Contra Christianos

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Manuscrit auteur, publi dans "Hellnisme et christianisme, Michel Narcy et Eric Rebillard (Ed.

) (2004) 61-109"

hypothses rcentes sur le trait de Porphyre Contre les chrtiens*


par Richard Goulet CNRS - Villejuif

Sil est un document de lAntiquit qui devrait focaliser lattention des participants un Atelier sur Hellnisme et christianisme, cest bien le trait de Porphyre Contre les chrtiens. Un des plus grands philosophes de la fin de lAntiquit, form la fois par Longin Athnes et par Plotin Rome, a attaqu lAncien et le Nouveau Testament, tout comme la doctrine et les institutions chrtiennes en quinze livres entiers. Le retentissement de louvrage fut immense puisquil suscita sur prs dun sicle au moins trois longues rfutations, en 25 et 30 livres dans le cas dEusbe et dApollinaire, et quil fut jug suffisamment impie, cest--dire dangereux, pour que le premier empereur chrtien en ordonnt la destruction systmatique sous peine de mort. Et pourtant lenthousiasme de lhistorien ou du philosophe est rapidement refroidi par la considration de ltat de la documentation conserve et ce sont plutt des dbats philologiques qui ont tenu depuis longtemps le devant de la scne. Les nouvelles hypothses voques par le titre de cet atelier ne sont en aucune faon les miennes. Autant prvenir le lecteur: je nespre aucunement faire avancer les connaissances sur le trait de Porphyre Contre les chrtiens, mais uniquement prsenter et discuter un certain nombre dhypothses rcentes qui ont remis en cause limage que lon se faisait de ce trait depuis ldition prpare par Adolf von Harnack en 19161.
* Cette tude est parue dans Michel Narcy et ric Rebillard (dit.), Hellnisme et christianisme, coll. Mythes,

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Imaginaires, Religions, Villeneuve dAscq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p.61-109. Les contributions de ce recueil avaient t prpares pour un atelier thmatique intitul Hellnisme et christianisme: questions de religion, de philosophie et dhistoire dans lAntiquit tardive, organis par lUPR 76 du CNRS en octobre 2001. 1. A. von Harnack, Porphyrius Gegen die Christen, 15 Bcher - Zeugnisse, Fragmente und Referate = Abhandlungen der kniglichen preussischen Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Klasse, Berlin 1916, 1; Id., Neue Fragmente des Werkes des Porphyrius gegen die Christen: Die Pseudo-Polycarpiana und die Schrift des Rhetors Pacatus gegen Porphyrius, Sitzungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Kl., Berlin 1921, p.166-184; Id., Nachtrge

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Il y a seulement quelques annes, on aurait pu prsenter le trait Contre les chrtiens de la faon suivante: Porphyre de Tyr a compos les quinze livres du trait intitul Contre les chrtiens vers 270 en Sicile. Lempereur Constantin en exigea

la destruction lpoque du Concile de Nice. Louvrage fit lobjet de rfutations chrtiennes par Mthode dOlympe, Eusbe de Csare et Apollinaire de Laodice. Les attaques de | Porphyre inspirrent les objections de lAdversaire 62 paen dans lApocriticus de Macaire de Magnsie. Sil faut en croire les historiens qui ont rcemment tudi la question, il faudrait remettre en cause la plupart de ces affirmations. Tout dabord louvrage a pu tre compos beaucoup plus tard quen 270, peut-tre au dbut du ive sicle, pas ncessairement en Sicile, et le titre de louvrage ntait peut-tre pas . Quant aux fragments, un esprit critique devrait en liminer la plus grande partie, o le nom de Porphyre napparat pas et encore moins le titre du trait. Cest le cas des extraits tirs de Macaire de Magnsie et de bien dautres fragments. Il ne resterait en vrit quune poigne de fragments incontestables. Cette rduction drastique du nombre des fragments devrait cependant tre compense par lajout des listes de souverains hellnistiques jusqu rcemment attribues une Chronique de Porphyre, ainsi que de nombreux extraits du philosophe, jusquici attribus dautres ouvrages qui demanderaient tre identifis comme les parties dun unique ouvrage antichrtien dont le titre naurait pas t Contre les chrtiens, mais bien Sur la philosophie tire des oracles. Cest de cet ouvrage que proviendraient les extraits conservs du trait Contre les chrtiens, de la Lettre Anbon, du , du De regressu animae, du trait Sur la matire, de mme que lensemble du De abstinentia. Cest cet unique ouvrage, traduit en latin par Marius Victorinus, que se rduiraient galement les clbres libri Platonicorum lus par Augustin Milan: cest dans cet ouvrage qui joua un rle dcisif dans sa conversion quAugustin aurait puis non seulement tout ce quil cite de Porphyre, mais encore des extraits de Plotin et de Platon. Cet ouvrage serait galement la principale source antichrtienne dArnobe et il se cacherait derrire louvrage en trois livres compos par un adversaire anonyme de Lactance au dbut de la perscution de Diocltien. Si lon excepte le problme de la datation et de la localisation de louvrage, ainsi que celui de la rattribution des fragments de la Chronique, les principaux lments de cette nouvelle interprtation de Porphyre ont t proposs par Pier Franco Beatrice dans une srie darticles parus entre 1988 et 19952. Laboutissement
zur Abhandlung: Neue Fragmente des Werks des Porphyrius gegen die Christen, ibid., 1921, p.834-835. 2. Voici dans lordre chronologique les tudes de P.F. Beatrice sur Porphyre, avec leur abbrviation ventuelle dans la prsente contribution: Un oracle antichrtien chez Arnobe, dans Mmorial Dom Jean Gribomont (19201986), Roma 1988, p.107129 (Arnobe); Quosdam

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naturel de cette thorie rvolutionnaire serait la publication dune nouvelle dition des fragments du trait Contre les chrtiens, ou plutt, comme nous le verrons, une nouvelle dition des fragments de la Philosophie des Oracles3. Selon cette thse audacieuse, il conviendrait donc didentifier les ouvrages suivants de Porphyre: le trait Sur la philosophie tires des oracles (en trois livres?), 303-350 F Smith; 63 le trait Contre les chrtiens en quinze livres; le De regressu animae qui comprenait plus dun livre, 283-302 F Smith; le , 351-360a F Smith; la Lettre Anbon; le trait Sur la matire en six livres, 234-237 F Smith; les fragments auparavant attribus une Chronique de Porphyre; le De abstinentia en quatre livres. Pour bien marquer dentre de jeu la radicalit de la thse de M. Beatrice, je citerai la conclusion dun des derniers articles quil a consacrs au trait Contre les chrtiens en 1992:
Platonicorum libros. The Platonic readings of Augustine in Milan, VChr 43, 1989, p.248-281 (Platonic readings); La croix et les idoles daprs lApologie dAthanase Contre les Paens, dans Cristianismo y aculturacin en tiempos del Imperio Romano = Antig. crist. (Murcia) 7, 1990, p. 159-177 (Athanase); Le trait de Porphyre contre les Chrtiens. Ltat de la question, Kernos 4, 1991, p. 119-138 (tat de la question); Pensiero cristiano e platonismo: incontri e scontri nella tarda antichit, dans Ethos e Cultura. Studi in onore de Ezio Riondato, coll. Miscellanea erudita 51-52, Padova 1991, p. 163-181; Towards a new edition of Porphyrys fragments against the Christians, dans M.-O. Goulet-Caz, G. Madec et D. OBrien (dit.), , Chercheurs de Sagesse, Mlanges Jean Ppin, Paris 1992, p. 347-355 (Towards a new edition); Porphyrys Judgement on Origen, dans R.J. Daly (dit.), Origeniana Quinta, coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 105, Leuven 1992, p.351367; Pagans and Christians on the Book of Daniel, Studia patristica 25, 1993, p.2745; Antistes philosophiae: ein christenfeindlicher Propagandist am Hofe Diokletians nach dem Zeugnis des Laktanz, Augustinianum 33, 1993, p.31-47 (Antistes philosophiae); On the title of Porphyrys treatise against the Christians, dans . Studi storico religiosi in onore di Ugo Bianchi, Roma 1994, p.221235 (Title); Didyme lAveugle et la tradition de lallgorie, dans G. Dorival et A. Le Boulluec (dit.), Origeniana sexta: Origne et la Bible, coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 118, Leuven 1995, p.579590; Traces du texte occidental chez le paen de Macaire Magns, dans D.C. Parker et C.B. Amphoux (dit.), Codex Bezae. Studies from the Lunel Colloquium 1994, coll. New Testament Tools and Studies 22, Leiden 1996, p. 317-326; art. Porphyrius, dans Theologische Realenzyklopdie, Band 27, Berlin/New York 1997, p. 54-59 (Porphyrios); Ein Origeneszitat im Timaioskommentar des Calcidius, dans W. Bienert et U.Khneweg (dit.), Origeniana Septima. Origenes in den Auseinandersetzungen des vierten Jahrhunderts, coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 137, Leuven 1999, p.75-90. 3. Towards a new edition, p.352.

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Il ny a plus lieu de mettre en doute ou en question le fait que la Philosophie tire des oracles fut lunique ouvrage crit par Porphyre contre les chrtiens, tandis que lexistence dun trait intitul Contre les chrtiens doit tre une fois pour toutes rejete4.

Cette thse premptoire se trouve en quelque sorte consacre dans larticle de synthse Porphyrios de la Theologische Realenzyklopdie:
Toutes les entreprises de reconstitution de louvrage [i.e. le trait Contra Christianos] jusqu aujourdhui ont chou. En ce qui concerne notre position, nous avons exprim dans une srie dtudes notre conviction que Porphyre na jamais compos un trait portant le titre Contre les chrtiens. Il a d plutt dvelopper ses accusations destructrices contre le christianisme uniquement dans certaines parties de sa Philosophie des Oracles, et cela dans le contexte beaucoup plus large de llaboration dune philosophie du salut de lme5.

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Elle est encore rpte dans ldition rcente de la Thosophie de Tbingen publie par P.F. Beatrice: La Philosophie des oracles est lunique vrai trait antichrtien qui 64 fut jamais crit par Porphyre, comme jai essay de le dmontrer dans une srie darticles antrieurs6. On peut critiquer cette thse deux niveaux: au niveau de la vraisemblance des rsultats obtenus, puis au niveau de largumentation labore pour y parvenir. Une thse paradoxale En soi, cette thse est paradoxale: Que tous ces traits qui apparaissent gnralement avec des titres particuliers, qui comportent souvent un nombre de livres bien dfini et qui offrent des caractristiques qui leur sont propres, puissent tre identifies nest pas impossible, mais rclame des arguments srieux. Pour nous en tenir aux deux principaux traits, on constate que le nombre de livres attribus lun et lautre trait sont diffrents: le trait Contre les chrtiens en comportait quinze, alors que la Philosophie des oracles nen contenait que trois. Il est vrai quune citation de cet ouvrage est
4. That the Philosophy from Oracles was the unique work written by Porphyry against the Christians should no longer be doubted or questioned, while the existence of a treatise entitled Against the Christians ought to be, once and for all, denied (Towards a new edition, p.355). 5. Alle bis heute unternommenen Versuche, das Werk zu rekonstruiren, sind gescheitert. Was unsere Auffassung angeht, so haben wir in eine Reihe von Beitrgen die berzeugung zum Ausdruck gebracht, da Porphyrius nie einen Traktat mit dem Titel Gegen die Christen verfat hat. Vielmehr drfte er seine vernichtenden Anklagen gegen das Christentum nur in einigen Teilen seiner Philosophie der Orakel entwickelt haben, und zwar in dem viel greren Zusammenhang einer systematischen Ausarbeitung einer Philosophie von der Rettung der Seele (Porphyrios, p.56). 6. The Philosophy from Oracles is the only real anti-Christian treatise that was ever written by Porphyry, as I have tried to demonstrate in a series of previous articles (P.F. Beatrice [dit.], Anonymi Monophysitae Theosophia. An attempt at reconstruction, coll. Supplements to Vigiliae Christianae 56, Leiden 2001, p. xxvii).

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dite tire dun dixime livre dans un7 manuscrit du xvie sicle8. Mais le mme passage est attribu de faon beaucoup moins tonnante au deuxime livre dans un manuscrit de Naples (Borbonicus) du xive sicle9. Ces diffrents traits, notamment la Philosophie des Oracles sont cits tout au cours des ive-ve sicles, alors que le trait Contre les chrtiens a t interdit par Constantin et na pas laiss de traces littraires manifestes, prouvant une lecture directe, aprs Eusbe de Csare, sinon peut-tre chez Apollinaire de Laodice. Le Prologue de la Philosophe des oracles La Philosophie des Oracles est un ouvrage relativement bien connu, grce une cinquantaine de fragments10 qui ont conserv plus de 300 vers, ainsi que le Prologue dans lequel Porphyre expose ses objectifs. Lintention de lauteur tait de construire une sorte de philosophie religieuse | sur la base doracles officiels 65 ou privs. Selon Augustin (Cit de Dieu XIX 23, 1 = 343 F Smith), Porphyre recueille et transcrit les soi-disant rponses des dieux relatives des questions de philosophie (exequitur atque conscribit rerum ad philosophiam pertinentium velut divina responsa). Les fragments se prsentent toujours comme des citations et des commentaires doracles. Pour comprendre ce que ces oracles reprsentaient pour Porphyre, il faut lire le Prologue de louvrage11. On y voit exprime la soif dune vrit incontestable capable de fonder les esprances du salut:
[303 F] Il est solide et inbranlable celui qui puise en cet ouvrage ses esprances dobtenir le salut, comme en lunique source sre. Voil aussi ceux qui tu le communiqueras: tu le feras sans rien retrancher, puisque aussi bien je prends les dieux tmoin de ce que je nai pour ma part rien ajout ni rien retranch des ides exprimes dans les oracles, sauf que jai corrig telle expression fautive ou lai remplace dans le sens dune plus grande clart, ou combl un vers dficient ou 7. Un manuscrit, car celui dA. Steuchus est manifestement celui qua connu Angelo Mai, cest-dire lAmbrosianus 569. Les deux auteurs signalent la mme faute: . Voir aussi Beatrice, Theosophia, p. xxv, n. 70. 8. Towards a new edition, p. 351; voir aussi Theosophia, p. xxv, n. 70. 9. Voir ldition de G. Wolff, Porphyrii De Philosophia ex Oraculis haurienda librorum reliquiae, Berlin 1856; rimpr. Hildesheim 1962, p. 39 et 143-147, et E. DePalma Digeser, Lactantius, Porphyry, and the Debate over Religious Toleration, JRS 88, 1998, p. 129-146, notamment p.138 n.72. Voir fr. 325 Smith et H. Erbse (dit.), Theosophorum Graecorum Fragmenta iterum recensuit H.E., coll. Bibliotheca Teubneriana, Stuttgart/Leipzig 1995, p.18, li. 225 (Theosophia 27). A = Ambrosianus 569, s. XVI; T= Tubingensis Mb 27, a. 1580. Dans la rcente dition de P.F. Beatrice, Theosophia I 24, li.195. 10. Nouvelle dition des fragments dans Porphyry Philosophi Fragmenta edidit Andrew Smith. Fragmenta Arabica David Wasserstein interpretante, coll. BT, Stuttgart/Leipzig 1993, fr. 303-350, p.351-407. 11. Porphyre, De Philosophia ex oraculis haurienda, Prologue, apud Eusbe, Praep. evang. IV 6, 2-7, 2; 7, 2-8, 1; p. 109110 Wolff; 303-304 F Smith.

