L'Essence des Sens
Par Alan Spade
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À propos de ce livre électronique
Plus c'est gros, plus ça passe : pilier de bar de son état, Grendchko va bénéficier d'un coup de piston aussi phénoménal qu'inespéré — numéro deux d'une multinationale. Son ascension au sein de la société nadarienne sera irrésistible.
Ingénieur talentueux spécialisé dans les réacteurs, Jaynak va croiser son chemin. Ce qui va entraîner sa chute. Grendchko a besoin de Fervents pour assurer son vaste projet, la restauration de la grandeur de Nadar. Bien contre son gré, Jaynak va devenir l'un d'eux. Prochaine étape prévue par le nouveau maître, l'agression d'une planète souveraine, Oblan. Voilà qui ne devrait pas manquer de causer des millions de morts de part et d'autre.
Pendant ce temps, dans les profondeurs des Cavernes d'Ambre, la résistance s'organise. Tout n'est peut-être pas perdu pour les enfants de Nadar.
Alan Spade
Alan Spade worked for eight years for the press, reviewing video games. In his youth, he acquainted himself with the classic French authors, while immersing himself in the works of H. P. Lovecraft, Isaac Asimov, J. R. R. Tolkien and Stephen King. That wide range of influences is reflected in his style, simultaneously approachable, visually evocative and imaginative. Alan likes to say that "a good book is like a good old pair of shoes: you feel at ease inside, comfortable."
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Avis sur L'Essence des Sens
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Aperçu du livre
L'Essence des Sens - Alan Spade
L’Essence des Sens
Par Alan Spade
Copyright © 2024 – Editions Emmanuel Guillot
Illustration de couverture : Didi Wahyudi
PLUS C’EST GROS, PLUS ça passe. Pilier de bar de son état, Grendchko va bénéficier d’un coup de piston aussi phénoménal qu’inespéré. Numéro deux d’une multinationale, rien de moins. Son ascension au sein de la société nadarienne sera irrésistible.
Ingénieur talentueux spécialisé dans les réacteurs, Jaynak va croiser son chemin. Ce qui va entraîner sa chute. Grendchko a besoin de Fervents pour assurer son vaste projet, la restauration de la grandeur de Nadar. Bien contre son gré, Jaynak va devenir l’un d’eux. Prochaine étape prévue par le nouveau maître, l’agression d’une planète souveraine, Oblan. Voilà qui ne devrait pas manquer de causer des millions de morts de part et d’autre.
Pendant ce temps, dans les profondeurs des Cavernes d’Ambre, la résistance s’organise. Tout n’est peut-être pas perdu pour les enfants de Nadar.
Avertissement :
LE LIVRE QUE VOUS AVEZ sous les yeux est un récit de pure fiction. Toute ressemblance avec des faits réels ou des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.
Note de l’auteur :
Vous trouverez en fin d’ebook, ou en passant par la table des matières intégrée, un glossaire auquel je vous conseille de vous référer en cas d’incertitude sur le sens des termes employés. Egalement utile si vous souhaitez en découvrir davantage sur l’univers de L’Essence des Sens.
Remerciements
Mes remerciements spéciaux aux lecteurs qui, par leurs conseils et remarques avisées, m’ont permis d’améliorer ce roman :
- Anne-Christine Guillot
- Laurent Alexandre
- Godeleine Herubel
- Guy Rosso
- Saliou Thiam
Je remercie aussi les personnes inscrites dans mon groupe de lecteurs pour leur intérêt et leur précieux soutien !
A Anne-Christine,
dont le soutien est toujours inestimable.
1. Le Fumoir du Rêve
Le tube était relié directement à l’orifice nasal unique du Nadarien. A la base de la tige de verre, un ballon duquel émanait une lueur rougeoyante en grande partie masquée par la fumée. Celle-ci s’élevait et se répandait dans le crâne de l’individu de haute stature. Des volutes blanches s’échappaient de ses oreilles au contour presque géométrique, hexagonal. A observer l’expression du long visage, ses différentes plaques de gris et d’anthracite ressemblant à du silex, sans pour autant en avoir la consistance, on aurait pu croire le natif de Nadar plongé dans une intense concentration. Impression à laquelle ne se laissa pas prendre l’un de ses compatriotes, qui s’installa sans autre forme de procès en face de lui.
Le nouveau venu dévisagea le consommateur avec un air de sollicitude inquiète. Les yeux dorés, si inhabituels chez un Nadarien, étaient perdus dans le vague. La poussière s’insinuant dans les plaques, mélanges d’organique et de minéral qui constituaient l’épiderme du fumeur de sengré, prouvait suffisamment la déchéance de celui qui devait être, à n’en pas douter, un pilier de bar. Pour le tirer de sa stupeur, le citadin lui secoua les poignets. Aussitôt qu’une lueur de conscience apparut dans les yeux de l’individu, celui qui venait ainsi d’intervenir présenta ses paumes en un geste d’invite. Son regard contenait une prière muette.
« Vous êtes un Guide Communiant ? » demanda le fumeur d’une voix hésitante.
L’autre secoua la tête.
