Administratif, Séance 5

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Fiches d’arrêts

05/11/2009
Séance 5

. CE Sect. , 5 mai 1944, Dame Veuve TROMPIER GRAVIER ;

(Par cet arrêt, le Conseil d’État affirme l’existence d’un principe général de respect des droits
de la défense dès lors qu’une décision administrative revêt, à l’encontre de la personne
concernée, le caractère d’une sanction.)

Faits : Mme Trompier-Gravier, qui était titulaire d’une autorisation de vendre des journaux
dans un kiosque du boulevard Saint-Denis à Paris, s’était vu retirer cette autorisation au motif
qu’elle aurait voulu extorquer des fonds à son gérant

Problème Juridique : En quoi cet arrêt consacre-t-il une évolution des droits de la
défense ? Comment cet arrêt consacre-t-il les décisions prisent lors de l’arrêt Téry ?

Solution : Le Conseil d’État, saisi d’un recours de l’intéressée contre cette décision de
retrait, donna raison à la requérante en jugeant que "eu égard à la gravité de cette sanction,
une telle mesure ne pouvait légalement intervenir sans que la dame veuve Trompier-Gravier
eût été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle". Le Conseil d’État ne prenait
pas partie sur le fond de l’affaire en cause, il se bornait à relever que l’administration n’avait
pas respecté le principe du respect des droits de la défense en ne permettant pas à l’intéressée
de s’expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés.

L’arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier consacre une évolution jurisprudentielle ancienne qui
avait déjà eu l’occasion d’affirmer l’existence d’un principe de respect des droits de la
défense dans la procédure juridictionnelle (20 juin 1913, Téry, p. 736) ou, en se fondant sur
l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, s’agissant des mesures relatives à un fonctionnaire
prises en considération de sa personne. L’arrêt du 5 mai 1944 étend cette garantie procédurale
à toutes les mesures prises par l’administration à condition que soient réunies deux
conditions : la mesure doit prendre, pour la personne visée, le caractère d’une sanction ; elle
doit être, pour l’intéressé, suffisamment grave. C’est le cas, par exemple, pour une décision
administrative entravant l’exercice d’une activité professionnelle (Sect. 8 janvier 1960,
Ministre de l’intérieur c. Rohmer et Faist , p. 12), pour le retrait de l’agrément d’une
association (Ass. 31 octobre 1952, Ligue pour la protection des mères abandonnées , p. 480),
pour le retrait d’un agrément fiscal accordé à une entreprise (Sect. 25 octobre 1985, Société
des plastiques d’Alsace , p. 300), pour la résiliation d’un contrat (Sect. 19 mars 1976,
Ministre de l’économie et des finances c. Bonnebaigt , p. 167), pour le déclassement d’un vin
d’appellation (Sect. 9 mai 1980, Société des établissements Cruse , p. 217), le rejet d’une
demande d’exercice d’une profession réglementée dès lors que ce rejet repose sur des faits
non mentionnés dans la demande de l’intéressé (25 novembre 1994, Palem , p. 753).

Le décret du 28 novembre 1983 a étendu le champ du principe de respect des droits de la


défense dans des matières qui n’étaient initialement pas concernées, notamment les mesures
de police, même si demeurent hors champ les mesures prises sous l’empire de l’urgence, en
cas de circonstances exceptionnelles ou les mesures prises en vertu d’une nécessité d’ordre
public (13 juin 1990, S.A.R.L. Pub 90 , p. 162). Ainsi, doivent être prises en respectant les
droits de la défense les mesures suivantes : dissolution d’une association (26 juin 1987,
Fédération d’action nationale et européenne, p. 235) ; interdiction de la vente aux mineurs
d’une revue (19 janvier 1990, Société française des revues, p. 553). Par ailleurs, le Conseil
d’État a admis que des mesures qui ne revêtent pas le caractère de sanction mais qui sont
prises en considération de la personne et présentent pour elle une gravité suffisante soient
soumises au respect du principe des droits de la défense (ex., pour les décisions par lesquelles
les caisses de sécurité sociale décident le reversement de sommes par les médecins : 30 avril
1997, Assocation nationale pour l’éthique de la médecine libérale et autres, p. 174).
Le respect des droits de la défense comporte deux exigences essentielles : l’intéressé doit être
informé suffisamment tôt de ce qu’une mesure va être prise à son encontre et des faits retenus
contre lui, de manière à être en mesure de préparer sa défense (20 janvier 1956, Nègre , p.
24) ; lorsque les textes prévoient la communication à l’intéressé de son dossier, celle-ci doit
être intégrale. En outre, en matière disciplinaire, l’intéressé peut se faire assister d’un avocat,
sauf si les textes en disposent expressément autrement.
. CE ass. , 17 février 1950, (Ministre de l’agriculture c.) Dame Lamotte