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supprim telle parole ne se rapportant pas au sujet. Ainsi aije conserv intact le sens des paroles, craignant davantage limpit quil y aurait toucher ces oracles que le chtiment vengeur qui suivrait cette profanation. La prsente collection consignera une foule de doctrines philosophiques conformes ce que les dieux ont rvl tre la vrit. Nous toucherons aussi un peu la discipline oraculaire12, enseignement utile la contemplation, ainsi qu la purification de la vie. Quant lutilit de cette collection, elle sera facilement ressentie par ceux qui, dans leur douloureux enfantement de la vrit, ont un jour pri pour trouver dans lexprience dune piphanie des dieux un terme leur embarras, grce lenseignement digne de toute crance de ceux qui parleraient. [304 F] Quant toi, essaie, sil est des vrits ne pas divulguer, de ne pas divulguer cellesl et de ne pas les jeter aux profanes, que ce soit pour la gloriole, le profit ou quelque autre flatterie impure. Le risque serait alors grand, non seulement pour toi qui enfreindrais ces prceptes, mais galement pour moi qui aurais accord une confiance facile qui ne pouvait tenir secrtes les bienfaisances dont il faisait lobjet. Il faut donc les livrer ceux qui ont dispos leur vie en vue du salut de leur me. Cachemoi ces oracles comme les plus secrets des mystres, car les dieux eux non plus nont pas dlivr sur ces questions des oracles clairs, mais nigmatiques13.

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Porphyre a donc rassembl dans un recueil (, employ deux fois par Porphyre en Praep. evang. IV 7, 2) des oracles dApollon, des autres dieux et des
12. . na pas, selon nos dictionnaire, le sens doraculaire. Cest pourtant le sens quil faut supposer dans le prsent contexte pour qualifier cette utile la contemplation et la purification. Voir galement quelques lignes plus haut . Voir la note dOdile Zink dans ldition des Sources chrtiennes (SC 262, 1979), p.122, n. 1, qui suppose un sens, driv du verbe (=rendre des oracles) non mentionn par Bailly ou Liddell-Scott. Certains oracles sont consacrs lexposition du rituel chaldaque, ce qui ne veut pas dire quils taient emprunts la collection ancienne dOracles chaldaques. Le chapitre III de louvrage de H.Lewy, Chaldaean Oracles and Theurgy. Mysticism, Magic and Platonism in the Later Roman Empire, Le Caire 1956; nouvelle dition par Michel Tardieu, Paris 1978, p. 177226 (Theurgical Elevation) et le chapitre IV, p. 227 257 (The magical ritual of the Chaldaeans) commentent ces Oracles. Mme si les oracles du recueil porphyrien ne sont pas chaldaques, ils sont directement influencs par ce rituel. 13. Eusbe, Praep. evang. IV 7, 18, 2; t. I, p. 177, 417 et p. 178, 16.89 Mras: K -

. , , , . , , . , . () .

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bons dmons, comme sources dune philosophie rvle (quil aime appeler thosophie14) et dune | liturgie (ou dune mantique oraculaire) visant la contemplation 67 et la purification de lme. Ce prambule correspond trs exactement au contenu des fragments conservs. Une reconstitution du trait Sur la philosophie extraite des oracles de Porphyre qui ne se conformerait pas cette image risquerait fort dapparatre mal fonde. On remarquera que linjonction adresse au destinataire de ne pas dvoiler ces oracles implique que louvrage est destin des paens, ceux qui ont ordonn leur vie en vue du salut de leur me, et quil pourrait difficilement tre rduit une crit intentionnellement et ouvertement polmique dirig contre les chrtiens15.

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Les fragments antichrtiens La lecture des fragments montre que la confrontation avec le christianisme ntait certainement pas absente de louvrage. Mais il ne semble pas que Porphyre ait attaqu de front les chrtiens. On constate au contraire que les chrtiens ont cit du De Philosophia des vers qui leur paraissaient favorables au Christ ou aux Juifs, ou encore qui soulignaient la contrainte exerce sur les dieux par le thurge ou les passions manifestes par les dieux. Quelques-uns, cinq ou six sur une cinquantaine de fragments, font rfrence aux Juifs, au Christ ou aux chrtiens: 323-324, 343-345, 344a (fragment oubli par Wolff, mais sans rfrence prcise la Philosophie des Oracles). Quelle que soit la perspective originale de Porphyre, les chrtiens ont retenu de ces passages que
, . . , . 14. Selon P.F. Beatrice, Theosophia, p.xxix-xxx, the Theosophy appears to be the work capable of refuting and replacing Porphyrys Philosophy from Oracles in the religious and philosophical culture of that time. Beatrice rappelle que deux oracles du recueil proviennent de la Philosophie des oracles, mais il estime probable que Porphyrys Philosophy from Oracles was, if not the unique, certainly the main source of the first book of the Theosophy, devoted to the interpretation of the pagan oracles. Faut-il comprendre que dautres oracles pourraient lui tre attribus? 15. La perspective antichrtienne ntait donc pas inscrite dans la forme de louvrage. Elle ne saurait justifier lattribution la Philosophie des oracles des dclarations prtes un paen anonyme par Eusbe dans le Prologue de sa Prparation vanglique. Voir R.L. Wilken, Pagan criticism of Christianity. Greek religion and Christian faith, dans W.R. Schoedel et R.L. Wilken (dit.), Early christian literature and the classical intellectual tradition. In honorem Robert M. Grant, coll. Thologie historique 54, Paris 1979, p. 127, suivi sur ce point par Mme Digeser, art. cit, p. 129 n. 1 et p. 138. A. von Harnack les avait inscrits comme fragment 1 du Contra Christianos par respect sans doute pour le lgendaire flair philologique de son confrre Wilamowitz lAcadmie de Berlin. Voir U. von Wilamowitz-Moellendorf, Ein Bruchstck aus der Schrift des Porphyrius gegen die Christen, ZNW 1, 1900, p.101-105.

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Porphyre y tait favorable aux Juifs et au Christ, plus aux Juifs quau Christ, plus au Christ quaux chrtiens. De lensemble de louvrage, ils ont cru pouvoir tirer une critique de la dmonologie et de la thologie paenne. Mme en supposant que les chrtiens nont pas compris la perspective fondamentale de Porphyre, le moins que lon puisse dire est quils nont pas vu dans cet ouvrage un trait dirig expressment contre les chrtiens. Aux yeux dAugustin, lhabilet de Porphyre consistait au contraire louer le Christ pour mieux dnoncer les chrtiens. Selon toutes apparences, il ne serait pas venu lesprit des auteurs chrtiens de dsigner sans plus cet ouvrage comme un trait contre les chrtiens. On pourrait considrer que le reste des fragments exposait de faon positive 68 par opposition au christianisme la thologie et le culte paen tels que les rvlaient les dieux dans leurs oracles, si lon ne dcelait pas une certaine dprciation de la religion traditionnelle par rapport aux courants religieux orientaux. Dans les fragments 323-324 (Eusbe, Praep. evang. IX 10, 1-2 et 3-5), Porphyre commente un oracle dApollon en opposant les Barbares et les Hellnes: les Barbares, notamment les gyptiens, les Phniciens, les Chaldens ou les Assyriens, ainsi que les Lydiens et les Hbreux) ont dcouvert de nombreux sentiers pour conduire vers les dieux, alors que les Hellnes se sont gars. Il citait galement un oracle rservant aux Chaldens et aux Hbreux laccs la sagesse et le culte pur du Dieu Pre et Roi. Il est difficile de dcouvrir la position originale de Porphyre dans ce passage, du fait quEusbe et Augustin nont en gnral retenu que les extraits qui servaient leur propre cause. Mais si vraiment la perspective de ce trait avait t rduite une attaque contre le christianisme, pourquoi Porphyre aurait-il pris la peine de dvelopper des positions aussi nuances? Mais, une thse peut tre surprenante, paradoxale, et tre vraie. Il faut donc se tourner vers lexamen des arguments avancs par P. F. Beatrice dans ses diverses tudes. Lautorit dA. von Harnack Beatrice fait tat dune dclaration dAdolf von Harnack16 (this brilliant intuition), qui prsentait le Contra Christianos sous le titre (Sur la philosophie tire des oracles contres les chrtiens, en quinze livres). Mais ctait l manifestement une erreur, dj dnonce par Hauschildt17, que lhistorien na jamais renouvele dans ses tudes consacres au
Contra Christianos.

16. Adolf von Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Berlin 1893, t. I, 2, p.873, cit par P.F. Beatrice, Towards a new edition, p.348-349.

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Le titre Contra Christianos On pourrait soulever une objection de bon sens une identification entre le trait Contre les chrtiens et dautres traits de Porphyre: le titre et la dimension du trait Contre les chrtiens ne correspondent aucun des autres ouvrages avec lesquels on voudrait lidentifier. Cest pourquoi M. Beatrice a consacr un article indpendant cette question prliminaire18. Selon cet auteur, le titre Contre les chrtiens serait mal attest. On ne dispose en effet que dune seule attestation, tardive, puisquelle se trouve | dans la Souda. 69 La liste des uvres de Porphyre conserve par la Souda signale: . Un des manuscrits omet dailleurs ce titre19 et il napparat pas dans les catalogues arabes20. Souda, art. , 2098, t. IV, p. 278, 14-32 Adler:
, , , , , . , . . , , , , , , , , 21, 22, . , , , , , , , , , , . . Porphyre, celui qui a crit contre les chrtiens: son nom vritable tait Roi; originaire de Tyr, philosophe, lve de llve de Plotin Amlius, matre de Jamblique, il fut dans la force de lge lpoque dAurlien et vcut jusqu celle de lempereur Diocltien. Il a crit de trs nombreux ouvrages, de philosophie, de rhtorique et de grammaire. Il avait t aussi lauditeur du critique Longin. Des noms divins, un livre Des principes, deux livres De la matire, neuf livres 17. H. Hauschildt, De Porphyrio philosopho Macarii Magnetis apologetae Christiani Apokritikon auctore, Diss. Heidelberg, Bonn 1907, p. 38, n. 1. 18. Voir Title, p. 223. 19. Voir J. Bidez, Vie de Porphyre le philosophe no-platonicien, Gand 1913, p.52*; Harnack, op. cit., p.27. 20. Voir Bidez, op. cit., p. 54*-62*; Harnack, op. cit., p.27. 21. Il y a manifestement ici une confusion de deux titres. Rien ce sujet dans lapparat dA. Adler, sinon la correction propose par Vales(ius). Jacoby, FGrHist 260 T 1: Sur les [crits?] de Julien le Chalden; Histoire philosophique, en quatre livres, (corr. Vales.) . 22. Ce titre est absent dans le manuscrit .

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De lme, contre Boce, cinq livres De labstinence des tres anims, quatre livres Sur le Connais-toi toi-mme, quatre livres Des incorporels De lunicit de la doctrine de Platon et dAristote, six livres Sur lhistoire philosophique de Julien le Chalden, en quatre livres Discours contre les chrtiens, quinze livres De la philosophie dHomre Contre Aristote [et sa doctrine que?] lme est une entlchie Histoire philologique, dix livres Du genre, de lespce, de la diffrence, du propre et de laccident Des sources du Nil selon Pindare De lutilit dHomre pour les rois, dix livres Recherches mles, sept livres Sur le prologue de Thucydide Contre Aristide, sept livres Sur le manuel [de rhtorique] de Minucianus Et beaucoup dautres, surtout dastronomie: parmi lesquels une Introduction ltude de lastronomie en trois livres, et des Apories | grammaticales. Cest ce Porphyre qui a agit sa langue insolente contre les chrtiens.

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On remarquera que la Philosophie des oracles napparat pas dans cette liste, ce qui, aux yeux de M. Beatrice, milite en faveur dune identification de ce trait avec un autre trait, comme le . Mais cette liste est loin de contenir tous les ouvrages connus de Porphyre23. On y chercherait en vain la Vie de Plotin, les Sentences ou Lantre des nymphes, les Commentaires de Platon et dAristote, etc. Selon M. Beatrice, la formule de la Souda ne correspondrait pas un titre formel, mais se rapporterait la thmatique ou la perspective littraire dun ouvrage en quinze livres dirig contre les chrtiens: Lexpression pourrait simplement indiquer la cible de louvrage de Porphyre, sans tre son titre originel24. A propos dune rfrence fournie par Augustin (Ils ont expos encore dautres [objections?], quils disaient extraites de Porphyre, Contre les chrtiens, comme si elles taient passablement pertinentes)25, Beatrice crit de mme: Il rvle simplement la perspective antichrtienne des objections attribues Porphyre26.

23. Voir R. Beutler, art. Porphyrios 21, RE XXII 1, 1953, col. 275-313, notamment col. 278-301. 24. The expression could simply indicate the target of Porphyrys writing, without being its original title (Title, p.222). 25. Item alia proposuerunt, quae dicerent de Porphyrio contra Christianos tamquam validiora decerpta (Augustin, Lettre 102, 2, 8, CSEL 34, 2, p.551, 5-6 Goldbacher). 26. It simply reveals the anti-Christian intention of the objections attributed to Porphyry (Title, p.223).

