L'homme qui parlait aux plantes: Préface de Francis Hallé - Postfaces de Pierre et Marc-Eric Francé
Par Agnès Guillot
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À propos de ce livre électronique
Jugeant la botanique dévolue à l’étude des « cadavres » des plantes, il décrit leurs perceptions sensorielles et capacités cognitives, bravant ainsi les frilosités des instances académiques.
Lanceur d’alerte sur les dégradations de l’environnement, il fonde la biologie moderne des sols. Spécialiste de leur microcosme - l’Edaphon -, ses descriptions des interactions entre micro-organismes sont, de nos jours, les plus complètes.
En écho au concept d’éco-agriculture, il élabore un engrais totalement naturel. Son tamis s’inspirant du pavot obtient le premier brevet mondial pour une innovation bio-inspirée, ce qui fait de lui le fondateur de la bionique.
Artiste depuis l’enfance, il illustre ses nombreux ouvrages, certains étant des best-sellers, et invente une nouvelle technique de dessin.
Enfin, il fonde les principes d’une philosophie biocentrée, inspirant de grands courants artistiques et architecturaux du XXème siècle.
« Il a pénétré les profondeurs du monde et l’a rendu grand à nos yeux. » Cet hommage de Stefan Zweig ne peut qu’inciter à découvrir l’œuvre avant-gardiste de Raoul H. Francé.
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Aperçu du livre
L'homme qui parlait aux plantes - Agnès Guillot
Préface
RAOUL H. FRANCÉ, UN PIONNIER MÉCONNU
Je me sens très honoré de préfacer l’ouvrage que Agnès Guillot consacre à la vie et à l’œuvre de Raoul H. Francé (1874-1943), important scientifique autrichien, précurseur dans beaucoup de domaines de la biologie, théoriques et pratiques. Contribuer à faire mieux connaître un précurseur est pour moi un devoir, mais aussi un véritable bonheur.
Dès son enfance – alors qu’il portait encore le nom à consonance allemande de Rudolf Heinrich Franze – il manifeste un vif intérêt pour les plantes, mais il tenait à ce qu’elles soient vivantes et qu’il puisse les observer dans leur milieu naturel. Adepte des longues randonnées, il herborise d’abord en Autriche, son pays natal, puis en Hongrie lorsque son père, Franz Adolf Franze est affecté à Budapest.
Le père de Rudolf travaillait à la Banque Nationale d’Autriche et, souhaitant que son fils devienne banquier ou commerçant, il le voyait d’un mauvais œil s’orienter vers les Sciences Naturelles. Contraint de suivre une préparation à la carrière bancaire, Rudolf accepte, fait de son mieux puis décide de résister, trouve un poste d’assistant en Botanique, et part explorer les marécages du lac Balaton, où il contracte le paludisme mais se lance dans l’étude microscopique des protozoaires d’eau douce : ayant construit lui-même son microscope, il réalise sa première publication, sur la microfaune des marécages et devient, à 17 ans, membre de la Société Royale Hongroise de Sciences Naturelles.
Curieusement, il déteste les livres de Botanique universitaire, qui ne s’intéressent qu’à des « cadavres » végétaux et n’ont pour objectif que la classification des plantes. Il va jusqu’à se moquer de Linné, auteur des premières règles de la classification du vivant. [Curieux : en rédigeant cette préface j’ai, à plusieurs reprises, l’impression d’écrire mon autobiographie].
Un nouveau déménagement le conduit en Allemagne à 34 ans. Avec sa compagne Annie Harrar, il fonde l’Institut de Biologie de Munich, qu’il spécialise dans l’étude de ces milieux essentiels que sont les sols, encore fort mal connus à l’époque. On les croyait inertes et Raoul Francé révèle qu’ils ont pour origine une vie animale et végétale intense, diversifiée et développant des relations symbiotiques entre ses constituants. Il invente un engrais totalement naturel, qui malheureusement tombe dans l’oubli car les industries agricoles lui ont préféré des engrais chimiques, le pétrole n’étant pas cher à l’époque.
On doit reconnaître en Raoul H. Francé le véritable fondateur de l’écologie des sols, mais ses mérites restaient peu connus puisqu’il était définitivement brouillé avec le monde académique. En outre il a été mis à l’index par l’Eglise catholique pour avoir nié que l’homme était supérieur aux autres êtres vivants et disposait de droits divins particuliers. On le voit, ce scientifique était aussi un libre-penseur.
En 1919, Raoul Francé et Annie Harrar doivent quitter Munich clandestinement, cachés dans un wagon à bestiaux ; d’ailleurs la guerre approche et Hitler accède au pouvoir en Allemagne en 1933. Dans la suite Francé et Harrar seront clairement critiqués par les autorités nazies.
Pour une raison que j’ignore, le père de Raoul, Franz Adolf Franze, avait une grande admiration pour la France, au point de s’être inventé un aïeul français en la personne du comte de la Rochefoucauld. Il obtint de ses fils, autrichiens et germanophones, qu’ils apprennent et pratiquent couramment la langue de Molière. Le fils cadet, Rudolf, dont il est question ici, change son prénom en Raoul et, à la mort de son père en 1894, il change l’orthographe de son nom et signera désormais Raoul H. Francé. Cette admiration pour la culture française reste pour moi un mystère{1}, d’autant plus que Raoul et son père semblent n’être jamais venus en France. La seule explication est due à Agnès Guillot, qui en voit la cause « dans le contexte critique des deux guerres mondiales ».