(Par la décision Ministre de l’agriculture c/ Dame Lamotte, le Conseil d’État juge qu’il existe
un principe général du droit selon lequel toute décision administrative peut faire l’objet,
même sans texte, d’un recours pour excès de pouvoir.)

Faits : La loi du 17 août 1940 avait donné aux préfets le pouvoir de concéder à des tiers les
exploitations abandonnées ou incultes depuis plus de deux ans aux fins de mise en culture
immédiate. C’est en application de cette loi que, par deux fois sans compter un arrêté de
réquisition, les terres de la dame Lamotte avaient fait l’objet d’un arrêté préfectoral de
concession. Le Conseil d’État avait annulé à chaque fois ces décisions. Par un arrêté du 10
août 1944, le préfet de l’Ain avait de nouveau concédé les terres en cause. Mais une loi du 23
mai 1943, dont le but manifeste était de contourner la résistance des juges à l’application de la
loi de 1940, avait prévu que l’octroi de la concession ne pouvait "faire l’objet d’aucun recours
administratif ou judiciaire". Sur le fondement de cette disposition, le juge administratif aurait
dû déclarer le quatrième recours de la dame Lamotte irrecevable.

Problème Juridique : Comment le CE peut il attaquer un acte administratif lorsque celui-


ci ne fait l’objet d’aucun recours administratif ou judiciaire ?

Solution : Le Conseil d’État ne retint pas cette solution en estimant, aux termes d’un
raisonnement très audacieux mais incontestablement indispensable pour protéger les
administrés contre l’arbitraire de l’État, qu’il existe un principe général du droit selon lequel
toute décision administrative peut faire l’objet, même sans texte, d’un recours pour excès de
pouvoir et que la disposition de la loi du 23 mai 1943, faute de l’avoir précisé expressément,
n’avait pas pu avoir pour effet d’exclure ce recours. Le même raisonnement prévaut s’agissant
du droit au recours en cassation (CE, Ass., 7 février 1947, d’Aillières).

En application de cette jurisprudence, confirmée à plusieurs reprises, le pouvoir réglementaire


ne peut jamais interdire le recours pour excès de pouvoir contre les décisions qu’il prend.
Certes, en principe, le législateur, s’il le précisait, pourrait interdire le recours pour excès de
pouvoir contre certaines décisions. Mais, dans le contexte normatif actuel, une telle
disposition se heurterait sans doute aux stipulations du droit international relatives aux droits
des individus à exercer un recours effectif contre les décisions administratives. La Cour de
justice des communautés européennes en a fait un principe général du droit communautaire
(15 mai 1986, Johnston, p. 1651) et l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit le droit à un recours effectif pour
toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention auraient été méconnus.
Elle serait également et surtout contraire aux normes et principes de valeur constitutionnelle
puisque, dans une décision du 21 janvier 1994 (93-335 DC, p. 40), confirmée par une décision
du 9 avril 1996 (96-373 DC), le Conseil constitutionnel a rattaché le droit des individus à un
recours effectif devant une juridiction en cas d’atteintes substantielles à leurs droits à l’article
16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui fait partie du bloc de
constitutionnalité.
. CE sect. , 9 mars 1951 SOCIETE DES CONCERTS DU CONSERVATOIRE

(Cet arrêt et les conclusions dans lesquelles il a été rendu consacre la théorie des «principes
généraux de droit », dont la jurisprudence antérieure s’était souvent inspirée sans la nommer.)

