Jacques-Alain Miller, L'Autre Qui N'existe Pas - Cours 1995-1996 - Leçons 1-19

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E. LAURENT, J.-A.

MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 1



1
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Premire sance de sminaire
(mercredi 20 novembre 1996)

Jacques-Alain Miller : Cest sous ce titre, lAutre qui nexiste pas et ses comits
dthique quric Laurent et Jacques-Alain Miller, tous les deux, nous commenons un
sminaire qui se poursuivra tout au long de cette anne dans cette salle cette mme heure.
Nous commenons deux, mais, conformment la notion qui est celle du sminaire, nous
esprons le poursuivre de temps autre avec dautres, plusieurs, avec le renfort que pourront
ventuellement nous apporter ceux qui voudront bien nous rejoindre dans cette laboration.
Il y a une relation entre dune part le titre sous lequel nous situons notre point de dpart, le
thme de linexistence de lAutre et de lthique concocte en comit et dautre part le mode
sous lequel nous entendons travailler et prsenter ce travail devant vous savoir celui de ce
jour. Si nous avons choisi de runir et de fusionner les thmes que nous avions dtermins et
annoncs chacun de notre ct, si nous avons choisi de nous retrouver ensemble cette
tribune, si nous avons choisi denseigner sur le mode du sminaire cest dabord pour la
raison suivante : cest aux fins de mettre en vidence, dexhiber, jirais mme jusqu dire de
mettre en scne ce dont il sagit, cest--dire prcisment que lAutre grand A nexiste pas, de
mettre en vidence que nous renonons cette anne au monologue enseignant, qui, quoiquon
en ait, fait croire lAutre, lAutre singulier, majuscule, unique, lAutre de rfrence et
que nous prfrons, tant donn ce dont il sagit, nous prfrons vous prsenter lAutre de
lenseignement sous une forme double, ddouble.
Ce tandem est ainsi lamorce dun pluriel. Si dj on franchit la prison de lUn, de lUn
Autre pour passer au Deux, alors tous les espoirs sont permis et peut tre tous les dsespoirs
sont permis.
Si nous prsentons ici deux, cest pour affaiblir lAutre, conformment notre thse de
dpart. Cest pour lbranler, le miner, le ruiner, le rvler dans sa ruine. Et cest aussi du
mme coup constituer le comit, pour esquisser le comit, pour jouer au comit, pour
manifester ainsi que linexistence de lAutre ouvre prcisment lpoque des comits. Celle
o il y a dbat, controverse, polylogue, conflit, bauche de consensus, dissension,
communaut avouable ou inavouable, partialit, scepticisme et cela sur le vrai, sur le bon, sur
le beau, sur ce que parler veut dire, sur les mots et les choses, sur le rel. Et ce, sans la
scurit de lIde majuscule, sans celle de la tradition, ni mme sans la scurit du sens
commun.
Est-ce cela qui a t proclam par le dit fameux Dieu est mort ? Certainement pas, car la
mort de Dieu comme celle du pre, mis en scne par Freud dans son Totem et Tabou, ne met
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fin au pouvoir daucun, ni de Dieu ni du pre, mais au contraire lternise, sert de voile la
castration.
La mort de Dieu est contemporaine de ce qui sest tabli dans la psychanalyse comme rgne
du Nom-du-Pre. Et le Nom-du-Pre cest au moins ici en premire approximation, comme le
signifiant que lAutre existe. Le rgne du Nom-du-Pre correspond dans la psychanalyse
lpoque de Freud. Si Lacan la dgag, mis au jour, formalis, ce nest pas pour y adhrer, ce
nest pas pour le continuer, le Nom-du-Pre, cest pour y mettre fin. Cest ce qui sannonce
sous les espces du mathme quon lit grand S de A barr, signifiant de lAutre barr,
cest ce qui dans lenseignement de Lacan sest annonc ici et qui a clat lorsquil en a donn
la lecture du pluralisme des Nom-du-Pre, la lecture Les Non-dupes errent, en mettant le
Nom-du-Pre au pluriel.
Et non seulement cette lecture de ce mathme, pluralise le Nom-du-Pre mais encore elle
leffrite, elle le dvaste au-del du rel et ce par lquivoque, en attaquant le lien du signifiant
ce quon croit tre son, entre guillemets, signifi . Cest lquivoque clbre entre les
Noms-du-Pre et les Non-dupes-errent, quoi Lacan a t logiquement amen partir de son
sminaire Encore, que jai comment en partie lanne dernire, mon cours, et cette
quivoque consacre celle de linexistence de lAutre.
Linexistence de lAutre ouvre vritablement ce que nous appellerons lpoque lacanienne
de la psychanalyse. Et cette poque cest la ntre. Pour le dire autrement, cest la
psychanalyse de lpoque de lerrance, cest la psychanalyse de lpoque des non-dupes.
De quoi sont-ils non-dupes ces non-dupes ? Certes ils ne sont plus, plus ou moins, plus
dupes des Noms-du-Pre, au-del ils ne sont plus, plus ou moins plus dupes de lexistence de
lAutre. Ils savent explicitement, implicitement, en le mconnaissant, inconsciemment mais
ils savent, que lAutre nest quun semblant. De l lpoque, la ntre, lactuelle voit sinscrire
son horizon, tout autre horizon que le mur, la sentence que tout nest que semblant.
Lpoque en effet est prise dans le mouvement, toujours sacclrant, dune dmatrialisation
vertigineuse, qui va jusqu nimber dangoisse la question du rel. Cette poque est celle o le
rel, ou plutt le sens du rel est devenu une question.
Nous aurons sans doute examiner des travaux contemporains, actuels de philosophie o
stale aussi bien la mise en question que la dfense du rel. Et qui tmoignent, dans les
livres, sous des modalits naves, sophistiques, la douleur des non dupes quant aux statuts et
quant lexistence du rel. Sil y a crise aujourdhui, on nest pas sr que le mot soit
appropri, mais sil y a crise ce nest pas, me semble-t-il - jai dit me semble-t-il parce que
nous ne nous sommes pas concerts sur tout, nous ne nous sommes pas raconts avant
loccasion ce que nous allions dire chacun sinon on sennuierait, nous avons fix ensemble
une orientation, une direction, quelques repres, chang quelques faxs et puis nous
marchons.
Donc je dcouvrirai avec vous exactement ce quric Laurent a prpar comme lui-mme il
le dcouvre maintenant pour moi. Ce qui est fix, cest que nous sommes quand mme sur des
rails - sil y a crise, je ne sais pas si on doit dire quil y a crise ou non, mais enfin sil y a crise
ce nest pas, me semble-t-il comme lpoque de Descartes une crise du savoir. Do
Descartes a pu forer lissue de cette crise du savoir par le promotion du savoir scientifique.
Jaimerais bien quon y revienne au cours de lanne. Une crise, la crise de lpoque
cartsienne, est une crise dont le ressort sans doute principal a t lquivoque, lquivoque,
oui, la fameuse quivoque introduite dans la lecture du signifiant biblique. quivoque qui est
due lirruption de la Rforme. Et donc on a assist une crise de linterprtation du message
divin qui a mis lEurope feu et sang. Cette crise elle-mme succdant au retour aux textes
de la sagesse antique grco-romaine, la Renaissance.
Mais cette crise du savoir, quil faudrait dcrire avec bien plus de dtails, de minutie que je
ne le fais, cette crise du savoir, de linterprtation, ne touchait pas au rel, elle ne touchait pas
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linstance de Dieu comme tant le rel. De Dieu, quil existe, cest le titre que Descartes
donne la troisime mditation laquelle je me suis rfr pour avancer le titre LAutre
nexiste pas.
Cest l au fond la mutation scientifique que Dieu nait plus tre seulement lobjet de
lacte de foi mais bien celui dune dmonstration adossant la solitude assige, prcaire, du
cogito, un rel qui ne trompe pas. Et ce rel, cette poque, tait en mesure de mettre le
sujet labri de semblants, des simulacres, disons des hallucinations.
En revanche aujourdhui sil y a crise, cest une crise du rel. Est-ce une crise ? ce mot
on peut prfrer le mot de Freud, malaise, on pourrait dire il y a du malaise quant au rel,
mais le mot de malaise est peut-tre en passe dtre dpass. En effet, limmersion du sujet
contemporain dans les semblants fait dsormais pour tous du rel une question. Une question
dont ce nest pas trop de dire quelle se dessine sur fond dangoisse et il y a l sans doute
comme une inversion paradoxale.
Cest le discours de la science qui a depuis lge classique fix le sens du rel pour notre
civilisation et cest, rappelons-le, partir de lassurance prise de cette fixion (avec un x)
scientifique du rel, cest partir de cette fixion scientifique du rel que Freud a pu dcouvrir
linconscient et inventer le dispositif sculaire dont nous faisons encore usage, a marche
encore. La pratique que nous nous vouons perptuer sous le nom de psychanalyse, cette
pratique a t rendue possible par la fixion (avec un x) scientifique du rel qui au temps de
Freud il faut le dire tenait encore et mme faisait lobjet dune valorisation spciale sous les
espces de lidologie scientiste, quoi Freud a particip largement.
Or, je mavance, le monde de semblants issus de nul autre discours que du discours de la
science a dsormais pris le tour, ce nest pas aujourdhui, ce nest pas non plus..., mais enfin
cest en cours, a pris le tour de dissoudre la fixion (avec un x) du rel au point que la question
Quest-ce que le rel ? na plus que des rponses contradictoires, inconsistantes, en tout les
cas incertaines.
Et bien ce lieu entre semblant et rel, ce lieu de tension, ce lieu dmotions, entre semblant
et rel, ce lieu de rflexion aussi, cest dsormais l quil nous appartient de dplacer la
psychanalyse pour la mettre sa juste place.
ric Laurent a dans la pass soulign la porte de la phrase ou du Witz de Lacan On peut se
passer du Nom-du-Pre condition de sen servir. Comment lentendons-nous aujourdhui ?
Peut-tre ainsi : on peut se passer du Nom-du-Pre en tant que rel condition de sen servir
comme semblant et on peut dire que la psychanalyse mme, cest a, pour autant que cest
titre ou en place de semblant que le psychanalyste entre dans lopration qui saccomplit sous
sa direction ds quil soffre comme la cause du dsir de lanalysant pour lui permettre de
produire les signifiants qui ont prsid ses identifications. Cest en tout cas le schma, le
commentaire du schma donn par Lacan comme tant celui du discours analytique.
Mais aussi bien lusage des semblants est vain, inoprant, voire foncirement nocif si
impasse est faite sur le rel dont il sagit. Il y a du rel dans lexprience analytique.
Linexistence de lAutre nest pas antinomique au rel, au contraire elle lui est corrlative.
Mais ce rel, celui dont jai dit il y a du rel dans lexprience analytique, ce rel nest pas le
rel du discours de la science, nest pas ce rel gangren par les semblants mmes qui en sont
issus et quon est rduit pour le situer aborder comme on le fait depuis toujours, on est rduit
pour le situer, ce rel, laborder par les noms. Cest au contraire le rel propre
linconscient, du moins celui dont, selon lexpression de Lacan, linconscient tmoigne.
mesure que lempire des semblants steint, il importe dautant plus de maintenir dans la
psychanalyse lorientation vers le rel. Cest tout le sens, la porte de lultime tentative de
Lacan, consistant prsenter le rel propre la psychanalyse en le rendant prsent, visible,
touchable, manipulable, sous les espces des nuds borromens et autres. Que cette tentative
ait t concluante ou non, elle tmoigne que lorientation lacanienne cest lorientation vers le
rel, car le nud, susceptible de se manifester sous les formes visibles les plus diffrentes, cet
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objet par excellence flexible, pluriel, bien l et aussi qui se drobe, chappant comme dit
Mallarm, cet objet louvoyant, divers, aux apparences innombrables, aux apparences, aux
silhouettes, aux facettes innombrables, cet objet nest pas un semblant. Il est, aussi bien que le
nombre, de lordre du rel et cest pourquoi Lacan a voulu, aurait voulu, en faire le
tmoignage, la manifestation du rel propre la psychanalyse. Que le rel propre la
psychanalyse cest quelque chose comme a. Cest a, pouvoir dire le rel de la psychanalyse,
dans la psychanalyse, cest cela. Et ce nest pas un semblant, mme si a bouge mme si a a
des aspects insaisissables. Jai dit que ce nud tait aussi bien que le nombre de lordre du
rel et il a par rapport au nombre le privilge de ntre pas chiffr et de navoir pas de sens.
Et la leon en tirer cest quil importe dans la psychanalyse de maintenir, si je puis dire, le
cap sur le rel et cela nimporte pas que dans la psychanalyse. Cela importe aussi bien au
malaise dans la civilisation, la civilisation, nous laissons au singulier, bien quil y ait les
civilisations et quon annonce dj pour le sicle prochain que lhistoire sera faite du choc de
la rivalit, de la guerre des civilisations. Cest la thse toute rcente et fort discute, dun
professeur amricain qui pourrait nous retenir un moment cette anne.
Mais il y a aussi la civilisation au singulier. Lhgemon, cest dhgmonique nest-ce pas,
lhgmon scientifique et capitaliste, dont lemprise, quon pourrait dire totalitaire, est
aujourdhui devenue patente et que lon dsigne ici dans notre contre comme la
globalisation. Cette globalisation entrane, traverse, fissure et peut-tre mme dj fusionne
les civilisations. Dans ce malaise ou ce vertige global, la psychanalyse a sa place.
Elle en subit les effets quotidiens dans sa pratique, mais aussi elle a sa partie tenir qui
nintresse pas que sa discipline qui importe ceux et celles qui habitent avec nous le
malaise.
Lacan pouvait crire, y a une ternit, en 1953, dans son Rapport de Rome, la
psychanalyse a jouer un rle dans la direction de la subjectivit moderne et elle ne saurait le
soutenir sans lordonner au mouvement qui dans la science llucide.
Le contexte daujourdhui est tout diffrent, mais la question reste de savoir quel rle peut
en effet soutenir la psychanalyse dans ce que Lacan appelait la direction de la subjectivit
moderne. Et pour notre comit cest de cela quil sera question cette anne, de la direction de
la subjectivit moderne, voire post-moderne - on ne va pas pouvoir viter le mot - disons la
subjectivit contemporaine, du rle que la psychanalyse peut y soutenir des impasses
croissantes de notre civilisation entre guillemets, dont Lacan voyait dans le malaise freudien
le pressentiment et dont il annonait, Lacan, que la psychanalyse pourrait faire dfaut, rendre
ses armes.
Jen ai dit assez, prcdemment, pour indiquer la voie o nous entendons engager notre
effort, la subjectivit contemporaine, je ne sais pas si nous garderons cette expression,
commode pour lancer ce mouvement, la subjectivit contemporaine est entran, captiv,
roule, cest le cas de le dire, dans un mouvement peu rsistible, qui la submerge
industriellement de semblants, dont la production toujours acclre constitue dsormais un
monde qui ne laisse plus lide de nature quune fonction de nostalgie, quun avenir de
conservatoire, despces protges, de zoo, de muse.
Et le symbolique ? Et bien le symbolique contemporain, l o il est vif, l o il est
productif, l o il est intense, le symbolique contemporain, l o il concerne le sujet et ses
affects, le symbolique contemporain est comme asservi limaginaire, comme en continuit
avec lui. Loin que ce symbolique soit en mesure de percer, traverser limaginaire comme le
comportait le schma L de Lacan, que jai longuement comment, voire fait varier dans mon
cours, ce schma, qui est en fait bas sur un X, et o la flche du symbolique traverse mme si
elle peut freiner, parfois arrter, ralentir, traverse laxe de limaginaire.
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Voil le schma, le squelette du schma qui tait pour Lacan fondamental. Une opposition
franche, nette, du symbolique et de limaginaire et la notion dune traverse dialectique du
symbolique par rapport limaginaire.
Le symbolique contemporain naccomplit plus dsormais cette traverse dialectique, quoi
jadis Lacan ordonnait lexprience analytique. Et on pourrait croire au contraire que le
symbolique se voue limage quand on voit, comme dans nos ordinateurs, quil se dissimule
comme hardware, derrire lcran o il miroite comme semblant.
Dans ce paysage dapocalypse, dapocalypse confortable, pour un certain nombre en tout
cas, dans ce paysage dapocalypse le rle que la psychanalyse a soutenir ne souffre pas
dambigut, cest le rappel du rel qui lui revient dannoncer. Et cest ce que Lacan a indiqu
pour finir : que la vrit ait structure de fiction, cette fois-ci crit i-c-t, que la vrit ait
structure de fiction, nest que trop vrai, et cest au point que dsormais la structure de fiction a
submerg la vrit, quelle linclue, quelle lavale. La vrit est prospre sans doute, elle sy
multiplie, elle sy pluralise mais elle y est comme morte, cest l que simpose cette dsutude
fictionnelle de la vrit, cest l que simpose le retour au rel comme ce qui na pas de
structure de fiction.
Le privilge de la psychanalyse, encore faudrait-il quelle leut connu, quelle lait appris de
Lacan, le privilge de la psychanalyse cest le rapport univoque quelle soutient au rel. Ce
nest que des autres discours nonait Lacan, en 1967, ce nest que des autres discours, ceux
qui ne sont pas des discours analytiques, ce nest que des autres discours que le rel vient
flotter.
Lusage contemporain du terme de dpression perd videmment beaucoup, fait ici
symptme du rapport au rel quand il savre dans la clinique comme limpossible
supporter. le leurrer de semblants on ne peut en effet que le faire fuir. La clinique
psychanalytique est le site propre du rel dont il sagit. Cest l, dans la pratique, que stablit
le rapport au rel, et cest l que depuis des annes nous nous attachons, la Section clinique,
au Dpartement de psychanalyse, dans les diverses Sections cliniques qui existent, en France
et ailleurs, cest l que depuis des annes nous nous attachons mettre le rel en vidence
dans son relief, dans son horographie.
Cette anne il sagira seulement pour nous de mettre ce rel explicitement en relation avec
la civilisation, une civilisation qui nest sans doute plus lge du malaise, pour tre entre
dcidment dans les portes de limpasse. Limpasse tant en particulier patente au niveau de
lthique. La solution victorienne qui prvalait encore au temps de Freud, celle dune thique
capitaliste des vertus, a t emporte et si elle revient aujourdhui, cest toujours sous des
formes drisoires, et inconsistantes, pour prendre la peine de regarder quelques exemples.
La nouvelle thique se cherche, mais elle ne se trouve pas. Elle se cherche par la voie
quric Laurent a souligne comme tant celle des comits. Cest une pratique de bavardage,
comme telle assourdissante mais qui, la diffrence du bavardage analytique, na pas la
chance de dlivrer un rapport au rel qui ne flotte pas. La faillite de lhumanitaire se dclare
tous les jours comme prvu par Lacan. Comment lhumanitaire rsisterait-il au calcul
universel de la plus-value et du plus-de-jouir ?
Nous nallons pas faire du journal la prire du matin du psychanalyste, mais enfin nous
allons lire les journaux, cette anne, parce que comment oprer tous les jours dans la pratique
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sans inscrire le symptme dans le contexte actuel du lien social qui le dtermine dans sa
forme, pour autant quil le dtermine dans sa forme.
Nous avons lintention, ric Laurent et moi, daffirmer cette anne la dimension sociale du
symptme. Affirmer le social dans le symptme. Le social du symptme nest pas
contradictoire avec la thse de linexistence de lAutre. Au contraire linexistence de lAutre
implique et explique la promotion du lien social dans le vide hic et nunc. En nous intressant
ce que nous allons isoler comme des phnomnes de civilisation, nous nentendons pas nous
divertir dune clinique qui est celle du rel mais bien au contraire prendre la perspective quil
faut et qui comporte un recul pour cerner ce rel en ce lieu.
Prenons lidentification. Jai voqu comme tant bien connue de la plupart la production
par lanalysant des signifiants de lidentification comme ce qui est attendu de lopration
analytique selon la lecture la plus simple du schma du discours analytique.
Or, lidentification fait prcisment comme tel lien social, elle est en elle-mme lien social
et cest pourquoi Freud a pu glisser sans peine de lanalyse subjective la
Massenpsychologie, et retour, pour construire sa thorie de lidentification. Qui peut penser
par exemple que lidentification au signifiant tre une femme, reste intouche par la
spectaculaire mutation qui, de la proclamation rvolutionnaire des Droits de lhomme, a
conduit lmancipation juridique et politique des femmes, jusqu la rvolte proprement
thique du fminisme dont lincidence se fait sentir tous les niveaux du nouvel American
way of life, bien diffrent de ce quil tait dans le Rapport de Rome, depuis le contrat de
travail jusquau mode de relation sexuelle.
Quest-ce qui reste invariable de lhomosexualit et quest-ce qui en change quand lAutre
social y fait dsormais accueil dune faon toute autre, et quune norme nouvelle est en cours
dlaboration, confrant une lgitimit indite et de masse aux liens homosexuels et cela nest
pas confin San Francisco.
Notez, jai vu lan dernier des comits dthique, des comits spontans, ce que lon
appelait avant ric Laurent des conversations de bistrot, jai vu lan dernier des comits
spontans dthique se former en Italie, quand, oh surprise !, la couronne de Miss Italie fut
donne une africaine. La superbe, dont tmoignait le comment peut-on tre persan cde
aujourdhui pour laisser place un comment peut-on tre franais ? Comment peut-on tre
encore franais ? Interrogation qui taraude un peuple, jusqu la dpression collective, un
peuple dont les idaux universalistes tablis sur des certitudes identificatoires millnaires,
sont dmentis par lactuelle globalisation.
Non seulement ce sminaire ne pourra sabstraire de ce contexte, mais il ne saurait le faire
et cest pourquoi nous trouverons sans doute nos rfrences lectives cette anne dans les
phnomnes de la civilisation amricaine. Pour le dire rapidement les symptmes dans la
civilisation sont dabord dchiffrer aux tats-Unis dAmrique et il nest pas vain de le faire
depuis la France qui est beaucoup dgard lAutre des tats-Unis, universalisme versus
globalisation, ce sera au moins notre chapitre U.S., lire United Symptom.
A la fin du Chapitre V du Malaise dans la civilisation, Freud prcise, cest lextrme fin du
chapitre, la dernire phrase, prcise quil rsiste la tentation dentamer une critique de
ltat prsent de la civilisation en Amrique . Et bien nous avons lintention de ne pas
rsister cette critique.
Elle porte dailleurs sur un point trs prcis, ce que Freud en pointe, il donne un tout petit
aperu que alors quen Europe on pratique plus volontiers lidentification verticale au leader
qui permet, qui met en action la sublimation dune faon puissante, et il a quelque mrite de le
dire au moment o il le dit, puisque a conduit ses contemporains un certain nombre de
difficults dans la civilisation en mme temps, alors quen Europe on est lidentification
verticale, les tats-Unis, dit-il, la sacrifient au bnfice de ce quon peut appeler
lidentification horizontale des membres de la socit entre eux. Non pas identification au
plus-un mais identification horizontale des membres de la socit entre eux. Ce nest sans
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doute pas excessif dy voir le pressentiment de lAutre qui nexiste pas et de son
remplacement par la circulation des comits dthique.
Jai voqu lidentification pour marquer la dimension sociale des concepts les plus
fondamentaux de la psychanalyse, pourquoi ne pas parler de pulsion ? Le malaise dans la
civilisation nous restera bien entendu prsent tout au long de lanne. Et quand il faut Freud
inventer la pulsion un partenaire, quelle est linstance qui pour lui est partenaire de la
pulsion ? Cest celle quil a dnomme surmoi, et il peut la rfrer au seul Ich, au seul moi, au
seul je et elle dborde le sujet, cette instance. Linstance dont il fait, qui lui sert penser la
pulsion, ne peut tre par Freud mme situe quau niveau de ce quil appelle la civilisation.
Cest ce niveau l quau moins dans cet ouvrage il pense les avatars de la pulsion, les
renoncements comme les sublimations.
Cest Freud qui implique l, quand il sagit de parler de la pulsion, cest lui qui implique la
civilisation. Alors allons jusque l, quest-ce quune civilisation ? Disons que cest un systme
de distribution de la jouissance partir de semblants. Dans la perspective analytique, cest--
dire dans celle du surmoi, et nous ne pouvons pas faire mieux que le concept de surmoi, dans
la perpective analytique, une civilisation cest un mode de jouissance, et mme un mode
commun de jouissance, une rpartition systmatise des moyens et des manires de jouir.
Bon, on en dira davantage sur quest-ce quune civilisation, quitte revenir mme
lhistorique du mot, lopposer la culture, etc., mais enfin a fera office pour linstant,
puisque je nai plus que deux minutes et je passe la parole.
Comment la clinique psychanalytique pourrait-elle tre indiffrente au rgime de
civilisation o nous, ici, entrons maintenant sur la voie o les United symptoms nous ont
prcds ? Comment la clinique serait-elle indiffrente cette voie, si cette voie est bien celle
que lon pourrait appeler du terme freudien dHilflosigkeit, Hilflosigkeit capitaliste, la dtresse
organise, envers les fondements de limpratif de rentabilit. Cest donc un peu de nostalgie,
mme illusoire : la civilisation antique comportait que lon soigna lesclave, jabrge, la notre
quon angoisse mthodiquement le salari.
Il faut ici prvenir une inquitude, qui peut natre de ce que nous voulions introduire dans la
clinique un relativisme social. cela, cette inquitude, jopposerai le rappel, cest par Lacan,
ds ses Complexes familiaux, ds le texte de ses Complexes familiaux en 1938, que ldipe
ne se fonde pas hors de la relativit sociologique. Et que la fonction du pre est lie la
prvalence dune dtermination sociale, celle de la famille paternaliste. Et lpoque, il faisait
une rfrence expresse lenqute ethnologique de Malinowski en Mlansie o comme on
sait cest loncle maternel qui reprsente lautorit familiale, donc au lieu que le pre cumule
sur sa personne la fois les fonctions rpressives et la sublimation, a se trouve rparti en
deux, loncle maternel assurant lautorit et la rpression, et le pre gentiment les activits
sublimatoires.
Selon Malinowski il sensuivait, de ce dispositif social distinct, il sensuivait un quilibre
diffrent du psychisme, disait Lacan, attest par labsence de nvrose. Do la notion que le
complexe ddipe est relatif une structure sociale et que loin dtre le paradis, la sparation
de rpression et sublimation avait comme consquence une strotypie des crations
subjectives dans ces socits.
Que Lacan ait labor le mythe freudien ensuite, jusqu le formaliser sur le modle
linguistique de la mtaphore, ne veut pas dire quil ait jamais nglig sa relativit. Il en a
mme annonc le dclin en 1938, les formes de nvrose dominantes la fin du sicle
dernier semblent, depuis le temps de Freud, avoir volu dans le sens dun complexe
caractriel , donc en 38 il notait dj une volution des formes de nvroses dominantes, par
rapport la fin du 19
eme
sicle, avoir volu dans le sens dun complexe caractriel o on
peut reconnatre, disait-il la grande nvrose contemporaine . Il en dsignait lpoque la
dtermination principale dans la carence du pre dont la personnalit est, dit-il, absente,
humilie, divise, ou postiche.
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Le Nom-du-Pre a pu passer pour une restauration du pre, par Lacan. Alors que ctait tout
autre chose, alors que ctait un concept du retour Freud, qui ntait fait, prcisment par sa
formalisation mme, que pour en dmontrer le semblant, et ouvrir sa pluralisation. Est-ce
quaujourdhui nous pouvons parler dune grande nvrose contemporaine ? Si on pouvait le
faire, alors on pourrait dire que sa dtermination principale cest linexistence de lAutre en
tant quelle rive le sujet la chasse au plus-de-jouir. Le Surmoi freudien a produit des trucs
comme linterdit, le devoir, voire la culpabilit, autant de termes qui font exister lAutre, ce
sont les semblants de lAutre, ils supposent lAutre. Le surmoi lacanien, celui que Lacan a
dgag dans Encore, produit lui un impratif tout diffrent : Jouis. a, ce surmoi l, cest le
surmoi de notre civilisation.
Je termine, pour passer la parole lAutre (rires). Bien sr le surmoi lacanien rend compte
des donnes rassembles par Freud, il est la vrit du surmoi freudien, et le fait quil soit
maintenant nonc en clair, a traduit le passage au nouveau rgime de la civilisation
contemporaine. Je reprendrai la parole par la suite.
ric Laurent :
Il nest sans doute pas un hasard que le terme de comit dthique ait prolifr sur le secteur
des pratiques sociales lies la vie, et que lon touche par l, dans ce terme qui a connu sa
chance dans le vocabulaire contemporain, on touche au traitement moderne, aux difficults
appliquer une morale comme guide de vie.
LAutre de la civilisation se trouve confront une srie dimpasses diagnostiquer,
appliquer, rduire les effets des commandements universels ou des idaux qui veulent
embrasser des vastes domaines. Impasse est en effet le terme que Jacques-Alain Miller vient
de faire rsonner dans toute sa porte.
Donc perte de confiance dans les signifiants matres, nostalgie des grands desseins. Sur les
pas de lAutre de limpratif, surgissent des problmes locaux, toujours plus nombreux, qui se
rebellent et qui font objection son application.
Lurgence de notre modernit ne nous fait pas oublier bien sr que la dialectique de
limpratif et de la casuistique fut un tourment constant. Limpratif peut contourner
lobstacle de diverses manires, par exemple en ritualisant, en inventant un rituel local, ad
hoc, qui permet de contourner la difficult ou bien au contraire en sen sortant par le haut, en
inventant un commandement plus gnralis qui affirme en toute invraisemblance quil ne
connat aucune difficult dapplication et quil ny a que plus dhonneur trouver comment
sapplique le commandement, l o il ne peut ltre.
La casuistique rituelle de la loi peut sidentifier la loi mme, par exemple la faon dont
dans le common law anglais, on est pass au rgime moderne de la loi, ou bien au contraire,
sur le modle chrtien du commandement simple, on peut vouloir un espace allg, sans
beaucoup de lois, o limpratif sortirait grandi. Ctait le souhait de Saint Just. Nous avons
eu droit tout, depuis que le monothisme universel nous a coup de la solution des dieux
locaux.
chaque problme il y avait non pas un impratif mais un dieu. Ennui sexuel, temple de la
Vnus du matin, temple pour la Vnus de laprs-midi, temple de la Vnus du lieu. Les
difficults un endroit permettaient dtre surmontes lautre. On obtenait certes un Univers
peupl de dieux, mais au moins qui ntait pas infest dimpratifs. Ctait un univers peupl
de jouissance locales, contradictoires, dont les insignes et attributs, prescriptions, donnaient
des listes inconsistantes, nigmatiques, laissant la volont des dieux en qute dun interprte,
quelque soient les listes que lon puisse multiplier. Cest ce qui fait que dans la multiplicit
des cits grecques, on se donnait tout de mme rendez-vous au moins trois endroits, pour
aller chercher lOracle, la solution, qui nnonait ni le vrai, ni le faux, mais qui indiquait o
se nichait le problme de la jouissance coupable.
Cest ainsi que va procder dipe, il ira Delphes chercher lOracle pour sy retrouver. Et
l quelque soit la diversit des discours tenus sur les dieux et leur domaine, qui varie selon les
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 9

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cits et les poques, un air de famille sy retrouve pour que en effet Olympie, Delphes et
Delos, un certain nombre se chargent de maintenir le cap du discours sur le divin.
Le mode de procder des cits grecques est trs distinct videmment, dans leur rapport avec
le divin, de celui que mettent en place les tats centraliss qui, avant le monothisme
universel, disposent de lcriture pour classer les dieux. Les rois, rgulirement, rorganisent
les Panthons, et refont les liste des dieux en sappuyant sur le savoir des prtres. Cest le
pouvoir central qui dcide de redessiner la carte des sanctuaires et de restructurer la socit
des dieux. Marcel Detienne, dans ses travaux, peut citer lexemple du monde hittite o, lors de
la prise de pouvoir dun Roi, trois groupes, divinits de lorage, divinits de la fcondit et
puissances de la guerre, sont rorganiss, rorganisent une longue liste de noms divins. Les
administrateurs du nouveau panthon sont nomms par la loi, eux de loger les nouvelles
idoles, dans des temples en matriaux durs, et aussi de rpartir interdit et puissance.
Nous disposons au Louvre dune liste datant du deuxime millnaire, o quatre cent
soixante treize divinits sont catalogues, distribues en grande familles autour de quinze
groupes, grce lcriture, exgses thologiques des dieux, recherchant le cap travers la
pluralit de leurs noms.
Mais enfin avec le monothisme les impratifs sont regroups dans de louables efforts de
simplification qui terminent dans lindpassable dcalogue, quil faut encore savoir adapter au
cas. Et dieu sait si ladaptation au cas du dcalogue a donn ce savoir, ce savoir de
linterprtation auquel Lacan avec le Midrash, donne toute sa place.
Mais cest le monothisme universel, ce que Freud nomme le plus rcent des
commandements, aime ton prochain comme toi-mme , qui nous impose par son universel
mme une rupture radicale avec la philia grecque. Les grecs, eux, limitaient lamour de
lautre, celui qui dabord devait tre digne den occuper la place, et la question permettait
dexclure pas mal de monde. La philia, nen assurait pas moins la cohsion de la cit des
hommes libres.
Les comits dthique sinscrivent dans une civilisation o coexistent des religions, des
sagesses, des pouvoirs dtat, le culte de la raison, la science, sans que les uns puissent
lemporter sur les autres, sans quils aient le faire dailleurs. Dans un monde o dune part
les guerres de religion svissent de plus belle et o dautre part on peut se runir en rituels
clectique des plus varis, o la premire fois lOrient trouve en Occident fidliser un public
de masse, la rfrence bouddhique.
Tout cela doit tre consult, pour faire face aux mesures sur la vie, sur le style de vie quest
arriv prendre le matre moderne, qui, par son action mme a fait de la vie, sous la forme de
la sant, un objet politique. Longtemps la vie sous la forme de la sant relevait exclusivement
de la sphre prive, seule relevait de la sphre publique la sant du Roi. Non pas le
remboursement de ses maladies, mais sa sant en tant quelle tait la garantie de celle du
royaume, par des sympathies tranges et gnralises.
Le matre moderne a soulev l un caillou, qui lui est retomb sur les pieds et qui fait mal.
Les mtaphores abordant ltat de la socit sous le mode de sant, sous le modle mdical,
ont fini par se raliser et cest devenu le problme comme tel de la socit civile en temps de
paix.
Le comit dthique est une faon, au-del de ce domaine, de supporter le poids de lAutre,
par la pratique de bavardage quvoquait Jacques-Alain Miller dabord. La faon dont nous
arrivons de supporter le rapport lAutre et la charge quil implique, comment supporter
lAutre, cest la faon que se pose Freud dans son Malaise et dans les textes ct. Et il prend
soin de distinguer la faon dont les deux sexes arrivent supporter lAutre. Pour les hommes
cest par la sublimation, qui peut tre prsente comme sublimation pulsionnelle ou comme
homosexualit sublime. Rinterprtation de la philia grecque. Pour les femmes, il en va tout
autrement. Elles supportent lAutre parce quelles sen sparent, cest ce que Freud dans sa
confrence de 1933 appelle les intrts sociaux plus faibles des femmes et il les rapporte au
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 10

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caractre asocial qui est sans doute propre toutes les relations sexuelles. Les amoureux se
suffisent eux-mmes et mme la famille rpugne se laisser inclure dans des groupements
plus larges. L Freud est trs ???
Les femmes supportent par leur retrait - lAutre peut causer - elles sassurent de lauto-
rotisme du secret de leur jouissance. Ce serait l la clef du retrait o elles se tiennent et qui
les a aides supporter dans une position qui nest pas celle de lesclave, le matre masculin.
Notre moment historique ne peut plus se contenter dune telle position, celle mme
qunonce Freud en 1933. Dabord car il y a eu un immense effort de civilisation de la
position fminine, dans la civilisation librale, voulant la rsorber par le contrat de travail, pas
trs galitaire, il faut bien dire, mais offrant comme jamais dans lhistoire ce mode de
socialisation aux femmes, qui partout ailleurs lorsquelles travaillaient, ne pouvaient le faire
que dans des zones dune prescription absolue.
Les femmes au travail interrogent ce que Freud appelait leur soi-disant incapacit la
sublimation. Il faut dailleurs relire dans cette perspective les difficults qua eues Freud
reconnatre la porte sublimatoire comme telle du travail. Et quil a recul concevoir
comment lactivit cratrice, sublime, allait elle aussi se fondre dans cet ordre du travail pour
lartiste moderne. Cette opposition de lhomme sublimable et de la femme non-sublimable,
est encore hrite de la fin du sicle prcdent. Baudelaire dans Mon coeur mis nu, peut dire
la femme est le contraire du dandy donc elle doit faire horreur, la femme est naturelle, cest-
-dire abominable .
Cest cette abomination qui pour Baudelaire dsigne le retrait de la position fminine de
lAutre et Freud plus prcisment la qualifie dnigme. Que les femmes naient pas de surmoi
est une proposition quil faut examiner, partir de la clinique puisquil est manifeste quelles
peuvent tre parfaitement coupables ou dprimes, et mme plus que les hommes, mais il faut
la situer bien sr de la difficult dont se sont toujours plaint les hommes duquer les femmes
ou mme influer sur leur dsir.
Ce qui dplace la question est donc linsertion massive des femmes dans le monde de
lAutre par le travail, et ce point ne figure pas dans Fonction et champ, en 53 mais
explicitement dans Propos directifs pour un congrs, le point sur la diffrenciation entre
hommes et femmes pour linsertion de la jouissance dans lAutre. Et par contre dans Propos
directifs pour un congrs sur la sexualit fminine, cinq ans plus tard, Lacan reprend non pas
la limite des capacits sublimatoires des femmes mais par contre situe bien la limite de la
rsorption de la question fminine dans lordre du contrat.
Au fond ce qui fait pour nous que la question fminine est dplace et que nous sommes
parfaitement prt saisir les capacits sublimatoires de la position fminine, cest que le dsir
sexu, la jouissance prsente elle une face asexue et par l auto-rotique. La difficult de la
sublimation, la psychanalyse la dmocratise lhomme, elle est gnralise dans notre
condition subjective et cest ce que Jacques-Alain Miller dmontrait dans la faon dont Lacan
lit Freud et le prolonge. Ce sont maintenant et les hommes et les femmes qui sont dtermins
par leur isolement dans leur jouissance, leur retrait et la monte au znith social de lobjet a.
Le comit dthique est symptme de cette monte. Il sagit pour cette anne, ce que je
ferais, de suivre les traces dans une srie de symptme, de la subjectivit moderne, dans son
rapport lAutre. Or si Lacan ds 1953, ds lore de son enseignement propose une lecture
du malaise dans la civilisation qui ne soit pas sociologique mais bien clinique et thique, cest
sans doute quil na pas t sans sintresser ce que Georges Bataille dans un article clbre
de 1946, nommait Le sens moral de la sociologie . Il y situe remarquablement la coupure
thique entre la culture du XXeme sicle et celle du XIXeme finissant de lavant-premire
guerre mondiale.
Il disait ceci la gnration qui atteignit la maturit entre les deux guerres, aborda la
problme de la socit dans des conditions qui valent dtre remarques. Elle tenait de ses
ans un hritage de culture humaniste o toute valeur tait rapporte lindividu. Et
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Bataille notait je ne me rappelle pas durant des annes que lon ait devant moi dfendu
contre ceux de lindividu les droits de la socit . Ainsi on ne pouvait avoir dautre ambition
que den prcipiter leffondrement.
Des difficults toutefois taient rencontres dans la pratique. Si on devait lutter pour ruiner
ldifice social il fallait sacrifier le dsir de lindividu aux ncessits de la rvolution qui se
rvla vite ce quelle est, un mouvement de nature collective, qui ne peut exiger moins que le
matre prcdent et qui doit mme exiger plus que lancien. Les intellectuels de cette
gnration taient amens dans ces conditions faire de la ralit collective et du sens quelle
a, une exprience inattendue et mme assez lourde, et faire valoir ce paradoxe de
lintellectuel qui, voulant affirmer ces droits de lindividu, se retrouvait avoir sur le dos
supporter un tre encore plus gourmand. Il fallait le corrler, dit-il, lpuisement des
possibilits dune culture individualiste, le mouvement de la posie excdant par son ambition
les limites de lindividu cultiv, du bourgeois distingu, riche ou pauvre dailleurs, qui se
retrouvait contraint lisolement et la distinction. Le surralisme fut une dtermination
dcisive faisant du texte potique lexpression dlments communs, semblables ceux que
rvlent le pre. Et il montre par l comment est n, dans une crise morale, lintrt de la
gnration avant guerre pour les crations collectives, pour lAutre collectif, ainsi introduit au
mythe et aux activits religieuses, manifestations demble du lien social.
Et Bataille notait l que cest partir paradoxalement de ce moment longtemps aprs la
mort de Durkheim que toute une gnration dintellectuels, spcialement les jeunes crivains
sortis du surralisme, Caillois, Leiris, commencrent suivre les enseignements de Marcel
Mauss, fascins par a.
Au fond ce texte de Bataille est remarquable, par limportance dans laquelle il situe, pour
lhorizon intellectuel franais mme, lethnologie, et la place qua su occuper le continuateur
des rnovateurs de Durkheim, Claude Lvi-Strauss. Je ne dvelopperai pas ce point
aujourdhui mais je le relirai simplement ce texte de 46 de Bataille, pour nous instruire sur les
faons dont se situent les figures de la subjectivit dans la relve du poids thique que lAutre
de la civilisation fait porter sur des sujets pris dans une rponse commune donner.
On peut voir comment cette gnration, juste avant guerre releva la question, et comment
dans laprs-guerre se mit en place une autre figure, trs distincte, de cette subjectivit
moderne sous la forme de la belle me , dans laquelle ce portrait du sartrien, bien des
gards se dessine. Nous pourrons y venir un autre moment.
Les comits dthique gnraliss sont donc les figures o la subjectivit de notre temps
tente de restaurer le sens moral de lAutre, alors que nous sommes contemporains de la fuite
du sens, de ce paradoxe de mlanges, mlange des jouissances et leur sgrgation,
lisolement, sans que linstance dcide sen faire responsable apparaisse clairement.
Alors dans les figures contemporaines, jen prsenterai une srie, jen prsenterai peut-tre
simplement une aujourdhui, celle des no-kantiens, puisque aprs tout ce sont eux qui sont
les plus volontiers donneurs de leons, qui ont critiqu le structuralisme, pour avoir produit,
en annonant la mort de lhomme, une gnration sans pine dorsale, dboussole
moralement, gare ds quelle a perdu lhorizon fragile de lidologie politique. Et l un
certain nombre de voles de bois vert ont t volontiers nonces. En Europe, France
Allemagne, cest le structuralisme, et aux tats-Unis aussi o les plus ou moins carts du
prsident Clinton sont relis comme belle dmonstration : voil ce dont vous tes capable.
Alors il y a donc pour les no-kantiens urgence restaurer limpratif et ses normes pour
quaprs lAutre de la politique, dont Bataille annonait la monte, lAutre de la morale
trouve toute sa place, et il faut mettre les bouches doubles pour la restauration de la
gnration morale. Double puisquil faut dabord restaurer ce bon vieux sujet kantien, et
dautre part retrouver le point de vue o peut se profrer quil faut que jagisse de faon telle
que mon action soit valable en tout acte.
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En effet disait Lacan dans Kant avec Sade , pour que la maxime fasse la loi il faut et il
suffit, enfin lpreuve de la raison purement pratique, quelle puisse tre retenue comme
universelle en droit de logique. Restaurer le tout nest pas facile puisquil se drobe de toute
part et que le relativisme culturel, laffaiblissement des nations en gnral, du modle
europen de dveloppement conomique en particulier, et du consensus de la nation pour
terminer, ne rend pas la chose commode. Alors on oppose Rpublique et Dmocratie et
Blandine Barret-Kriegel peut aller chercher en particulier Rgis Debray etc.
En effet cest dur car le sujet libral, parfaitement dmocratique, ne suppose pas de tout
pralable. Celui-ci, le tout, la communaut, ne surgit qu lissue du dbat dmocratique et
non pas avant, priori. Or limpratif catgorique, lui, ne lui est sujet que par le tout. Lacan a
bien vu la difficult, qui, dans son Kant avec Sade , prcise bien que luniversel de la
maxime avec Kant a nest pas, ou plus exactement quil nest pas possible de lappliquer en
dmocratie car le fait quelle soit valable en universel ne veut pas dire quelle simpose tous.
Mais partout il y a dans la restauration du no-kantien, et dans la faon plus ou moins subtile
dont il opre, il y a une bute sur le relativisme culturel, autre nom du mlange des
jouissances et cest l le problme du rel dans son impratif. Nous devrons examiner les
diffrentes faons, aprs, dont on pense constituer les couches suffisamment stables pour faire
face la jouissance du sujet.
Jacques-Alain Miller :
(discussion)
Et bien je ne mattendais pas du tout ce dveloppement, sur le polythisme. Jai trouv
formidable, videmment chaque problme son dieu, un Univers peupl de dieux, de
puissance locales, et non dimpratifs, au fond. Alors videment a met LAutre nexiste pas
que je prsentais comme un moment actuel, vif, urticaire comme a, et propulseur aussi,
videmment a met lpoque de LAutre nexiste pas, il y a trs longtemps. Au fond a
rappelle que ce qui a fait quand mme exister lAutre puissamment, ce qui a fait exister
lAutre, cest quand mme le monothisme, et que sil y a donc du pre comme le dit Lacan
quelque part cest selon la tradition. Et donc au fond si aujourdhui quelque chose de lAutre a
fait faillite, cest loccasion de se souvenir quau fond il na pas toujours t l, et quon a eu
non seulement lcoute de la Grande Mre, mais on a eu au fond la multiplicit, bon. Reste
que a a toujours t quand mme... la rponse qua Detienne En mme temps le
polythisme on en a dit beaucoup de mal cause de Saint Augustin et les listes clbres quil
a fait dans la cit de Dieu, o il numre en effets des dieux multiples pour chaque occasion
de la vie, en veux tu, en voil, comme on a aujourdhui un certain nombre de produits
industrialiss effectivement pour chaque occasion de la vie.
Reste que cest, au fond ces quelques rendez-vous, les trois rendez-vous quon rappelait,
1
ont toujours t lis quand mme une organisation hirarchique, ce nest pas un
polythisme... a na quand mme jamais t sans vectorialiser, sans le vectorialiser comme
les cartels o il y a toujours eu quand mme une hirarchie.
ric Laurent :
Il y a toujours eu un modle branch. Ce nest srement pas, non... Le polythisme nest
pas une modalit de lAutre nexiste pas, cette modalit pulvrulente, dcentralise, qui
ncessite cet interprte pour toujours relancer suppose quand mme que le grand Pan existe,
suppose quau moment, quand a se met se rpandre en effet que a nexiste plus... Alors
mme on peut dire, alors cest la grande diffrence que les dieux, les figures esthtiques ce
moment-l quest-ce que ctait que ce dialogue o on convoque le dieu et on arrive tablir
un dialogue avec lui et le grand dbat sur croyait-il ou ne croyait-il pas ?

1
Delphes, Delos, Olympie.
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Au fond il faut une croyance fondamentale et que l a ntait pas atteint et que ctait
limit quand mme dans ces bases dopration qutaient les socits philosophiques antiques
supposaient une opration sur soi extrmement, faisaient consister au fond a.
Jacques-Alain Miller :
Le point que fait apparatre lintroduction cest que ce qui finalement fait la diffrence entre
la soi-disant subjectivit moderne quvoque Lacan en 1953, et le sujet contemporain, la
grande diffrence cest quand mme la question fminine, parce que Lacan peut parfaitement
aborder en 53 lactualit de la subjectivit moderne, la prsenter, situer la psychanalyse dans
le contexte et a ne fait pas manque, lpoque, je crois, de ne pas dire un mot de la position
spciale de la femme. Et si on veut mesurer la diffrence entre le problme de la subjectivit
moderne et le sujet contemporain, cest quau contraire a clate, et cest ce que Lacan a... Et
sil y a une telle coupure avec son sminaire Encore, cest bien que cest l que, mme si cest
annonc depuis trs longtemps, cest l o lmergence nouvelle de la question est traite.
Alors souvent, nous avons parl, en tout cas moi, du fminisme, plutt sur un versant qui a
parfois t dprciatif sur ses efforts pour laborer des identifications qui se sont au fond
effondres dans le paradoxe, ou qui ont montr une certaine inconsistance. Cette fois-ci, moi
je lai plutt voqu trs rapidement mais sur le versant du respect si je puis dire, cest--dire
cest vraiment ce qui fait la diffrence, dans les temps modernes, de lpoque contemporaine.
Et donc il faut quon traite la question cette anne dune faon srieuse et mme savoir si -
titre dhypothse - si on ne peut pas ordonner un certain nombre de ces symptmes de la
civilisation contemporaine ce fait central, et sa faon dirradier.
Maintenant les no-kantiens a na pas t entirement clair. Tu veux parler des
philosophes...
ric Laurent : philosophes type Ferry, Renaud ( vrifier), franais, mais en
Allemagne
Jacques-Alain Miller : franais, ...enfin tu appelles les no-kantiens les restaurateurs de
luniversel ?
ric Laurent : Le restaurateurs si on veut du devoir impratif et de luniversel comme
seule issue la crise morale
Jacques-Alain Miller : restaurer limpratif, trouver les bons impratifs, les bonnes
formules de limpratif. Alors par exemple Habermas est-ce tu le traites de no-kantien, parce
que de fait cest une recherche perdue de restaurer lUniversel par la conversation, enfin il
faut quon traite a plus srieusement, il faut quand mme quon consacre un petit moment
sa thorie, qui a t traduite Thorie de lagir communicationnel, cest un peu pesant, mais
enfin disons que cest leffort pour restaurer, lAutre nexistant pas, quest-ce qui nous reste, il
nous reste converser. Nous le faisons, il nous reste dbattre et nous mettre daccord.
Alors il nest pas aveugle au fait que pour se mettre daccord dans un dbat, il faut dabord
quon se mette daccord sur les rgles du dbat, et pour dbattre des rgles du dbat, cest un
dbat et donc il y a des rgles et donc il faut sy accorder, et il affronte a, il affronte cette
rgression linfini quand en fait on ne veut pas mettre en uvre le signifiant matre.
Et au fond, et cest trs important pour Habermas, hritier quand mme de la grande
tradition dmocratique allemande, de ne pas mettre en uvre le signifiant matre et ds quil a
limpression que quelque part on met en uvre le signifiant matre il dit attention a peut
conduire des choses terribles. Et donc lui se trouve, cest la fois lhritier de la tradition
philosophique allemande et en mme temps le plus amricain des allemands, cest--dire le
plus horizontal des allemands.
Et ce qui est assez frappant cest que maintenant en effet, tout rcemment, les Amricains
commencent converser avec Habermas, ils le prennent au srieux et on discute sur la
possibilit de consensus, question alors essentielle videmment qui est limpasse actuelle de la
civilisation amricaine, savoir que les identifications sont toutes concurrentes et donc
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comment... donc la question est, lallemand arrive en disant tout le monde va discuter avec
tout le monde, et les Amricains disent et bien chez nous tout le monde ne veut pas discuter
avec tout le monde, alors quest-ce quon fait, on les force ? Je ne sais pas si on peut lui le
qualifier de no-kantien ?
ric Laurent : Non. Ctait pas dans cette optique l. Je voyais plutt non pas cette
gnration de penseurs qui maintiennent leur effort depuis 60 mais ceux qui en effet ont pris
le contre pied de tout ce quannonait le structuralisme, prendre le contre pied de la suite
Foucault et Derrida ceux qui se sont ddis a, dans cette perspective l. Alors ce qui est
frappant cest que pendant des annes les amricains, Putnam, Rorty etc. ont t prudents
parce quil ny avait pas de philosophie des sciences trs claire. On ne savait pas trs bien o
est-ce quon mettait le rel scientifique. Mais alors maintenant, en effet, ils ont trouv, ils ont
russi laborer, mettre sa place la question du rel scientifique, qui nest plus un
tourment, et le grand tourment cest en effet, dans la civilisation pouvoir joindre ltat actuel
trs dchir, alors quaux Etats Unis ils sont daccord sur le modle scientifique tout fait
consensus sur ce point mais alors sur les problmes didentification, grand refus...
Jacques-Alain Miller : Le problme local, en tout cas en France, a parat, videment on
nest pas encore pris dans cette tourmente, cest--dire la grande question cest, est-ce que
lassimilation franaise continue de fonctionner, est-ce que lcole et luniversit fabriquent
du franais standard, et lorsque apparat ici quelque part des petites filles avec un voile sur le
visage tout le monde tombe dans les pommes. Cest une question quil faudra discuter avec
soin, tout le monde tombe dans les pommes et donc on voit comment pour nous jusqu
prsent la question de cette identification sociale est quand mme... on peut presque la
considrer comme intouche ct du dchanement de la question aux tats-Unis, et o...
Eric Laurent : mme en Angleterre, cest trs frappant le mode de traitement
communautaire...

Jacques-Alain Miller : traitement communautaire et donc les Anglais formant tribu si je
puis dire ils ne sont pas touchs, ils acceptent trs bien de voisiner avec dautres tribus, mais
a nest pas la rfrence franaise.
Jaurais bien dit un mot. Je ne sais pas si tu connais une dame qui sappelle Gertrude
Himmelfarb.
Eric Laurent : Oui
Jacques-Alain Miller : Bon alors jaimerais bien quon parle delle, parce que de ce que
jai lu, cest le dernier exemple, a vient de sortir, je nai pas encore le livre, mais elle a
travaill trs srieusement, elle a une belle carrire, elle a commenc communiste, trs trs,
trotskiste, de gauche, l elle est donc un phare du no-conservatisme amricain, et donc elle a
consacr une grande tude ce que jappelais tout lheure la solution victorienne et faire
lloge de comment lpoque victorienne on avait la bonne thique, pour le capitalisme,
savoir que les gens devaient tre propres, ils devaient beaucoup travailler, pas boire, faire des
conomies, aller lglise, etc., et que par inadvertance, il faut constater quon a perdu cette
thique et donc, elle propose la restauration de cette thique, sans peut-tre tout fait mesurer
que le march capitaliste lui-mme est par excellence ce qui a fait table rase de cette thique.
Cest la femme de Irvin Kristol cest la mre du nomm William Kristol, et dailleurs tous
les deux, jai lu un interview o tous les deux disent en fait il y a un seul homme dans la
famille, cest maman (rires). Alors on arrte peut-tre l-dessus, et on reprend la fois
prochaine.
(Fin du sminaire du 20 novembre 1996, premire sance de lanne)

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LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique
++

ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Seconde sance de sminaire
(mercredi 27 novembre 1996)


J acques-Alain Miller :
Bon, moi lintroduction.
Je suis attentif aux petites phrases quon vous glisse aprs une confrence, aprs un cours,
aprs un sminaire, on vous glisse une petite phrase. Cet on prend des aspects divers,
charmants, revches, enfin, des aspects contingents, mais il y a toujours une bouche ou deux
pour savoir envoyer un trait. Et cet on , cet on auquel Heidegger a fait un sort dans Sein
und Zeit, le on de linauthenticit, cet on est sans doute une figure de lAutre qui
nexiste pas, une figure plurielle de lAutre qui nexiste pas.
Alors ces petites phrases, pour moi, en tout cas, je ne sais pas comment cest pour ric
Laurent, pour moi elles ont souvent une valeur oraculaire. Vous savez que chez les Anciens,
loccasion, il y avait un mode de divination qui consistait descendre dans la rue, couter la
premire phrase qui passait, qui nest pas dirige vous, enfin, du signifiant quon attrapait
comme a et a pouvait tre considr comme un oracle dchiffrer, au hasard.
Et bien les petites phrases cest comme a. Alors je peux dire quelle a t pour moi la petite
phrase de la fois prcdente. Pour moi, je ne sais si toi (sadressant ric Laurent) tu en as
une autre. Enfin, je peux... il y a une phrase qui aurait pu tre cet oracle mais, qui ne fait pas le
poids si je puis dire. La phrase, donc qui nest pas celle-l, ctait la phrase simplement ctait
lourd. Alors a fait penser, a rsonne, a suppose que le lger serait une valeur, et
videmment a ntait pas dit dans le sens o le lourd fait poids. Ctait plutt une valeur
smantique du ct de lindigeste. (rires) Et en effet a tient peut-tre la longueur de la
chose, parler deux heures deux, en effet a peut indisposer, cest vraiment un double service
(rires) et donc je crois quil faudra quon apprenne en tenir compte.
Non mais cest pas a la phrase qui ma marque. (rires). Cest... la phrase qui a fait un peu
oracle, cest... et je lai entendu sous des formes assez diverses et sans doute cest cette
accumulation qui explique a, et cest plus inquitant, ctait a promet ! (Rires).
Alors a, a a rsonn en moi, parce quen franais cest quand mme en gnral... on dit
quelque chose comme a quand a promet le pire. Quand on dit a promet on anticipe en
quelque sorte que a ira de mal en pis. Mais aussi a peut vouloir dire, et cest a qui est le
plus lourd si je puis dire, a veut dire vous avez promis, maintenant mes amis il sagit de
tenir, vos promesses. Et cest vrai que dans nos discours peut-tre un peu guinds de la
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premire fois, nous avons mis la barre assez haute, et maintenant il sagit de savoir si nous
avons en caisse de quoi satisfaire les chques que nous avons tirs.
Je vois la difficult suivante, je dois dire que nous visons, nous nous appuyons pour cette
mise jour, autant le faire sur des phnomnes qui sont en cours, qui prvalent aux tats-Unis
dAmrique, et jai le sentiment, que je partage avec ric Laurent, que ces phnomnes ne
vous sont pas forcment familiers. Et quau moment des exposs, a peut avoir pour vous un
aspect de science-fiction, que vous ny croyiez pas tout fait, quon soit plutt vous
raconter des histoires sur une forme de vie trs distincte de la ntre. De l le choix faire : ou
dessayer de vous rendre a plus familier partir de ce dont, dans notre forme de vie, nous
avons lexprience, dj, ou, autre voie, cest daccentuer cet aspect de science-fiction, de ne
pas reculer devant ltranget dune autre forme de vie qui, tout en appartenant, entre
guillemets, la civilisation occidentale, est quand mme cadre par des coordonnes assez
diffrentes. Voil quelque chose qui sera apprci au cours de lanne.
Alors le parti de ce sminaire cest daborder, comme dhabitude, notre clinique et les
concepts de notre clinique, mais par un biais spcial, celui du relativisme. Il y a un biais o la
clinique, les structures de la clinique relvent du prhistorique comme disait Freud, relvent
de limmmorial, et pour nous sont de lordre structural et par l trans-temporelles. Mais il y a
un autre biais par o ces catgories qui sont les ntres, sont relativement dpendantes, sont
relatives lhistoire, la sociologie, la civilisation, ltat de la civilisation et cest ce biais que
pour cette anne nous avons choisi de privilgier.
Alors videmment a ne fait pas tout fait sens quand on simagine, comme me le disait
rcemment un de nos minents collgues, a ne fait pas sens si on simagine linconscient
comme quelque chose du dedans. En un certain sens nous tous nous sommes conduits cette
imagination de linconscient comme le sien, celui chacun et comme chose minemment du
dedans.
Et bien linconscient cest quelque chose du dehors, pour le dire par une opposition simple,
cest une chose du dehors. Au moins quand Lacan dfinissait linconscient comme le discours
de lAutre, ctait au moins pour empcher, pour faire obstacle limagination selon laquelle
linconscient serait quelque chose du dedans et bien soi. On est jamais bien au chaud dans
son inconscient, on est jamais chez soi dans son inconscient, ce nest pas Home sweet home.
Cest ce que Freud appelait linquitante tranget , cest plutt du style maison hante .
Et Lacan tait aussi mettre lhorizon de lexprience analytique ce quil appelait, dune
faon trs hglienne et kojvienne, le discours universel. Alors peut-tre que dans les annes
cinquante il tait plus facile de penser le discours de lAutre et le discours universel comme
unifis, sous les espces dune certaine totalisation, serait-elle toujours potentielle, seulement
lhorizon. De la mme faon que lon pouvait plus facilement dire dans les annes
cinquante, la structure de langage, la structure de langage. Et videmment prendre pour
rfrence la langue, cest ouvrir un certain pluriel, la structure de langage telle quon essaie
de la construire partir de ce qui a t la linguistique structurale, elle mrite le singulier.
Quand on vise au contraire la langue on est dans le pluriel et cest plus difficile videmment
totaliser.
Alors bien sr dans les annes cinquante le discours universel tait clatant de contradiction
et lpoque, par exemple, la physionomie politique de lunivers se prsentait sous des
aspects srieusement contrasts, beaucoup plus quaujourdhui. On pouvait dire il y a,
comment on disait ? le camp socialiste, il y a lOccident et puis il y a au milieu ou ailleurs les
non-aligns.
Mais il nempche que ce monde apparemment clat, tripolaire, voire quadripolaire, quart-
monde aussi bien, se prtait plus facilement une rfrence, ce que soit crdible une
rfrence au discours de lAutre et au discours Universel. Et que, peut-tre ce sont l des
termes qui sont aujourdhui et paradoxalement et en raison mme dune certaine, entre
guillemets, tudier, globalisation, ce sont justement des termes qui sont plus discutables,
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 17

17
comme si laffrontement binaire ou tripolaire en fait maintenait une unit, et que le fait quil
ny ait plus dadversaire politique assignable, en fait produisait un sentiment, ne disons pas
plus, un sentiment de fragmentation discursive.
Moyennant quoi, de la mme faon quon peut dire que luniversalit des annes cinquante
tait trs relative, la fragmentation, la ntre nempche pas un certain nombre de repres, ou
de rendez-vous pour parler comme Detienne, et repris par ric Laurent, Olympie, Delphes,
Delos, finalement nous avons travers tout a les dates, le calendrier, videment il y a
plusieurs calendriers mais ils sont quand mme tous convertibles lun dans lautre, nous avons
quand mme peu prs une langue universelle, le basic english - a nest dailleurs plus de
langlais ; cest langlais comme lingua franca, cest langlais comme sabir, cest langlais qui
fait svanouir les professeurs de littrature anglaise, cest langlais de tout le monde, le basic
english, et puis il y a un certain nombre dinstitutions vocation universelle qui servent aussi
de repres, mme si ils sont menacs, etc., mais enfin ils servent de repres, y compris au
premier rang linstitution prive CNN qui met quand mme les images de ce quon appelle les
grands vnements, la disposition de chacun sur peu prs la terre entire. Il y a sans doute
des poches de pauvret en Afrique, qui nont pas CNN, mais on peut compter que
progressivement ce sera regagn.
Autrement dit nous nous posons la question du statut du discours de lAutre et du discours
universel, rfrence essentielle de Lacan, dans sa rnovation de la psychanalyse, en tenant
compte des donnes daujourdhui.
Alors dores et dj nous avions chez Lacan, non pas un seul statut de lAutre mais deux,
nous avons chez le Lacan le plus classique si je puis dire, un statut de lAutre unitaire et
consistant qui est index par la lettre grand A, et nous avons aussi un statut inconsistant de
lAutre marqu par la lettre A afflig dune barre, et qui indique que cet Autre est aussi en
dficit, en dfaillance, quil est ventuellement - les lectures sont multiples - dsirant, quil est
afflig dun manque ou mme quil manque de lexistence, etc., jusqu ce quil nen reste
que son signifiant le fameux signifiant de lA barr, qui est comme le sourire du chat
de Cheshire de Lewis Caroll, le chat disparat, il ne reste plus que son sourire, et bien le
signifiant de lAutre barr, cest quelque chose de cet ordre, cest ce qui reste quand lAutre a
disparu, il reste son signifiant. Donc, nous avons dj chez le Lacan classique ce double statut
de lAutre, qui est propre nous servir de repre.
A



Alors nous nous sommes mis daccord aujourdhui pour aborder notre travail, aprs
lintroduction de la premire fois par la question ou par la pathologie, par les pathologies
contemporaines de lidentification. Et en effet, lincidence du statut de lAutre est majeure sur
lidentification. Nous posons la question Quen est-il de lidentification si lAutre nexiste
pas ? Lacan avait pris, et aprs tout cest un choix de Lacan, cest un accent, une ponctuation
de Lacan sur Freud, avait pris lidentification comme repre dans la clinique. Nous nous
sommes habitus a, mais enfin cest quand mme une opration, moi il me semble trs
spcifique de Lacan, de distinguer comme il la fait lidentification. Je crois quil le fait parce
que lidentification est comme telle, je lai rvoqu la dernire fois, rapport lAutre. Cest
un concept qui met en vidence le rapport lAutre, contrairement nombre de concepts, par
exemple contrairement au concept du Projet pour une psychologie scientifique. Il y a
beaucoup de concepts freudiens qui ne mettent pas en vidence quils tiennent au rapport
lAutre.
Alors lidentification est impensable, je dirais sinon sur le fond de la relation dobjet. Do
son privilge chez Lacan, et le fait que, aprs la guerre, quand il fait ses Propos sur la
causalit psychique, cest quand mme lidentification quil distingue comme le ressort de la
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 18

18
causalit psychique et la valeur de cet accent cest bien de dire ce qui est essentiel cest le
mode de relation lAutre.
Alors que Lacan avait bricol son stade du miroir, ou du moins la thorie de son stade du
miroir, avec quoi ? Laissons de ct les rfrences psychologiques, il lavait bricol chez
Freud, partir de lIntroduction au narcissisme, et partir de la thorie de lidentification,
comme identification imaginaire. Et donc il lavait bricol finalement avec, oui louvrage
Introduction au narcissisme, et louvrage de la Massenpsychologie.
Et cest un pas suivant que de se mettre distinguer lidentification imaginaire et
lidentification symbolique et a attend jusquau Sminaire IX, jusquau sminaire sur
lIdentification, aprs avoir dans son Sminaire sur la Transfert, isol lobjet agalmatique du
transfert, il se porte lautre extrme et il fait la thorie de lidal symbolique, avec son
sminaire sur lIdentification. Et on peut dire, je le dis en passant, cest un point important,
que nous avons l un exemple de la logique qui anime lensemble du travail de sminaire de
Lacan, savoir faire passer des catgories, premirement attribues la dimension
imaginaire, les faire passer du ct symbolique.
Cest ainsi que le transfert est dabord pour lui un phnomne situer intgralement dans le
registre imaginaire et que la trajectoire de son Sminaire conduit dporter le transfert sur
laxe symbolique avec la thorie du sujet-suppos-savoir. De la mme faon lidentification
est dabord pour lui avant tout un phnomne qui est par excellence imaginaire, pens mme
en rfrence lthologie, au comportement animal, et ensuite lidentification se trouve
dgage dans sa valeur symbolique, on pourrait dire de la mme faon que la libido,
freudienne, qui est dabord pour lui un phnomne imaginaire, se trouve ensuite traduite sur
laxe symbolique en tant que le dsir. Donc on a l une logique densemble, je ne fais que le
signaler en passant, en dpit de lintrt quil y aurait sy attarder.
Alors cest l que pour aujourdhui o nous abordons le thme de lidentification
contemporaine, en essayant de lanticiper bien sr galement, je rappelle le mathme de
lidentification symbolique de Lacan, cest grand I de grand A, o on essaye dcrire quil
sopre un prlvement signifiant sur lAutre.
I(A)
distinguer et articuler du prlvement corporel, exerc sur le corps, le corps du sujet
mais auquel on peut aussi reconnatre la qualit dAutre, au moins la qualit adjective
dAutre. Et on peut dire quil y a lieu de distinguer ces deux critures, cette identification
symbolique est au fond, partir de la Massenpsychologie, rfre par Lacan lidal du moi
dans sa fonction essentiellement pacifiante des rapports du sujet avec lAutre. En revanche, le
grand A barr, ce grand A avec un manque, ce grand A avec un dsir, ce grand A
ventuellement gourmand, cest une fonction beaucoup plus inquitante, pas du tout pacifique
et cest peut-tre l quon pourrait retrouver une transcription du surmoi freudien. Je donne a
pour quon ait quelques repres pour convertir Freud en Lacan si je puis dire.


Jajoute encore au commentaire de ce mathme quil a essentiellement sa place et sa
fonction dans la conception classique de Lacan en rfrence au sujet comme sujet barr, cest
un sujet ou bien qui a un manque, qui est un manque, qui est inexistant en lui-mme et qui
trouve son complment signifiant dans le signifiant de lidentification.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 19

19

Cest ainsi que Lacan peut crire que la marque que le sujet reoit du langage, et a, a
renvoie la barre, trouve se combler du trait premier de lidal du moi ainsi crit. Donc un
comblement signifiant et cest ce S barr que Lacan adosse lidentification freudienne,
prcisment lidentification au trait unaire.
Deuximement il y a un deuxime mode du comblement du sujet barr, et cest le
comblement par petit a. Ce sujet barr est donc susceptible, dans la conception classique de
Lacan, de deux comblements distincts, lun signifiant par lidentification, et lautre par
lobjet.

Le Nom-du-Pre est de la mme classe de concept que grand I et que grand A. Et on
pourrait distinguer, nommer ces deux comblements distincts. Lun appartient la srie des
mtaphores subjectives que Lacan propose, savoir il y a au sujet barr diffrents types de
signifiants qui peuvent se substituer et donc cest du registre de la mtaphore subjective, alors
que sur la deuxime voie complmentaire, distincte de la premire, cest la voie du fantasme
et de la connexion fantasmatique. Le sujet misrable, ce sujet qui nest que sa propre misre,
l le S barr ne retrouve une assise et une assiette que par une mtaphore subjective dun ct
et une connexion fantasmatique de lautre.


Alors constatons que cette rfrence de grand I de A, au signifiant qui est prlev sur
lAutre comme tel, sur lAutre qui existe, cette rfrence quand mme tend disparatre dans
lenseignement de Lacan, et on peut dire que ce quil appelle le signifiant matre S
1
, cest une
nouvelle version, une nouvelle dition de grand I de grand A, mais pourquoi cette nouvelle
dition, quoi a rpond ? Constatons dabord quen parlant de signifiant matre plutt que
didal du moi, plutt que de signifiant de lidentification lAutre, la premire chose qui
svanouit cest la rfrence lAutre. Elle ne se maintient que comme rfrence lAutre
signifiant S
1
, S
2
. Donc cest quand mme sous une forme plus simple.

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 20

20
Autre diffrence que je vois et l que je pose indpendamment de notre rflexion
contemporaine, pour la situer. Grand I de grand A, ctait chez Lacan tout de mme une
identification premire. Dun cot on avait les identifications imaginaires, qui chez un sujet ne
forment jamais un ensemble cohrent, et donc qui forment plutt un chaos, un bric--brac plus
ou moins organis didentifications imaginaires, au gr des rencontres, des fluctuations de la
libido, le sujet emprunte ventuellement tel trait ou tel allure dun semblable et l on peut
insister sur ce quon pourrait appeler la femme de Sachs, de Hanns Sachs, cest--dire celle
qui prlve les opinions de lhomme avec qui elle vit - cest un type classique qui a t isol -
la femme, selon lamant quelle a, et bien elle est de gauche, elle est de droite, elle aime le
roman, elle ne veut que la posie, etc. Cest un type qui a t isol et qui existe, qui existe,
(rires)... a, a nous donne une ide mme amusante du bric--brac didentifications
imaginaires et quand Lacan amne lidentification symbolique, cest dun tout autre registre ;
a cest vraiment le Un de lidentification, a cest pas du bric--brac, cest lidentification
symbolique et mme primordiale, et mme inconsciente et qui laisse, qui a combl le dficit
du sujet dune faon primordiale et au fond ineffaable.
Donc il amne lidentification symbolique avec ce caractre de primordialit. Voil la
valeur que je donne ce que vous trouvez page 808 des crits, Lacan voque le grand I de
grand A comme un signe de la toute-puissance de lAutre, et l vous avez le trait unaire - cest
la rfrence freudienne - qui, de combler la marque invisible que le sujet tient du signifiant -
cest la barre du S - aline ce sujet dans lidentification premire qui forme lidal du moi. Le
point essentiel cest la primordialit assigne , ici, lidal du moi.
Avec S
1
cest autre chose qui apparat lhorizon. S
1
bien sr conserve une certaine valeur
de primarit dans lindex de ce signifiant, mais cest en mme temps ouvert un certain
relativisme historique puisquil trouve sa place dans un discours du matre qui certes ne doit
pas tre simplement talonn dans lhistoire, mais qui, nanmoins renvoie une certaine
prsence dans lhistoire. Dautre part Lacan loccasion se plat lire cet S
1
comme essaim
(e-deux s-a-i-m) cest--dire le pluraliser, il ny en a pas quun, voire le constituer partir
dune place o peuvent se succder des termes trs diffrents et mme des termes de structure
trs diffrente, qui jouent la mme fonction que ce signifiant matre. Et o on peut voir un
terme qui nest pas du tout signifiant comme lobjet petit a, venir et la place et jouer le rle
dans un discours dun signifiant matre de telle sorte quen effet le passage du mathme de
grand I de A S
1
traduit une pluralisation du signifiant identificatoire et le bric--brac tait
avant le privilge de limaginaire, on peut dire que le bric--brac rentre aussi dans le
symbolique, de telle sorte que le signifiant matre peut qualifier tout signifiant au nom de quoi
je parle. Et je ne parle pas quau Nom-du-Pre. Le Nom-du-Pre avait lair dtre le signifiant
matre par excellence. Et bien ce qui se dessine avec la substitution de S
1
, cest que le Nom-
du-Pre a nest quun signifiant matre parmi dautres et cest pourquoi Lacan finira pas
pluraliser le Nom-du-Pre lui-mme et parler des Noms-du-Pre au pluriel.
Alors peut-tre faudrait-il dire que ce S
1
de Lacan cest plutt quivalent un grand I de A
barr, cest--dire en effet ce quil reste didal quand tout a disparu, lidal sans le reste
cest--dire lidal sans le systme, dpareill en effet, alors que le Nom-du-Pre est le
signifiant matre selon la tradition, comme le rappelle Lacan - dailleurs pas forcment selon
toutes les traditions - le S
1
a toujours un certain caractre darbitraire ou en tous cas un
caractre de semblant, le Nom-du-Pre on ne saperoit pas que cest du semblant, il faut en
tenir compte, ou pendant longtemps on ne sest pas aperu que ctait du semblant, le S
1
cest
la version du versant identificatoire, quand on sait que cest du toc et que a marche quand
mme.
Arbitraire nest peut-tre pas le terme juste cest en tout cas ouvert la discussion, et les
auteurs dont nous pouvons parler sont des auteurs qui disent en effet cest ouvert, ils sont
tourner autour du signifiant matre sur le thme cest ouvert la discussion. Je veux vous
mettre mon poing sur la gueule, parlons-en donc, comme cest intressant, mettons le feu aux
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 21

21
glises noires du Sud des tats-Unis, cest un point de vue, mais tait-il compatible ou non
avec lordre dlibratif gnral, qui doit nous rgir, etc. Donc le S
1
cest le grand I pour des
temps de dtresse si je pourrais dire, cest le grand I pour les temps de la discussion, pour les
temps de la socit dlibrante.
Et cest bien pourquoi Lacan proposait dcrire comme signifiant matre du discours
capitaliste le sujet barr lui-mme. Il proposait pour le discours capitaliste quen fait il ny
avait plus de signifiant matre sinon la propre vacuit du sujet, son propre culte de sa propre
authenticit, de son propre dveloppement, de son propre panouissement, et de son auto-
rfrence. Et avec, affrent, le devoir, le devoir de vivre et le devoir de jouir. Le devoir de
vivre maintenu avec une force coercitive extraordinaire qui fait que progressivement dans les
socits avances, le droit de se tuer par la cigarette, par le tabac, disparat progressivement.
L peut-tre on peut faire un rapport, ctait trs sensible aux tats-Unis, on ne pouvait plus
allumer un clope dans un caf sans avoir quelques personnes faisant le crah-crah ! !
2

soigneusement mis au point par les associations anti-tabac, et puis on peut suivre dannes en
annes, a fait dix ans quon suit progressivement, on fume de moins en moins dans les
runions, dans nos runions mme. Hier soir jtais dans une runion de direction lcole de
la Cause freudienne, je crois que jtais le seul fumer, a minquite beaucoup, a
minquite pour les autres ! (rires), je veux dire que petit petit ce droit, cette obligation de
vivre, etc., ne parlons pas du devoir de jouir qui simpose avec une frocit spciale.
Alors, videmment il nous faut donc tudier le statut contemporain des identifications, en
supposant vraiment que la vraie valeur, que la valeur de S
1
ctait un grand I de A barr. Un
signifiant matre dans les temps o lAutre nexiste pas. Comment se soutient ou ne se
soutient pas, comment vacille, comment se prsente sous quels angles etc., le signifiant matre
quand il nest pas adoss sur lAutre consistant.
Alors il faut voir que la question est dimportance, puisque cest le signifiant qui est disons
prpos engrener le sujet sur le discours de lAutre, le signifiant de lidentification, cest ce
qui engrne le sujet dans le rouage du discours de lAutre et ds lors que par exemple il serait
ingal la tche la question est de la dbilit qui en rsulte pour le sujet, qui sen retrouve
flottant par rapport ce discours de lAutre.
Et la question est de savoir en quelle mesure la socit dlibrante, qui gagne partout... on
pouvait penser que avec sa vieille tradition monarchiste, jacobine, coupeuse de ttes,
sacrificatoire, la Rpublique franaise tait labri par exemple de cette dilution dans la
socit dlibrative. Enfin cest fini ou cest fini demain. Il ny a pas une phrase dun candidat
amricain la prsidence des tats-Unis qui ne soit programme par les instituts de sondages
et par leurs propre sondeurs, pour savoir ce que les gens en disent et cest calibr au
millimtre, et il est certain que nous nen sommes pas encore absolument l mais que nous y
allons tous les jours davantage, cest--dire que nous commenons tre plongs dans une
socit en effet dlibrative, dont peut-tre la vrit cest dtre une socit de dbilit. Je ne
sais pas si a serait trs populaire de lancer a, aprs la socit de consommation, la socit de
dbilit, parce quen loccurrence a nest pas seulement le sujet qui ne sengrne quen
flottant dans le discours de lAutre mais cest le discours de lAutre lui-mme qui apparat
flottant, cest ce discours qui apparat lui-mme pulvris, fragmentaire, et flottant. Et donc
peut-tre quon pourrait tudier une sorte de dbilit gnralise correspondante au temps de
lAutre nexiste pas.
Dailleurs les comits dthique cest quand mme, enfin le fond cest quand mme la
conversation des dbiles, des dbiles au sens propre, pas au sens commun, vulgaire, l, qui
nous fait rigoler, cest la conversation des dbiles cest--dire les dsengrens du discours de
lAutre. Comme il ny a plus de discours de lAutre la place on est oblig de converser, de
discuter, dvaluer, de dlibrer, etc. et donc de bavarder.

2
Son guttural
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 22

22
Alors, il est vident, me semble-t-il, quen tout cas linconscient que Lacan avait cr pour
nous ctait linconscient rfr la structure du langage, et au discours de lAutre et que
linconscient des quivoques de la langue, linconscient rfr aux quivoques de chaque
langue, est sensiblement distinct.
Bon alors aprs cette introduction je passe la parole ric Laurent.
ric Laurent :
Avant dengrener sur le propos, je voulais au fond partager avec vous une lecture que jai fait
rcemment, hier pour tout dire, dune conversation qua eue Jacques-Alain Miller parce quil
ne fait pas que parler avec moi ici, avec vous l, mais il parle avec dautres aussi, dans des
conversations sur la psychanalyse, sur lidentification de la psychanalyse et bon jai lu une
conversation quil a eu avec un autre psychanalyste identifi lui aussi, puisquil sagit du
prsident en exercice de lAssociation Internationale de psychanalyse, monsieur Horacio
Etchegoyen, son ami Horacio Etchegoyen
Jacques-Alain Miller :
Ben oui ! Ben oui !
ric Laurent :
comme Jacques-Alain le rappelait, ils se connaissent depuis quinze ans...
Jacques-Alain Miller :
Je ne sais pas si tout le monde a compris quInternational Psychoanalytic Association cest
lI.P.A. ? Daccord.
ric Laurent :
Donc cest une conversation qui a eut lieu Buenos-Aires lt dernier, peu prs en mme
temps que la Rencontre Internationale se droulait et cest un texte qui va bientt circuler
entre toutes les mains et qui, il faut bien dire, contribue par son existence mme et son
caractre de conversation ,
Jacques-Alain Miller :
La dbilit ?
ric Laurent :
peut-tre pas la dbilit, peut-tre pas mme le caractre flottant mais srement va
contribuer renforcer lide quil y aura besoin de faire exister un certain nombre de comits
dthique pour poursuivre cette discussion, pour que justement elle rponde son titre qui est
donc Un silence bris et ce sera sous forme de plaquette accessible pour tous
Jacques-Alain Miller :
dans les meilleurs dlais
ric Laurent :
Enfin srement dans les meilleurs dlais,
Jacques-Alain Miller :
Cest dj diffus Buenos-Aires depuis deux jours,
ric Laurent : depuis deux jours Buenos-Aires qui est un milieu, enfin Buenos-Aires
cest une ville qui vibre, donc jimagine que a nest pas en silence que a se diffuse. Alors il
y a un certain nombre de choses formidables que jai lues, jen vois au moins quatre mais tout
le monde va pouvoir les dcouvrir, moi je vois simplement la conversation nest-ce pas,
lorsquaprs tout Jacques-Alain Miller peut dire que dans lIPA un moment donn, lme de
la psychanalyse lavait dserte, et quoi lui rpond le prsident de lIPA que cest un point
de vue quil peut comprendre, quil ne partage pas mais quil nen nie pas du tout la valeur, ce
qui videmment permet de continuer discuter sur le fond, cur ouvert. Le jugement de
Horacio Etchegoyen sur les analyses de lIPA et la faon dont il discerne des courants, des
identifications, des diffrences, cest extrmement intressant, de mme quaprs tout aussi
les jugements que peut avoir Jacques-Alain Miller sur ces courants de lIPA qui ne sont pas
sans intrt.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 23

23
On trouvera une petite perle dans la simplicit de dfinition, sur les grands dbats sur les
rapports de la psychanalyse et des neurosciences qui ont occup beaucoup de pages o
Jacques-Alain Miller peut rsumer le dialogue entre la psychiatrie et les neurosciences sous la
forme dune expression forte, enfin la psychiatrie disant aux neurosciences je taime, et quoi
les neurosciences rpondent crve, (rires), puisque le remplacement - cest une expression
forte pour expliquer quensuite effectivement le mdecin devient le distributeur de produits
invents par les industries chimiques diverses et son jugement clinique nest plus une
boussole. Ou bien encore lorsquon cherche savoir vraiment quelle peut tre limage dans le
cerveau ou dans ltat fonctionnel du cerveau de ldipe, de noter quaprs tout on a cherch
aussi pendant des sicles quelle tait exactement limage de tout vnement du monde dans
lesprit de Dieu et que a navait pas fait beaucoup avancer la question.
Et ce type de rapprochement qui ne sont pas frquents dans ces discussions permettent
davoir une autoroute qui donne, enfin pas bloque
3
, et qui permette darriver cette
conclusion, dcisive, cest que lavenir dpendra de la faon dont chacun de nous interprtera
ses symptmes.
Et ce qui nous amne en effet notre propos qui est que linterprtation que fait chacun de
ses symptmes, lidentification est une faon de le nommer. Il y a lidentification dans ses
rapports avec le symptme, et spcialement aborde dans le chapitre VII de
Massenpsychologie, o Freud distingue les trois types didentification. Le premier
lidentification au pre, le second lidentification au symptme et le troisime quil dcrit
ainsi : Il est un troisime cas de formation de symptme particulirement frquent et
significatif, celui o lidentification fait totalement abstraction de la relation lobjet la
personne copie , quand, par exemple, une des jeunes filles dun pensionnat a reu de celui
qui est secrtement aim une lettre qui excite sa jalousie et laquelle elle ragit par un accs
hystrique. La lettre qui, elle, nest pas ???, elle nest pas vole, elle arrive, elle provoque
laccs hystrique, quelques unes de ses amies au courant du fait vont attraper cet accs par la
voie de linfection psychique, comme nous le disons. Le mcanisme est celui de
lidentification sur la base dun pouvoir se mettre ou dun vouloir se mettre dans la mme
situation.
Il serait inexact daffirmer quelles sapproprient le symptme partir dun sentiment
partag, au contraire le sentiment partag napparat qu partir de lidentification. Et la
preuve en est quune telle infection ou imitation sinstaure galement dans des circonstances
o il faut admettre entre les deux personnes une sympathie prexistante bien moindre que
celle qui existe habituellement entre des amies de pension.
Lidentification par le symptme devient ainsi lindice dun lieu de recouvrement des deux
moi, qui doit tre maintenu refoul. Jai cit entirement cette page 118 des Gesammelte
Werke traduit dans ldition franaise page 45 du volume XVI des uvres compltes.
Freud posait ainsi un mode de la sorrorit fminine, posons-nous maintenant la question :
quest-ce que serait un dortoir moderne dans un pensionnat de jeunes filles daujourdhui ?
Dabord...
J.-A. Miller : Il faut se renseigner
ric Laurent :
Il faut se renseigner mais on en a quelque trace. Dabord il existe de moins en moins de
dortoirs
J.-A. Miller : daccord
ric Laurent : dans les pensions, spcialement dans lenseignement secondaire, on nen a
pratiquement plus pour restriction de crdit, il y a encore des cits universitaires, mais en
raison de changements dhabitude elles sont rarement consacres uniquement aux jeunes filles
et elles laissent la place au choix de la chambre individuelle chez des personnes en ville,

3
allusion une grve des transports routiers
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 24

24
loues avec des subventions de ltat plutt que de construire des cites universitaires. Cela
ne pousse pas lpidmie. Pour lpidmie, il faut des identifications fortes. Pensez au ct
garon, quest-ce qutaient les pensionnats au moment o Freud crit sur les pensionnats de
jeunes filles.
Nous avons une rfrence sublime dans la littrature qui est le texte de Musil sur Les
dsarrois de llve Trless qui est amen, face la forte identification de la bande des
garons, le banding ( vrifier) masculin, spcialement froce, est amen dans un tat de
dtresse, tombe hors de lidentification Hilflosigkeit qui le laissera, puisquon sait que cest
largement lexprience de Musil lui-mme, dans un tat qui lui permettra dcrire la premire
partie de lHomme sans qualit, qui est un tat do, lui, lch hors de didentification, saisit
la cacophonie de ce quil appelle dailleurs la cacanie , du bla-bla de lempire Austro-
hongrois qui tait en train de perdre toutes ses identits.
Alors de nos jours il y a encore quelques pensionnats qui rsistent, par exemple les College
anglais qui sont mixtes et qui rsistent fivreusement, il faut voir Oxford et Cambridge, une
chose merveilleuse, o lidentification tient encore. Qui na pas entendu le chant des
vpres, Evensong Christchurch, o lon peut entendre tous les jours Purcell et toute la suite
de la musique anglaise de chur, Talis ( vrifier), Wendel ( vrifier) ? Qui na pas entendu
a avec un certain nombre de gaillards de Christchurch occupant les postes, ne comprend pas
pourquoi la gnration esthte de lavant-guerre anglaise, identifie T.S. Eliott et son
christianisme de dsespoir, a su mourir dans le ciel de lAngleterre en 1940 en expliquant que
eux qui marchaient pas la baguette allaient montrer aux Allemands comment les dandys
savaient mourir. En suivant la parole identificatoire dun aristocrate et comment, identifi trs
profondment laristocratie anglaise, Winston Churchill.
Lui ntait pas n dans un pensionnat, il faut voir o il tait n ! Blenheim Castel ; Comme
le dit le guide anglais : cest un chteau qui a t construit par le Roi dAngleterre pour celui
qui avait flanqu une racle aux armes qui menaaient doccuper le continent, lpoque
ctait celles de Louis XIV et donc le Duc de Marlborough est reprsent dans ce parc que
Churchill disait lui-mme modestement cest la plus belle vue de toute lAngleterre disait-il
sa femme la premire fois quil la amene et on voit la colonne o lon voit Marlborough en
triomphateur romain tenant la victoire.
Alors videmment a, a vous fait dire a cest quelquun, et dans la rhtorique
shakespearienne de Churchill comment ne pas entendre cette formidable identification
aristocratique qui ne se mnage pas et qui fait obstacle lgalit, luniformit
dmocratique, tournant mal et contre laquelle il se levait.
Alors videment il y a dautres pensionnats, dautres collges, par exemple aux tats-Unis,
o le multicultularisme fait que les campus universitaire, aprs dix annes de lutte contre le
politicaly correct, o en France on croit que cest contemporain mais a fait dix ans quaux
tats-Unis il y a une lutte acharne contre la tendance au langage unique, et justement on a
sur les campus et dans les dortoirs et dans les lieux o se runissent les tudiants, on a des
identifications extrmement difficiles, multicoordonnes.
Alors sil faut bien dire que ces identifications fortes de ces pensionnats, personne ne doute
quelles nont quun aspect rose, mais nanmoins lorsquelles se dlitent on est confront
cette ide quest-ce que serait alors une pidmie hystrique, et effectivement au lieu du S
1
,
on a vraiment le essaim , pluralis, qui vrombit, pluralis, qui tmoigne simplement de la
prsence de quelque chose qui sy sent.
Et sans doute le meilleur lieu pour examiner ce que serait ou ce quest une pidmie
hystrique contemporaine, se sont les tats-Unis. Dabord parce quil y en a et large chelle
et quelles sont tudies comme telles. Il y en a une qui est lchelle des tats-Unis en
gnral, qui a t tudie lors du colloque dAngers de la section clinique, qui a t prsente
par Jean-Claude Maleval, et qui tourne autour de lpidmie de personnes se dclarant avoir
t emportes par des extra-terrestres.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 25

25
Sil y a cette pidmie aux tats-Unis, cest parce que les Amricains sont des extra-
terrestres (rires), par dfinition, ils ont t arrachs de fait ou de droit des morceaux de terre
divers, sur la terre disperss, pour se retrouver sur la terre de la libert. Et la clbre
prosopope qui accompagne la constitution des tats-Unis laissez venir moi vos pauvres et
vos perscuts laisse ouverte la dfinition de lAutre comme la Terre entire, loccasion
perscuteur et le peuple introduit, lAmricain introduit dans lespace du mme, et mme un
auteur amricain sintressant aux traditions identificatoires des tats-Unis, Monsieur Robert
Bellah, auteur contemporain, sest spcialement intress la tradition puritaine du living-
home, qui depuis les pres fondateurs qui admet comme grand rituel de passage le jeune
homme quitter la maison et chercher seul le chemin de Dieu.
Une fois dailleurs la civilisation unifie, bien entendu lAutre des tats-Unis, devient par
dfinition lextra-terrestre, le monde globalis cest celui qui les laisse en effet vulnrables
aux ides dOrson Welles, et sa clbre mission Invasion from Mars, ou bien du film produit
par Spielberg, Rencontre du troisime type, o Truffaut joue un rle formidable, ou bien E.T.,
ou bien encore cet t Independance day, qui a l aussi battu tous les records.
Cest non seulement parce que lAutre cest lextra-terrestre cest aussi parce que, cest
Tocqueville qui mettait sa place, dans ltude de la constitution des tats-Unis la place de la
croyance, contre-pouvoir ncessaire la dispersion de la socit civile, permettant un point
didentification, dunification dans cette multiplicit dassociations volontaires.
Point dincroyance aux USA, mieux vaut le New age que Voltaire. Nous trouvons dans le
vaste rpertoire donc des tats-Unis, des pidmies hystriques plus localises, qui permettent
dailleurs de dfinir des zones culturelles. La meilleure zone culturelle cest l o une certaine
pidmie hystrique peut se dployer, ou une croyance, je laisse de ct la discussion, sagit-il
de croyance paranoaque ou dpidmie hystrique ?
Par exemple dans la Bible belt, vous savez aux tats-Unis on parle de ceinture parce que les
monocultures ont permis de distinguer des ceintures selon les climats, donc par gnralisation
ensuite on parle de la zone o les prcheurs vanglistes se sont rfugis au cours de
lHistoire des tats-Unis chass par le ? ? ? ; donc la Bible belt, la ceinture biblique dans cette
rgion o les prdicateurs ne sautorisent vraiment que deux-mmes en un sens trs
spcifique ou bien la New age belt, nest-ce pas, la Californie remplie de croyances des plus
varies, et bien il y a dans cette rgion une pidmie trs bien tudie qui sest dploye dans
le pays depuis lre reaganienne et qui a occup la New York Revue of books dans de
nombreuses et longues occasions et qui a t tudie comme telle, cest celle dune pidmie
dauto-dnonciations dactions incestueuses de la part de familles trs perturbes sans doute et
o les vnements paraissaient fort improbables surtout lorsquils mettaient en scne des
confessions, convoquant le Diable et ses acolytes comme ayant jou un rle dcisif dans
lopration.
Et un certain nombre de psychologues se sont consacrs cela, se sont consacrs au retour
des souvenirs de sductions refoules et ont opr un certain nombre de procs considrables
dans des familles o le pre tait dnonc par les filles, ou inversement, demandant des
compagnies dassurances les plus varies des ddommagements et lensemble de tout a sest
dvelopp semble-t-il partir des annes 80, 82 pour trouver en 94, une srie de publications
dune dnomme Elisabeth Lofters Katherine Kitchen ( vrifier) qui sappelle Le mythe du
souvenir refoul, faux souvenirs et allgations dabus sexuels, dun autre ouvrage qui est
de Laurence Wright ( vrifier) Remembering Satan, un autre qui sappelle Making monsters,
false memory psychotherapy and sexual hysteria, qui ont donns lieu en Angleterre et aux
tats-Unis un certain nombre de mises au point ncessaires tant donn limportance du
dbat et des personnalits non moins connues comme par exemple Peter Lawmass ( vrifier)
en Angleterre a rpondu a dans le TLS, aux tats-Unis tout un ensemble de personnes
dinstituts de psychanalyse de lIPA ont t obliges de rpondre dans la New York review of
books, ce qui nest pas rien, des attaques extrmement solides, extrmement mchantes dun
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 26

26
nomm Frderick Crews ( vrifier), qui attaquait cette ide quau fond toutes ces pidmies
reposent sur lentretien de lide quil y a des souvenirs refouls et quau fond le grand
coupable lhorizon ctait Freud, avec son ide absurde quil y a des souvenirs refouls, et
que ces pidmies dmontraient simplement la suggestion sans limite, telle quelle pouvait
sexercer, et au lieu den tirer lide quen effet a ntait pas adquat den rajouter sur le plan
de Satan et du reste, non : ils attaquaient Freud comme ayant commenc rpandre lide
quil y a eu sduction effective dans le cas de lhystrie mme si ctait sa premire thorie et
quil a fait bien du mal avec tout a.
Quelquun en Angleterre aussi Antony Store ( vrifier), psychiatre, qui a crit un livre sur
Churchill, o il montre que Churchill tait maniaco-dpressif - cest pas certain, mais il avait
des pisodes en tout cas difficiles - et bien Store aussi donc met sa juste place tout le mal
qua caus la psychanalyse par sa thorie et les grandes pidmies qui sont causes, il
rappelle quand mme quil y avait des pidmies hystriques avant la psychanalyse, ce qui est
quand mme un soulagement, mais qui rappelle en tout cas la vivacit du phnomne...
Jacques-Alain Miller :
Ce qui est un peu embtant pour notre thse, enfin acceptons tous les faits, cest que se sont
des pidmies contemporaines du modle 19
eme
non reconstruit.
ric Laurent : Oui
Jacques-Alain Miller : Je veux dire a, a prouve quil faut toujours tenir compte, il faut
que nous tenions compte toujours pour prcdent de ne pas gnraliser, que l o nous
sommes prt commenter les tats-Unis comme socit, entre guillemets, New age ou
comme socit librative, etc., il y a des poches - a ne vaut pas pour lensemble de la socit
- mais il y a donc des poches, l tu nous en a donn lexemple, o les concepts valables sont
sans doute, cest exactement le concept avanc par Freud en 1930 ou dans annes les 20-30 et
disons ce sont des phnomnes quon mettraient volontiers en rapport, je ne sais pas si cest
avec St Medard mais cest du modle de lpidmie hystrique classique.
ric Laurent :
Alors cest en effet, cest spcialement l o que se soit dans les tentatives New age ou dans
les tentatives disons Old age, avec Bible belt, ce sont l o on fait des efforts pour faire exister
le pre videment, la croyance vanglique au pre.
Jacques-Alain Miller :
Donc a serait, mettons a en srie avec les identifications de sectes. Guyana, le massacre
volontaire de 900 personnes sur commandement du leader, l on a en effet les poches dans
une socit o lAutre sefface, des tentatives de reconstituer sur le mode sectaire un Autre
consistant, la chose sachevant loccasion dans le dsastre, jai voqu Guyana, il y a Waaco
et il y en a dautres phnomnes, et il est assez frappant de voir lacuit du dbat sur les sectes
en France et que tout rcemment, il est quand mme saisissant - cest cette semaine que a
sest pass ? - saisissant que lglise de Scientologie qui est parfaitement reue aux tats-
Unis, qui a des buildings, des journaux, et qui est considre comme une religion, est en
France condamne par les tribunaux et visiblement les pouvoirs publics font tous leurs efforts
pour que a ne puissent pas simplanter. Et do, quant lnorme campagne de publicit de
lEglise de Scientologie qui achte dans les journaux amricains internationaux comme
Herald Tribune, le Herald Tribune depuis hier a des normes pages de lEglise de
Scientologie qui rappellent tout le bien quelle fait lhumanit et l en effet nous sommes
entre France et tats-Unis, l il y a une marque de diffrence extrmement puissante, il y a
quelques extrmes mme, puisque cest parfaitement lgal aux tats-Unis, a se dveloppe, je
ne sais pas sil y a des scientologues dans les hautes sphres du gouvernement amricain mais
a nest pas impossible, et en France visiblement on est pas loin de linterdiction, ou de la
restriction de leurs activits comme dlictueuses, avec la prison pour ceux qui ranonnent au
nom de cette secte.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 27

27
Donc l on a en effet une grande diffrence dans le rapport lAutre et lAutre rpublicain
se dfend, enfin a encore de la dfense.
ric Laurent :
Ce qui est frappant videment aux tats-Unis cest que la machine crer des religions
nest pas arrte alors quelle est arrte dans lancien monde, elle est arrte en Europe, elle
nest pas arrt aux tats-Unis et cet gard il faut lire tout de mme le dbut de la secte
mormone qui est maintenant une religion ou bien les adventistes, eux, l ils sont dans les
sphres du gouvernement.
Jacques-Alain Miller :
Faisons des rserves sur les scientologues, mais les mormons...
ric Laurent :
Bien sr que non...
Les mormons, voil une machine faire des religions qui quand mme dmarre en 1880, o
quelquun voit un aptre sur une petite colline, au sud de Salte Lake City, et on a le mme
type que le transfert de reliques de Saint Jacques ou comment laptre majeur, pour des
raisons inexplicables, au 9
eme
sicle, se retrouve dans un port perdu lextrmit de
loccident, Compostelle, et on dit il est l, et bien ce type de machine crer, et a a fait des
effets il suffit daller voir Saint Jacques, a fait lever des choses. Et bien Salte Lake City
a a fait lever une ville l o il ny avait rien et a fait lever des croyances, et cest frappant
pour effectivement quelquun qui vient de notre monde de voir quel point cette machine
identificatoire est parfaitement en route et construit donc dans des zones encore instables,
certes la scientologie cest lexemple mme de la zone instable, vont-ils russir ou pas, mais
en tout cas deux autres, mormons et adventistes sont parfaitement installs.
Alors cela nous fait comprendre le dbat de ce que lorsque le signifiant matre est touch et
en effet la communaut dplace dans ses saints, on voit limportance du dbat entre ces
communauts substantielles o il y a identification un mode trs dfini de jouissances, sans
aller jusqu la secte imprative mais on touche vraiment au modes de jouissance, jusquaux
communauts globales ou globalises sans rfrences, dmatrialises, sans rfrences
matrialises comme ces communauts de croyance.
Alors cest limportance du dbat ouvert par un certain nombre dauteurs, sur la nature de
ce que doit tre ou ce que peut tre une communaut. Et un certain nombre dauteurs,
nombreux, quils soient conservateurs ou libraux, reprennent cette ncessit de construire, au
moment o le lien social se globalise et o il se dtruit en bien des points, o le travail nest
plus une valeur identificatoire, o il ne lest plus par linscurit qui rgne sur ce point par le
fait que lavenir fera que le sujet moderne sera pendant tout un temps et des priodes de sa
vie frquentes amen ne plus trouver de travail, tre confront au chmage structurel du
monde qui se dessine ou bien des emplois qui ne lui donneront pas didentit comme
travailleur, comme Arbeiter, selon le mot quavait avanc Jnger, et cest la ncessit de
dfinir des communauts au moment o le lien social se dlite et au moment o le
multiculturalisme devient la norme, est donc un dbat parfaitement en cours.
Et l, aux tats-Unis, les psychanalystes ont russi, les psychanalystes amricains ont russi
se loger de telle faon dans le discours amricain quils sont considrs comme absolument
exclus de toute pertinence dans ce registre. Comme le dit Charles Taylor dans son ouvrage
Les sources du moi, du self dans la construction de lidentit moderne, il note que la
psychanalyse, tout ce quelle nous donne comme sens du moi, cest celui dune instance qui
peut diriger laction du sujet de faon stratgique et qui essaye dobtenir une marge de
manuvre face aux demandes imprieuses du surmoi et lurgence du a et lego idalement
libre nest quun calculateur lucide de ce quil peut obtenir et mme de ses revenus, of
papers.
Jacques-Alain Miller :
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 28

28
Cest vieux dj.
ric Laurent :
Cest en 86, et ou bien Rorty qui dans son essai sur Freud qui sintitule Freud et la
rflexion morale, considre que la psychanalyse se situe surtout, son grand avantage, parce
quelle a construit linconscient rationnel comme partenaire de conversation et que
fondamentalement, Freud na donc pas pour beaucoup contribu la question morale. Quil
sagisse de la question athnienne, dit Rorty, la question athnienne cest--dire la justice est-
elle avantageuse, ou de la question californienne, quelle part de refoulement suis-je oblig de
supporter, Freud na pas de rponse donner, son domaine est celui de la portion de la
moralit qui ne peut pas tre identifi avec la culture, cest celui de la vie prive, de la
recherche dune personnalit, des efforts quentreprennent les individus pour se rconcilier
avec eux-mmes. Cest pour lui, pour Taylor, pour Rorty, la psychanalyse, quelque soit
lidentification que peut dvelopper Freud comme mcanisme, une affaire de vie prive, de
dedans, de rconciliation de soi avec les parties contradictoires de soi, et quelle na plus
aucune place partir du moment o lon veut dfinir de faon claire une conception
substantielle qui est une ontologie, une valuation forte comme dit Taylor de ce quest le bien
qui fait vivre ensemble un certain nombre de sujets, de ce qui les tient. Ce qui est trange, ce
qui est trange si au contraire on part de lidentification en tant quelle relve la fois du
signifiant certes, du trait didentification dmatrialis, mais aussi de lobjet en tant quil
dsigne une marge de jouissance.
Cest trange pour nous cette position assigne au psychanalyste si lon suit ce que Jacques-
Alain Miller avait donc appel la position didentification du moi comme mode de jouir telle
quelle peut se lire chez Lacan restructurant la question de lidentification. Alors Taylor...
Jacques-Alain Miller :
Rien que dentendre ces citations de philosophes amricains a mnerve, je veux dire, cest
videmment une prsentation troite de la psychanalyse, la rconciliation de soi avec soi mais
ils opposent quoi a ? Ce qui serait lurgence cest la question que faire, pour le dire la
Lnine, et quest-ce quils proposent ? ils proposent de discuter, les uns et les autres, que
faire ? discuter. Pendant que finalement il y a toujours quelquun dautre qui fait quelque
chose et cest quand mme les auteurs que tu cites, dans la priode que tu cites cest
lAmrique post vietnam, cest--dire il y a eut un moment o le que faire, a prenait la
gorge et il sagissait de savoir est-ce quon dserte, est-ce quon reste, il y avait un dbat
moral qui avait sa grandeur, on est l aussi dans la fatigue thique de laprs Vietnam et donc
comme si on avait beaucoup de temps quand mme pour discuter.
ric Laurent :
Cest le rarmement moral, cest la priode du rarmement moral aprs le Vietnam...
Jacques-Alain Miller :
Cest--dire... il y a quand mme trs peu dmeutes noires, alors que les conditions de vie
baissent, etc., la sgrgation augmente, la diffusion de drogues dans les communauts noires
fait que nous navons plus les grandes explosions, les grandes meutes noires sauf, a dure
trois quatre jours et puis a se termine, a na pas lnergie que a eu une poque, il ny a
pas non plus la presse du Vietnam, etc., nous sommes dans une priode de calme politique et
donc nous avons les philosophes de la discussion, que faire, les psychanalystes, la
psychanalyse cest pas intressant, que faire ? discuter, prendre bien son temps pour discuter
entre nous fond des choses, a cest pas la vie prive parce que Charles Taylor nest
pas mari avec Richard Rorty, cest pas la vie prive mais cest discutons du colloque untel,
lautre colloque, etc., et invitons les copains dailleurs aussi pour continuer de discuter fond.
Alors il y a dabord ceux qui pensent quil faut discuter pour se mettre daccord, a cest les
plus ruraux, a cest Habermas, les plus francs, les plus honntes, discutons pour quand mme
arriver se mettre daccord et pour rsoudre le problme de se mettre daccord sur les rgles
pour se mettre daccord. Il y a ceux qui pensent quil faut discuter en groupe, quil ne faut pas
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 29

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seulement discuter de personne personne mais quil faut discuter de groupe groupe cest--
dire par exemple, cest vrai que les Qubcois ne respectent pas toutes les liberts
individuelles des anglophones, grave question, cest vrai que les Qubcois veulent obliger les
anglophones du Qubec mettre leurs enfants dans des coles francophones. Alors a empite
sur les droits individuels des anglophones mais est-ce quil ny a pas les droits collectifs du
Qubec survivre comme communaut, comme forme de vie.
ric Laurent :
Les Catalans font a avec...
Jacques-Alain Miller :
Les Catalans ! Les Qubcois, a fait du foin dans le monde entier, les Catalans font a si
bien que personne ne dit et hop, hop, la Catalogne, on a assist a, la renaissance de la
langue catalane, la nation catalane, se glissant doucement, demain l'ONU !
Alors il y a discuter de groupe groupe, a c'est plutt Charles Taylor ??? et puis il y a
discuter pour voir qui parlera le mieux, a c'est Rorty. Discutons pour voir qui fera le plus
plaisir l'autre, ou aux autres, ou discutons pour faire le plus beau pome, en sachant que
a ne dure jamais trs longtemps, c'est--dire on se lasse, et donc il y a un esthtisme de
l'crit, c'est trs srieux, y a un esthtisme finalement de ce discours, rduit profondment
au semblant, savoir c'est une manire de dire, c'est un rcit, il y a la narration
heideggerienne, il y a la narration hglienne, ce sont des beaux rcits, ils ont bercs notre
enfance pour un certain nombre d'entre nous et bien nous continuons raconter ces
histoires, nous continuons croiser ces histoires et donc finalement moi je prfre la vie
prive, je pense qu'il y a sans doute plus de choses dans la vie prive que dans ces trois
modes de discussions. C'tait simplement ractif, non pas tes propos mais ton indulgence
relative pour ces propos, mais enfin on va y revenir trs srieusement, on a prs d'un an.
ric Laurent :
Il y a aussi non seulement donc cette conception, qui rejette les fortes conceptions
morales, soit les deux grandes morales contemporaines, les utilitaristes d'un ct, Taylor
rejetant, ou l'utilitarisme d'un ct ou les kantiens en disant parce que ce sont des
procdures. Ils disent que ce soit dans le calcul utilitariste ou dans l'impratif kantien, a n'a
pas de contenu, c'est vide, pour des raisons distinctes mais les deux sont vides, tandis qu'il
faut refaire des communauts qui aient, elles, un contenu.
Donc il considre que c'est une rponse insuffisante, c'est Taylor, et il s'oppose aussi donc
la conception de John Rawls qui inspire actuellement la plupart des partis sociaux-
dmocrates dans le mode et donc la thorie de la justice de Rawls.
Jacques-Alain Miller :
Je mets son nom au tableau quand mme...
ric Laurent :
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 30

30
Oui, tout le monde doit le connatre ? alors donc il s'oppose celle de Rawls, qui lui,
comme il le dit, veut dfinir une thorie politique de la justice, pas mtaphysique, ce ne sont
pas des objets assignables, c'est simplement dans le dbat politique qu'on pourra savoir ce
qui est juste, ce qui ne l'est pas, ce qui est bon, ce qui n'est pas bon. Et il note ceci, quil faut
opposer ce que Benjamin Constant, avec Locke, appelle la libert des modernes, c'est--dire
les droits de base de la personne et de la proprit, et Rousseau qui met l'accent sur la
libert des Anciens, c'est--dire l'galit des liberts politiques et des valeurs de la vie
publique.
Donc prendre tout a dans le cadre de la libert des modernes, celle de Benjamin
Constant, a mrite lexamen, qui, elles, sont donc des valeurs purement, en effet, de
discussion politique, d'quilibrage des forces politiques. Et Rawls dduit de a des principes
qui permettent d'organiser la justice dtat.
Jacques-Alain Miller :
Oui finalement simplifions en disant la libert des modernes c'est l'individualisme, et que
c'est quand mme considrer que foncirement la socit n'a pas avoir de buts collectifs,
et que donc pour ces croyances, les jouissances prives etc., elle n'intervient pas, et la libert
des Anciens c'est mettre l'accent sur, en effet, la communaut et les buts collectifs, lgitime
d'une communaut qui peut impliquer certains moyens de contrainte sur les individus.
Qu'est-ce qui est l'absolu, est-ce que c'est l'individu moderne, ses droits, etc., est-ce un
absolu sa libert de parole etc., ou est-ce que cet absolu peut tre contraint par une socit
affirmant des buts collectifs forts, et donc avec le totalitarisme aussi bien antique que
moderne l'horizon.
Et c'est vrai que la Rpublique, sa tradition, reprsente, ne nous met pas mme de sentir
l'intensit de la controverse, qui, au contraire s'cartle aux tats-Unis. C'est--dire que nous
avons un mode rpublicain des droits de l'homme qui fait que - il y a il faut bien dire un
arrangement la franaise, sur le mode de la tolrance d'un certain niveau de corruption,
par exemple dans les hautes sphres de l'tat. C'est une chose qui apparemment, bien sr,
n'est pas au niveau des tats-Unis, mais toujours avec une profonde intolrance populaire.
Pas du tout d'intolrance populaire, sauf par exception en France, l'gard de cette
corruption. C'est vraiment tout rcent et a participe aussi de la dtrioration de la
Rpublique Franaise, quon fasse des histoires pareilles pour des choses que tout le monde
connaissait et qui paraissaient presque anodines longtemps et qui faisaient partie disons des
privilges rgaliens.
On a toujours admis, on a toujours eu comme haut magistrats des transgresseurs, nous
avons toujours eu comme dirigeants, enfin il y a, sauf exception et les exceptions sont
admirables toujours. C'est trs diffrent de l'intolrance du type d'exigence, alors l morale
porte aux tats-Unis, puritaine, par exemple les misres qu'on a pu faire au Prsident parce
qu'il a serr d'un peu prs une dame, etc., a quand mme, en France, enfin en tout cas,
n'apparat pas, n'merge pas. Comment je suis arriv l ?
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 31

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ric Laurent :
Sur le mode quon a toujours prfr en France, un bon Talleyrand vaut mieux quun bon
ministre honnte.
Jacques-Alain Miller :
Voil. Sur le thme que nous ne sommes pas tout fait sensibles... a peut paratre un peu
science-fiction que la duret des oppositions entre les droits de l'individu et les buts
collectifs d'une communaut, parce que nous avons une formule qui est en train peut-tre
de se dfaire, qui trouve un certain puisement, et qui ne nous permettait pas de saisir ce
binaire et c'est pour a qu'il est utile de regarder aux tats-Unis pour saisir le binaire en train
de se crer et une grande opposition, disons une opposition terrible entre l'universalisme
des idaux, l'universalisme du signifiant d'un ct, marqu par le grand I, parce que a, a
continue de tirer vers ce ct-l, il y a un appel sublimatoire et puis, dialectiquement li cet
universalisme, un ancrage dans le particulier d'autant plus exigeant. Et donc plus on parle
d'un ct, l on le voit aussi, plus on parle d'Europe, d'institutions europennes, plus on voit
les particularismes rgionaux s'affirmer titre national et aux tats-Unis, sans doute on peut
dire que la dmatrialisation et l'homognisation expliquent aussi la vivacit de ces
pidmies locales qui tmoignent d'un ancrage local de la jouissance. Il faut qu'on tudie les
ancrages jouissif locaux opposs aux systmes des idaux.
ric Laurent :
C'est ce qui s'appelle les communauts, et tout le communautarisme doit tre pris dans
cette perspective l, comme ancrages jouissifs locaux. La tension avec les idaux est trs
forte et il faut bien dire c'est l que se situe l'avenir d'une rflexion, l globale, entre le type
de communauts que veulent dun ct les conservateurs, aux tats-Unis les libraux de
l'autre.
Les conservateurs qui veulent des communauts parfaitement dfinies localement qui
aient justement un mode trs rgl de modes de jouissances locales, qui souhaitent qu'elles
soient dfinies, comme ils disent, par des vertus dures, c'est--dire s'occuper de soi mme,
une communaut se dfinit parce qu'elle s'occupe d'elle-mme et fait la police dans sa
propre communaut elle-mme, alors qu'au contraire les libraux dfinissent une
communaut par les vertus de la compassion, une communaut c'est ce qui permet de
s'occuper des autres, et ce c'est ce qui fait que Madame Clinton, qui n'a jamais cesse d'tre
la thoricienne de l'administration dmocrate depuis le dbut, d'une part a propos un
projet de rforme du systme de sant remarquable, qui est encore la base de discussions
sur lesquelles, bien qu'il ait t torpill, tait une base remarquable de reconstruction de
l'ensemble et d'autre part son dernier livre It takes a village, il faut un village, est un dbat,
largement nourri il faut bien le dire par Taylor et un certain nombre d'autres, est un dbat
pour dfinir o le matre politique peut-il arrter le curseur entre la tension des idaux et
des communauts locales et qu'est-ce qu'il faut pour lever un enfant. Est-ce qu'il faut une
famille bien unie, nette et propre et interdire les enfants tout le monde, tous les autres,
parce que c'est a que voudraient les conservateurs, c'est il ne devrait y avoir des droits aux
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 32

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enfants que si on est foutu d'avoir une famille correcte et si on est pas foutu de le faire, et
bien pas d'enfants, parce que sinon aprs il faut que tout le monde s'en occupe. Tandis
quau contraire, il y aurait des modes sur lequel et bien il faut, on peut tolrer des familles
de bric et de broc, qui seront soutenues, qui ont besoin d'une trs haute technologie tout
autour d'institutions intermdiaires, de relais, de soutien, qui remplacent les grands-parents
qui n'existent plus, les parents qui existent peine, etc., tout a doit tre tenu pour
permettre de transmettre aux gnrations futures un certain nombre de valeurs. It takes a
village...
Jacques-Alain Miller :
En fait donc, il faut un Autre. Elle essaye de dterminer, dans le dsastre actuel, quel est le
type d'Autre qu'il faut pour pouvoir lever un sujet, pour pouvoir permettre un sujet d'tre
cultiv, est-ce qu'il suffit de l'Autre familial et quel est le type d'entour, artificiel, qu'on peut
monter pour... et finalement elle a dit la vrit au moment de la campagne dmocrate, elle a
dit il faut un Prsident comme mon mari , finalement (rires).
ric Laurent :
Ce qui est sans doute... il y a des trsors cachs dans It takes a village, il faudra le regarder
de trs prs, il faudra regarder de trs prs un certain nombre de rsums qui sont, qui
viennent d'ailleurs, formidables.
En effet elle met l'accent sur un point crucial, c'est qu'il y a en tout cas un point central sur
lequel le matre en gnral bute, c'est quel Autre faut-il pour maintenir un taux de
renouvellement de la population suffisant important, c'est--dire comment duquer les
femmes pour qu'elles aient suffisamment d'enfants, et dans quelles conditions, et le nombre
des enfants ne suffit pas, il faut qu'il y ait une certaine qualit - parce que s'ils sont tous, s'il
y en a comme aux tats-Unis quatre cent mille dans les orphelinats, a n'est pas une solution
- donc comment faire pour l'obtenir et c'est un dbat videmment crucial sur les
populations ; ce sont les mystres que rserve la rgulation des natalits et des rapports la
population qui sont un point o les matres politiques et la psychanalyse videment se
rejoignent, o l'existence mme de la question de la natalit touche au cur de l'intime du
dsir et ce d'autant plus que depuis cinquante ans il y a maintenant la rgulation des
naissances et il existe une contraception par la pilule, qui a ouvert un certain nombre de
perspectives qui passaient autrefois, il faut bien dire par d'autres voies, par l'infanticide par
exemple.
Il ne faut pas croire que l en effet la rgulation des naissances a commenc avec la
science et avec la technique ; il y avait eu avant un certain nombre de stratgies, et comme
le rappelait un professeur de mdecine d'ailleurs, la strilit masculine est une invention
moderne. Autrefois quand un homme ne pouvait pas avoir d'enfant, la dame se dbrouillait
pour que le problme trouve sa solution sans qu'on ait besoin de passer par l'ensemble de la
science, de la convocation gnrale, de techniques dune sophistication inoue pour
rsoudre un problme, qui, en particulier dans l'aristocratie a toujours su trouver et la
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 33

33
dmocratisation de cette question, c'est la rponse a, maintenant passe par la science et
ne passe plus par en effet des lignage o l'honneur tait situ tout autrement que dans le
ct possessif disons de la bourgeoisie.
Alors sur la question du rglement de la population mondiale, nous avons bnfici
d'tudes extrmement fortes qui ont lieu tous les dix ans. Tous les dix ans il y a une
confrence convoque par l'ONU sur l'volution de la population mondiale. Elle a eu lieu il y
a deux ans en 1994 au Caire, pour ceux qui s'en souviennent et elle a t suivie l'anne
dernire en 95 par la confrence toujours des Nations-Unis sur les femmes Pkin.
Alors la confrence de 94 du Caire a permis la publication d'un certain nombre de rapports
qui sont absolument cruciaux pour aborder ce type de questions et les rapports avec la
psychanalyse. D'abord parce que dans un rapport dcisif, Monsieur Chasteland ( vrifier),
franais, statisticien, qui tait directeur de la division de la population l'ONU de 84 91 et
qui a prpar beaucoup cette confrence et qui maintenant est l'Institut dmographique
en France, a not qu'on tait certain partir de 94 que l'ensemble de la plante rentrait
dans le modle de transition dmographique alors que jusqu' ce moment l on se
demandait si on n'allait pas assister des phnomnes trs explosifs.
Et il considre qu'on assiste actuellement une stabilisation, c'est--dire le taux de
croissance de la population mondiale est 1,57%, et que cette stabilisation est forte sur une
dizaine d'annes et que l'on va plutt, certes avec diffrents calendriers, mais on va plutt
vers une entre dans la transition dmographique gnrale. La transition dmographique
c'est, aprs une phase o les quilibres de naissances et de morts sont fortement perturbs
par la technique, par l'abaissement de la mortalit, surtout de la mortalit infantile et de
l'allongement de la vie, il y a un rtablissement par une compensation qui fait que le nombre
d'enfant ralise peu prs le renouvellement.
Et a c'est le mode...
J.-A. Miller : sur la plante ?
ric Laurent : sur la plante. C'est sur le mode de transition dmocratique, ils ont
fabriqu transition dmographique, qui est pass de situation explosive, allant droit la
catastrophe, des situations o il y a des rglages qui font que le matre peut arriver peu
prs rgler la croissance conomique et un certain nombre de problmes comme
l'ducation de faon possible.
Donc on considre quactuellement la population mondiale pourrait se stabiliser autour de
11 milliards et demi d'habitants en 2150. Alors cette stabilisation qui parait comme a leve
des esprits peu avertis, est en fait une stabilisation qui est simplement une volution
progressive de la fcondit vers son taux de remplacement. Alors a suppose qu'il n'y ait pas
de modifications radicales des limites de la vie humaine, c'est--dire que les mdecins
n'inventent pas encore un truc qui fasse vivre jusqu' on se sait jusqu' combien,
deuximement qu'il n'y ait pas de catastrophe, donc pas de guerre mondiale avec disparition
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 34

34
des trois quart de la plante, mais que cette stabilisation concluait Monsieur Jean-Claude
Chasteland dans une phrase formidable marquerait la fin d'un pisode de croissance
unique par son intensit, mais trs bref par rapport la longue histoire de l'humanit . Et
cette description met au jour une sagesse fminine extraordinaire. Les femmes sont certes
inducables, mais, ou peut tre parce qu'inducables, arrivent finalement rgler la
naissance des enfants, le souhait d'avoir un enfant, dans des bornes qui permettent une
croissance qui ne soit pas compltement affolante.
Alors on constate, une fois qu'on dfinit a comme : nous allons vers non pas une
catastrophe, mais vers un tat de stabilisation, toutes les mesures d'urgence,
catastrophiques, qui sont proposes par une certain nombre d'tranges utopies, que se soit
la rgulation - car ceux qui ont montr la voie dans la rgulation se sont comme souvent, les
Chinois, les Chinois qui ont russi contrler leur dmographie de faon remarquable et
dont c'est l'volution, par le mode autoritaire, non dlibratif, et il y a un film actuellement
qui passe Paris et qui est fait par un Chinois et qui dcrit de faon amusante la police des
naissances, comment par l'lotage de la population on est arriv contrler trs strictement
le pas plus d'un enfant et comment l'avoir, etc.
Alors il y avait des utopiques, par exemple un chirurgien de Cambridge, Monsieur ?? qui a
failli avoir un prix Nobel pour son astuce dans les transplantations, lui il voulait limiter deux
enfants, qu'il y ait dans la Constitution, qu'il y ait donc une loi prise l'chelle de la plante,
limitant deux enfants le nombre d'enfants qu'un couple pourrait avoir, avec en plus une
sorte de contamination par un virus qui permettrait - un virus retardement - qui
permettrait que l'on ne puisse avoir un enfant qu'aprs 25 ans, et il disait vous comprenez,
il n'y a pas de raison que dans une socit on considre que l'on peut conduire une voiture
aprs 18 ans et par contre qu'on puisse avoir des gosses partir de 14 ans, c'est pas
normal , et donc il avait une mthode trs simple, pas douloureuse, trs bien calcule, qu'il
a propose et en particulier au Caire il y avait des confrences tenues par ce monsieur.
Mais le fait que l'on aille vers la stabilisation permettait d'avoir moins recours des
utopies. Et par contre le dbat a eu lieu trs nettement entre divers points de vue et surtout
entre deux professeurs de Harvard University, donc Amartia Senne ( vrifier), qui, comme
son nom l'indique pas, est professeur Harvard et conseillre dterminante de madame
Clinton et de lautre ct le Vatican, qui, avec Marianne Glendon ( vrifier) qui est aussi
professeur Harvard University et qui exposaient deux thses.
La thse tait, la seule issue pour quil y ait une rgulation et qu'elle aille le plus vite
possible c'est de faire absolument confiance aux femmes, ce qui s'est appel Woman
empowerment et cest la thse que dfendait Amartia Senne et qu'a t dfendre Pkin
madame Clinton, qui tait : il est urgent de
J.-A. Miller : donner pouvoir aux femmes sur cette question
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 35

35
ric Laurent : donner pouvoir aux femmes sur cette question et que justement il ne faut
surtout pas que les hommes veuillent les duquer, il suffit de leur donner le pouvoir
financier, le pouvoir de contrle, et a va trouver sa courbe d'horizon.
Le Vatican par contre, qui le disait par la voix de Marianne Glendon, considre que a cest
le fminisme l'ancienne et eux - c'tait a formidable, lide de savoir que c'est un
professeur dHarvard, qui propose un fminisme nouveau et qui s'approprie le signifiant
nouveau. Il s'agit pas du tout d'imposer le fminisme occidental avec le soutien de groupes
d'intrts pour lesquels le bien-tre de la femme est secondaire, en particulier les partisans
du contrle de la population qui esprent, l je cite le porte-parole du Vatican, qui
esprent, arriver leurs fins peu de frais en faisant pression sur des femmes dshrites
pour qu'elles aient recours aux contraceptifs hormonaux et l'avortement en supprimant les
aides aux familles sans ressources et en fermant la porte aux immigrants. Donc elle est
pour un nouveau fminisme qui au contraire ne fasse surtout pas recours la moindre
contraception, et elle dit donc le nouveau fminisme doit considrer les femmes et les
hommes comme des partenaires, et non pas des rivaux, donc pas dempowerment des
femmes du tout, parce que cela fait des rivaux, il faut runir au lieu de diviser, tre tolrant
plutt que dogmatique, et comme dit Marian Glendon, ce nouveau fminisme est
reprsent par des personnalits aussi diffrentes que le Pape Jean-Paul II, et la Prsidente
de la Rpublique d'Irlande, et la liste s'arrte l d'ailleurs, parce que... videment... et vous
savez que l'Irlande, et malgr tout a, a quand mme vot pour l'existence du divorce.
Alors ces dclarations qui sont centrales sur justement la place que l'on assigne aux
femmes... - il est 3 heures et demie, je vais m'arrter l,
J.-A. Miller : deux phrases de plus,
ric Laurent : deux phrases de plus. C'est partir de l qu'on est arriv dfinir Pkin,
le 12 septembre 1995, il y a un peu plus d'un an, le droit humain des femmes , The
humans rights for women, expression qui jusque l n'tait pas utilise et qui a t utilise
dans une ngociation entre madame Dunlop ( vrifier) reprsentante du courant amricain,
et les reprsentants du Vatican qui ne voulaient pas avoir l'expression les droits sexuels
des femmes , et d'ailleurs l'administration Clinton trouvait l'expression, le prsident Gore
spcialement avait trouv l'expression un peu gnante, il fallait trouver autre chose et donc
on a dit les droits humains des femmes qui incluent leur droit d'avoir le contrle et de
dcider librement et responsablement sur les matires relatives leur sexualit, celles-ci
comprenant leur sant sexuelle et reproductive, cela libre de coercition, de discrimination et
de violence . a c'est un texte qui n'a jamais exist avant dans l'histoire de l'humanit et qui
dfinit en effet et dans l'esprit de ceux qui le proposaient, c'est en effet le humans rights
for women, c'est partir de l que...
Jacques-Alain Miller :
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 36

36
Remarquons que absolument c'est anti- communautariste, a c'est vraiment
l'absolutisation des droits du sujet propritaire de son corps et donc qui exclut d'tre au
service des ambitions globales d'une collectivit.
ric Laurent :
et c'est ce texte au fond que parait dj, ce texte qui a t publi en septembre, c'est
annonc depuis 1994, et c'en est fait a que rpond l'encyclique Evangelium vitae,
que vous connaissez tous, qui a t rendu publique le 31 mars 95 et que le Pape a mis au
point et qui au contraire affirme le droit d'abord de la communaut avant celle de l'individu
et la norme morale objective avant celle de ce libre choix non communautariste. Mais on
pourra reprendre d'autres occasions.
Jacques-Alain Miller :
On reprendra libert des Anciens, libert des Modernes, psychanalyse des Anciens,
psychanalyse des Modernes.

