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B67-4155

JBJ17<I

UiOMBTi

PERREQAUX
et

sa

flle

la

duchesse de Ra^use

PERREQAUX
et sa
fille

la

duchesse de Ra^use

p?:rregaux
d'aprs
le

Baron Grard

/E^JV LTfOMETi

PERREQAUX
et

sa

fille

la

duchesse de Raguse

PARIS
IMPRIMERIE GNRALE LAHURE
9,

rue de Fleurus, 9

9o5

VI

INTRODUCTION,
fut

de France. Mais Perregaux ne

pas seule-

ment un

financier de premier ordre qui rendit


la

de grands services

France;
et

il

fut aussi la
il

Providence des acteurs


aimait passionnment
tra-t-il

des actrices, car


aussi se

le thtre;

mon-

toujours accueillant et gnreux envers

les artistes qui

venaient

lui

conter leurs embar-

ras pcuniaires. C'est cette figure curieuse et

attachante que nous avons essay de faire revivre, grce la dcouverte


il

que nous avons faite

y a quelques annes, d'une partie des papiers de sa fille, la marchale Marmont, duchesse de
Raguse. L'examen de ces documents nous
vla
r-

une seconde physionomie non moins


:

at-

trayante que la premire

celle

de

la

duchesse

elle-mme. Gracieuse et spirituelle, ptillante

de malice, enfant terrible quelquefois, adorant

son pre,

Mme
il

de Raguse

fut,

sans contredit,

une des femmes


Empire;

les plus exquises

du Premier
la faire

nous a paru intressant de

figurer dans cet ouvrage, ct de Perregaux.

Nous tenons

adresser

ici

l'expression de

notre reconnaissance M. Frdric de Perre-

gaux, de Neuchtel, petit-neveu du banquier,


qui a mis notre disposition tous les docu-

INTRODUCTION.

vu

ments

qu'il

possdait sur son grand-oncle, et


tte

nous a permis de reproduire en

de ce vole

lume

le

superbe portrait de Perregaux par

baron Grard;
propritaire

Mme

Polonceau,

l'aimable
et

du chteau de Viry-Chtillon

M.

le

cur de Viry-Chtillon qui nous ont comd'intressants dtails sur le sjour de


le

muniqu
la

duchesse de Raguse dans

pays; M. Fr-

dric Masson, de l'Acadmie franaise, pour


les indications

bibliographiques et les utiles


qu'il

renseignements

nous a donns; enfin


la

M. Lorimy, prsident de
dans

Socit archolo-

gique de Chtillon-sur-Seine, qui nous a guid


la

consultation des archives de cette

ville.

PERREGAUX

CHAPITRE r
LE

MONDE FINANCIER A LA VEILLE DE LA RVOLUTION


par excellence
le sicle

Le

XVIII sicle est


ils

des

intimement mls aux affaires publiques; ce sont gens d'importance dont on cherche s'attirer les faveurs, car on les
financiers;

sont

sait

gnreux

et

disposs prter avec bonne


vil

grce un peu de ce

mtal dont

le

besoin se

fait

4.

Sources manuscrites : Archives de M. Frdric de Perregaux.

Papiers de la duchesse de Raguse.


:
:

Sources imprimes
\

E. de
E. et

Goncourt La Guimard. Portraits intimes du xviir J. de Goncourt


: :

sicle.

Les htels historiques de Paris, 4852. Catalogues des collections d'autographes Trmont et Dubrunfaut.
3

Bonnefons

PERREGAUX.
le

de plus en plus sentir avec

luxe inou qui se

dploie cette poque. Tous sans doute n'ont pas

reu une instruction impeccable, tmoin Beaujon,


l'opulent

banquier de

la

Cour,

allant
:

recom-

Necker Mais, dit le ministre, la personne que vous me recommandez n'est pas riche. Qui donc fournira son cautionneOh! Moi, rpond firement Beaujon. ment?

mander un de

ses protgs

oh vous parlez comme Corneille!


!

s'exclame son
le

tour

le

contrleur gnral.

Et voil

banquier

de

la

Cour qui s'anime,

se lve sans plus attendre,

enflamm de colre, une fois dans l'antichambre Voyez ce Mais ce ne ministre qui me traite de corneille sont l que de lgers travers qui disparaissent aux yeux du monde bloui par les prodigalits des financiers. Ils engloutissent des sommes normes dans la construction de vritables palais qu'ils emplissent d'objets prcieux architectes en renom,
sort en claquant la porte et s'crie tout
: !

dcorateurs

ingnieux,

tapissiers

habiles,

tous

sont accapars par eux. Leurs tables sont succu-

on y mange des plats raffins qui font pmer de joie les gastronomes turbot au coulis de homard, ortolans la financire, potage Samuel Bernard dpense par an bisque, etc....
lentes;
:

150 000 livres pour sa cuisine.

Joyeux viveurs
1.

et

prodigues,

les

financiers

Thirion.

Vie prive des Financiers au xvin sicle^

p. 263.

PERREGAUX.
savent surtout s'attirer les suffrages des

femmes

c'est Bouret, le clbre fermier gnral, qui

pour
poistait

plaire

une
la

jolie

femme
en

lui

demandant des
de Pompadour
excuter
six

sons de
seule

Chine, que

Mme
fait

possder,
et

en

or
le

maill,

construits

mcaniquement;
fait

c'est

mme

Bouret, qui, offrant souper,

disposer

pour chaque dame, dans deux verres diffrents, un bouquet de fleurs et une aigrette de diamants. A ces prodigalits, beaucoup se ruinent en
:

cinq ans, d'pinay jette par les fentres 1500000


livres,

Roussel

mange

12 millions, Savallette se

contente d'une dizaine, Bouret, aprs avoir dpens

40 millions, s'empoisonne.
n'est
tin,

Ainsi

leur fortune

qu'phmre; beaucoup mme,


les fermiers

comme Bou-

paieront de leur tte sur l'chafaud les haines

accumules contre

gnraux.
banquiers
les

ct de ces financiers fastueux, on voit appa-

ratre ds le

dbut du xvni

sicle les

suisses. Travailleurs, intelligents,


affaires, ils tiennent bientt le

dous pour

premier rang dans

toutes les oprations de banque qui se traitent

Londres et Paris; ils fondent rapidement de nombreuses maisons dont la plus clbre est, sans
contredit, celle

du ngociant genevois Thlusson,


associ, puis

qui prend

comme
le

comme

successeur,

son comptable,

fameux Necker.
les

Encourag par
les

succs qu'obtenaient Paris

banquiers suisses, grce leurs habitudes

PERREGAUX.
un jeune

d'ordre et de travail et surtout leur probit qui


leur attirait la confiance des commerants,

homme
n
le

de Neuchtel, Jean-Frdric Perregaux,

4 septembre 1744, rsolut de fonder Paris

une maison de banque. Appartenant une des


plus vieilles familles de Neuchtel*,
il

se sentait

particulirement attir vers cette France la prosprit de laquelle


il

allait

contribuer;
sa

nombreux
famille qui
:

taient en effet

les

membres de

avaient mis leur pe au service de la France

son

pre et son grand-pre taient de ce nombre.

Perregaux avait t plac

trs

jeune Mulhouse
le
il

pour y apprendre l'allemand; par


chtel, la Thile, l'Aar et le Rhin,

lac

de Neu-

Ble en barque et de
pied.
ville,

l s'tait

gagn rendu Mulhouse


avait

Aprs quelques mois de sjour dans cette il passait plusieurs annes en Hollande et en
la

Angleterre pour s'instruire dans


affaires et venait enfin Paris

pratique des

en 1765. Ses dbuts


la

avaient t durs et sa vie trs laborieuse; mais,

grce son nergie et aussi


compatriote Necker,
il

protection de son

russissait percer. L'ob-

scurit la plus complte rgne sur les premires

1. La famille Perregaux tait ds le xv* sicle une des premires de Neuchtel. Jean-Frdric Perregaux tait l'an de sept enfants, trois garons et quatre filles. Il tait de Franois-Frdric Perregaux, n en 1716, officier fils au service de la Fraace jusqu'en 1740, lieutenant-colonel du Dpartement du Val-de-Ruz.

PERREGAUX.
annes
qu'il

passa Paris

nous trouvons sa ban-

que mentionne pour la premire fois rue SaintSauveur, dans l'Almanach royal de 1781, et, ds 1783, sa maison avait dj acquis une grande
prosprit.

Perregaux avait pous, le 20 janvier 1779, une trs jolie femme, Adlade de Pral, dont la beaut
et l'lgance taient vantes

par

la socit pari-

sienne.

Banquier prudent

et avis,

possdant une

intel-

ligence remarquable des affaires, Perregaux avait

un peu des gots

beaucoup de la gnrosit des fermiers gnraux. Mcne clair, il aimait les artistes, dont il tait le banquier et l'ami, mais surtout le confident discret des embarras pcuniaires. Les acteurs et les actrices les plus renomet

ms

correspondaient
le

amicalement avec

lui.

Il

chargeait

fameux danseur de l'Opra, Noverre, de lui procurer un chien d'une espce rare, et voici la rponse que l'artiste lui adressait de Londres le 50 dcembre 1782
:

Monsieur,

Je n'ai point oubli la commission que vous


j'ai fait

m'avez donne;
sibles

toutes les dmarches pos-

pu y parvenir; je vous dirai, monsieur, que l'espce de chien que vous dsirez est trs rare il n'y a que le duc de Marlborough et mon frre qui aient de la race, et
pour
la remplir, sans avoir
;

PERREGAUX.
donc pu aucun prix en que ceux que j'ai donns la reine. Si
n'ai

peut-tre quelque autres particuliers, qui en sont

galement jaloux; je
trouver tels

cependant
couple de

la

personne qui a envie de cette espce


patienter,
elle

de chien veut
la

pourra avoir

un

mon frre, bas dans trois semaines; comme petits l'poque de mon dpart,
chienne de

qui doit mettre


ils

seront trop

qui est fix au

commencement de
juin. Je n'ai

fvrier,

pour

les

emporter,
le

mon

frre s'en chargera

lui-mme dans

courant de

votre lettre,

remettrai la
venir.

pu voir M. Syndon qui m'a apport mais j'y retournerai demain et lui mienne afin qu'il vous la fasse parla

Je serai bien enchant que


fais puisse

proposition que

je

vous

vous convenir, ainsi qu' votre


le

ami, et je vous prie de croire que je n'aurai eu


d'autre

chance que

plaisir

de faire quelque

chose qui vous soit agrable.

J'ai

l'honneur d'tre avec les sentiments les

plus distingus, monsieur, votre trs


trs obissant serviteur.

humble

et

NOVERRE.

C'est ce

mme

Noverre qui date ainsi une


:

lettre
veille

adresse Perregaux

Ce dimanche matin,
Il

du lundi o
dit-il, lui

l'on avale les hutres,

comptait,
il

donner dner lundi,

et

pour l'gayer,

avait invit la citoyenne Carline,

mais,

le

hasard

PERREGAUX.
qui dispose de tout depuis que
la

Providence ne
:

se mle plus de nous, en a dispos tout autrement

en mangeant
le

la

soupe,

elle

reut une lettre d'envoi


d'hutres; elle rompit

qui lui annonait

un cloyre

vu de

dner chez moi, s'engagea vous inviter

et

me

pria de

vous prvenir du changement de dovous


invite,
l

micile. Ainsi, je

en attendant qu'elle

vous prie; vous trouverez


les

tous les curs et tous

visages que vous auriez trouvs chez moi.


rire,

Nous tcherons de
Perregaux
la

et

de semer quelques

fleurs sur notre existence....


sait

rendre service et

les

danseuses
;

de l'Opra ont souvent recours ses bons offices

Duth
:

crit en 1787 une de ses amies, Mlle Lu-

mire

Ma

chre Manon,

Je donne la commission

t'embrasser pour moi, ainsi

mon cousin de que ta maman et ma

tante Galabi. J'aurai besoin de rouge, trois pots

deux douze francs, les deux derniers de rouge de blonde pour la lumire. Il faudra demander quatre louis M. Perregaux pour cette emplette; tu mettras cela dans une petite caisse que tu achteras, et tu chargeras M. Perregaux de me la faire passer tout de

louis
les derniers et

un

comme

suite, car je n'en ai plus.

Duth.

PERREGAUX.

Une autre danseuse de l'Opra


clbres, la

et

non des moins


le

Guimard, entretient avec

banquier
d-

de bonnes relations d'amiti. Lorsqu'elle est en-

gage l'Opra de Londres,


boires
:

elle lui confie ses

Ah! mon

voisin,

en quel pays suis-je


il

venue? Je ne
s'en faut

me

plains pas des habitants, non,

du

tout; mais les Italiens!

Ah!

les co-

quins! l'Opra de Londres en est

le repaire

com-

mencer par II signor Barelli,... et un petit brin notre ami Gallini, que je n'ai cru qu'une bonne bte jusqu' ce moment, mais qui vient de se dclarer quelque chose de plus.

Et

elle

raconte

que l'Opra de Londres ayant brl, elle a d considrer son engagement comme rompu, et les
525 guines qui
puis
elle

lui taient

dues,

comme

perdues;

numre tous les moyens employs pour lui faire abandonner ses droits et la faire jouer au rabais au thtre de Covent Garden, qui venant
d'entrer en vacances, a t mis la disposition de
la

troupe du thtre incendi.

Le 16

avril 1789, la

Guimard

crit

son ami

Perregaux qu'elle est ordonnatrice des modes Londres, o elle a reu un accueil empress de la duchesse de Devonshire on vient la consulter sur
;

les

robes mettre pour

le

bal qui aura lieu au


crit-elle,

Grand-Thtre.
sont aussi

Les dames anglaises,


suis

coquettes que les

franaises. Donc,

au moment o je
arrive

descendue de voiture,
j'ai

mon

Londres,

assomme de mar-

PERREGAUX.
chandes de modes
la

et

de tailleurs pour

me

prier,

de

part des dames, de donner

mon

avis sur leurs

habits.

Vous pensez bien que

je n'ai pas fait

de

faons.

Perregaux est aussi l'ami de Dauberval, de Vestris, le Diou de la Danse, de Mme Dugazon, qui
lui crit

en 1789 pour

le

remercier de l'argent
le

qu'il lui a prt et le prie


elle.

de venir

recevoir chez

C'est lui encore qui est charg de verser


fait le

Mlle Clairon la pension que lui


Pieverscourt,

vicomte de

comme

^hritier

de son frre. Dans

on conoit que nul ne soit mieux renseign que Perregaux sur tout ce qui touche au thtre et que les nouvelles et les potins de
ces conditions,
coulisses lui soient familiers.

Mais ce n'est pas seulement avec


actrices qu'il est en relations
;

les

acteurs et

c'est aussi

avec les

grands personnages qui recherchent son amiti et ses conseils. Le comte de Lauraguais lui annonce
le
1^"^

juillet 1781 qu'il


:

va vendre ses dix-huit che-

pour ne plus les nourrir; 1^ parce que leurs productions ne peuvent pas lui donner les esprances que lui donnent les juments qu'il a gardes; S pour avoir de l'argent. Le marchal

vaux

1"

Roumiantzew,
s'adresse lui

l'illustre

gnral de Catherine

II,

pour

le prier

de

lui

envoyer un cui-

sinier et s'en rapporte son choix.


glais, sir

Le gnral an:

Henry Dalrynaple,

lui crit

10

PERREGAUX.
Londres,

mai

1786.

Monsieur,

Je profite de ce que

mon

ami,

sir

Robert Herj'ai

ries,

va Paris pour m'informer de vos nouvelles,

qui sont, j'espre, meilleures que lorsque

eu

l'honneur d'en recevoir la dernire


patriote
est

fois.

Le com-

que je prends la libert de vous prsenter un grand banquier de cette ville et il est juste-

ment considr comme un des plus respectables de nos commerants anglais.


une grande connaissance utile sur le sujet des arrangements commerciaux qu'on se propose de faire et il est comme vous un

Sir Robert possde

chaleureux partisan de toute mesure juge

suffi-

sante pour mettre fin ces mesquines hostilits

commerciales qui ont depuis


nor

si

longtemps dsho-

deux pays. Depuis que je me


les
(il

suis fait ^'honneur de

vous

y a environ six semaines) nous n'avons pas eu de nouvelle publication sur le commerce
crire
;

quand quelque chose sur ce sujet apparatra, je ne manquerai pas de vous l'envoyer. J'espre que le trait est en bonne voie. Je pense que vous avez dj vu M. jEden que vous vouliez trouver pour
les ngociations.

Si

mes

services peuvent vous tre utiles pour


ici,

quelque
savoir.

affaire

je

vous prie de

me

le faire

PERREGAUX.

Je VOUS prie de prsenter l'expression de mes sentiments respectueux au marquis de la Fayette


ainsi qu'

M. Jefferson dont

le livre

a beaucoup
je

intress quelques-uns de
l'ai

mes amis auxquels

montr. J'espre en voir bientt votre dition.

Adieu monsieur, croyez-moi, avec grand

res-

pect, votre trs obissant et

humble

serviteur.

Henry Hen Dalrymple.


Paris
et

Les

affaires

entre

Londres passent
le

presque toutes par

les

mains de Perregaux;

marquis
Leitrin,

Cecill de Salisbury, pair d'Angleterre, le

comte de Buckinghamshire, James Hamilton, lord


lord

Moira,

grandmatre de

l'artillerie

anglaise et gouverneur de l'Inde, tels sont les

noms de quelques-uns de ses clients. En avril 1785, il est indirectement ml


les plus

la

clbre Affaire du Collier; en effet les joailliers

renomms de Londres, Robert

et

Wiliam
pour
des

Gray
de
le la

et Nathaniel Jefferys, qui ont achet

plus de deux cent quarante mille livres au comte

Motte venu Londres, pour


provenant du collier de

les ngocier,
la

brillants

Reine, paient

prix partie en argent comptant, partie par

une

lettre

de change tire sur Perregaux*. rue Saint-Sauveur


rue du Sen-

Aprs avoir transport en 1783 sa maison de

banque de
Cf.

la

la

1.

Funck-Brentano

L'Affaire

du

Collier, p. 186.

12
lier,

PERREGAUX.
Perregaux
le

s'tait

bien vite trouv


aussi acquit-il, en

l'troit

dans

nouveau
de
la

local;

1786,

l'htel

Guimard dans des circonstances qui


le

mritent d'tre racontes.

La Guimard, dont
tait le

plus magnifique adorateur


lui

vieux marchal de Soubise qui

donnait
petits

72 000 livres par an,

indpendamment des
s'tait fait btir

cadeaux de toutes sortes destins entretenir


l'amiti,
la

Guimard

rue de

la

Chausse d'Antin, presque au coin du boulevard, un ravissant htel qu'elle avait baptis Temple de
Terpsichore. L'architecte

Le Doux

avait dirig les

travaux; l'intrieur avait t dcor par Boulle


et
la

Fragonard.

Grimm

raconte ce propos que

danseuse tant venue se fcher avec Fragonard, celui-ci, qui avait reprsent sur un

panneau
colre.

la

Guimard en Terpsichore,

effaa le

sourire des lvres de Terpsichore pour y mettre la

La danseuse donnait des


son htel; c'est

ftes splendides

dans

l qu'elle avait

prpar, le jour

du mardi gras de 1776, ce fameux souper de


soixante personnes qui s'taient invites par souscription (on les appelait chevaliers de cinq louis

cause du prix de
Roi.

la

souscription), souper qui fut

interdit par l'archevque de Paris avec l'appui

du

Lorsque,

la fin

de 1782, la banqueroute du prince


la

de Gumne entrana

ruine de son beau-pre.

PERHEGAUX.
le

13

prince de Soubise (celte banqueroute s'levait

plusieurs millions de rentes viagres et comptait


trois mille cranciers

appartenant aux classes les


retraits,

plus

modestes
il

militaires

domesti-

ques, etc.),
finances de la
sieurs annes,

y eut un changement dans les Guimard. Sans doute, depuis pluil

danseuse et
faisait

le

y avait eu une rupture entre la prince de Soubise, mais, nanmoins,

celui-ci tait rest

en bons termes avec

elle et lui

encore quelques largesses.

Dans son embarras qui ne fit que s'accrotre en quelques annes, la Guimard rsolut de mettre
son htel en
loterie.

Les 2500

billets,

cotant chale tirage

cun 120
eut lieu

livres, s'enlevrent
le

rapidement;

mai 1786 en l'htel des Menus, rue Bergre, en prsence du commissaire De Ser22

reau et des sieurs Devassis et Turtois, inspecteurs

de

la

Loterie royale de France. L'opration com dix heures

mena

du matin devant une foule considrable. Les 2500 billets numrots taient placs dans une roue et les 2499 billets en blanc avec le billet portant le mot Lot, taient placs
:

dans l'autre
le

1000 billets avaient t tirs sans que


sorti, et

gagnant ft
le

comme

il

tait 2 heures, et

que

public dsirait une interruption, les scells

taient poss sur les

deux roues. Puis, quatre


la

heures,

ils

taient
le

levs sur

rquisition

de

Mlle Guimard, et
C'tait

tirage de la loterie repris.


le tirage

seulement aprs

de 2267

billets

14

PERREGAUX.
que
sortait le billet

tirs

gagnant,

le billet

2175*.

Ce

billet

appartenait la comtesse Dulau qui n'en

avait pris

qu'un;

elle

s'empressa

d'ailleurs

de

revendre l'htel Perregaux. Ce fut donc dans


cette

luxueuse demeure
et ses

qu'il installa ses apparteil

ments
la

bureaux^;

n'tait

du

reste pas le

premier financier qui vnt habiter


Chausse-d'Antin
:

le quartier

de

ds 1775, M. de Sainte-Foix,
s'tait fait btir

des fermes gnrales,

tout prs,

dans

la

rue Basse, un trs bel htel.


ftes super-

Perregaux ne tarda pas donner des

bes; les artistes les plus rputs, Nivelon, Carline,

Dugazon, etc., vinrent donner des reprsentations sur le thtre qui tait un vritable bijou
;

on
le

vit

mme
lui

la

charmante Carline

'faire

changer
venir

spectacle la Comdie-Italienne pour

jouer chez

devant l'aimable socit

Ce gaux
jeune
s'tait

fut rue de la Chausse-d'Antin


accueillit Laffitte. L'histoire est
Laffitte
(il

que Perreconnue le
:

avait alors vingt ans) tait


la

solliciter

une place dans

venu maison de banque et


il

heurt

un

refus;

sortait dcourag,

quand, apercevant une pingle par terre, il se baissa pour la ramasser. Frapp de ce geste qui
E. de Goncourt LaGuimard, p. 233. Aprs la mort de Perregaux, Thtel abrita la banque Laffitte il fut dtruit sous Louis-Philippe et remplac par un magasin de nouveauts, qui disparut lui-mme lors du percement de la rue Meyerbeer.
1.
:

2.

PERREGAUX.
dnotait un esprit d'ordre et d'conomie,
le

15

ban-

quier rappela

le

jeune
qu'il

homme
soit

et le prit

dans ses

bureaux.

Quoi

en

de l'authenticit de

cette anecdote, ce qui est certain, c'est

que Per-

regaux discerna
grands

vite

dans
la

le

jeune Laffitte les


lui

qualits qui devaient faire

financiers

de

un des plus premire moiti du


de

xix sicle.

Au moment o
avait

la
:

Rvolution clata, Perregaux


fille,

deux enfants une


le 18

Anne-Marie Hortense,
fils

ne Paris

octobre 1779 et un

Claudeville
le

Charles-Bernardin,
29 mars 1785.

n dans

la

mme

CHAPITRE ir
UN BANQUIER SOUS LA RVOLUTION
Rvolution clata, Perregaux s'en montra partisan avec sagesse et modration. D'une
la

Lorsque

nature prudente et avise,

il

comprit qu' un

moment o
il, et

les financiers taient

vus d'un mauvais

o beaucoup
il

n'allaient pas tarder tre

jets

en prison,

tait

ncessaire pour lui de


:

donner des gages de son patriotisme aussitt aprs le 14 juillet 1789, nous relevons son nom
sur la
liste

des

membres de
la

Magloire; ds que
1
.

de Saintgarde nationale est organise,


la section

Sources manuscrites : Archives de M. Frdric de Perregaux.

2 3

Papiers de la duchesse de Raguse. Archives Nationales, F' 47746 et AF

II,

219.

Sources imprimes : \ E. et J. de Goncourt


sicle.
2
:

Portraits intimes

du

xviii

E. et J. de Goncourt Histoire de la Socit franaise pendant la Rvolution. 3 Moniteur universel. 4 Catalogues des collections d'autographes Benjamin
Fillon, Gharavay, Lajarriette,

Dubrunfaut, Hervey.

18
il

PERREGAUX.
a
soin

de se faire

nommer

capitaine de la

premire compagnie de
tt

fusiliers qu'il quitte bien-

pour

celle des grenadiers, puis

devient com-

mandant du
1^'^

bataillon et conserve ce poste jusqu'au

janvier 1792.

Dans ces temps troubls, nombreuses sont les demandes d'argent. C'est Sara Lescot, de la Comdie Italienne qui remercie Perregaux, en
1792, de bien vouloir s'intresser son sort et lui

envoie les papiers ncessaires pour qu'il dirige


ses intrts. C'est Monnet, le fondateur

du thtre

de rOpra-Comique aux foires Saint-Germain et


Saint-Laurent,

qui

le

remercie,

en priant Dieu
.
:

de

le tenir

le

cur en

joie et le ventre libre

C'est encore la

charmante Carline qui

lui crit

Vous m'avez promis de me donner de

l'argent,

lorsque j'en aurais besoin, et je vous prends au

mot. Je renvoie
faut.

ma femme

de chambre et

il

m'en

Ne

dites pas non, parce

ce que je ferai.
billet est le frre

que vous savez bien La personne qui vous remettra le


de
lait (trs

en

laid)

de Nivelon
lui

*
;

ainsi
et la

vous pouvez en toute scurit


citoyen,

remettre
et

formule du reu que je voudrais donner,


dpendre.
C'est enfin la
et lui crit

l'argent. Bonjour,
et

votre amie pendre

son cher tuteur,

Duth qui l'appelle de Londres qu'elle

1. Nivelon, clbre danseur de l'Opra, tait le mari de Carline, une des actrices les plus rputes de l'ancienne Comdie Italienne.

PERREGAUX.
va
lui

19

envoyer son portrait


les

Tout

le

monde

le

trouve trs ressemblant, j'espre qu'il vous plaira.

Parmi
la

solliciteuses qui viennent


la

frapper

porte

du banquier,

plus

importune est

Throigne de Mricourt. Ds 1789, s'tant trouv


des aptitudes pour la musique, et voyageant en
Italie, elle

demande
puis
Italie

Perregaux de l'argent pour


:

elle

d'abord,

venue

en

Je pour sa famille suis pour chanter et tudier; j'ai


:

conduit avec moi mes trois frres


peinture et les deux autres
le

l'un tudie la

commerce.