Faits : Deux membres de l'orchestre formé par la société requérante ont été sanctionnés par
celle-ci pour avoir participé à des concerts radiophoniques. Par rétorsion, la Radiodiffusion
française interdit temporairement d'antenne la Société des concerts du Conservatoire.

Problème Juridique : Quel apport cet arrêt consacre-t-il dans le fonctionnement des
services publics ? Comment le Conseil d’Etat va-t-il sanctionner l’acte d’interdiction donné
par la Radiodiffusion Française ?

Solution : le Conseil d'État va estimer qu'aucune raison d'intérêt général ne pouvait la


justifier, qu'ainsi a été méconnu « le principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services
publics ». Le principe d’égalité implique que toutes les personnes se trouvant placées dans
une situation identique à l’égard du service public doivent être régies par les mêmes règles.

Le principe d’égalité n’interdit cependant pas à l’administration de traiter différemment des


personnes à la condition que la différence de traitement soit en rapport avec la différence de
situation ou quel tienne à des considérations d’intérêt général liées au fonctionnement même
du service public.
. CE Ass. , 22 juin 1951, DAUDIGNAC

Faits : Depuis les années 30, le développement de la profession des photographes-filmeurs


dans les rues de bon nombre de villes et de sites touristiques se heurte à l’hostilité des
passants (qui ne veulent pas qu’on les photographie sans leur accord et craignent une atteinte
à leur vie privée) et des photographes installés en magasin (qui craignent une concurrence
déloyale). Un assez grand nombre de Municipalités ont interdit ou réglementé l’exercice de
cette activité... Le Maire de Montauban par exemple a soumis l’exercice de cette activité à
une autorisation préalable avec des conditions multiples.

Monsieur Daudignac, qui exerce cette profession et a connu quelques ennuis, intente un
recours contre l’Arrêté du Maire pour éviter d’être poursuivi et verbalisé.

Problème Juridique : En vertu de l’article 97 de la Loi du 5 avril 1884 (Art. L. 2212-2


du C.G.C.T.), le Maire doit maintenir l’ordre public dans la rue ; c’est la base légale de
l’arrêté attaqué par M. Daudignac. Mais il faut concilier l’exercice de la liberté du commerce
et de l’industrie avec cette obligation qui incombe à l’autorité publique de maintenir l’ordre
dans la rue. (Ici le Conseil d’État indique que le Maire aurait pu limiter l’exercice de cette
profession à certaines rues ou à certaines heures et interdire la photographie des passants
contre leur gré.)

Solution : Le Conseil d’État indique : "Le Maire ne saurait, sans méconnaître la Loi du 16
juillet 1912 sur les marchands ambulants et porter atteinte à la liberté de l’industrie et du
commerce garantie par la loi (des 2-17 mars 1791), subordonner l’exercice de ladite
profession à la délivrance d’une autorisation’.

Cette liberté n’est cependant pas absolue, mais seule la Loi peut prévoir les limitations
nécessaires.

Le Conseil d’État exerce un contrôle poussé sur les autorités de police compétentes. Il vérifie
notamment:

- que la mesure est bien adaptée aux faits reprochés,

- qu’il y a une adéquation entre la mesure prise et la nécessité du maintien de l’ordre,

- que la finalité de l’autorité qui a interdit est bien légitime.


. CE Ass, 28 mai 1954, BAREL

(L’intérêt de l’arrêt Barel n’est pas moins grand au point de vue juridique qu’au point de vue
politique. Sur le plan juridique, il définit avec netteté les limites du pouvoir discrétionnaire, et
il précise d’autre part les règles relatives à la charge de la preuve et les pouvoirs d’instruction
du juge administratif. Sur le plan politique, il donne sa portée au principe de la liberté
d’opinion des fonctionnaires.)

Faits : Par décisions des 3 et 7 août 1953, le secrétaire d’État à la présidence du conseil
refusa cinq candidatures au concours d’entrée de l’Ecole nationale d’administration. Quelques
jours plus tard, la presse publiait un communiqué d’après lequel un membre du cabinet du
secrétaire d’État avait déclaré que le gouvernement ne voulait accepter aucun candidat
communiste à l’E.N.A. Les cinq intéressés saisirent le Conseil d’État de recours en
annulation, en soutenant que l’autorisation de concourir leur avait été refusée uniquement en
raison des opinions politiques qui leur avaient été imputées.

