Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Disparition inquiétante à Saint-Grégoire
Disparition inquiétante à Saint-Grégoire
Disparition inquiétante à Saint-Grégoire
Livre électronique347 pages4 heures

Disparition inquiétante à Saint-Grégoire

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

À Saint-Grégoire, une banlieue huppée au nord de Rennes, se déroule le mariage de Louisa Cotin et Elias Gillet. Le cocktail et le dîner de noces se passent sur la côte, dans une élégante malouinière du XVIII siècle. Malgré la saison, le temps est radieux, mais au beau milieu du repas, Elias disparaît. S’agit-il d’un départ volontaire, d’un accident ou d’un meurtre ? Une enquête délicate commence pour les autorités.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Morvan, fidèle à sa carrière dans l’enseignement, a maintenu un vif intérêt pour la lecture, notamment pour les œuvres de fiction. Son roman "Disparition inquiétante à Saint-Grégoire" s’inscrit dans un espace géographique familier et cherche à montrer que le chemin qui conduit à la vérité est souvent tortueux et difficultueux.
LangueFrançais
Date de sortie14 mai 2024
ISBN9791042227265
Disparition inquiétante à Saint-Grégoire

Auteurs associés

Lié à Disparition inquiétante à Saint-Grégoire

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Disparition inquiétante à Saint-Grégoire

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Disparition inquiétante à Saint-Grégoire - Bernard Morvan

    Saint-Grégoire

    Samedi 12 novembre 2022 – 14 h

    Ce samedi 12 novembre 2022, on célébrait en grande pompe un mariage à Saint-Grégoire : le mariage de Louisa Cotin et d’Elias Gillet, tous deux natifs de cette banlieue chic au nord de Rennes, mariage dont la date avait été arrêtée, non sans quelque précipitation, depuis tout juste un mois.

    À première vue, l’événement se présentait sous des auspices favorables. Tous les invités, sans exception, avaient répondu présents et semblaient heureux d’être de la fête.

    On était déjà à la mi-novembre, mais le ciel était d’un bleu presque pur. Et pas trace de nuages à l’horizon. La météo régionale, qu’on avait consultée la veille au soir, avec un peu d’appréhension, avait été tout particulièrement bienveillante dans sa prévision :

    Au lever du jour, les thermomètres affichent 9 à 12 °C en général, entre 12 et 15 °C sur le littoral atlantique. La douceur est remarquable l’après-midi avec des maximales de 17 à 20 °C soit 5 à 6 °C de plus que les moyennes de saison ! Un temps printanier ! Un anticyclone recouvre toute l’Europe et maintient les perturbations à distance sur l’Atlantique.

    Sur le coup de 14 h, nombreux étaient ceux qui piétinaient, mais sans marques visibles d’impatience, sur le parvis de la mairie de Saint-Grégoire, la salle des mariages, trop exiguë, comme c’est bien souvent le cas, n’ayant pu accueillir l’ensemble des invités de la noce. Et bien sûr, les fumeurs avaient choisi d’attendre au-dehors plutôt que dans le hall impersonnel de la mairie.

    Fort heureusement, ils trouveraient bientôt à s’asseoir sur les bancs de bois dur de l’élégante petite église romane, juste en contrebas de la mairie.

    Nombre d’invités se connaissaient ou se reconnaissaient. On se congratulait mutuellement. Des petits groupes de discussion s’étaient déjà formés et échangeaient quelques bons mots. On riait, parfois très fort, trop fort même à vrai dire.

    Bref, tous paraissaient ravis d’être là et présageaient une journée magnifique. On prenait des photos. De nombreuses photos.

    Un quatuor de proches du marié faisait un rapide retour sur les derniers jours. Il y avait là Simon Le Garrec, Luc Le Corre, Phil Bascou et César Rives. C’étaient des copains de longue date, très soudés entre eux, ce qui ne les empêchait pas de se tirer la bourre de temps à autre.

    Le Garrec interrogeait Luc Le Corre à propos de son récent déménagement auquel ils avaient tous participé :

    — T’as eu le temps de vider tes cartons ces derniers jours ? Tu sais que je regrette d’avoir dû partir aussi vite jeudi soir ! C’était à cause de ma mère, elle a quelques soucis de santé, je n’avais pas trop le choix !

