Un Américain à Gaeta
Par Hollis E. Forbus
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Aperçu du livre
Un Américain à Gaeta - Hollis E. Forbus
I – Boot Camp
En 1978, j’avais vingt ans et je travaillais dans une entreprise de construction comme manœuvre. Un travail harassant avec peu de débouchés professionnels. Je n’avais malheureusement pas les moyens financiers d’aller au Collège ; les frais universitaires sont très élevés aux Etats-Unis, pour étudier il faut faire de vrais emprunts soi-même et si on n’est pas assez motivé, on court le risque de commencer sa vie avec déjà un pied dans la tombe. Aussi, comme tant de jeunes Américains d’hier et d’aujourd’hui, j’arrivai à la conclusion qu’en m’enrôlant dans les forces armées, j’apprendrais un métier et en même temps je voyagerais autour du monde.
Ce n’est pas que je mourais d’envie de me raser les cheveux et de crier « A vos ordres ! » … j’avais les cheveux longs, je dessinais des bandes dessinées, j’écoutais Led Zeppelin et je vivais à Key West, île des Caraïbes rendue célèbre par Hemingway dans son livre « Le vieil homme et la mer ». Mais un homme est obligé de faire son devoir.
Un matin, je me présentai au centre de recrutement de Key West avec l’idée de m’enrôler dans l’armée américaine, car à ce moment-là, on avait la possibilité concrète d’obtenir le titre de conducteur de char et d’avoir un bon salaire.
Mais à mon arrivée, le Recruteur militaire n’était pas dans son bureau. Il avait pendu un carton sur la porte : « De retour dans dix minutes. » Je m’installai dans la salle d’attente où je passais le temps à feuilleter quelques revues militaires, de peu d’intérêt à vrai dire. Trente minutes passèrent et même pas l’ombre du recruteur. Je décidai de revenir un autre jour et j’allais partir quand le Recruteur de la Marine sortit de son bureau.
« Tu attends quelqu’un, fiston ? »
« Le Recruteur de l’armée. »
« Pendant que tu attends pourquoi n’entres-tu pas boire un café ? »
On ne refuse jamais un café offert. Le Recruteur de la marine se montra soudain très cordial et pendant que nous profitions d’une grande tasse de café fumant, il commença à me montrer plusieurs diapositives de porte-avions, sous-marins, navires militaires de différentes jauges, et de plusieurs capacités de feu qui naviguaient dans des scenarios stupéfiants de l’Arctique au Pacifique en passant par la Méditerranée. J’en restai abasourdi.
« En t’enrôlant dans la Marine, tu pourrais devenir contrôleur du trafic aérien¹. C’est une grande responsabilité qui peut t’ouvrir des opportunités dans le civil. »
La perspective d’assumer un atterrissage sûr d’avion ou d’hélicoptère m’attirait beaucoup. Je naviguerais sur les mers du monde sur des porte-avions les plus avancés technologiquement, authentiques villes flottantes, en apprenant des langues étrangères et en venant au contact de cultures différentes de la mienne. Dans ces moments-là tu ne penses pas au mauvais côté de la guerre, à la discipline et à tout le reste, tu es jeune, tu cherches ton chemin et quelqu’un arrive et te met le monde entre les mains. Comment refuser ?
Le Recruteur clôtura l’affaire avec des mots peu flatteurs sur l’armée. L’essentiel du discours était que la tortue s’organise sur la terre, mais en mer elle déploie ses ailes.
Peu de temps après je fus appelé au Military Entrance Processing Station² (MEPS) de Miami où je fus soumis à une batterie d’examens médicaux et psycho-comportementaux pour prouver mon aptitude. Une fois ceux-ci terminés, je signais effectivement mon engagement dans la Marine des Etats-Unis d’Amérique.
Je passai Noël 1978 à la maison. Je mangeais et je buvais chaque verre avec plaisir. J’écoutais quelques chansons comme si c’étaient les dernières. J’avais l’impression d’être un condamné à mort, mais pas dans le sens négatif ; j’allais laisser derrière moi mon ancienne personnalité pour m’embarquer dans une nouvelle vie, avec toutes les incertitudes, les peurs et les espoirs du destin.
