laffection, cest le fait dtre
dispos . (ET, 29) Le Dasein peut tre parfois inton ou dton. Il est sans ton ou
253
119
hors du ton. Quand il est ton, il nest pas ncessairement sur le ton fondamental.
Quand il est inton, il nest pas ncessairement hors du ton fondamental. Le Dasein
se dfinit par sa capacit de comprendre son propre tre.255 Ltre humain est un
soi , il est ltre-au-monde, non pas au sens spatiale mais au sens dhabiter,
demeurer dans ce lieu inhabitable (ET, 12) ; une relation de voisinage, de proximit
irrductible (tre-auprs-de) entre ce qui habite et le lieu habit. Or son monde
nest pas un lieu qui existe. Monde du Dasein est la ralisation de sa
miennet . La dcouverte dune auto-affection : affection non par soi, non par
lautre ( Stimmung ). Cest un monde ambiant, non ambiant : monde qui habite
tout et rien. Rien est inclu, rien est exclu ; monde qui touche, qui drange ; monde
qui donne du sens ou qui fait comprendre. Etre-au-monde, alors, cest davoir une
affection fondamentale. Il nest pas question dune relation de sujet-objet :
phnomne existentiel.
Phnomne
est
ce
qui
se
montre
en
lui-mme
255
120
peut plus travailler. Il est assig par ce monde.260 Le monde est vide , mais en
mme temps en entier .
Par labsence doppression, ce vide, en entier assige ltre-au-monde,
parce quil lui donne indirectement un ennui profond. Dj, le monde des ustensiles
fait des renvois des autres ustensiles ; il fait des signes . Lustensile-signe fait
des marques. Aprs, des retours ou tournures. Sans ces marques et tournures, le
Dasein primitif ne sera pas capable de former un langage (ni de construire un
monde). (ET, 11, 18) Un tant--porte-de-la-main qui retourne de quelque chose
est la tournure . Cest ce qui laisse tre ltre-au-monde, lintrieur du
monde ; ce qui libre ontiquement le Dasein, ce qui lui donne les conditions de
possibilit construire son monde. Ltant qui fait encontre dans la proccupation
est appel outil (ET, 15) : quelque chose pour . 261 Le pur tre-sous(sous-la-main) sannonce dans loutil. Loutil simpose. Et pour que le Dasein
puisse avoir un monde (monde intramondain), il faut que tout outil sidentifie
dans son ustensilit. La proccupation est la base de son familiarit avec le monde.
(ET, 13) Cette proccupation se forme dans sa tonalit. Le fondement ontologique
de lexistentialit du Dasein, partir duquel il devient intelligible, cest la
temporalit. Elle est le sens ontologique des tonalits fondamentaux. Cest un renvoi
de quelque chose quelque chose par le Dasein (outil - usage : la main - la tenue,
lil le regard, loue lentendu). La proccupation est un emploi dun outil
pour la production dune uvre (qui peut devenir elle-mme loutil pour la
production dune autre). Dasein est proccup avec un outil ; il est occup de,
concern de, inquiet de cet outil.
Tonalit ou affection pour le Dasein nest ni un concept subjectif, ni objectif.
Greisch aussi souligne la difficult de traduire le terme Stimmung qui dsigne en
mme temps lhumeur (subjectif) et latmosphre (objectif) en allemand. Ici,
laffection (Stimmung) nest pas un tat dme , mais la modalit de la question de
ltre : y tre ou ne pas y tre .262 Selon Haar, Stimmung dsigne la fois les
termes de vocation, rsonnance, ton, ambiance et accord affectif. La tonalit pour
260
Ibid., p. 135.
La chose, pour les Grecs, cest quoi on a laffaire dans lusage de la proccupation.
262
Greisch, Ontologie et temporalit, p. 178.
261
121
Heidegger nest pas tre ton par quelque chose ; cest tre dans une tonalit par soimme, tonalit intone, affection non affecte. On ne peut pas parler dune tonalit
fondamentale qui est affecte par une pice musicale, ou par un tableau. Pourtant,
dans le monde ambiant, tout est en commerce avec lautre ; donc la tonalit en
musique est dune manire ou une autre en commerce avec laffectivit de ltre-aumonde. Cest dans le monde quotidien que Dasein se trouve inton : tre chaque
fois toujours dj inton. Dans cet tre-inton, il est tonalement ouvert : le pur quil
est et a tre se montre, mais son do et son vers o restent dans
lobscurit. Il se trouve jet dans le monde . La tonalit est un mode existential
fondamental de louverture cooriginaire du monde, de ltre-L avec et de
lexistence, parce que celle-ci est elle-mme essentiellement tre-au-monde. (ET,
29) Seul un tant pour lequel en son tre il y va de cet tre mme peut prendre-peur
[Angst]. (ET, 30) Lavoir-peur ouvre : il ouvre le Dasein lui-mme, en ltre de
son L. La peur comme mode daffection (mode existential fondamental) est le lieu
o le Dasein est son L. (ET, 29-30) Pourtant, laffection ouvrante du Dasein, cest
langoisse : angoisse du Dasein devant lui-mme. Langoisse devant, langoisse en
vue de isole le Dasein, elle louvre comme tre-possible, au monde comme monde.
(ET, 40) Dasein est vivant dans tout lusage de ltant. (ET, 15) Lanimal, le
vgtal, la pierre, ce sont des outils pour lhomme. Pourtant, ce ne sont pas des
outils dans le sens de lutilitarisme. Ce sont des outils qui constituent la signification
des choses dans le contexte de lintervention humaine.263
a.
122
mme, mais pas tout fait par lui-mme : quand il souvre lui-mme, il se jette vers
son monde. Donc, lauto-affection du Dasein est un acte li lattribution du sens au
monde. Le monde quotidien qui na pas de sens spcifique pour le Dasein (Mitsein)
peut avoir un sens, seulement si le Dasein est auto-affecte. Alors, il nest plus un
monde quotidien. On peut parler dun autre monde, le monde du Dasein qui nest
plus un monde spatial, un monde objectif, mais qui est la ralisation du miennet
du Dasein. Ltre-l, cest ltre-au-monde ; donc quand nous disons Dasein, nous
parlons de lhomme et son monde comme son soi . Ici, les limites de lhomme
sont indfinies ou plutt lhomme nest plus conu comme une entit qui se pose
contre ce qui est compltement autre pour lui. Ici, lhomme a son propre monde ; il
est configurateur dun monde li son existence, un monde qui lentoure. Et cest
par le concept de Stimmung qui drive de Stimme (voix) que le philosophe
formule la relation entre Dasein et son monde.
Le terme Stimmung appartient la philosophie des passions et des
motions et pas la philosophie de lesprit. Comme elle sintresse sur lactivit
passive de lesprit, la philosophie des passions est souvent classe comme
psychologisme ou comme un domaine hors philosophie. 264 Selon Ruin, avoir une
tonalit fondamentale pour Dasein doit tre une activit passive. Or, Greisch
considre Stimmung comme le fait dtre dispos, affection non affecte ; elle
peut tre ni active, ni passive. Reformulation de la relation entre lhumain et
linhumain : Heidegger annonce que la tche fondamentale de notre philosopher,
cest dveiller une tonalit fondamentale en nous ; laisser sveiller ce qui dort. Les
questions fondamentales de cette thse sont les suivantes : a. quelle tonalit ? b. Sur
quel chemin ? Avoir une tonalit tone demande dtre dispos, tre la
disposition de. Il demande de constater ce qui est dj l et ce qui nest pas l
(cercle carr). Cette ambigut dtre dans sa disposition, tre sous la main, tre
dispos et de ne pas tre l, ne pas tre sous la main ; tre l, tout en ne ltant
pas : nest pas seulement lambigut fondamentale de lhomme mais aussi de
lanimal. (CFM, p. 102) Lhomme : ou bien il est l, ou il nest pas l. Il est ou bien
dispos, sous la main, dans la tonalit, ou bien absent, nest pas dispos, hors
264
123
tonalit. Ou bien, il est dans une autre tonalit non fondamentale. Son absence est le
Mitsein : ltre-avec comme lessence de lanimalit.
Solutum signifie ce qui est solide, en entier. Avec la ngation ab , absolutum dsigne alors ce qui est spar . Suivant la mme logique, surdum veut
dire muet ; absurdum dsigne (1) sensible, (2) hors du ton. Finalement sum , le
verbe tre veut dire tre-l ; absum, ce qui nest pas l : ce qui est absent. Dasein
est la fois le solide, le en entier et ce qui est spar ; la fois dans la tonalit
et hors du ton, ltre-l et labsent. (CFM, p. 104-105) Si la philosophie est la
diffrence entre dormir et tre veill, lanalyse de la tonalit ouvre la possibilit de
traiter lhomme et lanimal la mme base, celle dune nouvelle ontologie de la vie
(existence). Est-ce que lanimal est ce qui dort (ce qui est mort philosophiquement) ?
Quest-ce que la philosophie ? Labsolitude ou tre dans la proximit de labysse
(lambigut) ? Heidegger questionne pourquoi Aristote ne met pas le sommeil en
rapport avec la conscience et linconscience. (CFM, p.102) Le sommeil est ekinesia,
il est un desmos, un lien dassujettissement, un lien particulier de aisthesis non pas
seulement de la perception, mais un lien de ltre dans le sens o il ne peut accueillir
un autre tant, celui quil nest pas lui-mme. Ce ne-pas-tre-l peut tre trs
conscient : tre occup par autre chose. Pourtant, est-ce cette ambigut propre
lhomme ? Ou bien est-ce que le sommeil exprime lanimalit sous le cadre du
Mitsein ; cest--dire la transcendance avec ltant en entier ?
Pour Heidegger, la vrit de la philosophie (aletheia) est la vrit propre au
Dasein. Elle est laccaparement ( being gripped ) entre la certitude et lincertitude.
Cest pourquoi le questionnement du Dasein (ou du je , ego de lhomme) est
fondamentale. Ce questionnement est fondamentalement li la question de lanimal
comme la possibilit de laccaparement (tonalit fondamentale de lhomme).
a. Solutum est ce qui est uni, en entier. Absolutum nest pas uni mais spar.
Est-ce que Heidegger spare lhomme des autres tants ; de la pierre, de la
plante et de lanimal, en sparant la philosophie des sciences ? Est-ce quil
pense un homme ab-solu ? (Vr. CFM, p. 47)
b. Surdum est ce qui est muet ou bien ce qui na pas de vibration hors du ton.
Donc, surdum est sur ton. Ab-surdum alors, est ce qui reste lextrieur de,
124
125
quil na pas besoin de. Il ne pense pas, parce quil sait en soi comme un
Tout.
Le Mitsein est le co-entendre ou le co-comprendre. 265 Sa disponibilit (tre
ouvert, souvrir lautre) est sans mot. Il est aveugle, muet. Le co-entendre est sans
il, sans oreille et sans ton. Cest une tonalit intone et quand mme indivisible ;
une tonalit analogue la tonalit musicale.
b.
Vzin traduit Verstehen par entendre , Martineau par comprendre . Vr. ET, 31.
126
son de lcho et le son de londe primaire. Ainsi, le mme son soit reu deux ou
plusieurs fois dans des diffrents niveaux et amplitudes. Chacun de ces phnomnes
donde se produisent comme effets de leurs relations entre eux et avec des objets qui
se trouvent dans le monde ambiant . Ces phnomnes forment une unit entre les
objets et les ondes.
On peut imaginer lunit du corps et de lme de ltant vivant comme une
unit de matire et donde. Lme (psukh) est la vibration vitale de ltant vivant.
En ce sens, chaque psych vivante vibre selon sa tonalit propre. Ces vibrations
peuvent entrelacer avec les vibrations des autres psychs. En loccurrence, un rapport
de proximit se forme entre les ondes diffrentes frquences. On peut dire que dans
une mme atmosphre , deux tants vivants se communiquent travers ses
vibrations vitales. Cest la communication de ltant comme tant avec soimme. La diffrence parmi les psychs sannonce au cours de cet entrelacement. Les
diffrences de frquence peuvent faire approcher ou loigner chacune des tonalits.
Par consquent, les tants vivants forment une structure sur ton ou bien hors du
ton (atonal). On appelle harmonie , le degr de tonalit de cette structure. Par
exemple, le meilleur degr de concordance pour deux sons est obtenu quand ils
donnent tous les deux la mme note. Semblablement, le meilleur degr de deux
psychs vivantes sera obtenu quand toutes les deux possdent la mme tonalit. On
peut traduire analogiquement en termes de musique ces cas de la psych et de la
tonalit des tants vivants par les phnomnes dondes sonores :
La vibration cre par ltant vivant peut tre change ou altre en la passant
par un dispositif. Cest un changement dans son timbre (de sa couleur sonore) et de
ses proprits donde ; cest--dire dans sa tonalit en gnral : oscillation. Ces
oscillations peuvent tre sous forme de filtration, de distorsion, limitation, rglage de
127
c.
266
266
Est-ce lhomme ?
267
Est-il un
Pourquoi monstre ? Ce nest pas pour rendre la chose pathtique, ni parce que nous sommes
toujours prs de quelque monstrueuse Unheimlichkeit quand nous rdons autour de la chose
nationaliste et de la chose nomme Geschlecht. Quest-ce quun monstre? Vous connaissez la gamme
polysmique de ce mot, les usages quon peut en faire, par exemple au regard des normes et des
formes, de lespce et du genre: donc du Geschlecht. Cest une autre direction que je commencerai
par privilgier ici. Elle va dans le sens dun sens moins connu, puisquen franais la monstre
(changement de genre, de sexe ou de Geschlecht) a le sens potico-musical dun diagramme qui
128
monstre simplement parce quil habite chez lhomme pour quil puisse avoir un
vouloir dire ? Est-ce lanimal la partie sauvage, obscure, indsirable de la
psych humaine, le symbole du mal et de la mort ce langage que lhomme possde
et qui lui est trange ? Quest-ce que cette animalit dans le langage (logos) parler,
criture, image, peinture, littrature, cinma, musique qui en mme temps
appartient lhomme et qui ne lui appartient pas ?268 Voici, le plan que nous allons
suivre dans ltude de la tonalit du Mitsein travers la tonalit musicale. Toute
parole nest pas monstrative (logos apophantikos) ; cest le logos dans lequel se
trouve ltre-vrai et ltre-faux (plissement du vrai et faux) en tant que sous-jacent,
contribuant constituer son fondement et son essence. (CFM, p. 446-7) Cette parole
a le pouvoir dtre trompeur (sous forme de mettre en retrait ou de retirer du retrait)
sur la base dun accord. (CFM, p. 450)
Sur la base de laccord avec ltant, lhomme (ou
lanimal) peut et doit donner voix ce quil a compris,
former des ensembles sonores qui sont des crations de
significations des phonations que nous appelons des
mots. (CFM, p. 450)
Lhomme ou lanimal peut et doit donner voix ce quil a compris (pour
pouvoir avoir le logos apophantique). Et si ce nest pas le discours mais seulement la
parole de la musique ? La parole possde des significations rgles par la grammaire,
le vocabulaire, la rhtorique et la linguistique. Seul la littrature peut flchir les
significations (les liens entre les signifiants et les signifis) comme la musique qui
montre dans un morceau de musique le nombre de vers et le nombre de syllabes assigns au pote.
Monstrer, cest montrer, et une monstre est une montre. Je suis dj install dans lidiome
intraduisible de ma langue car cest bien de traduction que jentends vous parler. La monstre, donc,
prescrit les coupes de vers pour une mlodie. Le monstre ou la monstre, cest ce qui montre pour
avertir ou pour mettre en garde. Autrefois la montre, en franais, scrivait la monstre. Jacques
Derrida, La main de Heidegger (Geschlecht II) in Psych : inventions de lautre, Paris : Galile,
1987.
267
Nous sommes un monstre, et singulier, un signe qui montre et avertit, mais dautant plus singulier
que, montrant, signifiant, dsignant, il est priv de sens (deutungslos). Il se dit priv de sens,
simplement et doublement monstre, ce nous: nous sommes signe montrant, avertissant, faisant
signe vers mais en vrit vers le rien, signe lcart, en cart par rapport au signe, montre qui
scarte de la montre ou de la monstration, monstre qui ne montre rien. Tel cart du signe au regard
de lui-mme et de sa fonction dite normale, nest-ce pas dj une monstruosit de la monstrosit, une
monstruosit de la monstration? Et cela, cest nous, nous en tant que nous avons presque perdu la
langue ltranger, peut-tre dans une traduction. Mais ce nous, le monstre, est-ce lhomme? La
main de Heidegger (Geschlecht II) in ibid.
268
Si nous, ctait nous les hommes, cette humanit serait dtermine de faon justement assez
monstrueuse, lcart de la norme, et notamment de la norme humaniste. La main de Heidegger
(Geschlecht II) in ibid.
129
130
269
Ibid.
Image, photographe, zo-graphe. (Vr. La section Thromorphe dans Agamben, Louvert : De
lhomme et de lanimal)
270
131
lEtre. 271 Le co-entendre est sans il, sans oreille et sans ton. Cest une tonalit
compltement harmonique en elle-mme et par consquent uniforme loreille de
lhomme. A lessence de limprvisibilit de linterprtation musicale rside
lindterminabilit du caractre de linstrument (matire, structure, erreur) lme de
linstrument et ltat dme de linterprte : ses penses, sentiments, passions et
affects ce moment. Cest un mlange des tonalits ; la tonalit de linterprte ainsi
se mle la tonalit musicale. En ce sens, linterprtation identique dune mme
pice musicale est impossible. Aussi, linterprtation dune mme pice par des
diffrents instruments ne peut pas tre la mme. Certains mlanges de la tonalit
musicale et de linterprte peuvent crer une grande influence et un grand pouvoir
sur les psychs soumises, comme ce fut le rle de la musique dans les rituelles
chamaniques. Chaque religion a glorifi des instruments spcifiques selon leurs
attributs comme lorgue qui fut servie par lEglise exprimer lme du
Christianisme272, le sitar par lHindouisme ou le ney par lordre Mevlevi de lIslam.
Ce qui lie ltre avec le temps est son existence. 273 Heidegger parle dune
liaison comme tonalit fondamentale de ltant. La synchronisation des tants
annonce lharmonie de ceux qui possdent une vibration rythmique, rptitive, donc
qui ont une certaine frquence. La tonalit correspond la pulsation de la temporalit
de cet tant sous forme dune onde (psych).
La pense fondamentale est lcho de la grce de lEtre.
Dans celle-ci, ce qui est singulier sclaire et se figure.
(QM, p. 53)
La temporalit dont Heidegger attribue au Dasein et au Mitsein nest pas trs
loigne de la temporalit de londe de ltant, par exemple dune onde sonore. En ce
sens, la musique comme la vibration de plusieurs ondes, le ton et latonie cre par
271
132
leurs intervalles et leurs frquences se fait pour nous un bon moyen former une
analyse fertile de lanimalit lintrieur de la question de lEtre.274
d.
le seul morceau en lui qui reste de la Nature : un morceau qui doit tre isol, effac.
Il est le poil sur son peau, son organe gnital. Il est lensemble de tous dsirs,
passions, sa volupt, sa tendance la violence et autres sentiments du mal dans son
me ; sa dbilit mentale et sa folie. La bte est la perversit, la tendance au crime.
La forme dont sa sauvagerie sest tourne aprs avoir rencontr avec la civilisation :
elle asservit cette forme volue de la sauvagerie ; elle la codifie comme lobjet de
lappareil de production qui le nourrit. Deux consquences : (1) la domestication des
animaux, usage comme labeur et source des matires premires (par exemple la
viande) ; usage comme cobaye sur lesquels on exerce les limites pour le
dveloppement des sciences, levage comme source de joie (animaux domestiques) ;
(2) la domestication des hommes, prservation de la partie animale pour les rendre
plus docile et plus productif avec un contrle absolu de la sauvagerie.275
Les actes disoler et deffacer la partie animale dans la civilisation occidentale
dcoulent du voilement de la question de lEtre, dans la pense depuis Aristote.276
Spcifiquement, ce qui ferme la voie penser lEtre par la phusis est la difficult
penser ethos
274
277
Jusqu prsent, certains philosophes ont propos quil existe une proximit entre ce quon appelle
gnralement lme et la musique. Notamment, Hraclite compare la psych avec la lyre et dit que
lme fabrique et diffuse des ondes harmoniques tout comme les ondes sonores produites par
lextension des cordes dune lyre. Selon Pythagore, toutes les choses qui existent lintrieur de
lUnivers ressemblent des instruments de musique joues dans une harmonie complte. Quant
Platon, il fait loge la mode joue par les Lyciens. Pour lui, leur style est si subtil quils lutilisent
mme pendant les guerres. Socrate : Venez donc ma voix, muses Ligies, soit que vous deviez ce
surnom au caractre de vos chants, ou que vous l'ayez emprunt aux Ligyens, enfants de l'harmonie.
(Phdre, 237b, vr. Platon, uvres compltes, trad. Lon R., Paris : Les Belles Lettres, 1926). Selon
Descartes, tous les sons sont capables donner du plaisir. Lobjet de la musique est le son qui a pour
but de donner plaisir, dveiller les nos diverses passions par deux proprits : 1) les variations
temporelles, 2) les mouvements dans la hauteur du son. Ren Descartes, Abrg de musique :
compendium music, Paris : P.U.F., 1987.
275
Cest la raison pourquoi nous devons rsister contre lide dune civilisation base sur lide de
lHumanit. Cet idal est en effet lorigine des guerres, de la discrimination, de toute sorte de racisme
de lhomme.
276
Rvle par Heidegger dans le dveloppement de linterprtation fausse.
277
Au sens de ce qui est de lhomme .
133
134
Lhistoire de lhomme et de lanimal au XVII e et au XVIIIe sicle est par elle-mme le sujet dune
autre thse. Nous devons nous limiter ici par quelques envois aux uvres de lpoque qui nont pas
t mentionn par Heidegger. Dans ltude de lanimalit du XVIII e sicle, les uvres de
Bichat (Recherches physiologiques sur la vie et la mort), de Buffon (Histoire des
animaux), la taxinomie et le nom binominal de Linn, le Trait des animaux de Condillac
sont sans doute importantes. Dans ltude de lhomme, les thses de Leibniz et de Spinoza
au XVII e sicle en effet sont plus convenables sur lanimalit la thorie de Heidegger que
Descartes, grce leur grand attachement Aristote. Quant au XIX e et XX e sicle, nous
devons quand mme parler de la thorie de lvolution de Darwin, des ides sur les droits
des animaux de Bentham, de la thorie de la connaissance humaine de Kant, du Trait de
la nature humaine de Hume avec Lvolution cratrice et Lnergie spirituelle de Bergson
aussi bien quavec lIntroduction aux sciences de lesprit de Dilthey jusquaux Mondes
animaux et monde humain dUexkll.
285
Par exemple le percept du temps dun papillon qui na que de quelques jours de vie et le percept du
temps de la tortue qui vit plus de deux cent ans est diffrent. Pareillement, la vue dune abeille doit
tre ncessairement diffrente de celle dune tique dans son relais et distance, dans lusage de ses
couleurs et sa lumire et dans sa technique. Ceci lui offre un monde propre.
135
proccupe de en ayant son monde propre, cest encore la disposition de soimme (mais pas au sens de clture, tout au contraire au sens douverture). Mitsein
comme le deuxime visage de ltre-au-monde est lustensile du Dasein. Heidegger
reste toujours contre la forme de lusage moderne de la Nature et de lanimal. Au lieu
de lusage moderne, il introduit le terme d tre-sous-la-main (Zuhandenheit).
Cest un tre-sous-la-main en tant que proccupation (Besorgen) de ltre-au-monde,
sous forme de retrait de tout maniement ou utilisation. Cest loubli du rapport de
sujet-objet. Dans ltre-sous-la-main, il nexiste pas de commerce entre Dasein et son
monde. Cest le saisir pur et originaire : saisir sans par quoi , tre affect sans
objet daffection. Il existe un moi chez Heidegger : ltant que nous connaissons
comme vie humaine en son tre.286 Pourtant, ce nest pas un moi qui base son
existence sur la raison et qui reste sans interrogation. Cest plutt un moi (tre-l)
qui sait comment se nommer (logos apophantique) et qui se trouve dans la relation
(avoir commerce avec le monde) avec son monde dans sa proccupation (Besorgen) :
tre-au-monde.
Ce moi nest pas constitu tout seul, mais par son existence avec les autres,
avec sa temporalit ou diffrence ; il devient moi selon son accord ou dsaccord
une certaine tonalit. Il est sous-la-main (Vorhanden) comme une pierre. Or, la pierre
na pas de monde partag avec les autres, dont elle soccupe dans son tre-l. Quoi
que lanimal, il a quand mme un monde quil soccupe de. Mais il parait que ce
monde et cette proccupation est priv ou pauvre. Il ne peut pas produire ou
amliorer son monde puisquil ne peut pas se prononcer, sexprimer, parler avec
lautre. En ce sens, il ne peut pas produire ltre-avec ( on ), sinquiter (die
Sorge). Il ignore la banalit de sa quotidiennet.287 Lambigut du Dasein se trouve
dans son ouverture quotidienne, stend dans son d-voilement. Cest cette ambigut
qui le guide tre Personne, tre nul :
136
Le rapport primordial ltre-l nest pas la rflexion mais tre-a (es sein). Ibid., p. 41.
Un jour ltre-l nest plus. Ibid.
290
Selon la parole de Xenophane, si le dieu est un mais il nest pas mortel comme lhomme; sil est
lUn qui entoure tout, qui entend tout (Xnophane, 1 et 2), comment ce Un va tre perceptible nous
? Si on renverse compltement le fragment on arrive largument suivant : Sil est ce qui entoure tout,
ce qui entend tout, et que nous ne sommes pas Lui ; cest--dire que nous ne sommes pas cette chose
qui entend tout, qui voit tout. Alors, notre pouvoir voir et entendre est limit. Nous (les hommes),
pouvons-nous percevoir le tout de lUnivers ? Retenir la connaissance delle en une fois ? Dans le
temps que nous restons fini, non (et au moment o nous cessons dtre fini, nous cessons dtre
humain ). Alors, nous les tants, nous ne pouvons jamais fonder notre propre rapport avec lEtre.
Nos visions sont limites et illusoires. Seulement peut-tre un tant qui est en conscience absolue de
ce quil entend et voit peut trouver le chemin suivre. Au moins il peut sintroduire et demeurer dans
ce chemin pour un certain temps. LEtre ne souvre pas parce quil nest pas dans linstant . Ce qui
est dans linstant , cest la vie et la mort.
291
Nous descendons dans les mmes fleuves et ny descendons pas; nous y sommes et nous y sommes
pas. (Hraclite, citation comme variante des prcdentes chez Snque et Homre, Hraclite, 49 a,
Burnet, 1912)
289
137
292
293
Le tournant de Heidegger.
Chapitre II, section II-a.
138
294
139
Lanimal le plus proche lhomme au sens de la tonalit ou affection pour Heidegger peut tre la
baleine.
296
Brett Buchanan, Onto-Ethologies: The Animal Environments of Uexkll, Heidegger, MerleauPonty and Deleuze, NY : State University of New York Press, 2008, p. 23.
140
au-del ; une sphre protectrice des effets et observations externes). Le logos des
tants vivants et non-vivants leur donne aussi le pouvoir de porter du signe .
Cest--dire que les mousses de savon peuvent de temps en temps sentrecroiser,
sentrelacer ou se rencontrer. Cest un cas dans lequel plus dun tant vivant se lient
une mme chane de sens . 297 Comme le lien entre labeille et la fleur. La
ressemblance formelle peut parfois tre le messager des collectifs structurels. Si la
fleur ntait pas comme labeille, si elle ntait pas tourne vers elle et que labeille
ntait pas comme la fleur, leur unit ne pouvait pas tre comme telle.298 Ainsi, il faut
que le monde de labeille et le monde de la fleur se rencontrent dans une base
commune. Lune produit du miel du nectar reu, lautre fait rpandre les pollens.
Malgr la qute de se sparer de la phusis, lhomme se trouve des fois dans la mme
position.299
Si lanimal possde laisthesis, il peut avoir aussi dune manire le logos
(langage). Ce logos, mme sil ne soit pas apophantique , peut produire des
signes (que nous ne connaissons pas et que nous ne comprenons pas) dans une
autre manire que le ntre. Lhomme nest pas ncessairement le seul tant vivant
qui fait son propre choix. Chaque vivant, les plus simples entre eux, mme par
exemple lamibe ralise son tancet dans le temps par ses propres choix. Elle choisit
sa direction par elle-mme dans son plan deux dimensions seulement par ses
organes tactiles. Cest son lien avec la vie et avec le temps. Cest en mme temps
laccident : le sumbebekos chez Aristote.
Que soit son langage, lanimal ne sort pas du solutum ; il reste muet/sur
ton. Cela ne veut pas dire quil na pas de langue. a veut dire seulement et
seulement que sa langue ne signifie rien (relativement) pour lhomme. Partant, on
peut dire que si lhomme actuel ne donne pas doreille au langage animal, sil ne
lentend pas, cest peut tre le rsultat de son effort de se sparer compltement du
Mitsein. En ce sens, lhomme na pas actuellement, le pouvoir dentendre
297
Mana .
Buchanan, Onto-Ethologies, p. 33.
299
Lentiret du Mitsein, cest pierre/monde, vgtal/monde, animal/monde (et mme encore
homme/monde). Dans la conception dUexkll, chacun de ces mondes est diffrent de lautre selon la
nature de ses outils et perceptils, selon les signes quils reoivent et les manires de les lire. Heidegger
aussi souligne limportance du terme Umwelt et dInnenwelt dUexkll qui se traduisent dune
manire sa propre terminologie comme Umwelt (monde ambiant) et Innerweltlichkeit (ltre-aumode). (Vr. lannexe II pour les concepts dUexkll comme outil et perceptil)
298
141
lanimal ; il na pas le pouvoir avoir son logos. Une pice qui tombe sur un ton
disharmonique (par exemple un ton chromatique) est classifie atonale . Pourtant,
chaque pice de musique doit ncessairement avoir une tonalit.300 Ce que Heidegger
appelle tonalit est le fait d tre sur ton qui permet existentiellement ltre-l
du Dasein ou bien ce du Mitsein qui permet ltre-avec. Mme si la parole du
Mitsein nest pas entendue par lhomme, sa frquence peut maintenir les
phnomnes de rflexion, diffusion, absorption et de transmission lintrieur dune
chelle hors de la capacit humaine. Ce nest pas peut tre la phusis qui est sans
ton, sans la capacit de pouvoir avoir une tonalit fondamentale, mais lhomme qui
nentend pas la tonalit propre du co-entendre (Mitsein).
La diffrence formelle de la relation entre phusis et logos selon Heidegger
habite dans la structure formelle de la parole (logos). La multiplicit qui se montre
dans la phusis (des sens de ltre) est illimite. Donc, selon Heidegger, la science de
ltre va faire son commencent partir de ltude de la phusis sur le mode de la
quotidiennet du Dasein. Par-l, (par ltude du Dasein dans son quotidiennet) nous
allons tre capables de percevoir les diffrentes modalits de lEtre et en faire la
dduction
ncessaire.
Pour
Uexkll,
la
Nature
existe
suivant
un
plan
Cest ce que dit Webern. Mais cette tonalit, nest pas la mme que la tonalit diatonique (majeurmineur). Il ne faut pas les confondre. La tonalit de Webern est justement au sens que Choron le
comprend. Chaque uvre musicale doit avoir un ton gnral, quelque soit la complexit des
interchangements. On peut mieux comprendre ce problme en donnant lexemple de la vue : si je
regarde un tableau, je dois ncessairement voir quelque chose. Et cette chose doit ncessairement
avoir un couleur, cest--dire un ton dfinitif qui va donner sa tonalit. Je peux dmontrer cela, en
sloignant du tableau jusquau moment o le tout du tableau est lquivalent dun seul ton. Ce ton
obtenu, peut tre un ton mixte, rompu, imparfait ou hors palette. Mais il existe. Si le tableau na pas de
ton, il faut que je ne le vois pas. De mme, quand jcoute une pice musicale, je dois
ncessairement entendre quelque chose. Prise dans une chelle, cette chose doit avoir un ton dfinitif.
Si la pice na pas de ton, il faut que je ne lentends pas. Cest--dire, par exemple, jcoute seulement
les premiers 10 seconds de la pice et reste en silence pour 5 seconds, il va me rester un rsidu de ces
10 seconds dans la tte qui va tre lquivalent dun ton. Or, on peut dire quune pice est hors-ton si
elle change de ton plusieurs fois et irrgulirement (par exemple la moyenne de 10 seconds).
Pour Schoenberg, le problme de la musique occidentale, cest dvoluer invitablement vers une
pantonalit. Cela veut dire que, les nouvelles pices vont ncessairement de plus en plus se rpter (1)
entre eux mme, (2) lintrieur deux mmes, (3) entre eux et les pices antrieures, en rsultant une
totalit des musiques semblants et rptitives. Alors, tout ce quon coute va avoir un seul et mme
ton. Pour sen dbarasser de ce problme, il invente des techniques de ngation : pas de rptition, pas
daccent, pas de diffrence de duration, pas de fin (de cadence), pas demplacements stratgiques.
Hindemith dcouvre quil est possible de construire une thorie de la musique atonale en utilisant les
gammes chromatiques. Ces gammes nont pas de ton. A lintrieur dune gamme, il est possible de
voyager entre tons. Tout comme tre l, en ntant plus l : ambigut fondamentale .
142
tous les tants, de lentier de la Nature ; cest--dire de tous les morceaux qui
appartiennent lUnivers. Chaque organisme est un ton chez Uexkll, une mlodie
qui vibre avec le reste des tants vivants et non-vivants. Cette ide nous conduit dans
lontologie de la vie vers un model horizontal qui soppose celle de Darwin.
Une conception dvolution verticale partant des organismes les plus simples, par
exemple des unicellulaires aux insectes, aux crustacs, des reptiles aux animaux et
lhomme nest pas possible pour Uexkll puisque les organismes quil appelle
chacun deux un ton se diffrent comme sils taient sur un mme plan
horizontal ; il avait des mondes diffrents. Le fait davoir des mondes diffrents rend
chaque organisme unique et incomparable car le monde qui entoure chacun deux est
propre selon le sens quil a dcouvert dans lUnivers.301
Alors, est-ce que le sens qui va construire le monde pour nous (et pour les
autres tants vivants) est unique ou est-ce quil est aussi relatif ? Pour Uexkll, il doit
tre unique. 302 Il nexiste pas une vrit hors du monde que nous apercevons, un
monde objectif ; pour lui, il nest pas question dun seul monde absolu. Ni
lobjectivit dun mcanisme rigide, ni laccidentalit sans plan de Darwin est juste ;
ce quil doit tre ou ce que nous devons dcouvrir en suivant les traces que la Nature
nous donne tait le cosmos comme lunit de laccidentalit et de la causalit-raison ;
cest--dire cosmos et chaos. Ici, laccidentalit est le premier mouvement de la
phusis dans le fait de saccrotre. Quant la raison, elle est peut-tre le deuxime
mouvement qui va tablir la continuit et signification de cette prolifration. La
vitalit chez Aristote qui va tre conu travers le mouvement nest pas seulement le
mouvement des organismes particuliers. Il est en mme temps le comportement
(ethos) de lUnivers comme un tout. Il faut questionner le comment (quid) de ce
mouvement : (1) mouvement dans lespace comme la vitalit de lentier de
lUnivers ; (2) mouvement dans le temps comme la tonalit de lentier de lUnivers.
Ce quHraclite appelle cosmos fut lagencement de lunion de ce chaos et du
cosmos. Et ce fut le monde (Umwelt) de Heidegger car mundus drive du
kosmos grec (CFM, p. 265).
301
302
Buchanan, Onto-Ethologies, p. 8.
Ibid., p. 15.
143
e.
sens double chez Aristote : (1) travers ltude de ltant comme ltant ; (2)
travers le Non-tre . (QM, p. 23) Si nous vivons dans un Univers inconnaissable,
303
Ibid., p. 17.
Ceux qui se sont approchs le plus dpasser ce manque ont t Spinoza, Leibniz et Nietzsche.
305
Vr. chapitre II, section II-a : le Logos dfini par Hraclite.
304
144
cette connaissance par elle-mme nest pas suffisante pour dmontrer que lEtre nest
pas. Si lentier de lUnivers nest quune apparence et une illusion, cette
connaissance aussi nest pas par elle-mme suffisante pour dmontrer que lEtre
nest pas. LUnivers dont nous nous trouvons dedans peut tre une illusion, mais
aussi il peut y avoir un autre Univers, dans un autre temps. Ou bien il se peut que
tout Univers et toute temporalit puisse tre une illusion et que lEtre soit quand
mme l. Car lEtre est la vrit (aletheia). LEtre nest perdu que si la vrit nest
plus, quau moment o elle est dfaite par le Non-tre.306
Peut-il lEtre en effet tre le Nant et lexistence, le non-existence ? Heidegger
rpond cette question : Le Nant est totalement diffrent de ltant. Questionner le
Non-tre, sa quiddit et sa quoddit renverse ce qui questionn. La question dfait
soi-mme de son propre objet. (QM, p. 30) Le Nant est une ngation de lentier de
ltant. Pourtant la ngation doit tre de telle manire quelle nengendre pas son
opposition. Si ctait ainsi, le nant devait tre loppos de ltant ; ce qui implique
quil soit lanti-tant ; cest--dire quil existe. Or le Non-tre, cest de ne pas tre.
Le nant inexiste. Donc, il semble impossible pour nous pouvoir le penser. Nous
pouvons penser le nant tout au plus comme la ngation de lide de lentier de
lEtre. (QM, p. 32) Alors pouvons-nous penser ce Non-tre pour le Dasein, cest-dire ltant qui est la manire de lexistence ? Heidegger laffirme. 307 Quant au
Mitsein, il nen parle pas au sens de lexistence. Au sens de la vitalit, Mitsein ne
306
Vr. les anciens sophistes. Les anciens sophistes qui ont pens sur lEtre et le Non-tre ont dcid
quil sera une erreur de les considrer comme une vrit. Selon Gorgias, il est impossible de savoir
lEtre lui-mme, cest--dire la vrit comme il nexiste pas en apparence. Ainsi, la proposition la plus
correcte sur la vrit simpose comme aucune chose ne peut tre . Ici, le problmatique nest pas le
refus de lEtre mais la pense ngative qui sappuie sur la clture de la vrit de lEtre, sur son ne
pas souvrir lhomme. Gorgias, B26, Sur le Non-tre ou sur la Nature , B3.
Si, au lieu de lEtre, son oppos tait possible, on pouvait renverser lentier de lUnivers. Cest--dire
quau lieu de lunit des tants, il y aurait lunit des anti-tants. Donc, nous aurions renvers la
proposition de Parmnide : ltre nest pas, et le non-tre est . Pourtant, ce nest pas autre chose
que laffirmation de lEtre linverse. Puisque si ctait les anti-tants au lieu des tants, nous aurions
galement comme les anti-tants, affirm lanti-Etre et les anti-tants et ni lEtre comme le ngatif de
son ngatif. Or, la question du Non-tre nest pas comme tel. Elle exige le ne pas tre .
307
Le Non-tre est lennui profonde ou langoisse dans louverture du Dasein. Cest--dire que le
Non-tre est ce qui libre ltant en son entiret. Alors, comment est-ce que Dasein qui possde
le logos, qui est capable de entrer dans le chemin de lEtre peut tomber fondamentalement dans le
Non-tre ? Il faut quil tombe puisque son chemin qui mne lEtre nat du Non-tre. Cest
lambigut fondamentale de son existence. Dasein meurt sa propre vie et vit sa propre mort. Il le fait
non pas dans linstant mais dans sa temporalit lie au pass et au futur. Le Non-tre se montre dans
ltant qui est en train de drailler dans lentier. (QM, p. 36) Louverture originelle de ltant comme
tant se rvle dans la peut du Non-tre. Alors, le devenir Da-sein de lhomme est son provenir
lexistence par sa peur de rester dans le stasis, se fermer et se perdre dans la stabilit, de devenir
Nant.
145
peut pas tre Nant car il est toujours vivant. Au sens de lexistence, il est
Nant face au Dasein. Lhomme comme Dasein a peur dtre en une conformit
avec les autres tans. Cest son ennui profond ou son angoisse. Lhomme projette un
monde soi-mme partir de cette angoisse. Le Mitsein peut tre dfini comme (1)
Nant ou pauvre au sens de ne pas pouvoir avoir cette tonalit fondamentale ou
bien comme (2) la quotidiennet du Dasein. En sortant de son origine, le Nant
approche lEtre de lhomme ltant. (QM, p. 37) Il le fait exister par son ambigut
fondamentale et distinctive. Car sans le Non-tre, il ne sera pas possible pour le
Dasein se trouver sans lobscurit ternelle, labysse dans lequel il perd sa propre
existence.308 Ce qui assure ltre configurateur du monde du Dasein est lambigut
forme conjointement
Exi-stence signifie : Etre laiss dans le Nant () Si lexistence navait pas ralise le
dpassement dans lessence de son fondement, cest--dire que sil navait laiss soi-mme dans le
Nant, il ne pouvait jamais avoir une relation avec ltant et avec soi-mme. () Il ny a ni de libert,
ni de devenir soi-mme sans la dcouverte du Nant. (QM, p. 38)
309
Heidegger annonce dans la 5e dition de QM que LEtre et le Nant sont mmes.
