Liban, est-il permis de se taire ?: De l'effondrement forcé au redressement responsable
Par Joe Maalouf
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À propos de ce livre électronique
Cet essai, qui ambitionne d’apporter une vue d’ensemble de la situation libanaise, est motivé par l’explosion catastrophique du port de Beyrouth d’août 2020, restée à ce jour sans suite judiciaire ni politique.
La démarche suivie est avant tout citoyenne et libre. L’ouvrage n’hésite donc pas à dire les choses, de manière objective et avec pédagogie, même si elles peuvent paraître inavouables pour certains. Car nous, Occidentaux, avons notre part de responsabilité dans ce malheur. Naturellement, le récit est documenté, et s’appuie sur de nombreuses références.
Le propos est structuré autour de la notion de souveraineté, ce qui assure la cohérence, la concision et la clarté d’un récit qui couvre plus d’un demi-siècle d’événements : depuis l’indépendance de l’Etat libanais en 1943, puis les premières fissures, l’abdication de souveraineté, et enfin sa chute. L’effondrement économique et politique que l’on observe aujourd’hui n’en est que la conséquence malheureuse, mais ô combien logique.
L’ouvrage est une synthèse claire qui expose, révélation après révélation, ce qui se tramait et se trame encore derrière les coulisses de ce malheur.
Le public français, dont l’affection envers le Liban est tout aussi grande que son peu de connaissance du pays, appréciera une lecture rappelant celle d’une intrigue policière. L’aperçu historique qui introduit le livre en appuie l’argumentation, expliquant quelques caractéristiques saillantes de la culture et de l’identité libanaises.
Ce cri du cœur finit en plaidoyer pour le Liban, un appel au devoir de mémoire pour les Libanais, et au nécessaire redressement du pays. Une véritable lettre d’amour pour le Liban et la France.
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Avis sur Liban, est-il permis de se taire ?
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Aperçu du livre
Liban, est-il permis de se taire ? - Joe Maalouf
Publishroom Factory
www.publishroom.com
ISBN : 978-2-38454-861-3
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Joe Maalouf
Liban, est-il permis de se taire ?
De l’effondrement forcé au redressement responsable
À Cora, sans qui ce livre
n’aurait aucun sens
À Pia et Ingrid, avec qui ce livre
prend tout son sens
Publications du Centre Libanais d’Information
La Guerre libano-palestinienne, édition et diffusion : Centre Libanais d’Information, Beyrouth, 1978.
Liban : le véritable enjeu, Jad Roche, éditions Cariscript, Paris 1987.
Dahaleez al-maasat al-lubnaniah (Les labyrinthes de la tragédie libanaise), en langue arabe, Roger Azzam, éditions et diffusion du Centre Libanais d’Information, Paris, 2001.
Liban, l’instruction d’un crime, Roger Azzam, éditions Cheminements, 2005
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement les membres de ma famille et les amis qui m’ont encouragé à écrire ce livre, qui ont supporté les longues discussions à propos du Liban et des nombreux sujets qui lui sont apparentés, et qui ont cru en ma capacité à rédiger un ouvrage aussi ambitieux.
En particulier, ma gratitude va à mon ami de longue date Jacques Richer, qui a bien voulu relire, corriger et apporter ses précieux conseils sur le contenu du livre, ainsi qu’à Jacques Devergne, dont la perspicacité et l’appui m’ont été d’un précieux recours.
Enfin, je dédie ce livre à Bilo, Simon, Georges, Mehdi, Roger et tant d’autres, qui ont perdu la vie parce qu’ils croyaient en un idéal incommensurable et immortel, le Liban.
TABLE DES MATIÈRES
Prologue
I – Liban, terre et peuple : aperçu historique d’une identité forte et paradoxale
Le Liban, un pays qui gagne à être connu
Une situation géographique toute particulière
Un pays dont le nom actuel est le plus vieux au monde
Autres noms donnés au Liban : Syrie, Phénicie
Liste des noms donnés au Liban à travers l’histoire
Un tracé de frontières parmi les plus vieux au monde
Le peuple libanais, l’un des plus vieux au monde vivant sur ses terres
La présence libanaise dans le monde antique
Les apports civilisationnels des Libanais
De l’ère phénicienne jusqu’à hier, deux millénaires d’occupation
Une identité forte, ouverte,… et paradoxale
II – Souveraineté d’État : naissance, fissures, abdication
L’indépendance du Liban et les crises régionales successives
L’État libanais abdique sa souveraineté
III – Deux coups d’État, deux invasions, ou les bluffeurs bluffés
Le Liban devient un foyer du terrorisme
Guerre du Kippour : le coup d’État au Liban est décidé
Le coup d’État au Liban, début, déroulement et échec
IV – Souveraineté d’État : la chute
et… la naissance du terrorisme islamiste international
Un accord de paix bâclé, les USA reconduisent le schéma Kissinger
L’Iran entre en jeu au Liban, la Syrie se prépare à en profiter
La guerre du Chouf (facette n°1)
Remplacer l’élite libanaise par des personnes liges (facette n°2)
La campagne de prise d’otages neutralise l’Occident (facette n°3)
Assad aligne les milices chiites sur ses objectifs (facette n°4)
Assad tente de subvertir les forces souverainistes et échoue (facette n°5)
La Syrie arrache au Liban sa souveraineté (facette n°5, suite & fin)
V – Patrie occupée, État subverti
et… l’éclosion du terrorisme islamiste international
La Syrie s’emploie à subvertir l’État libanais
L’accord de Taëf, un cadre pour subvertir l’État libanais
Omniprésence des SR syriens, assistés par les SR libanais noyautés
La Justice libanaise asservie
Les SR en guise de bâton, la corruption en guise de carotte
L’asservissement des médias
Sous emprise syrienne, l’État libanais fonctionne tant mal que bien
Le second mandat de Rafic Hariri et la fin de l’occupation syrienne
Les attentats du 11 septembre 2001 et le séisme politique libanais
La rupture entre la Syrie et les puissances occidentales
L’assassinat de Rafic Hariri et la Révolution du Cèdre
VI – Souveraineté d’État : échec de la troisième tentative de restauration et… l’essaimage d’un terrorisme islamiste international larvé
La Syrie, sonnée, revient à ses fondamentaux
La Syrie installe à nouveau le terrorisme au Liban
L’Iran provoque une guerre avec Israël
La Syrie crée une insurrection au Liban
L’accord de Doha, prélude à l’effondrement du Liban
VII – L’effondrement
Échec de la nouvelle tutelle syrienne du Liban
Émancipation politique et vide constitutionnel
L’Iran prend en main la légalité libanaise
Le printemps de Beyrouth et l’effondrement économique
L’explosion du port de Beyrouth et l’effondrement social
Les conclusions du TSL illustrent le lâchage de l’Occident
Démocratie, corruption et clientélisme
Épilogue
Sept leçons d’une guerre qui n’est toujours pas terminée…
Trois scénarios possibles pour redresser le Liban
Et en attendant…
Postface
Annexes
Glossaire
Bibliographie
Prologue
Ce livre est un cri du cœur pour dénoncer la situation de tout un peuple, le peuple libanais, au bord de l’agonie dans une quasi indifférence générale.