Un rictus de colère tordit les lèvres du fumeur. Il se leva si brusquement qu’il dut se rattraper à la table pour ne pas tomber. Oscillant un instant sur ses jambes, il rejeta la fumée qu’il venait d’inhaler. Il parvint alors à se stabiliser, se pencha pour s’emparer à son tour des poignets de l’intrus. D’un mouvement violent, il le projeta sur le côté, faisant valser sa chaise et l’envoyant manquer de peu les clients de la table d’à côté. Des protestations s’élevèrent. Le fumeur ne semblait pas en avoir conscience, et se rassit lourdement.
Comme le Nadarien molesté se relevait péniblement, non sans grimacer de douleur, le barman surgit de derrière son comptoir et s’avança, l’air furieux. Il dut cependant s’interrompre dans son élan. Un individu massif venait de s’interposer, se déplaçant avec la grâce d’un félin. Le colosse à la fourrure fauve eut un geste de dénégation. Les muscles saillaient de ses quatre bras, ses pectoraux surdéveloppés tendaient sa tunique sur sa poitrine. Si son attitude était nonchalante, il émanait de toute sa personne une sourde impression de danger. Ses paupières mi-closes étaient fixées sur le barman, révélant une lueur dansante. Ce dernier écarquilla les yeux et se tassa sur lui-même. Il hocha obséquieusement la tête et tourna les talons.
D’un mouvement vif, le Fengir redressa la chaise et s’assit en face du fumeur de sengré. Le Nadarien, qui parmi les siens passait pour avoir de larges épaules, parut tout à coup rétrécir. Il considérait l’alien à figure de prédateur avec crainte et perplexité. Les sourcils, moustaches et poils de barbe du Fengir sinuaient de manière hypnotique, rendant difficile de décrypter son expression de visage. Seules les deux minces fentes des yeux lui tenant lieu de pupilles laissaient voir une étincelle amusée. « Belle manifestation d’autorité dont vous venez de faire preuve, » feula-t-il.
L’autre se rengorgea quelque peu, et il repoussa le vase de sengré.
« Ce sont des hommes comme vous dont cette planète a besoin. »
L’hébétude apparut dans l’expression du fumeur, qui cherchait ses mots sans les trouver.
« Prenez ça, » fit le Fengir en lui présentant une pilule bleue. Son interlocuteur parut évaluer ses chances de refuser la requête tout en préservant son intégrité physique. La différence de gabarit entre lui et le Fengir alliée à la calme détermination de ce dernier eurent raison de sa réticence, et il absorba la pilule. Très vite, ses pupilles se dilatèrent. Il se mit à tousser, puis ses yeux jaunes se mêlèrent de bleu — il recouvrait sa présence d’esprit.
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? articula-t-il de son timbre rauque.
– Que Nadar a besoin de leaders énergiques. Des gens comme vous.
– Leaders... Et vous pouvez dire ça en me connaissant depuis trente secondes ?
– Nous autres Fengirs avons de l’instinct. Et vous n’êtes pas inconnu de nos services. Grendchko, fils de Balmen. Vous avez une vision unique des choses, et cela vous rend très efficace. A l’image de l’équipe de lutte de votre quartier, qui a été championne, et dont vous étiez le capitaine. »
Grendchko poussa un grognement. « Le titre nous a été retiré.
– Pour de basses raisons politiques ! Le fait est que vous saviez vous montrer persuasif pour recruter les meilleurs. »
Grendchko opina avec conviction. En s’associant avec trois autres costauds, il était parvenu à en engager d’autres. Certains s’étaient fait tirer l’oreille, bien entendu. Parfois, l’intimidation suffisait. En d’autres occasions, il fallait passer les plus rétifs à tabac, eux ou des membres de leur famille. Personne n’aimait voir son existence se transformer en enfer, et après tout, on leur demandait juste d’intégrer l’équipe de lutte qui ferait d’eux des gagnants, et non les losers qu’ils seraient restés sans cela. Malheureusement, ils avaient été trahis et leurs méthodes, dénoncées. Sinon, ils seraient montés très haut...
« Vous étiez bien parti dans la vie, poursuivit le Fengir, promis à de formidables accomplissements. Et puis la corruption inhérente à ce système de privilégiés vous a retiré toutes vos chances. Tout ça parce que vous aviez fait confiance à l’un de vos proches...
– Mon cousin Olnav, acquiesça Grendchko. Vous êtes bien informé. »
Les yeux de félin du Fengir s’agrandirent l’espace d’un instant, et Grendchko se demanda ce qui avait pu causer la surprise de l’alien. Ce dernier continua néanmoins comme si de rien n’était. « Vous avez su comprendre que l’examen de passage dans les Cavernes d’Ambre n’était que l’un de ces simulacres issus d’une tradition si ancienne qu’elle s’est peu à peu corrompue. Une manière totalement arbitraire de distribuer les postes prestigieux. D’attribuer du pouvoir. »
Un regard circulaire rapide apprit à Grendchko que les clients les plus proches, ceux qui ne pouvaient manquer d’entendre les paroles du Fengir, avaient la tête baissée et les épaules voûtées. Tout dans leur attitude indiquait la soumission. Grendchko ne se lassait pas d’être surpris des réactions de ses congénères au contact des Fengirs. Si d’autres étrangers avaient tenu des propos en apparence si sacrilèges, si séditieux, la révolte aurait été immédiate. L’intrus se serait retrouvé appréhendé puis traduit devant le Concile des Communiants, pour être expulsé de la planète comme un mauvais pépin. L’argelen, et en particulier l’argelen issu des Cavernes d’Ambre, était l’un des fondements de la société nadarienne. Nul ne pouvait remettre en cause le rôle de la si précieuse ressource matricielle sans encourir de représailles — à l’exception des Fengirs.