    — T’inquiète, tous les autres sont restés jusqu’au bout… Surtout pour finir mes bières.

    Mais rassure-toi, rien ne presse, j’ai tout mon temps devant moi pour déballer les cartons.

    Non là, j’étais fatigué surtout à cause de la soirée de mardi. J’avais un peu trop picolé. J’ai perdu l’habitude de ce genre d’exercices. J’avais aussi quelques démarches qui urgeaient. Quand on déménage…

    Mais tout s’est bien passé. Je vous remercie de votre aide. Je sais qu’on peut toujours compter sur les copains !

    Le cortège sortit bientôt de la mairie sous les vivats et les applaudissements des invités à présent tous agglutinés. On se pressait les uns contre les autres. On se bousculait même parfois. Il pleuvait quantité de grains de riz. On s’époumonait. Les mariés prenaient la pose et affichaient leur meilleur sourire devant une multitude de photographes amateurs.

    D’évidence, c’était un mariage haut de gamme : les toilettes étaient soignées et particulièrement élégantes. Une majorité des présents arboraient des vêtements de marques et sans aucun doute hors de prix. Quelques femmes portaient des chapeaux chics et parfois très audacieux. L’ensemble paraissait néanmoins harmonieux et d’un goût très sûr.

    Tous ces invités s’attendaient donc à célébrer, comme on se plaisait à le dire, un « beau mariage ».

    Il ne faudrait pas croire pour autant que c’était le « mariage du siècle ». Son audience aurait dû se limiter au périmètre très balisé de la simple chronique locale et n’était pas censée dépasser le cercle amical ou familial.

    De fait, la très grande majorité des présents habitaient Saint-Grégoire ou Rennes et ses environs. Les mariés avaient surtout invité de nombreux copains d’enfance ou de jeunesse et aussi des collègues de travail.

    Les festivités n’étaient pas prévues sur place, à Saint-Grégoire. On avait choisi de les délocaliser dans un manoir en bord de mer, sur la côte nord du département. Et c’était donc un cortège de voitures enrubannées qui devait y mener.

    Saint-Méloir-des-Ondes

    Samedi 12 novembre 2022 – l’après-midi

    Que le lecteur veuille bien essayer d’imaginer les festivités – fort convenues au demeurant – de cette réception de mariage plutôt huppée : une belle demeure de charme tout près de la côte nord, très précisément une de ces fameuses malouinières, bâties aux XVIIe et XVIIIe siècles par de riches négociants ou armateurs à quelques chevauchées du Saint-Malo intra-muros.

    Un cadre champêtre, un orchestre très professionnel, de la bonne musique, plus de 150 invités au cocktail, sur leur « trente et un », et la perspective d’un repas raffiné pour une centaine de privilégiés qui resteraient pour le dîner.

    On aurait pu s’interroger sur ce choix pour le moins inattendu, du mois de novembre. C’était un mois que d’ordinaire on ne retenait pratiquement jamais pour célébrer une noce. La plupart des couples préférant se marier à la belle saison : soit au printemps, soit au cours de l’été.

    Y avait-il une urgence impérieuse à arrêter cette date ? La question était restée sans réponse.

    En ces toutes premières heures de la fête, le cœur y était. Il y avait de la joie dans l’air. Tous paraissaient ravis d’être là. Les visages étaient radieux. On riait beaucoup.

    Nombreux parmi les plus jeunes des invités étaient venus pour « faire la nouba » et souhaitaient s’amuser jusqu’à plus d’heures.

    Et manifestement, tout avait très bien commencé.

    Ce cocktail de fin d’après-midi était à lui seul une vraie réussite. La météo de ce samedi, extraordinairement clémente, y contribuait grandement bien entendu.

    Dans le parc environnant, sous des chênes roussis par la fin de l’automne, mais encore feuillus ou à l’abri sous la grande tente de réception blanche dressée auprès de la malouinière, on savourait un apéro particulièrement copieux et sans doute fort onéreux.

    Difficile de faire son choix tant les nourritures abondaient : une déclinaison d’amuse-gueules créatifs, de nombreuses verrines aux fruits de mer, des charcuteries variées dont un certain jambon cru espagnol particulièrement goûteux, des plateaux entiers de langoustines et bien sûr les incontournables huîtres de Cancale.