Ce livre s’adresse à une population francophone, et française en particulier. Les liens entre la France et le Liban sont à la fois très forts et très anciens. Citons à titre illustratif le mot du général de Gaulle, qui s’est exprimé à un moment où la France Libre luttait contre l’occupant nazi, le 27 juillet 1941, lorsqu’il était de passage à Beyrouth :
« Les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France… »
Ou plus récemment, l’ex-ministre des Affaires étrangères de la France, M. Jean-Yves Le Drian, interviewé par une chaîne d’information continue le 5 août 2020, au lendemain de la catastrophe qui a dévasté le port de Beyrouth et une partie de la ville :
« La France, c’est la famille du Liban, le Liban, c’est la famille de la France. Nous avons une telle histoire commune, de telles passions communes, de tels combats communs, de telles amitiés communes, que nous sommes en deuil comme les Libanais, aujourd’hui ».
Cette proximité entre la France et le Liban, la profondeur de l’amitié entre les deux peuples frappent les esprits. Pour qui vit en France, on peut être étonné du grand nombre de Français ayant toutes sortes de liens avec des Libanais : une parenté directe ou indirecte avec des Libanais ou des Français d’origine libanaise, des liens personnels ou professionnels avec des Libanais, etc.
Néanmoins, vivant en France depuis plus de trois décennies, je suis forcé de constater que la réalité de ce pays reste quand même peu connue des Français. J’ai été effectivement frappé par la méconnaissance qu’ont les Français, de manière générale, de la réalité sociétale, politique, économique ou historique, ou même tout simplement géographique du Liban.
En effet, comment peut-on se sentir vraiment proche, aimer, ou a contrario détester, un pays si on ne le connaît pas suffisamment ? Comment peut-on même aimer, ou détester, une personne si on ne la connaît pas ?
La relative jeunesse de l’État libanais explique en grande partie la méconnaissance de l’histoire du Liban par le plus grand nombre, y compris par les Libanais eux-mêmes. La Fondation du Patrimoine Libanais¹ est l’un des organismes qui a pour objectif d’effectuer des recherches historiques et archéologiques pour enrichir notre connaissance de cette histoire, longue de plusieurs millénaires. Ce livre s’inspire d’un certain nombre d’œuvres qu’elle a publiées.
Pour décrire la situation libanaise, j’ai décidé de m’appuyer sur les deux composantes fondamentales d’un pays : sa géographie, sa population et sa culture, qui forgent son identité, et son État, en particulier la manière dont les autorités ont agi pour aboutir à la catastrophe actuelle.
La grande rigueur qu’il faut avoir pour aborder un sujet aussi délicat, commande d’aller au plus profond de chacune de ces composantes : remonter le plus loin possible dans l’histoire du Liban et de sa culture, ainsi que dans la construction de son État.
Ainsi le premier chapitre présente le Liban, Terre et Peuple, dès l’Antiquité. Car pour bien comprendre la nature de la culture libanaise, il serait maladroit de considérer que l’histoire du Liban commence avec son indépendance en 1943, ou bien lors de la création de l’État libanais en 1920 par la France mandataire, ou encore en 1990, après l’arrêt des affrontements sanglants et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Il est plus juste et plus rigoureux de remonter le plus loin possible dans le temps, malgré la rareté des documents historiques et la diversité des sources.
Les ouvrages publiés par le Dr Antoine Harb, de la Fondation du Patrimoine Libanais, les textes anciens de Diodore de Sicile, ceux des orientalistes comme MM. Georges Contenau, Sabatino Moscati ou bien le Pr Wallace Fleming, m’ont aidé à dégager des caractéristiques de l’environnement et de la culture libanaise percevables depuis des millénaires, et qui sont restées étonnamment très actuelles. À tel point que certaines expliquent, au moins en partie, le déclenchement des affrontements au Liban, et d’autres ont inspiré des voies de sortie de la crise que vit le Liban aujourd’hui, présentées dans l’épilogue de cet ouvrage.
La suite de l’ouvrage est structurée autour de la notion fondamentale de souveraineté d’État, qui représente le fil rouge dans la compréhension des causes de l’effondrement actuel du pays.
Pour cela, les mémoires du Dr Henry Kissinger sur le Moyen-Orient m’ont été d’un grand secours, ainsi que les ouvrages de personnalités ayant traité de la situation libanaise tels que les publications de l’académicien et ancien ambassadeur de France M. Daniel Rondeau, ou bien M. Gilles Ménage, proche collaborateur de la présidence de la République française durant plus d’une décennie, ou encore M. Matti Golan, journaliste israélien ayant suivi de près les négociations entre Israël et la Syrie, tout cela complété par mon vécu des décisions politiques désastreuses faites par les autorités libanaises à des moments cruciaux de l’histoire du Liban.