Fin de la seconde sance du sminaire 27/11/96


E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 37

37
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Troisime sance de sminaire
(mercredi 4 dcembre 1996)




ric Laurent :

Je vais poursuivre partir du point o la dernire fois j'ai t arrt par la montre,
mais je voudrais aussi dire les chos que j'ai recueillis, les petites phrases qui ont
attir mon attention, en cho ce que je disais.
Alors il y en a deux qui sont revenues sous des formes diverses, la premire, c'est
s'il vous plat, mettez les noms au tableau. Plusieurs personnes me l'ont dite et
videmment a fonctionne comme un signal du fait quil y en a peut-tre un peu trop,
trop de noms propres nuit, donc j'en tiens compte. Et puis la deuxime c'est quon
m'a dit vous pourriez peut-tre reprendre le dbut de la dmonstration. Alors je me
suis dit que c'tait exactement ce que j'allais faire, de reprendre le fil de la
dmonstration par laquelle je suis la thse nonce par Jacques-Alain Miller que
L'Autre n'existe pas.
Je comprends qu'aprs tout on trouve quil y a beaucoup de noms propres puisque
nous sommes partis d'un pensionnat Vienne fin de sicle pour en arriver la
communaut des femmes hors pensionnat, runie Pkin, nonant une thse
universelle.
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38
Je suis parti donc de la thse freudienne, la troisime identification distingue dans
Massenpsychologie, identification au symptme prlev sur l'autre indiffrent, au
sens de l'autre comme tous les autres, pour souligner qu'il ncessitait une
identification pralable forte. Le on du pensionnat suppose un Autre qui existe, certes
un Autre en remaniement, dans des processus de transformation, Vienne fin de
sicle, mais qui existe. Pour le souligner j'ai pris non pas l'exemple du pensionnat de
jeunes filles mais celui des pensionnats de garons anglais. En soulignant comment
dans l'avant-guerre, deuxime, ces pensionnats avaient form des jeunes gens,
individualistes, mais qui avaient su, collectivement, rpondre un appel pour former
trs rapidement un corps d'lite, la chasse arienne, qui a essentiellement recrut
parmi les diplms d'universits d'Oxford et de Cambridge, ce qui a permis donc aux
anglais de se ressaisir.
Je soulignais ensuite que le multiculturalisme actuel ne permet plus de former des
pensionnats, des communauts du mme ordre que celles qu'a encore connues
Freud, dans le melting pot de l'empire Austro-hongrois. Je me suis intress ainsi au
pensionnat gnralis, moderne, aux formes d'tablissements universitaires o la
tentative de langue commune du discours universitaire dans le moment qui s'est
qualifi de politiquement correct vient masquer le fait de la trs grande
diffrenciation et de l'htrognit de communaut. Et je me suis donc intress
la nature de ces identifications faibles, l o existe, comme le dit Jacques-Alain Miller,
un sentiment de fragmentation discursif.
L o a n'est pas le signifiant du Nom-du-Pre qui collectivise mais le signifiant
matre pluralis comme le signifiant au nom de quoi je parle , dans les termes qui
taient utiliss.
Le temps de la dbilit dlibrative donne une forme nouvelle aux pidmies
hystriques. Si donc suivre le mathme (que j'cris au tableau) de J.-A. Miller


E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 39

39
nous avions les deux modes de compltude du sujet du ct de l'idal, du ct de
l'objet, en ces temps o l'idal apparat toujours prsent dans son exigence mais ne
traitant plus la jouissance dont il s'agit,



laissant cela au signifiant matre pluralis, et bien nous n'obtenions plus des
pidmies hystriques sous la formes des convulsionnaires de Saint-Mdard, des
possdes de Loudun, mais nous obtenions cette pidmie plus fragmente, centre
sur des procs judiciaires, pris en srie, qui ne se centralise pas avec un grand
Inquisiteur, comme Loudun, mais qui diffuse dans une jurisprudence, mobilise des
experts judiciaires, psychologiques, toujours plus spcialiss dans le trouble qui
essaie d'tre vis et qui au fond souligne cette identification fragmente, et pulvrise
le contexte.
Alors la thse tait que le pensionnat moderne ressemble bien plus ces formes
hystriques, ces pidmies hystriques fragmentes, plutt centres sur un mode de
vie o on reconnat l'Autre. a n'est pas l'identification forte de secte qui est en jeu,
dans ce type d'pidmie que je disais, mais l'identification dbile l'pidmie de
procs.
Bien que faible, cette pidmie dfinit un mode de socialit fragmente, une
pidmie ct d'une autre, qui ne se mlange pas, ne se comprend pas, et partir
de l surgit un souci : comment parler l'Autre et dfinir des formes plus larges de
communauts ?, et c'est le souci donc de ces auteurs, de ces philosophes tant
amricains quallemands, dans la tradition dmocratique allemande, dfinir des
formes de vie partir desquelles on se comprend et o on peut s'entendre, jusqu'o
ces communauts les dmatrialiser, jusquo ne pas en faire un horizon partir
duquel on ne peut plus penser. D'o le mot d'ordre comment faire pour la fois
vivre localement et penser globalement ? , Think global, vote local. C'est le
comment penser... , ce qui n'est pas forcment exaltant.
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On s'interroge ainsi sur le mode de communaut qui peut relier les deux niveaux,
jusqu'o ce mode de communaut forme partir de l'individualisme peut atteindre
le niveau de prise en masse plus important et on s'interroge sur quel est le village,
quel est l'Autre, qui convient un sujet ainsi dfini dans son malaise.
Troisime point, je suis ainsi pass considrer un style de vie et considrer
comment le local du style de vie peut atteindre le global. Et je l'ai fait sur un test, si je
puis dire, puisquil sagit de natalit, le test qui permet de constater que si l'on suit les
considrations globales au niveau de la natalit, et s'il n'y a pas de catastrophe,
mesure que la situation des femmes se drgule sur la plante, qu'elles s'excluent de
la tradition des pensionnats et de l'assujettissement aux normes des maris ou des
pres et l, je veux distinguer a tout fait de la question de la norme mle, comme
dit Lacan, a a des rapports, la tyrannie des maris et des pres avec la norme mle
mais a n'puise pas toute la question. Et bien mesure que a donne un certain
style de vie, indit jusque l, on arrive penser qu'on pourra atteindre une sorte
d'quilibre, sur une question aussi centrale que la reproduction, toujours point
essentiel pour assurer la stabilit des formes politiques d'organisation de nos
socits.
Depuis que l'conomie existe, il a exist le point de vue malthusien, c'est--dire le
point de vue de considrer que le facteur crucial dans toute conomie c'est le
contrle de la population, avec le point de vue pessimiste malthusien et ses
adversaires qui ont tout de suite exist.
Alors est-ce quil simplement s'agit de l'accomplissement de la loi des grands
nombres ? Tout systme, une fois qu'on a suffisamment d'lments, finit par trouver
un quilibre, c'est le point de vue physicien sur la question. S'agit-il en fait de la
diffusion partout du standard, du matre politique, la famille amricaine, nuclaire,
diffus par la tlvision suffisamment pour provoquer cette pidmie de familles
nuclaires ? Est-ce un repli sur l'gosme, est-ce une issue hors de l'esclavage
reproductif ?
Ce sont les questions ouvertes au niveau de la position fminine, au niveau global.
Ne pourrait-on plutt pas dire qu' mesure qu'en effet la position fminine s'extrait
de la tradition, est-ce que la rduction du nombre d'enfants ne maintient pas
ouverte, pour la premire fois dans l'histoire, la position fminine non-rduite, non-
sature par la position maternelle ? Est-ce que le taux qui s'approche de la
reproduction, c'est--dire deux enfants et quelque, le clbre 2 enfants virgule 3
(2,3), avec la plaisanterie classique qui est aux tats-Unis les femmes ont 2,3
enfants mais surtout chaque enfant a 2,3 familles...
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Est-ce que l'on obtient pas plutt une sorte de limite qui n'est ni celle des grands
nombres, ni celle de l'gosme, mais qui est plutt celle de la limite de la division
subjective. Et qu'au fond la psychanalyse laisserait plutt penser que le sujet ct
fminin comme le sujet ct masculin et autrement, maintient sa division. Il s'agirait
moins d'empowerment, il s'agirait moins de prise de pouvoir de sujet goste, qu'au
fond d'affirmation d'un rapport avec l'Autre de la division. Est-ce que ce ne serait pas
l'exercice de la vertu de gnrosit, ct fminin ?
J'en tais donc arriv l. Du pensionnat cette communaut plantaire, de la crise
d'hystrie au milieu ferm, jusqu' la division structurale qui maintient le dsir chez le
sujet fminin comme le vritable principe de rgulation des naissances.
Revenons au premier pensionnat freudien. Je mentionnais en passant le chef-
d'uvre de Musil intitul Les dsarrois de l'lve Trless, qui prsente un pensionnat
ct garon dans une poque contemporaine de l'criture de Freud. Contemporaine,
enfin, en un sens. C'est crit en 1906 et c'est le premier roman d'un jeune homme de
26 ans, ingnieur, comme savaient l'tre ces ingnieurs autrichiens, comme
Wittgenstein mais aussi Hermann Broch. Au fond ils avaient trouv une recette
formidable pour fabriquer des non-ingnieurs dans leurs coles d'ingnieurs. Je ne
sais pas ce qu'ils leur apprenaient, mais enfin, ils arrivaient en fabriquer des types
trs tranges, dans la littrature, la philosophie, les arts, tout a partir de leurs
Gymnasium.
Alors ce rcit de 1906, dcrit un pensionnat, enfin c'est l'envers du pensionnat de
l'poque, et c'est vraiment dcrit comme cela, c'est ce qui se passe derrire la faade,
dans le grenier, et c'est un huis-clos entre trois garons qui font bande. Les trois
prisonniers s'appellent Trless et ses deux copains Beineberg et Reiting. Ces trois
dcouvrent qu'un parmi eux, un des garons de la bande, vole. Il vole les autres parce
que lui, sa mre ne peut pas, parce qu'elle est veuve, et le fait qu'il y ait pas de pre
est dcisif. Chacun des autres en a un, bizarre, mais en a un, lui, celui qui vole, n'en a
pas. Sa mre ne le soutient pas suffisamment, ce garon, et il essaye dsesprment
d'tre homme et pour a il va - comme font des garons dans ces cas l - il va dans
l'endroit malfam du lieu et, enfin bref, il dpense de l'argent dans des btises et
royalement, enfin il va voir les dames, il va voir les prostitues pour parler avec elles.
Et il se fait choper, ce garon, qui a un nom d'une consonance qui rompt la srie, il
s'appelle Basini, cest choisi pour a, il se fait attraper.
Le rcit c'est donc que ce garon est ensuite tortur par ses camarades et le rcit
montre comment Trless, d'abord pense avoir recours la justice, ensuite se fait
fasciner par la cruaut des autres, et ensuite en sort en trouvant la solution aprs
avoir particip sa faon, moins abjecte que celle des autres, fascin par cette zone
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 42

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o ils taient entrans. Et donc il sort de l, dans un roman qui sans affect, sans
dbordement, simplement, comme dit Philippe Jaccottet dans sa postface - il lui
reproche d'utiliser le mot frisson un peu trop, mais sinon d'une nettet pour une
chose si horrible - et la fin un apaisement, ce garon ayant... nous verrons d'ailleurs
en quoi, apaisement.
Au dpart c'est donc une communaut aux identifications trs fortes, et c'est
dcrit, Trless l'a choisi, parce qu'il est lui mme prsent comme ambitieux. C'est un
pensionnat qui doit former l'lite de la nation, et entre eux ils se parlent du
pensionnat comme a : c'est une communaut vie , puisque cela leur servira
ensuite de carte de visite pour toute leur carrire, ancien lve de l'cole avec
privilges et devoirs spciaux .
Et le problme de la communaut fascine Trless... ses copains, il note qu'il
pouvait constater de ses yeux ce que c'tait que d'avoir le premier rle dans un tat,
puisque chaque classe, dans ces coles, est un petit tat, en soi. Ce que a fabrique,
c'est de l'exclusion. Et en effet le moment o ils saisissent un de leurs camarades en
faute, ce qui vient ceux qui incarnent cette position de l'identification de la bande,
c'est l'ide que ce garon n'est rien, et au fond il est possible de le sacrifier, de ne pas
le considrer comme humain au sens de la bande. L'un des deux dit, Beineberg dit :
Je ne puis m'empcher de penser comme toi - le fait que Basini est aussi malgr
tout un tre humain - je suis sensible moi aussi la cruaut, mais prcisment tout
est l, dans le sacrifice, c'est comme si deux fils opposs se tenaient lies, l'un qui
m'oblige dans ma plus ferme conviction une neutralit compatissante, et l'autre,
qui va vers le mal, vers le plus profond savoir et qui me rattache au cosmos. Des tres
tel que Basini, je l'ai dit, ne signifient rien, ce sont des formes vides, contingentes.
Et un autre considre effectivement qu'alors, puisqu'il n'est rien, le tourmenter est
simplement de l'ordre de l'exprience. L'humilier, l'craser, et ainsi l'loigner de
moi est une bonne chose, je me dois d'apprendre chaque jour grce lui, que le
simple fait d'tre un homme ne signifie rien. Que c'est une ressemblance toute
extrieure, une singerie.
Et cette exclusion immdiatement saisit ces garons, les amne aussi parler du
reste de l'humanit de la mme faon. Tout devient exprience e,t en particulier,
vient de l'un des deux qui saisit l'ultime tourment : aprs en avoir abus par toutes
les faons, c'est de le livrer la classe et il dit simplement : J'adore les mouvements
de foule : personne ne songe faire grand-chose et les vagues ne s'en lvent pas
moins toujours plus haut, pour finir par engloutir tout le monde. Vous verrez, pas un
ne lvera le petit doigt, et nous aurons quand mme un vrai cyclone. Voil
comment il dcrit le lynchage qui attend le Basini.
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Comment ne pas reconnatre l le principe mme de l'identification que Lacan
dcrit la fin Du temps logique , dernire phrase : ...de l'assertion subjective
anticipante (...) : Un homme sait ce qui n'est pas un homme ; Les hommes se
reconnaissent entre eux pour tre des hommes ; Je m'affirme tre un homme, de
peur d'tre convaincu par les hommes de n'tre pas un homme. Ce mouvement l,
c'est exactement ce qui fait que le roman de Trless est soutenu par cette tension
subjective dans une forme romanesque extrmement puissante, qui en effet est
remarquablement construite par Musil, qui ne lche pas, qui construit un
mouvement par lequel Basini se retrouve exclu de la communaut des hommes, ce
qu'il va supporter pour se reconnatre comme un homme, et pourquoi se maintient-il
encore comme un homme, pourquoi ne dit-il pas, pourquoi ne rompt-il pas ? De peur
d'tre convaincu tout fait de ne pas en tre un.
Et Lacan concluait : Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation
"humaine", en tant prcisment qu'elle se pose comme assimilation d'une
barbarie... Car en effet cette barbarie, elle est prsente ds le dpart. Dans cette
communaut d'adolescents, ce qui rode c'est la sexualit, menaante, prsence d'une
nature, c'est une chose froce, prsente comme ce qui peut l'empoigner, Trless, le
lacrer, ses yeux d'abord et d'emble, ds la trentime page, Trless s'installe dans
une sorte de tension rotique avec l'Autre, avec son camarade, cette ide que s'il y a
vraiment quelque chose entre lui et son copain, Beineberg, quelque chose entre
guillemets, c'est ce moment l que Trless brle de couvrir d'insultes son camarade.
Et il y a ce lien tout de suite quand on approche de la sexualit, et o cette
signification ne s'aborde que par la forme limite du langage, l'injure, l'insulte,
l'humiliation, la terreur.
Il dcrit, cette sexualit prend la forme, la mtaphore que d'autres romanciers ont
utiliss et qui sera reprise, cette forme du mur. Il est fascin par les pierres, comme si
elles cachaient une prsence, cherchant des mots pour parler aux hommes. Je crois
sans doute qu'en dernire instance la mtaphore des pierres qui parlent, c'est dans la
Bible qu'il faut la trouver, je n'ai pas eu le temps de vrifier, bon.
Mais cette mtaphore est construite et le laisse de l'autre ct du mur. D'un mur
qu'il raccroche, dans sa solitude, deux souvenirs d'enfance ou plus exactement un
souvenir d'enfance ddoubl. Il y en a deux dans le roman, l'un qui est raccroch la
mre, et l'autre qui est raccroch au pre. Le souvenir d'enfance ddoubl c'est
d'abord, il dit ceci : J'tais tout petit, je me trouvais un jour cette heure l en train
de jouer dans la fort, la bonne s'tait loigne, je ne m'en tais pas aperu, je
croyais encore sentir sa prsence toute proche, soudain je lve les yeux, je sentis que
j'tais seul, tout le silence brusquement s'tait form et quand je jetais les yeux
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 44

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autour de moi, j'eus l'impression que les arbres m'encerclaient et m'observaient sans
mot dire - sans mot dire - je pleurais. Alors : Ce silence soudain, dit-il, qui est
comme un langage que nous ne pouvons percevoir. a c'est le premier souvenir
avec la mre. Il y en a un deuxime avec le pre. Un jour, me trouvant avec mon
pre, devant un certain paysage je m'tais cri "comme c'est beau" et la joie de mon
pre ces mots m'avait gn. En effet j'aurais pu tout aussi bien m'exclamer que
c'tait affreusement triste.
Et Trless se rappelait encore la scne, les mots, et plus nettement encore le
sentiment qu'il avait eu de mentir sans savoir comment, qui est le mensonge le plus
pathtique, non pas le mensonge dlibr, mais le sentiment qu'il a menti ; l dans ce
souvenir, dans la premier souvenir de la mre, se touche l'abandon, le laiss en plan,
la prsence inquitante ; et dans le souvenir avec le pre se touche le sentiment
inconscient de culpabilit.
Le chemin des aventures de Trless avec la jouissance se poursuit dans le rcit de
ce qui arrive Basini et lui-mme poursuit sa recherche, qui, avec l'aide des
matriaux qu'il nous donne, ses rves, ses souvenirs d'enfance d'abord, va culminer
sur un rve. Et ce rve c'est un rve qui va lui donner une solution et il se prsente
d'ailleurs dans le rve, dans le texte comme ce qui donne la solution. Ce rve c'tait
d'abord deux petits personnages chancelants, qui traversent dans sa direction, c'tait
videmment ses parents mais si petits qu'il tait incapable de rien prouver pour eux,
ils disparaissent du ct oppos. Il en revient encore deux, mais gare, un troisime les
avait dpasss en courant d'un pas deux fois plus allong que son propre corps, et
dj il avait plong sous la table. N'tait-ce pas Beineberg et les deux autres ? N'y
avait-il pas son professeur de mathmatiques, mais l'autre avec sous le bras un trs
gros livre, presque aussi gros que lui, qu'il pouvait peine traner, tous les trois pas il
s'arrtait, posait le livre terre et Trless entendait la voix geignarde de son
professeur qui disait : S'il en est bien ainsi, nous traversons ce qu'il nous faut page
12, la page 12 nous renvoie la page 32, et suit une srie de renvois la page 32,
mais nous devons tenir compte galement de la note de bas de page 31, et cela pos,
etc., bref il l'entrane dans la mtonymie.
Courb en deux sur le livre, il le feuilletait avec tant de vhmence que des
nuages de poussire s'en chappaient. Au bout d'un moment ils se redressrent, et
l'autre caressa les joues du professeur. Arrive le sexe Ils refirent quelques pas et
Trless entendit de nouveau la voix, telle exactement comme les leons de
mathmatiques quand elle droulaient le tnia d'un thorme. La signification
phallique aprs caresser les joues apparat sous la forme drouler le tnia d'un
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 45

45
thorme. Cet autre n'tait-ce pas Kant ?, Kant, le petit bonhomme tressaillait, ne
cessait pas de grandir, dans une svrit implacable.
Et en effet juste avant le rve Trless va voir son prof de maths et lui pose une
question sur les nombres imaginaires, a le trouble on ne peut plus profond, ce calcul
construit sur une entit qui n'est pas palpable et donc il voit sur la table de chevet du
prof. de maths, Kant. Donc, si je puis dire, c'est vraiment, c'est Kant avec Sade
chez Trless. C'est Kant qui arrive comme celui qui a la solution, le noyau de l'objet
est donn autour de la voix, la voix qui surgit et, d'ailleurs, Trless, un peu plus loin,
dans le livre, le rve est page 140, 12 pages aprs, Trless nous parle du fait quen
vacances avec ses parents, en Italie, ils taient dans une petite ville italienne, dans un
htel ct du thtre, et tous les soirs il y avait opra, il ne pouvait pas dormir, et il
tait tomb amoureux de la voix de la cantatrice.
Ce rve, c'est ce qui lui donne une solution, pour l'intgration du point de
jouissance. C'est ce qui va le faire sortir de l'espce de rve fascin, hypnotis, et le
livre parle de cet hypnose longtemps, de ce sommeil hypnotis il sort par l'angoisse.
C'est l'angoisse qui le rveille et comme il dit l'angoisse l'avait introduit dans le
tourbillon du rel. Et de l il devient parfaitement lucide sur ses deux bourreaux,
comme il dit de l'un la colre le rendait capable des pires bassesses, et de l'autre
Beineberg, on aurait dit qu'il frmissait d'une haine accumule pendant des annes
alors qu'il s'agissait de rien.
A partir de l il trouve la solution. Il trouve la faon de faire dnoncer, que Basini
aille se dnoncer lui-mme pour s'extraire du cauchemar, c'est lui qui ??? Ainsi il se
retrouve devant l'assemble et il explique sa solution, il l'explique sa faon. C'est
qu'au fond la sexualit a avait fait surgir, comme le rve l'indique, qu'entre chaque
lment de la pense, pour nous entre chaque signifiant, ce que fait surgir la
sexualit c'est l'infini. Et c'est le rapprochement qui, pour lui, se fait, dans le roman,
entre ses proccupations mtaphysiques entre guillemets, nourries par les
mathmatiques et la sexualit. Il se dit : toi-mme, alors, tu avais trouv dans les
mathmatiques cette petite anomalie qui tmoignait que notre pense ne s'avance
pas sur un terrain solide, qu'elle a des trous franchir, un peu avant. L'infini, Trless
avait entendu souvent ce terme au cours de mathmatiques, il n'y avait jamais rien
vu de particulier. Tout coup, comprenant que quelque chose, et terriblement
inquitant, tait li ce terme, il tressaillit, et ce qu'il, - c'est rapproch
immdiatement dans le texte, de la pense de ce qui s'tait pass avec Basini avait
profondment divis Trless. Tantt elle restait raisonnable, tantt l'envahissait de ce
silence, qui exigeait d'tre trait comme une ralit vivante, exactement comme
l'ide de l'infini, un instant plus tt.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 46

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Ainsi Trless dans les dernires scnes du livre est convoqu devant le conseil de
discipline de l'tablissement et dans lequel cette assemble des sages de
l'tablissement sont prsents comme une bande d'imbciles qui s'est dj fait
entirement convaincre par les deux bourreaux de ce Basini, qu'il valait mieux craser
tout a, et qu'il ne s'tait pratiquement rien pass.
Et donc on l'accueille en lui disant, alors qu'il parle de son vertige et de son
motion, il commence une dmonstration, on lui dit : Oh, vous voulez sans doute
dire que vous avez une rpugnance naturelle pour le faux pas de votre camarade,
c'est celui qui avait vol, et que le spectacle du vice en quelque sorte vous paralysait,
comme on dit que le regard du serpent paralyse sa victime, et il commence sa
dmonstration : Non, ce n'est pas proprement parler de la rpugnance. D'abord je
me disais qu'il avait mal agit, et qu'il fallait le livrer ceux qui avaient la charge de le
punir. Ensuite il m'apparaissait de nouveau sous un jour si insolite que je cessais
compltement de penser la punition, il se produisait en moi comme une flure. L
le prof. de maths intervient en disant : Oui l sans doute pour expliquer ce que vient
de nous dire monsieur Trless, il tait venu me voir et il avait recherch ce qui
semblait reprsenter ses yeux du moins une faille dans la pense causale. La
solution que donne Trless entre d'un ct, la raison et, de l'autre ct, l'envers,
l'infini, ce qui rejoint le silence infini qui ne peut pas se dire, c'est celle-ci : je sais
que les choses sont les choses et qu'elles le restent toujours, je continuerai les voir
comme a, tantt comme si et tantt comme a, tantt avec les yeux de la raison,
tantt avec les autres et je n'essayerai plus de les comparer.
C'est la solution que trouve Trless, il y a un envers du monde, c'est
incommensurable, il y a un point, si on veut c'est comme le point d'inflexion du plan
projectif, a fait toujours flure, a vous fait basculer d'un ct ou de l'autre, on ne
peut pas sen sortir par la comparaison. Cette solution, c'est l'envers de la
psychanalyse, c'est un oubli de soi, c'est l'oubli de soi que construit l'uvre mme, la
distance qu'a russi prendre Musil l'gard de ce qu'il a travers. Ce n'est pas la
voie psychanalytique, mais c'est ce qu'il a trouv et qu'il a laiss en effet l'gard du
langage, et l'gard de l'Autre, dans cette position de satire, je le disais, qui annonce
la premire partie de L'homme sans qualits.
Mais peut-tre, que a n'est pas simplement parce que Musil a eu un succs
considrable avec ce premier roman, et puis plus de succs ensuite, ce n'est peut-
tre pas simplement pour a qu'il n'a pas russi terminer L'homme sans qualits.
Au fond dans ce texte, a se termine, une fois travers le conseil de discipline, sa
mre vient le rechercher, et ce livre qui tait centr au dpart sur les proccupations
sur l'homosexualit, se termine d'ailleurs sur une discrte fminisation puisqu'il le
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 47

47
sujet lui dit : cette impossibilit de trouver des mots avait trouv une issue, comme
la certitude de la femme enceinte qui devine dj le discret frmissement,
tiraillement de l'avenir. C'est tout de mme par l que s'introduit la castration mais
a lui permet tout de mme d'aborder sa mre qui, dans tout le roman, est dcrite
comme inaccessible, idale, la femme lgante, le femme du monde, au milieu de ses
rencontres avec les femmes de mauvaise vie et l'homosexualit, le blasphme de la
mre est une hantise constante et la dernire phrase quand mme du livre, c'est ceci
: il aspira le lger parfum qui s'exhalait du corsage de la mre.
la fin il y a tout de mme l'ide qu'il y a un chemin possible vers les femmes dans
ce discret blasphme, considrer que la mre a un corsage.
Ainsi Trless, dans le chemin qu'il dcrit, c'est un chemin vers l'assomption d'une
sexualit possible, de la construction en effet d'un fantasme une fois qu'il a lch les
idaux et qu'il se retrouve avec le soupon quil est devant les signifiants matres, qui
n'existent pas. Mais justement L'homme sans qualits a sera de dire tout le
tourment qu'il y a, lui il n'a pas l'ide que c'est un Autre qui n'existe pas, qui est en
toc et qu'il est possible de vivre avec. Il reste encore sans doute le dernier grand
roman de ceux qui souffraient de ce point l. Voil.
(applaudissements)

Jacques-Alain Miller :

Et bien mon tour, je poursuis sur le thme que nous avons choisi la dernire fois,
celui de l'identification. Et la dernire fois j'ai cris le sigle suivant grand I de A barr
qui est une variation sur le signe, le mathme utilis par Lacan pour dsigner
l'identification majeure l'idal du moi.
Identification qu'appelle le dficit signifiant du sujet S barr, qui figure dj au
tableau et cela, je le rappelle dans un graphe de Lacan qui pourrait se rsumer
son point de dpart et son point d'arrive, par ces deux sigles, S barr le point de
dpart, grand I de grand A au point d'arrive.

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 48

48

Et on pourrait, il serait justifi de disposer ces deux termes sur le modle d'une
mtaphore, grand I de grand A, venant comme se substituer la dfaillance, la faille
de ce sujet barr.

I(A)




L'identification est certainement pensable comme une mtaphore, la mtaphore
d'identification et le schma du discours du matre que Lacan, plus tard, proposera,
en effet, inscrit explicitement l'identification comme une telle mtaphore.
Bon alors pourquoi ajouter ce symbole grand I entre parenthses le sigle de
l'Autre majuscule. C'est que l'identification se rfre l'Autre, qu'elle dpend de
l'Autre, qu'elle est en quelque sorte un prlvement signifiant sur l'Autre. Et l'Autre
qui est mis la tche de soutenir l'identification, disons que c'est un Autre consistant,
un Autre qui existe, nous verrons en quel sens, enfin on peut dire que, l, il existe,
l'Autre, et, au fond, les dsarrois de Trless dans son pensionnat sont les dsarrois
d'un sujet aux prises avec un Autre consistant o se rvlent par contingence deux
cts une faille qui tient au pch, l'infraction, la transgression, d'un personnage
par rapport aux valeurs centrales de l'institution.
Cette institution est, comme le rappelait ric Laurent, en continuit avec les plus
hautes institutions de l'tat, et donc l, dans ce microcosme de l'tat, nous avons un
sujet plong dans un Autre consistant o se rvle la prsence, l'action d'une
jouissance trouble, mais dans un cadre qui est celui de l'Autre consistant.
Alors la variation lgre que j'ai introduite en crivant grand I de A barr, au fond
c'est l'index d'une question : qu'est-ce que devient l'identification lorsqu'il y a
inconsistance de l'Autre ? Comment s'accomplit alors le prlvement signifiant dont il
s'agit ? Que se passe-t-il lorsque l'inconsistance descend au niveau de l'identification
? Oui enfin je songeais la plaisanterie qu'on faisait encore dans les cours de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 49

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prparations militaires. J'ai suivi des cours de prparation militaire. Apparemment a
ne m'a pas prpar jusqu'au militaire mais on faisait encore, dans ce cadre, qui n'tait
pas vraiment de pensionnat parce que l'on y allait... je ne sais pas, une fois par mois,
on faisait des plaisanteries de collgiens, et il faut dire que la prparation militaire,
donc, l'horizon l'arme qui est un mcanisme puissant d'identification virile, et
nationale, et que nous sommes dans l'actualit ici en train aussi de mettre de ct ce
mcanisme d'identification pour le remplacer par ce que pour l'instant on appelle le
rendez-vous citoyen , qui constitue, disons-le, un comit d'thique. On va
videmment remplacer la formation militaire et l'anne du service militaire par un
comit d'thique o on vous expliquera ce que c'est l'arme, la grande fonction
qu'elle a et puis on vous dira au revoir. C'est peu prs d'ailleurs ce que j'ai, dj de
mon temps, peu prs connu.
ric Laurent :
Simplement dans l'tat du Texas, aux tats-Unis, dans les universits, les filles
peuvent choisir comme discipline, unit de valeur, a donne des points, les
techniques militaires o elles ont une prparation, trs suivie, militaire, technique de
survie, jeux de survie, football, etc., et au contraire l, elles en redemandent, c'est pas
moins de rendez-vous citoyen, c'est plus de rendez-vous citoyenne.
Jacques-Alain Miller :
L disons, nous touchons une question, qui, au tats-Unis au moins, est tout fait
d'actualit puisque se sont maintenues aux tats-Unis des coles d'lite de formation
militaire rserves aux garons et de la mme faon que, dans les annes cinquante,
on a vu, par un certain nombre d'pisodes privilgis, des noirs se prsenter aux
portes des universits pour tre admis, et la Garde Nationale venir leur barrer le
chemin, en Arkansas, etc... Aujourd'hui on voit exactement les mmes scnes, je me
souviens dans les annes cinquante, c'tait une petite jeune fille noire venant devant
les portes de l'universit et le Gouverneur avec les militaires derrires disant : elle
ne passera pas et a avait enflamm l'Amrique et l'poque, le monde,
d'indignation. Et aujourd'hui on a les mmes scnes devant les prytanes militaires,
exclusivement masculin : on voit en gnral une forte jeune fille blanche demander
entrer et puis gagner son procs aprs le parcours du combattant, judiciaire, et donc
la jeune fille va entrer au milieu de cent types, pour, comme eux, connatre a. Et
donc a se passait cette anne, enfin les derniers bastions rservs aux pour-tout-
garons, et les filles ont commenc y entrer.
Alors pour finir sur la plaisanterie qu'on faisait encore l'poque, sur le manuel
militaire, c'tait - c'est bien connu - de quoi sont les pieds ? - L'objet des soins
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 50

50
attentifs du soldat , et bien je transpose a notre question de l'identification, de
quoi est l'identification ? L'objet d'une proccupation croissante de l'opinion. Et il
faut dire que l on note les dsarrois, non pas de l'lve Trless, mais les dsarrois de
l'opinion publique sur la question de l'identification.
Le malaise dans la civilisation se fait manifeste aujourd'hui ce niveau, le souci de
l'identit et c'est patent, c'est de tous les cts, on ne peut pas dire mme que c'est
une interprtation que nous ferions, en commenant par l'identification, c'est patent
au point d'en tre inquitant. Et on se dit en effet que si c'est ainsi problmatis sur
la place publique, c'est que a doit tout de mme tre aussi bien un voile de quelque
chose d'autre. Enfin, il suffit d'ouvrir le journal - je l'ai fait cette semaine - pour voir,
ici, un colloque qui met l'affiche les incidences de la mondialisation sur les identits
individuelles et nationales et sur les rsistances qu'elles offrent. a se dbat sur la
place publique dans ces termes, nous n'interprtons rien.
L je trouvais les rflexions d'un collgue psychanalyste, sur les menaces que les
progrs de la gntique feraient peser sur les processus d'identification. Hier, je lisais
l'amorce d'un dbat entre ethnopsychiatres, lves de Georges Devereux, sur les
rapports tablir entre inconscient et culture. L'un au fond considre, semble-t-il,
que la meilleure des thrapies c'est, pour les sujets immigrs, la meilleure des
thrapies quand ils prsentent une certaine pathologie d'ordre psychique, voire
mme physique parfois, la meilleure des thrapies c'est l'immersion du sujet dans sa
culture, donc dans le pays d'accueil, c'est--dire propose d'organiser comme thrapie
sa sgrgation culturelle. Et de protger sa sgrgation culturelle dans le pays
d'accueil. Et l'autre, et bien le conteste et voit dans cette thrapie par sgrgation un
artifice et un artifice vain, tant donn que cette sgrgation culturelle est rgressive
et en plus impossible rendre effective.
Pour nous, se vrifie tous les jours la prdiction de Lacan en 1967 dans La
proposition de la passe , celle qui concerne l'cole de psychanalyse, c'est--dire ce
qui peut tre une certaine forme de sgrgation protectrice aussi bien, notre avenir
de marchs communs, dit-il (au pluriel), trouvera sa balance d'une extension de plus
en plus dure des procs de sgrgation.
Et au fond, il assigne ce processus une causalit, la science, et disons l'invention
technologique, dans la mesure o elle a pour effet, dit-il, de remanier les
groupements sociaux en y introduisant l'universalisation.
Alors qu'est-ce que a veut dire a ? Au fond ce qu'il appelle le groupement social,
disons que c'est une collectivit particulire - particulire, l, veut dire non
universelle - qui peut se poser comme distincte d'autres du mme modle. Disons
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 51

51
que la tribu en donne le paradigme, pour ce que les tribus disparaissent, les tribus
virent au peuple, elles virent l'humanit. Et ainsi au fond ce qu'annonait Lacan,
c'est que la particularit ainsi dissoute dans son lieu en quelque sorte naturel, dans
son lieu tribal naturel, si l'on peut dire, la particularit ainsi dissoute tendrait
infailliblement se reconstituer au sein de l'universel mme, et ce, sous la forme de
la sgrgation, de la sgrgation et de sgrgations multiples.
Pourquoi ne pas, un moment, ce moment, voquer la pense contre-
rvolutionnaire, la pense en 1789, dont d'ailleurs y a un cho dans certaines
propositions qu'ric Laurent a prleves tout l'heure dans le roman de Musil, la
pense des Burke ( vrifier), de Joseph de Maistre, de Bonald, qui leur faisait dire,
qui faisait dire l'un d'eux en face de l'expression des Droits de l'homme, qu'ils
avaient, Je n'ai jamais rencontr d'hommes , c'est ce que dit un des personnages
ou peu prs. Je n'ai jamais rencontr d'hommes, j'ai rencontr un Franais, j'ai
rencontr un Russe, j'ai rencontr un Anglais, je n'ai pas rencontr un homme.
Au fond c'tait souligner en quel sens l'Homme est une fiction, une fiction
rvolutionnaire et nuisible en tant qu'elle est promise dissoudre les particularits.
Et au fond la thse des contre-rvolutionnaires historiques, c'est si l'on veut l'Homme
n'existe pas, l'Homme de la dclaration des Droits de l'homme n'existe pas.
Et puisque Lacan n'a pas hsit dire que la Critique de la raison pratique de Kant
traduisait dans l'thique l'incidence du discours de Newton, pourquoi ne pas dire que
la Dclaration des Droits de l'homme, est la consquence de la monte en puissance
du discours de la science et disons quelle traduit la puissance universalisante du
discours de la science. Et en mme temps, il y a deux aspects, la Dclaration des
Droits est en mme temps une dfense contre cette puissance dissolvante,
puisqu'elle essaye au fond de dresser une barrire, naturelle, au dferlement de la
puissance universalisante et dissolvante, puisque cette dclaration s'affirme au nom
d'une nature. Qu'en mme temps quelle traduit l'universalisation, elle lui met un
temprament en l'obligeant se rfrer une nature de l'homme. Et donc elle
soustrait au remaniement impos par le discours de la science, elle soustrait une
sorte d'absolu juridique fond sur une nature. Et c'est en quoi l'humanisme qui
demeure l'ge de la science est profondment distinct de l'humanisme de la
Renaissance.
L'humanisme l'ge de la science, c'est un humanisme dfensif. Et au fond
l'homme est promis tre emport par le discours de la science et d'une certaine
faon c'est ce que traduit le S barr de Lacan, comme sujet de la science. Et a n'est
pas tout ce qui est emport, on peut dire mme que le concept de l'univers est
emport lui aussi. Et qu'il est emport par la dynamique du discours de la science ; et
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 52

52
c'est dans la mesure o le concept de l'univers est lui aussi emport que vient la
place la question du rel. Ce rel qui ne fait pas univers mais qui vient en bouts, qui
vient par morceaux et aujourd'hui la question du rel on peut dire elle est prsente,
elle est insistante, elle est traite comme telle dans la rflexion philosophique quoi
je viendrai tout l'heure ou un autre moment, on viendra ensuite.
On peut dire que S barr traduit la relativit c'est--dire la dissolution des
identits, et d'ailleurs le terme mme d'identification le traduit. L'identification veut
dire quune identit est toujours par quelque ct, de semblant. L'identification c'est
une identit de semblant et c'est d'ailleurs ce qui peut faire l'occasion, on l'a vu,
l'actualit de la sagesse de Montaigne et aujourd'hui on se rfre l'occasion
Montaigne comme donnant une solution, une voie d'issue au dsarroi contemporain,
et c'est aussi bien le principe de la nostalgie romantique, d'un monde d'avant que le
discours de la science ait dchan ces effets de remaniement. On peut aussi dire
qu'une des formes contemporaines de cette nostalgie romantique, c'est l'activisme
cologique.
Alors il y a l'cho de a, chez Lacan. Par exemple dans sa Tlvision, interrog sur
l'avenir du racisme, il voque le temps o on ne se mlait pas, le temps du chacun
chez soi . C'est le temps qui se rpercute dans des slogans qui reviennent
priodiquement, du style La France aux Franais . Alors la question c'est
prcisment le chacun chez soi est devenu impossible . Et quen mme temps on
observe les rsistances du chez soi contre les effets de dlocalisation, de dislocation
qui imposent leur prsence.
Alors ce qui incarne l'impossible du chez soi, du chacun chez soi, il y a aujourd'hui
dans le discours universel, si nous conservons cette dnomination pour la cacophonie
ambiante, il y a tout de mme une voix, insistante, sur toute la plante, qui fait
entendre l'impossibilit et l'illgitimit du chacun chez soi. C'est la voix du libralisme
conomique, cette voix enfin pseudo universelle, cette voix qui parle pour l'universel,
c'est singulirement la voix doctrinaire du capitalisme sous les espces du libralisme
conomique. Lacan disait encore en 67, les marchs communs , nous en sommes
au singulier du march global, et la production des objets manufacturs est en effet
pense l'chelle de la plante, d'un faon enfin, d'une faon tous les jours
surprenante. Si on pouvait vraiment penser qu'il y avait quelque chose de particulier,
c'est le got, l y a les profondeurs insondables du got, avec toutes ses particularits
locales. Parfois, on rencontre par hasard un plat tout fait local. J'ai t mu pendant
ce week-end, me trouvant en mission, si je puis dire, Barcelone, o j'tais all dj
un certain nombre de fois, qu'on me rgale d'oignons absolument spciaux, cultivs
enfin seulement, semble-t-il, dans la proximit de Barcelone, Tarragone, et j'ai t
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 53

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mu non seulement du dlice de ces oignons, oignons trs doux, qu'il faut vraiment
prlever dans leur gaine, c'est vraiment l'agalma d'oignons, mais j'ai t mu de
n'avoir jamais connu ou approch cette saveur et surtout que 'ait t absolument
local, a c'est vraiment peut-tre think global but eat local, parce quon constate que
la plasticit du got reste pour moi quelque chose de mystrieux de penser que sur
toute la plante jusqu' prsent Coca Cola n'a pas rencontr d'obstacle et Mac
Donald non plus, au prix de certaines adaptations aux marchs locaux.
J'ai entendu dire, enfin, quen Inde, il y a une variation dans la sauce de
l'hamburger, et donc ils doivent tudier vraiment la rsistance du got d'une faon
extrmement fine et prcise. Mais, enfin, c'est videmment pens au niveau de la
plante et toutes les productions tendent en effet, on voit a tous les jours ou toutes
les semaines quand on lit Business Week, on voit progressivement tous les traits
particuliers, locaux ou nationaux, fusionner. Ainsi le thme de la voiture mondiale,
qui avant apparaissait utopique, entre dans les faits tous les jours davantage. Alors il
y a des rsistances locales, saluons-les.
Hier on pouvait lire dans le journal Le Monde, l'article le plus important de ce
numro, me semble celui qui concernait la gastronomie de Madrid o, semble-t-il, ils
parviennent viter la prolifration des Mac Donald en s'appuyant sur une vieille
pratique gastronomique madrilne, enfin espagnole, les tapas, des petites, c'est pas
des friandises, c'est des petits sandwichs et des petits morceaux de choses varies
qu'on apporte sur votre table tout de suite l bas et au fond grce la multiplication
des restaurants de tapas, on vite les Mac Donald. Gnial de trouver dans la tradition
culinaire locale de quoi rsister la globalisation, mais il faut dire c'est au prix
d'adopter et de renforcer le style fast-food. L'instance, le modle, le paradigme de
fast-food est en train de s'imposer sur l'ensemble de la plante et a comporte en
effet un nouveau rapport au temps, une nouvelle articulation aussi bien, non
seulement de l'alimentation mais de la pulsion orale, au temps.
Alors a, voil ce qui est aujourd'hui matriellement, pratiquement, vecteur de
l'universel. J'ai dit tout l'heure du pseudo universel, parce quen tout cas ce n'est
pas l'universel l'ancienne. Disons que c'est un imprialisme du march dont les
tables de la loi sont publies tous les jours dans le Wall Street Journal. Je ne le lis pas
tous les jours. Et au fond les Droits de l'homme sont en tat de substitution par les
droits du march et je dirais que c'est l qu'est aujourd'hui le discours
rvolutionnaire. C'est lui qui veut vraiment rvolutionner la plante et les tats, et si
vous lisiez de temps en temps le Wall Street Journal ou le Business Week, vous verriez
sur quel ton on exige l l'ouverture des marchs nationaux et non seulement la fin
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 54

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des barrires douanires mais au fond l'extinction de la proprit nationale des
entreprises.
La valeur majeure apparat alors la libre circulation en effet des personnes, des
biens, qui peut tre contre ? la libre circulation des signifiants et des significations,
Hollywood incarnant cette valeur, sur le plan culturel, et faisant progressivement
disparatre les cinmas nationaux de telle sorte que dans ce contexte, le
protectionnisme culturel franais apparat tous les jours davantage ridicule, aux yeux
de cet universalisme.
Au fond, c'est... Voil qui tient, si on veut voir les choses en face, si je puis dire, qui
tient aujourd'hui le discours universaliste ennemi des particularits. D'o le caractre
spcialement aigu de la difficult franaise, parce que au fond il y a un fantasme
franais, une fiction, qui est multisculaire, d'une quation entre franais et
universalisme. C'tait l'ge classique, le franais en effet a t dans les faits la
langue universelle des lites et on en sent encore les chos dans beaucoup de pays,
dans le monde, et 89 a relanc sous une autre forme cette universalisme, sous une
forme rvolutionnaire. Or, par rapport au discours universaliste entre guillemets
l'amricaine , discours universaliste contemporain, parce qu'il a des relais partout,
qui est de fait rvolutionnaire, qui est de fait conqurant, l'ancien discours
universaliste est dans une position ractive, de dfense de la particularit franaise.
L'ancien discours franais universaliste, dans un contexte qui a chang, est invers en
discours de la dfense de la particularit franaise.
Alors c'est patent dans le domaine culturel de dfense de la langue franaise, avec
les pataqus de lois essayant de gouverner la langue commune, dfense de l'dition,
dfense du cinma, etc. Par rapport quoi, de l'autre ct on montre ces clowns qui
ne sont pas capables de dfendre, de se dfendre dans l'espace du march global et
donc un voile, une enveloppe de ridicule qui vient frapper ces efforts de dfense de la
particularit. Alors il me semble que c'est spcialement vif en France, mais quand
quelque part a s'bauche, le nouveau discours universaliste se met en branle avec
les mmes moyens de ridicule que ceux qui s'appliquent en France.
Alors du coup la France en quelque sorte se trouve proclamer le droit pour
chacun de rester ce qu'il est, c'est--dire assumant de fait une position de
conservation, et d'ailleurs on est bientt prt nous la laisser, savoir trs bien vous
serez un muse. Je lisais rcemment, cette semaine aussi, les dclarations d'un
journaliste amricain du Middle West, disant : j'adore Paris, c'est merveilleux et
d'ailleurs il faudrait payer les parisiens simplement pour qu'ils soient des parisiens
(rires), dans son amour perdu pour la France, il traduisait effectivement ce ct zoo
quon promet et alors simplement proclamant le droit pour chacun de rester ce qu'il
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 55

55
est, en mme temps de l'intrieur, ce discours est rong et mis en question par la
particularit des autres, d'o l'embarras franais, qui est quand mme mourir de
rire, l'embarras franais sur le foulard islamique.
On observe ainsi, l'occasion, quelqu'un me le faisait remarquer cette semaine,
l'occasion d'une crispation franaise que l'on peut qualifier de no-maurassienne,
mais d'o la critiquer cette position ? partir d'un internationalisme l'ancienne,
c'est difficile parce que l'tre de nation est justement amoindri, pitin par
l'internationalisme contemporain, celui du march global. Disons que - entre
parenthses - que les tats-Unis qui sont videment l'agent majeur du march global
connaissent aussi un effet de retour, c'est--dire s'aperoivent que a fait disparatre
les tats-Unis aussi, tel qu'ils l'ont connu, et donc aux tats-Unis aussi bien on
prouve de la nostalgie romantique pour les tats-Unis d'il y a 20 ans ou d'il y en a
100, et donc des discours s'efforcent de reconstituer des valeurs l'ancienne, et les
syndicats demandent la protection nationale.
D'o des rpartitions politiques tout fait originales et parfois front renvers, o
on voit le parti Rpublicain reprsentant, choisi par le big business, abriter les
Conservateurs et les ractionnaires du point de vue des valeurs chrtiennes et de la
protection du march national et les Dmocrates lis aux syndicats, militer fortement
pour l'ouverture des marchs. D'o un espace d'ambigut, des Janus partout et
trnant sur le tout le politicien le plus flexible, comme on sait, celui qui est capable de
dire tout et son contraire dans la mme phrase, de rebondir et de se faire rlire, ce
politicien, il faut dire extraordinaire de ce point de vue l, qu'est Monsieur Clinton.
Alors est-ce que a nous loigne de la psychanalyse tout a ? Pas du tout. D'abord
a ne fait pas univers, il faut d'abord s'apercevoir de cela. Unis-vers-quoi, je vous le
demande un peu ? L'univers a supposerait prcisment que l'Autre existe, et comme
nous savons, pour pouvoir isoler par un trait spcifique un pour tout X consistant, il
faut qu'il se complmente d'une exception, de l'existence dune exception et disons
que dans cette disposition, certes l'Autre existe.

.-x
x


E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 56

56
Il existe sous deux formes, premirement sous la forme du tout, unifiant, unifi,
qu'on essaye l'occasion aujourd'hui de reconstituer par un horizon de consensus. Ce
qui est l'horizon du dbat philosophe c'est comment faire pour que tous soient
d'accord, et la deuxime forme sous laquelle il existe l'Autre c'est celle de l'Un
except dont la position d'ex-sistence, comme l'crit Lacan, c'est--dire de position
hors de,

Ex-sistence

apparat clairement sur ce schma qui rsume en effet le schma dit par Lacan de la
sexuation mle. Mais ce schma, auquel je ne fais qu'une allusion rapide, de la
sexuation mle, c'est la structure mme du groupe freudien, c'est la structure mme
de la Massenpsychologie, o le leader se trouve, comme on le sait, dans cette
position d'ex-sister au groupe, et de s'tablir dans une position hirarchiquement
suprieure.
L'Autre n'existe pas se rpercute ces deux niveaux. Premirement pas de tout
universel : on ne peut pas former l'espace ferm du pour tout X , et
deuximement il n'y a pas non plus l'ex-sistence du Un, il y a inexistence de cet Un.
a, cette structure que Lacan nomme du pas-tout, c'est celle qui rpond l'Autre
n'existe pas et ce qu'on appelle universalisation, loin de s'inscrire dans l'espace du
pour tout X, (x ) c'est en fait le pas-tout gnralis, et plutt que d'y impliquer le
gnral, disons c'est le pas-tout partout. Le pas-tout partout qui est rendu manifeste
par la structure de rseau, et cet gard quand nous viendrons au phnomne
Internet, c'est videmment partir de cette structure, d'une structure o on ne peut
pas former un ensemble ferm o ils y auraient tout ceux qui, etc.
Alors Freud s'est appuy, dans son uvre et dans la pratique qu'il a invente sur la
structure de la Massenpsychologie. En mme temps que la psychanalyse est ne dans
la capitale d'un empire, l'empire Austro-Hongrois, d'un empire profondment
multiculturel, Lacan le rappelait dans ses Complexes familiaux, le sublime hasard du
gnie n'explique peut-tre pas seul que ce soit Vienne, alors centre d'un tat qui
tait le melting-pot des formes familiales les plus diverses, des plus archaques aux
plus volues, des derniers groupements agnatiques des paysans slaves, aux formes
les plus rduites du foyer petit-bourgeois et aux formes les plus dcadentes du
mnage instable en passant par les paternalismes fodaux et mercantiles, le sublime
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 57

57
hasard du gnie n'explique peut-tre pas seul que ce soit Vienne qu'un fils du
patriarcat juif ait imagin le complexe d'dipe.
Et en effet, notez l dj l'accent mis par Lacan sur le caractre de fiction du
complexe d'dipe par le mot imagin, Freud a imagin le complexe d'dipe. C'est--
dire que, partant de ce qui tait l le multiple, il a imagin une rduction une
structure unique de rfrence. C'est de l que Lacan opre pour montrer en quoi le
complexe d'dipe est formellement homologue la Massenpsychologie et c'est ce
qu'il incarne dans son uvre Totem et Tabou, sous la forme d'un mythe de
prhistoire. Ce que Freud labore sous forme de mythe, Lacan le rlabore sous
forme de structure, distinguant en particulier dipe et castration, et, au fond
formule d'une faon gnrale que jouissance est toujours soumise castration, par
quelque accident et par quelque semblant que cette castration devienne effective.
Le rsultat c'est que la structure fait alors dcouvrir qu'il y a deux faons de situer
la jouissance. Il y a celle qui a t privilgie, il faut le dire, par Freud, la premire
faon de situer la jouissance, si l'on veut privilgie par Freud, consiste dans
l'rection de l'agent de la castration. La seconde faon c'est l'investissement du reste,
du bouchon de castration, de ce que Lacan a appel le plus-de-jouir. Et c'est l que
prend son sens le dit de Lacan dans sa Tlvision, que notre jouissance ne se situe
plus que du plus-de-jouir. C'est de l que a prend son sens parce que a veut dire
que ce qu'il appelle notre jouissance, la jouissance contemporaine, la jouissance
du temps o l'Autre n'existe pas, ne se situe plus partir de l'agent de la castration.
Cette trajectoire, la rduction par Freud au complexe d'dipe, Lacan a pu montrer
d'un ct qu'elle tait homologue la Massenpsychologie, il a pu en dgager la
structure formelle et lorsqu'on en dgage la structure formelle on s'aperoit qu'en
effet, il y a deux vecteurs. Il y a le vecteur de l'agent de la castration et il y a le vecteur
du plus-de-jouir. Et la thse de Lacan, celle qui nous claire ici, c'est le privilge du
plus-de-jouir pour ce qu'il en est de situer la jouissance contemporaine.
Alors c'est par exemple, si vous en voulez un effet palpable me semble-t-il
aujourd'hui, c'est la fin des coupables. Lorsqu'on pouvait s'en prendre au Roi, l, voil
une instance minemment coupable, d'ailleurs on l'a coup, on l'a coup en
Angleterre, et aprs on a commenc multiplier a, ds qu'on s'est trouv en
dmocratie c'est devenu plus difficile, fallait quand mme avoir perdu la tte comme
Ravachol pour penser que Sadi Carnot tait responsable de quoi que ce soit et de le
faire sauter. Alors on a pass un petit moment chercher les coupables, les
anarchistes ont t ces perdus qui cherchaient le coupable, et pan sur le Tsar et pan
sur la Prsident de la Rpublique et pan sur le roi de la Serbie !! bon. a nous vaut
quelques plaques, quelques rues de la capitale : on cherche les coupables.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 58

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Aprs a t, enfin cest trs tendu, cest deux cent familles, ensuite a t les
juifs. On a cherch, on a pass son temps chercher les coupables, et puis
maintenant qu'est-ce que veut ce thme, entre guillemets universel de la
corruption, a veut dire les coupables sont partout et c'est pour a qu'ils se sont un
petit peu arrts en Italie, parce qu'ils taient en train de dcouvrir qu'ils taient tous
coupables (rires), qu'ils avaient tous touch, et le problme pour faire passer a
devant les tribunaux, c'est que on arrive plus trs bien savoir qui corrompt et qui
est corrompu, a se noie dans une certaine indistinction.
Donc, c'est ce qui explique, enfin c'est qui est au moins corrlatif de la dcadence
du thme rvolutionnaire. Au fond aujourd'hui le rvolutionnaire l'ancienne qui
reste, c'est Castro, il se promne partout, tout le monde le reoit, jusqu'au Pape et au
fond il est dans une sorte de petite rserve naturelle (rires), ce qui est fort
douloureux pour les gens qui y sont avec lui, il faut dire, mais au moins l, on peut
dire c'est de sa faute, tout changera sa mort. Mais c'est peut-tre le seul endroit du
monde o on se dit tout changera sa mort, parce que dans le reste du monde, a ne
changera rien du tout. Et l au fond c'est encore un lieu o le il ex-siste X part des
autres a toute sa valeur.
Alors a, a intresse la pratique de la psychanalyse, sauf ce que la pratique de la
psychanalyse veuille s'inspirer de la politique de l'autruche. Lacan pouvait dire en
1953 dans son Rapport de Rome , Nous avons faire, dans la psychanalyse, des
esclaves qui se croient tre des matres, et qui trouvent dans un langage de mission
universelle le soutien de leur servitude avec les liens de son ambigut.
Je n'ai pas le temps de vous commenter a. Disons simplement qu'il pouvait
considrer l'interlocuteur de l'analyste comme quelqu'un qui croit tre un matre et
qui est embarrass de l'ide de mission universelle, c'est--dire quelqu'un qui croit
agir au nom des signifiants matres. Et en 1953 c'tait encore actif, les idaux. Et
aujourd'hui, et c'est a la rfrence dont le manque est aujourd'hui patent, dans ce
que dit Lacan, c'est vrai de 53, a ne l'est pas de 96, aujourd'hui il est vident que
l'identification majeure qui est propose, c'est l'identification au consommateur et
qu'il y a une mission universelle parodique, qui est celle de satisfaire le
consommateur. Et mme un impratif, Tu dois satisfaire le consommateur. C'est :
le producteur doit satisfaire les consommateurs. Et c'est l qu'on voit que la
jouissance n'est pas situe partir du signifiant matre, qu'elle est... c'est--dire elle
n'est pas situe sur le versant de la ngativisation de la jouissance mais elle est situe
sur le versant du plus-de-jouir comme bouchon la castration. Et donc les vrais droits
de l'homme aujourd'hui, pour ceux qui les professent, c'est le droit au plus-de-jouir.
Tu as droit au plus-de-jouir mme si a ne te sert rien, et c'est comme a par
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 59

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exemple qu'on essaye de rpandre et de faire acheter les tlphones mobiles l o il
n'y a pas encore de rseaux, mais a vous servira plus tard, mme si a vous
embarrasse (rires), et on sait bien que l'art de vendre est d'abord de savoir
dvelopper l'envie mme si a n'est pas utile, c'est--dire de produire du manque
avoir.
Et bien Lacan en a tir les consquences, c'est que l'analyste dont il reprait
d'abord la position sur celle de l'Autre, majuscule, comme matre du signifiant et de
la vrit, il a fini par reprer sa position sur l'objet petit a comme plus-de-jouir. Et
c'est de a qu'il s'agit, d'une psychanalyse contemporaine de la promotion du plus-
de-jouir, ce qui demande pour nous dtre nous-mmes un peu plus contemporain de
Lacan, et en particulier sur la question de l'interprtation.
L'Autre n'existe pas - je vais terminer l-dessus en raison du temps - l'Autre n'existe
pas, ce qui est en question l, disons-le, c'est la logique mme du point de capiton.
Qu'est-ce que le point de capiton ? C'est l'Autre comme oprateur capable de
surmonter la disjonction du signifiant et du signifi, et de ce fait d'tablir un rapport
entre le langage et le rel.
Si l'Autre n'existe pas, si l'Autre, comme point de capiton, n'existe pas, alors ce qui
vient la place de l'Autre, Lacan l'a dit, c'est le discours comme principe du lien
social. Ce qui vient la place de l'Autre, c'est le lien social, et c'est au fond quoi
vient aussi bien la rflexion philosophique quand elle promeut, quand elle ne trouve
plus d'autres principes pour que les mots veuillent dire quelque chose que de se
rapporter aux faits des communauts et, pour reprendre l'expression de
Wittgenstein, aux faits de la communaut des formes de vie, c'est--dire, des formes
de jouissance.
Bon, c'est l-dessus que j'arrte, c'est peut-tre moi qui reprendrait au dbut la
fois prochaine, puisque je me trouve arrt par la montre. (Applaudissements)


Fin du sminaire Laurent-Miller du 04 dcembre 96, troisime sance.

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 60

60
LAutre qui nexiste pas et ses comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Quatrime cours
(mercredi 11 dcembre 1996)

Jacques-Alain Miller :
Jai t amen, la dernire fois, mettre en valeur deux propositions. La premire concerne
ce que Lacan appelle notre mode de jouissance . Et cette expression elle seule indique
quil sagit dun abord de la jouissance sous le mode du collectif, du social et du
contemporain et si on prend au srieux cette expression notre mode de jouissance , dans le
contexte o cest formul, celui de ce petit crit qui sintitule Tlvision, cela suppose quil
ny a pas seulement un abord particulier de la jouissance qui serait restreint au sujet, entre
guillemets, individuel , mais quon peut doctriner sur la jouissance partir de la
psychanalyse un autre niveau, dans une autre dimension que celle de labord particulier. Et
dailleurs le terme mme de sujet dont nous faisons usage comporte que le sujet comme tel
nest pas individuel, nest pas lindividu. La dfinition mme du sujet linscrit dans une
dimension transindividuelle et jai pu le souligner, lan dernier, propos du Witz de Freud.
Et cette perspective est conforme celle qui articule lanalyse du Ich la
Massenpsychologie. En un sens, cest cette articulation mme qui fait lobjet du sminaire de
cette anne, avec une tentative dactualiser les donnes de la Massenpsychologie de Freud. Ne
serait-ce que parce que la Massenpsychologie freudienne est avant tout centre sur
lidentification et que celle qui sesquisse pour nous, partir des donnes contemporaines, ne
lest pas, nest pas avant tout centre sur lidentification. La seconde proposition concerne, si
lon veut, notre relation au signifiant au temps o lAutre nexiste pas. Ces deux propositions,
que jvoque, snoncent ainsi, je le rappelle, premirement : notre mode de jouissance
dsormais ne se situe plus que du plus-de-jouir ; deuximement : lAutre en tant quil nexiste
pas implique que le point de capiton se reconstitue sous la forme du lien social. Dans ces deux
propositions, il est question dun changement historique, un changement dpoque ; on
pourrait mme dire en employant un adjectif qui a eu cours dans les traductions de Heidegger,
un changement poqual . Je reviendrai un moment sur la premire de ces propositions pour
dvelopper la seconde.
Je lai rapidement indiqu la dernire fois, la promotion du plus-de-jouir que signale Lacan
prend son sens du dclin de lclipse de lidal. Et cest de l que lon peut vouloir expliquer
la crise contemporaine patente de lidentification, crivons a titre de repre, dsormais petit
a lemporte sur grand I, sur le grand I de lIdal. Cest ce que je voudrais brivement
commenter.
a > I
Quest-ce qui se passe quand le mode transindividuel de jouissance est anim par lidal,
est arrim lidal ? Il sensuit comme effet majeur sur la jouissance, la castration. Et avec la
promotion de la castration, la mise en vidence de lagent de la dite castration. Disons, dans
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 61

61
les termes qui sont en usage dans notre communaut de langage, que ce mode de jouissance se
situe de moins phi, le moins phi de la castration (-) et pour aller vite, disons que ce moins
phi est au principe des morales, quelles soient religieuses ou quelles soient laques, qui sont
des morales de laustrit, de labngation, du sacrifice.
Ce sont l autant de discours qui affichent comme finalit de rfrner la jouissance et qui,
sur des modes divers, en sanctionnent les transgressions. En revanche, lthique des comits
commence avec la dsutude du sacrifice, avec la dsutude de lidal qui soutient toute
injonction sacrificielle. Alors si lon songe la psychanalyse - videmment nous sommes ici
pour y songer et mme un peu plus - lmergence de la psychanalyse comme phnomne
historique sest inscrite dans le mouvement mme de ce changement poqual, et aussi bien
elle la acclr, elle a contribu, la psychanalyse, et on le lui a reproch dun certain bord,
elle a contribu ruiner lidal, la valeur de lidal.
Dabord en lisolant comme une instance de ce que Freud appelait Ich, aussi en dsignant
lillusion de lidal, illusion cest le mot de Freud dans son livre intitul lAvenir dune
illusion, ouvrage qui vise spcialement la religion et ses morales et qui est un ouvrage de
vritable Aufklrung, ( vrifier) de vritable homme des Lumires et puis en rvlant et
surtout en rvlant derrire lillusion de lidal la prsence de la libido. Et on peut dire que la
psychanalyse sest avant tout inscrite dans ce changement poqual, plus mme que par le
concept de linconscient, par celui de pulsion, et justement par ceux l mme qui distinguent
la pulsion de linstinct et du besoin.
En effet pour le dire au plus simple, linstinct, le besoin obissent des cycles ferms,
stables qui sont dits par l naturels. Et de ce fait, on peut dire quils laissent la culture, les
phnomnes de la culture et de lhistoire mme, hors de leur domaine. Si on se rfre
linstinct et au besoin comme cycles naturels ferms et stables, ce qui relve de lhistoire, de
lvolution, de la culture, de la civilisation, tout a appartient une autre dimension dont il
sagit de rendre compte, avec dautres concepts, dautres mthodes.
Or, la pulsion freudienne est au contraire essentiellement plastique, elle se transforme, elle
se dplace, elle est capable de substitutions inattendues, de connexions indites, elle est
sujette, la libido freudienne, la pulsion, mtaphores et mtonymies, et de ce fait, on peut la
dcouvrir prsente, agissante, motrice mme, l o depuis longtemps les instincts et les
besoins sont hors jeu. Et prcisment on peut la dcouvrir, et cest ce que fait Freud, l o il y
a idalisation et sublimation. On peut la dcouvrir, la pulsion, dans le lieu mme des valeurs
aussi bien thiques questhtiques. Et en consquence, avec ce concept de pulsion, la
psychanalyse a pntr le domaine rserv de la culture. Et cest ce qui a justifi Freud de
doctriner sur la civilisation et dy diagnostiquer un malaise. Et cest ainsi que son Malaise
dans la civilisation est, certains gards, un manifeste contre les morales de la castration de
jouissance, contre lthique, les thiques du renoncement pulsionnel.
Et cest sans doute ce que Lacan a voulu rendre manifeste quand il a fait de la Reine
Victoria un antcdent ncessaire de Freud, la morale victorienne comme condition de
lmergence de la psychanalyse, cette morale victorienne sur laquelle nous pourrons revenir,
qui est disons une morale rigoriste du travail, de la frugalit et de labstention sexuelle, lge
prcisment o spanouit la rvolution industrielle.
Il faudrait la remettre sa place, aussi bien, cette morale victorienne. En fait, elle
napparat que comme une rsurgence prcaire de lthique de la castration dans le cours de
lhistoire. a a t en fait un barrage vite emport par une mutation de plus grande envergure,
cheminant dans ce que Lacan appelle les profondeurs du got. Mais cest sans doute lidal
victorien qui conditionnait ce que Freud appelait en son temps la ralit extrieure, celle dont
il disait quelle met son veto, cest ce mot quil emploie, celle qui met son veto la ralisation
de la libido. Et nombreux ont t ceux qui se sont arrts l, et qui ont pens que la leon de
Freud consistait semployer rformer la ralit extrieure pour quelle soit plus
accueillante aux exigences de la libido. Et Freud lui-mme, sans doute, est all bien au-del
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 62

62
de rendre coupable de la nvrose lidal victorien informant la ralit extrieure de son temps,
puisque sous le veto extrieur, il a isol une instance proprement psychique qui dit non. Il a
constat ce quil appelait la Versagung, quon a traduit par frustration et qui est exactement,
au fond, le pendant interne du veto externe. La Versagung cest un dire que non interne,
psychique.
Et cest partir de l quil a interprt la constance des accidents rapports par ces
nvross : la menace de castration, lobservation du cot parental, lpisode de sduction, ce
nest pas tant quil en ait mis en doute la vracit, il a, partir de l dduit lexistence dune
autre ralit, ce quil a appel la ralit psychique, en loccurrence celle des fantasmes. Il la
ramene ldipe, il a ramen ces trois fantasmes essentiels, enfin il a ramen ces trois
accidents au fantasme et il a ramen ces trois fantasmes la matrice de ldipe comme celle
qui peut rendre compte de la castration de jouissance.
Et cest dans le mme fil quil a remani sa topique partir de la question quest-ce qui dit
non la pulsion ? si a nest pas seulement le veto de la ralit extrieure. Et cest de cette
question, et dans le fil mme de ce quil avait isol comme Versagung, cest dans ce fil mme
quil a invent le surmoi qui est une instance psychique mais transindividuelle ; et cest dans
le mme fil quil a dress en face des pulsions de vie, la pulsion de mort.
Et puis vint Lacan pour inscrire le surmoi au rang des avatars de la pulsion, pour faire du
surmoi une instance pulsionnelle, si lon veut un travestissement mtonymique de la pulsion
sous le masque de lanti-pulsion. Et il a finalement restitu lnonc fondamental, de ce
surmoi, comme un impratif pulsionnel, jouis ! Cest freudien, dans la mesure o chez Freud,
quels que soient ses avatars, ses dplacements, la pulsion se satisfait toujours rellement. Le
renoncement pulsionnel comme dit Freud dguise encore une satisfaction pulsionnelle et cest
ainsi que de la mme faon Freud peut parler de sublimation de la pulsion, on peut avec
Lacan parler dune surmosation de la pulsion, le surmoi est une forme prise par la pulsion.
Alors a implique, en court-circuit, que la castration est un mode de jouissance et a a des
consquence sur le statut du symptme, a implique quen tant quil procde de la castration
comme renoncement la jouissance, le symptme est un mode de jouissance.
Seulement l o Freud a d impliquer ldipe, le Nom-du-Pre et le surmoi, Lacan
implique seulement lincidence du langage comme tel. Cest le langage qui accomplit
la Versagung fondamentale. Cest le langage qui est le Nom-du-Pre et mme cest le langage
qui est le surmoi. Do la construction de ce qui vient la place de la mtaphore paternelle, et
aussi bien la place de laction impute au surmoi, la construction que jai rsume, jadis, en
crivant cette mtaphore, lAutre au-dessus se substituant une jouissance primaire, elle,
barre. Avec ce complment, cest que cette opration laisse ce reste dnomm petit a.

Cest un effort, au fond, pour articuler cette opration fondamentale de substitution
comme une consquence ncessaire, lapparition de ce reste qui, dans une certaine lecture de
Freud, peut tre laiss laccident ou la contingence, des rats du dveloppement de la
libido. Au fond, cest une lecture qui ne manque pas de fondements chez Freud, de considrer
quil naborde ce petit a que par le biais de fixations pathologiques des stades dpasss de
lvolution de la libido, alors que chez Lacan a apparat au contraire comme une
consquence ncessaire de ce reste.
Si Lacan le situe comme cause du dsir cest la place de le situer comme lobjet du dsir,
et donc cest ouvrir au-del un vecteur du dsir qui na pas dobjet propre. La promotion de
lobjet petit a comme cause du dsir et comme cause dun dsir qui na pas dobjet adquat,
qui na pas dobjet comblant, qui na pas dobjet qui le satisfasse, la promotion de lobjet petit
a ainsi entendu chemine sans doute depuis longtemps dans les profondeurs du got. Et sans
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 63

63
doute aussi elle a t voile par les idaux rigoristes de la morale victorienne. Et cest l quil
faut tre un petit peu attentif, je ne donne quun aperu, un peu attentif lhistoire de la
consommation.
Enfin on nous a expliqu, au fond, les conditions thiques pour raliser la production
industrielle moderne. Cest a quon met vidence mme quand on se rfre la figure
magistrale de la Reine Victoria : produire, mais enfin il fallait bien vendre aussi. Il fallait bien
qu lexcs de la production moderne rpondent quelques excs, mme, disent les historiens
de la consommation, il fallait bien que rpondent quelques convulsions du ct du mode de
consommer. Alors, quand on se rfre la rvolution industrielle, on met toujours en vidence
la figure du matre moderne, imposant au travail une discipline de fer et incarnant la castration
moderne, si je puis dire. Mais tout a est doubl dune rvolution consumriste plus secrte.
En effet, on a attel aux machines le travailleur dpouill, on la attel pour produire des
calicots, des dentelles, mais enfin qui portaient ces calicots et ces dentelles ? Qui les
voulaient ? Et surtout qui voulaient en changer souvent ? Le dsir de renouveler lobjet
consommer, de lcarter quand il nest plus la mode, cest quelque chose qui est aussi
essentiel cette rvolution industrielle que la discipline de fer de lidal. Il fallait bien quil y
ait de lautre ct une convulsion du dsir, si je puis dire, pour quelle puisse se soutenir.
Autrement dit, sous lthique de lidal, y compris de lidal victorien, est prsente une
nouvelle thique de la consommation.
Cest ce que trois historiens, auteurs dun ouvrage sur la naissance de la socit de
consommation, ont appel une convulsion du ct de la demande, et ils situent le dbut de
cette rvolution au cours du 18
eme
sicle et prcisment dans les classes moyennes et
commerantes de la plus haute tradition puritaine, la surprise gnrale. Enfin il y a un
mystre qui entoure la conduite du consommateur moderne, et les conditions qui ont fait
merger lchelle de masse quelque chose que lhistorien, le sociologue peut reprer
comme lapptit insatiable, la diffrence de linstinct et du besoin, qui se dfinit par la
satit programme quil implique.
Comment se fait-il que le besoin soit devenu insatiable et toujours renaissant ? Et quon ait
instill au sujet ce got surprenant pour lobjet nouveau. Il y a l, et cest bien aussi ce que
dsigne Lacan par cette promotion du plus-de-jouir qui situe notre mode de jouissance, il y a
une figure du consommateur moderne, il y a un hdonisme de type nouveau, qui sest
acclr, qui a finalement triomph de lidal rigoriste et qui fait notre actualit. On peut dire
que dans notre Massenpsychologie nous, le dsir, le dsir dans son caractre plastique,
erratique est devenu manifeste sur une chelle de masse et ouvert toutes les manipulations
de la demande en effet. Au fond on a dcouvert lchelle de masse les affinits de la
jouissance et du semblant. Et on peut dire que do nous sommes, la fin du XXeme sicle,
ce processus historique commenc, admettons, au XVIIIeme sicle, apparat finalis par la
production, la promotion de masse de lobjet petit a comme cause du dsir et du dsir
insatiable.
a sest form au XVIIIeme sicle, justement en mme temps que lancien Dieu,
commenait se trouver vaporis, transmu en une figure abstraite de bont, de sagesse, de
douceur et de calcul, transmu dans le dieu des philosophes et prcisment partir du
discours de la science, qui na besoin que dun dieu qui calcule, un dieu de vracit et mme
de bonne volont, pas tricheur. Et corrlativement, cest sans doute en effet au XVIIIeme
sicle quon a assist ces premiers essais de transmutation du lien social, fond, sest-on
imagin, sur la tolrance, valeur, qui, aujourdhui, triomphe.
videmment ce qui a fait un peu scandale dans cette histoire, cest la rvolution franaise
o on a vu dans la pays mme qui sest distingu en quelque sorte lavant-garde dans ses
laborations, basculer dans ce qui faut bien appeler le terrorisme dtat. On a parl de
tolrance pendant un sicle pour accoucher du terrorisme dtat. Et l dessus le diagnostic de
Joseph de Maistre nest pas le plus sot : quon a oubli lancien dieu, on la transform en un
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 64

64
bon papa qui fait ses calculs et puis il sest rappel, la fin des fins, lattention de
lhumanit sous les aspects dune divinit obscne et froce. Jai dj, dans ce qui tait mon
cours, comment une fois son petit texte saisissant qui sappelle Considrations sur les
sacrifices, et qui consistait rappeler la vigueur, la valeur de lthique du sacrifice.
Ce mouvement, de loubli au rappel, il nest pas dit quil ne se soit pas rpt, et il nest
pas dit quil ne soit pas promis encore le faire. Le discours de la science sans doute invite
cette figure bonasse de la divinit et de ses quivalents, et on peut penser que nest pas exclu,
quant dieu, ce que Lacan appelait le retour de son pass funeste.
Enfin je marrterai l pour ce qui est de vous donner un petit peu latmosphre que lon
peut mettre autour de cette promotion de lobjet petit a.
Jen viens la seconde proposition - je reprendrais a par la suite - jen viens la seconde
proposition qui lie linexistence de lAutre la promotion du lien social comme nouveau
point de capiton. Quest-ce que le point de capiton ? Cest loprateur qui est propre
surmonter la disjonction du signifiant et du signifi, qui fait apparatre ainsi le signifi comme
un effet et le signifiant comme une cause et qui par l assure le rapport au rel. On peut dire
que le point de capiton dont Lacan a donn une reprsentation dynamique le point de capiton
noue le nud entre signifiant, signifi et rfrence.


(Le point de capiton, sur ce schma est indiqu par la lettre grand A, de lAutre)
Alors dans ce lieu de lAutre comme point de capiton, quest-ce quon trouve ? Le langage,
sa structure, le trsor du signifiant, la consistance de lAutre. Lintention de signification y
passe, sy rfracte, sy soumet, cest--dire que ce lieu de lAutre vaut comme un lieu de
pouvoir. Et dans la sance analytique Lacan y situait volontiers lanalyste comme matre de la
vrit.
Alors quoi si lAutre nexiste pas ? Eh bien si lAutre nexiste pas, et cest dans cette
direction que sest avanc Lacan, un certain point de son enseignement, si lAutre nexiste
pas, Lacan a install sa place le discours, ce quil a appel le discours, la structure de
discours. Voyons, si vous voulez une rfrence, le chapitre III de son sminaire Encore, o il
rappelle que cest la linguistique quon doit la dissociation entre signifiant et signifi. Mais
cest pour ajouter que le signifiant phonique, auditif, na avec ce quil signifie aucun rapport.
Au fond cet accent, chez Lacan, est rebours de celui quil pouvait mettre dans son Instance
de la lettre : le signifiant comme tel na pas de rapport avec son effet de signifi, et dire a,
cest dj soustraire lAutre, comme point de capiton du signifiant et du signifi. Et du coup
comment stablirait aucun rapport la rfrence ?
Ce que Lacan propose alors, cest que ce rapport ne peut se situer, ne peut stablir qu
partir de ce que le discours constitue comme lien. a veut dire que a ne se met, le langage,
dire quelque chose qu partir dun mode de fonctionnement du discours, qu partir dune
utilisation du langage comme lien. Un lien entre ceux qui parlent, et cest ainsi quil peut
formuler quil ny a rien de srieux si ce nest ce qui sordonne comme discours. Il y a ce
quil a appel les quatre discours : cest ce qui vient la place de lAutre qui nexiste pas,
cest ce qui vient la place lorsquon a reconnu la fiction du grand Autre, quil y a la place
juste un lien entre les sujets qui parlent ; et en formulant cette solution lAutre qui nexiste
pas pour rendre compte de ce quon sentende, Lacan retrouve ou labore mme la direction
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 65

65
qua pu donner Wittgenstein sa rflexion sur la langage, au moins le second Wittgenstein.
Lacan a laiss entendre que la position subjective de Wittgenstein tait reprer partir de la
psychose.
En tout cas cest un fait que Wittgenstein, le second, sest interrog sur labsence
fondamentale de point de capiton et que ses investigations prcisment portent sur ce qui
pourrait bien faire nud entre signifiant, signifi et rfrent. Il prsente a volontiers de faon
aportique : comment est-ce quon sait que le rouge est rouge ? Comment on sait que ce quon
appelle rouge, lautre lappelle aussi ainsi, dautant que lautre peut tre daltonien, a pose
une question, et au fond son recours fondamental, dans ce que clairement il prouvait lui
comme labsence fondamentale de point de capiton, son recours, cest la communaut des
utilisateurs du langage, a veut dire quelque chose dans le cadre dune communaut de ceux
qui font pareil. Cest la pratique commune qui est l critre. Voil ce qui se passe quand
lAutre a vol en clats, tout ce qui reste cest la pratique commune du langage dans une
communaut donne.
Une communaut cest a : un ensemble de sujets qui sentendent sur ce que parler veut
dire. a suppose quils partagent une forme de vie, cest--dire quen dfinitive le fondement
de la pratique discursive est chercher dans la vie et nous dirons dans un mode de jouissance
considr dans sa dimension transindividuelle. La direction que Wittgenstein, le deuxime, a
indiqu, on peut dire quelle conditionne aujourdhui, spcialement aux tats-Unis, mais aussi
en Allemagne, en Angleterre, linterrogation philosophique, et linterrogation, disons, de la
thorie politique. Elle porte sur la multiplication ici implique, parce que de communaut, si
on lentend ainsi, il ny en a pas quune, cest donc une interrogation sur le pluralisme, sur le
consensus et sur les degrs du consensus.
Et le doute porte sur lexistence du discours universel, existe-t-il un discours universel, le
discours universel ? Et certains de svertuer le rtablir, toute force, ne serait-ce qu
lhorizon, comme une tache infinie, et les philosophes allemands se dvouent spcialement
cette tache, Habermas ou Apel, ou bien le nier, ce discours universel, admettre
lincommunicable. Un philosophe amricain un peu ancien, peut-tre anglais, ancien dj qui
avait rflchi sur le christianisme et sur la naissance de la communaut chrtienne dfinissait
trs bien la communaut comme une communaut dinterprtation. Pour lui une communaut,
cest un ensemble qui runit des sujets anims par une volont dinterprtation, cest--dire
essayant de comprendre ce que lautre veut dire et se vouant sinterprter les uns les autres,
ce qui suppose en effet une bonne volont dinterprtation.
Lincommunicable, lacceptation de lincommunicable, la ngation du discours universel a
trouv en effet un porte-parole subtil, dans le philosophe Rorty, qui admet, qui prne le rgne
de la conversation. Il ny a que des conversations, et avec un bel esprit de consquence, il
nhsite pas au fond malgr la science, il nhsite pas finalement nier le rel. Pour lui la
science cest une conversation, il ny a pas des contraintes qui soient dues aux objets de la
recherche scientifique, les seules contraintes qui simposent, qui limitent la conversation, sont
celles qui rsultent des remarques que vous font les camarades. Il dit a trs bien dailleurs
dans un article qui sintitule Solidarit ou objectivit ?
Alors il dit : au fond quand les hommes essayent de donner un sens leur vie - et ils ont
deux faons de le faire, ou bien ils racontent quils sont en contact avec une ralit non
humaine, qui transcende leur communaut, ou bien ils se contentent de raconter une
communaut ce quils ont fait - donc, il dit, il y a deux dsirs, fondamentalement, le dsir
dobjectivit et le dsir de solidarit. Alors il dplore que nous soyons avant tout les hritiers
dune tradition objectiviste, platonicienne, celle qui pense quon peut distinguer le savoir et
lopinion, lepisteme et la doxa, quon peut distinguer lapparence et la ralit, cest--dire qui
simagine quil faut sortir des communauts pour trouver le vrai, hors de la conversation. Et
dailleurs ce qui image, ce qui reprsente trs bien a, cest le mythe platonicien de la caverne,
on est dans la caverne, on bavarde, on bavarde dans lapparence et dans lopinion puis il faut
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 66

66
sortir de la caverne pour enfin tre au soleil du vrai et par exemple faire des mathmatiques,
qui ne sont pas une affaire de conversation.
Et si on fait des mathmatiques, l sans doute on peut reconstituer une vritable solidarit,
mais cest une solidarit au fond des chercheurs du vrai et qui est fonde donc sur
lobjectivit. Lui, Rorty, il prne au contraire la rduction de lobjectivit la solidarit, cest-
-dire quil ny a pas de valeur suprieure au consensus social et a lui permet de prendre
dans la mme parenthse Williams James, Niestzche, ou John Dewey, et dassumer que la
vrit cest ce qui est bon pour nous de croire. Donc il conserve encore un sens la vrit
mais ce qui na plus de sens pour lui, cest le rel et bien sr, a ouvre un tonnant
relativisme pragmatiste, qui consiste finalement dire : il ny a que du semblant, il ny a que
du semblant socialement fond, et il ny a pas de rel.
Voil un effort si lon veut, consquent pour tenter de reconstituer lAutre, le grand Autre
sous la forme de la communaut, sous la forme du pour tout X. Mais videmment a ne va pas
tout seul parce que a suppose de le pluraliser cet Autre, do les questions o se partage le
dbat philosophique : quelles sont les limites de la communaut ? Quelles sont les bonnes
limites de la communaut ? Est-ce la paroisse ? Est-ce la Nation ? Est-ce lhumanit ? La
base consensuelle apparat l toujours contingente dans linexistence de lAutre et ce quon
aperoit aussi par l cest que le pour tout X sessouffle reconstituer le grand Autre et quen
fait le vritable rgime o on se dplace cest le rgime du pas-tout. On narrive pas former
un pour tout X qui soit quivalent au grand Autre.
Alors cest un effort pour, dans linexistence de lAutre majuscule, faire exister la
communaut, la place, incessamment occupe de savoir ce que parler veut dire. Alors oui,
prenons un exemple dactualit puisque nous avons dit que nous ouvrons le journal. Voil un
prsident de la Rpublique, voil une figure dexception, qui peut prendre comme
interlocuteur une nation, et le voil qui doit parler dans un contexte o lAutre nexiste pas, et
donc quest-ce quon apprend, l je prends des risques, on va voir a, on va vrifier a
demain, le voil qui, enfin le voil ! ? cest le comit qui lentoure apparemment qui fait a,
qui pense donner prcisment cette allocution lapparence de la conversation, cest--dire
quil lui faut des interlocuteurs multiples, il reconstitue, comme pse sur lui, en dpit du
semblant de son unicit, comme pse sur lui la loi de lAutre qui nexiste pas, il faut quil
institue une conversation, et on peut mesurer l, enfin temps assez raccourci, ce qui a eu
lieu, ce qui est devenu plus manifeste dans processus, entre son auguste prdcesseur, De
Gaulle, et lui-mme.
Et on voit bien, pour le dire entre parenthses, que le thme de la fracture sociale ne fait
que reflter, enfin dans les conditions du pays, limpossibilit de faire tenir le pour tous,
limpossibilit dobtenir la communaut comme existante. Cest limpratif contemporain il
faut en discuter. Il faut en discuter, a a lair innocent mais cest trs paradoxal, comme
impratif absolu, il faut en discuter, prcisment parce que le lien social ne tient que par le
matre, que par le signifiant matre ou par ce qui peut tenir la place du signifiant matre. Le
lien social ne tient que par ce quon ne discute pas. Et donc limpratif il faut en discuter, en
lui-mme recle un paradoxe.
Alors il y a une voie fondamentaliste, qui essaye de sen tirer avec le paradoxe il faut en
discuter. a consiste donner comme priori la discussion, les conditions mmes idales de
la discussion, cest--dire essayer de dduire de la discussion prcisment ce qui doit la
rglementer. Pour vous donner un got de ce que a donne chez les chercheurs qui sorientent
dans cette voie, je citerai le nouvel impratif catgorique invent par Monsieur Karl Otto Apel
dans un ouvrage qui sappelle Lthique de la discussion. Cest un effort pour trouver ce qui
peut rguler la discussion partir des conditions fondamentales de la discussion. Voil ce que
a donne, videmment annonc comme a, je me rends bien compte, a na pas un caractre
dvidence absolu. Voil son impratif catgorique no-kantien en tant que modifi par
lthique de la discussion : Nagis que daprs une maxime dont tu puisses prsupposer, sur
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 67

67
la base dune concertation relle avec les concerns, respectivement avec leur dfenseur, ou,
titre de succdan, sur la base dune exprience de pense correspondante, que toutes les
consquences et effets secondaires rsultants de manire prvisible de son observation
universelle, en vue de la satisfaction des intrts de chacun des concerns pris
individuellement, puisse tre accepts sans contrainte dans une discussion relle par tous les
concerns . Et il y a une raison chacune de ces clauses, prcises, nouvelles, cest la fleur de
la rflexion universalisante sur la discussion. Au fond, disons, dfaut dobir ce nouvel
impratif catgorique, que vous avez tous pris en note pour vous y conformer strictement,
dfaut, il est clair que dans la dimension de linexistence de lAutre, lappel la communaut,
cest tout de mme linstitutionnalisation du flottement et disons linstitutionnalisation du
symptme de dbilit.
Jen ai eu un exemple dj, il y a quinze jours quand jtais Barcelone. tant Barcelone
jai ouvert la tlvision - ce qui me gne en effet sur notre enqute sur la civilisation actuelle,
sur la Massenpsychologie, cest que je nai pas la tlvision Paris, donc... il faudrait peut-
tre dailleurs que je men procure une pour..., mais enfin Barcelone, lhtel, il y en avait
une. Donc jai ouvert la tlvision et jai cout la chane catalane et le catalan se comprend
trs bien quand on sait le franais et lespagnol, et jai assist quand mme une chose
saisissante, qui tait un grand dbat sur ladultre, et dans ce grand dbat sur ladultre, ce qui
brillait par son absence ctait toute autorit consacre, morale ou religieuse. Ce dbat
runissait le tout venant. Ctait des catalans, une trentaine, quarantaine de catalans, dbattant
de ladultre coups dexemples, les uns adultres, les autres victimes de ladultre, madame
qui se dfendait davoir ruin un mnage prcdent, disant que le monsieur et la dame taient
dj spars dans leur cur avant quelle nintervienne.
Ctait la tlvision du comit dthique, discutant du bien et du mal vraiment dans la
dimension de lAutre nexiste pas. Cest quelque chose... quand mme en lisant les journaux,
je sais que a se fait sur un mode ou un autre, ailleurs, en France, aux tats-Unis, on
convoque un chantillon du tout venant et puis on dbat entre les opinions et les expriences
individuelles, et toujours sur un certain mode inconclusif, cest--dire quon tire
prodigieusement le temps pour comprendre, et le moment de conclure cest en gnral : eh
bien maintenant une page de publicit ou la fois prochaine nous traiterons dun nouveau
problme de socit .
Au fond, la prsence du comit dthique, des comits dthique est tout fait insistante et
mme fait matire du show. L nous avons partout la forme souveraine du bavardage
communautaire, et qui est sans doute du Massenbavardage, qui est ce qui reste du pour tout X
quand on a plus lappui de celui qui dit non. Alors, l dedans, sinscrit le problme du
discenter, du dissident, aussi bien le problme de llite qui pense et qui parle mieux, le
problme des degrs duniformit de la croyance, etc.
Cest cette poque que Lacan, dj, pouvait dfinir lanalyse elle-mme, au temps de sa
thorie des nuds, lanalyse elle-mme comme une pratique de bavardage, et au fond cest
vraiment, si on saperoit de lactualit sociale du bavardage, que la dfinition que Lacan a pu
donner vers la fin des annes 70 de lanalyse comme pratique de bavardage prend vraiment
son sens.
Cest ce que Lacan avait dj appel avant, la parole vide, o des significations
apparaissent flottantes, sans effet de sens, cest--dire une parole sans point de capiton. Do
la question de Lacan, comment une parole sans point de capiton a-t-elle nanmoins des
effets ? La psychanalyse au fond quest-ce quelle fait de lAutre qui nexiste pas ? Elle en fait
le sujet-suppos-savoir, cest--dire lAutre nayant que statut de leurre. Lanalyste permet
ce leurre de se constituer pour un sujet et aussi ce leurre de se dissiper, faisant apparatre la
faille du sujet-suppos-savoir. Et ainsi, dfaut de lAutre qui nexiste pas, on peut dire quon
a, l o sinscrivait le signifi de lAutre, on a le sujet-suppos-savoir comme effet de
signification engendr par le dispositif analytique.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 68

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Le concept de sujet-suppos-savoir traduit dans la thorie la dgradation de lAutre en
signification. Lacan faisait, avant, exister lAutre comme symbolique, on peut mme dire que
pour lui, et pour nous avec lui, lAutre tait ce qui du symbolique existe dans le rel et que le
sujet-suppos-savoir veut dire que lAutre nexiste que comme signifi, cest--dire quil a
structure de fiction, et qu ce titre, il dpend dun lien social qui est le lien social analytique.
Et cest pourquoi il fallait Lacan chercher nouveau frais le rel, parce que la question
cest : dans ces conditions est-ce quil ny a pas de rel ? Et cest de l quil a tent de situer
le rel au niveau de lobjet petit a, la place dune fixation de signifiant, si je puis dire, une
fixation de jouissance, et attribuer le rel lobjet petit a, ctait par l le retirer lAutre.
Alors ce sminaire, nous ne le faisons pas, me semble-t-il, sans prouver une certaine
rsistance de lauditoire et cette rsistance est encourageante, parce quelle montre peut-tre
en quoi nous avons une chance de toucher au crucial. Ce qui fait rsistance, cest que nous
nous efforons ici de plonger le lien social analytique dans la socit, cest--dire de le
resituer dans les bavardages communautaires, de notre temps, alors que la psychanalyse, le
bavardage analytique, pour avoir ses effets, apparat comme un espace rserv, au sens o
Freud pouvait dire que lespace fantasmatique est comme une rserve ou un parc naturel, dans
la ralit psychique. Et dailleurs il dfinissait mme son cole comme un refuge contre le
malaise dans la civilisation, et au del on peut dire : le lien social analytique est un refuge
contre le malaise dans la civilisation. Or, ici notre effort, que nous continuons, consiste faire
pntrer ce malaise dans la sphre prserve de la sance analytique elle-mme.
(Sadressant Eric Laurent) Bon jai parl un petit peu longtemps, je te donne la parole si
tu veux bien et peut-tre tu continueras toi au dbut de la sance prochaine.

Eric Laurent :
Comment donc dans, la perspective de lAutre qui nexiste pas, comment le supporter cet
Autre qui ne cesse dinsister ? De quel droit se manifeste-t-il auprs de chacun ? Nous
signalons lactualit du problme et en effet, jen tais rest sur les droits de la femme tels
quils avaient t dfinis Pkin et je me suis donc rjouis de constater quhier le prsident
Clinton a observ le jour international des droits avec un accent particulier sur les droits de la
femme, et reprenant les soucis que sa femme, madame Clinton, avait dvelopps Pkin, il y
a un an. Et dailleurs a a donn loccasion de distribuer 5 millions de dollars pour amliorer
les droits de la femme, spcialement au Rwanda, au Zare et en Bosnie-Herzgovine. Ce qui
en effet est une faon trs spcifique dintervenir, qui dplace la question simplement
humanitaire, ce nest pas la distribution aux ONG, cest toucher dans ce point l avec une
grande continuit daction.
De mme, alors que nous parlions, dans un autre cadre, de la question des droits
contracter des mariages du mme sexe, same-sex-union, eh bien justement jeudi dernier, dans
ltat de Hawaii, un juge a mari deux dames. Alors, bien entendu, a doit arriver au dbut de
lanne, ctait prvu devant la cour de justice, mais ce sont chaque fois des franchissements
qui nous donnent un autre espace du dbat. Et je voulais, l, reprendre la faon dont Freud,
lui, na pas pens possible dtablir son malaise dans la civilisation sans laccompagner de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 69

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textes qui dfinissaient la raction diffrente des deux sexes lgard de la civilisation et du
surmoi. Et cest en effet au moment o il amorce la conception du malaise, qui est une
consquence en effet de la Massenpsychologie, cest partir de l que Freud va mettre au
point, dans deux textes, et au fond deux seulement, consacrs explicitement ce point, un
texte de 1925 et un texte de 1932, les diffrentes positions du statut du surmoi selon les sexes.
La chose vient tard chez Freud, puisquil lui fallait dabord tablir les rapports du
complexe de castration avec le complexe ddipe, et le destin de ldipe aprs la rencontre
des deux instances. Il fallait aussi quil tablisse la mtamorphose subjective ainsi obtenue,
par la mise au point dun surmoi, aussi impersonnel que le pre tait personnel, ayant toutes
ses attaches avec le pre de la ralit. Enfin, que les rapports du garon et de la fille, de
lhomme et de la femme avec cette instance du surmoi, soient spcifiquement fixs.
Donc il y a en 23 un texte La destruction du complexe ddipe, suivi, en 1925, du texte
Consquences psychique de la diffrence des sexes. Et dailleurs si vous prenez lindex des
uvres que donne Strachey en anglais, cest celui-l quil donne, comme centr, le seul, sur
cette rpartition distincte du surmoi selon les sexes, qui parat tout de mme une imprcision.
Il faut incontestablement adjoindre celui-ci, celui qui est en fait crit en 32 mais qui a
comme date de publication 33, le texte des Nouvelles confrences dintroduction la
psychanalyse sur la fminit.
Cette position de Freud se distingue de lopinion des fministes de son temps des rapports
des femmes lAutre, car noublions pas quau temps de Freud, le fminisme tait aussi actif
que de notre temps. Noublions pas que si nous, nous sommes de lpoque qui voit linsertion
de la femme dans le contrat priv, cest lpoque de Freud qui voit linsertion de la femme
dans le droit de vote, dans la plupart des pays europens, ceux du Nord dabord, puis, peu
peu les pays latins. Je rappelle pour ceux qui lont oubli, que cest en Scandinavie dabord
dans les annes 10, que le droit de vote est acquis aux femmes, en Angleterre cest la fin de la
guerre, premire, novembre 18, aux tats-Unis cest 1920, noublions pas que la France ne
sera que le trente-sixime pays au monde adopter le suffrage des femmes en 1945
seulement. Il a fallu De Gaulle.
Et ce, depuis que les discussions de 89 o les femmes avaient le droit de sexprimer dans
les tats Gnraux, sarrtent en 93 par le vote dune loi leur interdisant de faire partie dun
club. La chose sera rouverte par les saint simoniens qui ont dj dans leur programme,
partir de 1830, lensemble du programme contemporain sur la rsorption de la position
fminine dans lchange.
Donc Freud, lui, 25, au fond, les femmes sont intgres dans cette Massenpsychologie, et,
partir de l, ce texte permet de situer, lui permet de rordonner toute lopposition du
comportement des deux sexes. Dabord ce qui concerne la castration. Le petit garon, lui,
comme il le note, lorsquil aperoit pour la premire fois le sexe de la fille, se montre indcis,
ne voit rien, il est peu intress et il dnie sa perception, lattnue et cherche des expdients
pour la mettre en harmonie avec son attente. Chez la fille, il en va tout autrement. Dans
linstant, son jugement et sa dcision sont arrts : elle la vu, elle sait quelle ne la pas, elle
veut lavoir. Cest l lopposition qui marque pour Freud, le chemin distinct que vont prendre
le garon et la fille.

Surmoi

pre de ldipe
Alors le fait que la fille soit certaine, quelle soit dcide, quil y ait ce caractre de
dcision qui contraste avec lindcision masculine, qui se marque ensuite dans tant de
caractres, Freud, cette dcision, lexamine du ct de la femme. Elle nest pas, il le dit
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 70

70
demble, simplement monolithe, si je puis dire. Il y a une bifurcation, tout de suite, une
bifurcation dans laquelle surgit le complexe de masculinit de la femme. Intervient un
processus, dit-il, que jaimerais dsigner comme dni, qui dans la vie psychique enfantine
nest ni rare, ni trs dangereux, mais qui chez ladulte, induirait une psychose. La fille refuse
dadmettre le fait de sa castration, se raidit dans la conviction quelle possde malgr tout un
pnis, et est contrainte de se comporter par la suite comme si elle tait un homme.
Et l on voit ce thme, chez Freud, formul explicitement, dun dni particulier, dit l
Verleugnung, mais qui donne le style de folie fminine. Lacan fera de ce rapport de la femme
la psychose, le situera autrement, il en fera autre chose, mais il le cueillera dans Freud en ce
point.
Une fois cette mise en place de la castration, Freud continue. Il y a larticulation au
complexe ddipe, par une quation symbolique, trace davance, dj l, donc le dj l en
tant que freudien cest trac davance, pnis gal enfant. Donc la fille abandonne le souhait du
pnis pour mettre la place le souhait dun enfant et prend dans cette intention le pre comme
objet damour. Et nous savons quainsi Freud peut rpartir les deux sexes par le chiasme des
complexes ddipe et de castration.
Tandis que le complexe ddipe du garon prit par le complexe de castration, celui de la
fille est rendu possible par son complexe de castration. Chez le garon le complexe nest pas
seulement refoul, il vole littralement en clats, prcise Freud, sous le choc, de la menace de
castration. Tandis que chez la fille il manque le motif, la castration a dj produit son effet
plus tt, cest pourquoi ce dernier chappe au destin qui lui est rserv chez le garon, il peut
tre quitt lentement, tre liquid par refoulement, et dplacer ses effets loin dans ce qui est la
vie psychique normale de la femme.
Alors que chez le garon, donc, le surmoi est entirement lhritier de ldipe, une
transformation. Donc tout ce qui tait le pre de ldipe est rsorb dans la mtaphore, la
substitution surmoque.



Pour la fille, il dit : on hsite lnoncer, mais on ne peut se dprendre de lide que ce
qui est moralement normal devient autre pour la femme. Le surmoi ne devient jamais aussi
impitoyable, aussi impersonnel, aussi indpendant de ses origines affectives. Au fond si le
surmoi, enfin si je puis dire, si Kant na pas t une femme, dans son ide vraiment dun
impersonnel totalement dtach de toute pathologie, cest que la fille continue aimer le pre,
qui reste l. Alors on voit le bon ct aimer le pre , les pres aiment leur fille, on se
dit : voil, dipe et Antigone, cest un appui sr, pas comme les garons avec qui on se
retrouve en permanence , enfin, dans des histoires dans lesquelles il faut faire preuve dun
talent de ngociation, complexe. Mais... hein ?
Jacques-Alain Miller :
Il faut leur faire la conversation.
ric Laurent :
Il faut leur faire la conversation aux garons, parce que plus question de sen sortir
autrement, par contre avec les filles, l, on sent un type dinconditionnel, a cest le bon ct,
enfin quand on est ct pre (rires). Lautre ct, qui est moins bon ct, cest quen effet le
pre, on laime, mais au fond cest un homme comme les autres et cest a ce qui tait pass
un petit peu de ct dans la fascination pour dipe et Antigone et que Lacan a mis sous les
yeux de tout le monde avec ses formules de la sexuation.
La consquence de ce que Freud met en place, cest quau fond le pre nexiste plus. Ce
quil aperoit dans sa formule, partir des annes 25, Freud, cest que le pre, qui tait encore
l vers 1880, au fond, nest plus l dans sa thorie. Ct fminin, on obtiendra jamais le
surmoi dtach impersonnel, on cherchera toujours : il me dit a, daccord, mais quest-ce
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 71

71
quil veut de moi exactement et au fond la question fminine, sera tout de suite daller voir,
enfin comme cette formule que lavocat ??? avait mis en place dans sa pratique : ne me dites
pas quelle est la loi, dites-moi qui est le juge. Cest un peu toujours a pour la position
fminine : daccord il y a la loi, maintenant qui est le juge ? On voit comment on peut
sarranger avec lui.
Alors, cest au fond ce que Freud reprend quand il note, dans le contexte du temps, que
des traits de caractre que la critique a depuis toujours reprochs la femme, savoir quelle
fait montre dun moindre sentiment de la justice que lhomme, dune moindre inclination se
soumettre aux grandes ncessits de la vie, quelle se laisse plus souvent guider dans ses
dcisions par des sentiments soit tendres soit hostiles, trouveraient un fondement suffisant
dans la modification de la formation du surmoi et cest au fond ce rappel lAutre, ??? sa
place.
Alors Lacan, lorsquil lit ce texte, le fait soigneusement dans le Sminaire IV, lorsquil doit
intervenir dans un contexte o depuis cette proposition de Freud, le dbat entre
psychanalystes sur les rapports de la phase prdipienne, avec la mre, et de la phase post-
dipienne avec le pre, ont fait ravage. Et pour sy retrouver, parce que ctait devenu une
Babel impossible, Lacan fait une opration triple. Dabord il ajoute castration et frustration
le terme de privation, qui est que dabord, la perception dun gnitoire de la fille met en place
la privation. Les sexes sont chtrs dans la subjectivit du sujet, par contre dans le rel ils sont
privs. Dans le rel, lpoque cest un rel qui est en mme temps ralit.
Deuxime opration, mettre comme agent de la castration le pre imaginaire et le pre rel,
rserver le pre symbolique pour le complexe ddipe, mais faire entrer la mre dans les trois
fonctions, pre imaginaire, pre rel, on trouve une faon de situer la mre comme agent de
cette fonction de castration. Troisime opration srier le phallus, dans les diffrents registres
dobjets.
Cest ce qui va ordonner, permettre de dfinir cette issue du rapport de la femme au
surmoi, et de sa position particulire. Freud poursuit sa mise en place dans le texte de 32 sur
La fminit, et l le texte compagnon chez Lacan, me semble-t-il de faon exemplaire, est
Encore, qui, pratiquement, commence sur la mme entre en matire que la confrence de
Freud, cest--dire la distinction entre caractre sexuel secondaire et identification primaire de
la femme. Et nous les examinerons ensemble, peut-tre pas aujourdhui. Mais je peux vous
donner largumentaire de ce qui sera la mise en tension des deux premiers chapitres dEncore
et du texte de Freud de 32 Sur la fminit.
Freud situait la jouissance fminine, son originalit, partir dune position pulsionnelle
originelle, originale, celle du lien trange qui est qu mesure que la socit ou que lAutre
interdit la femme la position active, dit-il, mesure quil y a de linterdit qui circule, de
linterdit paternel, la femme le sexualise, et son masochisme est une jouissance fminine qui
finalement russi subvertir linterdit. Mais cest une position originale, que Freud ne peut
noncer quen ayant assur sa thorie du malaise dans la civilisation, qui montre, comme
Jacques-Alain Miller le faisait valoir, qui montre cette prsence, dune sorte de surmosation
de la pulsion, chez la femme, le masochisme de la pulsion est son mode trange de
surmosation de la pulsion, qui en mme temps larticule lAutre et la spare de lAutre.
L o Freud parle damour rsiduel, Lacan voit le pas dexception, et dailleurs ce fut une
revendication des fministes des annes 70, abolir linterdit de linceste, sans doute pour
mieux faire clater le caractre banal du pre. Le lien entre fminit et psychose, Lacan ne le
met pas au niveau du dni de la castration, mais au niveau du destin de ldipe, aprs la
rencontre avec le complexe de castration.
L o Freud met laccent sur lamour du pre, Lacan enqute sur lincroyance en la
jouissance produite par lamour du pre, consquence clinique, gravit de lhystrie et
distinction faire entre lamour du pre qui structure lhystrie, et cependant qui laisse le
sujet dans lincroyance, sur la jouissance hors garantie.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 72

72
Plus profondment, alors que les textes de Freud de 25 et 32 sont lus dans la perspective
dune instauration radicale de cet amour du pre, et que lon voit secondaire le dplacement
dobjet, qui, dabord, marque lempire de la mre, puis le dplacement au pre, on sous-
estime que la nouveaut des textes de Freud et spcialement du texte de 32 sur celui de 25,
cest que Freud ce quil y ajoute, est un long dveloppement sur la haine, sur le fait que le lien
envers, avec la mre se termine sur la haine. Et au fond cest par l quelle peut tre, elle, cette
haine un puissant instrument de sgrgation. Cest dans cette perspective donc que je relirai ce
texte de Freud, en mappuyant sur la page 84, dans Encore, o Lacan marque lapport de la
psychanalyse par le terme de hainamoration. Relief qua su introduire la psychanalyse pour
y situer la zone de son exprience . Il ajoutait, ctait de sa part un tmoignage de bonne
volont, si seulement elle avait su lappeler dun autre terme, que celui btard dambivalence,
peut-tre aurait-elle mieux russi rveiller le contexte de lpoque o elle sinsre . Le
contexte de lpoque o elle sinsre cest celui que nous dvelopperons. Cet Autre qui
nexiste pas, et justement qui fait que les jouissances se juxtaposent, se mlangent et en mme
temps se sgrguent. Et l, il faut sorienter comme boussole, sur le fait que lamour du pre
nest pas le recours qui permettrait de sy orienter. Cest l, mon avis ce que, page 84 dans
Encore, nous fait entendre Lacan et cest donc dans cette perspective que nous lirons son texte
de 32 sur la fminit.
(Fin du cours)



E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 73

73
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Cinquime sance de sminaire
(mercredi 18 dcembre 1996)



Jacques-Alain Miller :
Il est prvu, pour cette cinquime runion de ce sminaire quric Laurent poursuive ce
quil avait entam la dernire fois propos dun ??? chez Freud, mais avant de lui cder la
parole comme prvu, nous avons convenu que je dirais un mot dun vnement dactualit
que javais annonc la dernire fois, la conversation prsidentielle, dont javais fait un test
pour certaines des propositions nonces au cours des premires sances de ce sminaire.
Jen ai dabord retir le sentiment que nous avions bien choisi notre moment pour faire ce
sminaire, sur le thme de lAutre qui nexiste pas, juste temps, vrai dire, pour ntre pas
trop en retard. Il nous a en effet, me semble-t-il, t donn, de voir et dentendre un comit
dthique la franaise, qui ne faisait que trop voir que lAutre nexiste pas. Mais enfin ctait
trop parce que a faisait non seulement voir que lAutre nexiste pas mais a dissipait
jusquau leurre du sujet-suppos-savoir, alors que le sujet-suppos-savoir cest dj une forme
attnue du grand Autre, cest dj une rduction smantique du grand Autre, que le sujet-
suppos-savoir.
Non seulement le reprsentant majeur de ltat dcrivait ses compatriotes, ses ouailles, ses
administrs comme gars, effrays, crisps, non seulement il ne semblait pas leur donner une
boussole, mais encore, ma-t-il sembl, il saffichait comme aussi dboussol queux mmes,
et les propos tenus mriteraient, peut-tre, dtre caractriss comme relevant, de ce que lon
appelle en bon franais, la rousptance. La rousptance du pouvoir. Et cest vrai que cest une
donne, pour tre si publique, assez nouvelle.
La rousptance, cest un terme dargot bien sr, qui est attest depuis les dbuts de la
IIIme Rpublique. a dsigne une protestation contre linjustice, mais non pas faite dans des
formes lgales, sublimes, mais tout de mme sous la forme dune sorte de bavardage
hargneux, comportant une dimension de stagnation. Le rouspteur, a nest pas le rvolt. La
rousptance comporte une dimension de stagnation, disons dimpuissance rsister une
force suprieure qui simpose.
Alors ici, curieusement, ctait le pouvoir lui-mme, par la voix de son reprsentant le plus
autoris, qui rousptait. Surprise ! ctait un spectacle, enfin mon gr, fort original,
dcapant, saisissant, et qui mettait, me semble-t-il, en vidence, le fait de limpuissance du
pouvoir, disons prcisment limpuissance du pouvoir politique, une sorte de discours du
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 74

74
matre rduit au bavardage. Alors ce nest pas daujourdhui que cela est vrai. Mais il y avait
quand mme un effet de vrit le voir, en quelque sorte, savouer en clair. Parce que
limpuissance du pouvoir peut tre masque par une rhtorique de la comptence, de la
volont, et ici, malgr quelques tentatives dans ce sens, ctait en quelque sorte mis nu,
limpuissance du pouvoir tait mise nue.
Alors les tartuffes ont pouss un seul cri, cachez ce sein que je ne saurais voir ! On a fait
grief leur auteur davoir laiss voir ce que dhabitude on dissimule. Cachez au peuple,
voyons, que lAutre nexiste pas, que le pouvoir ne peut rien. Cette conversation est au
contraire un signe des temps, cest comme a que jai cout la chose. Un signe des temps, me
semble-t-il, que les reprsentants du pouvoir, dans la forme contemporaine du malaise dans la
civilisation, sont amens safficher comme des sujets diviss, et si on le formule ainsi, on
saperoit que lon a dj dit a, sous dautres formes, avec le prdcesseur de lactuel
titulaire de la charge, le prdcesseur qui passionnait les foules par la monstration de son me,
et tout le monde de se demander cette me est-elle noire ? ou cette me est-elle blanche ?
Et ce qui confirme, me semble-t-il, que cest l une tendance lourde, que les reprsentants
du pouvoir saffichent comme des sujets diviss - a ntait vraiment pas du tout le cas
lpoque de Freud - cest la toute rcente publication, que je nai pas eu le temps de lire, mais
dont jai vu des extraits, dans la presse, dune confession pathtique, par le Premier ministre,
numro deux. Cette publication que jai trouv illustre, me semble-t-il, avec une grande
justesse, hier soir, la premire page dun grand quotidien, par la reprsentation dune sance
analytique (rires).
4


Le pouvoir sexhibe dsormais comme sujet divis, et non plus sous les espces dun grand
Autre consistant. Aprs tout a confirme lexactitude du mathme que Lacan avait forg une
fois pour le discours du capitalisme. En effet, dans ce mathme il crivait la place du
signifiant matre S barr. Et au fond quand S barr se dcouvre la tte de ltat, surtout dun
tat comme le notre, qui occupe beaucoup de place dans ce pays, cest mme un fondement
de la nation, et a depuis les quatre rois qui ont fait la France, a ne date pas de la Troisime
Rpublique. Quand se dcouvre la tte de ltat, cest troublant, cest scandaleux
mme, et a invite jeter l-dessus le manteau de No. Il y a donc eu aussitt dautres
candidats cette fonction, danciens prsidents, des prsidents rvs qui se sont prcipits
pour dire cest pas comme a quon parle aux gens . Et pour nous, cest prcieux, ne serait-
ce que parce que cela valide, nos yeux du moins, les catgories dont nous pouvons faire
usage pour saisir la ralit sociale partir de notre exprience nous.
Jajouterais pour finir, cette petite observation, que le diagnostic de conservatisme port sur
les Franais confirme les propos dil y a quinze jours en ce lieu. savoir que dsormais cest
lexigence capitaliste qui saffiche comme rvolutionnaire et dailleurs qui provoque en retour
une singulire confluence des hritiers de la rvolution proltarienne, comme des hritiers de
la contre-rvolution, dans la dnonciation du libre-change.
Prenons cette petite notation comme lindication de ce que notre abord ici, en tout cas, nous
permet dessayer une lecture des phnomnes contemporains.

4
Le Monde dat du 18/12/96, paru le 17 au soir, dessin de Plantu.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 75

75
ric Laurent :
Pour en arriver une vignette, un point sur la dfinition contemporaine de la relation entre
les hommes et les femmes, je repartirai de la lecture des Nouvelles confrences dintroduction
la psychanalyse, de Freud, la 32
eme
, qui date aussi de 1932, et qui est donc consacre la
fminit, et je la relis partir de lindication donne par Lacan dans Encore, page 84, de ce
que la psychanalyse a apport un savoir nouveau sur une passion. Pourtant sur les passions,
beaucoup a t dit, par les penseurs rationalistes. La psychanalyse en a ajout une,
lhainamoration, ruinant lespoir de la mise au point chrtienne du commandement de
lamour du prochain, du moins, si on la prend vraiment au srieux cette passion que la
psychanalyse met au jour pas damour sans haine . Quest-ce que cela veut dire exactement
et quelles sont les consquences sur le lien social ?
Il faut, pour situer cette passion de lhainamoration, suivre le dcours du complexe ddipe
et de la rencontre entre le complexe ddipe et le complexe de castration, chez lhomme et
chez la femme, spcialement chez la femme.
Parce quil y a chez elle, suivre Freud, un reste particulier, double, aux oprations de
mtaphores en jeu dans ldipe. Cest pour Freud donc une nouveaut grande, il lapprend au
monde en 1932, dans ce livre qui est essentiellement centr l-dessus. Ce petit livre des
Nouvelles confrences est un livre de commande. Les ditions de psychanalyse de Vienne
taient au bord de la ruine, dans une situation pouvantable, dans la Vienne de 30, et on a
demand Freud, la seule chose qui pouvait les sauver de l, cest--dire dcrire un petit
livre, qui, lui, se vendrait bien. Et donc la commande tait un petit livre grand public, et Freud
rpond parfaitement la commande : sur trois points il explique ce quest devenu pour lui le
rve, ce quest devenu langoisse, ce quest devenu la fminit. Et il donne une version
dInhibition, symptme et angoisse accessible tous, une version sur le rve qui permet de
reprendre linterprtation aprs la mise au point de la pulsion de mort, et le tournant de
rsistance linterprtation et la fminit.
Et lessentiel de ce quil apporte, et qui est distinct de ce quil amenait en 25, cest cette
dcouverte : nous savions, dit-il, naturellement, quil y avait eu un stade antrieur ldipe,
dattachement maternel, mais nous ne savions pas quil pouvait tre si riche de contenus,
persister si longtemps, laisser tant doccasions des fixations et des dispositions. Presque
tout ce que nous trouvons plus tard dans la relation au pre, tait dj prsent auparavant et a
t par la suite transfr sur le pre. Bref nous avons acquis la conviction quon ne peut
comprendre la femme si on ne prend pas en considration cette phase de lattachement
proedipien la mre .
Et il donne tout de suite des rfrences, ces trouvailles de dtails qui valent les enqutes, il
donne le fait que les scnes de sduction, qui pourtant dvidence devraient tre attribues au
pre, et bien on retrouve, dans la prhistoire prdipienne des petites filles, le fantasme de
sduction attribue la mre. Et il faut bien dire que cliniquement, il est trs frappant, en
effet, de rencontrer chez des sujets depuis longtemps en analyse, qui ont prouv le chemin
qui les a fait traverser ldipe et la castration, retrouver la persistance, comme cauchemar,
dune scne de sduction, o pour la petite fille, ce qui est en face delle, cest la mre, le sexe
fminin, la mre marque de la fminit, comme quelque chose dun mode de lhorreur,
menaant de labsorption, un mode de lhorreur toujours prsent.
Alors, Freud situe dans la phase prdipienne la premire difficult. Tout ce qui va tre la
mre devra tre report sur le pre,
P

M
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 76

76
mais il ny a pas simplement changement dobjet, cet loignement par rapport la mre, dit-
il, se produit sous le signe de lhostilit, lattachement la mre se termine en haine. Une telle
haine peut devenir trs frappante, persister toute la vie, elle peut tre bien sr dans quelques
cas soigneusement surcompense, mais elle est toujours prsente .
Donc lopration de substitution se fait avec un reste et qui est cette passion qui montre
aprs tout, litige
P

M
reste

(a)
le rve de cette passion, mauvaise, notons-le, bien sr, la place dune chose qui ne se rsorbe
pas. a, cest avant la mise en jeu du complexe de castration qui va tre loprateur, o, part
ce reste, vont rester dans lopration les quivalences phalliques qui, elles, vont favoriser au
contraire, lopration.

P

reste
M (a)
Tout ce qui tait attendu de la mre est attendu du pre, partir du moment o la petite fille
situe son envie de pnis. Lenvie de pnis, la mise en place du phallus, va permettre dentrer
dans ldipe au prix dune quivalence supplmentaire.
Mais dabord arrive le complexe de castration, et l, Freud dit trois voies sont possibles .
La premire : la petite fille se laisse gter la jouissance de sa sexualit phallique par
linfluence de lenvie de pnis. Et donc elle rejette son amour pour la mre - et le terme qui
est utilis par Freud est bien le rejet - et refoule sa sexualit propre. On a un type de quasi
mortification, cest un quasi phi zro (
0
), si lon prend cette citation au sens largi quavait
donn Jacques-Alain Miller dans son tude sur le Gide de Lacan, ce point on pourrait dire
que linhibition de la femme, lorsquelle rejette son amour pour la mre et refoule sa
sexualit, donne cet aspect dinhibition particulire qui est, lhorizon, la position de la
vierge, de la vierge sage, trop sage, qui est une solution.
La troisime solution, parce que Freud passe la troisime, cest, si cela ne va pas jusqu
linhibition complte, la mise en place dune minoration, dune passivation de lactivit
masturbatoire clitoridienne, qui permet, du fait que la fille prouve un manque, ce moment
l, au lieu de lenvie de pnis, il y a un dsir de pnis quelle attend maintenant du pre et
Freud note bien que la position fminine nest vraiment en place que sil y a lquivalence
phallus/enfant. Et il note l encore un reste, a nest possible que sil y a lquivalence
phallus/enfant (phallus enfant), mais le reste, dit-il, peut-tre devrions-nous reconnatre ce
dsir du pnis comme un dsir fminin par excellence.
Il me semble que ce dsir fminin par excellence, cest ce point laiss chez Freud comme
pierre dattente, que le docteur Lacan a repris en notant la position subjective fminine, non
pas dans son essence, mais dans la barre qui marque La Femme, a la met dans un rapport
spcial avec grand phi (u). Alors le grand phi



1
0
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 77

77

3 (-)

enfant

2 La




l nest pas le petit, nous aurons loccasion de le reprendre plus avant, mais je le marque ds
maintenant comme une pierre dattente dans les dveloppements. Mais il y a l une reprise de
cette excellence pour Freud de la position fminine.
Aprs donc, sil y a cette quivalence qui se produit, la petite fille est entre dans ldipe et
cest l donc la particularit que Freud avait en 25 fait connatre, mais que donc en 32, il a
accentue, alors que chez le garon le complexe de castration dtruit cette phase, dtruit
ldipe, chez la petite fille et bien, la petite fille reste en lui, pendant une priode dune
longueur indtermine, elle ne la modifie que tard et alors imparfaitement et la formation du
surmoi souffre de ces circonstances. Cest ce que nous avons vu la dernire fois, la formation
du surmoi souffre de ceci, qui narrive jamais, le surmoi narrive jamais tre vraiment
impersonnel, quil reste un attachement, le pre reste marqu dun attachement tendre qui fait
srement boussole, mais cet attachement tendre qui fait quau fond, cest toujours plus au juge
qu la loi que sadresse la croyance fminine.
Surmoi

P
5

Le surmoi donc, fminin, souffre de cette double opration, du reste de la premire, marqu
par une passion, la haine, et du reste de la deuxime, marqu par lautre versant de cette
passion, lamour. Lamour du pre dans un cas, la haine de la mre de lautre et qui reste
comme cette passion trange, qui se mlange, le docteur Lacan parle de la mise au jour de
lhainamoration. Par la psychanalyse, Freud reconstruit la vie amoureuse et son dploiement :
du ct masculin lalternative mre/putain, cette vulnrabilit masculine, avoir du mal
dsirer la femme quil respecte, franchir le caractre intimidant de la femme convenable, ce
qui laisse toujours lhomme dans une position dlicate. Et bien donc Freud prend ces deux
restes, damour et de haine, et reconstruit avec a le dcours de la vie amoureuse et de la vie
pulsionnelle autour des diffrents choix dobjets. Cest en somme la mise en place de la
logique de cette vie amoureuse, ou de la comdie du mariage, vue par Freud.
Donc, comment tant donnes ces oprations, la petite fille trouve-t-elle son chemin vers
lhomme ? Cest une forme particulire denqute sur le fonctionnement du surmoi, du surmoi
fminin, du rapport lAutre, les lois du mariage sont aprs tout une des formes minentes de
la structuration des lois dans lAutre, les lois de lhospitalit.
Aprs tout cest rcent dans lhistoire quelles jouent librement - normalement dans les
systmes de parent, les assignations sont strictes et demeure, il faut les socits modernes,
il faut les Droits de lHomme pour quapparaissent en effet ces choix libres grande chelle.
Donc Freud constate que l o la chose se produit librement la fille choisit son mari
conformment lidal de lhomme que la petite fille aurait souhait devenir, donc elle le
choisit l, avant la mise en jeu du complexe de castration, cest un moi idal, voil ce qui

5
Cette numrotation correspond 1 : surmoi sur p, 2 grand A barr, 3 le mariage de structure.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 78

78
parat Freud lajointement. Cest de lordre... sur laxe Moi/Moi idal, sur laxe imaginaire :
cest ce qui peut fixer le rapport.



moi
idal




moi

Si par contre la petite fille en est reste l'attachement au pre, elle le choisira daprs le
pre, mais cest autre chose. a cest le choix narcissique dobjet, et aprs tout lorsque Freud
dit cest a, lorsque a joue plein, le naturel, voil ce quon trouve, le choix narcissique
dobjet, il faut bien dire que la situation dans laquelle nous sommes, disons-le, ltat du
monde, en effet montre quil y a une tendance forte ce choix narcissique dobjet, do
limportance des personnalits narcissiques, des choix narcissiques, du fait que lon ne
rencontre plus que des gens narcissiques, etc., etc., qui, il faut bien le dire, touche en un sens
la platitude, quil sagit de laccent mit sur le narcissisme quil faut restaurer...
Jacques-Alain Miller :
Et qui est lautre face de lAutre nexiste pas, la promotion dans la psychanalyse du
narcissisme...

ric Laurent : Voil ! la vraie,

6

pour que a ne soit pas la platitude il faut lui donner sa vraie place,
cest--dire ressituer a non pas partir de limaginaire mais de la structure en effet de lAutre
qui nexiste pas o partir de l on voit en effet laccent mis et cette contamination de la
psychanalyse elle-mme par ce narcissisme.
Jacques-Alain Miller :
Simplement, on peut le redire, si lAutre nexiste pas, moi jexiste, moi, jexiste et les
doubles.
ric Laurent :
Et de faon grandiose... (rires).
Alors l par contre, du point de vue symbolique, la petite fille choisit donc daprs le type
paternel et Freud dit tant donn que lors de lorientation de la mre vers le pre, lhostilit,
la haine, est reste attache la mre , un tel choix devrait assurer un mariage heureux,
nest-ce pas, une fois que vous avez cette premire substitution, puis la deuxime, mais qui ne
touche pas, semble-t-il, le pre, donc choisir le pre, a devrait marcher, mais trs souvent
une issue intervient qui menace de faon gnrale une telle liquidation du conflit
dambivalence. Le mari qui avait dabord hrit du pre reoit aussi avec le temps lhritage
de la mre, cest l que tout tourne mal, cest ainsi quil peut facilement arriver que la
deuxime moiti de la vie dune femme soit remplie par le combat contre son mari, comme la
premire, plus courte, la t par la rvolte contre sa mre. Bon. Et do la solution, la
troisime, et cest l o il va y avoir une solution, aprs que la raction a t vcue jusquau

6
Cette numrotation correspond 1 : surmoi sur p, 2 grand A barr, 3 le mariage de structure.
2
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 79

79
bout, un deuxime mariage peut aisment prendre une tournure bien plus satisfaisante .
(Rires)
Donc, cest l o Freud fait fonctionner loprette viennoise, dcisive lpoque, le fait que
Freud est quand mme de la gnration qui a vu fonctionner les remariages, qui est un mode
spcial du rapport lAutre, qui ntait absolument pas le cas, si lon veut, entre 1830 et 1850.
Le roman Delphine de Madame de Stal, prenons a puisquil y en a une rdition rcente, a
nest pas du tout la comdie du remariage, ou Adolphe de Benjamin Constant, on voit les
difficults quil y a. Par contre ce que Freud voit, cest le remariage et cest pour a que dans
les indications de mariages que Freud a effectues, on le lui reproche, puisque maintenant
nous connaissons, il y a des livres rcent qui ont t crits sur les patients de Freud et nous
connaissons mieux, dans des biographies, dans des lments de correspondance qui sont
arrivs.
Nous savons par exemple, par rapport Ruth Mac Brunschwig et le couple des Mac
Brunschwig, qui tait un couple difficile, madame Mac Brunschwig avait beaucoup de
qualits mais ntait srement pas facile vivre, monsieur Mac Brunschwig avait lui-mme
son caractre, et donc Freud a commenc par les prendre tous les deux en analyse. Au bout
dun moment il a conseill monsieur Mac Brunschwig dpouser Ruth Mac Brunschwig, il
la pous, le mariage a tenu deux ans, aprs il lui a demand de divorcer, Freud a dit tout
fait daccord , deux ans aprs les Mac Brunschwig ont voulu se remarier, Freud a dit
absolument (rires), et donc dhabitude on interprte ces indications de mariage
freudiennes comme une sorte dinconsistance et surtout le fait que Freud tait simplement
pour le mariage des gens. Mais non, l par exemple il tait aussi bien pour le divorce, mais si
on admet que justement Freud laborait sa thorie de la solution par le deuxime mariage
(rires), a peut tre le deuxime sur les mmes personnes, parce que daprs la structure,
3 Le mariage de structure
7

la structure du phnomne, en effet, il suffit dattendre le bon moment, le karos, ce que Freud
dit vcu jusquau bout, un deuxime mariage peut aisment prendre une tournure bien plus
satisfaisante et bien jusquau bout, on doit faire ronger son os en effet, aux personnes, et
ensuite il y a un moment o il est possible, le remariage est possible et en effet je crois que
loin dtre une inconsistance de la position de Freud, cest au contraire une application de sa
thorie au contraire, de lintuition qui est quil faut changer compltement les personnes.
Alors nanmoins ce qui oriente lhorizon freudien - la faon dont chez Freud a se formule
quil ny a pas de rapport sexuel - cest la phrase par lequel il conclut, disons sa comdie du
mariage : cest que la seule relation vraiment dnue dambivalence, cest la relation de la
mre et de son fils. Mais la conception quen retire Freud cest quil dit au fond la vie
amoureuse chez lhomme fait apparatre un curieux dphasage de la vie amoureuse de
lhomme et de la femme et que lhomme au fond voit la gnration daprs son fils obtenir
ce que lui a cherch. Et il conclut au fond il ny a pas de rapport sexuel, sil y en avait un, ce
serait celui de la mre et de lenfant, et cela nest pas , et cest une faon par laquelle
sapproche cet inexistence du rapport sexuel chez Freud bien quil considre quil y a des
solutions, dont cette solution, un moment donn, du remariage.
Alors cette existence donc des passions, cette existence des passions chez la femme qui fait
quil ny a pas leffet de dpersonnalisation propre la sexualit masculine, qui fait que la
sexualit masculine peut tre tellement dpassionne quau fond lhomme peut spcialement
ne plus du tout sintresser a au bout dun certain temps. Et cest une des choses qui est
frappante, des dames me faisaient remarquer quil est trs difficile de trouver des hommes,
aprs un certain ge, qui sintressent encore ces questions, que plus a se dveloppe, plus la
pente masculine du retrait peut loccasion les mettre dans une position de mortification.