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Pour illustrer ce sens purement descriptif de la formule employe propos de Porphyre, Beatrice27 cite Svrien de Gabala, De mundi creat., hom. 6 (PG 56, 487): Porphyre celui qui a composs [un ouvrage] contre les chrtiens (... ), et Nmsius dmse, De nat. hom. 3 (p. 42, 22-23 Morani): Porphyre, celui qui a agit sa langue contre le Christ (, ). Beatrice cite galement des formules dOrigne ou dEusbe qui voquent l de Celse comme un crit polmique dirig ou 28. Mais le fait que la formule puisse sinterprter dans un sens faible ne prouve 71 cependant pas que dans des contextes o lauteur numre des titres douvrages (comme dans la Souda, o la plupart des autres titres, rappelons-le, sont confirms par des fragments porphyriens) ou donne la rfrence littraire dune citation (comme chez Eusbe dans les passages que nous allons examiner), elle doive ncessairement tre ainsi interprte, mme lorsque lauteur ne prcise pas quil cite expressment le titre dun ouvrage. Car les innombrables titres douvrages comportant +gn. ou +acc. en grec ne sauraient tre rduits de pures vocations de leur cible littraire. Cest le contexte seul qui permet dtablir la prcision de la rfrence. Prenons par exemple les quatre rfrences suivantes au Contre Celse dOrigne que nous trouvons dans la Philocalie29:
Extraits des Tomes contre Celse, celui qui a crit contre les chrtiens, tomes 6 et 7, (chap. 15). Du tome 3 contre Celse, (chap. 16). Extraits des tomes 1 et 5 de louvrage contre Celse, (chap. 17). Extraits du tome 3 du mme trait contre Celse, (18). Harl: (chap. 18).

27. Title, p.222.

28. Origne, Contre Celse, prooem. 4: Et je ne sais pas dans quelle catgorie il faut ranger celui qui a besoin de discours crits dans des livres en rponse aux charges de Celse contre les chrtiens ( ), pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle (trad. M.Borret 1967). Voir aussi au dbut du prologue la formule contre les faux tmoignages de Celse contre les chrtiens dans son trait ( ). Eusbe, Hist. eccl. VI 36, 2 ( propos dOrigne): cette poque aussi, il compose les huit livres pour rpondre louvrage dirig contre nous par Celse lpicurien et intitul Discours vritable ( ). 29. Voir Origne, Philocalie, 1-20 Sur les critures. Introduction, texte, traduction et notes par Marguerite Harl, et La Lettre Africanus sur lhistoire de Suzanne. Introduction, texte, traduction et notes pas Nicholas de Lange, coll. SC 302, Paris 1983.

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Ces formules sont quivalentes. On peut toujours dire quaucune des quatre, mme la quatrime, ne prsente explicitement les mots Contre Celse comme le titre mme de louvrage dOrigne, mais il faut au moins reconnatre (a)quon ne connat pas dautre titre, (b) que cette faon de dsigner louvrage tait aux yeux des compilateurs suffisamment explicite pour identifier un ouvrage particulier. Dans une liste de titres, on ne voit pas pourquoi la Souda aurait prfr voquer les quinze livres crits par Porphyre contre les chrtiens plutt que den donner le titre prcis si vraiment ce titre avait t diffrent et si lauteur lavait connu. Attestations du titre du Contra Christianos 72

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Reste savoir si nous navons pas dattestation plus ancienne de ce titre. Eusbe de Csare qui cite gnralement de faon prcise ses sources, nous a transmis plusieurs extraits littraux du trait de Porphyre dirig contre les chrtiens. Considrons en quels termes il introduit chacune de ces citations en trois passages capitaux. Dans sa Prparation vanglique V 1, 9, o il veut montrer que les dmons mauvais ont perdu de leur puissance depuis la venue de Jsus-Christ parmi les hommes, il introduit dans les termes suivants le fragment 80 du recueil de von Harnack:
cest encore lauteur mme qui est, notre poque, lavocat des dmons, qui, dans le pamphlet30 quil a crit contre nous, porte tmoignage en ces termes31

Dans la Prparation vanglique I 9, 20, cest le fragment 41 qui est ainsi prsent:
Lauteur qui de nos jours a mont son pamphlet contre nous rappelle ces faits32 dans le quatrime livre de louvrage o il nous attaque33 30. E. des Places a traduit par pamphlet et P.F. Beatrice par compilation. Compilation est effectivement donn par le dictionnaire de Lampe (PGL), mais le seul exemple fourni est un passage dEusbe. On ne voit pas trs bien ce que Porphyre aurait ici compil. A lire lensemble des occurrences chez Eusbe, on retiendra plutt le sens de machination, complot, souvent en association avec +gn., par exemple le complot du peuple juif contre le Christ (Hist. eccl. I 3, 6) La formule consacre chez Eusbe, propos de Porphyre, est (Praep. evang. I 9, 20; voir aussi V 5, 5; V 36, 5; X 9, 12). Voir aussi en X 9, 11: . A propos dun ouvrage de Molon contre les Juifs, Eusbe emploie une formule semblable: . Comme le mot est souvent employ avec des verbes comme crire (Praep. evang. X 9, 12), on peut estimer que pamphlet (diffamatoire) est une assez bonne traduction. 31. Eusbe, Prp. vang. V 1, 9: ... (suit le fr. 80 Harnack). 32. Ou mentionne ces deux auteurs, cest--dire Sanchouniathon et Philon de Byblos? 33. Eusbe, Prp. vang. I 9, 20 (trad. J. Sirinelli): ... (suit le fr. 41 Harnack).

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Dans son Histoire ecclsiastique VI 19, 2-4, Eusbe introduit le fragment 39 du recueil de von Harnack:
Pourquoi faut-il dire cela, lorsque, encore de nos jours, Porphyre, sest tabli en Sicile, y a compos des crits contre nous, et sest efforc dy calomnier les critures divines34.

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A la fin de lextrait (VI 19, 9), il prcise le livre do est tir ce passage:
Voil ce qui a t crit par Porphyre au troisime des livres quil a crits contre les chrtiens Que ne devait pas faire ladversaire des chrtiens? 35

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On imagine mal quEusbe nait pas pens citer un titre prcis lorsquil a crit: . Beatrice36 fait rfrence ce passage, mais il ne lui consacre aucune explication. Si Eusbe avait connu louvrage sous un autre titre, notamment en tant que Philosophie des oracles, il aurait vraisemblablement pris la peine de lindiquer ici. On a peine croire que dans tous ces passages, Eusbe ait eu lesprit un titre de Porphyre quil se serait born voquer sans le mentionner. Eusbe tant lauteur le plus proche chronologiquement de Porphyre et lun des seuls avoir lu directement louvrage, son tmoignage doit tre tenu comme le plus dcisif. On peut admettre la limite quEusbe ne pensait pas citer un titre comme tel, on peut mme admettre que louvrage ntait connu que par un titre descriptif, mais ce qui est exclu est quEusbe ait employ de telles formules alors mme quil connaissait louvrage sous le titre . Les rfrences prcises de Jrme louvrage de Porphyre ressemblent tout fait celles que donne Eusbe:
Fr. 9a Harnack : ce Porphyre impie, qui crivit contre nous et, en plusieurs volumes, dversa sa rage, au tome XIV (impius ille Porphyrius, qui adversum nos conscripsit et multis voluminibus rabiem suam evomuit, in XIV. volumine) Fr. 21a Harnack: Ce Batanote et ce sclrat de Porphyre, au premier livre de son ouvrage contre nous (Bataneotes et sceleratus ille Porphyrius in I. operis sui adversum nos libro) Fr. 40 Harnack: cet impie de Porphyre, au livre IV de son livre, quau prix dun vain labeur il a compos contre nous (impius ille Porphyrius in IV. operis sui libro, quod adversum nos casso labore contexuit) Fr. 43 a Harnack: Contre le prophte Daniel Porphyre a crit le livre XII (Contra prophetam Danielem XII. librum scripsit Porphyrius)

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34. Eusbe, Hist. eccl. VI 19, 2-4 (trad. Bardy): , . En suivant T.D. Barnes (Scholarship or propaganda? Porphyry Against the Christian and its historical setting, BICS 39, 1994, p. 53-65), on peut aussi comprendre: lorsque mme Porphyre qui, de nos jours, sest tabli en Sicile. 35. Ibid. VI 19, 9 (conclusion): . (...) ( ;)... 36. Title, p.233, n. 79.

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Fr. 44 Harnack: au livre XIII de son ouvrage contre nous Porphyre a profr de nombreux blasphmes (multa Porphyrius XIII. operis sui volumine contra nos blasphemavit)

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Toutes ces rfrences ont en commun de signaler un livre particulier de louvrage de Porphyre sans prciser le titre exact de cet ouvrage autrement que par son caractre antichrtien. On doit galement tenir compte des divers dcrets impriaux dirigs contre Porphyre. Mme Digeser signale que le rapprochement qui est fait avec les Ariens montre que le grand reproche qui est adress au philosophe est sans doute de nier la divinit du Christ. Sans le dire ouvertement, elle semble considrer que le trait vis tait la Philosophie des Oracles, un ouvrage o le problme tait abord: un ouvrage qui tait pris beaucoup plus au srieux que le Contre les chrtiens37. Or, pas plus quEusbe ou Jrme, les Empereurs nont pris la peine de dsigner louvrage condamn autrement que par des formules gnrales:
Porphyre, lennemi de la religion, qui a compos des ouvrages sacrilges contre le culte divin, , ... (Socrate, Hist. eccl. I 9, 30 [concerne le Concile de Nice en 324] = 38 T Smith). ce que Porphyre, entran par sa folie, a crit contre le pieux culte des chrtiens, ... (Acta Conciliorum Oecumenicorum I 1, 4, p. 66, 8-12 [en 448] = 40 T Smith). propos des livres de Porphyre, ceux qui ont t composs contre le saint culte des chrtiens, | ... (Acta Conciliorum Oecumenicorum I 1, 4, p. 67, 7-15 [en 448] = 41 T Smith). et que nul ne possde, ne lise, ne copie, ni ne mentionne Nestorius, aussi bien ses paroles que ses livres criminels, et surtout ceux qua publis Porphyre contre les seules critures chrtiennes, nec habeat aliquis aut legat aut transcribat proferatve Nestorium vel terminos eius aut codices noxios et maxime quos contra solas38 Porphyrius edidit Christianas litteras (Acta Conciliorum Oecumenicorum II 3, 2, p. 89, 14-16 [en 451?] = 42 T Smith). ce qui a t dit par Porphyre contre les chrtiens, ... (Acta Conciliorum Oecumenicorum III, p.121, 22-26 [en 536] = 43 T Smith).

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Si les autorits impriales se sont contentes de telles formulations, cest que celles-ci suffisaient identifier un ouvrage prcis de Porphyre et non pas nimporte quel de ses ouvrages. En tout cas, il est difficilement imaginable que de telles formules aient pu viser un ouvrage comme la Philosophie des Oracles, que lon retrouvera cit tout au long du ive sicle, et cette difficult ne peut que saccrotre si lon en vient identifier ce trait dautres traits comme le De regressu animae, comme le voudrait Mme Digeser la suite de J.J. OMeara, ou toute une srie de traits porphyriens comme lenvisage M. Beatrice Que la Philosophie des Oracles ait rejet la divinit du Christ nexclut videmment pas que Porphyre ait pu adopter la mme position dans un trait explicitement dirig contre les chrtiens.
37. a work taken far more seriously than Against the Christians (E. DePalma Digeser, art. cit, p.135). 38. Solas est inattendu: sanctas?

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Mais, puisquon ne trouve pas, de fait, en dehors de la Souda, de citation o Contre les chrtiens soit explicitement prsent comme le titre de louvrage au moyen dun terme comme , admettons que le titre ne soit pas parfaitement tabli. Les rfrences les plus explicites au trait Contre les chrtiens Une douzaine de fragments du recueil de von Harnack contiennent une rfrence prcise un ouvrage antichrtien de Porphyre et mme un livre particulier de ce trait. Mme en laissant de ct tous les autres fragments o le nom de Porphyre napparat pas et mme ceux o il est mentionn sans rfrence prcise un ouvrage quil aurait compos, on peut se faire ainsi une ide assez prcise de louvrage. Cinq ou six livres de louvrage sont voqus de faon explicite. Il sagit des livres I, III et IV, XII et/ou XIII, et enfin XIV. Que lon y voie un titre ou une simple dsignation de son contenu, on constate que louvrage est dsign, tant chez les Grecs que chez les | Latins, par des formules 76 quasi identiques: il tait crit contra nos, adversum nos, contra Christianos, , . Enfin, plusieurs fragments permettent dtablir que louvrage attaquait directement les chrtiens, les critures Saintes et notamment le livre de Daniel. Cest cet ouvrage que rfutrent Mthode dOlympe, Eusbe de Csare et Apollinaire de Laodice, peut-tre dautres auteurs chrtiens comme Philostorge, et cest cet ouvrage que condamnrent, au moins deux reprises, les empereurs chrtiens. Je ne retiens que ces informations minimales pour montrer que lexistence dun trait antichrtien de Porphyre ne saurait tre remise en question, mme si lon rduisait le recueil des fragments un noyau regroupant uniquement des fragments rattachs explicitement un trait crit par Porphyre contre les chrtiens. Le Contra Christianos et le De philosophia ex oraculis Selon Beatrice, Eusbe et plusieurs autres auteurs chrtiens connaissaient le titre vritable de ce trait dirig contre les chrtiens. Ctait la Philosophie des
oracles.

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Le principal argument de Beatrice semble tre un passage de la Prparation vanglique dans lequel Eusbe introduit une citation de la Philosophie des Oracles en prsentant Porphyre comme (V 5, 5):
En attendant, eh bien! nous rassemblerons tous les autres renseignements sur la puissance et lactivit des prtendus bons dmons que nous donne (ou: quexpose, ) de son ct

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lauteur du pamphlet (compilation, Beatrice) dirig contre nous, dans louvrage intitul La Philosophie tire des oracles39.

Selon Beatrice40, il faudrait comprendre que ce pamphlet est la Philosophie des 77 oracles ou encore que louvrage quEusbe sapprtait citer tait le pamphlet antichrtien voqu. De mme, dans la Dmonstration vanglique III 6, 39, Eusbe introduit une citation du troisime livre du mme ouvrage en lattribuant lennemi des chrtiens, :
Quelle confirmation plus digne de crance peut-elle ttre donne que celle qui est fournie par louvrage de lauteur qui sest comport en ennemi contre nous, confirmation qui se trouve dans le troisime livre de louvrage quil a intitul Sur la philosophie tire des oracles41

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La conclusion quen tire Beatrice est la suivante:


On peut difficilement ne pas reconnatre que dans lensemble de la littrature chrtienne antique ce passage de la Dmonstration vanglique dEusbe est le seul dans lequel il est tabli sans ambigut que le titre de louvrage antichrtien de Porphyre tait 42.