C’était sans doute là le signe évident que les Fengirs avaient raison. La corruption devait avoir atteint l’argelen, sans cela ses compatriotes ne montreraient pas autant de faiblesse. Le matériau ne méritait pas une telle dévotion de la part des habitants de Nadar. C’était pathétique. Seules certaines fonctions pratiques en justifiaient encore l’usage.
« Vous aviez cru trouver la solution en vous faisant représenter par votre cousin à ce pitoyable examen. Et celui-ci vous a trahi. Il a misérablement flanché, comme le couard qu’il est.
– Je ne vous le fais pas dire.
– Dites-moi, mon ami, vous lui en voulez encore de vous avoir balancé ? »
Grendchko eut une moue dubitative. Pourquoi l’alien s’intéressait-il à son histoire ? S’il lui donnait le titre d’ami et semblait le tenir en haute estime, c’est que sa perspicacité et son instinct lui permettaient de ne pas s’arrêter à son aspect terne, voire négligé. Néanmoins ses connaissances sur son passé étaient troublantes... Il n’avait en tout cas aucun intérêt à le rabaisser encore plus, vu qu’il se trouvait déjà tout en bas de l’échelle, ni à lui faire du tort. « Il ne perd rien pour attendre, grommela-t-il.
– Vous ignorez à quel point vous avez raison, dit l’autre en le regardant d’un air gourmand. Peu de Nadariens sont de votre trempe, je l’ai compris dès que je vous ai vu. Suivez-moi, et allons faire votre fortune. »
Grendchko le considéra, estomaqué. Son moment d’hésitation ne dura guère — qu’avait-il à perdre, après tout ? Pour une fois que quelqu’un le reconnaissait à sa juste valeur... Il se leva et emboîta le pas au Fengir. La pilule bleue était d’une efficacité inattendue, car le sol ne tanguait pas sous ses pieds comme il le faisait habituellement lorsque Grendhchko s’efforçait de se traîner hors du bar — ou qu’il se faisait mettre dehors.
Le Fumoir du Rêve se situait dans les bas quartiers de l’un des cent cinquante titans de basalte, les fameux arbres minéraux d’Argea, la capitale de Nadar. Les titans ne devaient pas leur nom au hasard, s’élevant jusqu’à trente kilomètres de hauteur. Ces hybrides entre des végétaux et des minéraux avaient la capacité de générer leur propre oxygène, que les Nadariens avaient appris depuis des siècles à confiner dans des champs de rétention autour de leurs habitations, leur permettant de respirer indifféremment à n’importe quelle altitude.
De sa démarche féline, le Fengir conduisit Grendchko à sa navette, dont le fuselage tigré ne laissait aucun doute sur l’espèce de son propriétaire. Contrairement aux appareils nadariens le plus souvent ovoïde ou tubulaire, celle-ci avait une forme ramassée, agressive. A peine entrés à l’intérieur, un androïde ayant l’aspect d’un Fengir réduit au dixième de sa taille les accueillit. « Bienvenue, maître Shinaen.
– A la base, nabot », feula le Fengir.
Grendchko s’assit sur son siège, et fut aussitôt maintenu en place par la fonction gravimétrique de celui-ci. « Shinaen, c’est votre nom ? demanda-t-il.
– Shinaen lo Fimshiu al Meneshtar neï Imshirrur. Mais vous pouvez m’appeler seigneur Shinaen. Ou, plus simplement, Shinaen, dit-il en se ravisant. Après tout, feula-t-il en sortant l’une de ses longues griffes recourbées qu’il rapprocha dangereusement du visage du Nadarien, vous êtes promis à de hautes destinées. Autant que vous vous habituiez à me traiter comme un pair. »
La menace physique que faisait peser la griffe si proche de la figure de Grendchko était de nature à démentir les paroles du Fengir, ou en tout cas à faire comprendre à son interlocuteur qu’aucune marque d’irrespect ne serait tolérée.
« Entendu. Shinaen. » Grendchko se tenait bravement bien droit, la nuque rigide. Il savait que si l’autre se mettait à le frapper, il n’aurait pas le dessus.
D’anciens souvenirs resurgirent soudain. Son père était mort avant que Grendchko ne puisse grandir suffisamment pour se souvenir de lui, et sa mère était une fumeuse de sengré. Il avait donc été élevé par son oncle, qui le battait plus souvent qu’à son tour. Cet homme violent lui avait ainsi inculqué de rudes leçons, qui l’avaient conduit à développer ses capacités physiques pour dominer ses cousins, et, plus tard, le moment venu, son oncle lui-même. Pour la première fois depuis des années, Grendchko se retrouvait en position d’infériorité, et n’aimait pas cela. Ses réflexes d’antan lui revenaient, et il attendait « que ça tombe ». Du moment qu’on savait encaisser les coups, on pouvait toujours apprendre de son adversaire. Pour autant que des griffes aussi acérées puissent offrir quelque espoir de survie...