Problème Juridique : Le CE peut il valider ce refus de candidature à l’E.N.A pour un


motif politique ? Quels sont les fondements de sa décision ?

Solution : Le juge administratif considérait traditionnellement que des candidats, même s’ils
remplissaient les conditions législatives et réglementaires, n’avaient pas de droit à concourir,
et qu’il appartenait au ministre d’écarter, dans l’intérêt du service, ceux qu’il estimait
incapables de remplir la fonction "selon l’esprit et le but en vue desquels la loi l’a instituée".
Ce pouvoir était soumis au contrôle minimum de l’erreur de droit, de l’inexactitude matérielle
et du détournement de pouvoir.

Par l’affaire Barel, le Conseil d’État a jugé que l’administration peut, pour apprécier dans
l’intérêt du service si les candidats présentent les garanties requises pour l’exercice des
fonctions auxquelles l’E.N.A. donne accès, tenir compte de faits et de manifestations
contraires à la réserve que doivent observer ces candidats. En revanche, elle ne saurait, sans
méconnaître le principe de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois et fonctions
publics, inscrit dans la DDHC de 1789, écarter quelqu’un de la liste des candidats en se
fondant exclusivement sur ses opinions politiques. Le Conseil d’État a ainsi refusé de traiter
l’opinion communiste comme différente d’une autre opinion politique et de considérer que
l’appartenance au parti communiste serait incompatible avec l’appartenance à la fonction
publique, contrairement à la position prise à l’époque par certaines démocraties occidentales.
Ce faisant, il confirmait avec éclat sa jurisprudence classique sur la liberté d’opinion des
fonctionnaires, qui n’est qu’une application particulière de l’alinéa 5 du préambule de la
Constitution de 1946, selon lequel "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en
raison de ses origines, de ses opinions et de ses croyances".

Par la suite, le Conseil d’État a renforcé son contrôle sur les décisions de refus d’admission à
concourir, exerçant un contrôle normal qui l’amène à censurer toute erreur dans la
qualification juridique des faits (Section 10 juin 1983, Raoult, p. 251).

La décision du 28 mai 1954 est également remarquable en ce qu’elle précise les règles
relatives à la charge de la preuve et les pouvoirs d’instruction du juge administratif. La
procédure d’instruction devant la juridiction administrative a un caractère inquisitoire ; le
demandeur n’a pas la charge de la preuve mais doit seulement se montrer précis et réunir, à
l’appui de ses allégations, tous les moyens de preuve dont il peut disposer. Le juge peut
rejeter comme telle une requête trop imprécise ; il se doit en revanche d’ordonner des mesures
d’instruction pour compléter le dossier lorsque la requête comporte un ensemble de
présomptions sérieuses. En l’espèce, le Conseil d’État, considérant que les requérants se
prévalaient à l’appui de leur allégation de circonstances et de faits précis constituant de telles
présomptions, a fait usage de son pouvoir d’exiger de l’administration la production de tous
documents susceptibles d’établir la conviction du juge pour demander la production des
dossiers constitués sur la candidature de chacun des requérants. Il a ensuite déduit du refus de
l’administration de déférer à cette demande et de l’ensemble des circonstances de l’affaire que
l’allégation des requérants, quant au motif du refus qui leur avait été opposé, devait être
regardée comme établie.
. CE sect. , 26 juin 1959, SYNDICAT GENERAL DES INGENIEURS-
CONSEILS

(Par l’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils, le Conseil d’État a jugé que le pouvoir
réglementaire autonome est soumis au respect des principes généraux du droit. Cette décision
fut d’autant plus remarquée que l’article 37 de la Constitution de 1958 avait considérablement
étendu le champ du pouvoir réglementaire autonome, jusqu’alors confiné à des domaines
strictement définis.)

