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Tout est une affaire de style
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Livre électronique164 pages1 heure

Tout est une affaire de style

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À propos de ce livre électronique

Tout est une affaire de style présente des récits originaux et inspirants. Dans cet ouvrage, Rémy Bombay met en lumière un aspect peu exploré de la migration française : celui des îliens de l’outre-mer, audacieux et dégourdis, qui sont venus travailler et, pour certains, s’établir en métropole. Ayant recours à l’humour et à l’absurde, il donne vie à des personnages hauts en couleur, en relation directe avec l’amour, l’amitié, le partage…

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Rémy Bombay, fervent « raconteur d’histoires », publie son premier livre intitulé Du jazz ? D’accord, mais… Et autres nouvelles en 2021. Avec Tout est une affaire de style, il explore la vie quotidienne de personnages en marge de notre époque, mais ô combien proches de nous.

LangueFrançais
Date de sortie21 août 2023
ISBN9791037798213
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    Aperçu du livre

    Tout est une affaire de style - Rémy Bombay

    La chute n’est pas en option

    Paris – Quartier de Beaugrenelle, quinzième arrondissement. Les tours de verre grignotent le front de Seine. Dans une froide verticalité urbaine, la jacquerie internationale des affaires exhibe ses richesses. Au cœur de cette ZTI¹, le passé disparaît.

    Métallo, tu n’es plus rien. On t’a défait de tes chants, de ton allure. La lutte des classes n’est pas morte ! clamais-tu naguère, le poing levé. Désormais, te voilà perdu, jeté sans retour possible au fond des oubliettes de l’histoire ; loin de ce long passé industriel, gommé sur l’ardoise du temps.

    J’ai arpenté jadis en tous sens ton macadam parisien. Aujourd’hui, une motivation autre que la curiosité l’emporte, et me ramène ici, sur mes pas anciens, qui datent du dernier millénaire. Ce matin, le corps à l’arrêt, d’humeur sombre, expulsant de ma bouche la fumée nocive de ma première cigarette, mon regard se porte au loin ; au-delà de la Seine, vers l’astre solaire, qui entame sa course d’arrière-saison. Liberté. Chère Lady liberty, je suis à l’aplomb d’une de tes répliques² – dressée sur la pointe sud de l’île aux Cygnes – telle l’excuse d’un monde qui va à sa perte, cynique, aveuglant.

    L’habillage d’aluminium, ainsi que la verrerie d’art feuilleté à l’éclat trompeur, qui alentour flamboie à la façade des immeubles, me font plisser les yeux. Jeux de dupes, de miroirs, masquant les passes d’armes feutrées, algorithmiques, de la guerre économique.

    Naguère, en tant que minot issu de l’immigration d’outre-mer, j’avais effectué quelques sauts d’ange, solitaire, au cœur du village de Grenelle : ce lieu d’enfance, de souffrance. Ce poids mort, ravivé par moments dans un grand désordre de pensées.

    De cette lointaine souvenance surgissent en raccourci : l’école élémentaire du 16 de la rue Emeriau, dont maman – la concierge titulaire des lieux – disposait des clés. Le préau, la cour hantée par des cris de gosses, exaltés, cruels ou querelleurs. Les hauts murs de briques, en saillie, de l’Imprimerie Nationale où papa faisait les trois-huit. La messe du dimanche à l’église Saint-Christophe de Javel. Les petits boulots, chez les commerçants du quartier, afin d’aider financièrement la famille. À l’adolescence, ce fut le temps des grandes émotions, de la métamorphose pubertaire et de mes velléités d’indépendance.

    Par la suite, au terme de courtes études jusqu’au CEG³, vinrent une trajectoire de galères, de ruptures, et les voies obscures de l’apprentissage qui gommaient les perspectives.

    Fait surprenant, sortant des sentiers battus, j’ai eu – au gré des cours du soir et des contrats d’intérim – un parcours professionnel étoffé, atypique, jusqu’à ma place acquise de haute lutte en salle des marchés. Toujours de mémoire, j’eus droit également aux invectives raciales qui façonnaient le caractère, auxquelles s’ajoutaient d’incessantes mises en garde parentales :

    — Monsieur Jean-Michel, ne prêtez pas le flanc à la critique. Nous ne sommes pas chez nous ! Ne vous faites pas remarquer ! Pourtant, au quotidien, la vie sous bien des aspects m’incitait à prendre le contre-pied de ces injonctions, qui freinaient mes élans et affadissaient mon imaginaire.

    À preuve, sans crier gare, les déferlantes, rock’n’roll, soul, yé-yé secouèrent bien des parents, qui se demandaient :

    — Que veulent ces ados, avec leur, Go Johnny, go ?

    La vogue des premiers électrophones Teppaz⁴ vantés, promus au cours de maintes réclames par « L’idole des jeunes » n’avait pas pour effet de les rassurer. Encore moins, à une date ultérieure, notre déménagement vers les Yvelines.

    À présent, à l’heure du bilan, tel un vieux bouc inconsolable qui revient de loin, je tente de me rappeler… Diantre ! De quoi d’autre ? La magie neuronale n’opère plus. Mon disque interne bugue, je bute inutilement. Il faut dire que bon nombre de mois se sont écoulés depuis la cassure. Ayant atteint ce qui était accessible à un être de ma condition sociale, un jour advint sans appel, un coup du sort, tragique, impensable.

    Ce matin, là-bas, au bout du pont qui relie les deux arrondissements⁵ de la capitale ; non loin de la « Maison ronde⁶ » s’étire intra-muros le ruban des voies sur berges. Impérieux, les klaxons tonitruent. On y fait peu assaut de délicatesse, car c’est l’heure du grand rush, de l’esbroufe véhiculaire. Pour autant, il y a à la ronde des lieux plus plaisants.