On trouverait une confirmation de cette identification en Praep. evang. IV 6, 2-3. Aprs avoir prsent Porphyre comme un philosophe ami des dmons ( ) et comme un contemporain qui sest enorgueilli des mensonges quil a crits contre nous ( ), Eusbe enchane:

39. Eusbe, Praep. evang. V 5, 5-7 (trad. O. Zink): (...) , , . La traduction fournie par Beatrice, Title, p.233, et Towards a new edition, p. 247, emprunte E.H. Gifford (Oxford 1903), donne un srieux coup de pouce lidentification des deux traits: the author of the compulation against us in the book which he entitled Of the Philosophy to be derived from Oracles. Mais . se rapporte au verbe et non . 40. Title, p. 233, et Towards a new edition, p.347. 41. Eusbe, Dem. evang. III 6, 39: <> , , ... 42. It can hardly be denied that in the whole of ancient Christian literature this passage from Eusebiuss Proof of the Gospel is the only one in which it is unambiguously stated that the title () of Porphyrys anti-Christian writing ( ) was (Beatrice, Title, p. 235). Voir Title, p. 234, et Towards a new edition, p. 349, o Beatrice parle de decisive evidence. Beutler (RE XXII/1, col. 298) semble avoir attribu le fragment (Dem. evang. III 6) non pas la Philosophie des oracles, mais au trait Contre les chrtiens. Il tablirait, selon Beatrice, Title, p.234, un rapprochement avec Eusbe, Hist. eccl. VI 19, et Augustin, De civ. Dei XIX 23. Mais il sagit sans doute dune simple erreur de Beutler. Il y a l une rfrence explicite la Philosophie des oracles, trait que Beutler, pour sa part, distingue nettement du Contra Christianos.

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Ainsi donc, dans louvrage intitul La Philosophie tire des oracles, cet auteur a rassembl les oracles dApollon, des autres dieux et bons dmons dont le choix lui a sembl particulirement heureux pour dmontrer la puissance de ceux que lon considre comme des | dieux et pour exhorter les hommes ce quil lui plat dappeler la thosophie43.

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Voir encore Eusbe, Praep. evang. V 36, 5:


Aprs ces propos, passe maintenant la Philosophie tire des oracles de celui qui a compos contre nous son rquisitoire (ou pamphlet!)44

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Dans ces quatre passages, une citation de la Philosophie des oracles de Porphyre est prsente comme luvre dun adversaire du christianisme. Beatrice en conclut systmatiquement que luvre antichrtienne laquelle pensait Eusbe tait la Philosophie des oracles45. Pour toute la tradition byzantine46, la dsignation officielle de Porphyre est , celui qui sest exprim 47, celui qui agit sa langue impure contre les chrtiens48 ou contre la vrit49. Il est lennemi de la religion chrtienne50. La formule pourrait provenir dEusbe qui mentionne | rgulirement Porphyre comme notre contemporain 79 qui a compos son pamphlet contre nous.
43. Eusbe, Praep. evang. IV 6, 3 (trad. O. Zink): , . Voir Title, p.233. 44. Eusbe, Praep. evang. V 36, 5 (trad. d. des Places): . Voir Title, p.233. 45. Beatrice suit peut-tre dans son interprtation de ce passage J.J. OMeara, Porphyrys Philosophy from Oracles in Augustine, Paris 1959, p.107, qui crit: Il est peut-tre bon dindiquer ds le dbut quEusbe dcrit la Philosophie des oracles comme une compilation dirige contre nous, cest--dire contre les Chrtiens (It may be well to state at the outset that Eusebius describes the Philosophy from Oracles as a compilation made against us, that is, Christians). 46. Georges le Moine Chron. 539: . . Cedrenus, vol. I, p. 441: . Symeon Logothetes, Chron. p. 71: . Souda E 1454: , . 47. Cf. Justinien, Nov. XLII 2: ... ... 48. Souda 2473: ... , . 49. Thophane le Confesseur, Chron. p. 52: , ... , . 50. Cyrille, Contra Iulianum, I 38 (= F203 Smith): , , ...; Socrate I 9: , ...

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Il est vident que pour Eusbe Porphyre tait lEnnemi dclar des chrtiens, du fait quil avait dirig contre eux un trait colossal qui suffisait lidentifier, mais cela implique-t-il quil faille identifier le Contra Christianos au De philosophia ex oraculis? Lorsquon voit Cyrille employer des formules semblables pour introduire une citation de lHistoire philosophique, on peut lgitimement en douter. Une telle interprtation ne me semble donc pas simposer, pas plus quen disant lauteur du Discours de la mthode dans ses Mditations mtaphysiques on nidentifierait le Discours et les Mditations. On pourrait tout aussi bien conclure quen introduisant un extrait du De abstinentia de Porphyre avec une formule semblable, Eusbe, dans sa Prparation vanglique I 9, 6, identifiait par l le De abstinentia au Contra Christianos:
Mais, notre poque aussi, lhomme mme qui a fait partie de nos contemporains et sest illustr par les invectives lances contre nous, dans son ouvrage Sur labstinence des viandes, rappelle en propres termes, de la manire suivante, en prenant tmoin Thophraste, le souvenir de lantique civilisation des anciens hommes51.

Beatrice fait tat de ce passage sans en tirer de conclusion claire. Alors quOdile Zink y voyait une allusion au Contra Christianos, Beatrice conteste ce point:
Selon moi, une lecture sans prjug de tous les passages dans lesquels Eusbe mentionne Porphyre conduit des rsultats diffrents. () Il faut reconnatre que linterprtation de ces deux derniers passages nest pas vidente ni univoque: ils peuvent conduire des attributions contradictoires52.

Mais nous retrouverons plus loin, propos de Thodoret, le problme des rapports entre le De abstinentia et le Contra Christianos. Un schma anti-porphyrien rcurrent Lallusion aux critiques antichrtiennes de Porphyre dans ces citations nest pas ici quune forme de manirisme, elle fait partie dun stratagme qui consiste glaner chez les adversaires du christianisme les tmoignages qui servent largumentation. Eusbe fait appel explicitement des citations du trait Contre les chrtiens pour tablir lanciennet de Mose (fr.40) ou la clbrit profane dOrigne (fr. 39), et dautres crits, comme le De abstinentia, la Philosophie des Oracles ou la Lettre Anbon, pour tablir dautres points. Cest en tant quadversaire des chrtiens et dfenseur des dieux ou des dmons du paganisme que Porphyre appa 51. Eusbe, Praep. evang. I 9, 6 (trad. J. Sirinelli): , , , ... 52. In my opinion, from an unbiassed reading of all Eusebiuss passages mentioning Porphyry, different results are to be obtained. () It should be acknowledged that the interpretation of these two last passages is neither immediate nor univocal: they could lead to contrasting attributions (Title, p. 233-234).

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rat dans ces citations comme un tmoin incontestable. Par ces rapprochements, Eusbe combat Porphyre avec ses propres armes. Cette perspective est manifeste si on lit le premier passage allgu par Beatrice dans son contexte, sans sarrter aux premires lignes:
En attendant, eh bien! nous rassemblerons tous les autres renseignements sur la puissance et lactivit des prtendus bons dmons que nous donne de son ct lauteur du pamphlet dirig contre nous, dans louvrage intitul La Philosophie tire des oracles; maintenant, en effet, comme je lai dj fait souvent, cest surtout son tmoignage que jutiliserai pour rfuter lerreur concernant les prtendus dieux des paens, afin quils rougissent dtre frapps de leurs propres traits et de leurs propres flches. 6Cest en effet le moyen de rendre notre dmonstration sur ce sujet complte et irrfutable, puisquelle viendra des propres amis des dieux, et en particulier de ceux que lon tient pour pieux et qui ont explor dans les moindres dtails le domaine qui les concerne. 7 Lauteur en question expose cela dans son ouvrage intitul La Philosophie tire des oracles, o il atteste quil ne dvoile pas les secrets touchant les dieux; il prononce lui-mme un serment et ordonne de tenir cach, sans lexposer la multitude, ce qui va tre dit53.

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Le rapprochement effectu par Eusbe entre la Philosophie des Oracles et la 81 position foncirement antichrtienne de Porphyre ne sert donc pas, comme le voudrait Mme Digeser54, souligner le caractre polmique de louvrage (its critical tenor), mais plutt accrditer limportance que devraient accorder les paens eux-mmes un tmoignage qui met en cause la religion paenne. Cest galement la perspective du second passage:
Quelle confirmation plus digne de crance peut-elle ttre donne que celle qui est fournie par louvrage de lauteur qui sest comport en ennemi contre nous, confirmation qui se trouve dans le troisime livre de louvrage quil a intitul Sur la philosophie tire des oracles55

Voir encore Eusbe, Praep. evang. IV 6, 2-3:


Alors quil y a chez les Grecs un nombre incalculable dhistoriens et de philosophes, je choisis celui qui me semble convenir mieux que tous les autres mon propos, celui-l mme qui est lami des dmons et qui, tant notre contemporain, senorgueillit des mensonges quil a crits contre nous. 53. Eusbe, Praep. evang. V 5, 5-7 (trad. O. Zink): , , . , , , . [6] . [7] , , . 54. E. DePalma Digeser, art. cit, p.135. 55. Eusbe, Dem. evang. III 6, 39: <> , ...

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En effet, cest celui des philosophes de notre temps qui, semble-t-il, a eu le plus de relations avec les dmons et ceux quil appelle des dieux, celui galement qui a t leur meilleur ambassadeur et, chose beaucoup plus importante, cest celui qui connat le mieux leur domaine propre. 3Ainsi donc, dans louvrage intitul La Philosophie tire des oracles, cet auteur a rassembl les oracles dApollon, des autres dieux et bons dmons dont le choix lui a sembl particulirement heureux pour dmontrer la puissance de ceux que lon considre comme des dieux et pour exhorter les hommes ce quil lui plat dappeler la thosophie 56.

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Nous sommes donc en prsence dun schma polmique que nous retrouve- 82 rons ailleurs: il consiste emprunter Porphyre des critiques explicites ou implicites de la religion paenne, du fait quil est par ailleurs un aptre du paganisme et quil sest illustr comme un adversaire des chrtiens. Mais il importe peu dans ce contexte que les deux points de vue porphyriens pris en compte par les chrtiens soient prsents dans un seul et mme ouvrage. Cette technique qui consiste souligner les contraditions de ladversaire ou emprunter contre lui ses propres armes avait t systmatiquement employe par Porphyre lui-mme, ce qui peut expliquer quelle ait t reprise contre lui par les chrtiens. On la retrouve chez Augustin, Cit de Dieu XIX 22, 17 (343 F Smith):
Cest le Dieu que Porphyre, le plus savant des philosophes, bien que lennemi le plus acharn des chrtiens, proclame le grand Dieu, daprs prcisment les oracles de ceux quil croit tre des dieux57.

On observe le mme phnomne dans un texte de Firmicus Maternus, galement allgu par Beatrice: aprs avoir prsent Porphyre comme un ennemi des chrtiens, Firmicus cite un passage du dbut de la Philosophie des Oracles dnonant la faiblesse de Sarapis qui rpond aux injonctions dun homme. Loin dtablir, comme le voudrait Beatrice58, que pour cet auteur la Philosophie des Oracles tait louvrage antichrtien de Porphyre, ce passage ninsiste-t-il pas sur la trahison commise par ce dfenseur des cultes paens, lennemi de Dieu, ladversaire de la vrit, le matre des sciences criminelles (defensor sacrorum, hostis dei, veritatis inimicus, sceleratarum artium magister), qui nhsite pas rduire les dieux du paganisme des dmons?
56. Eusbe, Praep. evang. IV 6, 2-3 (trad. O. Zink): , , . . [3] , . 57. Augustin, Civ. Dei XIX 22, 17 (fr. 343 Smith, trad. Combs): Postremo ipse est Deus, quem doctissimus philosophorum, quamvis Christianorum acerrimus inimicus, etiam per eorum oracula, quos deos putat, deum magnum Porphyrius confitetur. 58. Title, p. 224. Voir aussi Platonic readings, p.265.

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4() Les victimes et le sang rpandu par limmolation rpte du btail nont pas dautre effet que celui de nourrir la substance des dmons qui sont ns des uvres du Diable. Quil en soit bien ainsi, Porphyre ce dfenseur des cultes paens, lennemi de Dieu, ladversaire de la vrit, le matre des sciences criminelles nous en a donn des preuves manifestes. Dans louvrage quil intitule La philosophie des oracles, en voulant prner la grandeur de cette philosophie, il a reconnu sa faiblesse. Dans les premires pages du livre (cest--dire dans lintroduction mme), il a dclar: Srapis invoqu et introduit dans le corps dun homme rpondit en ces termes. 5Quils me disent maintenant, ces gens dvoys, qui | lemporte de celui qui invoque, commande et enferme ou de celui qui obit linvocation et, une fois l, se laisse enfermer par le pouvoir de lhomme qui ordonne dans le corps de lhomme qui laccueille? Nous te remercions de ton livre, Porphyre: tu nous as rvl [dvoil?] la substance de tes dieux; grce toi, nous avons appris jusqu quel point tes dieux sont asservis aux ordres des humains. Ton Srapis est voqu par un homme, et il vient! Aussitt arriv, il se laisse enfermer sur ordre et lobligation de parler lui est enjointe, ventuellement contre son gr!59

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On peut reconnatre la mme stratgie dans un passage de Rufin dAquile, nouveau cit par M. Beatrice60. Du fait que Rufin voquerait les crits antichrtiens de Porphyre comme provenant dun auteur ayant fait lapologie de lidolatrie inspire par les dmons (ab idolis daemonum [magister]), M. Beatrice conclut que cet auteur aurait identifi le trait contre les chrtiens avec la Philosophie des oracles61. Ce schma consistant mettre Porphyre en contradiction avec lui-mme est rcurrent chez les apologtes chrtiens. Plusieurs passages de Thodoret cits par M. Beatrice en faveur de son identification sont passibles de la mme interprtation. A la suite dune citation de la Philosophie des oracles (=Eusbe, Praep. evang. VI 5, 1), lapologiste conclut, selon le mme schma inspir dEusbe:
Puisque vous ne nous croyez pas lorsque nous vous parlons de vos oracles, croyez notre pire ennemi qui est votre meilleur ami. Car il est notre adversaire implacable, lui qui engagea la lutte ouverte contre la religion62.