Botaniste, inventeur de l’écologie des sols et d’un engrais organique, pionnier du biomimétisme comme en témoignent ses brevets dans le domaine, Raoul Francé était aussi un excellent dessinateur et un écrivain prolifique, auteur de plus de 420 ouvrages et articles qui lui assuraient de confortables revenus en droits d’auteur. Il fût en outre un grand voyageur. En compagnie de son épouse Annie Harrar il visita de nombreux pays d’Europe et du pourtour méditerranéen, le Proche Orient, l’Afrique de l’Est avec l’Egypte, l’Afrique centrale, l’Inde, l’Australie, l’Amazonie et les archipels du Pacifique Sud.
Il me reste à espérer que l’ouvrage d’Agnès Guillot contribuera à mieux faire connaître en France un scientifique aussi novateur et qui se passionnait pour la culture de notre pays.
Francis Hallé
Montpellier, le 29 août 2023
Raoul H. Francé, un pionnier à (re)découvrir
« Du plus invisible de la nature, l’infusoire, au plus invisible de l’esprit, l’idée, s’étend une chaîne unique dont une extrémité est ancrée dans l’âme humaine et l’autre dans l’âme du monde. Entre les deux, il n’y a ni vide, ni rupture, et le chef-d’œuvre de la nature transforme l’effort humain en une œuvre accomplie. L’un de ceux qui établissent des liens entre ces âmes et qui ne cessent d’enquêter sur elles est Raoul Francé. Il a pénétré les profondeurs du monde et l’a rendu grand à nos yeux. »
Tel fut l’hommage de l’écrivain et dramaturge autrichien Stefan Zweig à Raoul Francé, à l’occasion de ses 50 ans{2}.
img1.jpgRaoul H. Francé (assis) fête ses 50 ans, sa femme Annie à ses côtés{3}
Raoul H. Francé doit resurgir des profondeurs du monde !
Reconnu dans les pays anglo-saxons, ce « biologiste, botaniste, explorateur de la vie du sol et de la forêt, fondateur de la biotechnique en tant que science (bionique), fondateur de la biologie moderne du sol, de la science de l’humus, pionnier et l’un des pères de la protection de la nature et de l’environnement, alpiniste, philosophe de la culture et de la vie, créateur folklorique, artiste, inventeur » – décrit ainsi en 1997 par le microbiologiste allemand Klaus Henkel{4} – est totalement ignoré en France.
img2.pngRaoul H. Francé à différents âges de sa vie.
Pourtant, nombre de ses investigations, publiées au tout début du XXème siècle, en ont influencé plus d’une sans que son nom soit mentionné.
L’homme est atypique. Né Rudolf Heinrich Franze, il change deux fois de prénom –Rezsö, Raoul – et une fois de nom – Francé – par la volonté de son père, selon les déménagements à l’étranger et une généalogie fictive. Rebelle dès son plus jeune âge, il est contre l’étude des plantes mortes, les universitaires, la carrière bancaire, le matérialisme, le christianisme et les philosophes abscons. Il choisit donc délibérément de s’écarter d’une carrière académique pour se consacrer à des recherches indépendantes.
La liste de ses écrits est impressionnante, constituée d’articles pointus et d’ouvrages grand public au style savoureux. Ils participent tout entiers à la quête d’un art de vivre en harmonie avec la nature et à la volonté de transmettre cet art à tous.
Pratiquant dès son plus jeune âge une activité artistique, il peint de façon très classique villes, villages, montagnes et forêts au gré de ses séjours et promenades, mais invente le point-plume à la manière des gravures sur cuivre, une façon de dessiner avec une extrême précision les organismes animaux et végétaux observés sous son microscope.
A l’instar de précédents pionniers, comme Charles et Francis Darwin ou Claude Bernard, il considère la plante comme un être vivant autonome. Il est le premier à décrire avec autant de précision leurs sensibilités diverses et à émettre des hypothèses hardies sur leurs capacités cognitives.
Un peu par hasard, il obtient le premier brevet officiel pour une invention – la salière ! – inspirée de la nature. Il est le fondateur de la biotechnique, nommée depuis bionique ou bioinspiration, une démarche par laquelle la science cherche des applications dans la structure et la fonction des organismes vivants.
En plein essor de la révolution industrielle, il n’est certes pas le premier à alerter ses contemporains sur les contaminations catastrophiques de l’air, de l’eau et du sol, ce qu’il effectue avec véhémence. Il est néanmoins le premier à dresser un inventaire aussi complet du microcosme du sol, qu’il nomme Edaphon, et à en déduire une solution révolutionnant l’agriculture en mettant au point un engrais naturel.
Sa philosophie dite biocentrée aspire à fournir aux humains un mode de vie harmonieux, les considérant comme de simples éléments de la biosphère, soumis aux mêmes lois de la nature que tout organisme lui appartenant. À une époque où le matérialisme était bien établi, elle a inspiré de grands courants artistiques et architecturaux opposés, comme le bio-constructivisme et le New Bauhaus.
« Je suis curieux de ce qui va arriver maintenant » sont les dernières paroles que prononce Raoul H. Francé, le 3 octobre 1943.
Peut-être serait-il réconforté par cet ouvrage, visant à combler un injuste oubli, et étonné de constater que nombre de ses spéculations audacieuses, comme de son vivant, sont encore mises à l’index par certaines instances académiques !
L’Homme
UNE GÉNÉALOGIE ROMANESQUE
Entre les collines boisées de Kahlenberg et Bisamberg, Rudolf Heinrich Franze naît en 1874 à Altlerchenfeld, une banlieue cossue de Vienne, neuf ans après son frère qui mourra à 30 ans de la tuberculose. Sa mère, Thérèse Spizar, est slovaque. Son père, Franz Adolf Franze, natif en 1839 de Petrovice en Moravie, est le fils de Maria Anna Franze et d’un père inconnu.
Franz évoque cependant une noble ascendance en la personne de son grand-père