Comme

je suis oblige de toujours voyager, je voudrais


tablir l'an Lige,

qui
trois

sont

dans

le

o nous avons des parents commerce. J'aurai besoin de


trois mille

mille livres

ou

livres et

demie

pour acheter une place de contrleur mon frre an, afin que le revenu de cette petite
place fournisse ses besoins pendant qu'il tudiera

dans un comptoir.
de
la

Dans une

mme

anne,

elle prie le

du 22 mars banquier de donner


lettre

dix louis son frre pour ses frais de voyage, et

de

le

placer

comme

apprenti chez son

corres-

pondant Lige.

De
se

retour Paris, Throigne, avide de rclame,


les

mle toutes

meutes, conduit

les

femmes
Chtelet

de Paris Versailles, lors des journes d'octobre,


puis sentant les choses se gter, car
le

instruit contre elle, elle s'en va Lige. C'est de

cette ville qu'elle crit Perregaux, le 26 aot 1790,

20

PERREGAUX.
lui

pour

dire

combien

elle

surprise,

en

apprenant qu'elle

tait dcrte

de prise de corps.
fait partir, ajoute-

Ce

n'est pas la

peur qui m'a


aprs
avoir

t-elle,

c'est plutt la

mdiocrit de

ma

fortune,

qui

m'a

force,

mang

tous

mes

diamants, venir dans


avec conomie.

mon

Toutefois,

pays pour y vivre et bien qu' l'en


le

croire, elle n'ait pas peur, elle

charge de

la

tenir

au courant de

la

procdure instruite contre

elle; c'est

encore lui qu'elle s'adresse pour faire

retirer ses bijoux

du Mont-de-Pit.
s'apprte rentrer

Au moment o Throigne

en France et manifeste plus que jamais ses sentimonts dmocrates et rpublicains, voici que sur

un ordre venu de Vienne,

elle est

enleve de Lige

par des soldats autrichiens, dans la nuit du 15 au 16 fvrier 1791, et conduite dans la capitale
impriale. C'est encore Perregaux que le frre

de Throigne a recours, en cette circonstance, pour obtenir l'largissement de sa sur. Grce

aux dmarches du puissant financier, la on la traite fort est douce pour elle
:

captivit
bien, lui

crit-elle le 15

septembre 1791,

elle n'est

plus en
surle

prison, mais dans

une maison

particulire,

veille peine par la police;

nanmoins

elle

prie de hter son largissement dfinitif.

Remise
ruine,

enfin

en

libert,

mais compltement
suppliques

la

elle

adresse
car
elle

d'ternelles

Perregaux,

ne russit

gure dans

PERREGAUX.
et Peltier,

21

politique, bafoue qu'elle est par Suleau, Rivarol

jusqu'au jour o, fouette publiquement


elle

par les Tricoteuses,

perd

la

raison et est

enferme

la

Salptrire

elle

mourra

le

8 juin 1815.

De tous

les

banquiers de l'poque, Perregaux

est peut-tre le seul qui ait conserv

pendant

la

Rvolution des relations d'affaires rgulires avec


l'Europe, le seul dont la maison ait

des lettres de crdit

pu dlivrer sur Londres, Amsterdam et


dont
la

Hambourg,

le

seul

signature

inspire

confiance. Cette scurit dont jouit notre financier

semble trange au premier abord,


dconcert de voir
les

et

on demeure

plus farouches rvolution-

naires tels que Robespierre et Fouquier-Tinville


lui
la

tmoigner

les plus

grands gards. Et pourtant


:

raison en est bien simple

c'est

que notre ban-

quier est une puissance et que les

membres du

Comit de Salut public ont compris quels services


son intelligence financire
leur
et

son crdit pouvaient


a-t-il

rendre; aussi

le

gouvernement
est

sans

cesse recours lui. Ds la mise en circulation des


assignats,
c'est
les

Perregaux qui
faussaires

charg
tant

de

rechercher

d'assignats,

en

France

qu'

l'tranger,

jusqu'au jour

un

bureau spcial

est cr cet effet l'Imprimerie


le

Comit de Salut public est organis, c'est lui qui prend ce titre singulirement suggestif de banquier du Comit de Salut

Nationale; quand

22

PERREGAUX.

public ; lorsque le ministre de la guerre Bou-

chotte envoie des agents en Suisse pour y acheter des armes, c'est Perregaux qu'il choisit pour
ouvrir les crdits ncessaires
le
et, le

16 mai 1795,

banquier envoie au ministre

une

lettre

de

crdit de cent mille francs en offrant de l'tendre

telle
lui

somme
les

qui lui serait ncessaire

c'est

encore qui, en abouchant avec des ngociants

suisses
celui-ci
la

agents

du gouvernement, permet
lui enfin

de traiter des prix trs avantageux pour


c'est

Rpublique;

qui,

en mai 1793,

sert d'intermdiaire financier entre le

Comit de

Salut public et Beaumarchais pour fournir ce


dernier les

sommes

ncessaires l'achat des armes

dont

la

Rpublique a besoin ^
les

Ces relations cordiales avec


en bons termes avec
les

hommes

de

la

Rvolution n'empchent pas Perregaux de rester


royalistes qui avaient

jadis t ses clients et ses amis.


il

En

pleine Terreur,

entretient des correspondances avec les migrs

et leur fait passer de l'argent; sa

bourse s'ouvre

toujours avec bont.


1.

nette

Beaumarchais, propritaire de 52 345 fusils baondposs en Zlande, avait trait avec le gouver-

le 3 avril 1792, puis, ce trait n'ayant pu tre excut, les avait vendus un ngociant anglais nomm Lecointe, en se rservant la facult de rmrerla vente et de reprendre ses armes pour son compte dans les deux mois. Beaumarchais fut alors charg de les racheter pour le compte du gouvernement (Cf. ce sujet aux Archives

nement

Nationales AF^

219).

PERREGAUX.
Perregaux avait cependant des
essayrent de
le

23

ennemis

qui

perdre, en l'accusant d'tre

un

ami du ministre anglais Pitt; voici ce qu'ils imaginrent une nomme Marie-Madeleine Pitt, connue dans le monde galant sous le nom de
:

Soinville, habitait Marolles, prs de Boissy-Saint-

Lger;

elle avait pris ce

nom

de Pitt

la suite

d'une liaison avec un Anglais, Smith Barry, qui


lui

avait assur, par contrat

du 26
par

avril

1786,

cinq cents livres sterling viagres par an, dont


le

service

devait tre

fait

Perregaux.
et

Au
un

cours d une perquisition faite chez cette femme,

on avait trouv des


billet

lettres

du banquier,

anonyme
la

le

dnonait aussitt au Comit

de Sret gnrale
et

comme un
.

agent de Pitt

de

cour d'Angleterre

C'tait

une accusan'tait

tion d'autant plus absurde

que Pitt
il

pas

mari, mais cette poque

n'en fallait pas tant


7

pour tre envoy l'chafaud. Le


des commissaires taient

septembre 1793,
par
le

nomms

Comit

de Sret gnrale avec mission de vrifier les


papiers du financier et de rechercher les intelli-

gences

qu'il avait
la

avec

la

citoyenne Pitt
Pitt, ministre

qu'on

supposait tre
terre, qui

femme de

d'Angle-

ne pourra jamais tre aux yeux de tout

bon Franais qu'un objet d'horreur . Perregaux tait trop fin pour ne pas tirer son pingle du jeu aussi en rponse ces accusations s'empressa-t-il d'adresser au Comit de
;

24

PERREGAUX.
:

Salut public un mmoire justificatif exposant

i^

Qu'il est n en Suisse, dans

une Rpublique,
de
la libert,
il

qu'il a t lev

dans

les principes
il

que jusqu'au moment o

est arriv Paris,

a pass sa jeunesse dans des pays libres, dans la


Suisse, l'Angleterre et la Hollande.

Qu'ayant adopt par got

la

France pour

rsidence, y ayant
et

femme

et enfants, des proprits

tablissement, fruit de son industrie, et y ayant pendant prs de 30 annes cherch par

un

une conduite sans reproches y mriter


les principes

l'estime

publique, enfin ayant toujours eu dans son 'Cur

de

la libert

dans lesquels

il

a t

lev et fait tout ce qui tait en lui pour contri-

buer au succs de

la

Rvolution,

il

n'est

gure

possible de croire qu'il ait eu le criminel dessein

de trahir sa patrie adoptive, en devenant l'agent et secondant les projets d'un homme dont les
principes sont
si

opposs aux siens ou en adop-

tant quoi que ce soit qui puisse nuire au bonheur

de

la

Rpublique.

Les commissaires dlgus par le Comit de Sret gnrale, aprs s'tre rendus chez le
banquier, dclarrent n'avoir rien dcouvert de
suspect,

mais en revanche avoir trouv


les

les

preuves
tout
le

plus clatantes de son civisme dans


la

cours de

Rvolution

et

des sacrifices
la libert

gnreux

qu'il lui a faits


.

pour assurer

de sa patrie adoptive

Le 12 septembre 1795,

PERREGAUX.
banquier ne fut plus inquit.

25

10 heures du matin, les scells furent levs et


le

En homme
utile
et, le

avis,

Perregaux jugea

qu'il

tait

de donner des preuves de son patriotisme


22 octobre 1793, adressa quatre mille livres
la lettre

la section des Piques, avec


a

suivante

Citoyens,

Je vous adresse sous ce pli quatre mille livres,

que pour celle de mon associ Gumpelzhaimer, pour les frais qu'a occasionn la section le dpart pour la Vende en mai dernier de nos frres d'armes et pour vous mettre mme de remplir envers eux et les leurs les engagements que vous avez pris. Vous voudrez bien, citoyens, nous faire donner une reconnaissance de cette somme dans la mme forme que celle des 1200 livres que nous vous
contribution,

tant pour

ma

donnmes

le

10 mai dernier pour

le

mme

objet.

Recevez nos expressions de

fraternit.

J.-F.

Perregaux.

Les ennemis du banquier revinrent bientt la charge profitant de l'absence de Perregaux, envoy
;

en Suisse au mois de novembre 1793, pour y conclure de nombreux et importants marchs au nom

du gouvernement,

ils

obtinrent du

Comit de
:

Sret gnrale l'ordre d'arrestation suivant

Vu

la dclaration faite

au Comit aujourd'hui

26

PERREGAUX.
dont
le

et autres pices

bordereau est

ci-joint.

Vu

galement l'arrt adress au Comit de surveillance de la Section du Mont-Blanc.

Le Comit

arrte

que

les citoyens

Perregaux,

banquier, et son adjoint Gumpelzhaimer seront


traduits par-devant le tribunal rvolutionnaire, et
les pices

dont

il

s'agit adresses l'accusateur

public; en consquence seront les citoyens Perre-

gaux

et

Gumpelzhaimer

saisis

en quelque lieu
suffi-

qu'ils se trouvent et conduits,

sous bonne et

sante garde, dans les prisons de la Conciergerie.

Panis;

La Vicomterie

Rhin; M.
Cette

Bayle;

Vadier;

Louis du Voullan.

Bas-

>

on prtendait que Du Chtelet^ voulant corrompre le gendarme prpos sa garde,


fois-ci,

avait confi celui-ci qu'il possdait quatre millions

dposs chez Perregaux.

En
trois

vertu des ordres du Comit de Salut public,

commissaires dlgus par

le

Comit rvolules citoyens


le 14 d-

tionnaire de la Section

du Mont-Blanc,

Marchal, Pernet et Laine, se rendirent

cembre rue du Mont-Blanc


le

le portier leur dit

que
tait

banquier

tait

en Suisse par ordre du gouverne-

ment, et que son associ Gumpelzhaimer-

4. Louis-Marie Florent duc du Chtelet, officier gnral, dput de la noblesse aux tals gnraux, fut arrt en Picardie, condamn mort par le tribunal rvolutionnaire et excut le 13 dcembre 1795. 2. Jean-Albert Gumpelzhaimer, n Ratisbonne, en

PERREGAUX.
sorti

27

depuis un quart d'heure, mais ce dernier

arriva sur ces entrefaites et les guida dans la maison. Les commissaires apposrent les scells sur
les

meubles
soir,

et se retirrent cinq

heures

et

demie

du
la

emmenant Gumpelzhaimer au Comit de


ils

Section du Mont-Blanc, o
la

l'enfermrent

dans

chambre

d'arrt, aprs lui avoir pris

son

portefeuille et

ses papiers.

Gumpelzhaimer de-

manda

tre conduit dans la soire au Comit de

Sret gnrale, ce qui fut accord, et deux

heures du matin, ce Comit ordonnait d'crouer


prisonnier la Force*.

le

Perregaux, qui avait profit de son sjour en


Suisse pour aller passer Neuchtel

quelques

jours auprs de sa famille, apprit avec stupeur


l'arrestation de son associ et les poursuites diri-

ges contre lui-mme

il

n'hsita pas rentrer sur-

le-champ Paris
public. Quels

et

courut au Comit de Salut

arguments ft-il valoir? Quels moyens employa-t-il pour se concilier ces hommes redoulongtemps Perregaux, dont
il

1742, tait associ depuis


tait l'ami intime.

Gumpelzhaimer fut crou la prison de la Force le Le 25 frimaire, 15 dcembre 1795; voici son crou la Rpublique, l'an II de a t amen es prisons de
1.
:

l'hpital de la Force, par les citoyens Marchal et Laine, commissaires et membres du Comit rvolutionnaire, section du Mont-Rlanc, le nomm Jean-Albert Gumpelzhaimer, banquier, de l'ordonnance des citoyens commissaires et membres du Comit susdit, sans explication de Sign, Bault. cause.

28

PERREGAUX.
Mais, ce que nous savons, c'est

tables? Mystre!

que les poursuites cessrent comme par enchantement; le 50 frimaire an II (20 dcembre 1795), le Comit de Sret gnrale dcida que Gumpelzhaimer serait extrait de
arrestation
la

Force

et resterait

en

chez

lui,

sous

la

surveillance

d'un

gendarme qui veillerait en mme temps sur Perregaux; deux jours aprs, les scells furent levs,
et

voici

en quels termes
les papiers
la

Cambon
le 5

an, charg

de vrifier

des banquiers, rendit compte


nivse an
II

de sa mission
(25

Convention

dcembre 1795):

Nomm
la

commissaire par

les

Comits de Salut

public et de Sret gnrale pour vrifier

un objet
fait

de

plus haute importance qui nous a

con-

natre

une sclratesse commise par un noble, condamn pour crime d'migration, je me suis
Duchtelet,

acquitt de ce devoir pnible avec Mose Bayle.

condamn comme migr,


au supplice, de sduire
il

tenta,

se soustraire

les

pour gendarmes
ils

qui

le

gardaient;

leur offrit

00 000 livres;

pa-

rurent se prter aux vues de Duchtelet, aprs


avoir fait leur dclaration leur chef et avoir pris
toutes les prcautions ncessaires pour n'tre pas

en

faute.

Duchtelet

leur

signa

un bon de
banquiers
:

100000 livres sur Perregaux


originaires de Suisse.
Ils lui

et associ,

demandrent Mais qui nous assurera du paiement de ces 100000 livres?

Cela ne sera pas

difficile,

leur rpondit-il,

PERREGAUX.
puisque
j'ai

*i9

soustrait

ma

fortune,
et

que

j'ai
il

aux recherches 4 milKons de dposs entre les mains de


a 2 millions en or.

Perregaux

dont

Duchtelet a pri sur l'chafaud. Le Comit

de Salut public a ordonn aussitt l'arrestation de Perregaux; on n'a trouv que son associ. Les
scells ont t

mis sur

les papiers

de cette maison

personne ne

s'y attendait,

ainsi rien

ne pouvait

tre soustrait. L'associ a crit

public pour lui demander les


tation.

au Comit de Salut motifs de son arres-

Perregaux

tait

la frontire

de Suisse.

Neuchtel, sa patrie, sur peine apprend-il l'arresta-

tion de son associ qu'il part, revient Paris et se

prsente au Comit de Salut public. Le Comit,

voulant connatre

la vrit, lui

demande si

ses livres

sont en rgle,
Duchtelet,

s'il

a 4 millions en dpt appartenant

s'il

a fait des paiements pour

lui.

Perregaux rpond qu'il n'a jamais pay pour lui que 10890 livres, en 1790 et 1791, mais que le nom
de Duchtelet n'a jamais t mis sur ses
livres, et

que

dnonc, c'est parce qu'il y a six mois, Duchtelet lui offrit une opration d'change de
s'il

l'a

Perregaux se refusa. Les Comits de Salut public et de Sret gnrale nous chargrent, Mose Bayle, Johannot
lui

6000 livres sterling, laquelle

et

moi,

de poursuivre

la

vrification

des

faits;

Mose Bayle crut prudent d'interroger l'associ.


le fait venir,

On

on

lui

demande

est

Perregaux?

En Suisse,

sa patrie,

pour des

affaires particu-

30
lires.

PERREGAUX.

tes-vous instruit de son arrive?


lettre

De-

puis huit jours, je suis au secret, je n'ai crit


d'autre

que

celle

o je

demandais
de

au

Comit de Salut public


tation.

les motifs

mon

arres-

Nous commenmes d'avoir quelques doutes sur la dnonciation. Nous requmes du Comit rvolutionnaire de la Section du Mont-Blanc
la

leve

des scells qu'il avait apposs sur

les papiers

de

Perregaux.

Comme

ils

nous avaient

dit

que leurs
six.
Ils

livres taient

en rgle, nous leur demandmes leur


Ils

bilan depuis 1789.


faisaient

nous en prsentrent
et

exactement leur inventaire,

ce qui

vous surprendra, c'est que depuis 1789, ils n'ont jamais eu en dbit ni en crdit pour 4 millions. Nous examinmes quelle tait la fortune de Perre-

gaux en
l'avaient

1789,

sa progression,

les

moyens qui

augmente. Sa fortune est bien loin d'tre de 4 millions. Il est riche pour un banquier, mais, comme le Comit a pris tous les renseignements ncessaires, la Convention me dispensera sans doute de faire connatre le bilan de ce particulier*.

a t
chez

que la fortune de Perregaux progressive peu prs de la mme manire

La

vrit est

chaque anne,
les

et sans ces variations

communes

banquiers qui veulent forcer leurs maisons


vrifi si le

de commerce. Nous avons

mot Duch-

1.

L'Assemble

Oui! Oui!

(Note du Moniteur.)

PERREGAUX.
telet se trouvait

31
il

dans

les bilans;

ne

s'y trouvait
ils

nulle part.

Nous avons examin

la

caisse;

en
ce

faisaient tous les jours le bordereau; jamais

bordereau n'a excd 4 millions. Tous


reaux se rapportent
les

les

borde-

uns aux autres. Le 30 frimaire, il y avait en caisse 700000 livres en assignats. Nous avons recherch sur les grands livres,
y avait des oprations avec Duchtelet, nous n'avons rien trouv, pas plus dans
depuis 1789,
s'il

banque avec la Caisse d'escompte. Nous leur avons demand s'ils avaient satisfait la loi relative aux sommes que les ngociants franais peuvent devoir ou qui peuvent leur tre dues par l'tranger. Ils nous ont rpondu
les

relations

de

cette

y devaient plus qu'il ne leur tait d. Ils nous ont reprsent une dclaration bien en rgle,
qu'ils
faite

cet

gard

le

lendemain

mme

de votre

dcret.

Enfin l'examen de leur correspondance ne nous

a produit que

10 890 livres

deux lettres constatant l'avance de que Perregaux avait dclare au


s'est

Comit. La fortune de l'associ

trouve abso-

lument concordante et dans la mme progression que celle de Perregaux. Nous avons port au Comit de Sret gnrale tous les bordereaux. Il a
t

convaincu que rien ne pouvait tre plus justi

ficatif*.

1.

On

applaudit.

(Note du Moniteur.)

52

PERREGAUX.

la suite

de ce discours,

la

Convention dcida

l'abandon des poursuites

contre

Perregaux

et

Gumpelzhaimer; comme on avait procd d'une manire un peu vive l'gard de ce dernier,

on voulut le lui faire oublier, ainsi qu'en tmoigne la lettre suivante adresse Fouquier-Tinville
:

Le Comit de Sret gnrale de


le le

la

Convention

ayant t autoris par

dcret rendu hier rap-

porter son arrt qui te renvoyait

citoyen Perre-

gaux
avait

et

son associ Gumpelzhaimer, ce dernier


portefeuille et

un

un paquet de
te prions

lettres qui

t'ont t adresss,
effets

nous

de rendre ces

qui ne peuvent plus rester entre tes mains,

attendu l'innocence reconnue de ces deux associs.

M. Bayle; Les reprsentants du peuple Amar Dubarray La Vicomlie Lacoste


;

terie.

Le farouche Fouquier s'excuta aussitt de la meilleure grce du monde et rendit Gumpelzhaimer ses papiers et son portefeuille. Quant Perregaux qui venait de gagner une partie o un autre
et laiss sa tte,
il

s'empressa de faire part de ce

triomphe aux membres du Comit rvolutionnaire


de
la section

des Piques.

PERREGAUX.

33

Paris, le 16 nivse, l'an II de la Rpublique franaise une et indivisible.

Citoyens,

Vous avez sans doute appris avec surprise Tvnement qui avait suspendu quelques moments

l'opinion publique

que

j'ai

toujours consulte dans


Je ne puis mieux vous
le

toutes les actions de

ma
la

vie.

en exposer

les dtails

qu'en vous transmettant

Convention nationale. Le malheur d'avoir t souponn est peut-tre une


rapport prsent
circonstance dont je dois aujourd'hui m'applaudir,
puisqu'elle a
tification

donn

lieu la plus authentique jusla

de

ma

conduite et de mes sentiments;

svrit n'est point craindre partout

l'on re-

connat

la justice.

F. Perregaux.

P. -S.

Cette pice vous serait parvenue plus

mon temps n'et pas t entirement absorb par les occupations que ma qualit de commissaire pour les rquisitions faites aux banquiers me donne
tt, si

depuis huit jours.

Cependant,
pas
:

les

dnonciateurs ne se lassaient
le

si

on n'avait rien trouv chez

banquier,

disaient-ils, c'tait

parce qu'on n'avait pas vu une

cachette qu'il avait fait tablir vers le milieu de


1793, par

un maon nomm

Stouff.

Une enqute
3

54

PERREGAUX.
le

eut lieu
soins

22 nivse an

II (11

janvier 1794) par les

du commissaire du Comit rvolutionnaire de la section du Musum. Stouff dclara qu'un jour, Perregaux tant de garde la Convention nationale, l'ancienne salle du Mange, l'avait envoy chercher pour lui communiquer le projet de faire placer une armoire dans un coin auprs de son cabinet, mais que Perregaux, attendu qu'il
fallait

pour

faire cet

ouvrage passer par

le cabinet,

lui a

manifest

le dsir qu'il ft fait

par quelqu'un

de sr

et qu'il lui avait

demand

s'il

ne pourrait
il

pas placer cette armoire lui-mme, ce quoi

r-

pondit affirmativement
lui avait dit
:

. Il

ajouta que

le

banquier

Ce

n'est pas

pour moi, je ne crains

rien pour

ma

fortune, mais j'ai des fonds diff-

rents particuliers, je crains d'tre pill.

Sur

l'ordre

du Comit de

la

section

du Musum,
maison, leur

quatre commissaires se prsentrent chez Perre-

gaux qui

les

guida lui-mme dans

la

montrant notamment une armoire pratique dans un pan de mur derrire une tapisserie; les commissaires
se prcipitrent et trouvrent...

des
lit .

garnitures de chemine et des couvertures de

Perregaux, qui avait mis depuis longtemps l'abri, en Angleterre, la plus grande partie de sa fortune
et

de

celle

de ses clients, regardait faire en sou-

riant.

On
il

lui
ft

demanda
monter

s'il

n'y avait pas d'autre ca-

chette;

les

commissaires au premier

tage, et leur ouvrit

une armoire deux compar-

PERREGAUX.
timents pratique dans un

35

mur

et

dans laquelle
se

il

n'y avait rien. Les commissaires

dclarrent
difficiles!)

absolument

satisfaits (ils n'taient

pas

et se retirrent.

Sur ces entrefaites, la femme de Perregaux mourut le 22 janvier 1794 la suite de ce deuil, le banquier alla passer quelques mois en Suisse dans sa famille, laissant en pension Paris sa fille Hortense, ge de quatorze ans; le fidle Gumpelzhaimer tait d'ailleurs charg d'aller souvent voir
;

la

jeune

fille

et

de

lui

apporter les lettres de son

pre.

Celui-ci

correspondait

rgulirement avec

son associ et ses fonds de pouvoir, Laffitte et

Lanon, que

le

drame sanglant de
si

la

Terreur ne
la

semblait pas trop inquiter,


lettre suivante
:

l'on

en juge par

Paris, ce 7 messidor, l'an II de la Rpublique une et indivisible.

Voici, cher citoyen,

deux

lettres

de

la

citoyenne

Hortense.
ntre du

Nous

n'en avons pas de vous depuis la

5, ainsi

nous aurons moins de choses

vous

dire.

Le Rpublicain n<* 565 vous sera envoy. Le citoyen Du Peyron est rabonn pour trois mois au Moniteur. Il ne le sera point au Journal de la Montagne. Le dernier dcret sur les rentes viagres, ainsi que les livres et bien d'autres petits

36

PERREGAUX.
la

objets que vous dsirez, n'attendent pour partir

que

premire occasion.

Ils

sont tout prts, ex-

cept
<c

le

dcret qu'on imprime.

La citoyenne Bfort a vers au Trsor public


Cet objet va se terminer incessamfait les

les 35 livres.

ment. Luc Preiwerck a

fonds des 18 000

pour Philippin, il y a mme 5000 de bon sur les 15000 d'engagement au 10 juillet. Votre observation sur le moral de ce citoyen

nous rendra une

autre fois plus attentifs pour les affaires que nous


traiterons avec lui. Votre

bonne volont et l'exprience du citoyen Gumpelzhaimer nous les fera

terminer toutes sans difficults.


Vestris reoit toujours avec plaisir les

marques
l'im-

de votre amiti et se console du fromage par


possibilit

La citoyenne Murt vous en a envoy un que nous ne pouvons vous expdier et qui est dj trop vieux pour attendre votre retour. Le citoyen Gumpelzhaimer en profitera. Il n'avait pas besoin de ce stimulant pour boire votre sant, ni nous non plus car sans l'entamer aujourd'hui, nous choquerons
de
le faire

sortir

de

la

Suisse.

les verres votre

souvenir en dnant avec les

ci-

toyens Leuba, oncle et neveu. Celui-ci parat se

rapprocher de nous, et
faire des avances.
Il

il

ne nous en cote pas de

est si

doux de

voir rgner la

confiance et l'amiti avec des gens avec lesquels

on doit vivre

Manque d'panchement on prend

quelquefois de fausses opinions, et on est tout

PERREGAUX.
des motifs d'estime et d'attachement.