59. Firmicus Maternus, De errore profan. rel. XIII 4-5 (fr. 306 Smith, trad. R. Turcan): Nihil enim operantur uictimae et cruor ex assidua pecorum caede profusus nisi ut daemonum substantia qui diaboli procreatione generantur ex isto sanguine nutriatur. Nam ita esse Porphyrius, defensor sacrorum, hostis dei, ueritatis inimicus, sceleratarum artium magister, manifestis nobis probationibus prodidit. I n l i b r i s e n i m q u o s a p p e l l a t maiestatem eius praedicans de infirmitate confessus est. In primis enim librorum partibus, id est in ipsis auspiciis positus, dixit: Serapis uocatus et intra corpus hominis conlatus talia respondit. 5. Dicant nunc mihi perditi homines: qui potior est, qui uocat et imperat et includit an qui uocatur et paret et cum uenerit in suscipientis hominis corpore potestate iubentis includitur? 6. Gratias agimus, Porphyri, libris tuis: deorum tuorum nobis substantiam p r o d i d i s t i . 7.Didicimus per te quatenus dii tui hominibus iubentibus seruiant. 8.Serapis tuus ab homine uocatur et uenit, et cum uenerit statim iussus includitur, et loquendi necessitas nolenti forsitan imperatur! 60. Apol. contra Hieron. II 9 (CCL 20, 91); II 13 (93); II 15 (95). 61. Voir Title, p. 225.

62. Thodoret, Thrapeutique X 12 (trad. P. Canivet): , , , , , .

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Toujours chez Thodoret, Thrapeutique I 42-43, Porphyre sert tablir, grce 84 un passage de la Philosophie des Oracles, lantiquit des Hbreux:
Le fameux Porphyre, qui nous a fait une guerre acharne, sexprime ainsi dans son ouvrage Sur la Philosophie des Oracles (citation dun extrait emprunt Eusbe: Praep. evang. XIV 10, 4-5 = 324 F Smith). Si le pire de tous nos ennemis reproche aux Grecs davoir t les esclaves de lerreur63

Je ne puis voir quun complet contresens dans la conclusion que Beatrice tire de ces trois passages:
La conclusion invitable quil faut tirer est quaux yeux de Thodoret, daprs la documentation dont il disposait, le trait antichrtien de Porphyre sintitulait La Philosophie des oracles64.

Le trait Contre les chrtiens chez Thodoret

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Selon P.F. Beatrice, Thodoret ne ferait jamais rfrence au trait antichrtien de Porphyre sans citer la Philosophe des oracles.
Chaque fois que Thodoret rappelle lactivit littraire de Porphyre contre les chrtiens, il y fait rfrence en citant non pas un hypothtique trait Contre les chrtiens, mais plutt la Philosophie des oracles, ce qui nest pas fortuit65.

Cette affirmation surprenante fait suite un passage o M. Beatrice fournit trois rfrences o Thodoret fait pourtant directement allusion au trait Contre les chrtiens sans mentionner la Philosophie des Oracles. Il sagirait de II 43-44; VII 36 et XII 96. Ainsi Thodoret, Thrapeutique II 43-44, se borne citer le fragment 40 du recueil de von Harnack:
Ne savez-vous pas que Mose, le lgislateur des Juifs, est plus ancien que tous vos potes, historiens et philosophes? Et si vous doutez encore, si vous nous souponnez dinventer ce que javance, eh bien! Porphyre de vous apporter le tmoignage qui vous | impressionnera, lui qui, lavant-garde de limpit, a dchan sa langue effrne contre le Dieu de lUnivers. coutez donc ce quil dit dans louvrage quil composa contre nous66. 63. Thodoret, Thrapeutique I 42-43 (trad. P.Canivet): , , [...] [43] .... 64. The inevitable conclusion to be drawn is that, in Theodorets eyes, on the basis of the documentation he had at disposal, Porphyrys anti-Christian work was entitled The Philosophy from Oracles (Title, p.228). 65. Each time Theodoret recalls Porphyrys literary activity against the Christians, he refers to it by quoting not from an alleged treatise Against the Christians, but rather from The Philosophy from Oracles, which is no coincidence! (Title, p.227). 66. Thodoret, Thrapeutique II 43-44 (trad. P. Canivet): , ; , , . , ... (suit une citation du fragment 40 Harnack, repris dEusbe, Praep. evang. I 9, 20 sqq.)

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De mme Thodoret, Thrapeutique XII 96-97, introduit une citation du fragment 80 du recueil de von Harnack sans faire rfrence nul autre trait:
Jai montr comment, une fois repousse lerreur des faux dieux, la doctrine de notre Sauveur est proclame. Cest prcisment ce que dit mme Porphyre dans ces lignes diriges contre nous

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Aprs avoir cit le fragment, Thodoret conclut: Voil ce qua dclar Porphyre, notre pire ennemi67. En ce qui concerne Thrapeutique VII 36, o les critiques de Porphyre contre les chrtiens sont opposes sa propre critique des sacrifices paens, le passage nintroduit pas une citation du trait antichrtien, comme le suppose M. Beatrice68, mais bien du De abstinentia. Ce serait mal comprendre Thodoret que de supposer quici encore le De abstinentia serait louvrage mme dans lequel Porphyre sen prenait aux chrtiens.
() Porphyre, qui les (scil.les Prophtes) avait lus avec attention (il y passait beaucoup de temps alors quil mrissait son ouvrage contre nous), dmontre, lui aussi, que le fait de sacrifier est tout autre chose que de la vraie pit69. Agissant peu prs comme les singes, il lui arrive la mme chose: en effet, de mme que les singes imitent ce que font les hommes, sans prendre toutefois la nature humaine la place de la leur, mais tout en restant | singes, de mme Porphyre qui a vol les divins oracles et qui en a introduit la pense dans ses propres crits, na pas voulu changer ses ides pour la vrit, mais il est rest singe, ou plutt un geai par des plumes dautrui! 70

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Ces passages contredisent donc ouvertement laffirmation de Beatrice selon laquelle Thodoret se rfrerait toujours la Philosophie des oracles lorsquil voque
67. Thodoret, Thrapeutique XII 96-97 (trad. P. Canivet): ... (...) , . , , [...] [97] . Comp. Euseb., Praep. evang. V 1, 9 sq.: ... 68. Title, p. 227. 69. Mme Digeser, art. cit, p. 138, comprend: Porphyry... represented the foreignness of our piety, and he himself gave an account of sacrificing.... tablissant, sur la base de cette traduction tonnante, un rapprochement avec ltranget de la religion chrtienne voque dans le fragment 1 Harnack, elle en conclut que ce dveloppement dEusbe doit tre rattach la Philosophie des Oracles, o taient traits deux thmes importants: les sacrifices et les oracles. Mais cest en vrit un passage du De abstinentia que sapprte citer Thodoret ( la suite dEusbe) et les oracles dont il sera bientt question ne sont pas les oracles paens, mais les saintes critures. 70. Thodoret, Thrapeutique VII 36 (trad. P. Canivet): , , , . , , , , , , , . Contrairement ce que semble penser Mme Digeser (art. cit, p. 138: Having stolen the divine oracles..., he put them into books for his kinsmen), les divins oracles dans ce passage ne sont pas les oracles paens, mais les Saintes critures. Canivet a certainement raison de construire avec .

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la critique porphyrienne du christianisme. Parfois, il ne semble penser qu un trait explicitement dirig contre les chrtiens, parfois il le met en rapport avec la Philosophie des oracles et, dans un cas au moins, il pense au De abstinentia. Je pense donc que dans les passages o Thodoret tablit un lien entre la critique du christianisme et la Philosophie des oracles, il le fait pour valoriser dun point de vue polmique le tmoignage fourni par cet ouvrage et non pour identifier le trait Contre les chrtiens et la Philosophie des oracles. Extension des fragments du Contra christianos

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Ltape suivante dans la construction de Beatrice est une tentative pour tendre la masse des fragments de la Philosophie des oracles, qui serait donc louvrage vritable parfois dsign comme le trait que Porphyre avait crit contre les chrtiens. A la cinquantaine de fragments dj connus de la Philosophie des oracles et aux fragments nominaux de louvrage quon appelait Contre les chrtiens, il faudrait ajouter les fragments de plusieurs autres traits de Porphyre. Je ne mattarderai pas sur les fragments de la Chronique. Il sagit de listes de souverains de lpoque hellnistique qui ont t reprises par | Eusbe dans sa 87 propre Chronique. Ces passages ne sont conservs que dans la version armnienne. Le rattachement propos par Beatrice la Philosophie des oracles sappuie sur les conclusions de Brian Croke71 qui a remis en cause lexistence dune Chronique de Porphyre. La seule attestation du titre de la Chronique de Porphyre reposerait sur un contresens et le seul passage arabe en faisant mention concernerait lHistoire philosophique de cet auteur72. Quant aux fragments conservs par Eusbe, ils pourraient tre rapports la critique porphyrienne du livre de Daniel, telle quelle
71. B. Croke, Porphyrys Anti-Christian Chronology, JThSt 34, 1983, p.168-185, repris dans Christian Chronicles and Byzantine History, 5th-7th Centuries, coll. Collected Studies Series CS386, Aldershot 1992, n II. 72. Le passage est tir du Fihrist dIbn al-Nadim (I, p. 245, 13-14 Flgel), un bio-bibliographe arabe du ixe s. de notre re, et concerne Thals. Voir 194b T Smith: Porphyry of Tyre asserted in his book, the Chronicle, which was in Syriac, that the first of the seven philosophers was Thales Smith semble citer la traduction anglaise de B. Dodge (1970), mais selon T. D. Barnes, Scholarship or propaganda? Porphyry Against the Christian and its historical setting, BICS 39, 1994, p. 53-65 (p. 56), Dodge a crit in his book History et non in his book, the Chronicle! Barnes a obtenu pour sa part une nouvelle traduction faite par un arabisant qui a traduit ces mots par in his book The History Dans un passage voisin (I, p.253, 18-19 Flgel = 194a T Smith), al-Nadim dclare avoir lu lHistoire philosophique de Porphyre, ou du moins son quatrime livre, dans une version syriaque. Un auteur arabe cite lHistoire philosophique propos de Thals. Croke en a conclu que cest cet ouvrage que pensait al-Nadim. Il est suivi notamment par Barnes (art. cit, p.55). En guise de confirmation, voir Jean Malalas, Chronogr. II 56 (199 T Smith): . Cette dmonstration supprime donc la seule attestation du titre. A vrai dire, Smith a rattach ce passage dal-Nadim lHistoire philosophique, mais il a maintenu parmi les uvres de Porphyre un ouvrage quil intitule Chronica

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tait dveloppe dans le livre XII et/ou XIII du Contra Christianos. Dautres passages se rapporteraient lHistoire philosophique. Les listes des souverains hellnistiques auraient donc t empruntes par Eusbe non pas une Chronique, mais au trait Contre les chrtiens, o elles servaient une critique de lauthenticit du livre de Daniel. Cette explication est plausible, mais il reste un certain nombre de tmoignages qui mriteraient dtre pris en compte, notamment le fait quEusbe73 attribue Porphyre des informations chronographiques stendant de la Chute de Troie au rgne de Claude II le Gothique en 270 aprs J.-C., ce qui dpasse largement la perspective dune critique du livre de Daniel. Dautre part, les listes des souverains hellnistiques ne semblent nulle part mettre en relief les noms, les dates ou les faits qui pourraient concerner | la datation de Daniel. Enfin, 88 il existe un passage dEunape de Sardes (Vies des sophistes III 1, 1), jamais pris en compte et, il est vrai, parfois corrig, dans lequel Eunape prtend que Porphyre a conjectur les temps jusquau rgne de Claude et des empereurs qui ont suivi. Je prfre donc rserver mon jugement sur ce problme qui na quune incidence secondaire sur linterprtation du trait Contre les chrtiens. Le trait Sur les statues et le De philosophia ex oraculis P.F. Beatrice a procd une nouvelle identification dans un autre article, intitul La croix et les idoles daprs lApologie dAthanase Contre les Paens74. Aprs avoir suggr une connaissance par Athanase des fr. 1 et 3 du de Porphyre, Beatrice crit: Mais il est permis de douter que cette uvre ait jamais exist sous ce titre, puisque Eusbe dclare avoir extrait ces fragments sur les statues des dieux dune uvre porphyrienne intitule Philosophie des oracles75. En note, il renvoie Eusbe, Praep. evang. III 13, 3 et III 14, 4. La mme affirmation est renouvele dans larticle sur les libri Platonicorum. Aprs avoir rattach les dveloppements sur lidoltrie gyptienne non pas au De abstinentia, dont une traduction latine nest pas atteste, mais au de Porphyre (p.253), Beatrice crit: Cependant, Eusbe de Csare qui, dans le livre III de sa Prparation vanglique, inclut les fragments porphyriens en question,
en sappuyant sur une citation dAbul al-Faraj Bar Hebraeus: Porphyry the chronicler says that Homer the poet and Hesiod both lived at this time (255 T). 73. Dans la prface armnienne de la Chronique dEusbe, p. 125 Karst: Rmerknige, welche von Romilos, welche von Augostos und bis auf uns. Der Rmer Hypaten von Julios Kaisr bis auf uns. FGrHist 260 T 2. Die Rmer Zeiten. Nachdem zusammengetragen ist das smtliche Errterte aus den Denkmlern, die hier der Reihe nach verzeichnet sind: aus dem Polyhistor Alexandros; () aus Porphyrios, unserem zeitgenssischen Philosophen, von der Einahme Ilions bis zur Regierung des Klaudios 74. Athanase, p. 159-177. 75. Athanase, p. 175.

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dit quil les a emprunts un ouvrage intitul Philosophie des oracles76. La note 60 donne nouveau comme rfrence III 13, 3 et III 14, 4.
Tout ceci a chapp lattention de Bidez. Il a trouv le titre chez Stobe, (), sans prendre en compte linformation prcise fournie par Eusbe. Pourtant, lintention de Stobe tait probablement dindiquer le contenu de louvrage de Porphyre ou dune de ses sections77.