Faits : Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé contre un décret du 25 juin 1947 par
lequel le Gouvernement avait réglementé la profession d’architecte dans les territoires
relevant du ministère de la France d’outre-mer. En vertu d’un sénatus-consulte du 3 mai 1854
resté en vigueur à la date du décret attaqué, le Gouvernement était autorisé à prendre, par
décret, toute mesure relative aux colonies. Dans ces territoires, le pouvoir réglementaire était
donc habilité à prendre des mesures qui, en métropole, n’auraient pu être édictées que par la
loi.

Problème juridique : Dans la mesure où le pouvoir réglementaire pouvait ainsi agir dans
le domaine de la loi, la question se posait de savoir s’il était soumis au respect des principes
généraux du droit dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État, alors qu’il est admis que ces
principes, s’ils s’imposent au pouvoir réglementaire, n’ont pas de force contraignante à
l’égard du législateur qui peut donc y déroger, dès lors qu’il le fait expressément.

Solution : Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire agissant sur le fondement
du sénatus-consulte de 1854 était "tenu de respecter d’une part les dispositions des lois
applicables dans les territoires d’outre-mer, d’autre part les principes généraux du droit qui,
résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité
réglementaire même en l’absence de dispositions législatives".

L’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils fut particulièrement remarqué, moins par la
solution qu’il donna à l’espèce en cause, que par les conséquences de cette solution sur ce qui
constituait, en 1959, l’une des principales innovations de la Constitution du 4 octobre 1958, le
pouvoir réglementaire autonome reconnu, par l’article 37, au Gouvernement pour toutes les
matières ne relevant pas du domaine de la loi, limitativement défini par l’article 34. Dès lors
que le Gouvernement était ainsi investi d’un pouvoir qui ne se limitait pas à l’exécution des
lois, il était particulièrement important de savoir si ce pouvoir serait, ou non, limité par des
principes non écrits et définis de façon prétorienne par le juge administratif. L’arrêt Syndicat
général des ingénieurs-conseils répondit par l’affirmative à cette question. Ainsi, le pouvoir
réglementaire autonome reconnu au pouvoir exécutif par la Constitution de 1958 demeure
soumis au respect des principes généraux du droit reconnus par le Conseil d’État, parmi
lesquels il faut citer notamment le principe d’égalité, le principe de non-rétroactivité des actes
administratifs (voir Société du journal "L’Aurore"), le principe de continuité des services
publics (voir Dehaene), le principe des droits de la défense (voir Dame Veuve Trompier-
Gravier), la possibilité de former un recours contentieux contre les actes de l’administration,
l’intangibilité des droits acquis (voir Dame Cachet).
. CE Ass. , 8 déc. 1978, G.I.S.T.I (GROUPE D’INFORMATION ET DE
SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES)

(Par la décision GISTI, le Conseil d’État érige le droit de mener une vie familiale normale en
principe général du droit.)

Faits : Compte tenu de la situation de l’emploi, le gouvernement avait, par un décret du 10


novembre 1977, suspendu pour une période de trois ans l’application du décret du 29 avril
1976 qui réglementait les conditions dans lesquelles un travailleur étranger séjournant
régulièrement en France pouvait être rejoint par les membres de sa famille. Le décret de 1976
avait institué un régime assez libéral puisque l’accès au territoire français et l’octroi d’un titre
de séjour au bénéfice de ces personnes ne pouvaient être refusés que pour quatre motifs :
durée de résidence en France du chef de famille trop courte, ressources insuffisantes,
conditions de logement inadaptées, nécessités de l’ordre public. En vertu du décret de 1977, le
droit au regroupement familial était réservé aux membres de la famille qui ne demandaient
pas l’accès au marché du travail.

Problème Juridique : Comment le CE va-t-il défendre la vie familiale en France d’un


immigré ? Peut-il ériger la vie familiale comme un principe général du droit ?

Solution : Saisi de la légalité de ce décret, le Conseil d’État a été amené à dégager un


nouveau principe général du droit, désigné comme le droit de mener une vie familiale
normale, qui se situe aux confins de deux catégories nouvelles, mais en expansion, de
principes généraux du droit : ceux qui sont relatifs aux étrangers et ceux qui se situent dans le
domaine social.