Le Fengir se contenta d’un grognement. Comme il se détournait, une lueur ironique jaillit de ses prunelles. Le réacteur antigrav propulsa la navette à la verticale, et bientôt, celle-ci se mit à louvoyer entre les innombrables passerelles et structures défiant les lois de la gravité. De loin, les titans de basalte comme celui-ci ressemblaient à des boules de soies arachnéennes couleur gris bleu. Supporté par un triple tronc, le volumineux noyau central était hérissé de branches maîtresses à l’extrémité desquelles des noyaux secondaires soutenaient des passerelles. Les bâtiments, habitations ou usines poussaient littéralement dans tous les sens, sur les branches, les noyaux ou les plus frêles passerelles, apparemment dans le plus grand chaos. En prenant du champ, cependant, l’architecture de l’ensemble se révélait parfaitement sphérique, et la plupart des constructions donnaient l’impression de s’équilibrer harmonieusement.
Grendchko savait que l’ambassade des Fengirs était bâtie, comme celle des autres espèces, sur une surface à peu près plane, correspondant à la courbure de l’écorce de la planète en contrebas. Chaque passerelle avait beau posséder son propre champ gravitationnel, se retrouver la tête en bas, où dans l’une des multiples inclinaisons possibles, s’avérait suffisamment déstabilisant pour la plupart des espèces, et pouvait avoir des conséquences néfastes sur de nombreux types d’organismes.
La navette se posa au sommet d’un édifice rectangulaire imposant, qui jurait par sa taille, sa masse et ses proportions avec les structures nadariennes plus fines, quasiment organiques tant elles se fondaient avec naturel dans le décor. La grande majorité des matériaux constituant ce que Shinaen avait appelé la « base » étaient d’importation, ce qui contribuait aussi à rendre celle-ci identifiable à cent parsecs. C’était une troublante coïncidence de se retrouver dans l’endroit précis où officiait son oncle. Grendchko se demanda s’il allait le revoir — la perspective ne lui souriait guère.
La plate-forme d’accueil de la navette descendit dans un hangar, et le plafond se referma sur son passage. Shinaen sortit le premier. Pendant un instant, le décor alentour demeura identique, celui de vastes espaces métalliques froids. Puis, le détecteur identifia les visiteurs et les holoprojecteurs s’activèrent. Les environs se transformèrent en jungle digne de celle d’Helgash 7 avec ses troncs torturés, ses immenses frondaisons se disputant la lumière de l’étoile Helgash, ses lianes, ses nuées de moustiques, ses fleurs exotiques et ses plantes carnivores. Shinaen ne semblait pas s’en être aperçu et avançait d’un pas assuré. Grendchko, surmontant la crainte instinctive que lui inspirait le nouvel écosystème, s’élança à sa suite. Il ignorait à quel point la simulation était réaliste, et se demandait s’il devait s’attendre à voir surgir un prédateur affamé. Ce mouvement qui animait de grandes fougères à une centaine de mètres à peine, était-il dû au vent ou à autre chose ?
Shinaen eut un sourire carnassier en l’apercevant ouvrir des yeux ébahis. Grendchko dut faire effort sur lui-même pour cesser de regarder partout à la fois et se composer une expression qui se voulait assurée. La pièce devait être équipée d’un système d’immersion sonore, car retentissait une étrange et inquiétante cacophonie, qui donnait la chair de poule et aurait hérissé les poils de Grendchko s’il avait été pourvu de la moindre pilosité. Comme ils marchaient, celui-ci réalisa au bout de deux cents pas qu’ils avaient dû quitter le hangar principal et se trouvaient dans un couloir. Cependant, la holosim était si bien faite qu’ils passaient d’un secteur à un autre sans que le décor ne change de nature — tout juste si les arbres de part et d’autre étaient plus resserrés dans les corridors. Quelle était la part de conditionnement dans cette simulation qui s’imposait d’elle-même aux visiteurs ? Le but était sans doute double, permettre aux Fengirs d’évoluer dans l’environnement familier de leur planète natale tout en impressionnant et oppressant les intrus.
Ils débouchèrent dans une clairière. L’un des congénères de Shinaen était assis sur un tronc qui paraissait avoir été découpé au laser. Il portait une combinaison luisante. Sa fourrure était blanche rayée de noir, ce qui contrastait avec la couleur fauve de celle de Shinaen. Les deux Fengirs se mirent à échanger les feulements plus ou moins articulés qui correspondaient à leur langage. Puis Shinaen se tourna vers Grendchko. « Bien, si nous voulons travailler sur votre avenir, il va nous falloir nous pencher sur votre passé. Qu’avez-vous fait ces cinq dernières années ?
– Ce que j’ai fait ?
– A quoi avez-vous occupé votre temps ? »
Grendchko marqua une pause. Si un Nadarien lui avait posé la question, il se serait mis en colère, et lui aurait fait regretter d’avoir eu l’inconscience de chercher à l’interroger de la sorte. Il baissa la tête. « J’ai traîné ici et là. Fréquenté des fumoirs.
– Aucun emploi ? »
Cette fois, Grendchko n’hésita qu’un instant. Au point où il en était, à quoi bon mentir ? « Pas le moindre. »
Shinaen pivota vers son acolyte, auquel il décocha un sourire triomphant. « Mon instinct ne m’a pas trahi, dit-il. Il est exactement l’homme qu’il nous faut ! Ses activités ne figureront sur aucun registre, encore moins dans leurs cubes d’argelen.