146
aussi un autre aspect qui lloigne du Nant : finitude . Il est catgoriquement fini
peu importe combien il soit substantiellement proche lEtre et au Nant (sa
temporalit se termine par la mort). Cette finitude le rend impuissant devant le Nontre.310 Mitsein possde la finitude mais il nest jamais seul. Quant son pouvoir
avoir un monde , cest ambigu. En ce sens, il peut seulement et seulement
rencontrer le Nant ontiquement et pas ontologiquement.
La solitude du Dasein veille en lui une peur profonde ; toute comme sa
finitude. Lhomme qui est configurateur dfinit par sa finitude et sa solitude, son lien
avec lEtre et le Nant dans son ambigut. Il est en mme temps sans maison
(Umheimlich), sans nom, pineux, indicible. Il abrite chez lui ce qui est trange, ce
qui est mort. Cest cette ambigut qui lui donne la possibilit de renfermer lanimal
(Mitsein) lintrieur de soi-mme. Cest une ambigut qui rend prsent lobscur et
le nant comme une mine sans fond. Elle donne en mme temps, la possibilit de
dfinir la relation entre lhomme et lanimal selon la zone dindiscernabilit.
Section II - La tonalit fondamentale du Dasein et la pauvret de lanimal
a.
ne peut pas tre lucide indpendamment delles. (CFM, p. 280) Heidegger souligne
quil est contre le mcanisme et contre le vitalisme aussi que la vision tlologique
de la vie. Ce quil vise, est une interprtation mtaphysique de la vie . (CFM, p.
282) Cette interprtation considre la science (que ce soit biologie, psychologie ou
physique) comme une libre possibilit de lexistence du Dasein humain sous forme
de ltude de ltant comme tant . (CFM, p. 285)311
La thse lanimal est pauvre en monde en rapport avec la thse lhomme
est configurateur de monde ntablit pas un ordre hirarchique. Il ny a pas de
rapport de degrs de perfection entre le monde de lanimal (que ce soit une abeille ou
une ourse) et le monde de lhomme. Le monde de lanimal est limit dans son
310
Savoir quil va finir ouvre dans lEtant des abmes si profondes que ce savoir nous interdit la
finitude la plus essentielle et la plus dense. (QM, p. 41)
311
Heidegger considre ltude de Max Scheler La situation de lhomme dans le monde (Die Stellung
des Menschen im Kosmos) comme erreur fondamentale pour la tche de la mtaphysique.
147
primtre et dans son profondeur. Tandis que le monde de lhomme est plus grand en
primtre, va toujours plus loin en pntration. Il peut constamment saccrotre aussi
en profondeur. (CFM, p. 288) Heidegger insiste que cette division entre lhomme et
lanimal nest pas une valuation de perfection et dimperfection mais celle dune
ouverture et de clture . Lanimal est pauvre en monde dans sa privation
comme clture. La pauvret (privation) de lanimal est considre comme ne pas
avoir dans le pouvoir avoir . Lanimal peut avoir un mode. Il a le pouvoir
de Pourtant, il na pas de monde comme dans le sens du monde du Dasein
puisquil est inexistant, sans vie en termes dexistence.
Le voilement de la question de lEtre depuis Aristote (la sparation dethos et
de phusis) ne peut se dfaire que par une telle formulation. La redfinition du monde
et de la mondanit sopposant lusage moderne, permet selon Heidegger rendre
manifeste comment le mouvement temporel dun tant (Dasein) peut lui attribuer une
nouvelle ontologie de la vie (lexistence). Cette analyse ne refuse pas la ncessit au
Mitsein (co-entendre) mais elle perd de vue la possibilit de son pouvoir avoir un
monde selon sa propre nature en se concentrant sur le mode dtre du Dasein. Si
chaque tant a un monde propre (mme les plus simples), on ne peut pas chercher le
logos dun tant en partant du logos dun autre. Cest parce que ce sont eux ; les
tants vivants les plus primitifs qui ont ralis les premiers pas (le commencement)
de la vie. Ils possdent lessence de la vie. Alors, si lhomme daujourdhui nentend
pas la parole de lanimal (et des autres tants), sil est spar deux, cest peut-tre
parce quil ny donne pas loreille. Lanimal peut avoir une tonalit fondamentale
mme si le logos de lhomme ne lenferme pas puisque la multiplicit de monde
implique une multiplicit de logos. Si le sens qui construit chaque monde est
unique, nous ne pouvons pas dire que cest impossible.
i.
biologique. Cest--dire quil est un tant en tant que vivant, parmi les autres vivants.
Il est lintrieur de ce en entier , le Mitsein. Lanimal fait partie du Mitsein qui
est par dfinition stable ; en harmonie. Il nexiste pas (exi-stance), il nest mme
pas mort en termes de lanalytique du Dasein. Lanimal ne se donne pas
148
312
Linterprtation de Derrida sur lcoute (Das Hren) du Dasein chez Heidegger : Dasein porte
auprs de lui lami lui-mme et non seulement sa voix [Stimme]. () A travers sa voix, jentends,
travers cette coute, cest lami lui-mme que jcoute, au-del de sa voix mais en elle. Cest lami
que jcoute et porte auprs de moi en entendant sa voix. Bien entendu, le Dasein porte lami luimme, mais non lami dans sa totalit, en chair et en os. Il le porte si on peut dire, dans lcoute de sa
voix, dans la figure de sa voix, sa figure mtonymique (une partie pour le tout). () Ou est une
oreille? Quest-ce que le dedans et le dehors dune oreille ? Quest-ce que souvrir, pour une oreille ?
Quest-ce que tendre loreille? Entendre ou ne pas entendre. Etre sourd, ne pas pouvoir ou ne pas
vouloir entendre, peut-tre au sens o Heidegger parlera plus tard (1934-35) propos de Der Rhein de
Hlderlin, des mortels qui font, comme on dit en franais la sourde oreille (das berhren). A la
diffrence des dieux et des potes, Les mortels entendent comme ceux qui ne peuvent pas entendre
149
150
ii.
Le problme de la transposition
Comment faire autrement que de nous transposer
dans lanimal ? Mais alors, ne courons-nous pas
le risque dinterprter ltre de lanimal partir
de nous-mmes ? () Pouvons-nous nous
transposer dans lanimal ? Pouvons-nous nous
transposer dans une pierre ? (CFM, p. 298)
Se transposer dans un tant est daccompagner ce quest (quod) et comment
(quid) est ltant. (CFM, p. 299) Dasein est par dfinition soi-mme et cet tre-avec ;
tre ensemble avec les autres. Donc, daccompagner un autre Dasein a toujours dj
lieu en raison du Dasein de lhomme. (CFM, p. 304) La mthode de transformer
Dasein, un tant vivant en un tant purement matrielle est inconnue. Or se
transposer dans nest ni se transporter effectivement, ni avec des ides. (CFM, p.
300) Ainsi lessence de lanimalit devient pour Heidegger, une question
fondamentale portant sur lessence de la vie en gnral. (CFM, p. 306) Lide que
lhomme est ds le commencement de la constitution de soi-mme, sujet et
313
151
315
Ne dans le contexte de la fondation mtaphysique chez Descartes, connue une mutation singulire
chez Kant, conduite labsolutisation chez Hegel (CFM, p. 307).
316
Selon Uexkll, la structure de la relation de lanimal avec son milieu ne rside pas dans le seul acte
de se trouver dans : lentiret de lorganisme ne spuise pas dans lentiret corporelle de
lanimal. (CFM, p. 382) Lentiret du Mitsein, cest animal/monde, vgtal/monde, homme/monde.
Dans la conception dUexkll, chacun de ces mondes est diffrent de lautre selon la nature de ses
outils et perceptils, selon les signes quils reoivent et les manires de les lire. Jacob von Uexkll,
Mondes animaux et monde humain, trad. Muller P., Paris : Denol, 1965, p. 26.
317
La transposition de lhomme dans une pierre est impossible selon Heidegger (CFM, p. 306).
318
Ou bien est-ce trop dire? Est-ce prcisment ce trop que nous ne cessons de mconnatre?
319
Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, p. 85.
320
Ibid., pp. 86-88.
152
transposition de lanimal est donc irralisable pour Heidegger comme il est ouvert
son monde dans une inaccessibilit. Lanimal et son monde sont spars par un
abme, tout comme lhomme et son monde. Heidegger saisit quils sont en ce sens
insparables. Pourtant, cette mme ouverture abyssale les spare.
iii.
fondamentale. Or, lanimal dans son essence, possde louverture au monde. (CFM,
p. 391) Dans lanalyse terminale, Heidegger dcide que mme si lanimal semble
possder louverture au monde, cette ouverture est une ouverture fictive. Cest une
ouverture pulsionnelle drivant de la volont davoir ce qui dsinhibe ; ce qui est
convenable ses besoins et buts comme organisme : Cest tre pris dans le cercle de
dsinhibition cest avoir ce qui dsinhibe. (CFM, p. 391) Il hsite sur si ce nonavoir de lanimal est une privation ou pas. Le non-avoir de lanimal est acceptable,
pourtant il ne semble pas tre encore un caractre fondamental de lanimalit.
On trouve chez lanimal un non-avoir, la diffrence de
ce qui se passe chez ltre humain. Tout aussi surement ce
non-avoir propre lanimal est-il essentiellement autre
que celui de la pierre. Mais voici la question : ce non-avoir
propre lanimal est-il une privation de monde, est-il
essentiellement une pauvret en monde ? (CFM, 63, p.
392)
La question de lanimal ainsi reste sans rponse. Elle savance vers une
ambigut. Cest un vertige (Schwindel), une zone dambigut. 321 Cette zone
dambigut propre lanimal, la thse lanimal est pauvre en monde reste
comme un problme avant llaboration du problme du monde. Alors, Heidegger
pose un autre critre : la souffrance. Pourtant, cest une souffrance entirement
diffrente de celle de J. Bentham, discute dans son uvre. 322 Lanimal, sil est
321
Le vertige et il insiste beaucoup sur le vertige (Schwindel) : tourner en rondIl saperoit que
ces considrations comparatives sont prises dans un cercle, et que ce cercle donne le vertige. Il insiste
beaucoup sur ce vertige qui est, dit-il unheimlich () Heidegger confesse que le vertige est
unheimlich mais quil faut le vertige. Ce vertige est celui du questionnement sur lanimal, et
finalement, cest le concept de monde lui-mme qui devient problmatique et fragile. (Derrida,
Lanimal que donc je suis, p. 212)
322
A ce propos, vr. Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation,
NY : Hafner Press, 1948 (publi en 1789), soulign par Derrida dans Lanimal que donc je suis, p.
153
vraiment priv de son monde dans ltat de non-avoir, doit ncessairement souffrir de
ce non-avoir.
Si le fait dtre priv peut tre dans certains cas une
souffrance, et si la privation de monde ainsi que la
pauvret font partie de ltre de lanimal, une souffrance et
un mal doivent alors ncessairement stendre travers
tout le rgne animal et le rgne de la vie en gnral. (CFM,
p. 393)
Comme nous ne savons aucun indice dune telle souffrance chez lanimal,
Heidegger conclut que ltre en tant que est radicalement ferm lanimal.
(CFM, p. 397) La question de lEtre sous forme de tant en tant qutant dit
Heidegger, est une question propre lhomme. Lanimal ne peut jamais connatre
(prouver) ltant qui est manifeste en tant qutant. Il ne peut pas entrer soi-mme
en relation au sens de laisser tre et de ne pas laisser tre . (CFM, p. 397-98)
Ainsi, il semble impossible pour lanimal de se transposer temporellement. Incapable
dtre temporel, lanimal vit seulement au prsent ; le monde propre du Dasein lui
ouvre la possibilit de se transposer parmi les tants.
Lanimal nest pas capable de pouvoir avoir une tonalit fondamentale au sens
de lhomme puisque son rgne est dans l ensemble : lensemble de la Nature et
de ltant en gnral. Son mode fondamental de ltre est totalement diffrent du fait
dtre-l. Son mode fondamental nest pas ltre-l (Da-sein) mais ltre-avec (Mitsein). Donc, sil possde le pouvoir davoir une tonalit fondamentale, cela ne sera
pas sous le mode fondamental du Dasein mais sous le mode fondamental de Mitsein.
154
Quelle est ce pouvoir avoir propre lanimal ? Mitsein est par dfinition
en entier . Il est un tout, en harmonie. La vie en gnral (anima) : harmonie
complte des lments sous le rgne du cosmos (logos lintrieur de la phusis) et du
chaos (improvisation). Lun nat, lautre meurt ; lun meurt, lautre nat : lanimal est
immortel. Ce cycle se rpte. Or, le Dasein dans son monde est fini : il vit seulement
sil existe (ex-siste), sil sort de cette cycle en posant son tre-l comme ltre-le-l.
Il existe dans son acte de retenir et de garder la tonalit fondamentale qui est son
tour lie la quotidiennet du Dasein, cest--dire au Mitsein. Etre remis entre les
mains du Dasein, tel est lindice de lintime finitude. (CFM, p. 408)
Le rgne de lanimal (comme Mitsein) est li ltre-l de lhomme car lun
est un don (lanimal) lautre. Lanimal est donn au Dasein (en tant que lhomme)
tel quil le trouve dans son monde , (2) ce don (lanimal) au Dasein est un don
pour une tche prcise : la tche dtre soi-mme du Dasein. (CFM, p. 407) Dasein
ainsi reoit lanimal qui lui est donn dans son monde dont il est le configurateur.
Son monde est chaque fois dabord configur. (CFM, p. 406) Il reoit aussi soimme comme transposition. Dasein est donn soi-mme pour tche dtre soimme en sa finitude (CFM, p. 408). Il reoit sa propre fin, sa mort au sein de son
existence. Il reoit la possibilit de ne pas avoir donner--entendre, de ne pas avoir
un monde. Il reoit galement la possibilit dtre mort et de rester mort, non pas en
termes de vie mais en termes de lexistence. Dans sa quotidiennet comme ltreavec de ltre humain, il risque dtre au milieu de ltant en entier. Il risque de rester
stable et immortelle au point de vue du cycle de la vie.
Dasein se trouve dispos au milieu de ltant (lanimal comme ltre-avec).
(CFM, p. 410) Il est dispos chaque fois au milieu de cette entiret ; port au
dehors de la manifestet : il devient accessible au moment o il reoit lanimal ou
soi-mme comme transposition. Laiss vide, train en longueur (Lange-weile) dans
son ennui profond 323, cest la tche du Dasein : avoir la transposition ,
se jeter vers . Il se jette vers le o . Il se jette vers le quid . Il se jette vers
ce compltement autre dont il est responsable : lanimal. Lhomme nest pas toujours
ltre-l (Da-sein). Il lest seulement au moment o il se rencontre avec cet trange
323
Being held in limbo : Dasein est tenu dans les limbes, dans lindtermin, lambigu.
155
en entier . Ce Mitsein quil ne lest pas mais quil a la tche de ltre. Voici le
mode du pouvoir avoir de lanimal : comme ce quoi le Dasein a le donner-entendre. Abme : avoir ou ne pas avoir un monde dans le sens de laccessibilit
de ltant (CFM, p. 411-12) Ce qui est configurateur du monde nest pas lhomme
mais le Dasein en lhomme (CFM, p. 413) qui se trouve (existe) dans la manifestet
de ltant en tant que tel et en entier (Mitsein). Donc lanimal et lhomme partagent
au moins une chose : la finitude de lhomme. Finitude comme linquitude du ne
pas . (CFM, p. 22)
Le Dasein en lhomme configure le monde : 1. Il le fait
tre en le produisant ; 2. Il donne une figure, un aspect de
lui, il lexpose ; 3. Il le constitue le Dasein est ce qui
encadre, ce qui enveloppe. (CFM, p. 414)
Le Dasein con-figure. Il le donne une figure, une forme. Il lexpose (le en
entier ) dans le signe. Il le donne un nom . Il donne des noms aux divers aspects
de son tre. Il produit de lun, une multitude. Il le diffuse, il le jette sur, labsorbe,
le transmet. Il lenveloppe et par suite le transpose. Le Dasein arrange son monde
selon sa tonalit fondamentale. Il le filtre ou distorse. Il le limite ou le dilate. Il
larrange dans la mme tonalit que soi-mme. Cest un jeu linfini. (CFM, p.
414)324 La logique nest que la base du vrai sens du logos. 325 La logique est la base,
tandis que le logos se montre dans le signe (symbole). Il est quelque chose de
plus (pouvoir discourir). Selon Aristote, logos signifie : parole, ensemble de ce
qui est parl et de ce qui est dicible. (CFM, p. 441) Il nest pas seulement la
grammaire, ni le vocabulaire. Cest quelque chose de plus : la capacit fondamentale
qui est celle de pouvoir discourir et donc parler. (CFM, p. 441) Drivant de cette
324
156
157
158
b.
326
Lanimal dans son essence, possde louverture au monde. (CFM, p. 391) Il est cette
ouverture comme un tant vivant entre ltant non -vivant (la pierre) et ltant exi stant
(Dasein).
327
Exemple pour une proposition qui na que la quiddit et ltre-vrai : Le cercle est rond .
Exemple pour une proposition qui na que la quiddit : Le cercle est carr . Exemple pour une
proposition qui na que la quoddit et ltre-vrai : Le lion est blond . Exemple pour une proposition
qui na que la quoddit : Le lion est bleu .
159
la psych pour les tants vivants), cest--dire de quid mais de quod . (CFM,
p. 471)
Llucidation de lessence de l en tant que saccorde
avec la question qui senquiert de lessence du est , de
ltre. Les deux questions servent dvelopper le
problme du monde. (CFM, p. 480)
Le problme du monde ainsi se lie nettement chez Heidegger la question de
lEtre dans lessence du est et de l tant en tant qutant dans ce centre de
lambigut de lhomme et de lanimal. Le premier comme tant ouvert la
significativit de l en tant que dont la dimension et le mode de la relation sont
obscurs, la deuxime comme tre pris par dans laccaparement (CFM, p. 480).
Maintenant pour le philosophe, la configuration du monde est prcisment le
fondement de la possibilit interne du logos (CFM, p. 483). Donc lhomme comme
configurateur de monde est le seul guide pour nous dans le chemin de lEtre.
Pourtant, lambigut de lessence de lhomme (son essence latente) ne nous permet
pas den finir avec la thse triple. Ce nest pas une thse termine mais encore
ouverte au centre de la quelle rside lanimal .
Lanimal est la peau qui a t pris de son corps par lhomme ; cest la peau
comme la matire du manteau et de la chaussure. Lanimal ainsi, est peau-outil. Ou
bien il est la viande qui a t arrach de son corps mort par lhomme comme la
matire du repas ; lanimal est viande-outil. Lanimal en particulier qui va lucider
lessence du vivant (CFM, p. 312) est-il un util, un outil ou une machine ?
Lorganisme est quelque chose qui a des organes (organon = outil). Lorgane est un
Werkzeug (ergon = travail), ce qui sert travailler un outil. Lutil (Zeug) est sans
monde, il ne peut tre produit que l o il y a configuration de monde. Alors lanimal
nest pas seulement un util, il a quand mme un monde, il est plus dun util pour
Heidegger. Les organes de lanimal sont des outils mais lanimal en tant
quorganisme nest pas seulement une machine ( vivre) car le caractre fondamental
de la vie (psych) ne peut pas tre saisi simplement par le concept mcaniste du
mouvement. Lanimal est donc quelque chose de plus mais pas au sens du vitalisme
(CFM, p. 320). Lutil offre la possibilit de servir (prestation) mais chaque
organe a sa propre aptitude (manire davoir et doffrir une possibilit) laide de ses
160
utils ; et cest la fin seulement lorganisme (pas lorgane) qui a des facults.
Lanimal (lorganisme) comme un tout selon Heidegger se forme ainsi selon les
exigences de son essence.328 Dautre part, il spare fondamentalement la faon dont
est lhomme et la faon dont est lanimal comme (1) la tenue du rapport (Verhalten)
et le comportement (Benehmen). (CFM, p. 347) C'est--dire quil diffre la quiddit
des deux en attribuant ltre de la deuxime un mouvement pulsionnel
(Treiben) (CFM, p. 347). Lanimal est pris en lui-mme (accapar). Cet tre-pris de
lanimal en lui-mme qui rend possible tout comportement (Benehmen) est
caractris par laccaparement (Benommenheit). Cette premire conclusion de ltude
biologique de Heidegger dans les CFM
328
Ainsi par exemple ce qui est accompli par lil de labeille le caractre organique de cet il
est dtermin (et est donc concevoir) partir de laptitude visuelle qui est spcifique labeille et
non linverse. CFM, p. 336.
329
Heidegger souligne que le terme accaparement est galement employ par la psychiatrie pour
dsigner un certain tat-mental de lhomme.
330
De plus, les arguments sur laccaparement de lanimal de lpoque, dfendus par Heidegger sont
aujourdhui invalides. Seulement, la thortisation du philosophe en partant des travaux de v. Baer,
Roux, Driesch et dUexkll contre les tudes mcanistes et vitalistes semble plausible.
331
Cest peu prs une trentaine dannes plus tard, dans La question de la technique (1954) que
Heidegger va questionner le caractre de ce qui est intrumental : L o des fins sont recherches et
des moyens utiliss, o linstrumentalit est souveraine, l domine la causalit. Heidegger, Essais et
confrences, pp. 9-48.
332
Ibid, p. 13.
161
c.
333
Ibid, p. 16-17.
Ibid, p. 25-26.
335
Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, p. 122. Agamben se refre aux cours de 193435 sur Hlderlin.
334
162
336
163
ou est-ce que cest sa responsabilit pour les autres ? Jacques Derrida qui a consacr
centaines de pages la lecture de Heidegger souligne limportance de la question
animale lintrieur du projet heideggrien plusieurs reprises. En traitant
lanimalit dans laxe de la subjectivit humaine (lanimal qui est en lhomme,
lanimal-folie, lanimal-femme, lanimal-autre) 339 , il dvoile la responsabilit de
lhomme envers le ne pas vouloir donner entendre . Etre muet mais aussi sur
ton ; lanimalit, tre-aprs, tre auprs, tre prs de, tre-avec se lie
ncessairement ce qui est humain puisque lhomme nest pas seulement ce quil est
mais aussi ce quil nest pas chez Heidegger. Lanimal habite dans lhomme. Alors,
tre auprs de lanimal nimplique pas un simple usage (chasse, dressage, domptage)
de son corps. Lanimal se cache (son anima), en mme temps quelle mentoure.340
Le manque de transposition (avoir ltant en tant que tel) nest pas
seulement le manque de lanimal, mais aussi de lhomme.341 Si lanimal a rapport
ltant mais non pas ltant en tant que tel, si lanimal na pas accs, dans son
ouverture au monde, au monde en tant que tel, ce nest pas une faute ou privation
mais la quiddit de ceci. Et si lhomme a parfois accs ltant comme tant et
parfois na pas, cela aussi nest pas un supplment mais sa quiddit. 342 Donc, mme
si ltre de ltant est refuse lanimal, donc rserve lhomme, ce ne serait pas
une diffrence ontologique, diffrence de quiddit, ni une hirarchie des tants mais
une diffrence de quoddit . Car la diffrence ontologique est celle de ltre et de
ltant. Chaque tant peut avoir sa propre manire (logos) se lier lEtre.
Lhomme, mme par les appareils les plus sensibles et par les mthodes les plus fines
de la science, narrive pas savoir le monde des animaux et des plantes comme tels
339
164
343
165
Il se diffre (1) de ce qui est humain lintrieur de soi-mme, (2) de ce qui est
humain lintrieur de son autre qui se spare de lui (Dasein). Le ne pas pouvoir
avoir du langage (logos) de la Nature ou Mitsein (et lanimal lintrieur) nimplique
pas quil ne peut avoir un logos. Puisque ne pas donner entendre aussi contient
une syntaxe comme dire ou donner la parole entendre. Ne pas dire au moins
peut tre lu comme le langage (muet) du Mitsein. Dasein donne un nom ( lanimal).
Ds le moment de cet appel, le nom de lanimal commence acqurir des
significations. Mais ce sont des significations anonymes. Elles sont sans parents et
sans patrie (Unheimlich) car ni lhomme, ni lanimal ne peut deviner leur drivation.
Si lanimal est offert lhomme, alors lhomme doit tre responsable de lanimal.
Cette responsabilit nest pas celle dun pre ou dune mre mais celle dun ami,
dun frre et dune sur. Lhomme est responsable de lanimal tu sur lautoroute, de
lanimal tu par le chasseur, par le constructeur, par les usines, par les villes. Il est
responsable de lanimal tortur par son cot malin pour plaisir, pour la science ou
pour la socit. Il est responsable de lanimal jet dans la rue, dans la poubelle, dans
la mer et dans le lac (avec des poids). Il est responsable de lanimal mang pour son
plaisir, sacrifi pour ses dieux. Il est responsable de lanimal isol, asservi, dtach
de son monde. Il est responsable de son indiffrence, son apathie, sa surdit. Puisque
sans lanimal, il ny aurait pas la possibilit de faire appel lautre en tant que
tel .347
Heidegger admet que le Dasein peut construire une relation avec ltant comme
tant seulement par soi-mme. Alors, mme si elle permet sa propre configuration du
monde, sa relation avec le Mitsein ne nous dit rien sur le pouvoir de configurer un
monde du Mitsein. Mitsein est capable davoir le logos dune manire diffrente que
celle du Dasein. Cest pourquoi Heidegger narrive aucune conclusion dcisive
dans son questionnement du monde de lanimal (pouvoir-avoir ou pauvret). Mitsein
est fondamental en tant la condition de possibilit du logos apophantique du Dasein.
Pouvait-il construire un monde de signification dans le vide, dans lobscurit absolu,
sans le Mitsein ? Deuximement, lhypothse que le Mitsein ne rpond pas lappel
du Dasein ne peut tre vrifie que dans la perspective du Dasein puisquil ne
347
Partant de cette responsabilit selon Jonas, lhomme doit construire une nouvelle thique non
seulement pour soi-mme, mais aussi pour lanimal, pour la plante, pour la Nature en entier. Vr. Hans
Jonas, Le phnomne de la vie. Vers une biologie philosophique, trad. Lories D., Bruxelles : De
Boeck Wesmael, 2000.
166
possde pas le monde de lanimal sous forme dtre-avec. Ainsi, sans le devenir
Mitsein, il ne sera pas possible de savoir si cest Mitsein qui ne rpond pas (en
restant muet) ou bien cest Dasein qui nentend pas (en tant sourd) la rponse. Il ne
sera pas possible si le Mitsein peut devenir un langage ou pas.
b.
Unit et multiplicit
LEtre comme lEtre souvre travers le Temps. (QM, p. 18) Ce qui ouvre au
167
168
Cette vitalit est identique chez le vgtal et chez lanimal. Les facults
changent mais la substance est le mme. La vitalit en ce sens peut exister aussi chez
les tants dits sans me . Le contenu de la prote philosophia est lensemble de ces
trois questions et les rponses quAristote a donn. En posant ces questions qui sont
les principes de la philosophie premire, de philosopher , Aristote obtient deux
rsultats : (1) il projette lentier de ltant comme tant sous forme de ses proprits
gnrales ; (2) il projette lentier de ltant comme tant comme ltant le plus haut,
comme ltant divin. (A, 2, p. 21) La projection de ltant de ltant dans cette
double forme constitue le sujet de la philosophie sotrique dAristote. La relation de
lme et du corps ressemble la relation de la forme avec la matire. Sans la forme,
la matire est inexistante. Ce quon appelle la forme est la substance de celle-ci :
la substance de la matire. Donc, pour le vivant, la substance est lme et le corps.
Aristote lappelle la substance complexe. La psych dune plante est comme
plante ; la psych de lanimal comme animal. Or, il nexiste pas une hirarchie entre
ces psychs car la substance complexe doit tre la mme chez chacun deux : le
fondement de lUnivers substance doit tre Un . Ainsi, une hirarchie
substantielle sous forme de la pierre < la plante < lanimal < lhomme doit tre
invalide pour Aristote comme la substance complexe est la mme dans chacun. Cest
exactement ce que Heidegger nous montre : que la relation entre la pierre, le vgtal,
lanimal et lhomme comme tants ne contient pas une hirarchie. Cest plutt une
relation qui se spare dans ltude de ltant comme tant, en termes de la
manifestation de la quiddit.
Il existe dans les animaux et dans les plantes (et dans la phusis en gnral
dans tous les tants), quelque chose qui nexiste pas chez nous ; quelque chose voile
ou bien oublie lintrieur de nous-mmes. On la appel psukh kosmou
(anima mundi lme du monde ou de lUnivers). 348 Ce qui correspond une
conscience qui est diffrente de la conscience temporelle et subjective chez nous (qui
se forme dans la raison) ou bien sous forme de lexistence chez Dasein, une
conscience collective et au-del du temporel (qui se forme dans laffection). Ce qui
pour nous ouvre la voie repenser ltude de la tonalit : lanimal comme le Nant
348
Vr. Platon, Time 29-30 (in Platon, uvres compltes), le concept de atman chez le
Brahmanisme, et le chi du boudhisme (le soi-mme comme un tout, en entier sous forme de la vie
la souffle de lUnivers energeia ou psych du cosmos vivant).
169
la
question
fondamentale
de
Heidegger :
quest-ce
que
la
349
Si non, il sera impossible datteindre la vraie philosophie (prote philosophia). Dans ce cas, la
question de la mtaphysique reste ininterroge. Cette forme double est la suivante : 1. la projection de
lentier de ltant comme tant sous forme de ces caractristiques les plus gnrales (ce qui
correspond la question de lme en gnral) ; 2. la projection de lentiret de ltant dans le plus
haut degr et de l au divin.
350
Dans la forme double dcrit par Heidegger dans lintroduction de QM (1949). Ainsi, le chemin de
la vrit souvre. Ainsi, louverture de ltant comme tant, le dvoilement de lEtre (cest--dire de
lEtre et du Nant) devient possible travers la mtaphysique double face. Ainsi, les concepts
fondamentaux de la mtaphysique pour Heidegger dcoulent de la diffrence ontologique de
lhomme au mode dexistence : monde, finitude et solitude .
170
c.
Consquences
Lanimalit comme question est le centre de lentrelacement du problme
primordial entre la phusis et le logos. Elle est le champ de bataille pour lnonciation
(dire) de ce qui est en tant qutant (Seiende) et de ce qui peut se dire par le
logos (Geltende). La question de lanimal est fondamentale pour lanalytique du
Dasein puisquelle conserve en son tre, une ambigut qui nest pas exactement
lambigut propre lhomme mais une ambigut diffrente drivant dune mme
problmatique.
Pour Heidegger, lanimal est pauvre en monde par privation au logos.
Mme sil reconnait lambigut de la question de lanimal, il reste en fin de compte
indiffrent la possibilit pour lanimal avoir son monde . En annonant quil
existe un abme entre lanimal et lhomme, il soriente vers lanalyse de ltre
351
171
humain comme Dasein sans accomplissant lanalyse propre de ltre animal comme
Mitsein. Le monde dfini par Heidegger pour lhomme comme ltre-l est
conceptuellement proche au monde ambiant dUexkll dfini pour les
animaux. 352 Tous les deux sont des mondes uniques du vivant ; ils forment une
entiret propre de lespace-temps devenu sensible par la perception et la sensation
du vivant. De mme, leurs tonalits qui accomplissent leurs mondes ( en
entier ) doit tre propre. Ici, la diffrence concernant la tonalit dfinie par
Heidegger dcoule de la configuration du Dasein. Les autres vivants se trouvent dans
leur monde, ils ne sont pas capables de le figurer ou configurer. Car selon Heidegger,
leur monde est pauvre par la privation du logos apophantique.
Heidegger dcide (avec ses dtours) que louverture du monde de lanimal est
pulsionnelle (CFM, p. 391). En consquence, la lumire de Peri psuchs et de
Mtaphysique dAristote et la suite des factualits inclues de la biologie (que
lanimal soriente vers la dsinhibition) la recherche de ltant comme tant, la
question de pouvoir avoir un monde de lanimal parmi les tants vivants est dpasse
et la signification du Mitsein, cest--dire de ltre-avec est rduite lappel du
Dasein de son mondanit par Heidegger. Alors que le langage du Dasein comme ce
qui possde lambigut fondamentale du point de vue de pouvoir avoir la possibilit
de lEtre et du Nant, doit ncessairement possder lautre sens du Mitsein ; ce qui
est la Nature ou Mitsein comme langage sans langage ou comme langage
autre . On peut dire que lanimalit possde une ambigut propre sous le rapport
dhabiter au centre de la question triple du Mitsein (la pierre est sans monde, lanimal
est pauvre en monde, lhomme est configurateur de monde). Heidegger na pas trait
la question dans cette perspective.
Dasein est un tant qui peut avoir des tonalits diffrentes et qui recherche son
propre existence. Les autres tants nont pas la possibilit davoir une telle recherche
selon Heidegger. Alors que la complexit, lambigut et linfinit de la signification
des mondes de certains vivants, notamment celles des organismes simples selon
Uexkll, appels mondes inconnaissables peut les rendre indiffrents des
organismes beaucoup plus complexes, de certains vertbrs et mme de lhomme en
352
172
353
173
1.
La tonalit fondamentale (ennui lange weile) de ltre humain (Dasein) est une
question de lEtre et du Temps.
2.
3.
4.
174
175
176
le
Devenir, devenir-animal, affect, chaode, chaosmos, corps sans organes, dsir, dure,
dsubjectivation, diffrence, rptition, empirisme suprieur, haptique, logique de la sensation,
machine dsirante, multiplicit, nomadologie, percept, plan dimmanence, pli, point de vue,
ritournelle, rhizome, schize, schizo-analyse, sujet larvaire, univocit, variation, visagit, vitesse, zone
dindiscernabilit
177
357
Quest-ce que fonder? par Gilles Deleuze, cours profess au Lyce Louis le Grand, 1956-1957,
chapitre II, introduction et chapitre III. (Page consulte le 10 Octobre 2013)
http://www.webdeleuze.com/
358
Ibid., chap. III.
359
Ibid.
360
Ici, Deleuze cite les trois caractres du fondement chez Kant.
178
sans fond.361 Dautre part, nous savons que la pense heideggrienne aussi, bien que
son plus grand dsir fut de chercher laletheia ou la vrit ternelle, admet la vraie
force de la philosophie par le tournant : lambigut . Cest une recherche
linfini ; un retour au fondement sans fond . Deleuze laffirme :
Heidegger arrive aprs un effort une question qui risque
de nous dcevoir. Il en arrive pourquoi y a-t-il de ltre
plutt que du nant ? Et sil se rpte cest quil veut
suggrer quon ne peut attendre de rponse du type
empirique des interrogations empiriques. Peut-tre au
niveau philosophique la rponse est-elle contenue dans la
question.362
La formulation de Deleuze donc ne savance pas sur la gnralit et sur le
retour lorigine. Elle savance en se tournant : cest une pense qui tourne autour de
la diffrence et de la rptition dans tous les domaines possibles (philosophie,
littrature, art, science). Or, la question de lanimal sarrangeait chez Heidegger
dune manire d-rivative sous un seul titre : la question de lEtre, la question de
lEtre retrouve son commencement sous forme de ltude de l tant comme
tant .363
361
Comme dit Chestov dans son trait sur la possibilit des choses et lapothose de ne pas avoir un
fond (dracinement) : In spite of Epicurus and his exasperation we are forced to admit that anything
whatsoever may result from anything whatsoever. Which does not mean, however, that a stone ever
turned into bread, or that our visible universe was ever naturally formed from nebulous puffs. But
from our own minds and our own experience we can deduce nothing that would serve us as a ground
for setting even the smallest limit to nature's own arbitrary behaviour. If whatever happens now had
chanced to happen quite differently, it would not, therefore, have seemed any the less natural to us. In
other words, although there may be an element of inevitability in our human judgments concerning
the natural phenomena, we have never been able and probably never shall be able to separate the grain
of inevitable from the chaff of accidental and casual truth. Moreover, we do not even know which is
more essential and important, the inevitable or the casual. Hence we are forced to the conclusion that
philosophy must give up her attempt at finding the veriiates aeternae. The business of philosophy is to
teach man to live in uncertainty man who is supremely afraid of uncertainty, and who is forever
hiding himself behind this or the other dogma. More briefly, the business of philosophy is not to
reassure people, but to upset them. in Lon Chestov, All Things are Possible. Apotheosis of
Groundlessness, NY : Robert McBride Co., 1920, p. 22-23.
362
Deleuze, Quest-ce que fonder? , cours profess au Lyce Louis le Grand, 1956-1957, Chapitre
III : Fondement et Question.
363
Rappelons : linterrogation heideggrienne qui a pour but de dcouvrir le sens originel de la
philosophie en montant jusquau plus haut degr de gnralit, retrouve le sens antique du concept de
monde (1) dans deux axes : cosmos et physis chez les prsocratiques. (CFM, p. 50) La question de
lanimal, comme toute question philosophique sinstalle sous la question de lEtre en reconfigurant la
possibilit luni-substantialit des tants vivants (plante animal homme). (2) Chez Platon dans le
trait de la question de lEtre, la possibilit de la voie propre de lapprhension de lEtre (Dasein) et
de la comprhension de lEtre (aletheia) : logos psych kinesis se donnent comme question
essentielle (BA, p. 118). (3) Chez Aristote, le point focal devient la possibilit de pouvoir avoir le
logos apophantique : Qui est capable de former ce discours ? La question de lanimal sannonce
179
180
366
LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet et Gilles
Deleuze, Paris : Femis, 1988, A comme Animal .
367
Calarco, Zoographies, p. 41.
368
Ibid.
369
Deleuze est tantt avec, tantt sans Guattari tout comme un personnage bipolaire, multipolaire,
schizophrnique qui permet la voie peut-tre une philosophie sans fond. Ce nest pas une entit tout
fait solide mais changeante par laddition ou la soustraction de lindividualit de Flix Guattari.
181
182
les arts, la philosophie, mme les sciences. 370 Alors, sparer leffet de lanimalit
dans lhomme, de lhomme peut tre une erreur. Une erreur qui peut corrompre non
seulement le rapport de lHomme-animal mais aussi de lHomme-enfant, lHommefemme, lHomme-noir, lHomme-folie, lHomme-autre. (MP, p. 289)
La thorisation de Gilles Deleuze se forme une par une par ltude des
penseurs, artistes, et crivains. Cette thorisation est la reproduction des concepts qui
appartiennent la science, lart et la philosophie. Les concepts concernant la
question de lanimal se sont forms galement suivant ce mme processus. Ainsi
chez Deleuze, au lieu de se baser spcifiquement sur une partie de ses travaux ou une
priode philosophique sur laquelle il se canalise (comme ctait le cas chez
Heidegger), il sera plus convenable dtudier les naissances de certains concepts dans
ces uvres spcifiques, ensemble avec ses quatre traits gnraux dune manire
dsordonne371 : une distribution nomadique dans lespace illimit de la philosophie
(DR, p. 54).
Section II Lanimalit dans la philosophie deleuzienne nest pas une question
mais un complexe de question-problme
Pour Deleuze, la question philosophique nest pas une interrogation.372 Elle est
une question-problme qui se situe ncessairement lintrieur dune zone
dindiscernabilit dans laquelle il est possible de produire non seulement une mais de
multiples rponses sensibles. Lart des questions et de problmes consiste de
comprendre, traiter des concepts existants dans lhistoire de la philosophie et de les
guider vers des ambiguts de la pense, vers des zones mines o des questions et
des problmes, soient centralises ou pousses vers la priphrie, fleurissent.373
Quest-ce que la philosophie pour Deleuze-Guattari ? (1) La philosophie nest
pas contemplation, ni rflexion, ni communication. (QP, p. 11) La philosophie est un
ensemble de concepts qui avance dans des coordinats indfinis une vitesse infinie.
Ce rassemblement peut tre sans erreur et universel la mesure quil souvre la
370
183
184
185
186
376
Passage dun tat psychique plus avanc un stade plus archaque. Sigmund Freud,
Linterprtation du rve, trad. Altounian J., Cotet P., Lain R., Rouzy A., Robert F., Paris : P.U.F.,
2e d., 2012.
187
Ce sont les chemins qui guident la vitalit tre autrement , trouver les
possibilits dtre autrement : la dviation et la distorsion, comme voies la
crativit. Cest la dcouverte de la surface comme chez Lewis Carroll ; rien de plus
que la surface : le langage de la schizophrnie, le langage de lanimalit. Ce sont les
surfaces o en effet se tient toute la logique du sens. (LS, p. 114) En ce sens, la
distorsion et la dviation (du ton) sont des mouvements vers les nouvelles formes et
vers des diffrences. Cette diffrence est la consquence de la rptition. Cest
pourquoi, il faut rechercher avant tout la perception et la sensation. Ce qui est
sensible et important chez Deleuze-Guattari sur la tonalit est donc autre chose que
dtre tenu par une tonalit ou la tonalit fondamentale. Cest plutt dtre tenu sans
un fondement, une tonalit rhizomatique, un survol vitesse infinie pour une
philosophie nomade.