    Malgré le virus et les confinements successifs, au fond, rien n’a changé. Sur la bande FM qui fidélise l’auditeur, c’est crescendo de la pub, à profusion, des chansons débiles, de la jactance insipide et des blagues d’humoristes peu inspirés. Autrement dit, les tendances à courte vue, vides de sens, de la culture contemporaine prennent le pas sur tout.

    Au-delà du fleuve, terne, sans éclat, du haut de ses 325 mètres actuels et de ses 1 665 marches, la vieille dame Eiffel se tient debout sur la rive gauche de la Seine ; fière, mais pas tellement droite. Cette dame corsetée de fer puddlé⁷, qui peinturée d’un « dégradé trois tons » fait peau neuve tous les sept ans, aura vu une multitude d’indigènes grimper sur ses armatures, piquetées (pollution oblige) de corrosion.

    Pour ma part, mon temps est compté. Au reste, ce serait le diable, si je recouvrais ma place au cœur de ce siècle arrogant. J’espère bien crever, seul, sans attache, avant l’usure. Détaler un beau jour, vite, en nomade, lors d’un chaos cérébral résultant d’une attaque du même nom.

    Allons, assez ressassé les vieilles lunes. Il est temps de secouer ma carcasse !

    Mon poussiéreux fourgon utilitaire, garé sur un parking du port de Grenelle. En signe d’un bonheur furtif et ô combien futile, je croise une horde de jeunes gens frénétiques qui, au sortir du métro ou du RER C, dans des pépiements de volière s’agitent ! Des senteurs friquées d’after-shave embaument le petit matin. Je ralentis mon pas. Il est étrange de trouver sur mon chemin cette meute de winners, inconditionnels du PSG et de la food diet.

    Il fut un temps, où, placé de l’autre côté de la barrière sociale, arrogant, impétueux, peu porté à l’introspection, j’étais l’un des leurs. Ces exécutants à la mise soignée, flamboyants, ambitieux, ultra-connectés, me semblent vivre sans avoir en tête de préoccupation spirituelle. Au vrai, il n’y a pas d’amitié réelle, propre à ce milieu ; juste des convergences accidentelles d’intérêts. Ouf, aucun d’entre eux ne m’a reconnu ! Je présume que chez « Brownstone, Pétrochimie », mon ancien employeur, le turnover ambiant a tout chamboulé.

    Maintenant, les dés sont jetés, je n’ai plus d’échappatoire : je dois affronter mon passé en homme à l’esprit libre, revigoré, sans entrave. Le pont de Grenelle-Cadets de Saumur à demi traversé, mes chaussures émettent un bruit insolite, spongieux, sur le trottoir humide. Passage d’une nettoyeuse municipale vaquant à gros jet ou un reste de pluie résiduelle ? Peu m’importe.

    Où se trouve l’hôtel ?

    « Établissement étoilé, de renommée internationale, recherche un chauffagiste de première force, disait l’annonce. » Face à ces nuances automnales, c’est bien de chaleur qu’il s’agit. Par dépit, je ronchonne : salaud de Reynald ! mon frère d’infortune – un « porteur de clarté » quadragénaire, migrant, altruiste, éloquent, qui lors d’une longue traversée clandestine a côtoyé l’horreur.

    Cet originaire d’Haïti – élégant, coiffé d’un chapeau de feutre ; à la barbe soigneusement taillée et la démarche boiteuse, compensée par une canne de bambou ouvragée – m’a poussé dès l’aube, au-dehors. Acerbe, désorienté, je m’évertue à lire correctement le trajet proposé par mon smartphone.

    Nom d’un chien ! Je me suis trompé ! La rue de Boulainvilliers se trouve à l’opposé, précisément, sur la rive droite du fleuve. Or, les souvenirs anciens m’ont ramené vers Beaugrenelle, dans le sens inverse de l’itinéraire prévu.

    Aussitôt, une bouffée d’angoisse me saisit. Des pieds à la tête, je tremble. Soumis à une tension difficilement supportable, j’ai des spasmes musculaires. Pareille situation fait la part belle au hasard, ou à d’autres facteurs de causalité. Quoi qu’il en soit, un ronronnement impromptu me pousse à lever la tête : qu’est-ce que c’est, que ce truc ? Crénom, ça bouge !

    De ma vie, je n’ai jamais observé cela. Une créature singulière, d’une beauté irradiante, défie la gravitation et malgré le vent, sillonne le ciel.

    Waouh ! Quelle femme !

    Foi de Jean-Michel Carbet, cette apparition me défait de mes moyens. Railleur, Reynald dirait qu’elle me coupe la chique ! Du reste, on croirait assister à la projection poussée – HD trois-points zéro – d’un super hologramme. Au vu de ce spectacle qui sort de l’ordinaire, bien qu’en état de sidération, j’ai envie de m’égosiller, de me bousiller la luette. Toutefois, trop ému, j’ose à peine formuler :

    — Merde, elle tombe !

    Plus inquiétant, j’en viens à penser que cette « fée Clochette » d’un genre inédit s’adresse à moi, à moi seul. Sur son visage se dessine un sourire fixe, radieux, à ce jour rarement vu.

    De surcroît, sa nuisette d’un jaune tournesol enflée par le vent lui fait une poésie de corps ivoirine, dont je n’ignore rien. L’angoisse s’installant, ma pompe artérielle s’affole. En dépit de la fraîcheur, j’ai un sacré coup de chaud qui déclenche sur ma peau une suée fâcheuse, désagréable. Comme de juste, tandis que je reste les bras ballants, une pensée brusque, fugitive, me traverse l’esprit : ce halo d’un bleu tungstène qui la nimbe de lumière et la suit à mesure

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