Mme argumentation dans larticle sur Arnobe:


Toutefois ces fragments, contrairement ce que croyait lditeur Bidez, nappartiennent pas une uvre intitule , mais, exactement comme laffirme Eusbe de Csare, ils sont extraits dune uvre qui a pour titre . Ce serait donc celle-ci luvre de Porphyre contenant les oracles qui accusent les chrtiens dimpit et qui forme lobjet de la rfutation dArnobe78.

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En vrit, en III 13, 3, Eusbe ne fournit aucune rfrence prcise et en III 14, 4, la rfrence concerne dautres extraits concernant les oracles et non pas les statues. Dans le livre III, Eusbe cite au moins quatre ouvrages de Porphyre: Lettre lgyptien Anbon (12 Sodano; cf. Jambl., De myst. VIII 4) = III 4, 1-2; De abstinentia IV 9 = III 4, 6-12 et 13-14; Un trait non identifi ( ) dont il cite plusieurs extraits. III 6, 779; Philosophie des oracles = III 14, 4 et sqq. Porphyre lcrit galement dans son trait intitul De la philosophie tire des oracles, o il cite les oracles rdigs peu prs ainsi Contrairement son habitude, Eusbe ne donne pas de rfrence prcise pour les extraits du , quil interrompt dailleurs par des extraits emprunts dautres auteurs. Mme en III 13, 3, o Eusbe rattache les citations quil fait son dsir de faire connatre les secrets de la thologie tant hellnique qugyptienne, on a peine deviner un titre prcis, mais en III 11, 45, on voit quen cet endroit on passait dun chapitre sur la thologie grecque un autre chapitre sur la thologie gyptienne: Voil pour le symbolisme grec; celui des gyptiens, maintenant, voici comme il le prsente,
76. However, Eusebius of Caesarea who, in Book III of the Praeparatio evangelica, includes the Porphyrian fragments in question, says that he has drawn them from a work entitled Philosophy from the Oracles (Platonic readings, p. 254). 77. All this escaped Bidez attention. He has found the title in Stobaeus, (), without taking into account Eusebius precise information. Yet, Stobaeus intention was probably to indicate the contents of Porphyrys work or of one of its sections (Platonic readings, p. 254, n. 60 [p. 273]). 78. Arnobe, p. 114. En fait, les deux oracles voqus par Arnobe ne sont pas rattachs Porphyre. Cest par le biais du mot beblos que ce rapprochement gratuit a t opr.

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| (trad. d. des 90 Places). Malgr les rfrences rptes dans ces trois articles, je crois donc que largumentation de M. Beatrice repose ici sur des bases fort contestables. En III 13, 3, on na aucune rfrence prcise, sinon un crit consacr par Porphyre la thologie grecque et gyptienne, et en tout cas aucune allusion la Philosophie des Oracles. En III 14, 4, la rfrence la Philosophie des Oracles est relle, mais elle concerne lextrait qui suit et nest donc pas mise en rapport avec le trait utilis dans les chapitres prcdents. On aborde une nouvelle section (III 14, 1) o Eusbe va montrer comment les oracles dnoncent la supercherie de la religion paenne. Dans tout ce dbut du livre III, les citations quEusbe emprunte Porphyre ne sont dailleurs pas diriges contre les chrtiens et, avant la rfrence explicite la Philosophie des oracles, on ne parlait aucunement de ce sujet. Il faut donc conserver aux fragments traditionnellement attribus au leur autonomie. Quant au titre , il nest pas attest par Eusbe, mais il nest pas gratuit, puisquon retrouve sous ce titre chez Stobe I 25, 2, le passage cit par Eusbe en III 9, 380. Voir aussi I 1, 25. Identification des Platonicorum libri
Philosophie des oracles serait, selon M. Beatrice, tous les passages porphyriens connus

Un autre ensemble important de fragments dune future dition de la

par Augustin.

Tout le matriel et les citations quAugustin a tirs de Porphyre, depuis son De consensu evangelistarum, provenaient du seul ouvrage de Porphyre dont il connaissait le titre grec original 81.

79. Entends donc leur physiologie eux aussi, avec quelle gloriole Porphyre la porte aux nues (trad. des Places) ( , ): fr.1 = III 7, 1; (=Prooemium); fr. 2 = III 7, 2-4; fr. 3 = III 9, 1-5; fr. 4 = III 11, 1; fr. 5 = III 11, 5; fr. 6 = III 11, 7; fr. 7 = III 11, 9-16; fr. 8 = III 11, 22-44; fr. 10 = III 11, 45 13, 2 (Conclusion en III 13, 3: , ) Voil ce que jai extrait de lcrit de lauteur prcit pour que rien ne nous chappt des secrets de la thologie grecque ni de lgyptienne; envers elles nous nous confessons apostats et transfuges, nous qui les avons rejetes par un jugement et un raisonnement senss. Car je ne mextasierai pas devant la vantardise de cette dclaration: Je parlerai pour les ayant-droit; fermez vos portes, profanes (Orph. fr. 247, 1 Kern). En tout cela, rien nest attribu la Philosophie des oracles. 80. Wolff, op. cit., p. 32, sest demand si le titre vritable naurait pas t .
81. All the material and quotations Augustine took from Porphyry, starting from his De consensu evangelistarum, came from Porphyrys only work which he knew with its own original Greek title (Title, p.225).

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La thse est dveloppe dans le long article publi en 198982, qui reprend une problmatique qui agite les tudes augustiniennes depuis longtemps. Sans reprendre sur nouveaux frais largumentation de J.J. OMeara, M. Beatrice intgre dans son projet de reconstitution de la Philosophie des oracles les extraits du De regressu animae utiliss par Augustin dans le livre X | de la Cit de Dieu83. On ne 91 saurait pourtant tenir pour dmontre cette thse qui a suscit lors de sa parution les critiques des meilleurs spcialistes de Porphyre et dAugustin84. Les analyses de J.J. OMeara ont montr juste titre quil ne fallait pas rduire la Philosophie des oracles une apologie de la magie et que Porphyre pouvait opposer le culte spirituel rendu au Dieu suprme ou aux dieux clestes et le culte des dmons (Cit de Dieu, XIX 23, 4 = 346 F Smith). Mais lire lensemble des fragments qui traitent de la pit et du culte des dieux, de la confection des statues cultuelles, de la hirarchie des tres surnaturels dduire des sacrifices, de lexplication des oracles errons, du lien entre lastrologie et la mantique, de la contrainte exerce par les dieux dans les consultations divinatoires, etc., on a peine dceler la moindre critique ou la moindre rserve lgard des reprsentations les plus populaires de la religion. Or, dans le De regressu animae, Porphyre, tout en concdant que le commun des mortels pouvait trouver une purification de lme infrieure dans les tltes de la thurgie, ne voyait que dans la contemplation philosophique la possibilit de purifier lme intellectuelle et de retourner au Pre. Si lon ne se laisse pas abuser par les constructions apologtiques dAugustin qui associe dans un mme passage des positions philosophiques soutenues par Porphyre en divers de ses traits, on ne peut que constater entre les deux traits une profonde diffrence de point de vue. Mme la comparaison propose par OMeara entre le dveloppement de la fin du premier livre du De regressu animae (Cit de Dieu X 32 = 302 F Smith) sur la voie universelle de libration de lme inaccessible la philosophie la plus vraie, tout autant quaux sagesses indienne ou chaldenne, avec un dveloppement de la Philosophie des oracles (Praep. evang. IX 10, 1-2; IX 10, 3-5/XIV 10, 5 = 323-324 Smith) sur les voies vers les Bienheureux mconnues par les Hellnes, mais dcouvertes par les gyptiens, les Phniciens, les Assyriens, les Lydiens et les Hbreux, nglige une diffrence manifeste dans la position adopte par Porphyre lgard de cet ensemble de peuples, par ailleurs diffrents dans les deux documents.

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82. Platonic readings, p.248-281.

83. Platonic readings, p. 255: In this way it is possible to see the substantial correctness of OMearas hypothesis, according to which the libri de regressu animae, | from which Augustine says he very often drew quotations, should be identified with the Philosophy from Oracles or a part of it, and, therefore, they would not be an independent work with this title. Cest cependant tort que le mme auteur, propos de lidentification des libri Platonicorum, prte OMeara lide quAugustin naurait lu de Porphyre que la Philosophie des oracles (p.249). En vrit, OMeara ntend pas son hypothse un trait comme la Lettre Anbon, galement cite par Augustin.

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Une autre diffrence importante entre les deux traits rside dans lutilisa- 92 tion des Oracles Chaldaques. Augustin tire de la mention des Chaldens dans un passage du De regressu un aveu de Porphyre: il na pu cacher quil a emprunt aux Chaldens ces oracles divins quil cite tout instant (X 32, 1 = 302 a F Smith). En revanche, la prsence de tels oracles dans la Philosophie des oracles a t soutenue sans avoir t dmontre. Nous y reviendrons plus loin propos dun autre essai didentification. Enfin le genre littraire des deux traits semble fort diffrent. La totalit des fragments de la Philosophie des oracles se prsente comme lintroduction, la citation et le commentaire dun trs grand nombre doracles, alors que le De regressu donne plutt limpression de dveloppements thoriques continus. Par consquent, en sappuyant sur la thse dOMeara, la propre thse de M. Beatrice sur les libri Platonicorum sdifie sur des fondements fragiles. Autres textes platoniciens ou plotiniens Mais la Philosophie des oracles comprenait selon lui encore bien dautres choses. Aprs avoir compil (p. 251) une dizaine demprunts dAugustin Plotin, Beatrice affirme sans donner dexplication:
Les citations de Plotin, qui sont certes nombreuses et importantes, semblent toutes avoir t transmises par dautres ouvrages, plus prcisment les libri platonicorum dans lesquels elles taient incorpores comme des fragments prcieux de la sagesse grecque en accord substantiel avec la foi chrtienne.85

P.F. Beatrice laisse entendre que ces ouvrages intermdiaires soulignaient dj les rapprochements de la philosophie noplatonicienne avec le christianisme, hypothse tonnante, dans la mesure o tous ces livres seront ensuite rduits la Philosophie des Oracles, considre comme un crit antichrtien! P.F. Beatrice appuie son identification sur une caractrisation originale du trait Sur la philosophie des oracles:
Linformation (Cit de Dieu XIX 23: conscribit rerum ad philosophiam pertinentium velut divina responsa) est importante, dans la mesure o elle nous permet de comprendre que dans cet ouvrage Porphyre | traitait de sujets philosophiques en les mlangeant avec des textes oraculaires86.

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84. P. Hadot, Citations de Porphyre chez Augustin. (A propos dun ouvrage rcent), REA 6, 1960, p.205-244, suivi dune rponse de J.J. OMeara, p.245-247; G. Madec, Chronique Porphyrienne, REAug 15, 1969, p. 175; H.Drrie, Gnomon 1960, p.320-326. 85. The Plotinian citations, surely numerous and important, all seem to be conveyed through other works, precisely the libri platonicorum, in which they were set like precious fragments of the Greek wisdom in substantial agreement with the Christian faith (Platonic readings, p. 252). 86. The information ([Civ. Dei XIX 23:] conscribit rerum ad philosophiam pertinentium velut divina responsa) is important, since it allows us to understand that in this work Porphyry dealt with philosophical subjects, mixing them with oracular texts (Platonic readings, p.254).

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Beatrice tire donc du fait que la Philosophie des oracles contenait des dveloppements philosophiques obtenus grce linterprtation de certains oracles la conclusion que ce trait contenait dune part des oracles et dautre part des dveloppements philosophiques! Il en conclut (p. 255) que tous les passages de Porphyre qui concernent les oracles sont ncessairement tirs de cet ouvrage et que nimporte quel dveloppement philosophique, par exemple des extraits de Platon ou de Plotin, peut avoir t connu par Augustin grce ce mme trait!
La richesse des matriaux philosophiques dans cet ouvrage permet de penser de faon vraisemblable que grce lui Augustin entra en contact avec de larges fragments de traits philosophiques grecs, notamment ceux de Platon en plus de ce quil connaissait par le biais dautres traductions latines et de Plotin87.

Cette caractrisation de la Philosophie des oracles est pour le moins expditive et ne rsiste pas la lecture de la cinquantaine de fragments authentiques de louvrage. Dans tous les cas, il sagit bien doracles comments, dont on tire des doctrines philosophiques et non dun assortiment doracles et de dveloppements philosophiques. Dans aucun des fragments on ne rencontre des dveloppements philosophiques indpendants des oracles. Dans aucun de ces passages on ne retrouve la moindre citation dauteurs comme Platon ou Plotin88. Quant au rattachement systmatique des oracles ce trait, il est galement imprudent. Porphyre cite deux oracles dApollon dans la Vie de Plotin (chap. 22), plusieurs dans le De abstinentia (II 9, 15, 16, 17, 29, 59) ou dans ses scholies sur lIliade XIII 1, et il avait par ailleurs consacr un commentaire aux oracles chaldaques quil serait imprudent didentifier la Philosophie des oracles, ne serait-ce que parce que ces derniers sintressent des oracles de toute provenance (sanctuaires officiels ou consultations prives) et quon a mme soutenu, ainsi que nous le verrons | plus loin, quil ne sy trouvait pas doracles chaldaques. Beatrice rattache 94 cet ouvrage: le De regressu animae, la suite dOMeara, le et la Lettre Anbon (Cit de Dieu X 11). Mais Porphyre y aurait galement cit Platon, Plotin et la version grecque de lAsclpius89.

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87. The wealth of philosophical materials in this work makes it plausible to think that through it Augustine came in contact with wide fragments of Greek philosophical works, especially by Plato apart from what he already knew from other Latin translation and Plotinus (Platonic readings, p.255). 88. Relevons toutefois une allusion inattendue aux vues dun certain Pythagore de Rhodes (RE 11) sur des questions fort proches des thmes abords par les oracles cits.