Aucun enracinement, mais des piqres. (ID, p. 401)
Il ne faut pas faire retourner la philosophie son fondement, sa propre
maison par une destruction mais il faut crer une philosophie sans fondement, sans
maison (dterritorialise) par laffirmation et la multiplication des fondements
disponibles, en devenant imperceptible dans le processus de cration dune pense
qui est en mouvement permanent sur des fondements multiples (survol).
Les nomades ne voyagent pas. Les nomades, la nette ils
restent immobiles. Ils ne veulent pas quitter leur terre mais
leur terre devient dserte sils sy accrochent. Cest pour
pouvoir rester sur leur terre quils nomadisent. Rien nest
plus immobile quun nomade.377
188
189
lInde, lAfrique, la Chine). Cela doit tre ce qui leur donne la possibilit rflexive de
ce fond changeant, mouvant. Pouvoir se profiter de chaque nouvelle terre et de
culture (gographie) dont ils ont connu, produire des nouveaux concepts de ses
concepts et de faire ceci dune manire permanente. Cest une go-philosophie en
devenir permanent comme cest le cas chez les animaux qui marquent les terres qui
leurs appartiennent, qui laissent des traces et dfendent (territorialisation), qui
quittent leurs terres si ncessaire, afin de trouver des nouvelles, qui dpassent leurs
frontires (dterritorialisation).
Deleuze et Guattari sont contre toute philosophie qui arrive des rsultats
fixs. Ils sont contre le caractre de btir et de fonder de la philosophie puisque la
philosophie nomade na pas besoin de fond. Que ce soit la psychanalyse, la
phnomnologie, lontologie fondamentale, lexistentialisme, Hegel et le marxisme,
le structuralisme, les questions et les problmes sont toujours prcieux pour DeleuzeGuattari. Quant aux rsultats fixs, ce ne sont que des stabilits, des obstacles qui
ralentissent la pense.
Section III La question de lanimal chez Deleuze navance pas seulement sur
lontologie mais aussi au-del de lontologie
Le cheminement sans fond de la philosophie comme question-problme donne
Deleuze-Guattari, une grande vitesse et indpendance. Cest ce qui est de nouveau
dans leur style de penser : la cration des concepts et le devenir des concepts
mouvants et multiple sous forme dun plan dimmanence. Alors, comment est-ce que
ce devenir abrite en soi la question de lanimal ? Nous avons vu jusquici quelle est
fragmente sous forme de question-problme. Maintenant, il faut affirmer que la
question de lanimal chez Deleuze et chez Deleuze-Guattari avance non seulement
sur lontologie mais aussi au-del de lontologie.
Lacte philosophique de Deleuze nest pas savancer sur mais plutt de se
glisser sur les concepts et ses connexions en formant des territorialisations ou
dterritorialisations. Lontologie de Deleuze ne se limite pas avec lontologie
bergsonienne (partant du concept de diffrence ). En opposition avec la division
de Hardt, Deleuze acquiert les lments de son ontologie non seulement de Bergson,
ni seulement de Nietzsche. Il trouve les lments les plus fertiles aussi chez Spinoza,
190
chez Leibniz ; il souligne aussi des traits de Tarde, de Duns Scot, de Descartes et de
Kant. En plus, il nopre pas seulement dans le domaine philosophique mais aussi
dans le domaine artistique et scientifique, psychologique et sociologique : (1)
Beckett, Artaud, Kafka, Carroll, Proust (2) Uexkll, Darwin, Piaget, Lautman (3)
Lacan, Jung, Freud (4) Saussure, Lvi-Strauss, Blanchot, etc. Deleuze a fait de ces
figures, des mtaphysiciens.
Cest une ontologie des multiplicits qui ne se condense pas comme Heidegger
une certaine priode de la philosophie afin de retourner linterrogation
authentique des questions fondamentales. La thorie deleuzienne dveloppe une
ontologie par les concepts. Il invente sa propre ontologie par le concept de la
diffrence de Bergson et de rptition dont il trouve chez Nietzsche et Kierkegaard.
(DR, p. 12-13) Cest lontologie du ventriloque qui vise affirmer toute forme ou
modalit de lEtre comme des lments changeants et transformatifs (cest--dire
comme le devenir lui-mme) sous quatre titres :
1. En dveloppant le mouvement de lEtre par la diffrence de Bergson, sa
quiddit par une rconciliation de Nietzsche et de Spinoza (devenir), sa
quoddit par le pli du Leibniz,
2. En soutenant lUnit du multiple pour tout tant vivant et non-vivant,
3. En dfinissant une temporalit propre ce modle par Ain et Chronos,
4. En soulignant limportance du virtuel aussi bien que lactuel.
Lontologie de Deleuze dit Zourabichvili, est la tentative deffacer le nom de
lEtre et par l ce de lontologie.378 Or selon Hardt, lontologie deleuzienne est une
reformation partir de laffirmation des penses et concepts priphriques de la
tradition de lontologie occidentale. 379 Cette ontologie ne doit pas tre spare du
problme du fondement de la philosophie. Contre le structuralisme et la
phnomnologie la recherche dun fondement solide, Deleuze a choisi de ne pas
chercher un fond. Pour lui, le fait quon ne peut jamais avoir de fondement pour la
378
191
192
193
Cest une anti-humanisme. Cest une confrontation avec Descartes et avec lide des Lumires.
Colebrook, Gilles Deleuze, p. 4.
389
Hardt, Deleuze, introd. x.
390
Ibid., introd. xii.
388
194
chez
les
prsocratiques,
sous
forme
spcifique
de
logos
195
nouvelles consquences. 391 Donc, la pense qui drive de ces concepts nest pas
seulement une ontologie mais lau-del de lontologie. Pour deux raisons : (1)
Deleuze dfend en mme temps lunivocit et la multiplicit, la gnralit et la
singularit. (2) Chez lui, la vie nest pas seulement pour les vivants. Il existe une vie
pour la pierre, au-del de la vitalit de la plante, une vie pour les machines produites
par lhomme, une vie non seulement pour lactuel mais aussi pour le virtuel. En ce
sens, chez Deleuze-Guattari, la question de lanimal aussi dpasse la formulation
pierre-plante-animal. Elle acquiert un cadre plus ample et flottant, dsordonn qui se
matrise sur la vitesse et la force : le minral, lunicellulaire, le rhizome,
lintelligence artificielle, lme animale, lil-cin.
Limportant est la singularit de lvnement. La rptition identique dun
vnement lintrieur du Chaosmos est impossible. Parce que si dans la Nature, la
rptition nabritait pas lerreur, il ny aurait pas de devenir mais un mouvement
mcanique ; la multiplication de lidentique. Donc la rptition ne doit pas tre la
rptition des identiques, mais celle de la diffrence. Cette impossibilit est dabord
spatio-temporelle (deux choses ne peuvent pas tre exactement la mme place, en
mme temps). Deuximement, le mouvement dune chose dans lespace-temps ne
peut pas tre identique ce dune deuxime chose. Alors, chaque vnement est
unique. Et le Chaosmos se constitue des sries formes par ces vnements
successives. Aucun tant (ni la pierre, ni la plante, ni lanimal, ni lhomme) ne peut
schapper de ce fait.
Ltude de ltant comme tant de Heidegger dans les CFM, pose
lanimalit comme une question lie la question ontologique fondamentale
lintrieur de la question de lEtre. En faisant ceci, comme cest le cas de sa
destruction des concepts de la mtaphysique classique pour la subjectivit humaine,
il continue la mme problmatique pour lanimal et questionne le pouvoir avoir un
monde de lanimal toujours lintrieur de la question de lEtre. La pense de
Deleuze aussi annonce la question de lanimal dune manire ontologique
lintrieur de sa structure fragmente. Le devenir-animal apparat sous forme dune
modalit de la subjectivit humaine, comme une manire non-constructive de la
391
196
subjectivit. Ainsi, comme cest le cas chez Heidegger, les sujets de contemplation
restent dans le plan ontologique (et parfois au-del de lontologie). La particularit de
Deleuze, cest quil ne sintresse pas une ontologie en elle-mme. Il vise plutt
combattre avec la thse de lunivocit de lontologie mdivale et sa domination
profonde dans la pense occidentale.392 Au lieu dune ontologie en soi, le philosophe
nomade soriente vers une simulation de lontologie qui permettra son dpassement
total. Au lieu de lunivocit, il clbre la multiplicit. Pour lui, la bataille avec la
transcendance se ralise en le tirant vers le plan dimmanence.393
392
Deleuze reprend la thse de Duns Scot : Il ny a jamais eu quune proposition ontologique : lEtre
est univoque. Il ny a jamais eu quune seule ontologie, celle de Duns Scot, qui donne ltre une
seule voix. (DR, p. 52) Mais il ne le prend pas selon la tradition de Parmnide Heidegger : En effet,
lessentiel de lunivocit nest pas que lEtre se dise en un seul et mme sens, de toutes ses diffrences
individuantes ou modalits intrinsques. LEtre est le mme pour toutes ces modalits, mais ces
modalits ne sont pas les mmes. (DR, p. 53) Aussi voir Zourabichvili, Sauvagnargues, Marrati, La
philosophie de Deleuze, p. 9.
393
Cest une distribution nomadique chez Duns Scot, un des trois moments principaux dans lhistoire
de la philosophie : Duns Scot, Spinoza, Nietzsche. (DR, p. 57-59) Un nomos nomade, sans proprit,
enclos ni mesure ; une individuation qui nest pas simplement individuelle, sous forme dune
mtaphysique dunivocit ou une simulation de lontologie : LEtre se dit en un seul et mme sens de
tout ce dont il se dit, mais ce dont il se dit diffre : il se dit de la diffrence elle-mme. (DR, p. 53)
197
198
Hippocrate, La Nature de lhomme (vers 410 av. J.-C.), Plaies, nature des os, cur, anatomie ;
Maladies, de la gnration ; Des lieux dans lhomme ; De la vision (fin du Ve sicle av. J.-C.). Vr.
Hippocrate, uvres compltes d'Hippocrate, trad. Emile Littr, Paris : Baillire, 1839-1861.
396
Dans lhistoire de la philosophie occidentale, cette articulation stratgique du concept de la vie
connait un moment crucial. Cest lorsque Aristote, dans le De anima, isole parmi les diffrents
emplois du terme vivre, celui qui est le plus gnral et le plus sparable. Cest par le fait quil est en
vie que lanimal se distingue de linanim. in Agamben, LOuvert. De lhomme et de lanimal, p.
28-29.
397
Vr. Ovide, Mtamorphoses, trad. Lafaye G., Paris : Folio, 1992, livre XV.
199
398
200
a.
Ngation de la subjectivit fondatrice et constructive de lhomme comme
la possibilit de comprendre le pouvoir avoir un monde de tout tant-vivant
Lanimalit pose comme une question chez Heidegger devient un complexe
de question-problme chez Deleuze et Guattari. Cette question-problme est dun
part lie la question de lEtre, cest--dire lontologie comme chez Heidegger,
dautre part quelque chose au-del de lontologie. 403 En supprimant la ncessit
entre le corps et lorganisme, Deleuze tente dautre part, de passer au-del du
fondement ontologique de la question. Deleuze-Guattari rinterrogent les facults
attribues lhomme : le corps, les capacits du corps, ses limites, lme, les
affections et affects de lme. Sont-elles des surfaces compltement dterminables ?
Sont-elles des parties divisibles dont les limites sont calculables ? Ou bien sont-elles
des opinions construites la suite de ltablissement des essais dmonstratives
vigoureuses de certaines suppositions ou hypothses dans nos esprits ?
Nous ne savons pas que peut faire un corps .404 Nous ne savons non plus
entirement, que peut faire un esprit. Nous ne savons pas sils sont unis ou spars,
do commence le premier, do finit le deuxime. La premire tche du traitement
de la question dhomme-animal alors, est davouer ce fait : la question dhommeanimal se trouve lintrieur dune zone ambigu. Cest exactement ce que Deleuze
et Guattari, et Deleuze dans son criture personnelle a fait ou a essay de faire. Par
exemple, le thme de lAnti-dipe scoule dans la zone dindiscernabilit
dhomme-animal. Comment est-ce quune science appele psychiatrie peut
prtendre quelle a dcod les lois complexes de la psych humaine ? Quand est-ce
que lhumain est spar de linhumain ? Est-ce une division faite au profit de
lhomme (pour augmenter les capacits de sa propre conscience) ou bien au profit de
certains agencements, afin daugmenter la productivit de ceci ? Est-ce que cest le
dvoilement de la structure de la psych ou un avancement sous forme de la
rduction de ce qui ne peut pas tre dvoil, de lambigut au profit de certains
objectifs, des formes plus simples et prfres, lexclusion de ceux qui sont
existe une opposition dichotomique, une opposition qui affirme lexistence de deux natures distinctes.
Simondon, Deux leons sur lanimal et lhomme, Paris : Ellipses, p. 57-59.
403
Buchanan relve le cas en suivant luvre de Badiou. Cf. Buchanan, Onto-ethologies, p. 152.
404
Deleuze parle en partant de Spinoza. (Cf. N, p. 59)
201
405
Gilles Deleuze, Cours sur lAnti-dipe et Mille Plateaux, cours profess le 16.11.1971,
lUniversit de Vincennes, page consult le 10 Octobre 2013, p. 1, http://www.webdeleuze.com/
406
Deleuze, Cours sur lAnti-dipe et Mille Plateaux, 16.11.1971, p. 3.
202
203
atelier), pour devenir un thtre, une scne. (A, p. 64) Ce nest mme pas un
thtre davant-garde mais un thtre classique : lordre classique de la
reprsentation comme le complexe ddipe. (A, p. 64)
La fonction ddipe comme dogme, ou complexe
nuclaire est insparable dun forcing par lequel le
thoricien psychanalyste slve la conception dun
dipe gnralis. (A, p. 60)
Dans cette zone, lanimal est partout : dans le rve, dans le fantasme, dans
linconscient, dans la sexualit, dans la folie. Sauf que dans le thtre classique, la
nature andipienne de la production de dsir est rabattue sur les coordonnes
ddipe (traduite en pr-dipien , para-dipien , quasi-dipien ), mme si
elle reste prsente. (A, p. 65) Lanimalit propre, dcode et libre rside dans la
machine dsirante de Deleuze-Guattari. Pourtant sur la scne classique, elle
devient le monstre . Lanimalit est le monstre dans lhistoire de lhomme : le
symbole de lessence du mal. Deleuze-Guattari tentent de dfaire ce scnario. Ils
dveloppent une philosophie qui va lucider le lien entre lanimalit et lontologie
(cest--dire la question de lEtre) par les concepts de diffrence, de devenir et du
logos. Au lieu de la subjectivit fondatrice et constructrice de lhomme, ils posent
une subjectivit nomade, dterritorialisante et initient lambigut de la question de
lhomme et de lanimal comme la possibilit de comprendre le pouvoir avoir un
monde de tout tant-vivant.
A lintrieur de cette ambigut, il faut faire un choix. Affirmation : DeleuzeGuattari choisissent daffirmer la vie dans les plissements de la philosophie de
lhomme. Ce quils affirment nest pas une vie propre lhomme seul : ils affirment
la vie elle-mme, la vie propre toutes les tants vivants et mme aux non-vivants
chez Nietzsche, chez Bergson, chez Spinoza. Cest justement la voie la question de
lanimal puisque la vie est lunit des vivants. Pourtant, ils ne sarrtent pas l : ce
quils visent nest pas un vitalisme pur contre le mcanisme. Cest un autre
vitalisme ; puisquils soulignent en mme temps, les plissements et les diffrences,
cest--dire la multiplicit lintrieur de la vie. Ils affirment ce qui est au-del de la
vie des vivants, le virtuel et la simulation.
204
la
psychanalyse,
les
philosophies
absolutistes,
fondatrices,
205
410
Lide de la philosophie nomade a rendu la philosophie anglaise, plus sduisante pour DeleuzeGuattari : tre en mouvement permanente, tre sans fondement, sans territoire. La philosophie
anglaise nest pas gnralement absolutiste - fondatrice ou constructiviste. Cest une philosophie qui
ninterprte pas la nature selon son got. Au lieu de ceci, elle se dveloppe en suivant les traces ou
formes de la nature (en ce sens, cest une philosophie aristotlicienne). Cest pourquoi, Deleuze et
Guattari ont suivi les traces de la philosophie anglaise, afin de se glisser vers une philosophie nomade.
206
lexigence du style complexe et accidentel. Dautre part, chaque article dans leurs
fonctionnements actifs ou passifs, est en connexion et en communication entre eux.
Les rapports qui sont en train de sinventer forment un grand nud de connexions.
b. Perception et sensation comme flux : linterprtation de Spinoza et de
Leibniz
Pour une nouvelle image de la pense, la redfinition de la perception et de la
sensation est obligatoire. Cette redfinition est lie par Deleuze-Guattari la nature
des flux dans la socit humaine. La perception de lhomme se forme (1) dans
lactivit des organes de la perception, (2) dans lactivit des machines perceptives
(la chambre noire, lappareil photo, le tlphone, le tlescope, etc.), (3) dans leffet
des dveloppements thoriques et pratiques de la philosophie, de la science et des
arts. Chacune de ces zones permet en son entiret un ensemble de possibilits sans
limite. Or, lconomie des flux exige chaque fois des limites : rgles, lois,
divisions.411
La nature des flux ne peut tre adquate jusqu ce quil nexiste aucune
coupure. Ainsi, du corps de la Terre (le corps de lhomme avec des organes tel quil
est dans la Nature), on traverse en dterritorialisant le corps despotique (le corps de
lhomme soumis par le rgne despotique), le corps du capital (le corps de lhomme
soumis par le rgne du capitalisme) et arrive au corps sans organes : le corps sans
aucune coupure de flux (A, p. 335-36). Cette dterritorialisation a deux ples :
paranoa et schizophrnie. Le premier ple dsigne la ngation de la vie : retrait des
organes, retrait des sens, retrait de tout ce qui est li la vie. 412 Tandis que le
deuxime dsigne laffirmation : happer les organes, happer les sens, happer tout ce
qui est li la vie (1981), la mesure quils disparaissent avec toutes ces connexions
en formant un corps sans organes ; un corps au-del de lorganisme (corps qui agit
une vitesse plus grande que permet la capacit de ses organes). Cest le corps dune
perception et dune sensation suprieure. Il ny a pas de je dans ce corps. Il ny
pas de croyance pour un Moi. La subjectivit est efface. Le visage est dform. La
411
207
figure est contracte dans la piste. Lhomme ainsi, sefface et schappe du trou
noir.413 (FB, p. 15) Tout comme chez les philosophes anglais :
Mais cest trs curieux, si vous prenez les grands
philosophes anglais bien sr, ils disent je , mais
encore une fois ce nest pas a le problme -, pour eux
cest la notion la plus comique et ils se demandent do
peut provenir une pareille croyance, celle du moi. Une
croyance lidentit du moi cest un truc de fous. Et ils
pensent vraiment comme a, ils ne se sentent pas des
moi .414
Dans cette rgion micropsychique ou micrologique de la schizophrnie, il y a
le dsir (A, p. 337). Le dsir du schizo lui permet trois choses : fonctionnement,
formation, autoproduction. 1. Fonctionnement : la physiologie du vivant (divinise
par les mcanistes). 2. Formation : la psych-logie du vivant (divinise par les
vitalistes). 3. Autoproduction : la crativit du vivant. La divinisation du
fonctionnement ne permet pas expliquer la formation. Inversement, la divinisation
de la formation tend ngliger les exigences du fonctionnement. Ainsi, ni lun, ni
lautre narrivent lucider les trois ensembles par le dsir (A, p. 337). Cest un
fait qui dpasse la fois le point de vue du mcanisme et du vitalisme.415
Ni la coupure des flux dans la formation (mcanisme), ni la coupure des flux
dans le fonctionnement (vitalisme) sont acceptables pour Deleuze-Guattari. Puisque
la schizo-analyse ncessite un flux sans aucune coupure. Pour eux, surtout la
structure dualiste de Descartes divisant le corps et lme est problmatique. Le
413
Francis Bacon, Autoportrait, Lhomme la tte de cochon , 1973, Huile sur toile, 198 x 147,5
cm. Collection prive, New York. Francis Bacon, Triptyque, Lhomme qui schappe du trou noir ,
mai-juin 1973. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. Saul Sternberg Collection, New York.
414
Deleuze, Cours sur lAnti-dipe et Mille Plateaux, 16.11.1971, p. 192.
415
Le mcanisme, cest une philosophie de la nature selon laquelle l'Univers et tout phnomne qui s'y
produit peuvent et doivent s'expliquer d'aprs les lois des mouvements matriels. Selon cette
conception ne au XVIIe sicle, les tres vivants ne sont rien dautre que des machines. Lide du
mcanisme est dfendue en particulier par Descartes, thorise par le mdecin libertin, La Mettrie.
Elle rejette lide du finalisme et soppose au vitalisme. Pour le mcaniste, il ny a que la matire. Il
nexiste pas dme. L'explication du vivant est alors rduite aux proprits physico-chimiques de la
matire, sans appel au concept de la vie. La rduction aux proprits physiques de la matire permet
disoler ce qui est de lme (psych) ou de lignorer.
Le vitalisme vise expliquer lUnivers non pas seulement par les lois du matriel mais aussi par le
caractre irrductible de la vie et du vivant. Selon le vitalisme en gnral, il existe en chaque tant
vivant, un principe vital ou une force vitale . Ce principe est distinct de lme pensante et des
proprits physico-chimiques du corps. Lide du vitalisme est dfendue au XVIII e sicle,
principalement par Paul-Joseph Barthez et lEcole de Montpellier, puis par Bichat. Elle est adopte au
XXe sicle, dans lEvolution cratrice (1907) par Bergson.
208
209
Ibid., p. 188.
Analogie des proportions et analogie de proportionnalit. Selon lanalogie des proportions, ltre se
dit en plusieurs sens et ces sens ne sont pas sans commune mesure (mesure intrieure, conceptuelle).
Double sens du mot tre : essentia et existentia. Selon lanalogie de proportionnalit, ce nest pas
le cas de ce qui est formellement bon et de ce qui est driv de ceci, mais le cas dune
proportionnalit : Dieu est la bont infinie, lhomme est la bont finie (vr. la formule de la compositio
de Thomas chez Heidegger).
422
Chez Scot, Dieu est la cause, la perfection et la fin. Par cette trilogie, il divise lEtre infini et ltre
cre. Ainsi, il existe une diffrence ontologique infinie mais lEtre est univoque.
423
Deleuze, Cours sur lAnti-dipe et Mille Plateaux, 16.11.1971, p. 190.
424
Le substantif multiplicit comme multiplicit de pntration, multiplicit qualitative,
multiplicit confuse, multiplicit virtuelle, multiplicit organise. Vr. la confrence de Deleuze G.
Thorie des multiplicits chez Bergson , 1970. Page consult le 10 Octobre 2013,
http://www.webdeleuze.com/
421
210
Ibid.
Vie de la matire.
427
Cre par Dieu, donc parfait.
428
Lmancipation de lhomme de la fodalit a donn ses fruits dans la littrature (du pote courtois
au pote). La scularisation a donn naissance une nouvelle thique et esthtique. Avec la rvolution
scientifique de Galile Newton, Descartes est devenu le langage des Lumires de la raison. Ainsi la
mtaphysique mcaniste est devenue le fondement de la philosophie et le principe de la logique. La
dualit du cartsianisme (res cogitans res extensa) est contre lunit de la matire et de la forme
dAristote et galement antithtique lempirisme.
426
211
Une seule Nature pour tous les corps, une seule Nature
pour tous les individus, une Nature qui est elle-mme un
individu variant dune infinit de faons. Ce nest plus
laffirmation dune substance unique, cest ltalement
dun plan commun dimmanence o sont tous les corps,
toutes les mes, tous les individus. (SPP, p. 164)429
429
Vr. les principes no. 3,4 et 5 de lEthica. (Baruch Spinoza, uvres compltes, Paris : Gallimard,
1955) Vr. aussi SPE chapitre XIII.
212
La substance est une chose chez Spinoza qui est et qui est pense seulement par
elle-mme. (1) Elle est la cause delle-mme, (2) elle est infinie, (3) elle est unique.
En ce sens, Dieu seul est substance. Or, la substance continue tre sous les modes
et fait natre la multiplicit. Ainsi, Dieu est lUnivers et la pense de lUnivers mme.
Il est lUnivers ternel (Dieu = Univers = source de tout tant = Nature). La
substance du Cosmos est tendue et elle pense. Lme et le corps ne sont quune
substance. La substance est absolument infinie, il nexiste aucune chose autre
quelle. 430 En opposant cette thorie qui explique la substance, le monde relatif
(natura naturata) par ses attributs ou bien par ses modes ou affections, Leibniz pose
la monadologie. Chez lui, la puissance lencontre de la substance, nest ni infinie,
ni unique. Autant quil y a de choses, il y a de puissance simple, indivisible et
primitif. Chacun des monades est une puissance ayant lharmonie prtablie ; il est
de lnergie, de lme. Leibniz avance vers un idalisme spirituel mais il
nabandonne pas le fonctionnement de la Nature. Chaque monade possde la
perception et la tendance (ou bien apptition). En ce sens, ils sont insparables.431
Parmi les tres infrieurs aussi (cest--dire les animaux) existe la perception et le
dsir. La perception ne doit pas tre ncessairement une sensation. Sur ce sujet,
lobjection principale de Leibniz Descartes est quil existe une infinit de degrs
dans la perception et quelle ne doit pas ncessairement tre sous forme dune
sensation.432 Le Leibniz de Deleuze nous fait voir justement ces degrs infinis, la
diffrence et rptition qui se forment dans ces degrs. 433 Oui, lhomme, ayant la
perception la plus haute (aperception), est ltre qui est le plus proche Dieu mais ce
fait ne diminue pas limportance dun vivant primitif qui ne possde quune
perception infiniment limite. Puisque chaque monade est le miroir de lUnivers
selon son propre point de vue. Et Dieu nintervient jamais cet ordre. Dans cette
continuit, chaque me est larchitecte de son propre corps.
430
213
Aperception
Homme
Unicellulaire
Perception infiniment petite
Figure 2.1
214
215
435
216
217
comprendre exactement ce que cest le temps vital. En ce sens, Bergson attache une
importance au dveloppement de la conscience animale aussi bien que celle de
lhomme.441 Car la conscience ou la spiritualit (anima) ou bien simplement llan
vital est dfini pour tous les vivants, et elle est lie au rapport du vivant avec le temps
et ses manire de perception, plus dune tonalit de ses choix pendant sa vie, dune
dterminabilit de quelques oprations quon peut appeler mcaniques.442 En plus,
mme si lhomme en gnral tente de se voir comme spar et cr diffremment, il
fait partie de lvolution cratrice qui abrite ncessairement les variations infinies, les
virtualits et les multiplicits dans le cycle de la vie-mort pendant quil existe
lintrieur du temps et de lespace :
Tous les vivants se tiennent, et tous cdent a la mme
formidable pousse. L'animal prend son point d'appui sur
la plante, l'homme chevauche sur l'animalit, et l'humanit
entire, dans l'espace et dans le temps, est une immense
arme qui galope ct de chacun de nous, en avant et en
arrire de nous, dans une charge entranante capable de
culbuter toutes les rsistances et de franchir bien des
obstacles, mme peut-tre la mort.443
441
218
Ibid, p. 176-177.
Vr. ibid., p. 202
446
La philosophie n'est pas seulement le retour de l'esprit lui-mme, la concidence de la
conscience humaine avec le principe vivant d'o elle mane, une prise de contact avec l'effort crateur.
Elle est l'approfondissement du devenir en gnral. Ibid, p. 214.
447
Premire rgle, B, p. 3-11.
445
219
Ceci est le point accentu dans notre thse : il est possible que la chose qui est
dfinie comme le soi-mme, la conscience ou bien la spiritualit puisse se montrer
comme un problme compltement faux si on a malcompris la perception. Ainsi, le
vrai danger pour toute sorte de thorie pour lhomme est de malformer le problme
du temps aussi pour tous les autres tants vivants en chouant la position de la
perception et de la sensation lintrieur de la subjectivit humaine au cours du
cheminement historique de constitution de la subjectivit. La perception et la
sensation doivent tre recherches adquatement la structure complexe de
lUnivers. Sinon, on peut ngliger les ruptures, dviations, changements accidentaux
et il sera difficile de porter le problme proprement de l, au plan de la raison et de
laffection.
En mme temps quun anti-humanisme, la philosophie de Deleuze-Guattari
nest pas tout fait un vitalisme au sens gnral. Si on va lappeler vitalisme ,
cest plutt un vitalisme suprieur ou un vitalisme au-del du vitalisme . Un
vitalisme au-del du vitalisme dAristote comme le premier vitaliste, de Spinoza, de
Bergson, non pas au sens de dpassement, mais au sens de complment. Car
lanimalit existe dans tous les plissements de la philosophie humaine. On ne peut
jamais schapper delle. On va certainement rester hors dun monisme, mais la
pense de Deleuze-Guattari se montre souvent sous forme dun anti-humanisme,
cest--dire sous forme dune formation naturaliste 448: Lobjet spculatif et lobjet
pratique de la philosophie comme Naturalisme, () il sagit toujours de dnoncer
lillusion, le faux infini, linfini de la religion et tous les mythes thologiquesrotiques-oniriques dans les quels il sexprime. (LS, p. 322)
448
Lhumanisme philosophique place lhomme au dessus de tout. Ainsi, lhomme devient le centre
de toute question de la philosophie et de la science. Il rapporte tout le systme de la nature lhomme
en attribuant une me et raison. Au cours de son volution du XVIII e sicle, au XXe sicle, de
Descartes Kant et Hegel, lide de lhumanisme a une influence considrable sur les tudes
dfinir et dvelopper les qualits essentielles de ltre humain. Bergson, LEvolution cratrice,
p.158.
Le naturalisme philosophique est la position selon laquelle rien nexiste en dehors de la nature. Cest
le doctrine ou systme qui considre la nature comme principe fondamental. Le naturaliste pense que
lUnivers naturel , l'Univers de matire et d'nergie, est tout ce qu'il y a vraiment. Donc, il exclut
Dieu de son systme. Le naturaliste en gnral refuse la finalit comme il nexiste pas de Dieu pour
lui. Pourtant, les systmes panthistes comme le Stocisme, le systme de Bruno et de Spinoza sont
aussi naturalistes. Pour eux, le Dieu est le monde (cosmos).
220
221
effet, nest quune nouvelle mtaphysique, comme chez Condillac, qui ressemble
un empirisme.449
Humaniste
Naturaliste
a conscience
a une me
donne du sens
aux choses
avoir une me
il existe deux ordres ontologiques
celui de la phusis
celui du logos
celui de la phusis
(le logos de lhomme en fait partie)
ncessit,
lois gntiques
Figure 2.2
449
Cette nouvelle mtaphysique ne sera seconde quen faisant retour la vraie gnration, la
production effective du principe. Elle ressemblera un empirisme, sans doute ; mais ce qui est
dnonc par Condillac dans la philosophie premire dAristote, cest aussi un empirisme qui signore,
qui prend des gnralits drives pour des prmisses, des produits pour des germes : philosophie
seconde incapable de se poser comme telle, empirisme irresposable. Par leffet dun chiasme, cest en
savanant comme philosophie seconde que la nouvelle mtaphysique reconstituera mthodiquement
les principes gnrateurs, la production originaire du gnral partir des singularits relles. Elle ne
sappellera mtaphysique que par analogie. Jacques Derrida, LArchologie du frivole, suivi de
Condillac (1746) lEssai sur lorigine des connaissances humaines, Paris : Galile, 1973, p. 17.
222
223
Vr. Immanence : une vie ; le dernier texte de Deleuze publi en 1995, in Gilles Deleuze
Deux rgimes de fous, d. Lapoujade D., Paris : Minuit, 2003.
224
Giorgio Agamben, Homo Sacer, trad. Heller-Roazen D., NY : Stanford University Press, 1998, p.
196.
225
dfinitions ; ils les rejettent clairement. Pendant que Heidegger prend en 1929, la
question de lanimalit au centre et interroge lexistence dune diffrence entre
lhomme et lanimal la base des concepts mtaphysiques tous nouveaux (mondefinitude-solitude), Deleuze construit une mtaphysique commune pour tous les
vivants par les concepts de diffrence et multiplicit de Bergson, partant de la
substance compose me-corps chez Spinoza. La pense de Deleuze-Guattari, au lieu
du dpassement de la subjectivit humaine actuelle ou des idaux comme atteindre le
surhomme, dfend la destruction de cette structure par le retour au flux et au deveniranimal afin que lhomme puisse sauver soi-mme et les autres vivants des divisions
dominantes de la mtaphysique. Dans ce perspectif, au lieu dune configuration de la
Nature comme un autre qui peut tre ordonn, contrl et domin, il existe une
conception de la Nature comme ordre et dsordre, raison et draison en mme temps,
sous forme dun flux infiniment complexe et indterminable. La Nature est lunit du
cosmos et du chaos. Et dans cette unit, existe un logos. Selon Deleuze-Guattari,
encore que lhomme se voie diffrent, choisi, suprieur ou spar, il ne peut pas
schapper du plan dimmanence de la Nature qui inclut tout tant. En partant de
linterprtation dAristote de Heidegger, on peut formuler ceci comme la suivante :
cest une structure quadruple forme par les catgories, energeia/dunamis, aletheia et
sumbebekos. Heidegger insistait sur deux : energeai/dunamis et aletheia ct des
catgories, exagres par la mtaphysique classique. La quatrime : sumbebekos
reste sans aucune explication. La contribution spcifique de Deleuze-Guattari a t
dattribuer une importance lUnivers, la substantialit, et surtout laccident
(sumbebekos) dans leur mtaphysique.
La pense de Deleuze-Guattari est conforme la thorie des quanta et avec les
recherches sur la structure de lUnivers et de la vie conues partir de 1970s. Selon
la formulation fragmente des uvres de Deleuze-Guattari, lanimalit ne doit pas
tre une question visible. Il nest pas ncessaire sonder vers lorigine afin dtudier
lexistence et la quiddit de cette question. Au contraire, la question est prsente dans
les manires diffrentes dans tous les niveaux de lhistoire de lhumanit. Afin de
traiter cette question, Deleuze-Guattari posent la qute dun fondement comme le
commencement de la sparation entre lhomme et lanimal. Ils traitent le fondement
comme moteur de la philosophie , cest--dire comme le problme du discours
de lhomme . En ce sens, il nest pas difficile de comprendre pourquoi Descartes,
226
Kant et puis Hegel ont devenu des adversaires pour Deleuze-Guattari 453 : ce sont les
figures fondatrices de lhistoire de la philosophie, ennemis de ce qui est muet, de
lanimal, de la femme, de lhomme primitif ou simplement de lautre, sans discours.
Or dit Deleuze-Guattari, il faut rechercher les voies de la pense aussi dans les
possibilits et impossibilits de ces zones. Il faut comprendre lesthtique dans la
primitivit du nomade aussi bien que celle dun gratte-ciel ou dun ordinateur supertechnologique. Si non, lhistoire de la pense ne pourra pas schapper des pratiques
marginalisantes, discriminantes, uniformantes, exploitants, qui existent depuis
longtemps. En consquence, la pense doit tre sans fond, sans fondement, sans
origine. Elle ne doit pas tre sous forme dune historicit attribue par lui-mme se
sparer de la Nature, dune progression linaire et dun refus de lancien mais par la
diffrence et rptition sous forme dun cycle spiral qui tourne autour de soi-mme et
de tous les tants, conforme la structure de lUnivers.
Ainsi, le devenir-animal de Deleuze avance dans un tout autre chemin
quon na pas rencontr chez Heidegger. Ce chemin qui commence de ltude de la
question de lEtre comme prote ousia au sens aristotlicien, de la substance
compose, cest--dire du corps-me pour ltant vivant passe au-del tout comme
chez Heidegger mais dans un autre sens. Par la rduction de la perception et de la
sensation, la subjectivit de lhomme va tre redfinie. Donc, le rapport du
philosophe avec la ralit et la vrit comme lessence de la ralit doit cesser dtre
lassignation dune forme a priori de limage au dehors .454 Dans cette nouvelle
mode de pense, lanimalit va tre redtermine aussi bien que lhumanit. Chaque
redtermination implique dune toute nouvelle comprhension de la phusis et du
logos et de l, de la rinterprtation de la question de lEtre dans un tout nouveau
sens. Lanimalit ou le devenir-animal comme un complexe de questionproblme est lun des lments qui a le plus grand rle dans cette nouvelle manire
de questionner. Selon lexpression de Colebrook, Deleuze est un philosophe qui
naccepte pas les choses telles quelles sont. Il essai dexpliquer la chosit de tout
tant par le concept de force : Il insiste que la vraie force de la vie non pas
seulement la vie de lhomme mais de tous les vivants est la force de dvelopper des
453
454
Chez Hegel, lexpression de la nature comme devenir ne peut tre qu lintrieur de la dialectique.
Franois Zourabichvili, Deleuze : une philosophie de lvnement, Paris : P.U.F., 1994, p. 8.
227
Colebrook, Gilles Deleuze, p. 1. On ne peut pas appeler ontologie fondamentale ce que Deleuze a
fait, mais peut tre ontologie rgionale puisquil avait vu un monisme incluant la multiplicit chez
Duns Scot, Spinoza et Leibniz.
456
Ibid. p. 1.
457
AB, AB, AB, A Chaque cas ou squence indpendante de lautre. (DR, p. 96)
458
Ce que cest le concept, comment les composantes de concepts sajoutent au contour irrgulier en
formant une multiplicit fut le sujet du premier chapitre du dernier livre crit par Deleuze et Guattari,
Quest-ce que la philosophie ? publi en 1991, un an avant la mort de Flix Guattari. Si on prend les
uvres de Deleuze dans un ensemble avec les collaborations de Guattari, on peut dire que cest un
texte retrospectif. Ici, Deleuze-Guattari donnent les codes dune nouvelle type de philosopher qui tait
en train dapparatre ds les premires uvres. Par la redfinition du concept pour la philosophie la
signification du retraitement des philosophes et des concepts quils ont produit change.
228
purement raison. Le concept est ce qui dcoulera du signe. Cest pourquoi, au lieu de
la raison et de ses facults, a gagn de limportance ce qui est considr pour la
plupart, son oppos au cours de lhistoire de la philosophie, ce qui est par essence
proche la phusis : la sensation. Lantinomie du logos et de la phusis est une des
matires principales pour la question de lanimal. Puisquen effet, nous questionnons
ici, la question de lhomme/animal comme concept double. Et cette question est
dtermine ds le dbut, par lopposition entre logos et phusis.
Pour Deleuze, le concept se diffre du logos en tant limage de la pense. Le
concept de Deleuze est le fils de la phusis. Le logos pour lui est seulement sensible
dans la phusis, tout comme lquation mathmatique qui gagne de sens pour le
physicien quand elle est place lintrieur dune thorie. Ainsi, on peut dire que
Deleuze sest spar ds ses premires tudes, des philosophies rationalistes
(principalement de Descartes) en sapprochant vers lempirisme qui refuse la
connaissance a priori de lide et particulirement celle de David Hume. Pour ainsi
dire, cest la premire rcolte de son dsir pour la rupture avec deux grandes figures,
Kant et Hegel ; auxquels il va annoncer son hostilit dans ces ouvrages
postrieurs.459
Louvrage sur Hume concerne dabord le problme de la connaissance et de la
morale. Deleuze nous explique pourquoi une psychologie de lesprit nest pas
constituable pour Hume :
La psychologie de lesprit est impossible, inconstituable,
ne pouvant trouver dans son objet ni la constance ni
luniversalit ncessaire; seule une psychologie des
affections peut constituer la vraie science de lhomme.
(ES, p. 1)
Ce qui est constituable est une psychologie des affections. Hume est un
philosophe qui contemple sur lesprit mais qui, en faisant ceci, assume que
lentendement et les affections agissent ensemble. Cest pourquoi, si bien que
459
229
lentendement et la passion sont spars, ils doivent tre connects entre eux.460 (ES,
p. 2) Selon Hume, il existe deux sources pour les perceptions dans lesprit humain :
les impressions et les ides. 461 Ces deux demeurent compltement spares. Elles
sapprochent seulement pendant le sommeil, des maladies fivreuses, pendant la folie
ou les motions violentes de lme. 462 Les impressions et les ides sont divises
comme simples et complexes. Lhypothse principale de Hume dans sa thse est la
suivante :
460
230
465
Ibid, p. 55.
Cf. ES, p. 4.
231
467
232
Ibid., p. 96.
Le sujet cratif.
471
Selon les travaux les plus rcents, presque tout animal dans des conditions convenables, peut
apprendre (former des connaissances) en utilisant une certaine logique. Cette loi est mme valable
pour les abeilles : la logique des abeilles afin de trouver la meilleure source de nectar. Associer les
images reues des choses et prendre des dcisions suivant les connaissances venant des expriences
du pass sur ces choses (comme lexprience du chien de Pavlov) est donc un pouvoir pour tous les
animaux et lhomme : diffrence par rptition . Dawson E. H., Avargues-Weber A., Chittka L.