7
Cette numrotation correspond 1 : surmoi sur p, 2 grand A barr, 3 le mariage de structure.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 80

80
Freud donc, aprs avoir parcouru la vie amoureuse fminine, conclut quau fond les
femmes, par lintrt quelles maintiennent - ceci un revers, cest que leurs intrts
sociaux, dit-il, sont plus faibles et leur capacit de sublimation pulsionnelle moindre que celle
des hommes. Et que cela dcoule vraisemblablement du caractre asocial propre toutes les
relations sexuelles. Cette phrase est nigmatique, le caractre asocial propre toutes les
relations sexuelles, comme si au fond ctait la femme qui tait garante des relations
sexuelles, et dailleurs cest un point que le docteur Lacan reprend dans ses Propos sur la
sexualit fminine , quand il oppose les tenants du dsir et les appelants du sexe. Les
femmes, en effet, occupent la place de ce qui... pas du deuxime sexe, mais du sexe... garantes
des relations sexuelles.
Ce qui fait que la relation fminine, qui est prsente comme moins sensible lidal que
les hommes, au fond les femmes sont plus sensibles lAutre qui nexiste pas, au signifiant de
lAutre qui nexiste pas ; leurs intrts sociaux plus faibles sont plus faibles en tant quil sagit
de lidal, elles ont moins de relations lidal que lhomme, mais ce que le docteur Lacan a
raviv cest que, par rapport lidal srement, mais elles, elles ont un rapport trs particulier,
au signifiant de lAutre qui nest pas, qui est un mode dinscription dans lAutre, de ce qui
reste lorsquil ny a pas lidal, qui les rend peut-tre plus sensibles ltat actuel de lAutre.
Et au fond lorsque nous parlons de la fminisation du monde, il ne faut sans doute pas
seulement en parler en quantit, de quantit de femmes qui ont maintenant accs toutes les
professions qui auparavant taient rserves aux hommes, mais au del de a, pas seulement
non plus dans les vertus fminines qui sont proposes par certains secteurs soit fministes soit
des intellectuelles de la politique, insistant sur le fait que aprs tout la politique, lAutre du
pouvoir, a besoin, dans ltat dans lequel il est, de davantage de talent de ngociateur, que de
brutalit, davantage de monstration du talent de comment faire avec limpuissance, que de
monstration dautorit auquel personne ne croit plus et que les femmes sont spcialement bien
places, puisque elles, qui ont toujours eu ngocier avec les enfants en permanence sans
pouvoir faire preuve dautorit - on russit toujours les persuader, on le sait, sans avoir
besoin de passer par l - cest la fminisation douce, la vertu fminine. La vertu fminine veut
nous faire oublier les dames de fer.
Jacques-Alain Miller :
Puisque nous sommes dans lactualit, noublions pas la nomination comme Secrtaire
dtat aux tats-Unis dune dame dont tout le monde dit que a sera le seul homme dune
quipe de politique trangre, du prsident amricain. Voil une figure qui satisfait
profondment les mouvements fministe qui se sont activs auprs des hautes sphres, auprs
du Prsident lui-mme pour obtenir une sorte de reconnaissance du vote fminin, qui a t trs
largement favorable sa rlection, la rlection dun Prsident dmocrate, donc elles sont
satisfaites de a alors que cest sans doute la personnalit la plus dure, la plus oriente
dailleurs dans le sens de la droite amricaine, de cette quipe. Prenons a comme un
exemple, il y a quand mme un rapport fminin lautorit, qui nest pas seulement la
ngociation...
Eric Laurent :
Et justement disons les vertus de la ngociation, donc lorsquon nous dit a, peut tre que la
vritable fminisation du monde cest quen effet, ce sont les dames qui sont plus laise,
contrairement ce que pensait Freud, tant donne la structure de lAutre de son temps, qui
sont plus laise avec ltat actuel de lAutre qui nexiste pas, que a soit sur le versant de
savoir envelopper a dans la douceur ou de savoir manier au contraire lorientation au
moment o tout le monde est trs perdu.
Jacques-Alain Miller :
Cest ce que comporte quelles soient plus laise dans ce malaise, cest ce que comporte
de caractriser lpoque comme le nouveau rgne du pas-tout. Dans lpoque du pas-tout, il
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 81

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est logique, en suivant simplement laveugle les mathmes de Lacan, il est logique en effet
quon prenne en compte le phnomne dit de fminisation.
Eric Laurent :
Cest la mme faon de dire tout le monde est maintenant thatchrien, puisque a t dit en
Angleterre, donc les Anglais disaient tout le monde est maintenant tatchrien aussi bien les
tories que les whigs et cest une faon dapercevoir ce type de figure...
Jacques-Alain Miller :
a veut dire que lAutre nexiste pas peut prendre la forme : si lAutre nexiste pas alors
pourquoi pas moi, la place de lAutre qui nexiste pas, do le phnomne dame de fer.
Eric Laurent :
Alors lautre point que Freud note est quau fond les femmes sont moins propices au lien
social car garantes des relations sexuelles, et bien, ou garante du sexe, justement suivre la
structure que Jacques-Alain Miller dployait, lAutre nexiste pas et donc monte du petit a au
znith, ou la domination du petit a, barre sur I, l encore, en effet, ce que Freud voyait, quil
ny a pas le got fminin pour lidal, le got fminin pour lidal donc est moindre, et quil
en voyait en tant que gardienne du sexe, oui. Cela sopposait, malgr la frigidit quil voyait
trs bien par ailleurs, comme un problme, tonnant du ct du sexe fminin, cest, on peut
dire que ce que Freud attribuait aux femmes est maintenant dmocratis avec le droit chacun
de jouir, chacun se retrouve comme les femmes, devant les exigences de la civilisation,
maintenir le droit et la valeur de la relation sexuelle transforme en mode de jouir.
Alors a nest plus le jouir darwinien, lespce, cest celui de chacun qui est ouvert comme
un droit. Et ce droit au bonheur a t interrog par un auteur dans la transformation quont
eues une catgorie duvres de fiction, qui pour lui ont t tmoin de cette mise au jour de la
recherche du bonheur et de la faon dont elles transformaient la comdie du mariage, et cet
auteur, cest quelquun qui sappelle Cavell, Stanley Cavell, qui est venu faire des
confrences Paris rcemment, et qui a crit un livre, je trouve le meilleur quil ait crit, qui
sappelle A la recherche du bonheur, Hollywood et la comdie du remariage.
Cest un livre de critique de cinma qui considre un certain nombre de films, qui dans
lhistoire sont entre 1934 et 1949, cest trs prcis et, pour tous ceux qui connaissent un peu
lhistoire du cinma, disons quil y a deux grands films quil saisit Bringing up baby, dune
part, je vous donne la suite, Limpossible monsieur bb, de Howard Hawks, It happened one
night, de Franck Capra, en franais cest traduit New-York, Miami, enfin on se demande
pourquoi ? (rires), cest trs important nest-ce pas, hier, Steven Spielberg a rachet lOscar
quavait eu Gable pour It happened one night, il la rachet un prix qui dpassait toutes les
sommes jamais vu pour le rachat dun Oscar, il est certain que le fait que cest le film qui a
concentr le plus danalyses critiques dans lhistoire du cinma amricain et de ses comdies,
nest pas un hasard, Spielberg est un type cultiv.
Ensuite il y a La dame du Vendredi, His girl friday, de Howard Hawks, et enfin Madame
porte la culotte, en franais - cest trs mal traduit - a sappelle Adams Rib, en anglais, La
cte dAdam (rires). Si vous navez pas vu ces films, prcipitez-vous pour les voir, vous y
apprendrez beaucoup. Je ne reprendrais que Adams Rib, je crois que cest celui que vous avez
le plus de chance de connatre, en gnral quand on ne connat pas les autres, on connat celui-
l et puis Limpossible monsieur bb.
Alors je prends Adams Rib, parce que cest donc un couple, Spencer Tracy qui fait
lhomme, Katherine Hepburn qui fait la femme (rires), il faut prciser parce que... et qui
essaye de construire justement le mariage comme une conversation. Cest un film qui se
dplace dans une ralit o le divorce est une ralit, est une possibilit parfaitement admise,
option moralement et religieusement acceptable et cest, bien quil ny ait pas divorce et
remariage, lauteur linclut dans sa catgorie car le divorce est prsent comme possibilit ds
le dbut.
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Le dbut est magnifiquement film, la camra est immobile, vous avez la chambre et ils se
parlent, chacun est dans son dressing-room, droite et gauche, hors champ, et ils se parlent
dun bout lautre. On ne les voit pas, mais la camra est l, et donc cette sorte dintimit est
dautant plus prsente quelle est vide et ils se parlent ainsi. Et si le divorce menace cest
parce quune goutte a fait dborder le vase, elle lui avait demand de ne pas... il y avait une
clause au fond secrte du mariage qui est touche, qui est, en public, il ne touche pas au
fminisme.
Or il attaque, en tant que prosecuter, ce nest pas tout fait le procureur franais, il doit
attaquer et obtenir le chtiment dune femme qui vient de tuer son mari et moyennant quoi sa
femme prend la dfense de la femme. Et donc on a une structure qui est en abme dans
laquelle le mariage de Tracy/Hepburn est port sur une cour de justice, travers lexamen
dun autre mariage, qui a tourn mal puisque la dame a fini par trucider le monsieur, mais
cest le mariage comme tel qui est amen en discussion dans une cour de justice. Et Cavell
fait valoir quel point cest justement dans cette mise en abme, ce qui est trs sensible, cest
que lon trouve le lien du mariage avec le lien social dmocratique comme tel, le contrat. Et
que Tracy dit tout de suite quest-ce que le mariage ? cest un contrat .
Et partir de l tout le jeu du film mme est quHepburn est amene sadresser la fois
son mari dans le particulier, et au tribunal pour dfendre les droits de la femme laudience,
au public, adressant comme telle lorganisation de la revendication fminine dtre traite
comme un tre civilis.
La structure de redoublement est souligne par le gnie de Cukor, qui au milieu du film
installe une petite scne o Hepburn et Tracy font voir leurs amis un petit film damateur
installant une scne de film dans le film qui souligne parfaitement la structure ainsi
dveloppe de la mise en abme et qui structure lgal de la scne du thtre dans la pice
Hamlet, qui structure le divorce dans le divorce, le meurtre dans le meurtre, et ainsi une mise
en abme de la vrit.
La rgle de la comdie de remariage, note Cavell, cest que lhomme doit supporter la mise
nu du ridicule de la position masculine et dans le genre du remariage il faut toujours quil
subisse une certaine humiliation, par exemple les pneus crevs de Clark Gable dans It
happened one night, le dshabill fminin que doit enfiler Gary Grant dans Limpossible
monsieur bb, et ici Tracy qui est lhomme solide, etc., ds le milieu du film commence
avoir des vertiges, ne tient plus debout et un certain nombre de...
Jacques-Alain Miller : il shystrise
ric Laurent : il shystrise, ce que lui appelle la preuve dhumiliation cest au fond une
certain hystrisation qui lui permet de rejoindre, cest trs juste... (sadressant Jacques-
Alain Miller) le mot, qui lui permet de rejoindre la position fminine. Et il note que cest cette
capacit une fois dmontre, quil peut le faire, qui lui redonne lautorit requise, qui va de
nouveau permettre que sa femme supporte ensuite la leon quil va lui faire, comme il dit, a
va permettre sa femme de supporter quil soit son instructeur dans le remariage possible,
puisqu la fin du film, de Adams Rib, il y a ce cours que fait Tracy, o le couple sloigne de
nous, et Tracy crie vive la diffrence !
Alors cette mise en abme, Cavell montre que cest probablement dans le remariage un
point ultime puisque au lieu dtre un second mariage, cest un mariage qui tourne tout entier
autour de la possibilit du second, mais qui, au lieu de leffectuer, met cette possibilit mme
en abme permanent, cest--dire installe l non pas le remariage comme solution effectuable,
mais surtout signale qu partir de l, il ny a plus que la mise en abme dans la discussion
permanente de la conversation sur ce que peut tre le mariage, et que de leffectuation qui se
passe dans les autres comdies du remariage, on arrive , si lon veut, cette mise en abme. Et
bien je trouve que cet Adams Rib, cest la structure du mariage moderne, et si le genre sest
arrt aprs 49, cest quen effet la solution parfaite est trouve.
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Il ny a plus, si lAutre nexiste pas il ny a plus que la conversation sur le mariage et quil
seffectue ou ne seffectue pas est au fond secondaire ; et l les formes les plus ouvertes du
concubinage, notoire, non notoire, occasionnel, progressiste, enfin sont ouvertes, lessentiel
tant de maintenir la conversation bante dune structure de fiction de la vrit. Et cest
partir de l, de cette contemplation non pas dun idal du mariage mais du fait quil ne reste
plus que la conversation sur la mise en abme, que se dfinit sans doute la position actuelle et
qui fait que la psychanalyse ne produit plus de thorie suprieure celle que Freud a mise au
point. Il y a dautres caractrisations de la femme qui sont produites par la thorie
psychanalytique, des formes possibles de la position fminine de ltre, mais au fond nous ne
croyons pas en le deuxime mariage et puis le troisime ou le deuxime a ne serait peut-tre
pas le bon mais le troisime alors peut-tre le quatrime, parce qu partir de l cest la mise
en abme mme et la discussion l-dessus.
Et au fond jen prendrai, je vais terminer moins le quart, jen prendrai comme exemple
donc la rcente... cette mise en abme au fond conjoint lAutre qui nexiste pas au point o
petit a, a vient la place de grand I, selon les mathmes que proposait Jacques-Alain Miller.
a
> I

Jacques-Alain Miller :
En mme temps, il y a quand mme un phnomne, je mavance un peu sans avoir toutes
les donnes, mais il y a tout de mme une poque o le phnomne, ce phnomne
hollywoodien passait dans la vie mme des stars. Jai lu, je me souviens encore avoir, dans les
annes soixante, crois Paris par exemple une grande figure comme Zaza Gabor, et qui en
tait cette poque dj au sixime ou au septime mariage, et qui a continu encore,
Elisabeth Taylor aussi a... bon. Et jai limpression, cest ce que tu dis qui men donne lide,
est-ce que aujourdhui il ny a pas au contraire Hollywood, ce qui reste dHollywood, qui
nest plus le mme, est-ce quil ny a pas une tendance une sorte de fidlit conjugale ?
Cest--dire cest assez frappant que les stars qui jouent lquivalent de ces comdies de
murs etc., aujourdhui, par exemple comme Demi Moore,
ric Laurent : Demi Moore, voil un exemple de fidlit ! (rires)
Jacques-Alain Miller : et en mme temps, qui a eu, dit-on, avant de se marier, une vie
assez agite et dont on clbre tous les ans : encore une anne avec le mme ! (rires) Est-ce
que, il ne faudrait pas situer cette tendance lourde...
ric Laurent : Et oui, moi ce que je voyais comme tendance lourde l, cest quau fond
que ce soit dun ct les tenants des films daction, Stallone, Schwarzenegger,
8
qui eux
continuent, ces positions masculines, mais de lautre ct Tom Cruise...
Jacques-Alain Miller : Pourquoi Schwarzenegger, lui il est...
ric Laurent :
Ben cest rcent (rires), si jen crois la presse que je lis rgulirement. Alors la tendance
lourde, cest quau fond que ce soit le premier, le deuxime, le troisime, a na plus
dimportance, parce que ce quil sagit de faire cest de continuer la conversation,
Jacques-Alain Miller : Avec la mme...
ric Laurent : et que tout le reste fonctionne comme le comit dthique qui permet de
poursuivre la conversation, les films eux-mmes sont en effet la poursuite de cette
conversation, qui sinscrit partir de Adams Rib, dans sa structure profonde et sur le fait que
cest limportant, cest qu la fois soit maintenu dune part le rapport, le grand A barr qui
nexiste pas et le maintien du rapport petit a. Alors jen prenais comme exemple ce qui a t
publi cette semaine, dans le New-Yorker o il y a un interview de Woody Allen.
Woody Allen, cet homme, qui a t vilipend, mont au pilori, considr comme le dernier
des derniers, il est trs important pour la psychanalyse, Woody Allen, puisqu lui tout seul il
a quand mme reprsent une conception intelligente de la psychanalyse, alors qu New-

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Acteurs amricains de films daction.
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York il ny avait pas tellement dauteurs qui pouvaient saligner, lui, il dmontrait, comme on
la dit dans les journaux, lorsquil sest fait pincer avec cette jeune fille qui avait t adopte
par celle qui tait sa femme, Mia Farrow, il dmontrait que la psychanalyse, une psychanalyse
mene longtemps produit un affaiblissement du sens moral (rires) et que cen tait la
vrification la plus grande, pour en arriver vraiment, a prouvait quil fallait, enfin que la
psychanalyse devait sinterroger sur son rapport la morale.
Et bien il se trouve que Woody Allen vient de sortir un film musical, un film chantant, en
anglais musical, qui est un grand succs aux Etats-Unis et qui est justement construit sur le
mythe du bonheur. Et parce quil est centr sur le mythe du bonheur, justement, cest une
sorte de comdie en tlphone blanc, mais chantante et intgrant les lments de la modernit,
cest un norme succs et on pense quil pourrait mme avoir un Oscar avec a si tout se
passe bien.
Et donc le mme qui tait vilipend, se retrouve interview dans le New-Yorker sur le
thme vous tes un vritable Amricain, cest le mythe amricain, cest le film etc., etc.
Longue rhabilitation, et a se termine, alors cest un article fait comme le New-Yorker fait,
cest--dire quil y a un trs long interview et puis ensuite cest rcrit par un journaliste qui
nourrit a de multiples rfrences. Et au fond il termine cet entretien par quelque chose que
Diane Keaton dit de Woody Allen, Diane Keaton, vous savez, cest lactrice de Manhattan,
cest lactrice aussi du dernier film qui est si bien, l, Petit meurtre Manhattan, a t sa
femme, cest une ex-, il y en un certain nombre, et elle, elle dit ceci. On lui demande donc
finalement si elle a quelque chose dire de Woody Allen, elle dit ceci : il y a quelque chose
que je garderais avec moi, cest limage de lui regardant Cris et chuchotement, de Bergman.
Est-ce que vous voyez ce que je veux dire, le voir lui emport, je lai vu sur son visage, cela
ma mue, et cest ce qui me fait laimer.
Et bien je trouve que comme mise en abme du rapport dun homme et dune femme, dans
le contexte de LAutre nexiste pas, ce nest pas mal.
Ce que voit Diane Keaton, ce qui lintresse, cest de voir Woody Allen capt, saisi, arrach
de lui-mme, par la fois un autre film, non pas un film quil fait lui mais le film qui est son
idal, mais non pas en tant quidal, elle veut le voir en tant quil est prsence de lobjet a, elle
veut voir lobjet a, arrach, soustrait, lui emport, tmoignage du type fascin devant le
cinma mme. a nest pas Woody Allen en tant que ralisateur, cest Woody Allen passiv,
tmoin, de la prsence de lobjet a et ce quelle voit cest lui voyant, et quau fond les deux
tmoignent de ce que, elle, ce qui fait quelle laime, cest aprs tout quelle a saisi le passage
de lobjet a au point o lAutre nexiste pas, dans leur mariage et dans les relations que Allen
peut avoir avec les dames et quau fond partir de l, ils seront maintenus toujours en
conversation. Voil. (applaudissements)

Jacques-Alain Miller :
Pour finir la prsente srie de cinq, o nous nous essayons au style sminaire, nous
essayons seulement, nous ferons mieux par la suite, nous devrons par la suite essayer de
croiser davantage nos chemins, dailleurs je vais certainement faire lemplette de cet ouvrage
de Stanley Cavell, dont jai lu certains livres mais pas celui l mais peut tre que a me
donnera loccasion de minscrire dans le dbat. Jai pens essayer de cerner un peu plus notre
formule de lAutre qui nexiste pas. Sa premire valeur, la plus vidente cest que lAutre a
une structure de fiction pour lui attribuer, linscrire dans la formule de Lacan, qui voulait que
la vrit mme ait une structure de fiction et cest sans doute ce qui conduit, peut-tre
ncessairement, ces uvres de fiction et lillustrer par le film.
La structure de fiction de lAutre, elle est patente aussi bien dans cette invention de Lacan
du sujet-suppos-savoir, qui est exactement lAutre en tant que structure de fiction, la
rduction de lAutre la structure de fiction, elle est aussi bien patente dans la rduction de
La femme la structure de fiction, dont Eric Laurent a ici donn des images Cest--dire que
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ce qui est, semble-t-il, en jeu dans linexistence de lAutre cest sa rduction au semblant. Et
a veut dire, et a a encore des consquences, que lAutre, celui dont nous parlons bien quil
nexiste pas, parce quil nexiste pas, on en parle dautant plus parce quil nexiste pas,
lAutre nest pas de lordre du rel. Et je voulais, pour laisser tout de mme un point de
capiton de fiction la fin de cette premire srie, le souligner et sinon le dmontrer au moins
y conduire.
Alors si on sinterroge sur do procde le concept de lAutre, dont nous faisons usage,
quelle rponse se propose ? Cest celle l qui nous semble simposer : le concept lacanien de
lAutre procde de lintersubjectivit et prcisment de la dialectique de la reconnaissance,
celle qui a t situe par Hegel, celle qui a t pingle par Kojve qui en a fait, sans doute
abusivement, la matrice de toute la phnomnologie de lesprit et qui a t importe par Lacan
dans la psychanalyse.
Cette dialectique, jen ai souvent parl, est dabord prsente dans le stade du miroir, o la
doctrine propose par Lacan combine une observation psychologique, qui a t celle de
Darwin, celle dHenri Wallon, et la dialectique de Kojve. Mais ensuite, et surtout, cette
dialectique de la reconnaissance a t importe comme structure symbolique de la relation
analytique et ce depuis Fonction et champ de la parole et du langage , jusqu la thorie
des quatre discours de Lacan. La structure quil attribue la relation analytique est construite
sur la matrice kojvienne du matre et de lesclave.
Alors lAutre, le grand Autre procde de la dialectique de la reconnaissance, dans la mesure
o la reconnaissance, cest une intersubjectivit dissymtrique. Cest toujours lAutre,
condition dajouter comme tel, qui tient les clefs de la reconnaissance. Cest lui qui concde
ou qui refuse la reconnaissance et donc cette dialectique donne fondamentalement le pouvoir
lAutre, et ce mme sil y a au dpart une symtrie entre les individus, ce quHegel appelle
les consciences. Il y a nanmoins dissymtrie des fonctions. La dialectique de la
reconnaissance, au niveau des fonctions, ne comporte pas de rciprocit. Et Lacan a assign
lanalyste la fonction de lAutre majuscule. Et a conduit ddoubler le couple analytique
entre une relation symtrique a-a, imaginaire, et une relation dissymtrique, celle o vraiment
sinscrit la fonction du grand Autre comme tel, celui qui a les clefs de la reconnaissance du
sujet. Donc il y a un niveau symtrique et un niveau dissymtrique.
a a
S A
Bien entendu, l, cest un petit excursus, la reconnaissance, dans la psychanalyse, est
effectue demble au profit de lanalyste, elle est effectue demble dj dans la demande
danalyse, qui comporte par dfinition que lanalyste soit reconnu comme tel demble, dans
sa qualit danalyste.
Alors cest ici que souvre dans la psychanalyse une problmatique cruelle, la
problmatique de la reconnaissance de lanalyste en tant que pralable la demande
danalyse. Comment lanalyste est-il reconnu, ne serait-ce que pour ce quon lui adresse la
demande danalyse, qui ne fait que rpter la reconnaissance pralable, tu es un analyste, et l
dans cet excursus, nous pouvons dj saisir que cette reconnaissance est dpendante dun lien
social, beaucoup de niveaux. a peut se vrifier, ne serait-ce que dans la fonction que lon
peut distinguer comme telle de lami de lanalysant. Lami qui parle au futur analysant, qui lui
parle de son analyste. Et alors le sujet, enfin assur par son ami que untel est bien un analyste,
va le trouver, et cest un mode de constitution de la demande danalyse, qui est videmment
courant, frquent, et qui a cette structure, me semble-t-il, qui montre la dpendance de la
reconnaissance lendroit dun lien social, lamiti tant cet gard une forme lmentaire de
lien social. Puis il y a bien sr, un autre niveau, la drivation. Lanalyste qui drive une
demande quil reoit un autre, et qui par l mme, invite le sujet reconnatre cet autre
comme un analyste. a cest en quelque sorte la fonction de lami, non pas de lanalysant,
mais de lanalyste, lami de lanalyste : trs important. Et puis au-del il y a les amis de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 86

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lanalyste, enfin ou ses amis ennemis, cest--dire que la reconnaissance saccomplit, la
reconnaissance pralable de lanalyste saccomplit au sein dune communaut analytique et
par quel procs saccomplit cette reconnaissance pralable de lanalyste, est videmment
toujours sujet dbat.
Il y a dailleurs ce propos, je ne peux pas mempcher de le citer, je suppose (sadressant
Eric Laurent) ce dont tu as eu connaissance galement, le dernier article du docteur
Kernberg, qui est actuellement plac sur Internet et donc a t recopi dInternet Barcelone
par notre collgue Lucia Angelo, qui a parl rcemment aux confrences du mercredi soir, et
qui me la fait parvenir. Je dois dire que cest un article sensationnel, cest vraiment... je me
demande si je nai jamais lu un article de lIPA qui soit aussi drle, mais volontairement
drle. a sappelle Trente mthodes pour dtruire la crativit des candidats analystes , et
au fond, cest comme fruit de son exprience travers toutes les socits de lIPA - cest un
grand voyageur, un confrencier mrite - il a recueilli et class trente procds - mthode
nest peut-tre pas le mot, cest le mot anglais, mais il faudrait dire procd en franais - il a
recueilli les procds par lesquels les cliques dominant chacune de ces socits dcouragent
les jeunes, et spcialement pour ce qui est de la reconnaissance de lanalyste. Mais enfin tout
serait citer, il faut vraiment... Alors ce qui est le plus drle cest quand mme que ce
monsieur, cest le futur prsident de lIPA, il va prendre ses fonctions dans un an, donc
lactuel, dialogue avec moi, et le suivant parle de lIPA comme on serait bien en peine den
parler nous-mmes faute de connatre tous ces procds, mais enfin on se dit quune
institution internationale qui porte sa tte un monsieur qui dit a delle, il devra se passer
quelque chose lintrieur dans les annes prochaines, dans les temps venir. On peut dire
que cest, pour ceux dentre vous qui connaissent le texte de Lacan Situation de la
psychanalyse en 1956, nous avons trente ans plus tard, exactement quarante ans plus tard, en
1996, les consquences prcises de ce que Lacan avait dcrit en 1957, et pas dit par un exclu,
un pouilleux du mouvement analytique comme tait Lacan en 56, mais par le futur prsident
lui-mme. Donc l, il y a vraiment un phnomne qui sera situer.
Alors il dit des choses formidables, par exemple, cest le deuxime procd, on peut
utiliser les crits de Freud, afin de dcourager les candidats de penser par eux-mmes, alors
les instructeurs devront insister pour que tous les candidats lisent Freud trs soigneusement,
dans lordre historique, compltement, de faon exhaustive pour quon sache toujours ce que
sa thorie tait nimporte quel point et ainsi on doit attendre pour critiquer les conclusions
de Freud quon ait lu Freud compltement et jusqu ce quon ait plus dexprience, etc., et il
faut bien faire attention de ne pas expliquer par quels moyens Freud est arriv ses rsultats
mais quon mmorise ces rsultats etc.
Et alors sur la reconnaissance de lanalyste, cest le point 29, donc on est la fin de ces
procds, il dit, surtout pour la reconnaissance des analystes, avant toute chose, maintenir la
discrtion, le secret, lincertitude, sur ce qui est requis pour devenir un analyste didacticien,
taire comment les dcisions sont prises, o et par qui, et quels sortes de mcanismes pour les
plaintes etc. a cest lAmrique, et quon pourrait avoir pour protester contre telle
dcision, plus le corps des analystes didacticiens se tiendra part et maintiendra sa cohsion
comme seul dtenteur de lautorit et du prestige, plus les effets dinhibition dans le processus
de slection influenceront toute la procdure ducative. Voil linstrument le plus effectif,
pour garder dans la bonne ligne non seulement les candidats mais tout le corps enseignant et
toute la socit analytique. Prsident de lIPA !
quoi rpond le procd, quel est le procd correspondant dans lcole de Lacan ? Ce
procd cest la passe, et qui est quand mme le contraire de ce qui est l expos, cest--dire
quon sait trs prcisment par qui ces dcisions sont prises ; et on sait, et on a loccasion
dcouter, ensuite, le tmoignage de ceux-l mmes qui prennent des dcisions comme de
ceux qui ont bnfici de ses dcisions. Il ne faut pas tre l dessus pharisien et dire que tout
est bien du ct lacanien mais enfin, on peut noter exactement quelles critiques acres de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 87

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Kernberg rpond ce que nous devons Lacan comme le procd de la passe. Alors revenons
maintenant aprs cet excursus sur les mandres de la reconnaissance pralable de lanalyste,
lAutre.
Lacan, une fois dgage comme telle la fonction de lAutre, la transforme en lieu de
lAutre. Et le passage de fonction a lieu a cette valeur que ce qui est l devenu une place
nexiste pas seulement en tant quincarn mais peut tre structure et Lacan loge cette place
de lAutre aussi bien la structure de langage comme signifiante que le discours universel qui,
donnons lui cette dfinition, tablit les significations correspondantes la forme de vie
contemporaine. Ainsi ce que Lacan appelle lAutre cest le lieu o saccomplit la conjonction
du signifiant et du signifi et leur rapport au rfrent.
Alors si on relit a comme je le proposais partir du chapitre III dEncore, cest--dire si
on le relit partir de la disjonction fondamentale du signifiant et du signifi, le lieu de lAutre
apparat essentiellement comme le lieu dune suture, entre le signifiant et le signifi et par le
biais de cette suture, une mise en correspondance avec le rfrent. Cette suture est susceptible
de se raliser aussi bien en un point du dialogue sous la forme du point de capiton.
Mais ds lors il y a luvre comme une ncessit de ddoubler lAutre lintrieur de lui-
mme. Cest--dire de ddoubler lAutre en tant que structure, et en tant que point de capiton,
et cest ce que Lacan - je vais un peu vite - et cest ce qui a conduit Lacan distinguer dans
lAutre, reprsent ici par cet ensemble, dans lAutre comme lieu du signifiant, lAutre
comme lieu de la loi.

A
lieu du signifiant Sa


A
lieu de la loi NP

Cest une distinction fort prcieuse, que jai dj commente, quoi il procde dans son
crit sur la psychose et qui permet de reconnatre dans cet Autre de la loi le signifiant du
Nom-du-Pre comme constituant le point de capiton mme de lAutre lintrieur de lui-
mme. Quest-ce que lAutre de la loi ? Cest le Nom-du-Pre comme point de capiton
interne au langage. Do la rflexion de Lacan sur le deuxime Autre, ce quil a appel lAutre
de lAutre, garantie et point de capiton ultime du premier comme structure. Cest le second
Autre, cest celui qui garantit lintention de signification, qui garantit que a veut dire
quelque chose et cest pourquoi je le prends comme quivalent du point de capiton, cest
celui qui garantit mme la vrit qui par l oriente linterprtation, do secondairement,
dun second temps, la valeur de poser lAutre barr qui porte spcialement sur ce
second Autre, lAutre barr. Et que Lacan rend quivalent un signifiant, qui a dj
t crit au tableau par Eric Laurent, et qui veut dire lAutre nexiste pas, il nexiste que son
signifiant et cest ce signifiant auquel presque exclusivement Lacan attribue lex-sistence. Je
cite la page 819 des Ecrits o ce signifiant est qualifi de ne pouvoir tre quun trait qui se
trace de son cercle, du cercle de lensemble, sans pouvoir y tre compt . Et tout en
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 88

88
voquant alors la disparition de la garantie de la vrit que cela comporte, le trait du sans foi
de la vrit, qui est vraiment le trait hystrique de lAutre, il ajoute rapidement que cette
rponse ne vaut pas dtre donne, et la rponse quil propose vient en terme de jouissance.
Alors comment je retraduis a au point o nous sommes, dans les termes suivant ? Que ce
qui est rel ce nest pas lAutre, ce qui est rel cest la jouissance et il me semble que cest
partir de l, dans cette parenthse quon peut prendre le dveloppement de lenseignement de
Lacan, lAutre nexiste pas comme rel, ce qui est rel cest la jouissance et cest pourquoi
jai pu en parler la dernire fois, en terme de dplacement du rel que ce qui tait rel au
dpart pour Lacan, ctait lAutre, et que a cest dplac sur lobjet petit a.
A a

Que lAutre premirement ne soit pas rel, cest ce qui a fray Lacan la voie vers le sujet-
suppos-savoir comme simple effet de signification. Et du coup, deuximement que ce qui est
rel se soit lAutre, a complt la premire proposition, a donn exactement chez Lacan la
doctrine de la Passe qui comporte en effet une certaine dralisation de lAutre et mme
lexprience dune certaine drlisation de lAutre, aprs quoi vient sa place un accs A
barr et que la doctrine de la passe modifie dans ces termes : ce nest pas un signifiant quil
faut mettre ici,
9
dont la rponse dj Lacan paraissait quivoque, cest bien petit a de grand
A barr,
Lorsque la faille du sujet-suppos-savoir se fait dcouvrir dans lanalyse, alors il y a un
accs, une rvlation de lobjet petit a, la place mme o tait le sujet-suppos-savoir, et au
fond la doctrine de la passe cest la combinaison des deux propositions que lAutre nest pas
rel, quil nest quune structure de fiction comme le sujet-suppos-savoir mme et que ce qui
est rel en fait cest ce reste de jouissance qui sappelle petit a. Et donc la passe est suppose
cet gard tre la rvlation mme de cette inconsistance et du caractre non rel de lAutre,
pour faire place ce qui mrite vraiment le qualificatif de rel.
Alors dans ces conditions, quest-ce quil y a de symbolique dans le rel ? Au dbut on peut
dire que, pour Lacan, ce quil y avait de symbolique dans le rel, ctait lAutre ; et quune
rponse possible, bien sr, cest rien : il ny a rien de symbolique dans le rel. Pourtant, on
assiste dans lenseignement de Lacan, au dveloppement dune autre rponse qui est il y a
du savoir dans le rel , ce quil y a de symbolique dans le rel, cest un certain savoir qui est
linconscient mme.
Et cette rponse est inspire de la rponse de la science, qui, dans le rel, situe le savoir,
larticulation mathmatique, inspir en tout de la science physique. Disons que cest ce qui
conduit Lacan, la thorie des quatre discours, qui comporte prcisment quil y a du
discours dans le rel, quil y a des formules, auxquelles le sujet obit sans le savoir, et Lacan
lillustre loccasion du surmoi freudien.
Quest-ce quil y a de symbolique dans le rel ? Il reste des formules, des formules sont l,
a nest pas lAutre mais il y a des formules. Donc ce que Lacan a appel discours, cest du
savoir dans le rel mais sans sujet et en particulier sans le sujet-suppos-savoir, au point quil
ait pu dire, justement quand il laborait sa doctrine de la passe, que linconscient abolit le
postulat du sujet-suppos-savoir.
De telle sorte qu le considrer dans cette articulation, sous le nom de discours, Lacan
rtablit le lieu de lAutre, mais il le rtablit comme un lieu qui diffre de toute prise du sujet,
et cest en quelque sorte ce discours, ce que Lacan appelait discours, une nouvelle dition du
grand Autre, comme une structure dans le rel. Je me suis longtemps demand, en considrant
par exemple le discours que Lacan appelle du matre, o tait le grand Autre ? Et dune

9
J.-A. Miller montre
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 89

89
certaine faon le grand Autre cest le signifiant matre, le grand Autre comme pouvoir, au
fond il est concentr sur le signifiant matre.

S
1
S
2


a


Mais le grand Autre cest aussi S
2
, le grand Autre comme lieu du savoir, mais cest aussi
bien S barr qui peut reprsenter le grand Autre comme sujet-suppos-savoir et enfin cest
aussi bien le rel du grand Autre, il est aussi bien prsent dans ce petit a. Conclusion, le grand
Autre se retrouve au niveau de larticulation du discours lui-mme,




S
1
S
2

A


a




cest la structure mme de discours qui vaut comme ce qui tait lAutre chez Lacan, cest--
dire cest a, cest cette structure qui assure la conjonction du signifiant et du signifi, et le
rapport au rfrent et cest ce que Lacan dveloppe sa faon aussi bien dans Encore, savoir
que cest dans un discours en tant quil fonde le lien social que finalement on peut avoir une
chance de savoir ce que parler veut dire. De telle sorte que, et notons aussi bien, quici, pour
Lacan, cest le discours qui fonde le lien social, a nest pas le lien social qui fonde le
discours, alors que toute le recherche anglo-saxonne ou allemande, sur ces thmes, essaye au
contraire de fonder la structure, de fonder le grand Autre sur le lien social. Lacan procde
lenvers.
Alors disons ce quil a appel discours, il la construit avec quoi ? Il la construit avec
lidentification, il la construit avec le pouvoir, il la construit avec le point de capiton, il la
construit avec lobjet perdu. Je ne peux pas mtendre.
Dune faon gnrale, on aperoit quoi ? Quentre le signifiant, le signifi il y a toujours la
ncessit dune agrafe, que cette agrafe, pour le premier temps de lenseignement de Lacan,
ctait ce quil appelait prcisment lAutre, le grand Autre. La deuxime agrafe cest ce quil
a appel le discours, et la troisime agrafe, la plus conomique, cest celle quil a invente
sous la forme du nud borromen, cest--dire faisant tenir ensemble ces trois dimensions
sans devoir ajouter un lment supplmentaire qui les fait tenir ensemble. Cest la disparition
de lAutre, ce noeud borromen, ou disons, lAutre cest le nud lui-mme, mais a nest plus
une instance particulire et isolable.
Et a comporte, aussi bien, la disparition du schma du point de capiton et cest pourquoi
cette date Lacan dfinit la psychanalyse mme comme une pratique de bavardage, cest--dire
quil la dfinit par la parole vide plutt que par la parole pleine, lenvers de son point de
dpart. Il la dfinit par une parole sans point de capiton. Do, lhorizon, lide quil est all
jusqu noncer en 1977, lide quil se pourrait que la psychanalyse soit une escroquerie.
Prcisment quest-ce qui vient la place du point de capiton, quand disparat le schma
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 90

90
mme mental, si je puis dire, du point de capiton, ce qui vient la place, exactement, cest
lquivoque.
Nous avons longuement souvent parl de linterprtation comme quivoque. Il faut
sapercevoir encore que lquivoque vient exactement la place du point de capiton, et il y a
l, videmment, une valeur exactement inverse, alors que linterprtation, quand elle se guide
sur le schma du point de capiton, elle dit ce que a veut dire : dune certaine faon elle
apporte, ne serait-ce que transitoirement une certitude. Linterprtation comme quivoque dit
que a veut dire toujours autre chose et donc elle apporte moins la certitude que lincertitude.
Et ce qui, semble-t-il, justifie de construire ainsi cette connexion de lAutre qui nexiste pas et
le nud borromen, la pratique de bavardage et lquivoque, cest prcisment Lacan, en
1977, quand il voque cette escroquerie psychanalytique, propose mme de changer la valeur
de ce quil appelait S
2
, et qui tait une criture possible du point de capiton.



Il dit quil faudrait beaucoup mieux considrer que S
2
a nest pas tant le signifiant qui
vient aprs et qui donne son sens au premier, qui en fixe le sens, que S
2
a devrait connoter
bien plutt le sens double et a ne veut pas dire autre chose que l o il y avait le point de
capiton fixer le premier, cest lquivoque qui sinscrit. Do la nouvelle dfinition qualors
Lacan propose explicitement de ce qui est le symbolique dans le rel et reprsentons-le ainsi,
l lensemble du rel, et l ce symbolique dans le rel.


R



Symbolique

Le symbolique dans le rel, pour Lacan, a a t lAutre comme lieu de la vrit, a t
lAutre de la loi, a t le discours, a t le savoir et voil que, on peut dire presque au
terme de son investigation des nuds, mais je ne dis pas quon doit faire ncessairement
lconomie de la mcanique quil a essay de construire, qui na pas t conclusive, mais
quest-ce quil peroit la fin de cette trajectoire ? Je crois que le plus aigu de ce quil peroit
cest ceci, que le symbolique dans le rel, a nest pas lAutre, a nest pas le savoir, cest
essentiellement le mensonge. Et il retrouve ici lintuition, la rponse quil avait carte page
817 des crits, la rponse du sans foi de la vrit. Et pourquoi est-ce que le symbolique dans
le rel cest le mensonge ? Cest parce que du rel, on ne peut pas dire la vrit. Parce que
sa dfinition mme du rel comporte lexclusion du vrai.
Ce qui ne laisse au fond, en face du mensonge, corrlativement cette fois-ci comme le rel
dans le symbolique, que la figure de langoisse. Voil les deux termes qui se dposent : dun
ct le mensonge et de lautre langoisse.

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 91

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R
Sy


R

Sy
mensonge

angoisse


Voil le binaire quil faudrait sur cette voie tudier : le binaire du mensonge et de
langoisse. Langoisse qui est ce qui ne trompe pas et de lautre ct ce qui trompe toujours,
savoir la parole. lhorizon de llaboration de Lacan sur le nud, il ny a pas de parole
pleine, il ny a pas de parole point de capiton, il y a une parole qui trompe toujours et en
cela qui est du semblant, fondamentalement. Et lhorizon donc de lAutre qui nexiste pas il
y a ceci : pas de vrit sur le rel ; ce que Lacan formulait dans les termes : le rel se dessine
comme excluant le sens. Ce qui est lhorizon, pour moi, la pointe de toute llaboration de
Lacan sur les nuds, cest cette antinomie du rel et du sens dont, si je lis ce que jai crit, la
note, la phrase que jai crite, et bien qui est la question cruciale du lacanisme, cette
antinomie du rel et du sens. Et certes loccasion Lacan essaye de penser la conjonction du
rel et du sens, ne serait-ce quen jouant sur lquivoque entre jouissance et jouis-sens,
quant il essaye de ramener la jouissance au sens-jouis, par lquivoque il essaye de penser
une conjonction du rel et du sens. On peut dire peut-tre, parce que l nous sommes dans
la zone aportique de son enseignement, que peut-tre il y a une exception freudienne
lantinomie du rel et du sens. Cette exception freudienne, ce serait le symptme, dans sa
dfinition de Freud, savoir que dun ct cest du rel et que pourtant a conserve un
sens : le symptme freudien conserve un sens. Et donc ce serait comme lexception
lantinomie du rel et du sens. Et cest l quon peut trouver chez Lacan des formulations
contradictoires. Que dun ct la jouissance du symptme est opaque parce quelle exclut le
sens et dun autre ct que le symptme est peut-tre la seule chose vraiment relle,
cest--dire qui conserve un sens dans le rel. a ne ferait, dailleurs, que fonder les affinits
du symptme et du mensonge. Le symptme est un mensonge sur le rel. Le symptme
est un mensonge sur le rel parce quil est spcialement un mensonge sur ce rel que le
rapport sexuel nexiste pas. Cest--dire que le rapport lAutre, majuscule, nexiste pas. Et
cest bien pourquoi Lacan peut dire cest le symptme quon met la place de cet Autre qui
nexiste pas. Et spcialement cest le symptme quon met la place de lautre sexe. Que
lhomme pour la femme est un symptme et qu loccasion aussi bien la femme pour
lhomme est un symptme. Peut-tre, sest dailleurs demand Lacan, peut-tre faut-il
ajouter au nud un quatrime rond, pour faire tenir les trois premiers, et l on aperoit,
dans cet ajout, qui a t demi fait par Lacan, on aperoit que l peut-tre le seul Autre qui
existe, cest le symptme. Que peut-tre il a donn au symptme, il a parfois donn au
symptme la fonction de lagrafe. La dernire agrafe, ce serait le symptme, auquel cas
lAutre qui nexiste pas, dont la formule intitule notre sminaire, pourrait se complter de la
proposition selon laquelle ce qui existe cest le symptme et cest dailleurs pourquoi nous
nous sommes lancs dans cet examen des symptmes contemporains. Nous nous
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 92

92
retrouverons le 8 janvier dans cette salle.
Fin de la cinquime sance du Sminaire Laurent/Miller.
18 dcembre 1996



E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 93

93
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Sixime sance du sminaire
(mercredi 8 janvier 1997)

Jacques-Alain Miller :
Dans la premire srie de cinq sances que nous avons acheve en dcembre, nous avons
pos les premiers jalons de lentreprise de lanne qui est daborder, telle que je la comprends,
les phnomnes de civilisation, et spcialement la civilisation actuelle, le moment actuel, dans
la voie qui fut trace par Freud dans son Malaise dans la civilisation, et qui fut poursuivie par
Lacan, non pas dans un ouvrage distinct, mais tout au long de son enseignement dans des
remarques parses, quon peut isoler dans ses sminaires et ses crits.
Ces phnomnes de civilisation, nous ne les abordons que dans la vise de la psychanalyse.
Ce qui veut dire la fois quil sagit de runir des matriaux permettant de clarifier les
conditions de sa pratique actuelle et aussi bien pour ce faire, de procder partir de la
psychanalyse.
Jinvoque, nous invoquons des cautions, celle de Freud comme celle de Lacan, je lai
rappel. Nous reprenons les frayages quils ont tracs et en mme temps, pourtant, il ne nous
chappe pas quun soupon dillgitimit reste toujours attach ce genre dentreprise. Cest
ce que lon peut rapporter au dicton cordonnier pas plus haut que la semelle. Au nom de quoi
partir de la psychanalyse, de son histoire, de sa littrature, de sa pratique, au nom de quoi, en
tant que praticiens, sommes-nous en mesure de doctriner sur la civilisation et spcialement sur
son tat actuel ? Quelles que soient les cautions invoques, il reste l pour nous-mmes un
espace, un cart, une bance, quil faut incessamment combler.
La psychanalyse, cest une exprience, qui a son champ, ce champ, pour nous, nest pas un
champ dillusions et remarquons quil reste trs rare, y compris dans la littrature que nous
parcourons, littrature de rflexion, aux tats-Unis, contemporaine, il reste trs rare que lon
considre la psychanalyse comme un champ dillusions. Mme l o se font entendre des
critiques, des tentatives pour relativiser cet exercice, ce champ de pratique, en gnral on ne
va pas jusqu imputer ce champ de ntre quun champ dillusions. En tout cas, pour nous,
ce nest pas un champ dillusions, mais cest un champ, ce qui veut dire quil a ses limites. Ne
serait-ce que celle-ci : quon procde, dans la psychanalyse proprement dite, un par un. Ce
nest pas une sphre publique, comme dit lautre. Et la prtention peut paratre toujours
illgitime, daborder, partir de l, le collectif, le groupe, la masse, la civilisation. Les
rponses ne font pas dfaut.
La premire, cest que la psychanalyse nest nullement duelle, que le tiers y est toujours
prsent et que ce tiers peut tre reconnu comme le langage, voire le discours universel son
horizon. En tout cas Lacan, ds son point de dpart tait conduit mettre lhorizon de cet
exercice, pourtant si limit en nombre, le discours universel.
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La seconde rponse cest que la psychanalyse est un lien social de plein exercice et cest ce
que Lacan a mis en vidence dans sa mcanique des discours. Si rduit quantitativement soit-
il, ce lien social a la proprit, croyons-nous, de mettre nu la vrit de la relation,
intersubjective. savoir que cette relation subjective est fondamentalement lien social.
Et a na pas t dun coup quil est apparu Lacan que la relation intersubjective avait
pour vrit le lien social mais cest quoi il est arriv ; et quen cela cette relation comporte
une dissymtrie essentielle, comme je lai rappel la dernire fois, qui est le pouvoir mme.
Freud a saisi ce pouvoir dans le concept didentification et Lacan la rendu encore plus
manifeste en articulant la relation intersubjective partir du matre et de lesclave, qui est
vraiment faire entrer ici des catgories proprement sociales, de civilisation, dans la structure
mme du champ analytique.
Troisimement, qui nierait que la psychanalyse elle-mme soit un phnomne de
civilisation ? En tout cas ce ne sont pas ces critiques qui le nient, puisque ils ont mme
tendance la rduire cela. Et dans la mesure o elle est un phnomne de civilisation, il ne
lui est pas interdit, il lui est mme recommand de rflchir par ses propres moyens, sa place,
son surgissement, ses conditions de possibilits, dans la civilisation. Bien dautres rponses
encore se proposent nous. Je vous les pargne pour relever le sentiment dont je ne me dfais
pas, sur lequel au contraire je mappuie, que toutes ces rponses, ces justifications plissent
quand on les considre depuis lexprience analytique elle-mme, en tant quelle est comme
invinciblement habite par une vise transhistorique.
Freud a t, par lexprience analytique, reconduit hors de lhistoire, au prhistorique, une
fable originaire. Lacan, lui, a rordonn les rsultats freudiens au concept de structure, et
spcialement il a rendu compte du prhistorique freudien sous les espces du structural. Et le
mouvement de lHistoire, les changements, les innovations historiques sont toujours
susceptibles de nous apparatre, partir de lexprience analytique, comme superficiels au
regard des invariables de structure Et ainsi sintresser de prs linnovation parat toujours,
en dpit de toutes les justifications, trs en de de ce dont il sagit dans une analyse.
Pourtant, Lacan, a montr que les invariables de structure ne sont pas antinomiques au
mouvement, mais prcisment quils le structurent. Il a montr que ces invariables sont
compatibles avec une combinatoire et mme quils la conditionnent. De telle sorte quil na
pas hsit prlever, dans le cours de lHistoire, un certain nombre de donnes, quil a
ordonnes en discours, mais qui gardent des attenances historiques videntes. Ne prenons que
les termes du matre et desclave, qui sont historiquement dats, et dont on peut dire quils
restent la vrit du lien social mais cest bien dautres catgories qui sy sont ensuite
inscrites : le discours de luniversit nest pas l depuis toujours et il a un lieu, un temps prcis
de surgissement, au XII
me
sicle, le discours de lanalyse est videmment lui-mme dat, et
vous savez que Lacan est all jusqu essayer, en passant, un discours du capitaliste. Donc les
invariables de structure laissent place une combinatoire qui entrane des lments
historiques.
Pourtant, il y a comme un au-del de la combinatoire, et l encore la justification tout fait
valable que moi-mme jexpose ne capture pas tout ce dont il sagit, savoir ce que je disais
dun au-del de cette combinatoire au moins en partie historis. Cet au-del, disons pour faire
vite, que Lacan la point en posant, en passant, sans mettre tous les projecteurs l-dessus, en
posant une antinomie du rel et du sens, et cest prcisment le dernier jalon que jai pos au
terme de notre premire srie.
Et a impliquerait, si ctait ainsi, quen nous proccupant de la civilisation, voire des
civilisations, nous ne toucherions que des effets de surface, des miroitements, des semblants,
ne touchant pas, ne mordant pas sur le rel, celui auquel la psychanalyse donne accs. a
nest pas seulement cet abord, qui se trouverait, l, inquit. Lantinomie du rel et du sens
met en question la psychanalyse elle-mme. Dire, comme la fait Lacan une fois, que le rel
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se dessine comme excluant le sens est une position limite, dont je ne sache pas quil en ait
produite une encore au-del.
Une position limite dont on peut se demander si elle est ncessaire, si elle est vraiment
dductible de la psychanalyse. Lacan lui-mme en doutait parfois, puisque, de cette notion du
rel comme excluant le sens, il est all une fois jusqu poser la question de savoir si a ne
serait pas son symptme lui.
Quest-ce que a veut dire a, le rel comme excluant le sens ? Quest-ce que a veut que le
rel serait a - cest le a privatif - asmantique. a veut dire, et aprs tout cest la position
raliste, que le rel serait hors des effets de langage. Quil y a dun ct nos faons de dire,
voire nos visions du monde articules en discours et que par ailleurs aussi intouch que
lHimalaya, si je puis dire, demeure le rel. Or, je me rapporte, pour faire vite, Lenvers de
la psychanalyse, le Sminaire de Lacan qui porte ce titre, pour y trouver la proposition qui est
constante, de Lacan, que la vrit est insparable des effets de langage. Cest donc, si le rel
est asmantique, hors des effets de langage, le distinguer de la vrit. Seulement dire que la
vrit est insparable des effets de langage, cest, dit Lacan, y inclure linconscient.
Et cest l quon saperoit de ce quest le vritable, si je puis dire, envers de la
psychanalyse. On sen aperoit par le point de dpart de Lacan, qui est, justement, que le rel
est smantique, et prcisment le rel du symptme. Quest-ce quil y a de plus fondamental
comme prsuppos de la pratique analytique, sinon celui-ci, quen agissant par le sens, en
manipulant les effets de sens, cest--dire par le pouvoir de linterprtation, lanalyste serait
en mesure datteindre et mme de dissoudre le rel du symptme. Et le prsuppos de
lopration ne peut tre que celui-ci, que le rel du symptme est homogne leffet de sens
par lequel on opre sur lui.
Et cest bien ce prsuppos fondamental de lopration analytique qui est interrog par la
notion dun rel asmantique. Par cette notion dun rel qui exclut le sens, on peut dire que
Lacan refait le chemin de Freud, quil en radicalise aussi bien le terminus ad quo que le
terminus ad quem, puisque Freud a suivi ce chemin, en effet, du tout pouvoir de
linterprtation, la raction thrapeutique ngative, la pulsion de mort, etc.
Ce trac, on peut dailleurs en suivre, dune faon condense, le dessein, dans
Lintroduction la psychanalyse, les confrences de Freud qui portent ce titre, je lai fait dans
un sminaire Barcelone, il y a un mois, je nen reprendrais pas les dtours, cest Lacan lui-
mme qui signale, qui met en rapport, la confrence dix-sept de Freud qui sintitule Le sens
des symptmes , et la confrence vingt-trois, Les chemins de la formation des
symptmes . La premire confrence, ce sont des confrences qui sont donnes un public
non-initi, pendant la Premire guerre mondiale, ce ne sont pas des textes de recherche, se
sont des textes dexposition, de vulgarisation si lon veut, mais qui ont comme effet, et cest
pour a quon les nglige loccasion, mais elles ont comme effet, ces confrences,
senchaner les unes aux autres, de mettre au jour des connexions, des articulations qui sont
sinon brouilles. a fait saillir les articulations. Et cest ainsi que la confrence dix-sept qui
est le vrai dbut du second cycle de Freud, est toute imprgne de loptimisme interprtatif de
Freud. Elle rsume ce quil avait fait dans son premier cycle de confrences, savoir
dmontrer quun certain nombre de phnomnes ont du sens, et il a choisi ces phnomnes
parmi ceux dont lauditoire pouvait avoir lide, le rve, lacte manqu. L, il fait la mme
chose propos de gros symptmes. Il montre quils ont un sens.
Dans la seconde confrence, la vingt-troisime, la formation du symptme implique la
libido, elle implique selon lui une rgression de la libido. La libido rencontre un non, n-o-n,
un veto, dit-il, qui est aussi bien celui de la ralit extrieure que celui que pose linstance
quil appelle alors le moi, mais coordonn celle-ci et qui impose des lois, cest a quil
appelle non seulement veto mais Versagung, on a traduit par frustration mais qui est ici un
vritable dire que non et cest lobstacle de ce non qui fait rgresser la libido en deux
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 96

96
temps, dabord au fantasme, la ralit psychique du fantasme et, encore au-del, la fixation
libidinale.
Voil en rsum ce par quoi il faut en passer pour Freud pour rendre compte de la
formation du symptme. Il faut en passer par ces dtours que suit la libido affronte un non
et qui, en deux temps, rgresse, au fantasme et la fixation. Et bien a, a nest pas du registre
du Sinn, a nest pas du registre du sens et Freud lui-mme, au dbut de la confrence vingt-
quatre, linscrit au registre de la Bedeutung, ce terme difficile traduire dans les langues
latines, puisquon peut le traduire aussi bien par signification que par rfrence . Lacan,
prcisment quand il signale lopposition de ces deux confrences, le lien de ces deux
confrences, apporte le terme qui permet de surmonter cette difficult de traduction, que
Beduntung dsigne toujours un rapport au rel.
Et cest la question : comment sarticule dans son symptme son Sinn, son sens, et sa
Bedeutung de jouissance. Et on peut dire que dans le texte de Freud, on peut observer, ce qui
mest venu dappeler une sorte de paralllisme des deux, mais il ny a pas proprement parler
une articulation entre le Sinn et la Bedeutung du symptme.
Et on peut dire que lenseignement de Lacan, cest autant de variations dans larticulation
de Sinn et Bedeutung du symptme. Ces articulations, toutes, tendent indiquer sous quel
mode ce Sinn, les effets de sens sont prsents dans la Bedeutung mme, dans la Bedeutung
libidinale. Ces variations, cest par exemple le phallus, le dsir, voire lobjet petit a.
Premirement le phallus, cest dire que la Bedeutung de jouissance est foncirement un
signifiant, appartient lordre du langage, appartient la dimension du symbolique. Et le
phallus tel quil lamne, sous le titre la Bedeutung du phallus , est dfini comme dsignant
les effets de signifi dans leur ensemble, cest labrviation des effets de signifi dans leur
ensemble. Cest en quelque sorte le signifiant du pouvoir smantique lui-mme et de ses
effets. Deuximement, je pourrais prendre dautres scansions, je rsume, Lacan a articul Sinn
et Bedeutung du symptme en posant que la libido, cet lment qui se dplace, qui se
condense, qui est donc capable de mtaphore et de mtonymie, est, ni plus ni moins, de
lordre mme du signifi. Et cest prcisment la libido comme signifi quil a appel le dsir.
Je men suis aperu il y a maintenant quelques annes, mais je trouve ici sa juste place comme
solution larticulation entre Sinn et Bedeutung, entre sens et rel. Parce que le concept mme
de dsir implique dans ce contexte que le rel est smantique. Troisimement, Lacan a du
isoler du dsir sa cause, comme distincte, pour noncer quen dfinitive, le vrai rel, cest
cette cause, petit a. Et ce petit a, comme plus-de-jouir, dans son laboration, apparat li au
langage, et ses effets.
Voyons dans Lenvers de la psychanalyse noncer dun ct que le dsir en dfinitive cest
du sens mme jusquau point de formuler cet aphorisme il ny a de sens que du dsir , mais
dun autre ct ne pas exclure du tout ce plus-de-jouir du langage. Le plus-de-jouir, dit-il,
cest le rsultat de lemploi du langage, cest ce que leffet de langage arrache au jouir, de
telle sorte que son objet petit a reste toujours apparent au langage et mme apparent la
vrit . Au fond, si Lacan un moment a pu promouvoir comme il la fait cet objet petit a
cest prcisment comme une solution larticulation de Sinn et Bedeutung.
Mais quatrimement, cest pour rduire cet objet petit a ntre quun semblant, cest--
dire encore bien plus du ct du sens que du rel. Lobjet petit a cest un mixte de jouir et de
sens, et cest pourquoi Lacan a amen une fois ce terme que jai mont en pingle de jouis-
sens, de sens joui, qui videment, mme dit une fois, essaye de condenser la solution du
problme fondamental de runir la confrence dix-sept et la confrence vingt-trois, de lier le
sens des symptmes avec la libido qui rend compte dans ses avatars de la formation des
symptmes.
Et cest alors que se lve la question formidable, la question limite pose par la notion dun
rel asmantique, par rapport quoi lobjet petit a, cest du vent. Lobjet petit a cest encore
une espce de sens. Et cest alors leffort pour viser non plus le plus-de-jouir, qui est cette
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partie arrache par le langage au jouir, mais bien pour viser le rel du jouir comme tel. Le
plus-de-jouir cest une jouissance qui est dj corrompue par le sens, qui est dj smantise.
Et donc cest alors que se lit, quil lve aussi les questions ultimes de Lacan : celle de savoir si
la psychanalyse ne serait pas une escroquerie oprant partir des effets de sens, sans pouvoir
rien sur le rel comme asmantique. Ou bien faut-il concevoir un effet rel de sens ? Ou
encore faut-il, lexclusion du sens hors du rel, faut-il faire une exception pour le
symptme ? Et cest ce que Lacan a tent au moins une fois, en fait cest une partie de son
laboration. Il a tent dans ce contexte lexception du symptme qui serait le seul rel
smantique. Le symptme est rel, ne serait-ce que parce quil nest pas pliable tout vent et
tout sens, parce quil reste, parce quil rsiste, mais dans le registre du rel, et selon Freud,
et selon ce que comporte la psychanalyse, elle a partie lie avec a, dans le registre du rel il
conserve un sens. Simplement ce quon aperoit cest le paradoxe de la substance mme du
symptme. Et cest pourquoi Lacan pouvait dire le symptme dans ce contexte serait la
seule chose vraiment relle , l cest la valeur donner cet adverbe, cest que le symptme
allie dune faon singulire la vrit et le rel, et il nallie pas les deux sur le mode de la
correspondance, qui est la faon canonique dont on a voulu lier la vrit et le rel, quil
faudrait que la vrit corresponde au rel. La seule alliance de la vrit et du rel, dans cette
optique, cest le symptme.
Et cette alliance se fait sur un mode spcial qui est justement celui du mensonge et cest la
valeur que je donne la proposition que jai rappele la dernire fois, le symbolique dans le
rel cest le mensonge. Alors cest cette dfinition l quil sagit de tester, prcisment cette
anne, travers ces effets de surface que nous prsentent les innovations de la civilisation.
Que le symptme est mensonge, et qu la fois, et par l mme, il est rel. Cest--dire tester
que le symptme est au nud du semblant et du rel. Le semblant, cest le nom que prend le
sens une fois quon la coup du rel. Tester que cest par le symptme et non pas par le dire
vrai, et non pas par la formalisation du dit, et non pas par la logique, mais que cest par le
symptme que le semblant sinscrit dans le rel.
Et cest pourquoi Lacan a pu dire dune faon surprenante, dans Encore, que le discours
analytique vise au sens, mais ctait en prcisant que ce sens est toujours le sens o lon vit,
cest toujours la forme de vie et que ce que le discours analytique fait surgir, cest justement
lide que ce sens est du semblant.
Au fond, il sagirait cette anne de tester que le rel se traque toujours partir du semblant.
Ces thses sont radicales. Elles sont pourtant annonces : une fois quon fixe les choses ainsi
on saperoit quelles sont annonces de toutes les faons par Lacan, avant dtre extraites et
illumines. Voyez comment il aborde lthique de la psychanalyse, qui est, rappelons-le, sa
relecture du Malaise dans la civilisation, de Freud. Cette thique, il lannonce comme devant
approfondir dans la psychanalyse la notion du rel, et en effet dans son septime Sminaire,
dans les six premiers on peut dire que ce quil a approfondit, cest le partage faire entre le
symbolique et limaginaire. Et que maintenant il soccupe non plus des lois du Sinn, non plus
de la fonction structurante, voire causale, du symbolique par rapport limaginaire, mais quil
soccupe du ct de la Bedeutung. Il soccupe proprement parler de la libido, et cest partir
de la libido quil ressitue, reconceptualise le surmoi freudien. Cest du ct de la Bedeutung.
Dailleurs ce que Freud, dans sa confrence XXIII prsentait comme la Versagung oppose
la libido par un moi ayant des lois, Gesetzen, cest lamorce, dans cette confrence, de ce qui
deviendra pour Freud le surmoi.
On voit dj, dans cette confrence XXIII, pourquoi Freud aura recours dans les annes
vingt, une tripartition comme celle du moi, du a, et du surmoi. Cest la fonction qui oblige
la jouissance libidinale lUmweg, au dtour, qui loblige passer toujours par ailleurs que l
o il faudrait. Et dans son sminaire Encore qui est une rcriture de son sminaire de
lthique de la psychanalyse, dans son sminaire Encore Lacan dira : la jouissance cest a
prcisment. Elle comporte de faon essentielle lUmweg, a nest pas un accident qui
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survient la jouissance parce que la ralit extrieure viendrait sy opposer, la jouissance
cest a et cest ce qui permet Lacan dans son sminaire Encore de formuler limpratif du
surmoi comme un impratif de jouissance, comme tant : jouis.
Eh bien si on superpose Lthique de la psychanalyse et ce sminaire Encore, cest du
mme quil sagit des annes de distance. Quand on les superpose on saperoit ce quil y a
de commun dans le point de dpart. Le point de dpart des deux cest Aristote. Cest que le
plaisir dirige laccomplissement de lhomme et que cest comme dit Lacan dans Lthique
quelque chose qui nest pas contestable . Disons pour aller vite que le plaisir chez Aristote
cest du rel. Et ce quil y a entre Aristote et Freud, essentiellement, cest ce quisole Lacan,
cest Bentham, cest le philosophe utilitariste du dbut du 19
eme
sicle. Bentham a t effac
par la promotion du Marquis de Sade, et a correspond dailleurs la place que a occupe
dans le sminaire. Moi-mme jai choisi une illustration sadienne pour ce sminaire de
Lthique de la Psychanalyse et quand Lacan en a extrait un crit, cest un crit qui promeut
Sade comme instrument pour lire Kant. Nanmoins, comme phnomne de civilisation
conditionnant la psychanalyse, Lacan isole un philosophe du XIX
eme
sicle, fin du XVIII
eme

dbut du XIX
eme
, dont on peut dire quil continue de prescrire beaucoup la rflexion anglo-
saxonne daujourdhui, mme quand elle lignore. Et quelle est la modification utilitariste
Aristote que pointe Lacan comme condition de possibilit de la psychanalyse ? Cest que
Bentham a, si je puis dire, interpos la fiction. Il ny a pas douvrage de Bentham
proprement parler sur la thorie des fictions et ce qui sappelle ainsi, qui est la rfrence
quon utilise ce propos, cest un ouvrage de Ogden du clbre couple Ogden et Richards,
auteurs du livre The meaning of meaning auquel jai fais allusion nagure, cet ouvrage, qui est
fait de pices et de morceaux prlevs dans Bentham pour reconstituer sa thorie des fictions,
et qui consiste dire quoi ? Quil ny a pas que les entits relles qui sont en jeu, quil y a
aussi distinguer des entits fictives. Le mot entit, videmment, implique dj un certain
mode dtre du fictif. Que le fictif, mme si a nest pas du rel, a nest pas pour autant du
vent. Et la notion du fictif vient Bentham partir dune rflexion sur le droit, qui est le point
mme do Lacan part dans son sminaire Encore, parce que le droit nest pas fait dautre
chose que dentits fictives, cest ce que signale - enfin il y a beaucoup de passage lire -
cest ce que signale Bentham, les objets dont les mots homme, animal, substance sont des
noms, sont des sortes dentits relles, sont des espces dentits relles. Les objets, dont les
noms, le droit, le pouvoir, lobligation - vocabulaire juridique - les objets dont les mots droit,
pouvoir, obligation sont les noms, ne sont pas des espces daucune entit relle, et, ajoute
Ogden, ce sont autant dentits fictives, et pour tre fictives, comme le montre lexemple du
droit, elles nen sont pas moins oprantes, opratoires. De telle sorte que dsormais, si lon
suit Lacan, le bien de lhomme ne peut pas tre situ comme cette pousse qui le dirige vers
son accomplissement mais ne peut plus tre situ que dans la dialectique du rapport entre le
langage crateur de ces entits fictives avec le rel.
Et cest pourquoi il peut poser que le mouvement de bascule de lexprience analytique,
vient se placer lintrieur de lopposition entre la fiction et le rel, une fois opre la
sparation du fictif et du rel. La fiction na rien faire avec lillusion, avec le miroitement,
avec le miroir, la fiction cest un fait de dit, et cest le dire faisant tre, et cest prcisment ce
que Lacan a appel lex-sister. a ex-siste partir de ce qui est dit, a existe partir du dire et
cest pos par le dire comme tant, cest pos comme une entit. Cest donc pos partir du
dire et en mme temps hors du dire comme subsistant hors du dire.
Freud ne rpte pas Bentham selon Lacan. Mais permet - par quelle opration ? par ce qui
chemine dans les phnomnes de la civilisation - permet Freud de poser que le plaisir nest
pas du ct du rel, le plaisir du principe du plaisir, l je me rfre Lthique de la
psychanalyse, nous dirions la jouissance, nest pas du ct du rel, quelle est du ct du
fictif. Et cest ce qunonce Lacan, la caractristique du plaisir comme dimension de ce qui
enchane lhomme, se trouve tout entire du ct du fictif. Ce que permet Bentham en
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interposant la fiction, a libre lespace o il peut enfin apparatre, que la jouissance est pour
lhomme - ce sont les termes de Lacan lpoque - lie leffet du symbolique. Que le
principe du plaisir fait rechercher lhomme le retour des signes. Nous en avons lcho trs
direct dans Lenvers de la psychanalyse o Lacan distingue deux temps de la dcouverte
freudienne, le premier, la dcouverte de linconscient et du sens, mais il place pas le second
comme il lui arrive parfois au temps des Trois essais, sinon au temps de lAu-del du principe
du plaisir dans la mesure o cest l que se dcouvre la rptition comme rptition de traits,
comme rptition de traits valant comme un lment dcriture, en tant quils commmorent
une irruption de jouissance.
Et cest ici, par ce biais, que se fait le nud du semblant et du rel. Et cest pourquoi Lacan
rappelle dans son sminaire Encore quil est parti des fictions quand il a parl de lthique.
Le nud du semblant et du rel est vraiment la connexion qui fait tenir tout ldifice, et
cest bien celle l, ce nud que Lacan joue trancher en disant quil se pourrait que le rel
exclue le sens, ou mme que le rel exclue le sens, lexception de se qui se produit dans le
symptme. Et donc que le symptme a l une fonction, pour employer le mot que jai utilis
la dernire fois, une fonction dagrafe, dagrafe unique, entre le sens et le rel. Le sens cest-
-dire le semblant et le rel. Que tout tient dans la routine des communauts, dans
larchitecture des civilisations, tout tient par le symptme.
Cest, cette anne, ce que nous essayons dinterroger, et grande chelle.
Bon, je vais marrter l pour donner la parole ric Laurent.

ric Laurent :
Quelquun a pris le soin de menvoyer une lettre, pour me dire que lorsque jvoquais la
question de limportance dans la civilisation de la dclaration de Pkin sur les droits de la
femme, je ne tenais pas assez compte de la castration. Ctait gentil, et jespre quil a assist
donc au cours suivant o justement cest dans cette perspective de la castration, que
jexaminais la question des consquences des droits de lhomme et de cette extension aux
droits de la femme, formuls pour la premire fois comme tels, de cette dimension
dextension, de lthique de la dignit et cette transition entre lespace priv et lespace
public.
Cest donc saisir comme un symptme de cette civilisation, le passage de tout ce qui
relevait pendant toute une poque de cette civilisation, ce qui relevait de la sphre prive,
une sphre publique. Ce qui fait quon a pu concevoir sous lautorit dune femme, dune
historienne minente, Michelle Perrot, concevoir lhistoire de la vie prive, comme extraction
de cette zone jusque l nglige dans lhistoire, et de la mettre sur la place publique et de
souligner ainsi quil ny a plus de citoyens de second ordre, de deuxime sexe, la castration
nempchant pas la recherche de lgalit des droits et la recherche de la reconnaissance
gale, logique implacable institue partir des droits de lhomme qui...
Jacques-Alain Miller :
On avait convenu de donner un peu laspect sminaire, alors quil peut paratre quon suit
parfois les chemins parallles qui ne se croisent pas. Je suis dautant plus frapp de cette
rfrence que je me suis arrt peu prs au moment o je voulais voquer les historiens,
cest--dire appuyer un peu notre perspective sur, prcisment, dabord ce qui est apparu dans
lhistoire comme une discipline : lpreuve, et mme une certaine jouissance dans lexercice
du pouvoir des semblants. Cest a qui a passionn dans la nouvelle histoire, quoi Lacan fait
rfrence au dbut de Fonction et champ de la parole et du langage. Il fait rfrence, dans le
texte, il y a eu un effet de vrit spcial, d aux exprimentations de ce quon a appel
lpoque la nouvelle histoire, savoir quon sest rendu compte quon pouvait faire varier en
accordon la focalisation de lobjet, que si on prenait une trs longue dure comme cadre, on
voyait brusquement surgir de nouveaux objets historiques quon navait pas prvus
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 100

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jusqualors, le climat par exemple, ou les grandes constantes qui taient ngliges dans
lhistoire vnementielle, et puis quon pouvait prendre une focale plus rduite, moyen
terme. Et puis quenfin il y avait lhistoire trs court terme, lhistoire vnementielle. Cest
leffet de vrit qua produit le livre de Fernand Braudel sur La Mditerrane lge de
Philippe II o on a trois livres, un livre sur la longue dure, sur la Mditerrane, un livre
moyen terme et puis aprs lhistoire des batailles, des rois, etc.
Ctait exprimenter avec une sorte divresse les pouvoirs de lartifice du cadre.
Dune part il y a a, mais il me semble quelle a progress ensuite, justement - cest a qui a
fait le prestige de lcole historique franaise contemporaine - et l, brusquement, elle sest
mis inventer de nouveaux objets historiques dont on avait jamais pens faire lhistoire. On
sest mis faire lhistoire de la salet et de la propret, on sest mis faire lhistoire des
odeurs, on sest mis faire en effet lhistoire du mariage, du divorce, qui sont encore des
institutions, et puis, franchement, des essais dhistoire de la sexualit, dhistoire de lintimit,
et a a t transmis aussi bien aux historiens anglo-saxons. Alors l on peut vraiment dire que
lincidence de la psychanalyse est patente. Vous voquiez lhistoire de lintimit, il est vident
que quelque chose sest transmis de la psychanalyse la discipline historique, qui a fait surgir
ces nouveaux objets.
Tous ces objets sont entre guillemets lis , pris tout de mme dans le tissu du discours
analytique. Ils nont pu les aborder qu condition davoir beaucoup de libert par rapport la
dtermination de lobjet, cest--dire de concevoir comme des semblants ce cadre.
Alors le rsultat cest quil y a maintenant, aux tats-Unis, et en Angleterre aussi, il y a
normment de livres historiques qui sappellent la construction de . Alors la
construction de , a veut dire quon saisit les phnomnes historiques justement dans leur
caractre en quelque sorte arbitraire ou artificiel, on saisit tout a comme des semblants. Cest
dj ce quannonait Michel Foucault en cultivant les discontinuits historiques : il y a un
moment o on saperoit que a na pas de fondement dans le rel, ce sont des montages de
semblants. Et donc les institutions, videmment, sont des semblants, mais a va trs loin dans
cet artificialisme, do linquitude qui parcourt toute une partie de la philosophie
amricaine : on a perdu le rel, o est le rel ? nous ne voyons que des faons de dire, et nous
ne sommes pas sr du tout... Alors il y a, comme ce sont des gens trs dtermins, il y en a en
effet un certain nombre qui disent, qui scandalisent leurs collgues en disant : na-na-na, il
ny a pas de rel et il y en a dautres au contraire, qui, essayent de sauver le rel. a nest
plus sauver la vrit comme la formule de Leibnitz que Lacan avait reprise, cest sauver le
rel, avec beaucoup de difficults.
Alors je pense quon aura loccasion de parler de a un peu plus tard, il y a le livre de cette
anne de John Searle, qui sappelle La construction de la ralit sociale. Il montre que tout a
cest du semblant, il dcouvre le pouvoir de la symbolisation, il redcouvre les fictions de
Bentham, sans les connatre apparemment, du moins sans les citer, et puis la fin il dit :
quand mme il reste le rel, cest--dire lHimalaya, malgr tout ce quon peut dire, reste
lHimalaya. Alors il y en a dautres qui essayent de dire finalement le sens cest du
mensonge et donc Quine, maintenant le vieux Quine, il doit avoir 90 ans maintenant, a fait
bien 20 ans maintenant quil dfend la thse que le sens ne sert rien, que tout a cest des
histoires, et donc il fait une logique entirement... enfin qui nie tout rel du sens et tout tre du
sens, se passer du sens. Par contre il y a des transfuges dans lautre sens, alors que tout a est
caporalis compltement par le Cercle de Vienne, qui est tout mme lorigine de tout a,
cest dire Wittgenstein, Carnap, transfuge aux tats-Unis, je ne veux pas voir une seule
tte qui dpasse ctait quand mme a pendant un temps, et maintenant il y a des
transfuges, par exemple, celui dont javais parl il y a deux ans ou trois ans Nelson Goodman,
le critique de linduction. Alors lui, il a vraiment scandalis la communaut des logiciens
bien-pensants en prenant parti pour le il ny a pas de rel . Il a fait un article clbre qui
sappelle Ways of words making, les faons de construire des mondes, et en quelques pages,
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101
il nie le rel. Donc cette question que nous trouvons, qui est en attente dans Lacan, on peut
dire quelle permet dordonner assez largement le champ.
(Sadressant ric Laurent)
Cest la rencontre sur lhistoire de lintimit qui me...

ric Laurent :
Pour continuer dans lintimit, ce qui me frappait cest, pour Goodmann par exemple, son
dernier livre cest sur lesthtique comme a, cest avec sa femme ! On sent bien une
perception qui se met l, enfin quelque chose dautre qui surgit.
Jacques-Alain Miller :
Oui, cest sr que le ct l, la promotion du semblant en effet, a scandalise. Je prenais
limage de la caporalisation carnapienne, et a nous ramenait Vienne, llve Trless etc.,
par rapport a en effet il y a... Ce nest pas les seuls, cest vrai. Jai t frapp, il y avait
aussi quelquun qui se tenait avant tout fait dans la ligne, tout en tant dune formation un
peu particulire puisque cest un physicien lorigine, Puttman, et en effet, dans les derniers
livres que jai lus de lui, ceux qui sortent l, sa rfrence essentielle, son appui dans toute sa
recherche cest madame Puttman, cest tout fait exact (rires). Et alors a mclaire un autre
point cette remarque, cest quen effet Searle, Searle a fait dix ans que chacun de ses livres
est ddi Dagmar, et cest madame Searle, et donc il la met en tte de chacun de ses livres, il
y a, et on pourrait lier a en effet cette promotion...
ric Laurent :
Quil y ait un glissement, oui. Au fond il y a un glissement sur la place publique, de
larticulation de la question de comment, non pas du rapport au rel, Freud mettant en avant la
Versagung du rapport au rel, du dire que non, mais la rencontre de cet autre dire qui trouve
son chemin sur la place publique dans la parole leve la dignit dun autre que reprsente la
position fminine et la position masculine qui se cherchent dans un espace de discours autre
que la psychanalyse.
Jacques-Alain Miller :
Le problme, il me semble... Par exemple quand on prend la confrence 23, dun ct, on
sent que a se rfre au temps de Freud, la ralit extrieure dit que non la libido. Alors bien
sr a nempche pas Freud ensuite dimputer ce dire que non, non seulement la ralit
extrieure mais au moi qui est coordonn avec elle et puis finalement de faire reculer cette
ralit extrieure pour dire le non est interne, le non est interne la ralit psychique, cest
pas... Mais on sent, il a fallu Lacan pour quon sen aperoive vraiment, pendant tout un
temps on a pens, le non la libido vient des pronunciamiento de la ralit extrieure. Il est
clair quaujourdhui on ne pourrait pas crire : la ralit extrieure vient dire non . Si
aujourdhui on peut sapercevoir que le non est interne et que lUmweg, le dtour, est de
structure, cest parce quon a plutt une ralit extrieure qui dit oui et qui dit mme
nimporte quoi, ce qui fait quen effet a se cherche, le rapport entre les sexes a se cherche
ttons, stablir et le malheur amricain, cest que le recours essentiel, en effet, cest le droit.
Et donc cherche indfiniment capter comment un homme doit sadresser une femme et
comment une femme doit sadresser un homme, aller chercher dans des rgles de droit. Et si
ctait appliqu, videmment, le problme amricain serait rsolu faute de combattant, parce
quon ne comprendrait vraiment pas comment ils pourraient, conformment aux rgles de
droit, entrer en rapport. Donc il y a un effort pour supprimer, pour remplacer, si on peut dire,
linconscient par le droit...
ric Laurent :
Oui : cest une formule forte (rires), mais qui est promise un avenir. Au fond, en effet, la
considration maintenant de la place publique, la place publique, la forme de lunivers du
discours comme place publique, pour prendre lexpression de monsieur Charles Taylor,
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construite sur le modle de la rpublique des lettres, transforme par les mdias, transforme
par lexistence dmultiplie de la rpublique des lettres, qui ne se limite plus luniversit,
aux salons, mais de bien autres relais, lessentiel tant quelle chappe lordre du matre et
lordre religieux.
Et Taylor contrairement dautres personnes rflchissant sur cette dispersion de la place
publique, plaignant ou se plaignant avec nostalgie du temps o ctait luniversit qui
vraiment distribuait cette rpublique des lettres, o ayant la nostalgie de lquilibre exquis
atteint un moment entre les salons et luniversit pour la distribution des valeurs...
Jacques-Alain Miller : Les hommes luniversit, les femmes dans les salons !
ric Laurent :
Voil, tenant et distribuant ainsi, permettant de rquilibrer ce qui paraissait tordu, l
Taylor prend a comme un fait, il ne se plaint de rien, il constate que la place publique
maintenant cest a, cest cette dmultiplication de tous ces centres, au fond cette absence de
centre, et cette exprience jamais connue jusque l, cette chelle, disons, de la communaut
de bla-bla, il dit mtatopique, qui ne se limite plus un lieu, un topos, soit du discours, soit
de la gographie, qui se dmatrialise.
Alors cette place publique comme sphre de la discussion, il faudra en prciser les rapports
avec laltosphre que Lacan introduit dans son Sminaire XVII, cet altosphre qui infuse
toute notre vie contemporaine.
Jacques-Alain Miller :
Laltosphre, cest en quelque sorte la condition technologique qui rend possible ce que
Charles Taylor appelle la place publique et a existe vraiment. Je me suis absent, je me suis
retrouv dans une petite le de lAtlantique, eh bien on ouvre la tlvision, on a la chane
locale, et le grand problme de la chane locale cest quest-ce qui sest pass dans un coin de
la Jude Samarie ? On peut aller trs loin, si on a le malheur douvrir la tlvision, on est
exactement, on est dans la sphre publique, on nchappe pas a. Et l bas, il y a mme
Internet, il y a une liaison Internet.
Donc, cest partout, enfin, laltosphre cest en quelque sorte la condition technologique
du bavardage universel o Taylor voit notre condition. Jaime beaucoup le terme de
mtatopique, je le signale, parce quon saperoit bien quand mme que par rapport a, du
champ de la topique analytique, parce quautant du point de vue de la sphre publique on peut
aller o on veut, a reste pareil, autant lexprience analytique, elle, se passe en un lieu, avec
une personne possible, alors bien sr elle continue dans les intervalles mais enfin cest
vraiment une sphre hypertopique. Et videmment l o on nous essayons une sorte de
corrlation entre la mtatopique de la sphre publique, et lhypertopique de lexprience
analytique, il y a une tension. Alors quil est clair que lhypertopique de lexprience
analytique est quand mme une valeur refuge par rapport la sphre publique.
ric Laurent : Alors justement, il me semblait quun exemple clinique venait signaler
cette articulation entre la psychanalyse et ce lieu, qui parait son envers, de la place publique,
de laltosphre. Lexemple clinique quon ma rapport, cest un sujet fminin qui mdite sur
une chose horrible qui sest passe, la mort dun enfant. Ce qui trouble ce sujet au plus haut
point, cest qualors que dans la vie vigile et avant de sendormir, cest l ce qui loccupe, la
mditation sur la relation entre une mre et son fils, mort, et dont mme elle a pu tre la cause
de cette mort, eh bien elle rve quelle a une relation sexuelle avec sa mre ; ou plus
exactement quelle sait quelle a eu une relation sexuelle avec sa mre. Elle ne se voit pas
dans le rve, une srie de dtails dans le rve montre quelle sidentifie, que ce rve poursuit
la rflexion sur lincident qui a dclench le rve, et ce qui la trouble, cest quelle a dans le
rve un orgasme, mais qui sobtient alors quelle raconte lanalyste la premire partie du
rve, cest--dire quelle sait quelle a eu une relation sexuelle avec sa mre.
Dailleurs lanalyste qui recueillait a, a le troublait aussi : pourquoi a venait l et
comment lui donner sa juste valeur, ce phnomne ?
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Alors premirement on voit quon retrouve l, les associations du sujet se poursuivent et le
sujet lui mme accompagnait le trouble de lanalyste en se demandant mais pourquoi cest
avec la mre et non pas avec le pre ? Quil y a eu cet horizon incestueux, et pourquoi est-ce
que cest en le disant ?
Alors premirement on retrouve l, si lon suit ce dont nous parlions la dernire fois, les
indications de Freud de comment on retrouve derrire les scnes de sduction avec le pre, la
scne de sduction avec la mre.
Et deuximement, on retrouve cette relation ravageante avec la mre et quau fond ce sujet
mditait sur quoi ? Elle, qui sest protge, tout en tant certaine du pouvoir quelle avait sur
son pre, sest protge de lui et cherchait dans la relation avec la mre, la fois une relation
de tension agressive mais un abri. Et ce quelle reprend dans le rve, cest sa rflexion vigile,
cest quavec la mre point de paix, que la relation avec la mre inclut la mort, a cest ce qui
la troublait au moment de sendormir, mais ce quelle trouve, cest quau sein de la relation
avec la mre, point de paix, parce que si pour le garon, puisque ctait un garon, il est
menac par la mort, pour la fille, ce quelle trouve, cest la jouissance qui est au centre, et qui
fait labsence de paix et de recours dans cette relation. Ce qui fait que le seul recours cest de
dire, cest de le dire lanalyste. Alors nvrose de transfert ou jouissance du bla-bla ? Les
deux sans doute, cest--dire que la nvrose de transfert, cest lintroduction cette jouissance
du bla-bla, davoir dire et darticuler le sens et le rel dans la perspective que tu disais et que
tu prsentais dans la rflexion globale sur lagrafe que tu donnes peu peu, l, lorgasme
vient l marquer le relchement des tensions, tout ce qui tait dangoisse accumule vient un
moment donn trouver son capiton, et son capitonnage au moment o elle peut dire et
retrouver un endroit o se branche, o sagrafe son langage priv et le langage public qui au
moins consiste commencer pouvoir dire lanalyste. Et comme dit Freud le symptme a
commence deux, l a retrouve cette perspective symptmatique dans cette clinique de
pouvoir avoir dire.
Alors cest l o la psychanalyse, qui a trouv dans les rats du discours, dans lacte
manqu, dans les rats de ce qui ne peut pas se dire et qui narrive qu se montrer, se montrer
par lacte symptomatique, qui est sans doute la faon analytique de montrer, comme dit
Einstein. Cette faon de montrer indique la place o la jouissance recle et qui fait la limite ou
qui fait lhorizon du discours public.
Dans la place publique telle que le conoivent un certain nombre de philosophes dont
Taylor, cette place publique a des ennemis, elle nest pas, bien sr, toute puissante tout le
temps. Elle est menace par le tyran, elle est menace, a le tyran cest la figure de ce qui
menace de lextrieur, mais elle est menace de lintrieur, par lautodestruction ou la
fragmentation et il prend comme exemple de lautodestruction, une excellente place publique
qui a donn aussi un modle de la place publique, qui est le march. Le march et sa main
invisible ont fascin par justement ce mcanisme apparemment autorgulateur, mais Taylor
nest pas dupe et avec lui ceux qui rflchissent en notant que jamais le march na pu exister
sans une rgulation qui lencadre, qui lui donne ses rgles, voire qui lui donne ses lois, sinon
il sauto-dtruit. Il y a encore lautre limite de cette place publique qui est la fragmentation,
qu force de communauts topiques, la place publique se ramne simplement une
communaut dintrts qui narrive plus communiquer entre eux, lintrt fragmentaire
rduisant finalement cette mobilisation globale. Et il voit l apparatre des figures qui sont,
travers lautodestruction, ou la fragmentation sur une jouissance ferme, voit apparatre les
pulsions de mort que la psychanalyse considre au centre de lexprience du langage.
Demandons-nous comment Freud lui-mme a constitu la communaut laquelle il
sadressait. A qui sadressait-il ? Aux psychanalystes bien sr, la communaut quil essayait
de constituer et dabord sous les formes ou les diffrentes formes de son internationale.
Ctait au dpart, dans les annes 10, une modification du modle des socits savantes ou
philanthropiques peine adaptes aux besoins de la psychanalyse, au besoin de pouvoir parler
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 104

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clinique et former un certain nombre danalystes. Puis ensuite il la modifie, modifie
spcialement partir de 1926, mais auparavant par lquilibrage, par des comits secrets, par
lquilibrage par un certain nombre dautres instances, non rsorbables dans les socits
savantes ou philanthropiques. Il la modifie pour produire une nouvelle investiture sociale,
ce qui est un tout autre ordre. Cest un ordre qui met en jeu ce que Lacan a appel le rel de la
formation des analystes et il a fallu adapter la socit savante, lespace de discours, ce rel
pour constituer enfin lespace de discours que Lacan lui, nous a permis de nommer,
constitution de ce discours analytique qui se retrouve le juge des diffrentes formes
dorganisations entre analystes selon quelles lui conviennent, ce discours, ou pas. Il y a les
socits de protection contre, contre le discours analytique, cest le revers de la philanthropie,
et puis il y a les coles qui devraient fonctionner dans le sens du dchanement du discours
analytique, de sa transmission, tout en la rgulant, pour tenir compte du rel en jeu.
Au del de la communaut des analystes, Freud, qui sadressait-il ? Il sadresse et il le
maintient justement au moment o il annonce la constitution de sa communaut nouvelle des
analystes, dans son livre La question de lanalyse profane, lanalyse laque. Il sadresse ce
quil appelle lauditeur impartial. Lauditeur impartial cest une fiction kantienne, celui qui
na pas dintrts pathologiques dans la question, le juge impartial auquel il vient prsenter sa
communaut, dont il montre la valeur. Cest un universel et de lautre Freud pourtant
sadresse la horde, la horde quil a mis au jour lui, partir de Totem et Tabou, cette horde
prhistorique dont il voit leffectivit dans le monde civilis, ou dit civilis. Et pour lui la
horde est palpable, elle est toujours l. Comment donc lui parler ?
Il a trouv une faon avec Malaise dans la civilisation, mais de faon plus radicale, aprs
1933, aprs cet effet de surface qui tait la prise de pouvoir du parti nazi, il a trouv une faon
qui sappelle Lhomme Mose et le religion monothiste, une faon de sadresser cette horde,
paradoxalement en parlant du statut du juif et se centrant sur lhomme ordinaire, sur le fait
que lhumanit pour vivre na pas besoin de fhrer, elle na pas besoin de ce que lui a vu
apparatre, a isol, dans cette sorte de leader jouissant, celui qui jouit de la privation de
jouissance des moi. Et cest une sorte dloge de lhomme ordinaire auquel il se livre dans son
Mose. Mose nest pas un grand homme, dit-il en un sens, cest un homme ordinaire, comme
le disait la bible de Philipson, quil avait lu, comme Christophe Colomb, dit-il, est un homme
ordinaire, dmontrant que des grandes choses peuvent tre accomplies par les hommes
ordinaires. Et le projet quil avait annonc au dbut de Psychopathologie de la vie
quotidienne, sous la forme suivante : traduire la mtaphysique en mtapsychologie, cest
surtout traduire la mtaphysique en terme de mtapsychologie de la vie quotidienne. En terme
de vie quotidienne comme Luther, a commenc y toucher pour lexprience religieuse .
Cest aussi dailleurs Charles Taylor qui souligne que Luther y a touch en interdisant les
monastres. Que le moine, valeur suprme de la norme religieuse de lpoque du catholicisme
unit, retranch, retir, t supprim, et qu partir de l plus besoin de ceux qui prient
comme communaut mais que lhomme ordinaire devient celui qui prie dans son travail
mme, qui devient prire. La communaut de ceux qui prient devient chacun et non pas tous.
Et Freud est trs conscient quil adresse son Mose dans un contexte, une humanit qui
connat le fascisme et cest pour cela quil veut le garder secret dabord. Il parle de son livre
en disant le livre secret et il crit Arnold Zweig qui vient de sinstaller en Palestine, ds
septembre 34, il lui dcrit latmosphre autrichienne nous sommes, nous vivons ici dans une
atmosphre de rigorisme catholique, la politique du pays est entre les mains dun homme de
confiance du Pape, un certain Pre Schmitt, un historien des religions qui hait la
psychanalyse . Et Freud ainsi craint pour la psychanalyse et ne veut pas publier son livre et il
ne le fera, vous le savez, quen arrivant en Angleterre. Il crit lpoque Zweig, avec
lhumour qui lui est habituel a nest pas la bonne occasion pour un martyr . Et il prfre
crire en mme temps Le trouble du souvenir sur lAcropole , quil adresse Romain
Rolland.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 105

105
Alors la thse de Freud, est une thse foncirement de discours. Cest dailleurs dans une
lettre, toujours Zweig, quil va crer la formule quil reprend dans son livre Mose a cre
le juif . Cest une invention de discours qui le fascine, chez cet homme ordinaire.
Jean-Bertrand Pontalis, dans la prface trs intressante quil fait ldition de son livre,
note que cest une mise en pice du pre auquel se livre Freud, mais est-ce sr ? Quel a t le
rsultat du livre ? Cest que Freud, qui annonait son projet comme montrer que Dieu le pre
a un jour march sur la terre sous une forme corporelle, il sest rvl que ce livre indiquait
que lui-mme allait se transformer en Mose, allait se transformer en pre sacralis pour un
discours qui allait le figer dans cette position du pre mort, si lon en croit, du moins,
lanalyse quen fait Lacan de ltat du discours analytique dans les annes 50.
Cela ne suffit pas, car il sagit de rintroduire le pre mort dans lespace de la conversation,
non seulement de la vie ordinaire, non seulement de dire quil a vcu, et quil a srement eu
une apparence corporelle mais den faire un objet de discours et de le rintroduire dans la
considration du discours universel.
Je terminerai l-dessus, a nous laisse peut-tre peu de temps mais, juste une scansion et
puis voil, je reprendrai sur ce point, sur le point simplement quhier ctait lanniversaire de
la mort du dernier prsident, et dans un livre qui est sorti cette occasion, on recueille la
confidence de Mitterrand qui disait ceci monsieur Benhamou : En fait je suis le dernier des
grands prsidents, je veux dire le dernier dans la ligne de De Gaulle, aprs moi il ny en aura
plus dautre, en France, cause de lEurope, cause de la mondialisation, le prsident
deviendra une sorte de super premier ministre, il sera fragile, il sera oblig de cohabiter avec
une assemble qui aura accumul bien des rancurs et des rivalits, et qui tout moment
pourra se rebeller . Cet aspect aprs moi plus de grand homme , il ny aura plus que
lespace du discours sur la place publique, des super premiers ministres fragiles, cest trange
comme perspective dans notre ? ? ?, mais a recouvre quelque chose !
Donc jarrte l et je reprends la prochaine fois.
Fin du Sminaire Miller/Laurent du 08 janvier 97



E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 106

106
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Septime sance de sminaire
(mercredi 15 janvier 1997)



ric Laurent :

Nous en tions rests la dernire fois cette proposition sur lavenir, nonce par un dernier
prsident qui tait mort, sur le fait quil se voyait comme le dernier dune ligne. Et dans le fil
de notre propos nous nous interrogions sur le fait de savoir ce quil voulait dire.
Comme le confiait donc Jacques-Alain Miller, en sortant, est-ce quil se voyait lui-mme
comme annonant le fait que le moule pre mort tait cass et quil ne restait donc plus
que lespace de la discussion, la place publique, et finies les identifications fortes. Il me le
confiait, puisque nous avons continu linteractivit tente pendant la sance, aprs, dans les
couloirs ; on sy efforce et la dernire fois donc Jacques-Alain Miller a fait justement des
efforts pour essayer quon ne soit pas en parallle et quon se croise et je vais essayer den
faire autant, de continuer moi aussi la tche.
Le fil de ces questions consiste nous interroger sur le projet laque de Freud. Sur sa
volont, maintenue jusquau dernier moment, de montrer que Dieu a bien march sur la Terre
sous une forme corporelle et que cest un traitement essentiel oprer pour lhumanit.
Je reprenais le commentaire que faisait Marie Moscovici dans sa prface au Mose, publi
dans la collection de Jean-Bertrand Lefevre-Pontalis, enfin Pontalis maintenant, le pre mis en
pices comme sacralis, dit-elle, propos du Mose, a nest pas une russite puisque Freud a
annonc dans ce texte mme son destin, lui qui allait devenir en tant que fondateur du
discours psychanalytique, qui allait devenir son pre mort et dailleurs loccasion assassin
par ce qui allait suivre, le post-freudisme assassinant un certain nombre de thses freudiennes.
Encore quil faudrait nous interroger videmment surtout sur le statut de fminin qua eu la
relve doctrinale aprs la mort de Freud, dans les deux camps de lAnnafreudisme ou de
Mlanie Klein.
La limite mme qua eue le projet freudien cest quaprs son dcs, Freud nest pas devenu
Autre. LAutre en effet cest, dans Encore, Lacan peut souligner que lAutre quil avait mis
en place, dans son enseignement, dans les annes 60, lAutre du temps de Linstance de la
lettre, tait une faon, dit-il, je ne peux pas dire de laciser mais dexorciser le bon vieux
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 107

107
Dieu. Alors pourquoi choisir exorciser ? Lexorcisme cest une technique qui consiste,
lorsquun dmon est prsent dans le corps dun sujet, on le nomme de toute une srie de
faons, et cest une pratique de discours qui fait quon part des noms connus, habituellement
reprables par ces tres l et puis on cherche, on ratisse large, jusqu ce quon trouve le
dmon qui rpond, et il rpond parce quil se manifeste, le brave exorcis remue, tmoigne
quen effet son dmon intrieur est nomm, touch, atteint. On cherche, dans lexorcisme, une
pluralisation des noms du dmon. Alors appliquer a au bon vieux dieu est videmment un
envers mais sans que lAutre ait une faon de pluraliser les noms de dieu. Et Lacan relit dans
Encore le lieu de lAutre comme annonant la pluralisation des Noms-du-Pre, comme a t
montr dans son Cours son poque par Jacques-Alain.
Cette annonce est une voie de la lacisation, la voie lacanienne qui fait que Lacan, lui, dans
les annes 80, annonait quil allait devenir Autre enfin . Et cest en effet partir de l que
nous pouvons nous situer pour aborder ce statut, o le statut dans notre civilisation prsente,
de cette instance du pre mort. Est-ce que le Mose de Freud, aprs tout, nest pas un essai de
multiculturalisme, puisquil considre que, dans un espace donn, le monothisme gyptien a
t refil une population stable et avec une conscience dune communaut forte qui a
emprunt, par le biais dun haut fonctionnaire dou, qui a emprunt ainsi une mise au point
dun projet culturel.
Il y aurait cet essai de multiculturalisme et dune universalisation dans le Mose, et au dbut
dune sorte de pluralisation si lon veut du Nom-du-Pre minimal. Il y a deux dieux comme il
y a deux Mose, il y a lgyptien et il y a le juif, ce sont des modes annonant le rapport
indissoluble ce dieu, deux modes sous lesquels se reconnaissent videmment ces deux
figures ou ces deux modalits de dieux qui, plus tard, ont t nomms dune part le dieu des
philosophes et des savants, le dieu calculateur, le dieu sage, le dieu bon, le monothisme
gyptien des prtres et puis le dieu dAbraham et de Jacob, celui que Mose a fait passer selon
Freud dans le rel.
Cest partir de ce point que Freud considre quil y a autour du pre un symptme qui ne
se dplacera pas, qui ne peut que se dplacer, mais non pas se dissoudre, dans les instances de
la civilisation ou de la sphre publique.
Alors ces deux instances, le dieu calculateur et le dieu exigeant, symptomatique, on les
retrouve aussi bien dans lanalyse des fondements du rgime de civilisation actuelle que
tentent un certain nombre dauteurs et actuellement nous nous centrons sur Charles Taylor,
philosophe canadien, qui a lintrt de souligner quil est impossible, quoiquon en ait ou
quoiquon en veuille, de se limiter une conception du lien social articul autour du calcul de
lintrt commun. Cette dfinition de lintrt social, des classiques anglais, a pour lui,
loppos, un envers, qui est la pense classique, aristotlicienne, ou transporte encore la
Renaissance, dans les cits comme Florence, autour duquel tourne la pense de Machiavel. Il
faut, pour une communaut, des identifications fortes, un patriotisme rpublicain, et ce type
de patriotisme nest pas de lordre du simple intrt commun. Cest un type didentification
plus forte, autre, qui fait que le citoyen se reconnat, dans les lois de la Cit, comme tant une
extension propre de lui.
Cest diffrent du lien libral, conu comme libert ngative surtout, tenant distance les
empitements de la loi, sur les liberts de chaque individu, atomiquement conu, comme petit
atome.
La thse rpublicaine cest celle de Taylor, cest aussi celle que vient rpandre
spcialement Paris cette semaine, Jurgen Habermas, qui est Paris pour une srie de
confrences, ( Paris VIII, prcise J.-A. Miller), oui Paris VIII, invit par le directeur de
Paris VIII, par monsieur Le Poulain, et qui expose en particulier, vous lavez lu sans doute,
combien pour lui, dans les derniers ouvrages quil a crit - il a pris sa retraite il y a deux ans -
il poursuit son uvre spcialement sur ce point, qui lui parait dcisif actuellement, montrer
comment la vie politique doit tre organise de telle sorte que les destinataires du droit en
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 108

108
vigueur puissent se considrer en mme temps comme les auteurs du droit , les lois comme
extension de soi, et non pas extrieur venant peser ; et sil ny pas cette interaction, cette
intersubjectivit avec lAutre de la loi, et bien les socits modernes se retrouvent en pril.
Cette conception de Taylor ou dHabermas, quils considrent suffisamment importante ou
urgente pour en faire la mesure dune action, cest de souligner la limite de lthique du Droit
des socits librales, lthique du Droit plutt que du Bien, dans lequel ltat ou linstance
rgulatrice doit simplement arbitrer les exigences des individus, des exigences rivales et on ne
sait pas ce qui est la solution, la seule chose quon connat, cest la rgle de droit qui permet
darbitrer.
Il y a une faon de concevoir une limite ce caractre procdural, cette simple rgle de
droit qui sapplique, cest de concevoir la ncessit dune instance ou de maximes
universelles, en dehors de tout intrt. Non pas la rgle pour arbitrer les intrts, mais une
rgle en dehors de tout intrt pathologique, dit Kant. Eh bien ce type dinstance, trs
abstraite, cest une deuxime faon de limiter a. Cest ce que John Rawls a fait dans ses
travaux et qui reprsente une inspiration constante par exemple dans les programmes sociaux-
dmocrates du monde entier, il rflchit sur le principe qui, au-del du droit, marque le
principe de la justice.
Le troisime point que met en avant Taylor, cest que ni ces calculs dintrts, ni le principe
abstrait kantien, ne permettent de dfinir des identifications fortes, il faut quil y ait ces
identifications rpublicaines et lui, il dit, contrairement ces collgues, il voit que dans
linsurrection par exemple des amricains lpoque du Watergate, il en voit le signe quil y a
une identification suffisamment forte pour quau-del des calculs dintrt, il y ait la notion
dun bien commun qui tait souill par les agissements du Prsident de lpoque et il voit l
une trace didentification la vraie nature de lamrican way of life, que cest un certain style
de jonction entre politique et morale, particulier aux tats-Unis, et qui fait que cest la chose
qui soulve, cest la chose qui provoque des indignations en masse.
Moyennant quoi il propose, partir de l, que pour prserver ces types didentification il
faut sans doute que ltat ne soit pas entirement une puissance neutre. Il prend le modle de
lendroit o il rside, qui est le Qubec. Vous savez quau Qubec, ils ont fait comme en
Catalogne, cest--dire quils ont impos la langue franaise dans les coles, y compris pour
ceux qui sont anglophones. Et donc les anglophones ont beaucoup cri en considrant que
ctait une limite de leur libert, ils ne pouvaient pas... Eh bien justement, ils cherchent une
justification de droit qui permette de le faire et la justification de droit, ou en tout cas la
philosophie du droit en philosophie politique pour Taylor, cest de dire que ltat au Qubec
ne peut pas tre une instance neutre car a toucherait lidentit de la communaut
qubcoise et quil est parfaitement compatible avec une socit librale et dmocratique
dimposer, au del de la libert dun certain nombre de personnes, dimposer, pour prserver
une identification, donc, la ncessit avant de prserver la communaut.
Ce quon retrouve, dans la conception quil nous propose, cest quon ne peut pas se
contenter, travers la rflexion quil amne, qui est centre sur la philosophie politique,
essentiellement la conception mme anglo-saxonne de la chose, on ne peut pas se contenter de
la place publique et de la discussion. Il y a, ou peut-tre seulement aux tats-Unis, qui a
confondu son Histoire avec cette procdure mme, mais quailleurs les identits font quil y a
un registre en tout cas des identits, qui chappe la rgle de la pure limite de lAutre
toucher ce qui est mon plan de vie, enfin mon souhait, mon vu, et que la discussion doit
toujours laisser en dehors cette sphre-l.
Lidentit quil dcouvre sous la sphre ou la place publique, la sphre publique, cest quil
y a toujours des identifications qui relvent dune zone dun autre ordre que celle rserve la
discussion. Il y a une zone protger qui touche aux identifications les plus centrales. Et
Freud a, dans son Mose, le mme abord. Il dit, page 224 de la collection que je citais pour
en revenir lthique, nous pouvons dire quune partie de ce quelle prescrit, se justifie dune
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 109

109
manire rationnelle, par la ncessit de dlimiter les droits de la communaut face
lindividu, les droits de lindividu face la socit, et ceux des individus les uns par rapport
aux autres , a cest la zone de discussion, cest la zone de rationalit ouverte, place
publique, et cest la zone aussi de libert ngative, cest une limite ce que lautre peut exiger
de moi.
En revanche ce qui dans lthique nous apparat grandiose, mystrieux, vident dune
manire mystique, doit ses caractres leurs connexions avec la religion, une origine qui
dcoule du dsir du pre.
Il y a une zone didentification, qui elle est prsent non pas sous le mode rationnel mais
sous le mode mystique, il y a une zone, qui est la zone du sacr, la fois le plus admirable, et
le plus horrible, enfin la zone o, en dehors de discussions, on peut demander des sacrifices.
Et cest ce qui toujours sabstrait de ces discussions sur le simple intrt commun. Cest :
quelle est linstance qui demande des sacrifices et o est-elle, o se situe-t-elle ?
Cette instance qui, dautant plus exigeante, quapparemment tout nest plus que calcul de la
raison, et le paradoxe est que les socits benthamiennes, rservent toute une zone dappel au
sacrifice, qui narrive pas tre, si lon veut, prise dans la place publique, qui reste en dehors,
qui reste une zone qui reste dans une obscurit en dehors de la sphre publique. Alors pour
autant, est-ce que nous pouvons nous fixer dire que cette zone l, cest, comme lindique
Freud dans le Mose, cest la zone religieuse, celle o cest le pre qui est en jeu. Cest toute
la problmatique que dveloppe Lacan dans son Encore, dans lequel nous sommes rentrs
depuis un moment.
Cest que ce qui change, au moment o Freud commence son projet de lacisation de Dieu,
Lacan constate dans son Encore, page 171, que ce qui se tentait la fin du sicle dernier, ce
quils cherchaient, les braves gens dans lentourage de Charcot et des autres, ctait de
ramener la mystique des affaires phalliques, des affaires de foutre, a nest pas a du tout .
Le projet contemporain nest pas du tout le mme, nous ne sommes plus dans un espace de
civilisation o le projet laque consiste ramener la mystique la fonction phallique. La
libration du discours, disons, des femmes, et de leur insertion sur la place publique fait que,
au-del de ce que Lacan appelait la part de la mode concernant les rapports entre les hommes
et les femmes, il y a le fait que la sphre publique, dans le monde entier, diffuse, rpand, fait
entendre une parole, qui jusque l ny avait pas son lieu, qui lavait en tout cas autrement, qui
lavait cantonn dans des genres littraires, dans le roman, depuis le XVII
eme
sicle, le facteur
essentiel dducation des femmes par les femmes mais qui maintenant dborde toute cette
sphre, toute cette place publique.
Et il nest pas certain, mais plutt certain qu lenvers de ce qui se passait la fin du sicle
dernier, notre fin de sicle cest plutt une sphre publique, qui diffuse, qui fait entendre non
pas lidentification au Un du pre mais qui fait entendre un autre mode identificatoire, son
double, lautre face de la jouissance du dieu, que Lacan prsente dans Encore, une face o
cest la voix dun appel dun dieu en dehors de la sphre de la raison, pas le dieu des
philosophes et des savants ou du calcul de la place publique, la zone de lappel au sacrifice
mais peut tre qualors cest moins la volont du pre qui sy fait entendre, que la question de
la jouissance en tant quelle chappe la jouissance phallique.
Ce rgime de la jouissance qui se fait entendre sadresse aux hommes et aux femmes en
faisant entendre une voix qui dit : tu peux toujours y aller, tu peux toujours essayer de
rejoindre une jouissance nommable, mais ni la jouissance du pervers polymorphe, ct
homme, ni la jouissance qui sy accorde cot femme ne te permettent, ni lune ni lautre, de
pouvoir ty retrouver . Et l nous trouvons une opposition centrale dans Le Mose et le
monothisme et le Encore de Lacan.
La zone didentification divine qui se trouve la fin du Mose, cest un mode
didentification qui permet de sy retrouver, qui permet de faire du Un, et cest ce que Charles
Taylor considre comme le ciment cach des communauts qui tiennent mme si elles sont
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 110

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composes comme aux tats-Unis, de migrants, de populations extrmement mobiles, il y a
nanmoins du Un qui permet de sy retrouver et qui est cach.
La grande question de la jouissance fminine, autre face du dieu que fait voir Lacan dans
Encore, cest que a permet dprouver de la jouissance mais a ne donne pas du savoir. Cest
elle lprouve mais nen sait rien , ce qui ne permet pas de sy retrouver. Et est-ce quau
fond le moment actuel, a nest pas que nous assistons une sphre publique qui, par la
propulsion ou laccent mme mis toujours dans la face calcul et benthamienne de lopration,
de ce qui rgle le lien entre tres humains, ne fait pas dautant plus valoir, en creux, lappel
un sacrifice au nom dune jouissance dans laquelle on ne se retrouve pas. Dans laquelle on ne
trouve pas le savoir qui convient pour en faire une identification.
Alors la face positive, cest la diversit, le non embrigadement, tout ce qui est du charme du
un par un et lenvers, plus terrible, cest que cela ne donne pas les moyens de savoir
comment se situer face lAutre et son appel un toujours plus, un encore. Est-ce que ce
nest pas dans ce contexte quil faut situer - ce contexte dchec de la tentative mle perverse
polymorphe rpondre lenvi - sans e final - rpondre lappel, verset de jouissance - est-ce
que a nest pas lchec de la tentative perverse polymorphe que la multiplication des
substances toxiques, de lusage rgl et drgl des substances toxiques qui fait un des
problmes de notre ambiance de civilisation, dans laquelle il faut souligner que le toxicomane
nest pas un pervers du registre classique, cest une thse que justement Lacan a permis
dtablir en montrant comment lui, le toxicomane, se libre du rapport au phallus. Mais allons
plus loin, est-ce que lide, lindication de Lacan le toxicomane rompt le mariage avec le
phallus sur le modle petit Hans , est-ce que cette rupture, a nest pas la tentative du sujet
de rpondre la jouissance qui se prsente comme inatteignable ct fminin. Tentative de
rejoindre linatteignable de la jouissance aperue ct femme.
Cest la faon dont Lacan prsente la place, limportance de Kierkegaard et de la voie quil
traait. Cette jouissance fminine quon prouve et dont on se sait rien, nest-ce pas, dit-il,
ce qui nous met sur la voie de lexistence, comme ce qui a mis Kierkegaard sur la voie de
lexistence . En quoi ? Kierkegaard prsent comme le champion de lexistentialisme contre
luniversel hglien, contre le tout, contre lAutre total de Hegel, lui, dfendant son angoisse
et la particularit, lunicit de son angoisse face cet Autre.
Lacan se demande si donc, il na pas, lui, aperu partir de sa carrire de sducteur - brve
- dans son rapport Rgine, est-ce quil na pas aperu l un mode, dans cette jouissance
inatteignable, dan une jouissance quil nallait pas rejoindre, une existence dont il tait spar,
ce qui chapperait toujours au tout et que langoisse kierkegaardienne, il la corrle une
exprience, la rencontre avec une jouissance, donc spare, chez Rgine et que le sducteur
tombe l-dessus.
Identification dont on sait rien, sinon que cette jouissance est impossible rejoindre et
simplement identifie en ce point, qui ne permet pas de sy retrouver et qui seul permet de la
constater, quelle se trouve au cur mme de lAutre.
Alors la sphre publique actuelle, elle diffrerait de celle qui fonctionnait dans le rgime
prcdent, parce que justement elle narrive plus, tout en contenant en son bord cette zone
sacre rserve dappel au sacrifice au nom de ce qui dpasse la discussion, donc il y a a qui
est toujours prsent, sans quil y ait les moyens de sy retrouver, donc de le savoir. a ne se
prsente pas sous les formes en tout cas dun savoir autre que celui que pourrait indiquer la
psychanalyse, le chemin sur lequel la psychanalyse pourrait, elle, peut-tre relever et sinsrer
dans cette place publique pour faire entendre la faon dont elle situe le paradoxe, alors qui
nest pas crainte et tremblement, qui nest pas langoisse, mais qui est la faon dont tombe sur
le sujet, au-del de langoisse, le secours de la jouissance prouve sans le savoir.
Bon je terminerais donc pour aujourdhui l-dessus.

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Jacques-Alain Miller :
(sadressant lauditoire) On entend ?
Alors je me suis promis aujourdhui, cest une bonne rsolution, de prsenter, de
commenter louvrage rcent auquel jai fait allusion la dernire fois, celui de John Searle, qui
sintitule La construction de la ralit sociale, qui est paru fin 95 aux tats-Unis.
Jai d prendre mon courage deux mains, parce que je considre que cest un ouvrage qui
est un signe des temps, mais pour lapprcier il faut avoir peut-tre une ide du parcours de ce
philosophe, parcours quil est difficile de retracer ici en dtail. Dautre part je ne crois pas
quon puisse viter, quand on parle de ces auteurs, Searle, ou Taylor, ou Habermas, dautres
encore, je ne suis pas sr quon puisse viter, dans cet auditoire-ci, au moins, une certaine
baisse de tension, par rapport ce dont nous traitons dhabitude et le style dans lequel nous le
faisons.
Et en effet, quand on est form par Lacan, comme vous ltes, on se trouve au-del des
difficults qui animent ces philosophes. Par exemple ce livre est une redcouverte de la
symbolisation, la conclusion se termine devant lnigme de ce quil appelle la capacit
biologique de ltre humain de faire que quelque chose se symbolise . Cest aussi une
redcouverte pas pas de ltre de fiction qui est toujours... quil amne comme une sorte de
paradoxe dont nanmoins il faut bien reconnatre la prsence et le caractre effectif dans
lexistence humaine. Le voil qui dmontre, un moment donn, par quelques petits
arguments, que quoiquon fasse, on doit considrer que le langage est dj l, quon narrive
pas le dduire. Et aussi bien, le voil devoir inventer, dailleurs de livre en livre, enrichir
sa conception dune dimension ncessaire pour penser la conscience elle-mme, une
dimension de ce qui, en de de la conscience, la structure. Cest ce quil appelle, et de livre
en livre, il amliore sa conception, cest ce quil appelle le back-ground, larrire-plan, mais
attention, ce nest pas linconscient freudien, le back-ground de Searle cest quelque chose de
plus fond que linconscient freudien.
Donc le lire partir de Lacan, on a le sentiment davoir peut-tre le plan du labyrinthe
dans lequel il savance et dont il essaye de faire un autoroute.
Alors il y a une certaine fracheur de ce point de vue, et quon pourrait taxer de navet.
Certainement il y a de la navet , par exemple, ne pas voquer le moins du monde lauteur
que je mentionnais la dernire fois, Bentham, je suppose que a sera fait dans, aprs tout je
nai pas vu son nom en le lisant - je regarde lindex que je nai pas consult - il ny a pas le
nom de Bentham, je suppose que ce sera fait dans les commentaires qui seront apports, qui
ont peut-tre dj t apports dans les revues amricaines et anglaises, mais enfin cest un
manque flagrant, alors que cest le problme mme quil aborde, et quil doit en dfinitive
donner lexemple du droit comme majeur de ce quil a l, appel lui les faits institutionnels.
Mais je prfre le mot de fracheur, parce que, ce quil faut reconnatre, l, Searle, cest
son essai de rigueur. Cest leffort pour accommoder, aprs tout des objets nouveaux de sa
rflexion, dans un cadre conceptuel, pour employer son langage ou celui de la philosophie
amricaine contemporaine, accommoder dans un schme conceptuel des questions qui,
videmment, font vibrer ce schme conceptuel. Et disons que pour nous il se lance dans un
essai dlucidation logique du semblant social, et qui dbouche sur une interrogation propos
du rel.
Les deux derniers chapitres du livre portent comme titre Est-ce que le monde rel
existe ? et que cette question merge sous cette forme et quelle donne lieu un dbat
polmique, contre dautres philosophes contemporains, me parait un signe des temps, me
parait une question minemment contemporaine, qui se situe entre semblant et rel. Il y a une
actualit de la question du rel qui tient prcisment la promotion contemporaine du
semblant, qui est rapporter, me semble-t-il, la production, au remaniement acclr du rel
par le discours de la science. Dune certaine faon, enfin je donne a en court-circuit, dune
certaine faon, cest la science elle-mme et les objets quelle dlivre actuellement sur un
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 112

112
rythme acclr, en particulier dans la dimension lectronique, ce sont ces triomphes mme de
la science, me semble-t-il, qui font aujourdhui douter du rel. Et la question nous revient,
revient sur la psychanalyse : en quoi la psychanalyse peut soutenir, elle, toucher au rel et
auquel ? question qui tait dj la pointe de ce que Lacan amenait devant nous il y a 20 ans.
Alors jai pris mon courage deux mains pour essayer de vous intresser Searle, mais je
nai pas pu viter de commencer par Lacan, de commencer par ramasser sous forme
daphorismes, certaines des considrations que jai amenes devant vous la dernire fois.
Trois aphorismes qui sont faits pour dterminer une problmatique, cest--dire pas un
dogme, une problmatique, un ensemble de problmes qui comporte diffrentes solutions que
Lacan a explores. Le premier de ces aphorismes : le rel, le sens, a fait deux. Quelle
intuition vient lappui de cet aphorisme ? Je suis modeste, je ne parle que dintuition, je
madresse notre sentiment commun, notre doxa, qui admet, me semble-t-il, que le rel, le
vrai rel, reste invariable, reste ce quil est, en soi, comme on dit dans la philosophie, quil
demeure intouch par ce qui se peroit et se dit de lui. Alors que le sens minemment varie,
bien fol qui sy fie.
Deuxime aphorisme : le rel exclut le sens. Cest, je lai rappel la dernire fois, la
dfinition mme du rel selon Lacan, et cest une proposition dont il nest pas sr, je laisse a
ouvert, quelle soit mme nonable en vrit. Le rel exclut le sens, en effet, confre du sens
au rel, au moment mme o elle nonce limpossibilit de le faire. La proposition le rel
exclut le sens , est dj une sorte de menteur, cest une sorte de je mens , de proposition
qui tend se rfuter elle-mme en snonant.
Et troisimement : le sens est du semblant. Proposition qui apparat comme une
consquence de lopposition du sens et du rel. On peut lui donner la forme dune
implication : si le sens nest pas du rel, alors il est du semblant.
De l jnumre plus ou moins quatre questions qui circonscrivent un champ de dbats sans
marrter rien de dfinitif. La premire question traiter, si je nentendais pas vous amener
Searle, la premire des questions, cest le statut mme de ces aphorismes, est-ce quils sont
paradoxaux, est-ce quils sont endoxaux, est-ce quils sont opposs ou conformes la doxa ?
On pourrait les prsenter de lune et lautre faon. Ces aphorismes pourraient-ils tre amens
au statut de thorme, ou de pseudo-thorme, est-ce quon peut les dmontrer, proprement
parler ? sont-ils dmontrables ? ou est-ce que ce sont des principes, des axiomes ?
Voil un premier registre de questions qui serait ou qui sera traiter. Deuxime ordre de
questions. Ce que les trois aphorismes que jai dit laissent en suspens, cest ltre du sens, le
statut reconnatre au semblant, en tant quil est l loppos du rel. Et l il y a, je lai voqu
la dernire fois, il y a deux grandes voies de rponse. La premire que le sens comme
semblant nest quillusion, et la seconde, qui dment la premire, que le semblant nest pas
illusion, il est fiction.
La notion que le sens ne serait quillusion est au fondement du privilge quon peut
accorder la syntaxe sur la smantique. Cest ce qui avait conduit Carnap, hritier du premier
Wittgenstein, hritier du Tractatus aborder le langage par sa syntaxe logique. Dans un
second temps, il a essay dtendre cet abord la smantique elle-mme, et cest l-dessus,
sur ce point prcisment, que Quine, qui a domin la philosophie amricaine jusqu lpoque
rcente - juste sen dgagent enfin les auteurs dont nous parlons, qui depuis une dizaine
dannes ont secou la frule de Quine. Ce quon appelle la philosophie amricaine procde
directement de Wittgenstein, Carnap, le Cercle de Vienne et Quine qui, peine diplm, se
rend Vienne, dans lentre-deux-guerres, et ramne la doctrine - il les ramne dailleurs avec
lui puisquaid puissamment par les vnements qui ont lieu en Europe - et jusqu il y a dix
ans la philosophie amricaine est domine par Quine, hritier de Carnap, mais hritier qui
rompt sur un point dcisif, sur la smantique, sur la possibilit dune logique de la
smantique, et qui sen tient ceci, que ds lors, ce qui serait dvelopper, que ds lors quil
ny a pas de principe didentit dans la dimension du sens, quon ne peut pas formuler de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 113

113
relation dquivalence dun sens lautre, il ny a pas de science du sens, si je peux rduire
les choses ainsi.
On peut rapporter cette perspective, en quelque sorte, le premier Lacan, celui qui insiste
sur le privilge du signifiant sur le signifi. Mais deuximement, la voie selon laquelle le
semblant nest pas illusion, il est fiction, distingue un mode dtre sui generis, un mode dtre
spcial, ne pas confondre avec le rel. Et quand on lit Searle on le voit un moment dire il
faut laborer une ontologie spciale pour les faits institutionnels et il rend compte sous cette
espce, dune ontologie qui est distincte de celle de lobjet physique, qui est distincte des
particules de la physique, ce quil dcouvre, ce quil peroit comme une ontologie spciale,
cest prcisment la ncessit dadmettre un mode dtre particulier pour la fiction.
Et, le dire, le seul fait de dire, admettons dans certaines conditions, fait exister des entits
fictives, cest--dire qui ne sont pas rductibles des entits physiques et qui ont nanmoins
un pouvoir opratoire et qui structurent la ralit. Cest ce que Lacan a reconnu, en nonant
que la vrit a structure de fiction, cest--dire que la vrit nest pas du rel, et quelle nest
pas non plus vrit correspondante un rel.
Voil les deux voies princeps, la premire, dliminer le sens, au moins du discours de la
science, et la seconde, cest la thorie des fictions. Et, si on admet ce partage sommaire, on
voit peut-tre, parfois Lacan, osciller entre ces deux positions, ou tenter bien plutt de les
nouer, de les articuler lune lautre.
Troisime ordre de questions. Ce qui reste en suspens, en dpit de ces trois aphorismes par
eux-mmes, cest le statut du langage et du symbolique. Est-ce que le langage est fiction lui-
mme ? Que le langage soit cause de fiction, crateur de fiction, on ladmet dans la seconde
voie, mais le langage lui-mme est-il fiction ? L, nous pouvons nous centrer pour apprcier
cette question sur la rponse univoque, que Lacan lui a donne. savoir : il y a du rel dans
le langage, et ce rel, pour le situer, premirement, cest celui du nombre, quil qualifie de le
seul rel dabord reconnu dans le langage .
(Sadressant lauditoire) Quest-ce quon ne comprend pas ? Le nom-bre ! ! Ah oui,
jaurais du faire a sous forme interrogatoire ! ! (Rires). Quel a t le seul rel reconnu dans le
langage ?
Donc cette rponse, elle a, dans le contexte, pour valeur dextraire le langage de lordre du
semblant et donc de le rattacher au rel. Et on peut aller plus loin en ajoutant quil y a du rel
dans le langage au-del mme du nombre. Cest quand mme... depuis quon manie les
nombres, on sest intress leur statut de rel. a a donn en particulier, comme
philosophie, ce qui un moment a t la philosophie spontane des mathmaticiens, le
platonisme, consistant, prcisment, assigner le plus haut rel lentit mathmatique.
videmment, a a commenc tre srieusement mis en question au XXe sicle. Et
prcisment, dune faon solidaire du linguistic turn, du tournant linguistique de la
philosophie. On sest demand si finalement tout cet tre du nombre et des entits
mathmatiques ne serait pas de simples affaires de petites marques sur le papier. Ctait le
point de vue dit formaliste. Et puis on sest demand aussi, avec Bertrand Russel, si, en fait,
les entits mathmatiques ntaient pas subordonnes la logique.
Autrement dit, l, sur ce rel l, il a commenc vaciller avec lobjet de dbat et pas
simplement chez les philosophes, tout de mme chez un certain nombre de praticiens de la
chose, au cours du XXeme sicle, et ce qui est saisissant, cest de lire sous la plume, aprs
tout dun scientifique comme Putnam, je lisais a en nen croyant pas mes yeux, quil
considre maintenant comme ridicule mme de se poser la question dans ces termes. Il dit :
cest pas croyable quon voie sortir lanne dernire un livre sur : les entits mathmatiques
sont-elles relles ? Il considre quon perd compltement son temps maintenant se poser la
question du rel de lentit mathmatique. Je pense quil vise un livre que jai lu par ailleurs,
parce que moi je continue mintresser la question, je crois de Pnlope Maddocks (
vrifier). Il aurait t intressant den parler par ailleurs.
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114
Alors il y a - a cest le fil de linterrogation sur le rel - il y a du rel, dans le langage selon
Lacan au-del mme du nombre, disons la mesure des impossibles qui sy dmontrent. Et
cela condition de formaliser le langage, cest--dire den vacuer le sens. a cest Lacan
logicien. Vous prenez le langage, vous en vacuez le sens et la mesure mme de cette
vacuation, vous tes en mesure de procder des dmonstrations dimpossibilit, qui alors
vous dlivrent partir du langage mme, vous dlivrent du rel. Et cest la thse de Lacan
selon laquelle le rel sinscrit toujours dune impasse de la formalisation et cest sa singulire
dfinition de la logique comme science du rel.
Alors, on voit l que cest bien tort, a, a ne me met mme pas en colre, a mebaubit,
on a tout fait tort de classer Lacan parmi les relativistes. On peut lire, il y a des polmiques
vraiment subalternes sur ce point aux tats-Unis, auxquelles on donne un cho, ces jours-ci,
en France, o on voit le nom de Lacan se promener avec un certain nombre de philosophes
considrs comme relativistes. Cest--dire quen dfinitive ils penseraient, eux, quil ny a
que du semblant.
Alors ceux dailleurs qui taxent un certain nombre de philosophes contemporains de
relativistes, cest quils restent anims par ce quon peut appeler - un titre balzacien - une
recherche de labsolu. Et en gnral cette recherche contemporaine de labsolu, qui est active,
va du ct des valeurs, du ct des valeurs morales. Si le relativisme est tax de dangereux,
dinconsquent, de nocif, cest avant tout parce quon va chercher en effet labsolu du ct
des valeurs morales et quun certain nombre de philosophes sont trs clairement orphelins de
luniversel et quils tentent, avec les moyens du bord, avec les moyens daujourdhui, de
rinstituer luniversel.
videmment, a nest pas nouveau, de dire que la philosophie des Lumires, celle qui sest
dploye au cours du XVIII
eme
sicle, a t, a eu un effet profondment relativiste. Quand on
sest intresser, a a commenc avec Montaigne, lutilisation de la gographie des fins
sceptiques et puis il y a eu une relance sensationnelle au XVIII
eme
sicle o on sest intress
prcisment ce qui faisaient les vrits contradictoires des sujets selon les communauts, les
tribus auxquelles ils appartiennent.
Il y a donc eu une sorte de morcellement, de ruine de luniversel, progressant au cours du
XVIII
eme
sicle jusqu ce que, en effet, Kant, la fin du sicle, russisse ce tour de force
extraordinaire de rtablir dans le contexte de ce relativisme sceptique moral, un absolu moral -
avec son impratif catgorique - un absolu moral dont le critre tait purement logique, plus
lappel ce que chacun le porte dans son cur mais enfin la formule de cet absolu est une
formule uniquement logique, cest--dire quil ne sagit pas dun absolu qui serait fond sur la
tradition, a les Diderot, les Voltaire, ont russit y mettre lacide, plus personne ne pouvait -
enfin plus personne ! ! - lhumanit pensante ou la partie philosophique de lhumanit ne
pouvait pas soutenir labsolu dune tradition parmi dautres, et donc il a russi ce tour de force
de rtablir un absolu formul en termes de pure logique. Cest--dire en prenant pour critre,
le valoir pour tout X , si je puis dire, le valoir pour tout homme , ce qui dj dans sa
formulation arrache la tradition, la dispersion, et non seulement valoir pour tout
homme mais valoir comme loi dun univers. De prendre pour absolu moral, ce qui peut
tre lev non seulement au pour tout X , de lhumanit, mais mme au rang de loi
universelle de faon consistante, non contradictoire.
Alors cest a quun certain nombre de philosophes aujourdhui, voudraient rditer,
retrouver la formulation dun absolu non traditionnel, dun absolu en quelque sorte qui serait
lquivalent de cet absolu logique de Kant.
Alors, pour Lacan, il y a certainement un absolu au sens de, qui chappe au relativisme des
semblants, et cest ce quil a appel, cest le sens quil a donn au terme de rel, et cest
pourquoi Lacan na pas tre mis en srie avec les philosophes, je me garderais bien de dire
quils sont relativistes, mais enfin qui nont pas comme lui, comme Lacan, la rfrence
essentielle de la science. Sans doute comme discours la science est-elle pour Lacan
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 115

115
articulation de semblants, mais, qui touchent au rel. Et, depuis Freud, la psychanalyse na pas
cess de se rapporter cet abord scientifique du rel. Ce qui dj la met part de cet agitation
sceptique de la philosophie contemporaine et ventuellement lui vaut un certain nombres de
critiques de la part de ces sceptiques.
Autrement dit le privilge de la science reste, pour Lacan, au moins, une rfrence, qui
donne le sentiment de stre dissipe chez un certain nombre de chercheurs amricains. Dune
certaine faon ils ont tellement souffert pendant des annes du point de vue troit sur un
certain nombre de questions que Quine imposait dans lUniversit amricaine, quils donnent
le sentiment davoir un peu jet le bb avec leau du bain. Cest--dire le moment o ils ont
os franchir les limites imposes par la philosophie dite analytique la Quine, ce quon voit
chez Taylor, dans ce volume mme, cest frappant, le premier article de ce recueil, argument
philosophique, a sappelle et donc libre lespace o il va parler de la sphre publique, etc.,
le premier article a sappelle Overcoming espistemology, surmonter lpistmologie, ce qui
veut dire vraiment bye-bye Quine, et en surmontant lpistmologie, dune certaine faon,
cest nous ne prenons plus le discours de la science comme rfrence, le discours de la science
est incapable aujourdhui de nous fournir la base de laccord de la communaut, de laccord
social.
Et il vaudrait la peine de dire un mot de larticle de Taylor Overcoming epistemology, il y a
aussi un article trs drle de Richard Rorthy, qui a commenc par en baver sous Quine et qui
dcrit la faon dont, aprs la guerre, cette idologie sest empare de toute lUniversit
amricaine, comment donc, le mpris de fer pour la philosophie continentale, Hegel, un fou,
Heidegger, un salaud et un malade, et un moment, aids puissamment par la philosophie
franaise des annes soixante, etc., ils ont os faire un pas dans cette direction et du coup un
peu brler ce quils avaient ador. Et il faut voit quand Rorthy explique que finalement les
scientifiques cest une sorte de tribu, ils ont leur faon de parler comme il y en a dautres, et l
en effet on a le sentiment dun relativisme trs amusant, trs distrayant, mais enfin on a pas du
tout cette corde l qui vibre chez Lacan.
Lacan a un rapport beaucoup plus direct et ferme avec - il y a en effet le bla-bla - mais que
le discours de la science, tout arm de semblants quil soit, obtient un certain nombre de
rsultats dans le rel, quoi il sagit de mesurer la psychanalyse. Do la question toujours
plus insistante de Lacan de savoir en quoi la psychanalyse touche au rel, que la psychanalyse
ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne touchait pas au rel, savoir si le rel dont il
sagit est le mme que le rel de la science. Et a il faut bien dire comme question elle est
toute fait absente de la rflexion de ces dfroqus de la philosophie analytique, qui, une fois
quils en sont librs, pensent que le rel ne viendra plus les embter. Parce quils pensent que
cest quand mme le seul rel dont il peut tre question. Et do une nouvelle ivresse de la
philosophie amricaine, par rapport quoi Searle, dOxford, dOxford dplac Berkeley, en
pleine Californie, maintient quand mme quil y a du rel. Simplement le rel de Searle, il
faut voir la fin, cest un rel qui ne drangera jamais personne, cest un rel qui se tient trs
trs bien, cest--dire cest un rel muet, et sur lequel prcisment il ny a rien dire, le moins
possible.
Alors quatrime ordre de question, dans ce champ problmatique, je lai voqu dj la
dernire fois, ces trois aphorismes, le champ quouvrent ces trois aphorismes laisse en suspens
le statut de la psychanalyse. Si cest le langage formalis qui touche au rel, si cest la logique
qui est la science du rel, sil faut en passer par la formalisation du langage pour toucher au
rel, pour pouvoir faire des dmonstrations qui permettent de conclure ceci est impossible ,
et par l mme dlivrent du rel, si le langage formalis donc touche au rel et bien il faut
formaliser la psychanalyse et cest prcisment une des voies de solution que Lacan a
esquisse avec le thme du mathme. Formalisons la psychanalyse, de faon tre bien sr de
toucher au rel. Mais cela concerne la thorie de la psychanalyse et cela passe par lcriture,
cette formalisation, donc a ne concerne pas proprement parler lopration analytique
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comme telle, qui procde non par lcriture mais par la parole. Do lesquisse chez Lacan,
loccasion, dune sorte de formalisation de la parole elle-mme, en mulation avec la science.
La tentative o lesquisse dune formalisation de linterprtation, qui supposerait den vacuer
le sens, de faon toucher le rel par le non-sens.
Ce qui anime toutes ces tentatives, cest la vise dincider sur le rel et donc dy toucher par
le non-sens ou mme plutt, parce que le non-sens cest une espce de sens, ou plutt dy
toucher par ce que Lacan appelait lab-sens, labsence de sens, essayer de raliser dans la
parole mme labsence de faon pouvoir toucher le rel hors sens.
Alors a, a comportait encore que dans le rel dont la psychanalyse soccupe, il y ait du
savoir au sens d articulation systmatique dlments dab-sens, dlments dont le sens a t
vacu. Ctait encore supposer quil y ait dans le rel dont la psychanalyse soccupe comme
une criture formalise et cest ce qui a conduit Lacan aussi bien ses quatre discours et
considrer que le surmoi tait de lordre de ces formules formalises, crites, faisant du rel
de la psychanalyse lanalogue du rel de la science. Avec lide l : et bien le rel de la
psychanalyse, comme celui de la science, exclut le sens et que donc il ne peut satteindre, je le
cite, que par une voie qui transcende le sens . videmment il y a une autre perspective chez
Lacan, comme je lai soulign la dernire fois, la perspective selon laquelle il se pourrait que
la sens ne soit pas liminable du rel dont soccupe la psychanalyse. Et que mme si le rel,
dans sa dfinition scientifique, exclut le sens, nanmoins pour la psychanalyse, dans le rel
dont elle soccupe, il y a du sens. Cest ce qui fonde lextraordinaire exception du symptme,
si on admet que le symptme nest pas du semblant, cest du rel et que nanmoins, tant du
rel, il conserve nanmoins son sens freudien. a a se ramasse sur la relation de la jouissance
et du sens.
Alors Searle qui entreprend une reformulation de la thorie des fictions de Bentham sans le
savoir ? Il nest pas si surprenant quil arrive, juste maintenant, sintresser la ralit
sociale, ds lors que son point de dpart, lui, lve dAustin, qui a t son successeur dans la
dynastie des thoriciens du speech act, lacte de parole, quon a commenc connatre sur le
continent vers 1952. Il y un colloque cette poque, je crois que Merleau-Ponty ne devait pas
en tre loin, et on en a dj un petit cho discret, dans Fonction et champ de la parole et du
langage.
Alors le speech act, je ne vais pas le redfinir, a t les crits dAustin l-dessus, les
articles qui ont t repris en franais sous le titre Quand dire cest faire. Cest le thoricien
performatif, et videmment il y avait dj dans le speech act une dimension sociale. Pour que
le oui que je prononce ait la valeur de me marier avec une personne, il faut quun certain
nombre de conditions sociales soient ralises autour de ce oui. Ce oui me marie, ce oui fait
de moi une femme marie ou un homme mari, lgalement, condition quil y ait un contexte
social prcis qui entoure cet nonc. Donc demble, le point de vue dAustin et de Searle
sest dabord attach la linguistique du speech act, et on le voit maintenant cest--dire une
quarantaine dannes aprs, sintresser au plus du contexte social qui entoure le speech act,
et mme la dimension sociale du speech act lui-mme. Et dj en effet tre mari, comme il
le constate, travers dautre chose, tre mari a nexiste pas dans le seul monde, je brode un
peu, dans le seul monde qui ait une existence pour Quine.
Le monde de Quine cest le monde physique, cest--dire un monde de particules dans des
champs de forces, et dailleurs il admet, Quine, quand mme, quil y a des organismes
biologiques etc., et il essaye, je regrette de dire a si vite, cest tellement amusant de suivre
dans le dtail, chez Quine. Par exemple, leffort pour obtenir la gense du langage en
considrant ltre humain comme, donc, cest quand mme un systme biologique, il y a un
certain nombre douvertures qui permettent de capter des impressions qui viennent de
lextrieur, donc des capteurs, et comment, partir de l, dduire le langage, et il y arrive.
Dailleurs dans Quine cest bouleversant, il arrive la fin de sa vie l maintenant, et donc
a sest de plus en plus centr sur cette question comment passer de lindividu recevant des
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impressions sensorielle qui sont toutes dordre physique, comment passer de l jusqu la
science ? a, ctait un chapitre de son grand livre o il a jet un peu sa gourme de logicien,
parce quil a fait de la logique trs srieusement, les formalisations, les axiomatisations de la
thorie des ensembles, etc., jusque vers 1960, on le connaissait avant tout comme un logicien
de logique mathmatique praticien, puis en 1960 on a vu apparatre un livre qui sappelait
Word and object, le mot et lobjet, qui tait dj cet essai de, partir de son point de dpart,
reconstruire le monde de la culture. Mais ctait encore, a permettait encore, cest tout un
ouvrage vari, en dbats parfois avec la linguistique, et puis au fil des annes depuis 1960, on
est en 97, a sest de plus en plus resserr sur la question, il a crit tous les deux ans un livre,
de plus en plus court, avec les mmes phrases mais corriges, amliores selon les objections
quon lui fait, donc il a fait aprs The roots of reference les racines de la rfrence, etc., et
donc tous les deux ans il resserre de plus en plus pour arriver faire sourdre de cette capture
sensorielle, le langage.
Le dernier dailleurs sappelle From stimulus to silence. Et a vaudrait une tude trs
prcise parce que, moi je les lis tous, mme les ditions rvises quand elles ressortent et ce
sont les mmes phrases qui reviennent, mais parfois un peu avant, un peu aprs, il dplace un
adjectif, etc., cest un styliste extrmement fin ; et on sent quil essaye dattraper une vrit
avec a, dailleurs il y a une des versions de a qui sappelle Pursuit or truth, cest toujours le
stimulus ???.
Alors videment il est jamais arriv jusquau mariage, si je puis dire, (rires), videmment le
mariage mme comme fait social, cest difficile den rendre compte, en gnral il se contente,
le grand exemple cest ceci est un lapin , (rires) et toutes les ambiguts quil y a propos
du lapin, parce que si je montre tout le lapin, est-ce que je montre la tte du lapin, les oreilles
du lapin, autre chose que le lapin et donc le lapin de Quine dailleurs ne sappelle pas
lapin , il sappelle gavaga, cest pass dans la langue commune de la philosophie
amricaine, lexemple de gavaga, le sauvage dit gavaga en montrant un lapin, et l vous tes
ct et vous vous demandez ce quil a bien pu dire. Donc il nest pas all au-del de a et il
na pas abord voil llue de mon cur , a, alors que visiblement Searle, oui.
Le point de vue de Quine, quil a pouss trs loin, je men veux de, tout de mme, si jai lu
a avec tellement de persvrance, cest bien quil y a quelque chose, quand mme, dans
Quine, mais enfin le point de vue de Quine cest ce quon appelle dans le jargon de la
philosophie amricaine le physicalisme, cest--dire : le rel est entirement de lordre
physique. Searle, qui na jamais, lui, t quinien, il a quand mme t cultiv tranquillement
Oxford sous Austin, et donc il a plus de libert que les amricains qui sen sont chapps, son
point de vue, l, est trs clairement anti-physicaliste, et sappuie sur une objectivit dun autre
ordre qui est ce quil appelle la ralit sociale. Il y a un monde objectif, il y a autre chose que
la physique dans le monde, il y a aussi un monde qui est objectif et o il y a des choses
comme, dit-il, je le cite, comme largent, la proprit, le mariage, des gouvernements, des
parties de football, des coktails-party, et des tribunaux, etc.
Alors ce qui est sympathique chez Searle, cest que cest aussi son ct non-liminationiste,
pour prendre des termes de jargon, cest--dire quil admet que il y ait un certain mode dtre
des phnomnes mentaux. Alors que Quine, essayez de le dmontrer Quine, vous ny
arriverez pas, donc, et dailleurs le livre de Searle qui prcde celui-l sappelle La
redcouverte du mind, et cest un livre fort intressant que nous pourrions amener un
moment pour discuter justement des mentalistes et des anti-mentalistes aux tats-Unis
actuellement.
Alors le point de dpart de sa recherche, je ne vais malheureusement pas russir aller au-
del, le point de dpart de sa recherche dont, dit-il, ce qui la intrigu, puzzled me, a t un
puzzle pour moi, qui ma intrigu, cest quil y ait des faits objectifs qui nexistent que par le
consentement des hommes, par lhuman agreement. Il y a des choses qui nexistent que parce
que nous croyons quelles existent. Comme, effectivement avoir telle fortune, tre
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propritaire, tre mari, etc., voil des choses, voil des faits objectifs, mais qui sont
foncirement diffrents, pense-t-il, du fait quil y a de la neige au sommet de lEverest, ou que
latome dhydrogne na quun seul lectron.
Il oppose ces deux ordres de fait. Alors bien sr pour dire quelque chose de ces faits il faut
le langage, dit-il, mais ces faits qui concernent lEverest et latome dhydrogne sont
indpendants de notre discours. Et, l encore, quelle fracheur ! videmment est-ce que
lEverest, il dit..., on peut poser, on peut admettre quil y ait des faits qui soient indpendants
de notre discours, mais enfin, lEverest nest pas tellement indpendant de a, de notre
discours, non, dabord, quand on veut monter lEverest, conqurir lEverest, il faut dj y
croire, si je puis dire, il faut dj croire que lEverest existe, et mme quil vaut la peine dy
monter. Dailleurs jai lu un article, je ne sais plus o cette semaine, qui tait de quelquun je
crois qui a fait beaucoup dans lHimalaya, et qui tait fascin par lHimalaya parce quil tait
en prison un endroit o il voyait lHimalaya. Il sest vad de sa prison et il est mont sur
lHimalaya.
Alors quest-ce qui se passe quand on conquiert lHimalaya, quand on monte en haut du
mont Everest ? On installe une buvette, on construit peut-tre un petit htel, aussitt il faut
une poubelle, de toute faon il y a des dtritus, cest--dire que lide comme quoi il y a de la
neige immacule au sommet de lEverest, on nen jurerait pas actuellement, et peut-tre en
sadressant Nouvelles-Frontires on peut y aller. Il dit - il est prudent - il y a de la neige
lhiver, mais est-ce que les saisons sont compltement indpendantes de notre discours, ce
nest pas sr, ce nest pas sr. Dailleurs on a fait un trou dans la couche dozone, et rsultat
cest que les saisons, quand mme, ne sont plus ce quelles taient (rires). Vous comprenez,
latome dhydrogne na quun lectron quand bien lui fasse, videmment latome
dhydrogne on a lair de lavoir mis au travail pour dlivrer une entit, qui, toute
institutionnelle quelle soit, la bombe hydrogne, cest une ralit institutionnelle, a fait
partie de la construction de la ralit sociale, mais elle a un certain nombre dincidences sur le
rel aussi bien. Cest pourquoi plutt que les deux exemples de Searle, qui sont touchants, on
est plutt ramen llphant de Lacan, savoir que le fait quon prononce le mot lphant et
quon sache quil y a des lphants et quon y croie, a na pas du tout laiss le rel de
llphant intouch, puisque a eu tendance le faire disparatre. Et donc mme le point de
dpart de Searle, qui a de la fracheur, ne peut pas donner quelquun qui a pratiqu Lacan le
sentiment quil accde parfaitement au partage des choses. Ce nest pas pour dire quil ny ait
pas de rel intouch, quy ait pas de sommet hors datteinte, mais cest toujours un reste et
mme les exemples que va chercher Searle sont de lordre du reste par rapport la ralit
sociale.
Alors, peut-tre que je poursuivrai moi au dbut la fois prochaine en essayant daller vite,
du premier chapitre au dernier.

