Requiem sur des absurdités
Par Paul Anski
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Paul Anski, ancien photoreporter et correspondant de presse jusqu’en 1990, s’est ensuite tourné vers le conseil en entreprise avant de s’établir en Haute-Normandie. Observateur avisé de la société et passionné par la rigueur de la logique « made in USA », il reprend aujourd’hui la plume, renouant avec son rôle d’observateur engagé de terrain.
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Avis sur Requiem sur des absurdités
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Aperçu du livre
Requiem sur des absurdités - Paul Anski
I
Flash-back
Il est indispensable de s’arrêter brièvement sur ce passé pour bien comprendre la force de ce qui arrive dans le présent, comme le font d’ailleurs les personnages/narrateurs eux-mêmes à travers des flash-back généralement concis et bouleversants.
Chetro De Carolis
Donc, j’en profite, je suis né là, en Haute-Normandie. On aurait pu dire « né un beau jour de 1975 », sauf que c’était le 1er novembre. À la Toussaint ! Saint Frédéric ? Hélas, ou heureusement, je n’en ai que le seul prénom. Je suis donc à vingt mille lieues de lui. Utrecht c’est l’opposé d’Yport, mon village natal. Frédéric, c’est donc moi. Certes, catholique je le suis, comme lui, parce que l’on m’a baptisé. Sans me demander mon avis, d’ailleurs ! Je suis loin d’être un évêque même si tout gamin on aurait pu me donner le Bon Dieu sans confession. Si sa modestie le caractérise, c’est au moins le seul point commun que j’en retire. Et pour cause, j’ai toujours été timide et bourré de complexes tant physiques que moraux, et ce, dès mes premiers jours. Je m’efface, je me retire, je me planque, parfois je m’isole du monde. Parce que « Lebel » signe mon patronyme, je ne puis être proche, comme lui, du troisième fils de Charlemagne. Peut-être suis-je le descendant du roi Philippe ou encore du créateur du fusil à répétition « Lebel ». Le pire, c’est que je l’ignore. À l’âge de six ans, mon père s’éteignait dans mon bas monde dès 1981, à l’aube de ses 50 ans. Ainsi « séché » comme les morues dont il traitait, il me laissait seul dans la sciure de l’ignorance tout autant que ma mère, Noëlle. Elle, que j’adorais, me voyait vagabonder dans mes errances identitaires. Jamais, de son vivant, elle ne crut bon me vanter l’existence de mon père, me conter sa vie même les soirs pour m’endormir, comme on raconte une fable sablée pour forcer ses jeunes rejetons à plonger dans la douceur d’une bonne nuit. Trop occupée à subvenir aux besoins quotidiens que la misère rappelle, elle vaquait au petit boulot de « filetière » dans les boucanes de la grand'pêche Yportaise. De ses mains habiles, elle rendait inlassablement fière allure aux maquereaux ou aux harengs péchés tout frais dans la Manche. Elle savait que, d’un revers, des bancs d’estomacs s’en régaleraient en ignorant que ces produits naturels, trempés dans le sel, gerceraient déjà encore plus ses paluches de méticuleuse préparatrice. Du haut de son mètre soixante, comme moi cachée derrière ses lunettes, elle montrait toujours son sourire, car elle aimait beaucoup rire. Dans le village, tous reconnaissaient sa générosité et sa serviabilité.
La mer, l’Atlantique et l’eau du ciel de Seine-Maritime, j’en étais par chance abrité. Ma mère louait, tant bien que mal, une modeste, mais typique maison de pêcheur en silex (autrement dit construite avec les galets de la plage) dans la fameuse rue Metzinger, incrustée dans le quartier du Port Vert d’Yport. J’arpentai mille fois ses pavés dévalant sur la magnifique plage calée entre deux immenses falaises de craies blanches. Là, me posant sur les galets, pendant des années je crus vivre en suivant régulièrement les cours fantastiques de l’école buissonnière. Et pour cause, très tôt pour un jeune enfant comme moi, je fus confié à une nounou. Micheline, se prénommait-elle. Cette dame souriante et toujours pomponnée m’apparut toute charmante et dévouée. Comme beaucoup de femmes de mon village, elle partageait sa condition maritale avec un cadre de la marine marchande et supportait aussi la charge de famille. Malgré cela, elle s’entichait en plus du devoir de m’offrir le dîner et la couche lorsque ma mère rentrait fort tard de son labeur.
