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La Femme cachée
La Femme cachée
La Femme cachée
Livre électronique118 pages1 heureColette

La Femme cachée

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À propos de ce livre électronique

La Femme cachée est un recueil d’histoires courtes de Colette, paru en 1924. Le recueil, qui emprunte son titre à la première nouvelle, se compose de vingt-deux courtes histoires. Nombre d'entre elles ont pour héroïnes des femmes à la recherche de leur identité. Au bal de l'Opéra, un mari reconnaît sa femme qui avait refusé de l'y accompagner: cachée par son déguisement, celle-ci adopte une attitude de libre et provocante séduction dont il ne l'aurait jamais imaginée capable («la Femme cachée»). Une péripétie à première vue anodine peut prendre la dimension d'une véritable révélation. Dans «la Main», une jeune femme découvre soudain le caractère «monstrueux» de la main de l'homme qui dort auprès d'elle. Mme de La Hournerie ne peut, en dépit de sa morgue aristocratique, supporter le regard désapprobateur qu'un jeune domestique porte sur sa nouvelle coiffure («le Juge»). Lors d'un dîner, Alice et son mari rencontrent par hasard la précédente épouse de ce dernier: sidérée par l'indifférence de cette belle femme, Alice se rend compte tout à coup que son mari n'est pas pour tout le monde un être précieux et exceptionnel («l'Autre Femme»). Irène, restée seule après avoir montré à ses amies le bel appartement qu'elle vient d'acquérir, mesure l'ampleur de sa solitude et le vide de son existence («la Trouvaille»). La difficulté d'aimer, l'infidélité ou la douleur causée par une rupture constituent en outre le thème de plusieurs récits («l'Aube», «Un soir», «l'Impasse»)... Liste des nouvelles La femme cachée-L’aube-Un soir-La main_L’impasse-Le renard-Le juge-L’omelette-L’autre femme-Monsieur Maurice-Le cambrioleur-Le conseil-L’assassin-Le portrait-Le paysage-Demi-fous-Secrets-« Châ »-Le bracelet-La trouvaille-Jeux de miroirs-L’habitude.
LangueFrançais
ÉditeurRaanan Editeur
Date de sortie21 nov. 2024
ISBN9782714909046
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    Aperçu du livre

    La Femme cachée - Colette

    L’Aube

    La soudaineté chirurgicale de leur rupture le laissa stupide. Seul dans cette maison que leur couple, quasi conjugal, habitait depuis quelque vingt ans, il ne parvenait pas, au bout de huit jours, à s’évader de l’hébétude pour entrer dans le chagrin. Il se battait, comiquement, contre la disparition des objets usuels, tançait son valet de chambre d’une manière enfantine : « Enfin, ces faux cols, quoi, on ne les a pas mangés ! Et ne me dites pas que je n’ai plus de savon en bâton pour la barbe, il y en avait deux tubes, là, dans la petite armoire de la salle de bains ! Vous n’allez pas me faire croire que c’est parce que Madame n’est pas là que je n’ai plus de savon à barbe ! »

    Effaré de ne plus se sentir rappelé à l’ordre, il oubliait l’heure des repas, rentrait sans motif, sortait pour fuir, barbotait, à demi suffoqué, au bout d’un fil qu’une main impérieuse de femme ne tendait plus. Il prenait ses amis à témoin, les gênait, offensait leur réserve d’hommes infidèles ou asservis. « Mon cher, c’est incroyable ! De plus malins que moi n’y comprendraient rien... Aline est partie. Elle est partie, voilà. Et pas seule, vous pensez. Elle est partie. Je le répéterais cent fois que je ne trouverais rien à ajouter. Il paraît que ce sont des choses qui arrivent tous les jours à je ne sais combien de maris... Que voulez-vous ? Je n’en reviens pas. Non, je n’en reviens pas. »

    Il arrondissait les yeux, ouvrait les bras, les laissait retomber. Il n’avait l’air ni tragique ni humilié, et ses amis le méprisaient un peu : « Il baisse, ah ! il baisse... À son âge, ça lui a porté un coup. » Ils parlaient de lui comme d’un vieillard, secrètement contents de diminuer enfin ce bel homme grisonnant qui n’avait jamais eu de déboires amoureux.