Pour ne pas alourdir inutilement le discours, et aussi pour une meilleure pédagogie, je me suis restreint à en retenir les éléments essentiels, et à mettre de côté ceux qui le sont moins, faisant en sorte que ces derniers soient déductibles des premiers, toujours avec la plus grande rigueur.
Ma démarche est celle d’un citoyen français, passionné d’histoire, souhaitant s’appuyer sur la vérité de ce qui se passe au Liban, afin d’aider au mieux le pays où il est né à sortir d’une impasse qui semble sans fin. Ce travail a permis d’appréhender sur le temps long, les véritables causes de la catastrophe libanaise, ainsi que les implications des puissances régionales et internationales, souvent louables, parfois inavouables.
Enfin, j’ai pris soin de garder un maximum d’objectivité, sans aucun parti pris, sauf pour un Liban souverain, libre et indépendant, évidemment.
I – Liban, terre et peuple : aperçu historique d’une identité forte et paradoxale
Le Liban, un pays qui gagne à être connu
Quel est donc le Liban, ce pays qui fait la une des journaux de temps à autre, trop souvent de manière tragique ou dramatique : explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a fait le tour du monde, affrontements avec Israël à l’été 2006, attentats à la voiture piégée, enlèvements et séquestrations de journalistes ou de personnalités, guerre ‘civile’ qui dure depuis un demi-siècle, occupation de son territoire par la Syrie et Israël, etc. ?
On entend souvent çà et là des commentateurs, des journalistes et des analystes politiques qui affirment, désabusés : « est-ce que le Liban est un pays ? », « les communautés libanaises ne savent pas coexister ensemble », « le Liban était synonyme de paradis, que s’est-il passé ? », « dommage qu’un aussi beau pays ne puisse plus exister », « la Békaa a toujours été syrienne et n’a jamais fait partie du Liban », pire : « le Liban a toujours fait partie de la ‘Grande Syrie’ », ou encore « c’est la France qui a créé le Liban en 1920 », etc.
Ce qui suit va montrer que le Liban est un des pays les plus vieux au monde, terre et peuple. L’identité du Liban est présentée à travers divers indices forts et déterminants, tels que son nom, la délimitation de ses frontières géographiques, ou encore l’origine de sa population.
L’histoire du Liban et de la civilisation libanaise, l’importante présence libanaise dans le monde, tout aussi vieilles, complètent ce tableau en apportant de précieuses informations qui aident à mieux comprendre la culture si particulière des Libanais.
Objet de convoitise de la part de divers empires depuis l’Antiquité, petit par sa taille, le Liban a été occupé par des conquérants successifs durant deux millénaires. Si d’aucuns pensent que ces millénaires d’occupation peuvent alimenter une certaine culture de la soumission politique à des « caïds » ou une attirance vers les théories du complot, ce chapitre va montrer que l’identité libanaise est restée grandement la même. Ce que la résilience reconnue du peuple libanais confirme.
Mais l’indispensable point de départ pour appréhender cette identité est avant tout de bien comprendre l’environnement dans lequel vivent les Libanais : le relief du territoire et ses contours, ses particularités et ce qui les oppose aux nations et peuples qui entourent le Liban. Bref d’en comprendre la géographie.
Une situation géographique toute particulière
La position géographique du Liban lui procure en effet une situation toute particulière, à l’est de la Méditerranée, et au carrefour de trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique, tous trois riches en histoire et en apports civilisationnels depuis la plus haute Antiquité (Fig. I-1).
L’exiguïté et le relief du pays ajoutent à sa particularité. En effet, sa superficie totale est de 10 452 km², équivalente à un grand département français comme la Gironde. On a l’habitude d’approximer cette superficie par un rectangle d’une longueur de 200 km du nord au sud et d’une largeur de 50 km d’ouest en est, se situant au bord de la Méditerranée orientale. Il est étonnant qu’un pays aussi petit a fait autant parler de lui de très nombreuses fois depuis un demi-siècle.
Le relief du Liban constitue l’élément le plus structurant du pays. Relief à la fois très particulier et grandement ignoré par beaucoup. En effet, la quasi-totalité de son territoire, soit précisément 87%, se situe à une altitude de plus de 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Et si on ajoute que le tiers de sa superficie, soit 3 200 km², est à plus de 1500 m d’altitude, on commence à comprendre pourquoi il a été appelé la Suisse du Moyen-Orient. Sauf que, contrairement à la Confédération Helvétique, le Liban est un pays maritime avec un accès à la Méditerranée sur près d’un tiers de son périmètre frontalier. Cet accès à la mer change énormément la donne.
En examinant de plus près cette carte (Fig. I-2), on voit deux chaînes de montagnes aux sommets couverts de neige, séparées par une bande étroite moins enneigée. La chaîne occidentale est appelée Mont-Liban, la chaîne orientale l’Anti-Liban. Elles sont séparées par la Bekaa, un plateau d’une altitude moyenne de 950 mètres, dont la surface représente environ 6% seulement de la surface du pays.
Un contraste frappant avec le voisinage
On observe aussi un fort contraste entre le relief du Liban et celui des pays qui l’entourent. Les sommets enneigés des deux chaînes de montagnes tranchent de manière frappante avec :
–au Nord : les plaines côtières de la Syrie, entre le Liban et la Turquie
–à l'Est : les oasis et le désert de Syrie
–au Sud : les plaines côtières d’Israël et de Palestine.
Au contraste du relief, s’ajoutent le contraste des couleurs : blancheur des sommets versus l’ocre du désert, et le contraste des températures : froid des altitudes élevées versus chaleur des plaines et du désert.
Au fond, le Liban n’est rien d’autre qu’une haute montagne qui plonge dans la Méditerranée.
Plus précisément, la chaîne occidentale culmine à 3081 mètres (au pic de Kornet El Saouda), et décroît du Nord au Sud, tandis que l’altitude de la chaîne orientale croît à partir du Nord pour atteindre 2814 mètres au sommet du mont Hermon au sud du pays, à la frontière entre le Liban et la Syrie, la Jordanie et Israël.