Fin du sminaire Laurent-Miller du 15 janvier 97
(septime sance)


E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 119

119
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Huitime sance du sminaire
(mercredi 22 janvier 1997)


Jacques-Alain Miller :
Sans autre forme dintroduction, je poursuis comme annonc mon commentaire du
livre rcent de John Searle La construction de la ralit sociale, titre sur lequel je vais
marrter.
vrai dire, jaurais pu prendre un autre tremplin pour essayer de mettre en place
le dbat actuel des philosophes aux tats-Unis mais cet ouvrage ne sy prte pas mal
dans la mesure mme o lauteur touche sans doute les limites de sa comptence
initiale, en sintressant ce qui est, dans nos termes nous mais qui sont presque
les siens, ltre et au pouvoir du symbole et, approcher ltre et le pouvoir du
symbole, tmoigne dun certain vertige A sens of giddiness, comme il dit un
moment.
Jaurais aim admirer davantage ce livre pour le commenter et ne pas tre
embarrass de lide que, sur bien des questions quil se pose et des solutions quil
esquisse, nous sommes, avec Lacan, au-del. Cest embarrassant pour intresser ce
livre. Nanmoins, pour sy avancer, je dirai, de bonne foi, il faut tre sensible
lintrt que prsente une laboration tout fait contemporaine de quelquun qui na
pas, aprs tout, nos prjugs, pour qui un certain nombre de donnes, qui sont pour
nous acquises, sont rencontres dans la difficult et dans la surprise. Et donc, par l,
a nous invite nous mmes un retour sur ce qui pour nous est dj dcid.
Je marrte donc sur le titre de La construction de la ralit sociale. Je lai dj dit,
cest un titre qui me semble dpoque, de notre poque, qui est emblmatique dun
style contemporain de recherche philosophique et historique, et sociologique. En
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mme temps que cest, et curieusement, ignor - en tout cas a nest pas mentionn
par lauteur - en mme temps que cest une reformulation de la thorie des fictions
de Bentham.
Alors si je dcompose le titre, premirement il dsigne le social, il sy intresse.
Aprs tout cest sans doute une nouveaut quun philosophe dit analytique, dune
descendance tout fait rgulire, procdant, je lai dit de lcole oxfordienne, de
Ryle, dAustin, sintresse au social comme tel. Et quil sen occupe comme dune
ralit.
Quest-ce dire, sen occuper comme dune ralit ? a veut dire quil y a pour lui,
admise, une objectivit du social. Que le social nest pas une illusion subjective, que
a nest pas simplement tram de positions, dcisions, illusions, individuelles, je
crois ceci, et je crois que tu crois, et toi de mme tu crois et tu crois que je crois et
a a ferait le social. Or, non : parler de ralit sociale, de plein exercice, il admet
que cest une dimension, un ordre de ralit, quil y a une ralit sociale. Et donc,
implicitement, que, contrairement la direction dans laquelle sest avanc avec
tnacit Quine et ses lves, la ralit physique, physico-chimique, nest pas la seule
ralit qui vaille. Et donc prendre au srieux la ralit sociale, pour un philosophe
analytique, cest dj prendre une position, qui peut sembler aller de soi, mais enfin
antiphysicaliste.
Je peux ajouter, pour vous intresser un peu davantage ce point de dpart, quil
ne nous est pas indiffrent nous, dans notre champ, de reconnatre ltre de la
ralit sociale. Cest--dire dune ralit, par quelque faon quon la dfinisse, si on
ladmet comme telle, qui est dun ordre transindividuel et qui simpose au sujet.
On peut dire que a, pour nous, cest le commencement de la sagesse, cest le
commencement lacanien de la sagesse et l-dessus dailleurs peut-tre que Freud et
Lacan se distinguent, quant ce point de dpart. Est-ce excessif de dire que le point
de dpart de Freud, pour parler leur langage, cest le mental et que le point de dpart
de Lacan cest le social. Que la rfrence de lun, cest la biologie, et que la premire
rfrence de Lacan cest la sociologie.
Freud, certes, est arriv dans son chemin au groupe, au collectif, au social, cest la
Massenpsychologie, cest le concept de sa seconde topique, le surmoi, cest dj l
certainement, pas forcment au tout premier plan dans son ouvrage du Witz, mais
son point de dpart, pour en arriver l, cest tout de mme la considration de
lappareil psychique, avec lide dune psychologie scientifique. Au fond de quoi
Lacan part, si on prend par exemple ses Complexes familiaux ? Il part, je lavais
signal lpoque o je commentais certains points de cet crit, de ce que les
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relations sociales constituent un ordre original de ralits, je le cite. Il part de la
ralit sociale, du social comme ralit, et il assoit ce principe sur la sociologie, sur
Durkheim. Et cest de ce point de dpart quil reformule Freud, en insistant sur le fait
que des concepts freudiens qui semblent tre biologiques ou qui peuvent tre lus
comme biologiques, qui sont prsents par Freud comme biologiques, ne trouvent
sordonner que dans cette dimension originale de ralit quest la ralit sociale. Et
cest ainsi quil peut dire : ce nest pas partir de linstinct quon a penser Freud,
cest partir du complexe, en tant que le complexe est une donne dordre culturel.
Cest donc sur lassise de la sociologie durkheimienne quil sest dabord avanc dans
luvre de Freud, arm de la notion que dans tous les cas, les instances culturelles
dominent, je le cite, les naturelles .
Le titre Les complexes familiaux renvoit a, linstitution de la famille, cest son
terme, et cest de a que soccupe sa faon Searle, des faits institutionnels, de
linstitution de la famille et des complexes freudiens et lacaniens parce quil en
ajoute, il remanie cela et les complexes procdent, sont plongs dans linstitution
familiale et en procdent. Le complexe au sens de Lacan, cest une instance qui est du
ressort de la culture et non pas de la nature.
Et, alors on peut dire ce nest pas exactement si clair dans sa thse de psychiatrie,
mais prcisment dans sa thse de psychiatrie o il fait sa part la dimension sociale
de la personnalit, il sagit - cest une thse trs freudienne, cest la fin de cette
thse quil verse dans la psychanalyse - mais la premire grande reformulation de
luvre de Freud par Lacan, cest son texte des Complexes familiaux et je crois quil
nest pas niable que cette reformulation se fait en sadossant au concept sociologique
de la ralit sociale, un concept durkheimien, de la mme faon que, quinze ans plus
tard, pas plus, Lacan reprendra le mme mouvement en sadossant Levi-Strauss
dans Fonction et champ de la parole et du langage. Il sera pass dun point de dpart
de 1938 au point de dpart de 1953, il sera pass de Durkheim Levi-Strauss, du
social au symbolique, cest--dire la notion que la ralit sociale est structure
selon des schmes symboliques et, sinon exactement comme un langage, du moins
comme une syntaxe.
Do lintrt qua pour nous, pour entrer dans la dimension mme du champ
freudien, la reconnaissance de la ralit sociale comme telle, pourquoi pas, pourquoi
nous nen ferions pas une prcondition, qui reste inscrite, chez Lacan, dans le rapport
initial, fondamental, du sujet et de lAutre, dans ce rapport de base entre le sujet et
lAutre, celui qui est repris dans la cellule fondamentale du graphe et qui est pour
nous vraiment un schme conceptuel omniprsent, fondamental. Ce rapport du sujet
et de lAutre sans doute transcrit dabord un rapport dintersubjectivit, mais, au lieu
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de lAutre, dans ce schme conceptuel, a inscrit bien dautres instances que lAutre
sujet, puisque Lacan en fait successivement le lieu de la parole, du langage, du
discours universel et de la ralit sociale, culturelle et institutionnel aussi bien.

Et disons que cest partir de l, partir de ce rapport quil amne sa premire
dfinition de linconscient comme transindividuel et pensant linconscient comme le
discours de lAutre et dans cette formule galvaude, qui prend la forme plus tard de
la notion que le langage est la condition de linconscient, on trouve dj annonc, par
ce point de dpart mme, ce quoi Lacan arrivera bien plus tard, savoir que la
psychanalyse comme pratique, est dordre social, que cest un lien social.
Do, dj ce quil y a, ce quil peut y avoir daffinit, ce qui souvre quand on
admet la ralit sociale comme telle. Et il est vrai que la relation est beaucoup plus
difficile lorsque la philosophie ne sattache pas la ralit sociale ou mme la nie de
fait. Et donc par rapport la philosophie analytique, pour qui la ralit sociale nest
pas constitue comme telle, ne fait pas problme, et bien, l, nous avons un
sentiment sans doute dtranget et une certaine difficult faire des connexions,
alors que l, par la reconnaissance mme de la ralit sociale il y a - et qui conduit
Searle forger ce concept de background, darrire-plan - il y a toute une zone o
nous retrouvons les termes mmes dans lesquels nous, nous pensons, et en
particulier celui de symbolisation qui est la pointe de ce quoi il arrive.
ric Laurent :
Comme thorie sociale, la dmocratie pour la philosophie analytique, cest un peu
comme la famille nuclaire pour le complexe ddipe, cest--dire que cest la
dmocratie en tant que a a lair dengendrer une ralit sociale strictement partir
dindividus, quil suffirait de dfinir dans le rapport avec un seul rel, rel physique,
biologique, physico-biologique, et on engendre par l une thorie gnrale, de mme
que la famille nuclaire peut faire penser que le complexe ddipe, a nest quune
forme de reproduction animale, darwinienne...
Jacques-Alain Miller :
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Ce que tu dis est peut-tre injuste, quand mme, pour nos thoriciens
contemporains de la dmocratie. Parce quil y a quand mme, il y en a certains
videmment qui nadmettent... Dabord, ce qui est formidable cest quon a jamais
tant pens la dmocratie. Cest quand mme un fait notable : je nai pas le souvenir
qu lpoque du structuralisme triomphant, ou mme quil y a vingt ans, ou mme
quil y a dix ans, on avait ainsi des bibliothques qui saugmentent tous les jours de
Quest-ce que la dmocratie ? Comment est le dmocrate ? La dmocratie ?
Il y avait a mais sur le biais : ne soyons pas communistes, la dfense de lOccident.
Maintenant, cest obsolte, et, alors que cette dmocratie progresse, que Clinton,
quand il a fait son discours dinauguration, lundi dernier, a pu se faire applaudir sur le
thme, pour la premire fois dans lhistoire du monde - je ne sais pas comment il a
calcul - pour la premire fois dans le monde il y a plus dindividus qui vivent sous des
rgimes dmocratiques que dindividus qui vivent sous des rgimes didactoriaux,
bravo, bravo !
Donc, pourquoi est-ce quon a en mme temps une norme littrature de rflexion
sur la dmocratie ? Il me semble, que cest l justement quelle nest plus menace
de lextrieur, comme on la prsentait avant, menace par lhorrible camp socialiste,
mais quelle est menace de lintrieur, cest--dire par, en particulier, ses paradoxes
logiques. Et elle est menace, je crois, si gentiment que se soit, par des ouvrages
comme a, qui tendent quoi ? faire valoir que tout a finalement cest des
semblants (quand je dis : a reprend la thorie des fictions). Et quest-ce qui lui donne
le vertige, Searle un moment donn, quest-ce qui lui donne the sense of
giddiness ? Il dit : aprs tout, si on regarde la physique dun billet, la physique dun
dollar, quon froisse dans les mains, si on regarde de quoi cest fait au niveau physico-
chimique, a ne dit pas que cest un dollar, donc pourquoi est-ce que cest un dollar ?
O est-ce que cest fond que cest un dollar ? Cest tant quon y croit, et quest-ce
qui se passerait si on ny croyait pas ? Comment une croyance peut, au fond, produire
un tre rel.
Donc la dmocratie est menace, en quelque sorte, par la perspective
contemporaine, sur le semblant. Alors a a t trs utile a, quand ctait lpoque
des Lumires, ctait na-na-na, lglise, vos rituels, vos croyances, ce sont des
semblants, et il y a des gens qui croient tout fait autre chose ct et ce sont quand
mme des hommes aussi, et mme plus justes, et plus rguliers que vous, et oui bien
ce supplment de voyage de Bougainville, oui, le bon sauvage, qui couche avec ses
filles, vous les donne galement en partage, et bien il est quand mme trs bien ! Et
donc vous, vous avez une rgle, il y en a une autre ici, et tout a cest du semblant.
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Donc tant que a a servi, a a t une arme de la dmocratie que la rduction de la
ralit sociale des semblants et surtout mettre laccent sur larbitraire des
semblants et cest l lironie de Voltaire et lme de cette semblantisation du monde.
Alors la mauvaise surprise qui arrive maintenant, et pas tellement avant, la
mauvaise surprise qui arrive maintenant, cest que la dmocratie elle-mme parait
galement tisse de semblants, et donc on essaie de la fonder dans une logique...
Alors il y en a un certain nombre, en effet, qui partent de il y a toi, il y a moi, on
cause, on se met daccord et on fait une dmocratie. Je parle, tu parles, je
tinterromps, tu minterromps, et comme a on sentend ! (rires), Cest la seule
faon de sentendre dailleurs, de sinterrompre un petit peu.
L on ne reconnat que le un par un, et les extrmistes de lthique de la
communication, disent en effet : il faut prendre un par un, tout le monde il est
gal , comme dit toujours Clinton dans son discours dinauguration : Nous sommes
partis au 18me sicle de ce que tous les hommes sont gaux, il faut tenir bon cette
identification du un par un et partir de cet un par un par la discussion, on va se
mettre daccord.
a cest lextrmiste, cest Karl-Otto Apel, qui rencontre le problme : et celui qui
ne veut pas discuter, celui qui dit vous memmerdez, je ne discute pas , alors Apel
dveloppe que dire je ne veux pas discuter cest contradictoire ; et donc il
extermine celui qui ne veut pas discuter de cette faon l. Alors quHabermas, par
exemple, lui, il pense quil faut, alors cest beaucoup plus compliqu, il faut amener
celui qui ne veut pas discuter, il faut trouver quand mme comment linclure dans le
dialogue. Et aprs, il y a Taylor, lui qui est aussi, quon peut mettre dans le registre de
cette thique de la communication largie, qui dit il nest pas juste de ne prendre
les sujets que un par un , il y a des concrtions, il y a des communauts qui ont des
intrts lgitimes dfendre en tant que communauts, mme si a lse des droits
individuels. Et donc les qubcois, qui ont comme intrt commun de dfendre la
langue franaise, au nom de cet intrt ils peuvent lser les droits individuels des
anglophones sexprimer dans leur langue maternelle. Et ce moment l Habermas
dit non, il faut justement tendre les droits du un par un jusqu prendre en compte
les styles de vie de chacun. Et donc il fait un libralisme largi aux styles de vie.
Je crois que lthique de la communication sans doute, sous sa forme la plus pure,
cest Apel. ce moment-l, cest vraiment lidentification au sujet de droit et a se
fait un par un, et, la limite, cest une forme - mme si a ne prend pas cette forme
chez lui - cest une forme, comme on dit aux tats-Unis, de libertarisme, savoir :
cest finalement ce que a fait lindividu qui est le critre de tout ce qui est social, le
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seul rel, cest ce que a fait lindividu, le reste cest du semblant. Pour lui a vaut,
mais il y a quand mme des degrs dans cette thique de communication.
ric Laurent :
Tout fait daccord : pour certains a joue cette fonction de faire disparatre la
question de la dimension de la ralit sociale dans une sorte de dmocratie pure, qui
noierait la question..
Jacques-Alain Miller :
La dmocratie vue un par un.
ric Laurent : Du un par un.
Jacques-Alain Miller :
Et que, videmment, les communautaristes pensent partir de la communaut. Il y
a une tension philosophique entre, comment on va les appeler ? les
communautaristes , a se dit comme a, en franco-anglais, et les autres on
pourrait les appeler les unitariens , les communautariens et les unitariens, enfin...
Alors, deuxime trait du titre, la ralit sociale est construite. Et la valeur exacte de
dire a, chez Searle, cest de lopposer la ralit naturelle physique qui, elle, ne lest
pas. Et dj ce mot de construction, qui fait flors sous une forme ou une autre dans
les titres des ouvrages contemporains, signale le caractre dartifice et de semblant
de ce dont il sagit.
a nous reporte lenchantement des Lumires et la frocit du combat des
Lumires pour dmontrer larbitraire de la ralit sociale. Et simplement avec le
cest pas comme a ailleurs , et on arrive quand mme vivre, et on vit peut-tre
mieux en construisant dautres formes de ralit sociales.
Alors ce qui est frappant, disons en passant, pour gloser, cest que, on a pas le
sentiment que dans la philosophie scolastique, au moyen-age, il y ait eu une telle
perception de la scission entre ralit naturelle et ralit sociale. Searle ne sintresse
pas a, il ny a pas un mot dhistoire des ides dans son livre. Cen est dailleurs
peut-tre un mrite. Pas de scission entre ralit naturelle et ralit sociale, et cest
sans doute que, pour la philosophie scolastique, a ne faisait quun dans lordre du
monde procdant de la divinit. Et que cest partir du mme principe que
sordonnent les cieux, la terre, et la socit, sauf si, par aberration elle scarte de son
modle naturel. Belle ide, reconnaissons-le, et qui a trouv son expression
magistrale dans Saint Thomas dAquin, qui revient dactualit. Il y a une actualit, a
nest pas tout fait arriv dans les pays latins, qui ont dj beaucoup donn de ce
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ct l, mais aux tats-Unis cest vraiment cette disposition quil faut rapporter la
nouvelle mode thomiste, qui fait flors. Ctait rest quand mme prsent en France
dans certains milieux. Je me souviens que quand je suis rentr en classe de
philosophie, il y avait deux classes de philosophie et on ma mis dans la classe dun
professeur thomiste, et la fin des deux premires heures je suis vite all voir le
censeur pour lui dire : Pouvez-vous me changer de classe ? et il a accept de me
passer dans lautre classe de philosophie du lyce. Donc, je ne suis pas aussi
renseign sur Saint Thomas que jaurai pu ltre videmment, je le regrette
maintenant, (rires), je suis all dans la classe dun professeur pistmologue. a a
peut-tre dcid beaucoup de choses, je ne sais pas, mais enfin a avait lair dcid
avant. (Rires).
Et oui il y a une mode thomiste qui revient et je peux le mentionner ds
maintenant. Je viens de dcouvrir dans la presse amricaine comment a sappelle, a
sappelle les theocon. Les theocon, con cest labrviation de conservateur. Il y avait
avant les neocon (rires), qui, eux ctaient plutt des communistes et des trotskistes
recycls dans le conservatisme, de Kristol, Monors et Gertrude Himmelfarb auxquels
un certain nombres sintressent et essayent de trouver lorthographe du nom depuis
que je lai mentionn. Mais maintenant il y a les theocon, cest--dire les
conservateurs thologiens, partir de la thologie... Alors il parait que a fait
beaucoup de gens en colre maintenant depuis six mois, cest les neocons, qui ont
nourri sous leur aile la droite chrtienne, comme elle sappelle aux tats-Unis et qui
avec terreur voient depuis quelques mois la droite chrtienne smanciper et dire
carrment il y a une seule loi qui vaille pour les socits : cest Saint Thomas
dAquin .
Et donc toute une partie du catholicisme amricain, maintenant, non seulement
met des bombes dans les cliniques qui pratiquent lavortement, mais affirme une
thorie gnrale de la socit fonde sur Saint Thomas. Les neocons, qui ont
abandonn le trotskisme, nont pas abandonn une conception laque de la socit et
justement plutt tolrante. En plus ils sont tous... enfin les grands noms que nous
citons sont dorigine juive, ils ne sont pas en sympathie immdiate avec la notion quil
faut partout une loi thocratique, inspire de Saint Thomas, donc il y a... a cest le
dbat froce qui commence rcemment, parce quil semble que les theocons se sont
permis de faire un grand colloque sur cette base et donc l maintenant les hostilits
sont dclenches avec les neocons.
ric Laurent :
La dmocratie chrtienne nous avait valu pour lorganisation de lEurope le principe
de subsidiarit, dont il semble que a a t refil par un thomiste.
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Jacques-Alain Miller :
Il y a beaucoup de concepts trs utiles dans Saint Thomas. On en vit tous. Et alors
jimagine, je pense que la scission entre ralit naturelle et ralit sociale, qui est
pour nous en effet comme un lieu commun qui est inscrit ici, cest quand mme
foncirement une scission produite par le discours de la science. Cest que le discours
de la science produit - alors inventons a - ncessairement, un partage entre rel et
semblant. Et cest appuye finalement sur la physique de Newton que la philosophie
des Lumires a pu, par contraste, mettre en valeur le caractre de non-rel, le
caractre de semblant des institutions sociales. Alors sans doute il faudrait loger
Montaigne et lanticipation de Montaigne, en quelque sorte, mais enfin qui la
conduit, prcisment un scepticisme dont la sortie a t cartsienne. La sortie
cartsienne de la crise sceptique de lpoque sest faite en direction de la science.
Cest--dire tout nest pas que semblant et il y a des fondements srs et Descartes a
trouv comment faire sortir le discours de la science de cette crise sceptique et den
imposer la forme, disons pour simplifier.
En retour a a accentu dautant le semblant de lordre social. Et, au moins cest ce
que pensent un certain nombre de conservateurs theo ou neo, qui pensent que nous
sommes, spcialement aux tats-Unis, dans une phase de crise sceptique qui fait
penser lancienne, et dont ils cherchent une sortie videmment dans le registre de
lthique, cest--dire dans llaboration dune thique qui permettrait dchapper au
scepticisme ou ce quils appellent le relativisme culturel.
Les difficults, les paradoxes, et le peu de prise sur lopinion il faut bien dire des
dbats philosophiques sur lthique traduisent quon narrive pas sortir de la crise
sceptique par la voie de lthique. Mais ce qui reste frappant, cest quon ne peut plus
en sortir par le discours de la science parce quon a dj essay a et que le discours
de la science nest pas en mesure de fournir la sortie de la crise sceptique, mais au
contraire la nourrit dune faon tout fait indite. Et il me semble que a, a sest
pass dans les vingt dernires annes.
Alors... jallais essayer de placer quand mme les objections et les rponses de :
Quest-ce quon fait de Pascal ?, Quest-ce quon fait de ...? Je laisse a de ct
pour linstant, jirai un peu plus vite et, oui, je laisse tout a de ct parce que sans a,
je ne reviendrais pas Searle.
Alors Searle a pour objet llaboration dune ontologie spciale pour la ralit
sociale. Et il est amusant quen mme temps quil reconnat la dimension propre, il a
quand mme lide, au moins il dit a un moment dans son livre, de lassimiler
lontologie de base, de la physique chimie et de la biologie, et de montrer quil y a
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une continuit, entre la ralit de base physique et la ralit sociale. Et il faut dire
que l-dessus, cest bien loin dtre dmonstratif et on sent que son ambition est de
savancer, pour la rsumer, sur le terrain dit des post-modernes et en mme temps
de limiter lexpansion du tout semblant en rservant une place pour le rel. Cest
vraiment faire la part du feu, cet gard, limiter limprialisme du semblant en
prservant quun rel existe hors semblant.
Alors pour manifester lobjectivit de la ralit sociale, il commence par une liste
dobjets : voiture, baignoire, maison, restaurant, cole, et il ajoute largent. Voil ce
quil donne comme exemples de : la ralit sociale cest quelque chose. a, a revient
plusieurs fois dans le livre, des listes htroclites comme a plus ou moins
divertissantes, jen avais donn une autre la semaine dernire.
Pourquoi ces listes htroclites ? Pourquoi il a recours a, ce bric--brac, dans
un monde de philosophie analytique qui est toujours trs bien ordonn ? Cest la
ralit quil fait entrer comme a, par morceaux. Et si je cherche, si je prend a
comme un apologue, cette liste au sens de Lacan, quelle serait la valeur de cet
apologue ? Et bien cest une faon de dire la ralit sociale vous la connaissez ! Vous
vivez dedans ! Vous tes dans la ralit sociale sans le savoir, comme Monsieur
Jourdain faisait de la prose. Et prcisment quand vous tes dans votre voiture, vous
tes dans la ralit sociale, quand vous tes dans votre baignoire, quand vous tes
dans votre maison, quand vous tes au restaurant, quand vous tes lcole ; il prend
des contenants, dans cette liste apparemment alatoire, il prend des contenants et il
dit Apercevez-vous un peu que tout a a nexiste pas dans la nature .
Cest sommaire, et cest dire qui lui sadresse, qui il sagit de convaincre, dailleurs
il dit : cest tellement agrable aujourdhui, on va partout dans le monde on peut
parler anglais et faire des cours des gens qui connaissent la philosophie
analytique . Alors les gens qui connaissent la philosophie analytique, la preuve est
faite quil faut leur rappeler que quand ils sont dans leur baignoire, et bien, cest un
fait de ralit sociale. Au fond le point commun donc cest vous tes dedans et vous
ne vous en apercevez pas .
Et cest pourquoi il peut dire, ce qui est quand mme trs surprenant, la ralit
sociale est pour ainsi dire invisible et sans poids . On ne peut dire a qu un
auditoire de philosophes analytiques. a nempche pas que cest intressant, parce
quaprs tout Lacan aussi parle de la baignoire. Lacan parle de sa baignoire dailleurs
quelque part dans le Sminaire et exactement cette fin parce quil dit quand vous
tes dans votre baignoire, vous ne vous rendez pas compte ncessairement que de
lautre ct du mur on est en train de faire les paquets de la librairie , ce qui est le
cas du 5 rue de Lille, puisque y a, pas loin, la librairie ???
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Et on voit bien que le mme exemple, le mme mot de baignoire vient en liaison
justement avec la dmonstration vous vous apercevez pas quil y a la ralit sociale
mais bon . Et pourquoi lexemple de la baignoire, on le voit bien, aussi bien la
baignoire de Searle que la baignoire de Lacan ? Cest que se laver dans sa baignoire -
on peut le faire plusieurs (rires), mais pour des personnes, cest un peu rcent, il
faut des grandes baignoires - cest vraiment un phnomne dauto-rotisme, mme
un peu autistique ; donc il y a une logique rappeler celui qui est dans sa baignoire,
en train de jouir de son corps, de lui rappeler quil est, ce moment l mme, insr
dans la ralit sociale, cest la mme logique.
Alors, maintenant il y a un faux-semblant dans la liste de Searle, on pourrait faire
comme, dans les journaux, il y a parfois ces petits jeux, on vous donne une liste et on
vous dit quel est le truc en trop, le truc qui ne va pas. Il est clair que largent, money,
nest pas du tout homogne au restaurant, lcole, la voiture, la baignoire et la
maison Il glisse largent, mais il est vident que la relation entre lobjet dont il sagit et
sa valeur est pousse tout fait lextrme dans largent, alors que - sauf si
videmment on se sert dun billet pour allumer son cigare, a peut arriver dans
certain, surtout dans certaine comdies amricaines - le degr dutilit matriel de
lobjet est tout fait distinct.
Donc en fait cest une fausse liste et, en dpit de ce point de dpart, finalement
cest, un dtour du livre, lexemple de largent quil va mettre en valeur, pas
lexemple de la baignoire, pour comprendre les faits institutionnels, parce que
largent, a met bien plus en valeur ce quest le symbole et donc il part dune liste
beaucoup plus large pour finalement se centrer sur le symbole, de la mme faon
que dans son appareil conceptuel, il part dabord du concept gnral de fonction,
mais en fait, cest pour rduire exactement la fonction symbolique. Disons quil a un
appareil conceptuel de trois lments pour rendre compte de la ralit sociale : la
fonction, lintentionnalit, et la rgle, mais en prcisant constituante. Constitutive
rule.
Alors prenons la fonction qui est vraiment son point de dpart. Il dit des choses
vraiment pas sottes, savoir que la fonction, une fonction a nexiste pas dans la
nature. Quune fonction, cest un fait de sens, puis-je traduire. Ce nest pas du tout
comme un simple mcanisme quon pourrait constater. Quand on assigne une
fonction, quand on reconnat une fonction, on va dj au-del du fait, parce quon
dit : a sert a. Mme si on dit la fonction du cur est de pomper le sang, mme en
disant cela, on dpasse la stricte description du fait, parce quil y a dj quelque
chose quon prend comme moyen et quelque chose quon prend comme fin. Et donc
le degr un du sens est dj prsent dans toute assignation de fonction. Et la
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fonction, cet gard, elle nest pas interne lobservation, la fonction est relative
lobservateur et toujours relative des valeurs. Cest--dire ds quon dit a sert, ceci
x sert y on a dj ordonn lobservation selon des valeurs et donc dune
certaine faon - cest moi qui le commente comme a - pourquoi est-ce quil prend
comme point de dpart la fonction ? Parce que cest le degr minimum du sens
introduit dans le rel.
Alors videmment si on en introduit trop, du sens dans le rel, si on introduit trop,
du sens de fonction, dans le rel, on arrive la tlologie. On arrive, comme chez
Bernardin de Saint-Pierre, dire Pourquoi est-ce quon a un nez ? Le nez a sert
poser les lunettes, et cest pour a que cest bien fait . Cest, un degr au-dessus,
cest la providence. Cest comme a parce que a sert une fin suprieure.
Mais a commence, en effet, il na pas tort, a commence la fonction.
Simplement, il prend quelque chose de trs large. Il prend le a sert quelque
chose , mais en fait cest pour arriver X vaut pour Y, X sert Y mais en fait X vaut
pour Y, et finalement X signifie Y. Cest--dire que finalement, il doit commencer par
la fonction parce quil veut enraciner a au plus prs du rel, au plus prs du rel
descriptif et du rel indpendant de ce quon dit, mais finalement partir de la
fonction il va vers le symbole. Et cest pour a quil faut attendre beaucoup de pages
du livre pour quil arrive cette grande vrit, par laquelle il aurait pu commencer, le
tournevis cest pas la mme chose quun billet dun dollar, ou la baignoire, enfin il dit
le tournevis cest pas comme un billet dun dollar parce que le tournevis, il a quand
mme des proprits physiques qui permettent de faire des choses, ce nest pas un
pur symbole. Et donc cette grande vrit, le tournevis cest pas comme un billet, sil
tait parti de l, il aurait fait un ouvrage moins complexe, mais sil le fait, cest pour
essayer de montrer une continuit, et cest donc laborieusement quil dgage la
symbolisation, qui nest quand mme pas tout fait quivalente la cration des
outils, la symbolisation comme cration dentits qui servent symboliser,
reprsenter et valoir pour autre chose. Et donc, disons en gnral, qui veulent dire
quelque chose.
Alors videmment, son point de dpart dans la nature, o la fonction vient en plus
par le fait, la faon dont on dcrit, et dont on assigne une valeur qui nest pas
naturelle, au fond cest un point de dpart un peu illusoire et en tout cas il est clair
quil y a une diffrence fondamentale entre les objets crs et les objets qui ne le
sont pas. Cest--dire les objets de la civilisation, cest ce quil nisole pas tout fait,
les objets de la civilisation sont crs partir de la fonction quils ont remplir.
Alors son mrite, cest quand mme de situer la fonction et le sens comme des
entits qui ne sont pas liminables, cest--dire de soutenir quil y a une objectivit
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 131

131
du sens et une objectivit de lintentionnalit mentale, que a nest pas illusoire.
Alors cest un fait que pour nous, la ralit, cest de plus en plus celle l. Cest de plus
en plus la ralit des objets de la civilisation, cest de plus en plus la ralit de loutil
au sens de Heidegger et que lambition cartsienne dtre matre et possesseur de la
nature a conduit remplacer la nature par la culture, pour le dire simplement, do le
cri perdu de sauver la nature , qui est aujourdhui tout fait prsent dans les
socits dveloppes, sauver la nature !! Cest mme sous cette espce, sous
cette signification quelle se prsente volontiers et on peut toujours la sauver elle
nchappera pas la fonction - cest moi qui commente comme a - elle nchappera
pas la fonction cest--dire elle nchappera pas au statut despce protge.
Dailleurs, au point o nous en sommes, cest lhumanit qui est une espce
protge. Le comit dthique, a essentiellement pour but de savoir comment
protger lespce humaine, cest--dire nous pensons protger les petits poissons
qui sont trs rares, les arbustes dont il nexiste que trs peu dexemplaires, garder
encore les derniers lphants, etc., et puis oh surprise ! la grande question cest
quand mme de savoir comment nous, nous allons pouvoir tre une espce
protge, et le problme cest quil va falloir la protger contre qui cette espce ?
Contre elle-mme.
Donc nous sommes au point o la culture prend en charge la nature, et, dautre
part, ce que naborde pas non plus Searle cest le principe de la pratique artistique
qui consiste dtourner prcisment lobjet manufactur, lobjet de la civilisation, de
sa fonction. Cest ce qui a commenc avec le geste de Duchamp, dabstraire un objet
ayant une fonction de son contexte utilitaire, et prcisment de le mettre dans un
contexte o il ne sert rien et dmontrer par l quil peut tre objet de jouissance.
Alors dabord une rflexion sur la fonction, chez Searle, que l jai beaucoup... cest
pourquoi jai ajout ces commentaires.
Deuximement lintentionnalit. Il a dj fait un ouvrage sur lintentionnalit en
quelque sorte individuelle, lintentionnalit du mental, et il acceptait comme donnes
caractristiques non liminables du mental que les reprsentations sont propos de
quelque chose, quelles visent quelque chose. Il a donc admis le vieux principe
brentanien, repris par Husserl de lintentionnalit et ici, il est conduit admettre tout
de go une intentionnalit collective comme irrductible toute intentionnalit
individuelle. A savoir un nous supportant la ralit sociale, qui nest pas rductible
des combinaisons dintentionnalit individuelle. Il est conduit prendre ce nous
comme un phnomne primitif de la vie mentale, et il dit On ne peut pas arriver
ce nous en combinant des je et il y a quelque chose dirrductible dans le sentiment
de faire quelque chose ensemble, de jouer son rle dans un ensemble et loin que cet
ensemble soit dductible des rles quon y joue, cest au contraire lensemble qui est
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 132

132
premier et cest ce moment l quon a chacun son rle, comme dans une partie de
football . Et mme si on ne coopre pas, ce qui est premier, cest le collectif.
Autrement dit, de faon assez frappante, il dit clairement que la ralit suppose, il
dit pas un on comme Heidegger, il dit un nous et tout fait, enfin le fait social,
cest, dit-il, tout fait qui emporte une intentionnalit collective . On voit bien quoi
il pense. Par exemple il pense largent, qui nest pas dductible. Il faut bien le
prsuppos que tous les autres y croient pour que jy croie aussi. Pour aller vite,
quest-ce quil dcouvre avec la fonction ? Il dcouvre en dfinitive le symbole, sa
faon, et quest-ce quil dcouvre avec lintentionnalit collective ? il dcouvre
finalement la relation lAutre avec un grand A, sa faon, bien sr, sur son mode, il
dcouvre quon ne peut pas faire avec lindividu, si on admet la ralit sociale, mais
que le sujet individuel a rapport lAutre, quil appelle le nous et troisimement
la rgle constituante, alors cest ladjectif qui est le plus important, parce que a
lapproche de ce que Lacan a mis en vidence comme le crationisme du symbole.
Lui, Searle, il oppose la simple rgulation, quand quelque chose existe, et puis les
rgles qui font exister ce dont il sagit. Par exemple, dit-il, les rgles du jeu dchec
crent la possibilit de jouer aux dchecs.
Cest simple mais, derrire la construction, ce qui sannonce, cest la cration que le
symbole permet de crer, permet de crer ce qui nexistait pas avant. Il est en dea,
parce quil ne problmatise pas vraiment ce ex-nihilo du symbole, bien quil soit
reconnatre quil y a un usage prcisment des rgles qui est de crer la possibilit
dactivits et pas simplement de les reflter ou de les organiser une fois quelles sont
l.
Cest videmment un crationisme timide et cest pourquoi il est tout le temps
dire - il y a un adverbe qui revient constamment dans sa rflexion, cest partly, en
partie, et cest peut-tre le mot le plus important du livre, cest en partie. Et on
comprend pourquoi cest en partie, parce que justement pour lui, cest trs
important que ce ne soit pas partir de rien. On ne cre du symbole qu partir de
quelque chose. Cest--dire quil faut quand mme quil y ait du papier, pense-t-il - ce
qui est vraiment un comble, on peut parfaitement sen passer bien sr - il faut
vraiment quil y ait du papier pour quil y ait de largent. Il va jusqu prtendre, un
moment dans son livre, que la structure logique, logical structure, des faits
institutionnels dmontre quil y a toujours une priorit du fait brut sur le fait
institutionnel. Cest--dire il faut quil y ait toujours au moins une base matrielle
pour quil puisse y avoir du symbole et ensuite alors a peut continuer, symbole de
symbole. Mais la base, il faut toujours du fait brut, et a se retrouve la fin de son
livre parce que tout son livre est fait quand mme pour prouver cela, et bien
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 133

133
finalement, mme si la ralit sociale cest du semblant, mme si nous baignons dans
le semblant, la base il y a quand mme du rel. Et donc le partly, en partie, qui
revient tout au long du livre, cest ce qui fait la timidit de son crationisme, mais qui
est fondamental parce quil limine justement le point de vue radical du ex-nihilo.
Je narriverai jamais au bout de Searle, enfin pas aujourdhui. Si je te passais la
parole un peu pour changer de registre ?
ric Laurent :
Comme tu veux, tu peux...
Jacques-Alain Miller :
Oui, mais a fait une heure quand mme que je dblatre, donc..., a se coupe
bien, l !
ric Laurent :
- a se coupe bien l ?
- Oui, jenchanais dailleurs en partie sur...
Jacques-Alain Miller : Sur tout fait autre chose ?!! (rires)
ric Laurent : Oh tout fait autre chose !! disons sur une certaine...
Jacques-Alain Miller : dans le thme...
ric Laurent : oui, dans le thme, mais il y a quand mme une partie qui nest pas
autre chose, partly, seulement. (Rires) Parce que saccentue mesure que, disons
latteinte du moment actuel de nos socits, latteinte sur la croyance, justement sur
ce qui constitue le tre ensemble , le nous que Charles Taylor et dautres
isolent comme un agrgat, un reste irrductible la discussion entre les uns
mme dmultiplis sur toute la plante par des individus. Ce reste l, ce lien qui ne
peut pas se rduire une communaut par des lois qui ne supposent que des agents
sans identit, ce quil appelle des agents sans identit cest lagent absolutis par
Kant, des lois pures, justement ces lois que Kant avait russit restaurer, arracher
des individus pour les plonger dans un espace aussi rduit que celui de la science,
un tre de pure loi, il considre quil y a des restes en effet qui font des units...
Jacques-Alain Miller : Oui, cest a, il y a une diffrence entre les tres de pure loi
et les tres de pure joie (rires), cest--dire le problme, cest quen effet cest l aussi
ce que ne voit pas Searle, cest que finalement quand on symbolise lindividu, bien
sr on fait abstraction de toutes ces proprits pour dire tous les hommes sont
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 134

134
gaux il faut commencer par les regarder, pour dire ils sont tous pareils, dabord
parce quil y a des hommes et des femmes, et puis... et a dailleurs il lavait oubli
dans le point de dpart. Quest-ce qui manque Searle ? Il lui manque que le
symbole cest le meurtre de la chose. Il simagine que le symbole sappuie gentiment
sur la chose et quil faut toujours la chose pour quil y ait le symbole. Il ne voit pas
laspect mortifre du symbole, qui est exalt justement dans ces tres de pure loi, qui
sont dj morts, tous gaux dans la mort. Et a, a peut tre universalis, les tres de
pure loi peuvent tre universaliss. Et quand mme Taylor est de ceux qui rappellent
que la jouissance est toujours locale et que cest beaucoup plus compliqu de... Enfin
on peut universaliser le droit mais cest beaucoup plus compliqu duniversaliser la
jouissance. Et donc on a un dbat contemporain qui sordonne pas mal Kant avec
Sade .
ric Laurent :
Avec retour, tu disais dans un cours prcdent que cest Kant avec Bentham , et
que le retour de ces penseurs cest la revanche de Bentham contre Kant.
Cest--dire : vous nassurerez pas la solidit, la cohrence de ces mondes, de ces
socits qui sont leurs propres ennemis internes, qui sont menacs dinconsistance
par un certain nombre de phnomnes, vous ne comprendrez pas la menace si vous
ne situez pas ce niveau o il y a des communauts dintrts, des communauts
certes fictives, dune sorte de convention, mais cette convention fictive assure la
solidit beaucoup plus que la moralit dsincarne la Kant. Et il y a une sorte de
revanche, l, disons benthamienne, un certain type de rappel dans lequel se glissent
les formulations du malaise...
Jacques-Alain Miller : Il est mieux Bentham !
ric Laurent : Bentham est mieux.
Jacques-Alain Miller :
Bentham est beaucoup mieux que Searle parce que Bentham a quand mme lide
que bien sr tout a cest des semblants, cest des fictions, mais quest-ce qui juge en
dfinitive les fictions ? Cest que leur arrangement, larrangement symbolique fictif
produise le maximum de plaisir pour le maximum de gens. Et donc, aprs tout, il y a
une base matrielle tout a, alors que Searle fait tout son ouvrage sur la ralit
sociale et il ny a pas un mot sur le plaisir que lon peut en retirer. Simplement, il
constate que les gens croient de moins en moins ces semblants, il dit : il y a une
crise de la croyance dans les faits institutionnels. Ce qui est amusant, cest quil traite
quand mme tout a comme des semblants mais lui-mme a lair assez conservateur.
Le problme, cest a le problme, cest quaujourdhui mme les conservateurs sont
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 135

135
tous, comment dire, des semblants con. Ils sont tous obligs de tenir compte du
semblant et ils se demandent comment, dans cet univers de semblants, quand mme
faire croire quelque chose. Alors les theocons, en tout cas, ont une solution, cest
quil faut brler les autres. Ah, bien je plaisante, comme a...!
ric Laurent :
Oui, en tout cas cette revanche de Bentham, cest une ironie par rapport lalliance
quavait forge Kant avec la science, et on se retrouve dans une conjoncture dans
laquelle le conflit des facults entre sciences humaines et sciences de la nature, les
sciences humaines peuvent aller ennuyer les sciences de la nature jusqu dire la
science est une conversation parmi dautre, cest une faon de parler , voil Rorty,
laspect : on fait tous semblant, mais cest quil y a quelque chose de la science qui est
touch, qui nassure plus la solidit de la morale universelle comme Kant a pu le faire.
Quelque chose de la science est touch parce quen fait, ctait elle qui avait assur,
tu disais, la sortie sceptique, du scepticisme...

Jacques-Alain Miller :
De Montaigne.
ric Laurent :
...jusquau XVII
eme
ou la Renaissance. Cest quauparavant le un, donc fix par la
science, maintenant est touch parce que la science est toute entire plonge dans la
socit. Que lon appelle a lre de la technique, ou que lon appelle a le fait que la
science est maintenant devenue, par lnormit des budgets quelle gre, une
question sociale, quelle est rentre dans la public sphere, quon lappelle dune faon
ou dune autre, ce que lon constate, cest quvidemment la science touche
profondment, remanie les socits, fabrique de nouvelles pidmies, mesure que,
par exemple, la science permet lindustrialisation de lalimentation animale, y
compris donc ces changements despces. Les biologistes rappellent que ce nest pas
en vain que lon commence fabriquer des vaches carnivores, ce quon a fabriqu
avec des farines animales, et on a ce moment l des phnomnes tranges qui se
produisent, qui touchent, qui remanient toute une socit, y compris qui peuvent
foutre en lair une conomie. Lconomie y compris de tout un March Commun, qui
ne peut pas juguler le problme. De mme vous touchez , grce...
Jacques-Alain Miller : Il y a des vaches carnivores ?
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 136

136
ric Laurent : Des vaches carnivores, lhistoire des farines animales, l, lpidmie
des prions. (Rires) On a fait bouffer aux vaches des farines animales, donc on
fabriquait artificiellement des vaches carnivores, jusque l elles taient
tranquillement herbivores, on leur a fait manger des carcasses danimaux morts, en
farine, donc on a franchit... do un petit problme...
Jacques-Alain Miller : Le got, on leur a donn le got de la viande !
ric Laurent : On leur a donn le got de la viande et a, donc, a a des
consquences dont nous ne mesurons pas encore compltement ltendue mais qui
sont prtes foutre en lair, en tout cas un March qui na pas russit se constituer,
dj il a des dettes pour rembourser les dgts, qui obrent considrablement,
comme jamais, le fonctionnement. Alors voil un phnomne de croyance li
directement laction de la science qui est tonnant.
Jacques-Alain Miller :
Oui, dautant que, aprs tout, comme repre du rel pendant des millnaires, on
na pas seulement pris le mouvement des plantes, on a pris aussi les espces, les
espces animales. Ctait une sorte de garantie : les hommes dconnent, ne suivent
pas, ne sinscrivent pas comme il faut dans lordre du monde, il faut les y ramener,
mais, au moins, les vaches se tenaient tranquilles. On les laissait tranquilles et on sent
que cet appui par exemple du rel qui tait donn dans lordre des espces, en effet
est en train, fait dfaut. Et en plus on cre des plantes, enfin on commence ... on a
pollu les cieux...
ric Laurent :
On a cr des plantes avec ces satellites qui vont se multiplier, on touche ces
points l, qui sont des industrialisations puissantes du monde. En effet qui vont dans
le sens, de ce que tu soulignais, le remplacement de la nature par la culture. Et cette
industrialisation provoque des effets nocifs, qui sont trs mesurables, ce qui fait
quon invoque contre le rel produit par la science, le rel de la fiction juridique. On
le retrouve comme seul remde...
Jacques-Alain Miller : ...de fabriquer du rel avec a.
ric Laurent :
...comme seul remde, par exemple, aux dgts produits par les problmes de
transfusions, dindustrialisation du contrle du sang ou dindustrialisation de
lalimentation animale ou dindustrialisation dun certain nombre de problmes, on
essaye de restaurer une fiction biologique, des fictions juridiques et en effet qui
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 137

137
touchent au biologique, des fictions juridiques qui assigneraient les responsabilits,
des dimensions telles qui permettraient de fixer ce rel scientifique. Loin dtre un
horizon o la fin cest une garantie, finalement il se retrouve lui aussi pris dans le
rseau des fictions juridiques pour redistribuer la consistance, ou leffet ou les effets
produits. Il est de plus en plus difficile de concevoir une science qui puisse clore les
dbats de la sphre publique, en assurant la consistance de lunivers du discours.
A rose is a rose est maintenant remplac par Rose is a rose is a rose et partir de l
on a toute une autre srie, et on se retrouve de plus en plus, alors sans adopter des
mthodes dites de la sociologie des sciences qui en rajoutent dans cest
simplement : un langage triomphe un moment cest un paradigme, et aprs tout
rien ne nous dit que ce soit cette dimension du rel sans avoir a , nanmoins, il est
certain que la non clture de lunivers du discours est maintenant tout fait au
premier plan du malaise dans la civilisation. a, cest la force de la remarque que tu
avais faite Etchegoyen qui se proccupait tellement dassigner linconscient,
lAutre, un reflet dans les sciences de la nature par les sciences des neurosciences, o
tu lui disais : Vous savez, une fois on assurait la consistance de lintellect, en
sassurant que a avait une image de lintellect divin . Alors maintenant on essaye de
clturer lunivers du discours en disant, en dernire instance tout ce quon dit, partly,
cest dans les neurosciences, lennuyeux cest que lunivers du discours nest pas plus
cltur pour autant et nous ne saurons pas rassurs sur le sens.
Alors on peut dire que la crise dans le nouveau conflit des facults est en effet lie
aussi un certain effet de crise dans les sciences de la ralit sociale, dans les
sciences humaines. Dans les annes soixante, on avait, au moment du structuralisme
triomphant, un certain nombre despoirs dun passage la mathmatisation ou la
prdiction, qui allait presque se raliser, par exemple en conomie. Lconomie des
annes soixante, dans sa thorie, dans le trs haut niveau de formalisation
mathmatique atteint, esprait avoir un pouvoir de prdiction quasi-comparable. Or,
ltat actuel de lconomie mondiale ruine ces aspects et, au contraire, on met
laccent dans les thories conomiques contemporaines, bien plus, pour reprendre le
titre dun livre qui est sorti, Limpossible dtermination du bien commun et quau
contraire les modles mathmatiques les plus compliqus tiennent compte de
limpossibilit de dterminer le bien commun, moyennant quoi il y a un certain
nombre, bien sr, de politiques que lon peut suivre et que lon peut formaliser
localement. Y compris lune des thories conomique les plus fcondes, pour
expliquer lchec justement de toutes les politiques dactions conomiques, pour
sortir de ces phnomnes de crises rptes, etc., qui sont les ntres, ce qui sest
appel la thorie des attentes rationnelles, o on a dmontr par des modles
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 138

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mathmatiques eux-mmes, quil y avait un ct de mise en chec, self defeating, par
la thorie elle-mme de toute action dans le monde de lconomie.
partir du moment o on prend des mesures, tous les agents de lconomie vont
anticiper sur les effets des mesures de faon telle quils vont les annuler. On montre
ainsi pourquoi dexcellentes politiques conomiques qui avaient t choisies par les
meilleurs responsables ont donn des effets contraires ce qui tait attendu. La
thorie des attentes rationnelles qui a valu un prix Nobel aux types qui les ont mis au
point, cette anne, est en effet un grand effort de pense pour saisir ce type de
phnomnes qui tournent autour de cette impossibilit dvacuer ces jeux de division
de lAutre, et qui empchent de se rduire au mme type de prdiction, dassignation
que dans les sciences de la nature.
Alors lappel au droit ou lappel la fiction en tant quil est irrductible. Ce point
effectivement de dire cest la revanche de Bentham par rapport Kant, a a non
seulement son poids sur la conception des mesures politiques les plus profondes
prendre pour viter les dlitements du tissu social, mais aussi a restaure cette
dimension, tu disais dans ce jeu de mots la loi est la joie , a restaure aussi cette
dimension qui chappe beaucoup, qui chappe cette perspective, qui est quen
effet il ny a pas dun ct ces questions et de lautre lhdonisme contemporain.
Lhdonisme contemporain, dont on se plaint comme dun hdonisme goste et qui
profondment nuit lidal, cet hdonisme lui aussi obit aux lois benthamiennes,
tout autant. Il y a, certes, un auto-rotisme, mais il sadjointe dans la faon dont une
poque vit la pulsion, comme disait Lacan, quil y a une faon transindividuelle en
effet de sadjointer.
La situation actuelle du malaise, cette introduction massive du problme de
lgalit des droits des femmes, qui maintenant se font entendre pour ne pas oublier
et pour ne plus faire oublier jamais, quon oublie au dpart quil y a les hommes et
les femmes, quun des problmes qui disparat dans loptique justement des espces
animales aristotliciennes, immuables, que lhomme et la femme cest la mme
espce. Manque de chance, quand a se manifeste dans la public sphere, a nest pas
tout fait la mme espce, do lexigence de parit et lexigence de lgaliser le
problme, de retrouver une fiction qui tiendrait compte du surgissement du
problme, de lincommensurable des deux.
Jacques-Alain Miller :
Oui, on peut vraiment se demander, par exemple, si Dieu aurait pu crer le monde
sil avait d discuter avant, dans la public sphere. Sil avait dclar ses intentions au
dpart aux tres de pure loi, sil leur avait dit : jai lintention de crer un monde, je
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vais mettre une espce humaine mais, pour que ce soit plus intressant, certains je
vais donner ceci, dautres je vais donner cela et ce nest pas du tout prouv que
son argument aurait march, et donc il naurait pas cr le monde, et, donc, on ne
serait pas l pour en parler. (Rires)
ric Laurent :
Il y a donc une face de cette recherche dune fiction nouvelle trouver pour tenir
compte de lincommensurable des deux sexes, dans la public sphere, qui ne trouve
pas sa fiction adquate, on a la recherche, on le voit, bien des niveaux de la parit,
de la parit lgale. Alors la parit lgale, cest, par exemple en politique, de sassurer
que la parit homme/femme soit respecte. Dans bien des pays, la chose se cherche,
il y a des pays dans lesquels cest dj ralis, les pays du Nord dans lesquels on a par
exemple en politique, on a en Sude 43% des membres de lAssemble nationale sont
des femmes, 34% au Danemark, presque la mme chose en Finlande, 29% aux Pays-
Bas, 27% en Allemagne, 26% en Autriche, et parmi les pays latins, le premier pays
cest lEspagne, qui aprs justement..., enfin la dmocratie est jeune, et bien il ont
quand mme 22% des membres de lAssemble nationale qui sont femmes. En
France, cest 5% (rires), petit problme ! et donc videmment, on se demande
comment combler le retard. On peut le faire si les partis le veulent bien, a, a ne
pose pas de problme et on se demande mme sil ne faut pas changer la
Constitution, puisquil y a le rapport de Gisle Halimi qui a t remis au prsident
Chirac, qui suppose quen fait, la meilleure solution cest de changer la Constitution...
Jacques-Alain Miller : Est-ce quil faut prendre a comme un retard ?
ric Laurent : En tout cas sur ce point srement, mais est-ce un retard ?...
Jacques-Alain Miller : Est-ce davoir aperu que, de ce ct l, a ntait pas
vraiment intressant ? a se discute.
ric Laurent :
a se discute, cest le point justement, cest le point. En tout cas a tmoigne, le fait
que a soit et a t incarn comme un dbat depuis trs longtemps et que a tourne
vers une solution, (visiblement, par exemple un grand parti franais a choisi
rsolument a pour dmontrer le progressisme, que ce soit, de lautre ct le parti
den face, lui aussi a son ide sur la question), on voit que de toute faon a va faire
un pas en avant.
Alors cest une question en effet qui montre simplement la recherche de la fiction
nouvelle qui pourrait tenir compte du fait que quelque chose a t touch entre les
hommes et les femmes.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 140

140
On pourrait dire aussi quil y a bien dautres phnomnes, par exemple en
psychopathologie. On a des publications depuis simplement lanne dernire, 1996,
toute une srie, qui sont groupes qui constatent que ce quy a dextrmement
frappant cest que jusqu maintenant on avait vit de considrer limpact de la
diffrence des sexes sur la rpartition des psychopathologies, de faon vraiment
scientifique et quen particulier, sans doute disent les auteurs, ctait pour viter que
les diffrences entre les sexes ne soient utilises pour justifier des ingalits. Mais
maintenant quon a lide quil ny a plus dingalit entre les sexes dans la sphre
publique, on peut y aller. Et ils considrent quen effet il tait pourtant bien naf de
voir lespce humaine comme la seule qui soit dpourvue de diffrence sexuelle au
niveau du cerveau, je dis bien du cerveau. (rires).
Et a cest vraiment contemporain, de se dire que le grand truc cest quon a russi
isoler grce aux phnomnes de nouvelles techniques qui permettent de rendre
compte des fonctionnements crbraux sans avoir pour autant des atteintes
intrusives, de type RMN etc., on saperoit que les hommes et les femmes nutilisent
pas leur cerveau du tout de la mme faon, et a doit tre la base, le fondement
matriel pour lequel les tudes pidmiologiques montrent clairement entre les
hommes et les femmes une variations de lapptence pour les toxiques, pour les
troubles anxieux, pour certains troubles de conduites alimentaires, mais par contre
pas pour les troubles schizophrniques ni les troubles bipolaires.
Alors on fait des expriences, qui, ceci dit, sont un peu inquitantes. Par exemple le
fondement dune des expriences qui est cite par des auteurs qui veulent justifier
ainsi la traduction ou la transduction du stress, cest quon tudie leffet de la
stimulation srotoninergique sur des crevisses. Les crevisses sont des animaux
pratiques, cest comme pour la plupart des expriences, il y a bien la queue de la raie
qui est aussi beaucoup utilise, mais l ce sont les crevisses, parce que si on prend
les crevisses on a une rpartition entre dominants et domins extrmement simple.
Donc on prend des crevisses bien rgles entre dominants et domins et on leur
injecte de la serotonine, et on saperoit que la mme serotonine est capture par les
neurones de lanimal dominant, donc ils recrutent comme on dit, il y a un
recrutement de la serotonine parmi les neurones de lanimal dominant, alors que a
nest pas le cas de lanimal subordonn. Et ce qui est encore mieux, cest que les
diffrences sont rversibles, si un subordonn triomphe dun dominant. Donc a
dmontre la plasticit neuronale de faon remarquable. Moyennant quoi on mobilise
quand mme un appareil technique costaud pour dmontrer quau fond, sans doute,
le fondement de la diffrence biologique, de la transduction biologique du stress
entre homme et femme cest le vieux couple actif/passif, cest le vieux couple
dominant/domin, et que si les femmes sont plus sensibles au stress, cest parce
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 141

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quelles sont en position domine, mais quil suffit quelles passent en position
dominante pour que sans doute...
Jacques-Alain Miller :
Dj dans lexprience on considre, chez lcrevisse, que la polarit
dominant/domin donnera des informations sur la polarit homme/femme ?
ric Laurent :
On y va discrtement l-dessus, on y va trs discrtement (rires), mais cest quand
mme a qui est derrire, parce que les gens qui publient les articles savent quils
sont attendus au tournant l-dessus, mais lhypothse quand mme qui sous-tend la
chose pour expliquer que des phnomnes sociaux, on dira simplement ce sont des
phnomnes sociaux, dominant/domin cest la sociologie de Wilson, cest la
sociobiologie, donc dominant/domin...
Jacques-Alain Miller : Quelle est la vie sexuelle des crevisses ? (rires)
ric Laurent :
Je rpondrais ds le cours prochain, je minformerai... (rires)
De mme on peut montrer que deux approches thrapeutiques, par exemple,
auprs de patients dprims, on peut soit les faire parler, cest--dire les mettre dans
des thrapies comportementales, soit leur mettre de la fluoxtine, de toute faon on
a une modification du mtabolisme du glucose comparable dans le noyau caud de
ces patients.
Donc on leur parle ou leur met de la fluoxtine, de toute faon cest du solide, on
obtient un effet rel. Ou bien il y a des gens qui disent oui, de toute faon on
obtient la modification des endorphines, donc cest pareil, si on leur parle et que a
leur fait du bien, de toute faon, il faut bien un mcanisme endorphinique.
On mesure ce genre de problme pour expliquer comment on obtient une
traduction du stress, directement sur le mtabolisme et qui peut tre diffrent selon
les sexes. Et on sintresse, partir de l, une tentative de reconstruction de la
pathologie pour expliquer pourquoi les femmes sans doute, il y a un truc qui fait
quelles sont moins sensibles aux stimulations, la transduction biologique, ce qui
fait que cest pour cela quelles sont dprimes. Parce que les femmes sont toujours,
quelles que soient les statistiques quon prend, elles ont une tendance dpressive qui
est toujours au moins 20% plus forte que le sexe masculin, quel que soit le facteur
quon veut annuler, y compris gntique, mtabolique, etc. Donc on cherche.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 142

142
Alors voil une tentative pour essayer de rtablir la parit dans la psychopathologie
et de considrer : on la trop longtemps oubli, il faut maintenant restituer la
diffrence sexuelle conue comme un phnomne scientifique bien sr. Et donc
maintenant on en est sr, par le fonctionnement diffrent du cerveau et dun certain
nombre de rcepteurs.
On a dun ct la recherche de la fiction, la fiction de la parit, mais peut-tre plus
profondment, et de faon plus inquitante, est-ce quil y a ou est-ce quil ny a pas
dans le soi-disant hdonisme de la civilisation la qute dune parit des jouissances,
ce qui laisse de ce ct l, lhomme, on le sait, sur sa faim, parce que depuis les Grecs,
depuis au moins les Grecs, on sait que Tiresias, qui lui tait pass ct homme et ct
femme, avait lide que pour les femmes, a dpassait de loin ce que les hommes
pouvaient prouver.
Cette inquitude qui traverse les civilisations les femmes jouissent plus , est une
inquitude qui sans doute se radicalise. La parit a nest pas simplement laspect, le
bon quilibrage lgal, ces fictions benthamiennes, dans la course la maximalisation
du bonheur, il y a sans doute derrire quelque chose comme un sexe louche vers
lautre . Et le transsexualisme qui, tant que Dieu garantissait le monde, le
transsexualisme tait possible par rapport Dieu, cest ce que Lacan souligne dans
son sminaire Encore : Saint-Jean de la Croix cest un transsexualisme russi, il
prouve des choses que normalement seules les dames prouvaient et avec a il peut
rivaliser avec Sainte Thrse parfaitement, il en prouve autant et il peut fonder
autant de monastres, et il peut aller lgifrer absolument avec la mme vigueur. Il
en meurt certes, cest une consomption qui sopre, mais nanmoins, avec a, il a un
fond de certitude tout fait gal.
Ct homme, lexistence de Dieu, dans le mme sminaire, Lacan souligne que a
pouvait permettre une sorte de perversion sublime Anglus Silesius, cest lil de
Dieu, vouloir sgaler lil de Dieu . Et il y et un moment o non seulement
lintellect avait une traduction en Dieu, mais la jouissance avait une traduction en
Dieu, et Saint Jean de la Croix ou Silesius ou les mystiques, Hadewigh dAnvers
trouvaient une traduction en Dieu, cest ce qui se cherche aussi maintenant avec la
traduction du stress. Ce nest pas maintenant la mystique de lprouv, mais on vous
cherche ce que les femmes prouvent, et on cherche par le stress, donc comment
elles ragissent a. Mais a se rpond, la traduction en Dieu tant remplace une
fois de plus par une traduction dans les neurosciences. Et donc la lacisation en cours,
disons le passage de la jouissance dans la public sphere, donne un type de course la
parit qui donne aussi dautres difficults aux comits dthique autres que
simplement celle de la parit politique ou de la parit psychopathologique. Il y a ce
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 143

143
type de parit qui fait que, par exemple, il est difficile dans les pays anglo-saxons de
lgifrer sur la fait de peut-on autoriser toutes les oprations de transsexuels,
doivent-elles tre rembourses par la Scurit sociale, comment, au nom de quoi
? ; cest ce type de questions qui se pose.
cet gard, sur ce type de questions, disons ce transsexualisme de la parit qui
souvre, le point de dpart, sans doute diffrent, de Freud et de Lacan, se retrouve
dans labord de cette question de lappel la jouissance. Le docteur Lacan, dans les
annes 70, soulignait que, dans ce contexte, les toxiques et labus des substances
toxiques taient une faon de se dlivrer de la barrire phallique, de rompre avec le
phallus. Se dlivrer du signifiant phallique et avoir une sorte de jouissance recule,
infinie, qui peut se rver comme telle. Et il la situe dans cette perspective : rompre
avec le signifiant pour sappuyer sur les limites repousses de la jouissance du corps.
Freud, lui, dans son uvre, maintient une ide, quil a eu tt, nous savons quil a
exprim sa thse ds les lettres Fliess, en parlant avec Fliess, vers 1897, en
dcembre 1897, il dit que la racine de toutes les habitudes, de toutes les addictions,
de toutes les toxicomanies, cest la masturbation. Cest au contraire la jouissance
phallique rpte. Et il reprend cela lorsque dans Dostoevski et le parricide, en 1928,
il aborde la passion du jeu chez Dostoevski, et ce curieux comportement chez
Dostoevski, qui ne pouvait crire, pendant tout un moment de sa vie, quaprs stre
ruin. Il allait la table de jeu et il se ruinait absolument. Et partir de l, une fois
opr ce vidage, ce rien, il pouvait crer. trange ex-nihilo dans lequel il se
consommait et se ruinait. Et Freud note ceci : lanalyse nous apprend quil y a l un
fantasme de dsir, de la priode de la pubert, fantasme qui reste conscient chez de
nombreuses personnes, le fantasme tient en ceci : la mre elle-mme pourrait initier
le jeune homme la vie sexuelle pour le prserver des dangers redouts de
lonanisme .
Les nombreuses uvres littraires, traitant de la rdemption, de la mme origine,
le vice de lonanisme est remplac par la passion du jeu, ou dautres toxicomanies,
Freud lajoute en note, laccent mis sur lactivit passionne des mains, l cest
propos de la nouvelle de Stephen Zweig, Vingt quatre heures de la vie dune femme,
qui est fascine par les mains dun joueur, dans un casino, de Monaco, la passion du
jeu, dit-il, est un quivalent de lancienne compulsion lonanisme, le caractre
irrsistible de la tentation, la rsolution solennelle de ne plus jamais recommencer,
toujours dmentie, ltourdissant plaisir et la mauvaise conscience du fait quon se
dtruit, tout a demeure dans la substitution .
Freud aussi le reprend dans Le malaise de la civilisation, o l il parle du briseur de
souci, du Sorgenbrecher, laction des stupfiants qui est ce point apprci et
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 144

144
reconnu comme un tel bienfait dans la lutte pour assurer le bonheur ou aller loigner
la misre que des individus et mme des peuples entiers leur ont rservs une place
permanente dans lconomie de leur libido. L on ne laborde pas sous laspect
compulsion onanistique qui conduit la ruine par la rptition, il dit quil y a une
faon de faire avec, qui fait que des peuples adoptent des toxiques, certes mais il
note on ne leur doit pas dailleurs, ces substances, non seulement une jouissance
immdiate, mais un degr dindpendance ardemment souhait lgard du monde
extrieur . Donc ce qui permet de se rfugier dans un monde soi. Et Freud
considre videmment quil y a l un danger, bien sr, que les socits traitent,
puisque cela drive des nergies.
Et dailleurs, dans ce texte, Freud est trs sens, il constate qu lpoque personne
ne connat le mcanisme par lequel les substances agissent sur le cerveau, cest ce
qui a chang profondment, les neurotransmetteurs ntaient pas bien sr encore
isols, et il disait aussi quelque chose de grand bon sens, on voit que cest... comme
raisonnement, il disait dailleurs quil devait exister sans doute des substances
analogues de faon spontane dans notre corps, puisquau moins dans un tat
morbide, la manie, on a un comportement analogue livresse, qui se ralise sans
lintervention daucune drogue enivrante et quil doit y avoir, alors le
neurotransmetteur nest pas isol mais il se souponne bien quil y a des substances
qui sont l en jeu.
Le recours au toxique, quil faut situer selon les cultures, le fait que... Je vais
marrter l et reprendre la prochaine fois, un petit peu dhistorique du rapport des
cultures aux toxiques est utile pour voir la faon dont nous sommes sans doute une
nouvelle phase du rapport aux toxiques, qui, dans lhistoire, bien sr, na pas
commenc daujourdhui, mais dans une situation particulire o elle menace, les
toxiques menacent les quilibres des fictions qui en rgissent lusage et que se soit,
nous le verrons, que se soit dans la vieille Europe, que ce soit dans le Nouveau
Monde, on voit apparatre des dbats absolument nouveaux qui montrent la
difficult de rgler lusage de ces substances, ou bien que se soit les phnomnes de
mondialisation qui mettent en contact un rythme jamais vu les substances dune
autre sphre culturelle ou bien, et bien sr les toxiques produits par lindustrie
chimique elle-mme mais nous aborderons a la prochaine fois en le considrant
comme des symptmes du malaise, den trouver le fiction qui conviendrait la parit,
mais l du ct de la parit des jouissances.
Jacques-Alain Miller :
Je voulais prciser que la fois prochaine, il y a un troisime participant qui va
sajouter ce sminaire, pour la fois prochaine seulement, et qui viendra
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 145

145
spcialement parler de son exprience de ce quon appelle la passe. Donc a va tre,
la fois prochaine, un sminaire trois, cela dit a se passe dans la mme salle et la
mme heure.

Fin du Sminaire Laurent/Miller du 22 janvier 1997
(Huitime sance)

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 146

146
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Neuvime sance du sminaire
(mercredi 29 janvier 1997)


Nous avons aujourdhui au sminaire, un invit, avec lequel nous allons parler de ce
moment de lexprience analytique, qui sappelle, depuis Lacan, la passe. Et bien que
cette invitation tait convenue il y a un an, avant que ne soit fixe et la modalit de
ce sminaire et son titre, a tombe bien. a tombe bien dans la mesure o le moment
qui sappelle la passe est prcisment celui o est suppos apparatre au sujet que
lAutre nexiste pas, o au moins, o un autre rapport est suppos se nouer entre le
sujet et linexistence de lAutre. Puisque cet invit ne vous est pas, pour la plupart,
connu, je vais vous le prsenter brivement, tout dabord vous le prsenter au
prsent, par ce quil est aujourdhui.
Au prsent, cest ce qui sappelle dans linstitution analytique, dorientation
lacanienne, un A.E, un analyste de lcole. Ce qui veut dire que son exprience dans
lanalyse, comme analysant, a reue une sanction collective, manant de linstitution,
manante dune commission dlgue de cette institution qui a le pouvoir de
reconnatre quelquun ce titre. Ce titre lui a t reconnu par lcole qui sappelle
cole Europenne de psychanalyse, et valid, rpercut dans lcole brsilienne de
psychanalyse, dans la mesure o notre invit exerce la psychanalyse San Salvador
de Bahia au Brsil. Mais dans la mesure o la sanction dont jai parl concerne un
parcours, certes un parcours analytique subjectif, je ne veux pas manquer de dire un
mot de son parcours vu de lextrieur. Donc un petit mot pour vous le prsenter au
pass.
Bernardino Horne, puisque cest de lui quil sagit, est argentin, et sa formation
comme analysant, comme analyste, sest droule Buenos Aires, Londres et
Paris. Buenos Aires, dans lAssociation psychanalytique argentine, socit
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 147

147
composante de lIPA, o il a t lanalysant dun analyste notoire, dont certains livres
sont publis en France, Angel Garma, et en contrle avec un certain nombre de
luminaires de lpoque. Ensuite il a poursuivi par des contrles Londres, en
particulier avec Donald Metzer, et enfin il a poursuivi sa formation comme analysant
Paris, et cest partir de l quil a demand, comme on dit, faire la passe.
Jajouterai une petite information pour vous expliquer pourquoi ce collgue
argentin est aujourdhui un analyste Bahia. Vous devez vous souvenir quau dbut
des annes soixante-dix lArgentine a connu une dictature militaire et comme notre
collgue tait lpoque engag dans des activits considres comme subversives
de lordre social, et qui dailleurs ltaient, il faut bien le dire, il sest trouv contraint
de sexiler et cest ainsi quil sest retrouv cette date au Brsil et quil y a pris
racines et quil y est rest depuis lors.
Il faut bien dire que, puisque nous sommes parler cette anne du symptme
social, la dictature a t - mettons a au pass- un symptme social latino-amricain,
et qui a marqu lhistoire, le destin de notre collgue.
Alors je pense que vous..., jai le texte de son intervention, je pense que vous
lcouterez facilement, pour une part, dans la mesure o il fait partie de la mme
communaut de discours que ceux qui font ce sminaire cette anne. Il a le mme
vocabulaire, il a les mmes rfrences, et, bien quil vienne dautres langues, et
dautres contres, cest la mme communaut, transnationale.
En mme temps vous aurez peut-tre un petit peu de difficult, a vous forcera
tendre loreille, des difficults de langue parce que le franais nest pas sa langue
maternelle, il fait donc un effort spcial pour communiquer en franais, et aussi peut-
tre des difficults de style, dans la mesure o il use parfois dun style vocateur et
elliptique, qui lui est propre, par exemple son intervention sappelle Cette ombre
paisse. Il nen dit pas plus. Cest parce quil pense que tout ceux qui sont ici savent
tout de suite do provient cette expression, cest--dire quil nous fait beaucoup de
crdit, de loin. Moi jaurais dire Lombre paisse ici, jprouverais le besoin de
renvoyer la page 24 de Scilicet numro 1, o Lacan voque cette ombre paisse
qui recouvre, je cite approximativement, qui recouvre le rapport du psychanalysant
au psychanalyste . Donc l nous avons une ellipse, voil jai dj clairci la rfrence,
parce que je crois que cest quand mme ncessaire, bien quil y ait en effet ici
beaucoup de lecteurs de Lacan. Et puis aussi lextrme prcision de ses rfrences.
Vous verrez quil lit, et quil cite, il cite certainement beaucoup plus que nous ne le
faisons, les collgues du Champ freudien, et quil a une connaissance de cette
littrature, la ntre, prcise et voil quelque chose o nous pourrions en prendre de
la graine.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 148

148
Jajouterai encore que, concernant la passe, la question a t pose, je vais dire un
mot dincitation, dans les termes de fait ou fiction ? La passe est-elle un fait ou
une fiction ? Certainement, elle est une fiction, pour autant quon appelle fiction ce
qui existe parce quon parle. Toute la psychanalyse, cet gard, peut tre range
dans le registre de la fiction, et pourtant, et disons plutt en consquence, la
rfrence au rel de lexprience est ncessaire et elle est dailleurs constante chez
Lacan et on saperoit partir de Lacan quelle est constante chez Freud. Et bien cet
gard je crois quon peut dire que Bernardino Horne expose, prsente, un certain
ralisme de la passe, que cest sur le ralisme de la passe quil met laccent. Son
intervention va en quelque sorte de lombre initiale, rfrence Lacan, lclair du
moment de la passe et le cur de son expos est un essai pour caractriser,
analyser, dcomposer la chute de lobjet la fin de lexprience analytique.
Et il fait beaucoup de prcisions, schmas lappui et en trois moments. Jajouterai
que son point de dpart, comme vous lentendrez, cest, chez Freud, le point de vue
dit conomique, cest--dire quil oppose le quantitatif libidinal au registre, la
dimension smantique, et que, dans le cas de ce ralisme de la passe, Bernardino
Horne donne une grande place au concept de fixation, et caractrise comme un
plaisir dans linertie statique, enfin vous lentendrez, et il propose une distinction, je
le souligne parce quil le fait rapidement, entre le statut mobile et le statut immobile
de la jouissance. Enfin il propose, il saisit, quelque chose quil appelle la deuxime
rencontre avec la chose freudienne, la deuxime rencontre avec Das Ding, et il
semble que, peut-tre je nai pas tout lu, il me semble que cest vraiment quelque
chose qui lui est propre, de caractriser ainsi par ce biais la fin de lanalyse.
Donc je linvite maintenant, sil veut bien, prendre place cette tribune et nous
dlivrer son intervention.

Bernardino Horne :
Je dois dire que a me fait trs plaisir dtre ici parmi vous. Je remercie Jacques-
Alain Miller et ric Laurent, de me donner loccasion de vous parler de quelques unes
des consquences de la passe, et de me permettre de le faire de cette place o se
dfinit, sarticule, lorientation lacanienne du Champ freudien, orientation
quemprunte de faon marquante, mon point de vue.
Je vous prsenterai quelques rflexions concernant la question du quantitatif la
fin de lanalyse. De lEsquisse jusqu Analyse finie et infinie, le point de vue
conomique constitue un des axes de la rflexion poursuivie par Freud. Cependant,
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 149

149
dans son testament, comme Lacan appelle ses derniers textes, Freud regrette de ne
pas lavoir suffisamment travaill pour lui donner la place quil mrite dans la thorie.
Jai repris le thme partir de considrations que Freud fait dans Linterprtation
des rves sur les mcanismes de condensation. Dans le travail que jai prsent
Buenos Aires, qui sappelait La voie de la perplexit , je faisais remarquer que la
premire interprtation de lanalyste consistait signaler un lment dun rve
comme une condensation. Cela implique de signaler un amalgame de jouissance et
une convergence de sens. Cela veut dire aussi ouvrir une divergence qui contient le
nud de non-sens. Il sagit dun lment de fixation de jouissance qui bloque et
freine le dsir, lorsquil interdit la mtonymie et dnonce aussi la jouissance en tant
que plaisir dans linertie, nirvana.
Je vous rappelle que le clbre mot desprit famillionnaire, est une condensation de
familier et millionnaire. Il y a dans lintention de travailler le point de vue quantitatif
le danger de tomber dans un modle du genre hydraulique la manire dont
lEsquisse tait compris auparavant.
Cette ombre paisse ? Freud a toujours soutenu lide dun appareil qui protge
des excitations, le pare-excitation charg fondamentalement de protger le sujet de
la quantit excessive, dcarter, dloigner les excitations extrieures, toujours fortes
et imprvues, et de dlivrer les excitations intrieures qui se caractrisent dtre
minimales, constantes et procdant par sommation.
Lappareil de langage et les mcanismes de dfense seront ceux qui tcheront
douvrir le sentier des chemins de drivation des pulsions. Lombre paisse est le
voile dernier qui protge le sujet de la terrible vision dhorreur. Cette ombre paisse
est ce qui couvre et occulte le moment o lanalysant devient un analyste. La passe
est le nom que Lacan donne cet instant o le nouage est illumin comme par un
clair et o lon peut apercevoir les trait, les traces, les lieux, les images dans lombre,
Philippe La Sagna a trait cette question du point de vue de la lumire noire.
Je veux soutenir lide que la passe implique une deuxime rencontre avec la
chose, avec la possibilit conscutive de librer les fixations de jouissance et douvrir
ainsi laccs de nouveaux circuits de savoir.
La traverse du fantasme, la passe dans ce moment clinique, est donc un moment
douverture de vrai savoir. Le sujet, partir de ce moment l, a un savoir sur sa
jouissance et sur son fantasme comme dfense fondamentale. Ce savoir, nous
lcrivons sujet quivalent petit a.
sujet a
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 150

150
Ds lors quil ny a plus de sujet du discours analytique il y a prsentification de
ltre, et nous crivons petit a sur moins phi.

Pour traverser le fantasme il faut une analyse des idaux auxquels le sujet sest
identifi. Pour cela, est ncessaire un travail de construction et reconstruction
fantasmatique.
Un exemple clinique rcent. Un sujet fait un rve. Ce rve le fait parler de la crainte
du pre. Dans le rve, il y a son image avec son petit pnis rtrci, mais le sujet ne
prend ce chemin possible que par lassociation son contraire, avec le mythe
familial : ils ont tous un grand pnis. Il a choisi ainsi, dans ses associations, la voie du
fantasme comme dfense, en mettant part la voie de la castration. On peut
galement voir dans cet exemple ce quest une fixation : toujours, face cette
alternative, il y a un enchanement de signifiants dans le mme sens. La fixation peut
renfermer un circuit de signifiants complexe, dit Jacques-Alain Miller dans son cours.
La jouissance fantasmatique est un des chemins que lon doit parcourir dans
lanalyse. Freud, Analyse finie et infinie, affirme que malgr limpossibilit dune
cure totale, il y a toujours un reste, la psychanalyse permet daffecter ltre dans la
mesure o elle peut avoir une influence sur la force de la pulsion . Je vous rappelle
que Freud considre trois facteurs comme tant prpondrants dans les
modifications que peut produire le traitement analytique.
Le fait de trauma, la force de la pulsion et les modifications du sujet. Parmi ces trois
facteurs, le facteur conomique est, pour Freud, le plus important. Lanalyse affecte
ltre travers deux types de facteurs et tous les deux corrigent le facteur quantitatif.
Lun deux consiste faire en sorte que la jouissance fantasmatique sintgre, fasse
partie ou sarticule aux tendances de ltre et ne reste pas comme une forme de
satisfaction indpendante, intgre dans ltre la jouissance autiste articule la
fantasmatique masturbatoire. Freud, dans le symposium sur la masturbation et
Jacques-Alain Miller dans son Cours du Symptme au fantasme soccupent de cette
question.
Le travail sur la construction fantasmatique ouvre une priode difficile en analyse.
Le chemin jusqu la passe est un chemin o le silence, le transfert ngatif et la
difficult associative prdominent. Cest une priode o la tendance lacting out
apparat comme lune des formes qua le sujet dviter la proximit du savoir sur la
castration. Lanalyste, dans ces conditions, se maintient seulement dans le dsir de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 151

151
lanalyste et nous pouvons caractriser comme linterprtation que lanalyste en fait,
de ces manifestations, des manifestations du dsir de lanalyste, qui sont mon avis
lenthousiasme, le silence de lanalyste et la coupure de la sance.
Revenons Analyse finie et infinie. Aprs avoir rappel que le premier schma est
celui de rorganiser, et darticuler nouveau la jouissance fantasmatique, Freud nous
dit que la rmission du refoulement originaire est le deuxime et le plus important
des schmas.
Il dit, je prends un exemple, lanalyse produit un tat qui ne surgit jamais
spontanment. Cet tat constitue la diffrence essentielle entre quelquun qui a t
analys et quelquun qui ne la pas t. Il ne faut pas oublier la base de cette
revendication, poursuit Freud. Tous les refoulements seffectuent dans la premire
enfance. Ce sont des mesures de dfense primitive. Lanalyse permet denvisager une
rvision de ces anciens refoulements, de cette manire, dit Freud, la correction aprs
coup du processus du refoulement originaire, laquelle met fin la puissance
excessive du facteur quantitatif, serait donc lopration proprement dite de la
thrapie analytique.
Selon Freud, il est donc tout fait possible de toucher la jouissance du
refoulement originaire. Il dit la seule chose correcte cest lantithse entre le
processus primaire et le processus secondaire . Nous pouvons lire cela en
comprenant quil sagit de faire passer de la libido fixe, la libido lie, la libido
mobile. La jouissance de la libido mobile est une toute autre jouissance que celle de
la libido fixe. La libido fixe implique une statique qui rvle la prdominance de la
pulsion de mort. Lexprience dapproximation de ce point dinertie totale produit de
lhorreur. La tendance sloigner est vitale. La notion de fixation drive de lide de
facilitation de lEsquisse, de laquelle Lacan dira quelle est le contraire dune
facilitation puisquelle signifie dj un enchanement fixe dun signifiant dans la
chane .
Dans la mobilit libidinale o ros prdomine, le signifiant ressemble, voque,
associe et ouvre des voies de savoir face des enchainements fixes. Cette libert
signifiante produit une joie, une joie symbolique, joie de connatre sa propre logique
et qui va au-del de linterdiction de savoir. Lorsque je dis libert je veux dire quil y a
changement de voie de libration de jouissance dans le sens dune ouverture, dune
multiplication de discours possible.
Comment suivre Freud dans son ide de rviser le refoulement originaire. Il
implique un signifiant rel, une marque de jouissance qui dfinit le travail
dinterprtation de linconscient travers des enchanements signifiants fixes. Cela
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 152

152
implique la fixation de la libido fixierung, dont la pulsion de mort se satisfait. Pierre-
Gilles Guguen dans Options lacaniennes de mars 94 dit : Le symptme est le nom
que Lacan donne la fixation . Dans le refoulement primaire sopre une non
inscription pleine de signifiants. Le signifiant refoul est un signifiant marque, reste
de jouissance, un signifiant qui nexiste pas dans la bance du grand Autre barr, mais
qui a sa place. La jouissance, le quantum daffects, dit Freud, ne subit pas de
refoulement. Il sagit dlments de drive. Llment de jouissance drive comme
une constante produisant le retour du refoulement dans le discours analytique.
Jcris cela comme a. Rel, petit a, S1.
R
(a)
S
1

Et jajoute une citation de Scilicet, de Radiophonie : La mtonymie fait passer la
jouissance linconscient .
Il devient aussi vident que la voie de linverse telle que lappelle Jacques-Alain
Miller, cest une clinique du rel qui va des signifiants idaux lobjet petit a et au
rel. Seulement cette marche jusquau cur du fantasme o rgne le silence
pulsionnel implique une logique et justifie chez lanalysant, la discipline de
consentement au vrai. La rvlation dun savoir, cest le seul accs possible
lUrverdrngt. Dans la voie de lenvers, il y a la chute dun signifiant idal.


R (a) S
1




a


Ce S
1
qui tombe, permet la chute, de lobjet petit a, cest--dire lillumination du rien
que lobjet a recouvrait. a cest lclair.
Lacan, dans la confrence au MIT du 2 Dcembre 75 aux tats-Unis, dit :
Symptme et inconscient, vis sans fin, ronde. Et on narrive jamais ce que tout soit
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 153

153
dfoul, Urverdrngung : il y a un trou. Cest parce quil y a un nud et quelque de
rel reste dans le fond .
La chute de lobjet. On peut comprendre la chute de lobjet en trois temps.
Premirement, le moment de lclair, la deuxime rencontre avec das Ding.
Deuximement le nom de lettre, un signifiant nouveau, le signifiant de la passe.
Troisimement la dduction logique, le vrai savoir.
Le moment de lclair illumine lobjet dans son caractre de satisfaction
pulsionnelle. Cest un objet de signe positif malgr que ce soit un reste. Il illumine la
vrit dans sa chute, dchirant lcran fantasmatique. Il se produit alors la rvlation
dun savoir de structure quimplique une logique nouvelle. Cest un savoir que nous
crivons je lavais dit sujet quivalent petit a .
La rencontre avec das Ding a lieu la fin de lanalyse. Elle se fait dans le temps rel
ou plus et moins (+ et -) sont prsent la fois. On peut crire...




R (a) S
1


R

a S
1

(-)


a veut dire que cest dans le mme moment, de lclair, de la rvlation de savoir,
que se prsente petit a comme objet de signe positif, la plnitude, la joie, la vie et en
mme temps moins phi (-) comme manque de plnitude, la mort subite.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 154

154
La mort subite, ce que le cas articule avec le sentiment de lhorreur. Le fantasme
fondamental, dans son caractre de dfense, a une tonalit maniaque, si vous me
permettez de dfinir la dfense maniaque comme une dngation de la vrit. Pour
non vouloir savoir le vrai, locculter de soi-mme et des autres, je reprend lide de
Pierre Naveau, le fantasme ment.
Freud, dans Deuil et Mlancolie, nous rappelle que dans la mlancolie le sujet a
accs une vrit insupportable et se demande pourquoi il doit tomber malade pour
savoir des vrits qui sont si videntes. A travers lanalyse, le savoir de lclair
illumine ces vrits et conduit le sujet non pas la mlancolie mais au gai savoir. Le
savoir sur la castration, ainsi on pourrait dire la castration est la joie des hommes .
ric Laurent dans son article de La Lettre Mensuelle 149 verse un affect nouveau, se
reporte lenthousiasme qui se dtache de ce plus de savoir quimplique la passe. Il
dit le monde advient comme monde et la chose advient comme chose , voil
lclair.
Je peux vous montrer le schma que jai fait en pensant larticle dric Laurent et
partir de lesquisse que fait Lacan dans le chapitre 8 du sminaire Encore, Savoir
et Vrit que Jacques-Alain Miller a eu loccasion de travailler dans son cours sur la
nature du semblant.
(Bernardino Horne crivant au tableau lun de ses trois schmas ( partir du schma
dans Encore page 83); Jacques-Alain Miller se dplaant aussi pour crire lun des
schmas, bientt rejoint par ric Laurent, crivant lui aussi lun des trois schmas.)
(rire gnral).

Le premier cest le schma dans Encore, vous le connaissez bien sr... donc le premier
schma, cest de

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 155

155
Lacan, le deuxime, cest disons pendant la passe, cest le monde, cest encadr par
ces deux lignes, et la chose cest tout a, et aprs la passe, on peut dire la chose est
inclue dans cette petite forme, moins phi et le monde, cest le reste.
Donc je vais parler du premier temps de la chute de lobjet.
Le deuxime moment, le deuxime temps, cest celui de nommer ltre. Le
signifiant de la passe, comme lappelle Jacques-Alain Miller, nomme lobjet de telle
manire que le nom donn inclus et rend vident la castration et dans ce sens, cest
comme un mot desprit, il inclut aussi un autre sens sexuel qui relance le sexuel dans
ltre. Ce qui fait passer du drame dHamlet au gai savoir.
A Buenos Aires, Miquel Bassols dans son travail intitul Linterprtation comme
malentendu la appel le signifiant de la jouissance en ajoutant quil sagit dune
interprtation hors du grand Autre. Une manire de comprendre cela, ce que..., pas
le sujet qui nomme, il ny a plus de sujet analytique, il ny a plus de grand Autre. On
peut dire aussi que ltre nomme un lment hors du grand Autre, qui na dautre
consistance que celle dune fiction purement logique. Il sagit des lments qui
habitent la bance du grand Autre barr.
Il sagit de donner un nom au signifiant rel, la marque de la rencontre avec das
Ding. Je fais rfrence RSI cours du 21 janvier 75. Le nom du nouvel tre, non les
restes symptomatiques, ce qui reste comme symptme. La jouissance quil est, sa
condition dobjet. La jouissance de ltre est marque par le signifiant
Urverdrngung.
Il ny a pas daccs au signifiant refoul, il nexiste pas, il y a une rvlation de
savoir. Cette marque est la cause ultime du dsir de savoir. L o il y avait jouissance
masochiste, il y a cause du dsir de savoir et une nouvelle jouissance, partir de
possibilit de savoir qui a une allure de signifiant nouveau.
ric Laurent crit sur cet affect que Lacan ne nomme pas et affirme : Dire que
lexprience analytique culmine dans un clair, cest non seulement proposer un
signifiant nouveau, mais un nouveau rapport au signifiant. Lenthousiasme, cest un
affect qui se prsente dans ce nouveau rapport. Le signifiant de la passe est le nom
propre de la castration de ltre, ce qui est en fait un mot desprit, parce que cest
comme nommer le rien.
La castration prsente, par son absence dans lclair, se fait prsente dans le nom
et cela permet la dduction logique de son existence. Le signifiant de la passe est un
signifiant qui ne choit comme idal que lorsquil sinstalle partir du signe positif de
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 156

156
jouissance, reste de la rencontre avec das Ding. Son apparition produit un effet
comique, de mot desprit, avec une libration de la quantit sous la forme den rire.
La rvlation de linconscient produit le rire, il y a passage de la tragdie, avec
prdominance de la pulsion de mort, la comdie. Ce qui est possible par
lintroduction de moins phi (-) dans le nom de ltre.
On peut crire, aprs le nom, petit a sur moins phi (-) et avant le nom petit a. Les
changements de jouissance vont donc dun tre avec un symptme, un tre hyper
investi, un tre plus plus (+ +) un tre plus moins (+ -).




a

a


(-)


Le symptme, la fin, cest ltre lui mme. Chez lanalyste, lenthousiasme prend
la partie positive. Le dsir de savoir sarticule, est caus par le manque.
Ainsi tre analyste est un pas vers au-del de la place clinique. On peut crire petit
a sur moins phi, et, ct de a, lenthousiasme, ou nouvelle forme de jouissance, et,
ct de moins phi, le dsir de savoir. tre de savoir nous dit Lacan dans la
proposition.


Le troisime temps, cest la dduction logique. La rencontre avec lobjet dans son
versant positif se fait aussi prsent le versant ngatif, le manque. Isabelle Morin, dans
son travail Le dsir du psychanalyste dans la passe , cest un travail qui ma fait
rflchir beaucoup, qui est dans la revue de La Cause freudienne numro 27, la
passe fait irruption ? , dit que dans le moment de la traverse du fantasme, il sagit
de lobjet dans son versant pulsionnel indpendant dune autre rencontre corrlative
mais distincte.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 157

157
Cest la rencontre avec lobjet comme place vide. Lacan dans son Sminaire XI, dit :
Ce second temps est la rencontre avec lobjet comme place vide , cet objet qui
nest quen fait que la prsence dun creux, dun vide, occupable par nimporte quel
objet et que nous ne connaissons que sous la forme dobjet perdu, petit a. Cest ce
que Lacan appelle lobjet cause du dsir, cest--dire un dsir caus par le manque.
Dans la rencontre avec das Ding stablit un premier nud entre la structure de
lappareil signifiant et la pulsion. Face la castration, la fixation prdomine. Ce que
dit Freud et aussi Lacan avec la passe, cest que le nud de la structure
RSI/symptme, issue de la rencontre avec das Ding, la passe peut en faire un noeud
diffrent. Dans la deuxime rencontre avec das Ding il y a un rattachement au niveau
de lexprience avec la dimension du savoir. Le rsultat, cest un savoir sur la
jouissance, sur la satisfaction et le manque, sur la prsence et labsence et sur la
cration de sens partir du non-sens, travers la force de lune, lombre, signe de ce
qui tait et qui ny est plus.
Je voudrai terminer par deux petites dernires choses. La premire, concerne ce
que lon pourrait appeler la passe de Freud. Lautre est la strophe dun pome de
Fernando Pesoa, dans la langue portugaise. Le rve de linjection Irma , inaugure
rellement une nouvelle dimension du sujet, la dimension du vrai savoir. La lecture
que fait Lacan dans le livre II du Sminaire est surprenante. Il dit que Freud arrive au
rel dernier, lobjet essentiel, quelque chose face laquelle les mots sarrtent et
toutes les catgories chouent. Lobjet dangoisse par excellence. Lacan dit que a
produit chez lui de ladmiration. Freud a eu du courage, il ne se rveille pas quand lui
apparat le rel dshabill. Le lendemain du rve, dans le prochain chapitre, Freud
nous dit, je cite Quand on a suivi un troit sentier et que lon arrive brusquement
sur une hauteur do lon dcouvre dans divers directions des perspectives trs
vastes, on sarrte et on se demande de quel ct on se tournera dabord. Cest le
sentiment que nous prouvons aprs avoir surmont notre premire interprtation
des rves. Nous nous trouvons dans la pleine lumire dune dcouverte soudaine.
La castration, je voudrais vous lire la premire strophe dun pome de Fernando
Pesoa appel Abdication. Il dit :

(pome lu en portugais)
47.17

E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 158

158
Merci beaucoup.
(Applaudissements)

Jacques-Alain Miller :
Je remercie Bernardino Horne, je vais traduire le pome, peut-tre ?
Prends-moi, oh ! nuit ternelle dans tes bras, et appelle-moi ton fils, je suis un Roi
qui volontairement abandonne mon trne de songe, de rve et de fatigue.

ric Laurent :
La fin de la confrence de Bernardino Horne, sur ce pome, rsonne, consonne
bien, avec le projet de sminaire de cette anne, dans ce mouvement de
dsacralisation, de laisser le trne, qui donne lide dune sorte de fin bien quil y ait
lternit de la nuit, qui consiste sa faon, il y a un mouvement de lacisation de
lexistence du sujet, qui abandonne laspect de ces symboles tournant autour du
trne. Et a correspond ce mouvement, ce chemin, dcrit dans votre confrence,
ce chemin qui mne des retrouvailles, ou une trouvaille de lobjet perdu, dans une
immanence, dans un mouvement o il cesse, cela cesse, de se placer comme
transcendance, domination, ou une question de la jouissance, nigmatique, et qui
finit par cder son mystre.
Je partirai pour les remarques que je vais faire sur votre confrence du schma que
vous avez prsent en trois temps accompagn par une ide, quon nomme la chose.
Et le schma dpli comme a, avec le sens que a a de le mettre plat ainsi, les trois
ct lun de lautre, me faisait associer sur cette image, quavait donne une fois
Jacques-Alain Miller de la fin de lanalyse en reprenant les Ambassadeurs de Holbein,
ce tableau que Lacan prsente dans le Sminaire XI, et quil y a dans lanalyse quelque
chose comme lexprience que lon fait, regarder les Ambassadeurs, en sortant de
la pice, la chose qui na pas de nom se nomme, le petit vase lintrieur l, de ces
trois axes de coordonnes, lAutre, la jouissance phallique et lobjet a, la chose que a
serre trouve une reprsentation, dans le tableau des Ambassadeurs, a trouve la
forme dune tte de mort, a se nomme comme cela, vanit.
Vanit qui est un nom, la tte de mort et la vanit cest un des noms de la Vrit,
dans la perspective dans laquelle peint Holbein. a nest pas une perspective o
lAutre nexiste pas mais cest un des noms par lequel on peut saisir, on peut saisir sa
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 159

159
prsence. Et le chemin que vous dcrivez de faon parlante, cest ce moment o le
sujet a le sentiment de saisir une poigne de vrits, et cette poigne de vrits, au
lieu de les serrer dans sa main, ce qui serait vraiment les avoir pour soi, en faire la
vieille mtaphore du concept, je prends a dans ma main, a se serre dans les axes et
une des faons de commenter la pure consistance logique qui sattrape, cest au
moins de dire que a se serre, ce nest pas moi qui serre a, moi, je ne suis plus l
vraiment, simplement, a sexprimente, ce qui est aussi dans le registre que Lacan
dgageait dans Les modalits dexprience de la jouissance dans son sminaire
Encore. Quelque chose qui sexprimente mais quon ne peut arriver crire que sur
un mode de consistance.
Le point suivant que je voulais aborder, cest que dans cette ligne, cette
prsentation de lobjet, du rel en jeu dans la passe, dans la version des faits raliste
prsente de cette exprience cruciale, a interroge vraiment de faon dcisive un
point qui a t abord dans le sminaire cette anne, les modalits du rel. Il y a le
rel scientifique, certes et il y a aussi une exprience qui nest pas le sens, quelque
chose qui se serre entre ces trois axes de coordonnes, qui dsigne un point, vous
dites que cest le noeud du non-sens, cest en tout cas ce qui permet, de la faon la
plus troite ou la plus sre quon puisse approcher, de remettre lobjet perdu, cette
dimension, cette forme l, ce contenant, qui est plus une forme quun contenant, de
la remettre, non pas lintrieur, puisquil nest que serr, mais en tout cas de le
remettre comme bord de tout ce qui peut se dire. Et il est non pas bord en tant quun
sens inclus mais plutt ce qui fait que tous les autres sens que lon va donner et bien
cernent ce qui est rduit au maximum comme point de non-sens.
Alors de mme dans le tableau des Ambassadeurs on aurait vanit, rien na de
sens, la vrit cest la prsence
de la mort, en tant quelle est rachete par le lieu qui regarde , l cest il y a le
phnomne une fois rduit tous les phnomnes de sens un point de non-sens, et
qui va ordonner en effet lensemble mais il a t saisi, il a t ramen dans
limmanence.
Alors vous aviez cit en effet des articles o je commentais la mtaphore de lclair,
Lacan en rend compte dans le livre, le sminaire commun, puisque cest entre Finks
( vrifier) et Heidegger sur Hraclite, o, cest trs amusant de voir le point de
dpart de Finks qui ne convient pas tellement Heidegger, et qui jusqu la fin lui dit
Vous pensez vraiment quil fallait partir du feu et qui le ramne vers lclair o le
statut non pas du Un, en dehors dun Un transcendant, dun Un ailleurs, mais dun Un
qui se manifeste dans le monde, qui intervient dans le monde, et cest pour cela que
je vois, dans votre perspective, comment aprs tout la faon dont vous prsentez le
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 160

160
schma de cette lecture, comme en effet dans le monde est ramen lobjet qui
menace ou qui menaait de venir simplement en opposition ou qui se prsentait
comme inaccessible, pure transcendance, non pas la transcendance de lidal mais la
transcendance de jouissance qui toujours apparat dans une dimension de surprise,
ou de surprise loccasion ravageante, avant une analyse. L au contraire elle
apparat dans ce monde mme, il y a toujours le fait que quoi quelle soit serre dans
les diffrents axes dans lesquels elle est prise, nanmoins on narrive pas la rduire,
il y a toujours le refoul originaire, comme dit Lacan, il y a toujours un point qui reste
inattrapable mais il se retrouve attrap par un biais bien que lon ne puisse pas
refermer sa main dessus.
Alors, il y aurait dautres points que jai trouvs trs intressants dans votre expos
et la faon dont vous mme sans doute vous relisez certains points du kleinisme, de
votre rencontre, loccasion avec Meltzer ou comment vous revisez a, dopposer
non pas ce qui facilement circule comme dialectique du contenant et du contenu,
vous faites valoir quil sagit bien plutt du vide et de lobjet quelconque et quon
peut ainsi relire toute une srie de dialectique intressante dailleurs, chez les
auteurs kleiniens mais partir de notre perspective; a ordonne disons beaucoup de
choses qui paraissent dune topologie nave entre contenant et contenu, et l la
forme que vous prsentez, enfin une naissance dune perceptive passionnante.
Deuxime point cette faon aussi dont vous interprtez la dfense maniaque,
partir du savoir, du rapport au savoir, dans la..., a ma fait relire la page de Tlvision
o Lacan prsente, a dans une perspective, dans laquelle je ne lavais pas lu jusque
l, et cest en effet trs convaincant. Voil les quelques points dabord dans lesquels
votre lecture nous stimule relire et reprendre les diffrents lments que vous
avez prsents.

Jacques-Alain Miller :
Oui, nous soumettons la confrence de Monsieur Horne un commentaire, une
lecture auquel nous chappons nous-mmes quand nous blablatons aussi. Il faut
constater que nous sommes plus prcis et plus vigilant avec vous que nous le sommes
avec nous-mmes.
Moi ce qui me frappe, deux choses, cest leffort de logique que reprsente votre
texte. En effet, si on pense au schma que Lacan a pu donner, cest trs simple, le
schma que Lacan a pu donner du discours analytique, ce schma bien quil soit lui-
mme pris dans une combinatoire, avec les autres discours, donc les lettres de Lacan
circulent dans cette combinatoire pour former diffrents discours
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 161

161

- mais chaque discours par lui-mme, cest statique, cest en place comme
structure invariante, celle-ci, structure invariante de lexprience analytique, qui fixe
la position de lanalyste et de lanalysant. Et il y a un certain cest ainsi voil quelle
place est lanalyste, voil quelle place est lanalysant, voil ce qui supporte ces
places et puis a ne bouge pas, cest la structure de lexprience.
Ce que a laisse ouvert, cest comment on passe de la position de lanalysant la
position de lanalyste, rien dans ce schma ne dtaille prcisment le passage. Ici
cest sur ce schma, jusqu la fin des temps lanalysant est lanalysant, lanalyste est
lanalyste ; a nest pas fait pour rendre compte du passage, cest fait pour rendre
compte de la structure.
Il y a tout de mme des lments mobiles puisque cest suppos expliciter que
lanalyse comporte la production, et donc la chute du signifiant matre ou
ventuellement le S1 du signifiant matre, ou ventuellement de lessaim de
signifiants matres, dune multiplicit de signifiants matres.
Cest llment principal du mouvement quil y a ici, mais encore une fois, ce
schma nexplicite en rien comment de cette chute, conue comme multiple, ou
conue comme une, on passerait la transformation de lanalysant en analyste. Il y a
dautres, ne prenons que ce schma, ce schma nest pas en lui-mme en tout cas,
apte rendre compte de cette transformation, et donc et cest aussi ce qui laisse une
certaine ombre. Votre effort sinscrit l, comment avec des termes voisins, rendre
compte, quel schmatisme, quelle conceptualisation inventer pour rendre compte,
partir de la structure du discours analytique, du passage, que Lacan en tout cas a
formul, pens, de lanalysant lanalyste. Donc je vois un effort de logique pour
schmatiser une dimension dont il nest pas si facile de rendre compte avec ce
schma dont on voit quil nest pas fait pour a.
Le deuxime trait qui me frappe cest, il y a bien sr quelque chose de chiffr, dans
votre expos. Jai eu le bnfice de vous entendre dans dautres lieux, parler aussi
partir de la passe et den parler dune faon trs personnelle entre guillements, cest-
-dire parler de votre analyse et des phnomnes qui pour vous ont entour la
conclusion de la cure et ici, comme il convenait dailleurs, dans cette audience, vous
tes plus distance de lexprience entre guillemets personnelle, cest--dire que
vous avez fait un effort duniversalisation, partir dune exprience qui peut tre
narre dune faon distincte, plus subjective.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 162

162
videmment le passage de la singularit de lexprience une certaine
universalisation, cest un passage trs difficile, trs difficile dans quelle mesure ? Ou
bien a reste marqu du singulier de lexprience dun sujet ou bien si cest trop
universel a devient une norme, cest--dire voil comme a doit tre. Et ce
moment l il y a dautres sujets qui se lvent et qui disent pour moi a na pas t
comme a et donc vous cheminez entre le charybe de lexprience subjective et le
scylla de luniversalisation, et je trouve que vous ngociez cette difficult dune faon
trs prcieuse, trs nuance dans cet expos.
Dune certaine faon vous vous inscrivez dans la bance que Lacan a laisse. Cest-
-dire quil y a un certain nombre de prcisions que Lacan na pas donnes. Il a parl
du style maniaco-dpressif qui connote ce passage, mais il nest pas entr dans les
dtails. Et on pourra et on interprtera ce relatif silence de Lacan. Est-ce un silence
qui est d au caractre irrmdiablement disparate des expriences, qui empche
duniversaliser ? Ou est-ce d lide de ne pas crer une norme de la fin danalyse et
cest vrai que si Lacan tait entr dans les dtails, on peut penser quun certain effet
de suggestion aurait t dommageable pour lauthenticit de lexprience.
En tout cas il a laiss une bance, et cest une bance fconde parce que, je ne vais
pas dire tous les AE, parce que je ne vais pas universaliser, mais parce que ceux qui
sont nomms Analystes de lcole, sengouffrent, sont attirs par cette bance, sy
installent et lhabitent avec leur discours.
Dailleurs ils sont peut-tre, je me permets de dire a dune faon gnrale, cest
toujours risqu dire, peut-tre sont-ils mme trop fascins par cette bance, cest-
-dire que peut-tre il y a un mouvement qui conduit les AE parler lectivement et
mme presque exclusivement de a. Cest vrai que cest ce quon leur demande, tout
le monde leur demande comment a sest pass et donc ils rpondent la demande
et le risque cest quvidemment, au fil des temps, puisque maintenant il y a un
certain nombre dAE, a continue dtre prcieux mais il y a un certain nombre dAE,
videmment comme la rgle est quils soient AE pendant trois ans, il ny en y a jamais
normment mais enfin ceux qui lont t gardent quelque chose de lavoir t,
videmment il y a... il pourrait y avoir une tendance se transformer en spcialistes
de ce moment et aprs tout ils ont trois ans pour le faire et a peut se comprendre
mais il faudrait discuter pour savoir si ce qui est attendu de lAE dune faon gnrale
va au-del du cernage de ce moment. Il y a une fascination propre de cette bance
qui tend transformer les AE en spcialistes de la clinique de la fin danalyse. Vous
parlez de beaucoup dautres choses, en particulier, puisque vous avez des
responsabilits aussi institutionnelles, des responsabilits dans la hirarchie de
linstitution analytique.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 163

163
Alors maintenant quel est le trait, je vais vous dire, partir de votre expos, qui me
semble saillant, qui me semble le centre dattraction de votre discours, cest ce que
vous dites du rel dcouvrir dans lexprience , que vous caractrisez par,
comme un point dinertie totale, auquel vous assignez lexpression de mort subite, et
vraiment le produit de lhorreur, et vous allez chercher, pour illustrer ce rel, vous
allez chercher Deuil et mlancolie de Freud, cest--dire la notion dune vrit
insupportable, vous donnez une dimension mlancolique du rel et il y a beaucoup
de passages qui donnent laccent de cette mlancolie du rel.
a ne met que dautant plus en relief, et cest aussi un trait de votre expos,
linversion produite par la passe, et l vous tes comme un coloriste, vous peignez
dune couleur trs noire le rel en question, le rel ultime en quelque sorte, pour
mettre dautant plus en valeur leffervescence et la gaiet et donc la passe apparat
comme a un produit dinversion, cest comme si on passait dun Soulages, puisque je
parlais de couleurs, si on passait dun Soulages un Basquiat, par exemple, jallais
dire Watteau mais cest mlancolique Watteau, cest nostalgique Watteau. Il y a une
inversion de couleurs, on ne rit pas, on prend trs au srieux quand vous parlez de
joie symbolique et daccs de nouveaux circuits de savoirs, auparavant bloqus
dans la routine de la fixation. Laccent propre que vous mettez cest sur la mlancolie
du rel, le caractre mlancolique de la dfinition du rel et au contraire la joie
symbolique qui est un terme trs spinoziste et vous donnez des couleurs propres, des
couleurs qui sont vous l, mais qui peuvent en mme temps tre saisies par tous,
ce que Lacan appelle le caractre maniaco-dpressif de la fin de lanalyse.
Simplement vous ne le rvlez pas comme une formule, vous en donnez, enfin on
saisit l lauthenticit de ce dont il sagit.
Alors je crois que le projecteur que vous mettez l-dessus vous permet de
caractriser dune faon que je nai pas entendue faire jusqu prsent - mais je ne lis
pas tout et je nentends pas tout - de caractriser une tape spciale de lanalyse qui
est en quelque sorte ltape vers la passe, disons vers ltape, ce qui apparat dans
votre expos comme ltape de prcipitation vers la passe et l vous lavez dcrite
trs prcisment avec, de faon numrative, et l on voit votre formation classique,
thorique, parce que nous, souvent nous navons pas ce style numratif, on laisse a
de faon plus clate, alors que vous avez la discipline de rassembler les lments, les
descriptions, en les formalisant.
Vous dites, ce que je rsume en lappelant ltape de la prcipitation vers la passe,
de la prcipitation vers la fin, vous dites que a se caractrise du ct de lanalysant
par une prvalence du silence, par le transfert ngatif, par la difficult associative et
par une tendance lacting out. Vous donnez quatre traits qui vous paraissent
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 164

164
caractriser lapproche de ce point dinertie totale et ce point mlancolique du sujet.
Et donc l on pourrait discuter, est-ce que cest pour tous, parce que le transfert
ngatif il y a des sujets qui sont dans le transfert ngatif absolument du dbut jusqu
la fin, enfin certains, dont le mode de se rapporter lAutre est demble la
dprciation, etc., on peut discuter, certains dont par exemple le silence est le mode
dnonciation privilgi depuis le dpart, peut-tre dans cette phase justement a
sinverse, donc l, on peut discuter, en mme temps y a une authenticit dans la
description qui me parait indiscutable.
Encore plus frappant, la faon dont vous saisissez la direction de la cure pendant
cette tape. Vous dites, avec prudence, cest linterprtation que lanalysant fait du
dsir de lanalyste pendant cette phase . a caractrise donc ce que lanalysant
peroit de la direction de la cure. Et vous dites au fond lanalyste alors agit par
lenthousiasme , je crois quon peut complter, cest lenthousiasme manifest
lendroit de certains dits du patient, il agit par le silence, donc quon suppose plus
pais dans cette phase que dans le reste de lanalyse, et par la coupure de la sance.
Donc vous donnez lide dune sorte de concentration de la direction de la cure, sur
ces trois lments : lenthousiasme, le silence et la coupure. a je ne sais pas si a a
t fait jusqu prsent dune faon aussi prcise et aussi focalise.
Alors maintenant, je voudrais dire ce que minspirent vos trois moments de la
chute de lobjet, ces trois moments que vous essayez de distinguer, qui
complteraient, le schma de Lacan si je prends comme base le schma du discours
analytique. Vous distinguez trois temps, premirement la chute du signifiant matre,
a cest le plus prs du schma initial de Lacan, vous y ajoutez, concernant petit a, sa
mise en tension avec S
1
et sa chute galement, donc une seconde chute, et
troisimement concernant le rel, une illumination du rien.
Cest peut-tre l son caractre hroque... Alors il y a certainement une logique
procder comme vous le faites. Peut-tre il faut quand mme complter par ce que
vous expliquez aprs avoir fait ce schma, savoir que dans ce moment de chute de
lobjet le signifiant est bien en question, puisque vous dites cest l que sinscrit le
signifiant de la passe. Cest--dire en mme temps que chute ou aprs que chute le
signifiant matre, le signifiant de lidentification, il y a place pour que vienne un
nouveau signifiant, le signifiant de la passe, on va lappeler Sp, qui dit quelque chose,
mme dans le bon sens, mais qui dit quelque chose de lobjet. Et qui est, dites-vous,
cest comme le nom de reste, cest comme le nom de la cause du dsir de savoir, et
dailleurs dj ici vous faites de ce moment un moment comique ; on pourrait penser
quici vous considrez quil y a la tragdie, on perd ses identifications, hroques, par
exemple, quand on est dtrn, la tragdie, ici quand mme la comdie quand on
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 165

165
arrive trouver un nom de lobjet drisoire, enfin du drisoire de la cause du dsir,
donc l la comdie, mais le dernier temps est plutt mlancolique, lillumination du
rien ? (dngation de la tte de Bernardino Horne) Non ? Cest pas l que vous mettez
la mlancolie. Bon, autant pour moi. Alors peut-tre vous donnerez une prcision l-
dessus.



Il me semble que la logique qui sous-tend a, cest tout de mme, au fond vous
essayez de distribuer leffet de chute finale, finalement sur les trois registres, du
symbolique, de limaginaire et du rel. Au fond a cest la chute dans le symbolique,
la chute des identifications du sujet, cest une chute qui est dans le symbolique, celle-
ci cest une chute ou un nouveau rapport avec le rel, et ici, prcisment le moment
o lobjet, vous avez dit chutait, cest dans ce rveil quand mme son caractre sinon
imaginaire du moins de semblant et donc je vois une rpartition entre ces trois
registres, une sorte de logique qui fonctionne, je ne dis pas que vous avez forcment
pens comme a, mais je vois une logique luvre essayer de distribuer leffet
final sur les trois registres du symbolique, de limaginaire et du rel.
Alors cest l que moi jaimerais discuter un peu les schmas que vous introduisez
partir du schma de Encore. Parce que quand vous crivez quelque chose comme a,
la chose frappe de moins phi, videmment ce serait la victoire totale, cest--dire ce
serait moins phi gagnant la chose, ce serait lentre de leffet ngatif du signifiant, sur
la chose elle-mme et - je vous laisserai bien sr y rpondre. Moi je faisais plutt un
autre usage de ce schma, de Lacan, de ce schma o dailleurs il faut inscrire
justement cette forme boursoufle et bizarre o Lacan met jouissance.
Moi, le sens que javais tendance donner ce schma est le suivant : quest-ce
quon a ? on a dun ct une forme gomtrique impeccable, un triangle en plus avec

10
Signifiant de la passe
11
R : nouveau rapport avec le rel
1- S
1
tragdie


2- a Sp
10
comdie
3- R
11

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des vecteurs, un triangle orient, comme on utilise en topologie et nous avons ici les
grandes catgories inventes par Lacan. Tout a est impeccable, tout a est propre,
a fait penser un dessin du dessinateur Steinberg, o on voit un cube rafistol, plein
de trous, corn, de lherbe qui pousse et puis on le voit en train de rver, dtre un
impeccable cube gomtrique. Ici on a limpeccable gomtrie, et au milieu une
forme bizarre, pour laquelle dailleurs le mot manque, a nest pas un cercle, a nest
pas un rond, cest une boursouflure et il semble que la valeur de ce schma cest, ce
point de lenseignement de Lacan, dans Encore, cest de mettre en question que
finalement avec ses catgories, il arrive vraiment cerner, ou quil arrive vraiment
venir bout de cette jouissance, et finalement on voit bien quici, dans ce schma, il
ne fait de lobjet petit a, quun semblant sur le chemin qui va du symbolique au rel.
Et donc aprs ce schma il va sinon abandonner ses catgories, ou du moins les
remettre en question, on entrant dans sa topologie des nuds. O bien sr on
retrouve ces termes, mais distribus dun faon tout fait diffrente et donc il
semble que cet lment supplmentaire qui vient ici vraiment en excs, il est de
nature remettre en question cette circulation de termes. Cest pourquoi je pense
difficile de les associer, de vraiment, si leffet ngativant du signifiant allait jusque l,
ce serait rsolu au sens o vraiment il y aurait une vraie seconde naissance du sujet.
Et cest toute la question, cest que malgr une illumination de savoir, malgr la
traverse du voile, malgr la passe, il reste constant quelque chose du sujet et de son
mode de jouir, mme remani. On peut difficilement parler en termes deffacement
total - a nest dailleurs pas ce que vous faites - mais cest propos de lcriture et
pas du concept. Ce sur quoi on a de leffet par la passe, sur petit a comme semblant,
parce que petit a a se rencontre sur le chemin du symbolique au rel, l, par la
parole on arrive changer quelque chose dans le rel qui est de lordre de petit a.
Mais tout ce qui est de la jouissance nest pas puis par petit a. Et dailleurs vous
avez vous-mme un au-del de petit a, vous narrtez pas vos temps petit a. Vous
cherchez formuler un au-del de ce qui se passe avec petit a. Et quest-ce qui reste
? Alors disons-le dans nos termes scolastiques : quest-ce qui reste quand petit a a
chut ? Alors il reste rien. Et il reste aussi quelque chose. Il y a un au-del tant de
lordre signifiant que un au-del de la chute de lobjet.
L, nous arrivons videmment dans une zone bien dlicate, qui vous a inquit un
moment et dont nous avons parl, dans la correspondance que nous pouvons avoir.
Cest : tout a essaie de rendre compte de quelque chose qui est de lordre du rveil
du sujet. Et cest bien ce quimplique la traverse du fantasme, cest la notion quon
passe un voile, on franchit un obstacle et on voit les choses autrement. Cest la
thmatique mme de lclair. Donc y a un rveil.
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Toute la thorie de la passe est construite, sur lide : il y a un rveil, la fin de
lanalyse. Et il y a une deuxime perspective quon peut prendre, cest que, dune
certaine faon, ce rveil nest jamais que partiel, il nest pas radical. Quil y a entre
guillemets, une partie du sujet qui reste immerge. Et cest ce qui a conduit Lacan
un moment, et cest ce que quelquun vous avait oppos Bahia, vous me lavez dit,
quelquun sest lev et a dit : Ah mais Lacan, plus tard il a : dit il ny a pas de rveil .
En essayant, comme a, de vous dcontenancer avec, parce que votre construction
est en effet une construction base sur la traverse du fantasme et sur le rel.
Alors, a nannule en rien votre construction, seulement il y a une deuxime
perspective de Lacan, cest que prenons la perspective que justement, concernant
cette boursouflure, ce qui se passe nest pas de lordre du rveil. Le rveil a
concerne le signifiant et a concerne ??? du signifiant quest lobjet petit a. Mais, il y a
une autre perspective o finalement, simplement on se tortille autrement, que la
passe cest finalement apprendre se tortiller un peu autrement, mais sans quil y ait
le franchissement. Et il me semble quil y a une certaine thmatique du
franchissement, a suppose un obstacle, a suppose un voile. Alors, on bute l-dessus
et puis un moment on arrive passer travers.
Et on peut dcomposer les moments selon lesquels on passe travers et jai appris
quelque chose avec ce triple franchissement, ce nest pas le triple saut comme aux
Jeux olympiques, mais cest le triple franchissement symbolique, imaginaire et rel
que vous avez dcompos, il me semble pour la premire fois.
Mais quoi rpondent justement les nuds de Lacan ? Les nuds de Lacan ne
permettent justement aucun franchissement. Les nuds de Lacan, cest simplement,
on tire plus dun ct ou on tire plus de lautre. Alors a fait des figures diffrentes,
mais la structure reste la mme. Cest--dire que la perspective des nuds me
semble distincte de celle de la perspective de lveil. Cest essayer de thmatiser les
transformations dune autre faon que dans la thmatique de lveil qui est une
thmatique il faut dire classique. Les sagesses orientales promettent lveil, le Zen
promet lveil. Les initiations promettent lveil. Platon mme, Pytagore promet
lveil. Platon promet de sortir de la caverne et voir de quoi il sagit. Donc il y a tout
un temps de luvre de Lacan o il y a des chos de cette tradition, formaliss,
inscrits dans un discours scientifique, etc... mais ce sont les chos de quelque chose
qui est trs archaque dans la pense occidentale.
Et il me semble qu lextrme fin, et sans nier cela, il a pris la chose par le versant
se passer de lveil . Alors je ne dis a que pour une raison simple, cest que ce
schma me parat tre sur le chemin des nuds, me parat tre sur le chemin
dintroduire un lment qui nest pas susceptible de rpondre cette mcanique. Et
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donc je pense quil y a une difficult faire entrer ces deux parties ensemble. Mais,
en effet la question, la chose, peut-elle tre touch par la ngativation du signifiant ?
Cest la meilleure formulation quon peut donner la question, la chose et donc je
garderai le schma avec un caractre problmatique.
La chose peut-elle tre, en quelle mesure peut-elle tre touche par la ngativation
du signifiant dune faon distincte de petit a. Donc a pose la question - je ne peux
pas mieux la formuler que vous lavez fait - la seconde rencontre avec la chose est-
elle possible ? Et cest l-dessus, cest une formulation un peu de pointe et... voil les
considrations que je voulais apporter.

ric Laurent :
Le versant que prsente Bernardino Horne de la joie symbolique, de lexpansion de
nouveaux circuits du savoir, cest cet aspect rentr dans la sphre publique aussi,
dans lchange des savoirs et des circulations, autrement quil le faisait. Cest une
faon de redonner aussi cette ide de la conversation universelle, la joie qui lui
manque, la dimension de joie qui l, et qui dans la perspective en effet spinoziste est
aussi a : accrotre les potentialits possibles de ce qui peut se dire et redonner a
tout ce rapport.
Alors jusquo est-ce que dans cette conversation, dans ces circuits du savoir, on
peut nanmoins faire rentrer les aspects les plus obscurs, est-ce quil ny a pas
toujours, en effet, une autre faon ? Ce que le pote la fin dit, il y a, il reste une
dimension de vie ternelle dont il est difficile de se dbarrasser.

Jacques-Alain Miller :
La phrase qui me parait indiquer vraiment la direction que jvoquais, et que je
soulignais, cest la suivante, dans votre expos Le nud de la structure RSI, issue de
la rencontre avec das Ding, la passe peut en faire un nud diffrent , et a, a me
parat essentiel. Cest--dire, de raisonner en terme de nuds diffrents, et l, cest
presque la fin de votre expos, a indique en quelque sorte, peut-tre, lau-del des
trois moments. Parce que les trois moments sont articuls en terme de
franchissement et il me semble que au del, cest lide que tout a, a ne se rsout
pas dans la dissolution du nud, a se rsoudrait, daprs ce que vous avez dit, par
un nud diffrent.
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A savoir si a veut dire cest nou dune autre faon ou seulement quon a tir sur
une corde dune autre faon, donc on coince les cordes dune faon un peu
diffrente. Et cette phrase que vous dites me parat impliquer prcisment la voie,
disons que, alors on va dire a comme a, quil y a un au del du franchissement.
Quune fois le franchissement effectu, il y a, pour Platon on est toujours dans la
caverne, il y a tout ce qui na pas chang et les AE ayant beaucoup expliqu, leur
faon souvent, tout ce qui a chang la fin de lanalyse, ce que vous indiquez l,
cest, et cest peut-tre aussi intressant, cest tout ce qui na pas chang la fin de
lanalyse.
videmment, on peut dire cest un peu court pour caractriser la fin de lanalyse.
Mais non, si on prend trs au srieux le franchissement ce qui na pas chang devient
dautant plus intressant. Et ce qui na pas chang, cest finalement ce qui de la chose
rsiste moins phi.
Et cest pour a que linscription de moins phi dans la chose, il ne faut pas la
prendre comme voulant dire, la chose est vacue ; il faut la prendre comme un
nouveau marquage de la chose et une nouvelle configuration des nuds ce propos.
Je ne sais pas si vous voulez reprendre la parole ?

Bernardino Horne :
Je crois que cest une question complique, cest lide duniversalisation. Ce nest
pas mon intention duniversaliser, mais de toute faon il y a quelque chose, quand on
parle de cette perspective, quil faut faire, mais de toute faon, cest partir de mon
exprience que jai fais a. Il y a beaucoup de choses que vous avez dites et je suis un
peu seul maintenant en Amrique Latine pour parler de cette chose, mais, y a de
nouveaux AE lEOL.

Jacques-Alain Miller :
Oui, il faut prciser que jusqu prsent, Bernardino Horne a t le premier, reste le
premier AE qui a t nomm par les mthodes du Champ freudien, en Amrique
Latine, il a t rejoint tout rcemment par deux, il y a eu deux nominations danalyste
de lcole, dans lcole argentine, lcole de lorientation lacanienne et donc vous
pourrez converser avec dautres...

Bernardino Horne :
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170
Hier quand jtais dans la runion des AE, javais envie de discuter de tout a...

Jacques-Alain Miller :
Il y avait hier soir lcole de la Cause freudienne une runion des AE de lcole de
la Cause freudienne qui forme une communaut de discours...

Bernardino Horne :
Cest quelque chose dunique de pouvoir discuter de toutes ces choses et je crois
quune chose importante, je pensais ce que vous disiez sur la question du nud,
cest important, je dois penser sur a, cest... Ce schma que jai fait partir du travail
dric Laurent de la Lettre mensuelle, cest un schma absolument..., en train de
travailler, cest un schma absolument rcent, que jai commenc penser, sans
aucune intention de.., mais a ma fait penser sur toutes ces choses. Ma premire
intention ctait, je vous lavais dit par fax, de travailler la chose qui rsiste moins
phi, le reste. Aprs, javais pens que ctait mieux de travailler de cette manire,
mais cest dans mon intrt de travailler sur a, bien sr, et je suis dans un cartel
euro-amricain et je pense travailler la question du phnomne lmentaire, que je
crois en relation avec ces questions.
La question du discours analytique, javais travaill beaucoup a partir du discours
analytique, dans la premire version qui tait un peu largie, je disais que le discours
analytique ne rendait pas compte de ces questions, de ces moments-l. De ce
chemin, du chemin direct, sur ces questions, sont trop ralistes pour le moment, il
faut travailler un peu plus mais je crois que cest une question intressante, comment
change le discours analytique...

Jacques-Alain Miller :
Je crois, il faut tre raliste. Lacan, quand il voque la passe fictive, il la proscrit et
je pense que la valeur que donne la passe, si le sujet peut en faire tat, dune faon
raliste, cest--dire aussi au niveau du rel, parce que sil nen fait tat que dune
faon fictive, il est en effet disqualifi. Le ralisme me parait la direction quimplique
cet exerce, enfin de rendre compte...

Bernardino Horne :
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Sur cette question des trois moments, ctait trs important pour moi larticle
dIsabelle Morin, et, parce que dans mon exprience, ctait ??? dans un moment. La
??? dans temps spar cest un effort aprs, quon fait aprs, lclair vous prsente
tout au mme moment, en un instant, et donc cest un effort de faire la tentative, de
diviser, cest a sur quoi Isabelle Morin insiste, pour pouvoir montrer la prsence de
moins phi et jusquau moment o se rencontre petit a.
Mais je ne pense pas que le troisime moment cest la mlancolie, en ralit si on
fait, logiquement le troisime moment cest le signifiant de la passe, non ? Je lai
plac comme deuxime moment parce quen vrit dans mon exprience ctait
partir du nom que jai donn lobjet, dans le moment de la fin de la sance, dans le
nom ctait la rvlation de moins phi, et a pour moi ctait extrmement important,
cest difficile de travailler, de placer une parole, un mot. Je pense oui quavant la
passe, la rencontre avec moins phi cest la mlancolie, il y a une vrit impossible,
une horreur. Dans le cadre de Holbein, la tte de mort, cest la mlancolie aussi,
dune certaine manire. Cest pour a quil faut voir, lentre, a cest votre travail,
mais la sortie. Parce que si on le voit lentre on ne rentrera pas en lanalyste
(rires), cest linnocent, non, vous lavez appel une fois.

Jacques-Alain Miller : Lacan. Innocent.

Bernardino Horne :
Je vous remercie beaucoup, parce que je peux penser beaucoup de choses sur ce
que vous avez dit, je vais profiter beaucoup de ma prsence ici, aujourdhui...

Jacques-Alain Miller :
Nous nous avons vous remercier de votre prsence, ici, je pense que...
(applaudissements de lauditoire)
...si nous anticipons un tout petit peu, je pense que nous aurons des reproches des
analystes de lcole de la Cause freudienne qui sont Paris et que nous navons pas
invits ici. Je pense que peut-tre, ce serait loccasion, peut-tre au dernier trimestre
de lanne, dinviter galement un analyste de lcole de la Cause freudienne, peut-
tre pour continuer cette conversation de sminaire que nous avons eue aujourdhui.
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(Reprise de parole pour cette information)
Il ny a pas, parat-il, de sminaire le 5 fvrier et que cest le 26 fvrier que nous
reprenons. Voil, cest confirm, a sarrte le 29 janvier et a reprend le 26 fvrier
mais a continue les 5, 12, 19 et 26 mars, et 2 avril. Donc nous aurons ensuite 1, 2, 3,
4, 5, 6 sances de suite, mais donc il ny a pas de..., nous ne nous retrouvons pas le 5
fvrier.