    Du sucré aussi, et là encore une profusion de choix : sur les tables nappées de blanc, toute une variété de mignardises, de petits fours et de crêpes miniatures.

    De quoi faire saliver. On en redemandait. Et tous en profitaient sans retenue, heureux de saisir au mieux les opportunités du moment :

    — Voici, madame, choisissez, tenez, prenez donc ceux-là !

    Sucré et salé en alternance et des plateaux sans cesse renouvelés, sans limites. À ne plus trop savoir quoi saisir devant une telle débauche de nourritures.

    Et tous les convives, métamorphosés en hyménoptères vrombissants, butinaient d’un plateau ou d’un buffet à l’autre. Des va-et-vient continus. Comme une sorte de mouvement brownien : les invités qui se croisaient et se recroisaient, se saluaient brièvement au passage, échangeaient deux ou trois mots ou entamaient de temps à autre une vraie conversation.

    — Dis donc, ça faisait longtemps qu’on s’était pas vus ! Pour une fois qu’on a un petit moment, profitons-en ! Les années passent si vite ! Tu vas bien au moins ?

    Une vraie ruche humaine, bourdonnante de satisfactions gustatives et d’une litanie trop appuyée de compliments souvent excessifs, voire obséquieux, à l’égard de leurs hôtes. Surtout en faveur des Gillet, dont le nombre d’invités dépassait de moitié celui des Cotin.

    Malgré cette joie étalée comme du beurre sur un morceau de pain blanc, certains ruminaient des pensées plus perfides. L’âme humaine est ainsi faite ! Comme par un juste retour des choses, beaucoup de ces compliments distribués à l’envi, étaient métissés d’arrière-pensées moins amènes voire carrément fielleuses.

    Comme ces commentaires « off » saisis au vol entre trois vieilles connaissances que la noce avait de nouveau réunies :

    — Délicieux. Vraiment, tout est excellent ! On sent qu’ils n’ont pas lésiné sur la dépense. Ils veulent en montrer à tous et tenir leur rang ! Question de standing social ! On est bien chez des bourgeois.

    — Mais toi aussi t’es une bourgeoise ! Même si t’es beaucoup moins friquée ! D’ailleurs, ils t’ont invitée, c’est un signe. J’imagine ta tête si on t’avait oubliée !

    — C’est tout de même le mariage de leur fils aîné. Et puis, ils ont de très gros moyens, c’est leur argent, ils peuvent le dépenser s’ils en ont envie. Et comme bon leur chante ! Saint-Grégoire c’est une ville de riches. Mais c’est un fait, je l’avoue, que j’aimerais pouvoir piocher une fois ou deux dans leur compte en banque !

    — Dans ton viseur, tu coches surtout les Gillet, ça me paraît évident non ? Car les Cotin, c’est loin d’être le même profil social…

    — Presque l’opposé tu veux dire : eux sont un peu l’archétype…

    — Oui bon, je sais, j’ai du vocabulaire, le champagne sans doute !

    — Un « archétype », disais-je, de la petite bourgeoisie cultivée de Saint-Grégoire. Dont un bon nombre de fonctionnaires d’ailleurs…

    Au passage, on captait aussi des échanges très terre à terre :

    — Moi, j’adore gober les huîtres, comme ça debout, au pied levé, avec une coupe d’un excellent champagne.

    En fait, j’adore les buffets. Je me sens beaucoup plus libre. Je circule et je vois des gens. À table, je finis très vite par me barber. Tu verras tout à l’heure, quand nous serons assis, comme ce sera beaucoup plus chiant !

    — Ça dépend avec qui tu te retrouves. Mais c’est vrai, on ne choisit pas de s’asseoir avec qui on veut !

    Enfin, revenait toujours le même leitmotiv, une vraie rengaine, à propos de la mariée :

    — Vous avez vu la mariée comme elle est magnifique ! Vraiment, quelle classe ! Une pointure !

    — Elle est splendide ! On ne trouverait pas deux filles comme elle à Saint-Grégoire !

    Le champagne coulait à flots et certains, les plus opportunistes, savaient habilement renouveler leur verre à chaque passage des nombreux serveurs ambulants.

    — Va pour le champagne sec. Mais excusez-moi, Madame, puis-je avoir un deuxième verre pour ma femme ? Même chose. Je vous remercie.