57

tonn de ne trouver en se connaissant mieux que

Le dpart des courriers pour la Suisse n'a pas chang avec le calendrier. Vous devez le voir la

date de nos lettres. Elles retardent sans doute, et

vous en connaissez
Il

le

motif

comme nous

est

malheureux pour Walsh que sa

traite

de

1818 livres n'ait pas t paye, car je crois qu'il


sera fort embarrass pour rembourser les 500 livres

qu'on

lui a
s.

vres, 10

donn dessus. P. Montjoi doit 831 pour des avances faites depuis le 7

li-

f-

vrier 1793.

Vous en aurez
Il

la

note avec celle des

autres comptes.

fallait

bien faire ces avances au

jeune Gardiner ou
c

le laisser prir

de misre.

Adieu, bon et cher citoyen, nous finissons tou-

jours notre lettre en vous embrassant de

cur

et

en faisant des
se servir des

vux pour
mots.

votre bonheur et votre

sant; pour exprimer le

mme

sentiment on doit

mmes

Jacques Laffitte

Lanon.

Aprs
faillit

le 9

thermidor, Perregaux rentra en France

et reprit la direction

de sa maison de banque.
cette poque

Il

avoir

comme employ
:

un

futur marchal de France


effet, le

Clarke lui crivit en

18 nivse an

III,

qu'une suspension injuste

l'ayant loign de l'arme et le mettant hors d'tat

de

faire subsister sa famille,

ploi

demandait un emdans une banque ou une maison de commerce;


il

38

PERREGAUX.
il

mais

ne fut pas donn de suite ces projets, car,


la

grce

protection de Garnot, le jeune officier

fut rintgr dans l'arme.

Par ses nombreux amis et ses correspondants, Perregaux tait un des hommes les mieux renseigns de Paris. C'est ainsi qu'il fut

un des

pre-

miers savoir que

les

Anglais allaient tenter une


le

descente Quiberon;

15 juin ^17C5,
:

Beaumar-

chais lui crivait en effet

Ami Perregaux,
suit

htez-vous de faire parvenir

au Comit de Salut public. Rien n'est aussi certain que cet avis que je reois dans Londres, ce 2 juin 1795. Les l'instant de Londres corps cVmigrs franais la solde de V Angleterre ont ordre de se tenir prts s' embarquer pour Jersey
le
:

mot qui

et

Guernesey, ce qui fait croire ceux dont je tiens

cet avis

une descente

trs

prochaine pour laquelle

on

croit que le

gouvernement a des intelligences dans


soit l'objet

Vintrieur. Tous en gnral font leurs paquets en

grande hte. Quel que

de cet embar-

quement,

il

va s'effectuer trs prochainement. Je

vous embrasse.

L'avis tait bon, la suite le prouva; le 16 juin en


effet, les

migrs taient crass Quiberon.

CHAPITRE

Iir

LE DIRECTOIRE

Au lendemain

de Thermidor,
le

il

semble que

les

Parisiens aient voulu noyer

tragique souvenir
les ftes

des atroces journes de

la

Terreur dans

et les plaisirs, et qu'aprs avoir senti si


la

longtemps

mort planer sur leurs

ttes, ils aient t saisis

d'un furieux besoin de manifester leur joie de


vivre.

Cette frnsie de plaisirs se produit dans toutes


les classes

de

la socit.

Partout, on se rue au bal;


le

on danse cinq

livres

par cavalier chez

citoyen

Travers, 1258, rue de la Loi; on danse vingtSources manuscrites : Papiers de la duchesse de Raguse. 2 Archives nationales F' 6214.
J
:
:

Sources imprimes
1 E. et J.

de Goncourt
le

Histoire de la Socit fran-

aise pendant
2
3
4

Directoire.

Lacour: Les Salons sous le Directoire. Lettres de Swinburne. Madame de Bawr Mes Souvenirs. Arnault Souvenirs d'un Sexagnaire.

Babeau

40

PERREGAUX.

quatre sous par cavalier et douze sous par citoyenne,


rue des Filles-Saint-Thomas; on danse dans des
couvents, dans des granges et jusque dans l'ancien cimetire de Saint-Sulpice. La bonne

compala

gnie a choisi pour ses bats l'htel Longueville,

o vient trner
que

la

meilleure danseuse et

plus

intrpide cuyre de Paris,

Mme

Hamelin, pendant

sous

les

corniches d'or mille glaces rptent

les sourires et les

enlacements, les vtements ba-

lays et moulant le corps et les poitrines de marbre, et les

bouches qui, dans

l'ivresse et le tour-

billon s'ouvrent et fleurissent

comme

des roses

^
et

Mme

affluence en t Biron,

Monceaux

surtout Tivoli, o dix mille personnes dansent au

son d'un orchestre harmonieux.

Les thtres ne dsemplissent pas Talma, Mole, Saint-Prix, La Rive, Mmes Contt, Thnard, Rau:

court, Mzeray se partagent les bravos

du
il

public.

A
Loi.

l'heure

finissent les spectacles,

chez Garchy,

le

glacier la

mode de

la

y a foule rue de la
bois
et

Dans

la

vaste salle que dcorent d'immenses

glaces

encastres

dans des panneaux de

orang, avec des chambranles bleu cleste,


roche, une foule lgante se presse.

qu'clairent brillamment des lampes de cristal de

Le patron
si

va,

vient autour des tables d'acajou, s'informe


est satisfait de ses biscuits

on

aux amandes
p. 144.

et

de ses

1.

E. et

J.

de Goncourt: Op.

cit.

PERREGAUX.
jeunes gens lorgnent
les lgantes qui

41

glaces aux abricots ou aux pches, pendant que


les

arborent

des robes la Flore, la Vestale, la Diane, des

tuniques la Minerve ou la Crs.

Les ths sont aussi


2

la

mode, mais ce sont des

ths pantagruliques qu'il est d'usage de servir

heures du matin; on y mange des poulardes truffes du Mans, des roastbeefs saignants, des

ou

pts d'Amiens, des chauds-froids de gibier, des

tranches de jambon. C'est que

le
:

Directoire est le

rgne des grands mangeurs

le

gnral Junot

mange

trois cents hutres

au commencement de

chacun de

ses repas. C'est aussi l'poque

o Tal-

leyrand invite ses amis des soupers fins qui sont

nymphes vtues d'une toffe lgre. Cette socit nouvelle compose surtout de parvenus se presse dans les salons du Luxembourg o la gracieuse Mme Tallien prche l'lgance et l'amour. On y rencontre Mme Hamelin et Mme Rservis par des

camier; on y voit la spirituelle Mme de Stal, la belle Mme Hainguerlot, la gracieuse citoyenne

Saint-Fargeau et tout un essaim de jolies femmes qui dploient un luxe inou.

au milieu de ce monde bizarre, dont l'lgance a gard quelque chose de cru et de canaille, que Perregaux reprend la direction de sa maison
C'est

de banque. Plus que jamais


fluent dans son cabinet, car

les
il

qumandeurs

af-

y a bien des misres! Beaucoup de tables manquent de pain. Pen-

42

PERREGAUX.
l'hiver

dant

de 1796, o

le

thermomtre marque

nombreux sont ceux qui meurent d'puisement; on mange du sang de cheval cuit et on boit du sirop de racines Les journaux annoncent qu'il n'y a plus de sucre pour les ma10 degrs de froid,
1

lades de Paris, plus de bois pour fabriquer des

jambes aux amputs des armes! Le pain vaut


60 francs
la

livre et le reste est l'avenant; le


;

blanchissage d'une chemise cote un cu

le

prix

de
les

la

chandelle est inabordable.


la

On ne compte
!

plus

gens qu'a ruins

Rvolution

Les artistes viennent comme autrefois recourir aux bons offices du banquier Perregaux. Ceux qui
ont quelque argent
le lui

confient pour

un

pla-

cement avantageux; ceux qui n'ont rien lui content leurs embarras pcuniaires, et tout de suite, il les comprend demi-mot; il a l'air de prter, alors qu'en ralit il obhge. Personne, parmi ceux qui
ont recours son inpuisable gnrosit, ne s'en

va

les

mains vides.
l'an IV, Mlle

En

Raucourt, qui vient d'acheter


et n'a pas d'argent

une ferme Compigne,


la payer, lui

pour

demande

emprunter 200 000 francs.

Mme
pour
lui

Vestris, premire

danseuse l'Opra et

femme du Diou

de la Danse, lui crit de Soissons

recommander un de ses parents. Dans une lettre date de Londres, le 23 octobre 1796, la Duth l'appelle son cher tuteur
et l'entretient de ses affaires.

Il

est

dans

l'ordre,

PERREGAUX.
dit-elle,

que mes amants aient toujours affaire mon tuteur . Et en tmoignage de reconnaissance, elle lui annonce l'envoi des ouvrages du chat

qu'expire (Shakespeare)

Mais de
assidue est

toutes
la

ses

correspondantes, la plus

charmante Louise Contt, qui envoie de Genve son cher bon ami M. Perregaux ses remerciements affectueux pour les aimables relations qu'il lui a procures. Le 28 septembre 1 797,
elle lui

siaste

annonce qu'elle a reu un accueil enthou Bordeaux et, comme elle a gagn quelque
de remettre de sa part 1200 livres Maupeou. Quelques mois aprs, c'est de
le prie

argent, elle
son
fils

Marseille qu'elle crit

au banquier

mon cher Perregaux, de toute l'obligeance que vous me montrez, je la regarde comme une preuve d'amiti, et, par cela mme, elle me devient plus prcieuse. Hlas

Mille et mille remerciements,

quel vnement que celui de l'OdonM de combien

de

malheurs

les artistes

sont-ils poursuivis!

et

que j'envie ceux qui peuvent abandonner une carrire aussi dsastreuse Le hasard m'a bien servie en m'loignant de Paris en ces circonstances, je mets profit un temps que les autres perdent, dans un trompeur espoir, mais le produit de mes
!

efforts se trouve

absorb par des dettes, des besoins

1.

Le thtre de l'Odon

avait brl le 18

mars

1799.

44

PERREGAUX.
il

ne m'en reste presque que la satisfaction de faire honneur tout; enfin, c'en est une dont mon cur et ma dlicatesse sentent tout le
prix. Je vais

de famille;

en partant vous faire passer encore,


le

puisque vous
remettre

permettez, quelques fonds pour


frre.

mon
si les

J'en aurais eu

beaucoup

davantage,
fait

ordres ministriels ne m'avaient


la belle saison,

languir et gagner

mais cepen-

dant je suis contente; il s'en faut de tout que Mole en puisse dire autant, car il a t totalement

abandonn Lyon. Mon Dieu, que


le

je voudrais

que

pauvre Fleury trouvt quelque chose d'avantageux en ce moment! il a de la famille aussi, et


vient de

me montrer un
mes

intrt auquel je suis bien

sensible. Faites-lui

amitis,

mon

trs cher,

mais gardez-en, je vous

prie, la meilleure partie

vous-mme.
a

Louise Contt.
il

Parny vous

dit mille

choses affectueuses,
et Mlle

est toujours boiteux.

Deshays

Duchemin

dbutent

ici le 15.

Dans une autre

lettre

de

la

mme

anne, crite

de Montpellier, Mlle Contt tient son correspondant au courant de ses engagements et de ses reprsentations en province.

Ce n'est pas seulement avec Perregaux est en relations


:

les artistes

que

l'abb Morellet,

PERREGAUX.

45

Collin d'Harleville, Andrieux, Picard, Ducis, Le-

gouv sont de ses amis; Hugues Maret, le futur duc de Bassano, lui recommande un ami en ces
termes
Je
:

me

suis

prsent hier chez

le

citoyen
je

Perregaux,

mon

dsir tait de le voir;

me

proposais de lui parler aussi d'un ami pour lequel


il

me

serait prcieux d'obtenir sa

bienveillance.

C'est le citoyen

Depuis
de

le

Ange Peterinck-Cardon, de Lille. commencement de ce sicle, une branche


entretient

ma

famille

avec

la

sienne

des

liaisons d'affaires et

de commerce; une confiance


si

d'aussi vieille date et

constamment mrite a

produit une amiti hrditaire.

Mme

Peterincks'est

Cardon

la

mre,

la

mort de son mari,

trouve investie du droit de rgir ses affaires

pendant dix ans. Le temps vient d'expirer

et le ci-

toyen Ange Peterinck, qui a constamment sign

pour sa mre, s'occupe dsintresser son frre, pour devenir, par des arrangements qui conviennent
sa famille, l'unique chef de la maison.

Un nom

estim, une fabrique connue, des proprits foncires assez considrables et

une conduite per-

sonnelle l'abri de tout reproche, tels sont les

moyens sur
l'appui

lesquels

il

compte pour donner plus


affaires.
S'il

d'accroissement

ses

y joignait
l'abri

du

citoyen

Perregaux,
il

d'un
tra-

crdit aussi respectable,

se livrerait ses

46

PERREGAUX.
rien

vaux avec une scurit 'que


troubler.

ne pourrait

Je prie le citoyen Perregaux de


le

me donner

une heure laquelle

citoyen Peterinck-Gardon

puisse s'entretenir avec lui.

Salut et amiti.

Hugues B. Maret.

24 pluvise an VI.

On

dit 'qu'un

agent anglais est arriv depuis

plusieurs jours avec des propositions.

Le citoyen

Perregaux en

sait-il

quelque chose ?

Perregaux

est toujours en relations suivies avec

l'Angleterre, ainsi

que

le

prouve cette note d'un


:

inspecteur de police en date du 21 juillet 1799

....

J'ai

appris dans la conversation que le ban(sic),

quier Perigot

demeurant Chausse d'Antin,


qui l'on puisse s'adresser

correspond rgulirement avec l'Angleterre, et


qu'il est

mme

le seul

pour envoyer ou tirer de l'argent d Paris.... Un voyageur anglais, Henry Swinburne, qui
visite Paris

pendant

l'hiver

de 1796 1797, a bien


;

soin de se faire inviter par lui


notes, la date
dner, chez

on
:

lit

dans ses

du

27 janvier 1797

Rencontr

Perregaux, l'ancien vque d'Autun,

PERREGAUX.
Talleyrand, revenu

47

rcemment d'Amrique. Nous avons renouvel connaissance. Tout diable boiteux qu'il est, c'est un homme trs agrable. Il remue
pour tre employ par le Directoire. Il y avait aussi l mon vieil ami Saint-Foix, aujourd'hui compre et compagnon de Talleyrand, et
ciel et terre

Simon Dumesny,
ques jours aprs,

petit-fils d'Helvtius.
le

Quel-

nouveau chez
aussi

le

brillante

Swinburne dne de financier et y trouve une runion Dn chez Perregaux avec


19 fvrier,

Saint-Foix, Talleyrand, Roederer et Beaumarchais;

ce dernier est trs sourd, mais encore spirituel et


gai*.

Perregaux se distinguait de ses collgues de la banque, les Hainguerlot, les Ouvrard, les VanderBerghe,
ordre,
les

Hottinguer, par sa politesse, sa bien-

veillance et son obligeance. Financier de premier

dou d'une intelligence suprieure, il avait beaucoup d'esprit et des rparties mordantes. Il supportait la plaisanterie de la meilleure grce du
1. C'est Perregaux que Beaumarchais avait d sa radiation de la liste des migrs; Mme de Beaumarchais s'tait en effet adresse au banquier qui tait l'ami de l'crivain, pour le prier d'intercder auprs de Cambacrs afin d'obtenir le retour de son mari. Nous devons , lui crivait-elle, tous runir nos efforts pour amener bien cette radiation. Plus elle tarde, plus le feu se met ses affaires, et aprs tout, cette demande est d'une justice si troite, que je ne sais plus aujourd'hui ce qui pourrait retenir nos lgislateurs. Et puis le pauvre

bon ami

finirait

par crever de chagrin ou de dsespoir.

48

PERREGAUX.
:

monde

l'aventure suivante dont

il

fut le hros et

que rapporte Mme de Bawr en est la preuve. A l'poque du Directoire, il tait de mode d'inviter
sa table certains personnages dont le mtier tait

de mystifier

le

convive qu'on leur

livrait, et ce,

pour

la

plus grande joie des autres invits qui


le

avaient t pralablement mis dans

secret

parmi

ces mystificateurs, le plus clbre tait Musson,

qui parvenait abuser les

hommes

les plus fins.

M. Perregaux,|le banquier, qui ne connaissait Musson que de nom, tant venu dner chez M. Lenoir^ l'homme de Paris, je crois, qui aimait
s'amuser,) aperut dans
vieillard
le

plus

un coin du salon un
la

dont

les

regards hbts et

contenance

taient

si

tranges, qu'il saisit la premire occasion

pour demander au matre du logis qui tait cet C'est mon oncle, rpondit M. Lenoir; homme.... il loge avec moi, et par son testament il m'a laiss

toute

sa

fortune
il

qui
est

est

assez

considrable.

Malheureusement,
d'tre

tomb en enfance au point devenu presque imbcile, comme vous


le voir.

pouvez
Paris.
dner,

Nous ne

le laissons

jamais sortir
les

seul, parce qu'il

ne reconnat plus

rues dans

On

que dura le M. Perregaux ne pouvait dtacher ses yeux


se mit table, et, tant

i. Lenoir recevait beaucoup, et ses salons taient frquents par l'lite intellectuelle du monde parisien Talma y jouait des comdies improvises, et Andrieux rcitait des
;

fables.

PERREGAUX.

49

du

vieillard,

qui non seulement lui semblait un

modle de contorsions grotesques, mais qui ne cessait de se mler la conversation par quelques

mots
efforts

si

que M. Perregaux faisait des inous pour ne pas clater, tandis que les
risibles

autres convives feignaient d'imiter sa


Enfin,
le

retenue.

retour 'au
et,

salon

le

dlivra
il

de cette

contrainte,

ses gens tant arrivs,

se retira de

bonne heure, sans tre dsabus. Quelques semaines aprs, comme il passait sur le boulevard dans sa voiture avec un de ses amis, il reconnut Musson qui se promenait seul dans la contre-alle. mon Dieu s'cria-t-il, voil l'oncle de Lenoir

qui s'est chapp.

Gomment?
homme
si

dit

son ami, ne
lui.

connaissant pas Musson plus que

Oui,

reprend M. Perregaux en tirant


faire arrter, ce
il

le

cordon pour
;

pauvre

a perdu la raison

va s'garer dans
Et,
il

la ville,

je ne le reconduis

pas.

donnant

l'ordre

son

cocher de

le

suivre,

descendit de voiture

avec celui qui


et
lui

l'accompagnait, joignit

Musson

proposa

avec

la

plus grande douceur de le ramener chez


il

son neveu. Musson reconnat M. Perregaux;

reprend aussitt son

rle.

Non,

non, lui

dit-il,

d'un ton enfantin, je veux trouver une boutique o


l'on

vende des polichinelles.

Et pourquoi?

Parce que je veux en acheter un pour m'amuser avec. Je ne suis sorti que pour cela. Votre neveu

vous en donnera tant que vous en voudrez, ds


4

50

PERREGAUX.

que vous serez retourn chez lui. Il n'y a pas de jolis polichinelles dans notre quartier. Je

vous enverrai un polichinelle ce

soir.

Le mot de

polichinelle, si souvent rpt par des

hommes de

cet ge, avait fait s'arrter quelques passants qui

coutaient cette conversation. M. Perregaux, crai-

gnant de
et se

faire scne,

prit

par

le

bras Musson,

mit marcher avec

lui la
ils

recherche d'un
;

marchand de joujoux.

Enfin,

en trouvrent un

M. Perregaux entra dans la boutique, acheta le plus beau polichinelle et le remettant aux mains
de Musson
dit-il,
:

Maintenant, vous voil

satisfait, lui

et

vous voulez bien que je vous ramne

chez votre neveu, n'est-ce pas? Touch d'une


pareille bienveillance, le mystificateur

ne se sentit
:

pas

courage de pousser la plaisanterie plus loin Je vous remercie, monsieur, rpondit-il du ton
le

le plus raisonnable,

mais je n'abuserai pas de votre

bont

je

me nomme Musson.

Ah

s'cria

en
le

riant M. Perregaux, ce coquin de Lenoir

me

paiera! Je n'en suis pas moins

charm d'avoir

connu

en victime, un aussi admirable talent. Et, serrant la main de Musson, il remonta dans sa
voiture.

mme

CHAPITRE

IV*

LE MARIAGE DE MARMONT
Hortense Perregaux venait d'achever son ducation dans la maison fonde par Mme Campan
y avait eu pour camarades gl Auguier qui allait bientt pouser le marSaint-Germain;
elle

chal Ney, Adle Auguier qui devait prir tragique-

ment, en pleine jeunesse, dans un accident de montagne, enfin Hortense de Beauharnais. Trs gte

par son pre qu'elle amusait par ses


et spirituelles,

saillies vives

Mlle Perregaux conqurait tous


intel-

ceux qui l'approchaient par sa grce et son


ligence.

En novembre

1795, l'abb
il

Morellet de-

mandait au banquier quand

pourrait jouir

du

Sources manuscrites : Papiers de la duchesse de Raguse. 2 Archives de la Bibliothque de Chtillon-sur-Seine papiers du marchal Marmont.
1.

Sources imprimes
1

Mmoires du duc de Raguse de 1792

1841.

Paris

(Perrotin) 1856-57. 2 Moniteur Universel.

52

PERREGAUX.

plaisir

d'aller le revoir et faire


fille .

connaissance avec

mademoiselle sa

A
tel

la fin la

de 1796, Perregaux donna dans son h;

de

rue du Mont-Blanc des ftes brillantes

la

plus belle fut sans contredit celle qu'il oftrit en l'honneur de la prsentation au Directoire des

vingt-deux drapeaux pris l'ennemi et envoys par


le

gnral Bonaparte.
C'tait

son aide de camp favori, Marmont,

que

le

gnral en chef de l'arme d'Italie avait

confi la mission de porter ces drapeaux au gou-

vernement. Issu d'une vieille famille noble de Bourgogne, fils d'un ancien capitaine au rgiment de
Hainaut, retir du service depuis 1763, AugusteFrdric-Louis Viesse de Marmont avait t remar-

qu au sige de Toulon par Bonaparte; aussi quand celui-ci fut nomm gnral en chef de l'arme de l'Intrieur, il se souvint du jeune officier et le prit comme aide de camp. Depuis, Bonaparte n'avait pas cess de lui tmoigner la plus sincre affection, et c'tait pour lui en donner une preuve qu'il l'avait envoy Paris prsenter au Directoire
les

drapeaux pris l'ennemi. La crmonie eut lieu avec solennit


la

le

l^""

octo-

bre 1796. Marmont arriva dans


tre

voiture du minisoffi-

de

la

guerre Ptiet, escort de vingt-deux


la

ciers

de

garnison
le

portant

les

trophes;

le

ministre prsenta

jeune

officier,

qui adressa aux


il

Directeurs un discours dans lequel

rappelait les

PERREGAUX.
hauts
faits

SS
le

de l'arme

d'Italie

prsident du Di-

rectoire

Larevellire-Lpeaux

rpondit

en

ces

termes

Plus rapide que

la

Renomme, l'arme
elle,

d'Italie vole

de triomphes en triomphes. Par


est

chaque jour
de
faits

marqu d'un succs

clatant.

Tant

hroques, tant d'heureux rsultats l'ont

rendue galement chre aux amants de la gloire, et aux amis de l'humanit, car si ses victoires ont honor jamais les armes franaises, elles doivent
aussi forcer nos ennemis la paix. Grces soient

donc rendues

la

brave arme

suprieur qui la dirige.

au gnie Le Directoire excutif au


d'Italie et
la

nom
vive

de

la

Rpublique franaise reoit avec


les

plus

satisfaction

trophes qui attestent tant


il

vous charge de porter vos braves frres d'armes les tmoignages de la reconnaissance nationale. Et vous, jeune guerrier,
d'actions tonnantes;

bonne conduite et le courage, recevez ces armes comme une marque de l'estime du Directoire, et n'oubliez jamais qu'il est tout aussi glorieux de les faire servir au dedans pour le maintien de notre constitution rpublicaine que de les employer anantir ses ennemis extrieurs, car le rgne des lois n'est pas moins ncessaire au maintien des Rpubliques que l'clat
dont
le

gnral atteste

la

de

la victoire.

lire

remit

En achevant ces paroles, LarevelMarmont une paire de pistolets, lui

annona sa nomination au grade de colonel donna l'accolade.

et lui

54

PERREGAUX.

Marmont

tait le

hros de
l*'^

la

journe; et quand,
il

dans cette soire du

octobre 1796,

fit

son en-

tre chez Perregaux, dans ce cadre enchanteur,

tmoin du got de
cents

la

Guimard, o plus de
la

trois

femmes

tincelantes de bijoux et ravissantes

de beaut voquaient
thique sur l'aide de

grce et l'lgance, bien


bien des

des regards se fixrent avec une curiosit sympa-

camp de Bonaparte,

curs battirent pour le jeune officier, qui semblait nimb d'une aurole de gloire. Hortense Perregaux dansa avec ce charmant cavalier, et pensa que
c'tait

bien

l le

mari

le

plus aimable et

le

plus s-

duisant que l'on pt rencontrer.

Cependant Marmont, qui Bonaparte avait

re-

command de
et rveuse.

rejoindre l'arme sans tarder, quit-

tait bientt Paris, laissant la

jeune

fille

amoureuse

Perregaux devina rapidement les sentiments de sa fille, mais il pensa que ce n'tait l qu'une amourette romanesque, et qu'il tait temps de choisir un gendre susceptible de mener sa maison de banque;
l'abb Morellet fut

mme

charg des ngociations

relatives ces projets de mariage, et le 15

dcem-

bre 1796,

il

crivait

au banquier

Je reois, monsieur, ce matin un petit mot de

Mme
gur,

de Simiane, partant pour Saint-Germain, par

lequel elle
les

me mande

qu'elle a reu de

Mme

de S-

renseignements

les plus satisfaisants sur le

PERREGAUX.
jeune

55

vous avez tant d'intrt bien connatre. Je m'empresse de vous faire part de
cette nouvelle confirmation des ides qu'on

homme que

vous

en avait dj donnes. Vous en ferez usage en bon pre de famille et de mon ct je me fliciterai d'avoir eu cette petite occasion de vous montrer, par

mon
vous
tout

zle inquisiteur, tout l'intrt


fille et

votre aimable
servir. Je

tout le

que m'inspire dsir que j'aurais de


et

vous salue trs humblement

de

mon

cur.

Ce mardi.

MORELLET.