L’historien Tacite, qui a vécu entre l’an 58 et l’an 120 de notre ère, décrit la situation singulière du Liban dans son recueil Historiae² : « Les plus hautes cimes qu’élève ce pays sont celles du Liban, montagne qui, par un étonnant contraste, est toujours fraîche sous un ciel brûlant, et garde la neige sous les feux du soleil. C’est le Liban qui verse et alimente les eaux du Jourdain. (…) »
Le littoral libanais, long de 200 km, est extrêmement exigu. Sa largeur est quelquefois nulle : par exemple à Nahr El Kalb, localité située à 8 km au nord de Beyrouth, ou plus loin à Chekka éloignée de 66 km de Beyrouth, la montagne plonge littéralement dans la mer. Cette largeur va jusqu’à un maximum de 5 km au nord du Liban (région du Akkar). Rappelons que les terres se situant au-dessous de 500 mètres d’altitude ne représentent que 13 % de la superficie du pays.
Néanmoins, le littoral concentre une part importante de la population libanaise, et de l’activité économique du pays. Un peu comme en Suisse, les grandes agglomérations concentrant l’activité économique se trouvent à des altitudes basses, et non loin des frontières avec les pays avoisinants. Au Liban comme en Suisse, ce qu’on appelle communément le ‘pays profond’, se situe dans les hauteurs des montagnes.
Cette géographie toute particulière permet aux Libanais, malgré une latitude de 33° à 35° Nord, proche du tropique du Cancer, qui en fait donc un pays plutôt chaud, de profiter des loisirs balnéaires du milieu du printemps jusqu’au début de l’automne, et du ski alpin en hiver, grâce à une douzaine de stations de sports situées sur les sommets de la chaîne occidentale. L’armée libanaise a même dans ses effectifs une section de ‘Chasseurs Alpins’, chose rare pour un pays se situant à cette latitude.
Ces particularités géographiques, conjuguées avec l’exiguïté du pays, sont sans doute la base de l’appétit des Libanais pour un art de vivre qu’ils ont su développer et même exporter grâce à leur cuisine. Art de vivre reconnu par tous les touristes et voyageurs ayant visité le Liban, y compris en temps de guerre.
Partant de l’idée qu’une culture et une civilisation sont le résultat de l’interaction continue entre une population et son environnement, on peut affirmer que cette dualité montagne-mer a forgé à travers les siècles l’histoire du Liban et le caractère si particulier des Libanais. Commençons par explorer l’origine du nom du pays, car il est intimement lié à sa structure géographique.
Un pays dont le nom actuel est le plus vieux au monde
Ce pays a reçu des appellations diverses à travers les siècles, dont les plus connues sont : Liban, le nom dont il jouit actuellement, Syrie, utilisé par l’Occident pour désigner une large partie du Levant, et Phénicie.
Beaucoup de pays ont changé d’appellations. Mais pourquoi le mot « Liban » a-t-il finalement été retenu pour désigner ce pays, et non pas un autre ? Quelles sont les raisons de ces différentes appellations et leurs origines ? Laquelle représente le mieux ce pays ?
D’autre part, si le Liban, durant une certaine période, a été appelé Syrie, du nom de son grand voisin, ces deux pays ne devraient-ils pas, en fait, en constituer un seul ?
Autre question intéressante : si le Liban n’a pas gardé le nom de Phénicie, les Libanais seraient-ils considérés comme des descendants des Phéniciens ?
En réalité, les réponses à ces deux questions sont négatives. En comprendre les subtilités permet de mieux apprécier une bonne partie de l’histoire du pays.
Un nom révélateur
La plus vieille trace archéologique où le mot « Liban » figure, se trouve dans un texte antique, l’épopée de Gilgamesh, roi d’Uruk, une cité située en Mésopotamie (l’actuel Irak). Ce texte est gravé en caractères cunéiformes sur des tablettes d’argile, remontant au XVIII° siècle avant J-C. (Fig. I-3).
Plus précisément, le mot Liban est cité dans les quatrième et cinquième tablettes, traduites par l’assyriologue et académicien français M. René Labat, et qui décrivent un combat au cours duquel le géant Oumpapah, gardien des cèdres du Liban, est mis à mort :
Les forêts se lamentèrent et gémirent les cèdres !
À mort, Enkidou avait frappé le gardien de la forêt
À la voix de qui tremblaient l’Hermon et le Liban³.
Bien que ces tablettes datent du XVIII° siècle av. J.-C., on sait que cette épopée a été conçue au cours d’une période qui se situe entre 2700 et 2500 av. J.-C., et transmise par voie orale. Ceci fait que l’appellation « Liban » remonte à plus de 4600 ans, faisant du Liban le pays dont le nom actuel est le plus vieux au monde !
Le professeur Labat précise aussi la façon dont le mot représentant le Liban est prononcé, à savoir ‘La-aB-Na-aN’, prononciation qui se retrouve exactement identique sur les lèvres des Libanais et des moyen-orientaux aujourd’hui. Pareillement, ce mot se retrouve dans nombre de langues sémitiques anciennes, telles que l’hébreu, l’araméen, ou encore l’assyrien, et signifie « blanc », en rapport avec sa signification en langue arabe actuelle, à savoir le lait caillé.
Il ne fait aucun doute que ce mot est inspiré de la blancheur des sommets des montagnes de ce pays, à savoir la chaîne orientale. En effet, les Mésopotamiens ne pouvaient pas distinguer la chaîne occidentale, cachée derrière la chaîne orientale que l’on appelle aujourd’hui Anti-Liban. Ils ont été interpellés par cette couleur qui contraste avec celles des régions environnantes, comme l’ocre du désert syrien, le vert des plaines côtières du nord de la Syrie ou de la Palestine au Sud.
C’est bien la couleur des sommets du mont Hermon, situé sur la chaîne orientale, qui est à l’origine du mot Liban. Les peuples du Proche-Orient qui vivaient aux alentours lui ont donné ce nom de « montagne blanche » un peu comme les Européens ont qualifié de « Mont Blanc » le plus haut sommet montagneux d’Europe.