Fin du Sminaire Laurent/Miller du 29 janvier 1997

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LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Dixime sance du sminaire
(mercredi 26 fvrier 1997)


Jacques-Alain Miller :

La catgorie clinique du symptme qui fait notre base dans ce sminaire, sinsre -
s apostrophe - entre - cest toute la question - dans quelle mesure le symptme est-il
sincre ? - sinsre entre le semblant et le rel. Et elle simpose de ce que le semblant
touche au rel. Dans le discours de la science, le semblant dont il sagit, se spcifie
dtre savoir. Et jajoute que cest bien ce qui fait la limite de la perspective qui est
celle de John Searle, que jai eu loccasion dintroduire un peu plus tt dans ce
sminaire, dans la mesure o prcisment son abord du semblant, partir de la
ralit sociale, carte le savoir comme tel.
Dans le discours de la science, le semblant est savoir, savoir mathmatique et ce
depuis Galile, depuis son la nature est crite en langage mathmatique .
Seulement la science nest pas lecture de la nature, pour autant que le savoir de la
science est en mesure de dterminer le rel. Dterminer veut dire que non
seulement ce discours accde au rel, mais encore quelle le touche, au sens de : le
transforme.
Ce sminaire se poursuit alors quest intervenu, depuis notre dernire rencontre,
un fait majeur qui est d au discours de la science : le clonage dun mammifre. Le
fait Dolly. Au fond nous sommes dores et dj dans lre Dolly. La technologie de la
reproduction a touch dune faon bouleversante au rel de la vie. Cest pourquoi je
dis : la science nest pas seulement lecture. Elle produit Dolly. Et aussitt cette
irruption saccompagne dun cortge de dngations : on ne touchera pas
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lhomme . Linterprtation simpose par l mme : bien entendu on va y toucher.
Jusqu prsent, lhomme pouvait se prvaloir, croyait-il, davoir t fait limage de
la divinit, dornavant, il sera fait, si je puis dire, limage de Dolly. On nous rassure,
croit-on, en nous disant on y touchera pas, lhomme, parce quon ne voit pas
quoi a pourrait servir , je cite. Et bien, sous peu, prenons-en le pari, on verra trs
bien quoi a peut servir.
Saluons la logique qui inspire le prsident des tats-Unis dAmrique, davoir
aussitt eu recours un comit dthique - dans le texte - pour cerner les
consquences du fait Dolly et sans doute instaurer un certain nombre dinterdictions,
qui ne seront l que pour rendre dautant plus dsirable, quon touche, par la mme
mthode, la reproduction humaine.
Sur quoi se voile-t-on la face ? Sur ceci que le savoir intervient dans le rel. Oui, on
touche au rel et mme on salope le rel. Cest en quoi Dolly a valeur de symptme.
Et cest ce qui justifie - consquence trs secondaire - ce que jai pu dire de la thorie
de John Searle, quentre le semblant et le rel il y manquait le symptme. En effet sa
thorie rcente, expose dans son ouvrage La construction de la ralit sociale,
repose sur une dichotomie - dans notre langage - du semblant et du rel, qui est une
disjonction. Il tudie un niveau de la ralit qui est le niveau social. Comme tel cest
pour lui un niveau qui est construit. Construit veut dire quil nest pas brut, quil est
constitu de faits quil appelle institutionnels. Il y a pour lui ou bien des faits bruts ou
bien des faits institutionnels. Et le fait Dolly na pas sa place dans cette dichotomie
bien entendu. Le fait institutionnel, au sens de Searle, cest tout ce qui est symbole,
tout ce qui a sens et valeur en tant que relatif une intentionnalit collective, un
nous. Sil sest intress au fait institutionnel, cest quil croit en connatre le
fondement dans lnonc performatif dont il est le thoricien historique la suite de
son inventeur qui fut son matre John Austin. Le performatif, en tant que fondement
du fait institutionnel, prend la forme de la formule suivante, qui est le leitmotiv de sa
thorie, X vaut pour Y dans le contexte de C. crivons le pour fixer les ides.
(X

Y) C
Quest-ce qui fait la diffrence du fait institutionnel, cest--dire en loccurrence, de
la valeur admise pour X dans le contexte de C, de linstitutionnel et du brut ? Cest le
langage. Le fait institutionnel dpend du langage et cest en quoi, pour Searle, cest
une construction, nous disons cest une fiction, savoir que a nexiste que du
langage, tandis que ce quil appelle le fait brut, ne dpend pas du langage. Et cest
pourquoi la contrepartie de son tude de la ralit sociale, ce sont deux chapitres la
fin de louvrage pour affirmer lexistence comme telle du monde rel. Le partage est
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ainsi fait entre la ralit sociale tisse, constitue de faits institutionnels dpendants
du langage et un concept du monde rel constitu de faits indpendants du langage.
Cest ce qui dans notre parlure se traduit facilement comme une disjonction entre le
semblant et le rel.
Pour aller vite, je recomposerais ltude de Searle, partir de cette formule, en
ponctuant trois consquences essentielles qui peuvent se driver de cette formule.
La premire cest la valeur, le caractre inliminable du phnomne de la croyance.
Pour prendre son exemple favori, qui est celui du moyen de paiement, du dollar,
largent cest ce qui est socialement reconnu comme de largent. Cest ce qui est pris
pour argent comptant. Ds lors, il rencontre cette donne que la croyance collective
a le pouvoir de faire exister des valeurs, de faire exister du sens et par l mme de
faire exister un certain nombre dobjets qui ne se rencontrent pas ltat brut, le
billet vert.
a nest, dit-il, de largent, que si je ladmets comme tel. Et donc il est conduit
introduire dans son ontologie une ralit qui inclut la croyance. Une croyance qui
nest pas du rel, une croyance qui est susceptible de degrs, de plus et de moins, et
au dtour dune de ses analyses, il note, croit-il, ce phnomne moderne, qui serait
lrosion rgulire, the steady erosion, de lacceptation de grandes structures
institutionnelles dans le monde. a me parait un phnomne international que la
perte de croyance et de confiance dans les grands systmes institutionnels. Cette
croyance sinscrit exactement entre matire et valeur, entre la constitution physico-
chimique de lobjet, le billet vert on lallume aussi bien, et la valeur que cet objet se
trouve prendre dans tel contexte social et il isole ici, il rencontre une coupure
irrductible entre matire et valeur. Quest-ce qui fait que ce bout de papier, cest de
largent ? Quest-ce qui fait que ce terrain cest une proprit prive ? Il y a l un vide,
un vide irrductible o lui-mme tmoigne dprouver un certain vertige, a sense of
giddiness, je lai dj mentionn.
Le phnomne de croyance comporte une absence de fondement, est toujours
susceptible dtre tax dillusion. Cest comme si tait luvre, dit-il, un lment de
magie, comme si un tour de passe-passe faisait passer X la valeur Y. Et dans ce
phnomne o il rencontre ce qui est pour nous, quoi ? le fait du sujet, dans ce
phnomne il rencontre une extension trange de son ontologie. Ce phnomne est
tel en effet - l je le cite - que lattitude que nous avons son gard est en partie
constitutive de ce phnomne lui-mme. Nous avons l un phnomne qui est
dpendant de lattitude subjective, en partie, et jai dj signal la rcurrence de ce
terme, partly, dans son livre.
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Et cest ce qui nous conduit la deuxime consquence, qui porte sur le rel.
Pourquoi est-ce que cest toujours dans la ralit sociale, si fictive quelle soit,
pourquoi est-ce que cest toujours partly ? Parce que la condition pour quil y ait la
valeur Y cest quil y ait de la matire X. Autrement dit il imagine une dduction du
rel partir de la structure du semblant. Il lexprime dans ce principe, que jai
prlev, in order that some facts be institutionals, de faon pour que certains faits
soient institutionnels, there must be some other facts that are rudes, il doit y avoir
quelques autres faits qui sont bruts. Pour quil y ait Y il faut du X, pour quil y ait du
symbole, il faut le rel du symbole. Et, prtend-il, this is the consequence of the
logical structure of institutionals facts, ceci est une consquence de la structure
logique des faits institutionnels.
Bien entendu la structure logique des faits institutionnels est rsume dans cette
formule et il pense que cette formule implique la ncessit du substrat matriel du
symbole. L Lacan disait ltre du symbole cest le meurtre de la chose, savoir il ny
a Y qu condition que X soit barr, que la symbolisation implique lannulation de la
substance de la chose, cest prcisment sur ce point que Searle dit linverse, quil ny
a pas de symbole sil ny a pas la base du fait brut.
Le semblant pour lui suppose toujours lexistence dun objet qui se soutient
indpendamment du semblant. Et cest ce qui le conduit dailleurs, la fin de son
ouvrage, soutenir comme telle lexistence du rel comme indpendant de toutes les
valeurs quon peut lui assigner, cest dire aussi bien indpendant de toutes les
descriptions quon peut faire du rel, de toutes les catgorisations de ce rel. Et je ne
fais que pousser les choses un cran de plus en disant lexistence du rel
indpendamment de tout savoir du rel.
Troisimement, une consquence concernant le langage, et une consquence, au
fond, paradoxale. Si on pense le langage partir de cette formule constitutive du fait
institutionnel, partir de ce quil appelle une fois the Stands for relation, la
relation qui vaut pour, the Stands for relation. Le langage est ce qui est ncessaire
pour que cette formule tienne, cest le langage qui est par excellence le vhicule qui
peut dcerner la valeur Y la matire X. Cest ainsi que je te baptise dollar, cest ainsi
que pour lui, lnonc performatif, qui est la racine du fait institutionnel, lnonc
performatif est l pour montrer la primarit du langage concernant tous les faits
institutionnels, the Stands for relation est impensable sil ny a pas le langage, il
faut le langage pour quil y ait la valeur sociale. Donc il admet lantriorit logique du
langage par rapport toute autre institution sociale mais en mme temps, quest-ce
que le langage sinon une institution sociale et une institution sociale que lon ne peut
pas driver dune autre puisque toutes les institutions sociales drivent du fait du
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langage. Et il y a donc l dans Searle, je ne vais pas reprendre dans le dtail par
manque de temps, page 72, 73, disons jusqu la page 76 de son ouvrage, il discute ce
paradoxe du langage, dont il dit lui-mme cest un puzzle, cest une nigme.
On peut dire quil bute, je dis il bute, parce que lui-mme la fin de ses
considrations sur la langage, dit voil quoi jarrive et je ne suis pas confortable
avec ce rsultat. Il bute sur le fait que le langage incarne en soi-mme la relation X
flche Y. Que les mots comme tels et sans performatif qui vienne les y aider, les mots
comme tels signifient, reprsentent, symbolisent quelque choses, beyong themselves,
au-del deux-mmes et l il ny a pas de performatif assignable et le performatif
serait lui-mme un fait de langage. De telle sorte, dit-il, quil fait du langage une
catgorie auto-identifiante des faits institutionnels. Il doit admettre que le langage
rend symbolique des choses mais des parties du langage sont en elles-mmes
symboliques, et cest un rsultat trange, dit-il, avec lequel il nest pas confortable et
a annonce, a devrait annoncer une rflexion ultrieure sur le langage et
prcisment sur ce quil essaye de dtacher du langage, savoir la symbolisation
comme telle. a le conduit dire : en fait il y a une prcondition au langage cest la
symbolisation. Et on voit bien ici quil bute sur le fait que le langage est le vhicule du
semblant et quen mme temps le langage nest pas du semblant, que cest pour
nous le rel la base du semblant. Mais l o il sarrte, cest prcisment inclure
ce fait paradoxal du langage dans son concept du rel. On voit bien que dans la
dichotomie complte quil fait, la disjonction quil fait entre le semblant et le rel, on
voit bien que le langage ne trouve pas sinscrire, il le rencontre la base des
phnomnes de semblant, et il est tout prt dy reconnatre un rel mais son concept
du rel nest pas fait pour admettre le langage.
Alors cest l que, pour introduire rapidement, pour venir autre chose, sa
problmatique concernant le monde rel - et cest une problmatique qui
prcisment, exclue le langage, au point quon peut dire que le rel de Searle est
forclos du langage, que cest par excellence un rel muet. Son ralisme consiste
poser que le monde existe indpendamment de toute reprsentation quon peut sen
faire, donc il ne dpend daucune intentionnalit subjective.
Alors a ne permet pas de faire le choix entre telle ou telle description du rel. Le
monde rel, selon Searle, ne dit pas comment il faut le dcrire, dans quels termes. Et
donc cest un ralisme qui est vraiment de limite, cest un ralisme qui ne dit pas,
comme il lexprime lui-mme, qui ne dit pas comment les choses sont, mais qui dit
seulement quil y a une faon dont les choses sont et qui ne dpend pas de la faon
dont nous les dcrivons, qui ne dpend pas du langage, cest moi qui ajoute a,
puisque le terme de langage est absent de sa rflexion.
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Et cest ainsi que son ralisme limite est li un relativisme conceptuel. Toutes les
reprsentations de la ralit sont relatives ainsi un ensemble de concepts dont la
slection est plus ou moins arbitraire. Il a recours un exemple trs pertinent, trs
amusant de Putnam, reprsentant un univers o il y a trois objets - A, B et C. Et voil
donc un univers quon peut dcrire comment tant constitu de lobjet A, de lobjet
B, et de lobjet C.
A


B C



Mais rien nempche quon admette aussi titre dobjet le couple AB, et on aura l
un quatrime objet A et B, un cinquime A et C, un sixime B et C, voire un septime
A-B-C. partir du mme univers on peut faire une description selon laquelle il y a
trois objets, ou selon laquelle il y en a sept, en fonction de lontologie que lon choisit,
cest dire que si on admet comme entit, lunion, la runion des objets, et lallusion
est bien entendu diffrentes variations que lon peut faire partir de la thorie des
classes et de la thorie des ensembles.
Ds lors, on voit la distance quil y a entre la ralit et le schma conceptuel selon
lequel on la dcrit. Alors linsistance de Searle sur : il y a du rel, insistance qui prend
toute sa valeur dans le contexte du dbat de la philosophie anglo-saxonne
progressivement gagne par le relativisme smantique qui leur est venu des franais,
le il y a du rel de Searle implique en mme temps que ce rel se moque de la faon
dont il est dcrit par nous, se moque du langage, it doesnt care : the real world
doesnt care, il sen moque. Et ds lors en fonction des schmas conceptuels en effet
diffrents, on a des descriptions diffrentes, inconsistantes entre elles de la mme
ralit mais a naffecte pas les faits, ce quil appelle le fait indpendamment de tout
ce quon peut en dire.
Alors videmment a porte exactement sur ce qui nous occupe dans la pratique
analytique, dans la mesure o la supposition de la pratique analytique cest bien que
ce quon dit, bouge le rel, cest que le schma conceptuel nest pas indiffrent au
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 179

179
rel. Notre rel nous, il est speach dependant, il dpend du langage. Et cest bien
pourquoi nous sommes nous-mmes conduits poser que le langage nest pas du
semblant, que le rel nest pas pour nous extrieur tout ce quon peut en dire, et ce
que Lacan a invent comme lobjet petit a, qui est en quelque sorte au croisement du
langage et du rel, est fait pour essayer de construire non pas la ralit sociale, mais
de construire ce quil en est du rel dans lexprience analytique.
Je laisserais de ct, pour aujourdhui, ce qui est ladresse de Searle, a nest pas la
psychanalyse, son adresse cest bien plutt lirralisme de Nelson Goodman, dans cet
ouvrage singulier qui sappelle Ways of worldmaking, faons de faire des mondes.
Lui, Goodman, la diffrence de Searle, pose quon na aucune ide de ce quest que
le monde, on ne sait pas ce quest le monde hors de tout cadre de rfrence. Il
limine ce rsidu de rel qui est ce que Searle svertue soutenir. Pour Goodman
notre univers, dit-il, consiste dans les faons de dcrire plutt que dans un monde. Il
a cet axiome trs joli : no world whithout words : pas de monde sans mots.
Enfin je laisse a de ct pour en venir de faon aussi rsume que je le peux ce
qui pour nous est la question de linterfrence du semblant et du rel et o jai dit
que nous trouvons la catgorie clinique du symptme.
Si nous dressons une liste de ce que Lacan appelle les formations de linconscient
en dplaant le terme de Bildung, formations que Freud assignait prcisment au
symptme, si nous dressons une liste o nous faisons figurer le lapsus, le mot
desprit, lacte manqu et le symptme, pourquoi pas le rve aussi bien. Demandons-
nous si le symptme est bien sa place dans ce contexte. Or il saute aux yeux,
condition den avoir dj le soupon, que le symptme se distingue, parmi les
formations de linconscient. Il se distingue dabord au niveau de lintention de
signification. Le lapsus est videmment relatif un vouloir dire ; on nisole le lapsus
comme tel qu partir de lintention de signification du sujet et on observe comme
linterfrence dun autre vouloir dire, dune autre intention qui a fait rater la
premire.
Dans le mot desprit, bien sr, lintention de signification russit et mme russit si
bien, trop bien, au point que cest un autre qui sapproprie ses fruits, si vous voulez
bien vous souvenir pour certains de la lecture du Witz de Freud. Lacte manqu est en
quelque sorte lquivalent du lapsus au niveau de la motricit et cest bien l aussi
une intention qui juge et qui isole lacte manqu. Mais le symptme, je laisse de ct
le rve, parce que depuis toujours on a considr le rve comme tmoignant dun
vouloir dire, on na pas attendu Freud pour a, pour considrer que le phnomne lui
mme tait interprter. Mais le symptme, comme tel, napparat pas relatif une
intention de signification et cest au point qu ltat sauvage, il peut mme passer
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 180

180
inaperu du sujet, cest surtout vrai de la nvrose obsessionnelle, cest plus difficile
quil peut passer inaperu dans lhystrie de conversion. Et cest bien en quoi Freud
signale que le symptme se formalise dans lanalyse et quil y acquiert prcisment
son enveloppe formelle.
Cest l dans lanalyse quil peut admettre lAutre, cest--dire tre constitu
comme message et cest alors, dans lanalyse, que le symptme peut faire lobjet de
la question de ce quil veut dire. Mais il ny a pas dvidence interne de ce vouloir
dire. Et cest un pas que den venir penser que le symptme est capable de dire
quelque chose, quil faut le dchiffrer. Cest pourquoi Lacan peut prcisment
rapporter le symptme un phnomne de croyance. Ce qui constitue le symptme,
dit Lacan, dans son RSI, cest quon y croit. L certainement lattitude subjective, pour
reprendre les termes de Searle, est constitutive du phnomne. Il faut y croire et il
faut y croire prcisment comme une entit qui peut dire quelque chose.
Un autre trait me parait vident qui met part le symptme des autres, du lapsus,
du mot desprit et de lacte manqu, un trait valable au niveau de la phnomnologie
mme et qui est une diffrence temporelle. Le lapsus, le mot desprit, lacte manqu
rpondent une temporalit instantane, cest dire que, comme tels, ils ne se
rptent pas, ils fulgurent, ils sont de lordre de lclair. Et Lacan, dans sa
prsentation du concept de linconscient, insiste sur ce trait dinstantanit, qui
dailleurs donne ces formations une identit singulire, puisqu les rpter on les
transforme. Par excellence, ils ne se disent quune fois et par surprise. Il ny a pas de
meilleure faon de faire rater le mot desprit que de se le faire rpter et expliquer,
alors que ce qui est essentiel au symptme, cest la dure, cest la permanence. Alors
sans doute un lapsus, si on refait le mme systmatiquement, a tendance devenir
symptme, un acte manqu, si on rate rptition, on le fera passer dans la
catgorie du symptme, et mme le mot desprit, quand il y a le blageur qui ne peut
plus sarrter de blaguer (rires), on a tendance considrer que cest une
manifestation symptomatique. Mais prcisment cette variation que jessaye montre
que ce qui est essentiel au symptme analytique cest la rptition, puisque que cest
justement quand les formations de linconscient se rptent quelles se
symptomatisent.
Comme nous sommes dans le registre de la clinique, nous ferons place aux
exceptions. Il y a des phnomnes lmentaires dont lapparition une seule fois peut
suffire indiquer un symptme si je puis dire, structural, mais cest prcisment dans
lattente que a se rpte, dans le suspend mais dune rptition, et cest pourquoi
Lacan met en valeur letc. du symptme. Dans la structure mme du symptme il y a
un etc. Et par l nous sommes introduits la perspective qui associe le symptme au
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 181

181
rel et cest une hypothse de Lacan de considrer le symptme avant tout comme
rel. Aussi bien, lessentiel ce ne serait pas le symptme comme symbolique, le
symptme comme message qui se dchiffre, comme message lAutre, comme
parole, ni le symptme comme imaginaire, mais bien le symptme comme rel et
prcisment au titre de la rptition. Et cest pourquoi, dans sa doctrine des
modalits, Lacan inscrit le symptme analytique au rang de : ce qui ne cesse pas de
scrire.
Retenons a pour linstant, ce qui ne cesse pas... L, par un court circuit nous
pouvons apercevoir la pointe qui, dans cette hypothse, interroge la science ou tout
du moins interroge la psychanalyse dans son rapport la science. Le symptme, cest,
en quelque sorte, dans lanalyse, un savoir qui ne cesse pas de scrire ; et par l
mme ce pourrait tre pour nous, lquivalent de ce qui est pour la science un savoir
dans le rel. Et cest le ressort de linterrogation de Lacan sur le symptme. Le
symptme est-il pour nous lquivalent de ce quest dans le science du savoir dans le
rel. Pour Freud remarquons que le symptme est par excellence li ce qui ne cesse
pas, li la compulsion de rptition, et cest ainsi que dans le chapitre X de
Inhibition, symptme et angoisse, o Freud rcapitule ses rflexions, il indique que le
symptme implique une fixation et que le facteur de cette fixation est trouver dans
la compulsion de rptition du a inconscient. Et chaque fois que Freud dans cet
ouvrage a dcrire le symptme, il le dcrit comme li la constance de la pulsion,
lexigence pulsionnelle en tant quelle ne cesse pas de sexercer.
Alors en quel sens le symptme est-il du savoir dans le rel ? Cest l que prend son
sens la remarque de Lacan sur la croyance lgard du symptme. Il y faut de la
croyance et cest pourquoi a nest pas un pur savoir, le symptme. Il y faut de la
croyance et il est sensible que la rflexion que Lacan l introduit trouve son point de
dpart dans louvrage qui lui faisait lpoque, dans ses dernires annes,
compagnie, louvrage du logicien Hintikka, sur Believe and knowledge, Croyance et
savoir. Et sur quoi porte la croyance qui doit tre incluse dans le symptme
analytique ? Cest une croyance qui porte sur le fait que le symptme aurait du sens,
quil serait anim dun vouloir dire.
Autrement dit, le symptme analytique nest pas exactement pour nous du savoir
dans le rel, cest bien plutt du sens dans le rel. Et toute la rflexion des dernires
annes de Lacan, toute sa clinique borromenne, tourne autour de cette
compatibilit, antinomie, interfrence, entre le sens et le rel, en tant que cest
la question du symptme, alors que, par dfinition, la notion du rel devrait exclure
le sens, parce que, mme pour quil y ait du savoir dans le rel, du savoir
mathmatique dans le rel, donc du savoir qui na pas de sens, simplement du savoir
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 182

182
qui est articul, pour quil y ait du savoir dans le rel, dj il faut quil y ait Dieu, il faut
quil y ait au moins le Dieu des philosophes, il faut quil y ait un sujet suppos savoir.
Et le sens dans le rel cest prcisment ce que la science a exclu, elle a exclu que la
nature rponde un grand plan divin finalis. La science a mis le Dieu des
philosophes la place du Dieu dIsaac, Abraham et Jacob. Alors comment la
psychanalyse serait-elle, elle, le retour du sens dans le rel et alors mme quelle
sinterdit de croire au rel du sujet suppos savoir, puisque prcisment elle dsigne
lAutre comme sujet suppos savoir, cest--dire comme lAutre qui nexiste pas sinon
dans une voie de mirage, dans une voie de signification qui est de mirage, alors quil y
a plusieurs possibilits.
Ce qui est interrog l, cest par ce biais, cest le fondement mme de la possibilit
de la pratique analytique. Est-ce quil y a du sens dans le rel et est-ce que quand on
opre sur le sens, on peut bouger le rel ? On vrifie, grce au spoutnik dont parlait
Lacan, comme grce Dolly, que, par le savoir, on arrive toucher le rel. Est-ce que
par le sens dans la psychanalyse on arrive toucher le rel ? Et alors que faut-il que
soit le rel pour quon puisse le toucher par le sens ? Comment le symptme, la
rptition permanente du symptme, comment penser sa structure pour quon
puisse la toucher par le sens ? Une possibilit quvoque Lacan, une fois, cest que
linterprtation pourrait dlivrer un effet de sens rel. Il le dit une fois, pas deux,
parce que cest presque seulement la formulation du problme. Une autre possibilit,
si le sens et le rel sont disjoints, cest que la psychanalyse soit une escroquerie. Et
cest une question qui hante la clinique borromenne de Lacan. La psychanalyse
serait-elle une escroquerie ? Il a dailleurs lch a sous une forme affirmative, en
allant le dire Bruxelles dans un petit cercle de ses lves, ce ne sont pas des choses
claironner, et aussitt quelquun a d tlphoner au Nouvel Observateur (rires), et
je me souviens que la seule fois o un dit de Lacan a t mis vraiment en valeur, le dit
dune confrence de Lacan, la semaine suivante immdiatement, ctait : Lacan a dit
la psychanalyse est une escroquerie. Il la dit. Il la dit en explorant prcisment la
disjonction du sens et du rel et dans leffort de construire si je puis dire la ralit
symptomatique. On peut aussi penser que lanalyste na affaire quau dit du patient,
qui vise sans doute le symptme comme rfrence, mais que ces dits on ne peut les
prendre au pied de la lettre et quen dfinitive lanalyse na du symptme rien
dautre que du sens. Et cest l que Lacan voque la varit du symptme, le
symptme comme une vrit variable qui nest pas du mme niveau que le savoir
dans le rel. Et mme, si on se rfre aux quatre places que Lacan a distingues dans
son schma des discours, sans plus le justifier parce que je nai pas de temps,
jindiquerais cette place en bas droite comme celle du rel et je dirais que, dans la
science, le savoir produit sinscrit dans le rel.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 183

183







S
2

Rel
Alors que dans la psychanalyse, le savoir dont il sagit ne sinscrit qu la place du
vrai et que nous, nous faisons, notre savoir nous ne pouvons pas...









S
2

Vrai

Autant la science peut prtendre, par les productions effectives qui sont les
siennes, du spoutnik Dolly, peut prtendre que le savoir quelle produit est savoir
dans le rel, dans la psychanalyse nous pouvons bien plutt prtendre que notre
savoir sinscrit non pas dans le rel mais dans le vrai. Cest--dire que notre savoir ne
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 184

184
va pas au mme endroit, et par l mme il nest jamais que suppos. Reste que peut-
tre que ce qui pour nous sinscrit dans le rel, la place du rel, a nest pas du
savoir, mais cest peut-tre seulement un signifiant, un signifiant un , et cest
pourquoi Lacan, loccasion, dfinit le symptme comme de ce qui, de linconscient,
se traduit par une lettre.
Ce S
1
dans le rel, ventuellement, cest ce que Freud appelait, jen ai rappel le
terme tout lheure, la fixation. Il faut considrer que ce qui a de plus rel de
linconscient, cest une fixation de jouissance. Dans la psychanalyse, le joint entre le
sens et le rel se fait prcisment la fixation de jouissance. Mais Lacan sest avanc
vers dautres possibilits. Sans doute que pris deux le sens et le rel sont disjoints
mais peut-tre que si on prend les termes trois, le savoir, le sens et le rel, peut-
tre qu trois a tient ensemble, do son essai de nud borromen.
Penser deux deux a ne marche pas, mais peut-tre que penser trois a tient
ensemble et encore une variante selon laquelle trois a ne tiendrait pas mais
quatre oui, en ajoutant comme quatrime terme, le symptme.
Bon, jai essay, je lavoue, jai couru un peu la poste, parce que jai essay dans la
premire partie de vous rsumer tout ce que javais prpar il y a dj un mois sur
Searle, et dans ma deuxime partie sur le symptme, je vous ai donn un petit aperu
de ce que jai dvelopp plus abondamment dimanche dernier dans un sminaire que
jai eu loccasion de faire Madrid. Peut-tre que je peux marrter sur ce point et
passer la parole ric Laurent en mexcusant davoir dbord mais ctait convenu et
il rcuprera le temps que jai pris sa partie la fois prochaine, et moi-mme
jessaierai de continuer sur ces donnes.

ric Laurent :
Alors, nous en tions rests une fixation particulire, fixation de jouissance
particulire, pour reprendre ce terme que Jacques-Alain Miller vient de situer sa
place, une fixation de jouissance qui est celle du stupfiant dans la culture. Et nous
lavions aborde par un biais qui tait de nous demander si limportance de la
polytoxicomanie contemporaine nest pas la face cache de la qute anxieuse dune
parit non pas des droits mais de la jouissance entre les sexes.
Nous nous nous tions autoris dans cette perspective de la faon dont Lacan situe
le stupfiant, avant tout comme rupture avec le phallus, alors que Freud lui donnait la
place dune sorte de driv de la masturbation, dune jouissance phallique
maintenue, prolonge sur le mode o volontiers, dans Malaise dans la civilisation,
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 185

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Freud situe les productions de la civilisation comme des prolongements dorgane, le
tlescope prolongement des yeux.
Dans le mme malaise, Freud en effet note la faon dont le stupfiant est, comme il
le dit, apprci, reconnu par, non seulement des individus pour assurer le bonheur et
loigner la misre, mais que les peuples entiers leur ont rserv une place
permanente dans lconomie de leur libido. Et en effet, il faut bien dire que tous les
stupfiants connus ont connu le mme parcours. Ils ont dabord t des substances
relevant du sacr, puis sont passes la pharmacope et essentiellement la
pharmacope des puissants, des rois, puis ensuite sont passes dans des corporations
de techniciens et puis se sont mancipes.
Toutes les drogues connues, des plus puissantes du type driv des opiacs, ou la
liste des tabacs, alcool, et dabord, enfin surtout le vin, caf, chocolat (rires) ont
dabord t des substances lies des pratiques rituelles assurant lextase, et
permettant la venue du dieu, pour les plus actives ou substances permettant de
mditer plus longtemps, repres tout de suite par les fonctionnaires du divin, par les
prtres, pour se maintenir veills plus avant, comme le th et le caf.
Ladoption du toxique comme choix dans une culture peut tre lev au rang dun
mythe fondateur, et mon ami Claude Inger Flomm ( vrifier) notait que, dans la
fondation, dans les mythes de fondation de ltat russe de Kiev, lorsque le prince se
dclare et dclare son tat, un mythe est une conversation entre le Roi et deux
reprsentants des grands tats qui lentourent, dun ct les musulmans et de lautre
les chrtiens et le mythe dit mes sujets aiment tellement lalcool, que je ne veux
pas les priver de ce bonheur, et cest pour a que je ne me convertis pas lislam
mais que je convertis tout le monde la religion de Byzance. Et le lendemain matin
tous les sujets sont convoqus au bord de la rivire, tout le monde est baptis et cest
lentre de ltat de Kiev dans lHistoire.
Depuis le mythe fondateur ou encore on peut passer plus loin, la faon plus
astucieuse dont la douane vnitienne au 15eme, cest un texte en fait plus tardif,
cest un texte du 18eme, dont la douane vnitienne tablit une taxe sur, dit le texte
qui a t repr par Braudel, une taxe sur le caf, le th, le chocolat, la glace, toutes
choses semblables, dj inventes ou inventer, prudence fondamentale, taxe du
fonctionnaire vnitien qui est en effet la voie vers laquelle dailleurs soriente une
mode de maintenant, de redfinir un paradigme avec ces toxiques. Cest de nouveau
la cration dune sorte de taxe gnrale sur ces drogues dpendantes dans un effort,
pour tablir les sommes dargent qui passent actuellement dans la corruption, pour
faire passer les taxes des drogues illgales, de transformer tout a, dune part on les
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 186

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transforme en taxe dun ct, et de lautre en procs juridiques,
puisquactuellement par exemple le fait que le tabac a t incorpor dabord par les
taxes et maintenant par les procs que font les fumeurs aux producteurs de tabac
pour obtenir des ddommagements et donc ce qui annonce, videmment que pour
toutes les autres drogues, ds quon va les lgaliser dune faon, en faisant payer des
taxes, il y aura immdiatement aussi des procs, pour les dangers que font courir ces
drogues, qui sont simplement des faons de les faire passer dans la place de notre
culture marchande.
Alors il y a, dune part les inscriptions, mais on a aussi, on le sait, la faon dont le
toxique a jou un rle trop destructeur pour une culture, et on a ces sauts toxiques
dans lhistoire, bien connus, qui font que par exemple lorsque lEspagne introduit la
distillation dans lAmrique Latine et fait passer au Mexique le pulk au mescal, en
distillant lalcool obtenu par les cactus, a donne un alcool tellement extrmement
puissant, qui se diffuse avec des rsultats catastrophiques et nous avons un texte
avr o le vice-roi du Mexique ordonne de diffuser le pulk parmi les Apaches du
Nouveau Mexique qui ne reconnaissaient pas lautorit du vice-roi, en leur disant
nous allons leur crer un nouveau besoin qui les obligera reconnatre leur
dpendance force envers nous. a cest de 1786, cest pas dhier et voil le cynisme
du pouvoir, qui sest rpt lorsque les Anglais ont oblig les Chinois consommer de
lopium de masse, ou bien encore dans la tolrance de la police amricaine lgard
de lintroduction de la drogue dans les ghettos noirs, qui a pu tre dnonce par les
activistes noirs comme tant une politique dlibre, et dont actuellement les fruits
mauvais sont rcolts.
Mais nous avons cette utilisation l, ce nest plus le toxique adopt, domestiqu,
cest le toxique qui fait sauter, avec cette part de rel, fait sauter absolument la
construction sociale, fait sauter lAutre dans toutes ses conventions.
Rien nest plus sur cette corde raide que ladoption des toxiques, et il a fallu,
lorsque le moins destructeur pour lAutre social, qui est lalcool a t introduit en
Europe, donc le temps quil a fallu. Il a fallu dabord la civilisation du vin, il a fallu
ensuite que la Perse diffuse lalambic, et lalambic dabord pour fabriquer du parfum,
que a atteigne en Chine un degr de technicit suffisant pour quensuite ce soit r
cupr en Europe et qu partir du 16eme sicle seulement, lalcool soit distill et
dabord comme panace, puis au 17eme se dveloppe et au 18eme enfin atteigne la
consommation de masse dans la distribution aux soldats, qui reviennent de l
suffisamment intoxiqus pour que lalcool devienne une consommation absolument
rpandue.
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Actuellement, si la polytoxicomanie moderne chappe au rglement qui tente de la
domestiquer, cest quau fond il y a eu mondialisation, globalisation des toxiques,
jusque l rpartis entre les diverses cultures, et de la cocane extrme occidentale,
lopium extrme oriental, comme dirait Lacan dans Tlvision, on se mle, les
jouissances se mlent et le produit en est la sgrgation des diffrents utilisateurs de
toxiques, qui sont eux-mmes dbords par labondance.
Pourquoi ne pas donner quelques chiffres ? Lobservatoire gopolitique des
drogues, constatait quil y a dans chacun des cinq grands pays europens, 500 000
consommateurs de drogues dures, de type cocane, hrone et que la seule chose qui
fait quen Europe cest un peu moins quaux tats-Unis, cest que la population de
cette Europe est vieillissante, ce qui nest vraiment pas rassurant (rires)..., alors elle
en consomme environ 100 tonnes, par exemple de cocane, il y en a 300 tonnes aux
USA, un quart est saisi par la rpression, mais a nest pas un problme, puisque la
production mondiale est value 1300 tonnes environ, donc on peut saisir.
Le grand problme cest que les prix de ces substances ne varie pas, cest--dire
que les prix, malgr les saisies, malgr les variations fait quils ont baisss et
quelquefois de moiti, par rapport aux annes 80.
La recherche dun paradigme de contrle de cette jouissance, de cette jouissance
qui peut mettre en danger justement lAutre, se fait selon les pays avec diffrents
choix et il semble que les choix idologiques, que ce soit la petite guerre totale ou
lexportation de la drogue pour soi chez le voisin, est remise en question
essentiellement par les problmes dpidmies et cest partir dun problme de
sant, transmission de lpidmie de sida ou maintenant plus profondment
transmission aussi ses cots de lpidmie de lhpatite C, que les rsultats de ces
politiques dlaboration de paradigmes lgaux, dune domestication de ces drogues
sont envisags.
Cest aussi que laspect, comme disait Freud, de briseur de soucis, le rapport la
douleur, est insparable de cette question de la drogue et cest ce qui fait que,
quoiquil mne dans le pays qui actuellement a dclar, donc officiellement la guerre
contre la drogue, il y a une proposition dans certains tats du Sud, en Californie et en
Arizona, o ils veulent lgaliser, au nom de la lutte contre la douleur, lgaliser la
marijuana, et cest lenjeu de la proposition 215, 200, dans ces tats du Sud o est, au
nom de la douleur, mise en cause la sgrgation, en particulier portant sur les
drogues douces. Non plus pour lusage rcratif, comme ctait le cas dans les annes
soixante, plus personne na lide que cest rcratif, mais en tout cas au nom de la
douleur que les mdecins commencent considrer.
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Une tude rcente des Anglais, dans le British medical journal, les Anglais, ont non
seulement dmontr avec Dolly mais avec aussi un certain nombre de recherches
quils sont trs costauds sur cette question, et donc les mdecins anglais attiraient
lattention sur le fait quun des avenirs de la mdecine est la prise en considration
de la douleur dans les maladies de longue dure, du type cancer, sida ou les
syndromes postopratoires, et ils concluaient quenviron 60% des malades, en fait,
leurs douleurs sont sous-estimes par les mdecins et assignes plutt au stress ou
lanxit et non pas traites comme il se doit par des mdicaments fortement
antalgiques. Et cest l un avenir o se situe un croisement entre dune part les
traitements de substitution des drogues existantes, des drogues anciennes, connues
et des nouvelles qui sont fabriques comme antalgiques puissants, qui rappellent
sans cesse que les neuroleptiques sont partis des recherches sur des anesthsiques et
sur des volonts de rduire la douleur.
Alors toute cette casuistique, toute cette laboration dun paradigme sur ces
substances et qui signale ltonnante insertion de ces substances dans des figures
modernes de notre subjectivit, montre enfin, il semble possible de les assigner
cette qute, cette recherche, de trouver une parit, pour les deux sexes, davoir accs
une jouissance, hors la jouissance phallique.
Et en effet cest notre subjectivit mme, le fait que pour nous lAutre nexiste pas,
que nous avons touch du doigt, dans notre poque de lHistoire, nous avons touch
du doigt cette inexistence l, quoi est confronte la subjectivit, et cest pour a
que dans son absolu mme, dans sa qute elle est renvoye la subjectivit du corps.
Cest ce quavait aperu Nietzsche, lorsquil faisait valoir quil y avait dans la
modernit une qute de la bte. Lui, il prcisait la bte blonde, comme figure de la
crtinisation absolue, subjectivit du corps, cest--dire des impulsions et des affects,
cest--dire de la volont de puissance, il lappelait comme a, qui vient la place
dune volont de jouir. Et que, pour que cette volont de jouir ne prenne pas la forme
de venir la place dun tout, venir la place dune rponse, il faut quil y ait un
paradigme, en effet, qui puisse faire tenir ensemble homme et femme.
Lorsque Lacan, lui, reprenait autrement laperu nietzschen en disant lhomme
moderne est prt tout pour jouir, cest dsigner ce statut ou cette qute dune
garantie de jouissance qui vient rpondre au dsarroi de la subjectivit, qui rencontre
lAutre qui nexiste pas.
La garantie de jouissance cest autre chose que le lieu de lAutre de la bonne foi.
Cette garantie de jouissance cest ce qui, dans son appel, vient rpondre le symptme
dans une dimension sociale, une dimension et dabord, enfin, quappelons-nous,
comment dsigner cette dimension de symptme social ? Car aprs tout ce qui, pour
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 189

189
Freud, est dabord social, sans aucun doute, cest langoisse, depuis Totem et Tabou
en passant par Massenpsychologie, langoisse est une dimension collective vidente,
elle est pidmie, elle est contagieuse, depuis le lien deux, quinstaure le couple ou
la paire analytique, jusquaux foules les plus vastes, elle nest pas assignable lUn,
signal dans le moi, elle est pas du moi, et elle a t en effet signe. Elle est le signe de
la prsence de lAutre, cest mme la grande forme, le grand fait, qui toujours fait
obstacle aux conceptions purement librales individuelles de lAutre social. Et ceux
qui lui ont fait obstacle, Kierkegaard le premier, ont signal que dans langoisse, il y a
surgissement, prsence de lAutre qui fait irruption. Et Freud sinscrit dans cette voie
qui lie rsolument angoisse et prsence de lAutre, dvoilement mme de lAutre.
Langoisse est un affect rsolument social, et dautres affects ont pu ensuite
sintroduire, la suite de langoisse comme marquant leur destin minemment social.
Dautres affects comme lattente ou lennui ont trouv leur forme, dvoilant ainsi la
prsence justement de cet Autre.
Alors, lorsque nous disons symptme social, a nest possible de le concevoir mme
qu partir du moment o les formes de la subjectivit ou les reprsentations qui ont
pu se former de cette subjectivit sont connectes langoisse et cest partir de l
que je continuerais la prochaine fois ce que jai commenc l aujourdhui.

Dixime sance du sminaire E. Laurent-J.-A. Miller
(mercredi 26 fvrier 1997)


E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 190

190
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Onzime sance du sminaire
(mercredi 5 mars 1997)



ric Laurent :
Nous en tions donc au dbut de ce parcours dans les troubles dans la jouissance,
considrs comme symptme dune impossible parit, dune fiction introuvable, ces troubles
dans la jouissance abords partir de la rupture de la consistance phallique. Rupture, la suite
de lindication de Lacan, qui est sans doute la seule bonne faon de lire ce que Michel
Foucault nonait sous forme de plaisanterie bander nest plus la mode . Ce sont des
symptmes et je me demandais, avant dcouter comme vous la construction et le discours
que Jacques-Alain Miller faisait sur le symptme, pourquoi Lacan, un moment, faisait de ce
symptme rvrence, rfrence Marx, ce symptme dans lHistoire, puisquaprs tout lui-
mme comme tout le monde, avait commenc par faire des formes du symptme une
invention - de ces formes du symptme dans lHistoire de la civilisation - une invention
dabord hglienne.
Ce que jcoutais, ce que je suivais, de la construction que faisait Jacques-Alain Miller,
ma fait reprendre un parcours pour rpondre moi-mme cette question et essayer daller
plus loin, dans la mesure o un certain nombre de choses me devenaient plus claires.
Dans lenseignement de Lacan, les formes du symptmes se prsentent hgliennes, et cest
ainsi quil aborde dabord le malaise dans la civilisation, freudien. Aprs tout Hegel, pour tout
le monde, est linventeur de lhistoricisme, de celui qui nous a amens considrer les objets
de pense comme portant la marque jamais de lesprit du temps et spcialement les formes
historiques, symptomatiques, que peut prendre le moi et Lacan assignait cet abord hglien,
la faon de situer convenablement les formes les plus leves du statut de la personne, disait -
il, du statut de la personne en Occident, le stocien, le chrtien, jusquau citoyen futur de
ltat.
Non seulement dans le registre de lidal mais aussi bien du lien, cette tension entre lidal
dune communaut de plus en plus vaste, immense, et laisse une tension entre lanarchie
dmocratique des passions et leur nivellement dsespr disait Lacan, par le grand frelon ail
de la tyrannie narcissique. Et cest bien cette tension entre lidal et ce dchanement
passionnel, que permettait de comprendre cet abord par Hegel du malaise dans la civilisation,
laide dune tension entre idal et lexpression, une poque, de la pulsion.
Notre poque situable dans cette perspective hglienne, se caractrisait - dans le texte sur
Lagressivit en psychanalyse - par la remarque que notre poque est celle dune
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absence croissante dune saturation du surmoi et de lidal du moi, ralise de toutes sortes de
formes, de faons organiques dans les socits traditionnelles (p. 121). Le terme l
organique est durkheimien, mais souligne dautant plus que dun ct il y a cette absence de
saturation de lidal et de lautre, la pression de lorganisme du ct du narcissisme et de sa
tyrannie. Cest ainsi que Lacan situait ou se situait dans les critiques de la foule moderne, de
sa rduction au conforme, enfin lhomme unidimensionnel.
Lidentification est, dans ces annes, pense dans la trame hglienne mme. Pour rsoudre
ou pour prsenter le concept freudien de pulsion du moi, Lacan fait rfrence la ngativit
dialectique o on peut dire que le gnie de Freud a donn sa mesure en la reconnaissant
comme pulsion du moi sous le nom dinstinct de mort. Et lidentification, son pouvoir, la
tension fconde quelle introduit entre le sujet et lAutre, napparat nulle part plus en valeur
que dans la psychose o dans le passage lacte, le sujet porte son coup, contre ce qui lui
apparat comme le dsordre et, par l, se frappe lui-mme par voie de contrecoup social. La
rversion identificatoire se prsente l en son maximum. Cependant, ds cette mise en valeur
de labord hglien du symptme et dans sa forme sociale, Lacan commence une sorte de
rcriture de Hegel, qui va se faire en cinq ans, o il fait un pas de ct par rapport la
conscience de soi hglienne ou les mirages, la perpective du savoir absolu. Si on a cette
rversion qui concerne la psychose, en tout cas, le symptme nvrotique, dans la mesure o il
met en question le support imaginaire du corps, permet de prendre un appui sur cette
inscription dans le corps. Lacan fait un raboutage, je crois que personne ne lavait fait avant
lui, qui est de lier la fois la conception hglienne de la maladie, de la maladie organique,
comme atteinte sur le vivant, et de la maladie mentale telle quelle apparat dans le dlire de
prsomption. Et, alors que se sont des conceptions qui sont trs loignes dans luvre de
Hegel, il peut noter qu partir du moment o le symptme trouve son support dans les
fonctions organiques du sujet, pour peu quune pine organique sy prte, nous avons
lamorce dune bance entre lidal, la rsorbtion dans le tous, lessence et puis ltre
individuel et Lacan se sert donc de ce point not par Hegel de la maladie comme introduction
du vivant son existence, son existence particulire. Et ainsi rabouter la maladie aux figures
ou avec les figures de la phnomnologie de lesprit, nous avons les figures hgliennes non
seulement prsentes dans leur idalit mais prsentes de telle faon quelles ont le paradoxe
de nous introduire la particularit de lexistence. Et do une lecture remarquable, o, la
surprise gnrale, le symptme freudien vient rectifier lidalisme hglien, en le dcentrant,
en lamenant hors de lunicit du lieu de la conscience. Et ainsi il peut dire : la dcouverte
freudienne a t de dmontrer que ce procs - ce procs hglien - natteint authentiquement
le sujet qu le dcentrer de la conscience de soi, pour le recentrer sur le moment particulier,
qui seul donne corps luniversel et faute de quoi il se dissipe en gnralits .
L le donner corps qui vient faire obstacle lidalisme de la conscience de soi, le donner
corps nest pas pour faire rfrence une sorte de matrialisme simpliste de lorganisme ;
mais il sagit dans ce terme de moment dune rfrence la logique temporelle o le sujet
vient ce lieu dinscription, de surface dinscription du corps, produisant ainsi le particulier
de ce qui est en jeu. Cest ainsi ce mixte ou cette lecture de Hegel avec Freud, qui fait du
symptme en gnral, non seulement organique, une inscription sur le corps et une
modification du vivant. Et l, que ce soit le mcanisme idal ou celui qui opre dans le
particulier, se sont les mmes, bien que produits en dautres lieux.
Et ainsi Lacan relit des remarques que Kojve avait faites sur lopration hglienne,
autrement. Il dit : sil y avait quelque chose de prophtique dans lexigence o se mesure le
gnie de Hegel, de lidentit foncire du particulier, cest dire du particulier du symptme,
luniversel de lidal du moi, cest bien la psychanalyse qui lui apporte son paradigme en
livrant la structure o cette identit se ralise comme se disjoignant du sujet.
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Disjoignant puisque deux lieux et rupture avec cette conscience de soi, et donc Lacan peut
la fois confirmer le gnie de Hegel, surtout en expliquant comment il sest tromp et comment
lui-mme a recul devant ce que Freud ainsi compltait.
Moyennant quoi, cet Hegel suffisamment modifi pour que le particulier et luniversel se
conjoignent ainsi, Lacan inscrit, y compris les deux nvroses de transfert, dans les figures de
la phnomnologie de lesprit.
Il y avait dabord la folie qui trouve sa place dans la causalit psychique puis il y a
lhystrie qui trouve sa place par la belle me, qui doit sy retrouver dans les causes de son
action et de sa dnonciation, sy retrouver l o elle nest pas, la belle me, elle, est une figure
qui est produite par Hegel et Lacan ne recule pas ajouter une figure qui ntait pas dans la
phnomnologie mais il lui fait sa place pour ajouter la nvrose obsessionnelle. Et note bien
lobsessionnel manifeste des attitudes que Hegel na pas dveloppes dans sa dialectique du
matre et de lesclave, et par contre Lacan, lui, les dveloppe. Lesclave sest drob devant le
risque de mort, loccasion de matrise lui tait offerte dans une lutte de pur prestige, mais
puisquil sait quil est mortel, lesclave, poursuit Lacan, il sait aussi que le matre peut mourir,
ds lors il peut accepter de travailler pour le matre et de renoncer la jouissance.
Mais de mme que la belle me ne se reconnat pas dans sa dnonciation, lobsessionnel,
lui, ny est pas, dans son travail, il ny est pas dans ce travail, quelque fcond quil puisse tre,
puisque, dit Lacan, il est dans le moment anticip de la mort du matre, voil le moment, en
particulier. Et ainsi, lopposition entre lidal, disons la place dduite dans luniversel du
rapport avec la mort, se distingue du lieu o est le sujet, le moment anticip de la mort de
lAutre, de cette mort du matre.
Cette inscription des symptmes des deux grandes nvroses symptomatique, dans les
figures de la phnomnologie, permet Lacan lpoque un instrument, un instrument trs
puissant, dattaque, contre les prsentations dans le mouvement psychanalytique des nvroses
comme phnomnes intra-psychiques, le vocabulaire psychanalytique de lpoque prsentait
a comme mcanique, mta-psychologique, entre le surmoi, le moi, le a, avec ces aspects
divers. Au contraire a permet de situer le symptme demble dans un rapport avec lAutre,
avec lAutre du transfert, on sort des descriptions sur le terme la nvrose obsessionnelle dans
laquelle le moi veut sduire le surmoi et en oubliant quil sagit dun mcanisme transfrentiel
qui joue dans la cure elle-mme, donc demble dans une dialectique intersubjective.
Donc dans ces annes le dcentrement freudien du symptme est lu comme sparation entre
le lieu o stablit lessence, lidal du moi, et lexistence. On se retrouve avec un Hegel
bizarre, complt de Kierkegaard, la fois le logos o sinscrit tout a, universel certes, mais
avec cette existence en jeu, sen sparant, dans une tension. Et Lacan peut faire l-dessus un
jeu de mots entre la tautologie et la tauto-ontique, la tautologie le logos daccord, mais ne pas
oublier lontique en question, qui est une rupture fondamentale, une division fondamentale
pose au dpart. Lacan arrive relire toute la Phnomnologie en plaant non plus la lutte du
matre et de lesclave au dpart, mais plutt la division de la belle me qui devient un
dsordre premier dans ltre, avec la tension entre cette essence et lexistence qui permet de
relire la Phnomnologie, dit-il, condition de rompre le mirage de la conscience, le mirage
du lien entre la conscience et le je infatu de son sentiment quil rige en loi du cur, cest--
dire exactement ce que Lacan a fait avec le stade du miroir, qui est utilis comme instrument
puissant pour conjoindre la fois le matre et lesclave et la belle me dans un mme appareil
qui permet de soulever les rapports du je et du corps, tout en disjoignant ce rapport la
conscience.
Cest partir de l que va se produire dans La chose freudienne , pour Lacan, une sorte
dadieu Hegel, il va disparatre partir de l et partir du moment o se relisent les rapports
du je comme tre lgal et de la jouissance telle quelle est situe lpoque. Lacan peut dire :
il tait affreux de rendre cet tre lgal, le je, responsable du dsordre manifeste dans
lorganisme et cet tre lgal, responsable, cest bien de dfinir ainsi le statut thique de
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linconscient ou ce qui viendra aprs se dfinir comme statut thique du sujet de linconscient,
qui est le point o Lacan remet sur ses pieds, partir de l, lidalisme hglien. Et Hegel
prend cong, cest un mouvement que Jacques-Alain Miller avait nomm, dans une brochure,
qui est publie en Espagne, De Hegel Jakobson, dans lequel, dans le sminaire sur Les
psychoses, ce lien de tension entre essence et existence tait relay par labord jakobsonien du
schifter, et cet autre dcentrement apparat alors dans les lois du langage qui disent au revoir
la dialectique.
Mais Hegel rapparatra, il rapparatra transform, modifi, partir de Subversion du
sujet... et modifi partir du moment o stablit un strict rapport du symptme et du savoir
dfinitivement dli de la perspective du savoir absolu. Il rapparat, cet Hegel, transform,
dans Subversion du sujet... o Lacan nous apprend quil ne fallait plus du tout lire Hegel
comme il lavait fait mais autrement, il dit ainsi do quon lapprenne ici - donc on
lapprend dans ce texte l, dans Subversion... - la rfrence toute didactique que nous
avons prise dans Hegel, pour faire entendre de ce quil en est de la question du sujet, telle que
la psychanalyse le subvertit . Et il note que ce qui est retenir de cet usage propdeutique,
didactique, quil avait pris de Hegel, cest tout de mme que le savoir hglien a lavantage
dune relve logicisante, dune Aufhebung logicisante, et que cest un savoir rduit ses
composantes logiques.
Et donc, si nous conduisons, chez Lacan, le sujet quelque part, cest un dchiffrement qui
suppose dj dans linconscient cette sorte de logique o se reconnat par exemple une voix
interrogative, voire le cheminement dune argumentation. Et cest donc partir de l, coutant
comme vous la construction, lapport de Jacques-Alain Miller, je voyais autrement, partir de
l, le montage que faisait Lacan entre symptme et savoir, entre le nouage diffremment pos
entre vrit/savoir et croyance.
Il y a donc l, partir de Subversion du sujet... , un savoir qui se couple un sujet, mais
comment ? Si Subversion du sujet... introduit le sujet de la science, ou lidentit du sujet
de la science, et du sujet de la psychanalyse, en tout cas introduit leurs considrations
ensembles, on va voir apparatre diverses solutions qui vont faire tenir ensemble ce savoir et
le sujet. Et dans Position de linconscient , en 64, donc plus loin, Lacan va faire apparatre
deux usages du cogito, un, lusage de la science et un autre, lusage dans le registre de la
pense. Il les prsente de telle faon quil ny a pas identit complte entre lusage
scientifique du cogito et lusage dans un registre autre, celui qui permet dtablir
linconscient, non pas partir de la conscience bien sr, dont Lacan dnonce la caractre
absolument mal constitu, htrogne, complet, mais de lexprience de pense qui permet,
partir de la conscience, de dfinir une exprience dont le cogito est lexploit majeur, dit-il,
peut-tre terminal, en ce quil atteint une certitude de savoir. Donc on se retrouve avec un
savoir coupl avec une attitude propositionnelle, une certitude de savoir. Et il dit dans le
paragraphe suivant pour la science, le cogito marque au contraire - donc le point cest dans
le au contraire, cest--dire ce nest pas le mme - au contraire la rupture avec toute assurance
conditionne dans lintuition - et il dit - la latence recherche de ce moment fondateur,
labsence recherche de ce moment fondateur, comme Selbstbewusstein, dans la squence
dialectique de la phnomnologie de lesprit, repose sur le prsuppos dun savoir absolu (p.
831). Donc la science, elle, fait un usage... justement ce savoir... na pas besoin de certitude de
savoir, sinon ce moment qui soublie, et on a des usages du cogito, donc le cogito est le mme
mais avec des usages diffrents, du moins ce moment de Position de linconscient .
Et cest ainsi que nous arrivons un retour de Hegel, sous forme de Marx. Un Hegel
dfinitivement dlivr du savoir absolu, et o Marx soppose la conception du symptme
chez Hegel comme rintroduction dune vrit. Cest dans le texte intitul Du sujet enfin en
question , en 66, o Lacan parle ce moment l de la grandeur de Marx et lui attribue cette
situation du symptme davant la psychanalyse, car il y avait vu un retour de la vrit dans la
faille dun savoir. condition de bien voir, ce qui est quand mme une prsentation
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extrmement particulire de la question, en quoi vraiment se situe cette attribution de vrit
dans la faille dun savoir. Nen venons pas tout de suite la plus-value, mais donnons-nous le
temps de voir que dabord a nest pas la vrit oppose au savoir, dit-il, dans le problme
classique de lerreur, un savoir faux, donnant la trace dune vrit subjective : je me trompe,
mon savoir est en dfaut et bien cest donc trace dune vrit. Donc je fais un acte manqu,
mon savoir, ce qui me guide dans le monde nest pas impeccable, a peut tre pris comme
erreur, bvue... Donc pas le problme classique de lerreur, mais, dit-il, manifestation concrte
dune vrit apprcier cliniquement, dune autre rfrence que ce dont elle vient troubler le
bel ordre. Pas le savoir mais manifestation de quoi ? et dans cette question mme, Hegel
soppose Marx, dit-il, parce quau lieu quon ait affaire, pour Hegel, une vrit, on a le
cheminement des ruses de la raison vers un savoir et les ruses de la raison cest une forme du
savoir, tandis que l la perspective dun type de vrit, et cest un Marx rcrit par Freud,
parce que cette vrit lui fait retour dans les failles du savoir - je me servirai du mathme que
Jacques-Alain Miller avait crit au tableau lautre fois - qui est donc la situation du S2 ici
vrit, et savoir situ cette place et qui peut se lire l, comme vrit faisant retour dans la
faille du savoir.

S
2


partir de l cest un mode original du signifiant, de cette situation du signifiant comme
symptme et ici, ce lieu l, Lacan le nomme ainsi, nous nen faisons tat que pour dvelopper
le saut de lopration freudienne, elle se distingue darticuler en clair le statut du symptme
avec la sien, le statut du symptme avec celui de la psychanalyse, car elle, elle est lopration
du symptme.
Et pourquoi noter que pour Marx cest, ce symptme, lirruption dune vrit ? Cest quon
considre que pour Marx le grand avantage cest quon ne sait pas, on nest pas sr que
lHistoire aille vers ce savoir absolu ni quelle sache o elle va. Elle est par contre la trace du
surgissement dune vrit qui est linsurrection. Il me semble que l Lacan lit Marx comme
irruption dune vrit dans la faille dun savoir, cest qu chaque changement dpoque, de
mode de production dans les vnements qui se produisent apparat toujours prsent ce droit
linsurrection qui fait apparatre un savoir comme pass. Cest une lecture dun Marx
pistmologue, ou cest lusage pistmologique situant la ncessit de linsurrection, et qui
fait quil prend l lapport de Marx, il le fera dans Radiophonie, surtout partir du statut
donn au discours sur la rvolution.
Mais le symptme ainsi situ, Lacan va ensuite le dployer en trois textes, cette
prsentation du sujet en question, en 66, Radiophonie, ou aussi bien la Proposition du 9
octobre o se poursuit un fil sur les rapports du symptme, du signe et du signifiant. Ce sont
des questions poses dans le texte du sujet en question ; on trouve des rponses dans
Radiophonie o dans la Proposition du 9 octobre et dailleurs, linverse aussi.
Le mme fil part de la rfrence, dune question sur le signe, pose dit-il dans des termes
classiques, ou dans les termes de la logique bouddhique qui est : pas de fume sans feu,
comme dfinition classique du signe. Selon les tats classiques de la logique bouddhique,
pour laccs que jen ai eu, ne lisant pas les textes bien sr dans le texte, le dveloppement de
cette logique samorce partir des rflexions sur le sacrifice et le feu qui est en jeu, et qui
sadresse le feu ? et comment le situer ? et partir de l la logique brahmanique rflchissant
sur la logification du sacrifice, sur la rduction ces lments, a produit, ct de la
grammaire mditant sur le signe, a produit une logique de haut niveau.
Lacan, lui, prend cette interrogation et spare ainsi le signe et le symptme et affirme :
notre signe, ce dont nous avons besoin pour affirmer une prsence, une existence, au del du
signifiant, ce dont nous avons besoin, cest du symptme. Et il faut l distinguer ce qui est du
registre de linterprtation et ce qui est du registre de la prsence et, dans Radiophonie, Lacan
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peut dire que, la diffrence du signe, le symptme ne sinterprte que du signifiant. Le signe
cest une prsence mais le symptme, lui, ne rpond quau signifiant et cest dans cette
articulation, dit-il, que rside la vrit du symptme.
Quand on voit un symptme on sait ce qui est traiter pour la psychanalyste, ce qui est
interprter, le signe signale quelque chose que jai traiter, par cette logique du signifiant.
Mais jusque l, dit Lacan, le symptme gardait un flou de reprsenter quelque irruption de
vrit. Alors, comme souvent, comme nous la appris Jacques-Alain Miller, quand on lit
Lacan, quand Lacan dit : le symptme gardait jusque l... qui a sadresse ? a sadresse
Lacan lui-mme, cest que jusque l dans la thorie de Lacan, le symptme gardait un petit
flou, de reprsenter quelque irruption de vrit. En fait il est vrit, il est, e-s-t, dtre fait du
mme bois dont elle est faite, si nous causons matrialistement, que la vrit cest ce qui
sinstaure de la chane signifiante. Alors l on a, bien sr, du bois au feu, de la matire rpond
au signe et que cest le bois dont on ne fait pas des fltes mais dont on va faire le feu dont il
sagit.
partir de cette matire qui fait que la vrit et le symptme sont les mmes, ils sont les
mmes, mais comment articuler ? Reprenons donc le signe qui est prsence de quelquun. Le
symptme, lui, il est prsence de quoi ? Cest donc le moment dun dveloppement
extrmement serr et amusant dans Radiophonie o Lacan interroge le pas de fume sans feu
et il isole pas de fume selon un jeu de mots quil a souvent utilis, comme le pas de sens, qui
est la fois le pas comme engrenage, une sorte de shifter, le pas de, et en mme temps le
ngatif. Alors le pas de fume, de quoi fait-il signe, est-ce que cest du fumeur et signe du
fumeur et il ajoute plutt du producteur de feu a sera plus matrialiste et dialectique
souhait. Donc plaisanterie sur lide que le fumeur - dieu sait si son statut est mis en cause
dans nos socits contemporaines - le fumeur, transportant sa faon de faire symptme et
dont on veut le sgrguer. Tout a naboutira aprs tout quau retour du fumoir, au retour au
fumoir du 19
eme
, cest tout. Mais l notre fumeur devient producteur de feu, cest--dire jette
du bois dans la machine pour produire un signe, un signe de sa jouissance. Alors cest un
savoir, qui revient une place o il y a dautres, Lacan dit des matires faire sujet, des
matires comme le bois qui permettent de faire signe du sujet, en tant que sa jouissance est en
jeu et cest l o ce savoir dit-il, ou cette vrit sinscrit dans la faille du savoir et faille crit
entre le verbe falloir et la faille comme entaille, dans son statut, cest l o le savoir est le lieu
dun retour thique. Lacan a cette formule, et qui nous fait entendre comment se conjoint ce
retour thique et la jouissance, en notant quil faille la joie phallique, lurination primitive
dont lhomme, dit la psychanalyse, rpond au feu, pour mettre la voie, quil y a au ciel et sur
la terre dautres matires faire sujet que les objets de la connaissance.
Donc avec les objets dont parle la psychanalyse, il y a une matire qui permet de faire
signe, de faire symptme, pour nous, de la position de jouissance du sujet. Cest un savoir qui
nest utilis comme matire qu produire cette articulation, qu produire ce signe. Et la
jouissance laquelle va contribuer le sujet, brlant ses vaisseaux, ses objets, mettant son urine
dans le coup, mettant tout ce quil peut pour fournir, il fournit pour rpondre au trou foncier
qua introduit le signifiant dans le monde. Alors la structure fonctionne, dit Lacan, des
dpends de jouissance, voil le primaire ; alors a nest plus l le primaire hglien, de la
division subjective, la division de la belle me tendue elle-mme entre existence et essence
mais cest une division entre ce quil essaye, ... avec ce pour quoi le sujet fait signe, et la
ncessit toujours plus grande de combler, la ncessit de plus-de-jouir pour que la machine
tourne, la jouissance ne sindiquant l que pour quon lait comme trou combler.
Cest le prix payer pour que se mette en route la machine symptomatique et que de l se
rinterroge le statut quavait accord Freud au symptme dans le malaise dans la civilisation,
rinterprt partir de ce dpends de jouissance vu dans cette perspective dun marxisme relu
par Freud.
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Do il ne sagit que darticuler comme une des possibilits le savoir la vrit comme ce
lieu, dans la faille, o le savoir porte, dit-il, le faux tre. Donc on a la fois un registre, qui
nest pas celui de la science, o le faux qui est un faut plus proche de limpratif du falloir, un
savoir tel qu ce lieu l il devient un impratif de production qui nest que la trace dune
seule vrit de la faille elle-mme. Donc la construction que produit Lacan ce moment l est
dun statut du symptme distinct, une fois que ces paragraphes mont t clairs par la
lecture quavait faite Jacques-Alain Miller, donc je comprenais enfin pourquoi on a en ce
point la fois un statut du savoir qui est dfini comme dans le registre de la science ou sur le
modle du savoir dpos par la science, et ce, pourtant, dans une perspective toute autre
puisque sy glisse ce savoir que nous avons appris reconnatre dans la langue, partir de la
langue, ce savoir, il nentre en fonction, il nest saisissable qu partir du dispositif analytique
o dans la faille quelque chose porte le sujet produire, produire ncessairement le
tmoignage que ce savoir de la langue tmoigne de sa division subjective, de sa faille, de cette
tension entre lidal et lexistence, entre cet Autre et lAutre qui nexiste pas.
Dans cette perspective, nous pourrons relire, mais je le ferais la prochaine fois, ce qui chez
Lacan, dans le sminaire XVII, et dans Encore, est un autre avatar de sa lecture hglienne du
symptme, la faon dont il commente un rglez-vous, une sorte de relecture hglienne du
malaise encore plus dcentr. a, je le ferais la prochaine fois, (sadressant Jacques-Alain
Miller) si tu le veux bien.
Applaudissements.

Jacques-Alain Miller :

Ce qui moriente dans la partie de ce qui me revient de ce sminaire, cest exactement la
disjonction du sens et du rel. Et cette disjonction conduit faire du symptme le rel que
traite lexprience analytique. Et faire du symptme le rel dont traite lexprience analytique
comporte une difficult au regard des exigences du discours de la science.
Cette difficult consiste en ceci que nous ne pouvons pas ne pas rfrer le symptme
freudien lordre du sens. Et donc contrevenir la disjonction du sens et du rel. Cette
difficult est trs rsume quand ric Laurent souligne, chez Lacan, la proposition selon
laquelle le symptme ne rpond quau signifiant. Le symptme freudien, on ne le traite pas,
par la chimie, par exemple, on ne le traite pas par un comportement contraint quon impose au
sujet, on le traite en tant quil rpondrait au signifiant. videmment dans cette formule mme
il y a une quivoque, parce quon dfinit le signifiant par sa diffrence avec le signifi, et
donc on peut faire semblant quen traitant le symptme par le signifiant, prcisment on ne
soccupe pas du sens, et donc on est conforme la disjonction du sens et du rel. On peut faire
comme si on tait conforme aux exigences du discours de la science. Il me semble quon peut
suivre Lacan au-del, jusqu reconnatre que le discours de la psychanalyse est en infraction
par rapport au discours de la science, malgr tous les maquillages que nous pouvons prodiguer
ce propos. Voil ce que je rsume de lorientation que je suis.
Aprs le sminaire de la semaine dernire, jai reu, comme ric Laurent, je crois, un fax,
un fax entre autres, sinquitant que jai mentionn lvnement Dolly, dont nous ne cessons
pas dentendre parler depuis lors, sans voquer la question de limmigration, qui tait la
semaine dernire au centre du dbat de lopinion publique, et qui lest dj un peu moins,
parce que lopinion publique, a va, a vient.
Pourquoi est-ce que je nai pas voqu la question de limmigration ? Je pourrais rpondre
que je ne suis quand mme pas tenu dvoquer, ni ric Laurent, tout ce qui agite, un
moment donn cette opinion publique. Mais enfin, ce serait une rponse pitre, donc je ne la
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fais pas. Si je ne lai pas voque, men poser la question, cest sans doute que cette
question fait lobjet dun tel consensus dans notre milieu, quil me semblait inutile, redondant,
de le faire ; mais peut-tre que je fais trop confiance ce milieu. Je me croyais quitte pour
avoir contresign le manifeste des enseignants, paru ce propos. On na peut-tre pas fait
paratre ma signature, mais enfin, je lai envoye aussitt et je me croyais quitte dautant plus
que je ne suis pas prodigue de ma signature dans les affaires publiques. Mme si je prend la
priode rcente, des symptmes sociaux rcents, je me suis content dappuyer le mouvement
homosexuel, dans sa revendication lchelle europenne, dune reconnaissance sociale du
lien homosexuel, qui me parait fond en thorie psychanalytique, je nai pas eu loccasion de
le dvelopper ici mais nous avons pu en parler, ric Laurent et moi-mme dans un sminaire
plus restreint qui porte sur linconscient homosexuel, et je suis videmment, ai-je besoin de le
dire, sans hsitation, du ct de ceux qui dsapprouvent, qui contestent lopportunit de cette
chasse ltranger, qui se poursuit depuis plusieurs annes dj, sous couleur de rprimer
limmigration dite clandestine. Immigration quon a faite clandestine, videmment. Cela
mavait paru aller de soi. Nanmoins, je ne prends pas mal ce rappel de la question de
limmigration couple avec celle du clonage. Jy vois loccasion de remarquer que
limmigration et le clonage sont deux faces de la mme question, si on regarde de prs.
Limmigration, quelle place fait-on ltranger ? Quel droits lui reconnat-on ? Et par l
mme quels sont les droits que lon sattribue en tant que ceux qui seraient chez eux. Et donc
quels sont les droits et les devoirs dune communaut lendroit de ceux qui nen sont pas
mais qui dsirent y entrer.
Quest-ce quune communaut ? Cest une des questions que nous avons commenc dans
ce sminaire, par des voies diverses, aborder, et cette question est rendue tout fait prsente,
dans ce nouveau symptme social auquel nous avons affaire, et il y a en effet une dfinition
de la communaut qui passe par lexclusion de lautre. Cest mme sa dfinition la plus
robuste, mme si elle est parfois, dans ses consquences, invisible. Mais toute communaut se
dfinit par lexclusion de lautre, mme les communauts les plus irniques, les plus
dmocratiques. Cest ce que Lacan soulignait dans la dfinition mme de la dmocratie, en
levant le voile pour la rvler une la dmocratie des matres, cest--dire qui exclut les
esclaves, lorigine, quon clbre, du concept mme de la dmocratie. Et cette fatalit se
rpte jusqu sauter aux yeux, quand on nous raffirme notre droit rester entre nous,
moins davoir donn la permission lautre.
Le clonage, cest la mme question, mais vue non plus du ct de lAutre, mais du ct du
mme. Ce qui inquite dans le clonage, malgr toutes les dngations, selon laquelle ce nest
pas nouveau, a ne donne rien ou mme cest confus conceptuellement. On sen fout que a
soit confus conceptuellement ! ! hein, allez expliquer a Dolly ! ! que cest confus
conceptuellement, elle fait b- ! ! (rires) Le rel, de ce point de vue l, se moque du sens. Ce
qui inquite dans le clonage, en dpit de toutes les dngations, cest ce qui se profile
prcisment de lexclusion de lAutre et que le clonage installe lhorizon la reproduction du
mme. En loccurrence le clonage du mammifre adulte permet denvisager pour les espces
animales, dont nous sommes, un au-del de la reproduction sexue, et par l mme, un retour
len-de de la reproduction sexue, la reproduction proprement bactrienne, la
reproduction non sexue. La bactrie est lavenir de lhumanit ! Notre espce, lespce
humaine, est en train, de faon sensationnelle, de faire advenir la reproduction non sexue
dans le rgne animal. Et donc, en la rpandant, de rendre vidente la disjonction de la
sexualit et de la reproduction. Ce que nous savons par ailleurs, si je puis dire, ce que nous
savons de lexprience analytique, mais voir la chose se produire dans le rel, a nous fait
tous un petit quelque chose.
Alors cest un fait que lon clone des cellules depuis longtemps. a fait longtemps quon
sait faire se reproduire des cellules comme des bactries sous forme asexue. Mais comme
lont signal un certain nombre de scientifiques, jusqu prsent on ne savait pas vraiment
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 198

198
reconstituer un organisme entier. On savait reproduire des cellules mais pour ce qui est de
lorganisme entier, on savait le faire pour les plantes, depuis longtemps ; si on se souvient
bien, on savait le faire pour les grenouilles, dans les annes cinquante, on a beaucoup parl de
a, de prlever des cellules sur des embryons de grenouilles et, si on prenait ces embryons
temps, cest--dire pas au-del de deux mois et demi, quelque chose comme a, on avait fix
la limite trs prcisment, on arrivait cloner des grenouilles, mais condition que ce soit
assez frais, que les cellules ne soient pas encore diffrencies, quelles naient pas encore
donn naissance des tissus cellulaires diffrencis selon les diffrentes parties de
lorganisme. Au-del, on avait lide que si on prlevait des cellules de muscle, et bien on
pouvait cloner des cellules de muscle, mais quon pouvait pas cloner des cellules du foie, une
cellule musculaire ne donnait jamais une cellule du foie. On avait donc lide que seules des
cellules embryonnaires et trs rcentes possdaient encore le caractre dindiffrenciation
permettant quelles engendrent nimporte quel tissu biologique.
Alors, le sensationnel, ce qui vraiment ouvre des perspectives, au-del de ce qui
apparaissait comme une limite naturelle intangible, cest quon ait, pour Dolly, prlev une
cellule mammaire, qui, selon ce quon pensait tre inscrit dans le rel, ne pouvait donner que
des cellules mammaires, et quon ait constat que a donnait un mouton tout entier, une
brebis, une agnelle. Le fait scientifique en loccurrence, cest cette ddiffrenciation de la
cellule de lorganisme adulte, fait que je me contente de vous rapporter, que je nai pas
vrifi, que vraisemblablement je ne vrifierai pas, mais qui doit tre vrifi par dautres
expriences du mme genre. a pourrait tre une blague cossaise aprs tout, et il faut
galement vrifier soigneusement que a nest pas une proprit spcifique des cellules
mammaires du mouton, auquel cas videment les consquences seraient quand mme
limites. Mais enfin tout fait penser, sans garantie, que a nest pas le cas.
Alors si a nest pas le cas, voil que, au moins chez le mouton et dans dautres espces
animales, dont la ntre je le rpte, a nous rapporte notre animalit, terreur des
spiritualistes ! on peut fabriquer, on pourra fabriquer des jumeaux volont, cest--dire des
cratures ayant un code gntique identique une crature originale. Cest videmment un
pas en avant dans lindustrialisation des espces animales, industrialisation qui est en route
maintenant depuis longtemps. On le savait depuis longtemps, ne serait-ce que par un jardinage
intelligent propos des espces vgtales. Maintenant a stend aux espces animales, on
peut vraiment fabriquer, dans la nature, on peut vraiment exercer la volont du sujet dans
lordre naturel et produire, slectionner, parmi les espces animales, les types profitables, on
le suppose, lespce humaine.
Alors toute la vacillation qui fait quaprs le prsident Clinton, le prsident Chirac
galement a fait appel au comit dthique, et lappel au comit dthique signale toujours
quon touche au rel dune faon qui inquite, la vacillation qui explique ce recours au comit
dthique, cest quon saperoit bien que a changera quelque chose la reproduction
humaine.
Donc on rappelle, ct amricain, que ltre humain est tout fait part, que toucher sa
reproduction pose des questions, non seulement scientifiques, mais proprement morales et
spirituelles, et cest bien sr ce ct part de lespce humaine qui se trouve l lpreuve.
Noublions pas les optimistes, The economist, Business week, qui eux, prophtisent dj quil
y a de largent gagner l-dedans (rires), que le 21eme sicle sera techno-biologique et qui
ont le cynisme de dire clairement que rien narrtera, si je puis dire, lavidit du businessman,
devant cette nouvelle ressource. Et je dirais que ma sympathie intellectuelle va de ce ct l :
je crois que les cyniques disent la vrit en loccurrence.
Alors... Ce serait trs sympathique dailleurs quun couple, o le mari est strile, et qui
jusqu prsent devait sen remettre une cellule spermatique, puisse obtenir un rejeton par
exemple partir dune cellule sanguine. Voil, par exemple, une des consquences possible
de cette dcouverte.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 199

199
Le couple homosexuel dont on discutait il y a peu, sur la question ah ! mais alors ! des
enfants ? Faut-il les laisser avoir des enfants. Prenez un couple de lesbiennes. Jusqu prsent
comment peuvent-elles se reproduire ? Elles peuvent se reproduire symboliquement par
ladoption. Elles peuvent se reproduire par linsmination artificielle dune, faire entrer dans
le jeu un tiers, anonyme, masculin, engrossant lune delle. Maintenant il y a une troisime
solution, qui est de cloner une des partenaires, et au nom de quoi vous direz, daccord pour la
premire solution, daccord pour la seconde, et la troisime non ! Donc la question du lien
homosexuel, terme, se croisera avec celle du clonage et nous avons dj un lobby prt se
mettre en mouvement, pour rclamer quon exprimente sur la reproduction humaine, non
sexue.
Hein ! ! !
Et puis videmment ce qui occupe les gazettes cest les extensions mal matrises de la
rplication. On sinquite du narcissisme de lespce humaine et quil y en aurait des qui
saimeraient tellement quils seraient prts dpenser des fortunes pour se rpliquer, et on
impute a des millionnaires fous, simplement parce quils en auraient les moyens, mais cest
branch sur une proprit que nous connaissons, qui est ce trait de narcissisme qui est propre
au sujet.
On a lide aussi quon pourrait rpliquer quelques gnies du pass. Jai lu quil suffirait de
trouver un vieil os (rires) ou du sang sch, pour que nous puissions retrouver parmi nous des
doubles, de Newton, Einstein, de Freud (rires). Sachez quil existe dj, aux tats-Unis, des
banques de sperme de prix Nobel. En effet il y a, je crois me souvenir quil y a quelques prix
Nobels amricains, trs favorables leugnisme, et qui pensaient quune humanit qui les
reproduirait, les redupliquerait serait certainement mieux que lactuelle. Cest le cas, si mon
souvenir est bon, je nai pas eu le temps de vrifier, dun prix Nobel qui sappelle William
Chokley ( vrifier), fasciste sur les bords, inventeur du transistor, et qui, sur la base du prix
quon lui a donn, a tenu dposer, faire conserver son sperme afin que dautres inventeurs
de grand mrite puissent, au cours des sicles, surgir de sa substance.
Rien ninterdit de penser, non plus hein, que par exemple si vous aimez, prenons le ct
masculin, si vous aimez une femme, et si a marche, vous pourrez avoir la mme plus jeune
(rires). Je marrte l, il est vident quon peut continuer imaginer, rvasser. a a un ct
indiscutablement comique. Le comique vient sans doute de linutilit ridicule quoi a rduit
le phallus, qui parait dsormais une sorte dappendice excdentaire dont on peut parfaitement
se passer pour la reproduction humaine. Cette disjonction dans le rel de la sexualit et de la
reproduction animale ne fait que rpercuter, et rend dautant plus vidente labsence de la
pulsion reproductive dans linconscient.
Dolly met aussi bien en vidence quelle profondeur la science, mme mal conceptualise,
et la science aussi cest une pratique, ce nest pas de la contemplation, la science, cest une
pratique, et pas toujours au fait de lappareillage conceptuel dont elle sentoure, quelle
profondeur la science, comme pratique, intervient dans le rel. Dolly vient son heure nous
indiquer quelle valeur il faut donner la formule du savoir dans le rel. Le savoir dans le rel
ninvite pas une simple lecture, qui ne serait quune nouvelle forme de la contemplation. Le
savoir dans le rel permet une intervention dans le rel, a permet de toucher au rel et donc
de le saloper ! ! comme on le voit par la production de ce quil faut appeler un monstre : Dolly
est un monstre.
Alors cest difficile, quand on a Dolly en face de soi, de ne pas relever linadquation de la
distinction kantienne du phnomne et du noumne. Kant distinguait le phnomne comme ce
qui apparat au sujet, ce qui est reprsent pour le sujet, laissant en quelque sorte en retrait, en
dehors de toute reprsentation, forclos de tout accs, le noumne.
Nous tions, par Kant, condamn ne connatre que le phnomne, navoir de rapport
quavec le phnomne, quand au noumne, tout ce quon pouvait en savoir, cest que
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 200

200
prcisment on ne pouvait rien en savoir. Et le noumne, cest une sorte de pressentiment du
rel lacanien, Lacan, une fois au moins, la indiqu en passant, sauf que, le rel lacanien, nous
y avons accs et spcialement dans loccasion pour le transformer, pour produire, aussi bien
des monstres que des gadgets.
a fait bien voir linadquation de la disjonction de John Searle entre la ralit sociale et le
monde rel, disjonction qui suppose, cest sa version du ralisme, que le monde rel se moque
bien de ce que nous pouvons en dire. Cest une conception qui, en dfinitive, vacue le savoir
dans le rel et ce quil permet de faire, dans le rel. Son erreur cest de faire comme si le
savoir ntait quune description, et que des descriptions il peut y en avoir plusieurs, cest une
affaire de socit, de ralit sociale, de qui est daccord l-dessus.
Cest une perspective qui a sa valeur, mais qui nglige quon puisse, par le savoir, oprer
sur le rel, et que le rel ne sen moque pas tant que a, puisquil doit faire la place des
productions tout fait indites, dans le rel, et qui sont causes prcisment par notre
description. Lintuition qui doit supporter a chez Searle, et qui est la mme que celle de ses
adversaires non ralistes, cest que le savoir nest que du semblant, comme on le voit toutes
les variations du savoir et la dpendance de llaboration du savoir par rapport des
communauts qui restent entre elles. Cest dailleurs ce que souligne, dans le titre mme de
son livre, le mot de construction, qui laisse entendre que le rel, lui, nest pas construit. Et
bien prcisment le rel est de plus en plus construit, cest--dire de plus en plus remani et
dtruit.
a conduit, jai dj indiqu je crois, que ce mot de construction cest celui qui fleurit
comme un symptme social dans toutes les productions rcentes dpistmologues et
dhistoriens, qui sont tous mettre en valeur le caractre de semblant du savoir et des
pratiques sociales.
Je ne sais pas si jai voqu louvrage de Stephen Shapiro ( vrifier) ici, pistmologue de
grand mrit, qui a produit lanne dernire un ouvrage qui sappelle A social history of truth,
Une histoire sociale de la vrit. Cest consonant avec le titre de Searle, Construction de la
ralit sociale. Cest un spcialiste de la science exprimentale au 17
eme
sicle. Il avait avant
fait un ouvrage important, dtaill, o il mettait en scne la naissance de la Royal society en
Angleterre. Il souligne justement le caractre relatif une communaut de la vrit de
lexprience scientifique et de la science exprimentale. Pour rsumer sa thse, il explique que
a ne pouvait pas natre dans un autre milieu quun milieu de gentlemen. Que tous les
premiers scientifiques exprimentaux taient des gentlemen, cest--dire quils se faisaient
confiance les uns les autres pour dire la vrit, et pour pas maquiller leurs rsultats.
On voit quaujourdhui, on sait quaujourdhui la science ne se fait plus entre gentlemen et
priodiquement il y a des suspicions sur la vracit des rsultats exprimentaux. Et, aprs-
coup, a donne sa thse une valeur. On voit bien quen radicalisant cette approche, on
obtient le scepticisme philosophique contemporain, celui quillustre en particulier quelquun
que jai dj mentionn, Nelson Goodman, qui professe quil ny a que des faons de parler,
quil ny a pas de rel proprement parler, quil ny a que des faons den parler, et qui fait
donc lquation Worlds, les mondes, et Words, les mots. Les mondes sont des mots. Cest ce
quil faut inscrire comme symptme social, je lai propos au moins, dans le registre du
fictionnalisme contemporain. Et qui nous donne ou bien le ralisme rsiduel de Searle, ou
bien lirralisme sceptique, aussi bien que ce quon appelle communment aux tats-Unis, le
relativisme.
Et la psychanalyse l-dedans ? La psychanalyse est ne sur le terrain du scientisme, quon
peut dfinir du point o nous sommes, aujourdhui, comme la croyance, que toutes les
descriptions du rel ne sont pas quivalentes et quil y en a pour chaque rgion ontologique,
pour chaque domaine de ltre, il y a une description qui est la bonne. Et il faut admettre que
Lacan a plutt, par rapport Freud, introduit dans la psychanalyse ce que jappelai le
fictionnalisme, partir du moment o lAutre, lAutre qui on sadresse, qui sadressent les
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 201

201
formations de linconscient, depuis le lapsus jusquau symptme, lAutre apparat pivot, et
selon laccueil de lAutre, et bien ce dont il sagit varie, de telle sorte quil ny a pas une
vrit. Quand Lacan dit la vrit a structure de fiction , il donne dj la clef de ce
fictionnalisme gnralis, qui est vraiment un symptme social devant lequel on assiste
certaines insurrections scientifiques disant : mais tout de mme, ce nest pas comme a.
Le rsultat dailleurs, cest que : comment Lacan pntre aux tats-Unis, aujourdhui ? Il
pntre aux tats-Unis sous les espces de la narratologie. On rduit la psychanalyse une
narratologie, cest--dire une psychanalyse cest : raconter son histoire. Et puis la raconter de
faon diffrente au cours de lexprience. a, ils ont capt a, partir de la fin des annes
soixante dix et a a beaucoup plu bien sr, dans les dpartements de lettres tout dabord, les
universits de lettres mais a sest implant chez les psychanalystes eux-mmes : ah ! enfin
une clef pour la psychanalyse, on raconte des histories. Et ils ont mme admis, par ce biais,
laprs-coup freudo-lacanien. On fait resignifier son histoire. Et do vient le soulagement de
cette solution ? Cest que, partir de la psychanalyse inscrite dans le fictionnalisme,
soulagement, il ny a pas de rel.
Et cest l prcisment que prend son sens lorientation lacanienne comme orientation vers
le rel. Quand Lacan place tout son dernier enseignement sous le signe du rel, cest
prcisment en contrepartie, en contrepoids, cette norme fictionnalisme, et il la senti venir,
parce que ce ntait pas encore tout fait dvelopp son poque, cet norme fictionnalisme
o sengouffrent toutes les thories du savoir contemporaines.
Alors de quel rel sagit-il ? La difficult, pour la psychanalyse, cest que la science, je crois pouvoir
dire les choses ainsi, sest prcisment institue de disjoindre le sens et le rel. Et cest pourquoi elle
a dabord rencontr, comme son Autre, la religion. Parce que la providence, je lai soulign la
dernire fois, la croyance en la providence, cest la croyance quil y a du sens dans le rel, quil y a
une finalit smantique du monde, et le pas du discours de la science a t de mettre la place du
sens du savoir dans le rel. Et du savoir qui ntait pas un message. Le savoir nest pas un message, le
savoir ne veut rien dire. Cest une formule, Lacan la rappelle rgulirement, comme la formule de la
gravitation. Elle ne veut rien dire personne. En ce sens le savoir, un savoir, dans le discours de la
science, cest simplement ce qui ne cesse pas de scrire dans le rel. Et ne pas cesser de scrire,
cest loppos du vouloir dire. Do limportance prvalante, dans la physique contemporaine, de la
notion de constante, qui incarne prcisment ce quon cesse pas de retrouver par quelque bout
quon prenne le phnomne. On cherche les constantes, cest--dire ce qui ne cesse pas de scrire.
Alors la difficult pour la psychanalyse, cest que mme si elle a partie lie avec la science, elle
comporte une infraction la disjonction du sens et du rel. Elle ne peut sans doute pas liminer de sa
pratique mme la supposition quil y a du sens dans le rel. Et est-ce possible ? La psychanalyse
mme est-elle possible ?
Bon et bien cest une trs bonne chute pour la semaine prochaine, de garder a...
Applaudissements.

Fin de la onzime sance du sminaire Laurent-Miller
11 du 5 mars 1997
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 202

202
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Douzime sance du sminaire
(mercredi 12 mars 1997)





Jacques-Alain Miller :

Avant de passer la parole ric Laurent, je vais achever le mouvement que jai
esquiss la dernire fois, que jai interrompu sur une chute significative.
La science, et je dis la science conformment lusage de Lacan, qui sautorise de
Koyr, pour nommer ainsi la science mathmatique de la nature, telle quelle sest
impose partir de Galile, et telle quelle sest affirme avec Newton, la science,
cest ainsi que je lai prsent la dernire fois, substitue au sens le savoir. Et cette
substitution peut tre crite comme mtaphore ainsi : savoir sur sens,

Savoir

Sens

qui est proprement parler la mtaphore scientifique. La mtaphore scientifique a
pour effet, dans la signification, le silence. Cest ce silence mme, dont Pascal faisait
une puissance deffroi : le silence ternel de ces espaces infinis meffraie .
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 203

203
Ce silence, et cest ce que faisait remarquer Paul Valry dans sa Variation sur une
pense, laquelle jai fait, jadis, un sort, dans mon cours, ce silence nest pas si
ternel que a. Cest un silence qui est dat, un silence qui tient lmergence
historique du discours de la science ; qui tient Copernic, Kepler, et puis Galile.
En effet, comme le rappelle trs judicieusement Valry, pour Pythagore, les
mathmatiques ne faisaient nullement taire les cieux. Au contraire, elle les faisait
chanter, et dun concert harmonieux, dun accord suave et sublime. Quant aux Juifs,
dit Valry, ils ne parlent des cieux quils nen clbrent lloquence et cest ce que
Jhovah lui-mme dit Job Les toiles du matin clataient dans chant
dallgresse . Autrement dit, la nature a parlait, et spcialement la nature des
cieux, lunivers.
Laissons-l laffect deffroi, qui a t critiqu par Valry selon la perspective, les
canons de son esthtique. Pour lui, le bien-dire excluait la puissance de lmotion sur
lcrivain, donc il souponnait lauthenticit de laffect que Pascal cherche nous
communiquer. Il ny voyait quun effet proprement littraire. Mais enfin laissons
laffect deffroi et son ventuel caractre littraire pour garder le silence. Le silence
nest pas l un effet littraire, cest proprement parler leffet scientifique. Cest le
silence impos au sens, au chant du sens par le savoir de la science. Le savoir de la
science ne chante pas, ne parle pas, il est muet et il scrit, i-t. Oui, la langue nest pas
toujours sans quivoque, comme nous le savons. Enfin sil scrie i-e, il ne scrit que
silence. Et cest ainsi que jai pu dfinir la dernire fois ce que Lacan dsigne comme
le savoir dans le rel, qui serait le propre de ce que dsigne et labore le discours de
la science, jai pu le dfinir, dans les termes mme de Lacan, comme un savoir qui ne
cesse pas de scrire, cest--dire qui ne parle pas.
Un savoir qui ne cesse pas de scrire en silence. saisir dans cette perspective, il
scrit en formules qui ne veulent rien dire, cest--dire qui ne sont pas des messages,
qui ne sont pas du registre de la communication, mais qui imposent un invariable
cest ainsi , perptuel, constant, calculable et exactement sans appel. Pour ce
quainsi labore le discours de la science comme savoir dans le rel, il ny a pas de
cour dappel, il ny a pas non plus de cour de cassation. Il ny a personne convaincre
ou dconvaincre, il y a un cest ainsi , que cela plaise ou non.
Si la psychanalyse a partie lie avec la science, comme elle le soutient depuis Freud,
la question ne peut tre lude du savoir dans le rel auquel elle aurait affaire en
tant que discipline.
Commenons par nous demander par quel biais la psychanalyse a-t-elle partie lie
avec la science. Elle a partie lie avec la science dabord par le biais dit de
lassociation libre. Elle suscite et elle accueille un matriel qui se prsente comme
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 204

204
alatoire, produit au hasard, contingent et elle dcouvre dans son exercice, elle en
thorise dans sa rflexion, des lois qui sont susceptibles dtre mises en formules,
mais en formules propres chaque sujet, puisque la psychanalyse aborde lespce
humaine comme parlante sous le mode du un par un.
Comment caractriser son opration au regard du discours de la science sinon en
reconnaissant quelle prend son dpart de la parole, et donc dans cette perspective,
disons, titre dhypothse, dun rel qui parle. Et ce rel qui parle, elle vise le
rduire au non sens dune formule. Ce que nous appelons communment dans notre
jargon un mathme.
En cela, on peut dire que lopration analytique accomplit en la rptant, la
mtaphore scientifique, cest--dire que un par un, et prenant son dpart dune
parole qui se dveloppe sur le mode de lassociation libre, elle rduit le sens au
savoir, cest--dire au non sens dune formule qui peut tre crite. Et toute une part
de llaboration de la psychanalyse par Lacan sinscrit sur ce vecteur, du sens au
savoir. Nanmoins, dans la science, le sens est tout fait et radicalement disjoint du
savoir. Et cest ce qui explique que lmergence du discours scientifique ait rencontr
lobjection de la religion, que les autorits religieuses se soient partout gendarmes
contre linstauration du discours de la science. Et loccasion en utilisant les moyens
les plus violents du pouvoir, jusqu apprendre, force, faire sa part au discours
scientifique de faon pacifique, jusqu apprendre cohabiter avec lui, et constituer
par rapport ses dveloppements un comit dthique extrmement puissant, mais,
sur le fond, dadmettre cette puissance en dveloppement.
Peut-on dire que dans la psychanalyse le sens soit radicalement disjoint du savoir ?
Cest beaucoup plus douteux. Et ce qui le montre, cest prcisment ce qui supporte
lopration analytique, savoir, linterprtation. Linterprtation, par quelque bout
quon la prenne, garde partie lie avec le sens. Et cest pourquoi, devant ladmettre,
Lacan, au dpart de son enseignement, et dans loptique de faire advenir la
psychanalyse comme science, mettait ses espoirs dans llaboration dune science du
sens. Il inscrivait volontiers la science, il inscrivait volontiers plus exactement la
psychanalyse au rang des arts libraux, ainsi nomms au moyen-ge, prcisment par
leur dfaut de formalisation, et il se promettait de scientificiser la psychanalyse par la
formalisation scientifique des arts libraux.
Mais le songe dune science du sens, que faisait natre les progrs de la linguistique
structurale, quoi Lacan a donn le dveloppement quon sait dans son Instance de
la lettre , dune science du sens qui aurait pu isoler les formules crites, les
mathmes de la mtaphore et de la mtonymie, comme expliquant la production du
sens en dpit de ce songe dune science du sens, quon ne peut pas mconnatre, la
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 205

205
novation, qui est advenue par la psychanalyse, savoir que si la psychanalyse est
autre chose elle-mme quun songe, quune illusion, quune imposture, il y a du rel
qui est nou au sens. Et cest sans doute ce qui est inliminable de la psychanalyse,
quil y a du sens dans le rel. Et sinon comment pourrait-on attendre de
linterprtation, quelle modifie ce qui pour un sujet vaut comme le rel, savoir le
symptme ?
La dcouverte de la psychanalyse, cest quil y a du sens dans le symptme. Certes,
comme il y en a dans le rve, ce qui a t su depuis toujours, comme il y en a dans le
lapsus, le mot desprit, lacte manqu. Mais la psychanalyse ne vise pas modifier ces
formations de linconscient, ne vise pas modifier le rve ou le lapsus, ou le mot
desprit, ou lacte manqu. Cest le symptme quelle vise modifier. On ne vient pas
chez lanalyste pour rver autrement. On peut venir chez lanalyste pour rver
autrement quand on fait des cauchemars rptition, mais prcisment alors, le
cauchemar rptition vaut comme symptme, il comporte, je le rappelais il y a peu,
il comporte letcoetera du symptme.
Cest le symptme essentiellement que la psychanalyse vise modifier et par
linterprtation. Do la question de savoir si le symptme cest du rel ou non. Est-ce
que le symptme cest le rel dans la psychanalyse ? Et spcialement, tant donn
que le symptme est interprtable, est-ce encore du rel ? Parce que sil est
interprtable et si cest du rel alors a veut dire quil y a du sens dans le rel, en
infraction ce quinstaure le discours de la science.
La simple pratique de linterprtation accentue, intensifie, rend insupportable la
question de savoir dans quelle mesure le langage peut toucher au rel. Et cette
question est la question, on peut le dire maintenant, rtrospectivement, cette
question est sans doute la question de pense du 20me sicle, la question du
rapport du langage au rel. On peut supposer que la promotion scientifique du savoir
dans le rel a comme ncessairement mis en question le langage dans son rapport au
rel. Cest ce quon a appel le linguistic turn, le tournant linguistique de la
philosophie, qui consiste exactement interroger le langage dans son rapport au rel.
Cette expression de linguistic turn, qui surgit dans la philosophie anglo-saxonne,
embrasse en effet le sicle, peut inclure loccasion aussi bien la mditation de
Heidegger et installe, quils le sachent, ces philosophes, ou non, installe la
psychanalyse au cur de cette interrogation. Et sans doute le linguistic turn qui
caractrise le mouvement propre de la rflexion philosophique au 20me sicle, est-il
leffet du discours de la science, parce que jusqualors, sans doute interrogeait-on le
langage, mais quant son rapport la vrit.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 206

206
Pour prendre un exemple qui est la porte aise du public que vous constituez,
songez que Lacan a pu faire place, dans son premier sminaire, une lecture de
Saint-Augustin, concernant le langage. Reprenez le texte, qui est votre porte : cest
une interrogation du langage quant son rapport la vrit. Et cest bien ce
quaccentue Lacan : quant la vrit et non pas quant au rel.
Chaque fois que nous parlons, dit Lacan, nous disons la chose travers le signifi, il
y a l un leurre, sans doute, mais ce leurre, dit-il, est structural dans le langage
humain. Et ce quil met en valeur, la place dinterroger la rfrence, lusage
rfrentiel du langage, il met en valeur la dialectique de la vrit que comporte la
parole.
Et au regard de la vrit, le signifiant apparat en dfaut. Les signes, dit-il,
sinterdfinissent, et par l, nous napprenons rien : ou bien la vrit nous la savons
dj ou bien nous ne la savons pas et ce ne sont pas les signes qui nous
lapprendront. Le privilge accord la vrit introduit des termes comme ceux de
lerreur, de la mprise, de lambigut, et en dfinitive, cette dialectique de la vrit
renvoie linstance de la rhtorique. Avant que sinstaure le discours de la science, le
langage tait interrog avant tout partir de la rhtorique, cest--dire partir du
mode, minemment variable, selon lequel le vrai simpose, selon lequel le vrai est
persuad lAutre. Et a, cet ordre du vrai en tant quil est persuad lAutre est
dun tout autre ordre que celui du rel. Et si lon voit aujourdhui la rhtorique revenir
en force dans la considration intellectuelle, philosophique et littraire, cest parce
que le rel nest pas sans vaciller.
Parce que quest-ce que cest que lessence de la rhtorique ? Lessence de la
rhtorique pour le dire simplement, cest quil y a toujours au moins deux cts
toute affaire. Cest ce que met en valeur tous les jours la pratique judiciaire : chacun a
droit son avocat. On ne se confie pas au mathmaticien pour vous mettre laffaire
en formule et conclure. Pour les affaires de peu dimportance on se confie aux
prudhommes, lhomme prudent, expriment, qui value la question. Mais il
apparat tout fait essentiel, quand il sagit de condamner, de punir, et davrer un
fait, quon puisse entendre le pour et le contre. Et a stablit sur la conviction que,
quand ce qui est, on peut toujours le voir dun ct et de lautre.
Comme dit Quintilien - la rfrence majeure quant lhistoire de la rhtorique - on
peut toujours parler in utramque parte, dun ct et de lautre, a cest lessence de
la rhtorique.
Et cest bien ce qui instaure tout de suite le vrai, le vrai dans le registre de la
rhtorique, comme disjoint du rel. Cest ainsi que Cicron dans son De Oratore, qui a
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 207

207
t la bible de lhumanisme, dfinit lorateur prcisment comme celui qui est
capable de parler in utramque parte. Aussi bien sur la vertu, sur le devoir, sur la
justice, sur le bien, sur la dignit, sur lhonneur, lignominie, la rcompense, le
chtiment et tout le reste, comme il dit, sur tout a, on peut toujours dire, je
simplifie, tout et le contraire de tout.
a, a a t pendant des sicles, lusage majeur du langage, lusage sublime du
langage. Cest pourquoi Znon est rest dans lHistoire, par Plutarque, comme celui,
inspir par la logique, mais une logique quon se garde bien dappliquer nos affaires
humaines, est rest dans lhistoire comme celui qui a profr le principe, qui nous
parait totalitaire dans lordre politique, mais qui est de la plus pure inspiration
scientifique, logicienne, le principe selon lequel il ne faut jamais couter le second
orateur. Je ne dis pas a pour ric Laurent (rires), parce que, prcisment, nous
prenons diffrentes facettes de ce dont il sagit. Il ne faut jamais entendre le second
orateur, ou bien le premier a russi dmontrer laffaire, ou bien il na pas russi la
dmontrer. Mais on ne devrait jamais avoir besoin dcouter lautre point de vue, si
le premier tait vraiment dmonstratif. Enfin nous ne plaidons pas le pour et le
contre (rires), nous, nous plaidons le pour de deux faons diffrentes.
La rfrence essentielle, minente de lusage du langage, jusqu ce qumerge le
discours de la science, a a t le jugement dun jury. Et quant au jury, finalement, il y
a toujours deux cts. a se retrouve, mme dans la psychanalyse puisque aprs tout
Lacan prvoyait pour la procdure de la passe, qui est suppose se conclure devant
un jury, qui dit si oui ou non cest le cas, il avait prvu deux passeurs, et, dans cette
dualit des passeurs quil avait lide lui dintgrer dans le jury, dans cette dualit il y
a comme un cho du principe fondamental de la rhtorique, savoir que a ne
saborde pas par un seul, que le point de vue compte. Et si, aprs tout, la fin de
lanalyse tait susceptible dune dmonstration mathmatique, on ne voit pas
pourquoi on passerait par cette dualit l. On attendrait simplement que a se
calcule.
Le terme mme de jury que Lacan employait nest pas sans ces rsonances
rhtoriques. Mais enfin, le propre de la rhtorique, cet gard, cest, certainement,
de se moquer du rel, et mme de lliminer. Ce qui vient la place, cest la
conviction produite dans un auditoire.
La rhtorique a toujours voulu dire que le langage lemporte sur le rel, et mme,
la limite, que le rel nexiste pas. Il existe tellement peine que cest comme sil
nexistait pas. La rhtorique, cest une limination du rel.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 208

208
En cela, la rhtorique nest pas la science, mme si elle a une technique. La
rhtorique, cest un art des semblants, du langage, et cest la discipline majeure de
lhumanisme, la discipline qui enseigne la technique de se faire entendre, de faire
rsonner lopinion commune, la doxa, par le bien dire. Et cest pourquoi elle tait
anathme Platon, qui ny voyait quune manuvre opre dans le non savoir,
tandis quAristote, qui, lui, prenait en compte la doxa, a pu nous laisser le Trait
fondamental de la rhtorique qui parcourt toute lhistoire des Lettres occidentales.
Linterprtation analytique, si on la situe sur cet arrire fond, telle quelle a t
renouvele par Lacan dans son retour Freud, et dans leffort de faire de la
psychanalyse une science, est une opration rhtorique. Lacan lui a restitu sa
puissance de rsonance dans le sujet. Le terme de rsonance tant au centre du
chapitre 3 de son Rapport de Rome , consacr prcisment cette rnovation de
linterprtation. Et la question est de savoir si linterprtation analytique, son
pouvoir, suppos, annule le rel, le rduit au vrai qui persuade, qui persuade le sujet,
en loccurrence de renoncer au symptme.
Ce quon appelle aujourdhui, dans la philosophie anglo-saxonne, dans laquelle
nous faisons quelques avances, cette anne, ce quon appelle le relativisme, a nest
rien dautre quun retour de la rhtorique. Et si a branle la philosophie anglo-
saxonne, si a lui donne des frissons, cest que cest un retour de la rhtorique dans la
logique elle-mme. Et le bon Nelson Goodman, logicien impeccable, qui formule que
les mots sont des mondes, Words are worlds, fait revenir le point de vue rhtorique
au cur mme, de llaboration de la logique mathmatique. videmment cest tout
fait paradoxal, nous vivons, l, la fin du XX sicle, ce retour en force de la
rhtorique au cur de la logique, alors que labord du rel par lune et par lautre
est tout fait distinct et que a a t oppos, et avec souffrance, depuis lmergence
du discours de la science. Et que ce nest pas seulement les autorits religieuses qui
se sont gendarmes contre le discours de la science, ce sont les humanistes, au nom
prcisment de la rhtorique, et contre le silence dans les rangs que ce savoir dans le
rel tait suppos imposer. La logique, et a depuis les stociens, cest dans son
ouvrage sur les paradoxes des Stociens que Plutarque voque Znon, depuis les
Stociens, la logique visait un autre usage du langage que lusage rhtorique. Elle
visait faire sortir, partir du langage, du rel. faire sortir quelque chose quon ne
peut pas nier, qui ne dpend pas de la faon dont on le parle. Elle visait demble
imposer un savoir qui ne cesse pas de scrire, quel que soit le bavardage, quelle que
soit la faon dont vous prenez lauditoire.
Donc la logique, en cela, on le peroit bien si on oppose la logique et la rhtorique,
la logique visait au rel, et cest bien ce qui oblige sophistiquer lusage que Lacan
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 209

209
fait de lexpression, le bien dire comme consacrant la russite de lopration
analytique, parce que cest une dfinition rhtorique de la fin de lanalyse, le bien
dire.
lusage rhtorique du langage comme art des semblants, lusage logique sest
toujours oppos, en tant que science du rel.
Alors si la question du XX sicle a t celle du rel, cest dans la mesure o le
discours de la science, singulirement, sest empar du langage, quil la ravi la
rhtorique, et quil a entrepris de mesurer le langage non pas au vrai mais au rel. Et
ce quil annonce, ds le dbut du sicle, et comme un surgeon de lentreprise de
Frege, cest la fameuse thorie des descriptions dfinies de Bertrand Russell, 1905,
concernant le nom propre et valuant dans quelle mesure le nom propre se rfre ou
non, ce qui est, vraiment, cest--dire ce qui est rel.
La rflexion philosophique qui procde de cette tradition a comme cur la thorie
de la rfrence : dans quelle mesure le langage peut-il ou non toucher au rel ?
Comment se nouent le langage et le rel alors que le langage est puissance de
semblant, alors que le langage a le pouvoir de faire exister des fictions ? Do lide
quil se pourrait que, au regard du rel, le langage soit malade, malade de la
rhtorique prcisment dont il est gros, et quil faudrait le gurir par une
thrapeutique approprie, pour que, vraiment, il soit conforme au rel. Et cest toute
lambition de Wittgenstein et de ses hritiers que de raliser une thrapeutique du
langage, jusqu considrer la philosophie elle-mme comme une maladie qui
tmoigne de linfection que vhicule le langage comme puissance des fictions. Non
pas rsoudre les questions philosophiques mais montrer quelles ne se posent pas, si
on se gurit du langage, si on le met au pas du rel.
Cest ce qui conduit Lacan passer du nom du pre au pre du nom. a nest pas
vaine rhtorique, cest que la nomination, le donner des noms aux choses, qui est le
biais mme par lequel Frege et Russell ont entrepris leur questionnement du langage
commun, la nomination nest pas la communication, a nest pas la parlote. La
nomination cest la question de savoir comment la parlote peut se nouer quelque
chose de rel.
Dans notre vocabulaire nous, la fonction du pre est celle qui permet de donner
un nom aux choses, cest--dire de passer du symbolique au rel.
Ce Nom-du-pre, Lacan a dit une fois et ric Laurent la soulign, la fait passer dans
notre usage courant, le Nom-du-pre on peut sen passer condition de sen servir.
Sen passer, veut dire que le Nom-du-pre, driv du concept de ldipe, a nest pas
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 210

210
du rel, que le Nom-du-pre, cest un semblant, relatif, en effet, qui se fait prendre
pour du rel, que le Nom-du-pre nest pas de lordre de ce qui ne cesse pas de
scrire.
Et cest pourquoi, la place du Nom-du-pre, Lacan a promu le symptme comme
ce qui dans la dimension propre de la psychanalyse ne cesse pas de scrire. Cest--
dire comme lquivalent dans la psychanalyse dun savoir dans le rel. Et quand il y a
Nom-du-pre, et bien, cest en tant quune espce de symptme, rien de plus.
Est-ce une loi, le symptme ? Si cest une loi, cest une loi particulire un sujet. Et
du coup, on peut se demander quelle condition est-il pensable quil y ait du
symptme pour un sujet.
Si cest du rel, cest un rel trs particulier, puisque ce serait du rel pour un, donc
pas pour lautre. Cest du rel, qui ne peut saborder que un par un. Et cest de
beaucoup de consquence, de constater a, parce que a met en question ce quil en
est du rel pour lespce humaine. Sil y a, pour chacun de ceux qui parlent, du
symptme, alors a veut dire quau niveau de lespce, il y a un savoir qui nest pas
inscrit dans le rel. Et prcisment, quau niveau de lespce qui parle, il nest pas
inscrit dans le rel un savoir qui concerne la sexualit.
Cest--dire qu ce niveau l, il ny a pas, ce quon appelle instinct, qui dirige, de
faon invariable et typique pour une espce, vers le partenaire. Et le dsir ne peut
pas du tout en tenir lieu, parce que le dsir cest une question. Le dsir cest la
perplexit sur la question. Et que la pulsion nen tient pas lieu davantage, parce
quelle ne donne aucune assurance, quant cet Autre au niveau du sexuel.
Autrement dit, dans prcisment ce qui lanime dune comptition, dune
rfrence avec la science, lexistence du symptme oblige modifier le concept que
nous avons du savoir dans le rel.
Sil y a symptme, alors il ny a pas savoir dans le rel concernant la sexualit. Sil y
a symptme comme ce qui ne cesse pas de scrire pour un sujet, la diffrence
dautres, alors, corrlativement, il y a un savoir qui ne cesse pas de ne pas scrire.
Cest un savoir spcial, ce nest pas le savoir dans le rel en tant quil ne cesse pas de
scrire, sil y a symptme, cest quil doit y avoir, pour lespce humaine, un savoir
qui ne cesse pas de ne pas scrire.
Cest l la dmonstration que Lacan essaie de faire sourdre de la psychanalyse, de
lexprience analytique. Que sil y a symptme, alors il ny a pas rapport sexuel, il y a
non rapport sexuel, cest--dire il y a une absence de savoir dans le rel concernant la
sexualit.
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 211

211
Cest trs difficile de dmontrer, non pas du savoir dans le rel, mais de dmontrer
une absence de savoir dans le rel.
Quest-ce qui, dans lexprience analytique, nous met devant cette absence de
savoir dans le rel ? Disons que cest ce que nous retrouvons, rgulirement, dans
chaque cas qui sexpose, dans lexprience analytique, et, videmment, la valeur que
Lacan nous y fait apercevoir, il fallait videmment quil le formule pour que a
devienne une vidence. Ce dont nous avons lexprience, par la psychanalyse, cest
de la fonction dterminante dans chaque cas, dune rencontre, dun ala, dun
certain hasard, dun certain : ce ntait pas crit.
a sexpose, a se met en vidence par exemple dans le rcit, avec une puret
spciale. Dans le rcit, on peut faire un sujet de la gense de son homosexualit, ou la
mauvaise rencontre, qui est une instance qui clate et laquelle le sujet volontiers
attribue ensuite son orientation sexuelle. Mais aussi bien, on se rend compte aussi
bien dans les cas dhomosexualit, la rencontre de certains mots qui vont, pour un
sujet, dcider dinvestissements fondamentaux, qui conditionneront ensuite le mode
sous lequel il se rapportera la sexualit. Et puis, toujours, dans tous les cas, la
jouissance sexuelle se prsente sous les espces, on le sait, du traumatisme, cest--
dire prcisment comme non prpare par un savoir, comme non harmonique ce
qui tait dj l.
Autrement dit, la constance, propre, que nous pouvons reprer dans lexprience
analytique, cest prcisment la contingence. Ce que nous reprons comme une
constance, cest cette variabilit mme. Et la variabilit veut dire quelque chose, elle
veut dire, prcisment, quil ny a pas un savoir pr-inscrit dans le rel cet gard. Et
cette contingence dcide du mode de jouissance du sujet.
Et cest en cela quelle met en vidence labsence de savoir dans le rel, quand il
sagit de la sexualit et de la jouissance. Elle met en vidence un certain ce nest pas
crit, a se rencontre.
Ds lors, ce qui fait fonction de rel de rfrence nest pas un ne cesse pas de
scrire, cest un ne cesse pas de ne pas scrire. Cest--dire exactement le rapport
sexuel comme impossible.
Alors, Lacan sest pos la question, et sur un mode que joserais dire tortur, de
savoir dans quelle mesure cest dmontrable, parce que l, le rel dont il sagit est
dune espce tout fait diffrente du rel de la science. Comment dmontrer une
absence de savoir ? Il reste volontiers un peu en retrait de ce terme de
dmonstration, et cest pourquoi il peut dire : lexprience analytique atteste un rel,
E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 212

212
tmoigne dun rel, il reste un peu en-de du dmontr. Cest comme si, ici, dans
notre champ, la contingence rgulire que nous rencontrons dans tous les cas,
comme si cette contingence attestait de limpossible. Cest en quelque sorte une
dmonstration de limpossible par la contingence.
De telle sorte que jcrirai et pour aujourdhui je terminerais l-dessus, jai dj t
long, jcrirai ce triangle, ici limpossible, le ne cesse pas de ne pas scrire, qui est le
propre du non rapport sexuel que jabrge NRS, ici le ncessaire pour chacun, le ne
cesse pas de scrire du symptme, et si nous constatons le fait du symptme dans
chaque cas il nous renvoie ce NRS, et ici le contingent, ce contingent qui fait en
quelque sorte preuve, le contingent du cesse de ne pas scrire et qui apparat sous
ces deux espces essentielles, la rencontre avec la jouissance et la rencontre avec
lAutre que nous pouvons abrger sous le terme damour.




E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comits d'thique 213

213






Impossible Ncessaire
ne cesse pas de ne cesse pas de scrire
ne pas scrire E
NRS





Contingent
Cesse de ne pas scrire
- Rencontre avec la jouissance
- Amour
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 214
214
cet gard, lamour veut dire que le rapport lAutre, dans ce contexte, ne stablit
par aucun instinct, nest pas direct, quil est toujours mdi par le symptme et cest
pourquoi Lacan pouvait dfinir lamour par la rencontre chez le partenaire des
symptmes, des affects, de tout ce qui marque chez lui et chez chacun la trace de son
exil du rapport sexuel.
Sur cette lance que je poursuivrai la fois prochaine, il apparat que le partenaire
fondamental du sujet nest dans aucun cas lAutre, a nest pas lautre personne, a
nest pas lAutre comme lieu de la vrit, que le partenaire du sujet est au contraire,
comme a a toujours t aperu dans la psychanalyse, quelque chose de lui-mme,
son image, cest la thorie du narcissisme, reprise par Lacan dans son stade du miroir,
cest son objet petit a, son plus-de-jouir, et foncirement, sans doute, le partenaire
du sujet cest le symptme.
Voil, sur quoi je reprendrais la fois prochaine.
Applaudissements.


ric Laurent :
Donc le symptme - jembraye au point o Jacques-Alain Miller laissait son
parcours - suppose un partenaire et ce qui fait pour Lacan en faire rfrence Marx,
dans la reprise quil donnait un moment de son enseignement, la place du
symptme dans la civilisation, fait quil construit le symptme comme une ellipse
avec deux foyers, Marx et le capitaliste. Ils ne sont pas lun sans lautre, ils sont
partenaires dans la dfinition mme du symptme deux foyers.
Donc pourquoi Lacan rintroduit Marx, un moment, l o tait Hegel ? Et
pourquoi ne se contente-t-il pas du symptme comme signe de quelque chose, mais
dune division premire, la division subjective, le rsultat quil avait obtenu avec sa
relecture de Hegel, installant au premier poste non pas la lutte mort pour le
prestige mais la division subjective de la belle me, et son dsordre. Ce qui sy ajoute
de plus le reprendre ainsi, cest que, sinscrire dans la structure, dans cette
division dorigine, on ne le fait qu ses dpens, dit-il, quil y a un prix payer pour a,
dpens de jouissance et qu partir de l on ne sinscrit dans la structure du langage
quen ayant pay cet cot, quensuite on ne cherche, on ne cesse pas de vouloir
rejoindre. L, cest en effet un ajout la position ou au dsordre de la position
fondamentale de la belle me, ce qui sinscrit dun plus de jouir pour que la machine
tourne, pour que le sujet ne cesse davoir un trou combler. Ce nest donc qu cette
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 215
215
perception dune fuite fondamentale, de la plus-value comme fuite de sens, que
Marx est salu, une modalit dinscription dans la fuite du ne cesse pas, ncessaire.
Ctait ce que Hegel ne pouvait pas voir puisque lui, il sarrtait au savoir absolu. Ce
que ne considre pas Marx, du moins dans la lecture quen fait Lacan il y aurait des
questions sur Marx et la fin de lHistoire, qui ne sont pas pertinentes l sur laccent
mis sur ce symptme - non plus savoir absolu, mais savoir particulier la fuite et au
gouffre qui souvre partir du moment o il y a ncessit sans cesse ce que se
rouvre la faille de linsupportable.
Une fois que cest pos, je me suis demand comment rejoindre, ou comment
prendre ensemble, les deux pages ou les deux paragraphes centraux, dans
Radiophonie, et dans ltourdit, qui, pour ces deux pages, se concentrent sur la
smiotique refaire, sur la thorie du signe refaire. Et soulignant que cest la page
qui commence en 65 dans Radiophonie, sous prtexte que jai dfini le signifiant
comme personne, on ne simagine pas que le signe ne soit pas mon affaire, bien au
contraire cest la premire et se sera aussi la dernire.
Ce que vient de montrer Jacques-Alain Miller, cest que les espoirs que Lacan avait
mis dans la science du signe, dans la science du sens, et bien a t la premire faon
quil a eu de sintroduire dans la question du signe et quil les reprend partir du
moment o il a dfini autrement le symptme, partir de la ncessaire fuite de sens
quil implique. Le signe quand il comporte, il le souligne dans cette Radiophonie, la
trace dune jouissance. Cest partir de l quil renouvelle la smiotique ancienne,
dit-il, enfin lancienne, davant lui, une smiotique implicite quil fait valoir est celle
quil y a, en particulier dans la conception qua son poque de la structure, et comme
dune classification o se ferait entendre un cho de savoir, un cho du sens premier
qui serait pris dans un systme classificatoire. Le peu de sens de dpart, le peu de
sens, la fois peu un petit peu, et mme temps peut de pouvoir, un peu qui vient
sinscrire dans ce pouvoir denfermer dans le signe la trace dune jouissance, ce peu
de sens de dpart, cest la fois un saut, cest pour nous le saut qui est inscrit dans la
mtonymie, la mtonymie de dpart, cette mtonymie, qui pour chacun est
prsente, dans la premire inscription par exemple, du dsir dans le caviar de la belle
bouchre qui transforme en objet de dsir. Et ce premier saut, qui vient dans un
signifiant, dans un nom inscrire la phrase dune jouissance, il le gnralise en ne
parlant pas de saut mais plutt dassaut, rencontre traumatique avec ou entre la
structure du langage et le savoir du sexuel. Rencontre traumatique puisque
justement il ny aura pas de formule qui permettra de dfinir le sexuel, il y aura la
trace dun saut qui inscrira ce peu de sens ou le peu de jouissance, la perte qui sy est
inscrite.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 216
216
Alors, cette trace, ce saut ou cet assaut, la trace qui en reste, cest ce qui va
permettre au psychanalyste interprtant, lui, de faire intrusion du signifiant, son
traumatisme lui ou son contre-traumatisme, cest quil rpond cette premire
inscription par la possibilit de faire usage intrusif du signifiant. On a pu parler de
violence de linterprtation qui reprenait certains lments, dans lenseignement de
Lacan, de cet usage qui est toujours intrusif de linterprtation. Mais Lacan souligne
que son effort, cest que les psychanalystes ne prennent pas linconscient o ils font
intrusion, ces traces de jouissances, pour quelque chose, quils ne les prennent pas
pour quelque chose, puisque cest une faille, mais pas plus pour quelquun. Alors, en
effet ce sujet de linconscient, cest quelquun, ce quelquun, ce sujet, comment
situer son rapport au vivant ? Est-il mort ? Cest une des questions qui anime les
rflexions partir des annes 70 o Lacan reprend une dernire fois la perspective de
Hegel, qui, lui, situait la mort au principe dabord du discours du matre, ou ensuite
au principe de luniversitaire qui sinstallerait sur un savoir mort, mmoire
ternelle entre guillemets du savoir.
Cette position, qui installe au cur des discours qui se tiennent, en tout cas deux,
la mort, comment la psychanalyse avec son inconscient et le statut prcaire du sujet
qui lemporte, comment lui vient rpondre ? Lacan dit ceci : Un autre discours est
venu au jour, qui permet de situer une fois pour toute, dans notre poque, les autres,
celui de Freud, pourquoi la mort, a nest pas ce sur quoi on sinstalle, mais, dit-il,
pourquoi la mort cest lamour .
Cest une phrase qui figure dans Ltourdit et on se demande en quel sens,
pourquoi pour la psychanalyse la mort cest lamour ? Alors dabord pour cest vrai
la lettre. Cest vrai que Freud dans Deuil et Mlancolie fait de lamour une mort. Il
note ceci, page 163, de ldition franaise : Dans ces situations opposes, ltat
amoureux le plus extrme et le suicide, le moi est cras par lobjet . Lamour est
une des formes du suicide, suicide du moi. En un autre sens, la mort est lamour, pour
la psychanalyse, car une des faons de lentendre cest que la mort est lie la libido,
elle est lie la pulsion de mort. Une autre faon de lentendre, cest que cette mort
qui est ce qui vient marquer, avant la psychanalyse, qui marquait la contingence,
pour lhumain, les dveloppements de la mditation - Jacques-Alain Miller lappelait
ainsi - de Heiddeger, on fait entendre la porte de la contingence radicale de la mort
pour le sujet humain, la faon dont elle inscrit une dcompltude, un endette ou un
en avant, toujours l, quelque soit le monde o la signification close que le sujet
veuille donner son monde. Et bien pour la psychanalyse, ce qui maintient louvert
du monde, nest-il pas justement dplac du rang de la mort vers lamour.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 217
217
Ainsi le discours de la psychanalyse, une autre faon de lentendre, sil y a des gens
qui font une psychanalyse, cest quil y en a qui veulent de lamour une autre vrit
que celle quassurent dj dautres discours.
Comme Lacan pouvait dire dans cette page, la science, elle, rduit la mort
lassurance vie. Cest le sens que a a dans la science, vous calculez votre mort et
vous prenez une assurance au tarif dont vous relevez daprs la catgorie que vous
vous tes assign. Toute personne qui a sinscrire dans le monde connat ce type de
problme aprs un certain ge, il faut calculer a, ce quon vaut pour lassureur et
bien videmment ne pas se rduire ce point, donc vouloir un autre type de vrit
que a, cest aussi la mme chose pour lamour : cest de vouloir donc une autre
vrit. Et comment sajointe la vrit que lon veut atteindre de a, et le rel qui
trouve sa trace, qui est resituer dans la smiotique refaire.
Quel est le rel en jeu dans ce discours de la psychanalyse qui introduit ou qui a
dplac la mort de son lieu de prestige pour y mettre lamour ? Cest bien du rel au
vrai, que dveloppe l Jacques-Alain Miller, qui souligne que la vrit nest pas le mot
qui convient au rel, et donc Lacan arrive dire dailleurs, si on pouvait le prouver
faut, on retrouverait le sens, indiqu la dernire fois, not au tableau, le faut, au sens
de la chute, le faut qui tombe dun discours. Et l cest dans ces pages, entre
Radiophonie et ltourdit , que jai trouv, pour moi, mclairer pourquoi Lacan
rentre dans un dbat sur la place du ralisme en psychanalyse, qui lamne faire
srie, entre la rflexion sur le fantasme, le symptme et lacte analytique.
Entre ces textes, sintroduit un autre, qui est une transcription dune confrence
qui sintitulait La mprise du sujet-suppos-savoir , o il parle, en dcembre 67,
trs peu de temps aprs avoir introduit sa proposition doctobre 67, de leffort
raliste que suppose, que rclame sa thorie de la passe. Raliste l est entendu en
un sens trs prcis. Une structure dite paradoxale, o lobjet est actif, cest la
premire ligne du discours psychanalytique, o le a, lobjet, est en position dagent,
et le sujet subverti, a nest pas un sujet qui agit,
a

comme toute la tradition la voulu avant lui, et paradoxale en ce que laction, lacte
analytique fait que lobjet quelle suscite, le psychanalyste en est le dchet, il en
choit. Ce nest pas quil en est la vrification, lobjet est actif, et le rsultat cest quil y
a quelque chose qui tombe et qui est le psychanalyste lui-mme, comme rsultat.
Cest une production, mais avec lide que ce qui est raliste, cest dexaminer la
faon dont lobjet tombe pour le mesurer la thorie dont il est le produit. Et l, cest
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 218
218
une mthode, dit-il, o la thorie de linconscient ne peut pas tre irresponsable de
ce qui savre de ce fait par une pratique.
La mthode, cette sorte de mthode rtroactive, cest celle o Lacan va mettre au
point la passe comme thorie de lacte analytique. Cest un feed-back de rsultats
obtenus par la pratique interprtative sur la conception de la psychanalyse elle-
mme. Cest une conception, si elle est raliste, dinclure dans tout ce qui se dit sur
lacte analytique, et les thories quont les analystes eux-mmes de lacte, de les
valuer par le produit, par lobjet qui en tombe, soit le psychanalyste lui-mme. Le
cas contraire, il le note, et qui serait lui, loppos, cest lorsque les analystes qui sont
produits par ce dispositif de rtroaction stonnent ou ne comprennent plus leur
action mme. Non pas le psychanalyste inclut dans le discours, mais le psychanalyste
surpris, surpris par exemple du fait que on ninterprte plus maintenant comme on
interprtait dans la premire gnration des psychanalystes aprs Freud, et donc ne
sy retrouvant plus et se retrouvant paralyss dans leur pratique elle-mme.
Donc une conception de linterprtation, qui nvolue pas et qui les laisse avec une
scorie, un dpt de savoir, dont ils ne savent plus quoi faire.
Donc la mthode raliste cest que la conception que lon se forme, de la
psychanalyse, de linconscient et de lacte, doit tre incluse dans ce qui se dit de cette
exprience. Et cette voie, cest un type de ralisme clinique o la certitude du
passant, qui savance, trouve sur son chemin la nomination du cartel, mais
nomination nest pas entendre simplement comme le dcerner le oui et le non ,
mais bien plus de donner le nom, le nom au sens fort qui tait soulign avant que je
ne parle, cest une nomination qui permet de saisir les noms, au pluriel, les noms
avec lesquels se dsigne la chose. Ce que le cartel nonce, cest non seulement la
nomination oui et non, oui ou non, mais surtout la thorie avec laquelle il justifie ce
oui et ce non, soit les noms avec lesquels il aborde la chose.
Et lapproche raliste, par exemple de la passe, ne consiste pas se dire quil y a
une sorte de clinique pure quil sagit de dvoiler, mais plutt de faire voluer nos
thories de cette mthode mesure de ce que nous lisons de lexprience. Donc pas
de nostalgie dune puret, ou dun au-del, mais toujours le vu dclairer quelque
chose de nouveau. Et cest pour cela que Lacan peut dire, dans cette mprise du
sujet-suppos-savoir, que la mthode quil propose est le contraire de lidalisme, qui
suppose quau-del de tout ce qui peut se dire, sattraper ou se nommer, lidalisme
suppose une substance au del. Lidalisme, si on lui donne aussi sa face de lide
platonicienne qui est un mode de ralisme, mais au fond a nous rappelle quil y a eu
dans la tradition deux grandes formes de ralisme, le ralisme platonicien des ides,
et le ralisme aristotlicien des substances, et loppos du ralisme platonicien cest
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 219
219
le nominalisme et celui du ralisme platonicien cest lidalisme. Il y a un certain type
de chiasme dans lequel se loge la rflexion de Lacan sur le ralisme.
Je terminerai sur ce point en voquant, enfin je poursuivrai plus tard, mais en
voquant, dans le chiasme, le dbat et la faon dont Lacan sintroduit. Vous avez tous
en mmoire la faon dont Lacan introduit son signifiant matre, qui vient dsigner le
S
1
, comme il dit, essaim dabeilles. a cest la question justement cruciale pour ce
ralisme en question, le type de rel en jeu dans les abeilles, en quoi elles diffrent
entre elles. Il y a une photo, ce matin, il y avait une photo sur le Herald Tribune, qui
tait, je trouve, formidable, cest que lors de la discussion au parlement europen
lors du projet prsent par dith Cresson sur la ncessit de prendre des mesures
pour arrter le clonage humain, veiller a dans lespace de justice europen, les
Verts, les cologistes, avaient tous revtus un masque blanc identique et se
trouvaient tous clons avec le masque. Alors a donnait une sorte dessaim de Verts
avec leur masque blanc, tous identiques, coutant dans un silence religieux, les
mesures prendre pour viter le clonage. Voil. Cest sur cette photographie trs
approprie que je vous laisserai pour reprendre ce qui en est du ralisme et de
lidalisme dans le ???
Applaudissements.