Mais ce mari ne plut sans doute pas


fille,

la

jeune

car elle n'en voulut pas entendre parler. Mus:

set n'a-t-il pas dit


C'est

sur une mince chelle, Une pe la main, un manteau sur les yeux, Qu'une enfant de quinze ans rve ses amoureux.
les nuits d't,

dans

Avant de se montrer, il faut leur apparatre. Le pre ouvre la porte au matriel poux, Mais toujours l'idal entre par la fentre.

Perregaux essaya de lutter contre ce qu'il considrait comme un caprice, mais la jeune fille crivit
alors son pre cette lettre plore, le

23 mai

1797

56

PERREGAUX.
Il

est

dur sans doute d'tre oblige d'avoir

re-

cours ce moyen pour m' expliquer avec

mon

pre,

mais puisque vous vous refusez vouloir rien entendre, rien couter en ma faveur, je crois pouvoir

me

permettre de l'employer pour vous faire part de


et

mes sentiments
tre tendresse et

plus heureux o

ma rsolution. Dans un temps tout semblait me rpondre de vode

de vos bonts pour moi, vous m'a-

viez fait esprer de trouver le

cur me l'indiquerait et
puissiez

(c'est

bonheur o mon le seul tort que vous

me

reprocher) je

ma

sensibilit, je

me suis livre sans crainte me suis attache un homme


esprit

mais digne de votre estime), esprant voir mon choix approuv par vous aujourd'hui, changeant tout coup de sentiments mon gard, vous voulez que je renonce
(noirci

dans

votre

mon bonheur
ter

sans rflchir ce qu'il va m'en co:

pour un

tel sacrifice
il

vous motivez votre refus,


de se discul;

vous l'accusez, mais


per auprs de vous
si

lui serait facile

vous vouliez l'entendre votre


son cur, et

cur
votre

se ferme tous sentiments, vous exigez de


fille le

sacrifice le plus pnible

vous ne voulez rien faire pour elle, vous la privez de toute espce de consolation il ne lui reste pas mme une amie, encore l'avez vous contrainte ne
;

me
me

plus recevoir; votre

rigueur peut aller plus

loin, je l'ignore,

mais

elle serait inutile, car elle

ne

rendrait pas plus malheureuse que je ne le suis.


les

Vous me forcez dtruire

plus chers sentiments

PERREGAUX.
de

57

mon
le

cur, que
silence

me

reste-t-il

prsent? gmir

dans

sans avoir

mme

quelqu'un qui

puisse

me

consoler.

Vous avez expliqu

d'autres vos intentions et

vous paraissez dcid ne pas consentir me rendre heureuse, vous tes mon pre et vous avez le
droit de disposer de moi; je ne ferai

donc plus au-

cune tentative; mais en


personne que

mme
me

temps, je suis bien

dcide moi, ne jamais pouser aucune autre


l'on puisse

proposer. Les droits

que vous avez sur moi ne peuvent s'tendre jusqu' commander mon cur; il s'est malheureusement donn un tre qui aurait pu faire mon
bonheur. Puisque vous n'y voulez pas consentir,
je

au devoir le sacrifice entier de mon existence; il m'en cotera plus que la vie en vous dplaisant, mais ma
votre volont et je fais

me soumets

rsolution est inbranlable; elle vous tonne sans

doute

et je

veux vous en expliquer

les motifs

pour

que vous ne croyiez pas que l'enttement ou un caprice passager en soit le fondement; la seule chose que j'aie jamais ambitionne a t de trouver la satisfaction et le

bonheur avec un poux de mon


conserver toujours l'attachement
d'intrt n'est jamais
la

choix et de

me
;

de

mon

pre

aucun calcul
tte,

entr dans

ma

parce que je crois que

richesse ne fait point le bonheur; elle peut y con-

tribuer et je le crois, mais elle n"en est pas la seule

cause

ce ne sera donc jamais un mariage de for-

58

PERREGAUX.
ne puis esprer non plus en un d'inclination, ce que je souffre prsent
;

tune que je ferai


faire

je

un sr prservatif pour ne plus m'exposer de nouveaux chagrins et je n'ai point de raison pour croire que vous voudrez m'accorder, dans un autre temps et pour une autre personne laquelle peut-tre je pourrais m'attacher, ce que vous me refusez aujourd'hui. Vous ayant ouvert mon cur,
sera

me

ce qui, j'ose l'esprer, ne pourra vous dplaire,

puisque vous y voyez


satisfait

la rsolution

je suis

de ne

rien faire contre votre volont, je

me

flatte

que
s-

de

ma

soumission, vous bornerez votre


elle est et

que mme sans vouloir revenir sur les privations que vous avez jug propos de me faire prouver, la seule chose que je vous demande est de ne point m'loignerde vous.
vrit

au point o

Si votre projet tait de

me

faire aller ailleurs, je le

refuserais et m'aiderais de toutes


prires

mes

instances et
iso-

pour m'y soustraire; je suis dj assez

le ici, n'ayant plus d'amis voir, sans aller m'en-

terrer dans

un
le

lieu qui

ne

ferait qu'ajouter

mon

chagrin sans

diminuer.

Si dans le courant de cette lettre, la vivacit de

quelques-unes de mes expressions vous a dplu,

que l'expression du chagrin dans lequel est mon cur, car mon intention n'est point de manquer au respect que je vous dois. Si votre me n'est pas trangre au sentiment qu'une fille est toujours dans le droit de rclamer de son pre, je
n'y voyez

PERREGAUX.
puis vous rappeler qu'il fut

59

un temps o

l'ide

de

rendre heureuse vous occupait tout entire, et que mon affreuse situation ne peut que me donner de nouveaux droits votre tendresse, et vous ne

me

m'en voudrez pas d'avoir laiss natre un sentiment qui ne peut plus que me rendre malheureuse votre
;

pauvre

fille

en est

la victime, et les

maux

qui

l'ac-

cablent, la faisant succomber, vous dbarrasseront

bientt de votre enfant avant d'avoir mrit son

malheur, mais sans cesser d'tre digne d'un pre


qu'elle chrira jusque et par del la vie.

Ah! mon

pre,

mon
il

pre, prenez piti de votre

enfant,

en est

malheureuse encore temps. Mais plutt mourir

que changer.

Perregaux se
de sa
fille

laissa

toucher par

les supplications

et lui

promit de

lui laisser

pouser

le

fianc de son choix.

Marmont
le

avait rejoint l'arme d'Italie, sans se

douter de l'ardent amour qu'il avait veill dans

cur de

la

jeune

fille.

Il

menait

mme

fort

joyeuse vie et venait de commettre une escapade


qui et pu lui coter cher
:

charg de porter des


Milan o

dpches Bonaparte,
il

il

s'tait arrt

avait oubli sa mission dans les bras d'une char-

mante

Italienne et tait arriv au quartier gnral

avec vingt-quatre heures de retard; Bonaparte, qui

ne plaisantait pas sur


violente colre
;

le service, le

reut avec une

mais en raison de

la

grande amiti

60

PERREGAUX.
avait

qu'il

pour son aide de camp,


cette

il

lui par-

donna.

Pendant

campagne

d'Italie,

Marmont

se

distingua aux cts de son chef Arcole, Rivoli,

Tagliamento

il

tait alors plein

d'enthousiasme,

comme on
sait ses

peut en juger par


:

les lettres qu'il adres-

parents

Au

quartier gnral de Milan, le 15 floral

an

de

la

Rpublique une

et indivisible.

Nous sommes de retour

Milan,

mon

tendre

o nous gotons quelques instants le repos. L'arme d'Ralie a donc termin son illustre carpre,
rire et fini d'immortels travaux
;

il

sera permis

un

fils

de consacrer quelques jours ses bons


le

parents et

sentiment de ses devoirs ne sera

plus en opposition avec celui de ses plus chres


penses.

La Lombardie
il

libre

ofi're

un spectacle bien
la

satisfaisant;

et t bien affreux que


la

France
si la

pt l'abandonner. Le gnie de

Libert a protg

cette rpublique naissante et elle prosprera,

ntre ne prit pas par les dchirements qu'elle

prouvera sans doute encore.

Nous sommes vivement

affects

du mauvais

choix qui vient d'tre fait presque partout; serions-

nous donc encore destins voir de nouvelles

PERREGAUX.
assez
perfides

61

rvolutions? Les nouveaux reprsentants seraient-

pour vouloir branler notre gouvernement? Nous serons l, nous autres, qui avons tout sacrifi pour la cause de la libert, et nous saurons encore la dfendre. Adieu, mon
ils

tendre pre, recevez les assurances de


respect, ainsi
et

mon

tendre

que

ma

tendre mre,

ma

chre tante

mes aimables

cousines.

Marmont.

Milan, le 4 thermidor

(5'

anne).

Je vous

ai crit

ma

dernire lettre,

ma

tendre

mre, au

moment o

je partais

pour

faire le tour

de l'arme; aujourd'hui que je suis de retour, je


suis encore

au moment de

partir.

Nous
la

allons tous

Udine o le gnral va suivre les ngociations

qui sont entames

vous avez d voir


frappe au bon

proclama-

tion du gnral en chef relative aux circonstances

prsentes. Elle

est

coin;

nous

sommes vivement
en France
quelle

affects de tout ce qui se passe

et si la contre-rvolution s'y achve, si


il

aprs avoir servi son pays,


doit tre

n'est plus habitable,


Il

notre destine!

appartiendra
la

sans doute l'arme d'Italie de sauver encore

Rpublique.

Chaque jour ajoute

mon

admiration pour

le

gnral Bonaparte. Si vous tiez

mme

de voir

C2

PERREGAUX.
la

comme moi
la

grandeur

et la sret

de ses plans,
le

beaut de son me, vous auriez peine

conce-

voir.

Je ne crois pas qu'il puisse exister un

homme

qui lui soit comparable.

Aussitt que nous serons arrivs Udine, je


crirai.

vous

Vous avez d avoir la visite d'un de mes camarades qui a d s'acquitter d'une commission dont je l'avais charg pour vous.

J'embrasse

mon

tendre pre et
les

le prie ainsi

que vous de recevoir

tmoignages de

mon

respectueux attachement.
J'embrasse

ma

tante et

mes

cousines.

Marmont.

Rastadt, le 6 frimaire

(6*

anne).

Nous sommes arrivs ici hier, ma tendre mre, aprs un voyage de huit jours; nous avons travers toute la Suisse; j'ai vu avec intrt ce beau
pays et je dsire que

les circonstances

me

mettent

mme
a II

de

le

voir plus en dtail dans

une saison

plus douce.
serait
difficile

de vous donner une ide

vraie de l'accueil flatteur

que

le

gnral Bonaparte
il

a reu dans toutes les villes o

a pass. Rien ne
fait

peut peindre l'enthousiasme que sa vue a


natre.
8

Nous

sommes
;

arrivs

Chambry

heures du soir

vingt mille mes taient une

PERREGAUX.
demi-lieue de la
ville

65

notre rencontre. Tous les

corps constitus, dont les autorits, sont venus


recevoir le

gnral.

Cent coups de canon, une

illumination gnrale ont montr l'allgresse; on


avait lev la porte de la ville

un

fort bel arc

de

triomphe

et

toutes les maisons correspondantes

des deux cts de rues que nous avons traverses


taient unies par des
d'oliviers.

guirlandes de laurier et
avait

Chaque maison

devant

elle

un

arbre vert auquel des guirlandes et des couronnes


taient attaches.

Chaque maison

avait devant son

front une devise en transparent, toutes extrme-

ment flatteuses. J'en ai remarqu deux; l'une Il m'a rendu la lumire l'autre Que mes enfants
:
; :

le

bnissent dans les sicles

les

plus reculs.
:

Ajoutez cela les cris de


le

Vive Bonaparte!

Vive

sauveur de

la

Rpublique! et vous aurez

une ide de l'emploi du temps que nous avons pass Chambry. Nous avons eu des ftes semblables Annecy, Andilly et tous les villages du dpartement du
Mont-Blanc.

Genve, l'expression de l'enthousiasme a


s'il

t encore plus forte

est possible.

Tous

les

habitants de la ville du territoire et 10 000 tran-

gers taient rassembls pour voir et applaudir

deux grandes choses, le grand homme qui a couvert d'un nouveau lustre le nom franais et qui a donn la Repu-

l'homme tonnant qui a

fait

64

PERREGAUX.
la

blique la puissance et
jouit.

considration dont elle

Nous sommes
;

arrivs
!

heures du matin

eh bien

Lausanne trois quoique l'heure eut d

diminuer le nombre des spectateurs, il n'y en a pas eu moins grand nombre, ni moins d'enthousiasme.

Berne, Ble,

Soleure et toutes les

villes et

tous les villages se sont disput l'honneur d'accueillir

avec

le

plus de transport de reconnaissance

et d'admiration le

grand

homme

de notre

sicle.

Nous avons

fait

notre voyage avec assez de

rapidit,

quoique nous ayons t un peu retards


coucher.
le

par les ftes qui nous ont t donnes; nous

sommes venus de Milan ici sans nous Nous resterons ici au moins, je environ un mois. Nous irons de l
que je pourrai, moment, je vous
plaisir.

prsume,

Paris, et ds

ma
le

tendre mre,

disposer d'un

consacrerai avec

un bien grand

Adieu,

ainsi

ma que mon

tendre
tendre

mre, je vous embrasse


pre
et

mes aimables

cousines.

Votre

fils.

Marmont.

Par ces

lettres,

Marmont

avait

on peut voir ]qu' cette poque, la plus grande admiration pour

Bonaparte. Celui-ci avait offert son aide de

camp

PERREGAUX.
la

65

main de
le

sa

sur Pauline,
et

alors ge de seize ans,

mais

jeune

officier avait refus.

Rentr Paris
s'tait

reu par Gumpelzhaimer qui


les

charg de seconder
la

vues de Mlle Perrefille

gaux, Marmont revit

jeune

et

en devint

perdument amoureux.
lors

Elle tait d'ailleurs

une des

plus gracieuses personnes de la socit parisienne;

du grand vnement qui rvolutionna la capitale en 1797, l'arrive de l'ambassadeur ottoman Paris, elle avait figur parmi les plus jolies femmes prsentes ce noble seigneur voici comment un des journaux les plus spirituels du
;

Directoire,

le

Th, raconte

la

chose dans son

numro du

aot 1797

M.

l'ambassadeur

ottoman

reoit

chaque

jour les tmoignages de la galanterie franaise.

Nos femmes
ses

surtout s'empressent de soutenir

yeux

la

rputation de beaut dont elles jouis-

sent tant de titres.


le

La consigne donne contre


les

nez

la

Roxelane ayant t leve d'aprs

trs

humbles remontrances de MM. de Talleyrandelles

Prigord, ministre des affaires trangres, et de

Chteauneuf, son adjoint dans cette tche,

ont t admises indistinctement l'audience d'Esseid Effendi. Celles qui ont le plus fix l'attention

de Son Excellence sont

Mme Mme

de Noailles.
de Fleurieu.

66

PERREGAUX.

Mme Tallien. Mme de Lchaud (suspecte, nez retrouss). Mme de Gervaiso. Mme de Lansalle.
Mlle Perregaux.

Mme Delor (suspecte, Mme de Ghauvelin. Mme Gapon.

nez retrouss).

Mlle de Mascaraille (suspecte, nez retrouss).

M. l'ambassadeur leur a
odorantes

fait distribuer

des

pastilles

du

srail,

des

essences de
et leur a dit

rose, des sachets bnis par le

muphti
il

dans notre langue

jolies,

aimables, charmantes;
ajoutera adorables

quand
citer,

il

en saura davantage,

et, certes,
il

parmi

les

femmes que nous venons de


une qui n'et vu tomber

n'y en a pas
le

genoux

grand prophte lui-mme.

Marmont
tense

fit

donc sa cour
le

la

charmante Horconquis
par
officier,

Perregaux, et

banquier,

l'intelligence et l'esprit
les

du jeune

fiana

deux jeunes gens.


fut le 12 avril

Ce

1798 que
les

Mlle Perregaux.

Tous

Marmont pousa journaux du temps


ils

publirent des articles dans lesquels


leurs

adressaient

notamment ce qu'on lisait dans le numro du Bien-Inform du Le citoyen Marmont aide 27 germinal an VI de camp du gnral Bonaparte, vient d'pouser la

vux aux jeunes poux;


:

voici

PERREGAUX.
fille

67

du banquier Perregaux. O mariages sam

nites!

Une

seule gazette, la Clef


laissait

du Cabinet des Sou:

verains,

une note discordante Tous les journaux nous ont appris le mariage du citoyen Marmont, aide-de-camp de Bonaparte
percer
la

avec

citoyenne Perregaux.
les

Nous sommes

per-

deux poux sont fort aimables, mais nous ne croyons pas que la publicit donne
suads que
leur union ft ncessaire leur bonheur.
l'ancien

Dans

rgime,

on

annonait

ainsi

certains

mariages;

aujourd'hui,

nous avons des choses

plus intressantes publier.

Bonaparte avait voulu donner une preuve de son affection son aide-de-camp en lui constituant

une

dot

de 500000 francs;

c'tait
le

d'autant plus

gnreux que

ne possdait alors qu'un million.

un prsent futur Empereur Quant la jeune

femme
mari.

elle

apportait

un million en dot son

Les jeunes maris semblaient appels goter un bonheur parfait. D'un physique agrable,
lanc, portant bien l'uniforme,

Marmont joignait
intelligence

ces

qualits

physiques

une

de

premier ordre,
versation
elle n'tait

un

esprit brillant et vif,

une con-

attrayante.

Quant

sa jeune

femme

tait

pas seulement jolie et gracieuse; elle en outre gaie et rieuse, mlant un esprit

primesautier et ptillant un grain de moquerie

68

PERREGAUX.
de
taquinerie.

et

Tout

semblait

donc

devoir

sourire ce couple charmant qui entrait dans


la

vie,

l'esprance dans le
les lvres.

cur

et des paroles

d'amour sur

CHAPITRE

LE JEUNE MNAGE
Aussitt le mariage clbr,

Marmont
que
lui

rsolut
laissait

de

profiter

des

courts

loisirs

Bonaparte, pour aller avec sa jeune


ter les

femme go-

douceurs de

la

lune de miel Chtillonparents de


;

sur-Seine.

Depuis de longues annes dj,

les

Marmont habitaient
le

cette petite ville de

Bourgogne
il

pre, ancien capitaine au rgiment de Hainaut,

s'y tait retir

en 1763, date laquelle

avait
allait

quitt
se

le

service.

trouver la

Le milieu dans lequel jeune femme tait un peu


les

rigide
:

et trop

enferm dans
:

habitudes de province

1.

Sources manuscrites
1*

Papiers de la duchesse de Raguse. 2 Archives de la Bibliothque de Chtillon-sur-Seine: papiers du marchal Marmont.


Sources imprimes
1">
:

2*

Mmoires du duc de Raguse. Barras Mmoires publis par G. Duruy. Paris


:

(Hachette) 1895-96. 3 Carnet historique et littraire.

Anne

1899.

70

PERREGAUX.

aussi Hortense
fois

Marmont
dans
les

laisse-t-elle

plus

d'une

apparatre
le

lettres

qu'elle
la vie

adresse

son pre,

peu de charme que

de pro-

vince prsente ses yeux.

Chtillon, ce 1"

mai

1798.

Je m'empresse

mon

cher papa de te consacrer


plus douce occupation
et

le

premier instant que je puis drober aux habices lieux;

tants de

ma
toi

a t d'y penser

mon

premier soin est

de
de

te le

prouver en te donnant promptement de


tendre attachement. Le souvenir de ton
tes

mes

nouvelles et en te renouvelant les expressions

mon

amour, de
en

bonts

me

suit toujours et ajoute


si

continuellement au regret

vif

que

j'ai

prouv

que j'ai trouvs ici, quoique remplis d'attention pour moi, ne peuvent compenser l'loignement qui existe prsent entre nous, et aucun ne remplit dans mon cur la place de celui si cher qui j'ai vou toutes mes affections et pour qui je suis pntr de
te quittant; les parents

reconnaissance.

dimanche sur les deux heures sans aucun accident, fort incommods

Nous sommes
la

arrivs

seulement de

chaleur et de

la

poussire,

et

moi enchante d'tre dlivre des mauvais chemins et des cahots qui m'ont fait trembler et
plir

plus d'une fois; tu sais de qui

j'ai hrit

PERREGAUX.
un
certain degr de poltronnerie et

11

mon

militaire

pas encore venu bout de m'inspirer sa bravoure; il a mieux russi par exemple me
n'est
faire

trouver

la

route courte, par

le

soin qu'il

a mis m'amuser et
et ses soins

me

distraire.

Son amour

m'ont t d'un grand secours aprs t'avoir quitt. Aussi n'a-t-il rien pargn pour me les prodiguer, et j'ai eu plaisir lui tmoigner

combien

j'y tais sensible, j'en


:

reviens toujours

mon

refrain
ici,

on

n'est

pas plus aimable.


t fort

En

arrivant

nous avons

bien accueillis

comme
son
fils

tu penses.

Ma

belle-mre qui attendait


fort attendrie

depuis

si

longtemps a t

en

le

revoyant; ses cousines aussi ont bien

marqu

combien il tait dsir; c'est bien une chose qui prouve en sa faveur que la manire dont il est aim et mme considr dans sa famille; mais une chose fort comique, c'est l'empressement
qu'il

y avait sur la route depuis Troyes. Nous tions je ne sais comment annoncs, et partout depuis l on courait aprs les postillons pour

leur

demander

si

c'tait

M. Marmont

et

dans

tous les villages on courait aprs nous pour nous


voir et lorsque nous changions de chevaux les

habitants entouraient notre voiture et les propos


d'aller leur train
;

tantt j'tais la

sur de Buona-

parte*, et lui, avait bien mrit de la patrie; enfin

1.

On

a vu plus haut

qu'il avait t

question du mariage

72

PERREGAUX.

nous tions courus et salus comme jadis un grand seigneur allant dans ses terres. Dans la
grande
ville

de Ghtillon, tous
ville
*
;

les

habitants taient
suivis jusqu'

aux portes de la celle du chteau grand bruit dans


fatigante.

et

nous ont
tu

enfin

sauras que je fais

le

pays, ce qui m'ennuie fort,

car je suis regarde et observe

d'une manire
oubliais, c'est

Et

les galas

donc

je les

assommant! trois heures de suite des dners o on parle de la pluie et du beau temps. Il faut bien que tu me pardonnes cette petite sortie-l, mais en vrit je ne me sens pas du tout de
disposition devenir
fais

dame de province

tu ne te

pas d'ide du ridicule de toutes ces femmes,


j'ai

mais
la

pris

mon grand
est,

srieux et force de

politesse j'ai

grandement

russi. J'ai

une fort elle m'adore dj parce que je me suis marie l'glise, que j'ai t au couvent et que je n'ai
dvote qui
foi,

ma

vu ma tante bonne femme,

pas apport de diamants.

beaucoup d'honntets

et

Ma belle-mre me fait mme de caresses, mais

de Marmont avec Pauline Bonaparte; de l sans doute la confusion produite dans l'esprit populaire. 1. Le chteau de Chtillon-sur-Seine habit par les parents de Marmont et ensuite par le marchal, a t incendi pendant la guerre de 1870, et le chteau actuel n'y ressemble nullement. Le chteau de Marmont, d'allure bourgeoise, se composait de deux grands corps de btiments relis par une faade avec fronton surmont d'un lger campanile et au centre de laquelle s'ouvrait un large passage donnant accs la cour intrieure.

PERREGAUX.
elle est

73

un peu guinde; nous nous arrangerons cependant bien ensemble parce que j'y mettrai mes soins. Le papa s'est un peu drid, j'ai par exemple le talent de lui plaire bien compltement. Au total mon mari est bien ce qu'il y a de mieux
dans sa famille,
et tu le croiras

sans peine; ses

deux

cousines

sont

fort

aimables,

une entre
la

autres. Je ne t'en dirai pas davantage aujourd'hui,

parce que je ne veux pas laisser partir


sans lettre pour
toi, et je

poste

ne puis continuer, attendu

qu'un grand gala chez


c'est le

ma

chre tante m'oblige

aller m'habiller pour tre rendue deux heures,

nec plus ultra dans

la

ville

pour dner
rserve la

tard.

et

A ma
celle-l

premire

lettre je

te
t'ai

description
parl

du chteau dont
sera d'un

je

ne

pas encore
te

certain genre et

fera plaisir.

Marmont

avait projet de t'crire, mais

il

tant de devoirs de famille remplir qu'il est oblig

au prochain courrier, il me charge en attendant de te faire mille compliments Dis-en autant de ma part au et amitis.
de remettre sa
lettre

Compre*
l'autre

et

Reigbourg, j'crirai l'un et

incessamment.

Adieu,

mon

cher papa, reois mes embrasse-

ments

et sois toujours sr
a

du cur de

ta

fille.

H. P. Marmont.

1.

C'est

Gumpelzhaimer, l'associ de Perregaux, que

74

PERREGAUX.

L'homme
est
ici

qui te remettra ce

billet,

papa
pas

une espce de

roulier qui

mon cher me propose

d'apporter

mon
pour

piano, en cas que tu ne l'eus


;

dj fait partir
lui,

tu voudras bien faire ton

prix avec
et

le

transport tant par livre

tu pourras t'assurer d'avance combien la caisse

et ce qu'elle contient psent.

Je t'envoie mille baisers.

P. Marmont.

Chtillon, ce

samedi 16

floral.

Chtillon, ce 18 floral.

Voici une lettre,

mon

cher papa, que je te

prie de

vouloir bien faire partir tout de suite,

mais avant tu voudras bien prendre dans l'armoire o j'ai laiss des effets le paquet des robes pour

Mme

de

Bloest,

en couper un chantillon de

chaque
la lettre

et les

mettre dans une enveloppe avec


je t'envoie; la dernire

que

que
le

je lui

crivis fut remise par

moi au Compre en
il

priant

de

la

mettre
elle

la poste,

parait qu'elle est perdue,


j'en

car

n'est

pas

encore parvenue;

suis

d'autant plus fche que je cours grand risque

madame

qu'elle avait t

de Raguse appelle le Compre, sans doute parce marraine avec lui.

PERREGAUX.
par ce retard de garder
les

75

donc celle-ci le plutt possible, informe-toi aussi du Compre si ma lettre est partie dans son temps,
robes. Envoie
elle

contenait justement les chantillons qu'elle

m'a demands
il

depuis un mois, c'est pourquoi

est

urgent qu'elle en reoive d'autres prompte-

ment. Je ne puis croire que ce soit l'adresse qui


ait

mal mise, car


telle

elle

m'a

dit d'adresser
j'ai

mes
la

lettres

chez son pre Rastadt et

mis

mienne

que tu

la vois;

dans tous
s'il

les cas

en

mettant une enveloppe, tu verras


chose ajouter.

y a autre

Je t'embrasse.

P. Marmont.

Chtillon, ce 18 floral.