470
233
forces secrtes de la Nature (comme nous les recevons dans dautres formes).472 De
ce point de vue, il est possible de questionner, sans arrivant une sentence finale, la
prsence de linvention et de lartificialisation dans les animaux selon la conception
de la nature humaine de Hume.
Dans le nouveau systme de Deleuze, la crativit est tire au ct de la
Nature. Ici, le logos sopre dune manire attache au mimesis. La crativit assure
des progrs relatifs (inabsolus) dans les actes de rencontre, dintensification et de
jonction des composantes du concept. Pourtant, en faisant ceci, elle ne sadresse pas
des facults de la raison pure. Cest un acte de rsonnance ; autrement dit, cest
le pouvoir davoir le propre tat daffection pour le rencontre de chaque composante
de concept, lacte de capturer la mme vibration pour un certain temps. Partant de la
relation entre la subjectivit et la rsonnance, on peut dire que lhomme et sa
subjectivit coexiste avec lanimal, la Nature et leurs subjectivits propres. Car pour
Deleuze, toute existence est un acte de rsonnance , et la rsonnance toujours
ncessite la coexistence (entrelacement) des parties vibrantes. Ainsi, que ce soit
vivant ou non-vivant, tout tre dans lUnivers ou lEtre en gnral est univoque avec
ses diffrences. LEtre nest pas uniforme, il nest pas unique, mais univoque en
multiple sens dit Deleuze : Duns Scot, Spinoza et Nietzsche comme les trois
moments principaux dans llaboration de lunivocit de lEtre. (DR, p. 57-59) Donc,
on peut dire quil existe une cohrence entre le concept de la rsonnance de Deleuze
et le concept de la tonalit (Stimmung) chez Heidegger : pendant que lun fonde la
tonalit double de lhomme (Heidegger), lautre produit la coexistence de lhomme
et des autres tants comme Un et multiple, lintrieur dun plan dimmanence
(Deleuze). Ils traversent les mmes moments philosophiques dHraclite
and Leadbeater E. Learning by Observation Arises from Simple Associations in an Insect Model .
Current Biology, 2013, pp. 727-730. Cf. aussi Zhang S., Bock F., Si A., Tautz J., Srinivasan M.V.
Visual Working Memory in Decision Making by Honeybees, in Proceedings of the National
Academy of Sciences USA, 2005, pp. 102-114.
472
Hume, Of the Reason of Animals in An Enquiry Concerning Human Understanding, p. 165
En plus, lhomme peut faire apprendre aux animaux par la mthode de punition et rcompense - des
choses qui sont incompatibles avec leur nature. Mme si cela montre que les animaux sont capable
dinfrence, dit Hume, on ne peut pas dire que ce sont des infrences par raisonnement. (Ibid, p. 166)
Ceux-ci ne sont que les croyances des animaux dduits des habitudes quils ont gagnes. A part cela,
il existe des connaissances non-appries, dont les animaux ont reu par la main de la nature. Hume
dcrit que cest un cas extraordinaire part des limites de la comprhension de lhomme, cette main
hors nature (instinct) opre aussi sur nous les hommes, et alors ne peut pas tre nglig.
234
Parmnide, de Duns Scot Spinoza, de Leibniz Nietzsche sur lunivocit par des
commentaires et des conclusions diffrentes.
Croire, cest infrer dune partie de la nature, une autre
partie, qui nest pas donne. Et inventer, cest distinguer
des pouvoirs, cest constituer des totalits fonctionnelles,
totalits qui ne sont pas non plus donnes dans la nature.
(ES, p. 91)
Ici, le sujet se fait lintrieur de ce qui est donn, par le passage de lau-del
de ce qui est donn. Cest le survol probable dun concept ouvert. Cest le survol
immanent au sujet. Car le sujet qui est en train de passer au-del de ce qui est donn
est captur (happ) par un concept qui lui est compltement ouvert. Limportance de
lEmpirisme et subjectivit (1953) pour la question de lanimal est lexistence comme
possibilit dans lempirisme de Hume, des thses principales de la pense de Deleuze
dans lesquelles la subjectivit va tre dfinie comme un problme. En effet, Deleuze
trouve chez Hume, quelque chose plus que lempirisme. En 1972, il dfinira sa
pense comme une rupture des courants dominants du XVIIIe sicle. 473 Dans ce
texte, Deleuze passe au-del de lopposition entre lempirisme et le rationalisme
constitue par lhistoire de la philosophie :
Lhistoire de la philosophie a plus ou moins absorb,
digr lempirisme. Elle la dfini dans un rapport de
renversement avec le rationalisme : oui ou non, y a-t-il
dans les ides, quelque chose qui ne soit pas dans le sens
ou dans le sensible ? Elle a fait de lempirisme une
critique de linnit, de la priori. Mais de tout temps,
lempirisme a eu dautres secrets. (ID, Hume , p. 226)
473
La section sur Hume dans le tome 4 du srie de lhistoire de la philosophie dite par son collgue
Franois Chatelet dans le dpartement de philosophie de lUniversit exprimentale de Vincennes, fut
crite par Deleuze. Franois Chatelet (d.) Histoire de la philosophie, tome IV : Les Lumires,
XVIIIe sicle, Paris : Hachette, 1972, p. 65-78, in Gilles Deleuze, Lle dserte et autres textes:
textes et entretiens 1953-1974, d. Lapoujade D., Paris : Minuit, 2002, vr. larticle intitul Hume.
Pour lui, malgr la simplicit et rigidit extraordinaire de sa grande uvre A Treatise on Human
Nature, Hume crivait chaque fois en sacrifiant de la complexit afin datteindre la clart la quelle
il voulait atteindre. Ce sacrafice et rupture est dune forme triple dans luvre posthume Dialogues
Concerning Natural Religion (1779) : parce quil ny a pas seulement deux personnages, mais
trois, et qui nont pas des rles univoques, qui nouent des alliances provisoires, les rompent, se
rconcilientetc. Dma, le tenant de la religion rvle ; Clanthe, le reprsentant de la religion
naturelle ; Philon le sceptique. Lhumour de Hume-Philon nest pas seulement une manire de mettre
tout le monde daccord au nom dun sceptisme qui rpartit les degrs , mais dj une faon de
rompre, mme avec les courant dominants du XVIII e sicle, pour prfigurer une pense de lavenir. ,
ID, p. 237.
235
474
Hume, A Treatise of Human Nature, Book I: Of the Understanding, part I, section II, London :
Penguin, 1969.
236
Mme si on ne peut pas parler dun monde pour Hume, lextriorit des
relations fait natre le monde de lextriorit. Ici, il est question dune ralit qui
vient de lexprience mais qui naffiche pas ses rapports internes ou bien qui na
aucun rapport interne. Toute la subjectivit se fonde sur ces units ponctuelles. (ID,
Hume , p. 228) Cest pourquoi dit Deleuze, les deux registres de la pense de
Hume sont : latomisme qui montre comment les ides ou impressions sensibles
renvoient
des
minima
ponctuels
produisant
lespace
et
le
temps ;
lassociationnisme qui montre comment des relations stablissent entre ces termes,
toujours extrieurs ces termes et dpendant dautres principes. (ID, Hume , p.
228) Ici, la logique des relations est lintrieur de la physique de lesprit. Elle est
soumise par cette physique. Ces relations sont pour ainsi dire les conjonctions,
comme les ractions physiques entre les ides et les impressions.
Donc, ce quon doit tudier sont en effet les relations. Alors quest-ce quune
relation ? La relation est ce qui nous fait passer dune impression ou dune ide
donne lide de quelque chose qui nest pas actuellement donn. (ID, Hume ,
p. 228) Passer de ce qui est donn ce qui nest pas dj donn, cest linvention,
lartificialisation. Selon la dfinition de Deleuze, cest le seul moment chez Hume,
o la subjectivit peut tre. Or, cest en effet le processus dans lequel chaque
impression passe de lme lesprit par le copiage, cest--dire en devenant une
copie-impression : la physique de lesprit. Voici ce que Hume appelle la nature
humaine. Dautre part, ltre donn de lesprit donne naissance la destruction
du Moi et du Dieu, la fiction du fait , la destruction du Monde.
On chercherait en vain dans le terme donn la raison du
passage. La relation est elle-mme leffet de principes dits
dassociations, contigut, ressemblance et causalit, qui
constituent prcisment une nature humaine. Nature
humaine signifie que ce qui est universel ou constant dans
lesprit humain, ce nest jamais telle ou telle ide comme
terme, mais seulement des faons de passer dune ide
particulire une autre. Hume en ce sens, se livrera la
destruction concerte des trois grandes ides terminales de
la mtaphysique, le Moi, le Monde et Dieu. (ID,
Hume , p. 228-29)
237
Nous passons de la ralit fragmente, compose par ceux qui sont donnes des
ides simples et des impressions sensibles par la fiction, produite par les relations. Or
ceci va nous aliner nous-mmes et notre monde car ni notre Moi, ni notre monde
nest dsormais indubitable. Deleuze prend comme exemple ces relations, la
causalit :
Un tel fonctionnement de la relation causale sexplique
ainsi : cest que les cas semblables observs se fondent
dans limagination, tout en restant distincts et spars les
unes des autres dans lentendement. Cette proprit de
fusion dans limagination constitue lhabitude, en mme
temps que la distinction dans lentendement proportionne
la croyance au calcul des cas observs (probabilit comme
calcul des degrs de croyance) (ID, Hume , p. 229)
Ainsi la fiction et la nature dans le monde de Hume sont ensemble : elles se
distribuent dans le monde empiriste selon une certaine faon (ID, Hume , p. 230)
De cette faon, le caractre de fusion de limagination sarticule proprement lordre
accidentel de lUnivers. Dans la section Of the reason of animals du Treatise,
Hume admet que les animaux aussi comme les hommes peuvent apprendre de
lexprience en la liant aux rapports de cause-consquence. De l, on peut dire que
lanimal aussi peut inventer certains relations. Evidemment, Hume recherche
essentiellement lhomme. Il regarde lanimalit suivant cet objectif. Pour nous les
deux dtudes sont pareillement prcieuses puisquune recherche sur la nature de
lesprit humaine est en mme temps une recherche sur la Nature elle-mme. Elle est
en mme temps llucidation de lopposition de lhomme et de la Nature et de
lhomme et de lanimal comme sa forme spcifique.475
La thorie de Hume concernant lesprit humaine se positionne chez Deleuze
dans lopposition de logos/phusis (sil existe une telle opposition) au ct de la
phusis. Si bien que cest le logos qui traite les donnes quil a reu de lexprience, il
doit le faire selon les lois de la phusis. Le fait quon obtient le concept par limage de
la pense chez Deleuze est conforme cela. Le concept sest spar du logos, il
nacquiert un sens qu lintrieur de la phusis. Ainsi, il na aucune validit par lui-
475
238
mme. Tout comme lesprit humain ne peut pas faire une cration sans avoir les
donnes venant de lexprience, lhomme ne peut pas exister sans la phusis.
Lesprit nest pas un difice rgn par les ides innes. Au contraire, lesprit
produit une psychologie des affections ; cest une psychologie qui ne contient aucun
lment totalement insensible. Ainsi, le logos qui est en train dapparatre ici est on
est en train de flotter vers la Logique de la sensation (1981) de Deleuze sur Francis
Bacon, le fameux peintre - dans la terminologie de Bacon, les ordres de la
sensation , et dans la terminologie de Deleuze, la logique de la sensation .
La sensation, cest le contraire du facile et du tout fait, du
clich mais aussi du sensationnel , du spontan, etc. La
sensation a une face tourne vers le sujet (le systme
nerveux, le mouvement vital, linstinct , le
temprament , tout un vocabulaire commun au
Naturalisme et Czanne), et une face tourne vers lobjet
( le fait , le lieu, lvnement). Ou plutt elle na pas de
faces du tout, elle est les deux choses indissolublement,
elle
est
tre-au-monde,
comme
disent
les
phnomnologues : la fois je deviens dans la sensation et
quelque chose arrive par la sensation, lun par lautre, lun
dans lautre. (FB, p. 39)
Le logos (la raison ou ce qui de la raison, de la parole) est la dviation de la
phusis dans lesprit humain par la diffrence et la rptition la cration et
lartificialisation. En ce sens, le logos nexiste pas par lui-mme, mais il prsente une
raison au sens de lexploit dune nature. Ainsi la prsence du logos pour lhomme
nest pas diffrente de celle pour lanimal. Autrement dit, le logos en lhomme et le
logos en lanimal ne sont pas diffrentes (diffrence en elle-mme) mais le mme.
Tous les deux sont le logos de la Nature et la logique de la sensation . Par contre,
on doit se poser la question suivante : Est-ce quil y a une diffrence qui spare
lhomme de lanimal ? Sil existe une telle diffrence, ce ne doit pas tre une
diffrence de pouvoir avoir le logos comme chez Heidegger, mais une diffrence
qui est lie la capacit de lesprit humain de pouvoir dformer ou artificialiser les
donns dans sa relation avec lexprience plus que lanimal.
Ce qui spare lhomme de lanimal ne doit pas tre la vivacit des impressions
par rapport lanimal quil forme travers la sensation mais sa pleur, ensemble
239
240
ajoute des nouvelles composantes. Il traite les concepts comme un contour irrgulier
(vr. QP, p. 21) et tente de les multiplier vers sa formation dsire. Il ne laisse pas un
concept tel quil est chez Hume, il le fait avancer dans lhistoire de la philosophie en
crant des nouveaux sens et permet ainsi la redfinition de ses rapports internes.
Ainsi, il essai de capter chaque concept auquel il attache une certaine importance, au
point de son intensification de sens comme une singularit. Tout comme Hume dit :
il invente. Il prpare les nouveaux (cres) concepts qui sont en un dveloppement
processif et fragment sous forme dune ordination (selon la propre frquence, rang
et manire), en observant leurs zones de voisinage.
Sans doute, cette opration dans Deleuze-Guattari faite par la philosophie (ou
par le philosophe) ne peut se raliser que par un prolongement de la subjectivit
humaine. Donc, elle ne peut pas tre indpendante du fonctionnement de lhommesujet. De ce point de vue, on constate que ce que Deleuze-Guattari a dfini comme
une sensibilit qui entende les signes est un systme des signes qui peut tre conu
par le concept et sa production, les signes et les impressions quils laissent dans
lesprit. (QP, p. 24) Alors la subjectivit chez Deleuze-Guattari doit tre une
subjectivit qui est semblable ce que Deleuze trouve chez Hume (invente et
artificialise) : une structure dans laquelle les concepts sont des signes sensibles
(comme les ides de Hume) et dans laquelle lesprit et la sensation agissent
ensemble, dans laquelle la penses est imaginative, cest--dire quelle existe par les
fonctions dinventer et dartificialiser sur les images (Le mot utilis par Hume, ctait
limpression. Donc, on peut penser les images de Deleuze comme les images
formes par les impressions) comme nature humaine.
Section II Langage
Nous avons dfini les tapes principales que la philosophie de DeleuzeGuattari a travers comme : (1) dsir redfinir la perception et la sensation, (2)
constitution dune nouvelle subjectivit travers la perception et la sensation, (3)
redfinition du logos, (4) redfinition de la psukh (par la diffrence vitale, affects,
schizo-analyse), (5) rinterprtation du cosmos (diffrence, sous forme de
Chaosmos), (6) rinterprtation de la temporalit (Ain/Chronos), (7) pense du
devenir . La redfinition du logos commence par linstallation de la multiplicit
241
242
243
rseau des connexions juste au-dessous delle. Ainsi le concept se tourne dune unit
ltat solide une multitude en rapport avec des autres par des zones de
dindiscernabilits, une entit mouvante et organique qui maintient invitablement
les nuances et les traits de son propre histoire.
Ici, nous voyons quil existe une division importante entre Heidegger et
Deleuze-Guattari ds le dbut. Heidegger retrouve la vraie dfinition du logos et de
la phusis chez Aristote et les prsocratiques. Cest un de ses pierres philosophiques
dans son recherche dun fondement. Dans les CFM, il dfinit la structure de celle-ci
comme ce qui est en train de se dire ; ouverture et clture la fois. Cest
ncessairement la parole sur la phusis. Logos comme ce qui est toujours dj
prononc sur la phusis , symbolise la sortie du rgne de ltant en entier, cest--dire
de la phusis. (CFM, p. 51) Le logos de lhomme est donc sa libration : amener ce
qui rgne la parole, dire ce qui nest pas en retrait . Le logos de lhomme est de
dire ; de d-couvrir ce qui nest pas en retrait : aletheia . (CFM, p. 53) Le logos a
pour tche dastreindre la phusis se montrer, de lamener tre manifeste
(apophanesthai). Si bien que le sens fondamental du logos est la logique ;
c'est--dire dterminations de ltants comme catgories, le vrai problme
selon Heidegger est que ce sens du logos a t transform et mal interprt
par les philosophes qui ont vcus aprs Aristote. (CFM, p. 418-34)
implique une relation au logos comme prsenter . Or les
catgories signifient essentiellement les modes de ltre . Donc, les
catgories impliquent la prsentation de ltre ou laccessibilit
ltre qui se lie au concept de ltre-sous-la-main de Heidegger. (BA, p.
130-33).
Comme la forme de louverture et de la clture est indfinie, il existe ici une
affinit avec la phusis. Puisque pour les prsocratiques, logos et phusis peuvent se
mler sous le fait quils ont le mme ousia . En ce sens, mme si lhomme peut
tre spar des autres tants ayant le logos, sous le rapport de logos et phusis qui se
mlent, et lambigut produite par ce fait, il se lie lanimal (et toute la Nature).
Lanimalit qui se montre l comme une question fondamentale est incompatible
Deleuze-Guattari cause de la recherche du fondement. Pourtant, le questionnement
sur lambigut et la complexit du fondement sapproche Deleuze-Guattari, au
244
logos qui ne pacifie pas laccident, au moins dans certaines sections des CFM. Le
point principal dont la conception du logos de Heidegger sapproche Deleuze est la
pense dHraclite. Hraclite qui rsolut la question de la phusis en expliquant le
logos lintrieur du devenir, est un grand avant-coureur pour tous les deux afin de
comprendre lindterminabilit du logos. Chez lui, lharmonie de la Nature (Logos)
est le rgne comme le principe de tous (ta panta). En ce sens, on peut dire que la
Terre a la parole sous lambigut de lhomme, son prsence et absence, mme si elle
ne contient pas la diffrence du Dasein des autres tants. Dautre part, la question du
monde reste inprononce jusquaux CFM. Dans ce texte, mme si le pouvoir avoir
un monde est tudi comme un pouvoir privilgi de lhomme, la possibilit de
pouvoir avoir un certain type daccs au logos de lanimal guide Heidegger vers une
interrogation srieuse. A la base de cette interrogation rside lindterminabilit du
logos. Cest pourquoi, cette question (du monde) devient pour Heidegger, une des
questions fondamentales de la mtaphysique. Lambigut est un concept important.
De mme, lindterminabilit du logos soutient lexplication hraclitenne dans la
structure du devenir. Pour Deleuze-Guattari, la Terre est un corps sans-organe. (MP,
p. 53) Cette molcule gante est dune forme de flux continuel, de changement et de
transformation. Il ne possde pas en effet de strate ; ce qui se montre comme strates
ne sont que des captures.
Ce corps sans organes est travers de matires instables
non formes, de flux en tous sens, dintensits libres ou de
singularits nomades, de particules folles ou transitoires.
(MP, p. 53-54)
Lhomme chaque fois quil essaie de fixer, de rgler la Nature et son logos, il
les crase. Car sa structure est incompatible avec la stabilit. Cette structure (devenir)
rend la stabilit impossible pour lui. Il naccepte aucun jugement, mme pas ce du
Dieu. Il progresse lintrieur du flux accidentel, conformment son ordre
immanent. Ce devenir nest ni dans le ciel, ni dans les tages au-dessous de la terre.
Il forme son propre monde, dans sa surface dimmanence comme vie pure
immanente. En ce sens, la terre (ou le corps sans organes) est ce qui ne cesse pas de
se drober au jugement, de fuir et de se dstratifier, de se dcoder, de se
dterritorialiser. (MP, p. 54)
245
Devenir
[Logos de la Nature]
Structure intrieure
du devenir
Logos indterminable
Chaos
Cosmos
Figure 2.3
246
Heidegger, avancent vers une structure dans laquelle chacune est aussi importante
dans la recherche de ltant comme tant. Pourtant Deleuze-Guattari, contrairement
Heidegger soulignent, aussi bien que lambigut dans le fait de se donner tre
dcouvert de la vrit, laccident. La signifiance du sumbebekos dans le pollakhos
aux termes dAristote introduit lenergeia/dunamis et ensuite la diffrence et
rptition pour le rgime du changement. Ainsi la question de lanimal est range
lintrieur de l immanence pure de la vie. Or chez Heidegger, il nest pas possible
de parler dune immanence.
La phusis et le logos se rconcilient compltement chez Deleuze et Guattari.
Logos se place lintrieur de la phusis. Ainsi, le mouvement (kinesis) et le
percevoir (aisthesis) trouvent leur explication dans le plan dimmanence. Ici, lme
ou la spiritualit (anima) est hors question. Puisque lme-corps comme une
substance compose ou non compose est dune manire prsuppose. Cest
justement ce qui est conforme Aristote. Pourtant, la question de sil faut dfinir
lanimal et le vgtal comme alogon ou logon est une question rsoudre chez
Deleuze-Guattari comme chez Heidegger. Pour Deleuze et Guattari, il ne peut pas y
avoir une hirarchie entre le vgtal, lanimal et lhomme en termes de spiritualit
(ltre psychique). Puisque Deleuze-Guattari ne font aucune distinction en termes de
lessence de la vie. De plus, ltancet de la pierre, de la terre, du fleuve qui nont pas
la vitalit biologique a aussi un rle lintrieur du devenir. Cest justement ce que
Deleuze voulait accentuer chez Nietzsche. La folie personnelle et sa destruction sur
le moi se refltent invitablement sur son uvre et les prsentations et
dveloppements manquantes, avec les sections qui couvrent des lments
dlibrment cachs, lternel retour et la volont de puissance forment une textualit
qui dtruit le seul garantie dquivalence du Moi avec le Dieu mort, et le fondement
substantiel unifiant tout comme Deleuze le voulait. (ID, p. 164) Cest une le dserte
ou un dsert qui est en train de se dchirer des continents. Elle est incommode et
dfavorable tre systmatise. Pourtant, au sens de la dcomposition et de
lvaporation du Moi, elle forme une psychologie ou une typologie des masques dans
laquelle le mouvement, multiplicit et le pouvoir de se transformer de Nietzsche
formant sa pluralit deviennent visibles. Ainsi, comme dit Kafka : mme si elles
sont compltement diffrentes, la prsence des perceptions dans une personne qui ont
le mme objet, nous fait dire quil existe des sujets diffrents dans une et mme
247
personne.
476
Franz Kafka, The Zurau Aphorisms, trad. Hofmann M., 72, London : Harvill Secker, 2006, p.
71.
477
La volont de pouvoir nest pas ce que veut la volont mais ce qui veut dans la volont, cest--dire
Dionysos. (ID, p. 167)
248
249
neutralis. (K. p. 10) Ce qui dcrit contre cette bloc animal le logos humain, la
reterritorialisation au lieu de la dterritorialisation est la voix interne. Le Kafka de
Deleuze-Guattari ne sintresse pas une musique compose ou smiotiquement
forme mais la tonalit de la musique comme une pure matire sonore et recherche
le langage de lanimal ou du muet justement ici. (K, p. 10) Lhypothse que la pense
a une image trouve un grand support dans ces zones. Surtout la musique ou les
groupes de son donnent par leur transmission directe aux canaux spirituels (de ltre
psychique), la possibilit concernant lhomme dans lanimal et lanimal dans
lhomme, dune pense toute nouvelle pour lme/corps, dune conception qui nest
pas ncessairement dpendante la territorialisation, qui nest pas serre dans ces
cadres, dans laquelle la crativit peut totalement rester libre. Ainsi, vient lordre
du jour la question de quest-ce quun concept ? pour Deleuze et Guattari. Cest
en effet un pas important pour le son et pour limage, afin de montrer quils taient
ds le dpart, lintrieur de la zone autonome que la philosophie sest rserve.480
b.
Cest pourquoi, il ne se confond pas avec ltat des choses dans lesquelles il
seffectue. (QP, p. 26) Lintensit des ordonnes du concept nous donne
lvnement, non pas comme nergie mais comme intensit. Elle ne donne pas
lessence ou la chose. Alors, ce nest pas de coordonnes spatio-temporelles mais
une ordination ; cest une progression entre le concept et ses composantes qui
ressemble au mouvement opratoire dun oprateur centrale dun ordinateur et le
data bank. Lunit du concept est une unit en ce sens : une multiplicit et unit dans
la conjonction avec les singularits. Comme chacune delles sont des composantes
qui auront des fonctions spcifiques dans des ordinateurs diffrentes, elles
deviennent sensibles en formant une intensit (avec des composantes spcifiques
mais qui forment un sens dans la frquence et ordre) dans une certaine ordonne
(spcifique). (QP, p. 26)
480
250
Le concept est une unit en ce sens. Il est lensemble des formes qui nont pas
dautre objet que linsparabilit des variations distinctes. (QP, p. 26) Donc le
concept est une forme. Pourtant selon Deleuze, ce nest pas une ide comme chez
Platon, mais une sensibilit qui couvre les signes. Il est la pense pure comme la
cause ncessaire du signe et du sens. (PS, limage de la pense, p. 115-119) Pour
Deleuze, il ny a pas de logos, il ny a que des hiroglyphes.481 (PS, p. 123) Ainsi,
ses concepts, tout comme il dfinit, se spare des concepts de Platon au sens
dordination. Ses concepts, dit-il, ne sont pas des objets de connaissance comme chez
Platon, mais des signes sensibles comme chez Proust. Ce qui pousse penser, cest le
signe. Il est lobjet dun rencontre (entrelacement). Cest lui qui va nous donner la
vrit la plus profonde : limage de la pense .
En consquence, labc de penser sont les concepts, de crer des concepts. Le
concept comme un contour irrgulier dont les composantes sont redfinies, est
limage de la pense. Ou bien, la pense existe dans limage qui se forme dans
lintuition des signes. La pense nous arrive, nous ne pouvons pas la choisir. Elle est
dabord lie avec la perception. Pourtant, ce nest pas une perception simple comme
voir une table de front ; cest une sorte dintuition suprieure, une vision artistique.
Les concepts sont des surfaces ou des volumes absolus . Lacte de la pense
vitesse infinie : survol. Le concept est la fois absolu et relatif. (QP, p. 26)
481
1.
2.
3.
On doit considrer cette phrase comme il ny a pas de logos qui appartient seulement
lhomme ou bien il ny a pas de logos qui est sans mouvement selon lhomme, qui reste suspendu
en lair comme dans les commentraires classiques de Platon . Il ny a pas de Logos, il ny a que des
hiroglyphes. Alors penser, cest interprter, cest traduire. Les essences sont en mme temps ceux
qui sont traduire et la traduction elle-mme ; elles sont en mme temps le signe et le sens. Elles
embrassent le signe afin de nou forcer penser, et elle souvre lintrieur du sens afin dtre
ncessairement pense. Il y a des hiroglyphes partout ; son symbole double est laccidentalit du
rencontre et la ncessit de la pense : imprvu et invitable . (PS, p. 123)
251
Le concept est infini par son survol ou sa vitesse, mais fini par son mouvement
qui trace le contour des composantes. (QP, p. 26) Le philosophe ne peut pas passer
au survol sans avoir test la finitude du concept sur lequel il va soprer. Ainsi, il doit
faire les tests structuraux de toutes les composantes intgralement, suivant son
ordonn. Si non, tout le systme peut seffondre cause dune seule erreur. Cest un
systme mais pas li aux coordonnes de lIdentique, du Semblable et de lAnalogue.
Cest plutt un systme au sens leibnizien482 : un systme comme htrognse.483
Le concept est ce qui est rel sans tre actuel, idal sans tre abstrait. (QP, p.
27) Il doit tre rel parce quil possde la ralit de chacune de ses composantes. Il
est en mme temps idal car la structure quil a construite possde la forme unique de
lordonn qui le dfinit. Le concept a un endo-consistance et un exo-consistance. Il
est dfini par eux. Or il na pas de rfrence. En mme temps quil est cr, il se
rfre lui-mme (autorfrentiel), se pose lui-mme et son objet. (QP, p. 27)
482
Deleuze G. in Jean-Clet Martin, La philosophie de Gilles Deleuze, 1993, Paris : Payot, Prface, p.
7.
483
Ibid. p. 7.
252
253
au contraire, la porte qui souvre une plus grande raison et crativit en se reliant au
logos de la Nature. La glorification du Chaosmos et du devenir-animal comme un
anti-humanisme. Ici, le logos sopre dans une ordination sans limite, la vitesse
infinie lintrieur du systme leibnizien comme htrognse. Comme il nest pas
li une racine, il peut toujours tre en mouvement. Ce mouvement contemple tous
les processus lintrieur de la Nature au lieu de dfinir ltant naturel de lhomme
prhumain, et de btir une philosophie pour le dpassement de lesprit comme chez
Hegel. Le plus haut degr de conscience pour lhomme est ainsi dfini comme la
comprhension de lhomme et de la Nature ensemble et la responsabilit de lhomme
pour la Nature au-del de la conscience de soi. La pense passe des systmes
totalitaires et purs au systme comme htrognse. Le principe de Dieu est renvers
chez Deleuze-Guattari : au lieu de ce qui dort dans la Nature, il est dfini comme ce
qui est en veil dans la Nature. Ainsi ce quon appelle esprit ou me cesse dtre la
proprit de lhomme. Elle se diffuse comme dans le panthisme, toute la Nature
en retirant aussi lhomme. Avoir une conscience donc dsormais nest pas seulement
en rapport avec lintellect mais avec lentier de lme, avec sa tonalit ou son
affection. Lthique et lesthtique dHegel sont battues par la reprsentation de soi,
sans le Soi dans laffirmation de Nietzsche.484
En dfinissant la musique, Hegel introduit ncessairement les nombres et le
calcul au-del dexprimer les passions. Chaque mouvement dans le son est prvu, les
variations sont dfinies par des lois prcises.485 Luvre musicale comme un acte de
construction architecturale est pour Hegel, plus haute que la peinture et la sculpture ;
mais dune manire trs diffrente de Nietzsche. Le premier glorifie le logos de
lhomme, or le deuxime, le logos de la Nature (phusis) dans ce qui est archaque.
Cest pourquoi pour Deleuze-Guattari, Nietzsche est un anti-hroque ; un des
inventeurs de la nomadologie.
Or si Nietzsche nappartient pas la philosophie, cest
peut-tre quil est le premier concevoir un autre type
de discours comme une contre-philosophie. Cest--dire
484
Ni la religion de Zoroastre fonde sur limage du feu (pyr), ni les religions premires de lInde ne
correspondent une sagesse leve chez Hegel. Au lieu, elles reprsentent les premiers traits dun
panthisme tre dpass. La plante et lanimal ainsi, restent dans le plan de limpuissance de
lindividualit contemplative, sans universalit. Georg W. F. Hegel, Phnomnologie de lesprit,
tome II, trad. Hyppolite J., Paris : Aubier, 1941, p. 216-17.
485
Georg W. F. Hegel, Esthtique, textes choisis, Paris : P.U.F., 1967, p. 98-99.
254
255
256
Lanimalit est une des plus importantes questions des deux premires
dcennies de notre millnium. A lintrieur du devenir-animal, tous les devenirhommes qui ont t exclus et dfinis comme mal ; notamment la femme,
lhomosexuel, le noir et tous les autres autres sont y prsents. (ID, p. 395)
Quoique le concept de la libration animale de Peter Singer fut prononc 40 ans
avant. Dans ses premiers textes, Singer aussi dclare que nous sommes dj familiers
avec les mouvements de la libration des noirs, des homosexuels, et quon croyait
que la libert des femmes serait le dernier pas.488 Or, les origines thoriques de la
discrimination ne disparatront dans aucun domaine sans que la problmatique de la
diffrence de lhomme et de la Nature soit rsolue. Singer traite la question de
lanimal en partant de la tradition anglo-saxon par la maxime de Bentham,
lutilitariste : Can they suffer ? Cette proposition avance quelques consquences
sur la responsabilit de lhomme envers lanimal et lhypothse quil ne faut pas les
maltraiter sils peuvent aussi souffrir comme les hommes. Pourtant, elle est
insuffisante telle quelle est. Car le rapport entre lhomme et lanimal ou bien entre
lhomme et la Nature en gnral est une question dexistence. Il faut dabord discuter
la ncessit penser tout ce qui ajoute du sens au cosmos et tre en harmonie. Sans
doute aujourdhui aussi, sur le plan politique, cest un devoir urgent de dfendre les
droits des animaux et la prservation de la Nature pour chaque homme conscient. Or
sans une destruction dans lexprience qui commence par la perception et la
sensation qui continue sous forme dune ngation de la subjectivit dans le langage
(logos), lhomme ne pourra jamais dfendre le devenir-animal. Nanmoins, les
arguments de Singer sont tonnantes :
Some humans - infants and those with severe intellectual
disabilities - have intellectual capacities inferior to some
animals, but we would, rightly, be shocked by anyone who
proposed that we inflict slow, painful deaths on these
intellectually inferior humans in order to test the safety of
household products. Nor, of course, would we tolerate
confining them in small cages and then slaughtering them
in order to eat them. The fact that we are prepared to do
these things to nonhuman animals is therefore a sign of
speciesism - a prejudice that survives because it is
488
Peter Singer, 30th Year of Animal Liberation , New York Review of Books, 50, no. 8, Mai
2003, page consulte le 12.11.2014, http://www.nybooks.com/articles/archives/2003/may/15/animalliberation-at-30/
257
489
Ibid.
Sans doute un des cas dcisif de ce mouvement fut la rsistance de Gezi Park en Turquie, maijuin 2013 pendant laquelle 6 personnes ont t tues, 12 aveugles, plus de 8000 blesses pour le
sauvetage dun parc 80 arbres.
491
Peter Singer, 30th Year of Animal Liberation .
492
Vr. Melih Baaran, Kurbansal Sunu ( Le don sacrificiel ), Istanbul : Ayrnt, 2005.
490
258
Rabindranath Tagore, Creative Unity, London : Macmillan and Co Ltd., The Religion of the
Forest , p. 62.
259
260
Ibid., p. 28.
Ibid., p. 29.
501
Vr. la section : Frquence de ltant vivant .
500
261
langage (logos) et du muet (alogon), dans lunit de la vrit et de laccident, cest-dire dans la comprhension du chaos et du cosmos lintrieur de la temporalit
ternelle (Ain). Pour faire ceci, Deleuze dfinit les concepts comme des centres de
vibration. Chacun de ces centres ont le pouvoir produire du sens dans le langage et
le langage du muet (langage de la phusis) par les signaux quils transmettent. En ce
sens, limportant nest pas ce qui produit le sens, mais lequel sens est produit. Cest
justement par l quon ne doit pas faire une division entre lhomme et lanimal en
termes dme ou de substance. Puisque le sens qui est en train dtre produit est
mme le fruit commun du logos et du alogos. Lorigine de lambigut fondamentale
prononce par Heidegger est limpossibilit de sparer les deux. Notre problme
nest pas alors de dfinir la philosophie comme une certaine recherche de vrit
puisque la vrit doit toujours tre dpendante au systme des concepts en main.
Suivant les dfinitions du dictionnaire, nous avons vu comment lhomme trahit
lautre chez lui (femme, noir, criminel, homosexuel, animal,) et avoue lexistence
de lhomme cest--dire ce qui est de la raison, du langage, de lme dans lanimal.
Deleuze savait trs bien comment ce fut exprim involontairement par linconscient
dans la littrature et les arts. Au-del de faire parler lanimal grossirement comme
un homme, il existe de multiples figures dans le son et dans limage sur le deveniranimal.
Penser nat de laccident, tout comme lcriture. Si on parle vraiment dun texte
de littrature, il doit absolument y avoir des sens imprvus par lauteur en rsultat des
rapports accidentaux. Par exemple, la dynamique du monde imaginaire de Kafka
form par des petites lignes htrognes en tat de rupture. (K, p. 13) Cest pour
Deleuze et Guattari, une criture qui doit tre lue sans commentaire et sans le sens.
Ici, on devient animal par le son et par le style :
Un crivain nest pas un homme crivain, cest un homme
politique, et cest un homme machine, et cest un homme
exprimental (qui cesse ainsi dtre homme pour devenir
singe, ou coloptre, ou chien, ou souris, devenir-animal,
devenir-inhumain, car en vrit cest par la voix, cest par
le son, cest par un style quon devient animal et srement
force de sobrit). (K, p. 15)
262
deviennent
existantes
sous
forme
de
multiplicit. Contre
la
Ce sont des dterritorialisations absolues, du moins en principe, qui senfoncent dans le monde
dsertique (K, p. 23)
263
508
lirrgularit du logos est rendu actif tout tant : Et o donc sont passes mes
paules ? Oh ! mes pauvres mains, comment se fait-il que je ne puisse pas vous voir
? 509 Cette perte de fonction et devenir sans rgle va aller jusqu la pupille, son
organe la plus importante : voil trois semaines que je nai pas ferm lil une
seule seconde ! 510 La pupille est khra, un de ses sens en grec. 511 Dans ce
503
Vr. Franz Kafka, The Complete Stories, A Report to an Academy , Investigations of a Dog ,
NY : Schocken, 1971.
504
Lewis Carroll, Alices Adventures in Wonderland, chapitre IX, in Complete Works, 1865,
London : Collectors Library, 2005, pp. 35-38.
505
Plus bas, encore plus bas, toujours plus bas. Est-ce que cette chute ne finirait jamais ? Je me
demande combien de kilomtres jai pu parcourir ? Carroll, Alices Adventures in Wonderland, p.
13.
506
Ibid., p. 15.
507
Ibid., p. 16.
508
Ibid., p. 23.
509
Ibid, p. 25.
510
Ibid.
264
perspectif, nous pouvons assumer avec ce nouveau logos dfini par Deleuze et
Guattari, tre en train de passer dans le monde du ni sensible, ni comprhensible,
de ce qui se passe comme en rve, du subjectile au projectile. Car le khra nest ni un
sujet, ni un subjectile.512 Tous ces pairs et le khra comme labysse entre un autre
qui na pas dautre est en mme temps la possibilit de pouvoir former une
nouvelle temporalit et subjectivit.513
Cette invisibilit ou la dformation de la pupille
514
Le mot khra, crit comme en grec veut dire jeune fille, vierge, jeune femme, femme sans
contrat de mariage, prostitue sous la premire forme de la racine . Il dsigne aussi bb, poupe
et la pupille.
(lemme: , ())
(Substantif, 1e dclinaison)
jeune fille,
jeune vierge; fille (par rapp. ses parents); jeune femme; femme courtise;
concubine; poupe; pupille de l'il; longue manche des vtements persans.
512
Khra : place, lieu, espacement, emplacement La khra nest ni sensible ni intelligible ,
elle appartient un troisime genre (triton genos, 48e, 52a) Pas plus que que ce fond sans fond ne
promet la nuit dun jour. (Jacques Derrida, Khra, Paris : Galile, 1993, prire dinserer ) Et le
silence au fond duquel ainsi khra semble appeler son nom, mais en vrit le surnom dun prnom, ce
nest pet-tre mme plus une modalit ou une rserve de la parole. (Ibid.)
La troisime espce est le lieu ternel, ne prissant jamais et servant de thtre tout ce qui
commence dtre, ne tombant pas sous les sens, mais perceptible pourtant par une sorte dintelligence
(logismo notho) btarde, elle est peine admissible ; nous ne faisons que lentrevoir comme dans un
songe . (52b)
Cest un lien impossible, possible tre nomm ; une oscillation entre le sensible et le
comprhensible, visible/invisible, forme/informe, icne ou bien rflexion/paradigme. Khra est un
nom ddi lineffaable mme si elle ne se limite pas dfinitivement avec son appel.
Khra est contre le temps, elle est le paradoxe au temps dans ltre, ou plutt limcompatibilit de
ltre au temps. Elle anachronise lEtre et le rend hors de lpoque. Khra est la [il y a], elle est ce
qui est l .
Khra nappartient ni lordre de leidos, ni lordre de ses images ou des illusions. Elle ne permet
pas les schmas ou modles la former. Bien plus, on ne peut mme dire quelle fournit un support
[substrat] ou dune substance fixe. Car le Khra nest pas un sujet (hupokaimenon substrat
substance). Elle nest pas sujet, ni subjectile (Artaud - la ressemblance de projectile, matire qui
explose et dissipe et dissmine). (Ibid. p. 28) En mme temps que lobjet devient objectile, ce qui
rside au-dessous (sub-jet) devient ce qui rside au-dessus (super-jet) comme dit Whitehead. (P, p. 27)
513
Cf. Derrida, Khra.
514
Le seul organe de lhomme qui ne change pas en vieillissant : la pupille.