– Sa synthèse-tech est prête dans les grandes lignes, répondit l’autre. Il n’y a plus qu’à y intégrer les détails qui le concernent personnellement. » Le Fengir tendit à Shinaen une tablette couverte de symboles hétéroclites et de phrases en fengirien.
Grendchko osa faire un pas vers eux et prendre la parole. « Ma synthèse-tech ?
– Vous l’ignoriez ? sourit Shinaen de tous ses crocs, posant deux de ses mains sur l’épaule et le bras droit du Nadarien. Ces cinq dernières années, vous ne vous êtes pas perdu dans les fumoirs ni n’avez mené de vie dissolue. Oubliez tout ça. En réalité, vous avez brillamment gravi les échelons pour devenir administrateur de deux de nos sociétés sur cette planète, l’une spécialisée dans les transmissions interstellaires, la seconde dans les générateurs d’antimatière.
– Des félicitations s’imposent », fit l’autre Fengir en le toisant avec une lourde ironie.
2. Les leçons du passé
L’incrédulité ne quittait pas les traits de Grendchko tandis que ses yeux parcouraient sans les comprendre les inscriptions sur la tablette. Shinaen positionna alors son index à la verticale de l’objet en murmurant quelque chose dans sa langue. Aussitôt, les phrases en fengirien disparurent pour être remplacées par du nadarien. Il s’agissait bien d’une synthèse technique d’un cadre de haut niveau, à un ou deux détails près. L’hologramme de la trombine de Grendchko en haut à droite, et son nom apparaissant là, tout cela lui faisait l’effet d’une vaste blague. Des liens vers la Ruche, le réseau en ligne, enrichissaient le document. Grendchko tapota sur l’un d’eux, qui le mena vers une réunion d’administration où il était question de transmissions tachyoniques. Il ne vit que des Fengirs dans la projection holo.
« Cela fait partie des détails à mettre au point, dit Shinaen. Ça, ainsi que les renseignements plus personnels vous concernant. »
Grendchko retira ses paumes du cubar — son cube d’argelen — interrompant sa connexion psychique avec l’objet. En le touchant, on pouvait, comme venait de le faire Grendchko, se replonger dans des scènes du passé, et les revivre avec une intensité identique. Le moment de sa rencontre avec Shinaen dans ce fumoir s’était avéré tellement déterminant qu’il en avait fait un repère mémoriel. De couleur marron, le cubar donnait l’impression d’être granuleux, alors qu’au contact, il était lisse. Sa masse le rendait d’autant plus difficile à détacher du basalte que le cube possédait des propriétés magnétiques. Sa nature même rendait ses fonctionnalités inaccessibles à tout autre qu’un Nadarien. On pouvait suivre, en s’y connectant, des cours dans différents domaines qui s’étendaient des mythes et traditions anciennes, à toutes les subtilités du langage, en passant par les mathématiques, la physique ou la mécanique quantique. Si les enseignements étaient assimilés, l’argelen faisait apparaître la signature psychique de l’élève pour chacune des leçons maîtrisées.
Le cubar de Grendchko ne contenait sa véritable signature que pour les plus basiques des leçons. A force de se heurter à des obstacles dans son apprentissage, Grendchko avait eu recours de plus en plus fréquemment à son cousin Olnav. C’était d’abord celui-ci qui s’était proposé pour l’aider, en constatant que les difficultés de son cousin l’empêchaient de jouer avec lui. Au début, Olnav avait juste voulu endosser la fonction de professeur auxiliaire, en s’efforçant de lui faire comprendre les leçons. Cela n’avait marché qu’un temps. Frustré devant la lenteur de son « élève » et son incapacité à surmonter certains obstacles, Olnav s’était découvert des talents de Guide Communiant. En touchant de sa paume le cubar conjointement avec Grendchko, il parvenait à assimiler le schéma psychique de ce dernier et à le reproduire. Il pouvait ainsi accomplir les leçons à sa place tout en imitant sa signature mentale à la perfection, et lui permettre de franchir des étapes dans sa scolarité. Ses leçons « réussies » son cousin devenait libre de jouer avec lui. En échange, Grendchko, plus grand et plus fort bien qu’ayant le même âge, avait la magnanimité d’étendre sur Olnav sa protection. Dans un premier temps, Olnav lui en avait été reconnaissant. Il faut dire que Penbrok, son père, cognait dur.
Les yeux dans le vague, Grendchko n’avait plus besoin de l’argelen pour se plonger dans la scène. Il se voyait courant autour de la table de basalte pour échapper à sa raclée après avoir provoqué Penbrok qui voulait s’en prendre à Olnav. Sa tante Nilduin demeurait quant à elle prostrée dans un coin. Elle qui ne supportait pas la violence se trouvait réduite à l’impuissance face à son époux à chaque fois. Invariablement, Penbrok finissait par bondir sur Grendchko et se mettait à le rouer de coups, se servant aussi bien de ses pieds, de ses genoux que de ses mains et coudes. Il ne semblait véritablement exulter, être heureux que dans ces moments-là. Il lui suffisait parfois d’un simple retard à une question pour s’embraser. D’une impertinence. Ou bien qu’Olnav se montre un peu trop brillant. Un rien trop vif d’esprit. Avec le temps, Grendchko en était venu à soupçonner Penbrok d’être jaloux des talents de son fils, le père étant, comme lui-même, coupé des liens les plus intimes avec l’argelen. Le patriarche exerçait la fonction d’administrateur de droïdes à l’ambassade des Fengirs. Grendchko était certain que Penbrok n’avait jamais voulu spécifier la nature des droïdes, car il s’agissait de simples modèles d’entretien.