Tu

recevras,

mon cher

papa, par

le

courrier de

la

malle de Dijon, un chevreuil et une bourriche

d'crevisses

que Marmont

et

souhaite que l'un et l'autre

moi t'envoyons; je arrivent en bon tat.


il

Si par hasard le courrier n'avait pas fait remettre

ces objets chez toi mercredi qui est le jour o

doit arriver Paris, tu n'aurais alors qu' les faire

chercher

la diligence

de Chtillon, jeudi soir ou


elle

vendredi matin, parce que ce serait


rait

qui en se-

charge dans

le

cas o le courrier n'aurait

pu

v>

76
l'tre.

PERREGAUX.
Je ne t'en dis pas davantage car je suis mavient de partir et
j'ai le

lade,

Marmont

cur

navr.

Adieu, pense toujours moi.

P.

Marmont.

Marmont ne
les

devait pas goter plus longtemps

douceurs de la lune de miel; l'expdition d'Egypte se prparait et Bonaparte le demandait


lui.

auprs de

La jeune femme
avec
les lui

restait

donc seule
son

Chtillon-sur-Seine
le

parents de

mari;

temps

semblait bien long, en juger

par

les lettres qu'elle crivait

son pre.

Chtillon, ce 24 floral

(6'

anne).

J'ai reu,

mon

cher papa, tes deux lettres des

19 et 21 ainsi que celle pour

mon

mari

et le pa-

quet de

la diligence. J'ai fait partir la lettre,


la

mais,

quant

redingote, elle est arrive trop tard, et

je serai oblige de la garder

pour

la lui

porter

moi-mme
car
il

si

je vais le joindre. J'en suis fche,

me

paraissait dsirer ce
le

manteau

et

que je

ne vois pas de moyen de

lui faire

expdier

Toulon avant cet embarquement; cet envoi ne pourrait avoir lieu que dans le cas o il serait retard.

Je te remercie bien d'avoir

fait

aussi

promptement ma commission pour Rastadt, je te prie encore, aussitt qu'il viendra une lettre pour

PERREGAUX.
moi, de

77

me

la

faire passer

promptement. Donne-

moi, je te prie, quelques nouvelles de


je t'en avais dj

mon

piano,
r-

demand

et tu

ne m'as pas

pondu l-dessus
trouv les

je t'ai adress

un homme qui me

l'apporterait en cas

que tu n'en eusses pas encore moyens; je ne te presse l-dessus que

un dans le pays et que d'ailleurs toute ma musique se trouve emballe avec l'instrument. Ce serait une grande ressource pour moi que de l'avoir et un moyen agrable de distraction. J'espre que tous nos amis se portent bien.
parce qu'il
serait impossible d'en trouver

me

Assure-les de

mon

souvenir et de

mon

amiti.

J'ai

crit

Mme

Delamarre.

Lorsque tu

verras la jolie voisine, je te charge de l'embrasser

pour moi
parents.

et

de prsenter mes

civilits

aux grands -

Adieu,

mon

cher papa, je te ritre l'assu-

rance de toute

ma

tendresse et je t'embrasse
P. Marmont.

comme

je t'aime.

j>

Rappelle-moi au souvenir du Compre et

dis-

lui

que j'attends de ses nouvelles.

Chtillon, ce 4 prairial

(6*

anne).

J'ai

reu hier,
le

mon

cher papa,
et le

le

piano et
le

la

caisse contenant

papier

chocolat;

tout

78

PERREGAUX.
bon port
et je t'en

est arriv

remercie beaucoup.

Je suis dsole que les crevisses soien* arrives gtes, ce n'est pas

ma faute,

mais

celle

de

mon

beau-

pre qui m'a soutenu que pour qu'elles arrivent en

bon

tat,

il

fallait les cuire.

Une

autre fois je les


ai fait

ferai partir

ma

manire; j'en

demander

d'autres dans le pays et j'espre pouvoir t'en en-

voyer cette semaine.


truites,

J'ai aussi fait

demander des
et elles

on a assez de peine s'en procurer


;

sont extrmement petites

homme
faire un.

ici

qui

fait

y a par exemple un des pts de truites et d'anil

guilles, si tu

en es tent dis-le-moi

et je t'en ferai

Je n'ai point encore de nouvelles de l'arrive

de

mon mari

Toulon, j'ignore

s'ils

sont dj

vu dans quelques gazettes des nouvelles qui feraient presque croire que l'embarquement n'aura pas lieu, mais je n'ose m'arrter aucune de ces esprances jusqu' ce que Marmont m'ait crit. Si tu savais quelque chose de
embarqus.
J'ai

positif sur tout cela,

mande-le moi, car

l'incerti-

tude o je suis est pnible et je commence tre


tonne de n'avoir pas encore reu de lettre de
lui;
il

m'crivit seulement

deux

fois

en route

et sa

dernire lettre qui tait de Chlons tait date


10, je

me

plais croire

que

c'est

du des postes que

vient ce retard; je ne sais pourquoi cette expdition a quelque chose qui m'effraye, je ne serai

point tranquille que je ne

l'aie rejoint

ou

qu'il

ne

PERREGAUX.
soit

79

revenu lui-mme. La distance immense qui va

s'lever entre

nous

suffirait seule
lui,

prsent que je suis loin de


je n'ai le

pour inquiter; loin de toi, que


et

cur rempli que de sparations

du

dsir vain de
chers,

me

rapprocher des tres qui

me

sont

mon me

est plus accessible la crainte et

je n'envisage l'avenir qu'en tremblant; les parents

avec lesquels je vis ne sont pas empresss de


rassurer quoique unis par les

me

mmes

intrts; ils

ne sont pas sentis l'un pour

l'autre, et leurs

et leurs sentiments sont trop froids pour

curs moi pour

prouver ce soulagement qui nat de l'panchement et que j'aurais pu trouver dans ta


faire

me

tendresse seule; je t'avoue que ce sjour-ci


fatigue cause de la distance
toi

me

norme
il

qu'il

y a de

eux

et d'eux leur

fils.

La mre

est froide

et triste, le pre avare et goste;

ne peut y

charme dans leur socit parce qu'il n'y a pas d'abandon tu te rappelles que tout ce que je craignais tait une belle-mre, parce que je presavoir de
;

sentais d'avance cette contrainte et ce sentiment

de gne et de politique qui ncessairement doit


exister entre des gens qui sont seulement allis

par les convenances et qui se trouve substitu la


place des sentiments qu'on prouve pour ses amis
et

ses

parents

naturels;

j'esprais

ne jamais

l'prouver et n'avoir qu' prodiguer les soins et


les caresses

que mon cur m'inspirerait. Malheu-

reusement

je

me

vois aujourd'hui force cette

80

PERREGAUX.

contrainte et oblige de montrer des sentiments

par calcul et des soins par politique


tre se refuse

mon

carac-

souvent cette dissimulation, et

cette tude m'est


loin

du plaisir marques d'un attachement qui n'tait pas feint, mon cur se trouvait satisfait d'une expansion qui lui tait ncessaire et mettait son bonheur t'en J'abrge autant que je rendre le dpositaire. le puis ce temps si difficile s'couler, par l'espoir

extrmement pnible, c'est si que j'prouvais te tmoigner les

du terme prochain de notre rapprochement, je me dis que cette privation est ncessaire puisque

mon
loir

pre et

mon

mari

l'ont

cru utile; sans vou-

pntrer ni blmer leur motif je

me

contente

de m'en affliger. Assure Greffulhe de


amis.

mon

amiti et remercie-le

de son souvenir, rappelle-moi celui de tous nos

Mme Dior ira chez toi pour une commission pour Mme de Bloest, elle te priera aussi de me faire

parvenir

un paquet par

la diligence, je

voudrais

bien que tu y joignes des cahiers de papiers crits que tu trouveras dans mon armoire dans un carton

y en a d'tude de langue italienne; pour passer le temps, je veux continuer m'occuper de cette langue; j'ai ici les livres qu'il
et

parmi lesquels

il

me

faut pour cela.

Adieu,

mon cher

papa, ta

fille

te

demande avec

instance la continuation de cette tendre prdilec-

PERREGAUX.
lion

81

que tu

lui

tmoignais.

Dis au Compre que


rclamer.

je suis bien fche de n'avoir pas reu sa lettre et

que

j'crirai

mon mari pour la

Perregaux-Marmont.

Chtillon, ce 6 prairial

(6*

anne).

J'ai enfin

reu hier,

mon

cher papa, une lettre

de

mon mari, et comme je suis sre que tu l'apprendras avec plaisir je me hte de t'en instruire. Sa
du 24
et
il

lettre est

devait s'embarquer
la voile. Il est

le

lende-

main

et

mettre aussitt

possible

qu'il soit

de retour dans un mois, peut-tre dans


si

deux, mais
c'est

cette poque

il

n'est pas de retour,

que leur rsidence sera fixe pour un certain temps dans le pays et alors le Gnral^ dpchera un courrier sa femme pour lui dire de le venir joindre; elle m'crira alors de Plombires, o elle va aller, pour me rendre Paris, elle y viendra aussi, nous ferons route ensemble jusqu' Toulon,
et l

une bonne frgate nous attendra

et

nous irons

joindre nos maris ^ Tel est le plan arrt avec le


Bonaparte. La citoyenne Bonaparte qui, s'tait, dit-on, d'abord embarque avec son mari sur le vaisseau YOrient est reste terre et l'on prtend que le Gnral l'a assure qu'il la rejoindrait bientt . Clef du Cabinet des Souverains, 9 prairial an VI. La citoyenne Bonaparte partage l'immensit de son
1.
2.

82

PERREGAUX.

Gnral, sa

femme

et

mon
;

mari, je

le

prfre au

premier qui avait t d'abord form, qui tait de partir avec Mme Blanc il y aura plus d'avantage

pour moi d'entreprendre un aussi long voyage avec la femme du Gnral, parce que certainement il ne
le lui fera faire
lit

qu'autant qu'il en verra

la possibi-

sans inconvnient.

Tu recevras sans doute bientt une lettre de Marmont qui t'expliquera plus au long ces projets.

Adieu,

mon

cher papa, je t'embrasse bien tenaujourd'hui plus gaiement que

drement, et je
joindre

finis

l'autre jour par l'espoir

que

j'ai

d'aller

bientt

mon

mari.

P.

Marmont

Chtillon, ce 8 prairial

(6*

anne).

J'ai

encore reu une lettre de


celle-l tait crite

mon

mari,

mon

cher papa,
seau;
ils

bord de son vaissubstance de ce


le 28 et

taient

embarqus le

24, et le 25 ils avaient


la

mis
qu'il

la voile. Voici

en abrg
lettre tait

me mande. Sa

commence
la

finie le 29, ainsi

ne prends pas garde


:

premire

nouvelle qu'il

me mande

Quelques avis ont annonc

mari; car les journalistes la placent en mme temps Pise, Naples, Lyon, Plombires, Toulon sur la seconde escadre; il n'y a que Dieu qui sache o elle n'est pas . Clef du Cabinet des Souverains, 29 prairial an VI.

PERREGAUX.
au gnral Bonaparte
Anglaise
et il

85

la

prsence d'une escadre

a rsolu d'attendre des nouvelles avant de partir avec Varme et le convoi^ et pour en avoir
il

fait sortir V escadre lgre

dont je fais partie;


croisire.

nous sommes depuis 4 jours en


qu'il crivait le 28 et ce qui

Voil ce
en
le lisant

me donna

beaucoup
et

d'effroi,
le

mais
:

sa lettre crite

en deux

fois

termine

29 disait
le

Ma
les

bonne fortune va profrgates inconnues que

bablement
et

me donner

plaisir d'avoir de tes lettres

de faire partir celle-ci;

nous cherchons depuis 2 jours viennent enfin de^ s' approcher a,u lieu d'Anglaises que nous avions suppos qu'elles pouvaient tre., au lieu de prpa-^

ratifs de combats, ce

ne sont que des tmoignages


les

d'amiti qu'il nous faut donner nos allis


gnols. Ils

Espa-

nous donnent peu prs

la certitude qu'il

n'y a point d'escadre ennemie dans la Mditerrane.


Ces nouvelles vont tre portes Toulon
et

aura

le

mme

sort,

Le Gnral sera

ma

lettre

sans doute

parti tout de suite aprs cette nouvelle; j'ai pens

que tu

serais anxieux de ces dtails et qu'ils t'int-

resseraient cause de moi*.

1. Le dpart de Toulon avait eu lieu le 19 Mai 1798. Marmont tait embarqu sur la Diane, bord de laquelle se trouvait l'amiral Decrs, commandant l'escadre lgre.

Voici ce qu'il crivait son ami Bourrienne.

bord de

la

Diane, le 29 floral,
ai quitt. J'ai

anne.

Nous avons

dj fait une campagne,


je

mon

rienne, depuis

que

vous

cher Boursupport la mer

84

PERREGAUX.
J'ai

un service te demander pour une de mes cousines et si tu peux le lui rendre, tu m'obligeras
autant qu'elle, car je lui suis bien redevable pour
les soins et l'amiti qu'elle

me tmoigne
la

tu trou-

veras dans
qu'elle

le

papier ci-joint
:

substance de ce
et tre

demande

c'est

un de

ses frres qui est

New^-York qu'elle voudrait crire


sa lettre lui parviendra.

sre que

J'espre que ta sant est

bonne

et

que

tes

amis

et les
toi.

miens tchent de

me

remplacer auprs de

Quant moi

je n'ai pas la

mme consolation et

je sens tous les jours la distance qui m'loigne

Marseille, et malgr le gros temps que nous avons eu, je me suis port comme terre, une accroissance d'apptit prs. Nous avons rencontr les frgates que nous avons t reconnatre, et comme elles pouvaient
fait tous les prparatifs du sont trouves Espagnoles et nous avons remis le sabre dans le fourreau. Faites-moi le plaisir, mon cher ami, de faire partir la lettre ci-jointe, et de remettre au porteur de la prsente celles que vous pouvez avoir reu pour moi. Je compte, mon cher Bourrienne, sur votre complaisance et votre amiti ordinaires. Si vous tes assez aimable pour ne pas m'oublier et pour m'crire un mot, vous consolerez un malheureux dans son exil, exil cependant aussi agrable que possible, car il n'y a rien de si aimable que le citoyen Decrs et tous les officiers qui sont bord. Donnez-moi donc quelques nouvelles; embrassez tous nos camarades pour moi; rappelez-moi au souvenir du Gnral, et recevez encore les tmoignages de toute l'amiti que je vous ai vou

tre Anglaises,

nous avons

combat;

elles se

pour

la vie.

A.

Marmont.

PERREGAUX.
de
toi.

85

Adieu,

mon

cher papa, je l'embrasse mille

fois.

HORTENSE

Chtillon, ce 26 prairial

(6*

anne).
!

Tu

t'avises

donc aussi
il

d'tre

je trouve cela fort mal,

fallait

malade eh bien au moins attendre


;

que je

sois
dit

auprs de

toi

pour

te frotter le ventre,

M. Swinburne. Il existe une sympathie bien dcide entre nous et qui opre mme la distance o nous sommes, car tandis que tu grelottais la fivre je

comme

m'administrais force eau chaude.


ce diable de pays, o les

Je ne conois rien

vieillards vivent jusqu' prs

de cent ans et

les

jeunes gens sont presque toujours malades. Quant


moi, je sais bien que je ne
tout de
l'air vif

m'accommode pas du
il

qui y rgne et

me

rend presque

toujours malade; enfin j'attends l'arrive du Messie

pour

me

dlivrer de tous

mes maux,

et

cependant

je n'en reois
silence-l

aucune nouvelle;
beaucoup.
le

c'est bien long, ce

me pse

compre est avare de poulets, j'ai recours toi pour te prier de me rendre rponse sur quelque chose que je lui ai demand le portrait de mon mari est-il au Salon? L'exposition a-t-elle eu ou va-t-elle avoir lieu? Ma belle-mre qui
Puisque
:

attend avec impatience


rerait savoir

le portrait

de son

fils

dsile

o tout

cela en

est

parce que

68

PERREGAUX.
question que j'avais faite au compre et lail

peintre doit l'envoyer ici aprs l'exposition. Voil


la

quelle

n'a pas jug propos de

me

rpondre; du

reste je

ne

lui

en veux pas puisqu'il m'aime tou-

jours.

As-tu envie de faire emplette d'excellent vin de

Bourgogne premire qualit, il y a ici quelqu'un qui en a un muid vendre, ce qui est la valeur de 240 bouteilles. M. Marmont l'estime parfait; si tu
tais tent d'en acheter, dis-moi quel prix tu

vou-

drais y mettre et
le
;

mon

beau-pre se chargerait de

marchander tu peux t'en rapporter lui pour un bon march, car que je ne sache pas quelqu'un
qui

mnage

plus l'argent;

il

serait possible de t'en

faire parvenir

un chantillon en cas que tu ne


fier

voulus pas t'en

aux lumires des connaisseurs


elle de-

du pays.

Puisqu'gl* est en train de s'ennuyer

vrait bien venir le faire de moiti avec

moi; je

lui

saurais gr de venir tter de l'ennui de ce pays-ci,


qui, j'en suis sre

ne

le

cde en rien celui qu'elle


;

peut prouver auprs de ses nobles parents il y a de plus nombre de vieux garons de la taille du
gnral Sauvier, et
elle

pourrait aisment trouver

un

parti; enfin,
part, qu'il

pour

la consoler, fais-lui dire

de

ma
1.

y a parit de situation entre nous et

Egl et Adle Auguier, nices de Mme Campan, avaient t leves Saint- Germain avec Mme Marmont.

PERREGAUX.

87

que sans doute quand nous nous reverrons, nous aurons la bouche agrandie de moiti, je te laisse deviner pour quoi... Dis-moi un peu s'il est vrai que tu connaisses une certaine dame De Damas qui se dit trs connue de toi et qui prtend aussi m'avoir vue dans mon enfance; c'est une petite femme bossue trs spirituelle et dont le mari a t aux
Isles; tu

vas peut-tre

faire des citations

de

la

que je vais te cration du monde, mais


dire

me

ne t'attends pas des nouvelles plus intressantes de ma part, l'esprit n'est pas fcond dans ce
pays.

Adieu, car

le

temps

me

presse, donne-moi des

nouvelles de ta sant. Je t'embrasse bien tendre-

ment.

H. P. Marmont.

Mes cousines se confondent en remerciements. Remercie M. De Sandos et Grefulhe de leur sou

venir et assure-les de

mon

amiti.

Voici,

mon

cher papa, des lettres par duplicata

de

ma

cousine, qu'elle te prie de vouloir bien

envoyer; je t'en serai aussi bien oblige car je voudrais tre

mme de

rendre quelques services ces


et

bonnes cousines pour reconnatre leurs soins


leur amiti. Je pense que tu auras reu
nire lettre
profit; j'ai

ma

der-

accompagne d'un pt et qu'il t'aura eu ces jours passs une petite lettre de

88

PERREGAX.
frre* qui

mon
cela

me

parle de son escapade,

il

appelle

une petite cartade; j'ai trouv le mot si plaisant que je t'en fais part. Dis au Compre que je crois qu'il m'a renonc pour Commre il me tient rigueur au point de ne pas rpondre mes poulets; une autre fois je
;

prierai Egl d'tre


<c

mon

secrtaire.
fois.

Adieu,

mon

cher papa, je t'embrasse mille

H.-P.-M.
ncessaire de dcacheter les lettres, tu
les ouvrir,
la

S'il est

voudras bien

mais

ma

cousine les a

cachetes pour viter


billets qui s'y trouvent.

confusion de plusieurs

Mes cousines me grondent

de garder

le

silence sur tous les remerciements

qu'elles te font.

Chtillon, ce 3 messidor

(6'

anne).

J'aurais

rpondu plus
si

tt ta lettre

rial,

pu te seignements que tu me demandes sur le vin en question, mais quoique je m'en sois occup tout de suite, mon beau-pre n'a pu les avoir, attendu que
cher papa,
j'avais

mon

du 29 praidonner les ren-

Paris, le 29

Alphonse-Claude-Charles-Bernardin Perregaux, n mars 1785, mort le 9 juin 1841, pair des CentJours, pousa en novembre 1813, Adle-Ehsabeth-Macdonald, ne en 1794, morte en 182Q. le 16 novembre,
1.

PERREGAUX.
le

89

possesseur de
lui et

la

susdite futaille est rarement


la

chez
je

qu'on a de

peine

le

rencontrer, mais

compte aujourd'hui savoir tous les dtails que tu demandes et t'en rendre compte avant de fermer
cette lettre.

Comme ce

n'est pas la seule chose

dont
fait

j'ai

te parler, passons d'autres.


plaisir

Tu m'as

grand

de m'apprendre que ta sant

tait

rtablie, car je n'aimais pas te savoir malade,

moi

absente; aie bien soin de te conserver dans ces


dispositions, afin qu'
le teint frais et ta

mon

retour je te trouve avec

point

la

bonne figure panouie. Je n'ai moindre nouvelle de mon mari et malgr


j'ai

toute la raison et la philosophie possibles,

bien

de

la

peine prendre

le

dessus de l'inquitude qui

me

tourmente sans cesse; cette absence qui ne

devait tre que de deux mois, prend une tournure

bien srieuse et semble devoir se prolonger bien

au

del, puisqu'au

bout de plus de
;

six

semaines je

n'entends parler de rien

cela est dsesprant et la

peine que cette sparation

me

cause est encore

accrue par ce silence,

elle

devient de jour en jour


:

plus douloureuse et plus difficile supporter

mon

oncle Menson, lorsqu'il m'crivait, avait pour habi-

tude de se consoler de

mon

silence, par ce pro-

verbe

Pas de

nouvelles, bonnes nouvelles. Je

veux

bien y croire pour ma tranquillit, mais comme mon impatience ne s'accommode pas de ce rgime,
j'ai

eu recours un moyen pour avoir quelques


la

donnes sur

marche de mon mari

il

m'a russi

90

PERREGAUX.
des nouvelles directes de

jusqu' un certain point et quoiqu'il ne m'ait pas


fait avoir
lui, j'en

ai

eu
par

de l'escadre, postrieures celles

qu'il
:

m'avait

donnes

lors
il

de son embarquement

c'est

Mme
aussi

Blanc;

curiosit de

ma

y avait d'abord un petit motif de part, pour savoir si son mari s'tait

embarqu comme il en avait le projet et l'esprance; l'espoir du gain et un emploi que lui avait fait avoir mon mari dans une bonne entreprise sont les motifs qui l'ont dcid suivre le

sort de l'expdition et s'embarquera


la

Cependant
en

chose tait encore indcise et

elle tait reste

Monsieur Blanc tait un ngociant de Marseille, trs avec Marmont qui l'avait prsent Bonaparte. S'tant ruin dans des spculations malheureuses, il crut trouver dans l'expdition d'Egypte une occasion favorable de refaire sa fortune et obtint, grce la protection de Marmont, l'emploi d'ordonnateur des lazarets. Quand il vit que l'Egypte ne lui offrait pas les moyens de s'enrichir, il supplia Marmont de l'aider prendre passage sur un navire, lors du retour de Bonaparte. Dguis en matelot, il avait russi se glisser sur un des trois avisos dsigns pour partir avec les frgates; mais peine hors du port, ce navire reut l'ordre de rentrer; perdant alors la tte. Blanc se jeta dans une barque et gagna la Muiron qui portait le Gnral en chef. Celui-ci, mis au courant, le menaa d'un conseil de guerre, en disant Je pars en vertu des ordres du gouvernement, pour aller combattre l'ennemi victorieux et secourir la France attaque; je m'expose aux plus grands dangers par devoir et par dvouement, tandis que vous, vous n'tes qu'un lche. Blanc pleura et mut Bonaparte qui le renvoya Alexandrie, mais le nomma, deux mois aprs, consul gnral Naples.
1.
li
:
>

PERREGAUX.
suspens lors du dpart de

91

mon

mari, et

comme

il

ne m'en avait pas parl dans ses


absolument ce qu'tait devenu

lettres, j'ignorais
le fin

Provenal;
le

j'eus la curiosit de m'adresser sa

femme pour

savoir, et sous le prtexte d'avoir des nouvelles de

mon
voie

mari
si
ils

et esprant

en

effet

en avoir par cette

crivis.

embarqus ensemble, je lui L'expdient m'a russi, elle m'a rpondu et


s'taient

m'a

dit avoir

reu des nouvelles de son mari, sur


le
;

mer en
o
il

date du 6 prairial^ par

travers de la Corse,

parat qu'ils ont relch

par un malentendu

au moment de l'embarquement, ils sont chacun sur une frgate diffrente lui, M. Blanc est sur r Arthmise et Marmont sur la Diane qui
arriv
:

est la meilleure voilire est

de l'escadre. La
;

lettre lui

y a prsumer qu'elle est arrive avec des dpches du


le
il

parvenue

22 par la petite poste

Gnral au Directoire.

Comme mon mari

fait partie

de l'escadre lgre et
lieues en avant,
il

qu'il est toujours plusieurs

est possible qu'il ait ignor qu'on

envoyait un aviso terre, du moins telles sont les

consquences que
donns.
J'ai

j'ai tires

des dtails qu'elle m'a

reu ces jours passs les robes de Lyon

et j'ai t tonne
d'italien,
;

de ne pas trouver
lettre

les cahiers

mais ta

du
j'ai

1'

m'a expliqu ce
les enverras, d'y

retard je te prie, lorsque tu

me

joindre la musique que


je
te

demande

Selvaggi;
effets

remercie d'avoir

fait

partir les

de

Mme De

Bloest, car elle doit les attendre depuis

92

PERREGAUX.
le prie

longtemps; je
la lettre

de

lui

expdier incessamment

que je joins ici; si l'adresse n'est pas bien, tu voudras bien y ajouter une enveloppe. Tu devrais bien

me

faire

un cadeau pour ma chre

belle-

mre
mais
et

elle est

dans ce moment-ci dans un tat de


de s'en procurer de vritables,

sant qui exigerait qu'elle prit des vulnraires;


il

est difficile

encore moins d'tre sr qu'ils sont bons; tu

pourrais lui rendre ce service-l en en faisant venir

de Suisse; tu l'obligerais beaucoup et tu me mettrais dans le cas de lui faire une honntet.