Contrairement à ses habitudes antérieures, le Conseil d’État a rattaché le principe qu’il


dégageait dans la décision GISTI à des dispositions textuelles, et notamment au Préambule de
la Constitution de 1946. Ce Préambule dispose en effet que "la nation assure à l’individu et à
la famille les conditions nécessaires à leur développement". Ce faisant, le Conseil d’État n’est
pas resté dans les limites du texte constitutionnel, le principe qu’il affirme étant plus large que
ce que prévoit le Préambule. De même, le droit de mener une vie familiale normale ne
comprend pas seulement la faculté, pour les étrangers, d’être rejoint par leur conjoint et leurs
enfants, même s’il en constitue, ainsi que le relève le Conseil d’État, une dimension.

Comme tous les principes dégagés par le Conseil d’État ou par le juge constitutionnel, le droit
de mener une vie familiale normale n’en doit pas moins être concilié avec d’autres exigences
que le Conseil d’État a définies, de manière assez prétorienne, comme étant l’ordre public et
la protection sociale des étrangers. Cette dernière semble signifier que le gouvernement peut
s’opposer au regroupement des familles ayant des ressources insuffisantes. Une fois ces
principes posés, le Conseil d’État ne pouvait que censurer le décret attaqué qui avait
conditionné le regroupement familial au renoncement à l’occupation d’un emploi par la
famille de l’étranger.

L’importance de cette décision va au-delà du principe qu’elle affirme. Elle a notamment


contribué à conférer aux étrangers un statut moins précaire que celui qui leur était
traditionnellement réservé. Le Conseil d’État a, par la suite, été amené à dégager des principes
généraux du droit propres aux réfugiés politiques (CE, Ass. , 1er avril 1988, Bereciartua-
Echarri, p. 135). Par ailleurs, invité à cela par le droit international, le Conseil d’État a tiré
parti de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales qui reconnaît également le droit pour chacun au respect de sa vie
familiale, un tel droit pouvant être revendiqué à l’encontre d’un refus de titre de séjour (CE,
sect., 10 avril 1992, Marzini, p. 154) ou d’un refus de visa, mais également à l’encontre des
mesures d’éloignement du territoire national (CE, Ass., 19 avril 1991, Belgacem, p. 152 et
Mme Babas, p. 162).
. CE Ass., 3 fév. 1989, COMPAGNIE ALITALIA

(Par la décision Compagnie Alitalia, le Conseil d’État institue la faculté pour tout administré
de demander, sans condition de délai, à l’administration d’abroger les actes réglementaires
illégaux dès l’origine ou devenus illégaux du fait d’un changement dans les circonstances de
fait ou de droit.)

Faits : L’origine de la demande de la compagnie Alitalia concernait des remboursements de


TVA qui lui avaient été refusés par l’administration sur le fondement de dispositions issues de
l’annexe II au code général des impôts. La compagnie Alitalia estimait que ces dispositions
réglementaires étaient contraires à la sixième directive du Conseil des communautés
européennes relative à l’harmonisation des législations des États-membres en matière de TVA
du 17 mai 1977. La société avait donc saisi le juge administratif de l’annulation de la décision
par laquelle l’administration avait refusé d’abroger les dispositions de l’annexe II objet du
litige.

Problème Juridique : Le CE peut-il instituer la faculté pour tout administré de demander


à l’administration d’abroger les actes réglementaires illégaux dès l’origine ou devenus
illégaux du fait d’un changement dans les circonstances de fait ou de droit ?

Solution : Ce dernier a été l’occasion, pour le Conseil d’État, de préciser quelles sont les
obligations de l’administration ainsi que les droits de l’administré s’agissant de l’abrogation
des normes réglementaires illégales. La solution est d’autant plus intéressante que les normes
en cause dans l’affaire de la compagnie Alitalia étaient issues à la fois d’un décret antérieur et
d’un décret postérieur à la date à laquelle expirait le délai de transposition fixé par la
directive.