265
Rien de plus fragile que la surface. (LS, p. 101) La surface est pour
Deleuze, le champ de la bataille pour la subjectivit. Or, la surfacologie qui se
produit chez Carroll est confronte par le langage schizophrnique dArtaud. Un
glissement se produit, et mme un effondrement central et crateur, qui fait que nous
sommes dans un autre monde et dans un tout autre langage. (LS, p. 102) Ce langage
annihile toutes les surfaces. Puisque le schizo aime les profondeurs : langage en
profondeur invente des mots sonores . Le schizo dtruit la surface et dforme son
propre ordre. La surface reste sans fonction, le langage reste sans structure
grammaticale, ni de syntaxe. Ainsi le corps reste sans organes, sans parties, sans
aucune organisation interne (sans action et sans passion). Le langage sonore invente
des sries sans logique ou la logique du sens dans lEtre qui est non-sens. (LS, p.
111)
Le non-sens a cess de donner le sens la surface ; il
absorbe, il engloutit tout sens, aussi bien du ct du
signifiant que du signifi. (LS, p. 111)
Artaud et Carroll ; le schizo et le paranoaque. Lun explore linfra-sens, lautre
les sries du sens de surface. (LS, p. 114) Or tous les deux, dit Deleuze, se
ressemblent : ils exprimentent le devenir-animal dans les bornes de la surface et de
la profondeur par le signe insigne, par le mot sonore qui schappe dans les trous de
la surface ou dans les abysses de profondeurs sans limites. Mme si Artaud le
considre comme un pervers, Carroll pour Deleuze est un vrai dformateur,
larpenteur des surfaces.
266
entendu. (FB, s. 57) Le peintre qui sest concentr sur cette tche se lance vers lacte
de dformation. La pression qui acte sur la tte chez Bacon cre une dviation de la
subjectivit humaine vers le devenir-animal ou bien un flux du logos de lhomme qui
appuie son dos au cosmos, vers le chaosmos qui renferme aussi le logos de la Nature,
le Logos en majuscules.
La transformation de la forme peut tre abstraite ou
dynamique. Mais la dformation est toujours celle du
corps, et elle est statique, elle se fait sur place ; elle
subordonne le mouvement la force, mais aussi labstrait
la Figure. (FB, s. 59)
La force agissant sur une certaine zone la rend une zone dindiscernabilit qui
est irrductible lune ou lautre. Les devenir-animaux des figures alors
schappent dun trou dans lambigut de ces zones dindiscernabilit. Ces
dformations que Deleuze trouve chez Czanne et Van Gogh aussi bien que chez
Bacon reprsentent la notion de latonalit dans la musique. La bouche, la zone
nettoye et la souffrance marque lchappement du visage du joug de lhomme en se
dbrouillant de plus en plus de lharmonie tonale. Le cri qui apparat, Bacon le mne
vers laffirmation de la vie. Les forces de la destruction font natre la vie nue (zoe).
La violence de la sensation nous donne dans le schapper, la vraie croyance de la
vie, les forces dmoniaques de lavenir qui frappent la porte comme dit Kafka. Le
retour de lunit de la vie et de la mort dans les forces invisibles de la sensation fait
natre une deuxime intensification. Ici, dit Deleuze, une vitalit, mme une
animalit qui fait rencontrer Beckett, Kafka et Bacon.
Tout un misrabilisme figuratif, mais au service d'une
Figure de la vie de plus en plus forte. On doit rendre
Bacon autant qu' Beckett ou Kafka l'hommage suivant :
ils ont dress des Figures indomptables, indomptables par
leur insistance, par leur prsence, au moment mme o ils
reprsentaient l'horrible, la mutilation, la prothse, la
chute ou le rat. Ils ont donn la vie un nouveau pouvoir
de rire extrmement direct. (FB, p. 62)
Cette vitalit et animalit nous donne dans chaque forme de la perception et de
la perception la suivante : lhomme et lanimal ne sont pas des tant dont on peut
sparer par des lignes dfinitives. Il peut ne pas tre possible de les dfinir
267
exactement, puisquils rsident dans des zones dindiscernabilits les plus profondes.
Nous le savons dabord par la perception et la sensation de lhomme, et aprs par la
perception et la sensation de lanimal la mesure que nous pouvons les connatre.
Lambigut et lindiscernabilit en question est dans lanimal lintrieur de
lhomme, dans lhomme lintrieur de lanimal et dans limpossibilit tracer les
frontires de cette tre lun dans lautre. Cest pourquoi, essayer de produire un logos
strilis pour lhomme ferme la perception et sensation en les mettant dpendante
certaines mesures et normes au lieu de rendre lUnivers et soi-mme comprhensible.
Ainsi louverture des portes de la perception dpend de la rupture avec les codes de
la subjectivit humaine au sens classique et de la formation des nouvelles
subjectivits la fin des nouvelles intensifications, productions de son et dimage, de
concepts travers le devenir-animal. Ainsi, mme dire que les animaux ne
produisent pas de son et dimage, nont pas de sensation ou ont une sensation
limite, nont pas de langage ne sont pas sensible car il est aussi en question de
dvelopper la subjectivit humaine. Dautre part, mme si largument que les
animaux peuvent produire de son et dimage navait pas eu un grand succs jusqu
la fin des 1950, cest un argument valable pour aujourdhui la lumire des travaux
depuis 60 ans. 515 Les animaux possdent-ils des sentiments et penses ? Sont-ils
conscients du monde autour ? Peut-on parler dune me animale ? Si on peut, peut-on
la sparer de celle de lhomme ? M. S. Dawkins, en interrogeant ces questions dune
manire scientifique, explique son but comme persuader le lecteur quil peut y
avoir un moi lintrieur de lanimal aussi .516 En consquence, Dawkins trouve
par un perspectif en mme temps douteux, quune exprience consciente pour les
genres animales non-humains est possible, mais que ce nest pas encore possible le
dmontrer scientifiquement. Nanmoins, il y a eu une accumulation de savoir
considrable, plus rigoureuse grce aux travaux aprs 1968, la conscience des
animaux part de lapproche Darwiniste est devenue de plus en plus acceptable
comme un sujet scientifique par les biologistes.
Selon les chercheurs, les animaux ont une conscience suivant leur propre
manire ; ils ont des sons et images personnels. Cest pourquoi, dans le systme
deleuzien, lanimal est un artiste : mme sil ne peut pas crer des concepts, il peut
515
516
268
quand mme produire des images et des sons. Ils contribuent la cration des
concepts, cest--dire la pense. Limaginalit du concept fait de la phusis tout
entier (la Nature, les tants vivants et non vivants) le dterminant de la philosophie et
de la pense comme un systme deleuzien. Puisque la subjectivit nest quune
invention et dune force de lartificialisation qui se produit dans le processus de
copiure dans lintellect comme nous le voyons chez le Hume de Deleuze.
On peut dire quune telle subjectivit nexiste pas chez lanimal. Pourtant, la
crativit est encore une fois tire vers le ct de la Nature. Le logos fonctionne
dune manire li au mimesis. Lintellect et la sensation produisent le logos comme
un acte de vibration . Mme si les animaux ne possdent pas le pouvoir penser
avec les concepts et de crer des concepts, ils possdent le pouvoir de reproduire les
impressions sous forme de son et dimage venant de la perception et de la sensation
(leur facults qui sont plus dveloppes que les notre) et en plus sous forme dtre
soi-mme. Lanimal est un artiste. Mme sa manire dexister nous inspire. Par
exemple, les premires uvres dart de lhomme sont des figures animales. Les
premiers instruments de musique ont t produits en sinspirant des sons danimaux.
Pourtant, nous avons peut-tre compltement oublie ce fait. Lhomme sest si spar
de lanimal dans tous les dtails de la pense et de lUnivers matriel quil est devenu
impossible de penser que nous pouvons quand mme tre une espce animale. Nous
avons produit une si immense domination sur la Nature que les oppressions opres
en chaque seconde sont devenues invisibles pour nous. Nous nous avons
compltement habitu la division de lhomme-Nature et devenu indiffrent la
Nature. Et cest justement pourquoi Deleuze-Guattari entreprennent une destruction
de la division de lhomme-Nature.
Il ny a pas davantage de distinction homme-nature :
lessence humaine de la nature et lessence naturelle de
lhomme sidentifient dans la nature comme production ou
industrie, cest--dire aussi bien dans la vie gnrique de
lhomme. Lindustrie nest pas prise alors dans un rapport
extrinsque dutilit, mais dans son identit fondamentale
avec la nature comme production de lhomme et par
lhomme. (A, p.10)
Sans le soulvement de cette division, il ne sera pas possible datteindre ni la
dfinition de la perception et sensation, ni du logos chez Deleuze. Sans ce
269
c.
Le langage de lanimal
Nous devons cesser de considrer la Nature par certaines divisions faites par
270
Si Aristote pose la ncessit dtre une substance compose pour chaque tant
vivant, et que la partie nous appelons me lintrieur de cette substance doit tre la
mme pour chaque tant, nous aussi, nous devons savoir penser lhritage dune
substance pour chaque tant vivant ou non-vivant sous le rapport de leur partage de
la substance premire. Cette pense va nous ouvrir la porte de pouvoir poser la
question de lEtre. Cette penser va nous offrir la possibilit la question
insoluble entre lhomme et lanimal, son ouverture vers le chemin de la vrit. En
plus, cette penser va rtablir encore une fois lamour infinie en nous dcoulant de
lorigine de lUnivers. Selon largument, il ny a pas de diffrence entre lme de la
tique et lme de lhomme. Il sera une erreur de les classifier selon leurs supriorits.
Evidemment, on peut dire que lhomme est suprieur par rapport aux autres en
possdant le langage, le symbole, la pense et le logos en gnral. Pourtant, est-ce
juste de traiter cela comme une supriorit ? Est-ce que cela implique une sparation
dans le plan ontologique ? Si oui, peut-tre ce nest pas ce quon doit faire. Peut-tre
cest la source dun devoir, une responsabilit plutt quune supriorit : la
responsabilit de lhomme envers lanimal (pour lautre). En ce sens, ltant humain
qui a pu faire approcher son me louverture dans le monde la mesure de ses
capacits corporelles peut voir peut-tre ce quil doit (dette) lautre. Pouvions-nous
dire arbre sans avoir vu un arbre ? Pouvions-nous penser la fleur sans avoir vu
une fleur ? La stabilit au-dedans de lautre est en mme temps son pouvoir. Son
silence est en mme temps son langage.
Comme le souligne Agamben, le discours sur lthique doit commencer par la substance de
lhomme, de son occupation historique ou spirituelle ou de son destin biologique. Ce que lhomme est
271
272
dtruit son me mais ce nest mme pas suffisant pour lui. Il tue aussi les animaux, il
les prend pour des cobayes, ferme dans des abattoirs, il les asservit. 519 Lhomme
dtruit les mes des animaux : en les classifiant comme marchandise, achets et
vendus, prenant la vie quand il veut, sans aucune piti. Si lanimal est tu pour un
acte utile, il devient marchandise ; sinon il devient une perte.520 Il les avive avec ses
mains machiniques. Il ne suffit pas dasservir les animaux, il doit aussi prendre la
Nature sous ses pieds. Il change les passages des fleuves, dtruit les cosystmes,
change les climats. Il est en train de couvrir la terre avec du bton. Il consomme avec
ses mains machiniques la vie dans les mers, asservit les plantes : plus de rcolte,
plus de rcolte ! .
Le sujet dune vie dans laquelle rgne le devenir, est un tre qui est la fois un
et multiple, changeant et stable, connaissant et saisissant, dsirant. Ainsi, il se peut
ici en question dans la subjectivit multiple, une perte du sujet et dpersonnification.
Nous devons penser le sens du devenir-animal chez Deleuze avec les questions
fondamentales de la philosophie : la question de la cration (le commencement de
lUnivers et de la vie) ; la question du cosmos et du chaos (causalit et
accidentalit) ; la question de lme chez lhomme [la question de lme chez
lanimal, la question de la perception chez lhomme, la question de la perception
chez lanimal, la question de la sensation chez lhomme, la question de la sensation
chez lanimal, la question de lintellect (entelekhia) ; le temps comme une exprience
qui se forme ensemble avec la perception, sensation et intellect ; la question de
lme, la question du corps (vie et mort, corps qui manque, corps surcharg, corps
mutil, corps sans-organes)] ; la question de Dieu (unit et multiplicit) ; question de
lEtre et non-tre ; question de la vrit et simulacre (connaissance - linconnu,
ralit et rve) ; thique (la question du bien et du mal) et finalement lesthtique (la
dfinition de luvre dart). Peut-on lire ltre formateur de monde chez
Heidegger comme le dsir chez Deleuze-Guattari deffacer le visage de lhomme, de
dsintgrer la subjectivit, leffort de personnification, la tentative dformer son
corps ? Est-ce quil existe paradoxalement un caractre ngatif (destructif) dans ltre
fondateur ? La troisime des quatre voies marques par la pense de Heidegger est
519
Vr. Ron Fricke (rgisseur), Baraka : A World Beyond Words, Magidson Films, 1992. Aussi vr.
Peter Singer, Animal Liberation, 1975, NY : Harper Perennial, 2009, chap. II et III.
520
Ceci est de mme prsent dans les lois de lhomme : vr. Les rglements pour la transportation et
lemmagasination des animaux.
273
Jacques Derrida, Heidegger, lenfer des philosophes , Points de suspension, Paris: Galile,
1992.
274
logos. La sensation atonale produite par la rsonnance des figures accouples par le
point et le contrepoint nous offre la possibilit du devenir-animal selon Deleuze.
Dsormais les cartes sont redistribues. La Figure qui dpend encore du rythme,
soffre comme la vibration qui traverse le corps sans organes. (FB, p. 71) Et quand
la Figure est accouple, elle devient libre en mutilant la norme de la tonalit dfinie
par lhomme. Ainsi le rythme devient le diagramme de la Figure accouple. (FB, p.
71)
Le Bacon de Deleuze est un dispositif qui reproduit la photo et les sries
dimages successives comme hors reprsentation, en partant de laccident, un grand
anti-narratif tant un des chemins visuel/rflexif de la musique. Afin de mutiler la
figure, flchir, friser. Cest une ralit qui permet la subjectivit schapper dans
lombre ou dun trou ct en dformant le corps humain et la tte. Le Bacon de
Deleuze conoit la ralit nue et crue par son rfrentiellit sans rfrence et sa
manire dexpression sans narration sur la toile. Le langage de lanimal se produit
comme le langage du muet. Un langage au niveau du son et de limage parle
seulement pour le langage du muet sans quil y ait le logos apophantique. Il unit
les rsonnances sans quil y ait dialectique, mdiation ou reprsentation dans la
totalit de la Nature et produit une harmonie. Cest lharmonie naturelle ; ce qui est
en mme temps atonale contre le logos de lhomme. En ce sens, llaboration
ngative de la problmatisation du sujet chez lhomme devient sensible et explicable
avec la tonalit en musique. Alors que ltude ngative se forme comme la
dsintgration de la subjectivit humaine, sa destruction, son nettoyage, rend possible
la manifestation du langage du muet en lhomme et le faire de nouveau sensible.
La source des rapports de tonalit est la Nature ; les objets qui forment des
sons et la sensation de ltant vivant qui obtient le son.522 Tout tant vivant possde
une tonalit dans lme ou substance quil possde. Quand cette tonalit vient cte
cte avec la vibration dun autre tant vivant, se produit une rsonnance (Figure
accouple). Au-del de dcouvrir les rapports tonaux entre deux vivants (psychs),
cette rsonnance produit une affinit entre eux. Ainsi, les mes tendent vers ellesmmes : leurs rapports dans le niveau de tonalit ou datonalit ne rsultent pas
522
Paul Hindemith, The Craft of Musical Composition, NY: Schott, 1984, vol 1 and 2, chapter X:
Atonality and Politonality, deuxime paragraphe.
275
chaque fois par latteinte dune mme tonalit. La plupart du temps, elle se
diffrencie par leffet des vibrations des autres tants vivants.
La Nature
*
*
*
*
Lhomme
polytonalit
mouvement temporel
Figure 2.4
Logos de la Nature
Zone dindiscernabilit
logos de lhomme
Figure 2.5
276
tonalit
(homme)
ambigut
atonalit
(homme)
Lambigut fondamentale de lhomme (Heidegger)
Figure 2.6
Figure 2.7
Vortex
(afflux dnergie)
Figure 2.8
277
523
Francis Bacon, Painting, 1978. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. Collection prive, Mont-Carlo.
278
524
Deleuze nen parle pas mais un des textes le plus important sur la question du langage de lautre est
Solaris (1961) de Stanislaw Lem. Ce roman traite la dialectique de lhumain et de linhumain en se
refrent la Phnomnologie de lEsprit, la grande uvre de Hegel : Kris, Rheya et lOcan. La
communication entre Kris (lhumain) et lOcan (linhumain) qui est un vivant gant possdant une
sensation propre et trs leve est en train dtre construit sous forme dune mdiation dans lillusion
de la femme morte de Kris. Pourtant cest Rheya (rptition de mmoire) qui va vouloir le faire
quipp par les sentiments, dsirs et affects de lOcan. Cest une relation plein de contradictions
pour lhomme (Kris) et pour lOcan qui naissent de lopposition : langage du muet et langage
de lhomme . Rheya possde une subjectivit qui se construit travers Kris ; elle est le dsir
dtre soi-mme dun tant spctral. (Vr. mon article paratre: Solaris: nsan ile insan-olmayann
diyalektii) Aussi linterprtation de Tarkovsky est importante : Andrei Tarkovsky, Solyaris, USSR :
Mosfilm, 167 min, noir et blanc / couleur, 1972.
279
525
Quelles sont les catgories de ltre ? et quest-ce quoi nous appelons me chez les
vivants ? .
526
Cf. Zourabichvili, Deleuze : une philosophie de lvnement, p. 9-10.
280
Il doit exister tellement une harmonie entre phusis et logos quelle peut faire
natre un sens mme du dsordre ou de ce que nous appelons sans ordre . Cest
pourquoi, la voie la justesse nest pas seulement la voie droite, mais aussi la voie
courbe et tournante, la voie plie. Ce qui est pli est aussi lexplication de lUnivers
et la source du logos. Hraclite dit : le chemin de lcriture est droit et courbe, et lun
et le mme. (Diels, 59) Pour lui, lharmonie non apparente est mieux que
lharmonie apparente. (Diels, 54) La rectitude et la courbure, le visible et
linvisible, ce sont ceux qui touchent le grand Logos de la Nature et le logos de
lhomme. Pourtant au lieu de les sparer compltement, il trouve la signification dans
leur union. Il dcrit une harmonie entre phusis et logos, comme celle dans la
musique. (Diels, 51) Afin dentendre le Logos, il faut donner loreille ce tout, et
pas seulement ce qui est de lhomme. Donc, il faut donner loreille aussi ce qui
est de lanimal, au langage de lanimal. Ce langage nous donne la vrit de la vie
comme flux. Et cest lui en mme temps qui va nous montrer la force de laccident.
Ce quil vise, cest de parvenir la sagesse de la pense de ta panta , cest--dire
de ce qui rgne tout travers tout. (Diels, 41) Or ceci ne peut pas tre une sagesse
qui peut tre atteint seulement par le logos de lhomme. Ce quil faut accder, cest
une pense sur lhomme, lanimal, le vgtal et la pierre ; sur le tout de lUnivers, sur
ta panta .
Dans la pense dHraclite qui a pour arkh, le feu (pyr), lEtre est en devenir.
Nous le voyons dans le fragment 49a. Ltat changeant et cyclique permanent du
devenir fait venir la ressemblance des mes des fleuves. Lme est le feu (pyr)
lme (psych). LUnivers est dans un changement permanent sans rgle (ou
complexe), et ce fait que nous ne pouvons pas expliquer ou que nous attribuons aux
dieux, nous signale en effet clairement lunit du chaos et du cosmos. Le feu est au
fondement de tous, et lme est au fondement de tous. Cela peut tre lme
inexplicable / insaisissable de lUnivers. Elle peut tre repose sous les tants. En ce
sens, on peut dire quil nexiste pas de diffrence entre lme humaine et lme
animale. Hraclite lui-mme na pas fait aussi une telle division.527 Ici, on saisit une
comprhension de la vie et de la mort, diffrente de celle de Heidegger. La vie et la
mort est comme le jour et la nuit. Comme la sagesse est une, le jour et la nuit sont
527
281
aussi un et unique. (Diels, 41, 57) Lhomme et lanimal sont tous capables de
mourir.528 La connexion de cosmos-chaos (ta panta hen) chez Hraclite forment le
premier fondement du concept de Chaosmos chez Joyce. Descartes ne savait pas la
courbure et la dclinaison de lme dit Deleuze. Cest pourquoi, il tait invitable
pour lui chercher la possibilit de lexistence de lun et le multiple dans lun et
lautre en gardant la diffrence dans la dfinition de lUnivers pli (un chaos
compos non pas prvu, ni prconu). Cela veut dire de sen sortir de la
reprsentation, des oppositions produites par les sciences classiques et des concepts
limits.
Les philosophes principaux dont Deleuze a pris les concepts pour crer ses
propres sont Hume, Spinoza, Leibniz, Nietzsche et Bergson. Pourtant, comme sa
production de concepts nest pas seulement travers les textes philosophiques mais
plutt sur limage de la pense, son uvre est influence aussi par des
psychanalystes, auteurs, peintres, musiciens et cinastes. A dire Lewis Carroll,
Kafka, Beckett, Proust, Melanie Klein, Masoch, Francis Bacon, Schoenberg,
Eisenstein, Vertov, Cest un nud de connexion qui va vers linfini vitesse
infinie. Il semble former une opposition avec Heidegger dans le premier coup dil
puisque pour Heidegger avant le tournant, le seul art qui peut tre vu au-dessus de la
philosophie est la posie. Dautre part, Deleuze aussi glorifie lambigut et
lindterminabilit comme Heidegger qui avait soulign limportance de la posie
comme la forme la plus haute de lart (et en particulier celle de Hlderlin) et lavait
manifest dans son uvre.
528
282
i.
ceci. Deleuze parle dun plan dimmanence : cest le sein de la Nature et il existe
ncessairement ici, une monophonie.531 Ainsi, le langage en usage est le langage du
muet . Le plan dimmanence nous donne la possibilit avoir lexprience du chaos
529
Le Dasein n'est pas un animal, pas mme, pour l'essentiel, un animal rationale ou un zoon logon
ekhon. Jacques Derrida, Heidegger, lenfer des philosophes, Points de suspension, Paris: Galile,
1992, p. 283, 322.
530
Ibid., p. 288.
531
Vr. Franois Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, Plan dimmanence (et chaos) , Paris :
Ellipses, 2003.
283
et du cosmos ensemble comme une coupe du chaos. Le chaos nest pas un tat stable,
il nest pas au hasard dans le hasard. Il est Chaosmos. Donc le cosmos nest pas
seulement cosmos, il existe toujours une place pour un morceau en chaos, comme le
chaos aussi ne peut jamais tre un pur chaos. Cette force de lambigut et de
lindiscernabilit nous dit quil faut attacher une importance au sumbebekos. La
ncessit traiter laccident comme un problme drive selon lexpression de
Deleuze, du conflit entre linfini et le permanent. Ce conflit est le combat de la
philosophie avoir cohrence sans perdant linfini lintrieur des existences
rflexives et physiques non-dcides.
Le chaos chaotise, et dfait dans linfini toute consistance.
Le problme de la philosophie est dacqurir une
consistance, sans perdre linfini dans lequel la pense
plonge. (QP, p. 45)
Alors, nous allons rcapituler : pour Deleuze, la philosophie ne peut pas avancer
dans le plan dimmanence sans le hasard et le chaos, elle ne peut pas atteindre linfini
puisquune pense qui vise seulement le cosmos, cest--dire lordre, et qui
senferme l-bas, va tre domine au bout du compte par les rigidits immuables
formes par lui-mme et va tre incapable de suivre les changements. Ceci, la fois
diminue sa vitesse et augmente sa possibilit faire des erreurs. Dautre part, une
pense qui se lance purement sur le chaos ne pourra pas sadapter la vitesse du
changement de ses concepts. Elle va ncessairement prparer sa propre fin cause de
ces changements et sauts vitesse infinie. Ce quil faut faire est davoir certaines
zones de consistance au moins pour certaines priodes, sans avoir perdu cette vitesse.
Cest lobjectif de la manire de penser du Deleuze-Guattari qui entreprend par la
dfinition il ny a pas de concept simple et qui mne comprendre le concept
sous un contour irrgulier dont le nombre des composantes est dfini , de leur
systme influenc par le systme de Leibniz et qui favorise le multiple dans lunit
comme htrognse. Un concept nexiste pas ternellement. Il ne reste pas en lair,
sous une autre dimension. Chaque concept dpend un ordre et au hasard tout
comme dans lordre de lUnivers et de la vie. Son moment de gense et son crateur,
sont leffet des oprations cosmiques impossibles dterminer. En outre, chaque
concept ne porte pas la pense marque partir de sa gense telle quelle jusqu
linfini.
284
Pendant que ses composantes changent, il change aussi ; et quand il est capt par
un autre penseur, son image se transforme. Il faut en ce sens toujours remanier les
concepts. Il faut faire subir chaque concept au rgne du chaos et du cosmos en
permanence. La philosophie na pas besoin dune transcendance la mesure quelle
russit le faire et peut rester dans le plan dimmanence. Ce plan dimmanence ne
fait pas de division entre le naturel et lartificiel. Il accepte aussi lartificiel
lintrieur de sa propre nature. En ce sens, les produits humains les plus trangers la
Nature (par exemple un ordinateur ou une machine) sont une partie de cette
immanence comme le plan de la Nature. Il est justement en ce sens naturel et
immanent. (MP, p. 326) Laccident existe aussi lintrieur de lartificiel ; il y est
possible. Tout comme on ne peut pas calculer pourquoi et auquel moment un
ordinateur fait une erreur. Laccident en ce sens a une place primordiale dans la
pense de Deleuze-Guattari.
ii.
Problme du Logos
Le logos de Deleuze et Guattari nest pas un logos qui appartient seulement
Ibid. p. 57.
Gilles Deleuze, Lpuis in Samuel Beckett, Quad, Paris : Minuit, 1992, p. 59-60. Cf.
Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, p. 78.
533
285
vision est immanente aux concepts sous forme dun acte. Le concept du concept est
en train de changer, et le concept du concept arrive en parlant du perspectivisme de
Nietzsche, dans le langage du philosophe-ventriloque (Deleuze), un logos dans
lequel la logique est dnie : ici, deux concepts se voient dune mme distance,
peroivent la distance diffremment cause de leurs points de vue. 534 Ainsi, chaque
concept ou groupe de concept va former une fracture ou diffrence dans la perception
du monde en construisant sa propre perception et sensation. Ainsi, le mouvement des
divers concepts dans le devenir donne la possibilit dun logos illimitatif. Un monde
des significations propre chaque philosophe ou chaque manire de penser devient
possible et logique au-del du vrai et du faux. Par la synthse disjonctive (ou bien
disjonction inclusive) qui est le processeur principal lintrieur de cette
coexistence, il ne vise pas une logique illogique mais en effet, une logique
irrationnelle, ou un logos qui ne nous mne pas la raison . Puisquune logique
qui ninclut pas la complexit et laccident, ne peut servir quau bon sens tte dure
et est content de soi-mme :
Il importe peu quelle soit un monstre aux yeux de ceux
quon appelle les logiciens : Deleuze, qui dfinissait
volontiers son propre travail comme llaboration d'une
logique , reprochait la discipline institutionnalise sous
ce nom de rduire abusivement le champ de la pense en
le bornant lexercice puril de la rcognition, et de
justifier ainsi le bon sens satisfait et obtus aux yeux duquel
tout ce qui de l'exprience branle les deux principes de
contradiction et du tiers-exclu est pur nant, et vaine toute
entreprise dy discerner quoi que ce soit.535
Chez Deleuze-Guattari, le logos nest pas celui qui permet le langage de lhomme
mais le langage de lanimal. Cest un logos o la synthse disjonctive (ou disjonction
inclusive) est le processeur principal, un logos qui nest pas ferm lirrationnel et
qui a une logique formule ainsi. Bref, cest le logos du chaosmos. Ici, le concept se
montre comme un compose de percepts et daffects. (QP, p. 154) Ainsi, il est pour
la plupart cre par des harmonies de ton ou de couleurs ordonnes ou dsordonnes,
lintrieur des affects de musique ou de peinture dans luvre dart. Ainsi, une
existence qui change de mode est problmatise, une manire dexister qui suspend
534
286
toute sorte de mode, qui a pour formule devenir tout le monde ou devenirimperceptible est projete. La question nest pas celle daimer tellement les
animaux ou de vivre avec eux. Dailleurs Deleuze marque le vrai devenir-animal
dans la nature sauvage comme il trouve le monde des animaux domestiques,
anthropomorphique.
Il ne sagit pas faire le chien, comme un vieux
monsieur sur la carte postale ; il ne sagit pas tellement de
faire lamour avec des btes. Les devenirs-animaux sont
dabord dune autre puissance, puisquils nont pas leur
ralit dans lanimal quon imiterait ou auquel on
correspondrait, mais en eux-mmes, dans ce qui nous
prend tout dun coup et nous fait devenir, un voisinage,
une indiscernabilit, qui extrait de lanimal quelque chose
de commun, beaucoup plus que toute domestication, que
toute utilisation, que toute imitation : la Bte . (MP, p.
342)
Les devenirs-animaux sont le deuxime quantum qui sarticulent au devenirfemme. Pourtant le point final pour tous va tre le devenir-imperceptible.
Limperceptible est la fin immanente du devenir, sa formule cosmique. (MP, p. 342)
Et cest en mme temps la destruction de lhumanit, la destruction de la subjectivit
humaine. Cest pourquoi Deleuze-Guattari veulent briser toutes les structures tablies
damener
la
dterritorialisation
dans
tous
les
strates,
en
problmatisant
Ibid., p. 13.
287
537
Ibid, p. 14.
Ibid, p. 14.
539
Ibid.
538
288
a.
Ain / Chronos
Deleuze naccepte pas le temps linaire. Son temps est lAin. 541 Cest en
540
Ibid.
Dabord il existe une dfinition comprhensive dans la 23 e srie de la Logique du sens (1969).
Lexigence dune tonalit double se montre dans la page 108 de la Diffrence et rptition (1968).
Avec Quest-ce que la philosophie (1991), on constate que le concept de surface est remplac par le
plan dimmanence dans llucidation du devenir. Ainsi, il se peut que lAin aussi soit recul une
distance secondaire comme le temps de la surface. Ce fut probablement le rsultat de linachvement
de la notion double de lAin/Chronos par Deleuze. Nanmoins, Ain/Chronos est encore la notion
qui peut tre la plus fertile dans le plan ontologique, avec ses connexions dHraclite, Nietzsche et du
Stocisme.
541
289
290
un temps mort, l o il ne se passe rien. (QP, p. 149) En ce sens, son rapport avec le
souffle vital sera virtuel. Or, ceci ne veut pas dire quil est ngligeable. LAin de
Deleuze par son opposition au Chronos et par sa destruction de la subjectivit
humaine au sens classique est en parallle avec Heidegger, mais possde un sens et
forme diffrente par lassomption de co-habiter lUn et le multiple, tant une
temporalit immanente au devenir.
Mme si lthique chez le Stoa est dfinie comme lie la Nature, en effet
tout est li lthique. Cette liaison explique les lois de lUnivers et du temps sous
forme dun enchanement :
1. Il ny a pas mieux que la justesse de la volont et mal que le vice.
2. Indiffrents sont tous ceux qui ne sont pas sagesse ou vice.
3. Ainsi pour lhomme sage, ni la mort, ni la pauvret est important. Car
ils nont aucun rapport avec la justesse.
4. Ainsi, aucune destruction (mort, corruption) qui se produit dans
lUnivers et chez les vivants est ncessairement mauvais. Cest
pourquoi lhomme sage na pas peur de la mort, il ne se cache pas
delle.
5. Comme le temps est en train de rpter ce fait cycliquement, lhomme
sage doit sabstraire du monde et du temps en coupant tous ses liens.
6. Il nattend aucune chose de lavenir. Il ne charge pas de sens au pass.
Cest pourquoi il vit dans le prsent (arrive lapathie : les principes
de srnit et ascse)
Deleuze-Guattari ne suit pas ces principes en tant que tels. Sil tait ainsi, ils
devaient atteindre lascse. Ce quils ont pris pour la base nest pas lthique du Stoa,
mais la cosmologie. A ce point, on peut dire que ces deux sont insparables. Or, en
tant que plusieurs concepts chez Stoa (comme indiffrence, ascse, le bien et le mal)
restent inconvenables pour le programme de Deleuze-Guattari, surtout Ain, devenir
et immanence sont convenables. Ainsi, comme cest le cas pour tous les autres
philosophies dont il avait emprunt les concepts, nous devons traiter les concepts
stoques aussi chez Deleuze, non pas dans leur propre forme, mais avec de nouveaux
connexions et une structure oprant avec des groupes de concepts.
291
Aether qui est aussi lme des animaux et des plantes dans le Stoa recouvre
tout lUnivers. Dans le Stoa, les lments passent de lun lautre comme chez
Hraclite par un processus dintensification et de rarfaction. Tout comme lapeiron
dAnaximandre (apeiron environne tout le monde), cette substance absolue et
indterminable aussi est lme de lUnivers. La dualit et la lutte des opposs qui est
toujours prsent chez Hraclite continue chez le Stoa mais lhomme sage ne se lance
pas lintrieur de cette lutte ; il se spare. Selon lanimalit, ladaptation de la
cosmologie stoque assure trois avantages pour Deleuze et Guattari : (1) Dieu est
dans la phusis ou elle est Dieu lui-mme. Ainsi, on peut en dduire quil existe un
morceau divin (substance, me) dans tous les tants vivants. (2) Le Logos de la
Phusis a la possibilit sunir avec le logos de lhomme. Il nest mme jamais
spar. Ainsi, il est possible de ne pas avoir une diffrence ontologique entre
lhomme et les autres tants. (3) La formation de la perception et sensation sarrange
non pas selon Chronos, mais lAin. Son tre sous forme dun deuxime temps en un
entre-temps rend possible limage du concept et de l, la naissance dune nouvelle
subjectivit.
Pour Deleuze, la conception de lEtre de Heidegger est pr-ontologique.
Puisque lontologie de Deleuze accepte la formule Etre = devenir. Selon cela, tous
les penseurs mtaphysiques qui expliquent le devenir doivent tre pr-ontologiques.
(DR, p. 188) Or pour Heidegger, Etre et devenir doivent tre spars. Cette
diffrence fondamentale se montre aussi dans la question du temps. Comme
Chernyakov souligne, lunit ekstatique chez Heidegger (unit ekstatique tripartite
pass/prsent/avenir) est lie au mouvement temporel du Dasein comme elle ne peut
pas rflchir en elle-mme.547 En consquence, llucidation de cette unit ou son
dcouvrement ncessite une transcendance dans laquelle Dasein comme ltant
humain va veiller la tonalit fondamentale.548
Heidegger remarqua deux questions centrales en traitant les catgories de
lEtre et ce quon appelle me chez les tants vivants : (1) ce que doit tre
547
292
293
294
Robert Sasso, Arnaud Villani (d), Le Vocabulaire de Gilles Deleuze, Cahiers de Noesis no.3,
Paris : Vrin, 2003, p. 41.
295
550
296
mme temps prsent. Alors, selon le problme du temps, le devoir du philosophe est
la dterritorialisation du maintenant. Et cela nest possible que par lAin. Ain
reprsente la dimension temporelle propre aux vnements ou devenirs purs. Et les
devenirs purs sont les effets de surface.
Lternel retour cach dans les quatre livres du Zoroastre trouve lexpression
chez le buffon, laigle, lne, le singe ou le serpent. Est-ce le Logos de la Phusis qui
parle ? Chez le Nietzsche de Deleuze, la volont de pouvoir nest pas vouloir le
pouvoir. La volont de pouvoir sous forme dintensit nest pas vouloir ou prendre,
mais au contraire donner et crer. Son nom propre est la vertu qui donne (ID, p.
167).552 Lanimal parle dans lhistoire du Zoroastre. Ceux qui sont faible viennent
la parole, ce qui est sans langage. Ici, les opposs se mlent dans le langage du muet ;
oui et non se mlangent. (ID, p. 169) En effet, lternel retour nest pas la ngation
ou llimination du temps. Il marque un temps non pas simple et rigide comme
certains soutiennent pour les philosophes antiques, mais paradoxalement (entre le
surhomme et Grand Ressentiment) qui contient la fois le cycle et le moment, cest-dire la permanence et la rptition. Ainsi on arrive Nietzsche comme la
rinterprtation dHraclite, et Deleuze comme la rinterprtation des deux par la
reproduction de ses concepts. A ce point, le paradoxe de lternel retour est un
champ des pures intensits. (ID, p. 169-70) Cette grande affirmation de laccident
fait venir la disparition des quivalences et la transformation aux autres sans nombre.
Dsormais, cest un monde des oscillations intenses. (ID, p. 171) Partant des tudes
de Klossowski sur Nietzsche, Deleuze porte la mort de Dieu, la dfaite de la
subjectivit et la disparition de lidentit personnelle comme une triple liaison au
problme du temps par lternel retour :
Lternel retour lui-mme est la seule unit de ce monde
qui nen a quen revenant , la seule identit dun monde
qui na de mme que par la rptition. (ID, p. 171)
Pour la destruction de la subjectivit, une cosmologie et temporalit sans Dieu
ou avec un Dieu immanent lUnivers est obligatoire. Si non, on ne peut schapper
ni de la religion, ni de la subjectivit humaine. Or, en nettoyant, brossant et effaant
552
La volont de puissance nest pas ce que la volont veut mais ce qui veut dans la volont :
Dionysos. (ID, p. 167)
297
553
298
299
Chez Nietzsche, le chaos universel qui exclut tout activit caractre final nest pas
contradictoire avec lide du cycle . Le seul prsocratique qui lavait ressenti est Hraclite. (N, p. 33)
300
valeur.555 Cela implique quil est possible de diviniser ce monde mais impossible
davoir un dieu hors de ce monde. De charger un sens au corps vivants et non vivants
dans le monde est la tche de lartiste. Il ny a pas de dieu qui a le pouvoir
dintervenir la tche de lartiste. Cela est impossible. Cette nouvelle image de la
pense avance du premier type de lordre social de lhomme 556 , vers le symbole
obscur qui va faire crire encore une fois la loi : le chien-feu .557 Lhomme est
lhomme domestique, il nest pas seulement homme mais moiti-homme, moitianimal. Cest le chemin pour lui passer une nouvelle image de la pense. Ici, on
dmontre la coexistence de lme animale et de lme humaine. Lhomme et lanimal
sont des zones ambigus. Ainsi leurs corps et mes doivent tre reprsents par des
zones dindiscernabilits et non pas par des divisions dfinitives. Quant la
comprhension de cette tre lun de lautre, on ne peut le comprendre que par le
retour ce qui est commun, cest--dire laccidentalit de la vie.
Le symbole profond et obscur de Nietzsche lie la volont de puissance comme
un lment gnalogique et diffrentiel qui rduit la qualit de la puissance et
dtermine le rapport de la puissance avec la puissance par un caractre double
(dtermine et est dtermin) au corps. La piti comme lamour de vie touffe le Dieu
et met lhomme ractif et la vie de ressentiment. Cest une vie ractive qui se
contente de soi-mme et qui prtend crer ses propres valeurs ; la vie nue qui na pas
de tolrance pour le tmoin.
Dieu stouffe de piti : tout se passe comme si la vie
ractive lui rentrait dans la gorge. Lhomme ractif met
Dieu mort parce quil ne supporte plus sa piti.
Lhomme ractif ne supporte plus de tmoin, il veut tre
seul avec son triomphe et avec ses seules forces. Il se met
la place de Dieu : il ne connat plus de valeurs
suprieures la vie, mais seulement une vie ractive qui se
contente de soi, qui prtend scrter ses propres valeurs.
(N, p. 172)
555
Vrit est apparence. Vrit signifie effectuation de la puissance, lvation la plus haute
puissance. Chez Nietzsche, nous les artistes = nous les chercheurs de connaissance ou de vrit =
nous les inventeurs de nouvelles possibilits de vie. (N, p. 117)
556
Dette : lhomme qui peut prendre responsabilit, qui peut prter. (N, p. 155)
557
N, p. 160.
301
302
chose que ltre ractif des puissances, il faut se dgager de celle-ci. Ainsi dit
Deleuze : Nous ne pouvons pas davantage suivre une interprtation comme celle de
Heidegger qui fait du surhomme la ralisation et mme la dtermination de lessence
humaine. (N, p. 194)
Lessence de lhomme est ltre-ractif des puissances et ici apparat en effet
un devenir-animal dionysiaque. Chien-feu comme un devenir-double : en tant que
lun est lillusion, lautre est la vrit. En annonant la mort de Dieu, Nietzsche
prpare la mort de lhomme. Dsormais, il ny a pas dgalit parmi les hommes car
ils ne sont plus face au Dieu. Et si Dieu est mort, il ny a aucun tmoin qui observe
lhomme.558 Selon le Nietzsche de Deleuze, si Dieu est mort, cela ne doit pas servir
la dtermination de lessence de lhomme, mais justement un anti-humanisme et
la cration du non-humain : le surhomme nest pas homme. Il ne sait pas vivre
aujourdhui, au prsent ; il vit dans lAin. Cest pourquoi il va matriser les petites
sagesses, les petits astuces, ambitionner et enthousiasmer le confort ; bref, il va
dpasser les modes de vie moderne et les sagesses dfinies comme tre humain
par les dispositifs de lEtat insists lindividu par le prsent et vivre au prsent.559
Quand il les dpasse, le chien-feu va dire la vrit ; il va tomber sur ce qui va ouvrir
la porte lau-del du bien et le mal, et ouvrir un nouveau monde.560 Puisque l,
lme et la vie qui est tranche au cur de la vie .561 Lloignement des masses est
en ce sens pour Nietzsche, le premier prcurseur de la destruction totale de la
subjectivit et la premire tincelle du devenir-animal chez Deleuze-Guattari.