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Le reste de larticle essaie de montrer que cet ouvrage, identifiable par ailleurs au trait Contre les chrtiens, a pu servir paradoxalement la conversion dAugustin. Comme le disait Pierre Hadot90: Mme aprs les apports | et dcouvertes de M. OMeara, il est difficile de concevoir psychologiquement comment ce catalogue doracles et de recettes sacrificielles a pu incendier ce point lme dAugustin! En conclusion, il faut considrer quaucun argument srieux ne justifie les identifications envisages. Autres identifications errones

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Dautres identifications proposes par M. Beatrice reposent sur le tmoignage de la Thrapeutique des maladies hellniques de Thodoret de Cyr. Il arrive en effet Thodoret de citer des passages de Porphyre dj utiliss par Eusbe de Csare en les attribuant dautres traits du mme auteur. Il y a ici nouveau un problme mthodologique dlicat. M. Beatrice nignore pas que ces divergences entre Eusbe et Thodoret ont t gnralement tenues pour de simples bvues de Thodoret. Il croit cependant que le crdit de Thodoret est plus grand quon le croit et que dans ces passages lapologte a voulu corriger les rfrences errones dEusbe. Beatrice parle, ce propos, dattributions tonnantes, plutt tranges et inexplicables premire vue (Amazing attributions, rather strange and inexplicable at first sight). Il conclut:
Apparemment, Thodoret entendait insister dlibrment sur lidentit de lunique ouvrage quil citait de Porphyre, afin de critiquer les auteurs qui, comme Eusbe, avaient signal lexistence de contradictions profondes, en ce qui concerne les sacrifices animaux, entre la Philosophie tire des oracles et le trait Sur labstinence91.

A propos dune identification possible de ces deux ouvrages, il continue:


Pour conclure, Thodoret na probablement commis aucune erreur involontaire par hte ou manque dexactitude; il voulait plutt affirmer que ces passages qui avaient t attribus par Eusbe lessai Sur labstinence appartenaient la Philosophie tire des oracles. Pour ma part, je suis enclin penser que Thodoret mrite davantage de crdit quon ne lui en reconnat habituellement92. 89. Platonic readings, p. 256. souligner les formules initiales vagues et prudentes: somehow, in some way With all the due caution in such intricate questions, it seems to us that it is not excessively imprudent to afffirm that (p. 257). Et quelques lignes plus bas: We can therefore conclude that Porphyry was the real mediator or conveyor of Neoplatonic philosophy from Plotinus to Augustine Yet, if it is true, as we believe to have proved (p.262). 90. Art. cit (n. 84), p. 240-241. 91. Apparently, Theodoret on purpose wished to stress the identity of the only work of Porphyrys he was quoting from, in order to criticize those writers who, like Eusebius, had pointed out the existence of profound contradictions, with regard to animal sacrifices, between The Philosophy from Oracles and the treatise On Abstinence (Title, p. 228). 92. In conclusion, Theodoret probably dit not commit any involuntary mistake due to haste or inaccuracy; he rather wanted to assert that those passages that had been attributed by Eusebius

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Une telle interprtation est fort problmatique. Ainsi donc Thodoret et lui seul aurait su quun passage du De abstinentia, par ailleurs conserv en tradition directe, et, par voie de consquence, lensemble de ce trait, demandait tre identifi la Philosophie des oracles et devrait donc tre considr comme une composante dun vaste crit antichrtien. Or, on ne trouve pas dans le texte de Thodoret le moindre signe dune volont de corriger Eusbe. Et o Thodoret aurait-il puis une telle information quil nest possible de corroborer par aucune autre source paenne ou chrtienne? Les recherches minutieuses de P. Canivet93 ne laissent pas beaucoup de vraisemblance une telle interprtation. Bien quil ne reconnaisse nulle part ses emprunts, Thodoret dans ces passages, ne fait gure que restructurer les documents dj exploits par Eusbe, en commettant ici et l des erreurs de rfrences qui ne se limitent pas Porphyre. Il faut rappeler ici la conclusion laquelle tait parvenue P. Canivet propos de Porphyre:
Nous savons que (Thodoret) na consult que son Histoire des Philosophes et sa Vie de Pythagore, puisquEusbe nen possde aucun extrait. Quant au reste, documentation historique et religieuse ou citations littrales portant ltiquette de Porphyre, tout vient dEusbe94.

En vrit, le fait que Thodoret de Cyr cite des extraits du De abstinentia comme des passages de la Lettre Anbon ou de la Philosophie des oracles (Thrapeutique III 59-60) pourrait avoir un certain poids si ces extraits | ntaient pas directement 96 emprunts la Prparation vanglique dEusbe (III 4, 10-11; IV 22, 1-12), o ils sont bien attribus au De abstinentia, mais immdiatement prcds dun extrait de la Lettre Anbon ou suivis dextraits du De philosophia que cite dailleurs galement Thodoret dans la foule. Le contexte a pu facilement induire Thodoret en erreur. Chose certaine, il napporte pas ici un tmoignage indpendant. Cest l une erreur de Thodoret connue depuis longtemps95. On peut tablir grce un tableau ce genre derreur de Thodoret:
Thodoret Eusbe, Praep. evang. III 58. Porphyre, Lettre Anbon, en fait De III 3, 21: annonce Lettre Anbon, cit en III abstin. IV 9. 4, 1-2 III 4, 5: annonce De abstinentia IV 9 cit en III 4, 6-12. to the essay On Abstinence, actually belonged to The Philosophy from Oracles. Personnaly, I am inclined to think that Theodoret deserves more credit that what is usually given him (Title, p.228-229). 93. P. Canivet, Histoire dune entreprise apologtique au ve sicle, Paris [s.d.]. 94. Ibid., p. 264. 95. Ibid., p.265

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Thodoret

Eusbe, Praep. evang.

III 60. Porphyre, De philosophia ex oraculis, en IV 21, 6: annonce De abstinentia fait De abstin. II 41-42 II 38-39 cit en IV 22, 1-4; II 40-41 cit en IV 22, 5-9; 41-42 cit en IV 22, 10-12 IV 22, 15: annonce De philosophia ex oraculis cit en IV 23, 1 sqq. III 62. Porphyre dans le mme ouvrage (donc IV 23, 1-5 citation du De philosophia De philosophia). Deux extraits du De philosoIV 23, 6 (ibid.) phia cits en III 63-64

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Le mme phnomne sobserve en X 14-17, o un fragment du De abstinentia est nouveau introduit entre deux citations du De philosophia comme provenant du mme ouvrage.
Thodoret X 11: Citation du De philosophia X 14, dans le mme ouvrage (donc De philosophia) et non dans un autre: ne pas prendre pour des dieux ceux qui se plaisent aux sacrifices danimaux. En fait rsume De abstinentia II 34 Eusbe, Praep. evang. VI 5, 1 : Citation du De philosophia IV 10, 1-2: annonce De abstinentia II 34 cit en IV 11, 1: il ne faut pas considrer comme des dieux ceux qui aiment les sacrifices dtres vivants.

X 15: rsume Porphyre citant Thophraste IV 10, 2-4: De abstinentia (Thophraste) (toujours dans le mme ouvrage, en fait De abstinentia II 34-36). X 16 : Ensuite De abstinentia II 43 IV 18: De abstinentia II 43

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De telles confusions qui prouveraient, selon Beatrice, que ces diffrents traits taient connus comme identiques se rencontrent ailleurs chez Thodoret propos de citations de Plutarque galement empruntes Eusbe (Thodoret III 56-57, o un extrait du De Iside et Osiride 25, est prsent comme tir du De Defectu oraculorum; voir Praep. evang. V 5, 1). Aucun de ces arguments na de valeur lorsquon tient compte de la mthode de travail de Thodoret. Et pour supposer que Thodoret entendait corriger tacitement les rfrences errones quaurait fournies Eusbe96, il faudrait pouvoir tablir quil disposait sur ce point dune information indpendante dEusbe, ce que la comparaison du texte mme des citations interdit de supposer. Il y a des variantes, mais ce sont celles quon rencontre partout dans la tradition manuscrite et dans certains cas le texte a t corrig par les copistes.

96. Comme le suppose Beatrice, Title, p.228.

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Sur la matire Une dernire identification entre des traits de Porphyre a t propose par P.F. Beatrice97. Il fait appel un passage de Jean Chrysostome, qui fait mention dun trait intitul Sur la matire crit par un philosophe grec contre les chrtiens:
Si en effet nous nous mettions exposer les doctrines de ces penseurs, ce quils disaient au sujet de Dieu, ce quils disaient de la matire, de lme ou des corps, il sen suivrait un grand ridicule. Et ils nauraient pas besoin de notre propre accusation, car ils sattaquent les uns les autres. Car celui qui a crit contre nous le trait Sur la matire se dtruit lui-mme98

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Hulen99 aurait reconnu dans cet auteur anonyme le philosophe Porphyre, auteur, selon la Souda, dun en 6 livres, dont un extrait est conserv par Simplicius (in Phys. p.231, 7-24 Diels). Beatrice rapproche ce tmoignage de celui dne de Gaza100, qui rapporte que 98 Porphyre, dans un ouvrage sur les oracles chaldaques aurait comment le trait de Plotin intitul Do viennent les maux? (Ennades I 8) et aurait tabli que la matire est un principe gnr de toute ternit:
Car la matire nest ni inengendre, ni sans principe. Cela, les Chaldens eux aussi te lenseignent101. Et Porphyre intitule de faon gnrale [en conservant le texte des manuscrits: ] le livre quil publie Les oracles des Chaldens, dans lesquels il est confirm que la matire est venue lexistence, et, commentant le livre de Plotin Do viennent les maux (= Enn. I 8), il dit quelque part, en disant que la matire nest pas inengendre, que le fait de la poser parmi les principes est une doctrine athe quil faut carter102.

97. Towards a new edition, p. 354; Title, p. 231.

98. Jean Chrysostome, Hom. Joh. 66 (PG 59, 370 = 235 T Smith): , , , , , . . , . 99. A.B. Hulen, Porphyrys work Against the Christians. An interpretation, coll. YSR, Scottdale 1933, p.28. 100. Voir M.E. Colonna (dit.), Enea di Gaza. Teofrasto, Napoli 1958, p. 45 (368 F Smith). 101. Lewy, op. cit., p. 117, n. 198, rappelle que selon les Oracles Chaldaques la matire est issue du Pre. Le passage de Lydus est cit par des Places dans lapparat des testimonia o il est mis en rapport avec lexpression lumire issue du Pre. 102. , , , , , , . Voici la traduction donne par Colonna (p. 98): Non dunque senza origine n principio la materia; questo ti insegnano anche i Chaldei; e Porfirio d un titolo generico al libro, che egli pubblica, Gli oracoli dei Caldei in base ai quali sostiene che la materia stata creata e, interpretando il libro di Plotino Donde il male, afferma, dicendo non so dove che la materia stata creata e che da respingere come pensiero sacrilego il solo porla tra i principi.

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Selon Beatrice103, ce trait sur Les oracles des Chaldens serait identifier avec la Philosophie des Oracles. A supposer que lauteur du trait antichrtien sur la matire voqu par Chrysostome ait t Porphyre ce qui est tout fait possible , il resterait montrer que louvrage que ce dernier avait consacr aux Oracles chaldaques tait bien la Philosophie des Oracles. Ici se pose un problme qui na pas encore reu de rponse dfinitive: y a-t-il dans la Philosophie des oracles de Porphyre des oracles chaldaques? Les autorits sont partages104. Il est certain quun certain | nombre doracles cits par Porphyre 99 contiennent des termes caractristiques des Oracles Chaldaques. Pour prendre un exemple, un oracle prsente Hcate comme descendue de lintellect tout puissant issu du Pre (Eusbe, Praep. evang. V 6, 2-7, 2 = 308 F Smith). On peut rapprocher ces vers du fr. 53 des Oracles Chaldaques: Cest aprs les Penses du Pre que je prends place, moi, lme, qui de ma chaleur anime toutes choses. On pourrait galement citer un oracle du second livre conserv par la Thosophie de Tbingen 24 (= 325 F Smith) sur le Dieu immortel. Marco Zambon105 considre, la suite de Lewy, quil sagit dun oracle dorigine chaldaque, ce que P.F. Beatrice conteste dans son dition rcente de la Thosophie106. Presque tous les mots des trois
103. Title, p. 231. 104. Pour G. Wolff, op. cit., p. 29, et pour W. Kroll, De Oraculis Chaldaicis, Breslau 1894, p. 6, il ny aurait aucun de ces oracles dans la Philosophie des oracles. En revanche, selon Lewy, op. cit., p.64-65, les Oracles Chaldaques semblent avoir constitu le noyau de la collection publie dans la Philosophie des Oracles. Selon le P. d. des Places, dernier diteur des Oracles chaldaques, la Philosophie des Oracles () tmoigne dune vive sympathie pour les oracles de toute sorte, | sans citer pourtant ceux des Chaldens (Introd., p.18-19). Selon P. Hadot, dans une tude publie en appendice la rdition de Lewy (op. cit.), Aucun noplatonicien tardif ne cite comme chalden un seul des Oracles identifis comme chaldaques par H.Lewy (p.712). En revanche, le de Regressu () faisait un abondant usage des O.C. (p.712). Carine Van Liefferinge, La Thurgie des Oracles chaldaques Proclus, coll. Kernos, Supplment 9, Lige 1999, a tendance accepter la thse de Lewy. Elle crit (op. cit., p.176): Porphyre fut le premier vouloir harmoniser lenseignement des Chaldens aux principes du noplatonisme. H. Lewy la montr pour le De philosophia ex oraculis haurienda. Plus loin (p.178) elle prsente le problme comme une question qui nest pas tranche. Puis (p. 179), elle manifeste des doutes caractristiques: Porphyre avait-il dj eu connaissance des Oracles lorsquil rdigea la Philosophie des Oracles? Rien nest moins sr, crit-elle, bien que la note 407 rappelle les rapprochements proposs par H. Lewy. La contrainte exerce par les dieux voque dans les oracles de ce trait conduirait, selon elle, douter quil sagisse de thurgie ou du moins de thurgie chaldenne. Et finalement (p.184), elle rend un verdict final: Aussi pensons-nous qu lpoque o il rdigea le De philosophia, Porphyre ne connaissait pas encore les Oracles Chaldaques. La notion et le terme de thurgie lui taient inconnus. Pour M.Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, coll. Histoire des doctrines de lantiquit classique 27, Paris 2002, p. 269, la Philosophie des Oracles citait les Oracles Chaldaques ct doracles dautre provenance. 105. M. Zambon, op. cit., p. 257. Voir dj Lewy, op. cit., p. 9-16. 106. P.F. Beatrice, Theosophia, p. xxvii, considre que les oracles cits dans la Thosophie ne peuvent pas tre qualifis de chaldaques au sens technique du terme.