    L’orchestre empruntait avec brio principalement au répertoire classique du jazz.

    Dans la playlist établie d’autorité et de manière tout à fait unilatérale par Elias Gillet, le marié, figuraient en effet de nombreux morceaux de Louis Amstrong, Ella Fitzgerald, Nat King Cole, Frank Sinatra, Duke Ellington…

    Très jeune puis plus tard, au sortir de l’adolescence, Elias s’était pris d’une passion féroce pour les instruments à vent (saxo, clarinette et trombone…) avec une prédilection très marquée pour les rythmes de jazz.

    Il avait lui-même suivi assidûment des cours de clarinette pendant quatre ans au conservatoire régional de Rennes. Sans ambition particulière, sinon se faire plaisir.

    Mais Elias brillait dans tout ce qu’il entreprenait.

    On le voyait encore, de temps à autre, à la ferme de la Harpe sur Beauregard et jamais il n’aurait manqué l’édition annuelle de « Jazz à l’Ouest ».

    Louisa, la mariée n’avait pas osé contester ouvertement les choix musicaux de son futur époux, mais avait jugé bon d’ajouter en catimini, avec la complicité bienveillante de l’animateur de soirée, quelques titres célèbres à la playlist initiale : Joan Baez, Bob Dylan, les Pink Floyd, les Beatles, etc.

    Elle savait que ça parlait très fort pour certains de ses invités, notamment parmi les plus âgés d’entre eux qui avaient connu la folle exubérance des Sixtees !

    Et ce temps particulièrement agréable malgré l’avancée en saison… À les entendre, les uns comme les autres, un mystère, presque un prodige, que cette météo pour une journée de mi-novembre ! Tout à fait inattendue. Quasi miraculeuse…

    Mais non. À y regarder de près. Pas du tout improbable en fait.

    — Si tu réfléchis bien, cela fait déjà belle lurette que le GIEC nous alarme sur les bouleversements climatiques à venir ! Et on devrait maintenant faire les étonnés ?

    — La vérité, c’est que les gens préfèrent toujours et de loin, le beau temps, qui leur donne l’illusion permanente d’être en vacances.

    — Tous inconscients ! Ils veulent leur jouissance au quotidien. Ce n’est pourtant pas désagréable de faire une balade en bottes et ciré quand il pleut des cordes. Des sensations fortes. L’impression d’être seul au monde !

    — Et le plaisir de patauger dans la boue ! Parmi mes meilleurs souvenirs d’enfance en… Bretagne.

    C’était une journée bien choisie en tout cas pour célébrer ce mariage, une journée inoubliable !

    Même si l’institution du mariage a de nos jours beaucoup moins la cote qu’autrefois et concerne de plus en plus fréquemment des couples déjà établis depuis des lustres – on voit souvent les enfants du couple au premier rang d’entre les invités – on respecte ou on copie toujours les mêmes rituels et les mêmes traditions comme cet après-midi-là, le concert de klaxons du cortège, tout au long des soixante kilomètres entre Saint-Grégoire et Saint-Méloir-des-Ondes.

    Pollution de l’espace sonore, manifestement, mais un événement comme celui-là, ça devait forcément se fêter à grand bruit !

    Et il fallait surtout faire savoir à tous qu’on était en fête et pour certains… s’en convaincre eux-mêmes par la même occasion.

    Mais comme on peut trop souvent le déplorer, le cocktail avait fini par s’éterniser. Une partie des présents n’étaient invités qu’à ces prémices et voilà maintenant qu’ils tardaient à prendre congé et libérer la scène pour le deuxième acte.

    On commençait à s’impatienter. Ça n’en finissait plus !

    Ils traînaient les pieds pour partir. C’était manifeste. Et toutes ces salutations de départ, ces échanges obligés de politesses qui duraient :

    — Tous nos remerciements pour votre aimable invitation. Nous vous félicitons. Vous devez être heureux. C’est très réussi. Le cadre est splendide. Nos meilleurs vœux de bonheur aux jeunes mariés !

    Vous les embrasserez pour nous. Impossible de les approcher maintenant, ils sont bien trop sollicités !

    Pas facile de devoir quitter une fête quand d’autres restaient encore pour s’amuser une bonne partie de la nuit…

    Il avait donc fallu attendre.