Fin de la douzime sance du sminaire
(mercredi 12 mars 1997)


E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 220
220
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Treizime sance du sminaire
(mercredi 19 mars 1997)



ric Laurent :

Alors, nous en tions labord du ralisme dans la psychanalyse tel que Lacan en
donnait la mthode et par o il envisageait la procdure de la passe.
La mthode tant dfinie par une volont de construire une thorie de
linconscient o nul ne peut se tenir irresponsable de ce qui savre de fait par une
pratique. Le fait qui savre par une pratique, celle du psychanalyste, cest que le
symptme rpond linterprtation par le signifiant. Le symptme, notre signe,
rpond ainsi, encore faut-il que linterprtation renvoie non pas un langage
dinterprtation comme mtalangage, mais renvoie bien la faille quinclut,
quemporte le langage, au bord o se noue le point du peu de sens au langage lui-
mme.
Ce point peut tre dsign de diffrentes faons. Dans les termes de la mtaphore
ou de la mtonymie, le point de faille, cest aussi bien celui o le sujet se noue la
gerbe de lexemple de la mtaphore, sa gerbe ntait point avare ou haineuse, ou
bien par la mtonymie, le point o le caviar se fait linstrument du dsir de caviar. Ce
point de faille ou de barre, cest le moment o dsir, dsir/jouissance, se nouent ce
langage.
Se formuler dans les termes de mtaphore ou de mtonymie, cela supporte encore
le vouloir dire, le faut dire, comme matire faire sujet. Comme le traait dans ce
parcours Jacques-Alain Miller faisant apparatre l au-del de ce faut dire . Le pas-
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 221
221
de-sens est mensonger sur le sens et partir de l peut sentendre la mise en garde
de Lacan qui notait le symptme gardait un flou de reprsenter quelque irruption
de vrit alors quil est vrit . Une vrit qui est toute entire dans cette matire
mme du langage qui l est impliqu.
Le ralisme donc comme mthode, cest de faire supporter la dimension du
symptme et du produit par ltoffe mme du langage et de la signifiance. Cette
toffe de jouissance qui fait que lobjet du discours, na pas dautre rfrence que la
faille elle-mme, ce qui nempche pas quil y ait un objet qui est produit. Et
lanalyste lui-mme, objet de linvestigation de la mthode : a cest ce qui en donne
la direction. Et Lacan donne aussi ce qui sen carte.
Ce qui sen carte, nous en avons deux exemples, lun dans les thories rpandues
dans le mouvement psychanalytique sur le transfert, qui aboutissent au retour zro,
au dgagement de lanalyste de lopration de transfert quil a instaure. Ce que
Lacan dit ainsi (revoir) : Les analystes, sils sont capables de rejeter le fardeau de
cette responsabilit, cest dloigner deux-mmes la promesse de rejet qui les
appelle mesure que leur voix aura fait effet, quon le sent du lavage de mains dont
ils loignent deux le dit transfert . Les thories circulant dans le mouvement
psychanalytique sur le transfert sont dsignes comme mthode scartant de cette
vise raliste, puisque, loin dimpliquer lanalyste comme production elles visent, la
fin du processus, len dgager, len carter, lavage de mains. Lautre faon cest ce
que Lacan ailleurs dsigne comme un trange effet des productions conceptuelles
des analystes. Cest que chaque fois quun psychanalyste capable de consistance fait
prvaloir un objet dans lacte analytique, il doit dclarer que la voie analysante ne
saurait que le contourner. Et lexemple quil prend, du psychanalyste capable de
consistance, cest Winnicott. Winnicott, qui produit ou invente un objet, le faux self,
et considre que ce faux self nest pas atteignable par linterprtation
psychanalytique elle-mme.
Donc il est exclu de la manuvre de la fonction psychanalytique. Et l, Lacan
appelle a le lapsus de lacte analytique. Cest une faon de scarter de la mthode
raliste. Cest vouloir construire un rel dans lexprience, condition quil chappe
linterprtation. condition quil chappe lacte analytique et il est dautant plus
rel, il est prsent par le psychanalyste comme dcouverte de sa mthode, de son
action, dautant plus quil chappe en fait linterprtation qui est sa pratique. Lacan
prend cet exemple l, winnicottien, pour dsigner un phnomne gnral, quil
ntend pas plus mais dont il donne la formule constante, donc chaque fois quil faut
faire prvaloir un objet dans lacte, cest surtout condition que a chappe la voie
de bavardage de la psychanalyse et la voie interprtative.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 222
222
Cest la faon dont en gnral ils font montre du rel, par cette faon de mimer
lcart entre labord du sens et labord par le rel du nom. Le ralisme comme
mthode, en psychanalyse, cest tout autre chose que cet loignement, cette
absence, ou cette volont dainsi produire un objet tout seul, ne rpondant pas. Le
ralisme, cest dinterroger ce qui est produit, partir du moment o a cesse de
rpondre linterprtation, a cesse de rpondre laction, la fin du processus,
lanalyste en est exclu, il narrive plus faire rpondre le symptme par sa mthode
et a interroge donc cet tre qui reste seul. Et cest par l que sinterroge le mode du
un tout seul autrement que dans cette antinomie dite lapsus de lacte. Et cest
partir de l que Lacan interroge, prend donc la problmatique raliste lie cet tre
du un tout seul et qui combine dans une formule tonnante la fois le un, le tout et
le seul, qui sont trois termes qui ont anims tout le dbat de la mtaphysique autour
de la querelle des universaux. Comment reconnat-on le un, comment reconnat-on le
tout, comme reconnat-on le seul ? Est-ce que cest par la perception, par lintellect ?
enfin toute une affaire que dans Encore Lacan balaye pour nous dun vaste geste, en
disant que ce qui est important surtout cest de savoir quoi tout a sert, quelle
jouissance cela renvoie et salue lutilitarisme pour avoir remis a sur ses pieds et note
que a a permis un grand pas pour dcoller des vieilles histoires duniversaux o on
tait engag depuis Platon et Aristote, qui avaient tran pendant tout le moyen-ge,
et qui touffaient encore Leibnitz, au point quon se demande comme il a t aussi
intelligent.
Alors si vous voulez savoir cette vieille querelle des universaux, quel point cest en
effet touffant, vous avez lexcellent livre, ltude rcente dAlain de Libera Sur la
querelle des universaux de Platon fin du moyen-ge, ou les livres, qui tait une
pratique rgulire chez Lacan, dtienne Gilson, qui, sur la question, nous font
apercevoir quel point Lacan a taill pour reconstruire les nouveaux modes du un, du
tout, et du seul, qui apparaissent dans Encore. La querelle des universaux est aussi un
texte compagnon ou adversaire de leffort de prsentation qui se produit dans
Encore.
Je voudrais, l, adapter ou prendre dans la perspective de la mthode raliste un
malaise dans la psychanalyse contemporaine. Cest un malaise qui insiste, en dehors
de notre mouvement, et dans le ntre, par dautres voies, cet appel, trouver enfin
un lieu pour ce rel dans lexprience, et a insiste dautant plus, ailleurs, dans les
mouvements psychanalytiques qui ne connaissent pas justement lexprience de la
passe, et de la clinique raliste quelle implique selon la mthode qua dfinie Lacan.
Et je prend comme symptme de ce malaise un texte de lactuel prsident de lIPA,
Horacio Etchegoyen, qui est un texte ambitieux, programmatique, quil a rdig au
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 223
223
moment o il allait devenir prsident lu de lIPA. Cest le mme Horacio Etchegoyen
qui sentretenait avec Jacques-Alain Miller il y a peu. Cest sa faon denvisager le
ralisme, de localiser le rel dans lexprience psychanalytique quil poursuit dans ce
texte, qui sappelle, La psychanalyse..., en anglais, donc Psychoanalysis during the
last decade, La psychanalyse dans la dcade prcdente, aspects thoriques et
cliniques. Il intervient par ce texte dans un dbat qui a commenc dans lIPA, il y a dix
ans, en 1987, au congrs de Montral, sest poursuivi Rome, o le prsident de
lpoque, qui sappelait Wallerstein, rpondait Kohut et en particulier au chapitre VI
du livre de How does psychoanalysis cure ?, Comment gurit la psychanalyse ? Et
dans son sixime chapitre, Kohut opposait la conception kleinienne de la
psychanalyse, spcialement dans sa version argentine, la thorie du self, la sienne.
Et il voulait montrer les diffrentes faons de formuler une interprtation, dans des
langues distinctes, ou bien en langue kleinienne ou bien en langue de la self
psychology.
cette conception de langues dinterprtation, Wallerstein rpondait dans une
pistmologie langlo-saxonne, en disant que lon ne doit pas considrer ces
langues dinterprtation en termes dexactitude ou dinexactitude, tourment
introduit dans la psychanalyse par larticle de Glover en 30, en termes de profondeur
ou de surface, mais quon doit les apprhender en terme de mtaphore. Alors si
monsieur Wallerstein connat le rle de la mtaphore dans la psychanalyse, cest
largement issu dun dbat qui a eu lieu dans lpistmologie amricaine, et voire dans
la psychanalyse, partir des lectures de Lacan, faite dans les cercles intellectuels de la
cte Est. Pour la psychanalyse, ctait sensible, en particulier dans la revue
Psychoanalytic Quaterly, de ces annes l et a rejoignait les proccupations
pistmologiques relativistes par exemple de Rorty. Jacques-Alain Miller en a montr
les bases, les troubles, dans lpistmologie amricaine smancipant de Quine.
La position de Wallerstein, face la conception des langues dinterprtations en
termes dexactitude, cest dire que les langues interprtatives de chacun, de chacun
des courants, de la babel psychanalytique, font appel des thories de haut niveau
dabstraction. Mais le fond commun, la rfrence de ces thories de haut niveau
dabstraction, ce sont des thories cliniques, minimales, de faible niveau
dabstraction, collant au phnomne. Son ide cest : il y a une clinique, on interprte
les faits cliniques par des sries et on construit ainsi des niveaux dabstraction
suprieurs qui sont toutes, ces thories, des mtaphores.
Wallerstein sen sort avec ce modle pistmologique, qui lui aussi vient
directement de la querelle des universaux. Cest un modle dabstraction,
labstraction a vient un moment donn du montage aristotlicoplatonicien, a
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 224
224
vient au moyen-ge, pour expliquer justement les diffrences des niveaux
dabstraction.
Lui il ne fait pas rfrence la thorie des universaux, il a limpression, pour lui
cest la chose mme, a ne vient pas de, ce nest pas charri par un discours. Cest un
modle pistmologique avec lequel il a tent dunifier lIPA. Vous tes tous
diffrents, mais finalement, tout a avec labstraction, le pouvoir du un, va vous
mettre dans notre belle institution.
Mtaphore veut dire que pour lui il ny a que des retraductions dans diffrents
plans, qui sont toutes des hypothses de niveau suprieur. Et il y a le fonds commun
comme il y a des sens communs, qui serait la thorie clinique.
Et cest a, qui a au moins la consistance dune pistmologie connue, que va
rpondre Etchegoyen, qui trouve que cette position est dangereuse. Et lui veut
maintenir dans la psychanalyse lide dune interprtation vraie. Il la dfinie comme
celle qui renverrait vraiment un rel. Il faut, dit-il, quelle rende compte dune
ralit psychique, qui existe ce moment-l dans linconscient du patient. Cest
maintenir une thorie de la vrit, dnotative, qui est de lordre donc, la phrase p
est vraie si et seulement si p est vrai. Etchegoyen soutient a et il pense que l
interprtation est vraie si et seulement si elle dcrit exactement ce quil y a dans la
tte du sujet au moment o est faite linterprtation.
Nous verrons o a le mne, et cest le danger de cette thorie de la vrit qui est
de correspondance entre le moi, aussi inconscient soit-il, et la ralit psychique. Cest
construire le moi comme le lieu de ce qui se passe vraiment. a suppose admettre le
lieu o quelquun a quelque chose dans la tte. Or cest dj admettre beaucoup a.
Dire que la pulsion est acphale, veut dire en effet quon ne sait pas ce quelle a dans
la tte, ni mme que la tte soit la question la plus importante du circuit pulsionnel. Il
est trs difficile en effet dans notre abord de penser une ralit psychique en tant
quil y aurait un lieu o lon pourrait savoir ce quil y a dedans. Une topologie du
dedans dehors avec une limite stricte, a nest vraiment pas une chose qui soit dans
la perspective qui est celle que Lacan a voulu faire entendre.
Etchegoyen justifie son abord en trois parties. Il rappelle le dbat et son enjeu,
deuxime partie il marque son dsaccord avec Wallerstein, reformule le problme,
explique sa pratique ou ce quil aurait fait dans sa pratique et cest de faon trs
raisonnable et enfin dans une troisime partie il prsente une vignette clinique lui,
donne linterprtation quil a faite et situe une fin de cure. L, cest une partie, la
troisime, qui ne me parait pas du tout raisonnable et je voudrais montrer en quoi,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 225
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courtoisement et raisonnablement, on peut avoir lide que la mthode raliste
loigne de la perspective trace.
La partie trs raisonnable est la suivante. Au chapitre VI de son livre Kohut raconte
une squence quil avait eu connatre en contrle par une analyste, quil prsente
comme une analyste sud-amricaine, dorientation kleinienne, donc probablement
une personne dArgentine qui a t le voir. la fin de la sance - lanalyste raconte -
cette analyste informe sa patiente quelle sera prochainement oblige dannuler une
sance. Le lendemain la patiente reste silencieuse et distante et ne rpond pas
lorsque lanalyste linvite parler. Lanalyste lui dit alors que lannonce quelle a faite
lors de la sance prcdente la transforme de bon sein quelle tait, elle lanalyste,
en mauvais sein. Elle ajoute que la patiente est consume par la rage, elle veut
dtruire le mauvais sein en le mordant, ce qui provoque une inhibition orale qui
lempche de parler (rires). On a donc un circuit pulsion orale/inhibition. On retrouve
le principe dinterprtation qui avait guid Melitta Schmideberg dans le cas de
lhomme aux cervelles fraches que vous connaissez par cur, en tant que
lacaniens, il ny a dailleurs que les lacaniens qui connaissent ce cas par cur. Donc il
y avait une pulsion manger et, dans son enfance, il volait de la nourriture dans le
frigidaire, ensuite cette inhibition sest transforme en inhibition intellectuelle.
Kohut, quant lui pense, sans doute parce que lanalyste ensuite lui a fait part de
difficults qui ont surgi, qu il aurait mieux valu dire les choses en des termes de self
psychology ou dego psychology. Alors dans lego psychology, on ne va pas tout de
suite lobjet, la pulsion, on passe dabord par le conflit dipien. On dit la
patiente : vous avez ressenti lannonce que jai faite hier de la mme faon que
lorsque votre mre fermait la porte de sa chambre pour coucher avec votre pre.
Voil le conflit dipien. La patiente est folle de rage de voir que sa mre sintresse
autre chose qu elle.
Ou bien on aurait pu formuler a dans les termes de self psychology, qui
semploient avec les patients narcissiques, qui sont toujours difficiles manier, et on
commence par citer avant lobjet et avant le conflit, on cite le patient lui-mme :
votre estime de vous-mme, etc., donc votre amour-propre a t entam par la
nouvelle que je vous ai annonce hier, de la mme faon que votre mre froide et
distante, avait renvoy la cuisinire si chaleureuse qui vous permettait de venir
laider la cuisine et qui faisait, elle, votre loge.
Kohut, qui raconte la squence, note quaprs linterprtation, la patiente tait plus
dtendue, elle stait remise parler plus librement et stait rendu compte en effet
quelle avait pass toute la sance prcdente serrer les dents. Et Kohut ajoute :
quel quait t leffet positif de l interprtation, le problme est que le message tait
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 226
226
correct mais la thorie dficiente. Et pour eux le message essentiel cest : vous tes
trouble par le fait quune de vos sances ai t annule, jen prends acte. Voil ce
quil aurait fallu dire. Ou le mode : je vous ai embt, voil, que vous formuliez a
comme vous voulez. Cest lgitime, vous avez le droit, et cest la grande thorie de
Kohut, qui est, proprement parler, le fond commun de la pratique, au-del de
interprtation, cest lempathie, cest le : vous avez le droit, le oui.
Si on doit tre accueillant envers lAutre et a nest pas en rabrouant le nvros ou
le narcissique quon y arrive, ce qui nest pas faux dailleurs, et fait entendre quelque
chose. Donc il faut dire fondamentalement : daccord. Etchegoyen, lui, considre que
cest lenvers. La thorie tait juste, celle du bon sein et du mauvais sein, mais la
formulation ntait pas correcte et il prsente ce quil aurait fallu dire. Dabord il ne
faut pas dire cest lgitime. Dire simplement, cest--dire il faut simplement mettre
des mots sur le silence et parler en terme de quelque chose. Non pas quelque chose
dune attitude propositionnelle lgitime mais dire : il y a quelque chose, quelque
chose vous trouble et vous tes incapable de lexprimer.
Et, Etchegoyen continue, si elle avait dit quelle se taisait parce que depuis sa
sance prcdente sa mchoire tait contracte et si elle avait ajout quelques mots
mordants ladresse de lanalyste, alors oui il y aurait eu vrification. Du fait que la
mchoire tait touche, on est sr quon a lobjet oral prsent dans lesprit et cest
pour a que la mchoire se relche. Et alors l seulement, une fois quon a obtenu le
relchement musculaire, on peut dire vous avez ressenti lannonce de la veille
comme si le sein vous a t retir et vous avez ragi par la peur et le souhait de
mordre, en serrant vos dents et en profrant des mots qui eux aussi peuvent mordre.
L encore tout a est prsent comme allant de soi, cest un aristotlisme aussi sr,
vous avez l encore le mlange de labstraction. Il faut dabord sassurer de la
reprsentation mentale, qui est labstraction, non pas qui est une sorte de
subsistance mentale de lobjet et, une fois quon a a, cest une fois quon a obtenu le
relchement, on peut ce moment l toucher le quelque chose qui est prsent, la
proposition en question, directement prsente dans la ralit psychique, le sein,
prsent, que lon mord.
Alors il note : si a ctait pass autrement, si par exemple lanalysante avait dit que
pendant quelle se taisait elle pensait un incident dsagrable qui avait eu lieu la
nuit prcdente avec sa fille de cinq ans qui avait voulu rentrer dans sa chambre, au
lieu de dormir dans la sienne, quil avait fallu lemmener de force dans son lit, et si
elle avait ajout quelle stait dj nerve, parce quen sortant de la sance elle
stait dispute avec un chauffeur de taxi qui navait pas voulu lui rendre sa monnaie,
alors daccord, je naurais pas hsit lui dire que cette colre dont elle parlait
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 227
227
propos de sa fille tait une faon de minformer de sa raction lannonce que je lui
avais faite. Quelle stait disput avec le taxi parce quil ne voulait pas lui donner
quelque chose, et quen parlant de sa fille, elle exprimait sa propre raction infantile,
elle sentait que jtais sa mre qui la chassait violemment de la chambre pour
pouvoir avoir une relation avec le pre.
Voil la faon de dcouper plusieurs orientations dans les langues dinterprtations
et leurs consquences. Et il conclut ainsi : trois interprtations hypothtiques, self,
ego psychology et kleinienne, comportent des fragments de thorie de haut niveau
dabstraction, mais ce ne sont pas des mtaphores dans la mesure o elles
correspondent strictement au matriel de la sance suppose. Donc le problme
nest pas de discuter de la profondeur des interprtations ou de leur efficace, cest de
savoir une fois quelles ont t dites, si lon pense ou pas que cela renvoie vraiment
quelque chose, un tat desprit, state of mind, qui se formule dans la ralit
psychique du patient.
Et l il va donner un exemple de sa propre clinique pour montrer ce quil considre
tre le cas de, en effet ce qui correspond quelque chose. Cest la troisime partie.
Cest un patient qui est en fin danalyse, cest une longue analyse, qui nest pas
didactique, mais qui nen a pas moins t fort longue, ce nest pas une chose par
dessus la jambe. Ce patient fait un rve. Il est dans une cellule de prison qui a un mur
courbe. Le contexte est le suivant. Le patient est dans les affaires, en Argentine en
plus. Donc lide de la prison est lie au fait que, bien que la transaction commerciale
quil doit mener soit parfaitement lgale, il pourrait en tre puni. En effet sil russit
conclure cette affaire, il va devenir beaucoup plus riche et gagner beaucoup plus
dargent que lanalyste, ce qui le rend coupable. Et il simagine bien pourquoi il a ce
rve.
Mais enfin quand mme a ltonne davoir rv a, parce quil considre que
justement cest un des signes que lanalyse va se terminer, davoir pu enfin mener
cette spculation financire dans un tat de nerf beaucoup plus dtendu que
dhabitude, o il tait angoiss comme tout, et non plus sans se prendre pour le
matre du monde. Donc lanalyste dit : il tait dun calme intrieur qui lui rappelait le
pome de Rudyard Kipling If . Moyennant quoi, peu aprs apparat une autre
angoisse, qui elle est tout entire centre sur lide de terminer lanalyse. Il avait
peur de se tromper et de me tromper, pensait que je voulais me dbarrasser de lui le
plus vite possible, et, dans cette angoisse il rve de quelquun qui donne naissance,
sans plus.
L, on trouve cette question, en fin danalyse, de qui se dbarrasse de qui, se
dbarrasser de quoi et comment. Donc je lui interprtais que la fin de son analyse
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228
tait pour lui comme si je lui donnais naissance et il accepta cette interprtation
comme une mtaphore de la fin, ce qui tait en effet ce que javais voulu dire. Voil
une premire interprtation : mtaphore, mtaphore au sens quutilise lauteur,
lide de laccouchement, remplace par : cest la fin de lanalyse.
Aprs cette sance, le patient nest pas allg, il a de nouveau une angoisse aigu,
il se plaint doppression thoracique, davoir du mal respirer. L arrive
linterprtation profonde : je lui dis que, confront la peur de terminer lanalyse, il
fallait quil rentre en moi pour annuler cette naissance tant redoute, mais en faisant
cela, il devenait prisonnier, et il avait du mal respirer. L, cest authentique nest-ce
pas, le : il rentre en moi, he had to get inside me. Cette interprtation nest pas
offerte comme une mtaphore mais comme une explication de ce qui se passait
rellement ce moment-l.
Le sens dexplication est utilis dans ce terme, dans le sens pistmologique fort.
Cette explication oppose au registre du sens, cest une explication de type science
de la nature : je lui expliquais ce qui se passait rellement. Au plan thorique a
reposait sur la thorie de lidentification projective de Mlanie Klein de 46.
Donc il dit : je ne disputerais pas une explication faite dans un autre cadre de
rfrence, de type retour lutrus, traumatisme de la naissance, phase
dindividuation, sparation, etc. L, Etchegoyen numre dautres langues de
linterprtation dans le mouvement psychanalytique, retour lutrus cest de type
ferenzcien, traumatisme de la naissance cest Rank, phase dindividuation/sparation
cest Margareth Malher etc.
Toutes ces thories russissent expliquer le matriel, il faudrait confirmer par
plus de matriel clinique pour savoir celle qui est la plus adquate dans ce cas. Aprs
mon interprtation, lanalysant rit, puis sobrement me demanda si je faisais
rfrence au rve de la semaine dernire o il tait prisonnier. Je ne lui rpondis pas
directement car ctait une question purement rhtorique. Je rpondis que
lassociation avec son rve tait trs juste puisquelle donnait une explication
convaincante de sa peur de rester prisonnier en moi. Mais enfin, dit lanalysant, ce
rve navait rien voir avec votre corps, ctait une pice, un donjon, et je me
rappelle quil sagissait dune cellule trs spciale avec un mur courbe comme celui
dune tour de guet. Et lanalyste rpond : oui, comme cette tourelle, et il dsigne le
mur en face du divan dans lequel il stait trouv pendant sa longue analyse et en
effet on voit, cest Buenos-Aires, qui a des immeubles 19 avec justement ces pices
courbes, comme certains, des appartements des immeubles parisiens.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 229
229
Lanalysant tait trs surpris, il dit quil ny avait pas pens du tout, et confirma que
le mur de son rve tait tout fait comme celui du cabinet, et il remarque peu aprs
que loppression a disparu. Etchegoyen conclut en disant : les exemples comme
celui-ci, frquents dans la pratique de tout analyste, cest un analyste modeste, sont
intressants car ils montrent que notre technique nous permet datteindre des
niveaux inconscients profonds, qui illustrent nos thories de haut niveau
dabstraction. Ce quil mimporte surtout de montrer cest quil faut entendre l
quelque chose de plus quune mtaphore, ce qui est justifi par les associations de
lanalysant.
Notre travail consiste aider lanalysant, non pas appliquer nos mtaphores
prfres au matriel mais aider lanalysant surmonter ses rsistances, afin de
parvenir au bout du compte ce quil pense rellement. Voil lopration
dadquation faite : on formule ce quil pense rellement et cest pour a que a
marche. Il dit ainsi : le travail analytique tablit des conditions de vrit dans la ralit
psychique. Cest subtil. On a une ralit psychique, le transfert consiste la munir
dune table de vrit. Et le travail proprement parler de lanalyse revient cela, ce
moment linterprtation cesse dtre une figure de discours, elle prend une
signification prcise et isomorphe avec ce qui se passe rellement dans le mind, dans
lesprit de celui qui la reoit. Dans cette phrase l tout est donn, les tables de vrit
sintroduisent dans une ralit, alors comment fait-on a, dintroduire dans la
ralit ?
Deuximement on dit signification isomorphe, parfait, mais quelle est la
morphologie du phnomne, comment arrive-t-on transformer un phnomne
isomorphe selon les tables de vrit, ce qui suppose un langage.
En utilisant les termes isomorphes et conditions de vrit, lauteur sauvegarde une
thorie dnotative de la vrit. Alors je vais maintenant, moi aussi, jouer au jeu de
mettre des lunettes vertes de Dupin et dire ce qui ne va pas selon moi. Je nai pas du
tout le sentiment que lanalyse du patient prsent est au bout, mme si ce nest pas
une analyse didactique. Jappliquerai la mthode que le Docteur Lacan utilise dans le
sminaire sur le Transfert qui est de savoir o le sujet rit exactement, qui tait la
mthode de Kojve pour la Banquet. Lorsque Lacan avait voulu faire parler Kojve sur
le Banquet de Platon, il stait content de dire : la clef du texte est dans le rire
dAristophane qui se transforme en hoquet.
L le patient rit, on conoit que le rire est un effet de libration de loppression. Il y
a dans le rire, en bonne thorie freudienne, un effet de libration des chanes de la
signification qui lallge de ce dans quoi il tait enferm. Mais je me permettrai de ne
pas avoir la mme ide que lauteur de ce dans quoi il est enferm. Pour tout dire,
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mon ide est que cest sans doute dans quelque chose qui a voir avec le rapport du
patient avec son pre, dans la mesure o lui-mme fait rfrence au pome de
Kipling If , qui, dans la sphre anglo-saxonne, est quand mme le prototype de la
relation du pre au fils. Le pome se terminant par : Si tu peux faire toute une srie
de choses - tout fait invraisemblables dans le catalogue qui est prsent - enfin si tu
peux faire tout a, tu seras un homme mon fils .
Cest une liste en partie contradictoire, en partie impossible, en partie
inconsistante, mais enfin on a tout a sur le dos, et si on a tout a, en effet on est un
homme mon fils. En particulier dans la liste que donne Kipling, il faut pouvoir gagner
et perdre, cest un brviaire pour lhomme daffaire en effet. Si on peut gagner et
perdre en tant parfaitement indiffrent. a peut marcher pour le casino dailleurs. Il
y a des tas de gens dailleurs qui essayent de retrouver un lien avec le pre ou avec
Dieu en se prouvant eux-mmes que la condition si et seulement si, If , est
ralise lorsquils perdent tout. Nous avions vu a de la faon dont Dostoievski, pour
lui a fonctionnait comme a. De faon assez dmonstrative en effet dans cette
histoire - et si ce patient a t choisi par lanalyste, cest quil a eu une volont assez
dmonstrative - il y a un si alors, il y a un type dimplication, il veut tre un fils et il
essaye de dessiner les conditions qui sont les siennes, le si et seulement si, qui font
quil pourra en dduire qualors il est un fils.
Dans cette perspective, il me semble que lobjet non seulement oral, mais anal, est
en jeu et dans ce circuit pulsionnel, dans cette prison, il y a une note de rtention
anale, de quelque chose de coinc, quoi renvoie sans doute lexplication de il
voulait rentrer en moi - He wanted to get inside me.
Jai le sentiment que ce patient a affaire un Autre froce, dont il attend le si alors,
le si prenant la forme de cette liste dinterdits, de prescriptions et de
recommandations de Kipling, il attend loracle : alors tu es ! Le problme cest
quavec cet Autre il a sans doute le sentiment, qui doit tre un tourment, quil passe
son temps le tromper et cest pour a quil est coupable. Je nai pas le sentiment
que cest simplement quil gagnera plus dargent que le psychanalyste, il y a bien sr
cette note anale, la petite cagnotte supplmentaire, mais il suffit que lanalyste nait
pas lair impressionn, que a ne le tracasse pas normment, que les patients soient
plus riches que lui, pour que cette chose trouve sa place, et en effet lanalyste l na
pas lair plus proccup que a par a, simplement il note que la culpabilit subjective
du patient sengendre de l.
Mais tout de mme, lexpression : il voulait rentrer en moi, cest vraiment a, il
voulait le pntrer analement. Et voil le fantasme qui authentifiait. Alors cest un
fantasme, je suis tout fait daccord avec lanalyste l-dessus, cest de cela quil
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sagit. Mais peut-tre pas pour tre dans son corps et tre emprisonn. Il est angoiss
si on peut se permettre de formuler ainsi, il est angoiss parce quil est en train
dentuber lanalyste. Sa relation lAutre cest de le tromper et une fois de plus il est
en train de le faire et son tourment, cest que justement une fois de plus sa rencontre
avec lAutre, une fois de plus il ne pourra pas conclure si alors. Sa conclusion serait si
je fais a et bien je taurais tromp une fois encore, je men serai tir, jaurai eu plus
que toi en toi, et je peux partir tranquille tu ny as vu que du feu. Cest pour cela,
mon avis, il a ri quand lanalyste trs justement lui a dit ce quil tait en train de faire
et que loppression thoracique sest considrablement allge.
Cest trs diffrent dans un moment comme cela dauthentifier le fantasme, ou
bien de pointer la dimension du malentendu de cette tromperie. Le dsaccord porte
sur le fait quavec une thorie selon laquelle il y a adquation entre linterprtation et
ce qui se passe rellement, on ne peut pas avoir lide que linconscient interprte
ct, de travers, nous trompe. Lorsquon vise la pulsion, on retrouve les apories
mmes quannonait Lacan dans son commentaire de lhomme aux cervelles
fraches . Pour reprendre ce que disait Lacan, il et fallu faire entendre quil vole
rien, peut-tre et-il fallu faire entendre, dans la perspective que je propose, ce quil
pensait avoir en plus par rapport son pre et de lavoir tromp et bien que par
rapport cet Autre, auquel il a affaire, a nest rien. Et comme a nest rien, et bien il
faut le payer cher, donc peut-tre un peu plus cher ce rien quil tait en train de
drober dans lanalyse.
Est-ce que je fais le malin parce que moi je viens derrire, aprs ? Oui, comme
disait le docteur Lacan, il y a toujours quelquun qui peut venir vous prendre une
plume, par derrire, pendant quon regarde par terre. Je ne sais pas les tenants et les
aboutissants de cette analyse, jmets le commentaire dans le mme esprit
scolastique avec lequel le cas de Kohut et les remarques de Wallerstein ont t faites.
Et cest a qui mautorise situer lintrt pistmologique du cas, au-del de cette
relance de la mise supplmentaire. Cest : que dit-on lorsque lon vise ce qui se passe
dans la ralit psychique ? quappelle-t-on ralit psychique ? pourquoi la phrase : il
voulait rentrer en moi dcrit-elle une ralit psychique selon la thorie de
lidentification projective ?
Ce quon a dans la tte, ce quil y a, peut-tre plus que quelque chose, cest bien
plus un mode du rien, une faille. Les mtaphores, en dernire instance, dans notre
perspective, renvoient ou bien un lieu symbolique ou ce que Lacan a dabord
soutenu, le Nom-du-Pre garantissant toutes les mtaphores possibles, ou bien plus
profondment, deuxime thorie, un Autre inconsistant parce quappuy sur un
point qui ne pourra jamais sinscrire, le non-rapport sexuel. L, pas de possibilit de
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renvoyer une dnotation, a ne sinscrit pas. Vous navez aucune possibilit den
avoir cet usage l, daller constater si oui ou non. Il faut quapparaisse bien plus une
modalit, celle de limpossible, qui rpond cette inexistence, ce : il ny a pas.
Ce quil y a rellement dans lesprit, cest bien plutt rien, au sens de consistance
logique de lobjet isomorphe la pulsion, non pas isomorphe la signification, mais
isomorphe la pulsion. Et il y a dailleurs un livre admirable, qui sest pench sur la
question de savoir ce quon a dans la tte, au moment o lon soccupe de choses qui
ont voir avec le sexe, cest le livre de Laurence Sterne qui sappelle La vie et les
opinions de Tristram Shandy , cest un livre dont Jacques-Alain Miller mavait
recommand la lecture il y a bien longtemps. Cest un livre dsopilant, cest
probablement le plus beau livre que le 18me ait fait avec Jacques le Fataliste.
Alors, dans le chapitre premier du livre, a commence comme a. mon sens,
lorsque mes parents mengendrrent, lun ou lautre aurait d prendre garde ce
quils faisaient. Et pourquoi pas tous les deux puisque ctait leur commun devoir.
Sils avaient, cet instant, dment pes le pour et le contre, sils staient aviss que
des humeurs et dispositions dominantes allait dpendre non seulement la cration
dun tre raisonnable, mais peut-tre lheureuse formation de son corps, sa
temprature, son gnie, le moule de son esprit - le moule cest vraiment adquat -
jusqu la fortune de leur maison, sils avaient mrement examin tout cela, je suis
persuad que jaurai fait dans le monde une toute autre figure, et je serais apparu au
lecteur sous les traits sans doute fort diffrents de ceux quil va voir. Et je vous donne
ma parole que le bon sens et la folie dun homme, ses succs et ses msaventures
dans le monde dpendent pour les neuf-diximes des mouvements de ses esprits, de
leurs activits, des voies o on les engage. Une fois lche bien ou mal, laffaire est
conclue . Tout cela nest-ce pas, Stern reprend les thories sur les esprits vitaux
transmis du pre au fils comme thorie rgnante dans la transmission de
lengendrement au 18me sicle. De nos jours, il faut adapter, on passe par le
complexe ddipe, etc., mais enfin aprs tout cest pareil. Et les voil partis ple-
mle tous les diables. Pardon mon ami, dit ma mre, navez-vous pas oubli de
remonter la pendule ? - Grand dieu, sexclama mon pre, non sans un effort pour
touffer sa voix, depuis la cration du monde une femme a-t-elle jamais interrompu
un homme par une question si sotte. Pardon, que disait votre pre ? - Rien. Fin du
chapitre.
Voil, dans un cas on pense quil y a une adquation entre cette ide, dans lautre
on dcouvre du rapport sexuel, il y a dun ct la dame qui remet les pendules
lheure et qui signale que le monsieur en tout cas, quil nest pas lheure dans son
dsir elle et de lautre ct il y a en effet rien dans la tte de lhomme, du ct de la
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norme mle qui est rduite au rien. Alors voil une autre faon de situer des
notations et ce quon a dans la tte. a nous permettra de reprendre la prochaine
fois, partir du rien faire un tour de plus dans le ralisme en psychanalyse.
Applaudissements.


Jacques-Alain Miller :
Et bien nous pourrions peut-tre converger sur Tristram Shandy ( vrifier),
puisque nous suivons des voies parallles, peut-tre pourraient-elles converger sur ce
livre qui en effet mrite dtre mis en parallle avec Jacques le Fataliste, dans la
mesure o le Jacques de Diderot rpte que tout est crit, alors que Tristram Shandy
illustre, prcisment en son commencement, lincidence de la contingence. Ce roman
qui narre lhistoire du hros en la commenant neuf mois avant, et mme davantage
- cest le seul livre qui commence vraiment la conception du hros - met en valeur
le lapsus initial, le drangement initial au moment mme du cot, producteur, et donc
Tristam Shandy est celui qui se connat comme une contingence. Cest vraiment
Jacques le Fataliste dun ct et Tristram le contingent. Contingent parce que luvre
du mari est trouble par la question intempestive de la dame, question intempestive
prcisment sur lheure, sur le temps.
Je prends la suite avec aisance, en rappelant ce que jai esquiss la dernire fois, ce
que jappellerai la thorie du partenaire. Javais il y a trs longtemps, quand jtais
philosophe, extrait de lenseignement de Lacan, ce que jappelais la thorie du sujet.
Cette thorie du sujet tait justement faite pour permettre cet enseignement de
Lacan de communiquer avec les philosophies. En particulier avec la philosophie
cartsienne, les philosophies post-cartsiennes, spcialement la philosophie critique,
celle de Kant, de Fichte, et la philosophie phnomnologique, celle de Husserl.
Et Lacan lui mme invitait cette thorie du sujet, puisquil avait, plusieurs
reprises, rfr le sujet freudien, le sujet de linconscient, au cogito cartsien et quil
avait rcrit, modifi, fait varier le cogito cartsien. Et donc en rassemblant un certain
nombre de considrations sous le chef de thorie du sujet , javais rpondu cette
invitation.
Cette perspective, cette tentative, qui est certes date, ne me semble appeler de
ma part aucun reniement, mais disons un complment, et ce complment la
thorie du sujet, cest la thorie du partenaire.
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Dailleurs, le cogito cartsien, le je pense donc je suis, ce cogito a lui-mme un
partenaire. Le cogito cartsien nest pas du tout solipsiste. Il a un partenaire au jeu de
la vrit. Et sans doute on ne peut pas jouer au jeu de la vrit sans un partenaire.
Alors quel est ce partenaire ? Cest dabord, trs simplement, ses propres penses.
On pourrait dire : son premier partenaire, cest son propre je pense. Mais, dire que
cest son je pense, a serait dj trop dire, parce quil ne peut isoler son je pense,
parmi ses penses, que sil cesse de se confondre avec ses penses. Sil cesse de les
penser purement et simplement.
Alors quand cesse-t-il de se confondre avec les penses quil a ? Quand il
sinterroge, propos de ses penses, ce qui nest pas initialement, cette question sur
ses propres penses. Mais quand il sinterroge sur ses penses, videmment il sen
distingue. Il sinterroge, quelle ide ! sur le point de savoir si elles sont vraies. Et sur le
point de savoir, comment savoir si elles sont vraies ou pas ?
Alors a, a suffit introduire le ver dans le fruit, le fruit de ses penses. La
question de la vrit introduit le vers, question de la vrit qui nest pas chez
Descartes distincte de la question de la rfrence, puisquil sagit de savoir si la
pense, oui ou non, touche au rel, le traduire dans le terme allemand.
Et aussitt, la question de la vrit fait surgir linstance qua voque ric Laurent
tout lheure. La question de la vrit fait surgir linstance du mensonge, sous les
espces dun Autre qui trompe.
Voil le partenaire qui surgit alors pour Descartes : un Autre imaginaire, sans doute
fictif, lAutre qui trompe, lAutre qui lui met ces ides-l dans la tte, et cest avec cet
Autre-l quil joue sa partie. Les mditations de Descartes cest la partie joue avec
lAutre qui trompe. Et lAutre dont les penses de Descartes ne seraient que les
productions illusoires quil met afin de lgarer. Les mditations, cest une partie
joue avec lAutre trompeur.
Et cette partie parat dabord perdante, ncessairement perdante, puisque le sujet
concde cet Autre la toute puissance : tu peux tout faire. Et donc la puissance de le
tromper dans toutes ses penses, mme celles qui lui paraissent les plus sres.
La partie est ingale, radicalement ingale. LAutre trompeur, en effet, demble, le
dtrousse, ramasse toute la mise, qui sont ses propres penses que le sujet cartsien
met en jeu. Quest-ce quelles valent ? Et lAutre quil a imagin en effet nettoie la
table. Toutes peuvent tre trompeuses, toutes peuvent ne rien valoir, aucune ne
porte en elle-mme la marque de la vrit. Il ne lui reste rien. Tout est perdu, fort
lhonneur a ajout un roi de France.
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Alors, ce qui fait lenchantement du conte cartsien, cest que cest dans cette
droute radicale elle-mme que le sujet trouve le ressort de son triomphe.
Prcisment dans ce renoncement tout avoir, dans cette pauvret, radicale,
dpouill de tout par lAutre qui peut tout, prcisment l, il trouve son tre. Il le
trouve dans un pur je pense. Non pas je pense ceci ou cela, mais je pense sectionn
de tout complment dobjet. Un je pense, exactement absolu, au sens propre, au
sens tymologique, cest--dire un je pense sectionn, coup, et, cest comme par
miracle le point o la pense et le rel concident.
Une fois sauv de lAutre qui peut tout, ce petit rien, qui lui reste, comme un
rsidu, une fois sauv, tout est gagn. Un nouvel empire est gagn, puisque de fil en
aiguille, le sujet cogital rcupre son authentique partenaire, cest--dire lAutre qui
ne trompe pas, et donc vacue la fiction de lAutre qui trompe.
Cest tout fait autre chose de continuer la partie avec un Autre qui ne trompe pas.
Tout puissant sans doute, mais donc vrace, car la toute puissance, cest laxiome de
Descartes, samoindrirait par le mensonge. Le mensonge tmoignerait toujours dun
moindre tre. Tout puissant, son partenaire, tout puissant donc fiable. Un partenaire
fiable, mme sil est tout puissant, il est impuissant : a veut dire quil vous fout la
paix. Cest a que Descartes conquiert dans ses Mditations, un Autre qui lui fout une
paix royale.
Le dieu de Descartes, son avantage, et nous continuons de vivre sur les intrts de
ce quil a gagn alors, le dieu de Descartes, on na pas sen inquiter. Il va pas vous
prendre en tratre. Il va pas vous jouer des tours, il va pas vous faire des niches, des
surprises. Il va pas rclamer des sacrifices. Ce qui est merveilleux, cest que cet Autre
tout puissant se tient bien tranquille, il est tout ce quil a pos une fois pour toute.
Comme on dit, on peut lui faire confiance, a veut dire quon peut soccuper des
choses srieuses ; on ne va pas vous dranger dans ces choses srieuses, hein ! Ces
choses srieuses, a consiste, comme dit Descartes, se rendre matre et possesseur
de la nature, et lAutre l-bas, na rien dire l-dessus. Dailleurs, il a rien dire sur
rien ! Tout puissant ! Tout puissant au point de ne pas pouvoir mentir, cest a le tour
extraordinaire de Descartes : il est si puissant, lAutre, quil peut tout, il peut
tellement tout quil ne peut pas mentir : a lamoindrirait, a nest pas digne de lui, a
nest pas conforme sa dfinition, logique. Cest le silence divin. Ce silence, cest
divin. Dailleurs cest ce qui, part a, nous permet de dtourner tranquillement,
parce quon attend pas quil vienne ici nous sonner les cloches.
Alors cest Descartes que lon doit le dieu des philosophes. Cest lui qui a mis au
monde le dieu des philosophes. Il a t aid en effet par la thologie qui a fait
beaucoup pour museler dieu. Mais enfin, a sest vraiment accompli avec Descartes.
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Le dieu pour la science. Le dieu dduit, logiquement dduit. videmment, ce dieu
l, ce partenaire dieu, na rien voir avec le dieu du texte, le dieu scrut dans le
signifiant biblique - enfin rien voir sinon le crationniste, mais je laisse a de ct.
Le dieu du texte biblique, cest un dieu tourment et mme un dieu menteur et
tourmenteur, capricieux et furibard, irrit comme on dit, et qui joue des tours pas
possibles lhumanit ; comme dinventer de lui dlguer son fils pour voir ce quon
va en faire, et comment lui-mme tiendra le coup.
Pascal ou Kierkegaard, eux, avaient rapport avec le dieu dAbraham, Isaac et Jacob
et ctait une toute autre affaire. Avoir ce partenaire-l pour jouer sa partie, a
nintroduit pas du tout la quitude, mais plutt la crainte et au tremblement. La
diffrence entre ces deux dieux partenaires, cest que celui-ci a du dsir, et que celui-
l, le dieu de la science, nen a pas.
Alors disons que le premier chapitre de la thorie du partenaire concerne le
partenaire dieu. Et tel que je lai introduit ici, jai simplifi, il est biface.
Le chapitre deux, a pourrait tre la psychanalyse, dans la mesure, o le sujet, il
cherche, et on lespre il trouve, un partenaire nouveau, qui est le psychanalyste.
Est-ce que le partenaire psychanalyste ressemble au partenaire dieu science ou au
partenaire dieu dsir ? Il y a des deux. Par une face, il y a lanalyste science. On
cherche lanalyste patent, fiable, fiable long terme, pas capricieux, invariable, au
moins pas trop remuant. Lacan allait jusqu imager ce partenariat en comparant
lanalyste au mort dans la partie de bridge, et, donc, invitait lanalyste tenir une
position cadavrise, rduire sa prsence une fonction du jeu, et tendre se
confondre avec le Sujet-suppos-Savoir.
Mais, par une autre face il y a lanalyste dsir : mme si son silence est divin, sa
fonction comporte quil parle au moins de temps autre, ce quon appelle
interprter, ce qui conduit le sujet , lui, interprter les dits de lanalyste. Et ds lors
que lanalyste parle et quon linterprte, a met son dsir en jeu, et, on a pas
reculer faire du dsir de lanalyste une fonction de la partie qui se joue dans
lanalyse. Et donc lanalyste, si on se pose la question de savoir est-ce quil tient du
partenaire dieu science ou du partenaire dieu dsir, si on invente de poser la
question, on est bien forc de dire quil tient des deux. Enfin, quest-ce qui oblige le
mesurer au partenaire divin ? Il est plus raisonnable, sans doute, de le mesurer au
partenaire dans la vie, au partenaire vital.
Cest un fait, dobservation courante, quon a recours au partenaire analyste,
quand on a quelques difficults avec son partenaire dans la vie.
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a se dcouvre dans la psychanalyse, parfois ds le dbut et parfois au cours de
lanalyse. Mais, au partenaire analyste, on se plaint de son partenaire vital, et ce, sous
des formes diverses. a occupe, phnomnologiquement, comme nous disons, a
occupe une part considrable du temps des sances. On vient trouver le partenaire
analyste, bien souvent, pour se demander ce quon fait avec son partenaire vital,
comment on a pu songer sappareiller cette plaie (rires).
Et donc, on a recours au partenaire analyste, bien souvent, pour supporter le
partenaire vital, par exemple pour le dchiffrer, quand on narrive pas comprendre
ce que son partenaire dit, les signaux quil met, les messages ambigus, quivoques,
peut-tre malveillants, qui vous sont destins, et comme sil parlait par nigme. Et on
vient traiter la question du dsir du partenaire auprs du partenaire analyste.
Souvent aussi, cest pour a que jai parl de plainte, cest pas une simple question,
parce quon est bless par ce que dit le partenaire vital.
En rgle gnrale, une femme narrive pas encaisser ce que lui dit son homme. Et
aussi bien, en rgle gnrale, une femme, narrive pas encaisser ce que dit sa mre,
mais enfin videmment a peut stendre et puis toute rgle est susceptible
dexception.
Du ct homme, bien souvent, le problme est de ne pas arriver choisir son
partenaire, de ne pas arriver tre sr de quel est le bon partenaire, si on en a
plusieurs, ou quand on en a un, que cest bien le bon. Et quand on en na pas, quand
on pense quon na pas de partenaire, on se demande pourquoi. Quest-ce qui fait
obstacle en avoir un ?
Dans tous les cas, avoir recours lanalyse, cest introduire un partenaire
supplmentaire dans la partie qui se joue pour le sujet, avec un partenaire,
ventuellement imaginaire. Cest introduire un partenaire supplmentaire, au point
quon peut tout de suite aller dire que, mme avec cette prsentation image que
je fais, une question plus complexe bien sr, mais on peut tout de suite aller dire,
que la clinique, ce quon appelle la clinique, cest le partenaire.
Dans lanalyse, le partenaire, cest le rel comme impossible supporter. Alors
parfois, le vrai partenaire, ce sont les penses. Comme pour Descartes au dbut, il se
peut que le sujet narrive pas supporter les penses qui lui viennent, et que ce
soient elles qui le perscutent. Et donc, il joue sa partie avec ses penses : comment
arriver ne pas les penser, donc penser autre chose, et puis il se trouve
ventuellement rattrap par ses penses, alors il sefforce dannuler son propre je
pense, de lintoxiquer, son je pense, de lanesthsier, il ruse avec ses penses : cest
l que sa partie se joue, cest l aussi, enfin dans une certaine forme clinique, que
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lide de suicide peut lui venir, le suicide tant une faon radicale de divorcer de ses
penses.
Parfois le partenaire essentiel cest le corps, le corps qui nen fait qu sa tte. Cest
ce quon rencontre aussi bien dans lhystrie de conversion, moins frquente tout de
mme de nos jours, moins spculaire, ou dans la clinique psychosomatique.
Mais enfin, avoir recours lanalyse, cest finalement toujours substituer un couple
un autre, ou au moins superposer un couple un autre. Dailleurs le conjoint,
quand il y en a un, ne prend pas toujours a trs bien. Il soppose, tolre,
ventuellement il entre son tour en analyse.
Comme je lai dj mentionn, le conjoint nest pas toujours la personne qui vous
unissent les liens du mariage, ni non plus la personne avec qui vous partagez le lit, le
concubin. Ce quon a appel lhystrie, lhystrie fminine, cest quand le partenaire
conjoint cest le pre. On en a fait une catgorie clinique part, mais bien entendu a
peut tre la mre, aussi bien, le partenaire conjoint. Quest-ce quon a appel
lobsessionnel ? On a appel obsessionnel le sujet dont le partenaire cest la pense.
On parle dans le cas de lHomme aux rats de la dame de ses penses. Cest bien
plutt ses penses sur la dame. Cest avec sa pense, avec sa pense exactement
quil jouit. On appelle paranoaque, celui dont le partenaire, cest ce que disent les
autres, et qui le visent, en mauvaise part. Enfin, le partenaire a bien des visages. Le
partenaire pour le dire dun mot, qui aurait lair dtre savant, le partenaire est
multifigural : beaucoup de varits, beaucoup de diversits. Mais cherchez toujours
le partenaire ! Ne pas shypnotiser sur la position du sujet, sinon se poser la question
avec qui joue-t-il sa partie ?
Dans la psychanalyse, me semble-t-il, le partenaire est une instance avec laquelle le
sujet est li de faon essentielle, oui ! une instance qui lui fait problme. Pro blme :
cest--dire qui fait blmir, loccasion, et mme sil est probe, il reconnat quil
laime si je puis dire, voil le problme.
Alors quoi peut-on isoler le partenaire prit en ce sens ? Cest que dabord le sujet,
premirement narrive pas le supporter, cest--dire exactement narrive pas
lhomostasier, narrive pas le rduire dans lhomostase qui le maintient, cest ce
qui est apparu dans la psychanalyse au dpart comme le traumatisme, et
deuximement que le sujet en jouit rptitivement, comme dans lanalyse, dans la
rgle a se met en vidence.
Et donc cest dire, je lintroduis de la faon la plus simple, la plus image que je
puis, que le partenaire a statut de symptme. Cest a sans doute la formule la plus
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gnrale pour recouvrir le partenaire multifigural, la formule la plus gnrale cest le
partenaire-symptme.
L, on pourrai inscrire un petit retour sur Lacan qui en effet, demble, sest pos la
question de savoir qui est le partenaire fondamental du sujet ? Et la rponse
premire quil a donne dans ce quil a appel son enseignement, partir de 1953, sa
rponse a t cest un autre sujet. Cest une conception dialectique de la
psychanalyse et ctait, reconnaissons-le, ric Laurent la voqu il y a peu,
lintroduction de Hegel dans la psychanalyse.
Dans cette notion il y a symptme quand lautre sujet qui est votre partenaire
fondamental ne reconnat pas votre dsir, do recours lanalyste comme le sujet
capable de reconnatre les dsirs qui nont pas t reconnus comme il fallait en leur
temps par le partenaire sujet.
Alors videmment cette introduction sensationnelle de Hegel dans la psychanalyse,
dentre saugrenue de Hegel dans la psychanalyse, a t prsente par Lacan comme
un retour Freud. tait-ce un simple habillage, tait-ce un simple travestissement ?
On ne peut pas dire a. Dabord parce que Lacan est all aux textes de Freud, quil a
produit une renaissance de la lecture de Freud, voire une premire naissance,
puisquils navaient jamais t jusqualors travaills de cette faon. Mais au-del, en
fait, il y avait une ncessit profonde ce que cette introduction de Hegel dans la
psychanalyse se traduise comme un retour Freud. Et pourquoi ? Prcisment, la
dialectique implique que lautre sujet, symtriquement, se fonde lui aussi dans le
rapport intersubjectif. Et donc si on reconnaissait le patient comme un sujet, ayant
se raliser dans lexprience analytique, son interlocuteur, son partenaire, ce devait
tre aussi un sujet se ralisant dans la mme opration. Et do logiquement la
ncessit de mettre en valeur le sujet Freud, celui qui prcisment a fond la
psychanalyse dans lopration analytique elle-mme.
Et donc il y avait une ncessit ce que cette introduction de Hegel se prsente
comme un retour Freud, cest--dire au sujet Freud, le sujet qui inventait la
psychanalyse par la mdiation dialectique de ses patients. En drivation, cela tendait
valoir pour Lacan lui-mme, en tant que rinventant la psychanalyse, sur les pas de
Freud.
Dans cette vise initiale, la partie du sujet tait conue comme se jouant toujours
avec un autre sujet, voire des autres sujets, selon le moment de son histoire, se
jouant avec un autre sujet ne voulant pas le reconnatre lui-mme comme sujet et l
lanalyste tait se substituer lautre sujet historique rticent.
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Certes, de ce point de dpart, Lacan est parti, il ny a pas stationn, mais la
problmatique du partenaire, elle, on peut dire, demeure comme un fil de toute sa
recherche. Elle comporte, et cest ce qui fait le dfaut dune thorie du sujet, elle
comporte que le sujet est incomplet en tant que tel, quil ncessite un partenaire, le
tout est de savoir quel niveau, il le ncessite.
Le premier partenaire de Lacan, on le lui avait invent. En effet sur la voie de Freud,
et de son introduction au narcissisme, ctait le partenaire image, cest a ce que
raconte le stade du miroir : que le partenaire essentiel du sujet, cest son image. Et
ce, en raison dune incompltude organique de naissance, dite de prmaturation.
Cest un partenaire imaginaire et mme exactement le partenaire narcissique. Cest
l-dessus, cest de l que Lacan lui a invent ce partenaire fascinant, parce que
prcisment non spculaire, ce partenaire abstrait essentiel dont pourtant on trouve
la trace prcisment dans la mditation philosophique, cest de l que Lacan a
invent un second partenaire, le partenaire symbolique.
Nous avons appris situer le sujet face ce double partenaire, le bon et le
mauvais, le partenaire du sens et le partenaire du dsir et cest l que nous avons fait
en quelque sorte nos classes.
Bon et bien nous poursuivrons nos classes la fois prochaine.
Applaudissements.

Fin de la treizime sance du sminaire
(mercredi 19 mars 1997)





E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 241
241
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent et Jacques-Alain Miller

Quatorzime sance du sminaire
(mercredi 26 mars 1997)


J.-A. Miller : Jai annonc une thorie du partenaire et, la dernire fois, jai
commenc dcliner les versions lacaniennes du partenaire subjectif. Le premier de
ces partenaires, cest le partenaire-image et le second, cest le partenaire-symbole. Il
y a l ainsi une srie qui samorce et dont les termes peuvent tre numrs. Mais il
nest pas inutile de sinterroger, avant cette numration, sur le terme de la srie.
Quelle est le terme de la srie des partenaires ?
Il me semble quil vaut la peine de le situer demble et cest dailleurs ce que jai
fait en commenant. Le terme de la srie des partenaires, cest le partenaire-
symptme.

Quest-ce quun partenaire ? Au plus simple, cest celui avec
qui on joue sa partie et si on veut bien se rfrer ltymologie,
avec ce quelle comporte dalatoire, de contingent - l le
contingent est la marque mme du signifiant, le contingent est
li au signifiant - selon ltymologie notre mot de partenaire
procde de partner, mot anglais, import dans la langue
franaise au cours du 18eme sicle, de sa seconde moiti. Ce
18eme la fois si franais, si franais dans le monde, puisque
cest lpoque o la globalisation tait celle de la langue
franaise. Cest pour nous dj un pass recul, puisque la nouvelle langue globale, et
disons-le nous en souffrons, la nouvelle langue globale procde de langlais. Certes a
nest plus langlais des Anglais, cest mme peine langlais des Amricains, cest un
anglais qui est une lingua franca, une sorte dargot anglais, universel. Et en tout cas
image
symbole
----------





symptme
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 242
242
pour nous a fait symptme, que le franais, ancienne langue globale, universelle, ait
t dtrn par la langue anglaise, au moins par un surgeon de la langue anglaise.
Et cest sans doute pour a quon peut dire que a nest pas par hasard que cest
dici que nous nous interrogeons sur le symptme social contemporain. Parce que
pour nous a ne va pas bien, de ce point de vue de la langue. Donc au 18eme sicle,
sicle du franais langue universelle, cest pourtant de langlais que nous vient ce
terme de partner, mais qui lui-mme a emprunt, si on se fie au dictionnaire,
lancien franais. Curieusement ce terme de parsonnier, qui signifiait associ et
nous pourrions faire du partenaire la traduction du mot dassoci. Le partenaire, cest
lassoci, aussi bien celui avec qui on sassocie pour danser, lpoque, on ne pouvait
pas danser tout seul (rires), le mouvement du symptme social ayant conduit ce
que plus ou moins - cest discuter selon la phnomnologie de la fte - enfin il
semble quaujourdhui on puisse danser tout seul, en tout cas sans se tenir avec un
autre. En dpit du fait quon ne se tient pas avec lautre, il faut quand mme quil y
ait une sorte de partenaire, mme sil est multiple. Bon, je laisse pour une autre fois
le symptme de la danse contemporaine.
Dailleurs comme je me rendrais prochainement au Brsil et quau Brsil il est
impossible de faire un sminaire de psychanalyse sans danser le soir (rires), parce que
sinon ils nont pas confiance dans ce que vous pouvez raconter (rires), je me ferai une
ide plus prcise, je minterrogerai plus que par le pass sur le rapport avec les
partenaires. Il semble que a continue dexister dinviter quelquun danser mais
enfin ce qui est plutt... et dailleurs souvent les dames le font, quand les messieurs
ne sont pas assez ports sur lexercice. Mais videmment a se perd un peu sur la
piste de danse, ce rapport, et donc de lextrieur on a tout de mme limpression de
jouissance assez autistique, dont la rfrence lAutre est soumise un certain
suspens, une certaine quivoque, en tout cas des substitutions que ne permettait
pas, pas du tout le tango argentin par exemple.
Alors le partenaire cest lassoci. Aussi bien le partenaire avec qui lon danse, que
celui avec qui lon exerce, une profession, une discipline, ou avec qui on sexerce,
un sport par exemple et cest aussi celui avec qui lon converse et galement celui
avec qui on baise. Avec le partenaire, on a partie lie, comme nous disons en franais,
dans une partie et le mot de partie mriterait lui-mme quon sy arrte et quon
relve ses paradoxes qui vont jusqu ceux de lobjet partiel, comme on dit en
psychanalyse et do Lacan a forg son objet petit a.
Le mot de partie dsigne llment du tout, cest ce que formule demble le
dictionnaire Robert, mais il se dcouvre dans la suite des dfinitions, des traductions
smantiques que propose de faon toujours ambigu, quivoque, le dictionnaire, il se
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 243
243
dcouvre que le mot de partie dsigne aussi bien le tout lui-mme, en tant quil
comporte des parties, que des parties prenantes ce tout. Et cest par l que le mot
de partie est li au jeu et quil dsigne aussi bien la convention initiale des joueurs,
cest un usage de la langue classique, que la dure mme du jeu, lissue de laquelle
- dit Robert - sont dsigns gagnant et perdant.
Si jesquisse une thorie du partenaire, cest pour autant que le sujet lacanien, celui
auquel nous nous rapportons, celui auquel nous avons affaire dans la psychanalyse, le
sujet lacanien est essentiellement engag dans une partie. Cest--dire quil a de
faon essentielle, non pas contingente mais ncessaire, de structure, il a un
partenaire. Le sujet lacanien est impensable sans un partenaire.
Dire cela, cest rendre compte de ce qua dessentiel, pour le sujet, ce quon
appelle, depuis Lacan, lexprience analytique, qui nest rien dautre quune partie qui
se joue avec un partenaire. La question est de savoir comment comprendre ce que
peut avoir dessentiel pour un sujet la partie de psychanalyse, au sens o on dit la
partie de cartes. Parce quon constate que la partie de psychanalyse prend, pour le
sujet au moins qui sy engage, prend pour lui une valeur essentielle.
Alors comment rendre compte de cette valeur que peut prendre, pour un sujet, la
partie de psychanalyse, sinon en posant quil existe fondamentalement, et en dehors
mme de cet engagement, qui peut se faire ou ne pas se faire, quil existe une partie
psychique, qui est inconsciente. Que le sujet comme tel, est toujours engag, quil le
sache ou pas, dans une partie.
a, a suppose que dj existe la psychanalyse et quon essaye, partir de ce fait,
den imaginer les fondements. Et en imaginer les fondements conduit lhypothse
dune partie inconsciente et sil se joue pour le sujet une partie inconsciente, cest
quil est fondamentalement incomplet. Cette incompltude du sujet a dabord t
illustre par Lacan dans le stade du miroir et, pour le dire dans les termes que jutilise
aujourdhui, le stade du miroir cest une partie que le sujet joue avec son image.
Si lon considre cette construction de Lacan sur le fond de llaboration
psychanalytique, on est conduit dire que le stade du miroir est la version lacanienne
du narcissisme freudien. De ce que Freud, prcisment, a avanc dans son crit
Introduction au narcissisme . Et prcisment le narcissisme freudien semblait
propice fonder une autarcie du sujet. Cest comme a quon a lu le narcissisme
freudien : quil y a un niveau ou un moment o le sujet na besoin de personne et
quil trouve en lui-mme son objet. Et on a fait du narcissisme freudien labsence de
partie. Et cest de l, dailleurs, quon a souponn dtre illusoires les parties que
pouvait jouer le sujet, au regard du narcissisme. Et prcisment le stade du miroir
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 244
244
inverse cette lecture puisquil introduit laltrit au sein mme de lidentit soi. Et
quil dfinit par l un statut paradoxal de limage : limage dont il sagit dans le stade
du miroir, cest la fois limage de soi et une image autre. Cette partie imaginaire, la
partie imaginaire du narcissisme, petit a petit a, comme Lacan la formalis au plus
simple, il la aussi bien dcrit comme une impasse. Une impasse aussi bien par
exemple sur le versant hystrique que sur le versant obsessionnel, dans la nvrose.
Une impasse cest--dire que le sujet sort de cette partie toujours perdant, il nen sort
qu ses dpends et, de l, Lacan a introduit un autre partenaire que limage, le
partenaire symbolique, dans lide que la clinique comme pathologie senracine dans
la partie imaginaire, dans les impasses, exactement, de la partie imaginaire.
Impasses qui ncessitent lanalyse comme partie symbolique et cette partie
symbolique est suppose, elle, procurer la passe, cest--dire une issue gagnante
pour le sujet. Dans la perspective que je prends sur llaboration de Lacan partir des
termes que je mets en pingle, de la partie et du partenaire, lanalyse, ce devrait tre
une partie gagnante pour le sujet. Le moyen de gagner la partie quil perd dans
limaginaire et qui fait prcisment sa clinique.
Do le paradoxe de la position de lanalyste en tant que partenaire. Lanalyste au
sens de Lacan est suppos jouer la partie symbolique de faon la perdre. Il ne peut
gagner la partie, en tant quanalyste, qu condition de la perdre et de faire gagner le
partenaire sujet. De telle sorte que, sans doute, la position de lanalyste comporte
une dimension dabngation et ce que Lacan appelle la formation de lanalyste
senracine en ce point l. Cest apprendre perdre la partie quil joue avec le sujet, et
que le gain soit le gain du sujet. La formation de lanalyste, cest accepter que son
gain lui, ce soit de perdre au profit du sujet.
Peut-tre que je peux voquer, comme on la fait devant moi, une fin danalyse,
dans sa rusticit, dans sa navet comme dit Lacan, dans sa brutalit, et qui met en
valeur ce que a comporte, pour le sujet, de gain, corrlatif pour lanalyste,
loccasion, dun certain dsarroi. Voil quau bout dune longue trajectoire
analytique, le sujet rve quune chose, quon peut pas dsigner autrement que par le
terme de saloperie, sort de sa jambe et dune couleur noire, la couleur mme, disent
les associations, qui est celle dun objet qui figure dans le cabinet de lanalyste.
Quelque temps plus tard, voil le sujet qui nonce, avec crainte et tremblements,
quil est un cochon, et de ce fait il fait tomber sur lanalyste le masque du loup, qui
sest en effet repu de ce cochon, lui-mme assez actif du point de vue oral, mais enfin
qui sest repu de ce cochon pendant des annes et puis enfin quelque temps plus tard
ce sujet, jusqualors docile, respectueux, admiratif, de lanalyste, arrive lui renvoyer
ce trait, cette flche, qui est dj la flche du parque, celle quon envoie en partant :
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245
Vous tes chiant , et cest la fin ! Au terme dune petite dizaine dannes, cest l
ladieu, cest l le merci, jai mon compte, sous ces espces l : la saloperie noire, le je
suis un cochon et le : vous tes chiant. a fait une fin danalyse tout fait tenable, et
voil lanalyste, lanalyse, lieu de la vrit, rduite son essence... de merde,
comment le dire autrement, avec pour le sujet, le sentiment dun merveilleux
allgement, prcisment de la recherche de la vrit qui ne culmine pas dans la vision
de lessence divine, mais bien dans le sentiment, dans la dclaration que llaboration
vridique et les sentiments qui lont accompagns, pour le sujet, tout a cest de la
merde. Cest une vrit si lon veut un peu courte, mais a peut mon sens
valablement - cest ce que jai dit lanalyste qui me rapportait cet pisode - a peut
valablement reprsenter une fin danalyse, et non pas une interruption.
Dans ces trois temps que jai dtaills, on aperoit une saisissante, une brutale,
pour le sujet lui-mme brutale, conversion de lagalma en palea, pour passer du grec
au latin. La formation de lanalyste se situe exactement en ce point, dassumer la
conversion de lagalma en palea et, au-del mme de lassumer, de la vouloir, quand
bien mme le sujet est ce propos tout fait encore aveugle et que cest pour lui
impensable, voire, quand il y pense, douloureux.
Jai parl de limpasse. Et Lacan, prcisment, a dcrit les structures cliniques
comme des impasses. Comme des impasses dordre imaginaire, ce qui veut dire non
pas des impasses illusoires mais des impasses imaginaires au sens o la vrit a
structure de fiction. Et pour Lacan, que les structures cliniques soient des impasses
imaginaires au sens o la vrit a structure de fiction voulait dire que se sont autant
de modes de tromperie, autant de mensonges.
La passe, tant chercher toujours, depuis les dbuts de son enseignement, du
ct de ce qui ne tromperait pas. Et cest pourquoi il a cru dabord trouver cette issue
du ct de lAutre, du grand Autre, en tant que lAutre de la Bonne Foi, celui qui ne
trompe pas. Et cest ainsi quil a distingu lAutre-image et lAutre-symbole, en posant
que lAutre-symbole tait par excellence lAutre qui ne trompe pas, comme il le
formule et je vous renvoie la page 454 des crits, La solution, dit-il, est chercher
du ct de lAutre, avec un grand A - il sagit de la solution des impasses imaginaires -
la solution est chercher du ct de lAutre, place essentielle la structure du
symbolique - jabrge - lAutre garant de la Bonne Foi, ncessairement voqu par le
pacte de la parole.
Je souligne ici le terme de ncessairement : il y avait pour le premier Lacan quelque
chose qui ne cesse pas de scrire, quand on parle, cest la rfrence lAutre qui ne
trompe pas. Et, pratiquement, quest-ce que a signifie, dans lexprience ? a
signifie, dans les termes mmes de Lacan - page 458 cette fois-ci - quaux confins de
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lanalyse, dans la zone qui concerne ce quon appelle la fin de lanalyse et qui est
aussi bien lexpulsion du sujet hors de son impasse, il sagit de restituer une chane
signifiante. La fin de lanalyse, si on oppose le partenaire-image et le partenaire-
symbole, cest la restitution dune chane signifiante. quoi Lacan voyait trois
dimensions : une dimension qui touche au signifi, celle de lhistoire dune vie vcue
comme histoire, et donc a suppose lpope narre du sujet, sa narration continue
de son existence, deuximement une dimension signifiante, la perception de sa
sujtion aux lois du langage et troisimement laccs lintersubjectivit, au jeu
intersubjectif, par o la vrit, disait Lacan, entre dans le rel.
Ces trois dimensions de la chane signifiante ultime, valent avant tout par labsence
qui clate, savoir par labsence de toute rfrence au dsir et la jouissance. Cest
ce que comporte essentiellement lide dune partie qui est jou avec le partenaire
symbole. Cette partie et son issue gagnante laissent de ct tout ce qui concerne
dsir et jouissance. Et il faut bien dire que la phnomnologie de lexprience
analytique va dans cette direction, puisquon sy absente de toute jouissance qui
serait l assimilable ce qui sobtient plus ou moins, de faon plus ou moins
satisfaisante, avec le partenaire sexuel. La phnomnologie de lexprience
analytique semble mettre en vidence que le partenaire essentiel du sujet cest
lAutre du sens. Comme on le dit : enfin on peut parler dans lexprience analytique.
Enfin on peut mettre des mots sur ce dont il sagit, opportunit que les alas de
lexistence ne faciliteraient pas au sujet. Autrement dit, il semble que lanalyse fonde
et prcisment par sa mthode, par les moyens quelle emploie, un privilge de la
smanticit sur la sexualit. Le privilge du smantique sur le sexuel.
De telle sorte que lanalyse, lopration analytique, peut tre, dans cette
perspective, dfinie comme la substitution tout partenaire-image du partenaire-
symbole. Et cest l, si on restitue cette dimension, que lon peut saisir le privilge,
retrouv par Lacan dans un second temps, du phallus freudien comme signifiant. Tel
que je lintroduis, il me semble que lon aperoit que a comporte une modification
du concept de lAutre. LAutre tel que je lai voqu, ctait lAutre de la Bonne Foi, le
dieu des philosophes. Parler du phallus comme signifiant, cest dgrader cet Autre,
cest dire quil y a dans lAutre quelque chose du dsir.
Et do ce que Lacan alors a labor du partenaire-symbole comme tant le
phallus. Ctait arracher le dsir limaginaire et lassigner lAutre, au partenaire
grand Autre. Le phallus est un signifiant, cette novation qui a fait trembler sur ses
bases la pratique analytique, le phallus est un signifiant, cette novation de Lacan veut
dire que lAutre nest pas seulement lAutre du pacte de la parole, que cest aussi
bien lAutre du dsir. Et de ce fait le partenaire-symbole est plus complexe quon
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247
pouvait le penser. a a conduit prcisment Lacan une relecture et une rcriture
de la thorie freudienne de la vie amoureuse o le partenaire-symbole apparat dun
ct comme partenaire-phallus, et de lautre ct comme partenaire-amour, cest--
dire pas simplement comme partenaire de la Bonne Foi, par rapport aux tromperies
imaginaires, mais comme un partenaire complexe qui se prsente dun ct comme
le partenaire-phallus et de lautre ct comme le partenaire-amour, avec une
dialectique diversifie selon le sexe. Cest ce que comporte le texte, quil mest arriv
plusieurs fois de commenter, de La signification du phallus .
Et donc nous pourrions dj ajouter notre numration le partenaire-phallus et le
partenaire-amour, de mme leur mettre leur petit signifiant phi () et A barr. Mais
ajoutons tout de suite le partenaire majeur que Lacan introduit au sujet, cest le
partenaire petit a. Le partenaire essentiel que Lacan a rvl, et ce partir de la
structure du fantasme cest lobjet petit a, cest--dire non pas lAutre sujet, non pas
limage, non pas le phallus, mais un objet prlev sur le corps du sujet. Et on peut dire
que le partenaire essentiel que Lacan, partir de l, a labor, et qui la conduit au
partenaire-symptme, cest, sous diverses figures, le partenaire-jouissance du sujet.


Son texte, que jai aussi souvent comment, de Position
de linconscient sans doute institue en face de lespace du
sujet qui est reprsent par un ensemble, le champ de
lAutre,
S - A


et donc on y retrouve en quelque sorte ce partenariat fondamental du sujet et de
lAutre, mais a nest que pour montrer, dans ce partenariat, que sa racine, cest
lobjet petit a, et que le sujet dans lAutre a essentiellement comme partenaire lobjet
petit a, qu lintrieur du champ symbolique, lintrieur de la vrit comme fiction,
image
symbole
phallus
amour
a

symptme
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 248
248
il a affaire, il traite, il sassocie essentiellement dans le fantasme, avec lobjet petit a
et quen quelque sorte la substance non seulement de limage de lAutre mais bien
du grand Autre, cest lobjet petit a.
Et cest l poser que le partenaire essentiel, cest lobjet petit a, pour le sujet. On
peut dire qu partir de ce mathme, lenseignement de Lacan na fait quen drouler
les consquences et prcisment concernant la sexualit. Quest-ce que la sexualit,
quest-ce que lAutre sexuel, si le partenaire essentiel du sujet cest lobjet petit a,
cest--dire quelque chose de sa jouissance ?
Au temps o Lacan nous prsentait ce schma, il pouvait dire que la sexualit est
reprsente dans linconscient par la pulsion. Et un temps tait ncessaire avant de
sapercevoir que la pulsion ne reprsente pas la sexualit, elle ne la reprsente pas en
tant que rapport lAutre sexuel, elle la rduit au contraire au rapport lobjet
petit a. Autrement dit la phrase, que je prlve dans cet crit de Lacan, Position de
linconscient , la sexualit est reprsent dans linconscient par la pulsion, cette
phrase comporte des consquences quil a fallu plusieurs annes Lacan pour
admettre, en particulier la consquence que si la sexualit nest reprsente dans
linconscient que par la pulsion, a veut dire quelle nest pas reprsente dans
linconscient, quelle est reprsente par autre chose, que cest une reprsentation
non reprsentative. Et la consquence de cette non reprsentation, cest ce que
Lacan a formul dune faon fulgurante, par le non-rapport sexuel, le non-rapport
sexuel veut dire que le partenaire essentiel du sujet cest lobjet petit a, cest--dire
cest quelque chose de sa jouissance lui, cest son plus-de-jouir. En cela son
invention de lobjet petit a veut dire dj quil ny a pas de rapport sexuel, cest--dire
que le partenaire du sujet cest lobjet petit a, ce nest pas lautre sexuel.
Le rapport sexuel nest pas crit, quest-ce que a veut dire ? a ne veut pas dire
que cest faux, a veut dire que cest une formule qui nest pas dans le rel, que cest
absent, non pas faux mais absent. Et a donne la raison de la contingence, a laisse
place la contingence et mme, a dmontre la ncessit de la contingence dans ce
quon pourrait appeler lhistoire sexuelle du sujet, la narration de ses rencontres, a
explique quil ny ait que rencontre. La contingence, Lacan lavait dj dcouverte il y
a trs longtemps, prcisment quand il isolait la fonction du signifiant, cest que le
signifiant, et comme la moindre tymologie le montre, le signifiant emporte avec lui
de larbitraire. Nulle part la drivation du sens des mots que nous utilisons nest
crite comme ncessaire. Ce sont toujours des rencontres. Chaque mot est une
rencontre et lincidence de chaque mot sur le dveloppement rotique du sujet est
marque de cette contingence. Cest ce quon a reprsent sous les aspects du
traumatisme, que cest toujours une rencontre et toujours une mauvaise surprise.
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249
Une histoire, lhistoire vcue comme histoire, cest lhistoire des mauvaises surprises
quon a eu.
Cest ainsi que Lacan pouvait dire, bien avant darriver au non-rapport sexuel mais
cest dj en quelque sorte contenu l, il pouvait dire cest par la marque
darbitraire propre la lettre, que sexplique lextraordinaire contingence des
accidents qui donnent linconscient sa vritable figure , page 448 des crits.
Lextraordinaire contingence. Une analyse ne fait que mettre en valeur, que dtacher
cette extraordinaire contingence. Ce quon appelle linconscient, ce sont les
consquences de lextraordinaire contingence. La contingence cest celle-l mme
que linstance du signifiant comme tel imprime dans linconscient. Et donc cette
contingence est intrinsque au rapport au signifiant et il a fallu simplement une
dizaine dannes Lacan pour rendre raison de cette contingence par le non-rapport
sexuel. Sil y a cette contingence, cest quil y a corrlativement quelque chose qui
nest pas ncessairement inscrit.
Le partenaire, en tant que partenaire sexuel, nest jamais prescrit, cest--dire
programm. LAutre sexuel nexiste pas en ce sens, au regard du plus-de-jouir. a
veut dire que le partenaire vraiment essentiel, cest le partenaire de jouissance, cest
le plus-de-jouir mme. Do linterrogation sur la choix, chez chacun, de son
partenaire sexuel.
Et bien le partenaire sexuel, il ne sduit jamais que par la faon dont lui-mme
saccommode du non-rapport sexuel. On ne sduit jamais que par son symptme. Et
cest pourquoi Lacan pouvait dire, dans son sminaire Encore, que ce qui provoque
lamour, ce qui permet dhabiller le plus-de-jouir dune personne, cest la rencontre,
chez le partenaire, des symptmes et des affects, de tout ce qui marque chez chacun,
la trace de son exil du rapport sexuel.
Cest une nouvelle doctrine de lamour. Lamour ne passe pas simplement par le
narcissisme, il passe par lexistence de linconscient. Il suppose que le sujet peroive
chez le partenaire le type de savoir qui, chez lui, rpond au non-rapport sexuel. Il
suppose la perception chez le partenaire du symptme quil a labor du fait du non-
rapport sexuel. Et cest bien dans cette perspective que Lacan a pu poser, dans son
sminaire Encore, que le partenaire du sujet nest pas lAutre, avec un grand A, mais
ce qui vient se substituer lui sous la forme de la cause du dsir. Cest l la
conception radicale du partenaire, qui fait de la sexualit un habillage du plus-de-
jouir.
Lavantage, cest que a rend compte par exemple de la toxicomanie. La
toxicomanie pouse les lignes de la structure, la toxicomanie est un anti-amour, la
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250
toxicomanie se passe du partenaire sexuel, et se concentre, se voue, au partenaire
asexu du plus-de-jouir. La toxicomanie sacrifie limaginaire au rel du plus-de-jouir.
Et par l, il faut bien dire quelle est dpoque, la toxicomanie, de lpoque qui fait
primer lobjet petit a sur lidal, comme jen proposais la formule au dbut de ce
sminaire. Elle est de lpoque o grand I vaut moins que petit a,
I < a
et si on sintresse la toxicomanie, qui est de toujours, si on sy intresse
aujourdhui, cest bien parce quelle traduit merveilleusement la solitude de chacun
avec son partenaire plus-de-jouir. La toxicomanie est de lpoque du libralisme,
cest--dire de lpoque o on se fout des idaux, o on ne soccupe pas de construire
le grand Autre, o les valeurs idales de lAutre national palissent, se dsagrgent, en
face dune globalisation o personne nest en charge, une globalisation qui se passe
de lidal.
On a parl ici mme, il y a peu, de limmigration, lgale ou clandestine, avec les
bons sentiments qui sont les ntres. Nous avons tmoign que nous ntions pas
pour faire l des diffrences mesquines, nous tions pour limmigration, quelle soit
lgale ou clandestine : et bien nous sommes libraux, le libralisme ne demande pas
autre chose, le libralisme est pour que a circule dans tous les sens. Parce que le
rsultat, espr au moins, par lconomiste libral, cest que a fasse baisser les
salaires et que par l mme que a favorise la production. Les libraux amricains,
ceux qui croient aux vertus du laisser-faire sont pour des frontires poreuses, parce
que a favorise la production et que a pse sur les salaires. Et la rsistance cette
circulation gnrale se fait au nom de lidal national, de telle sorte que la sensibilit
anti-nationaliste, qui est celle de la gauche morale, comme on dit, est tout fait
convergente avec les intrts de lconomie librale.
Dans ce contexte - oui enfin a nest pas drle, mais enfin on nest pas ici pour dire
des choses drles - dans ce contexte, Lacan sest intress au symptme littraire,
cest--dire un symptme qui sans doute chatouille lAutre, lAutre universitaire, le
Savoir, mais qui comporte essentiellement une jouissance pour le sujet et cest l
quil a inscrit sa rfrence James Joyce, sur quoi je reviendrais peut-tre la fois
prochaine.
Peut-tre que je peux terminer, avant de passer la parole ric Laurent, sur le sens
donner, dans cette perspective, linconscient interprte, formule que javais
lance et qui a fait gloser.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 251
251
Quest-ce que linconscient interprte ? Posons-nous cette question. Linconscient
interprte prcisment le non-rapport sexuel. Et, en linterprtant, il chiffre le non-
rapport sexuel, cest--dire que ce chiffrage du non-rapport sexuel est corrlatif du
sens quil prend pour un sujet. Le chiffrage du non-rapport sexuel, ce quil dlivre
dabord, cest le symptme. Et le symptme, en cela, va plus loin que linconscient
dans la mesure o il est susceptible de sincarner dans ce quon connat le mieux,
savoir le partenaire sexuel. Je reprendrais la prochaine fois.
Applaudissements.
ric Laurent :
Alors, je reprendrais en partant plutt du dbut de ton expos, o tu voquais le
statut de langue universelle de langlais, puisque cette fin de semaine a t passe
pour un certain nombre dentre nous dans langlais et en effet, dans cette langue
vraiment lingua franca, puisque runissant sous la bannire de lEEP, un nombre
assez divers de nationalits, dans la langue anglaise, et Londres. Langlais non pas
langue diplomatique mais en effet cet anglais mixte, accueillant, permettant de
brasser des accents assez divers et dans un Londres o ce qui frappe, quand on vient
de Paris, cest lextraordinaire vitalit de cette ville, qui incontestablement remue,
grouille le soir, avec des gens qui se pressent, qui nont pas lair davoir peur des uns
des autres, o la densit humaine est forte, dans le centre, et on voit dailleurs
lusage de la nation, assez diffrent nettement moins frileux que le notre, plus vital,
plus dsordre, donc accueillant.
Alors, on dit que langlais est accueillant la fois par sa faiblesse syntaxique, son
absence dacadmie, et sa capacit fabriquer du vocabulaire laide d peu prs
tout ce qui passe de pratiques, de langues, de mots nouveaux, intgrs par lusage.
On a l un rapport tonnant entre cette nation de marchands, de pillards, rentre
tard dans le rang europen, mais qui a toujours fait preuve dun beau ralisme, Lacan
y faisait hommage, et qui va avec cette richesse nominaliste qui leur fait fabriquer
des mondes, et dailleurs on a eu la surprise, arrivant Londres et voulant savoir ce
qui sy dit, ce qui sy fait, quelles sont les pratiques, le premier rflexe cest dacheter
Time-out, qui indique tout a, et le supplment de Time-out tait entirement
consacr Paris, ctait la semaine o ctait sur Paris, 48 pages sur Paris, dun
descriptif o on a limpression dun tout autre Paris et je vous conseille dacheter
Time-out cette semaine et vous verrez la ville autrement une richesse de vocabulaire
dcrivant donc toute une srie de pratiques, dont on ne se douterait pas y vivre.
Donc je recommande fortement ce nominalisme anglais appliqu notre cadre de
vie. Mais enfin on ntait pas l pour samuser, on tait l pour suivre une partie,
dans les termes que Jacques-Alain Miller dveloppe, et bien cette partie du gender
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 252
252
puisque ctait une enqute de deux jours sur les limites cliniques que lon peut
assigner la diffusion de labord du sexe, spcialement dans les milieux
universitaires, par lidentit de genre, le gender identity, qui a permis la fois, dans
luniversit et dans la clinique psychiatrique, de redistribuer les rles sexuels, au
fond, en dehors de la sexuation.
Donc dans cette gender identity, lidentit de genre, lenjeu tait de savoir jusquo
on peut se fier sur cette redistribution, de cette facticit du sexe, cette comdie des
erreurs et sil y a en franais une traduction de genre, cest plutt le mlange des
genres, une partie sans rgle adquate. Donc on a cherch la fois, comment la
clinique qui fait obstacle par sa rsistance et par les formes du symptme, comment
elle fait obstacle la facticit et quoi est confronte notre poque, les fictions
puises qui pourraient rgler les rapports des identits de genre, une fois dfinies
comme identit. Que les fictions soient puises, qui en feraient la rgle, on le voit
par le mariage trop transform, les same sex unions, les unions administratives, les
familles monoparentales, les certificats de concubinage, les rductions la SNCF, les
non mariages dclars, etc., on en passe et des meilleures, et ce qui faisait dailleurs
que le dimanche matin de ces journes stalait sur le journal, la grande nouvelle qui
tait que les scouts anglais reconnaissaient dans leurs rangs, admettaient la
reconnaissance de leaders homosexuels dclars, et que a avait mis la famille de
Baden Powell dans un tat pouvantable.
Et donc, comment les genders, redistribution de gender identity, essayaient
partir, semble-t-il, du discours universitaire, de fabriquer un type de fiction, qui
prendrait le relais dautres fictions puises, mais nanmoins ne pouvait pas cacher
que la vritable partie ntait pas le dialogue de lidentit de genre mais ce qui se
dgageait la fois de multiples tyrannies du narcissisme des mois et de leur modes
de vie, de leur styles de vie, the live style, o pour chaque moi, cherchant loriginalit
de son mode de vie, de son mode de jouir plus exactement, si le vritable systme du
moi est comme lavait un moment dvelopp Jacques-Alain Miller la Curua, en
Espagne, que le noyau cach du moi ctait son style de jouir. Ces diffrentes
tyrannies narcissiques, ce quelles vrifiaient, ctait plutt, dans les termes de Lacan,
la norme mle, les normes de la jouissance phallique, qui ne permettait rien dautre
que, certes, une lgislation possible sur ces normes, prcisment, ces normes mles,
juxtaposes, mais qui nanmoins, pour nulle dentre elles, ne pouvait prtendre
tre la bonne, tre a, tre ce qui pourrait capitonner cet ensemble. On a donc
explor les limites de cette juxtaposition sans que lune dentre elles puissent faire
capitonnage rel.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 253
253
Mais, jen tais rest non pas le capitonnage impossible des styles de vie, mais
ce qui, dans lIPA, tait ressenti comme le capitonnage impossible des styles
dinterprtations, quil y avait des langues dinterprtation fort diverses et que le
ralisme tait en panne de trouver sur quel point ou comment les accorder, et quil y
avait diverses tentatives. Nous avions vu celle de Monsieur Wallerstein et les
rponses quavait donnes le prsident Etchegoyen ces diverses tentatives.
Et je voudrais donc l en prendre dautres, tentatives, ou dautres rponses ce
mme malaise. Et en particulier, la faon dont le psychanalyste, qui na pas un rle
institutionnel dans lIPA, mais dont le trait, dont lintervention, est spcialement
rgle sur cette question, qui est Madame Davidson, Marcia Cavell, dont le livre
sintitule The psychoanalytic mind from Freud to philosophy qui est paru Harvard
University Press en 93, et qui sur ce point, centre son effort pour rpondre la
question, bien que lintitul soit bizarre, from Freud to philosophy, il faut bien dire
quil y a de a dans son livre, mais peut-tre que le suivant sera The psychoanalytic
mind II from philosophy to Freud, a pourrait faire retour.
En tout cas elle cherche dans son livre dfinir ce qui serait le rel en jeu, en tout
cas le capitonnage possible de linterprtation en psychanalyse. Elle critique la
perspective trace par Wallerstein, dune toute autre faon que le faisait Etchegoyen.
L, je vous rappelle donc lide de Wallerstein, qui tait : la psychanalyse finalement a
un fond commun qui sont les faits cliniques, et puis elle a des thories cliniques qui
sont des niveaux dabstraction suprieure et comme ce sont des niveaux
dabstraction suprieure et bien, l a peut varier, car ce niveau-l, on a le droit
davoir des phrases de niveau complexe qui incluent des points de vue, des accents,
des concepts particuliers. Mais pour savoir le sens des phrases qui sont prononces
dans les langues dinterprtations drives des thories cliniques, il faut les
dcomposer en faits cliniques somme toute lmentaires qui permettraient davoir le
sens de ces thories cliniques.
Alors, elle, qui est plus cultive dans ces questions que tous ses collgues, critique
ce point de vue en notant que tout de mme il y a un article de Quine qui sappelait
Les deux dogmes de lempirisme, il date de 53. Quine, on le connat, critique lide
que le sens dune phrase sanalyse en fait et quon comprendrait le sens lorsquon
arriverait rduire la thorie des faits. Il note que pour la plupart des thories
scientifiques, cette distinction est absurde et que comprendre ce que veut dire un
quark en physique, a nest rien dautre que lusage que lon a de la thorie qui a mis
au point le quark, et que la distinction du fait et de la thorie, partir dun certain
degr de complexit, ds quon sort de la navet na plus de valeur et cest ainsi que
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 254
254
Quine mettait en cause, mettait en question, les approches vrificationnistes qui
taient celles de celui qui tait son Autre, avec lequel il parlait, Carnap.
Elle-mme, Madame Cavell, considre que a nest pas en partant de ce type
dapproche que lon arrivera situer la place de ce qui est la rfrence commune ou
le fond commun entre les diffrentes langues analytiques. Et elle considre quil faut
donc le situer dans son titre The psychoanalytic mind, il faut un type dhypothse sur
le sujet, donc sur le mind, psychanalytique, elle le formule pas tout fait comme je
viens de le faire, mais a revient quand mme cela qui est quil faut expliquer
comment ce psychoanalytic mind rpond linterprtation. Ce quil y a de commun,
a nest pas le problme de ces langues dinterprtations, le grand mystre, cest que
justement a rponde linterprtation.
Et cest pour cela quelle se lance dans une traduction de la psychanalyse dans des
termes, qui sont ceux de Davidson, qui, lui, est justement lexposant dune thorie
radicale de linterprtation ou dune conception de lactivit de savoir,
ltablissement de la rfrence, comme essentiellement interprtative. Et, ainsi,
distingue dans son abord, plusieurs faons de situer le problme, plusieurs faons de
situer linconscient. Elle note quen gnral, lorsquon lit Freud, on tablit la lecture la
plus commune, qui est de penser que linconscient freudien est un inconscient, dit-
elle, une personne. Cest un inconscient la premire personne, solitaire et pour
cela elle relit les articles mtapsychologiques de Freud, la lumire dune sorte dun
inconscient freudien dduit de la premire personne comme Descartes en dduisait
la conscience, mais, tourne vers, l encore, un intrieur.
Cest ainsi quelle relit larticle de Freud de 1915, Linconscient et en particulier
la page 71, de ldition franaise, o Freud sinterroge sur son hypothse de
linconscient. Et il dit ceci : La psychanalyse nexige rien dautre que le procd
dinfrence qui est dattribuer une conscience aux autres, soit appliqu la personne
propre. Si lon fait ce pas, il faut dire que tous les actes et les manifestations que je
remarque en moi, et que je ne sais pas relier au reste de ma vie psychique, doivent
tre jugs comme sils appartenaient une autre personne et quon doit les expliquer
en leur attribuant une vie psychique , dune part et un peu plus loin, page 73, il ne
reste pas dautre solution la psychanalyse que de dclarer les processus psychiques
inconscients en soi, et de comparer leur perception par la conscience, la perception
du monde extrieur par les organes des sens. Lhypothse psychanalytique nous
apparat dune part comme une forme drive dun animisme primitif et dautre part
comme la suite de la correction apporte par Kant notre conception de la
perception externe . Cest l ensuite le noyau central de mme que Kant nous a
avertis de ne pas oublier que notre perception a des conditions subjectives et de ne
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 255
255
pas la tenir pour identique avec le peru inconnaissable, de mme, la psychanalyse
nous engage ne pas mettre la perception de conscience la place du processus
psychique inconscient qui est son objet .
Donc la fois Freud construit son inconscient dans ces pages comme une rflexion
interne, nest-ce pas, un il qui permet de percevoir le processus inconscient et en
mme temps sur ce mode kantien de lobjet qui se drobe noumne qui chappera
la description de ce qui apparat.
Ces textes l freudiens sont utiliss par Madame Cavell pour souligner quil y a tout
un courant de la psychanalyse qui, sautorisant de a, en fait une first person
approach, une dduction partir du sujet. Elle oppose cela bien sr une autre
thorie, puisquelle note que le grand ennui de tous les psychanalystes qui se sont
appuys essentiellement l-dessus, cest quils ont du mal expliquer la
communication, ils ont du mal autrement dit situer lintersubjectivit. Pour elle,
lcole de la relation dobjet, ou les relations mre-enfant, voil ce qui, pour elle, est
un autre courant psychanalytique, qui fait obstacle cette dduction sollipsiste
entre guillemets. partir de l, elle sappuie sur une autre perspective dans la
philosophie analytique et elle prend sa trinit o elle va dduire sa position chez
Wittgenstein, Quine et Davidson. Et Wittgenstein, bien sr, celui des Investigations
philosophiques , texte qui est crit par Wittgenstein contre son trait, contre le fait
quon pouvait avoir des faits et que les phrases sanalysaient en terme de faits et que
le reste, on ne pouvait pas le dire. Il fallait montrer ces faits l et ctait a qui
permettait danalyser ce qui tait dit.
Le deuxime Wittgenstein refuse lanalyse mme quil avait trace et part de la
phrase comme unit, non-dcomposable et partir des phrases construit les jeux de
langage dans lesquels sont prises ces phrases, seule perspective permettant de les
citer en sachant le sens que a peut avoir.
partir de l, donc, elle considre que Quine, elle enrle Quine dans la srie,
comme celui qui aussi, par son holisme, par laccent quil a mis sur le fait que le sens
dune phrase ne peut pas tre donn par lexamen de lune ou des lments quelle
comporte, mais par lensemble des phrases avec lesquelles elle a rapport et donc le
sens, que lon convoque, le sens sur un tribunal qui est lensemble du discours, elle
considre que Quine par cette approche pourtant bien diffrente de celle de
Wittgenstein, est de ceux qui permettent dinstaller un lieu de linterprtation.
Et, a lui permet de passer au troisime nom quelle invoque, Davidson, car ce que
Quine amne, cest un principe radical dindtermination de la traduction. Autrement
dit, pour savoir ce que lon dit, on convoque lensemble de lAutre, mais finalement la
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 256
256
seule faon, tant donn quon peut toujours retraduire un tat du monde par une
autre thorie, la seule faon de limiter cette retraduction permanente, cest la
science qui seule tablit la rfrence, Jacques Alain Miller avait not au dbut de
cette anne, cette position de Quine et comment sen sont affranchis ensuite ses
lves.
Davidson, lui, a essay en effet de partir dune autre faon, de fixer les rgles, un
point de capiton, cet ensemble de ce lieu de linterprtation. Et il y a quelque chose
de drle dans le livre de Marcia Cavell, cest quelle cite la fois Davidson certes, mais
aussi Cavell, Stanley Cavell, son premier mari, qui, lui, a t lun de ceux qui a
beaucoup fait aussi pour que lon voie dans Wittgenstein non pas son aspect
positiviste logique mais bien plus ltonnante conception des jeux de langage. Lui,
Cavell, note que si lon prend les jeux de langage au srieux, on ne fait pour chercher
un sens que se projeter dun jeu de langage un autre, dun mode dinterprtation
un autre, sans garantie ni de luniversel du discours, ni des rgles, ni de rgles que
lon puisse connatre davance. Do, dit-il, lhorreur quil y a circuler sans garantie
dans les jeux de langage, une horreur qui est quon dpend radicalement de laccord
du partenaire.
Alors que Davidson, lui, part de cette ide quon ne peut chercher ce que veut dire
ce que lon dit, quen cherchant laccord de lAutre mais au moins en lui prtant deux
choses, dune part un principe de charit qui est quil doit tre rationnel, cest la
charit rationnelle, une sorte de charit laque, et que dautre part il faut au moins
quen un point je puisse comprendre la vrit littrale de ce que vous dites, que
ladquation au moins en un point on saisisse ce que lautre veut vraiment dire. Pour
Davidson cest quen un point quand mme lindtermination de la traduction cesse.
Sinon quelle me laisse une chance quen effet il y ait une correspondance. Ce qui est
drle, cest que madame Cavell a prfr, pour son second mariage, quelquun qui ait
une thorie telle que quand mme en un point il y a un capitonnage et au moins
quon sache quelle rgle on joue avec lui, plutt que le premier, qui lui, met laccent
sur le fait que on ne sait absolument pas ce que lon fait quand on traduit, quand on
passe dun jeu de langage lautre et qui introduit une inscurit fondamentale et un
scepticisme radical dans les jeux auxquels on joue.
Elle a fait son choix, je ne me permettrais pas de le souligner davantage, mais au
moins simplement que a donne un autre relief cette thorie du partenaire et du
partenaire interprtatif.
Alors je resterai l-dessus et je continuerai la prochaine fois.
Applaudissements.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 257
257

Fin de la quatorzime sance du sminaire Laurent/Miller
(mercredi 26 mars 1997)




E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 258
258
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent
Jacques-Alain Miller

Quinzime sance du sminaire
(mercredi 2 avril 1997)

Jacques-Alain Miller :
Nous navons pas vraiment donn, malgr nos bonnes intentions du dbut d'anne,
la forme de sminaire ce qui s'appelle sminaire. L, pour terminer ce trimestre
nous avons pens avoir recours un troisime, notre collgue Hugo Freda, pour la
raison suivante quric Laurent comme moi-mme nous avons diverses reprises,
chacun notre faon, voqu, parmi les symptmes sociaux contemporains, la
toxicomanie. Or, Hugo Freda, a, parmi nos collgues, spcialement dvelopp
lintrt pour la thorie et le traitement de ce que nous rangeons ici sous la rubrique
symptme.
Il est dailleurs, ct de sa pratique proprement analytique, fondateur et
responsable d'une institution qui s'occupe spcialement de ceux qu'on appelle des
toxicomanes. Au cours des annes, il a dailleurs conseill diverses institutions, en
France, en Europe, comme en Amrique Latine, et il est, dans notre milieu, une
rfrence ce propos. C'est pourquoi nous lui avons demand, pour le dbut de
cette sance, de rappeler les donnes dont il part et quelques uns des rsultats
auxquels il pense tre parvenu.
la suite de son intervention, que nous ne connaissons pas, je suppose que nous
aurons quelque chose dire et ensuite ric Laurent poursuivra sa partie du sminaire
et moi la mienne.
(S'adressant Francisco Hugo Freda) Si vous voulez...

Francisco Hugo Freda :
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 259
259
Merci. J'ai intitul la prsentation d'aujourd'hui La toxicomanie, une nouvelle
forme du symptme .
Il y a dans l'enseignement de Jacques Lacan une srie de rfrences la
toxicomanie. Elles sont six ma connaissance. La premire date de 1938 et la
dernire de 1975. Ces rfrences ne constituent pas une thorie, mais elles donnent
une certaine conception du phnomne. Pour le psychanalyste il s'agit d'extraire
cette conception pour fonder une esquisse de thorie qui lui permettra d'orienter
une pratique.
Il faut constater que Lacan ne parle jamais du toxicomane, il parle d'intoxication, de
toxicomanie, de drogue, du haschich, d'exprience vcue de l'hallucinogne.
On doit postuler donc que le toxicomane se trouve l'intrieur de ces termes, qu'il
faut le construire, l'inventer, le rendre apte la psychanalyse, ce qui implique en
quelque sorte d'ouvrir la psychanalyse au toxicomane. Je postule qu' partir de la
conception lacanienne de la toxicomanie cette possibilit existe la diffrence de
celle de Freud qui tend exclure ces types de manifestations de l'action de la
psychanalyse.
Cependant il y a un point sur lequel Freud et Lacan sont d'accord : la toxicomanie
c'est une solution, une solution heureuse, jamais un symptme. La dfinition de
Lacan de la drogue en 1975 et la remarque de Freud dans Malaise dans la civilisation
le prouvent. La toxicomanie est peut-tre une nouvelle forme du symptme comme
Bernard Lecur et moi mme avons essay de le dmontrer il y a dj plus de
dix ans. Le toxicomane est un des reprsentant majeurs de ces nouvelles formes du
symptme que la modernit prsente au monde. En ce sens il est, sans le savoir
videment, un prototype de la modernit.
Cette affirmation mrite une justification, un dveloppement.
Je vous propose aujourd'hui d'exposer les rfrences prleves chez Lacan qui
permettent d'tayer une telle hypothse.
La premire des indications de Lacan en 1938, les Complexes familiaux donne le
ton : sur le fond d'une toxicomanie par la bouche comme effet d'un traumatisme
psychique : le sevrage , le sujet tend reconstituer l'harmonie perdue . C'est
une qute qui tend vers une assimilation parfaite de la totalit l'tre . L'accent
est mis dans la rponse du sujet devant l'exprience de la sparation, de la division,
que le sevrage inscrit dans l'existence.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 260
260
En 1946, Propos sur la causalit psychique nouveau, la sparation se fait jour.
Devant La discordance primordiale entre le Moi et l'tre il y a des tentatives
illusoires de rsolution. C'est l'intoxication organique qui est prise comme exemple
de celles-ci. Cependant cette tentative exige l'insaisissable consentement de la
libert , ce qui rend perceptible le fait que c'est seulement dans la relation au
signifiant et l'ordre de dtermination que la dcision de l'intoxication peut tre
comprise, sans minimiser la part de mconnaissance que cette rsolution comporte.
En 1960, Subversion du sujet et dialectique du dsir dans l'inconscient freudien ,
c'est la notion du sujet comme telle qui est propose par l'exprience freudienne .
Elle est mise en tension avec les tentatives appeles tats de connaissance . Ceux-
ci tendent rcuprer l'unit du sujet devant la constatation du gouffre de la
division. Dans cette discussion l'exprience vcue de l'hallucinogne prend une
place ct de l'enthousiasme platonicien et du samadhi bouddhiste.
L'tude des ces tats permet de comprendre ce qu'ils visent :
a) la rduction de toute division ;
b) l'ascse totale, c'est dire l'limination de toute dimension de la jouissance en
tant qu'entrave au processus libre de la pense.
Ces trois premires rfrences constituent un ensemble bien prcis.
Elles dfinissent un type de rponse du sujet devant la reconnaissance de
l'existence de l'inconscient dont l'intention du premier est d'effacer l'existence du
second.
Ces considrations se trouvent l'intrieur d'une rflexion plus vaste sur les
consquences subjectives qu'imprime le narcissisme la ralit psychique.
Il faut tirer de ces trois remarques de Lacan la conclusion suivante : l'intoxication,
sous toutes ses formes, est une rponse non symptomatique qui tente d'annuler la
division, la marque d'une position subjective caractrise par un : ne rien vouloir
savoir de l'inconscient. Il s'agit dans ces tats d'un choix : entre l'aphanisis et le
signifiant. Le sujet opte pour le premier.
Le deuxime groupe des remarques est centr autour des notions de drogue et de
toxicomanie.
En 1966, Psychanalyse et Mdecine : le destin que le discours de la science
rserve la toxicomanie gnre une nouvelle dfinition de la toxicomanie et du
statut des nouveaux produits tranquillisants et hallucinognes .
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 261
261
Ces produits ordonnent des nouvelles pratiques qui imposent au mdecin deux
orientations : un usage ordonn... des toxiques et une dimension thique qui
s'tend dans la direction de la jouissance .
Cette rfrence se prsente comme une vritable bande de mbius, qui montre
les diffrents visages de la jouissance. Celle-ci localise dans le corps, lieu de son
inscription, se dplie de telle sorte que ses prolongements font perdre la jouissance
son vritable rapport au corps.
Il s'agit d'un processus de d-localisation de la jouissance, c'est le regard aveugle
des appareils de mesure par exemple, qui n'ont qu'un rapport lointain avec la
jouissance.
C'est propre au discours de la science d'ignorer la dimension de la jouissance ce qui
lui permet de produire des substances qui vont des tranquillisants aux
hallucinognes pour recueillir des informations sur le monde extrieur .
La fonction et le nouveau statut de ces substances font que la notion de
toxicomanie s'est modifie : le caractre policier original se transforme en orientation
pistmo-somatique et redfinit la notion de la drogue en tant que produit de la
science.
Les mesures prises actuellement par les autorits sanitaires en matire de
substitution confirment avec trente ans d'cart les propos de Lacan.
En 1973, Les non dupes errent : Une nouvelle re se fait jour partir de la clinique
borromenne. L'quivalence des trois registres Rel, Symbolique et Imaginaire signe
la fin d'une conception de l'inconscient centre sur l'empire du signifiant. Le
symbolique existe, c'est un fait, cependant son usage ne fait que rendre plus visible
encore le rel.
La prsence relle du sujet qui tient la consistance de ces trois registres met
en exergue son destin : sa transformation en une substance lgre . Pour avoir
une ide de ce chemin il n'y a pas besoin de hasch , dit Lacan.
Le ton de boutade se fait sentir, cependant un vidage du sens se produit : la drogue
n'est pas une source de savoir.
En 1975, sance de clture des Journes des cartels de l'ex-Ecole freudienne de
Paris : Il s'agit du rapport de l'angoisse avec la dcouverte du petit-pipi donc du
rapport la castration. La petite fille comme le petit garon sont affligs
diffremment par la dcouverte. Le fait dtre afflig tablit un rapport singulier :
tre mari avec le petit-pipi, d'o la formule : tout ce qui permet d'chapper ce
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 262
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mariage est videment le bienvenu, do le succs de la drogue, par exemple ; il n'y a
aucune autre dfinition de la drogue que celle-ci : c'est ce qui permet de rompre le
mariage avec le petit-pipi .
C'est une vritable thse qui dfinit la drogue, la drogue en tant que telle, dont le
caractre essentiel est son succs. Ceci rejoint la position de Freud dans Malaise dans
la civilisation
Le toxicomane n'est pas dfini il faut le dduire. La premire approximation, la plus
simple est de rduire la complexit de la formule une solution donne aux
questions que soulve le complexe de castration. Ceci peut nous permettre de
conclure que le toxicomane grce la prise de drogue se libre des contraintes
qu'impose la fonction phallique. L'ide n'est pas mauvaise cependant elle n'explique
pas le choix que fait le sujet : celui de prendre de la drogue. La solution facile est de
rapporter le choix du sujet des raison historiques, ce n'est pas l'orientation de
Lacan.
Le nud du texte est le problme du nom, de ce qui peut se supporter d'un nom,
d'une rfrence . Par cette voie la dfinition prend une autre dimension. La drogue
est le point de rfrence qui nomme une pratique : la toxicomanie partir de laquelle
se cre un personnage : le toxicomane.
Le toxicomane c'est un personnage nullement un sujet. Un personnage qui par son
faire avec la drogue, cre un je suis : un je suis toxicomane lequel lui
permet d'chapper aux obligations qu'impose la fonction phallique.
Le je suis toxicomane est la formule partir de laquelle le fait d'tre homme au
femme n'a pas d'importance. Il n'y a pas dans la toxicomanie le masculin et le
fminin. Il y a seulement des consommateurs, ce qui est le rve du discours
capitaliste.
La toxicomanie est une nouvelle forme du symptme dans la mesure o elle dfinit
le sujet par une pratique nullement par son symptme ce que par ailleurs Jacques
Lacan a dmontr dans son sminaire sur le sinthme, qui n'est pas un sminaire sur
la psychose, mais un sminaire sur une nouvelle structure : la joycienne comme l'a
dfinit David Yemal.
Le toxicomane est le personnage de la modernit, qui, partir de son travail, veut
prouver que l'inconscient n'existe pas.
Aux psychanalystes de dmontrer le contraire.

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 263
263
ric Laurent :
Oui, il y a plusieurs points qui mont frapps. Cest la difficult, une fois que lon a
une thorie des jouissances, ou au moins deux, du ct de la jouissance, chez Lacan,
de resituer la question de la toxicomanie comme un retour lharmonie primaire.
Puisquil y avait le sujet et une jouissance perdue, donc il y a ces phrases des
Complexes familiaux, faire concider la totalit avec ltre. Dailleurs ce sont des traits
dvelopps..., cette perspective de a ??? tre, et comment a se rejoint par cette
pratique. Une fois quil y a les deux jouissances, alors il ny a plus le masculin et le
fminin, a cest incontestable, il y a le consommateur, mais, pourtant, il y a la
rupture avec la fonction phallique. Cest--dire au moins on a un ct, ce nest plus le
masculin et le fminin, mais cest la puissance phallique de lAutre, et a nest plus
reformul en terme de totalit mais en termes de rupture. Il y a au moins un des
cts du tableau quon abandonne. Il y a aussi en effet, tu disais que cette confrence
de Lacan sur Psychanalyse et mdecine annonait aux mdecins le rle de plus en
plus grand quils allaient jouer dans la gestion des toxiques. Jai soulign que cette
prdiction ne fait que se raliser davantage, dans la dfinition du toxique mme, de
ce que cest, des substances psychotropes. LAcadmie de mdecine propose des
classifications, le Comit national dthique en propose dautres, et ailleurs il ny a
pas les mmes. Il semble que lAcadmie de mdecine est un corps plus conservateur
dans sa faon de proposer des classifications mais dautres groupes ??? substances
psychotropes proposent des classifications qui brouillent les frontires, en tout cas
elles se veulent distinctes des frontires dans le sens toxique lgal ou pas lgal, mais
partir dun certain type deffets.
Ce qui videmment amne toute la nouvelle gestion contemporaine des toxiques
et lthique, les questions thiques que a soulve. Cette gestion est la fois
mdicale et policire, douanire et lgale. Et elle indique prcisment la mobilisation
de tous les registres de fictions.
Alors il y a aussi cette frontire, enfin tout le rle maintenant que prend ce quun
auteur a dfini comme la psychiatrie cosmtique, qui est lutilisation, exactement
comme je lai soulign dans un texte, comme la chirurgie qui peut utiliser les
indications insouponnes dans le registre de la chirurgie cosmtique, enfin
esthtique, l, il y a une psychiatrie cosmtique qui est : voil, je suis un peu sur le
flanc dopez moi. Enfin il y a eu dfaut de la nature, mes synapses ne vont pas, il y a
visiblement un dfaut, il faut que vous me retapiez a, il faut maintenir le niveau de
srotonine, dbrouillez-vous, et donc il y a toute une gestion qui, videmment, ne fait
que commencer, il y aura des modles plus compliqus tels que le modle
srotoninergique, mais tout ira en se complexifiant et donc a va radicaliser la
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 264
264
question thique, en effet, dans ses usages cosmtiques. a, ctait une annonce
faite aux mdecins qui na fait que prendre consistance.
Alors enfin la relecture que tu fais du concept de personnalit du toxicomane, la
dconstruction la fois dans ce que tu dconstruis, les personnalits risques, toutes
ces tentatives qui ont t faites de dfinir en dehors de tout symptme des
personnalits lies la sensation, il y a des modles en gnral sensualistes, il y a des
gens qui ont besoin de a, des personnalits, il faut pas que a leur tombe sous les
mains, et bien, au fond, de construire a comme une pratique, une pratique qui fait
avec le malaise dans la civilisation, cest effectivement une reconstruction, a nest
pas simplement dconstruire cest de reconstruire partir des indications de Lacan et
a aussi cest assez fcond comme perspective et ouvre des traitements.

Jacques-Alain Miller :
Lexpos a t fulgurant, mais peut tre au prix de se limiter, de se limiter en
sappuyant sur cette numration de rfrences chez Lacan, qui en elles-mmes a
tout son prix, mais en liminant les rfrences de votre pratique. La question, il me
semble, que tout le monde se pose, de votre expos, cest : quel est le succs
pratique de labord que vous proposez ? Cest--dire quen est-il pratiquement des
rsultats de cette opration qui consiste attirer le toxicomane dans le champ
freudien.
a permet de voir que ce que nous appelons les nouveaux symptmes tient surtout
ce que la psychanalyse sempare de nouvelles donnes, stend et quelle tend le
symptme. Nous sommes responsables, pour une bonne part, des nouveaux
symptmes. Et a suppose, sans doute, un consentement social lextension
psychanalytique du symptme. Cest l quon constate quel point nous sommes
dans une situation diffrente de celle que dcrit encore Freud dans son Malaise dans
la civilisation. Cest que quand mme, le trait notable de ce que Freud dcrit, cest la
rpression. Au point mme qu'on ait pu songer faire de la rpression sociale le
principe de refoulement, avec une ide quune socit permissive, au lieu dtre
rpressive, en finirait avec le refoulement. Et cest dj lexprience historique qui
sest coule qui permet Lacan de se dire pas du tout cest bien plutt le
refoulement comme tel qui produit la rpression sociale et quil est vain dattendre
dune socit permissive la disparition du refoulement. En tout cas, disons que le trait
victorien de la socit que vise Freud travers le concept de la civilisation, cest une
socit qui interdit, qui interdit de dire en particulier, do leffet prodigieux de la
permission de dire quincarne le personnage de lanalyste. Freud a dj eu des
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 265
265
rsultats demble avec cette permission de dire, nous en avons encore la petite
monnaie loccasion. Simplement aujourdhui, sil y a un trait mettre en valeur, et
qui lenvers nous fait problme, cest la socit pousse-au-dire. Cest que le recours
il faut en parler, est maintenant rpandu et mme gnral, et ce nest dailleurs pas
forcment le psychanalyste pur, le psychanalyste en tant que tel qui est appel
soutenir le pousse-au-dire mais des succdans de la position radicale du
psychanalyste.
cet gard, lextension de la psychanalyse la toxicomanie participe de ce pousse-
au-dire, et qui est dautant plus sensible dans loccasion que le toxicomane peut trs
bien sarranger du ne pas dire et que mme il est toxicomane si lon peut dire tre
toxicomane, enfin, disons-le, en abus de langage, quon est toxicomane prcisment
pour navoir pas dire.
Donc l nous voyons, cest en effet un champ, un champ en quelque sorte limite,
crucial, o le pousse-au-dire social et le ne pas dire subjectif entrent en conflit direct.
Donc a me parait moi trs juste de dire que a nest pas comme tel un symptme
freudien, peut-tre que cest un symptme lacanien, a nest pas exactement la
mme dfinition. Et a nest pas un symptme freudien et on saperoit quil ne suffit
pas dun dysfonctionnement, il ne suffit pas de diagnostiquer un dysfonctionnement
pour quon ait un symptme. loccasion, on peut avoir un symptme social, le
toxicomane peut tre un symptme social, dans la mesure o la drogue tant
interdite il entre dans les circuits de clandestinit et o, pour se procurer largent de
cette jouissance, il est conduit lui-mme se livrer des conduites dlinquantes.
Autrement dit a peut tre un symptme social, mais a nen fait pas un symptme
subjectif pour autant. On peut tre trs bien lagent dun symptme social sans
vrifier un symptme subjectif. Et cest l que sintroduit cette dimension du
symptme qui est dite essentielle par Lacan, savoir : il faut encore y croire, pour
quil y ait symptme. Il faut encore croire qu'il sagit dun phnomne dchiffrer,
un phnomne o il est question de lire quelque chose, ventuellement une
causalit, des origines, un sens. Et l, du point de vue social, il sagit dune certaine
sgrgation du toxicomane et de le livrer des processus thrapeutiques et cest en
quelque sorte supplmentaire, des processus thrapeutiques qui peuvent tre du
mme ordre que sil sagit de gurir, savoir trouver des produits chimiques de
substitution, comme on en fait lexprience sur une large chelle aujourdhui. Cest
supplmentaire que au fond le psychanalyste soit le premier dcider dy croire,
comme un symptme et dentreprendre le dchiffrement. Donc, l se pose la
question du consentement ou non du sujet, ce quon lui colle un symptme sur le
dos, il est dj toxicomane maintenant il faut encore quil ait un symptme, par votre
faute en quelque sorte, bon.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 266
266
Alors, la premire rfrence que vous commentez, la premire rfrence que vous
prenez Lacan davant-guerre, et qui voque la toxicomanie par la bouche, peut-tre
se rfre avant tout lalcoolisme, donc au fond, admettons que toxicomanie avant-
guerre on pense dabord lalcoolisme, flau social, en France spcialement. Cest
pas a, ?? autre thorie pour traduire a, et la diffrence, il serait intressant donc de
prendre ensemble la toxicomanie et lalcoolisme, ce qui se fait dailleurs en
Argentine, o un groupe se consacre ltude de lalcoolisme et de la toxicomanie
ensemble, cest que la toxicomanie alcoolique ne pourrait pas tre, elle, dfinie
comme telle par le divorce davec le petit-pipi. Dans la mesure o quand mme une
certaine pratique de lalcoolisme qui est en rapport troit avec lacte sexuel. Jusqu
ce que en effet on sen dbarrasse, jusqu un certain point de cette toxicomanie...

ric Laurent :
?? dans lacte sexuel il y a au moins taper sur lAutre sexu, il y a une pratique,
disons une sorte de corps corps violent, qui remplace loccasion lacte sexuel...

Jacques-Alain Miller :
O le partenaire sexuel est en tout cas prsent ou lhorizon mme de
lalcoolisme. Le problme sexuel cest quand mme... ce nest pas leffacement pur et
simple du problme sexuel, cest une certaine prise en compte, dficiente videment,
du problme sexuel. La rfrence que vous prenez Lacan , que vous citez, vous
posez que les tats de connaissance qui serait favoriss en particulier par des
hallucinognes, cest bien la diffrence quil y a lieu dintroduire entre la
connaissance et le savoir, en effet il y a des tats de connaissance, il ny a pas des
tats de savoir, et, au fond, cest une connaissance, des tats de connaissance sur
lesquels on peut agir par des hallucinognes, et donc produire des impulsions
fulgurantes, des expriences surhumaines, des visions exceptionnelles, do on
revient, et toujours en dficit finalement de les narrer. Au fond , donc, rien voir
avec llaboration du savoir, cest vraiment dtats de connaissance o llaboration
de savoir est mettre, placer, de faon antinomique. Et donc la dfinition... au
fond, a conduit effacer linconscient, arrt tout fait justifi et donc la toxicomanie
ne vaut pas dans ce sens comme symptme, dans la mesure o ce
dysfonctionnement nest pas pris dans une articulation de langage et tant que, on
peut admettre que le symptme freudien se dfinit dabord par son articulation de
langage et donc par le sens qui y est visible. Mme, dans un certain optimisme, Lacan
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 267
267
pouvait dire le symptme est tout entier rsorbable dans larticulation de langage, ce
qui tait dun certain optimisme parce que ??? prcisment la jouissance ???...

Francisco Hugo Freda :
Cest une rponse, je nai pas pu la dvelopper, mais les ?? ???, ctait une rponse
lpoque, qua fait Lacan, tantt Michaud, et aussi des expriences dutilisation
dhallucinognes lhpital Sainte-Anne. Cest--dire il sagissait dans les deux cas de
pouvoir trouver la cause humaine de ce qui est le plus intime tant donn que lon
narrive pas avec la parole, on peut la trouver avec des autres moyens, cest une
rponse, ctait une faon lpoque de dpasser la division du sujet au profit de
lunit de la personnalit.
Jacques-Alain Miller :
A certains gards il y a des arguments contre ces abords qui valent aussi bien
propos de lhypnose, mme si lhypnose conserve un lien avec la parole. Alors donc si
on dfinit le symptme avant ??? du langage, a nest pas un symptme. Toute la
question, enfin pas toute la question, une partie de la question cest que le
symptme nest pas qu'articulation de langage. Et si on dfinit le symptme par la
jouissance du symptme, si on le prend par ce bout l alors la toxicomanie rentre
dans la catgorie symptme, et mme minemment. Alors cest au fond, on voit bien
que Lacan est pass, de mettre laccent sur leffacement du savoir dans la
toxicomanie, leffacement de linconscient, de larticulation de langage dans la
toxicomanie, par la toxicomanie, mettre en valeur leffacement de la jouissance
sexuelle, et au fond cest pas le mme effacement, leffacement de la jouissance
sexuelle disons cest ce dmarier, mme pas du phallus, se dmarier du rapport au
pnis, au fond dfini comme le partenaire, cest dj une dfinition du partenaire
phallus en quelque sorte et a introduit la drogue ou la substance toxique comme un
autre type de partenaire. Et du coup a rentre en effet, je trouve trs justifi de le
faire rentrer dans le grand registre du rapport du sujet moderne lobjet
consommable. Au fond laccent moderne, celui quindique Lacan, une phrase que
javais pris comme repre au dbut de ce sminaire, cest qu'un mode de jouir,
actuel, contemporain, dpend essentiellement du plus-de-jouir. Cest--dire il fait,
enfin cest illuminant pour tout notre problme de lanne. Cest--dire que, enfin on
dfinirait ainsi le contemporain par le dmariage avec lidal, on peut se passer de
lidal, et on peut se passer, allons jusque l, on peut se passer des personnes, on
peut se passer de lAutre, et des idaux et des scnarios quil propose, pour un court-
circuit qui livre en direct le plus-de-jouir. Donc a participe de ce quun philosophe a
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 268
268
pu appeler le cynisme contemporain, la permission de se passer de la sublimation et
l dobtenir dans la solitude une jouissance directe et on sait que les socits qui ont
valoris au contraire le rapport lidal dont la socit victorienne, menaient une
lutte qui nous parait aujourdhui presque hallucine enfin, contre la masturbation,
parce que la masturbation, l cest une activit cynique par excellence, cest lactivit
qui permet de court-circuiter tout le scnario social, et qui isole du scnario social. Or
aujourdhui disons quil ny a plus le mme tabou en particulier sur la masturbation et
il y a disons le pousse la consommation implique prcisment labsence non
seulement lautorisation mais le rapport intense avec le plus de jouir et cest l quil
faut bien reconnatre dans la toxicomanie un lment qui est synchrone avec le
dveloppement social contemporain, cest au fond, cest peut-tre l quon lit le
mieux quoi conduit la logique du dveloppement social renforant toujours
davantage le rapport direct au plus-de-jouir. L vous tes aux premires loges si je
puis dire, et vous... la question que je rpte alors quen est-il quand on essaye de
faire entrer le sujet, je dis le sujet parce que ce qui fonde votre critique du
toxicomane comme personnage cest que ds que le toxicomane entre dans le champ
freudien, cet oripeau identificatoire, tombe et puis vous avez le sujet qui a recours
ce plus-de-jouir, donc quen est-il des rsultats effectifs de cette entre, cette
transformation que vous faites subir, de le faire rentrer, de tenter de le faire dans le
champ freudien ?

Francisco Hugo Freda :
Je vais essayer de donner une ide, je me permettrais de dvelopper un peu plus la
dernire formule de Lacan, car il me semble que cest celle qui permet en quelque
sorte de donner une orientation possible une rponse cette question l. Dans la
dernire formule, je peux ventuellement voir que la question du toxicomane a un
certain rapport ce qui est une certaine dgradation de lAutre que vous avez
voque tout lheure. Cest--dire lAutre nest plus lidal, si bien quon peut trs
bien penser que le graphe possible pour les toxicomanes serait, en reprenant
dailleurs les thses de 1975, nous pouvons trs bien voir que si on met la drogue
comme point de rfrence, cela va rapidement faire apparatre un sujet tel quil se
nomme : je suis toxicomane.



E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 269
269

Drogue





Je suis



toxicomane



Au fond le signifiant, lidal, le grand A, la seule chose qui lui sert, cest soit justifier
le pourquoi de la drogue soit assurer sa place en tant que toxicomane. Cest la
question du graphe que lon trouve, en quelque sorte tout fait diffrent du graphe L
malgr quil le contienne. Ce point qui apparat dans le graphe L qui justifie que le A
plutt voir avec une cause autre que la causalit, la simple relation imaginaire.
Effectivement les toxicomanes, ceux quon voit, vont faire de la drogue la cause de
ce qui leur arrive, et vont utiliser absolument toute la panoplie signifiante pour
justifier cette position l. Donc la difficult : comment les dloger en quelque sorte,
cest votre question, quel est le succs possible, je dirai que cest presque lui crer un
symptme, un symptme l presque freudien, ce qui complique les choses, parce que
a suppose en quelque sorte que ce qui tait toute son intentionnalit, pour la
premire partie si on se rfre Lacan, qui est viter la ??? cest rendre malade, la
solution, pour le sortir de la toxicomanie, cest au fond le rendre malade, le
toxicomane, cest a vritablement son drame, de rentrer dans le champ freudien
cest le rendre malade, do en quelque sorte la difficult. Comment fait-on pour un
sujet qui a trouv la solution tout lordre des choses, au rapport sexuel,
linconscient, mme au symptme, comment faire pour le rendre en quelque sorte
sujet dun symptme freudien. La question, me semble-t-il, est simplement : lui faire
aimer, dune faon ou dune autre, la parole.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 270
270
a




a A


Donc quest-ce que peut tre le dsir du psychanalyste l-dedans, avant tout ? a
veut dire quel est le dsir du psychanalyste par rapport la parole en tant que telle,
lobjet de la signification, mais plutt comme la parole en tant que je dirais transporte
une jouissance...

Jacques-Alain Miller :
On peut peut-tre plutt que aimer la parole... au fond vous expliquez quil sagit
de lintroduire au jouir par la parole. Et de substituer en quelque sorte la drogue, ce
quest la drogue normale, savoir la parole-jouissance. Alors simplement cest quand
mme assez difficile de concevoir quon puisse conduire le sujet perdre son oripeau
identificatoire, perdre ce je suis toxicomane qui lui permet de se reprer dans
lAutre social, dans une institution pour toxicomanes. Je veux dire cest une opration
quand mme qui est trs paradoxale et qui demande de subvertir de lintrieur le lieu
qui est offert. videmment il faudrait distinguer ce qui sobtient dans cette optique
dans le lieu commun prpos a, le lieu de sgrgation qui est propos a, et ce
qui sobtient dans le cabinet de lanalyste et qui est cet gard un lieu dsgrgatif.

Francisco Hugo Freda :
Dans ce sens les institutions, en principe, sont obliges dessayer de faire une sorte
de barrage la drogue, le dbarrasser du produit, serait son premier objectif. Laction
sarrte l on voit quil y a un chec, un chec constant, les toxicomanes sont dans
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 271
271
linstitution pour reprendre de la drogue aprs, les Maisons-darrt sont les exemples
les plus vident. Mme de temps en temps ils prfrent aller la Maison-darrt pour
faire une cure de dsintoxication force, ce qui les anime, mais en sachant
pertinemment que ds quils sortent ils vont reprendre, alors linstitution dans ce
sens cest un premier moment de travail. La question est de savoir jusqu quel point
linstitution, le travail qui peut se faire dans linstitution, peut, un moment ou un
autre, laisser sur le sujet pas seulement le sentiment davoir us de la drogue, mais
quelle puisse marquer dans sa subjectivit un avant et un aprs, chose qui tait
avant seulement marqu par la drogue, cest que la rencontre avec un certain type de
travail puisse pour lui faire en sorte une comparaison possible, entre quelques
annes parles et quelques annes prendre la drogue et il y a l des cas o
effectivement on voit des patients qui suivent ce travail. Alors cest un travail
videmment qui peut se passer dans un cabinet priv, etc., ces exemples ci ne sont
pas normes non plus, il faut pas non plus imaginer que le succs dans ce cas est
majeur mais, cas par cas, par contre, on peut trouver des rponses absolument
fulgurantes, absolument extraordinaires par rapport des patients qui sortent de la
prise de drogue, et rentrent dans une problmatique tout fait diffrente, cest
comme a, mais bon il faudrait voir cas par cas...

ric Laurent :
Il semble que le traitement, les efforts du traitement moderne, en particulier toute
perspective en terme simplement de sevrage, de couper du produit, ne donnait que
des rsultats extrmement faible, quelque soit la bonne utilisation, ctait de lordre
de 20%, do lide que a marche trs bien, donc pourquoi faire des institutions, des
systmes pour 20% de gens, que fait-on des 80 autres, que faut-il faire ? Do lide
de substitution gnralise, de la substitution, et de crer tout un monde, parce que
le grand avantage cest que a cre un monde, trs articul, qui nest plus de lordre,
tu disais de lavant de laprs, ou qui nest plus de lordre de la coupure nette, mais
tout un monde dans lequel on cesse den prendre pour un moment, o lon en prend,
on part, on rentre, enfin une nbuleuse beaucoup plus souple et avec des sevrages
rels, imaginaires et symboliques. Alors le sevrage symbolique de lidentification je
suis un toxicomane qui passe par, en effet, dabord une volont dinjecter du sens
et aussi une volont dinjecter un plus de lgalit, en essayant de sortir tout
ensemble un nombre de pratiques illgales en redonnant un statut comme tel, et
puis o on vient pratiquer un plus de demande, essayer de faire jouir de cette
demande l. Selon les modes dinstitutions, le choix dinstitutions, on accentue plus
ou moins tel ou tel aspect, il y a le sevrage imaginaire avec appui, avec une
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 272
272
restitution, il faut le plus de quelque chose, restitution sur les groupes, vous navez
plus cette identification imaginaire l mais vous avez celle de ex-toxicomane, ce qui
permet de faire des groupes de repentis divers, donc de surveiller, de prendre appui
sur lun lautre, etc., sur des modles qui ont dj donn des rsultats sur
lalcoolisme, sur le mode de lalcoolisme anonyme, enfin sur le mode de la confession
publique chre aux A.A.. Donc le modle sur ce mode l permet de prendre un appui,
a fait longtemps, et aprs il y a le sevrage rel. Alors a donne dj cette articulation
l, cest dj mieux que lalternative ancienne qui tait en effet dun ct puisque le
toxicomane tait en rupture avec lidal, ctait le traitement massif par lidal, et on
fabriquait des figures de pre totalitaire, qui ont disparu pratiquement du paysage
culturel, et les institutions pour toxicomanes tait celles o on recrait une sorte de
pre totalitaire, artificiel, o il faut un patriarche pour que, au moins, a tienne le
coup. Alors a a donn lieu des bizarreries puisque justement ce ntait plus
contrlable mme par lAutre de la loi, par des procdures de la civilisation, qui ont
??? le pre de la horde. Et donc l au contraire on en faisait, avec dailleurs des
rsultats, aussi, avec des rsultats mais considrer plutt comme pervers et il fallait
un antidote ???...

Jacques-Alain Miller :
Toutes les nouvelles solutions sont perverses, ou est-ce quil y a des niveaux ? ou
est-ce quon peut atteindre les niveaux ?

ric Laurent :
Dans la constitution ce nest pas un nouveau radical, mais cest linvention de ces
procdures de substitution toujours plus, qui donnent cette illusion de nouveau, mais
enfin comme diffusion de produits sur le march, il y a toujours : demain il y aura une
voiture qui marchera encore mieux, mais enfin demain, antidpresseurs de 4me
gnration, va tre meilleur que celui de la 3me. Bon attendez demain pour vous
dprimer, etc.

Jacques-Alain Miller :
Je pense quil faudra..., lactualit nous le rappelle, quon consacre de lattention
la solution par la secte, qui a t, en effet, essaye dans la toxicomanie, crer une
secte artificielle, mais la solution par la secte est une voie trs moderne de traiter le
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 273
273
malaise dans la civilisation. a a tendance quand mme infiltrer la psychanalyse elle
mme, il faut bien le dire, et sous des formes diverses qui sont - le mot secte est
dangereux, bien sr - mais, sous des formes diverses. La globalisation, sans doute, a
comme contrecoup linvention sectaire. Et peut-tre que la secte va bien au-del de
ce quon stigmatise comme a. On stigmatise les sectes quand elles dtournent un
certain nombre dindividus, en famille etc., ou quand elles se livrent des
expriences qui passent par le suicide, etc. Mais peut-tre il y a plus de sectes quon
ne le sait, peut-tre que la forme sectaire est promise un trs grand avenir, de
faon symtrique et inverse la globalisation.

ric Laurent :
Il me semble que cette solution l, cest ce que le dernier livre du cardinal Ratzinger
( vrifier) souligne comme, le danger le plus important le relativisme des croyances
qui, dit-il, pousse choisir dans le dogme, au lieu de bien choisir tout le paquet quil a
tabli, quil a veill bien rassembler pour la premire fois depuis un sicle, le
nouveau catchisme sur lequel il a veill pour bien montrer que a fait un ensemble,
mais ce choix pousse en effet un relativisme sectaire, parcellaire, alors videmment
lui, il ne veut pas, enfin il faut pas que a se parcellise, il faut vraiment veiller la
tenue.

Francisco Hugo Freda :
Dans le cas de la toxicomanie, ce phnomne on le retrouve, on voit de plus en
plus lincidence des groupes dex-toxicomanes, qui ne sont pas ex-toxicomanes non
plus parce quils continuent avec une pratique rgulire de drogue mais quand mme
qui se regroupent entre eux et qui ont une incidence directe au niveau de la
distribution mme, le budget, ils veulent tre tout fait prsents dans les grandes
manifestations scientifiques ou non scientifiques, pour dire leur mot en tant que
groupe qui parle de pathologies, de pratiques mais qui maintenant nont pas cette
pratique, mais qui conservent le savoir sur ces pratiques-l, et pour le sauvegarder ils
font des associations qui ont une incidence directe dans la...

Jacques-Alain Miller :
Ce sont les sevrs qui font groupe,

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 274
274
Francisco Hugo Freda : absolument.