Dans la famille, Nilduin était celle qui veillait à ce que les enfants apprennent leurs leçons. Penbrok la laissait faire, mais ses discours, quant à eux, prônaient la force et l’autorité plutôt que les vaines connaissances. L’action était toujours préférable à une réflexion débilitante. En cela, il admirait les Fengirs, de grands guerriers qu’il considérait comme les véritables guides et protecteurs du peuple.
Grendchko plissa les yeux. Pendant longtemps, il avait cru devoir se montrer reconnaissant envers Olnav. C’était grâce à son cousin qu’il réussissait ses leçons et gravissait les échelons — jusqu’à l’examen des Cavernes d’Ambre et à la trahison si douloureuse, si lourde de conséquences. A présent, Grendchko savait que c’était à Penbrok qu’il devait beaucoup, en réalité. A cet égard, le jour où Crentchev avait célébré ses quinze ans avait été une révélation. Plus jeune d’un an à peine qu’Olnav et Grendchko, Crentchev était le cadet de la fratrie, et Uilen en était le benjamin. La marraine de Crentchev lui avait offert un harmonimage, instrument de musique capable de projeter des images à mesure que l’on soufflait dedans. Celles-ci se recomposaient suivant les sons. Crentchev adorait la musique et, après le départ de sa marraine, n’avait cessé d’en jouer pour contempler les formes géométriques fascinantes, iridescentes. Elles ressemblaient souvent à des objets connus tout en étant suffisamment éloignées de leur modèle pour provoquer une notion d’étrangeté, et ce d’autant qu’elles se fondaient les unes dans les autres en fonction des accords.
La musique n’en finissait pas moins par taper sur les nerfs. Grendchko avait profité d’un instant de répit pour heurter du coude l’objet, que Crentchev avait enfin reposé sur la table du salon. L’harmonimage était tombé au sol, où il avait rebondi, et une fissure était apparue sur l’un des ornements en verre. Rien de bien sérieux, mais devant l’air atterré de Crentchev, Grendchko s’était excusé.
C’est alors que la gifle cuisante s’était abattue. Furieux, le visage rougi, Grendchko avait fixé Penbrok.
« Plutôt que de montrer ta faiblesse, avait craché celui-ci, demande-lui de le ramasser. Et fais-toi obéir. »
Grendchko avait considéré celui qu’il voyait comme son père adoptif, interdit. Devant la menace d’une deuxième correction, il s’était pourtant tourné vers Crentchev, et lui avait ordonné de ramasser l’objet. Lorsque celui-ci avait refusé, la colère refoulée de Grendchko avait trouvé un exutoire. Son coup de pied avait atteint Crentchev à l’estomac. Après tout, c’était lui et sa satanée musique qui avaient tout déclenché.
Nilduin, en mère attentive, avait aussitôt voulu les séparer, mais Penbrok avait fait mine de la gifler à son tour. Elle n’avait eu d’autre choix que de reculer et de s’effacer. Le patriarche avait assisté, l’œil luisant, au spectacle du combat entre son fils cadet et le cousin qui tenait lieu de fils adoptif. Après lui avoir asséné un coup de poing sur le nez, Grendchko avait aisément soumis Crentchev en lui tordant le bras. Il avait bien vu le regard désapprobateur d’Olnav, mais le moment était bien trop important pour lui. Quand Crentchev avait ramassé l’harmonimage et le lui avait tendu, tête basse, Grendchko avait reçu une tape amicale sur l’épaule. Instinctivement, il avait su que Penbrok se servait de lui pour endurcir ses trois fils — qu’importe, il avait trouvé sa vraie place dans cette famille. Dès lors, les combats entre le cousin et les membres de la fratrie avaient été plus fréquents. Même Olnav avait dû être « remis dans le droit chemin » par la manière forte lorsqu’il avait cru bon s’interposer. Et quand, furieux d’avoir eu le dessous, l’aîné avait pris Grendchko à part et menacé de ne plus l’aider à réussir ses leçons et examens, la réponse avait été cinglante.
« Si tu me refuses ton coup de main, je te dénonce. Crois-tu que la Guilde des Enseignants Communiants verra d’un bon œil que tu aies imité ma signature psychique pour les tromper sur mes résultats ? Ta scolarité en pâtira forcément. Ce sera une tache indélébile sur ta synthèse scolaire. Tu ne pourras plus prétendre aux meilleurs postes. »
Le tremblement des lèvres et la lueur bleutée plus intense dans les yeux d’Olnav avaient été révélateurs — Grendchko avait touché un point sensible. Olnav était ambitieux, presque autant que lui-même, il fallait croire. Ses prédispositions avec l’argelen étaient un atout inestimable, et il en avait conscience. Il pouvait aller loin dans la vie, à condition que sa trajectoire ne soit pas déviée par une perturbation inattendue.