Le rapport entre la sauvagerie et nomadisme de lhomme et de lanimalit se
forme ainsi. Ce qui est prfrable en lhomme et lanimal, cest la sauvagerie et
nomadisme.562 Cest en mme temps le nomadisme de la pense et de lme. Lme
en mouvement, la possibilit dune subjectivit humaine sans origine, dterritorialise
dans tous les coins de lUnivers, chaque moment du temps mais pas au prsent ;
elle doit tre cherche non pas chez Dieu ou les rois mais dans la vie et mort mme,
558
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Gandillac M., Paris : Gallimard, 1971, p.
307.
559
Ibid., p. 309.
560
Mais ce dont je suis matre et connaisseur, cest le cerveau de la sangsue voil mon Univers !
dans Ainsi parlait Zarathoustra, p. 271.
561
Ibid.
562
Vr. Deleuze, Abcdaire de Deleuze, A comme Animal .
303
dans le dsert, la fort, sur les sommets des montagnes. Cette dpassement des
valeurs va casser le cycle de la dialectique et va le rapporter au cycle ternel du
chaos et du cosmos dans la Nature, la permanence de la diffrence et rptition.
En ce sens, limage du dsert est souligne et affirme par Deleuze-Guattari.
Lveil dune vie intemporelle, sans tmoin et sans rgles fixes est train dtre cod.
Ce monde est plus profond et sensible quon croit.563 Cest un monde uni et attach
dans lequel tout est aim de nouveau par le temps ternel et en entier. 564 Enfin le
Zoroastre aussi trouve le sens du surhomme dans ce monde et le joint. Les animaux
ont dj aperu cela, avant les hommes. Les oiseaux volent autour du Zoroastre en
groupe, les lions restent prs de lui. Toutes ces choses durent longtemps ou peu de
temps ; car pour ces choses-l, il ny a pas de temps dans le monde.565
Le renversement de la relation des puissances arrive laffirmation aprs une
grande ngation. Une des conditions principales de laffirmation sont la ngation et
la destruction.566 Mme si Heidegger la russit, son affirmation est une illusion pour
Deleuze. Et son interprtation de Nietzsche avait perdu de lil, toute la dimension
critique de sa philosophie. (N, p. 211, note 1) Selon cela, voir chez Nietzsche la
dtermination de la relation de lEtre avec ltre humain comme la relation de lEtre
avec lEtre est une grande erreur. On constate que lun des motivations principales de
563
304
b.
Diffrence et rptition
Dans la prface de la Diffrence et rptition (1968), Deleuze cite Heidegger
dans le premier des causes marquant lhabilit du livre tre dans latmosphre du
temps : lintention de Heidegger de plus en plus vers une philosophie de la diffrence
ontologique. La raison de souligner ceci pour lui tait la voie oppose de Heidegger
mme sil concerne aussi le concept de la diffrence. Aller vers une philosophie de la
diffrence ontologique a une valeur ngative pour Deleuze. Car ceci implique
llucidation des diffrences ontologiques parmi les tants et de guider la pense et
laction partant de cette diffrence. Dune part, cest un problme spcifique
concernant seulement lontologique ; dautre part, il assige toute la philosophie
travers lontologie. Les diffrences qui vont tre prcises entre ltant humain et
ltant animal, lanimal et la plante, la plante et la pierre vont directement construire
une hirarchie dans les esprits. Or cela implique dabord la problmatisation de la
subjectivit humaine. Quant la constitution de la subjectivit, elle va se concrtiser
en liaison avec le concept de la diffrence.
La spontanit daujourdhui peut-tre chappe-t-elle
lindividu comme la personne ; non pas simplement
cause des puissances anonymes. On nous a maintenu
longtemps dans lalternative ; ou bien vous serez des
individu et des personnes, ou bien vous rejoindrez un fond
anonyme indiffrenci. Nous dcouvrons pourtant un
monde de singularits pr-individuelles, impersonnelles.
Elles ne se ramnent ni des individus ni des personnes,
567
305
(plan
dimmanence,
synthse
disjonctive,
empirisme
transcendantal)
7. Subjectivit (subjectile, schiz, sujet larvaire, machines dsirantes,
agencement)
Entre la premire et la dernire de ces topiques, on avance en effet sur une le
dans laquelle les deux sont la fois construites. Mais en mme temps, dans le survol
568
306
569
307
573
A ce sujet voir : Reinhard May, Heideggers Hidden Sources: East-Asian Influences on his
Work, London : Routledge, 1996. Et aussi Kim Jin, Heidegger and Buddhism, dition korenne,
2004, Graham Parkes (d.), Heidegger and Asian Thought, US : University of Hawaii, 1990.
308
309
essentia, la deuxime comme substantia. Cela nous donne exactement la diffrence entre ltant et
lessence dans la thologie mdivale. (Vr. Thomas DAquin, Ltre et essence: le vocabulaire
mdival de lontologie: deux traits De ente et essentia, trad. Libera, Michon, Paris: Seuil,
1996, pp. 15-17) Existentia qui est reu en rapport avec les racines actus, agere, actualis ; nest pas un
tre (res) qui existe actuellement (effectivit) mais qui est sous la main (handlich). Quant
lessentia, ele souvre en rapport avec morph, eidos, to ti en einai, telos et ousia. On peut parler
dessentia comme la forme, ce qui frappe ou lvidence. Heidegger arrive la conclusion que
lessentia et lexistentia sont ensemble dans la constitution du Dasein. (Vr. Martin Heidegger, Les
problmes fondamentaux de la phnomnologie, trad. Courtine J.-F., Paris: Gallimard, 1985, p.
129-135)
Exi-stance : sortie de la stabilit, passage au mouvement. Pour Aristote, lUnivers est en mouvement
permanent. Donc, ce qui est maintenant, nest pas un moment aprs mais ce qui est en train dtre
est le mme pour ltant (seiend). Ce sont les tats de ltre, de lUnivers changeant ; mais sa modalit
reste toujours la mme. Ainsi, la diffrence entre linfinitif et le substantif est cela : quand lun
exprime le prsent simple, dune manire transcendantale, lautre exprime le prsent (ce qui a eu lieu
ou va tre) dans ce monde. Si le sein (et seiend) est un tat dintentionnalit pour Heidegger, il doit
tre toujours en mouvement. On ne peut parler de lEtre au sens dexistence seulement comme ce qui
renat partant de soi-mme. LEtre est ce qui souvre dune manire permanente. Louverture de lEtre
est en effet louverture de lhomme. Car, ce qui apparat chez lui, est le seul tre qui est intentionnel.
En ce sens, lhomme est le fondateur du sens et de ltre au monde. Etant formateur de monde, Dasein
selon Heidegger semble ne pas inclure le non-humain. (Vr.. ibid, p. 135-141)
576
Hardt, Deleuze, p. 39.
577
Ibid., p. 37.
578
Zourabichvili, Deleuze : une philosophie de lvnement, p. 71
579
Ibid., p. 72.
310
cadre de la subjectivit : le prsent dure, par une dure qui a des trous mais qui ne
passe pas.580
Le cadre visuel de la subjectivit se forme par les actualisations des
diffrences. Or, ce fait donne sens non pas lactualisation mais au virtuel.
Linnovation de la sparation des multiplicits continues, des multiplicits
discontinues (Riemann) et la thorie de la relativit (Einstein) dans ltude de
llucidation de lUnivers donne un grand atout Deleuze pour la conceptualisation
du temps subjectif, partant de Bergson. Chaque diffrence spatiale est avec la mort
du moment, le devenir ou passage principal dun nouvel Univers. Or cela marque un
devenir qui est le produit des diffrences des multiplicits continues dans lequel
existe une temporalit relative au lieu dune temporalit linaire.581
En vrit, la dure se divise, et ne cesse de se diviser :
cest pourquoi elle est une multiplicit. Mais elle ne se
divise pas sans changer de nature, elle change de nature en
se divisant : cest pourquoi elle est une multiplicit non
numrique, o lon peut, chaque tage de la division,
parler d invisibles . (B, p. 36)
La dure comme une multiplicit marque la virtualit et de l, le concept de
lvnement et laccident en changeant sa nature en chaque instant. Ainsi que lEtre
gagne un caractre accidentel, la subjectivit trouve sa dfinition comme un flux ou
cadre variable dans lequel la diffrenciation continuelle sajoute lun sur lautre dans
linterprtation deleuzienne de la temporalit.
Il y a autre, sans quil y ait plusieurs ; nombre seulement
en puissance. En dautres termes, le subjectif, ou la dure,
cest le virtuel. (B, p. 36)
Le problme ici, nest pas la diffrence ontologique de ltant humain des
autres comme chez Heidegger, mais son devenir qui senracine des changements et
580
Ibid.
Le refus de lide dune quantit universelle mesure par toutes les horloges, appele temps
donne un nouveau modle dun Univers dans lequel tout est relatif, au lieu de limmobilit absolue de
lther et un temps mesurable et absolu. Ce modle nest pas totalement sans rgle ; au contraire il
sopre grce des lois infiniment complexes et accidentales. Deleuze dcrit lintret de Bergson aux
thories de Riemann et dEinstein, et de son importance dans le fait dunir ces thories avec le concept
de multiplicit. (Vr. Deleuze, Le bergsonisme, pp. 31-33)
581
311
582
Le devenir deleuzien est un verbe et non un substantif. Il faut parler de devenir linfinitif . Il
est toujours en bloc. Les devenirs sont des surfaces sur lesquels la philosophie nomade peut se glisser.
() Tout devenir passe par un devenir-molculaire Cest une virtualit qui ouvre la possibilit
des singularits par la capture de lanomal ou de lchappement du normal. Le devenir ainsi devient
un concept au-del de lontologie ; ainsi que Deleuze traverse et affirme lontologie dHraclite et de
Nietzsche. Pourtant, il ne se fonde pas sur celle-ci, puisque la philosophie nomade est une philosophie
sans fond. Vr. Sasso, Villani (d.), Le Vocabulaire de Gilles Deleuze, pp. 103-105.
312
Le Bergson de Deleuze nous montre que la vie est la mme chose que la
conscience. (B, p. 46) La vie devient la conscience de soi au niveau de ce qui est. De
l, apparat en fait, une dfinition de conscience pour tout tant. En prcisant la
description de la mmoire comme une existence virtuelle, ce domaine fertile dans
lontologie de la vie explique la distorsion ou compression pour lespace-temps qui
va permettre la comprhension de lUnivers, comme cest le cas dans la Thorie de la
Relativit Gnrale. La dure bergsonienne, finalement, se dfinit moins par
succession que par la coexistence : mmoire-contraction. (B, p. 56) LUnivers est
rempli de matire, lespace-temps la distorse. Cet acte de distorsion implique la
possibilit dune contraction et dilatation pour le temps. Dans ce cas, tout ce qui est
dans lespace-temps va tre soumis cela. Un temps relatif sous un mme principe
doit tre valable pour la temporalit perue par la conscience car tout est relatif ; on
ne peut pas sparer la conscience, lme ou lnergie vitale des tants vivants (lan
vital). Laccidentalit des petites particules 583 dmontre par la thorie Quantique
nous donne la connaissance de comment notre existence drive pour la subjectivit
de la plante, de lanimal et de lhomme dans un flux insparable, dun mme fond
par cette temporalit relative : Dieu joue aux ds. Deleuze insiste sur cela dans
son livre sur Nietzsche 584 : si on va parler dun dieu, cela doit tre le dieu de
laccident. Et cette accidentalit est valable dans tous les points de lUnivers sauf
deux (commencement-fin). Puisque les quations de relativit de ces deux sont
indfinies selon nos connaissances jusqu ce jour. Pourtant, dans tous les autres
points, la subjectivit humaine, animale et vgtale reoivent des compressions,
contractions et dilatations temporelles. La manire de percevoir et le niveau varie
dun vivant un autre, suivant les capacits de son corps, mais la richesse de son
monde ne diminue pas. Au contraire, il existe une perception et sensation propre
chaque espce ou sous-espce de vivant, et de l, une subjectivit propre. Cette
subjectivit peut rgler par exemple lexprience de vie dun papillon qui vit 3 jours,
la mme longueur perceptive que celle dun homme qui vit environ 70-80 ans.
Ainsi que chaque vivant possde la chance vivre des expriences tout fait
diffrentes lintrieur de la structure du Chaosmos par la possibilit assure suivant
laccidentalit propre soi-mme.
583
584
Si grande soit la certitude de la position dune particule, si petite sera la certitude de sa vitesse.
On avait trait cette question en dtail. Vr. N, chapitre I, section XI.
313
585
Chaque manire de penser va tre appele affect la mesure quelle ne reprsente rien. Et comme
il doit y tre une reprsentation de lobjet en chaque affect sans quil existe une rduction mme pour
les sentiments confus, mme laffect le plus complex suppose une ide. Vr. Gilles Deleuze, Cours
314
son tre une chose par soi-mme. Et cet tat, notre me en effet sopre par les
variations des affects : le rgime de variation.586 Mme si Spinoza nemploie pas ce
terme, Deleuze parle dune variation dans la subjectivit. Car une variation dans le
soi-mme signifie une force dexistence qui ne peut pas tre explique dans le
cartsianisme. Cette variation est en permanence ; elle est lexistence elle-mme.
(SPE, p. 210)
Ce lien construit travers Spinoza entre la spiritualit et la temporalit est
important pour lanimalit. Puisquil implique la possession de tous les tants qui ont
la vie, contre lhypothse que ces facults et proprits appartenant purement
lhomme peuvent tablir une subjectivit et une spiritualit avoir dune manire,
des affects (affectus), et ainsi une tonalit. Savoir si cest une tonalit fondamentale
ou non est un problme chez Heidegger, mais il nexiste pas dhypothse sur la
fondamentalit dune tonalit prcise chez Deleuze. Au contraire, paralllement au
flux infini de la pense sur les surfaces, son nomadisme, les tonalits aussi doivent
tre rhizomatiques, en mouvement permanent, plutt que dtre fondamentale.
La variation permanente de laugmentation et diminution de la puissance
(potentia) ou du pouvoir dexistence chez le Spinoza de Deleuze est dfinie par la
tonalit en musique : la ligne de variation continue. 587 Laffectus de Spinoza est
variation. Et cette variation est continue : de la puissance dexistence, la mesure
quelle est dtermine par les ides possdes. Laffection (affectio) tant le premier
des trois types des ides est ltre affect ou changement de ton dans ltat
quelconque, o notre corps est subi lacte dun autre comme la variation de la
puissance dagir. Cest--dire, laffectio est tonalit pour Deleuze tout comme elle
tait souligne dans la traduction de Martineau de lET, 29 (Le Dasein comme
affection Stimmung). Lentrelacement multiple (occursus) de laffection qui nest
pas adquate suivant nos ides confuses, un lien entre ce que nous disons les mes ou
substances avec un rencontre comme lentrelacement des ondes sonores. Ce lien chez
sur Spinoza (24/01/1978), cours profess le 24 janvier 1978, lUniversit de Vincennes, paragraphe
4-7. Page consulte le 10 Octobre 2013, http://www.webdeleuze.com/
586
Ibid., 14.
587
Ibid., 17.
315
Spinoza est le lien de lme/corps car me et corps sont insparables. 588 Le corps
dans linfinit des parties emploi seulement et seulement les affections (affectio)
dune manire fondamentale, opposant Descartes, comme la voie connatre les
corps extrieures. Cest le refus de toute possibilit de Cogito.589 Lexcellence directe
du premier homme cre est remplace par lintensit de la puissance (potentia) pure :
dsormais, le niveau de lexcellence est le mme pour lhomme, lanimal, le vgtal :
avoir la vie. Or leurs puissances finies sont dtermines suivant leurs avoir de
laffection.
Quest-ce qui distingue une grenouille dun singe ? Ce ne
sont pas des caractres spcifiques ou gnriques, dit
Spinoza, cest quils ne sont pas capables des mmes
affections. Donc il faudrait faire, pour chaque animal, de
vritables cartes daffects, les affects dont une bte est
capable. Et pareil pour les hommes : les affects dont tel
homme est capable. ()590
Clairement, la race ou genre humain na pas dimportance pour Spinoza, car dit
Deleuze, ce quil voulait vraiment faire, ntait pas plus que de dfinir lessence de
quelquun dune manire intense.591 Que ce soit un homme ou un animal, cela na
aucune valeur : ce qui est important est seulement lintensit. Ces intensits avancent
par des variations travers laffection (affectio) dans une structure accidentelle
probabilit et complexit infinie, jamais conue par Descartes. Selon ceci, laffection
possd par chaque tre vivant lui attribue force en donnant la possibilit de mettre la
vie du potentiel lactuel. En effet, grce cette force, tous les tants se mettent en
rapport, forment des zones proches ou loignes par rapport eux et de l on peut
parler dune harmonie ou disharmonie entre eux. Cest justement la tonalit ou
affection entre les mes ou les substances, et selon Deleuze en partant de Spinoza,
elle peut tre explique la mme manire quon explique lharmonie et la
disharmonie entre les ondes sonores, non seulement pour le Dasein, mais pour tous
les tants. En ce sens, la philosophie essaie dexpliquer lharmonie et la disharmonie
pour les tants vivants, avec ses implications dans limage et dans le son, lintrieur
dune zone o il est possible de penser ensemble lanimalit et la musique.
588
La thorie de quest-ce que cest quun corps, ou bien une me, a revient au mme, elle se
trouve dans le livre II de lthique. Ibid., 38.
589
Et en mme temps un ani-christianisme. Ibid., 42.
590
Ibid., 48.
591
Ibid., 51-52.
316
Dsormais, la philosophie nous explique lEtre et le devenir, non pas sous forme
dune morale mais dune Ethique, cest--dire un problme (en posant la question de
que pouvons-nous ? ) de puissance (potentia). Il le fait comme Spinoza, en
tudiant les variations les plus ambigus de lme :
Une philosophie, cest une espce de synthtiseur de
concepts, crer un concept ce nest pas du tout de
lidologie. Un concept, cest une bte.592
Ainsi, la philosophie sapproche lanimalit la mesure quelle apprend
crer les concepts conformment au sumbebekos et au Chaosmos. De faon que la
nouveaut parue par la redfinition temporelle de la subjectivit devienne une
subjectivit qui permet la possibilit marquer et concevoir tous les sujets comme
des uvres dart. Les tapes thiques et esthtiques de la transformation ralise par
Deleuze travers lanimalit sont acheves. En plus, apparat un cycle du devenir
dans lequel les qualits communes et diffrentes dans les mes rendent la crativit
permanente lintrieur dune diffrence et rptition permanente. Ici, dans le gros
plan, Dieu, tant lentier de lUnivers comme une cause est cristallise sous un cadre
trs proche au panthisme par Deleuze et complte son ontologie. 593 Lintensit ou
limite de lintensit comme lessence singulire de chacun de nous donne la quantit
intense dans le monde des essences. Suivant cela, ce qui nest pas en moi ne me
manque pas. Nappartient mon essence, en effet, que laffection que jprouve ici et
maintenant. 594 Donc, la dfinition de lessence donne un devenir permanent avec
laffection. L, lexcellence aussi selon sa diffrence, est lie linstant : comme
chez Bergson, la relativit de linstant lucide limpossibilit dune diffrence entre
lhomme et lanimal suivant la substance, et la subjectivit reoit une dfinition
propre la structure connue de lUnivers partant de la perception et de la sensation.
A la lettre du texte : les essences sont ternelles, mais les
appartenances de lessence sont instantanes ; nappartient
mon essence que ce que jprouve actuellement en tant
que je lprouve actuellement. Et en effet, la formule je
suis aussi parfait que je peux tre en fonction de
592
Ibid., 52.
Ibid., 71.
594
Gilles Deleuze, Cours sur Spinoza (20/01/1981), cours profess le 20 janvier 1981, lUniversit
de Vincennes, 8 Page consulte le 10 Octobre 2013, http://www.webdeleuze.com/
593
317
Ibid., 9.
Ibid., 18.
597
Lorsqu'on parle d'une thologie propos des animaux, ou propos de l'homme, il s'agit de quoi ?
L'thologie au sens le plus rudimentaire c'est une science pratique, de quoi ? Une science pratique des
manires d'tre. La manire d'tre c'est prcisment le statut des tants, des existants, du point de vue
d'une ontologie pure. Gilles Deleuze, Cours sur Spinoza (21/12/1980), cours profess le 21
dcembre 1980, lUniversit de Vincennes, 2, page consulte le 10 Octobre 2013,
http://www.webdeleuze.com/.
596
318
598
319
Ibid., 17.
Lobjectile au lieu de lobjet comme dans le dressage des tables linaires et numriques de Leibniz
afin de garnir les parois intrieures des monades. (P, p. 38)
604
Deleuze, Cours sur Spinoza (21/12/1980), 18.
603
320
Ibid., 18-19.
321
permanente comme une ligne abstraite agissant directement sur lme. (DR, p. 44)
Cest la structure du chaos et du cosmos la fois ; la structure de lindterminable.
Dans ce systme, la problmatique est renverse : lhomme tel que la subjectivit
moderne le domine, nest plus le centre, le juge ou le fondateur. Il nest plus
larchitecte du systme parfait expliquer le tout de lEtre. Lanimal nest plus le
monstre, lindsirable, ce qui doit tre contrl. Lhomme qui est un des crateurs de
rptition lintrieur de la Nature, pour la Nature, ne doit pas dominer la Nature
mais la glorifier. Il ne doit pas sparer ou isoler ce qui est indterminable mais
rechercher la nature de laccident (sumbebekos) dans sa participation lordonn.606
Ainsi le visage actuel de lhomme peut se dcomposer : il peut perdre sa forme afin
de dfaire la subjectivit humaine qui, par son logos, a fait de la Nature et de soimme un esclave. Ce serait une autre phase de linsomnie de la Raison, pas la perte
de tout ce qui dcoule de la civilisation humaine mais son dpassement vers une
pense sans vitesse ; une subjectivit sans visagit. Lanimalit, dans son rapport
unilatral avec lindtermin peut guider lhomme au Logos de la phusis, par le
devenir-animal .
Quand le fond monte la surface, le visage humain se
dcompose dans ce miroir o lindtermin comme les
dterminations viennent se confondre dans une seule
dtermination qui fait la diffrence. Pour produire un
monstre, cest une pauvre recette dentasser des
dterminations htroclites ou de surdterminer lanimal.
(DR, p. 44)
La diffrence et la rptition, telle quelles sont dans la phusis ne sont pas des
monstres. Ce sont au contraire, les codes ultimes de lharmonie de lUn et du
multiple, lharmonie dans lindterminabilit. La diffrence et la rptition pour
Deleuze, sont les deux concepts qui nous rappellent que cest laccident
(sumbebekos) qui possde la diversit et laltrit infiniment : laccident dans
lessence ou dans la forme est la diffrence essentielle. (DR, p. 46) La philosophie de
la diffrence a donc pour objectif, darracher la diffrence son tat de
606
Ce nest pas lanimal qui est un monstre mais lhomme comme une surdtermination de lanimal.
La diffrence donc, nest pas le monstre contre le savoir de lhomme mais la cl la comprhension
complexe de lUnivers, cest--dire la comprhension du chaos et du cosmos. (DR, p. 44).
322
c.
Cosmos/Chaos
Pour llucidation du chaos et du cosmos, Deleuze se base sur Nietzsche : il
mne la thorie du devenir quil explique dans les concepts de diffrence et rptition
une affirmation par lternel retour. Il invente du terme Chaosmos de Joyce utilis
dans Finnegans Wake (1939), un nouveau concept : 608
607
323
609
3500 ans avant notre re, ceux qui utilisent le mantra comme gurison suivaient le Zoroastre, cest-dire la lumire dor . Cette croyance suppose le conflit ternel du principe du bien et du mal. Le
principe du bien nomm par les perses Ohrmazd (Ahura Mazda), Hrmz chez les mongoliens et les
turcs est une figure commune dans toute lAsie. Le combat permanent entre le bien et le mal est
prsent dans le Bouddhisme de lInde et du Zen, aussi bien que le Taoisme. On assume quil existe au
fondement de cette pense, des racines Chamanes. Dans la doctrine du Zoroastre, la loi infinie (Aa)
qui force la cration avancer vers Dieu (le bien), considre la vie comme une tentative permanente
marcher sur ce chemin. Le conflit ternel de deux mes est ncessaire pour crr et faire durer
lUnivers. La cration de la vie et de la non-vie se fait toujours par ce conflit ternel. Les choix
propres de lhomme se mle avec la loi qui le dtermine (Urwan) et mne lindividu dans une voyage
vers le bien mme sil fait des choix mauvais. Le message du Zoroastre est li avec laction : lacte
qui aide lme belle et qui dfait lme mauvaise. Tout dpend des choix de lindividu ; la force divine
est dans ses mains. Vr. Mehmet Korkmaz, Zerdt Dini: ran Mitolojisi, ( Le Zoroastrisme:
mythologie iranienne ), Istanbul : Kum Saati, 2012, p. 43-45, 50, 51, 58.
324
Si on dit quil peut y avoir un rapport de signification forte sous forme de tonalit ou affection pour
la substance compose de lme/corps, on peut penser un rapport de signification faible entre les
tants non-vivants (matire/onde) et les vivants.
611
Dans le Time, Platon parle de deux mes pour lhomme. Lune est lme humaine qui participe le
logos, lautre est lme animale qui abrite les passions, dsirs et plaisirs qui nous empchent de
penser. (Platon, Time, 70e-71d, uvres compltes) Vr. aussi la note de Deleuze sur le plissement
des formes dans le Time et dans la Rpublique. (P, p. 53)
325
326
lme est trs profonde ; et le logos cosmique trs tendu.616 En ce sens, la sagesse
est de concevoir lUnivers comme Chaosmos. Le fonctionnement de lme se fonde
sur lordre et laccident ; car la meilleure harmonie est ne de la lutte des opposs. En
ce sens, un devenir sous forme de ltre-avec est plus conforme pour le Dasein dans
la catgorie existentielle dfinie par Heidegger, la substance premire qui rgne
tout ou au Logos. En ce sens, la pense du devenir et de limmanence de DeleuzeGuattari comme une unit en opposition, semble tre plus proche Hraclite que
Heidegger.617
Le plus grand destructeur dans lhistoire est Nietzsche. Deleuze adapte cette
destruction comme un anti-humanisme et une opposition lanthropocentrisme. Car
rsister contre une pense centralisant lhomme est dfendre en mme temps lordre
immanent de lUnivers. De cette faon, Dieu est mort, la subjectivit aussi, et le
monde construit en cohrence avec eux est dtruit. (LS, p. 206) Cette destruction
clbre le retour au concept de lindividu.
Pour Deleuze, aucun philosophe antique na pu atteindre la pense de pur
devenir ou ses possibilits sauf Hraclite. (N, p. 53) Le concept de pur devenir se
glisse alors sur les traces dune telle ontologie et saute Nietzsche. Linterprtation
combinatoire de Deleuze sur Hraclite et Nietzsche devient visible partir de la
doctrine de la diffrence et la rptition ( rien ne se rpte jamais vraiment
lidentique 618 ) comme la proclamation dune innovation gnralise par cinq
propositions :
616
Hraclite, Fragments, Diels, 45. Limportant nest pas de savoir beaucoup de choses, mais
adquatement la structure de lUnivers. (ibid., Diels, 32, 37, 40, 41) Cette profondeur et ampleur
diffuse lUnivers entier (microcosmos et macrocosmos), la spiritualit dans le devenir sous forme de
logos. Ainsi, ltat de flux pout tous affirme la relation du temps et de ltre dans le devenir et fait
sensible pour lme, lharmonie des opposs (tonalit-atonalit). (ibid., 51, 52) Lharmonie invisible
est mieux que lharmonie visible. Et lharmonie de lme est invisible.
617
Hraclite, Fragments, 54, 57, 64, 67, 67a. Le feu (pyr) et lme (substance) au fond du chaos et
du cosmos doivent tre un dans le corps comme lunit du jour et de la nuit. Et la dfinition de ce
devenir doit tre non pas seulement selon la raison de lhomme, mais selon le Logos commun
lentier de lUnivers et au hasard qui lui est immanent.
618
Que ce soit dans la psychanalyse (Freud, Lacan), lanthropologie (Lvi-Strauss), la linguistique
(Saussure), la littrature (Beckett, Carroll, Lawrence, Klossowski), biologie (Simondon, Uexkll) ou
de sociologie (Tarde), les rsultats seront les mmes. Diffrence et rptition chez Deleuze de
Streicher F., in Sciences humaines No Spcial Foucault, Derrida Deleuze : Penses rebelles No 3,
Mai-Juin 2005, p. 2-3 (du texte).
327
619
Pour que la question de lanimal puisse se glisser sur une ontologie hraclitenne, on doit tudier
les cinq propositions ci-dessus. (1) Lharmonie de la nature (Logos) est le principe de tout (ta panta).
Elle gouverne tout. (Pour la dfinition du devenir chez Hraclite : vr. les fragments 8, 31, 36, 12, 49a,
51, 60, ibid.) (2) Chez Hraclite, lEtre et lexistence sont un flux. Cest le flux qui se recommence
toujours en ne se rptant jamais : le flux de la vie. (fr. 49a) Nous sommes et nous ne sommes pas :
singularit linfini. Ce cycle se rpte chaque moment et dans chaque moment. Donc, il ny a pas
dEtre unique et permanente. Ce qui est lEtre (en permanence), est le changement des tants
(devenir). (3) (fr. B30) Ce nest pas possible dexpliquer ou de savoir LEtre (devenir) absolument.
Cest parce quil possde le chaos aussi bien que le cosmos. Il est la fois lordre et le dsordre.
Donc, il sera une erreur de nommer le monde comme cosmos . LEtre abrite le chaos : il est le
cosmos qui existe dans le chaos. Tel est aussi ltat du monde en entier. Tel est ltat de la Physis
dont certains philosophes essaient donner un ordre complet. La physis a son ordre propre dans le
dsordre (ambigut), dans les lois de laccident (sumbebekos) qui ne peut tre expliqu que par son
logos propre : lharmonie de la nature (Logos) comme principe de tout. (4) (fr. B16, B124) Entendu
comme lunit du chaos et du cosmos (de lordre et du dsordre, du logos et de la physis, de ltre et
du non-tre), le cosmos est indterminable. Il possde toujours des zones dindiscernabilits, des
zones obscures ou insaisissables. Cosmos comme lharmonie qui abrite le chaos : lharmonie de
lindterminabilit. Vr. chapitre II, section II, c. Ainsi, le cosmos (ou le chaosmos) ne se donne pas
lil. Il se cache, reste ambigu cause du sumbebekos. La question de lanimal aussi est une zone
dindiscernabilit comme cest une question concernant lhomme et lanimal la fois et
insparablement. (5) Lme (psych) est le microcosmos et microchaos. (fr. B30, B59) La psych est
la substance vivante qui est le modle de lEtre. Toute psych possde donc la fois le cosmos et le
chaos lintrieur (lordre et le dsordre, logos et physis, tre et non-tre). Comme toute psych est un
microcosmos et un microchaos, lhomme et lanimal sont aussi un microcosmos et un microchaos.
Voici donc, les traits dune ontologie hraclitenne chez Deleuze.
620
Cest la mthodologie de Nietzsche. Gilles Deleuze, Conclusions sur la volont de puissance et
lternel retour , dans Nietzsche : Colloque de Royaumont, Paris : Minuit, 1967, p. 276.
328
329
624
625
Ain est le temps de Dionysos, le dieu du temps ternel dans la mythologie grecque.
Sasso, Villani (d.), Le Vocabulaire de Gilles Deleuze, pp. 41-44.
330
Ain
( extra-tre )
dimensions du temps
Figure 2.9
626
Friedrich Nietzsche, La naissance de la tragdie, trad. Heim C., Paris : Gonthier, 1964, p. 21.
Ibid, p. 36.
628
Deleuze comme Nietzsche, est la recherche dune forme dintemporel qui ne serait ni lternit
(labsence de temps) ni la sempiternit (la permanence indfinie dans le temps dune nature ou
structure). Il lui faut pour asseoir lintempestif, prsent en toute cration, un troisime terme entre le
temps historique et lternit. [Sasso, Villani (d.), Le Vocabulaire de Gilles Deleuze, p. 41]
627
331
629
332
632
333
d.
Plan dimmanence
Deleuze critique Heidegger le plus pour son erreur sur le nazisme. Le problme
ntait pas seulement dtre persuad par une idologie. Il existe plusieurs autres
philosophes ou artistes baisser la tte pour des fautes semblables. Le vrai problme
de Heidegger comme beaucoup dautres, cest son dsir dune puret philosophique.
Pour Deleuze, ce que lart et la philosophie appelle sont les oppresss, les misrables,
les nomades, ceux qui sont sans noms, sans ttes. Le philosophe crit aussi, pour
les animaux (pour les femmes, les homosexuelles, les fous) : ses mots sont pour
dcrire ce qui na pas de nom, devenir le langage du muet.
Car la race appele par lart ou la philosophie nest pas
celle qui se prtend pure, mais une race opprime, btarde,
infrieure, anarchique, nomade, irrmdiablement mineure
ceux-l que Kant excluait des voies de la nouvelle
Critique Artaud disait : crire pour les analphabtes
parler pour les aphasiques, penser pour les acphales. Mais
que signifie pour ? Ce nest pas lintention de ,
ni mme la place de . Cest devant . Cest une
question de devenir. Le penseur nest pas acphale,
aphasique ou analphabte, mais le devient. Il devient
Indien, nen finit pas de le devenir, peut tre pour que
lIndien qui est Indien devienne lui-mme autre chose et
sarrache son agonie. On pense et on crit pour les
animaux mmes. On devient animal pour que lanimal
aussi devienne autre chose. (QP, p. 104-105)
Cest une question de devenir. Le philosophe nomade ne vit pas la puret
lintrieur dun devenir permanent, mais les divers modes du devenir dans la
pluralit. Cest pourquoi, la philosophie aspire ramener la volont de puissance la
Nature, la puissance de la vie elle-mme. Il y existe dj une multiplicit qui
savance sur la coexistence du chaos et du cosmos. Cette multiplicit nous donne les
devenirs lintrieur du plan dimmanence et les concepts au niveau plus haut et plus
bas de ces devenirs (devenir-schizo, devenir-femme, devenir-animal) comme des
manires de subjectivit. Ainsi, une immanence dans laquelle la transcendance peut
334
tre possible nat en lhomme, lanimal et le vgtal ; dans tout tant vivant
sparment comme la possibilit de la cration.
Le concept du plan dimmanence dfini par Deleuze est prsent en effet depuis
son conceptualisation dune nouvelle subjectivit partant de la perception et de la
sensation chez Hume, par le principe de la diffrence. (ES, s. 86-88) Nomm plan
dimmanence ou planomne , ce concept est limage rendre possible la pense.
(QP, p. 38)
Le plan dimmanence nest pas un concept pens ni
pensable, mais limage de la pense, limage quelle se
donne de ce que signifie penser, faire usage de la pense,
sorienter dans la pense. (QP, 39)
Cette imaginalit, la tentative dfinir et saisir la pense partir de limage, cre
une ontologie dans laquelle la mtaphysique aussi peut exister lintrieur dune
immanence, o il est possible darriver une transcendance sans avoir surpass les
puissances de la Nature. Ds que laccidentalit est active au moins comme lordre,
la relativit du temps sera son tour active dans la cration de soi de la subjectivit
des tants. Ici, autant que la relation de matire-temps et matire-mouvement, la
relation de lordre-temps et de londe-mouvement est aussi importante. Cela a des
consquences pour les tants vivants, aussi que pour les tants non-vivants. Donc,
selon Deleuze, le plan dimmanence a deux faces : Phusis et Nos. Il sera une erreur
de limiter la vitesse de la pense en la rduisant dun part, purement lordre en
recherchant la signification du mouvement, vitesse infinie des atomes dans
lespace-temps de lautre. Tout comme latome, le mouvement de la pense est aussi
la vitesse infinie ( la vitesse de la lumire) et le plissement de lme avance selon
une chaode infinie.
Le plan dimmanence a deux faces, comme Pense et
comme Nature, comme Phusis et comme Nos. Cest
pourquoi il y a toujours beaucoup de mouvements infinis
pris les uns dans les autres, plis les uns dans les autres,
dans la mesure o le retour de lun en relance un autre
instantanment, de telle faon que le plan dimmanence ne
cesse de se tisser, gigantesque navette. (QP, p. 41)
335
635
336
Volont dordre
Chaos
variables infinies
qui se rencontrent
Unification
Fragmentation
Figure 2.10
* *
zone
* * *
* *
dindiscernabilit
(concepts)
coordonnes
Figure 2.11
Ces concepts sont librs par Deleuze de lil humain et de tous les autres
yeux conformment la thorie de cin-il de Vertov. De sorte quau-del de la
forme reue par les sens de lhomme, la perception a dsormais une entit en soi-
337
mme : perceptile. Ici, il devient possible pour la machine crer ses dimensions de
lespace-temps, avoir une perception propre soi-mme et la puissance delle.
Pourtant par addition, chaque tant vivant comme un cin-il, cre la perception
dun monde propre soi, le vit et fait ses choix vitales suivant ceci. Alors, il existe
un rapport entre le flux des images dans le cinma et le flux de la vie du passage du
perceptile au subjectile. Le cinma comme un agencement ou une machine est une
possibilit saisir les mondes des autres existences pour nous, non pas seulement en
copiant notre propre yeux, mais aussi ceux des autres dans la perception et sensation.
Cette possibilit donne sens ltat relatif de la subjectivit comme dans la thorie
dUexkll, travers la perception et la sensation.
Laspect dcisive dUexkll, non seulement pour la biologie, mais pour lentier
de la question de lhomme et de lanimal fut dutiliser les thories philosophiques
formes expliquer les principes de la perception, sensation et raison, du
fonctionnement de lme et de lintellect afin de comprendre le monde animal.636 Ce
biologiste estonien pensait que les tants organiques et inorganiques dans la Nature
agissent en harmonie selon un plan. Et la Nature devait se former suivant ce plan. Il
croit pour les tants vivants ltude horizontale de lespace et du temps,
contrairement ltude verticale de Darwin.637 Partant de lide que le sens qui va
permettre dfinir la vitalit se cache ici, il essaie dexpliquer les mondes des tants
vivants par des notions directement lies la musique : ton, rsonnance, harmonie.
Pour lui, tous les animaux, des micro-organismes jusqu lhomme possdent le
pouvoir discerner le sens. Limportance de cette supposition est dtre la
supposition principale sparer lontologie de Heidegger et de Deleuze. 638 Dautre
part, elle fonde une structure extrmement fertile pour le plan dimmanence de
Deleuze.
Dans son livre Theoretische Biologie (1920/28), en tudiant la question de
comment le temps et lespace est peru par les animaux, Uexkll arrive une
conclusion : chaque animal est un sujet.639 Nous la constatons quand nous saisissons
636
Vr. Jacob von Uexkll, Theoretical Biology, trad. Mackinnon D. L., Edinburgh : The Edinburgh
Press, 1926, chapitre I et II.
637
Buchanan, Onto-Ethologies, p. 8.
638
Ibid., p. 12.
639
Uexkll, Theoretical Biology, p. 126.
338
lUmwelt ou le monde-autour qui est lunit de trois mondes. 640 Le nombre des
Umwelt est gal au nombre des animaux. Cest--dire chaque animal a un monde
propre de signification. Selon Uexkll, lauthenticit du monde drive dabord des
manires de percevoir. Chaque animal a un organe perceptif (Merkorgan) diffrent.
Cest pourquoi, leur totalit de perception et sensation reue sur leur autour doit tre
diffrente. Deuximement, la sensation des organes perceptifs dans le monde interne
(Innerwelt) peut diffrer. Cest pourquoi un signal arrivant lorgane perceptif ne
reste pas le mme quand il passe de l lorgane actantiel (Wirkorgan). Enfin, le
signal qui sort de lorgane actantiel peut se transformer en actes changer le monde
extrieur et ainsi apparat un monde de signification. Chaque animal, du microorganisme le plus simple lhomme, a une perception et sensation, un monde interne
partant de cette perception et sensation et un monde actantiel quil peut transformer
par le sens produit partir de son monde interne. Ainsi, selon la thorie dUexkll,
chaque animal du simple au complexe est en effet capable former un monde par le
mme cycle et il le fait en acte.641 Or, si les rapports internes et les rapports entre ces
mondes ne sont pas assez compris, on peut en dduire que ce nest quun monde sans
signification ou une privation de monde. En ce sens, la thorie dUexkll suppose
des mondes relatifs, qui peuvent possder des rapports infinis pour des tants vivants
qui diffrent en temporalit et dans la manire dtre, mais qui sont le mme en
termes dessence ou de substance, ou plus exactement parmi les tants vivants pour
lhomme et lanimal, adquatement lapproche ontologique de Deleuze-Guattari.