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premires lignes de cet oracle sont attests dans les Oracles Chaldaques. Mais ce fait linguistique pourrait facilement sexpliquer par la volont du chresmologue de reproduire le vocabulaire caractristique de ce corpus sacr. Il faut tenir compte des oracles privs que lon rencontre dans toute la littrature impriale. Jai montr dans mon article sur lOracle dApollon sur Plotin quil ny avait aucune raison de rattacher cet oracle au sanctuaire de Delphes et quune origine dans le noplatonisme syrien dApame tait plus vraisemblable. Jai cit chez Philostrate, Eunape, Julien ou Marinus des oracles qui pourraient tre qualifis de chaldaques dans la mesure o ils sinspirent parfois des oracles du corpus, quils en reprennent certaines expressions et quils ont pu tre obtenus dans le cadre dune semblable liturgie107. Pour la terminologie, il faudrait galement | tenir compte de la posie philosophique de lpoque et notamment des 100 Hymnes de Proclus108, qui reprennent des formules des oracles. Dans ltat actuel de la recherche, la question reste donc ouverte. Ldition des Places regroupe parmi les dubia les oracles emprunts la Philosophie des oracles: il sagit des fragments 219-225109. Dans la mesure o la terminologie et les ides attestes dans les Oracles Chaldaques se retrouvent dans dautres oracles philosophiques de lpoque110, il est prudent de ne pas considrer priori comme chaldaque un oracle dont aucun auteur ayant en mains le recueil original ne nous dit quil appartenait cette collection. Cette nouvelle identification est donc fort douteuse en ltat actuel de nos connaissances. Dans son article sur les libri Platonicorum, Beatrice111 cite pourtant directement ce passage dne de Gaza comme un fragment de la Philosophie des Oracles! Anonyme de Lactance Lactance (Div. Inst. V 2, 4-11) fait mention, sans le nommer, dun philosophe paen, hypocrite, adulateur, intrigant et opportuniste, qui aurait crit Lactance

107. R. Goulet, LOracle dApollon dans le Vie de Plotin (1982), repris dans tudes sur les Vies de philosophes dans lAntiquit tardive, Paris 2000, p. 191-229, notamment p. 199-207. 108. Voir R.M. Van den Berg, Proclus Hymns. Essays, translations, commentary, coll. Philo sophia Antiqua 90, Leiden 2001. 109. Ce qui fait, si je compte bien, sept oracles, bien que le P. des Places voque le fragment 219 comme le premier fragment dune srie de six (p. 119, n.4). 110. On comparera les oracles cits dans les notes de mon article sur lOracle dApollon sur Porphyre avec lindex (sans doute incomplet) du P. des Places. Voir aussi H.D. Saffrey, LHymne IV de Proclus, Prire aux dieux des Oracles chaldaques (1981) repris dans Le Noplatonisme aprs Plotin, t.II, Paris 2000, p.193-206. 111. Platonic readings, p. 255.

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crit vomi trois livres contre la religion et contre le nom chrtien au dbut de la perscution de Diocltien en Bithynie. Reprenant une hypothse souvent envisage (notamment par C. Baronius, Annales ecclesiastici, a. 302, p. 51-57, la fin du xvie sicle), P.F. Beatrice et E. DePalma Digeser proposent de reconnatre Porphyre dans ce Pontife de la philosophie (cest lauteur qui se serait dsign ainsi) et reconnaissent la Philosophie des oracles dans louvrage de cet adversaire112. Il est certain que Porphyre vivait encore en 305 (composition de la Vita Plotini). La Souda rappelle quil vcut jusque sous Diocltien (s.v. Porphyrios, t. IV, p.178 Adler). Nous navons pas dindice historique que Porphyre ait sjourn dans la capitale impriale vers 304, mais on a souvent | vu dans une phrase de la Lettre 101 Marcella le signe dun engagement de Porphyre dans la perscution de Diocltien. Le philosophe regrette davoir t spar de son pouse aprs seulement dix mois de vie commune et dplore quil lui soit impossible, avec son cortge de filles, de le rejoindre, bien que le besoin des Hellnes se ft pressant et que les dieux joignissent leurs instances aux leurs (4, trad. des Places). Selon H. Chadwick113, ce dpart de Porphyre pourrait avoir t motiv par sa participation un colloque convoqu par Diocltien Nicomdie au dbut de 303. Mais si lon en croit Lactance, aprs des conciliabules secrets o Diocltien et Galre, pendant tout lhiver, ne laissrent participer personne dautre, eut lieu un conseil officiel auquel furent invits quelques juges et quelques militaires. Encore une fois quun philosophe romain comme Porphyre ait pu y participer nest pas impossible, mais contredit le tmoignage de Lactance, notre seule source114. Cette identification nest donc pas impossible. Mais tout ce qui nest pas impossible nest pas probable et tout ce qui est possible nest pas certain Une premire difficult qui peut tre souleve par cette identification est le nombre de livres prts ladversaire de Lactance: trois seulement, alors que le Contra Christianos de Porphyre en comptait quinze. Selon Beatrice, ladversaire naurait fait connatre Nicomdie que trois livres (XII-XIV) directement dirigs
112. Antistes philosophiae, p.31-47; E. DePalma Digeser, art. cit, p.129146. Pour dautres partisans de cette identification, voir E.DePalma Digeser, art. cit, p.129 n. 4. Contrairement ce que laisse entendre Mme Digeser, le P.des Places, dans son dition de la Lettre Marcella, Paris 1982, p. 89, ne prend pas en considration lidentification propose. 113. H. Chadwick, The Sentences of Sextus. A Contribution to the history of early Christian ethics, Cambridge 1959, p.142-143. Lidentification tait dailleurs propose avec beaucoup de rserve. Sur ce passage, voir galement Helene Whittaker, The Purpose of Porphyrys Letter to Marcella, Symbolae Osloenses 76, 2001, p. 150-168, notamment p. 155-156. 114. Voir Lactance, De mortibus persecutorum 11, 3: Ergo habito inter se per totam hiemem consilio cum nemo admitteretur et omnes de summo statu rei publicae tractari arbitrarentur. 11; 6: Admissi ergo iudices pauci et pauci militares, ut dignitate antecedebant, interrogabantur.

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contre les chrtiens dun ouvrage qui ne sintitulait pas Contre les chrtiens, mais La
philosophie des Oracles.

Lactance fournit un certain nombre de renseignements supplmentaires sur ce philosophe. Non seulement ce Pontife de la philosophie est bien tabli Nicomdie, accrdit auprs des juges de lendroit, mais apparemment il y tient cole (V 2, 3).
Le premier se donnait comme le pontife de la philosophie (antistitem philosophiae). Mais ctait un vicieux, ce professeur de continence; et il ne brlait pas moins de cupidit que de luxure! Dans son cole, il louait la vertu, il vantait lconomie et la pauvret; mais il menait une vie ce point somptueuse quil mangeait moins bien au palais que chez lui. Seulement ses longs cheveux, son pallium, et surtout son argent (pas de voile meilleur que celui-l!) lui servaient masquer ses dbordements. Afin daccrotre sa fortune, il employait dtonnantes intrigues pour se couler dans lamiti des juges, quil | se conciliait grce lautorit que lui valait son titre usurp: alors, non seulement 102 il vendait leurs sentences, mais encore, grce son crdit, il empchait ses voisins, chasss par lui de leurs maisons et de leurs champs, de rclamer ce qui leur appartenait. Ses murs condamnaient ses principes; ses principes condamnaient ses murs. Il tait ainsi lgard de soi-mme un censeur svre et le plus rigoureux des accusateurs115.

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A supposer que le portrait dress par Lactance ne soit pas incompatible avec la figure historique de Porphyre ou bien parce que Porphyre aurait t un moins noble personnage quon le voudrait ou bien parce que lapologiste aurait caricatur son adversaire , la simple lecture du tmoignage soulve de graves difficults contre pareille identification. Son ouvrage semble avoir t lu publiquement en prsence de chrtiens (V 2, 9), il tait postrieur aux premires mesures antichrtiennes (Un blme que tout le monde lui adressait, ctait davoir entrepris ce travail juste au moment o une abominable cruaut dchanait ses fureurs, V 2, 10) et se rpandait en louanges ouvertes lgard des empereurs dont, dclarait-il, la pit et la prvoyance avaient clat surtout dans la dfense du culte des dieux; et qui avaient pris enfin, dans les affaires humaines, les mesures voulues, en vue de rprimer une superstition impie, digne de vieilles femmes (V 2, 7). Il esprait afficher lgard des chrtiens de la comprhension: le devoir dun philosophe tait de tendre la main aux gars et de les ramener dans le bon chemin (V 2, 5), alors que selon Mme Digeser, Porphyre se distinguait par un refus de toute tolrance lgard des ennemis du culte traditionnel116. Aucun des nombreux fragments de la Philosophie des Oracles ne correspond ce tmoignage. On ny trouve pas de dveloppements rhtoriques ou philosophi 115. Lactance, Div. Inst. V 2-4; traduction de P. de Labriolle, La raction paenne. tude sur la polmique antichrtienne du ier au vie sicle, Paris 1934, p.304-305. 116. Mme Digeser tire ce refus de toute tolrance chez Porphyre du fragment 1 du Contra Christianos quelle attribue la Philosophie des oracles. Traduisant par forbearance, cest-dire patience ou longanimit, elle met le terme en rapport avec la patientia prconise par Lactance.

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ques, encore moins dattaques ouvertes contre les chrtiens ou dloges politiques concernant la situation prsente. On ne lit que des oracles et des commentaires doracles et les interlocuteurs ne sont pas des adversaires, mais bien des paens117 dsireux dapprendre une philosophie (ou une thosophie selon sa propre expression rapporte par Eusbe) telle que rvle par les dieux (Praep. evang. IV 6, 27, 2 = 303 F Smith). Au risque de se rpter, il faut rappeler que les chrtiens qui ont cit ce texte 103 (et ne se sentaient donc pas en prsence dun ouvrage interdit par les autorits impriales118) en ont retenu tort ou raison tout un ensemble de passages qui servaient la cause du christianisme. Lactance lui-mme, lorsquil cite, en grec, un oracle ambigu dApollon sur le Christ (Div. Inst. IV 13, 11), dont la source non dvoile pourrait tre la Philosophie des Oracles (comp. Augustin, Cit de Dieu XIX 23, 1 = 343 F Smith), le range aux cts doracles prophtiques favorables au Christ. Il en va de mme, et avec encore moins de rserves, lorsquil cite, toujours en grec, dans son De ira XXIII 12, un autre oracle dApollon Milet (cf. un oracle similaire, mais sans doute distinct rapport par Augustin, Cit de Dieu XIX 23, 1 = 344 F Smith)119. La lecture du Prologue de la Philosophie des oracles nous a montr que Porphyre sy adressait des paens, dailleurs sous le couvert du secret, et nullement des chrtiens. Enfin, le tmoignage de Lactance exclut que louvrage du Pontife de la philosophie ait pu se prsenter comme un recueil doracles comments. Il suffit de lire les fragments conservs pour se rendre compte que la Philosophie des oracles ne peut pas avoir t cet ouvrage lu en public dont parle Lactance120. A toutes ces objections, on peut ajouter la difficult chronologique quentranerait une datation de cet ouvrage au dbut du ive sicle, cest--dire la toute fin de la vie de Porphyre. Non seulement aucun des fragments ne comporte la moindre trace dune influence plotinienne, voire noplatonicienne, mais labsence de toute rserve lgard des sacrifices animaux (Praep. evang. IV 9 = 314 F Smith), de mme que lacceptation ouverte de la magie (Praep. evang. VI 3, 5-4, 3 = 339 F Smith), peuvent difficilement tre contemporains de traits comme le De

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117. Des paens qui ne devront dailleurs pas divulguer ces prcieuses rvlations (Eusbe, Praep. evang. IV 8, 1 = 304 F Smith; V 5, 7 = 307 F Smith). 118. Louvrage est cit non seulement par Eusbe et sans doute Lactance, mais aussi par Firmicus Maternus, Augustin, Philopon et Macaire de Magnsie (oubli par Smith). 119. Ces deux passages de Lactance, rappels par E. DePalma Digeser, art. cit, p.139, napparaissent que dans les notes de ldition de Smith. Il est vrai que Lactance ne les attribue pas Porphyre. Mais Mme Digeser, art. cit, p. 140-141, fournit un certain nombre darguments montrant que Lactance connaissait la Philosophie des oracles de Porphyre. 120. Comme le suppose Mme Digeser, art. cit, p. 145.

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abstinentia, la Lettre Anbon121 ou mme le De regressu animae, et encore moins leur

tre postrieurs. Eusbe a dailleurs beau jeu dopposer sur ce point Porphyre luimme en citant un extrait du De abstinentia condamnant ouvertement les sacrifices animaux (Praep. evang. IV 10-12). Par consquent, que Porphyre ait particip la prparation de la perscution de Diocltien nest pas historiquement impossible, mais louvrage | en trois livres 104 lu Nicomdie au dbut de la perscution na, selon toute vraisemblance, aucun rapport avec les quinze livres du trait Contre les chrtiens, ni avec la Philosophie
extraite des Oracles.

Conclusion

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Philosophie des oracles derrire lAdversus nationes dArnobe, nie la distinction que jai

Je naborderai pas dautres tudes de M. Beatrice dans lesquelles il retrouve la

propose la suite de nombreux spcialistes du noplatonisme, entre un Origne noplatonicien et un Origne chrtien122, ou attribue au Pre de lglise Origne une allgorie chrtienne dHomre, rapporte dans un fragment du Contra Christianos de Porphyre transmis par Didyme lAveugle123. Cest volontairement que jai laiss cette tude son caractre si ngatif. Les tudes classiques agonisent sous la masse des interprtations gratuites et invrifies qui servent parfois laborer des thories encore plus aventureuses et nont gure affronter que le silence de la critique.

121. Wolff, op. cit., p. 31, oppose les vues thologiques du De philosophia et celles de la Lettre Anbon: Paene ipsa verba, quae in oraculorum philosophia protulerat, in epistula in dubitationem vocat. 122. Sur ce point, on pourra consulter les Addenda de mon recueil darticles tudes sur les Vies de philosophes dans lAntiquit tardive, Paris 2000, p. 391-394. 123. Voir R. Goulet, Macarios de Magnsie, Le Monogns. Introduction gnrale, dition critique, traduction franaise et commentaire, coll. Textes et traditions 7, Paris, 2003, t. I, p.145-147.

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