Jacques-Alain Miller : cest exactement la mme chose dans la psychanalyse
(rires). Ce qui supporte le groupe psychanalytique, mme qui est accueillant ceux
qui sont encore en analyse cest le groupe des sevrs de la psychanalyse, cest a
quon essaye disoler, de reconnatre...

ric Laurent :
Oui, en effet, jallais commencer aujourdhui avant de continuer examiner
comment, dans une perspective ouverte, contemporaine, madame Marcia Cavell,
situe ou essaye de complexifier les modles du rel dans la psychanalyse anglo-
saxonne, je commenais par signaler le poids dans lactualit de ces sectes,
effectivement, des phnomnes qui surgissent, ou de ces volonts de crer des
espaces o tout le monde est identique et dailleurs de leur russite relative. Lors de
la dcouverte de la dernire secte californienne, le premier sentiment a t celui de
lidentit parfaite. Ctaient tous des hommes, tous des blancs, alors que pas du
tout : il y avait des hommes, des femmes, des hispaniques, mais ils avaient russi
obtenir un type didentit parfaite et vivaient autour de ce gourou dlirant, dont les
journaux amricains rappellent le pass o la paranoa ne fait pas de doute. Et avec
une enqute sur le petit village du Nouveau-Mexique o ils ont longtemps vcu avant
de rejoindre cette demeure qui allait tre leur dernire, et les habitants du lieu
disaient : Oh ! Il y en a de beaucoup plus malades queux, actuellement , que
ctait une secte trs gentille, quils regrettaient. A part ces phnomnes purement
identitaires, lautre symptme, au contraire, cest lexistence de ces comits
dthique, y compris, pendant cette priode pascale, il y a eu des missions diverses,
en particulier une, russie, et qui a perc un peu le lot et dans laquelle Arte
convoquait vingt sept universitaires du monde entier qui ont fait une sorte de comit
dthique sur diffrents points de la recherche en cours. Cest un documentaire
davantage sur les universitaires que sur le texte lui-mme. On aurait aim un cours
lancienne, un cours comme Georges Duby en faisait il y a vingt ans, mais l ctait
lancien style, ctait le matre dcole devant une sorte de carte de gographie
rappelant vaguement les cartes de notre enfance du cours lmentaire, tout juste sil
ny avait pas des tables vides avec des chaises et on avait le prof qui parlait.
L, au contraire, cest vingt sept universitaires qui donnent leur point de vue. Tout
a est assez confus et htrogne. Limportant cest de donner son avis et ce comit
dthique, y compris sur des textes qui dfinissent quand mme pour beaucoup le
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 275
275
sujet du registre identitaire, donne lide du phnomne inverse. mesure que lon
cherche tablir la ralit des faits, la qute de la croyance, mesure le dficit de
croyance, le problme de : quest-ce que croire ? et des rapports entre le savoir et
la croyance est dautant plus fort dans cette priode la fois marque par la Pque
et la comte. En tout cas la tension entre le savoir et la croyance, cest par l que
Madame Cavell veut complexifier le modle qui tait prsent par ltat actuel du
mouvement analytique aux Etats-Unis, ce courant principal, le dbat Wallerstein-
Etchegoyen entre un modle de vrit par correspondance o il faut savoir ce quil y
a dans la ralit psychique de celui qui parle et viser ladquation entre lnonc et
ltat de la vrit psychique.
Donc elle complexifie a par le modle que prsente monsieur Davidson, que, lui,
donne tout systme de croyance. Il y a dune part les croyances qui relvent de cet
ordre, qui sont les attitudes propositionnelles, que sont dsir, attente, croyance. Et
de lautre ct le savoir qui suppose une adquation en effet entre un tat du monde
et une description.
Alors Davidson refuse la fois une conception qui serait disons hermneutique, pur
renvoi dune croyance une autre croyance sans plus de liens avec un tat du savoir,
que relativisme, au sens ou J.-A. Miller notait cette pente : ne plus avoir de point de
capitonnage, donc refuser a et refuser le point de vue du pur savoir, dnotatif : il
faut une correspondance pure.
La faon dont madame Davidson le fait est extrmement subtile, je risque de
dformer un peu, enfin suffisamment pour la faire rentrer dans notre champ, cest
qu'il suppose quil suffit quen un point de tout ce que dit lAutre, en un point, il y ait
une relation causale de savoir entre ce que je dis et ce que je fais, pour que le
systme tienne. Il suffit que ce soit le cas en un seul point, sans que lon sache o,
mais il faut dans la relation que jentretiens avec lAutre, que je veux interprter, il
faut quau moins en un point il y ait un capitonnage ou disons un point de garantie,
ou quelque chose qui fonctionne dans le registre dun Nom-du-Pre. Il faut que cet
arrimage soit fixe et ensuite les croyances elles-mmes sont tenues par un systme
logique. Je peux croire mais pour que ce que jnonce ait le statut de croyance et
puisse mme tre interprt comme croyance, il faut quelle soit prise dans un
systme logique.
Et la procdure interprtative, dinterprtation, comme il dit linterprtation
radicale, cest un processus constant, qui fait tenir ensemble ce que dit le locuteur, ce
que nous savons et la liste de ce quil nonce. Et a tient ensemble et a ne peut pas
tre uniquement par la cohrence mais aussi par le savoir quen un point, disons la
notion de vrit/correspondance, tient au moins en ce point l et il faut avoir de
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 276
276
bonnes raisons de penser que cest le cas, ce qui nous permet ensuite davoir de
bonnes raisons de situer les croyances de celui que nous interprtons.
Alors cet cart entre savoir/croyance, knowledge/belief et repris autrement que le
faisait, Hintikka dans sa logique, il note quvidemment a peut atteindre cette
tension, un cart jusqu la rupture, on peut uniquement viser les croyances mais
sans garantie au point de refuser la garantie quen un point il y ait au moins cette
correspondance qui tienne ou on peut rsister la vrit comme correspondance,
jusquau point de dire que le savoir est impossible.
Alors, do sa proposition, la seule faon de tenir une pratique interprtative et
tout de mme quil y ait savoir cest, ce quil appelle son interprtation, sa thorie de
linterprtation radicale, cest que dans le mode de croyance de chacun, il y en a qui
sont vraies, on ne peut compter sur aucune croyance en particulier pour toujours et
tout moment rpondre au dfi de ce quil y en ait au moins une qui soit de lordre du
savoir. Et en ce sens il y a toujours continuer le processus interprtatif. On ne peut
pas sarrter en disant : a y est on a trouv le point dancrage, il est sr et enfin on
peut arrter cette activit, il faut simplement savoir quen un point il existe, mais
ensuite quaucun repos, ne peut se trouver face lAutre que lon a install, mme
cet Autre, se dfinit ainsi comme un Autre qui ne suppose plus une bonne foi mais
qui suppose simplement ceci quen un point il soit un savoir effectif, il tienne par un
savoir effectif.
Une fois quon a install a comme partenaire, du sujet interprtant, du sujet
parlant dfini ainsi comme interprtant, la question se pose : mais alors avant de
parler, et l de faon trs frappante, dans cette perspective, on voit la grande
difficult quil y a situer le statut dun sujet avant quil soit proprement parler
sujet parlant. Le concept de parltre ou de ltre davant dtre le parlant, nayant pas
de place, on essaye simplement de dfinir un tre davant la parole qui serait
simplement un tre qui veut se diriger vers un Autre. Donc cest la recherche de
lintentionnalit, de maintenir une intention, un but, et de ces degrs qui retient
lattention des psychanalystes et spcialement des psychanalystes denfants ou des
psychanalystes qui observent toutes les formes dintentionnalits, de se diriger vers
lAutre, et les recherches sur lenfant, vous savez les recherches rcentes sur lenfant,
montrent que chaque fois de plus en plus tt on peut fixer des procdures, on peut
inventer des procdures qui tmoignent de lintrt de lenfant pour lAutre. Ds la
naissance, voire mme ds la conception et lintrieur du ventre de la mre,
lenfant rpond lappel, se dirige vers, se tourne vers et ainsi on peut situer le
triangle smantique central qui est que on ne peut pas avoir lexprience si on a le
sujet et son objet, on ne peut pas dfinir une relation dun schma avec cet objet
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 277
277
susceptible de toutes les interprtations sans un Autre, et donc un Autre dfini
comme quelquun.










S A


Donc la seule faon dit-elle de situer lobjet extrieur qui peut tre susceptible
dinterprtations successives, selon lactualisation de lintentionnalit, ne peut pas
tre quelque chose mais quelquun.
Et une fois quil est install comme quelquun, dans ce triangle smantique, et bien
le mieux quil puisse faire, cest de refuser lobjet. Que la seule faon de vrifier
laccord du sujet avec cet Autre, avec ce quelquun, le bon accord, cest quil puisse
lui refuser lobjet.





E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 278
278
O






S A

Donc a rejoint notre problmatique du manque, voque prcdemment, que la
seule faon, en fait, cest une sublimation, un dtour par lidal, supporter lAutre, la
meilleure faon, la meilleure preuve quil y ait ce pacte, et bien cest quil puisse
refuser, do le fait que les psychanalystes trouvent que lenfant sachemine vers la
ralit quand il rencontre un non et quil laccepte.
Labsence, cest ce qui permet de signer vraiment la prsence lintroduction de
cet Autre, mais alors tel un problme cest qu accepter cet Autre, lenfant peut
sidentifier ce lieu et se concevoir comme cet Autre. Et la perspective en
philosophie, dit-elle, cest ce qui se passe pour Descartes, qui, une fois quil a install
le dieu non trompeur, lui mme se comporte comme a, son moi a la mme certitude
que celle du dieu, cest un moi qui devient alinant, comme le rappelait Lacan.
Cest un moi qui nest plus li, dans son activit dinterprtation du savoir, aux
contingences du monde et de lexistence et qui devient en effet ce dieu des
philosophes et des savants qui calcule
Voyons lopposition que Lacan fait entre cette activit l, ce mode du rapport
dieu et celle qui surgit dans Encore, lorsquil parle de lidentification un dieu tout
autre que fait par exemple Angelus Silesius, lui, qui sidentifie lil de dieu, et sa
jouissance.
La jouissance de dieu vise par le mystique Anglus Silesius, autre que au contraire
cette machine procdurire, ou la procdure plus exactement fixe par le moi
cartsien.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 279
279
Une fois install ce triangle smantique, madame Cavell rentre dans les difficults
qui se posent tout de suite dans lambiance anglo-saxonne, entre la biologie et le
mind, entre le body and mind, comment situer cette frontire entre dun ct ces
intentionnalits premires, ces pulsions, et leur reprsentations. Comme elle est en
effet, dans la perspective que situe Davidson, elle note que les psychanalystes en
gnral sengluent dans lide quil y a les pulsions comme relevant purement de la
biologie, o les sense data, les donnes des sens, il dit cest peu prs la mme
erreur quon faite Loeb ou Jung sur les donnes des sens ou la sensation pure, qui
seraient pralable au dveloppement de linterprtation et du langage. Et elle note
que, dans son ambiance, les psychanalystes amricains, eux, sont pris, ou la
psychanalyse en gnral, est prise dans lopposition, dans les pulsions, on aborde la
pulsion comme drive et non pas comme Trieb freudien, est prise dans une opposition
en une donne physiologique, ou disons du corps, qui serait brute et, largement, des
dbats qui se ramnent ces phnomnes lmentaires plus ou moins abstraits et
donnant lieu ensuite linterprtation. Et l elle se sert du concept freudien de
Vorstellungsreprsentanz, apparemment en citant Kripke mais il est difficile de
penser que cette rupture ne suppose pas un travail de Lacan pralable au
dgagement. En tout cas cest pntr maintenant largement, ce concept freudien de
reprsentant de la reprsentation permettant de marquer la coupure entre ce qui est
dun ct la prsentation de la pulsion et le reprsentant de la reprsentation, qui
vient au contraire marquer labsence de cette...enfin dune prsence immdiate.
Labsence de ce qui viendrait signer une donne des sens ou une sensation pure qui
justement, ou une jouissance qui serait strictement de lordre du vivant puisquelle
est absence. Cest ce que Lacan dans sa thorie des pulsions a dabord dvelopp, la
pulsion comme clairire, comme absence, comme ouverture. J.-A. Miller avait
dvelopp ces points de la pulsion comme faille dabord, comme rien : prsenter
lobjet pulsionnel surtout comme rien tant une premire thorie.
Alors, partir de l, cest cette absence sur la premire substitution opre qui
permet de construire ensuite lattribution lenfant du langage, au sujet du langage,
comme attribution dune mtaphore. Cest partir de l quon considre que cest
pour cela que lon va dvelopper dans le contexte du mouvement psychanalytique les
thories successives comme des mtaphores, de mme que lenfant se fait des
mtaphores de son monde.
Alors on voit la fois comment dans ce montage se rejoignent des points qui sont
familiers, qui ont t pour nous nettoys par le travail de Lacan il y a 20 ans, et
comment ces questions, au contraire, sont trs brlantes et ncessitent la
convocation de la pointe de la rflexion philosophique pour sy orienter dans le
courant psychanalytique spcialement amricain.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 280
280
Ces convocations les amnent examiner quelque chose qui est brlant dans,
disons, le poids de la science beaucoup plus grand, ou le poids de la considration
scientifique beaucoup plus grand dans leur atmosphre que dans la ntre, et o ils
sont confronts tout le temps tre exclus de ce champ de la science. Et l, pour ne
pas tre rejets dans les tnbres, ils leur faut donc aborder de front, l, ce quelle
appelle un dfi, une remarque qua nonc Wittgenstein, le fait que toutes ces
prtentions aux descriptions scientifiques de la science ne tiennent pas devant le fait
que rien dans la psychologie - et pour Wittgenstein ctait la psychanalyse qui
lintressait plus que tout autre - rien nobit une loi. Rien nest de lordre de la
cause, il y a des raisons, mais les raisons ne sont pas des causes et il dveloppe donc
que cest un objectif qua relev Davidson, dans sa thorie, qui tait que, certes, rien
ne va pouvoir relever de la catgorie proprement parler de la loi au sens de la loi
universelle sappliquant dans tous les cas qui supposent en effet des causes. Il y a des
raisons qui, par moment, peuvent avoir fonction de cause, des causes qui sont lies
des raisons, mais, pour autant, a ne renvoie pas tout le champ de linterprtation
dans simplement un domaine hermneutique o, comme dirait Lacan, ouvert tous
les sens. a ne veut pas dire pour autant qu'il y a un remplacement du tous de la loi
par une sorte dinverse, puisquil ny a pas de loi comme la loi scientifique alors cest
toujours ouvert tous les sens. Elle reprend a autrement de dire que les raisons
certes nexpliquent pas une action mais elle la justifient quelquefois. En soi, a
ntablit pas que les raisons ne sont jamais des causes, simplement que les raisons
sont un genre particulier de cause, ce sont, parmi les causes, celles que lon justifie
quelquefois.
Et cest partir de l que sintroduit une dimension thique, qui peut tre aborde
dans cet abord de raison et cause, comme des systmes de description, qui se
succderaient sans fin, sans que rien ne puisse tre dtermin comme cause, pas du
tout dit-elle, il y a des causes, on peut les tablir, simplement certaines dentre elles
sont du registre thique, ncessitent dtre justifies.
Et partir de l, elle se spare dun certain nombre de critiques envers lactivit
interprtative, que ce soit celle, classique, dun auteur qui sappelle Brenner qui est
une sorte dexposant, conservateur de la doctrine des pulsions entendues au sens
biologique, nous en avions parl au DEA y a de nombreuses annes, que ce soit aussi
les conceptions hermneutiques comme celle dun dnomm Schafer, donc qui, lui,
centre lactivit de la psychanalyse comme pure narration, de narrations strictement
qui ont tre cohrentes et surtout, do un sujet doit se faire responsable, que
lactivit thrapeutique essentielle, cest rendre chacun responsable de ses actes et
doit pouvoir en rpondre et dvelopper la narration qui convient. Ou encore
quelquun qui ici, est encore moins connu que les deux prcdents, un nomm
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 281
281
Grnbaum qui a aussi essay de soutenir la non scientificit de la psychanalyse et
quoi elle rpond par cette thorie du monisme des raisons et des causes, de
Davidson, ce que Davidson appelle le monisme anomal - cest amusant comme
conception - a sappelle quand il dit : on continue, cest une unit des raisons et
des causes, il faut supposer un espace qui leur est commun - a cest le monisme -
mais il est anomal, il nest pas anormal. Il est anomique, parce quon narrivera jamais
avoir un langage qui permette de retraduire toutes les causes en raisons, mais... et
alors comme personne ne veut lexhaustivit, comme personne ne veut le tout, il
suffit que a soit en un point quon puisse traduire a, tout le reste relve et elle se
maintient dans cette interprtation.
(Sadressant Jacques-Alain Miller) - Tu pourrais peut-tre faire lamorce ou je
termine ?

Jacques-Alain Miller : - Termine

ric Laurent : - Alors, ensuite, elle examine cette activit une fois quelle est ainsi
fixe, dans le cadre de ce monisme anomal, elle examine lactivit interprtative en
psychanalyse au moins accroche en un point, nous le savons, poinonne, pas
ouverte toutes les possibilits, mais elle considre quil y a une tendance
dangereuse dans la psychanalyse de notre temps, qui est que, pour jeter sa gourme,
pour se dbarrasser de la stupidit biologique la Brenner, on rentre dans une
conception post-moderne, sur le mode : la psychanalyse est une entreprise de
raconter des histoires, qui permet quon tablisse la meilleure histoire possible entre
lanalyste et son analysant. Et que lactivit interprtative, cest dtablir la meilleure
histoire possible selon les donnes, ce qui donne une note post-moderne, comme a,
ironique, ce qui est spcialement trs marqu non pas aux tats-Unis dans la
psychanalyse amricaine mais cest vraiment une maladie de la psychanalyse
britannique, la psychanalyse anglaise spcialement marque, en tout cas le
psychanalyste qui se vend le mieux en Grande Bretagne, qui sappelle Adam Phillips,
qui fait des rcits post-modernes danalyses. Cest sur le mode : je propose une
interprtation dure, jen propose plutt ensuite des versions pluralistes, plus souples,
plus adaptes, qui conviennent dans une sorte de ngociation, avec un Autre o il y a
toujours une faon de dire qui permet de restructurer lhistoire de faon ce quelle
plaise mieux. Et le critre tant, pourquoi pas, il faudra le retrouver mais cest une
faon daffaiblir le point do madame Cavell repart, qui est la fin de construction en
lanalyse, en effet, et cest bien choisi comme dans Freud Vorstellungsreprsentanz,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 282
282
la question du reprsentant de la reprsentation. La fin de construction en analyse o
Freud note que le rcit complet ne sobtient pas et que ce qui sobtient cest
lassentiment, un degr de certitude atteint chez lanalysant qui suffit, pour la
pratique analytique, occuper la place du souvenir qui ne sobtient pas ou qui ne
satteint pas.
Alors madame Cavell repart de l et souligne quel point il ne faut pas, partir de
l, maintenir une perspective sceptique qui dissoudrait toute notion de ralit dans
laquelle sont prises ces histoires ou toute notion de la relation avec ce qui a eu lieu,
et au contraire, elle veut maintenir que le psychanalyste doit arriver une vrit
objective, dans son interprtation.
Alors la vrit objective, simplement, elle ne la renvoie pas un critre mou de
plaisir partag, dhistoire qui convient le mieux mais elle note quand mme que ce
quil sagit de faire, cest de dissoudre dans les reformulations obtenues ce qui a t
traumatisme, vnement. Il sagit de reformuler les choses de telle faon ce que
souvre un espace entre les vux infantiles et laction, un espace dans lequel
prcisment, disons, cest une redistribution des raisons et des causes qui doit tre
tablie entre le voeu de lenfant et la ralisation quelle va trouver, et qui permet de
reformuler ce qui taient les descriptions passes que chacun se faisait des raisons et
des causes qui taient en jeu ce moment l.
L o Lacan nous a amens saisir la ncessit de repasser par les formulations des
demandes, telles quelles ont t formules ou repasser par les formulations
distinctes des fantasmes, qui au cours de lexistence et au cours du dveloppement
du symptme du sujet, ont trouv des strates distinctes qui sembotent, qui se
dcouvrent partir dtats antrieurs et successifs, cest de nous ramener la
relation fondamentale lAutre, au jeu possible avec lAutre, en repassant sur sa
demande et bien, elle stend dans des termes qui sont ceux de cette redistribution
des raisons et des causes qui lui permet la fois de conserver laspect de la pratique
interprtative narrative, de ceux qui insistent sur ce point du langage mais de
conserver la ncessit de linterprtation analytique.
Alors ce qui est trs trange, cest qu partir de l, elle entretient un dbat avec
Lacan. Elle considre quen effet la seule conception intressante grosso-modo, pas la
seule, mais quune des conceptions fondamentales de lactivit analytique situe
dans lespace du langage et de linterprtation, cest celle de Lacan, et elle en fait une
prsentation extrmement bizarre pour un lecteur de Lacan, dans laquelle elle
considre que ce qui est trs ennuyeux chez Lacan cest quil a un tat de la
subjectivit avant le langage. a cest une nouveaut. Je me suis demand, en lisant
ces pages, quest-ce quelle voulait dire par l, cest dire que la thorie de
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 283
283
linterprtation radicale, qu'elle...elle ne serait plus radicale que parce quil ny a pas
dtat de subjectivit davant le langage. On sait qu'il faut une pluralisation, tant
contre lide dun un, qui ancrerait en dehors de cette histoire de cause, et bien elle
considre que tout tat de subjectivit qui marquerait le un, dans le ct du langage
et bien o disons ce mathme l
S
1



S


lui parat faire obstacle la perspective dinterprtation gnrale que Davidson,
Rorty, ou dautres introduisent et quelle soutient, et quensuite le livre... une fois
accroch une cause, voil lobstacle... Alors cest videment extrmement surprenant
de voir arriver cette perspective, cest en tout cas un malentendu qui est pouss loin
dans les attributions qui sont faites celles de Lacan, thse qui serait soi-disant
soutenue par Lacan, et on se dit quil serait utile de, je ne sais pas, de trouver une
faon de dire : a nest pas du tout comme a que a se lit et de passer cette barrire
ou la frontire non pas entre mind body ou body mind mais la frontire entre cette
conception interprtative et la conception, s'il y en a une qui est radicale cest plutt
celle de Lacan, et de la faire entendre dans ce champ.
Alors ils adoptent, ils admettent ou en tout cas ?? sil est possible de faire entendre
la pluralisation du champ mais on voit la difficult, que toute la thorie de lobjet
petit a, lautre Lacan, na toujours pas eu la moindre diffusion bien que les..., tout ce
qui concerne le lack, le lack non pas ltendue deau mais le manque, la faille, le
reprsentant de la reprsentation, la distance davec la biologie, a oui cest pass. La
critique du signifiant matre, on peut dire, mais, toujours reste une difficult dans
cette question du mind body problem et donc il nest pas sr, ou en tout cas quon
puisse se contenter, il est certain quon ne puisse pas se contenter des propositions
que fait Davidson pour assurer cet ancrage.
Alors je voulais en terminer l avec cette critique, disons la prsentation des thses,
pour rentrer ensuite, ce moment l, dans la difficult de situer le symptme. Mais
a sera pour plus tard.
Jacques-Alain Miller : Alors maintenant il y a deux semaines dinterruption et
nous reprendrons le 23 avril.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 284
284

Fin du sminaire du 02 avril 97

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 285
285
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent
Jacques-Alain Miller

Seizime sance du sminaire
(mercredi 23 avril 1997)




ric Laurent :
Alors aujourdhui, sance habituelle de notre sminaire, cest Jacques-Alain
Miller qui va commencer la sance et ensuite, par une bizarrerie du calendrier
franais, qui fait quil est souvent difficile de travailler en France en mai, le 30
avril et le 7 mai il ny a pas de sance mais par contre nous reprenons le 14 mai,
14, 21, 28 auront lieu, donc le symptme se localise simplement sur le 30 et le
07.
(sadressant lauditoire) a correspond bien aux calendriers qui vous ont
t donns ? (...) - Oui a correspond.

Jacques-Alain Miller :
Du nouveau, du nouveau, du nouveau. Cest par ce cri, trois fois rpt, et
dans des modulations diffrentes, que je nai pas reproduites, que vendredi
dernier 19 heures, jai commenc la premire des trois confrences que jai
donnes dans le ville de Sao Paulo, loccasion de la XIIIme Rencontre
brsilienne du Champ Freudien qui se tiennent maintenant sous lgide de
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 286
286
lcole brsilienne de psychanalyse, depuis sa fondation formelle il y a deux
ans.
Du nouveau - je lai dit en espagnol - faute de pouvoir mexprimer en
portugais, les brsiliens comprenant sans difficult lespagnol, un certain
nombre comprennent galement le franais, mais moins nombreux.
Et javais mexprimer dans le cadre de journes dont le titre tait Les
nouvelles formes du symptme . On va jusqu' Sao Paulo pour parler de la
mme chose. Cest ce qui donne existence aux pays de la psychanalyse.
Javais pens initialement leur donner une sorte de compendium de ce que
nous avions pu faire ici devant vous depuis le dbut de lanne, Eric Laurent et
moi-mme, et en dfinitive jai plutt fait du nouveau par rapport ce que
nous avions dj labor. Et cest de a que je vais tenter de vous donner un
cho pour la bonne raison aussi bien que donc a ma occup vendredi, samedi
et dimanche et quensuite, je viens de rentrer.
Je me contenterai de fixer au tableau la sorte de point de capiton que je me
proposais dinscrire lors de la dernire sance lors de ces vacances, - enfin pour
vous a a t des vacances, sans doute, pas pour tous, sans doute, non plus. Je
vais fixer au tableau ce point de capiton que je comptais apporter il y a trois
semaines et que je nai pas pu inscrire. En fait jai termin l-dessus mes trois
confrences de San Paolo.



Ce point de capiton tait cette formule, essai de problme-solution, qui
tablit une corrlation entre deux termes, sigma le sinthome, dans la dfinition
dveloppe qui est celle que Lacan a mis en uvre dans son dernier
enseignement et le symbole de lensemble vide que jcris en dessous, par
commodit, pour abrger ce que Lacan a dsign comme le non rapport sexuel.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 287
287
Sans chercher plus loin, jai pris le symbole de lensemble vide en infraction
certainement ceci que ce rapport ne peut pas scrire dans sa dfinition
lacanienne et cest pourquoi Lacan ne la jamais crit. Il na jamais cherch un
mathme du non rapport sexuel, de faon exemplifier limpossibilit de
lcrire.
Le mrite de cette formule tait de donner un rsum, un abrg de ce que
je navais pu dvelopper et dtablir une corrlation entre ces deux termes, le
symptme et le non rapport sexuel, en lcrivant sous la forme dune
substitution et si lon veut dune mtaphore : le symptme vient la place du
non rapport sexuel. Le symptme est mtaphore du non rapport sexuel.
La formule se complte, je vous le rappelle, de la modalit affecte chacun
de ces deux termes, pour autant que le non rapport sexuel ne cesse pas de ne
pas scrire, cest--dire de ne pas venir la place o, pour des raisons
certainement quivoques, nous lattendrions, tandis que le symptme ne cesse
pas de scrire, au moins pour un sujet. Ainsi cette formule rappelle que la
ncessit du symptme rpond limpossibilit du rapport sexuel. Le non
rapport sexuel est une qualification despce, de lespce dtres vivants quon
appelle lespce humaine et laquelle, dans cette dimension, on ne peut pas
ne pas se rfrer. La formule, celle-ci, comporte quil ny a pas dtre relevant
de cette espce - je vais jusque l - qui ne prsente de symptme. Pas
dhomme, au sens gnrique, pas dhomme sans symptme. Cette formule fait
voir de faon lmentaire que le symptme sinscrit la place de ce qui se
prsente comme un dfaut. Ce dfaut est le dfaut de partenaire sexuel entre
guillemets naturel .
Dans lespce, le sexe comme tel nindique pas le partenaire. Il nindique son
partenaire aucun individu relevant de la dite espce. Le sexe ne conduit
aucun ce partenaire et il ne suffit pas, comme le souligne Lacan, rendre
partenaires ceux qui entrent en relation. Cest ce qui permet de dfinir le mot
de partenaire comme ce qui ferait terme du rapport quil ny a pas. De telle
sorte que sil y a rapport, quand stablit ce qui semble tre un rapport, cest
toujours un rapport symptomatique. Dans lespce humaine, la ncessit, le ne
cesse pas de scrire scrit sous la forme du symptme. Il nest pas de rapport
susceptible de stablir entre deux individus de lespce qui ne passe par la voie
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 288
288
du symptme et ici le symptme, plus quobstacle, est mdiation, et cest ce
qui conduit Lacan identifier loccasion le partenaire et le symptme.
On pourrait penser que le partenaire est symptme quand ce nest pas le
bon. Et bien cette construction implique le contraire : le partenaire
symptomatifi, cest le meilleur. Cest celui avec lequel on est au plus prs du
rapport. Et ainsi, dans lexprience analytique, quand un sujet tmoigne de ce
quil a un partenaire insupportable, le b-a-ba de ce que le psychanalyste doit
penser, doit penser ! - il y a un devoir de penser, quand mme, pour le
psychanalyste, mme sil exerce dans la position du je ne pense pas, mme sil
laisse la pense lanalysant, il y a quand mme un devoir de penser pour
lanalyste, ce devoir de penser que Freud appelait la construction. Evidemment
il na pas la dire, il na pas la dire dans le cas de lexprience analytique, sauf
exception ; on peut la dire ici par exemple. Le b-a-ba donc, quand un sujet
tmoigne et se plaint de son partenaire, le b-a-ba cest de poser que ce nest
pas par hasard que le sujet sest appareill un partenaire insupportable et
que ce partenaire insupportable lui procure le plus-de-jouir qui lui convient et
que cest ce niveau, si lon veut oprer, ce niveau du plus-du-jouir quil faut
oprer.
En cela, ce sont les cas que jappellerais dunion symptomatique, qui
touchent au plus prs lexistence du rapport sexuel. Voil au moins le dbut de
ce que je comptais apporter il y a trois semaines, sans les exemples et sans la
suite, et que jai pu donner San Paolo la fin de la troisime de ces
confrences.
Je vais essayer maintenant de vous donner un cho de la premire, peut-tre
un petit peu de la seconde. Jen ai trouv les titres au fur et mesure de
llaboration que je faisais. La premire sintitule Le symptme et la
comte . En espagnol, a consonne mieux puisque cest sintoma y cometa
avec le problme supplmentaire nanmoins que comte, qui aurait cru cela,
comte en espagnol est masculin, et il y a l videmment un petit dcalage
avec limaginaire dont jai enjoliv la comte puisque mon imaginaire de la
comte est fminin videmment, do un dcalage amusant, que jai retrouv
ensuite dans des discussions lors de la deuxime ou troisime confrence,
propos de la canaille, qui en espagnol, canailla, est masculin, le canaille, ce qui
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 289
289
met le franais en mauvaise posture de savoir pourquoi on fminise donc la
canaille. Je me suis tir de ce gupier du mieux que jai pu.
Alors jai donc commenc par du nouveau trois fois rpt, comme un appel,
comme un cri et presque comme un commandement, faisant sentir, jesprais,
par cette intonation quil nous manque du nouveau, que nous avons besoin,
que nous voulons, que nous dsirons du nouveau. Et a ma conduit
interprter, prendre un peu revers le titre des journes brsiliennes Les
nouvelles formes du symptme , choix de titre quils ont eux-mmes rfr,
San Paolo, nos collgues de Reims, Lecur et Hugo Freda, qui sont aussi
connus l-bas quici.
Il ma sembl nanmoins quil fallait interprter le titre, parce que
certainement nous nous intressons la clinique en tant quelle change, en
tant que depuis toujours elle est lie ltat contemporain de la culture, avec
le moment actuel de ce que nous appelons le discours universel, et il y a
dailleurs beaucoup dannes de cela javais commenc, javais ouvert une
Rencontre internationale du champ freudien avec le cri : la clinique change.
Mais aujourdhui, lexpression les nouvelles formes du symptme, pour le dire
plus en clair mme que je ne lai dit San Paolo, a me parait un symptme,
lintrt pour les nouvelles formes du symptmes. Au point que, dans le titre, il
me semble quil faut entrer dabord en mettant laccent sur le nouveau plutt
que sur le symptme. Et quen fait cest plutt le nouveau qui nous intresse
que le symptme. Et que si on a runi sept cent personnes San Paolo sous ce
titre, cest parce quen fait on attendait et ce public attendait - ce public o se
sont mls un certain nombre de nos collgues de lIPA ! (rires), qui mont
tmoign aprs avoir t enchants ! cest comme a, il y a un petit
phnomne que jai vu aussi dailleurs en Argentine, du style laissez venir moi
les petits enfants ! (rires) - si ce public sest runi, cest en fait parce quon
attend du nouveau et on attend du nouveau dans la psychanalyse.
Et cest un fait, me semble-t-il, qui na pas t contest que nous aussi dans
la psychanalyse nous attendons du nouveau, nous aussi comme tous ceux avec
lesquels nous partageons le moment prsent du malaise dans la civilisation.
Nous sommes conduits, que nous le voulions ou non, dsirer du nouveau. Et
mme - je vais jusque l, du nouveau - cest la forme que prend pour nous la
dimension dAutre Chose, grand A grand C, la dimension de lailleurs qui est
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 290
290
ineffaable de lexistence humaine et laquelle Lacan se rfre en particulier
dans son crit Dune question prliminaire... . Et si jai rpt trois fois du
nouveau, cest pour faire sentir la tension qui va avec ce dsir pour du
nouveau, une tension quil ne me parat pas excessive de qualifier de relevant
du surmoi, surmoque.
En tant que le surmoi, dans sa dfinition freudienne, a une dimension sociale,
on peut dire quil y a un surmoi de la civilisation, et mon ide, cest que ce
surmoi demande, exige prcisment du nouveau : donne-moi du nouveau.
Et quon sent trs bien a dans la psychanalyse elle-mme, on sent trs bien
a dans le champ freudien. Si jai t conduit aussi dire des choses que je
navais dites nulle part, les dire San Paolo, les laborer l dans le chaos de
ces journes, cest prcisment parce qutait perceptible cette instance, cette
insistance du nouveau. a na pas toujours t ainsi, que la civilisation rclame
du nouveau. Alors je leur ai dit que cest ainsi depuis Baudelaire, depuis que
Baudelaire a crit, et cest le dernier vers des Fleurs du mal, de la premire
dition des Fleurs du mal qui ensuite ont t compltes des pices
condamnes qui navaient pu y paratre, puis des nouvelles Fleurs du mal, mais
ldition, la premire dition, se termine sur un vers que jai pu citer, retrouv
de mmoire :

(...) plong (...) au fond de linconnu pour trouver du nouveau !
Cest l quil y a du nouveau. Et bien cest depuis Baudelaire quon veut du
nouveau. Ctait compliqu traduire, parce que lespagnol ne permet pas de
dire, ma connaissance, du nouveau. Il oblige dire algo nuevo quelque
chose de nouveau, ce nest pas tout fait la mme chose et je le leur ai
indiqu. Lespagnol, je brode un petit peu l-dessus, lespagnol comme le
franais, le portugais, sont capables de substantiver un adjectif ; cest--dire de
ladjectif nouveau on peut faire un substantif, un adjectif substantiv le
nouveau, ils ont a. Cest un procd, la substantivation de ladjectif, qui est
essentiel dans la langue des Prcieuses. Au lieu de dire le cerveau, mot qui
paraissait trivial, bien que nayant pas encore affaire aux neurosciences, les
Prcieuses disaient le sublime. Pour le ciel, qui paraissait grossier, on se
demande pourquoi, comme mot, elles prfraient dire le muable, et cest de l
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 291
291
que vient par exemple le fait, l on a oubli, a cest pas rentr dans lusage
mais par contre le srieux est dans lusage et l, jai vrifi en effet, cest de l
que vient: perdre son srieux, expression qui parat commune, est au dpart
une expression qui vient de la langue des Prcieuses.
Alors sans avoir bnfici de cet apport lespagnol, le portugais disposent de
la substantivation de ladjectif. Mais ce quils nont pas, cest larticle de ou
larticle du, sur quoi Lacan avait insist, cest--dire ces deux modes de la
quantit que permet larticle en franais selon que lon dsigne une espce
dcomposable en units particulires, on demande un quelque chose, des
quelques choses, on demande un demi, au caf, on dsigne un buf, ou des
bufs, et puis il y a un usage massif de larticle, comme lorsquon parle, on
demande de leau, ce nest pas la mme chose quune bouteille deau, quun
verre deau, ce nest mme pas la mme chose quune eau claire, on demande
de leau ou mme on invite ne plus manger du buf, ne plus suivre le
buf, pour raison de vache folle, a, cest un usage massif de larticle et nous,
nous sentons dans du nouveau quelque chose dautre que dans le nouveau,
mme notoire.
Donc du nouveau, a dsigne rien, aucun objet en particulier qui serait
nouveau sinon la dimension mme du nouveau, comme une dimension de
ltre. Alors la recherche du nouveau parcourt la posie depuis Baudelaire, la
posie franaise au moins, depuis Baudelaire jusqu' Breton, jusquau
surralisme, et aprs le surralisme, cette recherche sest toujours faite
frntique jusqu' aujourdhui. Et on ne peut pas aller contre cette exigence du
nouveau et aujourdhui elle est prsente dans toute la culture, depuis les
productions de lart jusquaux productions industrielles, a na pas cess de
crotre. Et mme, si la figure de Picasso domine ce point et dominera lart du
20
me
sicle, cest sans doute, si sa figure vaut comme un paradigme de lart de
ce sicle, cest en tant, sans doute, que, lui, ne sest jamais cantonn dans un
style fixe une fois pour toute, sinon quil a fait un nombre incalculable
dexpriences et quil na jamais hsit aller au fond de linconnu pour y
trouver du nouveau.
Alors, lui, savait sans doute que rien ne vaut pour nous dans ltat prsent de
la civilisation, rien ne vaut qui ne soit nouveau, que nous ne jouissons que du
nouveau et que, en ce sens, oui, du nouveau est le nom mme du symptme
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 292
292
majeur dans ce qui constitue notre malaise daujourdhui. Le nouveau, du
nouveau, en tout cas cest ce que jai propos, est la forme symptomatique de
notre malaise dans la civilisation.
Et je dis que cest une nouvelle forme parce que a na pas toujours t ainsi,
et que jusqu' cette coupure que je situe, de faon approximative et
allgorique, ce vers de Baudelaire, ce quon attendait dans la civilisation, a
ntait pas quelque chose de nouveau, ctait encore un peu plus du mme,
dans les socits dites traditionnelles et cest une nouveaut que ce culte du
nouveau lui-mme.
Le dsir pour le nouveau, la valorisation du nouveau en tant que tel,
lintensification de ce dsir jusqu' son exaspration symptomatique
aujourdhui, est quelque chose de relativement rcent. Pendant des sicles,
cest limitation qui a t le rgime principal de la production artistique et
littraire. A la Renaissance mme, la nouveaut a t le retour lAntiquit. Et
a t une lutte que de se dnouer de limitation, de la pratique de limitation,
et a a t, ce qui reste dans nos mmoires, au moins scolaires, comme la
querelle des Anciens et des Modernes. Alors sest trouv libre sans doute
lessence du moderne, mais notre du nouveau nous aujourdhui nest pas le
moderne. Le moderne a t la forme optimiste de la recherche du nouveau.
Jusqu' ce que dans notre poque, quon dit aprs tout pas si mal, post-
moderne, le nouveau sest dnou du moderne et cest a que nous vivons,
notre nouveau, notre du nouveau nest plus le moderne et cest cette dliaison
l qui fait apparatre comme telle lexigence du nouveau en tant que nouveau,
pur. Le nouveau vaut en tant que nouveau. Alors si on ponctue ainsi
lmergence du nouveau, lessence du nouveau, si on la dtache ainsi, si on
lisole, le nouveau en tant que tel apparat dans son caractre symptomatique
et peut-tre nous regarde dune faon un petit peu Unheimlich. Lexigence du
nouveau en tant que tel est profondment Unheimlich.
Le nouveau, le culte contemporain pour le nouveau, nest-ce pas le
vtement, lhabit, bien sr lhabit la dernire mode, lhabit de cette vieille
prsence dans lexistence humaine, qui est prcisment la mort. Et la fin, la
dernire partie du pome de Baudelaire, cest celle qui commence par Aux
morts, vieux capitaines, etc. (...) au fond de linconnu pour trouver du
nouveau
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 293
293
Nous, nous dsirons, dans tous les ordres de lexistence, du nouveau, mais
combien de temps quelque chose de nouveau reste-t-il nouveau pour nous,
dans la civilisation daujourdhui ? Et bien nous savons la rponse tous les jours,
et nous la savons Paris comme on la sait San Paolo, nous savons que a dure
de moins en moins de temps. La qualit de nouveaut dure de moins en moins
de temps, et que de plus en plus rapidement le nouveau devient obsolte.
Lacclration de lobsolescence peuple dailleurs notre monde quotidien
dobjets dj passs quil faut foutre la poubelle pour les remplacer par le
dernier modle. Et alors a nourrit aussi linquitude de chacun dentre nous.
Que peut-tre lui-mme, le sujet de la civilisation contemporaine, a nourrit
linquitude de chacun de peut-tre ne plus tre si nouveau que a, si nouveau
pour le partenaire, si nouveau pour les lves, si nouveau pour les autres, si
nouveau pour les employeurs. Et le culte du nouveau, de faon inexorable, fait
du sujet mme un objet obsolte, un dchet. Et nous sommes bien de lpoque
o quelquun a invent lobjet petit a.
Le culte du nouveau se rpercute par exemple dans cette extraordinaire,
cette nouvelle valorisation de la jeunesse. Cest un fait que, nouveau
symptme, on ne veut plus vieillir. Et cest spcialement vrai, a va devenir de
plus en plus vrai de la part des baby boomers. Ils ont t habitus tre babys
tout le temps, et donc on va maintenant assister autre chose, la vieillesse
boom. On attend la vieillesse boom et dj les investisseurs avertis mettent
leur argent sur les industries de la vieillesse, destines rafrachir, permettre
aux baby boomers de mourir baby boomers, de mourir en babys si je puis dire.
Voil un nombre, une source de nouveaux symptmes tout fait
considrable. Ce qui est intressant, je le dis en passant, cest de voir ce qui va
se passer en Chine, qui sest dj bien avance pour rejoindre notre tape de la
civilisation, mais qui traditionnellement a toujours accord la vieillesse la
valeur, la valeur principale, une valeur minente. On ne confie certainement
pas des cours importants des bbs comme nous. La cinquantaine a nest
vraiment pas suffisant pour quon vous coute, par contre on coute l-bas le
beau vieillard, comme dit Molire, dans LAvare quelques beaux vieillards,
etc. , et dailleurs a les conserve extraordinairement bien, beaucoup plus que
le culte de la jeunesse. Avoir le culte de la vieillesse, a conserve. Alors on va
voir si petit petit eux aussi vont avoir le culte de la jeunesse. Et, en plus, avec
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 294
294
tous les artifices que permet aujourdhui la science, pour rester jeune, on va
assister des monstruosits vraiment sensationnelles.
Le culte du nouveau, qui est si ncessaire notre jouissance daujourdhui,
nest pas autre chose que la forme contemporaine de la pulsion de mort et
cest ce qui anime tout le mouvement de la civilisation. Je rappelle que je
distingue ce trait que le nouveau reste nouveau de moins en moins de temps,
et a, a fait bien apparatre le nouveau comme forme contemporaine de la
pulsion de mort. Des professionnels qui savent manipuler la jouissance en
faveur de la consommation, les publicitaires, ceux qui conduisent la jouissance
vers la sortie que reprsente la consommation, la solution que reprsente la
consommation et qui chappe a ? mme ceux qui ne consomment pas,
comme on dit, par manque de moyen, nchappent pas a. Les exemples
abondent. Cest--dire quils se situent eux aussi par rapport cette sortie l, et
donc on a videmment trouv les moyens de permettre de consommer ceux
qui nen ont pas les moyens avec un certains nombres dastuces, du style des
magasins anglais Georges qui ont dfray rcemment la chronique. Mais les
professionnels savent que ce qui fait vendre cest nouveau, new.
a, a claire par exemple, ce produit minemment contemporain quest
linformation, la production et la consommation dinformations. O se font une
partie des grandes fortunes capitalistes daujourdhui ? Dans linformation.
Quest-ce que vend lindustrie de linformation ? Elle vend du nouveau en tant
que tel, des noncs sur le nouveau dont la valeur consiste dans la rapidit de
la communication. Radio, tlvision, Internet aujourdhui. Tout a fait que le
nouveau reste nouveau de moins en moins longtemps et la jouissance de la
nouveaut se fait corrlativement toujours plus insistante, exigeante, dans sa
rivalit mortifre avec lobsolte.
Je me suis absent donc quinze jours, je nai pas arrt mes abonnements,
jai des tas haut comme a du journal Le Monde et de LInternational Herald
Tribune. Est-ce que je vais les lire ? Alors que chaque numro est agit par des
questions qui sont dj rsolues, et nayant pas pu le consommer sur le
moment, je nai plus qu foutre tout a la poubelle. Cest de ma faute
puisque aujourdhui les publications auxquelles on sabonne vous offrent
videmment darrter votre abonnement pendant la priode o vous ne
pouvez pas consommer. Et vous connaissez les canaux de tlvision, en tout
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 295
295
cas San Paolo ils connaissaient, jai pris cet exemple les canaux de tlvision
o une partie de lcran est rserve aux cours de la bourse, qui courent en
dessous de lcran ou juste au dessus, 24 heures sur 24, et qui nous font
connatre chaque moment et pour toutes les grandes bourses du monde, la
valeur dchange des produits.
Et cette chane signifiante qui tourne sans arrt pour informer des valeurs
dchanges de la civilisation, elle rend manifeste, elle met sous les yeux la
pulsion de mort, et son opration qui ne cesse pas. Autre exemple qui
saccordait trs bien avec le got brsilien pour lordinateur et lInternet.
Quand je suis arriv, il y avait dans un des grands journaux du Brsil un norme
cahier sur la dernire home page et sur le moyen den fabriquer, cest une
passion nationale. Et dans lindustrie informatique qui est aujourdhui pour
lindustrie mondiale ce qui va de lavant, cest a qui tire en avant lconomie
mondiale, il y avait l-dessus des tudes, toutes rcentes elles aussi,
dmontrant les rsultats catastrophiques quaurait une crise de cette industrie
dans tous les domaines de la production.
Et cest l que sest acclr le mouvement de la nouveaut, jusqu' ce que le
cycle de la nouveaut - a a t isol comme tel - le cycle de la nouveaut soit
le plus court quil ny ait jamais eu. Cest--dire le nouveau dun produit, on en
tait il y a six mois, on disait a dure six mois, et on attend dcembre encore,
cest--dire peine vous avez achet le dernier modle dordinateur avec le
dernier microprocesseur Intel, que dj au moment o vous lachetez on vous
annonce dj que dans six mois la rapidit du micro processeur sera multiplie
par deux.
Jai fait un petit dveloppement l-bas sur le microprocesseur, non pas la
science interne du microprocesseur, je mtais content, maintenant a fait
vingt ans que javais lu une petite information sur le fait quon avait russi
mettre sur une toute petite pice des circuits trs compliqus, que a allait
sappeler la puce et je me souviens en avoir donn tout de suite lcho lcole
freudienne de Paris, ctait il y a vingt ans. Aujourdhui je ne peux pas entrer
dans la science du microprocesseur mais simplement, clairement ce
microprocesseur qui fait la valeur essentielle, en dehors du programme de
lordinateur, cest un objet quon ne voit pas, normalement, si a marche. Cest
lintrieur et a a fait un grand problme la socit Intel pour vraiment
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 296
296
valoriser son produit. Et le gnial inventeur qui dirige Intel, Andy Grove a
prcisment invent dobliger les fabriquants dordinateurs mettre la petite
tiquette Intel inside. Il y a Intel lintrieur, formule sublime : Intel inside,
formule potique avec alitration et sest le nom, cest en tout cas ce que jai
soutenu, cest le nom de la nouvelle agalma : Intel inside. Cest ce que dit,
quest-ce que dit Alcibiade de Socrate ? il dit : Intel inside (rires), mais on
sait en mme temps que dans peu de temps cet Agalma se convertira en
dchet, quon naura plus qu mettre la poubelle.
Donc jai propos que Intel inside tait en quelque sorte le modle universel
de notre malaise dans la civilisation, et quil se pouvait que chaque sujet de la
civilisation contemporaine ait sur le front un invisible Intel inside - Intel cest
labrviation de intelligence - comme le message qui annonce sa propre
dcadence, sa propre disparition, la disparition de sa valeur. Et il faut dire
quon ne rsiste pas ce mouvement de fond qui anime toute la civilisation,
cette vritable insurrection de ltre et peu importe quon y voie, comme dit
Baudelaire, le ciel, ou lenfer, cest l, et cest pourquoi je nai pas pu faire
autrement, il y a six mois, au mois dAot dernier, que de faire entrer
lAssociation mondiale de psychanalyse elle aussi lge de lInternet et cest
entr aussi au Brsil, puisque jai t aussi accueilli par lannuaire lectronique,
brsilien, quon ma remis en grande pompe dans ces journes.
La seule chose quon peut faire, finalement la seule chose qui peut rsister
a, cest le symptme, cest un autre symptme. La seule chose qui peut
rsister la force symptomatique de la civilisation, cest un autre symptme.
Alors je suis bien plac pour a, je suis bien plac pour en faire part. Jai pris un
exemple clinique qui est moi-mme. Aprs avoir dit tout le monde : il faut
entrer dans Internet, il fallait que jy entre moi-mme, videmment. Jtais
entr assez vite puisquon a deux ordinateurs la maison. Cest--dire que moi
je nen ai pas, cest le secrtariat qui a ces ordinateurs, donc jai voulu men
acheter un, un qui soit moi, et donc je me suis inform. Je me suis inform,
jai achet toutes les revues dinformatique, enfin de cyberntique,
dordinateurs, jai questionn les plus minents praticiens de lordinateur dans
le champ freudien, en France, ltranger, et je suis arriv une conclusion. Et
videmment, au moment dacheter lordinateur quil me fallait, linformation
est arrive que dans quelques mois on aura beaucoup mieux. Et bien a ma
gch la jouissance que javais acheter le produit. Cest par l que je date,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 297
297
cest que dj je me faisais un plaisir davoir le dernier modle, et je pouvais
lavoir comme objet, mais je ne pouvais dj plus lavoir dans le discours,
comme lnonc que cest le dernier modle. Et donc jai constat que je
narrivais pas minsrer dans la chane des nouveauts, que le moment o je
voulais my aliner, je men retrouvais ject. Et en effet, sinsrer dans cette
chane, cest saliner, et ne pas le faire cest la sparation, cest une
exprience. Quon sy insre ou quon ne sy insre pas, cest lexprience qui
fait que le sujet sexprimente lui-mme comme dchet de la civilisation.
Alors du point de vue clinique videmment, de mon ct on reconnat
lbauche, on reconnat un symptme, bien sr, un symptme de type
obsessionnel, savoir passer par le savoir pour choisir lobjet, plutt que
davoir le coup de cur : cest celui l que je veux et je lemporte. Et
videmment si on va jusquau point dexiger un savoir exhaustif, sur lobjet, en
gnral a ne permet mme pas de conclure et a ne permet pas de choisir,
parce quil y a toujours un signifiant supplmentaire qui apparat. Donc on peut
mettre le symptomatique de mon ct, et cest certainement un symptme au
regard de la norme de la culture, de la civilisation. Mais enfin, il faut pas oublier
tout de mme que la norme mme de la civilisation est elle-mme
symptomatique. Et quil peut se faire que de ne pas sinsrer l-dedans soit
considr comme ce quil y a de plus sain.
Sans trancher l-dessus, cest quand mme ce qui fait le souci de chacun et
qui fait le malaise dans la civilisation. Qui est-ce qui est malade ? Est-ce que
cest la civilisation ou est-ce que cest moi ? Et cest l quon peut apercevoir
aussi un paradoxe, cest que devient toujours plus vidente la rptition du
nouveau, dans le malaise dans la civilisation. Cest quaujourdhui le nouveau
est lui-mme programm, et cest pourquoi jai t amen parler du faux
nouveau. Cest que deux, trois ou quatre fois par an, lapparition du nouveau
est prvue, sagissant des ordinateurs comme des voitures ou des vtements. Il
y a un rythme priodique de la nouveaut qui est peut-tre apparu avec la
mode fminine, mais qui aujourdhui stend tous les secteurs de la
civilisation. Cest--dire que nous sommes installs et alins un automatisme
du nouveau. Et ce nouveau, qui est pris dans lautomaton, cest un nouveau
essentiellement sans surprise. Cest essentiellement que les microprocesseurs
vont aller plus vite, la prochaine fois. La surprise a sera ventuellement quand
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 298
298
on rencontrera une limite absolue la rapidit du microprocesseur. Mais sans
a, la nouveaut est attendue, comme on dit.
Et donc notre nouveau nous, dans cet tat, et dans quel tat ! du malaise
dans la civilisation. Tout a, ce sont des phnomnes qui ne sont videmment
pas rpertoris par Freud, parce que ce ne sont pas des phnomnes de son
tat de la civilisation. Mais notre nouveau nous, cest dj un nouveau
mortifi au moment o il apparat, mortifi et mortifre, et qui est par l
dautant plus insatiable. Et on peut mme dire que cest prcisment cette
gloutonnerie du nouveau qui est le trait qui marque bien sa nature, et sa racine
de surmoi. La gloutonnerie, un trait que Lacan avait relev du surmoi et quon
trouve videmment prsent dans cette voracit de la nouveaut.
Et au moment mme o je le disais, San Paolo, il mest venu que justement
je lavais prouv moi-mme, en arrivant San Paolo. Parce quil y a justement,
grce linitiative que jai prise de faire avancer lAssociation mondiale de
psychanalyse dans Internet, une liste de distribution, comme on dit, un rseau,
qui sappelle AMP-Varia, et qui fait parvenir des informations tous ceux qui
sont lis ce rseau. Et donc jarrivais de Buenos Aires o jtais pass avant, il
mtait arriv dy dire un certain nombre de choses, et ces choses dites le
dimanche taient dj connues par les malins San Paolo, le mercredi suivant,
avant que jarrive et donc jai t accueilli peu prs en bas de lavion par des
gens me flicitant chaudement de ce que javais dit trois jours avant et jai
commenc comprendre que si je ne disais pas San Paolo absolument du
nouveau (rires) le bruit qui allait se rpandre cest : Oh ! il se rpte, et donc jai
prouv - bon alors je ne parle pas de ce qui tait de leur donner des chos du
cours que nous faisons ici, l cest pas par Internet mais enfin apparemment
peine fini, peine lev la sance, en trs peu de temps, a file travers le
monde.
Donc je leur ai dj dit : probablement Paris ce mercredi je rpterai ce que
jai dit San Paolo (rires). Jprouve en effet, AMP-Varia cest mon Surmoi, cest
ce qui me rclame toujours du nouveau, et si entre dimanche et mercredi je
nai pas des ides nouvelles a y est je suis obsolte, et il y a videmment, on
attend a, on attend a pour voir ce que a va me faire.
Dans ce contexte, on peut aussi penser la psychanalyse, qui a t quelque
chose de nouveau. Elle est ne avec le sicle, qui aujourdhui se termine. Et en
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 299
299
cette fin de sicle, la psychanalyse nest plus quelque chose de nouveau. Alors,
a inquite, a inquite les psychanalystes, a les inquite par la part deux-
mmes qui est prise dans le symptme de la civilisation. La psychanalyse a t
elle-mme un symptme social, comme la dit Lacan une fois, et aprs il a dit le
contraire aussi quand je lui en ai pos la question, son sminaire, enfin de
faon anonyme, puisquil demandait des petits papiers, javais dit : vous avez
dit que la psychanalyse est un symptme social, et il a rpondu je nai jamais
dit que la psychanalyse est un symptme social. Mais il lavait dit. Alors, l je
prends le versant, la psychanalyse a t elle-mme un symptme social, un
symptme du malaise dans la civilisation, mais on nous annonce de plus en plus
fort que les neurosciences la rendront obsolte.
Dailleurs cest douteux, l je nai pas eu le temps den parler San Paolo,
mais le 18 avril il y avait en premire page de lInternational Herald Tribune,
sur deux colonnes, la grande nouvelle, Making baby smart, a cest
intraduisible, rendre les enfants intelligents, rendre lenfant intelligent, a na
pas la vibration, le swing de making baby smart ! (Miller redisant la phrase en
chantant) (rires) : word are the way, les mots cest la faon de le faire. Et alors
la suite dtudes trs longues et trs coteuses, les neurosciences nous
garantissent que le langage est essentiel lenfant, et que il faut lui parler ds
quil nat (rires) mme sil comprend rien ! et que tout se joue la premire
anne mais que non seulement, ce quil y a de plus curieux cest que non
seulement il faut lui parler mais a suffit pas que ce soit parl, de laisser le bb
avec un magntophone ou avec la tlvision en marche, mais quil faut que ce
soit parl par une personne, et une personne attentionne ! Alors videmment
rions, et en mme temps constatons que a nest pas la mme chose quil soit
formul sur la base de lvidence et de lvidence analytique, mais que voil
une vrit qui est aujourdhui garantie pures neurosciences . Il faudrait
revenir dailleurs sur le dtail de la chose, mais voil que je me dplacerais
volontiers dun petit poil par rapport ce que javais rpondu mon ami
prsident de lIPA, en tout cas ici les neurosciences garantissent leur faon
une vrit de Lacan et que a videmment cest dun autre ordre que de dire :
le fonctionnement neuronal lui-mme est cohrent avec ce que Freud disait
soi-disant de lappareil psychique, parce que l a concerne lexprience mme
de la plonge dans le langage. Et a invite les Amricains saisir quil y a un
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300
usage du signifiant propre, indpendamment de ce quon en comprend, et il
leur faut la garantie des neurosciences pour accder cette dimension l.
Alors, je ne crois pas du tout que la psychanalyse soit obsolte, et je ne le
crois pas non seulement parce que la mort ou la dcadence de la psychanalyse,
on lannonce depuis la naissance de la psychanalyse elle-mme, a accompagne
absolument toute lhistoire de la psychanalyse depuis un sicle, mais enfin a
ne suffirait pas, aprs tout, force de crier au loup, a pourrait bien arriver,
cest pas a. Mais cest parce que la psychanalyse tient avec le nouveau une
relation trs distincte, de la relation contemporaine avec le nouveau. Et
quvidemment ce qui est essentiel, cest que les psychanalystes ne se laissent
pas gagner par le symptme contemporain du nouveau, parce que a, a les
loigne de la psychanalyse elle-mme il faut bien le dire, et quils tiennent bien
ferme lessence du nouveau, la relation au nouveau telle que la
psychanalyse ltablit. Cest la condition mme pour durer. Plonger (...) au
fond de linconnu, pour y trouver du nouveau , dit Baudelaire. Et qui l'a fait de
faon plus manifeste, plus patente dans le sicle que Freud, mdecin de
Vienne. On croirait de beaucoup de faons que Baudelaire ici annonce Freud.
Enfin je dvelopperai une autre fois.
Cest aussi lhistoire de chaque analyse, chercher au fond de linconnu pour
trouver du nouveau. Mais en mme temps quel est le nouveau qua dcouvert
Freud ? Et bien disons pour la circonstance, cest justement la rptition, cest-
-dire quil a dcouvert comme nouveau, la rgle inplacable de toujours la
mme chose. Cest--dire la prsence, dans chacun de nous, de quelque chose
justement qui est vieux, qui est ancien, qui est obsolte et qui nanmoins reste
actif, en tat dactivit, opratoire et plus puissant que le nouveau, quelque
chose dancien qui soumet, qui se soumet le nouveau, une instance
immmoriale qui domine ce qui peut apparatre de nouveau.
La dcouverte de Freud cest celle de cet obsolte qui se rend prsent et
videmment qui se rend prsent de faon toujours intempestive, cest--dire
qui dsordonne les coordonnes temporelles. Et donc Freud est all en effet au
fond de linconnu. Sil y a quelquun qui est all au fond de linconnu, cest bien
lui mais pour rencontrer ici non pas le nouveau et certainement pas le faux
nouveau de la production marchande contemporaine, sinon pour rencontrer
quelque chose quil a lui-mme marqu du trait de linfantile, cest--dire de
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301
lancien dans le dveloppement dun individu et aussi de lancien dans le
dveloppement de la civilisation. Cest quand mme formidable qu lpoque
mme du scientisme optimiste de la seconde moiti du sicle, il y ait quelquun
qui ait russi justement lier les formes nouvelles du symptme dans la
civilisation telle quil la connaissait, les formes nouvelles lpoque par
exemple, on ne disait pas dpression on disait neurasthnie, ctait une forme
nouvelle du symptme, par exemple, il y avait des formes nouvelles du
symptme, la fin du XIX sicle au dbut du XX, et bien Freud est celui
justement qui a russi lier les formes nouvelles du symptme dans la
civilisation avec les formes antiques, les plus antiques. Et ce quelque chose de
nouveau, ce du nouveau quil dcouvrait, il la justement appel avec les noms
les plus anciens, avec le nom ddipe, avec les noms dEros et Thanatos, et il a
russi par l changer toute notre relation subjective avec la culture aussi bien
antique que contemporaine.
Et cest dailleurs a le style freudien, cest un mlange, un mlange dj
post-moderne, entre des lments actuels et des lments anciens.
Evidemment, le style freudien a toujours quelque chose de kitsch, justement
parce que a mle lancien et le nouveau. a vaut mieux que les faons naves
daller au fond de linconnu pour y trouver du nouveau. Parce que si on prend
a au pied de la lettre, a conduit au suicide, tout simplement, comme dit
Lacan, a conduit au suicide ventuellement collectif, ce qui va bien, puisque
nous parlons des formes contemporaines du symptme. Pensez au dernier
suicide collectif, quon connat ici comme on le connat San Paolo grce aux
moyens de communication.
O a-t-il eu lieu ? On ne linventerait pas tellement cest logique, il a eu lieu
en Californie, cest--dire la terre par excellence du faux nouveau et dans une
secte experte en Internet, et en relation avec la comte, la comte Hale-Bopp.
Pour nous cest dj pass je crois. Au Brsil, ils ne lont pas encore vue, et
donc, on ma dit aprs que javais fini den parler, que dans le champ freudien
brsilien on allait maintenant scruter le ciel. Il y a une logique, ce premier grand
suicide collectif de la nouvelle poque se passe en Californie dans une secte
lie Internet, et a concerne une comte, cest--dire il y a peu de choses
aussi nouvelles quune nouvelle comte, il faut bien le reconnatre.
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302
Moi je lai vue la comte. Je lai vue en toute clart, un soir, ct de Paris
avec la chevelure merveilleuse qui fait que jai du mal admettre quune
comte se dise au masculin. Et cest vrai qu voir la comte traverser le ciel, le
ciel donc, qui a toujours t lindex mme du rel, dans les civilisations
premires, voir le ciel lui-mme tre modifi ainsi, on sent une certaine
exaltation. On se dit donc vraiment quelque chose de vraiment nouveau est
possible ! Quelque chose de vraiment nouveau dans le rel et a rend
comprhensible quon puisse vouloir se suicider pour sunir cette comte, qui
celle-ci vient justement du fond de linconnu, pour nous chercher, pour se faire
connatre de nous et trouver peut-tre en nous son nouveau aussi. Si on est
psychanalyste, si on est lacanien en plus, on ne se suicide pas, mais on peut
imaginer par exemple que cette trajectoire sublime est comme une allgorie de
ce que serait une interprtation quand elle russit sinscrire dans le rel,
quelle passe comme une comte, quelle change quelque chose dans le rel.
Mais lironie suprme, cest que le passage de la comte est en ralit un
phnomne priodique, quelle a dj t prsente dans ces parages y a quatre
mille ans et que attendez encore quatre mille ans vous la verrez de nouveau, a
donnerait envie de durer ce temps l. Enfin dans quel tat sera lhumanit dans
quatre mille ans ce rgime, on ose pas le prvoir, mais la comte aprs tout
a ne lui fait rien, elle sera l, elle, elle est un phnomne de rptition.
La seule chose nouvelle quil y a dans la comte cest que maintenant elle
sappelle Hale-Bopp, a cest nouveau, en effet. Et pourquoi elle sappelle Hale-
Bopp, parce que y a deux types, sans doute parce quils navaient pas grand-
chose faire dautre, oui, cest des amateurs parat-il, qui lorgnaient un coin de
ciel et qui ont aperu ce nouveau et quils ont le mrite de ne pas stre dit : il
doit y avoir une tache sur mon tlescope et non seulement a mais quils se
sont prcipits pour entrer en communication, enregistrer leur dcouverte
auprs du centre des dcouvertes astronomique des Etats-Unis, qui peut
certifier, enfin par lequel, par ce grand Autre qui doit enregistrer les
dcouvertes nouvelles. Et donc ils se sont, lun et lautre, tant au courant, se
sont indpendamment lun de lautre prcipits pour entrer en contact comme
ils staient, un d'eux au moins stait install dans un dsert pour mieux
observer le ciel, il a d prendre les jambes son cou et divers moyens de
transport jusqu' arriver un tlphone ou un ordinateur pour faire connatre
la nouvelle. Donc ces deux l, il faut bien le dire, a fait un peu Laurel et Hardy.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 303
303
On laurait vu sappeler Amanda la comte, Mlancolia peut-tre mais Hale-
Bopp, on ne peut pas dire que lhumanit lui a dlgu un nom la mesure de
sa beaut. Elle ne va pas protester, la comte, auprs du centre
denregistrement des dcouvertes astronomiques. Simplement elle na rien
voir videmment avec monsieur Hale et avec monsieur Bopp. Elle ne connat
pas son propre nom, celui l, et elle ne va pas revenir plus vite, elle va pas
revenir avant quatre mille ans parce quon va lappeler par son nom.
Alors la comte justifie le soupon que fait porter Freud sur le nouveau. A
savoir que le nouveau nest pas si nouveau quil y parat dabord, et que ce
nouveau l a quatre mille ans et huit mille ans, enfin si cest un cycle
priodique, cest un nouveau rptitif et puis peut-tre que la comte justifie
aussi le soupon que Lacan fait porter sur le rel : il se pourrait que le rel nait
rien voir avec le sens. Que la comte ne se soucie pas des noms quon lui
donne, des dsirs quelle suscite, des pomes quon peut lui adresser, ni non
plus des chiffres qui calculent sa trajectoire et son retour, et quelle continue
son chemin en tant tout fait indiffrente au discours.
Et quest-ce qui se passerait si le symptme tait quelque chose comme la
comte, si le symptme tait lui aussi indiffrent au discours, si le symptme
tait de la mme nature que les corps clestes, cest--dire si le symptme
appartenait la dimension du rel ; cest a qui est en jeu, maintenant cest
devenu un nouveau syntagme fig chez nous, le rel du symptme. Mais la
question qui est pose par Lacan quand il inscrit le symptme dans la
dimension du rel, cest la question de savoir si le symptme, cest comme une
comte, cest--dire que a se fiche du discours et a, a t la dernire
question de Lacan sur ce qua dcouvert Freud.
Et Freud, en effet, lui, pensait avoir dcouvert que le symptme se
diffrenciait de la comte en tant quil rpond quand on lappelle, quand on lui
dit quelque chose et que lui le symptme aussi dit quelque chose, que le
symptme est un message quon peut lire. Et que si on fait parler ce message
et que si on lui parle gentiment, si on lui parle bien, si on lui parle comme il
faut, si on parle comme il faut au symptme hystrique et bien que le sujet sen
libre. Cest a que veut dire pour Freud que le symptme tient un Sinn, une
signification, un sens. Et donc que cest pas comme la comte Hale-Bopp. Et
cest l quil est trs amusant de constater que jusqu'il y a trs peu de temps,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 304
304
lapparition des comtes a t considre comme un symptme, cest--dire
jusqu' lge de la science, on considrait les comtes comme des signes, qui
nous venaient du fond de linconnu et qui nous annonaient quelque chose de
nouveau, lhumanit, la naissance dun grand homme, ou lapproche de
catastrophes, la prsence de menaces, etc..
Cest--dire que jusqu' ce que domine le discours de la science, on
interprtait les comtes, a ne fait pas de doute et on ninterprtait pas les
symptmes. Et puis avec Freud on a cess dinterprter les comtes et on a
commenc interprter les symptmes.
Alors bien sr y en a certains qui continuent interprter les comtes, et
cest ceux qui se livrent au suicide collectif. Pourquoi ils se suicident
collectivement ? Cest parce quils narrivent pas faire comprendre aux autres
quil faut interprter les comtes, alors ils payent de leur personne pour dire :
interprtez les comtes. Et eux ils linterprtent dans le sens de : il faut changer
de dimension pour sen tirer, pour avoir vraiment du nouveau. Alors ce qui
tait admirable avec lhystrie cest que quand on interprtait le symptme, il
disparaissait. Ctait le temps de loptimisme freudien et finalement Freud a d
en rabattre comme vous le savez, et le deuxime temps cest ce quil a appel,
ce quil a approch par exemple comme la raction thrapeutique ngative,
savoir que a ne disparat pas tellement que a, le symptme, mme quand on
lui parle bien. Et cest avec le symptme obsessionnel que Freud sest vraiment
aperu que le fondement mme du symptme, ctait la rptition. Lhystrie
lui a fait croire que lessentiel du symptme ctait le sens. Et cest avec le
symptme obsessionnel quil sest aperu que la matrice du symptme, ctait
la rptition et que prcisment le symptme tait plutt de lordre du rel, de
ce qui revient la mme place. Et on voit bien quil y a deux versants de la
thorie du symptme : ou bien on met en avant quil appartient au registre du
symbolique, et quil est quivalent un message, ou bien on met laccent sur le
fait quil appartient au registre du rel et qu'il revient toujours la mme place,
et quil ne se dplace pas comme le sens, quon peut lui reconnatre par
ailleurs.
Alors jai dcid de sauter les choses que jai pu dire l-bas dans son
dveloppement, dans la suite qui sont quand mme lcho de certaines choses
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 305
305
qui ont pu se dire ici, et je passe rapidement ..., (sadressant Eric Laurent) ou
alors je coupe l puis je te laisse la parole ? (...)

Eric Laurent : a permettra de donner une coupure aprs.

Jacques-Alain Miller : Je passe ce que jai pu dire des nouvelles formes
du symptme en fait la suite de la discussion que nous avons eu ici mme
avec Hugo Freda quil fallait quand mme considrer que ces nouvelles formes
du symptme exigeaient quon nuance le sens du nouveau, parce quon
apporte aujourdhui lanalyste des troubles quon lui apportait pas
auparavant. Alors on lapporte lanalyste ! On lapporte aux diffrentes
pratiques du dire. Lanalyse mais dautres pratiques du dire aussi bien, et il faut
bien dire que pour lanalyse a nest pas sr que se soient les neurosciences
ladversaire. Ce sont bien plutt les pratiques drivant de la psychanalyse, les
pratiques du tout-dire, drivant de la psychanalyse, qui sont cet gard bien
plus insidieuses concernant la pratique mme de la psychanalyse. Cest vrai que
depuis Freud on se dit quil faut faire parler des symptmes dont on ne
soccupait pas auparavant de les faire parler, cest a la nouveaut. Cest quon
fait passer la moulinette du tout-dire des symptmes quon songeait pas
interprter lpoque o on interprtait les comtes.
Et donc des pathologies se trouvent maintenant attrapes par la
psychanalyse, quon laissait hors parole auparavant et a videmment a voir
avec ltat actuel de la civilisation. Pour le dire sommairement, quest-ce quon
dit quand on dit que lpoque de Freud, la civilisation de lpoque de Freud
tait victorienne ? Et bien on dit que ctait un tat de la civilisation o, bien
sr quon pouvait faire de tout, on pouvait tout faire, comme on a toujours pu
tout faire, mais que ce quon faisait dans le registre de la jouissance, on ne
devait pas le montrer, hors de lieux tout fait prcis, et a ne devait pas se
dire. Cest--dire que le concept majeur de ltat victorien de la civilisation cest
quand mme celui de la rpression, du refoulement. Et ces socits de
rpression cest vrai que a a consonn avec le refoulement freudien au point
quon ait pu penser que sil y avait le refoulement freudien cest parce quil y
avait la rpression sociale. Cest a qui a par exemple nourri le freudo-
marxisme, qui a inspir lcole de Francfort et qui a eu un cho universel. On a
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 306
306
eu lide que le refoulement se devait la rpression sociale et que le
communisme verrait non seulement la disparition de lexploitation de lhomme
par lhomme mais la disparition de la nvrose. aurait t la gurison du
symptme par la rvolution. Cette notion est rest trs active encore jusque
dans les annes 70 de ce sicle. Il faut bien dire que ltat actuel de la
civilisation na plus rien voir avec son tat victorien, quon a plus du tout...
comment caractriser, il nous manque un adjectif pour caractriser ltat
actuel de la civilisation. On disait victorien, est-ce quon va dire clintonien ?
videmment cest ridicule la civilisation clintonienne. Cest ridicule mais ce
ridicule lui-mme est intressant parce que les contemporains de la reine
Victoria taient ravis de se dire les victoriens, et que a nenchante personne
dtre un clintonien, et a traduit pas mal la dcadence actuelle du signifiant
matre, la dcadence des idaux. Il semble que le vecteur principal de la
civilisation aujourdhui et de son malaise, va dans cette direction, quon a plus
besoin maintenant de la rpression sociale du dire, pour jouir. La volont de
jouissance passe toujours davantage par la permission sociale de dire, et
presque par lexigence sociale de dire, et a cest trs diffrent de ce quil avait
au temps de Freud. Parce que quand mme, on ne peux pas sempcher de
penser que la notion mme du refoulement chez Freud, dcalque, en mme
temps quelle illumine la rpression sociale du dire, et nous, nous avons faire
autre chose, nous avons faire lexigence sociale de tout dire. Alors bien sr
qui provoque des ractions en sens contraire. Elle provoque le dlire thomiste
de la droite amricaine, par exemple. Elle provoque linterdiction de la pilule du
lendemain dans un grand nombre de pays et vous savez que a a t au point
que le laboratoire qui a invent cette pilule a dcid dabandonner son
copyright et de laisser qui veut la produire parce quil craint le boycott des
milieux ractionnaires dans le monde, bon. Donc videmment a nest pas
uniforme.
Mais la tendance principale va quand mme dans le sens de lexigence de
tout dire, et a videmment a procde de la psychanalyse. Mais en mme
temps a dsordonne ce quoi elle a faire mais cest aujourdhui dans le sens
commun, lide que: quelque chose va mal il faut en parler, fait partie du sens
commun daujourdhui. Cest une croyance qui est aujourdhui populaire, que si
on ne parle pas de ce qui va pas on se rend malade et cest pire. Ce tout dire
inspire les productions culturelles et toutes, comme le dernier best-seller aux
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 307
307
Etats-Unis, cest un document crit par une romancire, mais qui l raconte son
histoire elle et qui est sa sduction par son pre. Et cest a qui est achet,
vendu, comment, le rcit de linceste, de la sduction incestueuse, par la fille.
Et aussi le tout dire est considr communment comme un traitement,
comme une faon de traiter ce qui ne va pas, de telle faon comme nous
lavons dit ici, qu'il faut en parler devient la rponse universelle et cest bien sr
ce qui conduit aux comits dthique, la dcadence du signifiant matre, la
dcadence des idaux et la dcadence du dcalogue traditionnel, des valeurs
traditionnelles, nous oblige, pour nous retrouver entre le bien et le mal, pour
savoir s'il y a un bien et un mal, Baudelaire pouvait encore dire les Fleurs du
Mal, heureuse poque! et il disait les fleurs du mal, en considrant que
jusqualors, dans la littrature, on avait cultiv les fleurs du bien et que lui
prenait justement le point extrieur par rapport quoi tout le reste tait un
tout. Les fleurs du mal ! Aujourdhui pour savoir o sont les fleurs du bien et les
fleurs du mal, pour savoir quoi faire avec les productions de la science, le
clonage etc., et bien on sen remet la discussion, on sen remet aux
commissions. videmment nous avons donn un sens gnralis lexpression
comit dthique et donc a veut dire simplement quaujourdhui on na plus
un grand Autre au lieu de la vrit. Et que le sujet-suppos-savoir, il est l o
nous sommes, le grand Autre cest nous dans notre pathtique ignorance de ce
quil faut faire. Cest le rgne du dbat, dis-moi, jte dirais, et on verra.
Alors le rle de la psychanalyse a t essentiel l, et en cela la psychanalyse a
t convergente avec la Constitution amricaine et avec ses amendements,
pour installer comme pivot de la civilisation actuelle le droit de tout dire. Cest
l quil y a une convergence singulire l-dessus, cest a que nous tudions
cette anne, la convergence de la psychanalyse et de la dmocratie, dans le
sens du droit de tout dire. Et rien ne le marque mieux, quand on lit Lacan, il ne
faut pas oublier que, encore dans les annes cinquante, on faisait procs
lditeur du Marquis de Sade. La premire fois que je suis all acheter Juliette,
on vous faisait passer larrire salle de la librairie pour vous vendre a, et on
entourait les petits volumes bleus de Pauvert imprims sur mauvais papier, on
lentourait de papier kraft et on sortait avec a sous le bras, on avait du Sade en
quelque sorte, un bon petit kilo de Sade, vendu dans larrire boutique,
clandestinement. Ctait encore a - je ne lai quand mme pas achet au
berceau - vers 1962, 63, trois ans avant la sortie des Ecrits, voil comment on
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 308
308
achetait les uvres du Marquis de Sade qui aujourdhui sont dans la Pliade. Il
faut mesurer a. Evidemment cest dans la Pliade, plus personne na envie de
les lire maintenant, a cest radical.
Aujourdhui jai le droit, non seulement de jouir ma manire, mais jai le
droit de le dire tout le monde, en tout cas on va vers a. Et donc on ne va pas
vers une civilisation fonde sur la dmocratie de la jouissance, il suffit daller au
Brsil pour sapercevoir o on en est l-dessus. En tout cas il y avait quand jy
tais mme, Brasilia, des manifestations du mouvement des paysans sans
terre, a permettait de lire un certain nombre dinscriptions qui sont tout
fait... ceux la ne sinscrivent pas aux rencontres du champ freudien il faut dire,
et a donne un certain nombre dindications clairantes, mais on va vers une
dmocratie du dire de la jouissance.
Alors un des rsultats, cest que quand on ne se fait pas plaisir jouir
aujourdhui, et bien cest sans excuse. Cest--dire que ceux qui souffrent, non
seulement ils soufrent, les nvross, non seulement ils souffrent mais en plus
ils se sentent coupables de souffrir. De la mme faon que les vieux non
seulement ils vieillissent, mais en plus ils se sentiraient coupables de vieillir. As-
tu bien fait tout ce quil faut pour rester jeune ? Etc. Autrement dit cest bien
a, a devient de plus en plus difficile de se plaindre du grand Autre, parce quil
existe de moins en moins, et donc il reste, on est coupable, soi-mme. Il y a
quelque chose dans la dpression contemporaine qui est de cet ordre, que le
manque--jouir cest vraiment aujourdhui limpardonnable. Et cest pourquoi,
sans doute, on fait de ce quon appelle la dpression le mal paradigmatique de
la civilisation, dont la jouissance ne se situe plus que partir du plus-de-jouir,
et un plus-de-jouir qui nest pas voil mais qui est exhib de toutes les
manires possibles.
Au point quon pourrait dire qu lpoque victorienne de Freud cest la
nvrose, spcialement la nvrose obsessionnelle qui tait lidal social, et
quaujourdhui lidal qui slabore, sil y en a un, cest plutt celui de la
perversion, comme nouvelle norme sociale et dailleurs qui demande se
rapprocher de la norme sociale. Jai pu parler, suscitant certainement un
certain intrt dans lauditoire, de ce qui avait t ici labor sur le mariage des
homosexuels, a intresse. Alors on voit ici o sinscrit la psychanalyse, elle
permet quand mme au nvros de rencontrer lAutre dont il a besoin, qui est
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 309
309
lAutre de la justification, alors que socialement la civilisation ne lui offre plus
a, la justification.
Et il nempche que bien sr le processus analytique lui-mme puisse
sutiliser pour jouir et cest bien la question qui bloque les analystes sur le
problme de la fin de lanalyse. Cest--dire que quand on pense le processus
analytique comme un processus de savoir, comme un processus pistmique,
ou altique, qui concerne la vrit, on narrive pas situer ce qui, dans le
processus, analytique est dordre rotique. Cest bien cette jouissance incluse
dans le processus analytique qui fait problme aux analystes qui nont pas les
repres quoffre Lacan bien que ces repres soient eux-mmes loccasion
mconnus par ceux qui sy rfrent et cest au point que les analystes de lIPA
eux-mmes finissent par se surprendre eux-mmes de la disparition de toute
rfrence la sexualit dans leur thorie. Et cest pourquoi ils se retrouvent
Barcelone en juillet prochain pour un congrs sur la sexualit en raison, disent-
ils, quils nen parlaient plus. Cest un effort pour eux pour retrouver un peu
leur chemin dans ltat actuel de la civilisation.
Alors je nai pas pu arriver jusquau point o jai parl dans la deuxime
confrence, qui tait intitule Lappareil du symptme ou le symptme
comme appareil , o jai pu parler, plus en dtail, des diffrentes drogues en
les situant chacune par des coordonnes, une coordonne dordre analytique
de la dpression etc., mais se sera pour la suite et je donnerai galement un
cho de la troisime confrence intitule Lamour symptomatique , et peut-
tre que je pourrais y dvelopper un peu plus lexemple que je nai fait
quesquisser de la communication des bactries : en effet, les bactries
bavardent, cest ce quon vient de trouver et il faut leur prter une oreille
attentive.
Donc on se retrouve le 14 mai.
Fin du Sminaire Laurent/Miller du 23 avril 1997

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 310
310
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent
Jacques-Alain Miller

Dix septime sance du sminaire
(mercredi 14 mai 1997)






Eric Laurent : - Bien. Je vais donc poursuivre sur le fil laiss en plan avant la
petite rupture et en reprenant certains des termes tel que Jacques-Alain Miller
a pu les mettre en place au cours de lanne. Ce serait peut-tre loccasion
pour quensuite on puisse profiter de a pour discuter, parler un peu, puisquon
a pas toujours le temps de le faire. Ce fil touche aux consquences pour la
psychanalyse, soit du relativisme ambiant diffrents niveaux de la pense,
soit de la non prise en considration dun rel propre cette exprience
analytique elle-mme.
Ce got de linterprtation gnralise amenant un certain relativisme, nous
en avions trouv un exemple, une formulation particulirement prcise dans la
tentative de Madame Cavell pour prsenter la fois la psychanalyse comme
systme dinterprtation, mais cependant garantie en un point, ce qui suffisait
dans sa perspective tre labri dun relativisme gnralis. En cela, nous
allons reprendre la lecture de son ouvrage, des consquences qui peuvent tre
dintrt pour nous, dans ce qui nous occupe.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 311
311
Mais avant, jai amen avec moi une grosse boite, faite de faon artisanale,
dcoupe de faon simple, robuste, dont on ma fait cadeaux Naples o
jtais ce week-end, pour les Journes italiennes. Naples est non seulement la
ville du Polichinelle, mais aussi la ville o est tablie, depuis le 19 sicle, une
particulire reprsentation de la crche de Nol. Cette crche, vous le savez,
na pas t du tout au long de la chrtient un aspect fondamental du rituel.
Cest relativement rcent, et a fait partie plutt de lensemble de la mise en
place nouvelle des cultes aprs la Rvolution franaise et cest au 19 que se
sont dvelopps dans les pays dEurope la reprsentation plus ou moins
conventionnelle de la Nativit aux moyens de statuettes reprsentant un dcor
assez fixe et constant, qui ont donn une nouvelle place des traditions
parses jusque l, comme les santons en Provence, ou bien Naples, ils
sappellent les bons pasteurs , les bons pastore. Les bons pasteurs, comme
les santons, cest le peuple reprsent. Alors dans les santons les mtiers
traditionnels, et dans les bons pasteurs il y a tous les mtiers traditionnels plus
les figures tonnantes, (sadressant Jacques-Alain Miller) tu avais une fois dit
ton intrt pour la figure remarquable du Ravi , dans les santons de
Provence, Lou ravi qui est spcialement content, et il y a en plus, Naples,
quon adapte les santons aux figures de lactualit, par exemple hommes
politiques, stars, vedettes de choses diverses, sont parmi les bons pasteurs.
Cest un type dadaptation, un peu comme les matriochkas en Russie, ces
poupes qui sembotent. On adapte aux diffrentes figures hommes
politiques, etc., tout ce qui fait intrt dans le discours populaire. Et l alors
que normalement par exemple cest distingu, dans dautres rgions il y a, on
adapte a pour le carnaval o on prend des figures de lactualit mais on
rserve la crche des types figs. L pas du tout : Naples on adapte tout a.
Et donc on ma fait cadeau de deux bons pasteurs, (Eric Laurent tant le
couvercle de la boite et dcouvrant les deux statuettes), qui sont reprsents l
et qui sont en conversation (rires), ces bons pasteurs ayant un costume tabli
daprs des photographies et qui sont comme bons pasteurs Freud et Lacan,
qui sont en effet de bons pasteurs du peuple analytique, voire mme...

Jacques-Alain Miller : - Ils ont lair italien tous les deux, l !

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 312
312
Eric Laurent : - Ils ont lair profondment italien (rires)...

Jacques-Alain Miller : - La barbichette de Freud cest Binasco... notre collgue
Binasco.

Eric Laurent : - En effet, cest une grande russite, et je les ai amens car
cest la fois une tradition et cest un signe. Ils auraient pu faire un bon pasteur
Freud par exemple, ou un bon pasteur Lacan. Mais l cest dj Freud lu par
Lacan, il y a le dplacement, il y a la strate, il y a les deux. Il y a dans ces bons
pasteurs dj un tmoignage quon a affaire maintenant un Autre stratifi,
cest une figuration post nave de lAutre qui nexiste pas. Il y a dj non plus le
texte mais il y a une interprtation, et il pose la question, y a-t-il vraiment
dialogue entre Freud et Lacan ? Cest la question qui est ouverte des relations
monologues et de la parole, cette articulation quavait souleve Jacques-Alain
Miller, avec la place du dialogue et cest pour a, ctait spcialement bien venu
de me retrouver avec ces deux santons transporter, ce qui ntait pas simple
pour revenir de Naples jusquici... enfin voil, ils ont trouv leur place.
Alors, je vais reprendre maintenant cette interprtation gnralise que
faisait ou que proposait comme modle pour la psychanalyse, comme modle
philosophique pour la psychanalyse, Madame Cavell. Au fond, linterprtation
gnralise est une faon de rsoudre lobstacle, de tourner lobstacle quinien
de lindtermination de la traduction. Lindtermination de la traduction est
cette thse qui est une faon de formuler que le langage na pas de rfrence
qui puisse tre tablie de faon univoque, cette indtermination pouvait
amener des thses tristes du type on ne saurait jamais ce que parler veut dire.
Et face ce dsespoir de linterprtant, Madame Cavell, suivant en cela
Davidson, souligne que lindtermination nest importante que parce quelle
attire lintention sur le fait que linterprtation de ce que lon veut dire doit
aller de pair avec linterprtation de laction en gnral, et donc avec
lattribution constante de dsir et de croyance lAutre.
Que cette interprtation gnrale est constante dans le rapport lAutre,
nanmoins est assur dun point de capitonnage, quil y a au moins une cause
qui assure le rel dans le sens. Cela suffit, dans cette perspective, assurer
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 313
313
lobjectivit de linterprtation, tre sr quil y a une rfrence au-del du
sens. Et cependant, cette thse nous introduit une perspective, celle quil ny
a pas de matrise possible du sens ; on est toujours la merci dune
rinterprtation, Ou, mme si lon fait ce que lon dit, nos actions ont des
consquences qui ne sont pas prvisibles, qui ne peuvent pas tre vises.
Toutes les raisons que nous pouvons donner de notre action sont prises dans
un rseau rationnel, normatif, et qui doit tre distingu des causes. Les causes,
elles, ne sont ni bonnes ni mauvaises, en relation aux choses quelles
effectuent. Do cette distinction qui nous rappelle la formulation donne il y a
bien longtemps par Lacan pour mettre sa place le bon et le mauvais objet en
psychanalyse : il y a le bon et le mauvais et il y a la chose, l a se retrouve sous
la forme : il y a les bonnes et les mauvaises raisons et puis il y a les causes.
La faon dont je vois les choses dans le pass, et les causes, dtermine le sens
quelles ont pour moi et le systme des raisons dans lequel je suis pris. Dans la
perspective de Madame Cavell linterprtation gnralise nest pas une
abrogation de la causalit, comme le voudrait un relativisme complet, mais il
sagit, dit-elle, de faire de la place pour de nouvelles relations causales. Mais au
nom de quoi faire de la place pour de nouvelles relations causales, o sarrter,
quelle est la bonne, comment mme la dfinir ?
Il y a plusieurs manires de faire, dans son ouvrage. Il y a surtout un critre
de satisfaction : on reformule jusqu ce quon trouve une narration
satisfaisante, ou en tout cas qui dlivre dun poids trop oppressant. Et lhorizon
quelle propose, cet horizon de satisfaction, est un horizon qui, finalement, en
arrive rsorber la division subjective. Il ny a pas, dans un tel systme, et
lhorizon de ces reformulations constantes, ncessit dun sujet divis. Cest la
critique faite Freud, Lacan, dans la lecture quelle en fait, que dans la
thorie de Freud, il y a besoin dune division subjective et de cette division
fondamentale quest le surmoi. Elle considre que cest un emprunt Nietzche,
la Gnalogie de la morale, que cette ncessit de dnoncer dans le moi le
noyau du complexe inconscient de culpabilit. Pas de ncessit de a, et,
lhorizon des mtaphores successives de rcriture de son existence, on doit
arriver laver le sujet de la faute.
Cest un dfaut de la perspective freudienne trop centre, dit-elle, sur le sujet
comme un, qui se retrouve alors dabord un par un narcissisme primordial puis
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 314
314
seulement reli lAutre. Une fois que lon admet a, tout objet devient objet
narcissique, objet dintrt individuel, objet pathologique. Il nest, partir de
l, plus possible de concevoir une thique qui ne suppose pas cette division
interne, cette prsence au fond de moi, qui fait la sparation de lintrt
pathologique et de la voie incarne de la morale. Tout objet va se retrouver
pris dans cette pince sans remde. Et il faut pour a, dit-elle, distinguer de ce
que Freud navait pas, la distinction entre un objet intentionnel, lintention
avec un t , auprs duquel lacte de penser est dirig, autrement dit le grand
Autre, pour nous, il faut distinguer a de lobjet extentionnel, celui du monde,
celui de lextension, celui du monde au moyen duquel cette intention sincarne.
Avec ce petit outil, elle pense que lon peut arriver, uniquement partir de
lintention et dun sujet visant un autre, que lon peut engendrer la conscience,
travers toutes ses fonctions, toutes les fonctions du moi, qui sont danticiper,
dimaginer, et de juger si laction que lon va entreprendre est mauvaise, car
elle pourrait faire du mal aux autres ou moi mme, et quil ny a nul besoin
dune instance spciale qui se livre ce genre de calcul.
Cest une erreur, dit-elle, en tout cas une hypothse absolument superflue
pour tablir tout ce qui relve du point de vue moral et de lexistence du
monde. Il ny a pas besoin non plus du surmoi pour faire lpreuve de ralit.
Elle considre tout de mme que Freud a eu raison - en tout cas cest une
perspective qui lui agre - de constater que sil y avait un monde o le sujet
navait aucun espace entre son dsir et sa ralisation, il ny aurait aucune
distinction possible entre lapparence et la ralit et elle considre que a cest
compatible avec la conception, dans la philosophie analytique ou dans la
pense contemporaine, de la ralit publique comme distincte du langage
priv, des appartenances prives, ce que lon avait vu chez Charles Taylor par
exemple ou chez Searle par dautres voies.
Il faut donc, pour quil y ait mme cette ide dintentionnalit, il faut le dsir
et il faut pour a lexprience du manque et du besoin. Mais immdiatement ce
moment du manque et du besoin, pour elle, est entirement rsorb dans ce
quoi il laisse place, cest--dire le fondement de lintentionnalit et de lautre
de lamour, auprs duquel on va sidentifier. Lamour, cest la capacit
dimaginer le monde partir des croyances et des dsirs que lon attribue
lautre. Voil le fondement du dialogue. Et donc pour quil y ait le sujet dfini
en relation lAutre, il suffit de lextension de cet amour de lAutre engendr
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 315
315
partir du modle de lamour de la mre et lenfant, cest a qui doit tre
privilgi, bien plus quun retour sur soi-mme dans ce soi, ce self divis quelle
rejette.
Il sagit simplement de supposer la capacit percevoir lAutre en tant quil
puisse me demander quelque chose et que je puisse interprter sa place, ses
croyances et ses dsirs. Il suffit de cela pour tablir lAutre de la
communication. Et cela suffit pour ensuite engendrer lensemble de tout ce qui
fait le corpus o lensemble des croyances et dsirs que lon peut appeler la
morale ou le point de vue moral ou la division morale. Nous pouvons
parfaitement tre averti, par un calcul, des consquences de nos impulsions, de
nos actions et de nous prendre nous-mmes pour des objets. Et on a, par cette
opration, la mise au point dans la psychanalyse, dun sujet, qui est exactement
le sujet des philosophes et des savants. De mme que Jacques-Alain Miller
pouvait noter la place dun Autre qui serait apprivois, rduit, domestiqu,
dans le registre de la bonne intention comme lAutre des philosophes et des
savants, et bien l on a un sujet qui est lui rduit cette perspective. Ce sujet
des philosophes et des savants, dduit de la pure existence de lAutre de la
communication, permet, de l, de rduire la diffrence des sexes et dans tout
le livre de Madame Cavell, la question de la diffrence des sexes ne joue
pratiquement pas de place sinon quelle considre que la diffrence des sexes
est le prototype de la diffrence fconde, de la diffrence que suppose le
dialogue : donc ce qui est formidable dans la diffrence des sexes, cest que a
fait quelquun qui parler.
Cest une ide qui sans doute est plus cohrente avec un point de vue
fminin, elle le souligne dailleurs, propice, sans doute pour des raisons plus
amples que celles quelle envisage, en tout cas de notre point de vue sans
doute plus dductibles, ce point de vue ou cette perspective fminine de
rduire en effet lAutre au dialogue, au partenaire qui parler.
partir de cette rduction de lAutre dans cette perspective l, dun Autre
do est vacu lhtrognit de la jouissance, nous avons, de faon
cohrente, labsence de toute htrognit des jouissances, de leur rgime et
de leur registre, qui fait que la perspective que trace Madame Davidson est une
variante, bien quelle en aie - me semble-t-il - une variante du tout symbolique
dans la psychanalyse. Favoriser la conception de la psychanalyse comme une
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 316
316
sorte dexprience qui na pas de perspective raliste, pas de rel en jeu. Seule
la science le dfinit, pour le reste, il sagit dinterprtations qui se renvoient, se
dplacent, se transforment, sans quil y ait proprement parler un point, qui
puisse dfinir un rel comparable celui de la science. Cela permet de raconter
des histoires nouvelles, comme dirait Rhorty cela agrandit notre vocabulaire,
mais dans les termes que nous avions tracs, a nest pas une perspective qui
puisse tre considre raliste dans la psychanalyse...

Jacques-Alain Miller : - Si je comprends bien, parce que je nai pas encore lu
le livre de Madame Cavell, cest limportation dans la psychanalyse des thmes
de la philosophie post-moderne, aux Etats-Unis. Il ny a que des interprtations
et donc du point de vue relativiste qui sexprime, extrme, cest la continuation
de ce mouvement qui avait dj commenc avec Rolly Scheffer ( vrifier) par
exemple qui tait de rduire la cure analytique une narration. Le sujet
raconte sa vie, la raconte de faon diffrente au cours de la cure et la raconte
de mieux en mieux. Cest--dire privilgiant un certain point de vue qui est celui
de Lacan au tout dbut, en 1953 . Donc la narrativit, on dirait que chez Marcia
Cavell, a sinscrit un peu dans cette ligne de Rolly Scheffer, sinon que Rolly
Scheffer tait plus sartrien et quavec Marcia Cavell, ctait plus la philosophie
franaise post-moderne, mais avec un certain back-ground de Lacan, cest a
que je ne vois pas bien, si cest toi qui importe le vocabulaire, le symbolique, de
lAutre, la communication...

Eric Laurent : - a cest moi qui lintroduit puisquelle, cest Scheffer plus
Davidson. Dans son livre, elle prend partie contre le point de vue narrativiste de
Scheffer, parce quelle dit quil faut, pour que linterprtation radicale puisse
avoir lieu, quen un point il y ait une assignation de cause, dans tout le systme
des raisons et des causes. Il faut un point de capitonnage sur le rel, dont la
science rend compte, alors que Scheffer coupe les ponts...

Jacques-Alain Miller : - Quel rapport avec la cure analytique ?

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 317
317
Eric Laurent : - Il ny a pas de rapport dans la cure analytique, il y a
simplement ceci que a lui permet dattribuer le principe de charit de
linterprtation, a permet pour elle dattribuer un point de capitonnage, donc,
et cest simplement l comme condition. Et je trouve en effet que pour la cure
analytique, en tout cas dans son livre, cela ne me convainc pas dans les
consquences quelle tire. Il me semble que cela reste un narrativisme de la
catgorie, en effet post-moderne, sans que lon puisse..., alors, elle, quand
mme, considre que cest une faon, le fait quelle accepte le point de vue ou
quelle prenne ce point de vue de Davidson, il faut quen un point on soit sr
que ce que lAutre dit est un capitonnage, elle en fait tout fait un, elle dit cest
la reformulation finalement moderne de ldipe. Elle dit de mme que pour
Freud dans ldipe il faut le point du pre, et bien dans le triangle smantique,
dans la triangulation smantique interprtative quelle propose, a joue le
mme rle, le fait quon soit sr quen un point, il y ait une correspondance
entre le dire et un rfrent.

Jacques-Alain Miller : - Et alors qui est sr de a, quel moment nous ? ? ??

Eric Laurent : - a, a nest pas clair. Cest simplement, dans la triangulation,
il y a un moment o elle consacre un de ses chapitres, dire quil y avait la
triangulation, il y a la triangulation dipienne Pre-Mre-Enfant, eh bien elle
propose une triangulation dans lequel il y a entre lenfant et la mre, il y a des
interprtations qui circulent, et, plus que le pre cest bien lavantage, le fait
quil y ait un capitonnage, qui est une cause, qui est dans le systme des
raisons, il y en ait qui soient des causes, et bien, cela permet le capitonnage des
relations et des interprtations qui circulent, et cest la science qui garantie a.

Jacques-Alain Miller : - Cest--dire ?

Eric Laurent : - Cest la science, cest le fait quil y a un rel, en effet cest la
science qui le met au point, qui nous a permis de savoir quil y a un rfrent. De
l on en tire simplement la consquence logique quil faut absolument quon
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 318
318
garde un capitonnage, et le principe cest quil faut quil y ait au moins une
cause dans tout ce qui est dit. Quon ne peut pas raconter simplement, quon
ne pourrait pas avoir un principe totalement relativiste, qui serait, finalement :
une histoire pourrait valoir, sans quil y ait besoin quelle corresponde jamais
quoi que ce soit, a non.
Elle critique Scheffer, en disant que dans la perspective de Scheffer, comme il
ny a pas cette assignation dau moins une cause son systme, cest un
principe de narration sans fin, alors quelle considre que la narration ne peut
tre que la narration...

Jacques-Alain Miller : - Donc elle devrait avoir une doctrine de la fin de
lanalyse ! ?

Eric Laurent : - a cest, peut-tre dans un prochain livre, l cest plutt une
doctrine de la possibilit de lanalyse et les exemples cliniques ou la partie, la
clinique la plus importante de louvrage porte sur la psychanalyse avec les
enfants, ou sur lobservation mme psychanalytiquement informe des
relations mre-enfant. Cest centr l-dessus, cest plutt linstallation du
dispositif analytique et sa vrification par la possibilit de linterprtation dans
la cure de lenfant. Et pour elle, les neurosciences ou les observations faites sur
les enfants, actuellement, qui font quon accorde lenfant de plus en plus de
capacits dinterprter, tt, et bien vont dans le sens de linterprtation
radicale. Il faut tre deux pour interprter, tout de suite, lenfant tout de suite
est pris dans linterprtation, ce qui est, en effet, une bonne consquence.
Simplement dans son systme ce nest pas tellement le pre qui garantit quoi
que ce soit, tout a ce sont des vieilleries, mais il suffit simplement que lenfant
soit assur que lAutre est comprhensible, que son Autre nest pas capricieux,
parce quil y a un capitonnage. Et ce capitonnage cest le fait quen un point, le
systme du langage correspond au rel. Et a remplace, compltement, la
perspective dipienne ou la perspective qui serait dassurer...

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 319
319
Jacques-Alain Miller : - Ce qui est vital, cest de trouver un Autre qui on
peut faire confiance ?

Eric Laurent : - Cest un Autre qui on peut faire confiance. Ce qui est vital,
cest que, la seule chose que montrerait la psychanalyse, cest que pour
sintroduire dans lAutre du langage, dans le systme dinterprtation
gnralise, il faut avoir eu affaire un Autre qui on peut faire confiance, qui
soit lui-mme tenu par une loi dinterprtation qui est simplement a : dans
tout le systme des raisons ou des raisons qui sont allgues, ou des causes
allgues comme raisons, il faut quen un point, y ait une correspondance avec
le rel, qui soit fiable en ce point.
Alors a donc cest une des parties de ce quil me semble tre une des
errances possibles de la psychanalyse, contemporaine, lorsquelle laisse en
effet le rel entirement la science et se trouve prise dans une errance de cet
Autre, de ces interprtations au lieu de lAutre qui ne sont pas fixes ou
garanties. Et je voudrais en prendre une autre, un autre style contemporain
dtrange consquence qui nest pas l dans la psychanalyse carrment mais
qui est un autre bord de la psychanalyse, celui du succs aux Etats-Unis de la
thorie, ou du syndrome des personnalits multiples.
Et l a nest pas linterprtation multiple, ce sont les personnalits multiples
et a a videmment les plus grands rapports les unes avec les autres. Mais l
cest carrment en dehors de la perspective psychanalytique et il y a un livre
relativement rcent sorti en 95 qui fait le point sur cette...
Cest crit par un philosophe pistmologue, Ian Hacking, qui consacre un
livre ce syndrome intitul Rcrire lme, Rewriting the soul, dans un vaste
projet, quil dfinit lui-mme comme un projet dtablir la politique de la
mmoire. Et il le fait dans les pas de Foucault, ces pas que vous connaissez
tous, lorsque Foucault, dans La volont de savoir dfinissait deux axes de
regroupement des savoirs, lun, le contrle du corps comme machine, qui
stait tabli partir de lge de la coupure pistmologique. Le corps comme
machine, son dressage, la majoration de ses aptitudes, lextorsion de ses
forces, la croissance parallle de son utilit et de sa docilit, son intgration
des systmes de contrle efficaces et conomiques, tout cela assur par des
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 320
320
procdures de pouvoir qui caractrisent les disciplines. Et il dfinissait ainsi ce
qutaient les disciplines, une sorte danatomo-politique du corps humain.
Un second registre sest form un peu plus tard, vers le milieu du 18
me
,
centr sur le corps espce, sur le corps travers par la mcanique du vivant et
servant de support au processus biologique. Donc la prolifration, les
naissances et la mortalit, le niveau de sant, la dure de vie, la longvit avec
toutes les conditions qui peuvent les faire varier. Leur prise en charge sopre
par toute une srie dinterventions et de contrles rgulateurs, une bio-
politique de la population. Donc il y avait lanatomo-politique du corps humain
et la bio-politique de la population.
Cest dans cette perspective reprise de notre point de vue que nous avons pu
voquer ces questions de contrle des naissances et de position de contrle
gnral sur le corps fminin au dbut de lanne.
Hacking veut ajouter ces deux axes de travail que dgageait Foucault, que
voulait mettre en place Foucault, il veut ajouter donc la politique de la
mmoire, puisquil dit que Foucault cest trs bien, il y a le body dun ct, il y a
lespce, le corps comme espce, et il faut ajouter le mind. Il y a une politique
du mind, et la politique du mind, il la voit travers linvention de la mmoire et
de la faon dont la mmoire et sa gestion se dfinissent socialement dans une
perspective qui est la perspective moderne : nous sommes une mmoire, qui
est un paradigme rcent et qui stend de diffrentes faons, partir du 19me
sicle. Cest donc dans le cadre dun projet vaste qui donnera lieu dautres
livres srement, que dans celui l, il sintresse ce syndrome de personnalits
multiples. Donc cest en anglais, plus exactement il faut bien le dire en
amricain Multiple personality disorder, ou MPD. Cest une pathologie qui
vraiment pour nous est formidable, pour notre cours : les symptmes
contemporains. On na jamais vu une entit comme a auparavant. Cest une
pathologie absolument rcente, strictement amricaine. Elle a t introduite
pour la premire fois dans le DSM III, en 1980, elle a t modifie dans le DSM
III rvis en 87, elle vient de changer de nom, en 94, en sappelant Dissociative
identity disorder, DID. Mais elle ne figure toujours pas la classification
europenne des maladies le ICD X, sorti en 92, et mme les europens de
langue anglaise, les anglais, sont farouchement opposs cette catgorie
clinique, qui na de succs que sur un espace culturel donn.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 321
321
sa naissance, en 1972, cest une curiosit. Il y a un cas qui est publi dans
ces annes l qui a beaucoup dimportance, une nomme Sibylle. Cest un livre
crit par un crivain professionnel, rcrivant auprs du sujet le cas de la
personne qui avait t traite pendant une dizaine dannes. Donc, en 72,
ctait une curiosit, moins de douze cas reprs en cinq ans. partir de 82,
cest une pidmie. En 1986, il y a plus de six mille patients tiquets de ce
syndrome, jusquau point o a dclenche des pidmies de souvenirs
retrouvs, dont jai parl au dbut danne, avec culte satanique, etc., qui font
un scandale dans toute la bible belt amricaine. Cest admis donc de DSM III,
DSM III rvis, et, par exemple la dfinition, sa premire dfinition, cest en 80,
cest il faut lexistence dans lindividu de deux personnalits ou plus, chacune
dominante une poque donne . Deuximement la personnalit qui est
dominante un moment donn dtermine la conduite de lindividu .
Troisimement chaque personnalit complexe et intgre, avec son propre
modle de conduite et ses propres relations sociales . Alors en 87 on enlve a
quand mme, a faisait beaucoup, on dit que simplement on doit constater
lamnsie entre une personnalit et une autre . Et en 94, on appellera
dissociative identity disorder qui aboutit une sorte de clivage, dans ce qui
tait jusque l un mouvement politique, un vritable mouvement politique, qui
se centre sur lide de faire reconnatre les traumas qui donnent lieu cette
consquence, le syndrome de multiple personality disorder. Et on a un clivage,
disons entre une sorte de mouvement populaire, pidmique, et llite, les
mdecins, qui considrent que tout de mme ce quy a de dangereux dans
lintitul Personnalit multiple cest que a fait croire que le problme cest
quil y en ait beaucoup, alors que le vritable problme cest quil ny en ait pas
une, do lide de dire dissociative identity disorder. Le problme ce nest pas
le multiple, le problme cest quil en faudrait au moins une et quelle nest pas
l. a change de perspective, mais le fait reste l. Des milliers de sujets se
trouvent affects de ce diagnostic qui apparat dans le DSM au moment o
lhystrie en est exclue. On compare dans le DSM lhystrie et le syndrome
Multiple personnality disorder et dailleurs Hacking le dit trs bien. Au 19me
sicle, les patients qui avaient un phnomne de double conscience ou de deux
tats de conscience, encore conserv dans lusage que nous faisons dtat
second dans lhystrie, certes rpondent au critre du Multiple personnality
disorder mais leur faon de vivre cela tait trs diffrente dun multiple
moderne. Dabord pour commencer, au 19me sicle, on arrivait peine
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 322
322
avoir une autre personnalit bien dfinie, ctait dj dur. Maintenant seize
personnalits sont la norme, sont la moyenne. En France, il y a un sicle,
lorsquil y avait un ddoublement de la conscience, les symptmes taient en
gnral corrls avec des hystries florides, anesthsie partielle parfaitement
observe par Charcot, des saignements intestinaux et une restriction du champ
de vision. Ce qui ntait pas du tout le cas en Angleterre : en Angleterre les cas
de ddoublement de la conscience taient tout de mme beaucoup plus
contraints, beaucoup plus rguls mais avaient par contre des transes
mdiumniques, beaucoup plus souvent que les cas franais. Dans ces transes
mdiumniques, ce qui tait crucial, ctait le moment damnsie et
dinconscience que les cas franais prsentaient beaucoup moins. Hacking dit
cest le looping effect, leffet daprs coup, le loop, cest la boucle, effet de
bouclage, dont dailleurs Georges Soros ( vrifier) fait le comble de lactivit
humaine et lui lapplique lactivit conomique, au march, en disant que
toutes ces histoires dconomie, cest une blague, on nous parle dquilibre en
conomie, ce qui nest pas possible, il ne peut y avoir quun effet, un looping
effect, une dtermination o tout agent a une incidence, selon la dcision quil
prend, sur les effets qui vont tre produit.
Alors, l le looping effect dit Hacking, montre la variation de ce type de
pathologie et lui ne prend pas partie, il ne dit pas ce sont des hystries
modernises, il dit lhystrie elle-mme est un certain tat de la dfinition du
problme et il le prend simplement comme un nom, l en effet il est
nominaliste, il y a un nom et aprs tout cest ce quon peut dire de mieux, que
ce nom est lindex sans doute dun problme, mais cest un problme
spcialement intressant dans le DSM, parce que cest la seule entit reconnue
actuellement dans le DSM IV qui est une entit psychiatrique et un trouble
mais qui ne soit pas une maladie biomdicale. Its a disorder but not a
biomedical desease. Donc formidable, a cest ce que nous nous considrons
justement : lhystrie comme trouble, mais pour des raisons autres que celles
qutablie la biochimie. Et bien actuellement donc dans le DSM IV, la seule
entit qui est reconnue comme, a cest le syndrome de personnalits
multiples. Do un looping effect particulier. Le looping effect particulier cest
que si vous voyez un patient et que vous ne lui prescrivez pas de mdicament,
dans une perspective entirement biochimique, vous faites une escroquerie,
puisque vous voyez quelquun, il faut que vous ayez une rponse son trouble,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 323
323
sil a un fondement biochimique, tandis que l, vous pouvez parfaitement,
puisque justement cest un trouble qui na pas de fondement pour linstant
biomdical tablit, reconnu, vous avez tout intrt lui donner le diagnostic de
syndrome de personnalit multiple, a vous permet de continuer parler et a
continue tre rembours par lassurance. Donc il y a des tas de cas qui se
retrouvaient avant dans tout autre sorte de diagnostic, qui vont en effet de
lhystrie la schizophrnie, la confabulation, des psychopathes, enfin tout a
se trouve dans la catgorie multiple personnality disorder dans un looping
effect particulier.
Il y en a un autre aussi qui est que ce trouble a une cause reconnue, la cause
reconnue, elle, l o on allait au point de concidence avec le rel, cest que
pour obtenir ce type de dissociation, il faut avoir t dans lenfance lobjet
dabus sexuels. Donc ctait a qui fait lpidmie de souvenirs retrouvs, o
des tas de gens pris en thrapie dans cette perspective retrouvent, des enfants
de familles de la classe moyenne, retrouvent des souvenirs pouvantables, et
davoir particips des cultes sataniques, ce qui fait que a produit un certain
nombre de ractions jusqu' obtenir, face lpidmie de faux souvenirs dont
jai parl au dbut de lanne de false memory syndrom, donc il y a des false
memory syndrom fondation, qui a t cre, qui lutte contre cette perspective.
Elle est spcialement active parce quil y a deux personnes, la personne qui a
commenc par la fonder, une dame Frid, elle la fonde parce que sa fille la
attaque, sa fille est professeur de psychologie lUniversit, donc il y a une
mobilisation trs importante, mais sa fille est professeur de psychologie et
fministe dtermine et de ce fminisme radical qui a beaucoup pris parti au
Etats-Unis pour lexistence en effet, dans le systme patriarcal que sont nos
familles, dabus de toutes sortes envers les enfants et spcialement les petites
filles, puisquactuellement quand mme 90% des personnes qui sont
tiquetes multiple personnality disorder, 90% sont des femmes. Donc a
dmontre bien quel point les femmes sont victimes dabus et y a un effet de
looping effect aussi particulier, qui est qu un mouvement politique sest
empar, le mouvement fministe radical, de cette entit psychiatrique comme
dmonstration de la sduction relle et dans ce cadre et dans cette perspective
la psychanalyse est dnonce comme celle qui a renonc la sduction relle,
laissant les petites filles tre la cible de tout ce qui leur arrive et qu cet gard
la psychanalyse donc nest quun agent du patriarcat de plus.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 324
324
Alors cette perspective paraissait loin de nous, en un sens, puisque tout de
mme un certain nombre de traditions en Europe font que, dabord, a ne sest
pas diffus, a na pas t accept avec la mme intensit, quaux Etats-Unis, et
cependant, on voit quel point, sur cette entit nouvelle, on voit la rduction
de la thse que tu avais nonce : la sant mentale est une question dordre
public, et que la dfinition des catgories mme de pathologie mentale sont
des questions dordre public. L aux Etats-Unis, le fait que le fminisme radical
sen empare et en fasse une question dordre public, nous verrons comment
lEurope, qui, semble-t-il, a dcouvert labus sexuel des enfants lan dernier,
grce aux belges, grce lpouvantable affaire Dutroux qui a fait valoir, qui a
t lanalyseur, qui a t lobjet partir duquel tout un systme social sest
trouv branl, les juges, les policiers, jusqu' la royaut ont t mis en
question dans le traitement quils faisaient de laccueil de labus sexuel des
enfants. Et partir de cette affaire Dutroux, tous les autres pays dEurope, les
uns aprs les autres, ont dcouvert des histoires pouvantables. En Italie, en
Espagne, en France, ou encore dans Le Monde le 13 mai, on commenait voir
le titre Pdophilie : silence priv, silence public , vaste prsentation de la
sous-estimation de labus sexuel des enfants. Cest un article crit par une
journaliste femme Laurence Folla, qui commenait par lentement le voile se
lve .
Et on va voir lEurope, comment va-t-elle ragir cette dcouverte qui a lair
dune dcouverte ? dans lintensit du phnomne, dans sa mise au jour, est-ce
quon va avoir nous aussi un certain type dpidmies, de ce genre ou est-ce
quon va trouver dautres possibilits ?

Jacques-Alain Miller : - Je suis frapp par la rfrence que tu fais aux affaires
de pdophilie en Belgique, parce que, actuellement le seul cas de personnalit
multiple que je suis est belge...

Eric Laurent : - Mais cest un scoop : tu annonces donc que tu as un cas de
personnalit multiple...

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 325
325
Jacques-Alain Miller : - Je suis indirectement, mais, trs rgulirement, cette
personne qui est en contact direct, qui nest pas vraiment dans le traitement...
mais cest une vritable, enfin une vraie de vraie personnalit multiple. Alors
effectivement il fallait quon arrive a, on ne se concerte pas, et on a mme
pas chang sur cet ouvrage, ce sminaire sappelle LAutre qui nexiste pas et
ses comits dthique et il fallait bien quon arrive lun qui nexiste pas et
cette personnalit multiple (rires), cest vraiment lenvers ou lhomologue de
ce que nous avons commenc par aborder. Alors il semble, quand mme, je
nai plus le souvenir exact, le dtail du livre de Haking, mais lvolution du nom
signale quand mme que le syndrome vers la schizophrnie.

Eric Laurent : - Lui non...

Jacques-Alain Miller : - Et cest en tout cas, pour le cas que je suis, cest vrai
que le pari est que cest une hystrie, mais cest vrai que cest trs difficile
faire passer dans les faits.

Eric Laurent : - Alors en effet, Hacking fait un trs bon expos historique du
phnomne o il remonte au-del de Freud avec lcole franaise, puisque le
terme de personnalit multiple est un terme qui nous vient l des Etats-Unis,
mais cest un terme franais.

Jacques-Alain Miller : - Oui, de toute faon il y avait un cas clbre dont avec
le Suisse Fournoy...

Eric Laurent : - Alors Fournoy cest venu aprs, cest en 1800, cest un cas de
1885, le cas cest la priode 1874, note-t-il bien, 1874-1886, cest la priode o
la multiplicit a beaucoup balay la France. Il ne dit pas, moi il me semble que
a doit commencer en 70, la vogue en 70 des apparitions de la Vierge en
France.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 326
326
On sait que - cest une thse ethnologique connue - dans le dsespoir qua
saisi la France aprs la dfaite sur lAllemagne, ou dans le moment de la dfaite
sur lAllemagne, on a eu une rsurgence extraordinaire de Lourdes, Notre
Dame de PontMain, etc...

Jacques-Alain Miller : - Cest lesprit de la Commune, le grand mouvement de
rechristianisation de la France aprs les dsordres de la Commune, le Sacr-
Cur et la suite.

Eric Laurent : - Voil. Donc la grande priode 1814-1874-1886, o les franais
ont t la pointe de la chose, cest eux qui ont fourni donc en effet aprs
Charcot, la thse qui, cest juillet 85, o...

Jacques-Alain Miller : - La France a t un moment la pointe du progrs de
la production de symptmes.

Eric Laurent : - Oui incontestablement.

Jacques-Alain Miller : - Et actuellement, la pointe du progrs dans la
production de symptmes est quand mme aux Etats-Unis. Et cest vrai que
donc, nous rions, mais nous allons rire jaune dabord parce qu une partie de
ces symptmes est importable, peut-tre pas tout, mais enfin vont tre
imports et que de toute faon cest un leadership mondial qui compte, le
leadership dans la production de symptmes. Il y en a dautres, en revanche un
certain nombre de pays qui ne peuvent pas exporter leurs symptmes, et qui
sont retards dans lvolution conomique. Il y a une corrlation qui parat
certaine.

Eric Laurent : - Cest un monsieur Bourru ( vrifier), qui coutait le cours de
Charcot, et un de ses patient a fait une fugue pathologique et sest retrouv
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 327
327
dans son hpital Bordeaux, et donc il a trouv une personnalit vraiment
multiple, puisquil y en avait plus de deux, alors que Charcot nen avait trouv
que deux. L il y en avait toute une srie.

Jacques-Alain Miller : - L, lactuel a doit atteindre la dizaine.

Eric Laurent : - La dizaine ! ?

Jacques-Alain Miller : - La dizaine, il y en a certaines qui reviennent plus
souvent, mais cest la dizaine, et, semble-t-il, il faudrait que je reprenne mes
notes, souvent dclench par un dplaisir : un dplaisir, et, la fois suivante cest
quelquun dautre.

Eric Laurent : - Et l il y a dans lenqute, en effet, il note que Bleuler au
dbut, sa schize, la schize bleulrienne, Bleuler la dabord adapte aux
personnalits multiples. Et puis ensuite en a fait la schizophrnie, do lide
schizophrnie et hystrie se retrouvent prises dans ce concept l. On a un beau
fourre-tout o on retrouve dans cette perspective, limaginarisation de la
schize, se fait et ce sont les problmes entre folie hystrique, Maleval, sur ce
point a beaucoup publi, en grand connaisseur de a, ou bien la schizophrnie
ou bien lhystrie elle-mme. Il y a donc l un ensemble qui fait que, en effet,
cest exportable, dans la dconstruction de la clinique, cest une question en
tout cas. Il ny a que les psychiatres anglais qui rsistent. Les psychiatres anglais
considrent que, pour linstant en tout cas, ils sont hostiles ce type de
perspective.

Jacques-Alain Miller : - Cest peut-tre vraiment tudier lconomie du
symptme, par exemple clairement une partie des Colombiens, des
Colombiennes travaillent pour le symptme amricain. Ils nexportent pas leurs
symptmes, les Colombiens, ils consomment leurs symptmes sur place, ce qui
est une difficult avec lordre social, la violence, lagressivit, thme que nos
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 328
328
collgues colombiens Paris, tudiants, avaient choisis pour un sminaire. Ils
consomment a sur place et ce quils exportent, cest les moyens du symptme
des Amricains. Et ils accusent, eux rtorquent aux Amricains dont les
autorits essayent de les priver, ils leur rtorquent en quelque sorte : avec qui
allons nous parler, est-ce que nous parlons avec les Amricains dont nous
fournissons les moyens de satisfaction, et ceux l ils nous achtent le produit,
ou nous parlons avec le surmoi amricain qui fait comme s il peut pas avoir
affaire, il ne veut pas connatre a et il sen prend aux Colombiens, il faut me
fournir tous les moyens, et donc ils accusent les Amricains de personnalits
multiples, si je puis dire (rires).

Eric Laurent : - Cette thorie de la personnalit multiple comme le dit
Hacking, il dit : cest sans doute dans toute lhistoire des thories
psychologique, la thorie psychologique la plus lmentaire qui ait jamais
exist. Car elle a ceci de beau, cest quil suffit de dire quil y a une cause
occasionnante, labus sexuel, dans lenfance, ou labus pas seulement sexuel,
labus gnralis, parce que a peut tre simplement torture, si je puis dire, et
il y a une tendance inne, chez le sujet, chez les sujets, se dissocier jusqu un
grand degr, et donc a offre une forme particulire de faire face au trauma. Et
cette dissociation est un continu parfaitement mesurable. Et il mesure a sur
des chelles de dissociations du type combien de fois par jour vous arrive-t-il
de ne pas vous reconnatre dans la glace, combien de fois par jour vous arrive-
t-il de ne plus savoir o vous aviez mis avant vos clef etc.
Donc cest une question en effet dune simplicit anglique face tout le
satanisme quil a dnonc...

Jacques-Alain Miller : - Sur le fond, la thorie se fondrait volontiers sur le
spleeting freudien, do Lacan a tir la division du sujet. savoir quil y a
quelque chose que le sujet refuse de reconnatre dans la ralit dune faon ou
dune autre, et du coup il y a une partie de lui-mme qui tombe, qui se spare,
deux domaines qui se sparent, il sait que a y est, il veut pas le reconnatre.
Pour Freud il a pris lexemple de la perversion, et quand mme Lacan la
tendu, a dit cest le statut foncier du sujet, cest la division. Donc alors l on
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 329
329
peut dire, eh bien il y a le refoulement, la dngation etc., il y a la forclusion,
la psychose a la forclusion, la perversion a le dni et puis il y a encore un autre
mode, un quatrime mode qui est la multiplication, et donc dngation,
forclusion, dni et multiplication.

Eric Laurent : - a cest linterprtation fconde, une interprtation qui
permet dengendrer un symptme nouveau partir de nos catgories. Pour
eux cest plutt ceci que les trois catgories prcdentes, ne sont que des
indices de la dissociation fondamentale.

Jacques-Alain Miller : - Ce qui est peut-tre une faon errone mais
intressante de reconnatre le statut du sujet barr, ils le reconnaissent sur le
versant multiplication...

Eric Laurent : - Voil, parce que ce qui est trs important cest que sinon les
psychoses, les perversions, etc., ayant toutes un fondement biochimique, a ne
peut pas tre reconnu, le sujet comme tel, tandis que l...

Jacques-Alain Miller : - Quest-ce qui fait tenir le un du sujet, selon notre
vulgate nous , cest le sujet barr sidentifie un signifiant matre, cest a
qui, pour nous, est le cur de lidentit su sujet. Lacan est le premier avoir
donn cette traduction phonique du S1 en disant cest un essaim, e-deux s-a-i-
m. Cest un vritable essaim. Et bien cet S1 de signifiant matre, il est mis en
quelque sorte en scne dans le syndrome de la personnalit multiple, cest--
dire quau lieu de sappeler seulement Annabelle, on sappelle aussi Octavie,
Alexandrine, etc., pourquoi se limiter une identification, on en tale. Alors ce
qui est nouveau videmment, cest ltanchit relative lune par rapport
lautre.

Eric Laurent : - Alors en effet, l cest la fois ltanchit et le but, quel est
le but de la thrapie ? Comment faire le but de la thrapie, alors l dans les
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 330
330
annes 50, par exemple Sibylle, etc., le but de la thrapie ctait : avec tout a
on en fait, il faut arriver trouver un centre organisateur, et favoriser le centre
intgrateur.

Jacques-Alain Miller : - Ce que je vois moi cest quil y a quand mme une
personnalit qui est la bonne dans cette srie, cest--dire qui est elle et qui se
connat comme telle, quant elle surgit. Il ny a pas : laquelle on va choisir ? Il y a
quand mme, a nest pas pulvris, elles sont pas toutes gales, il y en a
quand mme une qui est plus gale que les autres si je puis dire.

Eric Laurent : - Do lide : il faut favoriser une dentre elles et essayer de lui
confier les rnes. Et alors lui il dit il y a une autre voie mais qui nest pas
exclusive. Cest plutt il faut donner au sujet la libert de choix de sinventer le
bonne.

Jacques-Alain Miller : - a cest la version foucaldienne, choisissez le style de
vie. Cest trs trs loin de la ralit clinique au moins telle que je la perois.

Eric Laurent : - Cest le ct choisissez votre style de vie qui va dailleurs avec
lensemble de la perspective foucaldienne travers laquelle il lit ce phnomne
essentiellement contemporain. Un des aspects aussi de cela et de leffet aux
Etats-Unis, cest que cest partir de l et des effets sociaux de cette pidmie
et du diagnostic, que la question de la rgulation des thrapeutes se pose. Car
le gros des thrapeutes qui sintressent aux personnalits multiples ne sont
pas psychiatres et psychologues. Ce sont essentiellement des travailleurs
sociaux, qui travaillent la base et dans laction et qui sont au contact de
milieux sociaux qui nont pas forcment accs au psychiatre, au psychologue
diplm, ce qui donne un ct comme il dit grassroot. Il y a un ct
mouvement de base dans cette catgorie, do les psychiatres, les
mdecins sont plutt des spcialistes qui tendent se dtacher, qui sont mal
laise avec cette question. Cest ce qui fait que par exemple un des psychiatres
qui avaient trait Sibylle dans les annes 50, alors que la personne qui lavait
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 331
331
traite est morte depuis le temps, une dame qui sappelait Wilber ( vrifier),
et rcemment quelquun qui sappelle monsieur Spiegel et qui avait t
psychiatre qui lavait suivie, sest mis dire : vous savez finalement Sibylle
ctait quand mme une hystrique et elle tait suivi comme cela et lui il lavait
jamais vu tellement multiple que a, simplement elle tait trs hypnotisable et
doue et on apprend simplement que pendant le traitement de Sibylle, il
lhypnotisait pour donner des leons aux tudiants. Pendant que la fille est en
traitement, par ailleurs elle allait la fac, non pas pour donner des cours, mais
pour dmontrer ce que ctait que dtre vraiment multiple et donc ctait un
sujet qui, dans les cours, tait prsent comme vraiment gnial dans ses
possibilits dhypnotisme, et donc monsieur Spiegel a commenc, partir des
annes 90, partir dun article dans Esquire, ( vrifier), faire l-dessus des
mises en garde...

Jacques-Alain Miller : - lpoque cest un peu phnomne de foire, le cas
Sibylle, je crois que Schneiderman mavait pass louvrage, ctait la femme
barbe, ctait un peu de cet ordre. La nouveaut cest en effet apparemment le
caractre clinique de la chose.

Eric Laurent : - Et alors, rcemment, il y a des personnes qui sy sont
spcialement attaches comme les spcialistes de la dtection de ces questions
comme Borj Jacobsen ( vrifier) etc., ancien strasbourgeois et ancien
enseignant de la section clinique, du Dpartement, et qui est maintenant aux
Etats-Unis spcialiste dans lenqute sur les falsifications de cas divers et qui a
rcemment publi l-dessus dans la New-York Revue of books. Il y a l toute
une mine darticles et de choses en rserve quon va voir dbarquer chez nous,
bientt.
Alors limportant cest que, dans la perspective foucaldienne et dans la
perspective que trace Hacking, ils retrouvent la voie trace par Scheffer, Marcia
Cavell. Tout ce mouvement politique est centr en effet sur une vritable
politique de la mmoire, et comme lavait not Ryle ( vrifier) dans son livre
clbre sur le mind, se souvenir, cest dj faire une narration. La meilleure
analogie de la mmoire, cest la narration, le storytelling. La bonne mtaphore
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 332
332
de la mmoire cest celle de la narration et cest ce qui fait que le contrle des
narrations, des narrations lgitimes, cest a qui sera lenjeu de la politique de
la mmoire et, pour lui, cest le rel en jeu. Le rel en jeu l, cest le rel du
signifiant matre, qui est au cur de cette politique de sa mmoire et de sa
dfinition.
Alors, la troisime...

Jacques-Alain Miller : - Oui, je dit simplement gardons, arrtons de jouer
avec ce concept de personnalit multiple, cest--dire il y a son fondement, y a
cet effet de looping qui montre que la mode a prise, il y a des symptmes la
mode, il y a le rel du symptme et il y a le symptme la mode, cest quelque
chose qui a son fondement, et peut-tre alors propos des personnalits
multiples qui est vraiment, un symptme contemporain li linexistence de
lAutre et linexistence corrlative de lun, cest utiliser, cest dplacer, il
faut lui donner la fonction dune forme, comme disait Georges Canghilem. Par
exemple, le psychanalyste, Lacan dit trs bien le psychanalyste nexiste pas ,
le psychanalyste nexiste pas parce quil a des personnalits multiples. Cest
lessence mme de la psychanalyse considre comme un art, cest avoir des
personnalits multiples, dailleurs y a des tmoignages sur la pratique de Lacan,
avec lun il est brute, avec lautre il est parfaitement respectueux, avec le
troisime etc., cest facettes, il y a une adaptation au cas, une adaptation
mme au fantasme de lautre, ce qui est le fondement de la position fminine
de lanalyste. Sinscrire tout de mme dans le fantasme de lautre pour pouvoir
oprer..., sans faire de a la doctrine abtardie que dnonce Lacan. Cest un
personnage comme celui que dcrit une nouvelle ou un roman de Paul
Morand, o trois femmes dcrivent leur amant et on dcouvre la fin que cest
le mme homme, et il a t dcrit dune faon compltement diffrente par
chacune.
Donc la personnalit multiple, on peut dfendre quil y a dans la position de
lanalyste, quil faut une petite propension la personnalit multiple...

Eric Laurent : - Une sorte de bonne issue, voil, lhystrisation...
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333

Jacques-Alain Miller : - Il y a une affinit sans doute entre la personnalit
multiple et la position fminine, cest corrlatif du La Femme nexiste pas etc.
On pourrait enrichir le concept de personnalits multiples. Alors est-ce que
cest personnalit ? Cest aussi les identifications multiples et cest l que, en
effet, a communique avec la promotion par Foucauld et par dautres de
chacun son style de vie et lutopie dune socit tolrant des choix de style de
vie diffrent.

Eric Laurent : - Cest l o de faire varier a, de faire varier comme concept
ainsi, cest en effet cest a moins le trauma, moins lassignation au trauma, qui
est l toute la politique du trauma, qui est ainsi un champ politique, dans la
politique de lAutre qui nexiste pas, un champ tout fait considrable qui
souvre, o les continuums, savoir comment est-ce quon regroupe, les traumas
publics et les traumas privs, les traumas de guerre et les traumas de la paix
civile, les traumas de la guerre civile et les traumas de la guerre militaire, etc.,
comment tout a va sarticuler, il y a l des dcoupages et des sries qui ont
des enjeux tout fait cruciaux dans lesquels dailleurs des collgues sont tout
fait partie prenante...

Jacques-Alain Miller : - Il y a deux versants aussi. L nous prsentons la
personnalit multiple sur le versant pathologique, daccord. Mais y a la
personnalit multiple sur le versant sain. Par exemple au cours de lexistence,
changer de personnalit. Aprs tout, le nvros avec son air dternelle
jeunesse parfois, on pourrait le dfinir comme une certaine inertie de la
personnalit, alors quen effet, lassomption dun certain nombre de fonctions
dans lexistence par exemple, devenir mre, devenir pre, etc., exige... le signe
de la sant, l, cest que tout de mme ce quon appelle au sens commun la
personnalit connaisse une petite modification. L cest des personnalits
successives, mais on peut inclure a dans lide de multiplicit et que lorsque
un signifiant nouveau vous arrive, se mettre au pas de ce signifiant nouveau, et
si vous ne le faites pas, vous tes dcroch compltement et cest a qui
est pathologique.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 334
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Eric Laurent : - Oui, Locke admettait, plus de personnes pour une, a dpend
du statut dans les rles sociaux, des dfinitions lgales juridiques et
responsables, en effet, a on voit bien dans ce sens l, alors faut occuper, il faut
faire passer la coupure au bon endroit dans ces conceptions...

Jacques-Alain Miller : - Voil, cest une question dtanchit, de
simultanit, de succession dans le temps, et donc je ne dis pas que tout a est
des concepts du MPD, je dis qu partir du concept de la multiplicit des
personnalits, des identifications, on peut prendre a comme belvdre pour
rorganiser un certain nombre de phnomnes, et de faon assez distrayante...

Eric Laurent : - Distrayante et qui aurait une certaine efficacit parce quil
faut trouver une faon, aussi, de parler de cet norme, enfin de ce continent
conceptuel, qui stend, dont lextension du concept gagne tous les jours et en
mme temps de ne pas les laisser tous seuls, avec leur DID. What I did ?, cest
joli, ils ont trouv a, quest-ce que jai donc fait parce que dissociative
personality disorder, a donne Did, quest-ce que jai fait. Il sagit de trouver
une instance, ou trouver une faon de faire voluer a...