Tu

recevras cette lettre dimanche 24 juin, jour


Jean, jour o l'anne

de
si

la saint

dernire tu tais
bien heu-

gai et o nous avons tant

ri; j'tais

reuse et bien tranquille alors, je n'avais d'autre


soin que celui de te souhaiter gaiement ta fte. Les

temps sont bien changs, il ne me reste aujourd'hui que la triste ressource de le faire par crit un compliment de bonne fte bien rebattu et peu propre
l'inspirer la gat qu'avaient produit alors les

com-

pliments des poissardes et les facties de Touzet;

bonne volont qui me manque, reois ici tous les vux que mon cur forme pour ton bonheur, la sant, et au lieu de bouquet, rcicueille les baisers que je t'envoie et que je voudrais pouvoir l'aller donner moi-mme. J'cris au Compre malgr ses rigueurs. Si tu vois le matre du jeune Jasmin, tu lui diras des douceurs de ma part, et que, bien heureux sont ceux
n'importe,

comme

ce n'est pas

la

PERREGAUX.
qui
le

93

voient et

le

possdent que, pour


;

mon compte,

j'envie bien leur sort, car

il

ne faudrait pas moins

d'une douzaine de gens gais et aimables

comme lui

pour rendre ce sjour-ci supportable; il y fait depuis quelques jours un temps de chien, il n'y a pas

moyen de mettre
pas
les

le

nez dehors
les

mes htes

n'tant

gens du monde

plus rcratifs, je n'ai

pour diversion que la triste ressource de promener mes yeux sur les vilaines et antiques tapisseries qui
ornent

mon immense

appartement.

promptement rassasie de cette les yeux toute la journe lire et


billements donc!
ils

Gomme je suis vue, je me crve


crire; et les
ici,

sont de

mode

car on en-

tend du matin au soir rsonner cette agrable

mu-

sique dans tous les appartements du chteau, de

manire que chacun se rpondant cela forme chos. Mon beau-pre surtout, nous en gratifie d'une manire indcente.
cette

Oh! l'ennui est un fief attach maison-ci, car on en est en pleine possession
;

ds qu'on y est aussi,


tenir, je

si jamais elle

venait m'appar-

m'en
te le

peur de
fte.

Mais brisons l-dessus de communiquer, ce qui ne serait pas


dferais.

charitable, et surtout fort dplac

pour un jour de

Adieu,

mon

cher papa, voici je l'espre une

assez longue lettre; de

ma

vie je n'ai tant crit

que
je

depuis que je suis

ici.

Je t'embrasse

comme

t'aime et je ne t'aime pas faiblement.

H. -P. Marmont.

94

PERHEGAUX.
Chtillon, ce 12 messidor

(6^

anne).

Grande et bonne nouvelle! tu partageras ma joie, mon bon pre, j'en suis sre; je suis heureuse prsent et amplement paye des deux mois de souffrance que j'ai passs loin de toi et de mon mari. J'ai reu ce matin par un courrier envoy exprs un norme paquet de lui il m'annonce la
;

y est entr le premier et pr pour beaucoup sa conqute, il est


prise de Malte*,
il

il

a coo-

nomm
avec

gnral,

il

me

dit d'aller le joindre Malte,

Mme
partir

Buonaparte qui part aussi ^ Je m'occupe de

pour Paris o

je dois la joindre et sous trs

peu de jours j'aurai le plaisir de t'embrasser. Quelle joie! quel bonheur! tu vas dj recevoir des flicitations de toutes parts sur ton gendre et sur ses

nouveaux succs, car il sera srement question de lui dans le rapport du Gnral; il est le premier qui soit descendu terre et enfin il a tout l'honneur

empar de l'le de jusque l, pass pour imprenable. Le 10 juin 1798, le drapeau franais flottait sur les murs de la forteresse et Bonaparte demandait au Directoire le grade de gnral de brigade pour Marmont qui s'tait empar du drapeau de l'Ordre des Chevaliers de Malte. 2. Il tait convenu que Josphine irait rejoindre son mari ds qu'il aurait conquis l'Egypte; aprs la prise de Malte, elle fut sur le point de partir et changea une correspondance avec Madame Marmont; mais finalement elle s'effraya l'ide de ce voyage et renona aller retrouver son mari.
1.

En deux
qui

jours, Bonaparte, s'tait

Malte

avait,

PERREGAUX.
de
la victoire.

95

Tu

vas l'applaudir du choix de ta


si

fille,

que pour son bonheur, tu as

bien su diriger;

c'est

aujourd'hui plus que jamais qu'elle sent le

prix de ta tendresse et des soins constants que tu

as pris pour assurer son bonheur;

ma

reconnais-

sance est sans bornes et

elle s'accrot

mesure

donne pas prsent tous les dtails de la prise, parce que je n'ai pas le temps de les copier, mais je te les
j'en sens l'tendue. Je

que

ne

te

porterai et j'aurai le plaisir de lire

moi-mme sur

ton

visage

ton

courage de

mon

contentement des preuves de mari; il est honor et considr,


il

ce que j'apprends, par tous,


sur son compte et un
et

n'y a qu'une voix


ses succs

vu unanime pour
si

son bonheur. Ces dtails

flatteurs
Il

pour moi

ont t recueillis avec transport.

pour

partir,

me recommande
inutile,

de ne
il

me presse pas me faire


de

attendre,

c'tait

car

devait juger
il

mon empressement par le ma satisfaction que de ne


avec
les
toi.
Il

sien;

ne manquera
le

pouvoir faire

voyage

m'eut t doux de runir ainsi tous objets de mon affection et de partager mes
entre

moments
l'espoir

mon

pre

et

mon

mari,

mais

d'un prompt retour pour ne plus nous

quitter, m'aide supporter l'ide d'une sparation

qui cote beaucoup

mon

cur.

Si je n'ai pas de

lit

chez moi, tu voudras bien,

je pense, m'accorder l'hospitalit

pendant

le

peu de

jours que je resterai Paris.

96

PERREGAUX.
Adieu,

mon

cher papa, au plaisir de te revoir

et

de t'embrasser.

Madame

la

gnrale

Marmont
ouvre
la

(sic).

Si

Riegbourg
lui

n'est pas Paris,

la lettre

ci-jointe et fais-moi le plaisir

de faire

commission

que je

recommande.

L'espoir de la jeune

femme ne

se ralisa pas,

Bonaparte prfra rester en France. Hortense Marmont dut donc son grand regret renoncer au voyage projet et attendre Paris le retour de son mari. Plus d'un an s'coula ainsi
car
;

Mme

Marmont, qui avait


d'Egypte, apprit
rentrait en

pris part toute la

campagne
qu'il

enfin,

non sans

plaisir,

France avec Bonaparte. Le dpart eut lieu le 10 septembre 1799, cinq heures du matin. Marmont embarqu sur la Carrre avec Murt,
Lannes, Denon et Parseval-Grandmaison, se montrait enchant la pense de revoir sa femme.

J'avais

, dit-il

dans ses Mmoires,

des motifs

de joie particuliers, j'tais parti fort amoureux; j'avais emport avec moi des ides de bonheur

domestique, de
l'tat

fidlit,

et je revenais

digne par

de

mon cur

et par

ma

conduite des sen-

timents les plus tendres. Pendant l'absence de son mari,


s'tait installe

Mme Marmont

rue de

la

Chausse- d'Antin, chez

PERREGAUX.
son pre qui tait d'ailleurs pour
excellent
lui
;

97

elle

un guide
lui et

elle

ne cessait de s'adresser
conseil

de
.

demander

mme

pour mille petits riens

pour rgler l'emploi de son temps, pour savoir


quelles visites elle devait faire, quelles personnes
elle devait recevoir, quelles

rceptions

il

lui fallait

se rendre. Entre dix ptres

du

mme

genre, on

verra par la suivante* quelle confiance charmante


la

jeune femme tmoignait Perregaux.


Voici l'invitation que

j'ai

trouve hier au soir


conseilles-tu

en rentrant chez moi.


faire
?

Que me

de
le

Toutes

les

personnes qui dnent chez moi

8 s'y

rendront et cela rend une excuse plus


Il

difficile

faire.

parat qu'on dansera, mais elle ne veut


le

pas qu'on

sache d'avance. Voici peu prs les


iront
:

femmes qui
parte, sa

Mme

d'Ossmon,

Mme

Buona-

fille,

Mme

Hamelin, Mlle Fiton, sa sur,


Dois-je aller lui faire visite

Mme
toi.

Delarue,

etc....

aujourd'hui et que lui dirai-je? Je m'en rapporte

Ce que je

craindrais le plus en la refusant,


n'ai fait

serait de lui faire croire

qti'un
a

que je repltrage normand.

avec

elle

Adieu, je t'embrasse.

Aussitt que

Marmont

fut de retour Paris, le

jeune mnage

alla s'installer

faubourg Poissonnire

1.

Cette lettre est du 16 Mars 1799.

98

PERREGAUX.

dans un appartement que Fontaine avait t charg de dcorer.


L'amiti de Bonaparte pour

Marmont
le

tait alors

plus vive que jamais, et Barras


jalousie dans ses

constate avec

Mmoires

son retour d'Egypte, Bonaparte vint chez

moi accompagn de Marmont qui semble lui tenir lieu de tout, mme de valet de chambre en ces premiers moments, car il en remplit tout fait l'office envers le gnral Bonaparte, quand ils
vinrent au Luxembourg.

Marmont
il

soutient son
il

quand monte l'escalier, il lui te sa redingote quand entre, la lui remet quand il sort.
matre descendant de voiture,
l'aide

il

Aprs

le

Dix-Huit Brumaire, Bonaparte


le

offrit

Marmont
Tartillerie

choix entre
la

le

commandement de
dclare dans ses

de

garde des Consuls ou une place de

conseiller d'tat;

Marmont

m-

moires

qu'il

opta pour ce dernier poste, d'abord

parce qu'il ne voulait pas tre sous les ordres de

Lannes, et ensuite parce que le titre de conseiller d'tat le sduisait. Il n'eut gure le temps d'ailleurs de siger la section
il

de

la

guerre, car
le

fut presque
d'aller

aussitt

charg par

premier

Consul

ngocier en Hollande un emprunt

1.

Barras, Mmoires,

t.

IV, p. 31.

PERREGAUX.
de douze millions pour
le

99

compte du gouvernement qui offrait en gage des coupes de bois, et comme supplment le diamant le Rgent. Il faut convenir, dit-il, que la manire de procder tait insolite; j'aurais eu plus de chance de succs si
j'tais

venu comme gendre de M. Perregaux avec des pouvoirs de lui prs de ses correspondants. Le
premier Consul apprcia

mon

zle et

garda tou-

jours rancune aux Hollandais*.

Marmont

revint Paris en hiver, pour repartir


la

de suite prendre part

campagne

d'Italie; le
lui tait

commandement de
confi.
les

l'artillerie

de rserve

Les

lettres qu'il adresse

presque

toutes

semaines son beau-pre montrent quel ardent


il

amour
regaux^
Je

avait alors
il

pour sa jeune femme. Le


crit d'Alexandrie Per-

23 pluvise an IX,
:

recommande toujours

vos soins, votre

sollicitude paternelle

ma

souffrances

ajoutent

malheureuse femme. Ses aux miennes et je sens


est cruelle.

combien notre sparation

Je pense eHe sans cesse et les jours de

bonheur que j'ai passs prs d'elle me paraissent un songe. Il ne me reste plus que les traces pro-

1. 2.

Marmont, Mmoires,
Carnet historique et

t.

II,

p. 108.

littraire.

Anne

1899, p. 273.

100

PERREGAUX,

fondes que son

amour

et le

mien ont

faites

dans
le

mon

cur.
J'ose entrevoir dans
l'avenir,

monsieur,

moment
prix.

qui

me

rendra sa tendresse et votre

amiti. J'attache l'un et l'autre le plus

grand
;

Conservez-moi des biens qui sont aussi chers

consolez

mon

Hortense, donnez-lui du courage,

accordez-lui vos conseils et prservez sa jeunesse

des dangers et des cueils qui l'environnent. Parlez,


je

vous

prie,

de

ma

constance, de

ma

fidlit et

du

bonheur rciproque que le retour nous prpare.

J'omettrai dans cette lettre de vous parler des

affaires

publiques,

parce que je veux tenir


et

la

que vous receviez de mes nouvelles. Contentez-vous donc de savoir que


promesse' que
j'ai faite,

je

me

porte bien.

N'aurai-je

lettres

de

ma

donc pas le bonheur de recevoir des femme ou des vtres? Depuis un

sicle, j'en suis priv.

Adieu, Monsieur, veuillez quelquefois pensera

moi, et plus souvent encore mes intrts les plus


chers,

mon
les

Hortense.... Je vous

offrirai

en

change

assurances du plus vif attachement et


reconnaissance.

la plus sincre

Le 14 germinal an IX, il s'impatiente de ne pas rentrer en France et prie Perregaux de hter son
retour
:

J'ai

des intrts rglera Chtillon,

j'ai

mille choses terminer Paris, et ce sont des

PERREGAUX.
raisons suffisantes faire valoir.
Il

101

me

semble,

Monsieur, que sans blesser


titre

vous donne

le

convenances, votre droit de lui parler de moi et de


les

lui

demander un retour que

je dsire vivement.

Le

premier Consul accdera sans doute


la refuse,

ma demande
s'il

lorsqu'elle lui sera prsente par vous, et


il

vous

ne pourra gure se dispenser de vous

en dire

les motifs*.

En

attendant ce retour tant dsir,

Marmont
lui;

se

dcida faire venir sa

femme auprs de

mais

ce ne fut que pour quelques jours, car Bonaparte

permit enfin son ancien aide-de-camp de rentrer

Paris.

Les jeunes poux


la capitale,

regagnrent donc

mais leur voyage ne s'effectua pas sans incidents. Marmont raconte en ces termes

ensemble

l'accident qui

faillit

leur arriver*

Je

fis

en route une pouvantable chute, mai^

aucune suite fcheuse. Je voyageais la nuit entre Turin et Suze dans une grande berline avec ma femme et deux aides-de-camp. Le Pimont
elle n'eut

tant infest de brigands, la voiture tait remplie

d'armes.

deux

lieues de Suze, passant sur

un

pont tabli sur

le lit

d'un torrent,
;

la

roue droite
la caisse fit

enfona jusqu'au moyeu

le

poids de

1.
2.

Carnet historique et

littraire.
t. II,

Anne

1899, p. 275.

Marmont, Mmoires,

p. 195.

102

PERREGAUX.
la

rompre

roue

la

voiture

tomba sur
et,

l'impriale

sept pieds de profondeur

dans tout ce fracas,


et

un

pistolet

partit de

lui-mme

pera

la

voi-

ture.

Personne n'eut

la

plus lgre blessure.

Il

tait dit

dcidment que Marmont ne pourrait


les

jamais goter longtemps

douceurs du foyer

conjugal. Le premier Consul ne se souciait gure

de laisser ses gnraux se reposer Paris n'avait;

il

pas dj rpondu Murt demandant en 1800 un


:

cong l'occasion des couches de sa femme Je n'approuve pas toutes les observations que vous me faites. Un soldat doit rester fidle sa femme,

que lorsqu'il n'y a plus rien faire. Or, Bonaparte trouvait qu'il y avait beaucoup faire, et nommait Marmont, en mars 1804, au commandement de l'arme de
mais ne dsirer
la revoir

Hollande.

A
la

partir de 1804,
le

un changement

trs sensible se

produit dans

caractre de Marmont. L'orgueil,

confiance en soi-mme, l'ambition


le

commencent
le

le dominer, et
bien.

ton de ses lettres


il

dnote

A
le

peine arriv en Hollande,

fait

entendre

que

gnral Victor, son prdcesseur, a tout


c'est fort

laiss

en dsordre, et que
qu'il

l'arme

soit

l,

lui

heureux pour Marmont, pour tout


adresse

remettre sa place. Cet tat d'esprit se manifeste

encore dans

la

lettre

suivante

sa

femme

PERREGAUX.
Samedi

103

15.

Ma

chre Hortense, j'arrive d'Arnheim o

j'ai
;

quitt Berthier

que

j'ai

emball pour

la

France

il

a fait

un
et

trs court sjour ici,

mais
il

il

a beaucoup

couru
avons

au moins tout aperu


a

part extrmement

content et dans l'admiration de tout ce!que nous


fait;
il

favorable,

et
il

pu juger combien l'opinion m'tait combien l'arme avait gagn par

mes
le

soins,

rcit le

m'a paru dans l'intention d'en faire plus flatteur pour moi au Premier

Consul.

Je viens de recevoir ta lettre du 12. Je ne con-

ois rien

aux caprices de ton

frre
;

en vrit son

que cette bizarrerie lui passera, au surplus, tant pis pour lui. Je t'attends incessamment, et je dsire que tu ne tardes pas ton voyage, parce que je ne compte pas te garder lorsque mon arme sera sous la toile, ayant le projet de camper aussi, et cependant je dsire que nous puissions passer quelque temps
opinion est d'un ridicule achev
j'espre

ensemble.

Adieu,

ma

chre Hortense, je te quitte parce

que je suis fatigu; j'ai pass trois nuits sans me coucher et j'ai besoin d'un peu de repos. Je ne t'crirai plus, parce que sans doute mes lettres ne te
trouveraient plus Paris. Je vais aprs-demain

La Haye, d'o

j'irai

ta rencontre aussitt que je

104

PEHREGAUX.
du jour de ton dpart. Je t'embrasse

serai instruit

mille fois.

Marmont.

Hortense Marmont vint en


de cette
ville profitrent

effet

passer quelques

jours avec son mari Amsterdam; les magistrats

de sa prsence pour

offrir

au jeune couple

pendant

trois jours des ftes retait unie la plus

marquables o la galanterie grande magnificence.


Tandis que
la

jeune femme regagnait Paris, Marl qu'il apprit


la

mont

restait

en Hollande. Ce fut

avec dpit qu'il n'tait pas compris dans


tion des

promode

marchaux d'Empire qui eut


l'irrita le

lieu lors

l'tablissement de la nouvelle dynastie;

une des

nominations qui
sires.

plus fut celle de Bes-

Bless dans son orgueil et aigri contre ses com-

pagnons d'armes, Marmont ne devait plus tre heureux partir de cette poque,
et

son loignement

de Paris, aussi bien que ses


pourtant donne
lui

infidlits allaient

peu

peu dtacher de lui la jeune

femme

qui s'tait

avec tant d'amour.

CHAPITRE Vr
LES DERNIRES ANNES DE PERREGAUX
Perregaux fut un des premiers snateurs nomms par Bonaparte, le 4 nivse an VIII (26 dcembre 1799); cette marque d'estime tait d'autant plus significative qu'aucun autre banquier n'tait
appel faire partie du Snat.

On

sait

combien

la fin

du Directoire
on

le dficit

dans nos finances


services publics.

tait considrable;

sait

quel

dsordre et quelle anarchie avaient envahi tous les

Au lendemain du

18 brumaire,
:

il

y avait une grande tche remplir il fallait ramener l'ordre dans les finances et redonner conSources manuscrites
1

1.

2*

Papiers de la duchesse de Raguse. Archives de la commune de Viry-Chtillon.

Sources imprimes : i" Flour de Saint-Genis; La Banque de France travers les sicles, 1896. 2 Stourm Les finances du Consulat. S" D'Hrisson Les girouettes politiques. 4 Catalogues des collections d'autographes Lajarriette,
;
:

Hervey, Dubrunfaut.

106

PERREGAUX.
aux citoyens.

fiance

Il

fallait

sauver le pays

d'une ruine certaine et fonder un rgime nouveau.

Sauveur et fondateur, rien ne convenait mieux au gnie de Bonaparte. Il remplit merveilleusement l'un et l'autre rle*. Pour cette uvre colossale, le Premier Consul sut s'entourer de
collaborateurs de premier ordre
:

Gaudin, Mollien,
Perregaux.

Barb-Marbois, Lebrun,
projet qu'il
tion de la

Crtet,

fut ce dernier qu'il s'adressa

pour raliser mditait depuis longtemps la cra:

Ce un

Banque de France,

cration qui devait


les

marquer d'une empreinte ineffaable


xix^ sicle.

dbuts du

Le gouvernement , raconte Thiers dans son Histoire du consulat, a suscita les principaux
banquiers de
plaa M.
rattache
l'tat,
la

capitale

la

tte

desquels se
le

Perregaux, financier, dont

nom

se

tous les grands

services

rendus

on forma une association de riches capitalistes pour la cration d'une banque nationale ^. Grce l'activit dploye par notre
et

financier, la

Banque de France
et
le

tait

fonde
la

le

28 nivse

an VIII,

24 pluvise,

pre-

mire assemble gnrale des actionnaires approuvait les statuts et ratifiait la

nomination des pre-

miers rgents

Perregaux, Mallet an. Le Cou-

1.

2.

Thiers

Stourm Les finances du Consulat, p. 554. Histoire du Consulat, t. I, p. 176.


:

PERREGAUX.
teulx-Canteleu
Robillard*.
,

107

De Mautort,

Perrier,

Perre et

Perregaux
chaient, car

s'tait

acquis depuis longtemps la

sympathie et l'estime de tous ceux qui l'approil

savait

mieux que personne, disent


se faire

ses contemporains,
lit et

aimer par sa cordia.

son ton aimable et sans prtention


pas s'tonner de
le

Aussi

ne

faut-il

voir en relations avec

les personnalits les plus

cratie anglaise ts

en

mme

marquantes de l'aristotemps qu'avec les clbriduchesse de Dele 5 juillet

du monde

artistique. Voici la

vonshire, qui lui crit de Londres,

1805,
fils
:

en maudissant

la

guerre qui loigne


s'il

d'elle

son

La

paix, la paix

est possible, voil le

vu de
paci-

tous les curs qui sentent combien sont horribles


les

maux de

la

guerre.

C'est le

mme vu

fique qu'exprime sous

une autre forme,

la dli-

cieuse Louise Contt, en tourne Strasbourg, le


15 floral, an VIII
:

Toujours se battre!

Ah mon
!

ami,

le

vu

gnral, le
les

vu

de paix

si

fortement

bouches ne sera-t-il donc jamais ralis?... Je vous envoie un baiser dont vous ferez ce que vous voudrez.
exprim par toutes
Audoin, l'ancien dput montagnard de Seine-etOise
la

Convention, appelle Perregaux son bien-

faiteur et lui

demande

le

17 pluvise an X,

une

1. Parmi les premiers actionnaires figurent: Bonaparte pour 30 actions, Bourrienne pour 5 actions, Murt pour 2 actions, Joseph Bonaparte pour 1 action, etc

108

PERREGAUX.
:

place honorable qui le mette en mesure d'lever


ses enfants

Veuillez ne pas
;

me

perdre de vue

dans vos choix vous tes certain que ma nomination ne psera jamais sur votre conscience les
;

conseils
fruit

de l'exprience,

mon got

particulier,

de rflexion, quelques connaissances acquises,


la discussion,

quelques talents pour


intrt, celui

mon

propre

de ma famille, tout vous rpond de moi. Mounier, l'ancien membre de la Constituante, qui a d s'expatrier pendant la Terreur et
fonder une institution Weimar, insiste auprs de

Perregaux pour obtenir sa radiation de la liste des migrs le banquier qui vient de lui envoyer son
;

pour apprendre l'allemand russit obtenir cette radiation et le 17 juillet 1801, Mounier en lui annonant qu'il rentrera Paris en octobre, lui
fils

conseille de ne pas laisser le jeune

homme
:

en Alle-

magne o
qu'il

il

ne pourrait que corrompre ses

murs
fils

sans dvelopper son intelligence

Vous savez

importe beaucoup moins d'instruire votre


les sciences

dans

que de

lui

donner des principes


faire

de conduite qui puissent l'avenir

son bon-

heur

Pour ne vous rien dguiser, les Allemands sont en gnral un bon peuple mais la
et le vtre....
;

philosophie qui prvaut maintenant dans toute

l'Allemagne est une philosophie dsesprante qui


porte tout rvoquer en doute....

Philosophie

dangereuse surtout pour


nent
si

les Franais, qui devien-

malheureux

et si nuisibles

aux autres, ds

PERREGAUX.

109

qu'on dprave leurs sentiments par de beaux systmes.

Les
tenir
val,

artistes continuent

comme

autrefois entre-

Perregaux de leurs petites affaires. Dauberle danseur de l'Opra lui crit le 22 brumaire
:

an XI Vos ordres me mettront en voiture, daignez m'crire J'attends Dauberval tel jour et tel
:

quantime.

Le comdien Fleury lui dit qu'il


de fortune,

est trs occup, car lorsqu'on n'a pas


il

faut oublier les plaisirs pour s'assurer


N'est-ce pas

un

sort

mon

ami, aussi je ne nglige rien


je

pour y parvenir. Vous voyez que


vos conseils.
intimes.
Citer tous
les
;

me

souviens de

Carline Nivelon, Dugazon, la Guifils

mard, Louise Contt, Vestris

sont de ses amis

correspondants de

Perregaux
le

serait impossible

parmi ceux qui sont


voici

plus en
:

relations avec lui,

d'abord des Anglais

le

lieutenant gnral Mackensie, le comte de Guildford, le pair d'Angleterre lord

Yarmouth; puis des


Saint-Cyr,

savants

comme

Laplace et l'antiquaire Drovetti,

des gnraux
artistes

comme Gouvion

des

comme Grard et Isabey, des crivains comme Morellet, des hommes politiques comme
Fouch, Champagny, Barb-Marbois, Maret, les snateurs Lambrechts et Franois de Neufchteau
;

voici ce

que ce dernier

lui crit

410

PERREGAUX.
Gand,
le 28

aot an 1806.

Monsieur

et cher collgue,

y a un mois et demi que je suis absent du Snat; mais c'est pour lui que je travaille dans le plus beau pays du monde, et, ce qu'on

Il

une snatorerie, dont la dotation avait t forme au rebours du bon sens et de toutes les convenances. Ce n'est pas petite besogne, de recommencer celle qui a d'abord t mal faite. Pour s'en faire une ide, il fallait venir sur les lieux, et descendre dans les dtails.
n'aurait pas devin, dans

Je m'applaudis chaque pas d'avoir pris ce parti mais pour y russir, il faut aussi chaque pas, et
;

de l'argent et du crdit. Mon notaire, M. Le Brun, vous remettra ma lettre avec une prire de me faire toucher, vers le 7 septembre, Bruxelles,
le

montant de mon traitement pour

le

prsent

mois d'aot; et d'y ajouter s'il se peut une lettre pressante quelque bon banquier, dans le cas o

changement de ma dotation exigerait quelques avances, extrmement presses, pour ne pas manquer un march qui pourrait tre avanle

tageux. Je vous serai trs oblig de


ici

me

continuer

votre bienveillance ordinaire. J'ai avec


et

moi ma

femme

mon

petit

garon qui soutient mer-

veille les

fatigues d'un grand voyage. J'ai voulu

PERREGAUX.
lui

111

montrer
le

la

mer

et

quelques grandes
Il

villes

avant de

mettre au collge.

a ramass des

bord de l'Ocan, de quoi faire une grotte Paris. Excusez-moi, mon cher collgue, de ces pauvres dtails. Donnez-moi plutt des nouvelles de Paris, de vous,

coquilles au

du Snat, auquel

je suis

toujours de cur. C'est ainsi que je vous embrasse


trs

tendrement

et sans formules.