Pour asseoir sa demande, la société se prévalait des dispositions de l’article 3 du décret du 28


novembre 1983 aux termes desquels l’autorité compétente est tenue de faire droit à toute
demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, que ce règlement soit devenu illégal
en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction ou que ce règlement
ait été illégal dès sa signature.

Le premier cas ne pose pas de difficultés en soi puisqu’il avait été admis dès 1930 (Section,
10 janvier 1930, Despujol, p. 30). Toutefois, la jurisprudence avait précisé que la demande
d’abrogation devait intervenir dans les deux mois suivant la modification des circonstances.
En revanche, le second cas avait conduit à des jurisprudences nuancées, dans la mesure où le
Conseil d’État admettait d’un côté que l’exception d’illégalité d’un règlement puisse toujours
être invoquée sans condition de délai (29 mai 1908, Poulin, p. 580), mais jugeait, d’un autre
côté, que les administrés ne peuvent plus demander l’abrogation d’un règlement illégal une
fois le délai du recours contentieux expiré (Section, 30 janvier 1981, Ministre du travail et de
la participation c/ société Afrique France Europe transaction, p. 32).

L’article 3 du décret de 1983 entendait faire échec à ces jurisprudences puisqu’il prévoit que
la demande d’abrogation est recevable sans condition de délai et ceci même à l’encontre d’un
règlement illégal dès sa signature. Sa légalité est toutefois douteuse : un décret peut-il imposer
une obligation d’abrogation pour l’ensemble des actes réglementaires, c’est à dire également
pour ceux des collectivités locales, alors qu’il appartient en principe au seul législateur
d’encadrer la libre administration de ces dernières, et remettre en cause des principes dégagés
par le Conseil d’État lui-même ?

Pour écarter ces difficultés, le Conseil d’État érigea en principes les facultés ouvertes aux
administrés par l’article 3 du décret de 1983 et releva, non sans une certaine audace, que le
décret de 1983 s’était inspiré de ces principes. Ce faisant, le Conseil d’État institue une faculté
pour tout administré de demander, sans condition de délai, à l’administration d’abroger les
actes réglementaires illégaux dès l’origine ou devenus illégaux du fait d’un changement dans
les circonstances de fait ou de droit, ce qui peut être le cas lorsqu’intervient une directive
communautaire.

La décision Alitalia est également remarquable en raison de la force qu’elle confère à


l’obligation pour l’administration d’appliquer les directives communautaires. En effet, après
avoir jugé que le gouvernement ne peut édicter de textes réglementaires incompatibles avec
les objectifs d’une directive dont le délai de transposition est expiré (28 septembre 1984,
Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays de
d’expression française), le Conseil d’État juge que les autorités ne peuvent pas davantage
laisser subsister dans l’ordre interne, postérieurement à ce même délai, des dispositions
réglementaires devenues incompatibles avec de tels objectifs.
. CE Ass., 3 juill. 1996, KONE

(Une décision d'assemblée, pour affirmer la supériorité de la constition sur les engagements
internationaux passés par l'Etat, le juge se réfère à un PFRLR pour écarter les dispositions
d'un accord franco-malien)

Faits : M. Koné était accusé par le gouvernement malien de complicité d'atteinte aux biens
publics et enrichissement illicite à propos d'un transfert de fonds hors du Mali provenant de
trafics d'hydrocarbures organisés à partir de faux documents. Sa demande de qualité de
réfugié ayant été refusée, M. Koné a été arrêté à titre provisoire le 19 avril 1994.
La demande d'extradition transmise au gouvernement le 19 avril a donné lieu à un avis
partiellement favorable de la chambre d'accusation, confirmé par la Cour de cassation. C'est
donc sur le fondement de cet avis qu'a été pris le décret d'extradition du 17 mars 1995 sur la
légalité duquel le conseil d'Etat a été amené à se prononcer le 3 juillet 1996.

Problème Juridique : Quelle est la valeur juridique de l’extradition demandée dans un


but politique ?