    Saint-Méloir-des-Ondes – la soirée

    Maintenant qu’on était enfin assis à table, c’eût été à l’évidence une faute de goût de bouder le plaisir d’être là.

    Donc on s’amusait, quelques-uns, encore sur la retenue – les plus timorés à coup sûr – trop timidement voire chichement.

    Les autres, une grande majorité des présents, les plus jeunes surtout, avec force cris et vociférations : appels à la cantonade, gaillardises, toasts, brouhahas de chaises, bruits d’assiettes, de verres, de cuillères et de fourchettes.

    L’ambiance sonore était nettement montée d’un cran.

    Un peu répétitif au demeurant, tant ce jeu paraissait factice et forcé :

    — Les mariés debout !

    — Les mariés, embrassez-vous !

    Dociles et résignés, ils se levaient et s’embrassaient sous les vivats. C’était le prix à payer pour une fête comme celle-là.

    La rançon du bonheur cadré et filmé.

    Certains des convives étaient hilares. D’autres déjà, un peu ivres.

    Le temps de la fête, ce devait être un entracte, une suspension provisoire de la vie réelle.

    Mais non pas tout de même de la vie tout court.

    Une heure maintenant que les dîneurs étaient attablés. On avait même déjà consommé les deux premiers plats de l’entrée.

    Un service très rapide et efficace. Des serveurs et serveuses stylés, aux manières très professionnelles : geste maîtrisé et sûr, politesse et amabilité. À l’écoute du client aussi, malgré l’impérieuse nécessité de faire vite pour servir chaud et de manière synchrone.

    Comme toujours, lorsque le plan de table vous installait auprès d’inconnus que vous ne connaissiez ni d’Eve ni d’Adam, il fallait essayer au plus vite de rompre la glace et trouver des motifs de conversation.

    Sinon, on restait à se regarder en chiens de faïence. Et on pouvait vite se morfondre à ce jeu-là.

    Mais après généralement une présentation succincte : identité, liens avec les mariés… et quelques formules banales qu’on réservait pour l’occasion, sur quels thèmes surfer sans prendre le bouillon ? Car l’échange pouvait vite déraper si l’on abordait par mégarde des sujets trop sensibles.

    Et dans notre beau pays, La France, où les tensions s’exacerbent de jour en jour, tout peut devenir très vite sujet à controverses ou polémiques.

    Chaque table portait le nom d’une île de Bretagne. C’était un choix imposé par Alba, la sœur du marié, qui s’était beaucoup investie dans l’organisation de la soirée.

    À la table « Les Glénan », quelques variations sur l’extrême qualité du service hôtelier avaient fourni une prudente entrée en matière. C’en était presque rassurant.

    D’autant que ce thème relevait de l’actualité et que les médias y revenaient sans cesse depuis déjà des mois. On avait peut-être là une bonne entame de conversation.

    Mais c’était sans compter sur les esprits chagrins. Un certain Thoraval ne put résister longtemps au plaisir de pérorer. Et comme il avait là un public captif, il ne voulait pas laisser passer cette occasion en or.

    C’était une vieille relation de M. Gillet père : un gros monsieur à la bedaine épanouie. Visage fleuri, bouche lippue, une vraie caricature à la Daumier. Il habitait le quartier du Moulin d’Olivet situé au nord de Saint-Grégoire, un beau quartier déjà ancien, très arboré, où l’on trouvait de belles maisons inscrites dans des espaces végétalisés.

    Au rond-point, pour y accéder se trouvait l’hôtel Océania et tout à côté l’Aquatonic.

    Monsieur Thoraval était péremptoire et avait la prétention de résumer toutes les problématiques sociales du moment en quelques formules lapidaires et pompeuses. Il se voulait prosélyte auprès de ses voisins, piégés par le foutu plan de table :

    — Le traiteur est très classe ! Je me demande comment il fait pour trouver du personnel de ce niveau parce qu’en ce moment c’est galère pour recruter dans la restauration.

    Moi, j’ai un beau-frère qui a une très belle affaire sur le Golfe et depuis le Covid, il peine à trouver du monde pour son service de salle. Plus personne ne veut faire ce type de boulots aujourd’hui.

    Pas facile de mettre les Français au travail !

    Et encore, je ne parle même pas de la plonge, là on ne trouve plus guère que des migrants !