Franois de Neufchateau.

du Directoire, Perregaux avait achet le chteau que M. de Sartines possdait dans le dpartement de Seine-et-Oise, Viry-Chtillon. Il aimait s'y reposer du souci des affaires et recevoir ses nombreux amis sa fille Hortense venait
Vers
la fin
;

souvent
neurs de

l'y

retrouver et l'aidait faire les hon-

la

maison. La jeune

femme

entretenait

son pre des petites proccupations de sa vie mondaine, projetant des parties de thtre, des dners, etc....
((

Veux-tu que

j'aille te
,

prendre sept
crivait-elle le

heures pour aller l'Opra


30 juillet 1806;

lui

j'ai

une loge

et le spectacle sera

curieux*. Veux-tu

mme

venir dner avec nous?

Le

dcembre 1806, propos d'une somme

d'ar-

1. On jouait au bnfice de M. Philippe, artiste retir de rOpra-Comique la premire de la Capricieuse, comdie,


:

et la

premire d'Idala, opra.

112

PERREGAUX.
allait lui tre

gent qui

rembourse,

elle faisait allu-

sion en ces termes aux gots dpensiers de son

mari
cette

Je pense que nous ferons bien de porter

somme au grand compte du


les

gnral Marqu'il

mont pour y rparer un peu


fait.

brches

La sant de Perregaux chancelante depuis plusieurs annes s'altra plus gravement en 1807; les mdecins lui ayant ordonn les voyages et la campagne, il cessa peu prs compltement de s'occuper des affaires, partageant son temps entre Neuchtel, sa ville natale, et Viry-Chtillon. Ce fut dans cette commune qu'il mourut le 17 fvrier 1808*. Dtail macabre, l'artiste que Mme Marmont avait charg de mouler la figure du dfunt,
ne
la

prit

pas toutes

les

prcautions ncessaires,
le

de sorte qu'en dtachant

masque de

pltre,
s'ar-

peau y

tait tellement

adhrente qu'elle

racha.

Les obsques du banquier eurent

lieu le 22 f-

1.

Chtillon.

Extrait des actes de l'tat civil de la commune de Viry Du 17 fvrier dix-huit cent huit, 7 heures du

matin. Acte de dcs de Jean Frdric Perregaux dcd ce jourd'hui 17 fvrier 1808, 3 heures et demie du matin.

Membre du Snat conservateur


la

et commandans {sic) de Lgion d'honneur n Neuchtel en Suisse le 4 septembre 1744, g de 63 ans 5 mois et 12 jours. Cet acte fut dress par M. Botterel Quintin, maire de Viry-

Chtillon.

PERREGAUX.
au milieu d'une grande affluence corps fut inhum au Panthon*.
vrier 1808
1.

113

et

son

Voici en

quels termes les journaux annonaient la


:

mort de Perregaux

M. Perregaux, snateur, un des premiers banquiers de Paris, est mort hier matin. {Courrier de VEurope et des
spectacles, n

du

19 fvrier 1808.)

Le snat a perdu l'un de ses membres, M. Perregaux, banquier, la suite d'une longue maladie. Les obsques ont eu lieu hier avec le crmonial accoutum. [Moniteur du mercredi 24 fvrier 1808.) Les obsques du snateur Perregaux se sont faites
Paris, le 23 fvrier.

aujourd'hui avec la pompe rserve son rang de snateur. Ses relations d'homme priv avaient aussi contribu augmenter son cortge funbre qui a travers presque toute la ville pour se rendre de la rue du MontBlanc au Panthon. [Courrier de VEurope et des spectacles,
n"

du 23 fvrier

1808.)

CHAPITRE

Vil*

LE MNAGE MARMONT SOUS L'EMPIRE


La duchesse d'Abranls nous a ^trac dans ses mmoires un portrait aussi exact que dtaill de

Mme

de Raguse*.
je voyais trs souvent et avec

Une femme que


Sources manuscrites
i"

Papiers de la duchesse de Raguse. 2 Bibliothque Nationale manuscrit 5931 nouv. acq. franc. grand-livre de Leroi.
: :

Sources imprimes
\

Mmoires du duc de Raguse. Mmoires de Mme la duchesse d'Abrants;


:

dition.

Paris 1835. 3 Lavallette Mmoires et souvenirs pubhs par sa famille. Paris 1831. 4 Rapetti La dfection de Marmont en 1814. Paris,
:

1858.
b"

Turquan Turquan

La Reine Hortense. Le monde et le demi-monde sous

le

Consulat et l'Empire.

Duchesse d'Abrants, Mmoires, t. IV, p. 283. Marmont t levs ensemble au collge de Ghtillon-sur-Seine, d'oii une grande intimit entre les jeunes gens qui se retrouvrent tous deux comme aides de camp de Bonaparte l'arme d'Italie.
2.

et

Junot avaient

116

PERREGAUX.

un charme toujours nouveau, c'tait la duchesse de Raguse. Nous tions lies aussi intimement que deux femmes peuvent l'tre, et je l'aimais
autant qu'on peut aimer une amie.... Charmante,
gaie, vive, spirituelle, trs instruite, naturelle et

possdant tous

les

avantages d'une haute position

dans

le

monde

social, jusqu'

une grande fortune,

ce qui la double encore... la duchesse de Raguse


tait cette

poque*

la

plus chre de

mes amies,

et

toutes les fois que j'entendais annoncer son

nom, il me faisait le mme effet que celui de M. de Narbonne l'amie tait heureuse, la matresse de maison contente. L'esprit de la duchesse de Raguse est d'une nature remarquablement attachante, lorsqu'on en a la clef; non pas qu'elle soit difficile trouver, la duchesse est trop naturelle pour cela, mais elle est peu facile contenter, et ds que les gens ne lui plaisent pas, elle devient silencieuse et se met biller. Mais qu'elle soit au milieu de gens qui lui conviennent ou qu'elle aime, alors son esprit a des clats, des jets d'une lumire non seulement
:

brillante,

mais chaleureuse;
j'ai

elle est toutes les

questions, elle

comprend tout ce qui

se dit...

Que

de journes dlicieuses
seules toutes
elle a fait

passes avec

elle!...

deux Viry, dans une maison dont


paradis!... C'est l qu'il la fallait

un

entendre et voir.
1.

En

1804f

PERREGAUX.

117

Tout en tant moins dpensire que Josphine, Mme de Raguse figure cependant parmi les femmes les plus lgantes de la cour impriale. Ses fournisseurs sont
:

Lesueur,

le

marchand de
bonnetier

dentelles
la

renomm, Frankaert,
Mlle Thonville,

le

mode,

la lingre
la

rpute. Elle se coiffe

chez Herbault,

modiste de l'impratrice, se
le

fameux couturier Leroi. Le grand-livre de ce dernier, que conserve la Bibliothque nationale, est le Gotha de l'lgance parisienne sous le Premier Empire; il sufft de feuilleter les pages pour relever les noms
gante chez Lubin et s'habille chez
suivants
la reine
:

l'impratrice, la duchesse de Bassano,


la reine

de Naples,
la

Hortense,

la reine

de

Westphalie,
de Trvise,

duchesse de Rovigo,

la

duchesse

la
la

princesse Aldobrandini, la princesse

Borghse,

comtesse Bertrand,
la

la

princesse de

Schwartzenberg,
la

princesse de Metternich, la

princesse de Neuchtel, la duchesse de Vicence,

princesse lisa,

Mmes

Mollien, de Mortemart,
etc....

de Montesquiou, Corbineau, Duchtel,

Ouvrons

le

grand-livre de Leroi au compte de


et

Mme
En
et

de

Raguse

parcourons-le

rapidement.

janvier 1812 elle se

commande un domino en
lui

taffetas blanc

bord de satin qui

cote 115 francs

un masque 3 francs. En fvrier elle se fait faire un corsage en velours, une robe de tulle lame d'argent et une coiffure en lilas blanc pour aller avec une robe de satin blanc garnie de satin

118

PERREGAUX.
,

coquille paille

un

schall en laine gros bleu,

une

robe de tulle brode en soie, une robe de satin


jaune.

En

mai,

elle paie

159 francs une robe de


*

taffetas cossais rose et vert

garnie ruches d,

coupes, double tulle au corsage

120 francs une

robe de crpe
marccline

lilas,

157

fr.

65 centimes une
paille

robe

lilas,

bord en satin

dedans, corsage

doubl

et 109

francs une

petite marceline
.

blanche double de florence rose


juin elle achte pour 182 francs
fetas noir, garnie

Au mois

de
taf-

une robe de

deux ruches, manches longues, boutons, toffe forte dans le col, blonde au col, tulle aux manches , et au mois de septembre, pour 350 francs, une redingote de voyage velours ras vert, trois rangs de boutons devant, boutons aux manches, crpe et blonde au col, lisere en satin, ceinture corsage, manches doubles . En dcembre, Leroi lui fournit une redingote levantine gros jaune et une redingote de velours pris

une redingote de satin blanc revers pluche ponceau et un une robe de tulle tablier en ruban en fvrier
cerise

boutons

en janvier 1813

<

blanc, garnie de bandelettes de satin

Enfin en
:

1814

le

couturier lui livre successivement

robe d'toffe cerise garnie de tulle et satin,


robe de satin blanc,

une une

une redingote peignoir en

satin garnie de rouleaux de satin avec plisss de


tulle ,

une robe de mousseline brode, une robe

d'toffe grise et

une robe de crpe chamois.

PERREGAUX.
lgante
et fte,

119

Mme

de Raguse adorait

le

plaisir et paraissait toutes les ftes des Tuileries.

Aprs

la

mort de son pre

elle s'tait

applique

agrandir son chteau de Viry

et

en faire un
l't,

sjour enchanteur; c'est l qu'elle passait

restant pendant l'hiver dans son superbe htel de


la

rue de Paradis-Poissonnire*.

Aussi bien Paris qu' Viry-Chtillon,


d'amis

la

du-

chesse aimait runir autour d'elle un cercle


:

c'tait

d'abord
le

Mme

d'Abrants, qui

elle avait

donn

sobriquet amical de bobonne


l'avait

surnomme chchre^ c'taient ensuite Mme Gampan, Mme de Lavallette et son mari, la marchale Ney, Denon et Gumpelzet qui

de son ct

haimer. Les rceptions taient empreintes d'une


simplicit et d'une cordialit charmantes,
et
la

gat de la matresse de

maison donnait tous


participait la vie

beaucoup d'entrain. Pendant que sa femme


daine de Paris,

mon-

Marmont voyagait aux quatre coins


il

de l'Europe. Le 29 aot 1805,

avait quitt la Hol-

lande pour aller rejoindre les armes impriales

en Autriche; vainqueur Castelnuovo


tobre 1806, cr duc de Raguse
le

le

50 oc-

29 juin 1808

avec des dotations

considrables

en

Illyrie,

il

prenait ensuite part la

campagne de Wagram

1. Cet htel existe encore au numro 51 de la rue de Paradis. C'est l que fut signe, dans la nuit du 30 mars 1814, la capitulation de Paris.

120 et, le

PERREGAUX.
12 juillet 1809, tait

nomm

marchal d'Emles

pire.

C'est de cette

anne 1809 que datent


le

pre-

mires brouilles entre

duc

et

la

duchesse de

Raguse. Lavallette en parle ainsi dans ses mmoires*


:

Le marchal (Marmont), le lendemain de son arrive, vint me voir. Nous tions amis depuis longtemps, sa confiance en moi tait sans bornes, et il me parla de sa femme en termes fort mcon

tents. Je

l'ai

toujours cru jaloux, et je crois qu'il a


justice envers elle. Aprs

manqu de
habiter avec

m'en avoir

parl avec chagrin et en


elle,
il

homme qui

ne voulait plus

me

raconta un entretien qu'il

avait eu avec l'Empereur Vienne. L'Empereur,


lui parlant

de ses chagrins domestiques,

lui prodi-

posa de

les

terminer en faisant prononcer son

vorce. Vous n'aurez point cVenfant

d'elle^ lui dit-il,

cependant vous devez dsirer de ne pas


teindre

laisser

un nom comme
les

le

vtre. Divorcez et vous


les

pourrez choisir dans


la

familles

plus leves de

France une femme qui donnera des successeurs votre rang et vos dignits. Le marchal, en me faisant cette confidence et en me demandant mon
conseil, tait aussi loin

que moi de souponner

le

motif secret qui avait


Lavallette

fait

parler l'Empereur. Je ne

i.

Mmoires,

t.

II, p. 39.

PERREGAUX.
doutais pas
cle la

121

sagesse de sa

femme

elle avait

des qualits fort estimables et lui avait apport

une grande fortune


regrets.
Il

je lui conseillai de

ne point

prendre un parti qui pourrait lui laisser de longs


suivit

mon

avis, et je

crois qu'il

fit

bien.

Une

rconciliation qui d'ailleurs ne devait tre

que passagre eut lieu en effet entre les deux poux. Marmont, qui avait quitt l'Autriche le 15 octobre 1809 pour venir prendre Paris les instructions de Napolon sur l'administration des provinces illyriennes dont il venait d'tre nomm gouverneur, repartait ds le 4 novembre pour l'Illyrie, emmenant avec lui sa femme* Pendant toute l'anne 1810, le duc de Raguse mena une vie de
faste et

de plaisir qui

tait bien
l'hiver,

Habitant Trieste pendant


ne,

dans ses gots. cause de son

climat plus tempr, et Laybach le reste de l'anil

menait de front,

dit-il
:

dans ses mmoires,

les affaires et les plaisirs trois heures,

Chaque

jour, avant

mon

travail tant fini, toutes

mes

d-

cisions

prises,

toutes

mes signatures donnes,


soir, je

depuis ce

moment jusqu'au
Il

m'occupais de
royal et savou-

promenades, de chasses, de
toute espce.
vivait sur
:

ftes et de plaisirs de

un pied

rait les dlices

du pouvoir
de

Je ne devais corres-

pondre qu'avec un seul ministre, celui des finances,

pour toutes

les affaires

l'Illyrie, et

avec

le

mi-

122

PERREGAUX.
pour l'arme franaise qui y place. En un mot j'tais, dans toute l'tendue
vice-roi dont le pouvoir n'avait pas

nistre de la guerre
tait

du terme, un
de bornes*.
folles
;

Le marchal
il

faisait

des dpenses

il

s'tait fait installer

un splendide cabinet
expriences en

de chimie o
Pass.

se livrait des

compagnie du pharmacien en chef de l'arme,

Le temps s'coulait rapidement la duchesse de Raguse partageait les honneurs que l'on rendait
:

son mari
elle

mais d'une sant plus dlicate que

lui,

ne tarda pas tomber malade, et se voir

oblige de rentrer en France.

Le marchal Ou:

dinot parle de cette maladie de la duchesse dans


la lettre

suivante adresse

Marmont'

Amsterdam,

le 10 juillet 1810.

L'intrt

est

venu

surpris,

me mon

que vous donnez l'vnement qui frapper si inopinment ne m'a point


cher Marmont, parce que certain de

vos sentiments, je devais m'attendre ce tmoi-

Margnage auquel j'ai d'ailleurs t sensible. mont est un homme de cour qui ne manque pas de
m^rite et qui grille de l'envie de faire parler de lui.

1. 2.

Mmoires du duc de Raguse,


Rapelti
:

t.

III, p. 338.

Appendice,

p. 291.

PERREGAUX.
Il est

123

brave

et actif.

Je Vaurais envoy en Cata-

logne^ si je n'avais eu M.., sous la


t

main

et qu'il

et

moins

utile

au poste

qu'il occupe.

et

mon

ami, les paroles de l'vangile et

Ce sont, que je me
que peutpuisqu'on

suis bien promis de vous rapporter, parce qu'elles

m'ont chatouill
tre

les oreilles

de plaisir

on

me

les disait

avec intention

nous sait amis. D'un autre


j'ai

ct, dites

Mme

la

duchesse que

aussi pris part la maladie qu'on

m'annonce
la reine

qu'elle doit avoir faite

Raguse,et que

de

Hollande et moi avons dit beaucoup de mal


son chapitre.

d'elle

pendant l'entretien que Sa Majest m'a fourni sur


Je vous remercie pour
le

bien que vous faites

Toussaint; je suis sr qu'il en est reconnaissant


et qu'il

vous servira bien

et loyalement.

mnagerie, je n'y compte pas,


la

continuation de notre

vieil

Quant la mais beaucoup sur atttachement. Vous


ami, et
si illisible-

crivez

comme un
je

chat,

mon
lise

ment que

vous conseille un secrtaire quand


entirement; enfin,

vous voudrez que je vous


prenez modle sur

ma

btarde ^
Illyrie la satisfaction

Vous avez travaill en

de

L..., j'espre

en avoir fait autant en Hollande o vous


le
...

savez peut-tre dj que

n'est plus, etc., etc.

1.

L'criture

du marchal Marmont

est

en

effet

trs

difficile

lire.

124

PERREGAUX.
!

Je ne puis en dire davantage. Adieu, ami, revoir

Respect et affection l'aimable duchesse

et

embras-

sements tendres pour son cher poux.

Le marchal duc de Reggio.

La

rconciliation entre le marchal et sa

femme,

rconciliation bien phmre, ne dura pas aprs le

retour

d'Illyrie.

Tandis que Marmont


le

allait la fin

de

fvrier

18H prendre
la

commandement de
et

Tarme de Portugal,
geait ses loisirs

duchesse de Raguse partaViry.


Elle

entre Paris

ne

correspondait plus avec son mari et les rapports


entre les poux taient trs tendus;
ils

allaient

aboutir en 1814 une sparation dfinitive.

Marmont dans
dit-il,

ses

Mmoires

s'est

montr

trs

svre l'gard de sa
j'ai

femme ^

En

l'pousant

appel sur moi mille infortunes. Je

n'avais pas 24 ans et je devais passer

ma
n'a

vie

courir le monde, deux circonstances funestes en


pareil cas.

24 ans un jeune

homme
le

pas

la

maturit ncessaire pour sentir

prix

du bonheur

domestique;

les passions sont trop

fougueuses pour
;

ne pas l'entraner le compromettre d'un autre ct une sparation prolonge donnant une jeune

femme

l'habitude et le got de l'indpendance lui

font trouver insupportable le joug d'un mari au

1.

Mmoires du duc de Raguse,

t. I,

p. 548.

PERREGAUX.
elle reste

125

moment o il revient, tandis que pendant son absence


sans dfense prs de ceux qui veulent
Je
parlerai
la

sduire.

peu de cette malheureuse

moins qu'il me sera possible, quoiqu'elle ait jou un grand rle dans l'histoire de ma vie souvent elle a t pour moi un obstacle en aggravant mes maux, mes chagrins, mes embarras jamais elle ne m'a apport de joie, de secours ou de consolation, mais elle a toujours contrari et obscurci ma destine. Mlle Perregaux, avec une grande ingalit de caractre, avait tous les
union,
le
: ;

dfauts d'une enfant gte

elle n'tait

pas inca-

mouvements, mais un amourpropre excessif et beaucoup de violence en dtruipable

de

bons

saient

les

effets.

Plus

tard

les

flatteurs

l'ont

perdue
et

et ses torts envers

de toute nature.
le

moi ont t sans mesure un autre endroit de ses


les

Mmoires,
qui
le

marchal raconte

circonstances

dcidrent en 1814 se sparer dfinitisa

vement de

femme.

Mes longues absences

et

l'existence indpendante et brillante dont jouissait

Mme

de Raguse

avaient

port leur fruit. Des

chagrins de toute espce avaient t

mon

partage.

Revenu dans mes foyers


tudes

j'y

trouvai

des habi-

que je ne pouvais supporter, habitudes tellement prises qu'il tait impossible de les combattre avec succs. Je

me

bornai vouloir de
la

la

part de
culai

Mme

de Raguse de

rserve. Je cal:

une existence toute de convenance

mais

126

PERREGAUX.

son caractre tait peu propre la conciliation et elle trouva le moyen de me rendre la vie insupportable.

Tout en

elle

tait passion

et draison.

Alors je rsolus de
et

me

sparer d'elle l'amiable

sans clat. Je

poussai la dlicatesse de

ma
aux

conduite

jusqu'

renoncer

volontairement

avantages de la fortune qui rsultaient lgitime-

ment de mon union avec


nos
intrts
et

elle....

Ds ce moment

furent
il

distincts.

J'allai

me

loger

loin d'elle

fut

convenu

seulement que ne

jouissant pas de sa fortune et renonant son


administration, je n'en serais pas responsable.

Ma

sparation la contrariait beaucoup. Elle craignait


les
effets

qui
Elle

en rsulteraient
aurait
la

pour

elle

dans

l'opinion.

trouv

commode
si

d'avoir

auprs du

monde

protection de son mari que la


ncessaire,

position qu'elle avait prise lui rendait


et

cependant

elle

rpugnait l'aider dans ses


je croyais encore
:

succs sociaux.

Un jour, quand

possible de vivre avec elle et lui ayant dit


allons tenir une bonne maison,
il

Nous

en rsultera de
cour,
elle

grands avantages pour moi


rpondit
:

la

me

Ah! vous

croyez que je vais vous servir


la

de marchepied!

Rponse o

haine se montre

dcouvert, puisqu'elle l'aveuglait

mme

sur ses

propres intrts. Effraye cependant du jugement

du

public, et dans le but de l'garer sur les vri-

tables causes de notre sparation, elle n'hsita pas

runir autour d'elle

mes ennemis

politiques afin

PERREGAUX.
d'avoir des amis et des prneurs.
le seul

127

Des amis, hlas!


des gens qui en

moyen pour

elle d'avoir

tinssent le langage tait de servir leurs passions et

de donner de bons dners. Aujourd'hui, moins riche,


elle est fort dlaisse,
fait

incompatible
exige

son caractre tant tout avec l'amiti. Ce sentiment

un cur tendre, gnreux, de la justice, de la raison, de l'indulgence et une sorte d'galit au moins dans les rapports, si elle n'est
divin

pas dans

la

nature des choses. Elle, au contraire,

goste, passionne, draisonnable, enfant gte,

voulait des esclaves et

la

non des gaux. Du moment femme portant mon nom, qui de prs ou de

loin devait toujours partager

existence, s'unissait
elle

mes succs et mon intimement mes ennemis,

donnait

le

plus grand crdit aux calomnies

dbites contre moi. Voil ce que


a t envers moi. Voil ce

Mme

de Raguse

que je ne saurais jamais lui pardonner. Elle a tent de fltrir ma vie, mais si elle n'y a pas russi elle est parvenue au moins
la dchirer.

Ces lignes sont bien dures et bien svres pour Mme de Raguse, mais elles ne sont pas justes. Ici,

comme dans tant d'autres passages de ses Mmoires,


le

marchal Marmont a obi


Certes, l'union

la

haine et

la

jalousie.

du duc

et

de

la

duchesse de
si

Raguse, commence pourtant sous de


auspices, ne fut pas heureuse
et,

heureux

tandis que d'autres

128

PERREGAUX.
Soult,
il

mnages comme ceux de Suchet, Oudinot, Ney,


Brune,
Verdier,

vcurent

en

parfaite

harmonie,

n'en fut pas de

mme du mnage
surtout,

Marmont.
Instruit

qui la faute?
la

Au marchal
trs

au

hasard beaucoup,
et

duchesse trs peu.


spirituel,

intelligent,

fourni
s'tait
:

d'anecdotes sur tous les sujets,


laiss

Marmont

peu peu dominer par deux sentiments l'orgueil et la jalousie de tous ceux qui l'entouraient. Il n'tait plus le charmant cavalier plein
d'ardeurs juvniles qu'il avait t au dbut de sa
vie militaire
;

l'ambition l'avait perdu. Infatu de

lui-mme, faisant natre un conflit par sa hauteur


ds qu'il s'agissait de stipuler avec des adminis-

ou de demander un concours, il mritait tout fait ce surnom de Marmont premier que lui avait donn l'Empereur. Il tait
trations rivales

en outre prodigieusement dpensier, car


fastueux et passionn pour
plaisirs;

il

tait

le luxe, les ftes et les


il

aussi

toujours en proie aux besoins,

ne maniait pas les deniers publics sans que ses mains ne fussent suspectes , a dit un de ses
historiens*.

l'orgueil,

Marmont

joignait

une
;

jalousie haineuse

pour tous ceux qui l'entouraient

profondment vex de voir ses compagnons d'armes devenus marchaux d'Empire avant lui, il tait rong par l'envie et exhalait sa mauvaise humeur
Rapetti,

1.

La dcfeclion de Marmont en

1814.

PERREGAUX.
en dnigrant
les

429

en dcriant Napolon, en critiquant ses camarades,


et

ordres qu'il recevait.

Le caractre si gai, si spontan et si franc de la duchesse de Raguse ne pouvait plus ds lors


s'accorder avec ce caractre haineux et envieux

qui tait maintenant celui de son mari. Les lettres

deux poux. Peut-tre si le marchal tait revenu en France, les malentendus auraient cess; mais Marmont fut un des gnraux de l'empire qui voyagrent le plus de 1804 1814, en dix ans, il passa six semaines
devenaient peu frquentes entre
les
;

Paris! Ces continuelles absences laissaient la jeune

femme
depuis

livre
la

elle-mme

et

sans

conseiller,

mort de Perregaux;

qu'elle ait

dans ces

conditions

commis quelques

lgrets, qu'elle se

soit laisse aller

quelques inconsquences, cela


;

n'a rien de surprenant

mais Marmont eut

le tort

de prendre au tragique des racontars dmesurment


grossis.

Pendant un de ses rares voyages Paris en 1810, le marchal arriva l'improviste dans
de
la

l'htel

rue

de

Paradis-Poissonnire, au
rentrait en calche;

moment o

sa

femme
il

sans

autre explication,

intima au cocher l'ordre de

rebrousser chemin et dfendit

Mme

de Raguse

Dsormais,
sible.

de jamais y rentrer; furieuse, la duchesse partit pour Viry o elle s'enferma dans sa chambre.
la vie

commune

tait

devenue impos-

Marmont, qui se montrait

si

svre envers sa
9

130

PERREGAUX.
tait

femme,

cependant bien loin d'tre un mari exemplaire. Il avait eu de nombreuses aventures


galantes,
alors
qu'il

tait

dj mari, et

il

les

a narres lui-mme dans ses mmoires avec beau-

coup de

satisfaction;

parlant

notamment

des

difficults qu'il

prouva
la

comme

chef de corps d'arraconte qu'il en


ajoutant cette
:

me avec un
plaisanterie

fonctionnaire

civil, il

eut moins avec

femme de

celui-ci,

d'assez

mauvais got

Il

ne put

plus m'accuser de

manquer de

soin et de compter

mes

visites

avec lui^

Les vnements de 1814 achevrent de rompre


tous rapports
entre le
sait

duc

et

la

duchesse de

que trop quelle fut la coupable Marmont en et triste conduite du marchal ces heures douloureuses o la France envahie entendait sonner le glas de l'Empire. Marmont, pour qui l'Empereur avait toujours eu la plus grande amiti, oublia la reconnaissace qu'il devait
Raguse.
celui qui l'avait cr duc et marchal d'Empire
trahissant l'honneur de l'arme,
il
;

On ne

mit ses troupes


esprait

la

discrtion

de

l'ennemi, ouvrant ainsi les


il

portes de Paris aux Bourbons dont

une rcompense. La rcompense du tratre d'Essonnes, ce furent des honneurs et des titres mais
;

le

chtiment ne se

fit

pas attendre;

le

mot

ragu-

ser

devint

synonyme de
t.

trahison, et le marchal

1.