Les noms des pays ne dérivent pas toujours des éléments de leurs géographies. Si le nom de l’Inde dérive du nom du fleuve Indus, et si les noms des deux Républiques du Congo dérivent du fleuve éponyme, les noms de certains pays dérivent des noms des populations qui y vivaient durant une certaine période de leur histoire : la France, pays des Francs, ou bien l’Angleterre, pays des Angles.
Le Liban appartient à cette catégorie de pays dont le nom dérive de caractéristiques saillantes de sa géographie, à savoir la blancheur des sommets de ses montagnes. Il s’agit d’un élément identitaire fort, car le nom du Liban est lié à son environnement géographique, stable par excellence.
Cette réalité historique dément une croyance selon laquelle le Liban se réduirait à la chaîne occidentale et le littoral méditerranéen, et que la chaîne orientale, l’Anti-Liban, aurait été ‘adjointe’ à la chaîne occidentale pour former un ‘Grand Liban’. En réalité, les deux chaînes de montagnes forment le Liban depuis la plus haute antiquité.
Une autre singularité du Liban est sa réputation d’inaccessibilité. L’épopée de Gilgamesh, par définition même d’une épopée, constitue le récit d’un fait de gloire, à savoir la défaite d’Oumpapah, le gardien des cèdres, et qui a permis au roi Gilgamesh de disposer du précieux bois.
Quatre versets d’un poème arabe⁴, dont voici la traduction, illustrent cette impression d’inaccessibilité, un mélange d’admiration et de crainte :
« Les montagnes libanaises, comment les traverser ?
Ici règne le printemps, alors que leurs étés sont hivers ;
Leurs escarpements ont empêché mes chemins,
Rendant leur blancheur toute noire ».
Enfin, il est important de noter que le relief montagneux du Liban, proche de la mer, fait de ce pays une sorte de château d’eau à multiples étages. La succession des températures chaudes de la mer, aux températures de moins en moins élevées à mesure qu’on s’approche des sommets des montagnes, provoque d’abondantes pluies sur tout le territoire libanais. Celles-ci s’observent surtout de fin octobre à fin mars, et favorisent la présence de nappes phréatiques à toutes les altitudes. Cette eau en abondance, associée à un sol de nature volcanique, font du Liban un pays à la terre extrêmement fertile.
Ce ressenti d’admiration et de crainte envers le Liban, est sans doute amplifié par le fait que les montagnes libanaises empêchent les nuages poussés par les vents dominants, allant d’ouest en est, d’irriguer suffisamment les territoires syriens situés entre le Liban et la Mésopotamie, et ce faisant, contribuent fortement à la formation du désert syrien.
Cet immense réservoir d’eau que constituent les montagnes du Liban, alimente un ensemble de rivières et de fleuves, qui, parcourant toutes les directions, se jettent dans la mer, ou bien vont irriguer les terres des pays voisins, la Syrie, la Jordanie et Israël / Palestine. En fait, le Liban est le château d’eau de la région, à l’instar de la Suisse pour l’Europe occidentale.
Cette richesse en eau, donc agricole, couplée au relief montagneux, ont aidé à faire du Liban une destination prisée par les populations qui résident dans les pays voisins, et surtout, un refuge. En effet, lorsqu’un individu, ou une famille, voulait fuir son lieu de résidence habituel, pour une raison ou pour une autre, et qu’il atteignait un endroit de la montagne libanaise, il lui suffisait de disposer d’une cabane, aussi rudimentaire soit-elle, de se tenir à l’abri d’une colline, et de creuser un puits et quelques sillons pour survivre tranquillement.
Ceci a valu au Liban un proverbe connu de tous les Libanais : « Heureux celui qui possède un gîte de chèvre dans la montagne libanaise ». Cette situation s'illustre de manière dramatique aujourd'hui, où le nombre de réfugiés en terre libanaise en provenance de pays voisins, notamment des Syriens et Palestiniens, dépasse la moitié du nombre de citoyens libanais.
C’est donc la structure géographique du pays qui lui a donné son nom. Les Libanais sont les habitants du Liban, de la montagne libanaise.
Autres noms donnés au Liban : Syrie, Phénicie
De l’origine du mot « Phénicie »
Lorsque l’on parle du Liban ancien, on parle de Phénicie. Quels liens y a-t-il donc entre le Liban et la Phénicie ? Sur quelles bases est-on en droit de faire des liens entre ces deux appellations ? Pourquoi le Liban n’a-t-il pas gardé le nom de Phénicie ?
Le peuple phénicien est célèbre pour avoir sans doute inventé, et certainement diffusé l’alphabet. On sait aussi que ce peuple a vécu dans les villes côtières du Liban, dont les plus importantes sont, dans l’ordre, Tyr, Sidon et Byblos. L’alphabet phénicien a été découvert dans cette dernière ville, gravé sur la tombe de son roi Ahiram. D’où vient donc cette appellation de ‘Phéniciens’ concernant cette population ? Plusieurs pistes ont été évoquées.
La seule explication qui tient la route est que ce terme proviendrait du grec phoenix, (φοῖνιξ) qui signifie ‘rouge sang’. La raison en est que les Phéniciens ont été réputés pour le commerce de tissus de couleur pourpre, prisés par les riches et les nantis de l’époque, commerce qui a fait leur immense fortune pendant plus d’un millénaire.
Cette teinture nécessitait un travail considérable, une compétence très pointue et l’accès à une ressource rare : le murex, un mollusque gastéropode répandu sur les côtes libanaises à l’époque.
Cette association de la couleur rouge sang avec les Phéniciens, et donc la Phénicie, est étayée par des références historiques liées à la mythologie grecque, et confirmée par les travaux des historiens M. Georges Contenau⁵ et le Pr Sabatino Moscati⁶, professeur à l’Université de Rome et grand maître italien des études phéniciennes et puniques.
Ce dernier affirme : « Canaan était à l'origine la dénomination indigène de la région phénicienne. En raison de l'activité caractéristique de ce pays, un autre nom en est dérivé avec la signification ‘rouge pourpre’, et ce dernier a été transposé dans la langue grecque pour désigner soit la région, soit la couleur »⁷.