Solution : Tout en reconnaissant que l’argumentation de l’administration correspondait au


dernier état de la JP qui assure la suprématie d’une convention d’extradition sur la loi interne
(CE 23 oct. 1991, Urdiain Cirizar) le commissaire du gouvernement J.-M Delarue n’en
invitait pas moins le Conseil d’Etat à « contourner cette JP, en reconnaissant l’existence d’un
principe général du droit de l’extradition, selon lequel l’Etat requis refuse l’extradition
lorqu’elle est demandée dans un but politique ».

L’assemblée du contentieux a admis l’invocabilité d’un tel principe tout en estimant dans le
cas de M. Koné qu’il ne résultait pas des pièces du dossier que son extradition ait été
demandée dans un but politique. Mais au lieu de voir dans cette norme un principe général de
droit comme le proposait son commissaire du gouvernement, le CE a rattaché le principe en
cause aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il s’agit de
principes qui, en raison de leur ancrage dans le texte du préambule de la Constitution de 1946,
auquel se réfère le préambule de la constitution de 1958, ont valeur constitutionnelle.
. CE Ass., 24 mars 2006, SOCIETE KPMG ET SOCIETE ERNST & YOUNG
ET AUTRES

(En mars 2006, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt face aux requêtes de quatre entreprises
internationales de prestations de services (cabinet d'audit, de conseil, de commissariat aux
comptes et d'expertise comptable) ayant une base en France - et donc tenues de respecter le
droit français et notamment le Code de Déontologie de la profession de commissaire aux
comptes approuvé par le décret du 16 novembre 2005.)

Faits : Dans cette affaire, la société KPMG demande au Conseil d'Etat l'annulation du code
de déontologie de la profession de commissaire aux comptes approuvé par le décret du 16
novembre 2005. Ce décret est venu appliquer la loi du 1 aout 2003 sur la sécurité financière. Il
s'agit d'édicter de nouvelles règles afin d'assurer une meilleure tranparence financière suite au
scandale Enron. Le 24 mars 2006, le Conseil d'Etat, en assemblée, annule le décret de 2005 en
tant qu'il n'a pas prévu de mesures transitoires à la nouvelle réglementation.

Problème Juridique : Comment le Conseil d'Etat va-t-il extraire un statut pour le


principe de sécurité juridique par rapport à d'autres principes fondamentaux ?

Solution : L’apport de cet arrêt se situe dans sa fin, consacrée aux « moyens relatifs à
l’entrée en vigueur immédiate du décret » : le Conseil d’Etat considère, à propos « de
l’application du Code de déontologie aux situations contractuelles en cours », qu’ « il
incombe à l’autorité investie de pouvoir réglementaire, d’édicter pour des motifs de sécurité
juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ».

Ainsi est reconnu la sécurité juridique comme un élément de la légalité (soumission de


l'administration à la règle de droit) et impose le cas échéant l’adoption de mesures transitoires.
. CE Ass., 3 oct. 2008 , COMMUNE D’ANNECY

Faits : La commune d'Annecy a introduit un recours pour excès de pouvoir, requérant au


Conseil d'Etat l'annulation d'un décret du 1er août 2006 relatif aux lacs de montagne.
La commune d'Annecy semble contester la légalité de cet acte administratif en vertu de
l'article 34 de la Constitution de 1958 et notamment de l'article 7 de la Charte de
l'environnement de 2004, contenue dans son Préambule. Le requérant semble en effet estimer
que l'Etat a pris un décret dans un domaine où seul le législateur est compétent.
Le défendeur, quant à lui, semble manifester sa compétence, considérant que le décret a été
pris en application de l'article L 145-1 du code de l'urbanisme.

Problème Juridique : La question est donc de savoir si la Charte de l'environnement de


2004, consacrée par le Préambule de la Constitution de 1958, peut être invoquée devant le
juge administratif pour un recours en annulation d'un acte administratif sur le fondement de
l'incompétence de son auteur relevée par ladite Charte.

Solution : Pour fonder sa décision, le conseil d'Etat va considérer que le pouvoir


réglementaire a méconnu l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004, et qu'en le
méconnaissant, le décret a été pris par une autorité incompétente, à savoir le pouvoir
réglementaire, dans un domaine réservé au pouvoir législatif.
Le conseil d'Etat consacre dans cet arrêt la valeur constitutionnelle de la Charte de
l'environnement

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