Marmont, Mmoires,

II, p. 58.

PERREGAUX.
sur son passage.

131

ne put plus sortir sans entendre des murmures

lui-mme dans ses Mmoires que sa femme lui tmoigna tout le mpris qu'il lui inspirait et il l'en blme svreIl

avoue

ment. Singulier jugement, en vrit!

Mme

de Ra-

guse
les

restait

fidle

l'Empereur que son pre


;

avait loyalement servi

elle lui restait

fidle

dans

mauvais jours, alors


avait l'estime

qu'il n'y avait plus d'hon-

neurs rcolter et Marmont s'en indignait, car


elle

des

honntes

gens,

estime
allait

qu'il

ne pouvait plus conserver. L'expiation


bientt

d'ailleurs et
la

commencer pour
il

le

marchal,

jusque dans
crit

l'exil

devait tre poursuivi par

rprobation de

la

conscience publique.

M. Henri Houssaye quand le vieux marchal songeant la France o il aurait voulu aller mourir passait sur la riva dei Schia^ voni, les enfants du peuple le montraient au doigt Ecco colu ga tradi Napolon! Voil et criaient
Venise
:

celui qui a trahi

Napolon M

1.

H. Houssaye, 1814, p. 625.

CHAPITRE VHP
VIRY-CHATILLON
Tout prs de Juvisy, sur le penchant d'un coteau verdoyant, s'lve un petit bourg d'aspect ais et paisible c'est Viry-Chtillon, dont on aperoit de
:

trs

loin

la

vieille

glise

gothique,

dominant
l'glise,

d'pais massifs d'arbres.

A quelques

pas de

se dresse le chteau, longue construction blanche

du
par

xvni*^ sicle, et

qui extrieurement n'a rien de


le

remarquable; mais
le jardinier

parc qui l'entoure, dessin

Damesme, un mule de Lentre,

1.

Sources manuscrites : Papiers de la duchesse de Raguse.

Sources imprimes : 1 Lavallette : Mmoires et souvenirs publis par sa


famille, Paris, 1831.
2" 3

Mmoires du duc de Raguse. Marchand du Breuil, Journes mmorables de


2 dition, 1829.

la

Rvolution franaise,
4

Buchon

Correspondance indite de

Mme

Campan,

1835.
5 Biographie des dames de la cour et du faubourg Saint-Germain par un valet de chambre congdi, Paris,

1826.

134

PERREGAUX.

est merveilleux.
et reposant,

contempler ce dcor tranquille


Rvolution franaise
c'est l

on ne se douterait jamais qu'un des


la
:

premiers drames de

s'y

joua

le

22 juillet 1789

en

effet,

chez son

ami M. de

Sartines, qu'tait rfugi le financier

Foulon, lorsqu'une troupe d'hommes arms partis

de Paris se prsenta aux

grilles

du chteau

quatre heures du matin; Foulon, qui tait dj


lev et se promenait dans le parc, fut assailli avec

fureur et abreuv d'outrages, puis, une couronne


d'orties sur la
tte,

un bouquet de chardons
il

et

une botte de

foin derrire le dos,


il

fut tran pied

jusqu' Paris o

arriva sept heures pour tre

massacr quelques heures aprs.

La duchesse de Raguse, tout en conservant cette superbe proprit l'aspect que lui avaient donn ses prcdents possesseurs, n'avait cess de
l'agrandir et de l'embellir. C'est elle que l'on
doit le

charmant pavillon gothique qui


qu'elle eut soin
elle

s'lve

au fond du parc et dans le mme style;


y rver. Bien que
la

de meubler
lire et

aimait venir y

plupart des meubles garnissant


la

le

mort de la marchale Marmont, on y trouve cependant encore quelques souvenirs notamment une superbe jardinire en acajou avec de trs beaux ornements en cuivre, un curieux fauteuil du plus pur style Empire orn d'une bande reprsentant des danses
chteau aient t disperss
:

PERREGAUX.
grecques,
peint par

155

un dlicieux abat-jour en porcelaine

Mme

de Raguse, reprsentant d'un ct

une vue du chteau prise du jardin et de l'autre une vue de Suisse; enfin dans le pavillon bleu situ au fond du jardin, on peut contempler une
fresque trs fine reprsentant des joueurs de flte.

Ce

fut

Viry que

Mme

de Raguse apprit
rtablissement
la

le

dsastre

de Waterloo et
elle

le

des

Bourbons. Ds lors
consacrant
la

vcut loigne de
toujours
taient

cour,

majeure partie de son temps son


avait
affectionn.

chteau

qu'elle
et
:

La

musique
favorites

la

lecture

ses

occupations
fit

bibliophile

passionne

(elle

partie

de

la

Socit des Bibliophiles franais de 1820


elle

1845),

runissait

dans sa bibliothque des

ouvrages rares anciens et modernes, recherchant


de prfrence
les

exemplaires de luxe.

L'entretien de sa proprit, la surveillance de


ses rcoltes taient aussi de grandes distractions

pour

la

marchale. Elle crivait

Mme

de Vatry

Il

est bien ridicule d'offrir si

celle qui
n'est

donne de

si

peu de fruits belles fleurs, mais ceci


de
rcoltes

qu'un

chantillon

futures

et

surtout l'accomplissement d'une promesse.

Vous

madame, qu'il y a quelques annes vous doutiez du succs de certaines planavez peut-tre oubli,
tations de cdrats et limons, et

que

je

vous promis

de vous

off'rir

des prmices de ces arbustes. Je

136

PERKEGAUX.
le

VOUS apporte aujourd'hui


trez l'anne prochaine de

tiers

de

la rcolte

premire de 1825 et j'espre que vous

me

permet-

vous en donner davan-

tage, car dj celle-l s'annonce bien. Soyez assez

bonne pour manger des perdrix mon intention et convenez que mes limons valent ceux des les Borromes. Vous ignorez srement que je suis malade depuis trois mois, que je me couche
dix heures, sans quoi vous ne m'auriez pas donn
le
la

regret de voir votre

nom

chez

mon

portier

date de onze heures du soir.

madame, ainsi que monsieur de Vatry, l'expression de mes sentiments.


Agrez,
je

vous

prie,

La Marchale Duchesse de Raguse.

La duchesse de Raguse recevait beaucoup Viry o venait frquemment sa jolie et tourdie belle-sur Mme Alphonse Perregaux, ne Macdonald. Cette dernire avait
failli

jadis tre renvoye

d'couen par

Mme Campan dans


s'y

des circonstances

assez amusantes que rapporte

M. d'Hrisson*

Mme

de Smonville

rend pour essayer son


elle.

'

crdit. Elle fait dner la

jeune personne avec

Au

dessert, le chapitre de la
:

morale est entam.

Elle de rpondre

je m'en inoque! et de se lever

1.

D'Hrisson:

Souvenirs intimes du

baron Mounier.

p. 42.

PERREGAUX.
en jetant sa serviette au nez de
la

157

respectable

dame.

Sur

cette

tentative

malheureuse,
s'il

Smonville se dcide essayer

M. de russira mieux. grande

La demoiselle
confiance
:

l'aimait fort et lui montrait

vous n'avez pas su


Il

vous y prendre,
lui plaire
il

laissez-moi la cajoler.

arrive couen, la pro;

mne, parlant de tout ce qui peut


dner en tte tte.

puis
les

Peu
il

peu,

hasarde

observations sur le prsent et les conseils pour


l'avenir.

On

l'coute;

insiste sur l'inconvenance


(sa

de ce
Enfin

Je m'en

moque

rponse habituelle).

il

faut se sparer. Elle l'embrasse tendrelui,

ment. Et

ma

chre, tu

du moment N'est-ce pas, ne diras plus : je m'en moque. Non,


profitant
:

certainement,

mon
:

cher papa, soyez

tranquille.

Je ne dirai plus

je m'en

moque! je

dirai seule-

ment

je m'en fous!

Les nombreux amis que recevait


Viry, et parmi lesquels figuraient

la

duchesse

Horace Vernet,
on dansait

Denon,
et

Mme

Rcamier, Charles Cochelet, etc.,


:

venaient apporter leur tribut de gaiet

on soupait avec animation

parfois

dire des anciens


traient

du pays,

certains

mme, au invits mon-

une

telle

exubrance

qu'ils jetaient leurs

chapeaux par

les fentres.

Quelquefois

Mme

de

Raguse

se laissait entraner Paris

pour prendre

part quelque bal ou quelque fte, chez Isabey

par exemple.

Isabey

crit

Mme Campan

138

PERREGAUX.
le 27 fvrier

Hortense de Beauharnais
n'tait pas

1819 \

touil

jours amateur de mascarades, en a eu une o

permis de se prsenter sans costume du

meilleur

ou du plus bizarre got, et dont les simples dominos taient proscrits. Plus que l'galit rgnait dans cette assemble, et vous en
la liste

jugerez par

de quelques noms.

Il

y avait

entre beaucoup d'autres dont j'ignore les

noms

Mme

Gail, l'auteur

de romances;

Mme

la

duchesse

de Raguse,

Mme

Gavaudan

et sa

mre;

princesse de Chimay,

Mme

Belmont;

Mme la Mme LalleVernet et


les

mand; Levasseur, de

l'Opra;

Mmes

Burton; M. de Brac; Ponchard et sa femme;


trs plaisant
fils

Armand, du Thtre-Franais; M. de Montessuis,


en marquis; Amde Rousseau.

Mon

qui n'a pas voulu faire la dpense d'un costume

s'y est

prsent en domino et a t refus.


tait trs

La marchale Marmont
qu'en
fait
le

aime de tous
le portrait

ceux qui l'approchaient; voici d'ailleurs


satirique petit

ouvrage publi en
la

1826 sous

le titre

de Biographie des dames de

cour

du faubourg Saint-Germain par un valet C'est une grande et belle de chambre congdi femme, trs douce et trs charitable. Tout ce qui
et
:

l'entoure se loue de ses bonts.

son mari,

le

Comble ainsi que marchal Marmont, des bienfaits de

1.

Buchon Correspondance
:

indite de

Mme

Campan,

1855,

t.

II,

p. 212.

PERREGAUX.
TEmpereur,
elle

139

n'a point secou

comme

lui

le

joug importun de la reconnaissance et a su, malgr les chances de la fortune, rester fidle ses premiers souvenirs. C'est de l que vient leur division. L'interrgne la fit clater. Le cur du

duc penchait vers Louis XVIIL celui de la duchesse se prononait pour Napolon. La cour de Gand
vit le premier, celle

de Paris accueillit

la

seconde.

Tout rapprochement devint ds lors impossible. Mme de Raguse entretenait une correspondance amicale avec les fidles de l'Empire. Eugne de
en juin et aot 1823 son sjour Marienbad et ses projets de voyage sur le lac de Constance dont il esprait beaucoup pour sa sant. Lavallette, rfugi en Bavire aprs sa

Beauharnais

lui racontait

miraculeuse vasion,

la

suppliait de

lui

crire

souvent et
Starnberg*
Je ne

lui

confiait sa
il

femme

et sa fille; le

28 juillet 1816,
:

lui crivait

des bords du lac de

sais

comment vous exprimer, chre


j'ai

amie, tout ce que

vue et la lecture de votre lettre. On m'avait dit que vous tiez de ce ct-ci; je n'osais le croire. Mais une
prouv
la

lettre

de vous, je n'y pensais pas;


lettre

et je suis si loin

de toute civilisation qu'une


d'une amie,

d'un tre vivant,


terrible.

me

fait

une impression
p. 363.

Depuis

1.

Lavallette, Mmoires,

t. II,

140

PERREGAUX.
l'ai

ce malin je contient

relue dix fois et les dtails qu'elle


fait

m'ont

pleurer

comme un

enfant.

C'est la seule qui

me donne

des dtails sur cette

funeste poque

une navet

si

vous y avez mis un tel charme, vraie que j'ai retrouv en la lisant
;

et

tout ce qui m'avait

si

profondment agit dans

ce dnouement

si

extraordinaire.

Il

est

donc vrai que

ma

pauvre Emilie se

porte bien; on

me

l'avait dit,

mais pas

comme

vous. Je vous flicite toutes deux de vous tre

rapproches.
et
Ils

Vous
Ils

de l'aimer.

comprendre ne l'entendent pas dans le monde.


tes digne de la
si

n'ont jamais su ce qu'elle avait de noble, de

dvou, de courageux, avec cette figure


si

calme,

tranquille et

si

froide en apparence. Soignez:

la

tous, je vous en prie

veillez sur elle et


la

ne

souffrez pas
C'est

que

les

misrables

tourmentent.

un

tre sacr,

l'honneur de son sexe; et


ft

ce serait une honte ternelle qu'on lui

expier
si

par des perscutions une action

si

noble et
j'ai

gnreuse. Quant moi, chre amie,

pass

cinq mois dans la plus profonde solitude, avec

une nergie de cur et une hauteur d'me dont je ne savais que faire (c'est assez vous dire que je n'tais pas dcourag), mais avec une douleur
qui
je

me

jetait

dans

les convulsions.

Et cependant
Parents,

ne maudissais pas l'humanit, car, quel est


s'en plaindre?

l'homme qui a moins

amis, domestiques et jusqu' des trangers, tout

PERREGAUX.
a l parfait pour moi.
je

141

Dans ce pays-ci mme


trouver

n'aurais qu'
la

me Aommer pour

des

amis; et

honte ternelle de ces misrables,

je pourrais parcourir le continent, leur criteau

sur la poitrine, sans rencontrer une insulte. C'est


l
si

ma

consolation.
si

Mais

mon

pauvre cur est

malade,

horriblement dchir qu'il


s'puisera,

me

faut

un courage qui

pour supporter
les

ma

position. Je fais cependant tout ce qu'il faut

pour

me

distraire. Je vis

dans un trou, dans

tagnes, au milieu des eaux. J'ai

monpour compagnon
habile et avec

un bon jeune homme, dessinateur

lequel je travaille une partie de la journe. Je

passe l'autre partie recommencer les

tudes

de

ma

jeunesse et avec ces colosses de l'antiquit


le

qui se jouaient de l'adversit et supportaient

malheur avec tant de noblesse et de grce. Je prie et je pleure en pensant tout ce que j'aime et ma pauvre patrie tombe dans un avilissement tel que je n'ose plus la nommer. J'apprends la langue du pays, car mon compagnon ne sait pas

un mot de

la

mienne. Je cause avec des paysans

qui supportent tranquillement leur position, qui

sont gouverns par un souverain qu'on ne loue

pas dans les gazettes, mais qu'on bnit dans les

chaumires; qui ne connaissent ni

mon nom

ni

mes

infortunes,

mais qui paraissent disposs


l'air

m'aimer, parce que je n'ai pas

d'un mchant

homme,

et

que je leur

fais

du

bien.

142

PERREGAUX.

Les misrables qui m'ont si cruellement trait ne se doutaient pas que cette femme si faible, si
malheureuse,
si

accable serait plus forte et plus

courageuse qu'eux tous. Je ne leur veux aucun mal, le plus profond mpris m'a fait justice, mais
je

doute

qu'ils se

trouvent bien en continuant de

parcourir cette route de sang.

Je ne vous parle point de l'ami que


frre aurait t

j'ai ici

moins bon, moins gnreux. Je le vois, lui et sa famille, souvent depuis quelque temps. Ce sont des anges de bont il est heureux! et ce spectacle de bonheur me fait grand bien. Vous avez donc vu ma pauvre petite Josphine.

un

Mon Dieu que


!

deviendra-t-elle

Je frmis en pen-

sant qu'elle sera peut-tre


reuse. Hlas
!

il

m'et t

si

un jour bien malheudoux de perfectionner

son ducation! Quand je pense tout cela, je

me

frappe la tte contre les murailles et je ne sais ce

que

je ferais contre moi. Dites-moi, rptez-moi

avec une noble amie qui a t si admirable pour moi * et qui voyage aussi de ce ct rptez-moi
;

toutes que je vous reverrai, que je jouirai de votre bonheur. Car pour le mien tout est fini, et j'ai le pressentiment qu'un petit coin de terre m'attend

dans un cimetire de village.

Aimable Caroline!'
Eugne de Beauharnais. La reine Hortense. La gnrale Lallemand.

elle

est

donc avec vous.

1.

2. 3.

PERREGAUX.

145

Que Dieu vous


pris la

bnisse! elle mrite une telle amie.

Dites-moi donc o est son mari. Est-il vrai qu'il a

route de TOrient?

va-t-il? cela

m'in-

un des plus nobles caractres que j'aie trouvs. Vous reverrez nos bons amis Mollien. Dites-lui que je l'aime et que je pense lui tous les jours et longtemps chaque jour. Embrassez sa douce compagne; je lui souhaite du bonheur. C'est la dernire personne que j'aie vue, car c'est en sortant de chez elle que j'ai perdu ma libert, et sa
quite, car c'est

tendre compassion m'est reste dans le cur....

m'a donn une preuve d'amiti dont j'ai gard un doux souvenir. Pensez tous moi, et vous surtout, chre amie, dont j'aime tant le noble caractre et l'me si couil

Enfin, embrassez aussi Frville;

rageuse. J'espre que vous aimez


glais. Faut-il

mes chers An-

qu'une

si

belle action leur ait attir

une

si

odieuse perscution.

Que

vont-ils devenir?

malheur de Bruce est rel, que cela me rendra malheureux moi-mme. On paie cher une
Si le

noble conduite
adieu!

le

vice est plus heureux. Adieu!

Si vous tes rentre lors de la fte d'Emilie,

envoyez-lui une fleur de

ma

part. Voil

un mot

pour

elle.

Cette fidlit et ce dvouement ses amis, la

duchesse de Raguse devait encore

les

tmoigner

144

PERREGAUX.
pension,

quelques annes plus lard son ancienne camarade de

Hortense

de Beauharnais.

L'ex-reine de Hollande, ds qu'elle avait appris


l'arrestation

de

son

fils,

aprs l'chec du com-

plot de Strasbourg (octobre 1856) avait quitt sa

rsidence d'Arenenberg et s'tait rendue en toute

hte Viry chez

la

marchale Marmont, qui avait

mis sa maison sa disposition. La reine Hortense


esprait ainsi
tre plus porte d'intercder en
;

faveur de Louis-Napolon

mais

le

gouvernement
de sa pr-

de Louis-Philippe, ds

qu'il fut instruit

sence, lui intima l'ordre de repartir sur-le-champ.

Vainement

Mme

de Raguse

et

la

baronne de

Faverolles se rendirent Paris auprs du comte

Mole, prsident du Conseil, et lui demandrent

de surseoir quelques jours, raison du chagrin,


de
la

fatigue et de l'tat de sant trs prcaire

d'Hortense de
flexible, et la

Beauharnais;

le

ministre fut in-

mre de Napolon HI dut regagner Arenenberg o elle n'allait pas tarder mourir. C'est ces vnements que la marchale Marmont faisait allusion quand elle crivait M. Gochelet
:

Paris, ce 25

mai

1857.

que vous m'avez fait l'honneur de m'crire, monsieur, ne m'est parvenue que ces

La

lettre

PERREGAUX.

145

jours-ci aprs m'avoir t renvoye d'Arenenberg.

On vous
j'tais

a induit en erreur en vous disant


n'ai ni
le

que
l'ai

dans cette rsidence. Je


la

bonheur, ni
pleine de

douleur de soigner

la

Reine, je ne
elle

pas vue depuis six


vie,

mois; alors

tait

de force

et

de sant, malgr ses


les nouvelles

terribles anxits!

Aujourd'hui, je ne puis donc

vous parler de son tat que par


je reois

que

moi-mme qui l'entourent. Son


les

d'elle

ou par

les

personnes

tat est des plus alarmants,

mdecins ne le dissimulent pas et ils ont prononc un arrt que j'ai peine croire possible, mais que les accidents qui se renouvellent sans
cesse

ne

rendent que
depuis

trop

probable.

Elle

est

pourtant mieux

quelques jours, on est


et lui rendre

parvenu calmer ses nerfs


de sommeil.
porte d'un
lit

un peu
on
la

Mais

elle

ne se lve pas

et

un autre ou sur une chaise longue.


sont au contraire fort affligeants

Elle est fort affaiblie. Ces dtails ne sont pas trs

rassurants, et

ils

pour les amis de la Reine, qui n'y peuvent puiser aucun espoir pour l'avenir*. Je regrette, monsieur, de n'avoir pas de meilleures nouvelles

vous

donner. Votre nice tait plus porte que moi

de vous en procurer, car


la

elle tait

tablie chez

Reine, et encore aujourd'hui ses relations avec

les

dames qui l'entourent doivent


La
reine Hortense

lui faciliter

tous

1.

mourut

le 5

octobre 1837.
10

146

PERREGAUX.
moyens de vous en donner de
certaines et de

les

rcentes.

Recevez, monsieur, l'assurance de

mes

senti-

ments distingus.

La marchale duchesse de Raguse.

de Raguse qui, en 1815, possdait encore 2 millions, avait vu peu peu son patrimoine diminuer; ds 1827, elle tait oblige d'entamer un
procs en sparation de biens contre son mari
;

Mme

le

procs fut interminable, mais, finalement, la marchale obtint gain de cause en. premire instance,

puis en appel. Lors de la liquidation de la maison

de banque

Laffitte, la

duchesse de Raguse subit

des pertes considrables qui l'obligrent restreindre son train de maison et vendre son bel
htel de la rue de Paradis-Poissonnire pour aller
s'installer 65,

rue de Varenne, dans un apparte-

ment d'un
vait-elle,

loyer de 10 000 francs qu'elle conserva


Il

jusqu' sa mort.

ne m'est plus permis,

cri-

de

me

risquer dans aucune affaire d'ar-

gent.

Ma

fortune est tellement rduite que je suis

compter strictement avec moi-mme. C'est un fait assez connu pour que mon patronage, qui ne peut plus contribuer la russite d'aucune
force de
entreprise, ne ft,

au contraire, considr comme


la

une tmrit qui nuirait

confiance qu'avant

PERREGAUX.
tout,
cs.

147
le

on

doit rechercher

pour en assurer

suc-

Au lendemain
Marmont
crivit

de

la

Rvolution de 1830, quand

s'apprtait quitter la France, sa

femme

eut piti de celui qu'elle avait jadis tant aim, et

au duc Decazes et Pasquier pour intercder en sa faveur. Ne manquez pas, mon cher duc , crivait-elle Decazes le 29 septembre 1830, de parler au duc de Broglie dans le sens dont nous sommes convenus et de lui faire sentir l'absurdit

des scrupules qu'on a pour rgulariser la

position d'un

homme

qui n'est ni proscrit, ni en

jugement

et insistez sur l'injustice qu'il


et

y aurait

de refuser son serment

par consquent arriver


le

par ce moyen insidieux

rayer des contrles de

l'arme pour avoir son bton donner quelque


autre. Insistez surtout sur le
sit qu'il

manque de gnro-

y aurait de

la part

de quelques individus
Conseil qui lui ont

ne pas lever la voix en sa faveur lorsqu'il y a

plus d'un individu dans

le

l'obligation de n'avoir pas t arrts

pendant
le

les

fameuses journes.
voir.

Plus tard, quand

marchal
alla le

se fut fix Venise, la duchesse de

Raguse

Les vnements qui m'ont fait quitter la France , crit Marmont, ont sembl rappeler en

pour moi. J'ai tant de peine har, je trouve tant de douceur dans les sentiments opposs la haine que je me
elle

quelques

bons

sentiments

148

PERREGAUX.
montr sensible son
intrt.
<

suis

Ce

fut la

dernire fois qu'elle vit son mari.

Il

est encore
et saute

trs leste , racontait-elle ses amis,

avec agilit dans


faire

les

gondoles, je n'ai pas pu en

autant avec mes pattes.


la

Les dernires annes de


se passrent dans
plet,

duchesse de Raguse

un isolement peu prs com-

car toutes ses amies taient mortes successi-

vement. Conservant un certain train de maison

malgr sa pnurie d'argent,


voitures, quatre chevaux,

elle avait

encore des

deux cochers, un jardinier, un matre d'htel et un valet de chambre nomm Vidal, dont la mre tait depuis longtemps son service en qualit de femme de chambre. Ce
personnel arrivait
trs
la

difficilement

se

faire

payer

et
:

taxait

marchale
lui

d'avarisme

et

d'gosme

c'est d'ailleurs la rputation qu'elle a

laisse Viry
fait

o on
la

reproche de n'avoir pas


et

de largesses
les

commune

de n'avoir donn
le village

pendant

cinquante ans qu'elle habita

qu'un bnitier en pierre qui se trouve l'entre de


l'glise et

deux bannires; sa mort elle laissa pourtant 2000 francs aux pauvres. *Peut-tre, comme beaucoup de vieillards, la marchale Marmont tait-elle devenue un peu goste et d'une humeur difficile la fin de sa vie, mais on ne saurait lui en faire un crime d'ailleurs elle tait oblige de compter pour conserver sa proprit de
;

Viry qui

tait sa seule joie et sa seule distraction.

PERREGAUX.

149

Marmont
ne
lui

tait

mort Venise en 1852. Sa femme


dfile

survcut pas longtemps. Horriblement

gure par un cancer que soignait


elle avait

docteur Larrey,
et

d subir une opration

on

lui avait

mis un nez d'argent, ce qui

faisait dire

tants de Viry qui la voyaient sortir

aux habiseulement pour


couverte d'un
d'argent,

aller l'glise et la figure toujours

fichu de dentelles noires

Elle a

un nez

mais pas un cur d'or

La duchesse de Raguse

mourut Paris dans son appartement de la rue de Varenne le 25 aot 1855, ge de 78 ans, et fut enterre au Pre-Lachaise o on peut contempler
son

magnifique

monument surmont

de

ses

armes.

FIN

TABLE DES MATIRES

Introduction

Chapitre
Chapitre Chapitre
Chapitre
Chapitre

I.

Le
la

monde

financier la veille de
1
.

Rvolution

Chapitre
Chapitre

Un banquier sous la Rvolution. Le Directoire IV. Le mariage de Marmont V. Le jeune mnage VI. Les dernires annes de Perregaux. VIL Le mnage Marmont sous l'Empire.
II.

17

III.

39
51

69

105

115
133

Chapitre

VIII.

Viry-Chtillon

54627.

Imprimerie Lahure, rue de Fleurus,

9, Paris.

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