L’appellation ‘Phénicien’, correspond donc à un attribut donné à une population vivant sur un territoire comprenant le Liban, pour une période de temps donnée, s’étendant du XIII° siècle av. J.-C. au IV° siècle apr. J.-C. environ. Ce territoire était habité par des Libanais avant et après la période où on l’appelait ‘Phénicie’.
Les Phéniciens sont bien des Libanais. Cependant l’inverse n’est pas vrai, car le commerce de tissus pourpres s’est peu à peu évanoui. A contrario, affirmer que les Libanais sont des descendants des Phéniciens est un pléonasme, car les Phéniciens sont eux-mêmes des descendants d’habitants du Liban, avant que ce pays ne s’appelle Phénicie, donc des Libanais !
C’est donc la richesse extraordinaire que procura le commerce séculaire de tissus pourpres qui justifie l’appellation Phénicie que les riches acheteurs ont donnée au Liban pendant des siècles. Tyr en avait le leadership.
Tyr, symbole de l’extraordinaire richesse du Liban antique
Peu d’ouvrages attestent de la richesse des villes libanaises de l’époque phénicienne. Cependant, il en existe un, et de taille, qui en parle à plusieurs reprises : la Bible, et plus particulièrement l’Ancien Testament.
Tyr était reconnue comme la plus importante des cités phéniciennes. Celles-ci ont créé, durant un millénaire, le plus grand réseau de colonies sur le pourtour méditerranéen, et par la même occasion, la première ‘civilisation méditerranéenne’ de l’Histoire⁸.
Citons, à titre d’exemple, des extraits du chapitre 27 du livre d’Ézéchiel, prophète hébreu qui vivait aux premières décennies du VI° siècle av. J.-C., donc durant l’ère phénicienne, et qui jouissait d’un grand prestige auprès de ses compatriotes :
« Tu diras à Tyr : Ô toi qui es assise au bord de la mer, et qui trafiques avec les peuples d’un grand nombre d’îles (…) tu disais : je suis parfaite en beauté ! Ton territoire est au cœur des mers ; ceux qui t’ont bâtie t’ont rendue parfaite en beauté. (…) Ceux de Tarsis trafiquaient avec toi, à cause de tous les biens que tu avais en abondance ; d’argent, de fer, d’étain et de plomb, ils pourvoyaient tes marchés. (…) Les marchands de Séba et de Raema trafiquaient avec toi ; de tous les meilleurs aromates, de toute espèce de pierres précieuses et d’or, ils pourvoyaient tes marchés. (…) tu étais au comble de la richesse et de la gloire, au cœur des mers ».
Dans le chapitre suivant, Ézéchiel poursuit : « (…) tu diras au prince de la ville de Tyr (…) Par ta sagesse et ton intelligence tu as fait fortune, tu as accumulé l’or et l’argent dans tes trésors. Par ton génie du commerce, tu as multiplié ta fortune, (…) Toi, le sceau d’une œuvre exemplaire, plein de sagesse, d’une beauté parfaite, tu étais en Éden, dans le jardin de Dieu, entouré de murs en pierres précieuses : sardoine, topaze et jaspe, chrysolithe, cornaline et onyx, saphir, escarboucle et émeraude ; l’or ouvragé de tes tambourins et de tes flûtes a été préparé au jour de ta création. Toi, Kéroub choisi, le protecteur, je t’avais établi sur la sainte montagne de Dieu ; au milieu des pierres étincelantes, tu allais et venais ».
Le prophète Zacharie (9 : 3) est clair, concis et tout aussi élogieux : « Tyr s’est construit une forteresse, amoncelant l’argent comme de la poussière, et l’or comme la boue des rues. »
La richesse de la ville voisine de Sidon est attestée par Diodore de Sicile, historien de référence de l’Antiquité, qui a vécu au I° siècle av. J.-C. Il cite la richesse de cette ville apparue lors de son suicide collectif pour échapper au perse Artaxerxès⁹.
« Artaxerxès, arrivé (…) dans la Phénicie (…) plaça son camp auprès de Sidon. Sidon l’emportait depuis longtemps dans les spectacles d’adresse et de force sur toutes les villes de Phénicie. Mais, ce qui n’était pas moins important, elle avait plus de cent galères à trois et à cinq rangs de rames. (…). Les Sidoniens, avant que l’ennemi perse fût à leurs portes, avaient mis le feu à tous leurs vaisseaux, afin qu’aucun de leurs concitoyens ne puisse se sauver indépendamment des autres ; mais quand ils virent l’ennemi chez eux, et leurs murailles environnées d’un nombre innombrable de troupes étrangères, alors s’enfermant avec leurs femmes et leurs enfants dans leurs maisons, ils y mirent le feu eux-mêmes. On dit que le nombre de ceux qui furent consumés dans cet incendie, en comptant les esclaves, monta à plus de quarante mille. (…) la grande opulence des citoyens fit qu’on y trouva une quantité prodigieuse d’or et d’argent fondu. »
Que pouvait faire Artaxerxès avec cet or et cet argent mélangés, fondus et étalés au sol sur les débris fumants de Sidon ? Bien qu’avec les cent galères qu’ils possédaient, plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’individus, auraient pu s’enfuir par la mer, les Sidoniens ont préféré rester chez eux et mourir dignement devant l’ennemi.
Ce suicide collectif démontre que non seulement les Sidoniens sont un peuple libre et fier, mais aussi qu’ils placent ces valeurs au-dessus de leur prodigieuse richesse. Il y a largement de quoi contribuer à enraciner la réputation de richesse de la Phénicie dans les esprits des différents conquérants ou encore des historiens.
De l’origine du mot « Syrie »
On trouve dans beaucoup d’ouvrages le nom de « Syrie » en référence à une large région couvrant le Levant, soit le Liban, une grande partie de l’actuelle Syrie et même au-delà. Ceci donne à penser que ces deux pays n’en forment en réalité qu’un seul et que leur séparation a été soit fortuite, soit arbitraire ou même accidentelle.