Je repartis à Miami en janvier 1979, où je pris le train avec d’autres recrues pour Orlando. Les autobus gris de la marine attendaient notre arrivée : destination Boot Camp³. Si tout allait bien j’y resterais au moins treize semaines. J’avais avec moi l’essentiel : un grand sac et vingt dollars.
Nous arrivâmes en pleine nuit. A peine descendus de l’autobus on nous dit que nous allions être inspectés et que si nous ne voulions pas passer la nuit au frais, nous aurions intérêt à utiliser la Amnesty Box. C’était une boite dans laquelle les nouvelles recrues pouvaient de façon anonyme abandonner les doses de drogue et les objets interdits ou de contrebande... Je n’avais que les slips et les chaussettes, de sorte que quand vint mon tour je me limitai à jeter un coup d’œil sur l’intérieur de la boite qui contenait des pierres semi-précieuses, des poignards et des médicaments. Puis, vu que c’était les années soixante-dix, nous fûmes inspectés de pied en cap pour les armes et les stupéfiants. Tout le monde ne savait pas que si tu étais un « first-time offender »⁴ et avais commis de petits délits comme le vol ou des trafics l’oncle Sam t’offrait une possibilité : une remise de peine si tu t’engageais dans l’armée⁵. Dans la « training unit »⁶ où tu étais affecté, la fameuse (ou horrible) 077, presque la moitié des recrues était constituée de délinquants primaires.
Après la vérification, nous fûmes conduits au dortoir, une grande chambre avec des lits superposés déjà assignés et disposés le long des côtés. Quelques heures après, à cinq heures pile, le réveil sonna. Après un riche petit déjeuner à base de bacon et œufs brouillés, nous passâmes au RIF⁷ où nous fûmes dépouillés de nos vêtements civils contre des uniformes sans ceinture ni lacets de chaussures. La crainte était que quelqu’un veuille se suicider.
Ce matin-là je dis adieu pour toujours à ma longue et épaisse chevelure. La tête rasée de frais, on me donna le ditty bag⁸ avec du savon, de la mousse à raser, un rasoir, une brosse à dents et du dentifrice, en somme tout le nécessaire pour être présentable.
Mais la musique du RIF dura un peu plus longtemps que la norme, en tout huit-dix jours car notre unité d’entraînement peinait à atteindre le quota minimum de recrues. Ces jours-là furent assez monotones : balayer les chemins, peindre les murs et d’autre travaux de maintenance, le tout évidemment sans ceinture ni lacets, ainsi tu balayais d’une main et tu retenais le pantalon de l’autre.
Puis un beau matin, nous fûmes réveillés par un grand bruit métallique : j’ouvris les yeux juste à temps pour voir un panier d’immondices, des cylindres en aluminium rouler au-delà de mon lit superposé tout le long du couloir.
« Debout, debout »
Il était 4h30 du matin.
Je compris soudain que le véritable Boot Camp commençait ce matin-là. Nous avions dix minutes pour faire le lit, les WC, la douche et le rasage, échouer signifiait sauter au moins un repas et faire des exercices supplémentaires. Après le toilettage et les WC, encore endormis, la course à travers un parcours d’obstacles avec les cris d’encouragement du Company Commander⁹ qui martelait dans nos oreilles : « Hurry up, bunch of pussies ! ¹⁰»
Ceci réussi, venait le moment fatidique : Le Company Commander de chaque unité d’entraînement choisissait un runner¹¹ qui devait concourir avec les autres jusqu’à l’arrivée au réfectoire . La règle était simple, celui qui arrivait en premier mangeait d’abord, par ordre d’arrivée… Le temps alloué pour les repas était le même pour tous. Malédiction : la 077 devait être l’unité la plus lente de tout le foutu Boot Camp. En treize semaines, je me suis assis pour manger une ou deux fois. Le temps d’avoir la nourriture dans l’assiette, nous étions obligés de manger debout et courir ver la cuisine poser ce que nous n’avions pas réussi à ingurgiter en cinq minutes.
Ce n’est que quand le Boot Camp fut fini que je compris que le choix des runner lents n’était pas décidé par hasard mais par la volonté précise de mater l’esprit rebelle de notre unité dans laquelle pointaient les délinquants et les déchets des autres unités d’entraînement.
Avec les drapeaux de l’Unité 077
Comme à