Ici, la multiplicit est affirme lintrieur de lunit, la vitalit qui a son
commencement et fin dans le devenir lucide la source de la production de signe
dans le plan dimmanence sous forme de lunit de lme et du corps. Dautre part, la
question de si lhomme a une diffrence de lanimal sefface, puisque comme un
nouveau concept incluant le devenir dHraclite et de Nietzsche dans certaines
mesures, le concept du devenir deleuzien donne chacun des tants vivants
percevoir leur autour, sentir, produire de sens et dtre sujet suivant les capacits de
leur corps. Ici, le principe de la vie est unique, et ce principe (me ou substance)
existe dans chaque corps vivant de mme faon. Cest pourquoi le saut ou passage du
peintre ou du musicien qui fait luvre passer du chaos au composition et le saut de
640
641
339
mthode dun corbeau ouvrir la coquille de noix drivent tous les deux, du logos de
la phusis. Appartenant au mme logos, ils sont lis au sumbebekos en produisant des
diffrents temps perceptifs et signes perceptifs.642 En ce sens, ce sont eux qui forment
le mystre et lambigut du chaosmos. Lexistence des diffrences entre lhomme et
lanimal en termes de raison, affection ou pulsions, la supriorit de lhomme dans
les facults de penser et de synthtiser ne doit pas dire quil faut le mettre
ontologiquement dans une catgorie suprieure. Cest tout au plus, la comprhension
des structures au niveau micro lintrieur de larchitecture fractale comme le pli
chez Leibniz avec lunit du chaos et du cosmos, du Logos et du Nos.
Expliquer lme/corps spcifiquement comme onde/matire dpend
llucidation de la temporalit et de la subjectivit. Cette explication peut tre par
exemple en musique qui a la forme donde comme lme. Rappelons la question de
Nietzsche : quel est le rapport de la musique avec limage et le concept ? 643 Le
musicien dionysiaque est sans aucune image, la premire amertume et son cho.644
Vue comme lhistoire du monde, la musique est un langage hautement gnral,
mme que la relation de ce langage avec la gnralit des concepts est presquau
niveau de la relation des concepts avec les objets. Pourtant, la gnralit de la
musique nest certainement pas cette gnralit vide de labstraction ; elle est tout
fait dun autre type et lie avec une dterminabilit entirement nette. 645 Dans ces
lignes crites sous linfluence de Schopenhauer, Nietzsche suppose que les concepts
sont universalia post rem (aprs la chose) et la musique universalia ante rem
(avant la chose). Cest elle en ce sens qui va donner la vrit des choses.
Deleuze dfinit luvre dUexkll comme une thologie des affects . 646
Selon cette dfinition, la pense deleuzienne possdant des rapports intenses de
concept avec Leibniz et Nietzsche en termes de lontologie gnrale avance vers
Spinoza en termes de lontologie de la vie ; il lit Uexkll et Spinoza ensemble. (SPP,
p. 167-68) En dfinissant lthologie comme une recherche des affects, Deleuze
dmontre que la Phusis ne donne aucun privilge dans la distribution des affects.
642
340
Cela implique mme que le vivant qui a le moindre affect comme la tique possde la
force de vie autant que lhomme. Cest parce que la temporalit et subjectivit existe
en chaque vivant dans des manires diffrentes et que chaque vivant peut avoir en
consquence, un monde-autour (Umwelt) qui lui est propre.
Lunit du chaos et du cosmos qui rside dans la structure de lUnivers
fonctionne de mme manire dans la structure de la vie. On ne peut comprendre
dynamiquement les capacits dun corps vivant quen observant les transformations
de laffection. Cest pourquoi en dfinissant lthologie comme une recherche des
affects, Deleuze dcrit un devenir pour la plante et mme pour la pierre aussi bien
que pour lhomme et lanimal. Ce devenir affirme la vitalit, mais il ne le sanctifie
pas. Il importe les forces de la vie mais il ne les prend pas absolu. Ainsi, mme si un
effet transcendant sur la vie est absent, la possibilit remplir ce vide
paradoxalement par une transcendance (cration) dans le plan dimmanence est
toujours prsente. Cest justement la plus grande force attribue la vie par Deleuze :
diffrence et rptition.
La ncessit dans la rflexion deleuzienne que chaque vivant doit tre la mme
en termes davoir la vie et de l, la crativit dune plante ou dun lopard est autant
significatif que la crativit de lhomme dcoule de l. Ici, lontologie est produite
par les concepts ; et les concepts par la communaut de tous les tants. Ainsi,
Deleuze affirme cette communaut en sopposant Heidegger. Le pote crit son
pome en regardant une fleur, le langage est le sien mais ce qui vient la langue est
la fleur : le langage du muet. Mme si cette structure double est prsente chez
Heidegger, et mme sil se pose la question de lanimal encore et encore travers
Uexkll, von Baer et les dveloppements dans lthologie au cours des CFM (1929),
la fin le rle cl du Dasein dans la question de lEtre reste le mme jusquau Kehre.
Or, selon Deleuze la possibilit de lart, les sciences et la philosophie ne dpend pas
seulement de la production de sens ou du logos de lhomme, mais en plus la
sanctification de son propre logos et la ngligence du Logos commun de la phusis
rend impossible la comprhension totale de la structure de lUnivers, et le flux de la
production de concept perd sa vitesse.
341
649
essentiellement faire est une ontologie quantique, dpassement des corps actuels ou
bien le passage lau-del de lontologie.650 Dans une thorie du devenir qui avance
par des structures changeantes au lieu des substances absolues, le dpassement de
lactuel a des consquences esthtiques. La formule de lesthtique ngative est le
corps sans-organes comme lau-del de lontologie. Pourtant, elle ne nie pas ce plan
dimmanence pure. Elle existe toujours en elle. En ce sens, les forces actuelles et
647
Heidegger aussi naccepte pas ces divisions mais le Dasein comme catgorie existentielle semble
discerner lexistence de lhomme de lanimal dans lanalyse terminale.
648
Multiplicit da lorigine ou lorigine qui ne peut pas tre rduite lun : comme souligne
Zourabichvili, le concept de complication soppose la souverainet recule de lUn, porte le multiple
lorigine sous une indiscernabilit spcifique ou la condition dune inclusion. Vr. Zourabichvili, Le
Vocabulaire de Deleuze, p. 14-15.
649
Beistegui et De Landa, vr. Buchanan, Onto-Ethologies, p. 161.
650
Ibid.
342
343
344
345
657
346
658
Charles Darwin, On the Origin of Species, 6e edition, London : Feedbooks, 1872, p. 58.
347
Ainsi on peut expliquer les transformations de lorganisation et des instincts travers les
diffrences individuelles. Les dviations utiles dans la structure et dans linstinct forment un processus
dvolution avec la participation, cest--dire la diffrence et la rptition. Troisimement, il est
dmonstrable selon Darwin que chaque organe a eu un dveloppement et progrs dans ltat final des
espces. (Vr. ibid. p. 526)
660
Vr. Marc Giraud, Darwin. Cest tout bte! Paris : Robert Laffont, 2009, p. 109.
661
Ibid., p. 113.
348
lindividu. Nos cadres despces et de genres ne suffisent pas pour la vitalit. Par
eux, on peut seulement gnraliser et simplifier la vie. Car la vie elle-mme est sous
forme de Chaosmos, elle est gouverne comme le sait et crit Hraclite, selon le
Logos de la Phusis. Cest pourquoi, nous ne pouvons pas nous chapper de lindividu
et des singularits, de laccident. La vraie illusion pour Deleuze nest pas lindividu,
mais lillusion de la certitude des espces. (DR, p. 321) Ni les espces, ni les organes,
ni les corps, ni les cadres sociaux ne peuvent tre la dtermination de la subjectivit.
Ce qui est essentiel est lindividu et lindividu est toujours un uf . Cette
ouverture nous donne la possibilit dune cration infinie et dune zone mme audel de la Nature, lau-del de lontologie. Cette ouverture nous donne la possibilit
dune coexistence et tous les tants diffremment de Heidegger, lintrieur dun
plan dimmanence. La pluralit de la vie est suivant les capacits des corps possds.
Or lintrieur du Chaosmos, il est possible rflexivement pour ltant dpasser les
capacits de son corps et dtre sans corps, dtre corps sans-organes. Ceci est le
chemin de la crativit que Deleuze-Guattari nous montrent et il doit tre reu en
effet, de la vie elle-mme : diffrence et rptition . Alors, chaque tant vivant (et
mme aussi une machine) est tiss dune mme toffe et possde la mme crativit.
Chaque tant vivant est capable de devenir un autre. Cest pourquoi, mme si les
probabilits de la vie sont limites par les possibilits et lois de lUnivers, linfinit
de la pense nous ouvre les portes du devenir-animal.
Alors, comment est-ce quon doit traiter le problme d avoir un monde de
lanimal selon Deleuze ? Est-ce que cest nous les hommes qui ne peuvent pas
distinguer la subjectivit ou la production de sens des animaux ? Ou est-ce que cest
un type de subjectivit impossible pour nous concevoir ? Est-ce la subjectivit
animale une subjectivit sans stabilit et est-ce que cest justement pour cette raisonci quelle est nglige par lhomme ? Ou bien, est-ce que lanimal est considr sans
monde puisquil possde moins daffects par rapport lhomme ? De plus, que veut
dire mener la subjectivit de lhomme vers un devenir-animal ?
Deleuze donne la rponse du premier principe de Spinoza : une seule
substance pour tous les attributs. (SPP, p. 161) Dans cette thorie, il est impossible
pour lhomme avoir un monde . Car chaque attribut est li une substance seule
comme multiplicit ; lUn et le multiple y sont ensemble. La substance chez Spinoza
349
est la chose qui ne peut tre pense que par elle-mme ; elle est la cause delle-mme
par dfinition, infinie et unique. Cette substance continue tre sous les modes. Seul
Dieu est substance et substance est Dieu. Le Dieu est lUnivers, lUnivers la pense
elle-mme, lUnivers ternelle. Dieu est cosmos et sa substance. La substance du
cosmos ou comme chez Deleuze, du Chaosmos est tendu, et pense. Lme et la
matire sont une seule substance.662 Le Spinoza de Deleuze fait une construction sur
lhritage dAristote en se chargeant aussi de Duns Scot. Et il continue : Une seule
Nature pour tous les corps, une seule Nature pour tous les individus, une Nature qui
est elle-mme un individu variant dune infinit de faons. (SPP, p. 161)
Dieu nest pas le crateur de la Phusis, mais la Phusis elle-mme. Cest
pourquoi, il possde un logos immanent soi-mme. Tout comme chez Uexkll, la
Nature est un tout qui abrite un monde spar et propre dans chaque tant vivant
comme une multiplicit (dans les modes). Ce tout est laffirmation dune substance,
mais plus que celle-ci. Ce tout est laffirmation de lUnivers comme Chaosmos,
comme un plan dimmanence, comme devenir et tous les singularits qui le forment
sparment ; laffirmation de lexistence du sens en chacun deux sparment :
Ce nest plus laffirmation dune substance unique, cest
ltalement dun plan commun dimmanence o sont tous
les corps, toutes les mes, tous les individus. (SPP, p. 161)
Un plan ou plan dimmanence qui est diagramme au sens gomtrique
marque une vie la manire spinoziste, une manire de vivre . Le corps comme
une infinit de particules est en mme temps la force daffecter et dtre affect par
les autres corps : les affects. Par cette force, la vie est dfinie comme une relation
complexe entre lacclration et ralentissement des particules des vitesses
diffrentielles. (SPP, p. 162) Ainsi, la vie elle-mme est rendue capable tout
pouvoir. Le plan dimmanence exprime exactement ceci : le pouvoir de la vie.
Stimmung (tonalit ou affection) entre ce point-l en rapport avec les formes
musicales par laffirmation de la vie chez Deleuze, et donne la Nature, le pouvoir
par une immanence transcendantale. Ici, il nexiste pas dsormais des oppositions
comme animal-homme, vivant / non-vivant. Car le seul facteur est les affects. Le
662
350
351
665
Vr. Wolfgang Khler, The Mentality of Apes, trad. Winter E., New York: Liveright, 1925.
Uexkll, Theoretical Biology, introduction, xv.
667
Ibid., xvi.
668
A ce sujet, Agamben fait la remarque suivante : Les recherches de Uexkll sur le milieu animal
sont contemporaines de la physique quantique et des avant-gardes artistiques. Agamben, Louvert :
lanimal et lhomme, p. 66.
666
352
669
Ibid., p. 67.
Buchanan, Onto-Ethologies, p. 13.
671
Uexkll, Theoretical Biology, introduction, xv.
672
Agamben dcrit le passage dans lequel Uexkll raconte lUmwelt de la tique comme un des
sommets de lantihumanisme moderne avec Ubu Roi dAlfred Jarry et Monsieur Teste de P. Valry.
Vr. Uexkll, Streifzuge durch Umwelten von Tieren und Menschen, p. 85-86 (Jacob von Uexkll, A
Stroll Through the World of Animals and Men, trad. Schiller C.H., New York: International
Universities Press), in Agamben, Louvert. De lhomme et de lanimal, p. 73-74.
670
353
Prface de Dominique Lestel in Jacob von Uexkll, Milieu animal et milieu humain, trad.
Martin-Freville C., Paris : Rivages, 2010, p. 7-8.
674
Vr. La prface de Lestel in Uexkll, Milieu animal et milieu humain, p. 9.
675
Sur linfluence dUexkll chez Merleau-Ponty, vr. Buchanan, Onto-Ethologies, chapitre IV.
354
676
355
677
356
357
mondes de signification des autres isols par lide de lhumanit. Cest une vraie
chance pour lart, la philosophie, la musique et mme pour la science. Or, par ce
caractre unifiant, le devenir-animal ne vise pas actuellement laddition de tous ces
devenirs multiples dans le corps dune personne. Au contraire, il vise une disparition,
effacement ou chappement dun trou : devenir-imperceptible. En ce sens, tre un
individu est lindividuation dcrite par Simondon, un nomadisme mental vitesse
infinie. Et chaque individu doit tre capable de former des mondes propres par des
codes et choix accidentelles propres. Ainsi, la libert rside justement dans le fait de
pouvoir voyager dans ces mondes et datteindre en ce sens la logique du
nomadisme.
Deleuze conoit la philosophie elle-mme dans lunit du chaos et du cosmos.
La pense est un chaosmos mental. Le rapport du Chaosmos et de lAin est
important en ce sens, dans lavoir un monde et la spiritualit (anima). Une existence
matrielle accidentelle pour les tants vivants donne la possibilit aussi bien que la
relativit dans le temps, une redfinition de la subjectivit dune manire diffrente.
Dans llucidation de la spiritualit (anima) et de la subjectivit dans lavoir un
monde, laffection (affectio), positionne lme/corps comme une existence
lintrieur du devenir et une substance toujours changeante sous forme de
temporalit. Il dfinit lEthologie (cest--dire ltude de Spinoza) pour lhomme
comme un devenir non-humain (QP, p. 163) Ltude des affects fonctionne
comme (1) une puissance daffirmation, (2) d-subjectivation, et (3) plan
dimmanence. 680 En ce sens, lEthique de Spinoza se tourne clairement vers une
thologie.
LEthique de Spinoza na rien voir avec une morale, il la
conoit comme une thologie, cest--dire comme une
composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs
daffecter et dtre affect sur ce plan dimmanence. Voil
pourquoi Spinoza lance de vritables cris : vous ne savez
pas ce dont vous tes capables, en bon et en mauvais, vous
ne savez pas davance ce que peut un corps ou une me,
dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle
combinaison. (SPP, p. 164-65)
680
358
681
Le monde (cosmos) est le plus beau des tas rpandus au hasard. (Hraclite, Fragments, B124)
359
La philosophie est la thorie des multiplicits. Toute multiplicit implique des lments actuels et
des lments virtuels. Vr. Les manuscrits de Deleuze sur le cinquime chapitre de LAnti-dipe,
www.webdeleuze.com
360
683
Par exemple dit Deleuze, le spinozisme dHegel et de Goethe assument une organisation venant du
haut et qui se lie une transcendance mme si elle est cache puisquils attachent le plan
lorganisation de la Formet et la formation dun Sujet. Cest pourquoi, au lieu dun plan dimmanence,
ils affirment le plan thologique. (SPP, p. 169) A ce point, si on accepte la transcendance cache de
Heidegger dans lanalytique du Dasein, il ne sera pas une erreur de dire quil va faire partie aussi dans
ce plan thologique.
361
des traits sur les animaux ; aussi bien que les traits sur lhomme, sur lentendement
humaine, sur lme humaine. Ces traits ont fait pour la plupart, partie dune
investigation double : la dfinition de lhomme et de son contraire. De lanatomie
aux philosophies de lesprit, la science de lhomme a tent de prciser comment il se
diffre de lanimal et sapproche Dieu.
Pourtant, il existe aussi des thories qui ont servi au moins la r-figuration du
rapport ambigu entre lhomme et lanimal. Selon la thorie de lArchtype de Jung
comme inconscient collectif, lanimal a un rle important dans les rves, les mythes
et les collectivits humaines. (MP, p. 288) Luvre de Lvi-Strauss propose
dordonner les diffrences entre lhomme et lanimal afin darriver une
correspondance des rapports humains et animaux (notamment dans linstitution
totmique), par lvolutionnisme : gnalogie, parent, descendance, filiation (MP, p.
286) Lvolution de lhomme blanc, Europode par sa parent lhomme noir,
ensuite au singe. Ou par lhistoire naturelle : rassemblement des rapports danimaux
par srie ou structure. Combler les ruptures apparentes, conjurer les fausses
ressemblances et graduer les vraies, tenir compte la fois des progressions et des
rgressions ou dgradations. (MP, p. 287)
Linn a fond les bases des systmes de la nomenclature, Descartes a dfini le
manque de lme et le manque de la raison et Kant ce de la libert, Hegel ce de la
conscience. Lhomme a une me, un esprit, de la raison, une histoire, un langage, une
conscience, un monde, de la morale ; tandis que lanimal na pas dme, pas desprit,
il na quun corps, il na pas de raison mais de la volupt, pas dhistoire mais de
linstinct, pas de conscience mais de lappel, pas de morale mais de la violence.
Lanimalit est ainsi, le concept qui dit la diffrence : la dmarcation de lhumain ; sa
limite.684 Mme si lanimalit et le devenir-animal restent hors de la science de la
raison humaine, ils sont les sujets de la magie, du sorcier. Les devenirs-animaux ne
sont pas des rves, ni des fantasmes. Ils sont parfaitement rels. Le devenir ne
produit pas autre chose que lui-mme. Limportant selon Deleuze, cest davoir un
684
362
rapport animal avec lanimal et pas un rapport humain avec lanimal. 685 Deveniranimal de lhomme a deux faces : la violence et la non-violence. Premirement, cest
devenir lhomme de chasse, lhomme de guerre, devenir nomade, devenir chaman.
Cest parce que ce sont eux, dits les barbares, les hommes primitifs qui gardent la
connexion avec le Logos de la Phusis. Cest le ct masculin et violent du rapport
homme-animal. Cest un rapport archaque, dtruit par lhomme civilis.
Deuximement, la machine dcriture, la machine de peinture, la machine musicale
ne sont pas hors des devenirs-animaux. Tout langage qui nest pas rduit lacte de
donner un ordre, de dfinir les lois de est un langage non-humain, un langage
fminin, un langage animal. Cest le ct fminin et non-violent du rapport hommeanimal. (MP, p. 297) Dans la zone dindiscernabilit homme-animal, ces deux faces
se sont entrecroises. Elles ne se montrent que comme une face contracte,
mlange, accouple, dforme et mme dterritorialise ; comme cest le cas dans
les peintures de Francis Bacon. Dans le devenir-animal, il y a des organes
transitoires, des contractures, des hyperesthsies, des zones nettoyes et zones
manquantes. Cest une esthtique ngative : hystrie au sens dune ngation. (FB, p.
53) Dans les zones dindiscernabilit des corps, le corps de lhomme schappe, il
schappe lorganisme. Ainsi, labjection devient splendeur, lhorreur de la vie
devient vie trs pure et trs intense. (FB, p. 53)
Si lanimal, comme chez certains psychanalystes, est toujours classifi comme
un membre de la famille (par exemple dans les rves), on narrive pas un rapport
animal. Dans la psychanalyse, lanimal considr comme membre de la famille est
en effet altr avec un des membres de la famille (le pre, la mre, les enfants, etc.).
Lanimal nest pas l parler. Lanimal parle, mais pas le langage de lhomme. Il
parle le langage de lUnivers. En ce sens, il sera impossible dentendre la parole de
lanimal par le logos de lHomme, dans les traits anthropomorphiques. Ce nest
possible que par le Logos Universel ; le Logos de la Phusis.
685
Deleuze aime les animaux sauvages plus que les animaux domestiques. Il parle plutt du tigre, du
lion, de la tique ou du pou parce que ce ne sont pas des animaux familiers ou familiaux, domestiqus
ou soumis par lhomme. Les personnes qui ont des chats ou des chiens la maison (animaux de la
famille) ont une relation avec eux qui est humaine. Or, ce qui est important pour Deleuze, cest
davoir une relation animale avec lanimal. LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par PierreAndr Boutang, Claire Parnet et Gilles Deleuze, 1988, A comme Animal .
363
Deleuze est fascin par deux choses chez un animal : (1) Tout animal a un
monde. 686 Il y a tant dhumains qui nont pas de monde parce quils vivent la vie de
tout le monde ; ils vivent dans la quotidiennet. Mais un animal a toujours un monde
mme si ce monde peut tre parfois extrmement restreint ; mme sils ragissent
trs peu de chose.687 (2) Laffaire de lanimal avec le territoire. La constitution dun
territoire est presque la naissance de lart comme lacte de marquer les frontires de
son territoire est (a) une srie de postures (se baisser, se lever), (b) une srie de
couleurs et (c) une srie de chants : lart ltat pur.688 Tout animal a un monde
(pouvoir avoir un monde) et la pauvret de ce monde nest pas une privation mais au
contraire une richesse : cest la slection particulire de la tique de se concentrer sur
trois affects qui fait de son monde, un monde propre elle. Chaque animal possde
un monde propre en se spcialisant sur un choix daffects avec une fusion selon une
proportion et temporalit dfinie. Le devenir-animal est dans le cri et dans lhorreur,
dans latonie et dans la musique gothique689 comme dformation ou dsubjectivation.
De Bacon Vertov, Deleuze nous trace lhistoire dune destruction de la subjectivit
humaine et du devenir-animal : cest une vie comme une uvre dart, lesthtique du
rejet de lhumanit. La tte-viande est un devenir-animal : dans ce devenir, tout le
corps tend schapper, et la Figure tend rejoindre la structure matrielle. (FB, p.
33)
Lanimal vit dans la violence : dans laplat, sur le mur, dans le trou noir : le
devenir-animal, cest le devenir-imperceptible plus profond ou la Figure disparait.690
(FB, p. 33) La Figure, dire lhomme na pas de visage : son visage est tantt
nettoy, tantt contract par les forces de la vie. Cet homme nest jamais seul dans
son monde (dans laplat, dans le rond, sur la piste) : il est toujours accoupl : doubl
par une autre figure, souvent par un tmoin ou bien par un animal. Il existe des
aspects coexistence entre lhomme et lanimal par les actes de nettoyage, de rayage
686
Ibid.
Pour lui, ce qui est intressant en effet, cest la pauvret de ces mondes (par exemple ce de la
tique qui na que trois affects). Ibid.
688
Ibid.
689
Coldwave, rock gothique, darkwave et post-punk : ces genres ont merg vers la fin des annes
1970. Vr. Bauhaus, Xmal Deutschland, Joy Division.
690
Vr. Francis Bacon, Etude pour la nurse dans le film Cuirass Potemkine, 1957. Huile sur toile,
198x142 cm. Collection Stdelsches Kunstinstitut und Stdische Galerie, Frankfurt.
687
364
Vr. Francis Bacon, Lhomme au chien, 1953. Huile sur toile, 152,5x118 cm. Collection AllbrightKnox Art Gallery, Buffalo.
692
LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet et Gilles
Deleuze, 1988, A comme Animal .
365
ceux qui peuvent entrelacer leur monde avec ce de lanimal dans un moment donn
(par exemple le chasseur qui connait lanimal qui est pass par l, lartiste qui
ressentit les mouvements de son corps, le biologiste qui intriorise son cycle de vie).
A ce moment, selon Deleuze, ils sont animaux, ils ont un rapport animal avec
lanimal. Cest ce qui rapproche lanimal lcriture (mission et rception des
signes). Ils sont toujours en vigilance, au guet. Lcrivain crit pour ; cest--dire
la place de . Ecrire est un devenir.
Si lcrivain est un sorcier, cest parce qucrire est un
devenir, crire est travers dtranges devenirs qui ne sont
pas des devenirs-crivain, mais des devenir-rat, des
devenir-insecte, des devenir-loup, etc. (MP, p. 293-94)
Lcrivain, lartiste, le philosophe ; ils sont toujours aux aguets. Ils observent,
regardent, coutent avec tous ses organes de sense, ce qui se passe. En dautres
termes, ils vivent la vie des autres ; ils sentent la place deux. Cest pourquoi ils
sont responsables, non pas seulement de leur propre vie, mais aussi celles des autres.
Lcrivain est un sorcier, cest parce quil vit lanimal
comme la seule population devant laquelle il est
responsable en droit. (MP, p. 294)693
Lcrivain crit le langage de lautre. Il glisse entre le langage de la surface
(celle de Carroll) et le langage en profondeur (celle dArtaud). (LS, p. 103-104) Cet
acte de glissement ou daller et retour est en effet la rvlation des devenirs : deveniranimal, devenir-schizo, devenir sans-organes, (LS, p. 107) Lcriture est une
puissance : elle est un moyen daffecter les mes et les corps : tout mot est physique,
affecte immdiatement le corps. (LS, p. 107) La littrature est le langage-affect
qui peut servir dfaire lhabitude de la subjectivit :
693
Vr. aussi LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet
et Gilles Deleuze, 1988, A comme Animal , 19:02, parlant de Hofmannsthal.
366
la subjectivit afin de pouvoir passer aux devenirs.694 Ecrire la limite : lcriture est
le sjour des corps qui cherchent chacun son dpeupleur. (FB, p. 23) Lcriture, tout
comme la peinture et la musique, est la promenade de dpeuplement. 695 Le petit
tour quotidien de Bacon est proche, en ce sens ce de Beckett : Il y a limmobilit
au-del du mouvement ; au-del dtre debout, il y a tre assis, et au-del dtre
assis, tre couch, pour se dissiper enfin. (FB, p. 45) Cest une manire dont le corps
schappe lorganisme.696 Ecrire, cest pousser le langage jusqu la limite quil
nexiste aucun mot de lhomme, pour que le langage de lanimal devienne visible.
Ecrire, cest pousser le langage, pousser la syntaxe jusqu
une certaine limite. La limite qui spare le langage du
silence, le langage de la musique, le langage du
piaulement douloureux lanimalit (Mtamorphose de
Kafka). Le chef dit : Vous avez entendu, on dirait un
animal Aussi, le piaulement douloureux de Grgoire ou
le peuple des souris.697
Contrairement ce quon dit, ce nest pas les hommes dit Deleuze, qui savent
mourir ou qui meurent, ce sont les btes. Des hommes quand ils meurent, ils meurent
comme des btes.698 Si lcrivain cest bien celui qui pousse le langage jusqu une
limite, limite qui spare le langage de lanimalit, qui spare le langage du cri, qui
spare le langage du chant, alors lcrivain est responsable devant les animaux qui
meurent. Il rpond des animaux qui meurent. Cest parce quil crit la place des
animaux qui meurent. Dans la zone dindiscernabilit entre lhomme et lanimal, le
chaman est en acte. Le devenir-animal est lanimal comme trait : les traits animaux
de la tte, la dformation par le nettoyage ou le brossage. Le corps, cest la Figure,
ou plutt le matriau de la Figure. Lhomme a une immense souffrance : sa
crucifixion, la destruction de la colonne vertbrale. Cette souffrance est pour la
Phusis ; lhomme qui na pas de tte ; sa tte est happe par lui-mme. Figure-tte,
esprit-chien : responsabilit de lhomme pour lanimal. (FB, p. 28, 31) Car la tte est
un esprit qui est corps. Lesprit animal de lhomme souffre dans son souffle corporel
694
367
LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet et Gilles
Deleuze, 1988, A comme Animal .
368
de sensation dans laquelle les mondes multiples sont possibles. Dans cette thorie
chaque tant vivant est un sujet ou si on nutilisera pas ce terme, un machiniste.
Uexkll dit quil existe plusieurs machinistes lintrieur des organismes : si ceux
ntaient pas des sujets avoir des mondes propres ayant des diffrentes perceptions
et sensations (en calculant les niveaux micros et macros aussi) ou des machinistes, on
ne pourra pas parler dun temps et despace, de lunit de lespace-temps
conformment aussi Aristote et Kant. Car, ils sont en mme temps des porteurs de
temps : sans un sujet vivant, il ne peut y avoir ni espace, ni temps. 700
Chaque tre vivant est un sujet qui vit dans un monde qui
lui est propre et dont il forme le centre.701
Alors nous ne pouvons pas parler dun Univers et dun temps lintrieur, sans
les compteurs. Nous savons que cet argument fut prsent aprs Aristote chez St.
Augustin, un point de dpart pour lanalytique existentiale dans lEtre et Temps de
Heidegger. La pense heideggrienne quand il est question de lentier, semble
affirmer ltant vivant comme seul compteur. Or la temporalit de lUnivers selon
Deleuze-Guattari doit tre immanente tous ses lments. Mme si on accepte
lhomme comme le seul compteur, selon la thorie de Heidegger, on doit remarquer
au moins ceci : lhomme comme le compteur de lUnivers doit avoir la fois lordre
et le dsordre tant soumis ses lois. Cest--dire, la manire dexister de lhomme
aussi doit tre conforme au Chaosmos. Dans le cas si on accepte juste, la thorie de
Deleuze-Guattari, il est clair que tous tants vivants et non-vivants doivent tre
conformes au Chaosmos, et ainsi les mes et les corps doivent inclure laccidentalit
et le chaos : le niveau quantique de lme.
Lhypothse que les diffrentes espces vivantes se divisent sous forme de
modes implique lexistence des diffrences temporelles et spatiales entre eux : par
exemple la diffrence de perception temporelle entre la tique et lhomme chez
Uexkll.702 De mme, il existe pour des diffrentes espces vivantes, des diffrences
700
369
spatiales. 703 Selon Baer aussi, le temps est un produit du sujet. La frquence des
ajouts ponctuels dans la perception temporelle des diffrentes espces animales peut
varier comme les pixels dune photo. Il existe aussi des diffrences dans les manires
voir : Uexkll les explique par les degrs de simplification (par exemple labsence
de la vision trois dimension chez labeille, la pauvret de couleurs chez le chien, la
vision focalise la nourriture de la mouche).
Il y a aussi les concepts doubles comme limage-perception, limage-action
dUexkll. Deleuze les utilise avec la thorie dUexkll, surtout dans les cours de
cinma qui unissent limage, le mouvement et le son.704 Dans cette thorie, au lieu
dune seule tonalit fondamentale, il existe des tonalits et un plan dimmanence
unir ces tonalits. Comme dans le Stimmung de Heidegger, Uexkll aussi fait des
mtaphores du mot ton , lies la musique et au son. On peut mme parler des
connexions entre le son et limage.705 Ainsi par la collaboration de Spinoza-Uexkll,
le refus dune subjectivit anthropocentrique devient utile pour Deleuze-Guattari,
dans llucidation de la vie et de la structure de la Phusis, du sens et de la pense audel de la vie, de lart et du savoir.
Deleuze dcouvre les codes dune individuation partant des units perceptives
et de la signification chez Gilbert Simondon. Dans sa thse, Simondon propose une
connexion entre lindividuation psychique et lindividuation collective. 706 Etre
dfavorable lindividuation collective est toujours tre dfavorable son
individuation psychique et toute volution de lindividuation collective affecte les
conditions de lindividuation psychique.707 La perception est un acte dindividuation
comparable ceux que manifestent la physique et la biologie. Pourtant, il existe entre
un enfant trs petit et un animal, une relation qui ne semble emprunter aux bonnes
formes des schmes perceptifs : affectivit.708 A la mesure que laffectivit reste sans
703
Uexkll les discerne comme lespace actantile, lespace tactile, lespace visuel. De mme il existe
une diffrence entre lhorizon par exemple de la mouche, de la tique et de lhomme (le lointain /
lhorizon). Vr. Uexkll, Mondes animaux et monde humain, pp. 47-72.
704
Vr. Gilles Deleuze, Cinma I : Image-mouvement, Paris : Minuit, 1983, et Gilles Deleuze,
Cinma II : Image-temps, Paris : Minuit, 1985.
705
Par exemple le mot Tnung au sens de coloration marque les quelles tonalits le vivant va avoir
partant du signe perceptif. Vr. Annexe II : Concepts dUexkll.
706
Gilbert Simondon, Individuation psychique et collective : A la lumire des notions de Forme,
Information, Potentiel et Mtastabilit, Paris : Aubier, 1989.
707
Ibid., prface IV.
708
Ibid., p. 78-79.
370
709
Ibid., p. 244.
Anne Sauvagnargues, Deleuze et lart, Paris : P.U.F., 2006, p. 103.
711
Simondon, Individuation psychique et collective p. 97. Lindtermin, cest apiron . Cf. p.
111.
712
Artaud : il ny a rien de plus inutile quun organe. (MP, p. 186) Faire du corps, une multiplicit de
fusion (MP, p. 196) Nous nous apercevons peu peu que le CsO n'est nullement le contraire des
710
371
La vitalit est dsirer, non pas avec des schmas prcises mais conformment au
Chaosmos, accidentel, indfini, indterminable ; il faut dtruire tous les cadres et
modles fixes.
On ne dsire pas quelquun ou quelque chose. On dsire
toujours un ensemble. Quelle est la nature des rapports
entre des lments pour quil y ait dsir, pour que
quelquun ou quelque chose (dfini comme lobjet de
dsir) devienne dsirable.713
La vitalit est dsirer et tendre vers. Tout vivant dsir un ensemble des
relations ; ce qui donne son sens est ce dsir. Alors, tout vivant est une machine qui
dsire. Or, la dfinition comme une machine ne veut pas dire quil na pas dme
(spiritualit anima) Les machines aussi ont une me chez Deleuze, une capacit
produire du sens. Au-del des organes, tout tant vivant et non-vivant est un
producteur dimage. Pourtant, si on pense le problme avec les termes dUexkll, on
doit dire le machiniste , plutt que la machine. Le vivant fait un choix comme le
dsirant, comme ce qui tend vers. Ce choix fait partie de lordre accidentel, cest-dire du Chaosmos. En ce sens, il est possible de dcrire lUnivers comme la totalit
des forces daffecter et dtre affect, et des rapports entre ces forces produites par
les tants vivants et non-vivants.
organes. Ses ennemis ne sont pas les organes. L'ennemi, c'est l'organisme. Le CsO s'oppose, non pas
aux organes, mais cette organisation des organes qu'on appelle organisme. Il est vrai qu'Artaud mne
sa lutte contre les organes, mais en mme temps c'est l'organisme qu'il en a, qu'il en veut : Le corps
est le corps. Il est seul. Et n'a pas besoin d'organes. Le corps n'est jamais un organisme. Les
organismes sont les ennemis du corps. Le CsO ne s'oppose pas aux organes, mais, avec ses organes
vrais qui doivent tre composs et placs, il s'oppose l'organisme, l'organisation organique des
organes. (MP, p. 196)
713
LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet et Gilles
Deleuze, 1988, D comme Dsir .
372
de
rappel.
Loubli
commence
par
la
civilisation ;
par
Ibid., U comme Un .
Universum multiversum (Universal Turing Machine).
373
374
Lensemble du nant ne peut pas tre contenu par lensemble de tout. Donc, le
Nant ne peut pas tre contenu par lEtre. Or, comme cette contradiction ne se
montre pas dans la Nature, on peut parler dun tat dont des ensembles de rapports
infiniment nombreux pour chaque dsir dans lequel des lments rangs de
linfiniment plus haut linfiniment plus bas sont actifs. Dans le modle ontologique
de Deleuze se fonde le hasard. (diversit altrit, DR, p. 46) La vraie diffrence
drive du hasard : laccident dans lessence ou dans la forme. Pour lui, il ny a pas de
logos absolu, il y a des hiroglyphes. Cest--dire que la pense ne se ralise pas
dune manire absolue et idale, mais travers des images. Ainsi, ce quil va appeler
logos ne peut tre quun logos multiple et indterminable. Cest le Logos de la
Phusis.
Je ne dsire jamais quelque chose de toute seule. Je ne
dsire pas un ensemble non plus. Je dsire dans un
ensemble. En dautres termes, il ny a pas de dsir qui ne
coule pas dans un agencement . Dsirer, cest
construire un agencement, construire un ensemble.716
La thorie deleuzienne est celle du signe et de lvnement. 717 La force du
Chaosmos se forme et se montre dans le signe et dans lvnement. Il existe dans
lhistoire (temporalit) de lUnivers, de multiples vnements singuliers. Mais ils
runissent dans un seul et mme. Lvnement est en effet ce qui reste hors du
temps : tous ces nuds de connexions qui remplissent le plan dimmanence ; cette
indfinie, cette indterminable, cette indiscernable accident . Lvnement est la
vraie transcendance de la vie et de lUnivers, quand mme immanent.718 Ainsi, le
je ne dsire pas un ensemble, mais il dsire dans un ensemble, et est dsir
dans un ensemble. Cest un immense nud de connexions dagencements qui
forment les mondes signifiables et la totalit des vnements dans notre Univers.
Parfois cest seulement laile dun papillon, parfois cest une tempte magistrale.
Dans une thorie lie laccident, toute force est capable de changer le moment
venir, toute force peut faire un effet dcisif sur lensemble. Ainsi, on entend que dans
ce modle, lhomme nest pas capable de construire un monde tout seul. Lhomme
nest pas omnipotent, ni omniprsent lintrieur de cette lutte ternelle de force.
716
375
376
Vr. Jacob von Uexkll, Milieu animal et monde humain, trad. Martin-Freville C., Paris : Rivages,
2010, Illustration 55 : Le milieu de lastronome, p. 164. Aussi vr. SPE, pp. 155-158.
377
sans lindividu ou bien ceux qui dcident quUexkll appelle machinistes (ce qui
choisit, ce qui conduit), ni la Nature, ni lEvnement ne peut tre.
Il ne faut pas avoir peur des forces. Limiter, dfaire, affaiblir aucun type de
force diminue la vibration et frquence de la vie. Limportance de lanimalit pour
Deleuze-Guattari en ce sens, drive de sa position centrale dans la jonction des fibres
plies et infinies qui existent entre les ensembles de concepts homme-animal-plante.
Ces trois ensembles de concepts qui nont pas un ordre logique prexistant entre eux
forment une machine abstraite runir les devenirs-imperceptibles. (MP, p. 308)
Cest ce qui lucide l anomalisation travers lanimal. Car lanimal est une
rgion mdiane, cest la zone cre par la ligne de fuite et la dterritorialisation.
Homme
Anomalisation
Animal
devenirs-imperceptibles
(par lanimal)
Vgtal
Rgion mdiane
Figure 2.12
Nous vivons et devenons ce que nous allons devenir. Mais nous possdons en
mme temps comme conducteur ou machiniste , la force diriger lme/corps
vers le bien et vers ce qui est dsir (senfuir du mal, de ce qui nest pas dsir).
Selon Deleuze-Guattari, tous les tant vivants possdent cette capacit. Car si chaque
tant vivant a un monde de perception propre, un monde interne propre et un monde
daction propre comme dit Uexkll, il ne doit pas tre une seule voie vers le bien
dans lUnivers. Ainsi, lhomme a la dcision par lui-mme ; cest problmatique. Or
on peut dire ceci : tout homme doit dabord connatre son monde intrieur, connatre
soi-mme et de l, comprendre la Nature (le monde qui possde le nous, qui prvoit
pronoia, qui aime les hommes et veut leur bonheur), vivre en harmonie avec elle.720
LUnivers est un tre vivant et pensant dans le Stocisme. La divinit, cest la raison
et la loi immanente de ceci (son Logos). Cest un panthisme et cosmothisme
comme un systme de pure immanence. La seule morale en ce sens, rside dans le
720
378
devenir, un segment, une vibration de chacun des fibres unifiantes de lUnivers. (MP,
p. 308) Dans cette structure, le devenir-animal de lhomme nest pas un porteur
daffects et de corps sous forme de diable (forme animale) comme cest le cas dans la
thologie chrtienne ; mais il forme comme chez Spinoza, des lments abstraits
mme sils sont rels, qui nont ni de forme, ni de fonction. En ce sens, le plan de la
Nature (Plan de consistance de la Nature comme chez Uexkll) est une Machine
abstraite relle et individuelle.