Certains affirment même que les courriers postaux au début du XX° siècle à destination de Beyrouth, indiquaient comme adresse ‘Beyrouth, Syrie’. Rien n’est plus désolant et contraire à la vérité, lorsqu’on observe l’origine du mot ‘Syrie’.
Une première explication serait de faire un rapprochement entre ce mot et Assyrie, une région du nord de l’actuel Iraq, ayant comme capitale la cité d’Achour. Ainsi, la Syrie désignerait la région qui se situerait à l’ouest de l’Assyrie, qui lui ferait face en quelque sorte, sans préciser le contour de cette ‘Syrie’, ni lui associer un quelconque royaume, une population, ni même une cité. Le nom Assyrie proviendrait donc de Syrie en y adjoignant la lettre a, ou à l’inverse, le mot Syrie proviendrait d’Assyrie en lui ôtant la lettre a.
C’est l’hypothèse que le fameux historien grec Hérodote a faite, lui donnant un certain poids. Elle est aussi suggérée par la découverte de la Bilingue royale louvito-phénicienne de Çineköy, une localité située en Turquie, près de la ville d’Adana, et où les deux mots, Syrie et Assyrie, se retrouvent, l’un semblant être la traduction de l’autre.
Une autre explication a été avancée par l’historien américain Wallace B. Fleming¹⁰, qui s’est penché sur l’histoire du Proche-Orient, et plus particulièrement de la ville de Tyr, et qui réfute l’hypothèse d’Hérodote. Il affirme¹¹ que « Hérodote parle de la Syrie comme d’une abréviation de l’Assyrie, mais en cela, il a été trompé par la similarité entre les deux mots ».
L’historien poursuit en fournissant son explication de l’origine du mot Syrie¹² : « de toutes les cités phéniciennes, Tyr était la plus importante ; elle était tellement importante que les Grecs donnèrent son nom à toute la région, l’appelant Συρια, de אור Tsur, Tyr, et cette appellation grecque s’est perpétuée jusqu’aujourd’hui dans le mot Syrie. (…) Son nom, Tyr (Grec Τυροσ, Phénicien אר, Arabe صور, Assyrien et Babylonien Sur-ru, Hébreu אור ou אר, Égyptien Dara ou Tar, ou bien Taru dans les textes de Tell El Amarna, et en Latin Sarra) est tiré de l’île, la Soûr sémitique, qui signifie Roc. ».
L’origine du mot ‘Syrie’ (en arabe ‘souria’ سوريا) proviendrait donc du nom de la ville de Tyr, ‘Soûr’ en langue sémitique et arabe, et qui signifie Roc. La ville de Tyr était en effet bâtie sur une île rocheuse située à quelques encablures du littoral du Sud Liban.
Il n’est pas étonnant de nommer toute une région à partir d’un important centre d’activités, qui employait probablement une bonne partie de la population alentour. Tyr l’était effectivement pendant au moins un millénaire.
De toute manière, quelle que soit la thèse retenue, alors que l’origine du mot « Liban » est certaine et le territoire qu’il désigne est défini depuis plus de 3000 ans, l’origine du mot « Syrie », est subordonnée à une civilisation se situant soit à l’est soit à l’ouest de la « Syrie » actuelle, et dont les frontières sont déterminées en fonction de celles des pays qui l’entourent.
C’est aux autorités politiques de la Syrie actuelle que revient le devoir de clarifier et d’officialiser l’origine du mot « Syrie », le territoire qu’il désigne et la population qui y réside.
Malheureusement, cette appellation « Syrie » a été élargie en « Grande Syrie » pour désigner le Levant, et l’exercice qui consiste à y inclure le Liban perdure jusqu’à nos jours. Il est repris par quelques idéologues du nationalisme arabe ayant sans doute des visées supranationalistes. Le Liban en a souffert.
L’appellation Liban a perduré à travers les siècles, l’appellation Syrie a évolué
Deux cartes permettent de comprendre l’évolution des différentes appellations. La première représente les deux subdivisions administratives du Liban du temps de l’Empire romain : la Phénicie maritime et la Phénicie libanaise. L’appellation Syrie n’y apparaît pas (Fig. I-4).
La suivante a été publiée en 1923 et présente les quatre appellations Liban, Phénicie, Syrie, Coelé-Syrie¹³ (Fig. I-5).
Cette carte montre une évolution : la Phénicie désigne surtout la chaîne occidentale des montagnes libanaises et son littoral, et comprend donc les cités qui faisaient le commerce de tissus pourpres. La chaîne de montagnes occidentale prend le nom de Liban, ce qui est réducteur, et la chaîne orientale perd le nom de Phénicie libanaise pour devenir Anti-Liban (ou ‘avant-Liban’), ce qui laisse supposer que cette dernière ‘précède le Liban’, celui-ci étant défini par la chaîne occidentale uniquement.
Ceci va à l’encontre de la définition du mot ‘Liban’ tel qu’il apparaît dans l’épopée de Gilgamesh, à savoir que le Liban désigne la chaîne orientale culminant au mont Hermon, et est donc inexact.
Néanmoins, les pères de l’indépendance du Liban en 1943 ont corrigé le tir et repris l’appellation Liban pour désigner le pays en associant son nom à sa principale caractéristique géographique (la blancheur de ses sommets), et en faisant une nette distinction avec la ‘Syrie’ et son appellation ambiguë. L’appellation Syrie, désignant l’intérieur du territoire proche-oriental, couplé avec Coélé-Syrie (la ‘Syrie creuse’) a survécu par défaut jusqu’à la décision de la France mandataire de créer un État pour gérer ce territoire.
Le schéma suivant présente la suite des noms donnés au Liban depuis environ 5 000 ans.
Liste des noms donnés au Liban à travers l’histoire
Un tracé de frontières parmi les plus vieux au monde
Rappelons que le Liban est une montagne constituée de deux chaînes, toutes deux parallèles à la côte méditerranéenne, allant du Nord au Sud. La variation des altitudes de ces deux chaînes va en sens inverse l’une de l’autre, une sorte de ‘tête-bêche’.