    « Sa belle Aline... Il trouvait ça tout naturel qu’à quarante-cinq ans elle soit tout d’un coup devenue blonde, avec un teint comme une fleur artificielle, et qu’elle ait changé de couturier, de bottier. Il ne s’est pas méfié... »

    Un jour, il prit le train, parce que son valet de chambre lui avait demandé huit jours de congé : « Comme il y a moins d’ouvrage par le fait de l’absence de Madame, j’ai pensé... » et aussi parce qu’il perdait progressivement le sommeil, s’endormant au jour après des veilles de chasseur, des affûts immobiles dans le noir, les mâchoires jointes et les oreilles remuantes. Il partit, un soir, évitant la maison de campagne achetée par lui quinze ans avant, et meublée pour Aline. Il prit un billet pour une grande ville de la province où il se souvenait d’avoir « porté la bonne parole » et banqueté aux frais de l’Extension économique.

    « Un bon hôtel, se dit-il, un restaurant à vieille cuisine française, voilà mon affaire. Je ne veux pas en crever, n’est-ce pas, de cette histoire ? Eh bien, dépaysons-nous. Le voyage, la bonne chère... »

    En route, il mirait, dans la glace du compartiment, sa taille encore droite, la brosse grise qui cachait sa bouche détendue. « Pas mal, pas mal. Fichtre non, je n’en crèverai pas ! La mâtine ! » Il n’injuriait l’infidèle que de ce petit nom, modéré, démodé, qui sert encore, dans la bouche des gens âgés, à complimenter la jeunesse imprudente.

    Il demanda, à l’hôtel, la même chambre que l’an passé : « Une rotonde, vous savez, d’où l’on a une jolie vue sur la place » ; il soupa de viande froide et de bière et se coucha comme la nuit allait s’achever. Sa lassitude lui fit croire qu’un prompt repos récompenserait sa fugue. Couché sur le dos, il goûtait la fraîcheur des draps pas assez secs, et calculait dans l’obscurité la place oubliée de la grande baie en rotonde, d’après deux hautes hampes de lumière bleuâtre, entre les rideaux déployés. En effet, il chut brusquement dans le sommeil quelques secondes, et s’en éveilla sans remède pour avoir inconsciemment ménagé, d’un recul de jambes, la place de celle qui, absente maintenant le jour et la nuit, revenait fidèlement à la faveur du sommeil. Il s’éveilla et prononça courageusement la phrase conjuratoire : « Allons, voilà bientôt le jour, un peu de patience. » Les deux hampes bleues tournaient au rose, et il entendit sur la place le vacarme cordial, et comme enroué, des seaux de bois cerclés de fer et le « ploc » des gros pieds patients des chevaux. « Tout à fait le bruit des écuries, à Fontainebleau, dans cette villa que nous avions louée près de l’hôtel... Quand le jour se levait, nous écoutions... » Il frémit, se retourna, exigea de nouveau le sommeil. D’ailleurs les chevaux et les seaux se taisaient. D’autres bruits, plus discrets, montèrent par la fenêtre ouverte. Il distingua le son plein et mat des pots de fleurs qu’on décharge d’une voiture, une pluie légère d’arrosage sur des plantes, et le choc doux de grandes brassées de feuillages jetées à terre.

    « Un marché aux fleurs, se dit l’insomnieux. Oh ! je ne peux pas m’y tromper. À Strasbourg, pendant ce voyage que nous fîmes, le lever du jour nous découvrait un charmant marché aux fleurs, sous nos fenêtres, et elle disait qu’elle n’avait jamais vu des cinéraires si bleus que... » Il s’assit, pour résister mieux à un désespoir dont le flux battait par vagues régulières, un désespoir nouveau, tout frais, inconnu. Sous le pont proche, des rames frappèrent le fleuve assoupi, et le vol des premières hirondelles sifflantes perfora l’air : « C’est le petit matin de Côme, les hirondelles qui suivaient la barque du jardinier, chargée de fruits et de légumes dont l’odeur entrait par notre croisée, à la Villa d’Este... Mon Dieu, prenez en pitié... » Il eut encore la force de rougir d’une prière commencée, bien que le mal de la solitude et du souvenir le courbât sur son lit comme un homme atteint à la poitrine. Vingt années... toutes les aubes de vingt années versaient, sur la tête d’une compagne endormie ou veillant à son flanc, leur rayon pâle ou vif, leur cri d’oiseau, leur perle de pluie, vingt années...

    « Je n’en veux pas crever, eh ! fichtre... Vingt années, c’est quelque chose... Mais j’ai eu, avant elle, d’autres aurores... Ainsi, voyons, quand j’étais un tout jeune homme...

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