    Bien évidemment, il y avait là, un sérieux motif à controverse :

    — C’est sûr. Mais admettez tout de même que le métier est un métier difficile, souvent contraignant en termes d’horaires. En outre, pour les salaires, c’est encore très juste malgré un semblant de revalorisation à la sortie de la période Covid.

    — Là, je ne vous suis pas ! Autrefois, les gens prenaient les boulots tels qu’ils se présentaient. Les jeunes aujourd’hui, ils font les délicats et ils sont bien trop exigeants ! Notre président n’a pas tort quand il les invite à être « proactifs ».

    — Vous négligez en outre la question de l’hébergement, surtout en haute saison, sur la côte, mais aussi dans la plupart des lieux à forte fréquentation touristique !

    Le lieu et le moment ne se prêtaient pas aux passes d’armes. Besoin urgent de zénitude ! Il fallait couper net au plus vite pour éviter de plomber la fin du repas !

    Fort heureusement, un démineur habile recadra le débat, et désamorça ce début d’échange trop clivant :

    — Je ne vais pas arbitrer, mais je vous fais simplement remarquer qu’ici, les serveurs, ce sont tout simplement des extra.

    C’est beaucoup plus facile à trouver : pas d’engagement de long terme. On travaille à sa main.

    Ce soir, je suis sûr que ce sont en majorité des occasionnels qui assurent le service. Embauchés pour la circonstance. Certains d’ailleurs ne vivent que de ça. J’ajoute que, dans le pays de Saint-Malo, on bénéficie de la proximité du lycée hôtelier de Dinard.

    D’une table à l’autre, quels que soient les sujets, le ton avait fini par monter. L’intensité sonore allait crescendo.

    Mais tous les débats ne viraient pas automatiquement à l’affrontement idéologique. On se passionnait. Puis on rigolait tout aussi vite.

    Et les plaisanteries, de bon ou de mauvais goût, fusaient. Des salves ininterrompues. C’était bien trop appuyé parfois, franchement « lourdingue » même à certains moments.

    L’alcool, on le sait, désinhibe. Et puis on était venu pour s’amuser…

    C’était la fête ! On pouvait se le permettre, les occasions de faire la fête avaient été bien trop rares ces derniers temps !

    Sur le coup des 21 h, claquements de fourchettes sur les verres et les bouteilles : l’animateur de soirée réclamait le silence. On eut alors droit à un petit discours timide d’Alba, la sœur du marié, 18 ans, une jolie blondinette un peu ronde, mais au visage rieur et sympathique.

    Un discours hésitant, balbutié d’une voix enrouée par l’émotion. Comme elle tenait maladroitement le micro devant sa bouche, elle était quasiment inaudible pour les tables les plus éloignées, à l’autre bout de la salle.

    Mais l’assemblée, malgré un fond étouffé de murmures et de chuchotements, faisait semblant, par complaisance ou simple courtoisie, d’en apprécier toute la ferveur.

    Elle remercia son frère, plus âgé qu’elle de près de 10 ans, pour toute la somme d’expériences vécues en commun durant leur enfance « plus que très heureuse » à Saint-Grégoire. Ce qu’elle n’oublierait jamais.

    Suivirent les poncifs d’usage : un frère qu’elle vénérait, qui l’avait accompagnée dans ses études quand elle avait besoin d’être épaulée et qui ne comptait jamais son temps pour la distraire ou même la sortir le soir :

    — Je t’aime, mon frère ! Définitivement ! Je te souhaite tout le bonheur du monde.

    Et je salue aussi tendrement ma nouvelle belle-sœur Louisa qui a su en si peu de temps devenir aussi mon amie.

    Elle termina en fredonnant a capella la merveilleuse chanson de William Sheller :

    Pourquoi les gens qui s’aiment

    Sont-ils toujours un peu les mêmes

    Ils ont quand ils s’en viennent

    Le même regard d’un seul désir pour deux

    Ce sont des gens heureux.

    Applaudissements nourris.

    Par la suite, les toasts aux mariés se succédèrent sans raison particulière sinon de faire encore du bruit et de trinquer toujours et encore. Au gré des initiatives individuelles de chacun des invités.

    Un niveau sonore très élevé !

    Il était déjà 21 h 15.

    C’est alors

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1