Si le nom du Liban est très vieux, la délimitation des frontières du Liban est elle aussi, assez vieille.
C’est en effet le Livre des Juges, 3:3, dont la rédaction remonte au XII° siècle avant J.-C., qui en témoigne, et de la manière la plus explicite qui soit :
« Voici ces nations : cinq princes des Philistins et tous les Cananéens, les Sidoniens et les Hivvites qui habitaient la montagne du Liban depuis la montagne de Baal-Hermon jusqu’à l’Entrée-de-Hamath¹⁴».
En d’autres termes, la frontière (orientale) du Liban part du mont Hermon au Sud, et va jusqu’à l’entrée de l’oasis syrien de Hama (Fig. I-6).
Fig. I-6 Les frontières du Liban telles que tracées dans la Bible, et leur tracé aujourd’hui.
Pour compléter ce tracé et arriver aux frontières du Liban actuel, telles que reconnues par la communauté internationale, il suffit de rejoindre la mer Méditerranée par :
–au nord, le fleuve ‘Nahr El Kébir’,
–au sud, le promontoire dit de ‘Naqoura’.
Et le tour est joué ! Peu de pays peuvent s’enorgueillir d’une définition de frontières rédigée dans un texte datant de plus de 3000 ans ! Nul besoin de règle ni de compas pour ce tracé, comme cela a été le cas pour certains pays au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lors de la création des Nations Unies.
Le peuple libanais, l’un des plus vieux au monde vivant sur ses terres
Si le nom du Liban et le tracé de ses frontières remontent à plusieurs millénaires, qu’en est-il de sa population et de ses origines ?
Très souvent, lorsque l’on parle du Liban, l’existence et surtout la multiplicité des communautés religieuses libanaises viennent vite à l’esprit. C’est l’un des aspects les plus intrigants du Liban. Officiellement, on compte 18 communautés, la 18° regroupant des communautés dites ‘minoritaires’, ouvrant la voie à un nombre encore plus grand de communautés. Ceci interpelle effectivement lorsqu’on pense aux quatre millions d’individus qui composent la population libanaise aujourd’hui.
D’où viennent toutes ces communautés ? comment se sont-elles retrouvées dans un pays aussi exigu que le Liban ? Plusieurs théories ont circulé et certaines circulent encore sur l’origine de ces communautés. Qu’en est-il ?
La citation du Livre des Juges ci-dessus, qui présente les frontières du Liban, parle de trois peuplades (Cananéens, Sidoniens et Hivvites). Néanmoins, ces trois peuplades forment en réalité une et une seule. Car, d’après la Genèse, les Hivvites et les Sidoniens sont des Cananéens. En effet, Sidon et Hévée sont deux fils de Canaan, celui-ci étant l’un des petit fils de Noé d’après la tradition biblique. En réalité, le Liban était à cette époque peuplé de Cananéens.
Le plus frappant, est que les résultats de fouilles archéologiques organisées dans la ville de Sidon, au Liban Sud, par une équipe du ‘Welcome Trust Sanger Institute’ britannique, viennent confirmer l’origine cananéenne du peuple libanais, et de manière spectaculaire.
Ces fouilles ont duré vingt ans, de 1997 à 2017. L’équipe, formée d’archéologues et de généticiens, a mis au jour des ossements datant de plusieurs milliers d’années, et dont les analyses ADN ont été utilisées pour comparer leur patrimoine génétique avec celui de Libanais vivant au Liban aujourd’hui.
Les résultats ont été publiés dans The American Journal of Human Genetics et sont sans appel : « Nous avons trouvé que les [gènes des] Libanais sont le mieux décrits comme étant composés à 93 % du patrimoine génétique SIDON-Bronze Age (i.e. celui des Cananéens) et 7% d’un autre patrimoine [Steppe Bronze Age], avec une marge d’erreur de 1,6%. (…) Les Cananéens étaient un mélange de personnes établies là [à Sidon] dans des fermes depuis le néolithique, entre 9000 et 3300 ans av. J.-C., et de migrants venus d’Eurasie il y a environ 5000 ans¹⁵ ».
Le périmètre des fouilles entreprises par l’équipe du ‘Welcome Trust Sanger Institute’ était limité à la ville de Sidon, ce qui incite à la prudence. Il faudrait attendre que des fouilles soient entreprises en d’autres endroits afin de conforter ces résultats.
Néanmoins, il s’agit de la seule étude scientifique avancée dont on dispose. En outre, le terme « les Libanais » utilisé dans la conclusion de cette étude, sans préciser qu’il s’agit uniquement des habitants actuels de Sidon, est mis en avant par des spécialistes reconnus en la matière. Ceci donne de la crédibilité à l’affirmation disant que les habitants d’autres villes du Liban, telles que Tyr, Beyrouth ou Byblos, partagent les mêmes gènes dans les proportions indiquées.
En outre, les affirmations de certains historiens, tels M. Sabatino Moscati, renforcent cette dernière hypothèse : « Canaan était à l'origine la dénomination indigène de la région phénicienne. »¹⁶. Il ajoute : « la formation de la nation phénicienne… nous apparaît comme le fruit d’une évolution historique dans la région syro-palestinienne, et non comme la conséquence d’une migration provenant de l’extérieur (…) Philon de Byblos affirme que les Phéniciens sont autochtones, et que, non seulement les hommes, mais aussi les dieux et la culture dérivent entièrement de leur région¹⁷ ».
Les peuplades qu’on appelle Phéniciens sont donc tout simplement des Libanais, des habitants du Liban, des Cananéens. Phénicie est juste un surnom, un attribut, donné au Liban, et plus spécifiquement à l’ensemble des cités-États de la côte libanaise et de ses environs, à partir de la fin du deuxième millénaire avant J-C.
Les fouilles entreprises par le ‘Welcome Trust Sanger Institute’ tendent même à prouver que le peuple libanais actuel est parmi les plus vieux au monde vivant sur son sol !
Au cours des siècles, ce peuple, enraciné dans la montagne libanaise depuis la nuit des