379
substance. Il exprime plutt linfinit des modifications qui sont les morceaux du
plan de la vie, qui sont un et mmes. Ainsi, le dpassement des organes et de ses
fonctions de St. Hilaire vers des lments abstraits, les analogies de proportion de
Cuvier et la dmonstration du dfaut de communication entre les types de
dveloppement de Baer rendent service une mme thse :
Plan fixe de la vie, o tout bouge, retarde ou se prcipite.
Un seul Animal abstrait pour tous les agencements qui
leffectuent. Un seul et mme plan de consistance ou de
composition pour le cphalopode et le vertbr () La
question nest plus du tout des organes et des fonctions, et
dun Plan transcendant qui ne pourrait prsider leur
organisation que sous des rapports analogiques et des
types de dveloppement divergents. (MP, p. 312)
En ce sens dit Deleuze-Guattari, tous les enfants sont spinozistes ; et le
spinozisme est le devenir-enfant dun philosophe. Car le spinozisme amne la
philosophie au-del des organes et de ses fonctions, il peroit les me/corps par ses
affects.721 Ce nest ni un animisme, ni un mcanisme. Deleuze-Guattari lappellent
machinisme universel : un plan de consistance occup par une immense machine
abstraite aux agencements infinis. (MP, p. 313) On a enfin trouv la rponse
spinoziste la question de ce que peut faire un corps : latitude dun corps .
Les enfants sont spinozistes. Lorsque le petit Hans parle dun fait-pipi, ce nest pas un organe
ou une fonction organique, cest dabord un matriau, cest--dire un ensemble dlments qui varie
daprs ses connexions, ses rapports de mouvement et de repos, les divers agencements individus o
il entre. Vr. MP, p. 313.
380
381
dont les composantes sont redfinies. Ou bien, la pense existe dans limage qui se
fait par lintuition du signe. Ici, il y a un renversement : ce nest pas limage qui
existe dans la pense, cest la pense qui existe dans limage. Comme a fait Hume, la
vrit est tire du plan de ce qui est transcendant ce qui est immanent. Dieu est
remplac par la diffrence et la rptition, lerreur est remplace par linvention,
lartificiel et la fiction. De l, Deleuze-Guattari soulignent : le concept nest pas
discursif. La philosophie aussi ne peut pas tre discursive. (QP, p. 27) Ainsi, il ne
faut pas confondre le concept avec la proposition. Les propositions gagnent de sens
par leurs rfrences, mais les concepts sont imaginaires.
Le devoir du philosophe est de redresser les concepts sans cesse, car leur
ambigut ; cest--dire leur tre absolu/relatif rend leur singularit insaisissable,
incomprhensible. Le voyage et les traces laisses par le concept dans lhistoire de la
philosophie peuvent tre ambigus. Ce qui ne doit pas tre ambigu pour un concept,
cest ce que sont la singularit, ses composantes et ses zones de voisinage pour un
certain philosophe, dans une certaine priode de lhistoire pour un usage spcifique.
Dans le cas o on ne peut pas le garantir, la philosophie va rester discursive. Or, pour
que la singularit soit forme, il faut quil ny ait aucune erreur dans lordination :
chacun des signifiants dfinis en rapport avec elle doit recevoir son signification
directement au point o le concept sintensifie.
La pense chez Deleuze, est un systme comme le fonctionnement des
concepts.722 Le systme au sens leibnizien doit dabord avoir des degrs lintrieur.
Ce nest pas une structure dans laquelle le rapport de partie-intgrale. Au contraire, il
existe en elle des trous, des parties obscures ; des morceaux incompatibles. Les
porteurs de la structure sont ses murs. Cest pourquoi, ses fentres devaient tre peu
et petites. De lextrieur, il est difficile de le saisir, comprendre et voir dedans.
Chacun des tages et des diffrents niveaux lintrieur sont distincts, mais ils
peuvent tre conus quand mme travers une mme symbolisation. Chaque tage
symbolise, mais le sens le plus haut est au niveau le plus haut, comme dans une
pyramide ou une glise baroque. Cet tage est textuellement un tage que Leibniz
722
382
sannonce rarement. Bien plus, dit Deleuze, Leibniz ne parle pas de cet tage dans la
plupart de ces uvres intgrales ; il donne les expressions les plus hauts dans ses
cours crits et lettres.
Bien sr comme tous les philosophes il fait de gros livres;
mais, presque la limite, on pourrait dire que ces gros
livres ne sont pas lessentiel de son uvre car lessentiel
de son uvre est dans la correspondance et dans de tout
petits mmoires. Les grands textes de Leibniz, cest trs
souvent des textes de quatre ou cinq pages, dix pages, ou
bien des lettres.723
Deleuze conoit sa pense selon une systmatique quil avait dcouverte chez
Leibniz. Il ne prend pas sa force dune logique des propositions mais du
fonctionnement des concepts. La cration (ou invention) dun philosophe de ses
concepts, ne dpend pas directement leur hirarchie interne ou aux objectifs finals
du philosophe. Un concept rend service aux objectifs contemplatifs dun philosophe
un moment donn, la mesure quil appartient ce philosophe avec ces
composantes et zones de voisinage, la mesure quil sajoute son individualit.
Ainsi, les concepts qui appartiennent au philosophe fonctionnent ensemble en faisant
partie sa pense, mais dans ses propres mondes.
Je dirais que son systme est assez pyramidal. Le grand
systme de Leibniz a plusieurs niveaux. Aucun de ces
niveaux nest faux, ces niveaux symbolisent les uns avec
les autres et Leibniz est le premier grand philosophe
concevoir lactivit et la pense comme une vaste
symbolisation. Donc tous ces niveaux symbolisent, mais
ils sont tous plus ou moins proches de ce quon pourrait
appeler provisoirement labsolu. Or a fait partie de son
uvre mme. () Imaginez que son systme soit fait de
niveaux plus ou moins contracts ou plus ou moins
dtendus ; () Comme ces niveaux font partie
implicitement des textes mmes de Leibniz, a fait un
grand problme de commentaire.724
Cest un systme comme htrognse. Deleuze dfinit le systme leibnizien
comme la premire conciliation entre les concepts et lindividu : Leibniz tait en
723
Gilles Deleuze, Cours sur Leibniz (15/04/1980), cours profess le 15 Avril 1980, lUniversit de
Vincennes, 2, page consulte le 10 Octobre 2013, http://www.webdeleuze.com/
724
Deleuze, Cours sur Leibniz (15/04/1980), 11, 12.
383
Ibid. 32.
Ibid. 33.
727
Le matriel du philosophe sont les concepts de lhistoire de la philosophie, et son uvre, les
nouveaux concepts quil a cre de ce matriel. Le philosophe construit des nouveaux jeux avec les
anciens concepts et leurs composantes, produit des noveaux combinaisons et artifices. Cet acte est une
cration originale la mesure quil se diffre des concepts existants en les rptant, et quil produit
des nouvelles significations individuelles.
728
Ibid. 5.
729
Deleuze dcouvre des concepts dans chaque philosophe et artiste quil tudie. Chez le philosophe,
il traduit les concepts au maintenant ; il les traite sous des diffrents contextes et personnalise. Il fait
deux un nom propre. Chez lartiste il nexiste pas de concept pour la plupart du temps, mais des sons
ou des images. Ce quil faut faire, cest de transformer ces sons et images des concepts ; des
concepts qui sont limage de la pense. Cest pourquoi, le systme philosophique de Deleuze nest ni
lempirisme de Hume, ni lhyper-rationalisme de Leibniz ; mais ses concepts sont des concepts crs.
Ce sont des concepts produits partir de Hume, de Leibniz, de Nietzsche, de Lawrence, de Bacon et
des autres, qui intgrent son systme. Il les attribue des nouveaux sens et les renomme.
726
384
Les concepts sont des centres de vibrations, chacun en luimme et les uns par rapport aux autres. (QP, p. 28)
Il est remarquable que les dfinitions centrales la fois chez Heidegger et chez
Deleuze se lient au son : le mot tonalit (Stimmung) chez Heidegger qui prend son
tymologie du son ou de la voix concernant lanalytique du Dasein surtout dans les
CFM, le concept et la redfinition de la pense chez Deleuze par limage et le son.
La tonalit et ltre ton, tre tenu par la tonalit fondamentale, tre capt dfinie par
Heidegger est directement le dterminant de ltre-au-monde du Dasein. Cest
justement cette mme tonalit fondamentale qui spare le Dasein de lanimal et des
autres tants. Dune part, lennui profond comme tonalit fondamentale est ce qui
donne au Dasein, la pouvoir dtre formateur de monde, ce qui va ouvrir pour lui, la
voile de la vrit (ce qui se cache) et ce qui va lui permettre de concevoir la Nature
comme horizon et comme une ouverture. Pourtant, mme si ceci ne veut pas dire
pour Heidegger (1) que la raison nest ce qui spare lhomme de lanimal et des
autres, et (2) quil est au seuil de construire une thorie dune nouvelle subjectivit
incluant un certain type daffectivit et dune temporalit, il semble supposer que
lhomme est le matre ou le pasteur de la Nature. Dautre part chez Deleuze, la
730
Ibid. 5.
385
731
386
(le rle de lhomme dans la Nature comme peut-tre le pouvoir avoir le logos et la
production de sens).
La pense anglo-saxonne sest oriente de plus sur les approches thiques
concernant lanimalit. Partant de largument de Bentham 732 on a propos des
hypothses et penses sur la prvention de lexploitation des animaux qui souffrent
la mesure quelle est possible. On doit remarquer que ces arguments entreprennent
un rle pratique mme si aucun deux peuvent poser la question de lanimal dune
manire ontologique. La cause principale de la croissance plus rapide dune telle
sensibilit dans le monde anglo-saxonne est la dmonstration de la pense
darwinienne que lhomme ne peut pas tre dfini comme une espce compltement
spare des animaux. Sans doute, linfluence de Darwin fut plus ample dans
lAngleterre, les Etats Unis et autres pays anglophones. Pourtant, certains de ces
tudes ont mentionn aussi les dbats sur lontologie de la philosophie europenne et
ont profit deux une certaine mesure. Singer, le philosophe australien dclare dans
son livre (Animal Liberation, 1975) que les consquences les plus horribles pour les
animaux aprs le Christianisme, ont t causes par la philosophie de Descartes.733
Dans le perspectif de Deleuze-Guattari aussi, Spinoza et Leibniz sont les plus fortes
antidotes contre lanthropocentrisme du cartsianisme.
Le symbole de limmortalit de lme humaine et de la
renaissance de ses cendres dans linconscient est le
Phnix. On raconte quil vit peu prs 500 ans et renat
chaque fois. (Clment dIssy)734
Dans lEurope du moyen ge, il ny avait pas de diffrence entre les membres
de la famille et les animaux : tous vivaient sous le mme toit. Un peu plus loin et un
peu vers lorient, on voit comment les figures animales font partie de la vie ellemme. Pour lhomme primitif, il ny a pas de diffrence entre lhomme et lanimal.
Au contraire, le devenir de lhomme un animal et le devenir de lanimal un
homme sont des choses naturelles. Bien plus, chacun accepte que les capacits des
732
387
animaux ne sont pas moins que celles de lhomme. 735 Dans les communauts
chamanes, il existe plusieurs histoires du devenir-animal. 736 Eliade cite que les
cosmologies chamans divisent lUnivers essentiellement en trois niveaux. Lhomme
vit dans une zone intermdiaire entre le monde en haut et le monde en bas. Dans ce
monde au milieu, il ncessite des diffrents devenirs et dextase pour schapper de
son propre tre et avoir accs aux deux autres modes.737
388
lme et lanimalit. 742 Selon le mythe du bateau de No, tous les vivants taient
gaux au dbut. Les animaux et lhomme sont venus la Terre et dissmins dune
mme manire. Et la fin, ils vont tous runir. Ils vont tous mener sous le mme toit
vers la fin du monde. Chez Deleuze, la vie elle-mme est immortelle et elle se
conoit non seulement dans les tants vivants mais dans tous tants. La vie ne meurt
pas, les organismes meurent. Les organismes produisent des manires, des attitudes
et des images la mesure quils ont la vie. Un art et une littrature y est dj prsent
dans la vie nue de la Nature. Deleuze le souligne clairement. En outre, lart et la
littrature fait cho dans tout lUnivers, ils se pntrent dans tous les tants vivants et
non-vivants. En ce sens, lhomme nest pas le seul tant qui produit du sens.
Lhomme comme celui qui remarque le sens possd par lUnivers, celui qui
linterprte et produit des arts par son logos propre, doit tre conu quand mme
comme une partie de cet Univers.
Cest la puissance dune vie non-organique, celle quil
peut y avoir dans une ligne de dessin, dcriture ou de
musique. Ce sont ces organismes qui meurent, pas la vie.
Il ny a pas duvre qui nindique une issue la vie, qui
ne
trace
un
chemin
entre
les
pavs. 743
La vie elle-mme est immortelle. Cette immortalit drive de son cycle ternel.
Cest pourquoi le devenir-animal est ce qui va faire retourner lhomme au Logos de
la Phusis. Dans le machinisme universel dfendu par Deleuze-Guattari, lthique
et lesthtique se mlent ; elles deviennent insparablement la vie elle-mme. Ainsi,
le chemin de connatre lthique et lesthtique sera la recherche de la vie. Cest
pourquoi dans cette thorie, lontologie est trs importante, car il y existe ce lien
fondamental ontologique entre laffectivit et lme animale dmontr chez Spinoza
et chez Leibniz. Ce lien montre pourquoi on peut essayer dlucider lanimalit par
les termes musicaux.
La musique ou la physique des ondes de son comme des rapports de tonalit
dfinit la relation concernant les affects et le monde de chaque vivant comme une
742
Il ne faut pas oublier pourquoi Pythogore et ses disciples ont devenu vgtariens. Lide de
limmortalit de lme et sa transmigration (de tous les vivants) passe la pense grecque sans doute
sous linfluence des doctrines anciennes de lEst.
743
Entretien de Gilles Deleuze avec Raymond Bellour et Franois Ewald : Signes et vnement ,
dans le Magazine littraire Deleuze, pp. 16-26, septembre 1988, p. 20
389
Les exemples dune esthtique ngative existe aussi bien que chez Schnberg et Alban Berg, chez
des extraits destructifs de la musique rock de loccident. (vr. Sonic Youth, My Bloody Valentine)
Deleuze-Guattari parlent plutt de la musique de Pierre Boulez, des micro-blocs de Mozart, du La de
Schumann, du contrepoint et les blocs de sons. (MP, p. 365)
390
745
Ubique en latin dsigne lomniprsence, tre prsent en tout lieu ou en plusieurs lieux
simultanment. Lubiquit est un terme originalement thologique, pourtant il est aussi utilis dans la
biologie pour dfinir la capacit dun tre vivant habiter dans des diffrents milieux (biotopes).
Deleuze-Guattari retrouvent ce terme dans le roman de Michel Tournier, Les mtores. (MP, p. 319)
391
392
mme sils sont produits par lui. Car lUnivers lui-mme est comme une mlodie qui
se rpte, une ritournelle. Elle se rpte interminablement dune manire diffrente.
La musique nest pas le privilge de lhomme : lUnivers,
le cosmos est fait de ritournelles ; la question de la
musique est celle dune puissance de dterritorialisation
qui traverse la Nature, les animaux, les lments et les
dserts non moins que lhomme. (MP, p. 380)
746
393
exprim par tous les cosystmes, (2) sous forme dune auto-affirmation ontologique
sans tomber un animisme comme dans lhypothse de Gaia de Lovelock, (3) sous
forme dune politique durable et dune production de valeur pour certains
perspectifs, (4) sachant quil inclut toujours une finitude.747
En soulignant le concept de flux au sens dHraclite et de Nietzsche, DeleuzeGuattari agissent contre le sens de ce concept dans les sciences de lconomie
capitaliste. En faisant ceci, ils utilisent ces dfinitions pour leurs propres fins :
Il n'importe pas encore pour nous d'avoir une dfinition
relle des flux, mais il importe, comme point de dpart,
d'avoir une dfinition nominale et cette dfinition
nominale doit nous fournir un premier systme de
concepts. Je prends comme point de dpart pour la
recherche d'une dfinition nominale des flux, une tude
rcente d'un spcialiste des flux en conomie politique :
Daniel ENTIER, "Flux et stocks". Stocks et flux sont deux
notions fondamentales de l'conomie politique moderne
marques par Keynes au point qu'on trouve chez lui la
premire grande thorie des flux dans: "La thorie
gnrale de l'emploi et de l'intrt". Entier nous dit: "du
point de vue conomique, on peut appeler flux la valeur
des quantits de biens de service ou de monnaie qui sont
transmises d'un ple un autre".748
Ce quils croient en effet, cest que les thories les plus russies sont celles qui
ont vises comprendre la structure de la Nature au plus proche possible son tat
rel. Or lerreur est duser ce systme form aprs lanalyse de la structure, contre la
Nature elle-mme. Car aucun modle ou machine ne peut avoir une perfection
comparable avec la Nature. Cependant, un systme qui va recevoir sa puissance de la
Nature et qui sarticule elle peut fonctionner dune manire plus fconde pour
lhomme et aussi pour la Nature. Pour atteindre ce stade, il nous faut une
transformation et une re-dfinition dans le langage et dans la cration du concept
aprs la re-dfinition de la perception et de la sensation.
747
Ibid., p. 2.
Gilles Deleuze, Cours sur la nature des flux, Anti-dipe et Mille Plateaux (14.12.1971), cours
profess le 14 dcembre 1971, lUniversit de Vincennes, p. 1. Page consulte le 10 Octobre 2013,
http://www.webdeleuze.com/
748
394
Pour cette raison l, au lieu du modle invariable denracinement, DeleuzeGuattari choisissent lintrieur de la Nature, le modle sans racine ou racine
mouvante : rhizome. Le rhizome peut surpasser toutes les dichotomies car il nest pas
enracin un seul lieu. En sopposant un grand arbre enracin, il est plus petit mais
mouvant, sous forme dune radicelle. Ce devenir nomade pour Deleuze-Guattari est
le modle qui peut soutenir Chaosmos le mieux ; lapproche qui va tre conforme
totalement au logos de la phusis. Car mme sil est une plante, le rhizome est
mouvant comme un animal, dune manire autre. Un rhizome vgtal samplifie audessous de la terre, forme des combinaisons diffrentes chaque fois par des
connexions accidentelles. Donc, au lieu de senraciner verticalement, il slargit dans
son territoire sur la surface, par des connexions suprieures. Cette horizontalit
dfinit la thorie des point dentre et de sortie multiples et non hirarchiques dans
la prsentation et interprtation de la connaissance : science des surfaces.
Dans la science des surfaces, un insecte et une plante sont mmes comme
rhizome, puisque ils continuent dtre en devenir par des mmes lments. Ce qui est
important, ce nest ni la copie, ni la ressemblance. Ce qui importe, cest la
dterritorialisation sur la ligne de fuite, cre au moment o deux existences et
codes de conduite diffrents forment un rhizome par un rapport au hasard.749 Ceci
devient visible par exemple dans la littrature, chez Kafka, Proust, chez Lewis
Carroll, D.H. Lawrence et Lovecraft ; dans la philosophie chez Simondon, Foucault
et Whitehead comme modles selon Deleuze-Guattari de faire avancer le logos vers
la gophilosophie, vers le logos de la phusis et ainsi de rendre une nouvelle
subjectivit possible.750
A loppos de larbre, le rhizome nest pas lobjet de
reproduction : ni reproduction externe comme larbreimage, ni reproduction interne comme la structure-arbre.
749
395
396
397
754
Alors cest voyager sans se bouger ; cest--dire une sorte de transcendance mais qui est quand
mme sur la surface, immanent aux devenirs. LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par
Pierre-Andr Boutang, Claire Parnet et Gilles Deleuze, V comme Voyage .
398
DevenirH
DevenirD
DevenirN
Figure 2.13
399
fond est autonome. (DR, p. 44) Cest une ligne abstraite agissant directement sur
lme. La diffrence en elle-mme, cest--dire la diffrence de la diffrence est la
dsubjectivation de lhomme. Dans ce miroir, le visage humain se dcompose (DR,
p. 44) Quand les visages se dfont commence le Rhizome.
757
Nuds
400
760
401
763
402
corps sans organes, et mme dans tous les corps au-del de ce corps.764 Quest-ce qui
est jet ? Qui se transforme qui ? Selon Derrida, un devenir-sujet ou devenir-Dasein
apparat grce la possibilit de cette question qui est jet ? et ce qui ?
indtermin.765 A ce point, les concepts de lappel et de lamiti gagnent de sens.
Quelle est la responsabilit de lhomme envers lanimal et la Nature ? Lanimal,
peut-il comprendre cette responsabilit confronte par lhomme ? Peut-il la
rpondre ? Peut-il linterroger ? Est-ce lanimal en train dentendre cet appel ? Ou
bien est-ce, cette voix compltement trange pour lui ? La rponse heideggrienne
est ngative. Ainsi, le problme de la responsabilit de lhomme envers lanimal se
disparat.766
Or, Derrida ne semble pas tre convaincu. Le commentaire sacr de lthique
ou la saintet elle-mme : le sujet comme moi est responsable de lautre, avant sa
propre responsabilit. Tu ne tueras pas ! Tu ne tueras pas ton prochain ! Ce
commandement qui interdit de tuer, de faire souffrir, de faire du mal, interdit aussi de
manger. Il ny a pas le Bien et le Mal chez Spinoza, il y a seulement le bon et le
mauvais. Voil donc que lEthique, cest--dire une typologie des modes dexistence
immanents, remplace la Morale, qui rapporte toujours lexistence des valeurs
transcendantes. (SPP, p. 35) Lami sloigne infiniment vers la transcendance.
Mme si le commandement ( tu ne tueras pas ! ) ne soit pas l, ce moment, il est
assum ainsi. Alors, au lieu dun rapport de destruction et de violence, une amiti
peut tre forme par la transcendance, entre le soi et lautre. Ainsi, un pacifisme peut
natre non pas seulement parmi les hommes mais parmi tous les vivants : ce qui est
justement le contraire de ltat naturel. Les tants ne doivent pas tre en conflit
(Streit) mais tre en harmonie. 767 Selon Derrida, cela semble dtre la vertu et la
responsabilit de lhomme. Tu ne tueras pas aucun vivant ! Lautre dans son
rapport avec lhomme ne doit pas tre rduit un objet. Le rapport entre le sujet et
lautre-sujet : ainsi pour lhomme qui est ltre-l (Dasein), ltre-avec (Mitsein) va
aussi devenir possible. Pourtant, puisque Derrida traite le problme la base de la
764
A la fin de cette objection, Derrida continue son commentaire de Heidegger et annonce (dautre
part travers le problme du langage la question de rptition/itration) la responsabilit de
lhomme envers lanimal.
765
Ibid., p. 281.
766
Ibid., p. 292.
767
Ibid., p. 293.
403
404
CONCLUSION
Cette tude nous montre dabord que la zone de lhomme et de lanimal est une
zone infiniment ambigu, une zone dans laquelle la structure de lUnivers est
marque par lindterminabilit. Nous savons maintenant que la question de lanimal
ne peut tre jamais exclue de celle de lhomme. Non pas parce quelles sont des
questions opposes sur le plan ontologique mais parce quelles marquent la jonction
de toutes les questions de lontologie et de la mtaphysique.
Par notre tude sur les cours de Heidegger de 1919 1931, nous avons lucid
que le philosopher pour Heidegger, cest de faire retourner la philosophie son
tat prsocratique et la philosophie premire dAristote. Ceci ncessite prcisment
la recherche de lEtre par quatre plissements. Afin de rtablir un quilibre,
lorientation de la philosophie doit tre de plus en plus vers le deuxime plissement
(energeia/dunamis). Cette interprtation suivant la voie de Trendelenburg et de
Schleiermacher permet Heidegger de dfinir lEtre de ltant par le pli multiple
(unit et multiplicit). Ainsi, on conclut que le logos de lanimal aussi doit suivre la
forme de tetrakhos. Or, il doit exister quand mme une diffrence entre lhomme et
lanimal selon linterprtation heideggrienne dAristote. Le problme nest pas de
dmontrer quil existe une diffrence, mais que si elle est une diffrence ontologique
ou non. Notre tude montre que le Heidegger des cours des CFM est tout fait
conscient que cette zone est une zone ambigu. Cest pourquoi, il nhsite pas de
questionner ses hypothses sur la tonalit (Stimmung) en se lanant sur le pouvoir
avoir un monde de lanimal. Ainsi par son hsitation au cours du texte, il ouvre la
question de lanimal dans lhistoire de la philosophie dune manire ontologique.
Heidegger vise vrifier quil existe une diffrence ontologique entre ltre
humain et lanimal qui nest pas lie lessence de la vie (psukh) ; peut-tre cest
une autre essence qui permet lexistence temporelle par une temporalit
fondamentale mais qui est paradoxalement jointe lessence de la vie. Les travaux
de Heidegger sont cohrents avec son interprtation dAristote jusqu 1925.
405
se
mettent
sur
le
bon
chemin.
Linterprtation
406
407
4. Lanimal peut avoir un monde mme sil ne possde aucun logos (autre
mode de vie).
Comme pour le Dasein, louverture de la configuration authentique de la
question du Mitsein et spcifiquement de lanimal se montre chez Heidegger dans
ltude de la tonalit (Stimmung). Pour Heidegger, tonalit ou affection nest pas une
passivit du sujet puisquil refuse toute thorie de subjectivit et dobjectivit. La
question de conjonction ou de disjonction entre tonalit/affectivit et subjectivit est
invalide puisque la tonalit est insparable du Dasein et de son monde tout en
participant la zone dindiscernabilit danimal/homme. Avec lanalytique
existentiale, Heidegger renonce en effet la dgradation de lanimal et des autres
tants vivants par le pathos : tre passif, endormi, mort. Tonalit est la dcouverte
dune auto-affection : affection non par soi, non par lautre. Sommeil, inconscience,
animalit : lanalyse de la tonalit ouvre la possibilit de traiter lhomme et lanimal
une mme base : celle dune nouvelle ontologie de la vie (existence).
Le Mitsein est le co-entendre ou le co-comprendre. Sa disponibilit (tre
ouvert, souvrir lautre) est sans mot. Il est aveugle, muet. Le co-entendre est sans
il, sans oreille et sans ton. Cest une tonalit intone et quand mme indivisible ;
une tonalit analogue la tonalit musicale. La monstruosit de lanimal : elle est
nulle, invisible, inentendue, insaisissable. Ou bien elle est partout, vue dans tous les
coins, entendue vastes distances, saisie chaque instant. La tonalit du Mitsein est
lharmonie de ce qui est toujours et dj solutum . Elle est muette/sur ton. En ce
sens, la tonalit comme affection non-affecte peut rvler en mme temps que la
tonalit de la psych humaine, celle de la psych animale. Cest lauto-affection de
lanimal sans-main . La mise en abme de lanimal (sans dchet, immanente) par
lhomme (produit du dchet, synthtique) demeure dans lambigut du dernier. La
philosophie comme une question driger ou de ne pas riger se forme ainsi dans
limage sans image , dans la phrase sans mot , musique sans note comme
Mitsein.
On trouve ainsi la possibilit dun pouvoir avoir un monde de lanimal chez
Heidegger dans son hsitation au cours de ses lectures en 1929/30. Heidegger
cherche le vrai fondement de lEtre. Deleuze dautre part, essaie dlibrment de
408
fonder une pense sans fondement puisque le fondement dit-il, est ce qui oppose
lhomme lanimal. Le fondement est lnonc de lhomme qui le spare de tous ce
qui est sans nonc. La vraie connexion de lhomme alors avec la Nature ou
lUnivers, dont limmdiateur est lanimal, est paradoxalement une connexion sans
fond. Cest pourquoi, il nous faut rtablir notre langage avec les animaux, il nous faut
rparer nos sens donner loreille au silence, la langue du muet. Puisque selon
Deleuze-Guattari, la Nature est une unit sans tte, ou une seule tte : ni le tigre, ni
la tique possdent leur propre tte visage individuelle. Ils ont tous la tte de la
Nature. Ainsi, rtablir le langage avec un animal veut dire en effet rtablir la
connexion avec toute la Nature. Ce lien peut tre ce du chaman, du nomade, du
compositeur, du philosophe, de lauteur, du peintre ou du pote. Ce quils ont tous en
commun, cest davoir accs au langage sans langage dans la zone
dindiscernabilit danimal/homme.
Le logos de Deleuze est un logos li avec la phusis. Ainsi, le pouvoir avoir
logos (tre configurateur de monde) est possible pour lanimal aussi. Cest une
philosophie capable penser et faire exister la fois le chaos et le cosmos. La psukh
y est une possibilit infinie et un flux permanent. Cest une psych qui est une et
mme pour chaque tant mais capable de varier selon les capacits du corps. Ainsi le
devenir devient llment dterminant du Chaosmos. Cest--dire que le plus dcisif
des plissements (catgories, vrit, energeia/dunamis et sumbebekos) chez Deleuze,
partant de la structure quadruple dAristote pour la question de lEtre, sont
lenergeia/dunamis et sumbebekos. Car le devenir est dans la vie. Il savance l-bas
(dans la phusis, dune manire cyclique) et actualise sa structure accidentelle. Ainsi
au lieu des termes de microcosmos et de macrocosmos, la phusis et psukh
ncessitent lintroduction de micro-chaos et de macro-chaos. Cette cration dans
laccident se forme en faisant natre constamment un plissement et une multiplicit.
La possibilit donne par la perception et la sensation lhomme et lanimal
va leur permettre davoir la cration dune certaine mesure. Cette crativit peut tre
sous forme de leur production dart ou de leur devenir en une uvre dart.
Limportance des tres vivants pour Deleuze ne drive pas de leur capacit de
mouvement par lnergie produite dans leur organisme, mais par les actes des
forces invisibles sur leur corps . Cest pourquoi chaque me/corps possde la
409
possibilit avoir accs une puissance mme plus grande que sa propre capacit.
La force de la perception et de la sensation est aussi justement comme telle : une
force vitale qui fait dborder toutes les domaines et qui les traverse. Ici, ce que
Deleuze en parle est la force qui peut tre produite par les me/corps comme une
uvre dart. Cest cette force, mme au-del de la force vitale qui va donner
naissance la crativit, cest--dire la multiplicit et plissement illimit lintrieur
du Chaosmos. Tout comme Heidegger, Deleuze aussi attache une importance
particulire au rapport entre le son et laffection. De plus, il attache de limportance
au rythme qui va donner la diffrence et la rptition dans le son et dans limage, et
ainsi lunit (tonalit - harmonie) et la multiplicit (atonalit dissmination).
Selon Heidegger, lidal de lHumanisme empche le diagnostic propre de la
question de lEtre et par l, la question de lanimal/homme. Il essaie de dfaire tout
humanisme. Pourtant sa thse triple des CFM semble rtablir une zone privilgie
pour ltre humain sous la constitution du Dasein en voilant la possibilit de
pouvoir avoir un monde de lanimal : la pierre est sans monde, lanimal est
pauvre en monde, lhomme est configurateur de monde. Comment on va
philosopher sur le pouvoir avoir un monde de lanimal ? Quelle est le degr
de la privation ? Est-ce que cette privation annule compltement la possibilit davoir
accs un monde ?
Pendant ses cours de 1929/30 ouvrant la question de lanimal partir la
question du monde , Heidegger insiste surtout sur la thorie dun biologiste, Jacob
von Uexkll et son usage du concept du monde (Umwelt). Il adapte ce concept sa
propre thorie. Mme sil emploie lUmwelt pour dsigner seulement le monde du
Dasein, la possibilit dune multiplicit des mondes relatifs pour des divers tants
vivants reste sur la table. Ainsi, la production de signification des mondes possibles
diffrents modes de perception et de sensation, et de l des diffrentes subjectivits
menace lentier de la thse triple, en les unifiant spcifiquement sur la question de
lanimal. Le pouvoir avoir un monde de lanimal en ce sens devient le centre de
philosopher .
On peut dire que si lhomme actuel ne donne pas doreille au langage animal.
Sil ne lentend pas, cest peut tre le rsultat de son effort de se sparer
410
411
412
Pour Deleuze, la tche du philosophe sera de rectifier sans cesse les concepts
puisquils sont ambigus tant imaginal, ce qui peut les rendre incomprhensible sils
ne sont pas rectifis. Ainsi, il va falloir reprendre, retraiter, rinterprter, repenser et
recrer les concepts pour chaque transformation de perception. Cest exactement ce
que Deleuze veut faire. Toute structure et consquence de la philosophie tablie peut
changer.
Le
philosophe
peut
parfois
mme
oublier
ses
propres
413
414
musique nous fournit un langage dont le signifi est indtermin : signes illimits,
sens infinis. Cest par cette logique entre lanimalit et la musique quUexkll
emploi des termes musicaux dans son tude sur les mondes animaux et le monde
humain : tonalit (Ton), coloration (Tnung), harmonie (Harmonie). Heidegger et
Deleuze le suivent : tonalit (Stimmung), se transposer (sich versetzen) temporalit
(Zeitlichkeit) chez Heidegger ; rythme, variation, ritournelle chez Deleuze.
Est-ce quun animal peut connatre un objet comme tel ? Peut-il entrer en
relation avec un objet comme tel ? Cest la formulation de la question chez
Uexkll. Pour Heidegger, la formulation est Est-ce que lanimal peut avoir un
monde ? Est-ce que lanimal peut connatre ltant comme tant ? Cette question
prsuppose ltant comme tant. Or chez Deleuze, il ny a pas dtant comme tant.
Donc la question heideggrienne est invalide. Il ny a pas une seule vrit ou
connaissance de la vrit (comme le dcouvrement de lEtre) mais une pluralit des
vues (poli-subjectivit) dans le devenir qui permet de pouvoir avoir un monde (de
signification) pour tous les vivants.
Un singe peut avoir plus daffects quun unicellulaire, un homme peut avoir
une capacit plus ample dintellect que celle dun poisson. Un tigre peut avoir un
territoire plus grand que ce dune bactrie. Mais cela ne veut pas dire quils sont
ontologiquement suprieurs. Au contraire, chaque tant vivant peut samliorer la
limite de ses capacits de son corps selon lobjectif de la vie en gnral. Chaque
vivant peut avoir sa manire dtre qui fait de lui un tre unique (en termes de
perception, sensation, affectivit). En ce sens, chaque vivant peut possder son
monde propre. En refusant cette pluralit de mondes et cette poli-subjectivit, la
civilisation moderne daujourdhui comme la systmatisation de la souverainet
absolue de lHomme semble ngliger plusieurs questions qui sont en effet
essentielles pour lui-mme et pour lUnivers :
1. Lanimal en lhomme (lanimal comme autre)
2. Lhomme en lanimal (la question de pouvoir avoir un logos de lanimal)
3. Les proprits gnrales de lme (affectivit, tonalit)
4. Le lien entre lme (vitalit) et Nature (ou Cosmos)
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Deleuze
427
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BACON Francis, Etude pour la nurse dans le film Cuirass Potemkine, 1957. Huile
sur toile, 198 x 142 cm. Collection Stdelsches Kunstinstitut und Stdische Galerie,
Frankfurt.
BACON Francis, Autoportrait, Lhomme la tte de cochon , 1973. Huile sur
toile, 198 x 147,5 cm. Collection prive, New York.
BACON Francis, Lhomme au chien, 1953. Huile sur toile, 152,5 x 118 cm.
Collection Allbright-Knox Art Gallery, Buffalo.
BACON Francis, Triptyque, Lhomme qui schappe du trou noir , mai-juin 1973.
Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. Saul Sternberg Collection, New York.
BACON Francis, Painting, 1978. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. Collection prive,
Mont-Carlo.
BOUTANG Pierre-Andr, LAbcdaire de Gilles Deleuze, filme ralis par PierreAndr Boutang, Claire Parnet et Gilles Deleuze, Paris : Femis, 1988.
428
429
ANNEXES
Annexe I
1.
2.
430
3.
Corps dun ouistiti aprs avoir reu une blessure dans le cerveau pendant une
exprience Cambridge.
4.
431
5.
6.
432
7.
Annexe II
Concepts dUexkll
Monde ambiant (Umwelt) : Cest le concept dUexkll qui soppose au concept
darwinien de lenvironnement. Chaque organisme selon Uexkll a son Umwelt
propre en accord avec ses propres mesures. Cest--dire que chaque organisme est un
sujet, qui est dans le centre de son monde ambiant propre. La raison pour cela, est
que chaque tre vivant, soit un arbre, une tique ou un dolphin se diffre en sa
subjectivit par deux manires : ses outils et ses perceptifs. La doctrine principale
dUexkll est que lanimal (ou tre vivant en gnral) nest pas une machine, mais
un machiniste. . Chaque animal possde des rcepteurs qui reoivent des percepts.
Par ces cellules sensorielles, lanimal (et lhomme) travaille sur ces percepts et en
fait des signes. Cette interprtation lui permet de connatre sa manire ce qui
lentoure. En rsultat dit Uexkll, lanimal arrange (arraisonne) ce qui est autour, il
lui donne un sens et le fait le sien : cest ce quUexkll appelle monde ambiant
(Umwelt).
Signes perceptifs (Merkmal) : le signe que lanimal reoit par ses organes sensoriels
(perceptifs).
Lespace actantiel : Lespace que lanimal peut utiliser pour agir ou bouger dans une
position prcise et dans un moment prcis ; lespace ouvert sa perception singulire
un temps.
Lespace tactile : Lespace que lanimal peut utiliser pour toucher ; lespace ouvert
sa perception tactile singulire un temps.
Lespace visuel : Lespace que lanimal peut utiliser pour seulement voir dans une
position prcise et dans un moment prcis ; cest lespace ouvert sa vision en
mouvent ou en repos.
Le lointain : lhorizon de lespace visuel ; le plan le plus loign.
433
Chacun de ces aspects (les signes perceptifs, lespace actantiel, tactile, visuel et le
lointain) peuvent varier non seulement dun genre un autre, mais aussi dun sujet
un autre. Par example dans le monde de la tique, les seuls signes perceptifs sont les
perceptifs du sens de lodorat. La tique est aveugle et sourde (pas despace visuel ou
sonore). Son espace actantiel commence de larbuste jusqu son saut sur sa proie.
Un autre ses quelle possde sert distinguer les animaux sang chaud des animaux
sang froid. Son espace tactile est trs dvelopp. Pourtant elle na pas de got.
Seulement elle distingue le liquide la bonne temprature. Pour elle, le lointain cest
au bout de quelques centimtres.
Quand on compare les aspects de la tique aux celles dune abeille ou dune ourse par
example, on constate toute une nouvelle ordination de paramtres. Cela montre selon
Uexkll que chaque tre vivant (organisme) possde un monde ambiant qui lui est
propre. Pour cette raison, il dit que chaque tre vivant est un sujet dans son monde. Il
faut souligner quUexkll a t influenc par la thorie de la connaissance de Kant. Il
a voulu dvelopper ses observations en appliquant la thorie de Kant aux mondes
animaux. (Rting T. History and significance of Jacon von Uexkll and of his
institute in Hamburg in Sign Systems Studies, 32, 1/2 , 2004, p. 49.) Il a essay
dutiliser la biologie (lobservation empirique des mondes animaux) comme
pistmologie. Sa conception de lUnivers comme cration des mondes (Umwelten)
innombrables a contest lide du monde objectif et universel.
Le temps perceptif : le temps comme succession dinstants, change dun milieu
lautre selon le nombre dinstants que les sujets exprimentent dans une mme
priode (cest un concept dvelopp par K. von Baer).
Image-perception (Merkbild) et Image-action (Wirkbild) : Chaque position des
objets de son monde peut donner une diffrente signification ltre-vivant. Suivant
cette significativit (soit de limage-perception, soit de limage-action) le sujet
(ltre-vivant) fait son choix vers ses buts et besoins.
Image prospection : Limage que ltre-vivant attend ou prvoit devant lui.
Tonalit prospective (ton) : Le prospect sans image que ltre-vivant attend ou
prvoit (souvrir) devant lui.
Selon la citation dUexkll, la dure de linstant slve pour lhomme un dixhuitime de seconde tandis que pour un certain poisson (Betta splendens) ce nombre
doit tre au moins trente cinquante fois par seconde.
Le monde (Umwelt) de ltre vivant est activement cre par lui selon ses besoins et
buts. Le monde change temporellement. (1) Ltre-vivant est un sujet sensible de son
monde : il est affect par les percepts quil reoit de son monde. Il est capable de les
donner un sens. (2) Ltre-vivant est un sujet effectif sur son monde : il a le pouvoir
de larranger, larraisonner.
Jacob von Uexkll, Mondes animaux et monde humain, trad. Muller P., Paris :
Denol, 1965.
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BIOGRAPHIE
Can Batukan, n le 11 octobre 1978 Ankara, Turquie, est un chercheur sur la
question de lanimal et de la Nature dans la philosophie. Il a fait ses tudes
secondaires au Lyce Saint Joseph Kadikoy, Istanbul. Aprs des tudes sur les
mathmatiques et les sciences conomiques Istanbul Bilgi University, il obtint sa
matrise de philosophie lUniversit Galatasaray en 2006.