Dans ce petit patelin, la solidarité jouait son plein parce que tout le monde se connaissait, forcément. Mais ici, comme dans tous les petits patelins, éloigné des frasques du Casino de Deauville, des folies d’Offenbach ou de Lupin à Etretat, sous cette atmosphère baignée d’iode où la dépressive Impératrice Sissi vint s’époumoner jusqu’aux Petites ou Grandes Dalles, la vie au quotidien se révélait rude dans cet écrin jusqu’alors resté discret de la convoitise des Parisiens. À pareille époque, les moqueries et les jalousies alimentaient les commérages. Elles nourrissaient l’ambiance au milieu des douze bistrots dédiés aux mille trois cents âmes « tout dré » et fières qu’un Maupassant d’autrefois, engoncé dans son « Voltaire » et ancré derrière les vitraux de sa villa Mauresque, en observait dans les tranches d’« Une vie ». Et que dire encore quand, plus tard, Claude, venu se soulager de ses faillites intime et économique s’en fit « Monet » dans une discrétion absolue en profitant des odeurs du terroir. Ces fumets typiques que l’on doit au varech échoué cuit par l’écume et bronzé du soleil. Celles que rehaussent les brumes somnolentes mêlées de pastis et transportant chaque jour les saveurs de nos safates fumées. « Un boucan d’enfer », comme dirait Renaud, éructait ainsi aux oreilles de mon émancipation, si je puis dire.
Moi, en ce temps-là, je jouais au foot, au tennis, voire au basket, le tout improvisé sur le parking de mon immeuble érigé en face de l’usine marée-salaisons « Ph. Lecanu ». Avec les copains, plus ou moins de mon âge, on improvisait vraiment pour s’approprier cet espace en terrain de jeux. Pour jouir des diverses disciplines, que l’on choisissait, nos vêtements servaient de mobilier pour singer les poteaux d’en-but, le filet de court, qu’imaginions encore… Je rêvais déjà, sans le savoir, d’un autre monde. En ce temps-là, je batifolai devant cette usine aux fumées de sciures de hêtre (dit le boucan) vouée spécifiquement à parfumer les poissons pêchés d’à côté, du large de Fécamp, de Boulogne-sur-Mer voire même chalutés des bancs de Terre-Neuve. Ce vaste bâtiment mélangeait le béton, la brique rouge et le silex surmonté d’une demi-douzaine de hautes cheminées, fatales issues des fumoirs. Il ombrageait ma petite enfance qui juponnait l’ancrage de ma mère y souffrant jour et nuit de ses pieds gercés par l’eau et le sel jonchant les fondations de son lieu de travail. Comment se retrouver là-dedans ? Comment y parfaire ma véritable personnalité quand, en fin de parties, je ramassai avec mes coreligionnaires nos frusques embrumées elles aussi des fumets de la poisse qui rapportaient trois francs six sous par mois aux forçats de cette besogne ? Comment m’affirmer quand on récupérait précieusement nos ballons de fortune en plastique léger comme nos volants de badminton en papier d’aluminium habillés de chaussettes usagées, et tout ça pour éviter les coups de semonce des voisins soucieux de préserver leurs capitaux transformés en belle carrosserie ou en bio-potager ?
Si les journées sont longues, après les heures de communales et profitant aussi des congés scolaires, je les comblai parfois de longs instants dans le « petit parc » bordé des cabanes de plage en bois châtaigne jouxtant la mer. Monsieur Dumesnil y veillait de sa garde et remettait aux visiteurs, en culottes courtes, le jus d’orange et le croissant du goûter. Quand ma mère, bien sûr généreusement, m’en offrit quelquefois la petite pièce de deux francs pour que l’accès m’en soit permis, je m’en régalai. Dans ce décor à manèges et vrais jouets je connus mes premiers rêves d’évasion en jouant au pirate dans la pataugeoire et à Tarzan pendu à une tyrolienne. Je m’en évadai cependant de temps à autre pour rapporter directement au poste de travail de ma mère son en-cas fraîchement conçu par ma nounou. Pénétrant dans cette usine, sans avoir cette fois l’obligation de m’acquitter d’un laissez-passer, comme beaucoup de mes copains du village, on apportait, ne serait-ce qu’un court instant, un soupçon de rayon de soleil aux écaillés laborieux suant le court-bouillon dont le seul honneur que d’exister représentait la majorité de la population active d’Yport.
À d’autres moments, je retrouvai mes Tontons ! À défaut de frère ou de sœur illustrant mon cercle familial au milieu duquel ma mère brillait par son absence, tout comme feu mon père depuis mon sixième printemps, mes « Tontons » me firent participer à de drôles de jeux embués dans leurs vapeurs d’alcool récurrentes. Je n’en connus vraiment que trois de cette fratrie de sept. Claude, Yves et Daniel vinrent aider ma mère et moi dans nos innombrables allées et venues pour pousser des brouettes emplies de ce qui allait être désormais mes souvenirs de ma courte vie avec mon père. Obligés de quitter notre maison par futur manque de moyens, mes Tontons nous assistèrent pour ce curieux déménagement d’une rue à l’autre sous les yeux ébahis de nos voisins. Malgré tout, ce trio burlesque tantôt cravaté tantôt « empapillonné » restera, en accepterais-je, auteurs d’une certaine bienveillance même maladroite à mon égard. Ils furent cependant reconnus comme très