Olnav avait fini par se détourner. Quand Grendchko lui avait de nouveau demandé son aide, l’aîné des fils de Penbrok avait ravalé sa fierté et obtempéré. Bien sûr, leur relation n’avait plus été la même après, mais Grendchko s’était aperçu qu’il appréciait le changement. Pouvoir faire levier sur la volonté d’Olnav lui procurait un frisson encore plus délicieux que celui qu’il éprouvait lorsque Crentchev avait un mouvement de recul en le voyant s’approcher de lui. Sensation de puissance, de contrôle et de plénitude. Lui qui avait longtemps cherché ses repères dans cette famille s’y sentait de plus en plus à l’aise. Plus il gagnait en assurance, plus il bénéficiait du soutien de Penbrok, et plus il se trouvait conforté dans sa position. Cela n’allait pas sans quelques inconvénients bien sûr, comme cette hostilité sourde qu’il percevait chez Nilduin. Cependant, Grendchko ne se souvenait pas avoir obtenu beaucoup d’affection de la part d’Ildak, sa mère biologique, le plus souvent plongée dans ses rêveries hallucinées. Il avait appris à se passer des gestes maternels et ne les recherchait pas.
Tandis que les mois, puis les années s’écoulaient, l’autorité naturelle de Grendchko s’affirmait. Ses excellents résultats scolaires le destinaient à des fonctions élevées, Penbrok tressait ses louanges et le traitait en fils préféré, et les trois frères lui témoignaient respect et soumission. Contrairement à ses cousins, il n’allait jamais aux séances de communion collective, choisissant de demeurer aux côtés de Penbrok. Leur inaptitude à se connecter en profondeur avec l’argelen leur rendait ces moments d’intimité avec l’environnement de la planète fastidieux. Tous deux estimaient par ailleurs qu’il s’agissait d’une tradition désuète. Ils n’appréciaient guère les quelques jours qui suivaient ces séances, quand la complicité entre les trois enfants et leur mère devenait plus forte qu’auparavant.
Sans doute par surcroît de confiance en lui, Grendchko avait commis l’erreur de se relâcher. Leur famille avait eu à essuyer plusieurs visites des Gardiens de l’Harmonie à la suite d’interventions de parents qui avaient retrouvé leurs enfants couverts de bleus et d’ecchymoses. Pourtant, même en ce jour malheureux où une plainte avait été déposée pour un bras cassé, Penbrok avait fait de son mieux pour soutenir Grendchko, allant jusqu’à lui rendre visite dans son centre de redressement — le séjour n’avait pas été si long, deux semaines.
La leçon avait servi. Grendchko avait appris à mettre à profit sa poigne et son magnétisme pour dissuader ses victimes de prévenir leurs parents sous peine de représailles. Le pouvoir dont il se savait investi lui allait comme un gant, et ceux qui cherchaient à se venger de lui n’étaient que des êtres mesquins, insignifiants, comme ne cessait de le lui répéter Penbrok. Après avoir purgé sa peine, Grendchko avait retrouvé avec satisfaction l’équipe de lutte de son quartier, dont il était un membre craint, si ce n’est pleinement apprécié. Son statut de mâle alpha lui valait les faveurs d’une partie de la gent féminine. Il ne se sentait jamais si fier qu’en exhibant sa dernière conquête auprès de ses coreligionnaires. Certaines de ces élues ne réalisaient pas la chance qu’elles avaient de s’afficher à ses côtés et le quittaient pour des raisons aussi futiles qu’une simple coucherie. Comme le lui répétait Penbrok, il ne fallait pas chercher à comprendre les femelles — les dominer suffisait amplement. Parfois, c’était lui qui les plaquait, et lorsqu’elles faisaient mine de ne pas piger ou même de jouer les pleurnicheuses, il se moquait de leur faiblesse. Elles ignoraient à quel point il se sentait supérieur à elles dans ces instants, et ne devinaient pas, sans doute, combien leurs suppliques étaient douces à ses oreilles. Pour prétendre rester avec un gagnant tel que lui, il fallait tenir la distance, et elles ne faisaient tout simplement pas le poids.
Bien sûr, il y avait aussi les aguicheuses, celles qui lui glissaient des regards langoureux mais s’arrangeaient pour ne jamais se retrouver seules avec lui. Parfois, les femmes ne savaient pas ce qu’elles voulaient vraiment, et dans ce cas, c’était à l’homme de leur faire comprendre. Blanaduin avait été l’une d’elles. Spectatrice passionnée de lutte, ses yeux brillaient quand elle l’observait, et son cœur battait plus vite lorsqu’il s’approchait d’elle. Elle devait être la seule à ne pas s’en être aperçue, et pourtant, elle lui avait demandé un autographe. Après un match, tout auréolé de sa victoire, il l’avait conviée à le rejoindre dans son fumoir préféré.
Elle avait osé décliner.
Un tel affront n’était pas de ceux que Grendchko oubliait facilement. Un jour où elle était venue observer l’équipe s’entraîner, il était parvenu à la coincer non loin de son vestiaire. Elle pesait deux fois moins que lui, et ses pieds n’avaient pu que traîner au sol comme il la tirait à l’intérieur. Après avoir refermé, il s’était affalé sur elle. Ses griffures et morsures, les mouvements frénétiques pour échapper à son emprise n’avaient fait qu’accroître son désir. Elle aimait la lutte ? Il allait lui montrer ce qu’était un vrai lutteur. Après l’avoir bloquée, il lui avait asséné une gifle retentissante, histoire de la calmer. Ne restait ensuite qu’à la déshabiller puis la préparer habilement.