Jacques-Alain Miller : - a va de pair, disons, avec ce qui me semblait tre le
principe gnral quon pouvait poser, au dbut de ce sminaire, savoir grand I
plus petit que petit a, cest--dire les idaux, dcadence de la fonction de lidal
et promotion de la fonction du plus-de-jouir. Dans cette dcadence de lidal,
sharmonise remise, la moins value de lidal, qui rencontre il me semble
beaucoup de phnomnes contemporains et qui explique ce que Lacan formule
savoir notre jouissance ne se situe plus que du plus-de-jouir, notre mode de
jouir ne se situe plus que du plus-de-jouir que de lobjet petit a, javais traduit
a par notre mode de jouissance ne se situe plus de lidal, il se situe du plus-
de-jouir. Dans cette dcadence ou moins value de lidal entre certainement la
mfiance contemporaine, le malaise avec le signifiant matre, la promotion de
la forme du rseau, la dcadence des figures de lautorit, au point que je disais
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 335
335
il ny a plus que la mort de Castro qui fera une diffrence dans le pays, pour
tous les autres a na strictement aucune importance et mme je dis a na pas
vraiment dimportance sinon cosmtique, qui tient les leviers de commande
politique ?, etc.
Alors peut-tre que lon peut inscrire au registre de cette moins value du
signifiant matre, sa pluralisation, sa prsentation comme S1, cest dj ce que
dit le comit dthique, et bien dune certaine faon la personnalit multiple
cest le comit dthique personnel, sauf quelles ne se parlent pas. Mais enfin
quand mme, dans le cas que je suis, que je suis (rires), je suis le cas, dans
le cas que je suis elles parlent les unes des autres, elles se connaissent, et donc
elles se disent du mal lune de lautre, essentiellement du mal. Donc on peut
inscrire, cest un peu un mirage, mais quand mme la personnalit multiple me
parat en rapport avec la moins value ; et cette mfiance lgard du signifiant
matre, a aussi, on le voit tous les niveaux. ct du style disons autoritaire
de direction qui a t en vogue jusqu' il ny a pas si longtemps, il y a quand
mme un abrasement gnral de ce style autoritaire et maintenant nous avons
les leaders du 21
eme
sicle, sont, dabord se sont des gamins, et qui font des
sourires, Clinton, maintenant on est Tony Blair, 41 ans, et les conservateurs
mettent en piste peut-tre monsieur Haig, 36 ans, donc voil, ctait peu
pensable, enfin il y a eu des cas, mais enfin il a une notion dun leadership de
type nouveau, amical, convivial, bavard et tout tous, oui,

Eric Laurent : - croyant.

Jacques-Alain Miller : - croyant, oui, croyant mais cest--dire gentil, croyant
mais pas fanatique...

Eric Laurent : - Cest trs important quil soit croyant, cest--dire il faut quil
ait une religion connue, de civilit, quelque chose de connu, et qui met labri
du fanatisme...

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 336
336
Jacques-Alain Miller : - De toute faon il ne faut pas quil se prenne pour le
numro un. Le numro un est quand mme l-haut, cest pas lAutre qui
existe...

Eric Laurent : - Cest un dieu des philosophes et des savants, plutt, qui est
bon...

Jacques-Alain Miller : - Moi je vois plutt a comme : a nest pas moi, de
toute faon (rires).

Eric Laurent : - Oui, mais alors dans le problme, cest quon voyait, dans ce
style de pluralisation, il faut quand mme, dans son usage fondamental, le
fantasme assure, tu le notais quelque part, une sorte de modalit de
jouissance, le moi comme modalit de jouissance, comme inertie, comme
centre o a gravite, alors dans le systme il faut que laccent soit mis sur la
fonction, une fonction moins phi, ou dans le cas plutt de la nvrose ou un
rgime de fonctionnement de lobjet petit a plus proche dans la psychose, dans
lequel on peut avoir des rgimes dalternance en effet, et non pas du tout une
sorte dusage fondamental du fantasme qui fait que spcialement dans la
nvrose ou dans lobsession, on a une gravit, ou que a tourne autour de
choses assez solides...

Jacques-Alain Miller : - L est-ce que, je ne vois a quindirectement, on peut
pas dire que chacune des diverses personnalits de cette patiente aurait son
propre objet, foncirement cette patiente jouit, son mode de jouissance cest
de pouvoir se propulser comme diffrentes personnalits. Cest une forme de
jouissance camlonesque et quand lautre essaye de lattraper, cest pas
seulement comme lhystrique elle sera ct, ailleurs, etc., cest hop cest
quelquun dautre. Comme : ah ! vous me parlez de celle-l, oh l l.
Si on voit a du ct de lhystrie, cest un mode de dfense hystrique, le
problme cest que cest un autre phnomne qui me parait un peu limite pour
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 337
337
le classer dans lhystrie. Ce que je donne comme conseil, surtout malgr le
caractre fascinant de la chose, et donc qui mobilise quand mme beaucoup de
monde autour de cette personne, des psychiatres, des institutions, etc., ne pas
sintresser ces personnalits multiples, cest--dire je donne comme position
plutt le beni neglect, ngligence bienveillante, du style il y a quand mme des
choses plus intressantes que a dans la vie et essayer, quand on a justement
une personnalit extraordinaire qui se prsente, etc., dtre un peu blas. a
semble avoir tempr quand mme, mais le problme est que la patiente a
plusieurs interlocuteurs, et donc videmment, a nest pas simplement la
personnalit multiple, cest les interlocuteurs multiples, le psychiatre, le
deuxime psychiatre, le directeur de linstitution, etc., donc je donne des
conseils pour baisser tout a, lintrt plus dune personne, mais videmment
cest un peu dfait de lautre ct, a me donne le sentiment, alors cest un
peu la toile de Pnlope.

Eric Laurent : - Et aussi le phnomne, alors, a peut se rajouter au ct
psychose ou bien dans la dissociation complte ou bien dans la paraphrnie
confabulante puisque les exemples donns sont extraordinaires, linvention
extemporane donne dans les cas publis, cest seulement par des cliniciens
franais, que Kraepelin reprenait, extemporanment le sujet se refaisant une
vie compltement et avec un personnage qui peut durer un certain temps.

Jacques-Alain Miller : - Et cest dailleurs comme a avec les dernires
nouvelles du procs amricain de lattentat de lOklahoma qui a fait 135 morts.
Le tmoin principal de laccusation avait confi, on apprend hier, il a fait un
rcit extraordinaire, dtaill, comment avait t prpar lattentat, semble-t-il,
alors la dfense la interrog et il a dit, il semble quil ait dit, moi je peux
inventer des histoires tire-larigot, etc., et me faire plein dargent avec ce
procs, lavez-vous dit monsieur - oui, je lai dit. Cest--dire lui mme sans
doute enfin en tout cas sest vant dtre un paraphrne confabulant, ce qui
pour le tmoin de laccusation est quand mme trs trs...

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 338
338
Eric Laurent : - Et en effet donc ils ont un sjour, l enfin, cest un vritable
projet, un projet terrible, et qui a t mis au point dans une communaut dans
laquelle il y a en effet plusieurs personnes qui sont diagnostiques de faon
vari, cest une communaut dextrmistes frquente par le sujet, tait un
catalogue clinique assez extraordinaire....

Jacques-Alain Miller : - L on a un phnomne nouveau qui na pas encore
t saisi entirement dans sa pathologie aux Etats-Unis, il y a quand mme un
nombre croissant dAmricains, et assez froces, avec le non-contrle des
armes feu, qui se promnent avec juste ce qui est en dessous du canon. Et il y
a un nombre croissant de gars qui ne veulent pas de ltat amricain. Ils sont
dire : nous sommes lpoque de lAutre qui nexiste pas, dailleurs on dit en
France, etc., nous sommes lpoque de lAutre qui nexiste pas donc ils
engagent une lutte mthodique contre ltat amricain et donc les vieilles
traditions danarchisme, dindividualisme extrmiste libral amricain sont
pousses jusque l et cest un symptme. Il y a eu une tradition amricaine de
a, et il y a une recrudescence extraordinaire en ce moment et les sectes
rclamant leurs droits de sectes, y compris la Scientologie, qui a quand mme
russi faire cder, la premire puissance qui a russit faire cder le fisc
amricain, et donc il y a, on parlait du droit des individus, eh bien il y a le droit
des individus tre dans les sectes et du coup il y a les droits de sectes vivre
la vie quils veulent et sils veulent un bout du Texas, et bien au nom de quoi,
au nom de quoi on leur interdit ? Et a me parat des phnomnes
contemporain de ce que jcrivais dans cette quation, dans cette ingalit.
I < a

Eric Laurent : - Cest ce qui se passe quand cest prsent dans cette
perspective de faon non critique : lon a un phnomne, un faux savoir, une
sorte de fausse fabrique du rel qui se produit, o le matre hypnotiseur,
thrapeute, fabrique du savoir ct et puis ensuite se demande ce quil a
fabriqu, la seule preuve de ralit ntant pas donn par le surmoi mais tant
donne par le procs en justice qui est la seule fonction de ralit dans le
systme. Cest : quest-ce que a peut ? Quelle est la sanction ? Et dailleurs on
retrouve l un des axes benthamien : cest la fiction juridique qui devient le
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 339
339
vritable rglage, qui assure ce quon peut avoir de rel et que par un looping
effect tonnant, toutes ces perspectives font quon a une sorte de
dessaisissement de la perspective clinique, non plus la perspective raliste en
clinique mais un dessaisissement de la perspective clinique auprs de la
perspective juridique et o a nest plus le surmoi mais linstance juridique qui
assure par sa fiction le peu de rel auquel on peut en effet avoir accs.
Alors je vais terminer l-dessus et reprendre aprs sur un autre point.


fin du Sminaire Laurent-Miller n17 du 14 05 97





E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 340
340
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent
Jacques-Alain Miller

Dix huitime sance du sminaire
(mercredi 21 mai 1997)

***



Jacques-Alain Miller : - J'entrerai plus avant aujourd'hui dans le concept actuel
du symptme, je dis actuel parce que c'est celui que nous nous efforons de
construire, le concept actuel du symptme dans ses rapports doubles avec la
pulsion et avec ce que nous appelons, aprs Lacan, l'Autre, le grand Autre,
quasi mathme qui n'a pas qu'une signification, et qui est un usage.
Si je parviens au terme, de ce que je veux dire aujourd'hui, j'aurai donn un
clairage nouveau, prcis, et certains gards capital, ce quoi nous nous
rfrons, sous le nom lui aussi chiffr de l'objet petit a. Et aprs, je suppose
dans une sance ultrieure, j'en viendrai au dveloppement qu'appelle ce que
j'ai esquiss comme la thorie du partenaire.
J'aurais voulu aujourd'hui donner la parole pour commencer la jeune
collgue, qui reoit en cure la patiente aux personnalits multiples, que j'ai
voque la dernire fois en dialoguant avec Eric Laurent et aprs que celui-ci
avait utilis l'ouvrage de Ian Hacking sur le sujet. Malheureusement cela n'est
pas possible vu que cette jeune collgue est sur le point d'accoucher et doit
limiter ses dplacements. Donc je dirai un mot bref du cas en attendant que
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 341
341
cette collgue soit en mesure de nous le prsenter elle-mme, peut-tre avant
la fin de cette anne.
La patiente donc dispose de personnalits multiples, ayant chacune leur
prnom et leurs traits de caractre. Elle se prsente volontiers munie de la liste
de ces personnalits, afin que l'Autre auquel elle a affaire soit en mesure de s'y
retrouver. Deuxime symptme, aprs la mort de son pre est apparue une
pratique d'automutilation sous la forme de coupures produisant des
saignements. Le pre est certainement au centre du cas, c'est depuis sa mort
que la patiente se coupe, auparavant elle se contentait de se cogner la tte
contre un mur. Les personnalits multiples semblent se rapporter la pratique
incestueuse du pre, ce qui a t isol, classiquement, comme la cause
traumatique du trouble. Je prcise que les coupures sont toujours le fait d'une
personnalit et la patiente s'en considre comme la victime.
En effet, la multiplicit des personnalits n'annule nullement la fonction
d'une identit centrale, qu'elle reconnat comme la sienne, et qui se distingue
par le fait de se plaindre des autres et de disposer de leur liste. Cette identit
centrale qu'elle reconnat comme la sienne, elle la dsigne d'ailleurs par le
second prnom de son tat civil, pas le premier. Notre collgue note que les
personnalits la remplacent chaque tat d'absence. La patiente connat des
tats d'absence et, ce moment-l, se prsente une personnalit. Plus
prcisment on peut dire que ces personnalits apparaissent et pratiquent
l'occasion des coupures, en rponse un dplaisir que lui cause l'attitude de
l'Autre, le psychiatre, l'infirmire, la thrapeute. Donc la personnalit
emprunte au registre du multiple surgit quand elle peut se sentir mconnue,
non entendue, mal entendue, contrainte, abandonne ou laisse tombe.
La demande d'amour ou de reconnaissance est ainsi parfaitement isolable
ainsi qu'un dsir de matrise qui se fait jour de faon assez joueuse.
Visiblement, elle droute l'Autre, elle force son attention, elle dmontre son
impuissance, elle se joue de lui, elle le force, comme elle dit, capituler. Autant
de traits qui inviteraient faire du cas une forme svre d'hystrie, si la
pratique de l'auto mutilation n'empchait d'exclure la psychose.
Sur la direction de la cure, j'ai dit rapidement la dernire fois l'essentiel,
considrer l'apparition de la personnalit comme parasitaire et comme
constituant un mode d'expression symptomatique la disposition du sujet.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 342
342
Donc, inciter le sujet renoncer ce mode d'expression et la jouissance qu'il
comporte, comme au bnfice affrent. Pour ce faire, surtout ne pas se
passionner pour les personnalits, manifester quelques ngligences aimables
cet endroit, c'est la position que je qualifiais de " benigne neglect (?) ", de
ngligence bnigne, mettre l'accent sur la situation qui dclenche l'apparition
des personnalits, pour obtenir sa formalisation langagire. L'interprtation,
mon sens, est permise ce niveau seulement, sous la forme " vous avez voulu
faire comprendre que ". Autrement dit, elle consiste tenter d'inscrire petit s
de grand A,
s(A)
le signifi de l'Autre dans le symptme combin, personnalit multiple,
coupure. Elle consiste faire passer le symptme au registre du signifi de
l'Autre. Donc a, dans toute sa gnralit, avec cette formule:
s(A)
qui nous ouvre d'ailleurs une perspective plus gnrale sur le symptme.
Dans la mesure o le symptme est jouissance, on peut dire qu'il est rapport au
plus-de-jouir, que c'est une formule ferme de type autistique et donc on
pourrait, au symptme considr sur ce versant, affecter une formule
construite sur le modle du fantasme. Et d'une certaine faon ce que j'indique
ici est une retranscription de ce qui figure bien connu sur le graphe de Lacan,
ceci,
(S ^ a) s(A)
sauf que, videmment, quand il s'agit du symptme, on suppose dj prsent
le sujet du signifiant, alors que dans les formes extrmes, autistiques si je puis
dire, du symptme, c'est bien ce qui est problmatique.Donc c'est en quelque
sorte ici une fonction qui dborde et mme peut-tre s'oppose l'existence
ainsi marque du sujet du signifiant.
S
Voil en tout cas ce que je voulais dire sur le cas que j'voquais la dernire fois.

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 343
343
Eric Laurent : - Oui, en clarifiant a, on voit bien l'opposition de la faon de
faire recommande par Hacking qui est " laissez faire l'invention et surtout ne
jamais noncer qu'il ait renoncer la moindre jouissance que ce soit, au
contraire la faire reconnatre. La faon dont ils veulent inscrire quelque chose
dans le signifiant, c'est faire reconnatre simplement cette jouissance l, la
jouissance de ses personnalits, en rajouter dans ce registre.

Jacques-Alain Miller : - Encourager le sujet dans son invention
symptomatique, ce que Lacan appelait nourrir le symptme.

Eric Laurent : - Nourrir le symptme tant avec cette reconnaissance sociale,
son prolongement, de tous ces groupes d'intrts multiples, aussi multiples
que les personnalits en question, si l'on veut, et en effet cela a oppose
clairement deux faons de traiter, deux faons de faire...

Jacques-Alain Miller : - C'est videmment pratiquement trs oppos, de savoir
si, quand une personnalit se prsente, de l'accueillir avec une grande
satisfaction, l'interroger sur ses traits particuliers afin de complter le tableau
des personnalits multiples, ou s'ennuyer un petit peu et attendre que
l'identit centrale revienne et ne pas tablir, ne pas penser que l'investigation
clinique ici serait neutre.Se passionner pour la personnologie dlirante de la
patiente et au contraire marquer ce qu'il faut de distance pour que, au lieu que
cette production soit floride, elle devienne un peu plus sche.On peut dire que
- l il faudrait vraiment interroger la collgue - il semble tout de mme que le
recours la personnalit multiple ne fasse plus l'essentiel de l'existence de la
patiente mais a reste pour elle, en cas de difficult avec l'Autre, le recours le
plus prompt.

Eric Laurent : - Alors, autre point, l, c'est ce que tu apportes en effet avec
ces formules, sur l'interrogation, sur la nature autistique du symptme, a
permet de rordonner toute une srie d'interrogations, dans le mouvement
psychanalytique contemporain, la suite des travaux spcialement des
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 344
344
kleiniens, sur l'autisme, soit chez Meltzer ou de Frances Tustin qui voyait avec
une forme un peu trop raliste ou plus exactement trop naturaliste de
l'autisme, des noyaux autistiques partout, alors que la vritable question qu'ils
posaient, partir de l s'ordonne, parce que l'effet clinique qu'ils dtectaient
n'est pas sans intrt mais, avec cette conception naturaliste de l'autisme, a
donne une sorte de vision un peu comme dans Shine, le film sur ce pianiste
autiste, une sorte de gnralisation, justement, parmi vos personnalits
multiples, il y a un autiste. Ce n'est pas la meilleure faon videmment de
rordonner ces faits.

Jacques-Alain Miller : - Alors je voulais dans le fil, disons, que je commence
tendre partir de la dimension autistique du symptme, voquer ce que nous
avions pu dire, avec Hugo Freda en particulier, des drogues. Pourquoi est-ce
que nous nous y intressons, parce que c'est un mode de jouir o
apparemment on se passe de l'Autre, qui serait mme fait pour qu'on se passe
de l'Autre et o on fait seul. Bien entendu rservons, mettons de ct, sans
l'oublier, quen un certain sens le corps lui-mme c'est l'Autre, avec un grand A.
Mais enfin je crois que je fais saisir quelque chose si je dis simplement, si je
rpte avec d'autres que c'est un mode de jouir o on se passe de l'Autre. Et de
ce fait, la jouissance toxicomane est devenue comme emblmatique de
l'autisme contemporain de la jouissance. C'est ce que j'avais essay de rsumer
par le petit mathme qu'Eric Laurent lui-mme a mis au tableau la dernire
fois,
I < a
qui veut dire quoi ? Grand I est valide, est en plein exercice, quand le circuit
du mode de jouissance doit passer par l'Autre social et passe de faon vidente
par l'Autre social, alors qu'aujourd'hui, comme dit Lacan, notre mode de
jouissance ne se situe plus dsormais que du plus-de-jouir, ce qui fait sa
prcarit, parce qu'il n'est plus solidifi, il n'est plus garanti par la collectivit
du mode de jouir, la collectivisation du mode de jouir. Il est particularis par le
plus-de-jouir, donc il n'est plus enchss, et organis, et solidifi par l'idal et
donc notre mode de jouir contemporain est en quelque sorte
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 345
345
fonctionnellement attir par son statut autiste ; et c'est de l que le problme
apparat d'y faire entrer
S(A)
de forcer le symptme dans son statut entre guillemets " autistique ", de le
forcer se reconnatre comme signifi de l'Autre.
Alors n'est pas une opration contre nature, et puisque nous parlons des
drogues, eh bien pensons, a n'est pas d'un usage absolument courant dans les
drogues en cours, dans les drogues la mode chez nous, mais pensons
l'opium. L'opium est un symptme, la jouissance de l'opium est un symptme
que les Anglais, les imprialistes anglais, les victoriens, ont propos sciemment
aux Chinois la belle poque de l'empire.Il y avait une disposition, il y avait un
petit fond traditionnel de got de l'opium, mais l systmatiquement, on leur a
propos ce symptme, qu'ils ont adopt, et c'tait un symptme qui a convenu
des finalits de domination, et que le Parti communiste chinois, quand il a
pris le pouvoir en 1951, s'est empress, dj auparavant dans les zones qu'il
avait libres de l'imprialisme, mais, partir de 1951, a commenc une
radication politique de ce symptme.
Donc rflchissons ce qu'a pu tre la domination par le symptme. Il ny a
pas de meilleure faon, du point de vue du matre, que de dominer, d'inspirer,
de rpandre, de promouvoir un symptme. Simplement a lui joue des tours :
lorsque les Castillans ont rduit les Catalans, ils leur ont inspir un symptme,
ils ne leur ont laiss qu'une issue symptomatique qui tait de travailler et donc
les Catalans ont commenc travailler pendant que les Castillans, les matres,
eux ne faisaient rien. Et au bout de quelque temps videmment le travail est
devenu comme une seconde nature pour les Catalans. Alors maintenant o ils
ne sont plus domins de la mme faon, ils continuent de travailler. Pensons
aussi ce qui est arriv aux Tchques, quand, la bataille de la Montagne
Blanche en effet, la Bohme a perdu devant les impriaux. Les Tchques ont
commenc travailler et continuent et il faut dire que les Autrichiens pendant
longtemps ont arrt, et l, ayant perdu leur empire, ils ont t forcs de s'y
remettre. Je simplifie bien sr une histoire complexe.
Autrement dit, on voit le symptme devenir, je prend a comme un
symptme, une seconde nature au sens o l'explique, o Freud en explique la
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 346
346
mtapsychologie, propos de la nvrose obsessionnelle dans Inhibition,
symptme et angoisse. Il y a un moment o le sujet adopte le symptme et
l'intgre sa personnalit, par l mme il cesse de s'en plaindre, c'est a qui est
formidable, les Catalans ne se plaignent pas de travailler, ni les Tchques, c'est
plutt les autres qui se plaignent qu'ils travaillent trop.
Alors, cette perspective que j'introduis d'une faon j'espre distrayante, pour
vous, il y a quand mme une leon, une morale, il y a une morale de la fable,
politique. C'est que notre point de vue, spontan sur le symptme est
videmment de le considrer comme un dysfonctionnement. Nous disons
symptme quand y a quelque chose qui cloche, mais le dysfonctionnement
n'est symptomatique que par rapport l'idal.Sinon quand on cesse de le
reprer par rapport l'idal, et bien c'est un fonctionnement ! le
dysfonctionnement c'est un fonctionnement, a marche comme a.
Et il faut reconnatre que la psychanalyse a fait beaucoup pour la prcarit du
mode de jouissance contemporain, parce qu'elle a fait beaucoup, en effet, pour
que le rapport entre l'idal et le petit a devienne celui-ci:
I<a
Quand nous recevons un sujet homosexuel - maintenant j'en parle plus
d'assurance, parce que comme il y a un petit cycle de confrences, de
sminaires consacrs l'inconscient homosexuel, des collgues tmoignent de
la faon dont ils abordent la question. On voit bien qu'une part de l'activit
psychanalytique consiste, concernant un sujet homosexuel, non pas du tout
viser l'abandon de l'homosexualit sauf quand c'est possible, ou quand c'est
dsir par le sujet, elle vise essentiellement obtenir que l'idal cesse
d'empcher le sujet de pratiquer son mode de jouissance, je dirai dans les
meilleurs conditions, dans les conditions les plus convenables. Autrement dit
l'opration analytique, en l'occurrence, vise bien soulager le sujet d'un idal
qui l'opprime l'occasion, et de le mettre en mesure d'entretenir avec son
plus-de-jouir, le plus-de-jouir dont il est capable, le plus-de-jouir qui est le sien,
un rapport plus confortable. En tout cas, la pression de la psychanalyse a
certainement contribu cette inversion sensationnelle et contemporaine des
facteurs des modes de jouir.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 347
347
Alors le matre aussi a des symptmes, le matre, son symptme, c'est la
paresse et c'est rest dans l'histoire sous l'image magnifique du Grand
d'Espagne. C'tait vraiment une dchance pour le Grand d'Espagne de faire
quoi que ce soit, et donc il tait fig dans une paresse divine qui a frapp
d'ailleurs toute l'Europe classique, d'une certaine faon, pas plus noble que
l'Espagnol parce que il n'en fiche pas une rame. Et c'est videmment trs
contraire, alors l je continue la psychologie des peuples, c'est tout fait
contraire ce qu'il y a eu en Angleterre. En Angleterre au contraire on a eu une
aristocratie travailleuse, une aristocratie o a n'tait pas dchoir que de se
livrer au travail et a a valu l'Angleterre des rsultats sensationnels, une
priode, en tout cas, de domination du monde.
En France, c'est plus difficile situer - on continue sur la mme lance - il y a
la priode 18
me
o on jouait travailler. Le symbole, c'est Marie-Antoinette et
les petits moutons (rires), ce n'est pas la paresse, c'est l'hommage rendu au
travail des masses laborieuses.
Alors a a chang quand mme lorsque..., quand l'aristocratie franaise tait
retenue de travailler. Lorsque le Bourgeois gentilhomme se prend pour un
gentilhomme, il dit : le seul ennui c'est que mon pre vendait quand mme du
drap, on lui rplique : mais pas du tout c'tait un gentilhomme qui jouait avec
ses amis leur passer du drap. Il y avait aussi la noblesse de robe, qui a
compliqu le panorama, mais ce qui a chang fondamentalement les choses,
c'est videmment l'idologie du service public, c'est la solution sensationnelle
qu'a trouve Napolon pour mettre au travail aussi l'aristocratie, pour en
fabriquer une nouvelle. Il a russit obtenir une noblesse qui non seulement se
bat, ce qui tait quand mme le symptme essentiel de la noblesse franaise,
mais aussi qui bosse.
Pour a, il a invent les grands concours, il a invent les Grandes Ecoles, il a
invent la mritocratie franaise et la production d'une lite de la nation
suppose, une aristocratie du mrite en quelque sorte, qui aujourd'hui flchit
un petit peu dans son fonctionnement, le symptme ne marche plus. L'amour
du service public comme symptme est en train de tomber en dsutude et
mme les affaires de corruption dont aujourd'hui on nous enchante tous les
jours, tmoignent de l'affaissement de l'ancien symptme, de ce point de vue
l, qui avait t inculqu par le matre. Il faudrait dire un mot des U.S.A. l-
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 348
348
dessus, qui ont l'avantage de ne pas avoir eu une noblesse. Alors ils ont fini par
en avoir une mais essentiellement une noblesse du pognon. On commence par
gagner de l'argent par tous les moyens et aprs, on s'ennoblit par la
philanthropie. Et donc ce moment l on a les grands muses amricains, les
grandes collections qui viennent toutes de travailleurs enfin enrichis.
Alors je reviens aux drogues, aprs ce petit ex-cursus qui est fait pour largir
un petit peu le concept du symptme ; sans a on est l'troit dans le
symptme, avec simplement les symptmes de la psychopathologie
quotidienne.
Revenons aux drogues. Si on prend la marijuana, parce qu'il faut distinguer
entre les drogues, la jouissance de la marijuana est un symptme qui ne coupe
pas forcment du social, au contraire, elle est souvent considre comme un
adjuvant la relation sociale, voire la relation sexuelle. Et c'est pourquoi le
prsident Clinton ou d'autres peuvent avouer avoir touch cette jouissance
sans en tre pour autant dconsidrs.
C'est l qu'on retrouve le critre lacanien de la jouissance toxicomane. Le
critre essentiel, c'est que ce soit une jouissance vraiment pathologique quand
c'est une jouissance qu'on prfre au petit-pipi. C'est--dire lorsque, loin d'tre
un adjuvant la relation sexuelle, elle est au contraire prfre la relation
sexuelle. Et mme que cette jouissance peut avoir un tel prix pour le sujet quil
la prfre tout et que l, pour l'obtenir, il va jusqu'au crime. Lacan a t
oblig d'avoir recours aux fictions kantienne pour expliquer la jouissance
perverse. Kant prenait pour acquis que si on vous disait : la sortie d'une nuit
d'amour avec une dame, il y a le gibet, vous y renonceriez, vous reculeriez
devant a. Lacan dit: pas forcment si l est en cause une jouissance qui va
au-del de l'amour de la vie. Eh bien il est certain que c'est le critre
proprement lacanien de la jouissance toxicomane comme pathologique.
Alors c'est l donc que la marijuana, sa tolrance, la tolrance qu'elle reoit,
vient du fait quelle ne s'inscrit pas du tout dans cette dynamique d'excs, par
rapport quoi videmment, on penserait opposer l'hrone, qui rpond, elle,
parfaitement au critre lacanien. Et pour s'y retrouver il semble qu'il faut, et
pour ne pas parler de la drogue en gnral, mais particulariser, il me semble
qu'il faut l opposer hrone et cocane. Et je les opposerai ainsi, je dirai que
l'hrone est quand mme sur le versant de la sparation, elle conduit tout de
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 349
349
mme au statut de dchet, mme si ce dchet est stylis, mme si ce dchet
est valoris comme il l'est, a t soulign aujourd'hui dans l'International
Herald journal, comme il l'est dans les milieux de la mode, o finalement on a
propos l'admiration des foules, pendant des annes, des mannequins
drogus qui faisaient allusion, dont la posture et l'tat physique faisaient
allusion l'hrone...

Eric Laurent : - D'abord il y a eu la mode anorexique, la dfinition qu'est-ce
qu'un modle ? C'est une anorexique qui se fait refaire les seins et ensuite on a
la version " hrone-chic " comme ils disent et il y a eu juste avant la grande
vague anorexique, c'tait le " chic-cocane ", qui impose un tout autre style en
effet, un style frntique...

Jacques-Alain Miller : - Voil, moi je souhaitais opposer l'hrone sur le versant
de la sparation et la cocane, elle, sur le versant de l'alination. C'est--dire
autant l'hrone a quand mme un effet sparateur, par rapport au signifiant
de l'Autre, autant la cocane est utilise comme facilitateur de l'inscription dans
la machine tournoyante de l'Autre contemporain.

Eric Laurent : - Et justement dans ces stylisations de l'opposition saisissable,
dans toutes ces postures de repli dans lesquelles taient photographies ces
jeunes modles, dans une position de repli quand c'est le style hrone-chic et
dans la cocane-chic, au contraire, la frnsie de la relation l'Autre et la
photographie essayant de rendre a d'une faon ou d'une autre...

Jacques-Alain Miller : - C'est donc, je voyais que tu as l'article que j'ai lu moi-
mme ce matin dans l'International Herald, qui est suscit par la mort d'un
photographe, par overdose semble-t-il, et c'est en train de faire scandale, de
dnoncer la prsence de l'hrone dans les milieux de la mode et c'est illustr
en effet par la photo qu'il avait prise, sans doute, une des dernires photos
qu'a pris ce photographe et qui est un mannequin recroqueville sur soi-mme
et qui incarne fort bien l cette localisation que je propose de l'hrone sur le
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 350
350
versant de la sparation, que je proposais avant ce matin, avant de voir cette
photo qui venait comme une bague au doigt, si je puis dire.
Alors, il me semble que cette opposition - classique et que je ne reprends pas
mme si certains ici ne la connaissent peut-tre pas trs bien - d'alination et
sparation, qui sont deux mouvements, deux battements, que Lacan a isols
dans les crits, que vous trouverez dans les crits comme vous trouverez dans
le Sminaire XI qui est d'un usage assez frquent, je me sers d'alination et de
sparation aussi bien pour ordonner ce qui me semble tre les maladies
mentales la mode. Parce quil y a, c'est un fait, et le fait mme l que nous
cherchons cet exemple dans le domaine de la mode, il y a des symptmes la
mode. Et je ne crois pas du tout que ce soit largir excessivement notre
concept du symptme, que d'admettre et de conceptualiser le fait qu'il y a des
symptmes la mode. Par exemple la dpression.
Nous critiquons le concept de dpression, nous considrons qu'il est mal
form, que c'est diffrent dans une structure et dans une autre. D'abord
commenons par ne pas avoir de mpris pour le signifiant de dpression. C'est
un bon signifiant, je dirai parce qu'on s'en sert. C'est un signifiant relativement
nouveau, et nous qui nous chinons produire des signifiants nouveaux, les
esprer, chapeau bas devant un signifiant nouveau, qui marche ! C'est un
signifiant formidable, la dpression. Sans doute il est cliniquement ambigu,
mais enfin nous avons peut-tre mieux faire que de jouer les mdecins de
Molire, et de venir avec notre rudition, si justifie soit-elle, critiquer quelque
chose, critiquer un signifiant qui dit quelque chose tout le monde aujourd'hui.
Je ne le prends qu' ce niveau l et bien sr que je n'ai rien dire contre
l'investigation clinique fine qui peut en tre faite. N'empche que, il vaut la
peine de relever, il n'est pas anodin qu'aujourd'hui a dise quelque chose tout
le monde. Que ce soit, prenons le comme a, une bonne mtaphore. Et
l'occasion, disons, un point fixe, un point de capiton, qui ordonne la plainte
d'un sujet. a peut produire des effets de soulagement, le patient vient, vous
dit : " J'ai du mal me concentrer, je dors trop, je n'ai pas de got la vie ",
vous lui dites : " - Vous tes dprim ". (rires) Vous pouvez produire un effet de
soulagement par l. Evidemment s'il vient en disant lui-mme : " - Je suis
dprim ", l, c'est autre chose. L c'est autre chose, vous demandez des
prcisions.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 351
351
a, c'est le ct jamais content de l'analyste. C'est ce qu'il a de commun
d'ailleurs avec l'hystrique. Il m'est arriv de donner l'exemple de l'hystrique,
l'exemple que j'adore. L'hystrique qui disait : " - a ne va pas, ceci ou cela ", je
dis : " - Je suis parfaitement d'accord ", elle me rpond : " - Non " (rires), parce
que, etc. ...
Et le " non " de l'hystrique en l'occurrence veut dire que si elle disait oui, elle
serait absorbe alors totalement par l'Autre, donc c'est un non qui est dit par
amour, par dsir, et qui demande tre interprt comme une forme du oui.
Et si vous interprtez le non comme un non, c'est la catastrophe, enfin au
moins c'est un malentendu.
Alors, pour revenir aux symptmes la mode, la dpression elle-mme fait
couple, la dpression est clairement sur le versant de la sparation, c'est,
disons le dans nos termes un peu lourds, une identification au petit a comme
dchet, comme reste, et ce qui montre bien l la sparation d'avec la chane
signifiante c'est les phnomnes temporels qui peuvent tre accentus dans la
dpression, savoir il n'y a pas le temps et comme la fermeture dfinitive de
l'horizon temporel.
Et ce qui fait couple avec la dpression c'est le stress. Le stress, lui, est un
symptme de l'alination. C'est prcisment le symptme qui affecte le sujet
qui est entran dans le fonctionnement de la chane signifiante et dans son
acclration, et, d'o sa liaison ventuelle avec les symptmes de la cocane. Et
d'o aussi la grande question clinique d'avenir c'est: quel moment les chinois
connatront-ils le stress ? Parce que s'il y a un symptme qui tait vraiment
ignor par la Chine traditionnelle et sans doute par la Chine communiste,
jusqu la rvolution culturelle, qui a un peu stress quelques personnes, c'tait
le stress, et maintenant, nous allons pouvoir suivre dans la clinique les progrs,
l'invasion du capitalisme moderne, en Chine, avec le couple dpression-stress.

Eric Laurent : - a c'est : comment le stress peut s'introduire dans le
confucianisme, parce qu'ils avaient dj une thique du travail trs forte dans
le confucianisme. L'thique du travail chinois dans le confucianisme, c'est une
thique du travail sans stress. C'est une thique du travail parfaitement
accorde au cours des sicles, et on essaye d'expliquer comment ils ont pu
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 352
352
donner une diaspora si active, industrieuse et qui reprsente partout dans tout
le sud-est asiatique le noyau de dcollage de tout cet ensemble de pays, sans
stress, mais avec une thique du travail reconnue. Mais alors s'ajoutant c'est a
qui va la transformer, en effet, ce sera...

Jacques-Alain Miller : - Et donc on pourra suivre a, mme quantitativement,
au progrs de l'industrie pharmaceutique par exemple en Chine. Je dis
l'industrie pharmaceutique parce que la pntration de la psychanalyse, bien
qu'il se prpare une traduction chinoise de Lacan, les premires avances sont
quand mme faites dans ce domaine par l'industrie pharmaceutique.
Alors d'autres symptmes la mode pour les aborder. Tu as voqu
l'anorexie et la boulimie. L'anorexie est sans aucun doute du ct du sujet
barr. On peut mme dire que l'anorexie, c'est la structure de tout dsir. Tandis
que la boulimie met au premier plan la fonction de l'objet. Cela dit, a pourrait
conduire formuler que l'anorexie est du ct de la sparation, et la boulimie
du ct, a pourrait conduire dire..., bon, je vais dire ce que je pense (rires).
Ce que je pense contrairement une premire rflexion, c'est que la
boulimie, alors on peut dire oui, qu'elle est du ct de la sparation, s'enferme
avec l'objet etc.. elle met l'objet au premier plan, on pourrait dire : elle est du
ct de la sparation. Mais il semble qu'il faut tenir compte de ce que relve
Apollinaire et que souligne Lacan : celui qui mange n'est jamais seul. C'est--
dire quen fait la boulimie est plutt du ct de l'alination, et d'ailleurs, de
fait, la boulimie coupe beaucoup moins le sujet des relations sociales, que ne le
fait l'anorexie pousse l'extrme, tandis que, ce qui est au premier plan dans
l'anorexie, c'est justement le rejet de l'Autre et en particulier de la mre
nourricire, mais plus largement le rejet du grand Autre. Et donc dans cette
mise en place rapide, j'avais tendance placer la boulimie du ct de
l'alination et l'anorexie du ct de la sparation. Mais, dans les deux cas,
qu'est-ce qu'on aperoit ? et ce qui en fait des symptmes, c'est que,
foncirement, ce que nous appelons le grand Autre, le rapport au grand Autre,
c'est foncirement dans ces symptmes qu'apparat sa vrit, qu'il est
quivalent petit a.
A a
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 353
353
Et c'est ce statut de petit a qui est mis en vidence aussi bien dans anorexie
et boulimie.

Eric Laurent : - Oui, sur cette question de l'anorexie, quand, dans la Direction
de la cure, Lacan parle de " l'homme aux cervelles fraches " comme anorexie
mentale. Lui, c'tait une sorte d'anorexie d'alination. Il est pris dans le
systme et en effet il y a d'autres types d'anorexies, le refus, le dire non la
mre qui nourrit, qui fait plus, l, qui est de sparation...

Jacques-Alain Miller : - Je prenais, par exemple l'anorexie la mode, c'est--
dire l'anorexie des mannequins comme modle physique. L'anorexie est
jusqu' prsent plus compatible avec le mannequin que la boulimie (rires).
Enfin a se discute d'ailleurs parce que la boulimie, le comble de la boulimie, la
boulimie pathologique suppose quand mme de se faire vomir. Mais disons
que le mannequin anorexique c'est quand mme l'vidence du dsir, c'est
l'vidence qu'il n'y a rien qui peut satisfaire et combler. Et donc il y a une
affinit entre le mannequin et l'anorexie, c'est--dire pas de rpltion. La
rpltion c'est la jouissance, tandis que l'anorexie c'est l'vidence du dsir et
par l mme, a conduit une phallicisation du corps qui est quand mme
foncirement lie la maigreur. C'est ce que Lacan voque dans la " Direction
de la cure " quand il prend le rve de la belle bouchre, qui se conclut par
l'analyse du sujet identifi la tranche de saumon, avec le commentaire " tre
un phallus, fut-il un peu maigre ". Et bien il y a entre la maigreur et la fminit
phallicise, une affinit comme entre la pauvret et la fminit phallicise.
Je ne donne pas a comme clinique dfinitive et nec varietur, j'essaie
simplement d'animer un peu le paysage, que nous ne sommes pas seulement
avec le symptme obsessionnel bien repr, cadr, qui affecte l'Homme aux
rats, nous ne sommes pas seulement avec le symptme hystrique, nous avons
un usage du terme symptme plus tendu, et diversifi.
Alors c'est l que j'ai l'intention de m'avancer un peu davantage dans le
concept du symptme. Juste aprs le sminaire de la semaine dernire, j'ai d,
- c'tait une obligation institutionnelle - envoyer un petit message la seconde
runion rgionale de l'Ecole du Champ freudien de Caracas, qui s'ouvre dans
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 354
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deux jours et o se retrouvent, avec nos collgues vnzuliens, des
colombiens, des quatoriens, des cubains, des guatmaltques, des pruviens
et aussi des espagnols de Miami etc... J'avais rdig quelques lignes pour leur
dire bonjour, par le biais des responsables, je les ai faites aprs le sminaire et
je vais les lire, brivement, enfin la partie intressante, et aprs je
dvelopperai.
Alors je leur disais : Il y a dans le symptme - parce qu'il vont parler du
symptme, c'est le thme la mode, dans le champ freudien - ce qui change et
ce qui ne change pas. Ce qui ne change pas, cest ce qui fait du symptme un
surgeon de la pulsion. En effet, il n'y a pas de nouvelle pulsion. Nous sommes
sur des nouveaux symptmes, des nouveaux fantasmes, mais jusqu' prsent il
n'y a pas de nouvelle pulsion. De temps en temps, il y a quelqu'un qui essaie
d'en inventer, mais a ne reoit pas de crdit, pas de crdit d'tat, a veut dire
qu'on y croit pas. En revanche, il y a de nouveaux symptmes. Ce qui se
renouvelle - c'est l en tout cas ce que je propose - c'est l'enveloppe formelle
du noyau, kern, de jouissance
( a )
L'Autre dont le symptme est message, comprend le champ de la culture,
c'est ce qui fait l'historicit du symptme. Le symptme dpend de qui
l'coute, de qui lui parle, de qui parle. Voyez le sabbat magistralement dcrypt
par Carlos Guinsburg - a je n'ai pas eu le temps d'en parler ici - voyez
l'pidmie contemporaine des personnalits multiples aux Etats-Unis tudies
par Ian Hacking et mentionnes par Eric Laurent hier aprs-midi, notre
sminaire du mercredi. Il y a les symptmes la mode et y a des symptmes
qui se dmodent - alors l c'est savoureux parce qu'il y a des Colombiens dans
la salle, donc j'ai pas pu rsister au plaisir de leur dire a - il y a des pays
exportateurs de symptmes, aujourd'hui ce sont les Etats-Unis, le symptme
sovitique ayant disparu, il y a des pays exportateurs des moyens de satisfaire
les symptmes des autres, la Colombie. Bref, il y a toute une conomie
symptmale qui n'a pas encore t conceptualise, c'est de la clinique, car la
clinique n'est pas seulement de la Chose, mais de l'Autre etc., suivent des
considrations institutionnelles.
J'ai oppos la va-vite, une part constante du symptme et une part variable.
La constante du symptme dans cette optique, c'est l'attache pulsionnelle du
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 355
355
symptme. La variable c'est son inscription au champ de l'Autre et je considre
que la bonne orientation, concernant le symptme, c'est de s'orienter sur cette
disjonction, l. Et en mme temps, de la travailler.
Alors quelle est cette disjonction ? Pour le dire au plus simple, c'est la
disjonction entre les pulsions d'un ct, et l'Autre sexuel de l'autre ct. Cette
disjonction est justement ce que niait Freud, en posant que la pulsion gnitale
existe. Parce que dire que la pulsion gnitale existe, c'tait dire qu'il y a une
pulsion qui comporte en elle-mme le rapport l'Autre sexuel, qui se satisfait
dans le rapport sexuel l'Autre. Et donc une communication entre le registre
des pulsions et le registre de l'Autre sexuel. Il semble parfois d'ailleurs que pour
Freud, c'tait en continuit. On commence par se passionner pour le sein de la
mre et puis aprs c'est la mre qu'on aime. On a une sorte de continuit
pulsionnelle, ce qui permet Freud dans certains paragraphes d'aller toute
vitesse pour nous donner le dveloppement pulsionnel. C'est l qu'intervient
Lacan, quand il formule : il n'y a pas de pulsion gnitale, que la pulsion gnitale
c'est quand mme une fiction freudienne, comme les pulsions d'une faon
gnrale, mais c'est une fiction freudienne qui ne marche pas, qui ne
correspond pas. Et c'est l que s'impose le point de vue selon lequel il y a une
disjonction entre pulsion et grand Autre.
Cette disjonction met en vidence ce qu'il y a d'auto-rotique dans la pulsion
elle-mme, le statut auto-rotique de la pulsion. Aprs tout les pulsions
affectent le corps propre et elles se satisfont dans le corps propre. La
satisfaction de la pulsion, c'est la satisfaction du corps propre, a c'est notre
matrialisme nous. Et on peut dire que le lieu de cette jouissance, c'est le
corps de l'Un. Ce qui fait d'ailleurs toujours problmatique le statut de la
jouissance de l'Autre et de la jouissance du corps de l'Autre. Parler de la
jouissance du corps de l'Autre a parat une mtaphore par rapport ce qui est
du rel, savoir la jouissance du corps de l'Un.
Alors on peut toujours ajouter mais le corps de l'Un, en fait, il est toujours
marqu par l'Autre, il est significantis, etc., du point de vue de la jouissance, le
lieu propre de la jouissance, c'est quand mme le corps de l'Un et quand on est
vraiment joui par le corps de l'Autre a porte un nom clinique prcis.
Alors, les pulsions du ct de l'Un et part a le ct de l'Autre.
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C'est un point de vue qui a un fondement solide, et c'est ce qui fonde Lacan
rappeler, par exemple, que le sexe ne suffit pas faire des partenaires. Prenons
la jouissance phallique comme jouissance de l'organe, on peut bien dire que
c'est une jouissance qui n'est pas vraiment du corps de l'Un, qu'elle est hors
corps, qu'elle est supplmentaire, etc., il n'empche que son lieu, a n'est pas
le corps de l'Autre. Et y a quand mme une dimension de la jouissance
phallique qui est attache au corps de l'Un. Et mme quand Lacan parle de la
jouissance fminine, qui n'est pas celle de l'organe, o l'altrit est dans le
coup, il reste quil formule que dans la jouissance, mme la jouissance sexuelle,
la femme est partenaire de sa solitude, o l'homme ne parvient pas la
rejoindre. C'est--dire que, dans ces formules qui ont t releves dj, on voit
paratre le chacun pour soi pulsionnel et l, il n'y pas de lieu pour tous. Disons
l'horrible solitude de la jouissance, qui est spcialement mise en vidence dans
la dimension autistique du symptme. La solitude, une solitude de la
jouissance. Il y a quelque chose de la jouissance qui coupe du champ de l'Autre
et d'ailleurs c'est le fondement mme de tout cynisme.
Alors qu'est-ce qui se passe du ct du champ de l'Autre ? Du ct du champ
de l'Autre, c'est l que s'organise, disjointe la relation l'Autre sexuel, et cette
organisation, elle dpend de la culture, bien entendu. Elle dpend de certaines
inventions de la civilisation, ici la monogamie, assise sur l'adultre, l la
polygamie, assise sur la force d'me, etc. Et des inventions de civilisation
variables, qui connaissent des succs, des dcadences, ce sont des scnarios de
la relation sexuelle qui sont disponibles. Ce sont d'autant de semblants qui ne
remplacent pas le rel qui fait dfaut, celui du rapport sexuel au sens de Lacan,
mais qui leurrent ce rapport. Elles ne remplacent pas ce rapport, elles leurrent
ce rel.
Alors a, a qualifie notre espce, parce que la disjonction entre les pulsions
et le grand Autre c'est le non rapport sexuel en tant que tel, a dit que la
pulsion est programme, tandis que le rapport sexuel ne l'est pas. Et le fait de
cette disjonction est cohrent avec le fait que cette espce parle, c'est--dire le
langage s'tablit dans cette bance elle-mme. Et c'est aussi ce qui explique
pourquoi la langue que nous parlons est instable, pourquoi elle est toujours en
volution, pourquoi elle est tisse de malentendus, prcisment parce qu'elle
ne colle jamais avec le fait sexuel. Elle ne colle jamais avec le fait du non-
rapport sexuel.
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Alors c'est bien sr ce qui est diffrent des bactries, qui, elles,
communiquent impeccablement, mais leur communication est de l'ordre du
signal, de l'information. C'est l que a nous fascine, l'homme neuronal.
L'homme neuronal c'est l'homme bactrie, c'est l'homme considr comme
une colonie de bactries, o les diffrentes parties s'envoient des signaux, des
informations, et a marche au mieux, on se comprend. videmment, ce qui est
essentiel dans l'homme neuronal, c'est qu'il soit considr tout seul, l'homme
neuronal, tout seul comme bactrie multiple. Ces personnalits multiples c'est,
les neurones qui, eux, communiquent comme des bactries.
Alors, est-ce que l'homme pulsionnel, si je puis m'exprimer ainsi, en parallle
l'expression que j'avais invente pour Changeux l'homme neuronal, est-ce
que l'homme pulsionnel - ce n'est pas une mauvaise expression, parce que le
terme de sujet ne va pas trs bien avec celui de pulsion. Lacan l'avait not, et
non pas qu'une fois, au sujet de la jouissance - est-ce que l'homme pulsionnel
est autistique ? Jusqu'o pouvons-nous pousser la perspective que j'adopte l
de l'autisme du symptme et de l'auto-rotisme de la pulsion.
C'est l qu'on doit constater que, tout de mme, a s'accroche l'Autre, que
mme s'il n'y a pas de pulsion gnitale, on doit bien supposer une jouissance
qui n'est pas auto-rotique, dans la mesure o incide sur elle ce qui se passe au
champ de l'Autre. On ne peut pas se contenter d'une disjonction totale parce
ce que ce qui se passe au champ de l'Autre incide sur vos conditions de
jouissance pulsionnelle.
Autrement dit on ne peut pas se contenter d'un schma de pure disjonction
entre les deux champs mais il faut une intersection. Et c'est l'intersection
mme que dfinit Lacan en plaant petit a dans cette zone.






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a


Quand nous parlons du plaisir, quand nous parlons de la pulsion, nous le
faisons en les accrochant l'objet perdu et nous ne pouvons pas utiliser ces
concepts sans, d'une faon ou d'une autre, glisser l'objet perdu quil faut aller
chercher chez l'Autre. C'est l la double face de l'objet petit a, son caractre
janusien. L'objet petit a est la fois ce qu'il faut la pulsion en tant qu'auto-
rotique et c'est aussi ce qu'il faut aller chercher dans l'Autre. Si on ne prend
que le petit enfant commenant parler, c'est quand mme les mots de l'Autre
qu'il va prendre et qu'il va tortiller sa faon. Et aprs on lui dira : a ne se dit
pas, a ne se fait pas et on rgularisera la chose.
Les neurosciences sont obliges pour rendre compte du dveloppement
neuronal de mettre en fonction le regard de l'Autre parce que ce n'est pas la
mme chose de recevoir le langage d'une machine ou que ce soit un tre
humain qui regarde. Il faut qu'il y ait un certain " se faire voir " du sujet pour
que a fonctionne.
a veut dire qu'il y a une part de la jouissance de l'Un, cette jouissance
autistique, qui est attrape dans l'Autre, qui est saisie dans la langue et dans la
culture, et c'est justement parce que cette part est saisie dans l'Autre qu'elle
est manipulable. Elle est, par exemple, manipulable par la publicit, qui est
quand mme un art de faire dsirer. Et, aujourd'hui, ce qui est propos pour
sortir de l'impasse, c'est la consommation. Ou encore la culture propose un
certain nombre de montages faire jouir. Elle propose des modes de jouir qui
maintenant, qui peuvent tre franchement bizarres, et qui n'en sont pas moins
sociaux.
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Du ct de l'Autre ici, qui se situe sur la droite, il y a comme des mchoires
qui saisissent une partie de cette jouissance autistique : c'est la signification de
la castration.

A
a

La vrit de la castration, c'est qu'il faut en passer par l'Autre pour jouir et
que, pour cela, il faut cder de la jouissance l'Autre.
C'est l que l'Autre vous indique, par exemple, les faons de faire couple. Il
vous indique le mariage monogamique, mais demain il vous indiquera peut-
tre qu'on peut tendre le concept du mariage jusqu'au mariage homosexuel
et ce qui ne fera que rvler le mariage dans son semblant, comme un
montage de semblants.
Alors on peut dire : c'est bizarre, a sera bizarre. A bien y considrer, il n'y a
rien de plus bizarre que la norme. C'est la norme qui est bizarre et justement
l'esprit des Lumires tait de s'apercevoir du semblant de la norme et que
c'tait la norme de sa propre culture qui tait bizarre.
Alors, au fond, petit a, qu'est-ce que c'est ? C'est cette part de jouissance, ce
plus-de-jouir qui est attrap par les artifices sociaux, dont la langue. Et ce sont
des artifices qui sont parfois trs rsistants, en effet, et qui peuvent connatre
de l'usure, aussi bien. Alors quand le semblant social ne suffit pas, quand les
symptmes comme modes de jouir que vous offrent la culture ne suffisent pas,
alors dans les interstices il y a place pour les symptmes individuels. Mais les
symptmes individuels ne sont pas d'une autre essence que les symptmes
sociaux. Ce sont dans tous les cas des appareils pour entourer et situer le plus
de jouir. Je considre ainsi le symptme comme ce qui appareille le plus-de-
jouir.
J'aimerai maintenant clairer par l, prcisment ce qui me semble ne pas
avoir t vu jusqu' prsent, sur la formule mme que Lacan a propos de la
pulsion partir de cela. savoir le " se faire ". Il a, dans son Sminaire XI,
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dchiffr la pulsion en terme de " se faire voir" pour la pulsion scopique, " se
faire entendre ", se faire sucer ou manger ou etc. quoi a rpond, cette
formule, qui est la fois rpte, n'est pas explique et qui chez Lacan n'a pas
connu de trs grands dveloppements par ailleurs.
Et bien, voil ce que j'ai en dire qui jusqu' prsent je crois n'a pas t dit.
Telles que Freud les a dcrites les pulsions rpondent une logique ou une
grammaire, activit-passivit, voir, tre vu, battre, tre battu. Freud met en
place, ordonne, classe les pulsions, selon cette logique, qui, si vous faites
attention est du type a-a', c'est du type symtrie en miroir.
Freud a structur les pulsions partir d'une relation d'inversion scopique.
C'est une grammaire en miroir et qui a conduit justement penser que sadisme
et masochisme taient symtriques et inverses, voyeurisme et exhibitionniste
galement.
Alors, c'est a que Lacan veut corriger, prcisment pour montrer que le
champ pulsionnel rpond une logique tout fait diffrente que la logique du
miroir. Et c'est ici que Lacan, la place de l'inversion en miroir, met le
mouvement circulaire de la pulsion. On peut dire : a y ressemble. Pas du tout.
Le mouvement circulaire de la pulsion, qui est dessin par Lacan dans le
Sminaire XI, rpond certes la notion que le corps propre est au dbut et la
fin du circuit pulsionnel, c'est--dire que les zones rognes du corps propre
sont la source de la pulsion et que le corps propre est aussi le lieu o
s'accomplit la satisfaction, le lieu de la jouissance fondamentale, de la
jouissance auto-rotique de la pulsion.
Mais qu'est-ce que a change, le " se faire " que Lacan introduit, et le circuit
proprement circulaire ? a change ceci, que la pulsion est prsente comme
tant, comme telle, toujours active et contre Freud, que sa forme passive est
proprement illusoire. C'est l, la vritable valeur du " se faire ". Se faire battre
a veut dire que loin - et c'est a sa diffrence avec tre battu, on peut dire se
faire battre, bon le rsultat c'est que tu es battu. Attention, se faire battre veut
dire que l'activit vritable est la mienne, et que j'instrumente le battre de
l'Autre, ce qui est la position masochiste fondamentale.
Autrement dit, ce que Lacan met en relief cet gard sur la pulsion c'est que
la phase passive de la pulsion, c'est--dire je reois des coups est en fait
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 361
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toujours la continuation de sa phase active. Je reois des coups parce que je le
veux.
Autrement dit c'est la formule de Clausewitz : la passivit est la continuation
de l'activit par d'autres moyens.
Bon, a si c'est pas une vrit, au niveau de la pulsion, aller vous faire voir si
je puis dire ! (rires) Ce qui est capital, dans cette dissymtrisation de la pulsion
qu'opre Lacan, c'est que l'Autre en question, a n'est pas le double du moi,
c'est le grand Autre comme tel. C'est ce qu'il y a d'incroyable dans ce que Lacan
dit ce propos, c'est dans le mouvement circulaire de la pulsion que le sujet
vient atteindre la dimension du grand Autre. Je ne sais pas si vous saisissez
l'normit de la chose, parce que c'est vraiment, ici, tablir, fonder le lien,
l'intersection entre le champ pulsionnel et le champ de l'Autre. C'est dire ce
n'est pas au niveau du miroir qu'on atteint le grand Autre, c'est au niveau
mme de la pulsion et bien qu'il n'y ait pas de pulsion gnitale, c'est au niveau
mme de la pulsion que s'atteint le grand Autre.
Autrement dit, ce qu'apporte le Sminaire XI d'essentiel, c'est que c'est la
pulsion qui introduit le grand Autre. Je ne reprends pas toute la dmonstration
de Lacan qui est dans la troisime partie du chapitre XV de ce Sminaire. Il
parle de la pulsion scopique pour l'tendre aux autres pulsions.
La pulsion ainsi considre est, proprement parler, un mouvement d'appel
quelque chose qui est dans l'Autre. Et c'est a que Lacan a appel l'objet
petit a, et il la appel l'objet petit a parce qu'il a rduit la libido la fonction de
l'objet perdu. cet gard, la pulsion cherche quelque chose dans l'Autre et le
ramne dans le champ du sujet, au moins le champ qui devient, au terme de ce
parcours celui du sujet.
Alors la pulsion va chercher l'objet dans l'Autre parce que cet objet en a t
spar, et c'est ce que Lacan dmontre propos du sein qui n'appartient pas
l'Autre maternel comme tel ; que c'est le sein du sevrage qui appartenait si on
peut dire au corps propre du bb et il va reprendre son bien cet gard.
Maintenant le sein ou les fces, ce ne sont pas l'objet petit a au sens de
Lacan. Ce ne sont que ses reprsentants. Il ne faut pas croire que quand on met
les mains dans la merde, on est vraiment l dans la matire mme de l'objet
petit a. Pas du tout : la merde aussi c'est du semblant !
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a veut dire que la satisfaction dont il s'agit est dans la boucle de la pulsion.
La pulsion orale, quel est l'exemple qu'en donne Freud, et que souligne Lacan,
ce n'est pas la bouche qui baffre, c'est la bouche qui se baiserait elle-mme.
Autrement dit c'est plutt mme dans la contraction musculaire de la
bouche. C'est un auto-suage, simplement pour cela, pour raliser l'auto-
baiser, si je puis dire, il faut la bouche passer par un objet dont la nature est
indiffrente. Et c'est pourquoi il y a aussi bien dans la pulsion orale le fumer
que manger, c'est pas le comestible la pulsion orale. La pulsion orale, c'est
l'objet qui permet la bouche de jouir d'elle-mme et pour cette auto-
jouissance, il faut un htro-objet.
L'objet oral n'est que le moyen d'obtenir l'effet d'auto-suage. C'est l le
paradoxe fondamental de la pulsion, si je le reconstitue exactement, c'est que
cest, de sa nature, un circuit auto-rotique qui ne se boucle que par le moyen
de l'objet et de l'Autre. Autrement dit : selon une face c'est un auto-rotisme et
selon une autre face c'est un htro-rotisme.
Alors qu'est-ce que c'est cet gard l'objet proprement dit ? L'objet
proprement dit, l'objet petit a c'est un creux, c'est un vide, c'est seulement ce
qu'il faut pour que la boucle se ferme et c'est pourquoi Lacan a eu recours la
topologie, pour saisir la valeur structurante de l'objet. L'objet petit a, a n'est
pas une substance, c'est un vide topologique.
Alors il peut, cet objet, tre reprsent, incarn par des substances et des
objets. Mais quand il est matrialis, justement l, il n'est que semblant au
regard de ce qu'est l'objet petit a proprement dit. Autrement dit l'objet rel, ce
n'est pas la merde, et quand Lacan dit l'analyste est un semblant d'objet, et
bien la merde aussi c'est un semblant d'objet petit a cet gard. L'analyste
reprsente l'objet petit a et ce titre c'est un semblant comme l'est toute
reprsentation matrielle de l'objet petit a.
Et on le constate : le bb veut le sein, bon, on lui donne la ttine, c'est aussi
bien, aprs il prfre mme la ttine, c'est--dire que le sein et la ttine c'est
du mme ordre, au niveau de la pulsion en tout cas, au niveau de ce dont il
s'agit qui est la satisfaction auto-rotique de la pulsion. Donc je distingue, pour
faire comprendre, quand on parle de l'objet petit a, le rel de l'objet petit a qui
est le vide topologique, et le semblant de l'objet petit a qui sont les
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quivalents, les matrialisations qui se prsentent de cette fonction
topologique.
Alors, de l, on peut aussi bien dire que les pulsions sont toutes des mythes
et que le seul rel, c'est la jouissance neuronale, c'est que le seul rel de ce
dont il s'agit c'est la jouissance neuronale, et cet gard en effet, que ce soit
l'hrone ou la sublimation, ce ne sont que des moyens de la jouissance
neuronale. C'est--dire quand on introduit, quand on prend au srieux le rel,
par rapport au rel ce sont tous des semblants.
Alors simplement il reste, y compris au niveau neuronal, a fait une
diffrence, quand c'est dit par une machine ou quand c'est dit, comme
s'expriment les Amricains, par un tre humain attentif.
Je rsume. C'est la pulsion mme, dans cette perspective, qui entrane dans
le champ de l'Autre, parce que c'est l que la pulsion trouve les semblants
ncessaires l'entretien de son auto-rotisme. Le champ de l'Autre s'tend
jusqu'au champ de la culture, comme espace o s'inventent les semblants,
parce que la pulsion, les semblants, les modes de jouir, sont des modes de
satisfaire la pulsion par des semblants. Ces modes, bien sr, sont mobiles et a
introduit un certain relativisme. Au niveau d'un sujet, bien sr, ils sont marqus
par une certaine inertie et c'est pourquoi nous admettons d'inscrire le
symptme d'un sujet dans le registre du rel. Le symptme cet gard, social,
ou entre guillemets " individuel ", c'est un recours pour savoir quoi faire avec
l'autre sexe, parce qu'il n'y pas de formule programme du rapport entre les
sexes.
Je pourrais maintenant dire un mot de l'analyste et de ses symptmes mais
peut-tre que je peux m'arrter l pour laisser un petit peu place ou au
dialogue ou au relais...

Eric Laurent : - Pour moi je prendrai un point qui est de concevoir et
d'ordonner la disjonction : d'un ct ce symptme et de l'autre avec toute sa
plasticit dans le champ de l'Autre et le problme sexuel qui aprs tout lui,
manifeste au moins une certaine non plasticit. Il y avait le got de dire : nous
avons connu autrefois deux sexes, nous aurons l'avenir une multiplicit
deux, trois, quatre, etc., pas du tout. Il y a les deux sexes, il y a les modes de
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jouir articuls sous une multiplicit de symptmes, dans la perspective que tu
mets en place, une certaine inertie ce que...il y a ces deux sexes, articuls par
la castration, qui l ne se plient pas toute... qui restent comme
soubassement la multiplicit. Ce qui est trait par la multiplicit mais qui
reste comme le problme traiter, la diffrence, la polarit sexuelle, elle, ne se
rsorbe pas dans la multiplicit.

Jacques-Alain Miller : - Non, c'est ce qui lui vaut d'tre considre, par Lacan,
comme du rel. Le paradoxe, c'est que c'est un rel qui qualifie quelque chose
qu'il n'y a pas. C'est a le paradoxe de ce rel. Qu'est-ce qu'on appelle le savoir
dans le rel, qu'est-ce que la science atteint, selon l'expression de Lacan,
comme savoir dans le rel ? Ce sont des formules comme inscrites, entre
guillemets dans la ralit des choses, qui rendent compte de la gravitation de
l'univers, d'une partie de l'univers. On en obtient des formules et les
phnomnes de l'univers rpondent ces formules. Et donc c'est comme si il y
a avait du savoir, des formules prinscrites dans le rel. Ce que souligne Lacan,
c'est que dans l'univers sexuel de l'espce humaine, prcisment on ne
rencontre pas une formule de ce type. Bien sr, on a la formule de la
reproduction, on peut dire au niveau de la reproduction le rapport sexuel
existe, il faut, mais a n'est pas la rencontre de monsieur et de madame,
maintenant on en a toutes les preuves : c'est la rencontre du spermatozode et
de la gamte, c'est une formule qui est purement au niveau de la reproduction
et aujourd'hui on s'aperoit qu'on peut parfaitement se passer de monsieur et
de madame pour a...

Eric Laurent : - Y compris du spermatozode et de la gamte avec le clonage.

Jacques-Alain Miller : - Donc on se passe compltement de a et qu'est-ce
qu'on constate un autre niveau ? On constate au contraire, non pas la
ncessit, on constate au contraire l'omniprsence de la contingence, on
constate l'alatoire dans les rencontres et donc l il faut un saut pour dire :
donc il n'y a pas ce niveau de formules prinscrites du rapport. Et un autre
saut pour dire et bien c'est a le rel qu'il y a au niveau de la relation sexuelle.
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C'est justement qu'il n'y a pas de formule prinscrite. Donc, si je puis dire, vos
symptmes ! (rires) la place de cette formule qu'il y a. Alors il y a diffrents
types de symptmes, c'est le supermarch ou l'hypermarch, vous avez les
symptmes de grande consommation, pour remplacer l'absence de rapport
sexuel, il y a, donc je disais, l'union intersexuelle, monogamique, l'essai, celle
qui est consacre par l'Eglise, celle qui est purement laque, il y a le collage, le
concubinage, il y a un certain nombre de symptmes qui vous sont proposs
la place de formules, qui vous sont proposs la place du rapport sexuel, pour
l'ordonner, pour essayer d'ordonner la relation.
Alors il y a certains, d'abord il y a certains qui refusent les symptmes de
grande consommation, qui veulent quelque chose du symptme chic, pour
reprendre l'expression, et puis, il y en a certains qui refusent compltement
d'entrer dans l'hypermarch et qui veulent inventer leur propre symptme, se
sont les nvross. Ceux l, ils restent chez eux et ils fignolent leur propre
symptme ou ils copient sur la voisine, mais, tout a tant parce que quand on
vient demander le rapport sexuel, donnez-moi le rapport sexuel normal, on dit
il ny en a plus (rires).
Et c'tait la formule o je mettais le symptme au dessus du non-rapport
sexuel que je me permettais d'crire comme a pour les besoins de la cause.


a s'inscrit dans cet ordre l. Alors la question dbattre, la question difficile
c'est : il y a une dimension auto-rotique de la jouissance, c'est mme celle que
Lacan dveloppe dans Encore, laquelle j'ai fait un sort l'anne dernire, et,
d'une certaine faon, il faut l'amour pour rtablir l'Autre. Moi l je reprenais ce
qui me parat ne pas avoir t saisi jusqu' prsent dans le courant du
Sminaire XI, savoir la conception selon laquelle au niveau mme de la
pulsion, il y a l'accrochage l'Autre, ne serait-ce que pour aller chercher du
ct de l'Autre, l'objet petit a comme perdu et j'ai essay l d'expliquer du
mieux que j'ai pu ces deux faces de la pulsion, c'est--dire d'un ct auto-
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 366
366
rotique et donc on peut dvelopper cette dimension, et de l'autre ct, elle a
toujours besoin d'un objet, d'aller chercher l'objet dans le champ de l'Autre.
a vise quoi de rappeler a ? C'est quil y a pas d'un ct notre clinique de
cabinet o nous allons prendre les sujets un par un, et aprs un certain
moment on ouvre les fentres et on va regarder dehors, on lit l'International
Journal, et on parle des Etats-Unis, il faut voir que ces dimensions sont en
continuit, a n'existe pas la clinique du cabinet. Bien sr que le symptme le
plus individuel, le plus chiqu du nvros est articul l'ensemble du champ de
la culture. a ne veut pas dire, ce n'est pas un microcosme du champ de la
culture mais c'est prsent, parce qu'il y a un certain nombre de symptmes sa
disposition, il y a un certain nombre de symptmes en activit, la faon dont il
se situe par rapport a, c'est prsent tous les jours. Par exemple le problme
faire couple ? Cest devenu : en effet le champ de la culture impose, oblige
chaque sujet se situer par rapport au faire couple et a c'est prsent au plus
intime de la question subjective.
Eric Laurent : - Alors dans cette perspective, on pourrait dire qu'il y a toute
une perspective trace, prise de faon large comme a, toute une perpective
d'inventions en effet, toute une perspective compatible avec l'Autre qui
n'existe pas et la multiplicit des symptmes qui sont la fois proposs,
fabriqus et qui s'articulent. Et donc il y a une position qui serait de dire : il faut
un certain optimisme d'ajointement, o chacun finalement trouve dans ces
registres la fois un principe de plaisir et un au-del du principe de plaisir dans
chacun des ensembles.
Mais est-ce qu'il n'y a pas justement, et c'tait a que je voyais comme le
problme, je disais le problme de Tiresias, le problme d'ajustement qu'il y a
dans la dissymtrie des jouissances entre la position masculine et fminine,
qu'il y a - et alors l quand tu dcris le passage au champ de l'Autre partir de
la pulsion - que la faon dont une poque vit la pulsion selon le sexe, dans la
positon on choisit la position masculine ou fminine, un principe d'affolement,
le principe d'affolement tant le caractre illimit d'Autre soi-mme de la
position fminine, qui introduit un principe d'illimitation, et qui rejaillit sur
l'Autre. Et partir du moment o on a la perspective que tu traces, de dire que
la positon masculine, ce moment-l, moins fixe avec la faon dont lAutre de
l'idal pouvait enchsser la jouissance phallique, qui se fait prendre dans ces
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 367
367
fictions, dans ces articulations symptomatiques, a donne un certain type de
principes d'affolement de pousse-au-jouir, y compris ct masculin, qui impose
un toujours plus. Et d'o le systme sera foncirement en dsquilibre, c'est
dire qu'il n'y a pas d'quilibre possible, quel que soit mme la multiplicit de ce
qu'on a propos, il y a un principe qui jouera, c'est inscrit d'avance avec la non
inscription du rapport sexuel, d'abord, et que ce rel, a se traduit en principe
d'affolement dans les positions, dans la jouissance qui se veut lie la position
sexuelle...

Jacques-Alain Miller : - En effet la premire difficult, c'est quand mme
chacun son symptme. a c'est l'aspect miraculeux de rencontrer un Autre, ou
des Autres prenant la place qui convient dans le symptme ou acceptant de
devenir ce symptme. Le partenaire, le partenaire fondamental est finalement
celui qui est capable de devenir votre symptme, pour les deux sexes.
Alors maintenant, si Lacan tablit une diffrence entre : l'homme aura la
femme pour symptme, et la femme aura l'homme comme ravage, qu'est-ce
qui diffrencie l symptme et ravage ? C'est que ravage ouvre en effet un
certain illimit. Quelle est la diffrence fondamentale ? C'est que le partenaire
de l'homme est un partenaire limit, c'est un partenaire cern, alors que - au
moins comme l'crit Lacan - le partenaire de la femme, le partenaire
symptomatique de la femme comporte une ouverture illimite et rpond une
logique de l'infini et non pas du fini. a, c'est ce qui rpond l'trange
inscription de grand A barr du ct de la femme. L je suis rest un niveau
mtapsychologique, mais peut-tre en effet quil faut tout de suite le faire
venir, c'est possible. Il me semble qu'il y a une certaine dimension
mtapsychologique qui est valable pour les deux sexes, c'est--dire par un biais
ou par un autre, la solitude de la jouissance. Mme si la jouissance fminine a
une toute autre structure, Lacan finit quand mme par sa solitude. C'est--
dire : a ne fonde pas le couple et s'il y a couple du ct de l'homme, c'est
avant tout le couple qu'il forme avec sa queue. Donc une solitude de la
jouissance et par rapport cette solitude, le champ de l'Autre qui y est articul
d'une certaine faon. part a, si on prend ensuite la perpective : a n'est pas
la mme chose dans les deux sexes, certainement. Prenons l
mthodiquement : c'est vrai que l'inscription fminine dans le champ de la
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 368
368
culture, malgr toutes les variations qu'on en a connues, est en effet
profondment diffrente.

Eric Laurent : - Alors de dire que justement sil y a comme des symptmes du
type contemporain, du type substance toxiques diverses ou substances
chimiques, qui permettent justement qui poussent la rupture avec la
jouissance phallique, il y a un pousse l'intrieur de la structure du mode de
jouir moderne, il y a quelque chose qui touche la limitation, au principe de
limitation qui tait ct homme. Ces symptmes du type effectivement des
substances toxiques, touchent ce qui jusque l tait quand mme en effet
plus difficilement touchable, d'un ct le principe de limitation, de l'autre ct
le principe de l'illimit, tel que Lacan l'a mis en place, et quun effet de
rtroaction de ces symptmes contemporains, c'est de faire sauter le principe
de limitation du ct homme, comme effet de retour et qu'il y aura de plus en
plus de symptmes de ce type, qu'il s'agira de prfrer la jouissance sexuelle,
et avec le ct, l'horizon : vous pouvez vous passer de la jouissance sexuelle,
il y a beaucoup mieux dans nos symptmes. Ce qui introduit un affolement
supplmentaire...

Jacques-Alain Miller : - Ce quoi conduit en effet l'homme neuronal c'est
quand mme l'ide : la vraie jouissance c'est la jouissance neuronale et donc
tout le reste ce ne sont que des semblants, et nous pouvons oprer en direct
sur ce rel l. On dit l'homme neuronal, videmment la femme neuronale, c'est
plus problmatique sans doute...

Eric Laurent : - Alors il y a dans la psychologie darwinienne contemporaine,
des efforts pour dfinir l'image typique, qui vraiment, qui aurait un inprint de
limage du partenaire.

Jacques-Alain Miller : - Si on admet qu'il y a, c'est discuter, mais enfin une
fminisation de la civilisation contemporaine, on peut sans doute la rapporter
a.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 369
369
I < a
Cest quand mme, ici c'est l'rection de l'idal masculin et quand mme la
promotion de l'objet petit a au ciel de la jouissance, a se traduit par la prime
qui est donne au mode de jouir fminin. Dj le seul fait de la multiplicit
incomplte, inventive, selon la logique de Lacan de la sexuation, c'est du ct
fminin. Le multiple et l'inventif, l'ouverture du champ symptomatique, a
rpond beaucoup plus la positon fminine qu' la position masculine et donc
d'une certaine faon, a crit aussi le dclin du viril, et la promotion de la
logique du pas-tout qui comporte multiplicit et ouverture.

Eric Laurent : - Alors a donnera d'autres faons, l'horizon du XXIeme
sicle, sur la faon de choisir son sexe. Un certain nombre d'quilibres vont
basculer aussi, puisque jusque l, en effet, il y avait une faon dont le sexe a
t choisi, y compris dans les civilisations o on prfre les mles pour des
raisons idales, etc., a peut aller jusqu' l'infanticide. Il y aura sans doute, en
tant que l o prvalait cet idal, un certain nombre de conduites qui vont
rebasculer...

Jacques-Alain Miller : - Si on peut choisir avant en effet on fait les garons,
maintenant on va faire les filles, parce que si on prend en compte que ce petit
tre aura neuf fois plus de jouissance que l'Autre, selon la formule de Tiresias,
en effet c'est les garons qu'on finira par exposer (rires).
Fin du sminaire Laurent-Miller du 21/5/97

E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 370
370
LAutre qui nexiste pas et ses Comits
dthique


ric Laurent
Jacques-Alain Miller

Dix neuvime sance du sminaire
(mercredi 28 mai 1997)

***


Jacques-Alain Miller : - C'est Eric Laurent qui va commencer cette fois, mais
en hors duvre nous avons convenu que je dirai quelques mots propos
d'une nouvelle qui est tombe ce matin et qui peut se lire la premire page
de ce qui est la rfrence principale de notre sminaire de cette anne, savoir
l'International Herald Tribune.
En premire page de ce journal, figure une nouvelle qui apporte un
rebondissement sensationnel dans une affaire que nous avons dj voque
cette anne. Vous vous souvenez que le prsident des Etats-Unis d'Amrique
tait depuis maintenant plusieurs annes poursuivi en justice par une jeune
femme qui narrait lhistoire suivante : que, alors qu'il tait Gouverneur de l'Etat
de l'Arkansas, avant d'assumer les responsabilits qui sont les siennes
actuellement, il l'avait fait venir - selon ses dires - dans une chambre d'htel,
pour lui - on dirait en bon franais - proposer la " botte " sous une forme un
peu frusque, consistant - selon les dires de la plaignante - baisser ses
pantalons. Elle avait refus cette invitation et tait partie. Voil la plainte. Il ne
semble pas qu'ensuite elle se soit porte plus mal, jusqu' ce que, in extremis
selon les dlais lgaux, elle dcide de porter plainte en justice, actionne,
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 371
371
semble-t-il, par des groupes politiques anti-Clinton, pour la raison quelle aurait
prouv un choc motionnel dans ces circonstances.
Et donc, depuis plusieurs annes, les avocats s'opposent, le Prsident niant le
fait, qui n'a pas eu de tmoin direct, et faisant valoir qu'ayant s'occuper de la
paix du monde, de l'conomie amricaine, des affaires de la nation, il demande
qu'on le laisse finir son mandat prsidentiel tranquille et qu'on diffre jusqu'
la fin de ce mandat sa comparution en justice.
J'avais signal, je crois, au dbut de cette anne le caractre pour nous
lgrement folklorique de cette histoire. On imagine mal jusqu' prsent le
prsident de la Rpublique Franaise poursuivi pour cette raison et les
tribunaux prenant au srieux, validant cette plainte.
L'enjeu se rsume ainsi, est-ce que dans une dmocratie le Prsident est au-
dessus de la loi, est-ce que sa charge lui confre des droits spciaux dimmunit
ou est-ce qu'on doit considrer qu'un plaignant dans un procs civil doit
recevoir une considration gale tout autre citoyen, mme si cela peut
interfrer avec la conduite prsidentielle des affaires de la nation ? Et bien la
surprise gnrale, la cour suprme des Etats-Unis, devant laquelle cette affaire
a t plaide il y a quelques mois, vient de dcider l'unanimit des neuf juges
nomms vie, l'unanimit, que le prsident en fonction des Etats-Unis aurait
tre jug, sur la base de cette plainte, pendant son mandat. Cette dcision
est une premire du genre dans l'histoire mme des Etats-Unis. Elle est
commente, dans les termes suivants : " Il n'y a pour personne, dans le beau
pays des Etats-Unis, d'exception aux rgles de la loi, et mme pas de dlais -
puisque c'tait ce qui tait demand, un dlai - pas mme de dlai - le
prsident a rpondre comme tout autre citoyen, personne donc n'est au-
dessus de la loi, et les Etats-Unis ne sont pas une monarchie. Et c'est l
videmment que lcart avec la vieille Europe est patent, la culture de la vieille
Europe, la culture multi-sculaire de la vieille Europe, a install, en coutume,
quil y a l'exception et il y a le commun des mortels. C'est une logique que
Lacan avait mise en valeur, du ct mle de la sexuation.
Alors comment interprter dans ces mmes termes cette dcision - je le dis
sous rserve de lire le texte mme de la dcision de la commission, puisque a
n'est pas dans le journal auquel je me rfre, le texte mme de la dcision n'est
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 372
372
pas donn, et il faudra bien sr regarder a de trs trs prs ainsi que les
commentaires juridiques ?
D'un ct c'est l'affirmation d'un tous pareils , tous pareils au regard de la
loi, et donc a renforce encore la logique prcdente. Seulement cest la loi, le
texte de la loi simposant tous qui a, semblerait-il, le lieu de lexception et
donc galisant lensemble des parltres si je puis dire.
Mais a ne me parat pas tre la bonne lecture, prcisment parce que la loi
nest pas quelquun. Il me semble au contraire voir pousser l jusqu' ces
consquences les plus extrmes la logique du pas-tout, la logique que Lacan
qualifie de fminine et jen veux pour preuve ceci que, semble-t-il, la dcision
de la cour suprme laisse ouverte la possibilit quun juge de lArkansas puisse,
sil lestime bon, diffrer louverture du procs, ne pas convoquer le prsident
en personne et donc temprer les consquences de la dcision qua prise la
cour suprme. Cest--dire ce qui parat ici tmoigner dune logique diffrente
cest cet lment de contingence, dalatoire, qui est en mme temps ainsi
ouvert. Comme pour tout citoyen, a dpendra aussi de ce que dira le juge
local devant lequel la plaignante a dpos sa plainte. Et il y a l un vnement,
on ne peut pas cacher le caractre quil prend de surprise, y compris aux Etats-
Unis, mais qui parait vraiment un signe des temps et sur lequel nous aurons, je
pense, revenir quand nous aurons plus de dtails.
Voil lintroduction, louverture de la runion daujourdhui, et maintenant
cest Eric Laurent qui reprend la parole.

Eric Laurent : - Pas de meilleure introduction puisque je voulais appeler cette
causerie le symptme responsabilit . Je voulais partir du mathme amen
la dernire fois par Jacques-Alain Miller, de lobjet petit a comme objet perdu,
lintersection du sujet et de lAutre et aller chercher dans lAutre cette
formule gnralise du symptme que proposait Jacques-Alain Miller, fixant
ainsi la part fixe et la part variable de ce qui constitue pour nous le symptme,
et qui permet de la faire varier.


E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 373
373
A
a


Rien ne le fait mieux sentir dans lexprience de la psychanalyse que la limite
de variation que comporte lexprience morale dans la psychanalyse.
Freud a rencontr un certain nombre de principes de limitation de la
variation des symptmes, de leur transformation au cours de la pratique de la
cure psychanalytique, mais il a mis longtemps avant de considrer que la limite
fondamentale de variation tait celle dune force lie un vritable besoin de
punition. Il vient ainsi nommer dans le texte intitul Principe conomique du
masochisme ce quil a mis au jour trois ans avant, dans Le moi et le a ,
sous la rubrique de la raction thrapeutique ngative.
Il dit quil avait dj repr, au cours de sa pratique, des limites la variation
du symptme. Dabord linaccessibilit narcissique. Otto Kernberg nest pas le
premier psychanalyste avoir dcouvert les limites quimpose le narcissisme
la pratique de la psychanalyse, bien quil en ait redonn une formulation qui a
touch les psychanalystes de notre temps. Cest Karl Abraham et Sigmund
Freud qui ont isol cette limite premire. Ensuite Freud note lattitude ngative
lgard du mdecin, le transfert ngatif, ne pas lui faire le plaisir daller mieux,
lui dmontrer quil est impuissant, lui en faire voir, tous registres que Freud
isole dans les alas du transfert et enfin la jouissance du symptme attrape
dabord par la face positive sous le nom de bnfice de la maladie, la faon
dont le sujet, avec son symptme, peut faire danser son entourage, voire la
terre entire, lexemple fameux tant Florence Nightingale crant le service de
sant anglais partir dun lit de conversion et de douleurs. Mais surtout il en
arrive lide de lexprience morale : un sentiment de culpabilit qui trouve la
satisfaction dans ltat de maladie et ne veut pas renoncer la punition par la
souffrance.
Dans une longue note en bas de page, Freud explique quil considre que
cest vraiment la limite la plus cruciale de cette action psychanalytique. Elle
trouve lissue la plus favorable dans les cas o lon isole le point o le sentiment
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 374
374
de culpabilit est un sentiment emprunt, et l, il dit : cest--dire quand il est
le rsultat dune identification une autre personne qui fut objet libidinal.
Freud rsume, fait une stnographie de dveloppements qui sont ailleurs dans
son uvre et quil faut restituer : cest que ce sentiment de culpabilit
sarrange, peut trouver une issue favorable lorsquil est li au pre et au
complexe ddipe. Sinon, dit-il, il faudrait que lanalyste occupe la place de
linstance punissante, puisse tre cet idal du moi ou ce surmoi qui donne les
bons et les mauvais points. Mais il dit : a, a nest pas possible par
lexprience, la tche de la psychanalyse nest pas de rendre impossible la
maladie, les ractions morbides, mais doffrir au moi la possibilit de se
dcider, zugscheiden, la mise, au cur du problme - cest le dernier mot de la
note de Freud - de la dcision.
Dans les nvroses, la place du sentiment de culpabilit est distincte puisque
dans lobsession les tourments, les scrupules sont conscients, simplement le
sujet veut absolument quon le soutienne dans son combat contre ses
scrupules, alors que dans lhystrie, ou en tout cas Freud dit dans certains cas,
cest beaucoup plus cach et cest ce qui donne laspect que Lacan a pu appeler
sans foi ni loi du sujet hystrique aux prises, dans ses grandes intrigues, avec
tout autre chose que le scrupule.
Mais pour autant dans lhystrie, le besoin inconscient de culpabilit est
toujours l, le sujet simplement ne hurle pas: je suis coupable sauvez-moi de a,
il dit : je suis malade, mais, comme le dit Freud, cest un besoin de culpabilit,
sentiment inconscient de culpabilit muet. Cest la limite interne. La
psychanalyse pourrait amener penser quil y aurait librer le sujet de toute
croyance en une instance qui pourrait le punir et l Freud est prudent. Il dit que
la psychanalyse aussi bnficie de la clinique du criminel et les premiers
psychanalystes criminologues ont fait valoir que les criminels ne sont pas du
tout des gens qui nont pas de conscience et quon pouvait parfaitement isoler
chez le criminel le sentiment de culpabilit, avant de commettre lacte.
Simplement le criminel, cest celui qui ne conserve pas son instance critique
lintrieur, il na pas besoin de son dmon interne qui lui dit: tu es coupable ou
tu es malade, il a la culpabilit, simplement il a besoin dun juge. Donc il
commet lacte criminel et ensuite il y a un juge qui vient lui dire : tu es
coupable. Donc le criminel lui aussi spuise faire exister linstance. Donc
aussi bien lintrieur, pour prendre une topologie simple, qu lextrieur, la
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 375
375
psychanalyse bute sur un noyau central de culpabilit, bien quil y ait une trs
grande variation du principe de responsabilit.
Et cest en ce sens que dans les formes contemporaines du symptme, il faut
considrer, partir de lAutre qui nexiste pas, le statut de la responsabilit
comme symptme. Cest bien dailleurs ce que les comits dthique
dveloppent, essayent de fixer, dans un droit en gnral disciplinaire, mais qui
rejoint le problme du droit comme tel. Car notre monde, celui de lAutre qui
nexiste pas, est un systme, un rgime o lon atteint un clivage, une coupure
entre le noyau de culpabilit et la responsabilit, une disjonction, qui atteint un
rgime indit dans lhumanit jusquici.
Ce rgime na pas t trouv tout de suite. Dabord, le monde des droits de
lhomme a pens sen tirer avec la faute. Le code civil, 1804, inscrit dans les
articles 1382 et suivants le principe de la responsabilit lie la faute.
Cependant, en droit, il sest rvl que ce nouveau rgime install par les droits
de lhomme se rvlait trs peu pratique. Loin davoir la prcision quon
pourrait attendre dune disposition si vidente, cest une notion faussement
vidente, qui devient floue, indtermine, insaisissable. Du point de vue
juridique, elle sest rvle indfinissable, et spcialement pour le problme
quallait avoir traiter comme premier problme central la civilisation issue des
droits de lhomme, cest--dire lindustrialisation et ses dgts, les accidents du
travail.
Et, premire confusion qui sest introduite, cest chaque fois quon a essay
dappliquer la notion de faute ces accidents du travail, qui avait fait la faute ?
louvrier ? le patron ? la chose devenait dun inextricable complet, en
particulier pour un point : cest quon sest mis appliquer des techniques
mathmatiques de calcul qui arrivaient facilement montrer les accidents avec
une rgularit, une frquence qui ne dpendait absolument pas de la
population. On pouvait changer tous les ouvriers, on pouvait changer tous les
patrons, a ne changeait absolument rien la frquence des accidents, qui
tait bien plus lie lactivit elle-mme, qu la personne, la faute commise,
do des dbats homriques lAssemble Nationale, o les meilleurs esprits
du temps se sont affronts, pour dgager peu peu un mode nouveau
dajointement social de la faute et de la responsabilit autre que celui quavait
dabord pens mettre au jour la philosophie librale.
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 376
376
Alors cest justement dabord partir de la rgularit de laccident quest
apparu le salut. Ce nest pas par hasard si les dveloppements de lart de
lapplication statistiques des probabilits, ou de la conjecture ou de la prvision
sous la forme du calcul des probabilits accompagne le dveloppement ou la
pense de lactivit librale. Et cest l o, selon la formule de Franois Ewald
dont je suis les trs belles tudes qui se dveloppent depuis maintenant vingt
ans et qui ont t marques par la publication maintenant il y a un peu moins
de dix ans de sa thse de lEtat providence, mais multipli et ensuite suivi par
de nombreux travaux au Centre National des Assurances o il a un poste
minent.
Ewald note que ce nest videmment pas par hasard quil y a cet accent mis,
ce got sur le calcul des probabilits sur lequel linsociable sociabilit des
hommes pouvait tre prise comme faisant parti dun plan de la nature.
Finalement la nature retrouvait sa main, il y avait rgularit. Et cest ainsi que
surgit laccident, un nouveau domaine dobjet, chose ni humaine ni naturelle
mais proprement parler lie lactivit sociale.
Cest l o le gouvernement est intervenu pour assurer la fois les
problmes de scurit publique poss par lindustrialisation et la scurit civile
des ouvriers et, l, a mis au point le recours une technologie du risque.
Dailleurs, sur le plan clinique, laccent mis dans la clinique contemporaine sur
le traumatisme est exactement lenvers de la socit du risque. Le
traumatisme, cest ce qui reste incalculable et qui rsiste linclusion dans les
systmes les plus vastes de la perte sous la rubrique du risque.
Le mot risque a une tymologie amusante puisquil vient de litalien ce qui
coupe : cest li lcueil sur lequel tombaient les bateaux, puisque cette
technologie vient dabord de lassurance maritime.
Cest ce qui coupe : on voit bien o lobjet perdu peut se loger au dpart dans
cette technologie du risque. Parce quen effet lorsque lassurance est apparue,
il ne faut pas croire que a a t accueilli bras ouvert. Dabord les
conservateurs ont cri que lassurance ntait quun pousse-au-crime, que a
permettait chacun doublier sa faute et que ctait foncirement immoral et
dailleurs il y a un procs clbre dun mdecin de lpoque qui avait assassin
un des ses patients, quil avait fait auparavant assurer sur la vie, qui a beaucoup
contribu dune part de la mfiance lgard de la relation mdecin-malade
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 377
377
mais aussi cette dimension de la gnralisation de lassurance. Il a fallu
donner beaucoup de garanties sur le fait que a nallait pas toucher lordre
public et ce sont les tribunaux qui se sont mis grer a. Ils ont ainsi fait
prolifrer partout les fautes et les responsabilits, crant par l, faisant exister
les signifiants du march des responsabilits quallaient exploiter les assureurs
et amenant ainsi cette disjonction toute moderne entre la forme dans lAutre
de la responsabilit comme fiction, et le noyau des fautes au cur de labord
du problme. Ce qui fait que, comme le dnotait un juriste, lhistoire de la
peine est une abolition constante, avec cette dmatrialisation. Ce qui fait
dailleurs quun certain nombre de juristes ont cri au dclin de la notion de
droit et de responsabilit devant cette multiplication et cette invasion quasi
immatrielle des responsabilits multiples.
Ewald prend bien sr partie pour ce droit producteur de la coupure entre
faute et responsabilit et note que le droit na aucune essence et bien plutt
que cest celui qui dtruirait toute essence de la faute. Il la rduit, lassignation
de cette faute, un certain rgime de pratiques sociales dans lequel assurance
et droit ne sont que des techniques ou des pratiques qui permettent de
distribuer la responsabilit.
Ewald dit : cela dfinit un domaine, cest l sa formule, ltat providence, ni
ltat libral ni ltat socialiste, un tat o se gre en permanence une certaine
pratique de la responsabilit travers la technologie du risque, seul arbitrage
possible. La seule chose cest quil faut que tous y soient embarqus, pour que
les principes de solidarit lis lassurance marchent. Do, dit-il, la cotisation
dassurance ne se dfinit pas seulement par rapport elle-mme mais comme
indice de la pratique dune solidarit, et cest ce qui fait quelle na pour ainsi
dire pas de limite. Et il ajoute trs justement : cest un rapport de lun et du
tout qui nest pas sans rappeler la logique du pari de Pascal, celle qua
dveloppe Jacques-Alain Miller, il ny a pas de rfrence Lacan dans son
texte mais enfin a pourrait venir...

Jacques-Alain Miller : - Je crois que tu sais quEwald savait quelque chose de
Lacan puisque, la premire anne que jai fais cours dans une universit, jtais
peine sorti de ltat dtudiant, il tait un de mes tudiants, et tout fait
passionn lpoque par ce que je pouvais transmettre de Lacan. Ensuite il a
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 378
378
rencontr Foucault dont il est devenu lassistant, mais sans jamais rompre les
liens de sympathie, pas avec moi personnellement, mais avec lenseignement
de Lacan dans lequel il ne saventure pas mais enfin il est certain que cest une
de ses rfrences et que, si tu ten souviens, au sminaire de DEA, je lavais
invit une fois faire un expos quil avait consacr la norme, la diffrence
entre la norme et la loi.

Eric Laurent : - Cest l que jai dcouvert dailleurs quel point, en effet, ses
recherches croisaient un certain nombre de points et cest peu prs la
conclusion de sa thse, ce quil avait prsent, ctait son ordre normatif, la
dernire partie de sa thse...
Jacques-Alain Miller : - Il avait eu, dailleurs, la gentillesse de minviter la
soutenance de cette thse laquelle tu te rfre, jai eu la gentillesse dy aller,
il avait eu un commentaire la fois acerbe et instructif de celui qui est devenu
le directeur de la revue Commentaires, qui tait dj le directeur de la revue
Aronienne librale franaise, Jean-Claude Casanova.

Eric Laurent : - Et l il ne fait pas rfrence Lacan sur ce point, bien quil y a
eu une rfrence Lacan sur la loi et lAutre quand mme sur sa thse, bien
sr. Il dit ceci : La cotisation cest un rapport analogue celui du rapport de
lun et du tout du pari pascalien, puisque compt dans le tout social,
lun nest quune fraction infinitsimale, mais il figure comme quelquun, il peut
figurer dans le calcul. Par contre, abandonn lui-mme, isol, prtendant
lui-mme tre tout, alors il nest plus rien.
Et, dit-il, cette logique du pari de Pascal, o cette logique de ltat assurantiel
gnralis, construit un personnage qui est que cest celui qui veut se sauver
seul, celui qui prtend ne pas avoir besoin des autres, mme sil ne leur fait
aucun mal, lindividualiste libral, cest celui qui gche le calcul des autres. Il
faut que tous acceptent dtre embarqus, pour que le rgime fonctionne et
que se forme ce quil appelle, en terme foucaldien, une nouvelle positivit
politique, ltat providence, un rgime social, mode dexistence de la libert, o
lincertitude, linstabilit lala, la contingence lie laccident trouvent leur
place dans un rgime social gnralis. Do lide qui conclut son livre et cest
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 379
379
l o il a donn des dveloppements plus tard, au fil des annes, quil ny a pas
de crise de ltat providence, que la nouvelle dfinition cest une crise
permanente, on naura plus que des ngociations, finis les quilibres, finie en
effet cette illusion des trente glorieuses, partir de maintenant a nest plus
que la pure ngociation permanente, constante o, dit-il, il ny aura plus l
quun besoin, celui dune politique non pas dfinie partir dquilibres, mais
partir dune prudence bien plus subtile et complexe dans ses quilibres.

Jacques-Alain Miller : - On peut admettre quand mme quEwald a produit
ce chef-duvre sur ltat providence au moment o, tout de mme, ltat
providence a du plomb dans laile, et a tendance sclipser, du moins o le
vieux continent saccroche des formes de solidarit qui ne sont pas
pratiques par exemple de lautre ct de lAtlantique, et a fondait lpoque
les rserves ironiques de ce membre du jury que je mentionnais tout lheure,
libral aronien.

Eric Laurent : - Alors justement l o il a fait ces dveloppements, cest quil
dit que son principe de la ngociation etc., de ltat assurantiel gnralis,
nimplique pas du tout un pouvoir dtat centralis, a peut tre parfaitement
des formes privatises de lassurance, et cest dailleurs pour a que lui-mme
se retrouve au centre des assurances, cest que a implique toutes les formes
dassurances. Il dit : je ne fais pas de barrires entre les systmes publics et les
systmes privs, ce ne sont que des ngociations diffrentes mener entre
diffrents acteurs avec des forces de pressions.
On a donc, partir de l, dans le rgime quil met au point, ou quil construit,
dans ce quil appelle des services publics de responsabilits ou bien des
services qui sont dailleurs de plus en plus privs, cest vers l que lavenir va, et
bien, dit-il, un des problmes cest que ceux qui sopposent la prise en
compte de la gnralisation de la coupure disent quon va vers une certaine
dresponsabilisation, et il dit : pas du tout, a fait quune disjonction, la
disjonction responsabilit et culpabilit, loin de dresponsabiliser, fait quil ny
a plus de possibilit de maintenir a un niveau technique. La dcision
mdicale ne peut plus tre mise au niveau mdical, cest une question de
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 380
380
politique de sant donc cest une question de politique gnrale, donc on
remonte tous les chelons.
On voit videmment comment la phrase qui a surgi justement au cours du
premier incident de la politique des systmes dassurance, lhistoire du sang
contamin, la clbre phrase qui a surgi, responsable mais pas coupable , va
dans le sens de lvolution de cette jurisprudence. Il faut certes des
responsables, mais cest une fiction dtache de la culpabilit et la raction
que a a eu, cest quand mme de dchaner une chasse lhomme. La position
que dcrit Ewald dans ce rgime foucaldien de la dmatrialisation de la faute
trouve un obstacle dans le fait que, part le sujet peut-tre foucaldien tel que
la pratique de soi que dfinit Foucault lisole, il y a besoin de coupables et que,
face la dmatrialisation de la faute, - au-del des responsables fictifs, ou
fictionnels - ce que la psychanalyse montre cest quil y a besoin de coupables,
que le besoin de culpabilit que dcouvre lexprience psychanalytique dans la
cure, au sens du noyau des symptmes, trouve videmment la mme limite
dans le rgime du symptme responsabilit dans lAutre. Cest--dire que le
coupable, celui qui doit porter la faute est absolument une fonction qui est
loccasion rappele ceux qui veulent trop dmatrialiser et alors il y a une
rematrialisation sauvage par la chasse lhomme qui en tout cas doit jouer
comme mise en garde trop vouloir dmatrialiser.
a, cest laspect chasse lhomme. La chasse lhomme aussi a lieu sur un
autre versant, le versant positif, cest que lpoque se cherche des responsables
et des coupables. On a des responsables politiques qui sont coupables ou mis
en accusation pour des choses qui ne relvent pas tellement de leur activit,
vraiment pas directement. On ne voit pas, part en effet le fait que a fait
penser autre chose, en quoi cest une faute dans lexercice des fonctions
politique. Il y a aussi le got de chercher ailleurs donc que dans la politique,
coupables et responsables, do le got pour les entrepreneurs, et la
fascination du pas de responsable pas de coupable trouve une limite dans la
glorification de Bill Gates, qui, lui, est vraiment quelquun qui est responsable
et coupable.
Quand il a empch de dormir tout le personnel de Microsoft pendant trois
ou quatre mois pour leur faire crire tous les programmes toute vitesse,
quand il a pris la dcision stratgique de rentrer sur Internet et ainsi de
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rattraper lavantage sur Sun et le langage Java pour tout le monde, il y en avait
un qui tait clairement coupable de a. Et il a gch la vie de famille et le
sommeil de tous ses programmateurs pendant le temps quil fallait pour que a
marche. Moyennant aprs quoi il va Davos et les hommes politiques
svanouissent, font des crises dhystrie, boivent ses paroles, veulent tre
invits auprs de lui etc. Mme chose pour Ellison, le patron dOracle, dont on
connat, pour ceux qui sintressent a, le mauvais caractre, et les diffrents
dgts quil commet, et donc il est clairement coupable. Il dit pas que cest
lautre. Il y a aussi le patron dIntel qui a rsum a dans une phrase
magnifique, qui est le titre de son livre Seul les paranoaques survivent, (rires). Il
nutilise pas paranoaque au sens clinique, puisque justement, pour le
paranoaque, la faute cest lautre. L, pas du tout. Cest seul les paranoaques
survivent parce que cest lui qui est vraiment le centre de tout, il se mfie de
tout le monde, se mfie de tout et avec une seule logique dit-il, personne
dautre quIntel ne fabriquera le produit qui dmodera le Pentium dIntel.
Jacques-Alain Miller : - Sur Seul les paranoaques survivent. Je ne sais pas si
tu considres que le paranoaque cest celui qui sait que lAutre veut sa peau,
donc il considre que en effet toutes les autres entreprises qui fabriquent des
produits un peu comparables veulent la peau de la sienne et donc il dirige son
entreprise en paranoaque. Un mot - a me parat une thse trs forte, cette
rematrialisation sauvage de la culpabilit qui se trouve vanouie, parce que le
systme le plus probe, le systme fondamental, le systme qui est vraiment
fond dans la nature des choses, cest la vendetta. Cest quand mme il pour
il dent pour dent, cest seul le sang rachte le sang. Et dans une socit qui
avait des difficults a quand mme russi survivre, non pas en paranoaque, si
on veut en paranoaque, mais enfin sur ce principe.
Alors videmment a change tout quand on dit un il cest vingt mille francs
(rires) ou quand par exemple la justice, par erreur, met quelquun en prison et
ensuite, cest arriv en Angleterre, au bout de quinze ans on saperoit que
ctait un faux coupable. Alors on leur offre 150 000F, 10 000F par anne
derrire les barreaux, quelque chose comme cela, avec lide que a nest pas
le sang qui rachte le sang, mais que cest largent qui rachte le sang comme
toute autre chose en ce monde.
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Cest la dmatrialisation montaire - jincarne, je matrialise un peu le fait
de la dmatrialisation dont tu parlais - a se dmatrialise dans cet quivalent
abstrait, ce signifiant le plus bte de tous, quest le signifiant montaire. O
est-ce que a touche une limite ? Cest finalement combien vaut une vie
humaine ? Sous un aspect notre civilisation porte dire a na pas de prix, mais
de fait tous les calculs mme de la politique de sant etc., valuent
effectivement le prix dune vie humaine, si on doit la sauver dans telles et telles
circonstances, quest-ce que a cote aux autres vies humaines, sur la base de
ressources limites. Dans la vie quotidienne des socits modernes, soppose
cette valeur absolue qui est dun ct maintenue et le calcul quotidien,
lvaluation quotidienne de ce que a cote par rapport dautres dpenses
faire. Alors cest : que vaut la vie humaine ? Que vaut une anne de la vie
humaine ? Que vaut une semaine de la vie humaine ? Que vaut la vie humaine
dun tre de soixante quinze ans, de quatre vingt ans, atteint de telle et telle
maladie, bien sr que tout a se calcule et que, dans les rsultats, il y a : cette
dpense empchera den faire une autre et donc il y a continuellement cette
tractation de sang.
videmment la vendetta, a nest pas la thrapeutique, la vendetta, sa
question a nest pas prolonger la vie de lautre, a touche spcialement la
question : comment mettre fin la vie de lautre qui vous a fait un tort
pralable de la faon la plus sre et alors le calcul, la tactique prend un autre
visage, cest attendre au coin du bois et ...

Eric Laurent : - On peut faire de lintrigue peut-tre raffine mais elle peut
tre simple en effet, il y a le coin du bois, ou il y a dtruire la rputation etc.
La psychanalyse permettait plutt de prvoir que leffet mme de la forme
que prend le symptme social responsabilit va provoquer la rematrialisation
soit sauvage, soit quil faudrait plutt essayer de rgler et en effet dans la
formule, seuls les paranoaques survivent, ou la formule en effet quen bon
systme capitaliste tous les autres veulent la peau de lentrepreneur, cest de la
faon dont peut se formuler la formule de Lacan, qui elle, est beaucoup plus
gnrale, tire de la psychanalyse et de son exprience, la seule chose dont on
est coupable cest de cder sur son dsir.
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Cder sur son dsir cest ne plus croire en soi-mme, dans un rgime
justement de lentrepreneur qui, sur le march, doit en permanence croire
lui-mme, comme seul, et cest sa seule faon de contribuer la logique de
lensemble. Si jamais il se relche, il permet ce moment l lautre de mettre
la main sur le truc et sil ne cde pas, comme le montre Bill Gates, cest--dire
sil est prt ne pas dormir pendant trois mois et acheter sur le march tous
les autres qui peuvent lui fabriquer le truc, et bien sil ne cde pas il arrive
bouffer un par un tous ceux qui veulent mettre en question sa position
dominante sur le march.
a, cest la variante du rgime du march. Ce nest pas a quindique
laphorisme psychanalytique, cest une limite tout ce qui serait la
dmatrialisation de la responsabilit du dsir. Il faut en effet en tre
responsable. Cest li intimement la culpabilit mais cest trs disjoint en tout
cas den tre propritaire, nul nest propritaire de son dsir et pour autant il
en est parfaitement et responsable et coupable.

Jacques-Alain Miller : - Oui, la vendetta sapplique trs bien la formule que
tu rappelles de Lacan la seule chose dont on est coupable cest de cder sur son
dsir, parce que les Corses, quand on leur fichait la paix, on les laissait libres de
pratiquer la tradition ancestrale de vendetta, ils ne se sentaient pas du tout
coupables. Ils ont commenc se sentir coupables quand la prsence de ltat
providence leur a envoy les gendarmes, empchant cette saine activit et les
obligeant renoncer partiellement ces pratiques. Cest ce moment-l quils
se sont sentis coupables et cest pour purger sans doute ce sentiment de
culpabilit quils rematrialisent sauvagement, enfin entre guillemets, ils
rematrialisent srieusement et priodiquement dune faon qui reste...

Eric Laurent : - Oui parce que ltat dassurantiel ne va pas sans un nombre
de cotisations, dont les impts par exemple. Il y a toujours de grands
problmes les collecter, dans les socits vendetta par exemple o on a
videmment ce type de problmes. Mais comment la psychanalyse traite cette
question ? a nest pas en sen remettant au juge ou linstance de lAutre de
la loi de pouvoir aider cet ajointement entre culpabilit et responsabilit,
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mais en amenant chacun, dans lexprience de la cure, au point non pas de
renoncer sa jouissance ou sa saloperie - pour rsumer - dont chacun, bien
entendu, a toutes les meilleures raisons du monde dtre coupable, mais il ne
sagit pas de sen tirer avec lide bon jy renonce, je deviens un bon garon,
cest fini, je ne moccupe plus de a , car de toutes faons, si on fait a, si on
pense sen tirer comme a, alors on est rattrap par toujours plus de surmoi, a
en demandera sans fin, tu nauras jamais fini de renoncer. Il faut au contraire
dcider, sur cette jouissance, de lui trouver une forme humaine, vivable. Cette
dcision, lEntscheidung que propose Freud, est videmment celle qui est
cruciale et Lacan a toujours li, dans les dveloppements quil a donns partir
de ne pas cder sur son dsir, culpabilit et dcision. Cest que la fonction de la
dcision est cruciale lgard de la rptition qui se noue dans le besoin de
culpabilit. Le guide de laction du nvros nest pas la dcision, cest linertie. Il
est coupable et donc il recommencera toujours et cest une indication clinique
que Lacan donnait loccasion de tel ou tel nvros dont on lui rapportait :
cest terrible il est coupable, comme il est coupable de faire tel truc, en fait pas
trs net avec son ex-pouse, oh ! comme il est coupable, donc lindication : il
est coupable, il est trs coupable, donc vous tes sr quil va recommencer. En
effet a ne rate pas, parce que le principe de culpabilit cest justement : cest
linertie qui triomphe et qui est le seul guide du choix. Tandis que, sappuyant
sur la dcision, lEntscheidung dont parle Freud, Lacan a mis au centre de
laction analytique de provoquer la dcision.
Je prendrais une rfrence, qui est de lordre du symptme responsabilit. La
faon dont Lacan voque lesprit de la psychanalyse convoquer chaque fois
quil sagit de dcision. Par exemple dans la clinique de lexprience de la cure
du nvros, aussi bien dans la clinique de la passe, lorsque le jury doit dcider
si oui ou non pour eux le passant passe ou pas, ils se dshonorent, dit-il, sils ne
se dcident pas, ils manquent lesprit de la psychanalyse. O encore quand il
prsente ses propositions du 9 octobre, il y en avait trois et il les a prsentes
selon un vote prfrentiel : 1, 2, 3, classes par ordre de prfrence et dit-il a
peut provoquer soit leffet Condorcet, cest--dire soit des effets de type qui
prsente une inconsistance, puisque Condorcet, soit vous avez trois
propositions, si A est prfr B, B prfr C, on peut nanmoins avoir, C
prfr A. Sil ny a pas de transitivit assure dun classement en bon ordre,
vous pouvez avoir des prfrences qui donnent le choix inconsistant et ce type
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dinconsistance il offrait comme possibilit cette assemble, en disant lesprit
de la psychanalyse, dont il faut bien que vous lincarniez puisque de toute faon
a passe par des personnes physiques, lesprit de la psychanalyse a sera de
provoquer la dcision, a sera dobtenir une dcision et il a voqu la fois
donc Condorcet, et aussi Kenneth Arrow, qui est un thoricien de lconomie,
ce qui lui a valu un prix Nobel. Il lvoquait l, au moment o venait dtre dit
la deuxime dition de son livre Choix social et prfrence individuelle, en 63,
avec une srie de notes, etc., et il donnait l une formulation de Arrow qui
mobilisait, qui tait trange, qui mintriguait jusqu' ce que je trouve le bon
commentaire sur la question.
Il parle dans ce texte de la responsabilit collective des personnes qui il
sadresse, convoque lesprit de la psychanalyse et dit : Un rsultat
inconsistant serait ici signifiant redoutablement une carence de ce que nous
avons appel lesprit de la psychanalyse. Arrow, pour se rfrer un autre
ordre, celui dune dtermination logique de lintrt gnral, a dmontr que,
hors lunanimit, celui-ci ne saurait se dterminer que de lopinion dun seul .
Donc, je le rpte, ayant convoqu tout a, ayant convoqu Arrow, qui stait
pos un problme logique sur lintrt gnral qui dmontre que, hormis
lunanimit, hors lunanimit, il ne saurait se dterminer que de lopinion dun
seul. Un seul, est-ce que cest pour convoquer lesprit de la psychanalyse ?,
faisait obstacle, contrepoint, ce qui logiquement laisserait la question de
lemprise dun seul, voire de la position du despote clair et du seul ? Et l
Lacan convoque plutt lesprit de la psychanalyse, justement pour rsoudre un
problme logique.
Ce problme logique, je voulais lexposer devant vous puisque tout le monde
nest pas familier - il ny a pas de raison de ltre - avec le texte dArrow, mais
qui pose des problmes intressants, sur larticulation
responsabilit/culpabilit et spcialement dans le commentaire quen a fait un
professeur franais dconomie qui sintitule Jacques Gnreux, peut-tre avec
un nom comme celui l, a prdispose faire de lconomie (rires) c'est la
science de la raret mais enfin donc monsieur Gnreux a gnreusement fait
le commentaire la fois de Arrow et dun autre professeur dconomie qui a
pris son relais que jai cit dj en dbut danne, comme le conseiller de
madame Clinton, ou plus exactement de la position amricaine, propos de la
confrence des femmes Pkin, sur la place des femmes dans lconomie, un
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professeur qui sappelle Amartia Sen, qui est professeur Harvard et qui
sintresse justement des questions tout fait dcisives sur la place de la
responsabilit et spcialement celle des femmes dans lorganisation, sur le
traitement de ces problmes de bio-pouvoirs dirait Foucault, quest la question
de la reproduction et du taux de natalit.
Alors comment est-ce que Arrow sy prend, sa thorie ? Dabord, il aborde la
question des rgles de choix collectifs de la faon la plus large qui soit
concevable. Il se moque de quelles que soient les rgles, majoritaire, deux
tours, par chantillon, par lesquelles on peut dfinir un choix collectif, il prend
toutes les rgles.
Et il demande simplement que cette rgle permette deffectuer des choix
collectifs cohrents, donc non contradictoires et non cycliques. Et
deuximement, de respecter un certain nombre de propositions thiques
minimales, sur lesquelles tout le monde pourrait tomber daccord.
La mthode est strictement axiomatique et il arrive un rsultat tonnant,
qui est de dmontrer lincompatibilit logique entre ces conditions thiques
minimales prises ensembles. Alors, il y en a cinq, les voil.
Premire condition, donc la fonction de choix collectif dfinit un ordre
complet de choix logiquement possibles sans restriction priori, des choix
envisageables. Donc elle doit permettre de classer, de faon convenable,
ordonner tout couple de possibilits et elle doit tre transitive. Il veut viter le
type deffet Condorcet, donc si A est prfr B et B est prfr C, il faut que
la rgle, la fonction quon choisisse donne une transitivit A est prfr C.
Donc premire condition cest : pas de choix interdit.
Deuxime condition : il faut une variation de mme sens des valeurs
individuelles et des valeurs collectives. Donc si une possibilit, si un choix,
conserve son rang ou amliore son rang dans les ordres de prfrences
individuelles, il ne faut pas quil diminue au niveau collectif, si vous voulez
ajointer les deux. Si tout le monde prfre quelque chose il faut que a soit
aussi dans la fonction collective.
Troisime condition : il faut que a sapplique strictement des couples,
envisager les possibilits deux par deux, il ne faut pas quil y en ait davantage.
On verra la trois.
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Puis quatrime condition et cinquime, il faut quil y ait une souverainet des
citoyens, pas de pouvoir en dehors et quil faut une absence de dictature et
moyennant quoi, il obtient une inconsistance quil formule ainsi : sil existe au
moins trois situations possibles que des membres dune collectivit peuvent
classer comme ils lentendent, toutes fonctions de bien tre collectifs
satisfaisant les conditions pralables, les deux et trois que nous avons tablies,
et dfinissant un ordre social, dfini ainsi que nous lavons dit, doit tre, soit
impos, soit dictatorial. Cest ce que Lacan dit donc, sil y a hormis lunanimit,
a doit tre le choix dun seul, soit impos, soit dictatorial. Et il en conclut :
lidologie de la souverainet de llecteur est incompatible avec celle de la
rationalit collective.
Et ce dveloppement, tant prolong, il a atteint ce rsultat en 1951, le
republie en 63 et Sen, dans les annes 70, trouve une formule encore plus
simple, encore plus lgante, en six pages et avec trois conditions seulement,
et dans lequel elle dmontre exactement la mme chose, lincompatibilit des
prfrences individuelles et des choix collectifs. Je ne vais pas l vous le
dmontrer, son article sappelle donc LImpossibilit dtre un libral paretien,
cest de Pareto. Ceux qui connaissent loptimum de Pareto verront le problme,
pour loptimum de Pareto cest ce qui en conomie est la fonction oblige,
cest que si vous devez obtenir un tat de la socit o le maximum des
prfrences pour chacun soit optimis dans les choix de tous, cest le bon
rgime de fonctionnement dune socit. Et l il dmontre que justement on
ne peut pas tre libral, on ne peut pas vouloir lindpendance des prfrences
individuelles et obtenir un optimum paretien de faon amusante et simple.
Alors, on pourrait dire que avec de tels thormes, cest un pousse ce quil
ny en ait vraiment quun. Cest un pousse-au-crime, cest un appel la
tyrannie, cest un appel ce que vraiment il y en ait au moins un qui fasse
exception. Et bien, en effet, cest ce que tous ces diffrents thormes
dconomie politique, science essentielle pour la dtermination du bien
commun, cest ce sur quoi ils dbouchent. Cest : comme il y a une impossibilit
de dtermination du bien commun, il faut en effet des fonctions dexception.
Donc le seul comportement rationnel devient alors ceci : la pratique rationnelle
des dmocraties qui est au fond davoir des tyrans provisoires. Cest pour a
que, dans les dmocraties, on lit des dirigeants pour quil vous dirigent et avec
lide quil faut les lire prudents et pouvoir sen dbarrasser. Mais que cest
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nanmoins la fonction du tyran, la fonction de lexception, non pas du tyran
mais de lau-moins un, fonction cruciale pour la logique de la sexuation, et bien
cest une fonction dont on retrouve la ncessit au cur mme de toute
dtermination possible, la plus large possible, de la science qui a pour but la
dtermination du bien commun, de la commune mesure, de la jouissance quil
serait possible de partager, on retrouve la fonction inliminable do, comme le
commente Monsieur Gnreux, la dmocratie relle dailleurs fonctionne ainsi,
une fois dfinis les droits et les liberts individuelles inviolables, les
dmocraties reprsentatives adoptent des procdures de choix collectifs, qui
ont toujours pour caractristique de confier un pouvoir souverain de dcision
un petit nombre dindividus pour une certaine dure, des dictateurs
temporaires en quelque sorte.
Ces individus tant rationnels, peuvent effectuer des choix cohrents
transitifs et les citoyens doivent contrler dans la mesure du possible si les
responsables politiques usent de leurs pouvoirs temporaires dans un sens
conforme ce qui est lefficacit collective. Et lintrt, l, du rappel, lorsque
Lacan convoque lesprit de la psychanalyse, pour aider la dcision, cest du
mme ordre que disoler comme on fait dans le cartel la fonction du plus un, et
sans en faire une chefferie. Lesprit de la psychanalyse incarn dans ses
diffrentes fonctions de plus un, cest ce qui doit permettre la dcision. Et de
mme le psychanalyste lui-mme, dans la pratique de la cure, ne doit pas
occuper la place du tyran, la place du surmoi et se penser le surmoi, sy croire,
mais en tout cas, tre celui qui doit aider la bonne dcision, pas les fausses,
parce que Dieu sait si dans lobsession, vous pouvez vous retrouver enferm
dans la multiplicit des fausses dcisions dans lesquelles le sujet senferme,
prisons dans lesquelles bien entendu il met labri compltement les vraies qui
sont au cur du problme. Mais le choix en tout cas sur la jouissance, celui l
doit tre dcid et cest celui qui peut tre dgag dans ces thormes, que
Lacan convoque et, en tout cas, qui nous ramnent au traitement que fait
lesprit de la psychanalyse du symptme responsabilit.

Jacques-Alain Miller :
- Quelquun ma fait la confidence de la difficult prouve nous couter
successivement, puisque, tout en croisant nos chemins, dans une mme
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sance, il semble que a demande lauditeur une gymnastique intellectuelle
spciale. Nous, aprs tout, nous avons chacun nos dadas, mais lauditeur lui,
voit se rassembler sur lui ces deux flches, si je puis dire pour prendre le mot
de Monsieur Arrow, et, donc je commence lentement, alors que jai une demi-
heure, et que je voudrais parcourir des petits chemins, jusqu' arriver des
exemples qui sont toujours finalement plus distrayants que les constructions.
Je voulais cette fois-ci avancer un petit peu dans la thorie du partenaire-
symptme. Il y a sans doute une part quon ne choisit pas, il y a sans doute un
partenaire quon ne choisit pas, mais il y a aussi les partenaires quon choisit,
ou qui se choisissent. Comment se dcide le choix du partenaire ?
Je dis a dans ces termes pour jeter un pont fragile avec les thmes qui
viennent dtre abords.
Alors jai, la dernire fois, accentu que le symptme est en deux parts
constitu. Premirement son noyau de jouissance, celle que nous disons
pulsionnelle, qui plonge ses racines dans le corps propre et deuximement son
enveloppe formelle, par quoi il dpend du champ de lAutre, lequel comprend
la dimension dite de la civilisation.
Mais la suite, jai aussitt corrig cette bauche, pour autant que la pulsion
naccomplit sa boucle de jouissance, qu passer par lAutre. Pour autant que
cest dans lAutre que rside ce que nous approchons par lexpression de lobjet
perdu. Et il lui faut, la pulsion, cet objet, tourner autour de cet objet dit Lacan,
pour fermer son parcours. La castration est la mise en scne de cette ncessit,
o lobjet perdu apparat comme lobjet pris, lobjet ravi.
Alors pensons par exemple la Rome antique, la course de chars dans le
cirque, et la borne quil fallait atteindre pour revenir. Ce qui matrialise cette
borne est de peu dimportance, indiffrence de lobjet de la pulsion. Et cest
simplement pour que ce parcours auto-rotique de la pulsion saccomplisse, il
faut quintervienne un objet qui est au champs de lAutre. Autrement dit, il ny
a pas lun disjoint de lAutre, et le schma quEric Laurent a reproduit au
tableau implique quil y a intersection.
Alors, nous connaissons de faon vidente cette intersection au niveau du
signifiant, o lun est le sujet, et o nous avons appris de Lacan, qui a rpt
que le signifiant est celui de lAutre. Nous avons reconnu comme le lieu du
E.LAURENT,J.-A.MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses Comits d'thique 390
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code ou le trsor du signifiant, cest une intersection, cest proprement une
intersection signifiante qui nous est prsente avec vidence dans le fameux
graphe de Lacan qui sest grav dans les esprits. Et dailleurs cet gard lAutre
dont il sagit nest pas seulement celui du signifiant, cest aussi bien celui du
signifi dans la mesure o ce schma comporte que lAutre dcide de la vrit
du message. Par sa ponctuation il dcide aussi bien du signifi.
Et cest pourquoi cette intersection au niveau du signifiant sest dabord
prsente dans lenseignement de Lacan comme communication. La fonction
clinique qui a pu tre l mise en vidence, cest celle que Lacan a appele le
dsir en tant que vecteur qui part de lAutre. Dj la formule du dsir est une
incarnation clinique de lintersection, entre lun et lAutre.
Mais ce qui chappe davantage cest la seconde intersection, lintersection au
niveau de la jouissance, lintersection libidinale. Nous avons annon
lintersection signifiante partir du schma lacanien de la communication, mais
ce qui est plus secret, cest lintersection au niveau de la jouissance et Lacan lui-
mme a oppos dailleurs le dsir et la jouissance, en disant le dsir est de
lAutre mais la jouissance est de la Chose, comme si en effet la jouissance elle
tait de lun, tait du ct de lun, et base sur lvidence que le lieu de la
jouissance cest le corps propre. Alors cest l que je porte le projecteur, sur
lintersection de lun et de lAutre au niveau de la jouissance, en quel sens la
jouissance est-elle aussi de lAutre ?
Selon Freud, la libido circule, la libido est prise dans ce quon peut appeler
une communication. Selon Freud la libido, cette invention conceptuelle quest
la libido, se transvase, la libido a un appareil freudien, elle est appareille des
vases communicants, et en particulier la libido freudienne est transfuse de son
lieu propre qui serait le narcissisme individuel vers des objets du monde qui se
trouvent ainsi investis, objets du monde, objets imaginaires. a, a fait partie
de notre vocabulaire et de notre rhtorique la plus naturelle et la plus proche
de lexprience, investissement de tel objet, dsinvestissement, cest l tout un
rseau de communication libidinale.
Cest frappant dans ses consquences, lorsque Freud nous dcrit le
phnomne de lhainamoration, cest--dire le moment o se constitue le
couple libidinal au moins du ct de lun, qui tombe amoureux. Le tomber
amoureux met en vidence le lien tabli avec lAutre et cest en quelque sorte
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mme si cest pris dun seul ct, on peut ne pas rpondre, bien sr, cest la
naissance du couple. Botticelli a peint la naissance de Vnus, toute seule,
sortant de londe, mais ce que Freud a peint en plus, cest le spectateur, celui
qui shainamore dans ltat amoureux. Et a se traduit comment, tel que Freud
le dcrit, ce surgissement de lamour de lun pour lAutre ? Il la traduit en
terme dappauvrissement immdiat de la libido narcissique. Alors la libido se
transfuse vers lobjet, et le sujet se sent un pauvre gars (rires). Cest assez
dailleurs, semble-t-il, la position qui a t celle de Freud lui-mme, bloui par
sa Martha. a, cest en quelque sorte la formule native du couple, du point de
vue libidinal, cest du point de vue de lamant qui se trouve aussitt marqu
dun moins, il saime moins, et au contraire laim se trouve marqu du signe
plus (+).

Amant Aim
- +
a, cette formule si simple, cest la cellule lmentaire de la formation du
couple, du point de vue libidinal.
Alors ce que Lacan a dvelopp comme dialectique du dsir, cest que
foncirement la position dsirante est celle de la femme en tant quelle est
marque de moins, quelle na pas, alors qu la surprise gnrale cest
lhomme quelle dsirera. Cest ce qui fait, dans cette perspective, de la femme
comme je lai souvent soulign, la pauvre comme telle, ce qui fait aussi bien du
masculin la position passive, tandis que cest la position fminine qui est ici
active. Do laffinit entre fminit et pauvret et javais soulign, ce qui
navait pas t remarqu, la rfrence que Lacan prenait du livre de Lon Bloy,
La femme pauvre, et je crois que cest Genevive Morel, si je me souviens bien,
qui avait ensuite consacr un commentaire cet ouvrage. La position dtre
pauvre foncirement, cest la position de lesclave qui, il faut bien dire, a t
dcerne la femme plus souvent qu son tour au cours de lhistoire, et puis
ce sont les pauvres qui travaillent, ce sont les pauvres qui travaillent et qui
aiment en mme temps, pas les riches. Dailleurs les idaux damour universel
sont toujours ports par les pauvres, pas par les riches.
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Lacan soulignait la difficult spciale daimer quon rencontre chez les riches
et aussi bien dautres moments il soulignait logiquement la difficult de
sanalyser des riches ; parce que pour sanalyser la fameuse capacit damour
joue un rle.
Il y a un certain nombre de consquences que je ne vais pas dvelopper dans
le dtail, laffinit de la fminit avec lanorexie trouve ici aussi sa place et aussi
bien invite situer la boulimie comme une forme drive de lanorexie.
Deuximement, a indique la profonde affinit entre la fminit et la proprit,
cest bien ce moins qui donne la femme vocation de coffre-fort si je puis dire,
conforme limagerie du contenant qui a souvent t remarque dans
lexprience analytique, que Lacan rappelle de la position de la bourgeoise,
dans le couple, dsignation familire, populaire, ouvrire de lpouse. Cest
aussi ce qui donne la femme riche un caractre disons spcial de dvoration,
dans la mesure o rien ntanche dans lavoir, rien de lavoir ne peut tancher
sa pauvret fondamentale. Donc il ny en a jamais assez. Et a montre limpasse
du ct de lavoir. On pourrait ajouter aussi titre de consquence le problme
masculin avec la femme riche, la femme plus riche que lui, qui ouvre
ventuellement une protestation virile - pour reprendre le terme de Adler -
ou alors lacceptation de sa position de dsir, de dsirat, et ventuellement
chez lhomme son consentement son tre ftiche de la femme plus riche.
Cest un thme reprendre, ltre ftiche de lhomme.
Autre consquence que je fais apercevoir en passant, cest, conformment
laxiome de Proudhon : la proprit cest le vol, et du coup il y a une grande
figure de la fminit qui est la voleuse, la voleuse dans son bon droit, puisque
le moins qui marque sa position donne droit au vol. Et cest ainsi que la clinique
semble indiquer que la kleptomanie est une affliction essentiellement
fminine. Consquence concernant lamour, certainement sur la volont dtre
aime chez la femme, cest--dire dobtenir une conversion de son manque
fondamental et en effet aimer une femme cest rdimer son manque, racheter
sa dette.
On comprend aussi partir de l que pour lhomme, loccasion, aimer
lautre dans le couple comporte toujours une phase agressive, prcisment
parce que a lappauvrit, parce quon ne peut pas aimer sans ce moins que
Freud a mis tellement en valeur. Alors il y a une solution narcissique, que
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souligne Freud, qui est de saimer en lautre, cest de saimer soi-mme en
lautre, la solution anaclitique tant de mettre en fonction lautre qui a, mais en
tant quil donne. Et donc le sujet alors se prsente comme laim. Vous savez
que Lacan, un moment, a favoris la solution narcissique, le saimer comme
tant la position la plus ouverte par rapport la solution anaclitique, tre aim
qui nouvre pas sur le travail et sur lamour.
Peut-tre l on peut corriger certaines des indications de Lacan antrieures
par des indications postrieures, parce que si on examine lamour sous sa face
de pulsion, le tre aim peut se rvler dans sa valeur de se faire aimer. Et pour
se faire aimer, loccasion, il faut en mettre en coup. tre aim, a parat une
position passive mais se faire aimer rvle lactivit sous-jacente cette
position. Il nempche que cette formule comporte que la positon de dsirant
est dans son essence la position fminine et que cest la condition de
rejoindre, daccepter, dassumer, quelque chose de la fminit que lhomme
lui-mme est dsirant. Et donc daccepter quelque chose de la castration. Il
faut bien dire que ce quon appelle la sagesse et qui est essentiellement
travers les sicles masculine, la discipline des sagesses a toujours consist
prcisment dire coutez les gars, faut pas trop dsirer , et mme, si vous
tes vraiment parfait, ne dsirez pas du tout. Ce qui est vraiment la sagesse,
travers les sicles, cest de refuser la position dsirante prcisment comme
fminine et les hommes se passent a travers les sicles, et ce sont en gnral
des livres que les femmes napprcient pas spcialement.
Alors le couple ? Il faut que ce point de vue freudien comporte quau dpart
la libido est narcissique. a veut dire que le point de dpart de Freud, cest
quand mme la jouissance, cest la jouissance de lun, mme si a ouvre des
transvasements. Cest seulement secondairement pour Freud que la libido se
transvase vers lAutre, vers le jouir de lAutre. Et cest ce que Lacan demble,
ds le dbut de son enseignement, critiquait en disant que, quand on inclut
lobjet, quand on considre que lobjet est primordialement inclus dans la
sphre narcissique, on a comme une monade primitive de la jouissance - cest
une expression qui figure dans son Sminaire IV. Une monade, cest
prcisment une unit spare de lAutre, une unit ferme, spare de lAutre
et alors, si on part dune monade de jouissance, une monade de lros, alors on
est oblig dintroduire thanatos pour rendre compte quon puisse aimer autre
chose que soi-mme et donc finalement le choix dobjet, dans cette
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perspective est toujours lie la pulsion de mort. Cest le thme, aimer cest
mourir un peu, et dans limaginaire on sait bien les affinits de lamour et de la
mort.
Alors, ce que jai rvoqu la dernire fois, cest une position qui va tout de
mme contre la notion de monade primitive de la jouissance. Cest la notion de
lintersection libidinale fondamentale, cest celle qui figure au tableau mais qui
comporte quau niveau radical, lAutre, le champ de lAutre se rduit lobjet.
La place de la monade primitive de la jouissance, ce que nous avons, cest
sans doute un rapport lAutre mais rduit lobjet ncessaire la pulsion
pour faire son tour. Ce qui veut dire que cest une position o lAutre nexiste
pas, mais lobjet petit a consiste. Cest la perspective qui est luvre dans le
sminaire que Lacan a intitul Dun Autre lautre, le grand Autre tant
considr comme un Autre, parce que l cest variable, tandis que larticle
singulier est affect lobjet. Cest--dire ce partenaire l, lobjet petit a, pour
vous cest toujours le , il y en a un, en simplifiant, il y en a toujours un. Quel
est le partenaire qui va habiller cet objet ? Cest un Autre ou encore un Autre,
a ne mrite pas la mme singularit que lobjet. Autrement dit on peut dire
que ce qui complte notre Autre qui nexiste pas, cest que lAutre consiste
ltat dobjet, quand il est ltat dobjet, et que ce qui consiste proprement
parler cest lobjet pulsionnel mais en tant que creux, que vide, que borne.
a comporte que le vrai fondement, enfin le vrai ! ? le fondement du rapport
lAutre, cest dabord la pulsion, cest la jouissance, cest lobjet, cest lAutre
rduit la consistance de lobjet petit a comme consistance logico-topologique.
Alors, un pas de plus : les tres humains, les parltres ? Je disais la dernire
fois que le sexe, en reprenant Lacan, le sexe ne russit pas les rendre
partenaires et ce que je dvelopperai la prochaine fois, cest qu proprement
parler seul le symptme russi rendre partenaires les parltres, le vrai
fondement du couple, cest le symptme.
Et si on considre le mariage comme un contrat, comme un contrat lgal des
volonts, qui lie des volonts, ce que jaborderai, cest le couple, comme un
contrat illgal de symptme. Sur quoi lun et lautre saccordent-ils ? au sens
mme dune harmonique. Eh bien je pense que lexprience analytique montre
que cest le symptme de lun qui entre en consonance avec le symptme de
lautre. La fois prochaine, je donnerai les articulations l que jai sautes et puis
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je prsenterai un ou deux exemples lappui et jessayerai aussi de justifier
lexpression du partenaire-symptme, en quoi ? quel est le joint qui permet de
former cette expression elle-mme ? Et aussi pourquoi cest dun accent
particulier que le partenaire dune femme peut tre qualifi de partenaire-
ravage.
Pour la fois prochaine.


Fin du sminaire Laurent-Miller n19 du 28 mai 1997

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