Ses triomphants appendices abdominaux avaient fini par se glisser sous les couches semi-minérales de sa proie. L’idiote ignorait l’honneur qu’il lui faisait, et se répandait en pleurs et gémissements tandis qu’il prenait son plaisir.
Cela n’avait rien gâché. Il avait juste fallu lui faire une mise au point ferme et nette une fois l’acte accompli. La stupide aguicheuse, en effet, l’avait accusé entre deux sanglots de l’avoir violée. « Si jamais tu t’avises de répéter ces mensonges, ce n’est pas seulement toi que je retrouverais et découperais en morceaux. Ce sera chacun des membres de ta famille. Et si ce n’est pas moi, ce sera l’un de mes obligés — crois-moi, j’ai beaucoup de relations, des gens qui me sont dévoués corps et âme. » Il l’avait saisie par le col pour coller son nez contre le sien. « Compris ? »
Elle avait alors murmuré son abject acquiescement, et il n’avait plus jamais entendu parler d’elle. C’était l’ordre naturel des choses, les faibles s’effaçaient devant les forts.
Le souvenir était plaisant, trop plaisant sans doute — rien que d’y penser, Grendchko sentait ses appendices se raidir. Dans le tumulte de toutes ces distractions, à l’époque, il n’avait pas exercé la vigilance requise au sujet de son objectif principal. Peut-être était-ce aussi parce qu’il méprisait déjà les traditions. Toujours est-il qu’il ne s’était pas suffisamment préoccupé de l’examen final dans les Cavernes d’Ambre, qui déterminait l’orientation de chaque Nadarien. Grâce à l’argelen, l’enseignement était prodigué à distance en temps normal. Seule l’épreuve finale exigeait de se déplacer, et de retrouver les autres étudiants dans les Cavernes d’Ambre, situées au pied de chaque ville de la planète. Olnav et lui avaient reçu leur convocation à deux jours d’écart, ce qui servait parfaitement ses plans. Rien n’aurait été pire que de devoir passer leurs examens en simultané, car alors, Olnav n’aurait pu suppléer Grendchko.
Tout à son soulagement de pouvoir continuer à bénéficier d’un partenariat aussi fructueux, Grendchko s’était laissé bercer par les promesses de son cousin. Olnav passerait son épreuve en premier. Deux jours plus tard, Grendchko se présenterait à son tour auprès des examinateurs. Le moment venu, il prétexterait un besoin urgent pour s’éclipser de l’alcôve qui lui serait attribuée dans la caverne, afin de se faire remplacer par Olnav. Le plan était aussi simple que direct, Olnav filerait tête baissée de manière à ne pas susciter la curiosité ni que l’on remarque la différence avec le physique de son cousin, et subirait l’examen à sa place. Les idiots de Guides Communiants qui supervisaient celui-ci, aveuglés par leur dévotion envers les traditions ancestrales et désuètes, ne pourraient s’imaginer que quelqu’un commette un tel sacrilège. Ils ne verraient rien du tout, et croiraient uniquement ce que Grendchko voudrait leur faire croire.
Sauf que le jour venu, lorsque Grendchko, faussant la compagnie aux superviseurs, s’était retrouvé sous les stalactites de l’une des petites salles mitoyennes de la caverne principale, et qui était l’endroit convenu, il n’avait pas vu Olnav. Les minutes qui avaient suivi avaient été affreuses. Son cousin l’avait trahi — sacrifié à son ambition. Les P-com étant désactivés à l’occasion des examens, il n’avait même pas pu l’appeler pour l’exhorter à le rejoindre, ou bien le menacer de sa vengeance s’il n’obtempérait pas.
La mort dans l’âme, Grendchko avait tourné les talons en direction de l’alcôve. L’argelen ambré présent uniquement dans ces cavernes avait la propriété de mettre ses utilisateurs en connexion directe avec la matrice centrale de la planète. Celle-ci dépassait très largement en performance et complexité les blocs classiques d’argelen. Non seulement devenait-il possible, pour ceux qui possédaient la sensibilité adéquate, de s’interfacer avec les minéraux et la flore de la planète, mais l’argelen ambré donnait accès à un puits de connaissance d’une profondeur quasiment illimitée. Le nombre de domaines était extraordinairement varié — c’était ce que prétendaient en tous cas les Guides Communiants. L’examen dans les Cavernes révélait comme nul autre les dispositions et facultés des candidats, ce qui permettait de les affecter au poste qui leur convenait le mieux.
Malheureusement pour Grendchko, la plupart des questions allaient au-delà de son niveau de compréhension. Totalement dépassé, il avait obtenu le pire classement de tous les étudiants. Un échec aussi retentissant n’avait pas manqué d’attirer l’attention des Guides Communiants, lesquels avaient décidé de lui faire repasser des épreuves plus anciennes, sur un bloc d’argelen classique, ne portant aucune signature, et en leur présence. Grendchko s’était retrouvé dans l’impossibilité de tricher. Devant les nouvelles déconfitures du jeune candidat, ils avaient comparé ses résultats avec ceux de son cubar habituel, et l’avaient acculé à avouer ses petits arrangements avec la réalité.
Olnav avait été sanctionné par une période de travaux